Sociologie de L'action Publique by Patrick Hassenteufel
Sociologie de L'action Publique by Patrick Hassenteufel
Sociologie
Du même auteur
Concurrence et protection sociale en Europe, codir. avec S. Hennion-Moreau, coll. « Res Publica », Presses universitaires de
Rennes, 2003.
To change or not to change ? Les changements de l’action publique à l’épreuve du terrain, codir. avec J. Fontaine, coll. « Res
Publica », Presses universitaires de Rennes, 2002.
Introduction
Études de cas
Études de cas
Décision et démocratie
Études de cas
Études de cas
Études de cas
Études de cas
L’échange politique
Européanisation et transnationalisation
des groupes d’intérêts
Références bibliographiques principales
Études de cas
Études de cas
Études de cas
Conclusion
Bibliographie générale
Remerciements
Je remercie tout d’abord le regretté Henri Mendras qui m’avait proposé la rédaction de cet ouvrage. Celui-ci n’aurait jamais
vu le jour sans la confiance indéfectible et les encouragements toujours stimulants de Patrick Le Galès dont j’ai mis la patience à
rude épreuve. Ce livre doit aussi beaucoup au dialogue noué depuis plusieurs années avec Yann Bérard, Philippe Garraud,
William Genieys, Sébastien Guigner, Jacques de Maillard, Bruno Palier, Frédéric Pierru, Andy Smith, Marc Smyrl et Yves Surel.
Enfin, les remarques de mes étudiants sur mes enseignements de politiques publiques donnés à la faculté de droit et de science
politique d’Amiens, à l’IEP de Rennes, à la faculté de droit et de science politique de Rennes-I, à Sciences Po Paris, et à la
faculté de droit et de science politique de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, m’ont été d’un apport précieux.
Introduction
LES POLITIQUES PUBLIQUES font aujourd’hui plus qu’hier pleinement partie de notre vie quotidienne ; la plupart de nos
comportements individuels sont influencés, si ce n’est déterminés, par des politiques publiques. Ainsi, notre alimentation
dépend des politiques agricoles, des politiques environnementales et des politiques sanitaires ; nos loisirs, des politiques
touristiques, des politiques culturelles, des politiques d’aménagement du territoire, des politiques d’équipement, voire des
politiques de l’emploi (à travers notamment l’enjeu de la durée du temps de travail). Notre activité professionnelle s’inscrit
fortement dans des politiques publiques, que ce soit en tant qu’acteur de leur mise en œuvre (ainsi un enseignant pour les
politiques scolaires et universitaires) ou comme destinataire d’un dispositif relevant d’une politique publique (un étudiant pour
les politiques d’enseignement et de formation, un médecin pour les politiques d’assurance-maladie…). C’est aussi le cas pour les
situations de non-travail (chômage, maladie, incapacité, retraite…) qui font l’objet d’une multitude de mesures prises par des
pouvoirs publics. Tout acteur social est donc en permanence confronté aux politiques publiques, le plus généralement comme
destinataire, mais aussi comme composante de leur mise en œuvre ; parfois également comme participant à leur mise sur
agenda (à travers un engagement collectif par exemple), voire, plus rarement, comme décideur, comme évaluateur ou comme
expert. Cette omniprésence de plus en plus forte des politiques publiques dans la société justifie à elle seule que l’on y porte un
intérêt accru. Toutefois, plusieurs raisons supplémentaires, se situant à des niveaux différents, aident à mieux comprendre
l’essor de l’analyse des politiques publiques. Celui-ci se traduit par la multiplication tant des travaux que des publications
(ouvrages et revues spécialisées) et des enseignements, dans le cadre de cursus généralistes (en particulier dans les Instituts
d’études politiques ainsi que dans les licences et masters de science politique) et de formations spécialisées dans ce domaine1.
On peut tout d’abord souligner l’apport décisif de l’analyse des politiques publiques à la compréhension de l’État, en
particulier de ses mutations contemporaines (Le Galès, 1999). Plus précisément, pour paraphraser deux ouvrages fondateurs de
l’analyse des politiques publiques en France (Padioleau, 1982 ; Jobert et Muller, 1987), elle permet une appréhension au concret
de l’État en action. Il n’est plus possible aujourd’hui ni de comprendre l’État, ni de le conceptualiser sans s’appuyer sur les
résultats accumulés depuis plus d’un demi-siècle par l’analyse des politiques publiques.
Mentionnons ensuite le caractère profondément pluridisciplinaire de l’analyse des politiques publiques. Comme nous le
verrons, elle est issue de disciplines telles que l’économie, la gestion et l’analyse des organisations avant d’intégrer la sociologie
et la science politique. De ce fait, les politiques publiques peuvent être considérées comme un véritable objet carrefour des
sciences sociales, tant elles se prêtent à la combinaison de méthodes et d’outils théoriques issus d’un vaste panel d’approches et
de disciplines. Il n’en reste pas moins que la démarche sociologique sera ici largement privilégiée.
En outre, l’analyse des politiques publiques permet de porter un regard approfondi sur un grand nombre d’enjeux politiques
actuels : la lutte contre le chômage, la prise en charge de l’insécurité, la protection de l’environnement, la réforme des systèmes
de retraites – pour ne mentionner que quelques exemples d’actualité. Par là est posée la question complexe des rapports
qu’entretient l’analyse des politiques publiques avec les politiques publiques elles-mêmes, rapports qui oscillent en permanence
entre l’instrumentalisation des travaux (et parfois aussi du vocabulaire) de politiques publiques et le refuge dans un
académisme jargonnant déconnecté de la réalité concrète des politiques publiques. L’analyste se trouve donc contraint de
concilier deux exigences quasi contradictoires : celle de l’indépendance de sa position vis-à-vis des décideurs publics (et plus
généralement vis-à-vis de l’ensemble des acteurs des politiques publiques) et celle de l’apport de ses travaux à la pratique de
l’action publique. Il y est d’autant plus conduit qu’une part importante des recherches relève de la commande publique (voire
privée). Il serait pourtant réducteur de considérer que financement signifie automatiquement subordination ou normalisation de
la recherche. Tout d’abord, il faut distinguer les différents types de financeurs afin de pouvoir faire la part des choses entre,
d’un côté, les travaux explicitement tournés vers la décision publique ou l’évaluation des programmes publics et, de l’autre,
ceux s’inscrivant dans le cadre d’appels d’offres formulés par des comités dont font partie des universitaires et des chercheurs
et dont la visée est l’approfondissement des connaissances et la réflexivité. Ensuite, un travail empirique financé par une
administration locale, nationale, européenne ou un acteur non étatique peut faire l’objet d’une double exploitation, l’une plus
opérationnelle, l’autre plus scientifique. En tous les cas, les politiques publiques font indéniablement l’objet d’une demande
sociale (administrative mais aussi de la part d’autres acteurs comme des groupes d’intérêt ou des médias), ce qui explique qu’il
s’agit aussi d’un débouché professionnel porteur dans le public (postes administratifs, collaborateurs d’élus…) et dans le privé
(cabinets de conseil, structures d’expertise, lobbies, associations…). Mais, de ce fait, le positionnement du chercheur en
politiques publiques face à son objet d’analyse doit systématiquement être défini et précisé préalablement.
Pour comprendre ce que sont les politiques publiques il est tout d’abord nécessaire de préciser le sens des termes composant
cette expression. En ce qui concerne « politique », trois sens peuvent être distingués, en s’appuyant sur la langue anglaise qui a
recours à trois termes différents : polity, politics et policy.
Le premier terme, dérivé du grec polis et politeia (au sens de « chose publique », c’est-à-dire l’ensemble des acteurs et des
institutions composant la cité), renvoie au politique au sens large. Le politique est une forme de pouvoir qui présente la
spécificité de reposer sur le monopole de la coercition physique légitime (sur laquelle s’appuient les autorités publiques pour
agir) et de s’exercer sur une collectivité, dans le but d’empêcher les conflits et d’imposer des règles de vie commune. Dans les
sociétés occidentales contemporaines, le politique est incarné par l’ensemble des institutions et des acteurs formant l’État.
Le deuxième terme, politics, renvoie à la lutte entre des acteurs individuels ou collectifs (notamment les partis politiques)
pour la détention du pouvoir politique. Faire de la politique, c’est participer à la compétition pour le contrôle du pouvoir
étatique, afin d’occuper des positions de pouvoir au sein des différentes institutions qui composent l’État.
Le troisième terme, policy, renvoie à l’idée d’un ensemble d’actions (et d’inactions) motivées, sur la base d’un jugement
rationnel. On désigne ainsi un programme d’actions poursuivi de manière cohérente par un acteur collectif ou individuel. Cet
acteur peut être politique, dans le premier sens du terme – on parle ainsi de la politique sociale du gouvernement ou de la
politique culturelle d’une collectivité territoriale ; cet acteur peut aussi ne pas être politique – on parle, par exemple, de la
politique commerciale d’une entreprise, ou de la politique d’un responsable au sein d’une institution.
L’expression « politiques publiques » combine le premier et le troisième terme : les politiques publiques forment les
programmes d’action suivis par les autorités étatiques, autrement dit les policies de la polity ! C’est cette définition que retient
Jean-Claude Thoenig (1985, p. 6). Après avoir repéré plus de quarante définitions, il écrit qu’« une politique publique se
présente sous la forme d’un programme d’action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou gouvernementales ».
L’expression « politiques publiques » repose donc sur deux notions fondamentales : celle de programme d’action et celle
d’autorité publique. Un programme d’action correspond à un ensemble d’actions (de nature diverse) présentant une certaine
cohérence (en termes de finalités en particulier) et s’inscrivant dans la durée.
L’adjectif « public » souligne la place centrale de l’État, puisqu’on peut considérer de manière générale qu’est public tout ce
qui relève de la sphère de l’État2, par opposition à la sphère privée (qui renvoie aux relations interindividuelles sans
intervention de l’État). Juridiquement, une autorité est dite publique quand elle détient la puissance étatique sur des
ressortissants situés dans un territoire délimité, sur lesquels ses décisions s’imposent. Sont donc des autorités publiques le
gouvernement, les ministères, les administrations, le Parlement, les collectivités territoriales, les organismes à statut de droit
public… Les politiques publiques correspondent à l’ensemble des actions de l’État. L’étude des politiques publiques est donc
l’étude de l’État en action. Mais les contours de l’État sont souvent très flous. Ainsi, en France, il existe une série d’organismes
et d’institutions à la frange du secteur public et du secteur privé. On trouve dans cet « entre-deux », par exemple, des
organisations de droit privé gérant pour le compte de la puissance publique un secteur d’attribution (c’est le cas des syndicats
de salariés et des organisations patronales qui gèrent les caisses de Sécurité sociale) ou des entreprises (partiellement) privées
remplissant des missions de service public (France Télécom ou EDF par exemple). La notion d’« établissement public à intérêt
commercial » illustre aussi l’interpénétration entre logiques publiques et logiques privées en France.
Surtout, les frontières entre le public et le privé ont été de plus en plus brouillées depuis les années 1980 du fait des
politiques de libéralisation, notamment dans le domaine des transports, des moyens de communication et de l’énergie ; de la
privatisation (totale ou partielle) d’entreprises ou établissements publics (Wright, 1993) ; de la multiplication des formes de
partenariats (notamment financiers) entre le public et le privé (Donahue et Zeckhauser, 2006) ; de la diffusion au sein des
administrations de normes renvoyant aux entreprises privées dans le cadre du nouveau management public (Pollitt et
Bouckaert, 2000) et du recours croissant à des acteurs privés (cabinets de consultants par exemple) dans l’évaluation et la mise
en œuvre de politiques publiques, y compris régaliennes comme l’illustre la très forte croissance des forces de sécurité privées
(Ocqueteau, 2004). Le succès, depuis plus d’une dizaine d’années, de la notion de « gouvernance », qui renvoie à une conception
horizontale des politiques publiques coproduites par des acteurs publics et privés (Kooiman, 2003), atteste de cette
interpénétration croissante. L’opposition entre public et privé n’est plus une grille de lecture pertinente pour appréhender
l’action publique. L’analyse des politiques publiques ne peut pas se limiter à l’action des autorités publiques puisque celles-ci
agissent en interaction avec des acteurs non étatiques pour coproduire de l’action publique.
La typologie la plus fréquemment utilisée a été élaborée dans les années 1960 par Théodore Lowi (1972). Elle permet de
mettre en évidence l’étendue de la gamme des politiques publiques. Elle présente l’intérêt de combiner la dimension des
instruments d’action de l’État avec celle des destinataires d’une politique publique. Plus précisément, deux paramètres sont
distingués par Lowi : le type de ressortissant d’une politique publique et le type de contrainte auquel renvoient les instruments
utilisés. En fonction du premier paramètre, une politique peut soit viser des comportements individuels clairement définis, soit
des collectifs moins spécifiés ; en fonction du second paramètre, la contrainte est soit directe, soit indirecte. En croisant ces
deux paramètres, Lowi distingue quatre types principaux de politiques publiques.
Les politiques réglementaires (contrainte individuelle et directe). L’action publique consiste ici à édicter des règles
obligatoires qui s’appliquent à tout individu dans une situation donnée – autrement dit, l’État oblige ou interdit dans des
circonstances spécifiées. Un exemple classique est fourni par les limitations de vitesse pour les automobilistes : elles
reposent sur la définition de règles que tous les automobilistes sont contraints de respecter, en fonction du type de route
sur laquelle ils roulent, sous peine de sanction. Ces politiques s’appuient donc sur un droit contraignant visant des
comportements individuels clairement définis.
Les politiques distributives (contrainte individuelle indirecte). Ce sont des politiques qui reposent sur l’attribution
d’autorisation ou de prestations particulières. Un individu est bénéficiaire d’une action publique en remplissant un
certain nombre de conditions fixées par les autorités publiques. On peut donner comme exemple de politique distributive
l’attribution de permis de construire ou de prestations sociales soumises à des conditions spécifiques (de ressources en
particulier). Ici, l’État alloue des ressources matérielles ou juridiques sans obligation ; ces politiques ont une dimension
facultative dans la mesure où elles correspondent à un droit dont peuvent se prévaloir les personnes répondant aux
critères définis par les autorités publiques. Pour ce type, on parle aujourd’hui plutôt de politiques allocatives.
Les politiques redistributives (contrainte collective directe). Ici la puissance publique fixe des règles concernant un
groupe, défini par des critères qu’elle édicte. Le meilleur exemple est celui des assurances sociales (assurance-maladie,
assurance vieillesse…) : des groupes socioprofessionnels ont pour obligation de cotiser pour la Sécurité sociale ; en
même temps ils en retirent des avantages. Ces politiques opèrent des transferts entre groupes. C’est aussi le cas des
politiques fiscales de façon générale.
Les politiques constitutives (contrainte collective indirecte). Ici, les autorités publiques édictent des règles sur les règles
ou sur le pouvoir ; elles fixent en quelque sorte des procédures à suivre que doivent respecter l’ensemble des acteurs
concernés par une politique publique. Le plus souvent ces politiques se traduisent aussi par la création de nouveaux
cadres institutionnels. La mise en place de procédures contractuelles (par exemple les contrats de projet État-région en
France) ou de concertation (par exemple les procédures de débat public pour des projets d’infrastructures de transport)
en est l’illustration actuelle. On parle aujourd’hui plutôt de politiques procédurales pour désigner ce type de politique
publique.
Tableau 1. Les types de politiques publiques
Contrainte
Directe Indirecte
Public
Politique
Politique
Individu distributive
réglementaire
(allocative)
Politique
Politique
Groupe constitutive
redistributive
(procédurale)
Cette typologie a le double mérite de combiner des paramètres le plus souvent dissociés et de montrer la diversité des
politiques publiques, sans, cependant, en rendre compte de façon exhaustive. En effet, la première limite de cette typologie est
de ne pas tenir compte de situations dans lesquelles le rapport entre l’État et les destinataires d’une politique publique ne
relève pas de la contrainte. C’est tout d’abord le cas lorsque les autorités publiques interviennent directement, par des actions
matérielles, par exemple en produisant directement des biens (exemple des entreprises nationalisées) ou en créant de nouvelles
structures administratives correspondant à la mise en place ou à l’extension d’un domaine d’intervention étatique. Les
politiques d’infrastructure (transport, énergie…) relèvent ainsi de ces politiques que l’on peut qualifier de politiques
d’intervention directe.
C’est ensuite le cas lorsque les autorités publiques n’ont pas recours à la coercition mais à la persuasion. Les campagnes de
prévention dans le domaine de la santé publique, concernant, par exemple, le tabagisme, l’alcoolisme ou le dépistage du cancer
du sein, en sont une bonne illustration. On peut également mentionner le recours à l’étiquetage de produits en fonction de
critères écologiques (label bio, étiquette carbone…). On parlera ici de politiques incitatives. Ce type permet d’intégrer le fait
qu’une politique publique ne correspond pas forcément à un contenu clairement identifiable. La dimension symbolique est enfin
à prendre en compte puisqu’une politique publique est aussi constituée par des discours publics, des textes (des rapports
notamment), des mises en scène (sous la forme de la mise en place de commissions par exemple) qui visent moins à produire
des décisions concrètes qu’à agir sur la représentation d’un problème et à montrer que les gouvernants se sentent concernés
par un enjeu, dans une logique d’affichage politique (comme on le verra dans le chapitre 1).
La deuxième limite de cette typologie réside dans le fait qu’elle assimile implicitement une politique publique à un type de
politique publique. Or, le plus souvent, pour un même enjeu, plusieurs types de politiques publiques coexistent. Ainsi, par
exemple, la politique de lutte contre le tabagisme en France est à la fois réglementaire (comme le traduit l’interdiction de fumer
dans les lieux publics), redistributive (par l’existence de taxes sur les tabacs) et incitative (sous la forme de campagnes de
sensibilisation du public sur les méfaits du tabac). Cet exemple conduit aussi à souligner que l’analyse d’une politique publique
doit intégrer la dimension temporelle et ne pas se limiter à une mesure particulière, contrairement à ce que pourrait suggérer la
typologie de Lowi. Une politique publique doit être appréhendée comme un enchaînement de décisions et d’effets en interaction
(l’effet dépend de la mesure et inversement) ; une politique publique correspond à un processus dynamique dont l’étude doit
intégrer la durée à laquelle renvoie l’expression programme d’action.
La troisième limite que l’on peut mentionner est liée à un autre postulat implicite de la typologie : celui du caractère
clairement repérable d’une politique publique. Or, une politique publique ne se donne pas forcément à voir immédiatement pour
l’observateur. Si le contenu est en général aisément identifiable du fait de l’existence de mesures prises (d’ordre juridique,
financier, fiscal, institutionnel…) et mises en œuvre (en recourant à des éléments de coercition) par une ou des autorités
publiques, il n’en est pas de même pour les autres éléments. Le programme d’action n’est que rarement explicité, de même que
les finalités de l’action. Enfin, le public visé n’est pas toujours précisément cerné. C’est là une des tâches de l’analyse des
politiques publiques : rattacher une mesure à un programme d’action, à des finalités et à des publics. Il s’agit donc de
reconstituer les différents éléments d’une politique publique en tenant compte des non-décisions, des effets symboliques, des
incohérences et des contradictions. Une politique publique est aussi construite par l’analyse qui en est faite, et, plus largement,
par l’ensemble des discours qui l’accompagnent (émis tant par les acteurs de ces politiques que par les observateurs :
journalistes, chercheurs…).
Enfin, quatrième limite, la typologie de Lowi ne propose qu’une réflexion limitée sur les raisons du recours à tel ou tel type de
politique. En centrant la réflexion sur la catégorie de la coercition, deux dimensions importantes sont occultées (Linder et
Peters, 1991) : celle de la faisablité (technique et/ou politique) du recours à un type de politique et celle du contexte (renvoyant
à la fois au système politico-administratif dans son ensemble et à un sous-système de politique publique en particulier).
Malgré ces limites, la distinction entre types de politiques publiques permet une lecture du développement historique des
politiques publiques.
Les transformations historiques des politiques publiques
D’un point de vue historique, l’État se construit en effet à partir de la production de politiques publiques : il s’étend et s’étoffe
en développant de nouveaux domaines d’action. Cette dimension historique des politiques publiques a fait l’objet d’une attention
renouvelée depuis les années 1980, dans le cadre d’un tournant sociohistorique (Payre, Pollet, 2005) problématisant en termes
de sciences sociales des objets historiques, ayant recours aux sources et aux méthodes des historiens et privilégiant des objets
circonscrits dans le temps et dans l’espace. Aux États-Unis, ce tournant s’est notamment traduit par le développement du néo-
institutionnalisme historique à la suite de l’ouvrage collectif Bringing the State back in (Evans, Rueschmeyer, Skocpol, 1985) et
la création du Journal of Policy History. En France, il a concerné la science politique de manière plus générale et se caractérise
par un intérêt prioritaire porté à la genèse des politiques publiques et au processus d’étatisation de la société. Un nombre
croissant de travaux a ainsi été consacré à l’émergence de nouvelles catégories d’intervention publique afin de comprendre
comment l’État se saisit d’un nouvel enjeu et met en place des dispositifs administratifs étendant son domaine d’action5.
D’autres travaux ont mis l’accent sur le rôle de la constitution de nouveaux savoirs correspondant à des sciences du
gouvernement (Ihl, Kaluszynski, Pollet, 2003) qui ont participé au processus de bureaucratisation et de rationalisation de
l’action politico-administrative, tant au niveau de l’État central que du local.
Un des intérêts de l’approche sociohistorique est de prendre en compte l’historicité des politiques publiques (Laborier et
Trom, 2003), ce qui permet notamment de réduire le hiatus entre l’analyse des politiques publiques du passé et celles du
présent. Il ne s’agit plus alors uniquement de faire la genèse d’une politique publique, mais aussi d’éclairer une politique
publique contemporaine à la lumière de son évolution historique et de comprendre des permanences de longue durée. Comme
on le verra dans le chapitre 9, la perspective de longue durée est nécessaire, non seulement à sa compréhension du
changement, mais aussi à sa caractérisation. Dans le cadre de cet ouvrage, la dimension historique est principalement prise en
compte à travers l’éclairage qu’elle offre sur le présent.
Une autre perspective d’analyse historique sur les politiques publiques, plus macro et s’inscrivant plus dans la sociologie
historique de l’État que dans la sociohistoire s’intéresse aux transformations de l’État, plus précisément au développement de
l’action publique en rapport avec les mutations des formes étatiques. Ce travail, mené dans le cas français par Pierre
Rosanvallon (1990) notamment, permet aussi de saisir les changements dans les types de politiques publiques à partir
desquelles l’État se développe. Comme l’a si brillamment expliqué Norbert Elias (1975), l’État naît de la monopolisation de la
force physique et des ressources fiscales sur un territoire donné (les deux s’alimentant) par un centre politique. Ce double
monopole permet d’enclencher les trois processus constitutifs de l’État distingués par la sociologie historique (Badie, Birnbaum,
1982) : la centralisation territoriale, la différenciation du pouvoir politique par rapport à la société et l’institutionnalisation de
celui-ci, sous la forme de l’administration. De ce fait, jusqu’au XVIIIe siècle, l’État conduit principalement trois politiques
publiques : les politiques de maintien de l’ordre, les politiques fiscales et les politiques militaires. Il s’agit là de politiques
d’intervention directe et réglementaires puisque l’action étatique s’appuie sur la mise en place d’instruments administratifs
(police, armée, justice, administration fiscale, administration territoriale…) et la production de règles de droit. La multiplication
des politiques d’intervention directe forme le socle sur lequel s’édifie l’État-nation qui connaît son apogée au XIXe siècle en
Europe. D’autres politiques publiques s’affirment alors : des politiques de transport (routes, canaux puis chemins de fer) et de
communication (poste puis télégraphe et téléphone) afin d’intégrer un territoire défini comme national en raccourcissant les
distances ; des politiques d’enseignement afin d’unifier la culture nationale, d’imposer une langue unique et d’inculquer le
patriotisme…
Une rupture décisive se produit à la fin du XIXe siècle avec l’avènement de l’État-providence qui correspond à l’apparition de
politiques publiques d’un autre type : celui des politiques redistributives. Elles traduisent le passage d’une conception
individuelle de la responsabilité à une conception collective, comme l’illustre la mise en place de systèmes d’assurance
collective pour les accidents du travail (en Allemagne en 1871, en Angleterre en 1897, en France en 1898). La responsabilité de
l’accident du travail ne relève plus de l’ouvrier ou de l’employeur à titre individuel : il est désormais pensé comme le produit de
la société industrielle. On passe alors d’une responsabilité personnelle à une responsabilité collective prise en charge par l’État :
c’est à lui d’assumer les risques liés à l’essor du travail industriel. On assiste ainsi à l’avènement d’une société assurantielle,
garantie par l’État (Ewald, 1986). La protection étatique s’étend désormais par-delà la sécurité physique ; il s’agit de prémunir
les individus face à différents risques : travail, maladie, vieillesse puis chômage. La mise en place de l’État-providence est
également une réponse à l’essor du mouvement ouvrier et du socialisme comme le montre l’exemple de l’Allemagne
bismarckienne, où sont mises en place les premières assurances sociales (maladie, accident du travail, retraite) dans les années
1880. Elles sont marquées par trois innovations majeures : l’obligation (de cotiser pour les ouvriers et leurs employeurs),
l’exercice de la solidarité par groupe professionnel (égalisation des risques) et la garantie de l’État. Les transferts de
responsabilité et les transferts financiers deviennent ainsi une dimension essentielle des politiques publiques.
La place des politiques redistributives s’accroît sous l’effet des deux guerres mondiales qui renforcent la tendance à
l’intervention de l’État. En outre, la crise économique des années 1930 met en évidence les limites de l’économie capitaliste de
marché et la nécessité d’une intervention de l’État comme l’a théorisé Keynes. Ses conceptions économiques s’imposent dans la
plupart des pays occidentaux après 1945. Les nécessités de la reconstruction expliquent l’apparition de la planification et
l’accroissement de l’intervention économique de l’État (nationalisations, soutien à la demande, organisation de la production,
programmes d’équipements…) qui s’affirme aussi comme producteur. Les lendemains des deux guerres mondiales sont
également marqués par la nécessité de ressouder la collectivité nationale, ce qui se traduit par l’extension des systèmes de
protection sociale. L’État s’acquitte de la dette qu’il a contractée vis-à-vis de sa population, qui a subi les effets directs et
indirects des conflits mondiaux. Ainsi, après 1918, l’indemnisation des victimes de guerre est un élément moteur du
développement de l’État-providence (assurances sociales obligatoires en France en 1928-1930) qui est à nouveau fortement
étendu après 1945 (plan Beveridge en Grande-Bretagne, création de la Sécurité sociale en France). On assiste alors à une
universalisation de la protection sociale, puisqu’à l’égalité des souffrances vécues au cours de la guerre succède celle des droits
sociaux.
Les politiques redistributives et d’intervention directe ont été progressivement mises en cause depuis les années 1970 ce qui a
conduit à l’affirmation croissante des politiques constitutives (ou procédurales) et de politiques incitatives. Cette évolution des
types de politiques publiques et donc des instruments d’action publique correspond à l’émergence d’un État régulateur
(Hassenteufel, 2007) qui intervient plus indirectement que directement, qui fait faire plus qu’il ne fait lui-même, qui agit donc
plus en interaction avec des acteurs non étatiques qu’il n’agit par lui-même. Les politiques publiques sont de plus en plus
construites collectivement par une grande diversité d’acteurs.
Cette analyse historique peut être synthétisée par le tableau suivant, inspiré par celui que proposent Pierre Lascoumes et
Patrick Le Galès (2004b, p. 361).
Tableau 2. Type de politique publique, forme de l’État et mode de légitimation
Type de
politique Mode de légitimation
Forme de l’État
publique dominant
emblématique
Réglementaire État régalien Maintien de l’ordre
Intervention
directe - Valeurs collectives
(administration État-nation
(identité nationale)
publique)
Prise en charge de
Redistributive État-providence
risques collectifs
Incitative
(incitations
fiscales,
information,
évaluation,
standards de État Efficience
bonnes régulateur Démocratique
pratiques…)
Procédurale
(instruments
conventionnels
et délibératifs)
La période historique ouverte à la fin des années 1970 correspond à une autre mutation décisive des politiques publiques :
celle du dépassement de leur cadre national.
On assiste en effet, au début des années 1980, à la relance de l’intégration européenne et au poids renforcé de la
mondialisation économique qui conduit au « tournant néolibéral » des politiques publiques (Jobert, 1994).
Au niveau européen6, les années 1980 sont d’abord marquées par l’adoption de l’Acte unique en 1986, dont l’objectif principal
est l’achèvement du grand marché européen inscrit dans le traité de Rome. Il en découle la libéralisation de tous les
mouvements de capitaux à l’intérieur de la CEE, la suppression des principales barrières non tarifaires et l’ouverture des
marchés publics. L’adoption de l’Acte unique a aussi favorisé l’ouverture à la concurrence progressive des services publics en
réseaux : tout d’abord dans les télécommunications (à partir de l’adoption d’un Livre vert en 1987), puis dans les transports
(transport aérien puis ferroviaire à la suite de la directive de 1991), les services postaux (à la suite du Livre vert de 1992) et
dans le domaine de l’énergie (pour l’électricité à la suite de la directive de 1996). On assiste ainsi à un important développement
des politiques de concurrence, mais aussi dans d’autres domaines tels l’environnement qui devient une compétence
communautaire dans le cadre de l’Acte unique. Celui-ci reconnaît également l’existence d’une politique de recherche
européenne qui repose sur l’incitation à des coopérations transnationales et le cofinancement de projets transnationaux. Enfin,
on assiste à l’affirmation de la politique régionale européenne, basée sur l’octroi de fonds structurels, et dont l’objectif est de
lutter contre les inégalités territoriales à l’intérieur de la CEE afin de garantir sa « cohésion économique et sociale ».
Cette dynamique de développement des politiques publiques européennes connaît une nouvelle étape, dans les années 1990,
avec l’adoption du traité de Maastricht en 1993, qui a deux effets majeurs. Le premier est de mettre en place une Union
économique et monétaire (UEM). L’UEM comprend deux aspects principaux : la monnaie unique, l’euro, émise et gérée par une
Banque centrale européenne (la BCE) et le Pacte de stabilité et de croissance qui fixe des critères en matière de déficit
budgétaire, de taux d’inflation et de niveau d’endettement. La discipline budgétaire inscrite dans le pacte a des effets sur
l’ensemble des politiques publiques de la zone euro (dix-sept pays).
Le second effet du traité de Maastricht est d’élargir le champ de compétence de l’Union européenne, comme le traduit en
particulier la mise en place d’un « troisième pilier » portant sur la justice et les affaires intérieures (JAI). La coordination des
politiques publiques européennes concerne aussi de façon croissante, à partir de la fin des années 1990, les politiques sociales
(politiques d’emploi, de retraite, de santé…) dans le cadre de la méthode ouverte de coordination (MOC). Ainsi, depuis cette
période, l’intégration européenne concerne l’ensemble des politiques publiques, de manière plus ou moins directe.
Parallèlement, depuis les années 1980, l’internationalisation des économies s’est intensifiée à trois niveaux : celui des
échanges (augmentation forte du volume des échanges et ouverture croissante des économies), celui de la production
(l’internationalisation des firmes conduit à des choix de localisation de la production à une échelle mondiale) et celui des
capitaux (le développement de flux financiers transnationaux pour financer les déficits publics du fait des chocs pétroliers, la
libéralisation de la circulation des capitaux, la multiplication des produits financiers et les innovations technologiques ont
entraîné l’émergence d’un marché financier mondial). Il en a résulté deux conséquences majeures en termes de politiques
publiques. La première est la réduction de la marge d’action des États en matière économique et financière qui se traduit par
l’adoption généralisée de politiques économiques de désinflation compétitive visant le meilleur positionnement possible sur les
marchés internationaux des biens et des capitaux et par la limitation des dépenses publiques qui étaient au cœur des politiques
économiques des Trente Glorieuses. Les effets des politiques économiques dépendent donc de façon croissante d’acteurs non
étatiques : les entreprises et les opérateurs financiers en particulier. La seconde conséquence est que le niveau d’action
publique pertinent est de plus en plus international puisque seules des règles internationales peuvent avoir un impact sur des
phénomènes et des acteurs de plus en plus internationalisés.
L’internationalisation des enjeux politiques concerne aussi d’autres phénomènes. C’est en particulier le cas des enjeux liés à la
défense de l’environnement : les pollutions et les atteintes au milieu naturel ne connaissent pas les barrières nationales comme
l’illustre l’un des enjeux majeurs des politiques publiques aujourd’hui : celui du réchauffement climatique qui concerne
l’ensemble de la planète. On peut aussi mentionner les enjeux liés aux flux migratoires7 et ceux de santé publique, liés aux
épidémies infectieuses (sida, tuberculose, paludisme…) en particulier (Dixneuf, 2003).
Ces différents enjeux ont pour point commun non seulement de concerner des processus transfrontaliers, mais aussi de faire
l’objet de politiques publiques internationales. Celles-ci sont définies par Franck Petiteville et Andy Smith (2006) comme
« l’ensemble des programmes d’action revendiqués par des autorités publiques ayant pour objet de produire des effets
dépassant le cadre d’un territoire stato-national » (p. 362). Parmi elles ils distinguent les politiques étrangères des politiques
multilatérales. Les premières relèvent principalement des États et sont internationales avant tout par leur objet, les secondes
sont élaborées par des acteurs internationaux. Leur développement actuel correspond à un changement majeur d’échelle de
l’action publique contemporaine qui conduit à mettre en cause le cloisonnement académique entre l’analyse des relations
internationales et celle des politiques publiques, fondé sur une distinction dépassée entre l’interne et l’externe. Il n’est plus
possible de découper des espaces nationaux de politiques publiques, toute politique publique s’inscrivant dans des flux de biens
tant matériels qu’immatériels (normes, idées…) dépassant le strict cadre national. Ces interactions transfrontières sont de
moins en moins contrôlées par les États du fait de la place prise par des acteurs transnationaux tels que les entreprises
multinationales, les ONG et les experts. L’internationalisation et la transnationalisation8 de l’action publique ont également pour
conséquence d’étendre les frontières géographiques (et culturelles) de l’analyse des politiques publiques. Centrée
historiquement sur les pays de l’OCDE, celle-ci englobe de façon croissante d’autres aires géographiques, en particulier là où
ont été menées (et réussies) des sorties de l’autoritarisme (Artigas, 2010). Même si ces pays restent caractérisés par une
institutionnalisation et une différenciation limitée de l’État, on y trouve les mêmes acteurs internationaux et transnationaux et
ils sont soumis aux mêmes types de flux mondialisés que les pays de l’OCDE, où les acteurs étatiques ne sont plus aujourd’hui
toujours au cœur de l’action publique.
L’européanisation et la transnationalisation des politiques publiques sont à la fois un facteur primordial de changement dans
les politiques publiques nationales et une dimension du changement de l’action publique en général. En effet, leur impact
croissant transforme les politiques publiques nationales (au niveau de l’orientation, des instruments, des acteurs et des règles
du jeu institutionnelles) et, en même temps, le développement de politiques publiques européennes et internationales modifie en
profondeur les contours mêmes de l’action publique en général. Non seulement la construction collective de l’action publique au
niveau national (et, de plus en plus, au niveau local) est également le fait d’acteurs européens, internationaux et transnationaux,
mais aussi de nouveaux modes de construction collective de l’action publique, moins hiérarchisés et contraignants, à la fois plus
ouverts et plus complexes, déplaçant et atténuant la frontière entre public et privé, se donnent à voir aux niveaux européen
(Boussaguet, Jacquot, 2010) et international (Sassen, 2009 ; Laroche, 2003).
Cette mise en perspective historique permet également de mieux comprendre les évolutions de l’analyse des politiques
publiques, elles-mêmes étroitement liées à celle des formes d’intervention de l’État.
L’analyse des politiques publiques s’est d’abord développée aux États-Unis dans les années 1950. Les travaux de l’époque sont
marqués par une forte articulation entre l’analyse et la pratique puisque les premiers analystes des politiques publiques sont en
même temps des praticiens de l’action publique. Aux États-Unis, les universitaires sont depuis le début du XXe siècle, surtout à
partir du New Deal puis dans le cadre de l’effort de guerre, fréquemment des consultants pour l’administration. C’est le cas
notamment de Charles Merriam, à la fois universitaire et directeur du National Ressource Board, dont l’objectif était d’optimiser
l’utilisation des ressources publiques. Les élèves de Merriam, en particulier Lasswell9, sont considérés comme les pères
fondateurs de la discipline.
En 1951, Lerner et Lasswell publient un ouvrage intitulé The Policy Sciences. Le but assigné à cette nouvelle discipline est de
produire des connaissances applicables à la résolution des problèmes de l’action publique. Il s’agit d’améliorer l’efficacité des
politiques publiques en rationalisant l’action étatique. Les policy sciences sont à la fois une science de l’action publique et pour
l’action publique. Cette discipline nouvelle ne relève pas seulement des sciences sociales. Des ingénieurs, des analystes des
systèmes, des mathématiciens, des économistes, travaillant souvent dans des organismes privés (comme la célèbre Rand
Corporation), s’inscrivent également dans cette approche. Les policy sciences sont, d’une part, pluridisciplinaires, et, d’autre
part, opérationnelles puisque tournées vers la constitution d’instruments de rationalisation de l’action étatique par lesquels il
s’agit de rendre, en quelque sorte, l’État plus savant. L’approche économique et gestionnaire est prédominante du fait de la
centralité de la question de l’optimisation des ressources budgétaires, comme le montre notamment l’élaboration d’un outil de
planification budgétaire, le Planning Programming Budgeting System, mis en œuvre au niveau fédéral au début des années
1960.
Cette première phase de l’analyse des politiques publiques correspond donc à un projet simultanément politique et
scientifique, celui de la rationalisation de l’action publique formalisé par le modèle séquentiel (présenté dans le premier
chapitre). C’est pour cela qu’il se développe en étroite articulation avec l’État, voire au sein de l’État comme le montre le cas
français. C’est au sein même de l’appareil d’État que se développe l’analyse rationnelle des politiques publiques, en particulier
au Commissariat général au Plan. Cette première étape, largement inspirée par les travaux américains, est également dominée
par une perspective économique et gestionnaire, comme l’illustrent la construction d’un appareil statistique (avec la création de
l’Insee), la mise au point d’outils de prévision et de comptabilité économiques ainsi que l’élaboration de la procédure de
rationalisation des choix budgétaires.
Soulignons, enfin, que les policy sciences sont focalisées sur la décision publique, plus précisément sur les outils de la décision
puisque leur objectif est de la fonder scientifiquement. Elles s’appuient sur un double postulat : d’une part celui de la rationalité
de la décision (ou du moins de la possibilité de rendre la décision rationnelle par l’élaboration d’instruments scientifiques
d’action) ; d’autre part celui du caractère non problématique de la mise en œuvre, qui fait l’objet d’une attention très limitée.
Tout se passe comme si une « bonne » décision (c’est-à-dire rationnelle) ne pouvait qu’être appliquée sans difficultés. C’est de la
critique de ces deux postulats que va naître une deuxième étape de l’analyse des politiques publiques, celle de la critique du
modèle rationnel et du fonctionnement des administrations par la sociologie des organisations.
Au cours des années 1960, des auteurs comme Lindblom, March, Simon ou Wildawsky aux États-Unis, Scharpf et Mayntz en
Allemagne, Michel Crozier en France vont identifier les multiples dysfonctionnements de l’action étatique et ainsi sérieusement
ébranler le mythe de la rationalité de la décision publique. Ils mettent au jour la diversité des logiques d’acteurs intervenant
dans la décision, les contradictions dans les objectifs des politiques publiques, les imperfections de l’information (tant dans son
élaboration que dans sa circulation, son traitement et sa réception), les aléas des processus décisionnels… D’autres travaux,
émanant là aussi principalement de sociologues des organisations, soulignent les difficultés de l’administration à mettre en
œuvre les décisions prises, la faiblesse des compétences administratives, l’autonomie des agents au guichet, et donc au final les
limites de la capacité de l’État à résoudre les problèmes qu’il affirme prendre en charge. On passe donc de l’optimisme
rationalisateur (voire scientiste) des policy sciences au pessimisme sociologique (critique). Cette nouvelle phase de l’analyse des
politiques participe à l’ébranlement du consensus d’après-guerre sur les bienfaits de l’intervention de l’État, fondé sur les
principes macroéconomiques keynésiens (ou plutôt néokeynésiens), dans le cadre de la régulation fordiste. Avec les chocs
pétroliers des années 1970 et la montée en puissance de discours critiques sur l’État, qu’ils soient d’inspiration libertaire (dans
le cadre d’une critique générale des pouvoirs) ou d’inspiration libérale (dans le cadre d’une critique économique et
philosophique de l’État), la confiance en sa capacité à résoudre les problèmes économiques et sociaux est fortement érodée. Les
transformations de l’analyse des politiques publiques s’inscrivent dans ce climat intellectuel, social et politique qui n’est plus
celui de la croyance aux vertus modernisatrices et bienfaitrices de l’interventionnisme étatique, symbolisé aux États-Unis par le
projet de « grande société » du président Lyndon Johnson, en France par les « grands projets » industriels des débuts de la
Ve République.
L’attention portée à la rationalité limitée des acteurs et à l’importance des interactions interindividuelles au niveau le plus
micro des politiques publiques conduit la sociologie des organisations à privilégier une démarche inductive (Musselin, 2005)
basée sur les entretiens, l’observation (directe et/ou participante) et le recueil de matériaux de première main (notes, courriers,
dossiers…).
Cette perspective sociologique met donc en évidence que les policy sciences ne se sont pas suffisamment attachées à la façon
dont se construisent des systèmes d’action et qu’elles se sont trop focalisées sur les instruments de la décision publique et sur
les acteurs au sommet (gouvernants, hauts fonctionnaires). Sous l’impulsion de la sociologie des organisations, la prise en
compte des facteurs organisationnels, institutionnels, des caractéristiques sociologiques des différents acteurs, des conflits s’est
progressivementdiffusée. C’est aussi à cette époque (fin des années 1960 et début des années 1970) que se structurent, aux
États-Unis principalement, les espaces scientifiques et académiques de l’analyse des politiques publiques : revues
spécialisées10, sociétés savantes11, comités spécialisés au sein des associations disciplinaires en sciences sociales (en sociologie
en particulier), développement des enseignements (Allison, 2006, p. 64), publication de manuels (Jones, 1970 ; Dye, 1972
[1998], Anderson, 1975)… De ce fait l’analyse des politiques publiques se différencie de façon croissante de l’économie
publique. De son côté, celle-ci conserve tant le questionnement central (normatif) en termes d’efficacité de l’intervention
publique que les méthodes des policy sciences mais déplace sa focale de la décision vers la mise en œuvre et l’évaluation (Bozio,
Grenet, 2010).
Ces critiques sociologiques du modèle rationnel des policy sciences ont ouvert la voie à de nouvelles théorisations des
politiques publiques, qui correspondent à une troisième phase. Celle-ci peut être caractérisée par l’attention portée aux acteurs
des politiques publiques (appréhendés dans une double perspective stratégique et cognitive) et à leurs modes d’interaction
(comme on le verra dans le chapitre 5). Le dépassement du modèle rationnel s’opère alors par une tentative d’explication des
politiques publiques fondée sur les caractéristiques structurelles des interactions d’acteurs, qu’ils soient publics ou privés. Un
des éléments d’impulsion est la prise en compte renouvelée du poids des groupes d’intérêts dans les politiques publiques,
jusque-là dominées par l’approche pluraliste, développée aux États-Unis dans les années 1960. Dans ce cadre, il s’agissait avant
tout de montrer en quoi les lobbies participent d’une compétition ouverte pour le pouvoir politique, à partir d’une analyse
décisionnelle. D’autres travaux mettent en évidence le rôle de la mobilisation d’acteurs sociaux dans la construction de
problèmes publics et leur mise sur agenda (comme on le verra dans le chapitre 2). Dans les années 1970, des travaux, plutôt
européens (anglais et allemands en particulier), s’intéressent, d’une part, aux inégalités entre groupes d’intérêts et, d’autre
part, au rôle des groupes d’intérêts dans la mise en œuvre des politiques publiques. Ainsi se structure un paradigme d’analyse
corporatiste qui place au cœur de l’analyse des groupes d’intérêts liés à l’État. Il correspond à un autre déplacement qui se
généralise dans les années 1980 : l’État n’est plus au centre de l’analyse des politiques publiques. Ces travaux ont conduit au
développement de notions permettant d’appréhender ces interactions d’acteurs publics et privés : en particulier celles de
réseaux de politiques publiques (policy networks) et de coalitions de cause (advocacy coalitions). Ces interactions sont étudiées
en termes de rapports de pouvoirs liés aux ressources des différents acteurs et au contexte (notamment politique et
institutionnel) dans lequel elles s’inscrivent. Ainsi l’analyse des politiques publiques prend en compte de façon croissante la
diversité des acteurs qui participent à son élaboration et à sa production, y compris les acteurs politiques tels que les élus et les
partis politiques, longtemps négligés, dotés de ressources et de logiques d’action (notamment électorales) propres. L’étude et la
compréhension des politiques (policies) ne sont plus déconnectées de celle de la politique (politics).
On comprend alors pourquoi l’analyse des politiques publiques s’inscrit de façon croissante dans le cadre de la sociologie
politique, à tel point qu’elle est devenue une sous-discipline à part entière de la science politique. Cette évolution est
particulièrement nette dans le cas français, où elle s’est progressivement détachée de la science administrative, du marxisme et
de la sociologie des organisations en mettant l’accent sur la dimension cognitive et le rôle des acteurs (Leca, Muller, 2008).
Alors qu’en 1980, Pierre Favre, dans le cadre d’un bilan de la recherche et de l’enseignement en science politique en France,
classait l’étude des politiques publiques comme un des quatre domaines où les spécialistes étaient « fort rares » il n’en va plus
de même depuis les années 1990 comme le montrent des indicateurs simples, tels que la multiplication des thèses, des articles
scientifiques12 et des ouvrages de synthèse (Mény et Thoenig, 1989 ; Muller, 1990 [2008] ; Muller et Surel, 1998 ; Massardier,
2003 ; Boussaguet, Jacquot et Ravinet, 2004 [2010] ; Gaudin, 2004 ; Lascoumes et Le Galès, 2007 ; Kübler, de Maillard, 2009).
Au-delà du cas français on peut noter, dans le monde anglo-saxon, tant la floraison d’ouvrages de synthèse (Parsons, 1995 ;
Howlett et Ramesh, 1995 ; Hill, 1997 ; John, 1998 ; Moran, Rein et Goodin, 2006 ; Peters et Pierre, 2006) que la création de
nouvelles revues faisant une large place à la science politique13. Du fait de ces évolutions l’analyse des politiques publiques
participe aussi aux débats sur les transformations contemporaines des formes du pouvoir politique et de sa légitimation,
autrement dit sur le politique (polity). Cette nouvelle phase est moins marquée par la prédominance des travaux américains :
d’une approche très américaine à l’origine, l’analyse des politiques publiques s’est progressivement internationalisée et
européanisée.
C’est parce que les politiques publiques changent que le regard porté sur elles s’est modifié (à moins que cela ne soit
l’inverse…). Le poids accordé aux interactions d’acteurs au sein de l’analyse des politiques publiques découle de leur
multiplication, de l’interpénétration des différents niveaux d’action (infranationaux, nationaux et supranationaux), de l’érosion
des frontières entre public et privé, du changement des modes d’intervention étatiques (libéralisation, régulation,
contractualisation, délibération…) et du rôle croissant des politiques procédurales et incitatives. Il en résulte une interrogation
sur les mutations de la régulation politique (à partir de la notion de gouvernance) et de la nature de l’État contemporain. Un
nombre croissant de chercheurs prône l’abandon de l’expression « politiques publiques » pour lui substituer « action publique »
(Thoenig, 1998) pour trois raisons principales : tout d’abord, elle permet de renvoyer à l’avènement de politiques publiques
moins stato-centrées et surtout multiniveaux ; ensuite, de souligner les limites de la cohérence des programmes publics et de la
nécessité de les déconstruire ; enfin, de distinguer plus nettement le vocabulaire des acteurs (qui parlent plutôt de politiques
publiques) de celui des analystes. L’évolution de l’analyse des politiques publiques vers une sociologie politique de l’action
publique correspond au passage d’une conception en termes de production étatique de politiques publiques à une conception en
termes de construction collective de l’action publique. La sociologie politique de l’action publique repose sur l’analyse
contextualisée d’interactions d’acteurs multiples et enchevêtrés à plusieurs niveaux, du local à l’international en passant par
l’Union européenne, permettant de penser les transformations des États contemporains.
Cette perspective d’analyse implique une diversité des méthodes. En effet, ni l’entretien, outil méthodologique privilégié en
France (Bongrand et Laborier, 2005 ; Pinson et Sala Pala, 2007), ni les méthodes quantitatives liées aux approches en termes de
choix rationnel (Balme et Brouard, 2005), dominantes aux États-Unis, ne sont suffisants. L’entretien avec les acteurs est de plus
en plus souvent articulé avec un travail d’observation (directe et/ou participante) et le recueil de sources primaires (notes,
courriers, archives, rapports, documents internes…), de sources médiatiques (articles de presse, émissions télévisées ou de
radio…) et de sources trouvées sur la toile. Le recours à des méthodes quantitatives ne se limite pas à la recherche de
corrélations entre des indicateurs afin de mettre en évidence des liens de causalité, elles peuvent aussi être utilisées pour
effectuer une sociographie des acteurs des politiques publiques (par exemple Genieys, 2005), pour analyser la mise en œuvre de
l’action publique (par exemple Dupuy, 2010) ou encore réaliser une analyse textuelle (et intertextuelle). Par ailleurs, à la suite
des travaux d’Alain Dérosières (1993), un nombre significatif de recherches s’interroge sur la production de statistiques, leurs
usages et sur leurs effets sur l’action publique. Cet étoffement méthodologique14 renvoie à la diversification des méthodes sur
lesquelles s’appuie la sociologie politique de manière générale.
On partira donc ici de cette évolution des modes d’analyse des politiques publiques. Cet ouvrage commence par une
présentation générale du modèle d’analyse séquentiel fondé sur la vision rationaliste des politiques publiques (chapitre 1). À
partir de la critique de ce modèle se sont développées les approches sociologiques permettant de comprendre les dynamiques
de construction des problèmes publics et de mise sur agenda (chapitre 2), les aléas et la complexité des processus décisionnels
(chapitre 3) et les difficultés de la mise en œuvre des politiques publiques (chapitre 4). Nous serons alors amenés à présenter
les analyses en termes d’interactions d’acteurs (chapitre 5) qui sont au cœur de la sociologie politique de l’action publique.
Nous porterons ensuite un regard approfondi sur différents acteurs des politiques publiques : les acteurs politiques (chapitre 6),
les groupes d’intérêts (chapitre 7) et les acteurs intermédiaires (chapitre 8). Nous terminerons par l’analyse des transformations
contemporaines de l’action publique (chapitre 9) qui conduira, en conclusion, à apporter des éléments de réponse à la question
de la convergence des politiques publiques et des mutations de l’État contemporain.
Ce plan reflète deux choix fondamentaux qu’il est nécessaire d’expliciter afin de faciliter la lecture et la compréhension de cet
ouvrage. Le premier est le refus de séparer l’analyse des politiques publiques de l’évolution des politiques publiques elles-
mêmes. En effet, le plus souvent les ouvrages de synthèse sur les politiques publiques (français et anglo-saxons) sont largement
focalisés sur les outils d’analyse des politiques publiques au détriment de la présentation de leur contenu (et de leur évolution).
Au contraire, nous nous sommes efforcés ici d’articuler le plus étroitement possible la dimension théorique avec la dimension
empirique, ce qui se traduit par un recours systématique à des exemples concrets (sous la forme d’encadrés le plus souvent).
Ceux-ci ne se limiteront pas à la France, ce qui renvoie à un second choix : celui de l’ouverture comparative. Ce choix ne tient
pas seulement aux apports intrinsèques de la démarche comparative (Hassenteufel, 2000) mais aussi au fait que celle-ci est
désormais indispensable pour appréhender des facteurs de transformation des politiques publiques aussi décisifs que la
mondialisation économique et l’intégration européenne et poser la question de la convergence transnationale de l’action
publique aujourd’hui.
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1 - . Cet ouvrage se fonde sur près de vingt années d’expérience en matière de recherche, d’enseignement et d’animation scientifique dans le domaine des politiques
publiques.
2 - . Le terme « public » vient du grec polis signifiant « cité ». Les origines grecques de l’opposition public/privé ont été mises en évidence par H. Arendt (1961).
3 - . L’analyse des politiques publiques s’interroge aussi sur ce que les autorités étatiques pourraient faire puisque, comme l’écrit Thomas Dye, « la politique
publique est tout ce que les gouvernements décident de faire ou de ne pas faire » (1998, p. 1).
4 - . Ainsi, dans les années 1960, certains auteurs vont jusqu’à distinguer soixante-quatre types (Kirschen et alii, 1964).
5 - . On peut notamment mentionner le travail de Vincent Dubois (1999) sur la genèse de la culture comme catégorie d’intervention publique. À travers la
démarche sociohistorique il donne à voir les contours composites et flous de la politique culturelle, les problèmes récurrents de définition de cette catégorie étant
liés à ses conditions d’émergence, en particulier les conflits sur la question de la légitimité de l’intervention de l’État dans la « culture ». L’analyse proposée par
Vincent Dubois permet ainsi de comprendre pourquoi « la culture comme catégorie d’intervention publique ne se stabilise que dans le flou structurel » (p. 17).
Comme autre exemple de cette démarche, on peut citer les travaux de Christian Topalov (1994) et de Bénédicte Zimmermann (2001) sur la construction du
chômage comme catégorie d’action publique.
6 - . La littérature sur les politiques publiques européennes étant particulièrement abondante, on se contentera ici de mettre en exergue deux ouvrages
collectifs analysant systématiquement les différentes politiques communautaires : en anglais celui dirigé par Helen et William Wallace (2005) et en français
celui dirigé par Renaud Dehousse (2010).
7 - . Selon l’ONU il y aurait environ 175 millions de migrants et de personnes déplacées dans le monde au début des années 2000, ce qui correspond à un
plus qu’un doublement depuis 1970 (Graz, 2004, p. 68).
8 - . La notion de transnationalisation, forgée par Keohane et Nye (1971), renvoie à toutes les formes d’interactions transfrontalières ne dépendant pas
directement des gouvernements nationaux.
9 - . Harold Lasswell, universitaire au croisement de la science politique, de la sociologie et de la psychologie, a publié sur les politiques publiques dès
les années 1930. Dans les années 1940 il est à l’origine de l’un des premiers think-tank sur les politiques publiques, l’American Policy Commission. Il a
également joué un rôle pionnier dans l’élaboration du modèle séquentiel d’analyse des politiques publiques à la fin des années 1950, comme on le verra
dans le premier chapitre (Parsons, 1995, p. 21).
10 - . Mentionnons Policy Science (fondée en 1970), Policy Studies, Policy Analysis, Public Policy and Administration et le Journal of Public Policy.
11 - . Par exemple la Policy Studies Organization (fondée en 1972) ou l’Association for Public Policy and Management.
12 - . La revue Politiques et management publics créée en 1983 est longtemps restée la seule publication spécialisée en France. Le plus notable
est l’augmentation sensible des articles de politiques publiques dans l’ensemble des revues de science politique. Ainsi, à partir du milieu des années
1990, les politiques publiques sont très présentes dans la Revue française de science politique sous la forme d’articles et plus encore de numéros
thématiques qui leur sont consacrés.
13 - . Le Journal of European Public Policy, créé en 1994, et Governance, créé en 1987, comptent aujourd’hui parmi les lieux de publication les
plus dynamiques et innovants en matière de politique publique.
14 - . Les aspects méthodologiques ne sont pas traités de manière séparée dans cet ouvrage, mais abordés dans chaque chapitre en lien avec
des modes d’approche et/ou des catégories d’acteurs.
15 - . La bibliographie à la fin de chaque chapitre se limite aux références les plus importantes et les plus utiles. On trouvera une
bibliographie générale à la fin de l’ouvrage.
Chapitre 1
La stabilisation et la diffusion
du modèle séquentiel
La première version du modèle séquentiel a été élaborée par le « père fondateur » des policy sciences, Harold Lasswell
(1956). Ce dernier découpe l’ensemble du processus formé par les politiques publiques en sept étapes :
1re étape : la compréhension (intelligence) qui correspond à la phase d’accumulation et de circulation d’informations
auprès des décideurs ;
2e étape : la promotion d’options par les décideurs ;
3e étape : le choix d’une façon de faire par les décideurs ;
4e étape : la contrainte (invocation) qui correspond à l’établissement de sanctions pour adopter les mesures prescrites ;
5e étape : l’application de mesures par l’administration et les tribunaux ;
6e étape : l’achèvement (termination) de la politique ;
7e étape : l’évaluation.
Ce modèle traduit le cadre général des policy sciences. D’une part, il est fortement centré sur la décision puisque les quatre
premières séquences concernent les acteurs impliqués dans celle-ci (gouvernants, hauts fonctionnaires, experts). Il néglige donc
les acteurs extérieurs aux sommets de l’État. D’autre part, c’est un modèle qui a un but opérationnel puisqu’il cherche à réduire
la complexité des politiques publiques en isolant des séquences. Le modèle séquentiel est en quelque sorte un guide pour
l’action décisionnelle. On notera, en outre, qu’il postule implicitement la capacité de l’État à résoudre les problèmes auquel
celui-ci est confronté puisque Lasswell parle de l’achèvement d’une politique publique (étape placée de façon quelque peu
surprenante avant l’évaluation). Cet aspect met aussi en évidence la proximité de cette approche des politiques publiques avec
la perspective systémique en termes d’inputs et d’outputs : l’État accumule des données pour traiter un problème de la façon la
plus rationnelle possible et adopte des mesures en conséquence. Il réagit à des sollicitations extérieures en répondant aux
demandes sociales par des décisions publiques, mais l’émergence de ces demandes extérieures à l’État ne fait pas l’objet d’une
prise en compte spécifique puisque, pour Lasswell, une politique publique ne comprend que les phases qui concernent
directement l’État.
Le modèle séquentiel a été redéfini par des élèves de Lasswell, en particulier Garry Brewer (1974) qui a identifié six
séquences successives :
1re séquence : l’invention qui correspond à la définition d’un problème et à l’élaboration de solutions ;
2e séquence : l’estimation des risques, coûts et bénéfices de chacune des solutions, d’un point de vue à la fois technique et
normatif. L’objectif est ici de restreindre l’espace des choix possibles en écartant les solutions impossibles et de classer
les solutions en termes de préférences ;
3e séquence : la sélection d’une solution ;
4e séquence : la mise en œuvre (implementation) de la solution ;
5e séquence : l’évaluation ;
6e séquence : l’achèvement de la politique publique.
Cette nouvelle grille séquentielle présente plusieurs apports. Tout d’abord, elle étend les politiques publiques au-delà des
autorités publiques en prenant en compte la définition des problèmes. Elle opère aussi une clarification du vocabulaire pour la
décision et la mise en œuvre. Elle introduit, enfin, l’idée de circularité (qui diffère de la stricte linéarité du modèle de Lasswell)
puisque le processus décrit correspond plus à des corrections adaptatives qu’à une finalisation sous la forme d’une cible à
atteindre, même si Brewer conserve l’idée d’un achèvement de la politique publique.
C’est cette grille, légèrement amendée et reformulée, que l’on retrouve dans les deux principaux manuels de politiques
publiques qui paraissent dans les années 1970 aux États-Unis : celui de Charles Jones (1970) et celui de James Anderson (1975).
Ils vont fortement contribuer à sa diffusion et à la stabilisation du vocabulaire de l’analyse des politiques publiques sur la base
de cinq séquences qui cependant, chez ces deux auteurs, diffèrent quelque peu.
Jones part de l’identification d’un problème. Cette première séquence renvoie au processus par lequel un problème accède
aux autorités publiques, c’est-à-dire à la prise en charge d’un problème par l’État. Pour Jones, cette séquence recouvre quatre
activités fonctionnelles : la perception de besoins sociaux par les autorités publiques ; la définition de ces besoins par les
acteurs eux-mêmes ; l’organisation collective de ces acteurs pour transformer ces besoins en demandes et les transmettre aux
autorités publiques ; le rôle de représentants de ces organisations dans la transmission de ces demandes aux autorités.
L’élément central de cette séquence est la formulation et la transmission de demandes aux autorités publiques. Par rapport à ses
prédécesseurs, le découpage de Jones permet une véritable prise en compte d’acteurs non étatiques qui participent à
l’identification des problèmes. Cette séquence conduit à une demande d’intervention publique de la part d’acteurs extérieurs à
l’État.
Elle entraîne celle du développement d’un programme de politique publique, qui correspond à l’action des autorités publiques.
En termes d’activité fonctionnelle c’est au cours de cette séquence que s’opère la formulation d’une solution. À partir des
demandes exprimées et transmises dans la première séquence, des solutions sont élaborées et confrontées. Cette activité de
formulation de solutions débouche sur le choix d’une proposition d’action publique. S’opère alors l’activité de légitimation
(juridique et politique) de la décision adoptée.
La troisième séquence est celle de la mise en œuvre du programme. Les mesures décidées sont appliquées par les autorités
publiques. C’est ici qu’intervient l’administration, qui a une double activité d’organisation et d’interprétation. C’est la phase au
cours de laquelle se concrétisent des solutions.
Elle conduit à une quatrième séquence, celle de l’évaluation de la politique publique mise en œuvre, qui correspond à la
mesure et à l’analyse des résultats. Les effets de la politique suivie et les réactions qu’elle suscite sont au cœur de cette
séquence. Elle permet parfois l’identification de nouveaux problèmes et la reformulation de solutions, à l’origine d’un nouveau
cycle séquentiel, correspondant à la poursuite du programme d’action publique.
Mais celui-ci connaît aussi un achèvement, dans la mesure où le problème qui a entraîné sa mise en place a été résolu. Jones
admet cependant que cette dernière séquence peut aussi correspondre à un changement d’orientation majeur d’une politique
publique. La grille séquentielle de Jones est donc plus dynamique et donne une représentation des politiques publiques comme
un flux continu de séquences interdépendantes.
Toutefois, même si on associe le plus souvent le modèle d’analyse séquentiel au nom de Charles Jones, ce ne sont pas
exactement ces séquences qui sont distinguées, en règle générale, mais plutôt celles que propose James Anderson (1975). Celui-
ci se démarque de Jones par une terminologie quelque peu différente et par l’abandon de l’idée d’achèvement d’une politique
publique.
Pour Anderson, la première séquence est celle de la mise sur agenda de la politique publique (policy agenda) qui correspond
aux problèmes qui reçoivent une forte attention de la part des autorités publiques. Au cœur de cette première séquence se
trouve donc la question de la sélection des problèmes par les autorités publiques (construits ainsi en problèmes publics), qui
conduit à la mise sur agenda effective et donc à la formulation d’une politique publique (policy formulation). Cette deuxième
séquence renvoie au processus d’élaboration de solutions pertinentes et acceptables pour traiter le problème pris en charge par
les autorités publiques. Avec l’adoption d’une politique publique (policy adoption) on passe au choix d’une solution endossée par
les autorités publiques. Cette troisième séquence correspond à un nouveau processus de sélection, portant cette fois-ci sur les
propositions d’actions formulées. Le programme d’action ainsi légitimé fait ensuite l’objet d’une mise en œuvre (policy
implementation), séquence d’application de la politique publique par l’administration. S’opère enfin l’évaluation de la politique
publique afin de déterminer l’effectivité de la politique publique adoptée et les raisons pour lesquelles elle l’est (ou non).
L’usage courant qui est fait aujourd’hui des séquences reprend dans ses grandes lignes cette grille, à l’exception de la
distinction formulation/adoption. En effet, on utilise plus fréquemment le terme décision pour désigner simultanément ces deux
séquences dissociées par Anderson, comme par la plupart de ses prédécesseurs. Mais la reprise et la diffusion du vocabulaire
séquentiel, tant auprès des acteurs que des observateurs1, ne signifient pas une adoption telle quelle de ce modèle d’analyse et
de ses fondements. Celui-ci a fait l’objet de nombreuses critiques.
Ces critiques, qui toutes interrogent les éléments de base du modèle séquentiel, se situent à plusieurs niveaux : au niveau
descriptif (le modèle offre-t-il une représentation pertinente des politiques publiques ?), au niveau analytique (le modèle
propose-t-il une grille de compréhension convaincante ?) et au niveau théorique (quelle est la portée du modèle ?).
D’un point de vue descriptif, il est loin d’être évident que l’on puisse repérer clairement les différentes séquences
habituellement distinguées dans le cadre d’une politique publique. Cette remarque vaut en particulier pour la décision et la
mise en œuvre d’une politique publique. En effet, une politique publique ne se traduit pas seulement par des décisions mais
aussi par l’absence de décision (Bachrach et Baratz, 1963). Une non-décision peut occuper une place très importante dans une
politique publique. La prise en compte des non-décisions permet de mieux comprendre les orientations d’une politique publique.
Une analyse « en creux » tenant compte des choix écartés est indispensable pour spécifier un programme d’action publique. La
compréhension de l’action publique nécessite une appréhension de l’espace des possibles formé tout autant de ce que les
autorités publiques décident de faire que de ce qu’elles décident de ne pas faire. De fait, ces deux aspects sont
indissociablement liés ; par conséquent la séquence décisionnelle est difficile à identifier en tant que telle, et ne se déroule pas
forcément selon le schéma linéaire que propose le modèle séquentiel (formulation puis adoption d’une solution).
Une non-décision récurrente : la non-mise en place d’un système d’assurance-maladie aux États-Unis
L’échec de la mise en place d’un système de prise en charge collective et solidaire du risque maladie, au moment du New Deal (dans le cadre du Social
Security Act), s’explique non seulement par l’opposition de la profession médicale, fortement organisée et influente au Congrès, mais aussi par la priorité
donnée par l’administration Roosevelt aux enjeux liés au chômage et à la prise en charge des personnes âgées. Cette non-décision a largement contribué
au développement d’un système de prise en charge privé (au niveau des entreprises en particulier) qui a accru le nombre d’acteurs opposés à la mise en
place d’un système d’assurance-maladie obligatoire (non seulement les producteurs de soins et les assureurs privés mais aussi les syndicats privilégiant la
négociation de plans d’entreprise) et fortement contribué à la fragmentation du système de santé. Ces deux effets de cette non-décision expliquent les
non-décisions ultérieures, notamment l’échec du « plan Truman » au lendemain de la guerre et, dans les années 1990, la non-adoption du « plan Clinton »
d’extension de la couverture santé publique. Ce sont donc autant les non-décisions que les décisions qui permettent de comprendre le système de santé
états-unien caractérisé par l’importance de la prise en charge privée2.
On peut faire le même type de constat au sujet de la mise en œuvre d’une politique publique puisque, pour cette séquence
également, l’analyste est parfois confronté à son absence, en tout cas à sa quasi-évanescence. En effet, il n’est pas rare que,
dans le cadre d’une politique publique donnée, nombre de décisions restent lettre morte3. L’absence de mise en œuvre d’une
politique publique, ou sa mise en œuvre très limitée, ou bien encore l’adoption d’une nouvelle décision avant même que la
décision précédente ait été appliquée sont alors ce qui donne tout son sens à cette politique.
L’absence de mise en œuvre d’une politique publique : l’exemple de la loi instaurant les fonds de pension en France
(1997)
Au début de l’année 1997 a été votée, par la majorité de droite, une loi (dite loi Thomas, du nom du député qui l’a portée) permettant la mise en place de
fonds d’épargne retraite d’entreprise, basés sur une logique de capitalisation et gérés par des compagnies d’assurance et les mutuelles. La création de ces
fonds de pension a été fortement contestée par les partis de gauche (socialiste, communiste, vert) qui ont été amenés à former le gouvernement peu après,
du fait de leur succès aux élections législatives provoquées par la dissolution de l’Assemblée en mai 1997. Le nouveau gouvernement, dit de « gauche
plurielle », a empêché l’adoption des décrets d’application de la loi, qui est par là devenue virtuelle, avant d’être abrogée à l’automne 1998. Par l’absence
de mise en œuvre, cette loi était devenue une simple loi de « papier », ne conférant qu’une réalité verbale aux fonds de pension « à la française ».
L’évaluation est une autre séquence dont l’identification est problématique, en France tout particulièrement. En effet,
l’évaluation des politiques publiques ne s’est diffusée qu’à partir de la fin des années 1980 et elle est loin de concerner de façon
systématique l’ensemble des politiques publiques comme on le verra dans le chapitre 8. À cela s’ajoute le problème récurrent de
la faible prise en compte de l’évaluation par les décideurs : la boucle de rétroaction de Jones ne se repère empiriquement que
rarement. L’articulation entre évaluation et décision est souvent ténue, tout au moins très indirecte.
La séquence la plus difficile à identifier reste toutefois celle de l’achèvement d’une politique publique. Il ne s’agit pas
seulement d’une notion rendue floue par l’effet de rétroaction de l’évaluation sur la décision. En effet, l’achèvement d’une
politique publique peut revêtir plusieurs sens. On peut d’abord dire, de la façon la plus simple et la plus évidente, qu’une
politique publique se termine lorsque le problème dont les autorités publiques se sont saisies est résolu. Cette conception, sous-
jacente à la plupart des versions du modèle séquentiel, se heurte à une série de difficultés liées à ses postulats implicites. Elle
suppose que le problème soit clairement défini, que les objectifs soient énoncés de façon univoque, que les résultats de la
politique publique soient mesurables (voire quantifiables), et enfin que le problème traité soit soluble. L’ensemble de ces
conditions est rarement réuni dans le cadre d’une politique publique qui, le plus souvent, traite plusieurs problèmes aux
contours flous, répond à des objectifs multiples parfois contradictoires, est difficile à évaluer de façon nette et tranchée, enfin
porte sur des problèmes récurrents qu’il est illusoire de prétendre résoudre définitivement : la pauvreté, le chômage, la
criminalité, la protection de l’environnement…
Dans un deuxième sens, on pourrait dire qu’une politique est achevée une fois qu’une décision est mise en œuvre et
appliquée. Deux problèmes sont alors posés : tout d’abord, les distorsions entre décision et mise en œuvre sont très fréquentes.
Le second problème relève de la dynamique temporelle. Si une politique allocative (ou distributive) peut éventuellement
s’interrompre (lorsque l’action publique se résume à l’octroi d’une subvention), il n’en va pas de même pour une politique
réglementaire ou pour une politique procédurale dont les effets sont répétés dans le temps. De plus, une politique publique
continue à produire des effets au-delà de son application stricto sensu comme le souligne la distinction entre les outputs d’une
politique publique (à savoir les mesures adoptées dans le cadre de la mise en œuvre) et les outcomes (c’est-à-dire les effets de
cette mise en œuvre).
Dans un sens encore plus restrictif, on pourrait dire qu’une politique publique s’achève lorsque la ou les unités administratives
chargées de sa mise en œuvre disparaissent. Mais, d’une part, d’autres structures peuvent poursuivre la mise en œuvre de la
même politique publique ; d’autre part, il est très rare que des unités administratives disparaissent. La tendance la plus
couramment observée est plutôt la multiplication et l’empilement des structures administratives. Leur résistance, ainsi que celle
des publics cibles, est souvent forte ; il s’agit là d’une des explications du faible taux de mortalité des programmes d’action
publique.
L’absence de certaines séquences (et non des moindres !) pose donc, de manière plus générale, la question de la pertinence
descriptive du modèle séquentiel. Cette interrogation peut être poursuivie à travers un autre aspect : celui du découpage entre
les séquences. En effet, le modèle séquentiel suppose non seulement l’existence des différentes séquences mais aussi leur claire
délimitation. L’analyse séquentielle, qui les isole, implique une nette différenciation des séquences. Or, le plus souvent, l’analyse
se trouve empiriquement confrontée, au contraire, à leur enchevêtrement. La difficulté majeure concerne notamment
l’isolement de la séquence décisionnelle, tant les politiques publiques correspondent à un flux continu de décisions multiples :
décision de prendre en charge un problème, décision de restreindre l’éventail des choix possibles, décision d’adopter telle ou
telle mesure, décision d’interpréter un texte réglementaire dans tel ou tel sens, décision de mettre en œuvre de façon massive
ou restreinte un instrument, décision du mode d’évaluation, décision de prendre en compte (ou non) les résultats d’une
évaluation… Les politiques publiques sont plus un processus décisionnel complexe et circulaire qu’un enchaînement linéaire de
séquences, d’autant plus que la succession des séquences est loin d’être systématique. En effet, parfois la mise sur agenda peut
succéder à la mise en œuvre (lorsqu’un problème est mis à l’agenda à la suite des effets de la mise en œuvre d’une autre
politique publique comme ce fut le cas pour la mise sur agenda de la politique de lutte contre le sida à la suite de la
contamination d’hémophiles dans le cadre de la politique de transfusion sanguine), ou alors la formulation de solutions précéder
la mise sur agenda (lorsqu’une décision est adoptée secrètement puis rendue publique par des acteurs qui s’y opposent,
comme ce fut le cas pour l’Accord multilatéral sur les investissements à la fin des années 1990, élaboré par un groupe restreint
et fermé d’experts dans le cadre de l’OCDE et rendu public par des « altermondialistes »). Plus rarement la mise en œuvre
précède la décision (ainsi en décembre 2009 le conseil d’administration de France Télévision a voté la suppression de la
publicité sur ses chaînes après 20 heures à partir du 1er janvier, avant que le projet de loi contenant cette mesure ne soit
débattu au Sénat !).
