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Le Leemba Ou L Ordre Initiatique de Koô

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|

Le Leembo Ou l'Ordre |
initiatique de Koôngo | |
Dyo Leembo |
|
Du même auteur

Le Procès de Kimpa Vita, la Jeanne d’Arc congolaise,


L’Harmattan, 2002

Le Muntuïsme : L’humanisme intégral africain,


Société des Écrivains, 2006

Le Cardinal Émile BIAYENDA et sa vision


du Développement Intégral du Congo-Brazzaville,
Société des Écrivains, 2008.
Plaidoirie pour l’Abbé Fulbert YOULOU 1er Président
de la République du Congo-Brazzaville
(du 21 novembre 1959 au 15 août 1963),
L’Harmattan, 2009

Le Muntuïsme :
Essai d’un Code Pénal des Sociétés Bantoues,
Connaissances et Savoirs, 2010.

Le Muùntu et sa philosophie sociale des nombres,


L’Harmattan, 2011

Le Muntuïsme base de la philosophie du Royaume Koôngo,


I.C.E.S., 2014
Rudy Mbemba-Dya-Bô-Benazo-Mbanzulu

Le Leemba
ou l’ordre initiatique
de Koôngo Dya Leemba

Société des Écrivains


Sur simple demande adressée à la Société des Écrivains,
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis,
vous recevrez gratuitement notre catalogue
qui vous informera de nos dernières publications.

Texte intégral

© Société des Écrivains, 2015

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une


utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par
quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est
illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code
de la propriété intellectuelle.
Préface

Ce nouveau livre, remarquable, du docteur en droit, maître


Rudy MBEMBA, avocat, confirme la qualité des anciens,
leur inventivité expressive en même temps que leur « tradi
tionnalité ». L’élan régénérescent qu’il a donné à la recherche
fondamentale en général, et à la recherche kongologique en
particulier, se prolonge et se renforce ici annonçant de nou
velles perspectives inépuisables de catharsis initiatique et de
restructuration des comportements modernistes devenus aber
rants par manque de souffle, d’espoir et d’imagination.

Le sens de chaque futur, des individus ou des sociétés, en


effet, est à prendre dans les traditions les plus lointaines, trop
souvent ignorées ou méprisées par goût d’un prestige uni
quement superficiel, artificiel, creux.

Le véritable pouvoir de penser en voulant n’est pas un arti


fice ou une illusion. Il est un mouvement continu, comportant
des soubresauts, qui fonctionne depuis la haute préhistoire, à
l’intérieur de cavernes protectrices, puis au contact des éma
nations du Soleil primordial…

On constate, donc en cours de cheminement intérieur, que


les bases des démarches psychanalytiques actuelles (en 2014)
ont quelque chose en commun avec les bases initiatiques des
rituels anciens et des rituels du Congo tout spécialement. En
effet, en ne considérant, là, que certains aspects,

7
l’inconscient, par son archaïsme fondateur et dynamique,
comme réservoir d’énergie, est, aussi bien, initiatique que
psychanalytique.

Il en est de même pour la décantation ou catharsis préa


lable ou purgation psychique ou psychosomatique. Catharsis
qui existe dans le sacrement de la confession catholique.
Tous ces mouvements intérieurs, subjectifs, restent toujours
liés au cosmos, en sont des lieux actifs ou participatifs.

L’inconscient, lui-même, n’est pas qu’individuel ou social


ou religieux… Les initiations sont psychanalytiques et les
psychanalyses sont initiatiques. Cette réciprocité refonde
toute démarche de recherche et il est, désormais, légitime de
travailler avec notre psychanalyse nouménale (de
l’inconnaissable) ou avec notre psychanalyse traditionnelle
ou avec notre psychanalyse juridique qui trouve ses fonde
ments dans les travaux de Pierre Legendre, répondant
juridiquement à nos préoccupations d’archéologie psycholo
gique et à celles de philosophie nouménale kantienne que
nous avions avancées.

À la fois juridique et nouménale, il faudrait parler d’une


psychanalyse traditionnelle africaine que nous avons mise en
construction. Ce chantier pluridisciplinaire fait une place im
portante à l’ethnologie de la pratique du terrain des
comportements dans les milieux divers… Bien sûr, chaque
participant, quelle que soit son origine géographique, etc., n’a
à éprouver aucun sentiment de supériorité ou d’infériorité.
Nous sommes tous des étincelles de Dieu, formule gnostique
que Déodat Roché répétait souvent dans ses conférences de
Carcassonne et dans les séminaires audois, ariégeois ou pyré
néens.

8
En cours de route, nous aurons, notamment, à voir, et en
parallèle, les rituels cathares et les rituels koôngo… qui
s’éclaireront réciproquement. Les préoccupations fondamen
tales de tous les humains, de tous les êtres pensants de la
lumière de toutes les époques et de tous les temps se trouvent
au fond des initiations et au fond des psychanalyses, des hié
rophanies et des psychosomatiques. Notre planète, en
particulier, ne sera sauvée par l’illusion, le baratin politique,
le gaspillage, les mensonges ou les distractions.

La Pensée doit parler à haute voix, directement. Nous


avons à penser à haute voix pour ne pas déformer, par les
circuits de la parole ordinaire, les messages traditionnels
contenus par-delà les inconscients, du côté de
l’inconnaissable.

Il y a du positif, qui concerne les gens d’aujourd’hui et


ceux de demain, dans toutes les traditions initiatiques. Tous
les textes philosophiques, en général ou en particulier, les
initiatiques et les psychanalytiques, sont polysémiques. Donc,
on peut les relire plusieurs fois et, à chaque fois, on y dé
couvre des sens nouveaux. Tous les textes philosophiques ont
cette caractéristique d’être créateurs de sens pour tout lecteur
individuel.

C’est pourquoi, dans mes livres, je laisse quelques pages


blanches en cours de route. Elles sont faites pour que le lec
teur-découvreur y écrive, en les datant, ses impressions
surgies sur le moment. Autrement dit, il se répond à la ques
tion : à quoi vous fait penser ce que vous lisez..? Par la suite,
vous pourrez reprendre ces notes en observant leurs succes
sions faisant sens nouveaux pour chacune ou chacun.

9
Ces remarques, nombreuses et variées, montrent la pensée
à l’œuvre, c’est-à-dire dans son œuvre, en pleine expressivité
créatrice. Ces livres sont de véritables livres de travail que
vous écrivez en même temps que moi. Au cours du dévelop
pement de cette méthode, surtout dans le Compagnonnage
dialogué de l’initiatique et de psychanalytique, la nécessité de
l’implication du parapsychologique, ou du métapsychique
plus ancien, s’impose avec la présence des phénomènes fluc
tuants des vies traditionnelles, des rêves rêvant ou racontés, et
des existences actuelles.

Cette perspective que je partage entièrement avec l’auteur,


Rudy MBEMBA, kongologue averti nous a conduits à faire
de l’ethnologie et de l’éthologie de terrain. La pratique de
terres étrangères, différentes les unes des autres,

PARAPSYCHOLOGIE POUR INFLUENCES OC


CULTES ET CICONSCIENTS ;
PSYCHANALYSE JURIDIQUE, INITIATIQUE ET
TRADITIONNELLE
INBCONSCIENTS MYTHIQUES… généalogies hiéro
phaniques

Henri Canal

Ancien professeur à l’université des Cciences de l’Homme


de Paris.

Ancien professeur à l’université Jean Monet de Bruxelles.

10
Mes remerciements

À ma mère Antoinette Benazo « maàma Benazo maàma


wa koôngo », pour ses suggestions toujours enrichissantes
dans mes recherches sur le chemin du savoir et de la connais
sance de tradition koôngo ou Nzila Koôngo.

À mon cadet Roch Edmé Nzita Poaty, pour son soutien


sans faille dans mes recherches sur la société koôngo.

À Bertin Bilala, « Mbuuta Bilala », pour son soutien et ses


conseils.

11
À…

Mes grands-parents, que sont :


- Stanislas Mbemba (paternel),
- Alphonsine Kibelolo (paternel),
- Angèle Banzouzi (maternel),
- Nzalamou Jérôme (maternel).

Qui, en tant que Koôngo ayant été élevés dans la société


traditionnelle ont, de loin ou de près, été aussi les héritiers
des valeurs fondamentales de Koôngo dya Leemba et de
Koôngo dya Kimpasi.

Mon père défunt Miékoutima Mbemba Lazare « Vieux Bil


ly » qui, durant mon enfance et ma jeunesse, s’est comporté à
mon endroit, si je puis me le permettre comme un ngudi
ngaànga ou un ngaànga-leemba,

Mes enfants:
- Widdy Chris-Benazo Mbemba,
- Yéla Ely Yanis Mbemba,
- Morgane-Zolana Laure Calvy Mbemba,
- Kiézi Dyani Mbemba.

13
Ma nièce et mon neveu que sont les Koôngo-blancs (Min
dele-ndoòmbi), les enfants de mon frère aîné « ya Pamphile
Mukwa-Mbundu » dit Bakekolo ou Rainier Lazare Mbemba:
- Léa Anette Mbemba,
- Evan Lenda Mbemba.

En espérant qu’ils connaissent un jour, bien que de natio


nalité française, les bienfaits des savoirs et connaissances de
leurs ancêtres koôngo.

Yves Nkodia Mantséka, « yaàya Nkodia », le philosophe


et le poète de la « tendre nostalgie » qui n’est plus depuis
octobre 2013. Paix à son âme !

14
Avant-propos

L’ordre de Koôngo dya Leemba qui est plus communé


ment appelé Leemba fait partie de ces plus grandes écoles
d’initiation de l’être ou du Muùntu chez les Koôngo. Lemba
est la plus importante des vieilles (XVIe s.) écoles d’initiation
que fréquentaient les Bakongo, rapporte A. Fu-Kiau Kia
Bunseki-Lumanisa 1. Elle a formé beaucoup de personnes
ayant rempli des fonctions importantes, dans l’administration,
la justice, la santé, la religion, etc. C’est une école
d’endurance, de vigilance, de droit, de savoir médical, de
travail, de gouvernement, etc.

À l’instar de l’ordre de Koôngo dya Kimpasi, le Leemba,


est aussi dans une certaine mesure, une institution héritée des
pères fondateurs du royaume de Koôngo.

Longtemps durant, l’ordre de Koôngo dya Leemba, a été


considéré comme une sorte de disposition testamentaire du
roi de Koôngo destinée à l’endroit des Bana-Koôngo ou des
cendants pour leur bien-être, leur bonheur et surtout pour
renforcer la pérennisation de Koôngo et la raison d’être de
ses valeurs fondamentales.
En examinant l’institution de Kimpasi dont les caractéris
tiques initiatiques s’apparentent à celles de l’Ordre de

1 Witwicki (R.SM), Chronique de l’ère des missionnaires 1594-1952


Marie telle qu’ils l’ont fait connaître au Congo, Tome I, Brazzaville,
1995, p.557.

15
Koôngo dya Lemba, le kongologue Georges Balandier2 rap
porte :

« Les souverains kongo n’ont pas négligé cette institution


efficace. L’un d’eux, Antonio Ier, la mentionne allusivement
dans la liste de ses titres honorifiques. Il revendique cette
qualité de maître des initiés au moment où le royaume, vain
cu, brisé et ouvert aux compétitions, souffre d’une crise très
grave. Le kimpasi a joué un rôle politique et il a dû contri
buer à la lutte contre le “parti portugais” — c’est-à-dire
contre les modernistes. Il a une grande extension géogra
phique au XVIIe siècle. Les missionnaires capucins le
découvrent, jusque dans les provinces éloignées, aux envi
rons de 1645 . »
C’est dans cette optique que l’Ordre initiatique de Koôngo
dya Leemba fut un des instruments de renforcement du sen
timent national et de paix donc de Koôngo en le concevant
comme une sorte de jardin qu’il convenait de cultiver sans
cesse.

Le Leemba fut, peut-on dire, une affirmation d’un mieux


être du vouloir-vivre ensemble en privilégiant, entre autres, la
culture et la pérennisation d’une certaine intégrité sociohu
maine de l’être ou du Muùntu.

D’ailleurs, à ce propos, la citation de Voltaire selon la


quelle « il faut cultiver son jardin », tirée de son livre
Candide ou l’Optimisme cadre parfaitement avec l’idéal du
roi de Koôngo pour qui, la formation du Muùntu ou du ci

2Balandier (G.), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au


XVIIIe siècle, Hachette, 1965, p. 219.

16
toyen, en l’occurrence du Muùntu’a koôngo était un rendez
vous de l’histoire auquel, la société devait répondre perpé
tuellement pour son devenir tant spirituel que corporel.

Des analystes ont prétendu que le jardin auquel fait allu


sion Voltaire est la terre par opposition au jardin d’Eden. Il
s’agirait là pour le philosophe des lumières d’une manière de
s’attaquer à la doctrine chrétienne, en l’occurrence catholique
de son temps sur le bonheur. En effet au XVIIe et XVIIIes
siècles, la doctrine chrétienne catholique situe le bonheur de
l’être dans l’au-delà et non sur terre.
Or, pour Voltaire, si bonheur il y a, c’est sur terre qu’il
faut le construire, le bâtir et non dans l’adhésion à des consi
dérations d’ordre métaphysique. Ainsi selon l’auteur de
Candide ou l’Optimisme, le bonheur est, peut-on dire, une
convenance à s’occuper des choses que l’on peut changer ou
travailler et somme toute, une vision tendant en
l’amélioration des conditions d’existence de l’être.
C’est ainsi d’ailleurs que dans certains de ses écrits, Vol
taire va concevoir le bonheur comme quelque chose
d’abstrait, composé de quelques idées de plaisir.
À ce propos, le Maàni Koôngo est, peut-on dire un
Leembe, c’est-à-dire un roi pacifiquement spirituel et cultiva
teur. Il est pacifique tout en assurant la transformation et
l’amélioration du milieu dans lequel il exerce son autorité.
Le roi est, somme toute, le « Ntootela », celui qui, par ana
logie et donc par définition est, à la fois, la rivière parlante et
apaisante (ntoo = rivière) (ntela dérivé de ta = parler, mani
fester, exprimer).
C’est à ce titre qu’il est le roi soucieux du bien-être de son
peuple en cherchant constamment à unir, à rassembler, à sé

17
curiser, à perpétuer, à cultiver, etc. Il est le roi de la transfor
mation de la terre, de cette terre don véritable du Dieu
suprême Nzaàmbi MpuNgu qu’il revient au Muùntu de tra
vailler pour en tirer divers avantages d’où, entre autres, la
signification étymologique de ntootela du roi pacifiquement
semeur, cultivateur et récolteur.
Le roi du Koôngo est maître en son royaume parce qu’il
est, avant tout, un partisan de Koôngo dya ngolo ou du
Koôngo de la force qui en l’espèce passe par l’amour du tra
vail.
C’est ainsi que dès la fondation du Koôngo, « Les hommes
de métier arrivèrent avec leurs outils, car à Kongo, dès
l’origine, chaque clan avait son métier. Il y avait des tisse
rands, des tireurs de vin de palme, des vanniers, des potiers,
des forgerons. Il n’y avait de commun que l’agriculture, qui
était réservée aux femmes, et la chasse et la pêche, apanage
des hommes. Cette spécialisation et cette division du travail
entre les clans, tout extraordinaire que cela paraisse, sont
mentionnées dans les traditions de quelques clans 3.
Comme le rapporte le kongologue Georges Balandier 4, le
roi est défini comme le héros civilisateur, celui qui symbolise
par excellence le pouvoir. Justicier, conquérant, il est aussi
envisagé comme l’inventeur de l’art de forger. Il est le roi
forgeron dotant son peuple des armes de la guerre et des ou
tils de l’agriculture.
Ainsi, le Maàni Koôngo, le roi du Koôngo, le ntootela est
ce roi protecteur et surtout transformateur des terres qui lui

3 Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie, Religion et Magie, 2e édition,


1959, p.45.
4 Balandier (G.), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au
XVIIIe siècle, Hachette, 1965, p. 15.

18
appartiennent. Du verbe toòta et signifiant cultiver, travailler,
semer, ramasser, récolter. C’est en cela qu’il est le roi forge
ron, c’est-à-dire ce roi qui se situe dans la constance du
devenir de sa royauté et de son peuple par le travail ou saàla,
en l’occurrence l’art de la forge.
S’il aspire, entre autres, au bonheur, le roi du Koôngo est,
en ce cas, le Mfumu tsi, le Mfumu ntoòto, le roi de la terre ou
de l’espace territorial qu’il occupe et qu’il met en situation
perpétuelle de transformation pour son bonheur et de celui de
son peuple.
Le Maàni Koôngo est, peut-on dire, le Mfumu ya ma-zulu,
c’est-à-dire le Seigneur ou maître de l’univers des cieux qui à
ce titre comprend ou maîtrise les mystères de
l’environnement dans lequel, il fait régner son autorité. Du
verbe zuùla qui veut dire comprendre, saisir, décrypter, déco
der.
C’est ici que, le Leemba, à l’instar de Koôngo dya kimpa
si, sert d’instrument d’éducation, de formation et donc de
socialisation de l’être ou du Muùntu.
Le Leemba est, entre autres, la voie du salut, celle qui
permet d’ordonner en tous points de vue l’être ou le Muùntu
notamment dans sa dimension expressive.
Le Leembe ou l’initié de Leemba est travailleur et, à ce
propos, son langage doit être ordonné, clairement explicatif,
organisationnel et constructif.
Ainsi, initié de Kimpasi ou de Leemba, le roi du Koôngo
est détenteur de zuù ou langage (se distinguant nettement de
la parole ou ndiinga) avec lequel il parvient à comprendre,
saisir et traduire les mystères du Nza ou de l’univers pour son
bien-être et celui de son royaume.

19
Par ailleurs, le Maàni Koôngo est aussi le Mfumu ntooto,
c’est-à-dire le seigneur des terres sur lesquelles, il règne ou
ntootela en les travaillant, cultivant ou somme toute, en les
transformant pour en tirer différentes sortes d’avantages. Du
verbe toòta qui veut dire récolter, ramasser à la condition
bien évidemment, et ce, préalablement de mettre en avant
l’esprit d’initiative et d’entreprise.
Le Leemba apprend par ailleurs à l’initié à connaître la
terre, ses lois et ses richesses au point de la pacifier, c’est-à
dire à faire en sorte qu’elle lui soit accessible tant pour lui
même que pour la communauté à laquelle, il appartient.
C’est sous cet angle que le ntootela apparaît comme le la
boureur que décrit l’avocat, le poète, le moraliste français de
la période classique Jean de La Fontaine, lequel en
s’adressant à ses enfants leur dit :

« Travaillez, prenez de la peine :


C’est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l’endroit
Mais un peu de courage vous le fera trouver :
Vous en viendrez à bout
Creusez, fouillez,
D’argent,
bêchez,
point
nede
laissez
caché.nulle place…

Mais le Père fut sage de leur montrer


Avant sa mort que le travail est un trésor. »

Ainsi, le travail, chez les Koôngo, précède le bonheur.

20
D’où la signification, entre autres, du dicton selon lequel,
saàmbila saàla, saàla saàmbila, c’est-à-dire, prier et travail
ler sans relâche, travailler et prier sans faiblir.
À ce propos, le kongologue Balandier 5 rapporte que :
« Certains métiers se situent entre la connaissance des
nganga et le savoir-faire des gens de l’art. Ainsi, la technique
de la forge qui reste prestigieuse à Kongo. Le forgeron est
nganga lufu… Ses outils principaux — le marteau et
l’enclume — évoquent le temps du mythe et des premiers an
cêtres… Par ailleurs, l’eau de la forge et l’air du soufflet
sont utilisés pour renforcer la vitalité… Travail noble, action
symbolique autant que création matérielle, la mise en œuvre
des métaux se situe au point de convergence des pouvoirs
opérant sur les forces, les hommes et les choses. Ce qui ex
plique que le souverain soit, selon la dénomination plusieurs
fois rappelée, » forgeron de Kongo.
C’est dans cette optique que le roi du Koôngo devient un
Maàni, c’est-à-dire un détenteur de plusieurs petits états donc
de plusieurs terres. Et ce, du fait de son génie ou ingéniosité,
voire intelligence, consistant, à rassembler ou grouper les
hommes et des femmes, par son idéal, qui passe, avant tout,
par l’amour du muùntu et celui du travail.
Ici, le mot maàni n’est que le pluriel de l’adjectif possessif
diaàni. [Exemple : ma (m) baànza maàni ou mbaànza zaàni,
ma n’gaata maàni, ntoònto miaàni ; tsi zaàni, terres ou cités
sous-entendu du Ntootela, le roi pacifique, rassembleur et
cultivateur]

5 Balandier (G), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au


XVIIIe siècle, Op.cit., p. 224.

21
En somme, le roi du Koôngo est un roi forgeron ou
ngaàngula qui, par définition procède à la transformation des
terres qu’il occupe. C’est à ce titre qu’il est un partisan du
bonheur auquel, il aspire en cultivant sans cesse son jardin.
Autrement dit, le bonheur est, pour le roi du Koôngo, et ce, à
la fois, épanouissement et quiétude voire un état d’être né
corrélativement du maintien ou de l’entretien de sa force vi
tale par le travail ou ki-saàlu. Cette force vitale que Placide
Tempels 6 conçoit comme le Muùntu ou la réalité invisible
dans l’être qui naturellement jouit de la faculté de la renforcer
par la force des autres êtres de la création. La félicité su
prême, la seule forme du bonheur est pour le Muuntu, écrit-il,
la possession de la plus grande puissance vitale. La pire ad
versité, et en vérité le seul aspect du malheur, pour lui, est la
diminution de cette puissance vitale.

6 Tempels (P.), La philosophie Bantoue, Présence africaine, 3e édition,


1948, p. 31 et s.

22
Ndona Eli-or la déesse de Mbaànza Koôngo
À mon aise, debout sur le brillant sommet du Mont Kaba,
De Mbaànza Koôngo, l’univers épanouissant d’ici et là
bas,
Du MUÙNTU, je brûle d’envie d’aimer et de prendre,
Hélas ! La main de celle qui m’est destinée depuis des
lustres,
Depuis le commencement du Verbe de l’amour à donner,
Source de vie et du sens des choses de Mama ZINGA,
Viens ma beauté, viens au pays de tes rêves du roi ZOLA
NGA,
Viens, je t’attends avec une sorte d’empressement
d’aimer,
D'aller là-bas nous ressourcer dans la vallée de Leemba
Où il fait bon vivre au pays du roi NZINGA MBEMBA,
Viens et réponds, s’il te plaît, à mon fort désir de donner,
Pour te faire boire ces eaux aimantes et parlantes à par
tager,
De la Fontaine ancestrale du Mont Kaba de Mbaànza
Koôngo.
TAÀTA N’DWENGA

23
Introduction

La société Koôngo a connu quatre grandes écoles initia


tiques de formation et de développement de l’être ou du
muùntu à savoir : le kimpasi, le leemba, le ndembo et le kim
ba.

Si, par exemple, les appellations de kimpasi et de leemba


sont les plus communément admises dans les études qui les
ont examinées, force est toutefois d’indiquer qu’à l’origine
elles étaient plutôt appelées Koôngo dya Kimpasi ou Koôngo
dya Leemba 7.

Dans ses remarquables travaux qui sont de portée, quelque


peu encyclopédique, Etudes Bakongo. Sociologie-Religion et
Magie, le Père Van Wing8 apporte une nette précision sur ce
point en indiquant :

7 Ici, Koôngo dya Leemba n’a aucune connotation territoriale et diffère


donc à ce titre du nom d’une des provinces du royaume de Koôngo qui
prit de l’importance après la bataille d’Ambwila de 1665. Elle devint une
des capitales du Congo à l’époque de l’anarchie. La localité était située
dans le territoire de Songololo, en République démocratique du Congo au
Nord-Ouest de la gare de Nkênge. Quoi qu’abandonnée, Koôngo dya
Leemba subsiste par « ZÛMBU » (Forêt à l’emplacement d’un ancien
village) presque toujours vert et touffu, L’Ancien Royaume du Congo et
les BaKongo (Ndona Béatrice et voici les Jagas) , Bâtsikama (b.M.m.N),
L’Harmattan, 1999.
8 Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie, Religion et Magie, 2e édition,
1959, Desclée de Brouwer, p.427.

25
« […] Les initiés emploient, tant pour l’emplacement que
pour l’institution, le mot Kongo. Muna Kongo, à
l’emplacement du Kimpasi ; Kongo dieto, notre Kimpasi ;
fwa Kongo, mourir la mort du Kimpasi ; bafwa Kongo, indi
quant les initiés eux-mêmes ou bamfumu zi Kongo, les
“Messieurs du Kimpasi.” »

Ici, Kongo ou Koôngo n’est pas défini comme Tsi ou pays


voire nation, mais plutôt, et surtout comme un lieu
d’initiation de l’être ou du Muùntu à une vie d’adulte et de
sagesse. Koôngo devient à proprement parler le lieu même
d’invitation du Muùntu pour son plein épanouissement exis
tentiel.

À dire vrai, Koôngo acquiert une autre dimension qui


tend, en l’espèce à un attachement du peuple, comme le re
lève à juste titre l’illustre kongologue Raphaël Batsîkama 9,
aux principes de la paix.

En fait d’un point de vue étymologique, le nom Koôngo


en ce domaine dériverait du verbe Koônga qui exprime toute
idée de tranquillité, de quiétude et de paix.

D’où la signification, entre autres, des appellations de


Koôngo dya Kimpasi et de Koôngo dya Leemba évoquant
ainsi par définition l’univers ou l’espace sacré qui sert de
point de départ de l’être ou du Muùntu dans la connaissance
des mystères de la nature.

9Mbemba (R.D.B.M.), Le Muntuïsme base de la philosophie du Royaume


Koôngo, Editions Ices, 2014, p. 58 ; Batsîkama (R.b.M.m.N), Op.cit p.
177.

26
C’est ainsi que le Leemba ou l’ordre de Koôngo dya
Leemba est l’une des plus anciennes des sociétés secrètes ou
initiatiques que les [Ba]-Koôngo aient connu.

Il s’agit là d’une école initiatique des temps très anciens de


la société royale Koôngo dont on connaît malheureusement
très peu de choses sur le plan de l’histoire écrite.

