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Eglise Et Societe en Occident

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Eglise et société en Occident (XIIIème-XVème siècles)

Chapitre 1 : l’Occident latin à l’orée du XIIIème siècle :


Au XIIIème siècle, l’Occident s’est individualisé depuis longtemps au sein du monde christianisé,
après un long processus de fragmentation le séparant de l’Orient. Mais cette chrétienté, loin de se limiter
à la partie occidentale de l’Empire romain, inclut à ce moment des zones récemment christianisées, dites
de la « nouvelle chrétienté ». Ses traits communs ne doivent toutefois pas masquer la diversité de cet
ensemble, dont l’unification est un des objectifs de la papauté, qui veut le rassembler avec le IVème
Concile du Latran (1215).
I. L’espace contrasté de l’Occident latin :
L’unité de la chrétienté d’Occident provient d’abord de la pratique d’un christianisme de rite latin, avec
le reconnaissance de l’autorité romaine. Mais ce rite ne se cantonne pas aux territoires occidentaux et
les hiérarchies latines se diffusent au gré des conquêtes dans les territoires orthodoxes ou hérétiques,
comme en Terre Sainte avec les Etats latins, ou dans l’Empire byzantin devenant l’Empire latin (1204-
1261). Au XIIIème siècle, le terme de « chrétienté » sert à désigner le monde chrétien latin ; il devient
le synonyme « d’Eglise », la communauté des croyants. Finalement ce siècle est une période d’apogée,
qui marque le point culminant des ambitions grégoriennes, dont l’émergence des Etats vient fracturer
l’unité.
1. Une christianisation plus ou moins ancienne :
Les variations de la christianisation est le facteur principal de la diversité de la chrétienté occidentale.
La zone centrale correspond grossièrement aux limites de l’ancien Empire carolingien, avec, à la fin du
XIIème siècle, le royaume de France, et l’Empire, avec ses deux parties, germanique et italienne (du
Nord) ; ces régions sont christianisées depuis longtemps, à partir de la fin de l’Empire romain, selon un
mouvement sud-nord débutant en Méditerranée. Les régions périphériques de ce noyau central sont
toutefois converties de moins longue date, surtout la Scandinavie et l’Orient slave, pénétrés par les
missionnaires depuis la Germanie, la Bohême et l’Angleterre à partir des Xème-XIIème siècles, le plus
souvent avec le baptême des rois locaux, ou l’intégration à l’Empire. Ces espaces périphériques sont
ceux de la « chrétienté nouvelle », et encerclent les territoires anciens de l’Occident chrétien. Dans ces
diverses régions, la christianisation s’est opérée au fil d’un processus complexe, marqué par la
coexistence pendant plusieurs siècles des pratiques païennes et chrétiennes, ponctué de révoltes appelant
le retour des religions ancestrales. Mais la « chrétienté nouvelle » diffère par ses formes à l’Eglise de
Rome, car elle s’appuie sur des princes qui peinent à faire pénétrer les principes grégoriens de stricte
séparation et de hiérarchisation entre le spirituel et le temporel ; ainsi l’intégration de ces nouvelles
Eglises est encore loin d’être totale au début du XIIIème siècle, même si les premiers ordres religieux
dynamiques, comme les Cisterciens, renforcent un mouvement qui sera celui des ordres mendiants.
2. Les zones de frontière avec les musulmans et les païens :
Le voisinage avec des populations païennes ou musulmanes imprime également sa marque sur les
modalités de la vie religieuse de certaines régions d’Occident, alors que les frontières ne sont pas encore
des tracés linéaires, mais plutôt des marches. La chrétienté affronte, au sens strict, les musulmans aux
deux extrémités de la Méditerranée, et sont sur la défensive en Terre Sainte, voire en recul, avec leur
défaite à Hattin (1187) contre Saladin reprenant Jérusalem et ruinant les royaumes croisés (ruinés aussi
par les oppositions internes entre les barons, et les ordres militaires et marchands) quand ils sont
victorieux face à Al-Andalus en Ibérie. Mais un nouveau front de christianisation s’ouvre pour les
chrétiens du XIIIème siècle, sur les rives de la mer Baltique, au contact des populations païennes de l’est
de la Vistule, comme les Pruthènes de Prusse, les Lituaniens et les Lettons, installés sur les côtes
jusqu’au golfe de Finlande. Mais associée à l’Ostsiedlung, la mission ne progresse que lentement sur
ces terres, avec de nombreuses résistances, qui provoquent l’échec des Cisterciens au XIIème siècle. Il
faut attendre le XIIIème siècle, où se déploie l’action énergique de l’archevêque de Brême Albert de
Buxhövden (mort en 1229), et celle des chevaliers Teutoniques, pour que les territoires chrétiens
s’étendent dans la région. Il faut attendre la fin du siècle pour que l’ensemble de l’Occident chrétien ne
soit régi par un cadre institutionnel unitaire, une unité qui ne gomme pourtant pas les accents locaux ou
régionaux.

