CONJONCTURES CONGOLAISES 2016
Glissement politique, recul économique
n° 91
2017
Conjonctures congolaises 2016
Glissement politique, recul économique
sous la direction de
Aymar Nyenyezi Bisoka, Sara Geenen,
An Ansoms et Jean Omasombo Tshonda
n° 91
2017
Éditions L’Harmattan
5-7, rue de l’École-Polytechnique
75005 Paris
Cahiers africains
Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC)
Section d’Histoire et Politique (anciennement Institut africain/Cedaf)
Leuvensesteenweg 13, 3080 Tervuren, Belgique
Site : http://www.africamuseum.be/research/dept4/research/dept4/africainstitute/index_html
Conditions de vente : www.africamuseum.be/research/publications ;
[email protected]Cet ouvrage a fait l’objet d’une procédure d’évaluation scientifique.
Responsable éditoriale : Isabelle Gérard (MRAC)
Relectures : Charlotte Gérard (MRAC) et Edwine Simons
Mise en page : Fabienne Richard (Quadrato)
Photos de couverture, avant : les émeutes du 19 septembre 2016 à Kinshasa ; photo Eduardo Soteras
© AFP 2017 ; arrière : de gauche à droite : puits d’or souterrain à Kamituga, Sud-Kivu ; photo Sara
Geenen © Université d’Anvers. Puits d’or souterrain à Luhwindja, Sud-Kivu ; photo Sara Geenen ©
Université d’Anvers. Rizière au Kasaï-Central ; photo équipe locale du projet « Provinces » (MRAC-
DGD).
Ce « Cahier » a reçu un appui financier de la Loterie nationale et de l’E-CA – CRE-AC.
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© Musée royal de l’Afrique centrale
et
© L’Harmattan, 2017.
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
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[email protected] [email protected] ISBN :
EAN :
Sommaire
Introduction
Aymar Nyenyezi Bisoka, Sara Geenen, An Ansoms,
Jean Omasombo Tshonda. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
I. évolutions politiques et gouvernance
Introduction
Aymar Nyenyezi Bisoka . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1. RDC 2016 : une année électorale sans élections
Paule Bouvier, Jean Omasombo Tshonda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
2. Quand la rue kinoise envahit le politique...
François Polet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
3. L’ordre et la sécurité en milieu carcéral : étude compréhensive des pratiques
des acteurs de la prison centrale de Bukavu
Charles Kakule Kinombe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
II. Ressources minières, d’hydrocarbures et environnement
Introduction
Sara Geenen. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
4. Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt
François Misser. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
5. La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga,
Sud-Kivu
Janvier Kilosho Buraye . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
6. Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation
du pays ?
Bernard Respaut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
7. Le mercure dans l’exploitation de l’or : responsabilité environnementale
et perceptions locales
Bossissi Nkuba, Lieven Bervoets, Sara Geenen. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
8. De la semi-industrialisation de l’exploitation minière artisanale
et son impact sur les conditions de vie de la population.
Cas de l’exploitation minière par dragues à Shabunda
Jean-Paul Mushagalusa Rwabashi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
III. Agriculture et développement socio-économique
Introduction
An Ansoms. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
9. Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action
Grégoire Ngalamulume Tshiebue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
10. Zones économiques spéciales : vers l’accaparement des terres ? Perceptions
des paysans du site pilote de Maluku
Joel Baraka, Aymar Nyenyezi Bisoka, An Ansoms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
11. Quel avenir pour les ménages maraîchers ?
Claudine Dumbi, Benoît Lallau, Alphonse Roger Ntoto M’vubu. . . . . . . . . . . . . . 293
12. Les logiques socio-économiques sous-jacentes aux stratégies de protection
des acteurs populaires au Sud-Kivu
Maïté le Polain et Marthe Nyssens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Introduction
Aymar Nyenyezi Bisoka, Sara Geenen, An Ansoms,
Jean Omasombo Tshonda
Depuis 2006, le CRE-AC (Centre de Référence et d’Expertise pour
l’Afrique centrale) offre une plateforme de production et d’échange
de connaissances sur l’Afrique centrale. La publication annuelle des
Conjonctures congolaises dans la collection des « Cahiers africains », depuis
2011, se veut un instrument qui contribue à suivre au plus près les évolutions
sur le terrain au Congo. Premièrement, cette sous-série donne un aperçu
structuré des tendances socio-économiques et politiques en République
démocratique du Congo (RDC). Dans un contexte où les événements se
bousculent, et où les acteurs sont toujours plus nombreux et variés, saisir les
cohérences et les bouleversements qui s’opèrent ne paraît plus chose aisée.
Veillant à ne se laisser devancer ni par le temps qui s’écoule (il faut pour-
tant bien situer les actions dans leur environnement passé et présent) ni par
des faits qui s’enchevêtrent, les connaissances apportées grâce aux textes
publiés dans ces volumes devraient servir comme source de référence pour
les décideurs politiques et ceux du secteur privé actif en Afrique centrale,
les chercheurs universitaires, les étudiants et la société civile. Le système de
révision par les pairs des contributions proposées garantit la qualité scien-
tifique du travail publié. Enfin, les Conjonctures congolaises offrent une
opportunité de publication dans un réseau international aux jeunes cher-
cheurs de l’Afrique centrale à travers un système de bourses de recherche du
CRE-AC. Celles-ci, créées pour soutenir ces jeunes dans leurs recherches
de terrain, contribuent à renforcer leurs capacités et à améliorer l’accès aux
données empiriques. C’est ainsi que cette publication annuelle est fortement
enracinée dans toutes les provinces de la RDC.
Les volumes précédents étaient dirigés par les professeurs Stefaan
Marysse et Jean Omasombo Tshonda. En 2016, le premier a cédé la direc-
tion du CRE-AC à une nouvelle équipe de trois chercheurs. Sara Geenen,
professeur en Mondialisation et Développement à l’Institut de Politique et
de Gestion du Développement (IOB) de l’Université d’Anvers, conduit des
recherches sur le secteur minier en RDC, notamment sur l’exploitation arti-
sanale de l’or, la formalisation et la certification des minerais, l’industrie
minière, la responsabilité sociale des entreprises, l’emploi. Elle a une longue
expérience de recherches au Sud-Kivu, où elle dirige un projet sur la gestion
des ressources naturelles (CEGEMI, www.cegemi.com) en partenariat avec
8 Conjonctures congolaises 2016
l’Université catholique de Bukavu. An Ansoms est professeur en Études
du Développement au Centre d’Études du Développement de l’Université
catholique de Louvain (UCL). Ses recherches se concentrent sur les conflits
autour des ressources naturelles dans la région des Grands Lacs (Rwanda,
RDC, Burundi), ainsi que sur les enjeux politiques en lien avec le dévelop-
pement rural dans la région. Elle dirige un projet de recherche-action « Land
Rush » (www.land-rush.org) en interaction avec différents partenaires aca-
démiques et la société civile locale. Aymar Nyenyezi Bisoka est chercheur
postdoctoral, rattaché à l’UCL et à l’IOB. Juriste et politologue, il vient de
finir son doctorat en sciences politiques et sociales à l’UCL sur l’accapare-
ment des terres par les élites locales en Afrique des Grands Lacs. Dans ses
recherches actuelles, il s’intéresse aux questions de pouvoir et de résistance
liées à l’accès aux ressources naturelles dans cette région. En outre, il est
impliqué aussi bien dans l’enseignement que dans la coordination des pro-
jets de recherche au Rwanda, au Burundi, en RDC et en Belgique.
L’ambition de notre équipe est de préserver cette plateforme d’expertise
et d’échange que sont les Conjonctures congolaises et que nos prédéces-
seurs ont construite, mais de la renforcer davantage. Nous continuons à nous
appuyer sur l’expertise de Jean Omasombo Tshonda, chercheur au Musée
royal de l’Afrique centrale. Nous poursuivons donc les activités principales
du CRE-AC : l’organisation mensuelle de débats au Parlement belge, des
conférences à Bruxelles et à Kinshasa, l’octroi de bourses pour les jeunes
chercheurs et la publication d’un volume scientifique annuel. Nous comp-
tons améliorer encore la collaboration entre les différentes universités belges
et congolaises autour de ces activités.
I
Évolutions politiques et gouvernance
Introduction
Aymar Nyenyezi Bisoka
En 2011, les analyses politiques parues dans les Conjonctures congolaises
regrettaient que les élections qui avaient eu lieu cette année-là n’avaient eu
de mérite que d’avoir été organisées. Sans légitimité aucune, elles avaient
donné lieu à une crise politique sans précédent depuis l’avènement de la
3e République. Mais en 2015, on regrettait, dans la série, que cette expé-
rience électorale de 2011 n’ait pas pu être répétée, malgré ses défauts, alors
qu’il s’agissait d’une année électorale. La déception est encore plus percep-
tible dans le volume 2016, année au terme de laquelle la RDC attendait sa
toute première alternance démocratique qui n’a finalement pas eu lieu.
Cette première partie, dédiée à la vie politique, répond donc principa-
lement à la question posée ces dernières années : Kabila partira-t-il ou ne
partira-t-il pas ?
Tout d’abord, Paule Bouvier et Jean Omasombo Tshonda reviennent sur
le déroulement des événements politiques ayant émaillé l’année. Dans leur
chapitre : « RDC 2016 : une année électorale sans élections », ils expli-
quent que 2016 aurait dû être celle apportant les réponses tant attendues
aux questions que le peuple congolais se posait depuis 2015 quant à son
avenir. Ils décrivent en détail les manœuvres politiques et juridiques qui ont
permis au président Kabila de se maintenir au pouvoir. Dans leurs conclu-
sions, ils montrent que « l’année 2016 qualifiée d’année électorale aurait dû,
au vu des événements, s’appeler plutôt “année du glissementˮ. Non que ce
mode de gouvernance n’ait pas été appliqué antérieurement par le président
Kabila. Mais, pour la première fois, dans l’exercice du pouvoir par le chef
de l’État, ce type de stratégie apparut au grand jour et avec une finalité aussi
flagrante, à savoir éviter l’alternance ». Finalement, les auteurs démontrent
que l’histoire ne s’arrête pas au glissement du président Kabila. Toutes les
manœuvres décrites ainsi que la croissante opposition à ce glissement ont
produit un effet dont on ne peut douter : le pouvoir de Joseph Kabila est vu
aujourd’hui comme étant illégitime par une large partie de la population
congolaise. Le délabrement de l’économie et ses effets sur l’accroissement
de la pauvreté ne pourront que renforcer ce sentiment. Il restera à savoir
jusqu’où le président Kabila et son régime sont prêts à aller pour se mainte-
nir au pouvoir.
En complément à ce texte, la contribution « Quand la rue kinoise envahit
le politique... » de François Polet nous permet de comprendre comment les
12 Conjonctures congolaises 2016
manifestations de rue ont participé à la dé-légitimation populaire du régime
du président Kabila. L’auteur analyse la « politique de la rue » au cours du
deuxième mandat de Joseph Kabila (2012-2016). Il montre que le système
politique dans lequel ont lieu ces manifestations est le résultat de la ren-
contre entre la tradition autoritaire, la construction internationale de l’État
(paix libérale) et la mondialisation des manifestations de rue. Contraint
par ses partenaires internationaux, l’État congolais doit accepter un certain
pluralisme politique, mais essayer de réduire ses effets par une variété de
moyens. François Polet explique comment, depuis 2013, la stratégie du
camp présidentiel a été de rester au pouvoir après la fin du second mandat
de Kabila. Il analyse aussi comment le soulèvement burkinabè d’octobre
2014 puis les émeutes de Kinshasa de janvier 2015 ont permis de mettre la
« rue » au cœur du débat politique entre le Gouvernement et l’opposition.
Les adversaires du glissement utiliseront la « rue » comme un moyen de
contrebalancer leur vulnérabilité politique dans les institutions étatiques. Le
Gouvernement va rendre « criminelles » les manifestations comme « rébel-
lion » et essayer de démontrer sa propre maîtrise de l’espace public. Finalisé
deux semaines avant la fin du mandat de Joseph Kabila, ce chapitre repose
sur une hypothèse qui ne s’est pas réalisée, celle de la victoire de la rue, le
19 décembre 2016, sur les stratégies de glissement du président Kabila…
Enfin, Charles Kinombe Kakule traite de la question de l’ordre et de la
sécurité, et plus précisément de celle de la gouvernance des prisons. Dans
son texte « L’ordre et la sécurité en milieu carcéral : étude compréhensive
des pratiques des acteurs de la prison centrale de Bukavu », il examine ce
que les prisonniers font vraiment pour assurer le maintien de l’ordre et de la
sécurité. En utilisant le cas de la prison centrale de Bukavu et les perspec-
tives théoriques de l’anthropologie juridique, il affirme que « les lois ne sont
pas tellement ce que disent les textes, mais ce que font les acteurs ». C’est
de cette perspective qu’il part pour passer au crible les pratiques au sein de
la prison centrale de Bukavu. Il s’agit d’une étude à la fois descriptive des
« droits de visite » et « droits de sortie », mais aussi analytique des logiques
qui les sous-tendent. La question centrale que pose Charles Kinombe est
celle de savoir dans quelle mesure il est possible de partir des pratiques
des acteurs pour penser des réformes qui soient conformes au contexte et
donc qui aient la chance d’être effectives. Il s’agit, en fait, d’une probléma-
tique plus générale qui devrait concerner toutes les politiques publiques en
RDC…
RDC 2016 : une année électorale sans élections
Paule Bouvier1 et Jean Omasombo Tshonda2
Introduction
L’année 2016 aurait dû être celle apportant les réponses tant attendues aux
questions que le peuple congolais se posait depuis l’année précédente quant
à son avenir. Il n’en fut rien. Le kaléidoscope politique congolais se focalisa
sur l’opposition de plus en plus affirmée entre les partisans du statu quo au
mépris de la Constitution et les militants de l’alternance respectueux de la
Constitution. Ce fut une année électorale sans que pour autant des élections
y aient été organisées, bien que la programmation des scrutins demeurât
une des questions clés, omniprésente dans l’espace politique congolais.
La Constitution stipule que « [l]e scrutin pour l’élection du président de
la République est convoqué par la Commission électorale nationale indé-
pendante, quatre-vingt-dix jours avant l’expiration du mandat du président
en exercice » (article 73). Or si le président Joseph Kabila Kabange resta
silencieux quant à ses intentions concernant l’alternance, dès 2015 il apparut
clairement que son dessein était de demeurer au pouvoir, alors même qu’il
déclarait à l’occasion être respectueux de la Constitution. En février de cette
année-là, le projet de faire voter une loi impliquant une modification de la
Constitution ayant échoué et entraîné des émeutes, la présidence fut obligée
de changer de stratégie. Le « glissement » fonctionnant déjà en sourdine
devint alors le mode de gouvernance dont l’un des instruments fut le proces-
sus électoral. C’est dans ce contexte que, le 28 novembre 2015, Kabila signa
l’ordonnance n°15/084 portant convocation d’un « dialogue politique natio-
nal inclusif en République démocratique du Congo ». De nombreuses voix
congolaises et étrangères avaient d’ailleurs demandé ou suggéré l’organisa-
tion d’un tel forum comme solution aux problèmes politiques existants. Les
dialogues, puisqu’ils furent deux, occupèrent, dès lors, quasiment toute la
scène politique en 2016 et même au-delà.
1
Professeur honoraire de l’Université libre de Bruxelles.
2
Chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale.
14 Conjonctures congolaises 2016
1. L’environnement politico-social
Dans le prolongement de l’année 2015, 2016 s’ouvrit donc dans une
totale perplexité. Mais la politique répressive adoptée en 2015 par les auto-
rités, et qui ne fit que s’accentuer au fil du temps, avait un objectif bien
calculé : celui de faire taire les opposants et de permettre d’autant plus faci-
lement le glissement.
Les violations des droits de l’homme augmentèrent. Le BCNUDH3 iden-
tifia au moins 5190 violations des droits de l’homme sur toute l’étendue du
territoire de la RDC, ce qui représente une augmentation de près de 30 %
par rapport à l’an dernier où 4004 avaient été documentés. Progression due
en particulier, selon le BCNUDH, à la restriction de l’espace politique liée
au report des élections et aux activités de plusieurs groupes armés dans les
régions en conflit. Près de 64 % de ces violations sont attribuées aux agents
de l’État et plus de 36 % à des groupes armés.
Sur les violations dues aux agents de l’État, près de 30 % (1553 cas de
violation) sont le fait de la Police nationale congolaise (PNC), c’est-à-dire
une évolution de plus de 65 % par rapport à 2015.
Les militaires des Forces armées de la République démocratique du
Congo (FARDC) sont responsables de 1218 cas de violations des droits
de l’homme, soit une augmentation de 10 % par rapport à 2015, la région
la plus touchée étant celle de l’Est. Parmi les groupes armés, ce sont les
combattants des Forces de résistance patriotiques de l’Ituri (FRPI) qui sont
responsables du plus grand nombre de violations, à savoir plus de 27 % ;
mais, ce sont les Forces démocratiques alliées (ADF) qui sont les principaux
auteurs des exécutions sommaires (au moins 130 victimes). Le nombre de
victimes adultes de violences sexuelles est en légère baisse (348) par rap-
port à 2015 (375). La province la plus touchée par les violations des droits
de l’homme est le Nord-Kivu : 3378 victimes, dont 512 cas d’exécutions
sommaires et extrajudiciaires. Les violations ont été commises par des com-
battants de tous les groupes armés confondus à raison de 55 % et par les
agents de l’État pour 45 %.
Enfin, le BCNUDH a aussi documenté 1102 violations des droits de
l’homme et des libertés fondamentales liées à des limitations de l’espace
démocratique, une hausse de plus de quatre fois ce qui fut enregistré en 2015
(260 cas). Les responsables sont les agents de la PNC (539 violations), les
agents de l’Agence nationale de Renseignements (ANR) (182 violations),
les autorités politico-administratives (174 violations), les militaires des
FARDC (155 violations) (BCNUDH, n.d.).
3
Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme.
RDC 2016 : une année électorale sans élections 15
Toutes ces données et ces chiffres furent contestés par le Gouvernement,
qui accusa la BCNUDH de partialité.
Cette situation engendra la désapprobation de plusieurs États partenaires,
les États-Unis, la Belgique, la France, le Royaume-Uni et l’Union euro-
péenne. Celle-ci et les États-Unis en vinrent à adopter des sanctions contre
certaines personnes. Or, le Gouvernement congolais étant devenu d’un
nationalisme exacerbé, toute critique à son endroit fut considérée comme
une atteinte à sa souveraineté. Les sanctions adoptées provoquèrent donc ce
même type de réaction.
Cette attitude des autorités congolaises illustre la faible marge de
manœuvre dont elles disposent par rapport aux nombreux signaux émanant
de la population et de l’opposition quant à leur refus de prolonger le mandat
du président Kabila. D’une part, la politique répressive destinée à empêcher
les expressions publiques dont elles sont l’objet sert à camoufler l’impor-
tance de ce rejet. D’autre part, l’objectif de sécurisation qui est avancé n’est
qu’un prétexte face à l’incapacité dans laquelle elles se trouvent de maîtriser
par d’autres moyens les tensions qu’elles ont elles-mêmes suscitées.
Le Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au chan-
gement étant devenu le principal acteur face à la Majorité présidentielle
(MP), l’arène politique, déjà dualisée, se bipolarisa encore davantage entre
les « kabilistes » d’une part et les partisans de l’alternance d’autre part.
Moïse Katumbi, ayant annoncé sa candidature à la présidence, devint un
concurrent redouté de Kabila dans la course à cette fonction. Mais, il fut
obligé de s’exiler en raison de sa condamnation à trois ans de prison suite à
un procès monté de toute pièce. Il continua cependant à se manifester sur la
scène politique par de fréquentes déclarations et communiqués. Il voyagea
notamment aux États-Unis et au Canada pour y présenter la situation en
RDC et ses intentions électorales. Il fut considéré comme un candidat cré-
dible notamment par les États-Unis et l’Angola.
En fait, le Rassemblement devint un excellent levier permettant à
Tshisekedi d’occuper une place centrale sur l’échiquier politique congolais.
Certes son image de vieil opposant « sans peur et sans reproche » lui confé-
rait une popularité dépassant les frontières de l’ancien Kasaï et de l’UDPS.
Mais néanmoins le fait de se présenter comme le président du groupement
d’opposition radicale le plus important politiquement et l’exil de Moïse
Katumbi menacé d’être arrêté dès qu’il remettait le pied en RDC lui donnè-
rent un poids politique qu’il n’eût pu atteindre en tant que simple président
de l’UDPS.
Au sein de l’opposition plusieurs autres coalitions s’étaient créées
défendant souvent toutes, dans des termes plus ou moins semblables, les
mêmes revendications, à savoir le respect de la Constitution, en ce compris
le refus du maintien au pouvoir de Kabila. Si l’opposition demeura donc
multiple, cette concordance des thèmes défendus lui donna une audience
16 Conjonctures congolaises 2016
inégalée jusqu’alors dans l’arène politique et y modifia les jeux de forces.
Et ce d’autant plus qu’une nouvelle force avait vu le jour qui occupa une
place croissante dans l’arsenal de l’opposition : le Front citoyen 2016 est
une plateforme regroupant partis politiques et groupements de la société
civile sous l’impulsion d’une organisation de la jeunesse Filimbi (« sifflet »
en swahili). Il défendit les mêmes thèmes, mais, en outre, critiqua la classe
politique considérée comme corrompue et égoïste et s’opposa même parfois
aux prises de position de l’opposition anti-Kabila.
En ce qui concerne la Commission électorale nationale indépendante
(CENI), la maladie puis la démission de son président Apollinaire Muholongu
Malu-Malu (10 octobre 2015) ralentirent ses travaux pendant cette période.
Ce fut Corneille Nangaa, un homme lige de Kabila, qui le remplaça à sa tête.
Il s’employa à mettre en œuvre la politique du « glissement » et joua en la
matière un rôle déterminant dans le déroulement du dialogue de la Cité de
l’Union africaine. C’est, par exemple, qu’au lieu de continuer à actualiser le
fichier électoral, déjà en partie réaménagé par son prédécesseur, et ayant été
audité par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)4, il décida
d’en établir un nouveau de toute pièce. Cette décision impliqua de prolonger
de façon importante le laps de temps nécessaire aux enrôlements. Les opéra-
tions d’enregistrement et d’identification commencèrent le 31 juillet. Mais
elles rencontrèrent des difficultés de natures diverses risquant de prolonger
encore cette phase du processus électoral.
Le processus électoral, et en particulier l’étape de l’enrôlement, devin-
rent ainsi l’instrument logistique dont le glissement avait besoin pour se
concrétiser. Corneille Nangaa en fut le maître d’œuvre.
En outre la situation économique s’était dégradée. Bien que Matata
Ponyo lorsqu’il était Premier ministre ait déclaré à plusieurs occasions que
l’économie était toujours prospère et en croissance, ces affirmations furent
démenties notamment par le gouverneur de la Banque centrale du Congo,
Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, et le président de la Fédération
des entreprises congolaises (FEC), Albert Yuma. Le premier déclara à la
presse, le 6 février 2016, que les perspectives économiques de la RDC ne
devraient pas s’améliorer significativement en 2016 en raison de la baisse
du cours des matières premières, l’absence de mécanismes de diversifica-
tion des sources de revenus, la baisse de la confiance des chefs d’entreprise
se répercutant sur les investissements (Mutombo Mwana Nyembo 2016).
Le président de la FEC fit une analyse pointue de la situation économique
soulignant entre autres : le taux de croissance de 2,5 % en 2016 (7,7 % en
4
L’OIF dans le rapport de son audit signala que « [l]a CENI offre un fichier stabilisé, ne
pouvant faire, néanmoins, l’économie d’une révision du corps électoral au regard des
normes et standards internationaux » (Organisation internationale de la Francophonie n. d.).
RDC 2016 : une année électorale sans élections 17
2015) ; le taux d’inflation fin décembre 2016 dépassant de plus de 2,7 points
la cible annuelle de 4,2 % ; les réserves de change en diminution, limitées à
861 millions de dollars américains fin novembre, représentant seulement un
peu plus de 3 semaines d’importation de biens et services ; le taux de change
mi-décembre fixé à 1215 francs congolais par rapport au dollar américain
(920 fin décembre 2015) ; une fiscalité étant « une hydre à 29 têtes traquant
sans relâche les entreprises du secteur formel » (Fédération des entreprises
congolaises 2017). L’incohérence de la politique gouvernementale est ainsi
démontrée en ce domaine du fait que, d’un côté, le Premier ministre conti-
nuait à discourir sur la santé de l’économie congolaise, tandis que, d’un
autre côté, ce même Gouvernement, reconnaissant l’importance de la crise,
adoptait une batterie de 28 mesures destinées à servir de thérapie.
La sécurité continua à poser problème non seulement dans l’Est loin
d’être pacifié, mais, aussi, dans d’autres régions. Il est exclu de pouvoir rap-
porter ici les violences qui affectent régulièrement ou sporadiquement les
différents territoires nationaux5. Comme il fut d’ailleurs souvent observé, il
est difficile d’évaluer le nombre de groupes armés actifs dans le Nord-Kivu
et le Sud-Kivu. Jason K. Stearns et Christoph Vogel, dans une étude sur la
cartographie de ces groupes dans les deux provinces, en ont répertorié au
moins 70 (Stearns & Vogel 2015). Les milices considérées comme étant les
plus présentes dans la région sont l’ADF (Forces démocratiques alliées) et
les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda). Au Nord-
Kivu, dans les territoires de Beni, Butembo et Lubero, les populations ont été
victimes de massacres répétés qui indignèrent non seulement les populations
locales, mais aussi de nombreuses voix à l’étranger au sein des organisations
internationales et des pays partenaires. De plus, dans la région, les tensions
intercommunautaires à l’origine de violences devinrent de plus en plus fré-
quentes. En Ituri, les FRPI (Forces de résistance patriotique de l’Ituri) qui ne
s’étaient plus manifestées pendant un certain temps, ont repris les combats.
Au Bas-Uele et Haut-Uele, la LRA (Armée de résistance du Seigneur) est
également toujours présente. Des conflits inter-ethniques entre Lubakat et
Twa continuent à se produire au Tanganyika où des groupes maï-maï sont
également actifs. Il en sévit par ailleurs dans d’autres provinces (Conseil
de sécurité Nations unies, 2016). Mais des violences d’une autre nature se
sont produites dans les provinces des Kasaï, Kasaï-Central et Kasaï-Oriental
ainsi qu’au Kongo-Central. Au Kasaï-Central, les affrontements qui com-
mencèrent mi-août ont pour origine le pouvoir coutumier. Les conflits entre
les milices organisées par le chef Kamwina Nsapu (tué le 15 août 2016)
et les forces de l’ordre se soldèrent par un bilan très lourd, les périodes
5
Pour plus d’information à ce sujet, consulter les Éphémérides publiées hebdomadairement
par Jean-Claude Willame sur internet.
18 Conjonctures congolaises 2016
d’accalmie relative succédant à des périodes d’engagements meurtriers. En
outre, de façon générale, les conflits fonciers, communautaires et coutu-
miers sont légion.
Enfin, le découpage des 6 provinces, à démembrer pour installer les
21 provinces prévues, entamé mi-avril 2015, connut des difficultés logis-
tiques, certaines des nouvelles provinces ne disposant d’aucune infrastructure
permettant d’accueillir l’administration, les assemblées provinciales et leur
bureau ainsi que le gouvernorat. Bien avant cette phase de la décentralisation,
Évariste Mabi Mulumba et Clément Muya avaient déclaré, au sujet de « la
grande faiblesse constatée dans le fonctionnement des provinces » : « Pour
que la gestion budgétaire des provinces et la fiscalité de la décentralisation
se réalisent de manière optimale, le renforcement de la qualité des structures
de gestion en provinces et au sein des entités territoriales décentralisées est
un préalable incontournable » (Bouvier & Omasombo Tshonda 2016 : 50).
En effet, très tôt, plusieurs provinces issues du démembrement se plaigni-
rent de l’insuffisance de leurs ressources financières. De plus, l’élection des
gouverneurs et vice-gouverneurs posa un problème majeur nécessitant l’in-
tervention de la Cour constitutionnelle et retardant l’organisation du scrutin.
Des commissaires et commissaires spéciaux furent nommés en attendant
l’organisation de ce scrutin. Finalement celui-ci eut lieu le 26 mars. Dans
14 provinces, le gouverneur était membre de la Majorité présidentielle et,
dans 5 d’entre elles, il était indépendant (ibid. : 47-66). Cette élection fut
critiquée par des formations de l’opposition et des analystes en raison de
graves irrégularités. Christophe Rigaud, par exemple, souligna que l’op-
position avait dénoncé « une manipulation des institutions par la Majorité
présidentielle... pour exclure certains candidats et notamment d’anciens
membres de la Majorité passés dans l’opposition » (Rigaud 2016).
L’année 2016 fut marquée par plusieurs manifestations politiques dont
deux, en particulier, qui allaient marquer l’histoire de la RDC. En effet, elles
furent déclenchées toutes deux à des dates emblématiques, la première le
19 septembre, jour auquel, constitutionnellement, la CENI aurait dû convo-
quer les électeurs, et la seconde, le 19 décembre, jour auquel le président de
la République, toujours en application de la Constitution, aurait dû annon-
cer qu’il quittait le pouvoir. Elles se terminèrent toutes deux dans le sang.
Le bilan de la première fut de plusieurs dizaines de morts, 126 blessés et
368 arrestations (Radio Okapi 23 septembre 2016). Celui de la manifesta-
tion des 19 et 20 décembre fut de 34 morts selon les données officielles et
de 40 morts, 197 blessés et 460 arrestations d’après le BCNUDH (Centre
d’actualités de l’ONU 23 décembre 2016).
Ce fut donc dans un climat fait de tensions, d’inquiétude, de frustrations
que se déroulèrent les deux dialogues qui, comme signalé plus haut, allaient
envahir l’espace politique congolais.
RDC 2016 : une année électorale sans élections 19
2. Le dialogue de la Cité de l’Union africaine
2.1. Edem Kodjo, « facilitateur »
La finalité du « dialogue » instauré par Kabila est notamment « l’or-
ganisation d’un processus électoral apaisé, complet, inclusif, crédible et
conforme aux standards internationaux et sur toutes les questions connexes
au processus électoral ». Dès la parution de l’ordonnance, des critiques
furent formulées par l’opposition et certaines formations, dont le G76 et la
Dynamique de l’opposition qui refusèrent d’y participer. L’opposition ayant
demandé que la direction du dialogue soit confiée à une autorité interna-
tionale, le Gouvernement s’adressa aux Nations unies, mais leur secrétaire
général ne donna pas suite. Kinshasa se tourna alors vers l’Union africaine
(UA) qui, pour répondre aux autorités congolaises, désigna Edem Kodjo.
La MP et les membres de l’opposition pro-dialogue se déclarèrent satisfaits.
Mais cette nomination fut désavouée par toute une série de formations. La
Dynamique de l’opposition et le G7 firent paraître un long communiqué
de presse. Ils soulignèrent, entre autres, que « le président Kabila et ses
partisans ont mis en œuvre une stratégie planifiée de blocage du proces-
sus électoral : restriction des libertés fondamentales ; violation organisée
des droits de l’homme ; répression de toute contestation même pacifique
de leur politique de gestion du pays. Cela est bien la preuve d’une gouver-
nance totalitaire qui s’installe dans le pays. » Ils déplorèrent en outre que
dans son communiqué de presse, la présidente de la Commission de l’UA
n’ait pas fait mention de la Constitution. Ils conclurent que ce dialogue était
sans objet (Dynamique de l’opposition & G7 18 janvier 2016). D’autres
organisations, dont la Nouvelle Société congolaise (NSC), le Centre pour
la gouvernance, le Front citoyen insistèrent également sur l’importance du
respect de la Constitution.
Edem Kodjo arriva à Kinshasa le 19 février 2016. Pendant trois jours, il
eut des contacts avec des autorités politiques, des membres de partis, de la
société civile et de diverses institutions. Il fut reçu par le président Kabila.
Il retourna ensuite à Addis-Abeba pour rendre compte de ces entretiens
à la présidente de la Commission de l’UA, Madame Nkosazana Diamini
Zuma7. Celle-ci le nomma, le 6 avril, en tant que facilitateur du dialogue.
Le lendemain, il était à nouveau à Kinshasa. Quinze jours plus tard, il tint
6
Le G7 est un groupement de partis politiques ayant rompu avec la Majorité présidentielle
(MP) : l’Avenir du Congo (ACO), l’Alliance pour le renouveau du Congo (ARC), l’Alliance
des démocrates pour le progrès (ADP/MSDD), le Mouvement social pour le renouveau
(MSR), le Parti démocrate-chrétien (PDC), l’Union des nationalistes et fédéralistes du
Congo (UNAFEC), l’Union nationale des démocrates fédéralistes (UNADEF).
7
Nkosazana Diamini Zuma est l’ex-épouse du président de la République d’Afrique du Sud
qui entretient d’étroites relations avec le président Kabila.
20 Conjonctures congolaises 2016
une conférence de presse au cours de laquelle il affirma : « Je ne viens pas
dans un pays que je respecte avec l’idée de violer sa Constitution. Je ne
peux pas le faire, c’est contraire à ma nature [...]. Nous ne pouvons pas
travailler en dehors de la Constitution ». Il annonça que le Comité prépa-
ratoire du dialogue serait mis en place en fin de semaine et que le dialogue
lui-même durerait deux semaines, mais qu’« un petit débordement pourrait
être accepté » (Kodjo 11 avril 2016). Il ajouta, à propos de l’Union pour
la démocratie et le progrès social, que « [l]a grande première étape était
de savoir si l’UDPS marchait avec nous, aujourd’hui, c’est le cas [...]. Son
président [Tshisekedi] est pressé de voir que les choses se mettent en place
(ibid.). Prévisions qui se révélèrent l’une et l’autre erronées : le dialogue
s’ouvrit le 23 août, il se termina le 18 octobre et l’UDPS n’y participa pas !
Lors de cette même conférence de presse, Edem Kodjo précisa la compo-
sition du Comité préparatoire : 12 délégués pour la Majorité présidentielle
(MP), 12 pour l’opposition et 6 pour la société civile. Mais des difficultés
surgirent : l’UDPS réclama que la totalité des délégués de l’opposition lui
soit attribuée et la société civile estima que sa délégation devait compter
24 membres (Radio Okapi 11 et 18 avril 2016).
Dès ce moment, plusieurs organisations déclarèrent qu’elles ne parti-
ciperaient pas au dialogue. La Dynamique de l’opposition estima que les
garanties de voir respecter la Constitution et la résolution 2277 du Conseil de
sécurité8 ne lui paraissaient pas suffisantes. La Coalition de 33 organisations
8
La résolution 2277 du Conseil de sécurité des Nations unies est libellée entre autres
comme suit : « Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République
démocratique du Congo et la région : réaffirme qu’il demeure indispensable que le
Gouvernement de la République démocratique du Congo et tous les États signataires
s’acquittent des engagements qu’ils ont pris au titre de l’Accord [...] Situation politique :
Demande au Gouvernement de la République démocratique du Congo et à ses partenaires
nationaux, notamment la Commission électorale nationale indépendante de veiller à
la transparence et la crédibilité du processus électoral [...] et notamment de faire une
priorité des conditions nécessaires à la tenue des élections présidentielle et législatives
prévues en novembre 2016, conformément à la Constitution. Exhorte le Gouvernement
et toutes les autres parties concernées à créer les conditions nécessaires pour que le
processus électoral soit libre, juste, crédible, ouvert, transparent, pacifique et conforme
à la Constitution [...] Invite la Commission électorale nationale indépendante à publier
un calendrier complet révisé de la totalité du cycle électoral [...] Souligne l’importance
d’un dialogue véritable [...] Droits de l’homme : Demande instamment au Gouvernement
de la République démocratique du Congo d’amener à répondre de leurs actes les auteurs
des violations du droit international humanitaire ou de violations des droits de l’homme
ou d’atteintes à ces droits [...] Groupes armés : Condamne fermement tous les groupes
armés opérant dans la région [...] Exige que les FDLR, les ADF, la LRA et tous les autres
groupes armés mettent immédiatement fin à toutes les formes de violence et autres activités
déstabilisatrices, notamment l’exploitation des ressources naturelles et que leurs membres
soient immédiatement et définitivement démobilisés, déposent les armes et libèrent les
RDC 2016 : une année électorale sans élections 21
de promotion et de défense des droits de l’homme pour le respect de la
Constitution (CRC) déclara la même chose en ce qui concerne la résolu-
tion 2277. Le G7 refusa de participer à un « dialogue made in Kingakati ».
Quant à l’UDPS, qui mit longtemps à se décider, elle annonça dans un com-
muniqué du 14 avril qu’elle « pourrait prendre part (à) un dialogue politique
qui répond aux exigences ci-après (…) » ; une série de conditions pour sa
participation suivaient dont l’inclusivité, le respect de la Constitution en
particulier les délais qu’elle prescrit pour les élections présidentielles et
législatives (UDPS 14 avril 2016).
2.2. La difficile installation du Comité préparatoire
Les négociations pour constituer le Comité préparatoire furent diffi-
ciles. Pour la première fois, Edem Kodjo fut confronté à des problèmes que
toute négociation pour des participations ou des postes à pourvoir allaient
entraîner.
En ce qui concerne le Comité préparatoire, seule la MP fut satisfaite. La
délégation de la société civile passa finalement de 6 à 10 membres. Quant à
l’Opposition, elle était divisée au sujet de sa participation, de telle sorte que
l’UDPS apparut comme la seule formation acceptant de négocier avec Edem
Kodjo, qui se rendit deux fois à Bruxelles pour s’entretenir avec Tshisekedi.
Le facilitateur décida dans ces conditions de constituer un groupe de travail
destiné à remplir les tâches du Comité préparatoire en attendant sa mise en
place. Étienne Tshisekedi répondit à Edem Kodjo, le 23 mai, l’informant
de ce que l’UDPS n’avait pas été suffisamment informée sur les préalables
qu’elle posait quant à sa participation au dialogue.
Mais un événement ne touchant pas directement au dialogue allait, en
changeant la donne sur la scène politique congolaise, interférer sur lui. En
effet, se tint les 8 et 9 juin à Genval9 une conférence entre une série de partis
et mouvements politiques de l’opposition partageant le même objectif : arrê-
ter ensemble les stratégies destinées à mettre fin à la crise affectant la RDC
et épargner au pays un chaos généralisé. Le processus électoral et la mise
en œuvre de la résolution 2277 du Conseil de sécurité figuraient parmi les
points qui furent examinés par la conférence. Les participants exprimèrent
leurs « préoccupations quant au blocage intentionnel du processus [...] en
violation de la Constitution et, ainsi, [en créant] les conditions de la res-
tauration de la dictature ». Ils renouvelèrent « leur adhésion à la lettre et
enfants qui se trouvent dans leurs rangs, et rappelle à cet égard sa résolution 2198 (2015),
dans laquelle il a reconduit le régime de sanctions établi dans sa résolution 1807 (2008)
[...] Mandat de la MONUSCO : Décide de proroger jusqu’au 31 mars 2017 le mandat de la
MONUSCO [...] » (Nations unies 30 mars 2016).
9
Genval est une localité de la Région wallonne située à environ 25 km de Bruxelles.
22 Conjonctures congolaises 2016
l’esprit de la résolution [2277] ». La coalition des Mouvements signataires
prit le nom de « Rassemblement des forces politiques et sociales acquises
au changement » souvent évoqué sous le terme « Rassemblement ». Il fut
créé en son sein un Conseil des sages présidé par Étienne Tshisekedi. Les
participants signèrent, en outre, un « Acte d’engagement » dans lequel ils
déclarent notamment « leur attachement indéfectible » à la Constitution,
leur rejet de « toute idée ou projet de référendum pour élaborer une nouvelle
Constitution, un « non au dialogue » convoqué par Kabila, un « non au
dédoublement des partis politiques » (Forces politiques et sociales acquises
au changement de la République démocratique du Congo 10 juin 2016).
La création du Rassemblement ne fut pas appréciée par la MP qui parla
d’une tentative de coup d’État. Le président de l’Assemblée nationale
accusa la plupart des opposants de chercher à instaurer une période de tran-
sition avec un président et une Constitution. Dans la presse, il fut question
de « collabos » à Genval contre la démocratie ou, encore, de « complot
des opposants ». Mais il y eut aussi d’autres sons de cloche. Ainsi, Didier
Reynders, Vice-premier ministre, ministre des Affaires étrangères et euro-
péennes, chargé de Beliris et des institutions culturelles fédérales belges,
reçut les membres de la conférence et déclara que la Belgique saluait le
travail de rassemblement effectué pour parvenir à des positions communes
de l’opposition (Ministère belge des Affaires étrangères10 juin 2016).
Désormais, le Rassemblement fut la principale partie au sein de l’opposition
défendant un strict respect de la Constitution et s’opposant au maintien au
pouvoir du président Kabila au-delà de la fin de son deuxième mandat.
Cependant, une autre décision fut adoptée dans le but de légitimer et
seconder Edem Kodjo dans ses activités au dialogue. Un Groupe inter-
national de soutien à la facilitation fut créé, composé de membres des
Nations unies, de l’Union africaine (UA), de l’Union européenne (UE), de
l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), de la Conférence
internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL) et de la Communauté
de Développement de l’Afrique australe (SADC). La séance inaugurale
eut lieu à Addis-Abeba le 4 juillet. Six jours plus tard, une délégation
du groupe se rendit à Bruxelles pour rencontrer des membres de l’oppo-
sition, dont Étienne Tshisekedi. Le 23 juillet, une deuxième réunion du
Groupe de soutien se tint à Kinshasa. Dans le communiqué de presse rela-
tant les principaux thèmes abordés, il est rapporté que les participants ont
« approuvé l’idée du lancement du processus de dialogue avec la phase de
vérification des mandats des délégués au Comité préparatoire, à compter
du 26 juillet, et le début des travaux de ce Comité, à partir du 30 juillet
2016 » (Groupe de soutien à la facilitation du dialogue politique national
en RDC 23 juillet 2016).
Cette décision suscita l’ire de Tshisekedi qui considéra comme une
« provocation [...] la précipitation avec laquelle Monsieur Kodjo a lancé
RDC 2016 : une année électorale sans élections 23
unilatéralement l’invitation pour les travaux préparatoires au dialogue [...].
C’est ainsi que le Rassemblement annonce qu’il ne se sent pas concerné
par ce communiqué, par conséquent récuse Monsieur Edem Kodjo [...] »
(Rassemblement… 24 juillet 2016). Mais la MP contesta au Rassemblement
le pouvoir de récuser Edem Kodjo désigné par l’Union africaine (Radio
Okapi 25 juillet 2016).
Le 29 juillet, le facilitateur et le Groupe de soutien annoncèrent « [l]e
report de l’ouverture des travaux du Comité préparatoire initialement prévus
le 30 juillet ». Le but était de permettre aux acteurs potentiels de rejoindre le
dialogue (Groupe de soutien… 29 juillet 2016).
Le Groupe de soutien organisa à Kinshasa du 2 au 5 août des consulta-
tions avec les acteurs congolais toutes sensibilités confondues. Après une
troisième réunion (4-5 août), il fit paraître un communiqué dans lequel il
renouvelait sa confiance au facilitateur et réaffirmait l’importance « du lan-
cement effectif et rapide du dialogue, et ce, conformément à la Constitution
[...] et à la résolution 2277 du Conseil de sécurité [...] » (Groupe de sou-
tien… 5 août 2016).
Très heureux de ces encouragements, Edem Kodjo annonça donc qu’il
n’avait pas l’intention de démissionner.
2.3. Le Comité préparatoire à pied d’œuvre
Le 23 août eut finalement lieu l’installation du Comité préparatoire.
Pour rappel, lors de son entrée en fonction en tant que facilitateur Edem
Kodjo l’avait annoncée pour le 8 avril ! Cette nouvelle fut bien accueillie
par les Nations unies, l’Union européenne et l’ambassade des États-
Unis à Kinshasa. Quelques mesures de décrispation furent adoptées. Les
travaux effectifs commencèrent le 25 août. La liste des participants fut ren-
due publique à ce moment. La composition du Comité était la suivante :
5 membres du Parlement, 10 de la MP, 5 de l’Opposition parlementaire, 10
de la société civile, 12 de l’Opposition, 4 autres. La Prospérité qui publia
cette liste estima qu’elle posait « à la fois un problème de représentativité et
de représentation » (La Prospérité 26 août 2016). Le Comité préparatoire fit
le point sur les thèmes à discuter au cours du dialogue : ceux pour lesquels
l’accord s’était fait et ceux pour lesquels aucun consensus n’avait pu être
dégagé. Il détermina également la répartition des délégués participants au
dialogue : 68 pour la MP, 68 pour l’Opposition, 35 pour la société civile
et 25 pour des personnalités laissées à la disposition du facilitateur (ibid.).
Enfin la feuille de route qu’il élabora prévoyait, entre autres, au titre des
principes conducteurs le respect de la Constitution et la mise en œuvre de
la résolution 2277 du Conseil de sécurité ; au titre de l’agenda du dialogue,
les différentes phases du processus électoral ; au titre du financement la
création d’un « fonds pour le dialogue » alimenté par l’État congolais. Enfin
24 Conjonctures congolaises 2016
un chronogramme pour chacune des étapes du dialogue fut précisé (Kodjo
27 août 2016).
La MP estima qu’elle sortait gagnante de cette première étape du dialo-
gue, Léonard She Okitundu Lundula faisant observer que le président de la
République avait rempli toutes les conditions demandées par les partenaires
internationaux et l’opposition congolaise (Radio Okapi 28 août 2016). Mais
du côté de l’opposition, au contraire, plusieurs voix s’élevèrent pour criti-
quer ces dispositions. Le Rassemblement insista sur le manque d’inclusivité
du dialogue et demanda au peuple congolais de « rejeter toutes les conclu-
sions de ce pseudo dialogue [...]. De se mobiliser et de participer activement
aux actions de résistance pacifiques décrétées par le Rassemblement à partir
du 1er septembre 2016. » Il rappela que « Monsieur Kabila [...] doit libérer
la présidence de la République le 19 décembre 2016 » (Rassemblement…
29 août 2016). La Coalition de 33 organisations de promotion et de défense
des droits de l’homme pour le respect de la Constitution dénonça la repré-
sentativité douteuse de la société civile et insista pour que les 106 détenus
soient libérés. Elle déplora la mise à l’écart du Groupe international de sou-
tien (Coalition de 33 organisations… 29 août 2016). La diaspora déclara
qu’elle ne participerait pas au dialogue dans le format actuel non inclusif
(La Tempête 1er septembre 2016). Filimbi fit de même, étant donné, selon
lui, que le dialogue aboutira « au maintien de l’actuel président au-delà du
délai constitutionnel ainsi qu’à la mise en place d’un gouvernement de tran-
sition en violation de la Constitution » (Filimbi 30 août 2016). L’histoire lui
donna raison !
2.4. Le dialogue formellement sur ses rails
Edem Kodjo ouvrit solennellement les travaux du dialogue, le 1er sep-
tembre 2016, dans la salle de réunion de la Cité de l’UA (située dans le site
militaire du camp Tshatshi), comme prévu par le Comité préparatoire. Le
discours qu’il prononça à cette occasion fut surtout un plaidoyer retraçant
son parcours en tant que facilitateur. Vital Kamerhe, nommé co-modérateur
et chef de la délégation de l’opposition, encouragea « le pouvoir à aller
jusqu’au bout dans la libération des prisonniers politiques et d’opinion ».
Il affirma qu’« un troisième mandat nous ne l’accepterons pas » et précisa
qu’ils étaient là pour donner au peuple congolais « de la manière la plus
claire la date de l’élection présidentielle (et) de la passation des pouvoirs ».
À sa demande, les travaux furent suspendus pendant deux jours (Kamerhe
2016). Le nonce apostolique, Mgr Luis Mariano Montemayor, estima que
« les mesures de décrispation [...] sont insuffisantes [...]. Et sans les prin-
cipaux partis d’opposition, le dialogue [...] risque bel et bien de manquer
de représentativité et de crédibilité » (RFI 1er septembre 2016). Le journal
Le Phare écrivit que « la décrispation tant souhaitée reste un vœu pieux »
RDC 2016 : une année électorale sans élections 25
(Le Phare 1er septembre 2016) et Le Potentiel que « dans tous les cas, tout
le monde est d’avis que sans Tshisekedi et le Rassemblement le dialogue du
duo Kodjo-MP ne vaut pas “un pennyˮ » (Le Potentiel 2 septembre 2016).
Les travaux reprirent donc le 5 septembre à huis clos. Vu les pressions, le
nombre de participants avait été augmenté : 93 pour la MP, 93 pour l’oppo-
sition, 64 pour la société civile et seulement 30 pour les personnalités. Selon
Jeune Afrique, le per diem s’élevait à 283 dollars par jour (Jeune Afrique
23 septembre 2016). La plupart des opposants maintinrent leur position, dont
l’UDPS, le G7, la Dynamique de l’opposition, le MLC (Mouvement de libé-
ration du Congo), le Conade (Conservateurs de la Nature et Démocrates),
la Lucha.
Le lendemain, le président de la CENI, Corneille Nangaa, vint présenter
l’état des lieux du processus électoral et exposer les trois éventualités envi-
sageables pour organiser les futurs scrutins : utiliser soit le scrutin existant
partiellement corrigé, soit un fichier partiellement réaménagé, ou encore un
fichier complètement réaménagé. L’opposition opta en faveur de la première
formule, la MP pour la troisième. Deux jours plus tard, ce fut l’organisation
possible des scrutins que Nangaa vint proposer : premièrement les élections
législatives provinciales, ensuite les élections présidentielles et législa-
tives nationales ou encore les trois scrutins simultanément (Radio Okapi
12 septembre 2016). Cette question fut à l’origine de la première pomme
de discorde entre la MP, qui choisit la première formule, et l’opposition,
la seconde. Ceci eut pour résultat que l’opposition suspendit sa participa-
tion au dialogue. Les travaux reprirent le 15 septembre, un accord ayant
été trouvé : l’option en faveur de la refonte totale du fichier électoral10 fut
adoptée et le premier scrutin à organiser serait la présidentielle couplée avec
les législatives nationales et provinciales et, éventuellement, les élections
locales si les moyens techniques et financiers le permettaient (Kodjo 16 sep-
tembre 2016). À remarquer qu’une quatrième option ne fut pas évoquée, ni
par la CENI ni par l’opposition, celle d’utiliser le fichier déjà partiellement
corrigé et de poursuivre son réaménagement, ce qui eut permis de gagner
beaucoup de temps !
2.5. Les difficultés du dialogue s’amoncellent
L’adhésion portant sur la séquence des différents scrutins étant acquise,
elle entraîna un nouveau désaccord relatif à la date de la convocation des
électeurs pour le scrutin présidentiel : 28 octobre 2018 pour la MP, fin 2017
pour l’opposition. Ces divergences menant à une impasse, la CENI déposa,
le 17 septembre, auprès de la Cour constitutionnelle une demande visant
10
Cette option signifiait, en fait, l’établissement d’un nouveau fichier, et le laps de temps
pour l’élaborer, le dépassement des délais constitutionnels et le rejet de l’alternance.
26 Conjonctures congolaises 2016
à pouvoir reporter la date de l’élection présidentielle. La Cour rendit son
arrêt le 17 octobre : « L’autorise [la CENI] [...] à élaborer un nouveau calen-
drier électoral aménagé dans un délai objectif et raisonnable exigé par les
opérations techniques de refonte du fichier électoral afin de s’assurer de la
régularité des scrutins prévus » (Cour constitutionnelle 17 octobre 2016).
Cet arrêt fut accueilli par une salve de critiques émanant non seulement des
organisations de l’opposition, mais aussi de juristes, étant donné notamment
que la Cour adopta ledit arrêt alors que le quota légal des magistrats présents
n’était pas atteint.
Les travaux devaient reprendre le 19 septembre, mais les émeutes écla-
tèrent ce jour-là et se prolongèrent à Kinshasa jusqu’au lendemain, de sorte
que la plénière du Dialogue décida de reporter au 23 septembre la reprise
des négociations.
Plusieurs membres suspendirent, dès lors, leur participation au dialogue.
Ce fut le cas de Jonas Tshiombela, coordinateur de la Nouvelle Société civile
congolaise (SNCC), étant donné l’incendie du siège de l’organisation durant
les émeutes, et d’Albert Moleka, vu le non-respect de certaines mesures
d’apaisement. Treize ONG appartenant à la société civile, dans une déclara-
tion commune, firent de même, se disant indignées de la répression brutale
et disproportionnée des manifestations. Enfin, la CENCO (Conférence épis-
copale nationale du Congo) suspendit elle aussi sa participation pour faire le
deuil des victimes du soulèvement et chercher à obtenir un consensus plus
vaste. Elle lia sa reprise de participation aux conditions suivantes : qu’il soit
clairement établi que Kabila ne poserait pas sa candidature à la prochaine
élection présidentielle ; que l’on soit fixé sur les dates des élections ; que
l’on soit tenu informé de la définition du plan de décaissement des fonds ;
que soit mentionnée la composition du comité de mise en œuvre de l’Accord
(Congo Forum 20 septembre 2016 ; Radio Okapi 10 septembre 2016 ; La
Tempête 26 septembre 2016).
Par ailleurs, des différends naquirent au sein de l’opposition, le député
Steve Mbikayi accusant Vital Kamerhe « de partialité, d’autoritarisme [...] et
signalant que tout accord n’ayant pas fait l’objet d’un consensus au sein de
sa composante ne l’engagerait pas » (La Prospérité 6 octobre 2016).
De son côté, le Rassemblement organisa un second conclave destiné à
définir des positions communes sur les questions soulevées par le processus
électoral et, de façon générale, sur la crise politique montée de toute pièce par
le président de la République. Avant d’aborder l’ordre du jour, le conclave
dressa le bilan du pouvoir de Kabila en des termes très sévères. Le mode de
répression des émeutes des 19 et 20 septembre et ses répercussions furent
ensuite abordés. L’ordre du jour porta sur six points : « la conséquence de la
non-convocation du scrutin pour l’élection présidentielle ; la fin du second
et dernier mandat du président Joseph Kabila le 19 décembre 2016 ; l’exer-
cice du pouvoir après le 19 octobre 2016 ; le dialogue politique inclusif ;
RDC 2016 : une année électorale sans élections 27
le processus électoral ; les garanties de bonne fin. » Parmi les développe-
ments de ces divers points, la démission de la CENI fut demandée, ainsi que
sa restructuration et celle de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur
de l’audiovisuel. Il fut acté qu’à la date du 19 décembre, Kabila ne pourrait
plus engager la RDC à l’intérieur et à l’extérieur et que serait acquise la ces-
sation de toutes les institutions dont les mandats étaient à terme. Il fut signalé
qu’une évaluation minutieuse de l’opération d’enrôlement serait faite. La
séquence des scrutins fut également précisée. Étant donné le vide juri-
dique qui caractérisera l’après 19 décembre 2016, un régime spécial devrait
assurer la gestion du pays. Un dialogue serait organisé en application de la
résolution 2277 du Conseil de sécurité. Enfin 10 actions seraient à mener en
matière de décentralisation. Il était envisagé la tenue d’un dialogue « véri-
table, crédible et réellement inclusif » (Rassemblement… 4 octobre 2016).
La MP fit une critique acerbe des prises de position du Rassemblement.
Selon elle, « [i]l ne s’agit que de la formulation du projet séditieux du
Rassemblement de confisquer le pouvoir d’État à la faveur du chaos et de la
violence de la rue [...] c’est-à-dire, en violation de la Constitution et par le
sang des innocents abusés par leurs propos » (Majorité présidentielle 2016
(n.d.)).
2.6. L’Accord est signé
Ce fut dans ce contexte que le président Kabila organisa une réunion à
Kingakati, le 9 octobre, à laquelle furent conviés le bureau politique de la
MP, des parlementaires, des leaders de partis politiques, des délégués au
dialogue. Il leur fut demandé par Kabila de trouver un accord mettant fin au
dialogue dans les 24 heures. Il y fut aussi question de la création d’une cel-
lule de coordination électorale au sein de la MP (Le Potentiel Online 2016
[n.d.]). Visiblement, Kabila fut entendu. Le 17 octobre, un projet d’accord
élaboré par un groupe restreint fut soumis à l’assemblée plénière et adopté
par acclamation.
Les points principaux de l’accord sont les suivants : i) fichier électoral :
sera constitué au 31 juillet 2017 ; ii) ordre électoral prévu : élections pré-
sidentielles, législatives nationales et provinciales en une seule séquence,
élections locales, municipales et urbaines concomitamment si les moyens
techniques et financiers le permettent ; iii) calendrier électoral : convoca-
tion des scrutins à partir de la promulgation de la loi sur la répartition des
sièges, au 30 octobre 2017 et, une fois cette étape franchie, organisation
par la CENI des trois premiers scrutins prévus dans un délai de 6 mois et
si les élections locales, municipales et urbaines n’ont pas été organisées
concomitamment avec les trois premières, elles les seront 6 mois après.
Suit une série de mesures concernant le processus électoral. « L’équité
et la transparence : notamment accès de tous les courants de pensée aux
28 Conjonctures congolaises 2016
médias publics, engagement des partis politiques et autres acteurs sociaux
d’envoyer dans tous les bureaux de vote des témoins et observateurs for-
més [...]. La sécurité : l’obligation pour le Gouvernement, la CENI, les
partis politiques, l’autorité coutumière, les confessions religieuses, la
MONUSCO, le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication
(CSAC) et la société civile, de demeurer apolitique, de garantir la liberté
d’expression, de promouvoir l’éducation à la paix et à la non-violence [...]
Mesures prévues en ce qui concerne les menaces qui pèsent sur la sécurité
des citoyens dans le pays. Le budget et le financement : recommandations
au Gouvernement de mobiliser les fonds et de respecter scrupuleusement
le Plan de décaissement prévu, recommandations au Parlement d’exercer
trimestriellement le contrôle sur l’utilisation des ressources budgétaires
mises à disposition de la CENI. Sont encore prévus : l’élaboration d’un
code de conduite, la formation d’un gouvernement dans les 21 jours sui-
vant la signature de l’accord, des mesures en matière de décrispation,
l’instauration d’un comité de suivi de mise en œuvre des recommanda-
tions du dialogue (CSD) et la possibilité à d’autres partis et regroupements
d’adhérer à l’accord en s’engageant à en respecter toutes ses dispositions »
(7sur7.cd 18 octobre 2016).
Le 24 octobre, Edem Kodjo et une délégation des participants au dialogue
présentèrent officiellement l’accord au président Kabila. Celui-ci qualifia
l’accord d’historique et demanda à tous les Congolais de s’y rallier. Dans
le même temps, il chargea la CENCO d’une mission de bons offices auprès
des parties en présence afin d’obtenir un consensus plus large (Discours du
président Kabila sur l’état de la Nation 15 novembre 2016).
Le porte-parole de la MP, André Alain Atundu Liongo, déclara : « La
fin du dialogue est une victoire des patriotes sur des prédictions de certains
compatriotes prêts à vendre notre souveraineté pour leur projet égoïste »
(Atundu Liongo 24 octobre 2016). Les confessions religieuses11, dans une
déclaration du 29 octobre, félicitèrent « le sens du dépassement de soi des
participants ainsi que la qualité de la médiation du facilitateur, tout en
regrettant que certains acteurs n’aient pas pris part à ces assises ». Ils firent
ensuite des recommandations aux acteurs ayant et n’ayant pas participé au
dialogue, aux autorités publiques et aux instances internationales (Africa
News 31 octobre 2016).
11
L’Église du Christ au Congo, la Communauté islamique, l’Église kimbanguiste, l’Armée
du salut, l’Église du réveil du Congo, l’Église orthodoxe, l’Union des églises indépendantes
du Congo.
