Recherches
Rédacteur en chef
Sébastien Langevin
Présentation graphique
CGI
Conception graphique
et applications
miz’enpage
Directeur de la publication
Jean-Pierre Cuq – FIPF
N°52
JUILLET 201 2
PRIX DU NUMÉRO 18€
Histoire internationale
de l’enseignement du français
langue étrangère ou seconde :
problèmes, bilans et perspectives
Coordonné par Marie-Christine Kok Escalle,
Nadia Minerva et Marcus Reinfried
Comité scientifique de la revue
Le français dans le monde / Recherches et applications
Présidence du comité scientifique :
Francis Carton (Université Nancy 2, France),
Danièle Moore (Simon Fraser University, Canada)
et Geneviève Zarate (INALCO, France)
Comité de lecture
Evelyne Bérard (Université de Franche-Comté, France) ; Robert Bouchard
(Université Lumière Lyon II, France) ; Patrick Chardenet (Agence universitaire
RECHERCHES ET APPLICATIONS de la francophonie) ; José Carlos Chaves da Cunha (Universidade Federal
Le français dans le monde
9 bis, rue Abel Hovelacque
do Pará, Brésil) ; Francine Cicurel (Université Sorbonne Nouvelle Paris III,
75013 Paris France) ; Jean-Pierre Cuq (Université de Nice Sophia-Antipolis, France) ;
Téléphone : 33 (0) 1 72 36 30 67
Télécopie : 33 (0) 1 45 87 43 18 Piet Desmet (Université catholique de Leuven, Belgique) ; Pierre Dumont
Mél : [email protected] (Université des Antilles et de la Guyane, France) ; Enrica Galazzi-Matasci
http://www.fdlm.org
(Université Catholique de Milan, Italie) ; Claire Kramsch (University
© Clé International 2012 of California, Berkeley, États-Unis) ; Jean-Emmanuel Le Bray (Université
Commission paritaire 0407T81661
La reproduction même partielle Stendhal Grenoble III, France) ; Pierre Martinez (Université de Paris VIII
des articles parus dans ce numéro Vincennes-Saint-Denis, France) ; Samir Marzouki (Université de la Manouba,
est strictement interdite,
sauf accord préalable. Tunisie) ; Franz- Joseph Meissner (Justus-Liebig Universität Gießen,
Allemagne) ; Jean Noriyuki Nishiyama (Université de Kyoto, Japon) ;
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE Maria-Luisa Villanueva (Université Jaume I de Castellón, Espagne) ;
est la revue de la Fédération
internationale des professeurs Tatiana Zagryazkina (Université d’État de Moscou Lomonossov, Russie) ;
de français (FIPF) Zheng Lihua (Université des Études étrangères du Guangdong, Chine).
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ABONNEMENT 1 AN 29 € (soit 20% de réduction)
2 Recherches & Applications à paraître
(janvier et juillet de l’année en cours)
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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE - 9 BIS, RUE ABEL HOVELACQUE
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Cher lecteur de la revue
Le français dans le monde / Recherches et applications
Que vous soyez étudiant ou doctorant en et leur qualité, et progressivement des
français langue étrangère, enseignant exer- comptes rendus d’ouvrages et de thèses.
çant dans l’enseignement primaire, secon- Les trois actuels co-présidents du Comité
daire ou universitaire, dans un pays scientifique sont les témoins des ancrages
francophone ou non, directeur de recherche historiques qui ont constitué le socle de la
à l’université, tous soucieux de suivre les recherche actuelle en didactique du fran-
évolutions de l’enseignement du français à çais et des langues, tous les trois ayant
l’échelle du monde, pour vous la revue participé ou participant activement au
Le français dans le monde / Recherches et CRAPEL, BELC, CREDIF. Ils ont participé
applications est un repère professionnel régulièrement, et depuis plusieurs années,
incontournable. La revue vous remercie de au Comité scientifique de la revue et y ont
votre fidélité et de la crédibilité scientifique manifesté leur attachement en y publiant
que vous lui accordez. et/ou dirigeant des numéros. Ils poursui-
Comme elle l’a montré lors du Congrès de vront dans cette voie, tout en resserrant
juillet 2008 à Québec, la FIPF est sensible les liens avec l’Agence universitaire de la
aux évolutions qui font de l’espace de la francophonie et en œuvrant à des colla-
connaissance un monde plurilingue, multi- borations ponctuelles avec la Revue
polaire, globalisé. La revue souhaite y canadienne des langues vivantes / The
maintenir sa position d’acteur de premier Canadian Modern Language Review.
plan, en anticipant et conduisant ces évo-
Pour le Comité scientifique, les co-présidents
lutions et en affirmant la contribution de la Francis Carton, Université Nancy II,
langue française à cet espace mondialisé. CRAPEL/ATILF/CNRS
Pour garantir cette fonction d’excellence, Danièle Moore, Université Simon Fraser,
Vancouver et DILTEC,
le Comité scientifique initie une politique Université Sorbonne Nouvelle Paris III
de publication qui reste fidèle à son objec- Geneviève Zarate, Institut national des langues
tif de toujours : animer le débat en didac- et civilisations orientales (INALCO),
JE 2502 PLIDAM
tique des langues et des cultures, au
service d’une diffusion de qualité de la
langue française dans le monde, en étant Ce numéro célèbre le 25e anniversaire de la
plus que jamais à l’écoute des innovations Société Internationale pour l’Histoire du
Français Langue Étrangère et Seconde
et des mutations.
(SIHFLES). La revue Le français dans le
Dans cette perspective, votre revue s’est monde. Recherches et applications et la
progressivement ouverte plus aux SIHFLES entretiennent des relations scienti-
équipes de recherche qui contribuent à fiques durables (en 1998, un numéro préfi-
cet objectif, en leur confiant la coordina- gurateur de la SIHFLES, intitulé Histoire de la
diffusion du français, était déjà paru dans
tion d’un numéro, où qu’elles travaillent notre revue) et riches (des membres du
dans le monde. La revue a modifié la Comité scientifique ont été et sont aussi
structure éditoriale jusque-là en usage, membres actifs de la SIHFLES). Cette collabo-
pour témoigner de la vigueur des travaux ration originale entre deux revues témoigne
ici d’un champ de réflexion partagé.
des jeunes chercheurs en y incluant des
Le comité scientifique du Français dans le
articles hors de la thématique générale monde. Recherches et applications.
du numéro, sélectionnés pour leur intérêt
ISBN : 978-2-09-037125-3
Histoire internationale de l’enseignement
du français langue étrangère ou seconde :
problèmes, bilans et perspectives
Présentation This article, the result of a joint and mutually comple-
MARIE-CHRISTINE KOK ESCALLE, mentary venture, outlines the methodological and
NADIA MINERVA ET MARCUS REINFRIED................................7 epistemological frame for the historiographical study of
the teaching of French (as a first or second language),
with reference to the various disciplinary approaches
concerned : the history of societies and cultures
Domaines, enjeux, (replaced in their political and economical context) ; the
approches history of linguistic thought and the history of lan-
guages ; the history of didactic conceptions. The arti-
Les domaines à explorer et l’évolution historique cle ends with an overview of the various factors that
NADIA MINERVA ET MARCUS REINFRIED..............................14 affect the evolution of didactic theories and practices.
L’article analyse les principaux facteurs de l’enseigne-
Le facteur religieux dans la diffusion du français
ment-apprentissage du français langue étrangère et hors de France
développe une modélisation qui peut servir de tertium MARIE-CHRISTINE KOK ESCALLE
comparationis entre les différents pays européens ou ET K ARÈNE SUMMERER-SANCHEZ .......................................49
les enseignements de différentes langues. Le contexte La diffusion du français hors de France a, du XVIe au
social et culturel et ses mutations au fil des siècles sont XXe siècle, souvent été en rapport avec un facteur reli-
pris en compte par la description de la translatio stu- gieux, que ce soit la confession (refuge des protes-
diorum à l’échelon européen. tants, exils des catholiques) ou les institutions (écoles
The article analysis the principle factors of teaching and des congrégations, AIU). Ce rapport, au cœur d’un jeu
learning French as a foreign language and creates a de pouvoirs, est d’une grande influence sur les identi-
modelisation which can serve as a tertium comparatio- tés des apprenants.
nis for different European countries and for the teach- From the 16th until the 20th century, the spread of French
ing of different languages. The social and cultural language abroad has often been linked with a religious
context and its changes in the course of the centuries factor, due to confessions (exiled Protestants and Catho-
are being considered by describing the translatio stu- lics) or to denominational schools. This link has been
diorum at a European level. central to powers’ confrontations, and had an important
influence on the students’ identity building process.
Contextes et disciplines de référence
dans l’enseignement du français Méthodes, techniques d’enseignement
(langue étrangère/seconde) du français comme L2 : éléments
WILLEM FRIJHOFF, JAVIER SUSO LÓPEZ
pour une réflexion historiographique
ET PIERRE SWIGGERS ..........................................................29 MICHEL BERRÉ ET HENRI BESSE ........................................62
Cet article, fruit d’un travail de collaboration complé- La question méthodologique est sans doute constitu-
mentaire, esquisse le cadre méthodologique et épisté- tive de l’enseignement/apprentissage des L2 dans la
mologique de l’étude historiographique de mesure où toute action s’accompagne nécessairement
l’enseignement du français (langue première ou d’une réflexion sur les moyens utilisés. Après avoir
seconde), par rapport aux disciplines concernées : l’his- précisé les notions de méthodologie, méthode et tech-
toire des sociétés et des cultures (dans leur contexte nique d’enseignement, les deux auteurs esquissent
politique et économique), l’histoire de la pensée linguis- une synthèse des idées méthodologiques de la Renais-
tique et l’histoire des langues, l’histoire des conceptions sance à la fin du XXe siècle, essentiellement celles qui
didactiques. L’article se termine par un relevé des diffé- ont été développées en Occident. Ils proposent in fine
rents facteurs qui ont une incidence sur l’évolution des un recentrage de la méthodologie sur les techniques
théories et des pratiques didactiques. d’enseignement et sur leur histoire.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
5
Methodology pertains to the very issue of L2 teaching Culture has been a research subject for historians of
and learning in so far that all action is inescapably linked teaching French as a Foreign Language. They can ana-
to a reflection on the means used to implement it. After lyse how, during the centuries, the cultural matters were
defining the notions of methodology, method and working in language schoolbooks and in teaching/
teaching technique, both authors elaborate a synthesis learning practices.
of methodological ideas from the Renaissance to the
20th century, essentially those developed in the West.
Le texte littéraire dans l’enseignement du FLE :
They suggest in fine a new focussing of methodology histoire, variations et perspectives
along the lines of teaching methods and their history.
JUAN GARCÍA-BASCUÑANA ET ANA CLARA SANTOS ...........120
Pendant plus de deux siècles l’enseignement du FLE et
Formation des enseignants et histoire de la diffusion
et de l’enseignement des langues de la littérature ont fait un long chemin ensemble, en
prenant surtout comme points de repère les grands
GÉRARD VIGNER..................................................................78
auteurs classiques devenus des modèles culturels et des
Nous examinons ici les conditions de mise en place de modèles moraux. Les auteurs s’interrogent sur la place
l’histoire de l’enseignement du français, langue étran- qu’occupait le littéraire dans cet enseignement, condi-
gère et seconde, à l’intérieur de la formation initiale tionné à la fois par des objectifs purement linguistiques
des enseignants de FLE. et ce qu’on pourrait appeler la dimension culturelle.
We examine here the conditions for setting up the history For some considerable time the teaching of French as a
of the teaching of French as a foreign and second lan- foreign language went hand in hand with literature. The
guage within the initial training of teachers of FFL/FSL. references were the great classic authors who were used
as cultural and moral models. Questions should be asked
about the role of literature in this sort of teaching, which
was conditioned, in turn, by purely linguistic objectives
Acteurs, contenus and what we might call the cultural dimension.
et supports d’enseignement
Dictionnaires et grammaires : variations
Vers une disciplinarisation du FLE : enseignants, et applications
apprenants et institutions BRIGITTE LÉPINETTE ET NADIA MINERVA ...........................131
CARLA PELLANDRA ET JAVIER SUSO LÓPEZ .........................94
Dans une perspective historique, les outils pédago-
Cet article retrace l’évolution que subissent, du XVIe au giques constituent souvent les seules traces qui nous
XIXe siècle, trois composantes du « Français Langue
sont parvenues des pratiques dont s’est doté l’ensei-
Étrangère » (enseignants, apprenants et institutions), gnement du français langue étrangère. Cet article vise
qui constituent des marqueurs actifs de sa transforma- à faire émerger quelques aspects des dictionnaires et
tion en discipline scolaire. des grammaires d’autrefois susceptibles de nous ren-
This article draws the evolution that three constituents of seigner, d’une part sur leur ancrage dans les phéno-
« FLE - French as a foreign language » (teachers, learners mènes linguistiques, sociaux et culturels de leur
and institutions) undergo, from the 16th to the 19th époque, et, d’autre part, sur la pédagogisation de la
century. They constitute active markers of the transfor- linguistique dominante.
mation of teaching and learning FLE in a discipline. From a historical perspective, manuals are often the
only evidence we have about the practices adopted in
Le culturel dans l’enseignement du FLE : French language teaching. This article aims to bring out
pratiques didactiques et réflexions de l’historien some aspects of the dictionaries and the grammars of
dans les Documents pour l’histoire the past which can enlighten us, first about their
du français langue étrangère ou seconde
anchoring in the linguistic, social and cultural pheno-
EVELYNE ARGAUD
ET MARIE-CHRISTINE KOK ESCALLE..................................109 mena of their time, and, secondly, about the pedago-
gization of the dominant linguistics.
Le culturel est au cœur des interrogations des histo-
riens du français langue étrangère et seconde, comme
en témoignent les publications dans Documents, la Supports visuels, supports auditifs,
revue de la SIHFLES. L’analyse des manuels et des pra-
enseignement du français langue étrangère
tiques d’apprentissage révèle les fonctions éducatives ENRICA GALAZZI ET MARCUS REINFRIED...........................146
attribuées au culturel dans la didactique du FLE à tra- Les supports visuels et auditifs ont été intégrés dans
vers les siècles. l’enseignement du FLE pour réintégrer certaines
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
caractéristiques d’une acquisition naturelle perdues
dans les salles de classe cloisonnées. Ils sont en rap-
port étroit avec la constitution des méthodes directe,
audio-orale et audio-visuelle et avec l’utilisation de
connaissances phonétiques à des fins pédagogiques.
In the history of teaching of the French language, visual
and auditive media were generated in order to integrate
particular characteristics of natural language usage in
the isolated classroom. They are in a strong connection
with the development of the direct, audio-lingual and
audio-visual methods and with the application of pho-
netic knowledge for pedagogical purposes.
Bibliographie : articles de Documents
pour l’histoire du français langue
étrangère ou seconde cités ................................ 160
Varia
Interaction centrée sur la forme et acquisition
d’une langue seconde : de nouvelles avancées
HOSSEIN NASSAJIC ET DAPHNÉE SIMARD ..........................169
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
7
P résentation
Histoire internationale
de l’enseignement du français
langue étrangère ou seconde :
problèmes, bilans et perspectives
MARIE-CHRISTINE KOK ESCALLE
NADIA MINERVA
MARCUS REINFRIED
La SIHFLES (Société Internationale pour l’Histoire du Français Langue
Étrangère et Seconde) va célébrer en 2012 son 25e anniversaire. Notre
société s’était constituée autour d’un projet qui, à l’époque, entendait
donner sa pleine autonomie à un champ de recherche jusqu’alors envi-
sagé comme une simple composante, et pas forcément la plus impor-
tante, de la didactique du FLE. En même temps, par rapport à des
débats, théoriques et méthodologiques, qui s’inscrivaient dans un
présent aux limites très étroitement circonscrites, il s’agissait d’opérer
une prise de distance qui pouvait éclairer différemment des probléma-
tiques que la seule confrontation de points de vue opposés ne suffisait
pas à faire évoluer.
La création de la SIHFLES correspondait aussi à la volonté de fonder ce
champ de recherche sur des démarches particulières, sur des
méthodes, sur des programmes appropriés à un objet de savoir nou-
veau et de mettre ces savoirs en circulation par le moyen de rencontres
entre chercheurs et de publications. Depuis sa création, la SIHFLES a
organisé de très nombreux colloques et journées d’étude. En 1988,
une revue a été créée, Documents pour l’histoire du français langue
étrangère ou seconde (avec déjà 46 numéros parus en 2011), revue
référencée auprès des associations LMA et LLBA et en ligne sur Revue.
org. Le site de la SIHFLES, http:fle.asso.free.fr/sihfles/, permet par ailleurs
de prendre connaissance de l’ensemble des activités de la société.
Les nombreux articles de Documents auxquels les auteurs de ce
numéro renvoient, sous la forme D1, D2, sont regroupés dans une
bibliographie à part en fin de recueil.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
8
En 1998, Recherches et applications avait déjà publié un numéro
consacré à l’histoire de l’enseignement du français, sous le titre : His-
toire de la diffusion du français et placé sous la direction d’André
Reboullet et de Willem Frijhoff. L’objectif n’est pas ici de répéter ni
d’actualiser cette entreprise, mais de situer ce domaine de recherche
dans le cadre nouveau qu’il s’est progressivement constitué en tant
que discipline scientifique, et en même temps de réfléchir au lien qui
peut unir un champ de recherche aux pratiques qui sont celles de l’en-
seignement des langues aujourd’hui. De façon plus générale, la revue
Recherches et applications bénéficiant d’une large diffusion auprès des
publics de formateurs, ce numéro pourra donner une plus grande visi-
bilité à des problématiques qui, apparemment distantes, peuvent
contribuer à penser différemment un domaine d’enseignement qui
connaît à l’heure actuelle des évolutions significatives.
Les articles de ce recueil, écrits par des spécialistes de différentes
disciplines, sont destinés à informer des lecteurs non spécialistes du
domaine ; tout en faisant le point sur les recherches effectuées dans
différents pays, essentiellement en contexte européen, ils ont une
dimension programmatique, appelant à de nouveaux programmes
de recherche.
Le caractère interdisciplinaire de la recherche en histoire de l’enseigne-
ment du FLE est à la fois un donné et une aspiration. Les pratiques
didactiques, leur théorisation et leur évolution s’inscrivent en effet
dans un contexte dont l’analyse relève de l’histoire culturelle, mais
aussi économique, sociale et politique. L’histoire des langues, du point
de vue de leur statut et de leur fonction, est indissociable des relations
de pouvoirs et des réseaux institutionnels (cf. Changements politiques
et statuts des langues, colloque d’Utrecht 1999). La diffusion du fran-
çais hors de France s’est en partie faite par le relais d’individus,
conquérants ou exilés pour cause de religion (chrétiens de confession
protestante aux XVIe et XVIIe siècles, ou catholique au XXe siècle) et par
celui d’institutions à l’idéologie politique marquée (Alliance Israélite
Universelle fondée en 1860, Alliance française fondée en 1883/1884,
Mission laïque fondée en 1802).
Si plusieurs approches coexistent, les recherches ont d’abord été cen-
trées sur l’histoire de la diffusion du français et de son enseignement
en certains lieux et à certaines époques. Les études microcosmiques
sur une région par exemple (la Péninsule ibérique au colloque de Tar-
ragone 1995, le Bassin méditerranéen au colloque de Palerme 2001)
ou sur un thème concret (le Télémaque au colloque de Bologne 2003)
ont appelé une dimension comparative et une approche plus com-
plexe, combinant les facteurs en jeu dans les thématiques disciplinaires
(la phonétique au colloque de Linkoping 1996, la littérature aux col-
loques d’Avila 1997 et de Sintra 1998, la grammaire au colloque de
Raguse en 2012), actantielles (maîtres de langues et professeurs au
colloque de Valencia 2004), culturelles (la religion au colloque
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
9
d’Utrecht 2007). La dimension comparative concerne la position et Présentation
l’évolution du français dans la diachronie et les espaces géogra-
phiques ; elle porte aussi sur le français dans son rapport aux autres
langues, ce qui donne lieu à des recherches très stimulantes pour la
compréhension de notre monde actuel où le plurilinguisme est sou-
vent considéré hors de son ancrage historique. Un regard historique et
les interrogations des historiens de la SIHFLES (journée INALCO 2005,
colloques de Granada 2008, de Gargnano 2011, d’Essen 2012) ont ainsi
tout leur intérêt pour la prospective sociopolitique et l’éducation.
« L’enseignement du français hier » : un regard sur le passé dans une
série habituellement axée sur le présent/futur peut surprendre ;
cependant, ce regard est justifié par l’importance reconnue des his-
toires disciplinaires et, plus précisément, par le rôle assigné, désormais
depuis plusieurs décennies, à la perspective historique dans le proces-
sus de légitimation de la didactologie des langues en tant que science
autonome. Pourtant, la recherche historique dans ce domaine ne se
veut ni une « chasse aux précurseurs » de théories ou de principes en
vogue aujourd’hui, ni l’exhumation anecdotique d’anticipations éclai-
rées destinées à une fortune indéfectible ou d’anciennes stratégies
d’enseignement dont on veut souligner l’éternel retour quant aux
méthodes d’enseignement/apprentissage des langues. La recherche
historique n’assume pas – on l’a souvent constaté – l’optique de la
continuité, ni celle des « révolutions » observables dans la discipline
« langue étrangère » ; dans un cas, on finirait par aplatir l’histoire, en
mettant anachroniquement à zéro les diversités des contextes idéolo-
giques et socioculturels qui ont vu naître les différentes approches ;
dans l’autre, les représentations de l’histoire des didactiques discipli-
naires en tant que séquelle de « ruptures » bénéfiques – représenta-
tion manichéenne de la dialectique passé/présent quant aux théories,
aux méthodes et aux pratiques pédagogiques – seraient nécessaire-
ment caricaturales parce qu’elles ne viseraient qu’à valoriser une « nou-
velle » théorie ou une « nouvelle » approche.
Il peut être utile, en revanche, d’identifier les nœuds problématiques
qui se configurent comme des constantes de la pensée pédagogique,
se manifestant dans la perception d’une spécificité du domaine d’en-
quête et dans une prise de conscience qui mène à la construction de
savoirs et de pratiques spécifiques.
L’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère forme un sys-
tème dont les constituants, marqués par la contingence, peuvent être
analysés dans une perspective synchronique et diachronique. La pre-
mière permet de s’apercevoir de certaines corrélations entre des fac-
teurs dans la situation d’enseignement/apprentissage (par exemple
entre les objectifs adaptés aux apprenants ou entre les supports liés
aux méthodes). La perspective diachronique, en revanche, envisage
l’évolution, dans le temps, des composantes de la didactique : tel livre
de lecture contenant des récits, par exemple, est remplacé par un
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
10
autre livre de lecture. Elle peut rendre compte des transformations là
où il y a rupture et innovation : le rôle réceptif des apprenants mémo-
risant les règles dans une grammaire, par exemple, est remplacé par
les activités des apprenants devant trouver et classer eux-mêmes cer-
taines formes grammaticales contenues dans un texte et formuler des
hypothèses concernant leurs fonctions. Seule la coordination des pers-
pectives synchronique et diachronique peut faire comprendre les
causes et les effets qui influencent les interconnexions du champ
didactique. Seule la coordination de ces deux perspectives permet de
se faire une idée précise des structures de certains secteurs didac-
tiques soumis à la diversification continuelle dans la longue durée,
comme c’est le cas par exemple pour les supports visuels ou les tech-
niques de sémantisation.
Mais analyser la situation d’enseignement/apprentissage d’une langue
étrangère ne permet pas d’expliquer les choix didactiques. L’intégra-
tion de l’histoire sociale (à un niveau macroscopique) est nécessaire
pour pouvoir expliquer la demande d’une langue étrangère ou
seconde, les fonctions qui lui sont attribuées par certaines couches
sociales, et quelquefois, elle contribue à expliquer les méthodes de
son enseignement. De même, les représentations de la langue, de la
culture, de l’éducation et de la pédagogie propres à une époque per-
mettent d’analyser et d’interpréter de façon précise certaines conven-
tions d’enseignement/apprentissage qui se sont établies. Un contexte
s’appuyant sur plusieurs disciplines scientifiques doit donc être pris en
compte. L’avantage de la SIHFLES est que l’enseignement/apprentissage
du français a été largement répandu dans beaucoup de pays euro-
péens à partir du XVIIe siècle, qu’il couvre donc une partie importante
de la pédagogie linguistique et que son étude historique se prête à
une approche comparative déjà présente dans certaines contributions
de ce recueil.
Cette comparaison entre différents pays et zones géographiques, à
l’intérieur de l’Europe aussi bien que dans d’autres continents, ainsi
que la mise en perspective de l’enseignement du français avec celui
d’autres langues étrangères seront poursuivies et intensifiées par la
SIHFLES au cours des années prochaines. Il s’agit d’un programme de
recherche ambitieux qui pourrait aussi, comme on l’espère, servir de
travail préliminaire à l’identification de spécificités culturelles dans ce
domaine.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
11
Présentation
Souvenir
25 ans ! Dans ma mémoire brumeuse, le souvenir de ce samedi
de décembre 1987 où la SIHFLES a été créée se détache très vif.
À l’origine de ma présence, je l’ai sans doute déjà raconté, il y
a eu le hasard d’une rencontre avec une collègue qui était au
courant d’une recherche sur l’enseignement du français en
Émilie au XVIIIe siècle, que j’avais présentée au Congrès interna-
tional des Lumières, en juillet, à Budapest. N’avais-je pas lu
l’appel à communications, justement sur l’histoire de l’ensei-
gnement du français paru dans Le français dans le monde ?
Non… Tu pourrais proposer quelque chose… Pourquoi pas ?
Et me voilà, quelques mois après, débarquer à la gare de Lyon
et arriver au CIEP de Sèvres le soir. Je ne connaissais personne :
j’ai envié l’accueil enthousiaste d’un groupe d’enseignants alle-
mands à un grand monsieur à la crinière blanche… Le lende-
main matin, je me trouvai assise à côté de lui, d’Herbert Christ,
dont nous avons tous la nostalgie, et d’Elisabet Hammar que
j’entends de temps en temps… Nous avons été les premiers
conférenciers d’une séance matinale suivie l’après-midi, par les
propositions et les débats sur les buts, les perspectives et les
problèmes de cette nouvelle société créée – c’était mon impres-
sion – pour « activer » la retraite du fondateur du Français dans
le monde, André Reboullet que je vis alors pour la première et
la dernière fois. Un rite s’est constitué : toutes les Assemblées
générales, qui ont suivi, ont longtemps gardé la même organi-
sation : les conférences le matin, l’AG l’après-midi.
Avec André Reboullet nous nous sommes beaucoup écrit, sa
belle petite écriture remplissait des feuilles avec suggestions,
invitations, rappels… Nous étions tous pris par l’impératif de
combler les vides de cette carte de la diffusion du français dont
rêvait Brunot. Une consigne bien réalisée par les 46 volumes de
nos Documents.
Je rentrai à Bologne le lendemain après avoir serré la main à
quantité de gens qui deviendraient des amis : Hammar, Christ,
bien sûr, et Gisèle Kahn, Jean Caravolas, Marie-Hélène Cla-
vères. Je n’imaginais pas le poids que la SIHFLES pèserait sur ma
vie, mais j’étais pressée d’annoncer aux collègues et amis bolo-
nais la naissance de cette société au curieux acronyme. Je
n’imaginais pas à l’époque que Bologne mobiliserait un si
grand nombre d’amis pour nos colloques et nos entreprises
éditoriales. Tant d’énergies et de belles amitiés nées au hasard
d‘une rencontre.
Carla Pellandra
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
D omaines,
enjeux,
approches
NADIA MINERVA ET MARCUS REINFRIED
WILLEM FRIJHOFF, JAVIER SUSO LÓPEZ
ET PIERRE SWIGGERS
MARIE-CHRISTINE KOK ESCALLE
ET K ARÈNE SUMMERER-SANCHEZ
MICHEL BERRÉ ET HENRI BESSE
GÉRARD VIGNER
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L es domaines à explorer
et l’évolution historique
NADIA MINERVA
UNIVERSITÀ DI CATANIA, ITALIE
MARCUS REINFRIED
FRIEDRICH-SCHILLER-UNIVERSITÄT, JENA, ALLEMAGNE
Le français a été, à partir du XVIIe siècle jusqu’à la Première Guerre
mondiale, la langue étrangère la plus importante dans presque tous les
pays européens. En plus, elle a pu s’établir dans un grand nombre de
pays africains1 et asiatiques en tant que langue véhiculaire et langue de
la culture. L’histoire de la diffusion et de l’enseignement du français a
connu des temps forts et des phases de déclin. Comment tracer les
pistes d’une enquête de si vastes dimensions et de perspectives mul-
tiples en raison de l’ampleur et de la complexité d’une histoire plurisé-
culaire ? Une histoire aux mille protagonistes et aux nombreux visages
aussi changeants que le sont – sur la longue durée – les acteurs (ensei-
gnants et enseignés), les institutions, les situations sociopolitiques, les
statuts des langues en présence, les options méthodologiques, les
pratiques didactiques…
Dans cet article, nous tenterons, d’abord, de rendre compte de la com-
plexité et de la richesse du domaine – dans un schéma regroupant et
articulant les paramètres en jeu – en prenant pour base une analyse
systémique permettant des approches multidirectionnelles étroite-
ment corrélées. Ensuite, nous essaierons de comprendre pourquoi et
comment la langue française s’est imposée dans le panorama interna-
tional et pourquoi et comment son étoile a commencé à décliner.
1. Parmi les nombreuses L ’analyse systémique de l’enseignement-
études consacrées apprentissage des langues étrangères
par la SIHFLES aux anciennes
colonies, nous signalons :
Dans un des rares textes théoriques traitant de l’histoire de l’enseigne-
Vigner D2 ; Achour, D4 ;
Bouche, D7 ; Vigner, D25 ; ment des langues et de ses perspectives d’une façon générale et
Vigner, D40/41. abstraite, Daniel Coste, le premier président de la SIHFLES, décrit les
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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particularités de ce champ de recherche. Il distingue entre deux Les domaines à explorer
niveaux différents : un niveau macroscopique représentant un système et l’évolution historique
d’enseignement-apprentissage (devant être défini dans le temps et
l’espace) qui est, selon l’analyse de Coste (D6 : 20), caractérisé par trois
« pôles » : « un pôle politico-institutionnel, un pôle scientifique, un
pôle économico-commercial ». Sur un deuxième niveau, microsco-
pique, représentant une situation d’enseignement-apprentissage,
Coste (ibid : 21) distingue trois autres pôles : l’apprenant, l’enseignant
et le support d’enseignement-apprentissage. Ces composantes, « étu-
diables chacune en elle-même, […] ne prennent toutefois pleinement
sens que chacune en relation aux autres » et « sont aussi à rapporter
aux différents pôles du niveau plus macroscopique […]. Ce cadre d’en-
semble demande à être conceptualisé comme un système interpréta-
tif, lieu d’interactions multiples ». (Ibid.) C’est cette perspective
systémique, fondée sur une analyse factorielle, suggérée par Coste,
que nous prenons comme point de départ pour nos réflexions sur le
domaine de recherche interdisciplinaire de la SIHFLES, un champ, où des
didacticiens, des linguistes et des spécialistes de la littérature, des
historiens de formation et des experts de l’histoire de l’éducation font
un travail commun.
Pour développer l’amorce d’une modélisation qu’on entrevoit dans les
réflexions (déjà approfondies et en avance sur leur temps) de Coste2,
nous avons trouvé des suggestions dans la didactique allemande.
C’est dans les années 60 du XXe siècle que les premières tentatives
d’analyser systématiquement les structures de l’enseignement y eurent
lieu. L’analyse structurale de Schulz (1965 : 22-24), par exemple, qui
s’est établie dans le domaine des sciences de l’éducation en Alle-
magne, distingue six aspects constitutifs de l’acte d’enseignement : les
intentions, la thématique, les méthodes, les supports, les conditions
anthropogènes et les conditions socioculturelles. Cette modélisation
ne formait pas seulement une sorte de grille d’analyse de cours, mais
aussi une base pour leur préparation. P. Funke (1970 : 272), par contre,
souligne qu’une didactique scientifique doit se limiter à la description
et non pas être prescriptive. Dans son modèle, il met à la place des
conditions anthropogènes et socioculturelles, qui constituent d’ailleurs
des catégories assez floues, les personnes, c’est-à-dire les apprenants
et les enseignants auxquels il ajoute les matières et les objectifs d’ap-
prentissage ainsi que les supports et les méthodes d’enseignement.
Les formes des dépendances fonctionnelles représentent pour lui,
comme pour Coste, le domaine de recherche essentiel de la réflexion
scientifique en matière de didactique des langues étrangères. 2. Coste (1990 : 26) dit
Cette conception a aussi été adoptée par la recherche empirique rela- lui-même à la fin de son article
tive à l’apprentissage et l’enseignement des langues, qui s’est consti- « que le petit secteur où nous
essayons d’œuvrer a besoin
tuée à partir des années 70 en Allemagne. Le terme « facteur » est
d’un cadre et de perspectives
défini dans ce domaine de recherche d’une manière large et dépasse mieux explicités que ce n’est
de loin les catégories basales de l’enseignement dans l’analyse encore le cas ».
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didactique de Schulz (1965). Ces facteurs ne se réduisent plus à un
nombre défini et ne peuvent pas toujours être exactement délimités
entre eux ; ils forment une « complexion » (Koordinierungsgremium
1983 : 16, 18). À côté des facteurs représentant directement des
aspects de la situation d’enseignement-apprentissage, on a aussi dû
reconnaître l’influence indirecte d’autres facteurs. Les effets provenant
des institutions scolaires et encore plus généralement des représenta-
tions normatives transmises par les traditions culturelles et sociales
forment des composantes incontournables. Ces aspects sont pris en
compte – toutefois de manière partielle – dans le modèle factoriel de
Edmonson et House (2006 : 27) qui comprend comme segments les
« facteurs sociopolitiques » et les « facteurs contextuels de
l’enseignement-apprentissage ».
Illustration 1 : Complexion de l’enseignement/apprentissage d’une
langue étrangère
fonctions d’une
institution langue étrangère
objectifs /
contenus
enseignant méthodes apprenant
conception conception
éducative du langage
supports
conception conception
d’apprentissage du culturel
Facteurs externes (en haut : facteurs sociaux, en bas : facteurs idéels)
Facteurs internes (à gauche et à droite : facteurs personnels, au milieu :
facteurs disciplinaires)
Nous proposons de réunir les aspects principaux de toutes ces modé-
lisations factorielles dans le schéma ci-dessus, applicable à l’histoire de
l’enseignement des langues étrangères (cf. illustration 1). Au centre se
trouvent les facteurs internes constitutifs de la situation d’enseignement-
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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apprentissage, déjà présents dans Funke (1970). Ils se divisent en fac- Les domaines à explorer
teurs personnels (l’enseignant, l’apprenant et leurs rôles respectifs) et et l’évolution historique
en facteurs disciplinaires (les objectifs, les contenus et les méthodes de
l’enseignement-apprentissage, ainsi que les supports, tous facteurs
figurant déjà chez Schulz 1965).
L es facteurs « internes » dans l’histoire
du FLE
Parmi les facteurs personnels, les historiens de l’enseignement des
langues étrangères disposent de relativement peu d’informations sur
les élèves. On en trouve quelques-unes dans le recueil édité par
Minerva (2000) sur l’éducation des filles et des jeunes femmes en Italie
ou dans l’étude locale de Lillo (2004) sur l’enseignement du français à
Palerme, reposant sur de longues années de recherches aux archives.
Une autre voie consiste à analyser des mémoires d’écrivains et de
savants qui ont assez souvent décrit (en général de façon subjective)
leurs expériences d’apprentissage des langues et les impressions qu’ils
en ont gardées dans leur mémoire ; Schreiner (1992), par exemple,
étudie une centaine de textes autobiographiques qui ont été rédigés
entre la fin du XVIIIe et les premières décennies du XIXe siècle.
Les enseignants, en revanche, sont mieux connus. Hammar (1991) thé-
matise les précepteurs et les gouvernantes en Suède enseignant, aux
XVIIe et XVIIIe siècles, dans les familles, ainsi que les maîtres de français
dans les écoles élémentaires et supérieures, publiques et privées et
dans les universités. Elle décrit leurs conditions de travail (pour autant
qu’elles sont documentées) et parfois des détails illustrant leur situa-
tion sociale. La plus grande collection de données a été relevée dans
un lexique biographique des enseignants de langues étrangères dans
les pays germanophones avant 1800, lexique que nous devons à
Schröder (1991-1999). Il y rassemble en six tomes 3 789 articles. Mais le
lecteur qui voudrait acquérir (par-delà les cas individuels) une impres-
sion généralisable des différents types d’enseignants et de l’évolution
de leurs conditions de vie au fil des époques est perdu dans les nom-
breux détails, souvent inégaux d’une personne à l’autre. Il nous
manque encore une recherche empirique opérant certaines distinc-
tions entre caractéristiques géographiques, sociales, culturelles, pro-
fessionnelles et pédagogiques, intégrant (autant que possible) des
statistiques dans les analyses et rattachant les résultats à l’histoire
sociale dans les différentes périodes.
Dans notre tableau, à côté des facteurs personnels et au milieu du
modèle, se trouvent les facteurs « disciplinaires », marqués par la
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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matière scolaire. La planification de l’enseignement commence par
l’établissement des objectifs. Ils forment une catégorie assez large,
comprennent les aptitudes (éventuellement avec des activités pédago-
giques correspondantes) et les contenus (langagiers et culturels) ainsi
que les stratégies et les techniques d’apprentissage. Les sources
convenables à l’étude des objectifs qu’on a aspiré à atteindre dans
l’histoire de l’enseignement des langues étrangères sont les pro-
grammes. Le recueil de Christ et Rang (1985), par exemple, contient
600 extraits de programmes allemands de 1700 à 1945, une base de
données encore relativement peu explorée.
Parmi les objectifs, Puren (1988 : 32) en distingue trois qu’il appelle
« objectifs fondamentaux ou généraux » : « objectif formatif (esthé-
tique, intellectuel et moral) », « objectif culturel » et « objectif linguis-
tique » (maîtrise de la langue étrangère). Selon Puren, ils font partie de
l’enseignement du latin à partir de la Renaissance et ont été progres-
sivement intégrés dans l’enseignement secondaire en France jusqu’au
début du XIXe siècle. Pendant la même période, ces objectifs globaux
apparaissent également dans l’enseignement-apprentissage des lan-
gues vivantes en Allemagne, bien qu’il y ait eu, selon les différentes
phases, la prédominance relative d’un seul objectif fondamental. Avant
la période du mouvement réformiste (qui commence vers 1880), c’est
l’objectif formatif qui prévalait. Les réflexions les plus approfondies à
ce sujet ont été présentées (dans les années 1830 et 1840) par Carl
Mager qui voulait prouver l’égalité de la valeur formative de l’enseigne-
ment du français et de l’anglais comparée à celle des langues
anciennes (Reinfried, D14 : 48-50). De même, en Italie, les tenants de
la méthode grammaire-traduction prônent une « gymnastique intellec-
tuelle » qui rapprocherait les langues modernes aux langues classiques
quant à leur valeur formative. Pour ces derniers, la méthode philolo-
gique comparative est la voie royale pour sortir de l’enceinte des pré-
tendues méthodes pratiques – accusées par les « philologues » de ne
faire appel qu’à la mémoire – et pour être admis dans l’empyrée du
savoir pur des disciplines désintéressées. Pendant la période de la
réforme, l’objectif langagier prit le dessus, surtout dans les programmes
destinés, en Allemagne, aux Realschulen et Oberrealschulen3. Ensuite,
3. La Realschule est l’école
de la Première Guerre mondiale au milieu des années 1960, l’objectif
« moyenne » dans le système
scolaire allemand avec culturel devint primordial sous l’influence de la Kulturkunde. Toutes ces
ses trois filières ; elle se transformations des objectifs fondamentaux dominants se sont effec-
termine avec un examen tuées sous l’impulsion de facteurs externes, de facteurs idéels ainsi
à la fin de la dixième classe.
que sociaux.
La Oberrealschule était
(jusqu’en 1936) une sorte Les contenus de l’enseignement/apprentissage sont un facteur sem-
de lycée avec trois classes blable aux objectifs, voire même inclus dans les objectifs dont ils
pour les bons élèves venant constituent une grande partie : les objectifs embrassent le savoir
d’une Realschule qui voulaient
déclaratif et procédural dans les domaines de la langue, de la culture
continuer leurs études.
Ils y apprenaient deux langues et des techniques d’apprentissage, tandis que les contenus se limitent
étrangères modernes. au savoir déclaratif (et ne comprennent ni le savoir-être, ni le
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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savoir-faire, ni le savoir-apprendre). Dans ce savoir déclaratif, on range Les domaines à explorer
les connaissances grammaticales et lexicales ainsi que la connaissance et l’évolution historique
des civilisations liées à la langue-cible.
Pour analyser le développement historique de ce savoir déclaratif, on
dispose de programmes et surtout des supports, c’est-à-dire des
grammaires ainsi que des manuels et livres d’appoint (cf. Stengel 1976
[1890] pour l’Allemagne, Riemens 1919 pour les Pays-Bas, Hammar
1985 pour la Suède, Minerva et Pellandra 1997 pour l’Italie, Suárez
Gomez 2008 pour l’Espagne). L’analyse de l’évolution des grammaires
se rapporte souvent aux parties du discours et à la morphologie, syn-
taxe, phonétique et orthographe, à la forme des exemples et d’exer-
cices éventuels. La description du développement historique des
manuels prend surtout en considération les types de textes (narratifs,
descriptifs, explicatifs ou dialogués, authentiques ou didactisés), les
activités d’enseignement-apprentissage appropriées et la spécificité
des contenus culturels inclus. Les supports visuels et auditifs, dévelop-
pés surtout à partir des XVIIIe et XIXe siècles, sont fréquemment liés à
des préalables méthodologiques (voir l’article de Galazzi et Reinfried
dans le présent volume).
Les méthodes d’enseignement des langues étrangères étaient aux XVIe
et XVIIe siècles plutôt les savoir-faire individuels des enseignants : cha-
cun essayait de trouver son propre chemin entre l’enseignement par
l’usage et l’enseignement par les règles grammaticales. En Allemagne
se sont ensuite constituées dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle les
premières méthodologies destinées à l’enseignement en classe. Ce
sont des courants méthodiques largement répandus et disposant
d’une désignation propre : la « méthode naturelle » des philanthro-
pistes (précurseur de la méthode directe) et la méthode grammaire-
traduction. Au XIXe siècle, en Italie, la scolarisation marque la transition
entre la grammaire empirique et la grammaire « scientifique » (basée
sur une analyse intralinguistique et interlinguistique) que l’on place
sous l’égide de la philologie dont on retient en particulier la méthode
de travail fondée sur la comparaison des langues. Comme la philologie
comparée qui détecte les concordances phonétiques et phonolo-
giques, morphosyntaxiques et sémantiques régulières afin d’établir
des relations parentales entre les langues, l’approche rationnelle et
comparative vise à étudier et à faire étudier les similitudes formelles et
les relations génétiques entre certaines langues qui se prêtent à ce
type d’analyse (c’est le cas du français et de l’italien). Cette « modula-
tion » de la méthode grammaire-traduction prône pour une valorisa-
tion de la langue nationale, ce qui est bien un produit des nouveaux
rapports de force qui se sont créés au XIXe siècle. 4. Reinfried (2001 : 3) donne
Selon Besse (1999/2000, I, 90) et Richards et Rodgers (2001 : 18-35), les appellations suivantes
à ces trois niveaux : « macro-
une méthode peut être analysée sur trois niveaux4 : un niveau théorique
niveau », « méso-niveau »,
consistant en hypothèses et se référant souvent à des concepts scienti- « micro-niveau
fiques plus ou moins établis (linguistiques, psychologiques, éducatifs d’une méthode ».
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
20
ou autres) ; un autre niveau conceptuel, semi-abstrait, représentant les
composantes pertinentes du « projet méthodique », à savoir les objec-
tifs, contenus et supports prototypiques reliés avec lui ainsi que les
rôles prévus pour les enseignants et apprenants ; le niveau empirique
de la mise en pratique du « projet méthodique » sur lequel on peut
identifier des procédures et techniques typiques pour une méthode5.
Besse (1999/2000) et Richards et Rodgers (2001) ont déjà commencé à
défricher ce terrain, mais il reste le problème des différences régio-
nales6. Pour beaucoup de méthodes, tous les niveaux et surtout les
interrelations entre les niveaux n’ont pas encore été décrits d’une
manière précise, surtout pas d’une façon génétique.
L es facteurs « externes » dans l’histoire
du FLE
Pourtant, l’analyse des facteurs internes d’une situation d’enseigne-
ment-apprentissage précise ainsi que leurs corrélations réciproques ne
suffisent pas pour caractériser sa structure particulière. Celle-ci est en
effet aussi partiellement déterminée par son contexte. Parmi les fac-
teurs externes qui le constituent, on trouve des facteurs sociaux
comme l’institution au sein de laquelle l’enseignement du FLE est dis-
pensé : l’enseignement du français, pour donner un exemple, dans les
académies équestres (qui ont existé dans beaucoup de pays euro-
péens du XVIe au XVIIIe siècle) se distinguait nettement des cours de
5. Notre présentation est français (souvent facultatifs) dispensés dans les collèges classiques de
nécessairement sommaire l’époque. Un autre facteur pertinent sont les fonctions (politiques,
et ne peut pas décrire économiques, culturelles) attribuées à l’apprentissage du FLE dans un
et discuter dans ce contexte
pays ou à l’intérieur d’un groupe social donné : l’enseignement du
certaines différences
entre la conception de Besse français, par exemple, a été supprimé après la défaite de Napoléon
et celle de Richards et (jusqu’en 1825) dans les écoles prussiennes, et il a été radicalement
Rodgers. réduit à un horaire très limité pendant la période de l’Allemagne nazie.
6. Richards et Rodgers (2001) Parmi les facteurs contextuels, les facteurs idéels, eux, ne sont pas
sont très concentrés
sur les manifestations nécessairement liés à des attitudes sociales et mettent en jeu des idées
des méthodes dans (souvent générales et schématiques) répandues chez les enseignants et
le domaine anglo-américain éventuellement même chez les apprenants sur la nature d’une langue,
et intègrent peu
d’une culture, de l’apprentissage et de l’objectif éducatif. La conception
le développement
de méthodes dans langagière, empruntée à la linguistique, peut par exemple s’orienter
leur monographie ; la thèse vers la langue écrite par une analyse de la syntaxe et une catégorisation
de Besse (1999/2000), très grammaticale des éléments morphologiques (comme c’est le cas de la
approfondie, théoriquement
méthode grammaire-traduction se basant sur la grammaire tradition-
et dans ses descriptions, est
nécessairement orientée sur nelle), mais elle peut aussi s’orienter vers la langue parlée en adoptant
le développement en France. une approche holistique mettant plutôt en relief (surtout au début de
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
21
l’apprentissage) des expressions figées ainsi que les « valeurs » de la Les domaines à explorer
situation, de l’intonation, de l’expression corporelle (comme c’est le cas et l’évolution historique
de la méthode audio-visuelle se basant, selon Guberina 1984 : 87, sur
une idée plutôt globaliste de la langue – où « “l’ensemble” a la prédo-
minance sur les éléments » – proche de la Gestalttheorie).
Les concepts culturels, eux aussi, ont été développés à partir de 1880
dans le cadre de recherches en science des civilisations. Mais il serait
erroné de croire que la recherche devance toujours la mise en pratique,
c’est-à-dire le développement de matériaux et l’enseignement scolaire
de la civilisation. Il y a une évolution dialectique entre le domaine de la
recherche (souvent, mais pas toujours universitaire) et le développe-
ment de l’enseignement scolaire, comme il se présente dans l’évolution
allemande de la Realienkunde (l’enseignement positiviste des realia
historiques et géographiques, environ 1895-1920) et de la Kulturkunde
(l’enseignement essentialiste du caractère des peuples, environ 1920-
1965 ; cf. Reinfried 1999). Ces deux conceptions civilisationnelles ont
été remplacées par l’enseignement de la civilisation quotidienne et
l’approche interculturelle. Dans ces paradigmes du XXe siècle se mani-
festent certains concepts de base, similaires aux expressions de
l’« épistémè » foucaldienne (Foucault 1966), de différentes époques ;
un des projets de la SIHFLES (dans les prochaines années) consistera à
chercher à savoir si ce développement représente une évolution
paneuropéenne et en quoi se distinguent les évolutions de l’enseigne-
ment de la culture dans les différents pays (et zones européennes).
Les conceptions de l’apprentissage du français langue étrangère évo-
luent d’un apprentissage par l’usage à l’apprentissage par la réflexion
grammaticale, dès les premiers siècles de son enseignement, surtout
en fonction des différentes phases des leçons et en fonction des
apprenants visés. Néanmoins, les degrés de conscientisation n’étaient
que rarement thématisés d’une façon approfondie avant le XXe siècle.
C’est au cours de cette époque que la psychologie pédagogique et
une recherche empirique de l’acquisition d’une seconde langue sont
devenues des disciplines de référence de la didactique des langues
étrangères. Une réflexion sur l’éducation, par contre, autour d’une cer-
taine autonomie de l’apprentissage s’est déjà développée au siècle
des Lumières. Cela a par exemple mené au XIXe siècle en Allemagne
(comme dans d’autres pays situés au nord de l’Europe) à une dialec-
tique entre une pédagogie néohumaniste plutôt intellectualiste et
accentuant la nécessité de l’effort de l’élève, du recul historique et de
l’abstraction d’un côté et une pédagogie réformiste plutôt orientée
vers le présent, les contenus pratiques et la propre expérience des
apprenants de l’autre côté (cf. Reinfried 1990 : 126 sq., 143 sq.). Parmi
les concepts éducatifs articulés dans le contexte des écoles publiques
à l’époque de l’enseignement du français précédant le mouvement
réformiste, c’est surtout la psychologie du développement des capaci-
tés (une conception fréquemment utilisée dans les lycées classiques,
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
22
attachée à la prédominance de l’objectif formatif) à laquelle on fait
référence ; ensuite, jusqu’au tournant du siècle, c’est la pédagogie
empiriste (adoptée par les théoriciens des Realschulen) dans la tradi-
tion de Johann Friedrich Herbart qui prend le relais.
À côté de cette histoire des idées, parfois s’entremêlant avec elle, il y
a l’histoire sociale qui est le plus souvent une histoire dans la longue
durée. Selon Christ (D 1 : 8), le « contexte social comprend en tout
premier lieu l’institution scolaire dans son ensemble » : « les faits maté-
riels, les locaux, les classes d’âge, les horaires fixes, la distribution des
heures de classe sur l’année ». Mais ce sont aussi les caractéristiques
sociales « des élèves qui s’inscrivent dans les cours de langues, […] le
statut social et la formation du professeur de langues, […] les dépenses
pour les classes de langues » (ibid.).
