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Abus Spirituels-Jacques Poujol

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Abus Spirituels-Jacques Poujol

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Sommaire

Introduction
1. Les personnalités manipulatrices
2. La victime du pervers narcissique
3. Les conséquences de l’emprise psychologique
4. Les systèmes chrétiens abusifs
5. Les scénarios des systèmes chrétiens abusifs
6. Le mécanisme de la souricière
7. Les troubles psychologiques et spirituels d’une victime
8. Comment aider une victime ?
Conclusion
Annexes
1. Votre groupe chrétien est-il abusif ?
2. Glossaire
3. Schéma récapitulatif des différentes étapes de la foi
4. Bibliographie
Introduction
L’abus spirituel, une expression que l’on retrouve de plus en plus souvent
dans notre environnement. Derrière ces mots, ces maux, se profile une réalité
de souffrance, d’incompréhension et de blessures profondes pour ceux qui
l’ont subi. Ce dont ces victimes ont besoin, c’est d’être entendues dans cette
souffrance, reconnues comme innocentes, non coupables et confirmées par
une prise en compte de leur valeur aux yeux de ceux qui voudraient les
accompagner.
L’abus spirituel peut se définir comme un mauvais traitement spirituel et
psychologique infligé à une personne, qui a pour conséquence de l’affaiblir
voire de la détruire et de la rendre dépendante tant psychologiquement que
spirituellement.
Nous décrirons d’abord les personnalités manipulatrices (1), leurs victimes
(2), les conséquences de l’emprise psychologique (3), avant d’évoquer les
systèmes abusifs (4) et leurs scénarios (5). Nous expliquerons le mécanisme
de la souricière (6) puis nous détaillerons les troubles psychologiques et
spirituels des victimes (7) et la manière de les aider à se reconstruire (8).
Nous proposons en annexe un questionnaire, une bibliographie, un glossaire
et un tableau récapitulatif des six étapes de la foi chrétienne.
Ce livre explique ce qu’a vécu et vit encore la personne manipulée
spirituellement. Il se veut didactique et thérapeutique pour mieux
appréhender ce grave problème trop souvent incompris ou minimisé. Son
objectif est de lui faciliter la sortie de l’ombre de l’humiliation afin qu’elle
ose exprimer son mal être et sa colère et ce faisant, qu’elle commence à se
rétablir.
Il y a abus spirituel lorsque quelqu’un (pasteur, prêtre, berger ou tout autre
dirigeant chrétien dans un groupe de prière, une communauté, une paroisse)
met à profit sa position d’autorité pour contrôler ou dominer une ou plusieurs
personnes. Cela se traduit souvent par une violation de ses émotions, de sa
vie privée, de ses opinions sans se préoccuper des conséquences négatives sur
sa qualité de vie et son équilibre psycho-spirituel.
Par exemple, le leader n’agit qu’en tenant compte du bien de son groupe et
de ses projets sans considérer les besoins de chaque individu. Or, comme l’a
rappelé Jésus, « le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le
sabbat ». En disant cela, Jésus indiquait que toute institution, même
religieuse, doit être au service de l’homme et non le contraire. Cette
affirmation a choqué des pharisiens qui estimaient que le sabbat, institution
divine, était au-dessus de la personne humaine. Dans le même ordre d’idée,
l’église est « faite » pour aider l’homme à se construire et à vivre sa relation
avec Dieu ; ce n’est pas l’homme qui est « fait » pour l’église, même s’il
participe à la vie de celle-ci. Il y a aussi abus spirituel lorsqu’un responsable
chrétien se sert d’autrui pour satisfaire certains de ses propres besoins
psychologiques ou émotionnels ou les besoins de l’institution qu’il dirige.
Dans tous ces cas, la spiritualité est utilisée pour obtenir d’autrui qu’il
obéisse à des « normes ». Les manipulateurs ne sont pas du tout conscients du
mal qu’ils font. Ils ne pensent pas délibérément qu’ils vont nuire mais leurs
agissements étant clairement nuisibles, le résultat est le même pour la
victime. La constante de toute conduite contrôlante est que la personne se
trouve objet du désir du dirigeant et donc niée en tant que sujet désirant.
Avant d’aller plus loin, précisons que tout exercice de l’autorité n’est pas
abusif. C’est l’excès d’autorité qui l’est. Exercer une responsabilité dans le
cadre d’un contrat relationnel bien défini et clairement expliqué, éthiquement
et cliniquement équilibré, n’est pas un abus. Rappeler aux personnes
impliquées dans ce contrat les termes de celui-ci n’est pas de l’autoritarisme.
Exposer les exigences éthiques de la Bible dans le cadre d’une communauté
ecclésiale est normal. Demander à un responsable d’arrêter ses activités à
cause de problèmes émotionnels, éthiques ou spirituels qu’il ne parvient pas à
gérer est légitime. Confronter de manière adéquate et avec douceur un
chrétien par rapport à un péché n’est pas inapproprié.
On voit que l’abus spirituel est un abus d’autorité qui est encore aggravé
par l’utilisation de l’autorité divine en vue de dominer une ou des personnes.
D’où viennent les abus spirituels ?
Nous discernons deux racines principales, qui parfois se conjuguent :
Les personnalités manipulatrices et/ou les systèmes abusifs dont nous
parlerons au chapitre 4.
1. Les personnalités manipulatrices
On identifie trois types de manipulateurs, plus ou moins dangereux et
néfastes. Ils se différencient par l’intention qui les motive et non par les effets
nuisibles de leur comportement sur leur entourage.
Le manipulateur surprotecteur ou « sauveteur »
Celui-ci entend faire votre bien malgré vous. Il pense savoir ce qui est bon
pour vous. Il manipule au nom d’intentions qui sont, à son avis, tout à fait
louables. Selon lui, la fin justifie les moyens qu’il emploie, étant entendu que
ces moyens sont parfois moins recommandables. Son attitude est reflétée par
une citation du philosophe Jean-Jacques Rousseau : « on les forcera à être
d’accord ! » Il est difficile de déterminer exactement où s’arrête la bonne
intention et où commence la manipulation. Par exemple, le prêtre, le diacre
ou le pasteur veut recruter quelques personnes de plus dans l’équipe qui
s’occupe de l’accompagnement des adolescents et des jeunes. Il invite un
jeune couple dynamique chez lui avec la visée secrète de lui confier cette
responsabilité. Là, autour d’un bon repas et dans un cadre intimiste, il dit aux
jeunes gens sur le ton de la confidence qu’il connaît leur grande valeur, qu’il
souhaiterait qu’ils s’engagent davantage dans l’église ou la paroisse ; puis
comme une parenthèse accidentelle, il mentionne qu’en ce moment
justement, oh quel hasard, il y a tel besoin pour la jeunesse et qu’il ne sait
vraiment pas comment y répondre… Ne serait-ce pas pour lui une possibilité
de service que Dieu lui ouvre ? Ce couple se retrouve pris au piège d’une
manipulation dite bienveillante… il n’empêche, elle n’en est pas moins une.
Ce que ce dirigeant religieux considère en premier n’est pas
l’épanouissement de ces personnes mais le bon fonctionnement de son
institution. Sa façon de procéder est de ne pas tout dire. Il pense que ses
fidèles ne sont pas capables d’entendre la vérité, et qu’il faut donc les
protéger en leur en cachant une partie.
Cette surprotection est problématique parce qu’elle repose sur le postulat
que l’autre n’est pas capable d’être, de comprendre et de choisir par lui-
même, que c’est un mineur. Notez que ce fut et c’est encore souvent l’attitude
des églises envers les femmes ! Il est nécessaire qu’elles sachent mettre des
limites, dire non, affirmer qu’elles sont des personnes capables de savoir ce
qui est bien ou mal, même si le dirigeant religieux lui, pense et croit qu’il est
missionné pour « veiller » sur elles et ne leur fait pas confiance.
D’ailleurs quand son « paternalisme » est rejeté, son véritable esprit de
domination apparaît ainsi qu’une grande fureur contre la « brebis » ingrate.
En réalité les personnes auxquelles le surprotecteur vient en aide sont ses
« béquilles » qui lui permettent de compenser certaines de ses difficultés. Son
identité personnelle se confond d’ailleurs souvent avec sa fonction dans la
communauté chrétienne. Il est en fait codépendant et il a besoin de ce
comportement pour faire face à ses failles intimes souvent sans en être
conscient. Rappelons que le codépendant se laisse affecter démesurément par
le comportement d’une personne et manifeste l’obsession de contrôler celui-
ci. Il se sent responsable des autres et n’a plus accès à ses propres émotions.
Le dirigeant codépendant prend les fidèles en charge, dans leurs sentiments,
décisions, pensées, bien être, problèmes. Il vole à leur secours pour se
valoriser, en les servant ou en les utilisant, les « pauvres » ! Se sentant tout-
puissant, croyant pouvoir les changer, il cache en fait un immense besoin de
confiance en lui-même, d’être aimé et considéré.
On identifie trois raisons à ce genre de manipulation « bienveillante » :
– Le responsable a une mauvaise image de lui-même et une non
compréhension de son vécu émotionnel ; souvent, suite à des blessures dans
son enfance, il souffre de complexes ;
– Il méconnaît la psychologie relationnelle (par exemple le phénomène de
transfert/contretransfert), les lois de fonctionnement d’un groupe ;
– Il ne tient aucun compte de ses besoins et de ses motivations
inconscientes qu’il dissimule sous des motifs à forte valeur spirituelle. Par
exemple, il n’avoue pas qu’il souffre de la perte de sa mère mais il explique
qu’il a un ministère d’accueil, qu’il a « un appel » pour aider les autres. Au
lieu d’accepter son besoin d’être constamment entouré pour traverser cette
épreuve, il met un vernis spirituel sur la blessure de ce deuil.
L’égocentrique
Ici les manipulations bénéficient à l’égo du leader chrétien qui souffre,
comme le surprotecteur, d’un déficit d’estime de soi. L’égocentrique se sert
des membres pour nourrir son noyau narcissique1 mal construit. Il est en
manque de reconnaissance depuis son enfance et il attend des autres des
marques d’attention pour combler ce manque. Être reconnu vient renforcer,
nourrir sa névrose et apaiser son anxiété. Dans ce but, il se sert de son
pouvoir, de sa renommée, de son image. C’est le regard de ses fidèles qui le
nourrit. Bien sûr il ne le dit jamais comme cela ! Il assure être dévoué à sa
communauté. Mais l’église locale lui offre le moyen de calmer sa blessure
narcissique. Il oublie que personne n’est capable de nous donner à l’âge
adulte ce qui nous a manqué pendant notre enfance. Qu’il ait un auditoire de
cinquante ou de mille personnes ne guérira pas son noyau narcissique
déficient. Seule une thérapie sérieuse le peut. En attendant, c’est un
manipulateur qui crée autour de lui une « cour », des courtisans qui le
fournissent abondamment en signes de reconnaissance. Inversement, il rejette
celles et ceux qui ne le « nourrissent » plus ou pas assez souvent, en se
débrouillant pour les faire partir du système ; ou bien il les ignore totalement.
Il n’aime pas la concurrence ni l’ombre que lui font des personnalités
brillantes. Au fond, il compense la faiblesse de son égo en s’entourant de
flatteurs qui dès lors ne peuvent plus exister pour eux-mêmes dans cette
relation. Il a besoin de ce type de fonctionnement pour vivre sa pathologie.
L’abus spirituel consiste en ce que ceux qui l’entourent ne sont jamais
écoutés ou pris en considération pour eux-mêmes mais pour servir la gloire
de l’égocentrique. Pour augmenter sa gloire, l’égocentrique est un menteur
invétéré et pratique la désinformation.
Le dirigeant chrétien pervers narcissique
Le mot perversion vient du latin per-vertere : retourner, renverser. Le pervers
narcissique même s’il a un vernis chrétien, recherche le mal et non le bien.
C’est le plus dangereux des manipulateurs, mais heureusement il est
statistiquement plus rare. Avec lui, nous ne sommes plus dans le registre des
personnes difficiles mais dans celui des personnalités difficiles. C’est un
monde parallèle qui est complexe à comprendre si l’on n’a pas reçu de
formation appropriée. Il ne faut pas le confondre avec le manipulateur
égocentrique : ce dernier enfreint aussi les lois relationnelles, mais lorsqu’il
est confronté à la réalité de ses agissements et de ses effets, il peut, même si
c’est rare, reconnaître les faits et changer d’attitude. On qualifie de ce fait son
comportement de délinquant et non de pervers. Le pervers narcissique, lui,
est dans l’incapacité de changer. Ce n’est absolument pas un problème
« spirituel » mais un problème de structure profonde de personnalité.
Un dirigeant pervers est en mesure de détruire quelqu’un (par exemple un
membre de son église) juste avec des mots, des regards, des sous-entendus ;
cette conduite abusive se manifeste par des comportements, des paroles, des
actes, des gestes, des écrits, qui portent atteinte à la personnalité, à la dignité,
à l’intégrité physique ou psychique. C’est un processus de destruction
insidieux, souterrain, redoutable et dont la victime n’ose pas toujours se
plaindre. Il atteint son individualité et son identité, lui fait perdre toute estime
de soi. Cela s’appelle le harcèlement moral.
L’emprise du pervers paralyse la victime en la mettant en position de flou et
d’incertitude, en l’empêchant de penser, en l’étouffant, en la maintenant ainsi
à sa disposition. Elle en prend conscience difficilement et rejette souvent
l’idée qu’elle vit de la violence psychologique.
Nous avons tous une certaine dose de narcissisme mais s’il est excessif
nous sommes capables de nous en culpabiliser, le pervers, non.
Alberto Eiguer déclare : « les individus pervers narcissiques sont ceux qui,
sous l’influence de leur soi grandiose, essaient de créer un lien avec un
deuxième individu, en s’attaquant tout particulièrement à l’intégrité
narcissique de l’autre afin de le désarmer. Ils s’attaquent aussi à l’amour de
soi, à la confiance en soi, à l’auto-estime et à la croyance en soi de l’autre. En
même temps, ils cherchent, d’une certaine manière, à faire croire que le lien
de dépendance de l’autre envers eux est irremplaçable et que c’est l’autre qui
le sollicite2. »
Pour Marie-France Hirigoyen, « les pervers narcissiques sont considérés
comme des psychotiques sans symptômes, qui trouvent leur équilibre en
déchargeant sur un autre la douleur qu’ils ne ressentent pas et les
contradictions internes qu’ils refusent de voir… ce transfert de douleur leur
permet de se valoriser aux dépens d’autrui3. »
Pour Dominique Barbier, un autre psychiatre, le pervers au contraire « est
ancré dans le réel. On peut même dire qu’il est hyper-réaliste pour ses projets
et sa stratégie4 « La perversion narcissique est la mise en place d’un
fonctionnement pervers sur une personnalité narcissique :
