Jacques Sbriglio - Le Corbusier. La Villa Savoye-Birkhäuser (2008)
Jacques Sbriglio - Le Corbusier. La Villa Savoye-Birkhäuser (2008)
L a v ill a S avoy e
Jacques Sbriglio
Le C orbusier :
L a Vill a Savoye
ISBN: 978-3-7643-8231-5
987654321
www.birkhauser.ch
Avant-propos 6
Parcours de visite 10
Promenade architecturale 12
Situation 37
Le parc 37
Le tour du propriétaire 38
Les différentes façades 38
Le pilotis 45
Le vestibule 46
Les services 50
La rampe 55
L’appartement 57
La cuisine 62
Le séjour 65
La chambre d’amis 68
La chambre du fils 68
« L’appartement » des parents 70
Le boudoir 73
Le jardin suspendu 73
Le solarium 75
La polychromie, « élément même du plan et de la coupe » 76
La maison du jardinier 80
6
Premier projet :
esquisses (FLC 19583)
7
qui affirme en rez-de-chaussée l’ordre héllénistique des pilotis, au
premier niveau le cube rigoureux de la maison et au second niveau
les formes libres des éléments du toit-terrasse.
Architecture de contraste aussi dans la mesure où à la perfec
tion de « la machine à habiter », illustrée par ce volume unitaire
de béton peint en blanc aux arêtes tranchées, s’opposent ici un
lyrisme des formes et une richesse spatiale qui font également de
cette architecture une « machine à émouvoir ». Ambivalence dont
on retrouvera les réminiscences tout au long de l’œuvre ultérieure
de Le Corbusier que ce soit, à l’Unité d’Habitation de Marseille
(1945/1952), à la chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp (1951/
1955), au couvent Sainte Marie de la Tourette (1953/1960) ou plus
tard dans les derniers projets réalisés en Inde.
Cette villa, dont l’étude est menée conjointement avec
d’autres projets comme la villa Baizeau à Carthage, les premiers
plans d’urbanisme pour Alger ou l’Amérique du Sud, la construc
tion de grands bâtiments comme la Cité de Refuge à Paris ou le
Centrosoyus à Moscou etc., peut être aujourd’hui considérée à juste
titre comme un point d’orgue. Celui de l’architecture moderne qui,
pour Le Corbusier, clôt les années 20 et voit son travail s’orien
ter dès le début des années 30 vers de nouvelles recherches qui ne
seront plus tout à fait les mêmes 3.
8
Par c our s de visite
Pr omen a de a r chi t ec t ur a le
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é t u d e s d e p o l y ch r o m i e
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P ROMENADE AR C H ITE C TURA L E
1 Façade sud-est
2 Façade nord-est
3 Façaades nord-ouest et sud-ouest
4 Façade sud-ouest
5 Façade nord-ouest
6 Entrée
7 Arrivée sous les pilotis
8 Vue du hall à travers la paroi vitrée
9 Hall d’entrée : escalier hélicoïdal
et rampe d’accès au premier niveau
10 Escalier
11 Hall d’entrée : vue intérieure
12 Hall d’entrée : vue vers l’extérieur
13 Escalier hélicoïdal
14 Rampe d’accès au premier niveau
15 Rampes d’accès
16 Séjour et toit-jardin
17 Toit-jardin
18 Toit-jardin : détail
19 Toit-jardin : table en béton
20 Vue sur la rampe d’accès au solarium
21 Solarium
22 Solarium : vue d’ensemble
23 Solarium : fenêtre sur le paysage
24 Office
25 Cuisine : plan de travail
26 Appartement des parents :
salle de bains
27 Appartement des parents :
salle de bains
28 Boudoir
29 Loge du jardinier
é t u d e s d e p o lych r o m i e
30 Gamme de couleurs
Villa Baizeau 1930 (FLC H1-10 69)
31 Projet 3 : façades,
élévations (FLC 19694)
32 Projet 4 : façades,
élévations (FLC 19704)
33 Loge du jardinier (FLC 19604)
36
Situation
La villa Savoye, dite aussi « Les Heures Claires », est située à Poissy,
petite ville des Yvelines sur la Seine, à une trentaine de kilomètres
à l’ouest de Paris et qui compte, au rang de ses autres célébrités
architecturales, une collégiale du XIIème siècle ainsi qu’un musée du
jouet, abrité dans de splendides bâtiments du XIVème siècle.
Deux solutions s’offrent au visiteur venant de Paris. Soit
emprunter l’autoroute de l’ouest en direction de Rouen, qui traverse
la forêt de Marly après avoir laissé de côté le château de Versailles.
Soit prendre le RER, passant par la Défense, qui dessert la gare de
Poissy et de là, le bus ligne 50, direction La Coudray jusqu'à l'arrêt
Lycée Le Corbusier.
Le quartier résidentiel, dans lequel est situé la villa Savoye,
occupe une colline qui domine une des boucles de la Seine. Calme,
et d’urbanisation récente, il est également marqué par la présence
d’un lycée dénommé Le Corbusier. Juste retour des choses en ce
qui concerne cette appellation, dans la mesure où l’édification de
ce lycée, au cours des années 60, avait failli coûter la démolition
de cette villa ! On verra d’ailleurs dans le cours de ce récit, combien
l’implantation de ce lycée a fait l’objet de tractations de tous ordres
entre Le Corbusier, l’Etat et la Commune pour, non seulement
sauver la villa Savoye de cette démolition, mais également préserver
au maximum son environnement d’origine.
Le parc
« Le site : une vaste pelouse bombée en dôme aplati. La vue princi
pale est au nord, elle est donc opposée au soleil ; le devant normal
de la maison serait donc à contresens » 4.
La villa ne se perçoit pas depuis la rue. Seul un grand mur
en meulière, qui longe la propriété au sud et derrière lequel émer
gent des arbres de hautes futaies laissant deviner un parc, conduit
le visiteur à un portail grillagé de couleur blanche. A la droite de
ce portail, un petit bâtiment également de couleur blanche, placé
en retrait et perché sur quatre fins pilotis, s’élève au dessus du
mur d’enceinte. Il s’agit de la loge du gardien ou « maison du jardi
nier » dont il sera question plus loin. Passé ce dispositif d’entrée, le
visiteur suit un chemin en graviers qui traverse un sous-bois assez
dense et dont la courbe amène à une vaste clairière au milieu de
laquelle, singulière et superbe, est placée la villa Savoye. Pour s’en
approcher, il est nécessaire de franchir un parterre engazonné, dont
le dessin reprend la figure inversée du plan du rez-de-chaussée de
la villa. De part et d’autre de ce parterre, deux allées parallèles, plan
tées de rosiers, pénètrent sous celle-ci, avant d’en faire le tour.
37
Le tour du propriétaire
« L’émotion naît de quoi ? D’un certain rapport entre des éléments
catégoriques : cylindres, sol poli, murs polis. D’une concordance
avec les choses du site. D’un système plastique qui étend ses effets
sur chaque partie de la composition. D’une unité d’idée allant de
l’unité de matières jusqu’à l’unité de la modénature » 5.
Le visiteur n’entre pas dans la villa Savoye comme dans une
villa ordinaire, fût-elle d’un certain standing. En effet, le choix
opéré par Le Corbusier d’implanter cette maison au centre de la
parcelle, crée d’entrée une distance qui incite à faire le tour de la
maison avant d’y pénétrer. Cette impression est d’autant plus forte
que le visiteur arrive à pied dans une maison dont l’accès privilé
gié et même la « donnée fondamentale », pour reprendre un terme
utilisé par Le Corbusier, était l’arrivée en voiture, jusque dans le
garage donnant directement dans le hall d’entrée.
C’est donc paradoxalement par la façade arrière, que se per
çoit d’abord cette architecture.
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Façades sud-ouest /
sud-est
39
Frontalité dans la façade d’entrée, fortement affirmée par l’en
semble du dessin des éléments d’architecture qui la compose.
Latéralité, dans la mesure où la maison est abordée par ses
flancs et où, comme le montre la localisation des superstructures du
solarium, la forme globale de la villa développe un tropisme vers
le nord-ouest, là où se trouve, dans le lointain, la vue sur les boucles
de la Seine.
Ce double concept de frontalité/latéralité s’enrichit également
de tout le travail mené par Le Corbusier sur la notion de symétrie/
dissymétrie présente dans la composition des façades de cette villa.
Symétrie exprimée dans la façade d’arrivée, si l’on excepte le
profil des formes du solarium, de l’autre côté de la maison et imper
ceptible à l’observateur situé au pied de cette façade.
Symétrie également dans la façade de l’entrée, où les enve
loppes sculptées en ronde-bosse des parois du solarium, bien que
de formes différentes, sont organisées de part et d’autre d’un axe
virtuel qui, depuis le pilotis de l’entrée, se prolonge par le bord verti
cal du tableau de la fenêtre « vide » pratiquée dans ces enveloppes.
Dissymétrie ensuite dans les deux façades latérales, comme le
montre le jeu de glissement opéré, par rapport au volume de l’étage
qui lui reste stable, entre le soubassement de la maison, déporté
au sud-est vers le plan de la façade d’arrivée et l’étage du solarium
déporté au nord-ouest, vers le plan de la façade d’entrée.
Mais c’est également dans le traitement des rapports pleins/
vides que peuvent se lire d’autres subtiles différences introduites
dans la conception des façades de cette villa.
Ainsi les façades sud-est et nord-ouest, composées d’une seule
fenêtre en longueur courant d’un bord à l’autre en recoupant litté
ralement ces façades sur leur axe longitudinal, ne sont pas traitées
exactement de la même manière.
Dans la façade d'arrivée, au sud-est, cette fenêtre en longueur
est interrompue sur la gauche de son parcours par un fin trumeau,
dont on verra dans la suite de l’analyse qu’il correspond à la paroi
située entre le boudoir et le kiosque du premier étage. Trumeau
dont on retrouve également le prolongement dans le châssis vitré
situé à l’étage en dessous.
Alors que, dans la façade opposée, cette fenêtre en longueur
passe indifféremment au devant de tous les éléments de structure,
poteaux ou murs, correspondant au séjour, à l’office ou à la cuisine.
Quant aux façades latérales, elles introduisent une autre différence.
En effet, sur ces façades, l’angle maçonné qui limite de part et
d’autre la fenêtre en longueur, est plus épais que sur les façades
frontales. Moins dynamique, la fenêtre en longueur forme ainsi
un cadre inscrit dans ces façades, et modifie le rapport pleins/
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vides existant sur les façades précédentes. C’est ce que montre par
exemple la façade nord-est dans laquelle la fenêtre en longueur est
recoupée en cinq segments, séparés par quatre fins trumeaux posi
tionnés au nu extérieur de cette façade.
Les deux premiers, de longueur équivalente, correspondent
à l’éclairement de la chambre du fils, de la salle de bains qui
l’accompagne et pour partie de la chambre d’amis. Le troisième, de
proportions sensiblement carrées, éclaire également la chambre
d’amis. Le quatrième segment, à nouveau rectangulaire, mais plus
court que les précédents, est en fait constitué d’un garde-corps
plein et d’un bandeau qui délimitent une terrasse en relation avec
la cuisine. Quant au cinquième segment, à nouveau équipé d’un
châssis vitré, il éclaire une partie de cette cuisine.
Dans la façade sud-ouest, là où la lumière du soleil est la plus
intense, la fenêtre en longueur, excepté devant le séjour, est conçue
comme une échancrure, une vaste loggia dont les parois, allège
et linteau, laissent pénétrer le soleil au cœur de la terrasse-jardin
du premier étage tout en montrant, en arrière-plan, le système de
rampe à double volée qui permet d’accéder au solarium.
La façade sud-est
La façade sud-est de la villa ou façade d’entrée est paradoxalement
la moins connue, la moins souvent publiée. Peut-être parce que
cette façade ne traduit pas avec la même intensité que les autres le
message que Le Corbusier cherche à faire passer avec cette archi
tecture. Liée au sol par le volume des services, qu’il était difficile de
traiter avec la même transparence que le hall, cette façade s’accom
mode toutefois assez bien de cette contingence.
Ici, le visiteur perçoit une composition horizontale dont l’élé
ment dominant est un parallélépipède de couleur blanche, d’une
hauteur d’étage, porté de part et d’autre par deux fins pilotis dont
la vue en perspective confirme qu’ils définissent un péristyle. Ce
volume est recoupé sur son plan horizontal par une « fenêtre en
longueur » courant de bord à bord. Il s’élève au dessus d’un rez-de-
chaussée, formant socle, composé lui-même de trois éléments.
D’abord les deux pilotis déjà cités et dont il convient de noter
qu’ils sont positionnés dans l’alignement exact du volume qu'ils
supportent.
Ensuite un corps central, situé au même nu de façade que
le premier niveau, et qui comprend un large châssis vitré de forme
rectangulaire posé sur un soubassement maçonné de couleur
blanche dont le dessin serré des éléments, à l’horizontale, n’est
pas sans évoquer celui que l’on trouve habituellement dans les
41
âtiments industriels de cette période.Enfin, de part et d’autre de
b
ce châssis, dans un retrait accentué par la couleur vert foncé qui
en recouvre les éléments maçonnés, deux autres châssis vitrés, de
même dessin mais de moindre hauteur que le précédent, viennent
dans un second plan, terminer le modelé de cette façade.
Baignée de soleil par beau temps, cette façade dispense des
jeux d’ombre et de lumière fortement contrastés, à l’exemple de
l’ombre portée par la rangée de pilotis généreusement éclairée
d’un côté et de l’autre, l’ombre du volume du premier étage venant
s’allonger sur la pelouse.
La façade nord-est
Contrairement à la façade précédente, il est nécessaire de prendre
du recul pour apprécier la façade nord-est de la villa Savoye et ce
dans la mesure où le visiteur est tenté de la longer, protégé à cet
endroit par le plancher haut du rez-de-chaussée porté par ses cinq
pilotis. Ici, le soubassement en maçonnerie de couleur vert foncé
de la façade précédente, se prolonge un peu en amont du pilotis
central. Dans ce soubassement, sont intégrés deux châssis rectan
gulaires dont le dessin est similaire à ceux de la façade sud-est et
qui reprennent également la direction de la fenêtre en longueur de
l’étage situé au dessus.
A la droite de ces châssis, disposés de manière symétrique
par rapport au second pilotis en partant de la gauche, se trouve une
petite fenêtre verticale en forme de « meurtrière » dont la hauteur
reprend celle des deux châssis. Le soubassement en maçonnerie
s’interrompt à la droite de cette fenêtre pour laisser la place à une
paroi de verre de forme courbe, dans la transparence de laquelle
vient s’inscrire une porte en tôle noire. Cette paroi guide le visiteur
vers l’entrée et libère sous le pilotis un espace baigné d’ombre, qui
peut être identifié à un portique.
Il est évident que le choix fait par Le Corbusier d’utiliser une
membrane de verre pour les parois du hall de cette villa, provient
tout autant d’une volonté de mettre en scène, depuis l’extérieur,
les différents éléments qui composent ce hall, que d’amener de la
lumière naturelle dans cet espace en retrait, situé « sous la maison ».
42
La façade nord-ouest
La façade d’entrée, orientée au nord-ouest, peut être regardée
comme la façade principale de cette villa bien que cette hiérarchisa
tion ne corresponde pas au principe de Le Corbusier pour qui « La
maison ne doit pas avoir un front. Située au sommet de la coupole,
elle doit s'ouvrir aux quatre horizons » 7.
L’observation de cette façade donne une impression d’équi
libre et de solennité. Equilibre dû à la présence de l’axe de symétrie,
matérialisé par le poteau dans l’axe et la rampe en rez-de-chaussée
visible à travers le pan de verre. Equilibre également dans le volume
du premier niveau, porté par cinq fins pilotis et recoupé sensible
ment sur son axe longitudinal par une fenêtre en longueur. Equi
libre encore dans la répartition des masses de part et d’autre de
l’axe de symétrie et des parois courbes de formes différentes qui
masquent les espaces du solarium au dernier niveau. Equilibre
enfin dans la stratification verticale formée par les trois niveaux qui
composent cette façade.
Quant à la solennité, terme qui peut sembler étrange, vu la
volonté affirmée de la part de Le Corbusier de rompre avec tout
effet monumental ou décoratif, elle provient dans cette façade de la
générosité mise en jeu dans tout le dispositif d’entrée qui fait de cet
espace, un espace non conventionnel, dans lequel ce qui est donné
à voir et à ressentir contraste par sa profusion, avec le « silence »
général de l’ensemble.
Seulement éclairée par la lumière oblique provenant du soleil
couchant, cette façade est également, aux autres heures de la jour
née éclairée en contre-jour, grâce à la transparence en rez-de-chaus
sée des parois du volume du hall d’entrée et, au premier étage, à
celle de la terrasse-jardin.
La façade sud-ouest
La façade sud-ouest est de toute évidence la plus méditerranéenne
des quatre façades de la villa Savoye. Celle qui bénéficie en tous
cas de l’orientation la plus favorable et de l’ensoleillement le plus
généreux tout au long des heures de la journée. Celle qui justifie le
mieux le nom donné par ses propriétaires à la maison : « Les Heures
Claires ». Sur cette façade, le registre horizontal se poursuit. Les
cinq pilotis qui supportent l’étage viennent s’inscrire en contre-
point de la masse opaque du garage situé en retrait. Celle-ci, seule
ment interrompue par la présence d’une petite fenêtre verticale
identique à celle de la façade opposée, absorbe dans une même
tonalité, le vert foncé, les portes coulissantes du garage et les parois
de l’espace qui lui sont attenantes.
43
Façade nord-ouest
44
A l’opacité de ce soubassement, le dessin de cette façade oppose la
légèreté du volume situé au-dessus. Dans ce volume, le découpage
de la fenêtre en longueur ouvrant sur la terrasse-jardin permet au
regard de s’immiscer, depuis l’extérieur, jusqu’au cœur de la maison.
Quant à la forme cylindrique de la paroi du solarium, elle
émerge solitaire de la ligne d’acrotère pour affirmer sur cette
façade, de manière dissymétrique, son couronnement et dans un jeu
d’équilibre/déséquilibre, répondre à la masse pleine du soubasse
ment déjà décrit, formé par le garage.
Une lumière intense inonde cette façade, multipliant les jeux
d’ombre sur les différents volumes, disposés en plans successifs
à l’exemple de la surface plate des bandeaux du premier étage, sur
laquelle la lumière se répand d’une manière homogène, lumière
à peine contredite sur la gauche par la petite ombre formée par
l’appui métallique de la fenêtre du séjour ou l’ombre du listel qui
termine la maçonnerie au niveau de l’acrotère. Ici, le célèbre apho
risme délivré par Le Corbusier dans Vers une architecture en 1923
« nos yeux sont faits pour voir les formes sous la lumière... les
formes primaires sont les belles formes parce qu’elles se lisent
clairement » 8, recouvre pleinement sa signification.
Le pilotis
« Autre chose : la vue est très belle, l’herbe est une belle chose, la
forêt aussi : on y touchera le moins possible. La maison se posera
au milieu de l’herbe comme un objet sans rien déranger » 9.
Le pilotis apparaît dans l’œuvre de Le Corbusier avec le
second modèle de la maison Citrohan exposé au Salon d’automne
en 1922. L’année suivante, il réalise son premier pilotis avec la
construction de la maison La Roche, d’autres suivront... En 1927, le
pilotis est théorisé comme étant le premier des 5 points d'une archi
tecture nouvelle, celui qui permet la mise en place du « plan libre ».
Mais c’est réellement avec la villa Savoye qu’il va connaître son
accomplissement. Il ne s’agit plus alors d’un simple poteau portant
un volume, mais d’une résille, ordonnée sur le carré, formant por
tique sur trois des côtés de la maison. A noter que ce portique est
pentastyle, c'est-à-dire formé de cinq colonnes, ce qui le rapproche
de certains édifices baroques.
