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Antoine Charles - Schrodinger A La Plage

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Crédits iconographiques
P. 6 © akg / Science Photo Library. P. 49 © ESA, LFI & HFI
Consortia. Image optique en arrière-plan : Axel Mellinger. P. 74 :
© Antoine Weiss et Todorka Dimitrova
(https://www.sps.ch/en/articles/progresses/wave-particle-duality-
of-light-for-the-classroom-13/). P. 105 : © GJo – CC 3.0.

Principe de collection, conception et illustration de la


couverture :
Marie Sourd, Atelier AAAAA
Crédits typographiques : Grotesque6 © Émilie Rigaud,
A is for (titraille) & Carrara © Hoftype (texte courant)

Illustrations de l’intérieur : Rachid Maraï

© Dunod, 2018
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
www.dunod.com

ISBN : 978-2-10-078254-3

Ce document numérique a été réalisé par PCA

2
TABLE
Couverture

Copyright

Prologue Physicien iconoclaste pour théorie bien mystérieuse

Chapitre 1 Prélude au voyage

Chapitre 2 La lumière et son double visage

Chapitre 3 Sauts quantiques et fin des certitudes

Chapitre 4 Tout n'est qu'onde de probabilité

Chapitre 5 La mesure quantique : vous venez de modifier ce


livre !

Chapitre 6 Schrödinger et son chat : le cœur de la physique


quantique

Chapitre 7 Spin, perte d'identité et matière-lumière

Épilogue Vertiges et promesses de la vie quantique

Glossaire

Bibliographie

Index

Dans la même collection

3
PROLOGUE

PHYSICIEN ICONOCLASTE
POUR THÉORIE BIEN
MYSTÉRIEUSE…

Ce que vous vous apprêtez à faire est dangereux.


Pénétrer l’étrangeté du monde quantique est un
voyage fabuleux dont on ne ressort pas indemne…

C’est un monde où de mystérieux chats sont à la fois morts et


vivants, où de malicieuses souris font exister la lune rien qu’en
l’observant, où certaines interactions se font hors de l’espace et du
temps, où une chose peut être à deux endroits à la fois et aller d’un
lieu à l’autre sans passer par un quelconque lieu intermédiaire…
C’est aussi un monde où tout n’est que probabilités et ondes
imaginaires, où la matière se révèle n’être que vibrations éphémères
en perpétuelle re-création, où le si mal nommé « vide » est empli
d’une énergie prodigieuse, où l’infiniment petit s’enchevêtre avec
l’infiniment grand, où les univers parallèles se multiplient à volonté,
où l’absurde côtoie le divin…

4
« L’instant le plus heureux d’une vie
humaine est le départ vers une terre
inconnue. »
Sir Richard Francis Burton, Extrait de son journal

Pure construction intellectuelle pour amoureux des langages


abstraits ? Bizarrerie mathématique pour adeptes des
questionnements métaphysiques ? Excentrique théorie scientifique
aux frontières de la philosophie et de la folie ? Beaucoup pourraient
être tentés de répondre par l’affirmative si le pouvoir prédictif de
cette théorie ne s’était pas révélé aussi puissant que
révolutionnaire ! Car la physique quantique, malgré tout l’insensé
dont elle semble se parer, est une théorie extrêmement bien vérifiée
expérimentalement. Si bien, d’ailleurs, qu’elle en est même parfois
déroutante, particulièrement lorsqu’il s’agit des interactions entre
lumière et matière.
La physique quantique n’est cependant pas qu’une beauté cachée
qui réserverait ses énigmatiques splendeurs aux explorateurs du
monde microscopique… Nous n’en avons pas conscience, mais elle
est présente dans presque chaque geste de notre quotidien : lorsque
nous faisons glisser nos doigts sur notre smartphone, lorsque nous
pianotons sur le clavier d’un ordinateur et, de façon générale, à
chaque fois que nous utilisons un appareil comportant des
composants électroniques ! Car sans la physique quantique, pas de
compréhension du fonctionnement des diodes et des transistors,
donc pas de circuit intégré, ni de microprocesseur ou de mémoire
flash. Sans physique quantique, pas d’onde de matière, donc pas
d’horloge atomique ni de GPS. Sans physique quantique, pas de
laser, pas de train à lévitation magnétique, pas d’imagerie médicale
ultra-précise, pas de communication ultra-sécurisée.
Et demain, quand nous voterons, utiliserons notre carte bancaire,
nous habillerons ou nous déplacerons sur Terre ou dans l’espace…
notre environnement sera constellé d’appareils que la physique
quantique a permis de créer en laboratoire : de l’ordinateur

5
quantique à la téléportation quantique, en passant par les nouveaux
matériaux comme le graphène ou les nanotubes de carbone.
Mais il y a plus, comme dirait l’enchanteur radiophonique Jean-
Claude Ameisen : de récentes recherches ont en effet montré
l’existence d’effets quantiques dans le domaine du vivant (chez les
plantes, lors de la photosynthèse par exemple, ou dans les yeux de
certains oiseaux migrateurs), domaine jusque-là exclu en raison de
son extrême complexité, jugée rédhibitoire pour la préservation du si
fragile phénomène de cohérence quantique. Même la conscience,
ou du moins la transformation d’une information en constatation
consciente par un esprit humain, semble aujourd’hui en passe d’être
reliée à des interactions de nature quantique…
Oui, décidément, comme le souligne le physicien Steven
Weinberg, « le jour où l’on découvre la physique quantique, on n’est
plus jamais le même ». C’est donc bien à un voyage extraordinaire –
au sens premier du terme – que ce livre vous convie.

Erwin Schrödinger en 1940, à l’âge de 53 ans

Et qui mieux qu’Erwin Schrödinger (1887-1961), parmi l’ensemble


des principaux découvreurs et artisans de cette théorie, pourrait
nous servir de guide ? Il n’est certes pas aussi connu que Planck,
Einstein ou Feynman, peut-être pas aussi visionnaire que Bohr, de
Broglie ou Pauli, et assurément moins précoce que Dirac, von

6
Neumann ou Heisenberg… (Pas de panique, si les noms de ces
physiciens ne vous disent rien, c’est que ce livre est fait pour vous !)
Mais toute la vie et l’œuvre d’Erwin Schrödinger sont à l’image de la
physique quantique.
D’âge intermédiaire, entre les deux générations de physiciens qui
se sont affrontées à la naissance de la physique quantique, il a été
de presque toutes ses étapes-clés : en établissant l’équation
centrale de cette théorie – l’équation de Schrödinger –, dont la
résolution est à l’origine des principales applications technologiques
actuelles ; en réalisant la synthèse entre les deux versions majeures
de la théorie (la mécanique des matrices d’Heisenberg, Born et
Jordan, et la mécanique ondulatoire qu’il a lui-même établie à la
lumière des travaux du Français Louis de Broglie) ; en critiquant
l’interprétation standard de la théorie avec son célèbre chat mort-
vivant et l’introduction, avec son ami Albert Einstein, de la notion
fondamentale d’intrication quantique ; en poursuivant son opiniâtre
recherche, hélas infructueuse, d’une super-théorie qui unifierait les
deux grands piliers de la science actuelle que sont la physique
quantique et la relativité générale ; en se passionnant pour la
philosophie et les liens entre science et spiritualité ; et enfin, en
ouvrant la voie à ce qui deviendra, quatre-vingts ans plus tard, le
révolutionnaire domaine de la biologie quantique…
Et si Erwin Schrödinger fut iconoclaste dans son approche de la
science, il le fut tout autant dans ses relations amoureuses, ses
amitiés et ses choix de vie. Esprit libre, rejetant les conventions de
toutes sortes, il a profondément marqué la science de son époque et
en a largement bousculé les consciences. Son travail scientifique et
philosophique n’a de cesse d’être redécouvert et apprécié à une plus
juste valeur, comme si le temps avait été nécessaire pour en saisir
toute la portée visionnaire.
« Inventer, c’est penser à côté », disait Einstein. Quelle plus belle
illustration que la vie et l’œuvre de Schrödinger, dont chaque
élément peut éclairer le grand livre de la physique quantique !

7
CHAPITRE 1

PRÉLUDE AU VOYAGE

La physique quantique résumée en trois mots et dix


questions !

« Il n’est pas nécessaire de construire un labyrinthe, quand


l’Univers déjà en est un », soulignait le poète argentin Jorge Luis
Borges. Ce premier chapitre se veut fil d’Ariane dans vos
pérégrinations quantiques. À la fois carnet de bord et invitation au
voyage, résumant les notions et principes quantiques exposés et
développés dans la suite du texte.
Quelques réponses, immédiates et concises, aux questions que
vous vous posez sûrement sur cette intrigante théorie : de quoi parle
la physique quantique ? Quels en sont ses principes ? En quoi
diffère-t-elle des autres théories ? Pourquoi la lumière y joue-t-elle
un rôle important ? Que signifie le mot quantique ?
Ce chapitre a également pour vocation de vous immerger tout de
suite dans cette fantastique théorie et de vous permettre de
répondre, en trois mots ou trois phrases, à votre voisin de transat qui
vous demande avec insistance ce qu’est donc cette fameuse
physique quantique… Évidemment, si vous savez déjà répondre à
cette question, vous pouvez sauter ce chapitre. Inversement, si

8
l’évocation de certains termes techniques ou noms de savants
autrichiens baladeurs vous fait perdre pied, pas de panique, les
lignes qui suivent devraient vous aider à mettre de la couleur sur
votre chemin.

« Tout voyageur est d’abord un


rêveur. »
Bruce Chatwin, En Patagonie

Signalons tout d’abord qu’il n’est pas question, ici, de vouloir


atteindre le sommet de l’Everest quantique ! L’idée générale est de
vous outiller pour en gagner le premier camp de base, de vous
donner les clés pour vous permettre d’être autonomes dans votre
ascension ultérieure par la face nord…
Mais attention, il ne s’agit pas non plus de vous soustraire au
plaisir aérien de saisir des choses difficiles ! Si certaines
simplifications et analogies, forcément approximatives, sont au
programme, il n’en reste pas moins que l’aventure demandera de
l’attention, de l’envie et un certain effort de votre part. Comme aime
à le partager l’acteur-poète Jacques Gamblin : « Pas de pression,
pas d’enjeu. De l’envie, du jeu et de la joie ! »

LA PHYSIQUE QUANTIQUE EN TROIS MOTS

De la même façon qu’Einstein a montré, avec la célèbre formule E


= mc2 issue de sa théorie de la relativité, que « tout était énergie »,
on pourrait résumer l’essence de la physique quantique par les trois
mots suivants :
« Tout est vibration ! »
Tout est vibration, tout est « onde ». Comme celles qui
apparaissent à la surface de l’eau quand on y jette un caillou, ou
celles qui parcourent les épis de blé dans le vent, ou encore celles

9
qui prennent vie dans les instruments de musique… Mais à la
différence de ces ondes physiques qui peuplent notre quotidien, les
ondes quantiques ne sont ni matérielles (contrairement aux ondes
sonores), ni visibles (contrairement aux ondes lumineuses), ni même
observables par quelque moyen que ce soit. Ce sont des ondes
abstraites, appartenant à un autre monde, un monde mathématique
imaginaire… mais qui a tout de même des effets physiques sur le
nôtre !
Comment est-ce possible ? Quel est le lien entre ces deux
mondes ? Quelle est la nature de ce lien entre ce monde abstrait et
le monde réel qui nous entoure ? Subtil et perturbant
questionnement qui a conduit les scientifiques à revoir le concept de
mesure, à comprendre en profondeur ce que signifiait observer, et
par là même à redéfinir la notion même de réalité…

LA PHYSIQUE QUANTIQUE EN DIX QUESTIONS

1. QUAND ET POURQUOI LA PHYSIQUE QUANTIQUE A-T-ELLE


ÉTÉ CRÉÉE ?

La physique quantique est l’une des deux théories fondamentales


majeures de la physique d’aujourd’hui, l’autre étant la relativité
générale d’Einstein.
Ses principes ont été progressivement établis au cours des
années 1900-1930 par un collectif de chercheurs, essentiellement
européens. Si Albert Einstein a introduit la notion de grain de lumière
en 1905, puis Louis de Broglie celle d’onde de matière en 1923,
c’est principalement les physiciens Werner Heisenberg, Erwin
Schrödinger, Paul Dirac, Niels Bohr, Wolfgang Pauli et John von
Neumann qui ont finalisé et formalisé la théorie telle qu’on la connaît
aujourd’hui.
La physique quantique fut en fait créée en réponse à des
observations et expériences impossibles à expliquer simplement
avec les théories de l’époque (c’est-à-dire essentiellement la

10
mécanique et l’électromagnétisme), qui furent par la suite qualifiées
de classiques, par opposition à quantique.
L’essentiel des expériences et observations incomprises à
l’époque font intervenir les interactions entre lumière et matière (par
exemple, le problème du rayonnement émis par un corps à
température constante).

2. QUE VEUT DIRE LE MOT « QUANTIQUE »

Ce mot vient du latin quantum qui signifie combien. Son sens


actuel est petit grain, sous-entendu petit grain d’énergie, si rien n’est
précisé concernant la nature de ce grain. Au sens large, le mot
quantique fait référence à tout ce qui peut, de près ou de loin, être
relié à un effet ou à une notion de physique quantique. Ainsi, un effet
quantique n’est rien d’autre qu’un effet prédit, ou décrit, par la
physique quantique.
De façon plus précise, un quantum (pluriel quanta) est la quantité
minimale qu’une grandeur physique peut prendre lors d’une
interaction entre deux choses. On dit alors qu’il y a quantification
de la grandeur caractérisant cette interaction.
L’acception petit grain d’énergie fait référence au fait qu’il a été
démontré que la lumière possède un aspect granulaire, sous forme
de quanta d’énergie appelés aussi photons, et que, de façon
générale, tout ce qui existe autour de nous présente un tel
comportement granulaire. Les atomes, par exemple, que nous
concevons aisément comme des grains de matière, possèdent
également en eux une structure énergétique granulaire. Même
l’espace et le temps pourraient en fait être, selon les dernières
spéculations théoriques, structurés en grains d’espace-temps…

3. QUELLES SONT LES EXPÉRIENCES EMBLÉMATIQUES


DE LA PHYSIQUE QUANTIQUE

De multiples expériences ont été nécessaires pour confirmer la


pertinence des principes et notions révolutionnaires que les

11
découvreurs de la physique quantique ont progressivement
introduits.
La plus emblématique est sans conteste l’expérience des fentes
d’Young, que nous verrons en détail par la suite (voir p. 32) et dans
laquelle deux fentes sont utilisées pour mettre en évidence la notion
d’onde de probabilité associée à une seule particule, que celle-ci soit
de matière (un électron ou un atome, par exemple) ou de lumière
(un photon).
D’autres expériences-clés ont permis d’asseoir la théorie à ses
débuts, en particulier celles démontrant la quantification de l’énergie
(lumineuse ou atomique), l’existence du spin et la réalité physique
des ondes de matière. Parmi les expériences plus récentes, on
peut citer celles qui ont prouvé la réalité des phénomènes
d’intrication et de non-localité (grâce aux travaux d’Alain Aspect,
en 1981, puis de Ronald Hanson, en 2015) et celles en lien avec la
découverte de particules élémentaires comme le boson de Higgs, en
2012.
Dans les années 1990, ce sont d’autres portes qui s’ouvrent, avec
la réalisation pratique de la téléportation quantique et la production
d’ondes de matière cohérentes (ce qui vaudra le prix Nobel au
français Claude Cohen-Tannoudji en 1997). Enfin, depuis 2010, ce
sont l’informatique quantique et la biologie quantique qui
prennent leur envol par l’intermédiaire de multiples expériences,
publiques ou privées, à travers le monde entier.

4. EST-CE UNE THÉORIE BIEN VÉRIFIÉE

La physique quantique est une théorie extrêmement bien vérifiée.


Sa version augmentée, appelée électrodynamique quantique (QED
pour les intimes), dans laquelle les interactions lumière-matière ainsi
qu’une forme restreinte de la relativité d’Einstein sont prises en
compte, est même considérée comme LA théorie la mieux vérifiée
de tous les temps ! (En compétition pour ce titre avec la relativité
générale d’Einstein, d’autant plus depuis la détection en 2015 des
fameuses ondes gravitationnelles prédites par cette théorie.)

12
L’électrodynamique quantique ne peut cependant pas s’appliquer
à des quantités importantes d’atomes et de matière, pour lesquelles
la version simplifiée de la physique quantique (celle exposée
principalement dans ce livre) est utilisée pour décrire les
phénomènes observés. Dans ce cas également, l’accord entre
prédictions et mesures est extrêmement précis, même s’il existe des
effets quantiques anormaux (entre autres en biologie et dans le
domaine de la supraconductivité, par exemple) qui interrogent et
laissent la porte ouverte à de nouvelles avancées.

5. À QUELS OBJETS LA PHYSIQUE QUANTIQUE S’INTÉRESSE-T-ELLE

Bien que le domaine principal d’application de la physique


quantique soit celui de l’infiniment petit, il existe des effets
quantiques à toutes les échelles de la nature, de l’échelle sub-
microscopique des sous-constituants élémentaires d’un atome à
l’échelle astronomique de l’Univers, en passant par l’échelle
humaine et industrielle.
La physique quantique s’intéresse donc à tous les objets, des plus
petits aux plus gros ! On pourrait même dire sous forme lapidaire
que « tout est quantique » !
Il est en effet possible d’associer une onde quantique à tout objet
ou ensemble d’objets, même si les propriétés quantiques des objets
du quotidien ne nous sont pas accessibles ou, du moins, très
difficilement. Il y a d’ailleurs un domaine de recherche à part entière
qui étudie où se situe la frontière entre le monde fortement
quantique observé au niveau des atomes et celui, beaucoup moins
quantique en apparence, dans lequel nous vivons au jour le jour.

6. EN QUOI CETTE THÉORIE DIFFÈRE-T-ELLE DES AUTRES

Contrairement à la relativité générale, l’autre grand pilier de la


physique moderne, la physique quantique ne repose pas sur un
grand principe, quasi-philosophique, comme le principe de relativité
du mouvement pour la théorie éponyme. La physique quantique fait
en effet appel à toute une liste de principes, que certains qualifient

13
parfois de recettes, et dont la justification est encore à ce jour sujette
à controverses. Ces étranges recettes ont recours à de non moins
étranges ingrédients, comme les notions d’onde de probabilité, de
spin ou de saut quantique.
D’une manière générale, la physique quantique marque la fin des
certitudes en sciences et conduit à une remise en question globale
et profonde de tous les concepts usuels de la physique : localité,
réalisme, mesure, espace, temps, causalité, vide… Même les
concepts d’univers unique et d’existence en soi semblent abolis !
La physique quantique a également ceci de singulier qu’elle
nécessite une interprétation ; une interprétation physique de son
formalisme mathématique très particulier. Cependant, bien que
plusieurs interprétations soient aujourd’hui en concurrence pour
tenter de comprendre ce que signifie réellement cette théorie, la
plupart des scientifiques actuels suivent à la lettre la boutade du
physicien David Mermin – « Tais-toi et calcule ! » – en ne se
concentrant que sur les aspects hautement prédictifs et techniques
de la théorie.

7. ET S’IL N’Y AVAIT QU’UN SEUL ET UNIQUE PRINCIPE QUANTIQUE


À RETENIR

S’il n’y avait qu’un principe à retenir, ce serait celui appelé dualité
onde-corpuscule.
D’aucuns sourcilleront car ce n’est en réalité pas vraiment un
principe (c’est davantage une propriété émergente de la théorie, qui
n’a donc pas à être postulée au départ), et que cette expression de
dualité est souvent source d’incompréhensions et d’utilisations
incorrectes ou abusives.
La dualité onde-corpuscule résume pourtant finalement très bien
l’essentiel de la physique quantique, à savoir que tout est onde,
vibration. La lumière et la matière ont donc un double visage, à la
fois corpusculaire – c’est-à-dire sous forme de petites particules – et
ondulatoire – c’est-à-dire sous la forme d’une onde. Cette onde n’est
cependant pas réelle. Elle est abstraite et vit dans un espace
mathématique distinct de notre espace physique, réel, celui dans

14
lequel nous existons. Ce principe de dualité onde-corpuscule est
donc plutôt à remplacer par le principe suivant : « tout peut être
représenté par une onde quantique ».
D’un point de vue plus technique, on parle davantage d’état
quantique, et la phrase correcte est donc plutôt : « tout peut être
représenté par un état quantique ».

8. QUELS SONT LES GRANDS DOMAINES D’APPLICATION


DE LA PHYSIQUE QUANTIQUE

De par son origine, la physique quantique est la science idéale


pour décrire les différentes sous-structures de la matière : les
atomes et leurs composants – les électrons, protons et neutrons –,
mais également toutes les particules encore plus petites – les
neutrinos, les quarks… Ce domaine d’application a trait à la célèbre
physique des particules, qui tente de comprendre la nature et les
propriétés des particules élémentaires, comme le fameux boson de
Higgs.

15
Champ, force, énergie…
Si « chaque mot est un préjugé », comme nous met en
garde Friedrich Nietzsche, les mots de la science le sont
doublement. La plupart des termes scientifiques possèdent
en effet une acception qui diffère grandement de leur sens
commun.
La notion de « force », par exemple, fait référence à toute
interaction susceptible de modifier le mouvement d’un objet.
Si cet objet se déplace sous l’effet de cette force, on dit alors
que celle-ci fournit un travail, c’est-à-dire qu’il y a transfert
d’énergie d’un point à un autre. L’énergie, quant à elle, est
une grandeur protéiforme (énergies cinétique et potentielle,
chaleur, travail…) qui a la propriété de pouvoir facilement
passer d’une forme à une autre, mais sans perte globale.
L’ascension d’une montagne, par exemple, permet de
convertir une énergie biologique en de multiples formes
d’énergie, en chaleur et en énergie potentielle de pesanteur
notamment.
S’il existe en pratique une multitude de forces (de pression,
de friction, de Coriolis…), notre compréhension actuelle de la
physique les fait toutes dériver de seulement quatre forces,
dites fondamentales : la force de gravité, la force nucléaire
faible, la force électromagnétique et la force nucléaire forte
(par ordre d’intensité croissante). À chacune de ces forces
est associé un champ, c’est-à-dire une grandeur physique
définie en tout point de l’espace et à tout instant, un peu
comme la hauteur d’eau en un point de la surface de la mer.
Les particules de matière sont alors vues comme des
excitations de ces champs (comme des rides ou vaguelettes),
et leurs interactions se font également par l’intermédiaire de
particules nées de ces champs sous-jacents.

Il existe en fait tout un ensemble de théories quantiques, appelées


théories quantiques des champs, issues du mariage entre la
physique quantique et une version simplifiée de la relativité
d’Einstein. Parmi celles-ci, l’électrodynamique quantique a trait aux

16
interactions entre lumière et matière, alors que la chromodynamique
quantique s’intéresse à la structure des noyaux atomiques.
Un autre domaine d’application important est celui de la chimie
quantique, dans lequel on essaye de comprendre et modéliser la
manière dont les atomes s’associent pour former des liaisons
chimiques et des molécules. Dans un autre domaine, celui de la
physique du solide, on tente de comprendre la structure de la
matière à notre échelle, pourquoi un matériau est solide, pourquoi et
comment il conduit l’électricité et la chaleur, s’il est possible de
construire de nouveaux matériaux… Ce domaine est intimement lié
à ceux de la microélectronique et des nanotechnologies.

9. EN QUOI SOMMES-NOUS CONCERNÉS PAR LA PHYSIQUE


QUANTIQUE

Tout d’abord, la physique quantique est depuis longtemps sortie


des laboratoires de recherche !
Quelques exemples ? Les composants de tous les appareils
électroniques (diodes laser, transistors, mémoires flash…) sont
fondés sur un effet quantique appelé effet tunnel ; les systèmes de
type GPS dépendent de références de temps ultra-précises et
stables fournies par des horloges atomiques ; l’énergie nucléaire ou
solaire que nous consommons dépend aussi de processus
quantiques ; de même que la chirurgie laser et les techniques de
visualisation médicale. De façon générale, quasiment tous les
processus physiques ayant lieu autour de nous, de la photosynthèse
au fait que notre main ne traverse pas la feuille ou la tablette que
nous tenons, relèvent de cet étrange et fascinant monde quantique.
La physique quantique est également très présente dans notre
quotidien sous la forme de… mots ! Ces « passants mystérieux de
l’âme, grands magiciens et redoutables entraîneurs de foules »,
comme se plaisait à les appeler Raymond Poincaré. Le terme
« quantique » est en effet très à la mode et la littérature regorge de
déclinaisons quantiques en tous genres, dans moult domaines qui
n’ont a priori rien à voir avec le champ d’application usuel de la

17
physique quantique : médecine, philosophie, sport, arts et diverses
spiritualités.
Mais en ouvrant ce livre, vous avez fait le choix de vouloir
comprendre le sens réel des mots quantiques, employés parfois à
tort et souvent à travers… Vous vous êtes donné l’opportunité de
pouvoir faire le tri entre des propos abusifs ou malhonnêtes et des
propositions qui, même si elles ne sont pas mathématiquement ou
physiquement correctes, n’en restent pas moins intéressantes,
inspirées ou inspirantes.
Enfin, si aujourd’hui la physique quantique occupe indirectement
notre quotidien, il est certain qu’elle l’envahira directement demain !
Nanoparticules et nouveaux matériaux ultrafins comme le graphène,
cryptographie quantique pour assurer la sécurité bancaire et les
votes électroniques, intelligence artificielle et ordinateurs du futur,
biologie quantique…

10. POURQUOI LA LUMIÈRE JOUE-T-ELLE UN GRAND RÔLE


EN PHYSIQUE QUANTIQUE ?

La lumière a joué, et continue de jouer, un rôle majeur en


physique quantique, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est
de l’étude de sa nature, au début du XXe siècle, qu’est née la
physique quantique. Son rôle historique est en fait crucial à plus d’un
titre : par exemple, sa nature granulaire, en petits paquets d’énergie
appelés par la suite photons, conduisit à l’importante notion de
quantification, tandis que les propriétés aléatoires de ses
interactions avec la matière (par sauts quantiques se produisant au
hasard) convainquirent les scientifiques de la nature
fondamentalement probabiliste du monde observable. C’est enfin de
sa double nature, à la fois ondulatoire (les ondes lumineuses) et
corpusculaire (les photons), que Louis de Broglie et Erwin
Schrödinger eurent l’idée d’associer une onde à toute particule,
généralisant ainsi le concept de dualité onde-corpuscule à toute
entité, qu’elle soit d’origine lumineuse ou matérielle.
La lumière est également précieuse pour sonder la matière : en
analysant la lumière émise ou absorbée par un atome, on peut en

18
effet déterminer son code-barres énergétique, quel que soit le lieu
de l’atome, sur Terre ou au fin fond de l’Univers. Du fait de son
extrême pureté et maniabilité (avec des lasers et instruments
d’optique, par exemple), la lumière est en fait indispensable à
quasiment tous les dispositifs expérimentaux de la physique
quantique, que ce soit pour préparer, contrôler ou bien mesurer les
grandeurs et systèmes physiques considérés. La facilité avec
laquelle la lumière permet de créer des états quantiques superposés
et intriqués explique d’ailleurs pourquoi elle est au cœur des
domaines de l’information quantique et de la téléportation
quantique.
Enfin, puisque la lumière véhicule l’interaction électromagnétique
entre particules de matière, elle est également l’une des briques
élémentaires de la théorie plus générale appelée électrodynamique
quantique. Grains de pure énergie, les photons sont aujourd’hui des
systèmes modèles pour tester les spéculations les plus audacieuses
concernant les extensions possibles de la physique quantique.

19
CHAPITRE 2

LA LUMIÈRE ET SON DOUBLE


VISAGE

Plusieurs expériences et phénomènes démontrent la


nature fondamentalement double de la lumière, qui
est à la fois onde et assemblée de particules, les
photons. Cette dualité onde-corpuscule est la
première manifestation connue d’une nouvelle
théorie appelée physique quantique.

Rien de ce qui existait avant le XXe siècle n’aura été exempt d’une
révolution profonde et irréversible de ses fondements, et ce dans
tous les domaines de la connaissance et de la vie : politique,
économie, philosophie, médecine, domaines de l’éducation, de la
littérature, de la peinture, de l’architecture, de la musique, de la
linguistique, des mathématiques, de la physique, de la biologie…
Dans chacun de ces domaines, les connaissances, techniques et
valeurs se sont en effet vues radicalement et définitivement
transformées durant la première moitié du XXe siècle. L’une des
caractéristiques communes à ces multiples révolutions intellectuelles

20
et humaines est, de façon amusante, intimement liée à une propriété
majeure de la physique quantique : l’effondrement des certitudes !

« Ce n’est pas la lumière qui manque


à notre regard, c’est notre regard qui
manque de lumière. »
Gustave Thibon, Notre regard qui manque à la
lumière

Sur l’espace et le temps, d’abord, mais aussi sur la matière, sa


stabilité, son immuabilité, sa localisation même… Effondrement des
certitudes concernant la lumière également, dont la mystérieuse
double nature – ondulatoire et corpusculaire – servira de
« parchemin » à Albert Einstein, Max Planck et Niels Bohr pour
signer l’acte de naissance de la physique quantique.

1900 : UNE ANNÉE CHARNIÈRE À PLUS D’UN TITRE

Par une résonance subtile et un goût prononcé pour les fins de


siècles, la plupart des révolutions mentionnées précédemment ont
choisi comme date inauguratrice l’année 1900.
En mathématiques, par exemple, c’est David Hilbert (1862-1943)
qui, au mois d’août de cette année, en a déclenché l’explosion en
fournissant à la fois le Programme révolutionnaire (la méthode), et
une liste de 23 problèmes qui conduiront à une remise en question
totale de la structure et des fondements des mathématiques (dont le
point d’orgue sera atteint en 1931 par le mathématicien Kurt Gödel
avec son fameux théorème d’incomplétude, qui met à bas la
cohérence interne de pans entiers des mathématiques).
Dans le domaine artistique, alors que Paul Cézanne peint Les
Grandes Baigneuses et qu’Antoni Gaudi achève son immeuble, la
casa Calvet, à Barcelone, c’est tout l’art nouveau qui prend son

21
essor à l’orée du XXe siècle ! Gustave Klimt pense à sa voluptueuse
Judith, Arnold Schönberg à l’abandon du système tonal, pendant
qu’Hector Guimard dessine les bouches Art nouveau du métro
parisien… 1900, c’est aussi l’année de la première exposition de
Pablo Picasso à Paris, comme un manifeste en devenir, préfigurant
les révolutions cubistes, dadaïstes et surréalistes de l’art moderne
naissant.
Apogée de la gloire de Rudyard Kipling, mort d’Oscar Wilde,
naissance de Louis Armstrong, de Jacques Prévert, d’Antoine de
Saint-Exupéry, de Luis Buñuel, de Robert Desnos… pendant que le
magicien Harry Houdini devient célèbre en faisant le tour des
capitales européennes !
Du côté de la philosophie, c’est la mort de Friedrich Nietzsche,
combinée aux réflexions métaphysiques de Bertrand Russel, qui
ouvre le siècle de l’existentialisme et de la philosophie analytique.
C’est aussi l’année de publication du premier grand ouvrage
d’Edmund Husserl alors que Karl Gustav Young finit sa thèse et que
Sigmund Freud peaufine sa théorie de la psychanalyse.
Si Rosa Luxembourg, militante socialiste, et Lady Welby Victoria,
philosophe du langage, sont au faîte de leur notoriété, c’est aux
effluves intellectuels de l’Inde que le nouveau siècle s’ouvre. Par le
biais du poète et ami d’Einstein Rabindranath Tagore, mais aussi par
le moine philosophe Vivekananda qui, faisant connaître l’hindouisme
et le Vedānta en Occident, aura une profonde influence sur la
pensée de nombreux scientifiques européens, Schrödinger en
particulier.
En physique, justement, c’est l’Anglais Lord Kelvin qui, en
avril 1900, initie le bouleversement en exposant officiellement, dans
un cours devenu célèbre, les deux turbulences majeures que la
physique classique traversait à l’époque – le problème de
l’existence de l’éther et le problème dit du corps noir, dont nous
reparlerons – deux problèmes ayant finalement donné naissance
aux deux grandes théories du XXe siècle : la théorie de la relativité et
celle de la physique quantique.
Huit mois après, en décembre 1900, une autre étape est franchie
avec la proposition, par Max Planck, de la quantification des

22
échanges d’énergie entre lumière et matière. Initialement pensée
comme un artifice mathématique pour tenter de résoudre le
problème spécifique du corps noir, cette proposition contenait alors,
sans le savoir, le germe du futur changement de paradigme que la
physique quantique porterait en son cœur.
Moment charnière dans les sciences et la culture, le début des
années 1900 est également annonciateur d’un renouveau mondial
politique, économique et social, aussi libérateur qu’effroyable ! Si la
fin du règne de la reine Victoria coïncide en effet avec le début de la
croissance africaine, qui aboutira cinquante ans plus tard à la
décolonisation, il n’en reste pas moins que cette époque voit se
multiplier les persécutions de toutes sortes.
À l’exposition universelle de Paris, succède la première tentative
de génocide durant la seconde guerre des Boers en Afrique du
Sud… laissant augurer de sombres lendemains pour les 1,6 milliard
d’êtres humains de l’époque, parmi lesquels un jeune collégien
autrichien de treize ans prénommé Erwin, polyglotte et passionné de
théâtre, qui ne sait pas encore que son patronyme deviendra le
symbole même de cette nouvelle physique révolutionnaire où toute
chose est à la fois onde et corpuscule, à commencer par celle,
insondable et mystérieuse, dans laquelle nous baignons à l’instant
même : la lumière.