• Il a un sentiment de grandeur et ne supporte pas d’être dépassé ; il n’a
jamais de superviseur et ne rend compte à personne. « Dieu et moi, c’est
suffisant ».
• Un égocentrisme extrême ; tout ce qu’il pense, dit et fait est l’expression
de la volonté de Dieu. Le salut ne passe que par lui.
• Une absence totale d’empathie pour les autres.
• Il désire en obtenir l’admiration.
• Il envie, jalouse, ceux qui tirent plaisir de leur vie, qui sont heureux.
• Il est irresponsable et psychorigide. Pour lui, seul son jugement est
valable.
• Il est paranoïaque, se sent persécuté par la société.
N’ayant pas de substance, il se « branche » sur l’autre et, comme une
sangsue, essaye d’aspirer sa vie. Étant incapable de relation véritable, il ne
peut le faire que dans un registre de malignité destructrice.
Incontestablement, il ressent une jouissance extrême, vitale, à la souffrance
de l’autre et à ses doutes, comme il prend plaisir à l’asservir et à l’humilier.
« Tout commence et s’explique par le Narcisse vide, construction en reflet,
à la place de lui-même et rien à l’intérieur, de la même manière qu’un robot
est construit pour imiter la vie, avoir toutes les apparences ou toutes les
performances de la vie, sans la vie. Le dérèglement sexuel ou la méchanceté
ne sont que les conséquences inéluctables de cette structure vide. Comme les
vampires, le narcissique vide a besoin de se nourrir de substance de l’autre.
Quand il n’y a pas la vie, il faut tenter de se l’approprier ou, si c’est
impossible, la détruire pour qu’il n’y ait de vie nulle part5« Le dirigeant
chrétien pervers entre en relation avec les autres pour les séduire. Sa
personnalité charismatique est irrésistible, ses prédications brillantes. Une
fois ses poissons attrapés, il faut seulement les maintenir accrochés tant qu’il
en a besoin. Autrui n’existe pas, il n’est pas vu, pas écouté, il est seulement
« utile ». Dans sa logique, il n’existe pas de notion de respect d’autrui.
Sa séduction ne comporte aucune affectivité, car le principe même du
fonctionnement pervers est d’éviter tout affect.
Il ne s’intéresse pas aux émotions complexes des autres.
Il est imperméable à eux et à leur différence, sauf s’il a le sentiment que
cette différence peut le déranger.
Sa force est son insensibilité. Il ne connaît aucun scrupule d’ordre moral. Il
ne souffre pas.
Il maintient une distance affective pour ne pas s’engager vraiment.
L’efficacité de ses attaques tient au fait que personne n’imagine qu’il puisse
être à ce point dépourvu de sollicitude ou de compassion.
L’autre n’existe pas en tant que personne mais en tant que support d’une
qualité qu’il essaie de s’approprier. Il se nourrit de l’énergie de ceux qui
subissent son charme. Il tente de s’approprier le narcissisme gratifiant
d’autrui en envahissant son territoire psychique. Son problème est de
remédier à son vide intérieur pour ne pas avoir à l’affronter (ce qui le
mènerait vers sa guérison).
Il ressent une envie très intense à l’égard de ceux qui semblent posséder les
choses qu’il n’a pas ou qui simplement tirent plaisir de leur vie.
L’appropriation peut être sociale, par exemple séduire une personne qui
l’introduira dans une sphère sociale qu’il convoite : haute bourgeoisie, milieu
politique, intellectuel ou artistique, cercle international des leaders
chrétiens… Le bénéfice de cette opération est qu’il possède ainsi quelqu’un
qui lui permet d’accéder au pouvoir. Il s’attaque ensuite à l’estime de soi, à la
confiance en soi chez l’autre, pour augmenter sa propre valeur. Il s’approprie
le narcissisme d’autrui.
Pour s’accepter et s’affirmer, il doit triompher et détruire quelqu’un. Il jouit
alors de sa souffrance. Il y a chez lui une exacerbation de la fonction critique
qui fait qu’il passe son temps à critiquer tout et tout le monde. De cette façon,
il se maintient dans la toute-puissance : « si les autres sont nuls, je suis
forcément meilleur qu’eux ». Rejeter la faute sur autrui, médire de lui en le
faisant passer pour mauvais permet non seulement de se défouler, mais aussi
de se blanchir. Jamais coupable : tout ce qui va mal est toujours de la faute
des autres. Les agresser est le moyen d’éviter la douleur, la tristesse, la
dépression.
Le responsable religieux pervers est constamment pervers. Il est fixé dans
ce mode de relation à autrui et ne se remet jamais en question (à l’inverse des
« délinquants »). La perversité morale ne provient pas d’un trouble
psychiatrique mais d’une froide rationalité combinée à une incapacité à
considérer les autres comme des êtres humains.
Les psychiatres savent repérer les manipulateurs. Nous aussi nous devons
apprendre à les reconnaître dans le monde chrétien, savoir qu’ils ne
changeront pas ; par contre, nous nous devons d’aider les victimes. En les
accompagnant, employons sans hésitation le mot pervers car ce sont des
individus dangereux. La Bible qualifie ce genre de personne de « méchant » :
« tout l’être du méchant aspire au mal ». (Proverbes 21,10).
1 Le terme désigne le sentiment d’identité archaïque fourni par le contact peau à peau avec la mère.
2 Alberto Eiguer, Le Pervers narcissique et son complice, Dunod, 1996.
3 M.-F. Hirigoyen, Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien, Pocket, 2000.
4 Dominique Barbier, La fabrique de l’homme pervers, Odile Jacob 2013, p. 38.
5 M.-F. Hirigoyen, Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien, Pocket, 2000.
2. La victime du pervers narcissique
Elle est victime parce qu’elle a été « désignée » comme telle par le pervers.
Elle devient le bouc émissaire, la responsable de tout le mal. Elle sera
désormais la cible de la violence morale, évitant au harceleur une dépression
ou une remise en cause. La victime, en tant que telle, est innocente du crime
pour lequel elle va payer. Pourtant, même les témoins des manipulations la
soupçonnent. Tout se passe comme si une victime innocente ne pouvait
exister. L’entourage imagine qu’elle consent tacitement ou qu’elle est
complice, consciemment ou non, du mal qu’il lui fait.
Le propre d’un agissement pervers, c’est de viser les parties vulnérables de
la proie, là où il existe une faiblesse ou une pathologie. Chaque être humain
présente un point faible qui deviendra pour le manipulateur un point
d’accrochage. Il se peut que cette faille soit justement ce que la victime refuse
de voir en elle-même. La manigance de l’abuseur est alors une révélation
douloureuse. Ce peut être un symptôme que la proie essaie de banaliser, de
minimiser, et que la manœuvre malfaisante viendra réactiver. Le pervers
cherche chez sa prise le germe d’autodestruction qu’il suffit ensuite d’activer
par une communication déstabilisante.
Le fonctionnement pervers consiste à éteindre toute trace de libido (au sens
large, l’énergie qui sous-entend les instincts de vie). Or la libido, c’est la vie.
Il faut donc étouffer toute trace de vie, tout désir, même celui de réagir. Dans
la relation avec le leader pervers, il n’y a pas symétrie, mais domination de
l’un sur l’autre et impossibilité, pour la personne soumise, de réagir et
d’arrêter le combat. C’est en cela qu’il s’agit réellement d’une agression
morale.
La proie est donc entraînée dans cette situation dévastatrice à son corps
défendant. On a sollicité chez elle la part masochiste qui existe en chaque être
humain. Elle s’est retrouvée engluée dans une relation destructrice sans avoir
les moyens d’y échapper. On l’a accrochée au point même de sa vulnérabilité,
que celle-ci soit constitutionnelle ou réactionnelle. Son tort essentiel est de
n’avoir pas été méfiante, de n’avoir pas pris en considération les messages
non verbaux violents du harceleur. Elle n’a pas su décoder ses attitudes
corporelles1 de domination, et a pris ce qui lui a été dit au pied de la lettre.
Le conducteur spirituel pervers est aussi attiré par une personne chrétienne
consciencieuse ayant une propension naturelle à se culpabiliser. C’est
souvent une mélancolique, pré-dépressive, qui supporte mal les malentendus
et les maladresses, qu’elle essaie de corriger. En cas de réprimande, elle
accentue ses efforts, se surmène, etc. Comme elle est vulnérable au jugement
d’autrui et à ses critiques, même si elles ne sont pas fondées, le manipulateur
sent cette faille, et prend plaisir à instaurer le doute, la rendant coupable et
l’accusant à tort. La victime prend en fait sur elle la culpabilité de celui qui la
manipule.
La proie suscite l’envie parce qu’elle donne trop de vie à voir. Elle ne sait
pas ne pas évoquer le plaisir qu’elle a à posséder telle chose, elle ne sait pas
ne pas afficher son bonheur. C’est donc sa puissance vitale qui la transforme
en proie.
Elle a tendance à être transparente, naïve et crédule. Ne pouvant imaginer
qu’un autre être humain soit fondamentalement destructeur, elle essaie de
trouver des explications logiques et tente de déjouer un possible malentendu.
Sa miséricorde, son manque de rancune, la mettent en position supérieure.
C’est intolérable pour le leader abuseur, car cela le frustre. Elle devient un
reproche vivant, ce qui ne peut que le conduire à une haine encore plus
exacerbée. Grace à sa lucidité surdéveloppée, à son hypersensibilité, la
victime décèle les faiblesses du dirigeant et peut facilement les citer. C’est
quand elle commencera à nommer ce qu’elle a compris, qu’elle deviendra
dangereuse « pour lui ». Il faudra la faire taire par la terreur psychologique et
spirituelle : « Tu dois te soumettre ou bien tu seras exclue de l’église. Si tu ne
m’obéis pas, Dieu est contre toi et tu es dans les mains de Satan. Souviens-toi
que la Bible dit : Obéissez à vos conducteurs ».
1 Cf. Ces gestes qui vous trahissent, Joseph Messinger, First 2008.
3. Les conséquences de l’emprise psychologique
• La confusion s’installe dès la mise en place de la mainmise, la personne
n’osant pas ou ne sachant pas se plaindre. Elle est comme anesthésiée, se
plaint d’avoir la tête vide et des difficultés à penser ; elle subit un véritable
appauvrissement, un anéantissement partiel de ses facultés, une amputation
de ce qu’elle avait de vivant et de spontané.
• Le doute : lorsqu’elle apparaît ouvertement, la violence morale, masquée
par l’emprise, vient faire effraction dans le psychisme qui n’y était pas
préparé, puisqu’il était anesthésié par la soumission. Il s’agit d’un processus
impensable : la victime et les éventuels témoins sont incapables de croire ce
qui se déroule sous leurs yeux car, à moins d’être pervers soi-même, une
telle méchanceté sans aucune compassion est inimaginable. On tend à prêter
au pervers spirituel des sentiments (culpabilité, remords, tristesse) dont il
est complètement dépourvu. Dans l’impossibilité de comprendre, la proie se
retrouve sidérée, déniant la réalité de ce qu’elle n’est pas en mesure de
concevoir. Face à ce rejet traumatisant, ressenti, mais nié verbalement, elle
essaie en vain de trouver une explication rationnelle.
• Le stress : accepter la servilité qui est exigée d’elle ne se fait qu’au prix
d’une tension intérieure très importante, permettant de ne pas mécontenter
le leader dominateur, de le calmer quand il est énervé, de s’efforcer de ne
surtout pas réagir car elle s’en culpabiliserait. Cette tension est génératrice
de stress. Les personnes hyper-sensibles éprouvent intensément les
pressions internes, un pervers absolument pas. Il échappe au stress et à la
souffrance interne en rendant la victime responsable de tous ces
dérangements.
• La peur : qu’il parvienne ou non à ses fins, le tourmenteur sollicite en son
souffre-douleur une part de violence qu’il voudrait méconnaître en lui. À ce
stade, la personne décrit un sentiment d’effroi. Elle est sur le qui-vive en
permanence.
• L’isolement : alors qu’elle affronte toutes ces déstabilisations, elle se sent
très seule. Elle ne sait pas comment en parler dans l’église ou à l’extérieur,
tellement la destruction souterraine est indicible. Il faut savoir que le
manipulateur spirituel salit (salir) : il salit sa ou ses victimes, il s’allie
(s’allier) par le silence qu’il leur impose parce qu’il en fait malgré elles ses
alliées. De plus il s’allie avec d’autres personnes contre la victime, enfin un
manipulateur, ça lie (lier) par les mensonges qu’il dit partout, par le trouble
qu’il fait naître chez ses proies. Un responsable pervers est capable de
convaincre tout un Conseil d’église d’exclure sans recours une personne
qu’il a choisi de détruire.
• Le choc se produit lorsque la victime prend conscience qu’elle a été
abusée spirituellement. Jusqu’alors, elle n’était pas méfiante et même trop
confiante. Brutalement, elle comprend qu’elle a été le jouet d’une
manipulation. Elle se retrouve désemparée, blessée, tout s’écroule.
L’importance du traumatisme vient de l’effet de surprise et de son
impréparation, conséquence de l’emprise. Lors de ce choc émotionnel,
douleur et angoisse se mêlent. C’est une sensation d’effraction violente, de
sidération, de débordement, d’effondrement que certains décrivent comme
une agression physique : « C’est comme un coup de poignard ! »
• La décompensation : les capacités de résistance d’un être humain ne sont
pas infinies, elles s’érodent progressivement et conduisent à un épuisement
psychique. Au-delà d’une certaine quantité de stress, le travail d’adaptation
ne se fait plus et il y a décompensation. Des troubles plus durables se
mettent en place. La personne présente généralement un trouble anxieux
généralisé (T.A.G.), des troubles psychosomatiques ou un état dépressif.
Chez un sujet plus impulsif, la décompensation peut se traduire par un
passage à l’acte violent (tentative de suicide) qui le conduit dans un service
d’urgence. Chez d’autres, la réponse est physiologique : ulcère de
l’estomac, tachycardie, maladie cardiovasculaire, évanouissements, maladie
de peau, amaigrissement, affaiblissement, attaques de panique, etc.
• La séparation : face aux agissements toujours plus menaçants du leader
religieux, la personne, soit se soumet et accepte sa domination, soit se
révolte et combat pour trouver l’énergie de partir. Le plus souvent, elle y
réussit quand elle remarque des manipulations envers un autre chrétien ou
quand elle a trouvé un allié à l’intérieur du groupe ou à l’extérieur.
• L’évolution : même si la victime, au terme d’un effort de séparation, perd
tout contact avec ce responsable toxique, elle gardera des séquelles
dramatiques d’un passage de sa vie où elle aura été réduite à la position
d’objet. À partir de là, tout nouvel événement prendra un autre sens rattaché
à l’abus subi. Quelques victimes s’en sortent sans reliquat psychique autre
qu’un mauvais souvenir bien maîtrisé. D’autres garderont des troubles
psychiques ou somatiques à retardement.
