Éléments pour l’évaluation
Commentaire
Recommandations générales
Ce document présente une lecture littéraire du texte proposé. Son objectif est
d’accompagner la réflexion des professeurs.
Il ne saurait donc, en aucun cas, représenter ce qu’une copie d’élève pourrait
produire. Mais un candidat de 1ère devrait être en mesure d’aborder et de
développer quelques-uns de ces éléments, à sa manière et à son niveau. S’il
proposait d’autres pistes d’interprétation, s’il adoptait un angle de lecture que
ce document ne présente pas, il conviendrait bien entendu de les examiner dans
un esprit d’ouverture et en toute bienveillance.
L’harmonisation académique appréciera la qualité des copies en examinant,
d’une part, ce qui relève des attentes liées à l’exercice (un devoir organisé
autour d’un projet de lecture pertinent, rédigé dans une langue correcte ; une
démarche interprétative personnelle étayée par des analyses précises) et,
d’autre part, les éléments qui pourraient valoriser le travail du candidat (la
finesse et la pertinence des analyses et des interprétations ; un devoir qui
mènerait progressivement à une démonstration aboutie).
Vous commenterez le texte suivant : Louis ARAGON, « Elsa au miroir ».
Pour Les yeux d’Elsa (1942), Aragon donne une préface essentielle, où il déclare que
« L’art des vers est l’alchimie qui transforme en beautés les faiblesses ». Mais il ajoute
que « L’histoire d’une poésie est celle de sa technique », et confie son désir de s’inscrire
dans « la longue histoire du vers français, non pas comme une leçon qui se répète, bien
apprise, non pas comme une science nécessaire à quelque baccalauréat, mais comme
le sanglot organique et profond de la France, comme ce parler de toute la terre et de
toute l’histoire, dont chaque poète français est l’héritier, l’interprète trop souvent ignorant
de ce qu’il fait ». Il entre donc dans une chaîne, une tradition : « Car j’imite. »
Rédigée à Nice en février 1942, cette préface emprunte son titre à Virgile, Arma
virumque cano (je chante les armes et l’homme), avec le commentaire suivant : « Je
chante l’homme et ses armes… et en ce sens oui, je chante et je suis prêt à reprendre
pour notre temps et mon pays ce programme par quoi débute l’épopée romaine, et je
n’ai forgé mon langage pour rien d’autre, de longue date, pour rien d’autre préparé cet
instrument chantant… »
C’est dans ce contexte que notre poème fut composé fin 1943, et publié en 1944.
Foncièrement ouvert, ce poème pourra stimuler la réflexion et l’interprétation des
candidats. Ils pourront repérer des thématiques (le regard du poète, peut-être
amoureux, sur une femme à sa toilette ; la chevelure et ses fonctions symboliques ; un
contexte de guerre, celui de l’Occupation) qui entretiennent des relations de proximité,
qui se mêlent parfois. Certaines copies chercheront même à démêler ces fils, à étudier
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peut-être cette forme de tressage, ce qui permettrait de comprendre plus profondément
le geste inaugural, et finalement constant, du peigne dans les cheveux.
Des motifs, comme des fils :
Une scène intime.
Le poète observe et décrit d’abord une scène apparemment inspirée de la
vie quotidienne : une femme est assise à son miroir et se coiffe, dans
l’intimité d’une chambre. On retrouve ici un motif pictural qui peut rappeler
certaines toiles de Renoir (La Toilette : femme se peignant ou Jeune fille
se peignant) ou de Degas (Femme à sa toilette). Une impression de durée,
portée par l’imparfait, est renforcée par le vers 2 (« Et pendant un long jour
assise à son miroir »), répété au vers 6, qui d’ailleurs n’indique aucun
geste encore. Ce temps, comme suspendu, pourrait être celui d’une
contemplation amoureuse.
Un contexte sombre, et collectif.
Toutefois, ce motif de la femme au miroir est d’emblée situé dans un cadre
menaçant : « C’était au beau milieu de notre tragédie » (v.1) est répété au
cœur du deuxième quintil (v. 8) puis aux vers 17 et 21. De plus, ce cadre
semble excéder la simple évocation d’un couple : la femme au peigne
n’étant jamais désignée à la 2e personne, ni d’ailleurs jamais nommée
(hors le titre), comme figée dans une attitude et presque désincarnée,
réduite à sa chevelure et à ses mains, il est difficile d’envisager que la 1ère
personne du pluriel (« notre ») puisse l’inclure. En revanche, remarquant
la récurrence du pronom « vous » à partir du vers 27, nous comprenons
que le poète s’adresse en réalité, et s’agrège, au groupe de ses lecteurs.
La chevelure d’Elsa.
La répétition du fragment octosyllabique « Elle peignait ses cheveux d’or »
(aux vers 3, 7, 11) et ses variantes (« dorés » v.29 ; « cette moire » v.19)
pourraient nous orienter vers une lecture bien établie du motif de la
chevelure, symbole de féminité et d’érotisme, tel qu’on le connaît en
particulier dans la poésie baudelairienne.
