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Table des Matières

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Table des Matières
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PRÉSENTATION

Chapitre 1
© Numilog 2000
pour la présente édition
http://www.numilog.com/
978-9-999-99780-5
GUY DE MAUPASSANT
PRÉSENTATION
Né en 1850 à Fécamp, Guy de Maupassant révèle très tôt
un caractère rebelle. Il est élevé par sa mère, qui le laisse
vagabonder à sa guise dans la campagne normande en
compagnie de son frère Hervé, ou sur la plage d’Étretat
pendant les vacances scolaires. Il termine ses études au
lycée de Rouen avant d’être mobilisé en 1870 ; de la guerre,
il retiendra la débâcle de l’armée française. À Paris, après
de brèves études de droit, il devient fonctionnaire. Pour
échapper à la monotonie du quotidien, il va souvent rendre
visite à Flaubert, un ami d’enfance de sa mère, qui l’assiste
et l’encourage dans ses premières tentatives littéraires.
Grâce à ce père spirituel, il fait la connaissance de Zola,
Huysmans, Daudet, Goncourt, et participe en 1880 au
recueil des Soirées de Médan, sorte de manifeste du
naturalisme, avec Boule de suif, qui lui vaut la
reconnaissance du public. Il décide alors de se consacrer
exclusivement à l’écriture. Consciencieux comme son
maître, il se distingue cependant par des facilités qui en font
l’un des auteurs les plus féconds de la fin de siècle : en dix
ans, il écrit plus de 15 recueils de nouvelles – dont La
Maison Tellier et Mademoiselle Fifi – et 6 romans (Une vie,
Bel-Ami, Mont-Oriol, Pierre et Jean, Fort comme la mort,
Notre cœur). Le succès aidant, Maupassant mène une vie
plus que confortable entre sa villa normande, ses voyages en
bateau, ses maîtresses ; il fréquente la haute société
parisienne, qui lui inspire des réflexions teintées de
pessimisme. Il stigmatise la bêtise et analyse dans ses
œuvres la société de son temps avec une acuité que la
maladie ne parviendra jamais à faire disparaître. L’ironie
veut en effet que Maupassant, l’ami du théoricien de
l’hérédité, souffre d’une maladie nerveuse héritée de sa
mère, et sombre peu à peu dans la folie. Le fantastique, qu’il
érige en véritable principe d’écriture, prend une part de plus
en plus importante dans son œuvre, et traduit les angoisses
dont il est lui-même victime. Les hallucinations du Horla
(1887) en sont peut-être la plus brillante interprétation,
Maupassant gardant, malgré les drogues et les insomnies, la
parfaite maîtrise de son art. La maladie finit néanmoins par
l’emporter, et il tente de se suicider. Interné à la clinique du
docteur Blanche – où Nerval fit plusieurs séjours –, il meurt
paralysé en 1893.
La Parure (1884)
« Il n’y a rien de plus humiliant que d’avoir l’air pauvre
au milieu de femmes riches. » C’est bien là tout le drame de
Mathilde Loisel. Issue d’une famille d’employés, mariée à
un modeste fonctionnaire, Mathilde n’a que faire de sa
beauté puisqu’elle n’a pas les moyens d’échapper à sa
condition sociale. Elle se sait pourtant faite pour le luxe et la
vie facile – comme toutes les femmes, nous dit Maupassant
–, mais le destin en a décidé autrement. Sa frustration
s’exprime par un froid mépris pour la médiocrité dans
laquelle se complaît son mari. La perspective d’une soirée
donnée à l’hôtel du ministère et la nécessité de trouver une
toilette digne de ce grand événement devient pour Mathilde
une véritable obsession. Dans une société où l’habit fait le
moine, elle le sait bien, il lui faut quelque chose de beau. Il
en va de son honneur. Son mari sacrifie alors ses économies
pour lui acheter une robe, mais elle empruntera la parure,
accessoire indispensable pour briller dans le monde.
Coquetterie féminine, rêves de grandeur ou désir de
revanche… Mathilde paiera très cher sa prétention
d’accéder à l’inaccessible : une rivière de diamants sera la
cause de tous ses maux. Les femmes sont souvent, chez
Maupassant, des Emma Bovary en puissance, insatisfaites
de leur sort et déçues par la vie. Dans cette nouvelle publiée
dans les Contes du jour et de la nuit, le drame naît d’une
futilité, et c’est bien l’ironie du sort qui est tout entière
résumée dans le dénouement, cruel, de cette fable moderne.
