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L'immortalité de L'ame Et de L'intellect D'après Aristote

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L'IMMORTALITÉ DE L'AME ET DE L'INTELLECT D'APRÈS ARISTOTE

Author(s): A. Mansion
Source: Revue philosophique de Louvain , 1953, Vol. 51 (1953), pp. 444-472
Published by: Peeters Publishers

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/26332708

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ÉTUDES CRITIQUES

L'IMMORTALITÉ DE L'AME
ET DE L'INTELLECT D'APRÈS ARISTOTE

Les vues professées par Aristote à la fin de sa carrière au sujet


de l'immortalité ne prêtent plus guère à discussion de nos jours.
On sait que dans ses traités il n'est jamais question, de façon expli
cite, d'une survie de l'âme humaine ; d'autre part, le sens précis
de ses assertions répétées et, en somme fort nettes, touchant l'éter
nité de l'intellect a suscité des controverses séculaires. Dans un
ouvrage récent (1) M. Soleri a repris la question de plus haut : il a
tâché de nous donner une histoire objective des positions succes
sives adoptées par le Stagirite au sujet de la nature et de l'immor
talité de l'âme, mais sans négliger le problème du passage d'une
opinion à celle qui l'a supplantée par la suite.
L'exposé débute par un chapitre d'introduction destiné à situer
la pensée d'Aristote sur les graves problèmes en question dans l'am
biance spirituelle de l'époque, telle que l'avaient formée les cou
rants religieux des siècles précédents et la critique philosophique
récente. En ceci l'auteur ne prétend pas faire oeuvre originale, sauf
quand il s'agit de son interprétation personnelle des textes d'Aris
tote qu'il met en oeuvre ; pour le reste il s'en remet aux travaux
historiques sérieux qui nous ont retracé l'évolution générale de la
pensée philosophique du Stagirite, ou dans un autre domaine à
ceux qui peuvent nous documenter sur les croyances plus ou moins
précises des Grecs concernant une existence dans l'au-delà.
Sur ce dernier point l'auteur semble perdre de vue que plus
d'un historien a donné un tableau moins optimiste que lui de ces

Ο Giacomo SoLERl, L'immortalità dell'anima in Aristotele (Studi Superiori).


Turin-Milan-Gênes-Parme-Rome-Catane, Società editrice internazionale, ». d.
[1952], Un vol. in-8 de 180 pp.

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 445

croyances populaires ; il affirme, en effet (p. 21), que jamais elles


ne comportèrent un doute au sujet de la continuation de la vie
après la mort. A en croire un Th. Gomperz (2) ou un J. Burnet <3),
c'était plutôt l'opinion contraire qui régnait généralement à Athènes
à la fin du Ve siècle et, dans la mesure où l'on s'en tenait encore
à la tradition antique assignant l'Hadès comme séjour aux âmes
des défunts, c'était pour les y laisser dans une inconscience com
plète ; si l'on se représentait les choses d'une manière plus philo
sophique en imaginant ces âmes faisant retour à l'éther céleste,
on ne leur prêtait malgré tout qu'une vie impersonnelle. — Ces
vues sont sans doute discutables, mais au moins convenait-il de les
mentionner et même de les discuter sommairement, si l'on ne
pouvait s'y rallier.
Dans son deuxième chapitre M. S. retrace brièvement les étapes
principales de l'évolution philosophique d'Aristote d'après les tra
vaux publiés au cours des trente dernières années par W. Jaeger,
E. Bignone, F. Nuyens. Il est assez déroutant de constater que,
dans cette esquisse générale, il s'en réfère à la fois à ces trois
auteurs sans marquer toujours le profond désaccord qui les sépare
quand il s'agit de préciser les positions doctrinales du Stagirite et
sa tendance philosophique en chacune des trois périodes qu'ils dis
tinguent dans sa carrière. On sait, en effet, que ce désaccord se
manifeste surtout au sujet des doctrines relatives à l'âme et à l'in
tellect. M. Soleri est d'ailleurs fort bien au courant de ce fait et
dès qu'il en vient à examiner les vues d'Aristote sur l'immortalité
propres aux diverses périodes susdites, il développe fort nettement
sont point de vue personnel au regard des positions divergentes des
trois auteurs en question. 11 eût été préférable que dans le présent
chapitre il n'eût pas sacrifié à un concordisme apparent et eût
averti explicitement son lecteur en quels points de son esquisse il
adoptait les opinions d'un de ces trois critiques en se séparant des
autres ; les renvois contenus dans les notes ne peuvent révéler cela
que de façon fort imparfaite.
La période platonisante d'Aristote est représentée par YEudème,
le Protreptique et le dialogue Sur la philosophie, ce dernier étant

(2) TK. GOMPERZ, Les penseurs de la Grèce, vol. II, trad. franç. (1905),
pp. 85-86.
<*> John BURNET, Ρ lato's Phaedo edited with Introduction and Notes (Oxford,
1911), Introd. pp. XLVIII-L.

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446 Augustin Mansion

reporté, contrairement à l'avis de Nuyens, jusqu'à la fin de cette


période ou au début de la suivante, sans toutefois devoir être incor
poré entièrement à celle-ci, comme l'avait voulu Jaeger.
Sur YEudème l'auteur ne nous apprend rien de nouveau ; il
rapporte les affirmations très fortes qu'on pouvait y lire en faveur
de l'immortalité de l'âme, encadrées dans une doctrine où le dua
lisme attribué à Platon semble largement dépassé. On aurait aimé,
à ce propos, voir au moins soulevée la question de savoir jusqu'à
quel point ces affirmations correspondaient aux convictions d'Aris
tote et dans quel but précis il les mettait dans la bouche d'un des
personnages du dialogue. Question insoluble, sans doute, en face
de l'état fragmentaire des maigres restes de l'ouvrage, mais qui
devait être posée. 11 ne sert de rien, en effet, d'esquiver le pro
blème, car en mettant sans aucune réserve au compte du jeune
Aristote, encore disciple enthousiaste de Platon, des vues aussi ex
cessives, on soulève un autre problème tout aussi difficile, problème
à la fois psychologique et historique, qui reste sans réponse.
Simplicius w rapporte que dans YEudème Aristote identifiait
l'âme à un certain eidos. M. S. explique (p. 55) que ce faisant
l'auteur du dialogue précisait la nature de l'âme comme idée,
« entità ideale e sostanziale ». Et il ajoute que l'âme ayant ainsi
une substantialité propre et, par voie de conséquence, une existence
qui est sienne, appartient à un autre monde : la préexistence de
l'âme et son immortalité professées par Platon sont reprises entière
ment par son disciple.
Comment faut-il entendre cela ? Veut-on affirmer que pour le
jeune Aristote Yeidos qu'est l'âme est une Idée platonicienne ?
Dans ce cas il aurait été, cette fois encore, beaucoup plus loin que
son maître qui n'a jamais fait de l'âme une Idée, mais un être
intermédiaire, apparenté sans doute au monde intelligible et, à ce
titre, supérieur aux choses corporelles et participant à l'éternité des
Idées, sans toutefois être mis sur le même pied qu'elles. Rien ne
nous permet de dire qu'Aristote ait attribué à l'âme une dignité
plus haute et l'absence de tout contexte à l'assertion conservée par
Simplicius nous laisse dans l'incertitude sur la portée réelle du mot
eidos dans le passage.
Il ne semble pas d'ailleurs que S. veuille en presser la signi

ι4' In Arist. De anima, p. 221, 28-30. Hayduck. — Aristote Fr. 8 Walzer;


fr. 46 Rose2.

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 447

fication dans le sens d'une identification de l'âme à une Idée plato


nicienne proprement dite. Mais dans ce cas l'interprétation qu'il
donne de cet eidos avec les conséquences qu'il en tire, revient à
une exégèse en somme arbitraire et sans fondement suffisant dans
les textes. En enchaînant d'ailleurs à ces explications discutables
un rappel d'un autre fragment du même dialogue <5), il nous ramène
sans plus à la représentation purement platonicienne de la préexis
tence et de l'immortalité de l'âme, comportant en cette vie-ci la
réminiscence, imparfaite du reste, d'une vie antérieure en com
munion avec le monde intelligible.
11 n'y a rien de bien particulier à relever à propos de l'étude
du Protreptique dont les fragments ne fournissent d'ailleurs que
de très maigres indications relatives à l'immortalité de l'âme. 11 en
est tout autrement pour le dialogue Sur la philosophie. E. Bignone (6)
a mis en lumière l'importance de certains extraits, conservés surtout
par Cicéron, et où l'âme est caractérisée comme endelecheia, ce
qu'on explique comme marquant le pouvoir qu'elle possède de se
mouvoir elle-même de façon continue. De plus, l'âme s'y trouve
rattachée très intimement, voire identifiée quant à sa composition,
à l'élément astral, appelé tantôt éther, tantôt cinquième nature
(quintessence), et tantôt désigné comme ne portant aucun nom.
S. adopte et reprend en cette matière le point de vue de Bignone
et s'oppose ainsi à F. Nuyens <7) qui n'a pas cru devoir tenir compte
des fragments en question, ce qui simplifie sans aucun doute la
ligne d'évolution qu'il attribue à Aristote dans le domaine psycho
logique.
Mais, dans la joie de sa découverte, Bignone n'a pas aperçu
dès l'abord qu'elle engendrait de graves problèmes, en particulier
celui de la conciliation des vues ultraspiritualistes du jeune Aristote

Fr. 41 Rose2, fr. 5 Walzer, extrait de Proclus, in Plat, remp., II, p. 349,
13 sqq.
Surtout dans son grand ouvrage L'Aristotele perduto e la formazione filo
sofica di Epicuro (Florence, s. d. [1936]). Voir en particulier, dans le premier
volume, l'Appendice au chap. III, pp. 227-272.
S. désigne (p. 63; de même p. 131) M. Nuyens par l'expression: « lo
storico belga » ; c'est une erreur: M. Nuyens est hollandais. — Son ouvrage
Onfttfi^e/ingsmomenten in de zielkunde van Aristoteles (Nimègue-Utrecht, 1939)
a été présenté comme thèse à l'Université communale d'Amsterdam; nous ren
voyons à l'édition française, L'évolution de la psychologie d'Aristote (Louvain,
La Haye, Paris, 1948), publiée dans la collection Aristote. Traduction et Etudes
(Inst. sup. de philosophie de Louvain).

