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Histoire du droit privé : la propriété

Leçon 8 : Les concepts coutumiers


M. Jacques POUMAREDE

Table des matières


Section 1. La saisine...................................................................................................................................................p. 2
§ 1. Le vocabulaire de la saisine........................................................................................................................................................ p. 2
§ 2. La division des biens en droit coutumier..................................................................................................................................... p. 2
Section 2. Les modes d'acquisition et de transfert de la saisine.......................................................................... p. 4
§ 1. Traditio et investiture.................................................................................................................................................................... p. 4
§ 2. La saisine de droit........................................................................................................................................................................p. 5
§ 3. Déclin de l'investiture....................................................................................................................................................................p. 6
Section 3. Les systèmes coutumiers de publicité foncière.................................................................................... p. 7
§ 1. Le nantissement........................................................................................................................................................................... p. 7
§ 2. Appropriances par bannies en Bretagne......................................................................................................................................p. 7
§ 3. L'intervention du pouvoir royal..................................................................................................................................................... p. 7

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Nous venons de voir toute la variété des formes de maîtrises qui pouvaient être exercées sur des biens,
étudions maintenant les concepts juridiques qui les sous-tendent et les procédures qui organisent leur transfert
et leur protection :
• la saisine
• les modes d'acquisition de la saisine
• la protection de la saisine

Section 1. La saisine
L'idée de saisine n'est pas facile à cerner : elle peut paraître mouvante et incertaine, car elle n'a fait l'objet d'une
e
élaboration doctrinale qu'à partir du XIII siècle, à une époque où l'influence de la renaissance du droit romain
vient perturber l'esprit originel de la coutume. Beaucoup de juristes coutumiers, influencés par la doctrine
romaine, n'ont voulu voir dans la saisine qu'une forme rudimentaire de possession.

La saisine est en réalité une notion originale produite par l'esprit coutumier et qui s'enracine dans des
conceptions germaniques anciennes, exprimées notamment dans le droit franc, comme le montre le
vocabulaire.

§ 1. Le vocabulaire de la saisine
Etymologiquement le mot saisine ne vient pas du latin, bien qu'on le trouve dans les documents médiévaux
sous sa forme latinisée saisina, mais d'un verbe gothique sas-jan qui signifie être assis ou posé sur quelque
chose (voir en allemand moderne le doublet : sitzen : être assis - setzen : poser).

Le mot saisine est utilisé en concurrence avec d'autres vocables.

Ce faisceau de termes désigne un pouvoir sur la chose, mais pas un droit. La saisine est une notion concrète,
et non abstraite. Ce pouvoir résulte d'une remise solennelle, publique de la chose.

Mais ce pouvoir n'est pas absolu ni exclusif : c'est le pouvoir de tirer profit de la chose, de jouir des fruits. La
saisine est une jouissance d'utilité.

e
La Summa de legibus (coutumier normand du début du XIII siècle) exprime parfaitement le contenu très
concret de cette notion : «celui qui a la saisine d'une terre est celui qui la moissonne, la laboure, en perçoit
les fruits et les produits» (Ch. VII, 4).

A la différence de la conception classique romaine de propriété (dominium-proprietas), la saisine ne se confond


pas avec la chose, elle porte sur l'utilité de la chose, le pouvoir d'utiliser la chose. On comprend pourquoi le
droit coutumier admettait si facilement la coexistence voire la concurrence des saisines sur une même chose.

§ 2. La division des biens en droit coutumier


La saisine ne peut s'exercer que sur des biens frugifères, c'est-à-dire productifs, la terre par excellence,
dans un monde dominé par l'économie rurale. Dans le vocabulaire coutumier la saisine porte d'abord sur les
«héritages», biens-fonds frugifères.

Le droit coutumier admettait aussi qu'il puisse y avoir une saisine sur des «biens incorporels» (selon la
terminologie du droit romain), comme des droits de justice, de banalités (taille), des offices (fonction publique
mais vénale), des dîmes, etc..., ou même sur des franchises, c'est-à-dire des exemptions, des droits de ne
pas payer des redevances.