Dans Le roi de Kongo et les monstres sacrés, Luc de


Heusch 10, rapporte que le Leemba « […] avait pour but
d’imposer la paix sur les marchés où s’effectuaient les
échanges du grand commerce caravanier reliant les ports de
l’Atlantique au Stanley Pool, dans une région où il n’existait
pas de structure étatique semblable à celle des États cô
tiers. » Rappelons que le verbe lemba signifie « calmer » en
kikongo, l’auteur, ajoute que l’ensemble du rituel qui portait
ce nom était aussi un culte thérapeutique. Il créait un réseau
d’alliances en quelque sorte internationales entre des hommes
puissants et riches à qui était réservée l’initiation…

L’historien Dominique Ngoïe Ngala, rapporté par Jean de


Dieu Nsondé 11 définit le Leemba, comme une organisation
ésotérique, institut supérieur des sciences morales et reli
gieuses, de sciences tout court : biologie, médecine, histoire,
géographie, droit, astrologie spécifiquement kongo.

En fait, à l’instar de l’institution de Kimpasi, le Leemba


avait, autrefois, pour objet d’assurer un contrôle social des

10 Heusch (Luc de), Le roi de Kongo et les monstres sacrés, Gallimard,


2000, p. 261.
11 Nsondé (J.L), Langues, Culture et Histoire Koongo aux XVIIe et XVIIIe
siècle, L’Harmattan, 1995, p. 125.

27
mœurs et par là même de chercher à contribuer au maintien
de l’ordre public.

Comme le relève Georges Balandier 12, à propos de Kim


pasi, le Leemba intervient aussi, « chaque fois que la
communauté éprouve le besoin d’assurer son renforcement,
de restaurer les assises de la société en soumettant une géné
ration nouvelle aux contraintes de la tradition et du sacré.
Elle est au service d’un ordre qui refuse de se laisser dénatu
rer ; aussi a-t-elle été très tôt un moyen de résistance aux
influences dissolvantes opérant de l’extérieur ».

Le Leemba est, peut-on dire, norme ou ordre de pacifica


tion d’une société qui refuse de se laisser dénaturer, en
préservant par voie de conséquence, tous les savoirs et con
naissances qui garantissent pleinement sa cohésion, son unité,
son identité et, somme toute, sa raison d’être, et ce, par une
transmission méticuleusement organisée de tous les principes
qui en sont la source aux générations nouvelles ou montantes.

Cependant, le Leemba n’a jamais été, dit-on, contraire


ment aux autres écoles initiatiques Koôngo, une institution de
masses, ne recrutant que des individus appartenant à une cer
taine catégorie sociale.

À ce sujet, l’illustre kongologue Ferdinand Ngoma 13 rap


porte que ce fut, « une institution à renommée aristocratique,
ouverte aux individus économiquement puissants et souvent
des adultes mariés. »

12 Balandier (G), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVe au


XVIIIe siècle, Hachette, 1965, p. 215.
13 Ngoma (F), L’initiation bakongo et sa signification, Thèse Sorbonne,
1963, p. 197.

28
Ceci dit, l’étude de cette grande école initiatique dénom
mée Koôngo dya Leemba portera sur cinq chapitres et qui
sont :
- Les critères de recrutement dans l’ordre initiatique de
Koôngo dya Leemba (chapitre I),
- Les préparatifs de l’installation du culte initiatique de
Koôngo dya Leemba (chapitre II),
- Les acteurs et les rites du culte de Koôngo dya Leem
ba (chapitre III),
- L’installation proprement dite de Koôngo dya Leemba
(chapitre IV),
- Le mode de vie ou le quotidien de l’initié de Koôngo
dya Leemba (chapitre V).

29
Buzitu bwa mvuùmbi kiloòni nge beni, le respect que l’on
doit au défunt et à ses obsèques commence avant tout, par
celui que lui doivent, les membres de sa famille.
Dicton koôngo

Bô Bu Wé Na Taàta N’gânda Leemba, Grandis, déve


loppe-toi avec sagesse et intelligence tant que tu as ton père.
Dicton koôngo

Bô Bu Wé na Ngudi sîmba Koôngo Nsieti Bwa ba Jinga


Mulele, Du vivant de sa mère un enfant doit tenir Koôngo
entre ses mains de la même manière que l'on range un pagne.
Autrement dit, l'attachement à la tradition est source de bon
heur et de quiétude.

Dicton koôngo

31
Chapitre I.
Les critères de recrutement
ou d’adhésion dans l’ordre initiatique
de Koôngo dya Leemba

Les critères de recrutement ou d’adhésion dans l’ordre ini


tiatique de Koôngo dya Leemba portent, d’une part sur
l’identité des prétendants, et d’autre part sur leur catégorie
sociale, à laquelle, ils appartiennent.

I. L’identité des prétendants dans l’ordre initiatique de


Koôngo dya Leemba
Koôngo dya Leemba est une société initiatique qui est es
sentiellement masculine. Si les hommes et femmes y sont
admis, force est de relever que le rôle de ces dernières est
minime. Au fait, elles sont admises en qualité d’épouses donc
d’accompagnatrices de leurs maris.

L’éminent kongologue Ferdinand Ngoma 14 rapporte que :

« On entre au lembe, généralement, en cas de maladie.


Hommes et femmes y sont admis. Mais seuls ceux-là y pren
nent une part active. Les femmes (mi-mbanda) ne font

14 Ngoma (F), L’initiation bakongo et sa signification, Op.cit, p. 142.

33
qu’accompagner leurs époux. Donc dès qu’un homme tombe
malade, on fait venir un expert-devin (nganga ngombo ou
mpia ta). Celui-ci s’enquiert des rêves et, s’il le faut, fait ve
nir le père du malade ou quelqu’un de son lignage. Ainsi
appelé, le père prépare une mixture (bonso) que doit boire le
patient. Sa boisson s’accompagne de deux bains (kioka), ce
lui de dumuyitu et l’autre de nsansa-pembe. Au cours de
chaque bain, “le père” s’approche du malade, de manière
que leurs genoux se touchent et il prononce cette formule
rituelle d’entrée dans les bains dont le fils répète chaque
mot :

Le père 15 : “nganga” ? le fils : “nganga” !


“Tala ?” “tala !”
“mona ?” “mona !”
“wanunga ?” “lembe” ! »

Pour cette cérémonie d’entrée (contact physique des ge


noux, bunda makoto), le fils ou les siens doivent, observe
Ferdinand Ngoma, payer trois poules et deux vins, le père
politesse pour politesse — lui aussi fournit un vin. Au lende
main de ces bains, le patient doit voir, conclut-il, un miracle
(mona ki-mangu), c’est-à-dire il doit se sentir mieux ; guéri
ou pas, on fixe la date du sacrifice.

La formule selon laquelle « le père-politesse pour poli


tesse » est la traduction du proverbe, d’après lequel, « ntu
buzitu mpu buzitu », et qui veut dire, le respect et le rayon
nement de la couronne qui, en l’espèce porte sur le sens et la
portée de l’initiation dépendront intimement de la personnali
té et de la sagesse tant de l’initiateur que de l’initié.

15 Traduction : expert, regarde, vois que t’aies raison du lembe

34
De l’examen du recrutement des membres de Koôngo dya
Leemba, il y a, naturellement lieu de remarquer que celui-ci
s’apparente à l’école de Mboongi.

Alors en quoi consiste le Mboongi ?

Le Mboongi est, à la fois, un centre d’accueil,


d’enseignement de diverses connaissances sociohumaines et
un organe de règlement de conflits concernant les membres
d’une même famille, en l’occurrence le clan. C’est, peut-on
dire, le lieu par excellence de transmission des savoirs et
connaissances des ancêtres donc d’éducation, de formation et
de préparation de la jeunesse à une vie adulte.

Le Cardinal Émile Biayenda 16 définit le Mboongi, comme


« une maison où se réunissent tous les hommes pour prendre
ensemble leurs repas. Les femmes qui ont charge de cuisiner
envoient les plats préparés au Mbongi et là tout le monde :
orphelin, étranger de passage, célibataire trouvent à manger
et à boire. C’est pratiquement là que se règlent palabres et
différends de toutes sortes. C’est également au Mbongi que
les jeunes s’initient à l’art de la parole, à la sagesse des an
ciens et aux diverses façons de procéder pour trancher des
débats et litiges. »

Tout comme pour l’ordre de Koôngo dya Leemba, les


femmes ont un rôle d’organisation au sein de l’institution du
Mboongi.

16 Biayenda (Abbé E.), Coutumes et développement chez les Bakongo du


Congo-Brazzaville, Thèse 1968, Lyon Institut catholique, Première partie,
p. 26.

35
De plus, le Leemba met aussi en avant comme critère de
recrutement ou d’adhésion le lien de parenté entre le postu
lant et son parrain. Il s’agit du lien de filiation d’un jeune
homme à son père. C’est sous cet aspect que le Leemba appa
raît comme un espace de renforcement des liens familiaux qui
en l’espèce unissent un jeune homme à son père. L’objectif
étant de réveiller en lui, à travers l’initiation dans le Koôngo
dya Leemba toutes ces facultés qui devront l’amener à assu
mer véritablement son rôle d’homme vis-à-vis de sa femme,
de ses enfants et vis-à-vis de la communauté clanique à la
quelle il appartient.

D’où l’expression proverbiale selon laquelle, bo bu wé na


taàta n’gânda leemba, c’est-à-dire, grandis, développe-toi
avec sagesse et intelligence tant que tu as un père pour que tu
connaisses une existence paisible ou du moins tranquillisante.

Dans le même ordre d’idées, un dicton koôngo dispose


que miaku leemba ka mi té wo ko, c’est-à-dire que le Leemba
est, à la fois, ordre de confidentialité et de fidélité de sorte
que son enseignement n’est exclusivement dispensé qu’à tous
ceux qui en sont membres.

Par conséquent, les codes de Koôngo dya Leemba ne sont


connus que des initiés.

Par ailleurs, le kongologue Ferdinand Ngoma précise


qu’on entre dans le Koôngo dya Leemba en cas de maladie.

Ici, la maladie n’est pas celle qu’un individu peut attraper


du fait des microbes qui sillonnent ici et là dans l’espace en
vironnemental dans lequel, il réside. Il s’agit le plus souvent

36
d’une maladie qui échappe à une explication rationnelle et
que l’on qualifie de mystérieuse.

Tout comme l’institution de Koôngo dya Kimpasi, le


Koôngo dya Leemba tendait aussi en une lutte des maladies
s’abattant sous forme d’épidémie dans le village. Ainsi, dans
le but d’éradiquer les maux à une grande échelle,
l’organisation d’un culte de Leemba ou de Kimpasi pouvait,
dans ce cas, être un moyen d’expression collective ou com
munautaire.

C’est dans cet état d’esprit d’analyse que le propos du père


Van Wing 17 selon lequel :

« Les maladies ne sont pas considérées comme des faits


ayant une explication dans le cours normal de l’action et de
la réaction des causes naturelles. Toute maladie jusqu’à
preuve du contraire est due à l’action directe ou indirecte du
ndoki = sorcier ou d’un mauvais esprit. Quand la preuve du
contraire a été faite, alors une seule cause est entrée en jeu.
NzaMbi MpuNgu. “NzaMbi MpuNgu lui-même a appelé
l’homme”. Il l’a fait mourir. À cela il n’y a rien à dire, il n’y
a pas de remèdes ni d’armes contre NzaMbi », paraît être
compréhensible.

En fait, longtemps durant, la maladie en tant qu’élément


d’affaiblissement de l’être dans sa nature physiologique au
point de ne plus s’inscrire dans la volonté et la dynamique de
faire ou de ne pas faire n’a jamais été méconnue par les
Koôngo. Naturellement, le Muùntu peut être sujet à diverses

17Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie, Religion et Magie, 2e édi


tion, 1959, Desclée de Brouwer, p. 231.

37
maladies puisqu’il est au centre de l’univers ou du Nza, et
donc peut être un bénéficiaire ou une victime des éléments de
celui-ci.

Cependant, une succession des maux, dont le Muùntu se


rait victime ou son clan n’est point une chose normale et à ce
titre doit absolument donner lieu à un questionnement qui
finalement consisterait en une adoption des moyens pour les
combattre. Et l’ouverture d’une cérémonie initiatique d’un
Koôngo dya Leemba ou d’un Koôngo dya Kimpasi peut en
être un exemple.

Enfin, le recrutement du prétendant dans l’univers de


Koôngo dya Leemba consacre de la part du ngaànga
ngoòmbo, le devin-expert une place non négligeable de la
raison des rêves. En effet, les rêves et leur interprétation ont
occupé une place importante chez l’homme noir africain, en
l’occurrence chez le Muùntu’a Koôngo, dont la cosmogonie
sur la création de l’être humain considère qu’il est composé,
entre autres, d’un principe de perception sensible ou le Mfu
mu kutu. Chose de Dieu ou kimakia Nzaàmbi, le Mfumu kutu,
actionne principalement l’ouïe et la vue dont l’être humain a
nécessairement besoin pour comprendre le monde dans le
quel, il vit même s’il s’agit d’une réalité psychique ou
psychologique. Élément mystérieux, le Mfumu kutu, permet à
l’homme de saisir parfois la réalité existentielle par
l’intermédiaire des rêves. Sans cet élément, il n’y a point de
vie. C’est lui qui donne, d’après la cosmogonie Koôngo, la
vie au nouveau-né et quand il quitte momentanément un être,
par exemple, à la suite d’un accident, celui-ci s’évanouit ou
tombe en syncope et si c’est définitivement, alors c’est la
mort.

38
Quand l’homme, le matin a du mal à se réveiller sans être
malade, c’est que son Mfumu kutu, n’est point de retour. Son
activité, ne se ralentit jamais même quand le sommeil
s’empare de l’homme. Il se promène partout, rencontre ce
l’on rencontre dans la nuit obscure : fantômes et sorciers
contre lesquels il doit lutter ; il fait ce que l’on fait la nuit,
vols, relations conjugales, etc. Tout cela l’homme endormi
s’en rend compte parfois : c’est le rêve 18.

Compte tenu des faits qu’il est susceptible de révéler chez


l’être, l’Homme Koôngo distingue deux types de rêves à sa
voir : les simples rêves dénommés ndozi za mpamba mpamba
et les rêves prémonitoires, c’est-à-dire ndozi za kimona
meso 19.

À ce propos, les ndozi za mpamba mpamba sont de


simples rêves et qui sont d’ordre psychologique et qui à ce
titre n’ont véritablement pas d’importance. Ce sont les rêves
de tous les jours et qui, en réalité ne sont que la traduction de
nos pensées lesquelles pendant la journée sont enregistrées
par le subconscient.

Quant aux rêves appelés ndozi zaki mona meso, ce sont


ceux qui ont une caractéristique prémonitoire. En effet, ce
sont ces rêves qui servent d’éléments d’appréciation par le
ngaànga ngoòmbo ou le devin-expert pour un éventuel recru
tement d’une personne au sein de l’ordre de Koôngo dya
Leemba.

18Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie, Religion et Magie, Op.cit, p.


298.
19Makambila (P), Croyances et pratiques magiques des Kongo-Lari de la
république populaire du Congo, Thèse Bordeaux, 1976, p.94.

39
Par ailleurs, si les membres adhérents dans l’ordre initia
tique de Koôngo dya Leemba ont, peut-on dire le statut
d’hommes mariés, ceux de l’institution de Koôngo dya Kim
pasi, étant pour la plupart d’entre eux jeunes, sont
célibataires.

Cependant, quel que soit l’ordre auquel appartient le can


didat, certaines aptitudes morales sont absolument exigées
pour être admis dans une école initiatique comme le Leemba.
L’âge comme dans le Kimpasi ou le statut d’homme marié ne
peuvent suffire. Encore faut-il que le candidat remplisse
d’autres conditions qui sont d’ordre moral.

C’est à ce titre que les critères de désignation d’un futur


chef à couvre tête ou le Mpfumu Mpu sont quelque peu du
même ordre tout en étant d’une rigueur fort stricte.

L’éducation et parfois l’initiation des jeunes qui sont appe


lés à assumer les fonctions d’un futur chef de village, en
l’occurrence d’un Mpfumu Mpu obéissent à des critères ri
goureux que décrit le père Van Wing 20 de la manière
suivante :

« […] c’était autrefois le chef couronné lui-même, est


chargé de l’éducation du candidat ; une vieille femme, habi
tuellement une ndona nkento, s’occupe de la fille. Ce qu’ils
cherchent à obtenir avant tout de leurs élèves, c’est l’égalité
d’humeur et la douceur, un cœur apaisé, comme ils disent. Ils
doivent éviter tout éclat de colère ou de passion, la brusque
rie des gestes, même tout empressement dans la démarche.
On leur apprend à parler posément. Outre les fonctions et les

20Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie, Religion et Magie, Op.cit, p.


109.

40
rites de leur future charge, on enseigne aux candidats toutes
les traditions du clan. Le garçon apprend aussi la langue et
les proverbes des palabres. Pendant un ou deux mois, qui
précèdent l’investiture, le garçon ainsi que la fille, et un ou
deux jeunes gens ajoutés en guise de témoins-surveillants, se
retirent dans la forêt et y demeurent cachés dans une hutte
bâtie pour eux. Pendant le jour ils y restent couchés sur une
peau d’antilope kimpiti.
À l’heure des repas le maître vient les relever et leur ap
porte la nourriture. Durant tout le jour, ils ne peuvent sortir
sans nécessité ; dans ce cas, le surveillant sort au préalable
et pousse un grand cri, pour avertir les gens, qui se trouve
raient dans les environs, de s’écarter. Autrefois, la peine de
mort punissait les curieux ou le malheureux imprudent, qui
regardait les candidats ; actuellement, ils en sont quittes
pour une forte amende. »

Dans le même ordre d’idées, le père Van Wing rapporte


son propre témoignage sur les qualités des jeunes qui sont
formés et initiés aux fonctions et aux mystères des fonctions
du chef à couvre-tête ou Mpfumu Mpu. « Les deux candidats,
que j’ai rencontrés et qui pouvaient avoir quatorze ans,
étaient, écrit-il, d’une réserve et d’une gravité au-dessus de
leur âge. Paroles, gestes, attitudes exprimaient une certaine
dignité et en même temps une modestie remarquable. Ils
étaient plus propres et plus habillés que les autres garçons. Ils
n’avaient pas la mobilité des yeux, qui distingue les Bakongo
de leur âge. Ils tenaient les regards baissés ou les fixaient
longuement et posément sur leur interlocuteur. Ils semblaient
rêveurs et mélancoliques. Les deux vieilles ba ndona que j’ai
vues, se distinguaient entièrement de leurs congénères par
leur air grave et leur démarche imposante. »

41
C’est dire que, outre le critère de l’âge qui se situe entre
12 et 14 ans, le choix des jeunes pour être initiés aux mys
tères porte sur leurs qualités et leur mental. Il faut :
- Qu’ils soient de bonne humeur et fassent preuve de
douceur dans leurs gestes comportementaux ;
- Qu’ils soient apaisés, autrement dit être de « petits
hommes » de paix pour incarner plus tard à une plus
grande échelle communautaire la loi d’harmonie et
de paix ;
- Qu’ils soient calmes et à ce titre aptes à la maîtrise
face à des situations d’emportement ou de colère. Ils
doivent être dépassionnés ;
- Qu’ils aient un comportement ordonné ;
- Qu’ils aient le goût du savoir et de la connaissance
notamment des traditions du clan auquel, ils appar
tiennent ;
- Qu’ils aient la maîtrise de la langue et de la science
des palabres.

C’est ni plus ni moins un être complet, le muuntu qui est


visé dans le cadre de l’initiation Ba-koôngo. C’est comme si,
après Nzaàmbi Mpungu, l’Être suprême, le Dieu souverain et
Maître de la création, celui qui aspire aux plus hautes fonc
tions de la communauté, chez les Koôngo, à défaut d’être un
dieu doit être, tout de même, un être exceptionnel, exemplaire
et quelque peu irréprochable.

En fait, l’humanisation de l’être qui passe par son initia


tion aux mystères de la vie est le chemin de sa déification, du
moins de sa bonification qui lui permettra de s’élever parmi

42
les hommes pour être finalement leur guide, leur modèle
voire leur témoin vivant agréé par les mânes des ancêtres.

II. La catégorie ou le milieu social des membres adhérents


de l’ordre de Koôngo dya Leemba
Le statut social n’est pas un élément déterminant pour en
trer dans l’ordre de Koôngo dya Leemba même s’il est de
réputation aristocratique. Si le postulant est de bonne moralité
et dispose d’une puissance économique conséquente, son
accession au sein de l’ordre est fort appréciable donc admise.
Il faut être un homme libre, c’est-à-dire un muùntu’a kaànda
ou un mfumu’a kaànda.

Le fait d’être membre du clan (musi kâda) prend d’autant


plus d’importance, observe le kongologue Georges Balan
dier21, qu’il distingue l’homme libre (muntu a kâda ou
mfumu) de l’homme dit esclave (muntu a mbôgo ou mwana
gata = enfant du village et non de la parenté). Être né « dans
le clan » confère, constate-t-il, dans les limites de la société
ancienne, une supériorité immédiate.

Par ailleurs, Georges Balandier 22 ajoute que le Leemba est


« […] un groupement exclusivement masculin, dont l’accès
implique initiation et protection du savoir à l’encontre des
étrangers, qui impose la participation aux réunions pério
diques et aux repas à caractère communiel (sacrifice et
consommation en commun du porc et l’accomplissement de
certaines obligations, notamment la garde du foyer sacré à

21 Balandier (G.), Sociologie actuelle de l’Afrique Noire, Presses


universitaires de France, 1971, p. 306.
22 Balandier (G.), Sociologie actuelle de l’Afrique Noire, Op.cit, p. 333.

43
l’intérieur du temple). La participation au Lèmba reste libre
dans une certaine mesure — alors que les anciennes “socié
tés d’hommes” imposaient l’initiation à l’époque de la
puberté — et l’adhésion semble surtout déterminée par le
désir d’échapper à une menace mortelle… »

Non seulement le Lembe n’est pas une institution de


masse, mais il n’est pas, écrit le kongologue Ferdinand Ngo
ma, pour les jeunes. Ce sont des adultes — souvent mariés,
sinon toujours puisqu’ils doivent avoir au moins une com
pagne (mu-mbanda). Le lembe n’est ni une affaire de masse
ni une institution de jeunesse, observe-t-il, il n’est pas non
plus régulier ni périodique.

Si l’institution de Leemba ne fut ni une affaire de masse ni


une affaire de jeunesse, mais celle des hommes dits économi
quement puissants, c’est très probablement en raison de ses
objectifs qui étaient d’une importance considérable. Elle avait
pour but d’imposer, comme le rappelle si bien le kongologue
Luc de Heusch 23, la paix sur les marchés où s’effectuaient
les échanges du grand commerce caravanier reliant les ports
de l’Atlantique au Stanley Pool, dans une région où il
n’existait pas de structure semblable à celle des États côtiers.
C’est ainsi qu’il créait, par voie de conséquence, une sorte de
réseau d’alliances entre des hommes puissants et riches à qui
était réservée l’initiation.

Cependant, certaines aptitudes morales sont absolument


exigées pour être admis dans une école initiatique comme le
Leemba. L’âge comme dans le Kimpasi ou le statut d’homme

23Heusch (Luc de), Le roi de Kongo et les monstres sacrés, Op.cit, p.


261.

44
marié ne peuvent suffire. Encore faut-il que le candidat rem
plisse d’autres conditions qui sont d’ordre moral.

Les déséquilibrés et les malades au sens dés


organisationnel ou comportemental de l’être, les malfamés ou
bimpubulu, voleurs incorrigibles, querelleurs et gens immo
raux, en sont exclus d’office 24.

24Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie, Religion et Magie, Op.cit, p.


428.

45
Chapitre II.
Les préparatifs de l’installation du culte
initiatique de Koôngo dya Leemba

La tenue du culte initiatique de Leemba ou de Koôngo dya


Leemba donne lieu avant tout à une sorte de préparation des
éléments qui sont absolument nécessaires pour son installa
tion.

I. Les préparatifs du culte de Koôngo dya Leemba et


l’immolation du porc
Le culte de Koôngo dya Leemba tout comme celui de
Koôngo dya Kimpasi ne peut se tenir qu’en un lieu très éloi
gné des villages où résident les futurs initiés. Généralement,
il a lieu dans la forêt dans un emplacement où devront obliga
toirement être installés certains arbres dont l’importance
initiatico-symbolique, comme les palmiers, est considérable
chez les Bantous, en l’occurrence les Koôngo.

En fait, le lieu d’initiation ou l’emplacement est méticu


leusement choisi et doit comporter certains paramètres.

47
En décrivant par exemple, le lieu où se tient un Kimpasi,
le Père Van Wing 25, rapporte que :
« Celui-ci est choisi par le maître… d’accord avec le chef
organisateur. Il sera en tout cas situé près d’une rivière de
façon à permettre aux candidats les nombreuses ablutions
prescrites et à proximité d’un bois où ils pourront fuir en cas
d’alerte. Les esprits-nkita sont d’ailleurs des habitants des
eaux et des forêts. Les nombreuses palmes nécessaires à
l’érection de l’enclos exigent dans les environs de nombreux
palmiers qui devront de plus fournir le vin indispensables aux
fêtes. »

Une fois que les conditions environnementales sont réu


nies, l’initiation peut commencer, et ce, par des invocations,
des libations qui sont, à la fois adressées au Dieu créateur
Nzaàmbi Mpungu, aux esprits gardiens de l’univers (les Bi
simbi) et surtout aux esprits bienfaisants des ancêtres que sont
les Ba-kulu. En effet, il est absolument important que toute
cérémonie initiatique leemba ou kimpasi voire une autre de
grande envergure donne lieu à un agrément par les mânes des
ancêtres, car ils détiennent, selon les croyances Koôngo, la
cachette aux trésors.

Comme le relève, à juste titre, le père Van Wing26, les


Bakulu disposent à leur gré de « mfunu ye ngaku », des utili
tés et des fécondités. Tel est le résumé de tous les désirs
terrestres du mukongo : fécondité, santé pour lui-même et les
siens, longévité, prospérité dans l’élevage, le commerce,
l’agriculture, et surtout chance à la chasse. Bakulu bazibula

25Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie, Religion et Magie, Op.cit, p.


430.
26Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie, Religion et Magie, Op.cit, p.
11.

48
bazibika mfunu ye ngaku — les ancêtres ouvrent ou ferment à
volonté la cachette aux trésors. La bonne aubaine s’appelle
mbambu. Une récolte extraordinaire de manioc, d’arachides,
de courges, de tabac, est attribuée aux Bakulu, et l’heureux
bénéficiaire dira : ce mbambu, les bakulu me l’ont donné.

Le culte de Leemba est sacrificiel en ce qu’il fait aussi ap


pel à l’immolation d’un porc lequel, au cours des réunions
initiatiques, devra, par la suite, être au cœur des repas à ca
ractère communiel.