II. Un cadre institutionnel solidement établi :


Au début du XIIIème siècle, le cadre institutionnel et les modalités de la vie religieuse sont tributaires
d’un héritage qui doit beaucoup à la « réforme grégorienne », qui atteint son point culminant ; cette
« réforme » amorçant une lecture chrétienne de l’ordre du monde.
1. Clercs et laïcs :
La « réforme grégorienne » distingue dans la société humaine deux états de vie (status), les clercs et
les laïcs ; affermissant leur définition et marquant la hiérarchie qui place les valeurs cléricales au-dessus
de toutes les autres. L’état de vie laïc, le temporel en somme, est à la charge des affaires du monde
terrestre ; il autorise le maniement des armes et le versement du sang, à condition qu’il se fasse pour de
« bonnes causes », désignées par les autorités légitimes ; aussi ce domaine correspond-il au bon
gouvernement de la cité, quelle qu’en soit sa taille, dans une perspective augustinienne. L’état de vie
clérical est à la charge du spirituel, en vue du salut de la société, par la définition de la foi, sa
transmission, la célébration du culte, l’encadrement des fidèles et l’administration des sacrements. Le
clergé n’est toutefois pas un groupe homogène, et se subdivise en huit ordres cléricaux, répartis en deux
groupes : les ordres mineurs, correspondant aux fonctions secondaires du service de l’autel, et les ordres
majeurs, seuls obligés au célibat, dont les prêtres, célébrant l’eucharistie, et les évêques, encadrant la
communauté. Les clercs sont détachés du monde temporel, en théorie, et ne peuvent pas verser le sang,
comme ils n’ont pas besoin de payer l’impôt. Les clercs inférieurs dans la hiérarchie pontificale doivent
toutefois s’acquitter d’impôts et de contributions envers leur évêque, ou directement envers le pape. Les
clercs disposent enfin d’un dernier privilège, le « for », par lequel ils ne peuvent être jugés que par des
cours de justice ecclésiastiques. De cette manière, le clerc est à la fois un guide et un modèle pour le
laïc, même si les deux s’intègrent à la société par le sacrement, l’ordre ou le mariage. Certaines
personnes s’intègrent mal dans ces catégories, comme c’est le cas des rois, par leur sacralité, en France
par exemple, même si tous ne le sont pas. Aussi le sacre n’est-il pas un sacrement, car le pouvoir divin
du souverain ne dépend pas de l’Eglise, et la monarchie sacrée n’est jamais sacerdotale, la guérison des
écrouelles relevant d’une logique thaumaturgique et non cléricale. Les religieux, plus précisément les
personnes vivant sous une règle, sont difficiles à considérer, notamment les femmes religieuses, dont la
fonction est de prier sans pouvoir être ordonnées, n’étant que « consacrées ».
2. Clergé séculier et clergé régulier :
Parmi les catégories canoniques précises bien définies au début du XIIIème siècle, le clivage le plus
important est celui qui sépare les séculiers, membres du clergé qui sont « dans le siècle », au contact des
fidèles, et les réguliers vivant sous une règle. Les séculiers sont organisés hiérarchiquement, avec les
évêques au sommet, même si dans l’ordre épiscopal se distinguent les évêques métropolitains, avec une
autorité supérieure, sur plusieurs diocèses, puis les prêtres, et les inférieurs. Mais une autre distinction
est la détention, ou non, d’un bénéfice, pouvant être majeur ou mineur. Les revenus issus des biens
attachés à la cathédrale du diocèse sont répartis entre la parte de l’évêque (mense épiscopale) et la part
des chanoines (mense canoniale) ; les bénéfices de chanoine sont très recherchés, et désignent des clercs
séculiers vivant dans une communauté non cloîtrée, attachés à une église, pouvant entourer l’évêque au
cœur du diocèse, formant le « chapitre cathédral », ils sont sinon membres d’un chapitre (organisme
collectif disposant d’une personnalité juridique). Les autres clercs, qui n’ont pas obtenu de charge
canoniale, peuvent devenir desservants de paroisse, ce sont les « curés » à la fin du siècle, car ils ont la
charge des âmes de leurs fidèles (cura animarum). Le XIIIème siècle voit donc la naissance d’un
prolétariat clérical, le plus souvent itinérant. Le clergé régulier est, contrairement au clergé séculier,
mixte, et s’illustre par sa grande diversité, par l’engagement à la vie de vœu. Ainsi, les réguliers se
mettent à l’écart (moine signifiant d’abord monos, le solitaire), et vivent cloîtrés dans la prière et le laus
Dei, travaillant également au service de la communauté. Les monastères se divisent en deux catégories :
les abbayes, dirigées par un abbé et secondés pas un prieur, pouvant fonder des prieurés, sous leur
dépendance, gouvernés par un prieur. Au XIIème siècle, la réforme cistercienne apporte une relecture
de la règle bénédictine, une interprétation adaptée à la spiritualité du temps, caractérisée par son
ascétisme ; un mouvement puissant se diffusant dans tout l’Occident latin. Le pape est à la tête du clergé
occidental, et c’est l’évêque de Rome, alors même qu’il désigne à l’origine tous les évêques ; le pape
devenant le guide de l’Eglise, s’entourant de véritables organes de gouvernement, pouvant se faire
représenter auprès des souverains par des légats.
3. Des circonscriptions emboîtées :
Les circonscriptions séculières, héritées pour la plupart de l’administration romaine, et implantées au
fur et à mesure de la christianisation : il s’agit, dans l’ordre décroissant de leur taille, de la province
ecclésiastique, du diocèse (église dite « cathédrale »), l’archidiaconé, le doyenné et la paroisse. La
province ecclésiastique regroupe sous l’autorité de l’évêque métropolitain plusieurs diocèses, dont les
titulaires sont « suffragants », les diocèses étant de tailles variables, mais le plus souvent très urbanisés
grâce à l’héritage antique. Le pouvoir des évêques est triple dans leur diocèse, de juridiction,
d’enseignement et de prédication, même s’il est contrôlé par la papauté, qui peut l’approfondir ou le
diminuer. L’archidiaconé, plus grand que le doyenné, est confié à l’archidiacre, dignitaire du chapitre
cathédrale, il regroupe les doyennés, facilitant par cela la communication entre les clercs. L’autorité
dont dépendent les établissements réguliers est celle de l’évêque, même si, au fil du temps, certains
monastères en sont venus à ne dépendre que du siège romain, dont l’éloignement est un avantage à leur
autonomie. Ce privilège d’exemption pouvait, en outre, être doublé de celui d’immunité, accordé par le
souverain, donnant à l’abbé le droit de lever l’impôt, de lever l’armée et de rendre la justice. Leurs
patrimoines fonciers sont importants, car leur richesse collective est le fruit d’une longue accumulation
de biens.
4. Du Patrimoine de Pierre aux Etats de l’Eglise :
En plus de détenir l’autorité spirituelle, la papauté exerce une souveraineté politique sur une grande
partie de l’Italie Centrale, de Rome à Ravenne ; les Etats de l’Eglise obtenant leur organisation
administrative pendant le règne d’Innocent III. Pour légitimer la domination qu’il exerce sur ses terres,
que lui disputent les Empereurs, comme Frédéric Ier Barberousse et Frédéric II, la papauté s’appuie sur
la Donation de Constantin, qui est un faux du VIIIème siècle.

III. La réaffirmation de la doctrine :


Au début du XIIIème siècle, le christianisme en a terminé avec les grands débats doctrinaux des
premiers siècles de son Histoire, même si des mouvements de contestations très enracinés dans la
société, obligent l’autorité ecclésiastique à réaffirmer solennellement la foi lors du IVème Concile de
Latran (1215), par un vaste élan pastoral.
1. Les contestations au XIIème siècle :
Les courants contestataires, mal connus avant le XIIème siècle, émergent plus directement dans les
sources de cette période, la plupart d’origine cléricale, la plupart se situant dans les pays mosans, la
vallée du Rhin, l’Italie du Nord et du Centre et dans le Languedoc. Une grande partie de ces mouvements
s’inscrivent dans un évangélisme radical, accentuant les thèmes de la « réforme grégorienne », par la
critique de l’enrichissement de l’Eglise, et ses relations étroites avec le monde politique. Pour les
dissidents, les principes de la vie apostolique, avec le renoncement matériel et l’humilité, fondent le
droit de prêcher plutôt que la détention de charges ecclésiastiques, ou que la hiérarchie de l’Eglise. Mais
certains mouvements dépassent largement cet anticléricalisme, et s’en prennent à des « nouveautés »,
comme les représentations artistiques du Christ en crois, ou la vénération des reliques et des saints ; les
esprits butent donc sur les médiations sensibles du culte, et tombent parfois dans le dualisme. Les propos
inspirés par ces idées sont le plus souvent tenus par des prédicateurs itinérants, issus surtout des milieux
laïcs les plus cultivés des sociétés urbaines en plein essor. Le foyer le plus durable se développe dans la
partie méridionale du royaume de France, dans la région d’Albi, qui donne son nom à l’hérésie
albigeoise, aussi nommée hérésie cathare, et ses adeptes sont appelés les « bons hommes » dans les
sources. Il ne faut toutefois pas attribuer d’unité aux mouvements dualistes souvent désignés comme
« cathares », car ils sont autonomes, et relèvent simplement d’une même aspiration évangélique : ce sont
les clercs médiévaux qui ont donné cette vision unifiée de l’hérésie. Le succès des « bons hommes » en
pays albigeois s’explique aisément par le contexte régional, avec le malaise social des élites urbaines
auquel il faut ajouter une petite aristocratie en mal de promotion, que la réforme grégorienne a privé de
ses revenus issus des établissements ecclésiastiques. La contestation albigeoise s’amplifie au XIIème
siècle, cela malgré les campagnes de prédication lancées par le pape, s’appuyant de surcroît sur les
grandes familles méridionales et leur réseau de castra, les bourgs fortifiés du Languedoc. Un second
mouvement de contestation naît dans la ville de Lyon, à l’initiative du riche marchand Pierre Valdès
vers 1170, restant fidèle, plus que les dualistes, au dogme chrétien de l’Incarnation et de la Rédemption ;
il se fait traduire la Bible et donne ses biens, avant de s’entourer de disciples, les Vaudois. Valdès est
convoqué devant le pape au concile de Latran III en 1179, durant lequel il n’est pas déclaré hérétique,
sa prédication est toutefois soumise à la décision de l’évêque de Lyon, qui la refuse, il est expulsé de la
ville en 1182, et déclaré hérétique en 1184.
2. La constitution De fide catholica au IVème concile de Latran (1215) :
La situation est jugée alarmante par les autorités ecclésiastiques qui décident de placer en tête des canon
une longue profession de foi intitulée De fide catholica, ce qui donne à l’assemblée une importance
digne des grandes assemblées œcuméniques. Le concile de Latran IV (1215) se montre novateur en
déployant une théologie sacramentaire, qui fait de l’Eglise, et de son action, le centre du salut. Le
baptême, la pénitence et le mariage deviennent donc des institutions centrales dans la vie des fidèles, et
sont couronnés par l’eucharistie, avec la reprise par le concile de la notion de transsubstantiation,
énonçant la présence réelle du Christ ; les vecteurs concrets de la grâce sont mis en avant, comme
l’affirmation de l’état matrimonial, une voie de salut au même titre que l’ascèse.