RDC 2016 : une année électorale sans élections 29
2.7. Un accord très critiqué par les non-signataires
L’opposition qui n’avait pas participé au dialogue rejeta l’accord. Le
Rassemblement dénonça « l’intensification des actes de provocation par le
régime de Kabila, d’intimidation, de restriction de l’espace politique, des
atteintes graves aux droits de l’homme et aux libertés publiques ». Il formula
un certain nombre d’exigences en matière de sécurité et de décrispation. À
propos de l’accord du 18 octobre, il appela le peuple congolais « à ne pas
reconnaître le gouvernement qui en sera issu » et invita « la Communauté
internationale à ne pas cautionner l’accord du camp Tshatshi ». Il souligna « à
l’intention des participants au sommet de Luanda le 27 octobre que le sang
qui a coulé les 19 et 20 septembre derniers est celui des Congolais qui sont
sortis par millions pour défendre la Constitution [...] » (Rassemblement…
20 octobre 2016). Il démentit des informations inexactes selon lesquelles il
aurait adhéré à l’accord du 18 octobre et insista sur le fait que « le Conseil
des sages dénonce et condamne vigoureusement le comportement de ces
individus infiltrés par le pouvoir pour décrédibiliser le Rassemblement et
faire échec au combat du peuple pour le respect de la Constitution et l’alter-
nance démocratique » (Rassemblement… 25 octobre 2016).
L’UDPS, par la voix de son secrétaire général, Jean-Marc Kabund-
Kabund, estima que « [i]l n’y a rien de consistant dans le contenu de l’accord
[...] sauf l’octroi d’une année et demie ou de deux années à M. Kabila après
son mandat. Il y a une crise dans ce pays, nous devons résoudre cette crise,
et nous avons estimé que c’est à travers un véritable dialogue que nous
devrions arriver réellement à résoudre cette crise » (Radio Okapi 18 octobre
2016).
Le G7 déclara, le 18 octobre, que le dialogue « [était] loin d’apporter la
moindre solution fiable à la crise politique artificielle créée par la Majorité
au pouvoir [...] et qui avait manqué au principe d’inclusivité ». Il considéra
que « le renvoi des élections présidentielles et législatives en 2018 [était] un
mépris et une provocation à l’endroit du peuple congolais ». Il mit en cause
les appréciations de la CENI quant à la date des élections et désapprouva le
comportement des magistrats qui adoptèrent l’arrêt permettant à la CENI de
ne pas convoquer les électeurs à la date prévue par la Constitution. Il salua
les conclusions du Conseil des ministres européens des Affaires étrangères
du 17 octobre qui répondaient aux aspirations du peuple congolais et appe-
lait à leur mise en œuvre. Il fit, en outre, remarquer que le « G7 demeur[ait]
déterminé et disponible à s’impliquer activement dans un dialogue inclusif,
transparent et impartial qui conduisit à l’organisation des élections présiden-
tielles et législatives dans les délais les plus courts » (G7 18 octobre 2016).
Le lendemain, qui pour rappel avait été déclaré « jour de ville morte », le
G7 publia un communiqué rappelant ses objectifs. Il mit l’accent sur le fait que
« le peuple congolais a répondu massivement à l’appel du Rassemblement,
30 Conjonctures congolaises 2016
et montré par cela son sens des de responsabilités [...] sa maturité et sa déter-
mination à s’approprier son avenir » (G7 19 octobre 2016).
Lors d’une interview exclusive à Actualité.cd, Olivier Kamitatu s’ex-
prima notamment ainsi : « Je dirai à Kabila de ne pas être amnésique, de ne
pas oublier que c’est le peuple congolais qui l’a élu pour deux mandats [...].
On attend de vous, Monsieur le Président de la République une déclaration
solennelle au terme de laquelle vous ne briguerez pas un troisième mandat,
que vous respecterez cette Constitution [...]. Le peuple congolais attend de
vous une déclaration forte par laquelle vous allez baisser la tension, sauver
des vies, offrir une perspective à la RDC [...] » (Actualité.cd 21 octobre
2016).
La CENCO se réunit les 19 et 20 octobre 2016 en présence du cardinal
Laurent Monsengwo. Dans le message qu’elle publia, elle fit, entre autres,
remarquer que, depuis 2012, elle « n’a cessé d’exhorter les acteurs congolais
au dialogue comme voie royale de sortie de crise. La tenue du dialogue de la
Cité de l’Union africaine (UA) [...] s’est inscrite dans cette dynamique [...].
Nous prenons acte des résolutions issues de ces assises. Malgré la tenue de
ce dialogue nous sommes peinés de constater [...] que les acteurs politiques
ne réussissent pas encore à se mettre d’accord pour trouver des solutions
pacifiques consensuelles à la crise [...] » Après avoir évoqué quelques points
de convergence et fait le bilan des divergences, la CENCO tint à attirer
l’attention sur les points suivants : 1) « mettre en œuvre tous les moyens
afin de réduire la période transitoire pour qu’elle ne dépasse pas l’année
2017 » ; 2) formuler en termes précis, contraignants « les attributions du
Parlement, du Gouvernement et de la CENI dans le processus électoral » ;
3) fixer comme priorité au Gouvernement, outre ses charges régaliennes, la
priorité suivante : « organiser les élections, garantir le respect des libertés
fondamentales [...] rétablir l’autorité de l’État sur toute l’étendue du terri-
toire national et améliorer la vie sociale de la population » ; 4) mentionner
de façon impérieuse « que l’actuel président de la République ne se pré-
sentera pas pour un troisième mandat [...] » ; 5) renforcer le Comité de
suivi « par une présence active des Nations unies ». La CENCO se pencha
ensuite sur la situation sécuritaire qu’elle qualifia d’inacceptable (CENCO
20 octobre 2016).
La Lucha, elle aussi, récusa l’accord, dénonça « ce hold-up constitution-
nel » et mit en garde « ses auteurs et leurs complices [...] [qui] devront assumer
l’entière responsabilité du chaos qu’ils cherchent à tout prix à créer ». Elle
prit ses distances vis-à-vis d’Edem Kodjo et des juges de la Cour constitu-
tionnelle et accusa la classe politique et la communauté internationale en ces
termes : « La Lucha reste convaincue que malgré la mauvaise foi, l’égoïsme
des politiciens et la léthargie de la communauté internationale, une issue à
l’impasse politique est possible, tout en préservant l’ordre constitutionnel »
(Lucha 19 octobre 2016).
RDC 2016 : une année électorale sans élections 31
Le 26 octobre, la Lucha, Filimbi et le Front citoyen 2016 organisèrent, à
Bunia, un sit-in devant les locaux du quartier général de la MONUSCO afin
d’interpeler les Nations unies pour qu’elles rejettent l’accord du 18 octobre
(Radio Okapi, 31 octobre 2016).
La Coalition de 33 organisations de promotion et de défense des droits
de l’homme pour le respect de la Constitution dénonça, comme les orga-
nisations précédentes, l’accord du 18 octobre, affirmant que celui-ci est
« une prime à la trahison et porte atteinte à la souveraineté du peuple », et
elle ajouta que « la Cour constitutionnelle a gravement violé les lois de la
RDC ». Elle critiqua point par point l’accord et recommanda « une concerta-
tion réellement inclusive des parties prenantes [...] avant la fin du mandat du
président de la République en exercice afin de trouver un consensus sur un
calendrier crédible et organiser les élections principalement présidentielles
conformément à la résolution 2277 du Conseil de sécurité » (Coalition de
33 organisations… 20 octobre 2016).
Un groupe de plus de 169 organisations de la société civile ainsi que
les mouvements citoyens appelèrent à deux jours de sit-in devant le siège
de l’Union africaine à Kinshasa et devant les assemblées provinciales dans
l’ensemble du pays pour protester contre le coup d’État constitutionnel
opéré via l’accord du 18 octobre reportant les élections présidentielles et
législatives au mois d’avril 2018 (Congo Synthèse 23 octobre 2016).
2.8. Les réactions des institutions internationales et des États
partenaires
Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, dans un communiqué
de presse, prit « note de la conclusion du dialogue en République démocra-
tique du Congo ». Entre autres, il espéra que « la mise en œuvre de l’accord
contribuerait à un climat plus propice au respect des libertés et droits fonda-
mentaux essentiels au débat politique et à des élections crédibles ». Il insista
sur de nouvelles mesures de décrispation à adopter et appela les groupes
politiques n’ayant pas participé au dialogue à « s’employer à résoudre leurs
différends de manière pacifique » (Ban Ki-Moon 19 octobre 2016).
L’Union européenne rendit publiques les conclusions de sa réunion du
17 octobre portant sur la RDC. Elles portaient notamment sur les actes d’une
« extrême violence » des 19 et 20 septembre 2016. Elles mettaient en avant
les faits suivants :
« La crise politique de la RDC ne peut être résolue qu’à travers un engagement
public et explicite de tous les acteurs de respecter la Constitution actuelle, en
particulier en ce qui concerne la limitation des mandats présidentiels ainsi
que par un dialogue politique substantiel, inclusif, impartial et transparent
[...]. Si l’actuel mandat présidentiel vient à son terme sans qu’il y ait eu un
32 Conjonctures congolaises 2016
accord préalable sur le calendrier électoral, l’UE devra considérer l’impact
d’une telle situation sur ses relations avec le Gouvernement de la RDC. »
Elles comportaient une série de mesures à prendre pour qu’il soit possible
« de préparer une transition paisible et démocratique ». Elles exhortaient
« tous les acteurs, tant du côté des autorités que du côté de l’opposition, à
rejeter l’usage de la force » et elles recommandèrent l’organisation d’une
« enquête indépendante ». Elles réitéraient les « fortes préoccupations face
à la situation dans l’Est du pays et en particulier à Beni ». Le texte signalait
que l’« UE utiliserait tous les moyens à sa disposition, y compris le recours
à des mesures restrictives individuelles contre ceux qui sont responsables
de graves violations des droits de l’homme, incitent à la violence ou qui
feraient obstacle à la sortie de crise consensuelle, pacifique et respectueuse
de l’aspiration du peuple congolais à élire ses représentants ». Elles renou-
velaient une nouvelle fois la demande « au Gouvernement d’initier dans
les plus brefs délais un dialogue politique au plus haut niveau, conformé-
ment à l’article 8 de l’accord de Cotonou (Conseil de l’Union européenne
17 octobre 2016).
Les États-Unis, via un communiqué publié par leur ambassade à
Kinshasa, affirmèrent que les violences des 19 et 20 septembre à Kinshasa
« ont souligné le besoin d’un accord élargi inclusif sur une date pour les élec-
tions présidentielles [...] après la fin du second mandat du président Kabila
le 19 décembre ». À propos de l’accord du 18 octobre, il y est mentionné
que « beaucoup de travail reste à faire pour parvenir à un accord largement
consensuel sur la voie à suivre ». Ils insistèrent sur la nécessité d’un « dia-
logue inclusif » et exhortèrent le président Kabila à déclarer « clairement
qu’il ne briguera pas un troisième mandat » (Ambassade des États-Unis
19 octobre 2016).
En Belgique, Didier Reynders invité par RTL le 30 octobre estima que
« ce dialogue qui n’a réuni qu’une partie de l’opposition ne sert à rien. Il faut
un nouveau dialogue auquel Tshisekedi et l’ancien gouverneur du Katanga
doivent prendre part. Bien sûr que la RDC est indépendante [...]. Donc il
s’agit avant tout d’un débat entre les Congolais. Mais cela ne pourrait se
régler qu’avec une pression de l’Union africaine et de la Communauté inter-
nationale. Voilà pourquoi nous restons fermes » (La Tempête 1er novembre
2016).
La France, via son ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayraut,
fit remarquer que : « [r] envoyer l’élection [présidentielle] à 2018 ne règle
pas le problème. Il n’y a qu’une façon de sortir de la crise : que le président
annonce qu’il ne se présente pas et qu’une date soit fixée pour l’élection
[...] Il y a un risque majeur d’affrontements et de manifestations violentes
et de répression » (Le Figaro 18 octobre 2016). Lors d’un échange avec
RFI et RTL, il affirma : « Nous mettons en garde que si rien n’est fait, alors
RDC 2016 : une année électorale sans élections 33
la Communauté internationale devra prendre ses responsabilités. Nous espé-
rons que la raison l’emportera » (RFI et RTL 18 octobre 2016).
Il résulte de ce bref tour d’horizon que seuls le président, son entourage,
ses partisans et, bien entendu, les signataires de l’accord, en ce compris l’op-
position, se déclarèrent satisfaits de l’accord du 18 octobre. L’opposition
n’ayant pas participé au dialogue s’y opposa avec fermeté. Et à l’étranger, il
fut considéré comme insuffisant pour résoudre la crise politique. En fait, le
dialogue de la Cité de l’Union africaine fut un instrument efficace de mise
en œuvre de la stratégie du glissement.
2.9. La mise en œuvre de l’accord du 18 octobre
Le Premier ministre Augustin Matata Ponyo annonça, le 14 novembre, sa
démission ainsi que celle de son gouvernement. Le 17 novembre fut lue à la
télévision publique l’ordonnance présidentielle nommant « Premier ministre
et chef du Gouvernement Monsieur Badibanga Ntita Samy » (Cabinet du
président de la République 17 novembre 2016). Ce fut une surprise, le bruit
ayant couru que cette fonction serait attribuée à Vital Kamerhe. C’est en tant
que membre de l’UDPS que Badibanga fit partie de l’opposition au dialo-
gue, alors qu’il en avait été exclu pour n’avoir pas suivi les prises de position
du parti. En outre, il apparut qu’il avait acquis la nationalité belge alors
que, constitutionnellement, « [l]a nationalité congolaise est une et exclusive.
Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre » (article 10
alinéa 1). Le problème ne put être résolu qu’en l’obligeant à renoncer à la
nationalité belge !
Le 19 décembre (soit le dernier jour du mandat de Joseph Kabila) parais-
sait l’ordonnance portant nomination des vice-premiers ministres, des
ministres d’État, des ministres et des vice-ministres (Cabinet du président
de la République 19 décembre 2016). Pour rappel, l’accord prévoyait que
le Gouvernement devait être formé dans les 21 jours suivant la date de sa
signature. Cela prit trois mois !
Le Gouvernement se compose de 67 personnes : 3 vice-premiers ministres,
7 ministres d’État, 34 ministres et 23 vice-ministres. Restent en fonction
13 ministres ayant siégé dans le Gouvernement précédent. Les provinces les
mieux représentées sont le Nord-Kivu (7 portefeuilles), le Sud-Kivu (6 por-
tefeuilles), le Maniema (5 portefeuilles), le Kasaï-Oriental (5 portefeuilles)
et le Sankuru (5 portefeuilles) (7sur7.cd 25 janvier 2017). Voilà qu’une fois
depuis 2012, le Katanga (aujourd’hui divisé en quatre nouvelles provinces)
ne dépasse plus les autres provinces ni dans la représentativité gouverne-
mentale ni dans l’occupation des ministères stratégiques. Il est certainement
en recul à cause de ses divisions et ses contestations affichées contre le
pouvoir de Kabila. À cela s’ajoute le fait que l’enjeu devient : trouver des
34 Conjonctures congolaises 2016
soutiens au maintien du président, car un autre Katangais, Moïse Katumbi,
avait déjà annoncé sa candidature à ce même poste. Dans les choix opérés
donc, les personnes à engager dans la bataille ont pesé autant que les grou-
pements politiques représentés. Le gouvernement Badibanga a été critiqué,
non seulement, en raison de son caractère qualifié d’éléphantesque, mais
aussi, du fait de son déséquilibre en matière de géopolitique. Il a suscité, en
outre, de nombreuses frustrations parmi les candidats évincés. À noter que
l’Ituri n’est représenté, quant à lui, que par un seul vice-ministre !
Le Gouvernement fut investi à l’Assemblée nationale le 22 décembre
et Badibanga y présenta son programme. Les objectifs qu’il s’est assignés
sont les suivants : établir la cohésion nationale, organiser les élections dans
le respect des échéances prévues (qui sont celles figurant dans l’accord
du 18 octobre), répondre à la crise économique et sociale. Des mesures à
prendre en matière de décrispation sont également mentionnées. Est affir-
mée une détermination à mobiliser les fonds nécessaires à l’organisation
des élections. Enfin s’en suit une longue liste de divers secteurs à traiter.
En conclusion, le programme se veut « être une déclaration de guerre à la
pauvreté » (Actualité.cd 22 décembre 2016). Il est de toute évidence irréa-
liste en ce qui concerne de très nombreux aspects ; 7sur7.cd le qualifia de
programme en « mode père Noël » (7sur7.cd 22 décembre 2016).
3. Le « dialogue » du Centre interdiocésain
3.1. L’entrée en piste de la CENCO
La CENCO participa aux travaux du dialogue en y délégant l’abbé
Donatien Nshole qui le quitta la veille de sa clôture et fut absent le jour de la
signature de l’accord. Comme déjà évoqué, elle se prononça, le 20 octobre,
sur les résultats du forum. Préoccupée par l’impasse créée par le défaut
d’inclusivité du dialogue, elle décida de prendre contact avec les acteurs de
toutes les parties prenantes. Le 31 octobre, l’archevêque de Kisangani, nou-
veau président de la CENCO depuis juin, Mgr Marcel Utembi Tapa fut reçu
par le président Kabila qui se déclara favorable aux démarches envisagées.
La mission de bons offices de la CENCO pouvait commencer.
La CENCO entreprit donc de nouer des contacts avec les signataires
et les non-signataires de l’accord du 18 octobre afin d’obtenir, de part et
d’autre, des compromis qui permettraient d’aboutir à un consensus. Le
Rassemblement publia un « mémo sur ses divergences avec les signataires
de l’accord politique de la Cité de l’Union africaine » signé par Étienne
Tshisekedi et transmis à la CENCO. Il y soulignait ses engagements, ses
exigences et les mesures qu’il préconisait, dont notamment la mise en place
d’un régime spécial ayant à gérer le pays le temps d’organiser les élections.
Deux autres documents furent élaborés : l’un contesté par le Conseil de
RDC 2016 : une année électorale sans élections 35
sages du Rassemblement et l’autre étant essentiellement une critique acerbe
du régime Kabila.
Ayant accompli son rôle et rencontré toutes les parties prenantes, la
CENCO fit paraître, le 2 décembre, un communiqué de presse dans lequel
elle dressait le bilan de sa mission. Après avoir rappelé l’objectif de celle-ci
et les encouragements qu’elle avait reçus de toutes parts, elle signala qu’il
existait beaucoup de points de convergence entre les acteurs impliqués,
mais aussi des points de divergence nécessitant des échanges directs. Elle
estimait qu’un compromis était encore possible et qu’elle restait disponible
pour continuer sa mission de bons offices (CENCO 2 décembre 2016).
La MP réagit en déclarant qu’elle prenait acte de l’échec de la mission de
la CENCO et qu’elle s’en tenait à l’accord du 18 octobre. Le Rassemblement,
au contraire, appuya la démarche de la CENCO en faveur de négociations
directes pour aboutir à un compromis politique global.
Le président Kabila reçut en audience, le 5 décembre, une délégation
de la CENCO conduite par Mgr Utembi : la CENCO lui présenta un rapport
d’étape sur sa mission de bons offices. Le chef de l’État l’encouragea « à
poursuivre la mission entreprise après l’avoir assuré de son soutien ». Il réi-
téra ensuite « son attachement au respect de la Constitution et de l’Accord
politique du 18 octobre 2016 en tant que feuille de route relative au règlement
des divergences sur l’organisation du processus électoral en République
démocratique du Congo, les observations des uns et des autres pouvant faire
l’objet des discussions entre les acteurs politiques et sociaux [...] en vue de
l’enrichissement éventuel de l’Accord précité [...] ». Il demanda aussi que
« des appels à l’apaisement [soient] lancés par différents groupes politiques
et organisations qui prônent le recours à la violence à leurs membres [...] »
(7sur7.cd 5 décembre 2016).
Après l’audience, la CENCO déclara avoir été fortement encouragée à
continuer sa mission (CENCO 6 décembre 2016). Un deuxième dialogue
était donc lancé. Il convient toutefois d’insister sur le fait que si Kabila se
déclara favorable à ce que la CENCO poursuive les négociations, ce fut
dans le cadre de l’accord du 18 octobre qu’il les situa avec pour objectif de
l’enrichir.
3.2. Un nouveau dialogue est organisé
Confortée par le soutien de Kabila, la CENCO ouvrit au Centre interdio-
césain à Kinshasa, trois jours après l’audience avec le président Kabila, des
concertations directes entre les délégués qui avaient participé au dialogue de
la Cité de l’Union africaine et les délégués qui s’en étaient abstenus, chacun
des deux groupes étant représenté par le même nombre de personnes. Ainsi
les deux plus importantes formations de l’arène politique congolaise, la MP
et le Rassemblement, allaient se retrouver face à face…
36 Conjonctures congolaises 2016
Dans le discours qu’il prononça à l’occasion de l’ouverture de ces nou-
velles assises, le 8 décembre, Mgr Utembi souligna notamment que la finalité
de la mission entreprise par la CENCO était d’offrir au peuple congolais
« une paix durable, une occasion de consolider la démocratie chèrement
acquise et lui éviter un enlisement aux conséquences néfastes ». Après avoir
fait état des encouragements reçus, il s’adressa aux parties prenantes leur
demandant « de lancer un appel au sein de [leurs] groupes et organisations,
mais aussi auprès de [leurs] bases respectives des appels à l’apaisement
pour que les Congolais ne revivent plus jamais les tristes événements des
19 et 20 septembre 2016 » (CENCO 8 décembre 2016). Il faut noter que la
CENCO se refusa à donner aux négociations l’appellation de « dialogue »
parlant plutôt de « compromis ». Le premier terme ne fut utilisé qu’à partir
du moment où un accord fut conclu (voir plus loin).
Les travaux furent suspendus du 9 au 13 décembre, des documents ayant
été distribués aux participants. La composition des groupes fut la suivante :
pour les signataires de l’accord du 18 octobre : 16 délégués, à savoir 6 de
la MP, 6 de l’opposition politique, 1 de l’opposition républicaine, 3 de la
société civile ; pour les non-signataires 16 délégués également, c’est-à-dire
11 du Rassemblement, 3 pour le Front pour le respect de la Constitution,
2 pour la société civile. Il fut décidé que les experts ne participeraient pas
aux travaux, mais qu’ils seraient conviés à intervenir en cas de besoin ; ce
fut le cas de la CENI. Trois commissions furent créées : une commission
« gouvernance », une commission « élections » et une commission « décris-
pation politique ». Le MLC et le Front pour le respect de la Constitution, qui
avaient quitté les négociations, y revinrent le 14 décembre.
Les travaux commencèrent donc le 13 et se poursuivirent les jours sui-
vants en commission. Ils furent suspendus du 19 au 21 décembre, parce
que le président Marcel Utembi et le vice-président Mgr Fridolin Ambongo
devaient se rendre au Vatican pour être reçus en audience privée par le pape
François. Celui-ci, dans un appel à l’Audience générale, s’exprima ainsi :
« Je renouvelle un vibrant appel à tous les Congolais pour qu’en ce moment
délicat de leur histoire, ils soient des artisans de la réconciliation et de la
paix [...] que ceux qui ont des responsabilités politiques écoutent la voix de
leur propre conscience, sachent voir les souffrances de leurs compatriotes et
aient à cœur le bien commun » (Radio Vatican 21 décembre 2016). Étienne
Tshisekedi annonça également en réunion plénière, le 18 décembre, une sus-
pension des négociations, puisqu’avait été donné le mot d’ordre de faire de
Kinshasa une ville morte le 19 décembre, date de la fin du mandat de Joseph
Kabila
Les négociations reprirent le 21 décembre. Peu de progrès avait été réel-
lement accompli, une série de points de divergence restant sans solution. Le
Rassemblement et le Front pour le respect de la Constitution firent le point
de la situation dans une déclaration politique, rappelèrent leurs désidératas
RDC 2016 : une année électorale sans élections 37
et soulignèrent que toutes les propositions qu’ils avaient avancées étaient
systématiquement rejetées par les signataires de l’accord du 18 octobre. Ils
réitérèrent leur soutien à la CENCO (Rassemblement… & Front pour le
respect de la Constitution 17 décembre 2016). Face à cette situation, celle-ci
lança un ultimatum aux négociateurs les priant de trouver des solutions aux
divergences subsistantes avant Noël. En outre, la formule des négociations
fut modifiée. Chaque groupe des signataires de l’accord du 18 octobre et
non-signataires eut à constituer chacun une commission de 5 personnes
pour mener les travaux. Mais néanmoins la CENCO dut se passer de cadeau
de Noël sous forme d’un accord. À cette date, des blocages subsistaient
toujours, et le Rassemblement fut critiqué pour ses exigences considérées
comme exagérées. Dans ce contexte, le 29 décembre, la CENCO envoya
un second ultimatum aux participants dans lequel elle annonça qu’elle avait
l’intention de mettre un terme aux négociations avec ou sans accord. Ce
même jour, elle eut un entretien avec Tshisekedi et fut reçue par le président
Kabila. Le lendemain Marcel Utembi annonça qu’un accord avait pratique-
ment été trouvé. Toutefois un dernier point n’était toujours pas résolu : la
libération de Moïse Katumbi et de Jean-Claude Muyambo. Le premier fit
alors savoir que pour lui « [l]e plus important, c’est le pays. Et je ne veux pas
être un point de blocage, alors je veux faciliter la tâche. C’est pourquoi j’ai
demandé au Rassemblement de ne pas bloquer la signature à cause de moi,
de signer l’accord. [...] J’ai demandé à ce qu’on signe l’accord pour qu’il
puisse y avoir une élection présidentielle, qu’on puisse avoir la première
alternance de notre pays (RFI 1er janvier 2017).
Le 31 décembre, la CENCO put annoncer qu’un accord avait été obtenu.
Il fut signé lors d’une cérémonie solennelle par les parties prenantes, à l’ex-
ception du MLC et du Front pour le respect de la Constitution ainsi que de
certains membres du Gouvernement et du Premier ministre Badibanga. La
MP signa sous réserve (Actualité.cd 31 décembre 2016).
Le MLC et le Front pour le respect de la Constitution signèrent12 plus tard,
en 2017, ainsi que les membres du Gouvernement qui s’y étaient opposés :
Jean-Lucien Busa Togba, ministre d’État, ministre du Plan ; José Makila
Sumanda, vice-Premier ministre, ministre des Transports et Communication ;
Azarias Ruberwa, ministre d’État, ministre de la Décentralisation et des
Réformes institutionnelles. Seul Badibanga ne signa pas.
12
Le Front pour le respect de la Constitution fut créé le 29 octobre 2016 dans le sillage
du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), le parti de Jean-Pierre Bemba. Il se
compose de 46 partis, 33 associations de la société civile et quelques personnalités.
38 Conjonctures congolaises 2016
3.3. L’accord du Centre interdiocésain
Le compromis s’intitulera désormais par décision des parties pre-
nantes « Accord politique, global et inclusif du Centre interdiocésain de
Kinshasa ». Alors que l’accord du 18 octobre porte essentiellement sur des
questions électorales, celui de la Saint-Sylvestre, comme il sera générale-
ment dénommé, porte, en outre, sur des domaines politiques.
Il comporte un préambule et sept chapitres : I. Des concepts ; II. Du
respect de la Constitution ; III. Des institutions et de leur fonctionnement
pendant la période préélectorale et électorale ; IV. Du processus électoral ;
V. De la décrispation politique ; VI. Du mécanisme de suivi de l’Accord
politique et du processus électoral ; VII. Des dispositions finales.
Le premier chapitre porte sur les parties prenantes et la période envisagée.
Dans le deuxième, il est stipulé que : « [l]es parties prenantes s’engagent à
respecter la Constitution du 18 février 2006 et les lois de la République (et)
elles s’engagent solennellement à n’entreprendre ni soutenir aucune initia-
tive de révision et de changement de la Constitution ». Après un rappel des
propos tenus par le président Joseph Kabila en date du 15 novembre 2016,
il est écrit que « [n]’ayant jamais été violée la Constitution sera toujours
respectée, et ce dans toutes ses dispositions », ce qui signifie qu’« ayant
accompli deux mandats, il ne peut donc en briguer un troisième ». Ensuite il
est réaffirmé l’obligation de respecter l’État de droit, les droits de l’homme,
les libertés fondamentales [...], l’indépendance de la justice, etc.
En ce qui concerne les institutions (chapitre III), il est prévu que la
« durée maximum pour la réalisation des opérations préélectorales [...] est
de 12 mois maximum à dater de la signature du présent accord ». Les pou-
voirs du président de la République sont définis par l’article 70 alinéas 1
et 2 de la Constitution. Les institutions à mandat électif, dont le président
de la République, « restent en fonction jusqu’à l’installation effective des
nouvelles institutions ». Le Gouvernement de la République « est dirigé
par le Premier ministre présenté par l’opposition politique non signataire
de l’Accord du 18 octobre 2016/Rassemblement et nommé par le président
de la République ». Il est également prévu que « [l]es parties prenantes
conviennent d’assigner au Gouvernement la mission prioritaire d’œuvrer
pour l’organisation des élections ».
Dans le chapitre IV relatif au processus électoral, il est stipulé que « [l]
es parties prenantes s’accordent pour une refonte totale du calendrier élec-
toral [...] [elles] conviennent de l’organisation des élections en une seule
séquence présidentielle, législatives nationales et provinciales au plus tard
en décembre 2017. » Il est encore prévu que l’Assemblée nationale et le
Conseil national de suivi et les autres parties prenantes au processus électo-
ral seront dûment informés du futur chronogramme. « Les élections locales,
municipales et urbaines seront organisées en 2018. » Les parties prenantes
RDC 2016 : une année électorale sans élections 39
« recommandent au Gouvernement de mobiliser les ressources internes et
externes nécessaires au budget des élections et à respecter scrupuleuse-
ment le plan de décaissement prévu par la CENI [...] elles encouragent la
Communauté internationale à accompagner et à assister la CENI. [...] elles
exhortent le Parlement à exercer trimestriellement le contrôle sur l’utilisa-
tion des fonds budgétaires mis à la disposition de la CENI. [...] elles exigent
de diligenter un audit externe de la gestion de la CENI. »L’accord prévoit
qu’« [e]n vue d’assurer l’indépendance et l’impartialité de la CENI et de
regagner la confiance de tous les compétiteurs électoraux, les parties convien-
nent que la CENI doit être redynamisée dans les plus brefs délais. [...] » À
propos du Conseil supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication, « [l]
es parties prenantes actent la fin légale du mandat des membres actuels ».
En ce qui touche au dispositif de sécurisation du processus électoral, les
parties prenantes préconisent toute une série de mesures qui s’adressent au
Gouvernement, à la CENI, aux partis politiques, à l’autorité coutumière, aux
confessions religieuses, à la MONUSCO, au Conseil supérieur de l’Audio-
visuel et de la Communication et à la société civile ». Concernant la sécurité
des personnes et des biens, ayant constaté les menaces qui pèsent sur la
sécurité des populations, elles en déduisent que cette situation est « à même
d’affecter négativement leurs capacités d’exercer leurs droits électoraux ».
Après avoir énuméré lesdites menaces, les parties prenantes encouragent
également en ce domaine l’adoption d’une série de mesures appropriées.
Dans le chapitre V, consacré à la décrispation politique, « [l]es parties
prenantes prennent acte de la mise sur pied effective d’une Commission de
hauts magistrats pour un examen minutieux au cas par cas des prisonniers
politiques et d’opinion, les bénéficiaires de la dernière loi d’amnistie, mais
qui ne sont pas encore libérés, des exilés et réfugiés politiques repris dans la
liste en annexe ». « Les parties ont pris acte avec satisfaction des cas traités
par la Commission des hauts magistrats de MM. Antipas Mbusa Nyamwisi,
Roger Lumbala, Floribert Anzuluni et Moïse Moni Dela. » Elles demandent
à la « Commission de hauts magistrats au bénéfice de MM. Bagayamukwu
et Mbonekube une mesure de libération pure et simple ayant déjà été amnis-
tiés ». En ce qui concerne Eugène Diomi Ndongala, elles demandent à la
« CENCO de prendre des initiatives en vue de trouver une solution appro-
priée ». Pour Moïse Katumbi et Jean-Claude Muyambo, elles demandent à la
« Commission de hauts magistrats de surseoir à statuer sur leurs cas confiés
à la CENCO ». Les parties prenantes demandent en effet à la « CENCO de
poursuivre ses bons offices auprès de toutes les autorités concernées pour
le suivi et la résolution effective des cas emblématiques restants : à savoir
Moïse Katumbi et Jean-Claude Muyambo afin qu’ils retrouvent leur liberté ».
S’ajoutent encore à tous ces cas « les personnalités politiques poursuivies à
la suite des manifestations du 19 septembre et/ou poursuivies à travers le
territoire national au cours des événements des 19 et 20 décembre ainsi que
40 Conjonctures congolaises 2016
les jeunes de Lucha et Filimbi arrêtés le jour de l’ouverture des travaux sous
l’égide de la CENCO ». Elles demandent aussi la poursuite des mesures de
décrispation, l’égalité d’accès à tous les courants politiques, le rétablissement
du signal pour les entreprises audiovisuelles fermées ou interdites. À pro-
pos des partis politiques qui ont fait l’objet de dédoublement, il est demandé
qu’ils soient rétablis dans leur situation d’avant le dédoublement.
Le chapitre VI a pour objet la mise en place, conformément à l’article 222
alinéa 313 de la Constitution, d’une « institution d’appui à la démocratie
chargée du suivi de la mise en œuvre de l’accord [...]. En attendant l’adop-
tion de la loi organique en procédure d’urgence. » La dénomination de cette
structure d’appui est « Conseil national de Suivi de l’Accord et du Processus
électoral (CNSA) ». Le Conseil se compose de 28 personnes issues des par-
ties prenantes, en ce compris la CENCO. « Il sera présidé par le président du
Conseil des Sages du Rassemblement. » Les missions qui lui sont assignées
sont entre autres les suivantes : « assurer le suivi du chronogramme de mise
en œuvre de l’Accord ; réaliser des évaluations régulières une fois tous les
deux mois avec la CENI et le Gouvernement sur le processus électoral [...] ;
assurer le règlement d’éventuelles divergences nées de l’interprétation de
l’accord entre les parties prenantes ».
L’année 2016 se termine donc sur la signature de l’accord du Centre
interdiocésain. Pour le rendre opérationnel, il restait toutefois à obtenir l’as-
sentiment des parties prenantes à propos de ce qui fut appelé « l’arrangement
particulier », c’est-à-dire les modalités d’application de certaines décisions
et surtout la désignation des personnes appelées à occuper les fonctions pré-
vues. En fait, rien n’était donc encore gagné…
Conclusions
L’année 2016, qualifiée d’année électorale, aurait dû, au vu des événe-
ments, s’appeler plutôt année du glissement. Non que ce mode de gouvernance
n’ait pas été appliqué antérieurement par le président Kabila. Mais, pour la
première fois, dans l’exercice du pouvoir par le chef de l’État, ce type de
stratégie apparut au grand jour et avec une finalité aussi flagrante, à savoir
éviter l’alternance. Confronté toutefois à une opposition radicale s’étant
renforcée par la défection de la MP de plusieurs partis et personnalités, à
l’apparition sur la scène politique de mouvements de jeunes très présents,
à certains médias fortement critiques envers lui et à l’impopularité s’expri-
mant notamment à l’occasion des manifestations politiques et des matchs
de football, il tenta de se protéger en adoptant une stratégie extrêmement
13
L’article 222 alinéa 3 stipule que « par une loi organique, le Parlement pourra s’il échet
instituer d’autres institutions d’appui à la démocratie ».
RDC 2016 : une année électorale sans élections 41
répressive. Or celle-ci ne pouvait que renforcer son image négative auprès
d’une grande partie de la population et de partenaires extérieurs. Enfin le
délabrement de l’économie se répercutant sur les conditions de vie, déjà aux
limites du supportable pour de nombreux Congolais, eut pour effet d’ac-
croître leur désenchantement et leur aspiration au changement. Certes le
pouvoir de Kabila résulte en grande partie du fait qu’il possède largement
la maîtrise d’une grande partie des institutions politiques : l’Assemblée
nationale, les Assemblées provinciales, l’exécutif national, les gouvernorats
provinciaux, la CENI, l’appareil de justice et les forces de sécurité avec
toutefois des exceptions personnelles. Mais cela n’empêche pas que les
responsables de ces institutions s’emploient en parallèle à satisfaire leurs
ambitions personnelles tant qu’ils sont en service. D’une part, l’emprise
de Kabila n’est donc pas absolue, comme en témoignent les défections qui
se sont produites (voir supra). D’autre part, la dispersion des forces liées
aux intérêts personnels des responsables politiques a pour conséquence le
développement anarchique de l’appareil d’État. Les données fournies par
l’étude de l’entreprise Bloomberg sur l’ampleur de la fortune de Kabila
et les révélations de Jean-Jacques Lumumba sur les dysfonctionnements
financiers au sein de la BGFI BANK impliquant la CENI contribuent de
surcroît à fragiliser Kabila dans l’opinion publique. La méfiance de la popu-
lation envers le personnel politique qui vient d’être évoquée ne fait qu’isoler
davantage le chef de l’État. D’autant plus que la classe politique dans son
ensemble, caractérisée par son narcissisme matériellement intéressé, ne fait
qu’accentuer la déconnexion entre la société dominante et la population.
Caractéristique de la classe politique qui nuit d’ailleurs aussi à l’opposition
critiquée de ce fait par les mouvements de jeunes. L’image qu’offrit le com-
portement des acteurs politiques pour participer au dialogue puis accéder
aux fonctions résultant de la mise en application dudit dialogue ne fit que
renforcer leur hostilité et leurs ressentiments.
La chance de Kabila est pour le moment d’avoir autour de lui un cercle
de personnes dont l’avenir dépend de son maintien au pouvoir qui lui sert
d’instrument dans la mise en œuvre du glissement et qui lui fournit, en
quelque sorte, une ceinture de sécurité. Le dialogue de la Cité de l’Union
africaine fut conçu dans ce but et y réussit.
Cependant ne fut pas pris en compte dans son parcours la fermeté de l’op-
position radicale dans ses options de départ, le rôle dont se dota la CENCO
et la pression de l’extérieur en faveur d’un dialogue inclusif. Mais le face à
face MP-Rassemblement donna du fil à retordre au médiateur. Cette fois, en
effet, il ne s’agissait plus d’une finalité unique acquise au départ, mais de
deux objectifs opposés. Le compromis fut difficile à obtenir. Mais l’accord
comportant cette fois des limites imposées au glissement, quelle sera désor-
mais l’attitude de Kabila quant à cette option ? Or la situation de la RDC
telle que présentée dans ce chapitre nécessite, de toute évidence, une reprise
en mains à court terme.
42 Conjonctures congolaises 2016
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Quand la rue kinoise envahit le politique...
François Polet1
Il y a douze ans, Gauthier de Villers et Jean Omasombo revenaient,
dans les « Cahiers africains », sur les principaux épisodes « d’invasion
des rues » par le peuple kinois, pour les analyser à l’aune de la typolo-
gie classique des phénomènes de masse avancée en 1960 par l’écrivain
Elias Canetti (1966). Deux contrastes étaient notamment mis en évidence
par les auteurs : un premier opposant les longues périodes d’absence de
mobilisation protestataire dans les rues de la capitale, durant lesquelles
l’histoire paraît destinée à être écrite par en haut, et les phases où la rue
s’impose avec fracas comme force incontournable du devenir national ; un
second soulignant la diversité des formes d’intervention de la foule dans
l’espace public, la diversité de leur « dominante affective », tantôt rebelles
(émeute du 4 juin 1959, marches de la transition), ameutées (pillages des
années 1991-1993, traque des Rwandais en 1998), tantôt subjuguées, voire
produites et maintenues en vie par l’orateur (meetings de Mobutu) (de
Villers & Omasombo 2004).
Dans ce chapitre, nous souhaiterions prolonger cette réflexion sur la
« politique de la rue kinoise » en investiguant le deuxième mandat de Joseph
Kabila. La configuration sociopolitique à laquelle nous faisons face est le
produit de la rencontre entre tradition autoritaire, reconstruction étatique
internationale (liberal peace) et mondialisation du répertoire de la mani-
festation de rue (de Villers 2009 ; Ancelovici et al. 2016). Contraint par
l’international, l’État congolais doit vivre avec le pluralisme politique, mais
gère de manière restrictive ses expressions extra-institutionnelles, en parti-
culier les manifestations de rue. Alors que les signes de la volonté du camp
présidentiel de maintenir Kabila au pouvoir au-delà de son deuxième mandat
se multiplient, le soulèvement burkinabè d’octobre 2014, puis les émeutes
à Kinshasa en janvier 2015 vont placer « la rue » au cœur du rapport entre
opposition et majorité.
Dans un contexte de désamorçage des contre-pouvoirs institutionnels,
la confrontation politique s’est déplacée physiquement et symboliquement
1
Doctorant en sociologie du développement à l’Université de Liège et chargé d’étude au
Centre tricontinental.
48 Conjonctures congolaises 2016
dans la rue, où les interactions entre pouvoir et opposants sont marquées
par l’autolimitation protestataire, le détournement et la contre-mobilisation
(Siméant 2013). Nous reviendrons sur les tentatives d’organisation de mani-
festations par l’opposition et la société civile ainsi que sur les stratégies
déployées par le pouvoir pour les disqualifier. Au-delà du dispositif répres-
sif, les efforts de neutralisation de la protestation se sont joués sur le plan
discursif et symbolique, à travers la disqualification de l’idée de manifes-
tation publique – devenue synonyme de subversion – et la criminalisation
de ses entrepreneurs supposés. Un débat public en a dérivé sur la légitimité
de la manifestation de rue dans l’ordre politique démocratique et le rôle des
institutions supposées l’encadrer2.
1. De Mobutu à Kabila
Les rues kinoises ont longtemps été vides de protestation politique
d’envergure sous Mobutu (de Villers & Omasombo 2004). Cette passivité
paradoxale de la population zaïroise dans un contexte d’injustice sociale
extrême a suscité la perplexité des plus grands analystes. Pour Crawford
Young et Thomas Turner, l’explosion sociale « aux terribles proportions »
que les inégalités de classe « spectaculaires » générées par l’État Zaïre
allaient tôt ou tard entraîner n’était retardée que par le mythe de la mobi-
lité par l’éducation, la perception que des forces extérieures soutenaient le
pouvoir et le développement de l’économie informelle comme solutions de
survie (Young & Turner 1985). L’inaction collective aurait plutôt dérivé du
discrédit de l’initiative de protestation d’après Isidore Ndaywel è Nziem,
discrédit produit d’une manipulation de la mémoire des guerres et rébel-
lions des années 1960 par l’idéologie mobutienne, visant à imposer l’idée
que toute violence d’en bas est non seulement vouée à l’échec, du fait de
l’implacable répression d’en haut, mais contre-productive, car génératrice
de chaos et de malheur (Ndaywel è Nziem 1998). Il faut néanmoins remon-
ter en amont du régime Mobutu pour comprendre que la manifestation de
rue est durablement inscrite comme une aberration au sein d’un État hérité
2
Nous assumons la dimension capitalo-centrée de ce chapitre. Elle ignore des dynamiques de
mobilisation à l’œuvre en province, mais reflète la logique géographiquement centralisée
du champ politique congolais et l’attention toute particulière que la classe politique
accorde au comportement de la rue kinoise. Par ailleurs, nous ne nous sommes pas étendus
sur la géographie politique de la protestation, ayant fait le choix de centrer notre propos sur
les effets symboliques des protestations successives sur le champ politique. Ou comment
– à travers quelles circonstances, lectures croisées, stratégies discursives, luttes de sens –
« la rue » et ses réactions potentielles a progressivement envahi l’imaginaire politique
congolais. Et les effets en retour sur les mobilisations, en termes d’opportunités et de
contraintes.
Quand la rue kinoise envahit le politique… 49
d’un modèle colonial ayant, plus loin qu’ailleurs, poussé l’assujettissement
administratif des indigènes (Young 1968).
La dévalorisation sociale de la protestation, qui se fonde aussi sur le
sentiment que ses promoteurs en tirent des dividendes politiques sans en
subir les risques, coexiste pourtant avec une vénération officielle des révol-
tés – Simon Kimbangu, les émeutiers de janvier 1959, Lumumba. Au-delà
des connotations positives ou négatives de la mobilisation conflictuelle, les
ressorts de l’inhibition protestataire sous Mobutu sont peut-être plus sim-
plement à chercher dans l’existence d’un système de surveillance politique
extrêmement développé visant à anticiper et prévenir toute action subversive
« en provoquant la peur, l’intimidation et l’insécurité personnelle parmi les
citoyens » (Schatzberg 1988). L’omniprésence de la délation et le recours
aux faux rebelles dans le but d’appeler les candidats à la révolte ont long-
temps entretenu un climat de suspicion, sapant toute tentative d’organisation
de la résistance.
Fortement déterminée par le contexte international, la libéralisation
démocratique partielle du début des années 1990 va engendrer une confi-
guration ambivalente : des partis, associations et journaux indépendants de
l’État se multiplient rapidement, une discursivité critique traverse la société,
mais l’expression des aspirations collectives par la mobilisation sur l’es-
pace public demeure inacceptable pour le pouvoir (Willame 1991). Celles-ci
se produisent néanmoins à un rythme soutenu, menées par les principales
forces mobilisatrices que sont l’opposition « radicale », les étudiants et les
laïcs catholiques, et suivent des modalités variées (grèves, marches plus
ou moins « pacifiques », opérations villes-mortes, pillages, destruction des
symboles du pouvoir), dont les formes résultent essentiellement de l’an-
ticipation de – ou de la réaction à – la violence répressive. Une marche
protestataire marque en particulier cette période : la Marche des Chrétiens,
ou Marche de l’Espoir, qui met des dizaines de milliers de personnes en
mouvement, le 16 février 1992, pour exiger la reprise de la Conférence
nationale souveraine. Organisée par un groupe de chrétiens laïcs et quelques
ONG, elle sera violemment réprimée, en dépit de son registre explicitement
pacifique et religieux (de Villers & Omasombo 2004).
À l’opposé de cette marche-procession, les vagues de pillage qui
secouent la capitale à la même période ne sont pas seulement une fête ou
une aubaine, mais « une manière indirecte de s’en prendre à l’establishment
politique », qui correspond au fonctionnement de l’État depuis Léopold II et
font l’objet d’une tolérance complice d’un pouvoir tenté par la stratégie du
chaos (Ndaywel è Nziem 1998). Elles témoignent aussi du faible enracine-
ment d’organisations politiques dont les mobilisations reflètent davantage
les luttes institutionnelles que les enjeux sociaux.
À défaut du changement politique désiré, la conflictualité inten-
sive qui caractérise cette période accouche d’un ensemble de ressources
50 Conjonctures congolaises 2016
protestataires sous la forme de mots d’ordre mobilisateurs, de modèles d’ac-
tion et de compétences organisationnelles, bref d’un savoir-faire militant
(Mathieu 2004). L’UDPS et ses « combattants » ont joué un rôle détermi-
nant dans sa diffusion, du fait non seulement de son hégémonie au sein de
l’espace contestataire émergent, mais également de son travail de valorisa-
tion d’une forme de militantisme total, sacrificiel, de son rapport privilégié
à la rue et de son ambition d’y établir une souveraineté populaire à travers
la mobilisation quotidienne d’un réseau d’assemblées militantes : les parle-
ments-debout (Dugrand 2012).
2. De Kabila à Kabila
La chute de Mobutu ne libère pas la rue kinoise de l’emprise policière.
À l’inverse, le régime de Laurent-Désiré Kabila (1997-2001) conçoit son
rapport à la société sur le mode du commandement : les espaces d’expression
péniblement conquis depuis 1990 sont implacablement supprimés, les partis
d’opposition interdits, les homes de l’Université de Kinshasa vidés, tandis
que le nouveau pouvoir veut remplacer le tissu naissant d’organisations de
la société civile par un système de « démocratie participative » reposant sur
des comités de pouvoir populaire (CCP) ayant fondamentalement un rôle de
contrôle politique (Hamuli 2002). La colère populaire qui envahit les rues
des quartiers est de Kinshasa (la « Tshangu ») en septembre 1998 est tour-
née vers l’envahisseur rwandais, dont des éléments ont atteint la capitale en
provenance du Bas-Congo (de Villers & Omasombo 2004). Rôle à la fois
spontané et décisif de la rue, qui sera ultérieurement récupéré par un prési-
dent jouant à fond la carte de la résistance nationaliste.
En matière de mobilisation collective, la présidence de Kabila fils peut
être découpée en deux phases. La première se caractérise par le retour d’un
certain pluralisme politique, dans un contexte de « semi-tutelle internatio-
nale » et de partage imposé du pouvoir. De 2001 à 2005, Joseph Kabila
s’emploie à obtenir et préserver le soutien des parrains occidentaux pour
s’imposer face à ses adversaires politiques internes, ce qui implique un cer-
tain degré de mise en œuvre de la conditionnalité démocratique (Englebert
& Tull 2008 ; de Villers 2009). Les rues kinoises sont peu investies par la
politique durant ces années marquées par l’aspiration à la réunification du
pays et au retour de la paix3.
La Constitution de février 2006 prévoit un régime libéral en matière
de manifestations, disposant que les organisateurs ont pour seul devoir
3
Une exception notable cependant : le soulèvement des étudiants de plusieurs universités
de Kinshasa contre la Monuc, lors de la prise de Goma par les troupes de Laurent Nkunda,
dans un contexte d’exacerbation du nationalisme congolais (Omasombo & Rashidi 2006).
Quand la rue kinoise envahit le politique… 51
d’informer préalablement l’autorité compétente. En mai 2006, une cir-
culaire du ministère de l’Intérieur (002/2006) consacre la fin du régime
d’autorisation préalable et précise les modalités du devoir de notification
des promoteurs de manifestations4. Et, pourtant, les marches organisées
par l’UDPS en juin et juillet 2006 pour exiger la fin de la transition et la
« requalification électorale » sont systématiquement réprimées, au motif
que celles-ci « ne sont pas autorisées » (Radio Okapi 30 juin 2006). Les
avancées démocratiques sur le plan légal sont donc concomitantes au retour
d’une gestion restrictive et violente de la protestation, paradoxe sympto-
matique du divorce entre l’État de droit formel en chantier, aligné sur les
normes démocratiques globales, et les pratiques étatiques réelles.
La légitimité que confère à Kabila sa victoire à la présidentielle de 2006
servira un triple mouvement de concentration du pouvoir qui renforce ce
schéma autoritaire, allant à l’encontre des espérances des États ayant sou-
tenu et financé les élections : hégémonie croissante de la présidence sur
l’ensemble des pouvoirs institués (Gouvernement, Parlement, justice, forces
de sécurité) ; affirmation d’une souveraineté nationale et rapprochement
avec la Chine pour s’émanciper de la semi-tutelle occidentale ; affirmation
d’une autorité institutionnelle sanctionnée électoralement qui justifie le
recours à une violence « aveugle et disproportionnée » contre toute initiative
hostile à l’ordre politique issu des élections (de Villers 2009 ; Tull 2010)5.
La protestation non institutionnelle est rangée dans la catégorie des compor-
tements politiques inacceptables, dans un système qui travaille à cantonner
la légitimité démocratique à l’intérieur des seules institutions étatiques.
3. Passes d’armes postélectorales et gestation d’un front
antirévision
La fin du premier mandat de Kabila fils (2007-2011) est marquée par une
résurgence de l’activisme udpsien, sous la forme d’une succession de mani-
festations publiques. De juin à octobre 2011, la « fille aînée de l’opposition »
organise plusieurs marches pour dénoncer la gestion des opérations préélec-
torales par une centrale électorale (CENI) jugée partisane. Ces mobilisations
se heurtent à une logique répressive qui culminera à l’approche des élections
et lors de l’annonce des résultats, faisant des dizaines de victimes dans les
rangs de l’opposition, dans une tentative manifeste de casser la capacité de
4
Les demandes de réunions ou manifestations publiques doivent être soumises aux autorités
au moins trois jours à l’avance, et leur durée réduite à 24 heures durant la campagne
électorale officielle. Les autorités peuvent modifier l’itinéraire prévu, repousser ou annuler
la date de réunion ou de manifestation pour des raisons de sécurité ou d’ordre public.
5
Les partisans de Jean-Pierre Bemba, puis les adeptes du groupe politico-religieux Bundu
dia Kongo, en seront les premières victimes.
52 Conjonctures congolaises 2016
celle-ci à peser sur le cours des événements électoraux par la voie de la mobi-
lisation. L’église catholique prend le relais de l’UDPS le 16 février 2012,
en utilisant le vingtième anniversaire de la « Marche des Chrétiens » pour
exprimer le rejet des résultats des élections du 28 novembre 2011 (Radio
Okapi 16 février 2012). Mais, la marche ayant été interdite la veille par le
gouverneur, un dispositif policier empêchera les cortèges de se former au
départ des différentes paroisses de la ville.
Neuf mois plus tard, le Sommet de la Francophonie se présente comme
une fenêtre d’opportunité déterminante pour la majorité présidentielle
comme pour l’opposition6. La « mobilisation générale » sonnée par le secré-
taire général de l’UDPS n’accouchera cependant que d’une manifestation
de deux cents militant(e)s, bientôt transformée en sit-in sous la pression
policière. Si les autorités ont utilisé les grands moyens pour décourager les
manifestants potentiels – « décréter un jour férié sans transport en commun
et mettre des policiers partout », comme l’explique un agent des Nations
unies (Slate Afrique 12 novembre 2013) –, le calme relatif qui règne dans la
capitale reflète aussi une forme de décrochage entre hiérarchie et militants
au sein de l’UDPS7.
Une nouvelle séquence politique s’est ouverte avec l’entrée en scène
du mouvement rebelle M23 dans l’Est au début du mois de juillet 2012
(Johnson 2014). L’insurrection est à la fois vécue comme une menace et
une opportunité pour un pouvoir peinant à dissiper la crise politique née des
circonstances de sa victoire électorale. C’est donc avec l’agrément bien-
veillant des autorités que plusieurs milliers de chrétiens catholiques défilent
dans les rues de Kinshasa, le 1er août, à l’appel de la même conférence
épiscopale, « contre la balkanisation du Congo ». L’encadrement policier
serré trahit cependant la crainte de voir la mobilisation prendre une tournure
antigouvernementale8.
Entre novembre 2012 et septembre 2014, les rues de Kinshasa sont
vides de mobilisation malgré la crise politique persistante9. La réorientation
stratégique de l’UDPS en faveur d’un dialogue politique y est pour beau-
coup. Par ailleurs, la tenue par le M23 d’une posture d’opposition politique
6
Pour la première, la rencontre offrait la possibilité de mettre en scène l’adoubement
international qui lui faisait défaut ; pour la seconde, il s’agissait d’une occasion en or pour
démontrer au monde extérieur le rejet populaire massif d’une présidence usurpée.
7
Une partie de la base du parti a été déconcertée par les changements d’attitude de Tshisekedi
dans les semaines suivant l’annonce des résultats.
8
Scénario qui se produira à Kisangani et à Bunia, en octobre, lors de la prise de Goma.
9
Les rares mobilisations de rue ont été le fait de partisans du régime ou ont porté sur des
enjeux de développement présentés sous un jour non subversif. Ainsi, la marche d’ouverture
du forum social africain, tenu en janvier 2013 à Kinshasa, a fait défiler plusieurs centaines
de personnes dont les slogans altermondialistes et anti-impérialistes ont largement épargné
les autorités nationales.
Quand la rue kinoise envahit le politique… 53
– vitupérant la mauvaise gouvernance de Kinshasa et exigeant la libération
des prisonniers politiques (Johnson 2014) –, la signature par le président,
en mars 2013, de l’accord-cadre d’Addis-Abeba, bénéficiant d’une forte
adhésion internationale, puis la victoire des FARDC sur les rebelles compo-
sent une actualité politique offrant peu de prise à une opposition clairsemée.
Surtout, la promesse (en décembre 2012), l’annonce (en juin 2013), puis
la tenue (en septembre/octobre 2013) de « concertations nationales », aux-
quelles l’ensemble des forces vives de la nation sont invitées en vue de
« renforcer la cohésion interne face aux forces d’agression », vont exer-
cer une force gravitationnelle qui captivera l’opposition ainsi que la société
civile durant de longs mois10.
La problématique de la révision constitutionnelle va permettre à l’op-
position de repartir à l’offensive. Le débat autour du déverrouillage de
l’article 220, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels, offre
la possibilité à plusieurs partis, en particulier l’UNC de Vital Kamerhe,
d’occuper l’espace de « l’opposition radicale », traditionnellement tenu par
l’UDPS. Il faudra néanmoins attendre le 27 septembre 2014 pour assister
à la première manifestation de rue contre la révision de la Constitution.
L’attitude étonnamment libérale du pouvoir à l’endroit de cette marche
résulte probablement du flottement au sein de la coalition au pouvoir, dont
certains piliers estiment qu’« on veut bien rester au pouvoir, mais il faut res-
ter en phase avec la population et ceux qui sont au-delà de nos frontières »
(7sur7.cd 29 août 2014).
4. Le syndrome burkinabè et le soulèvement de janvier 2015
C’est dans cette conjoncture précise qu’un événement étranger va
influencer les lectures que les protagonistes font de la situation politique
congolaise et de ses développements potentiels : le soulèvement burkinabè
du 30 octobre 2014 contre le projet parlementaire de modification de la
Constitution, qui débouche sur la chute du président Compaoré. Ce déve-
loppement a des effets sur le champ politique congolais, où l’expérience
burkinabè était justement l’objet d’un affrontement par procuration entre le
camp présidentiel et l’opposition, alors que le débat sur l’opportunité de la
révision constitutionnelle bat son plein11. Plusieurs signes, à commencer par
10
Ces assises nationales, dont l’agenda caché était d’élargir l’assise politique du chef de
l’État en vue de faire avaliser l’idée d’une modification constitutionnelle autorisant un
troisième mandat présidentiel, n’ont pas donné les résultats espérés. Seule une minorité de
personnalités d’opposition y ont participé.
11
Une délégation du PPRD était présente à Ouagadougou pour s’inspirer du savoir-faire
burkinabè.
54 Conjonctures congolaises 2016
le silence de la presse propouvoir, trahissent l’anxiété de la majorité quant
à l’effet de cette révolte ouest-africaine sur l’opinion publique congolaise.
Le soulèvement burkinabè aura contribué à faire pencher la balance en
défaveur de l’option de la révision constitutionnelle au sein de la majorité
présidentielle. D’autant que celle-ci a d’autres fers au feu – des stratégies
alternatives de maintien au pouvoir seraient envisagées depuis plusieurs
mois (Afrikarabia.com 23 mars 2014). La mise en place de l’Office national
d’identification de la population (ONIP) à la mi-octobre est d’emblée perçue
par l’opposition comme « un alibi » visant à « tirer les choses en longueur »
(Radio Okapi 20 novembre 2014). Le danger se précise avec le dépôt par le
ministre de l’Intérieur, début janvier, d’un projet de modification de la loi
électorale conditionnant la tenue des élections législatives et présidentielles
à la réalisation d’un recensement général.
L’opposition prend l’initiative d’une nouvelle campagne au ton alarmiste
– « Peuple congolais, l’heure a sonné, réveille-toi ! » –, qui culmine, le
dimanche 11 janvier, par un meeting face au Parlement, puis par une marche
au même endroit, le lendemain. Les deux actions seront étouffées par les
forces de sécurité, tandis que le vote de l’Assemblée est programmé au
19 janvier. Les appels à la population « à se prendre en charge » le 19 janvier
se multiplient, tandis que certaines interventions de la majorité accréditent
le danger du glissement12.
La mobilisation du 19 surprend tout le monde par son ampleur, son inten-
sité et sa durée : pendant trois jours, un grand nombre de quartiers de la
capitale sont le théâtre d’une agitation sociale hors norme. Les deux pôles
de mobilisation sont les alentours de la place Victoire, à quelques rues des
sièges des partis d’opposition, et l’Unikin, au sein de laquelle les étudiants se
barricadent après avoir tenté à plusieurs reprises de rejoindre le Parlement.
