FRANÇAIS 1ERE
I.LITTERATURE D’IDEES
Montaigne/Notre monde vient d’en trouver un autre
Extrait 3 MONTAIGNE « Des Coches » En côtoyant la mer
Explication linéaire n°3 : des Européens chez les Indiens
« Des coches » (Essais III,6) de« En côtoyant la mer à la recherche de leurs mines»
à «témoin mes cannibales. »
p 133-135 édition Etonnants classiques Flammarion
En côtoyant la mer à la recherche de leurs mines, aucuns Espagnols prirent terre en une
contrée fertile et plaisante, fort habitée et firent à ce peuple leurs remontrances accoutumées :
Qu’ils étaient gens paisibles, venant de lointains voyages, envoyés de la part du roi de
Castille, le plus grand prince de la terre habitable, auquel le Pape, représentant Dieu en terre,
avait donné la principauté de toutes les Indes ; que, s’ils voulaient être tributaires de ce roi, ils
seraient très bénignement traités ; leur demandaient des vivres pour leur nourriture et de l’or
pour le besoin de quelque médecine ; leur remontraient au demeurant la créance d’un seul
Dieu et la vérité de notre religion, laquelle ils leur conseillaient d’accepter, y ajoutant
quelques menaces. La réponse fut telle : Que, quant à être paisibles, ils n’en portaient pas la
mine, s’ils l’étaient ; quant à leur roi, puisqu’il demandait, il devait être indigent et
nécessiteux ; et celui qui lui avait fait cette distribution homme aimant dissension d’aller
donner à un tiers chose qui n’était pas sienne pour le mettre en débat contre les anciens
possesseurs ; quant aux vivres, qu’ils leur en fourniraient ; d’or, ils en avaient peu et que
c’était chose qu’ils mettaient en nulle estime d’autant qu’elle était inutile au service de leur
vie, là où tout leur soin regardait seulement à la passer heureusement et plaisamment ;
pourtant, ce qu’ils en pourrait trouver, sauf ce qui était employé pour le service de leurs dieux,
qu’ils le prissent hardiment ; quant à un seul Dieu, le discours leur en avait plu, mais qu’ils ne
voulaient changer leur religion, s’en étant si utilement servi si longtemps, et qu’ils n’avaient
accoutumé prendre conseil que de leurs amis et connaissances ; quant aux menaces, c’était
signe de faute de jugement d’aller menaçant ceux desquels la nature et les moyens étaient
inconnus ; ainsi, qu’ils se dépêchassent promptement de vider leur terre, car ils n’avaient pas
accoutumés de prendre en bonne part les honnêtetés et remontrances de gens armés et
étrangers ; autrement, qu’on ferait d’eux comme de ces autres, leur montrant les têtes
d’aucuns hommes justifiés autour de leur ville. Voilà un exemple de la balbutie de cette
enfance. Mais tant y a que ni en ce lieu-là ni en plusieurs autres, où les Espagnols ne
trouvèrent les marchandises qu’ils cherchaient, ils ne firent arrêt ni entreprise, quelque autre
commodité qu’il y eût ; témoin mes cannibales.
Etape 1 : compléter la problématique ci-dessous :
Quelle st……ie argumentative Montaigne emploie-t-il pour c…….r les conquérants
espagnols et remettre en cause le pr….é de la naïveté des Amérindiens?
Etape 2 : donnez un titre à chacune des trois parties de l’extrait.
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I.LITTERATURE D’IDEES
Montaigne/Notre monde vient d’en trouver un autre
Extrait 3 MONTAIGNE « Des Coches » En côtoyant la mer
I) L’arrivée des Espagnols et leur discours présomptueux l.1 à 9
1)l1-2 : repérez les formulations qui peuvent donner à cette anecdote particulière une valeur
généralisante. Commentez les expressions « leurs mines » et « remontrances accoutumées »
→en quoi cette simple phrase d’introduction narrative laisse-t-elle deviner un jugement
négatif sur les conquérants espagnols ?
2)l3-9, en vous appuyant sur la ponctuation, les conjonctions « que », les verbes déclaratifs,
définissez le type de phrase employé (l3-9). Quelle est l’intention de Montaigne ?
3)Par quel procédé sont définis le « roi » et le « pape » ((l.4). Quelle signification ceci peut-il
avoir pour les Amérindiens ? Quel défaut est dénoncé ici ?