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448 Augustin Mansion

avec une théorie qui identifie l'âme avec un élément matériel. La


difficulté n'a pas échappé toutefois à d'autres que lui. En parti
culier S. Marioni (8), reprenant l'examen des matériaux réunis par
Bignone et y ajoutant encore des témoignages nouveaux, s'est
efforcé de lever la difficulté en distinguant d'une part les passages
où il est question de la quinta natura, identique au quintum genus
vacans nomine, et où il s'agit uniquement de la nature propre des
âmes et des dieux ; et en y opposant, d'autre part, les textes men
tionnant l'éther comme cinquième élément corporel, matière des
astres, qui dépendent dans leur mouvement éternel de la présence
en eux de moteurs doués d'intelligence et de sensibilité. La pre
mière série de passages représenterait la pensée d'Aristote à un
stade plus ancien ; la nature de l'âme, caractérisée par la quintes
sence, y apparaît alors comme purement spirituelle. La seconde
série de textes doit être attribuée par voie de conséquence à une
période plus tardive ; la doctrine s'y achemine déjà vers celle qui
sera développée finalement dans les traités scolaires ; elle n'implique
d'ailleurs d'aucune façon la conception d'une âme proprement ma
térielle. — E. Bignone semble s'être rallié en substance à cette
explication, au moins en ce qui concerne le caractère spirituel de
la quintessence (9).
Cette explication ne laisse pas toutefois de soulever elle-même
des difficultés fort sérieuses. Elle a amené tout d'abord S. Mariotti
à attribuer les deux séries de passages à des écrits différents : la
première série appartiendrait plutôt à YEudème, la seconde, au
De philosophia, qui marque un tournant de la pensée d'Aristote
d'après Jaeger. — La chose est, après tout, possible, mais du coup
se poserait sous une forme nouvelle le problème de la nature attri
buée à l'âme par Aristote dans le De philosophia et des rapports
de cette âme avec l'éther céleste.
De plus, l'explication proposée ne cadre pas sans heurts avec
les témoignages des anciens. S. Mariotti reconnaît en fait que Ci
céron ne reproduit pas toujours à l'état pur les extraits d'oeuvres
d'Aristote qu'il nous a conservés. Une analyse soigneuse des §§ 67-70

<"> Scevola MaRIOTTI, La « Quinta Essentia s nell'A ristotele perduto e nell'


Accademia, dans Rio. di filologia e d'istruzione classica, N. S. anno 18, 1940,
pp. 179-189.
<®> Voir E. BlGNONE, La dottrina epicurea del « Clinamen ». Sua jormazione
e sua cronologia etc. (dans Atene e Roma, ser. 3, année 8, 1940, n° 3, pp. 159-198),
pp. 168-171.

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 449

du premier livre des Tusculanes aboutit à la conclusion suivante.


Ces paragraphes se rattachent au n° 65 dont les dernières lignes
ont été retenues par Walzer comme appartenant au De philosophia
(fr. 27, dernier témoignage). Mariotti y a ajouté le n° 66, extrait
par Cicéron de sa Consolatio, où les mêmes vues d'Aristote sur la
nature divine et l'éternité propres à l'âme sont mises davantage en
relief. Le développement qui suit est inspiré certainement, lui aussi,
d'Aristote, bien que l'auteur ne s'y attache pas à l'ordre suivi dans
son modèle, mais semble plutôt y avoir contaminé l'une par l'autre
deux parties distinctes du même écrit du Stagirite, ou même de
deux de ses écrits. De façon semblable, on pourrait voir dans le
§ 65 une réminiscence d'une troisième œuvre aristotélicienne, le
Protreptique (voir le fr. 10c Walzer) <10).
Du moment que notre principal témoin en ces matières, Cicéron,
exploite ses sources avec une telle liberté, quelle garantie avons
nous de la fidélité qu'il met à les reproduire ? On a toujours lieu
de craindre qu'il n'ait lu et compris tel passage d'un écrit déter
miné en le colorant par la doctrine exposée dans un autre, doctrine
qui peut avoir subi dans l'intervalle une évolution ou qui peut
être exposée d'un tout autre point de vue dans ce second écrit.
C'est là une possibilité dont il faut tenir compte quand dans l'inter
prétation d'un passage difficile à concilier avec l'explication géné
rale proposée par S. Mariotti, savoir Acad., I, 7, 26 (fr. 27, du
De philos., premier texte, Walzer), il y est question d'un quintum
genus a quo essent astra mentesque, opposé aux quatre éléments
matériels terrestres. M. Mariotti voudrait voir dans l'expression
astra mentesque une sorte d'hendiadys dont l'auteur aurait usé pour
désigner conjointement les âmes des hommes et celles des astres <11).
L'explication est pour le moins un peu forcée et l'on avouera
sans peine que l'interprétation naturelle du texte es celle qui le
met en contradiction avec les vues de M. Mariotti sur la distinction
à introduire entre la quintessence spirituelle et l'éther matériel :
si l'on veut éviter toute violence faite à ce texte, on comprendra
donc plutôt qu'au dire de Cicéron Aristote faisait dériver d'un
même principe, supérieur d'ailleurs aux quatre éléments classiques,
aussi bien les astres (qui sont des corps) que les âmes (dont la
nature matérielle ou spirituelle ne nous est pas aussi évidente).

<10> S. Mariotti, art. cité, pp. 184-185.


<"> Ibid., p. 182, n. 2,

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450 Augustin Mansion

Si l'on se rallie à cette interprétation du texte, on peut attribuer


à Cicéron lui-même le fait d'avoir contaminé l'une par l'autre des
doctrines empruntées à des exposés distincts d'Aristote et d'avoir
ainsi faussé sa pensée. Ou encore, on peut supposer que Cicéron
s'est fait simplement l'écho d'une tradition antérieure où la conta
mination s'était produite déjà. En tous cas, quelle qu'en soit l'ori
gine et l'ancienneté, cette tradition a existé ; elle est attestée à
une date plus tardive par Sextus Empiricus, A dû. phys., 1, 87,
passage repris par Walzer {p. 88) dans le fr. 22 du De philosophia,
sans doute à bon droit, bien qu'Aristote n'y soit pas nommé par
Sextus et que dans tout le contexte il ne soit question que des
Stoïciens.
Les constatations qui précèdent ne permettent pas de rejeter
sans plus l'interprétation générale des fragments litigieux proposée
par S. Mariotti : cette interprétation demeure possible, mais les diffi
cultés qu'elle soulève, jointes à la valeur relative des arguments
apportés par Mariotti en faveur de sa thèse, montrent que celle-ci
ne s'impose pas à l'encontre de l'interprétation plus obvie à certains
égards qui identifie la quintessence dont est faite l'âme à l'éther,
élément astral.
Dans l'ensemble on se trouve donc en face d'une situation in
décise, la discussion n'ayant pas abouti à un résultat définitif ; elle
a mis seulement en lumière la nécessité d'une enquête préalable,
plus large. Car, quand on pose la question du sens précis des soi
disant fragments attribués au De philosophia et, davantage encore,
quand on soulève celle de la fidélité avec laquelle ces citations
indirectes reproduisent la pensée d'Aristote, on se rend compte que
ces questions ne peuvent se résoudre qu'à la suite d'une étude
approfondie de la généalogie des fragments considérés : il faudrait
pouvoir déterminer par quelles voies, par le truchement de quels
auteurs ils sont venus au jour dans tel écrit de Cicéron ou d'un
autre écrivain de l'antiquité. A la suite d'un tel travail il serait
possible de voir ou du moins de conjecturer quelles influences ont
pu déformer en tel ou tel sens la doctrine exposée dans les pas
sages visés. 11 y a des cas où le sens de cette déformation et son
origine sont tout à fait clairs : ce sont les textes où les cinq élé
ments sont réduits à quatre et le rôle du cinquième, l'éther, attribué
au feu : simplification d'origine stoïcienne à n'en pas douter. On
comparera entre eux à ce point de vue les passages tirés de divers
auteurs et groupés par Walzer sous le n° 22 des fragments du De

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 451

philosophia. On y constatera, entre autres, que dans les deux pre


mières citations de Philon, celui-ci mentionne les cinq éléments,
mais qu'il oublie le feu dans la troisième, bien qu'elle contienne
exactement le même raisonnement que les deux autres (12).
Il y a donc là une étude à faire, qui a été amorcée seulement
par divers critiques de façon fragmentaire. On ne la trouvera pas
dans le livre de M. Soleri et personne ne songera à lui en faire
un reproche. Mais on s'étonnera à bon droit qu'il ait adopté l'atti
tude initiale de Bignone, sans même faire une allusion aux pro
blèmes qui ont été posés depuis lors, ni aux discussions qu'ils ont
provoquées, — et cela, bien qu'il cite dans sa bibliographie les
principales publications où ces discussions se sont fait jour.
On doit constater, en effet, qu'il affirme avec sérénité (p. 67)
que pour l'auteur du De philosophia le cinquième élément —
entendu comme l'éther — constitue la nature de l'intelligence, c'est
à-dire, du spirituel. Ce cinquième élément, distinct des quatre élé
ments traditionnels, sert à définir la nature de l'âme et en même
temps à caractériser le monde de l'esprit ; c'est bien celui dont
Cicéron dit : a quo essent astra mentesque (Acad. I, 7, cité, comme
premier texte du fr. 27, par Walzer, p. 93). D'autre part, pour
prouver l'immortalité, ou mieux l'éternité de l'âme, Aristote reprend,
nous dit-on, l'argument de Platon, s'appuyant sur la propriété qu'a
l'âme de se mouvoir continuellement elle-même, mais chez Aristote
cette propriété de se mouvoir ainsi, l'âme la doit à la quintessence
dont elle est faite (p. 68, d'après Bignone).
On le voit, on se meut en pleine équivoque : on affirme expres
sément qu'il s'agit d'une âme spirituelle, caractérisée comme telle,
mais ses propriétés caractéristiques lui viennent de ce qu'elle est
identifiée à une matière en somme corporelle. Ce n'était pas, si
l'on veut, la tâche de M. Soleri de discuter ou de résoudre le pro
blème résultant de cette antinomie. Mais il eût dû au moins le
signaler, au lieu de poser des conclusions fermes qui ne seraient
justifiées que si ce problème n'existait pas ou si la question avait
été déjà tirée au clair.