La victime d’abus spirituel peut être confrontée à un de ces trois types
d’abuseurs ou bien être prise dans un système qui est en soi abusif. De même,
il est possible d’être un abuseur seul ou d’opérer au sein d’un système abusif.
Dans ce dernier cas, même quelqu’un qui n’est pas un abuseur mais qui se
retrouve dans un tel groupe n’est pas à l’abri de fonctionner comme un
abuseur.
4. Les systèmes chrétiens abusifs
On remarque des caractéristiques communes dans leur fonctionnement.
Quelles sont-elles ?
• On exerce une manipulation mentale sur les fidèles, essentiellement
autour de promesses irréalistes : une évangélisation qui promet des milliers
de conversions, des guérisons garanties, le « réveil » à notre porte sous
condition de renoncement à soi et d’engagement plus intenses. La
croissance de l’église est présentée comme une priorité. Cela tourne à
l’obsession, avec des projets chiffrés. Si l’assemblée ne croît pas, le pasteur
critique la foi des membres et leur manque de volonté, les effrayant et les
culpabilisant. Les promesses de réveil s’accompagnent d’un discours
mégalomaniaque sur l’argent : « Donne plus que ta dîme au Seigneur, il te
rendra dix fois plus ! »
• Le discours est élitiste : « Dieu nous a choisis, nous sommes les meilleurs,
les plus légitimes, l’élite de la nation… »
• La pensée est binaire : selon Pascal Zivi spécialiste des sectes et des
manipulations mentales au Japon, la doctrine d’un groupe sectaire partage
toujours la réalité environnante entre deux pôles : Dieu/le diable ; le bien/le
mal ; le monde spirituel/le monde physique ; etc.
Dans ce type de système et d’enseignement où tout est soit tout blanc, soit
tout noir, le dirigeant, et lui seul, oriente et dit ce qu’il faut penser et faire.
Le gris n’y a pas de place et encore moins d’autres couleurs ! C’est cela ou
rien. Cette logique binaire, réductrice et simpliste, agit sur la pensée et les
sentiments des membres du groupe. Elle s’ancre au plus profond d’eux-
mêmes. Ils finissent par avoir la fausse assurance qu’ils ont toujours raison
et les autres tort. Ils ne peuvent pas se tromper parce que le dirigeant qui
détient la vérité est constamment là pour les diriger et les conseiller.
• On a le monopole de la vérité : « La seule façon valable de comprendre et
de vivre la Bible, c’est celle de notre église ; Dieu est avec nous seuls et
donc Dieu est contre ceux qui ne sont pas avec nous. » Cette intolérance
crée l’hostilité et la méfiance envers les chrétiens d’autres églises et elle est
à l’origine des sectes.
• Il y a des pressions subtiles pour rompre avec le milieu familial (à cause
d’une suractivité au sein de la communauté, quasi absence de temps libre
disponible pour le conjoint et les enfants, surtout s’ils ne sont pas croyants,
car « Dieu et l’église sont prioritaires ») et avec l’environnement social :
arrêt des études « inutiles », chantage discret mais insistant pour changer de
travail ou refuser une promotion qui ferait quitter la région et donc l’église.
Ces points sont souvent contrebalancés par la mise en avant de quelques
œuvres sociales orchestrées et médiatisées pour prouver que l’église locale
est bel et bien active dans la société.
• On exploite les ressources financières avec le verset de Malachie 3,101 ou
la position sociale en vue de certains, qu’on assied à côté des autorités de la
ville ou qu’on nomme dans le conseil sans qu’ils en aient les capacités. De
nombreux versets bibliques servent à manipuler la libéralité des membres.
« donnez et l’on vous donnera » (Luc 6,38) ; « celui qui sème peu
moissonnera peu et celui qui sème largement moissonnera largement (2
corinthiens 9,6) ; « souvenez-vous de vos conducteurs » (Hébreux 13,7),
censé vouloir dire « rémunérez-les largement » alors que dans le contexte
biblique, il est question des martyrs.
• On communique sans aucun feed-back. On condamne toute remarque, tout
esprit critique et on fait de la rétention d’informations ascendante et
descendante. Le « petit peuple » n’a pas à savoir !
• On manipule le discours sur l’éthique : l’accent est mis sur la micro-
éthique (on condamne des détails de comportement, l’écoute de telle
musique) en vue de masquer une indifférence à la macro-éthique (l’absence
d’engagement réel dans la cité, par rapport à l’environnement aux violences
sociales…).
• La discipline est exagérée (code vestimentaire strict, punition en public,
port du foulard exigé.)
• On contrôle la sexualité : intrusion équivoque dans la vie intime des
membres (par exemple, le pasteur est à la fois leur médecin et leur
responsable spirituel mêlant des registres qui devraient rester bien
distincts) ; abus sexuels, obtenus en falsifiant l’enseignement biblique et en
profitant de la position d’autorité spirituelle. Un dirigeant peut facilement
abuser sexuellement une personne de son assemblée, une fois qu’il l’a
manipulée spirituellement : il est le représentant direct de Dieu, elle doit lui
obéir. Il peut lui avancer des arguments comme : « regarde cela est comme
une bénédiction de Dieu » ; « Dieu m’a dit que c’est bien ; notre amour est
spécial » ; « tu as de la chance, je t’ai choisie » ; « en m’aimant tu aimes
Jésus ». Pascal Zivi, psychothérapeute, cite ce témoignage : « la crainte que
je serais jetée en enfer si je lui désobéissais a été la plus puissante, j’ai fini
par lui céder. On m’a demandé pourquoi je n’en ai pas parlé aux membres
du conseil de l’église. La raison est très simple : il n’y aurait eu personne
pour me croire. Roland le savait très bien. Un jour il m’a dit : « ne parle
jamais de ce qui se passe entre toi et moi à quelqu’un de l’église. » Puis,
avec un petit sourire il a ajouté : « de toute manière il n’y aurait personne
pour croire une petite sotte comme toi2 ! »
• L’auto-identification au groupe : il est demandé à l’individu de trouver
toute son identité dans la communauté et dans les relations avec ses
membres : le nous remplace le je. Ce sont des églises où l’on distille la
méfiance à l’égard de la psychologie et des sciences humaines qui
permettraient aux personnes de mieux se comprendre et éviteraient qu’elles
soient piégées par des manipulations.
• On met un accent excessif sur la repentance et sur la confession. Certes la
Bible enseigne qu’il faut se repentir de ses péchés et les confesser à Dieu,
mais très peu de versets évoquent une confession publique. Pourtant des
groupes informels et même des communautés instituées manipulent les
paroissiens en leur proposant de confesser à haute voix leurs péchés chaque
semaine. Cela crée un climat malsain où se développent honte, culpabilité et
introspection.
Quelles valeurs ces systèmes manipulateurs mettent-ils en avant ?
• L’obéissance et la soumission sont affichées comme vérités premières. Ce
sont là les deux vertus démontrant une sanctification certaine. À l’inverse il
est interdit, quasi blasphématoire, de remettre en cause le mode de
fonctionnement des responsables du groupe. S’il est vrai que la Bible
évoque la discipline dans l’église, ces versets sont parfois tordus pour
menacer la personne, la culpabiliser. Voire l’exclure. Émettre une critique
reviendrait à « attrister l’Esprit-Saint de Dieu » ou à commettre le
« blasphème contre le Saint-Esprit ».
• La maîtrise, le contrôle des émotions et du ressenti du fidèle : il lui est
demandé de penser ce que pense l’assemblée, d’éprouver ce qu’on lui
ordonne d’éprouver. Par exemple si tous les chants d’un office parlent de
joie, il n’y a aucune place pour un autre sentiment, il est quasiment exigé de
« se réjouir » parce que le « conducteur » de la louange en a décidé ainsi.
• Le dévouement : est vertueux celui qui se consacre toujours aux autres, qui
ne se met jamais en colère, ne conteste pas et approuve tout ce que disent
les « serviteurs de Dieu ». L’abnégation, le renoncement à soi, pour ne pas
dire la mort à soi sont autant d’expressions fétiches dans les communautés
dysfonctionnelles qui leur permettent d’asservir les croyants à leur guise.
• Un chèque en blanc libellé pardon : le conducteur religieux abusif exige
qu’un chrétien pardonne à celui qui a offensé sans que celui-ci ne se
repente, y compris bien sûr lui-même. Face à un dérapage évident du
manipulateur que le croyant a identifié et relevé, il lui répond qu’il doit
pardonner sans condition sinon Dieu ne lui pardonnera pas. Il réussit à faire
de l’offensé un coupable… comble de la perversion ! Or Jésus déclare : « si
ton frère s’est rendu coupable d’une faute reprends-le, et s’il se repent,
pardonne-lui » (Luc 17,3) Le théologien John Stott dit : « Comment
pouvons-nous pardonner une offense si celui qui l’a commise n’en vient ni
à la reconnaître ni à la regretter ? » Le théologien Paul Wells écrit :
« Sommes-nous plus saints que Dieu ? Notre repentance est nécessaire à
son pardon ; celle de notre offenseur ne l’est pas moins pour le nôtre. »
Jacques Buchhold est du même avis3. Ainsi, si dans les systèmes déviants
on prêche un pardon à bon marché, la Bible elle, répète que le vrai pardon
n’est ni inconditionnel ni unilatéral4.
• La lecture de la Bible n’y est pas christocentrique mais ecclésiocentrique :
ce n’est pas Jésus-Christ qui est le prisme à travers lequel on interprète les
Écritures mais c’est le groupe chrétien toxique, avec ses normes, qui se
retrouve au centre de la lecture biblique en tant qu’intermédiaire exclusif
entre Dieu et le fidèle. Celui-ci n’est plus à l’écoute de la Parole de Dieu
mais c’est le groupe qui lui dicte comment la comprendre. Selon la
théologienne Valérie Duval-Poujol5, trois façons de lire la Bible sont
utilisées pour alimenter les systèmes chrétiens dysfonctionnels. D’abord,
« la Bible a réponse à tout » : pour chaque problème il y a un verset adapté,
un slogan. Or un texte se comprend toujours à la lumière de son contexte
historique, social, culturel et à la lumière des écritures entières. Un
prédicateur manipulateur instrumentalise la Bible pour lui faire dire ce qu’il
a besoin qu’elle dise comme confirmation de son discours et non comme sa
source. Ensuite, la lecture émotionnelle de l’Écriture conduit vite à des
dérives car le texte risque de devenir un prétexte. Le dirigeant contrôlant
l’interprète comme un ventriloque avec une marionnette, lui fait dire ce
qu’il souhaite. Enfin la lecture allégorisante par des personnes
manipulatrices fait dire à un passage biblique ce qu’elles désirent. Le point
commun de ces trois interprétations abusives est de ne pas respecter le
texte, de ne pas l’étudier dans son contexte et d’en faire finalement un
prétexte qui sert à suggestionner les auditeurs. Or l’important n’est pas qu’il
nous dise ce que tel verset signifie, mais quelle méthode, quelle approche il
emploie pour trouver ce sens : est-ce son ressenti, son intuition, ou est-ce
une recherche sérieuse sur le sens du texte dans son contexte ?
1 Apportez à la maison du trésor toutes les dîmes, Afin qu’il y ait de la nourriture dans ma maison ;
Mettez-moi de la sorte à l’épreuve, Dit l’Éternel des armées. Et vous verrez si je n’ouvre pas pour vous
les écluses des cieux, Si je ne répands pas sur vous la bénédiction en abondance.
2 Les abus spirituels, identifier, accompagner, Pascal Zivi, Jacques Poujol, Empreinte temps présent,
2006, p. 36. Voir aussi Les abus sexuels, comprendre et accompagner les victimes, Jacques Poujol,
Empreinte temps présent, 2011.
3 Le pardon et l’oubli, Jacques Buchhold, Excelsis, 2002.
4 Pour un développement sur cette question, voir Les 10 clés de la relation d’aide, Valérie Duval-
Poujol & Jacques Poujol, Empreinte temps présent, 2002, chapitre V.
5 Les 10 clés pour comprendre la Bible, Valérie Duval-Poujol, Empreinte temps présent, 2002.
5. Les scénarios des systèmes chrétiens abusifs
Ces systèmes dysfonctionnels s’articulent schématiquement autour d’un
scénario. C’est un système de croyances donnant une structure au groupe et
un mode de fonctionnement déterminé. C’est un prêt-à-penser collectif qui
donne à chaque personne une place, une fonction, une identité. Donnons un
exemple : si une communauté chrétienne a un scénario où elle se voit comme
une famille, quelqu’un y jouera le rôle de père, un autre de mère, d’autres
d’enfants… Un scénario contient toujours une once de vérité qui fait qu’on y
adhère. Ici, il y a bien une part de vrai (Dieu est Père, nous sommes ses
enfants adoptifs en Jésus-Christ) mais structurer toute l’organisation d’une
assemblée selon ce schéma « famille » revient à interpréter de manière
excessive et abusive une métaphore théologique.
Car lorsqu’une église fonctionne selon un scénario donné, cela entraîne un
problème majeur : la culpabilisation sous-jacente. En effet, pour reprendre le
cas de la configuration « famille », quand l’assemblée et donc chaque
membre en font-ils assez pour être une « bonne » famille ? Si la croissance
numérique est en berne, les responsables expliqueront que c’est parce que les
croyants ne répondent pas suffisamment aux idéaux et aux exigences liés au
concept de l’église « famille ». Donc plus les « frères et sœurs » essaieront de
se conformer à cet idéal « familial », plus ils seront culpabilisés, condamnés
et plus la porte sera ouverte aux remarques tyrannisantes. Or l’accusateur des
frères c’est Satan, cela ne devrait être l’église.
Un scénario n’est pas évolutif, c’est une illusion de croire qu’il pourrait
connaître un changement fondamental. Il n’est susceptible que de se
réadapter. Il est de fait essentiellement répétitif et même si les acteurs sont
susceptibles de changer, il demeure identique. Par contre, il arrive qu’un
scénario adopte une autre « configuration ».
Un scénario génère ses croyances propres qui le renforcent en lui-même.
Devenant imperméable à toute critique extérieure, il fonctionne alors en
circuit fermé. Bref, c’est une sorte de slogan autour duquel s’organise toute
l’assemblée. Dans le cas du schéma de la famille, le slogan pourrait être
« unis dans l’amour autour du Père », avec évidemment une forte ambiguïté
(voulue par les dirigeants) entre le Père céleste et le « père » humain,
responsable de la communauté, prêtre, berger ou pasteur. Quelques
prédications sur des versets comme 1 Thessaloniciens 2,11 (« nous avons été
pour chacun de vous ce qu’un père est pour ses enfants ») et le tour est joué,
le piège bien en place. Les scénarios des églises dysfonctionnelles présentent
en outre une carence identique : ils mettent uniquement l’accent sur ce qui
rassemble et ressemble. Or on le sait, l’identité, pour être équilibrée, a besoin
de deux pôles pour se construire : la différence et la ressemblance. L’identité
est en effet constituée de deux éléments à conjuguer à l’infini : en quoi je
ressemble aux autres et en quoi je diffère d’eux.