LA LUMIÈRE EST-ELLE UNE ONDE

Tout, ou presque, portait à croire, à la fin du XIXe siècle, que la


science était finie, complète, que les principales lois de la Nature
avaient été répertoriées et qu’il ne restait plus qu’à régler quelques
problèmes mineurs… Le physicien Albert A. Michelson estimait
même, en 1894, que l’avenir de la science serait à chercher à la
sixième décimale, c’est-à-dire qu’il résiderait uniquement dans
l’amélioration de la précision des calculs et appareils de mesure…
Parmi les problèmes « mineurs » de l’époque, deux semblaient
pourtant inextricables, les deux fameux petits nuages dont Lord
Kelvin a fait un état des lieux à la Royal Institution de Londres en

23
août 1900. L’un concernait le mouvement relatif de la Terre par
rapport à l’éther, ce très ténu et hypothétique milieu continu dont on
supposait à l’époque qu’il remplissait l’espace (pour « tenir le
monde ») ; l’autre concernait le lien entre chaleur et énergie, et plus
particulièrement la façon dont les corps solides absorbent de
l’énergie. Le problème associé était appelé problème de la chaleur
spécifique anormale. Il faisait référence au fait que la chaleur
spécifique (la quantité d’énergie nécessaire pour augmenter d’un
degré la température d’une substance d’un kilogramme) diminuait
avec la température, en contradiction avec les théories classiques
de l’époque qui la prédisaient constante.
Ce second « nuage » était également en lien avec le problème de
l’émission de lumière par un corps à température constante. Il fut
appelé problème du corps noir, puisqu’un tel corps à température
ambiante n’émet pas de lumière visible et nous apparaît donc noir !
(Bien sûr, une onde lumineuse peut ne pas être visible, comme notre
peau aime à nous le rappeler en été lorsqu’elle est baignée
d’invisibles rayons solaires ultraviolets…) Ce problème du corps noir
venait du fait que l’intensité de ces ondes lumineuses, telle que
mesurée expérimentalement, ne coïncidait pas avec celle prévue par
une approche classique.
De ces deux problèmes naîtront pourtant les deux grands piliers
de la physique moderne, tous deux annoncés par Einstein dans une
géniale série d’articles au cours de l’année 1905.

24
Une fin de science bien relative…
Il est amusant, bien que symptomatique, de constater que
l’annonce exaltée de la fin de la science revient
périodiquement, avec une préférence notable pour les fins de
siècles… En cela, la fin du XXe siècle n’a rien à envier à la fin
du XIXe siècle, puisqu’il y fut annoncé avec beaucoup
d’emphase qu’une « théorie du tout » était sur le point
d’aboutir (ce qui, bien sûr, ne fut pas le cas).
Comme un clin d’œil voltairien, il se trouve que c’est
justement durant ces présomptueuses périodes que divers
expériences, calculs ou observations vinrent mettre à bas ou,
du moins, craqueler le bel édifice. En écho à ceux de Lord
Kelvin en 1900, les nuages actuels se nomment matière
noire, énergie sombre, supraconductivité à haute
température, effets quantiques anormaux dans le vivant,
problème de la mesure quantique, désert énergétique et
nombre de constantes du Modèle Standard, dissymétrie
matière-antimatière, existence d’une flèche du temps, origine
des rayons cosmiques de très haute énergie… sans parler,
bien entendu, des incompatibilités profondes, tant
mathématiques que physiques, qui existent entre la physique
quantique et la relativité générale.

À l’orée du XXe siècle, la lumière avait toutes les raisons d’être


considérée comme une onde, même si certains savants des siècles
antérieurs (parmi lesquels Pierre Gassendi, René Descartes et Isaac
Newton) avaient défendu l’idée qu’elle pouvait être constituée de
corpuscules, c’est-à-dire de très petits grains d’énergie lumineuse,
qu’on appellera bien plus tard quanta de lumière ou photons.
Depuis les travaux de l’Italien Francesco Maria Grimaldi et du
Hollandais Christiaan Huygens, à la fin du XVIIe siècle, il était en effet
devenu évident que seule une théorie ondulatoire de la lumière
pouvait expliquer de façon satisfaisante un phénomène physique
bien étrange appelé interférences lumineuses.

25
Ce phénomène d’interférence – qui n’a rien à voir avec un
quelconque brouillage, comme le sens usuel du mot pourrait le
laisser penser – se rencontre pourtant dans de nombreuses
situations de la vie courante où des microstructures font dévier et
interférer des ondes lumineuses (on parle aussi de diffraction) : ce
sont, par exemple, les croix colorées filtrant à travers un rideau tissé
très fin, ou l’irisation multicolore des films de savon ou d’huile, tout
comme celle créée par les microsillons de la surface d’un CD. Ce
phénomène d’interférences lumineuses se trouve parfaitement bien
illustré par une expérience aussi simple qu’emblématique, celles dite
des fentes d’Young.
Le jovial et lumineux physicien Richard Feynman (1918-1988)
disait de cette expérience qu’elle était même la plus belle de la
physique. À l’aune des questionnements sur le temps et l’espace
que ses avatars ont pu soulever ces dernières années (voir le
chapitre 5 en particulier), il n’est pas exagéré de dire qu’elle en est
également certainement la plus intrigante et la plus mystérieuse…
Elle est pourtant d’une simplicité désarmante, puisqu’elle consiste
à éclairer une plaque opaque percée de deux fentes (ou trous) et à
observer l’intensité lumineuse qui en résulte derrière les fentes, sur
un écran par exemple.

26
Schéma d’une expérience de fentes d’Young

Avec une seule fente, l’éclairement sur l’écran consiste en une


bande lumineuse de largeur similaire à la fente (en fait un peu plus
large à cause du phénomène de diffraction qui fait que les faisceaux
lumineux passant à travers des trous ou des fentes s’évasent). Avec
deux fentes, on s’attendrait naïvement à observer deux bandes
lumineuses en regard direct des deux fentes. Et c’est d’ailleurs bien
ce que l’on observe si les fentes sont assez larges et distantes l’une
de l’autre. Mais tout change lorsque les fentes sont suffisamment
fines et proches l’une de l’autre !
Dans ce cas, ce qui est observé sur l’écran, dans la zone de
superposition d’éclairement des deux fentes, ce ne sont en effet pas
deux bandes lumineuses mais une succession de fines bandes
sombres et brillantes, un peu à la manière des vitraux conquois de
Pierre Soulages. En mesurant l’intensité lumineuse dans cette zone,
on constate même que celle-ci oscille périodiquement de façon
sinusoïdale, les bandes brillantes correspondant aux sommets de
ces oscillations et les bandes sombres aux creux.
Entendons-nous bien, le plus étonnant dans cette expérience n’est
pas qu’en certains endroits (correspondant aux bandes brillantes) il y

27
ait plus de lumière que lorsqu’il n’y a qu’une seule fente… Non, le
plus troublant est l’existence de zones totalement dépourvues de
lumière alors même qu’elles sont éclairées par deux faisceaux
lumineux superposés ! Ainsi, ajouter de la lumière à de la lumière
peut conduire à l’obscurité… Le poète n’est donc pas le seul à
« faire un tableau noir avec de la lumière », comme le suggère le
dramaturge Olivier Py. L’ombre peut en effet ne pas être négation de
la lumière…
Mais si cet étrange phénomène nous semble contre-intuitif, c’est
essentiellement parce que nous n’avons pas l’habitude de concevoir
la lumière comme une onde. On peut en effet montrer que l’obscurité
des bandes sombres ne résulte pas d’une absence de lumière, mais
plutôt de la subtile et complexe présence de deux ondes lumineuses
qui se compensent en se superposant.

28
Qu’est-ce qu’une onde ?
Le terme onde recouvre en fait une prodigieuse diversité de
phénomènes apparemment très disparates : ronds dans
l’eau, vagues à la surface de l’océan, vibrations d’une corde,
ondes sonores ou musicales, ondes de choc, ondes
sismiques, ondes lumineuses, ondes associées à la
propagation de la chaleur, d’un courant électrique, d’une
réaction chimique, d’une épidémie, d’un ralentissement du
trafic routier, d’une rumeur, d’une idée…
Ce qui caractérise ces divers types d’onde est qu’il y a
toujours propagation d’une information, que ce soit à travers
la matière ou à travers l’espace. Ce transfert d’information, et
parfois d’énergie, s’effectue alors sans transport (notable) de
matière, grâce à l’oscillation d’une grandeur physique que l’on
peut définir en tout point de l’espace et à tout instant, et que
l’on appelle généralement champ.
Cette grandeur peut être un scalaire (c’est-à-dire un
nombre, comme dans la carte des températures et pressions
de la météo), un vecteur (c’est-à-dire une « flèche », définie
par sa longueur et son orientation dans l’espace, comme
dans le cas du champ magnétique terrestre dévoilé par
l’aiguille de notre boussole) ou d’autres quantités plus
abstraites comme les tenseurs (pour décrire les célèbres
ondes gravitationnelles).
Par exemple, dans le cas d’une vague que nous regardons
depuis notre transat, la grandeur physique est la hauteur
d’eau en un endroit donné. Dans le cas des ondes sonores,
c’est la vibration des molécules qui est progressivement
transmise, de proche en proche (à la vitesse du son), à
travers un milieu physique. Dans l’air, ce sont les molécules
d’air qui vibrent alors que dans un matériau, ce sont les
atomes composant ce matériau. La pression ou le
mouvement des atomes peuvent alors être choisis comme la
grandeur physique définissant l’onde.
Contrairement aux vagues ou aux ondes sonores, les
ondes lumineuses n’ont pas besoin d’un support matériel

29
pour exister et peuvent se propager dans le vide (d’où
l’effrayant silence éternel des sabres lasers dans l’espace
intersidéral…). La grandeur physique associée est un champ
de vecteurs alors appelé champ électromagnétique.
En physique quantique, la notion d’onde de probabilité fait
référence à la probabilité de présence d’un objet (un atome,
une molécule…) à un endroit donné. C’est une onde scalaire.
À chaque point de l’espace est alors associé un nombre,
variant continument entre 0 et 1 et pouvant éventuellement
évoluer dans le temps. Aux endroits où ce nombre vaut 1,
l’objet en question est certain d’être trouvé (c’est-à-dire avec
une probabilité de 100 %). De même, partout où ce nombre
vaut 0, la certitude est également de mise mais pour conclure
que l’objet ne peut pas y être détecté. En revanche, dans
toute zone où ce nombre est entre 0 et 1 (par exemple 0,59
ou bien 0,37), le résultat d’une mesure de position n’est pas
certain, il est aléatoire, et la probabilité de l’y détecter est
égale à ce nombre (59 % ou 37 % pour les exemples
précédents).

Pour comprendre la surprenante présence de bandes sombres


dans la zone où les ondes lumineuses se superposent, pensons au
cas beaucoup plus intuitif des ondes apparaissant à la surface de
l’eau.
Lorsque nous jetons un caillou dans une eau calme, des ondes
concentriques se forment, puis s’éloignent de la zone d’impact pour
s’atténuer progressivement. Mais attention, ce n’est pas l’eau qui
progresse : l’eau s’élève et s’abaisse de façon régulière mais ne se
déplace pas dans le sens de progression de l’onde. Ce qui
progresse est en fait un mélange d’information (un petit caillou ne
crée pas la même onde qu’un gros) et d’énergie (un flotteur, situé
plus loin, va s’élever et s’abaisser au rythme des crêtes et creux de
hauteur d’eau que l’onde va créer à cet endroit).
Si nous agitons régulièrement notre main ou un objet dans l’eau,
nous pouvons créer le même genre d’ondes mais entretenues cette
fois-ci. On parle d’onde stationnaire. Ces ondes de hauteur d’eau

30
sont circulaires près de la zone de vibration mais deviennent de plus
en plus droites (ou planes) à mesure que l’on s’en éloigne, un peu
comme la houle marine.
Dans ce cas, la hauteur d’eau maximale de l’onde est appelée
amplitude et correspond à la moitié de la distance entre les crêtes et
les creux de l’onde. La distance entre deux crêtes successives ou
deux creux successifs s’appelle alors longueur d’onde. C’est la
distance parcourue par l’onde pendant la durée d’une oscillation,
durée appelée période. L’inverse de la période est appelé fréquence
de l’onde : c’est le nombre d’oscillations crête-creux par seconde en
un endroit donné. Le lien entre fréquence et longueur d’onde est
alors immédiat : plus la fréquence est élevée, plus la longueur
d’onde est faible, et réciproquement.

Principales propriétés d’une onde

Lorsqu’une telle onde plane rencontre une cloison fixe percée d’un
petit trou, une partie passe à travers le trou et se transforme en onde
semi-circulaire de l’autre côté de la cloison (ceci est dû au
phénomène de diffraction par le trou). S’il y a deux trous dans la
cloison, ce sont deux ondes qui sortent des trous et se superposent
dans la zone où elles se rencontrent. En certains endroits, une crête
de l’une des ondes peut rencontrer une crête de l’autre onde, créant
ainsi une crête deux fois plus importante.

31
Représentation schématique des franges d’interférences

En d’autres endroits, ce sont les creux qui s’additionnent et


s’amplifient. Dans les deux cas, on parle de ventres de vibration. Ce
sont les endroits où les deux ondes superposées sont dites en
phase. En revanche, aux endroits où une crête rencontre un creux,
les variations de hauteur d’eau se compensent et l’eau y paraît
immobile. Les ondes sont dites en opposition de phase et l’on parle
alors de nœuds de vibration.
C’est ce réseau de ventres et de nœuds de vibration que l’on
appelle figure d’interférences, les deux trous dans la cloison jouant
le rôle des trous de l’expérience précédente réalisée par Young avec
des ondes lumineuses. On dit que les ondes semi-circulaires sortant
des trous ont interféré de façon constructive aux endroits des
ventres, et de façon destructive aux endroits des nœuds. Aux
ventres et nœuds de hauteur d’eau correspondent, respectivement,
les franges lumineuses brillantes et sombres de l’expérience des
fentes d’Young avec des ondes lumineuses.

32
Mais si la lumière est une onde, de quelle nature est cette onde ?
Autrement dit, qu’est-ce qui joue, pour la lumière, le rôle de la
hauteur d’eau ? La réponse fut en partie donnée en 1865 par le
physicien écossais James Clerk Maxwell, dont l’influence et la
postérité n’ont rien à envier aux célèbres Principia Mathematica
d’Isaac Newton ni aux révolutionnaires travaux de 1905 d’Albert
Einstein sur la relativité.
Dans un long article, Maxwell (1831-1879) réussit en effet un
véritable tour de force : il compléta et synthétisa les travaux de
Michael Faraday en montrant que l’électricité et le magnétisme – qui
étaient jusqu’alors considérés comme deux phénomènes distincts –
pouvaient en fait être perçus comme deux facettes d’un même
phénomène, appelé alors électromagnétisme. Les célèbres quatre
équations qu’il obtint lui permirent également de prédire l’existence
d’un nouveau type d’ondes, appelées ondes électromagnétiques,
fruits du mariage dynamique des champs électrique et magnétique,
et qui se propagent toutes avec la même vitesse phénoménale
(300 000 km/s). Enfin, il montra que ce que l’on appelle lumière n’est
rien d’autre qu’un cas très particulier de ces ondes
électromagnétiques, celles pour lesquelles la longueur d’onde est
comprise dans un tout petit intervalle de valeurs, entre 0,4 micron, le
violet, et 0,7 micron, le rouge.

LE MONDE POINTILLISTE D’EINSTEIN

Puisqu’elle en porte tous les attributs, la lumière serait donc une


onde… Une onde comme toutes les ondes, s’étalant continûment
dans l’espace et le temps, et dont l’énergie peut a priori prendre
toutes les valeurs imaginables. C’est, du moins, ce que la
communauté scientifique internationale pensait jusqu’à cette
fameuse année 1905 et l’idée révolutionnaire d’Einstein sur la
quantification de l’énergie lumineuse, véritable point de départ de
cette prodigieuse aventure intellectuelle qui sera par la suite appelée
physique quantique.
Comme souvent, le génie d’Einstein se situe moins dans la
performance technique ou mathématique que dans le changement

33
de perspective sur un problème donné. Einstein fait en effet partie,
semble-t-il, de ces gens qui, devant un problème apparemment
insoluble, ont cette faculté rare de pouvoir s’extraire du système de
pensée qui a créé le problème. Et comme souvent, les découvertes
géniales naissent dans le creuset des idées simples…
Concernant la quantification dont on parle ici – c’est-à-dire le fait
que la lumière serait constituée de petits grains (ou quanta)
d’énergie lumineuse dénommés par la suite photons –, l’idée
révolutionnaire d’Einstein revient à dire, dans le langage de tous les
jours, qu’un œuf casse sous la grêle mais pas sous la neige ! Ce
mystérieux phénomène qui a conduit Einstein à introduire les
quanta, et pour lequel il a reçu le prix Nobel en 1921, est le
phénomène appelé effet photoélectrique, dont le principe est le
suivant : imaginons que nous voulions extraire des électrons d’une
surface. Une surface de Zinc par exemple. Déjà, nous sommes
plutôt malins, car en choisissant une telle surface métallique, nous
nous simplifions la tâche puisque les électrons y sont beaucoup plus
mobiles et faciles à arracher que dans d’autres surfaces (c’est
d’ailleurs pour cela que les métaux conduisent très bien l’électricité
et la chaleur).
Nous pourrions penser tout naturellement à chauffer la surface
pour faire « bouillir » cette soupe d’électrons, mais admettons que
nous n’ayons à notre disposition qu’une simple lampe au double
fonctionnement suivant : soit elle produit une lumière rouge très
intense, soit elle produit une lumière violette très atténuée. Notre
objectif étant d’extraire le maximum d’électrons, quelle couleur
choisir ? La lumière rouge intense, pensant ainsi chauffer d’avantage
la surface du métal ? Celle-ci chauffe en effet, mais nous avons
beau attendre, à notre grande déception, aucun électron n’est
éjecté… Au contraire, avec la faiblarde lumière violette, et bien que
la surface reste froide, nous observons l’éjection immédiate de
quelques électrons !

34
Effet photoélectrique

L’émission de ces électrons a de quoi laisser perplexe. Bien sûr,


nous pouvons arguer que, comme la longueur d’onde de la lumière
violette est deux fois plus courte que celle de la lumière rouge, sa
fréquence est deux fois plus importante et elle oscille donc deux fois
plus vite… Mais cela permet-il de justifier que c’est l’onde la moins
intense qui produit l’effet d’arrachage ? Si la lumière n’est qu’une
onde, non, cela semble incompréhensible. C’est comme si un rond
dans l’eau de très faible amplitude pouvait parfois arracher un petit
morceau de ponton, ou faire sauter le bouchon flottant d’une ligne de
pêche, là où une forte houle de grande longueur d’onde ne ferait
aucun dégât !
C’est pourtant cette subtile dépendance en la longueur d’onde de
l’éjection d’électrons par la lumière qui permit à Einstein d’élucider le
problème en 1905 : selon lui, toute lumière possède en effet des
propriétés corpusculaires, et ce sont les corpuscules associés (les
grains d’énergie ou photons) qui, après collision avec des électrons,
peuvent les éjecter en leur communiquant leur énergie. De plus,
l’énergie de chacun de ces photons est proportionnelle à la
fréquence du rayonnement lumineux : plus forte donc pour les
photons violets que pour les photons rouges.
Ainsi, lorsque l’on éclaire une surface métallique, des photons
rentrent en collision avec des électrons, et, un peu à la manière des
chocs entre boules de billard, leur communiquent leur énergie,

35
permettant aux électrons de s’échapper de la surface (à l’instar des
œufs-électrons qui se brisent sous l’impact des grêlons-photons
mais résistent à la caresse de la neige-onde lumineuse…). De façon
contre-intuitive, c’est donc la longueur d’onde de l’onde lumineuse et
non son intensité qui décide de l’émission de photoélectrons, la
longueur d’onde seuil étant quant à elle une caractéristique du métal
considéré.

Rétines synthétiques et poussières lunaires…


L’application principale de l’effet photoélectrique saute aux
yeux : transformer de l’énergie lumineuse en courant
électrique ! Cellules photovoltaïques et photodiodes,
photomultiplicateurs, capteurs CCD et CMOS des appareils
photo numériques et des caméras thermiques… La détection
d’ondes lumineuses si ténues qu’elles n’impliquent qu’un seul
photon a même récemment ouvert la voie à la fabrication de
rétines artificielles aux prouesses bioniques !
Revers de la médaille, une substance matérielle exposée à
la lumière peut ne pas rester neutre électriquement et peu à
peu devenir chargée positivement (puisqu’elle perd
continuellement des électrons). Pour un satellite exposé à la
lumière du Soleil, ce phénomène peut rapidement devenir
problématique et endommager l’électronique embarquée.
Une solution est alors de recouvrir le satellite d’un matériau,
comme le platine par exemple, ayant un seuil photoélectrique
incompatible avec la lumière reçue.
Ce phénomène de charge positive d’une surface par effet
photoélectrique est également visible sur le sol lunaire, par
exemple, où une fine couche de poussière reste
constamment en lévitation par effet de répulsion
électrostatique, comme le témoin d’une danse extatique entre
grains de poussière et grains de lumière…

LUMIÈRE NOIRE ET CONSTANTE DE PLANCK

36
« Grain de sel angélique comme une larme de nouveau-né »,
dirait le poète Christian Bobin, chaque photon est donc pure énergie.
Une énergie de nature électromagnétique, dont la valeur E est
directement proportionnelle à la fréquence f de l’onde lumineuse
associée : E = h × f.
Illustrant la dualité onde-corpuscule pour la lumière, cette relation
que l’on doit à Einstein a véritablement ouvert la voie à une vision
quantique, pointilliste, du monde où, à tout phénomène ondulatoire
de fréquence f, peuvent être associés des grains d’énergie h × f
appelés quanta. Et la constante de proportionnalité h n’est rien
d’autre que la constante dite de Planck, symbole même de la
physique quantique et ainsi appelée en hommage au physicien
allemand qui l’a introduite en 1900 lors de son étude des interactions
entre lumière et matière.

À chaque théorie sa constante


À chaque théorie fondamentale de la physique peut être
associé un nombre particulier, qu’on appelle constante et qui
est propre à cette théorie. Sa signature, en quelque sorte.
À la théorie de la relativité d’Einstein, par exemple, est
associée la constante c, la vitesse de la lumière dans le vide,
égale à 300 000 km/s. De même, à la théorie de la gravitation
de Newton est associée la constante de gravitation G, et à la
théorie appelée physique statistique, celle donnant son
assise aux liens entre propriétés microscopiques (le
mouvement des atomes) et phénomènes macroscopiques
(chaleur, pression, entropie…), est liée la fameuse constante
de Boltzmann k.
Dit autrement, à chaque fois qu’apparaît une constante
physique dans une formule mathématique, on sait
immédiatement qu’elle fait référence à la théorie associée à
cette constante. Ainsi s’attend-on naturellement à voir figurer
h dans chaque résultat ou formule de physique quantique…

37
La constante de Planck h est une grandeur équivalente à une
énergie multipliée par une durée, c’est-à-dire, en termes
scientifiques, à une action (différente d’une puissance qui, elle, est
équivalente à une énergie divisée par une durée). Exprimée dans
l’unité standard, la valeur de cette action h est égale à : 0,000…
0663 Joules secondes, où les pointillés représentent pas moins de
29 autres zéros !
Comparée à ce minuscule quantum d’action, l’action
caractéristique des phénomènes et mouvements qui peuplent notre
quotidien est gigantesque ! Signifiant par là même que ces
phénomènes ne sont pas dus à, ou contrôlés par, des effets
quantiques. Par exemple, l’action caractéristique de nos
déplacements est des milliards de milliards de milliards de milliards
(ouf !) de fois plus importante que h. Quant à l’action caractéristique
correspondant aux arabesques d’un infime grain de pollen, elle reste
tout de même un milliard de milliards de fois plus importante que h !
Difficilement perceptibles, d’innombrables effets quantiques
baignent pourtant notre environnement. On peut même dire que tout
est quantique autour de nous ! À commencer par nous-mêmes. Car,
comme on le verra par la suite, la taille même des atomes et la
stabilité de la matière sont directement fonction de la valeur de la
constante de Planck. Une valeur de h légèrement plus petite et c’est
l’effondrement de la matière, une valeur légèrement plus grande et
c’est l’explosion.
Par exemple, dans un univers hypothétique où la valeur de h
serait deux fois moins importante, le simple fait de regarder un feu
de cheminée deviendrait impossible car nous serions alors
immédiatement grillés par l’intense rayonnement thermique qui s’en
dégagerait ! C’est d’ailleurs ce rayonnement particulier qui porte le
nom de rayonnement de corps noir et dont l’élucidation partielle par
Max Planck en 1900 valut à ce dernier le prix Nobel en 1918.
En fait, malgré sa dénomination, le concept de corps noir ne fait
pas référence à une quelconque couleur, mais plutôt aux propriétés
d’absorption et de réflexion de la lumière par ce corps. Par définition,
un corps noir peut être perçu comme un anti-miroir parfait : au lieu
de réfléchir toute la lumière, il l’absorbe ! Tout rayonnement incident

38
est ainsi absorbé et seul est émis le rayonnement propre de l’objet,
dont la température, supposée uniforme, dicte la couleur. Cet effet
est d’ailleurs bien connu depuis des millénaires par les
métallurgistes et les céramistes, qui savent relier la couleur des
objets qu’ils manipulent à leur température.
Les corps noirs ne sont donc pas nécessairement noirs, et s’il
arrive qu’ils le soient, ce n’est qu’à nos modestes yeux humains. Par
exemple, un corps à température ambiante rayonne dans
l’infrarouge et nous apparaît donc comme noir, mais les étoiles
comme notre Soleil ont leur maximum de rayonnement situé dans la
gamme du visible. C’est d’ailleurs ce rayonnement de corps noir
jaune dont notre Soleil nous abreuve qui permet à la Terre (effet de
serre aidant) d’avoir une température moyenne de surface
accueillante pour la vie. De même, la nuit, c’est grâce au
rayonnement infrarouge renvoyé sur Terre par l’atmosphère que
nous ne gelons pas quand le Soleil est parti.

Superposition de la carte du rayonnement de fonds diffus


cosmologique et de l’espace visible depuis la Terre

39
Certains corps noirs peuvent même devenir des objets de
convoitise industrielle, militaire ou artistique, comme les récents
matériaux ultra-noirs faits à partir de nanotubes de carbone et dont
le taux d’absorption dans le domaine visible est proche de 100 %.
Des corps noirs presque parfaits donc… À l’instar de celui qui nous
éclaire tous depuis la nuit des temps, le célèbre rayonnement de
fonds diffus cosmologique.
Présent partout dans l’Univers observable, ce rayonnement
thermique est issu de l’une des phases primordiales du fameux Big
Bang, la singularité première que l’on suppose être à l’origine de
l’espace, du temps et de toute l’énergie-matière qui s’y déploie. La
cartographie précise de son intensité dans l’Univers a déjà fait l’objet
de nombreuses missions spatiales de pointe, dont la dernière en
date, appelée justement PLANCK, a permis d’affiner notre
compréhension des scénarii possibles de formation de l’Univers
observable.

40
CHAPITRE 3

SAUTS QUANTIQUES ET FIN DES


CERTITUDES

À l’instar de la lumière, l’énergie des atomes est


quantifiée. La nature aléatoire des sauts quantiques
entre niveaux d’énergie atomiques a alors conduit à
la première formulation mathématique de la physique
quantique, sous forme de tableaux infinis de
nombres, plongeant les scientifiques dans la
perplexité…

Alors, la lumière, onde lumineuse ou assemblée de photons ?


« Tout est un peu d’obscurité, jusqu’à la lumière elle-même », écrit le
poète argentin Antonio Porchia (1885-1968)… Il semble en effet que
la lumière porte en elle une insoluble et troublante contradiction en
étant simultanément douée de propriétés ondulatoires et
corpusculaires. Tel le dieu romain Janus, elle possède un double
visage dont ne peut absolument pas rendre compte la physique dite
classique, c’est-à-dire celle d’avant l’avènement de la physique
quantique.

41
« La vraie créativité commence
souvent là où le langage
se termine. »
Arthur Koestler, Le Zéro et l’Infini

Mais la quantification de l’énergie ainsi que la dualité onde-


corpuscule ne sont pas l’apanage de la lumière. La matière porte
également en elle son lot d’insondables mystères et de propriétés
contre-intuitives, dont deux d’entre elles sont en lien direct avec les
aspects corpusculaires de la lumière : la quantification des énergies
atomiques et la notion de saut quantique.
Ces troublants sauts quantiques entre niveaux d’énergie
atomiques sont aussi à l’origine d’une autre caractéristique
fondamentale de la physique quantique : la notion d’aléatoire par
nature des phénomènes physiques observés, c’est-à-dire la
présence d’un inévitable hasard dans les observations
expérimentales, indépendamment de la précision des appareils de
mesure. Ainsi, dans le monde quantique, les résultats d’une mesure
ou d’une expérience ne sont en général pas prévisibles avec
certitude mais seulement… probables !

POINTILLISME ÉNERGÉTIQUE ET SAUTS QUANTIQUES

Historiquement, la quantification de l’énergie des atomes a suivi le


même cheminement que pour la lumière : d’abord par la
reconnaissance de la quantification des échanges d’énergie entre la
lumière et la matière, puis par la compréhension progressive que ce
sont les énergies elles-mêmes qui sont quantifiées, c’est-à-dire que
seules certaines énergies atomiques sont autorisées et que chaque
atome ou molécule possède une liste – et une seule ! – de niveaux
d’énergie permis. La liste (appelée aussi spectre) de ces énergies
très particulières joue le rôle d’un code-barres universel permettant

42
de repérer de façon univoque et indiscutable un atome, quel que soit
l’endroit de l’Univers où il se trouve.
L’un des moyens les plus efficaces pour sonder ce pointillisme
énergétique des atomes est l’utilisation des interactions lumière-
matière, dont la technique phare, appelée spectroscopie, consiste à
enregistrer et étudier les fréquences des ondes lumineuses émises
par un corps (qu’on appelle raies). Ces fréquences lumineuses
particulières étant en correspondance directe avec les niveaux
d’énergie des atomes présents dans ce corps, on peut ainsi en
déduire la liste de ces énergies.
La spectroscopie a non seulement joué un immense rôle dans la
découverte des différents types d’atomes (ceux qui apparaissent
dans le tableau périodique des éléments de Mendeleïev) mais a
surtout permis l’essor de l’astronomie moderne. En analysant la
lumière en provenance de l’Univers et en comparant son code-
barres cosmique avec ceux que l’on connaît sur Terre, on peut en
effet déterminer avec une grande précision la composition et la
structure des étoiles et de l’atmosphère des planètes extrasolaires,
la morphologie et la vitesse d’éloignement des galaxies, et, de façon
générale, interpréter et asseoir toute la cosmologie actuelle.
Les sauts quantiques, quant à eux, se rencontrent lors des
processus élémentaires d’absorption-émission d’un seul photon par
un atome. Dans ce cas, il est nécessaire que l’énergie du photon
coïncide avec l’espacement énergétique entre deux niveaux
d’énergie de l’atome. Comme un moine zen grimpant un escalier
règle son pas : ni trop grand, ni trop petit…
Mais il y a plus. Lorsqu’un atome passe d’un niveau à un autre, il
le fait… instantanément ! Sans passer par l’un (quelconque) des
hypothétiques niveaux d’énergie intermédiaires.

