Compte rendu : Marie-Anne PAVEAU, L’Analyse du
discours numérique. Dictionnaire des formes et des
pratiques , Paris, Hermann, collection “ Cultures
numériques ”, 2017
Yosra Ghliss
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Yosra Ghliss. Compte rendu : Marie-Anne PAVEAU, L’Analyse du discours numérique. Dictionnaire
des formes et des pratiques , Paris, Hermann, collection “ Cultures numériques ”, 2017. 2018, pp.197.
�10.3917/ls.165.0197�. �hal-02146315�
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Marie-Anne Paveau
L'analyse du discours numérique. Dictionnaire des formes et des pratiques
Hermann, coll. Cultures numériques, 2017
Compte-rendu de Yosra Ghliss
Praxiling UMR 5267- CNRS - Université Paul-Valéry Montpellier 3
À l’heure où le numérique ne cesse d’être au cœur de nombreux travaux en sciences du langage, le
livre L’analyse du discours numérique : dictionnaire des formes et des pratiques de Marie-Anne
Paveau vient répondre à un besoin pressant éprouvé par un grand nombre de chercheur.e.s
travaillant sur le numérique. Il propose un cadrage épistémologique à travers lequel les différents
phénomènes numériques peuvent être pensés et travaillés dans la réflexion linguistique. L’ouvrage
apparait dans un contexte de forte remise en cause des modèles conceptuels. À titre d’exemple,
Louise Merzeau, citée dès l’introduction, souligne que le numérique provoque une transformation
environnementale et qu’« une telle mutation (…) remet en question les modèles conceptuels qui
servent à les formaliser. » (2009 : 23). Du côté des sciences du langage et particulièrement de
l’analyse de discours, on trouve une remarque similaire chez Dominique Maingueneau qui, en
abordant le discours du Web, précise que ces « nouveaux objets (…) exigent de nouvelles méthodes
et de nouveaux concepts » (2014 : 48). Le livre vient donc répondre à cette nécessité « de repenser
l’équipement théorique et méthodologique de l’analyse du discours » (2017 : 14).
Il n’est peut-être pas anodin de mentionner que ce volume conséquent de 400 pages est le fruit d’un
travail en ligne entamé depuis 2011 avec le carnet de recherche Technologie discursive
(https://technodiscours.hypotheses.org). Le format imprimé vient ainsi concrétiser des années de
travail scientifique. Le livre se présente sous la forme d’un dictionnaire classique avec une
introduction, des entrées agencées alphabétiquement, un index des notions permettant aux
lecteur.ices de se repérer dans son contenu, un autre pour les noms et enfin une bibliographie très
riche. Dès l’introduction, le projet scientifique du livre est mis en avant : la chercheuse a saisi cet
espace discursif pour poser son arrière-plan théorique et proposer son cadre d’analyse fondé sur une
approche écologique du discours numérique. Elle plaide pour une linguistique symétrique et
postdualiste et s’éloigne de ce fait des approches logocentrées de certains travaux usant des
concepts prénumériques, concepts qui ne permettent pas de rendre compte de la spécificité du
discours natif du web. Elle souscrit en ce sens à la nuance introduite par Pierozak (2014), pour qui il
s’agit de prendre le numérique « as corpus » et non « for corpus », comme il est souvent fait dans la
Communication Médiée par Ordinateur, par exemple. L’entreprise de l’Analyse du discours
numérique (désormais ADN) entend saisir le numérique en analysant les productions verbales au
sein de leur milieu natif, qui est le web. Le numérique ici n’est pas un simple corpus, il est pensé
comme un écosystème modifiant la nature même du signe linguistique, signe devenu à la fois
langagier et technique.
Le livre propose ensuite 31 entrées qui, loin d’être de simples notices, se rapprochent du format
d’articles, avec une partie théorico-descriptive et une autre analytique. Cette architecture textuelle,
si elle témoigne de la grande rigueur scientifique de la chercheuse, souligne également la riche
documentation qui accompagne chaque entrée en proposant une analyse d’exemples authentiques
extraits du Web. À défaut de pouvoir saisir la diversité des phénomènes embrassés dans le livre, je
propose une lecture des entrées selon quatre ordres différents.