Le kongologue Ferdinand Ngoma 27 rapporte que :

« La découverte du Lemba se fait par l’immolation de la


victime (kilambu) hors du village, à huis clos, dans une
séance, où n’assistent que les fils, le père et d’autres experts.
Le public n’est pas admis, pas même les femmes mi-mbanda.
Le père prépare l’emplacement (kibendo). Obligatoirement,
ce site ne sera trouvé que là où voisinent deux arbres l’un
appelé mufilu, l’autre mulolo. Obligatoirement, également,
c’est un cochon qui sera immolé. On ne peut le blesser. Il est
tué par étouffement. Les experts assistants s’en chargent. On
les couvre d’herbes. On lui fait des marques sur le front.
Entre ses pattes, on allonge un quillon de fusil (munsokolo).
D’où l’autre nom de cette phase “nsoka” piquage. »

Ce repas communiel accompagne la cérémonie par la


quelle le fils « sort » des bains où il était entré (tombula
mwana). L’essentiel de cette sortie tient d’abord aux rites et
ensuite au serment réciproques fidélité et loyauté (nkanga
misibu) que les deux partenaires comme suit :

27 Ngoma (F), L’initiation bakongo et sa signification, Op.cit, p. 144.

49
Le père « Mbo meno Mulongo bu n’gandisi mwana wuwu
ti ka ni bu namwena ko, nkondi za ngw’aku sala nki ? ti un
dia ! Moi, Mulongo, en initiant ce fils si je m’y suis pris
autrement que je ne vis, vous forces magiques tuez-moi ! »

Le fils, de son côté : « Mbo meno Kina bu n’gandidi ku ta


ta didi, ti m’widi n’samu ndembolo wo kutele, nkondi za
ngw’aku sala ? ti undia ! Moi, Kina, après m’être fait initier
par ce père, si apprenant quelque chose (sur son compte) je
manquais de le lui dire, vous forces magiques… »

Ici, il y a lieu de rappeler que, chez les Koôngo, le sacri


fice des animaux est absolument chose exceptionnelle. C’est
spécialement à l’occasion d’une cérémonie destinée à action
ner les grands fétiches qu’intervient le sacrifice comme celui
d’une poule, d’une chèvre ou d’un porc.

Dans ce cas, la maladie est sujette à caution et est, à ce


titre, considérée suffisamment grave au point d’emporter
mortellement la vie du « malade ». Alors, pour sauver la vic
time ou pour éviter le fait qu’on lui retire la vie, on procède
obligatoirement à une séance initiatique dite de « remplace
ment sacrificiel » de la victime.

En principe, la séance dite de remplacement sacrificiel


consiste à préserver coûte que coûte la vie de la victime au
prix sanglant d’un animal, en l’occurrence d’une poule ou
d’un porc.

C’est ainsi que, contrairement à l’affirmation du kongo


logue Luc de Heusch 28 selon laquelle, « le sacrifice de la

28Heusch (Luc de), Le roi de Kongo et les monstres sacrés, Op.cit, p.


243.

50
poule pourrait signifier qu’une vie humaine est le prix à
payer pour que le nkisi soit en mesure de fonctionner », avec
le culte de Koôngo dya Leemba le sacrifice du porc est, en
principe le prix à payer pour éviter la mort du malade, en
remplacement sacrificiel d’un animal.
C’est à ce titre, comme le relève Placide Tempels 29, le
Muùntu est la réalité invisible dans l’être qui, naturellement
jouit de la faculté de la renforcer par la force des autres êtres
de la création. La félicité suprême, la seule forme du bonheur
est pour le Muuntu, écrit-il, la possession de la plus grande
puissance vitale. La pire adversité, et en vérité le seul aspect
du malheur, pour lui, est la diminution de cette puissance
vitale.
Mais force est toutefois de reconnaître que ces pratiques
qui sont la traduction des principes originels de préservation
de la vie humaine de la culture et philosophie bantoues ont
été utilisées à des fins contraires à l’intégrité sociale et hu
maine de l’être ou du Muùntu.
Aujourd’hui, de nombreux nkisi ou fétiches sont fabriqués
par des experts que sont censés être des Ngaànga, donnent
lieu au sacrifice des animaux pour signifier que leur mise en
marche et surtout leur efficacité dépendent absolument du
prix d’une vie humaine à payer.

29 Tempels (P.), La philosophie Bantoue, Présence africaine, 3e édition,


1948, p. 31 et s.

51
II. Les raisons d’organisation du culte de Koôngo dya
Leemba
Le culte de Koôngo dya Leemba tout comme celui de
Kimpasi est la résultante d’une négation face aux principes
dits vitaux pour le bien-être du Muùntu. Il est, comme le re
lève à juste titre le kongologue Georges Balandier30
expression d’une société qui entend restaurer « […] ses
propres structures et l’ordre du monde au sein duquel elle
s’inscrit, en s’ouvrant à une génération nouvelle… La com
munauté tente d’assurer sa sauvegarde en faisant revivre à
sa jeunesse les débuts de l’entreprise collective qui a façonné
son ordre, sa civilisation et son histoire — car les rites spéci
fiques renvoient symboliquement à l’époque des créations, au
temps des commencements. La société retrouve sa verdeur en
jouant naître, selon ses normes, les jeunes gens que
l’initiation modèle ».
C’est dans cette dynamique de protection et de maintien
de l’ordre en général que le Leemba tendait en une lutte
contre les manœuvres de sorcellerie. Cependant, comme l’a
indiqué E. de Jonghe rapporté par Georges Balandier31
qu’ayant mis en valeur ce caractère de police chargée
d’écarter les mauvais esprits, certains experts du culte de
Koôngo dya Leemba ont utilisé leurs savoirs et connaissances
à des fins autres que celles du salut de l’être et de son envi
ronnement.
D’où les craintes qu’a suscitées le Leemba.
Par ailleurs, le sacrifice du porc, au sein du culte de
Koôngo dya Leemba répond sans doute à la philosophie de

30 Balandier (G), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au


XVIIIe siècle, Op.cit, p. 130-131.
31 Balandier (G.), Sociologie actuelle de l’Afrique Noire, Op.cit, p. 333.

52
ki-yindula qui consiste en un apprentissage du langage que
seuls les initiés des ordres initiatiques Koôngo connaissent.

À dire vrai, le ki-yindula ou le baluka, comme le rapporte


l’illustre kongologue Ferdinand Ngoma, est une sorte de mé
thodologie réflexive, consciencieuse et opérationnelle qui
permet à l’initié dans sa quête dans la connaissance des
choses et des êtres de pouvoir saisir, pénétrer, percevoir ou
découvrir la réalité des choses voilées. Linguistiquement par
lant, il consiste à inverser les mots à l’effet de connaître les
aspects ou le caractère voilé d’une chose, objet d’étude ou
d’analyse 32.
Ceci dit, le sacrifice du porc appelé ngulu en langue
Koôngo doit probablement répondre à la philosophie des
principes d’entraide et de solidarité lorsque des malheurs
s’abattent sur une personne.
Ainsi, par application de la technique de ki-yindula, le but
exprimé, à travers l’immolation du porc, c’est le lungu ou le
lungululu (du verbe lunga ou lungulula qui sous-entendent
respectivement toute idée de contenance, de suffisance et
d’abondance), c’est-à-dire, l’entraide, autrement dit, c’est une
expression solidaire à l’échelle communautaire pour mieux
contrer les manœuvres des perturbateurs de la paix que sont
les ndoki ou sorciers.
D’où, entre autres, la signification du verbe lungulula 33
qui veut dire multiplier, propager l’espèce, faire durer ou lun

32 Mbemba (R.d.B.M), Le cardinal Émile Biayenda et sa vision du


développement intégral du Congo-Brazzaville, Société des Écrivains,
2008, p. 105.
33 Van Wing (J) et Penders (C.S.J), Le plus ancien dictionnaire Bantu,
Louvain, 1929, p. 140.

53
guluka qui signifie se multiplier, devenir nombreux et la por
tée du proverbe selon lequel, mpuanaku ka lungu, lungu
n’andi 34, c’est-à-dire qu’il ne faut jamais abandonner son
prochain seul dans le malheur.

34Biayenda (Abbé E.), Coutumes et développement chez les Bakongo du


Congo-Brazzaville, Op.cit, p. 85.

54
Chapitre III.
Les acteurs et les rites du culte
initiatique de Koôngo dya Leemba

Les acteurs dans le Koôngo dya Leemba ne sont pas nom


breux comme on peut les observer dans d’autres écoles
initiatiques Koôngo comme le Kimpasi ou le Kimba.
Il s’agit du ngudi-ngaànga, du mwaàna-ngaànga et de
mpaàngi za ngaànga. Quant aux rites, ils ont trait respecti
vement au repas sacrificiel, à la fête qui se confond, bien
entendu, avec la danse.

I. Les acteurs ou les personnages qui participent au culte


initiatique de Koôngo dya Leemba

1. Le ngudi ngaànga
Appelé plus communément ngaànga-leemba, le ngudi
ngaànga est, peut-on dire, le maître d’œuvre ayant donc à ce
titre la charge de faire entrer mwaàna-ngaànga dans l’univers
du Leemba par le biais d’un processus initiatique qui obéit à
différentes étapes comme celle de la prise du bain.

Ici, force est toutefois d’indiquer que la qualité de ngaàn


ga-leemba au ngudi-ngaànga lui confère inéluctablement

55
celle de ngaànga-buka, c’est-à-dire du médecin-traitant
puisque mwaàna-ngaànga est, avant tout, un malade qu’il
convient de soigner.

En pratique, le ngaànga-leemba invite le mwaàna


ngaànga qui, à l’occasion du déroulement du culte de Leem
ba est tenu à de strictes obligations ayant pour objet d’assurer
pleinement son initiation donc son éducation et sa formation
en tant qu’un Leembe, c’est-à-dire un initié de l’ordre de
Leemba.

À chaque étape du culte de Koôngo dya Leemba, mwaàna


ngaànga doit payer des honoraires au ngudi-ngaànga, c’est
à-dire, le ngaànga-leemba.

Par ailleurs, force est de rappeler que dans la tradition


Koôngo le mot nguùdi n’est pas que réservé pour désigner
une mère. Il est aussi institution, voire expression qui prend
corps pour revêtir en même temps force d’autorité sociale ou
institutionnelle.
En fait, nguùdi apparaît comme la matrice ou l’origine de
ce qui est censé se révéler être la vérité.
À titre d’exemple, le nguùdi teemo, le responsable ou le
chef organisateur de cette tontine est l’expression même de
cette autorité à laquelle il doit se tourner intelligiblement et
raisonnablement pour la faire prévaloir en son sein aux fins
d’une meilleure organisation et d’un bien-être des membres
qui le constituent.
Il s’agit ici, d’une autorité manifestement intelligible qui
en l’espèce apparaît sous l’angle de la féminité donc de la
fécondité, du développement et d’épanouissement, c’est-à
dire de nguùdi.

56
C’est à ce titre qu’elle se distingue de celle qui relève du
dictat en s’exprimant ou en se situant dans le domaine de la
vérité ou ma-kieleka, c’est-à-dire par une adhésion raison
nable des membres à tous les principes d’organisation et de
fonctionnement d’un teemo sans lesquels, il n’a lieu d’être.
Pour ce faire, le nguùdi teemo veille ainsi méthodiquement
et intelligemment au bon fonctionnement de l’institution.
C’est dire que le nguùdi est vérité ayant force de loi ou
d’autorité qui est reconnue comme telle du fait de sa manifes
tation intelligible qui s’opère par l’amélioration des
conditions d’existence de l’être ou du muùntu. C’est dans cet
ordre d’idées qu’un chef de village chez les Koôngo apparaît
comme un nguùdi n’gaàta ou un mpfumu n’gaàta (voire
nguùdi’a kaànda) par ce qu’il apparaît aux yeux de ses conci
toyens et ce, à la fois comme un fin connaisseur des principes
qui concourent au bien-être du muùntu, à la stabilité de son
village et donc « naturellement » un garant privilégié des ins
titutions publiques, voire un précieux gardien de la moralité
publique.
En somme, le nguùdi-ngaànga porte en lui le principe de
la connaissance et de l’initiation du mwaàna-ngaànga.

2. Le mwaàna-ngaànga ou le néophyte
C’est dans ces conditions que dès le début des opérations
participatives, mwaàna-ngaànga doit s’acquitter du paiement
des honoraires du ngaànga-leemba. Il doit, en principe, offrir,
à son Maître-initié, trois poules et deux calebasses de vin.

S’il est exigé au mwaàna-ngaànga de s’acquitter d’un


porc et de beaucoup de vin pour la tenue de son serment de
loyauté, les derniers actes de l’initiation se paient, outre la

57
remise de boisson et de fourniture encore d’un porc, par le
versement des espèces.

3. Les mpaàngi za ngaànga ou les assistants du ngaànga


leemba
Les mpaàngi za ngaànga que peuvent être des membres
de la famille de ngaànga-leemba, à l’instar de ses frères du
clan l’accompagnent dans ses tâches comme celle de la con
fection d’une mixture ou boònzo que doit boire le « patient »
ou mwaàna-ngaànga. Ils peuvent la préparer en collaboration
avec le père du « malade ».

C’est d’ailleurs, une des illustrations du principe de vie ou


de la loi, peut-on dire, du Leembe qui consiste dans l’art de
faire des choses ou de les réaliser sans trop commettre de
souffrance autour de soi.

De plus, les mpaàngi za ngaànga ont, entre autres, la


lourde charge de procéder à l’immolation du porc qu’ils doi
vent absolument mener à bon escient sans le faire souffrir
atrocement, et ce, par étouffement.

II. Les rites du culte initiatique de koôngo dya leembe


notamment autour du repas sacrificiel ou ki-laàmbu
Dérivé du verbe laàmba et qui veut dire préparer, cuisiner,
le ki-laàmbu est l’ensemble de toutes les provisions qui en
trent dans les repas du culte de Koôngo dya Leemba. Pour
l’essentiel, il est constitué du porc immolé qui fait l’objet
d’un partage. Une moitié est attribuée aux pères et fils (ngudi
na mwaàna lembe), l’autre moitié est remise aux autres

58
ngaànga. Aucun profane (ki-yinga) ne peut en manger, ob
serve Ferdinand Ngoma 35, sous peine de mutisme magique
(dukama mbembo). Pour le reste des mets, chaque tireur de
vin reçoit une marmite et deux pains de manioc (mayaka),
chaque nganga une marmite préparée (kia mamba) et une
autre non préparée (kia yuma) c’est-à-dire même, en espèce.

Ferdinand Ngoma 36 fait un descriptif de la préparation de


ki-laàmbu qui, de par son déroulement témoigne considéra
blement de son importance initiatique. Il rapporte en effet
que :

« Le repas sacrificiel (kilambu) est préparé après la danse


rituelle. Le fils accompagné de sa mumbanda, de la com
pagne de parrain et d’un témoin de son propre choix va
puiser l’eau qui servira à bouillir les noix verdâtres (ngazi za
sombo). Il en fera la sauce (moambe) dans laquelle on trem
pera et préparera le kilambu.
Le menu en est une véritable macédoine. On y fait entrer
non seulement le cochon immolé, mais également plusieurs
mets boucanés et gardés par tout expert, notamment des sar
dines (nyonsi), des anguilles (mitondia), des silures blancs
(nsumba), du rat rongeur (nsibisi) et du buffle (mpakasa). Se
servant d’un piquant de porc-épic en guise de fourchette,
père et fils par trois fois vont goûter ce repas avant que tout
autre en mange.
À chaque dégustation, ils prononcent alternativement cette
formule :

P. “Kilambu kiani nadia ntombudi mwana” (ter)

35 Ngoma (F), L’initiation bakongo et sa signification, Op.cit, p. 146.


36 Ngoma (F), L’initiation bakongo et sa signification, Op.cit, p. 145 et s.

59
Je mange du repas par lequel j’ai fait sortir mon fils.
F. “Kilambu kiani nadia ki ntombudidi tata” (ter)
Je mange du repas par lequel mon père m’a fait sortir.
L’assistance prononce la formule suivante :

“Nganga ? Nganga ! Expert ? Assurément


Weni ? Weni ! A-t-il vu ?”
“Widi ? widi ! (ter) A-t-il entendu ?” »

En dépit de sa concision, cette formule servira de récla


mation toutes les fois qu’un collègue sera en infraction.
Même hors de session, il suffira de la prononcer pour que le
contrevenant, quel qu’il soit, s’exécute de lui-même à payer
les amendes rituelles : un cochon à la secte (dans le sens
étymologique sequi, suivre, les adhérents) une poule et un vin
à chaque confrère qui a assisté le contrevenant le jour de son
agrégation.
Boissons et repas se mêlent donc à la danse pour conti
nuer la fête rituelle du lembe. On dansera le plus tard
possible. Et chacun regagnera son logis à l’heure de son gré.
Le lendemain auront lieu la répartition du kilambu (au sens
large) et le paiement des honoraires. »

Le repas sacrificiel est une étape importante à l’occasion


de laquelle, on transmet des valeurs de partage et de compas
sion du Leemba au nouveau membre. Ainsi, au travers dudit
repas, il accepte pleinement d’être un Leembe, c’est-à-dire un
militant ou un adepte des principes de sécurité de tranquillité
et de paix comme le sous-entend étymologiquement le nom
lui-même de Leemba. En effet, comme le rappelle si bien

60
Ferdinand Ngoma 37, le Lemba ou lembe, d’après son étymo
logie est une force de pacification, de guérison.

À dire vrai, le mot Leembe tirerait sa racine du verbe


laàmba qui, donc à titre de rappel, exprime toute idée de pré
paration, d’entretien, d’apaisement ou d’adoucissement dans
le but de rendre l’existence ou quelque chose plus agréable
ou plus acceptable.

D’où la signification, entre autres, de l’expression, leembi


ka ntimani qui fait référence à la paix du cœur de l’être
aimant ou de l’homme amoureux, et qui dans ce cas de fi
gure, ne peut être que par obtention de l’amour d’une femme
désirée.

C’est ainsi que, les principes de discipline, de loyauté, de


dévouement et de fidélité voire de respect en général sont
autant de caractéristiques qui définissent un véritable
Leembe. Si son entrée dans le Leemba a été le fait d’un acci
dent de parcours existentiel ou plus précisément le fait d’une
maladie qui a failli mortellement l’emporter alors, à son tour
donc à sa sortie, il aura dorénavant l’obligation de préserver
la vie dans tout ce qu’il entreprendra, et ce, par sa façon
d’être ou de faire. Il deviendra par là même, l’homme de la
raison pacificatrice.

En somme, le Leembe, l’initié de Koôngo dya Leemba est,


peut-on dire, un leembe dya zulu, c’est-à-dire, un pacificateur
des esprits en mettant toujours son intelligence à profit

37 Ngoma (F), L’initiation bakongo et sa signification, Op.cit, p. 142 et s.

61
comme dans le règlement des situations difficiles qui, à ce
titre, nécessitent tranquillité, sécurité et paix 38.

Ici, le leembe dya zulu, devient une qualité humaine et non


un nkisi ou fétiche que l’on suspendait autrefois dans les pa
rois d’une hutte.

En tant que nkisi, le leembe dya zulu a une fonction pacifi


catrice, il est, dans ce cas, censé procurer la paix à son
propriétaire ou détenteur. Étant entendu que dérivant du
verbe zula, zulu désigne le ciel au sens où il met à l’abri
l’initié ou le détenteur d’un nkisi des situations difficiles, mi
sérables comme celles de nuisance ou d’attaques des ndoki,
sorciers qui sont les perturbateurs de l’ordre public.

Le lembi di zulu, est aussi comme l’écrit le Père Van


Wing 39, un nkisi suspendu aux parois de la hutte ; son nom
signifie pacificateur. Lembi est le nom d’un esprit-nkita. Ses
éléments principaux sont des noix de palme et de la poudre
de nkula enveloppées dans un linge entre des graines de
fleurs de palmier. Il procure, observe-t-il, la paix à son pro
priétaire et le rend invulnérable. Son inauguration amène cet
usage singulier ; on coupe un doigt de la patte d’un jeune coq
et on frotte le nkisi du sang qui coule de la blessure. Le coq
ne peut plus être touché par un membre de la famille du pro
priétaire ni être mangé dans le village ; il peut être vendu,
mais dans ce cas il doit être remplacé par un autre qui aura le

38Mbemba (R.C), L’ordre social : histoire et justice pénale dans la


société traditionnelle Kongo depuis les origines jusqu’au XXe siècle,
Thèse doctorat, Université des sciences sociales de Toulouse, 2000, p.

123.
39 Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie, Religion et Magie, Op.cit, p.
11.

62
même sort. Le propriétaire est tenu, conclut-il, de porter un
bracelet d’herbes nsoni (Imperata cylindrica Gr.). Chaque
mois à l’apparition de la nouvelle en pleine nuit, il devra mâ
cher une noix de kola et la cracher sur le nkisi.

Enfin, par ailleurs, quand il a prêté serment au moment de


son initiation, le Leembe ou l’initié du Leemba, reçoit un
nouveau nom. Il fera partie de son état civil et deviendra pour
lui un prénom. En effet, le nom n’est pas, comme le rapporte
le Père Van Wing 40, une étiquette. C’est un élément consti
tuant de la personnalité, il en est un symbole caractéristique
et individualisant. Quand la personne change, le nom doit,
observe-t-il, changer ; le nouveau nom imposé exprime la
modalité nouvelle. Cependant, la nouvelle modalité reçue
n’efface pas les formes antérieures, les noms subsistent.

Le nom doit être, somme toute, ajoute le dernier auteur,


l’expression de la personnalité, de ce qu’elle est, ou de ce
qu’elle doit être, ou encore de ce qu’elle veut être.

Ainsi, le Leembe, portera un nom devise ou d’initiation,


voire de parade qu’on appelle en Koôngo nkumbu ya
n’gândululu ou ndumbululu. En effet, tout initié chez les
Koôngo est censé ne plus être la même personne, de la même
manière qu’il a abandonné en quelque sorte sa nature corpo
relle, il abandonnera son ancien nom. Un nouveau nom doit
lui être attribué, en l’espèce un ndumbululu, et qui, à ce titre
doit correspondre notamment à sa personnalité nouvelle. Tel
nom, telle personne 41.

40 Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie, Religion et Magie, Op.cit, p.


257.
41 Mbemba (R.D.B.M.), Le muntuïsme l’humanisme intégral africain,
Société des Écrivains, 2006, p. 46.

63
Ici, s’inscrit, une fois de plus, le but ou le rôle des écoles
de mystères qui outre la formation de l’être ou du Muuntu
doivent contribuer au renforcement de la protection de l’ordre
sociocosmique.

Le but des écoles de mystères ou d’initiation, chez les


Koôngo, est le renforcement ou l’approfondissement dans la
connaissance de l’être tant dans sa constitution physiologique
que dans sa formation intellectuelle. Les écoles comme le
Kimpasi ou le Leemba aspirent à la formation de l’être inté
gral ou du Muuntu renforcé par ce qu’il se retrouve à mi
chemin dans ses savoirs et connaissances entre le monde vi
sible et invisible.

C’est à juste titre que l’historien Dominique Ngoïe Ngala,


rapporté par Jean de Dieu Nsondé 42 définit le Leemba,
comme une organisation ésotérique, institut supérieur des
sciences morales et religieuses, de sciences tout court : biolo
gie, médecine, histoire, géographie, droit, astrologie
spécifiquement koôngo.

En fait, à l’instar de l’institution de Kimpasi, le Leemba


avait, autrefois, pour objet d’assurer un contrôle et une pro
tection de l’ordre sociocosmique et par là même de chercher
à contribuer au maintien de l’ordre effectif ou global, c’est-à
dire comme l’écrit Placide Tempels de l’ordre universel, de
l’ordonnancement des forces ou de la hiérarchie vitale.

42Nsondé (J.L), Langues, Culture et Histoire Koongo aux XVIe et XVIIe,


L’Harmattan, 1995, p. 125.

64
Ici, force est de relever, comme le rapporte Placide Tem
pels 43, « La notion de l’ordre universel, de
l’ordonnancement est très nette chez les Bantous. Ils savent
et disent que cet ordre est voulu tel par Dieu. Ils sont cons
cients de ce que, suivant les décrets divins, cet ordre des
forces, cette mécanique d’interaction des forces doivent être
respectés. Ils savent que l’action des forces suit des lois im
manentes, qu’il ne faut pas se jouer de ces règles ni disposer
arbitrairement des influences des forces… Ils ont la notion de
ce que nous nommerions une justice immanente, ce qu’ils
traduisent en disant que la violation de la nature provoque sa
vengeance, qu’elle est génératrice de malheur… Cette cons
cience éthique est chez eux à la fois philosophique, morale et
juridique ».

C’est pourquoi, chez les Koôngo, comme le relève


Georges Balandier 44, à propos de Kimpasi, le Leemba ou une
autre école de mystère, intervient, « chaque fois que la com
munauté éprouve le besoin d’assurer son renforcement, de
restaurer les assises de la société en soumettant une généra
tion nouvelle aux contraintes de la tradition et du sacré. Elle
est au service d’un ordre qui refuse de se laisser dénaturer ;
aussi a-t-elle été très tôt un moyen de résistance aux in
fluences dissolvantes opérant de l’extérieur ».

43 Tempels (P), La philosophie Bantoue, Présence africaine, Troisième


édition, 1948, p. 37.
44 Balandier (G), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au
XVIIIe siècle, Hachette, 1965, p. 215.

65
III. La fête et la danse a l’occasion du culte initiatique de
Koôngo dya Leemba
La danse tient une place importante à l’occasion des cultes
initiatiques qu’il s’agisse de l’école de Kimpasi, de Kimba ou
de Leemba.

Avec le Leemba 45, la danse a lieu l’après-midi dès que les


tireurs de vin de palme sont revenus des palmeraies. Elle se
tient au kibondo (site) où les femmes mimbanda sont alors
admises. Le père et sa mumbanda l’inaugurent dès les pre
miers coups de fusil qui l’annoncent aux alentours. Le fils et
sa compagne relaient leurs parents ou parrains. Après on con
somme le vin en attendant le repas. Le premier verre est versé
par terre, il revient de droit aux anciens (défunts) ; le second
est donné au père qui les a remplacés. Il en boit une partie, se
signe (buka), il verse le reste à terre.