Chapitre 2 : Renouveau du monde des réguliers et avènement des ordres mendiants :


I. Ordres anciens et expériences nouvelles :
Le paysage des réguliers est déjà très diversifié avant l’avènement des ordres mendiants, avec la
floraison spectaculaire et simultanée des Béguines et des Pénitents en Italie, qui illustre la popularité du
mode de vie pieux.
1. Diversité des ordres religieux à la fin du XIIème siècle :
Le monachisme ancien de tradition bénédictine est encore puissant à la fin du XIIème siècle en
Occident, et son prestige continue, ce qu’indique les nombreux dons qui nourrissent ces établissements.
Les moines noirs sont encore surreprésentés dans l’important réseau européen tissé par Cluny, et sont
unis par ce que les historiens nomment l’Eccclesia cluniacensis, et fondent un véritable ordre
institutionnel sur le modèle cistercien pendant l’abbatiat d’Hugues V (1199-1207) ; il n’y a donc pas de
décadence des établissements bénédictins au XIIIème siècle. Les établissements cisterciens sont
également unis par des liens de filiation, qui leur donnent une structure puissante : au début du XIIIème
siècle, les Cisterciens apparaissent encore comme les fers de lance de l’Eglise, auréolés par leur rigueur
à vouloir réinstaurer la règle de Saint-Benoît dans son austérité. Leurs membres sont les moines blancs,
et se caractérisent par le retrait du monde, à travers un monachisme rigide ; ils sont toutefois victimes
de leur succès, car leur large diffusion jusqu’aux marges de la chrétienté (Pologne et Livonie) a montré
leur richesse aux populations, une prospérité issue de leur adaptation aux milieux de leur implantation,
et leur triomphe institutionnel, par les sollicitations du pape. C’est par cette richesse et cette proximité
au pouvoir qu’ils ne parviennent plus à tenir leur image auprès du peuple. D’autres formes de vie
religieuse reculent également au XIIIème siècle, sans pourtant disparaître du monde clérical : le mode
de vie érémitique, à l’origine de la fondation de nombreux ordres aux XIème-XIIème siècles, et les
courants apostoliques des chanoines réguliers. D’autres formes de vie régulières combinent action et
contemplation, à travers la floraison des ordres hospitaliers, comme les frères et les sœurs soignants qui
s’occupent des hospices, et recueillent les pauvres et les malades dans des communautés isolées ; ces
ordres ne se diffusent que rarement, et demeurent des unités diocésaines ou régionale. Mais le cas le
plus singulier d’union entre action et prière reste sans aucun doute celui des ordres militaires, formant
la nouvelle militia christis du XIIIème siècle, avec les exemples notables des Templiers et des
Hospitaliers ; leurs membres sont tous des laïcs, à l’exception des « frères chapelains » chargés
d’encadrer les combattants, qui administrent les commanderies. Mais les ordres militaires attirent moins
au XIIIème siècle qu’au XIIème, car les entreprises militaires se structurent autour de quelques acteurs
(les Chevaliers Teutoniques absorbant les ordres plus petits), et reviennent de plus en plus aux laïcs.
2. Les voies évangéliques septentrionales, les Béguines :
Le diocèse de Liège voit apparaître dès la fin du XIIème des groupes de femmes nommées Béguines,
menant une vie « semi-religieuse » ; elles se diffusent rapidement par les vallées de la Sambre et de la
Meuse, vers le Brabant, le Hainaut, l’Artois et la Flandre, puis vers la Rhénanie, la Thuringe et la Saxe,
aussi en Hollande, représentant jusqu’à 6% des femmes de la Belgique actuelle. Ces femmes ont reçu le
soutien des puissants, comme de la comtesse Jeanne de Flandre en 1233 ou de Louis IX fondant un
béguinage dans le Marais en 1260. Leur enracinement est profond, et elles continuent d’exister pendant
la période moderne, ce qui conduit les historiens allemands à forger l’expression de Frauenfrage,
élargissant la question à l’intégration des femmes dans la vie régulière. Certains expliquent l’essor des
Béguines par le déficit démographique des hommes, causé par les conditions de leur vie quotidienne et
par la guerre, mais ce facteur ne suffit pas, et il faut poser la question des difficultés que soulèvent la
gestion du patrimoine des établissements féminins et l’encadrement des moniales, car l’admission au
monastère suppose alors la constitution d’une dot, ce qui n’est pas à la portée de toutes les familles,
certains monastères posant également des conditions de noblesse, se fermant donc à la bourgeoisie.
L’habitat des Béguines est très diversifié, allant de grands ensembles organisés dans la paroisse autour
d’une église, avec des bâtiments surveillés par le prêtre, à de petites maisons au bord des rues. Ce courant
reste néanmoins mal connu car il n’a pas donné lieu à la rédaction d’une règle, même s’il s’inscrit
sûrement dans le courant apostolique. Les Béguines vivent de menus travaux, tout en entretenant pauvres
et malades, s’occupant parfois de petites écoles ; elles possèdent en outre une grande culture religieuse,
et diffusent le culte marial en Europe. Les Béguines sont toutefois critiquées par les clercs au XIIIème
siècle, car elles ne s’intègrent pas aux catégories traditionnelles, et car elles refusent de suivre un vœu.
3. Les voies évangéliques méridionales : Umiliati et Pénitents :
Les villes lombardes voient se développer dans la deuxième moitié du XIIème siècle, surtout à Milan,
des communautés de laïcs connues sous le nom d’Umiliati, souhaitant conserver une activité
professionnelle et une famille en menant une vie de prière et de renoncement. Leur austérité, sans
atteindre le niveau monastique, leur fait tout de même adopter un vêtement simple, manger peu, et leur
interdit d’intenter des procès ou de prendre part dans un conflit. Leur perspective cherche ainsi à
concilier vie dans le monde et perfection chrétienne, et nombre d’entre eux sont des artisans textiles,
une activité florissante au XIIIème siècle ; cette surreprésentation s’explique par les hésitations
religieuses qui entourent l’argent, et la richesse. L’étude est l’un de leurs idéaux, et ils désirent étudier
la Bible par eux-mêmes, une initiative qui leur vaut l’excommunication en 1184, avant que le pape
Innocent III ne les organise en 1201 en une structure complexe, avec trois ordres distincts, un premier
pour les clercs et les sœurs, un deuxième pour les laïcs continents et un troisième pour les laïcs mariés.
Par leur opposition au riche train de vie du haut-clergé, les Umiliati attirent les Vaudois et une partie
des hérétiques. Les compagnies de Pénitents naissant simultanément en Italie du Nord et du Sud adoptent
un mode de vie comparable, mais plus porté sur l’ascèse ; il prend pour modèle un antique châtiment
chrétien, la pénitence, par lequel les évêques pouvaient interdire le maniement des armes à un criminel,
en plus de lui ôter la plupart des plaisirs matériels. Le mouvement des Pénitents est approuvé par l’Eglise
en 1221, du moment qu’ils de discutent pas de la question du dogme. Leur mode de vie inspire un
profond respect aux populations, et leur position non-partisane dans les luttes italiennes entre Guelfes et
Gibelins leur a permis d’obtenir parfois des rôles politiques, comme la protection du trésor ou des clefs
d’une ville. Le mouvement est toutefois contestataire par son origine même, et montre l’insatisfaction
des nouvelles élites urbaines envers la voie de salut ouverte par l’Eglise.