Laisser la nature intacte, permettre la libre circulation sous les
bâtiments, favoriser les échappées visuelles, guider les différentes
énergies de la construction vers le sol, porter les bâtiments en hauteur,
face à la nature du « Bon Dieu », telles sont les principales intentions
avancées par Le Corbusier pour justifier de l’emploi de cette colonne
moderne. Intentions dont il ne faut pas sous-estimer la dimension
45
urement esthétique. Comme l’écrit Le Corbusier : « Appréciez cette
p
valeur formidable entièrement nouvelle de l’architecture : la ligne
impeccable du dessous du bâtiment » 10... « Les pilotis portent les
masses sensibles de la maison au-dessus du sol, en l’air. La vue de la
maison est une vue catégorique, sans raccordement avec le sol. Vous
mesurez l’importance que prennent alors les proportions, les dimen
sions assignées au cube porté par les pilotis. Le centre de gravité de la
composition architecturale s’est élevé : il n’est plus celui des anciennes
architectures de pierre qui entraînaient avec le sol une certaine liaison
optique » 11.
Composé de 15 poteaux de forme cylindrique de 30 cm de section,
et d’une hauteur sous dalle de 2 m 87, le pilotis de la villa Savoye met
en œuvre deux principes constructifs. Le premier peut être associé à
un système poteaux/dalles, sans retombées de poutres. Ce système est
employé pour l’ensemble des poteaux qui définissent le périmètre de
la villa. Le second reprend l’image du chevalet, avec des poutres de sec
tion rectangulaire qui viennent à la rencontre de la section circulaire
de ces poteaux, selon un détail fréquemment employé par Le Corbusier
dans ses constructions de cette période. Destiné à marquer l’entrée, ce
second système correspond aux trois poteaux situés sur la façade nord-
ouest. Conçu sur le carré, il était normal que les rapports de proportions
utilisés dans le dessin du pilotis de cette villa réponde à cette exigence.
Un relevé effectué sur la façade sud-ouest, le long de la paroi du garage,
confirme cette hypothèse. Ici, la distance qui sépare la face intérieure du
poteau de cette paroi est de 2 m 87, la hauteur sous dalle étant de 2 m 91 !
Le vestibule
« Les visiteurs, jusqu’ici, se tournent et se retournent à l’intérieur,
se demandant comment tout cela se passe, comprenant difficile
ment les raisons de ce qu’ils voient et ressentent ; ils ne retrouvent
plus rien de ce que l’on appelle une ‹ maison ›. Ils se sentent dans
autre chose de tout nouveau. Et... ils ne s’ennuient pas, je crois ! » 12.
L’espace que Le Corbusier nomme « le vestibule » en légende
d’une photographie publiée dans l’Œuvre complète est en fait le
hall d’entrée de la villa. Ici, tout commence par un point dans l’axe,
attitude ô combien licencieuse par rapport aux canons de l’architec
ture classique !
A propos d’axe, Le Corbusier écrit : « L’axe est peut être la pre
mière manifestation humaine ; il est le moyen de tout acte humain.
L’enfant qui titube tend à l’axe, l’homme qui lutte dans la tempête de
la vie se trace un axe. L’axe est le metteur en ordre de l’architecture... 13.
46
Les pilotis : entrée du garage
(photo d’époque)
Hall d‘entrée :
vue vers le jardin
47
L’ordonnance est la hiérarchie des axes donc la hiérarchie des buts,
la classification des intentions... 14 et plus loin : « ces buts, c’est le
mur (le plein, sensation sensorielle) ou la lumière, l’espace » 15. Se
reprenant, Le Corbusier ajoute : « il ne faut pas mettre les choses de
l’architecture toutes sur des axes, car elles seraient autant de per
sonnes qui parlent à la fois » 16.
Ce qui surprend le visiteur qui pénètre pour la première fois
dans la villa Savoye, c’est l’ambiance assez particulière, presque
froide, qui se dégage de ce hall d’entrée. En effet, on est là assez
loin du décor douillet et feutré que l’architecture bourgeoise réserve
en général à ce type d’espace. Au premier abord, ce hall, avec son
atmosphère toute fonctionnelle, semble avoir été pensé comme
un simple point de passage, une promesse, avant d’atteindre les
espaces plus prestigieux de l’appartement situé au dessus.
En réalité, ce « vestibule », avec le toit-jardin du premier niveau
et le solarium qui couronne cette construction, est un des lieux-clefs
de l’architecture de la villa Savoye. Au luxe de la décoration habi
tuelle, Le Corbusier préfère opposer ici une composition savante
qui met en œuvre avec une grande économie de moyens, quelques
éléments fondamentaux de l’architecture : un escalier, une rampe,
des parois, des poteaux...
Ces éléments, qui établissent entre eux des jeux de correspon
dance de volumes et d’échelles auxquels vient s’ajouter une utili
sation très élaborée de la lumière naturelle, confèrent à cet espace
toute sa densité architecturale.
C’est depuis l’extérieur, sous l’abri protecteur du pilotis, qu’il
faut appréhender ce hall. Face à l’entrée, que vient souligner la
singularité d’une unique marche de béton qui semble simplement
posée là, une porte, composée de deux battants en tôle noire posés
dans un pan de verre martelé, laisse deviner, sans totalement dévoi
ler, ce qui se passe à l’intérieur.
Passé ce dispositif, le visiteur se retrouve dans le hall, espace
à la fois symétrique, à l’image de la porte précédemment décrite et
complètement dissymétrique par sa forme en L inversé. Dissymé
trie accentuée également par la provenance de sources lumineuses
diverses et d’intensités différentes. L'entrée orientée nord-ouest,
bien que largement vitrée, n’amène dans ce hall qu’une lumière
étale qui contraste avec les effets de la lumière solaire glissant
dans cet espace par la trémie de l’escalier en spirale et les châssis
hauts de la rampe qui donnent sur le toit-jardin du premier étage.
A l’intérieur de ce hall dont la dominante colorée est blanche,
la composition offre, toujours dans l’axe de l’entrée, une rampe à
double volée qui grimpe en pente douce vers le premier étage. A
main gauche de cette rampe, placé à la perpendiculaire de celle-ci,
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Hall d’entrée :
vue intérieure
(photo d’époque)
Hall d’entrée :
vue intérieure
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un escalier au garde-corps plein, accompagné d’une main courante
constituée d’un simple tube, qui rappelle l’escalier extérieur de la
maison-atelier du peintre Ozenfant dessinée en 1922, déroule ses
élégantes volutes. Cet escalier dessert également deux caves situées
dans le noyau central de la villa.
De l’autre côté, encastrée dans un des deux poteaux formant
arche en arrière de la porte d’entrée, une tablette, qui semble flotter
dans l’espace, soutenue par une fine tige de métal, reprend le thème
du guéridon.
En léger décalé par rapport à la rampe, une file de poteaux
aux profils différents, le premier de section carrée, les deux autres
de section circulaire, définit un espace étroit et longitudinal qui
conduit aux pièces de service. Sur le second poteau de cette file, une
tablette en béton, déclinée sur le même mode que celle de l’entrée,
précède un lavabo sur pied. Celui-ci, dissimulé au regard par le
poteau qui le sépare de la tablette, introduit une note inhabituelle
dans ce hall qui n’est pas sans évoquer un ready-made de Marcel
Duchamp.
Le sol, en carreaux blancs au format 14 × 14, développe sa trame
unificatrice, selon un calepinage à 45° qui contraste avec le revête
ment en caoutchouc gris uni qui recouvre le sol de la rampe.
L’éclairage artificiel, indirect, est assuré par des appliques
fixées sur certains poteaux ou sur les murs. Orientés vers le plafond
de couleur blanche, ces luminaires réfléchissent ainsi la lumière
vers les différents espaces de ce hall.
C’est également dans le sens de la sortie que fonctionne à
merveille la scénographie organisée par Le Corbusier pour l’aménage
ment de cet espace. Avec notamment à l’arrivée de la rampe ou de
l’escalier, la vue panoramique et néanmoins soigneusement cadrée,
offerte sur l’extérieur, à travers le rythme serré des chassis du grand
pan de verre courbe.
Les services
La question des services et du logement des domestiques est une
question importante dans la théorie du logement chez Le Corbusier.
Il écrit en 1929 : « Toiture : chambres de domestiques. En général,
chaud en été, froid en hiver. Mauvaise politique pour s’attacher des
domestiques. D’ailleurs la question des domestiques est en pleine
crise. Cette histoire est à son crépuscule » 17.
Crépuscule peut-être et ce dans la mesure où Le Corbusier
imagine que les machines vont pouvoir prendre en charge désor
mais une grande partie des tâches domestiques et permettre ainsi
la diminution voire la disparition du personnel de maison. Mais
50
Porte d’entrée et
pan de verre
51
Le pan de verre du hall
52
ce n’est pas le cas pour l’heure en ce qui concerne la villa Savoye.
D’ailleurs Madame Savoye, dans sa lettre de commande, a bien pris
soin de préciser à Le Corbusier, sans préjuger de leur localisation
dans le projet : « Service : 2 chambres de bonnes avec prise d’eau et
un water – 1 garage pour 3 voitures – 1 logement de concierge et un
logement de chauffeur » 18.
Pour Le Corbusier, la répartition des pièces de services en
rez-de-chaussée répond à une double préoccupation. D’abord
libérer le dernier niveau des habitations pour y installer des espaces
liés au repos et à la contemplation de la nature, d’où l’idée des
toits-terrasses et autres toits-jardins. Ensuite localiser celles-ci près
du domaine public dans le but de favoriser les allées et venues du
personnel à l’écart de l’intimité de la vie de la maison.
Dans la villa Savoye cette répartition des circuits maîtres/
domestiques est extrêmement sophistiquée. Près de la grille de
l’entrée se trouve la maison du jardinier dont il a déjà été question
et qui peut également faire office de loge. En rez-de-chaussée de la
villa sont disposés : l’appartement pour un chauffeur composé
d’une chambre, d’une « salle » et d’un coin-toilette, les locaux réser
vés à la lingerie avec leurs commodités techniques, point d’eau,
bacs etc. et deux chambres pour domestiques avec coins-toilettes et
rangements individuels. A noter que les sols de ces chambres sont
revêtus d’un parquet en bois de chêne.
L’ensemble de ces pièces de service bénéficie d’accès indi
viduels sur l’extérieur soit d’une manière directe comme pour la
lingerie et l’appartement du chauffeur, soit en transitant par le hall,
comme pour les chambres de domestiques.
Largement éclairées sur l’extérieur, par l’intermédiaire de
grands châssis vitrés, ces pièces, excepté le logement du chauffeur,
sont en relation directe avec l’appartement situé au premier étage,
grâce à l’escalier en spirale du hall. Celui-ci, par un positionnement
astucieux, tourne le dos aux espaces de réception à son arrivée au
premier étage, pour desservir d’une manière plus directe et plus
confidentielle les autres espaces de service que sont l’office et la
cuisine, mais également la zone des chambres.
Quant au garage qui permet d’abriter trois voitures, et dont
la géométrie utilise un tracé à 45°, identique à celui du rayon de
braquage d’une automobile, son importance dans le projet de la
villa se lit entièrement dans la localisation que Le Corbusier lui a
attribuée, dans le corps même de celle-ci.
53
La lingerie
54
La rampe
« De l’intérieur du vestibule, une rampe douce conduit, sans qu’on
s’en aperçoive presque, au premier étage, où se déploie la vie de
l’habitant : réception, chambres, etc. Prenant vue et lumière sur
le pourtour régulier de la boîte, les différentes pièces viennent se
coudoyer en rayonnant sur un jardin suspendu qui est là comme un
distributeur de lumière appropriée et de soleil » 19.
« ... mais on continue la promenade. Depuis le jardin à l’étage,
on monte par la rampe sur le toit de la maison où est le solarium.
L’architecture arabe nous donne un enseignement précieux. Elle
s’apprécie à la marche, avec le pied ; c’est en marchant, en se dépla
çant que l’on voit se développer les ordonnances de l’architec
ture. C’est un principe contraire à l’architecture baroque qui est
conçue sur le papier, autour d’un point fixe théorique. Je préfère
l’enseignement de l’architecture arabe. Dans cette maison-ci, il
s’agit d’une véritable promenade architecturale, offrant des aspects
constamment variés, inattendus, parfois étonnants. Il est intéres
sant d’obtenir tant de diversité quand on a, par exemple, admis au
point de vue constructif, un schéma de poteaux et de poutres d’une
rigueur absolue » 20.
Bien que n’appartenant pas à l’énumération des « 5 points
d'une architecture nouvelle », la rampe est un dispositif essentiel
du vocabulaire architectural de Le Corbusier. Commentant une
photographie représentant cette rampe, Le Corbusier note : « Coupe
en travers. Du pilotis on monte insensiblement par une rampe, ce
qui est une sensation totalement différente de celle donnée par un
escalier formé de marches. Un escalier sépare un étage d’un autre :
une rampe relie » 21.
Déjà avec la rampe lovée dans la façade courbe des maisons
La Roche et Jeanneret, Le Corbusier avait expérimenté, dès 1923,
ce mode de communication entre différents niveaux, thème qu’il
reprendra deux ans plus tard pour la villa de Madame Meyer à
Neuilly, qui ne sera pas réalisée. Comme l’écrit S. von Moos, « à
Poissy l’élément le plus caractérisque reste la rampe. Grâce à elle, la
montée vers la terrasse devient une ascension cérémonielle » 22. Mais
la rampe de la villa Savoye représente plus qu’un simple élément
de liaison. Placée sur l’axe du plan, elle est la colonne vertébrale de
cette maison, son centre de gravité. C’est à partir et autour d’elle
que toute la spatialité verticale de ce projet s’organise. Une spatialité
verticale qui s’inscrit en opposition dynamique avec les plateaux
horizontaux, desservis par cette rampe.
Plongée dans la pénombre du hall, cette rampe dont le sol est
revêtu d’un tapis de caoutchouc de couleur grise est protégée par un
garde-corps en maçonnerie de briques enduites au plâtre, sur lequel
55
Vue sur la rampe
(photo d’époque)
56
est fixée une main courante formée d’un simple tube métallique.
Un élégant poteau au profil ovoïde, situé sur l’axe de cette rampe
vient supporter son limon central. S’élevant en pente douce vers
l’étage, cette rampe est traversée progressivement sur la gauche, par
la lumière latérale d’un premier châssis vitré triangulaire, donnant
sur le toit-jardin et dont les montants horizontaux projettent leurs
ombres graphiques sur les parois blanches qui limitent, côté inté
rieur, les parois de cette rampe.
Le palier d'arrivée, baigné de lumière, est situé au cœur de
l’appartement. De là, grâce à la transparence d’un second châssis
vitré de même forme et cependant plus grand que le précédent, se
dévoilent les aménagements du toit-jardin.
Passée la porte en tôle noire qui permet d’accéder à ce palier,
la rampe se poursuit, à l’air libre, vers les espaces du solarium du
dernier niveau. Le garde-corps plein des volées précédentes est
reconduit dans la première volée extérieure qui longe la terrasse-
jardin avec une main courante en maçonnerie. Dans la seconde
volée qui conduit à ciel ouvert au dernier niveau, cette main cou
rante cède la place à un barreaudage métallique dont les montants
horizontaux sont identiques à ceux d’un bastingage. Le regard peut
alors alternativement plonger en contre-bas vers l’espace du grand
séjour ou accompagner, dans un ultime mouvement ascensionnel,
la rampe qui se termine là-haut, par une ouverture rectangulaire
pratiquée dans la paroi frontale du solarium, offrant un bout de
ciel, avec pour dernière récompense une échappée vers les étendues
lointaines du paysage.
L’appartement
L'accès de l’appartement, à l'étage, se fait indifféremment par la
rampe dont il a été question plus haut ou par l’escalier hélicoïdal,
accessibles tous deux depuis le hall d’entrée situé en rez-de-chaussée.
Ces deux dispositifs, le premier lent et ludique, le second
rapide et déstabilisant, grâce aux points de vues successifs sur
l’intérieur de la maison qu’il permet par son mouvement, conver
gent en un même lieu pour desservir le palier du premier étage qui
constitue, en quelque sorte, un second lieu de réception après le
hall. C’est en tous cas ce que montre une photographie soigneuse
ment sélectionnée par Le Corbusier et publiée dans l’Œuvre
complète légendée « avant d’entrer dans le salon ou dans le jardin
suspendu ». Sur cette photographie, le palier baigné de lumière
apparaît bien comme un espace à la fois de réception, à l’image
des deux clubs de golf négligemment appuyés contre une tablette
encastrée dans un mur sur laquelle sont disposés divers objets
57
et un bouquet de fleurs, et de transition comme l’indique la porte
ouverte laissant apparaître les aménagements de la terrasse-jardin.
Autre point-clef dans la distribution de la villa Savoye, ce
palier organise les différents parcours qui permettent soit de péné
trer dans la partie publique du logement, comme le séjour, soit
dans la partie des services comme la cuisine ou l’office, soit dans la
partie privée, comme la zone des chambres.
De forme sensiblement carrée, ce « second hall » bénéficie,
par rapport au précédent, d’une luminosité intense grâce à des
apports de lumière opposées. La première provient d’une fenêtre
haute de forme rectangulaire donnant sur la terrasse qui jouxte la
cuisine. La seconde est largement distribuée par le grand pan de
verre qui sépare l’espace de la rampe de celui de la terrasse-jardin.
A ces sources de lumière fixes, viennent s’ajouter les perspectives
lumineuses offertes depuis ce hall, par la porte de verre qui le
sépare du séjour.
En forme de U aux branches inégales, le plan de l’appartement
développe d’autant plus librement ses surfaces intérieures aux
limites irrégulières qu'il est strictement inscrit dans les limites
« carrées » du plan, côté extérieur. La séparation jour/nuit de cet
appartement est faite sans ambiguïté.
Le long de la façade nord-ouest sont localisés le séjour, l'office
et la cuisine, tandis que le long des façades nord-est et sud-est sont
positionnées les chambres. La façade sud-ouest est, quant à elle,
limitée par la terrasse-jardin.
Comme dans les maisons La Roche et Jeanneret, la spatialité
résulte ici de la combinaison de deux phénomènes : le travail mené
sur la lumière et celui développé sur le déplacement de l’observa
teur dans et autour de l’architecture.
Sur le premier point, comme l’écrit Le Corbusier : « la façade,
des quatre côtés, est une apporteuse de lumière et de vue. C’est une
fonction pure et simple » 23. A cette assertion, il convient d’ajouter
les autres prises de lumière naturelle sur l’extérieur qui viennent
compléter le rôle des façades dans cette fonction. Avec en particu
lier, sur le plan vertical, toutes les membranes de verre, comme
celles des rampes et, sur le plan horizontal, tous les lanterneaux,
qu’ils soient intégrés aux jardinières de la terrasse-jardin ou situés à
l’aplomb de certaines pièces comme la salle de bains de la chambre
des parents ou le couloir qui dessert la chambre du fils.
Le second point, qui a trait à la fameuse « promenade archi
tecturale » se traduit, dans l’organisation du plan, par une mise
en séquences successives des différentes pièces accentuée par le
cadrage des ouvertures sur l’extérieur. Mais ce qui caractérise
également la spatialité de la villa Savoye, et que l’on retrouve dans
58
L’escalier hélicoïdal
depuis le premier niveau
59
les précédentes villas de Le Corbusier, c’est la mise en œuvre de
deux échelles d’espace très différentes qui s’interpénétrent. La
première s’affirme par une certaine générosité dans le dimension
nement des espaces ou des volumes, c’est le cas par exemple de la
terrasse-jardin ou du séjour. La seconde plus restreinte, plus anthro
pométrique, est réservée à certaines zones comme les circulations, les
chambres et les sanitaires.