Mais très vite, ces éléments organisés sont rejoints, puis débordés, par une
population en colère, essentiellement jeune, qui entonne des chants anti-
Kabila et n’hésite pas à affronter la police, détruire les symboles du régime,
piller les commerces chinois. La disposition controversée sera finalement
extirpée du texte que le Sénat adopte le vendredi 23 janvier.
L’onde de choc politique des 19, 20 et 21 janvier est considérable. Du
côté du pouvoir, le traumatisme est patent. La capitale a toujours voté contre
Kabila, mais le degré d’exaspération de la population à l’égard du chef de
l’État avait été largement sous-estimé13. Et l’hostilité populaire s’est traduite
par un passage à l’acte que l’on n’attendait pas de la part d’une population
kinoise souvent présentée comme résignée et exclusivement concentrée sur
12
À l’instar de cette interview de Lambert Mende, qui reconnaît que « le scrutin peut très
bien se tenir en 2016… comme en 2017 » (RFI 17 janvier 2015).
13
D’autant que des manifestations ont eu lieu simultanément dans une dizaine de villes de
province, avec des points chauds à Goma et Bukavu.
Quand la rue kinoise envahit le politique… 55
sa survie quotidienne. C’est bien la qualité « plébéienne » de cette inter-
pellation publique qui pose problème aux autorités (Corten et al. 2012).
Qui plus est, il existe indubitablement un lien de cause à effet entre le mot
d’ordre de l’opposition et le soulèvement populaire qui laisse entrevoir la
capacité de cette dernière à mettre la population en mouvement (Polet 2016)
Par ailleurs, les forces de l’ordre ont perdu le contrôle de la situation
du fait de leur incapacité à contenir la propagation de la protestation. La
coupure d’Internet et de la communication par SMS au matin du 20 n’a pas
eu l’effet escompté. Des forces de sécurité dépassées donc, et dont nombre
d’éléments – en particulier parmi la police nationale et l’armée – ont mani-
festé de la sympathie à l’égard des protestataires. Enfin, last but not least,
l’événement attise les tensions internes dans le camp majoritaire, qui débou-
cheront, quelques mois plus tard, sur le départ de sept partis significatifs
de la majorité (le futur G7) et du puissant gouverneur de la province du
Katanga.
Événement dans l’événement, le soulèvement de la rue s’est produit
indépendamment de l’UDPS. Un tour de force dans le paysage politique
kinois, comme l’exprime l’un des étudiants qui mobilise, la veille du 19 jan-
vier, dans les homes de l’Unikin : « Au moment où nous distribuions nos
tracts, j’ai appris que le président de l’UDPS, par le canal de son porte-
parole, est intervenu en direct sur une chaîne d’obédience du pouvoir pour
informer l’opinion que l’UDPS n’est ni de près ni de loin partie prenante de
la manifestation de demain. [...] Je vous jure j’ai pleuré. Car sans l’UDPS,
je me disais “qu’est-ce que nous allons faire demain ?” ». La réussite de la
mobilisation ébranle le parti dans sa position quasi institutionnelle de « parti
de la rue14 ». Cette marginalisation relative au sein de l’espace protestataire,
au bénéfice de l’UNC de Vital Kamerhe en particulier, accentue les tensions
entre la hiérarchie du parti et les militants les plus jeunes, nombreux à par-
ticiper à la mobilisation.
L’enseignement que tout le monde tire de la révolte de janvier, et que le
porte-parole du Gouvernement ne niera pas15, est que « le pouvoir a reculé
face à la rue » (France24 27 janvier 2015). La virtualité d’une nouvelle inter-
vention de « la rue » dans le jeu politique congolais va, dès lors, conditionner
la perception du rapport de force politique par les parties en présence. Pour
les uns et les autres, l’hypothèse d’un scénario « à la burkinabè » est devenue
vraisemblable. Côté majorité, il s’agit de s’en prémunir ; côté opposition, il
14
Malgré la tentative de récupération d’Étienne Tshisekedi qui, le 20 janvier, salue le courage
des compatriotes qui ont répondu à l’appel du sursaut national qu’il a récemment lancé
« dans le but de rétablir la vérité des urnes pour les élections de novembre 2011 » (La Voix
de l’Amérique 20 janvier 2015).
15
Tout en cherchant à le mettre au crédit du sens des responsabilités de la majorité, qui aurait
« fait un pas » vers son peuple.
56 Conjonctures congolaises 2016
s’agit d’en jouer, d’utiliser la menace de « la rue » comme levier politique,
de faire accréditer sa propre capacité à mettre les foules en mouvement, à
rééditer ce qu’elle appelle déjà « les trois glorieuses » de janvier pour influer
sur le dossier des élections et compenser sa propre impuissance au sein des
espaces institutionnels de contre-pouvoir – Parlement, CENI, justice. Quant
aux ambassades occidentales, elles sont partagées entre la peur du soulève-
ment populaire, facteur d’instabilité politique, et la volonté de faire respecter
une Constitution impliquant le départ d’un homme devenu problématique.
5. Neutraliser la mobilisation, criminaliser les protestataires
Affaiblie, la majorité n’abandonne pas pour autant son projet de prolon-
gation du mandat présidentiel. Une stratégie à trois niveaux est, dès lors,
déployée : organiser l’impossibilité pratique d’avoir les élections présiden-
tielles dans les temps (ce que les opposants qualifient déjà de « glissement »),
convoquer un dialogue politique visant à coopter une partie de l’opposition
et détruire les capacités de mobilisation populaire supposées de l’opposi-
tion. Cet objectif de démobilisation est poursuivi à travers la criminalisation
de toute manifestation de rue hostile au pouvoir, qui est assimilée à une ten-
tative de renversement par la violence des institutions légalement établies.
La surveillance et la répression politique s’accentuent contre les entrepre-
neurs de mobilisation potentiels, en particulier ceux qui cherchent à élargir
la protestation à la population ordinaire, non militante, comme s’il s’agissait
d’enfoncer un coin entre la rue et les forces hostiles au « dialogue ».
Quand bien même ils n’ont joué aucun rôle dans les événements de jan-
vier, les réseaux de jeunes militants prodémocratie Lucha et Filimbi, qui
ambitionnent de mobiliser la jeunesse en s’inspirant des mouvements burki-
nabè et sénégalais, acquièrent le statut de danger existentiel pour le régime.
La conférence de presse qu’ils organisent dans la banlieue populaire de
Kinshasa les 14 et 15 mars, avec la participation d’organisations burkinabè
et sénégalaise, et le soutien de la coopération états-unienne, est brutalement
interrompue par les forces de l’ordre. Plusieurs jeunes sont incarcérés au
motif « d’atteinte à la sûreté de l’État ». Pour le Gouvernement, les mili-
tants ouest-africains étaient à Kinshasa « pour apprendre aux jeunes Kinois
comment se confronter aux forces de l’ordre et mettre fin à un régime sans
attendre les élections » (Jeune Afrique 16 mars 2016).
La peur du soulèvement, de cette « masse de renversement » qui se consti-
tue quand « un grand nombre d’hommes s’assemblent pour se tourner contre
un groupe d’autres personnes dans lesquelles ils voient les auteurs de tous
les ordres dont ils ont pâti » (Canetti cité par de Villers & Omasombo 2004),
va jusqu’à tenter d’interdire l’évocation d’un article de la Constitution, l’ar-
ticle 64. Ce dernier stipule que « Tout Congolais a le devoir de faire échec
à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou
Quand la rue kinoise envahit le politique… 57
qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution. Toute
tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infrac-
tion imprescriptible contre la nation et l’État. » Déjà évoqué en 2012 par
Tshisekedi, l’article est agité avec insistance par l’opposition « radicale » et
par la CENCO (dans une moindre mesure), dans leurs déclarations et com-
munications en vue de conditionner la population dans le sens d’une sorte
de « devoir de mobilisation ».
Cette utilisation d’une ressource légale, que la majorité assimile à une
arme pointée vers elle, ne pouvait rester sans réponse. Celle-ci se manifeste
sous la forme d’une réaction du procureur général de la République, qui
retourne l’article 64 contre les opposants en affirmant que ce n’est pas le
premier alinéa qui est de circonstance, la RDC étant « actuellement gou-
vernée par des institutions démocratiquement établies conformément à
la Constitution », mais bien plutôt le deuxième, à savoir la menace d’un
renversement, que les opposants omettent de mentionner. Par conséquent,
« toute tentative de recourir à des manifestations de rue pour résister contre
les institutions en place sera interprétée comme une intention avérée de les
renverser ». Et le magistrat de mentionner que « les personnalités de tout
bord qui appellent la population à descendre dans la rue sont passibles des
peines prévues par la loi » (La Prospérité 2 décembre 2015).
La criminalisation de la protestation a aussi une forte dimension idéolo-
gique, à travers la diffusion par les différents canaux gouvernementaux d’un
discours de disqualification de la mobilisation contestataire, assimilée à une
démarche de type insurrectionnelle et terroriste. Le cadrage du discours
officiel oppose d’un côté des institutions légitimes, dont les responsables
veulent résoudre les problèmes électoraux à travers des solutions endogènes
– le dialogue « entre Congolais » – pour aller vers des scrutins apaisés, et
des opposants opportunistes, déterminés à subvertir l’ordre institutionnel
par des solutions importées – la confrontation violente – menant à la désta-
bilisation et à des conflits sanglants.
6. La « messe noire de Gorée »
Importer l’expérience burkinabè… L’ambition d’une poignée de jeunes
militants congolais est devenue la hantise des autorités. L’épisode de « la
messe noire de Gorée » en offre une nouvelle illustration. À l’initiative des
jeunes de Filimbi, la Fondation allemande Konrad-Adenauer a invité, du 12
au 14 décembre 2015, une trentaine de militants de partis d’opposition et de
la société civile congolaise à un séminaire international à Dakar, sur l’île de
Gorée, sur « les élections et les processus démocratiques en Afrique sub-
saharienne », au cours duquel des participants de sept autres pays africains
exposent leur propre expérience en matière de « sauvegarde » des proces-
sus électoraux. L’enjeu officieux est de définir une stratégie commune de
58 Conjonctures congolaises 2016
pression sur les autorités congolaises pour la tenue des élections dans les
délais (Human Rights Watch 2015). Le registre des manifestations non vio-
lentes y fait l’objet d’un intérêt particulier16.
La fuite d’une note de la très influente Agence nationale des
Renseignements (ANR) portant sur cet atelier de Dakar offre un éclairage
précieux sur le type de lecture anxiogène, pour ne pas dire paranoïaque, qui
prévaut au sommet de l’État congolais. Pour l’ANR, le « partage des expé-
riences électorales » renvoie en réalité à « l’ensemble des informations et
pratiques subversives à mettre à la portée des opposants et activistes congo-
lais, afin de s’inspirer de la mobilisation des jeunes Sénégalais (Y’en a marre)
contre le président Wade ; et au-delà, des expériences tunisienne, égyptienne
et burkinabè (balai citoyen) qui ont vu les mandats constitutionnels en cours
de leurs présidents, brutalement interrompus à la suite des activités insur-
rectionnelles de ces mouvements précités ». D’après le Renseignement
congolais, le choix sélectif des invités parmi les opposants radicaux atteste
de « l’existence d’une synergie d’actions (complot) visant la déstabilisation
de la Nation et de l’État » et témoigne que « tout compte fait », les « parrains
étrangers ne désarment pas dans leur détermination de déstabiliser la RDC
en instrumentalisant les politiciens congolais et la société civile pour pous-
ser les jeunes congolais à l’insurrection » (ANR 2015).
Des recommandations sur les plans diplomatique, politique, judiciaire,
médiatique et sécuritaire clôturent la note et esquissent un véritable pro-
gramme d’actions de type contre-insurrectionnel. La maîtrise de la rue
est une préoccupation centrale de la Sûreté, qui recommande d’« équiper
et de doter la police nationale en armes non létales et en matériel anti-
émeutes pour faire face aux manifestations éventuelles ». Deux semaines
précisément après Gorée, le Gouvernement exige des détenteurs de télé-
phone cellulaire de se faire identifier, officiellement « dans le cadre de la
prévention du terrorisme » (RFI 29 décembre 2015). Quelques jours plus
tard, des caméras de surveillance font leur apparition aux principaux car-
refours de la capitale, dont plusieurs ont servi de lieux de concentration
lors du soulèvement de janvier (RFI 4 janvier 2016), tandis que des sources
concordantes signalent le démarrage d’un programme de formation à grande
échelle de la Garde républicaine aux techniques anti-émeutes, normalement
réservées à la police nationale.
16
Entretien avec un participant.
Quand la rue kinoise envahit le politique… 59
7. Mobilisations sous contrainte
Si la rue est symboliquement au cœur de la confrontation politique
partisane après janvier 2015, la rue kinoise « réelle » ne bouge pas. Entre
janvier 2015 et janvier 2016, aucune mobilisation n’est organisée par l’op-
position, qui mise sans doute sur l’effet persuasif de la « mise en garde de
la rue » de janvier 2015 et des pressions internationales pour contrecarrer le
« glissement ». La paralysie des préparatifs électoraux, l’annonce du dialo-
gue, puis la constitution à Dakar d’un instrument de coordination relativement
consensuel des forces politiques et sociales opposées au « glissement » – le
Front citoyen 2016 – vont créer les conditions d’un redémarrage des mobi-
lisations. La proactivité répressive du Gouvernement contraint néanmoins
les modalités de mise en œuvre du « calendrier d’actions » de ce front dans
le sens d’une autolimitation protestataire (Pommerolle & Vairel 2009 ;
Siméant 2013) : offices religieux et conférences-débats sur « l’alternance
démocratique » le 19 janvier (premier anniversaire des « trois glorieuses »),
ville morte le 16 février (anniversaire de la Marche des Chrétiens de 1992),
meetings le 24 avril (anniversaire du discours de démocratisation de 1990).
La première manifestation de rue digne de ce nom n’a lieu à Kinshasa
que le 26 mai 2016, pour contester l’arrêt de la Cour constitutionnelle du
11 mai permettant à Kabila de rester en place après le 19 décembre en cas
de retard dans la tenue des élections. Pour la dynamique de l’opposition, le
G7 et le Front citoyen 2016, l’ambition est de provoquer une mobilisation
populaire à grande échelle permettant de faire reculer le pouvoir comme en
janvier de l’année précédente, car à l’instar de la révision avortée de la loi
électorale, l’arrêt de la Cour crée les conditions juridiques d’un maintien au
pouvoir de Kabila. La manifestation, qui rassemble entre 2000 et 5000 per-
sonnes sur les grands boulevards, n’a cependant ni l’ampleur ni l’impact
politique souhaités par les organisateurs.
Le bilan mitigé de la manifestation est, en partie, le résultat de l’attitude
des autorités. Celles-ci ont subi une pression internationale exceptionnelle
dans les jours précédant la manifestation17. En autorisant la marche et en
laissant les manifestants se rassembler et démarrer la manifestation, elles
ont favorisé une concentration de militants relativement contrôlable par les
forces policières, qui sont intervenues en aval, loin des quartiers populeux.
Parallèlement, une batterie de mesures d’intimidation préventives ont empê-
ché la mobilisation du campus de l’Unikin et la dispersion des étudiants au
sud de la ville. Les principaux mécanismes de contagion ayant joué lors du
soulèvement de janvier 2015 ont, de la sorte, été désamorcés (Polet 2016).
17
Avec notamment un appel du porte-parole de l’ONU à New York à autoriser les
manifestations pacifiques le 26 mai.
60 Conjonctures congolaises 2016
8. Détournements et contre-mobilisations
La suppression de la mobilisation politique entraîne la politisation de
mobilisations originellement non politiques : en l’absence de canaux auto-
risés, la résistance populaire se manifeste sur le mode de la fronde, de la
provocation, dans des espaces d’expression à caractère religieux, sportif ou
culturel. Le phénomène « Yebela ! » est une manifestation éloquente de
ce mode d’expression par défaut de l’insubordination en contexte autori-
taire (Siméant 2013). Il apparaît à la faveur de la participation du Congo
à la CHAN, en janvier-février 2016. Le slogan « Kabila oyebela, mandat
esili !18 », ou tout simplement « Yebela ! », est le détournement d’un chant
de supporters qui a commencé à être scandé par des groupes se mêlant aux
foules en liesse qui se formaient spontanément à chaque victoire de l’équipe
nationale. L’expression se diffuse rapidement sur les réseaux sociaux et
ponctue les déclarations ultérieures de l’opposition.
Les autorités, qui craignent plus que tout la mise en contact du peuple
kinois en effervescence et de la revendication politique sur l’espace public,
réagissent par la voix du chef de la police de Kinshasa, qui intervient à la
télévision nationale la veille de la finale pour interdire toute manifestation
de joie dans les rues de la capitale en cas de victoire, comme de défaite,
du Congo, au motif que « des gens mauvais en profitent pour créer des
problèmes au lieu de fêter ». Le mot d’ordre ne sera que très partiellement
respecté et la police interviendra en début de soirée pour disperser un groupe
de plusieurs centaines de supporters scandant des chants hostiles au prési-
dent (L’Équipe 7 février 2016).
Mais le camp Kabila ne fait pas qu’étouffer les tentatives de politisa-
tion de la rue par l’opposition, il s’emploie lui-même à politiser l’espace
public en sa faveur. L’appropriation symbolique et physique de la rue est
devenue un enjeu primordial de la lutte politique. Dans ce qui ne peut être
compris que comme une réponse coordonnée au « Yebela », des rassemble-
ments « spontanés » surgissent lors des déplacements du chef de l’État et
entonnent en dansant le slogan « Wumela ! » (« Reste longtemps »)19. Or,
Joseph Kabila, qui ne cherche traditionnellement pas le contact de la popu-
lation, multiplie en ce début d’année 2016 les sorties dans la capitale : coup
d’envoi de la campagne de reboisement de la ville, inspection de trois stades
municipaux en chantier, visite du pont de Matete.
Parallèlement, le PPRD orchestre des manifestations dans la capitale,
faisant défiler militants et gros bras à des marches et meetings en faveur du
18
« Kabila, sache-le, ton mandat est fini ! »
19
Des mises en scène qui ne sont pas sans rappeler les chants « Djalelo » à la gloire de
Mobutu.
Quand la rue kinoise envahit le politique… 61
dialogue ou de la « longévité » de Kabila20. « Le débat sur la popularité, le
débat sur le contrôle de Kinshasa est clos », déclare un haut cadre du PPRD
à l’issue de la marche dédiée au quarante-cinquième anniversaire de Joseph
Kabila (www.lesoftonline.net 7 mai 2016). Cette occupation de la rue passe
par la mobilisation politique de la délinquance urbaine, à travers l’élargisse-
ment de la mise en clientèle de jeunes désœuvrés, « sportifs » ou « kulunas »
des quartiers défavorisés, qui sont utilisés pour marcher ou pour perturber
les manifestations de l’opposition.
9. Stratégie de la tension et interdiction des mobilisations
Du côté de l’opposition, l’exil forcé de Katumbi puis la création à Genval,
le 9 juin, du « Rassemblement des Forces politiques et sociales acquises
au changement », sous la houlette d’Étienne Tshisekedi, redistribuent les
cartes. Après quatre ans de retrait et de pourparlers non assumés avec le
PPRD, l’UDPS réoccupe presque naturellement le centre de gravité de l’op-
position « radicale », à la grande satisfaction de ses combattants et de sa
ligue des jeunes, qui rongent leurs freins depuis 2012. Marginalisée par l’al-
liance UDPS-Katumbi, l’UNC de Vital Kamerhe fait le virage inverse, en
désertant la mobilisation de rue pour la participation au dialogue proposé
par Kabila, dilapidant de la sorte en quelques jours une crédibilité comme
parti d’opposition si laborieusement construite depuis 2010.
On a pu penser que la « retenue » des forces policières qui repoussaient
les milliers de sympathisants massés aux abords de l’aéroport de Ndjili lors
du retour du vieil opposant, le 27 juillet, résultait d’un changement dans la
politique de gestion des foules. Les sanctions américaines contre le chef de
la police de Kinshasa et la visite de l’ambassadeur des États-Unis au gou-
verneur de la ville, dix jours plus tôt, avaient sans doute pesé... Mais cette
décrispation passagère résultait sans doute aussi des calculs de la majorité
présidentielle, qui misait toujours sur une participation de l’UDPS (et des
forces que celle-ci a amarrées à Genval) au dialogue. La posture diamétra-
lement opposée tenue quatre jours plus tard, lors du premier meeting du
Rassemblement, par Tshisekedi, qui affiche sa volonté d’aller à la confron-
tation politique à travers « un calendrier d’actions citoyennes », « pour faire
échec à tout coup de force contre la Constitution », replace le clan présiden-
tiel sur sa trajectoire anti-insurrectionnelle.
Les manifestations du 19 et du 20 septembre 2016 vont fournir au pou-
voir l’occasion de soustraire les rues de la capitale à l’action de l’opposition.
20
Cette adhésion populaire au régime est bien sûr largement artificielle en ce qu’elle est, pour
une bonne part, le reflet de la puissance financière du PPRD, qui finance les participants et
oblige les employés.
62 Conjonctures congolaises 2016
Cette première « mobilisation générale » en vue de « signifier à Kabila le
début de son préavis », convoquée par le Rassemblement à la date où la
CENI devait théoriquement convoquer le corps électoral, a immédiatement
dégénéré en affrontements violents entre les manifestants et la police. À
l’instar de janvier 2015, le conflit a pris un tour émeutier et s’est rapidement
étendu à plusieurs quartiers de la capitale et au campus de l’Unikin. Certains
éléments dans le comportement des autorités et des forces de l’ordre lais-
sent penser que cette situation chaotique est le résultat d’une stratégie de
la tension à l’italienne élaborée au sommet de l’État21. Le 21 septembre, le
gouverneur de la ville-province décide de « différer » toute manifestation à
caractère politique sur la place publique à Kinshasa pour éviter un nouvel
épisode de « dégâts matériels et humains » et prévenir « tout risque d’esca-
lade de violence » (www.times.cd).
Cette interdiction sera systématiquement opposée aux initiatives de
mobilisation dans les semaines et les mois suivants. Si le Rassemblement
s’adapte dans un premier temps, en donnant à son premier « carton jaune à
Kabila » du 19 octobre la forme d’une ville morte, il est mis dans l’incapa-
cité de tenir ses meetings du 5 puis du 19 novembre, du fait de l’importance
du dispositif policier. L’interdiction est bravée parallèlement par les mili-
tants des nouveaux mouvements citoyens de la jeunesse, Lucha et Filimbi
en particulier, dont l’activité s’intensifie sensiblement dans la capitale
durant le deuxième semestre de l’année 2016. Leurs tentatives successives
de dépôt de memorandum et de sit-in au siège de l’Union africaine (les 21,
27-28 et 29 octobre) pour dénoncer l’accord politique issu du dialogue sont
réprimées, tandis que s’emballe la politique d’arrestations des personnes-
clés des mobilisations : jeunes cadres des partis d’opposition, leaders des
mouvements citoyens et journalistes couvrant leurs actions22.
Cette mesure d’interdiction de manifester fait l’objet d’une vive contro-
verse quant à sa dimension légale. Du côté du pouvoir, il s’agit d’un devoir
de responsabilité de la part d’institutions ayant constaté l’incapacité de
« certains partis » à exprimer leurs revendications politiques sans violence.
Pour les ONG et partis d’opposition, la décision viole plusieurs articles de
la Constitution qui garantissent les droits à la manifestation et aux réunions
publiques, car elle n’est pas fondée sur les dispositions légales pouvant
restreindre ou limiter l’exercice de ces droits. Des droits qui sont « particuliè-
21
Parmi ces éléments : le fait que la police s’est violemment opposée à la progression
des manifestants vers le point de départ d’une marche pourtant autorisée, et le choix du
gouverneur de refuser deux propositions d’itinéraire des organisateurs pour leur imposer
un parcours passant devant deux sièges du parti présidentiel (Cros 2016).
22
On notera que des sanctions internationales ciblées des auteurs d’épisodes répressifs
répondent en miroir aux intimidations ciblées des promoteurs de mobilisation.
Quand la rue kinoise envahit le politique… 63
rement importants en démocratie23 ». La mesure est par ailleurs dénoncée par
plusieurs instances onusiennes et étrangères, qui l’assimilent à une restriction
supplémentaire de l’espace politique (Unmultimedia 30 novembre 2016).
Mais la majorité se défend pied à pied : la liberté de manifester est un droit
constitutionnellement subordonné au respect de conditions légales d’ordre
public, de sécurité et de bonnes mœurs (Mediacongo.net 4 novembre 2016).
Le cadrage sécuritaire du discours politique se durcit : la paix et la sta-
bilité sont des biens supérieurs de la nation, car produits de la souffrance
collective et garants du développement, dont la protection justifie la mise
entre parenthèses temporaire par l’État de certaines libertés qui sont l’objet
d’abus de la part de personnes misant sur le sang et la violence pour parvenir
au pouvoir.
Assimilée à une conduite violente, la manifestation publique n’est plus
seulement illégitime, elle devient illégale. En éradiquant la protestation, il
s’agit de dépolitiser la rue de force, d’en extirper le mal politique, pour sau-
ver le vivre-ensemble national que seul l’espace politique délimité par les
institutions formelles peut renforcer.
À l’heure où nous mettons la dernière main à ce chapitre, à précisément
deux semaines de la fin du second mandat de Kabila, une ultime tentative de
conciliation entre pouvoir et opposition est menée par la CENCO. Si celle-ci
devait échouer, l’ensemble des moyens politiques, juridiques, idéologiques
et policiers mobilisés par le clan présidentiel suffiront-ils à conjurer la mobi-
lisation à grande échelle qui sera convoquée ?
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Tervuren : L’Harmattan/MRAC (coll. « Cahiers africains », n° 84).
23
Argument repris le 3 novembre dans une requête en annulation de la décision du gouverneur
adressée à ce dernier par huit ONG et sept partis politiques (La Tempête des tropiques
4 novembre 2016).
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www.lesoftonline.net. 7 Mai 2016.
7sur7.cd. 29 août 2014.
L’ordre et la sécurité en milieu carcéral :
étude compréhensive des pratiques des acteurs
de la prison centrale de Bukavu
Charles Kakule Kinombe1
Introduction
Dans un État de droit, le maintien de l’ordre et de la sécurité dans les
établissements pénitentiaires est assuré sur la base des textes légaux et
réglementaires. Cependant, plusieurs travaux de sociologie carcérale (Sykes
1958 ; Chauvenet, Orlic & Benguigui 1994 ; Benguigui 1997 ; Herzog-
Evans 1998 ; Chauvenet 2000 ; Chantraine 2004 ; Snacken 2011 ; Ruest
2012 ; Rostaing 2014 ; Fernandez 2015) ont démontré l’inapplication sys-
tématique des normes formelles en prison. En effet, ces études mettent en
évidence la conception selon laquelle l’application systématique des règles
officielles peut augmenter les tensions entre les individus incarcérés et les
agents pénitentiaires. Elles rejoignent ainsi le raisonnement emblématique
du Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris (LAJP) selon lequel « le
droit n’est pas tant ce qu’en disent les textes mais ce qu’en font les acteurs »
(Le Roy 2004 : 156). Le présent chapitre s’inscrit dans cette conception
du LAJP en examinant ce que font réellement les acteurs de la prison cen-
trale de Bukavu pour assurer le maintien de l’ordre et de la sécurité. La
question centrale de cette étude est : « comment se réalise le maintien de
l’ordre et de la sécurité à la prison centrale de Bukavu ? ». Il s’agira d’une
étude descriptive et compréhensive de ces pratiques, mais aussi d’analyser
les logiques qui les sous-tendent en s’inspirant des notions de « normes pra-
tiques » développées par Olivier de Sardan (2008a ; 2015), et de la théorie
de la « gouvernance négociée » selon Englebert et Tull (2013 : 5-22) et
Vlassenroot (2008 : 44-67) tout en privilégiant une approche qualitative et
inductive.
Olivier de Sardan définit le terme « normes pratiques » comme « the
various informal, de facto, tacit or latent norms that underlie the prac-
tices of actors which diverge from the official norms » (Olivier de Sardan
1
Doctorant en criminologie à l’Université catholique de Louvain, assistant à la faculté
de droit de l’Université catholique de Bukavu et chercheur au Centre de recherche
interdisciplinaire sur la déviance et la pénalité.
68 Conjonctures congolaises 2016
2015b : 8). L’ordre et la sécurité à la prison centrale de Bukavu sont main-
tenus dans une large mesure en dehors du cadre juridique. Il s’observe une
certaine collaboration entre le personnel pénitentiaire et les détenus, ce qui
nous fait penser à ce que Englebert et Tull (2013 : 5-22) ainsi que Vlassenroot
(2008 : 44-67) appellent la « nature négociée de la gouvernance ». Ceci ne
veut pas dire pour autant que l’ordre et la sécurité ne sont pas réglementés.
Cette recherche utilise le concept de « normes pratiques » pour montrer
l’existence d’une réglementation, au sein de cet établissement carcéral, qui
diverge des normes formelles.
Ce chapitre veut démontrer qu’à partir des normes pratiques (par
exemple, la présence de « personnel détenu », la pratique « droit de sortie »,
la pratique « droit de visite ») instaurées par les agents pénitentiaires, il est
possible de concevoir un système pénitentiaire qui soit conforme à la réa-
lité congolaise, caractérisée par l’insuffisance de moyens et parfois par le
manque de volonté de respecter la loi dans le domaine carcéral.
Les données permettant d’alimenter la réflexion proposée dans ce chapitre
sont issues de diverses recherches empiriques menées à la prison centrale de
Bukavu pendant trois mois (du 16 septembre au 15 novembre 2013 et du
29 juillet au 29 août 2016). Nous avons, de fait, effectué des observations
directes à la prison centrale de Bukavu, et mené des entretiens semi-directifs
ainsi que des conversations avec les différents acteurs de cet établissement,
en l’occurrence, le personnel officiel, le personnel détenu, les détenus et
les visiteurs. Au total, nous avons réalisé soixante entretiens dont six avec
le personnel officiel, vingt-quatre avec le personnel détenu et trente avec
les détenus. Certains acteurs, notamment les visiteurs, se sont montrés très
réticents face au magnétophone que nous utilisions pour enregistrer les don-
nées. C’est ainsi que nous avions recouru aux conversations situées pour
surmonter cette difficulté. En enregistrant vingt conversations situées avec
les visiteurs, nous avons atteint la saturation empirique.
Hormis la présente introduction et la conclusion, ce texte sera circonscrit
en trois points principaux ci-après :
- les problèmes majeurs du système carcéral en RDC et la mise en place
du « personnel détenu » ;
- quelques pratiques sécuritaires et disciplinaires des agents pénitenti-
aires de la prison centrale de Bukavu et leurs logiques ;
- la déconstruction des concepts d’« ordre » et de « sécurité ».
L’ordre et la sécurité en milieu carcéral : la prison centrale de Bukavu 69
1. Les problèmes majeurs du système carcéral en RDC
et la mise en place du « personnel détenu »
Le système pénitentiaire congolais fait face à divers problèmes, en l’oc-
currence les mauvaises conditions de détention2 (manque de nourriture, de
soins médicaux, de literie, de logement, etc.) (Ministère de la Justice et des
Droits humains 2015 : 41), l’absence de séparation des détenus3, la vétusté
des infrastructures pénitentiaires4, le manque de formation des agents
pénitentiaires5, l’absence de statistiques pénitentiaires et de contrôle des
procédures disciplinaires, une surreprésentation des prévenus en détention
préventive, la vétusté des textes régissant les établissements pénitentiaires6
et la surpopulation carcérale7.
Suite aux guerres récurrentes qu’a connues la RDC, un nombre impor-
tant de militaires condamnés par la justice militaire se retrouvent en prison.
En principe, ces derniers devraient être gardés dans les prisons militaires.
Mais, en raison du nombre insuffisant de telles infrastructures, ces détenus
sont incarcérés dans les mêmes prisons que les civils.
L’article 363 de la loi n° 023/2002 du 18 novembre 2002 portant sur le
Code judiciaire militaire8 dispose que : « il est créé des prisons militaires
2
Ces mauvaises conditions de détention contredisent l’article 18, alinéa dernier de
la Constitution de la RDC du 18 février 2006 telle que révisée par la loi n° 11/002 du
20 janvier 2011 qui dispose : « Tout détenu doit bénéficier d’un traitement qui préserve sa
vie, sa santé physique et mentale ainsi que sa dignité ». Elles contredisent aussi les règles
minima des Nations unies sur le traitement des détenus ratifiées par la RDC.
3
À la prison centrale de Bukavu, il n’y a pas de séparation entre les civils et les militaires,
entre les prévenus et les condamnés ; les enfants en conflit avec la loi sont gardés dans le
même établissement que les adultes.
4
La plupart des établissements pénitentiaires furent construits à l’époque coloniale.
Aujourd’hui, ils sont en état de délabrement avancé. Certains d’entre eux ne sont plus
opérationnels. Selon les informations officielles du ministère de la Justice, la RDC
compte actuellement 120 prisons opérationnelles (http://www.prisonstudies.org/country/
democratic-republic-congo-formerly-zaire – consulté le 5 juillet 2016).
5
Il convient de souligner que l’école nationale de l’administration pénitentiaire congolaise
ne fonctionne plus depuis 1989.
6
À titre illustratif, l’ordonnance 344, qui est le texte principal en matière pénitentiaire
en RDC, prévoit notamment l’usage des menottes comme sanction disciplinaire. Or, la
Constitution du 18 février 2006 telle que révisée par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 et
les règles minima des Nations unies sur le traitement des détenus interdisent le traitement
cruel, inhumain et dégradant.
7
La surpopulation carcérale est considérée comme le dépassement en pourcentage du
nombre de détenus par rapport à la capacité du parc pénitentiaire. Pour de plus amples
détails sur la surpopulation en milieu carcéral, lire Tournier (2007 : 92), Nguimbi (2008 :
163-164), Devresse (2013 : 345 et s.) et Rutherford (1988 : 297-301).
8
Loi n° 023/2002 du 18 novembre 2002 portant sur le Code judiciaire militaire. 2003 (20 mars).
Journal officiel de la République démocratique du Congo, numéro spécial.
70 Conjonctures congolaises 2016
sur toute l’étendue de la République. Leur organisation et leur fonctionne-
ment sont déterminés par voie réglementaire ». Il est déplorable de noter
que la RDC, pays aux conflits armés multiples, ne compte que quelques
prisons militaires, en l’occurrence la prison de Ndolo9 située au centre-ville
de Kinshasa, la prison d’Angenga et la prison militaire de Mbandaka dans
la province de l’Équateur. La prison de Bulambembe, au Bas-Congo, n’est
pas opérationnelle, suite à la vétusté et au manque d’entretien des bâtiments.
L’insuffisance des prisons militaires a entraîné le transfert des détenus
militaires vers les prisons civiles. Ce qui contribue pour beaucoup à leur sur-
peuplement. Il n’existe pas, toutefois, dans ces prisons civiles, de séparation
entre catégories de détenus, civils et militaires, ce qui expose les premiers
aux pressions des seconds.
Selon les estimations de l’ASF (2015 : 2), la RDC compte actuelle-
ment environ 22 000 détenus, parmi lesquels 82 % seraient en détention
préventive.
« Les conditions de détention des prisonniers sont rendues extrêmement
difficiles par le dépassement des capacités d’accueil et se situent bien en
deçà des standards minima en la matière. Les taux de surpopulation carcérale
dans les prisons du pays sont alarmants et peuvent atteindre 400 %, comme
à la prison de Makala à Kinshasa » (ASF 2015 : 2).
Du fait de cette surpopulation carcérale10, le personnel de l’administra-
tion pénitentiaire congolaise se trouve largement en sous-effectif11, ce qui
rend difficile le maintien de l’ordre et de la discipline. L’administration
pénitentiaire congolaise recourt à la police, voire même à l’armée, pour
maintenir la sécurité en prison, or ce n’est pas la mission première des poli-
ciers ou des militaires. Affectés dans les prisons, ceux-ci ont notamment
pour tâches de surveiller tous les mouvements à l’extérieur, de maîtriser
les détenus cherchant à s’évader et de contrôler les visiteurs. Ils agissent
davantage pour la sécurité extérieure12 (Snacken 2011 : 146) que pour la
sécurité intérieure. Ils ne se préoccupent effectivement pas du maintien de
l’ordre dans la prison. Or, le contrôle de l’extérieur ne suffit pas à maintenir
9
https://wazaonline.com/fr/archive/ndolo-la-nouvelle-prison-des-detenus-militaires-
kinshasa (consulté le 20 juillet 2016).
10
Les statistiques de la prison centrale de Bukavu du mois de juillet 2016 font état de
1300 détenus, or cet établissement a été conçu pour accueillir 500 détenus.
11
Les 1300 détenus incarcérés à la prison centrale de Bukavu au mois de juillet 2016 étaient
placés sous la garde de neuf surveillants (personnel officiel), dix policiers et huit militaires.
Le constat qui s’en dégage est l’insuffisance du personnel officiel par rapport au nombre de
détenus.
12
La sécurité extérieure réfère aux attentes de la société selon lesquelles la prison doit garder
les détenus à l’intérieur et prévenir le risque d’évasion (Max Martin 2015).
L’ordre et la sécurité en milieu carcéral : la prison centrale de Bukavu 71
le calme. Par ailleurs, la gestion interne des détenus revêt une importance
capitale au vu des émeutes pouvant survenir en milieu carcéral.
Afin de pallier l’absence ou l’insuffisance de sécurité interne, l’adminis-
tration pénitentiaire congolaise s’appuie sur un groupe de détenus appelé
« personnel détenu » (Bounoungou 2012 : 42 ; Morelle 2013 : 332 ; Kakule
Kinombe 2014 : 31 ; Le Marcis 2014 : 14 ; N’Kulu Ngoy 2015 : 308) ou
« système des capitas13 » (ASF 2015 : 3) et lui confie des tâches dévolues
classiquement à l’administration pénitentiaire : entre autres, le maintien de
l’ordre et de la discipline, la préparation et la distribution alimentaire, l’en-
tretien des locaux, la gestion des conflits, etc. En outre, ce personnel détenu
renseigne les autorités de la prison sur toute conspiration d’évasion ou tout
complot menaçant l’institution, sur les cas de maladie ainsi que sur le com-
portement des détenus (Bounoungou 2012 : 319).
En Occident, la garde des personnes privées de liberté est confiée au
personnel pénitentiaire (Snacken 2011 : 131), également nommé « sur-
veillant » (Chauvenet, Orlic & Benguigui 1994 : 24). Il s’agit du « personnel
officiel ». « Dans les prisons congolaises en général et celle de Bukavu en
particulier, la réalité se présente autrement. Le personnel pénitentiaire est
subdivisé en deux catégories, à savoir le personnel officiel et le personnel
détenu. Cette spécificité n’est pas propre au système carcéral congolais »
(Kakule Kinombe 2016 : 233). Compte tenu du manque de personnel offi-
ciel, cette répartition se retrouve dans la plupart des États africains (Garces,
Martin & Darke 2013) tels que le Cameroun (Morelle 2013), le Rwanda
(Tertsakian 2008 ; Deslaurier 1999), la Côte d’Ivoire (Le Marcis 2014), le
Ghana (Ewoame 2011 ; Akoensi 2014) et la Sierra Leone (Jefferson Feika
& Jalloh 2014).
« La présence du “personnel détenu” en milieu carcéral africain remet en
cause la structure de base unique “reclus-personnel” (personnel officiel)
développée par Goffman (1968) en contexte occidental. En Afrique, cette
structure devient “personnel officiel-personnel détenu” » (Kakule Kinombe
2016 : 235).
Les membres du personnel officiel exercent leur contrôle sur les détenus
tout en déléguant pour partie cette tâche à certains prisonniers. Ces der-
niers sont appelés différemment selon les États. En RDC, on préfère parler
de « gouvernement des détenus », de « personnel détenu » ou encore de
« gouvernement des capitas », comme souligné ci-dessus. Au Cameroun, le
terme couramment employé est celui de « super-détenu » ou d’« antigang »
13
Au sens général, le terme « capita » désigne le « chef de village ». In specie, ce concept
veut signifier l’ensemble des détenus qui accomplissent certaines des tâches dévolues
classiquement à l’administration pénitentiaire.
72 Conjonctures congolaises 2016
(Bounoungou 2012 : 27). Au Rwanda, c’est l’expression « the prisoners
government » (Tertsakian 2014 : 6) qui est en vigueur.
Pour nommer son organisation, le personnel détenu utilise des concepts
étatiques – nous faisons ici allusion au concept de « gouvernement ». Ce
choix n’est pas dû au hasard. Il est motivé par le souci de conférer à l’orga-
nisation une certaine valeur auprès des détenus. Ceux-ci sont ainsi amenés
à croire que leur organisation présente les mêmes attributs que ceux du gou-
vernement de l’État. Ceci nous fait penser à ce que Hansen et Steputat (2005)
ont appelé « languages of stateness » ou encore aux propos de Vlassenroot
et Hoffmann (2014) qui évoquent le « mimicking statehood ».
Les « super-détenus » sont des détenus qui « brillent par leur ancien-
neté et par leur influence ou leur domination sur les autres détenus »
(Bounoungou 2012 : 319). Ils tirent leur force de la confiance que le « per-
sonnel officiel » leur accorde.
À ce sujet, Norbert14, membre du personnel officiel, témoigne :
« Pour accomplir nos tâches quotidiennes […] pour pallier l’insuffisance du
personnel, nous recourons au service de certains détenus appelés “personnels
détenus”. Ceux-ci sont choisis parmi les détenus les plus anciens et faisant
preuve d’amendement aux yeux des chefs. Il s’agit des détenus qui présentent
une certaine influence sur leurs pairs. »
Bienfait, membre du personnel détenu, ajoute :
« François nous confie des tâches très importantes, par exemple celle de
garder les clefs de différents dortoirs, parce qu’il place une certaine confiance
en nous. »
À la prison centrale de Bukavu, le gouvernement des détenus se com-
pose du capita général, du secrétaire, du commandant PM, du PM de la
cour15, des capitas des quartiers16 et cellules17, ainsi que des chargés de cui-
sine et toilettes. Ces agents jouent un rôle crucial dans la gestion courante
de l’établissement au regard du nombre insuffisant de personnel officiel et
du manque de moyens pour rémunérer les employés.
PM est un sigle qui signifie « policier militaire ». Ce terme est
emprunté au vocabulaire militaire en raison de la militarisation des prisons
14
Pour préserver l’anonymat, les noms utilisés dans le présent travail sont des pseudonymes.
15
La cour fait allusion ici à la cour centrale, appelée aussi « quartier général », qui est le plus
vaste quartier de la prison centrale de Bukavu. Les PM de la cour désignent les détenus qui
s’occupent de la surveillance au quartier général.
16
Il s’agit de quatre détenus qui sont affectés dans les quatre quartiers de la prison centrale
de Bukavu.
17
Les capitas de cellule sont également appelés « chefs de cellule ». Ils sont affectés dans
chaque cellule de la prison centrale de Bukavu.
L’ordre et la sécurité en milieu carcéral : la prison centrale de Bukavu 73
congolaises. En raison de la prédominance des militaires dans le corps du
personnel détenu, ce dernier est organisé et structuré d’une façon militaire
en recourant notamment aux titres de l’armée. Ainsi l’appellation « policier
militaire » est réservée aux militaires chargés de surveiller et de contrôler
d’autres militaires.
Dans les États qualifiés « d’États dont la crise est historiquement implan-
tée », à l’instar de la RDC, le service pénitentiaire ne figure pas parmi les
priorités de l’État : le secteur est délaissé par les autorités tant nationales
que provinciales (Imani Mapoli 2016 : 538). Ibrahima, Babacar et Ibra
(1999) utilisent dès lors l’expression « système pénitentiaire en crise » pour
qualifier le système carcéral de certains États africains (Kakule Kinombe
2016 : 234).
« Élément important de l’efficacité de la fonction sécuritaire dans la prison
centrale de Bukavu, le “personnel détenu” constitue une sorte de pont
entre le groupe restreint des dirigeants (officiels) et la masse des personnes
dirigées, tout en étant dirigé lui-même. Toutefois, sa présence n’est pas sans
conséquence » (ibid. : 235).
En effet, Bounoungou (2012) et Morelle (2013) relèvent les aspects
négatifs du pouvoir confié au personnel détenu :
« Nul n’a plus besoin d’information sur l’ambiance qui peut régner au sein
de cette microsociété carcérale lorsqu’un groupe de délinquants aguerris
fait la loi. Dotés des pouvoirs réels, certains super-détenus détiendraient
des armes et l’on assiste à des dérapages dans les prisons (prison de New
Bell à Douala par exemple). Ils infligent des punitions sévères aux détenus
insoumis » (Bounoungou 2012 : 320).
Morelle (2013 : 342 ; 2014 : 23) montre que, dans la prison centrale de
Yaoundé, les membres du personnel officiel et ceux du personnel détenu
développent des « normes pratiques » en proposant l’accès à un lit dans un
quartier moins peuplé moyennant 25 000 FCFA à payer au chef de disci-
pline et au régisseur (personnel officiel) et 10 000 FCFA environ à payer
aux détenus responsables du quartier (personnel détenu). Cette situation se
rencontre également à la prison centrale de Bukavu où, pour être logé au
quartier spécial, appelé quartier « VIP », le détenu est tenu de payer des frais
au personnel détenu et au personnel officiel. Cette pratique s’appelle « droit
d’installation ».
Au regard de l’incapacité de l’État congolais d’offrir un revenu mini-
mum à ses agents, ces derniers ont développé des activités parallèles leur
permettant de nouer les deux bouts du mois. Par exemple, au Katanga, les
fonctionnaires de la division provinciale des Contributions ont mis en place
trois procédés :
74 Conjonctures congolaises 2016
« 1. Une première façon de survivre consiste à développer des activités
extra-muros ou secondaires : les uns utilisent leur expérience et leur réseau
de relations pour devenir “conseillers fiscaux” auprès des petites entreprises
congolaises, tandis que les autres se replient sur des occupations de moindre
prestige dans le petit élevage ou l’agriculture périurbaine. En outre, ils
cèdent souvent une fraction de leur salaire à leur épouse pour qu’elle puisse
entreprendre un commerce, qui demeure en général de très petite taille en
raison de la saturation du marché à ce niveau de capital.
2. Les fonctionnaires peuvent, en second lieu, détourner les deniers de l’État
par divers procédés : en déclarant comme telle la déclaration fiscale des
contribuables, contre un “matabisi” (cadeau) ; en copiant des documents
officiels pour les vendre à leur propre profit aux usagers ; en créant de
faux postes pour toucher la rémunération de faux collègues ; et, quand
ils percevaient eux-mêmes l’impôt auprès des opérateurs, en obtenant la
complicité des commis de la banque pour effectuer de fausses encaisses au
ministère de tutelle.
3. En troisième lieu, les agents des Contributions disposent de l’opportunité
d’escroquer les contribuables en gonflant la fiche d’impôt de manière
artificielle : ils peuvent ainsi solliciter une taxe abolie depuis longtemps,
exiger une taxe imaginaire, ou encore réclamer à nouveau une taxe unique.
Ils peuvent également leur faire du chantage pour “faux et usage de
faux”, lorsque des collègues leur ont remis des documents apocryphes18 »
(Rubbers 2007 : 319).
Les causes qui justifient la présence de ces « normes pratiques » en
milieu carcéral varient suivant la catégorie d’agents impliqués (person-
nel détenu ou personnel officiel). « En effet, pour le personnel détenu, la
présence de ces normes peut s’expliquer par le fait qu’il ne reçoit aucune
indemnité en contrepartie des services qu’il rend à la prison. Cependant, cet
argument n’est pas valable pour le personnel officiel étant donné qu’il per-
çoit des indemnités mensuelles » (Kakule Kinombe 2014 : 12 ; 2015-2016 :
236). Plusieurs auteurs, notamment Nyabirungu (1976), Decraene (1984),
Blundo & Olivier de Sardan (2001), Felices-Luna (2012) ainsi que Rubbers
et Gallez (2015) fournissent des réponses à cette question en soutenant que
« les indemnités mensuelles notoirement en dessous du minimum vital »
dans la fonction publique constituent le facteur explicatif du développement
de normes pratiques.
18
Il est très probable qu’Olivier de Sardan n’aurait pas présenté les choses sous le même angle
que Rubbers. De fait, ce dernier disqualifie les pratiques en ayant recours aux expressions
morales relevant du code institutionnel (par exemple : « escroquer les contribuables »,
« détourner les deniers de l’État ») tandis qu’Olivier de Sardan appellerait ces dispositions
des « normes pratiques ».
L’ordre et la sécurité en milieu carcéral : la prison centrale de Bukavu 75
« Dans une situation où le fonctionnaire considère que l’État ne rem-
plit pas son obligation, par exemple, de lui servir régulièrement un salaire
[décent], il se sert lui-même » (Kodila 2013 ; Jacquemot 2010 : 134). « On
assiste alors à une capitalisation des fonctions publiques puisque l’agent
transforme les fonctions étatiques en une ressource financière pour satis-
faire ses besoins personnels » (Imani Mapoli 2016 : 541 ; Kienge-Kienge,
2005 : 563). Pour illustrer cette capitalisation, Imani Mapoli prend le cas
« […] d’un secrétaire communal qui excellera dans la saisie et l’impression
des travaux de fin de cycle des étudiants de la région moyennant finance
avec, bien entendu, le matériel de service. Il justifiera sa pratique par
l’adage : “Qui travaille à l’hôtel, mange à l’hôtel” » (ibid. : 541).
En réaction aux différentes pratiques développées par le personnel détenu
et le personnel officiel, Bounoungou (2012 : 320 et 443) déclare :
« Cette manière de maintenir l’ordre et la discipline par l’intermédiaire du
personnel détenu ne profite qu’au personnel officiel alors que la sécurité
physique et psychique des pensionnaires est mise à mal. Les plus vulnérables
sont continuellement en danger. Ce danger peut être soit psychologique du
fait de la pression et du chantage en cas d’insoumission aux ordres, non du
personnel pénitentiaire, mais des différents chefs-détenus ; soit physique :
pour un refus d’obtempérer d’un détenu récalcitrant, une violence éclate
entraînant avec elle des dangers physiques éminents, puisque, au sein de la
prison, chaque détenu peut se procurer des objets tranchants sur le marché
organisé à l’intérieur des prisons. »
S’il est vrai que certaines responsabilités d’ordre sécuritaire sont délé-
guées, sous contrôle, aux détenus, la position des Nations unies est sans
doute à l’interdiction de confier le pouvoir disciplinaire aux détenus. En
effet, les règles minima des Nations unies sur le traitement des détenus rati-
fiées par la RDC disposent qu’« aucun détenu ne pourra remplir dans les
services de l’établissement un emploi comportant un pouvoir disciplinaire »
(article 28 alinéa 1er).
Cependant, il convient de noter que ce n’est pas parce que l’on édicte des
normes qu’elles sont nécessairement appliquées (Adam et al. 2014 : 226).
« Les règlements en prison sont nombreux mais les règles qu’ils instaurent
sont labiles et faibles » (Chauvenet 1996 : 280).
Nous ne partageons pas la conclusion de Bounoungou ni la position
des Nations unies, car elles ne cadrent pas avec la réalité congolaise. Nous
pensons, au contraire, qu’au regard de la situation particulière de la RDC,
caractérisée par l’insuffisance de moyens et, parfois, par le manque de
volonté du respect de la loi dans le domaine carcéral, le système de « capi-
tas » devrait être optimisé, car il permet de pallier l’insuffisance du personnel
pénitentiaire.
76 Conjonctures congolaises 2016
2. Quelques pratiques sécuritaires et disciplinaires des
agents pénitentiaires de la prison centrale de Bukavu et
leurs logiques
Les agents pénitentiaires de la prison centrale de Bukavu développent
plusieurs pratiques afin d’assurer le maintien de l’ordre et de la sécurité,
notamment les pratiques « amende »19, « na yebi ye20 », « droit de visite »,
« baptême21 », « droit de sortie », etc. Ces dispositions ne sont pas propres au
monde carcéral. Elles proviennent d’autres institutions telles que la police
nationale congolaise, les forces armées de la République démocratique du
Congo, les cours et tribunaux ainsi que la religion. Les acteurs du milieu
carcéral utilisent ces concepts par imitation afin de conférer un caractère
obligatoire à ces pratiques. Ils veulent amener les détenus à croire que ce
qui est imposé en prison l’est également dans d’autres institutions. Dans le
cadre limité de cette étude, nous allons nous focaliser sur deux d’entre elles,
à savoir les pratiques « droit de visite » et « droit de sortie ».
2.1. La pratique « droit de visite »
La pratique « droit de visite » fait partie des pratiques relatives au contrôle
des intervenants en prison. Le contrôle des visiteurs s’avère indispensable
pour le maintien de l’ordre et de la sécurité en prison (Goubet 2001-2002).
Les agents pénitentiaires ont la responsabilité de contrôler tous les visiteurs
pour éviter l’intrusion d’objets illicites pouvant nuire à la sécurité de l’éta-
blissement. Les agents pénitentiaires commis à la garde profitent de cette
mission de contrôle pour se faire de l’argent auprès de différents interve-
nants en prison.
La pratique « droit de visite » est une pratique informelle qui consiste,
pour le personnel officiel, en l’occurrence les policiers, à demander de
19
L’amende est une pratique informelle qui se développe non seulement à la prison centrale
de Bukavu mais aussi dans d’autres institutions telles que la police nationale congolaise,
les cours et tribunaux, et les forces armées de la République démocratique du Congo.
Elle est entendue comme « une somme d’argent qu’un membre du personnel détenu
peut demander au codétenu ou qu’un détenu peut remettre à celui-ci pour échapper aux
poursuites disciplinaires » (Kakule Kinombe 2016 : 239).
20
En langue lingala, « na yebi ye » signifie « je le connais ». À la prison centrale de Bukavu,
« na yebi ye » est une pratique informelle qui se développe dans tous les quartiers de
l’établissement. Cette pratique consiste, pour les agents pénitentiaires, à passer sous
silence certains manquements disciplinaires commis par les détenus. Il s’agit ici de détenus
proches des agents pénitentiaires.
21
« Baptême » est un concept issu du domaine religieux. Il s’agit d’un sacrement célébré avec
de l’eau, destiné à laver une personne du péché originel et à la faire entrer dans l’Église
chrétienne. Dans le cadre de ce travail, ce concept désigne l’ensemble des traitements
auxquels sont soumis les nouveaux détenus pour entrer dans la communauté carcérale.
L’ordre et la sécurité en milieu carcéral : la prison centrale de Bukavu 77
l’argent aux visiteurs des détenus. Généralement, ils font payer entre 500 et
1000 francs congolais à tout visiteur, hormis quelques exceptions.
L’État congolais alloue au fonctionnement des prisons un montant
insignifiant qui ne permet pas de subvenir efficacement aux besoins des
détenus. Ce sont généralement les familles des prisonniers, les confessions
religieuses et les organisations non gouvernementales (ONG), tant natio-
nales qu’internationales, qui apportent la nourriture aux détenus de Bukavu.
Cette situation met en exergue le rôle crucial des ONG au regard de la
déficience de l’État. En effet, elles assurent la relève de l’État en octroyant
la nourriture, les vêtements, les matelas, etc. À titre illustratif, en date du
18 août 2016, l’Église catholique avait procuré vivres et habits aux détenus
de la prison centrale de Bukavu.
Pour éviter d’être interceptés par les autorités hiérarchiques, les policiers
pénitentiaires ne soumettent pas tous les visiteurs au payement du « droit
de visite ». Ainsi, en sont exemptés les autorités gouvernementales et les
membres des ONG nationales et internationales, ceux-ci pouvant dénoncer
cette pratique dans leurs rapports. Les proches des détenus doivent, quant à
eux, s’acquitter du droit de visite.
Il résulte de nos observations que si le visiteur ne dispose pas de la
somme requise, il ne peut franchir la porte d’entrée de la prison. Les agents
demeurent catégoriques sur cette question au point que les membres des
familles des détenus retournent avec la nourriture destinée à leur proche,
comme en témoigne Daniella en ces termes :
« Je quitte Lwiro, à plus de 30 kilomètres de la ville de Bukavu pour apporter
la nourriture à mon fils. Arrivée à la prison, je suis surprise que les agents
commis à la garde m’obligent de verser 500 francs congolais chaque fois que
je me présente ici. Ça fait plus de trois fois que je retourne à la maison avec
la nourriture suite au manque de cet argent au moment où mon fils meurt de
faim. Vraiment, c’est déplorable… »
L’argent collecté à titre de droit de visite par les agents leur permet de
répondre à deux impératifs. D’abord, faire face à l’insuffisance de moyens
de l’État congolais, la somme perçue permettant l’achat de fournitures de
bureau (stylos, papiers, etc.). Ainsi, le « droit de visite » apparaît comme une
« norme pratique ». Il vient suppléer à la défaillance de l’État qui n’alloue
pas un budget suffisant au fonctionnement des établissements pénitentiaires.
Ensuite, il constitue une stratégie de survie dès lors qu’il permet aux agents
de pallier un problème récurrent dans les services publics congolais, celui
du payement tardif des salaires des fonctionnaires.
La pratique « droit de visite » apparaît également comme une forme de
« privatisation interne ». Olivier de Sardan déclare à ce titre : « tout acte
professionnel faisant normalement partie du cahier des charges d’un fonc-
tionnaire n’est effectué avec zèle et célérité (et parfois même n’est effectué
78 Conjonctures congolaises 2016
tout court) que si le fonctionnaire reçoit une rémunération privée de l’usager
concerné » (Olivier de Sardan 2001 : 70). Ce qui nous réfère au phénomène
de la privatisation des « governance actors » (Fisher & Surminski 2012).
Le contrôle des visiteurs relève des attributions des policiers pénitentiaires,
qui perçoivent pour cela un salaire. Force est pour nous de constater que
ces agents, pour exécuter leurs tâches, exigent un payement supplémentaire
pourtant interdit par les normes officielles.
Ainsi, l’on constate qu’à la prison centrale de Bukavu, les agents péniten-
tiaires instaurent leurs propres normes, qu’Olivier de Sardan (2001 ; 2015)
appelle « normes pratiques ». Ces normes se situent en marge des normes
officielles, motivées par des logiques de survie. Ceci confirme l’idée chère
à Olivier de Sardan selon laquelle
« chaque métier est pratiqué de fait, localement, d’une façon quelque peu
différente du modèle officiel, tout en incorporant de nombreux éléments de
celui-ci, mais mêlés à des habitudes, des routines et des “tours de main”
correspondant à un “savoir-faire” spécifique, à des ajustements liés au site,
au fonctionnement particulier de la structure, au système local de gestion, à la
nature de la hiérarchie en place, aux relations entre collègues, aux contraintes
contextuelles, matérielles, financières, etc. » (Olivier de Sardan 2001 : 68).
Par exemple, à la prison centrale de Bukavu, la présence du personnel
détenu et l’instauration de la pratique « droit de visite » constituent des
normes pratiques développées par les acteurs de cette institution au vu de
la situation particulière de l’État congolais, caractérisée par l’insuffisance
de moyens et, parfois, par le manque de respect de la loi dans le domaine
pénitentiaire.
2.2. La pratique « droit de sortie »
Le « droit de sortie » est une pratique informelle qui se développe à la
prison centrale de Bukavu. Dans le cadre de ce travail, cette pratique est
entendue comme une somme d’argent qu’un membre du personnel péniten-
tiaire demande aux détenus ayant purgé leur peine ou étant libérés pour tout
autre motif.