C’était une de ces jolies et charmantes filles, nées,
comme par une erreur du destin, dans une famille
d’employés. Elle n’avait pas de dot, pas d’espérances, aucun
moyen d’être connue, comprise, aimée, épousée par un
homme riche et distingué ; et elle se laissa marier avec un
petit commis du ministère de l’Instruction publique.
Elle fut simple, ne pouvant être parée, mais malheureuse
comme une déclassée ; car les femmes n’ont point de caste
ni de race, leur beauté, leur grâce et leur charme leur servant
de naissance et de famille. Leur finesse native, leur instinct
d’élégance, leur souplesse d’esprit sont leur seule
hiérarchie, et font des filles du peuple les égales des plus
grandes dames.
Elle souffrait sans cesse, se sentant née pour toutes les
délicatesses et tous les luxes. Elie souffrait de la pauvreté de
son logement, de la misère des murs, de l’usure des sièges,
de la laideur des étoffes. Toutes ces choses, dont une autre
femme de sa caste ne se serait même pas aperçue, la
torturaient et l’indignaient. La vue de la petite Bretonne qui
faisait son humble ménage éveillait en elle des regrets
désolés et des rêves éperdus. Elle songeait aux antichambres
muettes, capitonnées avec des tentures orientales, éclairées
par de hautes torchères de bronze, et aux deux grands valets
en culotte courte qui dorment dans les larges fauteuils,
assoupis par la chaleur lourde du calorifère. Elle songeait
aux grands salons vêtus de soie ancienne, aux meubles fins
portant des bibelots inestimables, et aux petits salons
coquets, parfumés, faits pour la causerie de cinq heures avec
les amis les plus intimes, les hommes connus et recherchés
dont toutes les femmes envient et désirent l’attention.
Quand elle s’asseyait, pour dîner, devant la table ronde
couverte d’une nappe de trois jours, en face de son mari qui
découvrait la soupière en déclarant d’un air enchanté : « Ah
! le bon pot-au-feu ! je ne sais rien de meilleur que cela… »
elle songeait aux dîners fins, aux argenteries reluisantes, aux
tapisseries peuplant les murailles de personnages anciens et
d’oiseaux étranges au milieu d’une forêt de féerie ; elle
songeait aux plats exquis servis en des vaisselles
merveilleuses, aux galanteries chuchotées et écoutées avec
un sourire de sphinx, tout en mangeant la chair rose d’une
truite ou des ailes de gélinotte.
Elle n’avait pas de toilettes, pas de bijoux, rien. Et elle
n’aimait que cela ; elle se sentait faite pour cela. Elle eût
tant désiré plaire, être enviée, être séduisante et recherchée.
Elle avait une amie riche, une camarade de couvent
qu’elle ne voulait plus aller voir tant elle souffrait en
revenant. Et elle pleurait pendant des jours entiers, de
chagrin, de regret, de désespoir et de détresse.

Or un soir son mari rentra, l’air glorieux et tenant à la


main une large enveloppe.
– Tiens, dit-il, voici quelque chose pour toi.
Elle déchira vivement le papier et en tira une carte
imprimée qui portait ces mots :
« Le ministre de l’Instruction publique et Mme Georges
Ramponneau prient M. et Mme Loisel de leur faire l’honneur
de venir passer la soirée à l’hôtel du ministère, le lundi 18
janvier »
Au lieu d’être ravie, comme l’espérait son mari, elle jeta
avec dépit l’invitation sur la table, murmurant :
– Que veux-tu que je fasse de cela ?
– Mais, ma chérie, je pensais que tu serais contente. Tu ne
sors jamais, et c’est une occasion, cela, une belle ! J’ai eu
une peine infinie à l’obtenir Tout le monde en veut ; c’est
très recherché et on n’en donne pas beaucoup aux employés.
Tu verras là tout le monde officiel.
Elle le regardait d’un œil irrité, et elle déclara avec
impatience :
– Que veux-tu que je me mette sur le dos pour aller là?
Il n’y avait pas songé ; il balbutia :
– Mais la robe avec laquelle tu vas au théâtre. Elle me
semble très bien, à moi…
Il se tut, stupéfait, éperdu, en voyant que sa femme
pleurait. Deux grosses larmes descendaient lentement des
coins des yeux vers les coins de la bouche ; il bégaya :
– Qu’as-tu ? qu’as-tu ?
Mais, par un effort violent, elle avait dompté sa peine et
elle répondit d’une voix calme en essuyant ses joues
humides :
– Rien. Seulement je n’ai pas de toilette et par conséquent
je ne peux aller à cette fête. Donne ta carte à quelque
collègue dont la femme sera mieux nippée que moi.
