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Institutions Et Développement HEC, 2015

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Dissertation 12

Institutions et développement
HEC, 2015

SOMMAIRE
Introduction .................................................................................................p. 195
1 Certaines institutions conditionnent le développement ..........p. 196
2 L’inertie institutionnelle caractérise le sous-développement ....p. 199
3 De la cohérence des systèmes institutionnels ............................p. 202
Conclusion................................................................................................................... p. 204

Introduction
Alors que les deux Corées avaient le même niveau de développement en 1945, en
2013 leur divergence économique est manifeste : la Corée du Sud se classe au 12e rang
des nations ayant le plus fort PIB/habitant, son homologue du Nord est le théâtre
de récurrentes disettes et famines qui illustrent son retard de développement. Pour
D. Acemoğlu et J. Robinson (2012), ces différences s’expliquent par l’adoption de
deux régimes institutionnels radicalement différents : un capitalisme relativement
administré pour la Corée du Sud et une forme hybride de communisme pour la
Corée du Nord.
Au sens large, les institutions sont « les règles du jeu dans une économie », les
« contraintes établies par les hommes qui structurent les interactions humaines »
(North, 1994). Le renouvellement de l’économie institutionnelle consacré par la
remise du « prix Nobel » d’économie à D. North et R. Fogel en 1993, a ainsi pu
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permettre d’établir certaines relations de causalité entre le développement et les muta-


tions institutionnelles à l’œuvre dans une économie. Cette notion de développement
est cependant ambiguë car il s’agit d’un processus profondément multidimensionnel.
F. Perroux (1961) le définit comme « la combinaison des changements mentaux
et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et
durablement, son produit réel global », pour G. Myrdal il s’agit du « mouvement de
tout le corps social vers le haut » et A. Sen le caractérise un processus d’expansion des
libertés réelles dont peuvent jouir les individus (leurs « capabilités »).
Historiquement, c’est avec l’apparition de la révolution industrielle au xixe siècle
que les pays occidentaux, ont renoué avec ce processus de développement, alors que
le xviiie siècle, par ses révolutions successives, avait conduit à une reconfiguration
196 | Partie ii ■ Croissance et développement économique du XIXe siècle à nos jours

radicale de leur contexte institutionnel. Le xxe siècle est ainsi marqué par un récur-
rent débat sur les stratégies de développement à adopter par les pays encore sous-
développés ou « en voie de développement », et sur les réformes institutionnelles que
ces pays devraient mettre en place.
Alors que 48 pays sont toujours considérés comme en situation de sous-développement
par l’ONU, la question de la persistance de ce sous-développement et des conditions
institutionnelles nécessaires au décollage du processus de développement semble des
plus pertinentes.
Est-il dès lors possible de dégager une relation de cause à effet entre certaines
? structures institutionnelles et niveau de développement ? Pour reprendre les termes
de D. North, tout espoir de développement est-il conditionné à l’acceptation et à la
mise en place d’une « révolution institutionnelle » ?
Au regard de l’histoire économique et selon les conclusions de la nouvelle écono-
mie institutionnelle, certains changements institutionnels apparaissent comme
nécessaires au développement (1). Cependant, face à la persistance d’économies en
situation de « sous-développement », l’étude de l’inertie institutionnelle de certaines
nations peut permettre de mettre en avant certains verrous au développement (2).
Il s’agit alors d’étudier les critères de détermination d’un changement institutionnel
« pareto-améliorant » en soulignant l’importance de la cohérence entre cadres socio-
historiques et institutions (3).

1 Certaines institutions
conditionnent le développement
L’étude des conditions préalables au développement des early starters comme des late
comers permet de mettre au jour la centralité de certains changements institutionnels.
Ces derniers permettent d’expliquer l’avance prise par les pays développés à écono-
mie de marché (A), mais également certains phénomènes de rattrapage (B).