* * #

<"> Voir les remarques de W. JAEGER, sur ces différents textes,


teles, p. 148 avec les notes 1, 2, 3. — Voir aussi les critiques dirig
opinions d'E. Bignone, J. Moreau et d'autres par H. Cherniss dans
Criticism oj Plato and the Academy, I (Baltimore, 1944), Append. X,

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452 Augustin Mansion

Le chapitre IV de l'ouvrage que nous analysons est consacré


à l'immortalité de l'âme d'après Aristote au cours de la période
de transition (allant de la mort de Platon à la fondation du Lycée).
L'auteur s'en rapporte aux données fournies par F. Nuyens pour
les conceptions psychologiques d'ordre général professées par le
Stagirite à cette époque : supériorité de l'âme sur le corps, union
naturelle de l'une et de l'autre, le corps étant subordonné à l'âme.
S. en conclut au caractère substantiel de celle-ci, à bon droit sans
doute. Il note aussi (p. 79). après Nuyens, que d'après le De iuven
tute et senectute l'essence de l'âme n'est pas d'être corps, mais
qu'elle-même doit résider dans une partie du corps (le cœur) ; il
ne relève toutefois pas le fait qu'une telle assertion est en contra
diction avec les fragments conservés par Cicéron où l'âme est dite
provenir de l'éther céleste.
Quant au problème de l'immortalité, M. Soleri, en l'absence
de textes explicites, croit que rien ne nous autorise à penser qu'Aris
tote aurait rejeté ou atténué ses affirmations expresses de la pre
mière période. Le caractère substantiel attribué à l'âme doit, au
contraire, nous faire conclure à son immortalité (p. 82).
Ces vues ne soulèveront de difficultés que pour ceux qui, avec
E. Bignone dans ses positions initiales ou avec M. Soleri lui-même,
pensent que, à la fin de la période précédente, Aristote en était
venu à considérer comme faite d'éther l'âme, douée d'ailleurs d'in
telligence et de toutes les fonctions supérieures. Dans cette hypo
thèse on devra dire que les conceptions de cette période de tran
sition marquent un progrès très réel au regard des vues professées
antérieurement par le Stagirite. Il y aurait eu chez lui un retour
très net vers un spiritualisme moins équivoque. L'âme n'est pas
seulement conçue comme un être subsistant en soi, c'est un être
franchement immatériel ou incorporel.
Ces remarques s'imposaient du moment qu'on avait accepté
sans discussion les dires de Cicéron et d'autres sur la doctrine du
De philosophia.
Du reste, qu'il y ait eu un revirement ou non dans les opinions
d'Aristote au sujet de l'essence propre de l'âme, l'affirmation ex
presse du De iuüentute sur son incorporéité permettait une déduction
plus rigoureuse de son immortalité. M. Soleri s'appuie uniquement
sur le caractère de substantialité attribué à l'âme : c'est insuffisant.
Il fallait y ajouter qu'elle était en même temps immatérielle ou
spirituelle, tout comme il eût fallu expliquer, en reprenant l'exposé

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 453

de Cicéron, à quel titre la matière céleste dont était faite l ame,


pouvait lui assurer l'éternité propre aux astres.
* * *

L'étude que dans son livre M. Soleri consacre à


d'Aristote sur l'immortalité de l'âme et de l'intellect à la fin de
sa carrière, est à la fois la plus longue (chap. V-VIII, pp. 85-154)
et la plus importante. Cette partie est aussi la plus étudiée et la
plus personnelle, bien que l'auteur s'y réfère constamment — et on
ne peut que l'en louer — aux résultats acquis par F. Nuyens quant
aux répercussions qu'a eues sur le problème de l'union de l'âme
et du corps et sur celui des rapports de l'intelligence avec l'âme
humaine l'application de la théorie hylémorphique aux êtres vivants.
Mais S. a eu le mérite de poursuivre jusqu'à leur aboutissement
dernier les conséquences de cette application et a pu ainsi présenter
sous son vrai jour le problème de l'immortalité que n'avait pas
envisagé F. Nuyens de façon directe.
Ce problème doit alors se dédoubler : il y a celui de la survie
de l'âme, âme humaine ou âme d'un autre être vivant, — il y a,
d'autre part, le problème de l'immortalité de l'intellect.
On connaît assez la position d'Aristote au regard du premier
de ces deux problèmes : l'âme, comme forme substantielle du corps,
ne survit pas à la dissolution du composé. La conception de l'âme
forme est bien mise en lumière par M. S. qui rapproche la doctrine
du De Anima des exposés de la même période concernant les
rapports généraux de la substance matérielle (synolon) avec ses
composants, forme et matière, surtout dans les livres Z-H (VÜ-VIII)
de la Métaphysique. Ceci l'amène à souligner fortement l'unicité
de la forme, et par conséquent, de l'âme dans chaque être vivant :
Aristote ne la soutient pas en ces termes, mais l'affirmation en
domine toute sa doctrine avec les conséquences qu'elle entraîne.
Et la conséquence principale en est que, si l'âme périt à la mort,
c'est aussi bien l'âme de l'homme que celle d'un animal ou d'une
plante. Tout au plus pourrait-on envisager, dans le cas de l'homme,
qu'une partie de son âme (l'intellect) continuerait de subsister, mais
il faudrait préciser alors dans quel sens il est permis de parler d'une
partie de l'âme.
M. S. a bien vu qu'Aristote a lié de façon aussi rigoureuse
l'existence des composants (forme et matière) à celle du composé,
parce que, dans sa doctrine, lorsqu'il s'agit d'êtres corporels, ce

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454 Augustin Mansion

qui existe réellement, c'est uniquement le composé et non l'un des


coprincipes composants ; la forme, sans doute, se distingue de la
matière, mais si l'esprit peut concevoir l'une à part de l'autre, c'est
là le résultat d'une abstraction qu'il n'est pas permis de traduire
par une séparation réelle dans la réalité des choses : donc la forme
d'un composé ne peut avoir d'existence propre en dehors du tout.
Mais il y a moyen de trouver en allant encore plus loin la
raison profonde de cette attitude d'Aristote : certaines de ses vues,
que M. S. connaît bien sans avoir songé, semble-t-il, à les exploiter
davantage, nous en livreront le secret.
Dans ses énumérations des quatre genres de causes le Stagirite
identifie constamment la cause formelle ou la forme à l'essence
(ούσία ou τί ήν είναι). Bien plus, dans les livres VII et VIII (Z-H)
de la Métaphysique, appartenant à la même période que le De
Anima, cette manière de voir est appliquée explicitement à l'âme,
forme substantielle de l'homme et de l'animal (13). En outre, dans
les mêmes contextes la forme ou l'âme est dite ουσία πρώτη (14),
sans doute parce que c'est d'elle que la substance composée tient
sa valeur d'être en même temps que sa détermination essentielle.
D'un autre côté, Aristote soutient dans les êtres par soi (τά καθ·'
αύχά λεγόμενα, entendez : ceux dont la dénomination ne résulte
pas d'une attribution purement accidentelle) l'identité de la sub
stance (ούσία) de chaque chose avec son essence ou son xi ήν
είναι (15). Mais le long exposé qu'il y consacre montre clairement
qu'il s'agit uniquement pour lui de combattre la thèse platonicienne
mettant dans une Idée ou essence séparée l'essence propre des
choses d'ici bas. Plus loin <16) il précisera sa pensée : il n'y a pas
identité complète entre la chose et son essence, sauf dans le cas

<13> Metaph., VII (Ζ), 10, 1035 b 14-16; II, 1037 a 5-7; 1037 a 26-30; VIII
(H), 3, 1043 b 1-4). Cf. V (Δ), 8, 1017 b 14-16.
<14> Metaph., VII (Z), 7, 1032 b 1-2; 11, 1037 a 5, 28-29; cf. Χ (I), 3, 1054 b 1.
— Cette terminologie est différente de celle qui est mise en avant dans Categ.,
5, 2 a 11-19, et les doctrines sont, de part et d'autre, nettement divergentes. Cela
seul suffirait à mettre en suspicion l'authenticité du petit traité des Catégories,
dont l'exposé a imprégné — et faussé — toute la tradition péripatéticienne et
dont les données sont reproduites sans critique dans la grande majorité des
manuels. Sur cette question voir S. MansION, La première doctrine de la substance:
la substance selon Aristote, dans Ret), philosophique de Louvain, t. 44, 1946,
pp. 359-369.
<1S> Metaph., VII (Z), 6, 1037 a 34 - b 5.
<16) Metaph; VII (Ζ), 11, 1037 a 34-b 5; VIII (H), 3, 1043 b 2-4.