Cette opposition n’est pas fortuite. Il s’agit d’une volonté
sur laquelle Le Corbusier s’était exprimé lors de la construction
des deux maisons réalisées dans le lotissement expérimental du
Weissenhof à Stuttgart en 1927, l’année précédant la mise en œuvre
du projet « Savoye » : « une thèse de l’habitation moderne se pré
sente ici : un vaste volume de salle dans lequel on vit toute la jour
née, dans le bien être des grandes dimensions et du grand cube
d’air, dans l’afflux de la lumière. Dégageant sur cette grande salle,
des box attribués à des fonctions de plus courte durée et pour la
satisfaction desquelles, les dimensions exigées par les règlements
en vigueur sont trop grandes, entraînant ainsi une dépense d’argent
inutile » 24.
Avant d’entrer dans la description de chacune des pièces
qui composent cet appartement, il est peut être nécessaire de
s’interroger d’une manière plus globale sur son aménagement
intérieur, qui procède en apparence des mêmes choix que ceux
effectués par Le Corbusier dans les autres villas de cette période.
Intérieur puriste fait pour n’être pas ou peu meublé, dans la
mesure où Le Corbusier a imaginé en guise de rangement tout un
système de casiers, de tablettes et d’armoires intégrées dans les
murs et cloisons des différentes pièces. Comme dans les maisons
La Roche et Jeanneret (1923), dans les deux maisons du W eissenhof
(1927) ou dans la villa Stein / de Monzie (1926), ce sont ici les
éléments d’un même vocabulaire qui sont invariablement repris,
seulement adaptés à la morphologie spécifique qui se dégage de
l’espace intérieur de chacune de ces villas.
A regarder de plus près un espace majeur comme la pièce
de séjour, les caractéristiques de cette esthétique puriste sont
clairement déclinées. Loin d’être surchargé, l’aménagement
intérieur de cet espace apparaît à l’inverse, relativement spartiate,
tel que l’architecte l’a souhaité. La marque des propriétaires s’y
lit seulement dans quelques éléments de mobilier contemporain,
art déco ou art nouveau le plus souvent, fauteuils, chaises,
tables accompagnés de tapis d’Orient et dans quelques tableaux
soigneusement disposés sur les murs en fonction de la p olychromie
appliquée à ceux-ci. Rien dans ces aménagements intérieurs ne
doit venir entraver le sentiment de l’espace, de la lumière et de la
60
Le palier du premier niveau
(photo d‘époque)
61
r elation visuelle avec l’extérieur qui donne de la profondeur de
champ et permet de cadrer le paysage. Peu ou pas de croisement
de matières ou de matériaux. La forme de l’espace est révélée de
manière univoque dans la mesure où murs, plafonds, tablettes,
coffres à rideaux, meubles, garde-corps d’escaliers, poteaux, retom
bées de poutres... présentent une apparence soigneusement « uni
formisée » par l’enduit et la peinture qui les recouvrent.
Le modelé de l’espace intérieur et ses différentes échelles
de perception est obtenu, quant à lui, par le seul jeu des volumes
formés par les divers éléments de mobilier, qui s’inscrivent en
contre-point de la trame du plan-libre et de son enveloppe. Modelé
complété à une autre échelle par le jeu graphique et coloré des
chants des différentes tablettes, casiers, mains courantes de garde-
corps, ou ailettes verticales et répétitives des radiateurs.
La cuisine
« La cuisine n’est pas précisément le sanctuaire de la maison, mais
c’est certainement l’un des lieux les plus importants. Cuisine ou
salon, l’un et l’autre sont des pièces où l’on vit » 25.
Situé à l’angle des façades nord-est et nord-ouest, l’ensemble
cuisine/office est en relation directe, avec d’une part le palier
d’arrivée déjà évoqué et d’autre part, la grande « salle » ou séjour.
Pour Le Corbusier, la cuisine est à la fois un lieu de convivia
lité et en même temps un espace éminemment fonctionnel et tech
nique dans lequel les différentes actions : stocker les aliments, les
préparer, cuisiner, nettoyer, ranger... doivent pouvoir être effectuées
dans un cadre ergonomique. Par ailleurs, Madame Savoye, séduite,
semble-t-il, par la cuisine de la villa Church (1927), avait demandé
dans sa lettre de commande : « une cuisine comme à Ville d’Avray
avec 3 prises de courant force et 2 éclairages. Un office un peu plus
grand que celui de Ville d’Avray avec un emplacement pour la lessi
veuse électrique et une prise de courant force » 26.
Cette demande traduit bien une volonté d’équiper cette cui
sine avec tout ce que les arts ménagers ont apporté dans le domaine
domestique. Une cuisine qui, semble-t-il, loin de n’être qu’une cui
sine d’appoint pour les week-ends, est destinée à assurer la prépara
tion des repas ou des réceptions pour de nombreux convives.
De plan sensiblement carré, l’ensemble cuisine/office, large-
ment éclairé par la lumière du jour, bénéficie d’un grand plan de travail
recouvert de carreaux céramiques au format 7 × 22, de couleur blanche,
qui court à hauteur d’allège le long des fenêtres. Dans la partie cuisine,
ce plan de travail se retourne, en perpendiculaire à la façade, pour for-
mer une table. A proximité, un second plan de travail accueille : un four
62
Vue de la cuisine
(photo d’époque)
L’évier encastré
Plan de la cuisine et
de l’office (FLC 19462)
Cuisine/office :
élévation intérieure
(FLC 19463)
63
Cheminée du séjour : plan
d'exécution (FLC 19454)
La fenêtre en bandeau
64
é lectrique, un grill, deux réchauds dont un électrique et l’autre à essence
ainsi qu’un évier double-bac. Un réfrigérateur complète l’équipement de
cette cuisine.
Un grand meuble passe-plat avec portes coulissantes en tôle
d’aluminium brossé, équipé d’étagères, sépare la cuisine de l’office.
Dans l’alignement de ce meuble sont également prévus un vidoir pour
les déchets ménagers, ainsi qu’un placard à balais. Cet office, qui com-
mande l’accès à la cuisine depuis l’appartement, comprend également
un évier encastré dans le plan de travail. Le sol commun à l’office et à la
cuisine est en carrelage au format 15 × 15 de couleur jaune.
L’ambiance aseptisée de cette cuisine, qui met en avant son esthé-
tique fonctionnelle, a poussé Le Corbusier, comme d’ailleurs dans la
villa Stein / de Monzie, à la faire photographier selon une mise en scène
particulière, dont la visée est poétique. Celle-ci, comme dans une nature
morte, oppose à la froide rigueur des éléments techniques de la cuisine,
la familiarité quotidienne des objets qui l’occupent comme une miche
de pain, un pot à lait, une cafetière...
Le séjour
« Au-dessous de la terrasse du toit-jardin à venir, déjà armée de fer
et de briques creuses, on voit les étais formant le coffrage à l’endroit
où, par la suite, se trouvera la partie la plus magnifique de la maison :
le mur de glace mobile ! » 27.
Ce commentaire enthousiaste fait par l’historien S. Giedion
au cours d’une visite de chantier de la villa Savoye, et concernant
le grand panneau coulissant qui sépare aujourd’hui le séjour de la
terrasse-jardin, illustre bien l’importance que « le salon », selon Le
Corbusier, en fait, la pièce principale de la maison, à la fois salon,
salle à manger, coin feu... occupe dans cette réalisation.
De forme rectangulaire occupant trois trames sur la façade d’en-
trée, cette pièce d’une longueur de 14 m 25 par 6 m de largeur, soit une
superficie de 86 m2 !, est accessible depuis trois entrées : le hall du pre-
mier niveau, la terrasse-jardin, et l’office. Largement vitré au sud-est sur
la terrasse-jardin, par un grand panneau de 9 m 20 × 3 m 11, composé
de deux châssis coulissant l’un sur l’autre, le salon est également éclairé
par une fenêtre en bandeau courant le long de la façade nord-ouest et se
retournant sur la façade sud-ouest. Cette fenêtre en bandeau, dont cer-
tains éléments sont fixes et d’autres coulissants, était à l’origine compo-
sée de châssis bois sur lesquels s’articulaient des ouvrants métalliques.
La surface réservée aux ouvertures, sur les murs de cette pièce
empêche de pouvoir y disposer du mobilier traditionnel ! Conscient
de cette difficulté, Le Corbusier a ici doté l’ensemble des allèges
des fenêtres en bandeau, d’une tablette filante équipée de placards
65
à portes coulissantes. Conçu d’un seul tenant, cet espace n’en est
pas moins subdivisé en quatre sous-espaces qui correspondent à un
coin repas situé à proximité de l’office, un coin feu grâce à une che
minée encastrée dans la tablette, le long de la façade nord-ouest,
un coin lecture/conversation devant le grand pan de verre et un coin
détente avec une table de bridge, le long de la façade sud-ouest.
Cette disposition apparaît dans les photos d’époque sur les
quelles on peut observer le mobilier choisi par les Savoye. Ce mobi
lier bourgeois diffère très nettement du mobilier, dessiné par Le
Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand en 1929 qui, de
toute évidence, n’avait pas dû séduire les propriétaires de cette villa.
Cette réticence à aller jusqu’au bout de la logique de l’aménage
ment d’un intérieur, en phase avec l’architecture de l’enveloppe
qui l’abrite, est d’autant plus étonnante quand on regarde, par
exemple, la polychromie imposée par Le Corbusier, ou que l’on
constate l’absence de papiers peints et autres tentures habituelles
des intérieurs de l’époque, dans cette villa.
Passée la porte vitrée qui sépare le palier d’arrivée de la rampe
et l’escalier hélicoïdal, du salon, se trouve à main droite une petite
tablette en béton, dont le plateau couleur gris moyen, encastré dans
l’équerre formée par les parois à cet endroit, est également porté
par une fine tige métallique couleur terre d’ombre brûlée.
La paroi qui sépare sur la droite, le salon de l’office, est revê
tue d’une peinture bleu charron tandis que la paroi qui lui fait face,
sur le côté opposé de la pièce est de couleur rose. Une grande rampe
lumineuse de type industriel, remarquée par Mme Savoye lors d’une
visite « dans la salle de démonstration des Machines Frigorifiques
de la Cie Thomson Houston, 173 Bd.Haussmann » 28, composée
d’un réflecteur en acier inoxydable en forme de V, suspendu au pla
fond par des tiges métalliques, parcourt la pièce sur sa longueur,
croisant au passage les deux chevalets de couleur blanche, formés
par le système constructif poteaux/poutres.
Une des autres caractéristiques majeures de ce séjour est son
ambiance lumineuse dans la mesure où celle-ci, relativement douce
et stable, s’oppose dans un effet de contre-jour, à la lumière violente
provenant de la terrasse-jardin. Comme l’indique la légende d’une
photographie publiée dans l’Œuvre complète : « du salon on a le
soleil qui vient par le jardin suspendu » 29.
66
Le séjour (photo d'époque)
67
La chambre d’amis
Depuis ce salon, deux parcours s’offrent au visiteur : soit sortir sur la
terrasse-jardin, soit aller plus avant dans la partie privée de l’apparte
ment. Grâce à un système de double circulation, un troisième choix
est possible entre la partie de cet étage réservée à la chambre d’amis
et à celle du fils, et celle réservée à la chambre de M. et Mme Savoye.
La chambre d’amis, située le long de la façade nord-est, est
isolée de la cuisine par une terrasse. De dimension relativement
modeste, elle bénéficie d’un rangement formant également coin-
toilette et d’une tablette disposée en allège le long de la fenêtre.
Deux lits sont prévus dans cette chambre dont l’accès, depuis le
hall d’entrée, peut se faire quasiment de manière indépendante,
grâce à la position à la palier d’arrivée de l’escalier, venant du rez
de chaussée.
Inquiète au sujet de la faible superficie de cette pièce et sur
tout de la dimension du passage permettant d’accéder au coin toi
lette, Mme Savoye s’en était ouverte aux architectes. Un courrier de
Le Corbusier daté du 24/08/1929 tente de la rassurer sur ces ques
tions dans les termes suivants : « De toute façon ce ne sera jamais
une grande pièce mais une pièce contenant tous les organes utiles à
des gens de passage » et plus loin à propos des portes : « au sujet de
la dimension des portes nous vous signalons que après de longues
expériences nous sommes arrivés à fixer deux types de portes. Celles
de 0,75 m de largeur où l’on peut passer les meubles et celles de
0,55 m, où il ne passe jamais de meubles tels W.C., bains etc. » 30.
La chambre du fils
Le couloir étroit qui mène de la chambre d’amis à la chambre du fils
de M. et Mme Savoye est éclairé, au droit de la porte d’entrée dans
cette chambre, par un lanterneau ménagé dans la toiture-terrasse
située au-dessus. Ce système d’éclairage zénithal est d’ailleurs de
nombreuses fois utilisé par Le Corbusier dans cette maison. Il a
pour avantage de dynamiser et de rendre plus agréables des espaces
situés en général au centre du plan, sans vue sur l’extérieur ni éclai
rage naturel direct et qui pourraient ainsi apparaître résiduels.
Localisée à l’angle sud-est/nord-est de la villa, la chambre du fils,
plus généreuse en superficie que la précédente, a également le
privilège de posséder une salle de bains avec baignoire. Celle-ci est
toutefois également accessible depuis le couloir d’accès à cette
chambre, ce qui permet le cas échéant de la mettre à la disposition
d’éventuels invités. Cette volonté a conduit Le Corbusier à imaginer
un ensemble inhabituel fait de trois portes articulées sur un même
pilier.
68
Couloir desservant
les chambres
Chambre du fils
69
Deux autres éléments retiennent l’attention dans l’aménagement
de cet espace. Le premier est la baignoire encastrée dans une
cloison au profil courbe formant ainsi une protubérance sculpturale
dans l’espace de la chambre. Le second est le meuble de rangement
qui sépare le lit du coin bureau. Cet élément de mobilier, comme
souvent dans l’architecture de Le Corbusier, est mis en œuvre avec
le désir de transcender sa fonction initiale d’objet pour le transfor
mer en composante de l’espace.
70
Salle de bains des parents
71
En fait de « toilette féminine », ce texte se réfère à la mode et à ses
changements radicaux intervenus au cours des années 20, sous
l’impulsion de créateurs comme Paul Poiret, dont la coupe des vête
ments libère la femme en lui autorisant de nouvelles attitudes cor
porelles.
On peut également rapprocher l’utilisation de ce lit de repos
de la pratique orientale du hammam que Le Corbusier a découvert
au cours de ses voyages. Revêtu d’un dessus en petits carreaux de
pâte de verre de ton gris, ce mobilier, auquel on accède en se hissant
directement de la baignoire située en contre-bas, limite également
la salle de bains de la chambre. Bien qu’en position centrale, cette
salle de bains bénéficie d’une vue sur l’extérieur grâce à la f enêtre
de la chambre qui lui fait face. Un lanterneau, qui sera la cause plus
tard de problèmes d’infiltrations d’eau dans la maison, tel un spot,
amène, comme dans la bibliothèque de la maison La Roche, une
lumière zénithale sur le lavabo à colonne qui avec un bidet et un WC
indépendant, complétent l’équipement de cette salle de bains.
La chambre, de forme rectangulaire est orientée vers la façade
d’arrivée au sud-est. Comme pour l’ensemble des chambres de
cette villa, la surface d’éclairement apportée par la fenêtre est,
dans cette pièce, très supérieure à la norme. Succédant au carre
lage de la salle de bains, le sol est recouvert d’un parquet de chêne
posé à l’anglaise, comme dans le boudoir attenant à cette c hambre.
Dans un décroché situé sur la gauche, vient prendre place un lit
pour deux personnes. Depuis la tête de ce lit, le regard perçoit à
main gauche une tablette de couleur gris moyen avec un chant cou
leur terre d’ombre brûlée, qui file le long de l’allège de la fenêtre et
bute sur un mur blanc. Un poteau cylindrique lui aussi gris moyen,
le borde sur la droite tandis qu'une poutre blanche vient prendre
appui à son sommet. Le mur opposé à la fenêtre, est quant à lui, de
couleur rose.
Dans un bel effet de perspective, grâce à un alignement subtil
des portes de la chambre donnant sur le boudoir avec celle donnant
du boudoir sur le kiosque, dont il sera question par la suite, la poly
chromie se poursuit avec le bleu outremer du mur séparant le bou
doir de ce kiosque. Bleu outremer dans lequel s’inscrit le noir mat
d’une porte donnant sur la terrasse-jardin. En position ouverte,
cette porte permet également d’apercevoir le blanc de l’allège et du
bandeau de la terrasse-jardin entre lesquels, à la belle saison, se
détache le vert tendre des feuillages des arbres du parc.
72
Le boudoir
Héritage de la demeure bourgeoise, le boudoir attenant à la chambre
trouve singulièrement sa place dans l’architecture « révolution
naire » de la villa Savoye. Mitoyen avec l’abri ou « kiosque » qui vient
dans son prolongement, il constitue à la fois une sorte de lieu de
retrait, tout autant qu’une petite pièce d’attente pour les personnes
qui entreraient dans l’appartement depuis la terrasse-jardin. Pour
Le Corbusier, il marque la fin de la promenade architecturale à l’in
térieur de l’appartement, un point depuis lequel dans un effet de
retournement le visiteur aperçoit de l’autre côté de la terrasse-jardin
le grand volume du salon, comme s’il s’agissait de la maison d’en
face. Cette scénographie est obtenue par la mise en place, à l’inté
rieur de ce boudoir, d’une fenêtre de forme carrée dont l’allège est
soulignée par une tablette traitée sur le même mode que celle se
trouvant dans le salon. Cette fenêtre est inscrite dans un pan de mur
également carré, proportions que l’on retrouve bien sûr à l’extérieur
quand, depuis le salon, le visiteur regarde vers le kiosque.
Le jardin suspendu
« Si l’on est debout dans l’herbe, on ne voit pas très loin l’étendue.
D’ailleurs l’herbe est malsaine, humide etc. pour y habiter ; par
conséquent le véritable jardin de la maison ne sera pas sur le sol,
mais au-dessus du sol à trois mètres cinquante : ce sera le jardin
suspendu dont le sol est sec et salubre, et c’est de ce sol qu’on
verra bien tout le paysage, beaucoup mieux que si l’on était resté
en bas. Dans nos climats tempérés, avec pluies fréquentes, il est
utile d’avoir un jardin dont le sol soit sec instantanément ; le sol du
jardin est donc en dallage de ciment, posé sur sable, assurant un
drainage instantané des eaux pluviales » 32.
La découverte de la terrasse-jardin, ou « jardin suspendu »
pour reprendre le terme de Le Corbusier, se fait de ce côté-ci de la
villa par le kiosque. En fait un abri couvert, mais non fermé, malgré
la présence d’un vitrage dans la fenêtre en longueur donnant sur la
façade d’arrivée et destiné semble-t-il à protéger cet espace du vent
et de la pluie.
Avec la terrasse-jardin, le visiteur aborde l’espace le plus pres
tigieux de la villa, celui qui donne tout son sens au projet. Lieu de
détente et de repos, véritable « séjour à ciel ouvert » pour les récep
tions d’été, cet espace, à l’abri des regards depuis le parc, répond à
toute une série d’exigences de projet.
C’est d’abord bien sûr un fantastique distributeur de lumière
à l’intérieur de la maison et qui permet entre autre chose de com
penser les effets négatifs d’un terrain pour lequel la vue se trouve
73
Boudoir
« Le jardin suspendu »
(photo d'époque)
« Le jardin suspendu »
croquis perspectif,
premier projet
(FLC 19425)
74
du côté opposé à la course du soleil. Comme l’écrit Le Corbusier :
« C’est le jardin suspendu sur lequel s’ouvrent en toute liberté les
murs de glaces coulissants du salon et plusieurs des pièces de la
maison : ainsi le soleil entre partout, au coeur même de la maison » 33.
C’est ensuite un formidable lieu d’observation qui permet au
regard, par sa position élevée, de sortir du terrain pour admirer le
paysage.