4)Par quel adjectif les Espagnols se définissent-ils d’emblée (l.3)? Quels autres termes de
leurs discours peuvent apparaître en contradiction avec celui-ci. Pouvez-vous repérer d’autres
contradictions ?
5)Quelles valeurs négatives se disent à travers ce discours ?
II) La réponse avisée des Amérindiens l.9-24
1)Quelle formule introduit le discours des AI à la l.9. Quelle est l’intention de
Montaigne ?
2)Repérez la formule qui introduit les différents éléments de la réponse. Que cela prouve-t-il ?
3)Comment les AI parviennent-ils à contester logiquement chacune des contradictions des
Esp ?
4)Quelles valeurs s’expriment à travers cette réponse ? Comment peut-on les opposer à celle
des Conquistadores ?
III) La conclusion ironique de Montaigne l. 24-27
1)En quoi la formule « la balbutie de cette enfance » (l.24) est-elle ironique ?
2)Dans les l.25 à 27, quelle critique M adresse-t-il aux conquérants ?
3)Comment comprenez-vous la formule finale « témoin mes cannibales » (l.27) ?
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Extrait 3 MONTAIGNE « Des Coches » En côtoyant la mer
Introduction : Michel de Montaigne (1533-1592), grand humaniste, auteur des Essais :
œuvre autobiographique dans laquelle il réfléchit sur lui-même, mais aussi sur les grands
évènements de son temps. Notre programme : « Des cannibales » livre I et « Des coches »,
livre III, réflexion sur la légitimité de la conquête de l’Amérique (1492) et du traitement
réservé aux Amérindiens par les Européens.
« Des coches » (=« Des voitures ») : à partir d’une réflexion sur le luxe et le voyage,
Montaigne (qui s’appuie sur la lecture d’un historien espagnol, Lopez de Gomara, auteur de
L’histoire générale des Indes publiée en 1552) en vient à évoquer dans notre extrait la
rencontre entre un groupe de conquérants sspagnols et un peuple amérindien.
Problématique : Quelle stratégie argumentative Montaigne emploie-t-il pour critiquer la
présomption des Espagnols et remettre en cause la prétendue naïveté des Amérindiens?
Stratégie délibérative : Montaigne résume le discours des conquérants espagnols, puis celui du
peuple indien, qu’il se contente de mettre en miroir, sans commentaire, pour que le lecteur se
fasse son propre avis. C’est dans les dernières lignes seulement de l’extrait qu’il intervient
directement pour proposer son choix entre les deux discours, dans une tonalité ironique que le
lecteur peut partager.
Plan :
I) L’arrivée des Espagnols et leur discours présomptueux l.1 à 9
II) La réponse avisée des Amérindiens l.9 à 24
III) La brève conclusion ironique de Montaigne l. 2’-27
I) L’arrivée des Espagnols et leur discours présomptueux l.1 à 9
Partie du texte commentée :
En côtoyant la mer à la recherche de leurs mines, aucuns Espagnols prirent terre en une
contrée fertile et plaisante, fort habitée et firent à ce peuple leurs remontrances accoutumées
: Qu’ils étaient gens paisibles, venant de lointains voyages, envoyés de la part du roi de
Castille, le plus grand prince de la terre habitable, auquel le Pape, représentant Dieu en
terre, avait donné la principauté de toutes les Indes ; que, s’ils voulaient être tributaires de ce
roi, ils seraient très bénignement traités ; leur demandaient des vivres pour leur nourriture et
de l’or pour le besoin de quelque médecine ; leur remontraient au demeurant la créance d’un
seul Dieu et la vérité de notre religion, laquelle ils leur conseillaient d’accepter, y ajoutant
quelques menaces.
1)l1-2 : repérez les formulations qui peuvent donner à cette anecdote particulière une valeur
généralisante. Commentez les expressions « leurs mines » et « remontrances accoutumées »
→en quoi cette simple phrase d’introduction narrative laisse-t-elle deviner un jugement
négatif sur les conquérants espagnols ?
Dès la phrase narrative d’introduction, M nous donne des indices qu’il a choisi cette anecdote
pour sa portée générale et parce qu’elle va lui permettre de dévaloriser l’attitude des
Européens et de valoriser celle des Indiens.
« Aucuns Espagnols » : adjectif indéfini (= quelques, certains), « une contrée » : déterminant
indéfini, « à ce peuple » : simple démonstratif. Ces termes assez vagues universalisent le
propos. Cet exemple d’une rencontre entre les peuples des deux mondes a valeur d’argument.