43
Représentation schématique d’un saut quantique

Si cela ne vous trouble pas plus que cela, imaginez un instant que
la marche du moine zen précédent soit quantique ; alors, dans ce
cas, le fait même d’accorder son pas à la marche d’escalier lui ferait
instantanément grimper la marche ! Un saut quantique qui ne
comporterait alors que les étapes initiale et finale du saut classique,
mais sans le processus continu du saut lui-même. Une sorte de
passe-muraille dans le paysage énergétique de la matière. Une
transition sans durée de transit. Un saut en dehors du temps…

44
Les photons sont-ils réels ?
Ce n’est que tardivement que la communauté scientifique a
fini par accepter la réalité physique de la notion de photon.
Postulée par Einstein en 1905 pour expliquer l’effet
photoélectrique, elle fut en effet accueillie avec froideur,
comme une image ou un simple artifice de calcul. Il faut dire
que les photons ont une particularité qui était très
dérangeante pour l’époque : contrairement aux autres
particules connues au début du XXe siècle, ils ont une
masse… nulle !
Einstein lui-même mit plusieurs années avant de
comprendre quelles étaient les propriétés corpusculaires des
photons. Il attendit même 1916 pour publier la relation p = h /
λ donnant leur impulsion p en fonction de la longueur d’onde
λ de l’onde lumineuse associée.
L’impulsion est une grandeur qui informe sur l’inertie d’une
chose en mouvement. C’est, par exemple, sa conservation
lors de collisions qui nous permet de faire un carreau à la
pétanque ou au billard, lorsque la vitesse d’une boule est
entièrement communiquée à une autre boule de même
masse. C’est aussi elle qui est responsable de la poussée
des fusées, et les astronautes s’en servent constamment
pour se déplacer en apesanteur (émettre un jet de matière ou
de gaz vers l’arrière fait avancer !).
De nombreux physiciens (dont Planck et Bohr) doutaient de
la véracité des relations d’Einstein et de la réalité même de
ces soi-disant grains de lumière… Parmi les sceptiques,
Robert Millikan – devenu célèbre en 1910 pour avoir mis en
évidence la quantification de la charge électrique à l’aide de
minuscules gouttes d’huile – décida de tester
expérimentalement la relation d’Einstein E = h × f et dut, en
1916, conclure à contrecœur qu’elle était bien vérifiée. Quant
à l’autre relation, p = h / λ, elle fut testée avec succès au
début des années 1920 par Arthur Compton (le père des
rayons cosmiques) qui étudia expérimentalement la diffusion

45
– c’est-à-dire la déviation accompagnée d’un changement de
fréquence – de photons X par des électrons.
Ce fameux effet Compton, associé aux expériences
menées dans les années 1970 et 1980 sur la corrélation de
photons, mit fin aux derniers doutes concernant la réalité des
photons, ces grains de pure énergie sans incarnation
matérielle…

La conservation de l’impulsion (voir l’encadré ci-dessus) lors de


ces sauts quantiques permet de comprendre l’origine d’un effet
physique très important connu sous le nom de pression de
rayonnement, ou pression de radiation. Lorsqu’un atome absorbe un
photon, il absorbe en effet également son impulsion, ce qui le
pousse dans le sens de propagation du photon incident. De même,
lors de la réflexion d’un photon par un miroir, ou toute autre surface
réfléchissante, le miroir acquiert deux fois l’impulsion du photon (à
cause de son absorption puis de sa réémission par le miroir).
Co-responsable avec le vent solaire de l’orientation de la queue
des comètes (opposées à la direction du Soleil) ainsi que des formes
féériques prises par les nuages de poussière interstellaires et
galaxies en formation, la pression de radiation est au cœur des
projets spatiaux de voiles solaires, où la propulsion est assurée par
un vent très spécial… qui n’est rien d’autre qu’un vent de photons !
Qui sait, peut-être irons-nous un jour sur Mars ou Neptune à bord de
l’une de ces caravelles du futur ?

LES MALICIEUSES PROBABILITÉS D’EINSTEIN

Si les sauts quantiques déroutent nos esprits classiques par leur


instantanéité, brisant ainsi la sacro-sainte règle newtonienne de la
continuité temporelle des phénomènes physiques, ils recèlent
également une autre surprise de taille : ils se produisent de façon
totalement aléatoire, au hasard, à des instants imprévisibles. Ainsi,
deux atomes préparés, semble-t-il, exactement de la même façon
(c’est-à-dire ayant la même énergie et toutes les mêmes autres

46
caractéristiques microscopiques connues) et émettant un photon, ne
le feront a priori pas au même instant… Ces instants (ainsi que les
directions d’émission des photons) sont en effet purement aléatoires.
C’est encore Einstein qui aida à la compréhension de ce troublant
phénomène. En effet, en 1916, l’année où il publia la version finale
de son grand œuvre, la relativité générale, il introduisit la notion
révolutionnaire de probabilité d’absorption et d’émission de photon
par un atome. Idée révolutionnaire, car en proposant cela, il suggéra
que l’aléatoire constaté expérimentalement n’était pas comme
l’aléatoire habituellement observé dans le monde classique (comme
lorsque l’on jette un dé ou que l’on joue à la loterie). Il avança l’idée
que l’aléatoire du monde quantique, celui des atomes et des
photons, était intrinsèque. Un hasard existant en lui-même, ne
résultant pas d’une méconnaissance du système physique étudié, et
ne pouvant être éliminé par de quelconques mesures préalables.
Einstein en profita également pour proposer un autre type de
processus d’émission, l’émission dite stimulée, lors de laquelle un
photon est émis par sympathie, ou résonance, en présence d’un
photon du même type (comme une sorte d’anti-absorption). Ce
troisième processus se révélera d’ailleurs extrêmement fécond
puisqu’il sera à l’origine de l’effet laser présent partout dans notre
quotidien, de la télécommunication par fibre optique aux lecteurs de
DVD, en passant par le guidage laser, les transmissions inter-
satellitaires et toutes les techniques d’ablation médicales et
industrielles…

47
Malice cosmique :Dieu semble bien jouer
aux dés…
Il est ironique que ce soit Einstein qui ait introduit le premier
la notion d’aléatoire per se dans la description des
interactions lumière-matière… Par la suite, en effet, il fit partie
de ceux qui rejetèrent le caractère intrinsèque et fondamental
de cet aléatoire quantique (il était persuadé que « Dieu ne
pouvait jouer aux dés »), doutant même de la validité des
règles probabilistes de la physique quantique, théorie dont il
fut l’un, sinon le plus éminent, des initiateurs. La même ironie
accompagnera son ami Schrödinger avec lequel il n’aura de
cesse de discuter des possibles failles de cette nouvelle
physique aux implications mystérieuses.
En vain. Jusqu’à aujourd’hui tout du moins.

Selon Einstein, au spectre de chaque atome (c’est-à-dire à


l’ensemble des transitions possibles entre niveaux d’énergie de
l’atome) correspond une liste de probabilités qui caractérise les trois
processus connus d’absorption et d’émission de photons
(absorption, émission spontanée et émission stimulée). Ces
probabilités, appelées par la suite coefficients d’Einstein,
renseignent également sur l’intensité des raies lumineuses
observées expérimentalement en spectroscopie. Associées à
chaque couple de niveaux d’énergie atomique, elles sont en nombre
infini… ce qui n’est pas d’un grand confort pour les manipuler
globalement ou les représenter.
Einstein eut alors l’idée de regrouper les diverses probabilités de
transition de chaque atome sous la forme d’un tableau de nombres.
À double entrée, un peu comme un échiquier, mais de taille infinie.
Sur cet échiquier spécial, pas de case A5 ou C7, mais des cases du
type « 101 ; 95 » ou « 77 ; 79 », où les deux nombres indiquent les
niveaux atomiques concernés par la transition photonique, ce qui, au
passage, donne également l’information sur la fréquence lumineuse
du photon associé à cette transition (par exemple, les fréquences
f101 ; 95 = (E101 – E95) / h et f77 ; 79 = (E79 – E77) / h).

48
Ainsi, dans ces tableaux de nombres de taille gigantesque (infinie,
donc, en fait) sont regroupées toutes les informations concernant la
façon dont un atome absorbe ou émet des photons : les fréquences
autorisées des sauts quantiques ainsi que leur probabilité
d’occurrence. Finalement, à bien y réfléchir, ces tableaux, tels
qu’introduits par Einstein en 1916, indiquent tout ce que l’on peut
connaître sur les atomes à cette époque… Ils décrivent tout ce qui
peut être mesuré expérimentalement et sont une véritable
représentation de ce que sont les atomes du point de vue d’un
observateur, indépendamment de toute théorie ou idéologie…
C’est cette façon de voir les atomes qui va guider le jeune Werner
Heisenberg dans son travail, sur ce qui est aujourd’hui considéré
comme la première formulation mathématique de la physique
quantique.

49
Ne lisez pas cet encart !
Il existe des méthodes pré-quantiques, c’est-à-dire ni tout à
fait quantiques ni tout à fait classiques, sortes de cuisines
baroques tentant de rendre compte de la structure physique
des atomes et des sauts quantiques en énergie. Par
exemple, le fameux modèle de Bohr-Sommerfeld dans lequel
la structure d’un atome fut imaginée comme un ensemble de
trajectoires circulaires ou elliptiques sur lesquelles
orbiteraient et sauteraient les électrons de cet atome.
Visuellement simple et rassurante, cette image d’un atome
conçu à la manière d’un système planétaire – où le noyau
atomique jouerait le rôle du Soleil et les électrons celui des
planètes – est très pratique et, encore aujourd’hui, largement
utilisée et enseignée, mais elle est… complètement fausse !
Pourquoi en parler alors ? D’autant plus sachant que
l’évocation de ce modèle erroné a de fortes chances de le
renforcer en nous, puisqu’avant de le chasser de nos
pensées nous avons dû le visualiser… (La négation dans
notre cerveau semble en effet fonctionner de cette manière :
par exemple, dire « Ne cours pas ! » à un enfant a ainsi de
grandes chances de causer l’effet inverse de celui désiré…)
Mais le jeu en vaut la chandelle car il est absolument
primordial de prendre conscience qu’un atome ne ressemble
EN RIEN à un petit système planétaire noyau-électrons !
L’image la plus proche des observations microscopiques
actuelles consiste en une très petite zone centrale, le noyau,
de forme bizarroïde (et pas du tout sphérique), autour de
laquelle évolue une zone diffuse, sorte de nuage électronique
dans lequel sont aléatoirement détectés les électrons. Ce
nuage se structure en fait en couches nuageuses (appelées
orbitales) dans lesquelles la probabilité de trouver un électron
est d’autant plus forte que le nuage est dense.
Beaucoup moins simple à visualiser n’est-ce pas ? Mais
que désire-t-on… Comme dit l’écrivain portugais Fernando
Pessõa (1888-1935), « il ne suffit pas d’ouvrir la fenêtre pour

50
voir les champs et la rivière, comme il n’est pas suffisant de
ne pas être aveugle pour voir les arbres et les fleurs ».

DANS L’INFINI DES TABLEAUX DE HEISENBERG

Physicien allemand travaillant à Copenhague sous la direction du


célèbre Niels Bohr, Werner Heisenberg n’a que 23 ans lorsqu’il
généralise l’approche d’Einstein à toute quantité mesurable (on dit
observable dans le langage de la physique quantique). Il comprend
d’abord que la description « à la Einstein » sous forme de tableaux
de nombres ne se limite pas à l’énergie, mais peut s’étendre à toute
grandeur physique, comme la position ou la vitesse. Il comprend
ensuite comment manipuler ces tableaux de taille infinie, comment
les multiplier entre eux selon des règles précises, et ainsi obtenir
d’autres tableaux de nombres du même type.
Dans le langage mathématique, ces tableaux de nombres
s’appellent des matrices (du mot latin matrix dérivé du mot mater,
qui signifie mère), dont les premières traces connues d’utilisation
remontent au IIe siècle avant J.-C. en Chine. Elles possèdent la
propriété étrange de ne pas nécessairement commuter, c’est-à-dire
que multiplier une matrice A par une matrice B ne conduit pas à la
même matrice finale que de multiplier la matrice B par la matrice A…
Ainsi, contrairement à ce qui se passe pour les nombres ordinaires
(par exemple 7 × 3 = 3 × 7), l’ordre avec lequel on multiplie les
matrices compte : A × B n’est pas égal à B × A !
Si cette propriété de non-commutation des matrices était bien
connue à l’époque de Heisenberg, elle l’était surtout des
mathématiciens ! Pour résoudre des systèmes d’équations de façon
pratique, par exemple, ou à la manière d’un jeu sur les façons de
combiner des ensembles de nombres… Comme très souvent pour
les nouveaux concepts mathématiques, l’apogée de leur maîtrise par
les mathématiciens précéda de peu la compréhension de leur
nécessaire utilisation en physique quantique. Pour l’anecdote, il en
fut notamment de même pour les espaces courbes (dont une sphère
est l’exemple archétypal) que les mathématiciens Riemann et

51
Lobatchevski ont explorés au XIXe siècle, avant qu’Einstein et Hilbert
ne comprennent leur rôle majeur pour exprimer la relativité générale
au début du XXe siècle.
Malgré le tour de force mathématique d’Heisenberg (qui, tel
monsieur Jourdain, redémontra les principales propriétés des
matrices sans savoir ce qu’elles étaient), le projet qu’il entreprit était
osé… Se pourrait-il en effet que l’on puisse, à partir de ces abstraits
tableaux de nombres, construire une théorie qui rende compte des
propriétés physiques observées au niveau atomique ?
C’est néanmoins ce que le tout jeune Heisenberg parvint à faire
durant l’été 1925 en posant les bases d’une nouvelle mécanique,
appelée naturellement mécanique des matrices et grâce à laquelle
lui et ses collègues copenhagois Max Born et Pascual Jordan
retrouvèrent les résultats d’Einstein et de Bohr sur les niveaux
d’énergie de systèmes atomiques simples, comme ceux d’un atome
d’hydrogène (le plus simple des atomes !) ou ceux d’un oscillateur,
c’est-à-dire d’un système physique évoluant autour d’une position
d’équilibre (telles les petites oscillations d’un objet relié à un ressort
par exemple).
Anecdote romancée ou mythologie des sciences, Heisenberg
raconte, dans son ouvrage La partie et le tout, les circonstances
étonnantes de sa découverte alors qu’il s’était retiré sur la petite île
allemande d’Helgoland (qui signifie terre sacrée en vieux saxon),
dans la mer du Nord, pour profiter des bénéfices de l’air marin et
soigner un rhume des foins particulièrement handicapant. Le silence
et l’infini de la mer eurent alors raison de ses problèmes
mathématiques et l’aidèrent à entrevoir le rôle-clé de ces étranges
tableaux de nombres dans l’étude des processus atomiques.
Heisenberg avoue alors avoir été pris de vertige et d’angoisse
devant les implications philosophiques de sa découverte. Qu’un
nouveau langage soit nécessaire pour exprimer les propriétés
pointilliste et probabiliste des atomes, soit, mais que ce langage soit
si abstrait et si éloigné du langage usuel de la physique ? Une
description discontinue des grandeurs physiques observables sous
forme de tableaux infinis de nombres… alors que toute la physique
classique (relativités restreinte et générale comprises) s’exprime à

52
l’aide de grandeurs variant continûment dans le temps et dans
l’espace (comme les grandeurs position et vitesse par exemple).
Dans notre espace. Celui qui nous entoure, à trois dimensions. Pas
dans un espace abstrait impossible à visualiser et possédant une
infinité de dimensions !
Et pourtant, c’est bien ce langage hautement mathématique que
les étudiants et chercheurs en physique quantique d’aujourd’hui
manipulent quasi quotidiennement. En revanche, contrairement au
Heisenberg de 1925, nous savons aujourd’hui comment relier cette
formulation particulière de la physique quantique à celle utilisant les
notions habituelles de position et vitesse. Et cela, nous le devons à
Erwin Schrödinger et à sa fameuse équation établie fin 1925.

53
La nécessité d’un nouveau langage…
Quel langage utiliser pour exprimer la physique quantique
et sa logique particulière ? Depuis bientôt cent ans, cette
question n’a eu de cesse d’interroger les plus grands
scientifiques et philosophes des sciences.
En effet, même si les langages de la physique quantique
(en termes de matrices infinies, par exemple, comme dans la
formulation d’Heisenberg, ou en termes de fonction d’ondes
comme on le verra par la suite) tranchent avec le langage
usuel de la physique classique, ils continuent cependant
d’utiliser les anciennes notions classiques dont ils réfutent
pourtant la pertinence, voire l’existence ! Ainsi en est-il, par
exemple, des notions classiques de position et de vitesse qui,
selon les principes de la physique quantique, perdent toute
réalité en dehors des instants très particuliers où ces
grandeurs sont mesurées. Et pourtant, les différents
formalismes quantiques continuent d’utiliser ces notions, le
plus souvent pour dire qu’elles ne sont pas mesurables…
d’autant que, d’un point de vue purement pratique, presque
toutes nos mesures actuelles se réduisent in fine à des
mesures de position et de vitesse !
Comment gérer cette contradiction ? Comment aller au-
delà d’un langage qui critique sa propre pertinence à
exprimer correctement le monde observé ? Vaste problème
auquel s’est longuement intéressé Schrödinger, mais dont la
résolution n’est toujours pas d’actualité.

54
CHAPITRE 4

TOUT N’EST QU’ONDE


DE PROBABILITÉ

S’inspirant des travaux du Français Louis de Broglie,


Erwin Schrödinger développa une formulation
mathématique de la physique quantique dans
laquelle tout objet est décrit par une onde. Solution
de la célèbre équation de Schrödinger, cette onde
n’est cependant pas réelle : c’est une onde évoluant
dans un monde mathématique abstrait, une onde de
probabilité, complexe de surcroît…

À l’image de la dualité onde-corpuscule où un même objet peut


être perçu et décrit de deux façons totalement différentes, la
physique quantique elle-même peut s’exprimer mathématiquement à
l’aide de différents formalismes. Déjà entr’aperçu au chapitre
précédent et bien que fortement abstrait, le formalisme des matrices
infinies de Heisenberg, Born et Jordan se révèle particulièrement
puissant pour rendre compte des observations et mesures au niveau
atomique.

55
« Vous et moi sommes tous aussi
continus avec l’Univers qu’une onde
est continue avec l’océan. »
Alan Watts, The nature of consciousness

Cette découverte valut à Heisenberg le prix Nobel en 1933 (mais


comptant pour l’année 1932 en fait) ainsi qu’un terrible sentiment de
culpabilité envers Born et Jordan, ses deux collègues de Göttingen
qui, pour des raisons politiques, n’eurent pas le prix en partage,
comme cela se pratique habituellement. C’était pourtant, semble-t-il,
ce qui était prévu au début de l’année 1933, avant que Jordan ne
rejoigne le parti national socialiste. Le comité Nobel jugea alors qu’il
n’était plus possible d’attribuer le prix Nobel à Jordan, et Born en fut
une victime collatérale puisque ses travaux étaient indissociables de
ceux de Jordan.
Mais Born obtint tout de même le prix Nobel de physique en 1954.
Non pour une quelconque application de la formulation matricielle
qu’il avait aidé à établir avec Heisenberg et Jordan, mais pour son
apport décisif à l’interprétation de l’autre formulation majeure de la
physique quantique, celle développée par Schrödinger en 1926 et
portant sur la mystérieuse fonction Ψ (Psi) décrivant les non moins
mystérieuses ondes de matière prédites par un prince français
deux ans auparavant…

DE BROGLIE DÉVOILE LES ONDES DE MATIÈRE

Trop abstrait, le formalisme matriciel d’Heisenberg choqua les


scientifiques de l’époque, qui n’étaient pas encore tout à fait remis
de la quantification (sous forme de photons) de la lumière et
n’étaient pas prêts à accepter cette quantification pour toutes les
grandeurs physiques observables, encore moins pour le formalisme
lui-même !

56
Une description continue de cette physique quantique naissante
était activement recherchée et, surtout, désirée… Par Einstein en
particulier, alors au faîte de sa gloire relativiste et qui ne pouvait se
résoudre à l’abandon des notions usuelles de vitesse et position au
profit d’une hasardeuse (sic) description discontinue (sous forme de
matrices) des phénomènes physiques.
D’autant plus qu’un nouvel acteur venait d’entrer en scène. Un
aristocrate français de 32 ans, prince de haute lignée (dont l’illustre
ascendance comprend Necker, le financier de Louis XVI, et sa fille
Madame de Staël, l’écrivaine qui fit trembler Napoléon Ier en son
temps), avec un nom imprononçable pour les non-francophones :
Louis de Broglie (1892 – 1987). Ce nom, qui se prononce de Bro-i-ll
comme dans l’expression langue d’oïl, reste en effet attaché à une
propriété révolutionnaire pour l’époque : la notion d’onde de
matière !
L’idée que défend de Broglie dans sa thèse en 1924 est en effet la
suivante : de la même façon qu’une onde lumineuse est associée
aux grains de lumière que sont les photons, une onde de matière
doit être associée aux grains de matière que sont les atomes, les
électrons et, d’une façon générale, n’importe quelle quantité de
matière (donc nous aussi par la même occasion).
De Broglie étend ainsi la dualité onde-corpuscule à toute quantité
d’énergie, qu’elle soit d’origine lumineuse ou bien matérielle. Il prend
« à l’envers » la seconde relation d’Einstein donnant l’impulsion d’un
photon en fonction de la longueur d’onde lumineuse, et affirme qu’à
toute quantité de matière d’impulsion p (la masse multipliée par la
vitesse) doit être associée une onde dont la longueur d’onde λ
(lambda, la distance entre deux crêtes ou creux consécutifs de
l’oscillation) est égale à :

Accueillie avec enthousiasme par Einstein, cette relation, dont la


simplicité n’a d’égales que ses implications révolutionnaires, ne mit
pas longtemps à être testée expérimentalement. Trois ans après, en

57
1927, les Américains Clinton Davisson et Lester Germer réussirent
en effet à faire diffracter des électrons par un cristal de nickel,
démontrant ainsi que des particules de matière (en l’occurrence des
électrons) pouvaient bien présenter un aspect ondulatoire. Ils purent
également vérifier avec précision la relation de de Broglie en
mesurant la longueur d’onde du phénomène ondulatoire observé et
en la comparant à l’impulsion des électrons envoyés sur cette
surface métallique. La physique des ondes de matière était née !

Arosa 1922, l’acte manqué de Schrödinger


Il s’en fallut de très peu que Schrödinger ne découvre les
ondes de matière avant de Broglie… Le théâtre de cette non-
découverte est la station thermale d’Arosa, près de la ville de
Davos, dans les Alpes suisses. Ironie du sort, cette
« montagne magique », selon les mots de Thomas Mann
(autre grand amoureux du lieu et ami d’Einstein), jouera par
la suite un rôle décisif dans la carrière de Schrödinger. Atteint
de tuberculose au début de l’année 1922, ce dernier y passa
en effet neuf mois en compagnie de sa femme Anny pour s’y
faire soigner et en profita, malgré son état de santé, pour
accoucher de quelques articles scientifiques, dont un en
particulier qui aurait pu devenir l’acte fondateur de la
physique quantique à lui seul.
Dans ce petit article, Schrödinger montra que les électrons
dans un atome devaient obéir à des conditions
mathématiques similaires aux ondes dites stationnaires,
c’est-à-dire celles que l’on rencontre dans les instruments de
musique (comme les cordes d’un violon ou la colonne d’air
d’une flûte). Il exprima alors son sentiment d’avoir découvert
quelque chose de profond mais n’eut pas la force, ou
l’intuition, de franchir le pas et de conclure que les électrons
possédaient vraiment des propriétés ondulatoires. Par un trait
d’humour cosmique, de Broglie obtiendra le prix Nobel de
physique en 1929, l’année même où Thomas Mann obtiendra
celui de littérature…

58
De multiples expériences de diffraction et d’interférences de
particules de matière ont eu lieu depuis. Avec des électrons, des
neutrons, des atomes de diverses sortes, des molécules et même
récemment de très grosses molécules… Contrairement à ce que
vous pourriez penser, ce domaine de recherche n’est pas (qu’)un
jeu, il est motivé par des enjeux industriels et philosophiques
majeurs !
Par exemple, la diffraction d’électrons et de neutrons (les
particules de charge électrique nulle responsables d’environ la
moitié de la masse des atomes) s’est rapidement muée en
microscopie à très haute résolution. En effet, dans un microscope,
c’est la longueur d’onde de l’onde utilisée (lumineuse dans un
microscope optique usuel) qui donne l’ordre de grandeur de sa
résolution, c’est-à-dire du plus petit objet pouvant être distingué.
Avec de la lumière, on obtient donc une résolution de quelques
centaines de nanomètres dans le visible et de quelques nanomètres
avec des rayons X (un nanomètre étant égal à un milliardième de
mètre, soit la taille typique d’un petit atome). Avec des électrons, la
longueur d’onde de de Broglie peut même descendre jusqu’au
picomètre (un millième de nanomètre), soit mille fois plus petite que
la taille d’un atome !
Lorsque ce sont des atomes qui sont utilisés, ce n’est plus la
microscopie qui est en jeu mais la métrologie, c’est-à-dire la
construction d’appareils de mesure ultra-précis et ultra-stables. Ce
sont les fameux interféromètres à ondes de matière qui, généralisant
le principe des fentes d’Young, sont utilisés tantôt dans le rôle
d’horloge atomique (pour fournir le temps de référence planétaire, si
crucial pour les systèmes de positionnement du type GPS), tantôt
dans le rôle d’accéléromètre ou de gravimètre (pour mesurer
d’infimes accélérations et cartographier le champ de gravité terrestre
en vue d’exploitation des sols).
Avec des molécules, l’idée maîtresse est toute autre : il s’agit de
tester jusqu’à quel point un corps massif conserve un aspect
ondulatoire malgré sa taille et sa complexité. Dans les dernières
expériences de ce type, réalisées à l’université de Vienne en 2013,
les molécules utilisées étaient composées de plus de 800 atomes,

59
avec une masse totale équivalente à celle de plus de 10 000 atomes
d’hydrogène… et pourtant, des interférences ont bien été
observées !
La question sous-jacente à ces recherches est cruciale et
passionnante : découvrir où se cache la limite entre ce mystérieux
monde quantique et le monde classique (le nôtre, usuel et intuitif, où
il n’y a pas d’aspect ondulatoire visible de la matière). C’est à une
exploration d’un entre-deux-mondes que nous convient ces
expériences, à une immersion dans une zone de vérité grise,
comme dirait André Gide, foisonnante de questions ouvertes et
délicieusement blasphématoires comme celle de réaliser un jour des
interférences avec des organismes vivants (des virus par exemple
ou, mieux, des bactéries). Quel sens alors donner à la vie si l’on est
un jour capable de faire interférer du vivant ?

DES ONDES, OUI, MAIS… DE PROBABILITÉ !

Reprenons l’expérience emblématique des fentes d’Young, non


pas avec des photons comme au chapitre 2, mais avec des
particules de matière, des atomes par exemple, que l’on envoie sur
un cache percé de deux fentes. Ce qui est constaté
expérimentalement est complètement similaire aux franges
d’interférences lumineuses : sur un écran, en sortie des fentes,
apparaît une succession de bandes brillantes (avec beaucoup
d’atomes) et de bandes sombres (avec peu ou pas d’atomes).
Il y a donc bien quelque chose d’ondulatoire associé à ces
atomes… mais quoi ? Est-ce un phénomène collectif, comme les
molécules d’eau dans la houle, où les atomes s’informeraient de
proche en proche pour savoir comment s’organiser en sortie des
fentes ? Non ! Expérimentalement, cette hypothèse ne tient pas. En
effet, envoyons les atomes un par un sur les fentes, à des instants
suffisamment espacés dans le temps pour éviter tout échange
d’information entre eux, et enregistrons les endroits des impacts sur
l’écran de sortie.

60
Construction progressive des franges d’interférences

On observe alors des impacts aléatoires sur presque toute la


surface de l’écran. Ces impacts semblent à première vue être
complètement imprévisibles, mais en en envoyant un grand nombre,
on observe qu’ils s’ordonnent et s’organisent en bandes diffuses
régulièrement espacées. On retrouve alors les franges
d’interférences d’une onde classique, à la différence qu’elles se
construisent ici point par point, chaque point étant obtenu de façon
aléatoire. Ce n’est donc pas le résultat d’un phénomène ondulatoire
collectif mais – aussi étrange que cela puisse paraître – individuel…
On obtient d’ailleurs le même phénomène avec de la lumière
lorsque l’on réduit l’intensité lumineuse au maximum, de telle sorte
qu’un seul photon soit émis à la fois et pénètre seul dans la zone
des deux fentes. Une fois cette zone traversée, les photons se
propagent jusqu’à l’écran qu’ils impactent, semble-t-il, au hasard.
Avec quelques dizaines de photons, on serait ainsi bien incapable
de dire quoi que ce soit sur ce petit nuage de points… mais avec
quelques centaines on commence à deviner une répartition sous
forme de bandes brillantes et sombres, qui deviennent ensuite
clairement évidentes avec quelques milliers de photons. Sans
surprise, ces bandes sombres et brillantes coïncident avec celles
obtenues avec une source de lumière intense, pour laquelle des
milliards de milliards (et même beaucoup plus en fait !) de photons
traversent simultanément les fentes avant d’impacter l’écran.
Une onde peut donc être associée à toute particule, de masse
nulle (comme les photons) ou non-nulle (comme les électrons,

61
neutrons, atomes, molécules…). Si pour les photons cette onde
semble être facile à identifier à première vue (une onde
électromagnétique bien sûr, même si cette conclusion est en fait un
peu hâtive, comme on le verra par la suite), il en est tout autre pour
la matière.
Quelle est donc en effet cette onde associée à une particule de
matière ? Est-elle réelle ? Physique ? Visible ? Est-elle au contraire
une pure abstraction, évoluant dans un espace mathématique
complètement distinct de notre espace-temps habituel ? Dans ce
cas, comment fait-elle pour avoir des effets mesurables dans notre
monde physique ?

Des ondes de matière réelles ?


Si l’onde de matière associée à un atome possédait une
réalité physique, c’est-à-dire si cette onde était véritablement
l’atome, alors nous pourrions isoler et observer des parties de
cette onde, c’est-à-dire des morceaux d’atome… ce qui n’est
expérimentalement pas le cas ! En fait, cette remarque est à
nuancer car elle n’est vraie qu’au niveau élémentaire, pour un
seul atome. On sait en effet produire des ondes de matière
dans notre monde réel : des ondes de matière cohérentes
comportant plusieurs millions d’atomes, similaires aux ondes
lumineuses cohérentes connues sous le nom de laser.
Ce phénomène physique est appelé condensation de
Bose-Einstein en hommage aux deux physiciens qui l’ont
prédite et décrite en 1924-1925. Le terme boson a d’ailleurs
été créé par Dirac en l’honneur du physicien indien Satyendra
Nath Bose.
Dans un condensat atomique, tous les atomes sont décrits
par la même onde quantique individuelle, créant ainsi une
super-onde quantique collective (d’où le terme cohérent).
Cette onde atomique présente alors certaines propriétés
physiques habituelles d’une onde classique, et ce n’est que
dans ce cas très précis, aujourd’hui tout au moins, qu’une
interprétation réelle d’une onde de matière est possible.

62
Autre point crucial : puisque deux particules distinctes, préparées
semble-t-il de la même façon, n’impactent pas l’écran de sortie au
même endroit et que ce n’est qu’en cumulant un grand nombre
d’impacts sur l’écran que l’on retrouve une figure d’interférences,
comment donc une particule sait-elle où elle doit venir frapper
l’écran, sur une bande brillante plutôt que sur une bande sombre ?
De même, comment sait-elle qu’il lui faut participer à telle bande
brillante plutôt qu’à telle autre, sachant qu’elle n’a pu échanger de
l’information à ce sujet avec les autres particules (parties bien avant
elle) ?
Si la réponse à cet enchevêtrement de questions fut
principalement donnée par Schrödinger en 1925-1926, elle fut en fait
nourrie par la réflexion de multiples acteurs dont Heisenberg, Born
et, surtout, l’inévitable et omniprésent Einstein. C’est ainsi d’une
réflexion collective qu’émergea l’interprétation de la fameuse onde Ψ
que proposa Schrödinger et qui permit de faire tomber le « grand
voile » que de Broglie avait commencé à soulever en 1923.
Et le résultat de ces travaux et réflexions est époustouflant !
L’onde associée à une particule de matière est totalement différente
des ondes classiques habituelles : ce n’est pas une onde réelle,
physique, mais une onde abstraite, évoluant dans un autre espace
que le nôtre, dans un espace mathématique imaginaire pouvant
avoir bien plus que trois dimensions…
Mais la surprise ne s’arrête pas là, car sa signification est encore
plus troublante : cette onde ne nous donne pas des informations sur
ce qu’est la particule, sur ses propriétés, c’est-à-dire sur la valeur
des grandeurs qui pourraient la caractériser (comme la position, la
vitesse, l’énergie…). Non, cette onde nous indique uniquement
quelles sont les probabilités d’occurrence de telle ou telle valeur, en
particulier la probabilité de trouver la particule en un endroit donné
lorsque l’on mesure sa position.
Dit autrement, l’onde Ψ (appelée en fait fonction d’onde) qu’a
introduite Schrödinger en 1926 est une « onde de probabilité » : elle
ne nous dit pas ce qui est, mais ce qui pourrait être… Elle nous
renseigne sur les possibles, sur ce qui peut advenir, et non pas sur
ce qui est !