En plus, c’est souvent le statut politique et économique d’un pays qui
renforce ou affaiblit à l’échelon international la réception de ses idées
de même que la pertinence de sa langue. Dans le cadre de notre
modélisation, il s’agit d’un contexte vaste qui dépasse dans toute son
ampleur le rayon des autres facteurs. Étant donné qu’il représente le
déterminant le plus fort pour la position internationale d’une langue
étrangère, il doit être pris en compte à l’intérieur de notre analyse
systémique. La variabilité des contextes sociaux et culturels se traduit
dans la translatio studiorum, allant de pair avec le prestige et l’image
associés à une langue, instables au fil des siècles.
L e contexte systémique
et la translatio studiorum
Les langues, on le sait, sont souvent véhiculées par les différents
« modèles »7 culturels qui se sont succédé : italien, français, allemand,
anglais… Quant à ce dernier, le XIXe siècle a vu les débuts de l’intérêt
à l’égard de cette langue et de son enseignement ; remarquons,
cependant, qu’à l’époque l’anglais n’était pas encore compétitif par
rapport au français et à l’allemand, du moins pour ce qui est de la
7. Dans ce contexte, nous pédagogie linguistique. Willem Frijhoff et André Reboullet nous rap-
utilisons le terme « modèle » pellent cependant qu’à l’époque de l’universalité du français, « le
dans le sens qui y est donné
Girondin Roland […] soutenait que l’anglais avait plus d’avenir que le
dans deux excellents livres
symétriques : Le modèle français » (1998 : 6). Boutade ou prémonition ?
italien de Fernand Braudel L’alternance des modèles culturels n’est pas toujours corrélée avec
(1989) et Le modèle italien l’évolution des rapports de force politiques, mais elle l’est, sans aucun
de Françoise Waquet (1989).
doute, avec l’évolution des méthodes d’enseignement. Nous nous
Sur ces ouvrages et
leur apport à l’histoire du FLE, demanderons donc – entre autres – si cette évolution est liée à la
voir Pellandra (1996). suprématie d’une culture sur les autres.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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Plusieurs chercheurs se sont penchés sur les facteurs qui ont favorisé Les domaines à explorer
la diffusion du français « au-dehors ». Les bases de cette lecture et l’évolution historique
sociale de la diffusion d’une langue à l’étranger (et de son corrélat : la
pédagogie des langues étrangères ou secondes) ont été posées dès
les débuts de la SIHFLES (cf., notamment, Christ, D1 et Frijhoff, D3).
Comme l’a relevé Willem Frijhoff dans une étude fondatrice sur les
rapports entre les faits linguistiques et les faits socioculturels (D3 : 8),
pour expliquer les phases d’expansion et de contraction de l’emploi du
français à l’étranger, il est indispensable de comprendre les conditions
de vie et les cultures des groupes où s’est enracinée la langue étran-
gère ; de connaître « les conditions politiques, économiques, sociales,
commerciales, culturelles qui suggèrent, demandent ou imposent »
l’usage d’une langue de prestige jouissant d’une circulation internatio-
nale. Avec la naissance de l’Europe moderne, ce rôle passe du latin aux
langues vernaculaires, d’abord à l’italien et à l’espagnol, puis au fran-
çais, notamment à partir de l’âge de Louis XIV, qui voit s’accroître la
prédominance de la France dans le paysage politique et culturel euro-
péen. C’est l’époque la plus heureuse du rayonnement du français, car
sa pénétration est profonde et change les habitudes culturelles de
larges couches de la société : d’abord les cours et la République des
Lettres, et bientôt, en sortant de ses aires d’influence déjà consacrées,
les élites au sens large.
Auparavant, le rayonnement du français avait été lié à des conjonctures
particulières, à des contingences historico-politiques ou religieuses. En
effet, au XVIe siècle, l’Angleterre constitue un cas à part : le français y
jouissait d’un statut privilégié (il n’est pas étonnant que la première
grammaire du français : Lescarcissement de la langue francoyse, parue
en 1530, soit l’œuvre d’un Anglais, John Palsgrave)8. Un autre cas 8. Pour un aperçu général
remarquable est celui des Pays-Bas, où les protestants s’enfuirent lors de la réception du français
du premier Refuge, dès les années 1560. Mais l’Europe n’est pas en Grande-Bretagne, voir :
Kibbee D4 ; Gerbod, D2 ;
encore française, le français n’est pas encore la langue de la communi- Wakely D7.
cation universelle. 9. Sur l’alternance
Au fil de l’histoire, d’autres modèles se sont imposés, qui se sont par- entre le modèle italien et
tagé, aux diverses époques, l’hégémonie sur la culture occidentale. Le le modèle français, voir
Braudel (1989) et Waquet
premier grand modèle de l’époque moderne a été la culture italienne
(1989). Les siècles concernés
et sa langue : langue de cour, des arts et des lettres9. On connaît l’ita- sont le XVIe, le XVIIe et le XVIIIe.
lianisme déferlant en France dès les guerres d’Italie, donc bien avant la 10. Cf. Baldassare Castiglione,
régence de Catherine de Médicis. Avant l’honnête homme, le « corte- Il Cortegiano (1528) et
giano »10 s’était imposé et avait dicté les modes sociales et culturelles. Giovanni Della Casa, Galateo
overo de’ costumi (1558).
Pour ce qui est des arts, ce n’est pas un hasard si les premiers textes
11. Il primo libro
bilingues italien-français sont des livres d’architecture11. En même d’Architettura […]. Le premier
temps, le « Barocco » a exercé une influence durable sur les artistes de livre d’Architecture […].
l’Europe tout entière et le pétrarquisme étendra sa domination sur la Il secondo libro Di Perspettia
[…] Le second livre
poésie bien au-delà du XVIe siècle. Quant à l’hégémonie linguistique,
de perspective […],
on ne peut pas en dire autant. Dans les années 30 du XVIe siècle, parut de Sebastiano Serlio,
à Paris un Vocabulaire de trois langues cestassavoir latine italienne & est de 1545.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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francoyse qui peut nous faire réfléchir sur les hypersensibilités linguis-
tiques d’aujourd’hui en matière de suprématie des langues. Quel est le
rôle joué par le latin dans ce dictionnaire ? L’italien et le français sont
encore des langues à portée communicative limitée sur la scène euro-
péenne, d’où la présence du latin qui aurait dû être la voie d’accès aux
langues modernes, latin qui joue donc le rôle de lingua franca. Le
recours à la langue de la communication internationale pourrait induire
à penser qu’une hiérarchie s’établit dans le Vocabulaire ; au contraire,
le prestige du latin n’engendre pas de rapports asymétriques entre ces
trois langues : ce sont les langues modernes qui font l’objet de l’atten-
tion du lexicographe. Cependant, l’aspect le plus remarquable est le
témoignage que le Vocabulaire fournit sur la naissance des langues
modernes et leur quête de cette langue commune qu’on est en train
de chercher un peu partout en Europe (il suffit de penser à Luther et à
sa traduction de la Bible en langue vernaculaire ou à l’ordonnance de
Villers-Cotterêts 1539). D’autre part, on est frappé par la grande curio-
sité linguistique des premiers temps de la Renaissance – une curiosité
dépourvue de toute ambition hégémonique.
Pour revenir à l’Italie, la Péninsule, forte de son prestige culturel, s’est
mise à l’étude de la langue du voisin très en retard, quand l’élite cor-
respondait et conversait en français déjà partout en Europe. De plus,
les grammaires qui se sont succédé jusqu’au deuxième tiers du
XVIIe siècle étaient destinées essentiellement aux secrétaires, traduc-
teurs, voyageurs, commerçants ; le français, langue de « commodité »,
ne deviendra langue de culture que vers 1670, quand il fait son entrée
dans les collèges des jésuites, les seminaria nobilium : le français est le
complément indispensable à la formation du parfait gentilhomme et
de la dame à la mode dans l’Europe tout entière. Vers la France et sa
culture, regardent aussi avec une attention croissante les érudits ita-
liens, trop conscients (non sans en souffrir) du nouvel horizon de la
République des Lettres, d’un nouvel axe intellectuel qui passe par
Paris, Londres, les Pays-Bas, la Prusse. Dans cette « transhumance » du
Sud au Nord, au modèle italien qui a diffusé en Europe les « lumières »
de l’humanisme, de la Renaissance, du baroque, succède un « modèle
français » dont témoignent les innombrables grammaires françaises
parues un peu partout en Europe dès le XVIIe siècle, annonçant la gal-
lophilie inconditionnelle du XVIIIe siècle.
Cette « transmission » n’est cependant pas paritaire : l’italien avait été
une langue de culture et son emploi était limité à un cercle restreint
d’utilisateurs – la cour, les lettres, ou à des contextes spécifiques, tels
que les échanges commerciaux et la banque. Le français voudra s’im-
poser au détriment de ses adversaires potentiels, d’où son « regard
hiérarchisant », reflet d’un rapport dominant/dominé, nourri au fil des
siècles de la compétition, des guerres de puissance non seulement
politiques, mais linguistiques (que l’on pense à la typologie des lan-
gues établie par Bouhours). En plus, l’hégémonie française paraîtra à
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
25
plusieurs fort suspecte, car elle est véhiculée par une grandeur politique Les domaines à explorer
et économique que le latin (garantie de neutralité) ou l’italien (langue et l’évolution historique
d’un pays morcelé et politiquement faible) n’avaient pas connue.
Le statut du français sous l’Ancien Régime en fit une véritable idole. La
gallomanie, souvent fustigée par les puristes nationaux, ne s’affaiblit
qu’avec l’invasion des armées napoléoniennes. La Révolution, comme
le dit Marc Fumaroli, éveilla le « génie » des nations et réveilla en cha-
cune l’amour jaloux de sa propre langue (2001 : 18). L’apogée du fran-
çais prit fin avec les réactions nationales à l’expansionnisme outré de
Napoléon (voir García Bascuñana, D18). La Restauration marquera un
reflux de la langue de l’Hexagone au profit des langues nationales.
Mais pour la plupart des Européens cultivés, le français restera la seule
langue étrangère connue (son statut de langue des échanges interna-
tionaux n’est nullement remis en question), et le français ne cessa pas
pour autant d’être la langue la plus étudiée tout au long du XIXe siècle.
Cependant, la vénération de la langue et de la culture françaises ne fut
plus celle de l’époque de l’Europe française. Les nations s’ouvrirent à
leur propre langue, cherchèrent leur identité, découvrirent et valorisè-
rent leurs gloires nationales, italiennes, espagnoles, allemandes et
anglaises notamment.
Le troisième moment, à nouveau en sens inverse, pourrait être celui de
l’influence déterminante prise par la « référence allemande » dans la
France de la seconde moitié du XIXe siècle (il en est autant pour l’Italie
post-unitaire et bien d’autres nations). On peut sans aucun doute par-
ler de modèle allemand pour la période qui va de Sedan jusqu’à la
Première Guerre mondiale, un modèle de développement dans les
sciences dures et humaines. De nombreux pays regarderont avec inté-
rêt les Realschulen aussi bien que l’université allemande qui cultive des
disciplines nouvelles, comme les mathématiques, la physique et… la
philologie. Dans ce champ, le projet de modernisation et de scientifi-
sation12 profitera grandement à la philologie moderne. L’image de
l’Allemagne s’impose à la France et à l’Europe. Ce renversement dans
le domaine intellectuel et universitaire – la « crise allemande de la
pensée française » (Digeon, 1959) qui s’était déjà manifestée dans l’in-
térêt précoce pour la philosophie, la philologie et l’historiographie
allemandes – s’accélère, après Sedan, une défaite interprétée comme
la conséquence de la supériorité de la science, des techniques et de la 12. Voir les études
pédagogie13 de l’adversaire. Pour remédier aux faiblesses et aux rassemblées par Michel
Espagne et Michael Werner
retards de l’Hexagone, il n’y avait qu’à se mettre à l’école de l’ennemi :
autour de la « référence
les jeunes générations universitaires françaises s’inspirent de la allemande », en particulier
recherche allemande, en particulier dans les sciences de l’Antiquité, sous l’angle de la philologie
l’histoire, l’économie politique et la philologie. (Werner 1990).
13. On aime dire que ce sont
On est autorisé à se demander si le renouveau des méthodologies – la
les instituteurs allemands
méthode philologique et comparative et la méthode directe qui domi- qui ont gagné la guerre
nent le XIXe siècle finissant – est le produit de Sedan, de la suprématie franco-prussienne.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
26
de la philosophie de l’Allemagne, de son avancement scientifique et
technologique, des nouvelles sciences qui y voient le jour.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la « nouvelle » science alle-
mande est souvent le phare du renouveau de la pédagogie linguis-
tique. On met en lumière la relation entre linguistique scientifique et
enseignement des langues étrangères, à savoir une relation qui permet
de réfléchir sur l’élargissement de l’éventail de théories et des métho-
dologies à considérer pour renouveler les enseignements linguis-
tiques. Ce besoin, ressenti encore comme central aujourd’hui, se
concrétise dans un discours programmatique vibrant : « inventer » une
méthode au pas avec les théories scientifiques modernes. Il est vrai
que la réflexion méthodologique est nécessairement implicite dans
tout processus d’enseignement/apprentissage, il est également vrai
que, pour ce qui est de l’enseignement des langues, les options
méthodologiques et didactiques sont, dans les différents moments
historiques, nets, même si elles ne sont pas accompagnées de « mani-
festes » ou de querelles explicites ; cependant, le problème de la
méthode et des disciplines de référence devient central en Europe
quand la langue étrangère devient une matière scolaire et que l’« art »
de l’enseignement des langues aspire à devenir – pour des raisons de
prestige disciplinaire et professionnel – une science à part entière.
Sans s’attarder sur les mutations d’ordre politique, social et culturel qui
constituent la toile de fond de ce changement de statut des langues
étrangères, il suffira de rappeler ici qu’il en comporte d’autres dans les
conceptions linguistiques, dans les outils didactiques qui s’en inspirent
et dans les modes de transmission du savoir.
L’histoire, science-phare au XIXe siècle, et la méthodologie de la
recherche historique pénètrent dans plusieurs domaines disciplinaires
émergents. La méthode historico-philologique imprègne les gram-
maires de l’époque. À cette dernière s’oppose notamment la méthode
directe qui, mettant l’oral au centre de l’apprentissage, promeut une
autre science, la phonétique expérimentale, dont le contexte scienti-
fique et technologique est tissé par des découvertes physiques
(l’acoustique) et anatomiques (les organes de la parole), et par l’ou-
tillage technique développé pour étudier les pathologies de l’ouïe et
de la parole. Ces deux partis et les manuels qu’ils inspirent sont les
animateurs d’un débat méthodologique qui se concentre précisément
sur les théories qui peuvent être utiles pour l’apprentissage des lan-
gues. L’émergence d’une empreinte méthodologique forte est asso-
ciée à une approche scientifique afin de créer, pour les enseignements
linguistiques, un espace d’autonomie visant à en définir la spécificité
par rapport à la linguistique et à la pédagogie générale.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
27
Les domaines à explorer
C onclusion et l’évolution historique
L’histoire de la didactique du FLE est – on a essayé de le montrer – une
galaxie et une discipline de frontière. Elle se situe au croisement de
nombreux domaines : histoire politique, sociale et culturelle, histoire
des institutions, de la pédagogie, de la langue. Elle traverse ces diffé-
rentes histoires et s’en nourrit ; et elle est frontalière car elle met éga-
lement en rapport deux langues et deux cultures, elle décrit leur
dialogue à travers les siècles, leurs interférences, leurs alliances et
leurs combats.
L’analyse systémique de l’enseignement du français dans une perspec-
tive historique permet d’élucider des facteurs qui se superposent et
se croisent et que le modèle proposé aspire à organiser dans un
ensemble cohérent et fonctionnel.
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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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C ontextes et disciplines
de référence
dans l’enseignement
du français (langue
étrangère/seconde) *
WILLEM FRIJHOFF
V.U. AMSTERDAM/E.U. ROTTERDAM, PAYS-BAS
JAVIER SUSO LÓPEZ
UNIVERSIDAD DE GRANADA, ESPAGNE
PIERRE SWIGGERS
K.U. LEUVEN, BELGIQUE
Le présent texte, de caractère forcément programmatique, esquisse
les contours méthodologiques de l’histoire de la didactique [= ensei-
gnement ET apprentissage] du français1, non seulement comme lan-
gue étrangère ou seconde, mais aussi (étant donné l’orientation
méthodologique de cette contribution) comme langue première/
maternelle. La thèse qui sous-tend cet exposé est que l’histoire de la
didactique des langues est ou devrait être une recherche interdiscipli-
naire intégrant :
(a) l’histoire des activités théoriques et pratiques en rapport avec l’en-
seignement et l’apprentissage d’une langue ; (b) l’histoire culturelle,
parfois appelée « histoire des idées », et l’histoire institutionnelle (au
sens le plus englobant : il s’agit des institutions et des situations poli-
tiques et socio-économiques constituant le contexte d’insertion des
activités didactiques) ; (c) l’histoire des langues, vu qu’il est impossible
de dissocier l’étude historiographique de contenus et de pratiques * Répartition du travail
de rédaction : §§ 1, 2, 3, 5, 6
didactiques, en rapport avec une ou plusieurs langues, de la prise en et 8 (P.S.), § 4 (W.F.), 7 (J.S.L.).
compte des étapes évolutives des langues concernées. 1. Description détaillée
Cette configuration constitue un réseau d’interdisciplinarité qui, au de l’enseignement du français
plan des exigences imposées aux historiens (exigences qu’on pourrait aux Temps Modernes dans
Chervel (2006) ; survol
appeler historiographiques, car elles touchent directement à l’activité
synthétique de « l’institution »
d’écrire l’histoire), pose (a) un problème de compétence, ou plus exac- du français jusqu’au XIXe siècle
tement, de réunion de compétences ; (b) un problème de ressources dans Swiggers (2007b).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
30
(dans un double sens : sources à utiliser et instruments de référence à
créer) ; (c) un problème de traitement descriptif ; nous utilisons l’expres-
sion « traitement/travail descriptif » dans un sens large : il s’agit d’une
description qui, quelle que soit sa forme « expositive », implique tou-
jours un travail interprétatif, basé sur des unités de catégorisation2.
Le présent texte veut indiquer certaines voies à suivre et soulever un
certain nombre de questions épistémologiques ; vu les contraintes
d’espace, l’exemplification par des cas historiques concrets sera som-
maire ou allusive.
L a complexité du traitement descriptif
On commencera par poser le problème du traitement descriptif. Qu’il
s’agisse d’une étude ponctuelle portant sur un auteur/une œuvre ou
d’un travail synthétique et comparatif englobant une période ou pre-
nant pour objet une (sous-)tradition didactique, l’historien de la didac-
tique des langues doit inclure dans son examen les variables
suivantes3 :
(1) les « actants » : les producteurs de produits et d’activités didactiques
et les utilisateurs ou « bénéficiaires » de ces produits et activités ;
(2) les « matériaux » didactiques : les « objets » par lesquels les actants
interagissent dans le processus didactique ;
(3) les « circonstances » extérieures : le contexte culturel, socio-écono-
mique et politique dans lequel le processus didactique se déroule ;
(4) « l’écosystème linguistique » : structure, évolution et situation glotto-
politique4, sociolinguistique et géolinguistique des langues concer-
2. Sur le rôle incontournable
nées par les processus didactiques qui font l’objet de l’étude ;
de « catégories » dans
le travail de l’historien, voir (5) l’« engrenage » méthodologique et épistémologique, qui est
Perelman (1969) ; sur leur rôle constitutif de formes et de pratiques didactiques à des époques
en histoire de la grammaire, déterminées de l’histoire, mais aussi les contours méthodologiques
voir Swiggers et Wouters
très généraux (opérant « en longue durée ») qui ont été, et sont
(2004).
3. Le modèle d’étude
toujours, sous-jacents à tout processus didactico-linguistique.
« didaxologique » proposé La prise en compte obligatoire de ces variables conduit à envisager un
dans Swiggers (2010) « espace de travail » interdisciplinaire pour l’historien de la didactique,
comprend six variables : dans lequel doivent être intégrés : les acteurs (avec leurs attentes,
« méthodes », « maîtres »,
« matériaux », « masse », attitudes et appréciations) du processus didactique, les langues faisant
« milieux » et « matrices ». l’objet d’enseignement et, plus précisément, les langues-sources et
4. Voir à ce propos Schröder langues-cibles qui sont en interaction dans le processus didactique, les
(D5), qui observe que « faire différentes dimensions (politique, socio-économique, sociolinguis-
l’histoire de l’enseignement
tique, culturelle) de la situation contextuelle, les formes et stratégies de
langagier c’est […] faire
la diachronie de la politique modélisation et d’insertion didactiques, les objets (instruments pre-
linguistique ». miers !) à l’aide desquels se déroule le processus didactique.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
31
Contextes et disciplines
R etombées méthodologiques : la question de référence dans
l’enseignement
des ressources du français
(langue étrangère/seconde)
Les paragraphes qui précèdent ont mis en relief l’envergure et la com-
plexité du champ de l’historien de la didactique. Cela nécessite, afin
de faire face aux conditions requises pour un travail descriptif dûment
réalisé, la mobilisation de plusieurs types de « ressources » : celles-ci
sont à situer essentiellement sur quatre plans : (a) le plan de l’histoire
des sociétés et des cultures ; (b) le plan de l’histoire de la « pensée »
(réflexion et pratique !) linguistique ; (c) le plan de l’histoire des lan-
gues ; (d) le plan des conceptions et des modèles didactiques.
Les ressources – soit disponibles, soit à réaliser – ont une double fonc-
tion par rapport au travail descriptif : en premier lieu, elles fonctionnent
comme base heuristique, mais, au-delà de ce rôle heuristique, elles
obligent l’historien à une réflexion (et à une prise de position) à propos
des présupposés, des principes méthodologiques, des perspectives,
voire de la fonctionnalité de son propre travail ; l’historien devra
d’ailleurs adopter la même attitude critique face à ses (res)sources.
Les sections qui suivent sont consacrées aux rôles respectifs de ces
ressources et des disciplines dont elles relèvent.
L ’histoire des sociétés et des cultures
CONTEXTES HISTORIQUES D’USAGE DE LA LANGUE
Toute langue s’inscrit dans un contexte d’usage et ne se comprend
pleinement que dans la profondeur historique et le développement
socioculturel d’un tel contexte. Qu’il s’agisse de son emploi effectif, de
sa description savante, de son apprentissage concret, de sa promotion
ou de la législation à son sujet, ou encore de sa défense dans une
situation de menace linguistique, il faut avant tout définir avec préci-
sion ce contexte social et culturel dans sa dimension historique. Toute
langue, qu’elle soit en usage de temps immémorial, volontairement
acceptée ou imposée de l’extérieur, meurt si elle ne se pratique pas,
et la pratique des langues, même dans des situations particulières ou
parmi des groupes restreints, précède presque toujours son imposi-
tion politique, son institutionnalisation culturelle comme langue
d’usage dans certains domaines de la vie, ou sa transmission dans un
système d’apprentissage.
Or les sociétés et cultures peuvent être aussi bien réceptrices que
productrices de langues, et il serait erroné de croire qu’une langue
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
32
étrangère, importée ou apprise, telle que le français hors de l’orbite
francophone, serait seulement l’objet d’une simple diffusion, sans que,
au cours du temps, la langue s’adapte au passage aux besoins,
demandes et initiatives qu’elle rencontre sur son trajet dans une com-
munauté qui serait exclusivement réceptrice. La même observation
vaut d’ailleurs pour le français dans les différents contextes nationaux
qui caractérisent le noyau du monde francophone : le français de
France, de Wallonie, du Québec ou de la Suisse romande, par
exemple, a chaque fois des caractéristiques propres qui relèvent
autant de sa genèse, de son adoption et de son évolution dans des
conditions historiques précises que de la mémoire historique de la
langue comme élément constitutif d’une communauté particulière et
comme moyen d’expression privilégié de sa culture. Qui plus est, les
communautés de contact de tels territoires francophones s’appro-
prient le français comme langue étrangère ou seconde autrement que
les sociétés qui en sont éloignées. Ainsi, le français des Flamands néer-
landophones n’est-il pas identique à celui des Néerlandais, ni par la
forme ni par les résonances identitaires qu’il crée dans la communauté,
de même que celui des Canadiens anglophones est différent du fran-
çais appris par les Britanniques en Europe ou les Américains des États-
Unis. Pour comprendre la diffusion et la pratique du français comme
langue étrangère ou seconde, son potentiel culturel, les dangers qu’il
court, et son éventuel déclin, il importe donc toujours d’identifier les
conditions et modalités de sa pratique, en actes et in situ.
Pour bien saisir le contexte social et culturel, il faut donc toujours défi-
nir avec précision les conditions et situations de contact des langues
ou de l’usage, de l’apprentissage ou de la promotion d’une langue
étrangère dans une communauté donnée. C’est dans ces conditions et
situations que les sources pour l’étude du français langue étrangère ou
seconde sont le plus souvent créées et conservées, telles que les
manuels (de toutes sortes) écrits pour l’échange entre gens de langue
différente ou pour l’acculturation d’une communauté entière, les dic-
tionnaires multilingues ou spécialisés destinés à des groupes sociaux
précis, les correspondances échangées entre gens appartenant à un
même milieu social, culturel, artisanal ou scientifique, ou du même
sexe, les pratiques de « translation » à différents instants de la vie
sociale, ou encore la littérature ou la production cinématographique
émanant de courants culturels à la mode. La révolution cybernétique
vient à son tour compliquer en même temps qu’enrichir les échanges
linguistiques, mais on aurait tort de négliger l’Internet et son impact
sur la transmission linguistique du français. En fait, on pourra utilement
distinguer quelques grands contextes d’usage du français langue étran-
gère ou seconde qui fournissent chacun leur propre série de sources :
– langue utile (c’est-à-dire langue de contact immédiat dans une mul-
tiplicité de situations et moments de la vie quotidienne, adaptée aux
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
33
contextes de son usage pratique en situation bilingue, et donnant Contextes et disciplines
souvent lieu à des expressions linguistiques hybrides) ; de référence dans
– langue imposée (supposant un jeu de forces politique entraînant l’enseignement
législation, adaptation et/ou rejet, dans un contexte de volontés et du français
(langue étrangère/seconde)
pratiques identitaires) ;
– langue de prestige ou de culture (demeurant le plus souvent réser-
vée à la « haute » culture et se limitant de ce fait à l’expression du
français standard[isé]) ;
– lingua franca (réservée à des contacts utiles dans un contexte multi-
lingue, diminuant à cet effet le niveau d’exigence jusqu’à produire une
langue commune, compréhensible pour le plus grand nombre et pré-
férant l’utilité pour la communication et la clarté immédiate à la
richesse grammaticale, la variété idiomatique ou la profondeur).
Pour entrer un peu plus dans le détail, on distinguera ici trois domaines :
le domaine des pratiques culturelles, celui de la politique culturelle au
sens large, et le domaine de la politique linguistique et scolaire.
LE DOMAINE DES PRATIQUES CULTURELLES
L’enseignement et l’usage du français en tant que langue étrangère ou
seconde, ou hors d’un contexte à dominante francophone, sont des
formes de pratiques culturelles. L’étude de ces pratiques culturelles,
c’est-à-dire des activités qui ont rapport à des faits linguistiques ou qui
les engendrent, est au cœur de l’histoire culturelle actuelle. L’histoire
culturelle moderne, en effet, se distingue de l’ancienne histoire sociale
et histoire des idées en ce qu’elle s’intéresse plus aux actes qu’aux
faits, et plus à la façon dont les faits sont représentés verbalement ou
visuellement dans des conditions précises, changeantes, qu’à une
vérité supposée « objective et stable ». Globalement, elle s’efforce de
reconstruire, à travers des narratifs et en identifiant les procédures
mises en œuvre dans l’histoire par une personne ou un groupe donnés,
la genèse d’un ensemble cohérent d’expressions culturelles, les diffé-
rents sens qu’on lui a donnés dans l’actualité du passé, à travers l’his-
toire et dans la mémoire, et les transformations que ce « fait culturel »
global a subies au cours de sa trajectoire historique. L’histoire culturelle
moderne prête une attention particulière aux transferts culturels qui
assurent la fécondation des cultures entre elles en transférant des
valeurs, symboles, objets et pratiques d’une culture à l’autre, tout en
les adaptant à leur nouveau contexte. La transmission linguistique, que
ce soit sous la forme de l’enseignement et la didactique des langues
étrangères, sous la forme de traductions et adaptations, ou sous la
forme du simple contact parlé ou écrit entre hommes et femmes, est
par excellence une forme de transfert culturel. Relevant du domaine de
l’appropriation culturelle, de l’acculturation ou de l’accommodation,
elle met le plus souvent en œuvre des formes de négociation culturelle
entre les actants ou interlocuteurs qui conduisent à des adaptations de
forme ou de sens.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
34
Le rôle que le français a pu jouer en tant que langue étrangère ou
seconde a, tout au long de l’histoire, dépendu en tout premier lieu d’un
ensemble de pratiques ponctuelles ou usuelles entre personnes intéres-
sées, faisant jouer des contacts interculturels. Ces pratiques ont ensuite
pu être codifiées par les acteurs sociaux ou les autorités politiques, légi-
timées par des discours sur les valeurs culturelles, interculturelles ou
transculturelles que représente le contact entre les langues ou l’interac-
tion linguistique, et soutenues par des formes d’institutionnalisation, soit
dans le domaine privé soit dans le domaine public. Mais il n’est pas
question dans ce domaine d’une évolution linéaire : de nouvelles pra-
tiques favorisant l’usage international ou interculturel du français peu-
vent naître à chaque instant, témoin les fluctuations linguistiques
observables dans les métiers de luxe développés par les Français, tels
ceux qui sont liés à l’habitat (l’ébénisterie), à la cuisine, à la mode, et plus
largement à l’expression esthétique et au langage de l’amour.
LE DOMAINE DE LA POLITIQUE CULTURELLE AU SENS LARGE
Les pratiques culturelles n’évoluent pas en vase clos. Elles sont soute-
nues par des politiques culturelles et légitimées par des discours sur
l’utilité des échanges, du plurilinguisme ou du monolinguisme, sur
l’excellence de telle ou telle langue par rapport à l’identité de la
communauté, etc. En tant que langue étrangère ou seconde, la diffu-
sion du français a beaucoup profité de la situation géopolitique de la
France comme carrefour entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud,
entre l’Atlantique et la Méditerranée, et comme passage obligé pour
aller de l’Est vers l’Atlantique et vice versa. La constitution précoce
d’un royaume français fort et expansionniste, et l’élaboration progres-
sive d’une idéologie quasi guerrière annexant à la sphère d’influence
française de nombreux territoires limitrophes, de la Flandre à la Cata-
logne, de la Bretagne à l’Alsace-Lorraine, de la Rhénanie aux régions
alpines, ont privilégié l’expansion de la langue française jusqu’après la
Première Guerre mondiale, voire au-delà. L’importance objective de la
France comme force démographique, commerciale, politique et mili-
taire a commandé l’imposition du français dans de larges secteurs
internationaux, comme langue de la diplomatie (âprement défendue
lors de multiples querelles de préséance au cours des siècles),
d’échanges commerciaux (en particulier par l’échange d’apprentis et
commis avec des négociants d’autres pays), ou de discipline militaire.
Il faut cependant souligner que l’expansion du français n’était pas le
seul fait d’une politique culturelle explicitement formulée dans le
royaume de France. Le prestige de la langue écrite ou imprimée et le
rôle joué par d’autres pays de langue française dans cette expan-
sion sont également à souligner. Le mauvais souvenir que, de Louis XIV
à Napoléon, les rigueurs et destructions des occupations françaises
ont laissé dans de multiples régions de l’Europe fut bien souvent
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
35
contrecarré par le prestige avoué de la langue et son utilité pratique Contextes et disciplines
dans les échanges ou comme lingua franca scientifique et culturelle. de référence dans
Ainsi, l’essor que la civilisation de cour connut depuis le XVIe siècle dans l’enseignement
toute l’Europe par imitation du modèle français, et les modèles com- du français
(langue étrangère/seconde)
portementaux du courtisan, du parfait gentilhomme et de l’honnête
homme propagés par les manuels de civilité, les traités de savoir-vivre,
les images et le théâtre, sont-ils pour beaucoup dans l’essor du français
hors de France sous l’Ancien Régime, sans même parler de la visite
obligée de Paris et de Versailles et le passage du grand tour des jeunes
nobles et étudiants par différentes régions et villes de France, tout
particulièrement des villes comme Orléans et Angers où l’on venait
séjourner expressément parce que le français parlé y était dit être « le
plus pur ». Hors du royaume, d’autres modèles ont contribué à cette
expansion. Que l’on pense au rôle joué dès le XVe siècle par la cour de
Bourgogne avec sa civilisation raffinée et brillante, d’abord à Dijon,
puis à Bruxelles, où le français s’est ainsi durablement installé dans une
ville au départ purement flamande. Mais aussi à Genève qui a rempli
pleinement son rôle comme centre d’expansion du calvinisme en lan-
gue vernaculaire et ville de référence pour sa rigueur théologique.
D’autres formes de politique culturelle informelle ont été assurées par
des communautés exilées de langue française ou par le rôle que les
intellectuels français ont pu jouer à maintes reprises dans l’espace
public des débats internationaux. Ainsi, les pratiquants eux-mêmes ont
imposé le français comme langue de communication principale de la
République des Lettres (le monde scientifique des XVIe-XVIIIe siècles), à
côté du latin et, en Europe centrale, de l’allemand, ensuite comme la
langue des correspondances entre scientifiques et des journaux
savants. L’exil des huguenots vers de nombreuses régions de l’Europe
à la suite de la Révocation de l’Édit de Nantes (1685) a créé une dias-
pora francophone autour des églises réformées de langue française
qui, peu ou prou, s’est maintenue jusqu’à nos jours, tout en séduisant
souvent des non-francophones attirés par le prestige du français
comme langue de culture. Vers 1700, à l’époque de ce que Paul Hazard
a appelé naguère « la crise de la conscience européenne », la Querelle
des Anciens et des Modernes initiée par Charles Perrault a rendu aux
yeux d’une bonne partie de l’opinion européenne son rôle exemplaire
à la littérature moderne en langue vernaculaire, en privilégiant avant
tout la langue française. La presse internationale, même située à
l’étranger, fut un temps essentiellement francophone.
Quelques décennies plus tard, les philosophes des Lumières ont repris
ce flambeau sur la scène internationale. Comme en témoignent les
inventaires des bibliothèques publiques et privées, le rôle joué par
l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert et par ces deux « consciences
morales de l’Europe » que furent Voltaire et Rousseau peut difficile-
ment être exagéré pour ce qui fut l’expansion du français comme
« langue de culture ». La réflexion sur le statut des langues dans une
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
36
communauté nationale conduisit Rivarol à l’idéologie de la suprématie
culturelle de la langue française, parallèlement à la place prépondé-
rante qu’avait prise le français dans le cosmopolitisme européen. Il en
était de même, sous la Révolution et l’Empire, de l’influence des
savants français et des nouvelles écoles ou institutions scientifiques sur
la modernisation du paysage culturel européen. Elle fut suivie par la
découverte des cultures extra-européennes, d’abord le monde arabe
et asiatique, puis, sous l’anthropologie naissante, les cultures indigènes
hors d’Europe. Tout au long des XIXe-XXe siècles, les intellectuels fran-
çais, aussi bien laïcs (Zola) que croyants (Teilhard de Chardin, de
Lubac), ont défini les grands sujets de débat européen et décidé à leur
manière de la politique culturelle informelle dans l’aire d’influence
européenne tout en attirant vers le français comme langue de culture
de nombreux intellectuels étrangers. Le programme Erasmus, actuel-
lement en cours d’être détourné au profit du seul anglais, devait initia-
lement assurer la relève pour la formation en langue française des
étudiants non francophones de l’Europe.
L’ensemble de ces pratiques culturelles a fait du français pendant un
certain temps et sur plusieurs continents (l’Amérique latine y comprise)
une langue de culture incontournable, englobant la production litté-
raire, théâtrale, cinématographique et même musicale. Par ailleurs,
l’utilité évidente de la langue officielle de la puissance colonisatrice
pour la gestion politique, sociale et économique de l’empire colonial
français a fait du français, au XXe siècle, la langue seconde officielle de
maints pays annexé sous l’Empire napoléonien ou colonisé (au
Maghreb, au Proche-Orient, dans les pays africains, en Indochine, et
aux îles ayant appartenu à la République française). Le poids de la
France dans la constitution de l’Union européenne a assuré au français
la fonction d’une des langues officielles de la Communauté, mais son
usage se restreint, à l’heure actuelle, progressivement au profit de
l’anglais. Le fait même du déclin actuel du français comme langue de
contact et de culture à impact mondial et son remplacement par l’an-
glais comme lingua franca montrent que l’étude des conditions et des
contextes est essentielle pour comprendre la diffusion et le fonction-
nement du français langue étrangère ou seconde.
LE DOMAINE DE LA POLITIQUE LINGUISTIQUE ET SCOLAIRE
S’il est difficile de séparer toujours la politique culturelle globale de la
politique linguistique et scolaire, pour notre discipline il est pourtant
important de prêter une attention particulière à la mise en forme du
paysage linguistique par l’ensemble des actes institutionnels et légis-
latifs réalisés au cours des siècles. En France même, on relève trois
moments clés qui ont déterminé la genèse du français en tant que
langue standardisée et identitaire pour la nation française : l’imposition
du français comme langue usuelle dans les actes de la vie publique par
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
37
l’édit de Villers-Cotterêts (1539), la création de l’Académie française Contextes et disciplines
chargée d’élaborer le dictionnaire du français standard (1634), et les de référence dans
efforts des révolutionnaires, en particulier de l’abbé Grégoire, visant à l’enseignement
bannir les dialectes et « patois » de la vie quotidienne de l’ensemble du français
(langue étrangère/seconde)
du pays, puis également dans les pays conquis.
Le maintien du français comme langue étrangère ou seconde à l’étran-
ger, initialement souvent assuré par les communautés d’origine fran-
çaise, tels les huguenots, fut relayé par une législation scolaire destinée
aussi bien à sauvegarder les intérêts des communautés linguistiques
particulières qu’à promouvoir l’usage du français comme langue de
contact et de culture ou comme lingua franca, surtout à la suite du
déclin progressif du latin comme langue d’enseignement supérieur et
de science internationale à partir du XVIIIe siècle. Sous l’Ancien Régime,
divers pays européens avaient connu, sous des formes variées, le
modèle de l’école française, c’est-à-dire une école élémentaire ou
avancée où non seulement le français était enseigné comme lan-
gue étrangère mais où l’enseignement même était donné en français,
comme langue seconde. Les initiatives révolutionnaires devaient
déboucher sur une politique linguistique passant par l’école : selon la
nouvelle idéologie, de facture républicaine surtout, l’unité de la nation
passe par l’unité linguistique. Aussi, des révolutionnaires à Jules Ferry
puis jusqu’aux réaménagements incessants du dernier demi-siècle, la
législation scolaire a-t-elle toujours véhiculé en France (et dans les
territoires francophones hors de France) une forte composante linguis-
tique. Actuellement on constate cependant à différents niveaux un
changement dans l’attitude envers la langue comme instrument iden-
titaire : la montée des régions change le statut de la langue standard
et différencie son usage jusqu’à en faire parfois la langue seconde
pour des groupes particuliers. De même, la migration de populations
importantes utilisant le français comme langue seconde (par ex. au
Maghreb et dans plusieurs pays d’Afrique noire et d’Indochine), vers
des pays non francophones, changera dans un avenir proche la donne
pour le sort du français langue étrangère ou seconde.
Dans le contexte de la suprématie culturelle de la France, l’essor du
français comme langue de culture allait conduire un peu partout en
Europe à l’introduction du français comme langue seconde, facultative
ou obligatoire, à un niveau quelconque du système scolaire, tantôt dès
l’école élémentaire, tantôt dans le secondaire. Cette évolution a
engendré à son tour un besoin d’enseignants professionnels de fran-
çais dûment formés, remplaçant les gouverneurs et gouvernantes
particuliers et les enseignants privés. Elle allait de pair avec la consti-
tution du français comme discipline linguistique et littéraire dans l’en-
seignement supérieur des pays étrangers, au cœur d’un « département
des langues romanes ». D’ailleurs, on devra souligner ici le rôle des
associations officielles ou de sympathisants, tout particulièrement de
l’Alliance française et des Instituts français à l’étranger, non seulement
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
38
pour la défense et l’illustration de la langue et culture françaises mais
tout autant pour son apprentissage hors de l’orbite universitaire et
académique. Un rôle « acculturant » particulier revient, enfin, aux
lycées français à l’étranger.
L ’histoire de la pensée linguistique
Dans (l’examen de) l’histoire de la didactique des langues une place
importante revient aux instruments didactiques : essentiellement,
jusqu’à une époque très récente, des manuels de langue (sous forme
de livres imprimés). Ceux-ci comportent toujours une forte compo-
sante grammaticale et (souvent) une composante lexicale, parfois aussi
une composante stylistique ou « discursive ». On se bornera ici à traiter
l’aspect grammatical des manuels5 et on s’en tiendra à circonscrire le
champ de l’étude historiographique de manuels grammaticaux6. L’exa-
men de (la structure des) manuels grammaticaux et de leur évolution
ne peut se borner à une simple analyse de leur organisation, de leurs
dimensions macro- et micro-structurelles ; il importe d’inclure dans cet
examen toutes les dimensions de ces textes, en tant que documents
descriptifs et pédagogiques et en tant qu’énoncés linguistiques.
Concrètement, cela signifie qu’on devra examiner :
a) le format des textes grammaticaux : c’est-à-dire la structure générale,
en termes de (1) division en sections et sous-sections, et (2) procédés de
rédaction / composition : exposé magistral ou « thétique » / schéma
question-réponse / progression en fonction de l’examen de cas concrets ;
b) le contenu grammaticographique : ce volet analytique englobe
d’abord un examen des démarches définitionnelles des auteurs :
quelles sont les unités de description délimitées par les grammairiens
et comment sont-elles définies ? Cette analyse doit tenir compte d’une
distinction fondamentale : celle entre niveaux descriptifs (par ex.
niveau graphophoné[ma]tique, niveau morphologique, niveau syn-
taxique, niveau discursif-stylistique) et catégories de description (il
s’agit de fonctions grammaticales auxquelles correspondent des
formes ou des modifications de formes). Les unités de description sont
5. L’aspect lexical doit faire définies par rapport à un niveau (par exemple : la « lettre » par rapport
l’objet d’un travail
de métalexicographie ;
au niveau graphophoné[ma]tique) et elles sont définies à l’aide de
pour une définition et catégories grammaticales, ces dernières prenant des valeurs de réali-
une présentation, voir sation concrètes. À cet examen des démarches définitionnelles se
Petrequin et Swiggers (2007). rattache, de façon étroite, un examen du discours argumentatif des
6. Aperçu historique,
auteurs : comment justifient-ils leur démarche, leur classification et
avec ample bibliographie,
dans Swiggers (2007a) ; comment se situent-ils par rapport à d’éventuelles divergences de vues
voir aussi Chevalier (1994). relevées chez d’autres grammairiens ?
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
39
c) l’exemplification des manuels grammaticaux : l’exemplification − qui Contextes et disciplines
a une fonction démonstrative dans la démarche argumentative, qui de référence dans
illustre le contenu grammaticographique et qui occupe une place, l’enseignement
du français
souvent stratégique, dans la structure des manuels −, fera l’objet d’une (langue étrangère/seconde)
analyse (relativement) autonome, dans la mesure où il importe d’avoir
une idée exacte
1) du nombre d’exemples fournis par un auteur (par rapport à une
unité de description)
2) du type d’exemples (types de mots ou types de phrases)
3) de la provenance des exemples (exemples littéraires, tirés de
quels auteurs ?,…)
4) de la persistance, ou du réemploi, de certains exemples
5) de l’éventuel côtoiement de plusieurs langues (langue-cible et
langue[s]-source[s]).
d) le métalangage grammatical : par « métalangage grammatical »7,
nous entendons l’ensemble de termes qui servent à désigner des uni-
tés de description, leurs manifestations ou encore des propriétés de
ces unités et de leurs combinaisons. Comme c’est le cas de toute ter-
minologie, le métalangage grammatical contient, du point de vue
statutaire, un premier groupe de termes techniques qu’on pourra
appeler « objectivants et réifiants » ; un deuxième groupe de termes
techniques se caractérise par un sémantisme « processuel ». Du point
de vue de leur fonction, les termes objectivants sont principalement
des termes qui « identifient » et « caractérisent » des objets grammati-
caux ; les termes processuels sont, par contre, des termes qui servent
à décrire un « parcours » fonctionnel.
L’historien de la grammaire/linguistique, qui doit nécessairement com-
parer des textes à travers le temps, et qui, de plus, doit tenir compte
de la transposition de son discours analytique vers le lecteur moderne,
doit, d’une part, respecter la forme et le contenu des termes et des
procédés descriptifs et didactiques qu’il rencontre dans les textes-
sources, et doit, d’autre part, effectuer un « calibrage » terminologique
(c’est-à-dire constituer une terminologie standardisée qui permet de
coiffer la variété de termes plus ou moins équifonctionnels dans les
textes-sources) et une « méta »-modélisation, grâce à laquelle il est
possible d’intégrer et de comparer les différents modèles descriptifs
relevés dans le corpus des textes-sources.
L ’histoire des langues 7. Sur le métalangage
linguistique et sur le problème
Depuis ses origines, le français (ou : « langue d’oïl » / françois, c’est-à- du calibrage terminologique,
dire la variété centrale ayant acquis progressivement plus de prestige) cf. Swiggers (2006).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
40
a coexisté, sur le sol de la France, avec d’autres langues/variétés,
romanes (les variétés occitanes et francoprovençales, et le catalan) et
non romanes (variétés germaniques, comme le flamand, l’alsacien, le
mosellan ; une langue celtique, à savoir le breton ; et le basque) ; s’y
ajoute le fait que le français (ou une variante d’oïl, comme l’anglo-
normand) était, à l’époque médiévale et pendant la Renaissance, la
langue maternelle de communautés en dehors de l’Hexagone : en
Angleterre, dans les Pays-Bas anciens, en Italie septentrionale (le
Piémont), dans certaines parties de l’Empire habsbourgeois et en
Suisse. L’époque de la colonisation (et de la post-colonisation) a vu
s’implanter et se maintenir le français comme langue maternelle, lan-
gue seconde ou langue officielle dans plusieurs pays en dehors de
l’Europe (Amérique du Nord et Afrique).
L’historien de la didactique du français, placé devant la nécessité
d’analyser des situations d’enseignement/d’apprentissage du français
dans le passé, se rendra compte que ce processus didactique a tou-
jours supposé l’interaction entre plusieurs variétés linguistiques : cela
vaut non seulement pour l’enseignement du « français langue étran-
gère », mais aussi pour l’enseignement du français en France, vu l’exis-
tence séculaire d’une situation de di/polyglossie et de bi/multilinguisme
sur le territoire français. De fait, la distinction entre enseignement du
français langue maternelle et enseignement du français langue étran-
gère n’est guère pertinente, sauf pour l’époque contemporaine (et
même là, il importe d’adopter une position nuancée, vu l’existence de
différentes variétés, socialement sanctionnées, de français non hexa-
gonal et l’émergence de divers français régionaux).
Dans le travail descriptif de l’historien de l’enseignement du français,
une place importante revient à la mise en corrélation des contenus et
formes didactiques avec l’état des langues/variétés – « langue-cible »
[le français] et « langue(s)-source(s) » – en jeu, à l’époque historique qui
fait l’objet de l’examen. Les ressources essentielles sont ici les « his-
toires de la langue » – vastes synthèses, aperçus d’ensemble, travaux
monographiques – pour les variétés en question. Dans certains cas, les
auteurs d’histoires d’une langue consacrent une partie de leur exposé
à (l’histoire de) l’enseignement de la langue ; c’est le cas de la monu-
mentale synthèse dont on dispose pour le français, l’Histoire de la
langue française de Ferdinand Brunot. Du côté des « langues et
cultures/sociétés » réceptrices – c’est-à-dire, celles où un enseigne-
ment du français (langue étrangère/seconde) est mis en place –, il
s’agira de s’informer (a) sur le cours évolutif de la langue et de la culture
réceptrices, et (b) sur le rôle du français (et l’attitude à l’égard du fran-
çais) dans la société où le français a été/est enseigné comme langue
étrangère ou seconde.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
41
Contextes et disciplines
L ’histoire des conceptions de référence dans
l’enseignement
et des modèles didactiques du français
(langue étrangère/seconde)
L’histoire de l’enseignement du français (langue étrangère/seconde)
s’insère dans une vaste évolution historique de conceptions, de
méthodes et de contenus didactiques qui, selon les périodes et les
contextes sociopolitiques, ont fait l’objet de modélisations variables.
LE « MODÈLE ÉDUCATIF DES HUMANITÉS CLASSIQUES »
À LA RENAISSANCE ET AUX TEMPS MODERNES
L’éducation linguistique et la culture de la langue, dans la conception
de Cicéron, constituent les fondements du renouveau éducatif de la
Renaissance (Michel 1991 : 11-21 ; Puren 1988 : 55). Érasme défend,
comme Cicéron, que « le langage et la culture sont les seuls moyens
de faire accéder l’homme à la civilité » (Matoré 1988 : 325). Partout en
Europe, protestants et catholiques attachent une très grande impor-
tance aux études littéraires (cf. Lebrun, Venard, Quéniart 1981 : 342-345).
Les nouvelles congrégations catholiques (Jésuites, Oratoriens, Frères
de la vie commune, Frères des écoles chrétiennes…) comprennent que
pour gagner le combat contre les idées de la Réforme il faut fournir des
armes égales aux « soldats de l’Église de Rome » (Garin 1976 : 203).
Évidemment, les orientations ne sont pas les mêmes : dans les collèges
protestants, les études philologiques et critiques nourrissent le respect
de l’homme et la revendication des valeurs de la conscience (cf. ibid. :
201), tandis que les collèges catholiques (cf. la Ratio atque institutio
studiorum des Jésuites) prônent le principe de l’autorité : on ne doit
pas préparer l’homme à choisir, mais le préparer à défendre rationnel-
lement ce choix. Mais au-delà de ces différences, « collèges catho-
liques et collèges protestants […] suivent le même modèle humaniste,
fondé sur la pratique assidue des maîtres de l’antiquité » (Lebrun,
Venard, Quéniart 1981 : 354).