À ce propos, il y a lieu d’indiquer, comme le mentionne


précisément, Georges Balandier 46, « La société kongo est
marquée par une conception dualiste qui se réduit, en dernier
lieu, à un système de relations entre symboles masculins et
symboles féminins. Ce qui suggère que les rapports entre
sexes ne peuvent guère être libres, car ils sont le modèle de
tout un ensemble de structures réelles et symboliques », il en
ressort par conséquent que :

« Les danses kongo, rythmées par les tambours (ngoma),


ne sont pas non plus un prétexte à défoulement collectif— en
dépit des apparences. Dans certaines d’entre elles, hommes

45Ngoma (F), L’initiation bakongo et sa signification, Op.cit, p. 145.


46Balandier (G), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au
XVIIIe siècle, Op.cit, p. 166-167.

66
et femmes se trouvent répartis en deux rangées opposées.
Leur mouvement fait alterner les piétinements sur place et les
assauts lançant les partenaires les uns vers les autres afin de
simuler l’acte de l’accouplement. Cette chorégraphie sugges
tive n’est pas une simple technique d’exaspération de la
sexualité. Elle témoigne de la condition d’une société ou
toute efficacité de l’action humaine reste associée aux
grandes forces naturelles et aux manifestations de fécondité.
Dans un tel contexte, le prototype de tout acte efficace est le
geste qui accouple les sexes ».

À cela, le dernier ajoute, et ce, avec raison, que les anciens


chroniqueurs ont confondu le fait et le simulacre, la licence et
le comportement symbolique. Et un certain missionnaire va
jusqu’à écrire que « la plume d’un religieux se refuse à mettre
de telles choses sur le papier. »

Or, l’initiation, chez les Koôngo, contrairement aux asser


tions qui confondent le fait et le simulacre, reconnaît et
confirme, comme le relève, justement, G. Balandier, l’état de
maturité sexuelle, mais elle ne concède pas pour autant une
liberté sans bornes. Elle enseigne la maîtrise de soi et trace
les frontières à ne pas franchir.

En fait, la danse, dans le cas d’espèce, répond à un besoin


social d’union des forces naturellement complémentaires ten
dant en une recherche dynamique de fécondité, de
production, de croissance et de développement à l’échelle
communautaire. Elle est la traduction d’une recherche com
munautaire vers un mieux-être qui nécessite raisonnablement
l’accouplement de grandes forces naturelles qui finalement
favorisent la fécondité, la croissance et le développement.

67
C’est comme si, chez les Koôngo, le bien-être n’était pas
qu’une question de volonté ou de détermination. Il faut qu’il
réponde, outre la manifestation de la volonté, à
l’accomplissement d’une conjugaison de forces ou de prin
cipes qui en sont la source. Il s’agit là, d’une vision
existentielle de la société Koôngo qui à l’occasion de cer
taines festivités est traduite par la danse.

En fait, la danse est, à l’occasion des cérémonies initia


tiques chez les Koôngo, une sorte de traduction des principes
sociaux qui contribuent inexorablement à l’amélioration
constante des conditions d’existence.

Par ailleurs, c’est dans le même ordre d’idées que les


Koôngo considèrent, comme le rapporte une fois de plus
Georges Balandier 47, la nature comme une source de pro
duits vitaux dont l’acquisition requiert connaissance, savoir
faire et accord des « forces » génératrices ou gardiennes. Les
épreuves des écoles d’initiation, où les jeunes accèdent à la
maturité, exigent d’ailleurs l’entraînement à la collecte des
plantes sauvages et des petits animaux de brousse employés à
la confection de certains repas. Les rats de savane, les lé
zards, les serpents, les chenilles et divers insectes, les vers du
palmier interviennent dans l’alimentation…

En somme, l’ambiance est festive et, dans ce cas, donne


lieu à la consommation de vin de palme et de divers produits
ou aliments qui tiennent les participants et les assistants dans
un état d’éveil ou de prise de conscience afférente à
l’évènement initiatique.

47Balandier (G), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au


XVIIIe siècle, Op.cit, p. 166-167.

68
Cependant, après le temps des festivités, intervient l’offre
de Lukobe de Lemba. C’est un coffre cylindrique fabriqué,
rapporte A. Fukiau-Kia Bunseki-Lumanisa48, avec des
écorces de « munkobe-nkobe » assemblées par des fils tressés
très artistiquement. Il contient notamment « deux statues…
placées dans le coffret pour montrer et rappeler au nganga
“l’esprit et le corps” que constitue l’union de la femme et de
l’homme, c’est-à-dire, la féminité et la masculinité. Tous
deux sont créés de cette manière : côté faible (la féminité) et
côté fort (la masculinité). C’est pour cette raison que le ngan
ga doit montrer son impartialité et son esprit pur envers ces
deux côtés. Si l’un d’entre eux est déshonoré ou rabaissé,
toute la nature est aussi déshonorée et rabaissée ; si l’un
manque, l’autre ne peut exister. Pour mieux démontrer cette
union, souvent ces statues étaient unies par une ficelle ou
unies dans une même statue. Ces deux statues unies furent
appelées Mahungu… forces unies. Pour garder cette union de
l’homme et de la femme, l’épouse du nganga devait être for
mée dans l’esprit pur de son mari… »

48 Witwicki (R.SM), Chronique de l’ère des missionnaires 1594-1952


Marie telle qu’ils l’ont fait connaître au Congo, Tome I, Op.cit, p. 559.

69
Chapitre IV.
L’installation proprement dite
de Koôngo dya Leemba

L’installation du Leemba ou de Koôngo dya Leemba com


porte deux étapes importantes :
- L’installation d’un sanctuaire au domicile du Leembe
qui, dorénavant, lui servira de lieu de recueillement,
de prière peut-on dire et de méditation ;
- La remise des éléments de Leemba qui sur le plan
symbolique lui serviront de forces curatives ou théra
peutiques pour venir en aide aux siens.

I. L’installation du sanctuaire au domicile du Leembe


L’installation du sanctuaire d’un Leembe est simple de,
par les éléments, qui y sont représentés. Les insignes qui in
terdiront à toute personne de passer derrière le sanctuaire
d’un Leembe sont, rapporte l’illustre kongologue Ferdinand
Ngoma 49, les suivantes :
- À l’extérieur, les quatre murs portent des pousses des
séchées de palmier ;

49 Ngoma (F), L’initiation bakongo et sa signification, Op.cit, p. 89.

71
- À l’intérieur, une chambrette strictement réservée
abrite le nkobe, le coffret qui contient les forces qu’il
faut fréquemment arroser de vin et raviver de nsaku
nsaku.

La formule d’installation à l’intérieur prononcée alternati


vement par l’époux et sa mumbanda dit :
Mari : « Nganga ? » Femme : « Nganga !
Lembe diani namanika. Manika kwaku (ter) »
(Expert ? — Tu l’es ! – J’installe mon lembe – Je ne
t’empêche pas.)
Enfin, toujours dans le cadre de l’installation du lembe,
dès le lendemain se tient en public une cérémonie dont le
symbolisme évoque la fécondation. Le couple, nouvellement
doté du lemba se retire à l’extérieur derrière leur maison, se
couvre d’une couverture en position assise. Le mari fait cou
ler un liquide le long des jambes de la mumbanda. Ce liquide
a été préparé et provient d’une décoction d’une plante (mu
mpolo-mpolo, sorte de groseille amère), de la poudre rouge
(tukula) et d’un coquillage (luzimbu).
Au retour, le couple se découvre et le public qui voit
l’écoulement du liquide de crier leur indignation devant ce
scandale : « On ne fait pas ça devant tous ».

En somme, si durant la phase de l’initiation, le rôle de la


femme du futur Leembe est pratiquement inexistant, celui-ci
est plus ou moins important lors de l’installation de son sanc
tuaire. Au-delà, ce rite est la traduction du renforcement du
consentement de la femme sur le pouvoir ou l’autorité que

72
son mari acquiert à travers son initiation dans le Koôngo dya
Leemba.

La mumbanda est une pièce importante dans la vie du


Leembe qui pour cette raison doit subir une formation que
décrit A. Fu-Kiau Bunseki-Lumanisa 50 d’une façon méticu
leuse :
« Le mot mumbanda — dérive de — mbanda ; le verbe
« banda » a deux sens : commencer et frapper. « L’épouse du
nganga est appelée « Mumbanda », car elle est l’origine
(commencement) de tous ceux qui apprennent et enseignent à
Lemba ; elle est la source de la vie de l’homme.
Si le nganga initié n’était pas célibataire, sa femme devait
suivre une formation (se faire purifier) ; le nganga-lemba
était pur, sacré. Le corps de la femme qui doit être connu par
le nganga devait être béni et non initié ; elle ne devait pas
suivre tous les rites de l’initiation du fait qu’elle est elle
même source de Lemba et source de vie du clan. Après cette
purification, la femme de nganga devait porter un autre nom
durant toute sa vie, la distinguant des autres femmes. Elle
s’appelait désormais « Mumbanda » parce qu’elle est le
commencement et l’origine de tout ce qui est dans l’homme,
elle est source de vie.
La cérémonie consacrant la femme n’était pas longue ;
elle ne devait pas monter à Londe, mais à un endroit éloigné.
Le premier rite qu’elle devait suivre est la « Purification de
sa féminité ». Toutes les autres « mimbanda » écrasaient les
racines d’une plante appelée « bimpolombolo » qu’elles mé
langeaient avec des feuilles de lemba-lemba et ensuite les

50 Witwicki (R.SM), Chronique de l’ère des missionnaires 1594-1952


Marie telle qu’ils l’ont fait connaître au Congo, Tome I, Op.cit, p. 559.

73
pressaient sur son organe féminin pour qu’elle devienne
force adoucissante, consolatrice digne de son mari. À la fin,
on devait lui réciter les autres règles pour observer sa pureté.
Ces interdits sont presque les mêmes que ceux du mari. On
leur ajoutait cependant :
- la mumbanda ne peut entrer dans le sanctuaire de
Lemba pendant qu’elle fait ses règles ;
- elle doit rester fidèle à son mari ;
- elle doit continuer à connaître son mari et apprendre
beaucoup de son rôle. Cela terminé, on devait
l’habiller et la sacrer ainsi : « mumbanda », (source
de Lemba).

« Sois à la base
(afin que) tu élèves
Garçons et filles initiés.
Incline-toi
Afin que Dieu passe
Sur le dos comme sur le ventre,
Sur le visage comme sur le ventre.
Sois attentive à l’appel,
Ô Mahungu !
Nhm ! Nhm !

On appliquait ensuite du “mpemba” et du “tukula” (onc


tion du blanc et du rouge).
Après la cérémonie, ils remontaient au village pour conti
nuer à fêter la Mambanda-nganga. La formation de

74
“Mumbanda-Lemba” symbolise le mariage (paiement) raf
fermi et reconnu par les nganga et les élèves. Pendant la
cérémonie, chaque “mambanda” devait tendre ses mains, les
paumes retournées. Ce geste signifiait que la mumbanda
lemba acceptait d’être initiée et de rester ainsi. »

Il ressort ainsi du descriptif de la formation de la femme


du nganga que le Leemba est une des précieuses occasions
communautaires de conjugaison des forces universelles ou du
Nza, à la fois, sous leurs aspects féminin et masculin à l’effet
de mieux assurer l’ordre par une résolution d’évacuation des
forces d’affaiblissement de destruction ou de déclin social.

Dans le cas d’espèce, l’association du nganga et de mu


mbanda correspond effectivement à une composition cos
mique de l’homme ou du feu (ya-kala ou ba-kala) et de la
femme ou l’eau (mu-ke-nto), à l’effet de promouvoir et ded
renforcer le principe de complémentarité existentielle ou so
ciocosmique.

Par ailleurs, en tant que Leembe, le nouvel initié renforce


ra aussi son pouvoir de chef de famille qu’il devra mettre à
l’abri des attaques de ceux qui ont le mauvais œil, les ndoki
ou sorciers.

II. La remise des éléments symboliques des forces


curatives ou thérapeutiques au Leembe
L’initiation au Leemba donne lieu à la transmission des
forces parmi lesquelles, il faut, rapporte Ferdinand Ngoma,
deux coquillages (l’un mâle, l’autre femelle), une amande de
luyala (fruit très amer), un morceau de tondo (genre

75
d’igname). Ces forces lui serviront, observe-t-il, non seule
ment à soigner et à initier à son tour ses fils ou ses frères,
mais aussi à garder sa maison contre les envoûtements et le
mauvais œil.

Au tout dernier jour de transmission des forces, l’initiateur


teint son cœur et celui de son élève de poudres blanches et
rouges. Il pratique trois incisions sur sa poitrine et sur celle
de l’initié au milieu, à gauche et à droite. Il mâche ensuite des
noyaux de lusaku-saku et de tondo. Il frictionne les incisions
en proférant la formule suivante :

« Makutu kelele les oreilles sont ouvertes


Meso kelele » (ter) les yeux sont éclairés

Ici, les rites obéissent à la numérologie qui est propre à la


société Koôngo 51. Le ngaànga leemba pratique trois inci
sions sur sa poitrine et sur celle de l’initié au milieu, à gauche
et à droite. En effet, le nombre trois (3), appelé tàtu comporte
deux vocables dans la langue Koôngo à savoir :

- TÀ = parler, manifester, exprimer ;


- TU extension de NTU (le u se prononçant ou) = tête,
sommet.

En fait, dans la science numérologique koôngo, le nombre


trois (3) est celui de l’intelligence. L’intelligence sera acquise
par l’initié de Koôngo dya Leemba s’il réussit bien évidem
ment à conjuguer en son sein le verbe et les principes qui

51Mbemba (R.D.B.M.), Le muùntu et sa philosophie sociale des nombres,


l’Harmattan, 2011, p. 47.

76
régissent la vie en communauté. Cela s’appelle l’humanité
qui pour l’Homme Koôngo n’est accessible qu’en y associant
un peu d’amour, c’est-à-dire, zola ou luzolo (le nombre deux
ou zole tire sa racine du mot zola, le principe de l’amour).
Ainsi, l’initié de Koôngo dya Leemba vivra pleinement sa
nouvelle vie que lorsqu’il aura réussi à ordonner son verbe, sa
parole, véritable don de Nzaàmbi Mpungu, le Dieu des com
mencements (Nzaàmbi-tete ou Nzaàmbi ku batsika),
l’Éternel, le créateur du Ciel et de la Terre. Il devra
l’ordonner pour mieux vivre en société, et ce, en étant en ac
cord avec les principes qui régissent l’humanité, ceux de
zola !

À l’instar de tous les initiés dans la société koôngo, un vé


ritable Leembe doit obéir aux lois socio-cosmiques qui sont
au nombre de trois (3) à savoir :
- La loi d’adoration ou de reconnaissance du Dieu
créateur ou tsieno wa sambila na wa vutula Nzaàmbi
matoôndo ;
- La loi du respect des principes de l’équilibre cos
mique ou tsièno wa belolo mu nza ya ki-ongo 52,
astreint le Leembe au respect des éléments de la na
ture en respectant peut-on dire l’écosystème ;

Les terres, les rivières, les étangs, les forêts, les ani
maux, etc. ont été créés par Nzaàmbi Mpungu pour des
raisons bien précises et qui font que le Leembe ou tout initié
dans la société doit obligatoirement respecter. Il doit les utili

52 Ki-ongo = la paix

77
ser pour la seule raison tendant notamment au renforcement
de sa force vitale.
C’est sous cet angle que Placide Tempels 53 relève en ef
fet :
« La notion de l’ordre universel, l’ordonnancement des
forces, de la hiérarchie vitale est très nette chez les Bantous.
Ils savent et disent que cet ordre est voulu tel par Dieu. Ils
sont conscients de ce que, suivant les décrets divins, cet ordre
des forces, cette mécanique d’interaction des forces doivent
être respectés. Ils savent que l’action des forces suit des lois
immanentes, qu’il ne faut pas se jouer de ces règles ni dispo
ser arbitrairement des influences des forces… Ils ont la
notion de ce que nous nommerions une justice immanente, ce
qu’ils traduisent en disant que la violation de la nature pro
voque sa vengeance, qu’elle est génératrice de malheur…
Cette conscience éthique est chez eux à la fois philosophique,
morale et juridique ».
- La loi du respect des principes de l’équilibre social ou
tsieno wa belolo za makaànda, commande le Leembe
à respecter les règles de l’équilibre social et familial.

Le nombre trois (3) est très présent dans les initiations


[Ba]-Koôngo en général et est souvent la traduction du prin
cipe de l’intelligence ou de la sagesse.
À dire vrai, pour les Koôngo, l’homme sage et intelligent
est, par définition un « être pacifié », qui s’inscrit donc dans
la constance du devenir, c’est-à-dire dans la « peau » d’une
personne ayant atteint un certain degré de maturité qui, dans
la recherche de son bien-être, aspire aussi à l’équilibre du
milieu environnemental dans lequel il évolue.

53 Tempels (P.), La philosophie Bantoue, Op.cit, p. 90.

78
C’est ainsi que le culte des anciens, chez les Koôngo, est
aussi, sur le plan ritologique, beaucoup marqué par le prin
cipe de la « Sainte Trinité ». Lorsqu’il est célébré, le chef
couronné qui en est le prêtre agrée par les [Ba]-kulu ou les
mânes des ancêtres, recherche toujours à pacifier le village
notamment par l’usage des feuilles de lemba-lemba. En effet,
la corbeille des ancêtres est le centre du culte et du clan.
« Autrefois, la pratique culturelle ordinaire avait lieu, rap
porte le Père Van Wing 54, le jour du repos, soit le jour
nkandu, soit le jour nsona, d’après les clans. Les hommes
libres se rangent devant la hutte des ancêtres ; le chef y entre,
s’agenouille devant la corbeille et verse une petite calebasse
de vin de palme par terre. Les mains jointes, il trempe, ob
serve-t-il, les doigts dans la boue faite avec le vin et les
reporte trois fois sur la poitrine. Ensuite, il salue trois fois par
un battement de mains. Il verse encore quelques gouttes de
vin de palme sur des feuilles de lemba-lemba et en asperge
trois fois les hommes accroupis devant la hutte. Devant la
porte il trace, poursuit-il, deux lignes en forme de croix et y
répand du vin. Les assistants s’y agenouillent, y trempent les
doigts, les portent à la poitrine, saluent comme l’a fait le chef
et se retirent. Pour terminer, le chef prend la botte de feuilles
lemba-lemba, la fait toucher à la corbeille et en porte une
feuille à chaque hutte du village. Kalembika gata : il pacifie,
conclut-il, le village. »

54 Van Wing (J), Le clan Matrilinéal dans la société indigène, par N. De


Cleene, Bruxelles, Ircb, 1946.

79
Chapitre V.
Le mode de vie ou le quotidien
de l’initié de Koôngo dya Leemba

Le mode de vie d’un initié de Koôngo dya Leemba est,


d’une part régi par des interdits ou bîna d’ordre alimentaire
et, d’autre part par ceux qui sont de dimension comportemen
tale.

I. Les interdits ou bîna d’ordre alimentaire du Leembe ou


de l’initié de Koôngo dya Leemba
À dire vrai, les interdits ou bîna de l’initié de Koôngo dya
Leemba portent, en général, sur la non-consommation, de
certains animaux et végétaux. À l’instar de son langage qui
doit être ordonné, pacificateur, le régime alimentaire du
Leembe doit être certes riche, mais équilibré.

Il s’agit parfois d’un régime qui se confond avec les bîna


ou interdits qui rentrent dans les interdictions qu’on appelle
bi-konko.

Aujourd’hui, cette loi de [bi]-nkonko, est moins répandue


chez les Koôngo de la région sud du Congo-Brazzaville (la
région du Pool), qu’elle ne l’est chez leurs cousins des ré

81
gions Bouénza, Niari, Lekoumou et Kouilou ou chez les
Koôngo du Congo-Kinshasa.

Autrefois, la loi des [Bi]-nkonko faisait l’objet d’une ap


plication rigoureuse et consistait en une interdiction de
certains aliments qui selon les croyances des Koôngo pou
vaient entrainer des calamités pour le clan.

À son propos, le père Van Wing55 rapporte qu’« Il est une


loi, qui restera encore longtemps en vigueur et qui est obser
vée même par les chrétiens, c’est celle du Kinkonko ou
aliment défendu. Chaque clan a le sien, aucun membre n’en
peut user, à aucune condition. »

Du reste, ils sont fermement persuadés, ajoute le père Van


Wing (en parlant des Koôngo que le transgresseur de la dé
fense, kabela kinkonko, serait malade du kinkonko et en
mourrait.

À ce propos, pourquoi longtemps durant, cette loi des bi


konko a-t-elle fait l’objet d’une application rigoureuse ?

L’examen étymologique du mot kinkonko peut permettre


de donner éventuellement un début d’explication. En effet, ce
terme dérive du verbe kokeka 56 et qui veut dire joindre, lier,
enlacer, nouer etc.
Tout comme pour le mot luvila (qui dérive du verbe vila et
qui veut dire nouer, unir, lier), le ki-nkonko ou la loi des ali
ments défendus rappelle l’histoire afférente aux épreuves par
exemple auxquelles un clan avait été confronté au cours de

55 Van Wing, Etudes Bakongo, Op.cit, p. 89.


56 Van Wing (J) & Penders (C), Le plus ancien dictionnaire Bantu, Op.cit,
p. 100.

82
son émigration. Une période durant laquelle certains
membres avaient beaucoup souffert ou péri du fait des épi
démies ou des hostilités interclaniques par exemple. Celles
ci, étant d’autant plus mortelles que la consommation de cer
tains aliments, laissaient à désirer.

Dans cette optique, le clan peut être amené à adopter une


certaine religiosité face à certains aliments qu’il ne convient
plus de consommer en souvenir des évènements douloureux
l’ayant gravement affecté et pour la mémoire des membres
trépassés du fait de cette période calamiteuse.

À dire vrai, la loi des [bi]-konko est une loi de discipline


alimentaire qui met les membres d’un clan en accord avec
tous les principes qui le régissent notamment sur une percep
tion qui doit leur être commune sur la raison d’être de
certaines créatures parmi lesquelles se trouvent certains ani
maux ou végétaux.

Par ailleurs, l’illustre et éminent kongologue Raphaël Bat


sîkama ba Mampuya ma Ndâwla 57 rapporte que :

« La société secrète de lêmba qui parodie en tout et pour


tout, les cérémonies du sacre du Roi congolais depuis son
élection, se servait du terme KÔKO pour désigner et le gong
en bois ou cloche de rassemblement et le supérieur de chaque
loge. »

Dans le même ordre d’idées, tout en affirmant que les


[Ba]-Tekes étaient des troupes d’avant-garde défendant les
frontières du territoire de Koôngo dya Ntootela, Raphaël Bat

57Bâtsikama (R.b.M.m.N.), L’Ancien Royaume du Congo et les BaKongo


(Ndona Béatrice et voici les Jagas), L’Harmattan, 1999, p. 127.

83
sîkama 58 cite Henry Morton Stanley disant que « le chef de
Lêmba qui était de loin le plus considéré de la région de
Kinshâsa portait le titre de Ma KoKo. »

Par ailleurs, Raphaël Batsîkama cite un des collaborateurs


de Pierre Savorgnan dit Comte de Brazza, le nommé Léon
Guiral déclarant que : « l’autorité de ce Mukoko de Mbê,
outre qu’elle ne s’étendait guère au-delà de son village, était
plutôt de caractère religieux… il existait d’ailleurs plusieurs
Makoko de Stanley Pool à Alima. »

II. Les interdits ou bîna d’ordre comportemental du


Leembe ou de l’initié de Koôngo dya Leemba
Les interdits ou bîna d’ordre comportemental invitent le
Leembe à une droiture d’esprit dans sa façon d’être. Il ne doit,
par exemple, commettre des adultères avec les femmes de ses
confrères ou même avec les femmes de son entourage. Un
Leembe qui commet de tels actes trahit, considère-t-on, son
serment qui est celui de pacifier, de préserver la vie et surtout
celui d’être un instrument de paix dans son milieu.

En matière de conflit ou de litige, une seule chose doit


l’animer à savoir : le dénouement par un règlement amiable
du contentieux. Lorsque l’affaire est très épineuse ou déli
cate, à défaut d’une solution raisonnable et équitable, le
Leembe du fait de sa qualité de pacificateur doit inciter les
parties à aller vers un compromis ou une solution de moindre
gravité.

58Bâtsikama (R.b.M.m.N.), L’Ancien Royaume du Congo et les BaKongo


(Ndona Béatrice et voici les Jagas), Op.cit, p. 125.

84
En principe, le Leembe, comme l’indique le nom doit être
une personne qui ne doit pas se laisser aller ou s’emporter par
la colère qui est considérée comme un agent perturbateur de
la sécurité, la tranquillité et la paix familiales.

Ordonné et homme de paix, le Leembe doit être un apôtre


de pardon et de la réconciliation à l’effet de mieux préserver
l’unité de sa famille et du tissu communautaire auquel il ap
partient.

Le pardon est, peut-on dire, un état d’esprit, une manière


voire une disposition humaine qui consiste pour une personne
à présenter ses regrets ou excuses, à la suite d’un fait commis
par elle de façon volontaire ou involontaire, et ce, à
l’encontre d’une autre personne.

Le pardon est aussi sens ou attitude transcendantale qui


fait appel à la conscience de son auteur et qui par le fait de se
remettre en cause reconnaît le bon sens exprimé par l’autre,
sujet d’offense.

C’est la manifestation de ce qu’on appelle en Koôngo, le


loòmba lemvu auquel le Leembe doit se soumettre, chaque
fois qu’il est confronté à des situations difficiles, délicates qui
peuvent être source de divisions ou de rupture familiale.

Ici, force est d’indiquer que le loòmba lemvu est


l’expression que les Koôngo utilisent pour traduire le fait de
demander pardon à quelqu’un. Le loòmba traduit la demande
et quant au mot lemvu, il exprime le pardon proprement dit.

À dire vrai, lemvu n’est qu’un dérivé du mot le-mvuka le


quel définit le principe de l’unité sous un angle, à la fois,

85
étymologique et sémantique qui selon les Koôngo s’avère
être, peut-on dire, la condition sine qua non du principe de
pardon.

Autrement dit, sans aucune démarche d’unification des


êtres ou des personnes qui est au centre d’un contentieux, le
pardon ne peut être ou n’a lieu. Le pardon est, chez les
Koôngo, une démarche de réconciliation, de conformité exis
tentielle qui passe par la réunification des êtres donc par
l’harmonie.

Il y a pardon, chez les Koôngo, lorsqu’il y a rupture, scis


sion, discorde, mésentente ou désaccord et l’acte de pardon
doit être bilatéral en ce qu’il exige fondamentalement
l’assentiment et la réunification par exemple des protago
nistes qui sont au centre d’un conflit.
Ce qui veut dire que toute demande de pardon, pour être
effective et décisive, doit être acceptée par la personne à la
quelle elle est formulée. Dans l’hypothèse contraire, elle
serait vaine ou sans fondement, dépourvue par conséquent de
ce que l’on appelle par exemple en droit du principe de
l’autorité de la chose jugée.