63
Ainsi, dans l’expérience des fentes d’Young, deux atomes
identiques, préparés exactement de la même façon (donc décrits par
la même onde de probabilité Ψ) et envoyés sur les fentes,
n’impacteront pas l’écran de sortie au même endroit. Ils l’impacteront
de façon aléatoire, préférentiellement aux endroits où l’onde de
probabilité sera plus intense. Et ce n’est qu’en enregistrant un grand
nombre d’impacts d’atomes que l’onde de probabilité se manifestera
physiquement sur l’écran, qu’elle prendra corps dans notre monde
réel en révélant à nos yeux son intensité.

64
L’effet tunnel : l’espace sans espace
Parmi les effets les plus spectaculaires liés à la nature
ondulatoire des particules, l’effet tunnel est certainement
celui qui connaît le plus d’applications pratiques. Le principe
de ce célèbre effet est simple et est en fait valable pour tout
type d’onde : lorsqu’une onde est envoyée sur un mur, une
partie de l’onde peut traverser le mur si celui-ci est assez fin.
Évidence pour les ondes sonores, ce phénomène somme
toute banal devient beaucoup plus complexe lorsque l’onde
est associée à… des particules ! Un ou quelques photons
pour une onde lumineuse de très faible intensité, par
exemple, ou des électrons, atomes ou molécules pour une
onde de matière.
Pour les photons, le mur peut n’être qu’une simple vitre par
exemple, tandis qu’il est plus généralement associé à une
barrière énergétique pour des particules de matière. Cette
barrière n’a rien de mystérieux et rend simplement compte
des forces (électriques ou magnétiques par exemple) qui
agissent sur les particules en question. Dans l’effet
photoélectrique, par exemple, un électron de la surface d’un
métal est lié énergétiquement au métal par des forces de
nature électromagnétique, qu’il faut donc dépasser si l’on
veut arracher cet électron (par l’intermédiaire d’une collision
photon-électron par exemple).
Contrairement à ce qui se passe pour les ondes
classiques, ce n’est alors pas la particule impactant un mur
fin qui est coupée en deux, c’est sa probabilité de présence !
La particule possède ainsi une certaine probabilité de
traverser le mur. D’autant plus importante que le mur est fin,
et ceci de façon extrêmement sensible (exponentielle en fait).
Par exemple, en approchant une pointe très fine d’une
surface, on arrache d’autant plus d’électrons par effet tunnel
que la distance pointe-surface est faible, permettant ainsi de
cartographier cette surface : c’est d’ailleurs le principe de la
microscopie à effet tunnel.

65
Les autres applications majeures concernent l’électronique
(le principe des diodes et des semi-conducteurs repose sur
l’effet tunnel) et l’énergie nucléaire (la fission et la fusion
nucléaires s’expliquent également par un effet tunnel au sein
des noyaux atomiques).
Attention toutefois, car le terme tunnel est trompeur ! Il peut
laisser penser que la particule traversant la barrière
énergétique le fait de façon classique, à travers un tunnel
physique, c’est-à-dire typiquement avec une vitesse plus
faible que la vitesse de la lumière. Ce n’est pas le cas :
lorsqu’elles traversent une barrière par effet tunnel, les
particules le font de façon quasi instantanée ! Tout se passe
comme si les particules sautaient d’un endroit à l’autre, ne
passant par aucune des positions intermédiaires… Une
dématérialisation suivie d’une re-matérialisation instantanée
de l’autre côté de la barrière. Comme si la largeur de la
barrière disparaissait, et que l’entrée et la sortie du tunnel
étaient instantanément connectées. Un déplacement
abolissant notre notion usuelle de l’espace, se déroulant pour
ainsi dire en dehors de l’espace…

DES HABITS POUR LE PRINCE :


L’ÉQUATION DE SCHRÖDINGER

Selon de Broglie, toute quantité de matière possède un aspect


ondulatoire, ce que l’on peut résumer par la formule « tout est
onde ». De façon complémentaire, et en accord avec les travaux
d’Einstein et de Heisenberg, le monde microscopique semble
gouverné par le hasard : selon eux, tout n’est donc que probabilité…
Ce qu’apporte Schrödinger est le lien entre ces deux descriptions de
la réalité qui semblent à première vue inconciliables. Il introduit en
effet le concept de fonction d’onde, que l’on note le plus souvent par
la lettre grecque Ψ (Psi), et montre comment cette onde permet de
décrire les effets ondulatoires de la matière. Après Schrödinger, tout
n’est pas onde ou probabilité, tout est « onde de probabilité » !

66
Et cette double propriété ne s’applique pas qu’au monde étrange
et si peu familier des atomes et autres photons… Selon la physique
quantique, tout objet, du plus petit au plus gros, est décrit par une
fonction d’onde particulière. Tout ensemble d’objets ou de particules
aussi : une molécule, une cellule, un rocher, une plante, nous, aussi,
ou n’importe quel animal, et le système solaire, et notre galaxie, et
même l’Univers en entier… La dualité onde-corpuscule est donc plus
subtile qu’elle n’en a l’air et, surtout, elle est universelle.
Mais ce qu’a accompli Schrödinger n’est pas simplement d’avoir
compris ce que signifiait l’onde que de Broglie avait imaginé habiter
chaque objet. Il lui a aussi donné vie en précisant sa nature, ses
propriétés mathématiques et la façon dont elle évolue dans le temps.
Tout d’abord, comme évoqué précédemment, cette onde n’est pas
matérielle et n’appartient pas à notre espace physique habituel. Elle
est définie dans un espace mathématique abstrait appelé espace de
configuration. Pour une particule ou un objet, cet espace ressemble
trait pour trait au nôtre, à trois dimensions, celui dans lequel on vit et
évolue tous les jours. En revanche, dès que l’on veut décrire
plusieurs objets en interaction, la dimension de l’espace de
configuration, sur lequel est définie la fonction d’onde totale, est
directement proportionnelle au nombre d’objets considérés. Par
exemple, pour deux particules, l’espace sur lequel est définie la
fonction d’onde possède six (2 × 3) dimensions ! Neuf dimensions
pour trois particules, douze pour quatre, etc.
Pour un grand nombre de particules, on comprend alors aisément
pourquoi la formulation ondulatoire de Schrödinger suscita craintes
et réserves de la part des scientifiques de l’époque, peu habitués
qu’ils étaient à manipuler de tels outils mathématiques, et déjà bien
assez ébranlés par l’arsenal mathématique de la formulation
matricielle de Heisenberg. C’est pourtant cette propriété d’espaces
qui se multiplient – apparente lourdeur de la théorie – qui est à
l’origine du phénomène d’intrication (voir le chapitre 6) qui est sans
doute l’effet le plus troublant et le plus riche de la physique
quantique.
En fait, si l’onde de probabilité de Schrödinger n’est pas réelle, ce
n’est pas seulement au sens physique du terme, mais également au

67
sens mathématique. L’onde Ψ est en effet « complexe » ! À chaque
point de l’espace de configuration correspond ainsi un nombre
complexe, à partir duquel on déduit la probabilité que l’objet décrit
par l’onde Ψ soit observé en ce point.

68
De fascinants nombres imaginaires
Les nombres complexes sont des nombres abstraits
introduits par les mathématiciens italiens Tartaglia et Cardan
au XVIe siècle pour résoudre des équations insolubles
autrement. Ils s’écrivent sous la forme « a + i × b », où « a »
et « b » sont des nombres réels habituels, et « i » est un
nombre abstrait appelé nombre imaginaire puisqu’il vérifie la
propriété « i × i = –1 », impossible à réaliser pour tout nombre
réel.
Les nombres complexes ne sont pas seulement utilisés
pour résoudre des équations mais jouent un rôle majeur dans
tous les domaines scientifiques où des ondes apparaissent.
Ils permettent en effet d’exprimer ces ondes de façon très
compacte et de les manipuler mathématiquement avec
beaucoup plus d’aisance que si elles avaient été exprimées
avec des nombres réels. Cette description d’une onde
classique en termes de nombres complexes n’est en rien
imposée : c’est un choix particulier de représentation
mathématique, uniquement dicté par des raisons pratiques.
Différence fondamentale avec les autres théories, les
nombres complexes sont intrinsèques aux diverses
formulations de la physique quantique. Ils apparaissent ainsi
explicitement dans les équations de la théorie (dans
l’équation de Schrödinger par exemple). Attention,
contrairement aux autres ondes « classiques », cela ne
résulte pas d’un choix mathématique, c’est une nécessité :
sans les nombres complexes, pas de physique quantique !
Bien que non apparents dans notre quotidien, les nombres
imaginaires sont donc en fait présents partout autour de
nous. Mais l’imaginaire est-il jamais loin du réel ?
Un nombre complexe peut également être vu comme un
vecteur, c’est-à-dire une flèche invisible reliant deux points
dans l’espace, comme celle suivant la diagonale de la page
que vous êtes en train de lire, partant du coin en bas à
gauche et joignant le coin en haut à droite. Comme les
largeur, hauteur et diagonale de cette page forment un

69
triangle rectangle, Pythagore et les babyloniens nous
enseignent que la longueur au carré de ce vecteur diagonal
est égale à la somme de la largeur au carré et de la hauteur
au carré. Pour un nombre complexe, la même technique est
utilisée pour calculer sa taille (on dit son module). Par
exemple, la taille au carré du nombre 3 + 4i est 25 = 3 × 3 + 4
× 4. Pas si complexe finalement…

De façon générale, l’intensité d’une onde quelconque est obtenue


en prenant le carré de son amplitude, c’est-à-dire plus simplement le
carré de sa taille. Dans le cas d’une onde de probabilité de
Schrödinger, l’intensité de l’onde – la probabilité recherchée – est
donnée par le module au carré du nombre complexe Ψ (voir
l’encadré ci-dessus), ce qui justifie par ailleurs l’appellation
commune amplitude de probabilité pour l’onde Ψ.
Comme en météorologie, on peut alors construire une carte, non
pas de température, mais de l’intensité de cette onde de probabilité.
On obtient ainsi un paysage, avec des lignes de niveau, des monts
et des vallées. Les montagnes correspondent aux lieux d’intensité
maximale, c’est-à-dire là où l’objet décrit par l’onde Ψ a une forte
probabilité d’être observé. Les vallées, au contraire, sont les lieux
d’intensité minimale, là où il y a très peu de chance de trouver l’objet
dans une mesure de position.

70
Arosa 1925 : la sensualité mise en équation
L’amour, sous toutes ses formes, a joué un rôle majeur
dans la vie de Schrödinger. Plus que la sexualité à
proprement parler, c’était le sentiment amoureux qui comptait
pour lui. L’ivresse d’aimer et de se sentir aimé… La
sensualité, l’érotisme et le désir furent ainsi de puissants
stimulants, tant dans son existence que dans ses activités
créatrices. L’équation qui porte son nom doit beaucoup à
cette sensuelle passion.
C’est en effet durant l’hiver 1925-1926, dans la station
thermale d’Arosa, dans les montagnes suisses, que l’histoire
des sciences aime à dater la découverte par Schrödinger de
cette équation qui fit tant pour sa renommée et celle de la
physique quantique naissante. Là même où quelques années
plus tôt il eut l’intuition de la nature ondulatoire de la matière,
indépendamment de Louis de Broglie.
Et c’est accompagné d’une jeune femme bien mystérieuse
(puisqu’on ne connaît toujours pas son identité) qu’il passa
ces quelques jours à Arosa. Au dire de son ami
mathématicien Hermann Weyl, c’est de ce sursaut érotique
tardif que Schrödinger puisa la force créatrice pour établir son
équation. L’histoire pourrait faire sourire si elle n’était pas
corroborée par sa femme, Anny Schrödinger, dont l’amant
n’était autre que… Hermann Weyl !
Bien que peu conventionnel, le couple que formaient Anny
et Erwin Schrödinger resta très soudé et complice jusqu’à la
fin de leur vie. L’originalité de leur union libre leur posa
néanmoins de nombreux problèmes dans les pays
occidentaux où ces mœurs étaient réprouvées. De manière
particulièrement cocasse, c’est finalement l’Irlande qui,
faisant fi de son puritanisme légendaire, accueillit avec tous
les honneurs le couple Schrödinger après la Seconde Guerre
mondiale.

71
S’il y a bien une équation qui résume à elle seule toute la
physique quantique, c’est bien l’équation de Schrödinger. Son
élaboration dans un chalet suisse en décembre 1925 était en fait
motivée par une acerbe remarque du physicien Peter Debye qui, un
mois plus tôt, s’était ouvertement moqué d’un exposé, jugé trop
simpliste, que Schrödinger avait présenté à l’École Polytechnique
Fédérale de Zurich sur ce qu’impliquait la découverte de de Broglie
en physique. Debye avait notamment pointé du doigt le défaut
majeur de la théorie ondulatoire de de Broglie : le manque d’une
équation d’onde, c’est-à-dire d’une équation précisant comment
évoluent ces fameuses ondes de matière.
Puisque de toute façon vous seriez sûrement tombés dessus tôt
ou tard, voici la fameuse équation :

L’essentiel du mystère de la physique quantique est contenu dans


cette équation, qu’hélas trop souvent les habitués ne prennent plus
le temps d’observer… car les principaux ingrédients quantiques y
sont présents : l’imaginaire complexe (à travers le nombre i) ; la
quantification (à travers la constante h) ; la troublante omniprésence
du nombre π dans nos équations décrivant la Nature ; la notion
d’évolution, c’est-à-dire de variation temporelle d/dt ; l’énergie H
comme moteur de cette évolution ; et bien sûr la fonction d’onde Ψ
incarnant la dualité onde-corpuscule et le fait que tout n’est que
vibrations.
Des vibrations qui évoluent dans un monde abstrait (l’espace
mathématique de configuration) et nous renseignent sur les
probabilités d’observation de certaines grandeurs dans notre monde
physique. Des vibrations du possible qui s’incarnent parfois sous nos
yeux. Une fin des certitudes au profit d’ondulatoires probabilités…
Mais attention, des probabilités prédites avec certitude ! Car, à
l’instar des diverses équations d’évolution de la physique classique
(mécanique, électromagnétisme…), l’équation de Schrödinger est
déterministe : en effet, connaissant la fonction d’onde Ψ à un instant

72
donné, cette équation permet de la connaître à tout instant ultérieur.
Ainsi, même si les solutions de l’équation de Schrödinger sont de
nature probabiliste et relèvent de l’inconnaissable, leur évolution,
elle, est parfaitement déterminée et connue.
Cette équation si simple (certaines équations de la physique sont
infiniment plus compliquées !) fit la gloire d’Erwin Schrödinger tant
elle fut source de progrès et de découvertes. L’appliquant à divers
domaines et exemples du monde atomique, Schrödinger publia au
cours de l’année 1926 une série de six articles dans lesquels il
montra comment sa formulation ondulatoire de la physique
quantique permettait non seulement de retrouver les résultats
obtenus par Heisenberg et ses collègues de Copenhague, mais
également de rendre compte avec précision de quasiment toutes les
observations atomiques de l’époque.
Comme celle d’Einstein en 1905, cette année 1926 fut donc une
véritable annus mirabilis pour Schrödinger, qui connut alors une
renommée internationale et une reconnaissance incontestée de ses
pairs qui lui décernèrent le prix Nobel de physique en 1933.
Un point restait cependant à élucider. Puisque les deux
formulations de la théorie – celle, ondulatoire, de Schrödinger et
celle, matricielle, de Heisenberg, Born et Jordan – fournissaient les
mêmes résultats, c’est qu’elles devaient être, malgré les
apparences, équivalentes. Schrödinger, puis d’autres comme Pauli,
Eckart et Jordan, s’attaquèrent au problème et montrèrent alors
comment passer mathématiquement d’une formulation à l’autre,
mais c’est véritablement le jeune et génial Anglais Paul Dirac (dont
on suppose fortement qu’il était atteint du syndrome autistique
d’Asperger) qui eut le fin mot de l’histoire à la fin de l’année 1926.
Selon lui, ces deux formulations, ondulatoire et matricielle, ne sont
en fait que des représentations particulières d’une théorie plus
générale, de la même façon qu’une idée peut être exprimée dans
des langues différentes (par exemple, à l’aide de sinogrammes,
d’alphabets, de braille, de hiéroglyphes…). C’est cette
« métathéorie », formalisée par Dirac et le chercheur américano-
hongrois von Neumann (1903-1957, un autre génie de précocité),

73
qui devint finalement, en 1927, le cadre conceptuel de la physique
quantique.
Reprenant l’analogie précédente des langages différents, l’accent
de cette perspective plus générale est davantage mis sur les idées
plutôt que sur la façon d’exprimer ces idées à travers une langue
particulière. L’objet plutôt que son image ou l’un de ses reflets.
L’essence plutôt que l’apparence, le fond plutôt que la forme. Même
si ce fond évolue dans un monde mathématique abstrait…

74
CHAPITRE 5

LA MESURE QUANTIQUE : VOUS


VENEZ DE MODIFIER CE LIVRE !

Au niveau quantique, l’acte d’observer ou de


mesurer une propriété physique est déroutant : les
résultats obtenus le sont de façon aléatoire et l’état
de l’objet peut être soudainement modifié lors de la
mesure. La limite entre le monde quantique de l’objet
mesuré et le monde classique de l’appareil de
mesure est activement étudiée, et diverses
expériences semblent bouleverser notre notion
usuelle du temps.

Que signifie réellement observer ? Observer une étoile ou une


fourmi, ou bien les mots sur cette page. Observer le vent qui souffle
sur la mer ou le silence après la pluie. Observer, scruter,
contempler… Avec nos yeux, bien sûr, mais avec tous nos autres
sens également. Observer devient alors synonyme de sentir,
ressentir, percevoir… mesurer ! De façon passive ou active, mais
avec toujours l’insatiable curiosité de palper le monde.

75
« L’action, quelle qu’elle soit, modifie
ce qui est au nom de ce qui n’est pas
encore. Puisqu’elle ne peut
s’accomplir sans briser l’ordre
ancien, c’est une révolution
permanente. »
Jean-Paul Sartre, Saint Genet

« Il existe une mesure en toute chose », disait le poète latin


Horace. Oui, mais laquelle ? répond avec malice le physicien !
Mesure classique ou mesure quantique ? Cette fameuse mesure
quantique, si subtile et complexe, et qui continue de faire sourciller
tant de chercheurs de pointe… Alors bien sûr, j’entends déjà notre
très cultivé voisin de transat nous asséner qu’il est purement et
simplement impossible de comprendre la notion de mesure
quantique en quelques plages, euh, en quelques pages.
Impossible ? Vraiment ? Peut-on relever le défi ? Peut-on
réellement comprendre l’intraduisible et « fracasser la nuit originelle
de l’incompréhension », selon les mots de l’écrivain québécois
Pierre Turgeon ? C’est en tous cas le projet de ce chapitre, alors
posons notre regard quelques instants sur l’horizon bleuté,
prenons une grande inspiration et préparons-nous à plonger dans
les profondeurs de l’indicible !
Mais avant d’explorer les mystères de la mesure quantique,
attardons-nous un moment sur la notion classique de mesure
physique.

QU’EST-CE QU’UNE MESURE CLASSIQUE ?

Du plus lointain qu’on s’en souvienne, les êtres humains ont


toujours cherché à étendre leurs capacités d’observation et de
mesure du monde. Cette soif d’explorer vers le plus loin, le plus

76
grand et le plus petit nous a amenés vers des territoires inconnus,
tant sur Terre que dans l’espace ou au cœur de la matière. Mesurer
la force des vents ou des courants, la distance à la Lune ou la taille
de l’Univers, la puissance d’un cheval ou la dureté d’un métal, la
température de l’air ou la vitesse d’une balle, la structure d’un atome
ou l’énergie du vide…
Si pendant des siècles, l’observation d’une chose, la mesure de
ses propriétés physiques, ne posa que des problèmes techniques
(pour y avoir accès) ou philosophiques (peut-on tout savoir d’une
chose ? une observation a-t-elle la même valeur qu’une
expérience ? où se situe la frontière du savoir objectif ?), tout
changea avec l’avènement de la physique quantique et des théories
de la relativité (restreinte et générale) au début du XXe siècle.
En l’espace d’une vingtaine d’années, ces théories
révolutionnaires ont mis à bas tout ce qui semblait être certain et
immuable en physique : la nature du temps et de l’espace, les
notions de simultanéité, d’identité, de localité, et même le concept
pourtant si intuitif de réalité.
Les observations dans le monde de l’infiniment petit ont, en
particulier, forcé les scientifiques à revoir en profondeur et redéfinir
intégralement la notion de mesure. Tel que défini en physique
classique – non quantique donc –, l’acte de mesurer consiste en
effet à acquérir une information sur certaines propriétés d’un
système physique, que ce système soit matériel (un objet, une
particule ou une onde sonore, une vague ou une goutte d’eau, moi,
vous ou une étoile), ou non-matériel (une onde lumineuse par
exemple). L’information obtenue peut être la vitesse, la position,
l’énergie, la température, le volume, l’orientation…
Cette définition d’une mesure laisse à penser qu’un système
physique posséderait en lui-même des propriétés ayant chacune
une valeur bien déterminée – prédéterminée – avant même que la
mesure ne soit réalisée. D’autre part, cette définition si intuitive et
naturelle laisse également croire que ces propriétés sont accessibles
à la mesure et que l’information acquise reflète fidèlement les
propriétés mesurées, indépendamment de l’appareil de mesure et
de l’expérimentateur. Elle ne dit rien non plus sur la possibilité, ou

77
l’impossibilité, de mesurer plusieurs propriétés différentes d’un
même objet en même temps (comme sa vitesse et sa position par
exemple).
Enfin, cette définition ne nous dit rien de l’après mesure, c’est-à-
dire après que la mesure a été effectuée. Quel sens donner en effet
à l’information alors obtenue ? Caractérise-t-elle l’état du système
physique avant, pendant ou après la mesure ? Si, par exemple, le
fait de mesurer une propriété perturbe le système physique étudié,
quelle signification donner alors à l’information acquise pendant la
mesure puisque celle-ci ne reflète pas le véritable état du système
après la mesure ?

QU’EST-CE QU’UNE MESURE QUANTIQUE ?

Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents (pour


l’énergie des atomes par exemple), en physique quantique, mesurer
une grandeur physique ne conduit qu’à certaines valeurs bien
précises, toutes les autres étant apparemment interdites. Les
nombres obtenus, résultats numériques de la mesure, se
répartissent donc de façon discrète et non pas continue, un peu
comme des encoches sur une règle graduée. On dit alors que cette
grandeur est quantifiée et l’on peut par exemple la représenter sous
la forme d’un tableau de nombres comme dans la mécanique des
matrices de Heisenberg, Born et Jordan.
Ce que nous apprennent alors Einstein, Born et Schrödinger, c’est
que ces nombres particuliers – résultats possibles d’une mesure –
sont obtenus de façon totalement aléatoire, c’est-à-dire au hasard.
Exceptés quelques cas particuliers, ils ne sont donc en général pas
prévisibles avec certitude, et seule la fréquence moyenne de leur
apparition lors de mesures répétées est calculable.
Ce qui est connaissable et certain, en revanche, c’est la
probabilité avec laquelle ces résultats seront obtenus. Un peu
comme pour les boules de loterie qui sortent de façon aléatoire
d’une urne mélangeuse avec une probabilité identique (égale à 1/50
s’il y a 50 boules dans l’urne, par exemple).

78
Cette probabilité de mesure est alors directement reliée à l’aspect
onde de la chose étudiée, c’est-à-dire à l’onde que Schrödinger a
associée à tout objet, matériel ou non, à la suite des travaux de
Louis de Broglie. Une onde mathématique, abstraite et complexe,
appelée aussi fonction d’onde. En effet, selon l’interprétation dite de
Born, c’est en calculant l’intensité de cette onde abstraite que l’on
peut connaître la probabilité recherchée.
À un détail près cependant… En effet, dans le cas d’une mesure
de position, l’intensité de l’onde en un endroit donné donne bien
accès à la probabilité de trouver l’objet en cet endroit par une
mesure appropriée. En revanche, pour d’autres types de mesure,
pas nécessairement de position, on a plutôt recours à la
généralisation (effectuée par Dirac et von Neumann à la fin des
années 1920) de l’onde de Schrödinger à ce que l’on appelle les
états quantiques.
L’onde de Schrödinger d’un système physique peut ainsi être vue
comme une représentation particulière d’un état quantique, celle qui
s’exprime en fonction de la position de chaque constituant du
système (on parle ainsi de représentation position de l’état
quantique).
Des questionnements naturels surgissent alors : d’où viennent ces
états quantiques ? Comment sont-ils définis ? Quel est leur lien avec
l’appareil qui effectue la mesure, avec les résultats possibles de
mesure, et avec les probabilités d’occurrence de ces résultats
aléatoires ?
Ce que postule la physique quantique est que n’importe quel état
quantique peut être exprimé à l’aide de certains états particuliers,
appelés états propres, qui sont directement liés à l’opération de
mesure effectuée (en clair, à l’appareil de mesure utilisé). Ces états
propres de la mesure sont définis de façon très simple : ce sont les
états pour lesquels les résultats de mesure sont certains !

79
Pas flou sur les bords
Comme nous le savons déjà, les résultats de mesure en
physique quantique sont en général aléatoires… c’est-à-dire
que leur probabilité d’apparition est comprise entre 0 et 1 (ou,
de façon équivalente, entre 0 % et 100 %). Les deux cas
extrêmes – 0 ou 1 – correspondent cependant à des résultats
certains : lorsque le résultat est soit interdit (probabilité nulle)
soit, au contraire, sûr d’être obtenu (probabilité égale à un).
Les états quantiques associés sont précisément ce que l’on
appelle états propres de la mesure.

Comment obtient-on ces états propres ? Par tâtonnements ? En


effectuant par exemple la même mesure sur plusieurs systèmes
physiques (des atomes par exemple) préparés de façon identique,
puis en regardant si l’on obtient à chaque fois le même résultat de
mesure ? En effet, si c’est bien le cas, on peut alors
raisonnablement conclure a posteriori que les systèmes physiques
ont bien été préparés dans un état quantique propre de la mesure.
Le problème avec cette méthode est que la question initiale est
simplement reportée sur l’étape de préparation : comment donc
préparer plusieurs systèmes physiques dans le même état
quantique ?
Paradoxalement, la réponse à cette question est à la fois subtile et
très simple. Subtile car elle fait appel à un principe polémique (celui
de la réduction de la fonction d’onde) que l’on détaillera plus loin,
mais également très simple puisque ce principe revient à dire
qu’après une mesure, le système physique mesuré se trouve
instantanément projeté (on dit aussi effondré ou réduit) dans l’état
quantique propre associé au résultat de mesure.
L’état quantique du système après une mesure est donc non
seulement bien défini et connaissable avec précision, mais il est
aussi indissociablement lié à l’appareil effectuant la mesure, puisque
c’est l’un de ses états propres.

80
Fond de ressemblance et vraie différence
Vu du monde réel, c’est-à-dire le nôtre, celui où se déroule
l’action de réaliser matériellement la mesure, rien, ou
presque, ne permet donc de distinguer a priori une mesure
quantique d’une mesure classique. Dans les deux cas, on
effectue la mesure et on obtient un nombre à la fin, celui
inscrit sur l’écran d’un ordinateur par exemple, ou la
graduation qu’indique l’aiguille d’un détecteur. En revanche,
dans le cas quantique, l’énorme différence est que le résultat
est obtenu de façon aléatoire.
Deux mesures identiques sur deux systèmes préparés de
la même façon (dans le même état quantique donc) ne
conduisent au même résultat de mesure que lorsque leur état
quantique avant mesure est l’un des états propres de la
mesure. Sinon, on obtient deux résultats différents,
totalement imprévisibles. Seule la probabilité d’occurrence de
ces résultats de mesure peut être prévue et calculée à partir
de l’état avant la mesure.

EFFONDREMENTS ET VAGABONDAGES

Une mesure quantique typique comporte donc trois étapes


fondamentales : avant la mesure (les probabilités d’obtenir tel ou tel
résultat), pendant la mesure (le résultat aléatoirement obtenu parmi
tous les résultats possibles), et après la mesure (la projection dans
l’état propre associé au résultat de mesure réellement obtenu). C’est
cette troisième étape – appelée communément effondrement du
paquet d’ondes – qui fait couler des torrents d’encre depuis sa
formulation par Werner Heisenberg et John von Neumann à la fin
des années 1920.
Le terme effondrement du paquet d’ondes fait référence au fait
que, dans le cas d’une mesure de position sur une particule, on
obtient bien une et une seule position comme résultat de mesure. La
particule est donc bien localisée en un point lors de cette mesure
alors que, juste avant la mesure, elle était décrite par une onde. Or,

81
une onde est un objet délocalisé, c’est-à-dire s’étendant partout, ou
tout au moins dans un grand volume, même lorsque l’on considère
une combinaison de plusieurs ondes enchevêtrées (d’où le terme
paquet d’ondes).
Lors de la mesure, il y a donc une transition quasi instantanée
d’un objet-onde à un objet-point ! Un effondrement brusque en un
point isolé de l’espace… qui peut donner l’étrange impression d’avoir
affaire à un tour de magie.
Mais attention, cependant, à ne pas imaginer que cette réduction
soudaine se déroule dans notre espace ! Elle advient en fait dans un
autre espace, l’espace mathématique abstrait où cette onde de
probabilité existe. Comme on l’a vu, cette onde, qu’on appelle aussi
fonction d’onde, est en fait une onde d’informations sur ce qu’est, ou
peut être, l’objet qu’elle décrit. L’effondrement dont on parle est donc
une réduction soudaine de l’information caractérisant l’objet étudié :
il pouvait être à plusieurs endroits avant la mesure et celle-ci l’a fait
apparaître à un endroit donné, l’un des endroits où la probabilité de
l’y détecter n’était pas nulle. C’est un effondrement mathématique,
un changement brusque d’une fonction mathématique, ce qui n’a
finalement rien de magique !
Plus généralement, le terme effondrement du paquet d’onde
désigne la troisième étape d’une mesure, même lorsque celle-ci ne
concerne pas la grandeur position. C’est l’étape de projection, c’est-
à-dire celle du passage quasi-instantané d’un état quantique à un
autre état quantique lors d’une mesure (ce dernier état étant celui
associé au résultat obtenu lors de la mesure).