A Un socle institutionnel commun


aux early starters
§1 La mise en place des économies de marché et plus largement du capitalisme a néces-
sité une profonde modification des cadres mentaux. Or ces cadres mentaux sont pour
T. Veblen constitutif des institutions qu’il définit comme « des habitudes mentales
prédominantes ».
Les travaux de M. Weber (1904) permettent ainsi de souligner les affinités électives
qui peuvent exister entre le protestantisme et le capitalisme, affinités expliquant
selon lui la précocité du développement des régions européennes à forte population
Dissertation 12 ■ Institutions et développement | 197

protestante. L’éthos besogneux du protestant, sa diffusion et son influence sur les


cadres mentaux européens, serait l’une des institutions permettant d’analyser le
développement de l’Europe occidentale au xixe siècle. Comme l’écrit Weber, « le
puritain voulait être besogneux et nous sommes forcés de l’être », soulignant ainsi
l’influence de la réforme protestante sur les mentalités occidentales et, à terme, sur les
structures économiques. C’est également en ce sens que W. Rostow (1960) fait du
« changement des mentalités » l’une conditions préalables au « take-off ».
L’importance d’une redéfinition des règles de la morale dans l’acceptation du
marché et de ses logiques est par ailleurs soulignée par les analyses de V. Zelizer
(1979). La sociologue américaine souligne ainsi que l’émergence et l’extension de
certains marchés nécessite au préalable une redéfinition des frontières de l’éco-

FONDEMENTS
nomique. Ainsi, tant que l’Église catholique structurait les cadres mentaux de la
société européenne, le développement des prêts à intérêt était fortement entravé
par la condamnation de l’usure par l’institution religieuse (par Thomas d’Aquin
notamment). Tant que la morale ou la sphère religieuse limite les frontières du
marché, le développement économique est donc entravé. Seule une remise en cause
des cadres institutionnels passés permet de repousser les frontières du marché et

CROISSANCE
donc d’étendre le développement.

§2 Outre ces changements mentaux et religieux, la nouvelle école institutionnaliste sou-


ligne l’importance des révolutions politiques et réformes juridiques dans le processus
de développement.
Pour D. North (1973), c’est ainsi le développement de la propriété individuelle

MONDIALISATION
et la consolidation des droits de propriété qui permet d’expliquer la révolution
industrielle du xixe siècle. C’est en effet la définition de la propriété individuelle
et sa garantie qui permet l’émergence d’une volonté de maximisation de l’effort,
de l’innovation, et in fine, du profit. Ces droits de propriétés permettent égale-
ment, dans une logique williamsonienne (O. Williamson, 1985), une réduction
des coûts de transaction et donc un développement de l’échange marchand. L’homo
œconomicus n’est incité à innover et à décupler ses efforts que s’il peut être assuré
RÉGULATIONS
que le fruit de son travail ne lui sera pas spolié par un pouvoir autocratique. La
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Glorious Revolution de 1688 et le Bill of Rights de 1689 permettent ainsi, selon


North, d’expliquer la précocité du développement britannique. Le mouvement
des enclosures dès 1723 a ainsi permis pour M. Bloch le développement de l’
« individualisme agraire » et donc la révolution agricole britannique qui financera
en partie sa révolution industrielle. C’est donc le « grand désencastrement » analysé
par K. Polanyi (1944) qui a permis l’institutionnalisation du marché et donc du
développement capitaliste.
ANNEXES

Héritiers de cette vision institutionnaliste, les partisans du courant économique de


la « law and finance » ont souligné l’importance du droit économique dans l’attrac-
tivité des nations pour les capitaux internationaux. R. La Porta et ses co-auteurs
198 | Partie ii ■ Croissance et développement économique du XIXe siècle à nos jours

(1998) ont ainsi montré empiriquement l’existence d’une forte corrélation entre flux
entrants de capitaux et systèmes juridiques de « common law » (par opposition aux
systèmes de « civil law »). La flexibilité des systèmes de « common law » fondés sur le
principe de la jurisprudence et la propension de ces juridictions à favoriser le droit
des actionnaires peuvent ainsi expliquer leur dynamisme économique.