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Borie antique

En revanche, les meubles dénommés cateux (lat. : capitalia, en anglais : chattels) ne font pas l'objet de saisine,
car ils ne sont pas productifs.Il n'y a pas de jouissance durable sur les choses fongibles. Les coutumes les plus
archaïques font entrer dans cette catégorie des cateux des biens que nous considérerions comme immeubles,
mais qui ne sont pas frugifères, et donc qui ne font pas l'objet de saisine : bois et taillis non coupés, arbres
fruitiers non greffés, bâtiments légers, cabanes, partie mobile des moulins, etc...

Le concept de la saisine peut apparaître archaïque, mais en fait il est réaliste et concret.C'est un concept qui
s'est maintenu dans le droit anglais où il n'y a pas de propriété absolue sur une terre ou un immeuble, mais
un domaine relatif qui se décompose en une assez grande variété de situations (estate), dont la combinaison
forme la real property, par opposition à la personal property sur les goods and chattels.

Par analogie, la saisine coutumière pourrait nous aider à comprendre certains aspects du droit moderne qui
répondent mal aux catégories du droit civil :
• ainsi les droits actuels de préemption en matière agricole, par exemple, pourraient s'analyser comme
des saisines
• Préemption du fermier en cas de vente du fonds par le propriétaire (loi de 1946)
• Préemption des SAFER (loi de 1962)
ou encore la multipropriété assez répandue dans l'immobilier de loisir.

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Section 2. Les modes d'acquisition et de
transfert de la saisine
La saisine pouvait s'acquérir et se transmettre de diverses façons, qui ont évolué en passant de modalités et
de formes très concrètes à des modalités plus abstraites.

§ 1. Traditio et investiture

Les modalités les plus archaïques, dans le droit franc, sont conformes à l'esprit de la saisine qui implique
l'exercice d'un pouvoir sur la chose manifeste et reconnu par tous.

Définition : La traditio est une cérémonie formelle par laquelle s'opère le transfert de la saisine.La loi des
Francs Ripuaires (v. 633) prescrit que celui qui veut faire reconnaître la saisine doit accomplir quelques gestes
qui témoignent de sa mainmise : il doit faire le tour du bien ; pour un champ, il doit tracer un sillon, apposer
ses marques sur les bornes ; s'il s'agit d'une maison, il doit s'installer, allumer le feu, etc...Celui qui abandonne
la saisine (le vendeur, par exemple) fait les gestes contraires : il doit sauter par-dessus la clôture, déclarer
ostensiblement sa volonté de quitter les lieux, c'est le déguerpissement (werpitio).

Ces actes doivent être publics, et donc accomplis en présence de témoins :


• trois, si le bien est peu important ;
• jusqu'à douze, s'il a une plus grande valeur.

On recommande la présence d'enfants à qui on donne des soufflets ou à qui on tire les oreilles pour qu'ils s'en
souviennent et puissent témoigner plus tard.

A l'époque carolingienne, la tradition prend une forme à la fois plus juridique et plus judiciaire.La tradition doit
avoir lieu devant le tribunal du comte le mallum, ce qui a pour effet de donner à cet acte une plus grande
publicité et lui assure la protection de l'autorité publique. Mais il semble bien que le rituel persiste.

Avec l'avènement de la féodalité, les idées ne changent pas ; le formalisme et le symbolisme du rituel
demeurent très forts.C'est le contexte institutionnel qui évolue, avec la disparition d'une justice publique ; le
rôle du seigneur devient prépondérant, spécialement pour la remise des biens féodaux.

L'investiture du fief suit la cérémonie de l'hommage. Le seigneur remet symboliquement un bâton ou un rameau
(festuca) une motte de terre, un gant, une bannière parfois après une «montrée», au cours de laquelle on

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délimite le fief.Au terme de la cérémonie le vassal est ainsi déclaré «vêtu», d'où le nom de la formalité :
investitura.Cette investiture vaut ensaisinement et permet au vassal d'exercer ses droits sur le fief.

Pour la tenure paysanne (censive), la cérémonie est plus simple, mais également symbolique.Avec l'aliénabilité
du fief et de la censive, l'investiture reste nécessaire et c'est l'occasion pour le seigneur de percevoir les droits
de mutation.

L'opération se dédouble :
• le dévest, par lequel le vendeur remet entre les mains du seigneur le bien, avec le symbole du bâton
(l'expression coutumière «mettre la main au bâton» signifie littéralement aliéner)
• et le vest de l'acquéreur par le seigneur, c'est l'ensaisinement.