Les politiques publiques sont probablement décrites de façon plus pertinente comme un flux continu de séquences
enchevêtrées. Elles ne sont pas centrées sur une mesure, comme le met en avant le modèle séquentiel, mais correspondent
plutôt à un processus circulaire combinant de façon plus ou moins aléatoire de multiples mesures et de non-décisions qui
interagissent entre elles à différents niveaux.
Plus fondamentalement la conception balistique de l’action publique, sur laquelle se fonde le modèle séquentiel, peut faire
l’objet de critiques à partir de ses postulats sous-jacents.
Elle présuppose, tout d’abord, qu’il existe un tireur, autrement dit un décideur unique ou tout au moins clairement
identifiable. Or c’est très rarement le cas. Comme on le verra dans le chapitre 3, les acteurs impliqués dans la décision sont
multiples, à la fois privés et publics, et souvent opposés. Le deuxième postulat est qu’il existe une cible claire à l’action
publique. Or, l’objectif d’une politique publique est rarement unique ; il est le plus souvent équivoque et nimbé de flou. C’est, de
plus, parfois à travers la mise en œuvre que se définissent plus clairement les objectifs, les finalités d’une politique publique.
L’objectif dépend aussi de la mise en œuvre et non pas seulement l’inverse. Ainsi, en filant la métaphore balistique, les décideurs
visent plusieurs cibles, dont certaines ont des contours flous, d’autres sont mouvantes, sans parler de celles qui apparaissent au
cours du tir ! Un dernier problème posé par cette conception découle des multiples distorsions qui peuvent survenir entre la
décision et la mise en œuvre (analysées dans le chapitre 4), à tel point que, dans certains cas, la mise en œuvre est quasiment
autonome par rapport à la décision du fait du rôle des agents au guichet et du comportement des publics cibles. Le tireur ne
contrôle donc pas vraiment son arme ; autrement dit, il sait à peine tirer et apprend à tirer en tirant !
À la métaphore balistique se substitue une scène beaucoup plus chaotique : il n’y a pas forcément de tireur identifiable, ou
alors plusieurs, ne sachant pas utiliser leur arme, sans cible ou avec des cibles mouvantes. Au-delà de la pertinence limitée de la
conception sous-jacente au modèle séquentiel se pose la question de la rationalité de l’action publique.
Le modèle séquentiel offre donc une vision passablement déformée des politiques publiques concrètes, telles qu’elles sont le
plus souvent observables sur le terrain, en négligeant la dimension aléatoire, bricolée et incontrôlée de celles-ci. On peut ajouter
qu’il conduit aussi à occulter deux dimensions importantes des politiques publiques.
En premier lieu, le modèle séquentiel repose sur une conception fermée de l’action publique qui est de ce fait isolée de son
contexte : contexte sociodémographique, technico-scientifique, économique, institutionnel, politique, international, sans oublier
les autres politiques publiques. Tous ces éléments pèsent sur la façon de définir les problèmes, ont un impact important sur la
mise (ou non) à l’agenda, facilitent l’adoption ou non de telle ou telle solution, ont un impact sur leur mise en œuvre (notamment
sur les moyens mobilisables). On peut aussi remarquer que les instruments disponibles représentent une contrainte forte, ainsi
que, de manière plus générale, les héritages du passé qui limitent l’espace des possibles d’une politique publique (comme on le
verra dans le chapitre 9).
En second lieu, le modèle séquentiel conduit à occulter la dimension symbolique des politiques publiques. En effet, une
politique publique n’est pas seulement composée d’actions effectives, elle possède aussi une dimension symbolique à deux
niveaux : d’une part, dans le processus d’action publique des procédés de symbolisation sont mobilisés ; d’autre part, l’action
publique est aussi parfois une action sur des symboles. L’action publique comprend une importante dimension symbolique à
travers les discours et les actions de communication qui l’accompagnent. Ils ne renvoient pas forcément à des mesures
concrètes, mais ils peuvent modifier les perceptions, les attentes, voire les comportements du public. Plus précisément, la
dimension symbolique d’une politique publique réside, tout d’abord, dans le fait que le signifiant (le sens donné à une action)
dépasse le signifié (l’action en tant que telle). C’est ce que Murray Edelman (1977) appelle « la construction des gestes comme
solution », c’est-à-dire le fait d’accomplir des actes qui promettent plus qu’ils ne font. Il donne l’exemple des réductions d’impôt
sous la présidence Reagan : l’accent avait alors été mis sur le mot d’ordre de la baisse des impôts alors que celle-ci ne
concernait qu’une frange très limitée de la population. Cette focalisation a permis d’occulter le fait que, pour la plus grande
partie de la population, ces réductions étaient faibles, voire inexistantes. Par ailleurs, l’affichage du traitement public d’un
problème a aussi pour but d’en occulter d’autres, de détourner l’attention du public d’autres problèmes. Les autorités publiques
peuvent donc jouer de leur capacité à construire des problèmes par le fait même d’y porter attention pour opérer cette
occultation.
La politique de communication peut dans certains cas être la substance même d’une politique publique (et non pas seulement
chercher à rendre visible une action publique), et avoir pour fonction principale de montrer que les autorités publiques se
préoccupent d’un problème. L’important n’est pas l’action publique effectivement mise en œuvre mais la démonstration de
l’attention des autorités publiques au problème qui passe souvent par la commande de rapports, la mise en place de
commissions de réflexion (par exemple la commission présidée par Joseph Stiglitz, mise en place par le président de la
République en 2008 pour réfléchir sur de nouveaux indicateurs de mesure de richesse et de progrès social), l’organisation de
débats (tel celui sur « l’identité nationale » organisé par le gouvernement français en 2009), la création ou le changement de
nom d’une institution publique (administration, ministère, agence…)
L’action symbolique s’appuie aussi sur des références historiques (ainsi la référence au « plan Marshall » pour les banlieues
pour mettre en valeur l’effort financier) correspondant parfois à de véritables figures de style.
La symbolique du « Grenelle »
Depuis le début des années 2000 les gouvernements français ont multiplié l’organisation de « Grenelle », le premier étant le Grenelle de la santé
convoqué par Élisabeth Guigou en juillet 2001 et le plus fortement mis en scène le Grenelle de l’environnement en 2007. On peut également mentionner le
Grenelle des ondes, le Grenelle de l’insertion, le Grenelle de la mer… Le terme Grenelle fait référence à un lieu (le ministère du Travail situé rue de
Grenelle) et plus encore à un événement historique : les négociations qui s’y sont tenues fin mai 1968 entre le gouvernement, les syndicats et le patronat
afin de mettre fin au conflit social. Le nom propre Grenelle est devenu un nom commun, ce qui correspond à la figure de style de l’antonomase, signifiant à
la fois négociation au sommet, association de l’ensemble des acteurs concernés (en particulier les groupes sociaux organisés extérieurs à l’État) et
événement fondateur. Parler de Grenelle au lieu de négociation ou de discussion permet de donner une portée symbolique bien plus grande à la fois en
termes d’importance de l’événement et d’ouverture démocratique.
Barbet, 2010.
C’est donc ici la dimension immatérielle de la politique publique qui prime : est moins visée la résolution des problèmes en
tant que telle que l’adhésion à l’action des autorités publiques par des discours et des actes construits comme emblématiques.
Enfin, la dimension symbolique d’une politique publique tient aussi au fait que des actions symboliques visent à modifier des
perceptions associées à une politique publique, et donc par là à agir sur l’espace des possibles d’une politique publique en
faisant accepter une représentation d’un problème. L’action symbolique permet d’ouvrir la voie à des mesures ultérieures, en
formant comme un préalable à un programme d’action publique.
Comme on le verra dans le chapitre 6, la symbolisation est tout particulièrement mobilisée par les acteurs politiques dans le
cadre des politiques publiques. Elle leur permet de faire exister politiquement l’action publique.
La dernière critique du modèle séquentiel se fonde sur son caractère uniquement descriptif (dont on vient de voir les limites)
et non pas explicatif. Le modèle séquentiel n’est pas un modèle théorique, fondé sur des hypothèses explicatives des politiques
publiques à valider ou à invalider empiriquement. Plus outil d’action (rationalisatrice) qu’outil de compréhension, le modèle
séquentiel ne peut pas véritablement prétendre au statut de théorie des politiques publiques dans la mesure où il ne propose
pas d’explication causale.
Malgré toutes ces critiques se pose la question de la possibilité même du dépassement de cette approche (Deleon, 1999). Il
apparaît en effet difficile de la rejeter complètement4, à condition toutefois de la prendre pour un simple outil d’analyse
(heuristique) et non pas comme une description ou comme une théorie des politiques publiques. On peut d’ailleurs rappeler que
Jones lui-même ne prétendait pas que la succession des séquences soit une représentation fidèle des politiques publiques. Il
s’agit plutôt d’un mode d’exposition et de présentation de celles-ci. Le modèle séquentiel ne prétend pas véritablement fournir
une description des politiques publiques, mais plutôt un outil d’analyse. Dans une certaine mesure le modèle correspond à un
idéal type au sens webérien, c’est-à-dire à une représentation stylisée de la réalité. Les traits typiques sont accentués, la réalité
est simplifiée afin d’en faciliter la compréhension et l’intelligibilité. Le travail sociologique consiste alors à voir quels sont les
écarts entre l’idéal type et le terrain empirique. L’idéal type séquentiel fournit donc une grille de lecture des politiques
publiques, fondée sur un vocabulaire qu’il a largement contribué à stabiliser et à diffuser. C’est pourquoi les trois prochains
chapitres seront centrés sur les trois principales séquences des politiques publiques : la mise sur agenda, la décision et la mise
en œuvre.
ANDERSON J. (1975), Public Policy-Making, New York, Holt, Rinehart and Winston.
BREWER G. (1974), “The Policy Science Emerge: To Nurture and Structure a Discipline”, Policy Sciences, 5 (3), p. 239-244.
DELEON P. (1999), “The Stages Approach to the Policy Process. What Has It Done? Where Is It Going?”, dans P. SABATIER (dir.),
Théories of the Policy Process, Boulder, Westview Press, 1999, p. 19-32.
EDELMAN M. (1977), Political Language: Words That Suceed and Policies that Fail, New York, Institute for the Study of Poverty.
JONES C. (1970), An Introduction to the Study of Public Policy, Belmont, Wadsworth.
LASSWELL H. (1956), The Decision Process. 7 Categories of Functionnal Analysis, College Park, University of Maryland Press.
Études de cas
BARBET D. (2010), Grenelle. Histoire politique d’un mot, Rennes, Presses universitaires.
DUVAL J. (2002), « Une réforme symbolique de la Sécurité sociale. Les médias et le “trou de la Sécu” », Actes de la recherche
en sciences sociales, no 143, p. 53-67.
HACKER J. (2002), The Divided Welfare State. The Battle over Public and Private Social Benefits in the United States,
Cambridge, Cambridge UP.
LE GALÈS P. (1995), « Politique de la ville en France et en Grande-Bretagne : volontarisme et ambiguïtés de l’État », Sociologie
du travail, no 2, p. 249-275.
1 - . Elle s’explique à la fois par sa simplicité (description ordonnée du réel), sa congruence avec les fondements de la démocratie (capacité des gouvernants à
identifier les problèmes et à les traiter rationnellement) et son absence de rattachement à un courant théorique particulier (Jacquot, 2010, p. 86).
2 - . Les deux lois adoptées par le Congrès en mars 2010, même si elles étendent et modifient en profondeur le système de couverture maladie, ne remettent pas en
cause cet aspect central puisque la mise en place d’une caisse d’assurance publique a été écartée. L’extension de la couverture maladie repose principalement sur la
mise en place d’une aide publique devant permettre à près de 20 millions d’Américains sans couverture santé de s’assurer auprès d’une compagnie privée.
3 - . Le rapport 2010 du Sénat sur l’application des lois souligne qu’à la fin de l’année parlementaire sur les 35 lois promulguées au cours de la session 2009-2010
prévoyant des textes réglementaires d’application, seules 3 en avaient reçu l’intégralité et 13 n’en avaient reçu aucun (soit plus du tiers). Selon ce rapport, la
tendance structurelle à l’augmentation du nombre de lois et donc du nombre de textes d’application réglementaire s’accompagne d’une baisse du taux de
publication de ceux-ci (tombé à 20 % en 2009-2010).
4 - . À l’image du fameux bout de sparadrap dont le capitaine Haddock cherche en vain à se débarrasser (puisqu’il lui revient inéluctablement dans un
mouvement circulaire de « retour à l’envoyeur ») dans L’Affaire Tournesol (p. 45-46).
Chapitre 2
L’analyse de la construction
et de la mise sur agenda
des problèmes publics
UNE POLITIQUE PUBLIQUE suppose l’existence d’un (ou de plusieurs) problème(s) à résoudre. Cette affirmation, somme toute assez
triviale, conduit à s’intéresser aux problèmes qui sont le point de départ d’une politique publique, qui en forment en quelque
sort l’amont, et dont l’analyse s’avère en fin de compte indispensable pour comprendre l’ensemble du processus de construction
de l’action publique qui lui est liée. La question qui se pose tout d’abord à l’analyste est celle de savoir comment et pourquoi un
problème devient un objet d’attention de la part d’autorités publiques.
La première réponse, proposée notamment par les policy sciences, souligne le caractère collectif d’un problème et son
importance socioéconomique. Dans cette perspective, l’accent est mis sur l’identification de problèmes par des autorités
publiques et des experts. On a ici une conception « objectiviste », mise en cause par des sociologues d’inspiration
constructivistes dès les années 1960 mettant en avant le fait que tout problème est susceptible de devenir un problème public à
partir du moment où des acteurs le définissent comme tel. Aucun problème n’est intrinsèquement public, du fait de propriétés
spécifiques : il n’existe pas de seuil « objectif », mesurable (correspondant par exemple à un chiffre n de personnes touchées par
un problème), à partir duquel un problème devient un sujet de préoccupations collectives. Cette deuxième perspective,
aujourd’hui largement dominante, conduit à s’intéresser à un ensemble plus vaste d’acteurs (mouvements sociaux, médias,
acteurs politiques…) participant à ce travail de construction, qui passe souvent par la mise en place et la participation à des
débats publics. La notion de problème public renvoie donc également au sens habermassien de publicité. La construction de
problèmes comme publics repose aussi sur l’appel à une intervention d’autorités publiques ; elle se fonde de ce fait à la fois sur
l’invocation d’une responsabilité collective et sur l’existence (ou tout au moins la croyance) dans la capacité d’acteurs publics à
agir sur le problème de ce fait défini comme public. On comprend ainsi pourquoi certains problèmes peuvent être considérés
comme publics à certaines périodes et pas à d’autres comme le montre l’exemple des tremblements de terre, longtemps
considérés comme relevant de la fatalité, voire d’une punition d’origine surnaturelle ou divine. Cette lecture providentialiste a
été remise en cause à partir du XVIIIe siècle, tout particulièrement à la suite du tremblement de terre de Lisbonne de 1755 dont
le nombre important de victimes a aussi été attribué à des choix humains : ainsi pour Rousseau à la densité urbaine et à la
hauteur des habitations (Walter, 2008). La mise en avant de responsabilités humaines collectives a permis par la suite de
prendre en considération les tremblements de terre comme un problème public pouvant faire l’objet d’actions publiques en
termes de prévention des risques (mise en place d’outils de prévision, de normes en matière de construction, de consignes à
suivre en cas de tremblement de terre, repérage précis des zones à risque…) et d’organisation des secours en cas de
catastrophe.
Ce travail cognitif et narratif de construction d’un problème comme public, est un préalable à la mise sur agenda, défini de
manière générale comme « l’ensemble des problèmes faisant l’objet d’un traitement, sous quelque forme que ce soit, de la part
des autorités publiques et donc susceptibles de faire l’objet d’une ou plusieurs décisions » (Garraud, 1990, p. 27). La notion
d’agenda n’a émergé dans l’analyse des politiques publiques, jusque-là dominée par la perspective des policy sciences, qu’au
début des années 1970 au croisement de la sociologie des médias et de la science politique (Nollet, 2010). Dans le cadre des
policy sciences l’amont (mais aussi l’aval) de la décision était fortement négligé et considéré comme un aspect non
problématique, fortement contrôlé par les décideurs publics. Or, ceux-ci ne font pas seulement des choix relatifs aux réponses
qu’ils apportent à des problèmes mais aussi à propos des problèmes qu’ils vont traiter. Autrement dit, avant de décider de
mesures de politiques publiques les autorités publiques choisissent de traiter plutôt tel ou tel problème et de ne pas en traiter
certains, ainsi que le cadre cognitif dans lequel ils vont le prendre en charge. La compréhension des processus de sélection des
problèmes préalablement construits comme publics constitue de ce fait une dimension centrale des analyses en termes de mise
à l’agenda.
L’analyse de la construction des problèmes publics suppose une rupture avec la conception « objectiviste » des problèmes,
rupture qui conduit à mettre l’accent sur le rôle des acteurs qui effectuent le travail de construction des problèmes publics.
La conception « objectiviste » des problèmes se fonde sur une vision positiviste des problèmes sociaux (Parsons, 1995, p. 92-
96) qui trouve son origine chez les réformateurs sociaux de la fin du XIXe siècle (tel Charles Booth en Angleterre). Elle part de
l’idée que les problèmes sont des faits objectifs et donc directement mesurables à l’aide d’outils scientifiques (statistiques en
particulier). Par conséquent les autorités publiques se saisissent des problèmes mis au jour par des enquêtes scientifiques. On
retrouve cette conception des problèmes dans l’approche fonctionnaliste, qui établit un lien étroit entre problème social et
dysfonctionnement dans la société. Dans cette perspective, les problèmes peuvent être clairement identifiés par leurs effets sur
le fonctionnement social d’ensemble. La conception sous-jacente est que les problèmes sont des faits objectifs et mesurables,
dont on peut repérer les causes, ce qui doit permettre de les résoudre. C’est au sociologue d’identifier les problèmes collectifs à
partir du repérage du décalage par rapport aux mécanismes permettant à la société de fonctionner harmonieusement,
mécanismes qui constituent l’objet de la sociologie pour l’approche fonctionnaliste. Les policy sciences s’inscrivent également
dans ce cadre en mettant l’accent sur l’identification « objective » de problèmes par des autorités publiques.
Cette conception des problèmes sociaux a été critiquée dès les années 1940 par des auteurs comme Fuller et Myers (1941),
puis par Howard Becker (1966) et, plus tard, par Herbert Blumler (1971) ainsi que par Spector et Kitsuse (1977). Les premiers
ont souligné qu’un problème social a une double dimension, objective et subjective, cette dernière renvoyant au contexte
culturel et aux valeurs dominantes. Les catégories sociales à travers lesquelles les acteurs perçoivent le monde sont une
variable fondamentale de la publicisation des problèmes. C’est non seulement parce que des individus sont affectés par une
situation qu’ils vont la définir comme un problème public, mais aussi parce qu’ils perçoivent celle-ci comme une menace pour
leurs valeurs. Les problèmes sont donc construits par les acteurs sociaux sur la base de leurs valeurs. Par la suite, Howard
Becker a très fortement contribué à développer une perspective « constructiviste » des problèmes sociaux à partir de l’idée
centrale selon laquelle « pour comprendre complètement un problème social, il faut savoir comment il a été amené à être défini
comme un problème social » (Becker, 1966, p. 11). Les problèmes sont le fruit d’un travail d’étiquetage, de labellisation
accompli par des acteurs collectifs (que Becker qualifie « d’entrepreneurs moraux ») dans le cadre d’un processus politique,
comme il l’a montré à travers le cas de la pénalisation de la consommation de marijuana dans les années 1930. Le succès de la
« croisade morale » contre la marijuana est expliqué par l’identité sociale des consommateurs (noirs et hispaniques en général)
facilitant leur stigmatisation, par le rôle des valeurs protestantes et par l’action des dirigeants du Bureau fédéral des
narcotiques souhaitant étendre leurs compétences (Becker, 1963).
Herbert Blumler a, quant à lui, développé une perspective constructiviste en s’intéressant aux différentes étapes de la
formation d’un problème, conçu comme le produit d’un comportement collectif. Enfin, Spector et Kitsuse ont reformulé de façon
plus radicale cette approche en mettant l’accent sur le fait que la définition des problèmes s’opère dans le cadre d’un processus
revendicatif porté par des acteurs qualifiés de claimsmaker (producteurs de revendications), indépendamment des conditions
objectives des problèmes. Ils soulignent aussi le rôle des médias dans ces processus et placent au cœur de leurs travaux les
activités de définition, de formulation et de revendication des problèmes.
L’apport principal du constructivisme est donc de prendre en compte le rôle d’acteurs sociaux dans la définition des
problèmes : sont des problèmes collectifs ceux que des individus considèrent comme tels. « Du plus tragique au plus
anecdotique, tout fait social peut potentiellement devenir un “problème social” s’il est constitué par l’action volontariste de
divers opérateurs (presse, mouvements sociaux, partis, lobbies, intellectuels…) comme une situation problématique devant être
mise en débat et recevoir des réponses en termes d’action publique (budgets, réglementation, répression…) » (Neveu, 1999).
C’est par la mobilisation d’acteurs sociaux que des problèmes deviennent publics. L’objet d’analyse devient alors la façon dont
les acteurs sociaux définissent un problème et sont conduits à formuler des demandes auprès d’autorités publiques.
La première question qui se pose donc est celle du rôle des acteurs sociaux, extérieurs à l’État, qui se mobilisent afin de
publiciser un problème. On peut distinguer deux cas de figure principaux : celui de la mobilisation des acteurs directement
concernés et celui de la mobilisation d’acteurs spécialisés dans la prise en charge de revendications collectives (syndicats,
associations, groupes de pression, groupements religieux, partis politiques, médias…). De fait, dans la plupart des situations
concrètes, les deux types d’acteurs se mêlent puisqu’on trouve dans le cadre de la mobilisation autour d’un problème, qui
permet sa construction en problème public, à la fois des personnes directement concernées et des acteurs revendicatifs
spécialisés qui relaient ces demandes. Dans les travaux constructivistes précédemment mentionnés, la notion la plus
couramment utilisée est celle de claimsmaker, que l’on pourrait traduire par « producteur (ou entrepreneur) de revendication
(ou de cause) ». Un des premiers exemples, souvent cité et repris, est celui des « croisades symboliques » analysées par Gusfield
(1963).
À l’origine du processus de publicisation d’un problème on trouve donc la mobilisation d’acteurs sociaux touchés ou
sensibilisés par une question qu’ils vont diffuser.
Il en résulte que la formulation du problème peut aussi varier en fonction des acteurs mobilisés, comme le montre l’exemple
de la pédophilie.
Boussaguet, 2008.
Si la plupart des travaux portant sur la construction de problèmes publics mettent l’accent sur des mobilisations collectives,
on peut mentionner d’autres modalités d’émergence de problèmes publics comme le rôle des « lanceurs d’alerte », mis en
évidence par Francis Chateauraynaud et Didier Torny (1999), dans l’émergence de nouveaux risques diffus (l’amiante, les
maladies à prion, les nouveaux virus, les sources radioactives, les antennes relais de téléphonie mobile…).
Les travaux constructivistes ne se sont pas seulement intéressés aux acteurs sociaux à l’origine de la dynamique de
publicisation des problèmes, mais aussi à la façon dont s’opérait le processus de publicisation. Fuller et Myers, puis Blumler, ont
proposé des modèles séquentiels d’élaboration puis de diffusion et de prise en charge des problèmes par les autorités publiques.
Ces modèles ont toutefois tendance à se confondre assez fortement avec le modèle séquentiel de manière générale (c’est très
net chez Blumler) sans pour autant s’intéresser précisément aux étapes de la construction des problèmes. C’est dans d’autres
travaux que l’on peut trouver des outils d’analyse plus fins du processus de construction d’un problème en problème public,
notamment du côté de la sociologie du droit. Dans cette perspective Felstiner, Abel et Sarat (1980-1981) ont élaboré un cadre
d’analyse permettant de décrire l’émergence et la transformation des litiges. Ils distinguent trois étapes principales. La
première correspond au passage d’une expérience au départ non perçue comme offensante à une expérience perçue comme
offensante. Ils qualifient cette première transformation de « naming », qui correspond à la prise de conscience et à la
désignation d’un problème. La deuxième étape se produit lorsque cette offense est attribuée par une ou plusieurs personnes à
un autre individu ou groupe ; elle renvoie à la transformation d’une expérience offensante en grief. Cette phase est appelée
« blaming » et correspond donc à un travail d’imputation de responsabilité. Enfin, la dernière phase se réalise lorsque le grief
est exprimé auprès du ou des responsables présumés afin de demander une compensation, une réparation à l’offense de départ.
Les auteurs qualifient cette phase de « claiming », c’est-à-dire la formulation d’une revendication, d’une demande auprès
d’autorités publiques. Si ce modèle ternaire renvoie à l’émergence et à la transformation de litiges, il peut être aisément adapté
à la construction des problèmes publics en distinguant les trois phases suivantes :
phase 1 : la formulation du problème en problème public, autrement dit la construction intellectuelle d’un problème
individuel en problème collectif ;
phase 2 : l’imputation de responsabilité du problème, autrement dit la désignation des causes collectives du problème1 ;
phase 3 : l’expression d’une demande auprès d’autorités publiques, qui correspond au sens strict à la publicisation du
problème.
Les trois phases de la construction des accidents du travail comme problème public
Phase 1 : Les accidents du travail ne sont plus pensés comme une fatalité ou comme le résultat d’erreurs de la part des ouvriers, mais comme la
conséquence de l’industrialisation, du machinisme et du mode d’organisation du travail qu’elle génère. L’accident n’est plus le produit d’une faute
individuelle mais fait partie du cours normal de l’activité industrielle comme en atteste sa régularité, mesurée statistiquement.
Phase 2 : La responsabilité des accidents du travail d’individuelle (l’ouvrier comme responsable de l’accident) devient collective : c’est la société tout
entière qui est responsable en favorisant l’industrialisation, qui augmente la richesse collective et améliore le mode de vie de l’ensemble de la population.
Les accidents du travail sont désormais perçus comme un produit de la vie sociale, une manifestation des interdépendances existant au sein de la société.
Phase 3 : Une demande de solidarité collective, sous la forme d’une assurance accident du travail financée par les employeurs, est formulée, notamment
par des syndicats et des acteurs politiques (en France les solidaristes tel Léon Bourgeois). Elle se fonde sur le principe que c’est à la société dans son
ensemble de remédier aux maux qu’elle provoque par la mise en place de mécanismes d’assurance collective. Ces premières modalités d’assurance sociale
à destination des ouvriers sont mises en place en France, en Allemagne et en Angleterre à la fin du XIXe siècle.
Ewald, 1986.
Les analyses qui viennent d’être présentées ont une limite importante : elles traitent chaque problème de façon isolée, en
négligeant la dimension décisive de la concurrence entre problèmes (Cefaï, 1996). De nombreux obstacles, assimilables à autant
de filtres, existent sur la route d’un problème en voie de publicisation, du fait de résistances et d’oppositions (de nature
idéologique, culturelle, matérielle, pratique…) à la prise en compte d’un enjeu (Cobb et Ross, 1997) et de la surabondance des
problèmes construits comme publics par des acteurs sociaux mobilisés. Comme le soulignent Hilgartner et Bosk (1988) les
autorités publiques ne peuvent pas mettre sur agenda l’ensemble des problèmes car « l’attention publique est une ressource
rare, dont l’allocation dépend de la compétition au sein d’un système d’arènes publiques » (p. 55). De ce fait les « problèmes
doivent lutter pour occuper un espace dans les arènes publiques. Cette compétition est permanente ; les problèmes doivent à la
fois lutter pour entrer et pour rester sur l’agenda public » (p. 70).
Pour analyser ce processus il faut, tout d’abord, tenir compte de la multiplicité des agendas. Roger Cobb et Charles Elder
(1972, p. 85 sq.) ont proposé de distinguer deux grands types d’agendas : l’agenda systémique et l’agenda institutionnel. Le
premier comprend tous les problèmes perçus par les membres de la communauté politique comme méritant une attention
publique et devant entrer légitimement dans la juridiction des autorités gouvernementales existantes. Sur l’agenda systémique
figurent donc des problèmes définis de façon très générale (Cobb et Elder donnent comme exemple la fin de la discrimination
raciale). Sur l’agenda institutionnel on trouvera, en revanche, des problèmes plus spécifiques, plus concrets. Une grande partie
de ces problèmes sont des problèmes routinisés (c’est par exemple le cas du vote du budget, dont plus de 90 % du contenu est
reporté d’une année sur l’autre). Cette distinction très générale peut être affinée en distinguant les agendas des trois grandes
catégories d’arènes publiques (Hilgartner et Bosk, 1988) : les arènes médiatiques, les arènes d’expression collective (partis
politiques, syndicats, associations…) et les arènes institutionnelles (le gouvernement, les assemblées parlementaires, les
administrations…). Ces arènes ont des principes de fonctionnement différents (Cefaï, 1996, p. 56) : les arènes médiatiques sont
régies par la concurrence entre les différents médias en termes d’audience, les arènes d’expression collective sont régies par la
compétition pour des électeurs et des adhérents, les arènes institutionnelles dépendent fortement des principes de
fonctionnement propres des structures qui les constituent. Au sein de ces différentes arènes, interconnectées entre elles, les
agendas sont divers. C’est en particulier le cas pour les arènes institutionnelles (celles qui concernent le plus directement les
politiques publiques) parce que chaque autorité publique possède son propre agenda : on parle ainsi de l’agenda
gouvernemental (formellement les sujets à l’ordre du jour du Conseil des ministres), de l’agenda législatif (formellement les
sujets à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et du Sénat en France), de l’agenda administratif (il existe un agenda propre à
chacun des ministères), de l’agenda d’une collectivité territoriale, de l’agenda judiciaire… La question qui se pose ici à l’analyse
de l’action publique est donc celle de savoir comment et pourquoi un problème est inscrit sur un agenda institutionnel (en
particulier l’agenda gouvernemental et l’agenda législatif).
Le deuxième élément qui facilite la prise en charge d’un problème par des arènes publiques est sa nouveauté. Il ne s’agit pas
là en général d’un élément intrinsèque du problème mais qui découle plutôt de la manière de le construire. Le plus souvent c’est
le recours à un registre scientifique, fondé sur des chiffres et des statistiques qui permet d’objectiver la nouveauté mais aussi
(voire surtout) l’importance du problème en le quantifiant. La légitimation par le chiffre apparaît comme une ressource clé dans
la lutte pour la publicisation des problèmes. Les données quantitatives permettent, en particulier, de mettre en scène l’urgence
du problème en faisant office de preuve de son extension et de son aggravation (par une augmentation du nombre d’individus
concernés ou de cas repérés)2. Surtout, les chiffres produisent un effet de réel lié à la légitimité scientifique du comptage.
Berlivet, 2000.
Le troisième principe renvoie à l’adéquation entre la construction du problème et les valeurs dominantes qui facilitent sa prise
en compte. Il s’agit là d’une dimension moins évidente à cerner puisqu’elle suppose en quelque sorte une modélisation de « l’air
du temps », d’un contexte idéologique, culturel et politique favorisant la publicisation d’un problème. Mais il est net que la mise
sur agenda de l’IVG ne peut pas se comprendre sans faire référence au contexte de l’après-mai 1968 en France (diffusion de
valeurs telles que la libération sexuelle, l’égalité des sexes, le refus des croyances religieuses…), celle de l’illettrisme sans
prendre en compte la redécouverte de la pauvreté en France au milieu des années 1980 (émergence des thématiques de la
nouvelle pauvreté puis de l’exclusion), ou encore la problématisation en termes de risques de l’alcoolisme et du tabagisme sans
la mettre en relation avec la forte baisse de la mortalité, qui rend d’autant plus dramatiques et visibles les décès de
quadragénaires ou de quinquagénaires liés au cancer et aux pathologies cardiovasculaires.
Le plus souvent, seule la combinaison de ces éléments, correspondant à autant de ressources pertinentes dans le cadre de la
compétition entre les problèmes au sein des arènes publiques, permet la publicisation au sein des différentes arènes publiques.
Ce sont donc moins les propriétés intrinsèques du problème (gravité, nombre de personnes concernées, urgence…) que sa mise
en forme dramatique et statistique, son adéquation avec des valeurs dominantes dans une société donnée et à un moment donné
ainsi que les ressources de pouvoir de ceux qui le relaient qui expliquent sa mise sur agenda. Celle-ci ne peut donc pas se
comprendre sans tenir compte des acteurs qui interviennent dans ce processus et de leurs interactions.
Deux modèles explicatifs basés sur les acteurs ont dominé les premiers travaux sur l’agenda (Parsons, 1995, p. 125). Le
premier peut être qualifié de pluraliste, on peut aussi parler de modèle de l’influence. Dans cette perspective tout problème est
susceptible d’être inscrit sur l’agenda politique à condition que des individus se mobilisent et s’organisent pour publiciser le
problème. Par l’organisation collective, il y a une remontée démocratique des demandes sociales vers les autorités publiques.
On se situe ici dans le cadre d’une vision systémique du politique, où les autorités politiques répondent (par des outputs) à des
sollicitations extérieures (qualifiés d’inputs).
Mais ce modèle est fortement à nuancer par le fait que certains groupes ont plus de facilités que d’autres à parvenir à placer
leur demande sur l’agenda politique du fait des différences de ressources entre acteurs cherchant à faire inscrire un problème
sur l’agenda institutionnel. Ces inégalités sont liées à des facteurs tels que la proximité, notamment sociale, d’un groupe par
rapport aux décideurs politiques, l’importance des ressources mobilisables, la cohésion du groupe, la position du groupe dans la
structure économique ou sociale, la reconnaissance sociale du groupe, son prestige…
Il existe donc de fortes inégalités dans les possibilités pour un groupe de transmettre ses demandes. Ainsi dans le second
modèle, le modèle élitiste, seul un groupe restreint et socialement dominant peut transmettre ses demandes (on peut également
parler de modèle du contrôle social). Ce modèle explicatif est également trop général puisque, même s’il existe de fortes
inégalités entre groupes, elles ne signifient pas que seul un petit nombre d’individus parvient à transmettre ses demandes et à
les faire inscrire sur l’agenda politique. Les inégalités entre groupes entraînent des stratégies d’action collective différentes qui
permettent parfois à des groupes dominés (par exemple historiquement la classe ouvrière) de faire inscrire des problèmes sur
l’agenda.
Aucun de ces deux modèles, parce que trop généraux et englobants, ne se révèle donc adéquat pour l’analyse des politiques
publiques. Il paraît plus opératoire, et surtout plus pertinent, de mettre en avant la diversité des modalités de la mise sur
agenda liés à la multiplicité des acteurs qui y participent et à leurs interactions.
Pour cela on peut partir de la typologie élaborée par Philippe Garraud (1990). Il propose de distinguer cinq modèles de
processus de mise sur agenda à partir de la prise en compte de cinq éléments : l’action de groupes organisés ; la mobilisation de
l’opinion (construction d’une demande sociale repérable par des prises de position ou des sondages, existence de conflits
publics, stratégies d’appel à l’opinion…) ; l’intervention d’acteurs politiques ; la médiatisation ; enfin le rôle d’événements. Les
cinq types que propose Philippe Garraud sont des types idéaux3 : il est plus fréquent que dans la réalité on rencontre des cas
mixtes, hybrides, combinant simultanément des éléments de plusieurs types. Plus qu’une description fidèle de la réalité, ces
types permettent de repérer les principales logiques à l’œuvre dans le processus de mise sur agenda d’un problème, qui ne sont
pas réductibles à un schéma d’explication simple et unilatéral.
Le premier modèle de mise sur agenda que Philippe Garraud distingue est celui de la participation (ou de la mobilisation
externe). Dans ce cas, l’initiative revient à des groupes extérieurs à l’État plus ou moins fortement organisés qui se mobilisent,
parfois de façon conflictuelle, auprès des autorités publiques. Le soutien de l’opinion publique est recherché afin de faire
pression sur l’État et de légitimer des revendications. Les actions menées (grèves, manifestation, actions symboliques,
violences…) visent à attirer l’attention des médias et par-delà celle des acteurs politiques et de l’opinion. Souvent sont
également recherchés des relais qui vont porter un problème au sein d’arènes publiques. Ceux-ci peuvent être de nature très
diverse : acteurs politiques, acteurs économiques, personnalités scientifiques, porte-parole d’associations ou de syndicats,
journalistes, intellectuels, vedettes de cinéma, de la musique ou du sport, autorités morales et religieuses…
Lahire, 1999.
Philippe Garraud donne comme exemple de ce premier modèle le rôle du mouvement SOS Racisme dans la mise sur agenda
de la question de la non-discrimination des Français d’origine étrangère (et des étrangers de manière générale) dans les années
1980 en France. Un exemple plus récent est fourni par la mobilisation des Enfants de Don Quichotte en faveur des SDF durant
l’hiver 2006-2007, qui a pris la forme spectaculaire de l’installation de plusieurs centaines de tentes le long du canal Saint-
Martin à Paris. Elle a entraîné la mise sur agenda du principe du « droit au logement opposable » inscrit dans une loi votée peu
de temps après.
Le deuxième modèle est celui de la médiatisation. Si celle-ci est parfois fortement liée aux mobilisations collectives comme on
vient de le voir, elle peut aussi avoir une certaine autonomie et dépendre principalement des logiques du champ médiatique :
stratégies professionnelles, stratégies éditoriales, structure de l’actualité (par exemple choix d’événements dans un contexte
d’actualité peu chargée) comme l’ont souligné Mac Combs et Shaw (1972). Selon eux les médias hiérarchisent les problèmes par
ordre d’importance supposée pour l’opinion publique. Par conséquent l’attention médiatique détermine aussi l’attention de
l’opinion publique, celle-ci entraînant la mise sur agenda des problèmes. Un événement joue fréquemment un rôle déclencheur
dans la prise en charge d’un problème par les médias. La mise sur agenda d’un problème peut trouver son origine dans des
événements auxquels la couverture médiatique donne une forte audience. C’est aussi le mode de couverture médiatique qui met
en avant la responsabilité d’autorités publiques. Les groupes organisés n’ont pas un rôle initiateur, ils peuvent cependant dans
certains cas jouer un rôle de relais. La mobilisation est absente, mais la controverse publique peut être importante. Enfin, la
politisation est ponctuelle et secondaire, elle ne joue pas un rôle moteur dans la médiatisation, mais en revanche les acteurs
politiques peuvent être conduits à réagir du fait de la médiatisation.
Les exemples que donne Philippe Garraud (affaire du Rainbow Warrior, affaires liées au financement des partis politiques) ne
renvoient pas directement aux politiques publiques. D’autres exemples peuvent être donnés : la médiatisation d’accidents dans
les transports (à partir de 1999 les accidents dans les chemins de fer britanniques ont conduit progressivement à une remise
en cause de leur privatisation par le gouvernement Blair), de faits divers dramatiques (ainsi l’enlèvement d’un enfant de cinq
ans par un pédophile sortant de prison en août 2007 qui a entraîné la mise sur agenda d’une loi mettant en place la rétention de
sûreté) ou encore des décès de personnes âgées liés à la canicule de l’été 2003, qui a remis sur l’agenda la prise en charge de la
dépendance (Milet, 2005).
Toutefois de nombreux travaux ont discuté cette thèse et ont conduit à nuancer l’impact des médias sur la mise sur agenda,
ceux-ci jouant plus souvent un rôle de relais par rapport à des problèmes portés par d’autres acteurs, qu’un rôle initiateur
(Nollet, 2010). L’autonomie des acteurs politiques dans la sélection des problèmes en vue de leur mise sur agenda a également
été soulignée, ce qui renvoie au troisième modèle : celui de l’offre politique.
Ici, les acteurs politiques, et non plus les groupes organisés, jouent le rôle moteur. Un thème est politisé et mis en avant par
un ou plusieurs acteurs politiques afin de renforcer leur position dans la compétition politique. La médiatisation est forte
puisque c’est le principal instrument d’action sur lequel s’appuient les acteurs politiques. En revanche, la mobilisation de
groupes organisés joue un rôle réduit. Comme le montre l’exemple donné par Philippe Garraud (celui de la mise sur agenda de
thèmes comme l’insécurité et l’immigration à la suite de leur politisation par le Front national dans les années 1980 en France)
deux logiques principales sont à l’œuvre : une logique électorale (espérance de gains électoraux dans la mise sur agenda d’un
problème) et une logique d’identification politique (affirmation d’une identité politique par la mise sur agenda de thèmes
marqueurs et le plus souvent clivants). La première logique se traduit le plus nettement en période de campagne électorale (par
exemple la question de l’insécurité, en particulier la délinquance des mineurs, dans le cadre de la campagne pour l’élection
présidentielle française de 2002 ou celle du travail et du pouvoir d’achat en 2007). Les thèmes mis en avant pendant les
campagnes électorales par le parti ou le candidat victorieux se retrouvent ensuite sur l’agenda politique. Ainsi, en France, les
premiers projets de loi mis sur agenda après une élection présidentielle ont un rôle clef de marqueur politique (augmentation
des minima sociaux et nationalisations après l’élection de François Mitterrand en 1981, loi travail et pouvoir d’achat contenant
de nombreuses diminutions d’impôts et loi sur la récidive prévoyant la création de peines planchers après l’élection de Nicolas
Sarkozy en juillet 2007). En dehors des périodes électorales la mise sur agenda à l’initiative d’acteurs politiques (en général au
sommet de l’exécutif) peut aussi symboliser la capacité d’action du pouvoir politique comme le montre l’exemple de la mise sur
agenda de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques à l’initiative de Nicolas Sarkozy, dans le cadre d’une
conférence de presse, en janvier 2008. Toutefois il ne faut pas non plus surestimer le poids des acteurs politiques dans la
détermination de l’agenda, celui-ci étant le plus souvent fort sur quelques enjeux à des moments particuliers comme on le verra
plus bas. L’analyse de longue durée tend à relativiser le poids des acteurs politiques : ainsi entre 1986 et 2006 en France les
variations dans l’attention portée aux différents domaines de politiques publiques dans les agendas gouvernementaux et
parlementaires ne sont que faiblement corrélées aux changements électoraux (Baumgartner, Brouard, Grossman, 2009).
Ces trois premiers modèles ont pour point commun de comprendre des controverses publiques, une importante médiatisation,
des actions visibles (événements, mobilisation…). La publicité (au sens habermassien de débat public) est donc forte. Mais il
existe cependant deux autres modèles que Philippe Garraud qualifie de « silencieux » : la controverse publique est quasi
inexistante, la médiatisation faible et les actions visibles très limitées.
Dans celui de l’anticipation, le rôle moteur appartient aux autorités publiques, l’expertise administrative jouant un rôle
central. L’initiative gouvernementale est décisive, c’est elle qui rend le problème visible. En revanche la médiatisation est faible,
la politisation également, la mobilisation et les événements sont absents. Le rôle des groupes organisés est limité. Philippe
Garraud donne comme exemple la loi sur la formation professionnelle de 1972 et l’instauration du numerus clausus pour les
études médicales en 1971.
Le cinquième modèle est celui de l’action corporatiste silencieuse. Ici l’initiative appartient plus clairement que dans le cas
précédent à un groupe organisé qui bénéficie d’un accès privilégié aux autorités publiques. L’autre différence avec le modèle
précédent est le fait que le problème est plus ciblé, concerne un public plus restreint. Là aussi la politisation, la médiatisation et
la mobilisation sont faibles. Le huis clos est recherché par les acteurs concernés. Philippe Garraud donne l’exemple de la
programmation des équipements militaires (oppositions entre différentes armes, rôle du lobby militaro-industriel). On peut
également donner celui de l’énergie nucléaire (rôle corporatiste central d’EDF en faveur de la multiplication des centrales
nucléaires). Ces deux aspects (initiatives administratives, rôle d’un lobby) peuvent toutefois être liés comme le montre l’exemple
de l’instauration du numerus clausus pour les études médicales, liée à la convergence de revendications de segments de la
profession médicale, soucieux de la préservation de leurs revenus et de leur prestige, et de préoccupations administratives
orientées vers la maîtrise des dépenses d’assurance-maladie (Déplaude, 2007, p. 307-377). Plus largement, ces modalités de
mise sur agenda conduisent à analyser les « espaces confinés » où sont définis des problèmes par des acteurs spécialisés
(experts, acteurs administratifs, groupes d’intérêts…) hors de l’attention publique – médiatique et politique (Gilbert, Henry,
2009).
De manière plus générale, comme le souligne Philippe Garraud, ces modèles sont le plus souvent mêlés dans la réalité. On
peut reprendre l’exemple de la mise sur agenda de la loi sur le logement opposable qui est non seulement liée à la mobilisation
fortement médiatisée4 des « Enfants de Don Quichotte » en décembre 2006 mais aussi au fait que le principe du droit au
logement opposable était discuté et proposé depuis 2002 dans une enceinte plus discrète : le Haut Comité pour le logement des
personnes défavorisées (Houard, 2009). Par ailleurs, ces différentes dynamiques peuvent se succéder dans le cadre du
processus de mise sur agenda qui le plus souvent s’inscrit dans la durée comme le montre l’exemple du sida (Favre, 1992) pour
lequel se sont succédé (et progressivement mêlés) entre 1983 et 1986 une mise sur agenda silencieuse (à l’initiative de
chercheurs), une mise sur agenda liée à l’action de groupes organisés (défenseurs des homosexuels et des victimes du sang
contaminé), la médiatisation (du scandale du sang contaminé) et la politisation (par le Front national notamment). De même, les
parcours des problèmes peuvent fluctuer entre des phases de plus ou moins forte publicisation comme on peut le voir avec
l’exemple de l’amiante passé d’un problème confiné dans les années 1970, car pris en charge par des acteurs (victimes,
scientifiques, acteurs de la politique des risques professionnels) dotés de ressources limitées, à un problème fortement publicisé
à partir du milieu des années 1990 du fait de l’élargissement de la mobilisation et du recours à des actions judiciaires
progressivement médiatisées (Henry, 2007). Cette perspective d’analyse qui met en relation les processus de mise sur agenda
avec la structure des interactions et des rapports de force entre les acteurs a toutefois tendance à négliger le contexte dans
lequel ils s’opèrent.
La mise sur agenda n’est pas en effet forcément liée directement à l’intervention de ces différents acteurs. Il existe des mises
sur agenda plus contraintes, correspondant à un contexte non maîtrisé par les acteurs de la publicisation des problèmes mis en
avant par Philippe Garraud. La mise sur agenda peut, notamment, être liée à des décisions judiciaires (en particulier des
décisions d’une cour constitutionnelle, mais c’est parfois le cas avec des décisions d’autres juridictions comme le montre la mise
sur agenda de la question de l’indemnisation du handicap à la suite de l’arrêt Perruche, prononcé par la Cour de cassation en
février 2002), au calendrier institutionnel (par exemple la discussion parlementaire annuelle sur le budget et sur le financement
de la Sécurité sociale met à date fixe sur agenda les politiques fiscales et de protection sociale), à des décisions européennes
(par exemple la mise en œuvre d’une directive européenne qui conduit à une mise sur agenda institutionnelle en France ou dans
tout autre État de l’Union européenne), au contexte économique (par exemple la montée des prix du pétrole qui met sur agenda
la question des compensations pour certains groupes particulièrement affectés, celle de la fiscalité sur les carburants ainsi que
la recherche d’énergies alternatives ou la transformation de l’agenda des politiques économiques à la suite de la crise financière
de l’automne 2008), à des évolutions démographiques (qui jouent un rôle déterminant, même s’il est plutôt indirect, dans la mise
sur agenda de la réforme des retraites, et plus généralement d’un certain nombre de mesures dans le domaine de la protection
sociale). Il est également nécessaire de tenir compte des interdépendances entre les différents domaines de politiques publiques
du fait de la concurrence entre eux pour capter l’attention forcément limitée des autorités publiques (Baumgartner et Jones,
2005).
La prise en compte des différentes dimensions du contexte de la mise sur agenda a été modélisée par John Kingdon (1984). Il
part de la distinction entre trois types de flux indépendants qui déterminent l’agenda des politiques publiques.
Le premier flux est celui des problèmes (problem stream). Il est formé par les problèmes auxquels les autorités publiques
prêtent attention (autrement dit les problèmes qui ont accédé à des arènes publiques). Pour Kingdon, trois mécanismes
principaux conduisent à fixer l’attention des autorités publiques sur des problèmes5 : des indicateurs (c’est-à-dire des mesures,
statistiques en particulier), des événements marquants et des effets de rétroaction d’une politique (c’est-à-dire des informations,
dans le cadre d’une évaluation en particulier, faisant état d’échecs d’une politique publique).
Le deuxième flux est celui des politiques publiques à proprement parler (policy stream). Il correspond à l’ensemble des
solutions d’action publique disponibles – pour les désigner Kingdon utilise la métaphore de la « soupe primordiale » – et qui sont
susceptibles d’être prises en charge par les acteurs des politiques publiques. Cette prise en compte dépend de critères tels que
leur faisabilité technique, leur compatibilité avec les valeurs dominantes et leur capacité d’anticipation des contraintes à venir.
Enfin, le troisième flux est celui de la politique (political stream). Il est composé de quatre éléments principaux : l’opinion
publique, les forces politiques organisées (partis politiques en particulier), le pouvoir exécutif et la négociation collective.
La mise sur agenda s’opère au moment de la conjonction de ces trois flux, lorsqu’« un problème est reconnu, une solution est
développée et disponible au sein de la communauté des politiques publiques, un changement politique en fait le moment
adéquat pour un changement de politique et les contraintes potentielles ne sont pas trop fortes » (p. 174). Ce moment singulier
est qualifié par Kingdon de « policy window », expression qui renvoie à l’image de la fenêtre de tir et que l’on traduit
habituellement par « fenêtre d’opportunité politique ».
Une fenêtre d’opportunité politique :
le prix unique du livre (1981)
La mise sur agenda de la question du prix unique du livre à l’été 1981 (dans le cadre de la session extraordinaire du Parlement) s’opère au moment de la
conjonction des trois flux que distingue Kingdon.
Le flux des problèmes. Un certain nombre d’indicateurs attestent des problèmes que pose la liberté du prix du
livre : fermeture de petites librairies, problèmes financiers des petits éditeurs…
Le flux des politiques. La solution du prix unique du livre (au nom de l’idée selon laquelle le livre n’est pas une
marchandise comme une autre) est portée par une coalition d’acteurs, regroupant notamment des petits éditeurs
et des libraires.
Le flux politique. L’arrivée de la gauche au pouvoir (à la suite de l’élection présidentielle de François Mitterrand et
la victoire de la gauche aux élections législatives de juin 1981) entraîne l’arrivée de Jack Lang, très favorable à la
mesure, qui fait partie des 110 propositions du candidat Mitterrand, très proche du nouveau Président, au
ministère de la Culture. La mise sur agenda s’opère d’autant plus facilement que c’est une mesure simple à
adopter et à mettre en œuvre, sans coût financier pour l’État (contraintes faibles) mais à la forte portée
symbolique (refus d’une logique libérale de marché) et politique (activation du clivage gauche/droite).
Surel, 1997.
Les fenêtres d’opportunité politique correspondent donc à des moments d’ouverture de l’agenda pour des acteurs qui en sont,
en conjoncture habituelle, écartés. Baumgartner et Jones (2009) l’ont systématisé en termes de cycles : à une période
d’équilibre, au cours de laquelle la structure de l’agenda est stable et où existe un accord large sur la façon de définir les
problèmes, succède une période, plus courte, d’ouverture de l’agenda à des acteurs auparavant exclus, et au cours de laquelle
les médias jouent un rôle important dans la promotion d’alternatives. Cette ouverture de l’agenda ouvre la voie à une nouvelle
période d’équilibre stabilisé, sur la base, notamment, de la création de nouvelles institutions.
L’analyse des processus de construction des problèmes publics et des dynamiques de mise sur agenda présente de nombreux
intérêts pour la compréhension des politiques publiques.
Tout d’abord, elle amène à prendre en compte la dynamique temporelle de l’action publique : le temps est à la fois une
ressource et une contrainte pour les différents acteurs. Par là est intégrée la part d’aléatoire et de contingent du fait de la prise
en compte d’événements, mais aussi de certaines conjonctures favorables à la mise sur agenda d’un problème (fenêtre
d’opportunité politique en particulier). Elle conduit aussi à inscrire l’analyse de l’action publique dans des dynamiques de
longue durée (Baumgartner, Jones, 2002).
Cette analyse permet également de mettre au jour la multiplicité des acteurs intervenant dans les politiques publiques :
groupes organisés, médias, acteurs politiques, acteurs gouvernementaux, acteurs administratifs, « opinion publique », etc. et
donc de sortir du « stato-centrisme » qui est une des principales limites du modèle séquentiel, comme on l’a vu dans le chapitre
précédent. Ce déplacement permet d’articuler l’analyse des politiques publiques avec d’autres approches relevant de la
sociologie politique : l’étude de l’action collective (pour comprendre les phénomènes de mobilisation), l’étude des médias (pour
comprendre la médiatisation des problèmes) et l’étude de la compétition politique (pour comprendre la politisation des
problèmes). L’étude de la mise sur agenda relève ainsi pleinement d’une sociologie politique de l’action publique centrée sur les
interactions d’acteurs multiples.
Elle conduit aussi à mettre en évidence l’importance des processus cognitifs du fait du rôle décisif de la formulation et de la
perception des problèmes. Elles déterminent, en effet, largement les séquences ultérieures en faisant prédominer un mode de
problématisation qui structure l’espace du choix des options envisagées, et qui est même parfois associé étroitement à la
promotion de telle ou telle mesure ou instrument permettant de répondre au problème6. De ce fait la séparation entre mise sur
agenda et décision est très floue, puisque la mise sur agenda est déjà en soi une décision lourde de conséquences pour
l’ensemble d’une politique publique, tout comme l’est la non-mise sur agenda et dans la mesure où un choix porté par certains
acteurs précède souvent la mise sur agenda en étant étroitement lié à la construction du problème. Ainsi, plus qu’un moment ou
une séquence clairement identifiable, la construction des problèmes et la mise sur agenda correspondent à un processus
continu de redéfinition et de réémergence d’enjeux et de mesures qu’il est nécessaire de prendre en compte dans toute analyse
de l’action publique.
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1 - . Deborah Stone (1989) a tout particulièrement mis l’accent sur les imputations causales dans la dynamique de construction des problèmes publics. Plusieurs
types de causalité (intentionnelle, non voulue, accidentelle, mécanique) peuvent être mobilisés par des acteurs sociaux pour s’adresser à des autorités publiques. Le
type d’imputation causale est choisi en fonction du type d’intérêt défendu (par exemple les victimes des fuites de gaz provoquées par Union Carbide ont dénoncé la
responsabilité directe de celle-ci du fait des déficiences du système d’alerte, tandis que ses dirigeants ont plaidé la thèse de l’accident) et, surtout, il est un objet de
lutte entre groupes sociaux en concurrence.
2 - . Le rôle des scientifiques du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) créé en 1988 dans la mise sur agenda de la lutte contre le
réchauffement climatique fournit un exemple de la mise au jour d’un nouveau problème à partir du recueil de données scientifiques.
3 - . En cela, il prolonge et affine la typologie proposée par Cobb et Ross (1976). Ils distinguent trois grands modèles de mise sur agenda : 1) le modèle de
l’initiative extérieure (outside initiative model) dans le cadre du duquel un groupe extérieur à l’État promeut un problème en cherchant des soutiens élargis afin de
le faire inscrire sur l’agenda [modèle 1 de Garraud] ; 2) le modèle de la mobilisation (mobilisation model) dans le cadre duquel un problème est inscrit à l’agenda à
l’initiative de leaders politiques [modèle 3 de Garraud] ; 3) le modèle de l’accès interne (inside acess model) dans le cadre duquel la mise sur agenda se fait sans
participation de l’opinion publique, à l’issue d’un processus qui reste interne à l’État [modèle 4 de Garraud].
4 - . Notamment parce qu’elle s’est produite à une période (fêtes de fin d’année) de faible occupation de l’agenda médiatique et de plus forte sensibilisation de
l’opinion à la détresse humaine et à la misère.
5 - . On retrouve là en partie les principes de sélection qui permettent à des problèmes d’accéder à des arènes publiques.
6 - . Les instruments préexistants ont eux-mêmes un effet sur la définition des problèmes comme le montre l’exemple des tests de dépistage des drogues
dont l’utilisation dans les entreprises américaines a contribué à la définition du problème de la consommation de drogues au travail comme la conséquence
de comportements individuels moralement condamnables et non pas comme un effet de la détérioration des conditions de travail (Crespin, 2009).
Chapitre 3
L’analyse décisionnelle
L’ANALYSE DÉCISIONNELLE est à la fois la dimension la plus évidente de l’analyse des politiques publiques et l’une des plus
problématiques. En effet, la décision est habituellement la phase la plus valorisée puisqu’elle est considérée comme l’apogée du
travail politique et administratif. Mais, en même temps, elle s’inscrit dans un ensemble de représentations qui débordent
largement le cadre des politiques publiques au sens strict du terme. Dans les conceptions les plus courantes, la décision est
synonyme d’action, plus précisément d’action résultant d’un choix. Le contrôle de la prise de décision est de ce fait assimilé à la
détention du pouvoir : décider, c’est exercer le pouvoir. Cette représentation de la décision repose à la fois sur la valorisation de
l’acte individuel et sur la croyance dans la liberté de choix. Cette conception de la décision comme produit d’un choix individuel
et libre est profondément ancrée dans la culture occidentale (Sfez, 1992). De plus, elle répond au credo démocratique, dans la
mesure où elle est étroitement liée à la notion de responsabilité politique, qui est au fondement de la démocratie représentative
contemporaine. Ce qui rend les élus responsables, c’est leur capacité de décider et d’opérer des choix, c’est parce que des
décisions sont attribuées à des élus que la responsabilité politique peut s’exercer à travers l’exercice régulier du suffrage
universel.
Ces représentations socialement et politiquement partagées rendent d’autant plus opaque l’analyse de la décision qu’elle est
fréquemment mise en scène afin de la conformer à cette image valorisée et valorisante d’un sujet créateur. Les discours
d’attributions causales des hommes politiques et des médias occupent une place centrale dans la personnalisation de la décision
publique (Le Bart, 1990). Les gouvernants cherchent à s’attribuer la paternité des décisions relevant de leur domaine de
compétence afin de faire la preuve de leur capacité d’action et de choix et, au-delà, de légitimer le système politique dans son
ensemble. En effet, si les gouvernants ne sont pas capables d’agir, donc de décider, l’exercice du droit de vote n’a pas de raison
d’être. L’imputation causale est renforcée par la logique de la compétition politique démocratique, puisque les opposants, exclus
de la décision, contribuent à sa personnalisation dans la mesure où elle facilite le travail de dénonciation politique. Les médias
jouent aussi un rôle très important, en reprenant les déclarations des hommes politiques s’attribuant une décision, en assimilant
une décision à un gouvernant (la « loi Chevènement », le « plan Juppé », la « réforme Aubry », le « projet Jospin », le « décret
Voynet », les « mesures Sarkozy »…) et en privilégiant une lecture individualiste du fonctionnement de la démocratie, fondée sur
les conflits stratégiques de personnes.
Cette représentation, culturellement et politiquement profondément inscrite au cœur des démocraties représentatives
occidentales, fait d’autant plus écran à l’analyse de la décision qu’elle connaît une traduction savante avec la notion de décideur
rationnel1. Elle se fonde sur le principe du choix de la solution optimale par un décideur clairement identifiable qui agit selon
une rationalité instrumentale (la Zweckrationalität chez Max Weber). Plus précisément, cette conception repose sur quatre
postulats principaux.
Premier postulat : il existe un décideur unique, qui prend, au sens fort du terme, la décision. Il y a donc toujours un
décideur que l’on peut identifier.
Deuxième postulat : pour décider, le décideur s’appuie sur un système de préférences stables et explicites. Il poursuit de ce
fait un but clairement défini par rapport auquel il est en mesure de comparer les différentes options qui s’offrent à lui. Il
a donc un comportement parfaitement cohérent.
Troisième postulat : toutes les alternatives possibles peuvent être connues. La transparence de l’information est donc
totale : le décideur décide en parfaite connaissance de cause.
Quatrième postulat : le décideur a pour seule finalité de trouver la solution optimale au problème ; il ne tient compte que
des données propres au problème et va prendre la décision qui correspond au choix optimal. Le décideur est donc en
mesure de maximiser son utilité (maximisation des gains/minimisation des pertes)
Ce modèle du décideur rationnel a fait l’objet de discussions multiples qui débordent largement le cadre de l’analyse des
politiques publiques pour concerner plus largement l’économie, la sociologie des organisations et l’analyse des relations
internationales. Elles ont conduit, comme on le verra pour commencer, à mettre en cause l’existence d’un décideur rationnel. De
ce fait les travaux de politiques publiques analysent la décision comme un processus au cours duquel interagissent de nombreux
acteurs.
La rationalité de la décision a fait l’objet d’une remise en cause dépassant le cadre de l’action publique qui a conduit à
l’élaboration de nouvelles notions : celles de rationalité limitée et d’anarchies organisées en particulier.
Les débats sur la rationalité sont fortement marqués par l’apport d’Herbert Simon, qui a introduit l’idée de rationalité limitée.
Dès son premier ouvrage (1945), il a mis en avant un ensemble de limites à la rationalité des décideurs. Pour lui la rationalité
humaine est limitée notamment par le fait que :
le savoir d’un individu est par nature incomplet et fragmenté ;
un individu ne peut pas anticiper les conséquences de tous ses actes ;
l’attention portée à un problème est discontinue, elle est perturbée par d’autres problèmes ;
la mémoire individuelle est réduite et sélective ;
l’information est perçue à travers des filtres cognitifs ;
l’action d’un individu dépend aussi d’habitudes, de routines et de choix passés ;
le calcul rationnel coût/bénéfices est affecté par d’autres finalités telles que le maintien de la cohésion d’un groupe ou la
détention d’une position de pouvoir ;
les contraintes organisationnelles restreignent les possibilités de choix.
Simon en déduit qu’un individu en situation de choix n’est pas en mesure de maximiser son utilité, contrairement à la
conception rationnelle, mais seulement de satisfaire des intérêts. Il ne prend pas la décision optimale mais celle qui lui garantit
le plus de stabilité et entraîne le moins d’incertitudes.
La conception en termes de rationalité limitée a nourri les débats sur les autres postulats de la théorie rationnelle de la
décision, débats qui ont été focalisés sur deux aspects en particulier : l’importance des représentations cognitives des acteurs
de la décision et les limites de l’information disponible pour les décideurs. La critique la plus fondamentale de l’approche en
termes de choix rationnels vient des travaux qui prennent en compte la dimension cognitive, c’est-à-dire les valeurs et les
représentations qui orientent le comportement des acteurs. Elles permettent de rendre compte de l’apparente irrationalité de
certains choix, d’un point de vue économique notamment. Dans le cadre de cette approche, la décision est vue comme une
confrontation et une articulation de représentations et de valeurs portées par différents acteurs, qui poursuivent des finalités
multiples, non réductibles à la résolution du problème. Ainsi, la décision ne correspond pas à une intentionnalité cohérente d’un
acteur qui vise la maximisation d’une utilité, mais à un ajustement aléatoire de logiques multiples partiellement contradictoires,
qui dépendent des diverses représentations associées au problème, elles-mêmes liées aux systèmes de représentation des
acteurs.
La prise en comptes des schèmes cognitifs qui orientent l’intervention des différents acteurs dans les processus décisionnels
est un élément clé pour comprendre pourquoi une décision ne se conforme pas forcément aux critères de la rationalité technico-
économique. Les finalités des acteurs du processus décisionnel sont le plus souvent multiples (économiques, politiques, sociales,
stratégiques, technologiques…) et partiellement contradictoires. À cela s’ajoute le fait que les raisonnements des acteurs sont
parfois biaisés car basés sur des a priori et des stéréotypes. Christian Morel distingue ainsi quatre mécanismes mentaux sources
de « décisions absurdes » (Morel, 2002, p. 132-139) :
le raisonnement par similitude (concevoir une solution du fait d’une similitude entre une cause présumée et un effet, et
non à partir d’une causalité avérée) ;
le raisonnement non conséquentialiste (oubli d’étapes dans le raisonnement) ;
considérer comme non aléatoire ce qui l’est pourtant ;
le raisonnement immédiat (sans analyse, en prenant un raccourci en quelque sorte).
L’analyse des acteurs à partir de la dimension cognitive met donc à mal deux autres postulats de la décision rationnelle (celui
de l’existence d’une conception de l’utilité partagée et celui de l’intentionnalité des choix par rapport à la maximisation de
l’utilité). On peut y ajouter le caractère problématique du postulat relatif à l’information du décideur et à sa parfaite maîtrise
des différentes options possibles. En effet, dans le cadre des politiques publiques l’information est imparfaite, incomplète et
incertaine, en particulier sur les conséquences futures des différentes options envisagées. De plus, cette information est filtrée
par chacun des acteurs de la décision : par la sélectivité de sa mémoire ; par la lecture qu’il en fait au prisme de ses
connaissances antérieures, de son expérience passée et de sa formation ; par sa façon personnelle de la hiérarchiser ; par des
mécanismes de défense inconscients qui le conduisent à rejeter certaines informations afin de réduire les tensions nées d’une
dissonance cognitive (wishful thinking) comme l’a souligné Robert Jervis (1976) pour les relations internationales. Les décideurs
intègrent les informations nouvelles dans un schéma d’interprétation préétabli afin de maintenir un ensemble stable de
convictions et de croyances. Ils déforment donc les informations qui vont à l’encontre de leur système de représentations et se
contentent d’une interprétation connue et familière au lieu d’en explorer de nouvelles. Cela se traduit notamment par des sous-
estimations ou des surestimations de certains risques et le recours à des analogies historiques biaisées ou faussées.
Enfin, il est nécessaire de tenir compte des problèmes liés à la circulation imparfaite de l’information (pertes, rétention,
manipulation, sélection, filtrage…), à la façon dont elle est formulée, ce qui renvoie notamment aux questions relatives à
l’élaboration, à l’interprétation et à l’utilisation de données statistiques et à la polysémie des termes utilisés dans le cadre des
politiques publiques. La mise en avant de toutes ces limites de la rationalité des décideurs a conduit à une nouvelle
conceptualisation de la décision en termes d’anarchie organisée.
Cette notion proposée par Cohen, March et Olsen (1972) dans le cadre de la sociologie des organisations est fondée
empiriquement sur l’étude des décisions au sein des universités. Elle repose sur trois idées principales. La première est
l’ambiguïté et l’incertitude des préférences : les acteurs ne savent pas très bien ce qu’ils veulent ou bien ils veulent des choses
difficiles à concilier. De ce fait, l’action précède souvent la formation des préférences, et dans un certain sens les crée. La
deuxième est la faible maîtrise de la technologie : les procédures et les techniques sont mal comprises par les acteurs, ce qui
rend difficile l’évaluation des différentes options envisagées. Le processus décisionnel s’opère donc par tâtonnements
successifs, en tenant compte de l’expérience passée. La troisième idée est la participation fluctuante de nombreux acteurs au
processus décisionnel. Ils varient fortement au cours du temps et ne sont présents que ponctuellement, aucun n’ayant la
maîtrise de l’ensemble du processus.
Il en résulte, tout d’abord, que le lien entre un problème et une solution est inversé puisque ce sont le plus souvent les
solutions qui permettent de formuler les problèmes. Par conséquent, la décision par résolution d’un problème n’est pas le cas le
plus fréquent. Prédomine plutôt la prise de décision par glissement (lorsqu’un problème plus attrayant pour un choix se
présente) ou par survol. Le processus décisionnel s’apparente donc à une poubelle (garbage can) dans laquelle se déchargent
des flux indépendants de problèmes, de solutions et de participants. Cohen, March et Olsen considèrent « chaque occasion de
choix comme une poubelle dans laquelle les différentes sortes de problèmes et de solutions sont jetées par les participants au
fur et à mesure de leur apparition » (March, 1991, p. 166). La décision est le produit aléatoire de la rencontre contingente entre
quatre flux : celui des problèmes, celui des solutions, celui des participants et celui des occasions de choisir. Il s’agit donc d’un
processus que personne ne maîtrise véritablement ce qui conduit ces auteurs à parler d’anarchie organisée pour désigner les
organisations.
L’intérêt principal de ce « modèle de la poubelle » est de mettre radicalement en cause l’idée de rationalité de l’action, mais il
n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes soulignés par Erhard Friedberg (1993, p. 70-76). Tout d’abord ce modèle
s’applique essentiellement aux décisions exceptionnelles (c’est-à-dire des décisions modifiant les règles du jeu existant ou
correspondant à une crise latente). Surtout, les acteurs sont tout à fait passifs dans ce cadre. Ils sont porteurs de solutions ou de
problèmes (même s’ils semblent plus savoir ce qu’ils ne veulent pas que ce qu’ils veulent) mais ne sont pas dotés d’une capacité
d’action stratégique, postulat qui paraît difficilement tenable, notamment l’absence d’exploitation d’opportunités dans des
conjonctures particulières. L’autonomie stratégique des acteurs apparaît donc trop fortement négligée. Les interdépendances
entre les acteurs et les inégalités de ressources ne sont pas non plus prises en compte ce qui conduit à accentuer le caractère
anarchique des actions. Les tenants de cette conception de la décision ont tendance à biaiser les choses en faveur de l’aléatoire
et de l’incertain, autrement dit les éléments structurants sont systématiquement sous-évalués. Il en va de même pour les
processus de formation de préférences collectives qui peuvent s’opérer suite à des échanges et des délibérations inscrites dans
la durée.
Pour toutes ces raisons, le modèle de la poubelle ne peut pas valoir comme représentation fidèle des processus décisionnels2.
Il faut plutôt intégrer son potentiel critique par rapport à la rationalité et à la linéarité de l’action publique, dont il permet de
mettre en avant le caractère à la fois ambigu (dans les choix, les préférences, les objectifs, les critères) et aléatoire. Il permet
aussi de souligner la nécessité de prendre en compte la multiplicité des acteurs impliqués par la décision.
La question des acteurs est au cœur des travaux de science politique consacrés à la décision. La conception selon laquelle la
décision n’est pas imputable à un décideur mais le produit d’interactions entre une multiplicité d’acteurs suppose non
seulement de rompre avec la conception rationnelle de la décision mais aussi avec une vision héroïque de celle-ci mettant en
avant le rôle d’un acteur clef. On la trouve notamment dans des approches d’inspiration psychologique, voire psychanalytique,
partant de la personnalité du décideur pour expliquer les décisions. Au-delà des redoutables problèmes méthodologiques
qu’elles posent (comment accéder à la personnalité du décideur, voire à son inconscient ?)3, ces approches posent le problème
de se focaliser sur un nombre très restreint d’acteurs. Expliquer la décision par la personnalité du décideur revient à adhérer à
une conception de la décision héroïque, accaparée par un « grand homme » qui fait l’histoire, conception qui a fait l’objet de
nombreuses remises en cause, dans le cadre de la « nouvelle histoire » notamment4, et qui est, de surcroît, peu adaptée à
l’analyse des politiques publiques. Cette focalisation de l’analyse décisionnelle sur un nombre restreint d’acteurs se retrouve
dans le travail pionnier mené par Haroun Jamous (1969) sur la réforme des études médicales et des structures hospitalières de
1958 dans laquelle ce sociologue des organisations a mis en avant le rôle clef d’une personnalité réformatrice : le professeur
Robert Debré.
La mise en cause de l’analyse décisionnelle focalisée sur un nombre limité d’acteurs clefs a été effectuée par des travaux de
science politique à partir de deux questionnements différents mais complémentaires. Le premier est celui de la prise de décision
dans un contexte de crise ce qui conduit à s’intéresser aux rapports entre acteurs politiques et administratifs ; le second est
celui du caractère démocratique de la décision qui amène à prendre en compte des acteurs non étatiques tels que les groupes
d’intérêts. Le premier questionnement a été initié par des travaux portant sur la politique étrangère (en particulier Allison) ; le
second par des travaux s’inscrivant dans une perspective pluraliste (en particulier Dahl).
Après la seconde guerre mondiale les analyses de la politique étrangère ont été principalement effectuées dans le cadre de
l’approche « réaliste ». Celle-ci met au cœur de l’analyse décisionnelle les calculs stratégiques et les logiques de puissance des
États en se référant au modèle de l’acteur rationnel. La décision est assimilée au choix, par un acteur étatique unique unitaire
incarné par le chef de l’exécutif, de l’option la plus conforme à l’intérêt national (Cohen, 1999). La remise en cause la plus
marquante de cette approche, à la fois rationnelle et héroïque, a été opérée par Graham Allison (1971) à partir de l’analyse
approfondie d’une décision dans un contexte de crise : celui de la crise des missiles de Cuba. Sa contribution essentielle réside
dans la mise en cause non seulement de la rationalité de la décision publique mais aussi et surtout du caractère unitaire et
monolithique de l’État, assimilé au chef de l’exécutif, en contexte de crise tout particulièrement. Il confronte et combine trois
modèles d’analyse :
L’analyse rationnelle (modèle 1) est centrée sur l’idée de l’adoption de la solution optimale par le président Kennedy. Or
toutes les solutions envisagées présentent des inconvénients importants.
L’analyse organisationnelle (modèle 2) prend en compte le fonctionnement interne de l’État (en particulier ses routines et
ses règles formelles et informelles). Elle permet notamment de comprendre l’attitude de l’URSS (habituée à ne pas
dissimuler ses missiles) et de l’armée de l’air américaine qui propose une attaque massive (et non des frappes
chirurgicales) pour augmenter son budget.