B Réformes institutionnelles et late comers


§1 L’étude des trajectoires de développement permet de mettre en avant le rôle de cer-
taines mutations institutionnelles dans le processus de rattrapages des late comers.
En particulier, les travaux d’A. Gerschenkron (1962) soulignent l’importance d’un
certain interventionnisme étatique dans le rattrapage à la fin du xixe siècle de pays
comme la Russie, l’Allemagne ou encore le Japon. Ainsi, c’est la modification des
structures de financement de la Russie, par l’émission massive de bons du Trésor
(les emprunts russes de S. Witte pour une valeur totale de près de 275 millions
de roubles) qui a permis à la Russie d’effectuer son take-off. En Corée du Sud, c’est
l’organisation d’une remontée de filières par les industries exportatrices, selon la
logique du développement en vol d’oie sauvage (Akamatsu, 1962), qui a permis
à l’économie coréenne de se hisser en moins d’un demi-siècle au rang d’économie
développée. Au Japon, c’est la réforme fiscale sur les terres agraires qui a permis un
transfert massif des ressources durant l’ère Meiji, du secteur primaire vers le secteur
secondaire structuré autour des zaibatsus. Ainsi, les réformes institutionnelles mises
en place par des États volontaristes peuvent expliquer les rattrapages économiques
de certains pays.

§2 Plus récemment, les politiques internationales de développement se sont axées à la fin


du xxe siècle sur la mise en place de « plans d’ajustements structurels » qui reposent
sur un ensemble de réformes institutionnelles.
Ces plans d’ajustement reposent ainsi sur la croyance en un certain fondamenta-
lisme de marché incarné par le consensus de Washington, porté par le FMI et la
Banque mondiale. En préconisant une profonde libéralisation des économies et leur
ouverture aux capitaux internationaux, ces réformes institutionnelles sont censées
permettre aux économies les moins développées de s’insérer dans une trajectoire de
développement optimale. Entre autres piliers de ce consensus de Washington on
peut citer : la libéralisation du commerce et des flux d’IDE, la privatisation des
secteurs sous contrôle de l’État, la protection des droits de propriété… De telles
politiques de développement reposent alors sur l’idée que ces réformes structurelles
permettront aux pays les moins développés de suivre la trajectoire de développement
qu’ont connu les pays les plus développés un siècle auparavant. La consolidation
du marché et la garantie de son fonctionnement sans aucune entrave peuvent alors
apparaître comme une voie possible du développement économique. En particulier,
Dissertation 12 ■ Institutions et développement | 199

la libéralisation des flux d’IDE est censée permettre d’accélérer l’accumulation du


capital qui est moteur de la croissance économique et du développement dans les
modèles de Solow (1956) et Rostow (1960).
Ces plans d’ajustement structurels ont notamment été mis en place en Europe
de l’Est dans les années 1990 suite à l’effondrement de l’URSS. Leur entrée dans
l’Union européenne en 2004 a de plus contribué à consolider et approfondir les
réformes institutionnelles de ces pays. Or, durant les années 1995 et 2007, la plupart
de ces PECO ont connu une croissance vigoureuse avoisinant voire dépassant sur
certaines années les 5 %.
Certaines réformes, voire révolutions, institutionnelles semblent donc nécessaires

FONDEMENTS
pour enclencher les processus de développement. A contrario, force est de constater
que certaines inerties institutionnelles peuvent expliquer le maintien de certaines
situations de sous-développement.

2 L’inertie institutionnelle
caractérise le sous-développement

CROISSANCE
Certaines institutions semblent nuire au développement des nations. Elles peuvent
être à l’origine de « trappes à sous-développement » (A), et se maintenir du fait
de l’existence d’obstacle à toute « révolution institutionnelle » pouvant limiter les
potentialités de développement (B).