« Leurs mines » : l’adjectif possessif « leurs » souligne que les Espagnols prennent possession
d’un territoire alors même qu’il est habité et met en valeur d’emblée la recherche de l’or
comme seule motivation des conquérants.
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« Leurs remontrances accoutumées » : l’adjectif qui signifie « habituelles » fait référence au
requerimiento, le discours officiel de réquisition ou de mise en demeure d’obéir et de donner
leurs biens que les conquérants espagnols adressaient officiellement aux peuples qu’ils
rencontraient sur leur route.
2)l3-9, en vous appuyant sur la ponctuation, les conjonctions « que », les verbes déclaratifs,
définissez le type de phrase employé (l3-9). Quelle est l’intention de Montaigne ?
La phrase est une période, formée par une accumulation de propositions juxtaposées par des
points virgules. Les « que » de la l….. et l…… sont des conj de sub complétive (dépendant
logiquement de « remontrances »). Trois verbes déclaratifs « demandaient », « remontraient »,
« conseillaient » = le requerimiento est rapporté au discours indirect.
→ L’intention de M est double : résumer le discours officiel et en souligner les contradictions.
3)Par quel procédé sont définis le « roi » et le « pape » ((l.4). Quelle signification ceci peut-il
avoir pour les Amérindiens ? Quel défaut est dénoncé ici ?
Ce discours est prononcé au nom du « roi de Castille » et du « pape » catholique. Ces deux
autorités sont définies par deux périphrases placées en apposition :
« le plus grand prince de la terre habitable » : hyperbole valorisante
« représentant Dieu en terre » : la majuscule fait allusion au dieu unique du catholicisme, qui
est la référence suprême.
Ces deux autorités et les périphrases qui les définissent, très valorisantes aux yeux des Esp,
ne peuvent évidemment avoir aucun sens pour les AI. M souligne ici l’ethnocentrisme
habituel des conquérants européens de son époque qui supposent que leurs propres références
culturelles doivent s’imposer aux autres.
4)Par quel adjectif les Espagnols se définissent-ils d’emblée (l.3)? Quels autres termes de
leurs discours peuvent apparaître en contradiction avec celui-ci. Pouvez-vous repérer
d’autres contradictions ?
-Les Espagnols se définissent d’emblée par l’adj mélioratif « paisibles ».
-On peut opposer à cet adjectif l’antithèse des l….. « tributaires/bénignement traités ».
Tributaires s’applique aux peuples vaincus qui doivent payer tribut à leur vainqueur,
bénignement veut dire « sans faire de mal » : il y a contradiction entre les termes.
-La fin du discours (« y ajoutant quelques menaces ») s’oppose explicitement au début (« ils
étaient gens paisibles »). Elle vient contredire aussi le discours religieux, « la créance d’un
seul Dieu et la vérité de notre religion. Le sens pacifique des deux verbes (« leur
remontraient », leur conseillaient ») est contredit par les menaces qui accompagnent ce
discours.
5)Quelles valeurs négatives se disent à travers ce discours ?
On peut ajouter d’autres valeurs négatives d’après la partie centrale du discours.
« leur demandaient des vivres pour leur nourriture et de l’or pour le besoin de quelque
médecine »
deux compl circ de but « pour leur nourriture » : une raison véritable. « pour le besoin de
quelque médecine » : prétexte. Le parallélisme de construction, qui juxtapose une raison
valable et un mensonge grossier, est un indice de l’intention satirique de M
→ ce qu’il dénonce ici est non seulement la cupidité des Conquistadores mais aussi leur
duplicité et leur mépris vis à vis de ceux qu’ils prennent pour des sauvages naïfs.
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Transition : Montaigne se contente apparemment de résumer au discours indirect, sans le
commenter, le discours officiel des Conquistadores. Mais les valeurs négatives, qui se
perçoivent à travers cette accumulation de propositions contradictoires, sont évidentes pour
le lecteur. Les Indiens vont-ils être aussi naïfs que le croient leurs visiteurs et se laisser
prendre au piège de ce discours ?