L’analyse de la pluralité des acteurs et de la diversité de leurs logiques d’action (modèle 3) conduit à caractériser la
décision comme le produit d’un marchandage politique entre plusieurs acteurs politiques et administratifs.
L’ouvrage d’Allison a entraîné le développement du paradigme de la politique bureaucratique (bureaucratic politics) qui se
concentre sur le fonctionnement au concret de l’appareil étatique (Allison et Halperin, 1972). Il combine le poids des
organisations et de leurs routines avec l’importance des jeux de négociation internes pour expliquer la décision publique. Ses
acquis peuvent être synthétisés en dix points (Irondelle, 2003, p. 81-82).
Le processus décisionnel est fragmenté entre plusieurs organisations rivales, il n’est pas hiérarchique.
Chaque administration dispose d’une marge de manœuvre importante dans le processus décisionnel.
Les bureaucrates et les administrations sont guidés par leurs intérêts propres. Le processus décisionnel
est marqué par des conflits pour la préservation et la croissance des organisations.
Les administrations sont engagées dans une compétition permanente pour l’allocation de ressources
budgétaires, de personnels, l’autonomie des missions, l’accès au pouvoir politique… La recherche du
pouvoir est le moteur du comportement des organisations.
La position d’un acteur sur un dossier est fortement déterminée par sa fonction dans une
administration.
Toute administration dispose de quatre ressources principales : l’expertise, la longévité, la continuité et
la responsabilité pour la mise en œuvre de certaines décisions gouvernementales.
Une décision adoptée dans un contexte de politique bureaucratique se caractérise par le marchandage,
l’ajustement et le compromis.
La politique bureaucratique implique des liens forts entre l’administration et des clientèles
(constituencies) de deux types : interne (tels les grands corps en France) et externe (qui dépend des
missions de l’organisation administrative).
L’intervention du pouvoir politique dans le processus décisionnel implique une capacité de coordination
et d’intégration des stratégies et des priorités des différentes administrations.
Par sa nature même la politique bureaucratique pose problème en termes de contrôle, de responsabilité
et de légitimité politique.
Les premiers travaux empiriques sur la décision publique menés en France se sont également focalisés sur l’État et ont mis en
évidence la diversité des acteurs du processus décisionnel au sein même de l’État. Le caractère stato-centré de la décision
publique sous la Ve République, découlant de la marginalisation du Parlement et de la fusion entre personnel politique et haute
fonction publique, ne signifie pas pour autant unicité du décideur.
Diversité des acteurs étatiques et processus décisionnel : la réforme administrative territoriale de 1964
Le but initial de cette réforme était la modernisation de l’administration départementale et l’affirmation de l’échelon régional. En fait, le processus
décisionnel s’est traduit par une réduction des choix qui s’explique principalement par la multiplicité des oppositions au sein de l’appareil politico-
administratif central. Le clivage central a été l’opposition entre le Premier ministre Michel Debré (et son entourage) et le ministère de l’Intérieur. Le
premier voulait restaurer l’efficacité et l’autorité du préfet en adaptant les préfectures à l’action économique. La conception défendue est celle d’une
« préfecture état-major » : la préfecture doit se centrer sur les tâches d’orientation et de coordination. De ce fait il faut qu’elle soit délestée des tâches de
gestion administrative. La régionalisation est promue dans une logique de développement et de planification économique. Au contraire, le ministère de
l’Intérieur veut conserver aux préfectures leur caractère de « centrale d’administration générale » selon l’idée que, pour restaurer l’autorité du préfet, il
faut renforcer son rôle de contrôle bureaucratique. La position du ministère de l’Intérieur est soutenue par la majorité des préfets soucieux de conserver
les « petits services » source de leur pouvoir. Seule une -minorité, les plus jeunes en général, et issus de l’ENA (contrairement à la majorité des préfets de
l’époque), y est favorable.
Cette fragmentation des acteurs au sein des sommets du pouvoir exécutif central est accentuée par la dynamique temporelle du processus décisionnel.
Avec le changement de Premier ministre en 1962 (remplacement de M. Debré par G. Pompidou) la réforme régionale prend le pas sur la réforme
départementale. À partir de 1963 intervient un nouvel acteur, la Datar, qui joue désormais le rôle d’impulsion. Elle prône la constitution d’instances
régionales représentatives, non seulement politiquement mais aussi économiquement et professionnellement, intégrées à l’action de l’État au niveau
régional. Le ministère de l’Intérieur est favorable à une plus grande place des élus et préfère une faible visibilité de l’institution. Enfin, le Commissariat
général au Plan veut limiter leurs fonctions à la consultation. La Datar obtient un arbitrage interministériel favorable à la création d’une nouvelle instance
consultative (les Coder) ; mais, par la suite, le ministère de l’Intérieur, soutenu par le ministère chargé de la réforme administrative, joue un rôle
déterminant dans la définition de l’appareil administratif régional. Il obtient notamment que le préfet de région cumule les fonctions de préfet de région et
de département, et qu’il soit rattaché au Premier ministre. Dans une large mesure, le ministère de l’Intérieur a réussi à préserver le rôle traditionnel des
préfets, et le département reste l’entité territoriale largement dominante. Ce sont donc la durée du processus décisionnel (le décret intervient près de
trois ans après la mise sur agenda de la réforme) et la multiplicité des acteurs au sein de l’appareil politico-administratif central qui expliquent les écarts
entre le projet initial et le décret finalement adopté.
Grémion, 1979.
De nombreuses critiques ont été adressées à Allison (pour une présentation synthétique voir Battistela, 2009, p. 380-384).
Elles ont principalement porté sur la surestimation du rôle de la bureaucratie, des contraintes organisationnelles et des routines
administratives en négligeant les capacités d’adaptation des acteurs. Dans la deuxième édition de l’ouvrage (1999), Allison a
pris en compte des archives déclassifiées (alors que la première version était basée uniquement sur des entretiens) ce qui l’a
conduit à réhabiliter le rôle des décideurs politiques : les deux K (Kennedy et Khroutchev) qui avaient la responsabilité de
déclencher le feu nucléaire, ont joué un rôle clef de négociateur, à mi-chemin entre la figure du souverain rationnel de
l’approche réaliste et celle du président prisonnier de son administration du modèle bureaucratique. Par ailleurs, le contexte
préélectoral (élections mid-term de novembre 1962) a été pris en compte par Kennedy qui ne voulait pas être accusé par les
républicains de reculer devant l’Union soviétique. Les débats sur l’ouvrage d’Allison conduisent ainsi à intégrer la dimension
démocratique dans l’analyse de la décision déjà mise en avant par des auteurs pluralistes tels que Robert Dahl.
Décision et démocratie
Robert Dahl a en effet rédigé son ouvrage majeur Who governs (1961) dans l’intention de réfuter la conception élitiste du
fonctionnement du système politique américain développée par Charles Wright Mills (1956), au niveau national, et, au niveau
local, par Floyd Hunter (1953), et de confronter son modèle polyarchique de la démocratie pluraliste à la réalité empirique de la
pratique du pouvoir. Robert Dahl reproche aux auteurs précédents, qualifiés de monistes, de ne mesurer que la réputation d’un
groupe d’individu à détenir le pouvoir, et de confondre ainsi pouvoir d’influence et pouvoir réel concrétisé par des décisions
effectives. Il propose de déplacer la focale d’analyse vers l’étude minutieuse du processus qui conduit à la prise de décision dans
le cadre d’une méthode qualifiée de décisionnelle. Il ne s’agit plus, comme chez Hunter, de déterminer qui a la réputation de
détenir une grande influence, mais d’observer quels sont les acteurs qui interviennent, de quelle manière, avec quel poids.
Plus généralement les travaux pluralistes prennent en compte la diversité des acteurs participant à la décision, en particulier
les groupes d’intérêts (cf. chapitre 7). La combinaison entre la prise en compte des limites de la rationalité des acteurs
participant à la décision et de leur diversité a notamment conduit à développer une conception incrémentale de la décision
(Lindblom, 1959). Dans la suite de Simon, Lindblom part des limites de la rationalité des acteurs. Il y ajoute deux éléments
importants. Le premier est l’accent mis sur la multiplicité des acteurs, se plaçant ainsi dans le cadre pluraliste, ce qui le conduit
à analyser les processus décisionnels en termes d’ajustement mutuel, de compromis négocié entre différents acteurs. Le second
est le postulat de la préférence des acteurs pour le statu quo du fait des aléas de l’information sur les conséquences des autres
options et leur absence de perspective et de vision d’ensemble. Il en résulte pour Lindblom que les processus décisionnels
débouchent sur des changements très progressifs dans une logique de correction progressive des erreurs par apprentissage
mutuel et par tâtonnements successifs.
L’approche de Lindblom a souvent été vue comme l’alternative à l’approche rationnelle. Toutefois, même si elle se présente
comme une approche « réaliste », elle pose le problème d’être également normative. En effet, elle débouche sur un discours qui
tend à privilégier le compromis entre acteurs et le changement à la marge en préconisant une méthode de comparaison limitée
reposant sur un faible nombre d’options proches du statu quo et en rejetant tout changement radical fondé sur une conception
englobante. De ce fait, elle a été dénoncée comme trop conservatrice. Il lui a été aussi reproché de ne pas suffisamment prendre
en compte les inégalités dans les ressources de pouvoir des acteurs, donc d’adhérer à une vision pluraliste quelque peu
« enchantée » du système politico-administratif américain. Les logiques organisationnelles qui encadrent les processus
décisionnels ne sont pas non plus pleinement prises en compte, Lindblom négligeant quelque peu la perspective de sociologie
des organisations de Simon.
En France les analyses de politique publique menées des années 1960 aux années 1980 ont mis l’accent sur le rôle clef des
hauts fonctionnaires dans la décision publique qualifiée de technocratique (cf. Grémion, 1979 et le chapitre 6), en négligeant les
acteurs extérieurs à l’État, notamment les partis politiques et les groupes d’intérêt qui peuvent nouer des alliances avec des
acteurs étatiques comme le montre l’exemple de la réduction du temps de travail qui implique à la fois les acteurs politiques et
les partenaires sociaux.
Mathiot, 2000.
La diversité des acteurs de la décision s’est renforcée en France depuis les années 1980, avec le recours croissant à des
procédures de débat public et de concertation (Blatrix, 2010), ce qui a reposé la question du caractère démocratique de la
décision publique.
La mise en place de structures de débat collectives, permettant notamment la participation des usagers, dans le cadre de la
décision publique, a contribué à élargir le cercle des acteurs intervenant dans les processus décisionnels, à reformuler les
problèmes selon de nouveaux points de vue et à produire des décisions itératives et réversibles issues de délibérations et de
controverses publiques (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001). En France, ces dispositifs ont été développés tout particulièrement
dans le domaine de l’aménagement avec la démocratisation de l’enquête d’utilité publique pour expropriation par
l’administration (en 1983), puis l’obligation faite en 1985 aux collectivités territoriales de définir les objectifs et modalités de la
concertation pendant l’élaboration de projets d’aménagement concernant leur territoire. En 1991, la loi d’orientation sur la ville
a établi le principe de concertation pour toute action ou opération d’aménagement urbain et celle sur l’élimination des déchets
(1992) pour les sites de stockage souterrains. Par ailleurs, le principe du débat public préalable pour les grands projets
d’infrastructure (à fort enjeu socioéconomique ou ayant un impact significatif sur l’environnement) a été reconnu en 1992 puis
élargi avec la création de la Commission nationale du débat public en 1995. En 2000, la loi SRU a étendu le principe de
l’enquête publique à tous les documents d’urbanisme et la concertation à tous les documents de planification urbaine. Surtout,
depuis le début des années 2000 des débats publics nationaux ont été organisés dans d’autres domaines (par exemple en 2003/4
le débat national sur l’eau et le débat national sur l’avenir de l’école ou en 2000 les états généraux de la santé…), souvent en
relation avec des enjeux scientifiques et technologiques (ainsi en 2009 le débat public sur la révision des lois de bioéthique et
celui sur les nanotechnologies), tandis que les dispositifs de démocratie participative se sont multipliés au niveau local avec les
conseils de quartier (rendus obligatoires pour les villes de plus de 80 habitants en 2002), les dispositifs en lien avec la
promotion du développement durable (en particulier la mise en place d’agenda 21 locaux) associant des habitants tirés au sort,
les budgets participatifs… On peut enfin mentionner le recours à des conférences ou des jurys de citoyens6 reposant sur des
délibérations entre un nombre limité de citoyens ordinaires. Toutefois, l’impact de ces dispositifs sur la décision présente des
limites importantes puisqu’elles ne modifient le plus souvent qu’à la marge les configurations de pouvoir établies, comme le
montrent les exemples du débat national sur l’eau (Rui, 2006), du débat national sur l’école (Mazeaud, 2006) ou de l’extension
des aéroports parisiens et berlinois.
L’impact ambivalent de la mise en place de dispositifs participatifs : le cas de l’extension des aéroports parisiens
et berlinois
Le cas des aéroports de Roissy et de Berlin montre que, d’un côté, ils permettent d’opérer une redéfinition de l’intérêt général dans le cadre d’une
ouverture des processus décisionnels aux acteurs mobilisés territorialement ; de l’autre l’adaptation des acteurs sectoriels a limité la prise en compte de
logiques territoriales (en termes d’environnement et de cadre de vie notamment) portées par les acteurs mobilisés localement (élus et mouvements
sociaux). Malgré sa politisation, le processus décisionnel est resté encadré par les acteurs sectoriels (gestionnaires d’aéroports, administrations en charge
du transport aérien, compagnies aériennes…) tout en intégrant d’autres finalités qu’économiques (impact sur le territoire en particulier).
Halpern, 2006.
Plus généralement ces nouvelles procédures de décision sont moins mises en place pour permettre une modification
substantielle de son contenu7 que pour rendre certaines décisions plus acceptables et surtout pour leur donner une plus grande
légitimité non seulement démocratique mais aussi procédurale par la délibération : toute décision doit désormais avoir fait
l’objet d’une mise en discussion ouverte et élargie, allant au-delà de groupes d’intérêts constitués, habituellement consultés par
les autorités publiques. Elles correspondent à une nouvelle approche de la décision publique et de l’exercice du pouvoir en
démocratie prenant en compte les citoyens ordinaires comme sujets actifs et comme porteurs d’une expertise (profane) et de
compétences spécifiques (Blondiaux, 2008). Mais si un « impératif participatif » s’impose de façon croissante aux acteurs établis
de la décision, il concerne le plus souvent des espaces secondaires de la décision et se heurte aux limites et surtout aux
inégalités de la participation. La concertation avec les citoyens ordinaires en complexifiant la décision publique génère aussi
une forme d’opacité dans l’articulation entre ces scènes de consultation et les processus décisionnels (Blatrix, 2010, p. 232).
La prise en compte de la diversité des acteurs impliqués dans les décisions publiques conduit donc à analyser celles-ci non
comme des moments isolables mais comme des processus inscrits dans la durée.
On peut tout d’abord rappeler que dans le cadre de l’analyse séquentielle il est plus question de processus décisionnel que de
la décision comme moment clairement identifiable. Ainsi, Jones (1970) ne considère pas la décision comme une des séquences
de l’action publique, puisqu’il distingue la formulation des solutions et la légitimation de celles-ci. Elles constituent pour lui les
deux étapes du processus décisionnel. La première séquence correspond à la transformation du problème mis sur agenda en
proposition de solution. Une place centrale est conférée par Jones au travail d’expertise. Il vise plusieurs buts : le recueil d’un
maximum d’informations sur le problème (il s’agit de faire le tour des connaissances disponibles), l’élaboration de propositions
de solutions, la prise en compte de la diversité des intérêts en jeu, l’anticipation des effets des différentes solutions proposées.
Enfin, ce travail d’analyse doit prendre en compte le degré d’acceptabilité de chacune des solutions par le ou les publics
concernés et impliqués.
C’est sur la base de ce travail de production d’information et d’analyse que s’effectue la sélection d’une solution. C’est alors
que deviennent plus visibles les enjeux de pouvoir et que les conflits politiques s’expriment. Les acteurs qui interviennent sont
plus nombreux. Le choix est le produit d’une série d’opérations multiples et complexes, d’une série de compromis, de
marchandages, d’alliances, de conflits… qui correspondent en fin de compte à une multiplicité de décisions.
La deuxième étape, celle de la légitimation, correspond à l’officialisation d’un choix, le fait de lui conférer une autorité
légitime (rationnelle légale) par un vote (cas des lois) ou d’une signature (pour les actes réglementaires). Pour Jones, qui se base
sur l’exemple des États-Unis, l’élément fondamental de cette séquence est la constitution d’une majorité parlementaire (du fait
de l’absence de majorité stable dans le cadre du système de partis américains). La légitimation ne doit donc pas seulement
s’entendre au sens juridique. C’est également l’ensemble des opérations par lesquelles une solution est rendue publique et
inscrite dans un ensemble de valeurs. Elle renvoie donc aussi à l’ensemble des discours qui accompagnent et justifient la
décision au sens juridique du terme.
L’analyse séquentielle montre bien que la décision n’est pas unique, il n’y a pas une décision qui, à un moment clairement
identifiable, détermine le contenu d’une politique publique, à moins de s’en tenir à une lecture strictement juridique des
politiques publiques les réduisant à des lois et/ou à des règlements administratifs. Partir de l’idée de l’existence d’une décision
correspondant à une politique publique, c’est occulter le fait que le vote d’une loi ou l’adoption d’un règlement n’est que le
résultat d’une multitude d’autres décisions : celles de certains acteurs de se saisir d’un problème, celles de le construire en
problème public à travers une grille de lecture spécifique, celles d’autorités publiques de le mettre sur leur agenda, celles
résultant du travail préalable que Jones qualifie d’expertise (qui en France renvoie en particulier à l’intervention des cabinets
ministériels et des directions administratives), celles résultant des négociations au sein de l’exécutif (arbitrages
interministériels en France) et en dehors de celui-ci (avec des groupes d’intérêt en particulier), celles résultant des débats
parlementaires (l’adoption ou le refus d’un amendement en commission ou en séance), etc.
Entendu de cette manière, le processus décisionnel intègre les non-décisions qui font partie d’une politique publique, tout en
étant encore plus difficiles à identifier. Une politique publique est autant – parfois plus – faite de non-décisions que de décisions,
de non-choix que de choix. Ce qui est rejeté dans une politique est aussi important – si ce n’est plus – que ce qui est retenu8.
Une politique publique résulte souvent du refus d’un certain nombre d’options ce qui ne facilite pas l’analyse car pour
comprendre ce qui est décidé il faut d’abord être en mesure d’appréhender ce qui n’a pas été décidé, afin de circonscrire
l’espace des possibles d’une politique publique. Plutôt que de parler de décision, il est préférable, et surtout bien plus conforme
à la réalité concrète des politiques publiques, de parler de processus décisionnels, correspondant à une superposition de
décisions et de non-décisions enchevêtrées de façon souvent aléatoire : « La décision prend la forme d’un flux continu de
décisions et d’arrangements ponctuels, pris à différents niveaux du système d’action, qu’il faut analyser comme un ensemble de
processus décisionnels » (Muller et Surel, 1998, p. 103).
Ce déplacement, de la décision vers les processus décisionnels, a deux conséquences importantes. La première est la remise
en cause des frontières entre les différentes séquences d’une politique publique. En effet, la construction d’un problème public
et sa mise sur agenda correspondent à des décisions multiples et s’inscrivent donc dans le processus décisionnel. De plus,
comme on le verra dans le chapitre suivant, la mise en œuvre d’une politique publique correspond aussi à un ensemble de
décisions (celle d’appliquer ou de ne pas appliquer une mesure législative ou réglementaire, celle de l’interpréter de telle ou
telle façon, celle de cibler tel ou tel public…). Ainsi processus décisionnel est quasiment synonyme de politique publique
puisque, empiriquement, l’ensemble d’une politique publique correspond à des processus décisionnels. Il devient alors très
difficile d’isoler une séquence qui serait celle de la décision au singulier. L’objet de l’analyse décisionnelle n’est donc pas la
décision comme acte clairement identifiable, qui relève plus du mythe (parfois politiquement nécessaire) que de la réalité
empirique, mais un ensemble complexe aux contours flous que représente la superposition de décisions et de non-décisions
enchevêtrées comme l’illustrent bien les politiques de l’Union européenne.
Au niveau européen, les processus décisionnels s’inscrivent dans le cadre d’un « triangle décisionnel » formé par la
Commission européenne, le Conseil des ministres et le Parlement européen. Il s’agit de trois institutions relativement
fragmentées, au fonctionnement complexe.
En ce qui concerne la Commission européenne, la complexité tient en particulier au principe de la collégialité (toute décision
de la Commission doit faire l’objet d’un accord au sein du collège des commissaires à la suite d’une procédure de consultation
interne souvent assez longue)9 et aux limites du leadership du président de la Commission, du fait notamment de l’autonomie
des commissaires nommés par leurs gouvernements nationaux10. La fragmentation de la Commission repose sur sa forte
sectorisation interne résultant des différences importantes entre directions générales et l’autonomie acquise par certaines
d’entre elles. La comparaison entre les directions générales révèle à la fois des différences de conception quant à l’orientation
des politiques publiques européennes et en termes de ressources, par exemple entre la direction générale chargée de la
concurrence et celle chargée de l’industrie souhaitant soutenir certains secteurs prioritaires mais bénéficiant de ressources
moindres.
Au niveau du Conseil des ministres, la complexité du processus décisionnel tient d’abord à la procédure du vote du fait du
renforcement net du rôle de la majorité qualifiée11 depuis l’Acte unique européen. On peut aussi rappeler que le traité de Nice
a accru le poids des petits pays puisque la barre de la majorité qualifiée a été fixée à 255 voix sur 345 (soit 73,4 % des voix). Il a
été ajouté que les États composant cette majorité doivent peser au moins 62 % de la population de l’Union européenne. Cette
redéfinition a eu pour conséquence de diviser par quatre (de 8 % à 2 %) le nombre de coalitions possibles pour adopter un texte,
ce qui renforce les possibilités de veto de chaque État. Toutefois, dans les faits, le recours au vote négatif est assez rare, pour
une quinzaine de décisions par an en règle générale (Magnette, 2006, p. 121), et les coalitions sont très fluctuantes (du fait des
changements politiques internes à chaque État et de la présidence tournante), ce qui rend exceptionnelles les situations de
blocage persistant.
Les travaux empiriques réalisés sur la prise de décision au sein du Conseil des ministres ont mis en avant le rôle des groupes
de travail (Fouilleux, de Maillard et Smith, 2004). Il s’agit de comités préparant les décisions (prises ensuite dans le cadre de
réunions du Coreper12 puis du conseil), composés de fonctionnaires des pays membres, de la Commission et du secrétariat
général13. Si les représentants nationaux dépendent des instructions nationales (à la suite d’une négociation intranationale), ils
possèdent une certaine marge d’autonomie car les positions nationales ne sont clairement définies que pour les enjeux majeurs
(grandes orientations). Surtout, leur spécialisation et leur longévité leur confèrent d’importantes ressources d’expertise et la
capacité d’infléchir la position de leur gouvernement. La dynamique de socialisation réciproque entre des représentants
habitués à se côtoyer (en particulier les adjoints des représentants permanents au sein desquels règne une forte culture de la
négociation et du compromis) conduit à ce que les groupes de travail du conseil constituent un lieu central de médiation
européenne. En amont, ils sont consultés par la Commission lors de l’élaboration de ses propositions afin d’anticiper les
divergences et les conflits, ce qui correspond parfois déjà à une prénégociation. Le plus souvent un accord se fait au sein de ces
groupes avant le passage devant le Coreper (beaucoup moins spécialisé que les groupes de travail) et le Conseil. En effet, les
ministres interviennent principalement sur les arbitrages budgétaires et les marchandages intersectoriels. À cela s’ajoute un
rôle croissant de négociation avec les commissions du Parlement européen pour qu’il ne remette pas en cause les accords. Ainsi,
des députés (en général le président de la commission concernée et le rapporteur du texte) sont associés aux discussions pour
éviter par la suite le recours au comité de conciliation. Au total « la tâche principale des acteurs des groupes de travail du
Conseil est, non pas de prendre la décision, mais de transformer des propositions de textes législatifs en documents que le
Coreper et les ministres prendront la décision de transformer en directives et règlements » (Fouilleux, Maillard et Smith, 2004,
p. 163).
L’analyse interne du mode de fonctionnement du Parlement (Costa, 2000 ; Rozenberg et Surel, 2003) met en évidence des
caractéristiques proches de celles des autres institutions européennes. Tout d’abord, on peut souligner une grande complexité
liée à sa forte fragmentation (plus d’une centaine de partis représentés au sein de sept groupes parlementaires), à une
organisation éclatée dans le temps (une semaine de session par mois) et dans l’espace (les sessions plénières ont lieu à
Strasbourg, les commissions siègent à Bruxelles et le secrétariat général à Luxembourg), et aux limites de la discipline de vote
(même si elle s’accroît pour atteindre près des trois-quarts des votes) du fait des divisions nationales au sein des groupes. On
retrouve également une recherche systématique de compromis par la négociation du fait, notamment, de la nécessité d’obtenir
des majorités larges (majorité absolue des députés et non des votants) pour des amendements ou le rejet des textes proposés
par le Conseil (dans le cadre des procédures de coopération et de codécision). En témoignent l’importance des accords entre les
deux groupes dominants (Parti populaire européen et Parti socialiste européen)14 pour la répartition des principaux postes (en
particulier la présidence et les vice-présidences), le fonctionnement au consensus de la conférence des présidents (qui réunit le
président du Parlement et les présidents de groupe et qui décide de l’organisation de l’activité parlementaire ainsi que de la
composition et des compétences des commissions) et des commissions parlementaires15. C’est là que s’effectue l’essentiel du
travail décisionnel, avec un rôle important des présidents de commissions, des coordinateurs de groupes par commission et des
rapporteurs. Les rapports des commissions servent de base à la discussion en session plénière. En effet, celles-ci, relativement
formelles, sont précédées par un processus intensif de consultation mené par le rapporteur avec les groupes, des experts, des
groupes d’intérêts et des fonctionnaires de la Commission et du Conseil.
À partir de ces éléments, on peut mettre en évidence les caractéristiques majeures du fonctionnement du « triangle
décisionnel » qui s’est affirmé depuis une quinzaine d’années.
La première est la complexité qui tient non seulement au mode de fonctionnement interne des trois institutions que nous
venons de souligner, mais aussi aux procédures qui encadrent leurs interactions. La plus importante est aujourd’hui la
codécision, instituée par le traité de Maastricht, et qui, depuis le traité de Nice, vaut pour trente-six domaines législatifs, ce qui
représente environ 75 % du domaine de compétence communautaire.
Tableau 3. Les étapes de la codécision16
1. Initiative de la
Commission
2. Discussion au
Parlement
3.1. Si pas
d’amendements
Acte adopté si
4.1. Discussion au
majorité qualifiée au
Conseil
Conseil
3.2. Si amendements
du Parlement
Acte adopté si
4.2. Discussion au accord du Conseil (à la
Conseil majorité -qualifiée)
avec les amendements
Acte adopté si le
Parlement accepte la
position commune
6.3. Discussion au
Parlement Acte rejeté si refus
de la position
commune à la majorité
absolue
7.4. Le Parlement
propose des
amendements à la
majorité absolue
Acte adopté si
8.4. Discussion au accord du Conseil (à la
Conseil majorité -qualifiée)
avec les amendements
Acte adopté si
adoption d’un projet
commun par le comité
9.5. Convocation
et si adoption de ce
d’un comité de
projet par le Parlement
conciliation paritaire
(majorité absolue) et le
(Parlement/Conseil)
Conseil (majorité
qualifiée) Acte rejeté si
pas de projet commun
Il s’agit d’une procédure longue dont la durée moyenne est d’environ dix-huit mois. Même si la tendance est à la diminution,
dans certains cas, la durée est de plusieurs années17. Ajoutons qu’il existe, au total, vingt-deux procédures et une trentaine
d’instruments juridiques pour encadrer les interactions au sein du « triangle décisionnel ».
Sa deuxième caractéristique est l’interdépendance entre ces institutions qui se contrôlent réciproquement. Il n’y a pas, de ce
fait, de véritable leadership stabilisé : il diffère en fonction des domaines, des procédures, des enjeux…
L’importance du consensus est une troisième caractéristique importante. On l’a vu au sein des institutions, on peut également
observer que dans seulement 15 % des cas la codécision se conclut par une conciliation, et que 25 % des textes sont adoptés en
première lecture (Chaltiel, 2006, p. 89).
La dernière caractéristique est le rôle des négociations informelles, dans le cadre des groupes de travail auprès du Conseil
des ministres, des commissions parlementaires et des nombreux comités (plus de 500) existant auprès de la Commission qui
associent des experts ou des fonctionnaires nationaux et des groupes d’intérêts. Depuis la fin des années 1980, on utilise le mot
« comitologie » pour souligner l’importance de ces comités consultatifs, de gestion, de réglementation ou ad hoc. Ces
interactions multiples associent à la fois des acteurs européens et des acteurs nationaux ainsi que des acteurs publics et privés.
Comme on le verra dans le chapitre 7, les groupes d’intérêts sont aussi des acteurs importants des processus décisionnels
européens.
Non seulement, la décision relève d’un processus long et complexe mettant en interaction des acteurs aux représentations en
partie divergentes, mais de surcroît ce processus est contraint par des éléments extérieurs aux acteurs. Plusieurs types de
variables contextuelles pesant sur les processus décisionnels peuvent, en effet, être mis en avant18. Il s’agit tout d’abord du
contexte budgétaire. Il dépend à la fois de la situation économique générale et d’arbitrages politiques et dessine les contours du
faisable pour chaque domaine de politique publique. Il faut ensuite mentionner l’impact du contexte politique : orientation
partisane du pouvoir exécutif, rapport de force politique au sein du pouvoir législatif, calendrier électoral19, popularité des
gouvernants dans l’opinion publique, soutien de groupes d’intérêts, programme électoral… Tous ces éléments influent plus ou
moins directement sur le processus décisionnel. Le contexte institutionnel est également à prendre en compte. Les processus
décisionnels dépendent d’un ensemble de règles institutionnelles et de procédures formelles (circuit administratif, consultation
d’acteurs extérieurs à l’administration, modalités de la discussion parlementaire, intervention d’instances de contrôle de
conformité juridique des lois et des règlements, répartition du pouvoir entre le niveau central et les niveaux locaux…), des
circuits de production et de diffusion de l’information, de la division des tâches au sein de l’administration (rôle des échelons
intermédiaires, répartition des tâches entre niveau administratif et niveau politique, appel à des acteurs extérieurs à
l’administration), de la structure gouvernementale (par exemple le découpage ministériel ou les différences entre ministères
sectoriels et transversaux dans la latitude d’action et l’éventail des choix), du mode de fonctionnement interne des institutions
(routines, inerties, règles de fonctionnement informelles…) et de leurs finalités propres… Enfin, il est également nécessaire de
prendre en compte l’ensemble des règles et des acteurs supranationaux. Les directives et règlements européens, la
jurisprudence de la Cour de justice européenne, les accords internationaux, les plans d’ajustement structurels du FMI, les
règlements de l’Organisation mondiale du commerce, etc. bornent de plus en plus l’espace des possibles d’une politique
publique et contraignent fortement les processus décisionnels au niveau national (et même local). Du fait de ces variables
contextuelles les processus décisionnels, tout comme la mise sur agenda, obéissent à des dynamiques temporelles qui ne sont
pas directement maîtrisées par les acteurs. C’est ainsi parfois le changement de contexte qui permet l’aboutissement d’un
processus décisionnel comme on l’a vu avec l’exemple de la réforme Debré de 1958 (impact décisif du changement de régime
politique).
Le contexte fait aussi la décision mais, en même temps, les données contextuelles correspondent à des ressources pour les
acteurs qui les intègrent dans leurs calculs stratégiques. Ces éléments contextuels balisent le champ des possibles du processus
décisionnel, mais ils ne le déterminent pas complètement puisque les stratégies des acteurs visent à exploiter les marges
d’autonomie dont ils estiment disposer.
La nécessité de prendre en compte la diversité des acteurs, leurs représentations et les éléments de contexte a d’importantes
conséquences sur le plan empirique comme sur le plan théorique. Sur le premier plan, elle conduit à adopter une stratégie de
recherche permettant de multiplier les points de vue sur le processus décisionnel afin d’en retracer le plus finement possible les
différentes étapes (process tracing). Il apparaît donc nécessaire, non seulement d’effectuer des entretiens avec un grand
nombre d’acteurs afin d’appréhender leurs logiques d’action, leurs perceptions du contexte et leur participation à la décision,
mais aussi de recueillir de la documentation primaire facilitant la reconstitution du processus décisionnel (comptes rendus de
réunions, échanges de notes et de courriers entre acteurs, projets, documents de travail interne, prises de position publiques,
articles de presse…), voire de faire de l’observation directe ou participante20.
Sur le plan théorique, ces éléments à l’adoption d’autres cadres d’analyse de la décision. Ainsi Geert Teisman (2000), a
formulé un nouveau modèle d’analyse des processus décisionnels, en partant non seulement de la multiplicité des acteurs et de
leur rationalité limitée, mais aussi des interdépendances entre eux. Il utilise l’expression « série (rounds) d’interactions » en
intégrant la dimension temporelle du processus. Les interactions successives d’acteurs multiples, poursuivant des objectifs
différents mais interdépendants, scandent le processus décisionnel qui est caractérisé par une dynamique progressive
d’ajustement réciproque.
Teisman, 2000.
Il s’agit là d’un modèle qui, sans représenter une innovation fondamentale21, évite à la fois les écueils de l’incrémentalisme
(en tenant compte des ressources différenciées des acteurs et en prenant en compte les possibilités de changement) et du
modèle de la poubelle (en rejetant moins radicalement la rationalité de l’action), tout en intégrant leurs apports (ajustement
progressif d’acteurs multiples, participation fluctuante, absence de maîtrise de l’ensemble du processus, caractère aléatoire et
dynamique du processus décisionnel, préférences multiples et partiellement contradictoires…). Surtout, ce modèle s’inscrit dans
une perspective d’analyse des politiques publiques, à partir des interactions d’acteurs multiples et interdépendants, tout aussi
pertinente pour l’analyse de la construction des problèmes, de leur mise sur agenda et de la mise en œuvre des politiques
publiques.
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1 - . L’approche en termes de décision rationnelle est née dans le cadre de la science économique, plus précisément avec la théorie microéconomique du
consommateur et du producteur, élaborée par les économistes marginalistes à la fin du XIXe siècle (Walras, Jevons, Menger…). Cette approche, fondée sur le principe
d’optimisation de l’utilité (en termes de rapport coût/bénéfice notamment) sous contrainte, a, par la suite, été développée dans le domaine de la sociologie, en
particulier pour appréhender le fonctionnement des organisations et des institutions (école dite du « public choice »). Un autre domaine d’application de la décision
rationnelle est l’analyse des relations internationales dans le cadre d’une approche dite « réaliste », en partie inspirée par la théorie des jeux.
2 - . Les limites de la pertinence descriptive du modèle ont été mises en avant, y compris pour les universités qui lui ont pourtant servi de fondement empirique. En
effet, dans le cas des universités françaises et allemandes (Musselin, 1997), si on peut repérer des ambiguïtés et des confusions dans les objectifs (sur la finalité de
l’enseignement, sur le poids relatif de l’enseignement et de la recherche…), l’absence de technologie maîtrisée (en matière pédagogique en particulier) et une
participation fluctuante aux instances décisionnelles, il paraît difficile de les caractériser unilatéralement comme des anarchies organisées. En effet, en France
notamment, on assiste de plus en plus à l’élaboration de projets d’établissement fixant des priorités stratégiques ainsi qu’au recours croissant à des instruments de
suivi des résultats.
3 - . Toutefois, elle conduit à prendre en compte un type de matériau souvent délaissé dans le cadre des politiques publiques : le matériau biographique, comme
le préconisait Lasswell dans ses premiers travaux de science politique dans les années 1930 (Parsons, 1995, p. 341).
4 - . Comme le note Jacques Le Goff à propos d’un personnage historiquement aussi important que Saint Louis auquel il a consacré une volumineuse
biographie : « il se construit lui-même et construit son époque autant qu’il est construit par elle » (1996, p. 18).
5 - . Robert Dahl a eu recours à plusieurs sources pour reconstituer ces décisions : archives, documents, articles de journaux et surtout entretiens. Ces
derniers, furent conduits auprès de 46 personnes qui avaient participé activement à une ou plusieurs décisions clefs.
6 - . En France la première conférence de ce type est organisée en 1998 sur l’utilisation des OGM. Ces dispositifs sont surtout utilisés sur des enjeux
présentant de fortes incertitudes, notamment scientifiques.
7 - . Les cas de réorientations suite à des débats public sont rares et liés le plus souvent à des mobilisations collectives (pour des projets routiers ou de
tracés ferroviaires par exemple).
8 - . Nous nous inscrivons ici dans la conception de la non-décision développée par Bachrach et Baratz (1963), définie comme tout ce qui est exclu et
rejeté par les acteurs de la décision parce que cela menace les valeurs dominantes et les structures de pouvoir existantes. La non-décision n’est pas
seulement décider de ne rien faire, c’est aussi (voire plus) ne pas décider de faire certaines choses et décider de ne pas en faire d’autres.
9 - . La tendance actuelle est toutefois celle de la diminution du débat collégial au sein de la Commission et de la disparition du recours au vote au sein
du collège des commissaires (Ciavarini-Azzi, 2006, p. 42).
10 - . Toutefois, au renforcement institutionnel du président dans les traités de Maastricht et de Nice (définition des orientations politiques du collège
et de son organisation interne, répartition des responsabilités et nomination des vice-présidents, possibilité de contraindre un commissaire à la
démission) s’est ajoutée « une consolidation de fait du rôle du président dans le fonctionnement du collège : moins de points à l’ordre du jour de la
Commission, pas de votes. Souvent les questions sont réglées préalablement par le président – et son cabinet – et avec un ou plusieurs membres
concernés du collège, avant d’être formellement décidés en Commission » [ibid., p. 43].
11 - . Le vote est organisé à partir d’un nombre de voix donné à chaque État membre en fonction de son poids démographique et économique. Ce
nombre va de 29 voix (pour l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni) à 3 voix (Malte).
12 - . Le Comité des représentants permanents est composé des ambassadeurs de chaque État auprès de l’UE et de leurs adjoints. Il se réunit
chaque semaine et examine notamment tous les dossiers soumis aux conseils sectoriels.
13 - . Il s’agit d’une administration d’état-major (environ 2 700 fonctionnaires), possédant une importante expertise juridique. Elle joue un rôle
essentiel de suivi de l’ensemble du processus décisionnel (du fait de la participation de fonctionnaires aux groupes de travail et au Coreper) qui
compense la rotation semestrielle de la présidence de l’UE. C’est aussi le secrétariat général qui formalise les compromis proposés par la
présidence et qui organise les comités de conciliation avec le Parlement européen (Mangenot, 2003).
14 - . Jusqu’en 1999 les trois quarts des votes étaient soutenus par une « super-majorité » PPE/PSE, cette proportion est passée à 50 % depuis
(Magnette, 2006, p. 164). De plus, environ 12 % des votes sont unanimes.
15 - . Il existe actuellement vingt commissions permanentes qui couvrent les principaux domaines d’action communautaire (budget, affaires
étrangères et défense, affaires économiques et monétaires, agriculture, marché intérieur, industrie et commerce extérieur, emploi et affaires
sociales, environnement santé publique et consommateur…). Leur rôle est à la fois législatif (examen des textes, élaboration des propositions
d’amendements…) et de contrôle (par le suivi des politiques de leur domaine de compétence).
16 - . En italique l’achèvement de la procédure.
17 - . Par exemple, l’adoption du règlement REACH (pour l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques) a
duré près de trois ans et demi.
18 - . Au-delà de ces variables, jouent également les représentations de l’environnement que construisent les différents acteurs du
processus décisionnel. Ces variables contextuelles ne sont pas simplement à prendre en compte comme des données objectives mais
aussi comme des représentations qui orientent de façon différenciée les comportements des acteurs.
19 - . Ainsi, la décision de J.F. Kennedy de recourir au blocus de Cuba lors de la crise des missiles s’explique aussi par la proximité
des élections au Congrès : il fallait à la fois éviter une reculade et un conflit nucléaire. Le contexte politique a renforcé le rôle du
Président dans le processus décisionnel (Cohen, 1999, p. 86).
20 - . L’observation présente l’avantage d’être une méthode qui appréhende le processus décisionnel en train de s’effectuer et non
pas après coup, ce qui est le cas pour l’entretien et le recueil de documentation. Elle permet de ce fait d’éviter les biais liés aux
reconstitutions a posteriori par les acteurs et à l’illusion rétrospective qu’est spontanément amené à pratiquer le chercheur qui, en
quelque sorte, connaît la fin du processus (en tous cas des éléments d’aboutissement). Toutefois, l’observation est loin d’être
toujours possible à pratiquer et, surtout, elle ne peut être une méthode suffisante du fait de la dispersion tant spatiale que
temporelle du processus décisionnel. L’observation ne permet pas plus que les autres outils méthodologiques d’appréhender
l’ensemble du processus décisionnel. C’est pour cela que seule la combinaison des outils permet d’en approcher la complexité et de
corriger, au moins en partie, les biais de chacun d’entre eux.
21 - . Il n’intègre pas véritablement la dimension cognitive ni le contexte des interactions et reste à dominante descriptive.
Chapitre 4
Dans une perspective juridique, la distinction entre décision et mise en œuvre renvoie à la séparation entre politique et
administration, la décision relevant des acteurs politiques (gouvernementaux et parlementaires), la mise en œuvre des acteurs
administratifs. La mise en œuvre correspond par conséquent à toutes les étapes postparlementaires d’une politique publique
prise en charge par l’administration dont la conception juridique est fortement imprégnée de l’idéal type webérien de
l’administration bureaucratique. Cette vision de l’administration se retrouve dans les policy sciences. Il est donc nécessaire de
partir de l’analyse que propose Max Weber dans Économie et société puisqu’elle constitue le point de départ des premiers
travaux de politiques publiques. Weber considère que « la direction administrative bureaucratique » constitue le « type pur de
domination légale », dont les « catégories fondamentales » sont « une activité des fonctions publiques continue et liée à des
règles au sein d’une compétence (ressort) qui signifie : un domaine de devoir d’exécution délimité objectivement en vertu du
partage de cette exécution, avec l’adjonction de pouvoirs de commandement requis à cette fin et une délimitation précise des
moyens de coercition et des hypothèses de leur application » (p. 292). Poursuivant son analyse, Weber souligne que cette
direction administrative bureaucratique se compose de fonctionnaires individuels caractérisés par le fait qu’ils « n’obéissent
qu’aux devoirs objectifs de leur fonction, dans une hiérarchie de la fonction solidement établie, avec des compétences de la
fonction solidement établies en vertu d’un contrat, donc (en principe) sur le fondement d’une sélection ouverte selon la
qualification professionnelle » (p. 294). Trois principes majeurs de l’action administrative se dégagent de cet idéal type de la
bureaucratie rationnelle-légale : celui de la neutralité (objectivité dans le respect des règles), celui de la hiérarchie (qui va de
pair avec l’obéissance aux règles et le contrôle des fonctionnaires) et celui de la spécialisation (des tâches et des compétences).
Ces trois principes garantissent une application stricte des décisions prises. Dans cette perspective, la mise en œuvre dépend
du respect de ces principes par l’administration, donc par l’ensemble des acteurs administratifs. Or la sociologie des
organisations a montré, depuis les années 1940, que le non-respect de ces principes est le cas de figure le plus fréquent, ce qui
a ouvert la voie à une prise en compte de la mise en œuvre en tant que telle et des facteurs de distorsion par rapport à la
décision. Il est donc nécessaire de partir des principaux apports de la sociologie des organisations administratives.
Pour ce qui est de la neutralité, et plus largement du respect des règles par les fonctionnaires, Merton (1940) en a, le premier,
montré les dysfonctionnements en mettant au jour ce qu’il appelle la « personnalité bureaucratique ». Elle se fonde sur le
respect rigide des règles, permettant aux agents de se protéger à la fois de leurs supérieurs et du public. Le respect des règles,
en devenant une fin en soi et non plus un outil d’action, conduit à l’abandon des objectifs qu’une administration est censée
poursuivre. La bureaucratisation se révèle ainsi dysfonctionnelle puisque les procédures formelles conduisent à des effets
contraires à ceux recherchés. Il en résulte aussi une dépersonnalisation des relations entre les agents administratifs et les
usagers et une incapacité à s’adapter à des situations non prévues par les règles formelles.
Par la suite, d’autres travaux ont mis en évidence la forte interpénétration de l’administration avec son environnement social.
C’est l’apport majeur de l’étude de Selznick (1949) à propos de la Tennessee Valley Authority. Cette agence fédérale, crée dans
le cadre de la politique du New Deal, en déléguant des tâches spécialisées, a été progressivement pénétrée par des groupes
d’intérêts (notamment agricoles) qui ont détourné son action de ses objectifs initiaux. Ce n’est donc pas seulement la profusion
des règles qui produit des dysfonctionnements, mais aussi la capacité de pression de l’environnement externe de
l’administration sur celle-ci. L’action des agents de l’administration est menée dans un environnement social dont ils sont
contraints de tenir compte, dans la mesure où c’est aussi une des conditions de leur capacité à intervenir sur la société.
L’objectivité de l’action administrative dont parle Weber renvoie donc plus aux principes auxquels elle est supposée se
conformer qu’à sa réalité concrète, observable empiriquement.
De plus, les fonctionnaires doivent être considérés comme des acteurs sociaux qui ne peuvent pas faire abstraction de leurs
valeurs, de leurs préférences, de leurs systèmes de croyances dans le cadre de leur travail ; ils sont mus par des valeurs et des
intérêts qui ne se réduisent pas aux exigences de l’organisation administrative. Cette dimension a été particulièrement
soulignée pour la politisation de l’administration. Le terme « politisation » est en lui-même assez polysémique puisqu’il renvoie à
la fois à la nomination des fonctionnaires par des acteurs politiques sur des critères de proximité et de fidélité politique, au fait
que des fonctionnaires ont accès à des processus de décision politique, enfin aux préférences politiques des fonctionnaires
susceptibles de se traduire dans leur travail. Ces différentes facettes de la politisation se repèrent surtout aux sommets de
l’administration (nationale et locale) et concernent donc principalement les hauts fonctionnaires. Ce constat conduit plus à
remettre en cause la séparation entre politique et administration, comme nous le verrons dans le chapitre 6, qu’à véritablement
fournir une clé de lecture déterminante pour la compréhension de la mise en œuvre des politiques publiques.
Le deuxième principe, celui de l’obéissance hiérarchique, est probablement celui qui a fait l’objet de la plus vive remise en
cause par la sociologie des organisations. Selznick, puis surtout Blau (1955), ont mis en évidence l’importance de la dimension
informelle dans le fonctionnement des organisations bureaucratiques. Par la suite, les travaux de Crozier et Friedberg (1977) se
sont très fortement attachés à mettre en avant l’importance de l’autonomie des acteurs administratifs à tous les niveaux, qui
conduit à fortement éroder le commandement hiérarchique. Les règlements ne sont jamais suffisants pour encadrer l’action
d’un l’agent administratif qui a la possibilité de jouer avec leur multiplicité. La surabondance des règlements est ainsi une
ressource stratégique, du fait des marges de manœuvre existant entre des textes contradictoires, des possibilités de rejet de
responsabilité à d’autres échelons, voire aux auteurs des textes réglementaires. Ainsi, plus une réglementation est complexe,
moins elle s’avère effectivement applicable. Tout agent administratif dispose d’une certaine liberté d’action. De plus, les
fonctionnaires de rang inférieur ont souvent l’avantage de la connaissance du terrain et du contact direct avec le public. Il existe
des jeux de pouvoir permanents autour de la détention de l’information pertinente, ce qui explique sa mauvaise transmission.
Par conséquent, la chaîne hiérarchique est coupée à tous les niveaux, ce qui produit une cascade d’autonomies relatives.
L’administration est de ce fait caractérisée à la fois par une faible capacité de commandement et un faible degré d’obéissance.
Ainsi se structurent des « systèmes d’actions concrets » qui se fondent sur des jeux d’acteurs coordonnés, reposant plus sur
des règles informelles que sur des réglementations formelles et l’utilisation stratégique des zones d’autonomie permises par la
structure administrative. Au final, pour la sociologie des organisations, c’est plus l’autonomie et la non-obéissance aux
règlements qui caractérise le fonctionnement de l’administration que l’obéissance stricte à la hiérarchie et aux règles
formalisées juridiquement.
La discussion du troisième principe, celui de la spécialisation, a fait l’objet d’analyses différentes portant moins sur les agents
administratifs que sur les structures administratives. En effet, la spécialisation du travail administratif repose sur la
qualification des fonctionnaires, mais tient aussi à la structuration de l’administration sur la base de secteurs d’intervention
spécialisés. Dans le cadre de ce modèle, qui est celui de la spécialisation sectorielle, et que l’on retrouve pour l’ensemble des
administrations occidentales, tout se passe comme si à un problème faisant l’objet d’un programme d’actions publiques
correspondait une structure administrative spécialisée. Cette superposition entre politique publique et structure administrative
apparaît comme un élément favorisant une application non problématique des décisions prises. Mais cette vision, là aussi
fortement teintée de juridisme, résiste mal à l’analyse empirique qui, au contraire, tend à mettre au jour la multiplicité des
administrations qui prennent en charge une politique publique, ce qui se traduit par des chevauchements de compétences, voire
des redondances, conduisant à des conflits entre structures administratives. Ce phénomène a été renforcé par la double
évolution de la territorialisation et de la transversalisation des politiques publiques.
L’analyse sociologique de l’administration met donc clairement au jour les difficultés d’application des principes de base de la
bureaucratie, principes perçus comme la condition de la mise en œuvre des politiques publiques. Elle devient ainsi une
séquence à reconsidérer : de non problématique elle est désormais considérée comme hautement problématique et surtout
comme peu maîtrisée par les décideurs. On comprend alors pourquoi l’analyse des politiques publiques s’est tout d’abord
attachée à comprendre les écarts entre décision et mise en œuvre, dans une perspective qualifiée de top-down.
Cette perspective, ouverte par l’ouvrage pionnier de Pressman et Wildavsky (1973), est guidée par la recherche des conditions
d’une bonne mise en œuvre des décisions prises, c’est-à-dire conforme à celles-ci. Ainsi se mêlent dimension prescriptive
(améliorer l’efficacité des programmes d’action publique) et dimension empirique (mettre au jour les distorsions entre décision
et mise en œuvre). Il s’agit d’une perspective d’analyse par le haut (top-down) à double titre : parce qu’elle part de la décision et
parce qu’elle est, en quelque sorte, au service des décideurs. L’accent est donc mis sur les erreurs, les dysfonctionnements, les
ratés de la mise en œuvre afin d’y remédier4. Les nombreux travaux qui s’inscrivent dans cette perspective, à partir du milieu
des années 1970, conduisent à mettre en avant plusieurs types de facteurs (qui le plus souvent s’ajoutent et jouent donc
simultanément) permettant d’expliquer les écarts entre décision et mise en œuvre. Nous partirons du principal facteur mis en
avant par Pressman et Wildavsky : la multiplicité des échelons de la mise en œuvre.
Les premiers travaux de politiques publiques spécifiquement consacrés à la mise en œuvre se sont principalement intéressés
aux unités administratives chargées de celle-ci et aux relations qu’elles entretiennent, puisque, dans la plupart des cas, ce sont
des structures administratives multiples qui ont en charge l’application d’une politique publique. Les distorsions par rapport à la
décision sont expliquées, d’une part, par les échelons multiples de l’administration, ce qui pose la question de la transmission
verticale d’une décision, d’autre part, par les conflits qui peuvent exister, sur le terrain, entre différents types d’administration.
Les travaux américains se sont fortement intéressés au premier aspect dans le cadre du fédéralisme, qui est au cœur de leur
système institutionnel. Ils mettent ainsi en avant la distance entre le niveau d’autorité où la décision a été prise et les niveaux
d’exécution. Plus cette distance est importante, plus les niveaux d’exécution sont nombreux et imbriqués, plus l’application de la
décision s’avère difficile.
Les difficultés de mise en œuvre sont donc liées non seulement aux échelons multiples, mais aussi aux divergences entre les
entités administratives chargées de celle-ci. Cette perspective a été particulièrement développée pour les États fédéraux : ainsi
Renate Mayntz (1978) a mis en avant les fortes différences dans l’attitude par rapport à la législation allemande concernant les
émissions polluantes entre les administrations fédérales aux moyens limités et les administrations locales, plus fortement
soumises aux pressions des intérêts économiques locaux. La prise en compte des échelons multiples se retrouve dans les
travaux, plus récents, portant sur la mise en œuvre des politiques européennes marquées par un fort décalage entre niveau
décisionnel (celui des institutions de l’Union européennes comme on l’a vu dans le chapitre précédent) et niveaux de la mise en
œuvre (nationaux et infra-nationaux). Gerda Falkner, Oliver Treib, Michael Hartlapp et Simone Leiber (2005) ont ainsi modélisé
différents types de transposition et de mise en œuvre des directives européennes en fonction de l’existence ou non, au niveau
national et infra-national, d’un système de représentations favorable à l’européanisation et partagé, correspondant à une culture
de la conformité (« culture of compliance »). Ils ont distingué, en fonction des représentations et attitudes des acteurs nationaux
et infra-nationaux chargés de la mise en œuvre, trois, puis quatre (Falkner et Treib, 2008), mondes de la mise en conformité
(« worlds of compliance ») avec les directives européennes : celui de l’observation de la loi (« law observance ») où les normes
européennes sont mises en œuvre de manière conforme du fait d’un consensus cognitif entre acteurs administratifs et politiques
(cas des pays scandinaves) ; celui des politiques domestiques (« domestic politics ») où l’application est plus limitée du fait de
divergences entre acteurs administratifs et politiques, moins systématiquement favorables à l’européanisation (on trouve
notamment dans ce type l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne) ; celui de la négligence (« neglegct ») où l’application des
directives ne se fait pas, le plus souvent du fait des fortes oppositions à l’intégration européenne aux niveaux administratifs et
politiques (cas dans lequel on trouve la France) ; enfin le monde des lettres mortes (« world of dead letters ») où les directives
sont transposées mais non appliquées du fait des limites du contrôle et de l’absence d’institutions adéquates (on y trouve les
nouveaux pays entrants issus de l’Europe centrale et orientale).
Dans les premiers travaux français sur la mise en œuvre, fortement inspirés par la sociologie des organisations, l’accent a plus
été mis sur le fait que le contenu même de la décision publique peut fortement contribuer à créer des distorsions du fait de sa
formulation et de ses fondements conceptuels.
Au niveau de la formulation de la décision le flou, les ambiguïtés, voire les contradictions constituent autant de zones
d’incertitude dont peuvent se saisir les acteurs chargés de la mise en œuvre. Le plus souvent les indéterminations de la décision
dans son contenu même laissent une marge d’autonomie qui conduit à de fortes différences dans la mise en œuvre. En effet,
tout dépend alors de l’interprétation de la décision que font les acteurs de terrain chargés de l’appliquer.
Padioleau, 1982.
L’autre aspect lié au contenu de la décision est la théorie causale qui la sous-tend. La distorsion avec la mise en œuvre
survient alors quand cette conception se révèle en décalage avec le terrain. Il en résulte le plus souvent une non-application de
la décision car celle-ci repose sur des postulats erronés.
Cet exemple montre aussi que les moyens existants peuvent être un autre facteur d’écart par rapport à la décision.
La mise en œuvre d’une ou de plusieurs décisions suppose l’existence de moyens qui permettent de la concrétiser. Ces moyens
peuvent être de nature différente : financiers, humains et techniques principalement. Ils sont une condition indispensable à la
mise en œuvre effective d’une politique publique. Au cœur de cette dimension se trouvent les moyens financiers, pas seulement
en tant que tels (des incitations financières peuvent intéresser des acteurs à la mise en œuvre d’un nouveau programme
d’action publique ; la mise en application de nouveaux droits tels que le droit au logement opposable voté en 2007 suppose des
moyens importants afin de remédier à l’insuffisance de logements disponibles…) que pour l’impact qu’ils ont sur les autres
moyens, en particulier les moyens humains tant en termes de compétences que de nombre. La mise en œuvre d’un nouveau
programme d’action publique suppose souvent d’accomplir de nouvelles tâches pour toute une série d’agents administratifs
chargés de la mise en œuvre, ce qui s’avère généralement problématique, comme l’illustrent les réformes de la justice en
France.
Aux problèmes posés par les moyens humains s’ajoutent ceux des moyens techniques, à deux niveaux : celui de leur existence
et celui de leur usage par les acteurs concernés. Ainsi le Dossier médical personnel – DMP –, devant permettre un meilleur suivi
des patients par le transfert d’informations entre professionnels de soins et mesure phare de la réforme de l’assurance-maladie,
votée en 2004, a seulement commencé à être mis en œuvre expérimentalement dans quelques régions fin 2010 alors que sa
généralisation était prévue pour début 2007. Cet important retard s’explique notamment par les difficultés techniques à
garantir la confidentialité et la sécurité des données médicales individuelles, les problèmes de compatibilité et d’interopérabilité
avec les logiciels utilisés par les professionnels de santé, assez réticents face à la saisie informatique des données de leurs
patients.
Un autre aspect à prendre en compte est l’existence de moyens de contrôle et de sanction dont l’absence peut aussi empêcher
l’application d’une politique publique, surtout quand les incitations font défaut.
Insuffisance des contrôles et des sanctions : la mise en œuvre très limitée de la « maîtrise médicalisée des dépenses
de santé »
Cette politique se concrétise en octobre 1993, dans le cadre de la convention médicale qui met en œuvre les principes de la loi Teulade de décembre
1992. L’outil le plus emblématique de cette nouvelle modalité de maîtrise est celui des références médicales opposables (RMO), correspondant à des
normes de pratiques à respecter pour des pathologies précises. La mise en œuvre de cet instrument, renforcé par les ordonnances de 1996 (découlant du
plan Juppé), a été limitée.
Sa faible effectivité est liée principalement aux limites des sanctions ; autrement dit, le caractère opposable est resté largement virtuel. Le contraste est,
en effet, assez saisissant entre le constat de l’importance du nombre de cas de non-respect des RMO et l’absence de sanctions : ainsi, selon une étude de
la Cour des comptes parue en 1998, entre 1994 et 1997, sur 21 000 médecins dont la pratique a été étudiée, plus de 10 d’entre eux ont dérogé au moins
une fois à une RMO, mais moins de 200 médecins ont été pénalisés. Cet outil de maîtrise a donc été progressivement abandonné du fait des « limites
inhérentes aux RMO (conception, fabrication, contrôlabilité) ; de l’inertie de la vie conventionnelle (difficultés à faire sanctionner le non-respect) ; du
désintérêt des médecins pour ce type de contrôle ; des tractations politiques officielles ou officieuses entre professionnels de santé, directions des caisses
d’assurance-maladie responsables des pouvoirs publics ; des conflits doctrinaires à propos des méthodes de la maîtrise des dépenses de santé ».
Le contexte plus général de la mise en œuvre peut aussi contribuer aux distorsions entre décision et mise en œuvre. Il s’agit
principalement du contexte politique et du contexte économique. Sur le plan politique, tout changement (en particulier
gouvernemental, mais aussi ministériel ou au niveau local) peut entraîner une modification des priorités. Le plus souvent on
assiste à des retards ou à une application plus limitée d’une décision prise par d’autres acteurs politiques, voire dans certains
cas à la non-mise en œuvre, comme on l’a vu dans le chapitre 1 avec l’exemple de la loi Thomas de 1996, instaurant des fonds
de pension, adoptée juste avant une alternance politique et qui n’a jamais été appliquée. Sur le plan économique, les
changements de conjoncture ont souvent pour effet de modifier les capacités financières de la mise en œuvre. Ainsi une
récession économique peut non seulement modifier les priorités en termes d’action publique, mais aussi limiter les moyens
financiers permettant la mise en œuvre de telle ou telle politique. Une période de croissance a les effets inverses. Il faut
également tenir compte des interactions entre différentes politiques publiques, du fait notamment de la transversalité
croissante de l’action publique.
L’importance des écarts avec la décision a conduit certains auteurs à promouvoir une autre perspective d’analyse de la mise
en œuvre des politiques publiques.
L’approche par le bas
L’élément central de la critique de l’approche par le haut, faite par un nombre croissant de chercheurs au tournant des années
1980 (Sabatier, 1986), est sa focalisation sur les acteurs centraux de la décision. En effet, la perspective présentée dans la
section précédente accorde un primat à la décision puisqu’il s’agit, non seulement, de comprendre les écarts entre décision et
mise en œuvre mais aussi, par là, de rendre la mise en œuvre plus conforme à la décision. L’approche top-down continuerait
donc à participer à cette polarisation sur la décision publique, caractéristique de l’approche séquentielle, et sur les acteurs de
celle-ci : acteurs politiques et sommets de l’administration en particulier. Il en découle la mise en avant d’une approche qualifiée
de « bottom-up » inversant la perspective analytique en partant des acteurs de la mise en œuvre, principalement les agents
administratifs de base et les ressortissants. Elle considère que ces acteurs, plus diversifiés et moins systématiquement
étatiques, sont les acteurs majeurs des politiques publiques du fait de leur rôle central dans leur concrétisation.
Dans cette perspective, l’attention s’est surtout portée vers les agents administratifs en contact direct avec le(s) public(s) cible
d’une politique publique. Michael Lipsky (1980), dans un travail de référence sur cette question, parle de « street-level
bureaucrats » pour désigner ces agents de base ou de terrain de l’administration5. Il ne les caractérise pas seulement par le
contact en face à face avec le public, mais aussi par le fait que leur action a des effets directs sur l’existence des individus
concernés par la politique publique. Il met en avant le pouvoir de ces fonctionnaires de base puisqu’ils prennent des décisions
qui ont un impact concret sur les ressortissants6 d’une politique publique. Il s’appuie sur l’un des résultats majeurs de la
sociologie de l’administration (dans le cadre de la sociologie des organisations), à savoir l’autonomie (relative) de l’acteur au
sein de l’organisation administrative. Elle conduit l’agent administratif de base à exercer un pouvoir discrétionnaire vis-à-vis des
usagers. Celui-ci porte notamment sur la nature, le montant et la qualité des prestations offertes par l’administration ainsi que
sur le recours éventuel à des sanctions. Les agents administratifs au guichet sont aussi en capacité de contrôler la durée d’une
procédure (l’accélérer ou, au contraire, la retarder) et la communication de l’information (diffusion large ou, au contraire,
rétention). Dans certains cas l’action de ces agents peut contribuer à redéfinir l’orientation même de l’action publique en en
modifiant les finalités. Pour toutes ces raisons, Lipsky les qualifie de véritables policy-makers, dans la mesure où c’est par leurs
actions et leurs pratiques qu’une politique publique existe effectivement, comme le montrent par exemple les politiques à
l’égard des étrangers.
Spire, 2005.
Dans d’autres cas, l’autonomie des acteurs chargés de la mise en œuvre d’une (ou de plusieurs) politique(s) publique(s)
conduit à une concrétisation qui va au-delà des prescriptions juridiques en répondant notamment à des demandes du public non
prévues par les textes, ce qui traduit une forte capacité d’adaptation des fonctionnaires aux individus concrets auxquels ils sont
confrontés.
Il ne faudrait cependant pas surestimer la capacité d’action autonome des agents chargés de la mise en œuvre des politiques
publiques. En effet, leur pouvoir discrétionnaire est encadré par des règles dont ils ne peuvent pas faire totalement abstraction.
De plus, comme le montre une enquête portant sur 500 fonctionnaires (Warin, 2002), l’attitude de certains petits fonctionnaires
consiste plutôt à veiller à une application stricte des règles afin de garantir un accès égal à leurs droits pour l’ensemble des
usagers des services publics, en vertu d’une norme d’équité7.
L’autonomie des agents administratifs chargés de la mise en œuvre est également limitée par leur environnement. La
pénétration de l’administration par son environnement, déjà mise en évidence par Selznick (1949) pour la TVA, conduit parfois à
l’existence de « passe-droits » traduisant le fait que la non-application de la règle est le cas le plus fréquent et son respect
l’exception.
Le rôle des interactions entre les agents administratifs chargés de la mise en œuvre et leur environnement conduit à prendre
en compte le comportement des publics cibles. L’impact des ressortissants est le plus net lorsque ceux-ci s’opposent à une
décision en empêchant sa mise en œuvre, ce qui, dans un certain nombre de cas, conduit à la remise en cause du contenu même
de la politique publique.
Hassenteufel, 2003.
Ce refus par le public cible (en tout cas par une partie de celui-ci) peut aussi se traduire par des comportements tels que la
fraude, comme on l’a vu précédemment dans le cas des transporteurs routiers. De manière plus générale, au niveau des
ressortissants des politiques publiques, le problème central qui se pose est celui de l’imprévisibilité de leur comportement. De
ce fait, l’attitude du public cible peut fortement modifier les effets concrets d’une politique publique, voire sa signification.
Garraud, 2000.
Cette perspective d’analyse valorise donc la mise en œuvre au détriment de la décision. De ce fait, elle propose de partir, non
pas de la décision, mais de la mise en œuvre ; plus précisément des interactions d’acteurs qui s’opèrent à ce niveau. Ainsi
l’approche par le bas s’affranchit bien plus nettement du modèle séquentiel en plaçant au centre de l’analyse les interactions
d’acteurs. Certains auteurs (notamment Hjern, 1982) remettent même en cause la distinction entre décision et mise en œuvre,
parce qu’elle conduit à négliger le fait que certains acteurs participent à la fois à ces deux séquences et surtout parce que les
agents administratifs de base et les ressortissants ignorent parfois totalement les acteurs centraux impliqués dans la décision et
négocient directement entre eux. Ils préconisent de partir des buts, des stratégies, des activités et surtout des interactions entre
les acteurs « du bas » qui conditionnent la concrétisation d’une politique publique. Bardach (1977) parle de « jeu de mise en
œuvre » (« implementation game »), signifiant par là que la mise en œuvre doit être analysée comme un jeu d’acteurs cherchant
à contrôler la mise en œuvre afin d’être en mesure de poursuivre leurs propres buts et objectifs. L’enjeu central est celui du
pouvoir exercé par les différents acteurs impliqués. La mise en œuvre reflète les rapports de pouvoir et les ressources détenues
par les différents acteurs. Hjern et Porter (1981) parlent quant à eux de « structures de mise en œuvre » (« implementation
structure ») correspondant à des configurations d’acteurs, reposant sur des négociations et des conflits, dont le fonctionnement
permet de comprendre la traduction effective d’un programme d’action publique. Il en résulte que l’approche par le bas
considère la concrétisation des politiques publiques comme un processus qui s’inscrit dans la durée, correspondant à des
négociations répétées entre des acteurs multiples. La prise en compte et la compréhension des dynamiques d’ajustements
mutuels, fondés sur des conflits, des négociations et des phénomènes d’apprentissage, devient de ce fait centrale. Par là,
l’approche par le bas peut aussi conduire à mettre au jour des dynamiques de changement reposant sur la redéfinition des
problèmes, les modifications des positions des acteurs, les transformations des façons de faire dans le cadre de ces interactions
multiples et suivies.
Ce renversement de perspective pose toutefois deux grands types de problèmes, fortement liés. Le premier est de réduire une
politique publique à sa concrétisation et ainsi d’occulter notamment la construction des problèmes publics, au risque aussi de
diluer la notion même de mise en œuvre qui se confond alors avec l’ensemble d’une politique publique. Le second est de sous-
estimer l’impact de la décision sur la mise en œuvre. En effet, même si la concrétisation des politiques publiques ne découle pas
directement des normes, règles et procédures définies dans le cadre du processus décisionnel, il n’en reste pas moins que
celles-ci encadrent la mise en œuvre en balisant le champ des possibles et les manières de faire pour les acteurs administratifs à
la base et les ressortissants. Il ne faut donc pas trop durcir cette opposition entre approche par le haut et approche par le bas,
qui sont probablement plus complémentaires qu’opposées, leur usage dépendant notamment du type de politique publique
(Lane, 1987) et de l’existence ou non d’un programme spécifique analysable isolément (Birkland, 2011), ce qui rend une
synthèse, mettant l’accent sur les interactions entre les acteurs en charge de la mise en œuvre dans un cadre construit par des
décisions, possible (Sabatier, 1986). D’autres auteurs (Goggin et alii, 1990) ont proposé une approche mettant en avant les
modes de communication entre les acteurs aux différents niveaux de la mise en œuvre (pour une présentation synthétique en
français on pourra se reporter à Kübler et de Maillard, 2008, p. 82-84).
Plutôt que de trancher en faveur de l’une ou l’autre de ces approches il apparaît plus heuristique de souligner les avancées
permises par ces débats sur l’analyse de la mise en œuvre. Tout d’abord, en incitant à analyser celle-ci dans la durée ils
conduisent à prendre en compte non seulement les outputs (en particulier la façon dont les acteurs s’approprient les
instruments) mais aussi les outcomes (les effets dans une perspective qui n’est pas seulement celle de l’économie des politiques
publiques, focalisée sur l’impact causal mesurable sur des populations cibles d’un dispositif, mais aussi celle d’une sociologie
politique de l’action publique en termes de transformations de rapports sociaux et de pouvoir).
Ensuite, les perspectives ouvertes par ces débats s’avèrent particulièrement pertinentes pour analyser une des évolutions
majeures à l’œuvre dans l’action publique contemporaine : la part croissante des politiques constitutives ou procédurales et des
politiques incitatives par rapport aux politiques substantielles (distributives, redistributives et productives) dont l’objectif
central est de structurer et d’organiser des interactions à travers le développement d’instruments contractuels notamment (cf.
chapitre 9), ce qui laisse une marge d’autonomie importante aux acteurs directement impliqués dans la mise en œuvre. Comme
le met en avant Vincent Dubois (2010) « on peut faire l’hypothèse que les politiques publiques contemporaines laissent dans de
nombreux cas une responsabilité croissante aux échelons subalternes pour apprécier les conditions et modalités de leur mise en
œuvre » (p. 274-275). Il en résulterait notamment un accroissement du pouvoir discrétionnaire des agents au guichet. Cette
évolution serait liée à trois facteurs principaux. Tout d’abord « l’intensification des changements institutionnels, de la
décentralisation à la réforme des échelons déconcentrés en passant par les réorganisations internes, brouille la répartition des
compétences et les relations hiérarchiques ce qui peut conduire des agents intermédiaires à pouvoir (ou devoir) prendre des
décisions dont on ne sait plus clairement à qui elles incombent » (p. 276). Ensuite, cette incertitude concerne aussi les objectifs
d’un certain nombre de politiques publiques : « le personnel “de terrain” est placé dans la situation de devoir arbitrer les
questions posées par les réformes sans qu’elles y apportent des réponses […]. Il s’agit en bref de traiter “techniquement” ce qui
n’a pas été tranché politiquement, et donc de “fabriquer”, mais sous forte contrainte, les politiques publiques » (p. 277). Enfin,
la valorisation de la proximité et la responsabilisation des agents administratifs renforce le rôle des relations de guichet.
Ces débats contribuent aussi à développer une analyse multiniveaux et transversale de l’action publique. L’analyse top-down
met l’accent sur l’articulation verticale entre les différents niveaux (international, européen, national, local…) à partir de
l’impact du niveau supérieur sur le niveau inférieur, tandis que l’approche bottom-up conduit plus à s’intéresser aux
interdépendances entre acteurs relevant de différents niveaux dans un territoire donné. Est ainsi posée la question de la
construction d’espaces d’action publique mêlant des acteurs aux logiques territoriales, aux intérêts, aux pratiques et aux
représentations différentes, ce qui permet d’appréhender la transversalité croissante de l’action publique contemporaine. Ces
deux évolutions majeures (articulation entre des niveaux multiples, transversalité) conduisent aussi à adopter un cadre
d’analyse basé sur les interactions d’acteurs. Ainsi ces débats ouvrent la voie à une nouvelle perspective d’analyse des
politiques publiques partant des interactions d’acteurs autour d’enjeux et d’instruments multiples et non plus des séquences.
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1 - . Ce terme est également utilisé en allemand. Il est en général traduit par « mise en œuvre » en français ; toutefois pour certains auteurs implementation renvoie
à « tout processus politico-administratif qui suit la prise de décision parlementaire », tandis que la mise en œuvre désigne « l’ensemble des processus qui, après la
phase de programmation, visent la réalisation concrète des objectifs d’une politique publique » (Knoepfel, Larrue et Varone, 2001, p. 214-215).
2 - . « Comment de grands objectifs formulés à Washington s’évanouissent à Oakland ; ou pourquoi il est étonnant que des programmes fédéraux aient le moindre
effet, il s’agit donc de l’histoire de l’administration chargée du développement économique, racontée par deux observateurs impartiaux qui cherchent à tirer des
leçons sur la base des espoirs déçus. » Le sous titre original est “How Great Expectations in Washington Are Dashed in Oakland ; Or, Why It’s Amazing that Federal
Programs Work at All, This Being a Saga of the Economic Development Administration as Told by Two Sympatetic Observers Who Seek to Build Morals on Foundation
of Ruined Hopes”.