MONDIALISATION
A L’existence de trappes à sous-développement
§1 L’inertie institutionnelle empêchant la dynamique du développement peut se com-
prendre comme résultant d’une logique de « dépendance au sentier ».
Les effets des structures institutionnelles passées sur le développement économique
présent sont mis en lumière par les travaux de D. Acemoğlu, J. Robinson et RÉGULATIONS
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

J. Johnson (2001). En effet ces derniers soulignent l’influence des institutions mise en
place par les colons dans les pays colonisés sur leur trajectoire de développement des
décennies après les mouvements de décolonisation. Les « colonies de peuplement »
dans lesquelles les colons ont répliqué les institutions occidentales inclusives tant sur
le plan économique que sur le plan politique, ont souvent pu épouser des sentiers
de développement proches de ceux de leurs anciens colonisateurs. En revanche, les
« colonies d’extraction », dans lesquelles les colons ne cherchaient qu’à extraire les
ANNEXES

matières premières, se sont enfoncées dans une trappe à sous-développement malgré


leur émancipation des puissances coloniales. La raison en est selon les auteurs la
concentration du pouvoir politique auprès d’une minorité oligarchique (institutions
politiques extractives) qui entraîne une spécialisation économique sur les secteurs
200 | Partie ii ■ Croissance et développement économique du XIXe siècle à nos jours

extractifs qui profitent principalement aux rentiers qui constituent cette même oli-
garchie politique et économique.
Ce terme de « dépendance au sentier », introduit dès le xixe siècle par J. S. Mill
(1848), souligne ainsi l’interdépendance entre l’activité économique présente et les
trajectoires institutionnelles prises par le passé. Dans une telle logique, il est alors
possible que les pays sous-développés soient enfermés dans ce que R. Nurkse carac-
térise de « trappe à pauvreté ». En effet, pour Nurkse, « un pays est pauvre parce qu’il
est pauvre » (1953), comprendre par là qu’il existe un cercle vicieux du sous-déve-
loppement engendré par une défaillance institutionnelle indépassable en l’absence
d’intervention exogène. Ce cercle vicieux de la pauvreté empêche ainsi aux écono-
mies concernées de dégager les ressources nécessaires au financement d’institutions
plus performantes et notamment le financement de politiques de développement.

§2 L’absence de développement économique peut ainsi engendrer l’impossibilité de


financer un État capable de mettre en place et de garantir les institutions favorables
au développement.
La théorie de la croissance endogène, notamment illustrée par les travaux de
D. Romer (1986), R. Lucas (1988) et R. Barro (1990) permet ainsi de mettre en
lumière l’importance de l’État dans le maintien d’une dynamique économique ver-
tueuse. En l’absence d’une institution étatique suffisamment développée pour assurer
le financement d’infrastructures publiques ou de systèmes d’éducation performants,
les économies sous-développées semblent condamnées à le rester. De même, l’absence
d’institutions redistributive, notamment sur le plan sanitaire, peut être l’une des clefs
d’explication du sous-développement. L’absence de telles institutions maintient une
large partie de la population dans un état proche du seuil de subsistance et ne leur
permet par ailleurs ni d’épargner ni de disposer d’une productivité significative (dès
lors que l’on considère que la productivité est corrélée avec le niveau d’alimentation
ou d’accès aux soins).
Dans leur article de 1992, N. G. Mankiw, D. Romer et D. N. Weil soulignaient
ainsi que la plupart des écarts entre pays développés et pays en voie de dévelop-
pement s’expliquaient par l’inégal développement des structures éducatives. Entre
autres institutions, les institutions scolaires semblent ainsi occuper une place centrale
dans les processus de développement.

B Les obstacles à la « révolution institutionnelle »


§1 Malgré la mise en lumière des défaillances institutionnelles des pays sous-dévelop-
pés, l’inertie de ces institutions peut perdurer du fait de l’absence de forces pouvant
œuvrer pour le changement institutionnel.
Comme le soulignent D. Acemoğlu et J. Robinson dans leur dernier ouvrage, Why
Nations Fail (2015), pour que les institutions économiques puissent muter, encore
Dissertation 12 ■ Institutions et développement | 201

faut-il que les institutions politiques laissent dans l’espace public l’espace nécessaire
à l’émergence d’« entrepreneurs institutionnels » (T. Veblen). En l’absence de telles
institutions politiques inclusives, aucune force de changement ne peut émerger, les
élites politiques des régimes autocratiques n’ayant en général que peu d’intérêt à
accroître le partage des richesses dans leur économie et donc à mettre en œuvre des
institutions, tant politiques qu’économiques, inclusives. De plus, la forte corruption
souvent présente dans les pays sous-développés entraîne une inefficience des insti-
tutions en entraînant une distorsion entre les règles de droit et leur application en
pratique. En effet on peut observer d’un point de vue microéconomique une corréla-
tion entre faiblesse des revenus dans une économie et propension des agents publics
à céder à la corruption (du fait d’une plus grande utilité marginale de la corruption).

