Institutions Et Développement HEC, 2015
Institutions Et Développement HEC, 2015
Institutions et développement
HEC, 2015
SOMMAIRE
Introduction .................................................................................................p. 195
1 Certaines institutions conditionnent le développement ..........p. 196
2 L’inertie institutionnelle caractérise le sous-développement ....p. 199
3 De la cohérence des systèmes institutionnels ............................p. 202
Conclusion................................................................................................................... p. 204
Introduction
Alors que les deux Corées avaient le même niveau de développement en 1945, en
2013 leur divergence économique est manifeste : la Corée du Sud se classe au 12e rang
des nations ayant le plus fort PIB/habitant, son homologue du Nord est le théâtre
de récurrentes disettes et famines qui illustrent son retard de développement. Pour
D. Acemoğlu et J. Robinson (2012), ces différences s’expliquent par l’adoption de
deux régimes institutionnels radicalement différents : un capitalisme relativement
administré pour la Corée du Sud et une forme hybride de communisme pour la
Corée du Nord.
Au sens large, les institutions sont « les règles du jeu dans une économie », les
« contraintes établies par les hommes qui structurent les interactions humaines »
(North, 1994). Le renouvellement de l’économie institutionnelle consacré par la
remise du « prix Nobel » d’économie à D. North et R. Fogel en 1993, a ainsi pu
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.
radicale de leur contexte institutionnel. Le xxe siècle est ainsi marqué par un récur-
rent débat sur les stratégies de développement à adopter par les pays encore sous-
développés ou « en voie de développement », et sur les réformes institutionnelles que
ces pays devraient mettre en place.
Alors que 48 pays sont toujours considérés comme en situation de sous-développement
par l’ONU, la question de la persistance de ce sous-développement et des conditions
institutionnelles nécessaires au décollage du processus de développement semble des
plus pertinentes.
Est-il dès lors possible de dégager une relation de cause à effet entre certaines
? structures institutionnelles et niveau de développement ? Pour reprendre les termes
de D. North, tout espoir de développement est-il conditionné à l’acceptation et à la
mise en place d’une « révolution institutionnelle » ?
Au regard de l’histoire économique et selon les conclusions de la nouvelle écono-
mie institutionnelle, certains changements institutionnels apparaissent comme
nécessaires au développement (1). Cependant, face à la persistance d’économies en
situation de « sous-développement », l’étude de l’inertie institutionnelle de certaines
nations peut permettre de mettre en avant certains verrous au développement (2).
Il s’agit alors d’étudier les critères de détermination d’un changement institutionnel
« pareto-améliorant » en soulignant l’importance de la cohérence entre cadres socio-
historiques et institutions (3).
1 Certaines institutions
conditionnent le développement
L’étude des conditions préalables au développement des early starters comme des late
comers permet de mettre au jour la centralité de certains changements institutionnels.
Ces derniers permettent d’expliquer l’avance prise par les pays développés à écono-
mie de marché (A), mais également certains phénomènes de rattrapage (B).
FONDEMENTS
nomique. Ainsi, tant que l’Église catholique structurait les cadres mentaux de la
société européenne, le développement des prêts à intérêt était fortement entravé
par la condamnation de l’usure par l’institution religieuse (par Thomas d’Aquin
notamment). Tant que la morale ou la sphère religieuse limite les frontières du
marché, le développement économique est donc entravé. Seule une remise en cause
des cadres institutionnels passés permet de repousser les frontières du marché et
CROISSANCE
donc d’étendre le développement.
MONDIALISATION
et la consolidation des droits de propriété qui permet d’expliquer la révolution
industrielle du xixe siècle. C’est en effet la définition de la propriété individuelle
et sa garantie qui permet l’émergence d’une volonté de maximisation de l’effort,
de l’innovation, et in fine, du profit. Ces droits de propriétés permettent égale-
ment, dans une logique williamsonienne (O. Williamson, 1985), une réduction
des coûts de transaction et donc un développement de l’échange marchand. L’homo
œconomicus n’est incité à innover et à décupler ses efforts que s’il peut être assuré
RÉGULATIONS
que le fruit de son travail ne lui sera pas spolié par un pouvoir autocratique. La
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(1998) ont ainsi montré empiriquement l’existence d’une forte corrélation entre flux
entrants de capitaux et systèmes juridiques de « common law » (par opposition aux
systèmes de « civil law »). La flexibilité des systèmes de « common law » fondés sur le
principe de la jurisprudence et la propension de ces juridictions à favoriser le droit
des actionnaires peuvent ainsi expliquer leur dynamisme économique.