Le 22 août 2016, nous avions observé une interaction entre un agent de la
MONUSCO et François, membre du personnel officiel de la prison centrale
de Bukavu. Cet agent s’adresse à François en ces termes :
« Au quartier des femmes, il y a une dame qui était condamnée à cinq ans
de prison […] En date du 15 juin 2016, elle a purgé toute sa peine et devrait
normalement être libérée. Elle m’a exposé sa situation et m’a signifié qu’on
lui avait demandé de payer 35 dollars américains pour la fiche de sortie,
faute de quoi elle restera en prison. Elle a fait appel aux membres de sa
famille de lui venir en aide, mais personne n’a payé cette somme d’argent
demandée. Voudriez-vous bien me montrer son dossier ? »
L’ordre et la sécurité en milieu carcéral : la prison centrale de Bukavu 79
Face à cette requête, François demanda au greffier d’apporter le dossier
de la dame concernée. Après consultation du dossier, il constata effective-
ment que la dame devrait être libérée le 15 juin 2016. Pour ne pas ternir
l’image de l’institution à la présence de la MONUSCO, François avance :
« C’est par imprudence que cette dame se retrouve encore en détention […]
Et tout ce qu’elle vous a raconté au sujet des 35 dollars, c’est faux et
archifaux, car je n’ai jamais demandé de l’argent pour la sortie des détenus.
Je respecte les lois et règlements qui nous régissent. »
La négation de cette pratique par François nous fait penser aux propos de
Jamoulle (2002 : 104) :
« Ceux qui vivent de la débrouille évitent de livrer leurs pratiques ou leurs
intimités aux professionnels (aux chercheurs), car, ils ont tous au fond d’eux-
mêmes cette peur du dévoilement. »
Pour avoir d’amples renseignements sur la pratique « droit de visite »,
nous avons interrogé les membres du personnel détenu, les détenus qui sont
en détention et ceux qui sont déjà libérés. Trois d’entre eux nous déclarent
ce qui suit :
« J’ai déjà observé personnellement dix cas dans lesquels le personnel
officiel envoie le capita général pour demander les frais de la fiche de sortie
aux détenus ayant purgé leurs peines ou ayant bénéficié d’une libération
conditionnelle. Tous étaient obligés de payer 35 dollars américains […].
C’est une pratique courante dans cette prison » (propos d’Émile, détenu en
état de détention à la prison centrale de Bukavu).
« Il arrive des fois que François m’envoie auprès des détenus ayant purgé
leurs peines ou [étant] libérés pour toute autre cause pour demander les
frais de la fiche de sortie. Ces frais sont fixés généralement à 35 dollars
américains. De cet argent, 30 dollars reviennent à François et 5 sont affectés
au fonctionnement du gouvernement des détenus, car vous savez, nous avons
trop de tâches à remplir, mais nous n’avons pas de budget prévu à cet effet »
(propos d’Alexis, membre du personnel détenu).
« Pour ma libération de la prison, j’avais payé 35 dollars. Ces frais sont
obligatoires pour la sortie de la prison […] » (propos de Gédéon, ex-détenu).
Les extraits d’entretiens susmentionnés mettent en évidence la pratique
« droit de sortie » qui s’observe à la prison centrale de Bukavu. Trois acteurs
principaux sont impliqués dans cette pratique, à savoir les membres du per-
sonnel officiel, les membres du personnel détenu et les détenus. Les membres
du personnel officiel envoient ceux du personnel détenu percevoir l’argent
auprès des détenus ayant purgé leur peine ou de ceux libérés pour tout autre
motif. Le partage de l’argent perçu s’opère sous forme d’une « mutualisa-
tion » (Olivier de Sardan 2008a : 16 ; Blundo & Olivier de Sardan 2001 : 19 ;
80 Conjonctures congolaises 2016
De Herdt & Olivier de Sardan 2015) qui se caractérise par l’instauration d’un
régime de répartition fonctionnant selon le principe de la solidarité22 entre les
membres du personnel officiel et ceux du personnel détenu.
Les enjeux de la pratique « droit de sortie » sont de deux ordres :
- l’enjeu de survie : les membres du personnel officiel ainsi que celui du
personnel détenu utilisent la pratique « droit de sortie » pour répondre à
leurs besoins de survie. À ce sujet, Julien, membre du personnel détenu,
nous fait la déclaration suivante : « L’argent que nous percevons nous
permet d’acheter de quoi se nourrir en prison ». La pratique « droit
de sortie » apparaît ainsi comme une « capitalisation23 pénitentiaire »,
c’est-à-dire une stratégie mobilisée par les membres du personnel offi-
ciel et détenu pour se faire de l’argent auprès des détenus ;
- l’enjeu de sécurité professionnelle : les membres du personnel détenu
ont recours à la pratique « droit de visite » pour protéger leur poste. La
déclaration de Philémon, membre du personnel détenu, nous éclaire à
ce sujet : « Si je refuse d’exécuter l’ordre de François, il peut décider
de me destituer […] je recueille de l’argent auprès des détenus pour
la fiche de sortie et donne un rapport à François pour sécuriser mon
poste. »
Eu égard à ce qui précède, la pratique « droit de sortie » apparaît comme
une « norme pratique » (Olivier de Sardan 2001 ; 2015). C’est une pra-
tique créée par les membres du personnel officiel et détenu au regard des
contraintes matérielles et financières auxquelles ils sont soumis (non-
payement des membres du personnel détenu, salaire dérisoire des membres
du personnel officiel et retard dans le payement de leur salaire). En dépit
de l’interdiction de cette pratique par les lois et règlements pénitentiaires,
elle continue à s’appliquer dans la prison centrale de Bukavu, car pour les
membres du personnel bénéficiaires de cette pratique, « cela est conforme
au contexte qui est le [leur] ». Cet extrait d’entretien rejoint la pensée d’Oli-
vier de Sardan (2001 : 68) énoncée en ces termes :
« Chaque métier est pratiqué […] d’une façon quelque peu différente
du modèle officiel, tout en incorporant de nombreux éléments […] au
fonctionnement particulier de la structure, aux contraintes matérielles,
financières […]. »
22
Il convient de souligner que le principe de solidarité n’est pas spécifique à la gestion de la
pratique d’amende en prison. Il décrit l’ensemble des pratiques gestionnaires dans diverses
institutions telles que la police, la famille, la DGI, la DGM, la DGDA, l’université, etc.
23
Le concept de « capitalisation » a été utilisé par Kienge-Kienge Intudi (2011 : 435), qui
parle du contrôle policier de la délinquance des jeunes à Kinshasa. Ici, il est en application
dans le cadre du travail pénitentiaire.
L’ordre et la sécurité en milieu carcéral : la prison centrale de Bukavu 81
3. Déconstruction des concepts d’« ordre » et de « sécurité »
Pour Snacken (2011 : 146), le concept de « sécurité » réfère à la sécurité
extérieure, autrement dit aux attentes de la société, selon lesquelles la pri-
son doit garder les détenus à l’intérieur et prévenir le risque d’évasion. Le
concept d’« ordre » renvoie, quant à lui, à la sécurité intérieure. Celle-ci est
définie comme l’état de préservation de l’intégrité physique des personnes
à l’intérieur de la prison et l’absence d’émeutes et de risque de dégradation,
de destruction ou de soustraction illicites de biens meubles et immeubles.
À la prison centrale de Bukavu, ces deux concepts d’« ordre » et de
« sécurité » ont une acception différente de celle donnée par Snacken. Le
premier concept est utilisé par le personnel détenu du quartier spécial pour
signifier l’absence de résistance face au payement de l’amende et du droit
de sortie. Voici un extrait d’entretien avec Sébastien, membre du personnel
détenu qui explique cet état de choses :
« Quand les détenus refusent de payer l’amende ou le droit de sortie, cela
crée le désordre. Il s’observe des tiraillements entre nous et les détenus,
car dans ce cas, les PM vont administrer des coups de fouet aux détenus
coupables, ce qui peut inciter tous les détenus à se soulever contre nous. »
Pour le personnel détenu, c’est le refus de payer « l’amende » ou « le
droit de sortie » qui provoque des émeutes à la prison centrale de Bukavu.
Cette situation se produit lorsque le personnel détenu arrête des prisonniers
qui ne disposent pas de la somme d’argent demandée lors de leur arrestation.
Un cas concret s’est produit lors de notre enquête sur le terrain.
« Il concerne dix détenus parmi les trente qui logeaient dans une cellule
au quartier spécial. Ceux-ci avaient désobéi à un règlement et le chef de
cellule leur avait demandé de rassembler, à eux dix, une somme de cinquante
mille francs congolais pour clore le dossier. Or ces détenus ne disposaient
que de dix mille francs. Ne recevant pas la somme requise, le chef de cellule
avait transféré le dossier au capita général. Celui-ci ordonna la mise au
cachot de tous les détenus concernés pendant quinze jours et cinq coups
de fouet chacun chaque matin. Mécontents de cette décision, ces détenus
avaient procédé à des manifestations violentes contre le capita général et
le chef de cellule ; ils dénonçaient la partialité du capita général dans le
règlement des cas d’incidents disciplinaires, car, selon eux, dans un dossier
similaire qui s’était produit antérieurement dans une autre cellule du même
quartier (quartier spécial), le capita général avait demandé une somme de
dix mille francs congolais aux détenus coupables. Saisi de cette situation, le
comité de discipline avait suspendu le capita général et le chef de cellule de
leurs fonctions et décidé leur mise au cachot pendant quarante-cinq jours, à
titre de sanction disciplinaire » (Kakule Kinombe 2016 : 251).
82 Conjonctures congolaises 2016
Le second terme est employé par le personnel officiel quand tous les
visiteurs s’acquittent de leur « droit de visite ». En fait, pour lui, l’état de
sécurité s’apprécie au regard de l’argent perçu à titre de « droit de visite ».
Cette sécurité « financière » est envisagée au profit des membres du per-
sonnel officiel et non du côté des détenus. Elle ne fait aucune allusion à la
situation d’absence d’évasions. Le contenu de cet extrait d’entretien avec
Gratien, membre du personnel officiel, nous fixe à ce propos :
« Être en sécurité signifie pour moi avoir un peu de sous pour se nourrir
et subvenir aux besoins de sa famille. Quand je perçois quelque chose des
visiteurs, cela me permet d’être en sécurité […] »
Conclusion : la prison, un lieu de survie
Notre ambition a été d’abord et avant tout d’essayer de décrire et de com-
prendre les pratiques sécuritaires et disciplinaires des agents pénitentiaires
de la prison centrale de Bukavu, et, au-delà, d’analyser comment l’ordre et
la sécurité sont maintenus.
Il résulte de nos recherches que le fonctionnement réel de la prison cen-
trale de Bukavu est éloigné de son fonctionnement officiel tel que prévu par
les normes officielles. Ceci se justifie d’abord par la présence du « person-
nel détenu », non reconnu par les règlements, mais qui s’occupe du maintien
de l’ordre à l’intérieur de la prison, et, ensuite, par le développement de
diverses pratiques aussi bien sécuritaires que disciplinaires.
Le fonctionnement réel de cet établissement ressemble à ce
qu’Olivier de Sardan nomme le « fonctionnement informel généralisé »
(Blundo & Olivier de Sardan 2007 : 7) ou à la « nature négociée de la gou-
vernance », pour reprendre le concept utilisé par Lund (2006 : 685-705),
Vlassenroot (2008 : 44-67), Titeca et De Herdt (2011 : 213-231) et Englebert
& Tull (2013 : 5-22). Mais ce type de fonctionnement ne signifie pas que
l’ordre et la sécurité ne sont pas maintenus dans cette institution. Bien au
contraire, le maintien de l’ordre et de la sécurité est un service régulé de
facto, enserré dans un ensemble de « normes pratiques » (Olivier de Sardan
2001 ; 2015).
Le personnel détenu comme le personnel officiel développent des pra-
tiques qui se situent en marge des instruments juridiques tant nationaux
qu’internationaux et qui sont sous-tendues par des logiques diverses. Ces
pratiques, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne sont pas liées à une
ignorance des normes juridiques par les agents pénitentiaires. Au contraire,
leur manipulation par ces derniers se fonde sur la maîtrise et la connaissance
que ceux-ci en ont.
Nous avons analysé principalement deux pratiques, la pratique « droit
de visite » et la pratique « droit de sortie ». Ce système est soutenu par des
logiques diverses, dont la principale est celle de la survie. Ainsi, les détenus,
L’ordre et la sécurité en milieu carcéral : la prison centrale de Bukavu 83
tout comme les visiteurs, sont perçus comme une marchandise destinée à
procurer un capital aux agents, ce que nous nous qualifions de « capitalisa-
tion pénitentiaire ».
Ces pratiques s’analysent comme des « normes pratiques » puisqu’elles
s’écartent des normes officielles qui interdisent la perception de frais lors
de la visite ou de la sortie des détenus. Elles régulent le fonctionnement
de la prison centrale de Bukavu en permettant aux membres du personnel
pénitentiaire de faire face aux défis auxquels ils sont exposés au quotidien
(manque de fournitures de bureau, insuffisance – voire absence – de salaire,
payement tardif du salaire).
Au regard de la situation particulière de la RDC, les normes pratiques
(la présence du personnel détenu, les pratiques « droit de sortie » et « droit
de visite ») instaurées par les agents pénitentiaires apparaissent comme des
règles qui se conforment au mieux à la réalité. Nous pensons que le système
des « capitas » devrait être optimisé, car il permet de pallier l’insuffisance
du personnel pénitentiaire.
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II
Ressources minières,
d’hydrocarbures et environnement
Introduction
Sara Geenen
Dans Conjonctures congolaises 2012, Stefaan Marysse et Claudine
Tshimanga évoquaient encore « la renaissance spectaculaire du secteur
minier » au Congo. Aujourd’hui le secteur minier est en crise. C’est notam-
ment la production de cuivre, à l’origine de la croissance spectaculaire
documentée par Marysse et Tshimanga, qui a baissé depuis 2015, de sorte
qu’environ 13 000 personnes ont perdu leur travail et que le Gouvernement
craint des pertes jusqu’à 1,3 milliard de recettes minières en 2016. Cette
crise minière est à la base d’une crise économique qui risque d’être durable,
comme le dit la Banque mondiale, avec un taux de croissance qui est passé
entre 2015 et 2016 de 7 % à 2,5 % en moyenne1.
Dans sa contribution, François Misser montre que cette crise n’a pas
seulement résulté d’une évolution défavorable des cours du cuivre sur le
marché mondial, mais également d’une défaillance des infrastructures éner-
gétiques et logistiques et d’un pauvre climat d’affaires. Plus précisément,
les investisseurs se font du souci au sujet de la révision du Code minier,
de la fiscalité, des conséquences du découpage de l’ancien Katanga en
quatre provinces, et du « déficit de gouvernance » de la Gécamines. Le
deuxième handicap identifié par l’auteur est l’état déplorable des infrastruc-
tures (routières et ferroviaires) d’évacuation et d’importation des intrants
de l’industrie minière. Troisièmement, Misser explique comment la hausse
de la production du cuivre dans les années 2010-2014 n’a pas été suivie
d’une augmentation de la production d’électricité. Ce déficit énergétique
commence à avoir un effet paralysant sur la production industrielle.
Le texte de Bernard Respaut évoque la question de savoir si l’exploitation
des hydrocarbures pourrait pallier ce déficit et conclut qu’il y a un énorme
potentiel, mais que le secteur fait face aux mêmes contraintes d’absence
d’infrastructures et de gouvernance. En outre, contrairement au secteur
minier, il y a un manque de compétences et d’expérience – parmi les acteurs
privés et au sein du Gouvernement – dans le domaine d’hydrocarbures.
Ces deux chapitres mettent également en évidence le rôle des acteurs
externes. De son côté, Misser montre comment la Chine exploite la
1
http://www.radiookapi.net/2017/02/01/actualite/economie/la-rdc-risque-une-crise-
economique-durable-alerte-la-banque-mondiale
92 Conjonctures congolaises 2016
conjoncture en baisse pour consolider sa position, tandis que Respaut met
en exergue le rôle des pays limitrophes, d’autres pays et institutions multi-
latérales, des organisations internationales et de partenaires non africains. Il
dessine un « scénario positif » selon lequel les ressources en hydrocarbures
contribuent à la stabilisation du Congo, et identifie clairement le rôle des
différentes parties prenantes, notamment la Belgique.
Entre-temps, des centaines de milliers de creuseurs continuent à extraire
des minerais de façon artisanale. Dans sa contribution, Janvier Kilosho
Buraye conclut, sur base d’une enquête auprès de 114 creuseurs du site
minier de Kamituga au Sud-Kivu, que 66,5 % de leurs ménages sont pauvres
et vivent dans des conditions précaires avec une faible possession d’actifs
physiques. Tenant compte de l’avancement des activités de la multinationale
Banro à Kamituga, l’auteur formule quelques recommandations pour cher-
cher des solutions pour les creuseurs. Cependant jusqu’à présent, Banro se
concentre sur sa production aurifère à Twangiza et Namoya, où elle a réalisé
une production record de 197 691 onces en 20162.
Le texte de Bossissi Nkuba, Lieven Bervoets et Sara Geenen vient com-
pléter cette image de Kamituga en mettant le doigt sur la problématique
environnementale. Celle-ci, comme le souligne encore une fois la réorien
tation des « Objectifs du millénaire pour le développement » vers les
« Objectifs du développement durable » de l’ONU, doit être prise au sérieux
dans une politique de développement à plus long terme. Les auteurs obser-
vent que le mercure est utilisé en grande quantité à Kamituga, même dans
les habitations, et que les creuseurs et autres intervenants en ignorent les
risques. Ils proposent d’insister davantage sur la « responsabilité environne-
mentale » de toutes les parties impliquées dans le secteur minier.
En plus de la production industrielle et artisanale, le Code minier recon-
naît un troisième mode, la production « à petite échelle ». Celle-ci a été
peu étudiée jusqu’à présent, et la contribution de Jean-Paul Mushagalusa
Rwabashi vient combler ce vide en analysant le cas des « dragues » à
Shabunda. Dans ce territoire reculé au Sud-Kivu, presque 200 dragues sont
devenues opérationnelles depuis 2010, dont quelques-unes gérées par une
société chinoise. Mushagalusa décrit l’impact de cette mécanisation sur la
productivité, l’environnement, les conditions de vie locales, les coopératives
minières, la présence de l’État et la relation avec les groupes armés. Comme
dans ses politiques récentes, le Gouvernement a, à chaque fois, exprimé le
souhait de développer le secteur à petite échelle, voire de le substituer au
secteur artisanal, l’impact de ces évolutions nécessite un suivi.
2
https://www.banro.com/news-events/news-releases/banro-announces-q4-and-record-
2016-production-resu-20170111
Introduction 93
En conclusion, le déclin de la production dans le Copperbelt est une des
causes principales du « recul économique » évoqué par notre titre, et, en
même temps, de (nouveaux) défis surgissent pour le secteur artisanal et la
production à petite échelle, et pour le secteur des hydrocarbures. Les ques-
tions que posent les auteurs dans ce volume sont d’actualité, mais s’avèreront
aussi cruciales pour le développement de la RDC à moyen et à long terme.
Les causes multiples du ralentissement de l’activité
dans le Copperbelt
François Misser1
L’objectif de ce chapitre est de proposer une approche approfondie de
l’ensemble des causalités qui aboutit à la crise à laquelle se trouve confronté,
durablement selon nous, le secteur des mines du Katanga2, locomotive éco-
nomique du Congo. Il se veut une contribution à l’explication de la crise,
au-delà des causes exogènes, purement conjoncturelles.
En 2016, le Congo, et en particulier le secteur des mines du Katanga,
s’est enfoncé dans la crise, en premier lieu, du fait d’une évolution défa-
vorable des cours du cuivre. De notre point de vue, le terme de « crise »
se justifie, en ce sens qu’il ne s’agit pas seulement d’un ralentissement
de la production uniquement imputable à des causes conjoncturelles.
Même à supposer que la conjoncture internationale s’améliore, grâce à
une relance de la demande, notamment chinoise, la crise risque de perdu-
rer ces prochaines années, parce qu’elle a d’autres causes, dont l’absence
d’investissements dans les infrastructures routières et énergétiques, qui
constituent deux goulets d’étranglement importants. L’approvisionnement
erratique et insuffisant en électricité entrave la production minière au plan
quantitatif, mais aussi au plan qualitatif, en ce sens que le processus de
transformation (électrolyse, métallurgie, etc.) nécessite encore plus d’éner-
gie que celui de l’extraction et des fournitures régulières. En définitive, la
crise énergétique induit une perte de valeur ajoutée de la production.
L’absence de clarté en matière de réforme du Code minier n’in-
cite pas non plus les opérateurs étrangers à l’investissement, même s’il
y a, sans doute, exagération de leur part à se poser en victimes d’un État
prédateur. L’incertitude sur le devenir politique du pays en raison du non-
respect des échéances électorales et de la mise à l’écart de la personne de
Moïse Katumbi, populaire chez les opérateurs miniers, de son poste de
gouverneur du Katanga, ont aussi contribué à une attitude attentiste chez
beaucoup d’opérateurs miniers. Malgré tout, des perspectives se dégagent
1
Journaliste et chercheur spécialisé depuis une trentaine d’années sur l’Afrique centrale, les
ressources naturelles et leurs relations avec le pouvoir et les questions énergétiques.
2
Depuis le démembrement de cette ancienne province en quatre « provincettes », en
juillet 2015, le terme a perdu son contenu administratif. Nous l’employons ici dans un sens
politique et géographique.
96 Conjonctures congolaises 2016
à moyen terme, à certaines conditions, d’un possible redressement, voire
d’une nouvelle expansion.
Notre démarche va consister à établir les faits, dont la baisse et le ralen-
tissement de la production. Nous tenterons d’en identifier les causes et
d’envisager les conséquences de cette évolution pour le budget de l’État,
mais aussi en termes d’appropriation des ressources. Car il semble bien que
les acteurs chinois aient tiré parti de la crise pour améliorer leur accès à la res-
source. Au risque de frustrer le lecteur, ces conséquences du ralentissement
au plan budgétaire ou social, voire environnemental, sans doute importantes
et qui mériteraient une analyse complémentaire, ne sont qu’esquissées. Le
propos principal est de montrer en quoi la capacité de production minière du
Copperbelt est atteinte, d’où la part importante accordée dans ce texte aux
prises de position des opérateurs miniers.
En conclusion, nous ferons remarquer que, même si les développements
des infrastructures en cours n’étaient pas entravés par les soubresauts poli-
tiques, le montant des investissements exigés, mais aussi le temps nécessaire
pour que ces réalisations deviennent opérationnelles, laissent augurer une
période de plusieurs années, au cours de laquelle le Congo éprouvera des
difficultés, face à ses concurrents sud-américains, à se doter d’une capacité
de production et d’une compétitivité qui lui permettent de réagir positive-
ment à une embellie de la conjoncture.
1. Les faits : baisse de la production
Selon les données de la chambre des Mines de la Fédération des entre-
prises du Congo (FEC, Chambre des Mines 2016b), l’euphorie qui a salué le
dépassement, en 2014, du seuil du million de tonnes de cuivre a été de courte
durée. Après une évolution foudroyante, marquée par la multiplication par
5,5, en sept ans, de la production de 185 147 tonnes (2007) à 1,029 million
de tonnes (2014), une première chute de la production minière est constatée
en 2015. Elle s’est accentuée au cours du premier trimestre 2016 avec des
baisses de 11,8 % (cuivre), 16,3 % (cobalt) et 50,3 % (zinc). En mai 2016,
la Chambre anticipait déjà une chute de 5,9 % de la production de cuivre
pour l’ensemble de l’exercice par rapport à 2015 et une baisse plus pronon-
cée des autres productions (voir tableau 1), avec des taux de progression
de - 21,3 % pour le cobalt et de - 46,5 % pour le zinc. Ces prévisions ont
été confirmées par les réalisations du premier semestre 2016, attestent les
statistiques de la Banque centrale (Banque centrale du Congo 2016). Selon
la BCC, la production de cuivre au premier semestre 2016 s’est élevée à
466 250 tonnes, en recul de 13,7 % par rapport à la même période de 2015.
La chute de la production de cobalt (35 267 tonnes) pour les six premiers
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 97
mois de 2016 est d’une ampleur comparable (- 13,5 %) et celle de zinc
(2533 tonnes) est de 59,7 %.
Tableau 1 : production minière (en tonnes)
T1 2016 T1 2015 T1 2016/T1 2015 2016(e) 2015 2014
Cuivre 234 313 265 636 - 11,8 % 937 252 995 805 1 029 800
Cobalt 13 638 16 293 - 16,3 % 54 552 63 328 66 915
Zinc 1 897 3 818 - 50,3 % 7 588 14 193 14 584
Sources : FEC, Chambre des Mines 2015b ; 2016a.
Après l’arrêt de la production de la filiale de Glencore, Katanga Copper
Company (KCC) en 2015, la plupart des entreprises ont vu leur produc-
tion de cuivre et de cobalt baisser au premier trimestre 2016 par rapport à
la même période de l’année précédente. Le démarrage au dernier trimestre
2015 des activités de la joint venture sino-congolaise (Sicomines)3, qui s’af-
firme comme le 3e producteur de cuivre du pays derrière Mutanda Mining
et Tenke Fungurume Mining, n’aura donc pas suffi à enrayer la tendance.
Plusieurs sites miniers, notamment dans les nouvelles provinces du
Lualaba et du Haut-Katanga, ont été mis en état d’entretien et de mainte-
nance. Ce sont les mines de Kapulo et de Dikulushi dont les permis sont
détenus par Mawson West, filiale de la compagnie de trading, basée à
Amsterdam, Trafigura. D’autres sociétés comme Glencore ont arrêté la pro-
duction en attendant l’embellie du marché. Cette évolution a eu un impact
considérable sur l’emploi. Au début 2016, la chambre des Mines avait déjà
pointé une perte de 3000 postes de travail dans les entreprises minières et
métallurgiques, à laquelle s’est ajoutée une perte de 10 000 emplois indirects
chez les sous-traitants du secteur. Au début de l’année 2016 (FEC, Chambre
des Mines 2016b), la société kazhake Eurasian Resources Group (ERG) a
notamment annoncé 1300 licenciements chez ses filiales Boss Mining et
Congo Cobalt Corporation (CCC).
Ces chiffres ne prennent pas en compte l’impact sur le secteur artisanal
qui, selon le rapport annuel de 2015 de la chambre des Mines de la FEC,
employait alors environ 200 000 personnes dans la filière du cuivre et du
cobalt au Katanga, et devrait avoir également subi une hémorragie. Selon
la même source, il faut aussi prendre en compte les emplois induits par
l’activité minière, comprenant l’industrie manufacturière, les services aux
3
En vertu d’un avenant à la convention de joint venture du 22 avril 2008, signé le
26 juin 2008, l’actionnariat de la Sicomines est composé comme suit : Gécamines 20 %,
Simco Sprl (filiale de Gécamines) 12 %, China Railway Group Hong Kong 22 %, China
Railway Resources Development 6 %, China Metallurgical Group Corporation 20 %,
Sinohydro Group 16 %, Sinohydro Harbour Co. 4 %.
98 Conjonctures congolaises 2016
entreprises, les banques, le transport logistique, le commerce, les hôtels et
restaurants, les emplois dans la fonction publique, etc. Selon le ratio estimé
par la Chambre de quatre emplois induits pour un emploi direct et indirect,
les pertes d’emplois induits correspondant aux 13 000 emplois directs et
indirects perdus depuis le début 2016 se situeraient aux alentours de 50 000.
2. Les causes de la baisse de production
2.1. L’évolution défavorable des cours
La première des causes avancées par la chambre des Mines est l’évolu-
tion défavorable des cours des principaux minerais du Katanga, le cuivre
et le cobalt. À la fin mai 2016, la Chambre rappelait que le cours du cuivre
avait atteint son niveau le plus bas depuis six ans, avec une chute de 25 %
aux alentours de 5000 dollars/tonne au cours de la seule année 2015, soit
la plus forte depuis la crise de 2008/2009. La tendance s’est poursuivie
durant les huit premiers mois de 2016, avec une cote sur le London Metal
Exchange de 4639,5 dollars/tonne au 25 août 2016, représentant à peine
plus de la moitié du record de 8884 dollars/tonne atteint en mai 2008. Pour
une société comme Glencore, ce cours est inférieur de 900 dollars au coût
d’exploitation de 5500 dollars/tonne, explique un responsable de l’entre-
prise (Jeune Afrique 2015).
Mais l’impact n’est pas uniforme dans toutes les sociétés. Albert Yuma,
le président de la Gécamines, partenaire minoritaire dans tous les projets,
soulignait, en octobre 2015, le contraste entre les bas coûts d’exploitation
à Tenke-Fungurume, alors opérée par l’Américain Freeport McMoran,
de l’ordre de 3500 dollars/tonne et ceux plus élevés des exploitations de
Glencore, qui a hérité d’exploitations anciennes (ibid.).
La baisse nettement plus prononcée de la production de zinc en 2015
et durant le premier trimestre 2016 a des causes plus immédiatement
conjoncturelles. En effet, explique la Chambre, un arrêt de la production
pour permettre la réalisation de travaux de réfection du four de la Société
du Terril de Lubumbashi (STL) explique l’essentiel de la baisse. Cela dit,
le cours du zinc a lui aussi chuté, à savoir de 11,7 % entre mars 2015 et
mars 2016, constate la Chambre.
L’International Copper Study Group (ICSG), qui rassemble les repré-
sentants des principales nations productrices de cuivre et leurs conseillers,
s’attendait, dans son rapport de mars 2016, à une hausse de 1,5 % de la
production minière en 2016 et de 2,3 % en 2017. Elle anticipait aussi
une demande plutôt faible, principalement du fait du ralentissement de la
demande chinoise de produits raffinés (http://www.icsg.org/index.php/111-
icsg-releases-latest-copper-market-forecast-2016-2017). Mais l’ICSG
observait, dans un rapport ultérieur, daté du mois d’août 2016, que si le
marché mondial s’est en définitive mieux comporté que prévu, avec une
progression de la production de cuivre de 4 % au cours des cinq premiers
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 99
mois de 2016, le Congo a dérogé à la règle, subissant une perte du volume
de sa production de l’ordre de 11 %. En marge de la tendance générale
du marché mondial (ICSG 2016), la situation s’est révélée très différente
selon les continents, avec une progression de la production de 7 % dans les
Amériques (malgré une baisse de 5 % de la production au Chili) et de + 5 %
en Asie, à comparer à une stagnation en Europe et en Océanie et à une baisse
en Afrique (- 4 %). Face à la même conjoncture internationale, l’Afrique et
le Congo en particulier ont des défis spécifiques à relever. Cette situation
présente un contraste avec celle du Pérou : on s’attendait à une augmenta-
tion des deux tiers en 2016, à 2,5 millions de tonnes, du fait du démarrage
de l’exploitation à la mine de Las Bambas par ChinMetals et de l’expansion
de la mine Cerro Verde par Freeport McMoran, autant de développements
facilités par le Code minier très attractif promulgué en 2011, selon le rapport
annuel 2015 de la chambre des Mines de la FEC.
Dans une étude comparative entre le Pérou et le Katanga, réalisée en
2014, le consultant belge Pierre Goossens constate que les royalties préle-
vées par l’État sont inférieures au Pérou (1 % contre 2 % dans le Code minier
congolais de 2002, et 6,5 % dans les propositions faites par le ministère des
Mines congolais en 2013) (Vigilant Financial Advisory 2014). La part pour
l’investisseur du bénéfice brut d’exploitation est similaire au Pérou et dans
le Code minier congolais actuel (59 % et 64 %), mais bien moindre dans le
projet gouvernemental congolais de refonte du Code minier (36 %). L’impôt
sur les bénéfices est équivalent au Pérou et dans le Code minier de 2002 en
RDC (30 %), mais il est de 35 % dans la proposition de Code révisé par le
Gouvernement congolais. Sur la base de ces paramètres et d’un coût d’exploi-
tation similaire de l’ordre de 3600 dollars/tonne au Pérou et de 3700 dollars/
tonne en RDC, on aboutit à des taux de rentabilité interne respectifs de 14,2 %
(Pérou), de 15,8 % (RDC Code minier 2002), mais de 2,8 % seulement dans
l’hypothèse de l’application des réformes proposées par le Gouvernement
congolais en 2013. Toutefois, si l’on applique le coût réel d’opération de
4400 dollars, résultant du recours au diesel pour pallier les défaillances de
la Société nationale d’électricité, on arrive à un taux de rentabilité interne
de 9 % (Code minier actuel congolais) seulement et de - 3 % (proposition de
Code de 2013). Il faut encore ajouter que le Pérou garantit une stabilité fis-
cale d’au moins 15 ans aux investisseurs, contre 10 ans pour le Code minier
de 2003 et deux seulement pour la proposition de Code congolais de 2013.
2.2. Des infrastructures défaillantes
Au-delà de la faiblesse des cours, les compagnies minières du Katanga
sont confrontées de manière chronique au handicap de l’état des infras-
tructures, qui constitue un important goulet d’étranglement et contribue à
gonfler les coûts.
100 Conjonctures congolaises 2016
a) L’électricité
Cela vaut pour le coût de l’énergie, renchéri par l’insuffisance de la capa-
cité de génération électrique qui limite l’essor de la production. La Chambre
estime, en effet, qu’il est « plus qu’urgent » de trouver des solutions, à court
et moyen terme, pour résorber la pénurie d’énergie électrique afin de per-
mettre aux miniers d’atteindre leurs objectifs de production. Les statistiques
de la Banque centrale du Congo (BCC 2016) révèlent, à cet égard, une ano-
malie spectaculaire. Alors que la production nationale de cuivre a plus que
doublé entre 2010 et 2014, passant de 497 537 tonnes à près de 1,03 million
de tonnes, durant la même période, la production d’électricité n’a progressé
que de 17 %, de 7,45 à 8,72 millions de MWh. En termes de capacité, on
constate que l’offre de la Société nationale d’électricité (SNEL) s’est accrue
d’un peu plus de 50 %, d’environ 400 MW à 600 MW, en 2014, alors que la
demande de l’industrie minière katangaise s’est, entre-temps, envolée d’en-
viron 480 MW à plus de 1100 MW, suivant à peu près l’accroissement du
volume de la production (FEC, Chambre des Mines 2015b). Conclusion :
l’écart s’est agrandi de 420 MW.
Dans un communiqué daté du 20 juin 2015, la chambre des Mines éva-
luait le déficit de génération pour l’industrie minière du Katanga à 600 MW,
même en prenant en compte, en plus de l’apport de la SNEL, celui des four-
nitures de la Zambian Electricity Supply Corporation (ZESCO), oscillant
entre 50 MW et 100 MW, qui se sont taries après 2015. Plus tard dans l’année,
la Chambre a averti que la baisse enregistrée en 2015 pourrait se poursuivre
jusqu’en 2020 si aucune solution n’est trouvée d’ici là pour la production et
la distribution d’électricité aux sociétés minières (FEC, Chambre des Mines
2015). La Chambre n’anticipait, en effet, un excédent de l’offre par rap-
port à la demande sur le réseau sud de la SNEL qu’après cette date (FEC,
Chambre des Mines 2015b).
Selon la Chambre, le déficit énergétique a été responsable, en 2015, d’une
perte de production de 50 000 tonnes par rapport à 2014, correspondant à
5 % du volume de la production, ainsi qu’à un surcoût de 1000 dollars/
tonne de cuivre pour la consommation de diesel (équivalent à 20 % du prix
de la tonne sur le marché international). Et la Chambre énumérait plusieurs
conséquences négatives : nombre élevé de pannes, longs délais de rétablis-
sement du courant et détérioration du service à la clientèle haute tension.
Dans son rapport 2014, la Chambre avait évalué à 210 millions de dollars la
perte en termes de chiffre d’affaires résultant de ce déficit, et à 65 millions
de dollars le manque à gagner pour l’État, en termes d’impôts non perçus.
Selon la SNEL, les causes du déficit sont multiples. Elles vont de la
demande croissante des industries minières à la capacité limitée des centrales
électriques existantes de Nzilo et de Nseke, provoquée par l’étiage sévère
du fleuve Congo et, d’autre part, au long délai requis pour l’exécution des
programmes de réhabilitation des groupes des centrales d’Inga et d’Inga II.
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 101
La baisse tendancielle du débit du fleuve, constatée par la Commission inter-
nationale du Bassin Congo-Oubangui-Sangha (CICOS), basée à Kinshasa,
dans le contexte d’une phase plus « plus sèche » sur le fleuve Congo (Misser
2013 : 166), aurait donc une incidence sur la production minière. Car près
de la moitié de l’offre de la SNEL au Katanga (soit 220 MW) provient de
l’énergie des centrales d’Inga, acheminée par la ligne à très haute tension
Inga-Katanga tandis que le reste (environ 290 MW) est généré localement
et principalement par des centrales hydroélectriques construites sur le cours
supérieur du Congo, le Lualaba.
b) Des handicaps logistiques
L’état des infrastructures d’évacuation et d’importation des intrants de
l’industrie minière représente un autre handicap, en renchérissant les coûts
de transport et en constituant un goulet d’étranglement susceptible d’em-
pêcher l’industrie katangaise de profiter d’un retournement favorable de
la conjoncture. S’exprimant en octobre 2015, Éric Monga, dirigeant de la
société Trade Service d’appui au secteur minier et président provincial de
la FEC, se montrait soucieux : « À ce niveau des cours et avec l’état des
infrastructures au Katanga, notamment en matière d’approvisionnement
électrique, il y a un réel danger pour l’avenir de toute la filière », déclarait-il
en octobre 2015 (Jeune Afrique 2015).
À cela s’ajoute un autre élément, d’ordre politique, qui est venu éroder la
compétitivité des sociétés katangaises, selon le cabinet d’analyse du risque
britannique Protection Group International (PGI). Ce dernier estime que le
démembrement de l’ancienne province du Katanga en quatre provincettes
va entraîner un renchérissement des coûts de transport pour les sociétés, du
fait du prélèvement de nouvelles taxes par les nouvelles provinces confron-
tées au surcoût du maintien de leurs nouvelles administrations. Les camions
devant se rendre en Zambie à partir de Kolwezi doivent traverser désormais
deux provinces au lieu d’une. Et les nouvelles provinces seront probable-
ment tentées d’instaurer de nouveaux péages. Or, constate PGI, le coût pour
les miniers est déjà très élevé. Le passage par camion du poste-frontière de
Kasumbalesa et le parcours de 190 km à l’intérieur du Katanga reviennent
à 1300 dollars, à comparer avec 1000 dollars seulement pour acheminer
un camion de Johannesburg à la frontière congolaise, distante de 2000 km
(Protection Group International 2015).
Le développement du transport ferroviaire, réputé moins cher, a pris
beaucoup de retard. La réhabilitation du chemin de fer de Benguela est
achevée sur la partie angolaise de la ligne (1344 km), mais les travaux de
réhabilitation des 400 km entre Kolwezi et le poste-frontière de Dilolo, à la
frontière angolaise, n’avancent guère (Jeune Afrique 2016). À la chambre des
Mines, on estime que la SNCC a trop attendu pour solliciter la participation
102 Conjonctures congolaises 2016
des groupes miniers qui se sont organisés pour évacuer le cuivre par camion
via Dar es-Salaam, en Tanzanie, ou via Durban (Afrique du Sud)
De façon générale, l’indice de performance des infrastructures congolaises
est très bas. Selon une étude de PricewaterhouseCoopers, les performances
logistiques ont même diminué entre 2010 et 2012. Le pays est tombé du 85e
au 143e rang sur 155 dans l’indice de la Banque mondiale (PwC 2013). En
2010, dans un rapport coparrainé par la Banque internationale pour la recons-
truction et le développement, la Banque mondiale relevait que le réseau de
la SNCC offrait des conditions de transport très mauvaises, avec des vitesses
moyennes de convois allant de 10 km/h à 35 km/h. Le coût du fret était alors
le plus élevé d’Afrique centrale avec 12,5 cents de dollar/tonne/km contre
10,7 cents sur le Chemin de fer Congo-Océan (Brazzaville-Pointe-Noire),
2,5 cents sur le réseau de la Société d’Exploitation du Trans-Gabonais, et
5,2 cents sur Camrail. Les tarifs SNCC sont aussi trois fois supérieurs à ceux
d’Afrique australe, relève la Banque (International Bank for Reconstruction
and Development/World Bank 2010).
Des progrès ont été accomplis, en 2016, dans l’évacuation des mine-
rais par chemin de fer, mais ils sont très lents (Africa Mining Intelligence
2016e). Quelque 45 000 traverses ont été posées entre les gares de Tenke et
de Kisanfu, distantes de 40 km, dans le cadre du plan de redressement de la
SNCC, pour le « Projet de transport multi-modal » financé par la Banque
mondiale, doté de 373,85 millions de dollars. La ligne était vétuste et de
surcroît endommagée par les déraillements intentionnels provoqués par les
creuseurs pour récupérer les minerais contenus dans les wagons renversés.
Selon un bilan datant de juin 2016, la réhabilitation des 1300 km vers la
frontière angolaise, vers le Kasaï et Kalemie ainsi que de 600 wagons est
en bonne voie. Mais le directeur des opérations de la Banque mondiale au
Congo, Moustapha Ndiaye estimait le rythme des décaissements trop lents,
lors d’une revue du portefeuille des projets de son institution, le 22 juin 2016.
Le résultat attendu de ce programme, qui doit être finalisé en deux ans, est la
réduction de 13 à 5 jours du temps de transport entre Kolwezi et la frontière
zambienne. Ces développements sont très attendus par l’industrie. Le pré-
sident provincial de la FEC de l’ex-Katanga, Eric Monga, estime, en effet,
que le rail demeure le moyen de transport le plus économique. Ivanhoe,
promoteur du projet Kamoa (cuivre et cobalt) attend la réouverture du trafic
ferroviaire entre Kolwezi et Dilolo pour évacuer ses marchandises vers le
port angolais de Lobito et délaisser ainsi celui de Durban.
En définitive, l’espoir exprimé en 2015 par les présidents des conseils
d’administration du port minéralier de Lobito, Anapaz Neto, et du Caminho
de Ferro de Benguela (CFB), José Carlos Gomes, d’une réouverture en
2016 du trafic entre le Copperbelt et l’Atlantique n’a pas été rencontré. La
remise en service, en février 2015, des 1340 km du CFB par China Railway
entre Lobito et le poste-frontière de Dilolo ne s’est pas encore accompagnée
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 103
de l’évacuation des minerais congolais et zambien par cette voie, pourtant
indispensable pour rentabiliser le coût de la réhabilitation de la voie ferrée
(2 milliards de dollars) et de la construction du port de Lobito (522 mil-
lions). Au total, ce sont 522 km de ligne entre Dilolo et Tenke-Fungurume
puis 200 km avant de relier Lubumbashi et encore 247 km avant la ville
zambienne de Ndola qu’il faut réhabiliter. Or, l’état de la voie ferrée en
territoire congolais ne permet pas actuellement aux convois de rouler à
l’allure compétitive de 90 km atteinte sur le réseau du CFB. Au cours de
l’année 2015 toutefois, la SNCC a réceptionné 18 locomotives sur finance-
ment de la Banque mondiale, fabriquées par China Shandong International
Economic & Technical Cooperation Group Ltd et Railway Transportation
Equipment Co Ltd. Un autre progrès enregistré a été l’accord conclu, en
mars 2015, entre Zambia Railways et la SNCC pour accroître le volume
de transport entre les deux pays, et le début d’une réhabilitation de la voie
entre Lubumbashi et la frontière zambienne sous l’égide de la SNCC. Mais
la reprise du trafic à hauteur de 20 millions de tonnes/an espérée par le CFB
et par les miniers du Copperbelt semble encore une perspective lointaine.
2.3. Un climat des affaires insatisfaisant
Un autre élément qui préoccupe les acteurs miniers est le climat des
affaires. La Chambre estime à cet égard nécessaire de l’assainir pour que
les sociétés minières puissent atteindre leurs objectifs. Elle s’appuie, à ce
propos, sur la déclaration de la ministre suédoise des Affaires étrangères,
Margot Wallström, qui, lors de sa visite à Kinshasa, en mars 2016, avait
invité les autorités congolaises à respecter les droits de l’homme, mais aussi
à garantir un cadre juridique pour les investisseurs. À cette occasion, Margot
Wallström avait, une fois de plus, usé de son franc-parler : « Le climat des
affaires en RDC n’inspire pas confiance aux investisseurs suédois qui sont
néanmoins intéressés par plusieurs projets que le pays propose aux étran-
gers », avait-elle déclaré (FEC, Chambre des Mines 2016b).
La chambre des Mines s’est félicitée, au début de l’année 2016, de l’an-
nonce par le Gouvernement de ne pas poursuivre le projet de révision du
code minier, estimant que « Cela [allait] encourager des investissements
dans le secteur » (FEC, Chambre des Mines 2016b). Mais, elle attend confir-
mation. La Chambre a appelé, en effet, de ses vœux « une prise de position
ferme et courageuse de la part du Gouvernement pour permettre aux acteurs
du secteur minier de retrouver le goût et l’envie d’être de grands contribu-
teurs à la croissance de la République démocratique du Congo ».
a) Les incertitudes sur le Code minier et la fiscalité
La Chambre déplore également des difficultés d’ordre fiscal, dont « la
modification récurrente des lois fiscales par les lois budgétaires » visant à
créer des impôts, droits, taxes et redevances ou à en modifier les taux. Elle
104 Conjonctures congolaises 2016
critique aussi le relèvement du taux de l’impôt minimum sur les bénéfices et
profits à 1/100 du chiffre d’affaires en lieu et place du taux légal de 1/1000.
Les autres soucis de la Chambre sont la décentralisation et les nouveaux
besoins nés de la création des nouvelles provinces. Le risque est de multi-
plier les « tracasseries ». C’est pourquoi la Chambre appelle à une « action
concertée » entre le Gouvernement central et les entités décentralisées afin
de les éviter. La sortie du rapport lors de la conférence d’Africa Mining
Indaba a exercé une pression sur le ministre des Mines, Martin Kabwelulu
Labilo. Dans un premier temps, il a déclaré, le 10 février, à Cape Town,
que le Gouvernement n’allait pas pousser au changement du Code minier
de 2002, qui inquiète les entreprises avec une hausse envisagée de l’impôt
sur les bénéfices qui passerait de 30 % à 35 %, une participation gratuite
et minimale de 10 % dans les nouveaux projets miniers contre 5 % aupa-
ravant et une hausse des royalties sur le cobalt et le cuivre. D’aucuns en
avaient déduit que le Gouvernement renonçait à modifier le Code. Mais le
11 février, le chef du cabinet du ministre, Valéry Mukasa, a expliqué que le
ministre voulait juste rassurer les investisseurs, sans pour autant qu’il faille
en déduire qu’il avait abandonné son projet d’amender le Code.
Les entreprises omettent de signaler, toutefois, la disparité entre les taxes
officielles et ce qui est réellement versé, constatée par la Banque mondiale.
Elles font abstraction des déductions pour crédits d’investissement, des
provisions pour amortissement (Banque mondiale 2008). Et la Banque de
mentionner que certains projets minimisent leur niveau d’imposition par
des mécanismes de fixations de prix de cession interne (quand un minerai
est exporté et vendu à une autre filiale d’une même multinationale, établie
à l’étranger, à un prix inférieur à sa valeur vénale). Les entreprises doi-
vent aussi admettre qu’elles ont bien profité de la rente minière. L’ancien
directeur du Centre de recherche et d’expertise sur l’Afrique centrale
(CREAC), Stefaan Marysse, relevait dans l’édition 2015 de Conjonctures
congolaises que si, jusqu’en 2012, les investissements directs étrangers
(IDE) en RDC ont constitué un apport net de capital, depuis 2013, les pro-
fits rapatriés ont dépassé les IDE (Marysse 2015). Et les projections sont
telles qu’à l’horizon 2019, les profits rapatriés devraient être 3 à 3,5 fois
plus importants que les IDE (7 milliards de dollars contre 2 milliards). Selon
Stefaan Marysse, la valeur actuelle nette des profits rapatriés excède très
largement le montant des pertes résultant de la vente d’actifs miniers par
l’État congolais dans de mauvaises conditions de gouvernance.
b) Les conséquences néfastes du démembrement de l’ancienne pro-
vince du Katanga
En mars 2016, la crainte d’un accroissement de la pression fiscale à cause
du démembrement de l’ancienne province du Katanga s’est concrétisée avec
l’ouverture d’un contentieux entre le commissaire spécial (gouverneur) de
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 105
la nouvelle province du Lualaba, l’ancien ministre de l’Intérieur, Richard
Muyej, ainsi que les sociétés minières locales, qui se sont vu intimer l’ordre
de préfinancer la construction d’une route à péage de 60 km entre le chef-
lieu provincial (Kolwezi) et Sakabinde, la frontière zambienne vers Solwezi,
en payant une taxe de 100 dollars/tonne sur l’exportation de concentrés
(Africa Mining Intelligence 2016a). La raison d’être de cette exigence tient
au fait que la province du Lualaba ne bénéficie pas de la quote-part des taxes
douanières perçues au poste-frontière avec la Zambie de Kasumbalesa par
la province voisine du Haut-Katanga (Lubumbashi) qui, pourtant, produit
deux fois moins de cuivre que sa voisine. En soi, les sociétés minières sont
favorables à un nouvel axe d’évacuation, car l’augmentation de la produc-
tion, ces dernières années, s’est accompagnée d’un accroissement du trafic.
De surcroît, le trajet Kolwezi-Solwezi ne fait que 180 km, alors que le détour
par Lubumbashi et Kasumbalesa pour atteindre Solwezi représente un tra-
jet de 467 km. Mais les miniers, sollicités naguère par l’ex-gouverneur du
Katanga, Moïse Katumbi Chapwe, pour financer la construction de la route
Lubumbashi-Kasumbalesa et de la route Kolwezi-Lubumbashi ne veulent
pas être ponctionnés deux fois.
Le démembrement du Katanga est venu perturber l’exécution d’accords
conclus entre les compagnies minières et les autorités fiscales de la défunte
province. Dans son rapport daté de juin 2016, la chambre des Mines de
la Fédération des entreprises du Congo rappelle que les montants avancés
par les compagnies minières pour préfinancer des travaux routiers venaient
en déduction de leur ardoise fiscale envers l’ex-province du Katanga.
En échange, un accord avait été conclu, limitant à 60 dollars/tonne, au lieu
de 100 dollars/tonne, le montant de la taxe à l’exportation sur les concentrés,
perçue par la province pour financer les équipements routiers. La ristourne
de 40 dollars correspondait au remboursement par la province de l’avance
faite par les entreprises. Le problème est qu’après le démembrement, insti-
tué par la loi de programmation du 28 février 2015, le montant des sommes
avancées par les entreprises excédait celui des sommes dues à titre de taxe
sur les concentrés à l’ex-province du Katanga.
Et les nouvelles provinces du Haut-Katanga et du Lualaba ne prennent
pas en compte les montants à rembourser aux sociétés ayant financé les tra-
vaux routiers par le biais de ces réductions de taxes. En outre, à en croire la
chambre des Mines, les deux nouvelles provinces exigent même le paiement
de ces taxes, de la part des sociétés qui traitent les concentrés localement
au lieu de les exporter ! (FEC, Chambre des Mines 2016b). Confrontée
à cet imbroglio, la Chambre a, alors, sollicité l’arbitrage du ministre des
Mines, Martin Kabwelulu, au cours du premier semestre 2016. Mais ce
dernier s’est déclaré incompétent pour prendre une décision relative à une
taxe provinciale.
106 Conjonctures congolaises 2016
c) Un harcèlement fiscal parfois illégal
Au début de l’année 2016, d’autres indices annonciateurs d’une pression
fiscale accrue pour les opérateurs miniers, alors qu’ils se trouvent encore
au creux du cycle des cours du cuivre et du cobalt, ont commencé à obs-
curcir l’horizon. Les entreprises minières se plaignent du harcèlement légal
et parfois illégal de la part des services de l’État. Ainsi, la chambre des
Mines, dans son rapport de juin 2016, dénonce les missions trop fréquentes
dites de contre-vérification, « sans soubassement légal » (sic), effectuées
par l’Institut national de la sécurité sociale (INSS). Elle fait remarquer
qu’au regard du décret-loi organique du 29 juin 1961 de la sécurité sociale
et des pratiques légales au sein de l’Inspection générale des Finances et de
la Direction générale des Douanes et Accises (DGDA), de telles missions
de contre-vérification n’ont qu’un caractère exceptionnel. Et la Chambre
met au défi l’INSS de justifier le caractère légal des missions en question.
Elle s’étonne, par ailleurs, que des entreprises minières du Katanga aient
reçu des visites du secrétariat général du ministère de la Santé, alors qu’en
principe, une telle compétence n’incombe qu’à l’inspection provinciale de
Santé. Par ailleurs, la Chambre rappelle que les frais de telles missions n’ont
pas à être pris en charge par les sociétés contrôlées.
Le PDG de la Gécamines, Albert Yuma Mulimbi, dans une interview
diffusée par Radio France internationale, le 10 septembre 2016, reconnaît
l’acuité du problème des « tracasseries4 ». « Il y a une multiplicité de taxes
sur lesquelles on doit encore travailler », concédait Albert Yuma, précisant :
« L’administration est mal formée et mal rémunérée. Automatiquement ça
entraîne beaucoup de tracasseries… Les tracasseries c’est 150 convoca-
tions par-ci par-là. Des contestations de vos comptes par des services non
habilités ».
La chambre des Mines réclamait également, en février 2016, la sup-
pression ou la réglementation constructive du système des « primes aux
aviseurs » qui récompense, par la perception d’un pourcentage de la péna-
lité infligée, les fonctionnaires et agences fiscales et parafiscales et les tiers
ayant participé à l’imposition de la taxation d’une pénalité ou amende fis-
cale ou parafiscale (FEC, Chambre des Mines 2015a). Selon la Chambre,
le système connaît une « dérive ». Les fonctionnaires sont plus attachés à
obtenir des pénalités qu’à appliquer les règles de taxation normale, dénonce
le rapport. La Chambre déplore des audits fiscaux et parafiscaux à fréquence
anormale et un « système, pernicieux », qui devient « une véritable chasse
aux primes », au cours de laquelle les agents du fisc bénéficient de com-
plicités internes dans les entreprises. Des employés de sociétés minières
4
http://www.rfi.fr/emission/20160910-albert-yuma-mulimbi-grand-invite-economie
(consulté le 21 septembre 2016).
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 107
commettent des erreurs volontaires, traduites ensuite en fraudes, afin de
donner lieu à des amendes.
De son côté, le gouverneur de la nouvelle province du Lualaba, Richard
Muyej Mangez, a dénoncé l’implication d’officiels dans « la fraude minière
à grande échelle » lors de la présentation du projet du budget du gouver-
nement provincial exercice 2016 à Kolwezi, début septembre 2016 (ACP
2016). Il s’exprimait après la saisie par l’armée de onze camions chargés de
minerais interceptés sur la route Likasi-Kolwezi.
d) Le « déficit de gouvernance » de la Gécamines
Le climat des affaires est aussi terni par le « déficit de gouvernance »
reproché à l’ancienne entreprise d’État Gécamines par le Premier ministre,
Augustin Matata Ponyo Mapon, dans une interview diffusée par RFI
le 4 juin 20165. « La production de la Gécamines est toujours au bas de
l’échelle. Ça veut dire que les réformes, même si elles sont accomplies, n’ont
pas encore atteint le niveau voulu », déclarait le chef du Gouvernement.
À en croire le Premier ministre, le déficit en question ne procède pas d’un
quelconque héritage. « C’est un déficit qui n’est pas de 10 ans, c’est un défi-
cit actuel », accusait-il, s’attirant trois mois plus tard une cinglante réplique
d’Albert Yuma : « La Gécamines est la seule entreprise du portefeuille de
l’État qui a des comptes audités et certifiés. La Gécamines a été citée en
exemple comme la première entreprise qui s’est adaptée au plan comptable
OHADA. La Gécamines a eu une seule réserve dans la certification, c’est
par rapport à ce que l’État nous doit comme argent. Voilà, la vraie réalité de
la gouvernance. Il ne faut pas parler de gouvernance quand on ne sait pas
de quoi on parle, surtout que l’assemblée générale de la Gécamines a en son
sein les représentants du ministère du Portefeuille, du ministère des Mines,
de la Primature et du ministère du Budget ».
Ces assurances d’Albert Yuma font fi du constat, dans un rapport du
Natural Resources Governance Institute (NRGI) de New York, de nom-
breuses défaillances dans la gestion de l’entreprise d’État, susceptibles de
constituer des entraves à une productivité optimale du secteur minier congo-
lais (Natural Resources Governance Institute 2015)6. La Gécamines figure
d’ailleurs au bas du classement des entreprises d’État selon l’Indice de gou-
vernance des ressources naturelles 2013 établi par le NRGI. Elle est rangée
avec une note de 29 sur 100 dans la catégorie des entreprises défaillantes,
5
http://www.rfi.fr/emission/20160604-rdc-ponyo-mapon-premier-ministre-situation-
economique-matieres-premieres (consulté le 21 septembre 2016).
6
Le Natural Resources Governance Institute est financé par les Fondations Bill & Melinda
Gates, Open Society (George Soros) et Ford, la Banque mondiale, le Department for
International Development britannique, la Gesellschaft für Zusammenarbeit allemande,
ainsi que par les gouvernements australien, suisse et norvégien.
108 Conjonctures congolaises 2016
dans ce classement où figure en tête l’entreprise pétrolière norvégienne
Statoil, qui frise les 100/100.
Parmi l’avalanche de critiques dont elle fait l’objet, la Gécamines se voit
reprocher d’être devenue un bureau minier parallèle, attribuant de facto des
concessions à des entreprises qu’elle choisit pour devenir ses partenaires,
sans que l’on puisse vérifier si elle a choisi les entreprises les « moins-
disantes » ou techniquement les plus capables de développer un projet. Le
NRGI constate qu’en 2011, la Gécamines a refusé d’accéder à une demande
du ministère des Mines de lui transmettre la copie de ses accords de parte-
nariat à des fins de publication, bien qu’un décret rende cette publication
obligatoire.
À la lecture du rapport du NRGI, on apprend que la Gécamines a fait
passer, depuis 2008, le nombre de permis d’exploitation qu’elle détient de
38 à 73, dépassant de loin le plafond de 50 permis, fixé par le Code minier
(Journal officiel, numéro spécial 2002). Et la tendance se serait accentuée
encore, s’il faut en croire un analyste du Centre Carter, qui évoquait, début
septembre 2016, le chiffre d’une centaine de permis7. La Gécamines est
décrite, en outre, comme une « entité opaque » qui ne s’est pas systéma-
tiquement acquittée de ses obligations de paiement à l’égard de l’État et,
notamment, des droits « superficiaires » correspondant à ses permis.
La liste des griefs comprend, en outre, le refus de publier les ententes
renégociées après la révision des contrats miniers entamée en 2006, ce qui
empêche de déterminer à quelles rentrées d’argent a droit la Gécamines,
laquelle fonctionne de facto comme un holding de l’État. Au-delà, une telle
opacité complique la tâche d’évaluation de sa propre performance, d’au-
tant que son président, Albert Yuma, a l’ambition d’en faire à nouveau un
opérateur minier important, avec sa production propre. Qui plus est, les pro-
duits des actions détenues par la Gécamines dans les coentreprises n’ont
pas été déclarés. La Gécamines a vendu des actions, en 2009, pour 15 mil-
lions de dollars et puis, en 2011, pour 189 millions, mais les publications
trimestrielles n’en ont pas fait état.
Du point de vue du NRGI, la situation actuelle, qui a pour effet de faire
de la Gécamines une sorte de « système parallèle d’octroi de licences d’ac-
cès aux gisements » et le « contrôleur de fait » de l’accès des sociétés privées
aux gisements, présente l’inconvénient de fausser les mesures incitatives
prises par l’État et ne lui permet pas d’avoir une stratégie coordonnée pour
gérer le secteur.
7
Entretien avec l’auteur, le 8 septembre 2016.
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 109
3. La baisse des recettes de l’État et le renforcement
de l’emprise chinoise
3.1. La baisse des recettes de l’État
La baisse du volume de la production minière dans le Copperbelt, couplée
à la baisse des cours, faisait craindre au Gouvernement qu’il pourrait perdre,
en 2016, jusqu’à 1,3 milliard de recettes minières, pétrolières et gazières.
Amorçant un virage à 180°, le Gouvernement a imposé, en mars 2016, aux
entreprises minières le paiement de leurs taxes à l’importation en dollars
plutôt qu’en francs congolais, alors qu’en 2014, c’est l’inverse qui avait été
imposé dans l’optique d’une « dé-dollarisation » de l’économie congolaise.