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 455

des formes subsistantes simples, qui n'ont pas de matière : les êtres
matériels, pris dans leur réalité individuelle, comprennent néces
sairement une matière, individuelle aussi et qui, à ce titre, ne peut
être impliquée dans une forme ou une essence s'exprimant par
une définition et conçue dès lors comme un universel applicable
à une multiplicité d'individus.
Cela étant, revenons-en à l'âme entendue comme forme sub
stantielle d'un être matériel vivant, p. ex. d'un homme. Si elle
était immortelle et pouvait avoir ainsi une existence séparée, indé
pendante du composé matériel, elle constituerait une sorte d'Idée
platonicienne, l'essence de l'homme en soi, séparée des hommes
individuels de ce bas monde. Or, c'est cela qu'Aristote veut éviter
à tout prix ; ce serait retomber dans la doctrine des essences sé
parées qu'il combat partout de façon répétée. Nous croyons que
c'est là la raison dernière qui l'a amené à unir si étroitement au
corps ou à la matière l'âme-forme, de telle sorte qu'une existence
séparée de celle-ci devait être à son avis absolument exclue.
Cela ne l'a pas empêché, comme on le sait bien, de soutenir
l'existence de formes spirituelles pures, existant en soi sans aucune
attache essentielle avec la matière, ou, dans d'autres cas, de réserver
du moins la possibilité d'êtres de ce genre (17). Mais ici le cas est
tout à fait différent: il s'agit de substances dont l'essence n'a rien
de commun avec celle des substances matérielles ; celles-ci portent
d'autres dénominations et ne sont pas des participations de celles-là.
Or ce qu'Aristote combat chez Platon et veut éviter coûte que
coûte, ce sont les Idées ou essences immatérielles existant en soi,
mais possédant en même temps ici bas des homonymes de nature
semblable sinon identique.
On peut être tenté de remarquer, à ce propos, que la consé
quence, qu'aurait voulu éviter Aristote, ne s'impose pas : il eût
suffi, pour ne pas y être acculé, d'approfondir un peu davantage
la notion d'essence et la notion connexe de forme, en distinguant
notamment l'essence de la substance composée et l'essence de la
forme d'une telle substance, distinction envisagée du moins de
quelque façon par le Stagirite lorsqu'il touche la question corres
pondante au sujet des définitions (y a-t-il une définition du composé
autre que celle de la forme ?). La question, bien entendu, est

<17) Réserves de cet ordre, entre autres, dans Metaph., VII (Z), 2, 1028 b 14-15,
28-31; 11, 1037 b 1-4; 17, 1041 a 7-9; VIII (H). I, 1042 a 31.

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456 Augustin Mansion

résolue par la négative : il n'y a qu'une définition proprement dite,


celle de la forme identique à l'essence ; quand la matière propre
du composé figure et doit figurer dans la définition, ce n'est pas à
titre de partie de l'essence, mais en vertu d'une exigence de cette
essence ou de cette forme qui ne peut exister réellement que dans
telle matière (18). Cette attitude négative d'Aristote lui permet
d'éluder certaines difficultés inhérentes au problème plus large qu'il
traite ; il ne semble d'ailleurs pas avoir aperçu clairement ces
difficultés ni s'être rendu compte de leur gravité. Mais en touchant
à une question qu'il n'a guère formulée expressément, encore moins
discutée de façon directe, il a éveillé l'attention de ses lointains
disciples qui, au XIIIe siècle (19), ont vu la nécessité de distinguer
entre la jorma totius, l'essence propre du composé, l'homme p. ex.,
et la jorma partis, la forme substantielle, qui est forme vis-à-vis
de l'autre partie du composé, la matière. Cette distinction ne suffi
sait évidemment pas à résoudre tous les problèmes ; elle permettait
du moins de les poser de façon moins équivoque et apportait ainsi
une contribution importante à leur solution. Mais Aristote était
encore bien éloigné d'une position aussi évoluée du problème de
la forme et de l'essence ; il devait s'opposer avec d'autant plus
de force à l'hypothèse d'une existence séparée attribuée à la forme
d'un composé matériel.

* * *

Avant de quitter la doctrine de l'union de l'âme et du corps


et celle de l'immortalité de l'âme, il reste à dire un mot d'un texte
obscur d'Aristote, que M. S. mentionne d'ailleurs en connexion

C") Cf. Metaph., VII (Ζ), II, 1037 a 21-33; ΙΟ, 1035 a 1-24; 1035 b 27
1036 a 1.

<18) D'après Dom Ο. LOTTIN, Notes sur les premiers ouvrages théologiques
d'Albert le Grand (dans Recherches de théologie ancienne et médiévale, IV,
1932, pp. 73-82), p. 79, les formules en question ne se rencontrent pas avant
Albert le Grand, à savoir, dans sa Summa de Creaturis qui est de 1240-1241
environ (ib., p. 82). Cf. du même auteur Psychologie et morale aux XIIe et
XIIIe siècles, T. I: Problèmes de psychologie (Louvain-Gembloux, 1942), p. 449,
avec la η. I. — D'autre part, M.-D. RoLAND-GossELIN, O. P., Le «De Ente et
Essentia » de S. Thomas d'Aquin (Le Saulchoir, 1920), p. 22, η. 1, dit n'avoir
pas rencontré l'expression forma totius dans la traduction des œuvres d'Avicenne.
A lire toutefois certains passages d'Albert le Grand, on croirait qu'il a emprunté
les deux formules à Avicenne; voir II Sent., d. 3, art. 4, arg. 9, et IV Sent.,
d. 44, art. Il ad 2.

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 457

avec la théorie de l'intelligence. Il s'agit d'une phrase du De Anima


(1, 1, 413 a 8-9), faisant suite à la conclusion générale que l'âme,
tout comme certaines de ses parties, est inséparable du corps, tandis
que pour certaines autres parties, qui ne sont acte d'aucun organe,
la chose n'aurait rien d'impossible ; après quoi l'auteur ajoute :
« De plus, on ne voit pas clairement si l'âme est l'acte du corps à
la façon dont le pilote l'est du navire ». Le passage est rappelé
deux fois (pp. 121-122 et 143) par M. Soleri et chaque fois il y voit
une « comparaison platonicienne », entendez une image dont se
serait servi Platon pour exprimer les rapports de l'âme et du corps
et qu'Aristote aurait connue et rapportée. De fait il existe une tra
dition, qui semble s'être perpétuée jusque dans des manuels du
XXe siècle, suivant laquelle ce qu'on est convenu d'appeler le dua
lisme platonicien de l'âme et du corps aurait trouvé son expression
dans la comparaison du pilote et de son navire. En réalité Platon
n'en use pas dans ses écrits et on peut se demander quelle est
l'origine de cette déformation ou de ce durcissement de sa pensée.
Si l'on consulte les commentateurs anciens dans leurs para
phrases ou leurs explications du passage d'Aristote cité ci-dessus,
on s'aperçoit qu'ils ne songent pas même à Platon, mais à un dé
veloppement ultérieur de la théorie aristotélicienne (20>.

(20l Dans le passage de son De Anima (20, 26-21, 21 Bruns) plus ou moins
parallèle à celui d'Aristote, Alexandre se contente de démontrer pourquoi l'âme
ne peut être forme du corps à la façon d'une forme existant de manière indé
pendante et en soi, comme l'est un pilote vis-à-vis de son navire. — Thémistius
(43, 28 sqq. Heinze) paraphrase l'assertion d'Aristote en notant qu'on ne voit
pas encore si l'âme est acte d'un corps de manière à en être inséparable ou
bien de telle manière qu'elle puisse en être séparée à la façon dont le pilote
est séparable de son navire, dont il est en fait un acte. — Philopon (224, 12 -
225, 8 Hayduck) explique de même qu'il s'agit de la question de savoir si l'âme
est dans tous les cas acte du corps de manière à n'en être pas séparable, ou
bien si dans certain cas elle en est un acte séparable comme le pilote l'est vis
à-vis du navire; il s'agit, dans ce second membre de l'alternative, de l'âme
rationnelle qui doit être unie au corps comme son acte pour exercer ses activités
normales, mais qui peut subsister indépendamment de lui. — Pour Simplicius
(96, 8-15 Hayduck) il serait question plutôt de la différence entre les fonctions
dépendantes de l'usage d'un organe et de celles qui en sont pleinement indé
pendantes « comme le montre l'exemple du pilote », la partie de l'âme-acte qui
n'use pas d'organe étant alors entièrement séparable du corps. 11 y a, de plus,
dans le prologue au commentaire (4, 18-32), des allusions de même tendance à
notre passage, combinées avec la théorie du corps instrument de l'âme empruntée
au Premier Alcibiade (129 B- 130 A); mais aucun auteur n'y est nommé. —

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458 Augustin Mansion

Plus tard on trouve une exégèse semblable dans Averroès <21).


Bien avant les commentateurs de la basse antiquité, la compa
raison du pilote et du navire se trouve déjà dans Plotin, notamment
Enn., IV, III, 21 ; mais elle y est proposée plutôt pour illustrer la
manière dont l ame est dans le corps, est présente au corps, et
non pour définir le mode de leur union. C'est Plotin lui-même qui
nous en avertit : « L'on dit que l'âme est dans le corps comme le
pilote dans son navire. La comparaison est bonne pour expliquer
que l'âme est séparable du corps, mais elle ne tire guère au clair
le mode de sa présence qui fait l'objet de notre recherche. En
tant que passager, elle est dans le corps par accident ; en tant que
pilote, comment y est-elle ? Le pilote n'est pas dans tout le navire,
comme l'âme est dans tout le corps. Faut-il dire que l'âme est
dans le corps comme l'art est dans les instruments, par exemple
comme l'art du pilote serait dans le gouvernail si le gouvernail
était animé de telle sorte que l'art qui lui communique les mouve
ments voulus lui fût intérieur ? Il y a en réalité la différence que
l'art est extérieur à l'instrument. Si nous concevons ainsi l'âme sur
le modèle d'un pilote dont l'art pénétrerait son gouvernail de telle
sorte qu'elle serait dans le corps comme dans son instrument naturel,
vu qu'elle le meut de manière à lui faire exécuter ce qu'elle veut,
aurons-nous dans ce cas fait un progrès vers la solution de notre
recherche ? Une nouvelle difficulté surgit plutôt alors : comment

Enfin, Sophonias (45, 4-10 Hayduck) oppose deux façons d'entendre que l'âme
est acte du corps: celle qui a été exposée antérieurement et celle qui permettrait
de l'assimiler au pilote acte de son navire. — On le voit, quelle que soit la
valeur de ces diverses interprétations, elles se meuvent toujours dans l'orbite de
la théorie aristotélicienne sans aucune allusion à une doctrine platonicienne qui
s'y opposerait.
(21) In lib. Il de Anima, com. Il: «Certains actes peuvent être séparés (du
corps), comme il en est de l'acte qu'est pour le navire son pilote ». C'est tout.
C'est manifestement de cette interprétation que s'inspire la paraphrase d'Albert
le Grand (De i4nima, lib. II, tr. I, cap. 4), bien que la théorie de l'âme rationnelle
qu'il y expose soit, si l'on veut, rigoureusement « thomiste » et pas « averroïste »
du tout. Il écrit, en effet: « Amplius autem manifestatur hoc, si dicatur anima
intellectiva sive rationalis movere corpus et esse actus eius, sicut nauta est actus
et motor navis. Nauta enim movet navim per speciem intellectivam, quae est
scientia gubernandi, et cum nullam operationem habet nauta in navi, quae non
expleatur motu et instrumente corporeo, sicut a temone, vel clavo, vel velo, aut
gubernaculo vel remo: et separatur tamen totus gubernator a navi. Et similiter
si anima sic movet corpus totum intellectu gubernante aut imperante, ipsa sepa
ratur tota essentialiter a corpore, licet etc. ».