L’ÉDUCATION NOBILIAIRE AUX TEMPS MODERNES
Même si certains collèges de jésuites (La Flèche, Juilly, Louis-le-Grand,
Pontlevoy ; collèges de nobles en Italie ou en Espagne…) accueillent
les enfants de la noblesse, on doit constater « l’insatisfaction de l’aris-
tocratie devant le modèle dominant du collège » (Lebrun, Venard,
Quéniart 1981 : 492). Et l’éducation nobiliaire va ainsi se faire dans des
Académies spéciales (comme celle de Pluvinel, à Paris) ou à la maison,
par des précepteurs. Certains d’entre eux publient des traités consa-
crés à la question : Nicole, Fleury, Fénelon, Locke, Rollin.
Garin (1976 : 248-254) et Lebrun, Venard, Quéniart (1981 : 536-539)
proposent une même analyse : le modèle d’éducation conçu pour les
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
42
princes s’étend à l’éducation de toute personne noble ou prétendant
devenir une personne de qualité. Ces traités constituent un modèle
éducatif qui exercera une profonde influence sur les collèges, en ren-
forçant le modèle des humanités classiques, et la tendance vers une
éducation élitaire : ce qui importe, ce n’est pas de rendre le jeune
homme parfait connaisseur d’une science ou d’une technique quel-
conque (instruction), mais de lui fournir une solide éducation morale ;
« inculquant une culture jugée éternelle, et qui n’a pas besoin d’être
pratique, le collège semble de plus en plus se tenir, et tenir les enfants,
en dehors du monde contemporain » (Lebrun, Venard, Quéniart 1981 :
538). Le modèle nobiliaire rejoint ainsi celui des humanités classiques :
chacun doit choisir un état correspondant à sa condition, et ne sont
considérées comme prestigieuses que les études de droit, de méde-
cine et de théologie (menant aux emplois suivants : officier, secrétaire,
juge, intendant, ambassadeur, membre de la Chancellerie, maître,
professeur…). Le réquisitoire de La Chalotais en 1763, qu’il dépose au
bureau de la cour du Roi Louis XVI, appuyé par de nombreuses prises
de position contemporaines, commence à faire admettre l’inadapta-
tion flagrante de ce modèle aux besoins d’un État moderne et l’exi-
gence de suivre l’exemple donné par d’autres pays.
DU XVIIe AU XIXe SIÈCLE : L’ÉMERGENCE D’UNE ÉDUCATION
« RÉALISTE ET PRATIQUE »
Un modèle éducatif alternatif commence à rivaliser, au cours du
XVIIIe siècle, celui des humanités classiques. La philosophie des Lumières
donne lieu, en Allemagne, à la création d’écoles de caractère réaliste
et pratique : la Heckersche Realschule à Berlin (1747), le Philanthropi-
num à Dessau (1774) et la Schulzsche Handlungsschule à Berlin (1791)
(cf. Macht D4 : 10). Dans toute l’Europe, des institutions (académies,
écoles professionnelles, etc.) se créent, soutenues par des nobles éclai-
rés ou par des institutions publiques, pour appuyer l’effort d’une édu-
cation « professionnelle » (écoles navales, écoles militaires, écoles
d’ingénieurs, écoles techniques : textiles, horlogerie, orfèvrerie, archi-
tecture, taille de pierres…), où la place des sciences (mathématiques,
sciences « physiques ») est notablement accrue, où l’on abandonne le
latin comme langue d’enseignement, et où l’on intègre l’étude de la
langue maternelle et celle des langues étrangères. L’étude des langues
étrangères (du moins, le français) est étayée par les deux modèles :
cela explique pourquoi on vante les langues étrangères comme une
qualité essentielle de l’éducation nobiliaire et comme nécessaires à
toute profession.
On peut conclure, avec Snyders (1965), que les XVIIe-XIXe siècles sont
marqués par le passage d’un modèle d’idéal éducatif à un autre, qui se
situe à son opposé. « D’un côté, une école fermée où l’enfant, consi-
déré comme faible et coupable, doit être surveillé et séparé des
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
43
tentations du monde. De l’autre, une attitude confiante à l’égard de Contextes et disciplines
l’enfance et une école ouverte sur la vie. Et ainsi, comme le mettait de référence dans
déjà en relief Durkheim (1938, chap. XII et XIII), il se produit une trans- l’enseignement
formation profonde quant aux « contenus » : si jusqu’au milieu du du français
(langue étrangère/seconde)
XVIIIe siècle, l’enseignement ne faisait connaître à l’enfant que
« l’homme », l’enseignement de la « nature » va entrer dans les cursus
avec les écoles réalistes et pratiques, et un puissant mouvement se
crée vers la connaissance de la réalité, dans toute sa complexité.
UNE MISE EN PERSPECTIVE : CONCEPTS ET MÉTHODES
DANS L’HISTOIRE DE L’ENSEIGNEMENT
De nombreuses études ont déjà été consacrées à la « longue construc-
tion socio-historique que constitue la réflexion occidentale sur l’ensei-
gnement/apprentissage des langues » (Besse 2000 : 1056)8. Nous
voudrions dégager les lignes directrices de cette évolution : cette vue
d’ensemble est forcément simplificatrice de la complexité du parcours
historique.
C’est le livre I de l’Institutio Oratoria de Quintilien qui marque la
réflexion sur la langue et l’enseignement de la langue de l’Occident
(Besse 2000 : 1049). Les humanistes (Érasme, Vivès, Sturmius, Frischlin,
Montaigne…), à partir notamment de Quintilien, proposent, d’un côté,
de changer le contenu linguistique (enseigner un latin élégant), mais,
de l’autre, de changer les « façons de faire ». L’enseignement du latin
est ainsi soumis à de profondes mutations et de nombreuses tentatives
de renouvellement de l’enseignement du latin sont faites au cours des
XVIe et XVIIe siècles (cf. Ascham, Webbe, Ratke, Bathe, Coménius, etc.) :
Roger Ascham [1516–1568] (The Scholemaster, ouvrage posthume,
1570) propose la méthode de la double traduction ; John Webbe [1568–
1591] recommande la répétition et l’intériorisation de séquences et
proclame que « la grammaire est inutile et même nuisible à l’acquisi-
tion des langues » (Caravolas 1994 : 80-81) ; Wolfgang Ratke [1571–
1635] défend le besoin d’apprendre d’abord la langue maternelle ; il
s’oppose à la mémorisation mécanique (nomenclatures, règles) et pro-
pose d’apprendre le latin par audition (viva vox docet) et « avec joie,
tout en se divertissant » (Caravolas 1994 : 134-142). L’influence de
Quintilien marquera aussi les ouvrages de Fleury, Radonvilliers, Du
Marsais, Rollin, etc., et inspirera la Ratio atque institutio studiorum de
l’ordre jésuite. 8. Voir aussi les travaux
signalés dans les « Ressources
Coménius (Ianua Linguarum, 1631 ; Didactica Magna, 1633-38 ; Novis- bibliographiques ».
sima Linguarum Methodus, 1648) défend un point de vue sensible- 9. Coménius pose en effet
ment différent par rapport à cette tradition (Besse 2000 : 1107). Son la question suivante :
but n’est pas uniquement linguistique, mais de faire « acquérir [à « Car puisque les mots sont
signes des choses, si on
l’élève] un savoir pratique (les mots avec les choses) »9 : de fait, les arts,
ne cognoit pas les choses,
les métiers, les sciences constituent plus de la moitié des cent cha- que signifieront ils ? »
pitres de la Ianua. L’enseignement doit se baser sur trois principes : (Ianua [1643] : Préface, 3).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
44
l’‘autopsie’ (voir, sentir les choses dont on parle), l’‘ordre’ naturel (acqui-
sition systématique), et l’‘autolexie’ (« dire et faire soi-même ce qu’on a
appris ») (cf. Caravolas D4 : 27). Mais Coménius ne rejette nullement
l’enseignement des règles d’une langue, tout au contraire (cf. Caravo-
las 1994 : 353 ; 1995).
Les positionnements antithétiques – l’apprentissage à l’aide de règles
vs l’apprentissage sans règles – se trouvent rapidement débordés par
des propositions qui tentent de concilier ces deux traditions (comme
c’est le cas chez Pluche dans sa Méchanique des langues, 1751), et c’est
leur jeu dialectique (prenant parfois la forme d’une polémique viru-
lente) qui nourrit les réflexions et les pratiques, surtout à partir du
moment où la langue française (comme langue étrangère) devient
matière scolaire, en Italie dès la fin du XVIIe siècle (cf. Pellandra D6) et
ailleurs en Europe au cours du XVIIIe siècle.
L’Allemagne a marqué le pas dans cette évolution. Comme l’a indiqué
Macht (D4 : 11), trois grands courants y coexistent au XVIIIe siècle : la
méthode de conversation, la méthode de lecture, la méthode de
grammaire. Le triomphe de cette dernière dans l’institution scolaire se
produit par des particularités propres à l’Allemagne. Le manuel de
Meidinger (1783) inaugure une nouvelle époque dans la méthodologie
de l’enseignement des langues en Allemagne ; peu à peu, « la
méthode Meidinger se trouve dans les manuels italiens et anglais […]
de sorte que l’enseignement de toutes les langues modernes se trouva
sous l’influence de la méthode Meidinger » (Macht D4 : 8). Les événe-
ments politiques ont certainement joué un rôle déterminant dans cette
évolution : l’occupation de l’Europe par les armées de Napoléon
engendra un profond sentiment anti-français qui écartait l’élite éclairée
des idéaux promus par les philosophes français des Lumières.
La « disciplinarisation » de la LE en matière scolaire constitue un puis-
sant vecteur d’évolution puisque la conception et le statut de la langue
commencent à changer, et par conséquent la description de la langue,
les outils sur lesquels s’appuie l’enseignement du maître de langue, et
finalement les actions entreprises par le maître pour enseigner. Au
bout de ce long processus, un modèle didactique global se constitue :
celui-ci conduit, dans un premier temps, vers l’enseignement « régu-
lier » du français en milieu institutionnel. L’enseignement « irrégulier »
se maintient en milieu privé (cours particuliers, académies de langues) :
il s’agit là d’un phénomène qu’on observe dans plusieurs pays
(cf. l’étude détaillée de Hammar 1991 pour la Suède).
On peut considérer ainsi que la généralisation de ce qu’on appelle la
« méthodologie traditionnelle » du français langue étrangère au
XIXe siècle dans toute l’Europe et son solide ancrage dans l’institution
scolaire s’effectuent par la réunion du modèle des humanités clas-
siques, de la philosophie cartésienne et de l’idéalisme allemand, de
l’évolution de la conception de la langue française et de la vigueur
acquise par (l’idée de) la grammaire générale. Le principe de base de
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
45
ce modèle est énoncé par Meidinger : « Tous les experts savent que le Contextes et disciplines
chemin le plus court et le plus sûr pour apprendre le français, c’est de référence dans
d’apprendre les règles » (cf. Macht D4 : 13). l’enseignement
du français
Or, la bataille n’était pas gagnée une fois pour toutes : le courant de (langue étrangère/seconde)
l’enseignement pratique n’a point disparu, même s’il reste cantonné
aux académies privées et aux enseignements techniques, non seule-
ment en Allemagne (cf. Reinfried D6), mais aussi en France : les Cours
traditionnels à objectifs pratiques (CTOP) constituent des variantes de
la méthodologie traditionnelle et gardent une image pratique/fonc-
tionnelle de la connaissance des LE (Puren 1988 : 62-75). Le désaccord
profond entre l’image sociale des langues étrangères et les pratiques
scolaires des lycées bouleversera cet ordre des choses bien établi,
avec l’émergence de la méthodologie directe à la fin du XIXe siècle
(ibid. : 191).
Il faut se garder toutefois d’unifier sous un seul paramètre les évolu-
tions qui se produisent, tant à travers les pays qu’à l’intérieur d’un
même pays. De fait, en histoire des méthodologies, les répartitions (de
méthodes, de concepts et de contenus) sont toujours provisoires et
changeantes, et tout modèle grammatical est régulièrement soumis à
révision : la méthode directe, la méthode active, la méthode audio-
visuelle, les approches communicatives, etc., constituent autant de
tentatives pour remettre en question le rôle central de la grammaire
dans l’apprentissage d’une langue étrangère.
C onclusion et perspectives
Le but du présent texte était d’esquisser les contours du champ, riche
et complexe, de l’histoire de la didactique de langues (en l’occurrence,
l’histoire de l’enseignement/l’apprentissage du français). Si nous avons
surtout insisté sur la nécessité de réunir des compétences dans
diverses disciplines de référence – qui, chacune, posent un certain
nombre de problèmes théoriques et méthodologiques –, nous vou-
drions, en terminant, insister sur le fait que le travail descriptif de l’his-
torien de la didactique devrait exploiter la diversité de facteurs (de
production, de conditionnement, de « consommation ») qui jouent
dans la mise en place (et dans le maintien − moyennant des adapta-
tions −, mais aussi dans la disparition) de processus didactiques. Parmi
les facteurs les plus importants, qui, dans la réalité concrète, s’enchevê-
trent, il faut mentionner : le prestige respectif de langues ; la diffusion
internationale d’une langue ou l’importance « quantitative » d’une lan-
gue ; la « migration » de langues (à travers les locuteurs), phénomène
qui peut s’expliquer par des raisons politiques, socio-économiques
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
46
et/ou religieuses ; la contiguïté géographique de langues et l’existence
de zones ou de pays multilingues ; les affinités (ou contrastes) poli-
tiques et idéologiques entre pays ; l’intérêt scientifique, politique et/ou
socio-économique d’apprendre une (autre) langue ; enfin, au plan le
plus personnel, le jeu complexe d’individus (précepteurs/auteurs de
manuels/didacticiens/linguistes et, à l’autre bout, les « récepteurs »,
avec leurs « attentes » spécifiques).
De façon générale, l’historien de la didactique du français se doit de
justifier les options méthodologiques de son travail « descriptif » et,
préalablement aux options prises, il devra dresser un bilan des ques-
tions à poser concernant l’objet et la démarche de l’analyse. L’historien
de la didactique du français devra avant tout se profiler comme un
analyste de matières et de pratiques culturelles, replacées dans leur
cadre politique et socio-économique : la description et l’enseignement
de la langue française se sont insérés et s’insèrent dans des contextes
culturels changeants se nourrissant de divers axes de temporalité10 ; de
plus, l’approche didactico-linguistique du français a toujours été, et
sera toujours, une activité culturelle, par ses buts, par ses modalités
formelles et par sa matière.
10. Pour la distinction de trois
types de temporalité
(temporalité plate, temporalité
cursive et temporalité
connexe) et les interrogations
spécifiques à chaque type,
voir Swiggers (D21).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
47
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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
48
Ressources :
Resso
Sont signalés ici quelques instruments de travail, par domaine de réfé-
rence ; on n’a pas inclus les ouvrages cités dans la bibliographie de cet
article ni les références à des articles dans Documents pour l’histoire du
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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
49
L e facteur religieux
dans la diffusion
du français
hors de France
MARIE-CHRISTINE KOK ESCALLE
UNIVERSITEIT UTRECHT, PAYS-BAS
K ARÈNE SUMMERER-SANCHEZ
UNIVERSITEIT LEIDEN, PAYS-BAS
Dans de nombreux établissements missionnaires catholiques du
Levant (milieu du XIXe-XXe siècle), la prise de Jérusalem par les croisés
et celle de la Bastille par le peuple de Paris ont été fêtées le même jour
(14 juillet) ; couleurs de la France et du catholicisme se sont correspon-
dues – bleu (couleur de la Vierge), blanc (sainteté), rouge (Sacré-Cœur).
Plus tôt, en Europe du Nord, les Églises wallonnes ont offert des ser-
vices en langue française tandis que dans le Bulletin de l’Alliance israé-
lite universelle (1860-1913) puis celui de Paix et Droit (1921-1940), le
nouvel an juif a souvent été célébré comme une fête aux accents répu-
blicains. Le français enseigné, parlé, appris hors de France a longtemps
été connoté par le religieux. L’école1 a constitué un moyen privilégié
dans cette diffusion, qu’elle soit entre les mains des communautés
religieuses exilées de France, ou qu’elle soit outil d’une opération de
conquête linguistique, vécue comme une conquête totale (territoriale,
économique, intellectuelle, culturelle, morale). Cette diffusion du fran-
çais s’est opérée dans des contextes très différents de changements
sociaux, politiques, culturels et religieux, avec parfois des conflits eth-
niques, nationaux, régionaux. 1. Aujourd’hui encore,
L’interrogation sur le facteur religieux dans la diffusion du français hors des établissements
de France a conduit certains chercheurs de la SIHFLES à s’intéresser aux catholiques francophones
au nom de saints (Benoît,
moyens de cette diffusion, puis à cerner la complexité des identités qui Joseph), de sœurs (Sion,
en ont résulté. Associé aux refuges francophones dans l’Europe du Saint-Joseph) ou de frères
Nord, le français a permis le maintien d’une identité héritée (protes- (des Écoles chrétiennes)
forment, du primaire
tants wallons et huguenots) ; associé à la politique des missions chré-
au supérieur (université
tiennes ou à ce qui a été considéré par la France comme une « mission Saint-Joseph à Beyrouth),
juive » (l’Alliance Israélite Universelle), le français a servi d’instrument des élites arabes et turques.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
50
au pouvoir politique par la promotion d’institutions éducatives, autour
du bassin méditerranéen, dans les différentes colonies (des XIXe et
XXe siècles mais aussi dans les anciennes colonies telles que le Québec)
et dans les lointains « pays de mission ».
Quel rôle le facteur religieux a-t-il joué dans la diffusion du français
hors de France ? Qui en furent les instigateurs, les acteurs, les destina-
taires, les moyens ? Quelles ont été les différentes raisons et quels ont
pu être les impacts de cette diffusion ? Quelles incidences cela a-t-il
pu avoir sur les identités des apprenants ? Quels types de réévalua-
tions des liens entre religion(s) et diffusion du français découle-t-il des
nouvelles études et du traitement d’archives jusqu’ici peu étudiées ?
U n champ d’étude complexe
LA RELATION ENTRE LA DIFFUSION DU FRANÇAIS ET LA RELIGION EST
UN CENTRE D’INTÉRÊT POUR LA SIHFLES DÈS SES DÉBUTS
Les chercheurs qui travaillent sur l’histoire de la langue française dans
le monde sont souvent eux-mêmes enseignants de français hors de
France. D’aucuns ont pu constater que dans leur pays d’activité, en
Europe du Nord, dans le Bassin méditerranéen, ou encore dans les
pays de mission catholique, l’enseignement sinon l’usage du français
était ou avait été mêlé à du religieux, par les hommes – enseignants et
éducateurs – ou les structures – l’école. Aussi, dès le début des travaux
de la SIHFLES, l’interrogation sur la part du religieux dans la diffusion du
français hors de France est présente. La question était déjà posée dans
L’Histoire de la langue française de F. Brunot (tome VIII, Le français
hors de France). Si lorsqu’il étudie l’expansion du français par l’éduca-
tion francophone dans les pays européens aux XVIIe et XVIIIe siècles,
Brunot souligne le rôle important joué par les réfugiés protestants
francophones dans les pays du Nord (Angleterre, Provinces-Unies,
Allemagne, Suède), citant Raynal « Depuis le Refuge, l’éducation des
princes et des princesses n’a été presque confiée qu’à des Français »
(1934 : 545), il n’en relativise pas moins leur rôle en indiquant que l’on
trouve en Allemagne aussi des maîtres de langue catholiques au
XVIIIe siècle (ibid. 546) et que la francisation de la Pologne aux XVIIe et
2. Italie, Espagne, Portugal,
XVIIIe siècles est due aux religieux et religieuses catholiques (ibid. 457).
Chypre, Malte, Égypte, Syrie,
Palestine, Turquie mais aussi Certains membres de la SIHFLES, imprégnés du travail de Brunot et ses
Colombie, Québec et Afrique successeurs, ont très tôt entrepris des études contextuelles publiées
de l’Ouest (cf. liste des articles
dans Documents, analysant aussi le rôle des religieux catholiques dans
de Documents pour l’histoire
du français langue étrangère la diffusion du français dans différents pays2. Ces études sont limitées,
ou seconde). sur des temps et dans des espaces spécifiques, et dépendent du point
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
51
de vue des chercheurs dont la plupart sont européens, issus de pays Le facteur religieux dans
au passé marqué par l’impérialisme colonial et par l’expansionnisme la diffusion du français
chrétien. Aussi, cherchant à fédérer les travaux et à les développer, hors de France
A. Reboullet lance en 1993 un projet de recherche collective sur
« les religions et l’histoire du français hors de France » (La lettre de la
SIHFLES 20). Le cas des Pays-Bas semble propice à l’élaboration d’une
réflexion théorique sur les rapports entre langue et religion (Kok
Escalle, D16 : 98-107), déjà engagée par W. Frijhoff dans la communi-
cation présentée à la 1re assemblée générale de la SIHFLES le 3 décembre
1988 sur l’usage du français dans les Pays-Bas septentrionaux3.
LES ENJEUX D’UNE RELATION COMPLEXE
Avec la diffusion de la langue française en relation avec un facteur
religieux, dans l’exercice de pratiques culturelles, une pratique linguis-
tique est associée à une pratique religieuse et conduit à une opération
de définition identitaire tant individuelle que collective, de représenta-
tion des pouvoirs. Cette opération peut se situer dans des contextes
historiques très différents (de la période moderne et classique en
Europe du Nord mais aussi dans les Amériques, à la période coloniale
dans le Bassin méditerranéen, l’Afrique ou l’Asie), dans des sociétés à
la composition fort diverse (république bourgeoise, empire ou États
dans lesquels domine le principe de « tel chef, telle religion », régions
où les pouvoirs locaux dominent) et dans des situations de relations
internationales qui situent les actants de la diffusion du français dans
des positions qui peuvent être opposées : l’exilé ou le conquérant.
Dans quelle mesure l’identification de la langue française et de la reli-
gion/confession a-t-elle facilité ou provoqué des attitudes de défense
vs protection, de discrimination vs solidarité, chez les actants indivi-
duels confrontés à la nécessité d’apprendre et de faire usage de la
langue et au sein du groupe social concerné ? La religion a-t-elle été
une arme, un bagage, une référence, une garantie pour les acteurs de
l’expansion de la francophonie ? Si dans les pays protestants accueillant
des francophones protestants on ne peut pas parler de contexte
conflictuel, la question se pose pour les pays dans lesquels le caractère
religieux des supports de langue française s’inscrit en conflit avec la
société d’accueil.
Les écoles dites françaises dans les pays du nord de l’Europe aux
XVIIe et XVIIIe siècles et celles des congréganistes en pays de mission
catholique aux XIXe et XXe siècles ont été le vivier dans lequel ont été
formés des esprits mais aussi des citoyens initiés aux valeurs de leur
propre société à travers une langue étrangère et des discours qui por- 3. Vingt ans plus tard, Frijhoff
tent sur l’autre pour parler de soi. Avec les archives qui nous rensei- s’interroge sur « qu’est-ce que
le cas des Pays-Bas nous
gnent sur l’usage et la pratique linguistique dans l’Église, on peut
enseigne sur la relation
aborder la gestion institutionnelle de la collectivité. En outre, l’étude entre langue et religion ? »
des manuels d’apprentissage du français, des livres de lecture et des (D 45 : 97-122).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
52
autres activités d’éducation scolaire renseigne sur les contenus et les
modèles de valeurs, proposés en français et accréditant le locuteur
d’un prestige social et symbolique déterminé par la société. Les nom-
breuses éditions en français d’ouvrages religieux présentes dans les
bibliothèques privées et publiques à l’étranger ont servi d’outils à la
diffusion de français et au soutien de l’héritage moral et religieux pro-
mis aux lecteurs. Mais les publications en français dépassent de beau-
coup le champ religieux, font du français un véhicule culturel et
donnent, au long des siècles, accès aux classiques puis aux philo-
sophes des Lumières.
Qu’il y ait support religieux de la diffusion de la langue ou support
linguistique de la diffusion de la religion et/ou de la confession, l’usage
du français en contexte minoritaire et étranger constitue un marqueur
de distinction et d’identité dont la perception et la manifestation
dépendent du contexte politique et social du pays concerné. Ce sont
bien les questions d’identité et de pouvoirs qui doivent guider l’histo-
rien étudiant les sources, à finement dater et contextualiser, distin-
guant « le contexte social de création et de fonctionnement, le
contexte d’utilisation et d’enseignement, et le contexte social du
public visé » (Frijhoff, D37 : 196).
Selon les perspectives sous lesquelles on regarde la question, on privi-
légie la dimension politique, la dimension identitaire, celle des pouvoirs
au sein de la société. Nous avons choisi dans cet article de poser
quelques questions pour problématiser les rapports entre le facteur
religieux et la diffusion du français hors de France. D’un point de vue
sociolinguistique on peut s’interroger sur les effets de la charge reli-
gieuse sur l’évolution de la langue et en retour sur les effets de la pra-
tique linguistique sur l’évolution de la religion quant aux dogmes et
quant aux pratiques en nombre et en qualité ? Si avec Cabanel (2003)
l’on considère le français comme une langue de diasporas, peut-on
extrapoler l’idée du « français réfugié », une réalité allemande du
XVIIIe siècle ? Quel est le poids de l’institution et de ses représentants,
enseignants et ministres du culte, mais aussi des coreligionnaires dans
le maintien ou l’évolution de la langue ? Peut-on dire que le français a
été utilisé comme langue sacrée dans la mesure où il a été et est encore
(dans les églises wallonnes de Hollande et d’ailleurs) langue religieuse ?
En outre y a-t-il des différences notoires dans la transmission et l’éduca-
tion linguistique entre protestants et catholiques, les traditions dans la
relation au religieux privilégiant l’écrit ou l’oral ? L’entrelacs entre langue
française et religion(s)/confessions pose la question des identités indivi-
duelles et collectives construites dans des situations sociales et poli-
tiques variées mais qui, toutes, donnent sens à un monde culturel,
linguistique et religieux, étranger ou partiellement étranger, dont l’ap-
propriation confère un pouvoir très concrètement utilitaire ou essentiel-
lement symbolique, selon l’usage dans le contexte particulier.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
53
Le facteur religieux dans
T rois moments de corrélation notoire la diffusion du français
hors de France
entre religion et diffusion du français
Cabanel (2003 : 102) souligne le lien qui existe entre « une dispersion
contrainte » que représente l’exil de minorités religieuses et l’expan-
sion de la langue française « à l’extérieur des frontières métropoli-
taines ». Aux refuges, huguenot de la fin du XVIIe siècle et congréganiste
(1904-1914), « diasporas sortantes », il ajoute la diaspora de juifs sépha-
rades que l’Alliance Israélite Universelle (AIU) scolarise en langue fran-
çaise dès 1860. Ainsi le français a-t-il été langue de protection
religieuse pour les minorités juives et catholiques du Bassin méditerra-
néen, langue de refuge pour les protestants exilés et langue de l’édu-
cation et du maintien de la « vraie religion » pour les jeunes catholiques
européens.
LES EXILS PROTESTANTS
Dans les pays du nord de l’Europe, on cultive la mémoire des hugue-
nots dont les noms de famille sont encore très nombreux, et qui
auraient apporté avec eux la langue française. On cite (cf. Cabanel
2003) volontiers Belle van Zuylen (1740-1805) pour illustrer la relation
entre la diffusion du français et l’exil protestant sous le règne de
Louis XIV :
À qui, dis-je, la France doit-elle cet agréable empire qu’elle exerce
bien plus sur l’Angleterre, l’Allemagne & la Hollande que sur l’Italie
et l’Espagne, à qui, si ce n’est à ses réfugiés, répandus dans tous les
pays protestants ? Sans eux, la Cour de Berlin n’aurait pas été Fran-
çaise, le feu Roi de Prusse n’aurait pas écrit en Français, son frère le
Prince Henri n’aurait pas entendu avec cette finesse les hommages
qui lui ont été rendu en France […] : Grace aux instituteurs Français,
les enfants Hollandais & Allemands apprennent La Fontaine par 4. La base de données
cœur, dès qu’ils savent parler ; depuis quarante ans les lettres de du refuge huguenot
Mde de Sévigné sont entre les mains de toutes les Allemandes, de répertorie les Français fugitifs
toutes les Hollandaises, de toutes les femmes de Suisse, un peu bien ayant trouvé asile dans
élevées, […]. Lirions-nous aujourd’hui Montesquieu, Voltaire, Buffon les Provinces-Unies,
[…] si votre langue ne nous était pas familière ? (Observations et en Grande-Bretagne,
conjonctures politiques 1er janvier 1788, O.C. X : 79).
en Allemagne et en Suisse
mais pas ceux qui sont allés
Or, le refuge huguenot4 est une deuxième étape de l’exil de protes-
dans les pays scandinaves,
tants francophones. En effet, au XVIe siècle, les réfugiés wallons5 qui ont les colonies anglaises
fui les Pays-Bas du sud s’installent dans les Provinces-Unies et sont des d’Amérique du Nord,
agents de la diffusion du français, leur langue, car non seulement ils en Pologne et en Russie,
http://refuge-huguenot.ish-lyon.
continuent à la pratiquer dans leurs églises mais encore ils l’enseignent
cnrs.fr/bibliographie.php.
dans les écoles qu’ils fondent et auprès des enfants de l’aristocratie 5. P. Dibon (1967 : 53-74)
dont ils deviennent les précepteurs. Dans les écoles dites françaises, estime à 150 000 le nombre
avec ou sans pensionnat, sont éduqués les enfants de la bourgeoisie, des réfugiés entre 1572
et 1630, soit 10 %
qu’ils soient garçons, futurs négociants ou filles, futures mères de
de la population
famille. On rencontre des maîtres d’école qui sont aussi « chantre » des Provinces-Unies
ou « lecteur » à l’Église réformée ; articulant les deux pratiques de l’époque.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
54
linguistique et religieuse, ils fonctionnent comme les maillons d’un
système et deviennent garants de l’apprentissage des valeurs parta-
gées (Kok Escalle, D16 : 101-107). La pratique de la langue française est
liée à la pratique de la « religion prétendue réformée », dans la forme
autant que dans les contenus. Le français étant la langue de la commu-
nauté des croyants et de l’institution des églises wallonnes, l’apprentis-
sage du français se fait dans un cadre de références conforme à la
morale protestante et aux usages ; en témoignent les textes choisis
pour être lus, traduits, appris par cœur dans les livres et méthodes
d’apprentissage du français mais aussi les oraisons et prières qui occu-
pent souvent les premières pages de ces méthodes aux XVIIe et
XVIIIe siècles (Kok Escalle et van Strien-Chardonneau, D37 : 45-73). La
tradition est pérenne puisque « les églises réformées wallonnes, com-
posées, pour la plus grande partie, de descendants de réfugiés, ont
cela de particulier, que l’on enseigne le français dans leurs écoles de
diaconie », constate le rapport établi en 1811 par Cuvier et Noël, à la
demande de l’Empereur (p. 35).
Charrière attribue la francisation de l’Europe du Nord au XVIIIe siècle
aux exilés, réfugiés protestants victimes de l’ostracisme catholique de
la « Fille aînée de l’Église ». Langue des exilés, la langue française
devient la langue des élites politiques. C’est une langue de distinction,
marquée par le goût et l’élégance, la finesse et la sensibilité ; l’éduca-
tion francophone offre non seulement un ancrage dans l’histoire mais
aussi donne accès à une culture, celle qui forme l’esprit et la pensée
par la lecture des classiques comme La Fontaine et des philosophes
des Lumières. Le français, tout en étant connoté par le protestantisme
et fonctionnant comme une langue de maintien d’une identité reli-
gieuse, est associé à la modernité. En effet, non seulement le caractère
éclairé des écrits du XVIIIe siècle fait de la langue française la langue du
progrès et plus tard celle de « la civilisation », mais encore les écoles
dites françaises ont, dès leur création au cours du XVIe siècle et jusqu’au
XIXe siècle, proposé un enseignement moderne combinant l’apprentis-
sage des langues à une ouverture au monde qui passe par la connais-
sance de l’histoire, de la géographie, des matières commerciales, etc.
(Kok Escalle, van Strien-Chardonneau, D33-34 : 120-143). On a
aujourd’hui tendance à relativiser l’importance numérique des réfugiés
huguenots, beaucoup moins nombreux que les Wallons un siècle plus
tôt. Bots (1999) rabaisse à 35 000 le nombre de Français du Refuge
6. La banque de données
du refuge huguenot (CNRS, installés aux Pays-Bas entre 1680 et 17156.
ISH) évalue à environ
1 600 000 le nombre
des exilés répartis dans LES MISSIONS CATHOLIQUES
différents pays, les Provinces- Le facteur religieux catholique dans la diffusion du français hors de
Unies étant considérées
France intervient de façon très hétérogène, tant les territoires touchés
comme « la grande arche
du refuge » en accueillant sont différents, les cadres institutionnels distincts. Pourtant, les
50 000. impacts durables de ces « missionnaires de la langue » (A. Leroy
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
55
Beaulieu, 1903 : 81, cité par Cabanel 2003 : 113) ont été à maintes Le facteur religieux dans
reprises soulignés, notamment au moment de l’exil de ces congréga- la diffusion du français
tions au début du XXe, mais également auparavant, dans les zones où hors de France
la France a été traditionnellement protectrice des catholiques. L’éduca-
tion francophone dans ces pays de mission forme à une autre langue
que la langue maternelle, s’adresse à des apprenants de religion iden-
tique ou différente (musulmans, chrétiens orientaux, juifs). Le facteur
religieux est plus ou moins important selon les zones géographiques
considérées, mais il est souvent associé à la perception du français
comme langue de maintien d’une identité, langue d’acquisition d’un
savoir faire et savoir être social, langue de la formation intellectuelle,
parfois à une modernisation des structures politiques locales, comme
dans l’Empire ottoman.
L’État français utilise le bénévolat des religieux catholiques (« sorte
d’agent français non salarié », Wakely, D25 : 29), même si dans cer-
taines zones, il espère que l’œuvre de diffusion culturelle et linguis-
tique soit, à la suite des initiatives religieuses, reprise par des
institutions non religieuses. Les différents missionnaires catholiques
envisagent rapidement les opportunités qui leur sont offertes aux
côtés des représentants diplomatiques de la France autour du Bassin
méditerranéen et les autorités romaines soutiennent institutionnelle-
ment la diffusion de la langue française ; ainsi, l’Œuvre pour la propa-
gation de la Foi fondée en 1822 est destinée à rassembler les aumônes
en faveur des œuvres missionnaires, dans le domaine sanitaire et édu-
catif, ce qui fait du français la langue de « la protection des âmes et des
corps ». En 1856, L’Œuvre d’Orient créée pour venir en aide aux enfants
du Liban promeut et soutient l’expansion des écoles missionnaires
dans tout le Levant. Malgré les difficultés ayant résulté de l’expulsion
des congrégations religieuses en 1904 et des lois de séparation des
Églises et de l’État de 1905, le soutien gouvernemental aux congréga-
tions religieuses dans leurs efforts de diffusion linguistique hors de la
métropole ne tarit pas, les religieux et les religieuses incarnant pour
beaucoup de députés les meilleurs patriotes français hors de France.
Grâce aux nombreuses subventions, les écoles congréganistes sont les
plus nombreuses autour du bassin méditerranéen ; elles sont perçues
comme un facteur de modernisation de l’empire ottoman7. Leur rôle
auprès des élites perdure jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale
(D38-39).
Avant la Première Guerre mondiale, les religieux œuvrent à la diffusion
de la langue dans un contexte de compétitions linguistiques et de
rivalités coloniales. En Syrie, une collaboration étroite entre autorités
politiques françaises et congrégations religieuses prépare l’administra-
tion de la zone par la France (Riffier, D27 : 83-96). Au Maghreb (Sraieb,
7. Cette modernisation est
D25 : 34-45 ; Bannour, D27 : 139-154), en Afrique (Spaëth, D25 : 54-64)
déjà en œuvre depuis
et au Levant (Sanchez-Summerer, D43 : 119-143), les institutions reli- les réformes Tanzimat
gieuses catholiques se voient confier un rôle très important dans la lancées en 1839.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
56
scolarisation en français, durant les premiers temps de la colonisation
et de l’impérialisme linguistique (Wakely, D25 : 11-33 ; Nishiyama,
D27 : 35-48), et influencent l’élaboration des méthodes d’enseigne-
ment voire de formation des enseignants, véritables concurrents de
l’Alliance française (fondée en 1883) et de la Mission Laïque Française
fondée en 1902 (Barko, D25 : 90-115 ; Cortier, D27 : 49-72 ; Güven,
D27 : 73-82 ; Riffier, D27 : 83-96). Les écoles missionnaires sont envisa-
gées comme un lieu commun d’intervention en Afrique de l’Ouest. Ces
écoles assurent une part considérable de l’enseignement colonial
(Spaëth, D25 : 54-64 ; Bouche, D25 : 65-90), servent de modèle, au
point d’engendrer un « habitus missionnaire laïque » (Zarate, D25 : 116).
L’éducation missionnaire dans ces écoles françaises, synonyme d’édu-
cation précoce des filles, fait par ailleurs du français une langue de
conquête d’une identité et de protection d’une minorité à Chypre,
Malte, au Liban notamment) ; après la Première Guerre mondiale, elle
peut être liée à l’éveil de la conscience nationale. Langue du cosmopo-
litisme en Égypte, le « français d’origine missionnaire » est « la voie
commune autour de laquelle se sont mobilisés [les] différents groupes »,
des différentes communautés religieuses (Fenoglio, D10 : 77 ; 37).
Pourtant, même si l’entreprise missionnaire consiste dans une certaine
mesure à exercer une influence religieuse sur les individus par le biais
des missionnaires, dans quelle mesure peut-on évoquer le français
comme une langue de conversion (Wakely, D25 : 27-28), de prosély-
tisme ? Comment cela se décline-t-il dans des contextes musulmans
(ces derniers prévenant toute velléité de conversion, interdite et répri-
mée), lorsque les langues vernaculaires sont nombreuses, le français
« liturgique » des apprenants parfois rudimentaire ?
Liés à la diplomatie française, les religieux catholiques bénéficient du
soutien de l’Alliance française, présentée par ses fondateurs comme
une « Association pour la propagation de la langue française dans les
colonies et à l’étranger ». A ce titre, elle collabore également très étroi-
tement avec l’AIU dès sa fondation (Cortier, D27 : 53).
L’ENTREPRISE DE L’ALLIANCE ISRAÉLITE UNIVERSELLE
L’AIU est créée en 1860 pour « apporter un rayon de civilisation de
l’Occident dans les milieux dégénérés par des siècles d’oppression et
d’ignorance » (Bulletin de l’AIU, 1896 : 94). Ses œuvres s’adressent aux
juifs séfarades du Bassin méditerranéen (de langue judéo-arabe ou
judéo-espagnole). Si « sa structure entièrement communautaire et
autonome sur le plan financier lui procure, dès ses débuts, une plasti-
cité qui lui permet d’échapper aux intérêts strictement français »
(Spaëth 2001 : 104), la réalité indique que, dans la plupart des cas, il lui
est difficile de transcender les pouvoirs politiques en place. Le français
y est enseigné à côté des langues nationales (Omer, D45 : 69-93), l’AIU
conservant comme but jusqu’en 1948 l’intégration des communautés
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
57
juives dans les différents pays. Ces écoles enseignent également par- Le facteur religieux dans
fois le français à d’autres confessions, car installées dans des villages la diffusion du français
très pauvres (Kaspi, 2010). La particularité de l’Alliance et la « gageure hors de France
de sa mission […] consistent à diffuser un enseignement moderne et
laïque parallèlement à un enseignement hébraïque » (Spaëth 2001 :
112) ; ainsi tout au long de la période, le curriculum des garçons et des
filles comporte plusieurs éléments religieux.
Les différentes archives et témoignages indiquent une perception de
la langue française comme langue de protection et dans une certaine
mesure, comme langue d’accession à la modernité (se traduisant par
une intégration économique) pour la majorité des apprenants des
écoles de l’AIU et pour l’ensemble des communautés. « Avant-garde
de la diffusion de la langue française » (Spaëth 2001 : 105), l’AIU désire
diffuser une forme de « libération religieuse » en insistant sur l’éduca-
tion des filles dans le monde arabe (la langue française aurait ainsi des
incidences sur la compréhension de la religion et de la judaïté).
V ers de nouvelles interprétations ?
IMPÉRIALISME LINGUISTIQUE FRANÇAIS ET RÉÉVALUATION
DU RÔLE DES MISSIONNAIRES DANS LA PROPAGATION
DE LA « LANGUE DE CŒUR8 »
Des aspects mis en évidence par d’autres archives et de nouvelles
études invitent à réévaluer notamment les rapports de pouvoirs 8. L’expression se retrouve
dans les mémoires
(sociaux, politiques, religieux) et l’approche des identités (individuelles, de nombreux anciens élèves
collectives, nationales), à reconsidérer les intérêts et les stratégies des d’écoles congréganistes
destinateurs et des destinataires. et de l’AIU autour du Bassin
méditerranéen jusqu’à la veille
La nature de l’impérialisme linguistique tel qu’il a été formulé par
de la Seconde Guerre
Phillipson (1992), pour ce qui concerne la période d’avant la Seconde mondiale.
Guerre mondiale, dépend fortement d’inégalités entre les langues en 9. Concernant les liens
présence, structurelles (propriétés matérielles) et culturelles (proprié- entre la langue anglaise et
les missionnaires protestants,
tés immatérielles ou idéologiques). Il suppose en effet une certaine
Andrew Porter (2004) remet
idéologie de la supériorité de la langue coloniale (élégance, clarté, en cause l’idée que
ordre naturel de la syntaxe), affichée pour légitimer une distribution ces derniers constituent
inégale du pouvoir en sa faveur, associé à la modernisation, mais aussi les bras droits
de l’impérialisme culturel, et
à la religion de la puissance coloniale. Ainsi dans le cadre des écoles a notamment montré en quoi
missionnaires, une stigmatisation s’opère par rapport à l’utilisation de ils ont favorisé
la langue maternelle par les élèves. Or, à la lumière de l’implication des le développement, voire
la préservation de l’usage
communautés religieuses françaises et des missionnaires hors de
de certaines langues locales,
France, le concept de patriotisme linguistique doit être réévalué9. Les en désaccord avec
termes de patriotisme et impérialisme linguistiques nécessitent en les politiques coloniales.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
58
effet une analyse plus approfondie qui permette de prendre en
compte des spécificités respectives de l’approche britannique et fran-
çaise et de nuancer notamment le rôle joué par les missionnaires en
tant qu’agents de la puissance impériale, de réévaluer leur rôle de
relais entre les aspirations des populations autochtones et les objectifs
des pouvoirs politiques français. Ceci induit une réévaluation du rôle
des acteurs, de leurs motivations individuelles, et de la valeur attachée
au français et à son image, selon une logique de bottom up de l’ana-
lyse de la diffusion linguistique10, de solutions élaborées empirique-
ment sur place.
Les récentes études sur ces écoles ont permis de nuancer l’impact des
politiques linguistiques britanniques (Wolf, 2008), perçues comme ayant
sonné le glas de la francophonie, de montrer d’autres facettes d’un
dynamisme linguistique en situation de minoration politique. Les rap-
ports entre langue et religion dans la diffusion du français sont des
liens aux multiples facettes, à l’intérieur d’une même zone parfois. Ces
liens n’ont pas forcément induit un processus de développement de
langues vernaculaires en opposition avec la langue française. De plus,
les impacts du facteur religieux dans la diffusion de la langue sont liés
à l’émergence des nationalismes locaux aboutissant à de nouvelles
configurations linguistiques. En effet, ces derniers revendiquent une
identité linguistique et combattent des politiques linguistiques euro-
péennes visant à maintenir jalousement leur sphère d’influence. Les
communautés religieuses font alors perdurer une forme de francopho-
nisation tout en accordant plus d’importance aux langues locales.
Le facteur religieux s’est montré plus déterminant que le facteur poli-
tique dans le maintien des usages et de l’apprentissage du français
dans certaines zones. Aslanov (2006) a souligné cette importance pour
le cas du français levantin. Il a ainsi démontré que d’une part la survie
(voire le renouveau) de cette langue ne s’appuyait pas forcément sur
une occupation militaire ou administrative, et que d’autre part cette
francophonie levantine ne devait pas être considérée comme un
simple corollaire du fait colonial et impérial, ses racines étant plus pro-
fondes puisqu’elle lui préexistait.
10. Schiffman (2006) insiste
sur le rôle des acteurs et
AUTRES SOURCES, AUTRES INTERPRÉTATIONS ?
des motivations individuelles
comme facteur décisif De nouvelles sources ont été interrogées dans une appréhension plus
dans le succès d’une langue : globale du facteur religieux dans la diffusion du français11 ; en revisitant
la valeur attachée
à une langue n’est pas
les archives des communautés religieuses (ecclésiales, municipales,
forcément liée aux pouvoirs ministérielles, institutionnelles propres aux établissements, correspon-
exécutifs, juridiques dances, manuels) de nouveaux éclairages ont été apportés sur l’éman-
et législatifs. cipation des femmes, sur le rôle des écoles missionnaires et du français
11. L’historien C. Langlois
dans les nationalismes locaux ou sur leurs liens avec les autres commu-
a insisté sur le nécessaire
dépouillement des archives nautés francophones sous mandat anglais. Ainsi, les associations reli-
missionnaires. gieuses, notamment par leurs branches impliquées dans des actions
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
59
charitables, ont diffusé une image de la langue française comme une Le facteur religieux dans
langue de soutien, d’espoir, de refuge, lui ont assuré une forme de la diffusion du français
pérennité en tant que « langue de cœur ». hors de France
D’autres sources, tels les journaux des écoles de missionnaires, mon-
trent en quoi ces écoles tentent de proposer une identité certes basée
sur la religion catholique et la langue française, mais qui accorde une
place de plus en plus importante à la langue et l’histoire locales,
arguant que les élèves sont capables « d’étudier la France » sans
perdre pour autant leur identité, comprise comme « l’expérience
vécue de l’interaction entre l’image de soi et l’imago qu’imposent les
autres » (Frijhoff, D37 : 191). Ces écoles mettent en place une véritable
réflexion pédagogique sur l’apprentissage et l’enseignement de la
langue (pédagogie différenciée et méthode directe) qui permet au
français de conserver une place de choix. L’indigénisation progressive
de leur personnel contribue à leur assurer un meilleur relais auprès des
autorités religieuses locales.
Certaines zones d’ombre demeurent. Elles portent sur la place faite
dans cet enseignement aux sentiments d’appartenance communau-
taire des élèves, à la nature des solidarités établies avec le milieu des
parents et à l’approche des communautés chrétiennes abordées par le
prisme de l’extranéité dans certaines zones. L’interprétation par les
missionnaires du français comme outil de conversion et d’évangélisa-
tion est-elle à réévaluer de même que leurs prises en compte des
contraintes du terrain ? Les écoles missionnaires sont en effet au cœur
d’un dispositif non gouvernemental mais privé qui vise à assurer le
rayonnement du français pour éviter sa rétractation. La lutte entre
pouvoirs politiques et pouvoirs religieux a abouti à une forme de
« statu quo », une « négociation de l’identité religieuse en contexte de
multilinguisme » (Pavlenko 2006), dont le français est ressorti minori-
taire mais a survécu aux côtés des langues locales. Ainsi la francopho-
nie a perduré à travers un attachement à la culture et aux valeurs
françaises. Le français a continué à être pratiqué mais plus comme une
langue refuge et un instrument identitaire (Frijhoff, D37 : 191-197 et
D45 : 97-122).
C onclusion
Au long des siècles, on est passé d’une francisation souvent associée
à des acteurs religieux à une francophonisation dont le facteur reli-
gieux de diffusion a pu contribuer à changer l’image et à faire perdurer
l’usage de la langue devenue désormais « minoritaire » (Laponce
2006 : 12) au niveau mondial. Ces acteurs de la francisation marqués
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
60
par le religieux, qu’ils soient exilés ou conquérants, ont dessiné une
réalité paradoxale de la France qui exile et du français qui se répand
et prend force (Cabanel 2003 et D37 : 11-24). Aujourd’hui les actants
qui font usage de la langue française hors de France sont divers et
porteurs d’un héritage. En effet, la langue des colonies est devenue
une lingua franca hors de France pour les communautés de la diaspora
issue des anciennes colonies et par exemple, après avoir été aux Pays-
Bas la langue des protestants puis des catholiques, « le français est
désormais la lingua franca des Marocains musulmans, et ce sont eux
qui en justifient le maintien dans le secteur public » (Frijhoff, D45 : 121).
Dans la situation contemporaine, la langue d’usage au sein d’institu-
tions et de communautés religieuses assure une diffusion du français,
sans doute sous une forme nouvelle, que ce soit en Afrique ou en
Europe (Société des missionnaires évangéliques en Afrique par
exemple, D25 : 55). Peut-on se poser la question de la place qu’occupe
le facteur religieux dans la francophonie d’aujourd’hui ?
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
61
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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
62
M éthodes, techniques
d’enseignement
du français comme L2 :
éléments pour
une réflexion
historiographique
MICHEL BERRÉ
UNIVERSITÉ DE MONS, BELGIQUE
HENRI BESSE
ENS DE LYON, FRANCE
Dans les pages qui suivent, nous tenterons de donner un aperçu des
réflexions méthodologiques qui ont accompagné, justifié et orienté
l’enseignement du français comme langue étrangère ou seconde (fran-
çais L2) depuis la fin du Moyen Âge. Cet article à visée essentiellement
informative est fondé sur les travaux existants, en particulier ceux dif-
fusés par la SIHFLES depuis un quart de siècle. Sans entrer dans des
débats épistémologiques sur la manière d’écrire l’histoire, ces travaux
nous paraissent globalement s’inscrire dans le point de vue adopté par
Auroux (1989), celui d’un « historicisme modéré ».
Vu le caractère très synthétique de cette contribution, quelques préci-
sions relatives à ce qui sera ici qualifié de méthodes, de méthodologie
et de techniques d’enseignement sont nécessaires, en assumant les
risques d’anachronisme que ces précisions peuvent entraîner. Par une
méthode, nous entendons un discours visant à promouvoir, voire à
préconiser, un certain point de vue et certaines hypothèses relatives
aux langues et à leur enseignement/apprentissage, non en tant que
langue déjà pratiquée, au moins dans l’une ou l’autre de ses variétés
orales, par les apprenants (leur L1), mais en tant que langue qui leur est
non spontanément intelligible, et dite pour cette raison étrangère ou
seconde (L2). Discours qui vise à guider les auteurs de manuels et/ou
les enseignants en leur proposant un ensemble, plus ou moins cohérent,
de techniques à même d’enseigner/faire apprendre les L2. Qualifiées
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
63
souvent de pratiques, procédés, exercices, activités pédagogiques, Méthodes, techniques
ces techniques peuvent être considérées comme les réponses plus ou d’enseignement du français
moins spécifiques qu’une méthode apporte aux quatre ou cinq ques- comme L2 : éléments
tions que posent inévitablement les tout débuts de l’enseignement pour une réflexion
historiographique
d’une L2 à des apprenants qui en parlent déjà au moins une autre,
leur L1. La méthodologie y est entendue comme les métadiscours
tenus non pour promouvoir une méthode, mais pour en décrire, com-
parer, voire en évaluer plusieurs, contemporaines ou non.