Mais ce n’est pas seulement une chevelure féminine que réfléchit le
miroir : dès le vers 3, le contre-rejet (« Je croyais voir », signalé de façon
spectaculaire par cette majuscule interne en l’absence de toute
ponctuation) met l’accent sur le principe d’interprétation que le poète
installe. Se superposent en effet, tout au long du poème, les « cheveux
d’or » et l’« incendie » (vers 4, 14, 30), ou « les feux » (vers 19 et 20).
Le miroir, matrice poétique :
Jeux de miroir.
L’image du miroir, omniprésente, permet de créer dans le poème un jeu
de reflets et d’échos qui met à distance la réalité décrite. On assiste ainsi
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à une diffraction de la lumière qui circule à travers un jeu de va-et-vient
entre le miroir et ce qu’il reflète, entre le monde immédiat et un monde
plus lointain, entre la réalité et la méditation.
Il est important de noter que le troisième quintil est le théâtre d’une union
ou plus exactement d’une concurrence du miroir et de la mémoire,
associés dans l’une des deux seules rimes qui structurent le poème. Dès
lors disparaîtra le premier au profit de la seconde, comme l’atteste le vers
23 : « Et pendant un long jour assise à sa mémoire ».
Une virtuosité poétique.
De la même façon que l’image semble se diffracter, les sonorités elles
aussi se reflètent dans le poème grâce à un jeu subtil sur la versification :
s’il se limite à un système à deux rimes, comme on a vu, réglé par
l’alternance féminine/masculine, Aragon multiplie les jeux d’échos de
manière à créer un effet de chatoiement sonore. Prenons l’exemple (parmi
d’autres) du vers 12, où marty-risait dialogue avec pl-aisir, formant une
boucle (d’ailleurs reprise au vers 16) qui suggère un renouvellement
volontaire de la réminiscence. Quant au motif de la harpe,
quoiqu’imaginaire («[…] j’aurais dit / […] / Qu’elle jouait un air de harpe »,
v.7-9), n’attire-t-il pas l’attention du lecteur sur l’importance première, en
filigrane, de la musique ?
C’est bien un art de la modulation qui se déploie, déclinant reprises et
variations, écarts et nuances, altérations et glissements. En plus
d’ordonner ses cheveux, le geste d’Elsa se comprend comme le démêlage
des fils, un débrouillage, un déchiffrage en somme.
« Je chante l’homme et ses armes… »
La poésie comme refuge.
Face aux réalités douloureuses, la poésie apparaît comme un refuge qui
permet de mettre à distance les souffrances de la guerre : « Elle voyait au
loin mourir dans son miroir » (v.24).
Contrairement à celui de la Lorelei légendaire, qui de son rocher sur le
Rhin séduit les navigateurs par son chant, pour leur perte, le geste répétitif
d’Elsa manifeste un pouvoir consolateur, apaisant : « Ses patientes
mains », dès le vers 4, viennent « calmer un incendie ».
L’absence de ponctuation et les enjambements nombreux donnent à la
poésie un rythme fluide. Et par un effet de ressac, par les échos qu’il crée,
le poème se fait berceuse, chant protecteur, catharsis.
Le pouvoir de la poésie.
La vertu prophétique du poète, loin de se dérober, est comme poussée à
son comble, en particulier lorsque des distiques semble sourdre le besoin
d’une expression plus nette des cruautés. En vérité, elle se contient, s’offre
en creux, comme cryptée, et nous lisons bien tous les mots qui ne sont
pas écrits mais dits, mots-dits (« miroir maudit » v.18, « monde maudit »
v.26). De même, auprès de lui, à son côté « au beau milieu de notre
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tragédie » (v.21), nous entendons bel et bien la voix du poète au vers 22,
dans ce « jeudi », je-dis, sa signature en somme. Et c’est ainsi initiés que
nous pouvons entrer dans la connivence du vers 27 : « Et vous savez leurs
noms sans que je les aie dits ».
De fait, la contemplation d’Elsa au miroir se mue en une vision, une
appropriation du monde, sensible par exemple dans la modalisation au
vers 3 (« Je croyais voir ») et au vers 7 (« et j’aurais dit »). Et cette scène
en apparence intime devient un théâtre où le poète déchiffre, résout,
épelle : le dernier miroir est finalement le poème lui-même où se reflète,
lavée de sa violence, une image transfigurée du monde.
L’intertexte baudelairien affleure à nouveau dans « les flammes des longs
soirs » (v.28), d’où surgit une beauté peut-être crépusculaire, et dans ces
« fleurs sans fin de l’incendie » (v.14) qu’Elsa ranime. Est alors répété ce
pouvoir démiurgique de la poésie perçue comme un souffle sacré, capable
de rendre la vie, et qui rédime les hommes. Le poème s’achève sur ce
« reflet d’incendie », image à la fois du feu destructeur de la guerre et de
la flamme rédemptrice de la poésie.
Éléments de valorisation :
Les candidats qui auront été attentifs à la forme versifiée du texte et auront
cherché à analyser les effets poétiques.
Les candidats qui auront perçu le changement de rythme et de tonalité entre
les quintils et les distiques.
Les candidats qui auront manifesté une connaissance de l’auteur et de son
œuvre, et qui auront su l’exploiter dans leur lecture.
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