II) La réponse avisée des Amérindiens l.9-24
Partie du texte commentée :
La réponse fut telle : Que, quant à être paisibles, ils n’en portaient pas la
mine, s’ils l’étaient ; quant à leur roi, puisqu’il demandait, il devait être indigent et
nécessiteux ; et celui qui lui avait fait cette distribution homme aimant dissension d’aller
donner à un tiers chose qui n’était pas sienne pour le mettre en débat contre les anciens
possesseurs ; quant aux vivres, qu’ils leur en fourniraient ; d’or, ils en avaient peu et que
c’était chose qu’ils mettaient en nulle estime d’autant qu’elle était inutile au service de leur
vie, là où tout leur soin regardait seulement à la passer heureusement et plaisamment ;
pourtant, ce qu’ils en pourrait trouver, sauf ce qui était employé pour le service de leurs
dieux, qu’ils le prissent hardiment ; quant à un seul Dieu, le discours leur en avait plu,
mais qu’ils ne voulaient changer leur religion, s’en étant si utilement servi si longtemps, et
qu’ils n’avaient accoutumé prendre conseil que de leurs amis et connaissances ; quant aux
menaces, c’était signe de faute de jugement d’aller menaçant ceux desquels la nature et les
moyens étaient inconnus ; ainsi, qu’ils se dépêchassent promptement de vider leur terre, car
ils n’avaient pas accoutumés de prendre en bonne part les honnêtetés et remontrances de
gens armés et étrangers ; autrement, qu’on ferait d’eux comme de ces autres, leur montrant
les têtes d’aucuns hommes justifiés autour de leur ville.
1)Quelle formule introduit le discours des AI à la l.9. Quelle est l’intention de Montaigne ?
« La réponse fut telle » : brève formule de transition.
« Que » : conjonction introduisant une subordonnée complétive (qui dépend logiquement de
« réponse », en français moderne on dirait « à savoir que ») = le discours des Indiens est
rapporté comme celui des Espagnols au discours indirect.
→ La stratégie argumentative de Montaigne consiste ici, sans aucun commentaire, à
juxtaposer, en miroir du requerimiento, la réponse des Amérindiens. Cette réponse est plus
développée, construite et elle exprime d’elle-même une vision du monde plus positive.
2)Repérez la formule qui introduit les différents éléments de la réponse. Que cela prouve-t-
il ?
L’anaphore de l’expression « quant à », répétée 5 fois aux lignes ………………... permet
d’aborder chacun des points du discours espagnol dans l’ordre même où il a été délivré.
M souligne ainsi que les Indiens ont écouté attentivement le discours des Espagnols, qu’ils en
ont saisi chacun des arguments principaux et qu’ils sont capables de lui répondre point par
point avec rigueur.
3)Comment les AI parviennent-ils à contester logiquement chacune des contradictions des
Esp ?
Dans leur discours, les AI se montrent d’abord capables de déconstruire le discours
mensonger des Espagnols :
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a) au début de leur discours ils contestent le prétendu pacifisme des Espagnols
« quant à être paisibles, ils n’en portaient pas la mine, s’ils l’étaient » l…….. : contestation
par la reprise de l’adjectif employé par les Espagnols (« paisibles cf l….. ) des intentions
pacifiques des Espagnols. Le tour négatif « ils n’en portaient pas la mine » (= ils n’en avaient
pas l’air) et la concession ironique « s’ils l’étaient » souligne la contradiction entre discours et
réalité. Simple constat fondé sur l’observation (cf un peu plus bas à la l…….. « gens
armés »), prudence des indigènes qui montre leur capacité de jugement et naïveté des
Espagnols qui s’imaginent qu’ils peuvent arriver armés et faire croire qu’ils sont pacifiques.
b)Puis ils contestent la légitimité du roi et du pape à disposer de leur territoire
- Le roi : « quant à leur roi, puisqu’il demandait, il devait être indigent et nécessiteux »
l…….. : contradiction mise en évidence entre les termes hyperboliques employés par les
Espagnols : « le plus grand prince de la terre habitable » l…. et la réalité. Les Indigènes
proposent un raisonnement fondé sur la cause : « puisque ») et la conséquence (« il devait »).
Ils aboutissent à une conclusion ironique : les deux adjectifs « indigent et nécessiteux » sont
peu respectueux pour un roi, dont les indigènes ne reconnaissent nullement l’autorité. Tonalité
satirique.
-Le pape est désigné par une périphrase « celui qui lui avait fait cette distribution », ce qui
souligne que les Indiens ne comprennent pas son titre ni sa fonction. Ils le qualifient par un
attribut au sens péjoratif : « homme aimant dissension » l…. : «dissension » = discorde.
Terme très fort au XVIe s, contraire aux principes chrétiens de paix et d’amour. Celui qui,
dans la pensée chrétienne, apporte la « dissension » est non pas Dieu mais le Diable. Le
lecteur de 1588 pouvait être sensible à cette critique.