Traditio et investiture ont pour fonction de marquer le moment effectif de l'acquisition de la saisine.Mais en
droit coutumier l'accord des parties n'est pas suffisant, contrairement au principe de notre droit civil moderne
qui considère que la vente est parfaite dès que les parties sont convenues de la chose et du prix (art. 1583),
et qui fait obligation de livrer la chose par le seul consentement des parties contractantes (art. 1138). En droit
coutumier, il faut l'investiture pour réaliser la vente.

e
Le juriste coutumier Boutillier, dans sa Somme rural (XIV siècle) disait : «celui qui vend sa tenure, mais en
retient encore la saisine par devers lui et n'en fait pas vest à l'acheteur, saches qu'il est encore sire de la
chose» (maître de la chose).

L'investiture réalise en même temps l'échange du consentement et le transfert de propriété.

Traditio et investiture permettent aussi d'assurer la publicité de l'opération, insèrent la nouvelle situation dans
l'ordre social, et font courir le délai coutumier d'an et jour qui permet à des tiers de venir contester la saisine ou
d'opposer leur propre saisine, dans le cas de parents qui invoquent leur droit au retrait lignager, par exemple.

Ce délai d'an et jour est lui aussi d'origine probablement germanique. Il est d'un an révolu : le jour
supplémentaire est destiné à garantir qu'une année complète s'est écoulée. Si bien que la saisine n'est
définitivement acquise et considérée comme juste qu'au terme de ce délai extinctif.Les coutumes parlent de
« pleine saisine ».

La saisine qui est la propriété coutumière n'est acquise que s'il y a eu tradition ou investiture du bien et une
jouissance paisible d'an et jour.

§ 2. La saisine de droit
Cette conception très formaliste de l'acquisition de la saisine a subi une évolution à laquelle l'influence du droit
romain n'est pas du tout étrangère.

Il y a eu d'abord la reconnaissance du fait que dans certaines circonstances le formalisme lourd et contraignant
de la tradition ou de l'investiture d'une saisine n'est pas nécessaire.

Le cas le plus connu est la saisine héréditaire qui permet que l'héritier soit saisi des biens du défunt
automatiquement, à la mort du de cujus. Ce principe est exprimé dans le célèbre adage coutumier : "le
mort saisit le vif", qui est passé presque textuellement dans le code civil, art 724.Jacques d'Ableiges (Grand
e
coutumier de France, XIV s.) fournit une explication : «cette coutume est à entendre en ligne directe et en
ligne collatérale, le successeur est tout saisi de droit et il ne lui est pas nécessaire d'aller ni au seigneur, ni au
juge ni autre....».L'héritier peut directement se saisir des biens, acquérir les fruits dès le décès, bénéficier de
la protection des autorités publiques, parce que la publicité n'est pas nécessaire dans une telle situation : le
public, les voisins, les tiers ayants droit sont normalement informés du décès. En revanche, les bénéficiaires
des legs doivent demander la saisine à l'héritier ou aux exécuteurs testamentaires.

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Cette saisine automatique, désignée sous le nom de «saisine de droit (signe d'une influence du droit romain
sur son apparition) », a été reconnue également au baillistre (ou tuteur) sur les biens d'un pupille, ou au mari
sur les biens de sa femme (dot et propres paraphernaux) du fait du mariage. De même la veuve avait aussi la
saisine de droit de son douaire (part des biens de son mari défunt qu'elle pouvait garder en usufruit viager).

§ 3. Déclin de l'investiture
L'investiture-ensaisinement par le seigneur entre en décadence à la fin du Moyen Âge du fait du relâchement
des cadres féodaux.Le seigneur ne participe plus que très rarement à l'opération (sauf lorsqu'il s'agit de fiefs
importants). Il délègue à un officier seigneurial le soin de constater la tradition. Le formalisme archaïque se
perd. On se borne à tenir un registre des investitures dont les tiers peuvent demander la communication. Un
courant individualiste (influencé toujours par le droit romain) pousse au secret des conventions.

La pratique notariale invente des techniques nouvelles comme la clause de désaisine-saisine : dans l'acte
de vente, les parties conviennent d'opérer de manière fictive la tradition ; l'aliénateur (le vendeur) déclare se
dépouiller de la propriété de la chose et la détenir désormais pour le compte de l'acquéreur, en attendant la prise
de possession effective.L'objectif de la clause est de transférer la responsabilité à l'acquéreur, conformément
à la règle romaine (res perit emptori- la chose périt pour l'acquéreur), avant qu'il y ait eu transfert effectif des
droits réels. On n'est pas loin du consensualisme.