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La Première série rassemble des entrées d’ordre théorique et épistémologique à travers lesquelles la
chercheuse présente son entreprise d’écologie discursive. En effet, des entrées comme « Analyse de
discours numérique », « corpus numérique natif » ou encore « écologie discursive » renvoient aux
propositions épistémologiques de l’ADN. À l’inverse, les entrées « communication médiée par
ordinateur » ou « dualisme numérique » proposent des articles d’ordre critique contre lesquels toute
l’entreprise de l’ADN s’est construite. La deuxième série est celle des entrées renvoyant à de
nouvelles catégories descriptives, pensées pour les écosystèmes numériques. Ainsi, les entrées
« Technogenre », « technodiscours rapporté », « Technographisme » ou encore « mémoire
technodiscursive » constituent des concepts linguistiques qui, grâce à l’ajout du morphème
« techno- », viennent souligner le caractère composite inhérent du discours natif du web. Ces
concepts sont le pilier du travail de la linguistique numérique. Dans ce même groupe, nous pouvons
aussi inclure les entrées « Lois du discours numérique » et « éthique du discours numérique » ou
encore « cyberviolence discursive » qui viennent souligner la jonction entre la théorie du discours et
des notions relatives à la culture numérique. Par exemple, avec l’entrée « énonciateur numérique »,
Paveau définit un ensemble de locuteurs « nées sur internet, et qui n’ont pas d’équivalent hors
ligne » ; ils sont ainsi « nommés d’après leurs comportements langagiers en ligne » (149). Cette
catégorie permet de rendre compte discursivement de nouvelles figures natives du web, comme les
« Troll » ou le « Gammar Nazi ». Il y a ensuite la troisième série d’entrées qui rassemble non pas
des concepts d’analyse à proprement parler, mais des propriétés du discours numérique. Ce sont les
entrées « composite » : « relationalité », « imprévisibilité », « délinéarisation », « augumentabilité »
et « investigabilité », qui renvoient aux six traits du discours natif du web présentés à la page 28.
Enfin, la dernière série rassemble tous les concepts non linguistiques qui, selon Paveau, gagnent à
être intégrés comme nouveaux paramètres de l’ADN. On trouve ici soit des outils conceptuels
d’autres disciplines comme « extimité » (qu’elle emprunte à la psychologie sociale de Serge
Tisseron, 2011), « Produsage » d’Axel Burns (2007), ou encore « environnement », emprunté à la
cognition sociale comme une alternative aux notions classiques de « contexte » ou « conditions de
production ». Dans ce groupe, on trouve aussi des entrées comme « couleur », « hashtag »,
« tweet », « hypertexte », « pseudonyme », ou encore « algorithme », qui renvoient à des catégories
préexistantes que la chercheuse intègre à sa réflexion en tant que nouveaux paramètres de l’ADN.
Au-delà de la réflexion théorique que le livre offre, nous pouvons aussi saluer le travail d’analyse
proposé pour certains phénomènes. Ainsi, dans l’entrée « Hashtag » par exemple, après avoir défini
et décrit le fonctionnement de cette pratique technodiscursive, la chercheuse soumet une étude de
cas très minutieuse du hashtag #NotInMyName, en allant de la généalogie du slogan jusqu’à ses
incidences discursives et polémiques.
Pour conclure, nous dirons que L’Analyse du discours numérique remplit parfaitement son objectif :
ses différentes entrées constituent des outils de travail très précieux qui cernent pleinement cette
« conversion numérique du discours ». L’ouvrage de Marie-Anne Paveau vient ainsi signer un
travail épistémologique exceptionnel à travers lequel elle propose de repousser les frontières
habituelles de la réflexion linguistique et invite à épouser la complexité de l’écosystème numérique.
Il constitue d’ores et déjà une référence incontournable pour les recherches en linguistique
numérique car il a su apporter un nouveau souffle théorique à la discipline.
Maingueneau, D. (2014). Discours et analyse du discours : Introduction. Armand Colin.
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Merzeau, L. (2009). « Présence numérique : les médiations de l’identité», Les Enjeux de
l’information et de la communication 1, p. 79-91. 2009, « Du signe à la trace, ou l’information sur
mesure », Hermès 53, p. 23-31.
Pierozak, I. (2014). « Corpus numériques et sens : enjeux épistémologiques et politiques », in M.
Debono (dir.), Corpus numériques, langues et sens, Berne, Peter Lang, p. 95-118.
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