82
Mettre la mesure au pas !
Plaçons-nous dans un monde imaginaire où les effets
quantiques seraient bien plus importants… Supposons alors
qu’on effectue une mesure de vitesse quantique sur un
marcheur avec un hypothétique appareil de mesure de
vitesse où les seuls résultats (quantiques !) possibles seraient
0 et 100 km/h. Cet appareil indiquerait alors 0 ou 100, de
façon aléatoire, et l’état quantique du marcheur
immédiatement après cette mesure serait celui associé au
résultat de mesure : c’est-à-dire soit 0 km/h, soit 100 km/h, et
uniquement l’un de ces deux résultats.
Évidemment, bien qu’aléatoire, le résultat « 100 » serait
bien moins probable que le résultat « 0 », mais il serait tout
de même possible (conduisant alors à une accélération
monumentale du marcheur après mesure !), et serait donc
parfois obtenu si l’on effectuait cette mesure sur un grand
nombre de marcheurs identiques. Mais hélas l’analogie
s’arrête là, ne laissant que d’inassouvis fantasmes à certains
lecteurs-marcheurs qui auraient pu croire un instant en
l’existence d’un tel appareil…

UNE CERTAINE INDÉTERMINATION

Parallèlement à l’effondrement quasi-physique de l’onde de


probabilité, il y a l’effondrement de nos certitudes quant aux
propriétés intrinsèques d’un objet, c’est-à-dire à celles qui le
caractérisent complètement en physique classique habituelle. En
physique quantique, ce qui est propre à un objet, ce ne sont pas les
valeurs de ses propriétés physiques, mais les probabilités de les
obtenir dans une mesure. Dire d’un objet qu’il a telle ou telle
propriété physique (position, vitesse…) n’a, aux yeux de la physique
quantique, aucun sens entre deux mesures.
C’est par exemple l’acte de mesurer la position d’un objet qui lui
confère – de façon aléatoire, donc non-prévisible avec certitude –
une position particulière. Mais cette information « position » n’a de

83
sens qu’à l’instant précis de la mesure. Ni avant, ni après. De plus,
cette mesure de position n’est pas sans conséquence sur la valeur
des autres propriétés physiques (comme la vitesse par exemple)
que d’autres mesures auraient pu donner à cet objet. Il y a même
une interdiction fondamentale de pouvoir mesurer simultanément
certains couples de grandeurs physiques, grandeurs que l’on dit
alors conjuguées. Par exemple les grandeurs position et vitesse, ou
énergie et durée de vie.
C’est en fait une illustration du fameux principe d’indétermination,
énoncé par Heisenberg en 1927 et connu aussi sous le nom de
principe d’incertitude, même si ce nom est trompeur car il laisse
penser que l’impossibilité dont on parle résulterait d’une incertitude
d’origine expérimentale.
La réflexion de Heisenberg portait initialement sur l’impossibilité
de voir un objet sans le modifier. En effet, la nature corpusculaire de
la lumière implique que pour voir au sens usuel du terme, c’est-à-
dire en captant un peu de lumière émise ou réfléchie par un objet, il
est nécessaire que cette lumière contienne au moins un photon. Il
n’est en effet pas possible d’atténuer la lumière en dessous de ce
seuil d’un photon… Or, comme on l’a vu précédemment (voir le
chapitre 3), ce photon change la fameuse vitesse de l’objet observé
en interagissant avec lui (donnant naissance à la fameuse pression
de radiation qui gonflera peut-être les voiles solaires des futurs
vaisseaux spatiaux).
Immédiatement après avoir émis ou réfléchi ce photon, l’objet
regardé voit donc sa vitesse modifiée de façon irrémédiable et
imprévisible. De plus, comme l’objet observé change
nécessairement de position après cette interaction lumineuse,
l’information de position donnée par le photon n’est plus pertinente. Il
est donc impossible d’observer une chose sans la modifier
légèrement. Par exemple, en lisant ces lignes, vous venez, sans
même vous en rendre compte, de modifier ce livre !
L’effet est d’ailleurs d’autant plus important que l’énergie du
photon est intense, c’est-à-dire que sa longueur d’onde est faible
(voir le chapitre 2) : ainsi, plus précise est l’information sur la
position, plus importante est la perturbation de la vitesse de l’objet

84
regardé, et réciproquement. Les informations position et vitesse ne
sont donc connaissables qu’avec une précision inverse ! Si l’on se
contente d’une précision grossière, aucun souci, mais si l’on
recherche une précision très fine, on fait alors face à une
impossibilité de principe : soit la position, soit la vitesse, mais pas les
deux simultanément.
La conséquence majeure du principe d’indétermination de
Heisenberg est qu’un objet – un atome ou un électron par exemple –
ne peut pas avoir de trajectoire bien définie selon la physique
quantique standard ! Pour cela, en effet, il faudrait qu’il soit possible
de mesurer à la fois sa position et sa vitesse à plusieurs instants
donnés. Les électrons d’un atome, par exemple, ne peuvent donc
pas suivre d’éventuelles orbites autour du noyau de l’atome… tout
simplement parce que ces trajectoires n’existent pas ! (D’ailleurs,
même si elles existaient, elles ne seraient pas mesurables.)
Dans le monde quantique, il semble donc que parler de trajectoire
n’ait pas plus de sens que de parler d’un lieu où il ferait
simultanément jour et nuit, ou du bruit sec que ferait une seule main
qui claque…

85
L’union des complémentaires…
L’analogie avec le kōan zen de la main qui claque n’est pas
fortuite car les philosophies extrêmes orientales (le
bouddhisme, l’hindouisme et le taoïsme en particulier) ont
très tôt séduit, ou du moins vivement intéressé, les
découvreurs des lois quantiques. Par exemple, le Danois
Niels Bohr se sentit assez proche du taoïsme pour en
reprendre la figure de proue, le taijitu, symbole bien connu en
noir et blanc du Yin et du Yang, qui exprime la
complémentarité des contraires. Il l’afficha même sur la porte
de son bureau et le choisit comme sceau dans ses armoiries.
Il y puisa surtout l’inspiration pour exprimer – sous forme d’un
principe général – une réalité constatée expérimentalement
au cours des années 1910-1920, et que Heisenberg avait
traduite mathématiquement dans certains cas particuliers
avec son principe d’indétermination. Selon Bohr, la dualité
fondamentale qui semble se manifester en physique
quantique n’est que le reflet de l’existence de grandeurs non
pas contraires mais complémentaires.

Armoiries de Niels Bohr

Ce principe, dit de complémentarité, postule ainsi que la


dualité onde-corpuscule ne résulte que de notre ignorance de

86
la nature véritable de l’objet étudié, les aspects onde et
corpuscule étant alors vus comme des facettes différentes de
cet objet. Des facettes non seulement différentes mais
également incompatibles, s’excluant mutuellement, comme
dans le cas de la mesure des informations position et vitesse
d’une particule par exemple. Une union des contraires sous la
forme d’une inaccessible réalité qui les transcenderait… il en
faut moins, avouons-le, pour que nos imaginations
s’emballent

DES FENTES PAR OÙ S’ENFUIT LE TEMPS…

À défaut d’être érigée en tant que principe de la théorie, la


complémentarité à la Bohr se constate expérimentalement dans de
multiples situations. La plus symptomatique et révélatrice est l’une
des nombreuses variantes de la célèbre expérience des fentes
d’Young (que nous avons déjà vue au chapitre 2). Expérience simple
mais puissante, mettant en lumière un phénomène d’interférences
de particules (photons, électrons, atomes, molécules…) envoyées
une à une sur les fentes.

« Dans mon bureau de la rue Mexico


je conserve la toile que quelqu’un
peindra, dans des milliers d’années,
avec des matériaux aujourd’hui
épars sur la planète. »
Jorge Luis Borges, Le livre de sable

Dans cette variante est ajouté un dispositif « particule versus


fente » qui permet de détecter si une particule passe par l’une des
deux fentes (celle de gauche ou celle de droite). Situé entre les
fentes et l’écran de sortie, ce dispositif détermine le passage par une

87
fente de façon indirecte, c’est-à-dire sans perturber l’hypothétique
trajectoire de la particule envoyée sur les fentes. Qu’advient-il dans
ce cas des impacts des particules sur l’écran de sortie ?
S’organisent-ils sous forme de franges d’interférences comme dans
le cas où il n’y a pas ce dispositif ?
La réponse est négative. Les impacts des particules ne forment
aucune frange d’interférences sur l’écran. Au contraire, ce que l’on
observe correspond en fait à la somme de ce que l’on observerait en
envoyant la moitié des particules sur la fente de gauche et l’autre
moitié sur la fente de droite : deux groupes d’impacts, un derrière
chaque fente. Autrement dit, les particules passent de façon
aléatoire par l’une ou l’autre des fentes, mais ce faisant ne
perçoivent pas la présence de l’autre fente et se comportent comme
si celle-ci n’existait pas. Ainsi, le seul fait de mettre un capteur qui
détecte l’aspect corpusculaire, bien localisé, des particules semble
faire disparaître leur comportement ondulatoire. Posséder
l’information corpusculaire « par quelle fente passe la particule » fait
donc perdre l’information ondulatoire…
Plus fort encore, on sait depuis quelques années, réaliser des
dispositifs « particule versus fente » qui ne nous donnent qu’une
information partielle sur la fente par laquelle passe chaque particule.
On peut donc ne pas savoir exactement par quelle fente passe la
particule, et même régler à volonté cette information de nature
corpusculaire. Le résultat est sans appel : plus on sait précisément
par quelle fente passent les particules, moins les franges
d’interférences se dessinent nettement ! Il y a donc bien une totale
complémentarité entre les aspects onde et corpuscule.
La subtilité réside dans le fait que pouvoir détecter par quelle fente
pourrait passer une particule fait que cette particule se comporte
comme un corpuscule plutôt que comme une onde. Par exemple,
avec un dispositif qui ne détecte le passage qu’à travers une fente,
on obtient le même résultat. Supposons par exemple que cette fente
soit celle de gauche, alors, quand on envoie une particule sur les
fentes et que le capteur ne détecte rien, cela signifie indirectement
que la particule est passée par la fente de droite. C’est-à-dire que le
simple fait de savoir qu’une particule ne passe pas par l’une des

88
fentes (une non-mesure donc, appelée aussi mesure non-
destructive) transforme la particule et la réduit à son aspect
corpusculaire. Le fait que la particule aurait pu être détectée par la
fente de droite a effacé son aspect onde. Aussi désarçonnant que
cela puisse paraître, en physique quantique, des événements qui
auraient pu se produire mais ne se sont pas produits ont un effet
mesurable. Ce troublant phénomène porte un nom : la
contrafactualité.
Encore plus fort : comme l’a fait remarquer le physicien américain
John Wheeler en 1978, on peut en fait choisir de n’acquérir
l’information « par quelle fente passe la particule » que très tard
dans l’expérience, par exemple juste avant impact sur l’écran, c’est-
à-dire longtemps après que la particule a traversé la zone des deux
fentes… On appelle d’ailleurs ce genre d’expériences des
expériences à choix retardé. Dans ce cas, les mêmes résultats sont
observés : il n’y a aucune frange d’interférence !

Expérience à choix retardé

Le point troublant dans cette dernière expérience est qu’au dernier


moment, c’est-à-dire juste avant que la particule n’impacte l’écran,

89
on peut très bien décider de ne pas savoir par quelle fente est
passée la particule… Ou même d’acquérir cette information mais de
choisir, avant d’en avoir connaissance, de l’effacer par un moyen
adéquat (appelée à juste titre gomme quantique). Dans ce cas,
l’information « par quelle fente passe la particule » reste inconnue et
les impacts dessinent à nouveau des franges d’interférences.

Une expérience de la taille de l’Univers


Ces troublants phénomènes semblant abolir le temps ne
sont pas restreints aux laboratoires. Ils sont validés et vérifiés
quelle que soit la taille de l’expérience ! Dans les expériences
imaginées par le physicien John Wheeler, par exemple, la
lumière utilisée est celle émise par une galaxie lointaine, et la
distance entre l’écran de détection et ce qui joue le rôle des
deux fentes pour cette lumière cosmique peut donc avoir la
taille… de l’Univers ! En 2016, une expérience italienne a
déjà permis de faire un premier pas en ce sens en réalisant
une telle expérience dans l’espace, entre la Terre et plusieurs
satellites, avec de la lumière se propageant sur des distances
dépassant les 3 000 km… Avec là encore, le même résultat :
quel que soit l’instant choisi pour regarder par quelle fente
passe une particule, cette mesure de type corpusculaire fait
que cette particule se comporte comme un corpuscule et non
comme une onde. Comme le souligne le physicien australien
Andrew Truscott, qui a réussi en 2015 à réaliser une telle
expérience à choix retardé, non pas avec de la lumière mais
avec des atomes : « Au niveau quantique, la réalité n’existe
pas si nous ne la regardons pas ! »

L’acte de détecter, ou non, par quelle fente passe la particule agit


donc sur le comportement global qu’a la particule dans tout le
système expérimental, en particulier dans la zone des deux fentes
où elle peut se comporter soit comme une onde (quand il n’y a pas
détection « par quelle fente passe la particule »), soit comme un
corpuscule (quand il y a cette détection).

90
L’acte de détection « par quelle fente passe la particule » ayant
lieu bien après que la particule a traversé la zone des fentes, il
semble alors agir dans le passé, sous la forme d’une influence, ou
rétroaction, du futur vers le passé… Notre choix de déroulement de
l’expérience semble ainsi déterminer l’état antérieur de la particule,
abolissant par là même notre notion usuelle du temps.
Dit autrement, tout se passe comme si chaque particule explorait
simultanément tous les chemins possibles, à travers l’espace et à
travers le temps. S’il n’y a pas détection « par quelle fente passe la
particule » avant l’écran, alors les chemins possibles sont ceux
conduisant à des interférences ; sinon, s’il y a détection, seuls sont
possibles les chemins ne conduisant pas aux interférences.

Sur les chemins de Feynman…


Cette approche en termes de chemins d’espace-temps est
en fait celle développée par le génial physicien américain
Richard Feynman (1918-1988), l’un des derniers grands
penseurs – et passeur – de science du XXe siècle. Pédagogue
hors pair, iconoclaste et parfois loufoque, il jouait du tam-tam
debout et n’aurait pas dépareillé dans un cercle des poètes-
physiciens disparus. Il est également connu pour ses
aphorismes et autres réflexions percussives. Ainsi, lorsqu’il la
présentait à ses étudiants, Feynman avait coutume de leur
dire que l’expérience des fentes d’Young contenait le seul vrai
mystère de la physique quantique et qu’il lui était impossible,
à lui, prix Nobel de cette théorie, de leur expliquer ce
mystère, quand bien même il pouvait décrire en détail
comment elle fonctionne…

DÉCOHÉRENCE DANS L’AZUR

Faire une mesure dans le monde quantique n’a donc


généralement rien de commun avec ce que l’on entend
habituellement dans le monde classique, c’est-à-dire non-quantique.
C’est un acte très particulier où règnent l’aléatoire et le soudain. En

91
effet, après une mesure quantique sur une chose, l’un des résultats
possibles est obtenu au hasard et la chose mesurée est projetée
dans un état quantique qui n’a éventuellement rien à voir avec celui
d’avant la mesure.
Cette modification radicale se déroule en un temps extrêmement
court, si court même qu’elle nous semble instantanée. Discontinue.
Un problème se pose alors : comment concilier ce comportement
discontinu avec l’équation continue de Schrödinger ? En effet, celle-
ci est censée décrire l’évolution de tout état quantique, sans
distinction de taille ou de rôle dans la mesure.
Il y a ainsi un état quantique caractérisant l’objet à mesurer et un
état quantique caractérisant l’appareil de mesure. Il y a même, en
fait, un état quantique décrivant l’ensemble « objet à mesurer +
appareil de mesure », tout comme il y en a un qui inclut
l’expérimentateur, un autre le laboratoire, la Terre et même l’Univers
en entier ! L’évolution de chacun de ces états est supposée être
décrite par la fameuse équation de Schrödinger, mais le problème
est que celle-ci, du fait de sa forme mathématique, ne permet pas de
changement brusque ou discontinu…
L’évolution au cours du temps des états quantiques telle que
donnée par l’équation de Schrödinger semble donc incompatible
avec la notion de mesure quantique. Et pourtant, tant l’équation de
Schrödinger que la projection soudaine lors d’une mesure sont
extrêmement bien vérifiées et reproduites expérimentalement !
Comment alors comprendre ce double comportement ? Qu’est-ce
qui décide, pour un objet, que son évolution sera douce et continue,
comme cela se passe entre deux mesures, ou bien hachée et
discontinue, comme lors d’une mesure ?
Finalement, on en revient encore et toujours à la question initiale
de ce que peut bien être une mesure, a fortiori lorsqu’elle est
quantique. Est-il alors possible de regarder cela avec un œil neuf, de
« réapprendre à voir le monde », comme le dit si bien le philosophe
des sciences Maurice Merleau-Ponty dans ses réflexions sur le
visible et l’invisible ?

92
Mesure et évolution ne font pas bon ménage !
Parmi les effets quantiques amusants, l’effet Zénon
quantique repose sur le fait que, si la durée entre deux
mesures est réduite, l’état quantique de l’objet mesuré n’a
pas le temps d’évoluer et reste pour ainsi dire figé. En
répétant continuellement une mesure, on peut donc bloquer
l’évolution normale, à la Schrödinger, d’un système
quantique. Un peu comme lorsque l’on empêche quelqu’un
de dormir en lui demandant sans arrêt s’il dort…

À bien y réfléchir, une mesure n’est en effet rien de moins qu’une


interaction. Une interaction entre deux choses : l’objet mesuré et
l’appareil de mesure. Si en physique classique il n’y a pas de
différence de nature entre ces deux choses, il n’en est plus de même
en physique quantique. Dans une mesure quantique, ce sont les
propriétés de l’appareil de mesure qui dictent les résultats probables
et les états quantiques possibles après la mesure, ce ne sont pas les
propriétés de l’objet. Ces dernières n’interviennent que pour préciser
la valeur des probabilités des résultats possibles.
Si une mesure est une interaction, il n’est pas difficile d’imaginer à
quoi peut ressembler une mesure quantique en pratique. La pointe
très fine d’un appareil de mesure sophistiqué s’approchant d’un
atome pour le sonder par exemple. Ou bien une plaque détectrice de
photons (utilisant l’effet photoélectrique ; voir le chapitre 2) pour
capter la lumière émise par une molécule…
Mais alors, quelle différence fondamentale existe-t-il entre
l’appareil de mesure et l’objet mesuré ? Les deux sont en effet
composés d’atomes et de molécules. Ce sont deux objets de même
nature du point de vue de la physique quantique. Ils peuvent même
être tout à fait constitués des mêmes atomes et molécules. Et
pourtant, il est évident que les appareils de mesure n’ont pas de
propriétés ondulatoires par exemple. Ils ne disparaissent pas non
plus soudainement d’un endroit pour réapparaître aussi
soudainement ailleurs ! Quelle est donc la différence entre un objet
quantique et un objet classique ?

93
Bien sûr, la différence qui saute aux yeux en premier est celle de
la taille entre les deux objets. C’est-à-dire le nombre d’atomes
impliqués : peu, typiquement, pour un objet présentant des effets
quantiques mesurables facilement, mais énormément pour un
appareil de mesure, des milliards de milliards même !
On peut alors imaginer que les aspects onde de chaque atome de
l’appareil de mesure s’enchevêtrent et se brouillent mutuellement.
L’analogie est frappante : jetons un grain de sable dans un étang
calme et nous verrons se propager de magnifiques ronds dans
l’eau ; jetons une poignée de sable, et nous ne verrons qu’un
clapotis informe, résultant de l’enchevêtrement incohérent de
centaines de ronds dans l’eau.
Cet effet d’atténuation, voire de disparition, des effets quantiques
pour un grand nombre de particules impliquées porte le nom de
principe de correspondance. Plus qu’un principe, c’est une propriété
constatée (mais non générale) qui est à l’origine de nombreuses
études expérimentales tentant de déterminer la frontière entre les
mondes classique et quantique. À l’instar des ronds dans l’eau
incohérents créés par la poignée de sable, on parle aussi de
phénomène de décohérence.
Le temps de décohérence est alors la durée au terme de laquelle
un objet perd ses propriétés quantiques et devient classique. Pour
un objet à notre échelle, c’est-à-dire composé de milliards de
milliards d’atomes, ce temps de décohérence est infiniment bref.
Mais même pour un atome, ce temps peut être quasi nul ! Il suffit
qu’il interagisse avec beaucoup de particules, par exemple celles
composant l’air que l’on respire ou même simplement les photons de
la lumière ambiante qui viennent l’impacter. D’où la nécessité, pour
préserver la cohérence quantique d’un objet, de l’isoler au
maximum de tout environnement perturbateur.
Mais il y a plus subtil encore. Comment l’appareil de mesure sait-il
qu’il doit se comporter comme cela ? Comment en effet les atomes
composant l’appareil de mesure savent-ils qu’ils doivent se
comporter de telle sorte que leur interaction collective avec l’objet
mesuré conduise à tel type de mesure plutôt qu’à tel autre ? Une

94
mesure de position plutôt qu’une mesure de l’énergie par exemple.
Intrigant n’est-ce pas ?

De solides réponses, mais seulement


partielles…
Dès l’avènement de la physique quantique, de nombreux
chercheurs ont tenté de comprendre quel était ce lien si
particulier entre observateur (l’appareil de mesure) et observé
(la chose mesurée). À la fin des années 1920, un début de
consensus sur les aspects mathématiques et pratiques de ce
lien fut mis en forme par le physicien américain John von
Neumann. De son ouvrage devenu célèbre naquirent alors,
dans les années 1970-1980, deux notions majeures de la
physique quantique d’aujourd’hui : celle déjà évoquée de
décohérence et celle de mesure quantique généralisée
(POVM pour les amoureux des sigles). Toujours en cours
d’étude, ces deux avancées ont permis d’éclaircir nombre
d’aspects étranges de ce que peut être une vraie mesure
quantique. En particulier de comprendre pourquoi un appareil
de mesure se comporte de façon classique alors que les
atomes et molécules qui le constituent le font de façon
quantique…
Il subsiste cependant de nombreuses questions irrésolues
concernant la mesure quantique, en premier lieu desquelles
l’irrémédiable présence du hasard dans les résultats de
mesure, c’est-à-dire la nature fondamentalement probabiliste
de la théorie.

95
CHAPITRE 6

SCHRÖDINGER ET SON CHAT :


LE CŒUR DE LA PHYSIQUE
QUANTIQUE

Les notions de superposition et d’intrication d’états


sont au cœur des plus récentes applications de la
physique quantique : cryptographie, information et
téléportation quantiques. L’expérience emblématique
du chat de Schrödinger a pour sa part mis en lumière
le problème de l’interprétation physique de cette
théorie.

Si le chapitre précédent a souligné la forte complexité d’une


mesure quantique, il n’en a pourtant pas dévoilé les aspects les plus
étranges. D’autres phénomènes encore plus surprenants mettent en
effet la raison des scientifiques à rude épreuve depuis plus de
quatre-vingts ans… La superposition et l’intrication d’états
quantiques, par exemple, semblent abolir la notion d’espace et défier
notre logique habituelle, et poussent les scientifiques dans leurs

96
derniers retranchements, au point qu’ils ont dû agrandir le bestiaire
de la physique d’une espiègle souris et d’un chat zombie !

« Si tu as un bâton, on te donnera
un bâton ;
si tu n’as pas de bâton, on te le
prendra. »
Christiane Rochefort, Le monde est comme
deux chevaux

Ces phénomènes, pour la formulation desquels Schrödinger et


Einstein ont joué un grand rôle, ont ainsi amené les scientifiques à
se poser des questions quasi philosophiques sur l’une des
particularités les plus marquantes de cette théorie : son besoin d’une
interprétation. La physique quantique n’est en effet pas autonome.
Contrairement aux autres théories physiques (classiques donc,
comme la mécanique ou l’électromagnétisme), son formalisme
mathématique ne permet pas d’en comprendre le sens physique :
elle nécessite une interprétation. Le problème – et il est de taille –
est que celle-ci n’est pas unique, bien au contraire…

ÊTRE ET NE PAS ÊTRE…

Lorsque l’on tire une pièce à pile ou face, est-il concevable


d’obtenir à la fois pile et face ? L’encre d’un feutre peut-elle être
noire et blanche, sans pour autant être grise ? Une chose peut-elle
être à la fois en mouvement et immobile ? Ici et là ? Tournant dans
un sens et dans l’autre en même temps ?
Ces questions semblent à première vue absurdes ou
fantastiques… Comment deux phénomènes que l’on perçoit comme
contraires ou opposés pourraient-ils être en effet réalisés
simultanément ? Pour des idées, on peut à la rigueur l’envisager,

97
comme dans cette citation du philosophe Pascal : « le contraire
d’une vérité profonde est une autre vérité profonde », que le
physicien Niels Bohr a reprise à son compte afin d’illustrer son
fameux principe de complémentarité aux effluves taoïstes (vu au
chapitre 5).
Pour des idées, d’accord, mais pour des choses, des objets, des
phénomènes physiques, est-ce possible ? Oui, répond la physique
quantique ! Mais ceci ne doit pas nous étonner outre mesure car elle
n’est pas la seule théorie à proposer cela, et nous en faisons
l’expérience sans le savoir tous les jours ou presque. Par exemple,
une corde de violon, lorsqu’elle est mise en vibration, ne conduit pas
à une seule note bien précise, c’est-à-dire à un seul mode de
vibration de cette corde. Il y a les harmoniques de cette note
dominante (c’est-à-dire des multiples de la fréquence) et d’autres
bruits parasites qui s’ajoutent. C’est en fait tout un ensemble de
vibrations qui se superposent pour produire le son que l’on entend.
Ce phénomène de superposition est en fait valide pour tout type
d’onde, qu’elles soient sonores ou lumineuses par exemple. On a
d’ailleurs déjà vu cette superposition d’ondes au chapitre 2 dans le
cas de l’expérience des fentes d’Young. Les ondes considérées
étaient des ronds dans l’eau ou des ondes lumineuses, et l’on a vu
que leur superposition pouvait conduire à des zones d’onde nulles
ou sombres, c’est-à-dire à des endroits où l’onde totale était
d’intensité nulle.
L’état quantique d’un objet étant décrit par une onde (appelée
fonction d’onde ou onde de probabilité, comme nous l’avons vu au
chapitre 3), il se passe exactement le même phénomène pour les
ondes quantiques et, par extension, pour les états quantiques
associés à ces ondes. C’est d’ailleurs à l’aide d’une superposition
d’ondes de probabilité issues des deux fentes que l’on a pu
comprendre d’où venait le phénomène d’interférences dans le cas
de particules (atomes ou photons) envoyées une à une sur un
système de fentes d’Young.
Cependant, cette onde quantique de probabilité n’est pas
physique. Souvenez-vous, elle n’appartient pas à notre monde. Elle
évolue dans un monde mathématique abstrait et son intensité nous

98
renseigne sur la probabilité que l’objet décrit par cette onde soit à
telle ou telle position. En dehors de l’aspect aléatoire, la physique
quantique semble donc n’apporter rien de bien nouveau au
phénomène de superposition…
Et pourtant, le principe de superposition en physique quantique
est bel et bien révolutionnaire. Tout simplement parce qu’il s’applique
à toute propriété physique ! L’énergie, la position, la vitesse, ou
encore le mouvement de rotation… On peut ainsi créer a priori des
superpositions d’états quantiques de n’importe quoi. Par exemple,
un atome peut être mis dans un état quantique correspondant à
deux, trois, ou quatre énergies différentes, et ceci de façon
simultanée. Il peut même être dans un état de rotation combinant en
même temps les deux sens de rotation ! Vers la gauche et vers la
droite…

99
Peut-on ranger sa chambre dans un train
en mouvement ? Quelle blague !
Tenter de faire comprendre cette notion de superposition
d’états quantiques avec les mots du quotidien est un défi.
L’ambiguïté de certaines perceptions ou certains états
mentaux peut cependant être d’une aide précieuse. Par
exemple, lorsqu’un père demande à son fils : « Ne pourrais-tu
pas ne pas ranger ta chambre, Louis ? », Louis doit-il ou ne
doit-il pas ranger sa chambre ? Ou peut-être, qui sait, existe-
t-il une superposition de ces deux possibilités que cet instant
de doute induit en nous par l’intermédiaire de la double
négation ?
Il en est de même de l’impression étrange que l’on peut
éprouver dans un train, lorsqu’il est en gare à côté d’un autre
train et que l’un des deux se met en mouvement. Cet instant
fugace où l’on ne sait pas quel est le train qui démarre, où le
mouvement entre les deux trains semble purement relatif, où
l’on ne saurait dire si c’est nous qui bougeons ou l’autre train,
où l’on se sent dans un état intermédiaire, simultanément en
mouvement et à l’arrêt. Une sorte d’état superposé de
mouvement et de non-mouvement, du moins en perception,
que la compréhension soudaine réduit à un seul état, telle
une mesure quantique…
Des chercheurs en sciences cognitives avancent même
l’idée que l’humour pourrait fonctionner sur un mode
quantique. Selon eux, ce qui est drôle dans une blague,
absurde par exemple, ne serait pas le moment de
compréhension de cette blague mais précisément le moment
où deux idées ou interprétations contradictoires s’affrontent
dans notre esprit sans qu’aucune ne prenne le dessus. Ne
dit-on pas en effet que devoir expliquer une blague signifie
qu’elle n’est pas drôle ?
Les kōans zen fonctionnent également sur ce principe,
comme le souligne si bien la citation de Christiane Rochefort
au début de chapitre.

100
Ce phénomène de superposition quantique n’est pas restreint au
lointain monde sub-microscopique des atomes et des photons. En
2010, l’équipe du professeur John Martinis de l’université de Santa
Barbara (États-Unis) a réussi à mettre un objet macroscopique dans
une superposition d’états quantiques de mouvement. L’objet en
question – une petite barre de métal d’une longueur de 60 microns
(μm), soit la taille d’un cheveu – a pu ainsi être placé dans un état
combinant simultanément le repos et le mouvement d’oscillation.
Oui, vous avez bien lu, un objet visible à la fois immobile et en
mouvement !
Hélas, si cette balançoire quantique est bien de taille suffisante
pour être visible sans microscope, il n’est pas possible de voir l’état
de superposition « mouvement et non mouvement ». En effet,
conformément aux principes d’une mesure quantique, le simple fait
d’observer cet objet détruit son état superposé et le réduit à l’un des
deux états : immobile ou en mouvement. Une mesure quantique
transforme en effet les et en ou.
Le défi expérimental est d’ailleurs d’arriver à maintenir cet état de
superposition quantique le plus longtemps possible en isolant au
maximum l’objet en question de son environnement extérieur. En
interagissant avec l’objet, cet environnement perturbateur et
décohérent joue en effet un rôle similaire à celui d’une mesure et
peut faire disparaître la superposition quantique en un temps très
court (quelques milliardièmes de seconde, typiquement, pour la
balançoire quantique de Santa Barbara).

QUBITS : CRYPTOGRAPHIE ET ORDINATEUR


QUANTIQUES

Réaliser des superpositions d’états quantiques à la plus longue


durée de vie possible est en fait d’une importance technologique
majeure. Car c’est bien de ces étranges états superposés dont sont
faits les fameux bits quantiques, appelés aussi qubits, sur lesquels
reposent les domaines de l’information et de la cryptographie
quantiques.

101
Techniquement parlant, un qubit est un système à deux états
quantiques. Cela peut être un objet matériel (un atome ou un
électron par exemple) ou immatériel (un photon). Un qubit est
l’analogue quantique d’un bit informatique classique : c’est l’unité de
base de l’information quantique.
En informatique classique, un bit peut prendre uniquement deux
valeurs bien définies, notées 0 et 1, chacune associée à un état
différent d’une grandeur physique classique, comme un voltage ou
un courant électrique. Comme un qubit, un bit est donc également
un système à deux états, excepté le fait qu’il ne peut exister que
dans un seul des deux états possibles : soit 0 soit 1, mais pas les
deux à la fois.
En physique quantique cette limitation n’est plus de mise et un
qubit peut non seulement être dans un des deux états 0 ou 1, mais
également dans tous les états intermédiaires : « un peu de 0 et
beaucoup de 1 », « moitié de 0 et moitié de 1 », « énormément de 0
et très peu de 1 »… Ces états intermédiaires correspondent en fait à
toutes les superpositions possibles d’états quantiques 0 et 1.
En quoi ces qubits sont-ils si intéressants ? Pourquoi les états du
G20 et les plus grandes entreprises planétaires comme Google,
IBM, Intel ou Microsoft investissent-elles des milliards d’euros pour
augmenter la durée de vie des qubits et améliorer leur maniabilité et
leur fiabilité ? Pour essentiellement deux applications : la
cryptographie quantique et l’informatique quantique.

102
Quelques notions de cryptographie
classique…
La cryptographie quantique est la version quantique de la
cryptographie classique, qui elle-même est l’art de
transmettre un message entre deux personnes, en
minimisant les risques qu’une tierce personne intercepte et
lise le message. Des procédés de transposition/substitution
de lettres de la Mésopotamie antique et des savants arabes
de Samarcande aux algorithmes d’aujourd’hui fondés sur
l’utilisation de nombres premiers, en passant par les
machines Enigma et Lorentz de la Seconde Guerre mondiale,
de multiples techniques de cryptographie ont vu le jour à
travers le monde au cours des millénaires.
De façon générale, l’échange d’un message par
cryptographie consiste à le chiffrer, c’est-à-dire à le
transformer en une suite inintelligible de symboles (par
exemple, une suite de 0 et de 1), puis à l’envoyer au
destinataire qui le retransforme alors en un message
intelligible grâce à une clé. Si le message peut être public
(car indéchiffrable sans la clé), la clé est généralement
gardée secrète et n’est connue que de l’émetteur et du
destinataire. Lorsque de multiples acteurs et messages sont
en jeu, le problème se reporte alors sur l’échange sécurisé de
nombreuses clés elles-mêmes chiffrées.
La technique phare de la cryptographie moderne – appelée
système RSA, du nom de ses inventeurs Rivest, Shamir et
Adleman en 1977 – consiste à échanger ces clés chiffrées de
façon publique mais en les cryptant à l’aide d’un nombre très
grand, résultat du produit de deux nombres premiers très
grands dont un seul est connu du destinataire (un nombre
premier est un nombre qui n’est divisible par aucun nombre
excepté 1 et lui-même, comme 2, 3, 17, 421 ou 1 979 par
exemple). Un espion, pour déchiffrer une clé et décoder
ensuite le message correspondant, doit donc trouver les deux
nombres premiers dont la clé est le produit. Or cette tâche est
extrêmement ardue, même à l’aide de super-ordinateurs,

103
lorsque tous ces nombres sont très grands (excepté bien sûr
pour le destinataire pour qui cette opération est très simple).

