CHAPITRE II : REVOLUTION INDUSTRIELLE
La révolution industrielle (anglaise) est la première véritable révolution industrielle connue par
l’humanité. Cette révolution constitue un « passage d'une économie fondée sur l'agriculture et
l’artisanat à une économie reposant sur l’industrie et la production mécanisée et à grande échelle
». Elle est d’origine anglaise et s’est déroulée entre les années 1760 et 1830, pour se diffuser
progressivement à l’Europe continentale, aux USA, puis au Japon et au reste du monde.
1. Définition et caractérisation de la révolution industrielle
En tant que notion économique, la Révolution industrielle peut être définie comme « une
série de changements profonds affectant les conditions de production : énergie, matière
première, technique de production, et moyen de transport et de communication ». Au
moins Trois révolutions industrielles ont eu lieu depuis la fin du 18ème siècle :
1ère Révolution industrielle (anglaise, fin 18e S): l’ère de la mécanisation avec
l’introduction de la machine à vapeur, le charbon, le chemin de fer, etc.
2ème Révolution industrielle (fin 19ème S) : l’amélioration de la mécanisation avec
l’introduction du moteur à combustion, le pétrole, l’électricité, les produits pétrochimiques
(plastiques, caoutchouc, etc.), l’automobile, la grande entreprise (fordisme), etc.
3ème Révolution industrielle (depuis les années 1960) : l’ère de l’automatisation avec
l’introduction de l’informatique, la robotique, l’énergie renouvelable, etc.
Depuis le début du 21è Siècle, avec l’internet, le digital, l’intelligence artificielle, etc., on
parle de la 4ème Révolution industrielle ou de « l’industrie 4.0 »
Par ailleurs, l’utilisation de la finance digital est considérée par certains chercheurs comme
la 5ième révolution industrielle que le monde ait connue.
2. Les manifestations de la « révolution industrielle »
a. Le début de la croissance économique moderne
La révolution industrielle (anglaise) constitue une rupture majeure dans l’histoire de
l’humanité, et apparaît comme le point de départ de ce que Simon Kuznets (Prix Nobel
d’Economie en 1971) appelle la croissance économique moderne, c’est-à-dire un processus
cumulatif d’accroissement simultané de la population, de la production et du revenu par tête.
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Ce phénomène qui s’est déroulé en Angleterre entre 1760 et 1830 s’est manifesté par
l’apparition d’innovations dans les secteurs du textile (machines à tisser), du «machinisme»
(perfectionnement de la machine à vapeur), de la sidérurgie et la métallurgie (diffusion des hauts
fourneaux au coke…) et un peu plus tard dans le domaine du transport.
Le caractère révolutionnaire de ces transformations est certes atténué par le fait que les
innovations sont tributaires d’améliorations antérieures. Par exemple, le cas de la machine à
vapeur, dès la fin du XVIIe siècle Savery crée une machine à pomper l’eau des mines, en 1712
Newcomen améliore la machine… Mais une vraie rupture se déroule bel et bien à partir de la
décennie 1760-1770 qui tient à l’ampleur et au nombre des innovations, à l’intensité de leur
diffusion, aux inflexions observables dans la croissance des gains de productivité et de la
production industrielle.
On constate l’apparition dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle de multiples inventions et
innovations techniques dans un nombre relativement réduit de secteurs industriels
principalement le textile (qui occupe alors 60 à 70% du total des actifs des industries
manufacturières), le « machinisme », la métallurgie ainsi que le transport et la chimie.
b. Inventions et innovations
La recherche fondamentale, financée par les administrations publiques, a vocation à générer
des inventions et à accroitre le stock des connaissances disponibles pour les entreprises qui,
elles, les transforment en innovations. L'innovation consiste, pour une entreprise, à appliquer
une invention ou une idée nouvelle dans un domaine industriel, organisationnel ou commercial.