Cette évolution coïncide avec l’annonce par le Gouvernement, le 12 sep-
tembre, que les réserves en devises de la Banque centrale du Congo sont
tombées en dessous de la barre du milliard de dollars (Primature 2016).
La baisse des recettes de l’État central intervient dans le contexte de la
scission de la province du Katanga en quatre nouvelles provinces (Haut-
Katanga, Lualaba, Haut-Lomami et Tanganyika), dotées de nouvelles
compétences, de nouvelles exigences et de nouveaux besoins. Et donc, la
tentation d’une pression accrue de la part de ces dernières sur les entreprises
minières est très forte, au risque d’éroder leur compétitivité, comme nous
l’avons indiqué dans la partie précédente.
3.2. La Chine exploite la conjoncture baissière pour consolider
ses positions
Dans ce contexte de baisse des cours et de crise économique, l’appétit des
entreprises chinoises pour les minerais du Katanga n’a cependant pas faibli.
« La Chine manque vraiment de ressources cuprifères », expliquait Jerry
Jiao, vice-président de China Minmetals8, lors de la conférence mondiale
du cuivre qui s’est tenue du 13 au 15 avril 2015 à Santiago du Chili (FEC,
Chambre des Mines 2016b). En effet, alors que les autres investisseurs se
tiennent cois ou se désengagent, les entreprises chinoises ont massivement
investi en RDC ces dernières années, observe la Chambre. Selon le Fonds
monétaire international, en 2014, la Chine a, en effet, investi 4,33 milliards
de dollars en RDC, tous secteurs confondus (FEC, Chambre des Mines
2016b). On a même le sentiment que la Chine, qui consomme 40 % du
cuivre mondial, a cherché à profiter de la conjoncture baissière pour conso-
lider et sécuriser son accès à la ressource.
8
China Minmetals détient à travers sa filiale MMG (anciennement Minerals and Metals
Group) la concession de Kinsevere qui a produit en 2014 580,169 tonnes de cathodes de
cuivre.
110 Conjonctures congolaises 2016
En janvier 2016, la Compagnie minière de Musonoï (COMMUS), joint
venture constituée par Zhejiang Huayou Cobalt Co, Zijin Mining Group et
la Gécamines, a approuvé un plan d’investissements de 578 millions de dol-
lars pour développer sa concession dans la région de Kolwezi. Avant cela,
en novembre 2015, la Sicomines a enfin entamé sa production de cuivre,
après huit ans de lobbying et de préparation intenses. Huayou, qui détient
5 % de Sicomines, a également fait l’acquisition, en 2015, de Luiswishi et
de Lukuni pour 52 millions de dollars et transforme dans ses fours du cuivre
et du cobalt provenant de l’exploitation artisanale. Zijin, qui détient 51 %
des parts de COMMUS, a aussi acquis, en décembre 2015, une participa-
tion de 49,5 % dans le projet de cuivre de Kamoa de Ivanhoe Mines pour
412 millions de dollars, mettant la main sur le gisement le plus important du
monde, dont les réserves indiquées s’élèvent à 20,34 millions de tonnes de
cuivre-métal9. Dans son rapport de mai 2016, la chambre des Mines signale
un accord de la Gécamines avec la China Non Ferrous Metal Mining Group
Corporation (CNMC) cotée en bourse de Hong Kong pour construire avec la
firme kazakhe, Eurasian Resources Group (ERG), l’usine de traitement des
rejets miniers de Musonoï, moyennant un investissement de 700 millions de
dollars (FEC, Chambre des Mines 2016b). Le 13 janvier 2016, CNMC et la
Gécamines avaient signé un protocole d’accord pour la construction de deux
usines à Kambove et Deziwa d’une capacité respective de 15 000 tonnes et
80 000 tonnes de cathodes de cuivre, prévoyant la possibilité d’accroître
la capacité de la seconde à 200 000 tonnes. La transaction, suivie par l’an-
nonce, le 8 juin, de la création d’une co-entreprise commune par le président
de la Gécamines, Albert Yuma Mulimbi, fait grincer des dents dans la société
civile du Katanga, en raison du partenariat contesté entre CNMC et la firme
Huachin à laquelle la première a été associée dans la joint venture Huachin
Metal leaching Co, dont la pollution environnementale qu’elle a engendrée,
a été dénoncée par l’ONG Premicongo fin 2015 (Africa Mining Intelligence
2016d). Par ailleurs, l’ONG britannique Global Witness a déploré le carac-
tère peu transparent du partenariat stratégique entre la Gécamines et CNMC,
institué le 21 juin 2015, officialisé par Albert Yuma et le président de CNMC,
Zhang Keli. Selon la Gécamines, l’accord, qui a fait l’objet d’une rencontre
en Chine en septembre de la même année entre Zhang Keli et le président
Joseph Kabila, définit les principes de la coopération concernant le déve-
loppement de cinq grands projets miniers situés dans les trois groupes de
la Gécamines (sud, centre et ouest) dans le domaine de l’exploration, de
la prospection et des recherches minières. S’agissant de la mine Deziwa,
l’enjeu porte sur une ressource évaluée à quelque 4,5 millions de tonnes de
cuivre par MDM Engineering.
9
752 millions de tonnes d’une teneur de 2,67 %.
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 111
3.3. Kinshasa veut avoir son mot à dire dans les transactions
offshore
Les autorités congolaises, à défaut de pouvoir infléchir la tendance
lourde à la prise de contrôle d’un nombre croissant d’actifs par des sociétés
chinoises, souhaitent toutefois avoir leur mot à dire dans le choix de leur
partenaire.
En mai 2016, tombe la nouvelle de la vente à la China Molybdenum Co.
(CMOC) par l’Américain Freeport-McMoran de sa participation majoritaire
(56 %) dans Tenke Fungurume, scellant l’abandon d’un des derniers pans de
l’industrie du Katanga encore détenu par une société occidentale, dont les
réserves, estimées à 3,74 millions de tonnes de cuivre et 864 000 tonnes de
cobalt10, en font le projet le plus important en cours d’exploitation. Selon des
insiders, le motif de la cession a peu de rapport avec l’évolution du marché
du cuivre, mais serait plutôt inspiré par le besoin de compenser des décisions
malencontreuses de l’ancien patron de Freeport, Jim Moffet, responsable
d’investissements infructueux dans le secteur pétrolier des Caraïbes (La
Libre Belgique 2016). Le montant réel de la transaction concernant le rachat
des parts de Freeport dans la Société minière de Tenke-Fungurume (SMTF)
dépasserait les 4 milliards de dollars. Car l’accord prévoit la cession, avant
la fin de 2016, de ces participations pour 2,65 milliards de dollars et la
reprise par CMOC de 2 milliards de dollars de dettes de la filiale à 70 % de
Freeport, TF Holding, immatriculée aux Bermudes, détentrice de 80 % des
parts de SMTF, et dont l’actionnaire minoritaire est Lundin Mining.
Mais la Gécamines, qui possède 20 % dans STMF, ne souhaite pas être
mise devant le fait accompli. Dans un communiqué, elle se déclare « éton-
née » d’apprendre la nouvelle de la cession de sa participation dans le
gisement par Freeport dans la presse et décide « de faire examiner par ses
conseils les termes annoncés de l’opération au regard de ses droits en vertu
des accords la liant directement ou indirectement à Freeport-McMoran »
(Africa Mining Intelligence 2016b). L’entreprise d’État congolaise entend
faire jouer un droit de préemption sur les parts que Freeport voudrait céder.
Freeport conteste, arguant que la vente porte sur les actions de TF Holdings,
société enregistrée aux Bermudes, mais qu’elle ne change pas la structure de
l’actionnariat de la SMTF. En fait, indique un insider à La Libre Belgique,
la Gécamines essaie de négocier un dédommagement, dans une conjoncture
difficile, marquée non seulement par la baisse des cours du cuivre, mais
aussi par les résultats très décevants de l’ancienne société paraétatique dont
la production propre a dépassé à peine 16 000 tonnes de cuivre en 2015
contre plus de 36 000 tonnes en 2012, selon la Banque centrale du Congo.
10
www.lundinmining.com/i/pdf/summary_report_tenke_fungurume.pdf (consulté le
20 septembre 2016).
112 Conjonctures congolaises 2016
Fâché d’avoir été tenu à l’écart de la mégatransaction, le président de la
Gécamines, Albert Yuma, annonce au micro de RFI, le 10 septembre 2016,
que sa société va effectuer une contre-offre pour racheter les parts de Freeport,
déclarant : « les droits de la Gécamines ne peuvent pas être bafoués, ni ceux
de l’État11 ». Selon Albert Yuma, aucune décision relative à ces actifs ne
peut être prise sans l’accord du Congo. Il est hors de question d’accepter un
comportement qui consiste à les considérer comme des produits spéculatifs
qu’on peut s’échanger à l’étranger. On peut concevoir cette prise de position
politiquement légitime, du fait du rôle prééminent de l’industrie minière du
Katanga dans l’économie nationale : la valeur des exportations de l’indus-
trie minière et pétrolière a, en effet, représenté, en 2014, 95 % du total des
exportations congolaises, et, avec un montant de 1,14 milliard de dollars, la
contribution de l’industrie extractive a représenté, cette année-là, 28 % des
recettes ordinaires de l’État (FEC, Chambre des Mines 2016a).
Toutefois, la capacité de la Gécamines à mettre sur la table les milliards
réclamés par Freeport est mise en doute par beaucoup d’observateurs. En
effet, son chiffre d’affaires annuel atteint difficilement 150 millions de
dollars, tandis que sa dette dépasse le 1,5 milliard de dollars. À cela, Albert
Yuma rétorque que c’est la valeur de l’actif de classe mondiale qu’est Tenke-
Fungurume qui justifie la capacité de lever les fonds. Dans son entretien
avec RFI, le patron de la Gécamines justifie son attitude, exprimant sa frus-
tration envers la manière dont ont été appliqués les contrats de partenariats
conclus depuis 2000, rappelant avoir lancé des audits et défendant l’option
que son entreprise redevienne un opérateur majeur et plus seulement une
entreprise se contentant d’encaisser les dividendes. « On ne peut se satis-
faire que notre secteur minier soit à 100 % dans les mains d’étrangers. Ce
n’est pas acceptable. » « Que ce soit les Chinois ou d’autres partenaires, ce
type de partenariat où le mineur attend des dividendes qui n’arrivent jamais,
on n’en fera plus ni avec les Chinois ni avec d’autres », prévient le prési-
dent de la Gécamines, ajoutant que le partenariat avec CNMC, concernant
la mise en valeur des réserves de Deziwa, prévoit qu’au bout d’un certain
temps, la Gécamines récupère l’intégralité de la propriété du projet, et avec
suffisamment de réserves pour continuer à exploiter seule. À la question de
savoir s’il envisage une renationalisation, Yuma répond : « Absolument », au
risque d’inquiéter d’éventuels partenaires. Cela pourrait également mettre à
mal des investisseurs… Cela dit, au-delà de ces frictions, la relation avec
la Chine demeure stratégique, d’autant que l’un des principaux partenaires
miniers de la Gécamines, Sinohydro, est aussi l’une des principales parties
11
http://www.rfi.fr/emission/20160910-albert-yuma-mulimbi-grand-invite-economie
(consulté le 19 septembre 2016).
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 113
prenantes dans les grands projets hydroélectriques dont dépend l’expansion
du secteur minier. De la même manière, China Railway, partenaire-clé de la
Gécamines dans la joint venture Sicomines, est un partenaire incontournable
dans les projets d’avenir pour l’évacuation par chemin de fer des produits
miniers du Katanga.
4. Les perspectives du secteur
Concernant les infrastructures, un certain nombre de perspectives d’amé-
lioration se dessinent.
4.1. Des efforts accrus de l’industrie pour améliorer la disponibilité
énergétique
a) L’industrie s’engage dans le domaine des économies d’énergie
L’industrie minière katangaise, par-delà les accords passés avec le
Gouvernement ou la SNEL en vue d’accroître la capacité de génération
électrique, s’est engagée depuis quelques années sur le terrain des éco-
nomies d’énergie. Charles Carron Brown, lors de la semaine minière du
Katanga d’octobre 2015, animée par l’organisateur d’événements sud-
africain Spintelligent comme contribution à l’Infrastructure Partnership for
African Development (IPAD), avait présenté le projet de sa compagnie,
la Société d’exploitation de Kipoi SA (SEK), filiale de Tiger Resources,
cotée sur l’Australian Securities Exchange (ASX). Le projet de 6,8 mil-
lions de dollars, lancé en mai 2015 et mené avec la firme sud-africaine
Megatron Federal pour partenaire technique, visait à économiser jusqu’à un
maximum de 64 MW grâce au remplacement d’ampoules à incandescence
de 60 à 100 W par des ampoules fluorescentes de 14 W à Lubumbashi, ainsi
que des ampoules de 250 W sur les lampadaires par des ampoules de 100 W
(Carron Brown 2015). À la date d’octobre 2015, une économie de 3,5 MW
avait été constatée par la SNEL au lieu de 6 MW. Des économies avaient
été réalisées, mais cela avait servi à satisfaire une nouvelle consommation
de maisons qui n’étaient pas raccordées auparavant… Cela dit, il y a eu des
effets positifs. SEK témoigne également d’une augmentation de 50 % de
la puissance du réseau. Et le potentiel est important, à condition que soit
interdit l’usage des ampoules à incandescence, estime SEK, qui proposait
aussi un programme similaire pour Kinshasa permettant une économie de
150 MW pour un coût de 15 millions de dollars. Ce faisant, SEK a emboîté
le pas à MMG Kinsevere, filiale de MMG (Minmetals Group Company),
qui avait annoncé, en septembre 2014, la donation de 200 000 ampoules
économiques de 15 W à la province du Katanga, avec pour ambition de réa-
liser une économie de 17,2 MW sur le réseau de Lubumbashi (MMG 2014).
114 Conjonctures congolaises 2016
b) L’industrie minière propose une stratégie
En juillet 2015, la commission Énergie de la chambre des Mines a pro-
posé une stratégie pour juguler le déficit croissant auquel fait face l’industrie
minière (plus de 700 MW actuellement et près de 1000 MW en 2025, si
rien n’est fait) (Africa Energy and Mining 2015). L’un des éléments les plus
importants de cette stratégie consisterait à créer une nouvelle société pour
opérer le réseau à haute tension du sud du pays. Sa mission serait d’ache-
ter et de vendre l’énergie produite par la SNEL et d’autres fournisseurs
(étrangers ou producteurs indépendants locaux), mais aussi de transporter le
courant, d’assurer la gestion et la maintenance du réseau. Son actionnariat
serait privé à 70 %, laissant à la SNEL 25 % du capital et à l’État congolais
les 5 % restants. La viabilité de cette nouvelle entité serait assurée par des
tarifs de transport établis par le ministère des Ressources hydrauliques et
de l’Électricité sur la base des tarifs de référence utilisés dans le Southern
African Power Pool (SAPP). Cette refonte du secteur se faisait toujours
attendre fin 2016, mais plusieurs projets de génération laissaient néanmoins
entrevoir une amélioration possible de la situation.
c) Les projets de génération et de transport
Dans le contexte difficile du Congo, on assiste depuis plus d’une dizaine
d’années à une prise en main croissante de son destin énergétique par l’in-
dustrie minière (FEC, Chambre des Mines 2015b). Dans une évaluation
de la situation, en octobre 2015, la commission Énergie de la chambre des
Mines, après avoir dressé l’inventaire des projets de génération du Katanga,
aboutissait à la conclusion qu’il était possible de remettre 958 MW sur les
réseaux interconnectés rien qu’en menant à bien les projets de réhabilita-
tion des centrales existantes. Prudente, la Chambre considérait que l’apport
prévu de 1300 MW pour l’industrie minière du Katanga par la future centrale
hydroélectrique d’Inga III Basse Chute, sur le fleuve Congo, ne pourrait se
concrétiser que vers 2021, voire plus tard.
Certains projets tardent à se concrétiser. Les études de faisabilité, par
Tractebel, de la centrale de Nzilo II (120 MW) sur la Lualaba, que compte
construire la filiale Congo Energy du groupe belge Forrest, ont été approu-
vées, mais le financement est encore en attente. De son côté, le promoteur
de la centrale de Kalenge (104 MW), située sur la même rivière, ainsi que la
société du président de GML Construct, Pie-Claude Munga, envisagent de
faire une étude de faisabilité complémentaire à celles de la firme helvétique
d’ingénierie électrique Stucky, finalisées en 2011. Pour les autres projets, la
SNEL est à la recherche de promoteurs.
Mais d’autres projets avancent. Le 13 juin 2016, le coordinateur du
bureau de coordination de la coopération sino-congolaise, créé par le
Gouvernement, Moïse Ekanga, annonce que le consortium Sicomines,
dont fait partie Sinohydro avec le China Railway Group, Zhejiang Huyaou
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 115
Cobalt, la China Machine Engineering Corporation et la société d’État
congolaise Gécamines, va entamer, « dans les prochains jours », la construc-
tion du barrage de Busanga (240 MW), sur la rivière Lualaba (Africa Energy
Intelligence 2016a). À côté d’hôpitaux et de routes, ce barrage fait partie
des réalisations que doivent financer les sociétés chinoises avec le soutien
de l’Eximbank of China, en échange de l’accès à 6,8 millions de tonnes de
cuivre et 620 000 tonnes de cobalt, en vertu d’un accord conclu en 2009 avec
Kinshasa, connu comme « le contrat chinois », parce qu’il fut le premier du
genre. Le barrage doit alimenter en priorité les installations de la Sicomines,
qui a entamé l’exploitation minière en novembre et dont les besoins sont
estimés à 170 MW. Le surplus sera destiné à d’autres sociétés minières ou à
la consommation des ménages de la province du Lualaba.
Le 23 août 2016, le ministre de l’Énergie et des Ressources hydrau-
liques, Jeannot Matadi Nenga Gamanda, signe un accord de concession
avec le directeur général d’une nouvelle joint venture Sicohydro, He Ying
Qiang, pour la construction du barrage, dont le coût est estimé à 617 mil-
lions de dollars (567 millions pour le barrage et la centrale, plus 50 millions
pour les lignes de transmission) (African Energy 2016). Sicohydro est la
co-entreprise ad hoc mise sur pied par la Sicomines et par trois compa-
gnies congolaises : la Gécamines, la SNEL et une société privée inconnue
dénommée Congo Management SA (COMAN). Avec ce projet qui prendra
au moins cinq ans, mais aussi le barrage de Zongo II (150 MW) sur la rivière
Inkisi, au Kongo-Central (ex-Bas-Congo), à 165 km de Kinshasa, dont elle a
repris la construction, Sinohydro s’impose comme un partenaire incontour-
nable du Congo, d’autant qu’elle appartient à l’un des consortia en lice pour
le contrat du mégaprojet d’Inga III Basse Chute (Africa Energy Intelligence
2016b).
D’autres acteurs congolais se lancent dans des projets d’envergure. C’est
le cas d’Éric Monga Mumba, président de Kipay Investments, qui a mis en
route l’étude de faisabilité technique du futur barrage hydroélectrique de
Sombwe (91 MW) sur la rivière Lufira, dans la province du Haut-Katanga.
Le coût de cette entreprise est estimé à 300 millions de dollars. Celle-ci,
conduite par les bureaux Ingerop (France-Afrique du Sud) et Knight Piesold
(Afrique du Sud), devait être prête en octobre 2016 et se profiler comme le
premier projet de production indépendant dirigé par un Congolais à voir le
jour en RDC (ibid.). Son atout principal réside dans le fait que son promo-
teur, ancien membre de la chambre des Mines de la FEC et actuel président
de la FEC pour les quatre provinces issues du Katanga, connaît bien les
besoins de l’industrie minière.
La société espagnole AEE POWER SPRL, appartenant au consortium
ProInga, dirige la société ACS de Florentino Pérez, qui dispute au consor-
tium chinois, dont fait partie Sinohydro, le marché de la centrale d’Inga III.
AEE POWER SPRL a, par ailleurs, créé, le 17 juin 2013, la filiale Katanga
116 Conjonctures congolaises 2016
Energy, « ayant pour objet la production, le transport, la gestion, la distri-
bution, l’achat, la vente, l’import, l’export, l’échange d’énergie électrique
ainsi que le développement, la construction, la réhabilitation, l’amélioration,
l’entretien, l’exploitation des infrastructures, installations et équipements
associés » (Katanga Energy 2013). Le directeur de Katanga Energy n’est
autre que l’ancien administrateur délégué de la SNEL, Noël Vika di Panzu.
Katanga Energy (KATen) et la Cominière constituent un partenariat pour
la réhabilitation de la centrale hydroélectrique de Mpiana Mwanga, près
de Manono (80 MW), et organisent un atelier à Lubumbashi, le 26 sep-
tembre 2014, présentant, outre ce projet, celui d’une centrale photovoltaïque
de 50 MW et d’une centrale au diesel de 100 MW (Katanga Energy 2014).
Le projet reçoit l’appui de plusieurs sociétés de la province du Tanganyika
(MANOMIN, ASM, MMR, SKT, SOMIMI et SEGMAL).
Congo Energy, filiale du Groupe Forrest créée en 2013, a fait savoir, en
juillet 2016, qu’elle allait boucler dans les prochains mois la réhabilitation
de 381 MW pour alimenter le réseau katangais dans le cadre de son pro-
jet FRIPT (Fiabilisation, réhabilitation et renforcement des infrastructures
SNEL de production et de transport) développé en partenariat avec la SNEL
et KCC (Africa Mining Intelligence 2016d). Le projet, qui fait l’objet d’un
partenariat technique avec Tractebel Engineering du Groupe Engie (ex-
GDF Suez), comprend notamment la réhabilitation d’une turbine de Nzilo I
(25 MW) et des turbines G 27 et G 28 d’Inga II d’une puissance de 162 MW
chacune, ainsi que le renforcement du transport en courant continu et alter-
natif afin d’assurer le transit d’une puissance de 1000 MW sur les 1700 km
entre Inga et Kolwezi12.
Ivanhoe Mines, cotée en bourse de Toronto, a annoncé, le 13 sep-
tembre 2016, la remise en service, financée par ses soins et par son partenaire
chinois Zijin Mining, dans la mine de cuivre et de cobalt de Kamoa, d’un
premier groupe de 11 MW à la centrale de Mwadingusha sur les six instal-
lés lors de sa construction en 1930 (Ivanhoe Mines 2016). Les travaux de
réhabilitation et de modernisation ont été menés à bien grâce à un parte-
nariat entre la SNEL et la filiale de la société canadienne, Ivanhoe Energy
sprl, sous la responsabilité technique de Stucky. Au-delà de Mwadingusha,
dont Ivanhoe espère qu’à l’issue de sa réhabilitation complète elle apportera
71 MW supplémentaires au réseau de la SNEL, la société canadienne et sa
partenaire chinoise dans Kamoa Holding Ltd entendent réhabiliter ensuite
la centrale de Koni (42 MW), également située sur la rivière Lufira, et celle
de Nzilo 1 (108 MW), sur la Lualaba. L’objectif est d’apporter au réseau
un minimum de 200 MW afin de pouvoir alimenter le projet de Kamoa.
Pour financer la réhabilitation de Koni et de Mwadingusha, une avance
12
www.forrestgroup.com/fr/congo-energy.html (consulté le 23 septembre 2016).
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 117
de 104 millions de dollars par Kamoa Holdings est prévue à la SNEL. Le
contrat prévoit que la compagnie minière sera remboursée par des réduc-
tions de tarifs.
Un certain nombre de projets sont donc programmés ou en chantier, per-
mettant d’augurer dans un délai de six à sept ans une résorption du déficit,
dans la plus optimiste des hypothèses. Mais d’ici là, la moitié des besoins
de l’industrie minière katangaise devra être satisfaite par des générateurs
diesel, avec l’inconvénient de pousser le coût de production de la tonne de
cuivre à un niveau dangereusement proche de celui du cours mondial. De
plus, sans résolution de la question énergétique, le niveau des coûts demeure
supérieur de centaines de dollars à celui du concurrent péruvien, malgré des
teneurs moyennes nettement plus faibles dans les mines du pays sud-amé-
ricain, qui dispose cependant de l’avantage de très importants volumes de
minéralisation (1470 millions de tonnes pour Cerro Verde), analyse le géo-
logue belge Pierre Goossens (Vigilant Financial Advisory 2014).
4.2. Logistique : vers un élargissement de l’éventail des voies
d’évacuation
Du côté de la logistique, les derniers avancements laissent entrevoir le
développement à moyen terme de nouveaux couloirs de transport, offrant
la perspective d’une concurrence au bénéfice des usagers, notamment de
l’industrie minière du Katanga, avec les voies existantes, vers les ports de
Dar es-Salaam (Tanzanie), Beira (Mozambique), Durban et Port Elizabeth
(Afrique du Sud).
a) Les perspectives de reprise du trafic vers l’Atlantique
Plusieurs perspectives se dessinent d’une reprise du trafic vers l’An-
gola, interrompu depuis 1975. La première concerne une liaison passant
par la Zambie13. En février 2014, les compagnies sud-africaines Grindrod
et Northwest Rail Company Limited (NWR) ont annoncé leur intention de
construire, d’exploiter et d’entretenir une nouvelle voie ferrée de 590 km
allant de Chingola, au cœur du Copperbelt zambien, jusqu’à la frontière
angolaise.
Le projet, qui a fait l’objet d’une étude de KPMG, comprend une première
phase de 489 millions de dollars pour la construction d’un lien ferroviaire de
290 km entre Chingola et les mines de Kansanshi, Lumwana et Kalumbila.
La seconde phase, de 500 millions dollars, effectuera la liaison avec
13
http://fr.africatime.com/articles/zambie-northwest-rail-company-sassocie-grindrod-pour-
developper-le-chemin-de-fer (consulté le 23 septembre 2016).
118 Conjonctures congolaises 2016
le chemin de fer de Benguela, dont la réhabilitation a été achevée en 2014
par China Railway, et débouchera sur le port de Lobito.
Les sociétés minières du Copperbelt katangais suivent également
avec intérêt le progrès d’une autre étude de faisabilité commandée par le
Gouvernement congolais à KPMG pour la réhabilitation des 427 km de la
ligne de chemin de fer menant de Kolwezi à la ville frontière de Dilolo. Cette
liaison directe vise à permettre l’évacuation des minerais vers le port ango-
lais de Lobito, au bout d’une ligne de 1344 km dont la capacité annuelle de
transport est de 20 millions de tonnes/an (Africa Mining Intelligence 2016c).
Une réunion entre des représentants de la chambre des Mines, du
Gouvernement congolais, de la SNCC et du Comité de pilotage de la réforme
des entreprises du portefeuille de l’État (COPIREP) a eu lieu, en avril 2016,
pour discuter du projet. Selon la Chambre, KPMG doit recueillir les infor-
mations techniques pour finaliser l’étude. Le coût de la réhabilitation du
chemin de fer en tant que tel est évalué par le ministère à quelque 350 mil-
lions de dollars. L’une des tâches de KPMG est d’évaluer les sources de
financement possibles du projet. Une première piste identifiée par le minis-
tère des Finances congolais est celle d’un financement de la Communauté
de Développement d’Afrique australe (SADC). La seconde consiste à étu-
dier quel montant les entreprises minières elles-mêmes seraient prêtes à
investir dans le projet, sachant qu’elles ont déjà beaucoup investi dans le
transport routier. L’étude de KPMG doit aussi inclure le recueil de données
sur le volume des exportations et des importations, sur les prix et le temps
du transport. La chambre des Mines considère l’ouverture vers l’ouest « pri-
mordiale » pour les opérateurs du Katanga.
Sur le tronçon congolais, quelques actions ont déjà été conduites ces
deux dernières années. Elles comprennent la pose de 4000 tonnes de nou-
veaux rails fournis par Tata Steel France, dans le cadre du projet de transport
multimodal financé par la Banque mondiale, qui doit contribuer au renou-
vellement et à la sécurisation de la voie ferrée. Le Congo s’est aussi doté
d’une usine de traverses propre, montée par la firme belge ITB Tradetech,
ce qui facilitera la réhabilitation de 130 km par an de voies ferrées de la
SNCC et favorisera la reprise progressive du trafic sur le corridor ouest.
En avril 2014, le vice-président de la chambre des Mines de la FEC, Eric
Monga, nous avait confié que le secteur privé du Katanga avait commencé à
établir des relations avec le Walvis Bay Corridor Group qui avait ouvert un
bureau à Lubumbashi, en novembre 2012. L’objectif était – et demeure – de
trouver un nouveau débouché aux ports sud-africains et au port mozam-
bicain de Beira, souvent engorgés, avec l’espoir de découvrir une voie
d’évacuation plus compétitive en attendant la réouverture de la liaison entre
Kolwezi et Lobito. Un comité technique du Walvis Bay Ndola Lubumbashi
Development Corridor, partenariat public-privé entre les opérateurs privés
congolais, zambien et namibien avec les gouvernements des trois pays,
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 119
a été mis sur pied. Ce couloir est considéré comme une option suffisamment
sérieuse par les compagnies minières du Copperbelt congolais pour que soit
envisagée la création d’un secrétariat permanent du corridor à l’horizon
décembre 201714. Il présente deux options : celle d’une liaison routière tout
le long des 2500 km du parcours et celle d’un transport ferroviaire jusqu’à
Livingstone (Zambie), avec une rupture de charge pour effectuer la liaison
par camions jusqu’à Grootfontein (Namibie), d’où les produits miniers sont
expédiés par voie ferrée jusqu’à Walvis Bay.
b) La Chine ouvre la voie de l’Est
Comme dans le domaine de l’énergie avec Sinohydro, la Chine s’impose
dans le domaine de la logistique en tant que partenaire crucial. Il s’agit,
en effet, pour la Chine de prendre en main la réhabilitation et la gestion
du mythique « Tanzania-Zambia Railway » (Tazara) ou « Uhuru railway »,
construit dans les années 1970 et reliant le port de Dar es-Salaam à la ville
zambienne de Kapiri-Mposhi, en vertu d’un accord conclu en mai entre des
représentants des trois pays (Chine, Tanzanie et Zambie) dans la capitale
tanzanienne (Afrique Asie 2016).
Comme en Angola, la mise en œuvre est confiée à China Railway, égale-
ment représentée dans le capital de Sicomines. Au-delà d’une réhabilitation,
il est question de l’expansion du projet, avec la construction de plusieurs bre-
telles reliant la voie ferrée originale au nouveau port tanzanien de Bagamoyo,
mais aussi au Malawi, au Rwanda et au Burundi. Le Gouvernement tanza-
nien travaille déjà avec la Chine sur le projet de construction du port de
Bagamoyo et de sa zone économique spéciale (ZES), laquelle sera reliée
par une ligne de 40 km au Tazara. L’un des principaux défis du chantier de
la réhabilitation sera l’installation d’un écartement homogène sur la tota-
lité des 1860 km de la ligne, actuellement divisée en deux tronçons (l’un
à écartement métrique et l’autre de 1,067 m, comme dans les autres pays
d’Afrique australe).
4.3. Le paramètre politique
Au-delà de critères purement économiques, l’avenir de l’exploita-
tion minière demeure soumis à la stabilisation de la situation politique au
Congo. Dans le communiqué publié à l’issue de la visite d’une mission
du Fonds monétaire international (FMI) à Kinshasa, du 1er au 8 juin 2016,
son responsable, Norbert Toé, évoque avec euphémisme l’incertitude née
du refus du pouvoir en place de donner les garanties suffisantes sur le res-
pect du calendrier des élections et sur celui de la Constitution, qui interdit
14
http://www.transportworldafrica.co.za/2016/06/20/wbnldc-member-states-sign-transport-
agreement/ (consulté le 22 septembre 2016).
120 Conjonctures congolaises 2016
au président de demeurer en place au-delà de son ultime mandat expirant
le 19 décembre 2016. Le représentant du FMI constate qu’en 2016, « les
difficultés de conjoncture extérieure, associées aux incertitudes pesant sur
la situation intérieure, ont continué d’impacter négativement la croissance
économique » (Fonds monétaire international 2016). Et il prévoit qu’« à
terme, l’économie devrait rester soumise à des vents contraires, notamment
la lenteur de la croissance dans les pays avancés et émergents, le durcisse-
ment de la situation financière internationale, et les incertitudes pesant sur
la situation intérieure ».
Le président de la Gécamines, Albert Yuma, pourtant proche de Joseph
Kabila, dans l’interview diffusée par RFI le 10 septembre 2016, ne démen-
tait pas cette situation d’incertitude, reconnaissant que « l’incertitude
politique n’est jamais bonne pour les affaires » et qu’« un climat de stabilité
ne peut se faire qu’à travers un consensus de toutes les forces publiques ».
L’insurrection du 9 septembre 2016 dans la ville frontière de Kasumbalesa,
qui a vu une foule en colère, reprochant aux autorités l’insécurité chronique,
incendier des bâtiments et des véhicules, suite à la mort d’un cambiste, a
entraîné, entre autres conséquences immédiates, la fermeture de la frontière
par les autorités congolaises et zambiennes pendant plus de 24 heures. Et
les installations de la SNEL, rendue responsable de la criminalité, en rai-
son de son incapacité à garantir un éclairage suffisant, ont également été
saccagées par les manifestants. En temps normal, déjà, le transfert des mar-
chandises est rendu soit précaire, du fait d’accidents comme l’incendie de
70 camions survenu à la suite du choc entre un poids lourd et un camion-
citerne le 24 novembre 2014, soit laborieux et très long. Il arrive que les
files de camions s’étirent de part et d’autre de la frontière sur plusieurs
kilomètres. Selon l’agence Xinhua, le 30 septembre 2014, en raison de la
complication des démarches de dédouanement, pas moins de 1259 camions
étaient bloqués entre Kasumbalesa et la ville zambienne de Chililabombwe.
4.4. Le plan de relance de la Gécamines
La relance annoncée de la Gécamines fait également partie des pers-
pectives d’avenir. Sur RFI, le président Albert Yuma a annoncé, le
10 septembre 2016, un plan de relance de production reposant sur la récu-
pération d’actifs importants et sur la réduction de 200 millions de dollars de
l’endettement de l’entreprise, qui a diminué de 1,66 à 1,57 milliard de dol-
lars depuis 2010.
Ce plan de relance prévoit une réduction des effectifs de 12 000 à
7000 personnes, dans le cadre d’un plan social de 115 millions de dollars
négocié avec les syndicats. Selon Albert Yuma, il a été décidé de fermer
toutes les filières non rentables et obsolètes, sur le conseil d’études réalisées
par des cabinets extérieurs. Et le président se targue de ce que la Gécamines
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 121
se retrouve la seule entreprise du portefeuille de l’État à financer intégrale-
ment le départ de ses personnels, en respectant intégralement les avantages
de la convention collective. Le plan prévoit un volume d’investissements
nouveaux de 714 millions de dollars, qui sera alimenté, d’ici à 2020, par les
activités de l’entreprise, et à hauteur de 200 millions par un prêt bancaire.
L’objectif est de produire 74 000 tonnes de cathodes de cuivre dans deux ans.
Il est prévu que les mines de Kamfundwa et de Kamantanda (groupe Centre)
assurent à elles seules cet objectif. Un opérateur extérieur est recherché
pour Kamfundwa, à désigner par un comité de pilotage mis en place par la
Gécamines avec ses partenaires, Scorpion Mining et MRI Trading.
Au préalable, il faudra procéder à l’audit des groupes Centre et Ouest. Sur
le site de Kamantanda, où s’opère notamment l’installation de traitement des
rejets de Panda (Big Heap), et des usines de Shituru, la Gécamines entend
atteindre une production annuelle de 24 000 tonnes grâce à l’installation
d’une ligne électrique et d’un concasseur. À ce plan, un apport supplémen-
taire est attendu du groupe Ouest, qui démarrera après le choix du procédé
de valorisation des minerais contenus dans les rejets de Kingamyambo et
de Potopoto qui demeurent à certifier. Il implique l’entrée en service de
l’usine de Deziwa, dont la capacité est évaluée à 80 000 tonnes, dans le
cadre de la co-entreprise avec China Nonferrous Metal Mining (CNMC)
déjà évoquée. Il s’agit, selon Albert Yuma, d’un partenariat nouveau avec la
Chine. Au terme d’une période d’investissement convenue de production,
les partenaires chinois financent une usine de 80 000 tonnes dont la capacité
sera portée à 200 000 tonnes. Et, au bout d’une période déterminée, ils sont
remboursés. La Gécamines reste ainsi propriétaire des investissements et de
la mine.
Les sceptiques se demandent, cependant, pourquoi un énième plan de
relance aurait-il plus de chances d’aboutir, d’autant que le Premier ministre
lui-même exprime des doutes sur la qualité de la gouvernance de l’entre-
prise. Depuis la nomination d’Albert Yuma, en août 2011, à la présidence
de la Gécamines, la production propre de la société, après une remontée à
36 452 tonnes (2012), puis à 40 707 tonnes (2013), a plongé à 15 090 tonnes
(estimation pour 2014). En outre, les chiffres de 2015 (estimations) et
de la première moitié de 2016 semblaient indiquer une stagnation avec
16 811 tonnes, et une nouvelle baisse (7572 tonnes), selon les statistiques de
la BCC (Banque centrale du Congo 2016). La question que tout le monde se
pose est de savoir ce que l’entreprise d’État, qui est surtout apparue comme
un holding, a pu faire des dividendes provenant des partenariats, même si
elle n’a sans doute pas tiré tous les revenus, dividendes ou royalties qu’elle
aurait dû obtenir des joint ventures, comme le rappellent Stefaan Marysse
et Claudine Tshimanga, tout en soulignant « l’opacité de la Gécamines »
(Marysse & Tshimanga 2014 : 129-162). Stefaan Marysse estime, de sur-
croît, que cette « double casquette » de producteur et de courtier du sous-sol
122 Conjonctures congolaises 2016
congolais pour le compte de l’État est à la fois ambiguë et improductive.
De son point de vue, s’agissant d’un bien privé (cuivre), l’économiste belge
pense que la sagesse inciterait au choix de la privatisation, même s’il faut
reconnaître qu’au Chili, la Codelco parvient avec succès à concurrencer
les grandes sociétés minières internationales et à maximaliser les revenus
de l’État15. Quoi qu’il en soit, la conjoncture baissière que nous venons de
décrire, tout comme l’incertitude liée au futur institutionnel du pays, sont de
nature à inciter plutôt les investisseurs à la prudence.
Conclusion
Les efforts réels des principaux acteurs privés du secteur minier du
Copperbelt de se doter des infrastructures nécessaires à satisfaire les besoins
de l’industrie et des projets d’expansion, combinés à l’importance des gise-
ments et à la qualité de leurs teneurs, font croire à la capacité de générer une
nouvelle croissance dans l’exploitation minière au Katanga. Mais toute la
question est celle des délais. Dans la meilleure des hypothèses, la construc-
tion des barrages et des voies ferrées envisagés prendra plusieurs années.
Entre-temps, l’industrie minière devra continuer à supporter le coût d’une
énergie chère et parfois erratique ainsi que des délais de transport trop longs
et érodant la compétitivité. Si les cours continuent à se situer au-dessous
des 5000 dollars/tonne de cuivre, le pari sera difficile. En outre, si le Congo
ne renoue pas rapidement avec la stabilité politique, il est à craindre que
les investisseurs ne se ruent pas pour mener à bien leurs projets miniers ou
d’infrastructures, et attendent des jours meilleurs. Un arbitrage définitif sur
le Code minier contribuerait aussi à clarifier la situation et à mettre fin aux
spéculations inhibitrices de décisions d’investissement.
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15
Dans une analyse publiée en mai 2008 sous le titre « République démocratique du Congo.
La bonne gouvernance dans le secteur minier comme facteur de croissance », la Banque
mondiale relève qu’en 2002, la productivité de la Gécamines de 0,83 tonnes/an de cuivre
par employé, était plus de cent fois inférieure à celle de la Codelco (96,42 tonnes/employé).
Les causes multiples du ralentissement de l’activité dans le Copperbelt 123
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La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or
en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu
Janvier Kilosho Buraye1
Introduction
La République démocratique du Congo (RDC) regorge d’énormes
potentialités minières dont l’exploitation est porteuse de grands espoirs de
développement économique. Ses réserves (au prorata des réserves mon-
diales) sont constituées pour l’essentiel, de cobalt (environ 36 %), de coltan
(environ 25 %) et de tantale dans une moindre mesure, de cuivre (environ
6 %), de cassitérite (environ 7 %) et d’or (1 %) (KFW & BGR 2007 : 26).
Paradoxalement, cette manne géologique est contrastée par un véritable
scandale social. Autrement dit, l’exploitation de ces potentialités naturelles
ne parvient pas à catalyser le développement du pays et à réduire la pauvreté
de ses citoyens (Ndungu & Kilosho 2009).
En RDC, et plus précisément dans la province du Sud-Kivu, l’exploita-
tion minière est la base de l’économie. L’exploitation minière artisanale y a
été libéralisée vers les années 1980 avec le début de la faillite de la Sominki,
causée par l’instabilité économico-politique que le pays connaissait. Suite
au boom du coltan des années 2000, pendant l’époque des guerres (de 1996
à 1997, et de 1998 à 2002), tout le secteur minier de la province a connu de
nombreux bouleversements (ibid. 2009). Du coup, l’exploitation artisanale
de l’or s’est envolée, plus particulièrement dans les territoires de Mwenga,
Shabunda et Fizi (ibid. 2009).
Entre autres raisons, cet envol a été renforcé par l’absence d’entreprises
industrielles et l’enclavement de certains sites miniers du Sud-Kivu. En
effet, le manque d’infrastructures routières et électriques a rendu – et rend
1
Chercheur au Centre d’Expertise en Gestion minière (CEGEMI/Université catholique
de Bukavu) et doctorant en Études de développement (IOB/Université d’Anvers). Je
remercie infiniment Alain Mugisho Batumike (licencié en sciences économiques et
de gestion de l’Université catholique de Bukavu, année académique 2013-2014), qui a
coordonné l’équipe d’enquêteurs dans la collecte des données sous notre supervision.
Mes remerciements s’adressent plus particulièrement à Marijke Verpoorten (professeur
à l’Université d’Anvers) pour son encadrement et ses lectures du présent chapitre, que
nous avons écrit dans le cadre de notre formation doctorale. Notre sentiment de gratitude
s’adresse aussi aux lecteurs anonymes qui ont contribué à l’amélioration de ce travail.
126 Conjonctures congolaises 2016
encore – l’exploitation industrielle pratiquement impossible. L’instabilité
politique du pays et l’insécurité dans la région expliquent en partie la
carence des entreprises minières, qui ne pouvaient pas exploiter des mines
contrôlées par des groupes armés ou dont l’environnement est insécurisé
(Cuvelier 2010). Ainsi, l’exploitation artisanale s’est logiquement présentée
comme le modèle d’extraction le plus adéquat, étant donné l’interaction des
facteurs susmentionnés.
L’économie minière artisanale a été – et est encore – considérée comme
une économie de survie à grande échelle, qui concerne des centaines de
milliers de Congolais (Garrett 2008 ; Geenen 2014). Créatrice d’emplois,
l’activité minière artisanale telle qu’elle s’est développée dans l’Est de
la RDC, et plus précisément au Sud-Kivu, n’a toutefois pas permis à ses
acteurs d’améliorer leurs conditions de vie : derrière l’apparence illusoire
d’un enrichissement facile à très court terme, elle génère une dynamique
d’appauvrissement (International Alert 2009).
Dans les différents sites miniers du Sud-Kivu, la majorité des exploitants
artisanaux sont vulnérables, étant d’origines différentes et en quête d’une
meilleure qualité de vie. Pour la plupart des « creuseurs » artisanaux, le sec-
teur minier ne constitue pas une panacée à la pauvreté et à la vulnérabilité
dont ils sont victimes (Bucekuderhwa et al. 2013). Le gain aléatoire que
les creuseurs tirent de l’exploitation de l’or, la mauvaise allocation de leurs
revenus, les conditions de travail déplorables, la menace pressante de l’in-
dustrialisation du secteur ainsi que la présence de plusieurs bandes armées
dans le site insécurisent leurs moyens de subsistance (Stoop et al. 2016).
Actuellement, à Kamituga, l’un des plus importants sites aurifères de
la province du Sud-Kivu, l’entreprise minière Banro est en phase explo-
ratoire depuis 2009 et les mineurs artisanaux exploitent encore l’or dans
cette concession (ibid.). À mesure que ces activités progressent, les mineurs
artisanaux, estimés à plus de 10 000 à Kamituga (Geenen 2014), trouvent
leurs moyens de subsistance et leur structure sociale menacés. Comment
pourront-ils sécuriser leurs moyens de subsistance si Banro les délocalise
et/ou les oriente vers d’autres activités génératrices de revenus, comme les
activités techniques (mécanique, menuiserie, soudure, etc.), agricoles et
piscicoles, par exemple ? Avec l’arrivée de Banro, la question relative à
leur avenir reste encore à documenter. Ont-ils atteint un niveau de richesse
leur permettant de s’adapter au changement ? Nous considérons cette étude
sur le niveau de pauvreté des creuseurs comme le point d’ancrage de notre
démarche, qui vise à proposer des orientations stratégiques futures à Banro
et à l’État congolais.
En ce qui concerne les études sur la pauvreté dans le cadre de l’exploi-
tation minière artisanale en RDC, à notre connaissance, aucune étude n’a, à
ce jour, mesuré le niveau de pauvreté des exploitants miniers dans l’Est de
la RDC. Pratiquement, différentes contraintes sont généralement rapportées
La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu 127
comme pesant sur les chercheurs s’orientant dans l’analyse de la pauvreté en
Afrique subsaharienne. Il s’agit principalement du manque d’informations
statistiques relatives aux aspects démographiques des populations minières
(Hilson 2005), de l’absence de données longitudinales (Noetstaller et al.
2004) et de la compréhension inadéquate de la relation entre exploitations
minières artisanales à petite échelle et tout le processus du mode de survie
des exploitants artisanaux (Hentschel et al. 2002).
Ainsi, l’objectif de ce chapitre est de comprendre l’état de pauvreté des
mineurs artisanaux de Kamituga, tandis que Banro est dans sa phase explo-
ratoire. De ce fait, il s’agit de relever les facteurs déterminant le niveau
de pauvreté. La compréhension du niveau de pauvreté présente un double
avantage. Pour Banro, la prise en compte de ces données pourra faciliter la
mise en place des stratégies de développement de l’usine afin d’établir une
paix sociale. Pour l’État congolais, les recommandations qui découlent de
cette recherche pourront permettre d’orienter les stratégies de réduction de
la pauvreté au niveau du secteur minier et ainsi d’aboutir à un développe-
ment local durable.
Notre premier point traitera du cadre conceptuel de la pauvreté et plus
particulièrement de la pauvreté affectant les mineurs artisanaux ; la deu-
xième section présentera la méthodologie, et la troisième évoquera les
résultats empiriques, le tout sera suivi d’une conclusion.
1. La compréhension de la pauvreté
1.1. Cadre conceptuel
Le concept de pauvreté prend son origine en éthique sociale dans la théo-
rie de l’arrangement social. Il apparaît en économie dans les développements
de la théorie du choix social (Asselin & Dauphin 2000). La « pauvreté »
existe dans une société donnée lorsque le bien-être d’une ou de plusieurs
personnes n’atteint pas un niveau considéré comme un minimum raison-
nable selon les critères de cette même société. Est donc pauvre celui qui n’a
pas accès aux biens consommés par la grande majorité de ses concitoyens
(Ravallion 1996).
La pauvreté est, par conséquent, un concept polysémique qui mérite
d’être appréhendé de différentes manières. Dans la littérature, plusieurs
approches de mesure de la pauvreté existent et sont généralement regrou-
pées en deux dimensions : la pauvreté objective et la pauvreté subjective.
La dimension objective présente les approches monétaires et non monétaires,
et la dimension subjective reprend une forme de perception individuelle et
les considérations participatives.
Sous l’approche monétaire, il existe un niveau de bien-être prédéfini qui,
s’il n’est pas atteint par défaut ou par insuffisance de revenu, correspond
128 Conjonctures congolaises 2016
à une situation de pauvreté. Le revenu permettant de satisfaire ce niveau de
bien-être est qualifié de seuil de pauvreté (ou ligne de pauvreté). Pour relever
le bien-être des individus ou des ménages à partir de leurs revenus, la pra-
tique conduit souvent à mesurer leurs niveaux de consommation (Wong &
Wong 2004). Dans ce cas, lorsque la somme des dépenses de consommation
est inférieure au seuil prédéfini, l’individu sera considéré comme pauvre.
Ainsi, l’indice ou l’acuité mesure la proportion des individus pauvres
dans la population totale (Morrison 2003). La pauvreté absolue et la pauvreté
relative sont deux méthodes d’appréhension de la pauvreté sous l’approche
monétaire. Pour Morrison, la pauvreté absolue se réfère à la satisfaction
des besoins essentiels (c’est-à-dire que toute personne qui dispose d’un
revenu insuffisant pour les satisfaire est considérée comme pauvre) tandis
que la pauvreté relative se réfère à la distribution des revenus (par exemple,
toute personne ayant un revenu inférieur à la moitié du revenu médian ou
du revenu moyen est classée parmi les pauvres). En d’autres termes, les
mesures du seuil de pauvreté sous l’approche monétaire absolue considè-
rent soit 1 dollar en parité du pouvoir d’achat, soit les besoins basiques, ou
encore ceux en quantité d’énergie alimentaire consommée. La comparaison
de l’individu à l’ensemble de la population en termes de pourcentage du
revenu médian ou de la consommation médiane conduit à une analyse rela-
tive de la pauvreté.
Récemment, l’approche des capacités (ou « capabilities » en anglais)
est venue renforcer la multidimensionnalité de la pauvreté. Il s’agit d’une
approche non monétaire qui estime qu’un individu est pauvre s’il n’a pas
les « capabilities » d’atteindre un ensemble d’accomplissements (Asselin &
Dauphin 2000). Cette approche propose d’estimer la qualité de la vie sur la
base de ce que les individus sont en mesure de réaliser concrètement. C’est
ce que Sen qualifie d’« états » (« beings ») et d’« actions » (« doings »),
qui constituent l’ensemble des fonctionnements (« functionings »).
Et l’ensemble des fonctionnements potentiels que l’individu peut réaliser est
appelé « capabilité » (« capability ») et représente la liberté de fonctionner
de l’individu. La capabilité est, par conséquent, un ensemble de vecteurs de
fonctionnements qui indique qu’un individu est libre de mener tel ou tel type
de vie. L’analyse de la pauvreté sous l’approche des « capacités » indique
donc que la pauvreté doit être considérée comme la privation de capacités
fondamentales plutôt que comme bassesse des revenus (Sen 1999).
Ainsi, sur le plan conceptuel, la réponse à la question de savoir « qui est
pauvre ? » peut être résumée par la figure suivante.
La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu 129
Figure 1 : carte conceptuelle de la pauvreté
Source : compilation de l’auteur.
Alors que l’approche objective se focalise sur l’aspect monétaire et
non monétaire de la pauvreté, l’approche subjective, quant à elle, est une
forme d’appréciation de la pauvreté sous un angle individuel ou partici-
patif. Elle permet d’étudier le bien-être subjectif des individus (Van Praag
1971). L’approche subjective peut être envisagée de deux manières : soit en
examinant qui est considéré comme pauvre selon l’opinion publique, soit
en collectant les croyances et avis des individus par rapport à leurs propres
positions dans un système d’inégalité donné (Siposné Na’ndori 2011).
1.2. La pauvreté des exploitants artisanaux
Il existe une abondante littérature sur l’exploitation minière artisanale
de petite échelle (Small Scale Mining – ASM, en anglais) pour l’Afrique
subsaharienne. Le débat littéraire va dans tous les sens : le conflit opposant
l’exploitation industrielle (LSM) à l’ASM, les possibilités d’exit du secteur,
la pérennisation des mineurs artisanaux dans la mine, les stratégies de survie
de ceux-ci, l’entrée dans la mine comme réponse à la pauvreté, le souci d’ac-
cumulation rapide de richesse comme motivation importante, etc.
Depuis la table ronde sur l’exploitation minière informelle de 1995 et
les recherches sur l’exploitation minière artisanale qui s’en sont suivies, il
est reconnu que l’exploitation minière artisanale conduit à l’appauvrisse-
ment des mineurs artisanaux, mais continue pourtant à attirer des milliers
d’individus qui, en dépit d’attentes élevées, ont peu de chance de s’enrichir
(Hilson 2009). Parmi les raisons généralement citées poussant les individus
dans la mine figurent l’instabilité financière, le manque d’autres opportuni-
tés et le souci de s’enrichir rapidement (surtout pendant la période du boom
minier) (Dreschler 2001 ; Hilson 2009). Cependant, la sortie de la mine
130 Conjonctures congolaises 2016
vers les autres activités économiques demeure difficile (Perks 2011) et les
mineurs artisanaux finissent par y faire carrière (Fisher 2007 ; Fisher et al.
2009 ; Bryceson & Jønsson 2010).
Dans la majorité des pays à potentiels miniers, les réformes minières
ont été entreprises vers les années 2000, en réponse à la politique de pri-
vatisation et de libéralisation de l’économie depuis les années 1980 et
1990 (Hilson & McQuilken 2014). Ces réformes ont conduit à l’expansion
de l’artisanat minier (Geenen & Radley 2014) et n’ont pas produit assez
d’effets positifs sur les moyens de subsistance des mineurs artisanaux. Au
contraire, elles ont renforcé les inégalités entre classes (Clausen et al. 2011 ;
Siegel & Veiga 2009) et se sont réalisées au détriment des mineurs artisa-
naux (Clausen et al. 2011). Ce débat a d’ailleurs remis en cause l’efficacité
et la profitabilité des réformes minières en Afrique subsaharienne : alors
qu’aucun effet profitable aux mineurs artisanaux n’est observé, les coûts des
réformes ont dépassé les bénéfices générés au niveau national (Banchirigah
2008 ; Siegel & Veiga 2009 ; Geenen 2012).
En RDC, comme dans la plupart des pays subsahariens tels que le Ghana
et la Tanzanie, la mine artisanale draine des milliers d’individus (Banchirigah
2008 ; Hilson 2009). En 2008, bien que les effectifs de mineurs soient dif-
ficiles à dénombrer étant donné le caractère migratoire de l’ASM, de 14 %
à 16 % de la population vivant de l’ASM en RDC ont été estimés (Banque
mondiale 2008). En 2014, l’International Information Service-IPIS (2015) a
compté 67 401 mineurs artisanaux pour les sites à exploitation des 3T2 et de
l’or visités au Sud-Kivu. Malgré le nombre croissant de mineurs artisanaux
au Sud-Kivu, les études sur les moyens de subsistance de ces derniers res-
tent limitées. La majorité des études existantes ont été réalisées de manière
qualitative, à l’instar des ouvrages de Ndungu et Kilosho (2009), Geenen et
Kamundala (2009), Geneen (2014), International Alert (2009) ainsi que de
Bucekuderhwa et al. (2013).
Dans le cas de la province du Sud-Kivu, Banro fait son arrivée dans
un contexte où la mine supporte la majorité des populations vivant dans et
aux alentours des exploitations, et où les institutions de l’État sont fragiles
(Geenen 2014 ; Stoop et al. 2016). Les études de Ndungu et Kilosho (2009),
Geenen et Kamundala (2009), Geenen (2011) et International Alert (2009)
ont révélé qu’à Kamituga, le revenu moyen journalier des mineurs se situe
entre 1 et 3 dollars. Ce revenu, aussitôt obtenu, est généralement consommé
pour couvrir leurs dettes auprès des commerçants.
D’après une approche qualitative, la recherche de Bucekuderhwa et al.
(2013) sur la vulnérabilité des exploitants artisanaux se fonde sur les pre-
mières données de terrain récoltées à Mukungwe, Burhinyi et Luhwindja.
2
Le manuel de traçabilité des produits miniers en RDC, réalisé par les ministères des
Mines et des Finances, entend par 3T : Tin (Cassitérite), Tantale (Tantalum) et Tungsten
(Wolframite) (Ministère des Mines et Ministère des Finances de la RDC 2014 : 9).
La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu 131
Cette étude a abouti aux résultats selon lesquels les mauvaises conditions de
travail sont les causes principales de la propagation de maladies de toutes
sortes, et sont l’effet du comportement des exploitants ; les mineurs artisa-
naux sont, de ce fait, rendus plus vulnérables aux chocs exogènes.
En étudiant le conflit opposant Banro aux mineurs artisanaux de
Kamituga, Stoop et al. (2016) rapportent, par une enquête quantitative,
que le revenu des mineurs artisanaux était d’environ 5 dollars par jour.
Cependant, il s’est agi d’un revenu indicatif reporté par les mineurs pour une
semaine hebdomadaire et non d’un revenu que les chercheurs ont obtenu en
analysant les rapports journaliers de production des mineurs artisanaux. De
plus, comme les autres études précédemment citées, cette recherche n’a pas
analysé la pauvreté des mineurs artisanaux.
La majorité des études relatives à la pauvreté au Sud-Kivu (et même plus
généralement en RDC) se sont davantage intéressées aux milieux ruraux
et pas spécifiquement à l’ASM. Furaha et al. (2013) ont mené une étude
analysant l’impact des activités non agricoles sur la pauvreté et l’inégalité
rurales au Sud-Kivu en 2012. L’étude a porté sur 135 ménages sélectionnés
à partir d’un sondage systématique dans deux groupements de la chefferie
de Kabare (Bugorhe et Irhambi-Katana). Les auteurs ont mesuré la pauvreté
sous l’approche absolue (pauvreté monétaire) par les indices Foster-Greer-
Thorbecke (FGT), à travers le revenu des ménages. Les résultats de cette
étude révèlent notamment que 80,9 % des ménages à activité agricole unique
vivent avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté en milieu rural en RDC,
fixé à 171,2 dollars (soit 0,48 dollar par personne et par jour). En 2012, ce
seuil de pauvreté est passé à 622,85 dollars (soit 1,73 dollar par personne
et par jour). Il est de 0,78 dollar par personne et par jour en ce qui est de la
pauvreté alimentaire (Institut national de la statistique de la RDC 2014)3.
Moummi (2010) a fait usage des enquêtes 1-2-3 sur les volets de la vie
économique et sociale de la RDC pour la période 2004-2005. En se foca-
lisant sur la pauvreté absolue en termes monétaires, il a aussi utilisé les
indices de FGT pour appréhender la pauvreté en termes d’énergie nutri-
tionnelle et de coûts des besoins de base. Il aboutit à la conclusion selon
laquelle, au niveau national, la pauvreté en RDC touche 68 % de l’ensemble
des ménages. Leur répartition spatiale montre que le milieu rural enregistre
un taux de pauvreté de 72 % contre 59 % pour le milieu urbain. Il révèle
également que la pauvreté est accentuée par les ménages de grande taille et
qu’elle est minimisée par le niveau d’instruction du chef de ménage.
3
En RDC, le Gouvernement central, par le canal de l’Institut national de la Statistique,
a mené des enquêtes sur des ménages. Leur première phase portait sur l’emploi (1), la
deuxième phase sur l’informel (2) et la troisième phase sur la consommation (3) en 2004-
2005 et en 2012. D’où l’appellation « enquête 1-2-3 ». Ces enquêtes ont fixé les lignes de
pauvreté.
132 Conjonctures congolaises 2016
2. Méthodologie et spécification des modèles
En juillet 2013, nous avions compté au total 3458 exploitants artisanaux
à Kamituga4. Ces effectifs nous viennent des listes obtenues de la part du
Comité des Orpailleurs de Kamituga (COKA) et de la Coopérative princi-
pale des Associations des Creuseurs artisanaux de Mwenga (CPACAM).
Ces listes concernent les années 2010 et 2011. Selon le COKA, sont consi-
dérées comme grandes « carrières », les « carrières » qui comptent pas
moins de 100 mineurs « ordinaires » (localement appelés « creuseurs »).