Dans un groupe dysfonctionnel, la différence (de goûts, d’opinions, de


vécu, de dons…) entre les membres est niée, seule la ressemblance,
l’homogénéité sont valorisées. On y recherche l’uniformité à tout prix, sans
que la singularité de chacun y ait sa place. Il y règne une confusion entre
l’unité de l’Esprit, qui est, qui n’est pas à faire et l’unité de la foi, qui se
construit1. L’unité de l’Esprit est le lien spirituel découlant de la conversion,
la grâce que le Père envoie à tous ses enfants ; elle est déjà réalisée en Christ.
Par contre l’unité de la foi est à construire, à travailler. Elle représente cette
confiance (en grec pistis) qu’on se fait mutuellement, qui permet de
collaborer, de marcher vers le même but ensemble. Les différences et les
ressemblances doivent être prises en compte au sein de la maison de Dieu
afin que tous œuvrent de concert efficacement, ce qui n’est pas le cas dans un
groupe qui impose la pensée unique. Le nous de l’église ne doit jamais nier le
je du chrétien.
Intéressons-nous à présent à trois scénarios relativement courants dans les
communautés abusives.
« C’est la guerre ! »
Ici l’église locale est vécue comme une armée en marche, constamment en
train de guerroyer contre Satan, contre le monde et ses valeurs, sa morale ou
son immoralité. Toute la vie de l’assemblée est conçue et s’articule en
fonction de cet état d’esprit : locaux froids comme une caserne, discours,
chants guerriers, musique, offrande… Le maître-mot est la mobilisation
permanente. La créativité ou la récréation sont quasi absentes : la lutte armée
étant aux portes de la maison de Dieu, il n’y a pas de temps pour elles. Les
relations en interne sont négligées au profit des contacts vers l’extérieur. En
effet, la communication (et la communion) entre les chrétiens, très médiocre,
est réduite en fonction des objectifs du « combat ». Par exemple, on
s’intéresse à peine au chagrin que quelqu’un ressent suite au décès d’un
proche, mais on se soucie davantage de la façon dont la personne endeuillée
va témoigner aux « incroyants » lors des obsèques. Les difficultés
personnelles sont perçues comme risquant d’affaiblir le groupe et on n’y
accorde que très peu d’importance. Les désaccords ou les revendications de
sa singularité sont vécus comme une haute trahison ; le membre à l’origine du
différend devient l’ennemi de l’intérieur. Les nominations aux responsabilités
dans l’église se font non en fonction des compétences mais en lien avec la
fidélité et la loyauté au dirigeant, ce qui crée une hiérarchie inapte à se
remettre en cause. L’unité se fait autour du projet « guerrier », des conquêtes,
des victoires obligatoires, ce qui ouvre la porte aux manipulations de toute
sorte (appel d’argent, statistiques gonflées, pseudo-miracles, « saga » de
l’assemblée…). Si les succès ne sont pas à la hauteur des discours
enflammés, le recours à la culpabilisation se doit de remobiliser les troupes…
« La cour de Versailles »
Sous nos yeux se déploie un tout autre décor, celui du roi Louis XIV, le Roi-
Soleil. Deux expressions résument le règne despotique et fastueux de ce
souverain : « L’État, c’est moi ! » et « Un roi, une nation, une foi ». Dans ce
fonctionnement ecclésial est mis en avant ce que pense et ce que fait le
monarque : le roi prêche, le roi parle de la part de Dieu, le roi pense, le roi
décide, le roi voyage, bref, tout s’articule autour d’un transfert « royal », aux
deux sens du terme. L’organisation de l’église centralisée est calquée sur la
cour de Versailles avec la noblesse, les féodalités, le petit peuple. Il y a celles
et ceux qui grâce à leurs flatteries obséquieuses, « sont en cour » et à
l’opposé les exilés du royaume, bannis loin de la présence du souverain. Ces
diverses catégories se retrouvent dans toutes les activités de l’assemblée, à
tous les niveaux et même dans les familles des chrétiens. La chorale, le
groupe de jeunes, l’étude biblique, les cellules de prière sont des marquisats.
L’information est distillée au peuple au compte-gouttes et de manière
condescendante. Les nominations s’effectuent par hérédité (la Reine-mère, le
Dauphin…) et par féodalité. Plus on est près de la famille du roi, plus on a de
chances d’être nommé. L’église locale est patriarcale et il n’y a aucune
démocratie (certaines églises ne tiennent jamais d’assemblées générales,
pourtant légales) : le roi tient son pouvoir de droit divin, il est de ce fait
impossible d’avoir une pensée personnelle, encore moins de contester, car
s’opposer au roi, c’est s’opposer à Dieu, à son Oint. Les conflits sont
quasiment proscrits, ce serait un crime de lèse-majesté : « ne touchez pas à
l’Oint de l’Éternel ! »
Du haut de sa bienveillance le roi consulte tout de même parfois le peuple
par des cahiers de doléances. La taille et la somptuosité de la maison de Dieu
(« pour la gloire de Dieu », bien sûr) reflètent le prestige du souverain et on la
montre aux visiteurs étrangers. Dans un tel système auto-cratique, un membre
ne peut être que sujet du roi et non sujet de lui-même.
« Les anciens combattants »
Dans cette configuration, le passé est toujours plus valorisé que le présent,
c’est lui qu’il faut reproduire : ses méthodes de travail, d’évangélisation, ses
hommes et ses femmes illustres (« de réveil » ou les « saints »), ses principes
de vie. Ce qui est prôné est un retour à une époque légendaire, à l’âge d’or
mythique, aux grandes heures des héros de la foi. Ce qui a été, c’est ce qui
doit être. Les mythes (des croyances erronées bien ancrées) sont très forts.
On se dit : « comme ils étaient consacrés les chrétiens il y a cinquante ans !
Et je ne vous parle pas d’il y a deux cents ans ! Ils savaient renoncer, prier,
souffrir… Où sont aujourd’hui les Wesley, les Müller, les Booth, les Darby,
les François d’Assise ! Aujourd’hui chacun ne pense qu’à soi. Ah ! Le bon
vieux temps ! »
La grande question est : « Saurons-nous être dignes d’être leurs héritiers ? »
L’état d’esprit dominant est celui de gardiens du temple, nourris par une
lecture négative et anxieuse du monde et des mutations de la société. Si
quelqu’un propose un changement même minime dans le fonctionnement
ecclésial, cela est ressenti comme si on laissait entrer l’esprit du monde. Les
locaux désuets et le mobilier vieillot sont à cette image, ainsi que les
cantiques surannés, les prières grandiloquentes et l’évangélisation comme en
1900. Les nominations aux diverses responsabilités sont souvent floues et
doivent en tout cas se faire en référence aux pères fondateurs dont parfois le
portrait trône dans l’entrée.
Un groupe chrétien qui est régi selon un de ces trois scénarios est à coup sûr
générateur d’abus spirituels. On peut mieux cerner ces dysfonctionnements
en se posant la question : où se situe l’église par rapport à Dieu et au
chrétien ?
Dans un groupe dysfonctionnel :

Dans ce cas de figure, la communauté chrétienne se pose comme


l’intermédiaire nécessaire entre Dieu et le chrétien. Sa relation avec lui passe
forcément par l’église, qui est centrale. C’est une lecture et un
fonctionnement ecclésiocentriques. La Bible n’est pas lue, étudiée, pour
mieux connaître Jésus, mais pour développer l’église locale, pour justifier
tout ce que les dirigeants exigent des membres en matière d’obéissance, de
soumission, de légalisme, etc.

Dans un groupe équilibré

Ici l’assemblée et ceux qui la dirigent ne sont pas des médiateurs entre Dieu
et le chrétien comme dans le premier schéma. Le chrétien évolue au sein
d’une relation triangulaire qui implique sa relation avec Dieu, avec les
responsables, mais aussi la relation que les dirigeants ont avec Dieu. Ainsi la
communauté permet aux membres de vivre leur foi en sécurité tout en
préservant leur créativité.
Ce fonctionnement permet de respecter deux besoins fondamentaux de
l’être humain : la sécurité et la créativité. La créativité correspond à la liberté
d’être soi-même tout en étant relié aux autres ; la sécurité concerne les
domaines physique, psychologique, spirituel, tant sur le plan personnel que
sur le plan collectif. Une église équilibrée, non toxique, veille à ce que ses
membres puissent s’épanouir avec leurs dons dans un climat sécurisant.
1 Les questions de l’unité de l’Esprit/unité de la foi et celle de la bonne gestion de la
différence/ressemblance au sein de l’église sont développées dans Les 10 clés de la vie spirituelle,
Jacques Poujol & Valérie Duval-Poujol, 2003, Empreinte temps présent, chapitre 7.
6. Le mécanisme de la souricière
Parvenir à décrypter le mécanisme par lequel on tombe dans le panneau
d’un groupe manipulateur est essentiel pour identifier l’abus et s’en libérer.
Ce schéma permet de comprendre comment on arrive à se faire piéger par un
système dysfonctionnel, par un leader manipulateur ou par les deux. Cette
étape ressemble le plus souvent à un piège de base, tel un appât1 :

L’appât, c’est la nécessité qu’une personne un peu fragilisée ressent, par


exemple celle d’être protégée du fait d’une souffrance psychique ; dans le
groupe qu’elle découvre, on lui propose une solution qui dans un premier
temps semble combler cette nécessité. Dans un second temps, cette solution
devient le problème qui interdit qu’elle s’échappe de la nasse. La sécurité
tant recherchée peut s’avérer en fait assurée par une doctrine très tranchée,
étouffante (une mentalité sans nuance, un raisonnement en blanc/noir, une
séparation du monde entre les bons/les mauvais). Au début, la personne est
tranquille, elle se sent du côté des bons, mais lorsqu’elle voudra évoluer,
grandir et sortir de ce milieu toxique, elle en sera empêchée par cette même
doctrine.
L’offre de la communauté, son attrait, font souvent écho à une faiblesse
intime, une faille dans la nouvelle venue. Cette offre devient ensuite le filet
qui la retient captive, comme l’illustre le schéma suivant.
Les principales faiblesses de la proie :