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 459

l'âme est-elle dans son instrument ? » (11. 5-20 ; trad. Bréhier


retouchée).
Ce texte appelle quelques remarques. D'abord Plotin rapporte
la comparaison du pilote et du navire comme une chose connue,
mais sans l'attribuer à Platon. Elle se trouve de fait déjà signalée
par Alexandre, De Anima (14, 4-5 ; 15, 9-26 ; 79, 19-20) comme
l'une des façons dont on expliquait que l'âme est dans le corps ;
mais lui la rejette de façon radicale, sans l'attribuer du reste à un
philosophe déterminé.
En second lieu, Plotin trouve la comparaison insuffisante, —
ce qui implique pour lui qu'elle ne présente pas une expression
adéquate de la pensée profonde de Platon. Il marque en même
temps une préférence au moins relative pour une conception im
pliquée dans la comparaison, qu'il y aurait moyen d'adapter de
manière à la rendre admissible : l'âme serait unie au corps comme
à son instrument. 11 y revient, en effet, encore dans d'autres traités,
notamment dans Γ avant-dernier de tous au point de vue chronolo
gique (I, I, 3), où il maintient la formule, au moins provisoirement,
pour caractériser l'âme en son état parfait, tout en suggérant divers
expédients pour expliquer l'état ordinaire de dégradation où elle
se trouve dans son union avec le corps, et parmi ces expédients
on rencontre l'hypothèse de l'âme entendue comme « une forme
qui touche le corps, comme le pilote touche son gouvernail »
(11. 20-21 ; trad. Bréhier) (22). La doctrine du corps instrument de
l'âme est d'ailleurs empruntée au Premier Alcibiade (129 Β - 130 A),
dialogue dont l'authenticité platonicienne n'a pas été mise en doute
dans l'antiquité et que Plotin lui-même a utilisé en divers endroits
de ses écrits <23'.
De ce qui précède il résulte abondamment que Plotin n'a pas
vu dans la comparaison du pilote et du navire l'expression de la
doctrine de Platon sur l'union de l'âme et du corps et qu'il ne
peut être regardé comme l'origine de la tradition qui attribue à
Platon une telle opinion.

(22) Cf. encore IV, VII, 1 (traité très ancien, le second de la série chrono
logique) : «11 y a aussi (dans l'homme) un corps, que ce corps soit un instrument
pour l'âme, ou qu'il s'y rattache d'une autre manière» (11. 5-7; trad. Bréhier).
(23) Voir éd. Bréhier vol. VI, 2, Index des textes cités, p. 198 b. — Les
bonnes raisons qu'on peut avoir actuellement de rejeter cette authenticité ne
doivent pas être rapportées ici, vu que 'la solution de ce problème n'influe en
aucune façon sur la question examinée dans le texte.

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460 Augustin Mansion

Dans ses notes à Enn., IV, III, 21, 9-11, F. Creuzer <24) renvoie
à un passage que les éditeurs de Stobée font remonter à l'ouvrage
Sur l'âme de Jamblique (25>. L'auteur parlant de l'âme comme faisant
usage du corps, rappelle que la chose a été conçue de diverses
manières : l'une d'entre elles trouve son expression dans la com
paraison du pilote et du navire. Mais cette explication n'est pas
mise au compte de Platon ; on ajoute même, quelques lignes plus
loin que les plus purs parmi les Platoniciens, tels que Plotin, en
proposent une autre, où on peut reconnaître un résumé schéma
tique de Enn., IV, III, 23. Ceci renforce donc la conclusion tirée
de l'examen des textes de Plotin lui-même. Nous n'avons pas
d'ailleurs à rechercher, pour notre dessein, quelle était exactement
sa conception personnelle des rapports de l'âme et du corps.

* * *

Mais quelle est alors l'origine de la tradition pseudo


qui rattache à Platon la comparaison du pilote et du
doxographie, quant au reste, paraît muette à ce sujet.
demander si, dans ces conditions, il ne faudrait pas rend
sable de cette tradition saint Thomas d'Aquin lui-même.
On constate, en effet, que, dès le début de sa carrière, dans
le commentaire sur les Sentences (26) il attribue la fameuse com
paraison à Platon en paraissant s'appuyer sur l'autorité de saint
Grégoire de Nysse. Quelques années plus tard, dans la Somme
contre les Gentils (27), il revient, en des termes presque identiques,
à cette même opinion platonicienne, cette fois pour la discuter assez
longuement ; il ne nomme pas sa source, mais les expressions dont
il use montrent à l'évidence qu'il a en vue le même passage de
l'ouvrage mis sous le nom de Grégoire de Nysse. On retrouve
quelque chose de semblable dans la question disputée De Anima,

(u) Plotini Opera omnia, Oxonii, 1835, vol. III, pp. 216-217, note à la
p. 720, 11 de l'édition.
(*■) STOB. AnthoL, Ecl. pht/s., cap. 49, 41, ed. Wachsmuth, p. 382.
<2β> II, d. I, q. 2, a. 4, ad 3um: Ad tertium dicendum, quod propter hanc
obiectionem Plato posuit, ut Gregorius Nyssenus narrat, quod anima est in
corpore sicut motor in mobiili, ut nauta in navi, et non sicut forma in materia,
unde dicebat quod homo non est aliquid ex anima et corpore, sed quod homo
est anima utens corpore.
<a7> C. genf., II, 57 : Positio Platonis de unione animae intellectualis ad corpus.

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 461

qui se place à une date encore ultérieure (28) : c'est de nouveau


le passage en question auquel se réfère implicitement l'auteur.
Mais dans le De spiritualibus creaturis, qui appartient à la
même époque (29), il semble vouloir justifier le rapprochement qu'il
a fait dès ses premiers écrits entre les renseignements qu'il puise,
croit-il, chez saint Grégoire de Nysse, et l'indication qu'il trouve
dans le De Anima d'Aristote. Cette fois, il désigne de façon expresse
la première de ses sources, au début du corps de l'article : Gre
gorius Nyssenus in suo libro quem De Anima fecit, — pour lui
reprocher d'attribuer à Aristote la doctrine de la corruptibilité de
l'âme humaine. On sait que ce De Anima, qui circulait au moyen
âge sous le nom de Grégoire de Nysse, se compose en réalité de
deux chapitres sur l'âme empruntés au De natura hominis de Né
mésius d'Emèse. Reprenant, beaucoup plus loin, vers le milieu de
l'article, la question de l'union de l'âme et du corps, saint Thomas
revient au témoignage de Grégoire de Nysse concernant Platon,
dans les termes suivants : « Ut enim Gregorius Nyssenus narrat,
Plato posuit substantiam intellectivam, quae dicitur anima, uniri
corpori per quemdam spiritualem contactum : quod quidem intelli
gitur secundum quod movens vel agens tangit motum aut passum,
etiam si sit incorporeum : ex qua ratione dicit Aristoteles in I De

(28) Q. De Anima, a. 1 corp. : «Se d ulterius posuit Plato quod anima humana
non sol um per se subsisteret, sed quod etiam haberet in se completam naturam
speciei. Ponebat enim totam naturam speciei in anima esse, dicens hominem non
esse aliquid compositum ex anima et corpore, sed animam corpori advenientem;
ut sit comparatio animae ad corpus sicut nautae ad navem, vel sicut induti ad
vestem ». Opinion critiquée aussitôt dans ce qui suit, entre autres par la remarque:
« Et praeterea si anima esset in corpore sicut nauta in navi, sequeretur quod unio
animae et corporis esset accidentalis ». La référence au De natura hominis que
certains éditeurs ont ajoutée au premier de ces deux extraits est exacte sans doute
mais n'appartient pas au texte de saint Thomas. — Les critiques attribuent les
questions De Anima à l'année 1269 (voir G. VERBEKE, Authenticité et chronologie
des écrits de saint Thomas, dans cette Revue, t. 48, 1950, p. 265), tandis que le
De spiritualibus creaturis, dont il sera question à l'instant, est daté de 1268. Cela
n'a guère d'importance pour notre recherche; d'autre part, d'après l'opinion du
P. F. Pelster, les 21 articles formant la Q. De Anima pourraient avoir été rédigés
à des dates assez espacées et n'avoir été réunis que plus tard; il y a de fait des
indices d'ancienneté relative dans certains d'entre eux et notre citation appartient
précisément à l'art. 1. Cf. M. GRABMANN, Die Wer\e des hl. Thomas von Aquin,
3e éd., 1949, p. 306.
(29> Q. de Spir. creaturis, art. 2 (Utrum substantia spiritualis possit uniri cor
pori) corp. — Pour la date de la question voir la note précédente.