En collaboration avec le COKA, nous avons recensé 40 « carrières ». Après
des discussions avec le COKA, la CPACAM et Banro autour de l’intensité
des activités artisanales et des effectifs des mineurs actifs par site minier,
nous avons choisi cinq grands sites miniers où les activités de Banro sont
intenses : Kabo, Calvaire, G15 et Kimbaseke, et Matenende. Nous avons
estimé la taille de l’échantillon sur la base de la formule usuelle de Cochran
(Bartlett at al. 2014) et nos enquêtes de juillet 2013 nous ont permis de
dégager l’écart-type en rapport avec la variable revenu et les erreurs stan-
dards sur sa distribution.
Le tableau 1 présente la répartition de l’échantillon de creuseurs par car-
rière sélectionnée. Une sélection aléatoire de 114 ménages de « creuseurs »
a été appliquée. Cette sélection s’est fondée sur les proportions des effectifs
de « creuseurs » sur les listes obtenues auprès des « chefs de colline » (chefs
du comité des mineurs par carrière).
Tableau 1 : effectifs des mineurs artisanaux (creuseurs ordinaires)
répartis par carrière
Carrière Nombre de Taille de Proportion par
creuseurs l’échantillon rapport au total
Kabo 763 34 30 %
Kimbaseke 642 30 26 %
G15 454 20 18 %
Matenende 350 16 14 %
Calvaire 289 14 12 %
TOTAL 2498 114 100 %
Source : réalisé par l’auteur sur la base des listes obtenues auprès de la COKA et de la
CPACAM en juillet 2013.
4
La cité minière de Kamituga est située à environ 180 km de Bukavu (chef-lieu de la
province du Sud-Kivu) et à 45 km de Mwenga (chef-lieu du territoire de Mwenga), sur
l’axe routier Bukavu-Kindu. La grande partie de l’activité économique à Kamituga est
centrée sur l’exploitation minière (Vlassenroot & Raeymaekers 2004).
La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu 133
Bien que ne reprenant pas tous les effectifs des exploitants artisanaux à
Kamituga, les effectifs de ces cinq carrières montrent déjà combien le sec-
teur est peuplé. Il est à noter que la mobilité des exploitants artisanaux peut
conduire, à présent, à la surestimation ou à la sous-estimation des effectifs,
comparativement à nos enquêtes de juillet 2013, et cela compte tenu de la
percée des activités de Banro. Malgré cette inquiétude sur la mobilité des
mineurs artisanaux, nous nous sommes tout de même appuyés sur les pro-
portions des effectifs de juillet 2013 pour repartir calibrer notre échantillon
(tableau 1). Après une formation de cinq enquêteurs pendant trois jours, un
prétest du questionnaire a été organisé à Bukavu. À Kamituga, les trois pre-
miers jours de terrain ont été consacrés aux formalités administratives et à la
constitution des listes de mineurs. Les enquêtes proprement dites, réalisées
auprès des ménages de mineurs, ont duré six jours en juillet 2014.
Le questionnaire adressé aux « creuseurs » reprend les caractéristiques
démographiques et socio-économiques : âge, sexe, statut matrimonial,
niveau d’éducation de l’enquêté, taille du ménage, nombre d’enfants, nombre
d’enfants qui étudient, activité principale de l’enquêté, autres activités de
l’enquêté et ses années d’expérience dans la mine à Kamituga. Il reprend, en
outre, les caractéristiques du logement (toiture, source d’approvisionnement
en eau, moyen de cuisson, type d’énergie utilisée pour l’éclairage et type
de toilette) et le nombre d’actifs que le ménage possède (parcelle, maison,
champ cultivable, puits minier ainsi que petit et gros bétail).
Dans un premier temps, nous aborderons, à travers les statistiques des-
criptives, les caractéristiques sociodémographiques, socio-économiques, les
conditions de vie des mineurs artisanaux ainsi que leur possession d’actifs.
Dans un second temps, nous estimerons le modèle de pauvreté dans lequel
ceux-ci s’inscrivent.
Pour les modèles d’estimation, nous nous sommes reporté aux études de
Córdova (2008), Moummi (2010), Kuson et al. (2012), Furaha et al. (2013)
et Institut national de la statistique de la RDC (2014) en vue de choisir les
déterminants de la pauvreté dans le milieu rural. Le choix de variables expli-
catives pour un modèle de pauvreté s’est opéré en fonction de la complexité
du concept de « pauvreté », car certaines variables peuvent expliquer la pau-
vreté en tant qu’elles-mêmes en sont les composantes, comme c’est le cas
de la possession d’actifs physiques, le nombre d’enfants fréquentant l’école,
le nombre d’années de scolarité, etc. Un ménage qui n’est pas touché par la
pauvreté peut posséder beaucoup d’actifs. Par ailleurs, le fait de disposer de
ces actifs permet au ménage de se maintenir au-dessus du seuil de pauvreté,
car l’utilisation de certains biens peut générer un revenu propre.
Nous avons choisi les variables qui, à notre avis et relativement à la
littérature, présentent des caractéristiques plus exogènes en vue d’expliquer
la pauvreté. Le vecteur « X », vecteur des variables explicatives, reprend
l’âge du chef du ménage, son niveau d’éducation, la taille du ménage et le
134 Conjonctures congolaises 2016
fait d’avoir une autre activité en dehors de la mine. Le tableau 2 présente la
mesure de chaque variable du vecteur « X » :
Tableau 2 : les variables composant le vecteur « X »
Variables Mesure Source
Vyas & Kamaranayake
Âge du chef du Nombre d’années écoulées (2006), Ministère du Plan
ménage depuis la naissance de la RDC (2006 & 2011),
Moummi (2010)
Ministère du Plan de
1 si aucune ;
Niveau d’éducation la RDC (2006 ; 2011),
2 si primaires inachevées ;
du chef du ménage Moummi (2010), Furaha
6 si universitaire
et al.(2013)
Nombre de personnes Institut national de la
vivant dans le ménage, statistique de la RDC
Taille du ménage
dormant sous le même toit (2014), Moummi (2010),
et partageant le même repas Furaha et al.(2013)
Le mineur n’exerce 1 si le mineur n’exerce pas
pas d’autre activité d’autres activités en dehors Kuson et al. (2012)
en dehors de la mine de la mine, 0 si non
Nous avons comparé deux modèles de pauvreté : le modèle de pauvreté
subjective (modèle 1) établi selon la perception que le « creuseur » a de la
satisfaction des besoins du ménage par le revenu minier (Coudouel et al.
2002), et le modèle de pauvreté multidimensionnelle selon un indice d’ac-
tifs physiques (modèle 2). Parmi les actifs physiques dont disposent les
ménages, nous avons retenu les facteurs suivants : la possession de la terre,
les moyens de communication, les moyens de transport et le fait d’être pro-
priétaire de la maison d’habitation.
Pour la pauvreté subjective, est considéré comme pauvre le ménage
qui estime que son revenu global mensuel ne permet pas de satisfaire ses
besoins. Une analyse en composante principale (ACP) a permis de détermi-
ner l’indice de pauvreté (score d’actifs physiques) pour le cas de la pauvreté
multidimensionnelle. Dans une approche de ciblage (Wodon 1997), nous
avons distingué les pauvres des non-pauvres à partir de l’indice de pauvreté
en utilisant tour à tour le seuil de 0,5 et les quintiles, seuils généralement
employés (Wodon 1997 ; Vyas & Kamaranayake 2006 ; Córdova 2008).
Pour comprendre les liens de causalité entre ces indicateurs et la pau-
vreté, le modèle logit binaire mesure l’état de pauvreté « subjective » : Y1i
est égal à 1 si l’individu estime que son revenu mensuel minier ne lui permet
pas de couvrir les besoins du ménage, et équivaut à 0 dans le cas contraire.
La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu 135
Le modèle de pauvreté multidimensionnelle y2i (indice d’actifs) a été estimé
à partir d’un OLS (Coudouel et al. 2002).
L’objectif est de vérifier les hypothèses liées aux coefficients estimés
suivants :
- l’incidence de la pauvreté augmente avec la taille du ménage (Moummi
2010) : les individus d’un ménage de grande taille sont plus suscep-
tibles d’être pauvres, la contribution marginale de chaque membre au
budget du ménage étant supposée insuffisante pour le cas de la RDC
(Institut national de la statistique de la RDC 2014 ; Moummi 2010) ;
- le niveau élevé d’éducation du chef du ménage donne plus de chance
au ménage d’échapper à la pauvreté (Coudouel et al. 2002 ; Moummi
2010 ; Institut national de la statistique de la RDC 2014 ; Furaha et al.
2013) ;
- l’augmentation de l’âge conduirait à une réduction de la pauvreté étant
donné les effets d’accumulation de richesse (Institut national de la sta-
tistique de la RDC 2014) ;
- Le fait d’avoir une autre activité génératrice de revenus en dehors de la
mine augmenterait la probabilité d’échapper à la pauvreté en raison du
revenu supplémentaire que ces activités génèrent.
Formellement, par l’ACP, l’indice de pauvreté pour le ménage i est la
combinaison linéaire donnée par :
où x k et s k sont respectivement la moyenne et l’écart-type des actifs x k
et β représente le poids de chaque variable x k pour la première compo-
sante principale.
Ce modèle montre que la première composante principale de la variable
y à travers les ménages a une moyenne de zéro et une variance de λ, qui cor-
respond à la plus grande valeur propre de la matrice de x de corrélation. La
première composante y (qui peut prendre des valeurs positives et des valeurs
négatives) conduit à un indice de pauvreté (score d’actifs) qui attribue un
poids plus important aux actifs qui varient le plus entre les ménages, de sorte
qu’un actif trouvé dans tous les ménages reçoive un poids de zéro (Córdova
2008 ; Montgomery et al. 2000 ; Vyas & Kamaranayake 2006).
Les composantes et leurs facteurs retenus pour notre analyse sont résu-
més dans le tableau 3.
Tableau 3 : identification et codification de la mesure de la pauvreté*
136
Facteurs composant
Variables la variable Mesure Source
dépendante
Modèle 1 :
Perception du revenu par Ferrer-I-Carbonell & Van Praag (2001) ;
Y1 = pauvreté
rapport à la satisfaction des Coudouel et al. (2002) ; discussion avec les
subjective
besoins du ménage habitants et observations du milieu par l’auteur
(dichotomique)
1 si aucune parcelle en Lawal et al. (2011) ; discussion avec les habitants
Parcelle
possession et observations du milieu par l’auteur
1 si ni terre cultivable ni terre Lawal et al. (2011) ; discussion informelle avec
Terre cultivable
mise en jachère les habitants et observation du milieu par l’auteur
Modèle 2 : Maison (logement Discussion informelle avec les habitants et
1 si locataire
Y2 = actifs physiques privé) observations du milieu par l’auteur
(index dichotomique) Moyen de 1 si pas plus d’une radio,
Alkire & Santos (2010)
communication télévision et téléphone
Conjonctures congolaises 2016
Alkire & Santos (2010) ; discussion informelle
Moyen de transport 1 si ni véhicule ni moto avec les habitants et observations du milieu par
les auteurs
Source : compilation de l’auteur.
* Toutes les variables constituant les différentes composantes sont mesurées de façon dichotomique pour pouvoir utiliser l’ACP (Vyas & Kamaranayake
2006).
La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu 137
Le poids factoriel de ces actifs dans l’indice ainsi que leurs moyennes et
écarts-types obtenus sont repris dans le tableau suivant.
Tableau 4 : scores factoriels de l’indice de pauvreté
multidimensionnelle
Variable Moyenne Écart-type Score factoriel
Parcelle 0,5044 0,5022 0,6112
Terre cultivable 0,6549 0,4775 0,3623
Logement privé 0,5044 0,5022 0,5575
Actifs de transport 0,9912 0,0941 0,3684
Actifs de
0,0885 0,2852 0,2206
communication
3. Discussion des résultats
3.1. Quelques caractéristiques socio-économiques des mineurs
artisanaux de Kamituga
Comme le montrent les figures 2, 3 et 4, les statistiques descriptives
indiquent que la population des « creuseurs » a, en moyenne, 30 ans d’âge
et 10 ans d’expérience dans la mine à Kamituga. Ils sont majoritairement
mariés (87 %), les célibataires ne constituant que 11 %. Leur niveau d’édu-
cation est bas : 45 % des « creuseurs » enquêtés n’ont pas achevé l’école
secondaire contre 13 % ayant suivi le cursus complet ; 26 % n’ont pas
achevé l’école primaire contre 11 % l’ayant terminée ; 4 % n’ont pas du tout
été scolarisés. Aucun de nos enquêtés ne dispose d’un niveau universitaire.
Ces résultats sur le niveau d’éducation des « creuseurs » rencontrent les
conclusions de Garrett (2008), qui a mené ses études au Nord-Kivu.
Ce faible niveau d’éducation augure un taux élevé de pauvreté chez les
« creuseurs ». Les mineurs, étant majoritairement en âge d’activité et ayant
un niveau d’éducation faible, ont passé beaucoup de temps dans la mine de
Kamituga. Toute politique de Banro visant à les réorienter et/ou à les délo-
caliser peut être confrontée à une résistance en raison de leur appréhension
à relever de nouveaux défis ailleurs.
En ce qui concerne la composition du ménage, la figure 5 indique que
les ménages des « creuseurs » ne sont pas différents des autres ménages de
la RDC, qui comptent en moyenne 7 personnes chacun (Institut national de
la statistique de la RDC 2014). 55 % des mineurs de Kamituga vivent dans
des ménages composés de 5 à 9 personnes, 37 % sont dans des ménages de
4 personnes au maximum et 5 % ont des ménages de plus de 9 personnes.
138 Conjonctures congolaises 2016
Figure 2 : âge des mineurs
Figure 3 : expérience dans la mine
La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu 139
Figure 4 : niveau d’éducation des mineurs
Figure 5 : nombre de personnes dans les ménages
140 Conjonctures congolaises 2016
Figure 6 : toiture de la maison Figure 7 : murs de la maison
Figure 8 : conditions sanitaires Figure 9 : propriété de la maison
La perte d’activité dans la mine, due à une possible politique de relocalisa-
tion et/ou de délocalisation que Banro pourrait mettre en place dans le futur,
conduirait, encore une fois, à des défis énormes. La compagnie devra, en
effet, comptabiliser dans sa politique et les « creuseurs » et les membres de
leurs ménages.
Concernant l’habitat des mineurs artisanaux, 70 % des ménages de
« creuseurs » vivent dans des maisons en planches contre 18 % qui habitent
La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu 141
des maisons en terre battue. 2 % sont dans des maisons en blocs de ciment
et 10 % dans des maisons de briques cuites (figure 7). Par ailleurs, 98 %
des « creuseurs » vivent dans des maisons à la toiture en tôles (figure 6).
Alors que 49 % logent dans leur propre maison, 36 % sont locataires et
15 % vivent dans l’habitation de leurs frères ou sœurs (figure 8). De plus,
60 % des ménages de mineurs utilisent des toilettes communes à plusieurs
familles, tandis que 7 % utilisent des trous. Seuls 2 % disposent de toilettes à
l’intérieur de leur maison d’habitation (figure 8). Cette situation s’explique-
rait par une forte concentration des ménages autour des mines de Kamituga.
Pour ce qui est de l’approvisionnement en eau potable, 10 % des ménages
de « creuseurs » ont un robinet dans leur parcelle, 25 % puisent l’eau d’un
puits protégé, 33 % sont abonnés chez le voisin et 30 % puisent aux robi-
nets publics extérieurs (figure 10). Pour les moyens de cuisson et l’accès à
l’électricité, 75 % des mineurs affirment qu’ils utilisent des braises contre
Figure 10 : accès à l’eau Figure 11 : moyens de cuisson
Figure 12 : accès à l’électricité
142 Conjonctures congolaises 2016
25 % utilisant les bois de chauffage ou autre ressource, tandis que 54 % sont
abonnés à la Société nationale d’Électricité (SNEL) (figures 11 et 12).
Les figures 13 à 18, relatives à la possession de certains biens, renseignent
également sur l’état de pauvreté multidimensionnelle : 24 % des ménages
n’ont pas de radio, 61 % n’ont pas de télévision et 30 % n’ont pas de télé-
phone portable. 51 % ne disposent d’aucune parcelle pour y construire leur
maison et 70 % n’ont aucune terre cultivable. Enfin, 99 % des mineurs ne
Figure 13 : nombre de radios Figure 14 : nombre de télévisions
Figure 15 : nombre de téléphones Figure 16 : nombre de parcelles
La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu 143
Figure 17 : nombre de champs Figure 18 : possession
cultivables de véhicules
possèdent pas de véhicule, que ce soit pour le déplacement personnel ou
pour le transport en commun.
3.2. Discussion des modèles de pauvreté
Nos résultats rencontrent les conclusions de Garrett (2008) ainsi que
celles de Geenen et Kamundala (2009) : la majorité des mineurs artisanaux
est pauvre. Sous l’approche subjective, 52 % des « creuseurs » sont qualifiés
de pauvres. Cette mesure de pauvreté est significativement expliquée par la
taille du ménage au seuil de 10 %. La probabilité à être pauvre augmente
faiblement lorsque la taille du ménage augmente d’un membre. Ces résultats
confirment les conclusions de Moummi (2010) selon lesquelles les ménages
de grande taille sont plus exposés à la pauvreté dans les milieux ruraux de
la RDC.
Par contre, l’âge et le niveau d’éducation du chef de ménage n’expli-
quent pas significativement la pauvreté (subjective et multidimensionnelle).
En effet, parmi les raisons pouvant expliquer cette non-significativité de
l’âge et du niveau d’éducation figurerait le fait que les mineurs ne considè-
rent pas leur enrichissement comme fruit d’une accumulation de richesses ;
il serait pour eux davantage lié à la bonne fortune. La « chance » peut ainsi
changer le niveau de vie des mineurs indépendamment de ces critères. Si un
lien de causalité entre âge, niveau d’éducation et pauvreté n’est pas établi
avec évidence, il faut toutefois considérer le cadre défini de notre échan-
tillonnage, qui ne se fonde que sur un nombre limité d’enquêtés.
144 Conjonctures congolaises 2016
Tableau 5 : les modèles de pauvreté
écart-
Variable dy/dx z P>|z| [ 95 % C.I. ] X
type
Pauvreté subjective (y1)
Âge du chef de
- 0,6697 0,942 - 0,71 0,477 - 2,51668 1,17616 1,30088
ménage
Taille du ménage 1,8053 0,931 1,94 0,052 - 0,01911 3,6298 1,71681
Niveau
d’éducation du 0,1151 0,425 0,27 0,786 - 0,71743 0,94756 3,35398
chef de ménage
Le mineur exerce
une autre activité
- 0,084 1,003 - 0,08 0,933 - 2,04987 1,88129 3,45133
en dehors de la
mine
Pauvreté multidimensionnelle (y2)
Écart-
Coef. t P>|z| [95 % C. I.]
type
Âge du chef de -0,6711168 0,1463875
-0,26236 0,2062 - 1,27 0,206
ménage
-0,4979141 0,2117281
Taille du ménage -0,14309 0,1790 - 0,80 0,426
Niveau
-0,3121737 0,0597126
d’éducation du -0,12623 0,0938 - 1,35 0,181
chef de ménage
Le mineur exerce
une autre activité
-0,3158 0,2123 - 1,49 0,140 -0,7366383 0,1049675
en dehors de la
mine
Cons 1,1194 0,5776 1,94 0,055 -0,0254451 2,264147
Number of obs = 113 F(4,108) = 1,50 Prob > F = 0,2074
R-squared = 0,0552 Root MSE = 1,1911
Source : estimation de l’auteur.
La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu 145
Par ailleurs, le fait d’avoir au moins une activité en dehors de la mine
n’influe pas significativement sur le niveau de pauvreté. Ces conclusions
sont surprenantes dans la mesure où, par hypothèse, plus le mineur accu-
mule les activités, plus il en perçoit les richesses, les autres activités pouvant
générer du revenu supplémentaire. Le signe négatif des effets marginaux
indique, néanmoins, qu’il y a une causalité inverse entre les activités com-
plémentaires effectuées en dehors de la mine et le niveau de pauvreté des
mineurs.
L’indice d’actifs physiques au seuil de 0,5 indique que 66,4 % des
ménages sont pauvres. En supposant un poids égal à tous les facteurs pour
des raisons de simplicité, les quintiles présentent respectivement 30 % des
ménages comme très pauvres, 12 % comme pauvres, 24 % comme moyen-
nement riches, 30 % comme riches et seulement 4,42 % comme très riches.
Aucune variable n’explique significativement la pauvreté multidimension-
nelle. Cela pourrait être dû au fait que la taille de l’échantillon est limitée
et que l’indice d’actifs n’intègre que quatre facteurs (le manque de terre
et de parcelles cultivables, la location/possession de la maison, le manque
de moyens de communication et de transport). Les informations relatives
à l’éducation des enfants, la satisfaction de leurs besoins et la santé des
membres du ménage sont autant de facteurs pouvant intégrer le modèle. Ces
facteurs peuvent justifier la significativité (au seuil de 10 %) de l’intercepte.
Avec ces taux élevés de pauvreté parmi les mineurs, et les caractéristiques
démographiques et socio-économiques de leur ménage, la mine artisanale
est à considérer comme une activité appauvrissante. Dans ce contexte de
précarité, il s’agira pour Banro de développer des programmes de réorien-
tation ou de délocalisation de mineurs. Hilson (2012) ainsi que Fisher et al.
(2009) ont confirmé ces conclusions au terme de leurs recherches, respec-
tivement menées au Ghana et en Tanzanie. La situation de Kamituga n’est
donc pas étrangère à celles des autres pays de l’Afrique subsaharienne.
« L’espoir de trouver du minerai un jour et de s’enrichir » est toutefois
tenace. Hilson (2012), Bryceson et Jønsson (2010) ont montré, respective-
ment pour le cas du Ghana et de la Tanzanie, que les mineurs investissent
beaucoup de temps dans la mine et qu’ils s’estiment ne pas avoir assez de
chance de s’établir dans d’autres secteurs. Ils peuvent alors vouloir s’accro-
cher à leurs puits. Ces quelques raisons, bien que non exhaustives, révèlent
implicitement l’existence d’un problème institutionnel dû à la « mauvaise »
gouvernance de la RDC, comme l’ont affirmé la plupart des chercheurs qui
ont travaillé sur les mines artisanales de la RDC (Cuvelier 2010 ; Geenen
2014, pour ne citer que ceux-là).
146 Conjonctures congolaises 2016
Conclusion
Notre étude montre que les mineurs de Kamituga sont pauvres, que ce
soit sous l’angle de la pauvreté subjective ou multidimensionnelle. Ils vivent
dans des conditions de précarité déterminée par de multiples facteurs : faible
niveau d’éducation, ménages de taille semblable à ceux des milieux ruraux
de la RDC, mauvaises conditions de l’habitat, faible possession d’actifs
physiques, etc. Le revenu issu de l’exploitation minière reste un revenu de
subsistance et ne permet pas encore de réduire le taux de pauvreté et de cata-
lyser le développement de la population. La taille des ménages s’est révélée
significative dans l’estimation de la pauvreté subjective. Cependant, aucun
des facteurs intégrés dans le modèle de pauvreté multidimensionnel n’a été
statistiquement significatif. La taille de l’échantillon très limitée (114 obser-
vations) et la différence des concepts de mesure de pauvreté expliqueraient
ces différences de significativité des déterminants de pauvreté entre les deux
modèles (pauvreté subjective et pauvreté multidimensionnelle).
Nos résultats indiquent que les mineurs n’ont pas encore atteint le niveau
de richesse leur permettant d’amortir les incertitudes sur leurs moyens
de survie, dans le cadre de la menace que constitue l’arrivée de Banro.
Des affrontements entre le LSM et l’ASM sont donc à prévoir. Lors du déve-
loppement de la mine, les politiques de Banro devront intégrer la dimension
« pauvreté des mineurs » dans la planification de ses relations avec la commu-
nauté. Pour la politique de réorientation des mineurs, par exemple, il s’agira
de cibler (après une étude approfondie) les moyens à mettre en œuvre afin
de permettre aux pauvres de générer un revenu suffisant à l’amélioration de
leurs conditions de vie. Pour la relocalisation, le niveau élevé de pauvreté de
la communauté doit également être pris en compte. Une collaboration entre
Banro et l’État congolais est par ailleurs souhaitée en vue d’identifier les
zones d’exploitations artisanales plus rentables pour les « creuseurs » que la
mine de Kamituga, par exemple. Pour les mineurs propriétaires de maisons
implantées sur des zones exploitables industriellement, le montant d’indem-
nisation s’élèvera davantage afin de permettre à ceux-ci d’acquérir d’autres
maisons à des conditions plus favorables. L’entreprise pourra ainsi s’assurer
de limiter la résistance des mineurs à son développement.
Tous ces programmes devront passer par la mise en place d’un partena-
riat solide entre Banro, le Gouvernement congolais, les mineurs et les ONG
locales. La mise à disposition de moyens matériels et humains par Banro
et l’État congolais garantit ce partenariat. Les mineurs et les ONG locales
pourront intervenir dans la sensibilisation et la fourniture des agents de sup-
port. Cependant, l’entreprise privée ne dispose pas de capacités nécessaires
pour répondre, à elle seule, aux besoins multiples des mineurs artisanaux.
Le partenariat, s’il est mené à bien, conduira à la croissance dans d’autres
La pauvreté des exploitants artisanaux de l’or en 2014 à Kamituga, Sud-Kivu 147
secteurs d’activités par les effets induits, et par conséquent à une réduction
de la pauvreté au niveau local.
Après tout, l’État congolais reste le premier responsable du développe-
ment et de l’avenir du secteur minier. Une politique minière « pro-pauvre »
permettrait d’améliorer les conditions des mineurs artisanaux en renfor-
çant, par exemple, financièrement et en termes de gestion, les coopératives
minières tout en créant de nouvelles zones d’exploitation artisanales où elles
pourront opérer. Dans ce sens, le développement et la réduction de la pau-
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Les ressources d’hydrocarbures : une source
potentielle de stabilisation du pays ?
Bernard Respaut1
Introduction
Suite au récent engouement de l’Afrique pour les hydrocarbures, l’ex-
ploitation des gisements potentiels de gaz et de pétrole identifiés en RDC
au cours des décennies précédentes est devenue une priorité à l’agenda des
dirigeants congolais.
Ce développement suscite une question cruciale à laquelle ce chapitre
tente d’apporter une réponse : le développement de l’exploitation des hydro-
carbures en RDC constituera-t-il un facteur de stabilisation du pays ?
Si cette « manne pétrolière » est avérée, contribuera-t-elle à accélérer
le développement économique de la RDC, à accroître le niveau de vie des
Congolais, à éliminer les tensions et violences qui secouent la vie politique
du pays ? Le Congo-Kinshasa jouera-t-il alors un rôle plus prépondérant
dans la région des Grands Lacs, pour favoriser une meilleure coopération
régionale sur les plans politique, économique et sécuritaire ?
Ou bien assisterons-nous à une croissance de la corruption, à une recru-
descence des tensions internes et externes exacerbées par la lutte pour les
ressources naturelles, au risque de déclencher une nouvelle spirale de vio-
lence, voire une balkanisation de la région ?
Pour répondre à cette question, nous évaluerons d’abord si les gisements
d’hydrocarbures détectés en RDC présentent un potentiel réel et estimerons
l’enjeu économique que leur exploitation pourrait représenter. Nous ana-
lyserons ensuite l’impact de pareille activité sur la situation sécuritaire du
pays, ceci à travers un modèle qui explique l’influence de cinq variables clés
sur la stabilité de la RDC. Cette notion de stabilité est décrite par le concept
de « paix positive », qui se définit par « la présence des attitudes, institutions
et structures qui créent et soutiennent les sociétés pacifiques » (Institute for
Economics and Peace 2015).
1
Remarque : ce chapitre repose sur la prestation d’approfondissement réalisée par l’auteur
dans le cadre du cursus supérieur d’état-major pour officier de réserve, proposé par l’École
royale militaire à Bruxelles (année académique 2015-2016).
152 Conjonctures congolaises 2016
Après avoir décrit l’état actuel de ces cinq variables, nous développerons
un scénario qui débouche sur une stabilisation, une paix positive durable,
afin d’illustrer l’importance d’une approche multifactorielle pour dégager
des pistes de solution à un problème aussi complexe que l’accès de la RDC
à une prospérité équitable et permanente.
1. Contexte de l’étude
1.1. La situation sécuritaire2
Depuis l’éviction du dictateur Mobutu en 1997, la RDC n’a toujours pas
réussi à retrouver un point d’équilibre, une paix stable dans un État de droit.
La « grande guerre d’Afrique », qui a vu s’affronter sept nations dans
l’Est congolais entre 1998 et 2002, s’est terminée sur un accord fragile,
lequel n’a pas créé les conditions d’un véritable retour au calme dans
la région des Grands Lacs. En témoignent les affrontements multiples
jusqu’en 2009 entre forces armées congolaises (FARDC) et les miliciens du
Congrès national de Défense du Peuple (CNDP), de l’Armée de Libération
du Seigneur (LRA), des Forces démocratiques de Libération du Rwanda
(FDLR) et plus récemment, la lutte contre le mouvement rebelle M23. Les
exactions continuent à ce jour, comme le prouvent les exécutions sommaires
de civils et les attaques contre les FARDC perpétrées entre octobre 2015 et
janvier 2016 par les Forces alliées démocratiques (ADF-Nalu), les milices
FDLR ou d’autres groupements armés comme les Maï-Maï (ONU, Conseil
de Sécurité 2016).
L’Est congolais, cette mosaïque ethnique, ce théâtre de déplacements
fréquents de populations, cette corne d’abondance avec ses mines d’or, de
tungstène et d’étain, avec ses sols et ses lacs fertiles, cette région décen-
trée et donc peu sous le contrôle de Kinshasa, est devenu un territoire où
plus de quarante groupes rebelles s’affrontent dans des alliances complexes
et instables. Les FARDC y jouent un rôle confus, entre autres dans l’ex-
ploitation des « minerais de conflits » qui contribue au resource curse : la
richesse naturelle de la RDC est détournée à des fins destructrices plutôt que
de contribuer au développement économique du pays.
La situation sécuritaire en RDC est donc précaire : l’État central exerce
un contrôle limité sur l’Est du pays par des éléments, soit mal entraînés, soit
corrompus et donc peu fiables de ses forces armées<. Nombre de groupes
rebelles parfois appuyés par des pays limitrophes y pillent les ressources
naturelles et terrorisent les populations locales. La présence des 18 000 sol-
dats de la MONUSCO depuis 2000 a jusqu’ici peu contribué à améliorer
cette situation.
2
Larmer et al. 2013 ; Lemarchand 2015 ; Human Rights Watch. 2014 (janvier).
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 153
1.2. Les ressources d’hydrocarbures
Le développement économique de la RDC se voit freiné par un appro-
visionnement insuffisant en énergie, même si son bassin fluvial présente
un potentiel hydroélectrique considérable, estimé à 100 GW par l’Agence
internationale pour l’Énergie (Jeune Afrique 9 juillet 2015). Mais déve-
lopper ce potentiel requiert des investissements colossaux, avec de longs
délais de réalisation, comme illustré par les projets des barrages Inga III et
Grand Inga, dont la mise en œuvre et l’achèvement soulèvent encore bien
des interrogations.
La mise en exploitation d’autres sources d’énergie, tels les hydrocar-
bures, s’avère donc une option digne d’intérêt pour contribuer à pallier ce
déficit.
1.2.1. Le rôle actuel des hydrocarbures dans l’économie de la RDC
La RDC produit aujourd’hui quelque 20 000 barils de pétrole par jour, ce
qui la place au 70e rang mondial, loin derrière ses voisins tels l’Angola, le
Congo-Brazzaville ou le Sud-Soudan (figure 1).
Figure 1 : position comparative de la RDC dans la production
de pétrole (2014)
Pays Réserves prouvées Production Raffinage
en millions en années barils/jour rang barils/jour
de barils de mondial
production
RDC 180 25 20 000 70 0
Congo- 1600 18 250 000 33 17 740
Brazzaville
Angola 9000 14 1 742 000 14 40 010
Sud-Soudan 3750 47 220 000 38 0
Ouganda 2500 N/A 0 N/A 0
Égypte 4400 25 478 000 29 445 000
Algérie 12 200 24 1 420 000 18 484 500
Arabie 268 300 76 9 735 000 2 1 971 000
saoudite
Russie 103 200 26 10 840 000 1 6 053 000
Source : World Factbook, Central Intelligence Agency 2016.
154 Conjonctures congolaises 2016
Toute la production est localisée au Kongo-Central, sur des gisements
off-shore et on-shore (bassin Muanda, voir la figure 2) exploités par la
société anglo-française Perenco, qui a repris les concessions de Chevron
en 2000. Celle-ci produit 450 000 barils par jour au départ de concessions
réparties dans 13 pays (Perenco 2015), ce qui la place dans la catégo-
rie des entreprises pétrolières de petite taille (les « géants » tels Aramco,
ExxonMobil ou Chevron produisent chacun entre 3 et 12 millions de barils
par jour [Statista 2015]). Seul opérateur présent en RDC, Perenco exporte
tout le pétrole brut extrait depuis son terminal flottant de Kalamu (figure 2).
De nouveaux puits ont été forés entre 2012 et 2014 afin de maintenir la pro-
duction au niveau de 20 000 barils par jour (Perenco 2015).
Figure 2 : carte des puits exploités par Perenco au Kongo-Central
Source : Perenco 2015.
Aucun des barils extraits n’est traité en RDC : la raffinerie de Muanda
(figure 2), construite en 1963 et propriété de la SOCIR (Société commer-
ciale et industrielle de raffinage), est à l’arrêt depuis une vingtaine d’années
(7sur7.cd. 31 octobre 2014). Un protocole d’accord a été signé fin 2014 avec
la firme tunisienne EPPM pour mener une étude de faisabilité de la remise
en service de la raffinerie (Africa Energy Intelligence 20 janvier 2015), mais
rien n’indique aujourd’hui que ce projet évolue.
La production actuelle d’hydrocarbures contribue donc peu à l’économie
de la RDC, mais représente toutefois une part non négligeable des revenus
du Gouvernement :
- aucune électricité n’est générée à partir du pétrole extrait localement
– les faibles quantités d’énergie issue des carburants fossiles le sont à
partir de produits importés ;
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 155
- la valeur des exportations de pétrole s’élève pour 2014 à 770 millions
de dollars, soit 2,3 % du PIB évalué à 33,2 milliards de dollars (ITIE
RDC & Moore Stephens LLP 2015) ;
- les revenus de l’État générés par le pétrole représentaient 380 mil-
lions de dollars en 2014, soit 11,4 % des moyens du Gouvernement
(ibid.).
La chute récente et brutale du prix du baril a cependant fortement entamé
la contribution des hydrocarbures au budget de la RDC, puisque celle-ci
se calcule en pourcentage de la production physique (redevance, impôt sur
le profit et part de l’État dans le profit oil – voir l’annexe 1). À production
constante, ces recettes seront divisées par deux en 2016.
Un accroissement du rôle des hydrocarbures dans l’économie de la RDC
est-il envisageable ? Nous allons à présent nous attacher à l’étude de cette
option.
1.2.2. L’apport potentiel des hydrocarbures au développement
du pays
Outre le bassin Muanda au Kongo-Central, des ressources potentielles
d’hydrocarbures ont été identifiées en RDC, réparties entre quatre bassins
distincts (CongoForum 2010 ; voir la figure 3 page suivante) :
- la Cuvette centrale (800 000 km²) a été découpée en 32 blocs pour
l’attribution de concessions d’exploration pétrolière ;
- le Graben Albertine (20 000 km²) comprend 5 blocs de concessions
pétrolières ;
- le lac Kivu (2400 km² dont 50 % en territoire de la RDC, 50 % en ter-
ritoire rwandais) contient du gaz méthane ;
- le Graben Tanganyika (lacs Tanganyika, Upemba et Moero), sous et
autour duquel du pétrole a été détecté – 10 blocs ont été définis pour
l’attribution de concessions.
Des travaux approfondis d’exploration (relevés sismiques, forages-tests)
n’ont pas encore été effectués dans ces quatre bassins, ce qui ne permet pas
aujourd’hui de confirmer la présence, la quantité et le caractère exploitable
des ressources d’hydrocarbures semblant s’y trouver. Nous dressons donc ici
un aperçu succinct du potentiel de chaque bassin, en fonction des activités
exploratoires déjà réalisées ou par analogie avec des gisements pétrolifères
contigus qui sont dans un état de développement plus avancé.
156 Conjonctures congolaises 2016
Figure 3 : localisation des ressources potentielles en hydrocarbures
Cuvette centrale3
Ce bassin est réparti entre la RDC (800 000 km²) et le Congo-Brazzaville
(200 000 km²) et contient des hydrocarbures à une profondeur allant jusqu’à
7000 mètres. Cette profondeur, jointe au faible niveau d’infrastructures
dans cette région fort boisée, rend les ressources difficiles à exploiter. En
outre, des études de roche menées par le professeur Damien Delvaux, du
département de Géologie du Musée royal de l’Afrique centrale, soulignent
le caractère hautement hypothétique du potentiel de la Cuvette centrale
(Misser 2013 : 154-157).
Graben Albertine
Dix ans après l’allocation de concessions dans le Graben Albertine,
aucun forage d’exploration n’a encore été réalisé et les concessionnaires
3
iPAD 2014.
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 157
actuels ne montrent pas d’empressement à y procéder, ainsi que les éléments
ci-dessous le soulignent :
- les sociétés Caprikat et Foxwhelp détiennent la licence d’exploration
sur les blocs 1 et 2 et ont annoncé, en août 2014, la présence potentielle,
après relevé sismique, de 3 milliards de barils de pétrole. Les deux
forages-tests annoncés à l’époque n’ont toujours pas débuté (Reuters
7 août 2014) ;
- le groupe français Total, qui opère sur le bloc 3 en consortium avec
Semliki et la Cohydro (Congolaise des hydrocarbures, société publique),
a entamé, en janvier 2016, des relevés sismiques (Africa Energy
Intelligence 26 janvier 2016). Total annoncera au cours de l’an-
née 2017 s’ils poursuivent ou non l’exploration de ce bloc (Africa
Energy Intelligence 1er novembre 2016) ;
- aucune société n’opère plus sur le bloc 4 du Graben Albertine ;
- le bloc 5 a été attribué à la société britannique Soco International, qui a
été accusée de corruption, de violences et d’exploration illégale dans le
Parc national des Virunga, classé au patrimoine mondial de l’humanité
par l’Unesco (Jeune Afrique 3 novembre 2015). Mise sous pression par
le gouvernement britannique et le Parlement européen (Global Witness
2015), Soco a annoncé, en novembre 2015, renoncer à prolonger sa
licence d’exploration (Jeune Afrique 24 novembre 2015).
Si la présence d’hydrocarbures dans le Graben Albertine est avérée, la
rentabilité de leur extraction est sujette à caution : les forages-tests réa-
lisés par Total et Tullow Oil dans les gisements du Graben Albertine du
côté ougandais du lac Albert laissent prévoir un prix de revient autour de
100 dollars par baril, un montant bien au-dessus du prix actuel du pétrole
(Africa Energy Intelligence 2015).
Lac Kivu
Plus de 55 milliards de mètres cubes de gaz de méthane dissous se trou-
vent dans les eaux profondes du lac Kivu, ce qui permettrait d’alimenter
une centrale de 200 MW pendant 100 ans. Plusieurs accords conclus entre
la RDC et le Rwanda pour l’exploitation commune de ces hydrocarbures
restent sans effet au vu des différends politiques entre les deux pays. Le
Gouvernement congolais traîne à allouer des concessions sur ces ressources
de gaz auxquelles s’intéressent plusieurs opérateurs étrangers (Africa
Energy Intelligence 8 avril 2014). Seul un contrat pour la construction
d’une centrale de 5 MW sur la rive congolaise du lac Kivu a été attribué,
en février 2016, à la société tunisienne EPPM, accord contesté par la firme
locale Kivu Lake Energy Corporation qui proposait ses services à un prix
bien inférieur (Africa Energy Intelligence 23 août 2016)…
158 Conjonctures congolaises 2016
Le Rwanda a, par contre, déjà construit une plate-forme pilote pour
extraire ce méthane4 et a signé un accord, le 8 décembre 2015, avec Symbion
Power (États-Unis) pour la construction près de Rubavu d’une nouvelle cen-
trale au gaz de 55 MW, alimentée par les réserves du lac Kivu (The New
Times 10 décembre 2015). Les développements rwandais confirment donc
que ce gisement est économiquement exploitable.
Graben Tanganyika
L’attribution des 10 blocs définis par la RDC le long du lac Tanganyika
à des investisseurs reste lettre morte, ce qui souligne l’horizon éloigné d’un
développement de son potentiel en hydrocarbures que d’aucuns estiment
à 8 milliards de barils (Misser 2013 : 160). Un premier pas a toutefois été
posé lors de la rencontre, en octobre 2016, entre les ministres congolais
et tanzanien de l’Énergie afin de négocier une exploitation commune des
ressources pétrolières du lac Tanganyika. Pareille collaboration vise aussi
à permettre l’exportation du brut via le port de Tanga en Tanzanie (Africa
Energy Intelligence 20 septembre 2016).
Il est important de souligner que tous les bassins d’hydrocarbures en
RDC, avérés (Kongo-Central) et potentiels, s’étendent au-delà de la fron-
tière congolaise. Cette situation a déjà provoqué plusieurs tensions avec les
pays limitrophes :
- différend avec l’Angola sur la délimitation des eaux territoriales congo-
laises et donc sur la propriété de gisements de pétrole off-shore (Jeune
Afrique 29 mars 2010);
- désaccord avec l’Ouganda sur le tracé de la frontière au sud du lac
Albert (presqu’île de Rukwanzi), frontière qui borde le bloc 5 du
Graben Albertine ;
- dispute avec le Rwanda sur le tracé de la frontière commune qui tra-
verse le lac Kivu.
En conclusion, si les ressources d’hydrocarbures identifiées dans les
quatre bassins étudiés ci-dessus se révèlent économiquement exploitables,
la RDC jouirait de réserves de pétrole de plus de 10 milliards de barils (3 au
minimum au Graben Albertine, 8 au Graben Tanganyika), ce qui placerait
le pays au rang de l’Angola ou de l’Algérie (voir la figure 1 ci-dessus). Ceci
sans compter les réserves off-shore, situées dans la zone maritime que la
RDC dispute à l’Angola, estimées à plusieurs milliards de barils.
En partant de l’hypothèse que la production de pétrole pourrait alors
atteindre 250 000 barils par jour (soit dix fois la production actuelle, objectif
4
Conférence minière sur la bonne gouvernance et la transparence 2014.
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 159
que s’est fixé le Gouvernement congolais), le PIB et les recettes budgétaires
de la RDC, par rapport à 2014, augmenteraient de 3,4 et 1,7 milliards de dol-
lars respectivement, ce qui constitue un apport non négligeable – 10 % du
PIB, 37 % du budget de l’État. Cette estimation est élaborée par extrapo-
lation de la contribution des hydrocarbures au PIB et aux recettes de l’État
en 2014 (770 et 380 millions de dollars respectivement), telle que reprise
dans le rapport de l’ITIE (ITIE RDC & Moore Stephens LLP 2015 : 8, 64)
tout en incluant l’effet d’une chute du prix du baril de 92 à 50 dollars.
Nous allons à présent étudier comment transformer cette opportunité de
développement en facteur de stabilisation du pays.
2. Ressources pétrolières et stabilisation sécuritaire
2.1. Modèle d’analyse
La notion de stabilité de la RDC sera décrite à partir du concept de paix
positive (positive peace) développé par l’Institute for Economics and Peace,
institut de recherche indépendant basé à Sydney et leader mondial dans
l’analyse et la quantification des facteurs de paix et des bénéfices écono-
miques apportés par celle-ci : « la paix positive se définit par la présence
des attitudes, institutions et structures qui créent et soutiennent les sociétés
pacifiques ; la paix négative correspond à l’absence de violence directe ou
à la crainte de violence » (Institute for Economics and Peace 2015 : 9). Par
attitudes, il faut comprendre les normes, croyances, préférences et relations
au sein de la société. Les institutions sont les organismes officiels, publics
et privés (sociétés, associations d’entreprises, syndicats) créés par les gou-
vernements ou d’autres groupes. Les structures peuvent être formelles ou
informelles et servent de code de conduite commun, partagé par la majorité
des citoyens (ibid. : 11).
Cette paix positive résulte de la combinaison de huit facteurs clés. Dans
notre modèle, quatre de ceux-ci seront condensés en un seul paramètre (voir
la table de correspondance en annexe 2), ce qui limitera à cinq le nombre de
variables. Cette réduction de complexité est permise par le cadre de notre
analyse, plus restreint que l’évaluation intégrale d’un pays, pour laquelle le
concept de paix positive a été développé. Les cinq facteurs du modèle seront
donc :
- l’infrastructure, qui comprend l’accès aux gisements d’hydrocarbures,
la présence de pipelines pour transporter ceux-ci vers des raffineries ou
des ports d’exportation, les capacités de raffinage ainsi que la possibi-
lité de stocker et de distribuer les produits raffinés ;
- les compétences clés, à la fois au niveau de l’administration pour la
gestion politique du secteur des hydrocarbures et au niveau de la popu-
lation pour développer l’exploration et l’exploitation des ressources ;
160 Conjonctures congolaises 2016
- la gouvernance, qui concerne (1) l’attribution des concessions des gise-
ments, (2) le cadre fiscal et légal de l’exploitation des hydrocarbures,
(3) le niveau de corruption de l’administration publique, (4) la protec-
tion de l’environnement et (5) la libre circulation de l’information ;
- les acteurs locaux, qui comprennent les autorités nationales, régionales
et locales, les chefs coutumiers et les groupes rebelles armés ;
- les acteurs internationaux que sont les compagnies pétrolières, les pays
limitrophes, d’autres nations et les organisations multilatérales qui
exercent une influence sur la vie politique ou la situation sécuritaire en
RDC.
Nous commencerons par une description de l’état actuel de chaque
variable, avec une attention particulière au contexte de l’exploitation des
hydrocarbures. Ensuite, dans un environnement d’intérêt accru pour le
pétrole et le gaz, nous identifierons des initiatives structurelles qui pour-
raient être activées afin de favoriser l’émergence d’un scénario positif, dans
lequel l’exploitation des hydrocarbures provoque une évolution de chaque
variable dans une direction qui favorise une paix positive, donc la stabilisa-
tion du pays.
2.2. Situation actuelle
Nous décrivons ici l’état actuel de chacune des variables du modèle
d’analyse, afin de caractériser le point de départ d’un scénario positif de
stabilisation de la RDC.
2.2.1. Infrastructure
L’infrastructure de transport peu développée et mal entretenue de la RDC
rend ardu l’accès aux gisements pétrolifères : seuls 2800 des 150 000 km de
routes sont recouverts d’asphalte ou de béton, le réseau ferroviaire ne s’étend
que sur 4000 km dont 860 électrifiés (World Factbook, Central Intelligence
Agency 2016). Si ce problème est moins aigu dans le cas du bassin Muanda
(off-shore) ou du lac Kivu, il est alors compensé par la nécessité d’instal-
ler des équipements d’exploration et d’exploitation plus coûteux, tels que
plates-formes, barges de forage et terminaux maritimes.
Hormis le pipeline, qui transporte des produits pétroliers raffinés (fuel,
essence, kérosène) de Matadi à Kinshasa, aucun oléoduc ou gazoduc n’a été
installé sur le territoire congolais pour acheminer une production d’hydro-
carbures vers un centre de consommation ou un port d’exportation. Aucune
capacité locale de raffinage n’est aujourd’hui disponible et le réseau de
stockage et de distribution des produits raffinés, aux mains de la société
SEP Congo, reste embryonnaire avec ses 234 000 m³ d’entrepôts et ses
118 camions, 118 wagons et 25 barges pour couvrir les 2,3 millions de km²
du pays (iPAD & RDC Forum Pétrole et Gaz 2013).
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 161
La figure 4 illustre bien la complexité de la distribution des hydrocar-
bures en RDC, due à l’absence de pipelines : flux d’entrée principal par voie
maritime via la côte ouest du pays (Ango-Ango), redistribution par barges,
puis par wagons vers les zones minières du Katanga (Kolwezi, Lubumbashi)
et du Maniema (Kindu), importation par camions depuis le Kenya et la
Tanzanie pour couvrir les besoins dans la partie orientale du pays, complé-
ment d’approvisionnement au Sud par camions depuis la Zambie.
Figure 4 : réseau de stockage et de distribution de SEP Congo
Source : iPAD 2013.
Nous pouvons donc qualifier les conditions actuelles d’infrastructure
comme peu propices au développement de l’exploitation d’hydrocarbures
en RDC.
2.2.2. Compétences clés
Malgré les efforts de formation de cadres nationaux congolais, peu de
compétences sont disponibles au Congo-Kinshasa, tant sur le plan des
acteurs privés que des autorités, qui influencent la politique énergétique du
pays.
Les sociétés commerciales actives dans le secteur du gaz et du pétrole en
RDC sont de petite taille et ne bénéficient donc ni de la base d’expérience
ni de l’assise financière nécessaires pour accélérer le développement des
hydrocarbures. Seul opérateur au Kongo-Central, Perenco peine à financer
162 Conjonctures congolaises 2016
les investissements requis pour maintenir le niveau de production dans
le bassin Muanda. Les sociétés Foxwhelp et Caprikat, titulaires de deux
concessions dans le Graben Albertine, ont été créées de toutes pièces lors de
l’adjudication de celles-ci et ne bénéficient d’aucune expérience en explora-
tion pétrolière. Seul le groupe Total figure parmi les acteurs chevronnés en
RDC, mais sa présence se limite au bloc 3 du Graben Albertine, bloc encore
au stade initial – et donc hypothétique – de son développement.
Cette absence de capital d’expérience ralentit aussi la transmission du
savoir en matière d’hydrocarbures vers les universités et écoles techniques,
ce qui limite la préparation de cadres compétents pour couvrir les besoins en
personnel des sociétés privées.
Sur le plan des décideurs politiques, le manque de connaissance du sec-
teur pétrolier est encore plus aigu. Deux symptômes étayent ce constat : le
titulaire du poste de ministre des hydrocarbures change très souvent et la
Cohydro, qui représente les intérêts de l’État congolais dans les contrats de
partage de production (CPP ; voir l’annexe 1), exerce un rôle très passif dans
l’exécution et la surveillance de ces engagements.
Cet état de fait est à comparer à la situation en Angola, deuxième pro-
ducteur africain d’or noir, dont le président Dos Santos est titulaire d’un
diplôme d’ingénieur en pétrole (Mission Angola 2016) et dont le ministre
des Hydrocarbures, en poste depuis onze ans, a effectué une partie de sa
carrière chez Shell, Mobil et Sonangol (équivalent angolais de la Cohydro ;
Angola Luanda Pitigrili 2016). Ce dernier a aussi été président de la confé-
rence de l’OPEP en 2009.
2.2.3. Gouvernance
La nouvelle loi du 1er août 2015 « Portant Régime Général des
Hydrocarbures » procure un cadre légal plus élaboré que la réglementation
précédente promulguée en 19815. Parmi les améliorations apportées par ce
nouveau code, citons :
- la priorité à donner, dans l’exploitation des concessions, à l’emploi de
citoyens congolais et aux services de sous-traitants locaux pour déve-
lopper les compétences nationales en matière d’hydrocarbures ;
- l’obligation de publier à intervalle régulier sur le site web du ministère
des Hydrocarbures, pour chaque concession, les quantités produites,
les recettes générées, les montants versés à l’État (redevances, bonus
de signature…) ;
- l’inclusion obligatoire dans chaque CPP de clauses qui couvrent (a) la
formation des cadres congolais employés par l’opérateur du contrat, (b)
la participation au développement de l’infrastructure communautaire
5
Loi n° 15/012 du 1er août 2015.
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 163
et (c) la mise en œuvre d’interventions sociales (ces dernières pour un
montant équivalent à 0,5 % du profit oil – voir l’annexe 1) ;
- l’interdiction de brûler les gaz associés au pétrole extrait et l’obligation
d’inclure leur traitement dans le plan de développement du gisement ;
- la création d’un fonds pour les générations futures alimenté par une
partie du profit oil perçu par l’État congolais.
Force est toutefois de constater que la nouvelle réglementation sur les
hydrocarbures présente nombre de zones d’ombre, voire même des clauses
contraires à la bonne gouvernance :
- la Cohydro ne constitue plus l’unique véhicule par lequel l’État par-
ticipe aux CPP ; la RDC peut être représentée dans un CPP par une
société publique créée pour la circonstance, ce qui dilue l’accumulation
d’expérience et ouvre la porte à l’exercice de pratiques de corruption
(une société publique pour chaque ministre ?) ;
- le Conseil des ministres de la RDC se réserve le droit d’expropria-
tion, voire même de déclassement de zones protégées pour favoriser
l’exploitation d’hydrocarbures en raison de la poursuite d’« intérêts
nationaux » – un critère sujet à toutes les interprétations ;
- la procédure d’appel d’offres pour l’attribution des concessions reste
floue quant aux critères de décision ; celle-ci peut même être remplacée
par une procédure restreinte (sans définition précise !) si le potentiel en
hydrocarbures d’un bloc n’est pas suffisamment démontré – ce critère
pourrait s’appliquer à tous les bassins de la RDC… ;
- le plan de restauration d’un site en fin d’exploitation est soumis à la
seule approbation du ministre des Hydrocarbures, sans avis du ministre
de l’Environnement – le risque de conflit d’intérêts est ici flagrant.
Le régime fiscal instauré par la nouvelle loi introduit aussi un nouvel
élément sujet à caution : la « zone fiscale » à laquelle appartient un gisement
d’hydrocarbures. Celle-ci détermine le montant de la redevance, des bonus
de première production, de signature et de permis d’exploitation à verser à
l’État (pratique courante dans l’industrie pétrolière), ainsi que la proportion
maximale de la production qui peut être allouée au cost oil et la hauteur
de la participation de la RDC au profit oil (voir l’annexe 1). Quatre zones
fiscales ont été déterminées sur la base de la géologie et de l’environnement
des blocs pétroliers ou gaziers à concéder. Voilà à nouveau un critère ouvert
à interprétation, qui favorisera la corruption. En effet, suivant la zone fiscale
d’un gisement, les flux financiers qui reviendront au concessionnaire varie-
ront grandement, comme indiqué dans la figure 5.
164 Conjonctures congolaises 2016
Figure 5 : influence de la zone fiscale sur les revenus
d’un concessionnaire
Paramètre fiscal Zone Zone Zone Zone
fiscale A fiscale B fiscale C fiscale D
Redevance 12,5 % 11,0 % 9,5 % 8,0 %
(% de la production)
Cost oil (% maximum de la 55 % 55 % 60 % 65 %
production)
Part RDC du profit oil 45 % 40 % 40 % 35 %
Il apparaît de façon claire dans la figure 5 que l’opérateur a tout intérêt
à convaincre les autorités de classer sa concession dans la zone fiscale D.
La nouvelle loi sur les hydrocarbures constitue donc une avancée dans la
gouvernance du secteur, mais demeure encore insuffisante, car ses impréci-
sions laissent toujours le champ libre à la corruption, problème endémique
dans l’administration congolaise.
Les indicateurs de gestion publique de la Banque mondiale, l’index de
corruption perçue établi par Transparency International et le « Fragile State
Index » du « Fund for Peace » sont combinés par l’« Institute for Economics
and Peace » dans son facteur « niveau de corruption », lequel intervient dans
le calcul de son indice de paix positive pour la RDC (Institute for Economics
and Peace 2015 : 69, 76). Ce paramètre reçoit une cote élevée (4,3 sur une
échelle de 5) pour l’année 2015, ce qui confirme la préférence marquée des
gestionnaires de l’État pour leurs objectifs personnels, au détriment de l’in-
térêt général.
Une illustration claire de ce problème de corruption se retrouve dans
la polémique soulevée par les activités de l’opérateur pétrolier Soco
International dans le bloc 5 du Graben Albertine, sur le territoire du Parc
national des Virunga – situation déjà évoquée au point précédent (voir la
sous-section 1.2.2). Malgré le caractère unique de l’écosystème de cette
zone, qui jouit du statut de patrimoine mondial de l’humanité délivré par
l’Unesco et qui abrite les derniers gorilles des montagnes en voie de dis-
parition, certains membres des autorités congolaises ont émis le souhait de
diminuer la superficie du parc. Ceci afin de permettre à Soco International
d’effectuer des forages, en totale contradiction avec l’adhésion de la RDC
à la charte de l’Unesco (Jeune Afrique 22 janvier 2016). Des membres des
FARDC ont même été corrompus par l’opérateur pour lui faciliter l’accès
au territoire des Virunga, avec usage de la force (Global Witness 2015). La
protection de l’environnement, capital exceptionnel en RDC, ne figure donc
pas encore en bonne place sur l’agenda des autorités congolaises.
Autre exemple remarquable de la corruption ambiante : la société
Nessergy, propriété de Dan Gertler, un proche du président Kabila,
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 165
a revendu, en 2014, à l’État congolais des concessions pétrolières
off-shore pour un montant 300 fois supérieur à leur valeur d’achat.
À souligner que ces droits d’exploitation ont été concédés dans une zone
disputée par la RDC à l’Angola et que la firme Nessergy, créée quelques
semaines avant l’attribution des concessions, n’a effectué aucune activité
d’exploration avant de revendre cet actif !
Le dernier élément de gouvernance que nous évaluerons concerne la
libre circulation de l’information. L’obligation légale de publier les CPP
et les flux financiers y afférant est peu respectée. Les dirigeants congolais
pratiquent aussi souvent la langue de bois quand ils sont interrogés sur
l’attribution de contrats liés aux hydrocarbures, comme en octobre 2016 au
sujet du très onéreux projet de construction, par EPPM, d’une centrale élec-
trique à alimenter par le gaz du lac Kivu (voir la sous-section 1.2.2 ; Africa
Energy Intelligence 18 octobre 2016). Si certaines voix s’élèvent pour
plus de responsabilisation des décideurs, leur portée reste limitée, comme
souligné par Reporters sans Frontières (Reporters sans Frontières 2016) et
l’ONU (ONU, Conseil de Sécurité 2016) : intimidation, emprisonnement
voire assassinat de journalistes non favorables au régime de Kinshasa,
coupures de signaux radio, blocage de l’accès aux réseaux sociaux sont
monnaie courante.
Les conditions actuelles de gouvernance en RDC constituent donc un
frein au développement harmonieux du secteur des hydrocarbures. Si la
nouvelle législation en cette matière pose un pas dans la bonne direction,
force est de constater qu’elle sert aujourd’hui de façade à une administra-
tion publique qui considère cette activité économique comme une source
d’avantages particuliers. Par conséquent, des concessions sont accordées,
revendues, réallouées, mais aucune avancée concrète n’est observée dans la
mise en valeur des ressources en gaz et pétrole du pays. Et le retard accusé
dans ce développement par rapport aux pays limitrophes ne semble pas
déranger les dirigeants congolais dont l’absence d’initiatives est criante.
2.2.4. Acteurs locaux
L’évolution du pouvoir central est aujourd’hui incertaine : les élections
présidentielles prévues en 2016 ont été repoussées à avril 2018, suite à
des carences administratives et budgétaires pour recenser les électeurs. La
Constitution congolaise interdit à l’actuel président Kabila, dans son deu-
xième mandat, de se représenter, mais ses partisans et son cercle rapproché
manœuvrent pour imposer une phase de transition et ainsi prolonger sa pré-
sence au pouvoir (The Africa Report 2015). Le Rassemblement, principale
plate-forme de l’opposition menée par Tshisekedi et Katumbi, soupçonne le
chef de l’État de préparer une révision constitutionnelle qui lui assurerait un
troisième mandat (Jeune Afrique 15 novembre 2016).