Elle peut être qualifiée de majeure lorsqu’elle modifie profondément les conditions
d'utilisation du produit ou s'accompagne d'une rupture technologique. Elle est qualifiée
d’incrémentale lorsqu’elle ne bouleverse pas significativement les conditions d'usage et l'état
de la technique. Selon Joseph Schumpeter, l'innovation peut prendre cinq formes :
• La création de produits nouveaux qui accroissent la diversité et améliorent la qualité ;
• L’apparition de nouveaux procédés (nouvelles méthodes de production ou de
transport) ;
• La découverte d’une nouvelle source de matière première ou d’énergie ;
• Des innovations commerciales (en matière de distribution par exemple…) ;
• La mise en place de nouveaux types d’organisation (structures sociétaires…).
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Le secteur de la métallurgie connaît lui aussi des bouleversements techniques à la même époque
comme la substitution du coke au charbon de bois pour alimenter les hauts fourneaux et
produire la fonte.
Dans les transports, le Français Cugnot utilise en 1770 l’action directe du piston sur la manivelle
pour actionner une roue motrice mettant ainsi au point un premier véhicule terrestre à vapeur.
En 1783 Jouffroy d’Abbans fait naviguer un premier bateau à vapeur. Plus tard, Trevithick
effectue les premiers essais de locomotives à vapeur.
Dans le secteur de la chimie le chlore est découvert en 1774 par Scheele et utilisé très vite dans
le blanchiment industriel des tissus.
L’histoire économique quantitative fait ressortir une nette rupture en Angleterre en matière de
croissance de la production industrielle dans les années 1760-1770.
La production d’articles manufacturés existait bien entendu avant la révolution industrielle dans
le cadre d’une organisation qualifiée de proto-industrialisation. En matière d’organisation du
travail la proto-industrialisation se fonde sur deux systèmes légèrement différents : les Domestic
System et Putting-out System (Mantoux, 1906).
Du XVIème siècle à la première Révolution industrielle, le Domestic System est une relation
commerciale entre les agriculteurs isolés en campagne et les négociants localisés dans des
villes d’où ils dirigent leurs affaires. Les négociants leur passaient des commandes (de tissus
ou de petits objets) que les paysans réalisaient à domicile, le plus souvent avec leurs propres
outils. Dans le modèle du putting-out, le négociant apporte les consommations
intermédiaires.
Le choix de l’internalisation a été fait durant la Révolution industrielle pour mieux la
contrôler (selon les marxistes), gagner en efficacité pour les institutionnalistes dans la
lignée de Ronald Coase (« The Nature of the Firm », Economica, 1937). L’organisation de la
production industrielle au sein de grandes manufactures a permis de réaliser de très importants
gains de productivité.
3. Le capitalisme et la révolution industrielle
Le capitalisme dominait l’Europe (et progressivement le reste du monde) depuis la révolution
industrielle anglaise jusqu’aux années 1970. Dans ce capitalisme, l’industrie est la première
activité économique et elle est la principale source d’enrichissement. L’accumulation de capital
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s’y fait par le réinvestissement des profits réalisés en les transformant en de nouveaux moyens
de production (machines, matières premières, et usines…).
L’originalité de la révolution industrielle tient à l’ampleur et au nombre des inventions, à
l’intensité de leur diffusion, et à la croissance cumulative des gains de productivité et de la
production industrielle. Sur le plan de la production, cette révolution a touché :
➢ A la nature de la production : le déclin de la production agricole et artisanale et
l’accroissement de la production industrielle et les articles manufacturés ; l’apparition
de nouvelles activités (coton, sidérurgie (métallurgie), mécanique, métallurgie …)
➢ Aux modes de production : la substitution de la machine au travail manuel
(machination de la production), l’utilisation du charbon (vapeur) comme source
d’énergie (avant la révolution industrielle, les seules sources d’énergie disponibles
étaient le vent, l’eau et l’énergie humaine et animale brutes) ; une nouvelle forme
d’organisation de travail (la division du travail ou la spécialisation des tâches) ;
➢ A la localisation de la production : la production se fait désormais dans des usines, en
zones urbaines, et non plus à domicile et en zones rurales ;
➢ A la nature de l’emploi : le développement du salariat (travail salarié).