C’est enfin un lieu de contemplation de l’architecture à partir
duquel peut se percevoir dans une sorte de sérénité « le jeu correct
savant et magnifique des volumes assemblés sous la lumière » pour
reprendre un des aphorismes célèbres de Le Corbusier. Il faut dire
que tout a été mis en œuvre dans la conception de cet espace, pour
provoquer cette sensation. Dans le fond, le magnifique volume
transparent du salon, derrière son immense baie vitrée, dont la
hauteur des voilages ne trahit pas l’échelle. Sur la gauche, les vues
obliques, entre allège et bandeau, de la pelouse du parc, limitées
par la silhouette des arbres au loin. En haut, les jeux de droites, de
courbes et de contre-courbes des aménagements du solarium se
découpant sur le ciel évoquent d'une certaine façon les décors mini
malistes et silencieux d’un scénographe comme Adolphe Appia.
Evocation et citation comme le montre la table en béton
appuyée sur un des poteaux de cette terrasse-jardin, sorte de clin
d’œil à un dispositif déjà utilisé à Corseaux, dans le jardin de la
maison des parents de Le Corbusier au bord du lac Léman.
Sans oublier les jardinières et les lignes de gazon dont la pré
sence indique que ce jardin a été voulu comme un Eden, un lieu
de réconciliation entre la ville, représentée ici par l’automobile, et
la nature.
Le solarium
Point d’aboutissement du parcours avant une redescente par
l’escalier hélicoïdal jusque dans le hall, le solarium, comme la
terrasse-jardin qui le précède, recouvre de multiples significations.
Avec d’abord l’idée du bain de soleil qui, s’il n’a pas encore atteint
la signification loisir/plaisir qu’on lui reconnaît aujourd’hui pos
sède cependant des vertus thérapeutiques. On sait d’ailleurs com
bien l’hygiène et l’exercice physique sont inscrits au programme
de la modernité, comme en témoigne une autre maison célèbre,
contemporaine de la villa Savoye, la villa Noailles réalisée à Hyères
par Mallet Stevens. Cette recherche des bienfaits du soleil, traduite
dans une maison construite en Ile-de-France, témoigne égale
ment de cet idéal méditerranéen dont est empreint Le Corbusier,
et que corrobore encore au cours de ces années-là, la vogue de la
75
v illégiature d’hiver sur la Côte d’Azur. Mais ce solarium fonctionne
également comme une machine à voir. L’architecture d’en bas,
bien sûr, celle de la maison sur laquelle le regard plonge. Le paysage
aussi, mais d’une manière différente, retenue, grâce aux écrans
formés par les parois de ce solarium. Retenue pour ne pas écrire
concentrée, dirigée vers un seul objectif : la fenêtre aménagée dans
ces parois et qui dans l’axe de la rampe, permet une dernière fois au
visiteur de contempler au loin le spectacle des méandres du fleuve.
76
La table en béton de
la terrasse-jardin
77
Lettre de Le Corbusier et Pierre
Jeanneret à M. Baizeau du 10/01/1930
(H1-10 65-66 avec transcription)
78
élargie plus tard en 1931 avec le nuancier mis au point avec la firme
suisse Salubra, permet avec certitude de situer la palette utilisée
dans la villa Savoye, que sur la manière de positionner ces différen
tes couleurs dans l’espace de cette villa.
Avec d’abord une première interrogation concernant l’ex
térieur. En effet, telle qu’elle apparaît au visiteur, la villa Savoye
est recouverte dans son ensemble d’une peinture de couleur
blanche, excepté sur les deux parois latérales du volume du rez-de-
chaussée qui abritent le garage et les chambres des domestiques
où là, dans une sorte d’attitude mimétique avec la pelouse située à
l’entour, le blanc cède la place au vert anglais. Dominante blanche
donc à laquelle vient s’opposer le noir très graphique des différents
châssis menuisés du rez-de-chaussée, et l’ombre brûlée des menui
series coulissantes du premier étage. Ainsi, contrairement à la
maquette de la villa exposée au Musée d’Art Moderne de New York,
sur laquelle les volumes des superstructures du solarium étaient
colorés, la polychromie extérieure originale de la villa semble être
proche de celle que l’on peut observer aujourd’hui. Avec toutefois
une incertitude si l’on se réfère à un croquis, daté du 27 mai 1930,
qui représente deux petits dessins perspectifs de la maison du jardi
nier sur lesquels sont portées les indications : « vert foncé » pour le
soubassement de ce petit édifice, « vert pâle anglais no 2 » pour les
deux façades longitudinales et « gris foncé » pour les deux pignons
ainsi que pour la paroi maçonnée formant garde-corps de l’escalier.
A l’intérieur de la villa, l’interrogation subsiste mais en
l’absence de tout document concernant la répartition exacte des
couleurs dans les aménagements des différentes pièces, on ne peut
que se référer aux restaurations successives et au travail d’investi
gation que celles-ci ont provoqué. On peut également se reporter,
quand elles existent, aux règles édictées par ailleurs par Le Corbusier
pour l'application de la couleur comme le précise un courrier
envoyé à M. Baizeau à propos de la polychromie de sa villa à Tunis,
dont le chantier est contemporain de celui de la Villa Savoye 35.
C’est par exemple, à l’instar d’un artiste comme Théo Van
Doesburg dans ses « Contre-constructions » élaborées au début des
années 20, le fait de ne jamais recouvrir d’une même couleur les
deux faces contiguës d’une même pièce ou d’un même volume (la
maison du jardinier) ou de peindre les radiateurs de chauffage et
ce pour des raisons évidentes de convection de chaleur, dans une
couleur de préférence foncée, brun, gris fer, etc., même si cela n’a
pas toujours été le cas.
Sans entrer dans le détail descriptif de chaque couleur en
référence à chacun des espaces intérieurs et dans la mesure où cela
est parfois mentionné dans ce parcours de visite, on peut définir
79
globalement la manière dont Le Corbusier a réparti les différents
tons de cette gamme. Le blanc, comme à l’extérieur, est la domi
nante générale choisie pour la majorité des murs et la totalité des
plafonds. Le noir est réservé, quant à lui, à la peinture des portes
métalliques ou des châssis du rez-de-chaussée ou de la rampe.
L’ombre brûlée est appliquée sur les châssis des fenêtres en longueur
ou le grand châssis du salon de même que sur le chant des différen
tes tablettes ou encadrement de placards qui courent le long des
allèges dans chacune des pièces principales. A noter toutefois que
côté intérieur, ces châssis sont de couleur blanche.
En contre-point de ces couleurs de base apparaît la palette
puriste aux tons pastels. Celle-ci n’est jamais appliquée dans la villa
Savoye comme un monochrome sur la totalité des murs et plafonds
d’une même pièce, comme cela est le cas, par exemple, dans la
salle à manger de la maison La Roche. Le rose est ainsi a ppliqué
sur une paroi du salon et le dégagement qui longe la salle de bains
de la chambre des parents alors que le bleu charron recouvre un
autre mur du salon. L’ocre clair est réservé à certaines parois de la
chambre du fils. Le bleu outremer couvre un des murs du boudoir.
Le gris soutenu correspond à une des parois de la chambre des
parents, tandis que le gris clair revêt le dessus de toutes les tablettes
déjà citées. A ces teintes, il faut ajouter le blanc cassé ou le jaune des
carrelages ainsi que la tonalité chêne clair des différents parquets.
La maison du jardinier
Avant de quitter la propriété, il est intéressant de s’arrêter devant
« la maison du jardinier », pour reprendre l’appellation que l’on
retrouve dans la correspondance à propos de ce petit bâtiment,
dont l’architecture entretient de toute évidence, sur un mode sim
plifié, une analogie avec la maison de maître.
Dans la plupart des bâtiments réalisés par Le Corbusier, les
petits édifices d’accompagnement, quand ils existent, présentent
toujours un intérêt architectural. Cet intérêt réside dans le fait qu’il
s’agit, soit de bâtiments qui anticipent, dans une démarche expéri
mentale, la construction de l’édifice principal, soit de bâtiments
qui résument, en les reprenant à une autre échelle, les intentions-
clefs du projet tout en ouvrant sur le plan formel de nouvelles voies
de recherche. C’est le cas par exemple du bâtiment de traitement
des déchets dans l’Unité d’Habitation de Marseille ou de celui de la
Maison des Pèlerins à Ronchamp.
Elevée au dessus de quatre pilotis, l’architecture de cette
petite maison joue de l’opposition entre le lisse parfait de l’enduit
qui recouvre ses façades et la texture rugueuse du mur en meulière
80
qui lui sert de soubassement. Son plan rectangulaire est organisé
sur deux niveaux. En rez-de-chaussée se trouvent une buanderie
avec une douche ainsi qu’un réduit. Au premier étage, accessible
par une volée d’escalier extérieure, identique à celle dessinée
dans le cadre de la cité-jardin de Pessac (1924), sont organisés une
entrée, un sanitaire, un séjour, une cuisine, une grande chambre
et une chambre d’enfant. Dans une version incomplète par rapport
à la maison de maître, ce petit bâtiment introduit une variation
arithmétique : des cinq points de l’architecture moderne, pilotis,
toit-jardin, plan libre, fenêtre en longueur, façade libre... quatre
sont ici seulement déclinés.
La maison du jardinier
(photo d'époque)
Plan et élévation de
la maison du jardinier
(FLC 19470)
Loge du jardinier :
indication de polychromie
(FLC 31871)
81
his toire d'une Maison
de campagne
En 1928, année de la commande de la villa Savoye, Le Corbusier,
même s’il n’a pas encore pris la nationalité française, est un archi-
tecte connu des milieux de la bourgeoisie parisienne éclairée. Le
Larousse du XXème siècle de 1931, dans lequel il figure déjà, le décrit
de la manière suivante : « ... architecte suisse, né à la Chaux de
Fonds en 1887. D’abord graveur d’horlogerie, il se tourne très tôt
vers l’architecture et visite l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne, la France
où à Paris, il travailla avec les frères Perret. Installé définitivement
en France depuis 1916, il n’a cessé de préconiser une conception
nouvelle de l’habitation couverte en terrasse, éclairée horizonta-
lement de mur à mur et montée sur potences en béton ; par suite,
indépendante dans sa distribution, son éclairage, de l’enveloppe
extérieure. En collaboration avec son parent, Pierre Jeanneret, il a
élevé dans cet esprit de nombreuses villas à Vaucresson, Garches,
Ville d’Avray, Boulogne, une cité-jardin à Pessac, près de Bordeaux,
le Palais du Peuple de l’Armée du Salut, et obtenu le premier prix
au concours organisé pour la construction du Palais des Nations
à Genève ». Les premières réalisations de Le Corbusier à Paris ou
dans sa proche périphérie ont été pour la plupart le fait de mécènes
comme Raoul La Roche ou de grands bourgeois comme les Stein /
de Monzie. Ses débuts prometteurs dans la capitale, son activisme
démesuré, à la fois peintre, écrivain, théoricien, urbaniste, archi-
tecte... ont eu pour résultat d’en faire un personnage hors du com-
mun, tout à fait singulier dans le panorama de l’intelligentsia pari-
sienne de la fin des années 20.
En 1928, il a 41 ans et prend une part active à la création des
Congrès Internationaux d’Architecture Moderne, au Château de
la Sarraz dans le canton de Vaud en Suisse. Congrès qui vont se
pérenniser durant presque une trentaine d’années. A cette époque,
Le Corbusier a construit une bonne quinzaine de résidences indivi
duelles, d’abord en Suisse puis en France, établi des principes théo-
riques, créé la revue l’Esprit Nouveau, publié trois ouvrages fonda-
mentaux qui fixent les objectifs de la nouvelle architecture, proposé
un nouveau modèle de ville. La première partie de sa carrière menée
en Suisse, à la Chaux de Fonds, ses nombreux contacts établis à
travers ses voyages en Europe et au-delà, conjugués avec ce début de
reconnaissance en France, vont rapidement lui assurer une aura
internationale.
Déjà le grand concours perdu en 1927 pour la construction
du Palais de la Société des Nations à Genève avait fait de lui le martyr
de la nouvelle architecture. Bref, la fin des années 20 marque une
étape dans la carrière de Le Corbusier. Fort de tous ces acquis, il
est désormais prêt à jouer un rôle de tout premier plan à l’égal des
autres maîtres de l’architecture moderne. D’ailleurs, l’échelle de
84
sa commande va changer. Il va réaliser en France, mais également
en Union Soviétique et en Suisse, des bâtiments plus importants et
participer à l’élaboration de grands concours comme celui pour le
Palais des Soviets à Moscou et étudier de nombreux plans de villes
pour des pays d’Amérique du Sud et pour l' Algérie.
Ce bilan, Le Corbusier le dresse lui-même grâce à ce formi-
dable outil de promotion qu’est l'édition de l’Œuvre complète. En
introduction au volume 2, publié en 1935, il écrit : « Voici la seconde
série : 1929–1934. La première avait groupé les années 1910–1929,
c’est à dire 20 années de recherches. Le hasard avait fait que le pre-
mier tome parût en l’année 1929. Cette année était en quelque
sorte, pour nous, la fin d’une longue série de recherches. 1930 inau-
gurait une étape de préoccupations nouvelles : les grands travaux,
les grands événements de l’architecture et de l’urbanisme, l’ère pro-
digieuse de l’équipement d’une nouvelle civilisation machiniste » 36.
C’est dans ce contexte de travail et de perspective de carrière que
s’inscrit l’histoire de la villa Savoye. Une histoire qui recouvre trois
période distinctes.
La première, celle de la conception et de la réalisation, qui
s’étale sur près d’une dizaine d’années (1928/1937), correspond à la
commande, aux différents avant-projets, au chantier et aux diverses
interventions nécessaires pour remédier à de nombreuses malfaçons.
La seconde, celle de l’oubli (1937/1959), renvoie aux années
noires de la Seconde Guerre Mondiale, aux différentes réquisitions
et à la décision d’expropriation prise par la commune de Poissy, en
vue d’édifier un établissement scolaire sur la parcelle, en lieu et place
de la villa...
La troisième (1959/1997), qui voit se mettre en place une
mobilisation internationale pour sauver cette villa de la destruction,
correspond in fine à son acquisition par l’Etat, à son classement
au titre des Monuments Historiques et aux différentes campagnes
de restauration qui vont se succéder jusqu’à aujourd’hui.
85
t otalement d’idées préconçues : ni modernes, ni anciens. Leur idée
était simple : ils avaient un magnifique parc formé de prés entourés
de forêt ; ils désiraient vivre à la campagne ; ils étaient reliés à Paris
par 30 km d’auto » 37.
La réalité est quelque peu différente, dans la mesure où la
famille Savoye n’entend pas quitter Paris pour habiter Poissy,
mais plus simplement faire édifier, comme le précise la lettre
de commande, de toute évidence rédigée par Mme Savoye, lettre
manuscrite sans en-tête ni signature, une maison de campagne.
La première demande formulée dans cette lettre de com-
mande porte curieusement sur les possibilités d’extension de la
maison : « je voudrais..., écrit Mme Savoye, qu’il soit possible de
l’agrandir dans quelques années sans que l’agrandissement abime
la maison » 38. Suit toute une liste d’exigences techniques comme le
fait de prévoir « l’eau chaude et froide, le gaz, l’électricité... lumière
et force » précise la lettre, ainsi que « le chauffage central ». En
résumé, toutes les commodités techniques d’une maison moderne.
Viennent ensuite les demandes concernant la distribution.
Celles-ci sont regroupées par niveau, selon un découpage qui dis
tingue les pièces principales des pièces de services.
Dans cette distribution, la maison est découpée en trois grandes
zones fonctionnelles spatialisées de la manière suivante :
En rez-de-chaussée sont les pièces d’accueil, entrée et ves-
tiaire « assez grand » précise Mme Savoye, ce qui suppose que la
famille reçoit beaucoup, mais également les pièces de séjour,
cuisine, salle à manger, salon, ainsi que la chambre du fils, Roger
Savoye, et la chambre d’amis. Toujours à ce même niveau sont
positionnés les services avec deux chambres de bonne, un logement
pour le concierge ou jardinier et un pour le chauffeur qui « pour-
raient éventuellement être superposés ». Un garage pour trois voi
tures, un débarras pour outils, un grenier pour les malles, une cave
à vin et une seconde cave complètent l’ensemble.
A l’étage sont prévues une grande chambre d’une superficie
d’environ 20 m2 avec salle de bains et water ainsi qu’une lingerie
« avec armoire à glissières et table rabattante » et un boudoir.
Un certain nombre de détails accompagnent ce programme qui,
au-delà de ceux déjà mentionnés, concernent par exemple la salle
de séjour pour laquelle il est souhaité qu'elle ne soit pas « stricte-
ment rectangulaire mais comporte des coins confortables... et une
grande cheminée » 39.
Cette lettre précise également les ambiances lumineuses
souhaitées dans les pièces principales ainsi que leur équipement.
Elle se termine enfin sur des choix de prestations tels que « tapis
caoutchouc ou parquet dans les chambres, carrelages partout
86
ailleurs... isolant pour les murs extérieurs contre les chaleurs et le
froid » 40. A noter également que ce courrier, qui se conclut sur la
nécessité pour les architectes de se conformer au prix de la série de
base du forfait en cas de travaux supplémentaires, indique que ce
programme n’est pas définitivement arrêté et laisse entendre que
les Savoye n’ont qu’une idée relative de l’architecture à venir, de leur
maison.
87
futaies, prairie, etc., Le Corbusier écrit dans le volume 2 de l’Œuvre
complète à propos de cette première esquisse : « Site : magnifique
propriété formée d’un grand pâturage et verger formant coupole
entourés d’une ceinture de hautes futaies. La maison ne doit pas
avoir un front. Située au sommet de la coupole, elle doit s’ouvrir aux
quatre horizons. L’étage d’habitation, avec son jardin suspendu,
se trouvera élevé au-dessus de pilotis de façon à permettre des vues
lointaines sur l’horizon » 41.
Ainsi, occuper d’une manière stratégique le centre du terrain,
sortir de ce terrain sans vues grâce au pilotis portant la maison au
premier niveau et organiser cette maison par rapport à la course du
soleil, en évidant largement son plan intérieur autour d’un jardin
suspendu..., tels semblent avoir été les premiers principes mis en
œuvre dans la composition de ce projet.
A comparer les dispositions de ce premier projet avec les indi-
cations fournies par la famille Savoye dans la lettre de commande,
on s’aperçoit que Le Corbusier interprète d’une manière assez libre
les données de ce programme. Par exemple, il établit d’entrée une
séparation nette entre le logement des domestiques et celui des
maîtres, en positionnant ceux-ci sur deux niveaux différents. Le
logement des domestiques est en effet en rez-de-chaussée, regroupé
autour du hall d’entrée et du garage, établissant ainsi l’idée d’un
niveau de « services ». Quant à celui des maîtres, il occupe le premier
et le second niveau, lové autour du jardin suspendu.
Toujours par comparaison avec la version qui sera réalisée,
les éléments principaux qui différencient en rez-de-chaussée cette
première proposition portent sur les points suivants.
D’abord, le dimensionnement de la trame carrée qui sert de
base à la composition en plan et dont l’entre-axe, dans ce p remier
projet, est de 5 mètres. Ensuite la nature et la distribution des
pièces de services avec dans cette première version, la présence de
deux chambres réservées aux domestiques, d’un bureau et d’un
petit appartement, destiné semble-t-il au chauffeur et composé
d’un séjour, d’une chambre, d’une cuisine et d’une salle de bains.
Dans le projet réalisé, ces deux chambres de domestiques seront
regroupées le long de la façade sud/ouest, une lingerie apparaîtra à
l’angle des façades sud/est, sud/ouest, tandis que la cuisine dispa-
raîtra de la salle du chauffeur ainsi que le bureau.