166 Conjonctures congolaises 2016
Quant aux gouverneurs des provinces congolaises, ils sont en fréquentes
querelles avec le Gouvernement central sur la répartition des recettes fis-
cales. La dispute est aiguë dans les régions minières (Sud et Est du pays)
et au Kongo-Central (production pétrolière), larges contributeurs au budget
de l’État : même si le Code minier prévoit une clé de répartition de la rente
minière entre Kinshasa et les provinces, celle-ci n’est pas respectée par le
Gouvernement central (ITIE RDC & Moore Stephens LLP 2015 : 98). Cet
état de fait, joint au manque de transparence dans l’attribution des licences
d’exploitation, alimente la méfiance des provinces à l’égard des opérateurs
industriels, surtout dans le cas des hydrocarbures, source potentielle de flux
financiers considérables.
Les maires, bourgmestres et chefs coutumiers partagent la même ambi-
tion que les gouverneurs, à savoir bénéficier des retombées économiques de
l’exploitation des ressources naturelles situées dans leur territoire, sur un
plan personnel mais aussi pour leurs administrés. Mais ces autorités locales
craignent aussi que les activités extractives puissent entraîner des effets
néfastes sur l’accès à des facteurs vitaux tels les sols fertiles, le bois, le pois-
son ou le gibier (International Crisis Group 2012 : 20).
Cet élément revêt toute son importance dans le contexte des conflits
ethniques qui secouent l’Est de la RDC, conflits liés à l’accès à la terre
et à l’exploitation du bois et des minerais. Ces antagonismes ont favorisé
la création d’une autre catégorie d’acteurs locaux, surtout en Ituri et dans
les deux Kivu (Nord et Sud), à savoir les groupes rebelles armés. Ceux-ci
exercent aussi une influence sur l’activité économique de l’Est congolais,
comme décrit dans l’exposé de la situation sécuritaire du Congo-Kinshasa
(section 1.1.).
La faible gouvernance qui gangrène la RDC a donc créé un réseau com-
plexe d’acteurs locaux corrompus, frustrés d’être exclus de la « manne
des ressources » et donc méfiants vis-à-vis de l’État central, voire même
séparatistes.
2.2.5. Acteurs internationaux
Nous aborderons la cinquième variable du modèle d’analyse sur trois
niveaux :
- les pays limitrophes avec lesquels subsistent des différends, à savoir
l’Angola, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda ;
- les autres pays et institutions multilatérales d’Afrique qui jouent un
rôle en RDC et que sont l’Afrique du Sud, la Tanzanie, la Communauté
de Développement de l’Afrique australe (SADC), la Conférence inter-
nationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et l’Union africaine ;
- les pays non africains et les organisations internationales qui peuvent
influencer le cours des événements en RDC, liste que nous limiterons
par souci de concision à la Belgique, les États-Unis, la Chine, l’Initiative
pour la Transparence dans les Industries extractives (ITIE) et l’ONU.
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 167
Les pays limitrophes
Angola
Un contentieux perdure entre l’Angola et la RDC sur la délimitation de
la zone économique exclusive (ZEE) congolaise. La figure 6 montre que
l’accès de la RDC aux riches gisements pétrolifères au large de ses côtes
est fermé, ce qui a incité le Gouvernement congolais à revendiquer, à partir
de 2003, une part de ces ressources naturelles aujourd’hui exploitées par
l’Angola.
Figure 6 : eaux territoriales de la RDC – situation actuelle
et revendications congolaises
ZIC ?
Soyo •
Source : International Crisis Group 2012.
Le litige s’est amplifié en 2009 quand Kinshasa a déposé une plainte
auprès de l’ONU, portant sur la convention de Montego Bay qui recon-
naît le droit exclusif à un état côtier d’exploiter les ressources naturelles
situées sur son plateau continental. Un nouvel accord, en décembre 2009,
a créé un groupe de travail mixte visant à définir une zone d’intérêt com-
mun (ZIC) et les frontières maritimes des deux pays, mais sans avancées
réelles. L’Angola a toutefois réussi à obtenir de la RDC, en 2011, le droit de
passage, par les eaux territoriales congolaises, du gazoduc marin qui relie
168 Conjonctures congolaises 2016
l’enclave de Cabinda au terminal de Soyo, contre une redevance annuelle de
4,5 millions de dollars (ITIE RDC & Moore Stephens LLP 2015 : 12) – ceci
sans contrepartie dans la résolution du litige des frontières maritimes.
Une ébauche de solution est enfin apparue, en janvier 2015, par la signa-
ture d’un accord entre Sonangol (société publique angolaise) et Cohydro sur
l’exploitation conjointe des hydrocarbures dans la ZIC (Angop 2015). La
chute importante des revenus de l’État angolais, liés aux prix pétroliers, a
porté un arrêt net, en septembre 2015, à la mise en œuvre de cette convention.
L’évolution de ce litige territorial souligne l’attitude dominante de
l’Angola dans ses relations avec la RDC. Le soutien apporté par Luanda
à Laurent-Désiré Kabila pour destituer Mobutu, en 1997, et l’aide mili-
taire angolaise prodiguée durant la seconde guerre du Congo (1998-2003)
expliquent ce rapport de force. Et le contexte actuel des élections présiden-
tielles congolaises pourrait inciter le président Dos Santos, expert en matière
d’hydrocarbures (voir la sous-section 2.2.2), à monnayer son soutien à un
troisième mandat de Kabila par une résolution favorable à l’Angola du litige
des eaux territoriales.
Rwanda
Les relations entre le Rwanda et la RDC restent tendues depuis 1998 en
raison des incursions répétées des troupes de Kigali dans l’Est congolais
pour poursuivre les génocidaires de 1994 (regroupés au sein du FDLR),
accaparer les ressources naturelles du sous-sol ou protéger les intérêts des
populations d’ethnie tutsi comme les Banyamulenge. Le soutien rwandais
aux rebelles du M23 en 2012-2013 ainsi que les réticences de Kinshasa
à éradiquer le FDLR, composé d’opposants hutu au président Kagame,
constituent autant de motifs de désaccord profond.
Cette situation freine le développement des hydrocarbures. En effet,
même si une convention existe déjà depuis 1975 entre le Rwanda et la RDC
pour l’exploitation commune du gaz du lac Kivu, accord confirmé au som-
met de Gisenyi en 2007, aucun développement concret n’a encore vu le jour.
Et ce même après la signature, en 2009, d’un accord entre les deux pays pour
la construction d’une centrale électrique de 200 MW alimentée par cette
même source d’énergie (International Crisis Group 2012 : 9). Seul point
positif à souligner : les deux centrales hydroélectriques sur la rivière fronta-
lière Ruzizi sont gérées en tripartite par la RDC, le Rwanda et le Burundi et
n’ont jamais interrompu leur production, même en temps de conflit armé6.
Une troisième centrale est en projet et sera opérée suivant le même schéma
6
Interview du professeur Stefaan Marysse, directeur honoraire de l’Institut du
Développement de l’Université d’Anvers, directeur du CRE-AC, réalisée le 5 mars 2016 ;
voir les questions en fin de chapitre.
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 169
de cogestion. La production d’énergie pourrait-elle servir de plate-forme de
rapprochement entre les deux pays ?
Burundi
À part la présence aujourd’hui plus sporadique de rebelles burundais des
Forces nationales de Libération (FNL) au Sud-Kivu, opposés au gouverne-
ment de Bujumbura, peu de raisons de conflit existent entre la RDC et le
Burundi. Toutefois, la récente élection du président Nkurunziza à un troi-
sième mandat en dépit de la Constitution a causé des heurts violents entre
les forces de l’ordre et la population, un climat d’instabilité qui pourrait
s’étendre à l’Est congolais.
Ouganda
La présence de pétrole dans le Graben Albertine a provoqué de vives
tensions entre la RDC et l’Ouganda depuis 2007, autour de la définition de
la frontière entre les deux pays sur le lac Albert et surtout sur la presqu’île
de Rukwanzi, dans la partie sud de celui-ci. Un accord pour une exploita-
tion commune des gisements d’hydrocarbures a été signé par les présidents
Kabila et Museveni en septembre 2007, mais son application se heurte tou-
jours à un désaccord quant au partage de la presqu’île.
Entre-temps, l’Ouganda a avancé dans l’exploration des gisements de
pétrole sur sa rive du lac Albert et étudie plusieurs options d’exportation du
pétrole brut par pipeline, comme illustré dans la figure 7, avec une récente
préférence pour un tracé vers le port de Tanga en Tanzanie (Africa Energy
Intelligence 15 novembre 2016).
Figure 7 : projets de pipeline pour l’exportation
du pétrole brut ougandais
Graben
Albertine
Hoima
pipeline existant
Source : The Observer 2015.
170 Conjonctures congolaises 2016
En conclusion, le Gouvernement congolais doit faire face à nombre de
litiges avec ses pays limitrophes, souvent en raison de la présence d’hy-
drocarbures à ses frontières. Le retard de la RDC à développer ces sources
d’énergie, combiné à ses tergiversations dans la résolution durable de ses
problèmes internes et externes, pose un frein significatif au développement
économique du pays et, partant, de la région.
Les autres pays et les institutions multilatérales d’Afrique
Afrique du Sud
La RDC et l’Afrique du Sud entretiennent des liens étroits, entre autres
par la relation privilégiée entre les présidents Kabila et Zuma. Le chef de
l’État congolais a même été jusqu’à accorder une concession d’exploration
dans le Graben Albertine à deux sociétés inconnues et inexpérimentées,
Caprikat et Foxwhelp (voir la sous-section 2.2.2) dont le bénéficiaire n’est
autre que le neveu de son homologue sud-africain (International Crisis
Group 2012 : 15)…
Par ailleurs, les récents accords passés entre l’Afrique du Sud, l’Angola
et la RDC revêtent autant un caractère politique (soutien au rétablissement
de la paix dans l’Est congolais) qu’économique : développement du chemin
de fer pour exporter les minerais du Katanga vers Lobito et vers les sept
ports sud-africains situés sur une route maritime fort fréquentée, fourniture
de 2500 MW d’électricité (à produire par le projet Grand Inga) à l’Afrique
australe afin de combler son déficit attendu en énergie nucléaire7.
Tanzanie
Après des années de désaccord sur le tracé de la frontière à travers le lac
Tanganyika, une nette amélioration des relations entre la RDC et la Tanzanie
s’est concrétisée par la signature, en octobre 2016, d’un accord sur l’exploi-
tation commune des ressources pétrolières situées sous et autour du lac. Ce
projet prévoit également que le Congo-Kinshasa se raccorde au pipeline qui
reliera l’Ouganda au port de Tanga afin d’exporter le brut qui pourrait être
extrait du Graben Albertine (The East African 8 octobre 2016).
Communauté de Développement de l’Afrique australe (SADC)8
Cette organisation, créée en 1992, regroupe 15 pays, dont la RDC, pour
favoriser le développement économique, la paix, la sécurité, l’augmenta-
tion du bien-être et l’assistance mutuelle par l’intégration régionale. Sous
forte influence de l’Afrique du Sud, première puissance africaine, la SADC
7
Interview du professeur Stefaan Marysse réalisée le 5 mars 2016 ; voir les questions en fin
de chapitre.
8
South African Development Community 2016.
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 171
intervient à la fois sur les plans sécuritaire et socio-économique, par des
instruments assez développés comme un pacte de défense mutuelle.
Conférence internationale pour la région des Grands Lacs (CIRGL)
La CIRGL constitue une plate-forme de contact entre ses pays membres
pour dénouer les conflits locaux, mais produit peu d’avancées concrètes,
faute de structures adéquates. En effet, l’absence de commissions tech-
niques de travail pour réunir les participants autour de problèmes structurels
ou politiques rend l’efficacité de la CIRGL sujette à la seule personnalité de
son président. Cet état de fait limite beaucoup la crédibilité des programmes,
pourtant pertinents, avancés par la CIRGL.
Union africaine (UA)
L’UA exerce un rôle plus actif pour rétablir la stabilité dans la région
des Grands Lacs. Ainsi, sous son impulsion, l’Accord-Cadre pour la Paix,
la Sécurité et la Coopération en RDC et dans la région des Grands Lacs
(« Peace, Security and Cooperation Framework for DRC and the Great
Lakes Region » – PSCF) a été signé à Addis-Abeba le 24 février 2013. Ce
programme, placé sous l’égide de l’ONU avec le soutien de l’UA, de la
CIRGL et de la SADC, vise à stabiliser l’Est congolais, entre autres par la
promesse des voisins de la RDC de non-ingérence dans ses affaires inté-
rieures et de non-assistance aux groupes rebelles armés. La mission de la
MONUSCO est aussi adaptée, avec la création d’une brigade d’intervention
dotée d’un mandat d’imposition de la paix et composée d’éléments mili-
taires de membres de la SADC (The Guardian 24 février 2013).
L’UA joue également un rôle actif dans la résolution de l’actuelle impasse
qui sévit en RDC pour le prochain scrutin présidentiel, entre autres par l’en-
voi de l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo comme médiateur
entre le Gouvernement et l’opposition (Jeune Afrique 18 janvier 2016).
Les pays non africains et les organisations internationales
Belgique
Depuis le changement de régime en 1997, les relations diplomatiques
entre Bruxelles et Kinshasa sont souvent tendues. Les prises de position
répétées de la Belgique pour le respect de l’État de droit sont interprétées
par la RDC comme une ingérence de l’ancien colonisateur dans ses affaires
intérieures.
Les échanges économiques belges avec le Congo-Kinshasa sont
aujourd’hui modestes : 400 millions d’euros d’exportations vers la RDC,
300 millions d’euros d’importations congolaises vers la Belgique (Agence
pour le Commerce extérieur 2015 : 5-13). Même si notre pays occupe tou-
jours une place prépondérante dans le commerce entre l’UE et Kinshasa,
172 Conjonctures congolaises 2016
d’autres pays comme la Chine et l’Afrique du Sud nous ont bien dépassés
(France Diplomatie 2016).
La RDC occupe la première place dans l’aide directe au développement
accordée par la Belgique, avec un modeste budget annuel de 80 millions
d’euros, pour financer des projets en agriculture, en développement rural
et dans l’enseignement technique et professionnel (CTB, Agence belge de
Développement 2016).
Nous devons donc constater une perte d’influence politique et écono-
mique de la Belgique en RDC.
La Belgique maintient toutefois un rôle clé au niveau de la Défense, par
sa participation à la MONUSCO et au programme EUSEC RDC, mais sur-
tout par le programme de partenariat militaire qui forme et encadre les trois
bataillons de réaction rapide ainsi que le quartier général de la brigade qui
les regroupe9. La Défense assure aussi le rôle de nation experte pour l’éva-
cuation des ressortissants européens établis dans la région des Grands Lacs
en cas de menace avérée pour leur sécurité (La Défense 2014 : 28).
États-Unis
La politique étrangère des États-Unis donne la priorité à la diversifi-
cation de ses sources d’approvisionnement en hydrocarbures ainsi qu’à la
sécurisation des lignes de transport de ceux-ci. D’où l’intérêt américain pour
l’Angola, où la société Chevron contrôle 75 % de la production pétrolière et
pour le Golfe de Guinée, deux régions qui représentent 14 % de l’approvi-
sionnement des États-Unis en or noir (Victor et al. 2007 : 133-135).
Sous couvert de motifs humanitaires, le gouvernement Clinton a créé
en 1994 l’Initiative de la Grande Corne de l’Afrique, sur un territoire pré-
senté par la figure 8.
Ce programme vise, en fait, à sécuriser, par la lutte contre l’islamisme
radical, la route maritime du pétrole autour de l’Afrique. Il fournit dans ce
contexte une protection politique et une assistance militaire importante à des
pays comme le Rwanda et l’Ouganda (Bucyalimwe Mararo 2015).
Cette aide accordée aux voisins de la RDC pourrait être vue par Kinshasa
comme un soutien indirect des visées expansionnistes de ces pays, ce qui
ne favorise pas la relation avec Washington, sous haute tension depuis les
sanctions prises par les États-Unis à l’encontre de responsables congolais
accusés de répression violente d’opposants au régime (Jeune Afrique 2016).
9
Chambre des Représentants de Belgique 2014.
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 173
Figure 8 : pays couverts par l’Initiative de la Grande Corne
de l’Afrique
Chine
L’Afrique présente une double opportunité pour la Chine : elle constitue
une source abondante en ressources naturelles (hydrocarbures, minéraux,
produits agricoles) et présente des débouchés importants pour l’industrie
chinoise en matière d’infrastructures. Ceci explique la politique de « real
économisme » pratiquée par Pékin, qui ne s’encombre pas trop de considé-
rations humanitaires (Victor et al. 2007 : 136-139).
La présence commerciale chinoise en RDC est bien développée et s’il-
lustre notamment par l’accord Sicomines signé en 2007, lequel donne à la
Chine un accès à d’importants gisements de cuivre, d’or et de cobalt en
échange du financement de projets d’infrastructures dont le montant s’élève
à 3 milliards de dollars. Ces chantiers seront réalisés par des entreprises
chinoises, avec des lignes de crédit remboursées par les profits de l’ex-
ploitation des minerais. Reste toutefois encore à régler le problème de la
fourniture en énergie électrique (Reuters 9 juillet 2015)…
La Chine a par ailleurs déjà démontré son intérêt à prendre une part active
dans le secteur de l’énergie des pays limitrophes de la RDC : en témoignent
le projet de construction d’un pipeline en Ouganda par la société CNOOC
(voir plus haut) et l’installation d’une centrale thermique en Angola.
174 Conjonctures congolaises 2016
Initiative pour la Transparence dans les Industries extractives (ITIE)
L’ITIE, qui regroupe 49 pays exploitant des ressources pétrolières,
gazières et minières, fixe une norme commune en matière de gouvernance
de l’activité extractive. Elle implique à la fois les gouvernements, les entre-
prises et la société civile. Par une large diffusion de l’information relative
aux paiements d’impôts, aux licences, aux contrats et à la production, l’ITIE
vise à promouvoir une gestion durable et responsable des ressources natu-
relles, au bénéfice de toute la population.
La RDC a été reconnue comme pays conforme à la norme ITIE en 2014
(ITIE RDC & Moore Stephens LLP 2015). Ce statut favorise sans aucun
doute une meilleure transparence dans la gestion des richesses pétro-
lières et minières du pays, comme en témoigne le rapport 2014 publié
en décembre 2015 par l’ITIE et le cabinet d’audit international Moore
Stephens (ibid.).
ONU
La MONUSCO, établie en 2000, constitue la plus importante opération
de maintien de la paix des Nations unies avec un budget annuel de 1,3 mil-
liard de dollars et quelque 18 000 personnes sur le terrain.
L’ambition initiale de l’ONU était de combler les vides étatiques dans
l’Est congolais, par une approche centralisée et articulée sur une aide
militaire aux FARDC. Après la période sanglante des années 2009-2012,
la stratégie onusienne, résumée dans son « International Security and
Stabilization Support Strategy » (I4S), a été réorientée vers un travail au
niveau local. La priorité a été placée sur le dialogue communautaire afin de
résoudre les causes régionales des conflits.
Force est de constater que la MONUSCO contribue de manière ambiguë
à la nouvelle conception de l’I4S : elle continue à se concentrer sur la bri-
gade d’intervention pour combattre les rebelles et accorde peu d’attention
aux spécificités locales. Cette dichotomie entre la stratégie et sa réalisation
entraîne la détérioration des relations entre la RDC et l’ONU et génère
ainsi des pressions pour réduire les effectifs de la MONUSCO (Rift Valley
Institute 2016).
Remarque finale sur les acteurs internationaux
Il convient d’inclure dans l’analyse le rôle joué par les compagnies
pétrolières, d’envergure internationale. Si certaines constituent de véri-
tables acteurs industriels, telles que Perenco ou Soco International, elles
adoptent toutefois une attitude parfois peu respectueuse du bien commun,
comme l’illustre la saga Soco dans le Parc national des Virunga (voir les
sections 1.2.2 et 2.2.3). D’autres sont de véritables sociétés-écrans, établies
dans des paradis fiscaux et servant d’obscurs intérêts particuliers, comme
Caprikat et Foxwhelp, propriété d’un neveu du président sud-africain Zuma
ou Nessergy, détenue par Dan Gertler, proche de Kabila. Ces dernières
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 175
n’apportent aucune compétence ni contribution concrète au développement
des hydrocarbures, mais participent à des transactions financières dont la
finalité est pour le moins douteuse.
Toutes ces pratiques discutables se déroulent sous les yeux de la Cohydro,
qui dépend directement du ministère des Hydrocarbures et devrait exercer
un rôle de promoteur de la bonne gouvernance dans l’exploitation du pétrole
et du gaz. Nul doute qu’il y a encore du chemin à parcourir…
2.2.6. Situation actuelle – conclusion
La description de l’état présent des cinq variables du modèle développé
pour caractériser la stabilité de la RDC souligne le caractère précaire de
celle-ci et génère des inquiétudes légitimes :
- l’infrastructure actuelle est insuffisante pour favoriser le dévelop-
pement du secteur des hydrocarbures : il y a peu de routes, pas de
pipelines ni de raffineries ;
- peu de compétences clés sont disponibles, tant dans l’administration
que dans le secteur privé ;
- la gouvernance est faible : la nouvelle législation sur l’exploitation des
hydrocarbures est imparfaite et ne combat pas assez la corruption, le
respect de l’environnement ne figure pas parmi les priorités de l’admi-
nistration, la transparence n’est pas assurée en matière de circulation
de l’information ;
- les acteurs locaux sont nombreux, souvent corrompus et, en règle
générale, exclus du débat sur la distribution des bénéfices de l’exploi-
tation des ressources, d’où leur tendance à se les approprier de manière
illégale ou non concertée ;
- l’analyse du rôle des acteurs internationaux souligne le peu de soutien
dont jouit la RDC : voisins méfiants ou dominants, voire expansion-
nistes, organisations africaines qui peinent à avancer sur le terrain de
l’entente et de la collaboration entre leurs membres, poursuite d’in-
térêts stratégiques contradictoires par la Chine et les États-Unis, rôle
limité de la Belgique, piétinement de la MONUSCO, pratiques dou-
teuses des compagnies pétrolières présentes en RDC.
Ce diagnostic rejoint le jugement émis par l’Institute for Economics and
Peace, dont l’index de paix positive classe la RDC en 156e place sur 162
(Institue for Economics and Peace 2015 : 24-25)…
Nous allons à présent nous attacher à identifier, à partir de cette situa-
tion actuelle, les instruments 3D (Diplomatie, Développement, Défense)
qui pourraient favoriser le développement d’un scénario positif, dans lequel
l’exploitation des hydrocarbures participe à l’établissement d’une paix posi-
tive et durable.
176 Conjonctures congolaises 2016
2.3. Scénario positif – description
Le scénario positif part de l’hypothèse que la RDC se définit une poli-
tique énergétique cohérente, sur un horizon de 20 ans et articulée sur les
ressources suivantes.
Objectifs à court terme (5 ans) :
- augmenter l’exploitation du pétrole off-shore dans le bassin Muanda
à 250 000 barils par jour, après avoir atteint un accord équilibré avec
l’Angola sur la ZEE congolaise (voir la section 2.2.5.) ;
- exploiter le gaz du lac Kivu, puisque la rentabilité de cette source est
prouvée par les développements récents au Rwanda ;
- développer des centrales hydroélectriques décentralisées de taille
réduite, comme le projet Ruzizi III (147 MW), à budget d’investisse-
ment restreint, qui facilitent l’accès des régions, poumons économiques,
à l’électricité.
Objectifs à moyen terme (10-20 ans) :
- accélérer la prospection détaillée du Graben Tanganyika, où la quantité
la plus importante de ressources pétrolières a été pressentie (8 mil-
liards de barils) et où les contraintes environnementales sont plus
légères que dans le Graben Albertine ;
- garder les gisements potentiels du Graben Albertine en réserve pour
des temps plus propices avec un prix du pétrole plus élevé et une situa-
tion sécuritaire plus stable.
Cette politique pragmatique réalise un équilibre sain entre trois sources
d’énergie et donne la priorité à des ressources d’hydrocarbures avérées,
exploitables dans des délais raisonnables. Elle ne contredit pas non plus
la sécurité énergétique à long terme : ainsi, le projet du barrage du Grand
Inga ne doit pas être abandonné, mais sa réalisation doit s’envisager dans
la durée.
La première condition essentielle à l’application de cette stratégie, la
garantie de son succès, est la mise en place d’éléments clés de gouvernance.
La nouvelle loi sur les hydrocarbures doit être modifiée pour assurer une
meilleure transparence dans l’attribution des concessions et pour canaliser
la participation de l’État aux CPP via la seule Cohydro. Une réforme du
régime fiscal du secteur minier s’impose aussi, comme suggéré par le FMI,
afin d’aligner sa contribution au budget congolais avec celle des hydro-
carbures (International Monetary Fund 2015 : 20). La répartition, entre
Kinshasa et les provinces, des recettes fiscales et financières des industries
extractives s’effectuera en parfaite conformité avec les règlements qui la
régissent. La RDC respectera ses engagements internationaux en matière de
protection de l’environnement, ce qui suppose de garder le territoire du Parc
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 177
national des Virunga intact et d’y bannir les activités pétrolières. Enfin, les
autorités congolaises devront garantir la transparence de l’information sur
les concessions, les CPP et les flux financiers entre l’État et les opérateurs
des champs pétrolifères, en accord avec les pratiques de l’ITIE. La lutte
contre la corruption passe par ces mesures structurelles.
Une fois ces mesures de gouvernance initiées, l’accès du Congo-Kinshasa
aux compétences clés pour développer le secteur des hydrocarbures se verra
facilité. En effet, les multinationales pétrolières et les opérateurs compétents
montreront alors davantage d’intérêt à s’établir en RDC. Ils y apporteront
leur savoir-faire, qui se transmettra à leurs employés congolais.
Par ses interactions avec ces firmes spécialisées, la Cohydro enrichira
ses connaissances en gestion pétrolière. La coopération au développement
peut aussi accélérer ce transfert de compétences, entre autres par l’octroi
de bourses d’études permettant à de jeunes Congolais de participer au pro-
gramme conjoint de formation entre l’Université catholique de Louvain et
l’Institut français du Pétrole.
La présence d’opérateurs pétroliers expérimentés avec une assise finan-
cière solide favorisera aussi le développement de l’infrastructure, par un
engagement de ces derniers à y contribuer en échange d’avantages fiscaux
temporaires. Pareil accord permettrait d’améliorer en priorité le réseau
routier, l’accès aux soins et l’éducation, trois vecteurs de développement
économique avec un effet multiplicateur élevé. Sur le plan sectoriel, le site
de la raffinerie de Muanda pourrait être réhabilité, avec la construction de
capacités modernes, plus efficaces et plus respectueuses de l’environne-
ment. La construction de pipelines, exercice coûteux, ne figure pas parmi
les priorités si l’exploitation pétrolière se concentre dans le bassin Muanda
– une collaboration avec l’Ouganda pourrait toutefois s’envisager autour de
son futur oléoduc (voir la figure 7), afin d’approvisionner l’Est congolais en
produits raffinés et ensuite, si le Graben Albertine est exploité, d’en expor-
ter le pétrole brut. Toujours au niveau de l’infrastructure, la construction
d’une centrale thermique de 200 MW sur les bords du lac Kivu, alimentée
par le gaz méthane, assurera l’accès à l’électricité dans les provinces orien-
tales. Tous ces projets créeront de l’emploi, accroîtront le niveau de vie de
la population et augmenteront par conséquent les recettes fiscales de l’État
congolais.
Cela nous amène à la quatrième variable de notre modèle d’analyse,
les acteurs locaux. Nous formulons l’hypothèse que Kabila ne monopolise
pas le pouvoir et que le Gouvernement congolais se consacre en priorité à
moderniser l’administration, à développer l’éducation et la santé, à assurer
la loyauté et l’efficacité des FARDC par des salaires décents et réguliers
pour ses membres, ainsi qu’une formation et un équipement adéquats.
Dans les provinces, l’accent se porte sur le dialogue communautaire,
facilité par la libre circulation de l’information qui permet un débat ouvert.
178 Conjonctures congolaises 2016
Transparence et respect mutuel caractérisent les relations entre Kinshasa, les
gouverneurs et les opérateurs pétroliers. Ces derniers prennent en compte les
contraintes locales et intègrent des mesures d’atténuation dans leurs plans,
en cas d’impact social ou environnemental négatif de l’activité extractive.
La juste répartition des recettes fiscales entre la capitale et les provinces
permet à celles-ci de financer des projets de bien-être. Les éléments locaux
des FARDC assurent la stabilité de l’État de droit.
Ces facteurs positifs entraînent deux effets bénéfiques : les groupes
rebelles perdent vite leur raison d’être, les tensions internes se réduisent et
la sécurité règne, ce qui accroît l’attractivité du pays pour les investisseurs
étrangers.
Quant aux acteurs internationaux, la Belgique renforce le volet « éduca-
tion » de son aide au développement ainsi que ses efforts de formation des
FARDC, avec une attention particulière aux aspects de loyauté. La Chine
poursuit ses projets d’infrastructures, mais cette fois avec des standards
de qualité acceptables (la Belgique pourrait servir d’auditeur auprès du
Gouvernement congolais en cette matière). Les États-Unis, satisfaits de la
stabilité en RDC, limitent leur soutien à l’Ouganda et au Rwanda.
Du côté des pays limitrophes, une relation d’interdépendance stabilisa-
trice se construit avec le Congo-Kinshasa. Le nouveau président congolais
négocie une définition équilibrée des eaux territoriales avec l’Angola, ce qui
permet l’exploitation de nouvelles ressources pétrolières, voire le dévelop-
pement d’infrastructures communes (raffinerie, terminal gazier). Un courant
commercial se crée avec l’Ouganda par l’extension de son pipeline vers le
Kivu, ce qui facilite la fin du litige territorial autour du lac Albert. Les rela-
tions avec le Rwanda s’améliorent par le levier de la production commune
d’électricité, générée par les centrales Ruzizi I et II, les projets Ruzizi III et
la centrale thermique établie sur les rives du lac Kivu. Le déclin des FDLR
contribue aussi à améliorer les relations entre les deux pays.
Cette interdépendance stabilisatrice est maintenue par l’Union africaine
et la SADC, qui œuvrent à l’application de l’accord d’Addis-Abeba par
lequel les voisins du Congo-Kinshasa renoncent à leurs prétentions territo-
riales sur l’Est congolais et à toute ingérence dans ses affaires intérieures.
Le rôle de ces institutions s’avère essentiel, car le Rwanda et l’Ouganda
doivent accepter de perdre de leur influence dans la région des Grands Lacs
et renoncer à une part de leurs revenus puisque le commerce illégal des
minerais est en net recul.
Quant à l’Afrique du Sud, elle a tout à gagner d’une RDC stable et
prospère : ses ports exportent les minerais congolais et le rôle croissant de
Kinshasa dans la production d’hydroélectricité présente à terme une oppor-
tunité de fourniture énergétique.
La MONUSCO se concentre sur la résolution locale, et non plus centra-
lisée, des tensions et veille à la loyauté des FARDC.
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 179
Figure 9 : scénario positif – synthèse
Ce scénario constructif (figure 9) conduit à une paix positive par un cercle
vertueux amorcé par des initiatives de gouvernance, condition préliminaire
au progrès. Des actions bénéfiques sur les autres variables maintiennent ce
mouvement, le raffermissent par un effet de renforcement mutuel des déci-
sions prises. Ce processus, conçu dans le contexte des hydrocarbures, peut
aussi devenir une référence utile pour la RDC dans son chemin vers le bien-
être durable.
3. Recommandation
Le scénario positif décrit ci-dessus confirme qu’agir sur la gouvernance
constitue la clé de voûte de tout programme de stabilisation en RDC. Pour
inciter la société congolaise à suivre cette voie, nous devons lui décrire l’im-
pact économique escompté d’une exploitation accrue des hydrocarbures,
mais surtout, la convaincre que le développement du pays exige une poli-
tique énergétique cohérente.
Une fois ce cadre fixé, nous pouvons implanter une séquence d’initia-
tives 3D sous l’égide de la Belgique. Ces initiatives pourront s’échelonner
sur une durée ambitieuse mais réaliste (de 10 à 20 ans), dans une relation
d’interdépendance qui garantit la collaboration des autorités congolaises.
180 Conjonctures congolaises 2016
À court terme, sur le plan diplomatique, la Belgique doit, de concert avec
d’autres acteurs internationaux, maintenir la pression pour refuser l’accès de
Kabila à un troisième mandat, éventuellement par des sanctions circonscrites
aux dirigeants congolais. En échange, nous pouvons engager nos capacités
de négociation pour rompre l’isolement international du Congo-Kinshasa.
Ainsi, une intervention appuyée auprès de l’ONU, de concert avec l’UA,
permettrait d’obtenir que la MONUSCO modifie l’exécution de son mandat,
vers une focalisation sur l’action locale – comme suggéré par la nouvelle
orientation du programme I4S (Rift Valley Institute 2016).
Des opportunités existent également à brève échéance dans le domaine
du développement. La Belgique peut de fait rapidement améliorer la forma-
tion des Congolais en gestion de l’énergie par des programmes d’échanges
universitaires et des stages au sein d’entreprises belges spécialisées dans la
distribution du gaz et de l’électricité. Cet axe de collaboration devra être
conditionné à l’amélioration de la loi congolaise sur les hydrocarbures et à
la révision de la fiscalité du secteur minier, deux domaines dans lesquels nos
spécialistes peuvent apporter leur assistance, dans le cadre de l’ITIE.
La RDC pourrait aussi bénéficier de l’expertise belge, en collabora-
tion avec l’UE, la SADC et la CIGRL, pour dessiner les contours d’une
politique énergétique cohérente, en s’inspirant notamment de l’expérience
norvégienne au Sud-Soudan. Cette avancée permettra d’attirer les investis-
seurs et, dès lors, d’initier des projets urgents d’infrastructures de transport,
d’éducation et de santé auxquels des entreprises belges pourront contribuer.
Enfin, toujours à court terme, mais sur le plan de la défense, la Belgique
doit élargir son partenariat militaire avec Kinshasa, par un nouveau volet
sur la loyauté des FARDC. Outre l’entraînement et la formation des mili-
taires, une politique de rémunération cohérente renforcera la motivation de
ceux-ci à servir leur pays. Le programme européen EUSEC a certes réalisé
des avancées dans ce domaine, mais surtout sur un plan opérationnel (paie-
ment régulier des salaires ; European External Action Service 2015). La
réflexion sur une armée moins grande, mais spécialisée et mieux payée doit
être poursuivie.
À plus long terme, les diplomates belges doivent jouer un rôle actif
auprès d’institutions comme l’UA et la SADC pour promouvoir des solu-
tions aux conflits frontaliers de la RDC. Notre longue expérience en matière
de dialogue intercommunautaire servirait également à instaurer un règle-
ment local des disputes, par un processus pragmatique et participatif. Dans
une perspective encore plus large, la coopération au développement se
consacrera aux infrastructures spécifiques à l’énergie, dont la réalisation
requiert davantage de temps : raffinerie, réseaux de distribution, centrales
hydroélectriques, en ce compris le Grand Inga. La Belgique pourra user
de son influence auprès de la Banque mondiale et de la BEI (Banque euro-
péenne d’Investissement) pour sécuriser le financement de ces projets,
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 181
ce qui conférerait à nos entreprises une position préférentielle pour y parti-
ciper. N’oublions pas en effet la concurrence chinoise dans la construction
de grands barrages comme celui des Trois Gorges, en amont de Shanghai.
Ce programme d’initiatives doit aussi inclure des mesures de réaction au
développement éventuel d’un scénario négatif, qui verrait la RDC s’enfon-
cer dans le chaos. Ainsi, notre Défense continuera à planifier l’évacuation
d’urgence des ressortissants européens localisés en RDC. Nos diplomates
doivent également se montrer prêts à stopper des programmes de formation
ou d’assistance si les autorités congolaises n’améliorent pas leur gouver-
nance. Un suivi actif et coordonné de l’évolution du Congo-Kinshasa par
les militaires, les diplomates et les coopérants belges sur le terrain est donc
essentiel.
Une synthèse de cette recommandation est reprise à la figure 10.
Conclusion
Le développement des hydrocarbures en RDC constituera un facteur de
stabilisation du pays à la condition que ce développement soit organisé de
façon cohérente et dans une bonne gouvernance.
Certains bassins gaziers et pétroliers du Congo-Kinshasa présentent un
potentiel immédiat (lac Kivu, gisements off-shore), d’autres à plus long
terme (Graben Tanganyika). Leur exploitation, dans le cadre d’une politique
énergétique cohérente qui prévoit aussi d’exploiter le potentiel hydroélec-
trique, générera un développement économique certain et donc des recettes
supplémentaires pour l’État.
Mais cette « manne pétrolière » ne contribuera à stabiliser la RDC que
si ses dirigeants établissent les conditions d’une bonne gouvernance : des
réglementations efficaces, un processus décisionnel transparent, le respect
de l’environnement, la liberté d’expression, la lutte contre la corruption.
Nous touchons là au cœur du problème de la RDC : le concept de gou-
vernance y est encore embryonnaire, au sein de la classe politique et dans la
société civile. De par ses liens historiques avec ce pays, la Belgique se doit
d’apporter une contribution active au développement de saines pratiques
de gestion publique. Deux leviers se présentent pour atteindre cet objec-
tif : d’une part, la politique de la main tendue, qui propose un transfert de
compétences et une collaboration économique, d’autre part, l’exercice de
pressions diplomatiques positives, dans le respect de la souveraineté congo-
laise, par le biais d’acteurs multinationaux tels que l’Union africaine, la
SADC, l’ITIE et l’ONU.
Ce programme d’amélioration de la gouvernance, renforcé par des
initiatives en matière de compétences, d’infrastructures et de relations inter-
nationales, pourra alors entamer un cercle vertueux qui mènera à une paix
positive, une stabilisation du pays.
182 Conjonctures congolaises 2016
Figure 10 : recommandation – synthèse
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 183
Carte de référence des localités citées
184 Conjonctures congolaises 2016
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publications/resources/the-world-factbook (consulté le 4 janvier 2016).
7sur7.cd. 2014 (31 octobre). « SOCIR : Kinshasa a refusé les offres de Shell et de
Mobil ». En ligne : http://7sur7.cd/new/socir-kinshasa-refuse-les-offres-shell-mobil/
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays ? 187
Entretien
Interview de Stefaan Marysse, directeur honoraire de l’Institut du
Développement de l’Université d’Anvers, directeur du CRE-AC (Centre de
Référence et d’Expertise pour l’Afrique centrale), réalisée le 5 mars 2016 :
liste des questions posées :
Question 1 : Quel scénario, en matière de stabilité de la RDC, serait
le plus probable si les ressources d’hydrocarbures venaient à être écono-
miquement exploitables ? Une stabilisation du pays ou plutôt une avancée
dans le chaos ?
Question 2 : Comment jugez-vous les relations de la RDC avec ses voi-
sins ? Avec l’Afrique du Sud ?
Question 3 : Quel rôle jouent ou pourraient jouer les institutions ou
pays suivants dans la stabilisation du pays :
- Conférence internationale sur la région des Grands Lacs
(CIRGL)
- MONUSCO
- Initiative pour la Transparence dans les Industries extractives
(ITIE)
- Belgique
Question 4 : Quels éléments 3D (Diplomatie, Développement, Défense)
pourraient être actionnés pour stabiliser la RDC ?
188 Conjonctures congolaises 2016
Annexes
Annexe 1 : répartition type des flux financiers dans le cadre
d’un contrat de partage de production (« CPP »)
Source : International Institute for Environment and Development 2012 : 26.
Les ressources d’hydrocarbures : une source potentielle de stabilisation du pays 189
Annexe 2 : correspondance entre les variables du modèle d’analyse
et les facteurs clés de la paix positive
Variables du Facteurs clés
modèle d’analyse
Infrastructure Environnement sain pour les affaires (conditions
économiques, support public à la conduite des affaires)
Compétences clés Haut niveau de capital humain
(population compétente par l’éducation et la promotion
du savoir)
Gouvernance Gouvernement efficace
(qualité des services publics, stabilité politique, confiance
de la population)
Distribution équitable des ressources
(équité dans l’accès à l’éducation et à la santé, voire
équité dans la distribution des revenus)
Faible niveau de corruption
Libre circulation de l’information
(indépendance des médias, accès de la population aux
médias)
Acteurs locaux Acceptation des droits d’autrui
(lois, normes, us et coutumes qui règlent les rapports
entre citoyens, niveau de tolérance entre groupes
ethniques, linguistiques, religieux et socio-économiques)
Acteurs Bonnes relations avec les voisins
internationaux (relations paisibles, intégration régionale)
Source : Institute for Economics and Peace 2015 : 10.
Le mercure dans l’exploitation de l’or :
responsabilité environnementale
et perceptions locales
Bossissi Nkuba1, Lieven Bervoets2 et Sara Geenen3
Introduction
Les activités minières sont considérées comme un potentiel moteur de
croissance et de développement socio-économique dans les pays en voie
de développement. En RDC, particulièrement, la croissance économique
spectaculaire récente a été attribuée aux investissements privés dans le sec-
teur minier et à la hausse de production du cuivre et du cobalt au Katanga,
comme l’ont démontré Marysse et Tshimanga (2013) dans Conjonctures
congolaises 2012. Ceux-ci, ainsi que d’autres auteurs et bailleurs (IMF
2015), ont également constaté que cette croissance économique ne s’est pas
traduite en développement socio-économique. Bien que les taux de pauvreté
en général ont baissé, ils restent sévères en milieu rural, et l’inégalité aug-
mente (ibid.). Mais un aspect du développement n’a pas été suffisamment
étudié dans le cas de la RDC : l’impact sur l’environnement.
Pourtant, dans cette ère des « objectifs du développement durable »,
l’aspect environnemental devient de plus en plus important (UN 2015).
Le concept de « responsabilité environnementale » a été suffisamment
développé pour le cas des entreprises minières, dont les activités d’exploi-
tation ont souvent un impact nuisible sur l’environnement. Par exemple,
le huitième principe du Global Compact des Nations unies, la plus grande
initiative globale visant à responsabiliser le secteur privé, demande à ce
que les entreprises prennent des initiatives pour assurer une responsa-
bilité environnementale. Le guide OCDE (Organisation de coopération
et de développement économique) pour les entreprises multinationales
contient également plusieurs directives tendant à mitiger et évaluer l’im-
pact environnemental. Finalement, les grandes entreprises minières font
1
Cegemi (Expertise Center on Mining Governance), Université catholique de Bukavu et
Sphere (Systemic Physiologic & Ecotoxicological Research), Université d’Anvers.
2
Sphere (Systemic Physiologic & Ecotoxicological Research), Université d’Anvers.
3
Cegemi (Expertise Center on Mining Governance), IOB (Institute of Development and
Policy Management), Université d’Anvers et FWO (Research Fund Flanders).
192 Conjonctures congolaises 2016
couramment état des efforts déployés pour atténuer leur empreinte écolo-
gique, sous forme de « sustainability reports ».
Cependant, ces initiatives volontaires ont été critiquées depuis un certain
temps, car elles se sont montrées insuffisantes et inefficaces, du fait qu’elles
échappent à toute sanction. C’est ainsi que le principe de « responsabilité
sociale de l’entreprise » (CSR) a été remis en question ; certains observa-
teurs ont proposé de le remplacer par une « redevabilité de l’entreprise »
(CA, « corporate accountability ») (Utting 2008). Selon le principe de la
redevabilité de l’entreprise, les acteurs concernés (les consommateurs ou
les communautés qui subissent l’impact de l’activité minière) doivent être
en mesure de sanctionner l’entreprise en cas de non-respect des normes
socio-environnementales. Suivant ce principe, les normes environnemen-
tales doivent être incorporées dans la législation nationale, dans ce cas-ci,
le Code minier, et le Gouvernement doit les implémenter tout en évaluant
et sanctionnant les entreprises, si nécessaire. Dans ce chapitre, nous exami-
nons, dès lors, comment le principe de responsabilité environnementale se
traduit dans les politiques du Gouvernement congolais et dans les pratiques
des autres acteurs impliqués dans le secteur de l’exploitation artisanale de
l’or. Dans ce qui suit, nous justifions notre choix en soulignant l’importance
de la question environnementale et en situant l’exploitation artisanale de
l’or dans le secteur minier en RDC.
La RDC est bien connue pour ses réserves minières et forestières, qui
sont d’une importance majeure, non seulement pour le pays et ses habitants,
mais aussi au niveau mondial (PNUE 2011). C’est ainsi que la protection
de la biodiversité est reconnue comme un défi crucial dans la lutte contre
le changement climatique. Dans son rapport sur la biodiversité en RDC,
USAID (2010 : 64) montre qu’il y a des chevauchements considérables
entre réserves minières et forêts tropicales, ce qui présente un risque pour la
protection de cette biodiversité. Les potentiels impacts environnementaux
de l’extraction minière, selon ce rapport, sont les suivants : déforestation,
envasement des cours d’eaux, dégradation des terres, pollution par la pous-
sière, mortalité des animaux sauvages (braconnage), et pollution des eaux
par l’acide, le cuivre, le plomb, l’arsenic, le cyanure ou le mercure.
Pourtant, ces impacts ont été sous-étudiés jusqu’ici, comme l’indiquent
Bashizi et al. dans Conjonctures congolaises 2015 (2016). Dans le cas de
l’Est de la RDC, qui nous concerne dans le présent chapitre, nous estimons
que les chercheurs ainsi que les bailleurs ont été tellement préoccupés par la
question des « minerais de conflits » (De Putter 2012 ; de Brier & Southward
2016 ; Kilosho et al. 2013) qu’ils se sont peu intéressés à l’impact environ-
nemental. Bashizi et al. (2016), dans leur chapitre intitulé « Exploitation
minière en RDC : oubli de l’environnement ? », proposent une approche de
« political ecology » qui aiderait non seulement à comprendre les liens entre
les ressources minières et les autres ressources naturelles (telles que la terre
et l’eau), mais aussi à dépasser un discours purement économique, orienté
Le mercure dans l’exploitation de l’or 193
vers la croissance, pour considérer les problématiques plus profondes « liées
à la justice sociale, à la redistribution des ressources, à la gestion transpa-
rente et à la conservation de l’environnement » (ibid. : 277). Leur étude,
ayant ouvert le débat sur le secteur minier aux préoccupations environne-
mentales, porte sur l’impact de l’exploitation minière au Katanga.
Se souciant également de cette question environnementale dans le débat
sur l’extraction minière et le développement, notre étude apparaît comme une
contribution capitale au niveau empirique. Elle a été réalisée au Sud-Kivu,
dans l’Est de la RDC, où l’on exploite principalement les 3T (cassitérite,
coltan et wolframite) et l’or. Suite aux réformes qui ont contraint les mineurs
artisanaux à travailler dans les 3T (de Brier & Southward 2016), de plus
en plus de travailleurs ont quitté le secteur pour se lancer dans l’extraction
de l’or. Par ailleurs, nous constatons qu’une grande partie de la produc-
tion aurifère s’effectue toujours par les mineurs artisanaux, malgré le fait
qu’une entreprise industrielle, Banro, produit de l’or depuis plusieurs années.
Comme nous allons le démontrer dans la section suivante, les mineurs artisa-
naux extraient l’or au moyen du mercure. Les effets nuisibles du mercure ont
pourtant bien été décrits dans la littérature. Nous avons, dès lors, décidé de
mener une étude sur la pollution par le mercure sur un site clé du Sud-Kivu :
Kamituga. Ce faisant, nous ne cherchons pas à émettre un jugement sur la
nuisibilité du mercure en rapport à d’autres formes de pollution ou à prescrire
l’interdiction de tel ou tel type d’exploitation ; nous souhaitons simplement
dresser un diagnostic afin de proposer, par la suite, des mesures susceptibles
d’améliorer les conditions de travail et de vie dans et autour des mines.
L’objectif général du présent chapitre est d’examiner comment le prin-
cipe de protection de l’environnement se traduit dans les politiques du
Gouvernement et des autres organisations intervenant dans la gouvernance
du secteur artisanal. En se focalisant sur le secteur de l’or et sur l’utilisation
du mercure, cette étude tend spécifiquement à : a) identifier les manières
dont le mercure est utilisé à Kamituga ainsi que les quantités et lieux
d’utilisation ; b) évaluer le niveau de connaissance des creuseurs et autres
intervenants quant aux risques que présente le mercure sur la santé et l’en-
vironnement ; et c) identifier les différentes structures intervenant dans la
gouvernance de l’utilisation du mercure et les politiques mises en place pour
la protection de l’environnement, afin de pouvoir évaluer leur responsabilité
et définir des « points d’action » à travers lesquels des mesures peuvent être
prises.
Dans la deuxième section, nous donnons un aperçu de l’utilisation du
mercure dans l’extraction de l’or au niveau mondial. Dans la troisième
section, nous présentons notre méthodologie. Dans la section quatre, nous
discutons des résultats obtenus par cette étude, en répondant aux trois objec-
tifs identifiés ci-dessus. La cinquième section conclut quant à elle notre
propos.
194 Conjonctures congolaises 2016
1. Le mercure dans l’extraction de l’or
Les effets de l’utilisation du mercure (Hg) ont d’ores et déjà été exposés
dans la littérature. Le mercure peut causer des dommages aux organismes
aquatiques à des concentrations de 1 mg/L sous une forme inorganique et à
des concentrations plus faibles sous forme organique. Parmi ces dommages,
on relève la production élevée d’enzymes, la baisse des fonctions cardio-
vasculaires, la modification de la structure et du fonctionnement du foie
ainsi que des troubles du comportement (Boening 2000). Les experts de la
FAO (Food and Agriculture Organization) et de l’OMS (Organisation mon-
diale de la Santé) (JEFCA 2006) ont établi que l’homme ne peut tolérer une
consommation de plus de 5 µg de mercure par semaine (dont au plus 1,6 µg
sous forme organique [méthylmercure]). Le mercure – et plus particulière-
ment le méthylmercure – est l’un des poisons les plus dangereux existants.
Il est extrêmement toxique, affectant le système nerveux central (perte de
sensation aux extrémités des mains, des pieds et des zones autour de la
bouche, perte de la coordination de la marche, difficulté de locution, dimi-
nution de la vision et perte de l’ouïe) ainsi que le développement fœtal lors
d’une grossesse. En cas d’intoxication sévère, il conduit à la perte totale de
la vision, au coma et à la mort (Bakir et al. 1978).
Les mineurs artisanaux recourent au mercure pour séparer l’or du reste
du minerai ou du reste du concentré. Actuellement, les creuseurs amalga-
ment principalement les concentrés obtenus par gravité (figure 1). Cette
technique est utilisée dans plus de cinquante pays où l’exploitation artisa-
nale est pratiquée et qui représentent 20 à 30 % de la production mondiale
d’or (500 à 800 millions de tonnes) (ILO 1999). Selon Veiga et al. (2006),
le mercure est fréquemment employé pour diverses raisons : il est facile à
manier, disponible, peu coûteux et les risques qu’il présente pour la santé
sont soit ignorés par les mineurs soit délibérément omis. Dans les pays afri-
cains, la valeur du mercure est minime (entre 10 et 20 dollars/kg), ce qui
accroît la fréquence de son utilisation (ibid.). Pour cette raison, Veiga et al.
considèrent l’augmentation de son prix comme étant une stratégie visant à
réduire son utilisation. Cependant, des analyses n’ont pas encore été menées
pour déterminer si l’accès et le prix du mercure constituent une barrière à
son utilisation dans les sites d’extraction éloignés et peu accessibles comme
Kamituga.
Aryee et al. (2003) identifient trois facteurs qui justifient le manque de
considération des mineurs quant aux effets nuisibles de leur activité sur
l’environnement : le facteur économique (le manque de capital financier
et d’accès au crédit empêche les mineurs d’envisager des méthodes d’ex-
ploitation plus propres) ; le facteur technique/opérationnel (l’exploitation
par essai/erreur a des répercussions négatives sur la lithosphère, l’érosion et
Le mercure dans l’exploitation de l’or 195
la sédimentation en aval) ; et le facteur légal (manque de possibilités pour
travailler dans un cadre légal avec des dispositions pour la protection de
l’environnement).
La magnitude des pertes de mercure et les mécanismes par lesquels sur-
viennent ces pertes dépendent essentiellement de la méthode de séparation
de l’or au mercure. Ainsi, en Chine, seulement 14 à 20 parts de mercure sont
utilisées pour une part d’or, alors que pour la même part d’or, on va jusqu’à
100 parts de mercure en Indonésie. Malheureusement, ces chiffres, ainsi
que les méthodes d’emploi du mercure ne sont pas connus pour la RDC
(Ministère de l’Environnement, Conservation de la Nature, Eaux et Forêts
& UNITAR 2006). Notre étude vise donc à combler ce vide. En outre, nous
cherchons à évaluer le niveau de connaissances parmi les mineurs et les
autres intervenants du secteur minier quant aux effets néfastes du mercure.
Ce faisant, nous pourrons ainsi évaluer l’implémentation des politiques de
protection de l’environnement.
La figure 1 présente le schéma classique d’utilisation du mercure dans
l’extraction et le traitement de l’or.
Figure 1 : méthodes d’utilisation du mercure dans l’extraction
artisanale de l’or
Source : Veiga et al. 2006.
196 Conjonctures congolaises 2016
2. Milieu d’étude et méthodologie
L’étude a été conduite à Kamituga, où approximativement 13 à
16 000 mineurs ont été comptés (entretien avec la société Banro, 2016).
Cette ville comprend une population de 100 000 à 150 000 habitants et se
situe à 180 km au sud-ouest de Bukavu. La topographie du milieu est un pla-
teau de moyenne altitude (entre 970 et 1366 m d’altitude) (Sanganyi 2003).
La région est caractérisée par un climat tropical humide et la forêt constitue
la végétation principale de ce milieu. Le sol est principalement argileux et
sablonneux, et présente un grand potentiel agricole.
L’exploitation minière industrielle a commencé vers les années 1920
et était supervisée par les entreprises MGL (Minière des Grands Lacs) et
Sominki (Société minière et industrielle du Kivu, de 1976 jusqu’en 1996).
Cependant, depuis les années 1980, les activités minières artisanales se
sont développées à grande vitesse dans la région jusqu’à devenir le pilier
de l’économie locale (Geenen 2015). Beaucoup plus récemment (depuis
l’année 2011), la multinationale Banro, détentrice des permis d’exploitation
de la concession minière de Kamituga, a entamé des travaux d’exploration
(ibid.). Banro (2014) estime que de 1920 à 1996, 46,65 tonnes d’or ont été
extraites, et la société de consultance SRK (Steffen, Robertson & Kirsten
Ltd) estime qu’il resterait 9,8 tonnes d’or en surface et 18,66 tonnes en
sous-sol.
La zone minière de Kamituga est drainée par la rivière Zalya et ses
affluents. La rivière Zalya fait partie du bassin du fleuve Congo, qui est le
deuxième fleuve le plus grand du monde après l’Amazone, eu égard à son
débit et à son bassin hydrographique (Dupré et al. 1996).
La méthodologie utilisée pour mener notre enquête était qualitative4.
Sur le terrain, à Kamituga, le premier auteur a organisé 12 focus groups de
5 à 8 personnes et 10 entretiens individuels. L’échantillon ciblé représen-
tait les creuseurs ainsi que les autres parties prenantes du secteur aurifère.
Les mineurs étaient invités d’après les listes de creuseurs mises à notre
disposition par le Comité d’Orpailleurs de Kamituga (Coka) et les études
précédentes conduites dans le même site. La sélection des mineurs à
4
Le premier auteur est en train de poursuivre ses recherches doctorales sur cette thématique.
Il analysera les effets de l’utilisation du mercure sur l’eau et les sédiments des rivières de
Kamituga, la contamination des poissons et autres organismes vivant dans ces rivières
ainsi que l’impact chez les humains utilisant l’eau de ces rivières ou en consommant les
poissons. Le présent chapitre constitue donc une première étape qui permet de dresser
une cartographie (géographique, sociale et économique) de l’utilisation du mercure à
Kamituga, d’identifier les structures intervenant dans la gouvernance du secteur afin de
pouvoir définir des « points d’action » à travers lesquels des actions peuvent être menées,
et enfin d’évaluer les connaissances au sein des creuseurs et de la population par rapport
aux effets du mercure.
Le mercure dans l’exploitation de l’or 197
rencontrer en focus group s’opérait au moyen d’une table des nombres
aléatoires générée par le logiciel Microsoft Excel. Pour les autres parties
prenantes, un focus group ou un entretien individuel s’organisait en fonc-
tion du nombre de personnes présentes dans les bureaux de la structure au
moment de l’enquête. Ces parties prenantes sont notamment les médias,
les comités de creuseurs, les organisations de la société civile, des socié-
tés commerciales et les maisons de négoce d’or. Les entretiens duraient en
moyenne deux heures. La discussion en focus group portait en premier lieu
sur une cartographie participative des mines d’or et des sites où l’utilisation
du mercure était rencontrée. Elle était ensuite suivie de questions relatives au
processus d’extraction et de traitement de l’or, ainsi qu’à l’usage du mercure
au cours de ceux-ci. Les focus groups ont été complétés par des observations
sur le terrain et une étude de documentation.
3. Résultats
3.1. Méthodes d’extraction de l’or
L’or est extrait artisanalement de deux manières différentes : par l’ex-
traction souterraine et l’extraction à ciel ouvert. Cette dernière s’opère de
trois façons : par interception de l’or dans le sable des lits de rivières, par
utilisation de l’eau sous pression pour éroder une partie des collines et par
retraitement de l’or dans les sols près des différents sites.
La méthode d’extraction souterraine est la plus employée et se réalise
par creusage de tunnels dans la montagne. Elle consiste à choisir un site
où la production pourrait être assez importante et à creuser des tunnels
jusqu’à trouver des minerais présentant une concentration intéressante d’or
(Geenen 2015). Les minerais ainsi extraits sont ensuite transportés vers
des « loutra5 » où ils sont manuellement broyés par des dames (« femmes
twangaises ») jusqu’à ce que l’intégralité des matériaux puisse traverser un
tamis à petites mailles. Lorsque les quantités de minerais à broyer sont assez
5
Les loutra sont des maisons à deux pièces où s’opère le traitement manuel de l’or.
La première pièce de la maison abrite des « femmes twangaises » qui se chargent de moudre
manuellement les minerais à l’aide de mortiers et pillons métalliques. La deuxième partie
est constituée d’un fossé de 4 m² et de 1 m de profondeur contenant de l’eau (protégée
par une bâche au fond du fossé) où l’on procède à la séparation gravimétrique. À ce
stade, la séparation s’effectue en plaçant les minerais moulus dans un grand poêle sans
manche (nommé « karahi »). Il s’agit alors de secouer en déversant petit à petit l’eau et
les particules légères tandis que l’or et les particules lourdes (concentrés) restent dans le
karahi. Les particules légères tombant avec l’eau du karahi représentent la partie sablo-
argileuse du minerai. Celles-ci retombent dans le fossé (couramment appelé « loutra ») et
deviennent la propriété du détenteur de la maison, qui les traitera après pour en récupérer
l’or ayant échappé à la séparation gravimétrique.
198 Conjonctures congolaises 2016
importantes (ou que les minerais ont une faible teneur en or), ils ne sont
plus broyés manuellement dans les loutra, mais sont transportés au site de
Calvaire, où on les broie mécaniquement à un coût beaucoup plus faible,
mais avec un temps d’attente plus long que lorsque les femmes twangaises
se chargent de cette opération.
Cette poudre est ensuite traitée par densimétrie avec de l’eau, de sorte à
séparer trois matières : l’or, les concentrés et le reste (principalement argile
et sable fin). L’or est directement transporté aux maisons d’achat pour la
vente sans aucun traitement au mercure. Les concentrés sont vendus sur le
champ à un « lotteriste6 » qui pourra les sécher, les broyer à nouveau, les
séparer par densimétrie pour en extraire l’or et reprendre le reste pour le
traitement au mercure. L’argile restant dans le fossé du loutra est ensuite
séchée et traitée dans un « domaine7 » au moyen d’une technique similaire
à celle de l’extraction alluvionnaire, mais peut parfois aussi être traitée par
le mercure.