FAIBLESSES DE LA PROIE PIÈGES

Besoin d’approbation Pouvoir sécurisant


Besoin de structures protectrices Blanc/noir

Besoins affectifs Relation fusionnelle


Tendance au perfectionnisme Légalisme. Mort à soi
Mauvaise image de soi Humiliation comme vertu
Complexe d’infériorité Soumission

Peur de l’abandon Fusion, dépendance


Sentiment de frustration Désir de puissance
Désir de puissance Pouvoir

Prenons le cas de quelqu’un qui souffre de la peur d’être abandonné ;


l’église semble être un lieu approprié, qui l’attire puisque les membres ont
l’air de vivre une grande communion, qui est en fait une symbiose névrotique
(nous sommes « un dans l’Esprit »). Au début, ce fonctionnement fusionnel
lui convient car cela résout provisoirement son angoisse d’abandon. Mais peu
à peu il devient dépendant de cette fusion ; il est piégé et finit par se retrouver
prisonnier de l’assemblée. Ou encore, une personne souffrant de profondes
frustrations relationnelles aura l’impression qu’elle pourrait avoir un rôle à
jouer dans l’église, que tout est possible, et on lui fera même miroiter des
opportunités nourrissant son désir de puissance. Mais cette soif de pouvoir ne
sera en réalité jamais satisfaite et elle se trouvera prise dans la souricière.
Soulignons que la proie n’est jamais, ni en aucune façon, coupable d’avoir
des besoins ou des blessures psychiques. L’ensemble du message des
Écritures plaide en faveur d’une sollicitude envers celles et ceux qui sont
dans la détresse, les blessés de la vie tant sur le plan physique que dans le
domaine émotionnel. Le coupable dans ce processus est l’église
dysfonctionnelle qui exploite les faiblesses d’une personne fragilisée pour
l’asservir.
Ceci explique qu’elle entre dans un système à caractère sectaire. Mais
pourquoi y reste-t-elle, une fois qu’elle a découvert qu’on la manipule ? Ce
schéma retrace les étapes de son cheminement.
1. Un appât sécurisant pour résoudre son problème
La personne adhère de tout cœur au groupe qui semble lui offrir la solution à
ses problèmes émotionnels. Elle ne voit pas de système contrôlant en tant que
tel, n’identifie ni le scénario malveillant ni le climat de domination ; elle ne
perçoit en fait que la réponse à ses difficultés. Elle accepte tout, au nom de
l’efficacité supposée de ce qui lui est proposé. Dans les faits d’ailleurs, il y a
bien un début de soulagement de sa souffrance, car ici tout le monde est
tellement attentionné, chaleureux, compatissant. Elle ne se doute de rien,
mais la nasse est refermée sur elle.
2. Les actes abusifs
Peu à peu elle subit des discours déstabilisants, on exige d’elle qu’elle
obéisse de façon quasi aveugle aux responsables, l’enseignement est très
strict et accompagné d’une forte culpabilisation. Les caractéristiques déjà
citées des systèmes manipulateurs se manifestent implacablement. Les
dirigeants transfèrent la responsabilité et la culpabilité sur elle. Par leurs
paroles et leurs actes, ils s’arrangent pour lui faire croire que s’ils agissent
ainsi, c’est à cause de son comportement pécheur. Ils lui font bien sentir que
c’est elle qui n’est pas assez dévouée ou pas assez « soumise à ses
conducteurs ».
3. Le conflit intérieur de la victime
Elle est tiraillée entre d’un côté son besoin de rester elle-même, d’être fidèle à
ce qu’elle a toujours été, de l’autre, son désir de plaire au Seigneur. Or on lui
inculque que plaire à Dieu passe par une obéissance aux conducteurs
spirituels et par une adhésion sans faille aux règles et aux valeurs de
l’assemblée. De plus, il est fréquent que l’enseignement dévalorise cette
nécessité fondamentale d’être soi-même en décrétant que c’est un « péché
d’égoïsme ». Cette tension entre son envie d’être Sujet et l’atmosphère
contrôlante crée en elle un trouble profond.
À cette étape-là, la victime est susceptible de commencer elle-même à
adopter une conduite tyrannique envers ses enfants, son conjoint ou son
entourage, sans s’en rendre compte, par le simple fait qu’elle reproduit
l’autoritarisme qu’elle subit.
4. La résurgence sécurisante
Un jour ou l’autre elle se décide à communiquer au sujet de son malaise,
volontairement ou non : quoi qu’il en soit, les responsables en sont informés
car ils sont au courant de tout. Ils lui disent avec une empathie feinte qu’ils
ont bien entendu son mal-être et qu’ils vont réfléchir à une possible réforme :
« Vous avez raison, notre groupe, église, paroisse manque d’ouverture (ou
d’études bibliques de qualité ou de délégation ou de concertation, etc.), nous
allons songer sérieusement à changer cet état de fait. » Elle a droit à une
brève écoute et à de pseudo-explications censées justifier les situations
anormales qu’elle dénonce : « c’est vrai que je prêche tous les dimanches de
l’année, mais personne d’autre ne se propose ». Elle gobe les discours
mielleux et les promesses hypocrites. Elle accepte à nouveau le
fonctionnement ecclésial, animée par l’espoir naïf que l’on a entendu ses
doléances et que les choses vont s’améliorer. De son côté, elle croit très
sincèrement au changement, elle prie dans ce sens, et d’ailleurs elle a
l’impression de constater quelques signes qui laissent espérer une évolution
positive. D’autant que ses croyances, consolidées depuis qu’elle est dans le
groupe, l’incitent à y rester.
5. Le retour dans le système
Le groupe, qui bien entendu n’a pas changé d’un iota, renforce encore le
transfert de responsabilité : s’il y a ce problème, ce n’est pas la faute de
l’église, mais celle de la personne qui a osé se plaindre ! « En fait, tout cela,
c’est à cause de toi : tu n’es pas assez soumise, pas assez sanctifiée… » Elle
ressent alors un violent sentiment de honte et craint d’être rejetée. Elle reste
donc dans le groupe.
Ce cercle, avec ses cinq phases, se produit souvent à plusieurs reprises mais
à chaque fois les effets des différentes étapes s’accentuent. Il n’est possible
d’aider une victime que lorsqu’elle en est au point 3, en plein conflit interne.
Là on peut lui proposer de ne plus assister aux réunions par exemple pendant
un mois, et de voir comment elle se sent. La sortie d’un système à tendance
sectaire a rarement lieu du premier coup. Certains ont besoin de vivre le cycle
plusieurs fois pour se décider à partir définitivement. Cela signifie qu’il ne
faut perdre ni courage ni patience si une personne n’arrive pas à se libérer
d’un tel milieu toxique rapidement. Il convient de respecter son rythme de
compréhension.
Revoyons plus en détail les facteurs qui la découragent de fuir un groupe
abusif et pourquoi elle continue à se faire manipuler :
• Elle refoule, dénie l’idée même qu’elle subit un abus spirituel. Car « ce
qui ne devrait pas arriver ne peut pas m’être arrivé ». Il est impossible
qu’un « serviteur de Dieu », un chrétien, ait pu me manipuler, qu’une église
ait réussi à me dominer, me culpabiliser, me tromper. Elle redoute que cela
constitue une désobéissance envers Dieu et que cela brise l’équilibre factice
et précaire de la communauté (en réalité cela ne la concerne aucunement).
Sa peur est renforcée par une formule fortement inculquée et répétée au fil
des réunions : « Ici seulement est la vérité ». Elle appréhende aussi de
perdre les relations qu’elle s’est faites au fil des mois et des années car elle
a vu comment on a isolé d’autres personnes qui sont parties ou qui ont été
exclues et avec qui tout contact a été rompu. D’ailleurs, elle ne sait plus
vraiment créer de nouveaux liens, elle a plus ou moins coupé les ponts avec
ses anciens amis et elle angoisse de se retrouver toute seule.
• Elle redoute également le conflit, qui est perçu dans ce genre de groupe
comme diabolique ou tout au moins comme égoïste. Alors elle choisit de se
taire. Souvent, inconsciemment ou non, le milieu dysfonctionnel la pousse à
le faire. Il vaut mieux, pense-t-on, pour l’église que la victime taise son
mal-être plutôt que de devoir gérer les conséquences de révélations qui
rompront un silence confortable. Parler de ce qu’elle a subi ou subit
encore, est plus grave que ce que le manipulateur a fait, ce qui accentue le
transfert de responsabilité sur elle. Donc parler, mais à qui ? Qui
comprendra, me croira ? Cela me sera-t-il utile ?
• Elle croit parfois, malgré les apparences contraires, qu’elle a les moyens
en restant de faire évoluer le système, que les choses vont s’améliorer,
qu’une réforme est possible.
• Ce n’est pas vraiment flatteur de s’avouer qu’elle a été abusée. Le
sentiment de honte, d’avoir été humiliée, la paralyse. Elle se demande si
elle est vraiment normale ou si peut-être quelque part, elle n’est pas quand
même la cause des difficultés… surtout qu’on transfère sur elle la
responsabilité de la situation. Elle ignore que parce qu’elle a dénoncé le
problème, elle est devenue le problème ; c’est un processus bien connu.
• La victime connaît très mal les mécanismes des systèmes abusifs et ne
comprend pas ce qu’elle traverse. En effet l’abus spirituel est comme une
dégringolade déstabilisante dans un espace à l’envers, une plongée dans un
univers parallèle, dans une sphère où les notions de bien et de mal sont
renversées, où le mensonge est considéré comme étant la vérité. C’est le
monde du déni, du faire-semblant, et du silence de l’entourage (par exemple
le conseil d’église ou de paroisse) souvent complice, plus ou moins
consciemment, des impostures du dirigeant.
• La victime a peut-être déjà été abusée spirituellement dans son passé. Cela
a créé en elle ce qu’on appelle l’impuissance acquise ou la résignation
apprise. Le psychologue Martin Seligman a démontré que face à de petits
chocs électriques incontrôlables, un animal finit par s’installer dans le
fatalisme et l’apathie. De même les moyens de défense de cette personne
ont été érodés par de précédents agissements contrôlants et elle se laisse à
nouveau mettre sous emprise docilement.
Les conducteurs d’une communauté contrôlante utilisent souvent un ou
plusieurs de ces cinq slogans, pour empêcher les membres de quitter le
système, pour les culpabiliser et annihiler toute critique. Ces messages
s’appuient sur des bribes de versets bibliques faussement interprétés, pris
hors de leur contexte et attribués sans scrupule à la situation de l’assemblée.
Ils aboutissent dès lors forcement à des faux sens voire des contresens :
• Ne touchez pas à l’Oint de l’Éternel est utilisé comme une interdiction de
contredire les dirigeants, ou de les mettre en doute ou même de leur poser
des questions. Cela encourage le culte de la personnalité envers le « guide
spirituel », comme dans les sectes.
• N’abandonnez pas votre assemblée permet de critiquer ceux qui sont
partis ailleurs, d’inciter ceux qui restent à être davantage assidus aux
réunions, ou encore de décourager d’envisager la fréquentation d’une autre
communauté.
• Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés… Qui es-tu toi qui juges ? court-
circuite tout esprit critique et interdit les simples questionnements ou toute
dénonciation d’actes répréhensibles.
• Il est écrit facilite la manipulation. Effectivement le prédicateur a beau jeu
de justifier chaque enseignement erroné par le fait qu’il est écrit dans la
Bible ! Or lorsque le diable, cite le Psaume 91 à Jésus (Matthieu 4,6) en lui
disant « Il est écrit », Jésus répond : « Il est aussi écrit ». Retenons Matthieu
4,7, un verset que n’aiment pas les prédicateurs manipulateurs.
• Soyez soumis : les responsables ont forcément raison, puisque la
soumission est la seule attitude que Dieu exige du fidèle, surtout des
femmes !
On peut ajouter à ces cinq slogans une interprétation douteuse de la Bible.
Les versets mal interprétés, et donc les enseignements tordus, dénaturés,
sont légion. Les identifier est un premier pas. Peut-être pourrions-nous nous
approprier les paroles de l’apôtre Paul à Timothée, confronté à des
prédicateurs peu scrupuleux dispensant des enseignements erronés : « Toi,
demeure ferme dans ce que tu as appris et accepté comme certain. Tu sais de
qui tu l’as appris ». Ce mot appris présent deux fois ici, vient d’un verbe grec
manthanô qui décrit un apprentissage intellectuel, un processus cognitif,
employant la raison, le discernement mais aussi une notion d’appropriation,
d’adhésion personnelle. Dès lors, face à ces dérives sectaires, une lecture
simplement émotionnelle ou hors contexte ne suffit pas. Il faut recourir à des
outils sérieux pour écouter véritablement ce que le texte a à nous dire2. Nous
savons que la Bible, si elle est une nourriture, est aussi une épée à double
tranchant. Nous ne devrions pas rester des amateurs lorsque nous
l’interprétons, mais entrer dans ce processus de discernement de son véritable
message et devenir comme les chrétiens de Bérée (ils sont un exemple pour
nous) qui écoutaient Paul parler et « examinaient chaque jour les Écritures
pour voir si ce qu’on leur disait était exact » (Actes 17,11). Le verbe grec
examiner anakrinô signifie « investiguer, examiner avec minutie ». C’est le
terme utilisé pour une audition judiciaire. Ne laissons pas des « bricoleurs de
l’interprétation » abuser de nous avec la Bible ! Autoriserions-nous notre
coiffeur, aussi sympathique soit-il, à nous opérer de l’appendicite en cas de
douleurs ? Pourquoi alors ne prenons-nous pas notre santé spirituelle tout
autant au sérieux ? Face à un texte qui nous heurte, nous décontenance, ayons
l’audace de poser des questions, prenons le temps de réfléchir, d’étudier les
Écritures en nous aidant d’un Dictionnaire biblique et de commentaires de la
Bible rédigés par des théologiens dont les compétences et l’honnêteté
intellectuelle sont attestées.
1 Ce schéma est tiré du livre Le pouvoir subtil de l’abus spirituel, David Johnson & Jeff Van Vonderen.
2 Nous recommandons 10 clés pour comprendre la Bible, Valérie Duval-Poujol, Empreinte temps
présent, 2004 qui propose des clés permettant une actualisation respectueuse du texte biblique.
7. Les troubles psychologiques et spirituels d’une
victime
Voici les plus courants :
• Le déni : dans les débuts, la personne n’est pas consciente d’être dans un
système abusif. « Ce n’est pas possible ». Si quelqu’un d’extérieur lui en
pointe les dysfonctionnements, elle ne l’accepte pas, y répondant par de
bons arguments construits d’avance. Elle croit fermement que les choses
sont en train d’évoluer. Elle ne sait pas qu’un système religieux abusif ne
change jamais.
• L’obéissance aveugle aux dirigeants : elle vit dans un état de soumission
absolue à l’autorité, que Stanley Milgram a bien analysé. Selon les
expérimentations de ce psychologue social, l’immense majorité des gens
font ce qu’on leur dit de faire, sans tenir compte de la nature de l’acte
prescrit, dès lors que l’ordre leur paraît émaner d’une autorité légitime1.
De même pour cette victime d’une église contrôlante, l’autorité (prête,
pasteur, berger) ne peut pas se tromper, elle lui obéit donc, et en cas de
conflit, même avec sa conscience, elle est convaincue que c’est l’autorité
spirituelle qui a raison.
• L’ambivalence : la violence spirituelle qu’elle subit s’est mise en place
très progressivement et, dans un premier temps, avec son accord, pour son
« bonheur ». C’est volontairement qu’elle est entrée dans la souricière. Elle
souffre donc d’un sentiment d’ambivalence dans son discernement du bon
et du mauvais reçu dans ce milieu toxique. C’est comme une cécité : elle est
dans l’incapacité de faire le tri entre ce qu’elle reçoit de bon (la chaleur
fraternelle) et les effets nocifs du fonctionnement de ce même groupe qui la
détruit psychiquement.
• L’anxiété : elle est angoissée en songeant à la rupture éventuelle et au
départ. Elle a peur de vivre la responsabilité de l’échec. Elle préfèrerait
presque qu’on la mette dehors. Son angoisse déclenche parfois des attaques
de panique.
• La dépression et les pensées suicidaires : La dépression atteint souvent
la victime d’abus spirituel, surtout une fois qu’elle a quitté le groupe
toxique. En effet elle ressent de la colère, mais elle la refoule et la retourne