FONDEMENTS
Dès lors, un trop faible niveau de développement rend plus difficile la mise en place
et surtout l’application d’institutions inclusives.
Le maintien des situations de sous-développement peut ainsi s’expliquer par les
mécanismes de verrouillage institutionnel qui sclérosent certaines économies oligar-
chiques. Seul un régime politique inclusif tel qu’une démocratie réelle permet de
maintenir une dynamique institutionnelle favorable à la croissance en obligeant sans

CROISSANCE
cesse les décideurs publics à prendre en compte l’objectif d’amélioration des niveaux
de vie de leur électorat. C’est notamment ce que souligne A. Sen (1989) en montrant
le lien entre démocratie et mesures de luttes contre les famines en Inde.

§2 Même pour les pays les plus développés, cette question de l’inertie institutionnelle
peut être un facteur de limitation du développement.

MONDIALISATION
Ainsi, le ralentissement de la croissance économique qui s’observe dans les PDEM
(R. Gordon, 2015) peut s’expliquer par l’incapacité de nombreuses économies à
réformer leurs systèmes institutionnels. Le maintien d’un chômage structurel en
France a pu être analysé par les économistes les plus libéraux comme résultant d’une
incapacité à accepter des réformes structurelles visant à flexibiliser le marché du travail.
Ainsi, le droit du travail français, institution économique et juridique centrale, est
souvent pointé du doigt pour son excès de rigidité : c’est notamment le message de
RÉGULATIONS
J. Barthélémy et G. Cette dans leur manifeste Réformer le droit du travail (2015).
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Or, les institutions établies sont souvent protégées par des groupes de pressions. Pour
les institutions de l’emploi, le fort poids syndical dans les négociations tripartites
malgré la baisse du taux de syndicalisation (moins de 11 % aujourd’hui), verrouille
le changement institutionnel et ne permet qu’un développement à la marge.
En reprenant le modèle Insiders/Outsiders de Lindbeck et Snower (1985), on
pourrait ainsi dire que l’inertie institutionnel dans les pays occidentaux provient
ANNEXES

de l’inégale répartition des ressources politiques en faveur des insiders. Cette der-
nière entraînerait alors le maintien de ce que D. Olivennes nommait en 1994 une
« préférence française pour le chômage ».
202 | Partie ii ■ Croissance et développement économique du XIXe siècle à nos jours

Un système institutionnel défaillant peut ainsi scléroser le développement d’une


nation voire l’enfermer dans une trappe à sous-développement et l’inertie institu-
tionnelle s’analyse comme résultant d’une inégale répartition de la représentation
politique. Pour que le changement institutionnel puisse se mettre en œuvre et porter
ses fruits, il faut donc s’assurer de l’adaptation du système institutionnel aux spécifi-
cités historico-géographiques.

3 De la cohérence
des systèmes institutionnels
À contre-courant des analyses universalistes, il semble que les liens entre dévelop-
pement et institutions passent avant tout par la définition d’institutions spécifiques
adéquates à chaque cadre national et local (A) et la durabilité de cette relation néces-
site la mise en œuvre d’institutions de gouvernance particulière (B).