II. Les ordres mendiants :


1. Les Franciscains ou Frères mineurs :
Les fondateur des Franciscains est un laïc, François Bernardone (1182-1226), fils d’un riche marchand
drapier de la cité d’Assise ; il se convertit spontanément après avoir vécu une jeunesse dorée avec les
jeunes aristocrates de son âge, pour vivre auprès des plus déshérités. Il commence à prêcher après avoir
distribué tous ses bien, vivant de menus travaux en communicant sa foi avec le langage de la culture
chevaleresque qui a bercé sa jeunesse. A l’inverse des groupes apostoliques du temps, il est très
respectueux de l’autorité du pape, et part même à la rencontre d’Innocent III en 1209 pour lui demander
l’autorisation de créer un ordre. Les conceptions de François sont pourtant très différentes de celles de
l’Eglise de son temps : car les frères « mineurs » ne doivent rien posséder, ni individuellement, ni
collectivement, et vivre de leur travail ou de la mendicité ; il souhaite se démarquer ainsi des autres
ordres, devenus de riches propriétaires fonciers. Dans son testament de 1226, il renouvelle ses préceptes,
à travers trois renoncements : à l’avoir par la pauvreté, au savoir par l’humilité et au pouvoir par
l’obéissance. Cette mise au point est très importante dans la chronologie de l’ordre, car sa croissance
rapide déstabilise son organisation primitive, avec des centaines puis des milliers de frères ; il faut alors
passer de « l’intuition à l’institution ». Hugolin, le cardinal protecteur de l’ordre, devient le pape
Grégoire IX en 1227, et pousse à la mise en ordre du mouvement, car il a conscience de l’influence
profonde des frères sur les fidèles, et de l’appui qu’ils peuvent donner à l’action pastorale. L’accord sur
la règle franciscaine se fait en 1223, malgré l’interdiction de la création de toute nouvelle forme de vie
régulière par le concile de Latran (1215) : l’ordre doit être gouverné par un ministre général, les
provinces divisées en custodies et placées sous l’autorité d’un ministre général, et les couvents gardés
par les gardiens. Les frères sont 5000 rien qu’à Assise en 1217. Tout au long de sa vie, François d’Assise
est tiraillé par ses passions et ses conceptions, entre les exigences de l’évangélisme radical et la déférence
envers la papauté, et entre ses ardeurs missionnaires (partant en 1219 à la rencontre du sultan d’Egypte
pour tenter de le convertir) et ses aspirations érémitiques. Sa vie « sainte » est d’ailleurs reconnue par
tous dès sa mort, ce qui explique sa canonisation rapide, en 1228, qui fait de lui un alter christus. La
rentrée massive de clercs dans l’ordre l’oblige toutefois à changer d’ambition, et modifie ses liens avec
la culture laïque : le mouvement se retrouve lié toujours plus étroitement à l’action pastorale de l’Eglise
au début du XIIIème siècle, pour éradiquer l’hérésie et répondre aux besoins des fidèles. A la mort de
François, deux groupes s’affrontent, l’un souhaitant conserver l’élan fondateur du mouvement, et l’autre
l’intégrer plus profondément à l’institution traditionnelle ; une deuxième option qui l’emporte, et par
laquelle l’ordre obtient le privilège de posséder des biens, notamment pour l’étude, afin de prédiquer
plus efficacement. Pour faire taire les querelles, Grégoire IX rend le testament de François d’Assise
caduque (1230) et permet aux franciscains de posséder des biens à travers leur procureur, pour mieux
vivre la pauvreté : afin de faciliter leur rôle auprès des fidèles. Mais c’est Jean de Fidanza, aussi appelé
Bonaventure, le ministre général de 1257 à 1274, qui rétablit le calme dans l’ordre pendant son long
mandat : il fait adopter une nouvelle constitution à l’ordre en 1260, en interprétant la règle de François
d’Assise, et il rédige une Vie de Saint-François en 1263, qui se substitue à toutes les autres biographies
en 1266. L’ordre obtient sa finalité d’étude et de prédication à ce moment, officiellement.
2. Les dominicains ou Frères prêcheurs :
Le fondateur des Dominicains est le castillan Dominique de Guzman (1170-1271), et institue
directement son ordre « pour la prédication et le salut des âmes » (Constitution de 1220-1221). Issu
d’une famille de la noblesse castillane et porté vers la lutte contre les hérésies et vers la prédication,
Innocent III l’envoie combattre le catharisme avec les légats cisterciens ; c’est dans ce contexte que
prend corps le projet de porter aux fidèles de la région une « parole nouvelle », par sa méthode : en
mettant fin à la prédication d’autorité des légations cisterciennes, dans l’apparat, pour la remplacer par
une prédication plus humble et itinérante, utilisant l’art oratoire, avec la force de la parole et de
l’exemple. Il fonde une branche féminine de l’ordre à Prouille en 1207, avec des femmes albigeoises
converties. L’évêque de Toulouse soutient Guzman et son groupe à partir de 1215, et les installe dans
sa ville. Pour bien prêcher, il faut être bien formé, ce qui explique que Guzman disperse ses frères dans
tous les grands centres universitaires du continent, pour acquérir de la culture et susciter des vocations,
ce qui réussit bien, notamment à Paris et à Bologne. Guzman continue donc son projet de créer un ordre
apostolique consacré uniquement à la prédication, avec l’écriture des constitutions en 1220-1221, à
Bologne, approuvée par Rome. Placé sous la règle de Saint-Augustin, l’ordre adopte une organisation
simple : le chapitre général est élu par les frères et légifère, le maître général est élu à vie et fait appliquer
ses décisions, et les couvents sont dirigés par des prieurs. Les trois valeurs de l’ordre sont : fraternité,
pauvreté et prédication ; mais les Dominicains restent célèbres pour leurs grands esprits, comme
Jourdain de Saxe, Albert le Grand ou Thomas d’Aquin.
3. Carmes, Augustins, Servites, Frères du sac… :
Mais d’autres ordres appartiennent également à la grande famille des « Mendiants ». Comme les
Carmes qui rejoignent leurs rangs en 1247, sur décision du pape Innocent IV, et s’inspirent d’un
mouvement organisé en Terre Saint en 1209, même si les sources le concernant son rares ; leur influence
est encore modeste au XIIIème mais ils sont l’un des principaux vecteurs du culte marial. Les Augustins
sont fédérés par le pape peu après 1256, et se diffusent progressivement dans l’Occident chrétien. Le
concile de Lyon (1274) prend la décision de limiter le nombre des ordres mendiants, ce qui participe à
freiner leur influence toujours plus grande dans la société.

III. L’insertion disputée des ordres mendiants :


1. Implantation sous la protection des puissants :
Les ordres mendiants ont rapidement essaimé, dans les parties méridionales de l’Europe d’abord, avec
une présence dense en Italie, surtout en Ombrie et en Toscane, puis un déplacement vers le Nord, où ils
sont présents à Paris dès 1220, en Angleterre en 1224, en Allemagne autour des mêmes années ; mais
les ordres sont en inégalité numérique, car les Franciscains comptent 30.000 frères et 1100 couvents
vers 1300, quand les Dominicains comptent 10.000 frères pour 500 couvents. Le rythme des fondations
diminue dans le deuxième moitié du siècle. La ville devient rapidement le terrain d’élection des ordres
mendiants, qui en sont issus et qui perçoivent bien les attentes de leurs populations, surtout dans le cadre
de l’urbanisation amorcée au XIème siècle, qui a fait se multiplier le nombre de pauvres isolés et
désœuvrés, coupés des solidarités traditionnelles et moins secourus que dans les campagnes, en plus de
devoir développer une nouvelle pastorale pour les catégories émergentes de la ville, comme les
marchands, les artisans ou les hommes de droit. Leur affinité va même plus loin, et la quête qui est leur
moyen de subsistance s’intègre parfaitement aux modes de circulation urbains, ce qui invite Le Goff à
affirmer que la carte des couvents de mendiants n’est rien d’autre que la carte de l’urbanisation du
continent. Conformément à leurs principes, les frères s’installent d’abord dans la plus grande simplicité,
avec l’accord de l’évêque de la ville, dans des maisons à l’extérieur des enceintes, au voisinage immédiat
des pauvres qu’ils peuvent secourir. Leur action leur vaut rapidement la faveur des puissants, les princes
et les rois après les évêques : comme Saint-Louis, Alphonse de Poitiers ou Jeanne et Marguerite de
Flandre ; ils emportent également l’adhésion du patriciat, qui leur fait de nombreux dons, surtout par
voie testamentaire.
2. Les rivalités pastorales :
Les jeunes frères sont préparés à la prédication dans des centres d’étude, les studia, abrités par les plus
grands couvents, souvent ceux des villes universitaires. Mais leur formation importante et leur grande
culture en font aussi des confesseurs de talent, capables de donner les sacrements, ce qui explique leur
grande popularité à l’occasion de leur déplacement, et le fait qu’ils fassent concurrence à la paroisse
traditionnelle ; une concurrence critiquée par les ordres séculiers. Les tensions montent d’un cran encore
quand l’Eglise donne aux mendiants le droit de tenir des messes et d’administrer les sacrements, et de
présider aux sépultures même en période d’interdit. La querelle est d’autant plus complexe et longue à
résoudre qu’elle oppose deux niveaux d’autorité dans l’Eglise : l’évêque, dans son diocèse, et la papauté
en Occident ; leur accueil est donc très variable, et s’ils sont bien accueillis dans les régions d’hérésie,
au sud, ils sont perçus comme une menace au nord, où leur mode de vie est inconnu, et où ils apparaissent
comme de mystérieux religieux venus d’ailleurs, ou bien comme une tentative de centralisation par
l’Eglise. La prise de position des papes du premier tiers du XIIIème siècle est décisive, et soutient sans
ménagement les ordres mendiants, dans une perspective prédication et d’affirmation de la puissance
romaine en Occident, et n’hésite pas à leur donner des privilèges pour les soustraire au pouvoir
épiscopal. Mais le séculier et juriste Innocent IV (1243-1254) ne peut ignorer les arguments canoniques
des protestations, et restreint les privilèges mendiants en 1254, les soumettant au desservant de la
paroisse locale pour l’exercice de la confession et du prêche, une décision de courte durée, abolie sous
Alexandre IV (1254-1261).
3. La querelle universitaire parisienne :
Le conflit pastoral opposant Mendiants et séculiers se double d’un conflit universitaire, au théâtre
parisien, car il s’agit alors du centre européen de l’enseignement de la théologie, protégé par le pape.
Les studia mendiants parisiens ont rapidement acquis un grand prestige intellectuel, et les plus grands
esprits du temps y enseignent, comme Alexandre de Halès (1180-1245), Albert le Grand (1200-1280)
ou Thomas d’Aquin (1225-1274). Mais ces lieux d’enseignement concurrencent alors les écoles tenues
par les maîtres séculiers, dont le groupement est l’université naissante, l’universitas étant une institution
à peine affermie ; les Mendiants obtiennent également des chaires à l’université, grâce à leurs
compétences, refusant certaines contraintes, comme l’autorité du recteur, car n’obéissant qu’au pape, et
ne participant pas aux grèves contre les sergents du roi. La crise éclate en 1253, déclenchée par le
polémiste Guillaume de Saint-Amour, soutenu par la plume de Rutebeuf, car les Mendiants dispensent
gratuitement leurs cours étant financés par les quêtes, là où les maîtres séculiers font payer, et donc
perdent des élèves à leur profit. Le conflit est porté devant Alexandre IV en 1255, qui défend les
Mendiants