contre elle-même. De plus elle est isolée affectivement, abandonnée de tous
car les dirigeants interdisent tout contact avec un ex-membre. Elle réalise
qu’elle a perdu des années pour rien, parfois même sa santé ou le contact
avec des proches. Il convient de l’encourager à se faire aider par un
psychiatre ou un psychologue. Elle a trop de deuils à faire pour y parvenir
seule et le risque essentiel est le suicide.
• Une estime de soi chancelante, une identité déformée, liée à une vie
spirituelle construite sur la culpabilité, la honte et le déni de ses désirs
personnels. La théologienne Lytta Basset a bien décrit « la culpabilité de la
victime2 » Quand une personne est en proie à une souffrance qui n’est pas
expliquée, qu’elle ne comprend pas, ou quand cette détresse n’est ni
entendue ni reconnue, elle se culpabilise de souffrir. La culpabilité est très
forte chez les victimes d’un abus spirituel. Il est un fait paradoxal : un mal
subi dans l’impuissance rend très fortement coupable, d’autant que
l’abuseur transfère sa responsabilité sur sa victime. La culpabilité est ici un
sentiment racket ou parasite, qui prend la place d’un autre sentiment qui
devrait être légitimement ressenti dans la situation : la colère. En effet qui
est celui qui devait la protéger, prendre soin d’elle sur les plans spirituel,
moral, psychologique ? Qui l’a traitée comme un objet, ne l’a pas
respectée ? C’est le « serviteur de Dieu » manipulateur. Elle est totalement
innocente.
• Une image de Dieu erronée et tordue : la victime le perçoit comme un
Être exigeant, imprévisible, jamais satisfait, sévère, prêt à la punir ou à
l’humilier, un Dieu-tyran qui fixe des objectifs inaccessibles et fonctionne
sur le mode donnant/donnant. Elle s’imagine que son Esprit se retire au
moindre de ses péchés, comme un signal d’alarme spirituel pouvant se
déclencher dès qu’elle a une mauvaise pensée. De même elle croit que le
diable est toujours là pour profiter de cette faiblesse pour l’envahir. Elle
doute que Dieu soit son avocat et le voit plutôt comme son accusateur. Il
peut lui arriver de croire qu’elle a perdu toute chance de salut.
• L’obsession des accomplissements religieux, de certaines formes de
prières, de jeûnes, d’offrandes financières, d’assiduité aux réunions, aux
offices… Elle est en quête de « trucs » pour faire bouger Dieu. S’il ne
l’exauce pas, c’est qu’elle manque de foi. Sa plus grande crainte, sa hantise,
est de lui déplaire et cela la rend prisonnière de l’activisme.
• L’amalgame et la confusion entre Dieu et l’église locale, entre le
discours de ses dirigeants et la volonté de Dieu. Étant sous emprise, elle est
comme anesthésiée, a la tête vide et des difficultés pour réussir à discerner
quand certains tordent le sens des Écritures. « Mon cerveau était comme un
ordinateur qui n’avait qu’un seul programme composé de versets de la
Bible qui se superposaient les uns sur les autres et que mon pasteur, selon
les circonstances, commandait à sa guise, pour m’amener à faire ce qu’il
désirait que je fasse pour lui. Il en était de même des autres membres de
l’église » (une victime d’abus).
• Une incapacité à poser des limites, à savoir dire non à ce qu’on lui
demande sans se culpabiliser. Cette église lui a inculqué l’idée fausse qu’il
ne faut pas poser de limites car elle doit mourir à soi, renoncer à soi. De ce
fait elle se trouve davantage dans la survie que dans la vie. Se sentir
légitime dans ses droits est difficile quand on a subi l’abus spirituel : droit
d’être respecté, reconnu, apprécié pour sa valeur de Sujet.
• Des difficultés à faire à nouveau confiance : parce que cette église l’a
trahie, elle ressent de la méfiance vis-à-vis de toute nouvelle personne (la
vigilance suffirait). Bien des gens ignorent le nom des onze autres apôtres
de Jésus mais connaissent Judas, le traitre. Pourquoi ? Parce que la plupart
des personnes pensent que rien n’est plus terrible que d’être « poignardé »
par quelqu’un de proche censé vous respecter, vous protéger, vous faire du
bien, que de subir :
– La Trahison
– Le Rejet
– L’Ambivalence
– La Honte
– L’Injustice
La trahison est parmi les blessures celle qui fait le plus de mal. Elle fait
perdre l’espoir de se sentir proche, intime avec autrui et protégé, puisque
celui, ceux qui en avaient le pouvoir ne l’ont pas fait. La victime peut même
en arriver à penser que ces coups de poignard dans le dos, elle les a plus ou
moins mérités.
• Un manque de compréhension et une ignorance des textes bibliques, en
particulier ceux qui décrivent l’identité du chrétien dans le cadre de la
nouvelle Alliance, c’est-à-dire la relation de Dieu aux hommes selon les
termes du Nouveau testament3.
• Une confusion entre la culpabilité positive, qui est d’ordre spirituel, et la
honte : la « culpabilité spirituelle (ou tristesse selon Dieu d’après 2
corinthiens 7,9-11) est un signal utile qui nous indique que nous avons mal
agi. Elle est du domaine du faire. La honte, par contre, est liée au domaine
de l’être. Elle constitue une accusation de notre propre personne. Dans un
groupe toxique, la victime a souvent honte, même si elle n’a rien fait de
mal. Ce sentiment devient une motivation de base de son comportement.
Sartre a dit de la honte qu’elle est comme « l’hémorragie de l’âme ». C’est
un mélange de rejet et de colère envers le pervers manipulateur, qui n’ose
pas ou ne peut pas se manifester. La honte a cette particularité qu’une fois
installée, elle s’autoalimente. Il est impossible d’éprouver et d’extérioriser à
la fois la honte et la colère. La colère, cette émotion libératrice, aidera la
victime à se sortir de la honte. Il lui faudra parfois du temps pour parvenir à
crier son indignation face aux injustices qui lui ont été infligées. La honte
est aussi liée au regard que la personne porte sur elle-même, un regard
autoculpabilisant. Elle devra le changer pour arriver à dire sa colère sans se
faire justice. Elle se pansera (se soignera) en changeant sa manière de
penser.
En résumé, la foi de cette personne est devenue délétère, elle agit comme
un poison qui chaque jour l’intoxique dans les différents domaines de sa vie.
1 Pour une description et une analyse de sa passionnante expérience pour tester l’obéissance à
l’autorité, voir S. Milgram, Soumission à l’autorité, Calmann-Lévy, 1974.
2 Culpabilité, paralysie du cœur. La guérison du paralysé, Labor et Fides, 2003.
3 Pour un développement sur cette question, voir les 10 clés de la vie spirituelle, Valérie Duval-Poujol,
Empreinte temps présent, 2003, chapitre 2.
8. Comment aider une victime ?
Le processus de restauration après de tels abus est difficile à accomplir seul.
La victime a souvent besoin de se faire aider pour retrouver sa sécurité.
L’aidant doit être un conseiller en relation d’aide expérimenté ou un
psychothérapeute qualifié et spécifiquement formé à l’accompagnement des
victimes d’abus. Cet aidant ne doit jamais mettre en doute ses paroles ni
minimiser ses symptômes. Pour être en mesure d’aider, il faut d’abord
comprendre comment fonctionnent les églises abusives. Il n’est pas
nécessaire d’avoir soi-même vécu une telle situation mais il importe de bien
en connaître les mécanismes et le profil des leaders manipulateurs.
Quatre pistes de réflexion aideront la personne à avancer :
– Que s’est-il passé, que m’est-il arrivé ?
– Quelles émotions m’habitent ?
– Qu’est-ce qui est le plus difficile pour moi ?
– Qu’ai-je fait pour survivre ?
Dans ce cheminement personnel elle pourra différencier d’une part le point
faible dont s’est servi le manipulateur, par exemple un besoin légitime
d’affection et de reconnaissance, une confiance aveugle, et de l’autre, ses
agissements toxiques et contrôlants. Déconnecter ces deux éléments est
souvent un moment de vérité et de soulagement pour la victime qui fait un
nouveau pas vers sa libération parce qu’elle ne se sent plus responsable
d’avoir trop fait confiance. Elle va reconnaître, redécouvrir et ressentir (les 3
R) les émotions justes (colère, tristesse) face aux manipulations du leader
religieux. La vérité va l’aider à sortir peu à peu de la « vallée de l’ombre de la
mort ».
La prise de conscience
Quel est le principe de base pour aider une victime ? L’orientation du travail
d’accompagnement (l’hypothèse clinique) est que l’abus spirituel constitue
une effraction de la pensée du Sujet. Il ne peut donc y avoir de réparation, de
restauration sans une prise de conscience de cette effraction par la personne
elle-même qui devra ensuite effectuer un travail cognitif (au niveau de ses
pensées et de ses croyances) pour comprendre cette effraction. En effet sortir
d’une église abusive est une chose : sortir cette église abusive d’elle en est
une autre !
Cette étape de la prise de conscience est vraiment difficile. Il lui est
douloureux de reconnaître qu’elle a été abusée, à cause de la honte, du mépris
et de la colère qu’elle ressent. Chaque fois qu’elle essaie de se réparer, elle a
l’impression de payer une nouvelle fois le fait que sa route a croisé celle d’un
dirigeant chrétien manipulateur. Elle est comme obligée de revivre ce qui
s’est passé, alors qu’elle voudrait l’oublier. Mais le temps ne compte pas pour
l’inconscient, c’est comme un « arrêt sur image ».
Cette personne en souffrance ne progressera que si l’accompagnant part de
là où elle en est : rien ne sert de vouloir soigner les conséquences négatives
des abus dans sa vie tant qu’elle n’a pas admis qu’elle s’est trouvée dans un
système religieux abusif. Admettre qu’elle a subi une emprise est le premier
pas sur son chemin de rétablissement. Elle a besoin de se rendre à l’évidence
que l’on a mal agi envers elle. Elle doit arriver à dire : « Aucune faiblesse ne
justifiait que l’on me domine ». Elle osera se poser ouvertement les questions
suivantes :
– Tout cela était-il « de ma faute » ?
– Aurais-je pu éviter ces manipulations ?
– Réussirai-je à me rétablir ?
– Pourquoi Dieu a-t-il laissé faire ? comment lui faire de nouveau
confiance ?
Lors de cette prise de conscience, veillons à ne pas proposer à tous ses
questionnements, des réponses qui soient du « prêt-à-penser » sous forme de
slogans, de raccourcis, faisant l’économie de la réflexion. Car elle s’est
habituée et s’attend à un comportement directif, autoritaire. Elle peut
d’ailleurs être tentée, en quittant un groupe contrôlant d’intégrer un milieu
qui le sera tout autant. Avec l’accompagnant, elle aura envie qu’il lui donne
des réponses prémâchées, et qu’il prenne des décisions à sa place. Il ne faut
pas céder à cette facilité mais lui permettre au contraire de s’autonomiser par
un travail cognitif qui la renouvellera dans sa manière de penser. Elle a subi
de fortes manipulations mentales, elle a besoin de se retrouver et de
reconstruire son psychisme. Attention à la violence du soin qui consisterait à
la pousser vers une guérison préfabriquée ou dans un modèle préconçu.
Comme le souligne Liliane Daligand, psychiatre, « toute idée de guérison est
volonté d’identification du patient à un modèle idéal, le “totalement guéri”,
conçu par l’imaginaire du conseiller ». Selon cet expert, l’abusé devient alors
objet de l’aidant, et n’est plus Sujet de sa parole.
Le travail de reconstruction
Après la prise de conscience, la personne va travailler à changer ses fausses
croyances1. Il convient de lui expliquer le système abusif, pourquoi et
comment elle s’est fait piéger et pourquoi elle y est restée (voir les schémas
précédents). Elle va peu à peu retrouver les émotions qu’elle aurait dû
ressentir au moment des manipulations mais qu’elle a dû refouler. La
principale émotion à accepter est la colère. Or jusqu’ici, elle l’a refoulée ou
niée, d’où le sentiment de honte qui a pris sa place puisque la colère et la
honte sont antinomiques2.
Les différentes étapes vers son mieux-être passent par :
• Décider de revivre, sortir des pulsions de mort et retrouver les pulsions de
vie.
• Traverser sa douleur émotionnelle. Cela devra se faire dans un cadre
thérapeutique professionnel qui lui assure toute sécurité.
• Régler la culpabilité. On n’est jamais ni coupable ni responsable d’avoir
subi des abus spirituels. Une victime est 100 % innocente, répétons-le.
• Écouter tous ses besoins, surtout celui de justice. La justice, dans sa
conception large, peut se définir comme étant tout ce qui permet la vie sous
toutes ses formes, ce qui la protège, l’encadre, la favorise, la développe.
Elle est donc au service de la vie dans ses dimensions spirituelles,
matérielles, psychologiques et sociales. Dieu, le Dieu de la vie, se présente
d’ailleurs aussi dans la Bible comme le Dieu de justice. L’injustice est ainsi
tout ce qui vient entraver la vie, la détruire, la mutiler, l’étouffer. La victime
a donc besoin d’entendre, dans son cheminement thérapeutique, des paroles
de justice qui lui permettent d’exprimer sa colère, qui n’imposent pas
d’accorder le pardon, et qui l’invitent à lâcher prise en temps utile.
• Ne plus fuir ses désirs et parvenir à les mettre en mots car ils la font Sujet.
Ils la font revenir du Nous (groupe toxique) au Je. Le Sujet, c’est le désir.
• Oser être elle-même et poser des limites claires et fermes. Cet
apprentissage peut se révéler très difficile si elle n’a pu le faire pendant son
enfance, puis lors de son adolescence ou si elle a subi des traumatismes (des
expériences émotionnelles immensément douloureuses). Nous conseillons
l’excellent ouvrage Oser s’affirmer. L’art de fixer des limites à autrui, écrit
par deux psychologues chrétiens3. L’aide d’un psychothérapeute
expérimenté s’avère souvent indispensable.
On aidera la victime à s’exprimer sur les points suivants :
• Voilà ce que j’ai éprouvé et dont je n’ai jamais pu parler, ce que j’ai voulu
oublier et que maintenant je veux partager.
• Voilà les dégâts qu’a produits l’abus spirituel dans mon couple, ma
famille, ma vie professionnelle, mes finances, ma vie sociale, ma relation
avec Dieu…
Au fil du processus d’accompagnement, il est également nécessaire qu’elle
parvienne à faire clairement siennes ces déclarations :
• Des mauvais bergers m’ont fait beaucoup de mal, même si c’est de mon
propre gré que je suis entrée dans cette église.
• Les dommages que j’ai subis sont en interaction : le spirituel rejoint
l’émotionnel, le somatique et le psychologique, le tout ayant un effet
dévastateur démultiplié.
• Ma souffrance, qui est réelle, ne doit toutefois pas me servir de prétexte
pour fuir la réalité de mon quotidien.
• Je ne veux pas recouvrir mon passé avec le voile de l’oubli, de la honte ou
du secret. Je vais faire face à ce qui s’est passé afin de me sentir mieux. Je
sais que pour sortir de la douleur, il faut courageusement accepter de la
traverser.
• Je sais aussi que Dieu ne me reproche pas ma naïveté. Je ne peux être
tenue pour responsable première du mal éventuel que j’ai pu faire (à mon
conjoint, mes enfants, mes parents…) lorsque j’étais sous cette emprise. En
revanche, je peux en reconnaître les effets sur mes proches et en assumer
les conséquences.
La personne doit avoir conscience qu’il est extrêmement rare qu’un leader
chrétien abusif se repente et reconnaisse ses torts. Tout au plus exprimera-t-il
de plates excuses et même versera-t-il d’hypocrites « larmes de crocodile ».
Admettre que son ministère masquait surtout une recherche de gloire
personnelle impliquerait qu’il se remette complètement en cause. Toutefois,
la victime doit parvenir à énoncer devant son thérapeute ce qu’elle
souhaiterait entendre de la bouche de ce dirigeant. Elle remet ainsi sa
souffrance à Dieu, le « juste juge4«. Une image illustre cette attitude : la
personne a un dossier nocif entre les mains et celui qui le lui a donné ne veut
pas en reconnaître la paternité. Elle ne veut, ni ne peut, le garder car cela
l’empoisonne. Elle va donc confier ce dossier à Dieu. Ce comportement
appelé lâcher prise n’est pas à confondre avec le pardon. Il a pour effet
immédiat de la rendre libre. Le mauvais berger qui se repaît lui-même et
néglige les brebis5 devra en rendre compte à Dieu, à qui le dossier a été