A noter également que dans cette première proposition,
l’escalier hélicoïdal de liaison entre les différents niveaux n’a pas
encore été trouvé. Cet escalier, de forme droite, est parallèle à la
rampe principale située sur l’axe de la villa et séparé de celle-ci
par un couloir et quatre réservations dont une sert de débarras et
les trois autres de système d’éclairement pour les caves situées en
88
essous. Toutefois, une cloison en demi-cercle, qui plus tard don-
d
nera forme à l’escalier, apparaît sur la gauche du hall en entrant.
Toujours dans cette première proposition n’apparaît pas encore
le système de double trame de structure dont il sera question par
la suite. Pour l’heure la trame carrée, excepté pour le passage de
la rampe pour lequel l’exécution d’un chevêtre est représentée,
semble résoudre l’ensemble des problèmes constructifs de cette
villa. Quant aux différences constatées au premier niveau, avec le
projet réalisé, elles sont assez substantielles et portent, là aussi,
essentiellement sur des problèmes de distribution. Ainsi, ce niveau
est entièrement réservé aux pièces de séjour, à la chambre du fils et
à la chambre d’amis, assorties de leurs sanitaires respectifs. Diffé-
rence également dans la conception de la séquence cuisine/office/
salle à manger, organisée en équerre à l’angle des façades nord/
ouest, sud/ouest, alors que ces trois pièces seront distribuées « en
ligne », le long de la façade nord/ouest, dans la version définitive.
Toujours à ce même niveau, la petite terrasse qui sert de
séparation entre la zone jour et la zone nuit de la villa, par l’angle
droit formé par l’ensemble salle/salle à manger/office/cuisine, est
positionnée plus au sud. Un local servant semble-t-il de débarras,
et dont la forme est une reprise de celle de l’escalier du premier
projet pour la villa de Madame Meyer à Neuilly (1925) et du débarras
de la villa Stein / de Monzie à Garches (1926), est localisé sur cette
terrasse. Enfin, un escalier extérieur, positionné sur la façade nord/
est, permet de relier le jardin suspendu au terrain naturel.
Le second niveau de la villa est destiné, dans cette première
proposition, à accueillir à la fois le solarium et l’appartement de
M. et Mme Savoye. Ce dernier, organisé longitudinalement le long
de la façade sud/ouest, est composé d’une série d’espaces très
fluides, séparés par un minimum de cloisonnements. Seules deux
portes, la première donnant à l’arrivée de l’escalier montant depuis
le rez-de-chaussée et la seconde sur le solarium, viennent clore
cet appartement composé d’une grande chambre avec boudoir
attenant, d’un bureau et d’une salle de bains avec wc séparés.
A ce niveau apparaît également une pièce servant apparem-
ment de lingerie et localisée en tampon entre l’appartement et le
vide de la petite terrasse située au niveau en dessous et dont il a été
question précédemment.
Un escalier hélicoïdal partant du solarium permet, dans cette
première proposition, d’accéder dans un dernier mouvement ascen-
dant au toit de l’appartement. Cet escalier sera ultérieurement sup-
primé quand cet appartement sera intégré au premier niveau.
Quant aux parois courbes qui délimitent cet appartement,
elles sont d’une forme légèrement différente de celles qui seront
89
Projet 1 : croquis perspectif angle nord- Projet 1 : croquis axonométrique
est/sud-ouest (FLC 31522) angle sud-ouest/sud-est (FLC 19423)
90
dessinées dans le projet définitif pour dissimuler le solarium. Non
publiée, la deuxième proposition, datée des 6 et 7 novembre 1928,
établie à la suite du refus du premier projet jugé trop coûteux, est
radicalement différente de la première. Au vu du peu de documents
concernant cette deuxième proposition, on peut imaginer que Le
Corbusier s’est servi de celle-ci comme solution d’attente, voire de
repoussoir. Aucune élévation n’appartient en effet à cette étude,
seulement des plans de niveaux.
Dans cette proposition, la superficie de la villa a été réduite,
le plan n’est plus conçu sur le carré, il est désormais de forme
rectangulaire. La notion de péristyle, bien qu’amoindrie, est main-
tenue. En rez de chaussée se trouvent le hall, le garage et l’ensem-
ble des pièces de services. La rampe axiale a disparu, remplacée par
un escalier à double-volée situé sur la gauche du plan et qui permet
de relier les trois niveaux de la villa. La composition au premier
niveau est bipartite. Le plan, en forme de H aux branches inégales,
distingue la partie jour, regroupant cuisine/office et salle à man-
ger, de la partie nuit comprenant deux chambres articulées de part
et d’autre d’une salle de bains. Comme dans la solution précédente,
mais avec une disposition différente, le dernier niveau est réservé à
l’appartement des Savoye.
Toujours dans ce deuxième projet sont inclus deux variantes
concernant le rez de chaussée.La première reprend l’idée de la
version réalisée, avec un volume courbe glissé sous le péristyle dont
le rythme est ramené à trois travées sur trames rectangulaires. Ce
volume, désaxé sur la gauche en regardant le plan, comprend un
hall d’entrée, en arrière duquel sont localisées deux chambres pour
les domestiques ainsi qu’un petit appartement pour le chauffeur.
Le garage, quant à lui, a laissé la place à un simple abri/voiture
constitué par le plancher haut du rez-de-chaussée.
La seconde propose sur le même principe une batterie de cinq
chambres accolées, distribuées par un couloir longitudinal qui les
sépare du hall d’entrée et d’un bureau. Quant au stationnement des
véhicules, il est également conçu sur le modèle de l’abri. Beaucoup
plus élaboré, le troisième projet diffère d’une manière radicale des
deux premières propositions. Entièrement pensé sur la symétrie,
il présente sur trois niveaux une morphologie dense, dans laquelle
l’équilibre et l’étagement des masses sont particulièrement réussis.
Dessinée entre les 26 et 27 novembre 1928, cette solution, dont le
plan est de forme rectangulaire, se présente de la manière suivante.
En rez-de-chaussée, quatre boîtes indépendantes, glissées sous le
volume de l’étage principal, comprennent l’une le garage, l’autre
le hall et l’escalier d’accès, les deux dernières, les logements des
domestiques. D’inégale importance, ces boîtes sont disposées selon
91
un rythme de trois plus un, la plus grande (le garage) étant posi-
tionnée à la perpendiculaire des trois autres. La boîte en position
centrale, placée sur l’axe de symétrie et légèrement plus importante
que les deux autres placées de part et d’autre, définit un volume qui
traverse verticalement toute la maison. Ce volume décollé par un
jeu de terrasses du plan de la façade d’entrée au nord-ouest, abrite
un escalier à double volée dont les limons, libérés des planchers qui
les bordent, s'élèvent dans le vide sur les trois niveaux de la maison.
Au premier étage, le palier d’arrivée de cet escalier donne à
voir, par transparence, une vaste terrasse-jardin ouvrant au sud-est.
Un jeu de coursives, dont le dessin reprend en écho celui de la
forme en H du plan de la maison, dessert au nord-est un premier
ensemble formé d’un office associé à une cuisine et à une vaste
salle de séjour qui, contrairement à la version définitive de la villa se
trouve en position latérale et non frontale. De l’autre côté du plan,
au sud-ouest, cette coursive dessert un second ensemble composé
de la chambre d’amis avec son coin toilette et de la chambre du fils
accompagnée de sa salle de bains. Cette dernière chambre bénéficie
d’une vaste terrasse privative. Celle-ci est bordée sur deux de ses
côtés par un haut mur en équerre qui vient compenser sur le plan de
l’expression de ses façades, la différence de volumétrie « habitable »
existant entre la zone séjour/cuisine et cette zone des chambres.
Formant masque, ce retour de mur permet ainsi à l’enveloppe géné-
rale de la villa de conserver à la fois son homogénéité et sa symétrie.
Un escalier à volée droite, dont le départ se situe en rez-de-
chaussée, le long de la paroi des garages, donne accès depuis cette
terrasse à l’étage. Le dernier niveau, réservé à l’appartement des
Savoye, domine la composition en opposant sa verticalité singulière
à l’horizontalité formée par les autres volumes de la villa. Depuis
cet appartement qui comprend une chambre, une salle de bains et
un boudoir, l’escalier central de distribution désormais privatisé
grâce à l’existence d’une porte palière, permet d’accéder au point le
plus haut de la villa conçu comme une terrasse solarium, protégée
des regards par un haut mur d’acrotère.
Les façades, soigneusement étudiées, sont composées sur
deux modes radicalement différents. Les façades sud-ouest et nord-
est sont strictement conçues sur la symétrie dans un jeu d’organ
isation des masses qui présente un système décroissant au fur et
à mesure que la villa s’élève. Symétrie également dominée par la
présence imposante du corps central au sommet duquel, d’une manière
très symbolique, est localisé l’appartement de maître. Tandis que
les façades sud-est et nord-ouest, dissymétriques, utilisent quant
à elles, le thème de la fenêtre en longueur selon les nécessités
d’éclairement des espaces qu’elles abritent.
92
Projet 2 : plan du rez-de-
chaussée (FLC 19635)
93
Projet 3 : esquisse
axonométrique
(FLC 19702)
Projet 3 : élévation
nord-est et sud-ouest
(FLC 19428)
Projet 3 : élévation
sud-est et nord-ouest
(FLC 19427)
94
Bien que son état d’aboutissement soit relativement avancé, ce
troisième projet ne va pas satisfaire les Savoye qui vont demander à
Le Corbusier de revenir au premier projet en essayant de diminuer
son coût sans pour autant altérer son évidence architecturale. C’est
ce à quoi vont s’atteler les architectes entre les 17 et 18 d écembre
1928, soit deux mois après la proposition de la première esquisse.
Dans ce quatrième projet, la modification essentielle va porter
sur deux points. D’abord une réduction de la trame de structure
dans laquelle la distance entre poteaux va passer de 5 m à 4 m 75, ce
qui permet de réduire la superficie de chaque étage de 41,50 m2.
Ensuite une disparition des surfaces habitables du dernier niveau,
qui constituaient l’appartement des Savoye et qui seront transférées
à l’étage situé en dessous. En rez- de-chaussée apparaît sur la gauche
de la rampe en entrant, l’escalier hélicoïdal qui sera tourné de 90°
dans la version réalisée, tandis que les chambres des domestiques
ne forment pas encore un ensemble symétrique. A l’étage, Le Cor-
busier n’a pas encore imaginé la contre-circulation très astucieuse
qui permet de rendre autonome, par rapport à la chambre du fils
et à la chambre d’amis, l’appartement de M. et Mme Savoye. Quant à
l’accès au séjour depuis la rampe, il ne se fait pas encore frontale
ment mais par l’intermédiaire d’une petite chicane ménagée dans la
circulation. Dans cette quatrième et avant-dernière version subsiste
encore l’escalier extérieur latéral qui relie la terrasse-jardin à la
pelouse du rez-de-chaussée.
Le cinquième et dernier projet, peu différent du précédent, est
élaboré au printemps de l’année 1929, entre le 12 et le 30 avril.
De légères modifications déjà mentionnées ont été effectuées et ce
projet correspond globalement à celui que l’on connaît aujourd’hui.
D’autres changements interviendront en cours de chantier mais
ceux-ci portent sur des éléments qui n’affectent ni les dispositions
du plan ni l’architecture de la villa. Il s’agit plutôt de modifications
techniques comme le changement de mode de chauffage ou de
légères adaptations d’aménagement intérieur.
95
Projet 4 : plans des rez-de-chaussée
et sous-sol (FCL 19431)
96
rigueur extrême, de manière précisément à ne pas figer définitive
ment les choix, ce qui entraîne par corollaire, des travaux supplé
mentaires et des dépassements de prix. De ce point de vue, la
villa Savoye n’échappe pas à la règle. Il suffit de comparer la diffé-
rence entre l’estimatif des travaux dressé en début de chantier et le
montant définitif de ceux-ci à la réception.
Il reste d’ailleurs difficile, malgré l’existence de documents
d’archives, d’apprécier les estimatifs de travaux concernant cette
villa au regard des cinq projets proposés.
Pour avancer avec plus de certitude, dans cette recherche sur
l’estimation du coût, il faut se reporter au double document
estimatif et descriptif, élaboré par l’entreprise Cormier et daté du
07/02/1929, l’entreprise Summer proposée par Le Corbusier ayant
été écartée par les clients. Ce devis, qui ne concerne que le gros-
œuvre, comprend une proposition de base arrêtée à la somme de
270.000,00 Frs, augmentée de variantes portant sur des prestations
comme la nature des cloisons ou des enduits extérieurs pour une
somme de 3940,00 Frs. Ce qui donne un total de 273.940,00 Frs,
somme que Le Corbusier arrondira et annotera sur ce devis : « com-
mande passée le 5 mars 1929 pour la somme de 276.000,00 Frs » 42.
Concernant les autres lots, les « devis approximatifs », pour
reprendre les termes de la Société Electro-câble au sujet de la pose
de tapis en caoutchouc, vont parvenir au client au cours du mois
de février 1929. Ces devis concerneront les entreprises Célio (pein-
ture), qui a déjà collaboré avec Le Corbusier, Ferrari (chauffage),
Louis (parquets), Duflon (serrurerie), Riou (menuiserie) et Electricité
Moderne (installation électrique).
Le 15/02/1929, Le Corbusier envoie un récapitulatif de toutes
ces estimations à son client, accompagné de sa proposition d’hono-
raires. Le montant total estimé des travaux est alors de 507.900,00
Frs. Il comprend la réalisation de la villa et celle de la maison du
jardinier ou « loge » selon différentes appellations. Le taux des hono-
raires appliqué étant de 10%, soit 50.790,00 Frs, le coût d’objectif de
l’opération pour la famille Savoye, hors acquisition du terrain, est
de 558.690,00 Frs, somme qui sera allègrement dépassée (comme
on le verra par la suite).
Une demande d’autorisation de construire, non datée, rédigée
par P. Jeanneret au nom de Mme Savoye et adressée au Maire de
Poissy, figure dans les archives et précise : « Nous avons l’honneur de
solliciter de votre haute bienveillance, l’autorisation de construire un
pavillon de un étage sur Rez de ch. situé sur le terrain de l’ancienne
Ferme du Château de Villiers à Poissy ». Suit une mention biffée :
« Nous vous signalons de suite que cette construction ne sera pas
alignée sur aucune route » remplacée par : « ce pavillon et la loge
97
Projet définitif :
plan du rez-de-chaussée
98
façade nord-est
façade nord-ouest
coupe longitudinale
sud-ouest
99
du gardien ne seront pas (avec « en aucun cas » à nouveau biffé) en
alignement sur les routes environnantes, mais complètement à
l’intérieur des limites de la propriété » 43. Cette insistance dans
le fait de préciser dans cette demande, la position de la villa sur son
terrain, traduit de toute évidence à la fois une affirmation et une
volonté d’émancipation de la part de Le Corbusier par rapport à
l’usage commun.
100
Le chantier
(photo d'époque)
101
1925 à l’occasion de la construction du pavillon de l’Esprit Nouveau,
devenir « l’élément mécanique-type » de la maison.
Concernant le chantier de la villa Savoye et en l’absence du
devis descriptif établi par les architectes, on ne peut que se reporter
au devis réalisé le 07/02/1929 par l’entreprise Cormier d’après les
plans et prescriptions de Le Corbusier 45.
Ce document d’une dizaine de pages fixe les grandes lignes
des choix constructifs faits pour cette maison. Ceux-ci sont relative
ment simples et prévoient une fabrication quasiment artisanale,
dans laquelle la mise en œuvre in situ et l’utilisation d’éléments
fabriqués à la demande tient la plus grande place, à l’opposé de
toute utilisation d’éléments industriels déjà existant, si l’on excepte
les carrelages !
La structure poteaux, poutres, planchers est prévue coulée en
place tandis que les murs de remplissage à l’intérieur de cette
ossature sont prévus en briques creuses de 0,16 cm d’épaisseur et les
cloisonnements intérieurs en briques de même nature de 0,05 cm
d’épaisseur, de même que les parois du solarium qui couronne
le dernier niveau, prévues équipées d’une série de raidisseurs en
béton armé.
Ce devis prévoit également au regard des éléments singuliers
du projet, comme la terrasse-jardin et le solarium, des d ispositifs
particuliers, mais classiques pour régler les problèmes de relevés
d’étanchéité. Le lot maçonnerie gros-œuvre est également mis à
contribution pour toute une série de travaux tant extérieurs qu’inté
rieurs correspondant à la mise en œuvre de dallettes en béton
faisant office d’appuis de fenêtres ou de tablettes diverses et de
placards ou cache-radiateurs.
Il est aujourd’hui intéressant de confronter ce devis à un
second document daté du 29/12/1930, presque deux ans plus tard,
et correspondant au mémoire récapitulatif de tous les travaux enga-
gés par cette entreprise sur ce chantier 46.
Le montant définitif de ce mémoire pour le lot gros-œuvre/
maçonnerie est arrêté à 414.884,60 Frs. Soit un dépassement de
près de 50% si on le compare à celui de l’ordre de service envoyé
par Le Corbusier à cette entreprise au démarrage des travaux, le
05/03/1929, et qui portait (comme cela a déjà été indiqué) sur une
somme de 276.000,00 Frs.
Ce dépassement est explicable de différents points de vue.
Il correspond d’abord à un certain nombre de variantes dans les
prestations de l’entreprise concernant par exemple des qualités
différentes pour les enduits extérieurs ou la nature des cloisonne-
ments intérieurs. Il fait ensuite état de prestations supplémentaires
demandées en cours de chantier par les clients, à l’exemple des
102
Le chantier
(photo d'époque)
Plan d'exécution du
portique de la façade sud-
ouest (FLC H1-13-310)
103
j ardinières du solarium, d’une cheminée exécutée dans le boudoir
de Mme Savoye, d’un chenil près de la maison du jardinier, etc. Il
mentionne enfin les plus values relatives à des modifications de
certains éléments du projet de base et ce essentiellement pour des
questions techniques ou esthétiques. Il s'agit par exemple d’une
modification apportée « à la façade sud-ouest (jardin-terrasse) pour
exécution de poteaux à section ovoïde » qui prolongent de manière
plus fine, les poteaux circulaires du portique qui les supporte. C’est
le cas également d’une modification de l’escalier hélicoïdal inté-
rieur, prévu initialement encloisonné et « remplacé à la réalisation
par un escalier totalement à jour et en encorbellement avec garde-
corps en béton ». Et enfin de divers cloisonnements dont la forme
sera différente à l’exécution ou du changement de section prévu
pour certains poteaux du portique afin de ménager en leur intérieur
le passage nécessaire aux conduites d’eaux pluviales.
D’apparence simple dans sa conception, la villa Savoye va se
révéler en fait très complexe à construire. Ainsi le choix d’une ossa-
ture poteaux/poutres avec remplissages intermédiaires, combiné
avec toute absence de modénature, va mal s’accommoder d’une réa-
lisation « in situ ». Et ce malgré la qualité de finition de l’enduit au
mortier naturel, tiré « au cordeau » appelé « la Jurassite », provenant
directement de Suisse et que Le Corbusier avait imposé à l’entre-
prise Cormier. Loin de la précision et du fini de l’objet industriel,
l’enveloppe de cette villa semble en effet faite à la main, ce qui eu
égard à l’esthétique machiniste voulue par Le Corbusier lui confère
une apparence tout à fait ambiguë.
Complexité également dans le fait que les différents espaces
de cette villa, notamment en coupe verticale, ne sont pas j uxtaposés
mais viennent s’interpénétrer, selon la logique corbuséenne qui
privilégie une distribution de la lumière naturelle jusqu’au plus
profond de la maison. Logique entraînant des détails d’exécution
difficiles à réaliser car ils mettent en jeu des espaces clos et couverts
avec des espaces non clos mais couverts et d’autres espaces carré-
ment à ciel ouvert comme le jardin-terrasse ou le solarium.