Certains juristes coutumiers comme Dumoulin dénonceront ces pratiques, mais elles se développeront tout
de même. La coutume de Paris de 1510 en prend acte puisqu'elle proclame :«ne prend saisine qui ne veut».
Toutes les coutumes n'ont pas suivi cet exemple et certaines ont même réagi en organisant un véritable régime
de publicité foncière.

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Section 3. Les systèmes coutumiers de
publicité foncière
Pour assurer la publicité des formalités de la tradition-investiture indispensable pour l'établissement de la
saisine, les coutumes ont instauré des systèmes assez variés. Nous en présentons ici deux types.

§ 1. Le nantissement

Il s'agit d'un procédé en vigueur dans le groupe des coutumes du nord.En Picardie, Flandres, Hainaut, tout
transfert de saisine devait faire l'objet d'une déclaration devant la juridiction locale, justice municipale des
échevins, justice seigneuriale, ou, s'il existait, tribunal royal subalterne.

Le juge constatait la régularité du contrat (vente, donation, échange et même prose d'hypothèque) dans un
jugement d'homologation. C'est la tradition franque de l'ensaisinement judiciaire devant le mallum qui s'est
maintenue ou qui a réapparu après une éclipse.

On trouve un système analogue en Allemagne rhénane : la Auflassung qui a évolué vers l'institution du "Livre
foncier", toujours en vigueur en droit allemand (depuis une loi de 1783 en Prusse et généralisée par le BGB
ou code civil allemand) et en France, dans le droit local d'Alsace-Lorraine..

Dans le nantissement coutumier, l'enregistrement au greffe du tribunal avait pour effet de donner à l'acquéreur
(le nanti) une position très solide. Tous les droits qui grevaient le fonds étaient purgés, notamment les
hypothèques, et même le retrait lignager, et cela dans un délai court de 40 jours.

§ 2. Appropriances par bannies en Bretagne


C'est un système d'origine ancienne dont on trouve quelques traces dans d'autres régions, en Gascogne, par
exemple.

Les projets de vente de biens-fonds devaient faire l'objet, comme les mariages, de publications dans
l'église paroissiale à l'issue de la messe dominicale (bannies); l'annonce devait être répétée trois dimanches
e
de suite. C'est une publicité simple mais efficace.A partir du XIV siècle, le tribunal local intervient pour
constater l'accomplissement des bannies et prononce un jugement d'adjudication au profit de l'acquéreur avec
enregistrement au greffe. La mesure de publicité et l'enregistrement avaient des effets énergiques comme
pour le nantissement, et permettait notamment la purge des hypothèques dans des délais rapides.

Il y a tout de même une différence : cela ne concerne pas la prise d'hypothèque. Ce système s'est maintenu
jusqu'à la Révolution.

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§ 3. L'intervention du pouvoir royal

Louis XV
Le pouvoir royal a essayé d'organiser un système de publicité foncière uniforme pour tout le Royaume.La
publicité de certains actes entraînant des transferts de saisine, donc de droit réels immobiliers a été organisée
sous la forme d'une "insinuation", c'est-à-dire d'un enregistrement des actes auprès des greffes des justices
royales.

La monarchie était surtout guidée par des préoccupations fiscales, car cette procédure obligatoire devait être
l'occasion de percevoir des droits d'enregistrement au profit du trésor royal.

L'insinuation fut instituée d'abord pour les donations par le célèbre édit de 1539 dit de Villers-Cotterets (c'est
ce même édit qui a imposé l'usage du français dans tous les actes publics), repris dans l'ordonnance sur les
donations de d'Aguesseau de 1731.

Un autre édit de 1703 avait, entre temps, ordonné l'insinuation de tous les actes translatifs de propriété, mais il
fut mal appliqué.La noblesse s'est montrée particulièrement hostile à la publicité des actes translatifs de saisine.
Ses biens étaient souvent hypothéqués, pour faire face à des dépenses importantes, surtout lorsqu'il s'agissait
de la noblesse de cour.Au nom de la protection du secret des familles, et au détriment de ses créanciers, la
noblesse a obtenu de Louis XV la suppression de l'insinuation des hypothèques par un édit de 1771.

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