D’où la signification du verbe vuka qui en l’espèce n’est


autre que le dérivé du mot mvuka, lequel terme exprime toute
idée d’unité, de rassemblement ou d’association des êtres.

C’est ainsi que, le « le-mvuka » apparaît, dans une certaine


mesure, comme une attitude de communion ou un acte de
rassemblement voire d’union spirituelle des êtres qui leur
permet de repartir sur de nouvelles bases d’entente et donc
d’harmonie existentielle.

86
Il s’agit en effet d’un état d’esprit, lequel par son expres
sion récuse toute rigidité spirituelle ou intellectuelle. C’est
l’union spirituelle des êtres qui passe par l’ouverture des
cœurs des uns envers les autres et inversement.

D’où l’expression par exemple en koôngo de fungu–(na)


ou (la)-muntima ou fongola motema en lingala.

C’est dans ces conditions aussi que répond l’institution de


fungu-(na) ou (la)-masumu ou de confession des péchés.

Ici, le mot funguna ou fungula signifie confesser, avouer.

Il s’agit donc d’un verbe qui définit le fait pour une per
sonne d’ouvrir son cœur par des aveux portant sur des faits
ou contentieux dont elle estime avoir été victime de la part
d’un des membres de sa famille et qu’il convient de traiter
pacifiquement.

Le but étant de créer toutes les conditions favorables de


guérison d’un membre de la famille qui serait au centre d’un
conflit.

Ayant pour objet la délivrance d’une personne mourante


victime des manœuvres de kindoki ou de sorcellerie au sein
de sa famille, le funguna masumu est une institution qui est
tenue par les membres d’une famille, et ce, sous la présidence
d’un expert dénommé nganga masumu.

Le nganga masumu a pour fonction, au cours d’une céré


monie de funguna masumu, de libérer des cœurs des hommes
et femmes tous membres d’une même famille de toutes ces

87
rancœurs qui les divisent et qui finalement ont un impact sur
la santé d’un des membres de la famille.

Ici, le mot funguna a pour synonyme le-mvuka et traduit le


fait pour un individu d’ouvrir son cœur en abandonnant les
griefs ou les fautes qu’il reprocherait à l’un des membres de
sa famille et qui pour cela tomberait malade au point même
de perdre la vie.

En fait, le « le-mvuka » est, dans la culture Koôngo, l’art


de savoir édifier ou construire les ponts dans les relations
humaines à l’effet d’une meilleure organisation et d’un bon
fonctionnement social.

Le « le-mvuka » est une invitation des êtres au rassemble


ment à l’effet de créer toutes les conditions requises d’une
meilleure entente entre eux.

D’où d’ailleurs même la signification du mot kia-mvu qui


tend à désigner un pont en langue koôngo.

À dire vrai, le mot kia-mvu est un diminutif du mot kia


mvuka, lequel mot dans la langue koôngo traduit toute idée
d’union ou de rassemblement dans les relations sociohu
maines, comme mu-mvuka (= association), vuka temo
(= organiser une tontine), vuka bantu (= l’union des êtres)
mvuka muntu (= l’opportunité d’être sauvé ou libéré de
quelque chose).

C’est dire que l’union des êtres après une rupture est con
çue par les Koôngo comme une manière de vivre ou un art de
vivre consistant à construire des ponts spirituels destinés à
favoriser la circulation et donc la rencontre et l’union des

88
hommes et des femmes ayant été en rupture, à la suite d’un
conflit ou d’un litige.

Ainsi, d’un point de vue caricatural, le « le-mvuka » appa


raît comme une invitation au voyage en partance du pays de
la rupture du fait des actes malveillants ayant été commis par
les uns et les autres envers leurs semblables et à destination
de celui de l’apaisement du fait de la réconciliation des cœurs
et donc de la paix ou ki-ôngo.

C’est ce qui a manqué par exemple, lors de la Conférence


nationale souveraine de 1991 au Congo-Brazzaville. En effet,
si cette conférence à amener le Congo vers un régime démo
cratique avec l’élection d’un président de la République au
suffrage universel direct, il n’est pas pour autant vrai qu’elle
a été véritablement une occasion de réconciliation nationale.
L’absence de clarté dans la recherche de la vérité sur des faits
de discorde nationale, l’avidité de certains conférenciers dans
la prise de pouvoir à tout prix en s’alliant parfois avec « le
diable » et le manque de sincérité des personnes mises encore
n’ont pu aboutir à la construction d’un « kia-mvu », c’est-à
dire d’un véritable pont d’unité nationale.

Le bu-lemvu ou bu-lemvo est fondamentalement expres


sion du muntuïsme ou est, à la fois, art d’humanisation et de
socialisation des êtres qui après rupture conviennent toutefois
d’entretenir de très bons rapports relationnels.

Ici, le bon sens, la sincérité, l’humilité ou ki-katu restent


les éléments moteurs de bu-lemvu.

89
À dire vrai le « le-mvuka » est un voyage librement con
senti par les parties prenantes à un contentieux, lesquelles par
« la traversée d’un pont ou ki-amvu » et donc au nom du
principe de « le-mvuka » entendent sceller un accord d’un
nouveau départ dans les relations humaines, sociales, morales
et spirituelles qu’elles entretiennent.

En somme, le « le-mvuka » est bien plus qu’un acte de re


connaissance des fautes commises par une personne envers
son semblable, c’est-à-dire le funguna ou fungula. À dire
vrai, il est un art de vie en société fort muntuïste consistant en
une union des êtres qui sont en situation de rupture « com
préhensionnelle », mais qui toutefois parviennent par édifier
« des ponts » d’ententes cordiales qui les placent corrélative
ment sur le terrain de la rencontre fraternelle et de la paix ou
ki-ôngo en langue koôngo.

Par ailleurs, le Leembe ne répond guère aux appels de la


nuit et ne peut y consentir que, de façon exceptionnelle, ou à
défaut par les applaudissements comme il le ferait très juste
ment, à l’occasion des activités, par exemple forestières 59.

Enfin, et en tout temps, le Leembe devra répondre, par son


comportement, au respect des principes véhiculés par
l’initiation qui chez les Koôngo a pour rôle « d’instruire sur
les techniques traditionnelles, les mystères de la vie et les
forces bienveillantes, sur l’éloquence et la langue secrète, le
rituel, la sagesse, le formulaire protocolaire, la hiérarchie
sociale. Elle enseigne l’amour (dans tous les sens du terme)
et la solidarité clanique, les valeurs admises dans le groupe,

59 Ngoma (F), L’initiation bakongo et sa signification, Op.cit, p. 151.

90
les droits politiques et individuels. En somme, elle initie dans
le sens habituel du mot 60. »

C’est dire que l’initiation au sein de l’ordre de Koôngo dya


Leemba, au-delà d’une lutte contre les perturbateurs de
l’ordre social que peuvent être des ndoki, a pour but égale
ment et, non des moindres, de former le citoyen, le patriote
du Koôngo de la force et du bien-être existentiel, c’est-à-dire
de Koôngo dya Ntootela, le pays de la royauté des principes
du savoir, de la connaissance de la vie, du développement, de
la paix et donc de ki-muntu ou du muntuïsme.

60 Ngoma (F), L’initiation bakongo et sa signification, Op.cit, p. 151.

91
Conclusion

Au sujet de l’école initiatique de Kimpasi dont les caracté


ristiques s’apparentent à celles de Koôngo dya Leemba, le
kongologue Georges Balandier 61 rapporte :

« Les souverains kongo n’ont pas négligé cette institution


efficace. L’un d’eux, Antonio Ier, la mentionne allusivement
dans la liste de ses titres honorifiques. Il revendique cette
qualité de maître des initiés au moment où le royaume, vain
cu, brisé et ouvert aux compétitions, souffre d’une crise très
grave. Le kimpasi a joué un rôle politique et il a dû contri
buer à la lutte contre le “parti portugais” — c’est-à-dire
contre les modernistes. Il a une grande extension géogra
phique au XVIIe siècle. Les missionnaires capucins le
découvrent, jusque dans les provinces éloignées, aux envi
rons de 1645 . »

À quelques nuances près, ce descriptif, est tout aussi vrai


pour l’institution de Leemba, que les traditions orales présen
tent comme une des écoles de formation du muùntu, héritées
directement du fondateur du royaume de Koôngo, Nimi Lu
keni. Devenu Ntinu Wene au moment de son accession au
trône et qui est présenté par les chroniqueurs ayant séjourné

61Balandier (G.), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au


XVIIIe siècle, Hachette, 1965, p. 197.

93
dans l’ancien Congo, comme le Ntootela, c’est-à-dire, le jar
dinier, le cultivateur, le semeur, le rassembleur, somme toute,
le fédérateur.
Ntinu Wene est présenté comme le Ntootela, c’est-à-dire
comme le détenteur de plusieurs États qu’il a su pacifier en
tant qu’un maître initié du Koôngo dya Leemba ou de
Koôngo dya Kimpasi et ayant parvenu à créer une grande
fédération étatique dénommée Koôngo-Dya-Ntootela.
Kongo dya Ntootela est, peut-on dire le Koôngo du roi
certes conquérant, mais pacificateur !
C’est à ce titre que Ntinu Wene est aussi appelé Maàni,
c’est-à-dire, le détenteur ou le propriétaire des terres ou États
(ma n’gâta maàni) dans lesquels, il a su pacifiquement exer
cer son autorité de Leemba.
Ceux qui secondent le roi dans l’exercice de ses préroga
tives, pacifistes comme lui, sont aussi des Maàni, c’est-à-dire
des gouverneurs de provinces ou des états fédérés que sont
les Mbaànza.
C’est de la même manière qu’il se définit comme le Musi
koôngo, c’est-à-dire, ce Mpfumu-muùntu régnant pacifique
ment sur les terres koôngo.
Ici, force est de relever que le Musi n’est qu’une transcrip
tion évolutive du mot Mu-tsi, lequel défini l’appartenance de
l’être ou du Muùntu à un « pays » Koôngo donné qui n’est,
en réalité que la terre de ses ancêtres.
En l’espèce, l’homme koôngo est le Muùntu qui réside sur
les terres du grand pacificateur Na-Koôngo. Il est muùntu wa
tsi koòngo ou muùntu belaka mu tsi za koòngo, c’est-à-dire
celui qui devient pacifique parce que son maître initié l’est
naturellement.

94
À dire vrai, Tsi a pour synonyme le mot ntooto et qui veut
dire terres, pays, cités. Le Ntootela, le roi du Koôngo ou le
Mpfumu ntooto, est le pacificateur, c’est-à-dire le Mpfumu
Leemba qui pacifie les terres sur lesquelles, il gouverne, lui
conférant, entre autres, la qualité de Mfumu tsi.
En somme, est Musi, chez les Koôngo, toute personne ap
partenant à l’une des populations résidant dans les « cités
territoriales » de l’aire Koôngo ayant, par le passé, connu la
loi de pacification du roi fondateur et fédérateur Na-Koôngo.
Par conséquent, les [Bi]-si-Koôngo ou [Bi-tsi-] sont les
ressortissants des membres des clans qui résident sur des
terres que leur ont léguées leurs ancêtres Koôngo.
Le clan reste, comme le relève à juste titre le kongologue
Georges Balandier, efficace non seulement parce qu’il régit la
constitution des groupements résidentiels… mais parce qu’il
crée un champ de forces où vivants et « ancêtres » sont vita
lement associés et à l’intérieur duquel l’individu est censé
trouver équilibre et santé. Le fait d’être membre du clan (mu
si nkanda) prend, observe-t-il, d’autant plus d’importance
qu’il distingue l’homme libre (muntu a nkanda ou mfumu) de
l’homme dit esclave (muntu a mbongo ou mwana gata
= enfant du village et non de la parenté) 62.
Parmi les mérites de Ntinu Wene dans sa grande aventure
d’édification et de construction de son œuvre qui est le
Koôngo Dya Ntootela, c’est d’avoir, dès sa fondation initiée,
l’importance du travail, à travers la spécialisation de certaines
activités.

62Balandier (G), Sociologie actuelle de l’Afrique noire, 3e partie, Chan


gements sociaux chez les Bakongo du Congo, P.U.F., 2e édition, 1971, p.
305

95
C’est aussi là une des illustrations de la loi initiatique de
Koôngo dya Leemba en véhiculant, à sa manière, le sens de
l’unité, de l’entraide et de la solidarité communautaire.
D’où d’ailleurs, une des raisons d’être, des clans ou mvila.
À ce propos, le père Van Wing rapporte :
« Les hommes de métier arrivèrent avec leurs outils, car à
Kongo, dès l’origine chaque clan avait son métier. Il y avait
des tisserands, des tireurs de vin de palme, des vanniers, des
potiers, des forgerons. Il n’y avait de commun que
l’agriculture, qui était réservée aux femmes, et la chasse et la
pêche, apanage des hommes. Cette spécialisation et cette
division du travail entre les clans, tout extraordinaire que
cela paraisse, sont mentionnées dans les traditions de
quelques clans 63. »
En effet, autrefois, chaque clan avait un métier qui, de gé
nération en génération, était exercé par certains des membres
de celui-ci. Un métier était, en quelque sorte, une distinction
clanique. Oui, une distinction clanique qu’il convenait de
renforcer dans des institutions comme le Kimpasi ou le
Leemba.
C’est dans cette optique que, outre les distinctions cla
niques qu’elles opèrent, jadis, les noms des clans n’étaient
que la traduction des activités dominantes auxquels ceux-ci
s’étaient spécialisés.
À titre d’exemple, pour ce qui est du clan de Bisi
Kindamba, sire Ndamba fut, rapporte le cardinal Emile
Biayenda, un chef de clan connu pour le plus riche. Ce fut un
prodigue pour les réceptions qu’il donnait à ses invités et ses

63 Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie, Religion et Magie, 2e édi


tion, 1959, p. 45.

96
hôtes de passage. Le sobriquet fut trouvé, Ndamba ou Ndam
bi signifie mets apprêtés méticuleusement 64.
En fait, le sobriquet Ndamba est un dérivé nominal du
verbe laàmba et qui veut dire cuisiner, préparer et, de par leur
nom clanique, les membres du clan ki-ndamba furent réputés
pour leur hospitalité et celle-ci était grandement soutenue par
leurs activités agricoles, de commerce et d’élevage.
Il en fut de même pour les membres du clan Ka-Hunga
(ou Ka-wuùnga) réputés pour leurs activités pastorales et de
vente de bétail. Ici, le nom de Ka-wuùnga n’est autre que le
dérivé du verbe wuùnga et qui veut dire guider, diriger, orien
ter.
Ici, le verbe wuùnga sous-entend toute activité pastorale,
celle afférente aux bergers, dans leur entretien de troupeaux
de bœufs.
C’est dans le même ordre d’idées que, les noms de cer
taines ethnies [ba]-koôngo, correspondent en fait à la
traduction des activités dominantes, auxquelles elles étaient
attachées à un moment donné de leur histoire.
C’est le cas notamment au Congo-Brazzaville, des Kamba
[terme désignant des chênes majestueux d’Afrique], Kuùni
[du verbe kuùna et qui veut dire cultiver = travailleurs ou
exploitants de bois], Doòndo [grands prieurs et transmetteurs
de ndo ou ondes bénéfiques notamment en matière de com
merce domaine dans lequel, ils ont excellé par le passé] et
Suùndi [du verbe suùnda ou suùndama qui évoque toute idée
de se relever par la réunion et l’affermissement de toutes ces
conditions qui sont favorables à une vie meilleure du lieu où

64 Biayenda (Abbé E.), Coutumes et Développement chez les Bakongo du


Congo-Brazzaville, Thèse Lyon, 1968, Première partie, p. 24.

97
l’on réside et/ou par le travail comme celui du fer et ayant fait
d’eux, par le passé, de très grands forgerons ou ngaàngula]
dont le sens étymologique des noms qu’ils portent n’est en
réalité qu’une traduction des activités auxquelles ils étaient
fortement attachés ou dans lesquelles, ils s’étaient spécialisés
autrefois, comme l’agriculture, l’exploitation du bois, le
commerce et le travail des métaux.
En parlant par exemple des Kamba, Gilles Sautter rapporté
par Marcel Soret 65, à la suite d’une sérieuse étude du sys
tème de culture des Kamba, en était arrivé à la conclusion
d’après laquelle, ils étaient les meilleurs agriculteurs Koôngo.
En somme, le testament du père fondateur de Koôngo
Dya-Ntootela envers les [Ba]-na Koôngo, au travers des insti
tutions comme le Leemba, est celui d’une vie unitaire et
salutaire [comme l’indique le nom d’une des composantes
ethniques Koôngo, Vili qui, en réalité n’est qu’un dérivé no
minal du verbe Vila et qui veut dire : unir, associer, lier,
attacher, nouer. Les ma-vila sont des sentiers, des chemins
que certains groupes Koôngo comme les Vilis ont empruntés
dans leur histoire d’émigration tout en ayant pris le soin de
conserver les fondamentaux de la culture et sagesse Koôngo.
Quant au nom loango ou lwango, il sous-entend la toute
puissance ou force qui relève de Ngo, c’est-à-dire de l’union
de certaines forces naturelles qui finalement tendent au déve
loppement de l’être ou du muùntu], que tout enfant Koôngo
devra édifier, préserver coûte que coûte et qui, inéluctable
ment, passe par l’amour de l’être ou du Muùntu envers son
semblable et celui du travail. Celui-ci étant bien entendu

65 Soret (M), Les Kongo Nord-Occidentaux, P.U.F., 1959, p. 39.

98
l’élément capital ou indispensable pour l’accroissement, la
survie, le développement et la pérennité de la Nation.
D’où la signification profonde de la devise « Koôngo tsilu
lu ! » [Du verbe nsila et qui exprime toute idée d’action et
d’entreprise, etc.], c’est-à-dire Koôngo, terre des hommes, de
prière et de vie, d’accueil et de travail, de partage et de paix
où il fait bon vivre ne peut l’être que si les lois que sont les
« kieno mia tsi na kieno mia ba mbuta », ayant contribué à sa
fondation et à son rayonnement, sont pleinement respectées.
Jadis, le Leemba tout comme le Kimpasi, contribuait au
renforcement du sentiment national et de paix de Koôngo
parmi ses fils et filles.

99
Annexes

MBO-TETE ZA KOÔNGO OU LES ÉTOILES DE LA RÉ


SISTANCE DANS L’ANCIEN CONGO ET DE LA
DÉFINITION DE QUELQUES PRINCIPES D’APRÈS LA
COUTUME KOÔNGO

Les ordres initiatiques Koôngo ont pu, par le passé, « en


fanter » des fils et des filles des lumières qui par la défense de
leurs causes ont apporté leur pierre à l’édification d’un nou
vel ordre social, spirituel et moral. C’est le cas par exemple
de Kimpa Vita autrement appelée Dona Béatrice qui selon le
père Bernado da Gallo témoin oculaire de cette dernière
qu’elle était une grande prêtresse d’un culte appelé Marinda.
Ici Marinda n’est qu’une mauvaise transcription faite par son
auteur qui vraisemblablement comptait parler de l’ordre ini
tiatique de Kimba.

101
L’ordre institutionnel dans le Koôngo dya ntootela

Des écrits de nombreux chroniqueurs ayant séjourné dans


l’ancien Congo, le Koôngo dya Ntootela, celui-ci présentait,
sur le plan institutionnel, les caractéristiques d’un véritable
État.
Dans « Histoire du Congo-Brazzaville, édition Beger
Levrault, Paris 1978, p. 27 », Marcel SORET rapporte que :
« Le prototype de la société à État en Afrique centrale de
l’ouest fut l’ancien royaume de Kongo. Le roi n’impose plus
seulement son pouvoir aux descendants d’un ancêtre connu
ou mythique, mais encore à des tribus tout à fait étrangères.
Il se crée, alors, une véritable organisation étatique. »
Dans le Koôngo dya Ntootela, la monarchie était élective
et non héréditaire… Le choix d’un nouveau roi incombait aux
grands du royaume, les trois principaux électeurs étant le
Mani Vunda, les gouverneurs des provinces de Mbata et du
Soyo… Le principe de l’« élection du roi visait à dégager de
la masse une personnalité susceptible de représenter et
d’harmoniser en sa personne les aspirations et les vœux de
tous les éléments de la communauté. [W.G.L. RANDLES,
L’ancien royaume du Congo des origines à la fin du XIXe
siècle, p. 28]
Ici, il y a lieu de rappeler l’importance de la personne du
roi qui aux yeux du peuple doit être bonne, exemplaire, digne
de foi et de confiance. Il en est ainsi, en raison de sa haute
mission qui est celle, comme le rapporte W.G.L. RANDLES
de répondre aux « aspirations et aux vœux de tous les élé
ments de la communauté. »

103
D’où la signification des grands titres honorifiques attri
bués au roi de Koôngo que sont :

LE MAANI et LE NTOOTELA.

1. LE MAANI : Le roi du Congo ou de Koôngo est


Maani parce qu’il est à la tête, peut-on dire, d’un
« consortium » ou d’une communauté ayant en son
sein plusieurs composantes que sont les Mbaanza,
ma-n’gâta, mi-mvuka, Bibelo, c’est-à-dire des grands
centres urbains, des villages, des cités et des grands
quartiers résidentiels.

À dire vrai, le qualificatif de Maani consiste en la défini


tion de toutes possessions qui relèvent du domaine du roi.
C’est ainsi que, l’expression ma-n’gâta maani évoque très
judicieusement toute délimitation des biens qui relèvent du
domaine de celui qui le revendique et en l’espèce le Maani
Koôngo.

2. LE NTOOTELA : Le roi du Congo ou de Koôngo


est par excellence, le Ntootela, c’est-à-dire le déten
teur de plusieurs terres donc de plusieurs petits états
qu’il gouverne en union étroite avec les gouverneurs
de ceux-ci. Ce titre honorifique qui est exclusivement
attribué au roi dérive du verbe Toota qui veut dire ra
masser, cultiver, semer, travailler et récolter.

De plus, la dénomination de Ntootela confère au sou


verain, roi de Koôngo, le pouvoir de régner sur
plusieurs états que sont les Mbaanza. Il est, somme

104
toute l’unificateur ou le fédérateur et c’est en cela
qu’il est aussi appelé le Mpfumu n’tooto ou le Mpfu
mu tsi.

En tout état de cause : « La grande innovation de la con


quête bakongo est le groupement de multiples petits
royaumes en un grand État centralisé et gouverné par un
monarque suprême résidant dans une capitale. » [W.G.L.
RANDLES, L’ancien royaume du Congo des origines à la fin
du XIXe siècle, p. 20]
Toutefois, le pouvoir du roi n’est guère absolu sur les pe
tits états qu’il gouverne puisque « le roi de Congo, de même
que tous les autres grands chefs du pays, ne gouverne que
selon les avis d’un conseil comprenant dix ou douze Noirs,
membres choisis parmi les plus anciens…de sorte que la
guerre ne peut être déclarée, des nobles nommés ou déposés,
ni des chemins ouverts ou fermés sans le consentement de ce
conseil » [W.G.L. RANDLES, L’ancien royaume du Congo
des origines à la fin du XIXe siècle p. 59]
Il s’agit là du Conseil d’État qui diffère du Conseil Royal
lequel par son organisation et son fonctionnement s’apparente
peut-on dire au Mboongi du village. Outre les membres du
Conseil d’État, le « Mboongi Royal », est composé de tous
les gouverneurs de provinces ou mbaanza, des chefs de vil
lages ou kuluntu et de certains notables.
Cependant, il existe entre le roi et les deux conseils, une
chambre royale dirigée par le Maani-Lumbu qui est le major
dome du roi, le premier personnage après le roi qui ne doit
jamais quitter l’enceinte royale.
Le pouvoir royal à Mbaanza Koôngo est aussi tempéré par
l’existence d’un personnage de haut rang qui détient entre ses

105
mains un pouvoir « politico-religieux », Maani Nsaku Ne
Vunda.
D’après plusieurs chroniqueurs, Maani Nsaku Ne Vunda
« …a le privilège d’être le principal électeur des rois, de les
installer et de recevoir une sorte de tribut lors de leur prise
de possession. » [Histoire du royaume du Congo, auteur in
connu et traduit par Bontinck (F), Éditions
Nauwelaerts, 1972, p. 60].
Par ailleurs, Maani Vunda est un NSAKU, c’est-à-dire, un
« Consacrateur », un Régulateur in fine le « Gardien du
Temple » qui à ce titre veille au bon fonctionnement et au
rayonnement spirituel de la royauté en la débarrassant des
agents perturbateurs qui sont susceptibles de la mettre en
danger (du verbe sakula qui veut dire sarcler, débroussailler,
débarrasser).

3. NSAKU : À l’image de ces petites noix comestibles,


que l’on trouve sous terre, pleines de racines et qu’on
appelle nsa-nsaku (cyperaceae), le grand prêtre
NSAKU contribue, de par ses fonctions au renforce
ment populaire et salutaire de la royauté.

NSAKU est, somme toute, ce que les Koôngo appel


lent eux-mêmes, MIANZI MIA TSI ou MIANZI
MIA KOÔNGO, c’est-à-dire, cette haute autorité qui
porte en elle les fondements mêmes de la royauté ou
du royaume.

NSAKU est, peut-on dire, l’expression de la cons


cience nationale Koôngo.