La fiabilité et la sécurité des procédés de cryptographie classique


reposent en effet sur la puissance et le temps de calcul des
ordinateurs qu’utiliseraient de potentiels espions. Avec des
ordinateurs classiques, le danger est mineur puisque leur puissance
est limitée, mais il n’en est plus de même avec des ordinateurs
quantiques pour lesquels la puissance théorique est quasi infinie,
mettant en danger tous les systèmes de chiffrement moderne.
En effet, dans un ordinateur quantique, les opérations
élémentaires de calcul (les fameuses portes logiques) sont
effectuées non pas à l’aide de bits classiques mais avec des qubits,
des bits quantiques. Or, nous l’avons vu, ceux-ci ne sont pas
obligatoirement dans l’état 0 ou dans l’état 1, mais peuvent être dans
une superposition de ces deux états, c’est-à-dire être dans les deux
états en même temps. Il en résulte qu’une opération informatique
élémentaire sur un qubit sera réalisée simultanément – c’est-à-dire
en parallèle – sur les états 0 et 1, alors qu’elle nécessiterait deux
opérations différentes avec un bit classique (une sur l’état 0 et une
autre sur l’état 1).
Avec deux qubits, ce sont 22 = 4 opérations qui sont effectuées en
parallèle sur les états 00, 01, 10 et 11. Avec trois qubits, ce sont 23
= 8 opérations sur les états 000, 001, 010, 011, 100, 101, 110, et
111. Plus généralement, avec N qubits ce sont 2N opérations qui
sont réalisées simultanément. Ainsi, à nombre de (qu)bits égal, un
ordinateur quantique est exponentiellement plus puissant qu’un
ordinateur classique !
Pour saisir cette différence entre puissance quantique et
puissance classique, on peut considérer l’analogie suivante.
Imaginons que l’on veuille, sur une mappemonde, colorier en rouge
les pays qui sont des démocraties. Avec une méthode classique, il
faudrait alors se renseigner sur chaque pays et colorier un par un
ceux qui sont des démocraties. Avec une méthode quantique, il
suffirait de poser la question pour que d’un seul coup tous les pays
démocratiques soient coloriés en rouge.

104
À titre de comparaison, on estime qu’il suffit de seulement 50
qubits pour dépasser la puissance des meilleurs superordinateurs
classiques actuels. Avec 300 qubits, on entrerait même dans un
domaine inconnu de puissance de calcul où le nombre d’opérations
élémentaires effectuées en parallèle dépasserait le nombre
d’atomes dans l’Univers…

Suprématie quantique et décohérence


Si la barre symbolique de suprématie quantique des 50
qubits a bien été franchie (en 2017) et que certains analystes
prévoient le dépassement du million (!) de qubits à l’horizon
2030, de multiples limitations techniques empêchent
cependant d’exploiter pleinement la phénoménale puissance
des ordinateurs quantiques.
Parmi ces limitations, le phénomène de décohérence, dû
aux inévitables interactions avec l’environnement, est le plus
problématique car très limitant quant à la durée maximale de
calcul et de stockage des données. Les difficultés de
reprogrammation et le nombre restreint d’entrées-sorties de
ces machines limitent aujourd’hui leur utilisation à
l’exploration de données, de combinaisons ou de solutions
possibles à un problème. Les applications majeures
concernent la recherche rapide dans une base de données,
la simulation de systèmes complexes (météorologie, bio-
informatique, intelligence artificielle, physique des matériaux)
et, bien sûr, la cryptographie.

Clé ultime du cassage de codes cryptographiques actuels (voir


l’encadré sur la cryptographie classique), la factorisation de grands
nombres en produit de nombres premiers semble être l’apanage des
calculateurs quantiques, même si les performances de ceux-ci sont
encore loin d’égaler celles des processeurs classiques (lesquels,
après parallélisation massive, permettent aujourd’hui de factoriser
des nombres de plus de 230 chiffres !).

105
Les calculateurs quantiques n’en finissent plus de progresser dans
la factorisation de grands nombres… En quelques années
seulement, les nombres factorisés de façon quantique sont ainsi
passés de deux à six chiffres, et les progrès attendus dans les dix
prochaines années sont tels que les états et entreprises
internationales ont basculé dans une course folle à l’armement
quantique pour pouvoir être les premiers à asseoir leur suprématie
(quantique) sur la cryptographie !
Deux alternatives ont vu le jour pour pallier à cette révolution : la
cryptographie (classique) dite post-quantique, qui s’appuie sur de
nouveaux algorithmes de codage censés être inattaquables par les
calculateurs quantiques, et la cryptographie quantique qui, elle,
utilise les phénomènes quantiques pour atteindre une confidentialité
inviolable par quelque méthode d’espionnage que ce soit.
Fondée sur l’échange de qubits, la cryptographie quantique
repose en outre sur deux phénomènes quantiques qui, dans le
contexte de l’informatique quantique, sont paradoxalement perçus
comme des handicaps.
Le premier phénomène a trait à la mesure quantique : si un espion
intercepte un message crypté et tente de le lire, les états superposés
dont est composé le message quantique seront irrémédiablement
détruits et transformés en d’autres états (en les états propres de la
mesure associée à l’opération de lecture). Ainsi, même si cet espion
renvoie immédiatement le message au destinataire après l’avoir lu,
ce dernier pourra savoir que le message a été espionné en
comparant avec l’émetteur une partie des qubits échangés (en
pratique, on déduit qu’il y a espionnage si le taux de qubits perturbés
dépasse 25 %).
Le deuxième phénomène est appelé non-clonage quantique : c’est
l’impossibilité de réaliser une copie exacte d’une superposition
d’états quantiques, empêchant par là même un espion d’intercepter
un message codé, d’en faire une copie qu’il lira plus tard et de
renvoyer l’original à son destinataire sans être démasqué.
En théorie, la combinaison de ces deux phénomènes confère une
fiabilité et une confidentialité absolues à la cryptographie quantique.
En pratique, évidemment, le problème est plus subtil, mais plusieurs

106
entreprises et états utilisent d’ores et déjà des systèmes de
cryptographie quantique pour échanger des données sensibles
(votes électroniques et transactions bancaires entre autres).

DE L’INTRICATION À LA TÉLÉPORTATION…

L’intrication quantique est certainement le phénomène le plus


extraordinaire et le plus troublant de la physique, voire de la
science : « Des particules qui interagissent peuvent rester
connectées quelle que soit la distance qui les sépare. »
Bien sûr, pour qu’une telle connexion à distance soit préservée
dans le temps, il est nécessaire que les particules ne soient pas trop
perturbées par d’autres interactions parasites qui pourraient alors
brouiller ou effacer l’information de connexion. Lorsque cette
condition est remplie, la paire de particules intriquées se comporte
alors comme une seule et même entité. Toute modification sur l’une
des deux particules entraîne ainsi instantanément une modification
du même type sur l’autre particule, même lorsque la distance entre
les deux particules est énorme.
Après intrication, les particules sont comme reliées par un fil
invisible, une sorte d’interaction non physique et totalement
incompréhensible dans le cadre de la physique classique. Ce lien
n’est pas matériel et ne dérive pas d’une force ou d’une interaction
connue, par exemple d’origine lumineuse. C’est un lien hors de
l’espace et hors du temps. Un lien typiquement quantique que
Schrödinger et Einstein ont, de façon indépendante, porté à la
lumière de la communauté scientifique au milieu des années 1930
(c’est d’ailleurs Schrödinger qui forgea le mot intrication pour traduire
l’enchevêtrement quantique des particules connectées de la sorte).
Osons une métaphore. Considérons les états de rotation d’une
roue : dans un sens (horaire par exemple) et dans l’autre sens
(antihoraire donc). Dans le monde classique, il est évident qu’une
roue ne peut tourner que dans un sens ou dans l’autre, mais pas
dans les deux sens à la fois. Dans le monde quantique, en
revanche, nous avons vu précédemment que cette interdiction

107
pouvait être levée et qu’un objet pouvait être disposé dans un état
intermédiaire – appelé état superposé – entre deux états donnés.
Supposons donc, pour donner corps à notre métaphore, que l’on
puisse placer une roue dans un état intermédiaire où les deux sens
de rotation sont réalisés simultanément. Cet état est alors un état
superposé des états de rotation de sens contraires.

Superposition d’états à deux roues

Bien sûr, lors d’une mesure de rotation, un seul sens de rotation


serait obtenu, avec une certaine probabilité, conformément aux
principes d’une mesure quantique. Par exemple, si la superposition
était une répartition équitable entre les deux sens de rotation, la
probabilité d’obtenir chacun des sens de rotation serait identique et
égale à 0,5 : soit 50 % de chance de tourner dans un sens et 50 %
de chance de tourner dans l’autre sens. On pourrait alors qualifier
cet état superposé comme étant de rotation globale nulle, même si
cette dénomination se réfère à une visualisation trop classique du
phénomène.
L’intrication concerne en fait non pas une, mais deux roues.
Imaginons en effet que l’on sache préparer ces deux roues dans un
état superposé de rotation globale nulle, non seulement pour chaque
roue prise séparément mais également pour les deux roues
considérées ensemble.
C’est-à-dire dans une superposition d’états « à deux roues » :
lorsque la roue no 1 tourne dans un sens, la roue no 2 tourne dans
l’autre sens, et inversement. Si cet état semble à première vue ardu
à réaliser, il est obtenu en pratique de façon commune dans les
laboratoires du monde entier (certains cristaux, par exemple,

108
peuvent transformer un photon incident en deux photons intriqués de
la sorte).

Intrication de deux roues tournantes

Les deux roues sont donc, chacune, dans un état superposé


« tourne dans un sens et tourne dans l’autre sens », et ce n’est
qu’au moment où l’on fait une mesure de rotation que chaque roue
présente un état bien défini : tourne dans un sens ou tourne dans
l’autre sens.
L’aspect le plus déroutant et mystérieux d’un tel état intriqué est
alors qu’une mesure de rotation effectuée sur l’une des deux roues
affecte instantanément l’autre roue ! Par exemple, si la mesure de
rotation est effectuée sur la roue no 1 et que l’on constate, suite à
cette mesure, qu’elle tourne dans le sens horaire, alors la roue no 2
sera immédiatement projetée dans l’état de rotation antihoraire,
c’est-à-dire qu’elle tournera dans l’autre sens (comme une mesure
ultérieure sur cette roue no 2 pourrait d’ailleurs le confirmer).

109
Corrélation parfaite après intrication

Ce qui est troublant ici, c’est que l’état de la roue no 2 a été


modifié alors même que l’on n’a fait aucune mesure sur cette roue…
Et cet état n’a pas été modifié de façon aléatoire, mais de façon
corrélée à la roue no 1 : l’état de la roue no 2 est en lien direct et
instantané avec l’état de la roue no 1. Si l’une des deux roues est
observée tourner dans un sens, l’autre est instantanément observée
tourner dans l’autre sens, et réciproquement.
Plus généralement, pour deux particules intriquées, une mesure
quelconque sur l’une des particules affecte instantanément l’autre
particule, et les états des deux particules après cette mesure sont
parfaitement corrélés. Et ce quelle que soit la distance entre les
deux particules… Par exemple, dans notre métaphore des roues
quantiques intriquées, imaginons, avant d’effectuer la mesure de

110
rotation, que l’une des roues reste sur Terre et que l’autre soit
envoyée sur Mars… Eh bien même pour une telle distance entre les
deux roues intriquées, les résultats demeureraient inchangés !
On dit que l’effet d’intrication est non-local : il fait fi des distances,
et ne respecte pas le pourtant très intuitif principe de localité qui
stipule qu’un objet ne peut être influencé que par son environnement
proche.
Mais alors, le phénomène d’intrication peut-il être utilisé pour
transmettre une information plus vite que la lumière (violant ainsi les
lois de la relativité d’Einstein, l’autre grande théorie pilier de la
physique moderne) ? Par exemple, en envoyant l’une des deux
particules intriquées à notre ami Bobby, puis en réalisant une
mesure sur la particule conservée, Bobby observant la modification
soudaine de la particule partenaire qui lui a été envoyée (impliquant
ainsi un transfert instantané d’information).
La réponse à cette question est non. Tout du moins dans le cadre
de l’interprétation standard de la physique quantique (interprétation
dite de Copenhague). En effet, le hasard du résultat de la mesure
fait que notre ami Bobby ne peut pas, par quelque mesure que ce
soit, observer un changement sur sa particule entre avant et après la
première mesure que nous avons faite.

111
La téléportation est une réalité… quantique
On sait aujourd’hui créer des paires intriquées de toutes
sortes : photons, électrons, atomes, molécules, et même de
petits cristaux. Concernant l’instantanéité de la connexion
entre les particules intriquées, les derniers tests montrent que
si communication physique il y avait entre les particules,
celle-ci devrait se faire à plus de 10 000 fois la vitesse de la
lumière ! Quant au record de distance d’intrication, il était
détenu en 2017 par une équipe chinoise qui a réussi à
maintenir l’intrication de deux photons sur une distance de
1 200 km, entre la Terre et un satellite dédié aux expériences
quantiques.
En pratique, même si les états intriqués sont de plus en
plus utilisés en cryptographie et informatique quantiques, leur
utilisation principale reste la fameuse téléportation quantique.
Mais attention, ce phénomène n’a rien à voir avec la
téléportation telle que présentée dans les films de science-
fiction ! En téléportation quantique, ce n’est pas de la matière
(et encore moins un être humain) ni de l’énergie qui est
téléportée, mais de l’information. Cette information n’est rien
d’autre que l’état quantique d’une particule, et c’est cet état
qui est, lors d’une mesure, instantanément transféré à
distance à une autre particule via leur intrication. Le procédé
n’est en fait instantané qu’en apparence, puisqu’il nécessite
également un canal de communication classique servant à
compléter la détermination de l’état quantique transféré,
empêchant ainsi tout espoir de transmission d’information à
une vitesse supérieure à celle de la lumière.
On parle aussi de fax quantique, car le phénomène de
téléportation quantique est très proche, dans l’esprit, à l’envoi
d’un fax où l’information écrite sur une feuille est transférée à
distance sur une autre feuille sans qu’il y ait eu transport de
matière. En revanche, contrairement au cas d’un fax
classique, l’impossibilité de cloner un objet en physique
quantique fait que l’original du fax quantique sera
irrémédiablement détruit.

112
La téléportation quantique est aujourd’hui une réalité. On
sait la réaliser avec de multiples systèmes : photons,
électrons, atomes… et même avec des gaz d’atomes, c’est-à-
dire des systèmes non microscopiques ! Le record de
distance de téléportation quantique – soit 1 400 km – date de
2015 et est détenu par l’équipe chinoise du professeur Jian-
Wei Pan.

L’INTRICATION CHAT DÉCOIFFE !

Si Schrödinger et Einstein ont pointé en 1935 cet étrange


phénomène d’intrication que le cadre mathématique de la physique
quantique permettait, ce n’était cependant que pour souligner sa
fausse étrangeté. Selon eux, l’intrication existait bel et bien, mais elle
ne résultait pas d’une bizarrerie quantique : l’étrangeté de cette
action à distance résidait non pas dans le phénomène mais
seulement dans les calculs, c’est-à-dire dans la description
mathématique que lui donnait la physique quantique standard.
Leur explication de la parfaite corrélation des états quantiques
était simple : les états des particules corrélées étaient tout
bonnement prédéterminés avant la mesure, comme l’illustre très
bien la fameuse analogie des gants. Prenons en effet une paire de
gants et mettons au hasard chacun des gants dans deux valises
expédiées dans deux pays lointains. Bien que l’on ne sache pas quel
gant se trouve dans chaque valise, il suffit d’ouvrir une valise pour
savoir instantanément quel est le gant dans l’autre valise ! Et ce,
quelle que soit la distance entre les deux valises. Cela n’a donc rien
de mystérieux et l’acte de regarder dans une valise n’a aucun effet
sur les gants.
Pour Einstein (et ses deux collègues, Podolsky et Rosen, dont les
noms sont souvent oubliés au profit des initiales du trio « EPR »), la
non-localité du phénomène d’intrication n’était qu’apparente. Selon
eux, il devait en effet exister des quantités inconnues de la physique
quantique standard – appelées alors fort logiquement variables

113
cachées – pour renseigner sur les états prédéterminés des
particules intriquées, comme dans l’analogie des gants.
Pendant des années, il ne fut cependant pas possible de trancher
entre la version standard de la physique quantique et la version
« variables cachées » d’Einstein et ses collègues. Le problème était
d’ailleurs jugé davantage philosophique que physique, jusqu’à ce
qu’un chercheur irlandais nommé John Bell réussisse en 1964 à
imaginer un stratagème permettant de savoir si l’état des particules
intriquées était déjà préétabli avant toute mesure !
De multiples expériences furent dès lors réalisées, la plus célèbre,
que nous n’aborderons pas en détail ici, étant sans conteste celle du
physicien français Alain Aspect en 1981, même s’il fallut en fait
attendre l’année 2015 pour être certain qu’aucune faille ne pouvait
en biaiser les conclusions. Et le résultat est sans appel : la non-
localité de l’intrication quantique est bien réelle. Tout semble donc se
passer comme si l’espace entre deux particules intriquées n’existait
tout bonnement pas !
En 1935, Schrödinger décida même de mettre en scène un pauvre
chat pour souligner ce qui, selon lui, relevait de l’absurde dans ce
phénomène d’intrication quantique. Ironie de l’histoire, son
expérience de pensée du chat de Schrödinger devint en fait si
célèbre qu’elle est aujourd’hui devenue le symbole (conjointement
avec l’équation qui porte son nom) de la réalité de l’étrangeté
quantique…

114
Expérience (de pensée !) du chat de Schrödinger

Ce scénario, imaginé en 1935, consiste à enfermer un chat vivant


dans une boîte opaque et insonorisée au sein de laquelle existe un
dispositif quantique pouvant tuer le chat de façon aléatoire. Ce
dispositif diabolique ne se déclenche en effet que lorsqu’un
événement quantique probable se produit : la désintégration d’un
atome radioactif, par exemple, qui sert alors de déclencheur à la
libération d’un poison violent.
Plus le temps passe, plus la probabilité de cet événement
quantique augmente, et avec elle la probabilité que le chat soit mort.
Au bout d’un certain temps, appelé typiquement temps de demi-vie,
cette probabilité est égale à 0,5, c’est-à-dire qu’il y a alors 50 % de
chance que le chat soit vivant et 50 % de chance que le chat soit
mort.
Pourquoi parle-t-on alors d’intrication ? Parce que, dans ce
dispositif, la corrélation chat-atome est parfaite : soit l’atome
radioactif est désintégré et le chat est mort, soit l’atome est intact et
le chat est vivant. Au bout du temps de demi-vie, le système « chat +
atome » est donc dans un état intriqué « chat mort – atome
désintégré » et « chat vivant – atome intact », chacune de ces
possibilités étant équiprobable.

115
Mais est-ce uniquement une façon de parler ou bien le chat est-il
vraiment dans un état zombie, à moitié mort et à moitié vivant ?
Aussi surprenante qu’elle soit, cette question continue de dérouter
les scientifiques depuis sa formulation. Elle a en outre permis la
prise de conscience d’une caractéristique fondamentale de la
physique quantique : la nécessité d’en fournir une interprétation.

D’inlassables explorateurs…
Attention à ne pas imaginer Schrödinger et Einstein comme
de farouches opposants à la physique quantique !
Simplement, s’ils en furent les principaux fondateurs, ils
surent également douter de leurs propres affirmations et
croyances, pour remettre en cause les découvertes qui
avaient pourtant fait leur gloire. Pour eux, être les pères de
cette théorie ne les affranchissait pas de remettre en question
ses fondations et, même si l’histoire des sciences semble leur
avoir donné tort, leur inlassable recherche de failles dans la
physique quantique fut l’une des plus puissantes sources de
créativité et d’applications en lien avec cette théorie.
Soulignons que l’expérience imaginée par Schrödinger a
depuis lors été réalisée expérimentalement, non pas avec un
chat, fort heureusement, mais avec des atomes et des
photons. Les physiciens David Wineland et Serge Haroche
ont d’ailleurs obtenu le prix Nobel 2012 pour des recherches
expérimentales portant sur le phénomène de décohérence de
tels chats de Schrödinger.

SYMPHONIE CHERCHE INTERPRÉTATION

Il est peu de vertiges comparables à la découverte du monde


quantique : nouveau langage, nouvelle façon d’observer, de
penser… La physique quantique est, par essence, une science du
neuf. Elle bouscule tant notre représentation usuelle du réel, ou du
moins de ce que l’on appelle réel, qu’il n’est pas étonnant que de

116
multiples interprétations de ce qu’elle nous dit du monde aient
émergé depuis sa mise en équations dans les années 1920.
Si elle n’est pas la seule théorie à posséder de multiples
formulations (il existe par exemple plus d’une dizaine de
formulations différentes, mais mathématiquement équivalentes, de la
mécanique classique), la physique quantique brille d’originalité par la
pluralité de ses interprétations. On peut même avancer qu’aucun de
ses fondateurs ou penseurs actuels ne partage exactement la même
interprétation des équations, principes et phénomènes quantiques !
Fait unique dans l’histoire des sciences, il se pourrait même que la
polysémie soit intrinsèque à cette théorie, que l’on ne puisse
trancher en faveur de l’une ou l’autre des dizaines d’interprétations
qui ont jailli depuis cent ans, et que, finalement, l’unité de sa
compréhension passe précisément par la diversité de ses
interprétations… Reprenant les mots du poète français Jean-Pierre
Siméon (qu’il destinait à la poésie), il semble en effet que chaque
lecture de la physique quantique exerce « la conscience à inventer
des modes de compréhension actifs, originaux, imprévus, donc
intensément libres ».
Pour certains physiciens, par exemple, seuls comptent
l’observation et les résultats de mesure. Le reste est pure
spéculation philosophique et n’a pas d’emprise sur la réalité, qui est
alors constituée uniquement par ce que les appareils de mesure
nous indiquent sur leurs écrans ou leurs cadrans.
Plus fort encore, c’est la mesure, l’acte même de réaliser une
mesure physique, qui semble créer le résultat observé. Dans le cas
de l’expérience du chat de Schrödinger, par exemple, c’est l’acte
d’observer le chat (en ouvrant la boîte ou avec un détecteur
particulier situé dans la boîte) qui détruit la superposition d’état mort-
vivant et transforme, de façon aléatoire, le chat en un animal mort ou
vivant.
De même, selon cette approche, une particule n’existe pas tant
qu’elle n’est pas observée, et ce n’est que lorsque l’on cherche à la
voir qu’elle se matérialise… Ainsi, dans le cadre de cette
interprétation, le réel, au sens commun du terme, n’existe pas

117
indépendamment des appareils de mesure, grâce auxquels il est en
fait constamment et perpétuellement re- et co-créé.
Parmi les écoles de pensée prônant peu ou prou cette approche,
celle de Copenhague (du nom de la ville danoise où des chercheurs
comme Bohr et Heisenberg l’ont formulée au milieu des années
1920) est la plus connue. Une citation du phénoménologue Maurice
Merleau-Ponty résume assez bien ce point de vue : « Il ne faut pas
se demander si nous percevons vraiment un monde, il faut dire au
contraire : le monde est cela que nous percevons. »
D’autres scientifiques majeurs, et non des moindres, s’opposèrent
très tôt à cette vision subjective du monde observable. Einstein, par
exemple, refusait l’idée que les choses ne puissent exister qu’à
travers nos appareils de mesure et perdent leur identité en soi entre
deux mesures. Comme un écho au fameux chat de son ami
Schrödinger, il déclara qu’il lui était impossible d’imaginer que la
Lune puisse ne pas être là si on ne la regardait pas et, surtout,
qu’elle puisse en revanche exister par la simple observation d’un
être conscient, une souris par exemple.
Einstein acquiesçait aux mots du poète Borges : « Pour voir une
chose, il faut la comprendre ! » Pour lui, seule la théorie peut nous
dire ce qui est observable, alors que pour Bohr (ainsi que pour
Heisenberg, Dirac et les tenants de l’école de Copenhague), c’est
l’inverse : pour comprendre une chose, il faut la voir, la mesurer. Ce
sont les observations qui disent ce qu’est la réalité, il n’y a rien
derrière, pas de monde caché, idéal, platonicien… Au mieux, si ce
réel existait, il serait inaccessible et resterait, selon les mots du
philosophe Bernard d’Espagnat, à jamais « voilé ».
Si l’essentiel de l’argumentation d’Einstein s’est révélée en
contradiction avec certains faits expérimentaux indéniables, comme
la non-localité quantique telle qu’elle apparaît dans les phénomènes
d’intrication et de téléportation par exemple, ses réflexions sous-
jacentes ont néanmoins motivé de nombreux chercheurs à explorer
des pistes alternatives à celle, dominante, « Copenhagoise ».

118
Problème de la mesure, décohérence et rôle
de la conscience…
Il faut dire que les écueils soulevés par l’interprétation de
Copenhague sont légions, en premier lieu desquels le
problème dit de la mesure quantique : le hasard apparaissant
dans le résultat final d’une mesure est en effet incompatible
mathématiquement avec la règle dictant l’évolution entre
deux mesures, c’est-à-dire l’équation de Schrödinger.
Précisons tout de suite qu’il n’y a pas aujourd’hui de
consensus quant à l’origine mathématique, physique ou
philosophique de cette nature aléatoire.
Et cela, même en tenant compte du phénomène (objectif)
déjà évoqué de décohérence, qui traduit la disparition rapide
de propriétés quantiques d’un objet – comme la superposition
ou l’intrication d’états – par suite des interactions internes à
l’objet ou entre l’objet et son environnement extérieur. Par
exemple, pour le chat de Schrödinger, la décohérence permet
de comprendre pourquoi on obtiendra soit un chat mort soit
un chat vivant (et pas autre chose), mais ne permet pas de
savoir pourquoi, avec les mêmes conditions initiales, le chat
est parfois trouvé mort et parfois trouvé vivant lorsque l’on
ouvre la boîte…
On ne sait d’ailleurs pas quelle est la frontière entre
l’appareil de mesure et l’objet mesuré, c’est-à-dire entre le
sujet et l’objet. Certains avancent même l’idée que la
conscience (humaine ou non) pourrait jouer un rôle dans le
processus d’une mesure… Ce qui ne manque pas de
soulever d’innombrables questions en retour : si c’est un ami
qui ouvre la boîte du chat, cet ami est-il lui-aussi mis dans un
état mort-vivant ? Ou encore : quel est le rôle de la
conscience du chat lui-même avant l’ouverture de la boîte ?

L’une des interprétations les plus en vogue ces dernières années


est l’interprétation dite des mondes multiples. Bien que Schrödinger
en ait posé certaines bases dans les années 1930, elle est attribuée

119
à l’Américain Hugh Everett qui l’a formulée précisément en 1957.
Selon cette approche, il n’y a pas d’aléatoire dans les résultats d’une
mesure quantique : chaque résultat est en fait bien obtenu, mais
chacun dans un univers parallèle !

Interprétation des mondes multiples

Sans interaction, ces univers parallèles se démultiplient alors à


chaque nouvelle mesure… c’est-à-dire en fait à chaque infime
fraction de seconde ! C’est donc, selon cette interprétation, au prix
d’une explosion infinie de mondes parallèles que l’on élimine le
problème de l’aléatoire en physique quantique.
Aussi étrange que cela puisse paraître, cette approche digne de
films de science-fiction ne cesse d’accroître son cercle de
convaincus au sein de la communauté scientifique, essentiellement
grâce à sa simplicité de résolution du problème de la mesure, même
si la perte d’identité (qui suis-je parmi l’infini des mondes ?) n’est pas
sans poser quelques problèmes ontologiques… et psychologiques !

120
Des gouttes bohmiennes à la météo
quantique…
D’autres interprétations s’appuient sur la notion de
variables cachées comme celle introduite par Einstein, mais
non-locales cette fois-ci, c’est-à-dire ayant une influence sur
un grand espace (voire tout l’espace) et pas seulement à
proximité de la particule observée. La plus emblématique de
ces interprétations est celle dite de de Broglie-Bohm, où
certaines notions classiques, comme celle de trajectoire
suivie par une particule, reprennent une partie de leur sens
commun.
Le regain d’intérêt pour cette interprétation est d’autant plus
fort ces dernières années que des trajectoires similaires à
celles prévues par cette approche ont été obtenues pour des
systèmes macroscopiques qui n’ont a priori rien à voir avec la
physique quantique : par exemple les mini gouttelettes d’eau
des professeurs Yves Couder et Emmanuel Fort qui
rebondissent sur la surface d’un liquide en vibration.
Savoir comment surgit le hasard dans une mesure a
également motivé d’autres interprétations majeures :
l’interprétation GRW, fondée sur une légère modification de
l’équation de Schrödinger par les physiciens Ghirardi, Rimini
et Weber ; l’interprétation transactionnelle, dans laquelle une
mesure est décrite comme un phénomène atemporel de
rencontre entre deux ondes, celle de l’objet mesuré qui
avance dans le temps et celle associée à l’appareil de
mesure qui recule dans le temps ; l’interprétation QBism (ou
bayésianisme quantique), selon laquelle les probabilités
apparaissant lors d’une mesure sont de nature subjective, le
concept de fonction d’onde étant purement abstrait et perçu
comme une information personnelle que l’on mettrait à jour à
chaque nouvelle mesure (comme lorsque l’on regarde le ciel
pour affiner l’information météo donnée à la radio)…

121
CHAPITRE 7

SPIN, PERTE D’IDENTITÉ


ET MATIÈRE-LUMIÈRE

D’après la physique quantique, la structure de la


matière et de la lumière peut se comprendre à l’aide
des notions de spin et d’indiscernabilité des
particules (bosons et fermions). Fruit du mariage
quantique avec la théorie de la relativité,
l’électrodynamique quantique a vu ses prédictions
extrêmement bien vérifiées, en particulier celles
concernant les effets liés aux fluctuations de
l’énergie du vide.

Parmi les multiples notions classiques remises en cause par la


physique quantique, celle d’identité est peut-être la plus troublante.
Et même si cet effet quantique ne s’applique a priori pas à des êtres
aussi massifs et complexes que les humains, il n’en reste pas moins
que cette perte d’identité bouleverse totalement notre conception de
ce qui définit une chose dans notre monde physique : son existence
en soi.

122
« Il faut beaucoup de chaos en soi
pour accoucher d’une étoile qui
danse. »
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra

En physique quantique, en effet, l’individualité n’est plus la règle.


Par exemple, comme on l’a vu aux chapitres précédents, deux
particules intriquées ne forment qu’un seul et même système
physique, et ce quelle que soit la distance entre les particules. De
même, la téléportation et l’effet tunnel font littéralement sauter une
particule d’un endroit à l’autre, sans que celle-ci ne passe par l’une
quelconque des positions intermédiaires. Comme une sorte de
dématérialisation puis re-matérialisation instantanée en deux
endroits séparés de l’espace…
Les notions de superposition d’états et de saut quantique sont de
la même veine. L’identité quantique ne ressemble donc en rien à
celle, usuelle, de la physique classique, et peut même changer par
paliers aussi soudains qu’imprévisibles. Si cette incertitude de nature
est partiellement levée avec l’introduction du spin, ce n’est que pour
renforcer la perte d’individualité généralisée qui régit les particules
élémentaires et qui permet de comprendre la structure de la matière
et de la lumière.
À l’aune de cette indiscernabilité créatrice, diverses extensions de
la physique quantique ont pu voir le jour. Parmi ces théories,
appelées théories quantiques des champs, l’électrodynamique
quantique en est sans conteste l’archétype et le joyau, offrant à nos
avides esprits d’innombrables questionnements métaphysiques, en
particulier concernant notre rapport au néant créateur.

LE SPIN : EPPUR NON SI MUOVE !

Si, comme on l’a vu, l’identité quantique d’un objet se résume à


son état quantique, c’est-à-dire finalement à une information,

123
supposée complète selon l’interprétation standard de la physique
quantique, à quoi correspond-elle en pratique ?
Cette identité quantique est en fait constituée de deux listes : une
liste de propriétés physiques – masse, charge électrique, spin
(quantité dont on va reparler ci-dessous)… –, et une liste de
nombres, appelés nombres quantiques. Ces nombres caractérisent
diverses propriétés physiques, comme par exemple l’énergie ou le
moment cinétique (lié à la vitesse de rotation d’une chose par
rapport à un axe central, comme pour une toupie), qui peuvent selon
certaines conditions être quantifiées, c’est-à-dire ne prendre que
certaines valeurs bien précises, les autres étant interdites. C’est ce
qui arrive par exemple pour les particules constituant la matière
ordinaire autour de nous.
Parmi ces attributs quantiques, l’un est primordial quant aux
propriétés d’individuation possibles d’une particule : le spin. Malgré
son nom, le spin n’a rien à voir avec une quelconque rotation d’une
particule sur elle-même. C’est un attribut typiquement quantique,
sans équivalent classique, dont l’origine vient de la fusion entre la
physique quantique et la relativité d’Einstein, et dont la
représentation ne peut être que mathématique, géométrique ou, à
défaut, métaphorique.