FONDEMENTS
pour enclencher les processus de développement. A contrario, force est de constater
que certaines inerties institutionnelles peuvent expliquer le maintien de certaines
situations de sous-développement.
2 L’inertie institutionnelle
caractérise le sous-développement
CROISSANCE
Certaines institutions semblent nuire au développement des nations. Elles peuvent
être à l’origine de « trappes à sous-développement » (A), et se maintenir du fait
de l’existence d’obstacle à toute « révolution institutionnelle » pouvant limiter les
potentialités de développement (B).
MONDIALISATION
A L’existence de trappes à sous-développement
§1 L’inertie institutionnelle empêchant la dynamique du développement peut se com-
prendre comme résultant d’une logique de « dépendance au sentier ».
Les effets des structures institutionnelles passées sur le développement économique
présent sont mis en lumière par les travaux de D. Acemoğlu, J. Robinson et RÉGULATIONS
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J. Johnson (2001). En effet ces derniers soulignent l’influence des institutions mise en
place par les colons dans les pays colonisés sur leur trajectoire de développement des
décennies après les mouvements de décolonisation. Les « colonies de peuplement »
dans lesquelles les colons ont répliqué les institutions occidentales inclusives tant sur
le plan économique que sur le plan politique, ont souvent pu épouser des sentiers
de développement proches de ceux de leurs anciens colonisateurs. En revanche, les
« colonies d’extraction », dans lesquelles les colons ne cherchaient qu’à extraire les
ANNEXES
extractifs qui profitent principalement aux rentiers qui constituent cette même oli-
garchie politique et économique.
Ce terme de « dépendance au sentier », introduit dès le xixe siècle par J. S. Mill
(1848), souligne ainsi l’interdépendance entre l’activité économique présente et les
trajectoires institutionnelles prises par le passé. Dans une telle logique, il est alors
possible que les pays sous-développés soient enfermés dans ce que R. Nurkse carac-
térise de « trappe à pauvreté ». En effet, pour Nurkse, « un pays est pauvre parce qu’il
est pauvre » (1953), comprendre par là qu’il existe un cercle vicieux du sous-déve-
loppement engendré par une défaillance institutionnelle indépassable en l’absence
d’intervention exogène. Ce cercle vicieux de la pauvreté empêche ainsi aux écono-
mies concernées de dégager les ressources nécessaires au financement d’institutions
plus performantes et notamment le financement de politiques de développement.
faut-il que les institutions politiques laissent dans l’espace public l’espace nécessaire
à l’émergence d’« entrepreneurs institutionnels » (T. Veblen). En l’absence de telles
institutions politiques inclusives, aucune force de changement ne peut émerger, les
élites politiques des régimes autocratiques n’ayant en général que peu d’intérêt à
accroître le partage des richesses dans leur économie et donc à mettre en œuvre des
institutions, tant politiques qu’économiques, inclusives. De plus, la forte corruption
souvent présente dans les pays sous-développés entraîne une inefficience des insti-
tutions en entraînant une distorsion entre les règles de droit et leur application en
pratique. En effet on peut observer d’un point de vue microéconomique une corréla-
tion entre faiblesse des revenus dans une économie et propension des agents publics
à céder à la corruption (du fait d’une plus grande utilité marginale de la corruption).
FONDEMENTS
Dès lors, un trop faible niveau de développement rend plus difficile la mise en place
et surtout l’application d’institutions inclusives.
Le maintien des situations de sous-développement peut ainsi s’expliquer par les
mécanismes de verrouillage institutionnel qui sclérosent certaines économies oligar-
chiques. Seul un régime politique inclusif tel qu’une démocratie réelle permet de
maintenir une dynamique institutionnelle favorable à la croissance en obligeant sans
CROISSANCE
cesse les décideurs publics à prendre en compte l’objectif d’amélioration des niveaux
de vie de leur électorat. C’est notamment ce que souligne A. Sen (1989) en montrant
le lien entre démocratie et mesures de luttes contre les famines en Inde.
§2 Même pour les pays les plus développés, cette question de l’inertie institutionnelle
peut être un facteur de limitation du développement.
MONDIALISATION
Ainsi, le ralentissement de la croissance économique qui s’observe dans les PDEM
(R. Gordon, 2015) peut s’expliquer par l’incapacité de nombreuses économies à
réformer leurs systèmes institutionnels. Le maintien d’un chômage structurel en
France a pu être analysé par les économistes les plus libéraux comme résultant d’une
incapacité à accepter des réformes structurelles visant à flexibiliser le marché du travail.