+ « d’aller donner à un tiers chose qui n’était pas sienne » l…. : compl circonstanciel de
cause. Les Amérindiens sont capables de raisonner et de proposer un argument tout à fait
acceptable dans la morale européenne (on ne peut donner ce qui ne nous appartient pas).
c) Enfin ils répondent aux menaces voilées des Esp dans la fin du discours
Les AI soulignent l’inconséquence des Espagnols et leur imprudence : « c’était signe de faute
de jugement que d’aller menaçant ceux desquels la nature et les moyens étaient inconnus. » .
L’expression « faute de jugement » désigne ici les Espagnols et non les AI, ce qui est
évidemment un renversement du préjugé ethnocentriste des lecteurs de l’époque.
« Qu’ils se dépêchassent (…) autrement on ferait d’eux » : le connecteur logique
« autrement » souligne qu’ils proposent une alternative très claire.
« Qu’ils se dépêchassent promptement de vider leur terre » : emploi d’un subjonctif à valeur
d’impératif. Les AI justifient cet ordre par la conj coordination « car » : « car ils n‘étaient pas
accoutumés de prendre en bonne part les honnêtetés et remontrances de gens armés et
étrangers » l…. : « honnêtetés et remontrances» : antiphrases ironiques pour désigner les
injonctions et menaces des Espagnols, ce qui souligne que les AI ont parfaitement compris le
double jeu des Esp.
« autrement, qu’on ferait d’eux comme de ces autres, leur montrant les têtes d’aucuns
hommes justiciés autour de leur ville. » : l’argument au conditionnel « on ferait d’eux » est
illustré par un exemple concret : « comme de ces autres, leur montrant les têtes». « hommes
justiciés » = exécutés. Les AI prouvent donc par l’exemple qu’ils sont tout à fait capables de
se défendre.
4)Quelles valeurs s’expriment à travers cette réponse ? Comment peut-on les opposer à celle
des Conquistadores ?
Ils se montrent aussi capables d’affirmer des valeurs positives et leur propre vision du
monde :
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a) « quant aux vivres, qu’ils leur en fourniraient » : le verbe « fournir » souligne la générosité
et sens de l’hospitalité.
b) Le désintéressement :
« d’or, ils en avaient peu (…) ce qu’ils pourraient en trouver, qu’ils le prissent hardiment ».
Mépris professé par les AI pour l’or est souligné par l’hyperbole négative : « c’était chose
qu’ils mettaient en nulle estime » l…… . Echelle des valeurs très différente chez les
Amérindiens de celle des Espagnols : l’or est « inutile au service de leur vie » l….. . Au goût
de l’or ils opposent leur propre vision du monde (hyperbole positive : « tout leur soin était
de » : «la passer heureusement et plaisamment » 526-527. Les deux adverbes positifs
« heureusement et plaisamment » font écho aux deux adjectifs qui décrivaient la nature
(« une contrée fertile et plaisante » au début de l’extrait). Epicurisme, recherche simple et
authentique du bonheur dans un cadre naturel harmonieux. Ce peuple AI s’inscrit ici dans la
figure positive de ce qu’on appellera au XVIIIe le Bon Sauvage.
c) L’ouverture d’esprit en matière de religion : les AI sont polythéistes (« le service de leurs
dieux » l…. : pluriel) mais ils sont capables de s’intéresser au monothéisme : « quant à un
seul Dieu, le discours leur en avait plu » l…. : intérêt intellectuel des AI (mise en relation de
« discours » et du verbe « plaire ») pour la religion de l’autre, qu’on pourrait opposer au
manque de curiosité et à l’intolérance manifestée par les Espagnols ds leur propre discours.
Mais fidélité des indigènes à leur religion : « ils ne voulaient changer leur religion, s’en étant
si utilement servis si longtemps » l….. . Le polythéisme des AI, qui pouvait choquer le lecteur
du XVIe est ici justifié par des valeurs qu’il peut comprendre et accepter : la fidélité, mise en
valeur par la reprise du tour intensif si (« si utilement si longtemps »), et la prudence, mise en
valeur par le tour restrictif « ne….que….. »: « qu’ils n’avaient accoutumé prendre conseil que
de leurs amis et connaissances » l………
TR : La mise en miroir des deux discours, retracés au discours indirect sans aucun
commentaire de l’auteur, s’est révélée une stratégie argumentative particulièrement efficace :
le lecteur fait lui-même le travail de comparaison et l’argumentation des Amérindiens lui
semble bien plus convaincante que celle des Espagnols. A partir de là, Montaigne peut
prendre nettement parti dans les dernières lignes.