Il était désolé. Il reprit :
– Voyons, Mathilde. Combien cela coûterait-il une toilette
convenable, qui pourrait te servir encore en d’autres
occasions, quelque chose de très simple ?
Elle réfléchit quelques secondes, établissant ses comptes
et songeant aussi à la somme qu’elle pouvait demander sans
s’attirer un refus immédiat et une exclamation effarée du
commis économe.
Enfin, elle répondit en hésitant :
– Je ne sais pas au juste, mais il me semble qu’avec
quatre cents francs je pourrais arriver.
Il avait un peu pâli, car il réservait juste cette somme pour
acheter un fusil et s’offrir des parties de chasse, l’été
suivant, dans la plaine de Nanterre, avec quelques amis qui
allaient tirer des alouettes, par là, le dimanche.
Il dit cependant :
– Soit. Je te donne quatre cents francs. Mais tâche d’avoir
une belle robe.
Le jour de la fête approchait, et Mme Loisel semblait triste,
inquiète, anxieuse. Sa toilette était prête cependant. Son
mari lui dit un soir :
– Qu’as-tu ? voyons, tu es toute drôle depuis trois jours.
Et elle répondit :
– Cela m’ennuie de n’avoir pas un bijou, pas une pierre,
rien à mettre sur moi. J’aurai l’air misère comme tout.
J’aimerais presque mieux ne pas aller à cette soirée. »
Il reprit :
– Tu mettras des fleurs naturelles. C’est très chic en cette
saison-ci. Pour dix francs tu auras deux ou trois roses
magnifiques.
Elle n’était point convaincue.
– Non… il n’y a rien de plus humiliant que d’avoir l’air
pauvre au milieu de femmes riches.
Mais son mari s’écria :
– Que tu es bête ! va trouver ton amie Mme Forestier et
demande-lui de te prêter des bijoux. Tu es bien assez liée
avec elle pour faire cela.
Elle poussa un cri de joie.
– C’est vrai. Je n’y avais point pensé.
Le lendemain, elle se rendit chez son amie et lui conta sa
détresse.
Mme Forestier alla vers son armoire à glace, prit un large
coffret, l’apporta, l’ouvrit, et dit à Mme Loisel :
– Choisis, ma chère.
Elle vit d’abord des bracelets, puis un collier de perles,
puis une croix vénitienne, or et pierreries, d’un admirable
travail. Elle essayait les parures devant la glace, hésitait, ne
pouvait se décider à les quitter à les rendre. Elle demandait
toujours :
– Tu n’as plus rien d’autre ?
– Mais si. Cherche. Je ne sais pas ce qui peut te plaire.
Tout à coup elle découvrit, dans une boîte de satin noir,
une superbe rivière de diamants ; et son cœur se mit à battre
d’un désir immodéré. Ses mains tremblaient en la prenant.
Elle l’attacha autour de sa gorge, sur sa robe montante, et
demeura en extase devant elle-même.
Puis, elle demanda, hésitante, pleine d’angoisse :
– Peux-tu me prêter cela, rien que cela ?
– Mais oui, certainement.
Elle sauta au cou de son amie, l’embrassa avec
emportement, puis s’enfuit avec son trésor.

Le jour de la fête arriva. Mme Loisel eut un succès. Elle


était plus jolie que toutes, élégante, gracieuse, souriante et
folle de joie. Tous les hommes la regardaient, demandaient
son nom, cherchaient à être présentés. Tous les attachés du
cabinet voulaient valser avec elle. Le ministre la remarqua.
Elle dansait avec ivresse, avec emportement, grisée par le
plaisir ne pensant plus à rien, dans le triomphe de sa beauté,
dans la gloire de son succès, dans une sorte de nuage de
bonheur fait de tous ces hommages, de toutes ces
admirations, de tous ces désirs éveillés, de cette victoire si
complète et si douce au cœur des femmes.
Elle partit vers quatre heures du matin. Son mari, depuis
minuit, dormait dans un petit salon désert avec trois autres
messieurs dont les femmes s’amusaient beaucoup.
Il lui jeta sur les épaules les vêtements qu’il avait
apportés pour la sortie, modestes vêtements de la vie
ordinaire, dont la pauvreté jurait avec l’élégance de la
toilette de bal. Elle le sentit et voulut s’enfuir pour ne pas
être remarquée par les autres femmes qui s’enveloppaient de
riches fourrures.
Loisel la retenait :
– Attends donc. Tu vas attraper froid dehors. Je vais
appeler un fiacre.