3 - . Dans leur introduction Pressman et Wildavsky remarquent qu’ils n’ont trouvé aucune analyse approfondie de mise en œuvre d’un programme d’action
publique, à l’exception de l’ouvrage de Martha Derthick, New Towns in-Town, paru l’année précédente (1972) et rendant compte de l’échec du programme de
construction de nouveaux quartiers urbains, mélangeant Noirs et Blancs ainsi que riches et pauvres, décidé par l’administration Johnson en 1967.
4 - . Certains auteurs, tels Christopher Hood (1976) ou Sabatier et Mazmanian (1979), cherchent même à déterminer les conditions d’une mise en œuvre
parfaite : une ligne de commandement hiérarchique unique, la définition d’objectifs clairs, l’existence d’une théorie causale adéquate, une bonne communication
entre les unités administratives chargées de la mise en œuvre, des agents administratifs bien formés, des soutiens extérieurs, l’absence de pression temporelle et
de changement dans le contexte socioéconomique…
5 - . Par là Lipsky désigne en particulier les instituteurs, les travailleurs sociaux, les agents des services sociaux et de santé, les policiers… D’autres
chercheurs parlent de « petits fonctionnaires » (Warin, 2002) ou d’« administration au guichet » (Dubois, 1999).
6 - . « Le terme de “ressortissants” des politiques publiques désigne communément les individus, les groupes socioprofessionnels et les institutions à qui les
politiques sont destinées » (Warin, 1999, p. 103).
7 - . L’un des principaux résultats obtenus est le fait que « moins d’un agent sur trois reconnaît procéder sur le mode de l’arrangement avec les règles et,
encore, la plupart du temps de façon exceptionnelle. […] À l’inverse, près des deux tiers des agents reconnaissent ne jamais adapter les règles ou les
procédures ou bien rarement. […] Ce résultat est majeur parce qu’il indique, d’une part, que la pratique de l’arrangement est minoritaire et, d’autre part,
qu’en évitant d’utiliser ce registre les fonctionnaires ont pleinement le sentiment d’agir équitablement » (p. 81-84). Leur objectif principal est donc de
« parvenir à une application pleine et entière des règles et des procédures » (p. 88). Le problème central ne serait alors plus celui du pouvoir
discrétionnaire des fonctionnaires, mais celui de la mise en œuvre la plus complète possible des règles existantes : « À la différence de ce que suppose le
modèle de la discrétionnarité pensé il y a plus de vingt ans, le problème, tel qu’il apparaît aujourd’hui, n’est pas tant celui de la rigidité des systèmes
réglementaires mais plutôt celui de la difficulté à les appliquer le plus complètement possible » (p. 94). Ceci dans le but d’égaliser au maximum les
conditions d’accès aux services publics.
8 - . Autre exemple : en 2006 le premier bilan du contrat nouvelle embauche (auquel l’employeur peut mettre fin sans explication durant les deux
premières années) fait par la DARES et l’ACOSS soulignait que dans 90 % des cas le CNE remplace des embauches en CDD ou CDI.
Chapitre 5
Utiliser la notion d’acteur signifie que l’on part de l’hypothèse de l’autonomie relative de la capacité d’action d’un individu
effectuant des choix stratégiques dans un contexte donné qui ne le contraint jamais complètement. « Les acteurs sont insérés
dans de multiples contraintes qui visent souvent à circonscrire leurs comportements, mais dont ils parviennent toujours à
s’affranchir partiellement. Ils disposent donc d’une certaine autonomie » (Musselin, 2005, p. 64). Ce postulat, qui est celui de la
sociologie des organisations (Friedberg, 1994), signifie que nous nous démarquons à la fois de la notion d’agent (au cœur de la
sociologie des champs de Pierre Bourdieu) et de celle d’homo œconomicus. La capacité d’action stratégique est négligée dans le
cadre de la sociologie des champs, centrée sur les notions d’agent et d’habitus, qui met l’accent sur la reproduction des
comportements et des systèmes d’attitudes, en fonction de la position occupée dans un champ donné. Inversement, le postulat
utilitariste de la rationalité instrumentale permettant de faire des choix maximisant l’utilité de l’acteur ne paraît pas tenable, du
fait du caractère problématique de ses deux principales hypothèses sous-jacentes : celui de l’existence pour chaque individu
d’une fonction d’utilité lui permettant de hiérarchiser clairement ses préférences et celui de la disponibilité d’une information
claire et pertinente permettant un calcul optimal en termes de rapport coût/bénéfice.
L’analyse stratégique part plutôt du postulat de la rationalité limitée développée par Herbert Simon et présentée dans le
chapitre 3. Dans ce cadre, l’acteur est certes contraint par un contexte organisationnel mais en même temps il participe à sa
construction par le déploiement de son action stratégique. Toutefois, la sociologie des organisations tend à négliger les
déterminants extérieurs à une organisation des stratégies d’acteurs puisqu’elle met surtout l’accent sur les ressources et les
finalités organisationnelles. Nous élargissons la perspective en partant de la définition des acteurs proposée par Fritz Scharpf
(1997) : « les acteurs sont caractérisés par des capacités spécifiques, des perceptions spécifiques et des préférences
spécifiques » (p. 43). En mettant en avant des termes de portée plus générale nous distinguons trois grands types de
déterminants des stratégies des acteurs dans le cadre de l’action publique : les ressources (de nature diverse) dont ils disposent,
déterminant leur capacité d’action ; les systèmes de représentation auxquels ils adhèrent, correspondant à leur perception et
leur interprétation de la réalité sur laquelle ils veulent agir, qui orientent leurs stratégies ; et les intérêts poursuivis, qui
définissent leurs préférences et les finalités de leurs actions. Ces trois déterminants sont eux-mêmes à la fois composites et
entrelacés et ne relèvent pas des mêmes méthodes d’enquête empirique comme nous allons le détailler. Le terme « acteur »
permet aussi d’englober individus et groupes, l’acteur pouvant être soit individuel, soit collectif. Alors que la sociologie des
organisations privilégie les acteurs individuels, ce double sens est particulièrement important pour appréhender l’action
publique qui est produite à la fois par des acteurs individuels et par des acteurs collectifs (entités administratives, instances
gouvernementales, organisations politiques, groupes d’intérêts, communautés d’experts…).
Le premier élément à prendre en compte pour comprendre les stratégies d’acteurs est la variété des ressources d’action
publique sur lesquels ils peuvent s’appuyer pour agir (Knoepfel, Larrue et Varone, 2001, p. 70-96). Leur nature et leur
importance déterminent la capacité d’intervention d’un acteur sur des processus d’action publique (ainsi que la représentation
qu’il a de sa capacité d’action et donc de son pouvoir). Six catégories principales de ressources d’action publique peuvent être
distinguées.
Les ressources positionnelles. Cette catégorie de ressources repose sur la position occupée par un acteur. Elle renvoie
principalement à l’accès aux processus de production de l’action publique Ainsi, c’est en fonction de la position qu’ils
occupent que des acteurs administratifs et/ou politiques ont un accès direct (ou non) à la production de normes
juridiques (réglementaires ou législatives), qu’ils participent ou non à l’attribution ou à l’affectation d’un financement,
qu’ils sont (on non) partie prenante de la mise en œuvre d’un dispositif… La position occupée concerne aussi des acteurs
collectifs extérieurs à l’État, en particulier des groupes d’intérêts institutionnalisés et reconnus comme légitimes qui
peuvent être impliqués dans l’élaboration de textes conventionnels dans le cadre d’une négociation collective, être
associés à des processus décisionnels et/ou participer à la mise en œuvre. Les positions en dehors des institutions
publiques sont également à prendre en compte : ainsi occuper (ou avoir accès à) une position dominante dans l’espace
médiatique est une ressource souvent décisive pour peser sur la mise sur agenda ou occuper une position économique
importante est une ressource clef pour peser sur la décision.
Les ressources matérielles. Il s’agit là d’une catégorie de ressources essentiellement collective. Elle comprend les
moyens financiers (budget), aux moyens humains (personnel disponible) et aux moyens opérationnels (locaux, moyens
logistiques et informatiques, outils techniques…) dont peuvent disposer des acteurs publics ou privés.
Les ressources de savoir. Elles renvoient à la fois aux informations et aux connaissances dont dispose un acteur et à sa
capacité à les interpréter, à les traiter et à les intégrer à des stratégies d’action publique. Cette catégorie de ressources
peut être aussi bien détenue par un acteur collectif que par un acteur individuel.
Les ressources politiques. La possibilité de parler au nom de l’intérêt général et d’une légitimité démocratique est
surtout conférée aux acteurs politiques (élus et gouvernants) mais cette catégorie de ressources peut aussi être détenue
par un groupe d’intérêts du fait de sa représentativité et/ou de sa défense de valeurs socialement fortement partagées.
Elle englobe également les possibilités d’accès à des acteurs politiques pour des acteurs individuels ou collectifs.
Les ressources sociales. Elles concernent plus spécifiquement des acteurs individuels puisqu’elles désignent la
reconnaissance sociale dont fait l’objet un acteur et les réseaux relationnels sur lesquels il peut s’appuyer.
Les ressources temporelles. Elles renvoient, d’une part, au temps qu’un acteur (individuel) peut consacrer à une
politique publique, d’autre part, à sa durée dans un domaine d’action publique qui, par les dynamiques d’apprentissage
auxquelles elle est liée, accroît la maîtrise tant instrumentale que stratégique et conceptuelle d’un domaine de politique
publique par un acteur donné.
Ces différentes ressources sont partiellement interdépendantes, ainsi, par exemple, les ressources matérielles permettent
d’acquérir des ressources de savoir, ou, à un niveau individuel, les ressources temporelles (longévité) permettent d’acquérir des
ressources de savoir et des ressources sociales (voire des ressources politiques). L’interdépendance est aussi à prendre en
compte entre les ressources détenues par les différents acteurs afin de ne pas se cantonner à une vision substantialiste du
pouvoir : la détention de certaines ressources est moins déterminante en elle-même que parce qu’un acteur est le seul à les
détenir ou parce qu’un acteur ne peut agir sans le soutien d’un autre détenant des ressources qu’il ne possède pas. Les
ressources ont une forte dimension relationnelle ce qui renvoie à une vision interactionniste du pouvoir. Soulignons aussi que
ces ressources ont une valeur plus relative qu’absolue : il est nécessaire de comparer les ressources entre les acteurs afin de
comprendre leur capacité d’action, le fait d’avoir plus de ressources que les autres acteurs est un élément aussi important que
la nature et la quantité des ressources détenues. De plus, la détention des ressources en elles-mêmes n’est pas synonyme de
pouvoir : « si le pouvoir repose sur le contrôle des ressources, il n’y a pas de pouvoir sans la capacité d’utiliser les ressources
qui en sont la source et sans incitation à le faire » (Imbeau, Couture, 2010, p. 43). Et le pouvoir repose non seulement sur la
capacité de faire mais aussi de faire faire et d’empêcher de faire. Enfin, l’analyse des ressources doit intégrer la durée puisque
les ressources détenues et leur valeur relative varient (parfois fortement) dans le temps.
L’analyse des ressources sur lesquelles peut s’appuyer un acteur individuel nécessite d’effectuer un travail sociographique se
fondant sur des données permettant de retracer sa trajectoire sociale et professionnelle (notices biographiques, CV, page
personnelle sur la Toile, articles de presse, récits, entretien biographique…). Ce travail permet non seulement de retracer les
positions occupées mais aussi de comprendre l’acquisition de ressources d’expertise individuelles liées à la formation et à
l’accumulation de savoirs et d’expériences sur un enjeu donné, et de ressources sociales et politiques reposant sur la
structuration progressive de réseaux d’interconnaissances autour d’un individu donné.
Les ressources accumulées par un acteur déterminent sa capacité d’action publique et la représentation qu’il s’en fait ; elles
conditionnent donc fortement les stratégies qu’il envisage et qu’il estime possibles. Mais l’analyse des ressources n’est pas
suffisante pour comprendre l’orientation de l’action d’un acteur. De ce point de vue, la réponse de l’analyse stratégique dans le
cadre de la sociologie des organisations n’est pas pleinement satisfaisante puisqu’elle met principalement l’accent sur les enjeux
de pouvoir au sein d’une organisation. Autrement dit, les stratégies sont appréhendées principalement en termes de
préservation et d’accroissement des ressources (sans que celles-ci soient beaucoup spécifiées). Cette approche ne prend donc
que peu, ou pas, en compte la dimension cognitive.
En effet, cette dimension, qui a fait l’objet d’un nombre important de travaux et de réflexions dans le cadre de l’analyse des
politiques publiques, apporte un éclairage fondamental pour la compréhension de l’orientation des stratégies d’acteur. Toutefois
l’approche cognitive correspond à un corpus analytique moins homogène que l’analyse stratégique. Il est donc nécessaire de ‐
préalablement préciser le sens des notions utilisées avant d’identifier le contenu d’un système de représentation et, enfin, de
poser la question de son opérationnalisation empirique.
Aux États-Unis les approches cognitives, qui « ont pris une grande importance depuis le milieu des années 1980 », peuvent
être caractérisées comme « celles qui insistent sur le rôle des idées et de l’apprentissage » (Sabatier et Schlager, 2000, p. 209).
Toutefois, cette caractérisation est clairement récusée par l’un des principaux représentants français de cette approche, Pierre
Muller. Il considère que cette posture est à la fois risquée et en contradiction avec ce qu’il a pu observer. Le risque tient au fait
que parler d’idées présente le danger inévitable de l’enfermement dans le débat stérile sur l’opposition entre idées et intérêts.
De ses observations, il retient que les idées ne peuvent pas être considérées comme une variable isolable, distincte à la fois des
intérêts et des institutions, ce en quoi il se démarque clairement de Peter Hall (2000). Au contraire, il lui semble nécessaire
d’articuler étroitement idées, intérêts et institutions car « l’approche cognitive ne s’oppose pas à une approche fondée sur les
intérêts et les institutions, puisqu’elle considère que les intérêts mis en jeu dans les politiques publiques ne s’expriment qu’à
travers la production des cadres d’interprétation du monde » (Muller, 2000, p. 193). Comme le soulignait déjà Max Weber, il
paraît nécessaire d’articuler étroitement les idées et les intérêts (les idées participent à la construction des intérêts, les intérêts
contribuent à la cristallisation des idées) plutôt que de chercher à les isoler comme variables. La question est donc moins de
savoir quelle est la variable explicative la plus pertinente, mais comment se combinent les différentes variables, ici en
l’occurrence les ressources, les idées et les intérêts, pour comprendre les stratégies d’acteurs dans le cadre de l’action
publique. Les approches cognitives sont celles qui intègrent les idées parmi les différentes variables explicatives, en leur
donnant un poids plus ou moins important.
Toutefois, du fait de la diversité des approches cognitives, se pose la question de l’accord sur les termes et donc du
vocabulaire à utiliser pour désigner la dimension cognitive de l’action publique, sans recourir à la notion d’idée parce qu’elle
renvoie à l’opposition idées/intérêts que ces approches cherchent, dans l’ensemble, à dépasser. On peut distinguer quatre
notions principales renvoyant aux quatre principales approches cognitives des politiques publiques.
La première, chronologiquement, est celle de référentiel de politique publique développée en France par Bruno Jobert et
Pierre Muller (1987)1. Cette notion est utilisée par ces auteurs pour rendre compte d’un système de représentation commun à
l’ensemble des politiques publiques en France. Il s’agit d’une vision du monde partagée, en référence à laquelle les acteurs de
politiques publiques conçoivent les problèmes et élaborent des solutions. Inspirée par la conception gramscienne de l’idéologie,
la notion de référentiel est étroitement associée à la domination d’un ensemble de valeurs et de normes élaborées et portées par
des acteurs occupant une position clef dans les différentes politiques publiques sectorielles : les médiateurs. Ils construisent un
type de « rapport au monde » comportant une dimension identitaire forte puisqu’un référentiel « fonde la vision qu’un groupe se
donne de sa place et de son rôle dans la société. […] Le processus de construction d’un référentiel est à la fois une prise de
parole (production de sens) et une prise de pouvoir (structuration d’un champ de forces) » (Muller, 2003, p. 70). Pour Jobert et
Muller, il existe un référentiel global qui structure l’ensemble des politiques publiques à une période donnée2 et dans le cadre
duquel s’inscrivent des référentiels sectoriels. Ceux-ci définissent les frontières des secteurs de politique publique et constituent
les conceptions dominantes articulant le secteur au global. Tout référentiel a une double fonction : une fonction de décodage du
réel, liée au travail d’interprétation des phénomènes observés à partir de cadres cognitifs, et une fonction de recodage,
permettant de construire des modèles normatifs d’action concrète.
La deuxième notion est celle de système de croyances (belief system) développée par Paul Sabatier3. Elle s’inscrit dans une
conception plus pluraliste de l’action publique, puisque cette notion est étroitement articulée à celle de coalition de cause
(advocacy coalition) qui sera développée dans la deuxième section. Pour Sabatier, « la prise de décision en matière de politique
publique peut être comprise comme une compétition entre coalitions de cause, chacune étant constituée d’acteurs provenant
d’une multitude d’institutions (leaders de groupes d’intérêts, agences administratives officielles, législateurs, chercheurs et
journalistes) qui partagent un système de croyances lié à l’action publique et qui s’engagent dans un effort concerté afin de
traduire des éléments de leur système de croyance en une politique publique » (Sabatier et Schlager, 2000, p. 227). L’action
publique est le produit de conflits entre des systèmes de croyances défendus par des coalitions d’acteurs multiples. Il s’agit
donc d’une vision moins intégrée des politiques publiques sur le plan cognitif que celle que sous-tend la notion de référentiel.
Il en va de même pour la troisième notion, celle de cadre cognitif de politique publique (policy frame), proposée par Martin
Rein et Donald Schon (1991). Cette notion s’inscrit moins fortement que les deux précédentes dans une conception d’ensemble
de l’action publique. À travers elle il s’agit avant tout, pour ces auteurs, de désigner « une manière de sélectionner, d’organiser,
d’interpréter et de donner un sens à une réalité complexe, afin de fournir un point de référence pour savoir analyser, persuader
et agir » (p. 263).
La quatrième notion, celle de paradigme de politique publique (policy paradigm), proposée par Peter Hall (1993), se
rapproche de celle de référentiel. En effet, elle est inspirée par l’analyse que fait Thomas Kuhn des révolutions scientifiques
(1983) : un paradigme de politique publique correspond à un système de représentation dominant à une période donnée. Il
s’agit d’un cadre global d’interprétation du monde reconnu comme « vrai » par la grande majorité des acteurs des politiques
publiques. Peter Hall le définit plus précisément comme « un cadre d’idées et de standards qui spécifie, non seulement, les
objectifs de la politique et le type d’instrument qui peut être utilisé pour les obtenir, mais également la nature même des
problèmes qu’ils sont supposés affronter » (Hall, 1993, p. 279). Pour Pierre Muller, la différence entre les deux notions est
relativement faible puisque « ce qui distingue le paradigme du référentiel concerne les conditions de leur invalidation : alors
qu’un paradigme se verra invalidé, in fine, à travers l’épreuve de la vérification expérimentale, il n’en est évidemment pas de
même pour ce qui concerne l’invalidation d’un référentiel qui reposera sur une transformation des croyances des acteurs
concernés » (Muller, 2000, p. 194).
Ces notions, qui ont pour point commun de prendre en compte la dimension cognitive des politiques publiques, posent le
problème d’être articulées à des conceptions différentes de l’action publique : conception en termes de domination d’un univers
cognitif pour le référentiel et le paradigme ; conception en termes de concurrence et de conflit entre des systèmes cognitifs
pour les systèmes de croyances et, à moindre degré, pour les cadres cognitifs. Malgré leur proximité se pose donc un problème
d’utilisation de ces termes du fait de leur inscription dans des conceptions contrastées de l’action publique. Plutôt que d’opérer
un choix, qui reviendrait à adhérer à une vision spécifique des politiques publiques, il est possible de recourir à une notion plus
neutre : celle de système de représentation. La cohérence d’un système de représentation repose sur l’articulation entre trois
dimensions permettant de décoder et de recoder le réel :
des principes généraux qui définissent l’orientation d’ensemble d’une politique publique ;
une grille d’interprétation de la réalité (décodage) correspondant à un diagnostic sur lequel se fonde cette orientation ;
des raisonnements et des argumentaires qui légitiment l’orientation souhaitée de l’action publique. Les raisonnements et
les argumentaires relient aussi les principes généraux à des modes opératoires proposés. Ils sont donc au cœur de
l’activité de recodage du réel qui vise à déboucher sur des actions concrètes.
Ces trois composantes des systèmes de représentation se retrouvent dans les notions présentées ci-dessus. Le référentiel est
fondé sur des valeurs, autrement dit les « représentations les plus fondamentales sur ce qui est bien ou mal, désirable ou à
rejeter. Elles définissent un cadre global de l’action publique », et des normes qui « définissent des écarts entre le réel perçu et
le réel souhaité. Elles définissent des principes d’action plus que les valeurs » (Muller, 2003, p. 64). Les valeurs et les normes,
fortement articulées, participent à la construction des finalités de l’action publique sur la base d’un type de grille
d’interprétation du réel. Deux autres niveaux de perception du monde sont pris en compte : les algorithmes et les images. Les
premiers sont « des relations causales qui expriment une théorie de l’action », les seconds « des vecteurs implicites de valeurs,
de normes ou même d’algorithmes » (p. 64).
Paul Sabatier opère quant à lui une distinction entre un noyau dur (deep core) d’un système de croyances et un noyau
superficiel propre à une politique publique (near policy core). Le premier est « composé de croyances très générales
s’appliquant à la plupart des politiques publiques », le second comprend « des perceptions et des croyances normatives
cruciales s’appliquant à un secteur de politique publique » (Sabatier et Schlager, 2000, p. 227). S’il ne s’agit plus d’une
différence entre valeurs et normes mais entre des niveaux de portée des valeurs et des normes, Sabatier désigne par là aussi
des éléments cognitifs stabilisés qui orientent les propositions d’une coalition d’acteurs en matière de politique publique. Ainsi,
les valeurs et les normes pour le référentiel, le noyau dur et le noyau superficiel pour les systèmes de croyance, ainsi que le
paradigme de politique publique forment le soubassement cognitif des stratégies d’acteurs dans le cadre d’une (voire plusieurs
pour le référentiel global) politique publique.
La notion de système de représentation intègre donc les différentes dimensions des paradigmes, des référentiels et des
systèmes de croyances. Surtout, elle n’exclut ni une conception en termes de domination d’un système de représentation dans
un secteur de politique publique donné, voire pour l’ensemble des politiques publiques (comme c’est le cas pour le référentiel
global), ni une conception en termes de concurrence et de conflit entre des systèmes de représentation dans un domaine
d’action publique. En fonction des périodes, des pays et des enjeux de politique publique on peut identifier des niveaux de
systèmes de représentation (global et sectoriel par exemple) articulés, ou bien une diversité de systèmes de représentation en
concurrence. De plus, comme il ne s’agit pas d’une notion se rapportant spécifiquement à l’action publique, elle est
compréhensible au-delà des spécialistes du domaine, et évite de contribuer à la production, déjà assez proliférante, d’un jargon
propre aux chercheurs de politiques publiques. Enfin, elle intègre le « tournant argumentatif » (« argumentative turn ») dans
l’analyse des politiques publiques (Fischer et Forrester, 1993).
Ce « tournant » correspond à une double évolution : d’une part, l’intégration de la dimension argumentative dans l’analyse des
politiques publiques ; d’autre part, l’analyse des logiques argumentatives dans les politiques publiques. À la suite de
Giandomenico Majone (1989) en particulier, un certain nombre d’auteurs ont souligné que la production des politiques
publiques correspondait aussi à une production d’argumentaires visant à emporter la conviction du plus grand nombre d’acteurs
impliqués. Un tel déplacement d’objet correspond aussi à un déplacement de l’analyse vers celle des structures argumentatives
et des logiques discursives visant à légitimer et à faire accepter des représentations en matière d’action publique. C’est dans ce
cadre qu’a été développée la notion de récit de politique publique, tout d’abord par Emery Roe (1994). La fonction des récits est
de certifier et de stabiliser des hypothèses relatives à une décision publique, dans une situation d’incertitude et de conflit relatif.
Ils ont une forme logique (avec un début, un milieu et une fin) et sont découpés en séquences temporelles qui s’enchaînent de
manière causale. Les récits partent du présent pour décrire un ou plusieurs scénarios probables en fonction des décisions qui
pourraient être prises. Comme le souligne Claudio Radaelli (2000), le rôle de ces récits est aussi d’exclure des possibles, soit en
leur donnant la forme d’un scénario négatif (apocalyptique ou noir) mettant l’accent sur toutes les conséquences négatives
d’une décision à laquelle on s’oppose, soit en les passant sous silence en ne les faisant pas apparaître sous la forme de récits (ce
qui relève d’une logique de non-dit). Les récits ont donc pour fonction de favoriser et de légitimer une décision publique sur la
base de la confrontation d’hypothèses. Ils ont cinq composantes principales : une analyse du passé, une analyse du présent, une
tension dramatique prenant la forme d’un scénario négatif, un scénario positif et une conclusion (sous la forme d’un happy end
en quelque sorte) qui fonde et légitime une décision en matière de politique publique et qui a vocation à imposer une façon de
faire.
la stabilité politique et l’identité démocratique de l’Italie reposent sur des acteurs externes (États-Unis, CEE) ;
l’Italie est au cœur de la construction européenne ;
l’appartenance de l’Italie à l’Union européenne fait l’objet d’un fort consensus depuis le traité de Rome.
Séquence 2 : L’analyse du présent :
le système politique italien n’est pas en mesure de produire un ajustement macroéconomique permettant son
adaptation à la mondialisation ;
l’Union économique et monétaire est une étape fondamentale de l’intégration européenne.
Séquence 3 : Scénario négatif :
Si l’Italie ne fait pas partie de l’UEM il en découlera une crise politique et économique ainsi que la marginalisation de l’Italie au sein de l’Union
européenne.
Séquence 4 : Scénario positif :
Le respect des critères de Maastricht permettra d’assainir les finances publiques et de réformer l’État ; ainsi l’Italie restera au cœur de l’intégration
européenne.
Séquence 5 : Conclusion :
L’Italie doit à tout prix faire partie de la première vague de pays participant à l’UEM.
Radaelli, 2000.
Les récits de politique publique débouchent sur des propositions d’action prenant la forme de modes opératoires et de choix
de recours à tel ou tel instrument.
Si les différentes approches cognitives ont largement contribué à intégrer cette dimension dans la compréhension des
stratégies d’acteurs des politiques publiques, il n’en reste pas moins qu’elles présentent quelques lacunes méthodologiques.
L’analyse des systèmes de représentation se limite le plus souvent à celle des entretiens et de textes sans recours à des
méthodes systématiques, ce qui tend parfois à leur donner un caractère très intuitif. Il s’agit là indéniablement d’une limite de
cette approche qui aurait tout à gagner à s’appuyer sur une plus grande rigueur méthodologique. Sans prétendre donner ici
« la » méthode d’analyse pertinente de la dimension cognitive des politiques publiques, on peut toutefois mettre en avant quatre
grands défis méthodologiques pour ce type d’approche et esquisser des pistes de réponses à ceux-ci.
Le premier défi est celui de la constitution de corpus homogènes pour l’identification des systèmes de représentation. En
effet, les matériaux discursifs disponibles sont multiples (entretiens, rapports, discours et prises de position dans des enceintes
politiques ou administratives, interventions dans les médias, articles dans des revues et dans la presse spécialisée, ouvrages…),
mais d’importance et de valeur inégales. Il est notamment nécessaire de constituer des sous-corpus4, à la fois par type de
support pour tenir des effets liés au type de public auquel un acteur s’adresse, et par période pour tenir compte des effets de
contexte temporel et des dynamiques diachroniques.
Le deuxième défi est celui du recours aux méthodes d’analyse de discours. Ces méthodes, largement développées dans le
domaine de la linguistique et de la littérature, font l’objet de nombreux débats à propos de leur utilisation dans le domaine des
sciences sociales. En effet, l’analyse lexicographique en particulier présente le risque d’un isolement des matériaux textuels par
rapport aux locuteurs ainsi qu’aux contextes d’énonciation et de réception. En même temps, ces méthodes présentent l’intérêt
d’objectiver, sur une base quantitative notamment, des composantes des systèmes de représentation. C’est pour cela notamment
que Paul Sabatier a recours à des logiciels de codage des textes pour analyser le contenu des auditions des acteurs de politique
publique, ou qu’Emery Roe déconstruit le texte de ses entretiens en énoncés établissant des relations causales, sur la base d’un
codage informatisé. Un usage des outils informatisés d’analyse de discours est susceptible d’apporter une plus grande rigueur
méthodologique à l’analyse des matrices cognitives, à trois conditions toutefois.
La première est de ne pas se limiter à une simple analyse statistique des données textuelles, mais de prendre en compte de
manière plus large des systèmes de significations en articulant énoncés, énonciation et réception. Dans cette perspective, on
peut tout particulièrement mentionner le logiciel Prospéro (Chateauraynaud, 2003) qui opère « un déplacement du centre de
gravité de l’analyse automatique des textes » en « se plaçant aux points de jonction des textes et de leurs interprétations »
(p. 17). De ce fait « il ne s’agit plus d’étudier des mots ou des discours pris pour eux-mêmes, mais des processus historiques, des
controverses, des affaires, des crises, des polémiques » (p. 17-18). L’analyse proposée dans ce cadre, d’une part, cherche à
« élucider la relation entre énoncé et énonciation » (p. 82), d’autre part considère les textes comme « des espaces de variations
continues », comme des « dispositifs d’expression » (p. 82), comprenant quatre modalités dominantes. Un texte est tout d’abord
un « espace de représentation » déployant un « univers d’êtres et de relations » (p. 82). C’est aussi un récit racontant une
histoire et une argumentation reposant sur des formes discursives spécifiques. Enfin, c’est un dialogue car « tout texte instaure
une relation dialogique », ce qui permet de « redonner toute leur importance à l’énonciateur ainsi qu’au lecteur ou à l’auditeur »
(p. 83). Cette approche, qui est celle « d’une sociologie pragmatique des dossiers complexes liant l’analyse des récits et des
arguments à celle des transformations à l’œuvre dans les controverses, des affaires ou des crises » (p. 22), ouvre des
perspectives heuristiques à l’analyse de la dimension cognitive des politiques publiques parce qu’elle prend en compte les
différents modes d’existence publics des textes et des discours. De plus, il s’agit d’un outil fondé sur la constitution rigoureuse
de corpus, pouvant être analysés et confrontés collectivement.
La deuxième condition au recours aux méthodes d’analyse des discours est de prendre en compte les stratégies discursives et
argumentatives, en se posant notamment la question de ce qui donne de la légitimité et du poids à tel ou tel discours dans le
cadre des politiques publiques. En particulier, les données chiffrées et la mise en avant de cas « exemplaires » (des success
stories en quelque sorte) sont à prendre en compte.
La troisième condition est de ne pas isoler l’analyse des discours des aspects plus directement sociologiques, à savoir la
production et la réception de ces discours par des acteurs sociaux, ce qui renvoie aux deux autres défis de l’analyse cognitive
des politiques publiques.
Le troisième défi méthodologique est, en effet, celui de l’analyse des lieux de production et de diffusion des matrices
cognitives, parfois désignés par l’expression « forums de politique publique ». On peut les définir comme les lieux de
construction intellectuelle de l’action publique, où s’élaborent des diagnostics sur la base desquels sont proposés des
orientations, des principes et des instruments d’action publique. Ces forums peuvent aussi être des espaces de débat et de
controverse. Ils sont de différente nature : scientifiques (universités, laboratoires de recherche, colloques, séminaires…),
administratifs (commissions officielles, structures de concertations, missions, rapports…), privés (think-tanks, cabinets de
conseil, agences privées…) ou encore internationaux (institutions internationales en particulier). Ce sont des espaces où les
experts sont particulièrement présents. Le repérage de ces lieux suppose de s’appuyer sur des entretiens permettant de
comprendre les processus de diffusion des systèmes de représentation. Ils peuvent également être analysés à partir de
matériaux discursifs, en portant notamment une attention aux références utilisées, aux citations, aux emprunts, etc.
L’observation directe ou participante facilite la compréhension du fonctionnement des forums, dont les traces textuelles sont,
par ailleurs, le plus souvent nombreuses. Reste à comprendre comment ces représentations sont reçues.
C’est là le quatrième, et dernier, défi : celui de l’analyse de leur appropriation par les acteurs, ce qui suppose de recueillir des
matériaux biographiques permettant de retracer des trajectoires intellectuelles à partir de la formation (universitaire
notamment) des acteurs et des interactions (rencontres et contacts jouant un rôle intellectuel structurant). Toutefois ce type
d’analyse en termes de socialisation n’est pas suffisant : il faut y ajouter les gains ou les bénéfices que retirent les acteurs de
leurs croyances. Ils ont, le plus souvent, de « bonnes raisons », correspondant à une rationalité subjective (Boudon, 1990),
d’adhérer à un système de représentation.
Comment expliquer la domination du paradigme psychanalytique en matière de soins aux toxicomanes en France, de
la fin des années 1970 au milieu des années 1990 ?
C’est à cette question que s’efforce de répondre Henri Bergeron (1999), dans un travail qui combine l’approche cognitiviste d’analyse des croyances
collectives inspirée par Raymond Boudon et l’approche organisationnelle de l’action collective inspirée par Michel Crozier et Erhard Friedberg. Les
raisons qu’il avance sont multiples.
Il met tout d’abord en avant la domination de la psychanalyse sur le marché des savoirs psychologiques dans les années 1970 et la légitimité scientifique
dont elle bénéficie. Il parle à cet égard d’un processus de centralisation et de monopolisation de cette expertise qui a conduit à ce que l’approche -
d’inspiration psychanalytique devienne la doctrine thérapeutique légitime. Elle poursuit l’objectif d’abstinence, qui est alors un « idéal sociétal normatif
très prégnant » (p. 323). Dans ce contexte, et du fait de la mise en place d’un dispositif centralisé par l’État, cette expertise a exercé un véritable
monopole pendant une quinzaine d’années. L’autonomisation progressive d’un couple d’acteurs, le bureau Toxicomanie de la Direction générale de la santé
et les intervenants de terrain, a marginalisé les acteurs susceptibles de contester cette domination cognitive (notamment les collectivités territoriales qui
dans d’autres pays européens ont joué un rôle important en faveur de politiques palliatives de réduction des risques reposant notamment sur le recours à
la méthadone).
Henri Bergeron montre ensuite que le recours à une grille de lecture psychanalytique permet de combiner une éthique libertaire et un savoir clinique.
Ce système de représentation est source de nombreux gains individuels pour les acteurs impliqués : il fournit une explication aux comportements
erratiques des patients, il permet de prendre du recul par rapport à une population déstabilisante et participe d’une professionnalisation des soignants.
Ces raisons permettent de comprendre pourquoi la plupart des acteurs impliqués dans cette politique publique ont adhéré aux propositions du paradigme
psychanalytique, qui s’est peu à peu transformé en conviction pour une grande majorité d’entre eux.
Il souligne aussi la combinaison d’effets de position (la réduction progressive du type de population touchée par le dispositif de soins français et la faible
présence dans celui-ci du type de public sur lequel s’est fondée l’argumentation en faveur du recours à la méthadone dans d’autres pays européens) et de
disposition (l’enracinement des croyances est facilité par un environnement captif) qui contribue à entretenir la domination de ce système de
représentation et à ne pas la remettre en cause, tout au moins jusqu’au début des années 1990.
Ces éléments cognitifs se mêlent à des logiques d’intérêts puisque la redéfinition de l’action publique vers la réduction des risques risquait non
seulement de modifier la répartition des allocations financières, mais aussi de remettre en cause « la structure des relations de pouvoir qui s’étaient
stabilisées pendant longtemps à l’intérieur des structures spécialisées » (p. 316).
Il est donc nécessaire d’articuler ressources, idées et intérêts pour comprendre l’orientation des stratégies d’acteurs.
Prendre en compte la dimension cognitive permet donc de mieux comprendre l’orientation des stratégies d’acteurs et
également les intérêts qu’ils poursuivent. Cette dimension n’est pas opposée à la dimension cognitive comme on l’a déjà
souligné. Au contraire, elles sont étroitement imbriquées et articulées. Même si elles ont été ici analytiquement dissociées, elles
sont à associer pour comprendre l’orientation des stratégies d’acteurs puisque idées et intérêts s’alimentent et s’influencent
réciproquement : si, dans certains cas, les éléments cognitifs sont instrumentalisés pour légitimer des intérêts (et donc ne
précèdent pas forcément l’action), les représentations participent aussi à la définition des intérêts.
La notion d’intérêt est souvent ramenée à celle d’intérêt matériel dans la perspective utilitariste de l’approche en termes de
choix rationnel et d’homo œconomicus. Certes, les intérêts matériels (correspondant à des biens économiques quantifiables
monétairement) jouent un rôle souvent important, mais ils sont loin d’être les seuls. Deux autres catégories d’intérêts sont à
prendre en considération pour comprendre l’intervention d’acteurs dans l’action publique. Il s’agit tout d’abord des intérêts de
pouvoir liés à une position occupée (politique, administrative, institutionnelle, dans une organisation, dans un parti, dans un
groupe d’intérêts…). La prise en compte des intérêts positionnels de pouvoir est tout à fait essentielle dans le cadre d’une
sociologie politique de l’action publique, puisque la perspective de gains en termes de pouvoir ou la crainte de perte de pouvoir
orientent aussi les stratégies d’acteurs. La prise en compte de la sociologie des élites conduit à analyser les politiques publiques
en termes de lutte pour l’autorité légitime (Genieys, Smyrl, 2008). Le pouvoir, lié à la détention et à l’usage de ressources
comme on l’a vu, n’est pas seulement un élément clef de compréhension de la capacité d’action des acteurs, c’est aussi un enjeu
central poursuivi par les acteurs.
Enfin, il est nécessaire de tenir compte des intérêts liés à l’identité des acteurs. Comme l’a mis en évidence Alessandro
Pizzorno (1990) à propos de l’action collective, une approche en termes d’intérêts et une approche en termes d’identité ne sont
pas incompatibles si l’on part du postulat que, dans et par l’action, les individus cherchent aussi à (ré)affirmer une identité, en
particulier dans un contexte d’incertitude des valeurs ou de remise en cause d’identités : « la situation d’action collective
permet la fondation, ou la refondation, de l’identité qui […] conduira [un individu] à donner sens à ses choix et à ses calculs »
(p. 80). Il faut donc tenir compte de ce que Pizzorno appelle les « incitations normatives » qui « agissent sur le besoin de
satisfaire des attentes que l’individu perçoit comme relevant de sa propre action ; ce sont des attentes pour que l’action se
conforme à certaines normes morales » (p. 78). Les stratégies d’acteurs sont également orientées par ces incitations qui mettent
en jeu l’identité d’un individu. Le fait d’agir en adéquation avec des valeurs auxquelles l’on croit peut représenter une
motivation forte à intervenir sur un enjeu de politique publique. L’intérêt poursuivi relève alors de l’ordre du symbolique en
articulant représentations et actions.
Ainsi, la prise en compte simultanée des ressources, des représentations et des intérêts offre une grille d’analyse
compréhensive de l’orientation des stratégies d’acteurs dans le cadre des politiques publiques. Mais elle ne suffit pas à rendre
compte sociologiquement de l’action publique : d’une part, parce que reste en suspens la question du repérage des acteurs ainsi
que celle de l’analyse des acteurs collectifs, d’autre part parce que ces stratégies d’acteurs se déploient en interaction dans des
contextes aux dimensions multiples.
Repérage des acteurs et analyse des acteurs collectifs
Pour le repérage des acteurs deux méthodes peuvent être combinées : la méthode positionnelle et la méthode réputationnelle.
La première, renvoyant aux travaux de Charles Wright Mills sur l’élite du pouvoir (1956), part de la question : qui occupe des
positions significatives en termes d’action publique dans les institutions politiques, administratives, sociales et économiques
(Mills se focalisant sur les positions clefs occupées au niveau du pouvoir exécutif, du pouvoir économique et du pouvoir
militaire) ? La seconde a été élaborée par Floyd Hunter dans son étude sur la structure du pouvoir à « Regional City » (Atlanta)
(1953). Son objectif était de vérifier empiriquement le pouvoir d’influence de l’élite économique sur la vie politique. Dans un
premier temps, il a constitué un échantillon de dirigeants considérés a priori comme les plus importants du fait de la position
occupée dans des organisations locales et leur a demandé (dans le cadre d’entretiens directifs) de dresser une liste de ceux qui,
selon eux, gouvernent. Puis, dans un deuxième temps, Hunter a constitué un groupe de contrôle d’experts « représentatifs » des
courants religieux, économiques et sociaux de la vie locale pour constituer une liste de personnalités influentes ensuite
comparée à la première afin de repérer les recoupements. Cette démarche peut être utilisée utilement pour repérer les acteurs
d’une politique publique à condition d’effectuer un nombre significatif d’entretiens et d’éviter certains biais (notamment en ne
faisant des entretiens qu’avec des acteurs d’un même réseau ou d’une même coalition). Toutefois le risque est grand de ne pas
tenir compte d’acteurs qui, sans avoir participé directement, ont pu avoir un rôle indirect. Des entretiens avec des personnes
ressources ayant une vision d’ensemble d’une politique publique sont de ce fait très utiles. Quoique non exemptes de biais, ces
deux méthodes sont donc assez efficaces pour identifier les acteurs de la décision et de la mise en œuvre. Le repérage est plus
problématique pour les acteurs de la construction des problèmes pour lesquels l’entrée par les positions est moins pertinente. Il
faut alors notamment prendre en compte des arènes médiatiques qui permettent d’identifier des acteurs qui ne participent pas à
la décision ou à la mise en œuvre mais qui contribuent, directement ou indirectement, à mettre sur agenda public un problème :
les journalistes et des individus (experts, intellectuels, acteurs politiques…) s’exprimant dans les médias. Ils correspondent à
des acteurs intermittents de l’action publique. Enfin, il est également nécessaire d’avoir une démarche contrefactuelle afin de
repérer des acteurs potentiels, mais qui ne participent pas effectivement à une politique publique donnée. Le repérage suppose
alors un travail d’identification des enjeux d’une politique publique, ce qui permet ensuite de repérer les acteurs qui se
positionnent et qui sont concernés par ces enjeux, même s’ils ne participent pas directement aux processus décisionnels et/ou à
la concrétisation des politiques publiques. Le recours à la comparaison permet aussi de repérer des acteurs absents dans
certains cas et présents dans d’autres. La présence et/ou l’absence de tel ou tel acteur pour la prise en charge d’un même enjeu
de politique publique est en soi une question de recherche. Le travail de repérage doit donc aussi permettre d’identifier les
acteurs intermittents et les acteurs « en creux ».
Un autre enjeu méthodologique à prendre en compte est celui de l’analyse des acteurs collectifs pour laquelle se posent deux
questions : celle de la caractérisation de ces acteurs et celle de l’articulation entre individus et collectifs pour les trois
dimensions analytiques distinguées précédemment (ressources, représentations, intérêts). Concernant leur caractérisation il est
là aussi possible de partir de Fritz Scharpf (1997, p. 54-58). Il utilise la catégorie d’acteur composite (composite actor)
comprenant, d’une part, les acteurs collectifs (collective actors) et les acteurs organisés (corporate actors). La différence
principale entre les premiers et les seconds tient à l’existence d’une organisation permanente et autonome par rapport aux
préférences de ses membres. Scharpf distingue aussi quatre types d’acteurs collectifs avec, d’un côté, ceux qui ont des
préférences collectives (les associations et les mouvements) et ceux qui ne poursuivent que les préférences individuelles de
leurs membres (les clubs et les coalitions). En reprenant les principaux critères de Scharpf (mais pas sa terminologie et sa
typologie) nous parlerons ici d’acteurs collectifs pour désigner des acteurs organisés (de manière plus ou moins fortement
formalisée) de façon à permettre d’agréger des ressources et/ou partageant un système de représentations et/ou poursuivant
des intérêts ayant une dimension collective. Par rapport à Scharpf, nous excluons donc les coalitions qui renvoient plutôt, dans
l’analyse des politiques publiques, à des formes de coordination entre des acteurs collectifs comme c’est le cas pour les
coalitions de cause et nous intégrons dans cette catégorie les acteurs organisés (correspondant au mode d’organisation le plus
fortement structuré et autonomisé). Il nous paraît surtout plus important de mettre en avant l’élaboration d’une typologie que
les enjeux et les implications de la prise en compte des acteurs collectif ainsi caractérisés.
L’articulation entre individus et collectifs pose le moins de difficultés pour les ressources puisque, comme nous l’avons vu, en
fonction des catégories de ressources, les unes sont plutôt collectives (ressources matérielles en particulier), les autres plutôt
individuelles (ressources de savoir, ressources politiques, ressources sociales et ressources temporelles). Par ailleurs, certaines
ressources collectives ne sont pas sans liens avec des ressources individuelles puisqu’elles résultent de l’agrégation des
ressources détenues par les individus qui composent un acteur collectif.
Plus problématique est l’articulation individuel/collectif au niveau des systèmes de représentation puisque se pose la question
de leur cohérence. Cette cohérence peut déjà être limitée au niveau individuel, puisque « dès lors qu’un acteur a été placé,
simultanément ou successivement, au sein d’une pluralité de mondes sociaux non homogènes et parfois même contradictoires,
ou au sein d’univers sociaux relativement cohérents mais présentant, sur certains aspects, des contradictions, alors on a affaire
à un acteur au stock de schèmesd’actions et d’habitudes non homogènes, non unifiés et aux pratiques conséquemment
hétérogènes (et même contradictoires), variant selon le contexte social dans lequel il sera amené à évoluer » (Lahire, 1998,
p. 35). La probabilité d’ambiguïtés, d’incohérences et de contradictions est encore plus forte au niveau collectif du fait des
dissonances inhérentes à la circulation des représentations. « Parce qu’elle ne s’apparente jamais à une transmission matérielle,
la transmission des idées est soumise à des phénomènes d’altérations et d’appropriations singulières » (Desage et Godard, 2005,
p. 647). Ainsi, la prise en compte de la dimension cognitive ne doit pas partir du postulat de la cohérence a priori d’un système
de représentation partagé mais, au contraire, prendre en compte ses multiples traductions, parfois divergentes ou
contradictoires, au sein d’un acteur collectif.
L’articulation individuel/collectif est encore plus problématique au niveau des intérêts poursuivis, du fait des différences entre
intérêts individuels et intérêts collectifs. Ceux-ci font l’objet d’un travail de construction, puisque ce sont en grande partie eux
qui font exister des acteurs collectifs, ce qui renvoie au fait que les acteurs collectifs, contrairement aux individus, ne sont pas
des donnés. Ils font l’objet d’une perpétuelle dynamique de construction/destruction. Se pose donc, en particulier, la question
des éléments qui font exister un acteur collectif et celle du degré de structuration, d’intégration et donc de cohérence de cet
acteur collectif. C’est en prenant en charge ces questionnements, tout en intégrant les ressources collectives et les systèmes de
représentation (plus ou moins) partagés, qu’il est possible de comprendre l’orientation des stratégies collectives. Elles sont en
effet fortement déterminées, non seulement par le type (et le nombre) de ressources, d’intérêts et de représentations qui
constituent un acteur collectif, mais aussi par le degré de cohésion de cet acteur et des éventuels clivages et conflits qui le
traversent. Par conséquent, il faut s’intéresser à la fois au processus de construction d’intérêts collectifs et de stratégies
collectives ainsi qu’au mode d’organisation collective, donc aux interactions interindividuelles au sein des collectifs structurés
ou en voie de structuration. En termes de méthode, cela signifie qu’il n’est pas forcément opportun de se limiter aux entretiens
et à l’analyse des productions discursives car l’observation directe (et/ou participante) permet aussi de comprendre la
dynamique de structuration/déstructuration des acteurs collectifs de l’action publique, en prenant en compte les interactions
interindividuelles. Analyser la construction collective de l’action publique, ce n’est donc pas seulement analyser l’orientation des
stratégies d’acteurs, mais aussi leurs interactions, au niveau individuel et au niveau collectif, et comment s’articulent les
interactions entre ces deux niveaux.
Les interactions interindividuelles ont été analysées dans des traditions sociologiques fort différentes. La plus importante (et
la plus utilisée dans des analyses de politiques politiques) est l’approche en termes de choix rationnel qui analyse les
interactions à partir de la théorie de jeux. Elle met en avant, en s’appuyant sur le dilemme du prisonnier, le caractère sous-
optimal des interactions (jeu à somme négative) du fait de choix de stratégies non coopératives en situation d’interdépendance.
Des jeux à somme nulle peuvent aussi résulter de marchandages. Ce cadre analytique a beaucoup de mal à rendre compte
d’autres formes d’interactions (débouchant notamment sur des jeux à somme positive) qui nécessitent de prendre en
considération des éléments qui lui sont extérieurs : des dynamiques d’institutionnalisation, de socialisation, de construction de
sens partagé, d’apprentissage ou des formes d’échange reposant sur des biens autres que matériels (tels que l’échange politique
entre l’État et les groupes d’intérêts que nous présenterons dans le chapitre 7). La prise en compte de la rationalité limitée des
acteurs ainsi que du caractère fluctuant (voire aléatoire) de leurs stratégies, des ambiguïtés (voire des incohérences) de leurs
représentations, de la diversité (voire de la contradiction) et de la labilité des intérêts qu’ils poursuivent conduit aussi à limiter
la portée de la théorie des jeux, fondée sur le postulat de l’acteur rationnel, pour analyser les interactions entre acteurs
individuels.
L’interactionnime symbolique, qui cherche dans une perspective toute autre et dans une démarche méthodologique de type
ethnographique, à rendre compte des dimensions symboliques des interactions interindividuelles n’est guère utilisé dans le
cadre des analyses des politiques publiques, notamment parce que cette approche s’intéresse peu à ce que produisent ces
interactions en termes d’action. Toutefois, il s’agit là d’une perspective permettant de comprendre des interactions entre
individus dans le cadre d’une politique publique quand celle-ci fait l’objet d’une observation directe ou participante5.
La notion de configuration, développée par Norbert Elias et désignant le tissu des interdépendances entre individus6, est elle
aussi assez rarement utilisée pour analyser l’action publique. Précisons qu’Elias rejette la notion d’interaction car selon lui elle
est trop liée aux théories de l’action et à une conception de l’individu autonome (1985, p. 151). De ce fait, par rapport au cadre
d’analyse développé dans ce chapitre, la notion de configuration donne peu de place à l’autonomie stratégique des acteurs, aux
rapports de pouvoir et aux inégalités de ressources. Surtout, et c’est là la limite principale de ces trois cadres d’analyse (choix
rationnels, interactionnisme symbolique, configuration), ils portent plus sur les interactions entre acteurs individuels que sur les
interactions entre acteurs collectifs qui jouent pourtant un rôle plus déterminant dans l’action publique. C’est pourquoi nous
allons présenter maintenant de manière plus détaillée deux notions centrées sur les interactions entre acteurs collectifs et plus
spécifiques à l’analyse des politiques publiques : les réseaux d’action publique et les coalitions de cause.
Nous allons analyser les apports et les limites de ces deux notions, en nous demandant notamment quels éléments de
compréhension et d’explication des interactions elles proposent et comment elles intègrent aussi les acteurs individuels. Nous
commençons par les réseaux d’action publique, développés plus précocement, et par rapport auxquels se positionne l’approche
en termes de coalitions de cause.
La notion de réseau d’action publique (policy network)7 est fondée sur l’idée que les politiques publiques ne sont pas
seulement produites par l’État mais par un ensemble plus large d’acteurs (publics et privés) en interaction. Comme l’écrit
Patrick Le Galès (dans Le Galès et Thatcher, 1995) « les réseaux [d’action publique] sont le résultat de la coopération plus ou
moins stable, non hiérarchique, entre des organisations qui se connaissent et se reconnaissent, négocient, échangent des
ressources et peuvent partager des normes et des intérêts. Ces réseaux jouent un rôle déterminant dans la mise sur agenda, la
décision et la mise en place de l’action publique » (p. 14). Cette définition générale met l’accent sur le caractère horizontal des
réseaux d’action publique, sur la coopération entre des acteurs qui n’ont pas forcément des valeurs et des intérêts convergents
et sur les organisations. En effet, à la différence des réseaux sociaux, qui ne concernent que des individus, les réseaux d’action
publique sont fondés sur des acteurs collectifs organisés, formés d’individus. On peut ajouter à cette définition que, si les
acteurs en interaction construisent le réseau, celui-ci a des effets en retour sur ces acteurs : « Les réseaux [d’action publique]
impliquent l’institutionnalisation de croyances, de valeurs, de cultures et de formes particulières de comportement. Ce sont des
organisations qui façonnent des attitudes et des comportements » (Marsh et Smith, 2000, p. 6). En effet, les réseaux d’action
publique sont des institutions, au sens néo-institutionnaliste (cf. section suivante), qui prescrivent des rôles, créent des routines,
répartissent des ressources, autrement dit qui structurent les stratégies d’acteurs.
Le succès et la diffusion de cette notion ne sont pas propres à l’analyse des politiques publiques. Comme le souligne Tanja
Börzel (1998), on parle de réseaux non seulement dans plusieurs sciences sociales (en économie et en sociologie
principalement), mais aussi en microbiologie (les cellules sont considérées comme des réseaux d’information), en écologie (avec
la conceptualisation de l’environnement en termes de systèmes de réseaux) et en informatique (avec le développement des
réseaux de neurones). Tout se passe comme si les réseaux étaient un outil adapté à l’analyse de la complexité croissante du réel
(tout au moins de sa perception comme tel). De manière plus spécifique, dans le domaine de l’analyse des politiques publiques,
on parle de réseaux d’action publique depuis les années 1980, ce qui renvoie à un phénomène structurel de transformation des
politiques publiques caractérisé par la multiplication des acteurs et des niveaux de l’action publique, ainsi que par
l’interpénétration croissante du privé et du public. Autrement dit, les réseaux d’action publique cherchent à rendre compte de la
construction des politiques publiques dans un contexte de perte de capacité d’action autonome de l’État, confronté à des
demandes démultipliées et souvent contradictoires, du fait de la montée en puissance des acteurs locaux, transnationaux et
privés.
La conception qui sous-tend la notion de réseau d’action publique est d’origine américaine (Jordan, 1990). Dès les années
1950 apparaît l’idée de l’existence de gouvernements intermédiaires (subgovernements) chez des auteurs comme Freeman. Il
désigne par là le rôle décisif joué par les contacts réguliers entre un nombre relativement limité d’acteurs publics et privés
(issus de groupes d’intérêts) dans la décision publique qui, de ce fait, doit être désagrégée en sous-systèmes d’interactions.
L’importance de ce type de structuration a été, par la suite, soulignée à travers l’expression « triangles de fer » (« iron
triangles »), forgée par Lowi (1969), pour souligner le caractère fermé des relations d’interdépendance entre trois types
d’acteurs, pour chaque politique sectorielle : une agence gouvernementale, la commission compétente du Congrès et le groupe
d’intérêts dominant. Dans les années 1970, Heclo et Wildawsky insistent sur l’importance des liens entre un nombre restreint
d’individus partageant des valeurs pour comprendre la production de l’action publique. Ces systèmes d’interactions
personnalisées sont qualifiés de « communauté de politique publique » (« policy community »). Leurs travaux ont eu une
influence décisive sur des recherches ultérieures, menées cette fois-ci par des auteurs britanniques, à partir de la fin des années
1970, qui ont alors recours directement à l’expression « réseau d’action publique » (« policy network »). Rhodes, notamment,
met en avant l’existence de réseaux sectoriels, liés non seulement à des relations interpersonnelles mais aussi, et surtout,
structurelles d’interdépendance entre des institutions pour comprendre les politiques publiques. La notion de réseau connaît un
nouvel essor dans les années 1990, avec des recherches et des réflexions menées en Allemagne en particulier. Dans ce cadre les
réseaux d’action publique sont considérés comme un mode de gouvernance particulier, différent à la fois de la hiérarchie et du
marché (Börzel, 1998). Les réseaux reposent sur l’interdépendance étroite entre des acteurs publics et des acteurs privés (en
cela, il s’agit d’un mode de gouvernance horizontal faiblement hiérarchisé) et cherchent, non seulement à prendre en charge
des enjeux complexes, mais aussi les défaillances du marché par des formes de coordination négociées. Cette conception des
réseaux d’action publique s’accompagne d’une approche qui combine néo-institutionnalisme et choix rationnels :
l’institutionnalisme centré sur les acteurs (Scharpf, 1997).
Les apports des approches en termes de réseaux d’action publique
En premier lieu les réseaux d’action publique sont un outil opératoire de comparaison des politiques publiques. Il est frappant
de constater que de nombreux travaux relevant de cette approche proposent des typologies de réseaux afin de comparer les
politiques publiques, soit entre différents secteurs à l’intérieur d’un même pays, soit, plus souvent, entre différents pays à partir
des mêmes secteurs, voire, plus rarement, entre des niveaux locaux. Il ne saurait être question de rendre compte ici de
l’ensemble de ces typologies. L’une des plus exhaustives est celle qu’a proposée Frans Van Waarden (1992). Il distingue onze
types de réseaux d’action publique à partir de sept critères (les acteurs, les fonctions remplies, la structure,
l’institutionnalisation, le mode d’interaction, la répartition du pouvoir et les stratégies de l’administration publique). Ces
variations typologiques peuvent être synthétisées par la grille d’analyse proposée par David Marsh et Rod Rhodes (1995, p. 51-
53). Selon eux, les différents types de réseaux d’action publique peuvent être situés le long du continuum dont les deux pôles
opposés sont formés par les réseaux d’enjeux (issue networks) et les communautés de politique publique (policy communities).
Ils sont distingués par trois grandes catégories de critères : la composition du réseau, son degré d’intégration et de cohésion,
les rapports de pouvoir au sein de celui-ci. De ce fait, leur typologie n’a pas seulement une portée classificatoire mais aussi de
description plus générale de l’action publique car elle fournit un ensemble de critères d’analyse des réseaux.
Cette grille correspond à deux déplacements significatifs dans le mode d’analyse des politiques publiques.
Tableau 4. Les critères d’analyse comparative des réseaux d’action publique8
Communauté
Réseau
Critères de politique
d’enjeu
publique
1. Composition du
réseau
Nombre de
Important Restreint
participants
Variable : les
Hiérarchisée :
Organisation des rapports
forte cohésion
acteurs internes peuvent
interne
être conflictuels
2. Intégration du
réseau
Fréquence et
intensité des Variable Forte
interactions
Continuité et
institutionnalisation Limitée Forte
des interactions
Consensus sur
l’orientation
générale de
Partiel : l’action
présence de publique, sur les
Consensus
conflits et de modalités
lignes de clivage d’inter-action et
sur la légitimité
des décisions
prises
3. Rapports de
pouvoir
Inégalitaire et Égalitaire et
Répartition des variable, stable, inter-
ressources interdépendance dépendance
limitée forte
Le premier est la mise sur le même plan analytique des acteurs étatiques et des acteurs non étatiques. L’État est analysé de la
même façon que les acteurs qui lui sont extérieurs. Il correspond à un ensemble composite d’acteurs étatiques concrets
(politiques et administratifs) relevant de niveaux divers. La fragmentation de l’État est de ce fait au centre de l’analyse :
« Comme le concept d’industrie, celui de gouvernement est une abstraction. Le gouvernement n’est ni monolithique ou
homogène, même s’il est fréquemment discuté ou analysé comme tel. Les ministères, les départements, les commissions et
conseils – gouvernementaux et quasi gouvernementaux – ne diffèrent pas seulement par leurs fonctions – délibérative,
régulative, adjudicative, entrepreneuriale –, elles ont aussi des objectifs multiples et divergents et poursuivent des stratégies
différentes entrant souvent en conflit les unes avec les autres. »
Wright, 1988, p. 597-598.
Le second déplacement est la rupture nette avec la vision linéaire et séquentielle des politiques publiques. L’analyse ne part
pas de l’une des phases de l’action publique mais des acteurs impliqués à titre divers par ces différentes séquences. L’action
publique n’est plus conçue comme un enchaînement linéaire de séquences, mais comme le produit d’interactions multiples entre
des acteurs divers et principalement collectifs.
L’approche en termes de réseaux d’action publique propose aussi un schéma général d’explication de l’action publique. L’idée
centrale est que la forme du réseau d’action publique permet de comprendre le contenu de l’action publique considérée. La
démarche la plus pertinente est de ce fait la démarche comparative qui permet de mettre en rapport des différences de
politiques avec des différences dans la structure des réseaux d’action publique.
Si l’action publique peut être comprise à partir des réseaux, il faut aussi être en mesure de rendre compte de la structuration
de ceux-ci. Au cœur des réseaux d’action publique se trouve l’interaction entre des acteurs collectifs (mais aussi parfois
individuels) interdépendants. C’est à partir de cet élément central qu’est posée la question de l’explication des réseaux d’action
publique. Pour Marsh et Rhodes la structure du réseau est la résultante de l’existence de ressources interdépendantes entre les
acteurs du réseau. C’est donc la logique de l’intérêt qui permet d’expliquer son émergence. De même, pour Jordan (1990),
l’existence d’un intérêt commun est l’élément qui caractérise un réseau d’action publique. À cela Van Waarden (1992) ajoute
que la présence d’un réseau d’interaction stabilisé réduit les coûts de la transaction entre les acteurs et par là renforce la
communauté d’intérêts entre participants.
L’explication par la seule logique de l’intérêt apparaît cependant insuffisante. La notion de réseau sous-entend une certaine
stabilité de l’échange alors que l’intérêt (ou les intérêts) des participants peut se modifier rapidement. C’est pour cela que
certains auteurs ont mis l’accent sur l’importance des valeurs communes dans la stabilisation de l’interaction. Ainsi, pour Jordan
(1990), les communautés de politiques publiques (policy communities) se distinguent des autres réseaux par l’existence de
valeurs partagées. Il s’agit donc d’une forme de réseau plus intégrée. L’interdépendance entre acteurs a été également
soulignée par le recours à la notion de communauté épistémique (epistemic community). Pour Haas, il s’agit d’un réseau
présentant quatre traits caractéristiques :
« 1) une série de croyances normatives partagées, entraînant la même logique d’action basée sur des valeurs communes à
chacun des membres du réseau ;
2) des croyances causales partagées, découlant de leur analyse des pratiques au centre des problèmes de leur domaine
d’activité et qui forment la base pour l’élucidation des liens multiples entre leurs actions et leurs buts poursuivis ;
3) des notions validantes partagées – c’est-à-dire des critères définis entre eux pour évaluer et soupeser le savoir expert
dans leur domaine ;
4) un mode opératoire commun, c’est-à-dire des pratiques communes. »
Haas, 1992, p. 3.
Dans ce cas, les acteurs du réseau parlent le même langage, se comprennent mutuellement et connaissent la logique d’action
de chacun parce qu’ils partagent un même système de représentation. La stabilité de l’interaction est mieux assurée et les
stratégies coopératives dominent, ce qui permet un jeu à somme positive. L’intensité de l’interaction favorise une socialisation
partagée qui renforce la communauté de valeurs.
L’explication de la structuration des réseaux suppose aussi d’effectuer une analyse interne des acteurs organisés :
« Nous avons besoin d’en savoir plus sur le processus de prise de décision à l’intérieur des organisations ; sur la façon dont
les acteurs gouvernementaux ou non gouvernementaux décident d’utiliser et d’exploiter leurs ressources en termes d’autorité,
d’argent, d’expertise, d’information et d’organisation, en quelque sorte sur la façon dont leurs stratégies sont formulées. »
Wright, 1988, p. 611.
La structuration interne et les ressources des acteurs collectifs organisés permettent de comprendre leurs stratégies et par là
leur mode d’insertion dans un réseau.
C’est donc l’articulation de l’analyse de la dimension infra-organisationnelle et de celle de la dimension interorganisationnelle,
en tenant compte de leur évolution diachronique, qui permet de comprendre la structuration d’un réseau d’action publique et le
type d’échange non seulement matériel mais aussi politique9 qui le fonde. Une telle approche conduit aussi à donner un rôle
central aux processus d’institutionnalisation. Ils concernent à la fois les acteurs (par exemple leur institutionnalisation dans le
cadre d’un échange politique avec l’État) et leurs interactions (la création d’institutions contribuant à formaliser et à stabiliser
le réseau). L’intégration d’une perspective d’analyse néo-institutionnaliste à l’approche en termes de réseaux permet de prendre
en compte des logiques d’action résultant de l’institutionnalisation des acteurs collectifs (par l’émergence d’intérêts d’institution
en particulier) et de l’interaction : l’institutionnalisation a pour corollaire une série de règles et de contraintes pour les acteurs
impliqués. Elle crée aussi une expérience collective partagée renforçant la stabilité de l’interaction et sa perpétuation. La
sédimentation institutionnelle de l’échange produit une dynamique spécifique d’interaction et forme une contrainte à la fois
formelle et cognitive aux stratégies des acteurs du réseau d’action publique. Les règles institutionnelles, les modes opératoires
dérivant des institutions et les représentations dont elles sont porteuses structurent l’interaction entre les acteurs d’une
politique publique.
Les approches en termes de réseaux ont suscité de nombreux débats, en particulier en Grande-Bretagne. Ceux-ci ont permis
de développer la notion de réseau d’action publique et ont donné lieu à des tentatives de dépassement.
Au cœur des débats sur les réseaux d’action publique se trouve la question de la portée théorique de la notion. Au-delà des
ambiguïtés de sa définition, du fait de la grande diversité de ses usages, il a été souvent souligné que, d’une part, l’apport
propre des réseaux est assez limité et, d’autre part, que son statut est plus celui d’une métaphore que d’un concept théorique.
Sur le premier aspect on peut souligner le fait que l’approche en termes de réseaux doit beaucoup aux travaux néocorporatistes
et néopluralistes et que ses fondements théoriques sont de façon croissante ceux du néo-institutionnalisme (dans ses différentes
versions comme on le verra plus loin). Il ne s’agit donc pas d’un nouveau cadre d’analyse théorique des politiques publiques,
mais plutôt, comme le souligne notamment Dowding (1995), d’une nouvelle métaphore dans la mesure où son usage est avant
tout descriptif. Cette approche souffre donc d’un déficit explicatif « parce que les facteurs explicatifs, les variables
indépendantes, ne sont pas des caractéristiques du réseau en lui-même, mais plutôt des éléments caractéristiques de
composants internes au réseau. Ces composants expliquent à la fois la nature du réseau et la nature du processus de politique
publique » (p. 137). De ce fait l’approche en termes de réseaux ne distingue pas clairement variables dépendantes et variables
indépendantes, repose souvent sur des raisonnements circulaires et est contrainte de faire des emprunts à d’autres théories
(théorie relationnelle du pouvoir et théorie des jeux notamment) explicatives. Par conséquent, selon Dowding (2001), qui est
plutôt un tenant de l’approche en termes de choix rationnels, pour que l’approche en termes de réseaux puisse acquérir le statut
de modèle théorique de portée générale, une plus grande formalisation et un recours à des méthodes quantitatives sont
nécessaires.
Ce premier débat renvoie donc aussi à celui sur les méthodes autour de deux questions liées : quels sont les critères
d’appartenance à un réseau d’action publique et comment déterminer rigoureusement la structure de celui-ci ? La réponse à ces
questions passe par la mesure de la densité des interactions entre acteurs de politique publique. C’est pour cela que certains
auteurs (par exemple Laumann, Knoke, Kim, 1985) ont eu recours aux méthodes quantitatives et formalisées d’analyse des
réseaux sociaux pour appréhender les réseaux de politique publique. Ces travaux, reposant sur l’usage de questionnaires,
comptabilisent les contacts, les flux d’informations et d’autres ressources entre acteurs afin d’identifier les acteurs centraux et
les acteurs périphériques, ceux qui jouent un rôle de récepteur, d’émetteur ou d’intermédiaire, donc les positions occupées par
les différents acteurs, ensuite traduites sous la forme de graphes. Cette formalisation n’est cependant pas sans poser problème,
tout d’abord parce qu’elle suppose des moyens de recherche importants (notamment pour l’envoi, le remplissage et le
traitement des questionnaires), ensuite parce qu’elle n’est pas en mesure de rendre compte de l’ensemble des interactions,
notamment de la dimension cognitive et des liens informels entre certains acteurs. Par conséquent, l’appréhension du contenu
des interactions nécessite également le recours aux entretiens, et (dans la mesure du possible) à l’observation directe, afin de
saisir les acteurs directement en interaction. On peut également remarquer que, souvent, ces travaux quantitatifs ne font que
confirmer des hypothèses à base qualitative. Enfin, ils permettent surtout d’obtenir une photographie pertinente d’un réseau à
un moment donné (face à un enjeu précis), mais rendent beaucoup plus difficilement compte de sa structuration et de ses
transformations à moyen et à long terme.
Cet aspect renvoie à un troisième débat : celui du changement dans les réseaux d’action publique. L’existence d’un réseau
implique une certaine stabilité dans l’interaction, il apparaît de ce fait le plus souvent comme un obstacle au changement dans
l’action publique. Celui-ci est pourtant repérable, y compris dans des secteurs caractérisés par des réseaux d’interactions
fortement stabilisés. L’explication du changement dans le cadre de cette approche est le plus souvent externe. Marsh et Rhodes
(1995) mettent en avant quatre facteurs liés à l’environnement : le changement économique, l’idéologie du parti au
gouvernement, l’évolution du savoir et les institutions transnationales (l’Union européenne en particulier). Mais si le
changement vient de l’environnement, les réseaux d’action publique ne sont plus alors qu’un élément explicatif mineur.
C’est pour cela qu’il apparaît nécessaire de reconsidérer cet aspect très important. Remarquons tout d’abord que c’est
probablement plus la pression au changement qui est externe au réseau que le changement en lui-même. Ainsi la mise sur
agenda gouvernemental est un processus le plus souvent largement extérieur au réseau parce qu’il résulte d’interactions plus
larges, avec des acteurs qui ne sont pas directement partie prenante d’une politique publique. L’approche par les réseaux
d’action publique est de ce fait plus pertinente pour comprendre comment la mise sur agenda du changement débouche (ou ne
débouche pas) sur de nouvelles actions publiques. En quelque sorte, c’est le contenu du changement, et non pas le changement
en lui-même, qui peut se comprendre par les réseaux d’action publique. Enfin, le changement interne au réseau d’action
publique peut aussi permettre de comprendre le changement dans l’action publique.
Changement dans le réseau et changement de politique publique : le cas des politiques d’assurance-maladie en France
et en Allemagne dans les années 1990
La structuration des réseaux d’acteurs dans ces deux pays permet de comprendre les orientations dominantes en matière de maîtrise des dépenses
d’assurance-maladie. En Allemagne, la configuration corporatiste du réseau a permis la mise en place d’une maîtrise négociée (mise en place d’enveloppes
de dépenses, extension de l’auto-administration à l’hôpital, renforcement de l’autonomie des caisses d’assurance-maladie…) ; en France, la configuration
pluraliste, dominée par l’État, du réseau a conduit à une étatisation croissante suscitant des conflits récurrents (avec les médecins en particulier).
En Allemagne, on assiste toutefois, depuis 1992, à une remise en cause partielle de l’auto-administration. Si des éléments externes ont joué (tensions
financières liées à la réunification), il faut aussi faire intervenir dans l’explication les transformations internes au réseau, en particulier les divisions
internes à la représentation de la profession médicale et la remise en cause de la coalition d’intérêt entre médecins et industrie pharmaceutique. De plus a
joué la stratégie suivie, lors de la réforme de 1992, par le ministre de la Santé (Horst Seehofer) qui avait tiré les leçons des échecs précédents : l’effet
d’apprentissage interne au réseau est une autre condition du changement.
Le changement dans la politique publique est ainsi fortement dépendant des transformations internes au réseau d’action publique. Inversement, en
France, la tentative du passage d’une régulation administrée à une régulation plus directement prise en charge par les acteurs non étatiques, dans la
première moitié des années 1990, a connu un succès limité. On peut notamment l’expliquer par l’absence de conditions favorables au sein du réseau
d’action publique. La forme du réseau d’interaction, ou plutôt son absence de transformation, apparaît ici comme un obstacle au changement. C’est pour
cela que les politiques menées à partir de 1995 ont cherché à modifier la configuration du réseau en renforçant les compétences étatiques.
Hassenteufel, 1997.
Le changement dans l’action publique peut donc aussi s’expliquer par des transformations internes au réseau d’action
publique, qui sont souvent la conséquence des politiques menées antérieurement : remise en cause d’interdépendances
d’intérêts par une modification de la répartition des ressources, affaiblissement de certains acteurs et renforcement d’autres,
émergence de nouveaux acteurs, changements stratégiques d’un (ou plusieurs) acteur(s) lié notamment à un processus
d’apprentissage, modifications des fondements de l’échange entre certains acteurs, autonomisation de réseaux… Le
changement dans l’action publique ne se réduit pas à l’adaptation d’un réseau à un nouvel environnement et le changement
dans le réseau est souvent une condition décisive d’un changement ultérieur dans une politique publique.