124
Pauli et le spin, entre errements et génie
Comme pour bien d’autres découvertes en physique, celle
du spin est faite d’allers-retours entre théorie(s) et
expériences. Comme une sorte de danse énigmatique où le
rythme se ferait de plus en plus tangible et reconnaissable.
De cette chorégraphie quantique, même s’il n’en fut pas
toujours l’étoile, Wolfgang Pauli fut incontestablement le
maître. C’est lui par exemple qui, en 1924, introduisit ad hoc
un nouveau nombre quantique (dont la signification était
inconnue) pour tenter de décrire les fréquences lumineuses
émises par certains métaux. Ce nombre ne pouvait prendre
que deux valeurs et devait donc vraisemblablement rendre
compte de la quantification d’une grandeur physique
particulière.
Mais laquelle ? Rien dans les tiroirs de l’histoire des
sciences ne correspondait à cette étrange propriété. C’est un
jeune assistant allemand de vingt ans, Ralph Kronig, qui
proposa le premier de relier cet étrange nouveau nombre
quantique à une propriété de rotation sur elles-mêmes des
particules (d’où le futur nom de spin). Si Pauli s’en moqua et
dissuada Kronig de publier ce résultat au début de l’année
1925, il n’en fut plus de même à la fin de l’année lorsque la
même idée fut avancée par deux autres jeunes physiciens,
George Uhlenbeck et Samuel Goudsmit, de l’université
hollandaise de Leiden.
Bien que cette explication soit fausse (le spin n’est en
aucun cas lié à une rotation sur elle-même d’une particule),
elle guida Pauli dans ses recherches. Il comprit ainsi en 1927
que le spin traduisait en fait l’existence d’un nouveau type de
grandeur, effectivement liée à des propriétés de rotation, mais
n’ayant aucun équivalent classique et ne pouvant pas être
visualisée dans notre monde…
Confirmée rétrospectivement par l’expérience de Stern et
Gerlach de 1922, l’avancée de Pauli fut révolutionnaire à
maints égards et libéra définitivement les esprits scientifiques

125
des images et notions classiques qu’ils se résignaient à
manipuler.

Le spin est la clé pour comprendre la notion d’individualité dans le


monde quantique. De façon étonnante – d’autant plus après tout ce
que l’on a dit aux chapitres précédents sur la dualité onde-
corpuscule et le flou quantique de certains aspects –, le monde
quantique est ségrégationniste par essence.
Selon la valeur de son spin, une particule se comporte en effet de
façon totalement différente en société, c’est-à-dire avec ses
congénères. Si son spin est un nombre demi-entier (comme 1/2 ou
3/2 par exemple), une particule fait ainsi partie du groupe dit des
fermions. Si le spin est au contraire un nombre entier (0, 1, 2…), la
particule est un boson.
Puisque les seuls spins observés jusqu’à présent sont soit entiers
soit demi-entiers, le monde quantique des particules se divise donc
en deux populations : celle des fermions et celle des bosons.
Comme exemples de fermions, on peut citer les électrons, les
protons, les neutrons, les neutrinos, les quarks, l’hélium-3… et,
d’une façon générale, la plupart des particules composant la
matière. Les bosons, quant à eux, sont plutôt des particules servant
à véhiculer les interactions entre particules de matière : photons,
gluons, gravitons, phonons…
Attention, le spin n’est pas qu’un nombre abstrait pour classer des
particules ! C’est en fait l’une des pièces essentielles de notre
compréhension actuelle du magnétisme et de la structure de la
matière. Il a des effets physiques très importants, et pas seulement
dans les laboratoires. Sa présence est partout autour de nous. Pour
expliquer la stabilité et la solidité de la matière, par exemple, ou les
phénomènes de supraconductivité et de superfluidité. C’est lui
également qui est au cœur de l’imagerie médicale par résonance
magnétique et nucléaire, ainsi que dans le fonctionnement des
magnétorésistances géantes qui gèrent la lecture des disques durs
et des mémoires vives magnétiques (et qui valurent le prix Nobel de
physique 2007 à l’Allemand Peter Grünberg et au Français Albert
Fert).

126
LES FANTASTIQUES EFFETS D’UNE PERTE
D’IDENTITÉ…

La notion d’identité quantique (avec laquelle nous avons ouvert ce


chapitre) est intimement liée à la notion d’indiscernabilité : deux
particules sont dites indiscernables si rien ne permet de les
distinguer physiquement. Dans le monde quantique microscopique,
cela revient simplement à dire qu’elles ont les mêmes propriétés
physiques. En effet, on ne peut pas les étiqueter (comment ? avec
une interaction ? mais alors, on changerait l’une de leurs propriétés
physiques !), ni les repérer en suivant leur trajectoire (puisque celle-
ci, apparemment, n’existe pas !).

127
Pas de trajectoire, pas d’existence en soi ?
Ainsi, les électrons sont des fermions indiscernables et les
photons des bosons indiscernables. Disposons par exemple
deux électrons dans un piège (électromagnétique par
exemple), et tentons de les suivre. Le problème qui se pose
est alors le suivant : obtenir une information de position
concernant ces deux électrons nécessite une mesure de
position, ce qui, comme on l’a déjà vu, implique
automatiquement une perturbation aléatoire de leur vitesse,
conformément au principe d’indétermination de Heisenberg.
Quelques fractions de seconde après cette mesure, les
électrons ne sont donc plus du tout localisés à l’endroit où ils
étaient au moment précis de la mesure de position,
empêchant toute tentative de les repérer dans l’espace au
cours du temps. Mais le problème est encore plus subtil car
l’interprétation standard de la physique quantique nous
indique qu’entre deux mesures de position successives, cette
information de position n’est pas seulement aléatoire… elle
n’existe tout simplement pas !
Et même en imaginant – par l’intermédiaire d’une autre
interprétation comme celle de de Broglie-Bohm par
exemple – pouvoir définir des trajectoires, l’impossibilité
même de marquer les particules nous contraint à abandonner
l’idée d’identité en soi d’une particule. Comme ils ont les
mêmes attributs, le fait d’interchanger les deux électrons
dans le piège ne modifie en rien les caractéristiques de
l’expérience et tous les résultats de mesures que l’on pourrait
effectuer. Et il en serait de même si ces deux électrons
étaient remplacés par deux électrons quelconques issus de
l’autre bout de l’Univers !

Pour la science d’aujourd’hui, être un électron, c’est être un peu


tous les électrons de l’Univers à la fois. De même pour chaque
photon vis-à-vis de tous les grains de lumière de l’Univers…
L’identité d’une particule microscopique est indissociable de celle

128
des autres particules du même type. « Comprendre l’un, c’est
découvrir l’autre », dit le poète corse Jean-Paul Sermonte.
Mais, à l’instar de la notion de spin, l’indiscernabilité n’est pas
qu’une réflexion ou un principe philosophique. Le fait, par exemple,
que tous les électrons de l’Univers soient supposés identiques et
interchangeables a en effet des conséquences physiques
mesurables. C’est même l’un des piliers de notre compréhension
actuelle de la structure de la matière, de sa solidité, de ses
propriétés de conduction de la chaleur et de l’électricité, et de sa
capacité à créer des ponts (qu’on appelle liaisons chimiques) avec
d’autres morceaux de matière, que celle-ci soit inerte ou vivante.
En effet, le principe d’indiscernabilité stipule que si rien ne permet
d’identifier deux particules, alors l’état quantique de l’ensemble doit
être le même si l’on échange le rôle des particules dans son
expression mathématique. Bien sûr, chaque particule est elle-même
dans un état quantique, qu’on peut noter « a » et « b » pour faire
simple. On a donc en tout quatre possibilités :
1a 2a ou 1a 2b ou 1b 2a ou 1b 2b
où le chiffre désigne la particule et la lettre son état.
Par exemple, « 1a 2a » désigne l’état total où chacune des deux
particules est dans l’état « a », alors que l’état total « 1a 2b » est
l’état dans lequel la particule 1 est dans l’état « a » et la particule 2
dans l’état « b ».
Mais ce dernier cas (« 1a 2b ») implique que l’on puisse repérer et
distinguer la particule 1 de la particule 2, ce que le principe
d’indiscernabilité nous interdit si les particules sont précisément
indiscernables (des électrons par exemple) ! On peut alors montrer
que, dans ce cas, seuls les états superposés suivants respectent ce
principe :
« 1a 2b + 1b 2a » ou « 1a 2b – 1b 2a »
L’état avec le signe « + » est appelé état symétrique, et l’état avec
le signe « – » état antisymétrique. On remarque alors tout de suite
que l’état antisymétrique est égal à zéro si les états quantiques
individuels sont les mêmes (en effet lorsque b est identique à a, on
obtient 1a 2a – 1a 2a = 0 : l’état nul, c’est-à-dire impossible à

129
réaliser). Autrement dit, dans un état antisymétrique, deux particules
indiscernables ne peuvent pas exister simultanément dans le même
état quantique individuel. C’est le fameux principe d’exclusion de
Pauli, dont vous venez quasiment de faire vous-même la
démonstration en lisant ces quelques lignes…
En pratique, les observations montrent que les particules connues
n’existent que dans une seule des deux classes d’états suivantes :
soit dans des états symétriques, soit dans des états antisymétriques
(même si des travaux récents poussent à reconsidérer cette
classification, à grands coups d’anyons et de plektons). Les
particules obéissant à la symétrie sont alors nommées bosons,
tandis que celles obéissant à l’antisymétrie sont nommées fermions.
Si vous n’êtes pas tombés de votre transat depuis le début de ce
chapitre, vous avez donc fait, comme Pauli en 1940, le lien entre
valeur du spin et propriété de symétrie/antisymétrie !
Exprimé de façon plus simple, le principe de Pauli stipule qu’en
société, les fermions n’aiment pas se marcher sur les pieds et
préfèrent exister de façon indépendante, chacun dans un état
quantique distinct. On parle alors de répulsion fermionique, même si
cela n’a rien à voir avec un quelconque concept de force répulsive.

Sous-structures connues d’un atome d’hélium.


Un Å (Angström) est égal à 0,1 nanomètre, soit un dixième

130
de milliardième de mètre.

C’est cette répulsion fermionique qui explique pourquoi la matière


occupe un si grand volume alors qu’elle est essentiellement
constituée de vide. C’est elle aussi qui empêche la matière de
s’effondrer sous l’effet des forces gravitationnelles, en particulier
dans les systèmes extrêmement denses comme les étoiles à
neutrons. Enfin, c’est elle qui explique la structure de la matière et
permet de comprendre pourquoi les différents atomes connus
s’organisent de cette façon dans le tableau périodique des éléments.

131
La structure de la matière (vue d’aujourd’hui)
D’abord, et comme on l’a déjà vu à plusieurs reprises, il est
important d’insister lourdement sur la non-pertinence d’un
modèle planétaire pour décrire ce qu’est un atome… Non, un
atome n’est pas un noyau central dur et rond autour duquel
orbiteraient des petites billes-électrons ! Un noyau atomique
est certes très petit et très dense, mais il n’est pas rond et n’a
pas de bord bien délimité comme une bille. Quant aux
électrons, parler de trajectoire les concernant n’a tout
simplement pas de sens !
Ce que nous confirment les dernières expériences et
observations, au contraire, c’est que les électrons sont
répartis autour de la zone du noyau dans des sortes de
nuages de très faible densité et aux formes biscornues.
Nuages que la physique quantique interprète comme des
nuages de probabilité de présence, dont les formes
coïncident avec celles prévues par la théorie.
Dans un modèle simplifié où l’on néglige les interactions
entre électrons, la résolution de l’équation de Schrödinger
montre que les énergies des différents électrons sont
quantifiées (on les appelle alors des niveaux d’énergie) et
dépendent des différents nombres quantiques évoqués plus
haut. Seul un nombre quantique n’est pas concerné : celui
associé à la projection du vecteur spin selon une direction de
l’espace, typiquement verticale, même si ce choix est
purement arbitraire.
Pour un électron (de spin ½ donc), il y a deux valeurs
différentes pour ce nombre quantique : +½ (spin en haut) ou
–½ (spin en bas). Conformément au principe de Pauli, seuls
deux électrons peuvent donc occuper un niveau d’énergie
dans un atome : un avec le spin en haut, l’autre avec le spin
en bas (sinon, certains auraient les mêmes nombres
quantiques et seraient donc dans le même état quantique).
Comme à chaque niveau d’énergie correspond un nuage de
probabilité de présence, et que ces nuages sont d’autant plus
éloignés du noyau que l’énergie est grande, on comprend

132
ainsi pourquoi la taille des atomes est contrôlée par la
constante de la physique quantique, h, la constante de
Planck, et pourquoi les atomes avec beaucoup d’électrons
sont bien plus gros que ceux avec peu d’électrons.
On observe aussi que certains niveaux d’énergie sont
proches et peuvent être regroupés par paquets qu’on appelle
alors couches électroniques. On parle ainsi de modèle en
couches des atomes. Ce modèle permet de comprendre avec
une grande précision la forme et la structure de la célèbre
table de Mendeleïev qui regroupe tous les atomes connus.

Il n’y a en revanche aucune interdiction, pour des états


symétriques, d’avoir plusieurs particules indiscernables dans le
même état quantique individuel. Au contraire, les bosons ont une
tendance grégaire et aiment à se rassembler dans le même état
quantique, par une sorte d’attraction qu’on pourrait qualifier de
bosonique, même si, encore une fois, ce genre d’attraction n’est en
rien issu d’une force attractive au sens classique du terme.
Ainsi, en abaissant simultanément l’énergie d’un groupe de
bosons, c’est-à-dire en les refroidissant, on peut les faire se
condenser dans le même état quantique de plus basse énergie. On
obtient alors un condensat de Bose-Einstein, sorte de super-
particule équivalente au groupe entier de particules. L’application la
plus courante de cet effet de condensation est liée au phénomène
de supraconduction dans lequel un courant circule sans aucune
résistance, donc sans aucune perte en ligne, dans un circuit
électrique ultra-refroidi.

LA CLÉ DES CHAMPS : LE MARIAGE ENTRE LUMIÈRE


ET MATIÈRE

Le spin est également fondamental pour comprendre la structure


profonde de la lumière, avec le laser comme figure de proue des
avancées technologiques associées. En effet, bien que l’on ait déjà
évoqué à plusieurs reprises les propriétés quantiques de la lumière

133
dans ce livre, celles-ci ne peuvent pas en fait être décrites de façon
précise dans le cadre simplifié de la physique quantique standard.
La lumière présente bien trop de pathologies : les photons n’ont pas
de masse, ils se déplacent en outre à la vitesse maximale (la vitesse
de la lumière), et ce quelles que soient les conditions d’observation,
et enfin ils peuvent disparaître ou apparaître à volonté lors de leurs
interactions avec des atomes ou des électrons…
Il a donc fallu construire une théorie qui prenne en compte ces
caractéristiques très particulières. Une théorie qui relie et unifie la
matière et la lumière à travers les trois théories connues concernant
ces deux entités : la physique quantique, la relativité d’Einstein et
l’électromagnétisme. Le résultat est connu sous le nom
d’électrodynamique quantique (QED pour le sigle, anglais, pas
latin…). Ses fondements ont été posés conjointement par tout un
groupe de physiciens aussi iconoclastes que géniaux, dont les noms
ont largement ensemencé le lexique de la physique théorique, entre
autres les Anglais Paul Dirac et Freeman Dyson, et le trublion
américain Richard Feynman.

134
Couleur de l’or et messages extraterrestres…
La prise en compte de la théorie de la relativité d’Einstein
dans l’expression mathématique de la physique quantique a
de profondes et multiples conséquences. Les effets de cette
union sont en fait même visibles dans notre quotidien. La
couleur et l’éclat de l’or et des métaux, par exemple, est due
à des effets quantiques relativistes au sein des atomes.
D’une façon générale, toute la lumière émise par les corps
nous environnant, des plus simples brins d’herbe aux étoiles
les plus lointaines, dépend d’effets relativistes liés à
l’existence du spin. Ou plutôt des spins ! Celui des électrons,
mais aussi ceux des protons, des neutrons…
C’est d’ailleurs l’une des fréquences lumineuses issue de
l’interaction entre les spins du noyau et de l’électron d’un
atome d’hydrogène qui sert de sonde à l’astronomie et à la
cosmologie moderne. L’onde lumineuse associée est appelée
raie à 21 cm, en référence à sa longueur d’onde. Elle est
produite lorsqu’un atome d’hydrogène excité retourne à son
état fondamental. On parle alors de transition hyperfine.
Comme l’hydrogène est présent partout dans l’Univers (c’est
l’atome le plus simple et donc le premier à avoir été créé
après le Big Bang), cette raie à 21 cm est émise un peu
partout et sa détection permet de comprendre quelles sont
les zones de l’espace de plus grande densité (c’est d’ailleurs
en partie comme cela que les astronomes ont pu identifier la
forme spirale des bras de notre galaxie). Son omniprésence
dans l’Univers a également poussé les scientifiques à l’utiliser
pour tenter de communiquer avec d’éventuelles intelligences
extraterrestres.
Une plaque, appelée plaque Pioneer, a ainsi été apposée
sur différentes sondes spatiales Pioneer et Voyager dans les
années 1970. Sur cette plaque apparaissent de nombreuses
informations, toutes représentées à l’échelle de cette
longueur de référence de 21 cm, supposée être intelligible
par des êtres technologiquement développés. Y figure aussi
une sorte de carte galactique pour pouvoir accéder à la Terre.

135
La pertinence de cette dernière information fut néanmoins
rapidement remise en cause grâce à une simple question : si
nous, humains, recevions une telle carte au trésor, que
ferions-nous ? Devant l’étonnante aptitude humaine à détruire
sa propre planète et ses habitudes bien trop belliqueuses, il
fut alors décidé qu’il serait beaucoup plus sage d’envoyer,
comme message de bienvenue, uniquement un florilège de
musiques et de sons terrestres.

Plaque Pioneer

La QED est un mariage matière-lumière particulièrement réussi. Il


se trouve en effet que c’est une théorie dont on peut calculer les
effets avec une extrême précision (du fait de la petitesse de sa
constante, appelée constante de structure fine, dont la valeur est
environ égale à 1/137). Elle est toutefois hautement complexe,
faisant appel à des outils mathématiques subtils, comme la fameuse
technique dite de renormalisation où l’on soustrait des quantités
infinies pour obtenir des nombres finis correspondant aux grandeurs
physiques mesurables… Mais c’est aussi une belle théorie, un joyau
mathématique, dont la logique interne est lumineuse et dont les
ramifications et conséquences donnent un profond sentiment d’avoir
ouvert une porte vers ce réel qui semble pourtant se dérober.

136
Cette élégante théorie est-elle pour autant vérifiée
expérimentalement ? La réponse est oui ! Et de façon ahurissante.
Pour avoir une idée de son époustouflante précision, imaginons que
nous voulions jouer aux fléchettes sur une cible disposée à New
York alors que nous nous situons à Paris (oui, cela demande un peu
d’entraînement…). Eh bien, si nous étions aussi précis que la QED,
nous ne raterions le centre de la cible, qui ne fait pourtant qu’un
centimètre de diamètre, qu’une seule fois sur un million de lancers !
Une précision qui n’est d’ailleurs pas sans poser problème, car
toute nouvelle théorie plus générale que la QED devra l’englober et
reproduire ces sidérantes prédictions. Pourquoi, me direz-vous,
avons-nous besoin d’une théorie plus générale ? Tout simplement
parce que la QED ne prend en compte qu’une infime partie de la
matière et de l’énergie connues actuellement. Elle se résume en
effet essentiellement à l’étude du couplage entre électrons et
photons, et ne peut donc traiter, au mieux, que leurs effets sur un ou
quelques atomes. Bien loin des milliards de milliards de milliards
d’atomes qui composent notre environnement proche…
Même si sa portée est limitée, la QED n’en reste pas moins un
archétype pour toute théorie combinant physique quantique et
relativité. C’est un exemple de ce que l’on appelle une théorie
quantique des champs (TQC), véritable paradigme de la physique
moderne qui unifie les notions d’onde et de particule dans un
formalisme clair et précis, bien que très complexe d’un point de vue
mathématique.
Pour la QED, le champ associé est le champ électromagnétique,
mais il existe d’autres champs et d’autres TQC pour traiter des
interactions qui ne sont pas de nature électromagnétique. Par
exemple, celles traitant des interactions, dites fortes et faibles, au
sein des noyaux atomiques (protons et neutrons) et de leurs sous-
constituants que sont les quarks et les gluons. Le problème est plus
subtil concernant l’interaction gravitationnelle, bien qu’il soit tout de
même possible de construire une TQC.
Dans une TQC, les particules ne sont plus vues comme existant à
part entière et à tout jamais, mais plutôt comme des excitations
ponctuelles et transitoires d’un milieu sous-jacent appelé champ

137
dont la définition est davantage géométrique que physique. Pour
aider à visualiser ces excitations-particules, on peut les imaginer par
exemple comme des vagues à la surface de l’eau ou des
ondulations à la surface d’un champ de blé, ou bien encore comme
les idées qui surgissent et disparaissent dans notre esprit… Si
certaines sont presque tangibles et ont une longue durée de vie,
d’autres n’existent qu’une infime fraction de seconde et sont alors
qualifiées de virtuelles, puisqu’elles ne laissent pas de trace durable.
Selon la science moderne, et aussi déroutant que cela puisse
paraître, matière et lumière semblent donc n’être que vibrations
éphémères dans un monde mathématique abstrait…
Plus fort encore : ces particules ne seraient que l’expression
fugace de fluctuations du vide quantique prévu par ces théories. Des
sortes de vaguelettes à la surface d’une mer d’énergie pure, dont
l’écume ne serait rien d’autre que la matière dont nous sommes
faits. Une existence en perpétuelle mouvance, destruction et
recréation. Une valse à trois temps – genesis, ousia et phtora selon
les mots du physicien Carlo Rovelli – où lumière et matière
échangeraient les rôles comme on échange des pas de danse…
Ainsi, à l’instar des incandescents tableaux de la peintre coréenne
Bang Hai Ja, la matière semble donc bel et bien n’être qu’une forme
de lumière condensée dont la trace dans l’espace-temps se dessine
en pointillés.

138
De quel vide parlons-nous ?
Le vide dont parle la physique quantique est très différent
de la notion usuelle de vide. C’est un vide où il n’y a non
seulement aucune matière, mais également aucune lumière !
Pour l’obtenir, il faut donc également refroidir les parois de
l’enceinte où règne ce vide, de façon à s’affranchir du fameux
rayonnement de corps noir qu’elles génèrent naturellement à
température non-nulle (voir chapitre 2). Les températures
requises sont extrêmes et frôlent le zéro absolu (–273 °C).
Attention, ce vide quantique ne doit pas être confondu avec
le vide apparent qui existe au sein de la matière. Lorsque l’on
dit par exemple qu’un atome est essentiellement constitué de
vide, on veut en fait dire que sa masse est presque tout
entière contenue dans une toute petite zone de l’espace, le
noyau, et que le reste du volume de l’atome, occupé par les
électrons, est extrêmement peu dense. Si l’on pouvait grossir
la taille d’un atome mille milliards de fois, de façon à ce qu’il
occupe le volume d’une grosse cathédrale par exemple, alors
le volume occupé par le noyau serait équivalent à celui d’un
grain de riz ! Et le nuage électronique environnant contenu
dans cet énorme volume ne pèserait pourtant qu’un
microgramme alors que l’air qui y serait contenu pèserait, lui,
plusieurs centaines de tonnes…
Si elle est donc bien légitime, ce n’est donc qu’une
impression de vide que nous laisse ce nuage électronique si
ténu. Un peu comme l’air autour de nous, dont nous ne
prenons généralement conscience que lorsqu’il nous
manque, en altitude par exemple, ou lorsque l’on voit rougir
les boucliers thermiques des fusées en entrée dans
l’atmosphère. Ces graciles nuages électroniques à la densité
à peine perceptible interagissent pourtant très fortement entre
eux – principe de Pauli oblige –, au point qu’ils ne peuvent se
recouvrir que très partiellement, donnant à la matière son
volume et sa solidité, et expliquant par là même pourquoi
votre main ne traverse pas cette page !

139
Le vide quantique est fascinant. Techniquement, il est défini
comme l’état quantique de plus basse énergie, c’est-à-dire
lorsqu’aucune excitation du champ ne s’est manifestée. Mais il se
trouve que cette énergie minimale n’est pas nulle. Elle en est même
très loin puisqu’elle est quasi infinie ! En effet, bien que le vide
quantique ne contienne rien, toutes les potentialités y sont
contenues. C’est un vide rempli de particules virtuelles de toutes
sortes, qui peuvent, le temps d’un instant, emprunter un peu
d’énergie à ce vide pour se matérialiser et exister de façon
éphémère, avant de disparaître aussitôt en remboursant l’énergie
empruntée (conformément à la relation d’indétermination de
Heisenberg portant sur le couple énergie-durée).
Les dernières estimations théoriques de cette énergie du vide
donnent le vertige. Par exemple, chaque millimètre cube de ce vide
quantique contient bien plus que l’énergie produite par notre Soleil
durant toute son existence ! Bien plus, en fait, que l’énergie produite
par toutes les étoiles de tout l’Univers depuis sa création… !
Jouons à un jeu. Mettez votre main devant vos yeux et rapprochez
doucement votre pouce et votre index jusqu’à ce qu’ils se frôlent
sans se toucher. Dans cet infime espace à peine perceptible situé
entre vos doigts dort une énergie phénoménale (1099 Joules),
équivalente – tenez-vous bien – à celle consommée dans le monde
entier en une année (1020 Joules)… multipliée par le nombre
d’atomes de l’Univers (1079 atomes) !
Mais cette incommensurable manne d’énergie semble hélas
vouée à rester endormie et inaccessible à jamais, même s’il n’y a
pas de consensus à ce sujet et que certains Sisyphes modernes
tentent régulièrement de chercher à capter cette énergie qu’ils
souhaiteraient libre… En revanche, on sait depuis longtemps que
cette énergie ou, plutôt, que ses fluctuations ont des effets
physiques mesurables. Ainsi en est-il de l’effet Casimir, du nom du
physicien néerlandais qui l’a prédit en 1948, dans lequel deux
plaques métalliques suffisamment proches l’une de l’autre exercent
une force mutuelle l’une sur l’autre.

140
ÉPILOGUE

VERTIGES ET PROMESSES
DE LA VIE QUANTIQUE

Malgré l’extrême précision et le pouvoir prédictif de la physique


quantique, il existe de nombreuses limitations et problèmes ouverts.
Tandis que la recherche d’unification avec l’autre grande théorie, la
relativité générale, reste très active, l’avènement de la biologie
quantique ouvre de fascinantes perspectives…
La physique quantique a littéralement réinventé le monde. Elle a
fait voler en éclats toutes nos certitudes. Concernant la notion
d’observation et de mesure, concernant la nature propre d’une
chose, sa relation au temps et à l’espace… Concernant le réel,
également, ou plutôt ce que nous appelons réalité, dont l’essence
semble fuir tout à la fois nos sens, notre langage et notre mode de
compréhension habituel. C’est en effet d’une réalité mouvante,
indéfinie, impermanente, interdépendante et en perpétuelle
recréation que se pare le monde quantique. Une réalité potentielle et
en devenir, dont la nature profonde semble à jamais voilée.

« Ce n’est pas tant ce que le


scientifique croit qui le distingue que

141
comment et pourquoi il le croit. »
Bertrand Russel, Histoire de la philosophie
occidentale

Révolutionnaire également est la vision de la matière que nous


proposent les théories quantiques. Avec une approche de la
structure des atomes et des noyaux atomiques fondée sur la notion
de nuage de probabilité, de sous-structures emboîtées et de perte
d’individualité propre des particules élémentaires. Enfin, et de façon
hautement symbolique, que dire de la notion usuelle de vide que la
physique quantique a totalement remise en cause, avec un vide
quantique qui, paradoxalement, se révèle être un puits d’énergie
infinie et créatrice…
La physique quantique est la clé de voute de l’édifice théorique de
la physique moderne. Mariée à la théorie de la relativité d’Einstein,
elle a déjà permis de comprendre la nature de trois des quatre
interactions fondamentales connues, celles agissant au cœur de la
matière et définissant sa structure et ses propriétés. Ainsi, au prix
d’exorbitantes et monstrueuses collisions au sein d’accélérateurs de
particules comme le LHC au CERN de Genève, on a pu entamer
une lente descente dans les arcanes de la matière-énergie, zoomant
toujours plus vers l’infiniment petit et l’infiniment énergétique,
disséquant les protons et neutrons en quarks et gluons, pour
atteindre finalement le seuil de détection du boson de Higgs, cette
particule que d’aucuns appellent la particule de Dieu.

142
La résistance est inertie…
Si son surnom est exagéré, cette particule est néanmoins
l’une des clés majeures de l’énigme de la masse des
particules : comment les particules acquièrent-elles en effet
une masse ? Selon le mécanisme élaboré par Peter Higgs et
ses collègues, pour lequel ils ont reçu le prix Nobel de
physique en 2013, la masse d’une particule serait ainsi issue
du mouvement de cette particule dans le vide fourmillant de
bosons de Higgs qui agiraient alors, aux faibles énergies,
comme une sorte de mélasse sur la particule, lui conférant
ainsi cette inertie qu’on appelle masse. De façon générale, la
physique théorique actuelle enlève tout sens à considérer
une particule comme existant à part entière,
indépendamment des autres particules, tant réelles que
virtuelles.

La puissance prédictive de ces théories quantiques, dont le cœur


est constitué des principes de la physique quantique tels qu’exposés
dans ce livre, est proprement époustouflante ! Par exemple, l’accord
entre prévisions théoriques et mesures expérimentales de certaines
propriétés d’électrodynamique quantique est si précis qu’il
représente un écart de l’ordre de la taille d’un cheveu comparé à la
distance Paris-Tokyo…
Les prévisions statistiques de la physique quantique standard sont
également extrêmement bien vérifiées. Par exemple, celles en lien
avec le phénomène d’interférences d’ondes de matière, sur lequel
reposent les horloges et accéléromètres atomiques ultra-précis, ou
celles liées à la création et manipulation de qubits, les bits
quantiques utilisés par la cryptographie, l’information et la
téléportation quantiques, ces domaines qui ont déjà commencé à
révolutionner nos vies. On ne compte plus, de même, les
applications technologiques du traitement quantique des matériaux
solides : utilisation du phénomène de supraconduction dans les IRM
et pour les trains à lévitation magnétique, réalisation de composants
électroniques ultra-miniaturisés et robustes, création de nouveaux

143
matériaux (graphène, nanotubes de carbone, semi-métaux de Weyl-
Kondo, nano-particules…).

GRAVITATION, MATIÈRE NOIRE, ÉNERGIE SOMBRE…


À CHAQUE PÉRIL SA PROMESSE ?

Il existe néanmoins de multiples limitations et problèmes ouverts,


tant théoriques qu’expérimentaux. Sans oublier bien évidemment
tous les questionnements philosophiques que ne manquent pas de
soulever les étrangetés du monde quantique. Si les questions
redressent et les réponses endorment, il semble bien que chaque
nouvelle réponse fournie par la physique quantique nous donne
moult occasions de nous redresser.
Le premier point d’achoppement concerne les liens entre physique
quantique et théorie de la gravitation. En effet, s’il est possible de
rendre compte de la force de gravité en physique quantique
standard (en ajoutant simplement un terme dans l’équation de
Schrödinger), et qu’une théorie quantique du champ gravitationnel a
même été construite (celle qui prédit l’existence des gravitons, ces
hypothétiques particules qui transmettraient l’interaction
gravitationnelle entre deux objets), il n’en reste pas moins qu’il
n’existe pas à ce jour de théorie satisfaisante unifiant ces deux
théories.

À
144
À la poursuite de l’universel…
L’unification des théories scientifiques est un processus
historique majeur qui s’est particulièrement amplifié au cours
des quatre derniers siècles. On attribue généralement à
Newton d’en avoir initié, en 1687, la première grande étape
en montrant comment la chute d’un objet sur Terre et la
rotation des planètes autour du Soleil relevaient toutes deux
d’un même et unique phénomène appelé gravitation
universelle. Dès lors, une recherche méthodique d’unification
des phénomènes et théories scientifiques fut entreprise : par
exemple, le magnétisme, l’électricité et la lumière à travers la
théorie de l’électromagnétisme par Maxwell en 1864 ;
l’espace, le temps et l’électromagnétisme à travers la théorie
de la relativité restreinte par Einstein en 1905 ; cette même
relativité restreinte et la gravitation par également Einstein au
début des années 1910 lorsqu’il construisit sa théorie de la
relativité générale ; la physique quantique et la relativité
restreinte à travers les diverses théories quantiques des
champs élaborées au cours des années 1930-1970 (dont
l’électrodynamique quantique, la théorie électrofaible et la
chromodynamique quantique), formant le paradigme actuel
de notre compréhension du monde microscopique à travers
la métathéorie nommée modèle standard…
La physique quantique usuelle, quant à elle, n’est pas issue
de cette logique unificatrice. Tout du moins pas d’un point de
vue théorique. Comme on l’a vu à travers ce livre, c’est une
théorie construite en réponse à des résultats d’expérience
incompréhensibles par les théories dites classiques
(mécanique et électromagnétisme). C’est une collection de
principes et de règles (certains, plus caustiques, diront de
recettes) dont il n’est pas aujourd’hui possible de justifier
clairement les fondements.