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462 Augustin Mansion

generatione quod quaedam tangunt et non tanguntur, quia agunt


et non patiuntur. Unde dicebat Plato, ut dictus Gregorius refert,
quod homo non est aliquid compositum ex anima et corpore, sed
est anima utens corpore, ut intelligatur esse in corpore quodam
modo sicut nauta in navi : quod videtur tangere Aristoteles in II
De Anima ».
Dans ce passage Thomas d'Aquin met au compte de Gré
goire de Nysse deux affirmations concernant Platon: 1° celui-ci
expliquait l'union de l'âme au corps par une sorte de contact spiri
tuel propre au moteur spirituel d'une réalité matérielle ; 2° pour
Platon l'homme n'était pas un tout composé d'âme et de corps,
mais une âme usant d'un corps. — Quand on cherche dans Né
mésius l'équivalent de ces deux assertions, on retrouve facilement
la source de la seconde dans le texte suivant : « Igitur Plato quidem
et propter hanc difficultatem non vult animal ex anima et corpore
esse, sed animam corpore utentem et velut indutam corpus » (30).
Mais il n'en va pas de même de la première des deux asser
tions de saint Thomas : on n'en trouve aucun équivalent approxi
matif, encore moins littéral, dans l'exposé de Némésius. Elle résulte
plutôt d'une interprétation de données diverses qu'a recueillies saint
Thomas dans le traité qu'il utilise, interprétation influencée du
reste par ce qu'il sait par ailleurs des vues de Platon sur l'âme
humaine. Il a lu dans Némésius que pour Platon l'âme est une
substance « intelligible », c'est-à-dire spirituelle <31). 11 y a lu aussi

(30) Texte de la traduction de Burgundio, utilisé par saint Thomas, publié


par C. I. Burkhard dans les Jahresberichte des Κ. K. Staats-Gymnasiums im
XII. Bezirke von Wien (Unter-Meidling), VIII, IX, XIII, XVIII et XIX, Vienne,
1891, 1892, 1896, 1901 et 1902; le passage cité du chap. III est tiré de IX, p. 23.
Voir le texte grec dans Migne PG, t. 40, col. 593 Β. Saint Thomas cite presque
littéralement dans le De Unitate Intellectus n° [76], p. 48, 65-67 ed. Keeler, la
phrase reproduite dans le texte, mais il remplace animal par hominem. Keeler
a eu le tort de rejeter ila leçon authentique corpus de Burgundio, attestée par
un groupe des mss. du De Unitate, en faveur de la leçon corpore, d'apparence
plus correcte, attestée par d'autres; c'était le cas ou jamais d'appliquer la règle
de la lectio difficilior. L'accusatif est dû au littéralisme servile de la version de
Burgundio. — Le changement introduit dans le texte par saint Thomas provient
sans doute d'une réminiscence d'un passage du chap. I de Némésius (VIII, p. 14
Burkhard) : « Plato vero non existimat dicere hoc utrumque esse hominem, ani
mam et corpus, sed animam corpore taili utentem... ».
(31> « Plato vero (sous-entend. animam dixit) substantiam intellegibilem ex se
ipsa mobilem secundum numerum enarmonicum id est conpactum ». Cap. II (IX,
p. 3 Burkhard).

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 463

que selon Platon l'âme est unie d'une certaine façon au corps :
c'est le mode de cette union qu'il s'agit de déterminer. Discutant
cette question, Némésius suppose tout le temps que l'âme est mo
trice du corps, doctrine qu'il admet pour son compte sans l'attri
buer à Platon, mais qu'il ne peut songer à dénier à celui-ci qui
regarde le corps comme un instrument dont use l'âme (32). Cette
doctrine, saint 1 homas la connaît comme platonicienne par l'exposé
d'Aristote, De Anima, I, 3, 406 b 26 - 407 a 2, résumant les déve
loppements du Timée, 34 Β sqq. — Cette activité motrice de l'âme
vis-à-vis du corps implique, nous dit-on, un contact spirituel, enten
dez un contact improprement dit, puisqu'un esprit ne peut entrer
en contact avec un corps à la façon dont un corps en touche un
autre. Ici encore aucun renseignement faisant remonter à Platon
une telle opinion n'est fourni par Némésius. Mais pour expliquer
Platon dans ce sens, saint Thomas semble s'être inspiré de ce qu'il
lit dans sa source après le passage où l'animal est dit, selon Platon,
identique à l'âme usant du corps. Après avoir noté les difficultés
que soulève cette doctrine, Némésius propose une solution em
pruntée, dit-il, à Ammonius maître de Plotin. Dans cette solution
néoplatonicienne l'accent est mis sur la spiritualité ou l'incorporéité
de l'âme : comme substance spirituelle elle peut bien être unie au
corps, mais elle ne peut subir de la part du corps aucune action
destructrice, aucune « altération » proprement dite, tandis que in
versement elle est capable de modifier le corps dans lequel elle
est présente <33>. C'est cette dernière relation que saint Thomas a
voulu rendre en parlant d'un contactus spiritualis.
L'expression est expliquée ultérieurement par un appel au
De Generatione et Corruptione d'Aristote (I, 6, 323 a 28-33) où
l'auteur vise en premier lieu un cas analogue à celui de l'âme
spirituelle motrice du corps : le Premier Moteur, substance imma
térielle, qui meut, en la touchant mais sans en être touché, la
sphère céleste, être matériel.
Par le détour de ces considérations saint Thomas est amené,
comme naturellement, à l'assertion explicite du faux Grégoire de
Nysse, rapportant que pour Platon l'homme n'est pas un com
posé d'âme et de corps, mais une âme ayant une relation néces

<"> Voir tout le chap. III (De unione animae et corporis) de Némésius (IX,
pp. 22-27 Burkhard) et le passage cité ci-dessus dans le texte.
(a3> Loc. cit., pp. 23-24.

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464 Augustin Mansion

saire avec un corps, qui est l'instrument dont elle fait usage <fU).
De là l'auteur du De Spiritualibus Creaturis glisse, de façon tout
aussi naturelle, à la comparaison du pilote et du navire qu'il a lue
dans Aristote, lequel aurait eu en vue l'opinion de Platon : l'affir
mation n'est pas inconditionnée ; elle est tempérée par un prudent
videtur.
Quand on rapproche ces explications à la fois sinueuses et
entourées de réserves aux assertions un peu massives et à l'exposé
plutôt simplificateur du commentaire aux Sentences, on n'échappe
pas tout à fait à l'impression que saint Thomas a voulu, dans le
passage qui nous occupe, simultanément nuancer et justifier une
intuition du début de sa carrière où il lui avait donné une expression
un peu trop absolue, et de ce chef criticable.
Même réserve de sa part dans un opuscule de 1270, le De
unitate inteïlectus, aux premières pages duquel on lit (35> : « Et
praecipue quia Plato posuit animam non uniri corpori ut formam,
sed magis ut motorem et rectorem, ut patet per Plotinum et Gre
gorium Nyssenum... Hanc igitur dubitationem insinuât Philosophus
cum post praemissa subiungit : « Amplius autem immanifestum si
sic corporis actus anima sicut nauta navis » (36). — Dans le com
mentaire au De Anima d'Aristote <37) tout cela est considéré comme
acquis et saint Thomas se contente de paraphraser comme suit
(II, lect. 2, n° 243 Pirotta) le passage déjà mainte fois cité du
Stagirite (11, 1, 413 a 8-9) : « Et quia Plato ponebat quod anima

(34) L'idée est, comme on sait, reprise à la tradition platonicienne, fort an


cienne, qui a trouvé son expression dans le Premier Alcibiade, 129 Β - 130 A.
Voir ci-dessus, note 20.
(35) N° [5], p. 5, 11-17, ed. Keeler.
(36) Beaucoup plus loin (n° [76], p. 47, 64-67), il revient aux sources invo
quées ici en citant presque littéralement, comme on l'a vu plus haut (note 30),
le pseudo-Grégoire d'après la version de Burgundio : « Haec iam erit opinio Pla
tonis, qui, ut Gregorius Nyssenus refert, « propter hanc difficultatem non vult
hominem ex anima et corpore esse, sed animam corpore utentem et velut indutam
corpus ». — Suit le témoignage de Plotin d'après Macrobe.
(37) L'ouvrage est, d'avant 1272 ou, au plus tard, du commencement de
cette année. Je pense qu'il est postérieur au De unitate intellectus (voir Date de
quelques commentaires de saint Thomas sur Aristote, dans Studia Mediaevalia
in hon. adm. R. P. R.-J. Martin (Bruges, 1948), pp. 281-282). M. G. VERBEKE
(Les sources et la chronologie du Commentaire de S. Thomas d'Aquin au De
anima d'Aristote, dans Rev. philos, de Louvain, t. 48, 1947, pp. 334 et 338) croit
qu'il est plutôt antérieur au De unitate, les livres II et III étant de 1269. La
question n'a guère d'importance pour la présente recherche.

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L'immortalité de l'âme d'après Aristoie 465

est actus corporis non sicut forma, sed sicut motor, subiungit quod
hoc nondum est manifestum, si anima sic sit actus corporis, sicut
nauta est actus navis, scilicet ut motor tantum » (38).
On comprend que devant une affirmation aussi catégorique de
saint Thomas des disciples fidèles, mais trop confiants, l'aient dans
la suite des temps reprise, sans en contrôler la valeur, et qu'ainsi
se soit établie une tradition historiquement inexacte. On constate
p. ex. que, à la fin du XVIe siècle, les auteurs d'un commentaire
estimable, tels que les Conimbricenses, disposant d'une documen
tation historique beaucoup plus étendue que saint Thomas, re
prennent sans plus le renseignement faux qu'ils avaient sans doute
trouvé chez lui et écrivent (à propos de De An., II, I, 413 a 8) :
« Subjicit (seil. Aristoteles) deinde nondum ex dictis constare num
anima sese habeat ad corpus ut gubernator ad navim, quod Plato
censuit, an non ». Et c'est tout.
Le responsable de cette trop longue digression est M. Soleri
qui a eu le tort de sacrifier à une tradition suspecte ; il a heureuse
ment mieux que cela à nous apprendre au sujet de l'immortalité
de l'intellect d'après Aristote.