Deux remarques complémentaires. L’histoire des idées méthodolo-
giques comprend l’histoire de l’enseignement des langues (L1 ou L2) en
tant que discipline scolaire (Chervel, 1998), mais elle est loin de s’y
réduire. Par ailleurs, si elle n’a guère retenu l’attention des historiens de
métier, ce que dit Goody (2010) sur la manière dont « l’Europe a imposé
le récit de son passé au reste du monde » s’applique également à notre
domaine : les discours dont il va être ici question sont tous d’origine
européenne ou américaine, l’information sur la manière dont les lan-
gues ont pu être enseignées/apprises et raisonnées en dehors du
contexte occidental restant très lacunaire ou peu disponible.
L a Renaissance ou la « grammatisation »
du français
Les langues vernaculaires, qu’elles soient pratiquées en tant que L1 ou
L2, n’ont guère fait l’objet d’un enseignement systématique au Moyen
Âge. À la Renaissance, l’idéal humaniste, le rejet de l’enseignement
scolastique, l’autorité croissante des États (et les politiques linguistiques
qui leur sont liées), la montée de la bourgeoisie, les tensions religieuses
et leurs implications quant aux langues, les grandes découvertes (Amé-
rique, route maritime des Indes), les développements techniques
(imprimerie), etc., modifient la demande et l’offre en matière de langues
savantes et vernaculaires. Dans ce contexte apparaît le premier débat
d’idées européen concernant l’enseignement des langues auquel pren-
nent part les plus grands humanistes (Érasme, Vivès, Clénard). Toute-
fois, ces discours n’ont pas conduit, à la fin du XVIe siècle, à un
bouleversement des pratiques dans les collèges où, pour le latin, les
grammaires de Despautère et d’Alvarez (et leurs règles formulées en
latin) continuent de régner en maître (Swiggers, 2007b : 652).
La Renaissance européenne a également été à l’origine d’un vaste
processus de production de grammaires et de dictionnaires, qui laisse
apparaître une croissance exponentielle des langues vernaculaires
« grammatisées » (Auroux, 1994). C’est dans ce contexte qu’ont paru
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
64
les premières « véritables » grammaires du français circulant sous une
forme imprimée et atteignant de ce fait un public plus large.
Précepteurs et maîtres d’écoles françaises (cf. Dodde, Esseboom
2000 : 39-60) ont élaboré les « outils didactiques » (grammaires, dic-
tionnaires, recueils de mots, de textes, etc.) qui aujourd’hui permettent
de se faire une idée des conceptions méthodologiques de l’époque.
Mais, de manière générale, les propos de ces auteurs (notamment
dans les préfaces) dépassent rarement le niveau d’affirmations assez
sommaires. Plusieurs de ces « maîtres » ont eu une certaine réputation.
En Angleterre : J. Bellot, J. Palsgrave (auteur de la première véritable
grammaire française, 1530), C. de Sainliens (alias Holyband), G. Du
Wes ; aux Pays-Bas : P. Heyns, G. Meurier (première grammaire fran-
çaise publiée dans les Pays-Bas méridionaux, 1557), N. de Berlaimont,
P.-A. Hyperphragme (première grammaire publiée dans les Pays-Bas
septentrionaux, 1576) ; en Allemagne : l’émigré gantois G. Du Vivier
(première grammaire française publiée en Allemagne, 1560), Petrus
Lumnius (cf. De Clercq et al., 2000 ; Swiggers 2007a et b).
Plusieurs historiens ont fait écho à la querelle opposant, vers 1530,
deux maîtres de français à la cour du roi d’Angleterre, le non natif du
français Palsgrave et Du Wes originaire de Picardie (cf. les préfaces des
deux ouvrages et Kibbee, D3 : 15-20). Dans cette querelle, ce qui est
en jeu en cette première moitié du XVIe siècle, c’est la possibilité d’ap-
pliquer la raison à une matière aussi grossière qu’une langue vernacu-
laire (Chevalier, 1968). Et c’est aussi la place octroyée aux règles dans
l’apprentissage, Palsgrave étant plus favorable à leur enseignement,
alors que Du Wes, tout en ne les rejetant pas, donne la priorité à
l’usage (Caravolas, 1994 : 117-118). Cette querelle témoigne d’une part
d’une certaine autonomisation professionnelle du champ du français
L2, selon qu’on est natif ou non de la L2 enseignée, et d’autre part
contribue à la constitution de l’un des topos de la réflexion didactique
occidentale sur l’enseignement des L2, à savoir la place à réserver aux
règles par rapport à la routine. On retrouve ce débat dès les premières
lignes de la préface de l’ouvrage de J. Bellot, The French Method
publié à la fin du XVIe siècle :
Il y en a quelques-uns qui sont de l’opinion que le moyen le plus sûr
et le plus commode de parvenir à la connaissance des langues, c’est
de les apprendre sans l’observation de règles. Cependant, il me
semble bien au contraire que celui qui est instruit en une langue
quelconque, l’ayant simplement apprise par cœur, est semblable à
l’oiseau en cage, qui ne dit pas autre chose que ce qu’on lui a appris.
(1580 dans Baddeley, 2010 : 275 ; [orthographe modernisée par
l’éditeur]).
Question qui sera reprise au siècle suivant, en la situant dans le cadre
plus théorisant de la notion de méthode et dans un cadre réflexif glo-
bal un peu plus consistant.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
65
Méthodes, techniques
L e XVII siècle et l’émergence de la notion
e d’enseignement du français
comme L2 : éléments
de méthode pour une réflexion
historiographique
Alors que la Renaissance a mis l’accent sur la collecte des matériaux et
leur enrichissement (cf. les trésors et illustrations de la langue fran-
çaise), le XVIIe siècle s’intéresse aux principes, aux grandes explications.
D’où l’importance des notions de système, de méthode que l’on
retrouvera dans les débats sur l’enseignement des langues et leur des-
cription. La « méthode » devient un des concepts-clefs dans l’ensei-
gnement des langues et nombre de manuels adopteront ce terme
dans leurs titres1.
Le XVIIe siècle voit également se déployer les efforts les plus intenses
pour codifier la norme linguistique, symbolisés par la création de l’Aca-
démie française (1635). Le latin reste la clé de voûte des humanités,
mais la pression du français s’accroît à différents niveaux : les Frères
des Écoles chrétiennes introduisent l’apprentissage de la lecture par le
français L1, les Solitaires de Port-Royal exigent que la L1 des élèves
constitue le point de départ de l’enseignement du latin, ce qui trans-
forme sa pédagogie ; certains ordres ou mouvements religieux entrou-
vrent la porte des collèges à l’enseignement du français L1 ; le français
est timidement introduit dans les cours de sciences des facultés de
droit, de médecine (Verger, 1986 : 203-204). Et hors de France, en
particulier en Espagne et en Italie, certains collèges jésuites ensei-
gnent le français L2 comme un « art chevaleresque » (cf. Minerva,
1995 ; Mandich, D8 : 35-50).
Des auteurs publient à la fois des manuels et des ouvrages de réflexion
didactique. Le cas le plus célèbre est celui de Comenius (J.A.
Komensky, 1592-1670) dont les manuels d’enseignement ont connu
une très grande et pérenne diffusion (Janua linguarum reserata 1631 ;
Vestibulum 1632). Comenius a inscrit cette activité pédagogique dans
une conception plus globale des relations entre l’homme et le monde
débouchant sur une théorie de l’éducation (Didactica magna 16572) et
de l’enseignement des langues (Methodus linguarum novissima 1648,
cf. compte rendu par Besse et Suso López (D35 : 163-166) de la traduc-
tion française dans Bibeau et al. 2005), de telle sorte que l’on a pu voir
en lui le fondateur de la didactique moderne (Caravolas, 1994). Il est
également un des premiers à recourir à l’emploi systématique d’images
1. En moins d’un demi-siècle
pour un enseignement du vocabulaire mettant en rapport les mots
(1656-1699), plus de vingt
avec les choses (cf. Besse, 2001). C’est à cet objectif que répond le ouvrages intègrent le terme
dernier manuel qu’il publie (Orbis sensualium pictus 1653 et 1658), qui de méthode dans leur titre
est un ouvrage destiné aux débutants. Les dialogues publiés en 1696 (cf. Swiggers, 2007 : 667-670).
2. Rédigée vers 1630, mais
par le précepteur allemand M. Cramer [ou Kramer] (Entretien […] avec
publiée seulement en 1657,
un Maître de langues & un Ecolier) constituent un autre exemple d’es- a fait l’objet d’une traduction
sai de théorisation de l’enseignement des langues. Selon Swiggers en français en 1992.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
66
(2010 : 111-112), il s’agit d’un jalon « didactique et didaxologique […]
important dans l’évolution de la pédagogie des langues modernes et
un témoignage crucial sur la réflexion méthodologique des maîtres de
langues aux Temps Modernes » (cf. aussi Christ, D8 : 19-26). Signalons
encore l’Essay d’une parfaite grammaire (1659 ; nombreuses rééditions)
du jésuite L. Chiflet qui contient un chapitre particulier sur « La maniere
d’enseigner & d’apprendre la Langue Françoise ». C’est, à notre
connaissance, l’un des premiers textes qui traite spécifiquement de
l’enseignement du français L2 en dehors du cadre d’une simple pré-
face. Une « Adjonction particuliere pour les Flamands » répertorie une
série de flandricismes, premier témoignage d’un genre qui fera florès.
À travers cette production pédagogique (manuel) et didactique
(ouvrage ou partie d’ouvrage plus théorique), les grands thèmes de la
réflexion méthodologique en Occident se constituent : la routine vs la
raison (systématisation par règles), l’apprentissage scolaire vs l’acquisi-
tion naturelle, l’usage authentique vs l’usage reconstruit, les rapports
entre L1 et L2, l’enseignement simultané ou successif de plusieurs L2,
l’apprentissage du vocabulaire, etc. Ces prises de position peuvent
conduire à des conflits tel celui qui a opposé, à Strasbourg, les maîtres
de langue E. Spalt et D. Martin dont plusieurs auteurs ont rendu
compte (Caravolas, 1994 : 153-154 ; Chevalier, 1968 : 139).
L e XVIII siècle ou l’universalité du français
e
Caravolas (2000) a consacré à cette période un volume de plus de cinq
cents pages, et, dans sa conclusion, il met en exergue quelques-uns des
principaux changements méthodologiques intervenus, selon lui, dans
le siècle : développement de la méthode grammaire-traduction, de la
méthode par la lecture, inclusion d’illustrations et d’exercices, etc., ces
changement étant liés au recul du latin (comme langue parlée) et à la
progressive introduction des L1, futur pivot autour duquel s’organise-
ront les enseignements linguistiques. Sur le plan de la réflexion linguis-
tique, ce siècle a vu se développer, en France, la grammaire générale
(dans la foulée des travaux des Solitaires de Port-Royal) dont Chevalier
(1968) a souligné l’importante dimension pédagogique : « c’est contraint
par la nécessité d’une mutation de l’enseignement du latin autant que
par une réforme du système de pensée qu’il [le mouvement grammati-
cal] devient une Grammaire générale » (Chevalier, 1968 : 633-634).
L2 ET USAGE
Même si cette période est marquée par la rupture du quasi-monopole
de l’Église sur les institutions d’enseignement et par l’intervention
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
67
croissante de l’État, cela ne se traduit pas par l’intégration des L2 Méthodes, techniques
vivantes dans les programmes des institutions d’enseignement moyen, d’enseignement du français
sauf dans quelques régions (en Allemagne p. ex.). Quand le français L2 comme L2 : éléments
est enseigné dans les collèges, c’est en dehors des heures normales de pour une réflexion
historiographique
cours, au titre d’art d’agrément avec des maîtres privés et ayant une
rémunération particulière. Diverses raisons (prestige des langues
anciennes, montée en puissance du sentiment national) expliquent la
mise à l’écart des L2 vivantes dans les cursus scolaires classiques. L’une
d’elles est liée à des considérations méthodologiques dans la mesure
où de nombreux auteurs sont convaincus que les L2 s’apprennent
d’abord par l’usage, et que les classes sont des lieux peu propices à un
tel apprentissage (cf. Clavères, 1989 : 38)3.
L2 ET MÉTHODES
Les ouvrages de théorisation sur les méthodes d’enseignement des L2
restent assez rares sans doute parce que pour beaucoup, à l’instar de
Beauzée (cf. son article « Méthode » de l’Encyclopédie), le concept de
méthode est estimé plus pertinent pour l’enseignement du latin que
pour celui des L2. Hors de France, même si plus de 300 grammaires
sont publiées pour l’apprentissage du français (Swiggers 2007a), la
réflexion théorique est également assez rare4. Toutefois, s’inscrivant
dans les débats sur la théorie des connaissances entre rationalistes
(Descartes, Leibniz) et empiristes (Locke, Hume, Condillac), trois
méthodes se constituent autour des notions de « grammaire » et de
« traduction » : la méthode grammaire-traduction (a), la méthode tra-
duction-grammaire (b) et la méthode intuitive (c).
(a) Même si l’on peut lui associer certains noms (notamment Meidin-
ger, 1783 ; cf. Macht, 1986 et D4 : 8-13), la méthode grammaire-traduc- 3. Cette confiance en l’usage
tion (appelée aussi méthode synthétique ou méthode prussienne) explique également
apparaît surtout comme une création collective, sans texte fondateur, le maintien et le succès de
peu théorisée. Dans sa version canonique, cette méthode consiste à formules « non scolaires »
pour l’enseignement/
enseigner, formulées dans la L1 partagée par le maître et ses élèves, apprentissage des L2 :
des règles grammaticales portant sur la L2, règles suivies de quelques nourrices ou gouvernantes
exemples et exceptions en L2 ; vient ensuite une série de thèmes d’ap- étrangères, séjours à
l’étranger, préceptorat, etc.,
plication (phrases isolées). La méthode s’adresse à des jeunes gens
autant de moyens permettant
grammaticalisés soit en L1, soit en latin. Elle présuppose des maîtres d’assurer un certain usage via
compétents dans les deux langues et disposant d’un certain savoir le contact avec des natifs.
grammatical. Son succès qui s’est prolongé durant une bonne partie 4. Fait figure d’exception
des XIXe et XXe siècles (cette méthode est encore utilisée dans certains le Tractatus philosophico-
philologicus de methode
départements universitaires de langues) est dû sans doute au fait recte tractandi linguas
qu’elle ne dérogeait pas trop à la manière dont les enseignants procé- exoticas speciatim gallicam,
daient pour l’enseignement du latin et à sa congruence avec les prin- italicam et anglicam (1724)
de C.-F. Seidelmann (ouvrage
cipes de la pédagogie néo-humaniste qui triomphe, au moins en
édité et traduit en allemand
Allemagne, durant la première moitié du XIXe siècle (Reinfried, D6). L’on par F.J. Zapp et K. Schröder
notera cependant que l’on sait peu de choses sur la manière dont cette en 1984).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
68
méthode – plus souvent décriée que précisément décrite – a pu être
effectivement mise en œuvre dans les classes.
(b) La méthode traduction-grammaire (appelée aussi méthode lec-
ture-traduction, version-grammaire ou analytique) est probablement
aussi ancienne que la méthode grammaire-traduction, mais elle n’a
guère été théorisée avant le XVIIIe siècle. Conçue en réaction aux abus
des règles et des thèmes (cf. entre autres Locke, Du Marsais, Radonvil-
liers), elle privilégie les exercices de version. Les exercices de thème,
qui ne sont pas toujours « d’application », n’y sont introduits que
lorsque les apprenants sont un peu plus avancés dans leur apprentis-
sage. Dans cette méthode, on commence la leçon par une familiarisa-
tion des apprenants à quelques éléments de la L2 présentés sous
forme de phrases isolées ou de « morceaux choisis » extraits des
meilleurs auteurs ; cette familiarisation s’appuie sur des équivalents
donnés en L1 par le manuel ou par l’enseignant (avec recours à la tra-
duction interlinéaire ou à la « double version »), sur leur répétition
mimétique par les apprenants ainsi que sur diverses explications, entre
autres grammaticales, données en L1 par le maître ; le principe qui
sous-tend ces techniques d’enseignement est que l’élève ne peut réflé-
chir que sur une langue sans en avoir au préalable une certaine « rou-
tine ». Au sein de cette méthode, un clivage s’opère entre les partisans
d’un usage authentique qui préconisent de prendre comme point de
départ des textes non reconstruits didactiquement tel l’Évangile selon
Saint Jean utilisé par J. Hamilton (1764-1829) et ceux qui recomman-
dent un usage reconstruit (textes élaborés en fonction de la progres-
sion suivie, phrases détachées, etc.), courant auquel, pour le XIXe siècle,
l’on peut rattacher les noms de J.H. Seidenstücker (1785-1817) ou de T.
Robertson (Nouveau cours pratique, analytique, théorique et synthé-
tique de langue anglaise, 1838).
L’évolution des manuels illustrant ces deux courants méthodologiques
témoigne aussi de la progressive « disciplinarisation » de l’enseigne-
ment des L2 : division des manuels en leçons (cf. J.-C. Thibault de la
Veaux, Leçons méthodiques de langue françoise pour les Allemands,
1787), apparition d’exercices (énoncés à compléter, cacographies).
(c) Dans le cadre de la pédagogie piétiste d’A.-H. Franke (Chalmel,
2005), un courant plus « réaliste » s’est développé, en particulier dans
les pays de confession protestante. Ce mouvement d’inspiration sen-
sualiste s’est incarné dans des expérimentations pédagogiques dont le
succès doit souvent autant à la personnalité de leurs initiateurs qu’aux
techniques d’enseignement élaborées. À cet égard, il convient de
mentionner la création du Philanthropinum à Dessau (1774-1793) où les
pédagogues B. Basedow et C.-H. Wolke mettront en œuvre les théo-
ries de Comenius, Locke, Rousseau, etc. (cf. Reinfried, D 11 : 3-13).
Il s’agit d’un enseignement « réel » fondé sur une méthode à la fois
sensible (support visuel), intuitive « propre à accélérer sans traduction
l’intelligence des mots de chaque langue étrangère » (Wolke, cité par
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
69
Besse, D45 : 238). Il y a donc dans les débuts de l’enseignement un Méthodes, techniques
double rejet, tant de la traduction que de la grammaire. Cette d’enseignement du français
méthode – qualifiée aussi de naturelle – anticipe certains principes de comme L2 : éléments
la méthode directe (notamment l’emploi de supports visuels, cf. Rein- pour une réflexion
historiographique
fried, D6) et les a peut-être souterrainement nourris.
L e XIX siècle ou l’enseignement/
e
apprentissage des langues à l’épreuve
des États-nations
Parmi les transformations qui affectent les sociétés européennes au
lendemain de l’effondrement de l’Empire napoléonien, nombreuses
sont celles qui ont eu une influence plus ou moins directe sur les
méthodes d’enseignement des langues : la lente émergence au cours
du siècle des États-Nation avec la mise en œuvre de politiques scolaire
et linguistique nationales ; les transformations économiques de la révo-
lution industrielle et la progressive démocratisation des sociétés ; la
professionnalisation de la recherche scientifique qui s’universitarise ; le
développement des moyens de communication (postes, chemins de
fer, voies maritimes) ; l’essor d’un enseignement des principales langues
européennes en tant que L2 dans le cadre de l’expansion coloniale, etc.
HÉRITAGE
Héritées du siècle précédent, les méthodes grammaire-traduction et
version-grammaire trouvent leur terrain d’élection dans les établisse-
ments d’enseignement moyen. Ces établissements ont à leur pro-
gramme une offre « plurilingue » (avec ou sans langues anciennes)
dans un dispositif conçu au profit principal de la langue nationale
posée comme la L1 de tous (Coste, 2010 : 63) ; ce constat établi pour
la France peut vraisemblablement être étendu à d’autres pays euro-
péens. Comme annoncé plus haut, la présumée L1 de tous tend à
devenir le pivot des études autour duquel s’organise l’ensemble des
enseignements, linguistiques ou non. C’est dans ce contexte que
s’opère ce que l’on a appelé « l’institutionnalisation des L2 », à savoir
comment les L2 se sont constituées en des disciplines scolaires. Parmi
les auteurs à succès, l’on peut citer, pour la méthode grammaire-tra-
duction, K.J. Ploetz (1819-1881, cf. Christ, D12 : 5-10) et, pour la
méthode version-grammaire, J.F. Ahn (1796-1865) et H.G. Ollendorf
(1803-1865, cf. Hammar, D12 : 11-15).
Quant à la méthode naturelle, elle a sombré dans l’oubli dans l’ensei-
gnement moyen, notamment sous l’impulsion des néo-humanistes
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
70
allemands (Reinfried, D6 : 143). En revanche, elle a trouvé un accueil
plus favorable dans d’autres contextes institutionnels, principalement
l’instruction primaire et auprès des publics « en reprise d’études »
(adultes non grammaticalisés). L’on sait que les L2, tout comme les
« dialectes », sont restées à l’écart de l’école primaire tenue d’ensei-
gner à ses élèves « des matières d’une utilité plus pressante et plus
générale » (F. Buisson, Dictionnaire de pédagogie, article Langues
vivantes). Ce n’est que dans les zones frontalières et dans des pays
ayant plusieurs langues officielles qu’une L2 a pu être enseignée aux
enfants dans un but plus pratique que formatif 5. De manière générale,
les techniques préconisées pour cet enseignement retrouvaient les prin-
cipes de la méthode naturelle héritée de Basedow et de ses disciples, et
adaptés, dès la fin du XVIIIe siècle, à l’ensemble des matières enseignées
à l’école élémentaire notamment par Pestalozzi (1746-1827)6.
Tant les auteurs de manuels que les pédagogues préconisent une
méthode qu’ils appellent parfois des nourrices ou plus souvent mater-
nelle ou intuitive. Pour l’instituteur, il s’agit de calquer son enseigne-
ment linguistique sur l’action (naturelle) de la mère avec son enfant.
Cette méthode accorde la priorité à l’oral, aux exercices de langage et
à la conversation. Elle recourt volontiers aux images (pour la compré-
hension ou comme support de la production verbale) et intègre, dès le
milieu du XIXe siècle, les tableaux muraux originellement destinés aux
leçons de choses ou à l’enseignement de l’allemand L1 (Reinfried, D11 :
3-7). C’est également cette méthode intuitive, maternelle qui est prisée
par l’inspecteur général Irénée Carré pour l’enseignement du français
aux enfants dits alors patoisants de France (Puren, D35 : 153-160) et
qui s’est imposée dans l’Empire colonial7, à la fin du XIXe siècle, après
5. D’âpres débats ont eu lieu de nombreux débats et polémiques. Malgré quelques tentatives plus
sur l’opportunité d’enseigner ou moins bilingues, l’instruction élémentaire s’y est développée essen-
une L2 à l’école primaire. Pour
un aperçu de cette question
tiellement en français. Selon Besse (D45 : 237), cette méthode qu’on
en Belgique, cf. Berré (2006). finira par dire « directe » a permis « aux simples natifs des langues
6. Rappelons que la question “civilisées”, y compris sans formation professionnelle […] d’enseigner
de la méthode au niveau leur propre L1 à des non-natifs de celle-ci sans pour autant devoir
de l’école élémentaire est liée
apprendre la leur ».
à celle du mode
d’enseignement (individuel,
mutuel ou simultané).
DIVERSIFICATION
7. Si la France a perdu
plusieurs possessions Les historiens de l’enseignement des langues rangent sous les éti-
insulaires et que le français quettes assez commodes de « précurseurs », « individual reformers »
a reculé considérablement (Howatt, Widdowson, 2004), « practical pioneers » (Titone, 1968), des
en Amérique, l’implantation
du français en Méditerranée auteurs qui ont pour point commun de s’opposer aux pratiques en
du Sud (Maghreb), en Afrique cours. C’est le cas de J. Jacotot (Enseignement universel. Langue
noire (Gabon, Congo, Soudan, étrangère, 1824), K. Mager (Die modernen Humanitätsstudien, 1840-
Niger), en Asie (Indochine
46), C. Marcel (Language as a Means of Mental Culture and Internatio-
française) et dans l’Océan
indien (Nouvelle-Calédonie) nal Communication, 1853), T. Prendergast (The Mastery of Languages,
a été remarquable. or the Art of Speaking Foreign Tongues idiomatically, 1864), L. Sauveur
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
71
(Introduction to the Teaching of Living Languages without Grammar or Méthodes, techniques
Dictionary, 1874), F. Gouin (Exposé d’une nouvelle méthode linguis- d’enseignement du français
tique. Art d’enseigner et d’étudier les langues, 1880), etc.8 comme L2 : éléments
pour une réflexion
Par ailleurs, les transformations sociales amplifient les besoins de historiographique
connaissance des L2. Écoles commerciales, instituts privés, pension-
nats, écoles pour adultes, enseignement à distance (autodidaxie) pous-
sent comme des champignons et contribuent à l’émergence d’un
marché de l’enseignement des langues. La dynastie des Ahn, l’Institut
Toussaint et Langenscheidt (1856), M. Berlitz dont la première école est 8. Sur ces auteurs, l’on
consultera en première
fondée en 1878 à Providence aux États-Unis, montrent qu’il est désor- approche Suso López, D30 :
mais possible de faire carrière, voire fortune dans l’enseignement des 157-169 (Jacotot) ; Macht 1986
langues (cf. aussi la méthode Assimil fondée par A. Chérel en 1929 et Reinfried, D14 : 45-56
(Mager), Smith 2009
avec le premier volume de l’Anglais sans peine). (C. Marcel), Howatt et
Si l’on dispose de quelques études de cas sur cette « nébuleuse d’au- Widdowson 2004
teurs et d’ouvrages » plus ou moins en rupture avec les méthodes tra- (T. Prendergast), Finotti 2010
ditionnelles (d’où l’étiquette de méthode naturelle qui leur est parfois (L. Sauveur), Germain 1995
(F. Gouin). D’autres textes
accolée), il reste difficile de se faire une idée d’ensemble, peut-être en restent peu étudiés comme
raison de la grande diversité des situations sur le terrain et de l’ab- ceux de G. Ticknor (Lecture on
sence de structuration universitaire de la recherche à l’époque. the Best Methods of Teaching
the Living Languages, 1833),
J. Manesca (An oral System of
RUPTURE Teaching living Languages,
1834) ou T. Geselschap
La fin du siècle voit un peu partout en Europe triompher la méthode (Essai sur l’étude des langues
directe, initiée symboliquement par la publication de deux « pam- modernes, d’après les principes
de W. v. Humboldt, 1853).
phlets » : Der Sprachunterricht muss umkehren ! [L’enseignement des
9. Sur la période 1880-1914,
langues doit faire volte-face !], 1882, sous le pseudonyme de Quousque cf. Auroux (2000) et, plus
tandem (« jusques à quand ») par un jeune phonéticien de l’université particulièrement sur le rôle
de Marburg, Wilhelm Viëtor (1850-1918) ; et Die praktische Spracher- des phonéticiens,
cf. Galazzi (2002).
lernung [L’apprentissage pratique de la langue], 1884, par F. Franke qui
10. Howatt cite trois principes
fournit les bases psycho-philosophiques d’une approche monolingue de base qui ne correspondent
en L2, en s’inspirant notamment des travaux de W. von Humboldt9. que partiellement à ceux
Le succès de la méthode directe repose, d’après Puren (1988), sur sa avancés par Puren :
« The Reform Movement was
grande cohérence interne fondée sur des techniques excluant la tra- founded on three basic
duction magistrale, promouvant l’activité de l’élève et privilégiant principles : the primacy of
l’oral, ces trois techniques sont pour Puren le noyau dur de la méthode speech, the centrality of the
connected text as the kernel
directe10. Outre ses liens avec la méthode intuitive, le succès de la
of the teaching-learning
méthode directe s’explique également par des facteurs externes : le process, and the absolute
prestige du savoir scientifique et la nouveauté des sciences de réfé- priority of an oral classroom
rence dont la méthode s’est réclamée (principalement la phonétique et methodology » (Howatt et al.
2004 : 189).
la psychologie), le besoin des professeurs de langues modernes de se 11. Sur la naissance,
forger une identité au sein du système scolaire (en lien avec le modèle le développement et
de la spécialisation disciplinaire sur lequel s’est construit l’enseigne- la circulation de la méthode
directe, cf. le colloque dont
ment moyen) et le souci tout national de cloisonner les enseignements
une partie des actes a été
linguistiques en évitant les mélanges de langues et de cultures (Berré, publiée dans Bodé
D33/34 : 90-91)11. L’influence de la pédagogie de l’enseignement et Kahn, D10.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
72
primaire sur l’enseignement secondaire, dans le cadre des réformes
de 1880, est aussi probable.
Le savoir scientifique est désormais convoqué pour garantir la qualité
de la méthode. Il s’agit d’appliquer, dans le cadre d’une idéologie
marquée par le positivisme et la foi dans le progrès, ce que l’on sait
d’un objet (la langue, l’esprit) sur un autre (l’enseignement/apprentis-
sage d’une langue). Des travaux plus empiriques sur l’usage des nou-
velles méthodes dans un contexte scolaire ont également vu le jour
(cf. H. Klinghardt en Allemagne et W.H. Widgery en Grande-Bretagne).
Sur le plan théorique les développements de la méthode directe se
sont en quelque sorte achevés par la publication des ouvrages du
Britannique Henry Sweet (The Practical Study of Languages 1899) et du
Danois Otto Jespersen (Sprogundervisning 1901 traduit en anglais
en 1904, How to Teach a Foreign Language). Outre l’adoption de la
méthode par les gouvernements de la plupart des pays européens, le
discours de rupture des méthodologues directs a aussi considérable-
ment influencé la réflexion jusqu’à la fin des années 30, les « méthodes »
qui ont suivi se définissant en termes de plus ou moins grande « fidé-
lité » aux techniques de la méthode directe (assouplissement, adapta-
tion, compromis, éclectisme, etc.). Ce discours a placé la notion de
méthode au centre de la réflexion didactique, comme élément clef du
progrès de l’enseignement/apprentissage des L2, « paradigme métho-
dologique » qui sera adopté, dans une perspective plus ou moins
positiviste, par l’historiographie de l’enseignement des langues, née
en Allemagne vers 1860 (Schröder, D5 : 2-9)12.
Au sein de l’Occident (et même au-delà via les empires coloniaux), les
méthodes et les pratiques ne connaissent ni les frontières d’État, ni les
barrières linguistiques même si, bien entendu, le temps des réformes
(dans les discours, les manuels, les classes) peut évidemment présenter
12. L’historiographie relative
à l’enseignement des langues des variations en fonction des contextes culturels et nationaux. L’officia-
ne s’est guère constituée lisation de la méthode directe dans différents pays européens en consti-
en domaine de recherche, tue un bon exemple : 1897 et 1905, selon les niveaux d’enseignement,
au niveau international, avant
le dernier quart du XXe siècle en Belgique (Maréchal 1972 : 462-472), 1902 en France (Puren 1988 : 94),
avec la création de plusieurs 1905 (Italie), 1911 pour l’Espagne (Vivero García, D10 : 94), etc.
sociétés savantes dont Ces idées passent d’un pays à l’autre via des séjours linguistiques de
la SIHFLES (1987).
13. Les premiers congrès
plus ou moins longue durée, les revues pédagogiques qui foisonnent
d’enseignement des L2 ont pour l’enseignement des langues à partir de 1880 et les congrès inter-
d’abord été organisés en nationaux qui permettent les échanges entre linguistiques, phonéti-
Allemagne, fin XIXe siècle,
puis en France. La Fédération ciens, enseignants et auteurs de manuels de plusieurs pays13. Le
internationale des Professeurs résultat, c’est une intense circulation des idées méthodologiques de
de Langues vivantes (FIPLV) telle sorte qu’au niveau de la « structure » des manuels, une grande
a été fondée en 1931.
Pour une histoire de la FIPLV, similarité est à observer entre les ouvrages publiés dans les divers pays
cf. Freudenstein (2009). européens (et même hors d’Europe).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
73
Méthodes, techniques
L e XX siècle et la notion de méthode
e d’enseignement du français
comme L2 : éléments
en question pour une réflexion
historiographique
Notre propos pour le XXe siècle sera inévitablement subjectif, nécessai-
rement allusif et forcément caricatural. Autant dire que les lignes qui
suivent tracent davantage les contours d’un cadre d’analyse des
débats méthodologiques qu’elles ne prétendent en donner, même
sous une forme condensée, une quelconque synthèse.
LES MÉTHODES : DE « L’ÈRE SCIENTIFIQUE » À UNE CERTAINE
RELATIVISATION…
Sur les méthodes des XIXe et XXe siècles, l’on dispose de quelques
ouvrages historiques en langues française, anglaise, allemande et ita-
lienne14. Ces histoires prennent souvent la forme d’« ouvrages de syn-
thèses » avec une finalité didactique explicite (cf. la préface de
R. Galisson à l’ouvrage de Puren, 1988). Ils adoptent un plan assez simi-
laire, pour la plupart divisés en autant de chapitres que de méthodes
identifiées. Inscrites sur un axe chronologiquement orienté (et plus ou
moins sous-tendu par l’idée de progrès), ces méthodes sont assez som-
mairement décrites, plus souvent « justifiées » par les sciences dont elles
se réclament que précisément caractérisées par les techniques d’ensei-
gnement qu’elles ont mises au point ou promues. Les auteurs de ces
« inventaires » (le terme de « typologie » paraît abusif vu le manque de
clarté et de systématicité au niveau des critères utilisés) ne sont par
ailleurs guère d’accord ni sur le nombre, ni sur la dénomination, ni sur la
description des méthodes (pour une analyse critique de ces discours
dans les aires francophone et anglophone, cf. Besse, 2001).
Toutefois, malgré leur désaccord et au-delà de leurs imperfections, ces
ouvrages rendent compte d’un indéniable mouvement de scientifisation
des méthodes et de la méthodologie au cours du XXe siècle. Germain
(1993) qualifie d’ailleurs ce siècle d’« ère scientifique ». Les deux princi-
pales disciplines ressources sont la psychologie (justifiant, par exemple,
durant l’Entre-deux-guerres, le recours à des techniques d’enseigne-
ment sollicitant l’activité de l’élève) et la linguistique. Harold Palmer
annonce, d’un certain point de vue, ce que sera « la linguistique appli-
quée » au milieu du siècle avec ses ouvrages The Scientific Study and
Teaching of Languages (1917), The Oral Method of Teaching Languages 14. Par ordre chronologique :
Mackey (1965 [1972]), Maréchal
(1921) et The Principles of Language Study (1922). Selon Stern (1983 :
(1972), Larsen-Freeman (1986),
100), « it is during this period [premier tiers du XXe siècle] that the first Macht (1986, 1987, 1990),
serious attempts were made to resolve language teaching problems by Richards et Rodgers (1986),
research methods, for example, on vocabulary selection, or testing ». Ce Puren (1988), Hammar (1992),
Germain (1993), Rizzardi
paradigme méthodologique est resté dominant (y compris dans les cri-
et Barsi (2007). Kelly (1969)
tiques adressées à la méthode directe) jusque dans les années 70. Sous adopte un plan quelque
l’effet de différents facteurs – d’ordre essentiellement institutionnel peu différent.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
74
(Coste, 2003), la méthodologie a été par la suite progressivement relé-
guée à l’arrière-plan des préoccupations des didacticiens (sinon des
enseignants). Depuis l’ère de la « linguistique appliquée et de la métho-
dologie de l’enseignement des langues » (c’était le premier titre donné
au dictionnaire de Coste et Galisson en 1976, rebaptisé in extremis Dic-
tionnaire de didactique des langues), le point de vue holistique et volon-
tiers totalisant (sinon totalitaire) de la « méthodologie » des années 60 a
été absorbé dans le cadre d’une réflexion plus globale sur les curricula.
Parallèlement, la recherche en méthodologie s’est spécialisée sur l’ensei-
gnement/apprentissage de certaines habiletés (Beacco, 2007). L’accent
mis sur la culture (dans ses dimensions anthropologiques) a aussi conduit
à une relativisation d’un discours méthodologique aux prétentions par-
fois universalistes, peu sensible (à l’instar des sciences dont il affirmait
s’inspirer) aux contextes.
VERS UN RENOUVEAU DE LA MÉTHODOLOGIE ET DE SON HISTOIRE ?
Même si après « la mort du manuel » annoncée par Debyser (1973),
d’autres ont spéculé sur la fin des méthodes (Stern, 1983), il nous
semble que la réflexion méthodologique a encore de beaux jours
devant elle tout simplement parce que les questions auxquelles elle
s’efforce de répondre continuent de se poser (Comment faire pronon-
cer les sons de la L2 ? Comment faire accéder au sens ? Comment
favoriser l’appropriation des régularités grammaticales d’une langue ?).
Et dans la constitution de cette méthodologie en tant que sous-disci-
pline de la didactique des L2, l’histoire des idées méthodologiques (et
des méthodes) est susceptible d’occuper une place centrale (Besse,
1986 et 1989). Ce développement des recherches en histoire des idées
méthodologiques est à envisager, selon nous, dans deux directions.
D’une part, en tant qu’objets culturels, les méthodes apparaissent dans
certains contextes, s’y développent et circulent selon certaines moda-
lités. Comme l’indique Coste (2010 : 26), il est « facile de montrer que
tous les grands moments d’« invention » de courants méthodologiques
[…] doivent largement leur succès au relais ou à la préexistence de
politiques linguistiques vigoureuses, à dynamique nationale interne ou
à visée ou demande internationale ». L’évolution des rapports de force
entre les grandes et les petites langues, les politiques linguistiques
impulsées aux niveaux national ou international, les mouvements de
(dé)-colonisation, les migrations, les évolutions techniques, le rôle des
institutions et associations nationales et internationales, etc., sont
autant de facteurs qui doivent être pris en considération pour com-
prendre l’apparition, le développement et la circulation des idées
méthodologiques, en particulier au XXe siècle15. L’histoire des matériaux
15. Pour l’exemple
ayant servi à enseigner les langues (du tableau noir au TBI en passant
du Français fondamental
(1954-2005), cf. Cortier et par le gramophone, la radio, le magnétophone, les auxiliaires visuels,
Parpette, D36. etc.) reste encore à écrire même si nous disposons de travaux sur
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
75
l’histoire des supports visuels pour le XIXe siècle (Reinfried, D11) ou de Méthodes, techniques
quelques contributions sur l’usage de la radio (cf. les articles de Stiki, d’enseignement du français
Hammar et Raus, D32 et ici même la contribution de Galazzi et Rein- comme L2 : éléments
pour une réflexion
fried). Cette histoire externe est nécessaire si l’on veut pouvoir com- historiographique
prendre l’évolution des idées méthodologiques autrement que comme
une succession de « méthodes » dont le seul moteur serait le progrès
et renoncer à des facilités telles que le « mouvement de balancier » ou
le « point d’équilibre », voire l’éclectisme, autant de notions qui consti-
tuent de véritables obstacles épistémologiques à une compréhension
ouverte et renouvelée du passé.
D’autre part, faire l’histoire des idées méthodologiques, c’est aussi
faire l’histoire des techniques d’enseignement dont ces idées ont per-
mis l’élaboration, en partant d’hypothèses et/ou en théorisant des
pratiques. Ces techniques ne servent pas à autre chose que ce pour
quoi elles ont été conçues (elles ne sont donc pas transférables à
d’autres objets d’enseignement – que l’on songe à la traduction inter-
linéaire, aux pratiques verbo-tonalistes de correction phonétique, aux
paraphrases discursives, etc.) et présentent une certaine stabilité (qui
rend possible la cumulation du savoir et le progrès) alors que les dis-
cours méthodologiques (relevant davantage des « idéologies ») et les
pratiques (intégrées dans les circonstances infiniment variables de la
communication en classe de langues) sont des objets beaucoup plus
fluctuants. Les techniques, c’est ce qui permet à ce « spécialiste »
qu’est l’enseignant d’une L2 d’échapper aux illusions de l’« acquisition
naturelle » et de résister à la tentation d’enseigner un savoir sur la lan-
gue plutôt que la langue elle-même.
C onclusion
L’histoire de ces techniques, leur caractérisation assez fine constituent
donc un enjeu majeur tant de l’histoire de l’enseignement que de la
didactique actuelle et à venir des L2. C’est pourquoi la collaboration
d’historiens et de didacticiens, les uns étant a priori plus sensibles à
l’interprétation contextuelle, les autres à la dynamique interne des
notions, a toujours été une priorité au sein de la SIHFLES dont les col-
loques et la revue Documents accueillent des contributions venues de
tous les horizons disciplinaires pour autant qu’elles soient centrées sur
l’objet même qui réunit les Sihflésiens, depuis vingt-cinq ans, à savoir
la diffusion et l’enseignement du français comme langue étrangère ou
seconde, sans exclure les autres langues, au sein de sociétés plus mul-
tilingues et multiculturelles que les deux siècles précédant celui-ci ne
les ont dites et pensées.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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F ormation
des enseignants et
histoire de la diffusion
et de l’enseignement
des langues
GÉRARD VIGNER
ÉDUCATION NATIONALE, FRANCE
Pour commencer, le constat d’une absence. La formation des ensei-
gnants en FLE, leur professionnalisation, passent rarement par les voies
d’une réflexion d’ordre historique sur le domaine, comme si les
urgences d’un présent toujours plus complexe l’emportaient sur toute
volonté de prise de recul dont l’histoire serait l’instrument.
Deuxième constat, l’importance du développement des études histo-
riques consacrées aux langues vivantes, à leur diffusion et à leur ensei-
gnement depuis trois décennies au moins (pour une présentation
d’ensemble, cf. Berré, 2010). Quel regard porter sur ces travaux ? Per-
mettent-ils de constituer ces objets de recherche en objets inédits,
considérés pour eux-mêmes, portés par une exigence épistémologique
forte, inscrits dans un champ plus vaste, celui de l’histoire culturelle, ou
bien faut-il envisager ces objets sur la base d’un simple critère d’utilité,
comme composante obligée d’un parcours de professionnalisation des
enseignants de langues ? Aucune réponse n’est a priori évidente, sur-
tout s’il s’agit de s’en tenir à un choix binaire qui, porté sur un des élé-
ments, exclut l’autre. Et ce champ de recherche, une revue rapide des
membres de la SIHFLES le confirme, rassemble aussi bien des historiens,
au sens classique du terme, que des enseignants/didacticiens soucieux
d’explorer la mémoire de leur métier ou de leur discipline.
Par ailleurs, on remarquera que cette sensibilité nouvelle à l’histoire
1. Ainsi de la tenue récente,
les 12 et 13 octobre 2010, des disciplines dans la formation des enseignants tend à s’étendre à
à Lyon d’un colloque organisé d’autres domaines que ceux de l’enseignement des langues1 et qu’à ce
à l’initiative de l’ex-l’INRP, titre, et à bien d’autres d’ailleurs, il importe de s’interroger sur la nature
intitulé « L’histoire
de l’enjeu que peut constituer aujourd’hui la mise en place de cette
des disciplines
dans la formation nouvelle composante dans la formation des enseignants. À l’évidence,
des enseignants ». l’histoire des disciplines est plus, ou autre chose, qu’une simple
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
79
branche de la science historique et répond à des finalités qui vont plus Formation
loin que le simple souci de contribuer à l’élaboration d’un savoir histo- des enseignants et
rique global. On n’omettra pas non plus de rappeler que certaines histoire de la diffusion
disciplines d’intervention, comme le droit ou la médecine, ont depuis et de l’enseignement
des langues
longtemps développé en leur sein une branche historique qui s’inscrit
dans le parcours général de formation de l’étudiant. Pourquoi cette
soudaine émergence dans les métiers de l’enseignement ? Quelles
finalités peut-on dans ces conditions assigner à un tel enseignement
dans un plan général de formation ?
Une dernière précision encore. Histoire des disciplines, écrivons-nous,
mais de quelles disciplines ? Disciplines universitaires ou disciplines
scolaires ? L’histoire des disciplines universitaires, c’est-à-dire tout à la
fois l’histoire des idées, l’histoire des sciences, telles que l’institution
universitaire les a progressivement prises en charge, constitue un
domaine de recherche déjà ancien. Ainsi en est-il des travaux engagés
par la SHEL (Société d’histoire et d’épistémologie des sciences du lan-
gage), société de création certes récente, mais qui s’appuie sur une
très longue tradition de recherche. Mais encore une histoire des disci-
plines scolaires envisagée non pas selon une relation descendante, de
la recherche la plus théorique aux pratiques d’enseignement qui en
découleraient, mais plutôt dans la perspective d’une histoire des
modes d’élaboration d’une discipline nouvelle à propos de l’enseigne-
ment des langues vivantes étrangères qui, en ces temps plus anciens
de latinité dominante, étaient rangées dans la catégorie peu valorisée
des langues dites vulgaires ou sermo vulgaris.
Nous allons tenter ici de dessiner ce que peuvent être la place et la
fonction de l’histoire de l’enseignement du français, langue étrangère
ou seconde, dans la formation des enseignants. Former à l’enseigne-
ment du français aujourd’hui s’inscrit dans un environnement différent
de celui qui prévalait il y a une vingtaine d’années. Tracer les grandes
lignes de ces contextes permettra d’expliquer, pour partie, les raisons
qui conduisent à donner à l’histoire des disciplines d’enseignement
une place nouvelle, si tant est qu’il y ait eu une place réservée autre-
fois, dans cette formation.
L a profession enseignante dans ses enjeux
actuels
Insérer dans la formation des enseignants une composante liée à l’his-
toire de la discipline ne saurait s’opérer de façon uniforme. La forma-
tion à l’enseignement du français a ceci de particulier, et nous y
reviendrons un peu plus loin, qu’elle se situe à la croisée de deux
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
80
champs d’influence distincts qui, selon les pays et selon leur mode
d’interpénétration, confèrent à chaque fois à cette formation un profil
particulier. Il existe tout d’abord des traditions académiques propres à
chaque pays, liées aussi à la nature du marché de la profession. La
place du français n’y est jamais identique, la part des publics scolaires
et des publics d’adultes ou des publics d’étudiants n’y est pas la même,
le cadre d’enseignement non plus, selon qu’il s’agit d’institutions
publiques ou de réseaux d’établissements privés. La présence du fran-
çais dans le pays relève aussi de liens et d’expériences historiques
variés. En même temps, des logiques générales de formation, organi-
sées autour de notions communes, fondées sur des conceptions par-
tagées de ce que peut être aujourd’hui la compétence professionnelle,
sont présentes un peu partout dans le monde2. Si bien qu’à la
confluence de ces deux grands champs de force, s’opèrent des choix,
plus ou moins explicités, parfois en tension. Ainsi de la tentation de
procéder, par un applicationnisme sans précaution, à un transfert de
concepts élaborés en d’autres lieux et pour d’autres publics, vers des
contextes dont la singularité trouve son origine dans une expérience
historique et culturelle souvent fort ancienne : la diffusion de l’ap-
proche par compétence et de ses différents avatars à toutes sortes de
publics, et plus particulièrement des publics de l’enseignement pri-
maire, peut être considérée comme un bon exemple de ces logiques
en conflit.
Cela étant, qu’attend-on de la formation des enseignants de langue
aujourd’hui ? La réponse semble à ce point évidente que nul n’inter-
roge un modèle de formation dont nombre de points mériteraient
d’être discutés ou repris. On débat des conditions de transpositions
des savoirs savants vers les pratiques de classe, on s’interroge sur le
choix et la nature des modèles de référence, ou l’on s’interroge sur la
2. La circulation internationale nécessité de faire évoluer le profil de l’enseignant, pour passer pro-
des idées en didactique gressivement de celui d’un professionnel expert dans une seule langue
des langues, pour reprendre
ici l’intitulé d’un numéro
à celui d’un enseignant ouvert aux dimensions transversales des lan-
de Recherches et applications/ gues. On prend en considération les incidences des réformes liées au
Le français dans le monde, 46, LMD3 et, enfin et surtout, on examine les changements que peut
juillet 2009, est plus intense apporter, dans des contextualisations diverses (Castellotti et Noriyuki,
que jamais. Il suffit à cet effet
de considérer dans la liste
2011), le CECR (Cadre européen commun de référence pour les lan-
Framonde le nombre gues) ainsi qu’un certain nombre d’éléments associés : approches par
d’annonces de colloques compétences, démarches actionnelles, échelles de compétence, dis-
et de rencontres pour mesurer positifs d’évaluation.
l’importance du phénomène.
Tous ces choix nous orientent vers un certain idéal-type de la profes-
3. Référence
à l’harmonisation des cursus sion enseignante pensée comme culture professionnelle hautement
d’enseignement supérieurs technicisée, au rebours de tout amateurisme, même distingué, dans
européens, licence laquelle la rationalité technique appliquée à la recherche de bonnes
– mastère – doctorat, dispositif
solutions constitue le socle constitutif de compétence professionnelle.
qui fait écho à ce que
l’on appelle aussi le processus Taxonomies, échelles variées de compétences, y occupent une place
de Bologne. importante et nous renvoient l’image d’un enseignant technicien,
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
81
dépendant dans la mise en œuvre de son travail de différents bureaux Formation
d’étude et de méthodes qui fixent objectifs et étapes curriculaires des enseignants et
auxquels il aura à se conformer4, modèle d’un enseignant intervenant histoire de la diffusion
dans des situations strictement définies, pour lesquelles l’application et de l’enseignement
des langues
des consignes suffirait à favoriser la mise en œuvre de réponses péda-
gogiques appropriées. Ainsi la notion de compétence comme fonde-
ment d’une professionnalité reconnue est-elle fréquemment convoquée
pour définir ces profils de formation ainsi que celle de référentiel de
compétence5 pour établir un plan de formation.