A L’importance des spécificités locales


§1 L’échec manifeste de nombreux plans d’ajustement structurel a permis de mettre en
avant l’importance d’adapter les institutions économiques aux spécificités historico-
culturelles de chaque nation.
En particulier, de nombreuses études empiriques permettent de montrer que la libé-
ralisation des marchés financiers peut entraîner des effets pervers sur le développe-
ment économique bien plus que la prospérité des économies concernées. Dans leur
article « Thresholds in the Process of International Financial Integration » (2011),
A. Kose, E. Prasad et A. Taylor soulignaient ainsi l’existence d’effets de seuil dans
les bénéfices d’une libéralisation financière : de telles institutions ne bénéficieraient en
réalité qu’à 29 % des pays émergents et 20 % des PED seulement. Ces résultats sont
par ailleurs confortés par l’étude de A. Gaytan et R. Rancière (2004), qui montre
que les effets du développement financier sont d’autant plus faibles, voire négatifs,
que les niveaux de PIB/tête sont bas. Ainsi le fondamentalisme de marché porté
par le consensus de Washington est largement remis en cause dès la fin des années
1990 et se développe l’idée que le développement des nations passe par l’adoption
d’institutions congruentes avec les structures locales.
Ainsi des initiatives « bottom-up » comme l’octroi de microcrédits semblent avoir
fait leur preuve, notamment dans l’émancipation des populations féminines au Ben-
gladesh. L’économiste bangladais M. Yunus, inventeur du microcrédit, a ainsi reçu
le Prix Nobel de la paix en 2006 en reconnaissance du rôle du microcrédit dans le
développement des nations.

§2 À partir des années 1970 a émergé une critique encore plus radicale de l’économie
du développement considérant que le sous-développement n’est pas un état qui
Dissertation 12 ■ Institutions et développement | 203

précède le développement mais bien plus une conséquence de la domination des


pays développés sur le reste du monde. Le sous-développement serait alors dû
au caractère inégalitaire des institutions qui régissent les relations économiques
mondiales.
Les théories néomarxistes du commerce international mettent ainsi en avant le fait
que le libéralisme commercial, en tant qu’institution internationale, privilégie avant
tout une domination Nord-Sud plutôt que l’égal développement des nations qui
y prennent part. En particulier, J. Bhagwati (1959) montre que la division inter-
nationale du processus de production peut enfermer in fine certaines économies
dans des « spécialisations appauvrissantes » qui, à terme, agissent comme un frein
au développement des nations. L’exemple des spécialisations pétrolifère des pays

FONDEMENTS
du Golfe ou du Venezuela souligne ainsi le rôle ambigu de certaines spécialisations
primaires dans le développement des pays. Pour S. Amin (1973) et A. Emmanuel
(1969), le commerce international en tant qu’institution ne serait que l’instrument
d’une domination des « pays du centre » sur les « pays de la périphérie », le dévelop-
pement des premiers se faisant au prix du maintien des seconds dans une situation
de sous-développement. Cette thèse néomarxiste peut empiriquement s’appuyer

CROISSANCE
sur l’observation de la dégradation des thermes de l’échange que mettait en avant
R. Prebisch dès 1949.
Lors du 9e sommet des BRICS en septembre 2017, le président chinois Xi Jinping
a ainsi insisté sur la volonté des pays émergents d’œuvrer pour « une mondialisation
ouverte, inclusive et équilibrée profitera à tous ». Afin d’accomplir cet objectif, les
BRICS ont réaffirmé leur souhait d’une réforme des instances de gouvernance inter-

MONDIALISATION
nationales et en particulier du FMI en déclarant vouloir « faire entendre la voix des
pays émergents et en développement afin de créer une nouvelle dynamique pour
combler le fossé Nord-Sud ».

B Des institutions pour pérenniser


le développement RÉGULATIONS
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§1 Face aux enjeux environnementaux contemporains, il semble que l’avenir du déve-


loppement et donc sa durabilité ne puissent être assurés que par une réforme institu-
tionnelle permettant une meilleure gouvernance des biens communs.
En effet, G. Hardin soulignait dès 1968 qu’en l’absence d’institutions adéquates, les
biens communs (caractérisés par leur rivalité et leur non excluabilité) étaient de faits
surexploités et que cette surexploitation pouvait in fine menée à la destruction des
ANNEXES

ressources communes. Aujourd’hui cette « tragédie des communs » permet de com-


prendre les enjeux associés à la protection de l’environnement : en l’absence d’une
meilleure gouvernance environnementale, le développement des nations semble
devoir buter sur la frontière écologique que mettait déjà en avant T. Malthus dès
204 | Partie ii ■ Croissance et développement économique du XIXe siècle à nos jours