106
C’est pour cette raison que Maani Nsaku Ne Vunda fut
probablement au premier plan parmi les autorités Koôngo à
abattre pour les missionnaires européens, en l’occurrence
portugais. Il constituait sans doute, selon eux, un véritable
frein contre l’évangélisation du royaume et au-delà un obs
tacle de taille contre la traite négrière.
Pour l’illustre kongologue Raphael BATSÎKAMA ba
MAMPUYA ma NDÂWLA :
« …le Vénérable, Ne Vûnda, devenait, “Ne Nsôngi wa
songela bankwa yâla vana Mbazi’a Nkânga” : le régulateur
qui assurait l’harmonie constitutionnelle à la Cour de
Mbânza-Kôngo, ou “Sikulu dyanene diyala muna Ngôyo’a
Ntinu” : le grand instrument (de musique) par lequel agit le
roi…ou encore, “Ntudi watudika makânda mangani, edyândi
kânda, lêmbe dya Ngo, lêmbe dya Tâta”… : celui qui se dé
voue entièrement pour assurer la grandeur d’autres familles
(lignages) tandis que la sienne reste la régulatrice (la con
seillère) des autorités afin de les maintenir sur la ligne tracée
par nos Pères. » [BATSÎKAMA, L’Ancien Royaume du
Congo et les BaKongo, L’Harmattan, 1999, p. 185].
À l’échelle provinciale, Maani Nsaku Ne Vunda considéré
par les missionnaires européens comme l’homologue du sou
verain pontife est représenté par le personnage de Kitomi qui
intervient effectivement dans les nominations des chefs de
provinces [NSONDE (J.D.), Langues, Culture et Histoire
Koongo aux XVIIe et XVIIe siècles,
L’Harmattan, 1995, p. 124].
D’un point de vue judiciaire, il existe dans le royaume de
Ntootela une organisation tripartite des juridictions ou tribu
naux. L’exercice tant pour les affaires civiles que pénales,
appartient au chef du village, sauf pour des cas d’une extrême
gravité qui doivent être instruits et jugés par des juges établis

107
par le roi ou par le roi lui-même. Toute personne ayant intérêt
pour agir en justice peut, pour des affaires de quelque impor
tance, en appeler au tribunal du gouverneur ou du roi. [Rudy
Mbemba-Dya-Bô-Benazo-Mbanzulu, Le procès de Kimpa
Vita la Jeanne d’Arc congolaise, L’Harmattan, 2002, p. 66].
En somme, et ce, d’un point de vue pratique, la justice
royale s’exerce vis-à-vis des grands vassaux que sont les
chefs de province, et en appel vis-à-vis des autres chefs.

RUDY MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU
(TAATA N’DWENGA)

Kongologue

Kasola (francisco) la première figure connue de la ré


sistance et de la conscience nationale koôngo.

KASOLA prénommé Francisco est un jeune Mukoôngo né


dans les années 1600. Son action de résistance et
d’édification de la conscience nationale Koôngo apparaît du
rant l’année 1632, l’année durant laquelle, il crée une église
kongolaise et indépendante vis-à-vis de l’église chrétienne
vaticane installée sur le sol de ses ancêtres depuis 1488.

L’action de Mbuùta KASOLA intervient à une période où


l’église chrétienne vaticane connaît un succès retentissant à
MbaànzaKoôngo, la cité royale et dans certaines provinces et
ce, sous l’impulsion des missionnaires comme le père Pero
Tavares.

108
Mais qui est ce père PeroTavares venu au Koôngo et dont
l’action d’évangélisation connaît un succès retentissant ?

Le père Pero Tavares est originaire du Portugal, pays dans


lequel, il naît en 1591 à Taveiro. Il étudie à l’université de
Coïmbre au Portugal, entre au noviciat des Jésuites en 1621
et est ordonné prêtre en 1628. Il atterrit au Koôngo plus pré
cisément dans la province de Bengo en 1629.

Dès que le père Pero Tavares arrive en 1629 à Mbaànza


Koôngo, il se fait aider pour son action d’évangélisation par
des élèves du collège de Luanda qui, outre les sciences de
l’humanité, subissent, entre autres, la formation de caté
chistes.

Préparé à la hâte et baptisé dans la religion catholique,


Mbuùta KASOLA suit assidûment les réunions d’instruction
religieuse du père Tavares qui porte essentiellement sur le
christianisme.

À son propos, l’éminent kongologue, le doyen Martial


Sinda rapporte :

« Francisco Kassola était profondément religieux comme


tous les autres Congolais. Tirant parti des connaissances
nouvelles acquises au cours des réunions de fidèles, Francis
co Kassola se proclama prophète avant de prendre son bâton
de pèlerin pour apporter et prêcher la bonne nouvelle à ses
frères de race… Alliant ses dons de magicien à sa connais
sance du milieu, Francisco Kassola réussit à mettre sur pied
un mouvement qui exerça sur ses compatriotes une extraor
dinaire fascination. Prophète noir s’adressant à des Noirs
dans un langage simple et adapté, Francisco Kassola rem

109
porta un réel succès lorsqu’il déclara sur les rives de Dande
et de la Lufine qu’il était fils de Dieu. Serviable, imbu d’une
forte culture religieuse, Kassola avait souvent accompagné le
père Tavares dans ses tournées pastorales ». [Sinda (M), Le
Messianisme Congolais et ses incidences politiques,
Payot, 1972, p. 22].

Mbuùta KASOLA est d’une part, défini comme un jeune


Mukoôngo presque surdoué, intelligent, habile, fin connais
seur des plantes et d’autre part, il apparaît comme une sorte
de « gardien du temple » des savoirs et connaissances de ses
ancêtres sur lesquels, il entend bâtir une voie de libération et
d’indépendance pour le Koôngo qu’il estime être sous le joug
des étrangers.

Pour Mbuùta KASOLA, si le Christ est le Sauveur, le Li


bérateur, l’Ami des Hommes sur terre, s’il est tolérant,
respectueux des valeurs des peuples comme le prétendent les
missionnaires chrétiens, alors pourquoi ceux-ci s’en pren
nent-ils à des valeurs spirituelles des Koôngo et à leur Dieu
lequel, est aussi défini comme un Dieu d’amour, de tolérance,
de liberté et de respect, c’est-à-dire NzaàmbiyaLutoòndo
NaMpunguLulendo.

Mbuùta KASOLA est tout simplement, ce qu’on appelle


dans le jargon Koôngo, un véritable Nguùnza, c’est-à-dire, un
homme des lumières, un prophète, un intellectuel, un sage
absolument pétri de savoirs et de connaissances de ses an
cêtres qu’il estime, avant tout, être l’unique voie
d’authenticité, d’autonomie et de libération du peuple
Koôngo.

110
Mbuùta KASOLA était, rapporte le père Tavares, un féti
cheur de renom dans le pays et un excellent connaisseur des
plantes médicinales, et que son intelligence était aussi vive
que celle d’un Portugais… Ce jeune Mukongo était, observe
t-il, un garçon dynamique qui savait tirer profit de ses dons.
Cherchant à frapper l’imagination de ses compatriotes et vou
lant consolider par là même le mouvement qu’il venait de
fonder, Kassola suçait les plaies infectées et les guérissait
d’ailleurs complètement, ce qui ne manqua pas de décupler
son prestige lorsqu’il s’imposa comme fondateur d’une nou
velle religion qui apporterait l’âge d’or aux Noirs.

Quant au doyen Martial Sinda, il relève que :

« Rompu au maniement des prêches de l’Église catho


lique, Kassola eut un grand succès parmi les Bakongo qui le
considéraient déjà comme un libérateur de la race. Fort de
ce consensus national, le prophète ambulant alla bientôt de
village en village pour opérer ses miracles… Ce mouvement
connut un succès extraordinaire : des foules composées tant
de chrétiens que de personnes qui refusaient d’adhérer à
l’Église catholique accouraient de partout vers le thauma
turge.
Le bruit selon lequel Kassola accomplissait des miracles
se colportait de bouche à oreille et s’amplifiait ainsi démesu
rément dans les villages et sur les marchés. Des hommes, des
femmes ou même des enfants ayant eu l’insigne honneur
d’approcher, de toucher ou de serrer la main du prophète se
disaient privilégiés, guéris, miraculés.
Le prophète opérait ses miracles selon les usages Bakon
go : ainsi disait-on, il faisait apparaître toutes sortes de
choses dans les maisons où il n’y avait rien (vin de palme,
ignames, fruits, etc.). Ces miracles qui émerveillaient ses

111
compatriotes renforçaient incontestablement la réputation de
Kassola. » [Sinda (M), Le Messianisme Congolais et ses in
cidences politiques, Ibidem].

En fait Mbuùta KASOLA, ne s’en est jamais pris à la doc


trine proprement dite du Christ sur laquelle d’ailleurs rien ne
nous est rapporté sur le plan de son action. Par contre sa viru
lence afférente à son enseignement ou à son discours était
tournée contre « le comportement dévoyé des missionnaires
et leur autoritarisme au regard des coutumes africaines.
Comment, prêchait-il, un peuple qui a ses croyances et ses
modes de pensée propre, pouvait-il les annihiler au profit
d’une cultureétrangère ? » [Sinda (M) « Le Messianisme
Congolais et ses incidences politiques » Ibidem.]

KASOLA est, peut-on dire, le précurseur ou à l’avant


garde des doctrines autochtones comme le Kimpa-vitisme, le
kimbanguisme ou le matsouanisme, c’est-à-dire de ces cou
rants de pensée propres à la société Koôngolaise et qui
consistent, d’une manière ou d’une autre, en une réhabilita
tion ou restauration des valeurs identitaires et qui, à ce titre
sont la voie même d’autonomie et d’indépendance voire de
libération.

Pour les leaders et les partisans de ces courants de pensée,


les valeurs universelles ne doivent pas être un piège, une voie
de perdition identitaire. L’ouverture de la société Koôngo
laise vers le monde extérieur ne doit nullement être une cause
de son affaiblissement, mais plutôt celui de son enrichisse
ment par l’intermédaire du principe d’intégration qui
finalement doit faire ressortir l’Homme Intégral, le Muùntu,
l’Homme équilibré ou renforcé parce qu’il est, à la fois, lui

112
même et en même temps ouvert et réceptif à l’évolution du
monde tel qu’il est en perpétuel devenir.

Tout comme semble l’indiquer son nom, Mbuùta KASO


LA « wasola nzila koòngo », c’est-à-dire, avait fait son choix
sans aucune ambiguïté, celui du maintien identitaire en se
positionnant pour la cause et le Parti du Koôngo, cette cause
de restauration de toutes les valeurs sociales, morales, poli
tiques et spirituelles qui définissent l’identité de la Nation
Koôngo. C’est ainsi que, de par son discours, il parvint à bâtir
la conscience même de libération du peuple Koôngo qui, se
lon son entendement, passait, entre autres, par une
réhabilitation et une profonde restauration des savoirs et con
naissances de ses ancêtres.

En somme, par son action et en dépit d’une redoutable


campagne contre sa personne et son enseignement par les
missionnaires européens, en l’occurrence portugais qui, par
ailleurs souhaitaient ou tenaient vivement à son arrestation,
Mbuùta KASOLA avait réussi à poser les germes d’un patrio
tisme ardent qu’allait incarner un siècle plus tard KIMPA
VITA ou Dona Béatrice et plus près de nous des fils Koôngo
comme le prophète Simon KIMBANGU ou André Grenard
MATSOUA.

Mafuta et la cause féminine de « mwinda wa koòngo »


ou de la conscience nationale de libération dans
l’ancien Congo au XVIIIe siècle.

MAFUTA est une femme Mukoôngo qui s’est révélée, la


soixantaine passée, à la suite de la bataille d’Ambwila
d’octobre 1665 dont elle avait été une témoin oculaire. Une

113
guerre ayant opposé les Koôngo aux Portugais. Cette bataille
marque le déclin de l’ancien Congo. En effet, après octobre
1665, le Koôngo connaît une grande période d’anarchie,
d’instabilité pour avoir perdu sa caste dirigeante à Mbaànza
bwila. Divers chefs vont se proclamer, ici et là, soutenus par
des habitants de leurs villages ou des membres de leurs clans.

Le pouvoir royal affaibli par cette défaite ne retrouvera


plus, écrit le chanoine Louis Jadin rapporté par G. Balandier,
jamais sa splendeur… Les factions se disputeront le trône et
les prétendants ruinés par les engagements de leur campagne
électorale n’auront qu’une autorité précaire [Balandier
(G), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au
XVIIIe siècle, Hachette, 1965, p. 260].

Il s’agit en effet d’une période douloureuse de la société


royale Koôngo qui se caractérise donc par l’effondrement du
pouvoir et une généralisation de la misère du fait des guerres
civiles qui multipliaient les ruines.

Cependant, comme le relève à juste titre le capucin Ber


nardo da Gallo, les Congolais désiraient retourner dans leur
ville principale appelée S. Salvador, déjà détruite depuis de
nombreuses années à cause des guerres avec les Portugais. Ils
désiraient, observe-t-il, la paix de leur royaume avec sa totale
restauration [Jadin (L), Le Congo et la secte des Antoniens,
Restauration du royaume sous Pedro IV et la « saint An
toine » congolaise (1694-1718), Bulletin de l’Institut
Historique belge de Rome Bruxelles, p. 492].

C’est ainsi qu’une initiative associant la mystique et le


réalisme provoquera le réveil de Kongo. Une religion révélée
naît en même temps que se prépare, écrit G. Balandier, sous

114
l’impulsion de ses fondateurs, la renaissance de l’unité poli
tique. L’audace de quelques visionnaires stimule le sentiment
national et entretient l’espoir d’un avenir meilleur. Le chris
tianisme leur a donné les moyens d’une libération et d’une
restauration du royaume ; il devient l’instrument d’un salut
qui n’est pas celui que son enseignement annonce. [Balandier
(G), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au
XVIIIe siècle, Hachette, 1965, p. 261].

C’est l’éveil même de la conscience de « mwinda wa


Koôngo », de cette conscience de résistance et de libération
nationale en dénonçant les pratiques d’asservissement de
l’être ou du Muùntu introduites par les forces étrangères sur
le sol Koôngo.

C’est dans ce contexte d’exaltation et d’effervescence du


sentiment national de restauration qu’apparaît NKAÀKA
MAFUTA (= la grand-mère MAFUTA). Effectivement
NKAÀKA MAFUTA avait retenu quelque chose du christia
nisme en ce qu’il pouvait être un instrument de libération
et/ou d’édification de la conscience nationale donc de restau
ration du royaume.

Le discours de NKAÀKA MAFUTA est fortement impré


gné des valeurs chrétiennes. Depuis le mont Kimbangou où
s’est installé le roi Pedro IV Agua Rosada dit le pacifique,
NKAÀKA MAFUTA prétend que la Vierge ou la Madone lui
est apparue en lui exprimant l’indignation du Christ à cause
de nombreux maux qui minent le Koôngo en l’affaiblissant.

Alors, les Koôngo doivent, selon NKAÀKA MAFUTA, se


tourner vers des choses célestes, celles qui élèvent la pensée
de l’être ou du Muùntu, c’est-à-dire, qui le transforment en le

115
conduisant inexorablement, vers un mieux-être, mais qui tou
tefois ne sont accessibles que si les Koôngo admettent
intégralement le fait que toute libération quelle qu’elle soit et
d’où qu’elle vienne est, avant tout, spirituelle. Toute libéra
tion n’est possible et effective que, si elle accepte en son sein
une transformation de l’être ou du Muùntu dans son for inté
rieur. Ce faisant, il faut qu’elle intègre, outre la
transformation spirituelle de l’être, une dimension d’action et
de sens de diverses initiatives voire de mouvement pour par
venir à la réalisation finale de son dessein.
La libération pour NKAÀKA MAFUTA est la cause
d’accession à une vie meilleure qui s’inscrit inexorablement
dans le respect de soi, de recherche d’autonomie et
d’indépendance et qui, en définitive, est soumise à la marche
du Muùntu (ou mwe-ndolo wa mwaàna muùntu) sur les sen
tiers qui en sont la source. Cela est d’autant plus véridique
pour elle que « la Madone lui était apparue pleine de sueur, à
cause de la fatigue supportée à être restée prosternée et à
prier son fils, fort indigné contre ceux de chibango. Il était
indigné, tant pour leur méchanceté, qu’également parce
qu’ils ne voulaient pas descendre du Mont et se mettre en
route vers S. Salvador. Il était principalement indigné contre
le roi ». [Jadin (L), Le Congo et la secte des Antoniens, Res
tauration du royaume sous Pedro IV et la « saint Antoine »
congolaise (1694-1718), Bulletin de l’Institut Historique
belge de Rome Bruxelles, p. 495].

Ici, force est d’indiquer que, de par son action, NKAÀKA


MAFUTA porte l’habit de la mère légendaire des [Ba]
Koôngo, MAÀMA ZINGA, la mère aux neuf seins qui de sur
croît est la fondatrice de Koôngo-Dya-Ntootela. Elle est
ZINGA ou NZINGA, parce qu’elle porte en elle, ce verbe libé
rateur des contraintes existentielles qui, à ce titre, est, à la

116
fois, constructif, inventif, organisationnel et surtout « éman
cipationel » ou « libérationnel ».

Par ailleurs, elle incarne l’Esprit de « MAÀMA WA


NDOÒMBI », ce Grand Esprit tutélaire d’assistance,
d’accompagnement et de confiance dans les initiatives de
lutte ou de libération, d’après la cosmogonie des [Ba]
Koôngo.

C’est, par exemple, sous le patronat de ce Grand Esprit de


« MAÀMA WA NDOÒMBI » qu’André Grenard Matsua
s’était engagé, en son temps, dans son action à l’effet de dé
noncer les injustices et les inégalités subies par les siens et
instituées sur le sol de ses ancêtres par le colonisateur fran
çais.

Pour le capucin Bernardo da Gallo, MAFUTA est une


vieille dame, superstitieuse qui raconte des sottises. Ses sot
tises sont, à ses yeux, d’autant plus abominables que
MAFUTA prétend avoir trouvé « … une pierre dans le fleuve
Ambriz. Elle disait que cette pierre était la tête du Christ,
toute déformée par les coups de couteau de la méchanceté
des hommes et par les coups de houe des femmes, qui travail
laient les jours de fête. » [Jadin (L), Le Congo et la secte des
Antoniens, Restauration du royaume sous Pedro IV et la
« saint Antoine » congolaise (1694-1718, Bulletin de
l’Institut Historique belge de Rome Bruxelles, Ibidem].

En fait pour n’avoir pas certainement mieux saisi les subti


lités de la langue Koôngo, le père capucin Bernardo da Gallo
ne se rendit guère compte de la profondeur de NKAÀKA
MAFUTA qui, en s’inspirant des textes évangéliques aspirait,

117
entre autres, à un anoblissement ou un enrichissement univer
sel de son message de libération.
Ainsi, à l’instar du Christ qui, en s’adressant à Pierre dans
les évangiles, lui dit que : « tu es pierre et que c’est sur cette
pierre que je bâtirai mon église », NKAÀKA MAFUTA, va
comparer le Koôngo à une pierre qu’il convient de bien scru
ter, de bien travailler finement, habilement, intelligemment et
sagement à l’effet de la rendre plus brillante, plus glorieuse et
donc plus édifiante et plus sécurisante pour tous ses enfants
comme le firent leurs ancêtres par le passé.

Ici, la Nationaliste NKAÀKA MAFUTA, considère, peut


on dire, le Koôngo comme une promesse, c’est-à-dire,
« koòngo tsilulu », un but à atteindre à la sueur de son front
ou « tsia-futa » comme le sous-entend, entre autres son nom,
un gigantesque programme ayant une dimension christique
et, qui n’est accessible ou possible que, si les filles et fils
Koôngo mettent de l’ordre dans leur mode de vie, de penser
et de faire en y associant notamment le principe de l’unité ou
luvila ou ngwisani.

Cette ambition nationale qui, aux yeux de NKAÀKA


MAFUTA est noble, nécessite inexorablement, une certaine
façon d’être et de faire ou ki-nsaku (du verbe sakula et qui
décrit le fait de débarrasser un terrain, une culture des mau
vaises herbes). Les mauvaises herbes étant, en l’espèce,
constituées par la méchanceté des hommes comme les
vieilles querelles entre les familles claniques, les démêlés sur
les choix des chefs, toutes sortes de rancœurs interminables
mettant le projet perpétuel de la nation Koôngo dans une im
passe et qui finalement profitent à l’étranger avide et cupide
de ses richesses.

118
Pour NKAÀKA MAFUTA une méthodologie spirituelle
ou ki-nsaku s’impose ou doit être associée à l’œuvre de res
tauration que l’on peut parfaitement renforcer à Mbaànza
Koôngo où jadis, était situé, entre autres, le siège de Maàni
Nsaku Ne Vunda, le chef spirituel de la religion originelle
Koôngo qui, selon les chroniqueurs européens séjournant
dans cette cité royale, est l’homologue du Souverain Pontife
de l’Église vaticane.
D’où pour la prophétesse NKAÀKA MAFUTA, une vive
exhortation en direction du peuple Koôngo en lui demandant
de descendre vers San Salvador ou Mbaànza Koôngo, la cité
royale, qui est par excellence son lieu même d’unification
politique, sociale, morale et spirituelle.

Mbaànza Koôngo est, pour NKAÀKA MAFUTA, tout


comme pour son alliée et disciple Yaàya Kimpa Vita, une
sorte de parlement ou de Mboòngi National, voire un centre
national de règlement de conflits de tous genres et donc le
lieu même de restauration intégrale des valeurs qui définis
sent la nation Koôngo.

Au mois d’août 1704, le bruit se répand que la « vieille est


une sainte » qui opère des guérisons miraculeuses, écrit le
doyen Martial Sinda. Profitant de sa position de prophète,
Mafouta combattait les fétiches et les autres pratiques ma
giques. Beaucoup de gens accouraient vers elle et même la
reine avait foi en ses prophéties lorsque Mafouta proclamait
que le mont Kibangou serait anéanti par le feu si les Congo
lais persistaient dans leur refus d’écouter le message du
Christ. Les missionnaires cherchèrent à l’arrêter, mais le roi
et la reine, qui croyaient beaucoup en ses prophéties, conti
nuèrent à la protéger contre l’inquisition.

119
Déçu par ce qu’il croyait être une attitude équivoque du
roi et de la reine, le Père Bernardo da Gallo usa, poursuit
Martial Sinda, de représailles en fermant les portes de l’église
aux fidèles. L’affaire Mafouta Apollonia Fumaria dit « Vieux
Siméon » eut de profondes répercussions dans le peuple,
quoiqu’elle n’inquiétât pas sérieusement le missionnaire ca
pucin. Celui-ci pensait que les « sottes » prophéties de
Mafouta tomberaient d’elles-mêmes et que les positions de
l’Église menacée seraient rétablies sans difficulté. Malgré cet
espoir, les évènements en décidèrent, conclut-il, autrement :
l’affaire que les missionnaires cherchaient à étouffer connut
soudainement des rebondissements imprévus et percutants
lorsque la vieille Mafouta se fait l’alliée de Dona Béatrice.
[Sinda (M), Le Messianisme congolais et ses incidencespoli
tiques, Payot, 1972, p. 40].

En somme, de par son action et son enseignement qui


connaissent un grand retentissement auprès du peuple
Koôngo, NKAÀKA MAFUTA devient pour Kimpa Vita
maàma Ndona ou Dona Béatrice, le modèle, l’exemple à
suivre. Tout comme elle et à l’instar de Jeanne d’Arc la Fran
çaise, elle va se donner pour mission de remédier aux
malheurs du royaume.

Kimpa vita et le mouvement national de résistance de


« mwinda wa koongo » ou de « ntangu yi fweni ».

La guerre d’Ambwila de 1665 ayant opposé les Portugais


aux Koongo, marque un tournant dans l’histoire du pays du
roi, le Koongo dya Ntotela, c’est-à-dire l’ancien royaume du
Congo. C’est à partir de cette période que le Koongo, du fait
de la perte de sa noblesse et de sa caste dirigeante ayant cor

120
rélativement eu un impact sur l’autorité étatique, connaîtra
une gouvernance quelque peu anarchique.

Le Koongo devient, en quelque sorte, « un espace géogra


phique habité par des populations inorganisées ».

Une des conséquences majeures de ce déclin est que le


royaume passe de six provinces au XVIe à vingt-deux au mi
lieu du XVIIIe siècle.

L’unité du royaume étant brisée, c’est la diversité doréna


vant des prétendants chefs ou rois qui semblera s’imposer et
dont le corps électoral sera constitué par les habitants de leurs
villages voire des membres de leurs clans.

Dans ce contexte aussi difficile de la vie politico-sociale


du Kongo, une lueur d’espoir va naître toutefois avec les pro
phéties d’une vieille dame, la nommée « MAMA
MAFUTA ». En effet « MAMA MAFUTA » ou APPOLO
NIA FOUMARIA de son nom de baptême est, peut-on dire la
conscience même de « mwinda wa koongo », celle de restau
ration et d’édification de la conscience de libération de l’être
ou du Muuntu.

« MAMA MAFUTA » est, de facto, une « porte-parole »


de « mwinda wa koongo », c’est-à-dire, de cette conscience
congolaise de libération de l’être et d’information sur le de
venir sociopolitique de son pays qu’il convient d’édifier
perpétuellement et raisonnablement.

C’est dire que « MAMA MAFUTA » est, dans une cer


taine mesure, une expression d’édification perpétuelle du
corps social et de la personne humaine, par le discours de

121
libération qu’elle tient, ici et là, dans les localités centrales de
Koongo Dya Ntotela.

À son sujet, les chroniqueurs témoins de l’œuvre de


« MAMA MAFUTA » rapportent qu’elle opère des guérisons
miraculeuses. Prophétesse, entre autres, elle combat les fé
tiches et les autres pratiques magiques.

Beaucoup de gens accouraient vers elle, écrit Martial


SINDA et même la reine avait foi en ses prophéties lorsque
MAFUTA proclamait que le mont Kibangou serait anéanti
par le feu si les Congolais persistaient dans leur refus
d’embrasser le message de la libération. Les missionnaires
cherchèrent à l’arrêter, mais le roi et la reine, qui croyaient
beaucoup en ses prophéties, continuèrent à la protéger contre
l’inquisition.

Annonciatrice de KIMPA VITA, « MAMA MAFUTA »


invitera très vivement le peuple Koongo à être sur son che
min puisqu’elle réunissait en elle toutes ces qualités requises
pour porter le flambeau de « mwinda wa koongo », c’est-à
dire, celui de la flamme de restauration et d’édification de la
conscience nationale du développement et de
l’épanouissement existentiel du Muuntu’a koongo.

Âgée d’à peine 22 ans KIMPA VITA ou DONA BÉA


TRICE de son nom de baptême fut, avec la complicité des
missionnaires capucins, brûlée vive comme Jeanne d’Arc la
Lorraine à Mbanza Evuluvulu le 2 juillet 1702.

Sur tous les plans, l’œuvre de KIMPA VITA s’avère être


spectaculaire. En dépit des contraintes qu’elle rencontre sur
son chemin venant de ses adversaires, les missionnaires ca

122
pucins, son œuvre obtient l’adhésion d’un grand nombre de
ses compatriotes.

Ayant conquis le roi et la reine à son parti, elle fit propa


ger dans le pays, écrit Martial SINDA, la nouvelle religion
qu’elle venait de fonder avec le concours de saint Antoine…
Comme saint Antoine, Dona Béatrice commença à opérer les
miracles. À San Salvador où elle prêche par ailleurs, Dona
Béatrice est vénérée par les notables du royaume. Des ma
lades guérissent.