Modèle de l’enseignant technicien, mais technicien soumis à des
cahiers des charges de plus en plus contraignants, pour lequel l’intui-
tion, la capacité à improviser, à faire face à l’imprévu, à des situations
singulières, ne sont pas toujours clairement envisagées. Le modèle de 4. Ainsi des outils
l’artisan d’autrefois, élaborant ses outils, organisant l’ensemble du pro- d’évaluation des compétences
et des épreuves certificatives
cessus d’apprentissage, depuis les premiers choix de mise en œuvre qui relèvent désormais
jusqu’aux formes d’évaluation, s’efface progressivement6. Ces modèles- de la responsabilité
types de l’enseignant, rarement explicités, sont ainsi présentés de la d’organismes spécialisés
façon la plus abstraite, dans leur plus grande neutralité culturelle et (universités, chambres
de commerce, centres
géographique et sans le moindre recul historique, alors même que internationaux spécialisés).
cette technicité affichée et revendiquée n’est jamais que l’expression, 5. La diffusion de cette notion
à un moment et dans une région du monde donnés, d’un choix cultu- doit beaucoup, comme nous
rel, choix appelé aussi à évoluer. l’avons déjà signalé,
aux travaux conduits en
Cette « emprise de la rationalité instrumentale » (Bourdoncle, 1993 : 150) direction de la formation
dans la formation, qu’il s’agisse d’écoles professionnelles autonomes ou professionnelle des adultes,
de départements universitaires spécialisés, tend à s’étendre, à s’imposer notamment les travaux
et appelle, en compensation, un recours à l’histoire conçue comme révé- engagés par G. Le Boterf
(2001) en ingénierie
lateur en dernier ressort d’une signification jusqu’à présent masquée. de la formation. Voir aussi
On comprendra mieux alors ce que peut être l’enjeu majeur de l’intro- Perrenoud 2001 pour ce
duction dans la formation de cette dimension historique : déconstruire qui est du public enseignant.
le système des évidences contemporaines, ouvrir de la sorte au chan- 6. Pour une réflexion
d’ensemble sur la formation
gement, à l’innovation, au lieu d’enfermer les étudiants dans un
des enseignants,
modèle dont l’intemporalité apparente masque des choix, historique- on ne manquera pas
ment, politiquement situés, des positions dont le caractère contingent de se reporter à la très
ne peut manquer de frapper l’observateur averti7. informée note de synthèse,
toujours d’actualité,
de Bourdoncle 1993.
7. Ainsi de l’émergence et
de la diffusion du CECR,
des approches plurilingues
ou de l’intercompréhension,
L ’histoire de l’enseignement des langues, qui ne constituent pas l’étape
logiquement située
vecteur de formation d’un parcours historique porté
par le progrès de la didactique
Les raisons que l’on peut avoir d’intégrer l’histoire d’une discipline dans et de la pédagogie, mais sont
des propositions qui
la formation des enseignants (ici l’histoire de la diffusion d’une langue
correspondent à un contexte
telle que le français et de son élaboration en objet d’enseignement) et à une situation historique
sont nombreuses et d’une certaine manière impératives, plus donnés.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
82
particulièrement quand il est question d’une discipline hautement
socialisée comme l’enseignement/apprentissage d’une langue étran-
gère. Nous en ferons ici un rapide inventaire.
APPRENDRE UNE LANGUE, POUR QUELLES RAISONS ?
Les raisons qui font que l’on apprend une LE dans un pays, mais une
LE parmi d’autres le plus souvent, dépendent de très nombreux fac-
teurs et l’histoire de la diffusion et de l’enseignement du français nous
montre que les questions proprement pédagogiques et méthodolo-
giques n’interviennent que médiocrement dans ces choix. Il ne suffit
pas qu’une langue soit bien enseignée, qu’elle s’appuie sur un appareil
grammatical hautement élaboré, pour qu’elle fasse l’objet ipso facto
d’une demande forte de la part des différents publics. D’autres fac-
teurs peuvent intervenir, facteurs liés à l’image de cette langue, à sa
prétention reconnue ou non à être une langue universelle, à l’appui
qu’elle peut recevoir d’un État, d’une puissance politique, mais aussi
aux liens qu’elle peut entretenir avec des réseaux religieux ; de même
des facteurs liés à la publication et à la diffusion de livres et d’outils
d’apprentissage appropriés, à l’existence de réseaux de maîtres de
langue, d’enseignants nombreux et bien formés, ou plus simplement
de malheureux que les conjonctures d’une histoire brutale jettent sur
les routes de l’exil et métamorphosent à leur corps défendant en ensei-
gnants (cf. l’article de Kok Escalle et Sanchez-Summerer, dans ce
recueil). Bref une situation dans laquelle, selon les moments de l’his-
toire, ces facteurs se combinent différemment et réorientent la
demande en permanence ; que le français, entre le traité de Rastadt,
en 1714, et le traité de Versailles non compris, ait été la langue dans
laquelle ont été négociés et rédigés les traités, n’a pas peu contribué
à faire du français une langue de référence auprès de toutes les élites
politiques européennes.
UN ENVIRONNEMENT D’APPRENTISSAGE PLURILINGUE
Une LE est rarement apprise isolément. Elle prend place au milieu de
langues nationales, d’autres LE, voire du latin comme ce fut pendant
très longtemps le cas en Europe. Le français dans son histoire et dans
sa diffusion a été ainsi en concurrence avec différentes langues, et
parfois a pris place dans un environnement et un appareillage de réfé-
rences et d’apprentissages multilingues. Pour parler plus clairement, le
français a rarement été seul sur le marché et sa relation aux autres
langues (l’espagnol, l’italien aux XVIe et XVIIe siècles, l’anglais qui dès le
XVIIIe siècle commence à prendre sa place en Europe et plus encore
dans le reste du monde, les langues nationales au XIXe siècle) va forcé-
ment agir sur la construction des apprentissages et sur les choix
méthodologiques. L’analyse historique de ces rapports de force, rap-
ports tendus dans les organisations internationales, doit conduire le
futur enseignant à s’interroger sur les rapports qui prévalent entre les
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
83
langues aujourd’hui et permettra à ce dernier d’interpréter différem- Formation
ment certaines perspectives d’analyse particulièrement représentées des enseignants et
dans l’univers contemporain de la didactique. Ainsi de l’importance histoire de la diffusion
et de l’enseignement
prise par les approches multilingues dans la DDL d’aujourd’hui. des langues
LE PASSÉ DANS LE PRÉSENT
Un certain discours tenu par des méthodologues prosélytes a pour
effet de privilégier la rupture comme mode d’avancée dans les appren-
tissages et dans les formations. Du passé faisant table rase, l’ensei-
gnant, avec des matériaux inédits, marqués du sceau de la modernité
la plus immédiate, prodiguera des enseignements dont la radicale
nouveauté ne manquera pas de fasciner, sinon de séduire, ses publics.
Pourtant, lorsqu’on va y regarder d’un peu plus près, en examinant par
exemple les manuels proposés par les éditeurs ou les plans et conte-
nus de formation, on s’aperçoit très rapidement que cette radicale
nouveauté porte en elle de nombreuses traces d’un passé qui est loin
d’être révolu. Tout n’avance pas au même rythme dans l’innovation. Les
traitements grammaticaux de la langue, les activités d’écriture propo-
sées, auraient pu être produits à d’autres époques et c’est là chose
bien normale. Un outil qui ne serait constitué que d’éléments innovants
dans la totalité de ses constituants et selon une approche radicalement
nouvelle, acquérait une telle densité, une telle compacité, qu’il en
deviendrait quasiment inutilisable. Est-il sûr, par exemple, que les
approches par compétence l’emporteront un jour sur les approches
globalistes, distinctions proposées par Beacco 2007 ? Une mise en
perspective historique nous montrera que rien n’est moins assuré ou,
du moins, que l’innovation s’opérera selon des arbitrages particuliers,
selon des combinaisons qu’un didacticien rigoureux pourra récuser,
mais que l’enseignant adoptera volontiers parce qu’elles s’inscrivent
dans les procédures ordinaires de l’action professionnelle et se révè-
lent raisonnablement effectuables (cf. Julien 2009).
LANGUES ET MODÈLES MÉTHODOLOGIQUES
Le débat pendant longtemps fut vif sur le fait de savoir quelle était la
méthodologie la plus appropriée pour enseigner le français. Plusieurs
modèles ont été en concurrence, certains, issus du latin, pendant long-
temps langue culturellement dominante, d’autres fondés sur un solide
pragmatisme, à base de dialogues, d’outils plurilingues, destinés à
fournir aux apprenants ou aux voyageurs les outils dont ils pourraient
avoir immédiatement besoin. L’histoire de l’enseignement des langues
montre que d’emblée plusieurs types d’approche ont été simultané-
ment en usage, selon les publics, selon les cultures éducatives du pays
ou de la région, selon les lieux d’apprentissage et qu’à ce titre une
vision unidimensionnelle de ce que peut être l’enseignement des lan-
gues semble inappropriée.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
84
LES PUBLICS DU FRANÇAIS ET LES BESOINS D’APPRENTISSAGE
Le français, pendant des siècles, s’adressa à des publics cultivés, c’est-
à-dire à des publics disposant dans leur langue maternelle d’une
culture écrite plus ou moins développée, mais permettant une
approche du français qui se fondait sur cette compétence première. Le
français enseigné d’autre part a été très tôt une langue littérarisée,
grammaticalisée, et ce à partir d’une variété que l’on peut aisément
considérer comme cultivée : autrement dit, le français apparaissait
comme une langue savante, enseignée savamment, à des publics ins-
truits. Mais tout ceci résultait de choix entrepris dans des contextes
socio-historiques particuliers, choix qui se sont déposés au cœur
même d’une certaine tradition d’apprentissage et ont fini, aux yeux de
certains, par relever de l’évidence pédagogique. Comment expliquer
cette place toujours importante occupée par la dimension grammati-
calisante dans les apprentissages du français, sinon par la référence,
implicite, à cette longue tradition historique (Besse, 2001) ? Quid dans
ces conditions de l’émergence de la francophonie ? Quid des
migrants ? Le français dans ses apprentissages s’est en effet étendu à
des publics inédits et fort nombreux qu’étaient aux lendemains des
indépendances les enfants des francophonies du Sud, comme il est
d’usage de le dire aujourd’hui. Quand il s’est agi, comme la chose s’est
produite plus récemment, d’aborder les publics de migrants autrement
que par des approches dont la générosité d’intention était la qualité la
plus évidente, on a pu mesurer la difficulté qu’il y avait à transférer
dans ces deux directions les usages méthodologiques élaborés à l’in-
tention des publics d’adultes cultivés. Cette difficulté ne pouvait que
révéler le caractère historiquement et idéologiquement construit des
choix entrepris à destination des publics européens. Seule une
réflexion d’ordre historique permettra de situer ces différents choix
dans leur espace d’élaboration initial, pour mieux faire ressortir les
particularités des choix contemporains (élaboration du niveau A.1.1.
par exemple, à destination des publics de migrants, qui se situe à un
niveau inférieur de compétence requise par rapport au niveau de
base). Méthodologie, histoire et sociologie des curriculums sont étroi-
tement liées.
LE RÔLE DE L’OUTILLAGE TECHNOLOGIQUE ET DE CERTAINS SUPPORTS
Ce que l’on appelle aujourd’hui les nouvelles technologies, c’est-à-dire
l’utilisation de supports électroniques pour l’enseignement des lan-
gues (logiciels d’apprentissage, tableaux électroniques, relais divers
par l’usage de lecteur MP3, références à l’internet, etc.), d’une certaine
manière, modifient l’organisation des apprentissages et offrent des
perspectives de renouvellement considérables. La question reste
cependant posée de savoir dans quelle mesure l’introduction de ces
nouveaux supports est appelée à modifier significativement les
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
85
apprentissages. Un regard rétrospectif peut de ce point de vue-là se Formation
révéler salutaire. L’enseignement des LVE a en effet très tôt fait usage des enseignants et
des nouvelles technologies, enregistrements divers sur disques, sur histoire de la diffusion
bandes magnétiques, laboratoires de langue, supports audio-visuels, et de l’enseignement
des langues
apprentissage par la radio, par la télévision, permettant à chaque fois
d’engager l’apprentissage sur des voies nouvelles ; mais il s’agit bien
plus d’évolutions que de véritables bouleversements. Un regard histo-
rique, sur des logiques d’innovation équivalentes, permettra de mieux
situer la nature de ces apports et par là même de définir des attentes
raisonnables pour ce qui est des apports contemporains.
LA FORMATION INITIALE ET SON INFLUENCE
On le sait, elle joue un rôle très important dans l’empreinte initiale qui
s’opère sur l’univers de référence du futur enseignant. Ce qui n’est qu’un
moment dans le devenir des langues et de leur enseignement (choix
méthodologiques, références théoriques, traitements didactiques)
devient la référence pour toute une vie professionnelle. Tout change-
ment, toute évolution, et il y en aura forcément, seront vécus comme un
affaiblissement, une perte par rapport à ce modèle initial, survalorisé, et
présenté sans les précautions contextualisantes nécessaires. On sait
ce qu’il en est de ces téléologismes naïfs par lesquels l’histoire de l’en-
seignement des langues se scande en étapes obligées, et toujours
les mêmes, depuis les siècles obscurs représentés par la méthode
grammaire-traduction (comme si cette méthode était absente des pra-
tiques d’aujourd’hui), jusqu’à l’apothéose contemporaine qui, dans les
années 60 était représentée par les approches de type SGAV, puis dans
les années 70/80 laissait la place aux approches communicatives, pour
parvenir enfin aux approches actionnelles telles qu’elles sont présentées
à partir du CECR. Or, les travaux d’histoire de l’enseignement des lan-
gues l’ont bien montré, ces approches ne se succèdent pas, elles avan-
cent en parallèle, se différencient, sans pour autant reléguer aux
oubliettes de l’histoire les approches antérieures. Quand le CECR et les
approches actionnelles auront fait leur temps, dans leur dimension pro-
prement innovante, d’autres propositions émergeront qui n’invalideront
nullement tout ce qui s’est engagé autour du CECR, mais l’inscriront
dans une continuité plus largement dessinée. Le CECR est le plus sou-
vent présenté comme un objet hors de toutes contraintes historiques,
alors que sa logique organisationnelle est marquée par : (1) la culture du
Conseil de l’Europe et la diversité d’une Europe qui sortait de deux
guerres particulièrement éprouvantes ; (2) des valeurs de paix, de com-
préhension mutuelle ; (3) une approche de la compétence fondée sur le
transfert vers le savoir parler, le savoir apprendre de logiques de forma-
tion venues de la formation professionnelle des adultes ; d’où l’impor-
tance qu’il y a à sociologiser et à historiciser l’éventail des pratiques
présentées pour éviter les inconvénients d’une approche excessivement
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
86
abstraite qui rend plus difficile, dans la suite de la carrière de l’ensei-
gnant, la relation au changement et à l’innovation. Les enseignants
sauront que d’autres approches se feront jour et que ces évolutions
dépendront d’une modification des contextes, des besoins et des
publics d’apprentissage à laquelle il faudra savoir se préparer. Cette
approche critique des théories, des grands choix méthodologiques sera
source de prudence dans l’appréciation des situations contemporaines.
ENSEIGNER LE FRANÇAIS : UN MÉTIER AUX STATUTS DIVERS
Enseigner une langue (des langues), c’est exercer un métier dont le
statut mérite examen. Trop souvent cette dimension de la formation
est omise ou bien est très rapidement traitée, en fin de parcours,
comme si elle ne constituait qu’une simple variable d’ajustement dans
la formation, alors que pour les futurs enseignants cette question est
fondamentale. Comment travailleront-ils, dans quel environnement
institutionnel, selon quelles garanties, sur la base de quelles compé-
tences reconnues, et avec quels revenus ? Très variés sont les statuts
et situations d’enseignement : intervenir dans une « boîte à langue »
avec tous les éléments de précarité liés à cette situation, enseigner
dans l’Éducation nationale française avec le statut de fonctionnaire
d’État titulaire, enseigner une ou plusieurs langues, enseigner avec la
mise en œuvre stricte d’une méthode particulière ou disposer de la
faculté d’élaborer soi-même un parcours de formation, enseigner dans
son pays d’origine dans le cadre d’un marché national protégé de
l’emploi ou enseigner dans des pays étrangers. Cette différence dans
les statuts et les conditions d’exercice du métier ne peut que retentir
sur les démarches d’apprentissage mises en œuvre (cf. D33, D34).
Connaître ce que furent les étapes de cette professionnalisation du
métier d’enseignant de langue, s’interroger sur ce qui fut à l’origine de
cette évolution permettra de mieux faire comprendre ce que signifie
aujourd’hui être un professionnel de l’enseignement des langues, et ce
que pourra être l’évolution de ce métier dans les périodes à venir. La
métamorphose du maître de langue d’autrefois, éditeur/diffuseur de
ses propres outils de travail, en un enseignant de langue dûment
reconnu par des diplômes nationaux, l’acquisition d’un pouvoir statu-
taire avec contrôle du marché de la formation et des conditions de
travail, avec ou sans recours à l’État, selon un processus de disciplina-
risation et de professionnalisation singularisantes, langue par langue,
ne correspondent qu’à des moments très particuliers dans l’histoire de
l’enseignement des langues et non un état vers lequel tout le monde
devrait tendre. Et l’on retrouve aujourd’hui ces maîtres de langue, qui
circulent de pays en pays ou de centres d’enseignement en autres
centres d’enseignement selon une logique d’exercice du métier qui
n’est pas sans rappeler, toutes choses égales par ailleurs, ce que fut la
condition fort inconfortable de ces maîtres d’autrefois.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
87
MONOVALENCE OU BI/PLURIVALENCE Formation
Allons plus avant dans l’examen de cette culture professionnelle. On des enseignants et
sait que dans un certain nombre de pays le processus de profession- histoire de la diffusion
et de l’enseignement
nalisation est allé de pair, notamment par l’institutionnalisation sco- des langues
laire, avec l’établissement d’une culture monolingue. On est professeur
de français, d’anglais ou d’espagnol, et non d’autres langues qui pari-
tairement pourraient trouver leur place dans ce référentiel de compé-
tences. Or, un examen plus attentif de ce que furent les apprentissages
et leur mise en œuvre dans les temps plus anciens fait au contraire
apparaître combien la dimension plurilingue était présente dans les
outils diffusés (on n’hésitait pas à proposer l’apprentissage simultané
de trois ou quatre langues) ; et plus encore les maîtres eux-mêmes se
recommandaient de cette compétence pour faire valoir leur profes-
sionnalité, au rebours de ce qui prévaut aujourd’hui (cf. D43, D44).
Interroger le passé dans cette perspective permet de mieux situer les
enjeux des formations professionnelles d’aujourd’hui et d’appréhender
aussi les mécanismes culturels et politiques qui en ont sous-tendu (ou
en sous-tendent aujourd’hui) l’exercice.
TRANSMISSION D’UNE MÉMOIRE PROFESSIONNELLE
Mais de façon plus générale, mieux connaître les conditions d’émer-
gence d’une discipline telle que le FLE, et de façon plus générale les
LVE, permettra de rompre avec cette image convenue d’une transpo-
sition didactique qui, venue des plus hautes sphères de la pensée
savante, se traduit en une vulgate curriculaire qui ne sera jamais que
l’expression imparfaite, inaboutie d’un idéal mis en œuvre par des
enseignants « applicateurs », à la professionnalité incertaine. L’explora-
tion des conditions historiques d’émergence de ces pratiques d’ensei-
gnement permettra bien au contraire de mettre en évidence la
responsabilité majeure des enseignants, maîtres de langue autrefois,
auteurs de manuels et de grammaires, dans l’élaboration de ce champ
disciplinaire. Si ce champ fait écho à l’histoire des idées et des repré-
sentations sur les langues à une époque donnée, il est tout autant le
produit de l’activité des enseignants eux-mêmes, de leur travail dans
un contexte donné. L’identité professionnelle des futurs enseignants
trouvera ainsi de nouveaux points d’ancrage. À l’image de l’enseignant
appliquant de nouveaux programmes, utilisant les manuels et outils
mis en disposition, une approche historique de l’émergence et de
l’organisation de ce qui fut à l’époque, dès le XVIe siècle, un nouveau
métier mettra en évidence cette dimension souvent ignorée de l’ensei-
gnant responsable qui, auprès de ses collègues, dans sa bibliothèque
de manuels, cherchera les solutions les plus appropriées aux situations
de formation qu’il aura à affronter, armé de ses savoirs et de son intui-
tion de professionnel.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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HISTOIRE ET MÉMOIRE
On sait, plus ou moins, que dans le monde enseignant le rapport à
l’histoire, quand il existe, se confond le plus souvent avec l’exercice
d’une mémoire professionnelle dont l’objectif n’est pas tant de resti-
tuer des états anciens du monde, dans les tensions, conflits, tâtonne-
ments divers, que de rétablir un lien direct avec un passé idéalisé. La
mémoire, on le sait, est fondatrice d’identité et permet au groupe des
professionnels de se donner en partage l’image de ce que fut un âge
d’or de l’enseignement et de la position d’une langue dans le monde.
S’agissant du français, on sait combien la référence à cette mémoire
est prégnante : le français au XVIIIe siècle, langue des élites euro-
péennes, le français en Amérique latine au tournant du XIXe et du
XXe siècle, le français dans les territoires du Levant. Or cette référence
à ces publics renvoie à une tradition élitaire dans l’enseignement (l’ou-
vrage de M. Fumaroli 2001 est significatif d’une telle attitude), avec
pour corollaire la non-perception de la place nouvelle, parce que
récente, du français dans ce que l’on appelle maintenant les franco-
phonies du Sud. C’est oublier en même temps que l’allemand occupait
en Europe, au moins jusqu’à 1914, une place prééminente, que l’anglais
était aussi la langue des élites européennes, mais aussi une langue en
usage dans un empire de taille considérable et que, par le biais de
l’immigration vers l’Amérique latine, l’espagnol gagnait des locuteurs à
chaque navire accostant dans un port sud-américain (Godechot et
Marseille, 1997 : 377). Le français a toujours été une langue à publics
restreints, publics certes influents, sensibles à un certain prestige intel-
lectuel et culturel français ; langue qui pour ces raisons a eu du mal à
faire face aux défis pédagogiques d’une extension extrêmement
rapide à des publics de conditions particulièrement modestes, celui
des enfants maghrébins et africains qui, à partir des années 60, se sont
rendus en masse à l’école. Cette mémoire qui, faute d’une assise his-
torique, donne aux futurs enseignants l’image d’une langue en déclin
alors que le français évolue dans ses lieux d’implantation, dans ses
publics, comme dans ses fonctions. Pensons à l’émergence du
domaine francophone qui, à partir des années 60 (cf. D40/41), modifie
radicalement la répartition géographique et sociale des usagers et
apprenants du français et contribue à une augmentation considérable
des locuteurs francophones dans le monde ; données qui devraient
conduire à des réajustements dans les plans de formation et dans les
priorités que l’on peut s’y donner. Français langue seconde et français
langue étrangère étant ici, dans leurs origines, étroitement mêlés.
Cet inventaire des thématiques liées à la dimension historique de la
formation ne prétend viser nulle exhaustivité. Plutôt suggérer des
pistes de travail à explorer. L’histoire de la discipline, l’histoire de la
diffusion de la langue, l’histoire de la didactique, ces différentes
dimensions étant corrélées à des titres divers, ont toute la place dans
une politique de formation des enseignants.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
89
Formation
Q uelle place et quel mode d’insertion des enseignants et
histoire de la diffusion
de la dimension historique dans le parcours et de l’enseignement
de formation ? des langues
Affirmer l’intérêt qu’il y a à faire prévaloir à un certain moment une
approche de type historique dans la présentation des faits didactiques
ne suffit pas. On doit s’interroger sur les choix à adopter en matière de
place à réserver à cette formation et de mode de traitement. Rappe-
lons-nous tout d’abord, comme nous y invite fort sagement M. Berré,
qu’« il ne s’agit pas de former de futurs historiens de l’enseignement
des langues, mais des enseignants » (2010 : 256) ; nous sommes en
présence d’un public d’étudiants qui n’appréciera cette dimension de
la formation que si, sur un certain nombre de points, elle lui apporte
les éclairages utiles à l’exercice de sa profession. L’histoire de la disci-
pline doit donc répondre à un certain nombre de critères d’utilité,
même si elle ne s’y limite pas.
La formation d’enseignant se conçoit le plus généralement selon deux
niveaux d’organisation. Tout d’abord une formation fondamentale qui
doit mettre à disposition de chacun les bases culturelles indispen-
sables à l’exercice d’une profession qui aura à s’exercer dans des
contextes variés, auprès de publics qui pourront aller des publics sco-
laires à des publics d’adultes et qui, tout au long d’une vie profession-
nelle, verra évoluer de façon parfois très brutale le marché des
langues. Puis une formation plus directement professionnelle : les dif-
férents domaines d’apprentissage, les publics, les méthodologies, les
supports, etc. L’histoire de la langue française, ses vecteurs de diffu-
sion en Europe et dans le monde, les mutations institutionnelles qui
l’ont affectée, les liens entre le français langue nationale et langue
étrangère, sont autant d’éléments de connaissance qu’un professeur
de français ne peut ignorer. Aussi conviendra-t-il de considérer l’his-
toire des disciplines comme une discipline de référence au même titre
que la linguistique ou la littérature.
Mais il est possible encore, au cœur même de la formation profession-
nelle, d’envisager cette approche selon quatre perspectives directe-
ment liées au travail de l’enseignant :
– la « classe » comme espace d’action propre avec ses logiques de
fonctionnement, son matériel de travail : du précepteur au collectif
d’élèves et du maître de langue au professeur bénéficiant d’un statut
professionnel ; d’un natif de la langue circulant dans différents pays
d’Europe à un enseignant national exerçant dans son propre pays ; en
s’interrogeant sur la nature des échantillons de langue retenus pour
l’apprentissage (authentique ou fabriqué, dialogues ou textes descrip-
tifs, narratifs (le Télémaque, par exemple), liste de mots ; filtrés ou
non) ; les modes d’approche de la LE (traduction, paraphrase en L1,
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
90
définitions, images, situations de communication) ; la sélection des
éléments de langue à systématiser ; le réinvestissement ; l’évaluation.
– les publics : adultes ou enfants ; jeunes filles ; milieux d’origine
(noblesse, bourgeoisie marchande) ; motivations (voyages, échanges
marchands, relations diplomatiques, formation intellectuelle) ; niveau
d’éducation des publics.
– les contenus, les tâches, dans un cadre méthodologique, explicité
ou non, qui leur donne ou non cohérence.
– le contexte historique, social et politique, déjà évoqué et sur lequel
nous ne reviendrons pas ici, mais en insistant tout particulièrement sur
ce que l’on pourrait appeler une histoire du temps présent, celle qui
nous concerne le plus directement (cf. Véronique 2009). Nous com-
mençons par exemple à mieux connaître les enjeux liés à l’élaboration
du français fondamental, ou ceux liés à la constitution du FLE comme
domaine d’intervention disciplinaire propre dans les années 60 ; mais
que sait-on, autre exemple, sur les conditions d’émergence du concept
de communication appliqué à l’enseignement des langues ? Traitée
par les didacticiens et les formateurs comme une évidence concep-
tuelle, cette nouvelle dimension apparaît à un moment donné, à partir
de sources particulières. Seul un traitement historique permettra d’en
faire surgir un certain nombre de propriétés et aidera les professeurs à
en faire un usage plus approprié s’agissant d’une époque, la nôtre,
dans laquelle la sociologie des échanges a considérablement évolué.
La diffusion, récente, du concept d’argumentation dans une approche
du discours mériterait de même un traitement identique. Une histoire
au présent s’impose d’autant mieux que la force d’intensité avec
laquelle on présente aujourd’hui les éléments d’innovation en masque
les origines plus lointaines et les lieux où ces éléments puisent leur
signification profonde. Innovations dont le potentiel de renouvelle-
ment est souvent plus faible qu’on peut le penser et que l’inscription
dans la diachronie permet de mieux faire apparaître.
Enfin, dernier point d’ancrage, la formation continue des enseignants.
Dans ces types de dispositifs, les enseignants sont souvent confrontés à
des exigences programmatiques qui peuvent parfois paraître relever de
conventions peu fondées en raison, ou du moins peu respectueuses de
leurs formes ordinaires de travail. Face aux injonctions variées provenant
des instances de pilotage de la formation, qu’il s’agisse d’universités,
d’institutions scolaires ou de boîtes à langue, les enseignants peuvent
trouver dans cette remontée dans le temps la possibilité de mieux situer
les évolutions en cours et d’en percevoir plus nettement la portée.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
91
Formation
C onclusion des enseignants et
histoire de la diffusion
et de l’enseignement
On ne veut pas ici répondre par un scientisme nouveau, celui qui serait des langues
issu des travaux de la recherche historique, au professionnalisme hau-
tement technicisé qui a cours aujourd’hui dans les lieux de formation.
Ce serait verser dans un maximalisme bien peu raisonnable. Et l’on doit
admettre qu’il est possible d’être un honnête enseignant de langue
sans connaître véritablement l’œuvre de P.-N. Chantreau ou celle de
Du Marsais. Mais pour autant de quel enseignant parlons-nous ? De
celui qui se limitera à une application stricte de consignes de travail
dans des plans de formation sur l’élaboration desquels il n’aura aucune
prise ou de celui qui aura à évoluer tout au long d’une carrière, auprès
de publics différents, dans des environnements plus ou moins favo-
rables à l’enseignement des langues et notamment des langues autres
que l’anglais ? Et dans cette seconde perspective, la référence à l’his-
toire sera dans bien des cas une aide précieuse à la décision.
Dans tous les cas, on l’aura bien compris, l’histoire n’est pas là pour
développer une attitude de relativisme et de scepticisme. Comme si
tout avait déjà été dit. Une approche historique permet au contraire
d’inscrire les choix engagés dans un environnement large, dans lequel
interviennent de nombreux facteurs, selon des arbitrages et des équi-
libres variés, chaque solution étant de la sorte une solution originale.
Et c’est sur cette dimension d’originalité qu’il convient à chaque fois
d’insister. Pour hier et pour aujourd’hui, avec les mêmes interrogations,
et pour envisager aussi les lendemains de notre travail.
Le recours à l’histoire permettra de dessiner progressivement le
contour, constamment remanié il est vrai, de ces identités disciplinaires
associées aux LVE aujourd’hui, de rendre compte de l’état actuel de la
discipline par une présentation de sa trajectoire historique, dans ses
relations aux autres langues (latin, langues nationales). L’objet langue,
et les compétences associées, n’est pas un donné intangible, mais un
construit qui, selon les acteurs et les enjeux du moment, peut être
constamment remodelé.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
92
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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
A cteurs, contenus
et supports
d’enseignement
CARLA PELLANDRA ET JAVIER SUSO LÓPEZ
EVELYNE ARGAUD
ET MARIE-CHRISTINE KOK ESCALLE
JUAN GARCÍA-BASCUÑANA ET ANA CLARA SANTOS
BRIGITTE LÉPINETTE ET NADIA MINERVA
ENRICA GALAZZI ET MARCUS REINFRIED
94
V ers une disciplinarisation
du FLE : enseignants,
apprenants
et institutions
CARLA PELLANDRA
UNIVERSITÀ DI BOLOGNA, ITALIE
JAVIER SUSO LÓPEZ
UNIVERSITAD DE GRANADA, ESPAGNE
Cet article se propose de brosser les principales évolutions que subis-
sent, du XVIe au XIXe siècle, trois composantes du « Français Langue
Étrangère » (enseignants, apprenants et institutions), qui, tout en étant
« externes », constituent des marqueurs actifs de sa transformation en
discipline. Nous basons notre travail sur les nombreuses études déjà
publiées par les chercheurs de la SIHFLES dans Documents, mais aussi
ailleurs, ainsi celles entreprises par Frijhoff et Reboullet (1998), De
Clerq, Lioce et Swiggers (2000) et Kibbee (2007).
L es maîtres de langues : types et archétypes
Comme le signalait déjà Christ en 1991, la recherche historique doit
dépasser le stade où l’on ne reconnaîtrait que des individus uniques,
des personnalités hors du commun dont on ne pourrait tirer qu’une
biographie exemplaire ou des anecdotes plaisantes ou pénibles :
[…] rien ne sert si nous étudions un maître après l’autre, dans une
attitude positiviste ou dans un esprit collectionneur.
Je pense d’abord qu’il faudra distinguer les différents maîtres. Si je
dis distinguer, je ne pense pas tellement aux individus, mais aux
différents types de maîtres […] (Christ, D8 : 24).
Nous distinguons ainsi plusieurs types de maîtres de langues – consti-
tués principalement à partir de leur statut social, des fonctions qu’ils
remplissent, de la façon dont ils conçoivent et exercent leur profes-
sion –, ce qui nous permettra de cerner les conditions de leur pratique
professionnelle et de mettre en relief les évolutions qui se produisent.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
95
La modification (sociale, institutionnelle) du statut du maître de lan- Vers une disciplinarisation
gues s’accompagne de la mise en place d’un code déontologique qui du FLE : enseignants,
marque l’avènement du « professeur ». apprenants et institutions
LE PRÉCEPTEUR
Le précepteur est une « figure [qui] surprend par ses ambiguïtés et ses
contrastes1 » ; il s’agit normalement d’un homme (« gouverneur »), mais
aussi très souvent d’une femme (« demoiselle », « maîtresse de lan-
gue », « gouvernante »). Le précepteur ou la gouvernante sont enga-
gés à plein temps ; on leur confie non seulement la formation
linguistique de la jeune personne, mais aussi sa formation culturelle,
artistique (dessin, musique), morale et sociale (le « maintien » en
société). Les cours se dispensent en tête à tête, mais parfois, le précep-
teur a à sa charge plusieurs jeunes personnes (des frères ou sœurs ;
des cousins et des cousines, etc.). La caricature qu’en fait Molière, sous
la figure de M. Bobinet dans la Comtesse d’Escarbagnas, ne doit pas
fausser notre regard : le préceptorat remplit une fonction éducative
essentielle aux XVIe-XIXe siècles (voir l’article de Frijhoff, Suso et Swig-
gers dans ce même volume).
En Angleterre, comme un peu partout en Europe : « le préceptorat
1. Texte extrait
masculin s’efface progressivement, se maintenant seulement dans des de la présentation
familles aristocratiques ou de grande bourgeoisie. Il est relayé par un du Colloque : « Le précepteur
préceptorat féminin sous la forme de gouvernantes françaises ou de francophone en Europe :
la Russie et d’autres pays
langue française » (Gerbod, D2 : 10). Au XIXe siècle on constate une
européens (XVIIe - XIXe siècle) »,
féminisation de cette figure et son extension à toute l’Europe et aux tenu les 18 et 19 septembre
couches aisées de la population2 ; l’éducation pourvue ne dispense 2009 à Saint-Pétersbourg,
plus l’enfant de fréquenter par la suite un établissement d’enseigne- coordonné par Vladislav
Rjéoutski.
ment public ou privé. Aux XVIIIe et XIXe siècles, de nombreux précep-
2. Même s’il s’agit
teurs, mais aussi des « gouvernantes » (d’origine française, mais aussi d’une référence fictionnelle,
des Suisses3) partent ainsi vers l’Allemagne (Théophile Frêne, qui part rappelons que Julien Sorel
pour l’Allemagne en 1783-1791, poursuit sa carrière en Angleterre, puis s’occupe de l’éducation
à Hambourg, Bandelier, D11 : 41-43) ; ils rejoignent aussi la Hollande, des enfants d’une famille
bourgeoise au début
l’Angleterre, la Suède, la Pologne, la Russie (Frédéric-César de La du XIXe siècle.
Harpe occupa à la cour de Saint-Pétersbourg les fonctions de gouver- 3. C’est le cas de Mlle Prevost
neur général des grands-ducs Alexandre et Constantin de 1784 à 1795 (gouvernante de Belle van
et Gilbert Romme sera le précepteur du jeune comte Paul Stroganov); Zuylen - Isabelle de Charrière),
Frédéric-César de La Harpe,
D.-E. Choffin compose même à leur intention une Grammaire française
Théophile Frêne. Maeder
[…] très utile aux demoiselles françoises qui enseignent cette langue en (1993) recense pour
Allemagne (1747). D’autre part, l’ensemble du XIXe siècle
Le précepteur incarne certains des traits marquants du Siècle des un total de 7 à 8 000
Lumières, il fait figure d’ambassadeur de la République des Lettres, « éducateurs » (bonnes
particulièrement à la périphérie de l’Europe. Les précepteurs fran- d’enfants, gouvernantes,
çais vont en Russie comme des « missionnaires de l’esprit nouveau », précepteurs) originaires
selon le mot d’un historien : ils y apportent l’idiome véhiculaire de du canton de Neuchâtel,
l’Europe civilisée, le français, mais aussi un certain code de politesse
qui partent pour l’Europe et
que leur clientèle d’Amsterdam ou de Saint-Pétersbourg pense être
directement issu des antichambres de Versailles. Mais bientôt des la Russie. Les femmes
voix s’élèvent contre ces missionnaires importuns, ces transfuges qui représentent 90 %
« traînent partout leur ignorance […] » (cf. note 1). des effectifs.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
96
D’une manière générale, ces précepteurs ou demoiselles-gouver-
nantes « ne faisaient que peu de grammaire, laissaient beaucoup
apprendre par cœur, faisaient de temps en temps de la traduction et
veillaient surtout à la bienséance » (Christ, D9 : 23). Le français y est
considéré comme un « art d’agrément, complément jugé indispen-
sable d’une bonne éducation » (Gerbod, D2 : 10). Mlle Ackermann,
ancienne gouvernante de la cour de Suède, qui enseignait le français
à la fin du XVIIIe siècle à Danzig conçoit l’enseignement sous forme de
« […] société de jeunes demoiselles, un cercle dans lequel on s’adonne
à des travaux et à des conversations » (Christ, D9 : 23), où « chacun
devait s’exprimer uniquement en français, et ceci accompagné d’acti-
vités diverses – servir et boire du thé, faire du tricot ou d’autres travaux
à l’aiguille, réciter, chanter, lecture à haute voix, mais aussi des travaux
dirigés individuels comme la lecture silencieuse, des exercices de tra-
duction » (Christ, D18 : 72).
LE MAÎTRE DE LANGUES
Les maîtres de langues sont établis en ville pour leur compte (norma-
lement des hommes) ; ils donnent des cours particuliers auprès de
leurs clients ou bien ils ouvrent école chez eux4 où ils réunissent leurs
élèves (c’est le cas de Noël de Berlaimont, de Gabriel Meurier et de
Peeter Heyns, maîtres de langues à Anvers, cf. Demazière, 2002 : 10 et
H. Meeus, 2000 : 301-316) ; c’est le cas aussi de Mme Leprince de Beau-
mont au XVIIIe siècle, à Londres, cf. Janssens, D24 et Fernández Fraile,
D24). La figure du maître de langues est aussi ancienne que celle du
précepteur ; disons aussi que les catégories de précepteur et de
maître ne sont point étanches : souvent, le précepteur n’est employé
qu’à mi-temps et doit accourir chez plusieurs familles ; il peut encore
compléter son salaire avec des cours particuliers ; parfois, il prend des
enfants à sa charge chez lui, en pension complète, et leur fait
apprendre les premiers rudiments de la grammaire, voire à lire et
à écrire.
On peut schématiser les situations en disant que le précepteur est
engagé par des milieux aisés, dispense son enseignement chez l’élève
et complète ses cours de français avec des matières d’agrément (des-
sin, musique, maintien) ; le maître de langues surgit un peu plus tard
(XVIIe-XVIIIe siècle, sauf aux Pays-Bas, cf. Kok Escalle et Van Strien-Char-
donneau, D33/34, 123-124) ; il reçoit chez lui des élèves de milieux plus
modestes, et la formation qu’il dispense est plus utilitaire. Sauf les
maîtres reconnus et engagés par un haut dignitaire, les précepteurs et
les maîtres de langues sont mal payés, connaissent des conditions
4. Dans les Pays-Bas d’emploi très instables, et sont ainsi obligés à « courir le cachet » pour
septentrionaux, des écoles
gagner misérablement leur vie. Les études et les témoignages sur le
françaises ont été fondées
dès le XVIe siècle (cf. Dodde dur métier de maître de langues aux XVIIe et XVIIIe siècles sont très abon-
& Esseboom, 2000 : 39-60). dants. Duranton n’hésite pas à voir dans le préceptorat un « métier de
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
97
chien » (1985) ; il rappelle « l’existence, souvent errante, de ces précep- Vers une disciplinarisation
teurs et demoiselles de compagnie », jeunes gens issus de familles du FLE : enseignants,
huguenotes, réfugiés en Prusse après la révocation de l’édit de Nantes apprenants et institutions
(1685), mentionne « leurs salaires, fort médiocres, leurs conditions de
travail et de vie, peu enviables, leurs espoirs, souvent déçus » (in
Desné, D1 : 24). Dans les Provinces-Unies, « leur situation est triple-
ment précaire : gagnant peu […], ils étaient parfois ouvertement sus-
pectés de corrompre la jeunesse et souffraient enfin du contrôle
tatillon des parents » (Frijhoff, D3 : 6). Les précepteurs de français y
jouissaient d’une considération plus élevée que celle accordée aux
autres domestiques (tout en restant des « domestiques » bien sûr),
mais dans certains cas ils étaient sujets à une attitude de méfiance
« pour les mœurs élégantes et le comportement affecté que, si protes-
tants qu’ils fussent, les réfugiés tendaient à propager » (Poujol, D1 :
25). Bandelier montre, dans l’Angleterre de la fin du XVIIIe siècle, que les
maîtres de langues devaient être actifs à la recherche d’élèves, qu’ils
enseignaient un peu de tout, qu’ils devaient durement négocier leurs
appointements, et qu’ils étaient soumis à une offre saisonnière très
irrégulière (D14 : 19).
Les précepteurs et les maîtres de langues sont très souvent des Fran-
çais « natifs », émigrés ou exilés pour des raisons religieuses (c’est le
cas de Claude de Sainliens, dit Holyband au XVIe siècle), économiques
ou politiques. Ces émigrés exerçaient leur métier dans des conditions
souvent difficiles, comme en témoignent les destinées de certains
d’entre eux (Berlaimont, Holyband, Meurier, Frène, Lespardat,
Chantreau, Jacotot…) retracées dans les études de Colombo Timelli &
Reboullet (1998 : 21-22), Gerbod, D2, Reboullet, D9, Bandelier, D11,
Minerva, D9 et D18, Macht, D4, Supiot, D16, Tost, D13. Reboullet
consigne sommairement le parcours biographique d’une vingtaine
d’entre eux (1998 : 187-192). Minerva (1996 et D9 : 5-9) nous offre l’évo-
lution subie par le maître de langues au cours des XVIIe et XVIIIe siècles
en Italie : au maître qui reçoit chez lui, ou bien qui se déplace chez
l’élève, s’ajoute bientôt le maître admis dans certains collèges nobi-
liaires (dès la fin du XVIIe siècle). « Son statut et ses compétences sont
ceux des maîtres des disciplines « cavalleresche », le chant, la musique,
la danse, la pique ou l’épée, la calligraphie » (Minerva, D9 : 6). Pour
compléter leur gagne-pain, certains deviennent des traducteurs, ou
même des interprètes, rédigent des lettres ou d’autres textes (« écri-
vains publics », tel A. Galmace, maître de langues à la cour espagnole
au milieu du XVIIIe siècle).
LES AUTEURS DE MANUELS
Certains maîtres de langues composent également des manuels de
français : ils constituent certainement une catégorie spécialement
importante pour la disciplinarisation du français : l’activité consistant à
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
98
enseigner une langue se détache du stade de l’artisanat, puisqu’un
« objet » à enseigner est constitué de façon indépendante de l’activité
même. Ces maîtres deviennent ainsi des grammairiens et des métho-
dologues, puisqu’ils décrivent la langue française selon un ordre d’ex-
position et proposent la démarche à suivre pour l’apprendre ; ils y
exposent bien sûr leurs propres observations, qui résultent de leur
expérience, mais ils n’hésitent pas non plus à utiliser à leur profit
d’autres ouvrages existant dans le marché. Certains d’entre eux
acquerront une telle renommée qu’il se produit un glissement séman-
tique (ou synecdoque) révélateur puisqu’on parle d’un « Goudar », un
« Marin » ou un « Chantreau ». Les maîtres qui arrivent à composer un
manuel s’élèvent dans leur statut professionnel et social ; ils jouissent
d’un prestige accru dans la mesure où leur ouvrage dépasse les limites
de leur cercle ou de l’institution de départ. Ils appartiennent ainsi à ce
qu’on pourrait appeler le « praticien réflexif ». Dans son étude des
manuels utilisés en Suède jusqu’en 1807, Hammar (1980 : 20-21 et 163-
166) montre que, sur 111 titres répertoriés, un tiers des ouvrages sont
anonymes et un tiers sont des livres étrangers connus, imprimés en
Suède avec ou sans traduction.
LES AUTEURS D’OUVRAGES COMPORTANT UNE RÉFLEXION DIDACTIQUE
La réflexion didactique est très tôt abordée par les auteurs de manuels.
On peut distinguer deux cas de figure. Certains auteurs de manuels
introduisent, dans leurs prologues ou dans leurs ouvrages, des
réflexions concernant la « méthode » pour enseigner et pour apprendre.
Il s’agit normalement d’idées énoncées sous forme de formules plus ou
moins stéréotypées mais qui possèdent une force énorme puisqu’elles
condensent une façon d’agir à travers des principes ; ou bien, elles
concernent une « technique » d’enseignement-apprentissage (les tech-
niques de traduction, par exemple, cf. Besse D8 : 77-95) ; parfois aussi
c’est une démarche plus élaborée qui est présentée (cf. Chantreau,
1781). D’autres composent des traités théoriques où la pensée didac-
tique commence à être élaborée de façon ordonnée (Comenius, 1648 ;
Pluche, 1751 ; de Villiers, 1797), où l’on voit l’influence des réflexions
des philosophes de l’époque, en particulier Descartes et Locke. De
nombreux maîtres de langues ont ainsi été des praticiens réflexifs,
conscients de leurs choix et convaincus du bien-fondé de leur travail :
ils annoncent ainsi la figure des « théoriciens » ou des « didactolo-
gues ». Nous renvoyons à l’article de Berré et Besse, dans ce même
volume, pour retracer les différentes propositions concernant la
méthode d’enseignement, les influences et évolutions qui se produi-
sent ; nous nous limitons à consigner le rôle fondamental que ces
réflexions ont joué dans la constitution de la didactique du FLE.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
99
LE PROFESSEUR DE FRANÇAIS Vers une disciplinarisation
L’institutionnalisation du FLE comme discipline scolaire change profon- du FLE : enseignants,
dément le statut du maître de langues : il devient un professionnel, un apprenants et institutions
« professeur », souvent fonctionnaire d’État ou jouissant d’un contrat
en due forme. Bien sûr, le changement se fait peu à peu : les maîtres
de langues qui exerçaient leur métier au sein d’institutions officielles,
universités ou académies, ne jouissent tout d’abord d’aucun statut et
vont longtemps être assimilés aux professeurs des matières d’appoint
telles que la musique et la danse. L’assimilation aux autres catégories
professorales et l’accès au statut professoral ne se consolident pleine-
ment qu’à la fin du XIXe siècle, voire au début du XXe siècle dans certains
pays. Leur conscience professionnelle est normalement « modelée
selon l’exemple des philologues classiques » (Christ, D9, 23) dont
pourtant ils s’éloignent plus ou moins au gré de leurs lectures, de leur
idéologie et du contact avec la pratique. Cette transformation modifie
profondément le caractère de l’« agent » (le professeur), à travers des
déplacements dans les fonctions exercées : non seulement quant aux
questions administratives qui règlent le statut des professeurs, les
conditions d’accès à la profession, des contrôles de leur travail, le prin-
cipe de la liberté de chaire, les hiérarchies et les degrés divers de
responsabilité, mais aussi quant aux représentations sociales sur leur
métier (Fernández Fraile, D33/34 : 110-119).
LE PROFIL DU BON MAÎTRE DE FRANÇAIS
Au-delà des types et des figures représentatives que nous avons dis-
tingués, un idéal à atteindre inspire les maîtres de français : l’archétype
ou le profil du bon maître. Reboullet n’hésite pas à voir dans Claude de
Sainliens l’archétype du maître de langues : un maître qui a « parcouru
un itinéraire professionnel complet : enseignant sur le terrain, auteur
d’ouvrages didactiques puis d’ouvrages de systématisation et de
réflexion […], remarquable didacticien […et] qui a exercé des activités
[…] qui relèvent toutes du domaine des enseignants de langue
moderne : animateur de relations bi- ou pluri-culturelles (traducteur,
diplomate, guide, voyageur, [et doté] de la fierté d’exercer un métier
noble » (Reboullet, D9 : 4).
Cet archétype ne doit pas cacher d’autres figures emblématiques :
Meeus (2000 : 301-316) fait état de la grande renommée acquise par
Peeter Heyns, maître de langues, éditeur de manuels, poète (1537-
1598) ; Düwell reconnaît dans l’attitude de Dominique de Villiers un
comportement de révolte face aux impositions du milieu (D2 : 5) ;
Hammar, à travers le manuel d’Erik Eklund, de 1744, nous fait parvenir
le portrait du maître-guide d’un élève autodidacte (D1 : 11-16) ; Christ
retrace le portrait de Mathias Kramer (1640 ?-1730 ?), auteur d’une
trentaine d’ouvrages, et soucieux d’une rénovation de la pédagogie
des langues (D8 : 19-25) ; Minerva (D9 : 8-9) met à jour deux
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
100
documents qui configurent un profil idéal du maître au XVIIIe siècle.
Celui-ci doit posséder les qualités suivantes : d’abord, « la naissance,
la politesse, l’usage du grand monde, les voyages », ensuite, une
conduite morale irréprochable, enfin, des compétences linguistiques
(la connaissance de la langue de l’élève, une prononciation parfaite, le
modèle de l’aristocratie parisienne, et une diction sans fautes (sans
défauts, sans barbarismes » (ibid.). À travers ces différents types, per-
sonnalités et archétypes, un profil global se dessine, dans les représen-
tations que les professeurs se font eux-mêmes de leur métier où l’on
peut même parler d’un code déontologique, d’un ensemble de
normes et de valeurs (Suso López, D33/34 : 166). Ce sont les maîtres
eux-mêmes qui voient dans le « maître » le facteur premier en impor-
tance : c’est de lui que dépend la réussite de l’apprentissage.
Le décalage est donc brutal par rapport aux conditions souvent diffi-
ciles de l’exercice du métier :
la métamorphose de Mentor en Minerve, sa divination en quelque
sorte, a sans doute été perçue par nombre de précepteurs et de
maîtres de langue comme une sorte de compensation symbolique à
ce qui restait, pour nombre d’entre eux, un « métier de chien ». En
usant du Télémaque pour enseigner entre autres le français, ils se
donnaient l’illusion, et sans doute aussi à ceux qui les rétribuaient,
que leur métier visait plus haut que le simple enseignement d’une
langue qui, malgré son prestige mondain, demeurait non « savante »,
qu’ils étaient eux aussi des enseignants de ces belles-lettres qui,
depuis des siècles, formaient la jeunesse « par rapport à l’esprit & au
cœur » (Besse, D30 : 141).