Mais elle ne l’écoutait point et descendait rapidement
l’escalier Lorsqu’ils furent dans la rue, ils ne trouvèrent pas
de voiture ; et ils se mirent à chercher criant après les
cochers qu’ils voyaient passer de loin.
Ils descendaient vers la Seine, désespérés, grelottants.
Enfin ils trouvèrent sur le quai un de ces vieux coupés
noctambules qu’on ne voit dans Paris que la nuit venue,
comme s’ils eussent été honteux de leur misère pendant le
jour.
Il les ramena jusqu’à leur porte, rue des Martyrs, et ils
remontèrent tristement chez eux. C’était fini, pour elle. Et il
songeait, lui, qu’il lui faudrait être au ministère à dix heures.
Elle ôta les vêtements dont elle s’était enveloppé les
épaules, devant la glace, afin de se voir encore une fois dans
sa gloire. Mais soudain elle poussa un cri. Elle n’avait plus
sa rivière autour du cou !
Son mari, à moitié dévêtu déjà, demanda :
– Qu’est-ce que tu as ?
Elle se tourna vers lui, affolée :
– J’ai… j’ai… je n’ai plus la rivière de Mme Forestier »
Il se dressa, éperdu :
– Quoi !… comment !… Ce n’est pas possible !
Et ils cherchèrent dans les plis de la robe, dans les plis du
manteau, dans les poches, partout. Ils ne la trouvèrent point.
Il demandait :
– Tu es sûre que tu l’avais encore en quittant le bal ?
– Oui, je l’ai touchée dans le vestibule du ministère.
– Mais, si tu l’avais perdue dans la rue, nous l’aurions
entendue tomber. Elle doit être dans le fiacre.
– Oui. C’est probable. As-tu pris le numéro ?
– Non. Et toi, tu ne l’as pas regardé ?
– Non.
Ils se contemplaient atterrés. Enfin Loisel se rhabilla.
– Je vais, dit-il, refaire tout le trajet que nous avons fait à
pied, pour voir si je ne la retrouverai pas.
Et il sortit. Elle demeura en toilette de soirée, sans force
pour se coucher abattue sur une chaise, sans feu, sans
pensée.
Son mari rentra vers sept heures. Il n’avait rien trouvé.
Il se rendit à la préfecture de Police, aux journaux, pour
faire promettre une récompense, aux compagnies de petites
voitures, partout enfin où un soupçon d’espoir le poussait.
Elle attendit tout le jour dans le même état d’effarement
devant cet affreux désastre.
Loisel revint le soir avec la figure creusée, pâlie ; il
n’avait rien découvert.
– Il faut, dit-il, écrire à ton amie que tu as brisé la
fermeture de sa rivière et que tu la fais réparer. Cela nous
donnera le temps de nous retourner.
Elle écrivit sous sa dictée.
Au bout d’une semaine, ils avaient perdu toute espérance.
Et Loisel, vieilli de cinq ans, déclara :
– Il faut aviser à remplacer ce bijou.
Ils prirent, le lendemain, la boîte qui l’avait renfermé, et
se rendirent chez le joaillier dont le nom se trouvait dedans.
Il consulta ses livres.
– Ce n’est pas moi, madame, qui ai vendu cette rivière ;
j’ai dû seulement fournir l’écrin.
Alors ils allèrent de bijoutier en bijoutier cherchant une
parure pareille à l’autre, consultant leurs souvenirs, malades
tous deux de chagrin et d’angoisse.
Ils trouvèrent, dans une boutique du Palais-Royal, un
chapelet de diamants qui leur parut entièrement semblable à
celui qu’ils cherchaient. Il valait quarante mille francs. On
le leur laisserait à trente-six mille.
Ils prièrent donc le joaillier de ne pas le vendre avant trois
jours. Et ils firent condition qu’on le reprendrait pour trente-
quatre mille francs, si le premier était retrouvé avant la fin
de février.
Loisel possédait dix-huit mille francs que lui avait laissés
son père. Il emprunterait le reste.
Il emprunta, demandant mille francs à l’un, cinq cents à
l’autre, cinq louis par-ci, trois louis par-là. Il fit des billets,
prit des engagements ruineux, eut affaire aux usuriers, à
toutes les races de prêteurs. Il compromit toute la fin de son
existence, risqua sa signature sans savoir même s’il pourrait
y faire honneur, et, épouvanté par les angoisses de l’avenir,
par la noire misère qui allait s’abattre sur lui, par la
perspective de toutes les privations physiques et de toutes
les tortures morales, il alla chercher la rivière nouvelle, en
déposant sur le comptoir du marchand trente-six mille
francs.