Dans le même ordre d’idées, Georges BALANDIER sou


ligne que « cette ascension rapide s’explique par la certitude
largement partagée, que le Dieu chrétien répond enfin à la
longue attente angoissée des gens de Kongo. Dona Béatrice
est son envoyée ; elle participe à sa puissance ; elle com
mande à la nature… elle permet aux Ba-Kongo d’avoir
“leurs saints” c’est-à-dire, les interprètes d’un christianisme
remodelé et africanisé. Elle annonce des temps nouveaux. »

En d’autres termes, l’action de Kimpa Vita est, peut-on


dire, celle de « mwinda wa koongo », c’est-à-dire, celui du
refus d’une négation des valeurs sociales, morales, politiques
et religieuses qui définissent une nation ou un peuple et, dans
le cas d’espèce, celles ayant grandement, par le passé, contri
bué au développement de Koongo Dya Ntotela.

Dans cette optique, les adversités, les obstacles rencontrés


dans le cadre d’une lutte de libération ne doivent, selon
« MAMA MAFUTA » ou la NDONA KIMPA VITA, perçus
comme une cause d’abandon de ce, pourquoi on se bat. Bien
au contraire, ils doivent être un élément mobilisateur, une
source de stimulation pour aller de l’avant et, de ce fait, une

123
occasion précieuse d’une prise de conscience de ce, à quoi on
aspire et en l’espèce du sens véritable de la cause nationale.

En somme, « mwinda wa koongo » est, à la fois, un éveil


spirituel et/ou une prise de conscience sur des maux de tous
genres qui minent la raison même de l’être ou du Muuntu. Il
s’agit globalement des maux qui nuisent à son épanouisse
ment voire à son bien-être et qui par tous moyens doivent être
combattus. C’est l’expression même d’une conscience hu
maine, sociale, politique et spirituelle qui par le passé s’est
exprimée dans la société Koongo, à travers ses filles et fils
que sont :

KASOLA, MAFUTA, NDONA KIMPA VITA, BUETA


MBONGO, KIMBANGU, MPADI, MATSUA, ETC.

Le muuntu et sa conscience linguistico-spirituelle


face à la mort.

Quelle que soit l’explication qu’on peut donner sur la ou


les causes ayant entrainé la mort d’une personne, celle-ci de
meure toujours une énigme pour l’homme Koôngo ou les
Bantous en général.

La mort n’est point définie par le Muùntu’a Koôngo


comme étant un arrêt fonctionnel du principe vital ou comme
une absence totale de vie de la personne en cause. Elle est,
bien au contraire vie, certes une autre forme de vie, mais qui,
toutefois est complètement sous la gouvernance de Dieu lui
même NzaMbi MpuNgu.

124
C’est sous cet angle que la terminologie de la question de
la mort revêt une importance considérable. Elle est, peut-on
dire, révélatrice puisqu’elle révèle, entre autres, l’âme pro
fonde des croyances sur l’au-delà de Muùntu’a Koôngo.

À titre d’exemple, le corps du défunt est désigné par


l’expression mvuùmbi-muuntu. D’emblée, force est de noter
que, ce terme dérive du verbe vuùmbila/vuùmbika qui veut
dire courber, pencher, incliner, plier voire envelopper. Il
s’agit là d’une terminologie qui tend à décrire les différentes
étapes d’entretien du corps du défunt avant son dernier grand
voyage. C’est ainsi que son corps sera vêtu d’une certaine
manière donnée avant d’être courbé dans le cercueil à l’effet
de le faire reposer définitivement en paix en l’enterrant.

Outre cette signification d’entretien du corps du défunt, le


mot mvuùmbi est la traduction même de la pensée profonde
du Muùntu ou de l’homme Koôngo sur le phénomène de la
mort. En effet, ce dernier définit la mort comme étant une
manifestation de l’appel du temps sur l’être, donc de Dieu
lui-même NzaMbi MpuNgu. En réalité, le terme mvuùmbi
comporte deux vocables à savoir :

MVU = temps, période, saison ; MBI (de MBILA) = appel,


convocation

Ceci dit, étymologiquement parlant le mot mvuùmbi décrit


la manifestation de l’appel du temps sur la personne de l’être
ou du Muùntu du fait de son âge, en l’occurrence de sa vieil
lesse. C’est à ce titre que, longtemps durant, l’homme
Koôngo ne pouvait concevoir la mort trop précoce de son
semblable ou de lui-même. Une telle mort étant considérée

125
autrefois par lui comme étant une manœuvre de ceux qui ont
le mauvais œil, les Ndoki, c’est-à-dire les sorciers.

À ce propos, le père Van Wing rapporte :

« Les maladies ne sont pas considérées comme des faits


ayant une explication dans le cours normal de l’action et de
la réaction des causes naturelles. Toute maladie jusqu’à
preuve du contraire est due à l’action directe ou indirecte du
ndoki = sorcier ou d’un mauvais esprit. Quand la preuve du
contraire a été faite, alors une seule cause est entrée en jeu.
NzaMbi MpuNgu. “NzaMbi MpuNgu lui-même a appelé
l’homme”. Il l’a fait mourir. À cela il n’y a rien à dire, il n’y
a pas de remèdes ni d’armes contre NzaMbi. » [Van Wing,
Études Bakongo Sociologie-Religion et Magie, 2e édi
tion, 1959, Desclée de Brouwer, p. 231].

Selon qu’il ait été bon ou mauvais, une fois mort, l’être
devient un Kiìba, c’est-à-dire un esprit bienfaisant voire un
Kuùlu ou un mu-kuyu, c’est-à-dire un esprit errant.

Ici, une fois de plus, la terminologie Koôngo ou bantoue


face à la mort est fort évocatrice. Tout d’abord le mot Kiìba
signifie couvercle, en l’occurrence d’une marmite. Au pluriel,
ce mot donne Biìba. Ainsi par analogie à cet ustensile qui sert
de couverture d’une marmite, les esprits des bons ancêtres
ayant été justes devant Dieu NzaMbi MpuNgu servent aussi
de couverture, de protection donc d’esprits gardiens voire
d’esprits bienfaisants vis-à-vis des vivants. Ce sont ces esprits
qui selon Placide Tempels contribuent au renforcement de la
force vitale des clans ou Ma-kaànda. Ce sont les ancêtres qui
assurent la propagation du clan d’où, entre autres, leur appel
lation de Mbuùla (ou Mbu-wula).

126
Ici, le vocable de Mbu exprime toute idée d’aide et de sou
tien sous forme de délices des esprits bienfaisants que sont
les Biìba sur les vivants. Quant au vocable de wula, il décrit
la nature même d’aide et de soutien qui se traduit par le
souffle ou la force vitale que les Biìba attribuent aux vivants.

Ainsi par leur bonté, depuis l’au-delà, les Biìba ou Mbuùla


éjectent le souffle divin ou procèdent au renforcement de la
force vitale du clan ou kaànda. C’est à ce titre qu’ils sont
aussi appelés Kuùlu ou Ba-Kuùlu, du verbe Kuùla qui veut
dire grandir, germer, croître. On les appelle ainsi par ce qu’ils
ont été justes et bons sur terre ayant, à ce titre été élevés au
rang des esprits bienfaisants des ancêtres.

Quant au mauvais défunt qui n’est connu que de Dieu


NzaMbi MpuNgu lui-même, il est censé porter dans l’au-delà
l’habit de l’errance, c’est-à-dire celui de mu-kuyu lequel mot
dérive du verbe ku-yuùnga ou ku-ya qui exprime l’idée de feu
destructeur, de déchéance et d’errance.

Par ailleurs, quand le mort est enterré, l’homme Koôngo


considère qu’à ce stade, le défunt se met corrélativement dans
une situation de voyage de non retour à la vie charnelle ou
humaine d’où la signification étymologique de l’expression
« Ngwala yaya wele ku bi-tsiìnda », le défunt s’en est allé au
pays du non-retour.

Ici, le vocable de Tsiì désigne le pays, le nouvel espace


existentiel de l’esprit du défunt. Associé au mot bi, il entend
simplement exprimer le pluriel du mot Tsiì. Quant au vocable
de Nda, il traduit l’idée d’éloignement, de distance donc du
pays de non-retour.

127
Il arrive parfois que l’on puisse employer le mot Mbaànza
à la place de Bitsiìnda. Dans ce cas, le pays de non-retour
revêt une tout autre signification qui est celle de la cité cé
leste. Mbaànza évoquant, dans le cas d’espèce, et ce,
étymologiquement, les profondeurs de l’univers auxquelles
l’esprit du défunt va dorénavant être plongé à savoir : la cité
céleste.

C’est ainsi que la mort est, pour l’homme Koôngo, un vé


ritable voyage énigmatique qui d’une part se caractérise par
un arrêt du fonctionnement biologique ou physiologique de
l’être et qui, d’autre part s’effectue par le départ du corps
spirituel ou astral de l’enveloppe physique de l’être pour se
transporter en un lieu qui est de nature métaphysique.

C’est, somme toute, une transportation de son âme dans un


autre espace vital « existentiellement » invisible qui toutefois
est sous la complète gouvernance du Dieu suprême NzaMbi
MpuNgu.

Pour l’homme Koôngo, la question de la mort relève du


domaine ou de la science de NzaMbi MpuNgu lui-même et
qui, à ce titre nécessite de la part du Muùntu une considéra
tion digne du respect que l’on doit au mort.

D’où, entre autres, la portée étymologique du mot ki


vwaàndu, signifiant veillée mortuaire qui, longtemps durant
était, chez les Koôngo non seulement une occasion pour
rendre un dernier hommage au défunt, mais également celle
de rencontre, de partage, de règlement de conflits pour une
bonne harmonie des relations claniques ou familiales et ce,
dans l’intérêt tant du défunt que des vivants.

128
Ici, force est de relever que le mot ki-vwaàndu comporte
deux vocables à savoir :

VWA = possession ; NDU ou KU-NDU = science ; savoir ;


connaissance ; dignité (c’est au nom du principe de la dignité
qu’on emploie l’expression « mama, tata suùmba kundu »,
c’est-à-dire un tel fait preuve de sagesse ou d’habileté en cas
de difficultés nées à l’occasion par exemple du partage des
biens du DE CUJUS ou défunt qui chez les Koôngo autrefois
était une affaire gravissime.)

Ceci dit, ki-vwaàndu, extension de vwaànda (synonyme de


zaàkala) qui décrit le fait de s’asseoir est certes le verbe qui
chez les Koôngo désigne le repos qui, en l’espèce donne lieu
à la tenue d’une veillée mortuaire, mais également celui qui
tend à exprimer le comportement de profonde considération
que les vivants doivent avoir vis-à-vis du défunt.

C’est ainsi que l’ambiance de fête, de désordre ou de


toutes sortes de mépris qui règne à l’heure actuelle dans les
veillées mortuaires dans le Congo actuel, était jadis, considé
rée comme un sacrilège ou un crime de lèse-majesté.

De la définition du principe de ma-yela d’après l’ordre


philosophique de l’intelligence chez les koôngo

Dire d’une personne qu’elle est intelligente, c’est lui re


connaître explicitement la faculté de comprendre facilement
et d’agir avec discernement. L’intelligence est ainsi définie
comme étant l’aptitude d’une personne à comprendre et à
découvrir des relations entre les faits et les choses.

129
Quoique universelle, cette définition de l’intelligence re
lève de la culture occidentale, plus exactement de la culture,
peut-on dire, gréco-romaine.
Dérivé du latin intelligere « faculté de comprendre », le
mot intelligence décrit, somme toute, un ensemble de facultés
mentales permettant de comprendre les choses et les faits, de
découvrir les relations entre eux et d’aboutir à la connais
sance conceptuelle et rationnelle (par opposition à la
sensation et à l’intuition).

Chez les Bantous, en l’occurrence chez les Koôngo, c’est


le mot mayela que l’on emploie pour parler de l’intelligence.
Ainsi, le muùntu we na mayela, est cette personne qui, chez
les Koôngo, jouit de la capacité de comprendre et d’analyser
les faits qui lui sont soumis pour en découvrir si possible une
corrélation.

Ici, l’analyse tant étymologique que sémantique du mot


Mayela est fort évocatrice, car elle permet de relativiser la
notion de l’intelligence telle qu’elle est définie dans la culture
gréco-romaine.

À dire vrai, le mot mayela comporte le vocable de yela


auquel on associe le préfixe de ma.

En langue Koôngo, yela signifie croître, mûrir, germer,


grandir et le préfixe de ma en l’espèce exprime le pluriel.
Muùntu wu mayela ma mingi menandi, dira-t-on en Koôngo,

130
c’est-à-dire cette personne est vraiment intelligente au sens
où elle est détentrice de plusieurs aptitudes intelligibles.

Ceci dit, ma-yela, contrairement à la définition habituelle


qui lui est conférée, ne fait guère allusion, de façon singu
lière, à une seule et unique intelligence, mais beaucoup plus à
plusieurs intelligences de l’être dans sa façon de faire, de
répondre et d’être face à tous les problèmes de l’existence.

Ainsi, est intelligente, chez les Koôngo, toute personne qui


a non seulement la faculté de comprendre en analysant les
faits et de pouvoir en découvrir une relation, mais également
celle qui est pourvue de plusieurs aptitudes reconnues comme
étant intelligibles.

D’où la signification littérale du mot ma-yela, lequel mot


en réalité, traduit la possession de plusieurs intelligences et
donc à ce titre le fait d’être détenteur de plusieurs aptitudes
intelligibles.

Autrement dit, le muùntu we na mayela fait allusion à la


personne qui est dotée de plusieurs intelligences, c’est-à-dire
de plusieurs aptitudes qui lui permettent non seulement de
comprendre les faits et d’être en mesure de les analyser, mais
également de disposer par ailleurs de celles qui, inexorable
ment, le mettent en phase d’adaptation face à différentes
situations données.

131
Sa capacité d’appréhender les faits, objet d’analyse, de fa
çon subtile, peut lui conférer, la qualité d’un ngaàngula,
c’est-à-dire de cette personne qui, par sa façon de faire ou
d’être fait preuve de beaucoup d’ingéniosité ou ngaàngu. Il
devient, somme toute, un forgeron ou ngaàngula.

Telle est d’ailleurs la qualité première du roi Ntotela, le roi


du Koôngo, le ngaàngula, le maître-initié qui, par sa finesse
d’esprit, sa perspicacité ou son intelligence dispose de nom
breuses aptitudes pour unir et rassembler ses sujets, en
contribuant, entre autres à leur épanouissement existentiel.

Le roi du Koôngo est, par définition intelligent puisqu’il


est, analogiquement perçu comme étant la rivière parlante,
c’est-à-dire (nto) (ya tela).

Détenteur de plusieurs intelligences, mayela ma mingi, le


Nto-tela jouit, en principe, de la capacité d’unir, de rassem
bler, de sécuriser, de perpétuer, de cultiver, etc. C’est à ce
titre même qu’il est le maître de l’arc-en-ciel, c’est-à-dire de
koòngolo, le domaine ou l’univers (nza) des lumières. Du
verbe koònga qui veut dire chercher, rechercher, se mettre en
quête de, explorer, cueillir, récolter, moissonner, rassembler,
tranquilliser.

Celui qui est porteur de ngaàngu qui fait donc preuve


d’ingéniosité peut être aussi un ngaànga, c’est-à-dire, un ex
pert dans un domaine nommément désigné. Tel est le cas du
ngaànga buka, le médecin ou du ngaànga ngoòmbo, le détec

132
teur de mensonges ou l’enquêteur des crimes
d’empoisonnement ou de sorcellerie.

Mwaàna (enfant) we na mayela est appelé à devenir un


muù-ntu, c’est-à-dire cet être qui est et/ou doit être intégrale
ment intelligible, l’être complet, peut-on dire, du fait de ses
multiples facultés, de nature à le mettre par conséquent en
situation ou en phase de comprendre, de savoir faire et de
savoir être. Il est, entres autres, mwaàna we na bu-yelele, cet
être ou enfant qui, peut-on dire, est constamment en quête du
savoir et de l’intelligence, quelle que soit, la situation à la
quelle, il est confronté.

Ici, le bu-yelele extension de yela est, dans une certaine


mesure, le processus d’humanisation et de socialisation de
l’être dans l’univers de l’intelligence. C’est le processus
même de son mûrissement ou de son développement « psy
cho-intelligible ». Le courage, la volonté, le sens de l’écoute,
l’esprit d’initiative et d’entreprise sont autant de caractéris
tiques de mwaàna we na bu-yelele ou de mwaàna we na
mayela.

Le muùntu we na ma-yela, chez les Koôngo, c’est-à-dire


l’être intelligible ne peut véritablement l’être que s’il fait
l’objet d’une invitation ou d’une introduction sociale dans le
Ntu, qui est l’univers même de l’intelligence voire de la sa
gesse qui diffère, quelque peu, à ce titre, de l’univers de la
connaissance ou du savoir, c’est-à-dire, celui de Nzaàbulu.

133
Ici, Nzaàbulu est un dérivé de Zaàba qui est un extrait
verbal du mot Nzaàmba. Il décrit le fait de connaître ou celui
de savoir en s’inscrivant dans le Nzaàmba, le domaine infini
de NzaàMbi MpuNgu ou Dieu lui-même.

C’est ainsi que, chez les Koôngo, la connaissance peut


parfaitement être dissociée de l’intelligence dont peut être
dotée une personne. Cependant, elle s’acquiert par le jeu de
l’intelligence dans le Nzaàmba, le domaine de NzaàMbi
MpuNgu, l’être suprême qui à ce titre est le détenteur même
de la connaissance absolue.

Cependant, l’introduction de l’être dans le Nzaàmba,


l’univers de la connaissance s’exprime par le Ntu, le récipient
ou ndoònga, c’est-à-dire, le canal d’expression et de dynami
sation du savoir et de la connaissance et ce, par le biais de la
réflexion ou Baànza.

Ainsi l’intelligible naît de Ntu par une dynamisation chez


l’être des savoirs et connaissances de Nzaàmba. Il est, de fac
to, une conséquence de la manifestation ou déclenchement du
processus de la réflexion ou Baànza.

Ici, force est de relever que, le Ntu est bien plus que
l’expression de l’intelligible. Il doit, par essence être ou et
faire naître l’humanité, c’est-à-dire, le Ki-muùntu.

Autrement dit, chez les Koôngo, muùntu we na ma-yela


n’est pas que cette personne qui dispose des facultés lui per

134
mettant de comprendre les choses et les faits… mais en plus
de cela, il faut que celles-ci, in fine, aboutissent à promouvoir
obligatoirement en lui le ki-muùntu, l’humanité.

C’est comme si, chez les Koôngo, sans humanité


l’intelligence ne vaut ou n’est qu’aptitude ou faculté sans
intérêt.
C’est l’avènement de l’être intelligible ou muùntu, selon la
tradition Koôngo, qui est et/ou doit être même au cœur de la
notion d’intelligence.

En somme, le muùntu est, par définition, l’être intelligible


ou intelligent par ce qu’il porte en lui le Ntu, c’est-à-dire,
l’intelligibilité de tous les principes qui régissent tant sa na
ture, sa condition que les rapports sociaux qu’il noue ou tisse
avec son semblable.
Tel est, par exemple, le sens philosophique du dicton
Koôngo d’après lequel, le respect et le rayonnement de la
couronne dépendent intimement de la personnalité et de la
sagesse de l’être qui en est investi. Ce qui donne en Koôngo
« Ntu buzitu, Mpu Buzitu ! »

Des mots, d’Émile cardinal biayenda et de la définition


du principe de vérité dans la coutume koôngo.

Si en langue française, la vérité est définie comme une


idée ou une proposition que l’esprit reconnaît comme vraie
ou qui s’accorde avec le sentiment que quelqu’un a de la réa
lité, dans la langue Koôngo, différentes expressions sont

135
utilisées pour décrire une chose ou un fait revêtu du sceau de
la vérité.
À titre principal, c’est le mot très ancien kiele-ka (ou
tsiele-ka) que les Koôngo emploient pour traduire la réalité
d’une chose, d’un fait voire d’un sentiment.

À dire vrai, le mot kiele-ka comporte le vocable de kiele


qui exprime toute idée de mouvement et dont le verbe en
kongo donne wenda et qui veut dire : marcher, aller, partir,
bouger.
Quant au vocable de ka, il traduit toute idée de certitude,
de réalité et d’affirmation de telle chose considérée comme
étant l’expression même de la vérité. Lorsqu’on y associe, le
vocable de ko, cela donne en Koôngo : eee kako !
Autrement dit, avec le mot kieleka, la vérité est définie en
langue Koôngo comme étant la réalisation ou la production
d’une chose qui marche, c’est-à-dire qui répond à une logique
qui est celle de la vérité elle-même.
Ainsi « muùna kiele-ka » est cette expression qui tend à
décrire l’exactitude ou la réalité d’une chose qui, somme
toute, est reconnue comme telle en raison de son rattache
ment aux choses dites vraies que l’on situe dans le Nza ou
l’univers de kiele-ka.
Ici, kiele-ka du fait de son attachement au vocable de
muùna devient conceptuellement parlant comme un lieu de
localisation de la vérité. Ce n’est pas la vérité en tant que
telle, mais beaucoup plus, un lieu dans lequel la vérité est
censée être, se situer.
Quant à l’expression « ni buùna », contrairement à celle
de kiele-ka, elle tend à consolider la vérité sur un ton affirma

136
tif qui, par la même occasion, récuse toute contradiction sur
la réalité des faits mis en cause. Elle est employée pour ex
primer l’idée de justesse, d’exactitude et de parfaite
conformité qui à ce titre ne souffre d’aucune remise en cause.
À titre d’exemple, l’Être suprême NzaMbi MpuNgu est
défini comme le Tout-Puissant, créateur du Ciel et de la Terre
et de tout ce qui existe.
À cela l’homme Koôngo répondra naturellement « ééé ni
buùna ! wa ma kie-leka ! », c’est à dire, qu’il en est ainsi très
exactement.
Par ailleurs, l’expression « bwisi bwa maàmbu bukiele (ou
butsiele) » est celle que les Koôngo emploient pour traduire
la manifestation d’une vérité qui se fait jour ou apparaît au
grand jour dans le règlement d’une affaire ou d’un litige.
Ici, le vocable Bukiele a pour synonyme l'expression Bu
tudidi qui tend en la traduction et manifestation de
l'événement attendu. La vérité est vue sous l'angle d'éclats de
lumière.
C’est dire que, chez les Koôngo, la vérité est aussi lumière
et est définie comme telle en raison de sa manifestation qui
s’opère sous forme d’éclats de lumière ou de concrétisation
d’un fait voire d’exactitude d’une cause dans le règlement
d’un litige ou d’un différend.
Outre le mot kie-leka, il existe un autre terme dans les par
lers Koôngo pour exprimer l’idée de vérité.
Il s’agit de nguùla, lequel mot associé au mot muùntu
donne nguùla muùntu et qui tend à désigner, l’homme juste,
honnête, et qui, par ses faits et gestes, témoigne parfaitement
de l’idée que l’on se fait de la réalité ou de la vérité en ma
tière d’humanité ou ki-muntu.

137
Par exemple, Émile cardinal BIAYENDA dans les parlers
Koôngo est un nguùla muùntu, c’est-à-dire un être spirituel
de haut rang qui, par son vécu a su montrer la réalité même
de ce que doit être un muùntu, c’est-à-dire cet être véritable
ment intelligible qui aspire à la tranquillité, à la paix des
hommes vivant dans une communauté qui leur permet de
s’épanouir d’une manière ou d’une autre. Il est, par défini
tion, l’être intelligible, mais qui l’est encore davantage parce
qu’il porte en lui la vérité. C’est ce qui lui confère finalement
la qualité de nguùla muùntu.
Émile cardinal BIAYENDA est un nguùla muùntu parce
qu’il est parvenu, par son discours, ses faits et gestes donc par
sa façon d’être, au stade social ou socialisant du savoir-vivre
tel qu’il devrait être selon le muntuïsme ou le ki-muntu, c’est
à-dire la philosophie existentielle bantoue.
C’est à ce titre qu’il est, d’après le muntuïsme, un nguùdi,
c’est-à-dire une haute autorité humaine ayant, peut-on dire,
force de loi en matière spirituelle, religieuse, morale et so
ciale. Il est le modèle même de cette définition du muùntu tel
que le conçoit le muntuïsme.
Émile cardinal BIAYENDA est, peut-on dire, le nguùdi’a
kaànda, c’est-à-dire le représentant, l’ancien et le témoin
agréé par la conscience sociale dans la manifestation des
principes de Ki-muntu qui sont à la fois, ordre, exemplarité,
développement et épanouissement tant de l’individu que de la
société.
C’est en cela qu’Émile cardinal BIAYENDA apparaît
comme le nguùla muùntu, ce témoin de la socialité, de la jus
tice et de la vérité parmi les hommes, celle qui refuse le
mépris, l’aliénation de l’être parce qu’il doit être seulement
ce, à quoi, il est destiné par l’Éternel, son Dieu créateur
NzaMbi MpuNgu, c’est-à-dire au bonheur et à la paix.