À travers la question du changement se pose donc aussi celle des rapports entre un réseau et son environnement. Le
problème majeur est ici le fait que l’approche en termes de réseaux tend souvent à isoler trop fortement le réseau de son
contexte. Comme le soulignent Marsh et Smith (2000), il apparaît nécessaire de dépasser l’opposition entre le réseau et son
contexte, en tenant compte du fait, comme nous l’avons déjà souligné, que le contexte, qui participe de la structuration d’un
réseau et dans lequel il se réfracte (au moins partiellement), est également construit par les acteurs : « Tout ce changement
externe est porté par les grilles de compréhension des acteurs et réinterprété par rapport aux structures, règles, normes et
relations interpersonnelles au sein du réseau » (p. 9). C’est donc moins le contexte en lui-même qui est décisif que la manière
dont les acteurs l’interprètent et l’intègrent à leurs stratégies. De plus, il se traduit par la présence plus ponctuelle d’autres
acteurs, notamment pour la construction des problèmes publics et leur mise sur agenda. Enfin, des interactions au sein d’un
réseau peuvent aussi avoir un effet sur le contexte. Mais cette articulation dynamique entre interaction d’acteurs et contexte,
qui donne lieu à une approche qualifiée de « dialectique » des réseaux, conduit aussi à en fluidifier les frontières.
Cette question des frontières a également suscité un débat. En mettant l’accent sur les interdépendances et le partage de
conceptions et de valeurs, l’approche par les réseaux d’action publique tend explicitement ou implicitement à assimiler action
publique et réseau d’action publique intégré. Or, dans un secteur donné, les conflits peuvent être importants. Un secteur
d’action publique peut donc aussi être conçu comme une superposition de réseaux : dans un secteur peuvent exister plusieurs
réseaux en conflit et en interaction. C’est ce à quoi renvoie la notion de coalition de cause (advocacy coalition), qui se distingue
également des réseaux d’action publique par l’importance plus grande qu’elle accorde à la dimension cognitive.
Cette approche, largement liée à un auteur qui l’a forgée et diffusée : Paul Sabatier (Sabatier et Jenkins-Smith, 1999), s’inscrit
également dans une perspective d’analyse fondée sur les interactions d’acteurs. Elle part de deux postulats.
Le premier est le fait que les politiques publiques sont le produit d’interactions entre plusieurs coalitions d’acteurs. Il y a donc
quatre niveaux d’analyse : les acteurs, les coalitions d’acteurs appelées coalitions de cause (advocacy coalition), le sous-système
de politique publique (policy subsystem) et l’environnement. Les coalitions de cause sont composées, comme les réseaux
d’action publique, d’acteurs publics et privés, qui agissent de manière coordonnée sur moyenne période (voire plus). Leur
nombre est compris, en général, entre deux et quatre. Elles sont en interaction, en moyenne période (l’échelle d’analyse
préconisée par Sabatier est la décennie), autour d’un enjeu de politique publique dont elles cherchent à orienter le contenu.
Elles forment le sous-système de politique publique qui, pour être repérable, doit aussi présenter des éléments
d’autonomisation, notamment l’existence d’institutions et d’acteurs spécifiques et spécialisés, ainsi qu’une expertise partagée.
Un sous-système naît de la construction de nouveaux problèmes publics. Enfin, l’environnement est composé de paramètres
stables et d’éléments conjoncturels. Les paramètres stables sont les attributs de base du problème, la distribution des
ressources naturelles, les valeurs dominantes, la structure sociale et les règles constitutionnelles ; les éléments conjoncturels
sont le contexte socioéconomique, l’état de l’opinion publique, la composition de l’exécutif et l’impact des décisions prises dans
les autres sous-systèmes.
Le second postulat est le fait que les coalitions sont structurées par des systèmes de croyances (belief system) entraînant la
défense de causes ; elles ont donc un fondement principalement cognitif10. Plus précisément, un système de croyance
comprend trois niveaux articulés et hiérarchisés : un noyau dur (deep core) composé de croyances générales concernant la
nature humaine, la hiérarchie des valeurs fondamentales (liberté, sécurité, pouvoir…), les principes de base de répartition entre
groupes et les identités socioculturelles (ethniques, de genre, religieuses…) ; un noyau superficiel (near core) composé de
croyances et de perceptions spécifiques à un domaine de politique publique, en particulier l’analyse du problème public, les
objectifs de la politique publique, les groupes cibles, la place respective de l’État et du marché, la répartition des compétences
en fonction des niveaux d’action étatiques, la participation des différents acteurs ; et des aspects secondaires (secondary
aspects), renvoyant à des modes opératoires, c’est-à-dire les instruments à privilégier.
Surel, 1997.
Par rapport aux réseaux d’action publique, l’approche en termes de coalitions de cause est plus rigoureuse dans ses
définitions et dans les termes utilisés du fait de sa plus grande homogénéité. De plus, elle peut être déclinée en neuf hypothèses
falsifiables concernant les coalitions, le changement et l’apprentissage (Sabatier et Jenkins-Smith, 1999, p. 124). Elle offre aussi
une vision plus complexe et moins consensuelle de l’action publique en mettant au cœur de celle-ci les oppositions entre
coalitions de cause. Enfin, la question du changement est au cœur de cette approche. Sabatier, outre le rôle du contexte, met
l’accent sur deux autres éléments, peu pris en compte par les réseaux. Il s’agit, en premier lieu, de l’importance des
mécanismes d’apprentissage (policy oriented-learning) liés principalement à des évolutions dans les connaissances disponibles
et à la confrontation entre les systèmes de croyance. Ainsi des échanges, sous la forme de débats dans des forums spécialisés,
peuvent favoriser des changements progressifs (incrémentaux) dans les systèmes de croyance (au niveau des aspects
secondaires, voire du noyau superficiel). En second lieu, Sabatier souligne le rôle d’intermédiaires (policy brokers) joué par
certains acteurs individuels (notamment des experts, parfois aussi des hauts fonctionnaires), extérieurs aux coalitions et
pouvant jouer un rôle d’arbitre, pour comprendre les interactions entre coalitions et le changement. De plus, ces intermédiaires
peuvent aussi s’inscrire dans un processus d’apprentissage, ce qui favorise leur rôle en tant qu’agent de changement.
Cette approche n’est pas non plus sans susciter des critiques (Bergeron, Surel et Valluy, 1998, p. 215-220). Une première
interrogation est suscitée par la prédominance donnée aux croyances par rapport aux intérêts. On peut reprocher à Sabatier de
négliger les questions de la formation des croyances et l’articulation entre intérêt et dimension cognitive, les intérêts étant
également susceptibles de structurer les croyances, comme on l’a vu. Ainsi l’approche propose une grille de lecture trop
restreinte à la dimension cognitive de l’orientation des stratégies d’acteurs, même si Sabatier insiste sur la rationalité limitée
des acteurs, et qui prend peu en compte la répartition des ressources entre les acteurs et entre les coalitions. Une deuxième
limite tient au fait que l’analyse du changement, même si elle plus poussée et plus systématisée que pour les réseaux, reste
incomplète. Certes, les processus d’apprentissage et les acteurs intermédiaires permettent de saisir des transformations
incrémentales, mais les changements plus importants (correspondant à un changement de coalition dominante) sont renvoyés à
des facteurs extérieurs qui ne sont pas suffisamment articulés aux coalitions de cause. En effet, cette approche met surtout
l’accent sur les conditions favorables au changement : des transformations dans l’environnement et le fait que les membres des
différentes coalitions sont d’accord pour considérer que le statu quo n’est plus acceptable. On peut également souligner que
Sabatier a tendance à considérer que le sous-système est un donné, alors que la question de sa genèse, et donc aussi des
coalitions de cause et des systèmes de croyance, est fondamentale pour comprendre une politique publique.
De manière plus générale on peut s’interroger sur l’apport de ces deux notions en termes d’analyse des interactions.
Remarquons, tout d’abord, que les interactions entre acteurs collectifs sont expliquées principalement en référence aux trois
dimensions de l’analyse des acteurs développés dans la première section : interdépendance des ressources, représentations
communes (la dimension cognitive étant plus fortement mise en avant par les coalitions de cause) et intérêts partagés. Toutefois
des éléments supplémentaires sont apportés. Dans le cas des réseaux d’action publique l’accent a été mis de manière croissante
sur les dynamiques d’institutionnalisation en intégrant les apports du néo-institutionnalisme que nous allons préciser dans la
section suivante. Le cadre analytique des coalitions de cause prend en compte le rôle d’individus dans les interactions entre
coalitions : les policy brokers. Ce cadre articule ainsi plus fortement interactions entre collectifs et acteurs individuels, même si
on assiste depuis quelques années à un « tournant ethnographique » (Börzel, 2011) dans les analyses de réseau d’action
publique afin de mieux prendre en compte les interactions entre individus. Ces deux cadres d’analyse soulignent aussi la
nécessité d’appréhender les interactions de manière contextualisée comme nous allons le développer dans la section suivante.
Enfin, on se posera la question de la portée plus générale de ces outils d’analyse, élaborés à partir d’études sectorielles
nationales (politiques économiques et sociales dans le cas des réseaux, politiques environnementales et culturelles pour les
coalitions de cause) ou infra-nationales, pour appréhender deux évolutions clefs des politiques publiques contemporaines
entraînant une complexification croissante de l’action publique : la transversalisation (qui accroît les interactions entre
domaines de politique publique) et la transnationalisation (qui accroît les interactions entre niveaux d’action publique). Réseaux
et coalition de cause permettent-ils d’appréhender de façon satisfaisante la multiplication des acteurs de l’action publique
contemporaine et la perte de cohérence qui en résultent souvent ?
L’analyse en termes d’interactions doit donc intégrer une triple exigence : la prise en compte des effets des institutions (au
cœur des approches néo-institutionnalistes), leur inscription dans des contextes (multiples et de nature différente) et sa capacité
à rendre compte des évolutions à l’œuvre dans l’action publique contemporaine
L’analyse sociologique des institutions a connu un renouveau dans les années 1980 sous le label du « néo-institutionnalisme »,
expression utilisée pour la première fois par March et Olsen (1984) pour signifier à la fois le refus du béhavioralisme, dominant
aux États-Unis dans les années 1950 et 1960, négligeant le rôle des institutions, et d’une approche juridique des institutions les
réduisant à des règles formelles. Si l’objectif commun des travaux qui se rangent derrière ce label est de prendre en compte
l’importance des institutions et d’analyser les effets qu’elles produisent sur les acteurs sociaux et, au-delà, sur la vie sociale,
économique et politique, il ne s’agit pas d’un courant unifié. On distingue habituellement, à la suite de Peter Hall et Rosemary
Taylor (1997), trois variantes principales11 : l’institutionnalisme des choix rationnels, l’institutionnalisme historique, et
l’institutionnalisme sociologique. Si la première considère les institutions avant tout comme un contexte structurant les
opportunités de choix stratégiques, les deux autres partagent une conception sociologique des institutions caractérisée par
quatre éléments majeurs (Peters, 1999) :
tout d’abord une institution, qui peut être formelle (par exemple une assemblée parlementaire ou une direction
administrative) ou informelle (par exemple un réseau social), « transcende les individus pour impliquer des collectifs
dans des interactions structurées et prévisibles, basées sur des relations spécifiques entre les acteurs » (p. 18) et liées à
des règles ;
le deuxième élément est la présence d’une certaine stabilité dans le temps (cet élément étant au cœur du néo-
institutionnalisme historique qui met en avant la path dependency12 – dépendance par rapport à un sentier balisé par les
institutions préexistantes) ;
en troisième lieu, les institutions ont des effets structurants sur les comportements individuels, c’est-à-dire qu’elles
exercent un certain niveau de contrainte, direct ou indirect, sur leurs membres (encadrement et contrôle de leurs
pratiques, définition de rôles auxquels il est attendu que les individus se conforment en fonction de leur position dans
l’institution…) ;
enfin, les membres d’une institution partagent, dans une certaine mesure, des valeurs, des représentations, voire une
identité (les tenants du néo-institutionnalisme sociologique mettant l’accent sur l’existence de cultures institutionnelles
partagées).
Les interactions d’acteurs, dans le cadre d’une politique publique, présentent des formes variables d’institutionnalisation. Si la
notion d’institution permet de caractériser les interactions (à partir de critères tels que le nombre d’acteurs engagés dans ces
interactions, le type de règles et de procédures qui encadrent les interactions, leur densité, leur stabilité…), c’est surtout un
outil de compréhension puisqu’un des éléments communs des approches néo-institutionnalistes est de considérer que les
institutions structurent les comportements individuels et, de ce fait, les interactions. Tout d’abord, les institutions permettent
des anticipations réciproques, du fait de la régularité et de la prévisibilité qu’elles produisent au niveau des comportements.
Elles contribuent ainsi à l’orientation des stratégies d’acteurs. Les institutions ont également des effets sur les ressources des
acteurs, directement parce qu’une position institutionnelle est une ressource en soi, et indirectement parce que ces positions
permettent d’accéder à d’autres ressources (matérielles, juridiques et temporelles en particulier). Par là, les institutions
participent à la définition des intérêts, individuels et collectifs, puisqu’elles sont un des enjeux de l’action publique. Elles
peuvent aussi contribuer à la construction de représentations partagées, facilitant les interactions, également liées aux formes
de sociabilité que les institutions permettent13. Enfin, les institutions sécrètent des façons de faire et des pratiques communes
favorisant la production de l’action publique.
La prise en compte des dynamiques d’institutionnalisation, résultant de compromis et d’accords passés entre différents
acteurs, permet donc de comprendre la façon dont se structurent les interactions, du fait de leurs effets sur les stratégies, les
ressources, les représentations, les intérêts et les pratiques des acteurs. Elle conduit aussi à tenir compte du temps long des
politiques publiques (sur lequel ont particulièrement insisté les néo-institutionnalistes historiques) et donc à inscrire les travaux
sur l’action publique dans une profondeur historique. Toutefois, la focalisation sur les dimensions institutionnelles des
interactions, dans une perspective néo-institutionnaliste, présente le risque de survaloriser leur cohérence, leur homogénéité et
de négliger l’autonomie d’action stratégique des acteurs à l’intérieur même des institutions. Tout d’abord, il est nécessaire de ne
pas occulter l’intensité des conflits et des oppositions entre certains acteurs : « les investissements et les engagements dont
l’institution est ainsi concrètement le produit résultent d’intérêts et d’usages multiples » (Lagroye, Offerlé, 2010, p. 17). De ce
fait « l’institué ne “pèse” pas sur les individus comme une force extérieure dont ils devraient seulement subir les exigences,
même s’ils en éprouvent parfois le caractère contraignant » [id.], certains acteurs résistant à l’institutionnalisation ou cherchant
à subvertir les institutions de l’intérieur. Ainsi « l’emprise que l’on attribue aux institutions doit toujours être pensée en
référence à la variété des pratiques et des croyances de ses membres » [ibid., p. 19]. Par ailleurs, les représentations des
différents acteurs peuvent être fortement antagonistes, empêchant la construction d’un espace de sens partagé par un cadre
institutionnel commun. Enfin, les interactions sont parfois peu stabilisées et soumises à des fortes variations qui les rendent peu
prévisibles. Ce caractère aléatoire de certaines interactions peut être lié non seulement aux oppositions entre des acteurs
fragmentés dotés d’une capacité d’action stratégique, mais aussi au contexte dans lequel elles s’inscrivent.
Le terme « contexte » est l’une des nombreuses « boîtes noires » ou expression « fourre-tout » de l’analyse des politiques
publiques, parfois utilisé pour désigner tout ce que l’on n’arrive pas à expliquer, notamment dans le cadre des analyses du
changement dans l’action publique. Pourquoi alors le retenir ? Le contexte désigne tout ce qui est extérieur aux interactions
entre les acteurs d’une politique publique (et qu’ils ne maîtrisent pas) tout en n’étant pas indépendant d’eux du fait de son
caractère construit. Si un contexte correspond, en partie, à des éléments mesurables et objectivables comme on va le voir, il
forme aussi une représentation mentale. Le contexte renvoie à ce sur quoi les acteurs ne pensent pas voir de prise et qu’ils
perçoivent donc comme une contrainte, sur laquelle ils n’ont pas de pouvoir d’action direct. En même temps, le contexte est en
partie porté et construit par des acteurs des politiques publiques qui vont chercher à imposer une représentation en termes de
contrainte, par exemple un ministre des Finances pour la contrainte budgétaire. Enfin, il faut souligner que certains acteurs
parviennent parfois à modifier le contexte, ce qui, à nouveau, souligne son caractère socialement et politiquement construit, en
produisant de nouvelles connaissances, en élaborant de nouvelles techniques, en modifiant des règles constitutionnelles ou en
parvenant à peser sur l’agenda politique.
On peut distinguer six grands types de contextes qui ont un impact sur l’ensemble de l’action publique. Les trois premiers
(contexte sociodémographique, étatique et scientifique) sont relativement stables à moyen terme (quelques années) ; les trois
derniers (contexte économique, politique, international) sont susceptibles de varier plus fortement sur une courte période
(quelques mois) et ont donc une dimension plus conjoncturelle.
Le contexte sociodémographique renvoie à des données objectivables, parce que mesurables, telles que la stratification
sociale, la pyramide des âges, l’échelle des revenus, les structures familiales… Elles ont un impact indirect mais souvent
fortement structurant sur l’action publique comme, par exemple, le vieillissement démographique pour les politiques en
matière de retraite.
Le contexte scientifique et technique renvoie aux connaissances disponibles (et accessibles aux acteurs) sur un
problème donné et aux instruments d’action publique techniquement possibles. L’état des savoirs et des techniques
borne l’espace des possibles pour les instruments envisageables.
Le contexte étatique renvoie aux règles du jeu, formelles (celles qui relèvent des textes constitutionnels notamment) et
informelles, des institutions politiques et administratives. Le mode d’organisation et de fonctionnement de l’État – en
termes de rapports entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, de hiérarchisation administrative, de rapports
administration/politique, de mode de recrutement administratif, de profil du personnel politique, de structure du système
de partis, de mode d’organisation des partis politiques, de rapports centre/périphérie… – a un impact très important, en
particulier sur les processus décisionnels et sur la mise en œuvre des politiques publiques.
Le contexte économique (taux de croissance, taux d’inflation, taux de chômage, situation budgétaire) joue
principalement sur les possibilités de financement des politiques publiques et sur l’agenda.
Le contexte politique renvoie au calendrier électoral (proximité ou non d’une échéance électorale), à la composition des
gouvernements, à la structure des rapports de force parlementaire (importance de la majorité, degré de cohésion de
celle-ci…), au niveau de popularité des gouvernants, à la présence ou à l’absence de mobilisations sociales, à l’état de
l’opinion publique, aux priorités politiques du gouvernement, au poids politique de tel ou tel ministre, au traitement
médiatique (on peut aussi parler de contexte médiatique)… Ces éléments pèsent plus particulièrement sur la mise sur
agenda et la décision publique et contribuent aux fluctuations aléatoires de l’action publique comme l’illustrent les « Yo-
Yo » de la politique de la ville depuis le début des années 1980, largement indexés au rythme des émeutes urbaines (Le
Galès, 1995) et des changements gouvernementaux, ou la réactivité des élus à des faits divers tragiques pour les
politiques pénales (mise sur agenda récurrente de projets de loi sur la récidive suite à des crimes commis par des
récidivistes).
Le contexte international renvoie à des événements internationaux ayant un impact sur les politiques publiques (par
exemple la guerre du Kippour qui a suscité le premier choc pétrolier en 1973, dont l’impact a été fort, tant directement
sur les politiques économiques et énergétiques, qu’indirectement du fait des contraintes budgétaires qu’il a entraînées
sur l’ensemble des politiques publiques) ou à l’agenda des institutions internationales (cycle de négociations à l’OMC ou
négociation sur le climat par exemple).
L’importance croissante de cette catégorie de contexte conduit surtout à prendre en compte directement les acteurs
européens et internationaux qui participent à la construction des problèmes publics, à leur mise sur agenda et aux processus
décisionnels. Les interactions d’acteurs ne se déroulent pas seulement au niveau national et à différents niveaux infranationaux,
mais aussi à des niveaux supranationaux (européens et internationaux). Or, ces interactions, que ce soit au niveau européen ou
au niveau mondial, peuvent s’inscrire dans des négociations plus larges qu’une seule politique publique (tels les « paquets de
négociation » lors de sommets européens, mettant en relation des politiques publiques très disparates). On voit donc par là qu’il
est également nécessaire de prendre en compte les interactions entre politiques publiques. Cette exigence ne tient pas
seulement à l’européanisation et à la transnationalisation de l’action publique contemporaine mais aussi à son caractère plus
transversal. En effet, un nombre croissant d’enjeux de politiques publiques remettent en cause les frontières historiquement
constituées des secteurs d’action publique14. Un des exemples les plus nets est fourni par l’enjeu de la défense de
l’environnement qui concerne de très nombreux secteurs de politiques publiques : l’énergie, les transports, l’industrie,
l’aménagement urbain, l’agriculture… On assiste de ce fait au développement de politiques intersectorielles (articulant des
secteurs existants comme dans le cas de la politique de la ville), voire transsectorielles (englobant tous les secteurs existants
comme dans le cas des politiques d’égalité homme-femme). Une sociologie politique de l’action publique doit donc intégrer les
interactions entre niveaux et entre secteurs (interactions également liées aux processus de hiérarchisation politique entre
enjeux de politique publique).
On peut de ce fait se demander si les réseaux et les coalitions permettent de rendre compte de cette complexification de
l’action publique contemporaine qui s’accompagne de la multiplication des acteurs. Cette question a surtout été posée au niveau
européen. Ainsi, pour Peterson (1995), la notion de réseau apparaît particulièrement appropriée pour analyser les politiques
publiques européennes caractérisées par une grande diversité des acteurs, par l’importance des liens informels, par la forte
personnalisation des interactions, par des phénomènes d’interdépendance multiples, par l’absence d’acteur central et par la
multiplicité des arènes institutionnelles. Le recours à cet outil d’analyse a notamment pour mérite de permettre de prendre en
compte l’ensemble des acteurs qui interviennent au niveau de l’Union européenne et d’ouvrir la voie à une analyse comparative
des différentes politiques communautaires, à partir des modes d’interaction entre les différents acteurs européens de politiques
publiques. Toutefois, il présente aussi plusieurs limites importantes (Kassim, 1994). Outre celles qui valent pour les réseaux
d’action publique de façon générale, d’autres problèmes plus spécifiques aux politiques publiques européennes se posent :
l’attention insuffisante portée à l’analyse sociologique des acteurs de ces réseaux, et la focalisation sur les arènes de politiques
publiques (les espaces de négociation des compromis institutionnalisés) au détriment des forums (les lieux de construction
intellectuelle des politiques où s’élaborent notamment des stocks de recettes de politiques publiques, susceptibles d’alimenter
les décisions publiques et où est constituée l’information pertinente pour la conduite des politiques publiques). La notion de
communauté épistémique met, quant à elle, justement l’accent sur les forums intellectuels, comme on l’a vu. Son application à
l’Union européenne paraît d’autant plus pertinente que le poids des experts au niveau européen y est très visible, du fait des
stratégies de recours aux experts déployées par la Commission en particulier (Robert, 2003), mais aussi par les groupes
d’intérêts, et de la prédominance de l’usage du registre technique afin de dépolitiser les problèmes européens (Smith, 2004).
Ainsi, parler de communautés épistémiques permet de mettre l’accent sur cette catégorie d’acteurs des politiques européennes
qui circulent entre les niveaux nationaux et le niveau européen. Toutefois, le risque est alors de réduire l’analyse des politiques
publiques européennes à celle des experts, en négligeant d’autres acteurs, en particulier les acteurs politiques nationaux, et
donc par là d’en donner une vision singulièrement simplifiée. C’est notamment ce qui explique la proposition de recourir à l’outil
des coalitions de cause (Sabatier, 1998). Mais il est possible de trouver de nombreux cas de politiques publiques européennes ne
correspondant ni à l’existence d’un réseau, ni à celle de coalitions en interaction. Autrement dit, le degré de structuration d’une
politique publique, en particulier au niveau européen, n’est pas forcément aussi élevé que le postulent ces deux approches qui
partagent le fait de se focaliser un niveau (national ou infra-national) et sur un domaine de politique publique (caractère
sectoriel des réseaux, sous-système de politique publique pour les coalitions de cause).
Les limites de la cohérence de l’action publique sont encore plus nettes quand on se place au niveau international. De plus en
plus de politiques publiques sont construites collectivement par des acteurs multiples, publics ou privés, internationaux
(institutions, ONG, experts, entreprises…), nationaux et locaux, ce qui rend plus complexe la structuration de systèmes
d’interactions englobant les différentes dimensions de l’action publique, comme le montre l’exemple de la politique forestière
internationale15.
Smouts, 2001.
Du fait de cette diversité et de la fragmentation croissante des acteurs d’une politique publique, ainsi que de la multiplicité
des objectifs pouvant conduire à des contradictions et des ambiguïtés au niveau des instruments, certains auteurs mettent en
avant le « bricolage » de l’action publique.
Garraud, 2000.
L’instabilité, la faible maîtrise et les ambiguïtés (voire les contradictions) font souvent partie de l’action publique qui parfois
s’apparente à un bricolage aléatoire d’activités hétérogènes portées par des acteurs multiples, fragmentés et fluctuants. C’est
pour cela que des outils tels que les réseaux ou les coalitions de cause ne permettent pas de prendre en compte toute la
complexité de l’action publique contemporaine. Elle nous paraît devoir être appréhendée de façon plus générale comme la
résultante d’une superposition d’interactions impliquant des acteurs de nature variée (individuels et collectifs, étatiques ou non)
en partie interdépendants. Pour la comprendre il nous semble nécessaire de combiner cinq niveaux d’interactions (sans préjuger
de leur forme) : les interactions au sein des acteurs collectifs (afin de comprendre leur degré de structuration et leurs
orientations stratégiques) ; les interactions entre ces acteurs collectifs autour d’un enjeu de politique publique (en prenant en
compte la construction de cet enjeu et la mise en œuvre de l’action publique) ; les interactions entre acteurs nationaux,
supranationaux et infranationaux ; les interactions avec les différents éléments de contexte et les interactions avec d’autres
politiques publiques. La construction collective de l’action publique est le produit d’interactions plus ou moins fortement
structurées, stables et cohérentes, superposant des niveaux multiples, plus ou moins fortement institutionnalisées, qu’il est
possible de comprendre à partir des ressources, des représentations et des intérêts des différents acteurs impliqués, dont il est
nécessaire d’analyser la structuration interne en prenant en compte les individus.
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1 - . On se reportera à Faure, Pollet et Warin (1995) pour une discussion approfondie de cette notion.
2 - . Trois référentiels globaux se seraient succédé au cours du XXe siècle : celui de l’équilibre (jusqu’à la seconde guerre mondiale), celui de la modernisation
(jusqu’aux années 1970) et celui du marché. Plus qu’une vision commune fortement structurée faisant l’objet d’un consensus, il s’agit d’un espace de sens partagé
qui en quelque sorte balise le champ des possibles concevables en matière de politiques publiques à une période donnée et dans un pays donné.
3 - . On se reportera à Bergeron, Surel et Valluy (1998) pour une présentation de cette approche en français.
4 - . Ce souci est notamment présent chez Pierre Muller qui s’est appuyé sur un dépouillement systématique de la presse professionnelle pour analyser le
changement de référentiel dans le domaine agricole puis aéronautique ; de même Paul Sabatier se fonde sur l’analyse systématique du texte des auditions
(hearings) des acteurs d’une politique publique devant des commissions parlementaires et/ou administratives.
5 - . En France c’est surtout le cas pour des études de mise en œuvre, notamment pour analyser les interactions au guichet (Dubois, 1999).
6 - . Norbert Elias l’illustre par la métaphore de la partie d’échecs : « toute action accomplie dans une relative indépendance représente un coup sur
l’échiquier social, qui déclenche infailliblement un contrecoup d’un individu (sur l’échiquier social il s’agit en realité de beaucoup de contrecoups exécutés
par beaucoup d’individus) limitant la liberté d’action du premier joueur » (1985, p. 152).
7 - . La traduction par « réseau d’action publique » est préférable à « réseau de politique publique » dans la mesure où la notion renvoie plus à la
compréhension de la construction collective de l’action publique qu’à celle de la production étatique des politiques publiques.
8 - . Nous reprenons ici, en l’adaptant, le tableau proposé par Marsh et Rhodes (1995, p. 53).
9 - . La notion d’échange politique, élaborée par A. Pizzorno (1978), est développée dans le chapitre 7 car elle porte plus spécifiquement sur les
interaction entre l’État et des groupes d’intérêts.
10 - . Toutefois, comme le soulignent Sabatier et Jenkins-Smith (1999, p. 138-141), d’autres éléments favorisent la coordination des acteurs au sein
d’une coalition : la perception des bénéfices de celle-ci, l’existence d’éléments contraignants pour garantir la cohésion de la coalition, la perception
très négative de la coalition adverse et des coûts d’une victoire de celle-ci, l’existence d’interdépendances symbiotiques entre les acteurs.
11 - . Les autres variantes sont moins utilisées pour analyser l’action publique. On peut également noter depuis les années 2000 une prolifération
de néo-institutionnalismes plus ou moins nettement distingués : néo-institutionnalisme discursif, néo-institutionalisme politique, etc ; qui
s’accompagne d’une certaine dilution de la notion d’institution.
12 - . Cette notion est présentée et analysée dans le chapitre 9 du fait de sa place prise dans les analyses du changement.
13 - . C’est pour cela que l’observation (directe et/ou participante) paraît comme la méthode empirique la plus adaptée à la compréhension
des institutions et de leurs effets sur les acteurs et leurs interactions.
14 - . Comme le souligne Pierre Muller (2010), un secteur comprend trois dimensions constitutives : un ensemble d’acteurs exprimant des
intérêts spécifiques, des institutions traduisant une division du travail administratif et des représentations exprimant des visions des
problèmes à traiter et de solutions à y apporter.
15 - . Les politiques de lutte contre le sida fournissent un autre exemple d’action publique fortement transnationalisée, multi-niveaux et
traversée par des conflits importants du fait des nombreux acteurs qui y participent : institutions internationales (ONUSIDA…), bailleurs de
fonds internationaux publics (programme UNITAID…), privés (fondation Bill et Mélissa Gates…) et nationaux (programme américain
PEPFAR…), ONG (internationales, nationales et locales), firmes pharmaceutiques, chercheurs, professionnels de santé, du secteur social et
de l’éducation, acteurs politiques et dans certains cas les Églises (Demange, 2010).
Chapitre 6
L’analyse des politiques publiques part quant à elle, au contraire, de la prise en compte du rôle politique des hauts
fonctionnaires en termes de participation à la construction de l’action publique. Cette orientation, particulièrement nette dans
les travaux français portant sur le poids de la « technocratie » dans les politiques publiques, a conduit à mettre au second plan
les acteurs politiques, au sens de politics, c’est-à-dire ceux qui participent directement à la compétition (avant tout électorale)
conditionnant la détention des postes de gouvernants au sein de l’État. Les gouvernants et, de manière générale, les élus, sont
souvent négligés dans les travaux sur les politiques publiques. La sociologie politique de l’action publique, au contraire, vise à
rendre compte de leur rôle dans la construction collective de l’action publique dont ils sont pleinement partie prenante.
Ce chapitre part de la prise en compte de l’importance et de l’étroitesse des interactions entre fonctionnaires et élus
politiques qui partagent « la caractéristique d’être professionnellement spécialisés dans l’exercice des activités gouvernantes »
(Eymeri, 2003, p. 47). Cette analyse permet de mieux cerner la place des hauts fonctionnaires, au sens de ceux qui exercent des
fonctions dirigeantes au sein de l’appareil administratif, situés au sommet de la hiérarchie administrative (grades les plus
élevés) et à l’interface avec le pouvoir politique2, dans les processus de construction de l’action publique. La question de la
politisation de la haute fonction publique conduit à poser plus généralement celle des articulations entre policy et politics,
autrement dit à l’analyse du rôle des gouvernants et des élus dans les politiques publiques.
Les interactions directes entre administration et politique concernent principalement les hauts fonctionnaires, qu’ils soient à
la tête de directions administratives dépendant d’un département ministériel ou dans l’entourage proche d’un gouvernant
(ministre ou responsable d’un exécutif local). Si l’on reprend la terminologie webérienne, ce sont des « fonctionnaires
politiques » dont la caractéristique principale est d’être directement subordonnés au pouvoir politique, puisque ce sont les
gouvernants (nationaux ou locaux) qui les nomment et mettent fin à leurs fonctions, de façon discrétionnaire. De ce fait ils sont
nommés (et révoqués) non seulement sur la base des critères de recrutement administratif (la compétence attestée par la
formation, les diplômes et l’expérience), mais aussi de critères politiques (au sens de politics, donc en termes de proximité
partisane avec les gouvernants en place).
Le modèle historique de référence est ici celui des États-Unis et son célèbre « système des dépouilles » (« spoils system ») qui
se met en place au début du XIXe siècle. Le pouvoir de nomination du président fédéral concerne aujourd’hui environ
5 000 personnes ; celui des gouverneurs et des sénateurs au niveau des États, ainsi qu’à d’autres niveaux locaux, est également
étendu. Il conduit à la nomination de personnes extérieures à l’administration, issues du secteur privé en particulier. En France,
on parle plutôt de « système des dépouilles en circuit fermé » (Quermonne, 1991, p. 237) car, contrairement aux États-Unis, les
gouvernants nomment très majoritairement des fonctionnaires de carrière, le plus souvent des hauts fonctionnaires issus des
grands corps. Le nombre de postes concerné est moins important qu’aux États-Unis : il s’agit avant tout des 500 postes
administratifs (préfets, ambassadeurs, recteurs, directeurs d’administration centrale…) et des 200 postes de direction
d’entreprises et d’établissements publics pourvus en Conseil des ministres. Cette politisation a été particulièrement rendue
visible à partir de 1981 du fait des alternances politiques multiples depuis cette date. En Allemagne aussi les fonctions les plus
élevées au sein de l’administration fédérale (secrétaire général d’un ministère fédéral et directeur de service d’une
administration fédérale), soit environ 150 postes, sont attribuées directement par le pouvoir exécutif. On parle de ce fait de
postes de fonctionnaires politiques (politische Beamte). Et, comme en France, il s’agit de hauts fonctionnaires de carrière. En
revanche, le Royaume-Uni s’est longtemps caractérisé par une plus forte séparation entre haute fonction publique et
gouvernement. Les postes les plus élevés de la hiérarchie du Civil Service (en particulier celui de permanent secretary,
l’équivalent du poste de secrétaire général d’un ministère), ne s’obtiennent qu’à l’issue d’une carrière au sein de
l’administration, les nominations à ces postes relevant d’une instance administrative (et non du gouvernement), le Senior
Appointment Selection Committe, présidé par le chef du Civil Service. Toutefois, l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en
1979, ici comme pour d’autres domaines, marque une rupture importante. Désormais, le Premier ministre intervient
directement dans le processus de nomination des secrétaires permanents et de leurs adjoints et peut décider de départs à la
retraite anticipés et de renvois. Il en résulte une moindre prise en compte des logiques de carrières internes à l’administration,
voire la nomination de non-fonctionnaires aux postes de secrétaire permanent, de chef de service ou de directeur d’agence
administrative.
Se pose toutefois la question de savoir si ce pouvoir de nomination par les gouvernants correspond véritablement à un
contrôle politique de l’administration. Pour y répondre on peut d’abord considérer le rapport à la politique des hauts
fonctionnaires. Selon l’enquête de Luc Rouban (1998a), menée sur la période 1984-1995, 36 % des directeurs d’administration
centrale font état d’un engagement politique, expression par laquelle il faut entendre des activités militantes au sein d’un parti
et/ou des activités au sein de clubs, de syndicats… Ce chiffre traduit le fait que l’appartenance à un parti est loin d’être le cas
majoritaire et que, de manière générale, il n’est pas possible pour les gouvernants, du fait du nombre de postes à pourvoir (aux
États-Unis encore plus qu’en France), de ne recruter que des fonctionnaires politiquement proches. D’autres logiques entrent
ainsi en jeu, en particulier des réseaux d’interconnaissance internes à l’administration dans le cas de la France, liés aux « policy
activists » (lobbyists, experts…) aux États-Unis. Ce sont alors des logiques sociales, souvent liées à des lieux de formation
partagés (grandes écoles en France, universités de l’Ivy League aux États-Unis) et à des origines sociales proches, qui prennent
le pas sur des logiques politiques au sens strict. Enfin, l’accent mis sur les dynamiques politiques ne doit pas occulter le rôle que
jouent les critères de compétence.
Ces éléments permettent de comprendre l’autonomie de certains groupes de hauts fonctionnaires dans le cadre de la conduite
des politiques publiques, exerçant ce que l’on appelle alors un « pouvoir technocratique ». Cette expression renvoie à deux
éléments principaux : d’une part la neutralité vis-à-vis du politique, d’autre part la détention d’une compétence qualifiée de
technique (administrative, économique, juridique…). Le technocrate est de ce fait en quelque sorte la quintessence du
fonctionnaire webérien. Mais, en même temps, il exerce un pouvoir (kratos), il représente alors plutôt la figure inversée de celle
du politique, que le technocrate supplante par le pouvoir qu’il exerce (Dubois et Dulong, 1999). « Technocratie » s’oppose donc
aussi à « démocratie » et renvoie à un conflit de légitimité. On comprend alors qu’en fonction des époques et des acteurs qui
l’utilisent et de l’usage qui en est fait, le terme peut être connoté positivement (par exemple par les tenants d’une troisième voie
dans les années 1930 refusant le clivage gauche/droite et les jeux parlementaires) ou au contraire négativement (en opposant le
technocrate au peuple, la technocratie à la démocratie, de façon souvent démagogique, voire populiste). La dénonciation de la
technocratie est indéniablement une figure de rhétorique politique très prisée dans les démocraties contemporaines3, surtout
dans le contexte de remise en cause de l’interventionnisme étatique.
Malgré ces usages multiples et contrastés qui rendent problématique le recours à la notion de « technocratie », celle-ci a
néanmoins une certaine pertinence dans le cadre de l’analyse des politiques publiques pour appréhender le rôle dominant que
jouent des hauts fonctionnaires dans la conduite de l’action publique. Ce phénomène a été très visible lors des Trente
Glorieuses, période de fort interventionnisme étatique porté tout particulièrement par les hauts fonctionnaires, notamment en
France. Dans les années 1960 certaines politiques publiques, parmi les plus emblématiques de la modernisation étatique
impulsée par le régime gaullien, ont été portées par des grands corps4. Ils dominent un grand nombre de politiques sectorielles
par une présence forte au niveau politique (au sein des cabinets ministériels), au niveau administratif (direction et sous-
direction des administrations centrales) et au niveau des entreprises publiques, voire privées (par le pantouflage), souvent en
position de monopole ou de quasi-monopole dans un secteur donné.
Cohen, 1992.
Ces exemples correspondent à la gestion autonome d’un secteur d’activité par un groupe de hauts fonctionnaires, appartenant
au même (grand) corps. Ce mode de domination de politiques publiques par un groupe d’acteurs administratif est emblématique
des années 1960 et de la première moitié des années 1970 (Thoenig, 1987). Toutefois, un certain nombre d’évolutions tendent à
le remettre en cause, suscitant de multiples interrogations autour de la « fin des technocrates » (Rouban, 1998c). En effet, trois
évolutions semblent aller dans ce sens. Il faut, tout d’abord, évoquer le « tournant néolibéral » des politiques publiques (Jobert,
1994) qui correspond à une remise en cause de la légitimité de l’intervention étatique, ce qui saperait le pouvoir des hauts
fonctionnaires. On peut également mettre en avant le caractère plus transversal de l’action publique qui érode le pouvoir de
grands corps techniques qui se sont affirmés sur la base d’une logique sectorielle. Enfin, et peut-être surtout, on assiste à une
multiplication des acteurs de l’action publique, notamment du fait de la décentralisation et de l’approfondissement de
l’intégration européenne, qui conduit à mettre en cause le monopole exercé par des grands corps sur des domaines de politiques
publiques. Ces évolutions indéniables ne conduisent cependant pas ipso facto à un déclin inéluctable du rôle des hauts
fonctionnaires en France, lesquels se sont également adaptés à ces transformations, comme le montre le domaine de la
protection sociale où l’on assiste à l’affirmation d’une nouvelle élite de hauts fonctionnaires.
Si les grands corps sectoriels font preuve d’une forte capacité d’adaptation aux transformations de l’action publique, il n’en
reste pas moins que ces évolutions ont complexifié les rapports entre administration et politique qui ne peuvent pas se réduire
au simple contrôle d’une catégorie d’acteurs de l’action publique sur l’autre. En fin de compte, ce sont plus les
interdépendances qui sont notables. Elles peuvent être appréhendées à l’aide de la notion de « politisation fonctionnelle ».
Dans le cadre d’une étude portant sur les hauts fonctionnaires allemands depuis 1970, Renate Mayntz et Hans Ulrich Derlien
(1989) distinguent deux modalités de politisation : la politisation partisane et la politisation fonctionnelle. La première renvoie à
l’appartenance à un parti politique et plus généralement à la proximité partisane, la seconde à la prise en compte de la
dimension politique de leurs activités, c’est-à-dire les enjeux de pouvoir, les conflits et les contraintes politiques pesant sur les
politiques publiques. La politisation fonctionnelle se traduit aussi par le fait que les compétences politiques sont considérées par
les hauts fonctionnaires comme une condition nécessaire à l’occupation de postes élevés de responsabilité administrative.
Surtout, cette politisation fonctionnelle « implique une plus grande sensibilité des hauts fonctionnaires à la prise en compte de
la faisabilité politique et entraîne une sorte d’autocontrôle politique des hauts fonctionnaires sous la forme de l’anticipation des
réactions du gouvernement et du Parlement dans leurs propositions de mesures de politiques publiques et de textes législatifs »
(p. 402). Cette forme de politisation, loin d’être spécifique à l’Allemagne, détermine fortement la capacité d’action publique des
hauts fonctionnaires. Elle les conduit à intégrer l’ensemble des enjeux, y compris politiques (et pas seulement juridiques,
techniques ou financiers) d’une politique publique afin de permettre une prise en compte par le pouvoir politique de leurs
propositions. Ainsi, dans les directions administratives les plus puissantes (comme la direction du Trésor en France),
« les hauts fonctionnaires comprennent la logique du politique au double sens du terme puisque, cum-prehendere, ils la
prennent avec eux, l’insèrent dès l’amont de la décision, l’intègrent dans leur réflexion préparatoire et sont ainsi en mesure
d’aller jusqu’au bout de cette préparation, car ce qu’ils produisent n’est pas un exposé d’hypothèses, un avant-projet
technicien à retravailler par le cabinet mais « le produit final » qui sort des services en bonne et due forme décisionnelle en
ayant « intégré tous les paramètres » administratifs – aspects techniques, juridiques, financiers, procéduraux, etc. – et
politiques – depuis la mise en cohérence avec la « politique générale du gouvernement » jusqu’aux aspects de « politique
politicienne » liés aux équilibres internes à la majorité en passant par l’organisation de la couverture médiatique, les
anticipations quant aux répercussions sur la cote de popularité du Premier ministre ou encore les effets possibles sur la
« crédibilité » de la France dans le monde. Par ce travail, les hauts fonctionnaires exercent un rôle objectivement pré- ou quasi
politique ».
Eymeri, 2003, p. 73.
De ce fait, « la prescription de rôle de l’administrateur loyal est bien de “faciliter le travail de choix” du politique en lui
désignant le plus clairement possible “la bonne solution” » (p. 71).
La politisation fonctionnelle est liée à plusieurs évolutions actuelles des politiques publiques. Tout d’abord, la transversalité de
l’action publique contemporaine accroît les interactions entre hauts fonctionnaires et gouvernants, les hauts fonctionnaires et
« leur » ministre devant faire bloc pour l’emporter dans le cadre de la négociation interministérielle. L’anticipation des
dimensions politiques (électorales, partisanes, en termes d’opinion publique, institutionnelles, etc.) et des réactions des autres
ministres joue de ce fait un rôle stratégique majeur. En second lieu, les réformes managériales des administrations, en ayant
notamment pour objectif de centrer l’activité des hauts fonctionnaires vers le pilotage stratégique et de les rendre plus
responsables de l’action du pouvoir politique en place, contribue à rendre l’activité administrative plus fonctionnellement
politisée. Le cas britannique illustre clairement le lien entre nouveau management public et politisation croissante de la haute
fonction publique (Clifford et Wright, 1998). Enfin, l’affirmation des gouvernements locaux participe du même processus.
Les hauts fonctionnaires intègrent le politique dans l’ensemble de leurs réflexions et propositions, mais aussi de leurs actions.
La politisation fonctionnelle se traduit également par la prise en charge d’une activité de croissante de négociation avec des
acteurs non étatiques, en particulier des groupes d’intérêts, afin, à la fois, d’anticiper des réactions aux projets de politique
publique émanant du gouvernement, d’agir sur celles-ci, de maximiser les chances de succès de la politique gouvernementale
et, en fin de compte, de faire accepter des changements de l’action publique par un public le plus large possible. Les hauts
fonctionnaires participent ainsi à la légitimation politique des politiques publiques en contribuant à la production des
compromis politiques, au sein du gouvernement, avec les parlementaires, les partis et les groupes d’intérêts.
La politisation fonctionnelle contribue indéniablement au brouillage des frontières entre administration et politique et traduit
le fait que les hauts fonctionnaires jouent un rôle de gouvernant en interaction avec des élus. Il nous faut maintenant analyser la
participation de ces derniers à la construction collective de l’action publique afin de poser plus largement la question de
l’articulation policy/politics.
La différence principale entre les hauts fonctionnaires et les acteurs politiques tient au fait que ces derniers sont engagés
directement dans la compétition électorale pour occuper des postes de gouvernants au niveau national et local. C’est pour cela
que nous les désignerons principalement par le terme d’élus. L’élection représente une ressource à la fois spécifique et décisive
pour cette catégorie d’acteurs (même si elle n’est pas la seule comme nous le verrons) pour intervenir dans la construction de
l’action publique ; elle est aussi un déterminant fort des stratégies poursuivies par ces acteurs dans le cadre des politiques
publiques.
L’élection représente en effet une ressource déterminante pour deux raisons principales. La première tient au fait qu’elle
confère une légitimité supérieure aux autres acteurs en termes d’expression d’un intérêt général (ou tout au moins des intérêts
d’une majorité). Même si plusieurs éléments peuvent affaiblir cette ressource de légitimité (faible participation à l’élection,
résultat serré voire contesté de celle-ci, cote de popularité mesurée par les sondages…) il n’en reste pas moins que seul un élu
du suffrage universel peut prétendre s’exprimer au nom des citoyens. Symboliquement, le point de vue de l’élu « pèse » donc
plus que les autres acteurs. Il occupe de ce fait une fonction de « généraliste » qui lui donne un rôle important dans la
construction des problèmes en enjeux collectifs et dans la définition des cadres (cognitifs, budgétaires, institutionnels,
territoriaux…) de l’action publique (Douillet, Robert, 2007). En second lieu, l’élection donne accès à des positions clefs pour la
construction de l’action publique : des positions exécutives et des positions législatives. Elles permettent un accès privilégié à
l’élaboration de l’agenda (national ou local) et aux processus décisionnels. L’importance de ces positions n’est toutefois pas
uniquement liée aux résultats des élections mais aussi à l’architecture institutionnelle du pouvoir politique national (rapport
entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, organisation du pouvoir exécutif, rapports gouvernement/administration…) et local
(degré d’autonomie des pouvoirs locaux, rapports entre exécutifs locaux et assemblées locales, compétences et moyens
administratifs des autorités locales…). De ce fait les élus sont à même de jouer un rôle clef dans l’action publique, en particulier
ceux occupant les positions politiques les plus importantes (chef de l’exécutif) et cumulant des ressources nombreuses
(également liés au charisme personnel, à une image politique, à une carrière politique longue, à l’occupation de postes
politiques multiples – cumul de mandats en particulier –, à la direction d’un parti…) : les leaders. Toutefois, l’accent mis sur de
tels acteurs politiques majeurs présente le risque de verser dans une vision héroïque négligeant d’autres aspects expliquant la
construction de l’action publique par des acteurs politiques.
On peut le voir à travers les débats, outre-Manche, sur le rôle de Margaret Thatcher dans les changements qu’ont connu les
politiques publiques britanniques dans les années 1980 (Moon, 1995). Les risques de survalorisation du rôle de ce leader en se
focalisant sur lui ont été soulignés. En particulier, la dimension contextuelle (tant économique que politique) du
« thatcherisme » a été mise en évidence (Marsh, 1994), tout comme l’existence de précédents antérieurs à son arrivée au
pouvoir. Ces éléments conduisent à poser des questions d’ordre méthodologique. En effet, pour cerner rigoureusement le rôle
d’un leader politique, il faut non seulement parvenir à démêler l’écheveau du conjoncturel et du structurel, mais aussi, et
surtout, rendre compte de ses conceptions en matière d’orientation de l’action publique ainsi que de son appréciation des
contextes d’action et de la « faisabilité politique » (May, 1986). Le recueil d’un matériau5 permettant de reconstituer une
trajectoire personnelle faite de processus d’accumulation de ressources, de socialisation intellectuelle et d’expériences multiples
s’avère donc nécessaire. Il est surtout indispensable d’appréhender le leader en interaction, en prenant en compte le rôle de son
entourage (dans le cas de M. Thatcher, les think-tanks néoconservateurs) et de ses soutiens. La notion de leadership s’avère de
ce fait plus opératoire puisqu’elle renvoie à un système d’interactions fortement structuré autour d’un élu doté d’un ensemble
de ressources diversifiées (politiques, positionnelles, sociales, économiques…) lui permettant d’occuper une position dominante.
Elle permet de prendre en compte la « configuration sociale » dans laquelle s’inscrit un leader « perçu et présenté comme
indispensable à la poursuite de relations bénéfiques, institué comme un garant d’un système qui assure à tous les joueurs (du
moins le croient-ils) leur maintien dans des jeux imbriqués, la préservation ou l’amélioration de leurs positions, la satisfaction de
leurs intérêts vitaux et la légitimation de leurs pratiques et des valeurs auxquelles ils sont attachés » (Lagroye, 2003a, p. 53).
Autrement dit, un leader n’existe que parce qu’il est en mesure de mobiliser une équipe autour de lui qui va largement
contribuer à atteindre des buts politiques, notamment à travers certaines décisions de politique publique. Il faut donc
pleinement intégrer le fait que « l’entreprise politique est toujours une entreprise collective quel que soit son degré de
personnalisation » (Sawicki, 2003, p. 82). Comme les autres acteurs des politiques politiques les élus sont à analyser en
interaction et de manière contextualisée comme le montre l’exemple de la réforme militaire de 1996.
Irondelle, 2011.
Pour comprendre le rôle des élus dans l’action publique il faut aussi tenir compte des orientations spécifiques que poursuivent
leurs stratégies du fait de leur inscription dans la compétition électorale et plus largement dans la lutte pour la détention et/ou
la conservation du pouvoir politique.
Pour analyser ces orientations on peut partir de la distinction que propose R. Kent Weaver (1986) entre trois motivations des
acteurs politiques pour agir sur les politiques publiques appelle : la « good policy » (adopter une politique parce que les acteurs
politiques pensent qu’elle est bonne et nécessaire sans se préoccuper de ses effets électoraux), le « credit claiming » (la
recherche de gains électoraux) et la « blame avoidance » (l’évitement de sanctions électorales). La première logique n’a pas
vraiment fait l’objet de travaux spécifiques (et Weaver ne la développe pas dans son article), elle suppose de déployer une
approche cognitive centrée sur l’apprentissage d’un domaine de politique publique par des acteurs politiques clefs en termes
d’expérience (directe et indirecte) et de socialisation intellectuelle. La seconde motivation a été surtout développée par
l’approche en termes de choix rationnels. Elle part du postulat que les partis politiques mènent des politiques publiques afin de
maximiser les votes. Prolongeant les analyses pionnières d’Anthony Downs (1957), ces travaux se sont surtout intéressés aux
politiques en matière de transferts sociaux. Ils mettent en évidence l’orientation de ces politiques vers l’électeur médian afin
d’obtenir le gain électoral maximal et l’existence de variations conjoncturelles dépendant de la proximité ou non d’une échéance
électorale (political business cycle). Ainsi, Robert Franzese (2002), s’appuyant sur une large gamme d’études, souligne que les
dépenses publiques de transfert sont significativement plus élevées les années d’élections, ce qui conduit à un déficit
supplémentaire et à un accroissement de la dette publique. Mais, en élargissant la perspective au-delà des dimensions
financières, on constate que les effets de l’horizon électoral sur l’action publique sont ambivalents (de Maillard, 2006). Dans
certains cas, « la proximité d’une échéance peut conduire des gouvernements à hâter la mise en œuvre d’un dispositif afin de
pouvoir en retirer des bénéfices politiques » (p. 48-49). Il donne comme exemple la généralisation de la police de proximité à
l’approche de l’élection présidentielle de 2002 ; au niveau local cette dynamique se traduit notamment par l’accélération de la
réalisation d’un équipement public afin de l’inaugurer à la veille des élections. À l’inverse, la proximité d’élections peut aussi
conduire à repousser des décisions afin d’éviter une sanction dans les urnes.
C’est sur cette troisième motivation (blame avoidance) que Weaver met l’accent. Son argument central repose sur le fait que
« les électeurs sont plus sensibles à ce qu’on leur a fait qu’à ce que l’on fait pour eux » (p. 373)6. Ce « biais négatif » dans le
comportement électoral est également lié au déclin des identifications partisanes (volatilité croissante du vote) et au fait que les
électeurs ont tendance à avoir un vote plus rétrospectif (portant sur les politiques passées) que prospectif (espoirs placés dans
les programmes et les promesses électorales). Surtout, joue le caractère plus ou moins concentré des bénéfices et des coûts.
Dans un contexte global de pression à la maîtrise des dépenses publiques, un nombre croissant de politiques publiques a un
coût concentré et visible à court terme (en particulier pour certains groupes) et un bénéfice diffus et peu visible à moyen et long
terme. Ces deux aspects permettent de comprendre que les périodes préélectorales soient plutôt des périodes de non-décision.
C’est ce que montre, par exemple, le cas des nombreux plans de redressement des comptes de la Sécurité sociale adoptés en
France dans les années 1980 dans un contexte de déficits sociaux structurels. En effet, aucun de ces plans, au coût concentré,
car comprenant des augmentations de cotisations et/ou des diminutions dans la prise en charge de prestations, n’a été adopté
moins d’un an avant une échéance électorale importante (Palier et Surel, 2001).
La non-décision n’est cependant pas la seule option possible pour éviter le risque d’une sanction électorale, d’autant plus que
celle-ci peut aussi être produite par l’inaction, notamment lorsqu’un gouvernement a été élu sur un programme de changement
bénéficiant à des clientèles électorales7. Weaver dresse une liste d’autres stratégies possibles (p. 384-390) : limiter l’agenda
(retirer un enjeu potentiellement coûteux de l’agenda), redéfinir l’enjeu (afin de rendre le coût de sa prise en charge moins
visible), différer les effets d’une décision (en reportant la mise en œuvre au-delà de l’échéance électorale), déléguer la décision
à des instances non politiques (à des agences indépendantes ou par la mise en place d’instruments automatiques), trouver un
bouc émissaire (en imputant la responsabilité de décisions impopulaires à l’héritage du gouvernement précédent ou à des
éléments extérieurs), produire un consensus (afin de répartir le blâme sur le plus grand nombre d’acteurs politiques)8.
L’analyse des dimensions électorales de l’action publique présente le double intérêt de prendre en compte, d’une part, des
données issues de la sociologie électorale (motivations des électeurs) et, d’autre part, les caractéristiques des systèmes
politiques dans le cadre desquels sont menées les politiques publiques. Ainsi, Weaver souligne que le choix entre stratégie de
credit claiming et de blame avoidance dépend du nombre de partis en compétition pour l’exercice du pouvoir, le bipartisme
conduisant à privilégier l’évitement de la sanction électorale du fait de la concentration de la responsabilité sur un parti. De la
même façon influent la composition des gouvernements (coalition ou non), l’importance de la prééminence de l’exécutif, le degré
de centralisation du système politique. Les dimensions électorales ne peuvent pas être isolées d’autres aspects liés à
l’organisation et au fonctionnement des régimes politiques et ses effets sont multiples et ambivalents. Ajoutons que
l’administration de la preuve en ce domaine nécessite d’apporter des éléments empiriques sur la façon dont les acteurs
politiques se représentent les coûts et les bénéfices électoraux d’une politique publique, ce qui n’est pas sans poser des
problèmes méthodologiques.
L’analyse des dimensions électorales dans l’action publique conduit à mettre en évidence la place que celle-ci occupe dans la
compétition pour le pouvoir politique. Elle est liée au fait que les politiques publiques sont en elles-mêmes des ressources
politiques contribuant à la légitimité des élus.
L’analyse de la légitimation politique sur la base de politiques publiques suppose de mettre l’accent sur la dimension
symbolique de l’action publique. De ce point de vue, les mots comptent autant, sinon plus, que les résultats concrets des
politiques dans la mesure où, comme l’a souligné Edelman (1977), il est parfois plus important pour les gouvernants de montrer
qu’ils se préoccupent d’un problème que d’agir sur ce problème. Les travaux qui s’inscrivent dans cette perspective prêtent une
attention particulière aux stratégies discursives (vocabulaire, expressions, connotations, argumentations, figures de
rhétorique…) déployées par les acteurs politiques dans le cadre des politiques publiques comme on l’a vu dans le chapitre 1.
Ce cadre d’analyse permet d’appréhender l’action publique comme une dimension clef de la légitimation politique dans un
régime démocratique. Les politiques publiques sont un élément essentiel de l’un des fondements de la démocratie
représentative : la responsabilité politique. Son exercice suppose en effet que l’électeur puisse imputer des décisions et des
réalisations à un élu, sinon la procédure électorale perd son sens : pourquoi élire des gouvernants s’ils ne décident pas et/ou
s’ils ne sont pas responsables de réalisations concrètes ? L’imputation politique joue ici un rôle essentiel.
Ce mécanisme relève du registre symbolique puisqu’il se base sur des discours et sur des mises en scène de soi de la part des
élus. Le discours d’imputation fonctionne sur la base d’attributions causales comme l’a montré Christian Le Bart au niveau
municipal (1992) et au niveau national (1990). Ces attributions causales fonctionnent à la fois dans un sens positif (un maire ou
un chef de gouvernement s’impute la responsabilité de telle politique et surtout de ses effets) et négatif (les opposants
attribuent les effets d’une politique à un responsable politique clairement identifié). Elles s’exercent tout particulièrement à
propos d’indicateurs statistiques et de données chiffrées renvoyant à des politiques publiques ayant une forte visibilité dans
l’espace public : taux de chômage, nombre de crimes et délits, taux de croissance économique, situation budgétaire de la
Sécurité sociale… Dans un sens positif les gouvernants vont se prévaloir d’indicateurs favorables (« J’ai fait diminuer la
délinquance » pour un ministre de l’Intérieur à propos d’indicateurs comptabilisant les crimes et délits), dans un sens négatif les
opposants vont utiliser d’autres indicateurs pour mettre en cause les gouvernants (« Le gouvernement est responsable de
l’augmentation du chômage »). L’un des effets de ces discours d’imputation est d’ailleurs de susciter des polémiques sur le type
d’indicateurs mobilisés, leur construction et leur mode de calcul.
Surtout, ces deux types d’attributions causales ont pour point commun de faire fonctionner un double mythe : celui de la
capacité d’action des acteurs politiques, ayant des responsabilités exécutives (locales ou nationales), sur les politiques publiques
(mythe du décideur politique) et sur la société (mythe du changement socioéconomique impulsé par la politique). Ce double
mythe est essentiel à la démocratie représentative puisqu’il légitime la compétition électorale dans ses fondements mêmes.
L’imputation fonctionne également à partir d’autres mécanismes. On peut notamment mentionner la production législative.
Dans un régime politique dominé par l’exécutif (comme la Ve République), les ministres cherchent à attacher leur nom à des lois
dont ils ont l’initiative. Cette logique d’imputation s’est accélérée, comme le traduit la multiplication par quatre du nombre
annuel de lois votées depuis 1958 (avec une augmentation de 50 % depuis 1995) en France. On peut faire l’hypothèse que cette
« inflation législative » n’est pas sans lien avec la perte de la marge d’action des gouvernants (en matière budgétaire en
particulier) du fait de l’intégration européenne, mais aussi de la mondialisation et de la décentralisation. Il s’agit par là de
réaffirmer la capacité d’action des élus dans un contexte où celle-ci est sérieusement érodée. Il en résulte une multiplication de
lois principalement déclamatoires qui se limitent à affirmer des principes et des déclarations d’intention sans forcément prévoir
les modalités et les instruments de mise en œuvre concrète. L’effet d’affichage symbolique prime alors clairement sur l’action
publique effective.
L’imputation repose, enfin, sur le recours à la communication qui permet de mettre en scène publiquement les élus. Ce
recours est particulièrement visible au niveau local dans le cadre de processus de construction politique de territoires qui
permettent à la fois de produire une image positive d’un territoire local et de valoriser l’élu qui l’incarne parce qu’il dirige
l’exécutif local.
Nay, 1994.
L’attention prêtée aux stratégies discursives, au vocabulaire et à la dimension symbolique conduit à analyser la légitimation
politique des politiques publiques à partir des discours de justification qui l’accompagnent. Ces dernières années, la rhétorique
de la démocratisation a pris une importance croissance pour légitimer l’action publique. On peut donner l’exemple des réformes
administratives depuis les années 1980, qui s’appuient de façon croissante sur la référence à l’usager dans le cadre d’une
orientation démocratique et participative (Warin, 1997) : affirmation des droits de l’usager, émergence de la figure de l’usager
citoyen, appel à la participation des usagers à la production des politiques publiques par la mise en place de structures de
concertation… La démocratisation est parfois inscrite dans l’intitulé même des lois (par exemple la loi sur la « démocratie
sanitaire » adoptée en 2002, qui accroît les droits du patient dans le système de santé). Le déploiement de ces termes et de ces
discours vise à produire de l’acceptabilité politique. Cette construction de l’acceptabilité politique renvoie plus largement au
recours à une large palette de techniques politiques comme le montre l’exemple du pacte de relance de la ville de 1996, créant
les zones franches urbaines.
Rasmussen, 2002.
Aborder ainsi les politiques publiques permet de souligner qu’elles n’existent pas sans toute une série de dispositifs de
légitimation politique qui permettent leur acceptation. Ce travail de légitimation est tout particulièrement le fait des élus parce
qu’il représente une ressource dans la compétition politique.
Les politiques publiques peuvent aussi être appréhendées comme une ressource politique permettant d’affirmer une identité
partisane ou idéologique, dans une logique de démarcation vis-à-vis de concurrents politiques comme le montre l’exemple de la
« troisième voie » portée par Tony Blair et le New Labour en Grande-Bretagne (Lewis, 1999). Le dépassement de l’alternative
entre l’État et le marché, qui est au cœur de ce discours politique, s’appuie notamment sur des notions telles que celles de
« responsabilité », d’« égalité des chances » et d’« intégration ». Cette identité politique, mise en scène comme « nouvelle », est
rendue visible et affichée à travers des politiques publiques emblématiques.
Greener, 2003.
Les acteurs politiques investissent des enjeux et des mesures permettant d’activer ou de réactiver des identités politiques à
des fins de polarisation et donc de positionnement dans le cadre de la compétition partisane. En France, dans les années 1980,
les nationalisations puis les privatisations ont joué ce rôle d’enjeu clivant. Mesure phare du programme commun de la gauche,
les nationalisations ont été opérées rapidement après 1981, en faisant l’objet d’une priorité politique claire. Incarnant la rupture
politique sur le plan économique, elles ont concerné de larges secteurs de l’économie (en particulier dans le domaine industriel
et bancaire) et ont été réalisées à 100 % pour en accroître la portée symbolique. Elles ont de ce fait joué le rôle de marqueur
identitaire principal, tant pour le parti socialiste que pour le parti communiste, ce qui explique l’intensité de l’opposition qu’elles
ont suscitée de la part des partis de droite (notamment à l’Assemblée où a été déclenchée une véritable « guérilla
parlementaire »). Il en a aussi résulté que les privatisations ont été érigées au rang de priorité principale par la droite
parlementaire lors de la campagne électorale des élections législatives de 1986. La rapidité et l’importance des privatisations de
1986 reflètent symétriquement celles des nationalisations de 1982 et visent tout autant à symboliser le changement politique.
Une analyse similaire, pour cette période, peut être faite pour l’impôt sur les grandes fortunes instauré à la suite de l’alternance
politique de 1981 et supprimé après celle de 1986. Ces mesures perdent toutefois de leur portée politique dans les années 1990,
à partir du moment où la gauche ne remet pas en cause les privatisations après 1988 et la droite la (re)création de l’impôt de
solidarité sur la fortune (ISF), après son retour au pouvoir en 1993. À la suite de l’alternance de 1997, la semaine de 35 heures
devient un nouvel enjeu clivant. C’est la mesure sociale et économique emblématique du gouvernement Jospin qui fait l’objet
d’une remise en cause progressive après le retour de la droite au pouvoir en 2002 et l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007.
Cette analyse diachronique montre que certains enjeux et certaines mesures font l’objet, pendant une période particulière, d’un
fort investissement partisan car elles permettent de mettre en scène publiquement la polarisation politique dans un contexte
politique donné. On comprend ainsi les effets des alternances politiques sur l’action publique : elles concernent principalement
les domaines de politique publique dont les enjeux ont été fortement politisés (de Maillard, 2006).
Au-delà du contexte électoral, il faut souligner que, de manière générale, ce sont des enjeux et des mesures susceptibles à la
fois de rencontrer un large écho public et de se prêter à une grille de lecture politique qui font de manière prioritaire l’objet
d’une politisation partisane. Il s’agit le plus souvent de mesures immédiatement lisibles, à la technicité relativement faible,
faisant écho à des préoccupations immédiates d’un grand nombre de citoyens (emploi, croissance, insécurité, impôt…) et
susceptibles d’effets visibles à court terme. Le cas des politiques familiales le montre assez bien.
La prise en compte des élus, plus précisément de leurs ressources, de leurs stratégies et de la façon dont ils font des
politiques publiques des ressources politiques conduit à poser la question plus large de la place de la politique (politics) dans les
politiques publiques (policies).
La question Does politics matter ? occupe une place centrale dans les travaux intégrant la dimension politique dans l’analyse
des politiques publiques, largement focalisés sur la question de l’impact des partis politiques sur l’action publique.
La réponse à la question Do parties matter ? s’est d’abord fondée sur des indicateurs quantitatifs portant, en particulier, sur le
niveau de dépenses publiques, le niveau de dépenses sociales, le taux d’imposition, le taux d’inflation ou le niveau de chômage.
Des séries chronologiques concernant ce type de données ont été corrélées à l’orientation partisane des gouvernements. Comme
l’a souligné Klaus von Beyme (1984), cette approche peut faire l’objet d’une triple critique. Tout d’abord, la mesure de la
variable politique par le parti au pouvoir conduit à négliger toute une série d’autres éléments explicatifs : la structure
institutionnelle du pouvoir (qui détermine la capacité d’action du gouvernement), l’existence de coalitions majoritaires,
l’attitude de l’opposition, le contexte socioéconomique, le rôle des groupes d’intérêts auxquels sont liés les partis (en particulier
les syndicats pour les partis sociaux-démocrates)… Le deuxième ordre de critique repose sur la mesure des outputs : ces
indicateurs quantitatifs ont pour double inconvénient de ne pas rendre compte des éléments non quantifiables de l’action
publique et de se limiter à un nombre restreint de politiques publiques (les politiques macroéconomiques et de protection
sociale principalement). Enfin, les résultats empiriques obtenus ne permettent pas d’établir de corrélation nette entre output de
politique publique et parti politique au pouvoir. Ainsi Burstein et Linton (2002), à partir d’une revue détaillée, de ces travaux
soulignent que seule la moitié d’entre eux concluent à l’existence d’un lien significatif entre partis et politiques publiques.
Le rôle limité des partis politiques a également été mis en avant par les travaux mettant en évidence le poids plus important
de l’opinion publique. Son impact a été essentiellement analysé aux États-Unis à partir de deux notions : celle de consistance et
celle de congruence (Gerstlé, 2003, p. 862-867). La première mesure la correspondance entre la distribution des opinions
(opinion majoritaire) et des nouvelles orientations de politiques publiques, la seconde, plus précise et plus pertinente, vise à
rendre compte d’un changement de politique publique consécutif à un changement de l’opinion publique. Dans cette
perspective, Benjamin Page et Robert Shapiro (1983), qui ont travaillé sur 357 cas de changements de l’opinion sondagière
américaine entre 1935 et 1979, concluent à un niveau de congruence de 2/3 – autrement dit, dans les deux tiers des cas le
changement d’opinion mesuré se traduit par un changement correspondant dans la politique publique concernée. Ils mettent
aussi en avant le fait que lorsque l’enjeu est saillant, le niveau de congruence est supérieur à 85 %. Enfin, ils soulignent que plus
le changement d’opinion est important, plus la congruence est probable, confirmant en cela d’autres travaux.
Ces approches, américaines essentiellement, qui concluent à un impact significatif de l’opinion publique sur l’orientation des
politiques publiques, ont suscité des critiques de plusieurs ordres (Gerstlé, 2003, p. 867 sq.). On peut tout d’abord mentionner
les critiques d’ordre méthodologique du fait des biais liés notamment à la sélection des cas, à l’agrégation des réponses et à
l’omission d’autres variables. Viennent ensuite les critiques liées aux modes de prise en compte de l’opinion publique, en
particulier le fait que l’attention et l’intérêt porté aux politiques publiques ainsi que le degré de connaissance et de
compréhension de celles-ci par les personnes interrogées est le plus souvent faible et variable. Enfin, troisième ordre de
critiques, il faut également tenir compte du fait que les gouvernants (et d’autres acteurs des politiques publiques) cherchent à
agir sur l’opinion publique, en particulier en rendant saillants certains enjeux de politique publique qui vont alors structurer les
débats publics. De ce point de vue, les sondages ne sont pas seulement un outil de mesure de l’opinion mais aussi une ressource
utilisée par les gouvernants pour agir sur les représentations des citoyens et légitimer des choix.
D’autres travaux (Schmidt, 1996 ; Balme et Brouard, 2005) ont permis d’affiner la mesure du rôle des partis politiques,
notamment par la prise en compte de la composition des gouvernements et par celle du type de démocratie (majoritaire ou non).
De nouveaux indicateurs d’outputs (par exemple le taux d’employés dans le secteur public ou la part de celui-ci dans l’économie)
ont également été construits.
Boix, 1997.
Il n’en reste pas moins que ce type d’analyse ne permet pas d’appréhender de façon satisfaisante le rôle des partis politiques.
Tout d’abord, un parti politique doit aussi être analysé en interaction (Mulé, 1997) : interactions externes (avec d’autres partis,
avec les structures gouvernementales, avec les assemblées législatives, avec les administrations, avec des groupes d’intérêts…)
et interactions internes (afin de prendre en compte le fonctionnement interne du parti politique). Cette perspective conduit
notamment à prendre en compte les formes d’échanges qui existent entre acteurs spécialisés d’une politique publique (experts,
groupes d’intérêts, hauts fonctionnaires) et les acteurs politiques.
Les interactions entre acteurs partisans et acteurs spécialisés dans le cadre de la politique du logement
L’analyse que fait Philippe Zittoun (2001) des politiques de logement en France offre un exemple éclairant de la façon dont les experts d’un domaine de
politique publique alimentent les acteurs partisans. Plus précisément, il parle d’un processus d’échange de type don/dette entre acteurs politiques et
acteurs spécialisés d’une politique publique, qui fonctionne principalement en période électorale. Les acteurs spécialisés fournissent des mesures, des
argumentaires et des analyses que les acteurs politiques utilisent dans le cadre de la compétition électorale à la fois pour se légitimer (congruence avec
l’identité politique portée par le parti) et pour se démarquer de leurs adversaires. En échange, les acteurs politiques contractent une dette qui sera
acquittée en cas d’accès au pouvoir, sous la forme de la satisfaction de revendications portées par les acteurs spécialisés et par le renforcement de leur
position et de leurs ressources. Dans le cas de la politique du logement, cet échange est particulièrement visible parce que, d’une part, il existe deux
coalitions d’acteurs spécialisés concurrentes (l’une interventionniste/universaliste, l’autre libérale), d’autre part les partis politiques, comme dans la
plupart des domaines d’action publique en France, n’ont pas d’expertise propre. On peut notamment mentionner les propositions socialistes en 1981,
inspirées par les travaux d’une commission Logement, ou la proposition de prêt à taux zéro, faite par Jacques Chirac en 1995, et découlant des travaux de
Pierre-André Perissol.
Ensuite, la différenciation partisane peut opérer à un niveau plus fin que l’orientation générale d’une politique publique,
notamment au niveau des instruments utilisés et des publics cibles.
Levy, 2001.
Il faut aussi tenir compte du fait que, pour des mesures impopulaires, les partis dont le programme et l’idéologie en sont les
plus proches ne sont pas forcément les plus à même de les faire adopter ; alors que les contraintes sont moins fortes pour les
partis qui en sont plus éloignés. Comme le rappelle Fiona Ross (2000, p. 162),
« il existe un vieil adage associé à la visite de Nixon en Chine en 1972 : la probabilité est forte pour que les dirigeants
considérés comme les plus proches d’un enjeu politique délicat soient les plus contraints. La capacité d’action politique est
d’autant plus forte qu’une action suscitant des craintes est peu probable. Lorsque des mesures de politiques publiques
impopulaires sont sur l’agenda, la marge de succès est la plus grande pour ceux dont on attend le moins qu’ils agissent ».
Ross, 2000, p. 162.