Ainsi, le droit du travail français, institution économique et juridique centrale, est
souvent pointé du doigt pour son excès de rigidité : c’est notamment le message de
RÉGULATIONS
J. Barthélémy et G. Cette dans leur manifeste Réformer le droit du travail (2015).
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Or, les institutions établies sont souvent protégées par des groupes de pressions. Pour
les institutions de l’emploi, le fort poids syndical dans les négociations tripartites
malgré la baisse du taux de syndicalisation (moins de 11 % aujourd’hui), verrouille
le changement institutionnel et ne permet qu’un développement à la marge.
En reprenant le modèle Insiders/Outsiders de Lindbeck et Snower (1985), on
pourrait ainsi dire que l’inertie institutionnel dans les pays occidentaux provient
ANNEXES
de l’inégale répartition des ressources politiques en faveur des insiders. Cette der-
nière entraînerait alors le maintien de ce que D. Olivennes nommait en 1994 une
« préférence française pour le chômage ».
202 | Partie ii ■ Croissance et développement économique du XIXe siècle à nos jours
3 De la cohérence
des systèmes institutionnels
À contre-courant des analyses universalistes, il semble que les liens entre dévelop-
pement et institutions passent avant tout par la définition d’institutions spécifiques
adéquates à chaque cadre national et local (A) et la durabilité de cette relation néces-
site la mise en œuvre d’institutions de gouvernance particulière (B).
§2 À partir des années 1970 a émergé une critique encore plus radicale de l’économie
du développement considérant que le sous-développement n’est pas un état qui
Dissertation 12 ■ Institutions et développement | 203
FONDEMENTS
du Golfe ou du Venezuela souligne ainsi le rôle ambigu de certaines spécialisations
primaires dans le développement des pays. Pour S. Amin (1973) et A. Emmanuel
(1969), le commerce international en tant qu’institution ne serait que l’instrument
d’une domination des « pays du centre » sur les « pays de la périphérie », le dévelop-
pement des premiers se faisant au prix du maintien des seconds dans une situation
de sous-développement. Cette thèse néomarxiste peut empiriquement s’appuyer
CROISSANCE
sur l’observation de la dégradation des thermes de l’échange que mettait en avant
R. Prebisch dès 1949.
Lors du 9e sommet des BRICS en septembre 2017, le président chinois Xi Jinping
a ainsi insisté sur la volonté des pays émergents d’œuvrer pour « une mondialisation
ouverte, inclusive et équilibrée profitera à tous ». Afin d’accomplir cet objectif, les
BRICS ont réaffirmé leur souhait d’une réforme des instances de gouvernance inter-
MONDIALISATION
nationales et en particulier du FMI en déclarant vouloir « faire entendre la voix des
pays émergents et en développement afin de créer une nouvelle dynamique pour
combler le fossé Nord-Sud ».
Conclusion
En 1968, S. Kuznets déclarait : « Underdevelopment is a failure resulting from
the resistance of social institutions ». On peut avec lui considérer que le développe-
Dissertation 12 ■ Institutions et développement | 205
ment des nations résulte principalement de leur capacité à adopter des institutions
propices aux trois piliers d’un développement durable : le pilier économique, le
pilier social et le pilier environnemental. Cependant l’analyse des verrous au chan-
gement institutionnel permet de souligner que la relation entre développement
et institutions demeure une relation complexe et qu’il peut exister des trappes
à sous-développement résultant d’une inertie institutionnelle difficilement dépa-
sable. Plus qu’une définition normative de « bonnes » et de « mauvaises » institu-
tions, il s’agirait alors de pouvoir définir les institutions les plus adaptées à chaque
contexte local afin de permettre un développement plus harmonieux de l’ensemble
des régions du globe.
Face au retour du spectre de la stagnation séculaire, notamment porté par R. Gordon
FONDEMENTS
(2016) ou L. Summers (2014), la question est aujourd’hui de savoir si les réformes
institutionnelles que tentent de mettre en place les pays développés leur permettront
d’assurer la pérennité de leur développement. Notamment, dans une économie de
plus en plus globalisée et numérique, les institutions héritées du xixe et du xxe siècle
apparaissent pour certains comme un frein au développement économique futur et
comme la cause du recul progressif des pays développé dans le concert économique
CROISSANCE
mondial.
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RÉGULATIONS
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