138
Au regard du muntuïsme, Émile cardinal BIAYENDA est
véritablement un nguùla muùntu et un nguùdi’a kaànda,
parce qu’il est la réalité même de cette dimension humaine
qui œuvre intégralement pour le développement de l’être, la
paix ou ki-oòngo et le dialogue et c’est au nom de tous ces
principes auxquels, il croyait très fort qu’il est allé jusqu’au
sacrifice suprême pour ceux qu’il aimait à savoir : les
hommes et uniquement les hommes.
Ainsi, comme le relève à juste titre l’ancien recteur du
grand séminaire de philosophie de Brazzaville, vice-recteur et
maître de conférences à l’université catholique d’Afrique
centrale à Yaoundé, l’abbé Olivier Massamba-Loubelo
dans Les Nouveaux Enjeux Pastoraux entre tradition et mo
dernité Hommage au Cardinal Émile Biayenda, Éditions
ICES, 2012, p. 19-40 :
« Chez Émile, les qualités ne sont pas en demi-teinte, elles
apparaissent dans toute leur maturité et ne s’éclipsent pas,
car cet homme est entier et constant. Parmi ses qualités, je
voudrais relever spécialement son humilité qui est à la fois
déroutante et fascinante. “Il a toujours été comme cela”,
disent ceux qui l’ont connu depuis les années de formation au
séminaire jusqu’à la fin de sa vie. Mais pour le commun des
fidèles, c’est la tranche de vie de l’épiscopat et du cardinalat
qui marque les esprits. En Afrique (mais ce n’est pas une
spécificité africaine), il n’est pas rare que les prêtres, à plus
forte raison les évêques et les cardinaux soient mis sur un
piédestal quand ce ne sont pas eux-mêmes qui invitent les
fidèles à les hisser sur le pavois ; en effet, ces hommes de
Dieu ont le privilège d’être manipulateurs du sacré et donc
détenteurs de pouvoirs magico-religieux que sollicitent ceux
qui sont dans les embarras de tous genres ; c’est pour cela
qu’on leur donne le respect et les honneurs dus à leur rang
de notables et de faiseurs de sacré. Emile Biayenda, évêque

139
et cardinal, méritait ces honneurs en toute logique. Il avait
conscience d’être un chef, un grand chef, il n’était pas seu
lement ngaanga nzambi, le féticheur de Dieu (c’est ainsi
qu’on désigne le prêtre au Congo-Brazzaville), mais plus
encore il était Mfumu ngaanga (appellation de l’évêque en
pays koôngo), le chef des féticheurs. Cependant il n’utilisait
jamais son statut de chef pour se pavaner ; c’était vraiment
un prince à l’esprit noble et élevé qui savait que sa véritable
grandeur ne lui venait pas de ce que les hommes
l’encensaient, mais plutôt de son élection par Dieu au rang
de serviteur des fidèles chrétiens. »
Sous un angle sociohumain ou socio judiciaire, le nguùla
ou nguùdi est la traduction même des affaires qui sont cen
sées revêtir l’autorité de la chose jugée du fait de leur vérité
ou de leur réalité.
Ainsi, le nguùla samu ou nguùdi’a samu est cette chose ou
cette affaire qui est reconnue comme vraie du fait de son ana
lyse qui finalement fait ressortir la réalité ou la vérité telle
qu’elle est conçue ou telle qu’elle doit être.
Ici, force est d’indiquer que dans la tradition Koôngo le
mot nguùdi n’est pas que réservé pour désigner une mère. Il
est aussi institution voire expression qui prend corps pour
revêtir en même temps force d’autorité sociale ou institution
nelle.
En fait, nguùdi apparaît comme la matrice ou l’origine de
ce qui est censé se révéler être la vérité.
À titre d’exemple, le nguùdi teemo, le responsable ou le
chef organisateur de cette tontine est l’expression même de
cette autorité à laquelle il doit se tourner intelligiblement et
raisonnablement pour la faire prévaloir en son sein aux fins

140
d’une meilleure organisation et d’un bien-être des membres
qui le constituent.
Il s’agit ici, d’une autorité manifestement intelligible qui,
en l’espèce apparaît sous l’angle de la féminité donc de la
fécondité, du développement et d’épanouissement, c’est-à
dire de nguùdi.
C’est à ce titre qu’elle se distingue de celle qui relève du
dictat en s’exprimant ou en se situant dans le domaine de la
vérité ou ma-kieleka, c’est-à-dire par une adhésion raison
nable des membres à tous les principes d’organisation et de
fonctionnement d’un teemo sans lesquels, il n’a lieu d’être.
Pour ce faire, le nguùdi teemo veille ainsi méthodiquement
et intelligemment au bon fonctionnement de l’institution.
En somme, nguùdi est vérité ayant force de loi ou
d’autorité qui est reconnue comme telle du fait de sa manifes
tation intelligible qui s’opère par l’amélioration des
conditions d’existence de l’être ou du muùntu. C’est dans cet
ordre d’idées qu’un chef de village chez les Koôngo apparaît
comme un nguùdi n’gaàta ou un mpfumu n’gaàta (voire
nguùdi’a kaànda) par ce qu’il apparaît aux yeux de ses conci
toyens et ce, à la fois comme un fin connaisseur des principes
qui concourent au bien être du muùntu, à la stabilité de son
village et donc « naturellement » un garant privilégié des ins
titutions publiques voire un précieux gardien de la moralité
publique.

De la définition du principe de pardon dans la culture


koôngo : le le-mvuka (Ou l’une des sages pistes du vé
ritable chemin d’avenir congolais)

141
Le pardon est, peut-on dire, un état d’esprit, une manière
voire une disposition humaine qui consiste pour une personne
à présenter ses regrets ou excuses, à la suite d’un fait ou d’un
acte commis par elle de façon volontaire ou involontaire, et
ce, à l’encontre d’une autre personne.

Il s’agit d’une attitude transcendantale qui fait appel à la


conscience de son auteur qui par le fait de se remettre en
cause reconnaît sa faillibilité et le bon sens exprimé par
l’autre objet d’offense.

Le loòmba lemvu est l’expression que les Koôngo utilisent


pour traduire le fait de demander pardon à quelqu’un. Ici, le
loòmba traduit la demande et quant au mot lemvu, il exprime
le pardon proprement dit.

À dire vrai, lemvu n’est qu’un dérivé du mot le-mvuka le


quel définit le principe de l’unité sous un angle, à la fois,
étymologique et sémantique qui selon les Koôngo s’avère
être, peut-on dire, la condition sine qua non du principe de
pardon.

Autrement dit, sans aucune démarche d’unification des


êtres ou des personnes qui sont au centre d’un contentieux, le
pardon ne peut être ou n’a lieu. Le pardon est, chez les
Koôngo, une démarche de réconciliation, de conformité exis
tentielle qui passe par la réunification des êtres donc par
l’harmonie.

Il y a pardon, chez les Koôngo, lorsqu’il y a, rupture, scis


sion, discorde, mésentente ou désaccord et l’acte de pardon
doit être bilatéral en ce qu’il exige fondamentalement

142
l’assentiment et la réunification par exemple des protago
nistes qui sont au cœur d’un conflit.

Ce qui veut dire que, toute demande de pardon, pour être


effective et décisive, doit être acceptée par la personne à la
quelle elle est formulée. Dans l’hypothèse contraire, elle
serait vaine ou sans fondement, dépourvue par conséquent de
ce que l’on appelle par exemple en droit du principe de
l’autorité de la chose jugée.

D’où la signification du verbe vuka qui en l’espèce n’est


autre que le dérivé du mot mvuka lequel terme exprime toute
idée d’unité, de rassemblement ou d’association des êtres.

C’est ainsi que le le-mvuka apparaît, dans une certaine me


sure, comme une attitude de communion ou un acte de
rassemblement voire d’union spirituelle des êtres qui leur
permet de repartir sur de nouvelles bases d’entente et donc
d’harmonie existentielle.

Il s’agit en effet d’un état d’esprit lequel par son expres


sion récuse toute rigidité spirituelle ou intellectuelle. C’est
l’union spirituelle des êtres qui passent par l’ouverture des
cœurs des uns envers les autres et inversement.

D’où l’expression par exemple en koôngo de fungu –(na)


ou (la) muntima ou fongola motema en lingala.

C’est dans ces conditions aussi que répond l’institution de


fungu –(na) ou (la) masumu ou de confession des péchés.

Ici, le mot funguna ou fungula signifie confesser, avouer.

143
Il s’agit donc d’un verbe qui définit le fait pour une per
sonne d’ouvrir son cœur par des aveux portant sur des faits
ou contentieux dont elle estime avoir été victime de la part
d’un des membres de sa famille et qu’il convient de traiter
pacifiquement.

Le but étant de créer toutes les conditions favorables de


guérison d’un membre de la famille qui serait au centre d’un
conflit.

Ayant pour objet la délivrance d’une personne mourante


victime des manœuvres de kindoki ou de sorcellerie au sein
de sa famille, le funguna masumu est une institution qui est
tenue par les membres d’une famille, et ce, sous la présidence
d’un expert dénommé nganga masumu.

Le nganga masumu a pour fonction, au cours d’une céré


monie de funguna masumu, de libérer des cœurs des hommes
et femmes tous membres d’une même famille de toutes ces
rancœurs qui les divisent et qui finalement ont un impact sur
la santé d’un des membres de la famille.

Ici, le mot funguna a pour synonyme le-mvuka et traduit le


fait pour un individu d’ouvrir son cœur en abandonnant les
griefs ou les fautes qu’il reprocherait à l’un des membres de
sa famille et qui pour cela tomberait malade au point même
de perdre la vie.

En fait, le le-mvuka est, dans la culture Koôngo, l’art de


savoir édifier ou construire les ponts dans les relations hu
maines à l’effet d’une meilleure organisation et d’un bon
fonctionnement social.

144
Le le-mvuka est une invitation des êtres au rassemblement,
à l’effet de créer toutes les conditions requises d’une meil
leure entente entre eux.

D’où d’ailleurs même la signification du mot kia-mvu qui


tend à désigner un pont en langue koôngo.

À dire vrai, le mot kia-mvu est un diminutif du mot kia


mvuka, lequel mot dans la langue koôngo traduit toute idée
d’union ou de rassemblement dans les relations sociohu
maines, comme mu-mvuka (= association), vuka temo
(= organiser une tontine), vuka bantu (= l’union des êtres)
mvuka muntu (= l’opportunité d’être sauvé ou libéré de
quelque chose).

C’est dire que l’union des êtres après une rupture est con
çue par les Koôngo comme une manière de vivre ou un art de
vivre consistant à construire des ponts spirituels destinés à
favoriser la circulation et donc la rencontre et l’union des
hommes et des femmes ayant été en rupture, à la suite d’un
conflit ou d’un litige.

Ainsi, d’un point de vue caricatural, le le-mvuka apparaît


comme une invitation au voyage en partance du pays de la
rupture du fait des actes malveillants ayant été commis par
les uns et les autres envers leurs semblables et à destination
de celui de la réconciliation, du fait de l’ouverture des cœurs
ou de l’apaisement donc de la paix.

C’est ce qui a manqué par exemple, lors de la Conférence


nationale souveraine de 1991 au Congo-Brazzaville. En effet,
si cette conférence à amener le Congo vers un régime démo
cratique avec l’élection d’un président de la République au

145
suffrage universel direct, il n’est pas pour autant vrai qu’elle
a été véritablement une occasion de réconciliation nationale.
L’absence de clarté dans la recherche de la vérité sur des faits
de discorde nationale, l’avidité de certains conférenciers dans
la prise de pouvoir à tout prix en s’alliant avec « le diable » et
le manque de sincérité des personnes mises en cause n’ont pu
aboutir à la construction d’un « kia-mvu », c’est-à-dire d’un
véritable pont d’unité nationale.

Le bu-lemvu ou bu-lemvo est fondamentalement expres


sion du muntuïsme ou est, à la fois, art d’humanisation et de
socialisation des êtres qui après rupture conviennent toutefois
d’entretenir de très bons rapports relationnels.

Ici, le bon sens, la sincérité, l’humilité ou ki-nkatu restent


les éléments moteurs de bu-lemvu.

À dire vrai, le le-mvuka est un voyage librement consenti


par les parties prenantes à un contentieux, lesquelles par « la
traversée d’un pont ou ki-amvu » et donc au nom du principe
de le-mvuka entendent sceller un accord d’un nouveau départ
dans les relations humaines, sociales, morales et spirituelles
qu’elles entretiennent.

Autrement dit, le le-mvuka est bien plus qu’un acte de re


connaissance des fautes commises par une personne envers
son semblable, c’est-à-dire le funguna ou fungula.

En somme, il est un art de vie en société d’expression aus


si muntuïste consistant en une union des êtres qui sont en
situation de rupture « compréhensionnelle », mais qui toute
fois parviennent à édifier « des ponts » d’ententes cordiales,
peut-on dire et qui les placent corrélativement sur le terrain

146
de la rencontre fraternelle et de la paix ou ki-ôngo en langue
koôngo.

Rudy MBEMBA-Dya-Bô-BENAZO-MBANZULU

Kongologue

Je dédie ce texte à ma mère « mama BENAZO mama wa


koòngo », pour son anniversaire. Ma très chère maman, tu es
à mes yeux et tu le resteras toujours, la « Ngudi’a kaànda »,
c’est-à-dire, un de mes précieux témoins de la sagesse ou
Nzila Koôngo. Tes petits-enfants Widdy, Yéla, Morgane
Zolana et Kiézi-Diany se joignent à moi pour te dire affec
tueusement « joyeux anniversaire, mamie ».

L’œuvre testamentaire du père fondateur de koôngo dya


ntootela envers ses descendants : les [ba]-na koôngo

Le fondateur du royaume Koôngo Nimi Lukeni devenu


Ntinu Wene au moment de son accession au trône a été pré
senté par les chroniqueurs ayant séjourné dans l’ancien
Congo, comme le Ntootela, c’est-à-dire, le jardinier, le culti
vateur, le rassembleur, somme toute, le fédérateur.
Ntinu Wene est appelé Ntootela en raison d’une détention
par lui de plusieurs terres donc de plusieurs États lesquels
font partie intégrante de ce qu’il appellera lui-même Koôngo
Dya-Ntootela.
C’est à ce titre qu’il est aussi appelé Maàni, c’est-à-dire,
détenteur ou propriétaire des terres ou États (ma n’gâta
maàni) dans lesquels, il exerce pleinement son autorité. Ceux
qui le secondent dans l’exercice de ses prérogatives royales

147
sont aussi des Maàni, c’est-à-dire des gouverneurs de pro
vinces ou des états fédérés que sont les Mbaànza.
C’est de la même manière qu’il se définit comme le Musi
koôngo, c’est-à-dire, ce Mpfumu-muùntu régnant sur les
terres koôngo.
Ici, force est de relever que le Musi n’est qu’une transcrip
tion évolutive du mot Mu-tsi lequel définit l’appartenance de
l’être ou du Muùntu à un « pays » Koôngo donné qui n’est,
en réalité que la terre de ses ancêtres.
En l’espèce, l’homme koôngo est le Muùntu qui réside sur
les terres Koôngo ou Muùntu wa tsi koòngo (voire Muùntu
bela ka mu tsi za koòngo).
Ici, Tsi a pour synonyme le mot ntooto et qui veut dire
terres, pays, cités et le Ntootela, le roi du Koôngo ou Mpfu
mu-ntooto, est maître ou seigneur sur ses terres, c’est-à-dire
le Mpfumu-tsi.
En somme, est Musi, chez les Koôngo, toute personne qui
par son appartenance à un clan est naturellement originaire
d’une terre ou localité voire contrée nommément désignée
dans l’espace Koôngo.
Par conséquent, les [Bi]-si-Koôngo ou [Bi-tsi-] sont les
ressortissants des membres des clans qui résident sur des
terres que leur ont léguées leurs ancêtres Koôngo.
Le clan reste, comme le relève à juste titre le kongologue
Georges Balandier, efficace non seulement parce qu’il régit la
constitution des groupements résidentiels… mais parce qu’il
crée un champ de forces où vivants et « ancêtres » sont vita
lement associés et à l’intérieur duquel l’individu est censé
trouver équilibre et santé. Le fait d’être membre du clan (mu
si nkanda) prend, observe-t-il, d’autant plus d’importance

148
qu’il distingue l’homme libre (muntu a nkanda ou mfumu) de
l’homme dit esclave (muntu a mbongo ou mwana gata
= enfant du village et non de la parenté). [Georges Balan
dier, Sociologie actuelle de l’Afrique noire, 3e partie,
Changements sociaux chez les Bakongodu Congo, P.U.F., 2e
édition, 1971, p. 305].
Parmi les mérites de NtinuWene dans sa grande aventure
d’édification et de construction de son œuvre qui est le
Koôngo Dya Ntootela, c’est d’avoir, dès sa fondation, initié
l’importance du travail à travers la spécialisation de certaines
activités.
C’est d’ailleurs, une des raisons d’être, des clans ou mvila.

À ce propos, le père Van Wing rapporte que :


« Les hommes de métier arrivèrent avec leurs outils, car à
Kongo, dès l’origine chaque clan avait son métier. Il y avait
des tisserands, des tireurs de vin de palme, des vanniers, des
potiers, des forgerons. Il n’y avait de commun que
l’agriculture, qui était réservée aux femmes, et la chasse et la
pêche, apanage des hommes. Cette spécialisation et cette
division du travail entre les clans, tout extraordinaire que
cela paraisse, sont mentionnées dans les traditions de
quelques clans. » [Van Wing, Etudes Bakongo — Sociologie,
Religion et Magie, 2e édition, 1959, p. 45].

En effet, autrefois, chaque clan avait un métier qui, de gé


nération en génération, était exercé par certains des membres
de celui-ci. Un métier était, en quelque sorte, une distinction
clanique.
C’est dans cette optique que, outre les distinctions cla
niques qu’elles opèrent, jadis, les noms des clans n’étaient

149
que la traduction des activités dominantes auxquels ceux-ci
s’étaient spécialisés.
À titre d’exemple, pour ce qui est du clan de Bisi
Kindamba, sire Ndamba fut, rapporte le cardinal Émile
Biayenda, un chef de clan connu pour le plus riche. Ce fut un
prodigue pour les réceptions qu’il donnait à ses invités et ses
hôtes de passage. Le sobriquet fut trouvé, Ndamba ou Ndam
bi signifie mets apprêtés méticuleusement. [Abbé Émile
Biayenda, Coutumes et Développement chez les Bakongo du
Congo-Brazzaville, Thèse Lyon, 1968, Première partie p. 24].
En fait, le sobriquet Ndamba est un dérivé nominal du
verbe laàmba et qui veut dire cuisiner, préparer et de par leur
nom clanique les membres du clan ki-ndamba furent réputés
pour leur hospitalité et celle-ci était grandement soutenue par
leurs activités agricoles, de commerce et d’élevage.
Il en fut de même pour les membres du clan Ka-Hunga
(ou Ka-wuùnga) réputés pour leurs activités pastorales et de
vente de bétail. Ici, le nom de Ka-wuùnga n’est autre que le
dérivé du verbe wuùnga et qui veut dire guider, diriger, orien
ter.
Ici, le verbewuùnga sous-entend toute activité pastorale,
celle afférente aux bergers dans leur entretien de troupeaux
par exemple de bœufs.
C’est dans le même ordre d’idées que les noms de cer
taines ethnies [ba]-koôngo correspondent en fait à la
traduction des activités dominantes auxquelles elles étaient
attachées à un moment donné de leur histoire.
C’est le cas notamment au Congo-Brazzaville, des Kamba
[terme désignant des chênes majestueux d’Afrique], Kuùni
[du verbe kuùna et qui veut dire cultiver = travailleurs ou
exploitants de bois], Doòndo [grands prieurs et transmetteurs

150
de ndo ou ondes bénéfiques notamment en matière de com
merce domaine dans lequel, ils ont excellé par le passé] et
Suùndi [du verbe suùnda ou suùndama qui évoque toute idée
de se relever par la réunion et l’affermissement de toutes ces
conditions qui sont favorables à une vie meilleure du lieu où
l’on réside et/ou par le travail comme celui du fer et ayant fait
d’eux, par le passé, de très grands forgerons ou ngaàngula]
dont le sens étymologique des noms qu’ils portent n’est en
réalité qu’une traduction des activités auxquelles ils étaient
fortement attachés ou dans lesquelles ils s’étaient spécialisés
autrefois comme l’agriculture, l’exploitation du bois, le
commerce et le travail des métaux.
En parlant par exemple, des Kamba, Gilles Sautter rappor
té par Marcel Soret, à la suite d’une sérieuse étude du
système de culture des Kamba, en était arrivé à la conclusion
d’après laquelle, ils étaient les meilleurs agriculteurs Koôngo
[Marcel Soret, Les Kongo Nord-Occidentaux,
P.U.F., 1959, p. 39].
En somme, le testament du père fondateur de Koôngo
Dya-Ntootela envers les [Ba]-na Koôngo, est celui d’une vie
unitaire et salutaire [comme l’indique le nom d’une des com
posantes ethniques Koôngo, Vili qui en réalité n’est qu’un
dérivé nominal du verbe Vila et qui veut dire : unir, associer,
lier, attacher, nouer. Les ma-vila sont des sentiers, des che
mins que certains groupes Koôngo comme les Vilis ont
empruntés dans leur histoire d’émigration tout en ayant pris
le soin de conserver les fondamentaux de la culture et sa
gesse Koôngo. Quant au nom loango ou lwango, il sous
entend la toute-puissance ou force qui relève de Ngo, c’est-à
dire de l’union de certaines forces naturelles qui finalement
tendent au développement de l’être ou du muùntu], que tout
enfant Koôngo devra édifier, préserver coûte que coûte et qui,
inéluctablement, passe par l’amour de l’être ou du Muùntu

151
envers son semblable et celui du travail. Celui-ci étant bien
entendu l’élément capital ou indispensable pour
l’accroissement, la survie, le développement et la pérennité
de la Nation.
D’où la signification profonde de la devise « Koôngo tsilu
lu ! » [du verbe nsila et qui exprime toute idée d’action et
d’entreprise, etc.], c’est-à-dire Koôngo, terre des hommes et
de vie, d’accueil, de travail, de partage et de paix où il fait
bon vivre ne peut l’être que, si les lois que sont les « kieno
mia tsi na kieno mia ba mbuta », ayant contribué à sa fonda
tion et à son rayonnement, sont pleinement respectées.

152
Bibliographies

Balandier (G.), La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIIIe


siècle, Hachette, 1965.
Balandier (G), Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Troisième partie,
Changements sociaux chez les Bakongo du Congo, P.U.F., 2e édi
tion, 1971.
Bâtsikama (b.M.m.N.), L’Ancien Royaume du Congo et les BaKongo
(Ndona Béatrice et voici les Jagas), L’Harmattan, 1999.
Biayenda (Abbé E.), Coutumes et développement chez les Bakongo du
Congo-Brazzaville, Thèse Lyon, Institut catholique de Lyon, 1968.
Heusch (Luc de), Le roi de Kongo et les monstres sacrés,
Gallimard, 2000.
Makambila (P), Croyances et pratiques magiques des Kongo-Lari de la
République populaire du Congo, Thèse Bordeaux, 1976.
Mbemba (R.C), L’ordre social : histoire et justice pénale dans la société
traditionnelle Kongo depuis les origines jusqu’au XXe siècle,
Thèse doctorat Université des sciences sociales de Toulouse, 2000.
Mbemba (Dya-bô-Benazo R.), Le Muntuïsme l’humanisme intégral
africain, Société des écrivains, 2006.
Mbemba (Dya-bô-Benazo R.), Le cardinal Émile Biayenda et sa vision du
développement intégral du Congo-Brazzaville, Société des
écrivains, 2008.
Mbemba (R.D.B.M.), Le muùntu et sa philosophie sociale des nombres,
l’Harmattan, 2011.
Mbemba (R.D.B.M.), Le Muntuïsme, base de la philosophie du Royaume
Koôngo, Éditions Ices, 2014.

153
Ngoma (F), L’initiation bakongo et sa signification, Thèse
Sorbonne, 1963.
Nsondé (J.L), Langues, Culture et Histoire Koongo aux XVIIe et XVIIIe,
L’Harmattan, 1995.
Tempels (P.), La philosophie bantoue, Présence africaine, Troisième
édition, 1948.
Van Wing (J. S.J), Études Bakongo Sociologie — Religion et Magie,
Deuxième édition, Desclée De Brouwer, 1959.
Van Wing (J) & Penders ©, Le plus ancien dictionnaire Bantu, Lou
vain, 1928.

154
Table des matières

Préface.......................................................................................................7
Mes remerciements ................................................................................11
À…...........................................................................................................13
Avant propos ..........................................................................................15
Introduction............................................................................................25

Chapitre 1.
Les criteres de recrutement ou d’adhesion
dans l’ordre initiatique de Koôngo dya Leemba...................................33
I. L’identite des pretendants dans l’ordre initiatique
de Koôngo dya Leemba .......................................................................33
II. La categorie ou le milieu social des membres adherents
de l’ordre de Koôngo dya Leemba.......................................................43

Chapitre 2.
Les preparatifs de l’installation du culte initiatique
de Koôngo dya Leemba...........................................................................47
I. Les preparatifs du culte de Koôngo dya Leemba
et l’immolation du porc .......................................................................47
II. Les raisons d’organisation du culte de Koôngo dya Leemba ..........52

Chapitre 3.
Les acteurs et les rites du culte initiatique
de Koôngo dya Leemba...........................................................................55
I. Les acteurs ou les personnages qui participent au culte initiatique
de Koôngo dya Leemba .......................................................................55
II. Les rites du culte initiatique de koôngo dya leemb notamment
autour du repas sacrificiel ou ki-laàmbu .............................................58
III. La fête et la danse a l’occasion du culte initiatique
de Koôngo dya Leemba .......................................................................66

155
Chapitre IV.
L’installation proprement dite de Koôngo dya Leemba.................... 71
I. L’installation du sanctuaire au domicile du leembe......................... 71
II. La remise des elements symboliques des forces curatives
ou therapeutiques au leembe ............................................................... 75

Chapitre V.
Le mode de vie ou le quotidien de l’initie de kongo dya leemba......... 81
I. Les interdits ou bîna d’ordre alimentaire du leembe
ou de l’initie de Koôngo dya Leemba................................................. 81
II. Les interdits ou bîna d’ordre comportemental du leembe
ou de l’initie de Koôngo dya Leemba ................................................. 84

Conclusion.............................................................................................. 93
Annexes ................................................................................................ 101
Bibliographies...................................................................................... 153

156
Cet ouvrage a été édité par la
Société des Écrivains,
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 84 74 10 20 – Fax : 01 41 684 594
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Imprimé en France

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Dépôt légal.

Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou
omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
Le Leembo Ou l'Ordre
initiatique de Koôngo
Dyo Leembo

Institution héritée des pères fondateurs du royaume de Koôngo,


l'ordre de Koôngo Dya Leemba - plus communément appelé
Leemba - fait partie des plus grandes écoles d'initiation de l'être
ou du Muûntu chez les Koôngo. Il fut l'un des instruments de
renforcement du sentiment national et de paix, donc de Koôngo
en le concevant comme une sorte de jardin qu'il convenait de
Cultiver sans cesse. Soit l'affirmation d'un mieux-être, du vouloir
vivre ensemble en privilégiant la culture et la pérennisation d'une
certaine intégrité socio-humaine de l'être ou du Muûntu.
À travers ce nouvelessai d'anthropologie culturelle, Rudy Mbemba
confirme la qualité des anciens, leur inventivité expressive en
même temps que leur traditionnalité. L'élan régénérescent
qu'il a donné à la recherche fondamentale en général, et à la
recherche kongologique en particulier, se prolonge et se renforce
ici annonçant de nouvelles perspectives inépuisables de catharsis
initiatique et de restructuration des comportements modernistes
devenus aberrants par manque de souffle, d'espoir et d'imagination.

Docteur en droit, avocat et koongologue, Rudy Mbemba-Dya-Bô


Benazo-Mbanzulu nous fait plonger une fois de plus, à travers son
nouvel ouvrage, dans les cavernes des anciens où l'on découvre
diverses recettes de formation de l'être pour en faire un Muùntu,
c'est-à-dire un homme complet ou intégral.

|S BN 978-2-342-046519

13,95 € |||||||||
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