Bien sûr, cet idéal change avec la transformation du maître en profes-
seur ; mais les composantes essentielles du code déontologique res-
tent : le professeur de français ne se voit nullement comme un
dispensateur d’un savoir-faire utilitaire ; au contraire, il considère dès le
début comme essentielle la formation intellectuelle, morale et cultu-
relle des élèves. Le professeur de français devient un « éducateur néo-
humaniste (Fernández Fraile, D33/34 : 117), et à la fois un « médiateur
social, éducatif et culturel » (Kok Escalle et van Strien-Chardonneau,
D33/34 : 136-143). Et l’image sociale de notre matière, encore
aujourd’hui, est redevable de cette histoire : « l’union d’une langue à
une culture, de façon indissociable […]. Apprendre le français, encore
aujourd’hui, c’est s’intégrer à la culture française, ce n’est pas seule-
ment apprendre un outil » (Fernández Fraile, D33/34 : 118).
Disons finalement que, face à la notion actuelle de « bonnes pra-
tiques d’enseignement » – axée sur des aspects externes (interactions
professeur-élève : coopération, dynamisme, respect, communica-
tion…) –, qui sont présentées sous forme de catalogues de façons de
faire, la notion de « code déontologique » fait appel aux valeurs morales
dans l’exercice du métier, ainsi qu’à la dimension formative et culturelle
(la « mission », la « vocation ») du métier d’enseignant. Il faudrait peut-
être incorporer cette dimension dans les profils professionnels actuels.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
101
Vers une disciplinarisation
L es apprenants du FLE : enseignants,
apprenants et institutions
La diversification des apprenants5 se produit à partir de l’extension sociale
de l’habileté consistant à savoir parler une langue étrangère ; la disciplina-
risation de la langue française et sa conversion en matière scolaire – effet
ou résultat de ce processus – comporteront une catégorisation des
apprenants par tranches d’âge, par types d’institutions, par niveaux.
L’une des premières catégories d’apprenants de FLE est constituée par
des commerçants, qui exercent souvent leur métier dans des zones
frontalières : Les dialogues des mestiers (milieu XIVe siècle), les Manières
de langage (fin XIVe siècle) et le Vocabulaire de Berlaimont (1511, avec
des nombreuses rééditions postérieures) en font état. Les XVe et
XVIe siècles ne changent pas de façon fondamentale les données (sauf
en Angleterre, qui constitue un cas à part, puisque le français reste la
langue de la noblesse jusqu’au XVIe siècle) : ceux qui apprennent le
français, outre les fils de marchands (c’est le cas notamment des élèves
de G. Meurier à Anvers : « C’est bien la bourgeoisie marchande de la
ville qui enverra des élèves à son école… », Demazière 2002 : 16) et
des voyageurs ; et dans certains cas aussi, des fils de la noblesse (« la
noblesse et les honnêtes gens », Feri, 1693, dans Borella, D8 : 66) des-
tinés à devenir des ambassadeurs-diplomates, des militaires ou des
secrétaires-interprètes du roi. Les lettrés continuent à utiliser le latin,
qui est encore la langue de communication européenne.
C’est le prestige de la langue et de la culture françaises, joints à la
suprématie politique de la France en Europe, qui vont faire que les
couches d’apprenants se diversifient, pour embrasser l’ensemble de la
population : des hommes bien sûr, les seuls qui pouvaient accéder à
l’éducation latine (lettrés de toute sorte, juristes, écrivains), qui appren-
nent le français très souvent en situation d’auto-apprentissage ; mais
aussi, des catégories de la population qui avaient été écartées du cir-
cuit de l’éducation, puisqu’elles n’avaient pas reçu une éducation
latine : de nombreux manuels vont ainsi être destinés à « ceux qui ne
savent pas le latin », dont principalement les demoiselles de toute
condition et les dames.
La prise en compte des différents « besoins » langagiers correspon-
dant aux divers types d’apprenants est déjà justifiée par Locke dans
Some Thoughts concerning Education (1693, trad. française en 1695) :
il distingue ainsi ceux qui vont se servir de la langue de façon utilitaire
et ceux qui vont devenir des grammairiens, pour lesquels seulement
l’étude complète de la grammaire est nécessaire. M. Kramer (1640- 5. Nous prenons le terme
1730) est aussi l’un des premiers à avoir introduit dans ses manuels la d’« apprenant » dans le sens
considération de la diversité des apprenants (selon leur âge et selon de « personne qui apprend »
(toutes situations
leur niveau), comme l’indique Christ : (D8 : 21).
d’apprentissage et
Une fois acquises ses lettres de noblesse, le français se démocratise : toutes modalités
« il convient à tous de le parler » : de sujets comprises).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
102
La lengua francesa, hoy tan universal en las Cortes, es parte de la
buena educación de la juventud, del estudio de los literatos, y de la
curiosidad de las demás gentes; siendo muy útil para qualquiera
carrera que se emprenda, y adorno y gala en los que no se dedicaren
a ninguna (Chantreau, 1781 : Prólogo).
L es institutions
Dans De vulgari eloquentia, Dante Alighieri « illustre » et « défend » les
langues vernaculaires, langues premières, naturelles, nobles, par rap-
port à la « locutio secundaria », le latin « quam Romani gramaticam
vocaverunt ». Nous ne nous arrêtons pas sur une linguistique liée à ces
vieux temps. Ce qui nous intéresse, ce sont les opinions dantesques
sur l’apprentissage des langues. On apprend les langues vernaculaires
– remarque notre poète – par l’usage, sur les genoux des nourrices et
des mères : c’est l’apprentissage par imitation et imprégnation incons-
ciente. On instruit par contre les enfants « in gramaticae facultatis », à
travers un dur apprentissage de l’ « art » et de ses règles. Quand les
langues vernaculaires étrangères sont entrées dans l’école, leur ensei-
gnement a émigré des genoux des mères et des nourrices à la férule
du maître, et un savoir-faire acquis naturellement est devenu un savoir
appris avec labeur (Alighieri : 42). L’enseignement des langues vivantes
a fatalement imité le modus operandi de l’enseignement du latin, lan-
gue de culture dominante dans l’enseignement d’autrefois. Option
« grammaticale » qui s’est bientôt heurtée à la difficulté d’apprendre
– par l’entraînement traditionnel – des compétences pratiques qu’on
acquérait par imitation, par l’usage. D’où ce flottement entre usus et
ratio qu’on relève en parcourant l’histoire de l’enseignement des lan-
gues étrangères modernes.
L’ANCIEN RÉGIME : L’EUROPE FRANÇAISE
L’enseignement des langues étrangères, dont le français, n’est entré
dans les curricula des institutions scolaires nationales qu’avec beau-
coup de réticences, mais au cours du XIXe siècle, les langues étrangères
seront progressivement introduites dans les programmes des écoles
publiques un peu partout ; les langues étrangères deviennent ainsi des
disciplines scolaires, ce qui change leur statut. Comme langue d’orne-
ment ou utilitaire, beaucoup d’institutions avaient accueilli les langues
modernes avant leur disciplinarisation : c’est le cas des « écoles fran-
çaises » nées aux Pays-Bas dès le XVIe siècle, avec la migration protes-
tante du Refuge. Ces expériences serviront de modèle à l’enseignement
secondaire moderne public (cf. van Strien Chardonneau et Kok Escalle,
D45 : 129-133).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
103
La gallophilie a envahi, dès les dernières décennies du XVIIe siècle, le Vers une disciplinarisation
Sud catholique, Italie, Espagne et Portugal : les collèges jésuites qui du FLE : enseignants,
forment les enfants de la noblesse et de la haute bourgeoisie en Italie apprenants et institutions
proposent – entre 1670 et 1680 – l’enseignement du français comme
matière optionnelle, qu’on paye à part, comme les autres arts chevale-
resques : l’équitation, la musique, la danse, le maniement de la pique
et de l’épée… Tous les collèges qui forment l’élite catholique en feront
autant au début du XVIIIe siècle (cf. Pellandra, D6 : 73-81 ; Mandich, D8 :
35-49). Le français devient un atout essentiel des dames de qualité ;
malgré les réticences des moralistes, qui réserveraient volontiers
l’étude du français aux filles des grandes familles nobles, presque tous
les « conservatoires » destinés aux demoiselles nobles ou bourgeoises,
offrent des cours particuliers de français.
En 1747, J.-J. Hecker fonde à Berlin une Realschule en économie et
mathématiques, qui aura comme branche secondaire un Realgymna-
sium où l’on enseigne le latin et le français. C’est avec cet « établisse-
ment réel bourgeois » qu’apparaît en Prusse une première institution à
caractère professionnel (Weller, D6 : 105). Toujours en Allemagne, des
expériences pédagogiques novatrices naissent dans des institutions où
le français occupe une place de choix : c’est le cas de la fondation d’Au-
guste Hermann Francke, chef de file du piétisme pédagogique, créée
en 1721 à Halle, et du Philanthropinum de Dessau, fondé par Johann
Bernard Basedow en 1774 (Christ, D18 : 75-78 ; Reinfried, D6 ; 127).
L’enseignement du français est toujours présent dans les écoles mili-
taires : russes, suédoises, serbes, portugaises, dans les écoles de
génie turques ; partout on utilise des textes français pour les études
scientifiques et militaires (Hammar, 1980 : 114 ; Stikic‘, D33/34 ; 188-189 :
Demir, D38/39 : 170). Les grands réformateurs du siècle, Catherine II en
Russie, le marquis de Pombal au Portugal, introduisent les langues
vivantes dans le curriculum de leurs nouvelles institutions éducatives
(Kouzmina, D35 : 7-26 ; Salema, D18 : 88-89).
NAPOLÉON ET L’EMPIRE
Pendant la période napoléonienne, le français a joui d’un statut privilé-
gié, surtout dans les territoires annexés, mais il se heurte dans certains
pays (Espagne, Italie, états allemands) à la méfiance des familles. En
Italie, quelques maisons laïques pour l’éducation des filles, à Milan, à
Lucques, à Lodi connaissent une meilleure destinée : leur organisation
– qui prévoit une forte présence du français – s’inspire généralement
des règlements des « Maisons Impériales » d’Écouen et de Saint-Denis
pour l’éducation des filles des membres de la Légion d’honneur (Pel-
landra, 2003 : 51). Mais, après le Congrès de Vienne, l’enseignement
du français bat en retraite : dans le Royaume lombard-vénitien, appar-
tenant à l’Empire augsbourgeois, on substitue l’allemand au français ;
en Prusse, le français est interdit aux Gymnasien et les autres territoires
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
104
allemands, comme la Bavière ou le Palatinat, suivront bientôt l’exemple
de la Prusse (Macht, D4 : 13) ; le rôle du français reste en revanche
important dans les Realschulen et les établissements pour filles (Rein-
fried, D6 : 143).
L’ÉTAT PÉDAGOGUE (XIXe-XXe SIÈCLES)
Au XVIIIe siècle, les philosophes avaient déjà ouvert le procès contre le
système scolaire de leur temps : on gaspillait le temps précieux de la
jeunesse pour apprendre – avec les humanités – un savoir inutile et
inutilisable : la formation d’un bon citoyen demandait des compé-
tences « modernes » comme les sciences, l’histoire, la géographie, les
langues vernaculaires… Au cours du XIXe siècle, les nouveaux systèmes
éducatifs publics font petit à petit place aux langues vivantes, ce qui
ne manquera pas de donner lieu à de violents débats opposant classi-
cistes et modernistes en Italie, libéraux et catholiques aux Pays-Bas,
droite et gauche en Norvège (Engelberts, D15 : 38-51 ; Henriksen,
D16 : 24). Un peu partout, les patriotes mettent en garde contre l’im-
périalisme du français, qui risque de dénaturer la langue nationale avec
les redoutés gallicismes et contre une littérature qui propage des idées
dangereuses et des mœurs corruptrices.
L’institutionnalisation passera à travers différentes étapes : d’abord
facultative, la discipline « langue française » deviendra obligatoire dans
les formations courtes pour les cadres moyens, avant de pénétrer dans
le bastion blindé des enseignements longs destinés aux élites. Le fran-
çais est alors intégré dans l’enseignement secondaire comme disci-
pline scolaire dans les divers pays de l’Europe : en Prusse, il devient
obligatoire dans les Gymnasien en 1837 ; en Grande-Bretagne, dans
les public schools, le français n’est qu’une discipline facultative et
payante ; dans les grammar schools, il est introduit assez inégalement
(Gerbod, D2 : 10-11) ; en Écosse, au début du XIVe siècle, dans toutes
les écoles secondaires le français est une discipline optionnelle et
payante (Wakely, D6 : 92) ; en Suède, le français entre dans les écoles
publiques en 1807, comme matière officielle, bien que facultative
(Hammar, 1985 : 9) ; aux Pays-Bas, le français pénètre dans le secon-
daire en 1863 ; en Italie, le français, obligatoire dans les écoles et les
instituts techniques depuis 1860, deviendra, en 1892, discipline fonda-
mentale dans l’enseignement classique ; en Espagne, les plans d’étude
qui se sont succédé à partir de 1857 ont comporté presque toujours
l’étude obligatoire du français (Fernández Fraile & Suso López, 1999 ;
Bruña Cuevas, 2001 : 306-308).
Le français restera la langue étrangère dominante dans l’enseignement
secondaire des pays latins jusqu’aux années 70 du siècle dernier.
Les congrégations religieuses (voir l’article de Kok Escalle et Sanchez-
Summerer dans ce volume) jouent un rôle important pour la diffusion du
français dans les pays latins, en Espagne, comme au Portugal et jusqu’en
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
105
Amérique latine, en Colombie (Rodriguez, D13 : 20-37), au Chili, mais Vers une disciplinarisation
aussi en Extrême-Orient, comme au royaume Thaï (Labarias Albacar, du FLE : enseignants,
D10 : 97-102 ; Yanaprasart, D26 : 50). Dans l’Empire ottoman aussi, l’in- apprenants et institutions
troduction de la langue française se fait en grande partie par l’entremise
des congrégations catholiques qui profitent des réformes de 1839, les-
quelles établissent la liberté de scolarisation des communautés non
musulmanes. En 1868, sur initiative du ministre Duruy, on fonde le Lycée
impérial ottoman de Galatarasay où se formera l’élite francophone d’un
pays où les nombreux groupes ethno-religieux n’avaient pas de langue
commune (Güven, D37 : 75 ; Aksoy, D38/39 : 62).
Le XIXe siècle voit se déployer l’expansion coloniale de la France. À côté
de l’impérialisme politique, économique et financier, on assiste à un
véritable impérialisme linguistique du français qui s’impose dans les
colonies (mais la scolarisation ne touche qu’un petit nombre d’indi-
gènes), dans tout le bassin de la Méditerranée et dans les pays balka-
niques grâce à l’action des congrégations religieuses et de plusieurs
institutions plus ou moins proches des pouvoirs publics, comme l’Al-
liance Israélite Universelle, née en 1860, et l’Alliance française, créée en
1883. Les religieux et religieuses catholiques que la Troisième Répu-
blique a exilés parsèment le Levant et les côtes méditerranéennes
d’écoles appréciées par un public diversifié (catholiques, protestants,
juifs, musulmans), qui voient dans une formation « française » un
moyen puissant de promotion sociale (Verdeil, D32 : 151-152). L’État
créera à son tour, en 1902, une Mission Laïque. Son premier établisse-
ment a été fondé à Athènes en 1905. L’année suivante, deux lycées
seront ouverts au Caire. Cette « intrusion » ne manquera pas de susci-
ter « des oppositions parfois musclées » de la part des congrégations
religieuses (Thobie, D38/39 : 78-80).
L’UNIVERSITÉ
Dans les universités, les langues modernes rencontreront d’innom-
brables obstacles dans les pays latins, tandis que les universités pro-
testantes allemandes les avaient introduites dès le XVIe siècle : à
Wittenberg, haut lieu du luthéranisme, on les enseigne dès 1571, mais
dans des cours supplémentaires et payants confiés à des maîtres sans
la formation académique des autres professeurs. On retrouve les
mêmes conditions à l’Université de Harvard, aux États-Unis, où, à partir
de 1782, le français entre dans le cadre régulier des études (Nabarra,
D30, 148-154).
Pour faire accéder l’enseignement du français, comme des autres lan-
gues vivantes, à l’empyrée des disciplines académiques, il a fallu cal-
quer leur enseignement sur celui des philologies classiques. Les
maîtres sont devenus des philologues se consacrant exclusivement à la
langue et à la littérature des origines. L’exemple nous vient d’Alle-
magne où la première chaire de philologie romane est créée à Giessen
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
106
en 1827 (Hassler, D33/34, 34). C’est ce modèle qui inspirera la création
des chaires de philologie romane à la fin du XIXe et dans la première
moitié du XXe siècle partout en Europe (cf. Engelberts, D15 : 45 ; García
Bascuñana, D33/34 : 266).
LA FORMATION DES ENSEIGNANTS
Cette formation philologique ne satisfaisait point la demande crois-
sante d’apprentissages pratiques du français. C’est pour répondre à ce
besoin que sont créés de nombreux Centres en France et en Suisse
romande à partir de la fin du XIXe siècle : c’est le cas de l’École de fran-
çais moderne de Lausanne (1890), des Séminaires de français moderne
des Universités de Genève (1891) et de Neuchâtel (1892), du Comité de
patronage des étudiants étrangers de l’Université de Grenoble (1896).
En 1920, Ferdinand Brunot fonde à la Sorbonne l’École de préparation
des professeurs de français à l’étranger qui sera transformée, au lende-
main de la Seconde Guerre mondiale, en École supérieure de prépa-
ration et de perfectionnement des professeurs de français à l’étranger
(Berré et Savatovsky, D44 : 5-13). En 1959, on fonde le CREDIF (Centre
de Recherches et d’Études pour la Diffusion du Français) et le BEL,
devenu en 1966 le BELC (Bureau d’Études et de Liaison pour l’Ensei-
gnement du Français et de la Civilisation française), sources précieuses
de formation pour tous les professeurs de français de notre généra-
tion. Ces centres, avec leurs méthodes et leurs matériels didactiques
toujours renouvelés, ont fourni un apport considérable à la constitution
d’un nouveau champ disciplinaire : le FLE.
En schématisant le chemin parcouru, il y aurait lieu à s’interroger sur la
place du FLE dans la répartition traditionnelle qui oppose les humani-
tés, destinées à former des esprits libres pouvant s’orienter vers n’im-
porte quelle activité, et les disciplines pratiques, menant à l’acquisition
de compétences spécifiques et/ou utilitaires. Le mouvement qui porte
le FLE vers son institutionnalisation est appuyé par une conception
pratique de la langue, en tant que savoir-faire ; mais sa disciplinarisa-
tion intègre rapidement et totalement les valeurs « néo-humanistes »
(XIXe siècle). Dans un article récent, Fumaroli déplorait que la mise en
place démocratique d’une école pour tous eût donné lieu à une école
utilitaire « au service du marché », à une école choisie essentiellement
pour gagner sa vie, qui a perdu le but de la scholé athénienne, la for-
mation d’un esprit libre et critique, l’éducation du goût, l’éveil des
dons, des talents (Fumaroli, 2011 : 39) : le FLE a lui aussi été pris, à la
fin du siècle dernier, dans cette vague utilitaire fonctionnelle, peut-être
nécessaire. La réunion de la langue à la culture, prônée par les ten-
dances actuelles de la didactique du FLE (Besse, 1994 : 65-67 et Coste,
1994 : 117-135), n’est qu’un retour « obligé » de l’histoire.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
109
L e culturel
dans l’enseignement
du FLE : pratiques
didactiques et réflexions
de l’historien
dans les Documents
pour l’histoire
du français langue
étrangère
ou seconde
EVELYNE ARGAUD-TABUTEAU
INALCO, FRANCE
MARIE-CHRISTINE KOK ESCALLE
UNIVERSITEIT UTRECHT, PAYS-BAS
Sous l’égide de l’UNESCO, alors jeune institution de l’Organisation des
nations unies pour l’éducation, la science et la culture, s’est tenue en
1953 à Ceylan une rencontre internationale sur « le rôle de l’enseigne-
ment des langues vivantes dans le développement de la compréhen-
sion internationale ». Le rapport de cette rencontre qui a duré quatre
semaines (L’enseignement des langues vivantes, collection Problèmes
d’éducation publiée par l’UNESCO, 1955) insiste sur « la grande
tâche » des professeurs de langues qui est de « faire de l’enseigne-
ment des langues vivantes une discipline qui contribue à l’éducation
pour le civisme international » ; il constate qu’en effet cet enseigne-
ment a été complètement transformé par « l’importance donnée à la
civilisation […] qui a remplacé l’étude traditionnelle de la littérature », 1. Pour la notion de culturel,
par l’intérêt pour le culturel (p. 162)1. cf. P. Beneton (1975).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
110
Si le terme d’interculturel2 n’apparaît pas dans les différents textes de
ce rapport, le besoin d’optimiser la communication entre les hommes
à l’échelle planétaire est clairement mis en relation avec l’éducation aux
langues vivantes. C’est un objectif humaniste monté en exergue dans
l’après Deuxième Guerre mondiale, répondant aux aspirations et
idéaux d’entente. C’est un objectif utilitaire dans le monde d’au-
jourd’hui caractérisé par la globalisation/mondialisation des échanges
économiques et linguistiques. Le culturel et aujourd’hui l’interculturel
sont perçus comme des paramètres devant articuler la formation en
langues étrangères dont l’horizon serait une formation à la communi-
cation interculturelle comme en témoignent les orientations de la
réflexion théorique en didactique des langues et des cultures qui s’est
développée depuis un demi-siècle dans le monde de la francophonie.
Le culturel est au cœur des interrogations des historiens3 de la SIHFLES
dans la mesure où, comme le soulignait W. Frijhoff, « la langue en tant
qu’instrument culturel […] s’inscrit toujours dans un travail social et
culturel sans lequel elle ne saurait être transmise. C’est cette interac-
tion même qui en fait un instrument privilégié pour le travail identi-
taire » (Frijhoff, D37 : 196-197). Aussi les chercheurs en histoire du FLE
ont-ils questionné les modalités d’expression et les supports d’ensei-
gnement dans lesquels le culturel est présent depuis des siècles, sans
être théorisé. Enfin, avec l’étude des actants (maîtres, élèves, éduca-
teurs) dans les pratiques d’enseignement/apprentissage des langues
on aborde la question de savoir de quoi se compose la fonction édu-
cative attribuée au culturel. Les publications des Documents de la
SIHFLES rendent compte d’une partie de ces recherches.
2. Pour une définition L ’interculturel au cœur des apprentissages
de l’approche et de la
communication interculturelle,
de (F)LE aujourd’hui
cf. M. Abdallah-Pretceille dans
L. Porcher (1986 : 71-88) et Apprendre à communiquer en langue étrangère, c’est apprendre à
G. Zarate et al. (2003 : 13-14). s’exprimer dans la langue de l’autre, « à travers des charges culturelles
3. Les travaux des historiens qui appartiennent à d’autres » (Kramsch dans Zarate et al., 2008 : 35),
de la SIHFLES sur c’est apprendre « à interagir culturellement ». La formation à l’intercul-
l’enseignement des faits
turel dans l’enseignement/apprentissage de langues étrangères
culturels portent
essentiellement sur semble être reconnue comme étant un objectif incontournable, à la
une période qui va suite des travaux de G. Zarate (1986 ; 2003), de M. Byram (1992), et
du XVIe siècle au début du XXe ; A. Gohard-Radenkovic (1999). Parmi les compétences interculturelles
c’est pourquoi nous
(Byram, 2003), celle qui fait de l’apprenant de langues un médiateur
n’abordons pas dans cette
étude la deuxième moitié (inter)culturel est particulièrement étudiée (Zarate, Gohard-Radenkovic
du XXe siècle. et al., 2003).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
111
Si au cours des siècles les objectifs de la communication en langue Le culturel dans
étrangère ont pu varier (utilité professionnelle pour le commerce ou la l’enseignement du FLE :
diplomatie, utilité pratique pour le voyageur, etc.), l’apprentissage a pratiques didactiques
toujours eu pour but d’acquérir la compétence de parler une « langue- et réflexions de l’historien
dans les Documents
en-action » (Sercu dans Zarate et al., 2008 : 55) et donc de connaître et pour l’histoire
comprendre la culture du contexte linguistique pour savoir mais aussi du français langue
« savoir faire » et « savoir être » (Byram et al., 1997). Cet élément cultu- étrangère ou seconde
rel est plus ou moins large et plus ou moins important en fonction du
milieu et des besoins de l’apprenant. Le français langue étrangère a
été dans l’Europe dès le XVIe siècle la langue des négociants internatio-
naux, et aux XVIIe et XVIIIe, la langue privilégiée pour la formation de
l’esprit, pour la formation de l’honnête homme, pour l’éducation des
jeunes filles de la bourgeoisie et de l’aristocratie, la langue de la Répu-
blique des Lettres, sans compter son rôle comme langue de la diplo-
matie. L’apprentissage de la langue française allait alors de pair avec
une acquisition de savoirs culturels, une éducation à la culture et à la
pensée (Kok Escalle dans Zarate et al. 2008 : 383-390). Pour Isabelle de
Charrière, en effet, « l’étude des langues est […] la meilleure maîtresse
de métaphysique expérimentale […] est de tous les exercices de l’es-
prit celui qui le forme et l’étend et l’aiguise le plus » (lettre 860 à Hen-
riette L’Hardy, 19 octobre 1792, dans Œuvres Complètes III. 425).
Les dimensions culturelles et interculturelles qui sont aujourd’hui au
cœur de la formation en langues étrangères sont pensées comme
indispensables dans les contextes de communication internationale,
théorisées dans le cadre des interrogations sociales et politiques et en
lien avec les représentations identitaires. Elles étaient manifestes dans
les méthodes d’apprentissage, non de façon didactiquement établie
mais dans l’affirmation implicite que la connaissance de (la langue de)
l’autre allait de pair avec celle de soi. Les savoirs linguistiques et gram-
maticaux, les savoirs culturels prennent sens dans la langue étrangère,
en contraste avec ceux du monde de l’apprenant, et on apprend en
français par exemple l’histoire, la géographie, les coutumes de son
propre pays, ce qui bien entendu est un enrichissement lexical mais
aussi un apport éducatif contribuant à la formation identitaire.
S upports et modalités de l’enseignement
du culturel
Le culturel, avant de devenir une matière d’enseignement reconnue et
un objet d’étude pour les didacticiens, est présent dans l’enseigne-
ment de langue E/S depuis des siècles, et dans différents types de
supports, comme cela apparaît dans de nombreuses études publiées
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dans Documents ; les questionnements et les analyses mettent en
évidence la difficulté à appréhender les contenus culturels tant ceux-ci
sont inévitablement présents dans tous les supports pédagogiques et
tant le culturel imprègne le document le plus simple sous des formes
multiples. En l’absence de documents iconographiques, c’étaient les
textes écrits, religieux ou profanes, littéraires ou familiers, les fables,
les contes, les histoires, les lettres, les entretiens, les anecdotes et les
proverbes, enfin tous les livres d’exercices et de lecture qui offraient
par le passé un accès à la culture de la langue enseignée. Le lien entre
civilisation et littérature, s’il n’est pas explicite dans les méthodes,
apparaît cependant très tôt et les chrestomathies ou recueils de textes
choisis « représentent de fait les débuts des manuels de littérature et
de civilisation dans l’enseignement des langues étrangères » (Weller,
D6 : 118) ; à travers ces chrestomathies apparaissent les débuts d’un
enseignement littéraire et culturel par les textes.
Parmi les textes écrits disponibles pour l’apprentissage de la langue
étrangère, il faut donner une attention particulière aux dialogues,
quelle que soit leur dénomination : colloques, causeries,
conversations et entretiens ; ces dialogues utilisés dès le XIVe siècle
pour l’enseignement des langues modernes4 ont joué un rôle considé-
rable dans l’apport de savoirs culturels. Présentés en recueils ou faisant
partie des méthodes publiées au long des siècles, les dialogues
contiennent « de véritables leçons de civilisation » (Minerva, D9 : 5).
Leur intérêt résidait dans leur grande souplesse qui permettait d’abor-
der de la façon la plus naturelle qui soit des thèmes très variés, « chaque
dialogue ayant un thème propre… » (Chevalier, D22 : 20) ; ils permet-
tent au chercheur de repérer ce qu’il était important de connaître selon
les époques considérées (savoirs, savoir-faire, savoir-être)5.
La connaissance du vocabulaire allait de pair avec la lecture et la
culture a été longtemps enseignée à travers le vocabulaire ; d’utilisa-
tion large et ancienne, les listes de vocabulaire permettaient de
4. Les célèbres dialogues
regrouper les mots « selon un classement thématique » (Reboullet,
de Berlaimont, bilingues D22 : 65), dans des ensembles appelés nominalia (Chevalier, D22 : 18).
français-flamand (1511) puis Les manuels de langue française publiés aux XVIIe et XVIIIe siècles aux
plurilingues en huit langues Pays-Bas ou en Allemagne offrent généralement dans leur première
dans l’édition de Delft (1598)
et réédités dans différents
partie une nomenclature ou liste de vocabulaire qui permet d’aborder
pays d’Europe jusqu’en 1759 l’ensemble du monde dans lequel vit l’apprenant, à commencer par la
mettent en scène les réalités religion, la création, le ciel et la terre, la parenté, les activités quoti-
au quotidien et celles diennes, les professions, bref, les pratiques culturelles (Düwell, D8 :
des voyageurs et négociants
en particulier. 51-64). La civilisation y est abordée indirectement à travers la réflexion
5. Une journée d’étude sur le lexique qu’il est bon d’acquérir. On constate là une longue tradi-
SIHFLES s’est tenue à Bologne tion qui souligne le lien étroit entre vocabulaire et culture et qui utilise
le 2 mars 1996 pour lancer le lexique comme une voie d’accès royale au culturel (cf. les travaux de
la recherche sur les dialogues.
R. Galisson sur le concept de lexiculture). Cette sélection et ce regrou-
Le numéro 22 de Documents
de la SIHFLES (1998) pement du vocabulaire dans les dialogues vont faciliter et favoriser une
en rend compte. étude thématique des contenus culturels : Düwell (D6 : 165), dans son
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étude d’un ouvrage du XVIIIe siècle, regroupe 96 dialogues répertoriés Le culturel dans
en six domaines : les travaux ménagers, les repas, les sujets de la l’enseignement du FLE :
conversation, les relations avec le commerce, les relations entre pratiques didactiques
maîtres et domestiques, les contacts sociaux des maîtres avec leurs et réflexions de l’historien
dans les Documents
amis à l’intérieur et hors de leur maison. J. Lillo (D16 : 125-147) pour l’histoire
consacre un article aux mets, boissons et plaisirs de la table dans les du français langue
manuels de français publiés en Italie du XVIIe au XXe siècle. Cette étrangère ou seconde
approche thématique des faits culturels se fait parfois comparative :
« Ainsi la situation italienne est-elle comparée avec la situation fran-
çaise » (Bossut, D22 : 139). C’est le cas aussi des dialogues portant sur
l’histoire des Provinces-Unies, sur le voyage de France et le voyage de
Hollande que l’on trouve de façon récurrente dans les méthodes utili-
sées aux Pays-Bas au XVIIIe siècle, sur le modèle de celle de P. Marin.
L’étude des différences culturelles constitue un facteur puissant de
motivation ; c’est ce que certains auteurs de méthodes ont compris
puisqu’ils choisissent de construire leur enseignement sur la présenta-
tion des contrastes culturels. L’intérêt pour les différences culturelles
est d’ailleurs très ancien comme en témoigne par exemple le Traité de
Luís Fróis sur les contradictions de mœurs entre Européens & Japonais
(1585), écrit par un missionnaire jésuite portugais. L’Abrégé élémen-
taire des différences les plus remarquables entre la France et l’Espagne,
publié en 1829, à Barcelone est un recueil de 28 dialogues et sujets
d’entretien qui « transite de l’étude contrastive linguistique vers l’étude
contrastive culturelle » et comme l’explique A. Reboullet (D3 : 21) il se
construit autour de « 5 ensembles thématiques », les usages langa-
giers, les jeux et loisirs, les besoins quotidiens, l’environnement géo-
graphique et la société. Sans revenir sur l’intérêt certain qu’elle
présente, l’approche thématique, difficilement évitable, a cependant
l’inconvénient d’émietter les contenus culturels, de se prêter à toutes
sortes de classements, de favoriser l’« impressionnisme culturel » et de
ne pas offrir une démarche globale.
Nombreux sont les supports pédagogiques à étudier pour en com-
prendre la charge culturelle et le chercheur a à sa disposition non seule-
ment les dialogues et le lexique sélectionné mais aussi les textes proposés
à l’apprenant pour la lecture et la traduction, sous forme de livre de lec-
tures et d’exercice. On peut y ajouter les grammaires et d’autres ouvrages
comme les méthodes familières dont les exemples sont particulièrement
intéressants pour dessiner le monde culturel de l’apprenant.
Parmi les supports utilisés, il faut compter aussi les textes littéraires qui
ont longtemps occupé une place de choix en raison de leurs qualités
propres. Les chercheurs de la SIHFLES ont interrogé à plusieurs reprises
cette place de la littérature qui offre à l’élève un contenu esthétique,
culturel et moral : « Le littéraire est constitué ainsi par des textes où les
valeurs littéraires classiques (éloquence, clarté, précision) sont insépa-
rables des valeurs morales, de la réflexion, de la pensée philoso-
phique, de la formation en histoire, de la culture générale » (Suso
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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López, D24 : 212). « Pour ce faire, il fallait acquérir une solide culture
française, s’y connaître en littérature, histoire, politique françaises […]
on faisait une grande partie de ses études à travers la littérature fran-
çaise : l’histoire, les sciences politiques, naturelles, militaires et com-
merciales » (Hammar, D6 : 67). Il existe toute une tradition de
l’enseignement de la civilisation par la littérature, ardemment défen-
due parfois : « Enseigner la littérature française […] c’est […] introduire
de la façon la plus sûre à la connaissance de la civilisation, dont cette
littérature est à la fois l’émanation et le reflet » (Bruézière, 1970 : 54).
De nombreux manuels français de civilisation française utilisés dans les
années 60 du XXe siècle proposent comme documents d’étude
presque exclusivement des textes littéraires. Leur utilisation a cepen-
dant toujours soulevé des questions méthodologiques : à quel niveau
d’enseignement les utiliser ? Ne sont-ils pas trop difficiles ? Sont-ils
vraiment à même de donner une image authentique de la culture dont
ils sont l’émanation ? À partir des années 60, les travaux en didactique
du FLE ont conduit à marginaliser le texte littéraire en introduisant de
nombreux autres supports pour l’étude des faits culturels et en faisant
appel à de nouvelles disciplines de référence telles que la sociologie,
la sémiologie ou l’anthropologie (Argaud, 2006).
Le contact avec la culture de l’autre ne se limitait pas à la lecture de
textes ou à l’apprentissage d’un vocabulaire regroupé autour de
centres thématiques. Les familles aisées avaient bien compris cela,
elles qui choisissaient pour leurs enfants une méthode d’enseignement
« naturelle » (Hammar, D6 : 65), une éducation confiée à des précep-
teurs et gouvernantes comme les Suisses francophones « intermé-
diaires entre les générations, les ordres et les cultures [et] personnages
clés de la didactique des langues vivantes » (Bandelier, D29 : 147).
L’apprentissage de la langue et de la culture se faisait aussi par expo-
sition, par contact et imprégnation avec des « natifs », dès l’enfance,
sur un mode qui rappelait l’apprentissage de la langue maternelle.
« Pour les enfants de la noblesse des deux sexes, il fallait savoir le
français à la perfection, comme un Français, avec une facilité de parler,
même avec de l’esprit, et d’écrire, surtout des lettres, qui ne laissât rien
à désirer. […] Dans ces familles, on embauchait des bonnes d’enfants,
des maîtres d’hôtel, des gouvernantes de nationalité française. […] On
faisait aussi du tourisme et des études sur la civilisation, le commerce,
la constitution et la culture françaises » (Hammar, D6 : 67). Le contact
fréquent et régulier à domicile avec des « natifs » soigneusement choi-
sis pour leur moralité, pour la qualité de leur prononciation et pour la
connaissance de leur propre langue, comptait pour une part impor-
tante dans cet apprentissage de la culture étrangère et il était com-
plété par des sorties culturelles et souvent, pour les plus fortunés, par
un voyage, un « Grand Tour » dans le pays dont on apprenait la langue
(Hammar, D6 : 67). Et J.N. Parival (dialogue 21 Du voyage de France
1659 : 105-106) précise les avantages mais avertit aussi des dangers du
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Grand Tour : « [la fréquentation] des dames est aussi fort profitable, Le culturel dans
parce que ce sexe ne demeure pas longtemps muet. – Il est bien vray, l’enseignement du FLE :
mais il fait perdre beaucoup de temps & puis il engage à l’amour – pratiques didactiques
C’est de quoy il faut se garder, car nous ne voyageons pas pour faire et réflexions de l’historien
dans les Documents
l’amour, mais pour apprendre la manière de vivre ». pour l’histoire
du français langue
étrangère ou seconde
F onction éducative du culturel
dans l’enseignement du FLE
Si la notion d’« interculturel » s’est développée en didactique des lan-
gues vivantes dans les années 70-80, la réalité qu’elle recouvre n’en a
pas moins toujours existé et la rencontre avec l’altérité accompagne
tout déplacement hors des frontières familières et connues. L’appren-
tissage d’une langue étrangère est l’occasion d’une découverte de
l’étranger, « on veut pénétrer son âme » (Lovera dans Minerva, D28 :
125), découverte qui engage, déstabilise, modifie parfois.
« Apprendre la langue française […] est plutôt une démarche mentale
et qui renvoie aux affects » (Kok Escalle et van Strien-Chardonneau,
2007 : 17), et « comme tout fait perceptif, la perception des civilisations
n’est pas neutre » (Abdallah-Pretceille dans Porcher, 1986 : 73). La ren-
contre avec l’autre peut contribuer, dans un jeu de regards croisés, à
« une prise de conscience identitaire » (Minerva, D28 : 404) ; ainsi, les
manuels de langue française ont joué, au cours du XIXe siècle, un rôle
dans le développement du « sentiment d’identité italienne par le tru-
chement des contenus civilisationnels français » (Minerva, D28 : 127) ;
la même observation a été faite pour d’autres contextes comme le
Levant où « le français a joué un rôle non négligeable dans la prise de
conscience identitaire de chaque communauté face à l’Empire otto-
man » (Gohard, D23 : 404), ou encore les Pays-Bas où « On constate
[…] le besoin de former à une certaine identité nationale par le biais de
dialogues en langue étrangère, qui dispensent un savoir sur la France,
mais également sur la Hollande » (Kok Escalle et van Strien-Chardon-
neau 2007 : 11). Les causeries parisiennes (Peschier, 1871) donnent en
effet le ton pour imiter les pratiques culturelles de la société langagière
française, et les diverses versions du « voyage de France » ou de Dis-
cours sur le véritable État de la France […] en l’an 1673 (Dialogues de
Mauger, 1700), mais les dialogues portant sur l’histoire des Provinces-
Unies et les textes qui mettent en scène des situations du pays de
l’apprenant, font référence à un connu et induisent des valeurs
morales, sociales et religieuses, sont l’occasion de faire prendre
connaissance de sa propre histoire, de sa propre culture. Les lectures
en français et en particulier les extraits littéraires sont mis au service de
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116
la construction de l’identité de l’apprenant, passant par un tiers pour
dire la grandeur nationale et les caractères nationaux, de la Hollande
par exemple ; on retrouve la sentence de Voltaire « À tous les cœurs
bien nés que la patrie est chère » en exergue dans le Robinson hollan-
dais (1825) et autres livres de lectures pour enfants, modèle pour la
formation identitaire de l’apprenant. Il en est de même dans l’Italie du
début du XXe siècle où dans les manuels le souci de construction de
l’identité nationale est renforcé par « la découverte d’un objectif
d’éducation interculturelle […] atteint à travers des lectures ayant trait
à la France et à sa culture » (Minerva, D45 : 171).
Cette conception « de la langue comme composante identitaire »
(Zarate et al., 2003 :13) a conduit les chercheurs de la SIHFLES à ne pas se
contenter de voir dans les contenus culturels des « savoirs externes,
quantifiables », mais à considérer la langue comme un « outil […] d’ana-
lyse, de connaissance, de représentation culturelle/idéologique, d’inte-
raction sur les autres » (Suso López, D24 : 218-219). Plusieurs études de
Documents témoignent de cet intérêt pour l’analyse des représenta-
tions culturelles, des stéréotypes, des valeurs, des regards réciproques
(Gohard, D23 ; Kok Escalle et van Strien-Chardonneau, D33/34). L’ap-
proche interculturelle peut répondre en didactique à ce besoin d’une
démarche globale dans l’enseignement/apprentissage des faits cultu-
rels, tant il est vrai que cet enseignement ne peut se limiter aux seuls
savoirs encyclopédiques dont l’horizon recule sans cesse.
La réflexion sur l’impact que l’apprentissage d’une langue étrangère
peut avoir sur la construction identitaire de l’apprenant est récente
dans les termes contemporains de didactique de l’interculturel ; l’en-
seignement de la civilisation, terme très usité au XXe siècle et qui appa-
raît chez Mirabeau au XVIIIe siècle (Argaud, 2006 : 5), a aujourd’hui été
remplacé par la didactique des langues et cultures. Pourtant, la
conscience qu’éducation linguistique et éducation culturelle vont de
pair est réelle dans les pays européens de l’époque moderne et
jusqu’au XIXe siècle où le français était langue d’éducation des élites,
politiques, économiques, intellectuelles. Les manuels de langue et
ouvrages didactiques alors utilisés contiennent bien des savoirs divers
utiles à la formation de l’honnête homme au XVIIe, à celle de la bour-
geoisie éclairée et active dans le négoce au XVIIIe siècle, à la formation
de l’esprit tout au long des siècles, même si ceux-ci ne faisaient que
très rarement l’objet d’interrogations spécifiques. Les savoirs pragma-
tiques et professionnels enseignés dans les « écoles françaises », nom-
breuses dans l’Europe du Nord aux XVIIe et XVIIIe siècles, font penser à
ce qu’on a appelé le français instrumental ou fonctionnel, ou encore le
français dit sur objectifs spécifiques. En effet, dans la Suède du
XVIIIe siècle, « Pour les fils de commerçants, il y avait les écoles spéciales
où on apprenait les paradigmes de la grammaire française, où l’on
écrivait d’après des lettres commerciales modèles, et, finalement, où
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117
l’on faisait des jeux de commerce en inventant soi-même une corres- Le culturel dans
pondance commerciale » (Hammar, D6 : 68). l’enseignement du FLE :
Les divers aspects de la vie quotidienne sont également largement pratiques didactiques
et réflexions de l’historien
présents dans les manuels de français des pays du nord de l’Europe des dans les Documents
XVIIe et XVIIIe siècles mais aussi en Italie et en Espagne avec des thèmes pour l’histoire
comme « le lever, la visite, le boire et le manger et le voyage », qui du français langue
mettent en scène des situations de la vie courante : « Un Gentilhomme étrangère ou seconde
qui veut voyager demande conseil », « Pour visiter un malade » (Düwell,
D6 : 162-164). « On propose donc à l’apprenant de langue étrangère le
savoir-faire nécessaire pour bien se comporter dans le contexte étran-
ger » (Kok Escalle et van Strien-Chardonneau, 2007 : 13). L’éducation
sociale et culturelle de l’apprenant est clairement visée par l’apport des
manuels de français qui, avec la langue, offrent l’acquisition d’un cer-
tain savoir-vivre en français ; l’apprentissage de la langue recoupait
celui des bonnes manières, celui du savoir-être en société (le Recueil de
modèles de conversations pour les personnes polies de Bellegarde
1709, publié et utilisé en Hollande). Les connaissances culturelles
n’avaient pas à être de nature encyclopédique ; elles n’étaient pas des
« savoirs » mais des atouts à faire valoir en société, conformément à
l’idéal de l’honnête homme. En apprenant la langue française, on se
proposait d’acquérir « un modèle de civilité à la française » (Kok Escalle
et van Strien-Chardonneau, D33/34 : 139). La dimension religieuse et
morale apparaît bien souvent comme référence culturelle aux textes
que l’on donne à lire et à apprendre ; cela est valable en pays catho-
lique (Italie, Portugal) comme en pays protestant (Pays-Bas, Suède,
Allemagne mais aussi Écosse) et très manifeste tout au long du
XIXe siècle. Des titres d’ouvrage souvent utilisés montrent cette interpé-
nétration du religieux et du culturel : Leçons françaises de littérature et
de morale. La civilisation apparaît ainsi sous la forme de valeurs morales
et religieuses à transmettre : la religion, la famille, la patrie, la discipline,
l’obéissance, le bien et le mal. Dans cette optique, la littérature profane
n’est pas toujours la bienvenue : en Hollande « …les romans sont moins
souvent recommandés : considérés comme une lecture frivole, voire
corruptrice, ils suscitent la méfiance des éducateurs et on leur préfère
les ouvrages d’histoire et surtout les grands auteurs du classicisme
français : Molière, Racine, Boileau, La Fontaine, Fénelon » (Kok Escalle
& van Strien-Chardonneau, D33-34 : 138).
C onclusion
Ainsi, si les contenus culturels n’étaient pas nommés en tant que tels ni
étudiés en tant que matière d’enseignement, leur présence n’en était
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pas moins très forte sous la forme de normes et de valeurs morales
contraignantes et c’est peut-être cette contrainte si forte qui a occulté
l’aspect proprement didactique. Le caractère longtemps impensé,
c’est-à-dire non théorisé, des contenus culturels trouve certainement
une explication dans la longue prégnance des valeurs morales et reli-
gieuses. L’enseignement de la civilisation/culture a pu émerger en tant
que tel à partir du moment où il s’est dégagé de l’emprise du moral et
du religieux. Selon les contextes, la mise en place progressive de la
méthode directe a pu contribuer en partie à cette émancipation ; en
Italie, par exemple, les contenus culturels font irruption « dans les
textes scolaires de la seconde moitié du XIXe siècle […]. Parallèlement,
dans le domaine de la didactique des langues étrangères, l’Italie
s’ouvre à la méthode directe : les contenus civilisationnels tenus pour
indispensables à l’apprentissage linguistique entrent dans les manuels »
(Minerva, D28 : 122).
Si la syntaxe, le vocabulaire, la morphologie ou la phonétique d’une
langue évoluent, car comme le dit V. Hugo dans La préface de Crom-
well (1827), « les langues sont comme la mer : elles oscillent sans
cesse », les contenus culturels, eux, sont encore plus soumis à l’évolu-
tion des sociétés ; ils n’ont cessé, au cours de l’histoire, d’évoluer, de
se diversifier et sont devenus un élément important de la réflexion
didactique. La laïcisation de la société française ayant marginalisé les
valeurs religieuses au profit des valeurs civiques, les composantes
culturelles de la communication ont pu trouver leur place dans le
champ de la didactique des langues étrangères.
À cela il faut ajouter un autre phénomène : l’enseignement des lan-
gues, longtemps privé et réalisé dans le cadre familial avec une gou-
vernante ou un précepteur, va peu à peu s’institutionnaliser et devenir
une question dont l’État va s’emparer ; on évolue, à des dates diffé-
rentes selon les contextes, « … d’un enseignement individuel et privé
vers une formation scolaire méthodique dans le cadre d’une institution
publique – en concurrence d’abord avec les humanités classiques, puis
en prenant leur succession » (Weller, D6 : 109). Cette évolution n’est
pas étrangère à l’émergence de la civilisation/culture comme compo-
sante essentielle dans l’enseignement des langues et comme objet de
réflexion didactique à part entière.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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L e texte littéraire
dans l’enseignement
du FLE : histoire,
variations et perspectives1
JUAN GARCÍA BASCUÑANA
URV-TARRAGONA, ESPAGNE
ANNA CLARA SANTOS
CECL, UNIVERSIDADE DO ALGARVE, PORTUGAL
En octobre 1997, lorsque la SIHFLES s’apprêtait à fêter son dixième anni-
versaire, le colloque d’Avila tournait son regard vers la littérature
(Boixareu et Desné, D24) qui devenait ainsi l’objet majeur de ses tra-
vaux concernant l’histoire de l’enseignement du français langue étran-
gère. Car jusqu’alors elle s’était surtout intéressée aux problèmes
posés par l’enseignement de la langue stricto sensu et avait laissé de
côté la composante littéraire proprement dite de cet enseignement2. Il
est vrai qu’il n’avait pas manqué jusqu’alors, au sein de la SIHFLES, de
travaux qui s’étaient approchés plus ou moins des textes littéraires.
Mais la question s’était posée pour la première fois à Avila, d’une façon
systématique et moyennant une vue d’ensemble, de savoir quels
1. Si nos exemples sont pris auteurs et quelles œuvres avaient servi de références et de points
essentiellement en Europe
méridionale, notre analyse est
d’appui à un tel enseignement pendant les XVIIIe et XXe siècles, et donc
valable pour la plupart d’une certaine façon quelle image de la littérature française on pouvait
des pays européens. y transmettre (Desné, D24 : 5-6).
2. Dans un numéro spécial Pendant près de trois siècles, Télémaque à l’appui, l’enseignement du
de Recherches et applications,
français langue étrangère et celui de sa littérature feront long chemin
paru en janvier 1998, Roland
Desné consacrait un article à ensemble, moyennant surtout l’approche des grands auteurs et de
ce qu’il considérait une leurs œuvres, spécialement des grands écrivains classiques, qui
relation constante, mais aussi deviennent non seulement des modèles culturels mais très souvent
problématique, entre
aussi de vrais modèles moraux. Tout compte fait, il faudrait s’interroger
la littérature et l’enseignement
du français langue étrangère sur la place qu’y occupait autrefois le fait littéraire, toujours tiraillé
et s’efforçait de souligner entre les fins proprement linguistiques et ce qu’on pourrait appeler sa
cette relation en remontant dimension culturelle, et en dernier ressort se demander ce qu’il reste
à des auteurs comme
de tout cela dans la réalité actuelle de l’enseignement du FLE. Pour
G. Meurier ou C. Hollyband
qu’il prenait comme témoins aboutir d’ailleurs à une question brûlante : peut-on toujours avoir
(Desné, 1998 : 163). recours aux textes littéraires pour enseigner le français ? Et en tout cas,
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quel choix faire, quelle sorte de textes privilégier ? La question se pose Le texte littéraire
de nos jours à propos des « modèles » à suivre non pas uniquement dans l’enseignement
parce que la notion de « classiques » est devenue un concept élargi du FLE : histoire,
variations et perspectives
sinon éclaté, mais aussi parce que l’enjeu d’une communication inter-
culturelle a amené à repenser, d’une part, la notion de patrimoine lit-
téraire et culturel et, d’autre part, la valeur du texte littéraire dans
l’apprentissage par compétences.