Chapitre 3 : Gouverner l’Eglise au XIIIème siècle :


Les papes poursuivent au XIIIème siècle l’action de leurs prédécesseurs et tentent de construire une
société unitaire, conçue comme une édification anticipée du royaume de Dieu, reniant toute
interprétation mystique pour assujettir le droit naturel de l’Etat dans la justice surnaturelle et le droit
ecclésiastique. Dans cette aventure, le pape a joui de soutiens, comme le roi de France Louis IX, et
d’opposants, à l’instar de Frédéric II.
I. L’accroissement de la centralisation romaine :
Les principes du gouvernement centralisé de l’Eglise d’Occident sont posés dès la réforme grégorienne,
une entreprise de longue durée s’accélérant au XIIIème siècle, sous l’impulsion de papes en majorité
juristes, anciens étudiants de l’université de Bologne. Elle transforme radicalement la conception de
l’Eglise, qui n’est plus tant la communion des Eglises locales, avec les diocèses, qu’une Eglise unique,
immense diocèse, le pape devenant un évêque universel.
1. Le pape, tête de l’Eglise :
Les signes de ce rôle central du pape s’observent dans le détail de la titulature, le « vicaire du Christ »
remplaçant « vicaire de Pierre » à côté du Servus servorum, une expression qui ne concerne plus
l’ensemble du clergé séculier, mais uniquement le pape, qui s’individualise. Le pape s’affirme également
comme source de la loi de l’Eglise, ses arbitrages apparaissant dans des lettres, les décrétales, rentrant
dans la composition du corpus du droit canonique, à côté du Décret de Gratien. A leur décision
personnelle, les papes du XIIIème siècle ajoutent une riche activité conciliaire, avec le concile de Latran
IV (1215) et ceux de Lyon I et OO (1245 et 1274). Le plus important recueil de décrétales compilé à la
demande de Grégoire IX par le dominicain Raymond de Peñafort avec le Liber extravagentum. La
papauté entend également contrôler l’élaboration de la doctrine dans l’attention qu’elle porte à la
naissance des universités, lui donnant son autonomie, contre l’autorité du roi, et contre l’autorité de
l’évêque à travers l’écolâtre. La bulle Parens scientarum (1231) donne d’ailleurs comme objectif à
l’université de développer la « bonne doctrine ». C’est à partir de ce moment également que les saints
se font uniquement à Rome, à la suite d’une longue procédure d’enquête, et d’un procès de canonisation,
dans une procédure remplaçant progressivement la canonisation par la vox populi. La transmission des
décisions depuis le centre romain est assurée par des légats dont le rôle est décisif dans la reconnaissance
de la primauté romaine et dans l’uniformisation de la discipline ecclésiastique, leur pouvoir est supérieur
à celui des évêques, et ils sont très actifs dans les régions de la « chrétienté nouvelle », renforçant la
position de l’Eglise face aux laïcs
2. Les moyens de la puissance : Etats pontificaux et politique bénéficiale :
A la mesure de ce pouvoir se construit progressivement un édifice institutionnel nécessitant des moyens
matériels toujours plus grands, avec également une augmentation de la taille des familia papales et
épiscopales. La maîtrise d’un Etat temporel est considérée par la papauté comme la condition
indispensable à son indépendance vis-à-vis du pouvoir impérial, et à l’exercice de son autorité sur
l’Eglise. Dès le XIIème siècle commencent les « récupérations » de territoires sur lesquels l’emprise du
pape est devenue très inégale, mais ce sont surtout les papes du XIIIème siècle, avec Innocent III, qui
les mènent, et devient le véritable fondateur du « Patrimoine de l’Eglise ». La politique menée au
XIIIème siècle permet au souverain de retrouver le contrôle du duché de Spolète, de l’exarchat de
Ravenne, de la Pentapole et de la Marche d’Ancône, la Romagne n’étant concédée par l’Empereur qu’en
1278. Ces territoires sont organisés en plusieurs provinces par Innocent III, dirigées elles-mêmes par
des recteurs. Les cardinaux sont également amenés à jouer un rôle important dans les affaires de l’Etat.
Mais l’autorité du pape s’est heurtée, comme tous les pouvoirs temporels, aux grands féodaux et aux
villes, comme à Bologne. A la fin du XIIIème siècle, les revenus issus des Etats pontificaux re
représentent ainsi que le dixième des rentrées totales. Les papes doivent donc trouver un autre moyen
de rémunérer les clercs, qui trouve sa source dans la constitution Licet ecclesiarum (1265) de Clément
IV, accordant au siège apostolique l’entière disposition des bénéfices vacants ou susceptibles de l’être
dans l’Eglise latine. Cette décision passe donc outre le droit des Eglises locales à procéder à l’attribution
de leurs propres bénéfices, ce qui permet au pape de rémunérer sur les bénéfices de toutes les Eglises
les clercs à son service ; avec cette politique, le haut-clergé s’internationalise.
3. Lutte contre les déviances :
La papauté manifeste enfin la supériorité de son pouvoir sur l’épiscopat dans la lutte contre les
déviances, à cause des difficultés de ces derniers, qui laissent se développer et s’enraciner des hérésies,
avec des équilibres différents en fonction des espaces. Les deux foyers de dissidence sont alors situés
dans le Languedoc et l’Italie du Nord. A ces mouvements, la papauté oppose simultanément trois types
de réactions : Innocent III a soutenu les prédicateurs développant au plus près du terrain une méthode
de résorption de la contestation par la persuasion, mais cette méthode prend du temps, mais elle utilise
également la coercition, avec une alliance avec Barberousse en 1184 avec la bulle Ad abolendam, pour
une lutte commune contre les hérétiques d’Italie du Nord, l’hérésie s’y trouvant assimiler au crime de
lèse-majesté, enfin la répression peut être plus ponctuelle, comme en France avec la « croisade
albigeoise », après l’assassinat du légat Pierre de Castelnau (1208), qui conduit à la prise de Bézier
(1209) et à la victoire de Muret (1213) sur l’Aragon, une victoire à la fois papale et royale, avec le traité
de Paris en 1229 très dur pour les Toulousains. Dépassant les entreprises de circonstance, la papauté met
également au point une institution spécialement affectée à lutter contre les déviances : l’Inquisition ; le
pape Grégoire IX commence par envoyer des juges en Allemagne (1231), puis étend la mesure à toute
la chrétienté. Confiée aux ordres mendiants, l’Inquisition est une institution d’exception, qui se fonde
sur le droit moderne né dans les universités, avec une procédure d’enquête, menée dans le secret ; son
objectif étant d’obtenir des aveux, la torture est autorisée en 1254, même si la plupart des peines ne sont
pas aussi graves, comme la pénitence, ou le port de marques infâmantes. Les bûchers ne se multiplient
qua pendant la phase la plus dure de l’Inquisition, entre 1231 et 1250, et sont effectués pas le bras
séculier. L’Inquisition contribue par ces méthodes à détruire les solidarités unissant les dissidents.