Il faut dire que la gravitation pose d’énormes problèmes aux


scientifiques… Et pourtant, c’est la force la plus naturelle et la plus
commune qui soit. Elle nous entoure et agit de façon manifeste dans

145
notre quotidien, de la fourchette qui tombe aux étoiles qui dansent.
En outre, depuis les travaux d’Einstein de la période 1907-1916,
on en a une interprétation géométrique profonde en tant que
déformation et courbure de l’espace-temps. Mais si la relativité
générale, cette théorie d’Einstein mêlant gravitation et relativité du
mouvement, s’est vue une nouvelle fois confirmée de façon
éclatante ces dernières années avec la détection des fameuses
ondes gravitationnelles, elle ne semble pas être en mesure de
pouvoir fusionner avec les principes de la physique quantique.
De toutes les incompatibilités apparentes entre ces deux théories,
deux paraissent en effet insurmontables. Premièrement, la notion de
continuité spatio-temporelle ayant cours en relativité générale se
heurte de plein fouet au principe d’indétermination de Heisenberg et
à l’absence de la notion de trajectoire quantique. Deuxièmement, et
c’est là certainement le hiatus le plus criant entre les deux théories,
la notion de vide quantique est aux antipodes de la notion de vide
telle que décrite par la relativité générale. L’écart de prédictions
entre les énergies associées (quasiment zéro en relativité générale
et quasiment l’infini en physique quantique) correspond même au
plus grand écart jamais constaté entre deux prédictions
scientifiques… Pied de nez céleste, ces deux théories sont
paradoxalement aujourd’hui considérées comme les deux théories
les mieux vérifiées au niveau expérimental, chacune dans leur
domaine de prédilection, le cosmos pour la relativité générale et le
monde sub-microscopique pour la physique quantique.
Diverses extensions et théories alternatives ont alors vu le jour
pour tenter de résoudre ce dilemme connu sous le nom de problème
de la gravité quantique. En tentant de faire sourdre la gravité des
théories quantiques, par exemple, comme dans le cas de la théorie
des supercordes, où les briques élémentaires ne sont plus les
quarks et les électrons, mais de minuscules cordelettes abstraites
évoluant dans un espace-temps à dix ou onze dimensions.
À l’inverse, on peut partir de la gravité, c’est-à-dire de la relativité
générale, et essayer d’y introduire les principes quantiques. C’est le
cas de la gravitation quantique à boucles, par exemple, où l’espace

146
perd sa continuité au profit de minuscules grains d’espace en forme
de boucles.
Il existe en fait actuellement plus d’une vingtaine de théories
alternatives traitant de la gravité quantique. La plupart considère que
l’espace-temps possède des propriétés supplémentaires (non-
commutative ou fractale par exemple) ou qu’il n’existe pas en lui-
même mais est défini et produit par l’interaction collective de
particules ou d’espaces mathématiques abstraits. Même Einstein et
Schrödinger s’essayèrent sans relâche, mais hélas sans succès, à
l’élaboration d’une théorie unificatrice des interactions connues.
Dans tous les cas, l’essentiel des problèmes d’unification entre
gravitation et principes quantiques surgissent dans l’infiniment petit,
lorsque l’on zoome jusqu’à atteindre la fameuse échelle de Planck,
correspondant à une longueur un milliard de milliards de milliards de
fois plus petite que la taille d’un atome !
Trop de théories concurrentes, pourriez-vous alors objecter !
N’est-ce pas se disperser alors qu’il faudrait peut-être concentrer
nos efforts de recherche sur une ou deux théories uniquement ? Pas
si sûr. D’autant plus face à l’amoncellement de questionnements et
de faits observationnels et expérimentaux qui ébranlent nos
certitudes depuis une quinzaine d’années. « Des petits cailloux dans
les choses sûres », comme aime à les mettre en bulles le
mathématicien français Didier Nordon. Des fêlures dans le bel
édifice de la physique moderne, qui tout à la fois le fragilisent et lui
donnent l’élan pour une énième métamorphose éclairée. Des
fissures pour laisser entrer la lumière…
On a en effet tellement pris l’habitude de clamer que la physique
quantique et la relativité générale n’ont jamais été prises en défaut,
que nous en venons à croire en ces théories, à les vénérer comme
des vérités immuables et sacrées. Légions sont pourtant les
hérétiques anomalies actuelles ! À commencer par toute cette
matière et cette énergie dont nous observons l’invisible présence par
ses effets indirects dans l’espace lointain mais dont nous ne savons
quasiment rien, si ce n’est que leur nature nous est totalement
inconnue et que ni l’une ni l’autre n’entre dans le cadre de nos
théories dominantes actuelles. Le vocabulaire est éloquent. Nous les

147
avons appelées matière noire et énergie sombre, comme pour
masquer notre ignorance et dissimuler notre désarroi. Et les
observations ont de quoi nous garder de fanfaronner : selon les
dernières estimations (issues des données collectées par la mission
spatiale PLANCK entre 2009 et 2012), la matière noire et l’énergie
sombre représentent respectivement 26,8 % et 68,3 % du contenu
énergétique de l’Univers. La matière ordinaire, celle que nos théories
les plus élaborées peuvent concevoir et comprendre, ne compte
donc, elle, que pour moins de 5 % du total de la matière-énergie de
l’Univers !
Depuis Nicolas Copernic (1473-1543), nous savons que nous ne
sommes pas au centre de l’Univers, ni même au centre de notre
galaxie… Ce que la science moderne nous dit maintenant, c’est que
notre matière terrestre n’est même pas représentative de la matière
majoritaire de l’Univers ! Nous, locataires temporaires de la Terre,
sommes apparemment sur une planète quelconque, orbitant autour
d’une étoile quelconque, appartenant à une galaxie quelconque,
dans une région quelconque de l’univers observable… Et ce vertige
du quelconque n’a cessé de s’amplifier au cours des cent dernières
années. Dans tous les domaines, toutes nos certitudes sur l’absolu,
la permanence et le réel se sont progressivement évanouies à la
suite des travaux d’Einstein, Schrödinger, Bohr, Heisenberg et tant
d’autres ! Il se pourrait même que notre Univers ne soit pas unique…
Un univers quelconque peut-être, qui sait ?

DE LA BIOLOGIE À LA CONSCIENCE QUANTIQUE…

Il n’y a pas que dans les transats que des grains de sable peuvent
déranger… De façon inattendue, la plupart des anomalies
quantiques apparaissent en fait en creux : des effets quantiques sont
ainsi observés là où notre approche habituelle de la théorie est
censée leur interdire d’exister. Un peu comme si la physique
quantique fonctionnait trop bien et dépassait (de très loin) les
attentes naturelles que l’on pouvait y mettre ! C’est par exemple le
cas du phénomène de supraconductivité à haute température dans
lequel la cohérence quantique des électrons est réalisée à des

148
températures presque cent fois supérieures à ce qu’elles devraient
être en théorie.
De même, des effets quantiques de longue durée de vie ont
récemment été observés dans des milieux vivants, en complet
désaccord avec l’approche usuelle de la physique quantique. Dans
de tels milieux en effet, l’humidité, la chaleur et le nombre
gigantesque d’interactions biologiques et chimiques permanentes ne
permettent pas, normalement, qu’un effet de cohérence quantique
puisse se maintenir au-delà de quelques millionièmes de
milliardième de seconde. En pratique, cependant, certains effets
quantiques ont été observés chez des êtres vivants (plantes et
animaux) sur une durée de l’ordre de la microseconde, soit un
milliard de fois plus que la durée maximale théorique ! Parmi ces
effets quantiques, l’intrication d’états, l’effet tunnel, les
interférences…
Les systèmes physiques concernés sont très divers. Les yeux de
certains oiseaux migrateurs, par exemple, sont apparemment le
siège d’un phénomène d’intrication d’électrons permettant aux
oiseaux d’être magnétoréceptifs, c’est-à-dire de pouvoir se repérer
par rapport au champ magnétique terrestre. De même, la
surprenante efficacité de la photosynthèse (en termes de
transformation d’une énergie lumineuse en énergie chimique)
semble également être due à un phénomène d’intrication quantique
entre des pigments chlorophylles. Et il en est de même, semble-t-il,
des sens olfactif et visuel chez les animaux et les humains, ainsi que
dans certaines mutations génétiques de l’ADN.

149
Schrödinger, le père de la biologie quantique
Peu de gens connaissent l’influence décisive qu’a eue
Schrödinger en biologie, en particulier en génétique.
Passionné par les questions d’hérédité depuis son plus jeune
âge, il fut le premier à imaginer que l’hérédité (c’est-à-dire le
génome en termes modernes) pouvait être codée sous la
forme d’une longue molécule et modifiée grâce à des effets
quantiques. Paru en 1944, son ouvrage What is life ? eut une
si profonde influence sur Francis Crick et James Watson que
les deux biologistes ne manquèrent jamais de remercier le
génial touche-à-tout autrichien pour le rôle-clé de ses idées
novatrices dans leur découverte de la structure en hélice de
l’ADN en 1953 (qui leur valu le prix Nobel de médecine en
1962).
Une nouvelle étape a été franchie récemment avec
l’avènement en 2010 d’une discipline scientifique inédite
appelée biologie quantique. Plusieurs équipes de recherches
travaillent actuellement à la visualisation de mutations
génétiques spontanées de l’ADN qui seraient causées par
des effets quantiques, en particulier par effet tunnel. Plus de
soixante-dix ans après son travail prospectif sur l’hérédité et
la transmission, Schrödinger serait bien surpris de voir fleurir
autant de projets autour de ses réflexions avant-gardistes.
Comme un clin d’œil post-mortem à cet homme dont le goût
de transmettre (tant ses convictions personnelles que ses
connaissances scientifiques et universitaires) fut comme un fil
d’Ariane lumineux tout au long de sa vie.

L’observation d’effets quantiques dans le vivant, en particulier pour


réguler et optimiser l’efficacité de capteurs sensitifs (de lumière, de
champ magnétique, d’odeur…), mène naturellement à la question du
rôle de la physique quantique dans le fonctionnement tant du
système nerveux que du cerveau et, par ricochet, de la conscience.
Bien que hautement spéculatifs et souvent controversés, de
nombreux modèles de cognition quantique ont déjà été proposés en
ce sens.

150
Celui avancé par le Britannique Roger Penrose et ses collègues,
par exemple, repose sur le principe que les microtubules – ces
molécules polymères en forme de petits tubes qui participent aux
propriétés mécaniques des cellules – puissent être le siège de
calculs quantiques, à la manière d’un nano-ordinateur quantique.
Moins ambitieux, certains modèles plus récents se fondent sur des
états quantiques intriqués de molécules de phosphate au sein des
neurones, pendant que d’autres partent de l’hypothèse que des
effets chaotiques classiques pourraient amplifier certains effets
quantiques au lieu de les atténuer. Quelles que soient les
confirmations ou infirmations de ces modèles, les implications de la
biologie quantique sont telles que d’énormes investissements sont
en cours pour explorer toutes les pistes que ce nouveau domaine
des sciences ne cesse d’ouvrir depuis 2010.

151
Ouvertures et contemplations…
Cognition quantique, neurobiologie quantique, conscience
quantique… Autant de portes vers deux domaines où
presque tous les fondateurs de la physique quantique se sont
aventurés avec gourmandise : ceux de la philosophie et de la
spiritualité. Si Bohr, comme on l’a déjà dit, s’est vivement
intéressé au taoïsme pour donner plus de sens à son principe
de complémentarité, il ne fut pas le seul à explorer les
philosophies orientales, jugées plus à même de rendre
compte de la logique non-dualiste de la physique quantique.
Philosophies indiennes en particulier. Oppenheimer fut par
exemple un amateur éclairé de la Bhagavad Gita, ce texte
majeur de l’hindouisme, alors que Bohm dialogua toute sa vie
avec le philosophe indien Jiddu Krishnamurti, et que
Schrödinger n’eut de cesse de chercher des ponts entre les
textes des Védas et les principes quantiques. Heisenberg, lui,
se tourna davantage vers l’épistémologie pendant que Pauli
échangeait sur la notion de synchronicité avec Carl Gustav
Jung… Excepté Dirac, qui refusait d’entrer dans ce genre de
discussions et de qui Pauli se moquait en disant « Dieu
n’existe pas et Dirac est son prophète », tous les grands
physiciens quantiques se sont tôt ou tard posé des questions
existentielles sur la nature tant du réel que de leur propre
réalité, vie et conscience. Einstein, par exemple, et bien qu’il
ait eu des liens très forts avec le judaïsme, s’en remettait in
fine à une sorte de religion cosmique où les mathématiques
seraient le seul et authentique langage de la nature.
Comme Schrödinger, Einstein fit cependant montre d’un
profond intérêt pour les autres domaines d’accès à cette
nature que sont la littérature, comme celle de son ami et
poète indien Tagore, et les arts d’une façon générale. Ces
arts dont Pauli disait qu’ils sont les seuls capables de rendre
concrètes les étranges et quantiques métaphores.
Aujourd’hui, si les relations entre les sciences et les arts
sont en plein essor et sont, des deux côtés, encouragées et
valorisées, celles entre science et spiritualité sont beaucoup

152
plus complexes à appréhender. Exceptions mises à part, les
professionnels de ces deux mondes semblent plus que
réticents à vouloir pénétrer l’univers de l’autre, pour découvrir
son mode de raisonnement ou ses croyances. D’un autre
côté, les citoyens n’ont jamais été aussi en demande de sens
et avides de s’approprier le langage et les idées de la science
moderne, en particulier celles de la physique quantique.

LE DÉBUT D’UN AUTRE VOYAGE !

Bravo, nous sommes tous maintenant des ambassadeurs de la


physique quantique ! Nous avons les cartes en main, les clés, pour
comprendre l’actualité scientifique et garder un œil critique sur tout
ce que nous pouvons lire en lien avec la physique des quanta. Un
regard critique tant sur le fond (est-ce que tel ou tel effet ou
phénomène quantique est correctement présenté ? interprété ?) que
sur la forme (telle expression est-elle utilisée de façon adéquate ?).
Regard critique, oui… mais ouvert ! Si de nombreuses personnes ou
organisations peuvent, sciemment ou non, utiliser la physique
quantique et son langage pour tromper le lecteur, ou simplement
s’en servir de façon aguicheuse ou farfelue, cela ne doit cependant
pas nous empêcher de rester ouverts aux nouvelles explorations,
extensions et interprétations ayant comme cadre la physique
quantique. Qui, par exemple, aurait parié il y a encore quelques
années sur la réalité des ordinateurs quantiques ou sur les effets
quantiques en biologie ?
Deux révolutions en marche qui, de façon étrange et pénétrante,
doivent beaucoup à un physicien autrichien du XXe siècle, aussi
génial et inspirant qu’iconoclaste et touchant, dont le nom résonne
comme un envol : Erwin Schrödinger ! Alors, suivons son chemin,
soyons créatifs et curieux, et surtout n’oublions pas : « Le monde
n’est rien d’autre qu’une toile pour notre imagination ! » (Henry David
Thoreau, A week on the Concord and Merrimack rivers)

153
GLOSSAIRE

Biologie quantique : Domaine scientifique ayant pour objet


d’étudier les effets de cohérence quantique non triviaux
(photosynthèse, sensibilité aux champs magnétiques, mutation de
l’ADN…) observés dans des milieux biologiques.
Bosons-fermions : Selon la valeur de leur spin, les particules
connues se classent dans l’une ou l’autre des deux catégories
suivantes : bosons (spin entier) ou fermions (spin demi-entier). Alors
que les bosons ont tendance à se regrouper dans le même état
quantique lorsque la température du milieu décroit (condensation
dite de Bose-Einstein), les fermions obéissent au principe
d’exclusion de Pauli et ne peuvent donc pas occuper un même état
quantique au même instant.
Chat de Schrödinger : Expérience de pensée conçue par
Schrödinger en 1935 dans laquelle un chat était imaginé être dans
un état superposé mort et vivant, résultat de son intrication avec un
système microscopique quantique. L’expérience a depuis été
réalisée avec de nombreux systèmes (atomes, photons…), tous très
respectueux des félins.
Champ : Entité physique définie en tout point de l’espace et à tout
instant (comme le champ magnétique terrestre par exemple) et
utilisée comme intermédiaire pour décrire les quatre interactions
physiques connues. Combinés à la physique quantique et à la
relativité restreinte, les champs associés à ces interactions

154
conduisent à la notion fondamentale de théorie quantique des
champs.
Cohérence quantique : Propriété qu’on attribue à tout objet ou
ensemble d’objets présentant des effets quantiques observables
(ondes de matière, superposition et intrication d’états…).
Corps noir : Anti-miroir parfait. Object qui absorbe toute la
lumière qui le frappe et émet en retour un rayonnement lumineux ne
dépendant que de sa température.
Cryptographie quantique : Technique de cryptographie reposant
sur l’utilisation de systèmes et de propriétés quantiques. La
modification inévitable et incontrôlable d’un message crypté lors de
sa lecture permet de déceler, avec une fiabilité a priori quasi-
parfaite, toute tentative d’espionnage lors de la transmission du
message.
Décohérence : Phénomène conduisant à une perte de cohérence
quantique d’un objet suite à l’interaction de cet objet avec son
environnement. Par extension, la décohérence est aussi la théorie
qui traite de ce phénomène et permet de comprendre certains
aspects du comportement d’un appareil de mesure.
Dualité onde-corpuscule : Concept traduisant le double
comportement – ondulatoire et corpusculaire – observé pour des
particules de matière et de lumière (à l’aide d’un dispositif de fentes
d’Young par exemple).
Effet tunnel : Processus pendant lequel des objets
microscopiques arrivent, du fait de leur nature ondulatoire, à
traverser un mur en passant instantanément de l’autre côté. Les
applications de cet effet quantique sont très nombreuses (semi-
conducteurs, énergie nucléaire, microscopie de haute résolution…)
Effondrement du paquet d’ondes : Processus par lequel l’état
quantique d’un objet est réduit à l’un des états quantiques propres
de l’appareil de mesure, en l’occurrence celui correspondant au
résultat numérique réellement obtenu (de façon aléatoire) lors de la
mesure.
Électrodynamique quantique (QED) : Théorie issue de la fusion
entre la physique quantique et la relativité restreinte qui traite des

155
interactions entre lumière et matière avec une époustouflante
précision.
Énergie du vide : Énergie typiquement quantique qui demeure
même lorsque toute la matière et le rayonnement ont été supprimés.
Selon la théorie quantique des champs, c’est une mer d’énergie
fluctuante dont les particules connues seraient les fugaces
soubresauts. D’une densité prodigieuse, mais apparemment
inaccessible, l’énergie du vide peut néanmoins avoir des effets
mesurables (effet Casimir, par exemple).
État quantique : Grandeur mathématique supposée contenir tout
ce que l’on peut connaître d’un système physique. Techniquement
parlant, c’est un vecteur à composantes complexes.
Fentes d’Young : Dispositif à deux fentes permettant de mettre
en évidence la dualité onde-corpuscule tant pour la matière que pour
la lumière.
Fonction d’onde : Représentation mathématique particulière d’un
état quantique sous forme d’une onde de probabilité s’étalant
continument dans l’espace.
Interférences : Phénomène physique apparaissant lorsque deux
ondes (ou plus) se superposent et donnent naissance à une
succession régulière de zones de faible et forte intensités (qu’on
appelle alors franges d’interférence). Dans le monde quantique, ce
sont les fonctions d’onde – ou états quantiques – qui se
superposent, et des interférences sont également observées avec
des particules (photons, atomes, molécules…).
Interprétation de Copenhague : L’interprétation de Copenhague
est l’une des interprétations physiques les plus communes du
formalisme mathématique de la physique quantique. Élaborée entre
1925 et 1927, essentiellement par Niels Bohr et Werner Heisenberg,
elle fait l’hypothèse minimale que les objets n’ont pas de propriétés
physiques bien définies avant que celles-ci ne soient mesurées.
Selon cette interprétation, les seules informations prédictibles sont
les probabilités d’occurrence des résultats possibles et il y a bien
effondrement du paquet d’ondes lors d’une mesure.

156
Interprétation de de Broglie-Bohm : Cette interprétation
alternative de la physique quantique a été développée par Louis de
Broglie dans les années 1920, puis par David Bohm en 1952.
Contrairement aux autres interprétations majeures, elle n’élimine pas
de facto la notion de trajectoire des particules. Celles-ci sont
déterminées à l’aide de l’équation de Schrödinger et d’une fonction
d’onde globale définie sur tout l’espace (donc non-locale).
Interprétation des mondes multiples : Formulée par Hugh
Everett en 1957, cette interprétation de la physique quantique est de
plus en plus adoptée malgré son aspect fantastique. Elle réfute la
nature probabiliste de la mesure ainsi que la réalité du processus
d’effondrement du paquet d’ondes, et affirme que les différents
résultats possibles de mesure sont bien tous obtenus, mais chacun
dans un univers parallèle, le phénomène de décohérence expliquant
la nature de l’état quantique après mesure. Selon cette
interprétation, il y a donc une infinité de mondes parallèles en
perpétuelle création.
Intrication : Phénomène typiquement quantique où deux
particules (ou plus) initialement mises en relation semblent rester
instantanément connectées quelle que soit la distance les séparant.
Mesure quantique : Opération de mesure ayant lieu dans le
monde quantique (dans le domaine microscopique typiquement) et
présentant plusieurs différences avec une mesure classique : les
résultats possibles sont en nombre restreint (quantification) ; ils sont
obtenus de façon aléatoire (nature probabiliste) ; et l’état quantique
de l’objet observé est modifié par la mesure (effondrement du
paquet d’ondes). Ces deux derniers points ne sont cependant pas
acceptés de façon universelle et dépendent en particulier de
l’interprétation utilisée pour décrypter le formalisme mathématique
de la physique quantique.
Onde de matière : Ce concept, quasi-synonyme des termes
fonction d’onde et onde de probabilité, permet de décrire les aspects
ondulatoires des particules de matière. Pour une particule, cette
onde est une onde de probabilité abstraite. Pour un condensat de
Bose-Einstein, c’est une onde physique réelle.

157
Ordinateur quantique (informatique quantique) : Ordinateur
dans lequel des qubits sont utilisés pour coder l’information et
réaliser les opérations élémentaires des portes logiques. La
possibilité de faire des calculs sur des états quantiques superposés
et intriqués rend ce type de calculateur exponentiellement plus
puissant que ses équivalents classiques.
Physique classique : Ensemble des théories physiques
(mécanique, électromagnétisme…) qui prédominaient avant le début
du XXe siècle et l’avènement de la physique quantique et de la
relativité restreinte.
Physique quantique : Théorie édifiée au début du XXe siècle en
réponse à des expériences et observations inexplicables par la
physique classique (quantification de la lumière et des énergies
atomiques, dualité onde-corpuscule…). Techniquement, c’est un
ensemble de règles mathématiques expliquant comment extraire les
informations contenues dans un état quantique.
Principe d’exclusion de Pauli : Principe quantique interdisant
que deux fermions soient dans le même état quantique au même
instant. Ce principe permet d’expliquer la structure des atomes et
diverses propriétés des matériaux solides.
Quantification : Structuration granulaire, sous forme de quanta,
d’une grandeur physique. Par exemple, l’énergie lumineuse est
quantifiée sous forme de photons.
Qubit : Analogue quantique d’un bit informatique classique. En
pratique, c’est un système (atome, photon, ion…) possédant deux
états quantiques correspondant aux états usuels 0 et 1 d’un bit
classique. L’avantage d’un qubit est qu’il peut être mis dans une
superposition quelconque des états 0 et 1.
Réalisme local : Principe selon lequel une particule ne peut être
influencée que par son environnement proche (principe de localité)
et qu’elle possède, avant toute mesure, une valeur bien définie,
indépendante de l’appareil de mesure utilisé et de l’observateur
(principe de réalisme). Le réalisme local est mis en défaut par le
phénomène d’intrication quantique.

158
Relativité restreinte : Théorie proposée par Einstein en 1905
pour rendre compte de l’invariance des lois de la physique
(mécanique et électromagnétisme) pour deux observateurs en
mouvement relatif constant et uniforme. La constance de la vitesse
de la lumière et la relation masse-énergie E = mc2 sont deux
caractéristiques de cette théorie. La relativité générale, également
formulée par Einstein (en 1916), étend la théorie de la relativité
restreinte aux mouvements relatifs accélérés et à la force de
gravitation.
Saut quantique : Transition quasi instantanée entre deux états
quantiques distincts. Les sauts quantiques peuvent se produire
spontanément (désintégration radioactive ou désexcitation d’atomes)
ou, semble-t-il, lors d’une mesure quantique.
Spin : Propriété quantique d’une particule, n’ayant pas
d’équivalent classique et pouvant prendre uniquement des valeurs
entières (0, 1, 2…) ou demi-entières (1/2, 3/2…). Dans ce dernier
cas, les particules sont des fermions et obéissent au principe
d’exclusion de Pauli.
Superposition d’états : État conduisant à plusieurs valeurs
possibles dans la mesure d’une grandeur physique. Bien connu en
physique classique pour des ondes, cette propriété est typiquement
quantique lorsqu’il s’agit de particules.
Téléportation quantique : Transmission instantanée de l’état
quantique d’un objet (un photon, un atome…) entre deux endroits
distincts. Utilisant le phénomène d’intrication quantique, ce
processus nécessite également un canal de communication
classique, empêchant par là même tout envoi d’information à une
vitesse supraluminique.
Théorie quantique des champs (TQC) : Cadre théorique général
mêlant les principes de la physique quantique à ceux de la relativité
restreinte pour décrire de façon quantique trois des quatre
interactions fondamentales (faible, forte et électromagnétique). En
TQC, les particules sont vues comme des excitations, de plus ou
moins longue durée de vie, du champ quantique sous-jacent.

159
BIBLIOGRAPHIE

À LIRE

C. Antoine, Introduction à la physique quantique, Malakoff, Dunod,


2017.
J. Baker, 50 clés pour comprendre la physique quantique, Malakoff,
Dunod, 2017.
B. Benamran, Prenez le temps d’e-penser, tome 2, Vanves,
Marabout, 2016.
M. Bitbol, Mécanique quantique : Une introduction philosophique,
Paris, Flammarion, 2008.
B. Clegg et al., 3 minutes pour comprendre les 50 plus grandes
théories de la physique quantique, Paris, Le Courrier du livre, 2015.
A. Connes, J. Dixmier et D. Chéreau, Le Théâtre quantique, Paris,
Odile Jacob, 2013.
T. Damour et M. Burniat, Le mystère du monde quantique, Paris,
Dargaud, 2017.
C. Fabre, C. Antoine et N. Treps, Introduction à la physique
moderne : relativité et physique quantique, Malakoff, Dunod, 2015.
R. Feynman, Lumière et matière : Une étrange histoire, Paris, Seuil,
1992.
J. Gribbin, Erwin Schrödinger and the quantum revolution, Londres,
Black Swan, 2013.

160
W. Heisenberg, La partie et le tout, Paris, Flammarion, 2016.
E. Klein, Petit voyage dans le monde des quanta, Paris,
Flammarion, 2004.
M. Kumar, Le grand roman de la physique quantique, Paris,
Flammarion, 2012.
M. Lachièze-Rey, Einstein à la plage : La relativité dans un transat,
Malakoff, Dunod, 2017.
F. Laloë, Comprenons-nous vraiment la mécanique quantique, Les
Ulis, EDP Sciences, 2018.
M. Le Bellac, Le monde quantique, Les Ulis, EDP Sciences, 2010.
B. Nicolescu, Nous, la particule et le monde, Éditions du Rocher,
2002.
S. Ortoli et J.-P. Pharabod, Le cantique des quantiques, Paris, La
Découverte, 2007.
W. Pauli, Physique moderne et philosophie, Paris, Albin Michel,
1999.
C. Rovelli, Et si le temps n’existait pas ?, Malakoff, Dunod, 2014.
E. Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ? De la physique à la biologie,
Paris, Points Sciences, Seuil, 1993.
E. Schrödinger, Physique quantique et représentation du monde,
Paris, Points Sciences, Seuil, 1992.
T. X. Thuan, Les voies de la lumière, Paris, Fayard, 2007.

À VOIR OU EXPLORER

J. Bobroff, Voir la quantique ?, conférence filmée, 2014 (visible sur


YouTube).
B. Green, The Fabric of the Cosmos, série documentaire, NOVA,
2012 (visible sur YouTube).
M. Kaku, A Universe in a Nutshell – The Physics of Everything,
documentaire, Big Think Editors, 2011 (visible sur YouTube).
G. Robin, Quantum, spectacle de danse, 2014

161
www.toutestquantique.fr, site web de vulgarisation de la physique
quantique, avec de très belles animations et vidéos, ainsi que de
nombreux liens pour approfondir le sujet.
www.blog.physicsworld.com, blog alimenté par des scientifiques
du monde entier.
web.mit.edu/physics, blog du département de physique du MIT.
www.nist.gov/pao/what-quantum-physics-dancers-explain-
animations-and-videos, certains effets quantiques illustrés par la
danse, en collaboration avec le NIST.
www.novastructura.net, superpositions quantiques entre art et
science.

162
INDEX

aléatoire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
amplitude de probabilité 1
Arosa 1, 2
Aspect, Alain 1
balançoire quantique 1
Bell, John 1
Big Bang 1
biologie quantique 1
Bohr, Niels 1, 2, 3
Born, Max 1
boson 1, 2, 3
de Higgs 1
chat de Schrödinger 1, 2
chemins de Feynman 1
choix retardé 1
Cohen-Tannoudji, Claude 1
complexes (nombres) 1
condensation de Bose-Einstein 1, 2
conscience quantique 1
constante de Planck 1, 2

163
contrafactualité 1
corps noir 1, 2
couche électronique 1
cryptographie
classique 1, 2
de Broglie, Louis 1
décohérence 1, 2, 3
déterministe 1
diffraction 1, 2
Dirac, Paul 1, 2
dualité onde-corpuscule 1, 2, 3, 4
échelle de Planck 1
effet
photoélectrique 1, 2, 3, 4, 5
effondrement du paquet d’ondes 1
Einstein, Albert 1, 2, 3, 4, 5
énergie
nucléaire 1, 2, 3
équation de Schrödinger 1, 2, 3
Espagnat, Bernard (d’) 1
état quantique 1, 2, 3, 4, 5, 6
étoiles à neutrons 1
fentes d’Young 1, 2, 3, 4
fermion 1, 2, 3
Fert, Albert 1
Feynman, Richard 1, 2
fin de la science 1
fonction d’onde 1, 2, 3, 4
graphène 1
gravitation 1

164
quantique à boucles 1
gravité quantique (problème de la) 1
Haroche, Serge 1
Heisenberg, Werner 1, 2
Higgs, Peter 1
humour quantique 1
identité quantique 1
impulsion 1
indiscernabilité 1
informatique quantique 1
interférences 1, 2, 3, 4
interprétation(s) 1, 2, 3
de Born 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
intrication d’états 1, 2, 3
langage quantique 1
limite classique-quantique 1, 2
longueur d’onde de Broglie 1
lumière 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
matière noire 1
matrices (mécanique des) 1
Maxwell, James Clerk 1
Mendeleïev (table des éléments) 1
mesure
quantique 1, 2, 3, 4, 5, 6
métrologie 1
modèle de Bohr 1
nombre premier 1
non-localité 1, 2
noyau atomique 1, 2, 3, 4, 5
nuage électronique 1, 2

165
onde
vibration 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
ordinateur quantique 1
particule vs. fente (dispositif) 1
Pauli, Wolfgang 1, 2
photon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Planck, Max 1
PLANCK (mission spatiale) 1
plaque Pioneer 1
POVM 1
pression de radiation 1
principe
d’indétermination de Heisenberg 1, 2, 3
probabilité 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
problèmes ouverts (anomalies) 1, 2, 3, 4
QED (électrodynamique quantique) 1
quantification 1, 2, 3, 4, 5, 6
quantum, quanta 1, 2, 3, 4
qubit 1, 2
réalité 1, 2
relativité
restreinte 1, 2, 3, 4
résolution d’un microscope 1
saut quantique 1, 2, 3
Schrödinger, Erwin 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
semi-conducteur 1
spectroscopie 1
spin 1, 2
structure de la matière 1
supercordes 1

166
superposition d’états 1
supraconductivité à haute température 1
suprématie quantique 1
système RSA 1
téléportation quantique 1
temps de décohérence 1
théorie quantique des champs 1, 2
unification des théories 1
variable cachée 1
vide quantique 1, 2, 3
voile solaire 1
von Neumann, John 1, 2

167
Dans la même collection :

Einstein à la plage, Marc Lachièze-Rey


Darwin à la plage, Jean-Baptiste de Panafieu
Sapiens à la plage, Jean-Baptiste de Panafieu
Colette à la plage, Marie-Odile André
Proust à la plage, Johan Faerber

168

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