III) La conclusion ironique de Montaigne l. 24-27
Partie du texte commentée :
Voilà un exemple de la balbutie de cette enfance. Mais tant y a que ni en ce lieu-là ni
en plusieurs autres, où les Espagnols ne trouvèrent les marchandises qu’ils cherchaient, ils ne
firent arrêt ni entreprise, quelque autre commodité qu’il y eût ; témoin mes cannibales.
1)En quoi la formule « la balbutie de cette enfance » (l.24) est-elle ironique ?
« Voilà un exemple » : M. révèle ici sa thèse : cet exemple particulier est révélateur de
l’opposition générale de mentalité entre les deux peuples.
« La balbutie de cette enfance » est une métaphore qui désigne, dans les mentalités
européennes de l’époque, les peuples indiens : le terme péjoratif « balbutie » signifie que les
Indiens seraient incapables d’articuler un discours cohérent, la métaphore de « l’enfance »
désigne la prétendue infériorité culturelle des AI par rapport à la civilisation européenne plus
mûre. M l’emploie évidemment ici comme une antiphrase ironique : la juxtaposition des deux
discourts vient de prouver le contraire. Les AI sont tout à fait capables de raisonner, ils n’ont
rien d’enfants et paraissent des adultes prudents et avisés.
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2)Dans les l.25 à 27, quelle critique M adresse-t-il aux conquérants ?
« Ni en ce lieu-là, ni en plusieurs autres, où les Espagnols ne trouvèrent les marchandises
qu’ils cherchaient, ils ne firent arrêt ni entreprise, quelque autre commodité qu’il y eût. ».
Cette phrase complexe est marquée par une succession de 5 négations « ni/ni/ne trouvèrent/ne
firent arrêt ni entreprise » : elle s’oppose à la seule tournure positive à la fin de la phrase :
« quelque autre commodité qu’il y eût » (qui fait écho aux premières lignes de l’extrait : « une
contrée fertile et plaisante, fort habitée »).
La périphrase ironique « les marchandises qu’ils cherchaient » fait écho à la formule
liminaire : «à la recherche de leurs mines »
→ Montaigne souligne donc, sur un ton très ironique, que la seule motivation des Espagnols,
même lorsqu’ils arrivent dans un pays hospitalier, est l’or. C’est seulement lorsqu’ils n’en
trouvent pas qu’ils partent sans combattre ni détruire («ne firent arrêt ni entreprise »), oubliant
par là-même la mission d’évangélisation qui est le prétexte officiel de leur conquête.
3)Comment comprenez-vous la formule finale « témoin mes cannibales » (l.27) ?
Evidente prise de parti de Montaigne pour les Amérindiens dans la dernière ligne :
« témoin mes cannibales » (= mes cannibales pourraient en témoigner) = référence à l’essai
31 du livre I, « Des cannibales », où, huit ans avant « Des Coches », M a déjà traité le même
sujet d’une rencontre entre deux mondes où les Européens ont fait preuve de moins de valeur
morale que ceux qu’ils méprisaient.
+ emploi significatif de l’adjectif possessif « mes » pour indiquer un lien de connivence.
Allusion explicite aux trois « cannibales » rencontrés à la cour du Roi de France ? Le mot
« cannibales » qui renvoie ordinairement à l’anthropophagie semble ici ironique à propos des
indigènes : dans « Des Coches » comme dans « Des Cannibales », la barbarie semble tout
autant sinon plus du côté des Européens que des AI.
Conclusion :
Efficacité de la stratégie de Montaigne, qui place les deux discours en miroir, pour amener le
lecteur à se faire lui-même son propre point de vue, avant de déconstruire explicitement, dans
un bref commentaire ironique, les préjugés des Européens à propos des Amérindiens.
2 ouvertures possibles :
-la fin de l’essai « Des cannibales », où l’on assiste à la situation inverse : une visite des
Indiens chez les Européens, trois Tupinambas se rendant à la cour du roi de France à Rouen,
mais où la confrontation aboutit au même renversement du préjugé.
-J-Cl Carrière dans La controverse de Valladolid écrit en 1992 se situera dans cette même
veine humaniste en mettant en scène un débat qui oppose Las Casas, moine dominicain
défenseur des Amérindiens, et Sépulvéda, philosophe partisan de la conquête. Las Casas y
exprimera des positions très proches de celles de Montaigne.