1798. E. Ostrom (1990) a ainsi démontré l’importance d’organiser la gouvernance


des communs au niveau local afin d’internaliser au mieux les externalités liées à leur
usage tout en obtenant le plus grand assentiment et la plus grande participation
possible de chacun des acteurs dans cette gouvernance.
D. Sneath (1998), en étudiant la dégradation des pâturages des steppes mongoles
en Mongolie, en Mongolie intérieure (Chine) et dans les régions limitrophes de
Russie (Transbaïkalie, Bouriatie, Touva), a pu démontrer l’importance de l’échelon
local dans la gouvernance des communs. Il explique en effet la dégradation accélérée
de ces pâturages en Chine et en Russie réciproquement par la régulation privée
individuelle en Chine et par la régulation collective centralisée en Russie, et attribue
aux institutions traditionnelles des villages mongoles la pérennité des pâturages de
la région.

§2 Outre le pilier économique et environnemental, le développement durable repose


sur un pilier social qui ne peut être assuré que par l’existence d’institutions distribu-
tives et garantissant les droits sociaux de chacun.
Pour A. Sen, le développement correspond en effet à l’expansion des libertés réelles
dont jouissent les individus et nécessite donc la mise en place d’institutions garan-
tissant l’équitable répartition des biens premiers. En s’appuyant sur les travaux
antérieurs de J. Rawls (1971), on peut définir ces biens sociaux premiers comme
les biens correspondant aux ressources élémentaires nécessaires à la satisfaction de
n’importe quel type de préférences et donc désirés par toutes personnes rationnelles
(les libertés fondamentales, les opportunités offertes aux individus, les pouvoirs et
privilèges, les revenus et la richesse, les bases sociales du respect de soi). Or la
garantie de ces biens sociaux primaires nécessite l’existence d’une autorité centrale
tel que l’État, capable d’organiser les logiques de solidarités qui permettent que le
développement économique coïncide avec le développement social.
Dans Les Métamorphoses de la question sociale (1995), R. Castel montre ainsi que la
fin du xixe siècle a été marquée par la légitimation progressive de l’État-providence
en tant qu’institution régulatrice du capitalisme. La régulation des inégalités par cette
figure de l’État social est ainsi indispensable à la transformation du développement
économique en développement social.
Certaines institutions spécifiques aux contextes locaux et appropriées aux enjeux
contemporains sont ainsi essentielles pour assurer la pérennité du développement
économique et social.

Conclusion
En 1968, S. Kuznets déclarait : « Underdevelopment is a failure resulting from
the resistance of social institutions ». On peut avec lui considérer que le développe-
Dissertation 12 ■ Institutions et développement | 205

ment des nations résulte principalement de leur capacité à adopter des institutions
propices aux trois piliers d’un développement durable : le pilier économique, le
pilier social et le pilier environnemental. Cependant l’analyse des verrous au chan-
gement institutionnel permet de souligner que la relation entre développement
et institutions demeure une relation complexe et qu’il peut exister des trappes
à sous-développement résultant d’une inertie institutionnelle difficilement dépa-
sable. Plus qu’une définition normative de « bonnes » et de « mauvaises » institu-
tions, il s’agirait alors de pouvoir définir les institutions les plus adaptées à chaque
contexte local afin de permettre un développement plus harmonieux de l’ensemble
des régions du globe.
Face au retour du spectre de la stagnation séculaire, notamment porté par R. Gordon

FONDEMENTS
(2016) ou L. Summers (2014), la question est aujourd’hui de savoir si les réformes
institutionnelles que tentent de mettre en place les pays développés leur permettront
d’assurer la pérennité de leur développement. Notamment, dans une économie de
plus en plus globalisée et numérique, les institutions héritées du xixe et du xxe siècle
apparaissent pour certains comme un frein au développement économique futur et
comme la cause du recul progressif des pays développé dans le concert économique

CROISSANCE
mondial.

MONDIALISATION
RÉGULATIONS
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ANNEXES

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