* * *

On sait assez qu'Aristote a soutenu l'immortalité de


de l'homme ; ce n'est pas là que gît la difficulté de l'in
de sa doctrine. Les problèmes surgissent dès qu'on
les rapports de cet intellect immortel avec l'âme hu
que les conditions de cet intellect quand il est sépa
Déjà M. Nuyens avait fortement souligné comment
au composé humain la théorie hylémorphique, Aristote
à un problème nouveau : celui des relations d'une i
immatérielle avec une âme-forme d'un être matérie
ces données et les creusant davantage — du point d

(38> Dans les articles de la Somme de théologie parallèles à ceu


disputées De Anima et De Spiritaalibus Creaturis où figure la
pilote et du navire et qui sont d'ailleurs en gros de la même ép
pas reparaître la fameuse comparaison. Ainsi /a, q. 76, art. 3
tivum principium uniatur corpori ut forma) corp. (où est rappel
pour Platon l'homme est identique à son âme), et art. 7 (Utru
corpori animalis mediante aliquo corpore) corp. : « Dicendum
secundum Platonicos corpori uniatur solum ut motor, conven

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466 Augustin Mansion

fique de l'immortalité, — M. S. met fort bien en lumière l'origine


des difficultés inextricables du Stagirite : pour lui chaque vivant n'a
qu'une seule âme, forme substantielle, et, d'autre part, il lui paraît
impossible qu'elle soit en même temps une réalité en soi immatérielle
au même titre que l'intelligence. C'est comme s'il voulait séparer de
l'âme la fonction intellectuelle, fonction la plus haute et par là
fonction spécifique de l'être vivant qu'est l'homme. Sans doute
Aristote affirme tout le contraire, mais il se refuse à en tirer la
conséquence nécessaire en ce qui concerne la nature immatérielle et,
par suite, l'immortalité de l'âme. 11 aboutit ainsi à une impasse, ne
pouvant pas, d'une part, fragmenter l'âme qui est indivisible, et
se trouvant amené, d'autre part, à affirmer l'immortalité, non de
l'âme mais de l'intellect qui n'est pas l'âme tout entière.
Une partie de la tradition péripatéticienne a tenté de résoudre
le problème en expliquant que cet intellect immortel n'appartient
pas proprement à l'âme de manière à entrer dans sa constitution,
mais qu'il se communique plutôt à elle et lui rend ainsi possible
la pensée discursive spécifiquement humaine au cours de cette vie.
M. Soleri s'oppose résolument à cette interprétation au nom des
affirmations en sens contraire qu'il trouve dans les textes d'Aristote
lui-même. Mais ses critiques portent presque uniquement sur la
forme qu'a prise cette interprétation sous la plume d'Averroès. Or
on sait assez que l'exégèse d'Aristote par Averroès est tendancieuse,
étant commandée par le souci de trouver la « vérité » dans les
textes du Stagirite au nom de certains principes qui ne sont pas
toujours empruntés à sa philosophie. Il eût mieux valu faire abstrac
tion de l'explication averroïste et rechercher directement dans les
dires d'Aristote s'ils impliquent l'unicité de l'intellect ou la multi
plicité des intellects humains.
M. Soleri ne trouve dans les textes rien qui appuie la première
hypothèse. Il constate, par ailleurs, qu'à l'intellect potentiel sont
attribuées les propriétés caractéristiques de la spiritualité ; qu'en
vertu d'un raisonnement a fortiori ces mêmes propriétés sont recon
nues à l'intellect actif : il n'y a donc pas de raison de séparer ces
deux intellects en ce qui concerne la conséquence découlant de
leur nature spirituelle, à savoir, leur immortalité ou leur éternité.
Il n'y a pas, en effet, dans l'homme deux intellects, mais un seul
comportant des fonctions opposées et complémentaires, une fonction
de réceptivité ou de passivité en face d'une activité qui la comble :
de fait Aristote ne situe pas ces fonctions partie dans l'homme,

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L'immortalité de l'âme d'après Aristoie 467

partie au-dessus de lui, mais « dans l'âme » (39), comme le soulignait


déjà fortement saint Thomas dans sa polémique contre l'averroïsme.
On en conclura que chaque homme possède son intellect à lui,
avec les deux fonctions précitées, et que cet intellect est un être
éternel, c'est-à-dire, non seulement immortel, mais préexistant à
i'homme individuel. Si l'intellect passif ou potentiel est dit péris
sable, c'est que la fonction intellectuelle désignée par l'expression
est une fonction propre à l'homme pensant en tant que composé
de corps et d'âme, et doit périr avec lui, tandis que l'intellect tout
court demeure.
Au terme de cette analyse, M. Soleri ne dissimule en aucune
façon que les conclusions auxquelles il croit qu'Aristote a abouti
ainsi, sont difficilement conciliables avec sa doctrine hylémorphique,
telle qu'il l'a appliquée au composé âme-corps. 11 relève, de plus,
que le Stagirite ne s'est jamais avisé de faire le pas décisif qui eût
pu amener la conciliation et d'attribuer à l'âme-forme la spiritualité
et l'immortalité qu'il a, au contraire, réservées à l'intellect.
Ces conclusions sont le fruit d'une analyse soigneuse et serrée
des textes, en particulier de l'énigmatique chapitre 5 du livre III
du Traité de l'âme. Les lignes 430 a 22-25 y sont d'une importance
particulière : M. S. a réussi, mieux que d'autres, à en rendre cer
taines nuances, dont dépend pour une bonne part le sens même
de la doctrine (40). Toutefois il ne s'est pas montré conséquent
jusqu'au bout dans son exégèse. Il nous dit bien, traduisant Aris
tote, que l'intellect actif, « une fois qu'il est séparé, est unique
ment tel qu'il est » (ontologiquement, de lui-même), — ce qui est
interprété, quelques lignes plus loin, comme visant la nature de
l'intellect considéré en lui-même (pp. 133-134). C'est bien là ce
que désigne, dans l'emploi qu'en fait Aristote, l'expression τοΰίΚ
δπερ έστί, ce qu'est essentiellement une chose, en faisant abstraction

(39> De Anima, III, 5, 430 a 13.


(4°) P. 133. — Mais encore faut-il corriger l'erreur fort grossière qui s'est
glissée dans île texte imprimé : à la ligne 3 de la traduction lire immortale au
lieu de immateriale, et l'inverse à la ligne suivante. De plus, immaterielle pour
rendre απαθές ne fausse pas le sens, mais est une traduction un peu trop libre.
— M. S. a pleinement raison d'attirer l'attention sur le sens précis du participe
aoriste χωρισθείς, au début de la phrase, où i>l est appliqué à l'intellect actif: il
ne s'agit pas de Y état de séparation dans lequel se trouverait cet intellect, ou
d'une propriété qui lui appartiendrait (comme s'il y avait χωριστο'ς), mais de ce
qui lui arrive quand il est séparé ou a été séparé du corps (après la mort).

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468 Augustin Mansion

de tout ce qui peut s'ajouter de fait à cette essence. Dans le cas


présent, il faut donc écarter les relations que l'essence considérée
peut avoir avec autre chose, et, plus concrètement, les fonctions
que l'intellect assume du fait qu'il intervient dans la pensée hu
maine. Aussi est-ce une déformation grave de ce que dit le Stagi
rite, quand, deux lignes plus loin, l'auteur lui attribue l'idée que
l'intellect agent est en lui-même immortel et divin, tandis que tout
le reste, y compris l'intellect passif, serait périssable. — Non ; il
ne s'agit plus de l'intellect agent ou actif, mais uniquement, d'après
ce qu'on vient de rappeler, de la pure essence de l'intellect. De la
sorte, de même que Aristote y oppose l'intellect potentiel ou passif,
fonction caractéristiquement humaine et donc périssable avec
l'homme, de même aurait-il pu dire et doit-on dire pour l'interpréter
correctement, que l'intellect actif est périssable de la même façon
et pour la même raison. Car il ne faut pas se méprendre sur le sens
de cette épithète actif, dont on use faute de mieux <41) pour carac
tériser l'intellect dans sa fonction de ποιητικόν, fonction qui n'est pas
encore la pensée ou l'activité de penser, mais fonction productrice
de formes intelligibles requises précisément à l'exercice de la pensée,

(41) Les mots τό αίτιον καΐ ποιητικον (De Art., III, 5, 430 a 12) ont été rendus
dans la version arabo-latine par: causa et agens (tex. 17), tandis que les versions
gréco-latines ont: causa et ejficiens (tr. vêtus, XIIe s.) et causa et jactivum (tr. nova,
XIIIe s.). L'expression intellectus agens pour traduire le νους ποιητικο'ς des Grecs
vient du commentaire d'Averroès (ad loc. com. 18) et a passé de là dans l'usage
de la Scolastique (même en français sous la forme barbare: intellect agent). Mais
il est clair que dans le latin dérivé de l'arabe le sens original du grec a été
faussé. Seule le texte revisé de la version gréco-latine fournit un terme exact:
factiüum, lequel appliqué à l'intellect désignera la fonction productrice des formes
intelligibles, non pas le pouvoir de penser.
Notons à ce propos que la désignation intellectus possibilis a encore moins
que son parallèle, intellectus agens, son équivalent dans Aristote; elle doit pro
venir d'une traduction fautive du texte du De Anima, III, 4, 429 a 22, où
ό'τι δυνατο'ν a été rendu dans la version arabo-latine (tex. 5) par: quod est possibilis
(De même dans les versions gréco-latines: quia ou quod possibilis sit). En réalité
('adjectif verbal δυνβτος n'a pas ici le sens de « possible », mais signifie, comme
en d'autres passages: «en puissance»; il s'agit donc de l'intellect humain qui
n'a aucune nature déterminée, sauf d'être en puissance à recevoir les formes de
n'importe quels êtres, ainsi que l'ont bien compris les Scolastiques, malgré l'ex
pression passablement absurde dont ils ont fait usage. Moins excusables qu'eux
sont les auteurs contemporains qui continuent de parler d'un « intellect possible ».
Et quand M. S. donne des mots grecs cités ci-dessus une double traduction
(p. 126): «è possibile, è in potenza », la première doit être absolument con
damnée au nom de la seconde, qui est seule exacte.