Ainsi, seul un président aussi ouvertement anticommuniste que Nixon pouvait se rendre en Chine sans être taxé de faiblesse
vis-à-vis du communisme (contrairement à un président démocrate). Si cette logique de « Nixon va en Chine » (« Nixon goes to
China ») a été mise en avant pour la politique étrangère (notamment avec le cas récurrent des faucons qui font la paix car eux
seuls ne peuvent être taxés de faiblesse), elle a peu été prise en compte pour les politiques publiques. Elle permet cependant
notamment de comprendre, à rebours des travaux quantitatifs, pourquoi des gouvernements de gauche adoptent des mesures
de restructuration de l’État-providence allant à l’encontre d’une partie de leur électorat (Ross, 2000). Les gouvernements de
gauche, même lorsqu’ils se réclament d’une « nouvelle » gauche modernisatrice, sont en effet moins suspects de remettre en
cause fondamentalement les systèmes de protection sociale du fait du lien, ancré dans les représentations collectives, entre
partis sociaux-démocrates et État-providence. Par ailleurs, ils sont plus en mesure de bâtir des coalitions ad hoc permettant,
d’une part, de diluer les risques de sanction électorale en impliquant d’autres partis ; d’autre part, de contrôler les groupes
d’intérêts les plus à même de se mobiliser contre ces mesures et de satisfaire, en contrepartie, d’autres revendications. Fiona
Ross prend l’exemple de l’adoption en 1996 du Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act sous le mandat
de Bill Clinton. Cette loi, qui réduit les responsabilités et les financements fédéraux dans le domaine social, a été soutenue par
la forte majorité républicaine au Congrès car elle allait dans leur sens. Il en va de même pour la réforme de l’assurance-maladie
allemande adoptée en 2003 par un gouvernement de gauche (SPD-Verts) avec le soutien de l’opposition chrétienne-démocrate.
La responsabilité politique de la réforme a été endossée par une « grande coalition » ponctuelle, ce qui a fortement restreint la
capacité d’intervention des différents groupes d’intérêts (Hassenteufel, 2004).
Toutefois, ce type d’explication ne vaut que pour certaines mesures de politiques publiques et n’est pas toujours pertinent, y
compris pour la restructuration de l’État-providence, comme le souligne Fiona Ross (2000) avec le cas de l’échec du
gouvernement Prodi en Italie à faire adopter des coupes dans les dépenses de protection sociale du fait de l’opposition du parti
communiste, alors membre de la coalition au pouvoir. Ces difficultés à cerner le rôle des partis politiques dans l’action publique
conduisent à analyser la place de la politique dans l’action publique au-delà du cadre partisan en s’appuyant sur la notion de
politisation.
Celle-ci peut être prise dans deux sens : au sens restreint, elle renvoie à l’inscription des politiques publiques dans la
compétition politique démocratique analysée dans la section précédente ; dans un sens plus large, elle renvoie à la prise en
charge d’une politique publique dans une arène politique, c’est-à-dire dans l’un des lieux où agissent les acteurs de la
compétition politique : sphère gouvernementale, enceintes parlementaires, organisations partisanes et espaces médiatiques
principalement. Analyser la politisation des politiques publiques ne se réduit donc pas au repérage des enjeux de politiques
publiques qui font l’objet d’affrontements politiques ni à l’étude de la mise sur agenda politique de problèmes : il s’agit plus
largement de s’intéresser à la façon dont les politiques publiques sont requalifiées dans les différents lieux du politique9.
La politisation d’un enjeu de politique publique peut alors être le produit d’une mobilisation d’acteurs en position de
prétendants, cherchant à modifier le rapport de forces au sein d’un réseau de politiques publiques, dans la mesure où la
despécialisation et la détechnicisation d’un enjeu permettent de trouver des alliés extérieurs au réseau (Baumgartner et Jones,
1993). C’est ce que montre le cas de la politique de protection maladie en France. Les experts administratifs et scientifiques
(économistes de la santé en particulier), auteurs de rapports critiques sur les politiques menées, cherchent, à partir de la fin des
années 1980, à modifier les rapports de forces qui structurent le réseau d’acteurs de cette politique, en participant de façon
croissante aux arènes médiatiques et en déployant des discours de dénonciation de « l’inertie » des acteurs politiques sur les
enjeux de santé. Cette dynamique d’interpellation du politique favorise la politisation du thème de la réforme du système de
santé, qui s’opère notamment, à la faveur d’une conjoncture politique favorable (élection présidentielle, cinquantième
anniversaire de la création de la Sécurité sociale…), au moment du plan Juppé, à l’automne 1995 (Pierru, 2007). La politisation
renvoie alors à un processus plus large de publicisation auquel contribuent non seulement des acteurs politiques mais aussi des
mobilisations, des prises de parole d’experts, les médias et des événements singuliers. Comme l’a mis en avant John Kingdon
(1984), l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité ne résulte pas seulement des flux politiques mais de leur conjonction avec le flux
des problèmes et celui des politiques publiques.
On voit par là que l’action publique est traversée par des dynamiques permanentes de politisation et de dépolitisation. Celle-ci
s’opère par diverses procédures parmi lesquelles, tout d’abord, la technicisation. Elle correspond au déplacement d’enjeux de
politiques publiques d’arènes publiques vers des forums techniques. La technicisation renvoie à la fois aux lieux du débat
(faiblement publicisés), aux intervenants (peu nombreux et dotés de fortes compétences spécialisées par rapport à l’enjeu de
politique publique) et au type d’arguments échangés (situés sur un registre technique). C’est ce que montre l’exemple de la
réforme du code pénal : « l’essentiel des choix s’effectue en commission des lois, peu de parlementaires sont mobilisés par le
sujet, il s’agit majoritairement de juristes professionnels, enfin, les arguments échangés relèvent souvent de la technique
juridique » (Poncela et Lascoumes, 1998, p. 218). La dépolitisation par la technicisation est particulièrement marquée au niveau
européen du fait des stratégies déployées par la Commission européenne pour faire prédominer un traitement technique des
enjeux, en mobilisant ses ressources d’expertise interne et des experts extérieurs qui lui sont liés (Robert, 2003 ; Smith, 2004).
On peut également remarquer que les politiques locales font l’objet d’une standardisation croissante du fait de la
professionnalisation des milieux décisionnels locaux (élus, fonctionnaires, collaborateurs) et de la circulation accélérée de
façons de faire, d’instruments, de principes d’action (« partenariat », « développement durable », « projet », « gouvernance »…)
visant à produire du consensus (Arnaud, Le Bart et Pasquier, 2007). Ainsi, la dépolitisation passe aussi par la production d’un
consensus politique, sur la base de principes présentés comme neutres mais le plus souvent polysémiques et ambigus, dont la
nécessité a été renforcée par le développement des politiques publiques contractuelles et multiniveaux impliquant un grand
nombre d’acteurs. Dans ce cas, la dépolitisation peut aller de pair avec une importante publicisation, mettant en scène le
caractère partenarial et négocié de l’action publique (de Maillard, 2000).
Enfin, la dépolitisation peut résulter du recours à des instruments discrets et/ou automatiques. Les premiers sont des
instruments dont l’usage a une faible visibilité dans l’espace public, du fait notamment de leur complexité et de leur apparente
neutralité.
Bezès, 2004.
Les seconds sont des instruments aux effets automatiques, sans décision véritable, du fait de la définition de critères précis à
partir desquels s’enclenche un dispositif d’action publique. La mesure, prétendument « objective », prévaut alors sur la
négociation politique. On assiste, par là, à un déphasage entre la temporalité de l’action publique et la temporalité de la
compétition politique, ce qui est d’ailleurs l’un des effets recherchés.
La dépolitisation progressive de la politique de la ville
Le processus de dépolitisation apparaît au cours des années 1990 avec la mise en place d’instruments automatiques focalisés sur certains quartiers, à
partir de critères stricts, dans une logique de discrimination positive territoriale. Il s’agit tout d’abord de la mise en place de la « nouvelle bonification
indiciaire » en 1992 qui permet une meilleure rémunération des agents de la fonction publique travaillant dans les quartiers de la géographie prioritaire
de la politique de la ville. Viennent ensuite les zones franches urbaines, dont les avantages fiscaux concernent les entreprises de quartiers ayant un fort
indice synthétique d’exclusion. Enfin, la mise en place de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine en 2004, dont le rôle principal est la destruction et
la reconstruction de logements, renforce encore l’objectivation de cette politique au détriment de sa logique contractuelle initiale. « En moins de dix ans,
la politique de la ville est passée d’un régime contractuel à un régime d’agence dont les subventions sont accordées aux projets des collectivités locales en
regard de critères qui revêtent, pour la circonstance, les aspects les plus objectifs (nombre de démolitions et de reconstructions, qualité du projet social et
du projet de relogement) et dont les crédits sont “sanctuarisés”, mis à l’écart de l’aléa budgétaire » (Estèbe, 2004, p. 65).
Le caractère automatique des instruments vise notamment à dessaisir les acteurs politiques de la décision dans une logique
d’atténuation des coûts politiques liés à une politique publique comme l’avait déjà souligné Weaver (1986). La diffusion
d’instruments automatiques et discrets s’inscrit dans une tendance plus générale de l’action publique contemporaine : celle de
la délégation de la production de normes d’action publique à des acteurs non étatiques dans le cadre de forums et d’institutions
techniques, telles les agences (Jobert, 2003). Cette logique entre en tension avec l’affirmation de la responsabilité politique,
élément clef de légitimation des élus par l’action publique comme on l’a vu et mis à mal par la transnationalisation de l’action
publique.
L’analyse des rapports entre policy et politics conduit donc à mettre en avant à la fois les dynamiques temporelles de l’action
publique, étroitement liées au rôle joué par les acteurs politiques, au niveau de la construction des problèmes, de leur mise sur
agenda et des processus décisionnels, et les différentes temporalités à l’œuvre dans une même politique publique. Elles se
traduisent notamment par des disjonctions entre la temporalité de la décision et celle de la mise en œuvre, résultant
d’arbitrages intertemporels (Siné, 2005) et des fortes discontinuités dans la présence des acteurs politiques qui, à certains
égards, peuvent être considérés comme des acteurs intermittents des politiques publiques, ce qui explique aussi le caractère
variable et réversible de la politisation de l’action publique. De manière plus générale, ce chapitre a cherché à souligner le fait
que les acteurs politiques ne peuvent pas être isolés des autres acteurs des politiques publiques, notamment des groupes
d’intérêts que nous allons maintenant analyser.
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1 - . Max Weber distingue en effet les « fonctionnaires spécialisés » des « fonctionnaires politiques » qui « se laissent en règle générale reconnaître extérieurement
au fait qu’ils peuvent à tout moment être arbitrairement mutés et congédiés » (p. 142).
2 - . À cette définition fonctionnelle et positionnelle, il faut ajouter une définition sociologique en termes d’élite sociale issue des lieux de formation les plus
prestigieux (en France l’ENA et d’autres grandes écoles comme l’École polytechnique et l’École des mines, Oxford et Cambridge au Royaume-Uni, les universités de
la Ivy League aux États-Unis…).
3 - . Avec de multiples déclinaisons : dénonciation des « énarques », des « eurocrates »… Rappelons aussi que « technocrate » est une des (nombreuses) insultes
proférées par le capitaine Haddock (Le crabe aux pinces d’or, p. 55).
4 - . Les grands corps forment la strate supérieure, très restreinte (quelques milliers de personnes) des hauts fonctionnaires en France. Ils se caractérisent par
une hypersélection (pour faire partie d’un grand corps, il faut sortir bien classé de l’ENA ou d’une grande école d’ingénieurs) ; par une forte cohésion interne (du
fait des liens étroits entretenus par leurs membres, de l’autogestion du corps et d’un fort sentiment d’appartenance à une même élite) ; par l’accès privilégié aux
postes les plus élevés au sein de l’État (direction des administrations d’État, cabinets ministériels…) et en dehors (dans les sphères politiques et économiques
notamment) ; enfin par un important prestige social. On distingue les grands corps administratifs (Conseil d’État, Inspection des finances, Cour des comptes,
corps diplomatique, corps préfectoral, administrateur civil des Finances…) des grands corps techniques (ingénieurs des Mines, ingénieurs des Ponts et
Chaussées, ingénieurs des Télécommunications, ingénieurs de l’Armement…).
5 - . Entretiens, archives, mémoires, biographies, autobiographies…
6 - . Il met d’ailleurs en exergue de son article une citation attribuée à Louis XIV : « À chaque fois que j’octroie un office, je crée cent mécontents et un
ingrat. »
7 - . On peut même parfois parler de « blame claiming » lorsqu’un élu fait de l’impopularité d’une réforme qu’il propose un élément attestant de son
courage politique et de légitimation du bien-fondé de celle-ci, comme l’illustre la réforme des retraites menée par Nicolas Sarkozy en 2010. On voit avec ce
cas de figure que la distinction credit claiming/blame avoidance peut être assez ténue.
8 - . Les élus peuvent aussi mettre en avant que l’inaction est aussi coûteuse que l’action : c’est la stratégie que Vis et Van Kersbergen (2007) qualifient
de « damned if you do, damned if you don’t » (p. 165).
9 - . De manière plus générale la politisation peut être considérée comme « une requalification des activités sociales les plus diverses » (Lagroye,
2003b, p. 360) à laquelle les acteurs politiques ont un intérêt important car « non seulement cette politisation peut être constituée comme ressource
dans leurs activités spécifiques (campagnes électorales, conflits avec des rivaux ou des associés rivaux, acquisition d’une notoriété accrue, capacité à
s’approprier la responsabilité de manifestations auxquelles est assignée une signification politique, etc.), mais encore elle contribue à accréditer la
croyance en la nécessité de l’action politique et en la légitimité supérieure de cet ordre d’activités ; ce faisant, elle les grandit eux-mêmes, elle ennoblit
leur rôle social » (p. 367).
Chapitre 7
Hassenteufel, 1997.
L’accent mis sur l’importance des processus de construction des intérêts conduit ainsi à souligner la diversité des intérêts mis
en avant par les représentants collectifs. Samuel Finer (1958) a proposé de distinguer groupes de défense d’avantages matériels
et groupes promotionnels d’idées ou de propagande. Cette distinction pose, d’une part, le problème d’opposer dimension
matérielle et dimension idéelle alors que ces deux dimensions sont étroitement liées ; d’autre part, elle ne permet pas de rendre
compte de façon satisfaisante de la diversité des intérêts collectifs construits, pris en charge et défendus par des représentants.
Il est plus pertinent de distinguer trois grandes catégories de groupes d’intérêts, à partir de leurs modes de définition des
intérêts collectifs qu’ils cherchent à représenter : les groupes catégoriels qui représentent des intérêts exclusifs, les groupes de
conviction qui représentent des intérêts inclusifs et les groupes territorialisés qui représentent des intérêts sur un territoire
spécifique. Les premiers renvoient à des intérêts définis par rapport à des groupes : pour appartenir à l’organisation collective,
il est nécessaire de faire partie d’un groupe (socioprofessionnel en général) dont l’organisation précise les contours. Les
syndicats professionnels forment le cas le plus courant. Parfois les groupes sont définis négativement comme l’illustre le cas des
mouvements de « sans » – sans logement, sans-papiers, chômeurs… – apparus en France depuis la fin des années 1980
(Mouchard, 2002). Les seconds (groupes de conviction) se fondent sur la référence à des valeurs à vocation universelle : tout
individu se reconnaissant dans ces valeurs peut devenir membre de l’organisation collective. Ces organisations s’appuient, le
plus souvent, sur des matrices cognitives plus structurées et plus affirmées que les groupes catégoriels. Il s’agit, par exemple,
des mouvements de défense des droits de l’homme, de la mouvance altermondialiste, des mouvements de défense des
consommateurs… Enfin, les groupes territorialisés se constituent à partir de la défense d’un espace donné et délimité et non pas
dans un cadre national comme les groupes exclusifs, ou international comme les groupes inclusifs. Il s’agit, en particulier, de
mouvements de défense d’un milieu naturel ou de contestation d’un projet d’aménagement, parfois qualifiés de mouvement
NIMBY (pour « Not in my backyard » : « Pas dans mon jardin »).
L’enjeu central de l’analyse de ces acteurs très divers est donc l’articulation entre leurs dimensions internes et les dimensions
externes (interactions avec les autres acteurs de l’action publique), ce qui suppose de partir de la sociologie de ces acteurs
collectifs.
Notre point de départ est l’analyse des ressources des acteurs, analyse qui permet de comprendre le recours à différents
modes d’actions publics, en s’appuyant sur les apports de la sociologie de l’action collective.
Les ressources des groupes d’intérêts ne peuvent pas se comprendre indépendamment de l’État puisqu’une partie d’entre
elles est attribuée par ce dernier. Mais si la reconnaissance par l’État confère de nouvelles ressources, cette reconnaissance
s’explique par la détention d’autres ressources par un acteur collectif non étatique.
Il s’agit tout d’abord des ressources politiques qui reposent en premier lieu, pour les organisations défendant des intérêts
exclusifs, sur leur capacité à représenter un groupe. De ce fait, les différentes marques de représentativité d’une organisation
collective (nombre d’adhérents, résultats électoraux dans le cadre d’élections professionnelles, sondages…) sont fortement
valorisées. L’image du groupe dans l’opinion publique joue de manière plus générale un rôle important, certaines actions
collectives sont de ce fait parfois orientées directement vers la construction d’une image positive afin de donner une nouvelle
légitimité à l’organisation.
Woll, 2006.
Pour les représentants d’intérêts inclusifs, les ressources politiques reposent plus sur le degré d’acceptation et de
reconnaissance des valeurs au nom desquelles ils s’expriment et se positionnent. Mais la capacité à se prévaloir de valeurs
fortement légitimes joue également pour les représentants de groupes socioprofessionnels : on peut prendre comme exemple la
légitimation des revendications de la profession médicale au nom du droit à la santé et des patients, plus qu’au nom des intérêts
matériels des médecins, moins susceptibles de susciter l’adhésion d’une opinion publique plus large du fait des revenus assez
élevés des membres de ce groupe professionnel.
Les groupes d’intérêts cherchent aussi à s’appuyer sur des relais politiques reposant sur des proximités personnelles et/ou
idéologiques, des liens é lectoraux et des liens financiers. La première catégorie de liens conférant des ressources politiques se
traduit parfois par la détention de mandats parlementaires ou locaux par des représentants d’intérêts collectifs, comme ce fut
longtemps le cas pour des syndicalistes membres de partis sociaux-démocrates (Hassenteufel, 1995). Plus rarement, des
groupes d’intérêts se transforment en partis politiques : c’est le cas, historique, du parti travailliste britannique fondé par les
syndicats de salariés ; plus récemment, on peut mentionner le mouvement politique « Chasse, pêche, nature et traditions », issu
d’associations de chasseurs et de pêcheurs, qui a obtenu des mandats locaux et de députés européens. Il est en revanche plus
fréquent que des représentants d’intérêts collectifs donnent des consignes de vote en faveur de tel ou tel candidat. Toutefois,
ces liens sont le plus souvent peu visibles, informels et personnalisés du fait de la tension entre la défense de l’intérêt général et
la représentation de groupes particuliers2.
La dimension électorale joue surtout pour deux raisons, d’une part parce que le groupe représenté forme une clientèle
électorale numériquement importante (ainsi les viticulteurs dans les zones viticoles), d’autre part parce qu’il est présumé avoir
la capacité d’influencer un grand nombre d’électeurs (c’est le cas pour les médecins supposés pouvoir peser sur le vote de leurs
patients et, plus généralement, de tous les groupes en rapport avec un nombre important de clients comme les buralistes ou les
chauffeurs de taxis). L’influence (réelle ou supposée) sur le vote est une ressource politique décisive.
Ces liens peuvent, enfin, prendre la forme du soutien financier d’un groupe d’intérêts à un parti politique. Ce type de soutien
se manifeste, en particulier, au niveau du financement des campagnes électorales. Le cas américain est exemplaire de ce point
de vue avec les Political Action Committees mis en place au début des années 1970 et dont les flux financiers ont été multipliés
par vingt entre 1976 et 1996. Dans ce cas, les ressources politiques reposent sur les ressources matérielles (en l’occurrence
financières) de l’organisation collective.
Pour l’ensemble de ces organisations et mouvements non étatiques les ressources militantes sont également très importantes
car c’est sur elles que repose la capacité à mener des actions collectives susceptibles d’avoir un impact sur les autorités
publiques. Il s’agit là d’un type de ressources spécifique à cette catégorie d’acteurs qui est à la fois à l’origine de ressources
matérielles (par le biais des cotisations des adhérents), de ressources de légitimité (l’importance de la base militante confère
une légitimité à un mouvement social) et de ressources politiques (à travers notamment la multi-appartenance de militants,
membres à la fois d’organisations défendant des intérêts collectifs et d’un mouvement politique).
La détention de ressources politiques, de ressources militantes et/ou de ressources matérielles favorise la reconnaissance par
l’État, elle-même génératrice de nouvelles ressources. Ainsi, en France, ce processus de reconnaissance se traduit notamment
par l’attribution d’un label de représentativité qui permet une sélection étatique des groupes d’intérêts (Mény, 1986). Il
s’accompagne d’importantes prérogatives juridiques : le droit de signer des conventions collectives pour les syndicats de
salariés ; le droit de signer les conventions médicales pour les syndicats médicaux… Il permet aussi l’obtention de diverses aides
matérielles : mises à disposition de fonctionnaires et de locaux pour les syndicats de salariés ; subventions aux syndicats
agricoles dans le cadre de la gestion de la politique d’aide à la modernisation ; fonds destinés à la formation médicale pour les
syndicats de médecins, affectation d’un fonds spécial de financement public égal à 0,1 % des prestations familiales à l’Union
nationale des associations familiales (Unaf)… L’État joue ainsi un rôle décisif dans le processus d’institutionnalisation des
groupes d’intérêts qui s’accompagne de ressources d’expertise, déterminantes pour l’intervention dans l’action publique3.
Les ressources des acteurs collectifs organisés dépendent donc (plus ou moins) fortement de l’État et les différents types de
ressources sont interdépendants. Ainsi, les ressources matérielles (d’origine étatique ou non) peuvent renforcer les ressources
militantes par les incitations sélectives offertes aux adhérents à titre individuel, afin de contrecarrer les comportements de
passagers clandestins (Olson, 1978). Enfin, l’analyse des ressources permet de comprendre les modes d’action des groupes
d’intérêts qui en dépendent fortement.
La notion de répertoire de l’action collective, forgée par Charles Tilly (1984), permet non seulement d’analyser historiquement
la transformation des formes de l’action collective, mais aussi de mettre en évidence l’importance du choix collectif d’un mode
d’action au sein d’un répertoire historiquement situé. Ce répertoire est aujourd’hui fortement diversifié et combine notamment
des modes d’action hérités du répertoire du mouvement ouvrier et de celui des « nouveaux mouvements sociaux ». Pour le
présenter il est nécessaire, tout d’abord, de distinguer les modes d’action directs des modes d’action indirects : les premiers
visent à peser directement sur les autorités publiques et s’inscrivent dans le cadre d’une interaction étroite avec des acteurs
étatiques, alors que les seconds sont destinés prioritairement à une opinion publique élargie susceptible de peser sur les
autorités publiques. Il est également possible de distinguer les modes d’action qui s’inscrivent dans des stratégies d’influence et
ceux qui s’inscrivent plutôt dans des stratégies de contestation. Avant de présenter les sept principaux modes d’action formant
le répertoire d’action publique des groupes d’intérêts contemporains, trois remarques préalables s’imposent. Tout d’abord, le
choix du mode d’action ne dépend pas seulement de la stratégie adoptée par une organisation collective dans un contexte donné
et par rapport à un enjeu de politiques publiques, mais aussi des ressources dont il dispose. Ensuite, le choix d’un mode d’action
n’est pas exclusif : la plupart du temps les groupes d’intérêts combinent plusieurs modes d’actions (dans la durée ou
simultanément). Enfin, ces modes d’action s’articulent différemment avec les séquences de l’action publique : certains renvoient
directement à des séquences spécifiques, d’autres correspondent à plusieurs séquences.
Le lobbying (mode d’action direct dans une logique d’influence). Il s’agit là du mode d’action le plus fortement mis en
avant dans les analyses pluralistes parce qu’il correspondait au mode d’action dominant des groupes d’intérêts aux
États-Unis. La notion de lobbying renvoie prioritairement à des contacts directs entre des représentants d’intérêts
collectifs et des élus afin d’influencer la décision publique. Ces contacts sont non seulement formalisés (dans le cadre
d’auditions par des commissions parlementaires, d’entretiens avec des ministres ou de consultations officielles par
l’administration), mais aussi informels (discussions téléphoniques, petits déjeuners, déjeuners ou dîners, réceptions
mondaines, loisirs partagés…). Le lobbying repose donc principalement sur des ressources politiques (accès direct aux
élus et aux gouvernants). Toutefois, les ressources d’expertise et les ressources matérielles jouent également un rôle
important. Les premières permettent aux groupes d’intérêts qui en disposent de fonder leurs revendications sur des
bases plus légitimes (par la production de données chiffrées notamment, conférant une apparence d’objectivité et de
scientificité) et de présenter des propositions susceptibles d’être adoptées telles quelles, sous la forme d’amendements
parlementaires ou de décrets prérédigés par exemple. Les ressources financières facilitent l’établissement de liens
d’interdépendance avec des partis politiques, par le financement des campagnes électorales, en vue de la prise en
compte, au niveau politique, des revendications et des positions d’un groupe d’intérêts, ou par l’octroi de « cadeaux » à
des élus (voyages, invitations à des manifestations sportives ou culturelles prestigieuses…). Les ressources financières
permettent, enfin, le recours à des acteurs spécialisés dans le lobbying : entreprises d’affaires publiques, cabinets de
conseil en lobbying, cabinets d’avocats, entreprises de relations publiques, etc., ce qui traduit clairement la
professionnalisation de cette activité. Dans le cas français, les entreprises proposant des services de lobbying à leurs
clients, apparues dans les années 1990, constituent un marché émergent, sur lequel se positionnent des grandes firmes
internationales qui ont ouvert des bureaux parisiens (Grossman et Saurugger, 2004, p. 524).
La négociation (mode d’action direct dans une logique d’influence). L’interaction est ici plus large et moins personnalisée
que pour le lobbying, le nombre d’acteurs impliqués étant plus important (participation de plusieurs groupes d’intérêts
notamment), de plus, ceux-ci sont en général représentés par des délégations collectives. La participation à la
négociation est liée aux ressources juridiques : c’est parce qu’un groupe d’intérêts est reconnu par les autorités
publiques qu’il est convié à la table de négociations. Mais les ressources politiques jouent un rôle fondamental car non
seulement elles sont à l’origine de la reconnaissance par les autorités publiques, mais aussi elles déterminent le poids de
l’organisation collective dans le processus de négociation.
L’action conflictuelle (mode d’action direct dans une logique de contestation). Sa forme la plus courante est la grève,
mode d’action emblématique du mouvement ouvrier. Si, historiquement, la grève relève plus du système de relations
professionnelles que des politiques publiques à proprement parler, elle concerne aujourd’hui principalement l’État,
notamment en France, du fait de la plus grande conflictualité sociale dans le secteur public (secteur où, en Europe de
l’Ouest, le taux de syndicalisation est en général le plus élevé) que dans le secteur privé. Il s’agit, de ce fait, de plus en
plus un mode d’action direct dans le cadre d’une interaction conflictuelle entre des fonctionnaires ou des salariés du
secteur public et l’État. On peut d’ailleurs remarquer que des professions libérales (médecins, avocats…) ont de plus en
plus recours à ce type d’action. La ressource principale est ici la ressource militante qui détermine la capacité de
mobilisation du groupe (également liée à sa légitimité et à ses ressources matérielles). Historiquement, d’autres modes
d’action conflictuels sont venus s’ajouter à la grève parmi lesquels le boycott, le blocage des routes (par les
transporteurs routiers ou les agriculteurs), la destruction de biens (production agricole, saccage de bureaux par
exemple), les sabotages, etc.
L’action juridique (mode d’action direct dans une logique de contestation) est un mode d’action beaucoup plus récent qui
s’inscrit dans un mouvement plus général de juridicisation de l’action publique. La multiplication des possibilités de
recours (au niveau national et aussi de plus en plus au niveau européen), ainsi que l’extension de la sphère d’influence
du droit, donnent de nouvelles armes aux groupes d’intérêts pour s’opposer à des décisions publiques. Il s’agit là d’un
mode d’action qui se déploie plus au moment de la mise en œuvre des politiques publiques que lors de la décision. Il peut
aussi viser la mise sur agenda d’un enjeu à la faveur d’un procès. Le recours juridique repose avant tout sur des
ressources d’expertise en matière de droit, ce qui s’accompagne de transformations dans les profils socioprofessionnels
de certains représentants (Michel, 2003). Il en résulte à la fois une inscription croissante d’enjeux de politiques
publiques dans le registre du droit et l’intervention accrue d’instances judiciaires nationales et supranationales : cour
d’appel, tribunal administratif, Conseil d’État, Conseil constitutionnel, Cour de justice européenne…
La manifestation (mode d’action à la fois direct et indirect dans une logique de contestation). Il s’agit d’un mode d’action
qui peut correspondre à une interaction directe dans le cadre d’un conflit avec une autorité publique (conflit salarial
dans la fonction publique, refus d’une mesure concernant une catégorie de fonctionnaires…) ou, plus largement, dans le
cadre d’un mouvement de contestation d’une décision publique (manifestation d’avril 1984 contre la réforme de l’école
privée, manifestations de novembre-décembre 1995 contre le plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale,
manifestations du printemps 2003 contre la réforme des retraites du gouvernement Raffarin…). Toutefois, ce mode
d’action vise aussi à s’adresser à l’opinion publique : par la manifestation, il s’agit de donner une visibilité à un groupe et
à ses revendications ainsi que de montrer la capacité de mobilisation d’une organisation (d’où les discordances
systématiques entre autorités publiques et représentants de mouvements sociaux sur le nombre de manifestants)
(Fillieule, 1996). Comme pour les actions conflictuelles, que les manifestations accompagnent fréquemment, les
ressources militantes sont nécessaires. Influent aussi les ressources politiques et les ressources matérielles.
Les actions symboliques (mode d’action indirect dans une logique de contestation) s’inscrivent dans le répertoire
d’action des « nouveaux mouvements sociaux ». Il s’agit d’un mode d’action regroupant un nombre restreint de militants
visant à produire des effets symboliques par la signification des actes accomplis et des cibles visées. La médiatisation est
fortement recherchée par ce type d’action. Les déclinaisons en sont multiples : sit-in, die-in (symboliser un nombre de
victimes en se couchant par terre), grève de la faim à laquelle ont notamment recours des sans-papiers (Siméant, 1998),
désobéissance civile (par exemple les actions d’arrachage d’OGM), occupation de locaux à forte portée symbolique
(immeubles de luxe vides occupés par le mouvement Droit au logement, occupation de caisses des Assedic par des
mouvements de chômeurs…), présence sur des lieux symboliques (par exemple des militants écologistes qui s’enchaînent
au passage d’un train transportant des déchets radioactifs), chaînes humaines, destruction ou vente à perte de produits
agricoles… Plus que les autres modes d’action, les actions symboliques concernent l’émergence de problèmes et la mise
sur agenda. Par ce type d’actions, dont les formes se démultiplient, les mouvements et les organisations impliqués visent
à alerter l’opinion publique sur un problème et/ou un enjeu jusqu’alors faiblement visible. Le recours aux actions
symboliques est souvent le fait de groupes à faibles ressources, car elles en nécessitent peu. Il joue un rôle
particulièrement important pour les politiques publiques liées aux enjeux environnementaux, ce qui correspond à
l’héritage des nouveaux mouvements sociaux.
Les prises de position publiques (mode d’action indirect dans une logique d’influence). Elles visent l’opinion publique en
s’appuyant, tout comme les actions symboliques et les manifestations, sur les médias. Les formes sont là aussi très
diverses : entretiens dans les différents médias, conférences de presse, campagnes publicitaires, sites Internet… Les
prises de position publiques sont facilitées par l’organisation d’événements susceptibles de rencontrer une large
audience médiatique : congrès ou assemblée générale d’une organisation (dont la médiatisation, permettant de donner
plus d’écho aux positions, programme et revendications d’un groupe d’intérêts, est souvent liée à l’invitation d’élus ou de
gouvernants comme c’est le cas fréquemment pour les congrès de la FNSEA, l’assemblée générale de la Mutualité
française ou les conférences annuelles de la famille pour l’Unaf) ; universités d’été (telle celle du Medef fortement
médiatisée du fait d’invités connus), contre-sommets (à l’occasion de sommets internationaux comme ceux du G8 ou de
l’OMC), forum social et européen du mouvement altermondialiste… Ce type d’action repose principalement sur des
ressources politiques (qui vont rendre les discours produits recevables par les médias) et, dans une moindre mesure, sur
des ressources matérielles (permettant l’organisation d’événements médiatisés ou de campagnes médiatiques). Elles
concernent l’ensemble des séquences de l’action publique, toutefois plus la mise sur agenda et la décision que la mise en
œuvre.
Tableau 6. Le répertoire d’intervention des groupes d’intérêts dans l’action publique
Politiques Décision
Lobbying Financières Mise sur
Expertise agenda
Juridiques
Négociation Décision
Politiques
Décision
Action Militantes
Mise en
conflictuelle Politiques
œuvre
Mise en
Action Expertise
œuvre Mise
juridique (juridique)
sur agenda
Militantes Décision
Manifestation
Financières Mise sur
publique
Politiques agenda
Mise sur
Action Militantes
agenda Mise
symbolique Politiques
en œuvre
Prises de Mise sur
Politiques
position agenda
Financières
publiques Décision
Le choix d’un (en général plutôt de plusieurs) mode d’action ne dépend pas seulement des ressources, sur lesquelles nous
avons mis l’accent afin de souligner l’importance de la dimension interne pour comprendre les intérêts organisés et les
mouvements sociaux dans le cadre de l’action publique, il est aussi étroitement lié aux interactions avec les acteurs étatiques,
interactions qui structurent les stratégies collectives orientées notamment vers l’accumulation de ressources d’action publique.
Les travaux pluralistes se sont centrés sur la question de l’influence des groupes d’intérêts sur la décision publique à partir
d’une analogie entre le système politique et le marché. Les groupes de pression sont présentés comme étant en situation de
concurrence permanente entre eux afin de peser sur la décision. Celle-ci est ouverte et, du fait de la diversité des groupes, leur
poids varie en fonction des enjeux et des alliances qu’ils sont en mesure de nouer entre eux et avec les élus. Il en résulte une
vision en termes d’équilibre des pouvoirs (checks and balances) garantissant la satisfaction du plus grand nombre : « Le pouvoir
politique est par définition dispersé dans une société démocratique moderne et la domination durable d’un groupe est empêchée
par l’émergence permanente de nouveaux contre-pouvoirs, c’est-à-dire de groupes en opposition au groupe dominant. Il existe
un très grand nombre de groupes qui se mobiliseront dès que l’un de leurs intérêts sera menacé » (Grossman et Saurugger,
2006, p. 60-61).
Cette vision a été contestée à partir de la fin des années 1960 (Mac Farland, 1987), tout d’abord par les « néopluralistes », qui
ont mis en avant les fortes inégalités de ressources entre groupes d’intérêts, ce qui conduit à relativiser l’ouverture des
processus décisionnels aux différents acteurs non étatiques, sur la base du constat du poids prépondérant de groupes dotés de
ressources plus importantes4, en particulier les groupes d’intérêts économiques représentant les intérêts des employeurs de
secteurs de production économique importants ou de certaines professions très organisées (médecins, agriculteurs, avocats…).
La perspective néopluraliste a, ensuite, conduit à s’intéresser aux mouvements sociaux apparus, à partir de la fin des années
1960, notamment pour faire contrepoids à ces intérêts fortement organisés (mouvements de consommateurs, associations de
défense de l’environnement, associations de patients…) et qui, dans certains secteurs de politique publique, ont cherché à
modifier les relations de pouvoir établis en participant aux interactions.
L’ouverture de la décision publique à un grand nombre de groupes d’intérêts a également été remise en cause par ceux qui,
comme Lowi (1969) en particulier, ont mis en avant l’existence de relations stabilisées entre des élus, des segments et de
l’administration et un nombre réduit de groupes d’intérêts formant des triangles de fer (iron triangles). Ces critiques ont
contribué à mettre en avant la distinction entre groupes inclus (insiders) et groupes exclus (outsiders) (Maloney, Jordan et Mac
Laughlin, 1994).
Un autre élément du débat suscité par le pluralisme est la question de l’autonomie de l’État, certains auteurs pluralistes ayant
tendance à négliger la capacité d’action autonome des acteurs étatiques, qui résulte notamment des conflits et oppositions entre
groupes d’intérêts conduisant à leur (relative) neutralisation.
Toutefois, la critique la plus systématique et la plus directe a été développée par les auteurs corporatistes à la suite de
Philippe Schmitter (1974). Il oppose deux grands types de représentation des intérêts à partir de six variables : le degré de
concentration de la représentation (c’est-à-dire l’étendue des intérêts et des groupes représentés), la nature de l’adhésion
(obligatoire ou volontaire), le degré de concurrence (existence ou non de monopoles), le degré de centralisation de
l’organisation, son degré d’institutionnalisation et la nature des intérêts défendus. L’existence de modes de représentation des
intérêts qu’il qualifie de néocorporatiste (sous la forme de groupes monopolistiques fortement institutionnalisés et centralisés,
représentant des intérêts socioéconomiques ou professionnels larges, parfois à adhésion obligatoire) le conduit à mettre en
cause la vision pluraliste des politiques publiques comme résultat de la compétition ouverte et libre entre des multiples groupes
exerçant une pression sur l’État. De plus, Philippe Schmitter ne limite pas l’étude du rôle des groupes d’intérêts dans l’action
publique à la séquence décisionnelle puisqu’il souligne l’importance de la place des organisations corporatistes dans la mise en
œuvre des politiques publiques.
Le (néo)corporatisme recèle toutefois la même ambiguïté que le pluralisme : il s’agit à la fois d’un mode d’analyse de l’action
publique (plus précisément des interactions entre acteurs étatiques et non étatiques) et d’un outil de description de la
représentation des intérêts. Ce dernier aspect a été largement privilégié.
Les premiers travaux (néo)corporatistes, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, ont cherché à identifier des
situations nationales et sectorielles correspondant au néocorporatisme, qualifiées respectivement de macrocorporatisme et de
mesocorporatisme (ou corporatisme sectoriel), ce qui a débouché sur des typologies permettant de classer des pays et des
secteurs en fonction de leur degré de corporatisme et de pluralisme le long d’un continuum. Dans ce cadre, l’Autriche a été
souvent analysée comme un cas paradigmatique de néocorporatisme.
À l’autre pôle est en général situé le cas des États-Unis, paradigmatique du pluralisme.
Pluralisme de la représentation des intérêts aux États-Unis et modes d’influence de la décision publique
La prolifération des organisations depuis les années 1960, due notamment aux nouveaux mouvements sociaux (organisations de défense de
l’environnement, organisations féministes, organisation de défense des droits des minorités…) qui ont eux-mêmes suscité l’émergence de groupes visant à
leur faire contrepoids (les organisations fondamentalistes notamment) est un constat largement partagé par les analyses portant sur les groupes d’intérêts
aux États-Unis. Un autre facteur de cette évolution est le développement des politiques publiques fédérales et étatiques qui a entraîné l’organisation des
publics concernés et des mobilisations collectives, en vue de la prise en charge de nouveaux enjeux par les différentes autorités publiques. La défense des
animaux en offre un exemple tout à fait significatif (Cigler et Loomis, 2002). Plus de 400 associations de défense de droits des animaux se sont créées afin
d’obtenir la réglementation et l’arrêt des expérimentations sur telle ou telle espèce. Cet exemple traduit aussi la tendance à la spécialisation des groupes
sur des enjeux de plus en plus ciblés. Il est également révélateur de la dynamique de création en réaction de nouvelles organisations : dans ce cas, le
mouvement Putting People First afin de faire prévaloir les apports des expérimentations pour les hommes sur la défense des droits des animaux, qui a été
de plus en plus fortement prise en compte par les autorités publiques.
Si la pratique du lobbying, sous la forme de l’action auprès d’élus, est restée prédominante, on assiste depuis les années 1970 à une professionnalisation
et à une sophistication des modes d’action ainsi qu’au développement du recours à d’autres modes d’action : l’action juridique et l’action contestataire en
particulier (Schlozman et Tierney, 1986, p. 365). Il en découle une diversification tant des modes d’action que des cibles d’action des groupes d’intérêts,
comme le montrent les enquêtes menées dans les années 1990 (Nownes et Freeman, 1998). En ce qui concerne les modes d’action, a été mis en avant le
développement du suivi et de veille de l’action des gouvernants et des autres autorités publiques (monitoring), qui suppose des ressources d’expertise et
matérielles, le financement des campagnes électorales (apparu dans les années 1970 avec la création des Political Action Committees), la mobilisation à la
base (grass-roots lobbying) s’appuyant sur des moyens accrus, l’action juridique et le recours aux médias. Ces différents modes d’action sont venus étoffer
le lobbying plus traditionnel (contacts avec des élus et des gouvernants, auditions, propositions de textes législatifs…). Ils correspondent aussi à une
multiplication des cibles : non seulement les pouvoirs législatifs (Congrès et parlements des États), mais aussi les pouvoirs exécutifs (présidence,
gouverneurs), administratifs (agences fédérales) et judiciaires (tribunaux).
La configuration de la représentation des intérêts aux États-Unis reste donc dominée par un fort pluralisme du fait de la prolifération des intérêts
organisés et par des modes d’action faisant prévaloir le lobbying (même s’ils se diversifient) centrés sur la décision, la construction de problèmes publics
et la mise sur agenda.
Le positionnement de la France a fait l’objet de débats nombreux. Certains auteurs (notamment Birnbaum, 1982) ont mis en
avant le poids de l’État et la forte fragmentation de la représentation des intérêts pour conclure à l’inadéquation du modèle
corporatiste pour la France. Mais d’autres travaux, portant plus spécifiquement sur certains secteurs de politique publique, ont
mis en évidence l’existence des « corporatismes sectoriels ».
Au-delà des débats comparatifs qu’elle a suscités, l’approche corporatiste a surtout permis d’articuler deux questionnements
(trop) souvent dissociés dans les travaux sur les groupes d’intérêts, en particulier dans les travaux pluralistes (Davis et Wurth,
1993) : un questionnement interne renvoyant à la sociologie de l’action collective (Neveu, 2005) et un questionnement externe
renvoyant aux politiques publiques.
L’échange politique
En effet, dans la plupart des travaux corporatistes l’articulation entre logiques internes et logiques externes est au cœur de
l’analyse. La première est une logique de l’adhésion et de la participation, centrée sur les rapports entre les dirigeants du
groupe et les adhérents ; la seconde est une logique de l’influence et de la participation, centrée sur les interactions entre les
groupes d’intérêts et d’autres acteurs, en particulier l’État. Les groupes corporatistes privilégient la logique externe : ils sont
principalement orientés vers l’interaction avec l’État et avec d’autres groupes dans le cadre des politiques publiques et leurs
différentes séquences – mise sur agenda, formulation des problèmes, décision, mise en œuvre… Toutefois, cette logique
s’articule avec la logique interne dans la mesure où l’interaction avec l’État structure, comme on l’a vu, l’organisation.
L’institutionnalisation du groupe, son renforcement matériel et organisationnel lui permettent de peser sur l’adhésion en offrant
notamment des biens sélectifs à ses membres : postes, aides matérielles, rétributions diverses… Cette articulation est maximale
lorsque l’État met en place des institutions monopolistiques de représentation à adhésion obligatoire.
Par là le néocorporatisme et le corporatisme sectoriel peuvent se comprendre comme le produit d’un échange politique. Il
s’agit d’un échange portant sur « le consensus social ou l’ordre social », reposant sur des biens politiques (légitimité, paix
sociale, prévisibilité, institutions…) supposant la capacité des acteurs organisés qui s’y engagent à en garantir la stabilité
(Pizzorno, 1978, p. 279). Pour un groupe d’intérêt, s’engager dans un tel échange permet, d’une part, d’obtenir la satisfaction de
revendications par la garantie d’une position prééminente dans les processus décisionnels, d’autre part, en participant à la mise
en œuvre des politiques publiques, de renforcer sa structuration interne par les ressources institutionnelles et matérielles qu’il
obtient de l’État. Sa ressource principale est sa légitimité : c’est parce qu’un groupe apparaît fortement représentatif et
défendant des valeurs socialement partagées qu’il peut obtenir une place privilégiée dans une politique publique. S’engage alors
un jeu à somme positive : la reconnaissance du groupe d’intérêts renforce sa représentativité et sa légitimité auprès de ses
adhérents puisqu’il est en mesure d’obtenir satisfaction sur un certain nombre de revendications et d’offrir plus de biens
sélectifs à ses membres (et à ses dirigeants). La contrepartie offerte par le groupe d’intérêt est l’acceptation de concessions (par
exemple la modération salariale pour les syndicats ou la limitation de leur activité pour les agriculteurs) et surtout la garantie
de l’absence de conflits ou de contestation de la politique publique décidée et mise en œuvre. Il offre du soutien politique et du
consensus. Pour l’État, la garantie d’accès à la décision, l’attribution d’une position institutionnelle privilégiée et de ressources
matérielles à un groupe d’intérêt permet un renforcement de sa connaissance du secteur (du fait notamment de la capacité
d’expertise de celui-ci), facilite l’acceptation de la politique publique (absence de contestation) et garantit la mise en œuvre des
décisions et des objectifs de la politique publique concernée. L’échange politique produit donc de la légitimité (le groupe
d’intérêts est légitimé par l’État comme interlocuteur représentatif et comme défendant des revendications susceptibles d’être
prises en compte ; les politiques publiques sont légitimées par l’acceptation du groupe d’intérêt représentant le public cible :
salariés, agriculteurs, médecins, familles…), de la confiance (l’État satisfait des revendications, le groupe d’intérêts accepte les
décisions publiques et garantit l’absence de conflictualité), de la prévisibilité, et du consensus.
L’articulation des logiques internes et externes, dans le cadre d’un échange politique, permet non seulement de comprendre la
mise en place et la stabilisation des régimes néocorporatistes ou des corporatismes sectoriels, mais aussi leur affaiblissement.
En effet, à partir du moment où l’un ou les deux partenaires n’est plus en mesure de garantir l’un des termes de l’échange, le
néocorporatisme est progressivement remis en cause. Du côté de l’État, la satisfaction de revendications centrales des groupes
d’intérêts est rendue plus difficile par un contexte économique modifié (tournant néolibéral et contraintes budgétaires accrues)
et par l’européanisation et/ou la transnationalisation des politiques publiques qui diminue son rôle autonome. Du côté du groupe
d’intérêt engagé dans l’échange, le problème vient avant tout de la difficulté à garantir l’absence de contestation et la
légitimation de la politique publique. Une forte contradiction entre logiques internes et externes est alors à l’œuvre : pour le
groupe d’intérêts dominant il devient de plus en plus difficile de soutenir des politiques publiques pesant directement sur ses
membres (réduction des prestations sociales, restructuration du secteur nationalisé, diminution de l’activité…) et suscitant des
contestations internes débouchant parfois sur la création de nouvelles organisations remettant en cause la représentativité et
donc la légitimité de l’organisation dominante. La contestation peut aussi provenir de l’émergence de nouveaux acteurs non
étatiques se positionnant sur des nouveaux enjeux (environnement, féminisme, démocratie, régionalisme…), ce qui sape
également la légitimité du groupe d’intérêts dominant. Ces contradictions croissantes permettent d’expliquer l’érosion du
corporatisme en termes d’échange politique impossible ou du moins de plus en plus problématique et partiel.
Crepaz, 1994.
En cela l’échange politique, qui articule les deux dimensions interne et externe des groupes d’intérêts, est également un outil
d’analyse du changement, dimension négligée par l’approche pluraliste. Les apports analytiques de l’approche corporatiste sont
donc importants, mais la notion de corporatisme (et encore plus de néocorporatisme) pose le problème de renvoyer à la fois à
une catégorie descriptive et à une catégorie analytique. C’est probablement ce qui explique un relatif déclin des travaux
renvoyant à cette approche depuis la fin des années 1990, dans un contexte d’érosion des modes de représentation et
d’interaction corporatistes. Un autre facteur est sa moindre pertinence pour analyser la représentation des intérêts au niveau
européen et international.
Européanisation et transnationalisation
des groupes d’intérêts
Le nombre de groupes d’intérêts intervenant auprès des institutions européennes s’est fortement accru au fur et à mesure du
processus d’intégration, en particulier au cours des années 1980, avec la mise en place de l’Acte unique et l’extension des
politiques publiques européennes qu’il a entraînée. On estime aujourd’hui leur nombre à environ 2 400 (Grossman et Saurugger,
2006, p. 186-187). Ce nombre masque toutefois de fortes différences quant à la nature de ces groupes. Il faut tout d’abord
distinguer les « eurogroupes » qui fédèrent des organisations nationales au niveau européen5. Ils sont plus de 900 à être
reconnus comme tels par la Commission. La prédominance de représentants d’intérêts économiques est marquée puisqu’ils
forment les deux tiers d’entre eux ; 15 % des eurogroupes représentent des groupes professionnels (syndicats, professions
libérales, etc.) ; les autres se mobilisent au nom d’autres types d’intérêts collectifs concernant la citoyenneté, l’environnement,
la culture, le développement… (Greenwood, 2003). Parmi les autres groupes d’intérêts (environ 1 500) qui interviennent auprès
des institutions européennes, on trouve des organisations regroupant directement des entreprises (environ 500), des entreprises
multinationales (environ 350), des groupes d’intérêts nationaux qui ont un bureau de représentation à Bruxelles (170)6, des
représentants de territoires infranationaux (170)7, des cabinets de conseil en lobbying (environ 150), des groupements
internationaux plus larges (tels Greenpeace ou Attac)… Au total, on estime habituellement qu’environ 10 000 personnes
travaillent pour les groupes d’intérêts présents auprès des institutions européennes. Il s’agit d’un personnel fortement
spécialisé et professionnalisé.
L’importance des interactions entre des groupes d’intérêts (surtout économiques, nationaux et européens) et la Commission a
été soulignée très tôt par les travaux néofonctionnalistes (Haas, 1958). L’interdépendance entre ces deux catégories d’acteurs
joue en effet un rôle important dans la dynamique d’engrenage permettant le processus d’intégration. Dès sa mise en place, la
Haute Autorité de la CECA a recherché l’appui de groupes d’intérêts parce qu’ils apportent trois types de ressources : des
ressources d’expertise (du fait de la spécialisation des groupes d’intérêts qui détiennent en particulier des informations clefs sur
les situations nationales), des ressources opérationnelles (du fait de leur rôle de relais pour la mise en œuvre des politiques
communautaires au niveau national) et des ressources politiques (puisque le soutien de groupes d’intérêts peut donner une plus
grande légitimité à l’intervention communautaire). De ce fait la Commission a cherché à favoriser la structuration
d’eurogroupes en leur attribuant des ressources matérielles et en les associant à la production des politiques communautaires
dans le cadre de la comitologie. Les groupes d’intérêts émettent des avis sur les propositions de la Commission dans le cadre
des comités consultatifs ; ils sont associés à la mise en œuvre des politiques communes (en particulier de la PAC) dans le cadre
des comités de gestion ; ils participent à l’élaboration de normes techniques dans le cadre de comités de réglementation et ils
sont impliqués dans l’élaboration des propositions législatives de la Commission ainsi que des livres blancs ou verts, dans le
cadre de comités ad hoc. À cela s’ajoute leur présence dans de nombreux séminaires, conférences, ateliers de travail dans le
cadre desquels ils sont associés à l’identification de nouveaux enjeux susceptibles d’être mis sur l’agenda européen. Enfin, ces
interactions relativement formalisées n’excluent pas des contacts plus informels et bilatéraux relevant d’une logique de lobbying
direct afin de peser sur les positions de la Commission. La forte association des groupes d’intérêts aux différentes étapes de la
construction des politiques publiques européennes (mise sur agenda, formulation, mise en œuvre) s’inscrit dans un échange
politique qui, au final, favorise le renforcement du processus de communautarisation des politiques publiques par la
structuration d’acteurs qui y sont favorables. Cette dynamique a des effets d’engrenage, non seulement au niveau des politiques
publiques, mais aussi au niveau du développement des groupes d’intérêts européens puisque plus le nombre d’enjeux traités au
niveau européen augmente, plus l’incitation à s’organiser au niveau européen se renforce.
C’est aussi le cas pour des organisations placées dans un rapport de forces défavorable au niveau national (comme les
groupes de défense de l’environnement, les associations de consommateurs, les mouvements féministes…). Celles-ci
interviennent en particulier auprès du Parlement européen qui est devenu une cible croissante pour les groupes d’intérêts de
manière générale, du fait du renforcement de ses compétences, de la structuration d’intergroupes8 et de leur audition par les
commissions parlementaires. De plus, l’élection des parlementaires au mode de scrutin proportionnel (favorisant la
représentation européenne de partis minoritaires sur le plan national, comme les écologistes) et la sociologie des députés
européens (en moyenne plus féminisés et plus jeunes que leurs homologues nationaux) permettent une meilleure prise en
compte des positions des groupes d’intérêts en situation de faiblesse au niveau national et peu entendus par la Commission.
L’investissement du Parlement dans les questions environnementales et sociales, ainsi que dans la défense des minorités et des
consommateurs, tient, enfin, à une logique de démarcation afin de s’affirmer vis-à-vis des autres institutions européennes.
Il en découle un relatif rééquilibrage du rapport de forces entre groupes d’intérêts au niveau européen. Les
néofonctionnalistes, mais aussi les néo-institutionnalistes, ont mis l’accent sur la prédominance des groupes d’intérêts
économiques en particulier pour l’adoption de l’Acte unique et la réalisation du grand marché, faisant prédominer les normes de
concurrence et de la compétitivité sur l’ensemble des politiques publiques européennes. En effet, la mise sur agenda de l’Acte
unique a plutôt été le fruit d’une alliance entre la présidence de la Commission et des groupes de réflexion proches d’intérêts
économiques, et sa mise en place a entraîné un fort développement du lobbying (Mazey et Richardson, 2002). Le poids des
intérêts économiques ne doit cependant pas être surestimé comme le montrent les exemples des banques dans le cas de la mise
en place de l’Union économique et monétaire et de l’industrie pharmaceutique dans le cas de la construction de l’Europe du
médicament.
Les limites de l’influence des groupes d’intérêts économiques : le cas des banques et du médicament
Dans les deux cas, on observe plutôt un positionnement réactif des groupes d’intérêts européens du fait de leurs difficultés à agréger les intérêts de
leurs membres, divisés en fonction de leur degré d’internationalisation et de leur appartenance nationale. Un nombre significatif de firmes des deux
secteurs privilégie l’intervention au niveau national, plus facilement maîtrisable. Il en résulte plutôt une dynamique d’adaptation au processus de mise en
place de l’Union économique et monétaire et de construction d’une Europe du médicament.
De plus, depuis les années 1990, un certain rééquilibrage s’opère en faveur des consommateurs, des femmes, de
l’environnement et des salariés. Il est lié non seulement au rôle croissant du Parlement et de la CJCE, auprès de laquelle les
mouvements féministes et écologistes en particulier ont multiplié les recours pour mettre en cause des politiques menées au
niveau national au nom de principes européens9, mais aussi à la volonté de la Commission de combler son déficit de légitimité,
mis en évidence notamment lors des scandales de la fin des années 1990 qui ont conduit à la démission collective de la
commission Santer en 1999 sous la menace d’un vote de censure du Parlement. On assiste aussi au développement d’une action
collective au niveau européen (Balme et Chabanet, 2002) comme le montre le cas de la mobilisation européenne contre la
fermeture de Renault-Vilvorde, qui a conduit à l’adoption d’une jurisprudence sur la concertation au sein des comités de groupe
européens pour les multinationales transférant des emplois au sein de l’Union européenne, et la marche européenne des
chômeurs en 1997 qui a contribué à inclure l’emploi dans le traité d’Amsterdam.
Ces évolutions ont, comme au niveau national, rendu les échanges politiques entre la Commission européenne et certains
groupes d’intérêts, dont elle a favorisé l’émergence, de plus en plus problématiques. La multiplicité des acteurs collectifs
organisés au niveau européen a également contribué à dépasser le débat entre approche corporatiste et approche pluraliste en
privilégiant un questionnement portant sur la participation de ce type d’acteurs à la construction collective d’actions publiques
multiniveaux. Cette perspective conduit à prendre en compte également des acteurs non étatiques organisés
internationalement, en particulier les ONG et les entreprises multinationales.
Les ONG sont caractérisées par les éléments suivants : un regroupement de personnes privées pour assurer un dessein non
lucratif, un statut associatif, une indépendance vis-à-vis des États, des institutions internationales et des entreprises, l’adhésion
à des valeurs démocratiques et surtout le caractère transnational de leur activité (Ryfman, 2009, p. 26). Si leur nombre total est
impossible à évaluer précisément, il est en tout cas très important (probablement plus de 100 000 à l’échelle de la planète) et a
connu une croissance continue, depuis la seconde guerre mondiale en particulier. Les ONG sont aujourd’hui le plus fortement
organisées et développées autour de trois enjeux internationaux de politiques publiques : le développement, l’humanitaire et
l’environnement. Il s’agit de trois enjeux qui se recoupent de plus en plus et qui renvoient aux principaux domaines de politiques
publiques internationales : politiques économiques, politiques migratoires, politiques de santé et politiques environnementales.
Les ONG participent à la fois à la mise sur agenda d’enjeux internationaux, aux processus décisionnels et à la mise en œuvre de
programmes d’action internationaux. Sur le premier aspect, on peut prendre pour exemple la mise sur agenda des négociations
à l’OMC de la question du droit pour les pays du Sud de fabriquer et de commercialiser des médicaments génériques destinés à
lutter contre les effets du sida. Elle est liée à la mobilisation d’ONG telles Oxfam, Médecins sans frontières, Act up à l’occasion
du procès intenté en 1997 par une quarantaine de laboratoires pharmaceutiques au gouvernement sud-africain accusé d’avoir
fait voter une loi pour importer des génériques. La mise sur agenda international d’enjeux de politiques publiques repose
souvent sur la mobilisation collective d’ONG, qui s’est intensifiée depuis la fin des années 1990 à l’occasion de sommets
internationaux ou de réunions des institutions économiques internationales (sommets de l’OMC en particulier) du fait de la
structuration de la mouvance altermondialiste. Par ailleurs, un grand nombre d’ONG sont impliquées dans des interactions
étroites, souvent institutionnalisées, avec des institutions internationales. Elles se manifestent, d’une part, par la concertation et
la participation à des conférences internationales, ce qui permet un accès à la décision et, d’autre part, à travers l’implication
dans la mise en œuvre de programmes internationaux, notamment dans le domaine de la santé (par exemple l’implication
d’ONG humanitaires dans des programmes internationaux de santé publique) et de l’environnement. Des échanges politiques
sont donc également à l’œuvre au niveau international.
Les ONG ne sont pas les seuls acteurs non étatiques à jouer un rôle dans les politiques publiques internationales. Il faut
également souligner celui joué par les entreprises multinationales. Si les premières d’entre elles datent du XVIIe siècle, leur
nombre s’est très fortement accru depuis la fin du XIXe siècle, et plus encore ces dernières décennies puisqu’on peut en compter
plus de 70 000. Les investissements directs à l’étranger représentent environ 15 % du PIB mondial, elles contrôlent les deux
tiers du commerce international et, en 2000, 29 d’entre elles faisaient partie du classement de la Cnuced des 100 entités les
plus riches du monde (la mieux classée étant Exxon-Mobil classée 45e juste derrière le Chili et devant le Pakistan). Leurs
stratégies et leurs choix ont donc un impact considérable sur l’emploi, la production, les ressources financières et le niveau
technologique des États. Du fait de leur poids économique et financier, elles constituent des lobbies puissants et actifs, à la fois
au niveau national, de l’Union européenne et des institutions internationales (en particulier économiques comme l’OMC). Elles
pèsent un poids important sur la fixation de normes internationales, par exemple en matière comptable (rôle central des cinq
grands – « the big five » – cabinets internationaux d’audit financiers), en matière de contrôle prudentiel des banques (rôle de JP
Morgan relayé par les grands établissements financiers internationaux) en matière de qualité (normes ISO établies dans le
cadre d’une agence internationale mêlant étroitement acteurs publics et privés) et en matière technique (informatique,
téléphonie mobile…) sans que pour autant les acteurs publics (notamment européens) soient absents (Dudouet, Mercier et Vion,
2006). Comme pour l’analyse des groupes d’intérêts au niveau européen le poids international des intérêts économiques ne doit
pas être surévalué comme le montrent les limites du lobbying industriel sur les accords multilatéraux d’environnement du fait
des clivages entre firmes, de faiblesses organisationnelles et du caractère variable de leur influence (Orsini, Compagnon, 2011).
Les mouvements sociaux et les groupes d’intérêts sont bien des acteurs à part entière des politiques publiques mais leur poids
dans celles-ci ne peut se comprendre qu’en interaction comme le soulignent les travaux sur les conséquences des mouvements
sociaux (Chabanet, Giugni, 2010). Au-delà de problèmes méthodologiques que pose ce type de questionnement (comment
mesurer un impact ? comment dégager un lien de causalité univoque ?…), la littérature souligne que ce sont moins les
ressources des acteurs collectifs non étatiques et leurs stratégies en elles-mêmes que le contexte politique dans lesquelles elles
se déploient (ainsi que l’état de l’opinion publique et la couverture médiatique) qui permettent d’appréhender l’impact des
mobilisations sur l’action publique. Par ailleurs celui-ci n’est pas seulement à analyser en termes d’outputs quantifiables mais
aussi en termes culturels (manières de penser les problèmes) et de modalités de traitement des enjeux de politique publique
(recours accru à la concertation et à la délibération collective, inclusion de nouveaux groupes…) en intégrant la longue durée
(Dupuy, Halpern, 2009).
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1 - . Un autre problème, d’ordre sémantique, tient au fait que le terme « groupe » renvoie à la fois aux représentants (groupe de pression ou groupe d’intérêts) et aux
représentés (les groupes sociaux).
2 - . La visibilisation de liens politiques directs n’est pas forcément dans l’intérêt d’un parti politique, qui risque d’être stigmatisé comme défenseur de tel ou tel
intérêt particulier, ni dans celui du groupe d’intérêts, qui risque la marginalisation en cas de victoire électorale du camp politique opposé. Ce refus d’hypothéquer
l’avenir explique que les principaux groupes d’intérêts français ne donnent pas de consignes de vote, préférant rendre publiques des revendications et des
préoccupations sur lesquelles les partis politiques et les candidats sont ainsi amenés à se positionner.
3 - . Cette expertise n’est d’ailleurs pas forcément interne aux groupes d’intérêts, elle peut aussi reposer sur le recours à des experts mis au service d’une cause
défendue par une organisation à travers le financement d’études (permis par des ressources financières). L’expertise est d’ailleurs une ressource d’une importance
croissante pour les groupes d’intérêts, dans le contexte de l’intégration européenne et de la mondialisation.
4 - . Comme le soulignait déjà Elmer Schattschneider en 1960 : « il y a une fausse note dans le paradis pluraliste : le chœur des anges chante avec un fort accent
de classe supérieure » (p. 35).
5 - . Parmi les plus importants on peut mentionner l’Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (créée en 1958), le Comité des
organisations professionnelles agricoles (également créé en 1958), le Centre européen des entreprises publiques (créé en 1961), le Bureau européen des unions
de consommateurs (créé en 1962) et la Confédération européenne des syndicats (créée en 1973).
6 - . Au niveau national ils cherchent à peser sur les positions défendues par les ministres au niveau européen ; ils interviennent également auprès des
représentants de leur État au Coreper et des fonctionnaires nationaux participant aux groupes de travail des Conseils des ministres européens.
7 - . Ils sont, de façon croissante, impliqués dans des interactions directes avec la Commission pour négocier des fonds structurels dans le cadre de la
politique régionale européenne. Ils disposent de bureaux de représentation et d’une représentation institutionnelle au sein du Comité des régions
européennes.
8 - . Il s’agit de regroupements informels de députés de tous bords sur un thème précis (santé, fiscalité, audiovisuel…). Leur activité principale est
d’organiser des réunions et des débats publics auxquels peuvent facilement participer et intervenir les groupes d’intérêts.
9 - . L’un des exemples le plus connu est le cas Defrenne contre Sabena, concernant l’obligation de départ à la retraite anticipée des hôtesses de l’air de
la compagnie belge. La plaignante, soutenue par une avocate belge défendant la cause des femmes, a estimé que cette pratique contrevenait au principe
d’égalité des salaires inscrit dans l’article 119 du traité de Rome. Les débats suscités par ce cas (qui a entraîné deux arrêts de la CJCE, le second
reconnaissant l’applicabilité directe de l’article 119) ont permis la structuration d’un groupe d’acteurs favorable à la cause des femmes au niveau
européen et à la mise en place d’une législation européenne cherchant à garantir un traitement égal entre hommes et femmes.
Chapitre 8
Olivier Nay et Andy Smith (2002) définissent les acteurs intermédiaires par trois éléments. Ils mettent tout d’abord en avant
leur capacité à intervenir dans différentes arènes dont les règles, les procédures, les savoirs et les représentations peuvent être
éloignés (p. 12). Ce sont avant tout des médiateurs entre des institutions, dont ils sont parfois situés à la marge. Ils sont en
mesure de se poser en relais entre des groupes, milieux et organisations dont les intérêts divergent, mais qui sont
interdépendants, et de mobiliser des partenaires. Ils soulignent, ensuite, leur maîtrise de la pluralité de rôles sociaux et de
connaissances. Enfin et surtout, ils sont caractérisés par la prise en charge d’un double rôle (p. 13-15). Le premier est la
production d’arguments et de représentations communes, ce qui renvoie à la dimension cognitive de la médiation qualifiée
d’activité de « généraliste ». Elle est fondamentalement liée à la capacité de passer d’un univers cognitif à un autre (en termes
de savoirs, de modes de raisonnement, de croyances, de registres de légitimation…). Concrètement, c’est une activité en
plusieurs temps : réunir et comprendre les points de vue différents, les faire circuler, trouver des éléments et un langage
communs afin de produire des analyses partagées et une intelligibilité commune. Cette activité se déploie principalement dans
le cadre des forums de politique publique (c’est-à-dire les espaces de production intellectuelle de l’action publique). Le second
rôle correspond au travail d’élaboration de compromis et de solutions acceptables par tous, ce qui renvoie à la dimension
stratégique de la médiation qualifiée d’activité de « courtier ». Le rôle endossé est ici celui d’un entremetteur qui permet
l’échange entre les parties, c’est-à-dire une entente sur les termes de l’échange et les bénéfices (matériels et/ou symboliques) de
celui-ci. L’activité de courtier se situe au niveau des arènes décisionnelles des politiques publiques.
Cette double figure, du généraliste et du courtier, qui caractérise l’acteur intermédiaire, n’est pas nouvelle. La sociologie des
organisations a mis en évidence les acteurs relais, chargés des interactions entre une organisation et son environnement
(Crozier et Friedberg, 1977, p. 166 sq.). Bifaces, puisqu’ils sont à la fois les représentants de l’environnement auprès de
l’organisation et de l’organisation auprès de l’environnement, ils ont aussi un rôle de réducteurs d’incertitudes. Un des
exemples pris par M. Crozier et E. Friedberg est celui des associations de parents d’élèves. Haroun Jamous (1969) parle, lui, de
marginaux sécants pour caractériser des acteurs à la marge de certains milieux (professionnels, sociaux, politiques) et à
l’interface de plusieurs d’entre eux, ce qui leur permet, dans certains contextes, de jouer un rôle clef dans la décision publique,
à l’instar du professeur Robert Debré, acteur central de la réforme des études médicales et des structures hospitalières de 1958
comme on l’a vu dans le chapitre 3. La sociologie des sciences a, quant à elle, développé les notions de porte-parole, de passeur
et surtout de traducteur pour désigner des acteurs mettant en relation des univers scientifiques distincts et produisant du sens
partagé à partir de processus d’hybridation cognitive (Callon, 1986).
Dans le cadre de travaux portant spécifiquement sur les politiques publiques, on trouve aussi des notions renvoyant à des
acteurs intermédiaires. Mentionnons, tout d’abord, les « médiateurs » (Jobert, Muller, 1987). Ce sont les acteurs qui élaborent le
référentiel sectoriel, déclinant dans un domaine spécifique de l’action publique le référentiel global, et qui par là jouent un rôle
d’acteur sectoriel dominant. Notons toutefois que chez ces deux auteurs il s’agit, d’une part, essentiellement d’acteurs collectifs,
et que, d’autre part, ce sont soit des hauts fonctionnaires, soit des groupes d’intérêts dans les exemples qu’ils développent. Paul
Sabatier et Hank Jenkins-Smith (1999) parlent de courtiers (policy brokers) pour mettre en évidence le rôle d’intermédiaire joué
par certains acteurs individuels (notamment des experts, parfois aussi des hauts fonctionnaires), extérieurs aux coalitions et
pouvant jouer un rôle d’intercesseurs, pour comprendre les interactions entre des coalitions de cause. De plus, ces
intermédiaires sont des vecteurs de processus d’apprentissage favorisant le changement. De manière plus spécifique, Jean-
Pierre Gaudin (1999) parle de « missionnaires de la négociation » dans le cadre des politiques publiques contractuelles. Ils
endossent eux aussi un double rôle : celui de projeteur (renvoyant au travail de négociation politique et à la formulation d’un
projet collectif) et celui de médiateur social chargé de la maïeutique de l’interaction (p. 185).
Par rapport à ces différentes notions, celle d’acteur intermédiaire nous apparaît plus pertinente car moins spécifique que
celles que nous venons de mentionner. Elle est associée à toute une série de qualités qui permettent d’en brosser un portrait
général : l’acteur intermédiaire
« est d’autant plus en mesure d’intercéder entre des institutions qu’il dispose d’une capacité d’interprétation des règles qui
régissent localement les rencontres entre les milieux institutionnels ; qu’il peut s’affranchir (momentanément) des
dépendances horizontales et verticales que son statut lui impose ; qu’il sait utiliser des règles et endosser des rôles propres
aux différents milieux dans lesquels il intervient ; qu’il parvient à mobiliser et contrôler les images légitimes des groupes et
des univers qu’il met en contact ; qu’il est en mesure de s’appuyer sur une référence à une “grandeur” faisant appel à un
principe universel ou à un intérêt général. Il privilégie généralement l’arrangement sur le conflit, l’accommodement par
rapport à la règle et l’adaptation au contexte de la situation. »
Nay et Smith, 2002, p. 17.
La notion d’acteur intermédiaire permet aussi d’appréhender les opérateurs de transferts de politiques publiques. David
Dolowitz et David Marsh (1996, p. 343) définissent le transfert comme « le processus par lequel un savoir sur des politiques
publiques, des structures administratives, des institutions, etc., à un moment donné et/ou à un endroit donné, est utilisé pour
développer des politiques publiques, des structures administratives et des institutions à un autre moment et/ou endroit ». Les
trajectoires professionnelles des acteurs opérant des transferts internationaux se déroulent à des niveaux multiples
(internationaux et nationaux) avec des allers-retours et des chevauchements fréquents qui permettent d’accroître leur capacité
stratégique : « La scène internationale […] multiplie les possibilités de double jeu pour le plus grand profit de ces
contrebandiers, courtiers ou compradores dans l’ordre symbolique, qui savent exploiter au mieux l’incertitude et les
approximations des échanges internationaux, afin d’accroître leur marge de manœuvre » (Dezalay et Garth, 2002, p. 3). Le
national et le transnational sont étroitement interdépendants : la diffusion de modèles et de normes est liée à une double
dynamique jointe d’exportation et d’importation : « L’essor du marché de l’import-export symbolique repose à la fois sur une
demande suscitée par les guerres de palais des pays importateurs et une offre alimentée par la compétition internationale pour
l’exportation des expertises et des savoirs d’État » (p. 27). Parler d’acteurs intermédiaires permet de dépasser la distinction
entre acteurs transnationaux exportateurs et acteurs nationaux importateurs, à maints égards artificielle, tant les passerelles,
les allers-retours, les interactions et les interdépendances sont nombreux.
Ils se distinguent donc des autres acteurs des politiques publiques par le fait qu’ils ne correspondent pas aussi nettement que
ceux analysés dans les chapitres précédents à des acteurs collectifs institutionnels (administration, gouvernement) ou organisés
(groupe d’intérêts, parti). En effet, les acteurs intermédiaires sont plus souvent des acteurs individuels dans la mesure où ils
correspondent à des fonctions (par exemple celles de chef de projet, de coordonnateur de projet, d’agent de développement
local, d’agent de médiation, de préfet, de commissaire européen…) et/ou à des trajectoires personnelles liées à des origines
sociales, une formation diversifiée, des positions multiples occupées dans des institutions variées et à des niveaux différents de
l’action publique, plusieurs formes d’engagement, l’accumulation de savoirs pluridisciplinaires. Si l’on peut parler dans un
certain nombre de cas de professionnalisation de l’intermédiation, voire d’institutionnalisation de celle-ci à travers l’existence
d’arènes institutionnelles qui remplissent une fonction d’intermédiaire, comme par exemple le SGCI (devenu SGAE) entre Paris
et Bruxelles (Eymeri, 2002), la diversité des ressources d’un acteur (ressources de savoir, ressources politiques, ressources
sociales, ressources matérielles) apparaît comme l’élément décisif parce que ce sont elles qui déterminent sa capacité à occuper
des positions multiples, à opérer des montées en généralité et à se situer à l’interface des interactions. Empiriquement,
l’analyse de cette catégorie d’acteurs suppose non seulement le recueil d’un matériau biographique mais aussi d’étudier les
lieux et les espaces d’interaction au sein desquels ils se déploient2.