transmis.
La manière de quitter un système chrétien abusif
Il est évident que l’on ne peut en sortir qu’individuellement, puisqu’il n’est
pas possible de le faire évoluer. En effet, il existe trois attitudes face à un tel
système que nous résumerons par ces trois R : Révolte, Réforme, Révolution.
La révolte de la victime est juste face à ce qu’elle a subi. Elle doit être
consciente qu’il est normal qu’elle se sente indignée. Mais elle doit aussi
comprendre qu’une réforme du système est inenvisageable. Tant qu’elle croit
que cette communauté est capable de changer, elle ne pourra pas s’en libérer.
Même si elle s’en éloigne physiquement ou qu’elle la quitte, si elle croit
qu’une évolution du groupe est concevable elle restera prisonnière de ses
croyances. En fait, ce qu’il lui faut, c’est une révolution au sens copernicien6,
c’est-à-dire faire qu’elle fasse elle-même « sa » révolution. Cela veut dire
sortir mentalement du système abusif et pour y parvenir, il sera souvent
nécessaire qu’elle se fasse aider par un professionnel. Nous n’hésitons pas à
dire que certains milieux chrétiens utilisent les mêmes techniques de
manipulation mentale que les sectes, ce qui implique qu’il est très difficile de
se reconstruire psychologiquement.
Lorsque la personne fait sa révolution et quitte le milieu sectaire, c’est le
moment de lui rappeler à nouveau qu’elle n’est pas responsable de ceux qui y
restent. Elle n’a pas pour vocation de sauver les gens mais d’abord de se
protéger elle-même. En fait, elle a avantage à se considérer comme quelqu’un
en (longue) convalescence, en « rééducation mentale ». Elle ne doit pas
surestimer ses capacités, elle restera très fragile.
Concernant la réadaptation, le psychothérapeute chrétien Pascal Zivi,
spécialiste des mouvements sectaires, recommande de se relaxer chaque
jour ; bien dormir ; s’hydrater suffisamment et avoir une alimentation
équilibrée, faire du sport ; parler ouvertement à une personne de confiance ;
penser, décider et choisir par soi-même ; ne pas se presser pour rejoindre une
autre église.
Nous conseillons à une victime de quitter le plus discrètement possible la
communauté dysfonctionnelle. Cesser tout simplement d’y aller représente la
meilleure solution. Tout au plus peut-elle signaler par écrit (très brièvement)
sa décision et préciser qu’elle ne souhaite ni visite, ni mail, ni téléphone après
son départ. Il convient d’adopter un style objectif, neutre, poli, afin d’éviter
toute réaction négative en retour.
Si elle estime qu’il est indispensable qu’elle explique les raisons de son
départ aux responsables du groupe, il est prudent qu’elle n’y aille pas seule
mais qu’elle soit accompagnée par son thérapeute ou son conseiller7. Cette
rencontre doit avoir lieu à sa demande et à ses conditions seulement. Elle n’a
pas pour objet d’être un règlement de comptes accusateur mais un moment où
elle pourra dire sa souffrance, celle de ne pas avoir été entendue ni comprise,
et d’avoir subi l’autoritarisme religieux8. Qu’elle ne se fasse aucune illusion,
les dirigeants nieront lui avoir fait quoi que ce soit de mal. Leur autorité ne
vient-elle pas directement de Dieu ? Une personne ayant quitté une église
dirigée par une sorte de « Roi Soleil » a appris que lors du conseil paroissial
le commentaire sur son départ fut : « eh bien, Satan a encore gagné… ». En
réalité, ce qui compte c’est de dire la justice, de ne pas chercher à se faire
justice mais d’œuvrer pour la justice. Il ne s’agit en aucun cas de chercher
une réconciliation (impossible avec des manipulateurs) ni de demander
pardon de quoi que ce soit puisqu’elle est victime et non coupable. La
présence de son conseiller devrait normalement favoriser un climat d’écoute
et de clarification, et lui garantir une protection maximale. Cette entrevue
peut lui permettre de lâcher prise et de poursuivre sereinement sa route, libre.
La prise en charge psychologique après des abus spirituels
• Le choix d’un bon psychothérapeute est essentiel. Afin d’être sûr de ne
pas retomber dans un processus trouble de coercition psychologique, il est
préférable de s’assurer de certaines garanties concernant sa formation. Dans
le doute, il vaut mieux choisir un psychiatre ou un psychologue clinicien. Il
ne faut pas hésiter à rencontrer plusieurs thérapeutes et retenir ensuite celui
avec lequel on se sentira le plus en confiance. C’est à partir de son ressenti
intime que la personne jugera de la capacité de ce psy à l’aider. Nous lui
déconseillons une psychanalyse sur le divan ; elle risquerait de tomber sous
une autre forme d’emprise. D’autant que la psychanalyse est contre-
indiquée médicalement pour les dépressifs, car il y a risque de
décompensation et de suicide. L’analyse transactionnelle (AT), la thérapie
cognitive et comportementale (TCC), la programmation neurolinguistique
(PNL), la gestalt-thérapie, l’EMDR, sont en revanche reconnues comme des
thérapies efficaces.
• Nommer précisément la manipulation perverse du conducteur spirituel
ne conduit pas la personne abusée à ressasser, mais au contraire lui permet
de sortir du déni et de la culpabilité. Il lui faudra du temps et le soutien du
thérapeute pour parvenir progressivement à la nommer.
• Le comment plutôt que le pourquoi : lorsqu’on commence une
psychothérapie dans un contexte de manipulation morale, il ne faut pas
chercher d’abord à savoir pourquoi on s’est mis dans cette situation, mais
comment en sortir immédiatement.
Le professionnel devra éviter à tout prix de renforcer la culpabilité de la
victime en la rendant responsable de son état. « Dans la psychothérapie
traditionnelle, on encourage le patient à assumer une responsabilité plus
grande pour les problèmes de la vie, alors qu’ici il faut aider la victime à
assumer une responsabilité moindre pour le traumatisme. » (Spiegel)
Sortir de la culpabilité lui permet de se réapproprier sa souffrance : ce
n’est que plus tard, lorsque celle-ci sera atténuée, lorsqu’elle sera sur le
chemin de la guérison, qu’elle sera capable de revenir à son histoire
personnelle et d’essayer de comprendre pourquoi elle est entrée dans cette
relation destructrice, pourquoi elle n’a rien discerné et n’a pas su fuir. Elle
doit en effet être mieux ancrée dans son identité pour parvenir à répondre à
de telles questions.
• Attendre la libération de l’emprise : la personne a souffert à cause de
dirigeants abusifs. Il est donc dangereux de vouloir la sensibiliser trop
rapidement à sa dynamique psychique tant qu’elle est encore sous leur
domination morale. Cela ne se fera que lorsque le conseiller sera sûr qu’elle
est sortie de l’emprise et qu’elle est suffisamment solide pour reconnaître sa
part (même inconsciente) de responsabilité, sans tomber dans une
culpabilité pathologique. Ayant retrouvé sa confiance en elle, elle sera en
mesure de se remémorer la violence subie et ses réactions, de réexaminer la
situation, de voir quelle part elle a prise dans cette tyrannie spirituelle et en
quoi elle a fourni des armes à ces personnes contrôlantes. Elle n’aura plus
besoin d’échapper à ses souvenirs douloureux et aura la force de les
accepter dans une perspective toute nouvelle.
• Guérir, c’est pouvoir renouer entre elles les parties éparses de soi,
rétablir la circulation intrapsychique (à l’intérieur de son psychisme). La
personne sera invitée à reconnaître sa souffrance comme une partie d’elle-
même digne d’estime qui lui permettra de se bâtir un avenir. Vous
l’encouragerez à trouver la force de regarder en face ses blessures. Elle
pourra alors cesser de gémir ou de se cacher sa fragilité. Le traumatisme
vécu implique une restructuration de sa personnalité et une relation
différente au monde qui l’environne. Ce cauchemar laisse une trace qui ne
s’effacera pas, mais sur laquelle il lui est possible de se reconstruire. Cette
expérience douloureuse de vie est souvent l’occasion d’une remobilisation
personnelle. Elle en ressortira plus forte, moins naïve. La guérison lui
permettra sans doute d’intégrer cet événement traumatique comme un
épisode structurant de la vie car permettant de retrouver un savoir
émotionnel qu’elle avait refoulé.
1 Ce thème très important est traité par Jacques Poujol dans son livre L’accompagnement
psychologique et spirituel. Manuel de relation d’aide, Empreinte temps présent, 2007, chapitre 12.
2 Culpabilité, paralysie du cœur. La guérison du paralysé, Labor et Fides, 2003.
3 Henry Cloud & John Townsend, Empreinte temps présent, 2001.
4 Timothée 4,8.
5 Ézéchiel 34,10.
6 La théorie de Copernic selon laquelle ce n’est pas la terre qui occupe le centre de l’univers, mais le
soleil, fut à l’origine de la révolution scientifique du XVIIe siècle. Faire sa « révolution copernicienne »
signifie donc, par extension, que nos théories personnelles sont bouleversées.
7 Ressources utiles : site de relation d’aide chrétienne professionnelle www.relation-aide.com ;
UNADFI (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu) 130 rue de
Clignancourt 75018 Paris, Tél : 01.44.92.30.14, www.unadfi.org.
8 Ézéchiel 34,4 ; Matthieu 23,4.
Conclusion
Paraphrasant Martin Luther King, demandons-nous si le silence et
l’indifférence de nombreuses églises de toutes confessions face aux abus
spirituels ne sont pas plus choquants que les comportements des dirigeants
abusifs… Au-delà de la question des abus dans les communautés chrétiennes,
au-delà des souffrances personnelles subies par les victimes, ce sont des
questions plus générales qui se posent à l’Église :
• Comment établir des relations qui tout à la fois respectent l’individu et
maintiennent la communion fraternelle ?
• Comment être un et pluriel ?
• Comment poursuivre un but commun tout en restant soi-même ?
• Comment être vigilant sans être méfiant ?
• Comment avoir une lecture de la Bible qui soit équilibrée et adaptée à
chaque étape de la vie spirituelle1 ?
• Comment nous enrichir, non pas malgré nos différences mais grâce à
elles ?
1 Cf. Les étapes du développement psychologique et spirituel, Cosette Fébrissy & Jacques Poujol,
Empreinte temps présent, 2014. Un tableau récapitulatif des six étapes de la foi chrétienne est reproduit
annexe 3.
Annexes
1. Votre groupe chrétien est-il abusif1 ?
Votre groupe fait-il partie d’un système abusif et manipulateur ? Votre foi
est-elle intoxiquée ?
Si vous répondez par oui à plusieurs des questions suivantes, nous vous
conseillons de prendre contact avec l’UNADFI (voir adresses utiles).
• Votre groupe2 demande-t-il à tous ses membres l’obéissance
inconditionnelle ?
• Votre groupe se méfie-t-il de toute critique ou idée différente de
l’enseignement qu’il dispense ?
• Votre groupe humilie-t-il ou critique-t-il en public ses membres ?
• Leur demande-t-il de confesser leurs imperfections devant tout le monde ?
• Votre groupe enseigne-t-il que ses membres sont l’élite de Dieu ?
• Enseigne-t-il qu’il vous arrivera une catastrophe si vous le quittez ?
• Votre groupe enseigne-t-il que lui seul connaît la vérité et l’exacte
interprétation de la Bible ?
• Considère-t-il le reste de la chrétienté et de la société comme ses
ennemis ?
• Votre groupe vous pousse-t-il à quitter votre famille ou à divorcer de votre
conjoint dans le cas où ceux-ci ne veulent pas adhérer à leur tour ?
• Ressentez-vous une grande culpabilité si vous ne participez pas à chaque
culte, étude de la Bible ou autres réunions qui sont organisées par votre
groupe ?
• Croyez-vous inconditionnellement à tout ce que votre groupe dit et
enseigne ?
• Ressentez-vous une grande culpabilité si vous ne pensez pas comme votre
dirigeant ou si vous ne lui obéissez pas inconditionnellement ?
• Avez-vous peur de quitter votre groupe ?
• Pensez-vous que pour prendre une décision, il vous faut la permission de
votre dirigeant ecclésial ?
• Si vous n’arrivez pas à faire ce que vous demande votre dirigeant, pensez-
vous que Dieu est en colère contre vous ? Qu’il va vous punir ? Croyez-
vous que si vous travaillez beaucoup pour votre groupe, Dieu vous
pardonnera ?
• Si vous avez un problème avec votre dirigeant ou avec votre groupe :
– Pensez-vous que Dieu va vous punir ?
– Pensez-vous que c’est toujours de votre faute ?
– Pensez-vous avoir commis un péché ?
• Votre dirigeant vous a-t-il poussé à avoir des relations sexuelles avec lui ?
• Une personne en situation de responsabilité s’est-elle montrée
inconvenante avec vous sur le plan sexuel (paroles, attitudes, actes) ?
• Votre famille ou vos amis vous ont-ils déjà dit que vous utilisiez trop les
versets de la Bible dans vos conversations et qu’il n’est plus possible de
parler normalement avec vous ?
• Votre famille, votre conjoint se plaignent-ils que vous consacriez
beaucoup plus de temps à votre groupe qu’à eux-mêmes ?
• Quelqu’un vous a-t-il déjà dit que votre dirigeant et votre groupe vous
contrôlent et vous manipulent ?
2. Glossaire
Affect : état qui concerne le plaisir ou le déplaisir lié à des sensations, des
émotions, des passions, des sentiments, des pensées.
Ambivalence : caractère de ce qui se présente sous deux aspects, parfois de
sens contraires.
Blessure narcissique : atteinte à l’intégrité du moi, une « blessure d’amour
propre », l’altération du sentiment d’amour et d’estime pour soi-même.
Cognitif (ve) : lié aux processus mentaux tels la perception, la
mémorisation, le raisonnement, la résolution de problèmes.
Contre-transfert : attitudes d’un thérapeute en réponse au transfert du client
sur lui.
Égocentrisme : tendance à être centré sur soi-même et à ne considérer le
monde extérieur qu’en fonction de l’intérêt que l’on se porte.
Libido : au sens large, énergie qui sous-tend les instincts de vie.
Manipuler : amener habilement quelqu’un à faire ce qu’on veut.
Névrose : situation de conflits internes permanents. Ce peut être une
névrose d’angoisse, phobique, obsessionnelle ou hystérique.
Noyau narcissique primaire : sentiment d’identité archaïque construit dans
les premiers rapports à la mère et dans les débuts de l’existence, et fourni par
le contact peau à peau avec la mère. Organisation structurale première de la
personnalité.
Secte : groupe visant par des manœuvres de déstabilisation psychologique à
obtenir de leurs adeptes une allégeance inconditionnelle, une diminution de
l’esprit critique, une rupture avec les références communément admises
(éthiques, scientifiques, civiques, éducatives) et entraînant des dangers pour
les libertés individuelles, la santé, l’éducation, et les institutions
démocratiques (commission parlementaire française d’enquête sur les sectes).
Sujet : celui qui dit « je », qui agit selon ses pensées, ses valeurs propres,
qui n’est pas soumis à influence, est Sujet. Il fait ses choix dans le respect
entre « être » et « faire ». Devenir Sujet est une marche en nous-même, basé
sur le désir.
Transfert : fait de revivre une situation affective de son enfance dans la
relation avec un thérapeute.
3. Schéma récapitulatif des différentes étapes de la foi
Nom de l’étape Caractéristiques de cette étape Déviances possibles
Un lien fort d’affect et de sécurité permettant Narcissisme excessif,
d’établir un noyau narcissique vision réductrice
1. La foi
Détachement et isolement
indifférenciée Spiritualité fortement
ritualisée
Une foi opérationnelle faite d’imitation, et de Foi faite de préjugés, de
questions qui nourrissent la réflexion et les slogans
1. La foi qui
engagements Vision sectaire et
s’approprie parcellaire
Dichotomie dans les
relations
L’intériorisation des croyances et Mise en place d’un clivage
l’engagement dans la communauté en accord religieux/non religieux (les
1. La foi
avec celles-ci deux rivières)
concrète Pharisianisme,
Tartuferie,
Déprime
L’interrogation positive des acquis. Mysticisme narcissique
Un discours plus personnel qui passe par une Spiritualisation extrême des
1. La foi qui
déconstruction, un travail de deuil problèmes
conteste Retrait et Nihilisme
Colère
Acquisition de la pensée paradoxale, de la Relativisme
réflexion à partir de questionnements Dialectique hégélienne
1. La foi
positifs
personnelle