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 469

qui ne peut, suivant Aristote, se porter directement sur les Formes


subsistantes de soi intelligibles, comme il entend les Idées platoni
ciennes. C'est là, de nouveau, une fonction proprement humaine,
appartenant, comme on l'a noté déjà plus haut avec Aristote, au
domaine de l'âme humaine. Tout autre chose est l'activité de
penser ou la pensée pure qu'il faut attribuer sans aucun doute à
cette essence pure de l'intellect dont nous parle le Stagirite et dont
nous n'avons pas de souvenir parce qu'elle s'exerce en dehors et,
si l'on veut, au-dessus de la sphère proprement humaine.
Si cette exégèse, qui semble bien exigée par les textes, est
exacte, on s'aperçoit sans peine qu'il y a quelque raison, et même
une raison fort pressante, de soutenir que cette essence pure de
l'intellect ne se multiplie pas avec les individus humains. Cette
essence n'a pas, en effet, vis-à-vis d'eux un rôle de forme. Aristote
lui attribue sans doute une union mystérieuse avec le psychisme
de chaque homme individuel pour lui permettre de penser, mais
on ne voit pas de quelle manière cette union pourrait intégrer
cet intellect pur à la forme substantielle qu'est l'âme humaine. Dès
lors, on se trouve en présence d'une essence, — et d'une essence
existante — qui comme essence ne peut être qu'unique.
Voilà le point principal sur lequel nous croyons devoir nous
séparer de M. Soleri en ce qui concerne l'interprétation du De
Anima, III, 5, tout comme de ceux qui, contrairement à lui, pensent
pouvoir y trouver la doctrine d'un intellect actif immortel et unique
pour toute l'humanité.
Pour le reste les conclusions générales de M. Soleri nous pa
raissent entièrement justifiées : l'âme humaine d'après Aristote est
périssable ; l'intellect qui malgré tout appartient de quelque façon
à l'homme et à son âme, est au contraire immortel. Le Stagirite
n'a pas réussi à unifier en une doctrine cohérente ces affirmations
disparates. De là, les interprétations divergentes proposées au cours
des siècles par ses disciples ; de là aussi les apories devant les
quelles l'historien moderne se trouve forcément arrêté, quand il
s'efforce, non pas de réduire à une unité factice une théorie ren
fermant des éléments peu conciliables, mais simplement de com
prendre le sens ou les implications immédiates de la doctrine.
M. Soleri examine certaines de ces apories à la fin de son
exposé et pose en dernier lieu la question de l'état de l'intellect
séparé (après la mort). Comme il s'agit d'après lui de l'intellect
actif et qu'il a imprudemment interprété l'épithète actif, dans le

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470 Augustin Mansion

sens de « en acte de penser », il conclut logiquement que cet


intellect doit avoir une pensée continuelle, d'accord avec l'indication
formelle d'Aristote en 430 a 22.
Le problème nous paraît mal posé ; les raisons en ont été
données ci-dessus : il ne s'agit pas de l'intellect actif de chaque
homme individuel, mais de l'essence pure de l'intellect à l'état
séparé. 11 est inconcevable, d'autre part, que pour Aristote cette
essence de l'intellect soit réduite à une pure faculté de penser qui
n'entrerait en acte que mise en relation avec une conscience hu
maine. Il y a donc lieu de la concevoir comme un intellect en
ecte et doué, dès lors, d'une activité qu'il possède nécessairement
sans interruption : nous rejoignons par ce biais la réponse de
M. Soleri.
Mais quand celui-ci pose la question de l'objet de cette pensée
continuelle et suggère timidement le souvenir des idées acquises
au cours de la vie terrestre, de nouveau nous ne pouvons le suivre
dans cette direction : il ne s'agit pas de l'intellect de telle personne
humaine. Dès lors le seul objet qui demeure toujours et nécessaire
ment lié à cet intellect séparé n'est autre que lui-même. Le cas
serait alors fort semblable à celui de l'intellect divin décrit dans la
Métaphysique XII (Λ), 9, et qui est pensée de la pensée qu'il est
lui-même. Cela ne nous autorise pas pour autant à identifier au
Dieu d'Aristote l'intellect immortel qui s'unit d'après lui à notre
pensée éphémère pour la rendre possible, ainsi que l'ont imaginé
certains historiens. 'Mais le problème des rapports entre Dieu et
notre intelligence personnelle, tels que le Stagirite les a conçus aux
divers stades de sa carrière, demanderait un examen approfondi
qu'il ne peut être question d'entamer ici.

* * *

Dans ce qui précède les réflexions mêlées de cr


du livre de M. S. risquent de faire perdre de vue
apporte de positif son ouvrage. En tout état de c
vons une excellente mise au point du problème
chez Aristote. En gros les positions du philosophe ét
suffisamment connues ; mais l'auteur a eu le mérite
l'origine et de mettre en lumière les raisons qui
maître du Lycée de résoudre les antinomies auxquell
en confrontant une âme conçue comme forme su

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L'immortalité de l'âme d'après Aristote 471

organisme matériel et une intelligence spirituelle. Les données four


nies par le travail de F. Nuyens lui ont été à cet effet d'un puissant
secours ; mais en les exploitant de façon avisée il a pu en pour
suivre les conséquences en des domaines que n'atteignaient pas les
problèmes traités directement par Nuyens, et c'est là un résultat
appréciable à porter au crédit aussi bien de l'un que de l'autre.
Il y a lieu de louer aussi l'esprit d'objectivité historique dont
fait preuve M. S. au cours de son exposé. 11 n'a pas pensé devoir
cacher en quelque mesure ses sympathies pour la solution qu'a
donnée saint Thomas aux problèmes de l'âme, de l'intellligence et
de l'immortalité, tout en demeurant fidèle, croyait-il, aux principes
et à la pensée d'Aristote. Mais M. S. n'a pas essayé d'endosser à
ce dernier des vues qui lui étaient en fait étrangères et qui sans
doute lui eussent répugné formellement. Dans ce sens notre auteur
a rejoint la tradition antérieure à la Scolastique occidentale, la
tradition formée aux premiers siècles de notre ère par l'étude des
traités scolaires du Stagirite et non plus uniquement sur la base
de ses écrits de jeunesse. On sait, en effet, que les écrivains ecclé
siastiques de cette époque expriment avec force leur réprobation
pour une doctrine philosophique comportant la négation de l'im
mortalité de l'âme. Mais aussi parmi les philosophes païens, du
moins parmi ceux qui ne s'évertuent pas à établir une concordance
impossible entre les doctrines de Platon et d'Aristote, on trouve
des témoignages tout à fait nets dans le même sens. Tel celui
d'Atticus.
Dans le fragment sur l'âme que nous a conservé Eusèbe (4^,,
il reproche avec virulence au Stagirite d'avoir été le premier à
enlever à l'âme son immortalité et toute fonction qui lui soit propre.
Et plus loin (43), à propos de l'intellligence, il ajoute : « Mais on
dira peut-être que, sur la question de l'immortalité de l'esprit, il
est du même avis que Platon. Et, en effet, s'il ne veut pas que
l'âme entière soit immortelle, il reconnaît du moins que l'esprit
est divin et impérissable. Et quelle est l'essence et la nature de
cet esprit ? D'où vient-il ? Comment s'est-il insinué dans l'homme
et où doit-il retourner ensuite ?... (Platon) affirme que l'esprit ne

EusÈBE, Praeparatio evangelica, XV, IX, 6, 809 c, repris dans A tticos.


Fragments de son œuvre avec introduction et notes par J. BaUDRY (Paris, 1931),
fr. VII, p. 26.
Ibid., XV, IX, 13-14, 810 d-811 a, édition citée p. 28. Nous reproduisons
la traduction de J. Baudry.

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472 Comptes rendus

peut subsister sans l'âme, (Aristote) sépare l'esprit de l'âme ; l'un


lui attribue l'immortalité en même temps qu'à l'âme... ; l'autre
affirme que l'esprit seul, séparé de l'âme, peut y participer ».
Mise à part la mauvaise humeur du bon Atticus, l'historien
moderne doit bien lui donner raison : les données doctrinales et
les problèmes subséquents que rencontre dans les exposés d'Aris
tote le platonicien du IIe siècle, sont encore ceux auxquels on se
heurte aujourd'hui. Mais, par contre, on se rend mieux compte
de nos jours que dans la psychologie aristotélicienne certaines
difficultés proviennent d'éléments platoniciens qui auraient dû être
soumis à une critique plus approfondie pour pouvoir être ajustés
à une théorie d'inspiration différente, telle la doctrine de l'imma
térialité de l'intelligence, entendue dans le sens d'une séparation
radicale d'avec la réalité corporelle.
A. Mansion.
Louvain.

COMPTES RENDUS

Ouvrages d'histoire

André RiVIER, Un emploi archaïque de l'analogie che


clite et Thucydide (Collection des études de lettres). Un vol.
14,5 de 69 pp. Lausanne, 1952.
La plaquette de M. Rivier comprend deux études : la première
se rapporte au fragment 12 d'Heraclite, la seconde examine l'emploi
du terme εϊκάζειν chez Thucydide ; les historiens de la philosophie
grecque s'intéresseront surtout à la première.
Dans le texte du fragment 12 d'Heraclite (ποταμοίσι τοΐσιν
αύτοΓσιν έμβαίνουσιν έτερα και έτερα ύδατα έπιρρεΐ) l'auteur propose
de regarder le terme έμβαίνουσιν comme interpolé, parce qu'il trouble
la construction régulière de la phrase ; il est d'avis que la suite
de ce texte (και ψυχαί από των υγρών άναθ-υμιώνται) appartient égale
ment à la citation d'Héraclite. Il en résulterait que la signification
générale de ce texte viserait le renouvellement constant des âmes.
« Héraclite donne à entendre que les υγρά, quoiqu'ils correspondent

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