On peut alors aisément imaginer les difficultés de mise en
œuvre de la trame de structure ou plutôt des diverses trames de
structure qui cohabitent dans cette villa avec les différents systèmes
d’enveloppes maçonnées ou de parois semi-transparentes ou totale
ment transparentes, utilisant à chaque fois des types de châssis
différents, ainsi que les sujétions d’étanchéité qui en découlent.
D’ailleurs la plupart des problèmes d’infiltration d’eau que
connaîtra très rapidement cette villa proviendra de ce qui précède,
à savoir des problèmes d’étanchéité entre les différentes toitures-
terrasses et autres lanterneaux, verrières et jardinières et les niveaux
104
Plan d'exécution de
l'escalier hélicoïdal
105
situés en dessous. Pratiquant une architecture expérimentale sur le
plan des usages, mais également sur le plan formel, il était normal
que Le Corbusier soit confronté à de tels risques. Et ce d’autant plus
que les entreprises du bâtiment à la fin des années vingt, et c’est
semble-t-il, comme le rappelle à plusieurs reprises Le Corbusier,
le cas de l’entreprise Cormier, sont encore cantonnées dans leurs
savoir-faire traditionnel peu en phase avec les exigences d'une
nouvelle architecture.
En mars 1929, Le Corbusier envoie les ordres de service aux
entreprises pour commencer le chantier. Le plan de nivellement est
réalisé par l’entreprise Cormier. Dès le mois d’avril, Le Corbusier
écrit à ses clients pour les informer que « l’étude à grande échelle
des façades » entraîne une modification du projet, donc une aug-
mentation du devis du serrurier. Dans le même esprit, l’entre-
prise de gros-œuvre qui accepte le montant du marché fixé par Le
Corbusier, lui signale la nécessité de donner les ordres définitifs
concernant la nature de certains matériaux de manière à éviter des
augmentations de prix qui, bien sûr, se répercuteraient dans les
décomptes ultérieurs.
Indécis sur la question du chauffage, Le Corbusier a consulté
la Société Mécano Française, spécialiste du chauffage électrique à
basse température par le sol, technique d’avant-garde pour l’époque.
Cette société lui fournit une étude très détaillée de l’installation
qui en définitive ne sera pas mise en œuvre. En effet, la puissance
nécessaire à son fonctionnement aurait réclamé l’achat d’un
transformateur dont le montant aurait dépassé de loin celui de
l’installation.
Le chantier se poursuit au cours de l’été 1929 avec les aléas
ordinaires, huisseries posées de travers, retards des ouvriers des
autres corps d’état par rapport au gros-œuvre, ce qui entraîne des
réclamations de la part de l’entreprise Cormier. D’autres difficultés
plus spécifiques entravent également la marche du chantier, comme
en témoigne l’inquiétude manifestée par M. Savoye à propos de la
trop faible épaisseur des cloisonnements montés sans poteaux de
remplissage ni poteaux d’angle. Crainte confirmée à Le Corbusier
par un courrier de l’entreprise Cormier qui mentionne également
des erreurs de cotes dans la fabrication des châssis métalliques du
rez-de-chaussée, trop courts sur leur hauteur de 9 cm !
Toujours dans ce courrier, cette entreprise informe l’archi-
tecte qu’au cours d’une visite du chantier, Mme Savoye a demandé
de modifier les dispositions du cloisonnement en cours de réa-
lisation dans la chambre d’amis. En juillet 1929, Le Corbusier
écrit à M. Savoye : « Ce matin nous avons été à Poissy, la maison se
présente très bien. Nous espérons obtenir à titre de réclame un très
106
bel enduit simili pierre, pour les façades au même prix que l’enduit
à la chaux » 47. Un autre courrier du 8 août rassure M. Savoye sur
la bonne tenue des cloisons et lui fournit également une réponse
sur l’estimation d’une construction envisagée par celui-ci, rue de
Babylone à Paris 48.
Un courrier de l’entreprise Cormier à Le Corbusier fait le
point sur l’avancement du chantier. A cette date, soit 7 mois après
l’ordre de service, le gros-œuvre est terminé, les plâtres et les carre
lages sont en cours de finition et les aménagements extérieurs
autour de la villa vont commencer. Par contre, un retard subsiste à
propos de la livraison et de la pose définitive des châssis extérieurs,
notamment en ce qui concerne le grand châssis du séjour, ce qui
risque de retarder l’ouvrier spécialisé envoyé depuis la Suisse pour
appliquer l’enduit extérieur.
Quant à la route d’accès et aux aménagements de l’entrée
dans la propriété, il semble que ceux-ci n’aient pas fait l’objet du
marché de base et que leur attribution n’ait pas encore été fixée.
C’est ce que confirme un courrier de Le Corbusier à Mme Savoye
en novembre 1929 : « pour l’entrée de la propriété nous avons
fait différents dessins... il me paraît indispensable de donner une
certaine surface à la route... étant donné que le mur est en très
mauvais état et que la reconstruction d’un mur semblable coûtera
davantage que des panneaux de grillage...” 49.
L’année 1930 débute avec un chantier qui traîne en longueur.
Témoin, ce courrier de Le Corbusier au serrurier Duflon : « nous
avons constaté que les châssis façade entrée (chambre chauffeur,
repassage etc.) n’avaient aucune rigidité... il est indispensable
d’ajouter d’urgence à ces châssis un montant vertical... » et plus
loin, à propos du grand châssis du salon : « nous nous sommes aussi
rendu compte, que c’était indispensable de commander la glace
mobile au moyen d’un système mécanique. Pour lundi veuillez
prendre vos dispositions et nous soumettre les pièces que vous
pensez adopter » 50.
De même, cette admonestation de Le Corbusier envers
l’entreprise de peinture Célio du 18/01/1930 : « Nous avons constaté
cette après-midi au chantier de Poissy, que les glaces des châssis
en bois, n’ont absolument pas été passées à bain de mastic. Pour
chaque chantier nous vous le rappelons et chaque fois c’est la
même chose » 51. Cette remarque permet d’ailleurs de confirmer
que, comme dans les maisons La Roche et Jeanneret, les menuise-
ries en acier sont, ici, bien posées dans des cadres en bois dur.
Toujours en ce début d’année, des modifications sont
entreprises, à l’initiative cette fois de Mme Savoye, qui demande le
remplacement du carrelage jaune du sol de la salle de bains par un
107
Plan d'aménagement
du terrain première
proposition (FLC 19539)
Plan d'aménagement du
terrain (FLC 19546)
108
carrelage blanc, ainsi que l’agrandissement de la cheminée dans
le salon et la dépose de la « jambette » située sous la tablette de la
fenêtre du boudoir.
Par un courrier en date du 24/03/1930, soit environ une année
après le début du chantier, Mme Savoye écrit à Le Corbusier pour
faire le point sur les aménagements manquants. La villa n’est de
toute évidence pas encore habitée. La visite de Mme Savoye ayant eu
lieu par « mauvais temps », celle-ci a pu se rendre compte d’un cer-
tain nombre d’infiltrations d’eau, dans le garage, dans la chambre
de son fils, dans le boudoir... dues à des carreaux manquants aux
fenêtres et à une défaillance de l’étanchéité des toitures-terrasses,
notamment celle du jardin suspendu. De même, Mme Savoye se
plaint de la présence de lanterneaux comme par exemple celui de
sa salle de bains à propos duquel elle écrit : « la pluie fait un bruit
infernal à la fenêtre au-dessus de mon lavabo, ce qui nous empêchera
de dormir par mauvais temps » 52.
Trois jours plus tard, Le Corbusier, par un courrier recom-
mandé, met en demeure l’entreprise Cormier, déjà avertie confiden-
tiellement de ce problème, de refaire le dallage de la terrasse-jardin
au motif que ni le profil des dalles, ni la forme de pente, ni les man-
chons de raccordement aux eaux pluviales, n’ont été correctement
réalisés 53.
Un peu pervers, ce courrier en profite pour culpabiliser un
peu plus l’entreprise en lui signifiant « certainement que vous avez
pu avoir des difficultés étant donné que c’était la première fois que
nous travaillions avec vous. Nous insistons sur ce point, car vous
pouvez vous rappeler que nous avions parlé dans les mêmes termes
à notre client » 54.
Cette dernière remarque ne sera pas oubliée et l’entreprise
Cormier saura s’en souvenir le moment venu. En réponse à cette
lettre, elle refusera la réfection complète du dallage, arguant du fait
que le choix fait par Le Corbusier de garnir les joints des dalles avec
du terreau pour y faire pousser du gazon en lieu et place du gravillon
initialement prévu, est la cause de ces problèmes.
Du coup, et par lettres interposées, le contentieux va s’aggra-
ver au fil des semaines, l’architecte et l’entrepreneur se rejetant
mutuellement leur responsabilité dans l’exécution de certaines
tâches.
Avec le printemps 1930, l’entreprise Crépin, entreprise
générale de jardin, avec laquelle Le Corbusier a de nombreuses
fois travaillé, établit un devis pour la garniture des jardinières
et de la pelouse. Au mois de juin, Mme Savoye se plaint de la non
conformité de l’installation électrique de sa cuisine ainsi que
d’autres petits oublis ayant entraîné des dépenses supplémentaires.
109
Après avoir émis des réserves sur la suite à donner à ces problèmes,
elle conclut ce courrier par un : « il pleut toujours dans le garage ! » 55.
Imperturbable, Le Corbusier, au début du mois suivant, consi-
dérant que les travaux de la maison sont terminés, « à part quelques
mises au point », réclame à son client le troisième tiers de ses hono-
raires, le solde devant intervenir après le décompte définitif des
travaux supplémentaires 56. N’obtenant pas satisfaction au cours de
l’été, il bouscule les entreprises encore en chantier, comme l’entre-
prise Crépin : « je désire ne pas me fâcher. Mais je suis excédé par
les réclamations de Monsieur Savoye... » (cela concerne les défauts
de pente de la route exécutée par cette entreprise) « qui est bien le
client le plus gentil que nous ayons eu » 57. Idem avec l’entreprise de
menuiserie Riou : « une porte du garage... est tombée... nous vous
prions de vous rendre d’urgence à Poissy » 58.
Malgré de nombreux rappels, Le Corbusier devra encore
attendre trois mois avant que M. Savoye ne lui solde ses honoraires.
110
aison, je pense que ces circonstances priment tout » 60 . Ces rela-
m
tions tendues n’empêchent pas Le Corbusier, satisfait de son
travail, d’indiquer à Mme Savoye le 28/06/1931 : « Vous devriez dépo-
ser sur la table du hall en bas, un livre (dénommé pompeusement
‹ Livre d’or ›) et chacun de vos visiteurs devrait y inscrire leur nom et
leur origine... Vous verriez que vous récolteriez de jolis autographes.
C’est ce que fait La Roche à Auteuil, et son livre est devenu un véri-
table répertoire international. Ceci dit, laissez moi vous remercier
encore, vous et M. Savoye, tout le plaisir et la joie très vive que j’ai eu
à trouver votre maison si parfaitement habitée. Ce n’est pas si cou-
rant que cela ! » 61.
Mais c’est au cours des années 1936 1937 que les rapports
entre Le Corbusier et Mme Savoye, qui semble avoir pris les choses
en main, vont sérieusement s’altérer.
Un courrier daté du 07/09/1936, sur papier à en-tête « Les
Heures Claires », soit six ans après la terminaison du chantier,
indique une nouvelle fois à Le Corbusier : « Il pleut dans l’entrée, il
pleut dans la rampe et le mur du garage est absolument trempé.
D’autre part il pleut toujours dans ma salle de bains qui est inondée
à c haque pluie, l’eau passe par la fenêtre du plafond. Le jardinier
aussi a de l’eau plein ses murs... » 62. Courrier auquel Le Corbusier
répond en minimisant les faits, en signifiant que tout est réparable
et qu’il va faire le nécessaire auprès de la nouvelle entreprise de
maçonnerie désignée par les Savoye.
Le mois de juin de l’année suivante, nouvelle tentative de
Mme Savoye qui précise que les travaux entrepris n’ont rien donné
et que la maison du jardinier est remplie d’humidité, de même que
la buanderie de la villa qui est en permanence inondée. Le ton reste
toutefois courtois : « je vous serais obligé de me faire parvenir les
plans de la maison d’habitation et de la maison du jardinier. Cela
m’éviterait de vous déranger pour de petites mises au point. Mais
les travaux dans la maison du jardinier sont urgents » 63.
Le Corbusier ne reste pas inactif devant ces réclamations. Il
fait intervenir une société spécialisée dans les problèmes d’assèche
ment et de ventilation. Apparemment sans succès, puisqu’ à
l’automne 1937, c’est le clash. Nouveau courrier sur nouveau papier
à en-tête avec nouvelle typographie, dans lequel Mme Savoye écrit :
« Votre lettre du 7 courant me surprend beaucoup. Après de nom-
breuses réclamations vous avez enfin reconnu que cette maison
construite par vous en 1929 n’était pas habitable. Votre responsa
bilité décennale est en cause et je n’ai pas à intervenir dans la
dépense. Veuillez d’urgence la rendre habitable. J’ose espérer que
je ne devrai pas recourir aux moyens légaux... » 64. Certainement
affecté par ce courrier, Le Corbusier va faire rechercher la Société
111
S.A.C.T.I., successeur de l’entreprise de gros-œuvre Cormier
laquelle a cessé son activité, de manière à mettre sur pied et aux
frais de leurs assurances respectives, un programme rapide de
remise en état de la villa.
Le 30/10/1937, Le Corbusier écrit non pas à Mme mais à
M. Savoye : « nous avons donc, en présence de Mme Savoye et de
votre fils, visité très soigneusement la maison du jardinier de Poissy
et nous avons pu nous rendre compte en grande partie des causes
de votre mécontentement ». Rien dans ce courrier n’indique les
problèmes rencontrés dans la villa elle-même, Le C orbusier se
bornant à énumérer les interventions prévues dans la maison du
jardinier. D’ailleurs le post-scriptum de ce courrier, savoureux,
porte la mention suivante : « je m’excuse de ne pouvoir signer cette
lettre, étant obligé de m’absenter immédiatement... » ! 65.
L’épilogue de cette première partie de l’histoire de la villa
Savoye, peu de temps avant qu’elle ne soit délaissée par ses
propriétaires, revient à Le Corbusier. Dans un courrier en date du
31/10/1937, celui-ci écrit une dernière fois à M. Savoye : « Cher
Monsieur, ce mot complète ma lettre d’hier dictée à mon retour
de Bruxelles... je désire vous donner la certitude que nous désirons
faire au mieux pour vous satisfaire et que vous devez nous consi-
dérer comme les amis de votre maison. Je désirerais d’autre part
demeurer un ami tout court de vous, nos relations ayant toujours
été de pleine confiance. Je suis et je dois toujours demeurer l’ami
de mes clients » 66.
112
De l'oubli à l a
c onsécr ation
115
Durant les années de guerre, la villa Savoye abandonnée, après
avoir servi de grange pour le fourrage, va être réquisitionnée
d’abord par l’armée allemande sous l’Occupation, puis à la Libéra-
tion par l’armée américaine. Entre ces années-là et l’année 1958, au
cours de laquelle une procédure d’expropriation va être lancée par
la Municipalité de Poissy en vue de la démolir et de construire un
lycée à sa place, la villa Savoye va être défigurée au fil des activités
sporadiques qu’elle abritera.
116
est en train de préparer un article intitulé : « The story of the Savoye
House ». Le réseau commençant à fonctionner, on assiste alors à
une véritable mobilisation internationale qui voit les dépêches
s’accumuler rapidement sur les bureaux de tous les responsables
français de la culture et de l’architecture. Télégrammes ou lettres
signées : Richard Neutra, José Luis Sert, qui semble d’ailleurs, avec
S. Giedion, être la véritable cheville ouvrière de cette mobilisation.
Personnalités mais aussi institutions, comme l’E.T.H. de
Zurich représentée par son doyen A. Roth, qui précise que la villa
Savoye est « non seulement un des chefs-d’œuvre universellement
connus de Le Corbusier mais aussi un monument de l’architecture
du XXème siècle reconnu comme tel par les milieux professionnels
internationaux » 69.
Courrier également de Paul Nelson à André Malraux : « la
villa Savoye est une borne plantée en avant-garde de l’architecture
et de la culture moderne » 70 et à Le Corbusier : « Cher Vieux... C’est
curieux comme les liens s’éclaircissent avec la distance » 71, signi-
fiant par là qu’il ne rechignait pas à lui apporter son aide mais que
leurs relations passées n’avaient pas toujours dues être au beau fixe.
Mobilisation également via les CIAM, des architectes tché-
coslovaques par l’intermédiaire de J. Havlicèk de Prague, qui écrit
au président du comité de sauvegarde H. Quillé : « la démolition de
la villa Savoye à Poissy est un crime contre toute la Tradition Fran-
çaise de l’Art » 72.
Aide également de Michel Ecochard, architecte urbaniste, qui
indique à Le Corbusier qu’il est intervenu auprès du ministère de
l’Education Nationale pour faire réétudier le dossier en précisant :
« construisant actuellement deux écoles à Beyrouth et l’Université
de la capitale fédérale du Pakistan... je sais combien la réputation
de M. Le Corbusier est pour nous un appoint extraordinaire pour
notre influence extérieure culturelle et artistique... de plus cette
habitation... marque une étape extrêmement importante vers une
architecture nouvelle, et les pays étrangers, comme le montrent
déjà les premières réactions personnelles, ne comprendraient pas
sa disparition ». Désirant aboutir d’une manière positive, M. Eco-
chard propose à son interlocuteur « d’étudier le plan masse (sous-
entendu du futur lycée) pour y incorporer la villa Savoye en l’utili-
sant, soit comme logement pour le corps enseignant, soit au besoin
pour la partie administrative du lycée » 73.
Cette solution, même si elle a pour intérêt d’éviter la démoli-
tion, ne convient pas à Le Corbusier qui s’active également de son
côté. Le 11/03/1959, il expédie un nouveau courrier à S. Giedion
dans lequel il l’informe que la propriété Savoye pourrait être achetée
pour environ 100 millions de francs, indication à laquelle il ajoute :
117
« j’ai créé une Fondation Le Corbusier... cette fondation devient
mon héritier exclusif. Il y a un actif d’une valeur certaine considé
rable : des milliers de dessins ; peut être deux cents tableaux ; la
totalité des plans d’architecture et d’urbanisme depuis 1922... les
droits d’auteurs de près de cinquante livres qui se font maintenant
en quatre ou cinq langues... tout cela, c’est de l’argent devant nous
(qui n’est pas dans mes poches car dans mes poches, il n’y a en a
pour ainsi dire jamais car je dépense cet argent en frais d’atelier
dont les études sont partagées entre environ 25% d’études pour
clients réels et 75% d’études sans clients c’est là ma manière de
vivre, idiote ou intelligente, peu importe !) » et Le Corbusier ajoute :
« Mon appartement de la rue Nungesser et Coli fera partie de la
Fondation ; la petite Maison du Lac également. La Roche ayant été
questionné à plusieurs reprises a déclaré vouloir donner sa maison
située Square du Docteur Blanche à Paris comme siège social de la
Fondation. Il faudrait, à temps utile, qu’un délégué des Américains
fasse visite à La Roche pour associer toutes choses ensemble ». Et
Le Corbusier précise concernant l’avenir de la villa Savoye : « objet
de la Maison Savoye : (par exemple) servir de point de départ pour
certaines études ayant pour but de rechercher en Occident l’ache-
minement architectural de l’antiquité à nos jours par des démar-
ches autres que des démarches académiques » 74.
L’importance de ce courrier émouvant, quasiment testa-
mentaire, qui annonce presque dix ans avant sa mise en œuvre, la
création de la Fondation Le Corbusier, montre également que
Le Corbusier n’a pas une idée très claire au sujet de la fonction que
la villa Savoye réhabilitée pourrait occuper.