Dépassement de son propre cadre personnel Universalisme, syncrétisme


pour adhérer et vivre des valeurs communes
1. La foi
à toute l’humanité
universalisante

4. Bibliographie
En Français
Le pouvoir subtil de l’abus spirituel. Comment reconnaître la
manipulation et la fausse autorité spirituelle dans l’Église et comment y
échapper, David Johnson et Jeff Van Vonderen
Les étapes du développement psychologique et spirituel, Jacques Poujol &
Cosette Febrissy, Empreinte temps présent, 2013
L’estime de soi retrouvée. Vivre sans honte, Jeff Van Vonderen,
Empreinte temps présent, 2000
De l’enfer à l’endroit. J’ai passé 10 ans dans une secte, Myriam Declair,
Ourania, 2008
Les naufragés de l’Esprit, Thierry Baffoy, Antoine Delestre, Jean-Paul
Sauzet, Seuil, 1996
Les thérapies cognitives. Comment agir sur nos pensées, Jacques
Cottraux, Retz, 2006
La mécanique des sectes, Jean-Marie Abgrall, Payot, 2002
Les sectes mangeuses d’hommes. Comprendre le phénomène sectaire
totalitaire, Max Bouderlique, L’atelier de l’archer, 1999
Sectes, mensonges et idéaux, Nathalie Luca & Frédéric Lenoir, Bayard,
1998
Oser s’affirmer. L’art de fixer des limites à autrui, Henry Cloud & John
Townsend, Empreinte temps présent, 2001
Chrysalide, les métamorphoses de la foi, Alan Jamieson, Empreinte temps
présent, 2014
Les crises d’angoisse. Les comprendre pour mieux les maîtriser, Roger
Baker, Empreinte temps présent, 2001
L’église autrement. Les voies du changement, Michaël Moynag,
Empreinte temps présent, 2003
Guérison des blessures émotionnelles, se rétablir d’un passé qui nous fait
souffrir, David Seamands, Farel, 1996
Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, Marie-France
Hirigoyen, Pocket, 2000
Abus de faiblesse et autres manipulateurs, Marie-France Hirigoyen, J-C
Lattès, 2012
La colère et le pardon, un chemin de libération, Jacques Poujol,
Empreinte temps présent, 2008
Les manipulateurs sont parmi nous. Qui sont-ils ? Comment s’en
protéger ?, Isabelle Nazaez-Aga, Éd. L’homme, 2004
Églises et abus spirituels, Dossier Vivre n°27 collectif dont Jacques
Poujol & Valérie Duval-Poujol, Je sème, 2007
Églises, sectes et nouveaux mouvements religieux, Charles Delhez &
Adelbert Denaux, fidélité, 1999
La dépression. Comprendre et aider, Jacques Poujol, Empreinte temps
présent, 2008
L’accompagnement psychologique et spirituel. Guide de relation d’aide,
Jacques Poujol, Empreinte temps présent, 2007
L’équilibre psychologique du chrétien, Jacques Poujol, Empreinte temps
présent, 1986
Guérir avec l’EMDR : traitement, théorie, témoignages, Jacques Roques,
Seuil, 2007
L’histoire des trois rois, Gene Edwards, Vida
Les sectes. Guide pour aider les victimes, Yves Casgrain, l’Essentiel,
1996
10 clés pour la vie chrétienne, Jacques Poujol & Valérie Duval-Poujol,
Empreinte temps présent, 2011
Manipulation : ne vous laissez plus faire !, Jacques Regard, Eyrolles,
2005
10 clés pour comprendre la Bible, Valérie Duval-Poujol, Empreinte temps
présent, 2011
Les adultes tyrans, Didier Pleux, Odile Jacob, 2014
Ces fausses croyances qui nous piègent. Les identifier, les dépasser,
Henry Cloud, John Townsend, Empreinte temps présent 2004
Les abus sexuels. Comprendre et accompagner les victimes, Jacques
Poujol, Empreinte temps présent, 2011
En anglais
Churches that abuse, Ronald M. Enroth, Zondervan, 1992
Recovering from Churches that abuse, Ronald M. Enroth, Zondervan,
1994
When a church Becomes a cult, Stephen Wookey, Holder & Stoughton,
1996
Damaged disciples. Casualties of Authoritarian Churches and
Shepherding Movement, Ron & Vicki Burks, Zondervan, 1992
Twisted Scriptures. A path to freedom from abuse churches, Mary Alice
Chrnalogar, Zondervan, 2000
Toxic faith, Stephen Arterburn & Jak Felton, Shaw, 2001
Releasing the Bonds : Empowering People to think for themselves, Steven
Hassan, Aitan P. C, 2000
The discipling Dilemma : a Study of the discipling Movement Among
Churches of Christ, Flavil R. Yeakley Jr éd., Gospel Advocate Nashville,
1998
1 Nous remercions Pascal Zivi, psychothérapeute spécialisé dans l’aide aux victimes de sectes de nous
autoriser à reproduire ce questionnaire.
2 Le terme « groupe » est employé dans ce questionnaire de façon très générique. Il peut désigner la
réalité ecclésiale à laquelle vous appartenez (église locale, paroisse, communauté, groupe de prière,
église de maison…) ou un groupe chrétien que vous fréquentez (chorale, groupe de jeunes, camp,
colonie, séminaire de formation…).

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