D ’un certain usage de la littérature
On affirme souvent, sans justifier ces positions, que l’enseignement du
français comme celui d’autres langues étrangères a longtemps été peu
enclin à se servir des textes littéraires pour étoffer cet enseignement.
Aussi fait-on du XIXe siècle un temps privilégié où apparaît la littérature
comme support précieux pour l’enseignement des langues étrangères
et tout particulièrement du français. En fait, les colloques de la SIHFLES
à Sintra ou à Avila auront été des moments d’exception où l’on s’inté-
ressa à cette présence de la littérature dans l’enseignement du FLE ;
on porta exclusivement l’attention sur les auteurs classiques, pris de
très bonne heure comme modèles, devenant ainsi des alibis pour un
enseignement qui cherchait son chemin propre, en marge de celui du
latin. En tout cas, ces deux colloques auront servi pour bien situer cette
réalité concernant la place et la fonction du texte littéraire dans l’ensei-
gnement du FLE.
Car les textes littéraires ont été très tôt présents dans l’enseignement
des langues étrangères. Si nous remontons au XVIe siècle, époque où
l’on assiste à un changement d’orientation décisif pour l’enseignement/
apprentissage des langues étrangères – l’atmosphère propre à la
Renaissance, avec tout ce qu’elle renferme de libération de la tradition
et de rénovation linguistique, y étant pour quelque chose3 – on trou-
vera déjà des textes littéraires utilisés avec une certaine fréquence
pour l’enseignement des langues étrangères. Le problème serait en
tout cas de savoir de quelle façon on s’en servait et dans quel but. Ce
qui est évident c’est que vers la moitié du XVIe siècle naît une forme
agréable de pratiquer les langues étrangères. Avoir sous les yeux, à la
fois, le texte dans la langue qu’on veut apprendre et sa traduction
correspondante dans la langue de l’apprenant c’était évidemment une 3. Sans oublier que
méthode pleine d’attraits, surtout si on savait bien choisir les sujets. la révolution de l’imprimerie
C’est ainsi qu’on trouve pas mal d’exemples à l’époque où le français joua un rôle décisif
dans l’établissement
s’associe à d’autres langues, spécialement alors à l’italien et à l’espa-
de cette nouvelle situation
gnol. Pour ne donner qu’un exemple, on va se rapporter à la plus (Kibbee, D3 : 15-20 ;
ancienne édition de ce genre qu’on connaisse : il s’agit de La Cárcel de et D4 : 18-20).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
122
Amor – La Prison d’Amour, de Diego de San Pedro, qui avec ce double
titre, suivi de l’indication « En deux langages Espagnol et François pour
ceulx qui vouldront apprendre l’un par l’autre », paraissait à Paris en
1552, chez G. Corrozet (Suárez Gómez, 1961 : 512). En fait, comme le
signale bien son titre, c’était un ouvrage que l’on pouvait utiliser dans
les deux sens, aussi bien pour apprendre le français que pour
apprendre l’espagnol. La mode des textes littéraires en version bilin-
gue va se poursuivre tout au long du XVIe siècle et même au siècle
suivant (cf. Colombo Timelli et Minerva 2008). G. Suárez Gómez (1961 :
512-521) dénombre pour l’Espagne jusqu’à une soixantaine de ce type
d’ouvrages bilingues, et parfois même trilingues et quadrilingues, dont
on se servait alors pour apprendre des langues étrangères, dont le
français. Ces ouvrages ne sont pourtant pas tous des recueils de textes
littéraires uniquement ; ils rassemblent en effet des textes historiques,
politiques et religieux, sans compter les dialogues et d’autres recueils
de lettres, d’aphorismes, de sentences et de proverbes. Mais les textes
littéraires bilingues et plurilingues sont les plus nombreux, parmi les-
quels on notera une édition plurilingue italien-latin-français-espagnol
de Le Galatée de G. della Casa (1598), puis des éditions bilingues fran-
çais-espagnol comme celle du Jugement de Pâris de N. Renouard
(1612) ou celle de L’Honnête Homme ou l’art de plaire à la Cour de
N. Faret (Paris 1634). Mais surtout abondent, sous les règnes d’Henri IV
et de Louis XIII, les textes bilingues espagnol-français qui tirent leur
origine des œuvres espagnoles du Siècle d’Or, dont la présence à
l’époque en France est incontestable, avec une influence directe chez
des écrivains français, comme c’est le cas de Pierre Corneille, pour ne
donner qu’un exemple bien connu4.
A utour de la notion de texte littéraire
La notion même de littérature est à préciser, au moins jusqu’au
4. On trouve alors toute
XIXe siècle, compte tenu du fait que pendant longtemps n’importe quel
une série de textes bilingues,
en principe destinés document écrit (historique, linguistique, politique, philosophique, reli-
aux Français qui voulaient gieux, voire juridique ou administratif) était apprécié en tant que
apprendre l’espagnol, mais « texte ». Cet état de choses résultait de la place de choix accordée à
qui pouvaient être utilisés
l’Éloquence et à la Rhétorique qui se distinguaient dans les domaines
en fait dans les deux sens :
espagnol-français et français- politique, militaire, juridique, sacré, etc. Ces deux disciplines, au sein
espagnol. C’est aussi le cas desquelles certains maîtres comme Bossuet et Fénelon acquéraient
pour d’autres langues des valeurs de modèles, ouvraient la voie d’accès à la connaissance
européennes, avec des textes
approfondie de la langue et, par là, à la littérature. Le texte littéraire
bilingues français-italien,
français-anglais, français- n’était alors qu’un modèle du genre, parmi d’autres, qui servait avant
allemand, français-flamand. tout à l’étude des règles de l’ars rhetorica.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
123
Les « manuels » pour l’enseignement de langues étrangères ont très Le texte littéraire
souvent affaire à toute sorte d’exemples « littéraires » qui accompa- dans l’enseignement
gnent certaines explications ou servent souvent à « aller plus loin » du FLE : histoire,
dans l’apprentissage réel de la langue. Ce qui expliquerait la valeur des variations et perspectives
Aventures de Télémaque en tant que « document authentique » pour
l’enseignement du français. Sans remettre en question la dimension
littéraire de ce livre, son succès pendant près de deux siècles peut
s’expliquer sans doute par la « richesse » même de ses contenus :
sommes-nous devant un texte exclusivement littéraire ou faut-il y cher-
cher surtout son orientation morale et pédagogique, voire politique et
religieuse ? Le Télémaque, à cause de cette complexité ou plutôt
grâce à elle, va devenir un texte essentiel pour enseigner le français,
un modèle de langue que tout bon maître de français va s’efforcer
d’inculquer à ses élèves. Car, comme on avait signalé au colloque de
Bologne en juin 2003, consacré précisément aux trois siècles d’ensei-
gnement du français en Europe par l’intermédiaire du livre de Fénelon
(Minerva, D30 et D31), les contenus culturels et moraux de cet ouvrage
« en avaient fait une lecture privilégiée de plusieurs générations d’ap-
prenants ou tout simplement d’un public intéressé à la langue et à la
culture françaises » (Minerva, D31 : 7).
Sans mettre en cause l’utilisation constante du Télémaque pour l’ensei-
gnement du FLE tout au long du XVIIIe siècle et même au siècle suivant,
il faut se tourner vers d’autres œuvres dont on va se servir alors pour
l’enseignement du français à l’étranger. Et sur ce point, on ne peut
laisser de côté un livre fondamental qui pendant près d’un siècle et
même au-delà sera l’un des points de repère incontournable pour
apprendre le français : Le Magasin des enfants ou Dialogues entre une
sage gouvernante et plusieurs de ses élèves de la première distinction
(1757) de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Le prestige de ce livre
s’imposera tout d’abord en Angleterre, où l’auteur exerça comme gou-
vernante pendant près de vingt ans. Et il sera réédité pendant de
longues années : on trouvera des rééditions à La Haye, à Berlin, à
Berne, à Saint-Pétersbourg, à Madrid, à Lisbonne et dans beaucoup
d’autres grandes villes européennes. De la même façon qu’on se pose
souvent la question à propos du succès européen des Aventures de
Télémaque et on cherche des raisons multiples pour le justifier, on
peut aussi s’interroger a fortiori sur les raisons exactes de cet autre
succès, celui du Magasin des enfants. En tout cas, au-delà d’un paral-
lélisme toujours discutable (Desné, 1998 : 166), on doit constater que
ces deux livres deviennent des points de repère incontestables dans
cette « Europe française » du XVIIIe siècle, dont les élites apprennent et
utilisent le français. D’ailleurs, au-delà du décalage chronologique, on
ne peut pas dire qu’une œuvre ait pris le relais de l’autre ; en réalité les
deux œuvres vont se côtoyer pendant plus d’un siècle, chacune jouant
un rôle complémentaire par rapport à l’autre. En tout cas, la différence
serait sans doute à chercher dans les buts exacts de leurs auteurs
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
124
respectifs. Car s’il est évident que le Télémaque a une dimension
pédagogique indiscutable – même s’il est beaucoup plus que cela –,
son auteur ne pouvait prévoir que son œuvre deviendrait un outil
essentiel pour l’enseignement du français aux étrangers. Par contre,
Madame Leprince de Beaumont avait conçu son œuvre dans un but
essentiellement didactique, car enseignant en Angleterre elle avait
bien en vue que les destinataires de son livre étaient des enfants étran-
gers qui devaient apprendre le français. On peut voir le Magasin des
enfants comme un manuel pratique dans lequel l’auteure offre des
textes littéraires construits en fonction des intérêts langagiers de ses
élèves. D’une certaine façon, ces livres et d’autres que la même
auteure écrit alors représente un pas décisif dans l’enseignement du
français par le biais des textes littéraires. De là peut-être le grand suc-
cès du Magasin des enfants, mais aussi d’autres livres de Madame
Leprince de Beaumont tout au long du XVIIIe et du siècle suivant. Ce qui
fait sans doute qu’à partir du XIXe siècle deux types de textes littéraires
figurent surtout dans les manuels pour l’enseignement du français: des
textes des grands auteurs classiques qu’on prendra définitivement
comme modèles à suivre5, mais aussi des textes qu’on suppose spécia-
lement conçus pour l’enseignement du français aux étrangers. C’est ce
qu’on va trouver dans la plupart des morceaux choisis des nouveaux
manuels qui se publient surtout à partir des premières décennies du
XIXe siècle. Mais une nouvelle question se pose alors sur la façon de
traiter ces textes littéraires dans l’enseignement du français langue
étrangère. Elle se serait posée dans les collèges et lycées allemands
entre 1850 et 1900 (Christ, D23 : 248-270), mais elle pourrait servir
aussi pour d’autres pays européens : fallait-il se servir exclusivement de
morceaux choisis pour enseigner le français ou bien était-il préférable
d’utiliser des ouvrages littéraires complets, ce qui aiderait sans doute
à mieux saisir le sens exact des textes abordés ?
5. Bien que la notion
A u tournant des nouvelles applications
de « classique » se pose à tout du texte littéraire
moment et qu’on voie
s’enrichir constamment La conjoncture politique et culturelle favorable aux vents novateurs qui
le canon d’auteurs pris soufflaient de la capitale française, devenue un centre culturel irradiant
comme modèles, à un certain
sa culture littéraire et artistique, engendre un certain enracinement du
moment, ce ne seront pas
exclusivement les grands goût envers les Lettres françaises, du moins dans les pays du sud de
auteurs du XVIIe et l’Europe. Il est vrai que ce goût fut celui d’une certaine intelligentsia,
du XVIIIe siècle qui feront partie d’une élite, mais le projet libéral des premières décennies y remédia.
de ce canon d’exception, mais
Avec la nécessité de l’élargissement de l’instruction publique est né
de nouveaux auteurs
qui surgissent à partir aussi le besoin de l’utilisation du texte littéraire et son adaptation
du siècle suivant. – sous la forme de l’anthologie – dans la classe de langue.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
125
Les centaines de manuels et d’anthologies répertoriés6, du moins à Le texte littéraire
notre connaissance, en Italie, en Espagne et au Portugal, font preuve dans l’enseignement
de cette effervescence et de cette richesse pédagogique. La mode du FLE : histoire,
instaurée par ces recueils de morceaux choisis, retenus pour leur valeur variations et perspectives
édifiante, quelquefois accompagnés de jugements critiques qui en
fixaient l’interprétation, facilitait la tâche du maître de langues, centrée
essentiellement sur la transmission des codes linguistiques et rhéto-
riques. Comme l’ont si bien montré N. Minerva (D23 : 382-401) et H.
Christ (D23 : 248-270), le débat sur la pertinence de l’usage des antho-
logies en salle de cours a soulevé de nombreuses polémiques. La ter-
minologie adoptée pour la désignation de ce type d’ouvrages
pédagogiques relève elle-même d’une certaine inconstance :
« manuels », « livres de lectures », « selectas », « recueils », « cours pra-
tiques », « musées littéraires ».
En outre, l’impact des célèbres Leçons françaises de littérature et de
morale de Noël et De La Place (1804) qui ont circulé dans toute l’Eu-
rope, dès le début du siècle romantique, sera énorme sur le classement
des textes et l’importance accordée à la notion de genre littéraire.
Plusieurs rééditions adaptées aux élèves européens ont circulé un peu
partout et ont constitué, effectivement, le modèle le plus répandu et
le plus prestigieux à l’époque. Cette division des textes introduit l’élève
à des modèles de style diversifiés qu’il fallait réutiliser et imiter. Il va
sans dire que de nombreuses anthologies de ce genre incluaient aussi
des tables chronologiques, des notices biographiques sur les auteurs
et, parfois, quelques abrégés d’histoire littéraire. Si l’influence de ces
ouvrages marque un profond bouleversement dans le classement des
textes par genre littéraire, ce classement traditionnel a vite tendance à 6. On pense ici aux
répertoires italien et espagnol
être remplacé par un classement chronologique par auteurs. Cette
déjà existants (Insegnare
nouveauté qui apparaît surtout dans les anthologies de la seconde il francese in Italia. Repertorio
moitié du siècle concerne la diffusion du nom des auteurs et établit di manuali pubblicati dal 1861
d’ailleurs une hiérarchisation qui perdurera pendant longtemps, rede- al 1922, dirigé par N. Minerva ;
Insegnare il francese in Italia.
vable à la notion de canon littéraire. Si, au début, les textes fabriqués
Repertorio di manuali
ou adaptés restaient anonymes, très vite, on privilégie le culte des pubblicati in epoca fascista
grands auteurs. Éditeurs et pédagogues s’intéressent à ce phénomène (1923-1943), dirigé par
pédagogique et éditorial rentable. Apparaissent alors non seulement A.M. Mandich ; Repertorio
de gramáticas y manuales
les anthologies mais aussi les traités de versification. Dans de nom-
para la enseñanza del francés
breux pays d’Europe, la contestation de la méthode traditionnelle est en España (1565-1949),
tenace et conduit à l’avènement de la méthode pratique et intuitive. de D. Fischer, J.F. García
Or, si au cours de la première moitié du siècle on reste profondément Bascuñana et M. Trinidad
Gómez), ainsi qu’au répertoire
attaché au côté édifiant du texte littéraire dont la visée morale prime
portugais en cours
sur la valeur littéraire du texte, au cours de la deuxième moitié com- d’élaboration sous la direction
mence à se dessiner une approche plus consciente du phénomène d’A.C. Santos, actuelle
littéraire en milieu scolaire dans le cadre de l’apprentissage du fran- dirigeante de l’APHELLE
(Association Portugaise pour
çais. Ce qui est valable aussi bien dans les pays catholiques, au sud de
l’Histoire de l’Enseignement
l’Europe ou en Belgique, que dans les pays protestants du Nord (Pays- des Langues et
Bas, Allemagne, Suède). On devient alors sensible à la notion de des Littératures Étrangères).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
126
progression. On introduit, en classe de FLE, des textes plus courts à
visée morale bien définie qui passe par la formation de l’esprit et l’ou-
verture à la noblesse des sentiments à partir d’un modèle de pensée
et de style. L’approche du phénomène littéraire en tant que tel est
cependant, à l’époque, quelquefois négligée. Les morceaux choisis ne
sont alors qu’un prétexte à l’étude de la langue. La préoccupation
première est de promouvoir la lecture et la connaissance des règles de
grammaire, de la phonétique et de l’orthographe, dans une première
étape, puis d’aborder la morphologie et le lexique. Le texte littéraire
n’était alors qu’un prétexte et un moyen d’accéder à la pratique des
connaissances sur le fonctionnement de la langue.
Q uels enjeux pour la littérature française
en classe de FLE ?
Grâce à l’assimilation de la littérature à une pédagogie de l’écrit, le
texte littéraire sert de modèle à la production écrite par le biais des
exercices portant sur la lecture, la répétition, la traduction, la transcrip-
tion, la composition, la mémorisation, la récitation, l’adaptation par le
genre ou autres exercices de style. Sous l’apanage lointain de la rhéto-
rique et des langues classiques, le savoir-écrire restait encore l’objectif
prioritaire de la formation en langues vivantes et, dans cette mesure,
l’étude des faits littéraires devait conduire à savoir-penser de manière
convenable et efficace7.
Au tournant du XXe siècle, on assiste à un virage significatif dans la
dynamique de l’enseignement/apprentissage des langues étrangères.
L’approche historisante introduite timidement au cours du siècle pré-
cédent portera ses fruits : aussi bien l’altérité de la culture littéraire que
le culte des grands auteurs deviendront, de plus en plus, une réalité.
On y assiste à l’éveil de la conscience littéraire et à la découverte de
7. Coste, en se penchant sur l’histoire littéraire. On y décèle une nette valorisation de la culture lit-
l’impact de la tradition téraire car, on le sait, l’ennoblissement des langues modernes se fait
classique sur l’enseignement
de la littérature, rend compte aussi par le culte de Belles Lettres. À ce propos, les travaux de Lanson,
justement de ce phénomène : fondateur de la méthode scientifique de l’histoire littéraire, boulever-
« De façon générale, la place sent profondément l’enseignement de la littérature, nationale et étran-
massive qu’occupe le passage
gère, au XXe siècle, car ils introduisent un changement de paradigme
d’une langue à l’autre, à l’oral
ou à l’écrit, et l’insistance qui, épistémique. Le modèle pratique de la rhétorique se voit remplacé par
de ce fait, porte sur le sens le modèle critique de l’histoire littéraire et, d’emblée, l’objectif prag-
exact d’une part, la “qualité matique (savoir-écrire) fait place à un objectif cognitif (savoir-lire). S’il
stylistique” de l’équivalence
est vrai que les visées d’ordre moral, civique et religieux – surtout
d’autre part, sont des traits
notables de la tradition catholiques, si on pense au cas espagnol et portugais au cours des
classique » (1982 : 62). deux dictatures – prédominent toujours et qu’on continue à étudier la
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
127
versification et les figures de style, il n’est pas moins vrai qu’on s’inté- Le texte littéraire
resse, de plus en plus, aux biographies des différentes générations dans l’enseignement
d’écrivains et, de surcroît, aux courants littéraires et aux mouvements du FLE : histoire,
esthétiques. Les implications de l’application de la méthode lanso- variations et perspectives
nienne sont beaucoup plus visibles, il faut bien l’avouer, du côté de
l’enseignement du FLE en contexte universitaire. Peu à peu, la désigna-
tion même de « littérature française » est devenue une assignation
exclusive des études supérieures. Là, mue par les études de Sainte-
Beuve ou de G. Lanson, une place de choix était faite à l’histoire litté-
raire. Mais les choses ont bien changé depuis. Le cours de Littérature
française, devenu plus récemment, dans certaines institutions, Littéra-
ture francophone ou même Littérature-monde, est voué unique et
exclusivement à l’étude des auteurs et des œuvres au programme dans
une perspective diachronique. De plus, le changement de paradigme
se situe aussi du côté des compétences acquises par les étudiants.
Ceux-ci, qui auparavant avaient un niveau intermédiaire, sont
aujourd’hui à considérer comme débutants (ou faux débutants) en
langue française et leur désintérêt pour les grands textes littéraires
ainsi que leurs difficultés de plus en plus accentuées à conceptualiser
ne font que croître ces dernières années. La littérature a disparu de
quelques curricula universitaires et, dans certains cas, quand elle y
apparaît c’est pour figurer comme discipline optionnelle.
Il faut remarquer finalement que les années 1980 déclenchent une forte
réflexion pédagogique sur l’usage du texte littéraire en classe de lan-
gue. Comme l’a si bien dit Jean Peytard, « alors que la tradition conti-
nuait à considérer que bien parler c’était parler comme un livre et que la
littérature fournissait le bel exemple dans les bons ouvrages du bel
usage grammatical, l’enseignement de langues découvrait, dans la
décennie quarante, le nécessité d’insister sur l’oral, car la communication
se fait d’abord par messages oraux. Et c’est parce que l’on a fait à l’oral
sa juste place, que l’on a pu repenser l’écrit, autrement. Et de là, porter
un regard autre sur la littérature, dans l’enseignement du FLE » (Peytard,
1988 : 8). Ce n’était pas la première fois que l’auteur attirait l’attention sur
cette particularité de l’enseignement du FLE car il l’avait déjà fait, six ans
plus tôt, aux côtés de D. Bertrand, H. Besse, D. Bourgain, D. Coste,
E. Papo, A. Pelfrène, L. Porcher, R. Strick, dans un ouvrage collectif inti-
tulé Littérature et classe de langue issu des travaux du CRÉDIF (Peytard,
1982). La position de ces didacticiens, à laquelle on peut ajouter celles
de Marie-Claude Albert et Marc Souchon (2000), deux décennies plus
tard, se caractérise par l’éloignement d’une approche sacralisée du texte
littéraire et un rapprochement d’une pédagogie diversifiée qui s’articule
autour d’une compétence de lecture à la découverte du statut et des
effets du texte littéraire, ses variations et son transcodage.
À partir du moment où on attribue à l’enseignement des langues
vivantes un objectif culturel et une approche communicative qui privi-
légie l’expression orale et l’usage de documents authentiques tirés des
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
128
médias et de la vie pratique, l’usage du texte littéraire est, comme
nous le dit Todorov, en péril8. Une chose est sûre : avec l’émergence
de la notion de civilisation et de l’approche communicative, la littéra-
ture n’apparaît plus comme la principale composante culturelle de
l’enseignement du FLE. Si la littérature était auparavant mise au service
de l’étude du culte de certains auteurs de qualité (les « classiques »,
illustrateurs du canon littéraire), elle est devenue, tout simplement, le
moyen d’illustration de certains faits de civilisation, au même titre que
tout autre document authentique.
Dans les approches actuelles et les directives du Cadre Européen
Commun de Référence (CECR), il semblerait qu’une des conditions
essentielles à la mise en place de l’étude des textes littéraires soit
effectivement l’acceptation d’un traitement transversal de l’objet litté-
raire qui puisse contribuer au développement de la dimension intercul-
turelle et du contact avec l’Autre. Nous pensons que le fait de devoir
privilégier, dorénavant, les rapports intrinsèques entre langue, culture
et littérature __ ce qui n’est pas encore le cas, il faut bien le dire, dans
les plans d’étude de certains pays __ peut nous conduire à la prise de
conscience de la spécificité des objets pédagogiques en classe de
langue et de ses dispositifs actionnels en tenant compte de cet « agir
d’apprentissage » dont parle C. Puren (2006).
E n guise de conclusion
Depuis toujours, l’étude d’une langue étrangère s’est vue confrontée à
des enjeux d’ordre socioculturel et politique conduisant, selon les pays
et les réformes, les apprenants à une performance plus ou moins valori-
sante de la pratique de l’écrit et/ou de l’oral. À partir du moment où la
langue étrangère devient discipline scolaire et institutionnalisée elle est
associée à de larges enjeux. L’usage du texte littéraire en classe apporte
une autre dimension dans l’apprentissage des langues : l’accès à une
pensée complexe et à un univers symbolique qui s’ouvre au domaine
esthétique et s’impose par leur valeur d’usage. En fait, il s’agit générale-
ment d’atteindre, en dehors d’une analyse littéraire ou d’une conscience
esthétique de l’objet littéraire, des usages sociaux où la visée pragma-
tique est prioritaire au niveau de la transmission des connaissances lin-
guistiques et où la fonction du texte littéraire en tant que modèle et
instrument d’apprentissage se trouve valorisée. C’était le cas dans un
passé plus ou moins lointain ; ce l’est encore davantage aujourd’hui.
On le voit, par tout ce qui précède, les liens entre littérature et ensei-
8. On fait allusion ici au titre
de l’ouvrage de Todorov, gnement du français langue étrangère sont anciens, fluctuants et assez
La littérature en péril (2007). tumultueux au sein des trois vecteurs assignés au texte littéraire dans
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
129
sa pratique historique en salle de classe : le vecteur social et moral, le Le texte littéraire
vecteur esthétique et le vecteur ludique. Dans la société globale dans l’enseignement
actuelle, les partisans de l’enseignement de la littérature étrangère, du FLE : histoire,
notamment d’expression française, doivent résister et revenir sur la variations et perspectives
leçon du passé car la finalité d’un tel enseignement au sein de l’établis-
sement scolaire et universitaire, hier comme aujourd’hui, n’a pas
changé : son caractère illustratif reste fondamental à la formation de la
conscience civique et intellectuelle du citoyen du monde. Là-dessus,
les conclusions auxquelles arrivait Besse, en 1982, sur l’usage des
documents littéraires en classe de FLE nous semblent tout à fait perti-
nentes et d’actualité : « Le document littéraire dans la classe de langue
ne devrait pas être conçu, à notre avis, comme un lieu d’enseignement
de la langue, de la civilisation ou des théories critiques, mais comme
un lieu d’apprentissage dans lequel les étudiants peuvent explorer
tous les possibles (acoustiques, graphiques, morphosyntaxiques,
sémantiques) de la langue étrangère et toutes les virtualités connota-
tives, pragmatiques et culturelles qui s’inscrivent en elle. Comme un
lieu d’exploitation pédagogique de ce qui est en voie d’acquisition,
plutôt que comme prétexte à enseigner de nouvelles connaissances.
Dans cette optique, la relégation des documents littéraires aux stades
avancés de l’apprentissage n’est pas justifiée » (1982 : 34). En récupé-
rant la pensée lansonienne, il est urgent de donner la possibilité aux
élèves d’entrer dans les œuvres, « d’observer la vie humaine inscrite
dans les formes littéraires » (Lanson, 1903 : 179) car « nous devons
préparer les jeunes gens à comprendre les questions morales et
sociales qu’ils devront résoudre, les préparer à les résoudre avec exac-
titude, sincérité, désintéressement, justice » (ibid. : 173). Au-delà de sa
profession de foi dans le plaisir du texte barthésien9, le professeur de
langue et/ou de littérature doit devenir avant tout un médiateur et un
passeur entre cultures, capable de créer chez ses élèves ou ses étu-
diants, grâce à la démultiplication d’angles du fait littéraire en contact 9. Allusion à la position
de la critique littéraire
avec les autres arts (théâtre, musique, cinéma, etc.) ou la science, la
défendue par Barthes
conscience d’une identité culturelle et interculturelle susceptible de dans son essai intitulé
leur permettre de communiquer aux autres leurs motivations et leurs justement Le plaisir du texte
idées, en somme, leurs façons d’être et de voir le monde. en 1973.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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NADIA MINERVA
UNIVERSITÀ DI CATANIA, ITALIE
Dans une perspective historique, les outils pédagogiques – manuels,
grammaires et dictionnaires – constituent souvent les seules traces qui
nous sont parvenues des pratiques dont s’est doté l’enseignement du
français langue étrangère. Quels principes théoriques et méthodolo-
giques restituent-ils ? À quelles conceptions de la langue et de son
enseignement font-ils référence ? Comment peuvent-ils nous rensei-
gner sur les traditions grammaticales et lexicographiques (traditions de
la langue source et de la langue cible) d’où ils découlent ? Dans cet
article, nous essaierons de répondre à quelques-unes de ces questions
en examinant un nombre limité de répertoires lexicographiques (dic-
tionnaires et recueils figurant dans les manuels) et de grammaires, d’où
les deux parties juxtaposées qui ne se veulent pas exhaustives : nous
ne proposons en effet que quelques sondages à titre d’exemple dans
une production dont l’ampleur est connue.
L es répertoires lexicographiques plurilingues
et bilingues
Notre approche vise à relever, dans les dictionnaires plurilingues et
bilingues et dans les vocabulaires figurant dans les manuels, des
aspects nous permettant d’évoquer leur portée pédagogique, les cri-
tères de sélection et de groupement du lexique, les pratiques de son
acquisition, le traitement des écarts culturels. Seront privilégiés trois
moments historiques liés à des phénomènes caractérisant leur
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époque : le plurilinguisme du XVIe siècle, le bilinguisme des XVIIe et
XVIIIe siècles et la scolarisation de la lexicographie à partir du XIXe siècle.
DU PLURILINGUISME AU BILINGUISME
En Europe, le plurilinguisme du XVIe siècle plonge ses racines dans la
valorisation des langues et des cultures nationales au début de
l’époque moderne quand le rôle du latin en tant que lingua franca
commence à décliner. La fonction de quelques outils qui en sont les
vecteurs, leur nature multidirectionnelle et leur circulation internatio-
nale ne sont pas sans rappeler certaines opérations éditoriales d’au-
jourd’hui (dans le domaine de la lexicographie aussi bien que dans
celui de la grammaticographie).
L’activité plurilingue caractérisant le XVIe siècle est multiforme ; il suffira
d’évoquer un phénomène de rencontre des vernaculaires sur les voies
des commerces et des voyages, qu’on peut qualifier de civilisationnel/
culturel. Il a engendré deux types d’outils : les dictionnaires d’usage
populaire connus sous le nom de Vocabulista et les recueils de dialo-
gues comportant un dictionnaire comme les Berlaimont1. La majorité
des premiers est écrasante (une centaine d’éditions entre 1510 et 1652).
Ils répondent aux besoins de la communication à un moment de notre
histoire culturelle où les parlers vernaculaires sont utilisés de plus en
plus pour les contacts entre les communautés linguistiques ; ce qui fait
naître l’exigence de les apprendre. Le premier vocabulaire plurilingue
de la série est l’Introductio quaedam utilissima sive Vocabularius quat-
tuor linguarum Latinae Italicae Gallicae et Alamanicae [Introduction très
utile ou Vocabulaire des quatre langues latine, italienne, française et
allemande], parue à Rome en 1510. Issue d’un outil bilingue bavarois-
vénitien, l’Introductio prendra bientôt ses deux traits les plus frappants :
une étendue géographique continentale (de l’Europe de l’Est à l’Angle-
terre) et un nombre de langues croissant, jusqu’à huit (Rossebastiano
Bart, 1984). Le rayonnement du Vocabulista témoigne de sa souplesse :
la polyglossie permet aux éditeurs de répondre à la demande du mar-
ché en changeant quelques langues ou en augmentant leur nombre
(Colombo, 1992 : 396). Et son plurilinguisme est plus bigarré qu’on ne
le croirait, où ont égal droit de cité toutes les langues et tous les parlers.
Sa longévité en prouve l’efficacité. Le Vocabulista s’adresse à des
consultants ciblés, ne proposant que le lexique relevant de leurs princi-
paux centres d’intérêt : ceux qui veulent apprendre les langues sans
aller à l’école (artisans et femmes) et les gens peu cultivés devant circu-
ler « dans le monde » : marchands et voyageurs. Il est pratique par sa
forme (colonnes et petit format comme toute la littérature populaire de
1. Pour ce phénomène, l’époque) et par son contenu (lexique du quotidien et modèles conver-
on peut parler, comme le fait
sationnels). Il intéresse également pour la méthode d’apprentissage
M. Colombo (1992),
de « polyglossie des langues : méthode naturelle, directe avant la lettre, où règne la
au quotidien ». langue vivante et où la norme est totalement absente.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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À quel moment, sous l’impulsion de quels facteurs le plurilinguisme Dictionnaires
a-t-il commencé à décliner laissant la place aux différents bilinguismes et grammaires :
et monolinguismes ? Michel Simonin (1982) répond que l’Europe des variations et applications
langues existe tant qu’aucune langue ne s’est encore imposée ; au
moment où l’une des langues d’Europe parvient à primer sur les autres
comme véhicule commun, la production polyglotte se tarit. En 1583,
paraît à Lyon un recueil issu du Vocabulista – le Vocabulaire en langue
françoise et italienne – qui réduit à deux les langues présentées témoi-
gnant du déclin de la polyglossie et de l’avènement d’autres outils plus
conformes à de nouvelles demandes du marché. L’extraction de deux
langues fait remonter le Vocabulista aux débuts de son histoire et
aligne à la fois cet outil au phénomène émergeant des dictionnaires
bilingues. Les innovations introduites par le Vocabulaire (qui préfigure
les futurs dictionnaires bipartites et alphabétiques), ainsi que la crise
de la tradition du Vocabulista dans ces dernières décennies du
XVIe siècle, le confirment : le bilinguisme répond mieux que la polyglos-
sie aux nouveaux besoins linguistiques.
LE BILINGUISME AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES
Si la Renaissance est l’âge d’or de la lexicographie plurilingue, dans
l’Europe du XVIIe siècle la lexicographie bilingue est en pleine expan-
sion2. Laurent Bray observe qu’« à l’universalisme des nomenclatures
du siècle humaniste, qui rivalisaient […] par la quantité des langues
enregistrées […], allait faire progressivement place à une lexicographie
spécifique des différentes régions européennes » (1988 : 313). C’est à
ce mouvement de régionalisation que les dictionnaires bilingues et les
nomenclatures des grammaires apportent leur contribution.
LES DICTIONNAIRES
Les anciens dictionnaires bilingues nous font assister à l’apparition des
caractéristiques propres de tout dictionnaire bilingue : mise en place
de l’analyse sémantique contrastive ; attention au problème pédago-
gique de la réduction des écarts culturels ; focalisation sur les unités à
forte charge identitaire ; prise en compte des motivations différentes
des usagers… Le modèle encore en vigueur aujourd’hui est ainsi fixé.
Mise en œuvre d’un produit pour un public défini, le dictionnaire bilin-
gue est, on le sait, un média culturel, instrument de travail devant
servir aux besoins de l’apprentissage et de la traduction de deux com-
munautés linguistiques. Textes témoins, les bilingues restituent les
images réciproques – se dessinant à travers les données linguistiques
et civilisationnelles – que ces communautés se font d’elles-mêmes et 2. Elle était née dans
des étrangers dont elles apprennent la langue ; images qui déjouent la seconde moitié
du XVIe siècle qui a vu
très souvent le stéréotype. Les traits spécifiques des dictionnaires
la publication des bilingues
bilingues se dessinent par rapport aux autres catégories de diction- des principales langues
naires existant à leur époque : les plurilingues et les monolingues. européennes.
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Quant aux premiers, on peut relever un élément de continuité : comme
dans les lexiques plurilingues, l’intérêt des dictionnaires bilingues se
concentrera longtemps encore sur les emplois les plus usuels. Contrai-
rement à la lexicographie monolingue – qui délaisse les mots familiers,
vulgaires, régionaux et argotiques – ils consignent en premier lieu le
lexique pratique ; c’est pourquoi les premiers dictionnaires bilingues
reflètent plus fidèlement l’usage contemporain (Quemada, 1967). En
outre, les dictionnaires bilingues se démarquent des monolingues par
l’accueil de nombreux mots culturels. Ces derniers renvoient très sou-
vent à des référents qui n’appartiennent qu’à un seul des deux horizons
mis en parallèle. L’absence d’un équivalent interlinguistique dans la
langue cible oblige le lexicographe à fournir des renseignements ency-
clopédiques (description du référent et développements notionnels).
Gloses et définitions donnent des informations sur les mots désignant
des coutumes sociales et comportementales, les toponymes, les vête-
ments, les aliments, les institutions ou les usages propres de la langue
source, les ethnolectes… Cette pratique sera le lot des bilingues, en
dépit de la séparation précise entre dictionnaires de langue et diction-
naires encyclopédiques qui s’imposera à la fin du XVIIe siècle.
La tendance encyclopédique des dictionnaires est une conséquence
de leur caractère didactique, les contenus extralinguistiques des
lemmes et des locutions visant à faire acquérir des compétences cultu-
relles. On multiplie les informations pour qu’à travers la connaissance
des mots nouveaux le consultant puisse acquérir la connaissance des
choses nouvelles. L’information encyclopédique, en macrostructure et
en microstructure (lemmes, équivalents et commentaires), fait du
répertoire bilingue de l’époque un outil de décodage qui véhicule
l’image de l’autre ; le monde de ce dernier, la langue et les mœurs qui
le définissent sont l’objet d’une approche interculturelle « curieuse »
qui valorise les marques identitaires comme une richesse.
LE LEXIQUE DANS LES MANUELS
Les XVIIe et XVIIIe siècles constituent aussi l’âge d’or des nomenclatures
complétant les grammaires pour l’apprentissage des langues étran-
gères. Le lexique présenté s’y prête à des analyses linguistiques, prag-
matiques, didactiques, culturelles et sociologiques. L’objectif des listes
lexicales est communicatif : l’auteur veut fournir les outils linguistiques
permettant à l’élève de tenir une conversation sur les sujets courants.
C’est donc le critère de la fréquence qui dicte le choix du grammairien,
le même critère qui présidera à la sélection du Français Fondamental.
Bien que déjà le premier manuel pour l’apprentissage du français
– Lesclarcissement de la langue francoyse de Palgrave (1530) – soit à la
fois une grammaire et un répertoire lexical, ce n’est qu’aux XVIIe et
XVIIIe siècles que ce type d’organisation du manuel s’impose. Les
nomenclatures constituent un outil pédagogique bien plus efficace
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que les dictionnaires bilingues alphabétiques qui ne se prêtent évi- Dictionnaires
demment pas à l’apprentissage systématique du vocabulaire. D’ailleurs, et grammaires :
le manuel est un outil plus disponible et maniable dont la consultation variations et applications
est à la portée d’un plus large public et, comme le remarque H. Düwell,
il a sans doute « davantage contribué à la diffusion du vocabulaire
français à l’étranger que les ouvrages de références lexicales » (1998 :
145)3. En effet, le rôle assigné au lexique au sein du manuel est remar-
quable : par exemple, dans les manuels publiés en Italie son pourcen-
tage va de 20 % à 30 %. Quant aux aspects linguistiques, dans la
plupart des cas, les entrées et les équivalences sont univoques ;
cependant on enregistre une évolution et certains lemmes seront pré-
sentés sur l’axe paradigmatique, ce qui permettra d’introduire des
synonymes, des antonymes, une bonne variété d’adjectifs, de nom-
breuses unités pluriverbales… Le mot d’ailleurs peut être intégré dans
une séquence discursive : certains grammairiens aspirent à montrer ses
propriétés syntagmatiques à travers une phrase qui en illustre des
aspects formels-fonctionnels.
On peut dégager quelques traits communs dans l’établissement des
champs lexicaux4 : sélection et groupement à visée didactique ; orga-
nisation par centres d’intérêt et par besoins langagiers ; finalité utili-
taire et objectif communicatif/interactionnel. Suivant une tradition qui
remonte à l’Antiquité classique (les nominalia des manuels bilingues
pour l’enseignement du grec et du latin), l’organisation du lexique est
thématique, avec de rares exceptions : le vocabulaire devait être appris
par cœur et ce type de présentation était tenu pour plus approprié à
la mémorisation. Quelques auteurs ne se limitent pas à cette stratégie
mais fournissent des méthodes contrastives d’apprentissage : celle de
Veneroni (Le Maître italien, 1678), le célèbre maître d’italien de
Louis XIV, est basée sur des groupements de mots ayant la même 3. Cf. aussi, du même auteur :
désinence vocalique ou une alternance phonétique constante5. L’ordre Düwell, D8.
de présentation du lexique varie d’un auteur à l’autre, selon sa vision du 4. Pour une approche
de la relation du lexique
monde, ses conceptions pédagogiques, le destinataire qu’il privilégie… à la culture, voir, dans
L’ordre descendant hiérarchise le lexique à partir du « monde en géné- ce même recueil, l’article
ral » (formule laïque : Le Monde, le Ciel, la Terre…) perçu comme cadre d’E. Argaud et
des activités humaines, ou à partir de la terminologie sacrée (Dieu le M.-C. Kok Escalle, « Le culturel
dans l’enseignement du FLE :
Père, Jésus Christ…). Selon l’ordre ascendant, à partir des besoins pratiques didactiques
élémentaires de l’homme, de sa physiologie et des objets d’emploi et réflexions de l’historien
commun, le regard s’étend progressivement à la sphère sociale et aux dans les Documents
dimensions affective et éthique. L’ordre ascendant est pragmatique et pour l’histoire du français
langue étrangère
communicatif car il donne la priorité au lexique de la conversation, en ou seconde ».
tenant compte des critères de fréquence et d’utilité. Au tournant du 5. Par exemple : ance>-anza,
XVIIe siècle et au XVIIIe, les grammairiens tendent à spécialiser les voca- -ence>-enza, -agne>-agna
bulaires en introduisant des champs lexicaux pour des catégories (distance>distanza,
diligence>diligenza,
sociales dont ils prennent en compte les besoins langagiers liés à leur
campagne>campagne) ;
statut ou à leurs professions : des groupements consacrés à la religion, cha->ca- (château>castello)
aux sciences, à la géographie… sont fréquents ; par exemple, les mots etc.
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de l’équitation et de guerre indispensables pour la jeunesse noble ou
les titres organisés en ordre décroissant (du pape au serviteur) si le
public visé se destine à la diplomatie.
DE NOUVEAUX DICTIONNAIRES BILINGUES : LES PORTATIFS
ET LES SCOLAIRES
Les dictionnaires scolaires se confondent, à leurs débuts, avec les dic-
tionnaires de poche. Ils s’en démarquent petit à petit par l’accentuation
de leur vocation pédagogique qui donne forme à la macrostructure et
à la microstructure du dictionnaire suivant des principes tels que la
simplification des données linguistiques, l’adaptation du métalangage
et la mise en retrait des définitions. Les bilingues d’aujourd’hui ne les
ont pas démentis.
Au XIXe siècle, la pédagogie linguistique se transforme sensiblement au
moment où s’accroissent les besoins des apprentissages et que le
dictionnaire est soumis à la loi du marché. Ce phénomène se manifeste
d’une part dans la naissance d’une lexicographie « populaire » atten-
tive à de nouveaux publics et, d’autre part, dans l’apparition de mai-
sons d’éditions spécialisées accélérant la production de dictionnaires
très variés. Si la lexicographie bilingue de l’Ancien Régime était carac-
térisée par sa tendance de plus en plus extensive, dans le siècle bour-
geois s’imposent le dictionnaire au format poche et le dictionnaire
scolaire, qui rebroussent chemin réduisant la nomenclature ainsi que le
corps de l’article. Le XVIIIe siècle avait connu quelques bilingues porta-
tifs où le français était mis en parallèle avec le hollandais, l’italien,
l’allemand, l’anglais et l’espagnol. Citons pour tous le premier en date :
le Dictionnaire portatif françois-flamand de Pierre Marin (1696). Mais la
technique des 5 dictionnaire de poche, qui se veulent des ouvrages
pratiques offrant l’essentiel, est en train de se perfectionner pour les
langues. Au XIXe siècle, les dictionnaires déjà présents continuent de
paraître et plusieurs s’en ajoutent. Dans les années 1820 et suivantes,
le paysage lexicographique bilingue est presque saturé par les diction-
naires de poche et les abrégés. Les poche peuvent être destinés à un
consultant « pressé » – le grand public ou les voyageurs, par exemple –
ou aux écoles. Quant à ces derniers, il s’agit toujours d’ouvrages illus-
trant parfaitement la « dictionnairique de réduction » (Pruvost 2006 :
26), mais tous les portatifs ne sont pas des dictionnaires scolaires.
Jacqueline Lillo (2007 : 222) rappelle qu’on ne peut pas parler de dic-
tionnaires pédagogiques sans une extension de la scolarisation qui
nécessite un État et une société démocratiques. Ce ne sera pas le cas
avant le XIXe siècle. La diffusion des dictionnaires ciblés sur un public
scolaire commence dans les années 1830 : c’est le cas, par exemple, du
Dictionnaire portatif et de poche français-allemand […] à l’usage des
écoles primaires de R. Herbster (1836) ou du Dictionnaire français-ita-
lien […] à l’usage des maisons d’éducation des deux nations d’A. Ronna
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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qui connaît 13 éditions entre 1836 et 1897. Les dictionnaires scolaires Dictionnaires
pour l’anglais sont plus tardifs : A. Spiers, School Dictionary of the et grammaires :
French and English Languages abridged from the author’s general variations et applications
French and English dictionary, 1851…
J. Lillo a relevé les caractéristiques des dictionnaires scolaires français-
italien, italien-français. Nous retenons les principales : dimensions
réduites quant au nombre des pages et modicité du prix qui en font un
véritable manuel scolaire au même titre que les autres manuels ; sim-
plification du contenu ainsi que de la méthodologie d’exposition ;
hiérarchisation des différentes acceptions, en donnant toujours en
premier l’acception la plus commune ; usage abondant de discrimina-
teurs de sens et de gloses descriptives ; tendance à l’encyclopédisme ;
préférence donnée aux exemples (jugés plus utiles que les définitions)
servant à illustrer, en contexte, les différentes acceptions des entrées ;
sélection à visée morale qui met au ban tous les mots triviaux ou liés à
la sexualité ; finalité corrective qui amène à signaler non seulement ce
qui doit être dit mais aussi ce qu’il faut éviter, barbarismes, faux-amis
ou gallicismes ; adaptation des contenus en fonction des indications
ministérielles.
L es grammaires de FLE.
Linguistique vs. didactique
Nous envisagerons maintenant, dans les grammaires qui sont aussi des
manuels, la relation entre des descriptions à visée purement pédago-
gique et l’influence que ces dernières subissent dans le contexte de
théories grammaticales dominantes à leur époque. En anticipant sur
nos conclusions, remarquons d’emblée que les interférences et les
croisements entre le pédagogique et le linguistique sont finalement
peu fréquents et quand on peut sporadiquement en détecter quelques-
uns, ils s’avèrent peu significatifs, ne déterminant pas, en général, des
changements de perspectives radicaux ni même importants dans les
analyses. Mais ce n’est pas surprenant, la grammaire du FLE n’ayant
pas pour tâche de présenter des théorisations linguistiques. Un gram-
mairien du FLE compétent extrait desdites théorisations linguistiques
ce qui peut lui servir – concepts, procédés explicatifs ou classifica-
tions – pour que son analyse ne déroute pas les apprenants et rende
son exposition claire et assimilable pour ceux-ci.
LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE (GG) PÉDAGOGISÉE
La première pièce que nous verserons au dossier de ces rapports entre
grammaire théorique et grammaire pédagogique sera la réflexion sur
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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la présence, dans des grammaires du FLE, de la grammaire générale
– courant qui renvoie à une grammaire reliant pensée et langage.
Notre critère pour juger ici de cette présence dans des grammaires
pédagogiques sera la définition de l’unité syntaxique : la proposition,
concept central de la GG. Dans ce cas, il s’agit bien d’une notion pure-
ment théorique et le choix entre une définition de la proposition
comme manifestant l’énonciation d’un jugement n’a pas véritablement
de conséquence dans l’ordre pédagogique par rapport à la définition
traditionnelle de la même unité syntaxique – vue alors comme expres-
sion d’une pensée (éventuellement, correspondant à un sens com-
plet) – mais elle est représentative de l’influence d’une théorie
linguistique dominante sur la théorisation, d’ailleurs souvent extrême-
ment brève et pas toujours cohérente, de la grammaire pédagogique
à un moment de son histoire. Nous avons testé la nature de cette pro-
position dans un corpus de grammaires pour l’enseignement du fran-
çais au XIXe siècle en Espagne (dans la partie « syntaxe ») qui fournit
quelques définitions de cette notion (Lépinette, 2012). Ces ouvrages se
bornaient presque systématiquement à envisager les relations entre
différents éléments linguistiques dans le cadre du syntagme, cette
syntaxe étant alors d’accord ou de régime ou encore des parties du
discours, ou, exceptionnellement, dans le cadre de la phrase (simple,
en une syntaxe de la phrase), la phrase complexe n’étant abordée que
de façon très tangentielle, par exemple, sous des en-tête comme les
relatifs ou les conjonctions ou encore le participe). Logiquement dans
ce contexte, le terme phrase (oración), unité syntaxique simple ou
complexe, n’est pas toujours présent mais c’est le plus fréquent de
ceux qui dénotent cette unité syntaxique (à côté de sentencia et pro-
posición). Le concept de « phrase » relève alors de la sémantique :
celle-ci renvoie à un sens complet dont les limites et les éléments qui
obligatoirement la composent sont flottants. Signalons que cette défi-
nition de la phrase (oración) est celle-là même que la grammaire de la
Real Academia española (1771) avait donnée de cet élément. Quant à
la proposition (proposición), on a pu constater que, dans le domaine
du FLE en Espagne, son emploi est dû essentiellement à des emprunts
faits dans des textes grammaticaux français (Lhomond dans le cas de
Sánchez Ribera 1821 ou Un amante de la juventud 1830). Seul un
ouvrage de 1845 semble avoir assimilé que, selon la définition de la
GG, la proposition est l’énonciation d’un jugement.
On peut donc finalement considérer que dans ces grammaires du FLE,
en général descriptives et immanentes, l’allusion décontextualisée à
l’énonciation d’un jugement-proposition resterait bien obscure pour
des apprenants de français, en plus d’être inutile du point de vue de
l’acquisition du français (et, qui plus est, de s’avérer incohérente du
point de vue de l’analyse). Les auteurs de ces grammaires du FLE sem-
blent avoir compris cette inutilité – il se peut aussi qu’ils n’aient pas
toujours compris la nature de la GG et de sa proposition – et ils
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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utilisent alors un terme traditionnel dans leur culture grammaticale et Dictionnaires
un concept imprécis de « phrase », sans changement par rapport aux et grammaires :
grammaires pédagogiques des XVIe et XVIIe siècles. Dans ce domaine variations et applications
du FLE, l’introduction – rare comme le prouve notre corpus – de la
notion de proposition-jugement n’aurait donc que valeur que de sig-
num culturel destiné à prouver que l’auteur était intégré dans le cou-
rant de la linguistique dominante à son époque. À ce sujet, il ne serait
pas inutile de rappeler la position d’un pédagogue de FLE (avant la
lettre), l’abbé de Lévizac (1797, 1809, 1822), qui, précédant de peu dans
le temps nos pédagogues espagnols, n’a pas non plus intégré la notion
de ce concept central de la GG qu’est la proposition. Pourtant dans
son Introduction (1809 : 7), cet auteur avait déclaré que la grammaire
de Port-Royal était « la plus parfaite de toutes celles qui ont été
publiées ». En outre, Lévizac proposait d’entrée une organisation théo-
rique qui semble devoir beaucoup à la GG (de Beauzée, en particu-
lier) : les mots y sont considérés d’abord dans leur forme sonore et
graphique (1822 : 39-42), puis comme signes de nos pensées géné-
rales (1822 : 150-154). Cependant Lévizac, voulant apprendre le fran-
çais pour les Anglais, dans son traitement des parties du discours ne
divergera en rien par rapport à la tradition inaugurée par Lhomond et,
en particulier, la syntaxe n’est que, comme chez les pédagogues espa-
gnols du début du XIXe siècle, une syntaxe des parties du discours. De
la sorte, ce pédagogue représente « une excellente illustration de ce
que la subsistance des intérêts idéologiques et métaphysiques ne
pouvait guère résister aux pressions de l’intérêt didactique […] »
(Colombat et Saint-Gérand, 1998 : 181). Les auteurs de grammaires
françaises, les plus compétents, subiront, vers 1845 en Espagne, des
pressions de même nature. Le contexte culturel et grammatical pousse
les auteurs à introduire des éléments de la GG dans leur propre ouvrage
mais cette dernière ne s’avère pas pertinente pour des apprenants
étrangers. Nous sommes donc face à une situation dans laquelle la lin-
guistique dominante à une époque donnée ne réussit une entrée que
sur les marges de l’édifice qui reste à prédominance pédagogique.