Il existe toutefois un type d’acteurs plus collectif qui peut correspondre, dans certains cas, aux acteurs intermédiaires : les
experts.
Soulignons, pour commencer, que les experts ne sont pas des acteurs spécifiques aux politiques publiques. Historiquement,
l’expert a tout d’abord été défini comme un individu doté de compétences et/ou d’un savoir-faire spécialisé, ce qui renvoie à des
univers professionnels comme en témoignent les figures de l’expert-comptable, de l’expert médical ou encore de l’expert
géomètre. Ces experts d’un domaine professionnel peuvent être amenés à produire des jugements dans d’autres espaces,
notamment dans le domaine juridique (par exemple le rôle des experts dans les procès). À la fin du XVIIIe siècle apparaît la figure
du savant expert tirant sa légitimité des avancées de la science (Delmas, 2001, p. 15). Mais ce n’est qu’à partir du moment où
l’État ou un autre acteur des politiques publiques (en particulier les groupes d’intérêts) font appel à des experts que ceux-ci
deviennent des acteurs des politiques publiques. La définition des experts ne repose donc pas seulement sur la détention d’un
savoir spécialisé, fondé sur des compétences et des catégories de jugement spécifiques, mais aussi sur le mandat qui leur est
conféré correspondant à une « situation d’expertise ». Celle-ci a été définie comme « la rencontre d’une conjoncture
problématique et d’un savoir spécialisé » (Cresal, 1985, p. 3). Une conjoncture problématique renvoie à une situation que les
parties prenantes ne parviennent pas à résoudre ; elles font alors appel à un tiers non partie prenante de la situation qui émet
des appréciations et des recommandations visant à contribuer à la prise de décision. Par conséquent, « relève de l’expertise la
mise en œuvre d’un savoir – quel qu’il soit (économique, juridique, historique, moral, sociologique, philosophique…) – et/ou d’un
savoir-faire, aux fins de remédiation sociale (directe ou indirecte ; au sens large), et qui se traduit par un diagnostic, un avis, des
propositions (pouvant prendre des formes diverses) » (Delmas, 2001, p. 22).
Cette définition « non positiviste » et interactionniste de l’expertise a quatre conséquences majeures. La première est de
considérer, à la suite des travaux du Cresal, « qu’il n’y a pas d’expert sans situation d’expertise » (Cresal, 1985, p. 4). L’expert
n’existe pas en soi, par des propriétés intrinsèques, mais uniquement en situation, du fait d’un appel qui lui est lancé par des
acteurs de politique publique : « tout un chacun peut, dans un contexte donné, être défini comme expert. Le travail intellectuel
auquel il se livre ne devient expertise que dans des conditions concrètes d’exercice mettant en jeu un système de rapports socio-
institutionnels » (p. 4). La compétence d’expert résulte donc d’un travail de construction sociale et politique par lequel des
acteurs ou des groupes d’acteurs établissent une délimitation entre experts et non-experts qui leur permet d’être placés en
situation pour être appelés par des acteurs de politique publique, en particulier par des acteurs étatiques.
La deuxième conséquence est qu’un expert est un intermédiaire entre un espace de savoir (qui peut être un forum de politique
publique) et un espace décisionnel (une arène de politique publique) : l’expert « se situe entre deux champs : l’essence de
l’expert n’est pas de maîtriser une compétence – c’est le lot du savant, du scientifique ou du chercheur – mais d’exporter un
savoir et une légitimité acquis dans le champ scientifique pour fonder des décisions sur des questions disputées dans le champ
politique » (Joly, 2005, p. 118). Autrement dit, il est « placé entre le pôle intellectuel et le pôle politique » (Delmas, 2001, p. 25)
et participe aux deux univers dont il assure l’interface. En cela, l’expert a un rôle de médiateur entre les lieux de production des
connaissances et les lieux de pouvoir.
Troisième conséquence, les productions d’expertise correspondent à des savoirs pratiques. Les connaissances produites sont
orientées vers la décision publique, elles ont pour finalité des traductions concrètes dans le cadre des politiques publiques. Il
s’agit donc de savoirs pragmatiques que peuvent s’approprier l’ensemble des acteurs d’une politique publique. L’expertise ainsi
définie relève d’une « science de l’agir » (Delmas, 2001, p. 22).
Enfin, dernière conséquence, il découle de cette caractérisation que les experts ne peuvent pas être analysés isolément mais
en interaction avec d’autres acteurs de politiques publiques.
L’analyse des acteurs comme intermédiaires en interaction peut s’appuyer sur la distinction, souvent reprise, élaborée par
Jürgen Habermas (1973) entre trois modèles : le modèle décisionniste, le modèle technocratique et le modèle pragmatique. Le
premier modèle (décisionniste) repose sur la distinction webérienne du savant et du politique. Le politique fait appel au savant
pour éclairer sa décision. Le savoir produit par l’expert est subordonné au pouvoir décisionnel du politique qui tient ou ne tient
pas compte de l’expertise produite à sa demande. Ce type d’articulation entre expertise et décision publique renvoie à l’idéal
type de l’expertise de service dont la caractéristique est triple :
« Le mandataire, qui est aussi le décideur, se prévaut d’un ensemble de compétences et de responsabilités propres, dans le
domaine de l’action ; la mission requise de l’expert relève d’un autre univers, posé comme séparé, celui des savoirs dont
l’application demandée est l’usage de la mesure dans l’établissement d’un diagnostic technique sur une question de fait ; la
situation d’expertise est définie comme un processus décisionnel supposant un arbitrage, pour lequel la mission technique est
vue comme un préalable à visée purement informative. »
Théry, 2005, p. 313-314.
L’autonomie du politique par rapport à l’expertise est donc grande. Celle-ci est de nature technique et a pour finalité de
produire des données visant à réduire l’incertitude sur les faits afin d’éclairer la décision. L’expert apporte des éléments de
connaissance de nature technique alimentant et informant les acteurs politiques qui fixent les objectifs. L’expertise contribue
ainsi à fixer le cadre des options possibles parmi lesquelles les décideurs vont trancher.
Le deuxième modèle, le modèle technocratique, correspond à la situation inverse : celle du primat des experts sur les acteurs
politiques. Les décisions sont prises par les experts au nom de leurs compétences techniques et de leur savoir scientifique et
simplement exécutées par les acteurs politiques. Alors que dans le modèle décisionniste l’expertise est subordonnée au
politique, dans le modèle technocratique le politique est subordonné aux experts. L’expertise n’est plus alors simplement
technique mais aussi « instituante », dans la mesure où elle construit des problèmes publics correspondant à des objets d’action,
définit des normes d’intervention et effectue des choix de valeurs (Castel, 1985). « L’expert instituant » se distingue ainsi
nettement de « l’expert mandaté » qui correspond au premier modèle d’interactions que distingue Habermas. Ce deuxième
modèle d’interactions renvoie à des situations où un groupe d’experts (plus rarement un expert unique) a réussi à monopoliser
les savoirs pertinents et les compétences techniques dans un domaine de politique publique, ce qui lui permet de jouer un rôle
primordial au niveau de la décision. Elle se retrouve en particulier lorsque l’expertise est une ressource centralisée par l’État,
comme l’a illustré le cas français avec le rôle clef de certains grands corps d’État dans des politiques sectorielles dans les
années 1960 comme on l’a vu dans le chapitre 6. Le modèle technocratique ne correspond pas seulement à la période des
Trente Glorieuses marquée par l’accroissement de l’intervention de l’État, il connaît des traductions plus actuelles, notamment
au niveau international.
L’existence d’un « Washington consensus » (Dezalay et Garth, 1998) parmi les experts économiques travaillant pour les
institutions économiques internationales s’inscrit, à certains égards, dans ce modèle. Cette expression a été forgée par
l’économiste américain John Williamson pour désigner les politiques imposées aux pays d’Amérique latine en situation de crise
financière ; elle renvoie à l’idée que les institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et FMI) basées à Washington sont
porteuses d’un même discours économique d’inspiration néolibérale visant à réduire la part des dépenses publiques, à valoriser
la régulation par le marché et le secteur privé, à libéraliser les échanges et la circulation des capitaux et à privilégier la rigueur
monétaire. Ce discours est repérable tant dans l’abondante production de rapports de ces institutions que dans le contenu des
plans d’ajustements structurels proposés aux pays ayant recours à leurs financements.
L’expression « Washington consensus » a toutefois suscité des interrogations sur la solidité et l’étendue de ce consensus. Des
travaux plus récents ont souligné que ce consensus n’allait plus de soi au sein même de ces institutions qui, de façon croissante,
sont aujourd’hui contraintes de tenir compte des conséquences sociales de leurs recommandations économiques (Graz, 2003,
p. 53). Par exemple, face aux critiques mettant en avant les effets négatifs en termes de développement de la pauvreté et
d’évolution de la morbidité et de la mortalité des mesures préconisées par institutions de Bretton Woods, la Banque mondiale en
particulier a infléchi son discours en prenant plus directement en compte la protection sociale, auparavant totalement négligée.
Plus récemment, des interrogations de plus en plus nombreuses ont été soulevées sur l’inadaptation des institutions de Bretton
Woods au nouveau contexte économique mondial (décollage économique de pays à revenus intermédiaires comme la Chine ou
l’Inde qui continuent à recevoir des prêts), à propos des difficultés à conclure le cycle de négociation en cours sous l’égide de
l’OMC (cycle de Doha entamé en 2001) et sur leur incapacité à remédier aux déséquilibres entre pays riches et pauvres (enjeu
central des mobilisations altermondialistes dont ces institutions sont la cible privilégiée). Du fait de cette mise en débat de
l’expertise internationale, le modèle technocratique perd en pertinence au profit du troisième modèle d’Habermas : le modèle
pragmatique.
Il renvoie le plus nettement au rôle d’intermédiaires des experts qui ont pour rôle principal d’alimenter le débat public. Ce
modèle fait intervenir une troisième catégorie d’acteurs : celle des citoyens qui, grâce à une expertise largement diffusée (et
donc plus transparente), participent à la formulation des enjeux et aux discussions sur les options envisageables dans un
domaine d’action publique. La décision politique est alors conçue comme le produit de discussions collectives et les experts ont
un rôle d’intermédiaires entre les citoyens et les acteurs politiques. Le cadre d’ensemble des politiques publiques est pluraliste
alors que le modèle technocratique correspond à une situation de double monopole (de l’expertise et de la décision). Le rôle des
experts est un rôle de publicisation des politiques publiques selon trois modalités principales : la mise en visibilité de nouveaux
enjeux d’action publique, la mise en débat de ceux-ci et la diffusion élargie de l’expertise.
La première modalité renvoie principalement aux incertitudes croissantes concernant un certain nombre de domaines de
politique publique, en particulier ceux qualifiés de « nouveaux risques » : nouveaux risques sanitaires (sida, maladies
nosocomiales…), nouveaux risques alimentaires (ESB, OGM…), nouveaux risques climatiques (effets du réchauffement
planétaire, effet de serre…), nouveaux risques environnementaux (pollution automobile, antennes de téléphonie mobile…),
nouveaux risques liés au travail (amiante…), etc. Par rapport à ceux-ci, les experts jouent souvent un rôle de « lanceurs
d’alerte » (Chateauraynaud et Torny, 1999) contribuant à la construction de nouveaux problèmes publics et à leur mise sur
agenda.
La deuxième modalité, à savoir la mise en débat croissante des enjeux de politique publique, est liée à la mise en place de
nouveaux forums de politique publique tels que les commissions, comités, observatoires, conseils, états généraux, « grenelle »,
etc. Ils s’inscrivent dans un nouveau type d’expertise : l’expertise de consensus (Théry, 2005). Deux éléments la distinguent de
l’expertise de service (qui renvoie au modèle décisionniste) et de l’expertise technocratique (ou monopolistique et instituante).
Tout d’abord, « les spécialistes n’y sont qu’un élément d’une mission d’expertise plus large, incluant d’autres acteurs, et à
travers eux d’autres références que la compétence technique : élus, directeurs d’administration, industriels et mêmes parfois
représentants des usagers, des consommateurs, etc. » (p. 316). Le modèle pragmatique de l’expertise de consensus correspond
donc à une ouverture de l’expertise et à une diversification des compétences et des savoirs mobilisés pour la décision publique.
C’est pour cela que ces forums peuvent être qualifiés d’hybrides (Callon et Rip, 1991) du fait de l’hétérogénéité des savoirs, des
compétences, des ressources et des intérêts qu’ils embrassent. D’une certaine façon, on peut dire aussi que l’expertise devient
plus collective et collégiale puisque le mandat confié à ces nouveaux forums concerne un ensemble d’acteurs divers. Surtout,
« la spécificité de ce type d’expertise est d’organiser procéduralement la confrontation et l’ajustement entre des acteurs aux
compétences différentes. La commission est l’instance d’une délibération et d’une négociation entre ces acteurs, dans la
perspective de parvenir à un consensus entre les différents référentiels qu’ils incarnent » (Théry, 2005 p. 317). Il en résulte deux
conséquences : d’une part, une hybridation des rôles pour les experts qui ne sont pas simplement des spécialistes chargés de
donner un avis informé mais bien des acteurs intermédiaires chargés de produire un sens partagé (généralistes) et des
compromis entre des intérêts divergents (courtiers) ; d’autre part une procéduralisation croissante de l’expertise qui articule
trois principes : le contradictoire (confrontation des savoirs et des intérêts), la transparence (publicisation de l’expertise) et
l’indépendance des experts (Joly, 2005, p. 136-138). Elle conduit à donner aux experts un rôle central dans la production de
compromis entre les connaissances disponibles, les attentes des différents acteurs et les procédures permettant d’établir des
normes publiques.
Ce rôle croissant d’intermédiaire des experts s’inscrit dans une tendance plus large observable dans les politiques publiques
actuelles : la tendance à la délégation de responsabilité des acteurs politiques vers d’autres acteurs de politique publique. Elle
accompagne une dynamique d’externalisation de l’expertise sous la forme du recours croissant à des experts extérieurs à
l’administration (consultants privés notamment), du développement de financements de projets et de la mise en place de
nouvelles instances présentées comme extérieures à l’État : en particulier les agences, mais aussi les observatoires et les
comités d’experts permanents. Ce « recours à l’externalisation peut offrir au politique une voie de dépolitisation des problèmes.
[…] Il permet aussi d’anticiper les conflits politiques, par exemple en confiant aux experts le soin de donner des avis supposés
objectifs qui départageront les thèses en présence. Le conflit politique se trouve ainsi déplacé, permettant à chacun des
protagonistes de garder la face » (Jacob et Genard, 2004, p. 153-154). Par là, la position de retrait des acteurs politiques
contribue à l’affirmation du rôle des experts dans l’action publique contemporaine. De même, au niveau européen les multiples
groupes d’experts jouent un double rôle d’apport de savoirs et de prénégociation facilitant l’élaboration ultérieure de
compromis politiques, à partir du cadrage des problèmes qu’ils opèrent (Robert, 2010).
Y participe aussi le fait que l’expertise est une ressource de plus en plus recherchée par l’ensemble des acteurs de politique
publique. Le phénomène le plus net ici est celui du recours croissant aux experts de la part d’acteurs non étatiques. Se
développent de ce fait des formes de contre-expertise, notamment sur les enjeux environnementaux et sociaux. On peut ainsi
mentionner, dans le cas français, l’émergence d’une contre-expertise dans le domaine nucléaire avec la constitution en 1976 du
Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire associant scientifiques, syndicalistes et militants
écologistes. D’autres structures ont contribué, par la suite, à la structuration d’une expertise contestant l’expertise nucléaire
d’État : des laboratoires universitaires, des organismes indépendants comme la CRII-Rad et des bureaux d’études sur les
questions énergétiques. Plus récemment, à la fin des années 1990, s’est constituée aussi une contre-expertise économique
autour d’associations comme Attac et la fondation Copernic en lien avec des mobilisations sociales contestant l’orientation
« néolibérale » des politiques économiques et sociales. Le développement de ces formes de contre-expertise contribue à la
pluralisation de l’expertise et, au-delà, à la mise en débat croissante de l’action publique.
La troisième modalité de publicisation de l’expertise, à savoir sa diffusion dans des espaces publics, renvoie à la circulation
accrue de l’expertise par divers canaux publics, médiatiques en particulier, mais aussi sous la forme de publications (papier et
surtout sur la toile) élargies. S’opère ainsi une socialisation accrue des savoirs qui transitent de façon croissante d’espaces
savants vers d’autres espaces sociaux.
Les experts jouant un tel rôle d’acteurs intermédiaires des politiques publiques occupent le plus souvent des positions
multiples entre le monde savant et l’univers politico-administratif (voire politique ou des groupes d’intérêts) comme le montre
l’exemple des « nouveaux géographes ».
La multipositionnalité des experts : les « nouveaux géographes » dans la politique d’aménagement du territoire
Dans les années 1970 se développe une nouvelle approche de la géographie fondée sur l’idée que les territoires sont des espaces structurés par des flux
économiques et démographiques. Ce nouveau paradigme, qualifié de « socioterritorial », s’appuie sur des méthodes quantitatives et se concrétise par une
cartographie (qualifiée de chorématique) qui transforme des données statistiques en schémas spatialisés. Les porteurs de cette approche (qui se
réclament d’une « nouvelle géographie ») ont progressivement investi trois types de positions : positions savantes (postes universitaires et de recherche,
revues, publications…), positions administratives et politiques (comités scientifiques, commissions, cabinets ministériels, postes administratifs…),
positions de consultants (création de cabinets de conseil en aménagement du territoire produisant des données statistiques cartographiées). Ce cumul de
positions triangulaire, emblématisé par la figure de Roger Brunet – à la fois directeur de recherche au CNRS, fondateur de la revue L’espace géographique
(dans laquelle sont investis dès sa création en 1972, aux côtés d’universitaires, des hauts fonctionnaires de la Datar), membre du cabinet du ministre de la
Recherche de 1981 à 1984, directeur d’un réseau de recherche (le Gip Reclus créé en 1984) qui comprend à la fois des laboratoires universitaires, des
collectivités territoriales et des ministères – leur a permis de développer des liens étroits avec la Datar (qui se traduisent par une monopolisation des
ressources financières contractuelles consacrées aux études) et de définir l’espace du pensable en matière de politique d’aménagement du territoire. « Ce
système place en son centre des “managers” de la science qui monopolisent et centralisent les ressources nécessaires à la perpétuation de leur savoir :
financements et reconnaissance. L’hégémonie de certains groupes de savants repose sur leur capacité à entretenir un paradigme temporellement
“indispensable” et ses débouchés : tel est l’enjeu du système triangulaire » (Massardier, 1996, p. 169). On assiste ainsi à une interpénétration croissante et
à la mise en place de liens informels nombreux entre acteurs savants et acteurs administratifs (au sein de la Datar) formant progressivement un réseau
d’experts à l’initiative de colloques et de publications qui permettent de légitimer et de diffuser des conceptions partagées orientant l’action publique en
matière d’aménagement du territoire à partir des années 1980.
Les experts jouent donc un rôle de passeurs de l’univers académique vers le milieu politico-administratif mais aussi entre
différents niveaux d’action publique comme le montre le cas des experts dans la politique de la ville ou de certains économistes
de la santé.
Rouzeau, 2004.
O’Neill, 2000.
Les experts comme acteurs intermédiaires des politiques publiques peuvent non seulement être analysés à titre individuel (en
mettant l’accent sur la diversité de leurs ressources et sur leur multipositionnalité) mais aussi de manière plus collective du fait
d’espaces de structuration de l’intermédiation.
La notion anglo-saxonne de think-tank3 renvoie à l’existence de lieux d’intermédiation par l’expertise. Il s’agit d’organisations
définies comme « relativement autonomes […] par rapport à l’État, aux partis politiques et aux groupes d’intérêts » (Stone,
2004, p. 3) ayant une activité d’information, de réflexion et de recherche sur des enjeux de politique publique. L’autonomie des
think-tanks, que ceux-ci mettent fortement en avant pour se démarquer des autres acteurs (Medvetz, 2010), est moins financière
(ils peuvent être financés en grande partie par l’État ou par d’autres acteurs de politiques publiques : partis, groupes d’intérêts,
entreprises…) qu’intellectuelle (volonté d’indépendance dans les choix des enjeux analysés et des positions adoptées) et
juridique (statut de droit privé, de fondation en général). Ils correspondent à des forums de politique publique non étatiques,
plus ou moins spécialisés. Leur rôle est avant tout un rôle d’intermédiaires entre des espaces de savoir et de connaissances d’un
côté et, de l’autre, des espaces publics et politiques puisque leur activité centrale est de formuler des nouveaux enjeux et
problèmes ainsi que de diffuser des conceptions visant à orienter l’action publique. Les think-tanks participent ainsi au cadrage
et au formatage des débats publics sur les politiques publiques par une activité intense de diffusion (publications papier ou sur
la Toile) de textes, de prises de position publiques de leurs membres (dans les médias en particulier) et de contacts directs avec
des acteurs des politiques publiques (en particulier décisionnels). Ce sont aussi des lieux où se rencontrent experts, acteurs
politiques, acteurs administratifs, groupes d’intérêts, généralistes, etc. Leur mode d’influence sur les politiques publiques est
donc indirect par la production de ressources cognitives (informations, argumentaires, raisonnements, orientations, concepts,
recettes d’actions, définitions d’instruments d’action publique…) dont peuvent se saisir d’autres acteurs des politiques
publiques (étatiques ou non) pour renforcer la légitimité intellectuelle de leurs prises de position et de leurs interventions dans
le cadre de l’action publique. Ce sont ainsi des réservoirs à idées dans lesquels peuvent puiser l’ensemble des acteurs des
politiques publiques. Ils participent par là, de manière plus générale, à la définition d’un air du temps intellectuel qui imprègne
plus ou moins fortement l’action publique.
On considère en général que le premier think-tank structuré est apparu en Grande-Bretagne en 1884 avec la création de la
Fabian Society qui prônait l’instauration du socialisme de manière graduelle4. Son objectif était de peser sur le climat
intellectuel de l’époque, en particulier au niveau du parti travailliste avec lequel des liens importants s’établissent, en publiant
des brochures et des ouvrages ainsi qu’en organisant des séminaires et des discussions publiques. En 1927 est créée aux États-
Unis la Brookings Institution, souvent considérée comme le prototype du think-tank moderne car indépendante
intellectuellement et politiquement et orientée vers le conseil à l’État (Smith, 1991), tout comme l’est l’autre modèle de think-
tank : la RAND Corporation, fondée en 1948. C’est aux États-Unis que le développement des think-tanks est le plus important,
du fait notamment de l’autonomie des parlementaires vis-à-vis de leur parti et d’une fiscalité qui favorise le développement des
fondations privées. En France c’est surtout après la seconde guerre mondiale qu’apparaissent des structures de réflexion
orientées vers les politiques publiques. On peut en particulier citer le club Jean-Moulin qui a joué un rôle clef dans la diffusion
du projet « planificateur » au début des années 1960 (Dulong, 1997, p. 148-152).
L’influence des think-tanks sur le soubassement intellectuel de l’action publique se fait surtout sentir à partir des années 1960-
1970 avec l’émergence d’instituts et de fondations prônant des principes libéraux (en particulier sur le plan économique) en
réaction au keynésianisme dominant depuis l’après-seconde guerre mondiale. Une des premières manifestations est, au
Royaume-Uni, en 1955, la création de l’Institute for Economic Affairs prônant les idées de Hayek et visant, comme la Fabian
Society, mais dans un sens opposé, à peser sur le climat intellectuel imprégnant les politiques publiques. À partir du milieu des
années 1970 les think-tanks se sont multipliés au Royaume-Uni (Stone, 1996). De nouvelles structures comme le Center for
Policy Studies (créé en 1974) et le Adam Smith Institute (créé en 1976) ont largement contribué à définir l’agenda politique des
années Thatcher marquées par la privatisation et la libéralisation de l’économie et plus largement la redéfinition de la place de
l’État dans l’action publique. Un mouvement comparable est repérable aux États-Unis, avec notamment la création en 1973 de
la Heritage Foundation, qui, avec d’autres think-tanks, tels le American Entreprise Institute for Public Policy Research ou la
Hoover Institution, contribuent à la réorientation des politiques économiques et sociales des années Reagan (amorcée dès les
années 1970). La multiplication des think-tanks libéraux est également sensible en France avec la création du club de l’Horloge
ou de l’institut La Boétie. Cette mobilisation intellectuelle de la « nouvelle droite » libérale a entraîné à partir de la fin des
années 1980 la mise en place de think-tanks cherchant à s’y opposer, soit en développant une troisième voie visant à concilier
socialisme et libéralisme – on peut citer l’Institute for Public Policy Research au Royaume-Uni ou la fondation Saint-Simon en
France – soit en développant une critique frontale des idées libérales – on peut citer la fondation Copernic en France.
Cette structuration collective de l’expertise revêt des formes différentes en fonction des contextes nationaux de politique
publique même si on assiste à une floraison de think-tanks depuis les années 1990 avec les transitions démocratiques et la
transnationalisation de l’expertise (Stone, 2004). Ainsi leur nombre et leur importance sont moindres en France du fait du rôle
des lieux de réflexion internes à l’État et des structures de recherches publiques qui donnent un poids prépondérant à
l’expertise d’État. On peut aussi remarquer que par rapport aux États-Unis, les think-tanks britanniques et surtout allemands5
sont plus fortement liés aux partis politiques.
Certaines institutions internationales peuvent aussi être considérées comme des lieux de structuration collective de l’expertise
proposant des modèles de politiques publiques, des instruments d’action et des argumentaires permettant de légitimer des
orientations. Ces trois aspects correspondent à un pouvoir d’influence indirect par une expertise collective institutionnalisée.
Les institutions économiques internationales sont ainsi des producteurs et des diffuseurs de modèles d’action correspondant à
des propositions de réforme de politique publique. Ces modèles ne sont pas seulement théoriques, ils s’appuient le plus souvent
sur un cas national qui devient, dans le discours de ces institutions, un modèle de référence dont il faudrait s’inspirer. On peut
donner l’exemple du modèle de système de retraite à trois piliers élaboré par la Banque mondiale : un premier pilier public
offrant une retraite de base ; un second pilier reposant sur des assurances collectives ; un troisième pilier individuel et privé. Le
Chili, qui a mis en place ce modèle sous l’influence d’experts transnationaux, a de ce fait fréquemment servi de cas de
référence. Les principes néolibéraux se traduisent donc dans le domaine de la protection sociale par des modèles de politiques à
la fois élaborés et incarnés par des cas nationaux (Hassenteufel et Palier, 2001).
Ces institutions internationales produisent aussi des argumentaires permettant de légitimer l’adoption de mesures de
politique publique. On peut distinguer ici ce qui relève de la production de données qui permettent de justifier une mesure de la
rhétorique qui fonde les discours de légitimation. Sur le premier aspect, il convient de souligner que ces institutions sont de
grandes productrices de données chiffrées qui permettent d’objectiver leurs propositions et leurs recommandations. Dans
certains cas, on assiste même à l’émergence de quasi-monopoles dans la production de données statistiques internationales :
c’est par exemple le cas de l’OCDE pour les dépenses de santé (Pierru et Serré, 2001). Pour le deuxième aspect, ces institutions
déploient une rhétorique mettant l’accent sur l’absence d’alternative à la voie néolibérale dans le cadre de la mondialisation. Ce
discours peut être analysé comme un véritable « catéchisme » (Hibou, 1998) du fait de son caractère hautement performatif,
confinant au messianisme. C’est un type de discours qui cherche à exercer une influence en lui-même et qui s’appuie sur de
multiples procédés visant à en accroître la portée : la simplification de la réalité par des raisonnements réducteurs, la répétition
de formules aisées à mémoriser, le dualisme (opposition entre les « bonnes » et les « mauvaises » politiques, entre le « vrai » et
le « faux »), le recours fréquent à un registre de langage très normatif.
De plus certaines institutions de coopérations économiques ont d’autres compétences importantes : un rôle de prêteur
conditionnel (en contrepartie de l’adoption de programme de réformes économiques) pour le FMI et la Banque mondiale,
l’adoption de règles multilatérales avec un système de sanctions, décidées par l’organe de règlement des différends, pour les
États qui ne les respectent pas, dans le cadre de l’OMC. Au cumul de ressources d’expertise importantes s’ajoutent la capacité
d’imposer des programmes d’action et la capacité à les mettre en œuvre, pour la Banque mondiale en particulier (La Branche,
2005).
Au-delà du cas des institutions économiques, on peut mentionner le Groupe international sur l’évolution du climat (qui a reçu
le prix Nobel de la paix en 2007), impliquant plusieurs milliers de scientifiques, créé à l’initiative de l’ONU et de l’Organisation
météorologique mondiale en 1988 pour faire la synthèse des recherches sur le lien entre émissions de gaz à effet de serre et
modifications du climat. Son premier rapport, publié en 1990, a joué un rôle décisif dans l’adoption de la convention sur le
climat lors du sommet de la Terre à Rio en 1992 ; le second, datant de 1995, a permis la signature du protocole de Kyoto en
1997 entraînant l’engagement d’un nombre croissant de pays à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit là d’une
structure réunissant des experts scientifiques clairement orientée vers les acteurs gouvernementaux, qui approuvent un
« résumé pour les décideurs » au poids politique certain.
On peut, enfin, mentionner une troisième forme de structuration collective d’une expertise jouant un rôle d’intermédiaire, non
plus entre des forums et des arènes (comme les think-tanks) ou entre des niveaux d’action publique (comme les institutions
internationales), mais entre le privé et le public. Il s’agit des cabinets de conseil. Ils sont, en effet, porteurs d’un savoir
spécialisé, à l’origine comptable. Ces cabinets ont connu un essor considérable dans le monde anglo-saxon et ont été les
vecteurs de la diffusion des principes et des instruments du management des entreprises privées vers le secteur public, dans le
cadre des réformes administratives menées depuis le début des années 1980. L’avènement de la « nouvelle gestion publique »
est étroitement lié aux cabinets de consultants qui, dans les pays anglo-saxons principalement, ont été fortement associés à
l’élaboration du contenu des réformes et à leur mise en œuvre (Saint-Martin, 2000).
Les analyses récentes du rôle des experts dans l’action publique mettent l’accent sur deux évolutions principales : d’une part
le rôle croissant des experts (parfois qualifié d’expertisation des politiques publiques), d’autre part l’affirmation du modèle
pragmatique par rapport aux deux autres modèles distingués par Habermas. Il semble toutefois nécessaire de s’interroger sur
les limites de ces deux phénomènes.
Tout d’abord, on peut mettre en avant un double mouvement de contestation des experts fondé, d’une part, sur la
dénonciation de leur manque d’indépendance (par rapport à l’État mais aussi par rapport à des groupes d’intérêts privés),
d’autre part sur le caractère non démocratique de l’expertise. Le premier aspect renvoie à la proximité entre experts et
décideurs, donc à l’autonomie des experts comme acteurs intermédiaires. Ce mode de contestation de l’expertise dans certains
domaines, comme le nucléaire (cas des effets de Tchernobyl en France), la sécurité alimentaire (cas de la vache folle) ou la santé
(cas de la transfusion sanguine ou de l’autorisation de mise sur le marché de médicaments) a conduit à une plus grande
transparence (déclaration publique des conflits d’intérêts), à une diversification et une collégialité accrues de l’expertise ainsi
qu’à de nouvelles procédures tant au niveau du recrutement (élargissement de la procédure de sélection des experts, prise en
compte des différentes écoles de pensée, appels d’offres, prédominance du critère de compétences) que des modalités de
production de l’expertise (principe du contradictoire, prise en compte des opinions minoritaires, publication de l’ensemble des
débats…) (Joly, 2005, p. 138-146).
L’autre mode de contestation de l’expertise se fait au nom des publics concernés et intéressés ou plus largement des citoyens.
Il conduit à remettre en cause la frontière entre experts et « profanes » porteurs d’un savoir non scientifique mais d’expériences
pratiques et concrètes liées à un enjeu de politique publique. Sont ainsi mises en avant des formes d’expertise profanes plus
subjectives car basées sur un vécu personnel. Elles prennent souvent une dimension collective par la mobilisation associative
(associations d’usagers, de riverains, de victimes, etc.) produisant un autre type de savoir et de discours. Il en résulte « une
déstabilisation de la démarcation entre spécialistes et non-spécialistes, savants et profanes (souvent représentants d’une
autorité morale, essentiellement d’associations) étant associés au sein de diverses instances d’expertise » (Delmas, 2001, p. 32-
33). La catégorie même de l’expert se trouve ainsi de plus en plus diluée.
On peut aussi souligner la persistance des modèles technocratique et décisionniste. La pluralisation de l’expertise, qui
caractérise le modèle pragmatique, ne s’impose pas systématiquement, surtout dans les secteurs de politique publique marqués
par la prédominance de hauts fonctionnaires monopolisant une expertise technique comme le montre le cas des risques
industriels (Bonnaud, Martinais, 2010). Les limites sont également nettes pour les débats publics fortement encadrés par les
autorités publiques qui définissent les termes des débats. Il s’agit souvent de rendre acceptables des mesures par l’information,
voire l’éducation (comme le traduit le recours fréquent au terme « pédagogie ») des citoyens. L’articulation entre démocratie
participative et communication, sur la base de la mise en scène des propositions et de la transparence, est forte. L’objectif
principal est de désamorcer les conflits en « rassurant » et en délégitimant les oppositions. Au final, il s’agit de produire du
consensus sans remise en cause de la logique de projet initiale (Rui, 2004). Ainsi, deux formes fréquentes de manipulation des
« forums hybrides » associant experts, citoyens, acteurs administratifs, acteurs politiques, associations, etc. sont repérables :
« La première vise à utiliser le forum hybride comme un dispositif facilitant la préparation de décisions dont les décideurs
pressentent qu’elles risquent d’être controversées : pour anticiper des réactions imprévisibles, ils trouvent bon de donner la
parole, d’ouvrir les microphones, mais en ayant programmé leur fermeture, une fois les informations utiles obtenues. La
seconde est plus cynique : le forum hybride est réduit à un simple outil de légitimation. Les décideurs consultent, donnent la
parole, mais en se gardant bien de tenir compte de ce qui est dit et de ce qui est proposé. Dans les deux cas, la parole est
concédée, mais des mesures sont prises pour qu’elle ne vienne rien changer au cours des décisions et pour que soit réprimée
toute tentative d’organiser l’émergence de nouvelles identités. Dans les deux cas, il s’agit de faire parler pour mieux faire
taire, au lieu de traquer des paroles inattendues pour leur donner du poids. »
Callon, Lascoumes et Barthe, 2001, p. 211.
La fermeture est également nette pour les agences sanitaires qui, malgré des procédures garantissant la transparence, ont
plutôt renforcé une expertise scientifique dominée par la profession médicale (Benamouzig et Besançon, 2008).
La persistance du modèle décisionniste est également nette. Elle se manifeste tout d’abord par le contrôle que le pouvoir
politique continue à exercer sur le choix des experts et par les formes d’encadrement de l’expertise (en France notamment par
le biais des lettres de mission adressées aux auteurs d’un rapport commandé par une autorité publique). Surtout, on peut
toujours repérer des formes multiples d’instrumentalisation politique de l’expertise. Elle se traduit tout d’abord par son usage
comme mode de légitimation d’une décision préalablement prise au niveau politique. Dans ce cas, l’expertise ne fait que
renforcer un choix antérieur et le pare des vertus de la scientificité et de la neutralité. Ensuite, l’expertise peut faire l’objet
d’une utilisation avant tout symbolique quand elle ne débouche sur aucune décision aux effets concrets. On peut citer ici le cas
de la politique du gouvernement Jospin (1997-2002) en matière de retraites qui a surtout consisté à publier des rapports
(rapport Charpin, rapport Teulade) et à mettre en place un Comité d’orientation des retraites chargé d’un travail permanent de
réflexion et d’information sur la situation des retraites6. Enfin, les acteurs politiques ont également recours à l’expertise comme
ballon d’essai : à travers elle il s’agit de tester et de mesurer la recevabilité et l’acceptabilité de telle ou telle mesure de
politique publique par les réactions qu’elle suscite auprès des intéressés, et plus largement dans les médias et dans l’opinion
publique sondagière. On se trouve alors dans le cadre de ce qu’Irène Théry appelle l’« expertise d’engagement » : l’expert ne
doit pas seulement proposer une analyse mais aussi s’engager publiquement dans des propositions pour l’action sous la forme
d’un avis rendu public.
« Cet avis, pour le décideur politique, a une fonction stratégique. Le rédacteur d’un rapport n’est rien de plus (rien de moins
non plus) qu’un esquif momentanément un peu voyant sur la mer de la démocratie d’opinion. Lancé aux avant-postes sur les
vagues du débat public, il va servir essentiellement de test : c’est l’expert signal. Du port, on observa les grains qu’il prend sur
la tête, ou à l’inverse les doux zéphyrs de l’adhésion qu’il aura su éveiller et puis, si le temps s’y prête, les politiques se
jetteront à l’eau. »
Théry, 2005, p. 323.
C’est donc aussi un moyen de faire accepter progressivement une mesure. Ces différents cas de figure, assez fréquents,
manifestent tous le contrôle de la décision par les acteurs politiques qui restent maîtres de l’usage qui sera fait par la suite de
l’expertise qui fait plutôt office de stock de recettes pour l’action publique dans lequel puisent les acteurs politiques
décisionnels en fonction de leurs priorités et du contexte.
Le recours à l’expertise joue un rôle particulièrement important au niveau européen. La Commission s’appuie fortement sur
des ressources d’expertise pour s’affirmer comme un acteur clef. Ces ressources tiennent tout d’abord à la proportion élevée de
fonctionnaires de rang A (près du tiers) en son sein. Ils ont de nombreuses missions d’étude, d’expertise et de recherche pour
alimenter la réflexion préparant les initiatives de la Commission. Cet important travail de réflexion se traduit par une production
abondante de rapports et de documents, notamment les Livres verts (documents de réflexion sur un domaine spécifique) et les
Livres blancs (qui contiennent des propositions d’action communautaire, souvent en réponse à des questions soulevées dans un
Livre vert). Surtout, ces ressources d’expertise sont également externes du fait de l’importance du recours à des experts
extérieurs à la Commission, notamment dans le cadre des groupes d’experts qu’elle constitue (plus d’un millier). Cette stratégie
n’accroît pas seulement la capacité d’expertise de la Commission, elle lui confère aussi une plus grande légitimité par rapport
aux États pour se saisir d’un enjeu qu’elle souhaite prendre en charge ; elle lui permet, de plus, de dépolitiser les problèmes en
les technicisant, de sélectionner les acteurs légitimes à partir de leurs compétences, d’encadrer les discussions avec les États et
de mobiliser des soutiens (du fait des interdépendances et de la socialisation réciproque) qui jouent un rôle de relais des
conceptions de la Commission au niveau national (Robert, 2003).
Les thèses de l’expertisation des politiques publiques et de l’avènement d’un modèle pragmatique (collectif, pluraliste et
public) de l’expertise doivent donc être nuancées en soulignant les difficultés, pour les experts, à jouer un rôle d’intermédiaire
dans le cadre des politiques publiques. Le même type d’interrogation peut être soulevé à propos de l’évaluation qui vise à
associer plus étroitement l’expertise à la production de l’action publique.
La mise en place d’outils d’évaluation correspond à une volonté d’intégrer l’expertise à l’action publique afin d’en améliorer
l’efficacité dans la logique de rationalisation portée par les policy sciences en articulant savoir et décision. Après en avoir
présenté les différentes modalités, nous verrons que l’évaluation occupe une position limitée dans l’action politique, ce qui met à
nouveau en lumière les incertitudes du rôle des experts.
Les transformations
de l’évaluation des politiques publiques
L’évaluation des politiques publiques s’est d’abord développée aux États-Unis dans le cadre de la concurrence entre le pouvoir
législatif (Congrès) et le pouvoir exécutif (Président). Dès la fin du XIXe siècle se sont superposés deux débats : celui du contrôle
des activités administratives par le Congrès, dans la mesure où l’administration dépend étroitement de l’exécutif du fait du
système des dépouilles, et celui du contrôle du processus budgétaire puisque c’est la principale compétence du Président au
niveau de la politique intérieure. La création d’une agence fédérale, le General Accounting Office, en 1921, répond à la
demande du Congrès de pouvoir contrôler l’action du Président. Son rôle initial était de vérifier que les programmes que lui
demandait d’approuver l’exécutif étaient réalisés sans gaspillage et/ou malversation, dans une logique de contrôle. C’est donc la
problématique de la responsabilité (accountability) qui est centrale et non pas celle de l’efficacité des politiques publiques. De
ce fait on peut considérer que l’essor véritable de l’évaluation de l’action publique date des années 1960. Il est à relier à la
volonté de transformation sociale d’un certain nombre de gouvernements (plutôt de gauche), favorisée par la croissance
économique et la croyance généralisée dans le progrès. L’évaluation apparaît dans ce contexte comme un des instruments
privilégiés du développement de l’action volontariste de l’État en lui donnant une assise scientifique. L’aptitude de l’appareil
d’État à définir les grandes lignes d’action devait être accrue par le développement des capacités d’analyse et par une stratégie
permettant de surveiller et de mesurer l’impact des actions et des programmes publics. L’évaluation était donc avant tout
considérée comme une aide à la décision et plus généralement à l’action publique, dans la logique des policy sciences. Ce
développement de l’évaluation est sensible aux États-Unis sous la présidence de Lyndon Johnson (au milieu des années 1960),
dans le cadre de grands programmes réformistes comme la « guerre à la pauvreté » et la « nouvelle société », mais aussi de
l’échec du Program Planing Budgeting System. En 1972, le Congrès dote le General Accounting Office d’une mission
d’évaluation des politiques publiques. Les commandes administratives d’évaluation se multiplient, tandis que se structure un
milieu professionnel de l’évaluation, à partir des Graduate Schools of Public Policy, installées dans plusieurs grandes universités
américaines (Spenlehauer, 2003, p. 38).
En France, l’évaluation s’est développée plus tardivement. Si, sous la IVe République, un Comité central d’enquête sur le coût
et le rendement des services publics avait été créé auprès de la Cour des comptes, c’est la conception du contrôle juridique,
portée par le Conseil d’État, et du contrôle de gestion, portée par la Cour des comptes, qui a longtemps prévalu. L’évaluation a
été très progressivement introduite en France dans le cadre de l’importation de méthodes américaines, en particulier le PPBS
(Spenlehauer, 1999). Elle se traduit à la fin des années 1960 par la mise en place d’un dispositif interministériel de
rationalisation des choix budgétaires (RCB). Le développement véritable de l’évaluation en France ne date que des années 1980,
à la suite du constat de l’échec de la RCB. Il se traduit par la mise en place de structures d’évaluation dans plusieurs secteurs de
politique publique, notamment dans l’enseignement avec la création du Conseil national d’évaluation des universités en 1985 et
d’une Direction de l’évaluation et de la prospective au ministère de l’Éducation en 1987. Une nouvelle impulsion est donnée à la
fin des années 1980 dans le cadre de la politique de modernisation de l’État menée par le gouvernement dirigé par Michel
Rocard. Ainsi, en 1990, sont créés le Comité interministériel de l’évaluation (CIME), le Conseil scientifique de l’évaluation
(CSE)7 et le Fonds national de développement de l’évaluation. Parallèlement, certaines politiques publiques mises en place au
cours de cette période s’accompagnent de la création de dispositifs d’évaluation tels la Commission nationale d’évaluation du
RMI ou le Comité d’évaluation de la politique de la ville ; par ailleurs plusieurs ministères se dotent de structures d’évaluation.
On peut mentionner la création de la Direction des études économiques et de l’évaluation environnementale (D4E) au sein du
ministère de l’Environnement ; de la Direction de l’animation, de la recherche, des études, de l’évaluation et de la statistique
(Dares) au ministère du Travail ; de la Direction de la recherche, de l’évaluation et des études statistiques (Drees) au ministère
des Affaires sociales ; de la cellule Évaluation au sein de la Direction des affaires criminelles du ministère de la Justice… C’est
également au cours des années 1990 et 2000 qu’au niveau parlementaire sont créés l’Office parlementaire d’évaluation des
politiques publiques (1996)8 puis la Mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale (1999), le Comité d’évaluation
des politiques publiques rattaché à la commission des finances du Sénat (2000) ou encore l’Office parlementaire d’évaluation
des politiques de santé (2002). Ces évolutions sont inscrites dans la Constitution par la révision de 2008 qui fait de l’évaluation
une des missions du Parlement et de la Cour des comptes.
Cette diffusion généralisée de l’évaluation des politiques publiques ne concerne pas seulement le niveau national mais aussi
les niveaux infranationaux et européen. En France, c’est en particulier le cas pour le niveau régional, impulsé notamment par
l’évaluation obligatoire des contrats de plan État-région à partir de 1994. Par ailleurs, un certain nombre de collectivités locales
(régionales surtout) ont, de manière autonome, développé des activités d’évaluation à partir du début des années 1990
(Fontaine, 1996). Au niveau européen, dès 1960, les programmes de recherche communautaire font l’objet d’une évaluation
systématique. En 1983 est créée une unité spécialisée dans l’évaluation au sein de la Direction générale de la recherche (DG
XII). Mais, c’est surtout la politique des fonds structurels qui a conduit au développement de l’évaluation systématique des
programmes européens financés dans ce cadre, à partir de la fin des années 1980.
Cet essor de l’évaluation s’est accompagné d’une diversification des modalités d’évaluation. La forme prédominante est celle
de l’évaluation que l’on peut qualifier de technocratique. Ce type d’évaluation vise principalement l’efficacité de l’action
étatique. Les critères retenus sont avant tout économiques et financiers ; il s’agit de mesurer des résultats et d’analyser des
effets dans une logique largement quantitative, ce qui explique que l’on parle aussi souvent d’évaluation gestionnaire ou
managériale. L’objectif primordial est de vérifier la bonne utilisation des ressources allouées. Ces évaluations s’inscrivent
étroitement dans la logique de la politique publique qu’elles sont chargées d’évaluer. L’évaluation n’a de sens que par rapport
aux objectifs définis par les décideurs étatiques, elle est fortement encadrée par l’administration. Il s’agit d’une évaluation prise
en charge par des experts, destinée aux décideurs, portant sur les résultats concrets d’un programme d’action publique et
visant à en corriger des dysfonctionnements sans remettre en cause ses finalités. On peut aussi parler d’évaluation technique
puisqu’elle a pour effet de donner une légitimité scientifique à une politique publique. Le rôle des experts renvoie alors au
modèle décisionniste.
Il en va différemment de l’évaluation participative apparue plus récemment (Duran et Monnier, 1992). Ici, la finalité n’est pas
seulement économique et financière mais aussi politique. L’évaluation répond alors également à une volonté
d’approfondissement de la vie démocratique : l’État doit devenir responsable de ses actions devant les citoyens. L’exercice de
cette responsabilité suppose de ce fait des instances d’évaluation indépendantes de l’État. Il s’agit, dans ce cadre, de faire
porter des jugements de valeur sur les politiques publiques, y compris sur leurs objectifs : c’est là une différence forte avec
l’évaluation technocratique puisque l’évaluation peut être amenée à redéfinir les finalités de l’action publique, en fonction du
déroulement du processus de mise en œuvre. Au cœur de ce mode d’évaluation se trouve donc l’idée qu’elle doit être un support
au débat public permettant la détermination des objectifs.
Il correspond également à une volonté d’ouverture de l’administration vers le public, par une prise en compte du point de vue
des ressortissants d’une politique publique. Les participants à l’évaluation sont de ce fait multiples, ce qui lui donne un
caractère pluraliste et plus démocratique. Il est parfois question d’une évaluation « émancipatrice » lorsqu’il s’agit, à partir de
l’évaluation, de donner du pouvoir à la société civile en lui conférant une capacité d’action nouvelle par sa participation à
l’évaluation en l’amenant à devenir un acteur clef de la politique publique.
Ce type d’évaluation peut être aussi conçu comme un lieu de négociation itératif et interactif. L’évaluation est itérative car elle
doit permettre de corriger l’action publique dans le cadre d’un processus d’apprentissage. Il y a ici en quelque sorte une
circularité de l’action publique puisque l’évaluation, fondée sur la mise en œuvre, alimente aussi la décision publique. Sur la
base de l’évaluation une politique publique se nourrit de la correction des erreurs passées dans le cadre d’une dynamique
d’apprentissage incrémentale. Cette évaluation est également interactive puisque plusieurs évaluateurs, voire plusieurs modes
d’évaluation, sont confrontés. Le processus est collectif et pluraliste. Le rôle assigné aux experts est ici celui d’un acteur
intermédiaire.
Tableau 7. Les deux pôles de l’évaluation
Évaluation Évaluation
technocratique participative
(interne) (externe)
Experts + élus
+ représentants
Évaluateurs Experts
du public
(pluralisme)
Finalité de
Efficacité Responsabilité
l’évaluation
Légitimité de
Scientifique Politique
l’évaluation
Rapports
commanditaires/ Contrôle Autonomie
évaluateurs
Décideurs
Destinataires
(administration, Public
de l’évaluation
politiques)
Données
Contenu de Données
qualitatives
l’évaluation quantitatives
(procédures)
Effets sur la
politique Correction Apprentissage
publique
Appui Intermédiaire
Rôle des
(modèle (modèle
experts
décisionniste) pragmatique)
Cette opposition renvoie plus aux principes guidant l’évaluation qu’à ses modalités concrètes observables empiriquement.
Pour préciser la place de l’évaluation dans l’action publique, il est donc nécessaire de déplacer le regard.
Notre propos ici n’est pas de faire une évaluation de l’évaluation9 mais de pointer les enjeux liés aux usages multiples de
l’évaluation dans le cadre des politiques publiques.
Dans le cas français les observateurs, membres des instances officielles d’évaluation ou non, convergent pour souligner la
portée limitée de l’évaluation de politiques publiques sur l’action publique elle-même. Ce constat avait été fait pour le dispositif
interministériel mis en place en 1990, ce qui a conduit à la réforme de 1998. La mise en place, dans ce cadre, du CNE, même si
elle a relancé la dynamique de l’évaluation au niveau central par une plus forte intégration au Commissariat général au Plan
(CGP), ne conduit pas à modifier substantiellement ce constat (Hespel, 2002), d’autant plus qu’en 2006 le CGP a laissé la place
au Centre d’analyse stratégique plus orienté vers la réflexion stratégique que vers l’évaluation. Plus précisément, on peut
mentionner quatre aspects de l’évaluation des politiques publiques, telle qu’elle est pratiquée en France (au niveau national
principalement), qui limitent ses effets directs sur l’action publique.
Le premier aspect est celui du contrôle de l’évaluation par le commanditaire, ce qui limite fortement la dimension
participative. Ainsi, l’évaluation se cantonne le plus souvent aux modalités de mise en œuvre d’une politique publique sans
questionner sa formulation et ses objectifs, dans une vision de l’action publique qui reste très balistique et hiérarchisée sur un
mode vertical. Il en résulte un usage instrumental traduisant la prédominance du modèle technocratique d’évaluation. Ainsi, une
évaluation de l’évaluation pluraliste, menée au milieu des années 1990, souligne le contrôle important exercé par le
commanditaire qui impose sa rationalité et ses enjeux avant même le démarrage du processus. Les autres acteurs sont amenés à
se positionner à partir d’un projet initial qu’ils ne contrôlent pas. La méthodologie suivie porte de ce fait fortement la trace des
questionnements initiaux du commanditaire. Le formatage du processus d’évaluation par ce dernier est donc en forte
contradiction avec le pluralisme affiché. Il en résulte que les objectifs de la politique publique à évaluer ne sont pas questionnés
(Lascoumes, 1998). L’évaluation ainsi contrôlée et encadrée devient alors un outil au service d’une politique publique.
Le deuxième aspect, qui découle du précédent, est la faible articulation de l’évaluation avec la décision. Cette coupure entre
décision et évaluation n’est pas seulement liée aux réticences du commanditaire à tenir compte de l’évaluation (qui peut aller
jusqu’au refus du rapport d’évaluation), mais aussi à d’autres processus. On peut tout d’abord mentionner le découplage
institutionnel fréquent entre instances décisionnelles et instances d’évaluation puisque, en général, sont mises en place des
instances autonomes et séparées, ce qui contribue à entretenir un hiatus entre action et connaissance. De plus, l’accent est
souvent plus mis sur le déroulement de l’évaluation que sur ses suites. Le décalage temporel entre l’évaluation et la décision est
un autre élément important. En effet, la temporalité de l’évaluation est celle du moyen terme, alors que celle de l’action
publique est parfois celle du court terme. La durée du processus d’évaluation fait souvent obstacle à sa prise en compte
décisionnelle.
Ce hiatus tient aussi au contenu même des évaluations auxquelles plusieurs critiques sont souvent faites. Il s’agit en
particulier du caractère à dominante rétrospective et non pas prospective de leur contenu (autrement dit l’absence ou la quasi-
absence de formulation de recommandations). Plus importantes encore sont les questions liées à l’accès aux informations
disponibles par les évaluateurs, du fait notamment de la déconnexion entre certains observatoires et les dispositifs
d’observation, et à la pertinence des indicateurs retenus. L’ambiguïté des résultats obtenus ainsi que la faible lisibilité de
nombreux rapports (du fait de leur longueur, de leur technicité et de leur complexité) peuvent aussi faire obstacle à une bonne
articulation avec l’action publique.
Un dernier aspect est la faible capitalisation de l’évaluation, liée à des redondances institutionnelles, à des évaluations
similaires menées parallèlement de façon non coordonnée, à l’obsolescence de certains dispositifs, autant d’éléments qui
s’inscrivent dans un phénomène plus large et bien connu : celui de l’amnésie administrative (Chanut, 2002, p. 10).
Il ne faudrait pas en conclure pour autant que les effets de l’évaluation sur les politiques publiques sont négligeables, il est
probablement plus juste de dire qu’ils sont indirects plutôt que directs. On peut d’abord mettre en avant les effets
d’apprentissage que génère l’évaluation auprès des acteurs des politiques publiques, et en particulier pour les acteurs non
administratifs du fait de leur participation (même limitée) aux dispositifs.
On peut aussi remarquer que l’évaluation a des effets sur les acteurs des politiques publiques. Plus précisément, elle participe
à des reconfigurations d’acteurs comme le montre le cas de certains conseils régionaux.
L’évaluation, élément d’affirmation des conseils régionaux comme acteurs de politique publique
La mise en place d’instances d’évaluation auprès de conseils régionaux au début des années 1990, notamment en Rhône-Alpes, en Bretagne et dans le
Nord-Pas-de-Calais, s’inscrit dans les stratégies politiques des présidents de conseils régionaux. Les dispositifs d’évaluation sont pilotés par des équipes
resserrées disposant d’un accès facile à la présidence. Leur apport principal est de participer à la construction de politiques publiques régionales, et donc
de manière plus générale à la maturation politique des institutions régionales. Plus précisément, il s’agit souvent d’un des moyens permettant la remise en
cause des arrangements politico-administratifs arrêtés par d’autres acteurs institutionnels (notamment nationaux et départementaux) et de veiller à
l’application des choix de la Région et à la productivité de ses investissements. Ainsi l’évaluation en région ne sert pas seulement à la construction des
politiques des régions, mais aussi à l’affirmation de celles-ci comme acteurs de politiques publiques.
L’évaluation fait également émerger de nouveaux acteurs : les professionnels de l’évaluation qui peuvent dans certains cas
s’intégrer fortement à des dispositifs d’action publique, tels certains bureaux d’études pour la politique de la ville.
On peut, enfin, noter que l’évaluation tend à devenir de plus en plus un instrument d’action publique, par exemple dans le
domaine de la santé avec les politiques, apparues dans les années 1990, axées sur le développement de la qualité de soins dans
une logique d’amélioration de l’efficience. En France, elles se sont traduites notamment par le développement de l’évaluation de
la performance hospitalière dans le cadre du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), qui a conduit à
la mise en place de la tarification à l’activité (T2A), et de l’accréditation des services hospitaliers.
Robelet, 1999.
De manière plus générale, l’évaluation s’inscrit dans un processus de managérialisation de l’action étatique (Bezes, 2008).
L’évaluation de la performance des agents administratifs et des structures administratives, sous la forme de l’audit, du
benchmarking, du contrôle de qualité, de la production d’indicateurs, de la diffusion de standards de bonne pratique, dans le
cadre d’agences en particulier, sont en effet les outils privilégiés de la nouvelle gestion publique. Cette orientation a, en France,
pris une forme plus globale avec la mise en œuvre, en 2006, de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances (LOLF)
(votée en 2001) qui marque le passage d’une logique de moyens à une logique d’objectifs et de résultats. Ce changement se
traduit par la mise en place d’enveloppes de crédits globalisés par programme (plus larges que les anciens chapitres
budgétaires), l’application à l’État de principes inspirés de la comptabilité des entreprises et l’extension de l’évaluation des
coûts et des résultats. Toutefois les limites du système d’objectifs et d’indicateurs mis en place par la LOLF sont importantes :
nombre pléthorique faisant obstacle à une évaluation systématique, valeurs cibles irréalistes relevant plus de l’affichage que
d’un souci d’amélioration de la performance, instabilité forte, faible pertinence… (Epstein, 2010, p. 243). Comme dans le cas
britannique, le recours à l’évaluation comme instrument de politique publique s’inscrit plus dans une logique de contrôle
étatique renforcé (Le Galès, 2004a) que d’une autonomisation de l’expertise et d’une publicisation de celle-ci.
Si l’expertise est aujourd’hui une ressource répandue, en tout cas de plus en plus recherchée par l’ensemble des acteurs des
politiques publiques, le recours aux experts reste marqué par un contrôle politico-administratif important, ce que traduisent
aussi les limites de l’évaluation pour laquelle prédomine en fin de compte le modèle décisionniste. De manière plus générale,
l’avènement d’acteurs intermédiaires se heurte à la persistance de logiques sectorielles portées par des acteurs administratifs,
aux tensions entre la prise en charge d’un rôle de généraliste et la spécialisation, à la concurrence entre intermédiaires, à
l’intervention d’acteurs politiques et aux inégalités de ressources entre acteurs. Ce n’est donc que dans certaines configurations
singulières, en fonction de variables individuelles (trajectoires professionnelles et personnelles spécifiques) et d’un contexte
favorable que des acteurs intermédiaires s’affirment et jouent un rôle clef dans l’action publique. C’est aussi ce qui permet
parfois de comprendre des changements dans une politique publique, comme nous allons le voir dans le chapitre suivant.
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1 - . L’analyse qu’ils proposent dans l’ouvrage collectif qu’ils ont codirigé ne se limite pas à l’action publique, elle intègre aussi les activités politiques. La volonté
commune des auteurs étant de « mener une réflexion sur les configurations d’acteurs et les dynamiques d’échange qui relient différents “univers institutionnels”
enchâssés dans l’espace politique, aux niveaux local, national ou européen » (p. 6).
2 - . L’observation directe, voire participante, est sur cet aspect d’un apport précieux, car elle permet d’appréhender en acte ces interactions.
3 - . Cette notion ne fait pas l’objet de traduction en français et ne figure pas, curieusement, dans l’index du Dictionnaire des politiques publiques. Littéralement
il s’agit de « réservoirs à idées ». Nous garderons cependant le terme anglo-saxon, plus usité.
4 - . La prédominance des auteurs anglo-saxons sur ce thème conduit à négliger le rôle de certaines organisations qui, à cette même période, ont joué un rôle
intellectuel. On peut citer, en Allemagne, le rôle du Verein für Socialpolitik dans la mise en place des assurances sociales dans les années 1880.
5 - . Dans ce pays, chaque parti a mis en place une fondation autonome, en partie financée par l’État. Les plus connues sont la Friederich Ebert Stiftung (liée
au SPD) et la Konrad Adenauer Stiftung (liée à la CDU). En France, les think tanks en lien avec les partis sont plus éclatés, plus éphémères et moins dotés en
ressources.
6 - . Ce comité joue toutefois un rôle important de cadrage des réformes par ses analyses prospectives sur lesquelles s’appuie le gouvernement comme ce
fut le cas pour la réforme des retraites de 2010.
7 - . Il est remplacé en 1998 par un Comité national de l’évaluation, qui travaille en liaison étroite avec le Commissariat général au Plan (devenu Conseil
d’analyse stratégique en 2006).
8 - . Il est cependant supprimé en 2000, après avoir eu une faible activité.
9 - . Pour la France, elle a été effectuée par le Conseil national d’évaluation dans son rapport d’activité 2000-2002, qui n’a cependant pas eu de
successeur…
10 - . Elle est absorbée par la Haute Autorité en santé, créée en 2004. Celle-ci procède à l’évaluation des produits, des actes et des prestations de
santé pour proposer leur remboursement ou leur déremboursement par l’assurance-maladie. Des agences d’évaluation de la qualité des soins, à l’instar
du National Institute for Clinical Excellence britannique, ont été mises en place dans de nombreux pays européens depuis la fin des années 1990.
Chapitre 9
Pour analyser le changement il faut au préalable se poser une question en apparence simple mais en fait assez complexe : que
signifie le changement d’une politique publique ? Pour y répondre il est nécessaire, d’une part, de distinguer les différentes
dimensions du changement et, d’autre part, de spécifier l’échelle temporelle à l’aune de laquelle le changement est appréhendé.
En effet, la première question qui se pose est celle de savoir ce qui change précisément dans une politique publique,
autrement dit : quelles sont les dimensions du changement ?
On peut partir de la distinction, souvent utilisée, proposée par Peter Hall (1993) entre trois ordres de changement clairement
hiérarchisés pour analyser les transformations de la politique économique britannique des années 1970 à la fin des années
1980. Pour lui, un changement de premier ordre correspond à un changement dans le mode d’utilisation d’un instrument de
politique publique existant, à la lumière de l’expérience et de nouvelles connaissances ou pour l’adapter à un nouveau contexte
(il donne comme exemple l’utilisation différente de l’instrument des taux d’intérêt). Le changement de deuxième ordre
correspond à la création de nouveaux instruments de politique publique (il donne comme exemple la mise en place de nouveaux
instruments de contrôle de la masse monétaire ou des dépenses publiques). Enfin, le changement de troisième ordre, le plus
important et qui, pour Peter Hall, conditionne les deux autres, est celui des objectifs de la politique publique, c’est-à-dire son
orientation générale et les conceptions qui la sous-tendent (le paradigme de la politique publique). Il donne comme exemple le
passage de modes de régulation macroéconomiques d’inspiration keynésienne à des modes de régulation macroéconomiques
d’orientation monétariste.
Ces distinctions sont très importantes pour deux raisons. Tout d’abord, elles mettent en évidence des différences de degré
dans le changement : un changement de premier ordre est moins important qu’un changement de troisième ordre. Ensuite, elles
soulignent que changement et non-changement peuvent être étroitement mêlés : de nouveaux instruments de politique publique
sont parfois mis en place et utilisés sans que pour autant les objectifs changent, comme ce fut le cas pour la politique monétaire
britannique dans les années 1970. Toutefois, deux aspects de ces distinctions opérées par Peter Hall peuvent être discutés. Le
premier est le fait que, dans son cadre d’analyse, les trois ordres sont emboîtés de façon assez hiérarchisée, le changement de
troisième ordre entraînant nécessairement un changement de deuxième et de premier ordre (p. 279). On peut en effet se
demander si les liens entre les différents ordres de changement ne sont pas plus complexes, notamment parce que, parfois, un
changement de premier ordre ou de deuxième ordre entraîne un changement de troisième ordre, ce qui conduit à évaluer
autrement l’importance relative des trois ordres. Surtout, Peter Hall néglige d’autres dimensions de changement qui peuvent
jouer un rôle tout aussi déterminant. Il s’agit, tout d’abord, d’un changement au niveau des acteurs (émergence d’un nouvel
acteur, affaiblissement ou renforcement d’un acteur, disparition d’un acteur…). Peter Hall souligne l’importance des
déplacements des lieux de pouvoir (« shift in the locus of authority », p. 287), en l’occurrence, dans le cas qu’il analyse,
l’affaiblissement du Trésor et l’affirmation d’économistes monétaristes dans le débat public, mais il n’en fait pas une dimension
du changement, plutôt une variable explicative. Or, il s’agit souvent d’une dimension importante, une politique publique pouvant
contenir la reconnaissance d’un nouvel acteur (par exemple les associations d’usagers dans un certain nombre de politiques
publiques récentes) ou faire émerger un nouvel acteur institutionnel (par exemple les agences administratives), ajouter ou au
contraire soustraire des ressources à un acteur, marginaliser un acteur en lui retirant toute reconnaissance publique… De plus,
ce niveau de changement peut varier indépendamment des autres tout en étant susceptible d’avoir des effets potentiels sur les
autres niveaux (y compris le changement dans les objectifs puisque, comme le souligne Hall lui-même, des changements dans
les rapports de pouvoir peuvent favoriser l’affirmation d’un nouveau paradigme de politique publique).
En second lieu, les règles du jeu institutionnelles peuvent aussi être considérées comme une dimension importante du
changement se distinguant des autres dimensions et dont elles peuvent varier indépendamment. Cette dimension du
changement concerne les règles régissant les interactions entre acteurs, elle a donc des effets sur le recours aux instruments de
politiques publiques (par qui ? dans quel contexte ? à quelles conditions ?…), sur les acteurs (répartition des ressources
institutionnelles, positions occupées…) et sur la formulation des objectifs (par qui ? comment ? sous quelle forme ?…). On se
situe ici au niveau des politiques procédurales.
Une autre dimension, occultée par Peter Hall peut-être du fait du type de politique publique sur lequel il s’appuie pour
élaborer sa distinction, est celle des bénéficiaires d’une politique publique, autrement dit le public cible d’une politique publique
ce qui renvoie plus largement aux effets d’une politique publique (outcomes). Il s’agit toutefois d’une dimension du changement
beaucoup plus dépendante des précédentes (en particulier des objectifs mais aussi des instruments et de leur usage) et qui a
moins d’impact sur d’autres dimensions que celle des acteurs, des règles d’interaction et des objectifs.
Ainsi, plutôt que de distinguer trois ordres de changement, nous proposons ici de mettre en avant quatre dimensions
interdépendantes du changement. Parler de dimensions du changement permet, d’une part, d’échapper à une vision trop
hiérarchisée des niveaux de changement et, d’autre part, de prendre en compte le critère d’indépendance des niveaux. En effet,
à notre sens, une dimension du changement se caractérise par le fait qu’elle peut varier indépendamment des autres, tout en
étant susceptible d’avoir un impact potentiel sur les autres. Il s’agit donc d’une indépendance relative. Ces quatre dimensions
correspondent aussi à des niveaux différents de l’action publique, comme le décrit le tableau ci-dessous.
Tableau 8. Quatre dimensions interdépendantes du changement
Impact
Niveau
potentiel sur les
Dimension du changement d’action
autres
publique
dimensions
– Modification
des interactions
Modalités entre acteurs
Instruments concrètes
(mise en – Rend
(usage et création)
œuvre) possible la
reformulation
des objectifs
– Usage et
définition des
Politique (au instruments
Acteurs sens de Polity : – Redéfinition
(renforcement/affaiblissement,
rapports de du cadre
émergence/disparition)
pouvoir) institutionnel
– Redéfinition
des objectifs
– Modalités
d’usage et de
définition des
instruments
Cadre d’interaction – Redéfinition
(règles du jeu Institutionnel des positions et
institutionnelles) des ressources
des acteurs
– Modalités de
définition des
objectifs
– Usage et
définition des
instruments
Orientation de la politique
publique – Redéfinition
des positions et
(hiérarchie des objectifs et - Cognitif
des ressources
système de représentation des acteurs
sous-jacent)
– Redéfinition
du cadre
institutionnel
Cette grille d’analyse se distingue donc de celle de Peter Hall (dont elle s’inspire) par trois aspects principaux :
d’autres dimensions sont prises en compte (celle des acteurs et celle des cadres d’interaction) sans que soient pour autant
abandonnées celles mises en avant par Peter Hall (instruments et orientation) ;
ces dimensions ne sont pas hiérarchisées (même si on voit que celle des instruments a moins d’impact potentiel que les
trois autres), par conséquent l’orientation de la politique publique n’est pas considérée comme la dimension
fondamentale puisque les acteurs et/ou le cadre d’interaction peuvent aussi avoir un impact sur l’ensemble de la
politique publique ;
elle met l’accent à la fois sur l’indépendance relative des dimensions et sur leurs interdépendances réciproques.
Cette grille permet d’appréhender à la fois les principales dimensions des changements de l’action publique à l’œuvre en
France depuis les années 1980 et leurs ambiguïtés.
Les premières analyses d’ensemble des transformations des politiques publiques en France ont été proposées par Pierre
Muller (1992). En ce qui concerne l’orientation globale des politiques publiques, il met en avant l’avènement d’un nouveau
référentiel, celui du marché, fondé sur les normes de la libre concurrence et des principes économiques s’inscrivant dans les
conceptions néoclassique et monétariste. Il conduit au rejet de l’intervention de l’État et à l’imposition de politiques
économiques d’austérité compétitive privilégiant la lutte contre l’inflation et l’action sur l’offre. Les principes liés au marché et à
la concurrence seraient ainsi devenus l’alpha et l’oméga des politiques publiques, orientées prioritairement vers la recherche de
compétitivité économique dans le cadre de l’intégration européenne et de la mondialisation.
Ce changement d’orientation de l’action publique est fortement articulé à un changement au niveau des acteurs caractérisé
par la perte de centralité de l’État qui résulte de l’affirmation d’autres acteurs : les acteurs européens, les acteurs locaux et les
acteurs privés.
En premier lieu, il faut souligner l’impact de la dynamique européenne liée à l’achèvement du « grand marché » en termes de
liberté de circulation des capitaux et de libéralisation des secteurs industriels, énergétiques, de transport et de communication,
puis de la mise en place de l’Union économique et monétaire. Elle s’est traduite par le transfert de la compétence de la politique
monétaire au niveau européen (à la BCE) et la mise en place de contraintes fortes en matière de réduction des déficits publics
dans le cadre du pacte de stabilité. De manière plus générale, la communautarisation d’un nombre croissant de politiques
publiques depuis le milieu des années 1980 a entraîné une perte de contrôle direct de l’État sur l’action publique.
La deuxième dynamique est liée au processus de décentralisation par lequel les collectivités territoriales sont devenues des
acteurs à part entière des politiques publiques. Elles se sont autonomisées par rapport à l’État central du fait de la suppression
de la tutelle a priori par le préfet et du transfert du pouvoir exécutif aux présidents de conseils généraux et régionaux. Surtout,
elles se sont vu transférer un nombre important de compétences accompagnées de moyens administratifs (la fonction publique
territoriale comprend plus de 1,5 million d’agents, soit près du tiers de l’ensemble des fonctionnaires) et financiers accrus (en
2004, les dépenses des collectivités territoriales représentaient près de 50 % des dépenses de l’État et plus de 70 % de
l’investissement public [Le Galès, 2006, p. 309]).
La troisième dynamique contribuant à la perte de centralité de l’État renvoie au rôle croissant joué par des acteurs privés, en
particulier les entreprises. La raison première en est le processus de privatisation d’entreprises publiques entamé entre 1986 et
1988 avec la privatisation de treize grands groupes dans le secteur bancaire (Paribas, Suez, Société générale, CCF…), le secteur
industriel (Saint-Gobain, CGE, Matra…) et celui de la communication (TF1, Havas). Cette politique a été relancée après 1993
avec la privatisation de nouveaux groupes industriels (Rhône-Poulenc, Usinor, Pechiney, Renault) et financiers (BNP), puis celle
plus progressive de services publics en réseau (France Télécom, EDF, GDF). Par conséquent l’emploi dans le secteur public a
diminué de moitié entre 1985 et 2000. Par ailleurs, les participations financières de l’État (dans les anciens monopoles de
service public en particulier) ont nettement baissé depuis 2002. Ainsi, près de 50 % des actions du CAC 40 en circulation
appartiennent à des investisseurs institutionnels étrangers (Culpepper, 2006, p. 49).
Le rôle croissant des entreprises privées est également net aux niveaux territoriaux infranationaux (urbains et régionaux en
particulier). La participation des acteurs économiques privés s’effectue notamment dans le cadre de la réalisation de grandes
opérations d’aménagement conduites pour valoriser l’accélération des connexions avec le Bassin parisien (gares TGV ou
aéroports), ainsi que par la construction de quartiers d’affaires internationaux (Euralille, Euroméditerrannée…). On peut aussi
mettre en avant l’intervention des groupes privés dans plusieurs domaines (câble, chauffage urbain, eaux, gestion des parkings,
transport, traitement des déchets, etc.), du fait du recours au marché et à la délégation de services publics par les élus locaux
des grandes villes, depuis le début des années 1980. « En raison de leur taille, de leurs ressources financières et humaines, de la
connaissance très précise des problèmes que leur donnent leurs interventions en de nombreux sites, les grandes entreprises
urbaines deviennent coproductrices de l’action publique urbaine » (Lorrain, 1995, p. 200).