Autre appui important, celui de Ernest Weissman sur papier
à en-tête de L’ Organisation Internationale des Nations Unies, qui
a également contacté l’architecte américain W. Harrisson, un des
auteurs du bâtiment de l’ONU à New York. Soutien également de
I. Schein en France et de G. Samper Gnecco, architecte à Bogota,
ancien de l’atelier.
Devant cette avalanche, près de 250 télégrammes ou lettres
venus de différents pays, Le Corbusier est obligé d’intervenir auprès
d’André Malraux, pour lui signifier que toute cette mobilisation
s’est déroulée à l’écart de toute influence de sa part. Le 8/06/1959, il
écrit : « Monsieur le Ministre, j’étais aux Indes quand s’est produite
l’agitation autour de la Maison Savoye. Je n’étais intervenu avant
mon départ que pour répondre à un coup de téléphone de M. Giedion
de Harvard, Boston (de passage à Paris) demandant si la maison
était à vendre. Hors de cela j’ignorais tout sauf que vous avez été
assailli, paraît-il, par des interventions étrangères... Le charme de
cette propriété c’est qu’elle s’élevait au milieu des herbes en pleine
118
nature. La solitude et le silence étaient des raisons essentielles de
son agrément » 75.
Rusé Le Corbusier ! A ce moment là, il a 72 ans et toute une
vie d’architecte lui a appris ce que stratégie veut dire. D’un côté,
il s emble s’excuser auprès de Malraux des pressions que celui-ci a
reçues à son insu. D’un autre côté, il distille à petite dose un argu-
mentaire, pour le convaincre que la villa Savoye n’a de raisons d’être
que dans la mesure où elle a été pensée dans une nature vierge.
D’ailleurs il joint à l’appui de ce courrier, comme pour mieux
convaincre le ministre, des clichés de la maison pris au début de
son existence en 1930.
Reconnaissance institutionnelle
Toute l’année 1959 se sera donc passée autour de l’idée du projet de
sauvegarde de la villa Savoye, projet savamment orchestré par Le
Corbusier grâce à son influence internationale, projet qui curieuse-
ment cherche sur le plan national à éviter la démolition mais égale
ment la construction du lycée sans avoir recours à d’autres voies
que l’initiative privée, comme par exemple la voie institutionnelle.
C’est pourtant ce basculement qui va se produire dès le début de
l’année 1960, au cours de laquelle l’Etat français va prendre tout le
monde de vitesse dans cette affaire. Pour Le Corbusier, le combat
est loin d’être terminé dans la mesure où il n’entend pas être mis à
l’écart et où il va multiplier les offensives pour, d’abord, neutraliser
le plus possible la construction du fameux lycée, ensuite, essayer
d’obtenir le projet de restauration de la villa et enfin avoir un droit
de regard sur son utilisation nouvelle.
A la demande de la Section Spéciale des Bâtiments d’Enseigne
ment du Conseil des Bâtiments de France, Le Corbusier est appelé
à donner son avis sur le nouveau projet de construction du lycée,
modifié à la suite de la campagne de protestations soulevées par
l’éventuelle démolition de la villa. Acceptant le principe de la
construction du lycée, Le Corbusier souhaite cependant que le parc
de la villa Savoye conserve intacte sa perspective et que le gymnase
prévu soit déplacé. Il prend également position sur la destination
de la villa en proposant que celle-ci devienne le siège des CIAM et
indique qu’il est prêt à en assurer la restauration et l’aménagement.
C’est ce que précise le procès verbal suivant qui mentionne : « au cas
où un autre architecte... serait appelé à réaliser les aménagements
qu’entraînerait la création d’un centre international, M. Le Corbusier
demande expressément que les plans lui soient soumis auparavant » 76.
A la relecture de ce procès verbal, Le Corbusier encadrera cette
dernière disposition en inscrivant dans la marge : « pas d’accord.
119
Le Corbusier fait les plans ». Volonté renouvelée un mois plus tard
dans une lettre adressée à B. Anthonioz, chargé de mission au
ministère de la Culture dans laquelle il écrit : « Il n’est pas question
une minute qu’un autre architecte soit chargé de ce travail » 77.
Dans le même temps où il ferraille contre le ministère, Le
Corbusier connaît également quelques inquiétudes avec le Cercle
d’Etudes Architecturales et son Président P. Sonrel qui a écrit à
André Malraux pour le remercier de son action et proposer de
contribuer à la création du Centre International d’A rchitecture et
d’Urbanisme envisagé à la villa Savoye. A nouveau, Le Corbusier
prend sa plume et écrit à P. Sonrel : « dans votre lettre au Ministre,
vous semblez offrir vos services. Veuillez être assez gentil pour
attendre que je fait le nécessaire car il s’agit de payer la propriété,
de payer les réparations de la maison et mon projet permet
probablement d’obtenir les crédits nécessaires précisément auprès
de ceux qui, les premiers, et non pas les seconds, ont manifesté de
l’attachement à la villa Savoye » 78.
Maintenant que l’affaire est lancée, Le Corbusier semble
agacé par le fait qu’il ne maîtrise pas totalement la situation. Il
décide d’aller plus avant et de précipiter les choses en faisant exécu-
ter à J. Petit une série de croquis représentant les altérations appor-
tées à l’architecture de la villa par les occupations les plus récentes.
Croquis qu'il expédie aussitôt, par l'intermédiaire de B. Anthonioz,
à A. Malraux. Le 11/04/1960, une visite de la villa est effectuée par
J. Chauliat, architecte du futur lycée, Mme E. Aujame, M. de Valois,
secrétaire général de la Mairie de Poissy... Le procès verbal de cette
visite fait état des dégradations et modifications apportées à la
villa : édification d'un muret au devant de la rampe de la terrasse et
du grand châssis coulissant du salon, dépose de certaines fenêtres,
modification de toutes les peintures d’origine remplacées par
d’autres couleurs apparemment plus criardes, calfeutrement au
bitume des joints de la terrasse, etc.
Le Corbusier expédie ce compte rendu à B. Anthonioz à la fin
de ce même mois en revenant à la charge à propos du financement
nécessaire à la réfection de la villa : « j’ai su à Harvard (Boston), –
où je suis allé en novembre dernier et cette fois-ci en mai – que des
crédits seraient trouvés très facilement dans le monde internatio-
nal de l’architecture... Vous savez que c’est José Luis Sert, Président
des CIAM, qui dirige la Faculté d’Architecture de Harvard » 79.
Labourant tous les terrains, Le Corbusier tente de gagner à
sa cause le Maire de Poissy auquel il envoie le volume 2 de l’Œuvre
complète en prenant soin de préciser que la série en compte 7 et en
lui indiquant les pages dans lesquelles est publiée la villa Savoye.
L’ouvrage porte la dédicace suivante : « Pour M. Touhladjian, Maire
120
de Poissy... avec mon amicale sympathie... Nous scellons pacte
de confiance à l’occasion de la Villa Savoye et je chercherai à mériter
votre approbation et celle de vos administrés. Voici donc la villa
née en 1929. Elle était limpide, claire et souriante. Moi aussi je
l’étais. Trente années ont passé, lourdes de bagarres périlleuses.
Votre Le Corbusier » 80.
A la fin de cette même année, Le Corbusier mobilise ses
t roupes par une note adressée à son collaborateur, J. Oubrerie :
« il faut commencer à sortir le dossier « Restauration de la Villa
Savoye ». Aujame participera à l’exécution des travaux... » 81.
Au début de l’été de 1962, Le Corbusier semble avoir pris défi-
nitivement les choses en main. Dans un nouveau courrier envoyé
à B. Anthonioz, il demande d’abord : « Qui est le client ? » pour
ensuite poursuivre : « Le 15 juillet nous prendrons possession de
la Villa Savoye à Poissy en faisant décharger un camion de bois,
d’échafaudages et d’échelles. Peut être mettrai-je immédiatement
un ouvrier pour donner des coups de marteau dans le crépi qui
doit être retouché. Ceci est « ma prise de possession » 82. A partir de
quelle lettre de commande et avec quels financements Le Corbusier
peut-il entreprendre ces travaux ? Vraisemblablement aucun ou en
tous cas cette démarche est prématurée et il s’agit sûrement de sa
part d’une provocation destinée à pousser son avantage. Le Cor
busier poursuit : « je fais établir le devis du nouveau chauffage et
de la nouvelle installation électrique (disparue). Les travaux de
maçonnerie seront faits, soit à forfait soit « en régie », par Bertocchi
(entrepreneur de confiance pour ces sortes de travaux délicats). A
la reprise de septembre, les divers travaux pourront être conjugués
tous ensembles ». Revenant à la réalité, Le Corbusier conclut : « Je
ne peux rien entreprendre avant de savoir qui est le Client : pour le
courrier, pour les factures d’entreprises et pour les paiements » 83.
L’ancien ministre E. Claudius Petit est également mis à contri-
bution. Le Corbusier l’informe de son courrier envoyé à B. Anthonioz
et lui indique que la future Fondation Le Corbusier sera domiciliée
Villa Savoye. Il lui confirme également qu’il prépare l’aménagement
intérieur de la villa « en musée Corbu » et commet peut être une
imprudence en signifiant : « Le chauffage et l’installation électrique
(qui a été arrachée complètement) sont des éléments nouveaux de
même que les fenêtres (que je simplifierai beaucoup) » 84.
Ce désir d’aménager en modifiant les dispositions initiales
de la maison va peser sur la suite des événements concernant la
restauration de la villa.
121
Le Corbusier, architecte des Monuments Historiques
Au mois de septembre 1962, le ministre d’Etat chargé des Affaires
Culturelles, André Malraux, comme il le souligne avec humour par
une mention manuscrite en bas de page, envoie une « Lettre très
officielle ! » à Le Corbusier 85.
Cette lettre officialise les dernières positions sur ce dossier.
Elle indique d’abord que le maire de Poissy a remis officiellement
les clefs de la villa à son ministère, au cours d’une réunion à
laquelle assistait Le Corbusier. Ensuite que la villa Savoye, cédée
par la Commune de Poissy au ministère de l’Education Nationale,
est devenue ainsi propriété de l’Etat en vue de la construction d’un
lycée. Ce courrier mentionne également que dans une convention
signée le 23/10/1961 entre ce dernier ministère et celui des Affaires
Culturelles, il a été décidé que la villa Savoye deviendrait un « centre
international d’architecture prévu sous la forme d’un établissement
de droit privé reconnu d’utilité publique, sous le titre de « Fondation
Le Corbusier » 86. Ce courrier indique également que cette fondation
reste à créer et qu’il faudra un certain temps pour rassembler les
fonds nécessaires à la dotation initiale en France ou à l’étranger.
Pour contourner cette difficulté, le ministre indique qu’à l’initiative
de M. E. Claudius Petit... va être créée une association dite : « Asso-
ciation pour la création de la Fondation Le Corbusier », de manière
à ce que cette dernière ait le plus rapidement possible une exis-
tence légale et puisse, le cas échéant, recevoir des subventions. La
villa deviendrait alors le siège social de cette association, ce que
Le Corbusier, par une de ses annotations sur un courrier dont il a
l’habitude, réfute : « non, mais la villa La Roche à Paris ».
La lettre aborde ensuite la question de la restauration de la
villa en précisant que les petits travaux d’urgence, rendus néces
saires suite au départ de la Maison des Jeunes de Poissy, pourraient
être directement pris en charge par l’Etat, mais que les travaux plus
importants devraient l’être par la future Fondation.
En conséquence de quoi poursuit le ministre : « j’envisage
de prendre un arrêté classant la villa Savoye parmi les Bâtiments
Civils ». A ce moment précis, André Malraux, ami de Le Corbusier
avec lequel il a de grands projets, notamment la construction du
musée du XXème siècle à Paris, ne souhaite pas écarter Le Corbusier
de la restauration de la villa. Il veut au contraire mettre en place
toutes les dispositions qui peuvent permettre à ce dernier de
conduire les travaux. C’est ce que montre la suite du courrier :
« S’agissant d’une opération qui affectera un bâtiment dont vous
êtes l’auteur, il va de soi que tous les travaux de remise en état
et d’aménagement ne pourront y être réalisés que sous votre
direction ».
122
Un problème se présente toutefois, que le ministre semble rapide-
ment écarter : « Mais auparavant, il conviendrait de vous nommer
Architecte en Chef des Bâtiments Civils et des Palais Nationaux ».
Intention en marge de laquelle Le Corbusier note : « que Malraux
réclame à Perchet ma nomination par Dautry ».
Et le courrier conclut : « je précise que cette procédure est la
seule à laquelle il puisse être fait appel pour résoudre le problème
que soulève votre nomination, étant donné que né en 1887, vous
avez dépassé l’âge au-delà duquel les Architectes en Chef des Bâti-
ments Civils et Palais Nationaux ne peuvent être maintenus en
fonction que lorsqu’ils sont chargés de l’entretien d’un édifice dont
ils sont les auteurs » 87.
Fort de cette quasi-nomination, Le Corbusier écrit deux jours
plus tard à son maçon Bertocchi pour que celui-ci fasse immédiate-
ment établir les devis nécessaires.
Il répond également à André Malraux : « en 1945 M. Dautry,
premier Ministre de la Reconstruction, avait réinstauré cette
institution des Bâtiments Civils et des Palais Nationaux et m’avait
nommé Architecte en chef... Nous avions été convoqués à la séance
d’ouverture qui eut lieu cette année-là présidée par M. Pontrémoli,
à cette époque Directeur de l’Ecole des Beaux-Arts, et par le Ministre
lui-même... un jour, M. Perchet me signala que l’on ne me voyait
pas souvent aux réunions... je n’avais jamais reçu de convocation » 88.
A la fin du mois de septembre 1962, Le Corbusier consacre
quelques notes à l’organisation de l’aménagement intérieur de
la villa. Sous le titre « Villa Savoye Muralfoto », il dresse la liste
des projets d’urbanisme, « Ville Radieuse, Plan Obus d’A lger... »
ou des ouvrages, « Les 3 Etablissements Humains, La Maison
des Hommes... » accompagnés de reproductions de tableaux ou
de dessins de voyages... qui seraient susceptibles de fournir les
éléments d’un projet d’exposition permanente. Il joint à cette
préfigurat ion des intentions de modification des couleurs : « la
couleur sur les plafonds seulement (différenciée), les murs (qui
sont rares) en muralfotos, les ossatures (portiques ou colonnes) en
blanc, les sols demeurent tels » 89. Modifications également dans
le système d’éclairage qu’il souhaite indirect, conçu sous forme
de bornes lumineuses, et de rampes ou d’appliques « à la Corbu ».
Suivent é galement quelques prescriptions plus techniques concer-
nant des reprises d’étanchéité ou d’équipements supplémentaires
destinés à recevoir du public comme la localisation d’un sanitaire
en rez-de-chaussée.
Début février 1963, Le Corbusier écrit à J. Barbot : « La villa
Savoye a été classée monument historique. Il a fallu que je sois
nommé Architecte des Monuments Historiques pour faire les
123
r éparations nécessaires dans cette villa. M. Fernand Gardien, qui
s’occupe de l’exécution dans mon atelier, a fait établir au cours des
derniers mois les estimations des travaux... » 90. A cette date, rien
n’est encore entrepris dans la villa et Le Corbusier conserve encore
l’espoir de diriger cette restauration.
Un compte rendu du 20/02/1963, rédigé sur papier à en-tête
« Le Corbusier, Service Exécution, 10 square du Docteur Blanche –
Paris XVIe », ce qui signifie que Le Corbusier a intégré la maison
La Roche, fait un point de la situation. Le ministère, par l’inter-
médiaire de B. Anthonioz, précise : « que la classification de la
Villa sera « Bâtiment Civil », que les formalités administratives
pour cette classification ne sont pas encore terminées, que la villa
une fois classée sera prise en charge par la Direction Générale de
l’A rchitecture... que pour la remise en état de la villa... il sera néces-
saire de s’adresser au Conservateur M. Houlet... et enfin qu’en fonc-
tion de l’estimation des travaux... la remise en état devra s’effectuer
en plusieurs phases avec appel d’offres par corps d’état » 91.
Désormais la procédure administrative avec ses hiérarchies
et ses contraintes est lancée et Le Corbusier va être définitivement
écarté. Un article paru dans le journal Le Monde, au mois d’août
1963, indique que la villa Savoye va être aménagée en « Musée Le
Corbusier » et dans le même temps qu’elle est affectée à la Fonda-
tion Le Corbusier, « organisme privé avec représentation publique
inspiré de ceux que l’on connaît en Suisse ou aux Etats-Unis » 92.
Le mois suivant, nouvelle supplique de Le Corbusier envers
B. Anthonioz : « Que se passe-t-il ? Je crois savoir que pour que je
puisse diriger la remise au propre de cette villa et lui donner une
utilité je dois être nommé Architecte des Monuments Historiques.
Ceci prend du temps, – tellement de temps que les années passent...
Laissez-moi donc réparer cette villa avant qu’il ne soit trop tard.
Cela dépend, bien entendu, des crédits... On piétine ! Je vous ai dit
que mon intervention d’architecte serait gratuite » 93.
Novembre 1963, un nouveau personnage entre en scène, l’ar-
chitecte Jean Dubuisson, Grand Prix de Rome, architecte en chef
des Bâtiments Civils et Palais Nationaux auquel le ministère vient
de confier la restauration de la villa Savoye. Se rangeant à ce choix,
Le Corbusier écrit à Dubuisson : « Que fait-on avec la Villa Savoye.
Confirmation m’a été faite côté Anthonioz et Malraux que c’est vous
qui engagez les travaux. C’est moi qui suis chargé de conseiller et
je donnerai les plans pour la remise en état de la villa (je ne touche
pas d’honoraires). Soyez assez gentil pour prendre votre disposition
d’action et nous pourrions aller sur place pour démarrer. M. F. Gar-
dien de mon Service Exécution aura le contrôle utile pour que l’exécu-
tion soit conforme à mes habitudes et mes expériences » 94.
124
Quelle pugnacité de la part de Le Corbusier ! Il est en quelque sorte
dépossédé du dossier sûrement à la fois pour des raisons adminis-
tratives, n’ayant pas encore obtenu sa nomination et plus sûrement
par crainte qu’il ne modifie trop la villa, ce qui n’est pas conforme
à la doctrine des Monuments Historiques. Et pourtant il continue à
se battre et à tenter d’imposer son autorité et son expérience à
J. Dubuisson.
D’après Le Corbusier, le 1er janvier 1964, la villa Savoye est
classée Monument Historique. C’est en tous cas ce qu’il affirme
dans un courrier adressé à A. Malraux dans lequel il écrit : « Je n’ai
pas le droit (!) d’être l’architecte de la mise en état de la Villa. C’est
M. J. Dubuisson, Architecte, qui est chargé de ce travail. Je suis tout
à fait d’accord... Je vous signale que la Villa Savoye dégringole sur
elle-même, que le public a volé portes et fenêtres, les gamins ayant
cassé à coups de pierres toutes les glaces de la maison ». Désabusé,
il ajoute : « Tout ceci est très joli et entre bien dans l’ordre des
affaires humaines » 95. Courrier également à J. Dubuisson : « Si vous
n’avez pas les capitaux, il faut les réclamer, même en haut lieu...
j’attends de votre amitié une action » 96. En réalité, la villa Savoye
ne sera classée parmi les bâtiments civils qu’à la fin de cette année
1964 et ne deviendra Monument Historique par décret que le 16
décembre 1965, après la mort de Le Corbusier.
Malgré toutes ces péripéties, Le Corbusier désire garder
l’initiative de la chose : « Les crédits étant annoncés comme dispo-
nibles, les travaux de réparation de la Villa Savoye vont commencer.
J’ai pensé bien faire en suivant loyalement la vérité, c’est à dire
en reconstituant exactement l’état primitif de la construction. La
maison La Roche nous a d’ailleurs permis de préciser notre état
d’esprit puisqu’elle est parfaitement conservée et qu’elle restera
telle », écrit-il à M. Querrien, directeur général de l’Architecture 97.