II. Papes, empereurs et rois : l’affrontement :


Les papes et leurs juristes sont amenés par les circonstances à produire des documents où s’expriment
des prétentions théocratiques, une « politique du Spirituel », et ont su tirer les conséquences du principe
grégorien de hiérarchisation du Spirituel et du Temporel, avec le plenitudo potestatis détenue au nom
du Christ.
1. Le Spirituel guide du Temporel :
Les réformateurs grégoriens hiérarchisent le Spirituel et le Temporel, et se distinguent ainsi de
l’ancienne respublica christiana, qui partageait les prérogatives entre le pape et l’Empereur ; la nouvelle
conception donne à l’Eglise la mission de conduire la société vers le salut, et à la tête de l’Eglise de fixer
les valeurs de cette même société. C’est pourquoi le pape est la détenteur de la plenitudo potestatis,
c’est-à-dire de l’auctoritas, quand l’Empereur et les rois n’ont qu’une potestas, et doivent se cantonner
à une fonction d’exécution. Selon cette interprétation, l’Eglise est proprement impériale, et constituerait
une continuité possible de l’Empire romain dont elle garde la capitale, son rayonnement participant à
l’unité de l’Occident latin malgré l’effacement des institutions politiques centrales. De leur côté, les
souverains ont besoin du pape pour légitimer leur pouvoir religieusement, par le couronnement à Rome.
Au nom de la sauvegarde de l’unité de la foi de la communauté des croyants, les apes du XIIIème siècle
ont estimé exercer un contrôle sur les princes ratione peccati, en raison du péché (Innocent III).
2. Papes et empereurs :
L’Italie est le théâtre qui voit se radicaliser l’application de la plenitudo potestatis, avec l’affrontement
de deux pouvoirs universels : l’Empire et l’Eglise. L’Eglise assoit sa domination sur le souverain en
conditionnant le titre impérial au couronnement à Rome, sans lequel il n’est plus que « Roi des
Romains ». Au-delà des principes, la politique italienne de la papauté cherche d’abord à sauvegarder
l’indépendance des Etats de l’Eglise, et elle souhaite éviter la tenaille entre le Royaume d’Italie au Nord
et le royaume de Sicile au Sud, ce qui advient au hasard des successions au XIIIème siècle, avec Frédéric
II de Hohenstaufen ; la personnalité même de l’Empereur éveille la méfiance de la papauté, car le stupor
mundi s’ouvre au savoir, et aux mondes orientaux qui le fascinent. Au début du règne de Frédéric II, les
relations avec Rome sont paisibles, car il est fait roi de Sicile par sa mère, sous la tutelle d’Innocent III,
et organise une croisade suite à sa victoire contre Otton IV, avec Philippe Auguste, à Bouvines (1214).
Il fait élire son fils Henri roi de Germanie pour éviter la collusion des deux royaumes que redoute le
pape en 1220, en espérant toutefois redonner au titre impérial tout son lustre. La création de l’université
de Naples en 1224 est d’ailleurs un affront fait à la papauté, qui concentre son enseignement juridique
à Bologne, centre d’étude interdit aux étudiants napolitains. Aussi se heurte-t-il, dans les villes du nord,
à l’influence du parti Guelfe, d’obédience pontificale, alors qu’il essaie de renforcer son autorité avec
son soutien aux Gibelins. Le pape décide d’excommunier le souverain en 1227, alors que ce dernier
repousse la croisade qu’il a promis en raison d’une épidémie, ce qui ne l’empêche pas de partir en Orient
et d’y remporter des succès, se faisant couronner roi de Jérusalem. Le pape excommunie une seconde
fois l’Empereur en 1239, déliant ses sujets du serment de fidélité à son égard ; une décision réaffirmée
dans toute la chrétienté lors du concile de Lyon I (1245), alors que le conflit ne se termine vraiment
qu’avec la mort brutale de Frédéric II en 1250.
3. Les papes face aux rois :
L’Empire, qui se veut le couronnement de la totalité des entités politiques occidentales, ne constitue
toutefois pas la seule puissance à laquelle la papauté a affaire, et les rois sont également des
interlocuteurs privilégiés, alors qu’ils prétendent à l’autonomie, chacun d’eux se voulant « empereur en
son royaume ». Si le pape tente de devenir le véritable empereur de l’Occident, en commandant aux
princes, il ne parvient toutefois pas à la faire, car ces derniers ont des considérations équivalentes à celle
de l’Empereur, souhaitant contrôler les bénéfices ecclésiastiques majeurs, la fiscalité et les prétentions
des juridictions civiles et ecclésiastiques sur la personnes des clercs. La situation matrimoniale de
Philippe Auguste lui attire par exemple les foudres pontificales, à la suite de la répudiation de sa seconde
épouse, Ingeburge de Danemark, en 1193, alors même qu’il s’est croisé en 1190. Mais Louis IX est
assurément le prince du XIIIème siècle qui a le plus tenté d’édifier sur ses terres la « cité de Dieu », sans
parler de ses contributions aux croisades et sa dévotion privée ; même s’il est également le défenseur
zélé des droits de la couronne face à ceux de l’Eglise, car la « bonne justice » est avant tout royale.