Trois industries sont particulièrement touchées par cette révolution : le textile, l’énergie et la
métallurgie.
a. Le textile
L’innovation dans l’industrie textile est le point de départ de la première révolution industrielle.
Cette industrie fut la première à être mécanisée. Une vague d’inventions a en effet révolutionné
les méthodes de filage, de tissage et d’impression des motifs et des couleurs. La navette
volante en est la première et la principale, diffusée dans le tissage du coton vers 1760, elle a
amélioré la productivité d’environ 30 %.
b. L’énergie
La découverte et l’utilisation du charbon comme source d’énergie a révolutionné les méthodes
de production et de transport. Ces méthodes sont mécanisées par l’introduction de la machine
à vapeur (bateau à vapeur en 1807, la locomotive à vapeur en 1804).
c. La métallurgie
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Avec l’invention et la diffusion des hauts fourneaux au coke (fourneau utilisant du charbon
chauffé à 1200 à 1350°) dans la sidérurgie et la métallurgie, le fer est alors utilisé en grande
quantité dans la production de ponts, de chemins de fer et d’immeubles.
4. Facteurs ayant contribué à la révolution
a. La renaissance de l’Europe
Elle succède au Moyen-âge et a permis une forte production intellectuelle dans tous les
domaines (âge des lumières). Elle a permis de libérer les esprits et les initiatives individuelles,
ce qui a provoqué un large mouvement de découvertes scientifiques et d’inventions techniques
ainsi que géographiques (colonisation). Dans le domaine économique, cette renaissance
correspond à deux étapes importantes de la pensée économique, le mercantilisme (richesse
provenant du commerce) et la physiocratie (richesse provenant de la terre) qui ont constitué
une source d’inspiration pour A. Smith et son courant libéral.
b. La révolution agricole
Elle s’est déroulée, essentiellement durant le 17ème siècle, et a permis de réaliser des gains
importants de productivité. Ces gains ont permis à l’agriculture de libérer de la main-d’œuvre
à l’industrie et de lui offrir des débouchés (machines et techniques agricoles) et de susciter la
naissance des industries textiles et sidérurgiques. De plus, cette révolution a permis l’apparition
d’entrepreneurs et de grands propriétaires fonciers détenteurs de capitaux qui les avaient
investis par la suite dans l’industrie. La productivité du sol a doublé, en même temps celle du
travail suite à un meilleur savoir-faire à l’utilisation d’instruments plus performants et à un
meilleur emploi de la traction animale. Par ailleurs, le développement des « enclosures » a
permis de développer plus facilement les cultures fourragères (pour l’élevage) et l’élevage.
c. La progression de la demande
Durant le 18ème siècle, l’Angleterre, a connu une croissance importante de la demande en
produits, dû à la fois à la croissance démographique et à l’influence du commerce extérieur.
Alors que la pression de la demande appelle le progrès technique pour augmenter la production,
la croissance démographique a fourni de la main d’œuvre moins chère pour l’industrie.
• Le commerce extérieur
Le commerce international constitue un vecteur potentiel de pression de la demande (demande
externe) en même temps qu’il permet une accumulation préalable de capital. Le commerce
extérieur a fourni à la fois de nouveaux marchés et de nouvelles sources de matières premières.
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Depuis la fin du XVIIe siècle, la Grande-Bretagne a imposé sa domination maritime et dispose
au milieu du XVIIIe siècle d’importants débouchés coloniaux (en Amérique du Nord, Asie).