L’intervention des acteurs privés concerne aussi des politiques régaliennes, telles les politiques de sécurité. On assiste dans ce
domaine à l’émergence des entreprises privées de sécurité qui comptent plus de 100 000 agents, soit près du tiers des
personnels de sécurité (Roché, 2004, p. 54). Elles jouent un rôle croissant dans la surveillance des espaces publics du fait du
recours à leurs services de la part des collectivités territoriales. Par ailleurs, les acteurs privés jouent un rôle clé d’expertise
auprès des acteurs locaux par la réalisation des diagnostics locaux de sécurité qui précèdent la signature des contrats locaux de
sécurité et dans le domaine de la vidéosurveillance, en pleine expansion. Enfin, l’émergence des entreprises de sécurité modifie
la position du système pénal du fait notamment du développement de dispositifs qui peuvent alimenter la police et la justice.
« Au total, les entreprises sont plus souvent présentes dans les espaces privés collectifs, mais aussi les rues, et orientent
indirectement l’activité de la police (par les alarmes surveillées, les plaintes relayées vers les forces nationales) ; elles
réalisent aussi des audits, prescrivent des « réponses » aux collectivités locales, transporteurs, bailleurs, etc. De leur côté, les
assurances orientent l’action des particuliers et leur propension à déposer plainte, donc leur usage du service de police. Le
système judiciaire n’est pas privatisé, mais les firmes qui protègent ou assurent, qui influent sur les comportements de plainte
et qui l’alimentent ainsi, jouent un rôle croissant. L’interpénétration entre organisations publiques et privées devient plus
étroite. »
Roché, 2004, p. 56.
Situation Caractérisation
Retrait de
initiale : du changement Reconfiguration de l’État
l’État
Le « modèle Dimension du (Gouvernement à distance)
(Gouvernance)
français » changement
Prise en charge de
Référentiel du
Modernisation Orientation « nouveaux risques »
marché
(sécurité)
Entreprises
(acteurs
Haute fonction privés) Gouvernants
publique
Acteurs Collectivités - Experts
(acteurs territoriales
technocratiques) Agences
Institutions
européennes
Concurrence/
Hiérarchiques Contrats-
Pilotage à distance
(primauté de Règles Partenariats
(autonomie
l’autorité institutionnelles (transversalité
et contrôle)
étatique) et
horizontalité)
Intervention
directe Incitatifs
Privatisation
(sectorielle) Instruments Financement sur projet
Procéduraux
Entreprises Évaluation -(performance)
publiques
Cette grille d’analyse conduit, en fin de compte, à souligner les ambiguïtés et les multiples facettes en partie contradictoires
des changements à l’œuvre (Fontaine et Hassenteufel, 2002). L’orientation de l’action publique est devenue plus ouverte et
incertaine, dans un contexte de multiplication des acteurs et des niveaux. Les transformations résultent le plus souvent de
l’articulation et de l’hybridation de logiques multiples mêlant des éléments anciens et nouveaux, ce qui conduit aussi à prendre
en compte les différentes temporalités pour appréhender le changement.
Dans le cadre des analyses du changement prédomine la distinction entre temps court et temps long qui renvoie soit à une
articulation entre changement (soudain) et continuité (dans la durée) comme dans l’approche en termes d’équilibre rompu1 –
ponctuated equilibrium – (True, Jones et Baumgartner, 1999), soit à une opposition entre deux types de changement : le
changement par rupture brutale et le changement graduel. Cette modalité a été plutôt privilégiée dans les approches
dominantes du changement : l’incrémentalisme tout d’abord, le néo-institutionnalisme ensuite. Cette dernière approche conduit
à mettre en avant l’importance du temps long qui permet de mieux appréhender non seulement les causes, mais aussi les effets,
et donc par là de caractériser de manière plus pertinente le changement.
Au niveau des causes, Pierson (2004, p. 82-90) distingue trois processus de longue durée à prendre en compte dans l’analyse
du changement : l’effet cumulatif, l’effet de seuil et l’effet d’enchaînement. Le premier effet causal renvoie à des processus de
changement très graduels, tels les changements démographiques ou les changements culturels qui n’ont un impact que sur la
longue durée. Il n’en va pas de même pour les effets de seuil qui correspondent à une accélération du changement du fait d’une
accumulation sur la longue durée. Dans ce cas des effets de long terme produisent des effets de court terme à partir du moment
où un seuil est franchi, comme cela peut être le cas pour des déficits publics ou le nombre de chômeurs. Le changement mêle
alors deux temporalités différentes. L’articulation des différentes temporalités est également présente quand s’opère un effet
d’enchaînement à partir d’une cause initiale, l’enchaînement pouvant aussi correspondre à une accélération des temporalités.
La prise en compte des effets d’enchaînement conduit aussi à intégrer la mise en œuvre dans l’analyse du changement. Comme
le souligne Pierson, le changement peut résulter de l’enchaînement de séquences comme il l’a montré pour les politiques de
retrait de l’État providence au Royaume-Uni et aux États-Unis (1994). Au cours des années 1980 le retrait programmé
(programmatic retrenchment), c’est-à-dire annoncé politiquement, n’a pas eu lieu (ou de manière limitée) ; en revanche un
retrait systémique (systemic retrenchment) a été opéré, c’est-à-dire principalement des changements au niveau des acteurs
(affaiblissement des acteurs soutenant l’État-providence, les syndicats en particulier) et des règles du jeu institutionnelles. C’est
la mise en place de ces premières dimensions du changement qui a permis, dans un second temps, d’opérer une réduction des
programmes sociaux. Le changement d’orientation n’intervient qu’à moyen terme, à l’issue d’un processus cumulatif. Ce type
d’analyse conduit à abolir la distinction entre cause et effets puisque ce sont les effets cumulatifs de premières mesures qui
deviennent des causalités de changements ultérieurs. Ainsi la prise en compte, nécessaire, du temps long permet d’intégrer
pleinement la mise en œuvre à l’analyse, non seulement du fait des distorsions entre mise en œuvre et décisions, mais aussi
parce que la mise en œuvre peut être source de changements.
Une autre conséquence de la prise en compte du temps long est son apport en termes de caractérisation du changement. En
effet, celle-ci est étroitement liée à la période d’observation comme le montre de façon exemplaire le cas de la CSG : simple
complément au financement de la Sécurité sociale au moment de sa création en 1991, c’est devenu le principal outil de
financement du système de protection sociale français, permettant son étatisation croissante (Palier et Bonoli, 1999). Dans ce
cas, la focale temporelle d’analyse adoptée modifie profondément l’appréciation de l’ampleur du changement (limité à court
terme, fondamental à moyen terme).
La prise en compte des différentes temporalités apparaît nécessaire non seulement pour l’appréhension du changement, mais
aussi pour une meilleure spécification de celui-ci. Toutefois, la perspective historique ne conduit pas pour autant à mettre
uniquement en avant la forte continuité d’un certain nombre de politiques publiques. Elle permet aussi de voir comment se
mêlent continuité et rupture. L’adoption d’une perspective historique permet donc non seulement de repérer des lignes de
continuité par-delà les changements apparents, mais aussi de mieux identifier les éléments de transformation.
Le temps long, temporalité clef des politiques publiques, qui se distingue de la temporalité politique, bien plus courte, a été
intégré principalement par les approches mettant en avant les obstacles au changement. La prise en compte de ceux-ci apparaît
comme un autre préalable indispensable à l’élaboration d’un modèle de compréhension et d’explication du changement.
Les outils développés par l’analyse des politiques publiques pour appréhender le changement ont porté principalement sur les
obstacles au changement qui sont de deux ordres : d’une part, ceux liés à la multiplicité des acteurs (au cœur de la notion
d’incrémentalisme) ; d’autre part, les effets des choix passés (au cœur de la notion de path dependence).
La notion d’incrémentalisme a été développée par Lindblom (1959). Dans la suite de Simon, il appréhende les acteurs du
processus décisionnel en termes de rationalité limitée. Il y ajoute toutefois deux éléments importants. Le premier est l’accent
mis sur la multiplicité des acteurs, se plaçant ainsi dans le cadre pluraliste, ce qui le conduit à appréhender les processus
décisionnels en termes d’ajustement mutuel, de compromis négocié entre différents acteurs qui correspondent le plus souvent
au plus petit dénominateur commun puisque la recherche du consensus est privilégiée. Le second est le postulat de la
préférence des acteurs pour le statu quo du fait des aléas de l’information sur les conséquences des autres options ainsi que de
leur absence de perspective et de vision d’ensemble :
« En temps ordinaire, et face aux problèmes complexes, un décideur public n’a pas les capacités de reconsidérer de façon
systématique les objectifs globaux des politiques en question, les raisonnements ou les valeurs qui les ont justifiés ou
l’ensemble des alternatives et des conséquences qui pourraient être -envisagées. Les décisions prises tendent, en
conséquence, à être fortement orientées par les politiques, les valeurs et les comportements qui sont déjà en vigueur. »
Jönsson, 2004, p. 259.
Comme le dit Lindblom, les acteurs se « débrouillent au mieux » (« muddle through ») pour résoudre les problèmes qui se
posent à eux (plutôt que de réorienter une politique publique) en se cantonnant à un nombre limité de choix déjà connus et
familiers.
C’est donc le caractère routinisé des processus décisionnels qui est mis en avant par l’approche incrémentaliste. Ils reposent
sur des pratiques et des contenus établis de longue date comme le montre le cas des choix budgétaires (Wildawsky, 1979). En
effet, ces derniers correspondent le plus souvent à la reconduction des choix des années précédentes, le changement ne portant
que sur une part marginale ou résiduelle du budget voté chaque année : « le budget est incrémental. Incrémental dans ses
résultats comme le montre la faiblesse des variations annuelles des crédits budgétaires et des dépenses et incrémental dans la
décision budgétaire car, pour élaborer le budget, la négociation s’opère sur la base de variations par rapport aux crédits de
l’année précédente et la plupart des dépenses sont reconduites presque automatiquement d’une année sur l’autre » (Siné, 2006,
p. 113-114). Ce processus d’abord mis en évidence aux États-Unis concerne aussi de façon croissante la France comme le
montre l’évolution du budget de l’État français depuis le milieu des années 1970.
Siné, 2006.
Il en résulte, pour Lindblom, que les processus décisionnels débouchent sur des changements très progressifs dans une
logique de correction progressive des erreurs par apprentissage mutuel et par tâtonnements successifs. Le changement est
donc nécessairement graduel, il se fait par petits pas sans remise en cause des fondements d’une politique publique. Cette idée
de dépendance vis-à-vis des choix du passé a été reprise et approfondie par la notion de path dependence.
Celle-ci a d’abord été utilisée dans le cadre de travaux économiques pour expliquer la non-adoption d’innovations
technologiques (David, 1985). L’exemple dont part Paul David est celui du clavier QWERTY dont l’adoption initiale dans les
années 1870 aux États-Unis est liée à des raisons contingentes, en particulier les problèmes liés à l’enchevêtrement des barres
de frappe (une telle disposition du clavier permettait de réduire la fréquence des chocs entre les barres de frappe) et des
considérations de marketing (les vendeurs pouvaient rapidement taper le nom de la marque initiale – Type Writer – dont toutes
les lettres étaient rassemblées sur une seule rangée). Dès les années 1890 des progrès techniques ont permis de résoudre
l’enchevêtrement des barres de frappe et ont entraîné la mise sur le marché de nouvelles dispositions de claviers, plus rapides
et plus efficaces. Pourtant, c’est le clavier initial qui s’est imposé comme la norme standard à cette époque et qui l’est resté
depuis. Pour expliquer l’adoption de ce clavier non optimal, David met en avant trois éléments. Le premier, et le plus important,
est l’existence d’interdépendances fortes entre utilisateurs et producteurs. Dans ce cas, le fait que les premières méthodes
d’apprentissage de la dactylographie se soient basées sur le clavier QWERTY a incité à la production de machines adoptant ce
clavier. Cette interdépendance a largement favorisé la standardisation. À cela s’ajoutent les effets des économies d’échelle et le
caractère quasiment irréversible de l’investissement initial dans la formation à la dactylographie et la production de masse des
machines. Le changement de clavier aurait supposé des coûts importants, la modification des chaînes de production et un
nouvel apprentissage. L’évolution technologique est donc verrouillée par un choix initial dont l’effet est démultiplié par des
boucles de rétroactions positives (positive feedbacks) entraînant un mécanisme d’autorenforcement du sentier de dépendance
initial.
Arthur (1994) a systématisé les conditions permettant d’expliquer qu’un choix technologique initial entraîne une irréversibilité
croissante : des coûts fixes élevés entraînés par une nouvelle technologie, l’importance des effets d’apprentissage (un
changement technologique nécessite l’apprentissage de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences ce qui rend obsolètes
des savoirs et des compétences acquises, par là le changement technologique contribue à bouleverser des hiérarchies
professionnelles établies), l’existence d’interdépendances entre une technologie et son environnement (effet de coordination) et
la dimension autoréalisatrice des anticipations adaptatives. Douglass North (1990) a mis en avant le fait que les effets
contraignants des choix technologiques initiaux valaient plus généralement pour les institutions.
À partir de ces travaux d’économistes, Paul Pierson (1993, 1994, 2000, 2004) a clarifié la définition de la notion qui « renvoie
à un processus dynamique entraînant des rétroactions positives (positive feedbacks) » (2004, p. 20). Il limite donc la path
dependence à un processus d’autorenforcement d’un choix initial dont l’irréversibilité croît avec le temps. La notion de path
dependence permet donc d’expliquer le caractère fortement contraint des choix présents puisque le domaine du possible est
verrouillé par l’existant, découlant d’un choix initial. L’accent est ainsi mis sur la difficulté à revenir sur celui-ci. Pierson a mis en
lumière deux ensembles de raisons pour lesquelles ce processus joue un rôle plus important dans la sphère politique que dans la
sphère économique. Le premier renvoie à quatre aspects fondamentaux de la vie politique qui la rendent particulièrement
sensible aux mécanismes d’autorenforcement. Il s’agit tout d’abord du rôle de l’action collective qui repose sur des
interdépendances fortes, des coûts initiaux élevés et sur l’existence d’anticipations adaptatives. Vient ensuite la forte densité
institutionnelle de la vie politique : les institutions politiques structurent fortement les interactions entre acteurs. Le troisième
aspect est le caractère cumulatif du pouvoir politique qui renforce les asymétries. Enfin, la politique se caractérise aussi par
l’importance des ambiguïtés et de l’opacité qui favorisent la domination de systèmes de représentation figés.
Le deuxième ensemble de raisons que met en avant Pierson est le fait que les mécanismes de correction des choix initiaux
existant en économie sont peu efficaces dans la sphère politique, du fait de l’absence de critères d’efficience partagés, de la
prédominance de l’horizon temporel du court terme (horizon électoral) et du biais en faveur du statu quo des institutions
politiques découlant de règles de modification particulièrement rigides (par exemple l’exigence de majorités qualifiées ou de
l’unanimité).
Si certains des arguments de Pierson peuvent être discutés (ainsi la rigidité des institutions politiques ou le caractère plus
cumulatif du pouvoir politique par rapport au pouvoir économique), il s’agit avant tout ici de mettre en avant le fait que la notion
de path dependence permet de comprendre l’importance du verrouillage (lock in) de certaines politiques publiques, en
particulier les politiques de protection sociale sur lesquelles Pierson a principalement travaillé (1994, 1996). De même que pour
les choix technologiques, l’importance des coûts fixes (investissement initial) et les interdépendances (effet de coordination)
peuvent fortement verrouiller l’espace des possibles d’une politique publique. Pour le premier facteur d’irréversibilité, Pierson
(1993) met en avant le cas des politiques d’infrastructures (communications, transports et logement) et de retraite qui se
caractérisent par des coûts fixes particulièrement élevés.
En ce qui concerne le deuxième facteur d’irréversibilité, commun avec le domaine économique, à savoir le verrouillage par les
interdépendances générées par un choix initial, Pierson (1993) met l’accent sur les effets en retour des politiques publiques
antérieures (policy feedbacks) qui peuvent avoir notamment pour effet de structurer des groupes d’intérêts, qualifiés de
constituencies, dépendant de la politique publique existante. Ces groupes vont s’opposer au changement. Pierson donne comme
exemple les anciens combattants, les handicapés ou les retraités qui sont des groupes créés par des politiques publiques (pas de
retraités sans systèmes de retraite par exemple) et fortement attachés à les défendre. Plus généralement, les rapports de
pouvoirs existants peuvent verrouiller les choix possibles, un changement présentant le risque de remettre en cause des
équilibres établis, en particulier la place privilégiée d’un acteur qui a progressivement accumulé des ressources pertinentes.
C’est ce que montre le cas de la politique agricole du fait du poids acquis par la FNSEA (Fouilleux, 2002).
De plus, comme dans le domaine économique, les verrous cognitifs (préférence pour le passé du fait de la prévisibilité des
situations établies et les effets d’apprentissage) interviennent aussi, comme l’avaient déjà montré les tenants de
l’incrémentalisme. Surtout, les analyses de Pierson permettent de mettre en avant des verrous spécifiquement politiques :
électoraux et institutionnels.
Il faut, en effet, tenir compte des dynamiques électorales et de la prédominance des logiques politiques d’évitement de la
sanction par le vote (blame avoidance). Comme Weaver (cf. chapitre 6) Pierson (1996, p. 145-147), part du biais négatif des
électeurs qui votent plus contre (un gouvernement qui prend des mesures allant à l’encontre de leurs intérêts) que pour (des
promesses de changement auxquelles ils croient de moins en moins)3. De fait les politiques publiques ont souvent un coût
concentré et visible à court terme (en particulier pour certains groupes) et un bénéfice diffus et visible à moyen et long termes
comme l’illustre le cas des réformes des retraites depuis les années 1980. Les coûts en sont sensibles à court terme pour les
électeurs (augmentation des cotisations, diminution du montant des pensions, report de l’âge de départ à la retraite…) alors que
les bénéfices concernent un avenir lointain et un public non défini (préserver un système de retraite par répartition pour les
générations futures). Cette tension est également sensible pour les politiques visant la préservation de l’environnement. Elles
ont souvent un coût économique à court terme (augmentation du prix de l’énergie par exemple) pour un bénéfice concernant
l’ensemble de la planète à un horizon d’un siècle ou plus (dans le cas de la lutte contre le réchauffement climatique par
exemple). Ainsi, l’évitement de la sanction électorale, qui fait prédominer l’horizon temporel du court terme, favorise donc
également le statu quo comme l’illustrent les difficultés d’adoption d’une taxe carbone.
Les verrous sont également importants pour les institutions politiques. Tout d’abord parce que leur densité est forte. Les
effets d’irréversibilité découlant de la rigidité (stickiness) des institutions existantes sont particulièrement marqués. Ensuite, les
institutions politiques offrent des possibilités à certains acteurs de s’opposer au changement par l’existence de « veto points ».
C’est tout particulièrement le cas de systèmes politiques caractérisés par le bicaméralisme ou ceux permettant le recours au
référendum abrogatif (exemple de la Suisse). Enfin, les biais en faveur du statu quo sont renforcés par des règles de majorité
qualifiée ou d’unanimité. Ce lien entre institutions politiques et obstacles au changement a été systématisé par George Tsebelis
(2002) à partir de la notion d’acteur veto (veto player). Il les définit comme des « acteurs individuels ou collectifs dont l’accord
est nécessaire pour modifier le statu quo. Il en résulte que tout changement nécessite un accord unanime de tous les acteurs
veto » (p. 19). Il en distingue deux types : les acteurs veto institutionnels dont la capacité à s’opposer découle de la Constitution
(il donne comme exemple, pour les États-Unis, le Président et les deux chambres du Congrès dont l’accord est nécessaire pour
adopter une loi) et les acteurs veto partisans (par exemple un parti majoritaire ou les partis membres d’une coalition
gouvernementale). Le changement sera d’autant plus difficile que le nombre d’acteurs veto est grand, que leur distance
idéologique est élevée et que leur cohésion interne est forte. Plus précisément, Tsebelis met en évidence le poids des institutions
politiques à partir de la mesure de l’impact des gouvernements de coalitions, des référendums, du fédéralisme, du
bicaméralisme et des règles de majorité qualifiée sur le nombre d’acteurs veto. Sur le plan empirique, il prend le cas de la
législation sur le travail et du budget pour démontrer le lien entre nombre important d’acteurs veto et continuité de l’action
publique.
Ainsi, l’approche en termes de path dependence tout comme l’approche incrémentaliste mettent en évidence l’importance des
obstacles au changement mais ne permettent pas de comprendre les changements, en particulier au niveau des acteurs, de
l’orientation d’une politique publique et des règles du jeu institutionnelles. Il faut donc maintenant se pencher sur les analyses
mettant en avant des variables explicatives du changement permettant de surmonter les obstacles au changement qui viennent
d’être présentés.
Les approches cherchant à expliquer le changement mettent en évidence le poids de variables exogènes et/ou endogènes.
Toutefois, en général, elles ne prennent pas suffisamment en compte les acteurs, pourant nécessaire pour expliquer pourquoi,
dans certains cas, les obstacles au changement sont surmontés pour transformer une politique publique.
La plupart des analyses de politiques publiques, en particulier celles qui mettent en avant la forte continuité de l’action
publique, soulignent le rôle du contexte dans le changement. Le raisonnement causal est le suivant : une modification du
contexte ouvre une fenêtre d’opportunité qui permet la transformation d’une politique publique, le plus souvent sous la forme
d’une adaptation à ce nouveau contexte. Une autre variante de ce modèle se fonde sur la survenance d’un choc exogène qui
entraîne une rupture, plus ou moins brutale, à cause des effets déstabilisants sur la politique publique. Plus précisément, c’est
généralement le contexte économique (ainsi le contexte budgétaire pour les réformes de la protection sociale) qui est mis en
avant comme principale force de pression en faveur du changement. Toutefois, le contexte politique est également pris en
compte, l’accent étant particulièrement mis sur le caractère propice au changement des lendemains de victoire électorale nette
du fait de la légitimité qu’elle confère aux acteurs gouvernementaux bénéficiant d’un fort soutien partisan (Keeler, 1994), pour
quelques mois tout au moins4. Plus récemment, l’accent a également été mis sur le rôle du contexte supranational dans le
changement : européen pour les pays membres de l’Union européenne (ou pour ceux aspirant à le devenir) et/ou international
(par exemple l’ouverture d’un cycle de négociations commerciales internationales, l’existence d’un accord international en
matière d’environnement ou la pression exercée par telle ou telle institution internationale sur des pays extérieurs à l’OCDE en
particulier). D’autres auteurs mettent en avant le poids décisif de contextes plus généraux. C’est le cas en particulier pour
l’approche en termes de référentiel (Jobert, Muller, 1987) qui explique le changement d’une politique publique par un
changement de référentiel global (concernant l’ensemble des politiques publiques). Celui-ci invalide les fondements cognitifs
des politiques sectorielles qui doivent s’adapter au nouveau référentiel global. Cet ajustement entre la politique sectorielle et le
nouveau référentiel global est opéré par des médiateurs (par exemple les agriculteurs modernisateurs du CNJA pour la politique
agricole au début des années 1960). Enfin, certains (cf. Capoccia, Kelemen, 2007), à la suite de Paul Gourevitch (1986), mettent
en avant le rôle de conjonctures critiques (critical junctures) correspondant à des situations de crises ouvrant, momentanément,
le champ des possibles du fait de la fluidité qu’elles produisent tant au niveau des institutions que des interactions entre acteurs
et secteurs d’action publique.
Si l’ensemble des analystes s’accordent pour conférer un rôle au changement de contexte, tous ne se satisfont pas d’un type
d’explication reposant avant tout sur des facteurs exogènes à la politique publique considérée. C’est pourquoi d’autres auteurs
ont essayé de mettre en évidence des variables endogènes permettant d’expliquer le changement. Ce fut tout d’abord le cas des
variables cognitives. C’est à nouveau l’analyse proposée par Peter Hall (1993) qui constitue ici la référence principale. Il met en
avant le rôle des crises de paradigmes, c’est-à-dire la remise en cause des fondements cognitifs d’une politique publique par une
accumulation d’anomalies (policy failures), autrement dit les effets non attendus d’une politique et surtout non expliqués par la
conception qui la sous-tend.
« Le mouvement d’un paradigme à un autre qui caractérise les changements de troisième ordre repose le plus
vraisemblablement sur une accumulation d’anomalies, l’expérimentation de nouvelles formes d’action publique et l’échec de la
politique préexistante qui favorisent un déplacement de la configuration de pouvoir de la politique publique et entraînent une
concurrence étendue entre des paradigmes rivaux. Cette compétition peut déborder les limites de l’État et concerner plus
largement l’ensemble de l’arène politique. Elle s’achève lorsque les tenants du nouveau paradigme stabilisent leurs positions
de pouvoir dans la politique publique et sont alors en mesure de réaménager l’organisation et les modes opératoires
standardisés du processus d’action publique ainsi que d’institutionnaliser le nouveau paradigme. »
Hall, 1993, p. 280-281.
L’exemple de la crise du paradigme keynésien fait, dans ce cadre, figure de cas de référence.
Dans un deuxième ouvrage, dirigé cette fois-ci avec James Mahoney, Kathleen Thelen (Mahoney, Thelen, 2010) introduit plus
directement les acteurs en distinguant quatre catégories d’acteurs porteurs de changements à l’intérieur même des
institutions : les acteurs insurrectionnels (représentant des groupes défavorisés), les acteurs symbiotiques (utilisant les
institutions pour leurs propres fins), les acteurs subversifs (porteurs de changements de l’intérieur des institutions) et les
acteurs opportunistes (aux préférences ambiguës). Le rôle transformateur de ces acteurs dépend de trois éléments : la
puissance des acteurs veto, la capacité institutionnelle à appliquer les décisions et l’existence d’alliances avec d’autres acteurs.
La distinction entre ces différentes catégories d’acteurs et la prise en compte de ces trois dimensions permet d’expliquer le type
de changement (l’empilement est lié à des acteurs subversifs en présence d’acteurs veto forts et d’une faible capacité
institutionnelle, la dérive à des acteurs symbiotiques en présence d’acteurs veto forts et d’une forte capacité institutionnelle,
tandis que la conversion est expliquée par le rôle d’acteurs opportunistes en présence d’acteurs veto faibles et d’une forte
capacité institutionnelle) mais pas le contenu du changement. Le statut des acteurs n’est pas exempt d’ambiguïté : à la fois
variable dépendante (leurs stratégies dépendent des institutions) et indépendante (pour expliquer le type de changement).
Enfin, ces acteurs ne font pas l’objet d’une analyse sociologique : ils sont caractérisés uniquement en fonction de leurs
stratégies par rapport à l’institution dont ils font partie. Il apparaît donc nécessaire d’avoir une approche à la fois plus
sociologique et permettant de rendre compte du contenu du changement pour expliquer le changement par les acteurs.
On peut distinguer ici les cadres d’analyse mettant l’accent sur des acteurs individuels de ceux portant sur des acteurs
collectifs. Dans le premier cas on trouve principalement des travaux centrés sur le rôle d’acteurs intermédiaires : c’est le cas
des marginaux sécants chez H. Jamous (cf. chapitre 4) et des policy brokers dans le modèle des coalitions de cause (cf.
chapitre 6). Dans ce cadre l’accent est mis sur le rôle cognitif d’un acteur capable de produire des représentations acceptables
pour les différentes coalitions. La production d’un tel consensus cognitif peut reposer sur des ambiguïtés, voire des
contradictions comme Bruno Palier (2003) l’a souligné en parlant de « consensus contradictoire » à partir de l’exemple la
Contribution sociale généralisée (CSG). Ce principe, qui modifie en profondeur le financement du système de protection sociale
française, a pu être introduit parce qu’il était perçu différemment par les principaux acteurs impliqués : comme un moyen de
renforcer le rôle de l’État pour les acteurs étatiques, comme un moyen de faire contribuer les revenus du capital pour les
syndicats et comme un moyen de baisser la part du financement pesant sur le coût du travail pour les entreprises. L’analyse est
un peu différente pour les policy entrepreneurs dont Kingdon (2003) souligne le rôle clef pour articuler les trois flux (des
problèmes, de la politique publique et le flux politique) permettant d’ouvrir une fenêtre d’opportunité politique (cf. chapitre 3).
Ces acteurs sont définis par un double rôle : celui de défenseur de propositions (advocay) mais aussi de négociateur (brokerage)
(p. 183). Pour être un entrepreneur de politiques publiques un acteur doit réunir trois qualités : des ressources importantes
(notamment positionnelles et d’expertise), de la ténacité (autrement dit une continuité forte à la fois dans une politique publique
et dans la défense d’une même proposition) ainsi que des capacités relationnelles et de négociation (p. 181).
Dans la plupart des cas ces acteurs intermédiaires élaborent des compromis (cognitifs et/ou stratégiques) ce qui correspond à
un changement de moindre ampleur que celui lié à l’influence d’un acteur collectif imposant une vision du changement comme
les médiateurs dans le modèle du référentiel (mais dans ce cadre, comme on l’a vu, le changement est plus expliqué par le
changement de référentiel global que par les acteurs) ou les « nébuleuses réformatrices », mises en évidence pour les réformes
sociales françaises au début de la IIIe République (Topalov, 1999). Une nébuleuse possède trois propriétés des champs au sens
de Pierre Bourdieu : des règles de langage et des principes de légitimation qui lui sont propres, la structuration d’un système de
positions, des institutions spécifiques (en particulier les « congrès » dans ce cas) et reliées entre elles. Mais c’est un champ
faible (ce qui explique le recours à la métaphore de la nébuleuse) du fait des limites de son autonomie et de son incapacité à
assurer des carrières en son sein. Par conséquent, il est en quelque sorte à durée limitée (à la période 1880-1914 dans le cas
analysé). Surtout, ces acteurs ne produisent pas directement le changement mais un « sens commun » qui s’impose aux acteurs
décisionnels : « ils définissent les objectifs au nom desquels toute législation sera prise et tous les arguments en faveur des
diverses solutions seront énoncés » (p. 472). Ils jouent donc un rôle cognitif clef pour l’orientation de l’action publique, à partir
de leur construction des problèmes et de leur formulation de prescriptions d’actions.
C’est aussi le cas des acteurs programmatiques dont le rôle a été mis en évidence, à partir du cas des transformations des
systèmes de protection maladie en Europe (Hassenteufel et alii, 2010). Ce type d’acteur collectif est plus fortement structuré
autour d’un programme de changement d’ensemble de la politique publique, qu’une nébuleuse réformatrice et surtout détient
des positions de pouvoir lui permettant de participer directement à la décision. Plus précisément, trois éléments caractérisent
ces acteurs programmatiques. Tout d’abord ils partagent un programme de changement articulant des orientations nouvelles, la
redéfinition des problèmes et des principes de légitimation, ainsi que des propositions d’action reposant sur la transformation
des règles du jeu institutionnelles et l’introduction de nouveaux instruments. Ensuite, ils sont dotés de ressources suffisantes
pour pouvoir orienter et définir le contenu de l’action publique. Surtout, l’accroissement de leurs ressources est à la fois un
enjeu du changement et une condition du changement puisque le renforcement de la position de pouvoir de ces acteurs leur
permet de porter (et d’accentuer) le changement. Enfin (comme les policy brokers), ils s’inscrivent dans des processus
d’apprentissage. On peut, à la suite de Peter May (1992) notamment, distinguer trois dynamiques d’apprentissage dans le cadre
des politiques publiques : l’apprentissage instrumental, qui concerne la maîtrise des techniques et des instruments et qui
renvoie en particulier à la phase de la mise en œuvre des politiques publiques ; celle de l’apprentissage social (social learning)
que l’on pourrait qualifier aussi d’apprentissage cognitif puisqu’il concerne la grille de lecture des problèmes, les raisonnements
sous-tendant l’orientation d’une politique publique et ses objectifs – il concerne donc la formulation des problèmes et leur mise
sur agenda ; enfin, celle de l’apprentissage politique, qui pourrait aussi être qualifié d’apprentissage stratégique car il porte sur
la faisabilité politique et surtout sur la capacité à maîtriser les interactions d’acteurs, ce qui renvoie aux processus décisionnels.
Les acteurs porteurs du changement sont au cœur de ces dynamiques multiples d’apprentissage qui s’appuient notamment sur
l’observation du passé et de cas étrangers ou relevant d’autres domaines de politique publique, sur l’expérimentation et
l’évaluation, sur des échanges avec d’autres acteurs, sur la correction d’erreurs…
Il est alors possible de modéliser le lien entre changement et interactions d’acteurs à partir de la distinction entre trois
grandes catégories d’acteurs : les acteurs programmatiques, les acteurs veto et les acteurs intermédiaires. La présence ou
l’absence de ces acteurs ainsi que leur nombre et leurs ressources peuvent être mis en relation avec le changement, le
changement limité ou l’absence de changement sous la forme de sept cas de figure possibles.
Figure 1. Interactions d’acteurs et changement
Toutefois, comme on l’a souligné dans le chapitre 5 l’analyse des interactions d’acteurs doit être contextualisée. Le
changement suppose un contexte favorable qui est non seulement extérieur à la politique publique (contexte financier et
budgétaire, contexte macroéconomique, contexte politique, contexte sociodémographique, contexte international, contexte
européen, impact d’autres politiques publiques…), mais aussi celui de la politique publique elle-même. Comme on l’a vu avec
l’analyse de Peter Hall, l’existence d’éléments remettant en cause les politiques existantes (les policy failures, c’est-à-dire les
anomalies et échecs des politiques passées qui favorisent les dynamiques d’apprentissage) peut avoir un impact important. À
cela s’ajoute la dynamique des enjeux prédominants dans une politique publique : l’adéquation entre le projet réformateur et
l’enjeu dominant d’une politique publique (auquel il répond) est également une donnée capitale. C’est par ces différents
éléments que l’on peut, par exemple, expliquer le « tournant néolibéral » des politiques économiques en France.
On voit par là aussi qu’il est nécessaire d’inscrire l’analyse du changement dans une dynamique temporelle de moyen, voire de
long terme : le changement ne se produit pas de manière instantanée du fait de l’importance des dynamiques d’apprentissage
qui permettent la formulation d’un programme de changement cohérent (apprentissage cognitif), l’élaboration d’une stratégie
politique efficace (apprentissage politique) et la correction au fur et à mesure des problèmes qui apparaissent au niveau de la
mise en œuvre (apprentissage instrumental) ; du fait aussi de la dynamique de renforcement progressif des acteurs
programmatiques par effet en retour du changement (en particulier quand il porte sur les acteurs et les règles d’interaction) ;
et, enfin, du fait des contraintes institutionnelles, dont on a vu qu’elles pouvaient être surmontées par des transformations
graduelles.
Il faut, enfin, prendre en compte les dynamiques supranationales à l’œuvre dans les processus de changement. Elles ne
peuvent pas être réduites à des éléments de contexte mais doivent s’inscrire dans une analyse multiniveaux tenant compte à la
fois des niveaux locaux, nationaux, européens et internationaux.
Le poids considérable pris par les dynamiques transnationales, tant du fait du développement des politiques communautaires
que de l’internationalisation des politiques publiques (dans le domaine économique, du fait de l’internationalisation des
échanges, de la production et des capitaux, et de l’environnement en particulier) a conduit à appréhender le changement en
termes de convergence.
La notion de convergence peut s’entendre de trois manières différentes. Elle renvoie tout d’abord aux effets (outcomes) des
politiques publiques. La convergence est alors un résultat, a posteriori, de la mise en place de politiques publiques. Ensuite, la
convergence peut signifier l’adoption de politiques publiques identiques dans plusieurs pays. La convergence concerne alors
principalement le contenu des politiques publiques adoptées. Enfin, la convergence renvoie plus généralement à un processus
dynamique de rapprochement entre des politiques publiques menées dans des pays (ou des territoires) différents. Cette
convergence-processus concerne non seulement le contenu de l’action publique mais aussi ses modalités de production (cadres
institutionnels, acteurs, instruments…) ; autre différence avec la convergence-contenu, elle peut correspondre à l’adoption de
politiques fortement contrastées, voire opposées, qui permettent un rapprochement entre des systèmes d’action publique
différents. Elle est susceptible de prendre plusieurs formes (Heichel, Pape, Sommerer, 2005) : celui de la réduction de la
variance entre des politiques publiques (sigma convergence), celui du rattrapage de certains pays par d’autres (bêta
convergence) et celui de la réduction de l’écart par rapport à un modèle (delta convergence). Ces sens différents (mais non
opposés) de la convergence correspondent aux différentes dimensions d’une politique publique. Il apparaît en effet
analytiquement nécessaire de décomposer l’action publique pour analyser la convergence (Bennett, 1990) puisque celle-ci, au
sens de processus dynamique de rapprochement, ne concerne pas forcément les sept dimensions que l’on peut distinguer dans
une politique publique7 :
Les objectifs de l’action publique. La convergence est d’ordre cognitif et renvoie aux modalités de construction du
problème, de définition de finalités prioritaires de l’orientation d’une politique publique, et donc de légitimation de celle-
ci.
Le contenu d’une politique publique. La convergence porte sur l’articulation entre objectifs et instruments, qui
caractérise une politique publique à un moment donné.
Les instruments de l’action publique. La convergence concerne uniquement les outils adoptés et leur mode
d’utilisation.
Le mode d’adoption d’une politique publique. La convergence porte sur les processus décisionnels et sur le type
d’interaction entre acteurs d’une politique publique.
Le public d’une politique publique. La convergence concerne les ressortissants visés par une politique publique.
Les effets d’une politique publique. La convergence porte sur les résultats de la mise en œuvre de la politique publique
en termes d’outputs.
Les acteurs dominants d’une politique publique. La convergence est ici plus transversale puisqu’elle concerne à la
fois les acteurs jouant un rôle clef au niveau de la définition du problème, de l’orientation de la politique, de la
formulation de son contenu, de son adoption et de sa mise en œuvre.
Si cette grille permet d’affiner des constats empiriques de convergence des politiques publiques, elle n’est pas suffisante pour
comprendre comment et pourquoi s’opère cette convergence. Pour répondre à ces interrogations, qui renvoient aux causes
(pourquoi ?) et aux conditions (comment ?) de la convergence, il est nécessaire de distinguer différents types de mécanismes de
convergence (Holzinger et Knill, 2005). Ce travail peut être opéré à partir de trois dimensions de l’action politique : les normes
(au sens de règles juridiques contraignantes), les problèmes (au sens d’enjeux et d’objets d’une politique publique) et les
représentations (ce qui renvoie à la dimension cognitive).
La convergence normative est le plus souvent qualifiée d’harmonisation transnationale. Elle renvoie à l’adoption de normes
juridiquement contraignantes par des institutions internationales (par exemple l’OMC) ou, plus rarement, par des acteurs
privés, comme les firmes multinationales, qui ont pris en charge la formalisation de normes techniques internationales. C’est,
toutefois, au niveau de l’Union européenne que cette dynamique est la plus forte du fait de l’importance des normes de nature
législative (les directives qui doivent obligatoirement être transposées dans le droit national des États membres et les
règlements qui s’appliquent directement) et exécutive (normes d’application) produites par les institutions européennes (le
Conseil et le Parlement pour les premières, la Commission pour les secondes) et auxquelles doivent se conformer les États
membres (sous peine de sanction).
La convergence fonctionnelle renvoie à la nature des problèmes à résoudre par les politiques publiques. Ce mécanisme de
convergence a été p articulièrement mis en avant par les travaux portant sur les effets fortement contraignants de
la mondialisation économique. Au cœur de ces approches, on trouve l’idée que l’interdépendance des économies a
considérablement érodé la capacité d’action des États-nations. Dans cette perspective (d’inspiration marxiste), les États n’ont
pas d’autre possibilité que de s’adapter aux exigences d’un marché devenu mondial par des politiques publiques visant
prioritairement à accroître la compétitivité des entreprises. La mondialisation a donc pour conséquence majeure de faire
converger les politiques économiques et de protection sociale : seule la voie du retrait de l’État-providence (retrenchment) est
possible car c’est désormais la seule compatible avec les exigences d’un marché devenu mondial.
Ainsi, toute autre voie que la voie néolibérale est exclue : seules sont possibles des politiques d’« austérité compétitive » et de
retrait de l’État-providence. En sapant la capacité d’action des gouvernements nationaux, la mondialisation produit une
convergence néolibérale, considérée comme un phénomène économique et comme un phénomène idéologico-politique auquel il
n’y a pas d’alternative, ce qui explique la référence fréquente à l’acronyme Tina, basé sur la célèbre formule de Margaret
Thatcher pour justifier les changements qu’elle a impulsés : « There is no alternative. »
La convergence cognitive renvoie à des processus non contraignants résultant, tout d’abord, de la diffusion d’orientations, de
contenus et d’instruments de politiques publiques par des institutions internationales et par des experts transnationaux. Les
institutions internationales effectuent un travail de légitimation et d’objectivation de ces orientations, contenus et instruments
de politiques publiques, par la production de rapports, de données comparatives dans une logique de classement et de
benchmarking, de données statistiques, etc. Leur diffusion est assurée par une forte activité de publication, l’alimentation des
médias en données, l’enrôlement d’experts, l’organisation de colloques, de réunions de travail ou de séminaires permettant de
socialiser un nombre croissant d’acteurs aux propositions qu’elles formulent. La convergence cognitive peut aussi correspondre,
de manière plus horizontale, au mimétisme, ce qui renvoie à l’adoption non contraignante d’éléments d’une politique publique
mise en place dans un ou plusieurs autres pays, dans une double logique d’émulation et/ou d’inspiration, liée notamment à la
diffusion de « modèles ». Ce processus est également lié à l’importation de contenus et d’instruments par des experts nationaux
ayant une activité transnationale, dans une logique de transfert comme on l’a vu dans le chapitre précédent.
Ces différents mécanismes de convergence transnationale sont à l’origine de nombreux changements dans l’action publique,
cependant les travaux qui se sont intéressés aux effets concrets de ces dynamiques mettent plutôt en évidence leurs limites, ce
qui conduit à appréhender ces transformations de l’action publique en termes de traductions nationales (ou locales) de
dynamiques transnationales, opérées par des acteurs intermédiaires le plus souvent. Le changement par la transnationalisation
peut donc aussi être appréhendé à partir des interactions d’acteurs.
La question des effets des dynamiques de convergence a été principalement posée au niveau européen à travers la notion
d’européanisation. Cette notion, apparue au début des années 1990, a été clarifiée conceptuellement par Claudio Radaelli
(2001). Il définit l’européanisation comme un
« processus de construction (a) diffusion (b) et d’institutionnalisation (c) de règles formelles et informelles, de procédures,
de paradigmes, de styles, de savoir-faire et de normes et croyances partagées qui sont d’abord définis et consolidés dans les
décisions de l’Union européenne puis incorporés dans la logique des discours, des identités, des structures politiques et des
politiques publiques à l’échelon national ».
Cette définition lui a permis d’opérer des distinctions nettes entre l’européanisation et d’autres notions. Il distingue, d’une
part, l’européanisation de la convergence, celle-ci n’étant qu’une conséquence possible de l’européanisation, tout comme
l’harmonisation ; et, d’autre part, l’intégration européenne de l’européanisation, le premier processus étant un préalable au
second. Ainsi l’européanisation renvoie aux effets de l’intégration européenne au niveau national et local.
L’apport de Claudio Radaelli ne réside pas seulement dans le fait de clarifier la notion, mais aussi de préciser les différents
processus d’européanisation. En effet, il distingue trois grands types de processus. Le premier est qualifié de vertical ; il repose
sur des relations hiérarchisées entre les institutions de l’Union européenne et le niveau national, ainsi que sur l’existence d’un
modèle d’action clairement défini au niveau européen. Dans ce cas, l’européanisation est contrainte puisqu’elle est imposée par
les institutions communautaires, le plus souvent sous la forme de règles juridiques de nature législative (directives et
règlements). Claudio Radaelli ajoute que l’adaptation du niveau national à un modèle européen peut passer par des formes
moins contraignantes, par des logiques de mimétisme en particulier (changement dû à la pression du nombre).
À l’inverse, le mécanisme d’européanisation horizontal « regarde l’européanisation comme un processus où il n’y a pas de
pression pour se conformer à des modèles européens » (Radaelli, 2003, p. 41). Trois logiques sont possibles. Tout d’abord,
l’européanisation peut reposer sur l’existence de directives « minimalistes » ou de réglementations non obligatoires qui vont
apporter des solutions et des justifications aux acteurs nationaux du changement et donc accroître la légitimité de leurs
revendications. Ensuite, l’européanisation peut s’effectuer à partir d’une convergence cognitive encouragée par de nouveaux
modes de gouvernance créant « les préconditions pour la diffusion d’idées communes et de paradigmes de politiques
publiques » (p. 43) ainsi que par l’apparition de forums européens favorisant la socialisation aux bonnes pratiques et idées
promues par l’Union européenne (Radaelli, 2001, p. 128). La dernière modalité d’européanisation horizontale s’appuie quant à
elle sur la diffusion d’une nouvelle pratique de gouvernement reposant sur les réseaux. Il s’agit là d’une modalité assez ambiguë
car, soit cette diffusion est initiée par l’Union européenne (la Commission en particulier) et dans ce cas il s’agit plutôt d’une
européanisation verticale, soit on se trouve dans un cas de mimétisme, que Radaelli intègre pourtant au premier type de
processus.
Enfin, Radaelli distingue un troisième mécanisme d’européanisation reposant sur des prérequis verticaux mais ayant des
conséquences horizontales (Radaelli, 2003). Dans ce cas intermédiaire, l’européanisation est la conséquence de l’intégration
négative et prend place en raison de modifications des structures d’opportunités liées à l’ouverture de marchés prescrite et
imposée par l’Union. L’européanisation repose sur des règles contraignantes (directives, arrêts de la CJUE…), mais en l’absence
de modèle européen à proprement parler. Il donne comme exemple les règles concernant la suppression de barrières
commerciales, ce qui n’est pas sans ambiguïté puisque, dans ce cas, il existe bien un modèle européen : celui d’un marché
unique et intégré, qui est l’objectif recherché par ce type de règle communautaire.
Cette typologie stimulante reste donc discutable malgré les enrichissements apportés progressivement par l’auteur. Elle pose
surtout problème en raison de plusieurs ambiguïtés : ambiguïté de l’idée de modèle européen, ambiguïté sur la notion de
mimétisme, ambiguïté sur le degré de contrainte et peut-être surtout ambiguïté de la distinction entre mécanisme vertical et
mécanisme horizontal comme le souligne l’existence d’un type intermédiaire. On peut aussi remarquer que la définition de
l’européanisation que propose Claudio Radaelli renvoie uniquement à des mécanismes verticaux (du niveau européen vers le
niveau national) et néglige les niveaux infra-nationaux. C’est pourquoi, en nous appuyant sur la proposition du groupe dirigé par
Bruno Palier et Yves Surel (EPPIE, 2007, p. 39), nous proposons de définir l’européanisation comme l’ensemble des processus
d’ajustements institutionnels, stratégiques, normatifs et cognitifs8 induits par la construction européenne. Cette définition,
outre sa concision et sa clarté, présente le double mérite d’englober tous les niveaux d’action publique et tous les types
d’interactions entre ces niveaux (descendants, ascendants, horizontaux). En partant de cette nouvelle définition, il est
également possible de proposer une autre typologie des mécanismes d’européanisation articulée aux mécanismes de
convergence, en s’appuyant sur la proposition de Sébastien Guigner de distinguer l’européanisation par la norme et
l’européanisation par les idées (Guigner, 2007).
Tableau 10. Mécanismes de convergence et types d’européanisation
Mécanisme
Niveau Niveau
de
international européen
convergence
Européanisation
Convergence
Tina induite
fonctionnelle
(engrenage)
Transfert
vertical - Européanisation
Convergence (diffusion) cognitive
cognitive Transfert (verticale et
horizontal - horizontale)
(mimétisme)
Plus que la mise au jour de ses différentes modalités, l’intérêt principal de la notion d’européanisation est d’articuler les
différents niveaux de l’action publique en Europe, ce qui permet de mettre en évidence les limites de la convergence.
Tout d’abord, l’européanisation normative ne signifie pas harmonisation, comme le soulignent Green Cowles, Caporaso et
Risse (2001) Ils partent de la distinction entre « fit » et « misfit », autrement dit entre congruence ou au contraire décalage
entre les décisions prises au niveau de l’Union et les configurations nationales. Si les politiques nationales sont
substantiellement différentes des normes communautaires, la pression au changement est très forte. Si, au contraire, les
institutions ou les politiques nationales sont déjà conformes aux prescriptions posées par l’Union (ce qui s’explique parfois par
le fait que ces mêmes politiques nationales ont servi de référence à la décision européenne), alors aucune pression adaptative
n’est véritablement identifiable et la probabilité de changements de l’action publique imputables aux instances européennes est
faible. Ils s’intéressent aussi au processus d’incorporation et de traduction des normes européennes par les acteurs nationaux.
Tout dépend ici de ce qu’ils appellent des « prismes nationaux », c’est-à-dire l’ensemble des institutions, des dynamiques et des
acteurs au sein des États membres qui sont affectés par la pression adaptative née du processus européen et qui sont
susceptibles d’y réagir. Ils insistent, de ce fait, sur les mécanismes de traduction et les capacités de réaction qui caractérisent
les acteurs nationaux et infranationaux confrontés aux instances européennes et objets de leurs actions. Ils mettent en avant la
présence ou l’absence d’acteurs disposant d’une capacité organisationnelle ou de ressources institutionnelles suffisamment
puissantes pour bloquer un processus de décision ou contribuer à la redéfinition des priorités et du contenu de l’action
publique. Inversement, d’autres acteurs peuvent agir en faveur de la décision européenne. Pour Green Cowles, Caporaso et
Risse, l’impact de l’intégration européenne correspond donc au rapport entre la pression adaptative exercée au niveau européen
et la nature des prismes nationaux mobilisés.
Sur la base des études de cas qu’ils ont conduites, ils distinguent quatre cas de figure. Le premier est l’absorption, autrement
dit l’adoption telle quelle des normes européennes dans les politiques nationales. Ce résultat correspond à deux situations
différentes : soit les structures existantes et les politiques antérieures sont déjà conformes aux normes européennes, il n’y a
alors qu’un changement à la marge ; soit la pression adaptative forte a été intégrée par les prismes nationaux et le modèle
domestique s’est transformé pour se rapprocher des normes européennes. C’est donc seulement dans ce cas que l’on peut
véritablement parler de convergence. En effet, dans le troisième cas de figure, correspondant à la « traduction » des directives
ou des politiques communautaires dans les cadres nationaux, les normes européennes exercent une influence sur les politiques
nationales, mais les acteurs nationaux interviennent pour atténuer ou transformer l’impact des décisions prises au niveau
européen. Enfin, l’européanisation peut s’avérer nulle ou presque quand on observe une inertie des structures institutionnelles
et des décisions publiques dans les États membres. Cette inertie tient principalement à la résistance des acteurs ou des sentiers
institutionnels à toute forme d’influence de l’Europe.
Il est toutefois nécessaire de tenir compte plus largement des politiques publiques nationales et de leurs enjeux pour tenter de
dépasser le débat entre les deux approches dominantes de la mise en œuvre des directives européennes : celle centrée sur le
degré de décalage (fit/misfit) entre normes nationales et européennes que nous venons de présenter et celle centrée sur les
cultures de la mise en conformité-worlds of compliance (Falkner et alii, 2005) présentée dans le chapitre 4. C’est ce que montre
une recherche menée sur la mise en œuvre de la directive sur le temps de travail pour les médecins hospitaliers (Clavier et alii,
2011). Ce sont plutôt d’autres facteurs plus spécifiques au domaine hospitalier qui permettent de comprendre l’absence de
convergence. Il s’agit tout d’abord de la négociation collective (nationale, infra-nationale sectorielle ou par hôpital) entraînant
des différenciations, selon le statut des médecins hospitaliers, la taille des hôpitaux et le territoire considérés. Les enjeux des
politiques hospitalières sont un autre facteur clef, puisque les enjeux du temps de travail, rarement perçus comme majeurs, sont
interprétés et traités à la lumière d’autres enjeux plus saillants au niveau national : réforme de l’hôpital, salaires, démographie
médicale en particulier. L’importance de ces différents enjeux et les écarts qu’ils introduisent entre le temps de travail effectif
des médecins hospitaliers et les dispositions de la directive européenne permettent d’expliquer les limites de la convergence
plus que le décalage initial entre normes nationales et européennes ou l’existence de cultures nationales de la mise en
conformité.
Les différences dans l’impact de l’européanisation sont également importantes pour l’européanisation induite, c’est-à-dire
lorsqu’une politique communautaire a un impact sur un autre domaine de politique publique, comme le montre le cas des effets
du passage à la monnaie unique sur les réformes de la protection sociale.
Le cas des politiques de protection sociale est particulièrement important puisque, comme on l’a vu, c’est l’un des domaines
de politique publique à propos duquel ont été proposées les analyses se rattachant à la convergence fonctionnelle à partir de la
mondialisation. Or, au vu de l’analyse des situations nationales, il est difficile d’affirmer que la mondialisation a un impact direct
et similaire sur tous les États-providence européens. Au contraire, elle prend des formes différenciées selon les pays. Les
dynamiques liées à la mondialisation sont construites et interprétées différemment dans les différents systèmes de protection
sociale, tant au niveau des familles d’États-providence qu’au niveau national et des secteurs (Hassenteufel et Palier, 2001).
Le troisième type d’européanisation, l’européanisation cognitive, correspond à la diffusion sous une forme non contraignante
de représentations, d’orientations, de raisonnements, de principes d’action, d’argumentaires, de pratiques et d’instruments.
Cette diffusion peut se faire soit à l’initiative d’acteurs européens (la Commission en particulier), soit dans le cadre ‐
d’interactions entre des acteurs nationaux ou infranationaux. Dans le premier cas, l’européanisation cognitive est verticale, dans
le second, horizontale.
L’européanisation cognitive verticale renvoie tout d’abord à la notion de soft law, utilisée dès les années 1970 pour analyser
l’intégration européenne. Il s’agit, de manière générale, de règles non contraignantes, mais qui ne sont pas forcément sans
effets. La soft law est une ressource particulièrement utilisée par la Commission dans des domaines où les résistances des États
sont fortes (Cini, 2001). Elle se traduit par des textes non contraignants : les résolutions, les déclarations, les communications,
les avis, les recommandations, les Livres blancs et les Livres verts. La Commission européenne recourt, dans ce cadre, de
manière croissante à l’instrument du benchmarking9 dans une logique de naming/blaming/shaming afin de mettre en avant les
« bons élèves » et de stigmatiser les « mauvais élèves » et de formaliser l’objectif à atteindre pour l’ensemble des États. Le
benchmarking est d’autant plus efficace qu’il s’appuie généralement sur des chiffres diffusés par le biais d’outils objectivés sous
la forme de classements, tableaux et graphiques qui permettent de légitimer des orientations et des pratiques au nom de la
neutralité scientifique. Le recours au benchmarking a été institutionnalisé au niveau européen sous la forme de la méthode
ouverte de coordination (MOC). Inspirée des techniques de convergence souples utilisées pour la mise en place de l’UEM et du
processus de Luxembourg consacré à la coordination des politiques européennes de l’emploi, la MOC a été entérinée lors du
Conseil européen de Lisbonne en mars 2000. Elle concerne des politiques faiblement communautarisées : politiques d’emploi,
de retraite, de lutte contre l’exclusion, de santé… La MOC s’inscrit pleinement dans une logique d’européanisation cognitive
dans la mesure où il s’agit de modifier les orientations des politiques nationales en diffusant les meilleures pratiques. Elle
s’apparente à l’application par l’Union européenne de la méthode de l’évaluation par les pairs, ou surveillance multilatérale,
depuis longtemps mise en œuvre dans d’autres organisations internationales comme l’OCDE ou le FMI. La MOC a ainsi accru la
pression au changement et au partage d’orientations communes : activation dans le domaine du traitement du chômage,
augmentation des taux d’activité, allongement de la durée d’activité, constitution de fonds de réserves et développement des
retraites complémentaires par capitalisation pour les retraites (Bruno, Jacquot et Mandin, 2007). Mais ces orientations se
traduisent par des politiques nationales différentes. Ainsi, l’activation est conçue de manière très contrastée entre les régimes
de protection sociale libéraux (où prédomine une approche disciplinaire fondée sur les sanctions et les incitations) et les
régimes sociaux-démocrates dans les pays scandinaves (où prédomine une approche négociée fondée sur un contrat et la
formation) (Barbier, 2002). La tendance commune vers l’activation ne signifie pas convergence vers des politiques publiques
reposant sur les mêmes pratiques, les mêmes dispositifs et les mêmes instruments.
À côté de ces mécanismes d’européanisation cognitive verticale, qui mobilisent plus la contrainte politique au changement que
la contrainte juridique, il existe un autre mécanisme d’européanisation où les idées jouent également un rôle central mais qui
n’est pas impulsé par les institutions européennes. Ce mécanisme privilégie la persuasion argumentée et l’appropriation des
idées et des pratiques par les acteurs du changement plutôt que la contrainte au changement (Guigner, 2007). Il correspond à
une européanisation cognitive horizontale. Elle découle de la constitution d’espaces sociaux particuliers, au sein desquels des
acteurs sont en interaction régulière, ce qui contribue à une intense socialisation réciproque. Parmi ces espaces, qui sont plus
ou moins fortement institutionnalisés, on peut en particulier mentionner les différents comités auprès de la Commission, les
groupes de travail du Conseil des ministres, les intergroupes parlementaires et les eurogroupes. Ils favorisent les échanges sur
les orientations et les pratiques de l’action publique au sein de l’Union européenne, susceptibles de faire émerger des modes
d’action et des instruments partagés. Toutefois, leur capacité d’européanisation des politiques publiques est inégale. Elle tient
en grande partie à la faculté des acteurs impliqués de faire remonter les nouvelles propositions jusqu’aux centres de décision
nationaux, ce qui montre à nouveau les limites de la convergence.
Par conséquent, il est nécessaire, non seulement de s’intéresser à la façon dont sont diffusés les modèles et les discours, mais
aussi d’analyser la façon dont sont traduits nationalement des modèles et des modes opératoires diffusés par des institutions
internationales et européennes ou par des experts transnationaux. La notion de traduction fait l’objet de trois types de
problématisation qu’il est possible de combiner : dans le cadre de l’analyse littéraire (la traduction comme recréation d’un texte
original), dans le cadre de la sociologie des sciences (la traduction comme reproblématisation, négociation et mobilisation
d’acteurs) et dans le cadre de la science politique (la traduction comme inscription dans un contexte institutionnel et politique).
Comme le souligne Paul Ricœur (2004, p. 13) pour les textes littéraires il existe toujours une part irréductible d’intraduisible
liée à la non-superposition des champs sémantiques, à la non-équivalence des syntaxes, aux connotations, aux héritages
culturels différents des tournures de phrase, à l’intertextualité du fait de la reprise, de la transformation, et de la réfutation
d’emplois antérieurs… De ce fait la traduction est forcément trahison comme le souligne la fameuse formule italienne
« traddutore, traditore » (traduction, trahison). La traduction n’est jamais une reprise à l’identique, elle correspond à une
transformation et, surtout, à une recréation de l’original, elle est perpétuellement recommencée (comme le montre la
retraduction perpétuelle des grandes œuvres). Transposée à l’analyse des politiques publiques, la notion de traduction peut être
distinguée de celle de transfert puisqu’elle correspond à une activité de recréation (et pas seulement d’une importation ou d’une
diffusion) d’orientations, de contenus et d’instruments. Le recours au terme au terme de traduction se justifie d’autant plus que
la question du passage d’une langue à l’autre se pose aussi pour l’action publique (en particulier de la langue internationale,
l’anglais, vers d’autres langues) et que les notions qui circulent transnationalement sont souvent polysémiques, comme par
exemple la « tolérance zéro » en matière de politique de sécurité (Le Goff, de Maillard, 2009).
L’intérêt d’un usage au sens littéraire de la notion de traduction tient aussi au fait que dans les politiques publiques on peut
retrouver différents types de traduction (la traduction littérale, la traduction partielle, la traduction libre ou l’adaptation…) et
certains écueils de la traduction tels que les contresens (modifier radicalement le sens de l’original) ou les faux amis (reprendre
un même terme en lui donnant une signification différente comme pour l’activation dans les politiques d’emploi).
La traduction est également à prendre dans un sens plus sociologique qui conduit à s’intéresser aux traducteurs, autrement
dit aux acteurs de la traduction comme le fait la sociologie des sciences à la suite de Michel Callon (1986). Il utilise la notion de
traduction pour désigner le passage d’un univers scientifique à un autre. Dans ce cadre, il distingue analytiquement quatre
opérations composant la traduction : la problématisation qui correspond à l’activité de reformulation d’un problème afin de le
rendre acceptable, l’intéressement qui correspond aux activités de négociation scellant des alliances, l’enrôlement par lequel
des rôles sont assignés aux différents acteurs, et la mobilisation qui permet la réalisation de l’action. La sociologie de la
traduction appliquée à l’action publique dans un cadre transnational conduit donc, non seulement, à s’intéresser à la façon dont
circulent les modèles et les discours diffusés par des institutions internationales et européennes ou par des experts
transnationaux comme le font les travaux portant sur la convergence cognitive, mais aussi à analyser la façon dont sont
reformulés ces modèles et ces modes opératoires par d’autres acteurs (les traducteurs) et dont ceux-ci se mobilisent et
négocient avec d’autres acteurs pour introduire des changements dans l’action publique. Comme le met en avant la sociologie
des transferts culturels, les modèles extérieurs font l’objet d’appropriations, de réinterprétations et de dérivations par des
acteurs poursuivant des objectifs stratégiques nationaux.
Une analyse transnationale du changement en termes de traduction repose à la fois sur une comparaison des opérations de
traduction concernant le contenu de l’action publique (traduction au sens littéraire), sur celle des acteurs et de leurs stratégies
(sociologie des traducteurs) et sur celle des contextes dans lesquels s’opère la traduction et se mobilisent les traducteurs.
Comme l’a mis en avant John L. Campbell (2004) la traduction dépend du contexte institutionnel, des rapports de pouvoirs
existant et du degré de mobilisation politique des traducteurs ainsi que des capacités organisationnelles de mise en œuvre du
changement. C’est donc aussi à partir d’interactions d’acteurs contextualisées que peuvent être appréhendées les dynamiques
transnationales de changement. Plus qu’elles ne convergent, les politiques publiques actuelles correspondent à des construits
hybrides mêlant non seulement des logiques externes (convergentes) et internes (divergentes), mais aussi des composants a
priori contradictoires (en particulier l’étatisation et la libéralisation) ainsi que des éléments préexistants et des éléments
nouveaux. C’est sur la base de ce constat que peut être posée la question de la transformation de l’État à partir des
changements de l’action publique.
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1 - . Cette traduction nous paraît préférable à celle, plus littérale mais moins explicite, d’« équilibre ponctué », l’idée centrale étant celle de la survenance brutale
d’une rupture d’équilibre.
2 - . La traduction littérale de la notion est « dépendance au sentier », ce qui n’est guère parlant. Bruno Palier (2004) propose de la traduire par « dépendance au
chemin emprunté », ce qui reste métaphorique. Une traduction moins littérale mais plus explicite pourrait être « dépendance vis-à-vis des choix du passé ». Toutefois,
l’usage le plus habituel dans les travaux français est celui de la reprise telle quelle de la notion en anglais, ce que nous ferons ici.
3 - . Le comportement du vote sanction l’emporte donc sur celui du vote d’adhésion.
4 - . Période à la durée aléatoire que les médias qualifient souvent « d’état de grâce ».
5 - . Même s’il y a une certaine ambiguïté sur la question de savoir si le changement s’opère au sein des institutions existantes ou également par la création
de nouvelles institutions qui progressivement prennent le pas sur les anciennes.
6 - . Typologie qui, au demeurant, n’est pas exempte de confusion tant les différentes modalités sont assez proches : en particulier le déplacement et
l’empilement ainsi que la dérive et l’épuisement. D’ailleurs ce dernier type a été abandonné dans l’ouvrage de 2010.
7 - . Le point de départ de cette déclinaison de la convergence des politiques publiques est la caractérisation à cinq dimensions de C. J. Bennett (1991,
p. 218), précisée et étoffée.
8 - . Par rapport à la définition d’EPPIE nous avons simplement ajouté « cognitif », à nos yeux différent de « normatif ».
9 - . Issu du management économique il renvoie à un mode de décision qui s’appuie sur un standard ou un point de référence à partir duquel les
pratiques peuvent être comparées et ensuite classées de manière hiérarchisée. Un des exemples les plus nets au niveau européen est l’indicateur des
dépenses de recherche et développement rapportées au PIB, avec comme étalon et objectif un taux de 3 % correspondant au taux américain (Bruno,
Jacquot et Mandin, 2007).
Conclusion
La construction collective
de l’action publique
dans le cadre de l’État régulateur
L A PLUPART DES CADRES d’interprétation proposés pour caractériser les transformations de l’État à partir de celle des politiques
publiques mettent l’accent sur le caractère moins hiérarchisé de son mode de fonctionnement et sa perte de capacité d’action
autonome. Cet aspect est particulièrement mis en valeur par la notion, aujourd’hui très largement diffusée, de gouvernance
(Simoulin, 2003). Dans son acception scientifique, dans le cadre des politiques publiques, « la gouvernance peut être définie
comme un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux et d’institutions, en vue d’atteindre des objectifs définis et
discutés collectivement » (Le Galès, 2004b, p. 243). Elle renvoie de ce fait à deux dimensions fondamentales : d’une part des
rapports horizontaux entre acteurs étatiques et acteurs non étatiques (et non plus verticaux comme dans le cadre du
gouvernement, notion opposée à celle de gouvernance) ; d’autre part l’importance donnée à la négociation entre acteurs
multiples (mode de coordination rendant possible l’action publique).
Le rôle croissant des acteurs (publics et privés) européens, transnationaux et locaux érode, en effet, la capacité d’action
autonome de l’État. En cela, il ne s’agit pas seulement d’un processus de déterritorialisation de l’État mais aussi de
dédifférenciation. Ce processus est au cœur de la transformation de l’État qui est de moins en moins en mesure d’agir de façon
autonome du fait de la multiplication des acteurs et des niveaux de l’action publique. L’État agit de plus en plus en interaction
dans le cadre d’un processus de construction collective de l’action publique et non plus de production étatique des politiques
publiques. Cette construction collective de l’action publique a aussi pour conséquence d’éroder les frontières entre public et
privé. Le recours croissant aux acteurs privés (entreprises et groupes d’intérêts en particulier) dans la construction collective de
l’action publique s’inscrit dans une dynamique plus large de privatisation qui correspond non seulement à une dédifférenciation
de l’État par les politiques publiques, mais aussi à sa désinstitutionnalisation.
La privatisation de l’action publique se traduit d’une part par la transformation d’acteurs étatiques en acteurs privés prenant
en charge des domaines de politiques publiques, en particulier économiques (transport, communications, énergie, etc.), et,
d’autre part, par des interdépendances accrues entre acteurs publics et privés. On assiste également à des formes de retrait de
l’État par la réduction des effectifs de l’administration étatique dans le cadre de politiques budgétaires axées vers la réduction
des dépenses publiques. Enfin, les principes du « nouveau management public » sont de façon croissante au fondement des
réformes administratives et conduisent à la diffusion de normes inspirées par les entreprises privées au sein de l’administration
publique (Pollitt et Bouckaert, 2000). La dédifférenciation de l’État s’opère ainsi également au niveau des principes et des
finalités d’action désormais exprimés en termes principalement gestionnaires et financiers (performance, efficience, rentabilité,
équilibre budgétaire…).
Toutefois, du fait de sa polysémie et des usages multiples dont fait l’objet le terme « gouvernance », une certaine vigilance
critique s’impose. Il est tout d’abord frappant de constater à quel point le terme, au départ utilisé dans des travaux
académiques, est présent dans l’espace public au niveau international (la « bonne gouvernance » prônée par la Banque
mondiale, la « gouvernance mondiale »), au niveau national (la « nouvelle gouvernance »), au niveau local (la « gouvernance
urbaine », la « gouvernance territoriale ») et au niveau de l’entreprise (la « corporate governance »). Il est vrai que le terme a
plusieurs vertus du point de vue politique : tout d’abord, il est nouveau, il sonne « moderne » (notamment du fait de sa
connotation anglo-saxonne), il suggère donc fortement le changement ; il peut aussi être opposé à « gouvernement » et renvoyer
ainsi au recul de l’État et au rôle accru de la société civile. Ainsi, « gouvernance » peut à la fois signifier capacité réformatrice
du politique, transformation managériale de l’État, démocratisation de celui-ci et mise en place de nouveaux instruments
d’action publique.
La gouvernance s’expose aussi au même type de critique que les systèmes d’action concrets, à savoir une tendance à négliger
les spécificités des ressources politiques et des finalités du politique, donc à occulter les phénomènes de hiérarchisation liés au
pouvoir politique au sein de l’État1.
Il paraît donc préférable de s’appuyer sur une notion moins ambitieuse mais plus précise : celle d’État régulateur. Elle renvoie
en effet à deux évolutions interdépendantes des politiques publiques. La première est le passage progressif du faire au faire-
faire : l’État régulateur est un État qui agit plus indirectement que directement, qui est plus en interaction qu’en action, qui
délègue plus qu’il n’intervient directement, qui pilote et qui oriente plus qu’il ne met en œuvre. La deuxième évolution, qui
découle de la première, est le renforcement des capacités de contrôle étatique à travers le développement de l’audit, de
l’évaluation, du benchmarking, du contrôle de qualité, etc., notamment dans le cadre des agences. Elles renvoient à de
nouveaux modes d’organisation administratifs caractérisés par le ciblage des objectifs et des fonctions, la recherche de la
performance et la mise en place de nouvelles formes de contrôle (Talbot, 2004). La combinaison de ces deux logiques permet de
comprendre pourquoi la diffusion de la concurrence peut contribuer à l’affirmation de l’État par le développement d’instruments
de contrôle et d’évaluation, comme on peut le voir dans le domaine de la protection maladie (Hassenteufel, 2007) ou dans les
rapports entre l’État et les autorités locales au Royaume-Uni (Le Galès, 2004b) ; également dans quelle mesure l’avènement du
nouveau management public renforce le pouvoir politique (Rouban, 1998b) ou le développement d’agences indépendantes
facilite l’adoption de mesures impopulaires et améliore l’efficience de l’action publique (Thatcher, 2005, p. 366). Plus
généralement, le passage d’un État qui dirige les marchés à un État qui les soutient correspond à une nouvelle forme
d’interventionnisme étatique (Levy, 2006). La notion d’État régulateur permet ainsi d’articuler la dédifférenciation de l’État (en
termes de perte de capacité d’action autonome) et sa redifférenciation (en termes de capacité de pilotage et de contrôle accru
des politiques publiques). Elle a également une forte pertinence au niveau de l’Union européenne dont l’accroissement des
compétences s’est appuyé de manière privilégiée sur des politiques réglementaires (Majone, 1996).
Toutefois, cette notion recèle aussi des ambiguïtés et des confusions du fait des usages multiples dont elle fait l’objet, qui ne
sont pas sans poser des problèmes analytiques eux aussi (Moran, 2002). Surtout, la question de l’autonomie de cet État
régulateur se pose à deux niveaux : au niveau de l’orientation générale de son action et au niveau des acteurs qui le composent.
Au premier niveau, de nombreux auteurs soulignent que les finalités de l’État sont définies de manière fortement contrainte, par
les dynamiques économiques internationales en particulier. Comme l’illustre le cas des banques centrales, la mise en place
d’« institutions non majoritaires » vise avant tout à adresser des signaux aux opérateurs économiques internationaux (Jobert,
2003). L’État ne serait alors que l’instrument du tournant néolibéral auquel il ne peut que s’adapter. Si le lien entre État
régulateur et diffusion de la logique du marché est net, il n’en reste pas moins que les nouvelles institutions étatiques,
notamment les agences, peuvent aussi faciliter la défense du consommateur face aux entreprises, celle du citoyen face aux
institutions publiques (ainsi dans le cas du médiateur) et privées et être porteuses de normes opposées au marché, par exemple
celles liées à la prévention des risques à travers le développement des agences dans le domaine de la santé et de
l’environnement. Celles-ci s’inscrivent par là dans des dynamiques de reformulation de l’intérêt général. La nature de l’État
régulateur n’est donc pas déterminée a priori (Jordana et Levi-Faur, 2004, p. 10-11).
Au second niveau se pose la question de l’autonomie des acteurs, tant par rapport aux groupes d’intérêts que par rapport aux
acteurs politiques qui peuvent exercer des contrôles formels et surtout informels (Thatcher, 2005). Les institutions de l’État
régulateur contribuent toutefois à renforcer la figure de l’expert (Papadopoulos, 1995) au risque d’entrer en tension avec les
principes démocratiques en dépolitisant et en technicisant les enjeux de politiques publiques, comme l’illustre, en France, le
renforcement de l’expertise technocratique par les agences sanitaires (Benamouzig et Besançon, 2005, p. 314). Mais,
conformément au modèle pragmatique d’Habermas (1978), l’expertise peut aussi contribuer à la structuration du débat public.
La politisation, au sens large de débat public, participe alors de la remise en cause d’arrangements corporatistes et permet une
réaffirmation des principes défendus par l’État en interaction.
Ainsi, la sociologie politique de l’action publique met à nu le caractère contradictoire et hybride des transformations de l’État
contemporain plus qu’elle ne dévoile son évidement et son déclin.
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1 - . Les notions d’État partenaire ou d’État animateur, plus liées au débat français, ou encore d’État facilitateur (enabling State), s’exposent au même type de
remarques.
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Index
Deuxième Index
Lobby : 58
Path dependence : 242, 256, 258, 259, 260, 262
Policy sciences : 21, 22, 23, 27, 30, 41, 44, 45, 91, 94, 95, 156, 186, 232, 233
Think-tank : 27, 224, 225, 226