III. L’affirmation face aux éléments extérieurs :


1. La dégradation de la condition des juifs :
Les juifs sont inégalement répartis dans l’Occident chrétien, et habitent le plus souvent dans les villes
en Europe du Nord, quand ils sont plus présents dans les campagnes en Italie et dans le Midi de la
France, car leurs communautés y sont implantées depuis l’Antiquité. Leur place éminente dans les
échanges et dans le prêt d’argent est le fruit des circonstances, et elle s’explique tout d’abord par le vaste
réseau des communautés juives établies à travers le monde depuis la diaspora, facilitant la circulation
des biens et des fonds, mais surtout car ils ne sont pas touchés par l’interdiction de pratiquer le crédit
(par les deux conciles de Latran de 1179 et 1215). Les juifs sont tolérés à condition de rester humbles et
soumis. Tout au long du XIIIème siècle, la situation des juifs dans la communauté se dégrade, tant par
l’action du peuple que dans les politiques des autorités civiles et religieuses : ils souffrent par exemple
du lien « protecteur » qu’ils entretiennent avec le seigneur, qui est une servitude masquée sous les
rapports féodaux Le concile de Latran IV impose aux juifs de porter un signe distinctif, et interdit les
mariages mixtes, même si ces décisions sont appliquées de manière inégale dans toute la chrétienté. Ces
mesures vont de pair avec les flambées d’antijudaïsme populaire que les autorités doivent réprimer, avec
des massacres lors des départs en croisade, comme dans la vallée du Rhin ; ils sont également accusés
de se livrer à la profanation d’hosties. Les savants entretiennent pourtant des rapports plus ambivalents
avec le judaïsme, car les rabbins les aident à interpréter l’Ancien testament, ce qui n’empêche pas le
corpus juif du Talmud d’être au centre d’une vive polémique au XIIIème siècle, car il semble trahir
l’ancienne loi que les juifs sont les garants ; l’affaire est portée devant les papes Grégoire IX et Innocent
IV, qui détruisent la production hébraïque de France en 1242.
2. La fin des croisades :
La croisade n’a plus son sens original au XIIIème siècle, n’étant plus tant une libération qu’une
entreprise de défense des Etats latins fondés pendant la première intervention en Orient, il en vient même
à qualifier toutes les entreprises militaires destinées pour défendre la foi ou les intérêts de l’Eglise. Ainsi,
les luttes contre les Gibelins sont qualifiées de « croisades » par le pape, comme la lutte contre l’hérésie
albigeoise, ce qui n’empêche pas les expéditions en Terre Sainte de rester centrales dans la politique des
papes, constituant l’une des lignes directrices dictant leur attitude envers les princes ; leurs appels à la
paix servent donc à faciliter la croisade plutôt qu’à fonder une politique proprement « chrétienne » sur
le continent. Cet effort est toutefois vain, et le XIIIème siècle marque la fin des Etats latins d’Orient
(1291). Dans les régions septentrionales de l’Europe, les peuples païens sont implantés entre la Vistule
et la Finlande, régions qui retiennent l’attention de la papauté appuyant les tentatives pour les convertir,
comme avec Albert de Buxhövden (1165-1229) à l’origine d’un ordre militaire, les chevaliers Porte-
Glaive, fondateur de l’évêché de Riga (1201). La conversion de la Livonie doit tout de même attendre
la fin du XIVème siècle. Mais l’ordre le plus actif est celui des chevaliers Teutoniques, à partir des
années 1230, par l’impulsion de leur grand maître, Hermann von Salza (1179-1239) ; il est appelé à
l’aide de Terre Sainte par le duc Conrad de Mazovie (1225-1226) à cause de la menace des Prussiens,
et vient créer sur les bords de la Baltique un « Etat militaire de gardes-frontières », en perpétuelle
situation de guerre, et dont la progression vers l’est est stoppée par le prince russe Alexandre Nevski en
1242. L’ordre est soutenu par la prospérité des échanges, qu’il protège, avec la fondation d’un réseau de
forteresses imposantes ; il est autonome et obtient des privilèges du pape en 1234.

Chapitre 4 : L’encadrement pastoral :


Le début du XIIIème siècle est un moment d’élan pastoral, avec une volonté des autorités ecclésiastique
d’instruire les fidèles dans la foi chrétienne. Si cette dynamique d’encadrement des pratiques n’est pas
ancien, elle a revêtu à cette époque une ampleur sans précédent, qui s’est révélée de la manière la plus
efficace possible pour résorber en profondeur la contestation hérétique. Ce mouvement repose d’abord
sur la mise en valeur du cadre paroissial, lieu prioritaire de la pratique et de la « cure des âmes ».

I. La paroisse et son « curé » :


1. La paroisse : un acte topographique et institutionnel :
Le maillage paroissial est fixé dans ses grands traits en Occident à partir du XIIIème siècle, sauf dans
les régions nouvelles christianisées, se superposant à la distribution de l’habitat, et suivant ses
évolutions, avec des distorsions dans les villes en plein essor. Dans ce cadre, certains évêques, comme
Maurice de Sully à Paris, créent de nouvelles paroisses ou en remembrent d’anciennes, par la rédaction
d’acte qui viennent fixer par le droit cette nouvelle organisation, l’initiative de la rédaction allant à la
paroisse-mère, avec le droit de nommer les desservants. Au cœur du territoire paroissial se trouve
l’église, qui est le centre de la vie religieuse, où doivent se rendre les habitants, au moins chaque
dimanche et pour les fêtes chômées, dont le nombre est fixée par les évêques pour chaque diocèse.
L’église n’est pourtant pas qu’un bâtiment religieux, et sert également de lieu de rassemblement pour la
communauté, ou de stockage et de protection. A l’unité paroissiale sont attachés divers biens et revenus,
et le droit canonique a imposé de longue date que toute fondation d’église soit accompagnée d’une
dotation matérielle permettant de subvenir à l’entretien des bâtiments et de son personnel. La paroisse
est donc détentrice d’un domaine, exploité par le titulaire, même si ces biens ne subsistent pas partout.
S’ajoute aux revenus de la paroisse le prélèvement de la dîme, obligatoire et lourde, d’un montant
théorique du dixième, portant sur tous les revenus, dont une portion revenait de droit au prêtre. Ces
revenus attirent cependant la convoitise d’institutions en difficulté financière, comme certains
monastères, hôpitaux ou chapitres canoniaux, obtenant l’intégration des paroisses dans leurs biens. Le
concile de Latran IV tente de remédier à la situation en instituant une dotation minimale. Enfin, le casuel
est la dernière source de revenus des provinces, devenant principale au XIIIème siècle, s’agissant de
toutes les offrandes que font les fidèles à l’occasion des sacrements
2. La dévolution des paroisses et la question de la résidence de desservants :
Par ses revenus, si modestes soient-ils, l’attribution de la paroisse compte donc parmi les enjeux de
l’attribution ecclésiastique des bénéfices. Seul l’évêque peut remettre la paroisse à son desservant, mais
ce sont les « patrons » des paroisses qui présentent les candidats, étant constitués à la fois de laïcs et de
clercs. La réforme grégorienne n’a pas réussi à affranchir totalement les « patrons » de l’influence
laïque, même si ces derniers reculent en Occident, surtout dans l’ancienne chrétienté. De cette manière,
le XIIème siècle voit triompher le principe selon lequel les affaires de l’Eglise sont du ressort exclusif
des clercs. Certains clercs propriétaires fonciers, comme les Cisterciens, on également créé de nouvelles
paroisses sur les terrains défrichés, autonomes par rapport à l’évêque. Les candidats doivent passer un
examen devant les services de l’évêque pour être nommés, portant sur la connaissance du latin et des
chants liturgiques. La desserte des paroisses butte néanmoins sur un nouvel obstacle : la non-résidence,
autrement dit l’absence chronique des titulaires lié au cumul des bénéfices, afin d’augmenter leurs
revenus. Le fossé se creuse donc entre les villes, avec de nombreux desservants et des centres d’étude,
et les campagnes, avec des clercs médiocres, le desservant se faisant remplacer par un vicaire.
3. L’avènement de la cure d’âmes :
De plus en plus couramment, à partir du XIIIème siècle, le desservant de paroisse devient le principal
garant du soin des âmes, la cura animarum, qui reflète un idéal pastoral approfondi au XIIème-XIIIème
siècle. ; une conception développée par le maître parisien Pierre le Chantre, rejetant le siège épiscopal
de Paris pour se concentrer sur l’enseignement, formant la première génération de théologiens et de
pasteurs du XIIIème siècle, dont fait partie le futur Innocent III. C’est l’essor de la théologie pratique
qui définit l’idéal du « bon pasteur », afin de convertir les hérétiques, et d’éviter la montée de
l’anticléricalisme. Mais aucune institution n’est dévolue à la formation du clergé, qui repose avant tout
sur l’évêque, avec une dimension pédagogique nouvelle pour les synodes et les conciles, biannuels le
plus souvent. A cette occasion sont également rédigés et corrigés les statuts du diocèse, des recueils de
préceptes adaptant localement les dispositions générales des conciles. Ces réunions sont de hauts lieux
des sociabilités cléricales, avec des solidarités et l’émergence de groupes. Les évêques les plus soucieux
de la formation des prêtres de leur diocèse ont complété les réunions annuels par des productions écrites,
plus durables, sous la forme d’opuscules pastoraux, consacrés à l’administration des sacrements ou au
commentaire des principes prières, comme ceux de l’archevêque de Pise Fererico Visconti au milieu du
XIIIème siècle. Enfin, des mesures sont prises pour faciliter l’accès à l’université des plus pauvres, avec
la fondation, par exemple du collège de Robert de Sorbon à Paris en 1257. Cette entreprise de formation
est encadrée par des contrôles réguliers, surtout lors de la visite des évêques, ou de leurs adjoints, avec
des enquêtes auprès des fidèles, pour juger les manquements.