L’EMPREINTE DU STRUCTURALISME DANS LES GRAMMAIRES DU FLE
La seconde pièce que nous verserons au dossier des rapports entre la
grammaire théorique et la grammaire pédagogique sera une réflexion
sur l’empreinte que le courant structuraliste peut avoir laissée dans des
grammaires du FLE actuelles. Pour déterminer dans quelle mesure les
grammaires modernes du FLE ont intégré des instruments théoriques
nés dans cette optique structuraliste dominante à partir des années 70
du XXe siècle, nous avons considéré les pages consacrées à la morpho-
logie verbale dans un corpus de grammaires du FLE des dernières
décennies (dix recueils à visée exhaustive). Nous nous centrerons ici sur
l’organisation de la morphologie verbale de cette langue et nous
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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résumerons un ensemble de constatations que nous avons exposées
de manière détaillée ailleurs (Lépinette, 2005).
Étant donné que pour le structuralisme le langage est, comme on le sait,
d’abord oral – ce fut le principe sur lequel insista A. Martinet (1960) et
s’appuya Jean Dubois, par exemple, dans sa Grammaire structurale du
français –, nous avons tenté de mesurer, d’une part, si les auteurs de
grammaires du FLE avaient pris en considération cette caractéristique,
présentant à leurs lecteurs la transcription phonétique des formes ver-
bales s’opposant à la forme écrite de ces dernières. Il s’avère que,
comme le montre la colonne 2 du tableau ci-dessous, cet aspect n’a pas
paru pertinent dans l’ensemble des ouvrages examinés. Ce qui a été
l’objet de la description, ce sont les formes graphiques des variations
morphologiques, en une option de traitement sans changement donc
par rapport à celle qui était traditionnellement adoptée dans le genre.
RECOURS PRISE
TRANSCRIPTION
FONCTIONNEL EN COMPTE
AUTEURS PHONÉTIQUE
AU « RADICAL » DES
DES FORMES
DU VERBE FRÉQUENCES
l968, Mauger,
Grammaire pratique
du français – – –
d’aujourd’hui, Paris,
Hachette.
1979, Martinet,
Grammaire
fonctionnelle + + +
du français, Paris,
CREDIF/Didier.
1981, De Smet & al.,
Grammaire de base, – – –
Paris, Didier/Hatier.
1987, Callamand,
Grammaire vivante
du français, Paris,
Larousse.
1987, Monnerie,
Grammaire au présent, – –
Paris, Didier/Hatier.
1987 Fernández Ballón,
Gramatica esencial del
francés, Barcelona,
Larousse (traduction-
adaptation de Monnerie
1987).
1989 [2003], Bérard,
Grammaire utile
– + –
du français mode
d’emploi, Paris, Hatier.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
141
RECOURS PRISE Dictionnaires
TRANSCRIPTION
AUTEURS PHONÉTIQUE
FONCTIONNEL EN COMPTE et grammaires :
AU « RADICAL » DES variations et applications
DES FORMES
DU VERBE FRÉQUENCES
1989, Weinrich,
Grammaire textuelle
– + +
du français, Paris, Didier
/ Hatier (traduction).
1991, Delatour,
Grammaire de Français
Cours de civilisation
française de la – – –
Sorbonne, Paris,
Hachette Français
Langue Etrangère.
2002, Poisson &
Quinton, Grammaire
– + –
expliquée du français,
Paris, CLE International.
Dans l’article auquel nous nous référons, nous avions aussi voulu considé-
rer ce que nous avions appelé le recours fonctionnel au radical (colonne 3
du tableau). Quelques grammaires (De Smet 1981, Delatour 1991 et Pois-
son 2002) définirent bien la notion de radical et de désinences. Cepen-
dant aucune d’entre elles n’utilisa ce concept de radical pour délimiter
leurs trois ensembles, qui coïncident ainsi toujours avec les groupes ver-
baux traditionnels (1er groupe, 2e groupe et verbes irréguliers). Une seule
grammaire – Bérard 1989 – recourt, sans ambiguïté et dans tout son
recueil, à la notion de radical et ce dernier concept lui sert à structurer son
ensemble verbal en quatre classes (avec la restriction qu’il convient de
faire puisque, comme on le voit, la constitution de deux ensembles dis-
tincts – le 2e et le 3e – s’appuient tous deux sur la présence de deux radi-
caux et paraît ainsi contrevenir une règle de base du structuralisme)6.
1er ENSEMBLE 2e ENSEMBLE 3e ENSEMBLE 4e ENSEMBLE
Un seul radical. Deux radicaux. Deux radicaux. Trois radicaux.
Toutes les formes Les formes La forme L’un des radicaux
de ces radicaux des deux radicaux d’un radical est peut être déduit
peuvent être peuvent être déduite de l’infinitif.
déduites déduites de l’infinitif,
de l’infinitif. de l’infinitif. une autre forme
est construite Modèles : Venir
Modèle: verbes Modèle : Dormir en ajoutant ou Vouloir.
en -er et en -ir. (je dors / nous « un son
dormons). au premier
radical ».
Modèle : Finir 6. Dans l’optique
du structuralisme, on le sait,
(je finis / nous
deux ensembles ne pouvant
finissons)
être établis à partir de critères
et Conduire. non différentiels.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
142
Le tableau ci-dessus permet pourtant d’observer que Bérard 1989
classe bien les verbes français sur une base qui s’avère finalement de
nature structuraliste, son classement en quatre ensembles étant déter-
miné par la prise en compte d’un même élément différenciateur radi-
cal/désinences, appliqué de manière homogène pour toutes les
conjugaisons, domaine qui, sur les marges au moins, apparaît en géné-
ral irrégulier et imprévisible. Deux remarques pourtant sur la (seule)
grammaire de notre corpus qui semble avoir été influencée par le
structuralisme : les formes phoniques n’apparaissent qu’irrégulière-
ment et les notions de radical et de désinence ont été employées avec
moins de rigueur (voir le recours à la notion de « son » dans la
3e colonne du tableau ci-dessus) que ne l’exigerait une description
inspirée par le courant structuraliste.
Enfin, nous avons pu constater dans l’ensemble du corpus ici pris en
compte que la notion de fréquence, particulièrement significative dans
la perspective qui nous intéresse maintenant, n’a pas été souvent mise
à profit, sauf chez Martinet 1979 – ce qui était tout de même attendu –,
pour déterminer un ordre de présentation s’appuyant sur ce critère.
Ainsi, si l’on a pu affirmer que le courant structuraliste est lié à l’émer-
gence de méthodes pour le FLE – surtout les audio-orales et audiovi-
suelles de première génération mais dans lesquelles la psychopédagogie
(en relation avec des hypothèses sur les modèles d’acquisition de la
langue) était surtout l’élément déterminant –, en revanche, la présence
de ce même courant structuraliste dans des grammaires pédago-
giques n’est pas très visible et elle ne semble pas avoir contribué à
l’élaboration d’une analyse linguistique sur des bases nouvelles.
B ilan
Dans ces pages, l’accent a été mis sur certaines caractéristiques des
anciens répertoires lexicographiques qui aujourd’hui n’ont rien perdu
de leur intérêt. Pensons d’abord à l’activité plurilingue du XVIe siècle,
marquée – on l’a vu – par la dépendance réciproque des différents
recueils dans l’Europe tout entière et à l’approche multilingue jouissant
d’un regain d’intérêt de nos jours. Nous avons ensuite essayé de mon-
trer que les dictionnaires bilingues fournissent une description de la
langue faite à partir d’un observatoire particulier, ainsi que des infor-
mations précieuses sur les usages linguistiques, souvent absentes dans
les monolingues. Par ailleurs, leur sensibilité à la variation diatopique
et diastratique des langues concernées constitue un de leurs traits les
plus remarquables : on se plaint de cette lacune dans la lexicographie
bilingue contemporaine. Quant aux recueils lexicaux dans les manuels,
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
143
leur organisation montre qu’ils misent sur une acquisition plus aisée du Dictionnaires
lexique, aspect qui est encore au cœur des apprentissages linguis- et grammaires :
tiques : dans l’ombre depuis les approches communicatives, elle ne variations et applications
cesse d’attirer l’attention des didacticiens. Enfin, l’apparition des dic-
tionnaires bilingues de poche et d’apprentissage dans les premières
décennies du XIXe siècle ouvre un chemin aujourd’hui très battu : cette
dictionnairique saura profiter, dans le courant du siècle, de structures
commerciales et de moyens techniques de plus en plus avancés.
Par ailleurs, nous avons voulu envisager, à travers quelques cas parti-
culiers de grammaires du FLE du XIXe et XXe siècle, les rapports de ces
dernières avec la théorie linguistique qui leur était contemporaine et
qui avait été – ou aurait pu être – une source d’inspiration pour elles.
Cet objectif nous a amené à prendre en compte des grammaires péda-
gogiques du point de vue du type de linguistique sous-tendant ces
dernières. Après ce (trop) bref tour d’horizon historique, il conviendra
d’insister finalement sur le fait suivant : les développements de la théo-
rie linguistique n’ont des répercussions que tangentielles dans le
domaine pédagogique, ce dernier étant beaucoup plus directement
ouvert, même dans les grammaires (et pas seulement dans les
méthodes d’apprentissage), à des changements de nature psychopé-
dagogique. Il faudrait d’ailleurs, croyons-nous, affiner notre propre
analyse – ce que nous n’avons pas pu faire dans ce cadre – et prendre
en compte non seulement le linguistique face au pédagogique mais
encore le rôle qui est attribué à l’instrument qu’est la grammaire dans
le processus d’apprentissage de la langue étrangère, qui est, en sim-
plifiant à l’extrême, d’un côté, méthode en soi (jusqu’au XIXe siècle
approximativement, la grammaire était l’instrument presque unique de
l’apprentissage) ou, d’un autre, complément d’une méthode (actuelle-
ment, dans les grammaires que nous avons prises en compte).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
146
S upports visuels,
supports auditifs,
enseignement
du Français
langue étrangère
ENRICA GALAZZI
UNIVERSITÀ CATTOLICA DEL SACRO CUORE, MILANO, ITALIE
MARCUS REINFRIED
FRIEDRICH-SCHILLER-UNIVERSITÄT, JENA, ALLEMAGNE
Les premiers supports de l’enseignement/apprentissage des langues
étrangères étaient des textes écrits et des grammaires. Mais le Fran-
çais langue étrangère a toujours surtout été enseigné pour être parlé.
Les maîtres de langue employaient déjà certaines techniques pour
l’enseignement de la prononciation qui étaient aussi entrées dans les
grammaires, mais furent améliorées et remplacées à partir de la fin du
XIXe siècle par des explications phonétiques. L’apparition de supports,
par contre, était surtout liée à la genèse d’une méthode1 « naturelle »
dans les salles de classe : dès qu’on put imprimer de grandes images,
celles-ci furent censées remplacer les contextes d’apprentissage de la
vie quotidienne extra-scolaire, et dès qu’on put conserver les sons par
des moyens techniques, on essaya de substituer (au moins partielle-
ment) la voix de l’enseignant (qui était à partir du XIXe siècle dans les
écoles publiques de moins en moins d’origine française) par les voix
enregistrées de natifs francophones. L’émergence d’une méthode
directe dans l’enseignement scolaire fut remplacée au milieu du
XXe siècle par d’autres méthodes d’enseignement/apprentissage cen-
trées sur les supports comme la méthode audio-orale et surtout la
1. Sur les méthodes, voir,
méthode audio-visuelle. Comment les fonctions de ces supports ont-
dans ce même recueil,
les articles de Berré et Besse, elles changé au cours de cette évolution, de quelles stratégies s’est-on
et de Minerva et Reinfried. servi pour faire apprendre la prononciation de la langue étrangère ?
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
147
Supports visuels,
L ’enseignement de la prononciation supports auditifs,
enseignement
et les images avant la réforme2 du Français
langue étrangère
La pratique orale de la langue française représentait en général un
objectif important avant l’intégration de son enseignement dans cer-
taines filières supérieures des écoles publiques qui eut lieu au cours du
XIXe siècle dans beaucoup de pays européens. Dans cette première
époque du Français langue étrangère, pendant laquelle la langue était
majoritairement enseignée par des maîtres ou des gouvernantes « de
souche française », la bonne prononciation, dans le cas idéal selon
l’usage de la cour ou de l’Académie française, était considérée comme
un atout primordial (Mandich, D19 : 25 ; Hammar, 1998 : 107). On
essayait de trouver des enseignants ou enseignantes qui n’avaient pas
l’habitude des variantes dialectales et fournissaient aux élèves les
modèles de prononciation souhaités. À côté de cette acquisition
« naturelle » par imprégnation et imitation, qui était considérée
comme le moyen le plus efficace d’apprentissage de la prononciation
(Minerva, D19 : 52), il y avait souvent des explications concernant la
prononciation des sons dans les grammaires et quelquefois des exer-
cices de prononciation dans les grammaires et manuels.
Selon l’utilisation des règles de prononciation et selon l’ordre dans
lequel on aborde la théorie et la pratique orale de la langue étrangère,
on peut distinguer (comme le fait Fernández Fraile, D28 : 34-47),
quatre approches différentes : la méthode théorique (mémorisation
des règles de prononciation), la méthode pratique (assimilation et
reproduction des sons), la méthode théorico-pratique (théorie simpli-
fiée, exercices d’application) et la méthode pratico-théorique (d’abord
apprentissage par simple imitation, ensuite « fixation » théorique).
L’application parallèle d’une approche pratique et d’une approche
théorique, sans que les deux soient bien coordonnées, était la procé-
dure dominante du XVIe au XVIIIe siècle. Au XIXe siècle, un assez grand
nombre d’auteurs de grammaires et de manuels (partout en Europe)
rattachaient systématiquement les exercices de prononciation aux
règles exposées, s’en tenaient donc à la méthode théorico-pratique, 2. « La réforme » est
le mouvement réformiste
s’ils ne prenaient pas par principe leurs distances avec la théorisation qui se constitua à la fin
de la prononciation, comme les adeptes de la « méthode analytique » du XIXe siècle en Allemagne et
d’Hamilton et Jacotot ou comme Robertson, Ahn et d’autres auteurs se propagea ensuite à travers
de « grammaires pratiques » (ibid. : 41). l’Europe. Ses partisans étaient
des enseignants de langues
Pour expliquer les caractéristiques des sons français, dans les siècles modernes voulant remplacer
qui précédèrent l’époque de la phonétique scientifique, les grammai- la méthode grammaire-
riens employèrent des stratégies différentes (Fischer, D19 : 44-49; traduction (répandue
à l’époque dans les écoles)
Mandich, D19 : 30). On trouve fréquemment des comparaisons avec
par un enseignement plus
des sons connus des apprenants ; dans les grammaires italiennes, par orienté sur la pratique
exemple, il y avait des références à certains dialectes. Une autre de la langue-cible.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
148
stratégie consistait à utiliser des notations « approximatives » pour
certains sons, une troisième à décrire leur mode et leur point d’articu-
lation. Mais la valeur des descriptions qui en résultaient était souvent
inégale : à côté de quelques observations correctes, on trouvait beau-
coup d’expressions imagées ainsi que des explications imprécises et
embrouillées (cf. Minerva, D19 : 58-59). Les transcriptions dans les
vieilles grammaires étaient rares, et s’il y en avait, elles contenaient des
incongruités graves qui seront plus tard très critiquées à l’époque de
la phonétique scientifique (Fischer, D19 : 48-49).
Si l’enseignement de la prononciation était cohérent avec les principes
de la méthode directe, il n’en était pas de même pour l’emploi des
premières images. Le premier manuel contenant une centaine de gra-
vures sur bois (représentant la création divine) fut l’Orbis Pictus de Jan
Amos Comenius. Il connut plusieurs centaines d’éditions dont dix
purent être utilisées dans l’enseignement du français (à partir de 1666),
mais il ne s’agissait que de versions bi- ou plurilingues (Reinfried, 1992 :
33-39). L’idée que des images soient censées expliquer les significa-
tions des expressions d’une langue étrangère dans le cadre d’un ensei-
gnement monolingue (parce que le monolinguisme était considéré
comme le trait essentiel d’une acquisition naturelle, la traduction un
artifice déplacé) n’existait pas encore au XVIIe siècle ; elle remonte à
J. B. Basedow, un pédagogue allemand de l’époque des Lumières, qui
l’exprima pour la première fois en 1764, influencé par l’idée générale
de Jean-Jacques Rousseau d’un retour à la nature (ibid. : 65).
Basedow, voulant réformer totalement l’éducation, créa en 1774 un
internat à Dessau (en Saxe-Anhalt) qu’il nomma Philanthropin. Dans
cette école, on enseignait le français et le latin par la méthode natu-
relle. Dans les cours de langues, on utilisait une centaine de gravures
sur cuivre. Basedow fit copier par un peintre une partie de ces planches
en grand format pour qu’elles puissent être utilisées en classe comme
tableaux muraux. C. H. Wolke, un de ses collaborateurs, inventa pen-
dant plusieurs années d’enseignement pratique un certain nombre de
techniques de sémantisation pour développer une méthode directe
avant la lettre. Néanmoins, les écarts entre les textes et les illustrations
utilisés compliquaient la réalisation cohérente de cette nouvelle
« méthode par l’aspect » qui tomba dans l’oubli dans les premières
décennies du XIXe siècle (Reinfried, D6 : 127-145).
L a méthode directe et les tableaux muraux
Comme dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, c’est surtout en
Allemagne qu’apparurent à nouveau dans la deuxième moitié du
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
149
XIXe siècle de nouveaux supports et de nouvelles techniques d’ensei- Supports visuels,
gnement/apprentissage qui se répandirent ensuite rapidement à tra- supports auditifs,
vers l’Europe. Le début du XIXe siècle était encore très sous l’influence enseignement
du « néo-humanisme », l’étude de la culture classique atteignait son du Français
langue étrangère
apogée. Dans les lycées, l’utilisation d’images représentant la vie
contemporaine fut par conséquent bannie. Elle ne survécut que dans
les « leçons de choses » dispensées en langue maternelle allemande
dans les écoles primaires. À partir de 1839 parurent des tableaux
muraux sur lesquels on voyait des activités professionnelles en ville et
à la campagne. Ces tableaux, utilisés aussi de temps en temps dans les
petites classes des Realschulen (collèges), furent intégrés par un petit
nombre d’enseignants innovateurs à partir du milieu du XIXe siècle dans
l’enseignement du Français langue étrangère. Ils illustraient certaines
expressions lexicales et formaient la base d’une conversation entre les
enseignants et leurs élèves qui tournait autour de ce qu’on pouvait
percevoir et décrire sur ces lithographies (Reinfried, D11 : 3-10.).
Cet enseignement par l’aspect se répandit à travers toute l’Allemagne
après l’éclatement du « mouvement réformiste ». Ce fut W. Viëtor, un
angliciste et phonéticien à l’Université de Marburg, qui publia en 1882
(sous pseudonyme) le pamphlet L’enseignement des langues doit faire
volte-face !, une sorte de manifeste souvent considéré comme le
début de la réforme qui se propagea au cours des décennies suivantes
à travers une grande partie de l’Europe. Lui et ses partisans voulurent
surtout améliorer les compétences orales des élèves et réduire le
temps consacré aux études grammaticales et aux traductions. Les
tableaux muraux qui parurent en 1885 à la maison d’édition viennoise
Hölzel semblaient constituer des supports adéquats aux exercices
oraux prônés par Viëtor. Plus de 30 manuels de français parus en Alle-
magne prévoyaient l’emploi des tableaux des quatre saisons de Hölzel
(cf. le tableau du printemps en illustration 1) pour l’entraînement oral
des élèves (Reinfried, 1992 : 108-109).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
150
Illustration 1 : Hölzel’s Wandbilder für den Anschauungs- und Sprachunterricht,
1. Le printemps. Gravure d’après une lithographie dessinée
par Marie et Sophie Görlich, Vienne 1885.
L’Allemagne et l’Autriche ont connu, entre 1880 et la Première Guerre
mondiale, environ une douzaine de séries de tableaux muraux et deux
douzaines de séries de gravures plus petites utilisées dans l’enseigne-
ment des langues modernes (cf. Reinfried, 1992 : 103-138). Quoique
tous les partisans du mouvement réformiste n’aient pas apprécié l’uti-
lisation de ces images, les adeptes de l’enseignement par l’aspect
inventèrent et publièrent une multitude de propositions pratiques et
en firent une base adéquate à la méthode directe (cf. ibid. : 138-152).
Mais c’est finalement en France (où l’on avait introduit la méthode
directe par des arrêtés ministériels en 1901 et 1902) que la réflexion
méthodologique atteignit son apogée avec la monographie de
Schweitzer et Simonnot (1921). On créa plusieurs séries de supports
visuels, les Tableaux auxiliaires Delmas, qui se répandirent à travers
l’Hexagone et en Italie ainsi que dans la péninsule Ibérique. Les pays
nordiques en revanche semblent plutôt avoir importé des lithogra-
phies allemandes et autrichiennes.
L ’essor de la phonétique et son application
à l’enseignement de la prononciation
Avec la méthode directe, l’importance accordée à l’enseignement de
la prononciation devint un enjeu majeur de la réforme, si bien qu’on a
même pu parler de « méthode phonétique ». Au cours des siècles qui
précédèrent la naissance et l’éclosion spectaculaire de la phonétique
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
151
comme science autonome (à partir du dernier quart du XIXe siècle), des Supports visuels,
« savoir-faire phonétiques » pratiques se développent dans des terri- supports auditifs,
toires limitrophes (mais non sans importance par rapport à la langue) enseignement
tels que la médecine, le chant, la pathologie et la rééducation. Ces du Français
langue étrangère
connaissances proto-scientifiques sont à l’origine de pratiques qui ont
longtemps fait partie du bagage de certains enseignants des langues ;
le test de l’allumette, « dont la flamme ne doit pas s’éteindre lors de la
prononciation d’une occlusive française » (Henriksen et Lyche, D19 :
209), la distribution de miroirs de poche pour permettre aux élèves
d’observer leur propre articulation et le renvoi au toucher pour perce-
voir les vibrations des cordes vocales (cf. Reinfried, D19 : 191) ont été
développés dans le contexte de la rééducation des sourds-muets.
Après le pamphlet de Viëtor, la déclaration de la primauté de l’oral et
de la parole, proclamée de façon énergique et tenace par les jeunes
phonéticiens de plusieurs pays d’Europe réunis au Congrès Philolo-
gique de Stockholm en 1886, déclencha des initiatives multiples
comme la fondation de l’Association phonétique internationale et la
création de son Bulletin Le maître Phonétique ; aussi met-on au point
en 1888 un alphabet phonétique international, l’A.P.I., dont la version
révisée à plusieurs reprises est encore bien vivante et présente
aujourd’hui dans les dictionnaires de langue de tous les pays. Parmi les
« champions » de la réforme de l’enseignement qui embrasa l’Europe
tout entière, il y eut de jeunes phonéticiens tels que Viëtor, Passy,
Sweet, Jespersen, tous polyglottes et engagés dans l’enseignement
(Galazzi, 2002).
Les limites de la « méthode naturelle » imitatoire poussèrent les pho-
néticiens, soucieux d’une application pédagogique, à rechercher
d’autres supports visuels. La parole « courante » était saisie et visuali-
sée sur papier grâce à la transcription en A.P.I. qui donnait une sorte
de photographie auditive de la réalité sonore. Toutefois, l’emploi de
l’A.P.I. dans la classe était loin de faire l’unanimité et dans les manuels
il était rare, quoiqu’il ait été finalement accepté par les autorités sco-
laires partout en Europe jusqu’à la fin des années vingt du siècle der-
nier (Reinfried, D19 : 192 ; Suso López, D28 : 64). Les manuels scolaires,
qui bénéficiaient relativement peu des avancées de la phonétique, s’en
tenaient généralement à l’orthographe ou utilisaient la transcription
figurée, une tentative tout à fait illusoire et souvent comique, sévère-
ment condamnée par les phonéticiens (Passy et Rambeau, 1897 : 5),
qui consistait à transcrire les sons de la langue étrangère en utilisant
les graphèmes de la langue maternelle. Ainsi, pour prononcer correc-
tement Comme cette ville est belle, on n’avait qu’à prononcer les mots
anglais Comes at veal a bell (ibid.).
Parmi les procédés suggérés à l’enseignant, la caricature sonore de
l’étranger parlant la langue maternelle des élèves était recommandée
par Jespersen (1953 : 126) pour la sensibilisation aux bases articula-
toires des différentes langues. Il s’agissait d’acquérir par là le « cachet »
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
152
particulier à chaque langue, les « nuances » entre des sons qui sont
représentés par la même lettre dans différentes langues sans pour
autant être tout à fait les mêmes. Les dictées phonétiques étaient
recommandées pour tester la bonne perception de la langue étran-
gère (Passy, 1894), mais ne purent pas s’établir dans les écoles.
L’approche physiologique mit l’accent sur les mécanismes articulatoires
de la phonation et sur les organes qui participent à la production des
sons de la langue (Galazzi, 2001). La visualisation de l’appareil phona-
toire se fit au travers de tableaux muraux d’anatomie ainsi que
d’images et de schémas présents dans les manuels scolaires de
l’époque. La chronophotographie permit d’illustrer les étapes dans
l’articulation de certains sons. L’emploi d’appareils phonatoires en
papier mâché était quelquefois pratiqué dans l’enseignement scolaire
allemand (Reinfried, D19 : 187).
Dans l’approche expérimentale, inaugurée par l’Abbé Rousselot, toute
une panoplie d’appareils, simples ou sophistiqués, inventés ou adap-
tés, permettait de réaliser un enregistrement visuel des vibrations
produites par l’émission de la voix en convertissant les sons en tracés.
Les appareils intervenaient surtout pour modéliser l’articulation (à
l’aide du palais artificiel et des guide-langue), mesurer certains para-
mètres acoustiques (kymographe, olives nasales, pneumographe) et
reproduire la parole (les machines parlantes). L’« enseignement de la
prononciation par la vue » met au premier plan la prise de conscience
de la faute à travers la comparaison entre tracé fautif et modèle :
« savoir c’est être corrigé », écrit Rousselot (1901 : 577).
Un élève de Rousselot, Zünd-Burguet, poussa très loin l’exploitation
pédagogique des appareils. Il publia en 1902 un ouvrage qui fait la
synthèse des approches organo-génétique et expérimentale, Méthode
pratique, physiologique et comparée de prononciation française,
accompagné d’un livret d’illustrations. Parfaitement cohérent avec les
acquis de son temps, Zünd-Burguet publia aussi un atlas des organes
de la parole et de la respiration en trois langues (anglais, français, alle-
mand, annoncé dans l’ouvrage de 1902 : VIII), un opuscule qui accom-
pagnait une carte murale des organes de la parole en chromolithographie
(Marburg, Elwert, 1905).
Mais l’utilité de ces connaissances scientifiques pour l’acquisition pra-
tique de la prononciation était controversée. En Allemagne, où le
mouvement réformiste avait pris son départ, la majorité des profes-
seurs s’accordait déjà dans les années 1880 qu’un enseignement scien-
tifique de la phonétique était nécessaire dans le cadre d’une formation
professionnelle tout en mettant en doute son utilité directe dans le
processus de l’apprentissage pratique d’une langue étrangère par les
élèves, surtout dans les petites et moyennes classes. Les stratégies
d’enseignement/apprentissage reposant sur le toucher ou la vue
étaient généralement acceptées, tandis que les instructions officielles
prussiennes de 1892 pour les écoles supérieures conseillaient encore
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
153
aux professeurs « d’éviter toutes les lois phonétiques théoriques » Supports visuels,
pendant l’enseignement en classe (Reinfried, D19 : 188). Mais avec supports auditifs,
l’expansion de la méthode directe en Europe (certes limitée à certains enseignement
enseignants et à certains contextes scolaires) dans le premier tiers du du Français
langue étrangère
XXe siècle, une « conceptualisation du mécanisme de production » des
sons de la langue étrangère, appropriée à la capacité intellectuelle des
élèves, s’ajoute souvent « au principe naturel de l’imprégnation-imita-
tion » (Suso López, D28 : 62).
L es supports techniques, la méthode
audio-orale et la méthode audio-visuelle
L’invention du phonographe (1877) a permis la reproduction de la lan-
gue enregistrée. Pendant la dernière décennie du siècle, on com-
mença à l’utiliser dans quelques salles de classe aux États-Unis (Macht,
1990 : 14). En Amérique comme en Europe, on utilisait des gramo-
phones dans l’enseignement scolaire des langues après le tournant du
siècle, mais il manquait encore une conception didactique correspon-
dante (cf. Schilder, 1977 : 183-240, pour l’Allemagne et l’Autriche).
En France, l’ancêtre du laboratoire de langue surgit à l’Institut de pho-
nétique de Grenoble, dès 1908, grâce au génie de Théodore Rosset
qui se servait de rouleaux de cire tandis que Rousselot cherchait de
nouveaux atouts dans les films parlants mis à sa disposition par la mai-
son Gaumont (en 1911). La même année, un cours de gramophonie fut
inauguré dans la Revue de Phonétique.
En 1928, le Comité du phonographe dans l’enseignement fut installé
auprès du Centre National de la documentation pédagogique par
Rosset, devenu directeur de l’enseignement primaire au ministère de
l’Éducation nationale. Son but était d’initier les futurs enseignants,
élèves des Écoles normales, à la « pédagogie instrumentale » à l’aide
d’un phonographe-coffret spécialement conçu.
Dans les années 20, on commença à diffuser des programmes radiopho-
niques publics dans beaucoup de pays européens. On présenta aussi
des radio-leçons en langues étrangères (cf. Stikić, D32 : 75-83, pour la
Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Yougoslavie). Après la Deuxième
Guerre mondiale, le nombre de ces cours radiophoniques s’accrut. Ils
étaient de plus en plus didactisés et souvent accompagnés d’un livre qui
contenait des textes, des explications de vocabulaire, des informations
grammaticales et des exercices. La méthode mixte et la méthode audio-
orale, puis la méthode audio-visuelle eurent une influence sur la façon
de concevoir les activités des apprenants (cf. Raus, D32 : 130-142, pour
l’Italie ; Hammar, D32 : 103-109, pour la Suède).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
154
La méthode audio-orale, développée à partir des années 40 aux États-
Unis, se basait, comme sa désignation l’indique, sur la priorité de
l’acquisition de la langue parlée et utilisait comme support principal le
magnétophone (dont la qualité sonore venait de connaître une forte
amélioration, cf. Macht, 1990 : 29). Le concept langagier sous-jacent à
cette méthode reposait sur la linguistique structurale européenne et
nord-américaine; les éléments acquisitionnels étaient donc les pho-
nèmes et les morphèmes, non pas comme des unités isolées, mais
regroupés en « patrons collocationnels » (patterns). Le pattern practice
se faisait surtout dans les laboratoires de langues dont l’histoire, essen-
tiellement nord-américaine jusqu’en 1960, a été écrite de façon magis-
trale par Pierre Léon (1962). Un seul « patron », réalisé dans un exercice
par une série d’items, était – en accord avec une théorie d’apprentis-
sage behavioriste et assez mécanique – reformulé entre dix et vingt-
cinq fois de suite par l’apprenant. Celui-ci était tenu de trouver les
« réponses » adéquates à des stimuli préenregistrés sur des bandes
magnétiques en transformant la structure de la phrase d’une manière
définie, la bande livrant la « solution correcte » – un entraînement à
l’expression orale dont les fondements théoriques et l’utilité pratique
furent mis en doute dans les années 70, mais qui avait néanmoins
l’avantage important que les enseignants pouvaient corriger la pro-
nonciation des apprenants individuellement. La méthode phonétique
oralo-aurale fut mise en place à partir des années 40 par Pierre
Delattre3, dont il faut souligner l’attention pour l’acquisition de nou-
velles habitudes prosodiques. Au début, à l’Université d’Oklahoma, il
utilisait encore le phonographe, tandis qu’au Middlebury College, il se
servait de disques et de magnétophones, mais aussi du kymographe
puis du sonagraphe (Delattre, 1943 et 1952 ; Galazzi, 2010).
L’avancée rapide des technologies d’enregistrement jeta vite aux
oubliettes certaines tentatives des pionniers de la phonétique et des
courageux précurseurs de la correction phonétique. Les batteries
d’exercices phonétiques structuraux pour la classe, qui se répandirent
à partir de la fin des années 60, passèrent des disques vinyle aux
bandes magnétiques et finalement aux cassettes audio et aux CD. Les
célèbres matériaux proposés par Pierre et Monique Léon suivirent
toutes ces évolutions.
Une nouvelle étape fut franchie avec la méthode audio-visuelle d’origine
française, aussi bien pour le FLE enseigné en France (où on l’a fréquem-
ment adoptée) que pour le FLE enseigné à l’étranger (où l’on ne s’en est
3. Delattre est le créateur
servi que partiellement, en la combinant souvent avec une méthode
de cette méthode pour
la correction phonétique qui directe plus traditionnelle). Sa réalisation prototypique était la méthode
fut intégrée dans l’ensemble SGAV (structuro-globale audio-visuelle) développée à partir des années
de la méthode audio-orale 50 jusqu’aux années 70 au CREDIF (Saint Cloud/Zagreb). Elle était liée,
des années 50 et 60. « Oral »
comme la méthode audio-orale, à des supports techniques: comme
renvoie à la bouche tandis
qu’« aural » se rapporte celle-ci, elle présentait des dialogues enregistrés au magnétophone,
à l’oreille. accompagnés de la projection d’une série de diapositives qui formaient
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
155
un récit imagé. Néanmoins, sa conception didactique se distinguait Supports visuels,
profondément de la méthode audio-orale. Son concept de structure supports auditifs,
était, comme son appellation l’indique, un concept holistique qui insis- enseignement
tait, quant au signifiant, sur l’importance des facteurs supragmentaux du Français
langue étrangère
(l’intonation, le rythme, l’intensité) et, pour ce qui est du signifié, sur le
contexte (la situation d’énonciation, les relations interpersonnelles, la
mimique et la gestuelle (Guberina, 1984).
Le premier cours de la méthode SGAV était Voix et images de France
(1961). Ses images (comme les images des autres cours audio-visuels)
se distinguaient beaucoup des images prototypiques de la méthode
directe (voir illustrations 1 et 2) : au lieu de présenter des groupes de
personnages dans une scène complexe, elles étaient conçues pour
représenter un enchaînement d’actions; leur composition était surtout
destinée à clarifier le sens de la parole, elles faisaient abstraction de
détails visuels qui n’avaient pas d’importance sémantique ; en accord
avec la conception holistique adoptée, elles illustraient la situation
conversationnelle, mais disposaient quelquefois aussi de zones desti-
nées au transcodage de significations propositionnelles et lexicales
(dans l’illustration 2, par exemple, la bulle dans le panel 4 est censée
représenter l’énoncé de Jeannette : « Je suis une amie de madame
Thibaut. »). Par la suite, on essaya pendant un temps d’introduire dans
les cours audio-visuels un certain nombre de symboles pour rappro-
cher le code iconique, souvent polysémique, du langage humain qui
bénéficie d’une précision sémantique relative4 (cf. Mauger et Bruézière,
1971). Mais cela ne contribua pas à améliorer la transparence des
images. Malgré une conception visuelle peaufinée dans beaucoup de
cours audio-visuels, la fonction sémantique des images avait atteint
ses limites.
Illustration 2 : P. Guberina et P. Rivenc, Voix et images de France. Livre de l’élève.
Leçon 4 : L’appartement. Dessins de Pierre Neveu, Paris, Didier, 1961, p. 19.
P. Rivenc et al., Livre du maître. Paris, Didier, 1971, p. 60.
4. Pour une analyse
sémiologique plus précise
de la problématique,
cf. Besse (1974), Coste (1975)
et Reinfried (1990).
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
156
Des réflexions phonétiques novatrices pour l’époque étaient à la base
de la méthode audio-visuelle et l’ont toujours accompagnée (Renard,
2002) : le système verbo-tonal de correction phonétique conçu par
Guberina et la problématique SGAV étaient indissociables. Parmi les
supports techniques d’une méthodologie encore d’actualité, nous ne
citerons que le SUVAG lingua (Système Universel Verbo-Auditif Gube-
rina). Emprunté au domaine de la pathologie, d’abord utilisé surtout
pour la correction de la prononciation chez les déficients auditifs, cet
appareil modificateur permettait de présenter un modèle sonore
modulé et adapté au besoin des apprenants grâce à un système de
filtres qui renforcaient ou supprimaient les composantes acoustiques
de la parole (Billières, 2005 : 69-71 ; Galazzi, 2005).
E n guise de conclusion
Les premiers supports visuels au service de l’enseignement des lan-
gues étrangères parurent déjà aux XVIIe et XVIIIe siècles. À partir de 1774,
ils furent intégrés dans une méthode « naturelle », et au cours de la
deuxième moitié du XIXe siècle, leur utilisation fut propagée, répandue
et développée par les partisans du mouvement réformiste en Alle-
magne. Ces images permettaient la sémantisation de textes et de
dialogues, elles présentaient des contenus qui incitaient les élèves à la
description verbale (orale ou écrite), elles amélioraient la mémorisation
lexicale, elles servirent (uniquement à partir du XXe siècle) dans l’ensei-
gnement du FLE à la concrétisation du savoir en géographie et civilisa-
tion françaises et francophones. Dès les années 50, les auteurs et
dessinateurs des cours audio-visuels s’attelèrent (dans le contexte d’un
enseignement strictement monolingue) à améliorer la fonction séman-
tique des supports visuels, sans aboutir à des résultats vraiment satis-
faisants. Même si quelquefois certains développements (comme par
exemple la construction d’ « images codées » à des fins d’enseigne-
ment/apprentissage du FLE) durent être abandonnés, les impulsions
de la méthode naturelle et directe ont finalement mené à la grande
diversification dont disposent les supports visuels aujourd’hui et ont
progressivement aiguisé la conscience que ceux-ci doivent être appro-
priés à la spécification des compétences langagières et aux processus
d’enseignement/apprentissage.
Comme la majorité des fonctions remplies par les supports visuels, les
techniques de l’enseignement/apprentissage de la prononciation sont
liées à la pratique orale du FLE. Elles furent très améliorées et systéma-
tisées dans le dernier quart du XIXe siècle par l’éclosion de la phoné-
tique. La conceptualisation du mécanisme de production des sons de
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157
la langue étrangère, propagé depuis le mouvement de la réforme, Supports visuels,
s’ajouta à la méthode bien établie d’apprentissage par imitation. Cer- supports auditifs,
taines stratégies d’une phonétique appliquée et simplifiée pour un enseignement
usage à l’école n’ont pas encore perdu leur actualité, même si les exer- du Français
langue étrangère
cices de la méthode audio-orale, développées surtout au milieu du
XXe siècle, sont devenus désuets, étant trop mécanistes, répétitifs et en
dehors d’un cadre communicatif. L’utilisation occasionnelle de sup-
ports acoustiques, du phonographe jusqu’aux programmes radiopho-
niques, d’abord pratiquée au début du XXe siècle, permit de faire
entendre aux élèves la langue parlée dans toutes ses variétés, et a
finalement mené (par le moyen de procédés techniques plus avancés)
dans les dernières décennies à des présentations orales régulières de
textes et de dialogues qui peuvent être complétés par des reportages
auditifs ou des chansons et combinés à des tâches diverses.
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LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
V aria
HOSSEIN NASSAJIC
DAPHNÉE SIMARD
Ce texte, résultant des accords passés entre Le Français dans
le Monde. Recherches et applications et The Canadian
Modern Language Review / La Revue canadienne des langues
vivantes a été publié dans le numéro 66.6 de cette revue
(Décembre 2011).
170
I nteraction centrée
sur la forme
et acquisition
d’une langue seconde :
de nouvelles avancées
HOSSEIN NASSAJIC
DAPHNÉE SIMARD
Ce numéro spécial de La Revue canadienne des langues vivantes est
consacré à l’exploration de certaines questions cruciales au sujet de
l’interaction centrée sur la forme par rapport au développement de la
langue seconde. Au sens où nous l’entendons ici, l’interaction centrée
sur la forme se définit comme une tentative, quelle qu’elle soit, d’attirer
l’attention de l’apprenant sur la forme de la langue cible dans le
contexte d’une interaction centrée sur le sens, au moyen de différentes
interventions interactionnelles et de la centration sur la forme. Notre
objectif consiste à mieux comprendre ce domaine bourdonnant de la
recherche sur l’acquisition d’une langue seconde (AL2) en examinant le
fonctionnement de telles interactions et leurs conséquences sur
l’acquisition.
Bien que le concept de conscientisation et sa fonction fassent l’objet
de vives controverses entre les spécialistes, on s’entend généralement
pour reconnaître qu’un certain degré d’attention à la forme est néces-
saire à l’acquisition d’une langue (Schmidt, 1990, 1993, 2001 ; Tomlin et
Villa, 1994). Or, pour que les apprenants prennent conscience des
caractéristiques grammaticales de la langue étudiée, ces caractéris-
tiques doivent être soulignées (Overstreet, 2007). Des auteurs comme
Sharwood Smith (1991, 1993), VanPatten (1990, 1994, 1996), Schmidt
(1993, 2001), ainsi que Simard et Wong (2001) affirment que la mise en
évidence dans l’input de traits caractéristiques d’une langue augmente
la probabilité que l’apprenant remarque ces traits et, par conséquent,
qu’il les intègre (intake) pour ensuite être en mesure de les utiliser. Ce
point de vue est soutenu par des études empiriques qui montrent
qu’une attention accrue accordéeà la forme se traduit par un meilleur
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
171
apprentissage (par exemple, Jourdenais, Ota, Stauffer, Boyson et Interaction centrée
Doughty, 1995 ; Leow, 1997 Robinson, 1996 ; Rosa et O’Neill, 1999 ; sur la forme
Schmidt et Frota, 1986 ; Simard, 2009). et acquisition
À cet égard, nombre de chercheurs du domaine de l’AL2 ont suggéré d’une langue seconde :
de nouvelles avancées
qu’un certain degré de centration sur la forme dans un enseignement
autrement axé sur le sens améliore les performances en L2 et l’exacti-
tude des énoncés produits par les apprenants (Doughty, 2001 ;
Doughty et Varela, 1998 ; Doughty et Williams, 1998 ; Ellis, Basturkmen
et Loewen, 2001 ; Lightbown, 1998 ; Long et Robinson, 1998 ; Nassaji,
1999 ; Nassaji et Fotos, 2004, 2007). La notion de « centration sur la
forme » (en anglais, focus on form, ou FoF [NDT]) a été introduite par
Long (1991) pour décrire un type d’enseignement qui attire brièvement
l’attention de l’apprenant sur les formes linguistiques au cours d’activi-
tés de communication. Elle suppose que les apprenants acquièrent
mieux une L2 quand leur attention est dirigée vers la forme pendant
qu’ils sont concentrés sur le traitement du sens. De plus, puisque
l’information sur la forme est transmise aux apprenants au moment où
ils en ont besoin pour résoudre une difficulté d’expression ou de
communication, ils sont plus susceptibles de remarquer l’intervention
et d’en tirer profit (Williams, 2005).
Cependant, les moyens de faire prendre conscience de la forme les
mieux adaptés au contexte de l’enseignement, de même que le carac-
tère explicite ou implicite que ces moyens devraient présenter ne font
pas l’unanimité dans le domaine de l’AL2. Ces dernières années, un
nombre croissant d’études ont entrepris d’explorer les différentes
façons d’intégrer la forme et le sens au contexte de la salle de classe
et leurs effets possibles sur l’acquisition d’une L2. En particulier, de
nombreuses études formant une masse critique considérable ont cher-
ché à savoir si une interaction communicationnelle contenant des élé-
ments de rétroaction interactionnelle favorisait l’acquisition linguistique
(voir par exemple, Ellis et coll., 2001 ; Ellis, Loewen et Erlam, 2006 ;
Loewen, 2004 ; Lyster et Ranta, 1997 ; Mackey, 1999 ; Mackey, Oliver et
Leeman, 2003 ; Mackey et Philp, 1998 ; Nassaji, 2007, 2009 ; Oliver,
2000 ; Oliver et Mackey, 2003 ; Panova et Lyster, 2002 ; Philp, 2003).
Les résultats de ces travaux suggèrent qu’une telle rétroaction peut
en effet contribuer à l’acquisition d’une langue à condition d’être
suffisamment évidente, c’est-à-dire perc¸ue et intégrée correctement
par l’apprenant.
Malgré les nombreuses études sur la rétroaction interactionnelle et la
centration sur la forme, la question demeure de savoir par quels méca-
nismes exactement la rétroaction agit sur l’apprentissage. Le lien entre
la rétroaction interactionnelle et l’acquisition d’une L2, en particulier,
demande encore à être prouvé. Cette situation s’explique par le fait
que la plupart des travaux publiés dans ce domaine sont descriptifs et
qu’ils s’attachent avant tout à détecter ce type de rétroaction dans
l’interaction conversationnelle. Moins d’études encore ont pris pour
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
172
objet la question des conséquences de la rétroaction sur l’acquisition
d’une L2 (Mackey et Gass, 2006). L’objectif du présent numéro spécial
consiste donc à enrichir la masse des travaux actuels en repérant et en
publiant des recherches qui dépassent la simple description du phéno-
mène pour examiner de manière plus directe son apport à l’apprentis-
sage d’une L2.
Nos collaborateurs présentent des recherches originales, menées en
classe ou en laboratoire et portant sur diverses caractéristiques de lan-
gues comme l’anglais, le français et le russe quand elles se trouvent en
position de langues secondes. Les trois premiers articles étudient les
répercussions, sur le développement d’une langue seconde, d’inter-
ventions centrées sur la forme. Les deux suivants comparent les effets
sur l’usage linguistique de deux types d’intervention interactionnelle :
implicite ou explicite dans un cas, préventive ou réactive dans l’autre. Le
dernier article s’intéresse à la fac¸on dont la rétroaction corrective écrite
d’un enseignant est filtrée par ses croyances et son expérience.
Dans son article, Dilans explore l’effet d’une intervention en quatre
étapes sur l’enrichissement du vocabulaire chez des adultes apprenant
l’anglais langue seconde (ALS) aux États-Unis. Trois groupes d’appre-
nants y ont pris part : un groupe « à reformulation », un groupe « à
indice » et un groupe témoin. L’étude montre les effets des différents
types de rétroaction corrective sur l’acquisition de vocabulaire en L2.
L’enquête de McDonough et Chaikitmongkol porte sur les activités
d’amorçage syntaxique réalisées avec les pairs en classe de langue :
elle cherche à savoir si elles facilitent, dans ce contexte, la production
des questions en wh- chez les apprenants d’ALS. Les résultats indi-
quent que les activités d’amorçage syntaxique ont un effet favorable
sur la production subséquente par les apprenants de questions sur le
contenu comportant des verbes auxiliaires. Romanova examine l’effet
des reformulations sur l’observation et l’intégration d’un trait morpho-
syntaxique en fonction de la disponibilité ou de l’absence de disponi-
bilité, pour l’apprenant, d’une période de planification. Son étude vient
renforcer l’importance de la planification de tâche pour l’efficacité des
reformulations, dans un contexte de facilitation du développement
d’une L2. Erlam et Loewen étudient quant à eux l’efficacité de la
rétroaction corrective portant sur les erreurs d’accord entre le nom et
l’adjectif par rapport au développement d’une connaissance implicite
et explicite de ces formes chez des étudiants états-uniens qui appren-
nent le français à l’université. Leur étude ne montre pas de résultats
significatifs selon le type d’intervention ; elle suggère cependant un
effet global sur l’interaction. Les chercheurs recommandent des tra-
vaux plus poussés dans ce domaine, axés notamment sur les types de
structures linguistiques examinées. Nassaji explore les effets, sur
l’apprentissage des traits linguistiques cibléspar la rétroaction en
classe d’ALS, des interventions préventives et réactives centrées sur
la forme. À partir d’une vaste banque de données sur les interactions
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2012
173
en classe et de post-tests individuels, il montre que différentes sortes Interaction centrée
d’interventions centrées sur la forme produisent des effets différents sur la forme
sur l’apprentissage des formes ciblées. Son étude montre également et acquisition
que l’efficacité de telles interventions est influencée par le degré de d’une langue seconde :
de nouvelles avancées
maîtrise de la langue de l’apprenant. Enfin, l’étude de Guénette porte
sur la nature des liens entre les erreurs à l’écrit de l’apprenant, l’expé-
rience de l’enseignant d’ALS ainsi que les croyances et pratiques de ce
dernier en matière de rétroaction corrective. Son article postule l
’existence d’un système de croyances duel, affectif, d’une part, et
empirique-impératif, d’autre part, pouvant expliquer les pratiques de
rétroaction corrective des enseignants à l’écrit.
Ces six articles constituent un apport considérable à notre compréhen-
sion du rôle de la rétroaction et des interventions centrées sur la forme
dans l’acquisition d’une L2. Ils confirment que la rétroaction interac-
tionnelle et les interventions centrées sur la forme peuvent influencer
favorablement l’apprentissage d’une L2, mais que leurs effets sont
modulés par certains facteurs, comme la nature de la rétroaction, le
type de traits linguistiques étudiés, la durée de la planification et l’am-
pleur des interventions centrées sur la forme, ainsi que les croyances
et l’expérience des enseignants.
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N° d’éditeur : 10186128 – CGI – Juillet 2012
Imprimé en France par La Nouvelle Imprimerie Laballery
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