Quand Mme Loisel reporta la parure à Mme Forestier celle-
ci lui dit, d’un air froissé :
– Tu aurais dû me la rendre plus tôt, car je pouvais en
avoir besoin.
Elle n’ouvrit pas l’écrin, ce que redoutait son amie. Si
elle s’était aperçue de la substitution, qu’aurait-elle pensé ?
qu’aurait-elle dit ? Ne l’aurait-elle pas prise pour une
voleuse ?
Mme Loisel connut la vie horrible des nécessiteux. Elle prit
son parti, d’ailleurs, tout d’un coup, héroïquement. Il fallait
payer cette dette effroyable. Elle payerait. On renvoya la
bonne ; on changea de logement ; on loua sous les toits une
mansarde.
Elle connut les gros travaux du ménage, les odieuses
besognes de la cuisine. Elle lava la vaisselle, usant ses
ongles roses sur les poteries grasses et le fond des
casseroles. Elle savonna le linge sale, les chemises et les
torchons, qu’elle faisait sécher sur une corde ; elle descendit
à la rue, chaque matin, les ordures, et monta l’eau, s’arrêtant
à chaque étage pour souffler. Et, vêtue comme une femme
du peuple, elle alla chez le fruitier chez l’épicier chez le
boucher, le panier au bras, marchandant, injuriée, défendant
sou à sou son misérable argent.
Il fallait chaque mois payer des billets, en renouveler
d’autres, obtenir du temps.
Le mari travaillait, le soin à mettre au net les comptes
d’un commerçant, et la nuit, souvent, il faisait de la copie à
cinq sous la page.
Et cette vie dura dix ans.
Au bout de dix ans, ils avaient tout restitué, tout, avec le
taux de l’usure, et l’accumulation des intérêts superposés.
Mme Loisel semblait vieille, maintenant. Elle était devenue
la femme forte, et dure, et rude, des ménages pauvres. Mal
peignée, avec les jupes de travers et les mains rouges, elle
parlait haut, lavait à grande eau les planchers. Mais parfois,
lorsque son mari était au bureau, elle s’asseyait auprès de la
fenêtre, et elle songeait à cette soirée d’autrefois, à ce bal,
où elle avait été si belle et si fêtée.
Que serait-il arrivé si elle n’avait point perdu cette parure
? Qui sait ? qui sait ? Comme la vie est singulière,
changeante ! Comme il faut peu de chose pour vous perdre
ou vous sauver !

Or, un dimanche, comme elle était allée faire un tour aux


Champs-Élysées pour se délasser des besognes de la
semaine, elle aperçut tout à coup une femme qui promenait
un enfant. C’était Mme Forestier toujours jeune, toujours
belle, toujours séduisante.
Mme Loisel se sentit émue. Allait-elle lui parler ? Oui,
certes. Et maintenant qu’elle avait payé, elle lui dirait tout.
Pourquoi pas ?
Elle s’approcha.
– Bonjour Jeanne.
L’autre ne la reconnaissait point, s’étonnant d’être
appelée ainsi familièrement par cette bourgeoise. Elle
balbutia :
– Mais… madame !… Je ne sais… vous devez vous
tromper
– Non. Je suis Mathilde Loisel.
Son amie poussa un cri :
– Oh !… ma pauvre Mathilde, comme tu es changée !…
– Oui, j’ai eu des jours bien durs, depuis que je ne t’ai
vue ; et bien des misères… et cela à cause de toi !…
– De moi… Comment ça ?
– Tu te rappelles bien cette rivière de diamants que tu
m’as prêtée pour aller à la fête du ministère.
– Oui. Eh bien ?
– Eh bien, je l’ai perdue.
– Comment ! puisque tu me l’as rapportée.
– Je t’en ai rapporté une autre toute pareille. Et voilà dix
ans que nous la payons. Tu comprends que ça n’a pas été
aisé pour nous, qui n’avions rien… Enfin, c’est fini, et je
suis rudement contente.
Mme Forestier s’était arrêtée.
– Tu dis que tu as acheté une rivière de diamants pour
remplacer la mienne ?
– Oui. Tu ne t’en étais pas aperçue, hein ? Elles étaient
bien pareilles.
Et elle souriait d’une joie orgueilleuse et naïve.
Mme Forestier fort émue, lui prit les deux mains.
– Oh ! ma pauvre Mathilde ! Mais la mienne était fausse.
Elle valait au plus cinq cents francs !…
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