II. Les multiples voies de la transmission du message :


Si la transmission du message chrétien repose d’abord sur le prêtre de la paroisse, ce dernier est loin
d’en avoir le monopole, et passe par d’autres canaux, comme la famille, le femmes ayant en charge
l’éducation des enfants, ou avec d’autres religieux, comme les Mendiants.
1. L’essor de la prédication :
L’élan pastoral trouve son principal argument dans la prédication, qui connaît un développement sans
précédent au XIIIème siècle. Instruire par la parole relevait du devoir des évêques, qui ne sont pas assez
efficaces, ce qu’illustre le concile du Latran qui leur donne des adjoints, comme les frères mendiants qui
s’imposent. Ces religieux jouissent d’une grande mobilité par leur mode de vie, qui participe à la
disséminer sur tout le continent, même s’ils sont plus nombreux dans certaines régions, comme en Italie
ou dans le sud de la France. La formation qu’ils reçoivent dans les studia des couvents en font des
« maîtres de la parole », par leur maîtrise de la rhétorique. Les fidèles entendent souvent des prêches,
déjà tous les dimanches, avec des prédications exceptionnelles pendant les fêtes chrétiennes. Les
orateurs prennent place sur « l’échafaud » sur le parvis des églises, où le public réagit à leur discours.
Leurs discours se distinguent des vieilles homélies monastiques, et s’appuient sur des recueils
alphabétiques des termes bibliques, tout en animant les prêches avec de petits récits édifiants, les
exempla, moralisant l’auditoire ; ces discours abordent néanmoins rarement la vie des saints, réservée à
leur fête, avec les récits de legenda (« ce qui doit être lu »).
2. Images, paraliturgies et théâtre religieux :
L’enseignement dispensé par la pratique liturgique et par la voix des prédicateurs trouve un relai dans
les images, durables dans le cas de la figuration des lieux de culte, ou éphémères par la mise en scène.
Ces images ne sont toutefois pas la « bible des pauvres », et sont souvent savantes, demandant une
véritable culture pour être comprises dans tous leurs développements, en plus d’être assez peu
accessibles par moment, en hauteur ou dans des manuscrits rares. Les ensembles décoratifs sont de
vastes tableaux récapitulatifs de l’histoire du salut, venant se superposer au déroulement de l’année
liturgique.

III. La place des laïcs :


Le terme de « fabrique » ou « d’œuvre » désigne un groupe de paroissiens, qui a en charge l’entretien
du lieu de culte et la gestion des finances communes, l’institution incarnant la part prise par les laïcs à
la vie paroissiale. Elle fait donc partie au vaste ensemble des institutions communautaires qu’a connu
l’Occident médiéval, et naît dans l’Italie des communes du XIIème siècle. Les membres de la fabrique
sont élus par la communauté paroissiale, à laquelle ils rendent compte à la fin de leur mandat ; il s’agit
le plus souvent des notables du lieu, par le prestige social et leur richesse.
L’église cathédrale correspond à une réalité institutionnelle avant qu’à un style architectural, car il
s’agit de l’église de l’évêque, avec son siège honorifique, le cathèdre. Primitivement appelé « art
français », le gothique revendique sa modernité, d’abord à Saint-Denis au milieu du XIIème siècle ;
l’engouement pour ce style provoque une intense activité, portée par la croissance économique et par
l’orgueil citadin, renforçant l’identité des villes, leur financement étant plutôt urbain, les princes
préférant les ordres mendiants.
Les fidèles ne soutiennent pourtant pas tous à l’intensité de l’action pastorale et au dynamisme de la
vie des lieux de culte, et l’anticléricalisme ne taris pas, même après la mise en ordre par la papauté, les
prêtres de paroisse continuant à être dénoncés. Mais c’est la richesse du clergé et son lien avec le pouvoir
qui sont le plus critiqués, surtout au sud de la France. Les prélèvements financiers alourdis par la fiscalité
de la papauté, en plein essor, sont mal supportés, et les laïcs acceptent de donner à leur paroisse tant
qu’ils en gardent le contrôle par la fabrique. Les Mendiants commencent également à être critiqués, par
la richesse de leurs couvents.

Chapitre 5 : Le dynamisme des cultes et des dévotions :


Deux voies de salut s’ouvrent aux fidèles aux XIIème-XIIIème siècle : la première consistant à s’en
remettre à la prière de ceux qui ont dédié leur vie à la contemplation, et une seconde, s’affirmant petit à
petit, préconisant de s’adonner à des « œuvres » pendant toute sa vie, dans une aventure individuelle.
I. La quête du salut : une aventure collective :
La formalisation du purgatoire a lentement mûri au cours du XIIème siècle, dans le monde cistercien
et dans les milieux intellectuels parisiens, une réflexion qui est intégrée dans les grandes sommes
théologiques du XIIIème siècle. La diffusion de cette nouvelle conception de l’au-delà est surtout le fait
des ordres mendiants, et leurs régions de prédilections y sont plus réceptives que les autres (Italie,
Languedoc). Cette évolution théorique ne modifie aucunement les pratiques courantes, comme avec les
prières pour les défunts, et les dons des mourants à l’Eglise. La préoccupation pour les « œuvres »
menant au salut explique le succès des confréries, dont la fonction d’intercession est centrale au Moyen-
Âge, avec deux composantes, de dévotion et une activité caritative. La confrérie réunit le plus souvent
des gens exerçant le même métier, même si l’appartenance à cette structure ne relève que du choix
individuel, dans lequel l’autorité religieuse n’interfère pas. La principale fonction de ces sociétés est
l’accumulation de bienfaits propices au salut de ses membres, avec des banquets et des messes, et la
célébration d’un saint patron. Ils pratiquent également, les confrères, des formes d’entraide, avec un
soutien matériel, et des visites en cas de maladie, des aides face aux difficultés de la vie. Si le mouvement
confraternel semble avoir vu le jour dans le milieu des gens d’Eglise, son succès est considérable dans
les villes et dans les campagnes, car ces aspirations largement partagées. L’ample développement qu’a
connu le mouvement est donc un signe indubitable de la bonne réception du message réceptif au salut.

II. La formation des esprits :


Les défis que posent à l’Eglise les nouveaux courants de pensée nés aux XIIème et XIIIème siècles
(évangélisme, dissidence…) l’obligent à intensifier son investissement dans les lieux de formation.
Soucieuse de former son clergé, l’autorité ecclésiastique a favorisé depuis longtemps le développement
de lieux d’enseignement, soutenue par le pouvoir civil, d’abord avec les écoles urbaines. Ces écoles
enregistrent un vif essor, en Italie, Allemagne et surtout en France, et sont appuyés par le concile de
Latran (1215), préconisant la présence d’un maître dans tous les évêchés. C’est dans ce contexte
d’efflorescence que prend naissance un mouvement par lequel maîtres et étudiants d’une même ville ont
cherché à organiser l’exercice de leur profession, ce mouvement débouchant sur la création d’une
université (universitas), désignant d’abord un collectif doté de la personnalité juridique. Maîtres et
élèves entendent ainsi obtenir des privilèges les affranchissant des autorités civiles et ecclésiastiques :
souhaitant obtenir le droit d’être jugés par les tribunaux de l’Eglise, et leur autonomie dans la sélections
des maîtres. L’initiative vient des élèves à Bologne mais des maîtres à Paris ; le modèle bolonais
triomphe dans toute l’Italie, et le modèle français dans toute l’Europe. La papauté tente, en outre, de
renforcer ses pouvoirs sur l’institution, au détriment des évêques, avec la bulle Parens scientiarum
(1231), faisant des universités le « bouclier de la foi », surtout pour Paris, désigné comme centre de
l’étude de la théologie, une fin qui est aussi celle qui guide la fondation de l’université de Toulouse en
1229.
Guidés par la perspective pastorale, les maîtres du XIIIème siècle ont accompli un travail important
sur le texte biblique, considéré comme objet d’étude scientifique plutôt que purement contemplatif ;
c’est la naissance de l’exégèse scientifique, surtout avec les Mendiants ; les élites intellectuelles
chrétiennes se lient ainsi avec les élites juives, et renouent avec les auteurs antiques. L’essor de l’exégèse
du XIIIème s’accompagne d’une grande floraison théologique, avec une réflexion argumentée sur Dieu,
commencée avec Abélard ; avec la rupture majeure de la redécouverte d’Aristote, par les commentaires
arabes comme ceux d’Averroès (1198), avec la première traduction de l’Ethique à Nicomaque.

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