• La consommation intérieure
La population anglaise a progressé à un rythme soutenu à partir de 1740 (passant de 7,4 millions
d’habitants en 1750 à 10,7 millions en 1800 et 20,6 millions en 1850). La poussée
démographique pourrait être à l’origine de la hausse de la demande textile. Mais
l’influence dynamisante de la croissance démographique est contestée dans une perspective
malthusienne. Du fait de l’insuffisance des ressources de subsistances, la croissance
démographique provoque une hausse des prix et une baisse des salaires réels qui la ramène à
son niveau initial (à travers les conséquences de la malnutrition).
d. Le développement de la production et du transport
Les transformations de la révolution industrielle ont bouleversé les techniques de productions.
La mécanisation de l’industrie permet désormais une production textile et métallurgique
massive à des prix bien plus bas qu'auparavant. Elles ont aussi bouleversé les modes de
transports dont le chemin de fer et les bateaux à vapeur ayant a permis la baisse des coûts de
transports et l’élargissement des marchés ainsi que la facilité d’y accéder.
4. Les conséquences sociales de la révolution industrielle
La révolution industrielle a entraîné un bouleversement majeur dans la structuration de la
société. A l'ancien régime (noblesse, clergé, tiers état) se substituent de nouvelles classes
sociales formées par l'expansion de la bourgeoisie et la naissance de la classe ouvrière.
a. L’explosion démographique, l’exode rural, et l’urbanisation
En améliorant les conditions de vie dans les régions urbaines, la révolution industrielle a
entrainé une croissance exponentielle de la population urbaine qui a été renforcée par les flux
importants des gens venant des régions rurales. Le taux d’urbanisation est passé (en Angleterre)
de 14% en 1750 à 48,3% en 1840. La population agricole a quitté les campagnes pour aller dans
les villes y travailler dans l’industrie : la part de la population agricole est passée de 46% à
28,6% en l’Angleterre entre 1750 et 1850.
b. La division sociale : expansion de la bourgeoisie et naissance de la classe ouvrière
Deux classes vont se constituer et devenir antagonistes : la classe ouvrière et la classe capitaliste
(bourgeoisie). La bourgeoisie qui existe depuis le Moyen Age, où elle occupait des activités
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artisanales et commerciales, a eu un avantage certain à la naissance de l'industrie. La classe
ouvrière est certainement le phénomène social le plus spectaculaire qui ait été créé par la
révolution industrielle (diffusion massive du salariat, c'est-à-dire l'augmentation du nombre de
travailleurs touchant un revenu sous forme de salaires). Cette nouvelle division sociale a
favorisé les rapports d’exploitation en enrichissant les capitalistes et appauvrissant les ouvriers.
Il faudra attendre la seconde moitié du 20e siècle pour voir cette distinction s’atténuer avec la
montée en puissance de la classe moyenne.
c. Amplification des mouvements de colonisation
La révolution industrielle anglaise a été à l’origine d’une véritable course à la conquête de
nouveaux territoires pour servir les industries des grandes puissances. L’Europe des 18ème et
19ème siècles, particulièrement l’Angleterre et la France, se partageaient presque le monde
entier sous forme de colonies. Cette course à la colonisation a été déclenchée principalement
par le besoin à la fois de trouver des débouchés à la surproduction générée par la révolution
industrielle et de trouver de nouvelles sources de matières premières.
d. La formation des Mouvements associatifs des ouvriers
L'insalubrité des logements et les conditions de vie dégradantes, mais aussi les accidents du
travail dus aux machines, conduisent à une surmortalité dans la classe ouvrière. Des
mouvements ouvriers apparaissent (mouvement réformateur, unioniste, socialiste etc.) en
réaction à la misère et à l'insécurité ouvrière.
e. L’évolution du rôle de l’Etat
Les développements induits par la révolution industrielle ont conduit les Etats à s’engager dans
la vie économique à la fois pour maintenir, voire amplifier le processus d’industrialisation, et
pour en atténuer les conséquences négatives sur la classe ouvrière, et ultérieurement sur
l’environnement. L’engagement des Etats se fait à travers les politiques économiques.