Une note du 12/05/65, signée par Le Corbusier, fixe une
nouvelle fois quelques priorités : « donner les couleurs, faire une
fresque avec les photographies des textes et des couvertures de
l’Esprit Nouveau, faire refaire les bacs à plantes, refaire le jardin
suspendu et la montagne artificielle ». Nouvelle intervention égale
ment auprès de J. Dubuisson auquel il reproche son silence et le
retard dans la conduite des travaux 98.
A la veille de l’été 65, dernier courrier au caractère apocalyp-
tique, adressé à A.Malraux : « A l’heure fatidique, la villa Savoye,
Monument Historique, s’écroulera d’avoir trop attendu » 99.
Deux mois plus tard, et après un combat de 7 années, Le Cor-
busier laissera la postérité s’occuper de son œuvre.
125
Les Principes
de L a Maison moderne
Avec la réalisation de la villa Savoye, Le Corbusier atteint le but qu’il
s’était fixé dans Vers une Architecture en 1923 : poser les principes
de construction de la maison moderne. C’est en ce sens que cette
villa possède un caractère exemplaire dans la mesure où Le Corbu
sier parvient à mettre en œuvre dans ce projet, et sans aucun com
promis, les idées essentielles qui fondent l’architecture moderne.
A savoir, exploration d’une nouvelle spatialité, définition des
éléments d’un vocabulaire nouveau et recherche d’un standard.
128
Croquis de conférence, perspective
(FLC 33493)
Croquis de conférence,
le plan de la maison moderne
(FLC 33491)
Croquis de conférence,
les quatre compositions
(FLC 33492)
129
bâtiment à plan centré, localisé au centre de la parcelle. Un carré
orienté toutefois, par l’axe général de cheminement à travers le bâti
ment, qui vient en complément de la courbe d’accès vers le garage.
Ensuite, la combinaison de l’expression de deux registres :
l’un horizontal avec les différents plateaux correspondant à chacun
des niveaux, l’autre vertical avec la rampe et l’escalier. Ceci a pour
effet d’opposer à la nature statique de la boîte, la dynamique d’un
parcours qui, depuis le parc, conduit le visiteur au solarium avec
retour rapide possible par l’escalier en spirale. Enfin l’utilisation
d’une grille chargée de régler les rapports entre les différents élé
ments du projet et qui préfigure déjà ce que Le Corbusier nommera
plus tard « l’urbanisme en 3 D ». Une grille qui, dans ce projet, est le
facteur à partir duquel se développe toute la spatialité corbuséenne
autour du triptyque : structure, espace, lumière.
A noter que dans un état initial du projet, la grille de struc
ture, orthogonale, est conforme aux propriétés du carré. Cette trame
carrée va cependant être modifiée au cours de la réalisation pour
prendre en compte à la fois les dispositions fonctionnelles mais éga
lement les nécessités constructives, notamment celle du chevêtre
de la rampe, etc. Il y a donc deux trames, dans la villa Savoye. La pre
mière, architectonique, sorte de matrice idéalisée de la composi
tion, correspond strictement à un carré. La seconde plus utilitaire,
cachée dans le bâti, répond à certaines nécessités constructives.
Un dernier élément, à propos de la composition, ne peut man
quer de mentionner les correspondances formelles que l’architec
ture de Le Corbusier entretient avec sa peinture, et dans le cas de la
villa Savoye, avec celle de la période « puriste ». C’est ce que montre
par exemple, la mise en tension dans la géométrie de ce projet de la
ligne droite qui en définit le caractère principal avec la ligne courbe
« réglée » du dessin du garage ou les lignes courbes plus libres du
solarium. Ou bien sûr, comme cela a déjà été mentionné, tout le
travail mené dans cette villa sur la polychromie.
130
pilotis, le toit-jardin, le plan libre, la fenêtre en longueur et la façade
libre, mais c’est réellement dans l’architecture de la villa Savoye que
chacun de ces 5 points va connaître sa véritable légitimation.
Ainsi, aucun pilotis n’a été employé jusque-là d’une manière aussi
spectaculaire, fournissant à cette maison les raisons mêmes de son
édification. Il en va de même pour la fenêtre en longueur qui, dans
cette villa, règle d’un seul coup d’un seul et dans une démarche
radicale, la problématique des façades. Même constat pour le toit-
jardin dont la notion est étendue ici également à la terrasse du pre
mier étage, autour de laquelle la maison s’organise en profitant le
plus largement possible de la lumière que celle-ci diffuse.
Quant au plan libre et à la façade libre, comme le montrent
la fluidité des parcours et l’autonomie relative de l’enveloppe par
rapport à la distribution intérieure, ils sont également développés
dans cette maison d’une manière exemplaire.
131
de Le Corbusier, c’est certainement avec la villa Savoye qu'elle va
connaître sur le plan symbolique son épanouissement, le mouve
ment de la voiture étant en quelque sorte une des r aisons d’être
de cette architecture. Comme l’écrit Le Corbusier : « On va donc à
la porte de la maison en auto, et c’est l’arc de courbure minimum
d’une auto qui fournit la dimension même de la maison. L’auto
s’engage sous les pilotis, tourne autour des services communs, arrive
au milieu, à la porte du vestibule, entre dans le garage ou poursuit
sa route pour le retour : telle est la donnée fondamentale » 102.
Mais il est une autre signification que la vitesse, le déplace
ment ou le confort, qui fait que Le Corbusier s’intéresse à la voiture.
C’est la question du standard. Son admiration pour un construc
teur comme Henry Ford et ses échanges avec Gabriel Voisin, le
renforcent dans sa conviction que désormais la construction de
l’architecture doit s’inspirer des méthodes de construction mises
en œuvre dans le secteur industriel de l’automobile. D’ailleurs n’a
t-il pas dessiné en 1928 avec Pierre Jeanneret un modèle de voiture,
la voiture « Minimum », qui restera cependant à l’état de projet. Cette
question du standard, donc de la série, sous-entendue comme la
rationalisation de tous les éléments de la construction afin de dimi
nuer les coûts de fabrication et les temps de chantier en vue d’une
meilleure qualité architecturale, Le Corbusier l’a faite sienne dès
1914 avec l’invention de la maison Dom-Ino, relayée plus tard par les
maisons Citrohan, puis Loucheur, etc.
C’est également dans cette volonté de hisser l’architecture au
niveau de la perfection de la machine et du standard, représenté par
la voiture, que Le Corbusier prend soin de faire figurer sur les pho
tographies de ses réalisations des voitures en vogue. Cette attitude
est à mettre en relation avec certaines illustrations des pages de
l’Esprit Nouveau dans lesquelles Le Corbusier n’hésitait pas à faire
figurer côte à côte le Parthénon (447–434 av. J.C.) avec une Delage –
Grand Sport (1921). Commentant ces photographies, Le Corbusier
écrit : « il faut tendre à l’établissement de standarts pour affronter
le problème de la perfection 103 ... établir un standart, c’est épuiser
toutes les possibilités pratiques et raisonnables, déduire un type
reconnu conforme aux fonctions, à rendement maximum, à emploi
minimum de moyens, main-d’œuvre et matière, mots, formes,
couleurs, sons... » 104.
Le dernier point sur lequel la question du standard est impor
tante, au regard de la villa Savoye, touche au problème de l’urba
nisme et plus particulièrement du lotissement. Problème auquel Le
Corbusier s’est déjà affronté à l'occasion de ses différents projets
de cités-ouvrières et autres cités-jardins dont la Cité Frugès à Pessac
demeure l’exemple le plus célèbre.
132
Parlant à nouveau de la villa, il écrit : « Cette même maison, je vais
l’implanter dans un coin de belle campagne argentine ; nous
aurons vingt maisons surgissant des hautes herbes d’un verger où
continueront de paître les vaches. Au lieu de lotir par le superflu
coutumier et détestable des rues des cités-jardins, dont l’effet est
de détruire un site, nous établirons un joli système artériel, coulé
en béton, dans l’herbe même, en pleine nature. L’herbe sera au
bord des chemins, rien ne sera troublé, ni arbres, ni fleurs, ni trou
peaux. Les habitants, venus ici parce que cette campagne agreste
était belle avec sa vie de campagne, ils la contempleront, m aintenue
intacte, du haut de leur jardin-suspendu ou des quatre faces de
leurs fenêtres en longueur. Leur vie domestique sera insérée dans
un rêve virgilien » 105.
Comme plus tard et à une autre échelle avec les projets d’Uni
tés d’Habitation, Le Corbusier imagine que la villa Savoye peut être
reproduite ailleurs qu’à Poissy, ceci en raison d’une part de son
caractère abstrait et d’autre part du rapport qu’elle entretient avec
les éléments fondamentaux naturels comme le sol, le soleil, la vue,
le ciel, etc... Le plan de lotissement qu’il propose représente alors la
forme d’un arbre avec ses branches dont chacune des villas Savoye
serait le fruit. Vision idéale bien sûr, critique également d’une situa
tion, celle du lotissement, de la cité-jardin horizontale, véritable
phénomène né au XIXème siècle en Europe et qui n’a de toute évi
dence pas encore connu de solutions heureuses. Vision naturaliste
aussi qui dans un dessin scelle les retrouvailles de l’homme, de la
machine et de la nature.
133
l’architecture, la créativité et se porter garante de l’esthétique.
Volonté de création enfin d’une architecture qui allie progrès tech
nique et nouveaux modes de vie tout en intégrant dans ses principes
à la fois la grande tradition classique, héllénistique et la culture
méditerranéenne dans sa relation à la nature et à ses éléments fon
damentaux... un rêve virgilien en somme.
Paradoxalement aujourd’hui, dans une époque qui a laissé
derrière elle l’idée de tout « avenir radieux » et dans laquelle a
rtistes,
penseurs, savants et politiques s’affrontent, au désordre d’un
monde désenchanté où l’architecture balance entre fausse avant-
garde et politiquement correct... la villa Savoye par sa dimension
critique demeure un modèle majeur. Modèle parfait, indépassable
et en même temps icône d’une modernité révolue.
134
Fiche technique é quipées de cadres bois avec châssis
extérieurs coulissants en acier à
Nom : Villa Savoye dite aussi l’origine, remplacés depuis par des
« Les Heures Claires » châssis en aluminium.
Adresse : anciennement chemin des Entreprises principales : Cormier
Migneaux, aujourd’hui 82 rue de (Gros-œuvre, maçonnerie) – Duflon
Villiers – Poissy (78300), France (Serrurerie) – Riou (Menuiseries)
Programme : maison de campagne – Electricité Moderne ( Electri
pour un couple avec un enfant com cité) – Ferrari (Chauffage central) –
prenant : en limite de propriété : Célio (Peintures, Miroiterie) – Riou
une loge de gardien ou maison de (Parquets) – Crépin (Aménagement
jardinier, dans la villa elle-même : de jardins)...
en sous-sol : caves ; en rez-de-chaus Coût : estimation initiale de Le
sée : garage pour trois voitures, Corbusier 787 060,00 Frs – devis
hall d’entrée, lingerie, chambres signé par le client le 15/02/1929 :
de domestiques (2), appartement 507 900,00 Frs (valeur d’époque) –
pour chauffeur ; en étage, premier montant estimé en 1931 environ
niveau : cuisine, office, séjour, 900.000,00 Frs.
chambre d’amis avec coin toilette, Calendrier : démarrage des études,
chambre pour le fils avec salle de été 1928 – chantier printemps 1929
bains, chambre des parents avec – date de fin de travaux 31/12/29
bains et coin toilette, boudoir, (pour le gros-œuvre) – livraison de la
terrasse-jardin ; en étage, second maison, juin 1931.
niveau : solarium
Superficie du terrain : 7ha à l’origine
– surface actuelle 10.365 m2
Superficie de la villa : emprise des Notes
pilotis au sol : 408m2
Superficie du rez de chaussée : Avant-propos
env. 205 m2 (garage compris) 1 Par commodité d’écriture, seul
Superficie de l’étage : 270 m2 le nom de Le Corbusier sera
(appartement) et 138 m2 (terrasses) le plus souvent mentionné à
Superficie du solarium au second propos de la villa Savoye bien
niveau : env. 70 m2 que cette œuvre soit commune
Superficie de la maison du jardinier : à Le Corbusier et à Pierre Jean
40 m2 neret, architectes associés de
Système constructif : structure 1922 à 1940.
poteaux /poutres en béton armé 2 Le Corbusier, Œuvre complète,
coulé en place sur trame carrée de volume 1 (1910/1929) (1ère éd.
4,75m × 4,75m – murs de remplis 1957), Birkhäuser, Basel, 1995,
sages en briques creuses de ciment p. 189.
de 0,16 cm d’épaisseur et en briques 3 Comme Le Corbusier l'indique
de mâchefer de 0,05 cm pour les dans son introduction au
cloisonnements – baies vitrées volume 2 de l'Œuvre complète
136
(1929/1934), p. 11 : « Je ne (1929/1934), p. 29.
parlerai dorénavant plus de la 26 FLC H1-12-370.
révolution architecturale qui 27 S. Giedion, Cahier d’Art No 24,
est accomplie. C’est l’ère de « Le Corbusier et l’architecture
grands travaux qui commence, contemporaine ».
c’est l’urbanisme qui devient la 28 Lettre Entreprise Perfecta /
préoccupation dominante. » Le Corbusier, 27/02/1930,
FLC H1-12-90.
29 Œuvre complète, volume 2
Parcours de visite (1929/1934), p. 27.
4 Le Corbusier, Précisions sur un 30 FLC H1-12-66.
état présent de l’architecture et 31 Œuvre complète, volume 1
de l'urbanisme, p. 136. (1910/1929), p. 157.
5 Le Corbusier, Vers une architec- 32 Œuvre complète, volume 2
ture, p. 167. (1929/1934), p. 24.
6 Le Corbusier, Précisions, p. 136. 33 Le Corbusier, Précisions, p. 136.
7 Œuvre complète, volume 1 34 Le Corbusier, « Les tendances
(1910/1929), pp. 186–187. de l’architecture rationaliste en
8 Le Corbusier, Vers une architec- rapport avec la collaboration de
ture, p.13. la peinture et de la sculpture »,
9 Œuvre complète, volume 2 conférence à Rome, Reale Acca
(1929/1934), p. 24. demia d’Italia, 25–31/10/1936,
10 Le Corbusier, Précisions, p. 60. pp. 11–12.
11 Le Corbusier, Précisions, p. 58. 35 Lettre du 10/01/1930,
12 Le Corbusier, Précisions, p. 136. FLC H1-10 65.
13 Le Corbusier, Vers une architec-
ture, p.151.
14 Ibid. Histoire d'une maison
15 Ibid. de campagne
16 Ibid. 36 Œuvre complète, volume 2
17 Le Corbusier, Précisions, p. 43. (1929/1934), p. 11.
18 FLC H1-12-370. 37 Ibid., p. 24.
19 Le Corbusier, Précisions, p. 136. 38 FLC, H1-12 370.
20 Œuvre complète, volume 2 39 Ibid.
1929/1934), p. 24. 40 Ibid.
21 Ibid., p. 25. 41 Œuvre complète, volume 1
22 S. von Moos, Le Corbusier, 1910/1929), p. 186.
l'architecte et son mythe, 42 FLC H1-13-27.
Horizons de France, 1971. 43 FLC H1-12-382.
23 Œuvre complète, volume 2 44 Œuvre complète, volume 1
1929/1934), p. 28. (1910/1929), p. 29.
24 Œuvre complète, volume 1 45 FLC H1-13-16.
1910/1929), p. 150. 46 FLC H1-13-252.
25 Œuvre complète, volume 2 47 FLC H1-13-318.
137
48 FLC H1-12-65. 10/03/1959, FLC H1-12-197.
49 FLC H1-13-321. 72 Lettre J. Havlicek / H. Quillé,
50 FLC H1-12-83. 23/03/1959, FLC H1-12-222.
51 FLC H1-12-81. 73 Lettre M. Ecochard / Minis
52 FLC H1-13-112. tre de l’Education Nationale,
53 FLC H1-12-96. 26/03/1959, FLC H1-12-212.
54 Ibid. 74 FLC H1-12-188.
55 FLC H1-13-130. 75 FLC H1-12-246.
56 Lettre Le Corbusier / M. Savoye, 76 Compte-rendu de réunion,
09/07/1930, FLC H1-13-132. 18/02/1960, FLC H1-12-249.
57 Lettre Le Corbusier / M. Crépin, 77 FLC H1-12-248.
17/07/1930, FLC H1-12-107. 78 Lettre Le Corbusier / P. Sonrel,
58 Lettre Le Corbusier / M. Riou, 11/03/1960, FLC H1-12-299.
20/08/1930, FLC H1-13-145. 79 Lettre Le Corbusier /
59 Lettre C.C.V. / Le Corbusier, B. Anthonioz, 29/06/1960,
31/05/1931, FLC H1-12-102. FLC H1-12-263.
60 Lettre Le Corbusier / M. Savoye, 80 Lettre Le Corbusier /
03/08/1934, FLC H1-12-152. M. Touhladjian, 15/07/1960,
61 FLC H1-13-323. FLC H1-12-264.
62 FLC H1-12-157. 81 FLC H1-12-267.
63 Lettre Mme Savoye / 82 Lettre Le Corbusier /
Le Corbusier, 21/06/1937, B. Anthonioz, 14/06/1962,
FLC H1-12-160. FLC H1-12-273.
64 Lettre Mme Savoye / 83 Ibid.
Le Corbusier, 11/10/1937, 84 Lettre Le Corbusier / E.
FLC H1-13-295. Claudius-Petit, 20/06/1962,
65 FLC H1-12-176. FLC H1-12-274.
66 FLC H1-12-177. 85 FLC H1-12-308.
86 Ibid.
87 Ibid.
De l'oubli à la consécration 88 Lettre Le Corbusier /
67 Lettre Le Corbusier / A. Malraux, 05/09/1962,
S. Giedion, 25/02/1959, FLC H1-12-310.
FLC H1-12-182. 89 FLC H1-12-411.
68 Lettre S. Giedion / 90 FLC H1-12-278.
Le Corbusier, 05/03/1959, 91 FLC H1-12-280.
FLC H1-12-185. 92 Le Monde, 08/1963.
69 Lettre A. Roth / Ministre A. 93 Lettre Le Corbusier /
Malraux, 09/03/1959, B. Anthonioz, 16/09/1963,
FLC H1-12-191. FLC H1-12.
70 Lettre P. Nelson / Ministre A. 94 FLC H1-12-284.
Malraux, 10/03/1959, 95 FLC H1-12-318.
FLC H1-12-198. 96 Lettre Le Corbusier /
71 Lettre P. Nelson / Le Corbusier, J. Dubuisson, 08/04/1964,
138
FLC H1-12-291. Ragot, Gilles et Dion, Mathilde,
97 Lettre Le Corbusier / Le Corbusier en France, Paris, Ed.
M. Querrien, 10/11/1964, Le Moniteur, 1997.
FLC H1-12-290.
98 FLC H1-12-293. Zevi, Bruno, Apprendre à voir
99 FLC H1-12-296. l’architecture, Paris, Ed. de Minuit,
1959.
Bibliographie
139
L’auteur
En vente en librairie
Maison Blanche : Un recueil de documents sur la
1ère maison réalisée entièrement par Le Corbusier
Les huit volumes de cette édition exceptionnelle publiée entre 1929 et 1970
et qui a fait l’objet de plusieurs rééditions illustrent l’ampleur de l’œuvre de
Le Corbusier. Ils fournissent une somme de documents sur l’œuvre de
l’architecte le plus marquant du 20ème siècle. Elaborée en collaboration
avec Le Corbusier lui-même pendant presque 40 ans, l’œuvre complète
constitue un inventaire unique et exhaustif des bâtiments, projets, cahiers
de croquis, manifestes, dessins et textes, qui ont modifié durablement le
monde de l’architecture.
Birkhäuser
Viaduktstrasse 42
4051 Basel, Switzerland