La méthode à ciel ouvert présente, quant à elle, trois variantes : l’ex-
ploitation alluvionnaire, l’érosion forcée des collines et le recyclage des
sols à proximité des mines. La première variante consiste en une intercep-
tion de l’or des sables du lit de rivières. Elle se réalise en quatre étapes.
Premièrement, on dispose un barrage sur une partie de la rivière. L’eau est
alors reconduite par un autre passage afin qu’elle ne puisse pas perturber les
travaux d’extraction. Deuxièmement, on récupère le sable du lit de la rivière
barrée et on le fait passer dans un filtre dont les pores8 ont un diamètre d’un
demi-centimètre. Cela permet au sable et à l’argile de traverser tandis que
les cailloux et graviers sont retenus et rejetés dans la rivière. Troisièmement,
la partie filtrée poursuit sa route en cheminant dans un système de sépara-
tion par densité élaboré à partir des composants internes des gaines foliaires
de bananier (biporo9). L’or et les particules lourdes se déposent dans les
6
Les « lotteristes » sont de jeunes gens qui passent à travers les loutra pour acheter des
concentrés qu’ils traitent généralement plus tard au mercure afin de récupérer le reste de
l’or n’ayant pas pu être extrait par la méthode gravimétrique.
7
Les « domaines » sont des endroits quelque peu similaires aux loutra, mais qui se
distinguent des premiers par le fait qu’ils sont à ciel ouvert. Ils se trouvent près des rivières
dont on extrait l’eau. On y utilise également les gaines foliaires des bananiers pour recycler
les résidus issus des loutra.
8
Ces pores sont faits à base d’une moitié de bidon vide de 20 litres trouée à plusieurs
endroits avec un clou de 10 cm de longueur.
9
Le biporo est un système de traitement d’or utilisé dans un domaine qui consiste à aligner
sur plusieurs mètres les gaines foliaires modifiées pour permettre de retenir l’or et les
concentrés lourds dans leurs parois internes. L’argile et le sable plus légers coulent avec
l’eau et retombent soit dans le domaine soit dans une bassine préparée à la sortie par un
acheteur de bizalu (résidu argileux issu du traitement au biporo) qui les sèche et les traite
à nouveau pour en extraire l’or.
Le mercure dans l’exploitation de l’or 199
cavités des biporo pendant que l’eau, l’argile et le sable passent par-dessus
ces cavités. Et finalement, dès que les cavités des biporo sont assez pleines,
on transfère le contenu (or et concentré principalement) dans une marmite
pour ensuite en extraire l’or, comme on le fait dans les loutra.
Les biporo sont aussi utilisés dans le retraitement de l’argile et du sable
restés dans les bassins des loutra, lors des séparations densimétriques des
minerais issus des tunnels. Alors que l’argile des rivières se disperse dans
l’eau, celle des domaines se sédimente, ce qui permet au propriétaire de la
recycler pour en extraire l’or qui aurait échappé aux biporo.
Les creuseurs ne s’adonnent pas de façon exclusive à l’exploitation
alluvionnaire. Par exemple, durant la saison sèche, lorsque le niveau des
rivières est assez bas, il est courant de voir certains creuseurs impliqués dans
l’extraction souterraine s’arrêter momentanément pour se lancer dans l’ex-
ploitation alluvionnaire. Et aussitôt que le niveau des eaux s’élève et qu’il
devient plus difficile et dangereux de pratiquer l’extraction alluvionnaire, ils
reprennent l’extraction souterraine.
La deuxième variante d’extraction à ciel ouvert, localement appelée
« débordage », consiste à dévier une rivière, ou tout du moins une partie de
son eau, et à la canaliser dans une tuyauterie vers le lieu de l’extraction d’or.
Cette eau est ensuite projetée sous pression pour provoquer l’érosion des
matériaux d’une colline (de sable et d’argile principalement). Les matériaux
subissent ensuite un processus de séparation similaire à celui de l’extraction
alluvionnaire.
La troisième et dernière variante, localement appelée « kokora », consiste
à rassembler de la poussière issue des lieux d’extraction et du transport de
l’or. Cette méthode n’est pas très rentable et est souvent réservée aux plus
pauvres (les efforts requis pour l’opération sont démesurés compte tenu de
son faible rendement et comparativement aux autres méthodes). Les modes
de traitement de l’or de cette technique sont similaires à ceux des deux
autres méthodes d’extraction.
3.2. Utilisation du mercure dans la production de l’or
Le mercure est utilisé pour récupérer l’or quand la méthode gravimé-
trique n’est plus en mesure de le faire. Cela se produit souvent lorsque les
particules d’or sont tellement fines qu’elles sont adsorbées par le sable ou
l’argile. Il a été observé que les minerais issus de tous les modes d’extrac-
tion finissent par être traités au mercure dès que la méthode gravimétrique10
échoue.
10
La séparation gravimétrique/densimétrique est l’ensemble des techniques de séparation des
minéraux fondée sur leur poids volumique, leur densité. L’utilisation de gaines foliaires de
bananiers et de poêles dans les loutra en sont des exemples.
200 Conjonctures congolaises 2016
Le processus de traitement de l’or au mercure consiste à mixer les
concentrés (ou parfois l’argile issue des loutra) avec de l’eau dans une
bassine de 20 litres à des proportions avoisinant les 20 % d’argile et 80 %
d’eau. Ensuite, 4 à 6 bouchons de stylo de mercure sont ajoutés. Le tout
est mélangé manuellement pendant 10 à 15 minutes. À la fin, l’eau et l’ar-
gile sont transvasées vers une autre bassine tandis que le mercure ainsi que
l’amalgame or/mercure reste dans le fond de la bassine. Ces derniers alors
sont récupérés dans une étoffe et y sont pressés afin d’en extraire le mer-
cure. Une fois cette opération achevée, un effort supplémentaire de pression
est exercé pour évacuer les dernières portions de mercure non amalgamées.
L’amalgame est généralement placé dans un petit récipient où l’on ajoutera
les amalgames de traitements ultérieurs.
Le mercure séparé de l’amalgame est ensuite réintroduit dans la bas-
sine où l’argile avait été transvasée. Le processus de mixage reprend encore
pendant 10 à 15 minutes, avec toutes les étapes suivantes permettant de
récupérer l’amalgame or/mercure. L’opération peut se répéter 4 à 5 fois pour
s’assurer qu’il ne reste plus aucune portion récupérable d’or dans le concen-
tré (ou de l’argile du loutra). Ensuite, tous les amalgames obtenus grâce au
processus développé ci-dessus sont traités par la chaleur afin que le mercure
s’évapore, laissant l’or apparent.
À Kamituga, la valeur du mercure est de 130 à 200 dollars/kg. Cette
variation est due au caractère illégal de la vente, et au fait qu’aucune mai-
son ne fournit du mercure de manière régulière et à prix fixe. Ainsi, chaque
client achète du mercure à son propre prix, en fonction de celui qui lui four-
nit. Dans tous les cas, l’achat de ce métal en gros (1 kg) se révèle plus
avantageux que l’achat au détail.
Pourtant, la plupart des acheteurs ne se procurent pas le mercure par kg,
mais par bouchon de stylo ou par cuillère à café. Un bouchon vaut 5 dollars
tandis qu’une cuillère revient à 20 dollars. Tous les utilisateurs affirment
cependant que le prix du mercure est suffisamment faible comparativement
aux bénéfices qu’ils en tirent. Ils ne réduisent donc pas la quantité à utili-
ser en raison de son prix, mais d’après la disponibilité de concentré ou de
sable à traiter. La quantité de mercure à utiliser mensuellement ou hebdo-
madairement est ainsi revue à la baisse ou à la hausse11. Cependant, il est
difficile d’estimer la quantité moyenne de mercure utilisée mensuellement,
car celle-ci varie largement d’un utilisateur à l’autre, suivant les différentes
périodes de l’année et les disponibilités des matières à traiter.
La figure 2 résume le schéma d’extraction et du traitement de l’or en
montrant à quel niveau de ce processus les creuseurs recourent au mercure.
11
Entretien avec les utilisateurs de mercure à Kamituga en juillet 2016.
Le mercure dans l’exploitation de l’or 201
Figure 2 : schéma synthétique de l’extraction et du traitement
de l’or à Kamituga
202 Conjonctures congolaises 2016
Le mercure est principalement utilisé dans la ville de Kamituga par les
ménages des utilisateurs, à proximité des maisons. Toutes les personnes
questionnées confirment que le traitement de l’or au mercure n’a jamais
eu lieu dans les sites d’extraction. Une analyse cartographique par Digital
Elevation Model (figure 3) montre que ces zones de traitement au mercure
se trouvent dans les bassins des rivières Bitanga, Nyasumu et Kapemba
(trois affluents de la rivière Zalya). Ceci pourrait avoir des conséquences
notables sur la qualité de l’eau des rivières, les organismes qui y vivent ainsi
que sur la santé des hommes qui s’en servent, tel qu’explicité au point 1 de
ce chapitre (cette hypothèse sera vérifiée dans la suite de notre étude).
La figure 3 montre la répartition spatiale des points d’extraction d’or et
d’utilisation du mercure, ainsi que les rivières menacées par ces activités.
Figure 3 : carte d’utilisation du mercure et des rivières
potentiellement affectées à Kamituga
Légende :
Sites d’extraction minière
Rivières
Zone d’utilisation du mercure
Source : cartographie participative rapportée sur un Digital Elevation Model.
Le mercure dans l’exploitation de l’or 203
3.3. Perceptions locales
Les entretiens en focus group ont démontré que les creuseurs ignorent les
risques que présente le mercure pour la santé et l’environnement. Ceci est dû
au fait qu’aucun média n’a jamais relayé l’information12 ou encore qu’au-
cune organisation n’ait à ce jour organisé une campagne de sensibilisation.
Cela suggère que les creuseurs de Kamituga ne décident pas d’ignorer
volontairement les risques encourus par l’utilisation du mercure (Veiga et
al. 2006). Bien qu’il n’y ait pas de garantie qu’une réduction de la quantité
de mercure s’observera lorsque la population en sera informée, les faits per-
mettent néanmoins de mettre en perspective la situation.
Par ailleurs, les anciens agents de la Sominki soupçonnent la nocivité du
mercure en raison des précautions prises par l’usine pour restreindre l’ac-
cès aux zones de traitement13. Il nous a aussi été rapporté que les agents
qui travaillent dans ces parties de l’usine observaient un régime alimentaire
spécifique (comprenant une grande quantité de lait). Aussi, certains creu-
seurs et membres d’autres parties prenantes (généralement les plus instruits)
considèrent par déduction que le mercure est nocif pour la santé humaine et
l’environnement. N’ayant jamais entendu parler d’un rôle bénéfique associé
au mercure, ils préfèrent par conséquent s’en méfier. Cependant, tous affir-
ment que les véritables problèmes environnementaux causés par les activités
minières sont le déboisement et la pollution des rivières par les particules
argileuses et sableuses qui y sont libérées lors de l’extraction de l’or14.
Tandis que le déboisement et la perturbation des rivières sont des effets
bien apparents, ceux du mercure ne sont pas directement visibles et peuvent
être difficilement identifiables. Aussi, alors que plusieurs campagnes de lutte
contre la déforestation ont eu lieu dans la province, et même à Kamituga15,
aucune n’a à ce jour été conduite pour la prévention contre la pollution au
mercure.
Bien que le mercure ne soit pas visible à l’œil nu et que sa nocivité ne
soit pas reconnue par tous, il s’agit d’une bombe chimique à retardement,
comme le déclare Stigliani (1991). Il présente effectivement un danger réel
pour les humains (ses effets sur le système nerveux central et sur la crois-
sance des fœtus sont notamment à déplorer) et les organismes aquatiques
(lesquels subissent des perturbations physiologiques). Il serait donc dange-
reux de se limiter aux impacts directement visibles et d’ignorer ceux qui se
cachent dans l’ombre, sans pour autant en être moins dangereux, au risque
12
Entretien avec les trois principales chaînes de radio et télévision de Kamituga, en
juillet 2016.
13
Entretien avec deux creuseurs anciens agents de la Sominki à Kamituga, en juillet 2016.
14
Entretiens avec les creuseurs et d’autres parties prenantes à Kamituga, en juillet 2016.
15
Médias et bureau local du ministère de l’Environnement de Kamituga, en juillet 2016.
204 Conjonctures congolaises 2016
de connaître un cas similaire à celui de Minamata, où le mercure a intoxiqué
plus de 2000 personnes dont la moitié est décédée (Harada 1995).
Nos recherches documentaires ainsi que notre entretien avec le bureau de
la zone de santé de Kamituga n’ont pas révélé de cas de décès ou de maladie
lié à l’intoxication au mercure. Mais il est tout à fait probable que de tels
cas n’aient pas été identifiés soit parce que les patients ne se sont pas rendus
à l’hôpital (situation assez fréquente par manque de couverture médicale)
soit parce que les symptômes de cette intoxication peuvent facilement être
confondus avec ceux d’autres maladies s’attaquant au système nerveux cen-
tral ou au développement fœtal16.
Finalement, nous devons souligner ici que le mercure n’est pas la seule
substance utilisée dans l’extraction de l’or qui représente un danger pour la
santé humaine et l’environnement. Dans les maisons d’achat, l’or extrait par
les creuseurs artisanaux est purifié et « nettoyé » à l’acide. Plusieurs parties
prenantes interviewées ont félicité l’effort récemment initié pour exiger de
ces maisons d’achat qu’elles installent des cheminées afin d’éviter d’intoxi-
quer leur voisinage à l’acide. Elles considèrent de fait que cela représente un
réel danger pour les manipulateurs et la population. Par ailleurs, la société
Banro, toujours en phase d’exploration à Kamituga, traitera probablement
l’or au cyanure, comme elle le fait déjà dans d’autres sites.
3.4. Gouvernance de l’utilisation du mercure
Le Code minier de la RDC prévoit que la protection de l’environne-
ment fait partie des raisons pouvant amener le président de la République
à déclarer une zone interdite aux travaux miniers (article 6). Le Code exige
ainsi de tout exploitant qu’il soumette son Plan d’atténuation et de réha-
bilitation de l’environnement (PAR), une Étude d’impact environnemental
(EIE) et un Plan de gestion environnementale de son projet (PGEP). Le
règlement minier prévoit également que toute transformation de produits
miniers ayant recours au mercure ou à d’autres substances dangereuses ne
peut s’opérer que dans un atelier ou une usine agréée par le ministre des
Mines (article 238). Un exploitant artisanal qui entreprend seul la transfor-
mation de ses produits en utilisant le mercure ou d’autres produits nocifs
peut ainsi perdre sa carte d’exploitant. L’article 575 dicte que seule la sépa-
ration gravimétrique et des procédés faisant usage de réactifs ne causant pas
de préjudices graves aux écosystèmes est autorisée. Toutefois, comme sou-
vent en RDC, l’application du Code et du règlement n’entre pratiquement
jamais en considération. Dans cette section, nous décrivons les différentes
organisations qui interviennent dans la gouvernance de l’utilisation du mer-
16
À travers les études doctorales du premier auteur, ces effets seront examinés davantage.
Le mercure dans l’exploitation de l’or 205
cure à Kamituga, nous évaluons leurs politiques et pratiques, et nous posons
la question de leur responsabilité vis-à-vis des communautés.
Le Saesscam (Service d’Accompagnement et d’Encadrement du Small
Scale Mining) est le service le mieux placé pour guider les creuseurs arti-
sanaux et les détourner de l’utilisation du mercure, conformément à la loi.
Cependant, ce service fait face à diverses contraintes qui l’empêchent de
mener cette tâche à bien.
Premièrement, le Saesscam s’est transformé en service générateur de
revenus pour la province (guichet unique). Il collecte 50 dollars annuelle-
ment auprès de tout propriétaire de puits et 10 dollars mensuellement auprès
des propriétaires en cours de production. Cet argent est distribué suivant
une clé de répartition à hauteur de 40 % pour le Saesscam, 35 % pour le
gouvernorat de la province, 10 % pour le ministère provincial des Mines,
10 % pour la division provinciale des mines et 5 % pour le comité local
de Sécurité (Arrêté provincial 13/037/GP/SK). Deuxièmement, le service
des ressources humaines présente une faiblesse apparente. Le sous-bureau
de Kamituga comprend sept agents, dont seulement deux ont un niveau
d’études secondaires (la formation acquise aux niveaux primaire et secon-
daire ne permet pourtant pas d’évaluer la nocivité de certains produits sur la
santé ou l’environnement)17. En dernier lieu, on observe un manque de moti-
vation des agents présents à Kamituga, qui ne perçoivent pour le moment
aucun revenu du Gouvernement (car les unités auxquelles ils appartiennent
ont été nouvellement créées), et ignorent quand leur situation sera réglée.
Leur seule source de revenus émane donc des frais d’encadrement perçus.
Cette série de contraintes conduit à une situation telle que le sous-bureau de
Kamituga, tout comme aucun autre sous-bureau du territoire de Mwenga,
n’a transmis un rapport au Bureau territorial rendant compte de l’utilisation
du mercure dans la région (entretien avec le chef du Bureau territorial du
Saesscam/Mwenga).
À l’instar du Saesscam, la majorité des structures étatiques impli-
quées dans le secteur minier se concentrent principalement sur la collecte
des taxes, plutôt que sur les autres missions qui leur sont attribuées.
Malheureusement, la plupart de ces taxes n’atteignent pas le trésor public
du Gouvernement congolais. Contrairement à ce que suggère l’hypothèse
des « minerais de conflit » (De Putter 2012), d’après laquelle ces prélève-
ments atteindraient, dans certains cas, les groupes armés et financeraient
les conflits, à Kamituga, nous avons constaté que ces « taxes » finissent
en grande partie dans la poche des agents les prélevant ainsi que de leurs
supérieurs hiérarchiques directs. Une pratique courante est la négociation
17
Entretiens avec les agents du Saesscam à Kamituga en juillet 2016.
206 Conjonctures congolaises 2016
d’un report de paiement18. Moyennant un certain pourcentage du montant
de la taxe à payer, un exploitant peut officieusement négocier un report (à
une durée indéterminée) de cette taxe. Dans certains cas, le taxateur évite de
déclarer l’activité dans son rapport pour que le paiement ne lui soit pas exigé
par l’administration19. Cette situation induit un flottement des statistiques
de différents services quant au nombre de creuseurs et à l’importance des
activités de ceux-ci. Cette confusion peut, dès lors, permettre à des activités
illégales (telle l’utilisation d’explosifs ou celle du mercure) de se poursuivre
sous le radar.
Le bureau de l’administration des Mines (bureau isolé des mines) est le
service habilité à accorder des cartes d’exploitation aux creuseurs artisa-
naux – et à les retirer si ceux-ci ne respectent pas la loi. Ce service dispose
même d’une cellule de protection de l’environnement, laquelle ne considère
pas non plus la lutte contre l’utilisation du mercure comme une priorité.
Les considérations prioritaires portent sur le déboisement causé par les
creuseurs par le défrichage des sites et le boisage des puits afin d’éviter
les éboulements. Ce service rencontre ainsi les mêmes contraintes que le
Saesscam. Les responsables reconnaissent toutefois que le mercure est bel
et bien utilisé dans la région et que c’est illégal20.
Hormis les services du ministère des Mines, le bureau du ministère de
l’Environnement est l’une des entités qui auraient pu contribuer à limiter
l’utilisation du mercure. Les quatre services que comprend le ministère ne
se préoccupent pourtant pas de l’utilisation du mercure ; là aussi, d’autres
problématiques telles que la déforestation ainsi que l’hygiène et l’assainis-
sement de la ville de Kamituga passent au premier plan.
Mis à part les services étatiques, il existe six autres catégories d’organisa-
tions qui interviennent dans la gouvernance de l’extraction et du traitement
artisanal de l’or : des organisations non gouvernementales, des structures
de la société civile, des comités de creuseurs, des sociétés commerciales,
des maisons de négoce d’or ainsi que des médias. Ces structures ont des
interactions différentes avec le secteur minier et des divergences de vision
quant à l’utilisation du mercure. Celles qui envisagent de passer à l’action
pour réduire l’emploi du mercure font face à des contraintes qui, en fin de
compte, défont toute entreprise allant dans ce sens. Cette inaction des divers
acteurs serait la cause de l’ignorance de la population face aux dangers
encourus par l’utilisation du mercure.
Les organisations non gouvernementales locales (ONG), comme ASDI
et ALEFEM, fonctionnent souvent grâce aux fonds acquis par soumission
18
Entretiens avec les creuseurs à Kamituga, en juillet 2016.
19
Entretien avec certains services étatiques de Kamituga, en juillet 2016.
20
Entretien avec le chef de bureau isolé des mines de Kamituga, en juillet 2016.
Le mercure dans l’exploitation de l’or 207
de projets de développement. Bien qu’ayant la protection de l’environne-
ment en ligne de mire, elles n’ont jusque-là pas encore soumis de projet
visant à réduire l’utilisation du mercure en prévention de ses effets sur l’en-
vironnement et la santé humaine21. Ces structures se montrent cependant
ouvertes à agir dans cette voie si un partenaire se présente pour les financer.
Aussi, elles reconnaissent avoir récemment participé à une activité de reboi-
sement initiée par le ministère de l’Environnement, avec le souhait d’agir
davantage dans ce sens.
La société civile et la société civile environnementale, bien qu’ayant
quelques cadres universitaires au sein de leurs équipes, prétendent ne déte-
nir aucune information sur les effets du mercure sur la santé humaine. Ceci
serait dû à un accès limité à l’information suite à l’absence d’Internet, à la
limitation du temps accordé à leur activité (vu qu’elle revêt un caractère
caritatif et est par essence « sans but lucratif ») et au fait de dépendre direc-
tement – actuellement ou dans un passé récent – de l’extraction de l’or22.
Les comités de creuseurs comme le Comité des Orpailleurs de Kamituga
(Coka) et Cadiem (Cadre de Dialogue et Médiation) se focalisent princi-
palement sur la médiation des différends entre creuseurs ou entre ceux-ci
et d’autres parties prenantes. Ces associations jouent ainsi un rôle syndical
dans un contexte menaçant : la collecte « illégale » des taxes, l’expulsion
probable de tous les creuseurs par la société Banro dans un futur proche,
l’utilisation de pompes et le recours à d’autres pratiques qui conduisent aux
décès des creuseurs par asphyxie ou lors des éboulements dans les mines.
Bien que conscients de la pollution causée par l’extraction minière, les
comités se retrouvent impuissants face à l’activité qui fait vivre les membres
qu’ils représentent. Ils restent néanmoins ouverts à toute technique qui
contribuerait à une meilleure protection de l’environnement et de la santé de
la population, et particulièrement de celle des creuseurs23.
Les sociétés commerciales telles que Banro (Kamituga Mining) et
Kgadev (Kamituga Development) n’influencent pas non plus le taux d’uti-
lisation du mercure pour des raisons de conflits d’intérêts. Dans le cas de
Banro, une exploitation moins dommageable de l’environnement ne présente
aucun d’intérêt, car les dommages causés constituent l’un des arguments du
plaidoyer visant à écarter les creuseurs de ses carrés miniers. Si la société
dispose d’un service de l’environnement, celui-ci ne s’intéresse pas non plus
aux effets de la pollution au mercure. Ses préoccupations se portent plutôt sur
le reboisement (plus de 1500 arbres ont été plantés durant les deux dernières
années, dont 900 ont poussé avec succès) et la gestion des ordures issues du
21
Entretiens avec les membres de ces ONG à Kamituga, en juillet 2016.
22
Entretiens avec les deux sociétés civiles de Kamituga, en juillet 2016.
23
Entretiens avec les comités des creuseurs de Kamituga, en juillet 2016.
208 Conjonctures congolaises 2016
camp occupé par leurs agents. Ces démarches sont avant tout motivées par
l’obtention d’un permis d’exploitation, qui oblige une structure industrielle
à présenter un plan de restauration de l’environnement. La société est donc
ainsi tenue de remédier à « ses » effets sur l’environnement, et non aux dom-
mages causés par ses prédécesseurs. Cela s’illustre, par exemple, par le fait
que Banro veille toujours à planter davantage d’arbres qu’elle n’en coupe
lors des travaux d’exploration des sites miniers24. Les creuseurs apportant
leurs minerais pour le broyage tirent une partie de leur profit de la vente
des concentrés aux « lotteristes » représentés par Kgadev (qui traitent sou-
vent ces concentrés au mercure). Cette somme ne constitue pas un bénéfice
en soi, mais permet aux creuseurs d’atténuer le coût des dépenses liées au
transport et au broyage25. Un arrêt ou une réduction notable de l’utilisation
du mercure représenterait donc un certain manque à gagner pour les creu-
seurs et par conséquent pour Kgadev.
Les maisons de négoce d’or ne réduisent pas l’utilisation du mercure
et, pourrions-nous dire, en facilitent l’accès. Certains commerçants vendent
du mercure (parfois à crédit) en s’assurant par accord que l’utilisateur leur
vendra l’or obtenu. Malheureusement, cet accord (tout comme d’autres du
même genre) n’est pas souvent honoré quand la production est plus faible
que les dépenses engagées pour l’obtenir26.
Les médias (VSTV, APIDE, Voix du peuple) n’organisent aucune émis-
sion de sensibilisation sur la réduction des impacts environnementaux car
ils espèrent qu’une ONG (ou un service étatique) les finance pour aborder la
question. Les ONG, pendant ce temps, n’entreprennent aucune sensibilisa-
tion médiatique contre l’utilisation du mercure alors que la préservation de
l’environnement figure dans leur agenda.
Nous pouvons dès lors conclure que les organisations susceptibles d’agir
en faveur d’une réduction et d’une prévention de l’usage du mercure font
face à plusieurs contraintes telles que le manque d’argent et d’informations
tangibles. Pour d’autres acteurs, contrer la menace du mercure ne constitue
pas une priorité ou n’entre pas dans leurs intérêts.
3.5. Discussion
En RDC, le principe de responsabilité environnementale est régulé
par le Code et le règlement minier, qui exigent des exploitants industriels
d’évaluer l’impact de leurs activités sur l’environnement et de soumettre un
projet de restauration de cet environnement. Le Code explique clairement
24
Bureau des relations publiques de Banro/Kamituga mining, en juillet 2016.
25
Entretiens avec les creuseurs de Kamituga, en juillet 2016.
26
Entretiens avec les négociants d’or et les utilisateurs de mercure à Kamituga, en juillet 2016.
Le mercure dans l’exploitation de l’or 209
que les exploitants industriels ont la responsabilité de veiller à la restaura-
tion du milieu en exigeant 0,5 % de leur chiffre d’affaires comme garantie.
Ceci s’inscrit avant tout dans le modèle fondé sur la « redevabilité de
l’entreprise ». Pour ce qui est des creuseurs artisanaux, le Code interdit
formellement à ceux-ci de recourir au mercure ou à toute autre substance
néfaste pour la santé ou l’environnement. L’éventuel retrait de la licence
d’exploitation en cas de manquement est utilisé comme moyen de pression.
Le fait que l’utilisation du mercure soit interdite dans le Code et le règle-
ment miniers congolais ne suffit pas. Non seulement parce qu’aucune action
n’a été menée pour effectivement réduire son emploi, mais surtout parce
que les utilisateurs et les différents services et organisations qui intervien-
nent dans le secteur minier n’en sont pas conscients. Soit ils font face à des
contraintes qui les empêchent de prendre des initiatives, soit ils ne considè-
rent pas le problème comme prioritaire et n’y trouvent aucun intérêt propre.
Une simple application de cette interdiction d’utiliser du mercure,
sans mesures d’accompagnement, s’avérerait également négative pour
les creuseurs. Les conséquences de la suspension des activités artisanales
en 2010-2011 pourraient ainsi se reproduire. On pourrait, dès lors, observer
la formalisation « top-down » (Geenen 2012) ou l’obligation de s’organi-
ser en coopératives (De Haan & Geenen 2016), qui mène à l’exclusion des
plus marginalisés et oriente la production de l’or vers le circuit clandestin.
Le mieux serait donc de sensibiliser et d’outiller les creuseurs artisanaux
pour une utilisation plus responsable du mercure (notamment par des
systèmes à cornues ou de hottes pour fumées permettant de récupérer le mer-
cure). Il s’agirait également de les rediriger vers des techniques mécaniques
avancées (séparation par centrifuge, en spirale, par vortex, par flottaison
ou par magnétisme) n’ayant pas recours au mercure. Dans ces projets de
responsabilisation et sensibilisation, le Saesscam et le bureau du ministère
de l’Environnement ont certainement un rôle à jouer, plus particulièrement
quant à l’accès à l’information et la réglementation de certaines pratiques.
Les médias, les ONG et la société civile devraient également faciliter l’ac-
cès des creuseurs et de la population à l’information.
Revenant au débat sur la responsabilité environnementale, qui jusqu’ici
se cristallise sur les entreprises minières, nous proposons de reconsidérer
ce concept avec davantage de recul. D’abord, la responsabilité ne doit pas
seulement porter sur les grandes entreprises ; elle doit également s’appliquer
aux acteurs étatiques et non étatiques intervenant dans la gouvernance du
secteur artisanal. Deuxièmement, au lieu de proposer des solutions pure-
ment « techniques », comme l’interdiction du mercure, il semble judicieux
de prendre en considération les pratiques des creuseurs ainsi que les intérêts
des différents intervenants.
210 Conjonctures congolaises 2016
Conclusion
Le secteur minier en RDC a déjà fait couler beaucoup d’encre. Secteur
crucial pour le développement du pays, il peut amorcer une véritable recons-
truction de la province du Sud-Kivu, même si de nombreux conflits l’ont
secoué à ce jour. En se focalisant trop sur les aspects économiques de la pro-
blématique, les bailleurs et décideurs politiques risquent de perdre de vue
les aspects environnementaux. L’impact environnemental doit pourtant être
pris au sérieux dans une politique de développement, car il est plus pertinent
sur le long terme.
Dans ce chapitre, nous avons voulu examiner comment le principe de pro-
tection de l’environnement se traduit dans les politiques du Gouvernement
et des autres organisations intervenant dans la gouvernance du secteur arti-
sanal. Plus spécifiquement, nous avons constaté que le mercure est utilisé
dans l’extraction de l’or à Kamituga comme dernière étape de traitement
par chacune des quatre méthodes d’extraction pour séparer l’or des rési-
dus. Nous avons aussi observé que le prix du mercure est suffisamment
abordable pour ne pas présenter une contrainte d’utilisation. Par ailleurs, la
cartographie participative a révélé que le traitement de l’or au mercure n’a
pas lieu dans les mines, mais plutôt aux domiciles des usagers. Cette situa-
tion conduit à la pollution de trois rivières dont les bassins chevauchent les
zones d’utilisation du mercure. Les recherches doctorales de notre premier
auteur permettront d’évaluer le niveau effectif de la pollution de ces rivières
ainsi que l’impact sur l’environnement et sur la santé des creuseurs et de la
population. Au cours de notre étude, nous avons également pu remarquer
que le niveau de connaissances des creuseurs et d’autres intervenants sur
les risques que comporte l’utilisation du mercure est très limité. En relatant
cet état de fait aux politiques, nous avons constaté que ceux-ci se détournent
de leur responsabilité et n’informent pas la population quant aux risques
encourus. Finalement, nous avons proposé d’élargir le concept de la respon-
sabilité locale en incluant plusieurs acteurs intervenant dans la gouvernance
du secteur minier tout en tenant compte des pratiques et intérêts locaux.
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Le mercure dans l’exploitation de l’or 213
Remerciements
Nous exprimons notre gratitude au CRE-AC et au Cegemi qui ont financé
cette recherche. Nous remercions également tous les services étatiques et
autres parties prenantes qui nous ont permis d’obtenir des informations, plus
particulièrement les responsables du Coka, du Saesscam et de l’Association
des Négociants qui nous a aidés à rencontrer ces structures. Nous remer-
cions enfin Franck Zahinda, Malick Hussein et Daniel Muhindo qui nous
ont permis de collecter ces données.
De la semi-industrialisation de l’exploitation minière
artisanale et son impact sur les conditions
de vie de la population.
Cas de l’exploitation minière par dragues
à Shabunda
Jean-Paul Mushagalusa Rwabashi1
Introduction
Bien qu’actuellement l’industrie minière ait envahi tous les continents,
la pratique de l’exploitation artisanale à petite échelle (ASM, artisanal and
small-scale mining) ne cesse de prendre de l’envol. Cette tendance s’ac-
centue encore davantage dans les pays en voie de développement (Belem,
Champion & Gendron 2008 : 55). Selon les études récentes, l’Afrique
subsaharienne comporterait entre 4,5 à 6 millions d’actifs impliqués dans
l’exploitation minière artisanale dont 30 % à 40 % de femmes. Le secteur
entretient plus de 40 millions de personnes qui en dépendent totalement et
constitue une source importante des moyens de subsistance dans de nom-
breuses régions où les perspectives économiques sont limitées (Hinton,
Veiga & Tadeu 2002 : 99).
Tandis que l’exploitation dite « artisanale » se caractérise par l’utilisation
d’outils manuels et la collaboration de petits groupes (Bryceson & Geenen
2016 ; Bryceson, Josson & Mwaipopo 2014 : 1-22), l’exploitation à petite
échelle est mécanisée et s’effectue soit en coopératives, soit en petites socié-
tés. En Afrique subsaharienne, l’activité purement artisanale se voit petit à
petit remplacée par une exploitation semi-industrielle de petite échelle, et
ce en raison des investissements dans le secteur en outils d’extraction et de
transformation (tels que des broyeurs). Cependant, nombre d’exploitations
minières de petite échelle œuvrent toujours dans l’illégalité. Par ailleurs, au
niveau politique, plusieurs gouvernements se sont engagés dans un proces-
sus de réflexion sur la modernisation du secteur ASM.
1
Assistant d’enseignement à la faculté de Droit de l’Université catholique de Bukavu (UCB)
et chercheur au Centre d’Expertise en Gestion minière (CEGEMI) et au Centre régional
des Droits de l’Homme et de Droit international humanitaire (CERDHO).
216 Conjonctures congolaises 2016
En République démocratique du Congo, cette modernisation permettrait
de transformer l’exploitation minière artisanale en exploitation minière de
petite échelle. Ainsi, le ministère envisage d’organiser l’exploitation minière
artisanale en coopératives, d’instituer le plus possible de Zones d’Exploita-
tion artisanales (ZEA), de mécaniser l’exploitation minière artisanale dans
le but de favoriser l’émergence de la classe moyenne, et enfin de mettre
en place des mécanismes de traçabilité et des systèmes de certification des
substances minérales, comme exigé par des gouvernements occidentaux et
des institutions internationales (Bashizi & Geenen 2015 : 223-226). Mais
dans quelle mesure cette vision gouvernementale correspond-elle aux réali-
tés sur le terrain ? Des études antérieures présentées dans d’autres volumes
de Conjonctures congolaises2 ont démontré que ces politiques, comme
l’installation des coopératives, se heurtent aux réalités sur le terrain, carac-
térisées par la résilience de certaines institutions informelles et des relations
de pouvoir, lesquelles résultent d’une « hybridation » de la réforme (ibid. :
239-260). Notre étude vise à contribuer à ce débat en analysant les dyna-
miques récentes de l’exploitation minière à Shabunda, un territoire enclavé
dans la province du Sud-Kivu. Ce territoire vit, ces dernières années, une
exploitation minière intense par dragues. Dans ce chapitre, nous cherche-
rons donc à répondre à cette interrogation : « Comment décrire l’exploitation
minière par dragues à Shabunda et quels changements a-t-elle opérés sur les
conditions de vie de la population locale ? ». La pertinence de notre ques-
tionnement relève de son originalité, la semi-industrialisation du secteur
minier artisanal n’ayant pas encore fait l’objet d’études dans la littérature,
pourtant abondante, sur l’exploitation minière. L’analyse empruntera une
démarche qualitative fondée sur les données collectées lors des enquêtes de
terrain à Shabunda auprès des coopératives minières et des tenanciers des
dragues3.
2
Voir par exemple Bashizi & Geenen 2015 ; Bahalaokwibuye 2016.
3
La mission a été menée du 8 juin au 3 juillet grâce à l’appui financier du Centre d’Expertise
en Gestion minière (CEGEMI) de l’Université catholique de Bukavu.
Il existe une cinquantaine de coopératives minières à Shabunda ; nous en avons visité
une dizaine lors de notre mission. Les interviews étaient conduites individuellement et le
dernier jour, un focus group a été mis en place avec tous les dirigeants des coopératives
sélectionnées. Les coopératives minières opérationnelles sont : la coopérative minière
Kangulu Masanga (COOMIKAMA), la coopérative minière des exploitants Umoja Ulinzi
Shabunda (CEMUSHA), la coopérative minière des Creuseurs artisanaux élargie de
Shabunda (COOMICRAESHA), la coopérative minière des artisanaux de Tchampundu
(COOMICHA), la coopérative minière de Lukambinko/Babotya (COOMILUBA), la
coopérative minière des artisanaux miniers Umoja (COOPEMU), la coopérative minière
Katchungu/Lyela, la coopérative minière de Bakisi (COMIBA), la coopérative minière
de Mulanga (COMIMU), la coopérative minière des exploitants artisanaux Umoja de
Bimpanga (COOMEAU), la coopérative minière de Lubila (COOMILU), COOPEMUSKA,
De la semi-industrialisation de l’exploitation minière artisanale : cas des dragues à Shabunda 217
1. La politique gouvernementale congolaise et
sa contribution à la promotion de la semi-industrialisation
Le secteur minier congolais se trouve souvent au cœur des réformes gou-
vernementales. Si l’on peut dire que l’industrie minière apportait une large
part au budget national jusqu’aux années 1970, la baisse du cours du cuivre
au niveau mondial, couplé à des politiques internes, a engendré une crise
économique qui s’est accentuée dans les années 1980. C’est ainsi que le
Zaïre s’est engagé envers les institutions financières internationales (Banque
mondiale et FMI) dans un programme d’ajustement structurel. La libérali-
sation du secteur minier artisanal en 1982 fut considérée comme l’une des
mesures phares que le Gouvernement avait prises pour permettre à la popu-
lation de jouir de ses richesses minières. Cette libéralisation, et les conflits
qui se sont succédés dans les années 1990-2000 ont engendré un véritable
« boom » du secteur minier artisanal. Cependant, cette exploitation s’est
opérée largement dans l’illégalité, car la plus grande partie du territoire était
donnée en concession aux entreprises minières qui ne produisaient plus,
COOMIKA, la coopérative minière de Batali (COOMIBAT), la coopérative minière de
BITAMBI II (COMIBI), la coopérative minière Mobutu (COOMIMO), la coopérative
minière Union Fait la Force (COOMIROR), la coopérative minière Tchombo cha Nao
(COOMINO), la coopérative minière Kampa-Frère (COOMIKAF), la coopérative minière
Kyankindo, la coopérative minière MatiliK Yanyunki (COMIMAK), la coopérative
minière Byaizibitubu (COOPMBYAIKA), la coopérative minière Tuungane, la coopérative
minière Amkeni de Shabunda, la coopérative minière Limasa Muguma (COOMILIMO),
la coopérative minière Kasana/Ulindi Yoyo, la coopérative minière de Wampongo
(COOMIWA), la coopérative minière Mungano Ibagabo, la coopérative Wakabango Ier
(COOMIWA Ier), la coopérative minière Kalumba Katoto, Muga, Mumonelo, Wamwimba
(COMIKAMWA), la coopérative minière de Nkulu (COOMINKI), la coopérative
minière Luanga Bikimunda de Matebo (COOMILUBI), COOPEMAD, la coopérative
minière Kunda, Mizango-Kasongo-Ituba (COMIKUMIKI), la coopérative minière de
Shabunda au Congo (COOMISCO), la coopérative minière de Kulomba, Katoto, Muga,
Mumonelo, Wanyoba (COOMIKAMWA), la coopérative minière Kasongo, Mizango-
Kunda-Tusikilindi-Lupondozi (KAMITUKULU), la coopérative minière Tukunda-Ulindi
(COOMIU-ULINDI), la coopérative minière Mugoma (COMIDIMU), la coopérative
minière de Bagabo (COMIGA), la coopérative minière de Byangama (COOPEMEKI),
la coopérative minière Kamulila (COOMIDIKA), COMIKWI, la coopérative minière
Kaseke (COOMIKAS), la coopérative minière Tuyuke (COOMIDET), la coopérative
minière des exploitants des cours d’eau de Shabunda, la coopérative minière Chunga-
Frère, la coopérative minière Maendeleo (COOMIMA), la coopérative minière Kitundu
(COOMIKI).
Nous avons rencontré 17 tenanciers de dragues, soit un échantillon de 10 % sur plus de
170 dragues opérationnelles à Shabunda. Par ailleurs, il faut signaler qu’une étude de
la société civile publiée en 2015 a soutenu qu’il existerait à Shabunda plus 179 dragues
dont 175 suceuses et 4 industrielles à chaîne à godets (Coalition de la société civile de la
région des Grands Lacs contre l’exploitation illégale des ressources naturelles - COSOC-
GL2015 : 2).
218 Conjonctures congolaises 2016
mais gardaient toujours les titres miniers. De nombreuses études ont décrit
cette situation d’exploitation artisanale « informelle » durant la guerre et la
période post-conflit (Bashizi & Geenen 2015 : 19-121).
Depuis quelques années, le Gouvernement congolais, sous la pression
des bailleurs occidentaux, a exprimé le souhait de tendre vers une exploita-
tion à petite échelle afin de permettre l’émergence des exploitants miniers
artisanaux en particulier, et, de manière générale, celle de la communauté
locale. Cette intention s’est manifestée par la conception, au ministère des
Mines, d’un plan d’action, « vision du ministère des Mines pour la période
2010-2015 », dont la finalité fut « d’accroître la contribution du secteur
minier industriel, à petite échelle et artisanal au développement écono-
mique4 ». Pour atteindre cet objectif, le ministère a cherché à créer des ZEA
afin de grouper les artisans en coopératives minières et de mécaniser le
secteur. À cette époque, l’organisation des exploitants artisanaux en coopé-
ratives5 permettrait un accompagnement de la dynamique de la structuration
de l’activité minière artisanale en vue d’améliorer le rendement de cette
dernière par les creuseurs. Cela a également permis au fisc de contrôler les
flux depuis les puits d’extraction (Bahalaokwibuye 2016 : 19) et d’en tirer
la contrepartie en termes de recettes (Louis 2013 : 10).
2. L’exploitation minière par dragues à Shabunda :
description et qualification
2.1. Contexte
Shabunda6, territoire le plus vaste de la province du Sud-Kivu, présente
trois cours d’eau : les rivières Lugulu, Ulindi et Elila. Ces deux dernières
connaissent une intense activité minière par dragues. Les dragues désignent
« un équipement motorisé, utilisé dans la phase de recherche ou d’exploita-
tion pour l’extraction des substances minérales, principalement le diamant
ou l’or7 ».
4
On peut lire cela dans le préambule de la vision du ministère des Mines pour la période
2010-2015, qui est appréhendée comme une projection des activités majeures pouvant être
réalisées à court, moyen et long terme.
5
Si certaines coopératives minières furent créées depuis la libéralisation du secteur minier
en RDC, la volonté manifeste de les réorganiser apparaît sous l’arrêté ministériel n° 0705/
CAB.MIN/MINES/01/2010 du 20 septembre 2010 portant sur la suspension des activités
minières dans les provinces du Maniema, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Par ailleurs, il
faut souligner que le bilan de ces coopératives depuis leur création reste mitigé.
6
Territoire le plus vaste du Sud-Kivu, avec une superficie d’environ 25 000 km2. Son
enclavement attire les exploitants artisanaux qui peuvent, dès lors, opérer en toute liberté.
7
Cette définition de la drague trouve sa source dans la note circulaire n° 662/CAB.MIN/
MINES/01/2012 du 17 septembre 2012 du ministère des Mines congolais.
De la semi-industrialisation de l’exploitation minière artisanale : cas des dragues à Shabunda 219
Du point de vue descriptif, deux types de dragues sont utilisés à
Shabunda. D’une part, les dragues suceuses artisanales et de l’autre, les
dragues de type industriel dites « à chaîne à godet8 ». Ces méthodes impli-
quent des acteurs différents : les exploitants artisanaux et la société chinoise
Kuhnou Mining Group dont le mobile reste identique (extraire à tout bout
de champ plus d’or). La plupart des dragues utilisées à Shabunda, du moins
celles de type industriel, proviennent de la Province-Orientale. Dans cette
province, l’exploitation par dragues est pratiquée depuis une quinzaine
d’années et la baisse de production a conduit les tenanciers à se tourner dès
les années 2010 vers Shabunda, où l’extraction serait encore prometteuse.
Par ailleurs, l’activité ne s’est intensifiée à Shabunda que vers 20139. En
outre, force est de constater que ceux qui détiennent les dragues ne sont pas
originaires du milieu, mais proviennent d’autres communautés, notamment
de la Province-Orientale et du Sud-Kivu. Nous avons ainsi pu recueillir les
propos d’un tenancier de dragues :
« Nous sommes combattus par la population locale qui nous accuse de piller
ses minerais alors que nous avons créé de l’emploi. En plus, nous ne sommes
pas comme les Chinois qui exploitent chez autrui, nous sommes au pays et
chacun peut s’installer partout sur le territoire national10. »
Le président de la société civile de Shabunda a, quant à lui, soutenu ce
qui suit :
« Les tenanciers des dragues exploitent les minerais à Shabunda, mais les
richesses générées par l’exploitation ne profitent pas à la communauté locale.
Ils corrompent l’administrateur du territoire qui leur assure la protection et
c’est pourquoi la population a désavoué l’autorité locale. Pour les Chinois,
n’en parlons plus11. »
Comment alors qualifier l’exploitation minière par dragues à Shabunda ?
Est-elle artisanale, industrielle ou semi-industrielle ? Pour répondre à cette
question, il nous semble patent de partir de la distinction sémantique que
revêtent ces concepts. Par secteur minier industriel, nous entendons « une
activité qui engage une ou plusieurs entreprises auxquelles ont été attribuées
8
Nous avons seulement rencontré lors de nos entretiens les tenanciers des dragues de type
artisanal. Il était quasiment impossible de rencontrer les Chinois, qui recourent aux dragues
industrielles, en raison des tensions entre ceux-ci et la population locale.
9
Interview avec un machiniste lors de notre collecte de données à Shabunda, réalisée le
3 juillet 2015. Le terme « machiniste » désigne toute personne qui s’adonne à la réparation
d’une drague en panne. Les machinistes disposent d’un atelier à Shabunda que nous
avons visité. Nombre d’entre eux nous ont confirmé provenir de la Province-Orientale
(Kisangani).
10
Interview avec un tenancier de dragues réalisée le 2 juillet 2015.
11
Interview réalisée le 22 juin 2015.
220 Conjonctures congolaises 2016
une ou plusieurs concessions minières. L’activité d’exploration, d’exploi-
tation, voire de transformation des ressources y est mécanisée en totalité
ou en partie ». Par contre, le secteur artisanal désigne « toute opération qui
consiste à extraire et concentrer les substances minérales et à récupérer les
produits marchands pour en disposer, en utilisant des méthodes et procédés
traditionnels ou manuels » (Mazalto 2008 : 54). La semi-industrialisation est
la phase médiane et est caractérisée par une mécanisation et une production
à petite échelle.
Partant de la définition de la drague mentionnée plus haut, l’exploitation
minière par dragues à Shabunda apparaît comme une « exploitation semi-
industrialisée » au regard des moyens et techniques utilisés. En effet, bien
que l’expression « drague industrielle » soit d’usage, les dragues auxquelles
a recours la société chinoise sont semi-industrialisées. Il suffit, pour s’en
convaincre, de comprendre l’organisation et le fonctionnement de la drague.
La drague artisanale, une fois montée, comporte des radeaux à équipe-
ment permettant d’aspirer l’or à travers un tuyau placé dans les sédiments
alluviaux. Son fonctionnement repose sur la collaboration de trente à qua-
rante agents. La personne charnière demeure le « plongeur12 ». Celui-ci
plonge dans l’eau muni d’un tuyau de plus de 30 m dont il enfonce la pointe
dans le gravier. L’exploitation s’opère entre 1 m et 3 m d’épaisseur, selon
le lit de la rivière. La durée de l’exploitation d’un lieu peut varier. Dans une
surface de 3 m à 5 m de gravier, la machine peut nécessiter un accostage
mensuel13. Les sédiments sont alors aspirés par une pompe qui les déverse, à
travers le tuyau, sur un tapis. Ce dernier se compose d’une maille qui classe
le sédiment par gravité et retient l’or fin. La tâche revient alors au personnel
de lavage qui nettoie le tapis et amalgame les particules fines à l’aide de
mercure (COSOC-GL 2015 : 10). L’amalgame est ainsi brûlé tandis que l’or
est récupéré. La production journalière d’une drague varie de 200 g à 250 g14
d’or par jour. Elle est tributaire de la richesse en or de la zone exploitée.
La drague à chaîne à godets dite « industrielle » requiert moins d’agents
que la méthode artisanale. Elle se constitue de godets en fer de 0,12 m2 de
volume montés sur une chaîne fixée à 5 m de hauteur. Celle-ci est ensuite
inclinée à 45 ° au moyen d’une roue gravitant à une vitesse de 0,22 m/s. Les
godets creusent les lits de la rivière et ramènent les sédiments à la surface.
Une fois au sommet de la tour à chaîne, le godet déverse son contenu sur un
12
Compte tenu de son importance, le plongeur est payé plus que les autres membres de
l’équipe. Son revenu intègre ainsi la prime de risque, les cas de noyade étant fréquents.
13
Informations recueillies lors de notre entretien avec les tenanciers de dragues du
4 juillet 2015.
14
Ces chiffres nous ont été donnés par le président de la société civile lors de notre interview
réalisée le 2 juillet 2015 à la paroisse de Shabunda.
De la semi-industrialisation de l’exploitation minière artisanale : cas des dragues à Shabunda 221
sluice15 qui classe les sédiments par gravité (ibid. : 13). Par ailleurs, compte
tenu du fait que la société chinoise Kunhou Mining, dont l’installation à
Shabunda remonte à l’année 2014 (Global Witness 2016 : 7), n’implique pas
la population locale dans ses activités, le traitement, de même que la quan-
tité résultant de cette production, restent inconnus. Cependant, l’étude de la
société civile précitée a estimé qu’une drague à chaîne à godets produirait
mensuellement 25 kg d’or, soit 100 kg pour les quatre dragues opération-
nelles à Shabunda16.
2.2. Avantages de la mécanisation du secteur minier artisanal :
contenu théorique de la mécanisation
En théorie, nous pensons que la mécanisation de l’exploitation
minière artisanale peut exercer un impact positif sur les conditions socio-
économiques de la population, sur l’éducation, la santé et l’environnement.
La mécanisation constitue un facteur clé pour l’économie locale. D’abord
par le fait que directement, le secteur minier artisanal absorbe une main-
d’œuvre abondante et souvent non qualifiée (Hilson & Hilson 2015 : 6).
L’optimisation des outils de travail permettrait à celle-ci d’accroître sa pro-
duction et d’améliorer ses conditions de vie (Mongenu & Nduwa 2015 :
671). En outre, ses répercussions sur l’activité commerciale sont notables
grâce à l’amélioration du pouvoir d’achat (Watshimuna & Tshimwanga
2015 : 607). La mécanisation du secteur minier artisanal permet ainsi à
la productivité d’exister. L’État peut tirer profit des taxes tout en affec-
tant la rente à l’amélioration des conditions de vie de la population. Il faut
cependant, pour en arriver là, qu’il y ait une politique gouvernementale de
promotion et un cadre institutionnel qui stimule les investissements. Au vu
des résultats de nos enquêtes menées à Shabunda, cette thèse paraît discu-
table, comme le montrera la section suivante.
15
Le terme « sluice » ou « rampe de lavage » désigne un canal ou un ensemble de plans
inclinés, le plus souvent en bois, garni de tapis ou de moquette et de tasseaux, dans
lequel on fait passer les alluvions aurifères pour en extraire l’or. On s’en sert surtout dans
l’orpaillage pour laver les alluvions aurifères et permettre de classer par densité différents
matériaux de même taille.
16
Selon l’étude du COSOC-GL (2015 : 14), la chaîne à godets présente un débit d’extraction
d’environ 135 m3/h. En supposant une masse volumique du gravier du lit de rivière à
1,7 t/m3, cette drague aurait la capacité de déplacer environ 230 t de sédiments par heure.
Avec une teneur moyenne de glissement alluvionnaire de 0,5 g/t, un taux de récupération
de 90 % et une capacité d’extraction réduite de 200 t, une drague chinoise peut produire
90 g d’or par heure. Si l’on multiplie cette quantité par 12 (heures de travail par jour) et à
nouveau par 25 (jours ouvrables mensuellement), il en résulte une production potentielle
de 27 kg d’or par drague et par mois.
222 Conjonctures congolaises 2016
3. Impact de la mécanisation du secteur minier artisanal
sur les conditions de vie de la population
Le développement théorique exposé précédemment prouve que la semi-
industrialisation du secteur minier artisanal tend à un impact positif. Portant
sur les données de terrain, l’analyse de la situation à Shabunda démontre
que la semi-industrialisation n’a pourtant pas profité à la population locale.
Nous justifions cet argument par les résultats auxquels nous sommes parve-
nus, qui se mènent à six conclusions :
- un impact mitigé sur les conditions de vie et la scolarité de la
population avoisinante ;
- une cohabitation difficile entre tenanciers de dragues et coopéra-
tives minières ;
- une augmentation de la production dont la quantité n’est pas
connue ou estimée ;
- une absence de l’État et la négation de l’autorité locale ;
- des relations avec les groupes armés ;
- des conséquences environnementales non maîtrisées.
3.1. Un impact mitigé sur les conditions de vie et la scolarité
de la population avoisinante
Parmi les tenanciers avec lesquels nous nous sommes entretenus, nom-
breux ont soutenu que l’exploitation par dragues a permis d’améliorer les
conditions de logement de la population. Les réponses fournies sur ce point
se résument ainsi :
« Depuis le lancement de l’exploitation par dragues, tous les 30 agents
membres du personnel ont pu construire, du moins pour les natifs du milieu,
des maisons en tôles. Cela est déjà un pas si l’on se base sur le passé où les
maisons dans tout Shabunda étaient en paille. En plus, tous les travailleurs
sont capables de se procurer une bonne alimentation même s’ils doivent faire
face au coût élevé des aliments dans ce territoire17. »
Les coopératives minières sur place tiennent un tout autre discours :
« Les dragues n’ont rien apporté, aussi bien pour la population que pour
l’État. Si vous comparez le prix des aliments à ceux pratiqués dans le chef-
lieu de la province (Bukavu), chaque aliment y compris les boissons coûte le
quadruple. C’est un effet dû aux dragues et dont la population paie le prix18. »
17
Compilation de nos interviews avec les tenanciers de dragues réalisées le 29 juin 2015.
Ces entretiens permettent de répondre à la question de savoir quel a été l’impact de
l’exploitation par dragues sur la population locale.
18
Interview avec un tenancier de dragues à Shabunda le 28 juin 2015.
De la semi-industrialisation de l’exploitation minière artisanale : cas des dragues à Shabunda 223
Nous avons également constaté qu’en réalité, la population locale ne
bénéficie aucunement de l’exploitation par dragues. L’État, qui maintient le
territoire dans un état d’enclavement, est en cause. Par ailleurs, la desserte
en produits alimentaires est assurée le plus souvent par avion entraînant ainsi
des prix très élevés. Or, comme le souligne un spécialiste, « cette mécani-
sation devrait être suivie d’un processus de construction politique et sociale
dans lequel se structurent l’État et les classes, les projets de société s’im-
posant par accord tacite ou par violence » (Buffet 2001 : 13). En d’autres
termes, il appartient à l’État congolais de définir un programme par lequel
cette semi-industrialisation devrait se réaliser et de le vulgariser auprès des
exploitants artisanaux.
Qui plus est, la mécanisation du secteur minier artisanal a un impact
ambigu sur le taux de scolarité, comme nous l’indique un inspecteur de
l’EPSP :
« La contribution de l’exploitation par dragues à l’augmentation du taux de
la scolarité doit être nuancée, car si cela a permis aux exploitants d’envoyer
leurs enfants à l’école d’une part, de l’autre part, la même activité joue un
rôle négatif en incitant à l’abandon, surtout des élèves du secondaire. Ceux-ci
préfèrent se procurer de l’argent par le travail dans les carrières minières19. »
3.2. Une exploitation en cohabitation difficile avec les activités
des coopératives minières
L’afflux de dragues à Shabunda a d’emblée rencontré des partisans. Si
l’adhésion des creuseurs artisanaux à une coopérative n’est devenue une
obligation légale qu’en 2011, suite à une injonction de la réforme minière
– résultant des mesures d’encadrement prises sous l’arrêté ministériel
n° 0705/CAM.MIN/MINES/01/2010 du 20 septembre 2010, lequel suspend
les activités minières dans les provinces du Maniema, du Nord-Kivu et du
Sud-Kivu (Bahalaokwibuye 2016 : 191-196) – ce regroupement était effec-
tivement déjà connu dans la ville. Un interviewé de la COOPEMESHA20,
l’une des anciennes coopératives minières de Shabunda, nous déclare ainsi :
« L’initiative était venue de moi en 1991, en convoquant la constituante de
tous les foyers miniers pour chercher un cadre légal comme il y a eu la
libéralisation de l’exploitation minière artisanale. Nous nous sommes réunis
à Kacungu pour créer une coopérative combinant agriculture et exploitation
minière, deux activités alternatives aux deux saisons de Shabunda21. »
19
Entretien avec le chef de la division de l’EPSP à Shabunda le 29 juin 2015.
20
Elle fut agréée par l’arrêté n° 0778/CA/CR-SK/95 du 29 septembre 1995.
21
Interview réalisée le 13 juin 2015.
224 Conjonctures congolaises 2016
Dès 2010, alors que l’exploitation minière par dragues débute à Shabunda,
la cohabitation entre coopératives et tenanciers de dragues pose problème et
les deux parties s’accusent mutuellement. Les conflits portent d’abord sur
l’accaparement de la main-d’œuvre. Selon les membres des coopératives
interviewés, les tenanciers de dragues auraient « débauché » tous les creu-
seurs qui travaillaient pour le compte des coopératives en leur promettant de
meilleures conditions de traitement22. Les tenanciers réagissent :
« Les creuseurs abandonnaient les coopératives parce que les dirigeants se
taillaient la part du lion et ne s’occupaient pas des creuseurs qui, pourtant,
travaillaient durement pour arriver à une meilleure production. À la drague,
nous les payons par pourcentage et c’est pourquoi ils sont motivés. »
Cette réponse peut se justifier, car les études menées sur les coopératives
minières ont démontré que ces dernières favorisent l’enrichissement des res-
ponsables au détriment des creuseurs (Bahalaokwibuye 2015 : 310).
La ressource elle-même est à l’origine des conflits. Les tenanciers des
dragues et les coopératives minières cherchent à l’exploiter le plus possible.
Si l’on peut dire que les coopératives visaient à promouvoir économiquement
et socialement leurs membres, ce n’est pas le cas dans la pratique. Aussi,
faut-il souligner que tant pour les coopératives que pour les dragues, la cap-
tation de la ressource et de la rente s’est faite au profit d’une élite, « le chef ».
Ce n’est pas un cas spécifique au territoire de Shabunda, car une précédente
étude a démontré que cette logique animait d’autres coopératives minières en
RDC, notamment celles de Kalimbi (Bashizi & Geenen 2015 : 253).
Un autre conflit résulte du fait que chaque groupe considère l’autre
comme exerçant dans l’illégalité. À ce sujet, un président d’une coopérative
minière a soutenu :
« Depuis la libéralisation du secteur minier, les coopératives minières
fonctionnaient bien à Shabunda. Elles s’acquittaient de toutes les obligations
envers l’État, participant ainsi au développement local à travers l’agriculture
comme activité alternative. Mais, depuis que les dragues opèrent dans ce
territoire, les coopératives minières n’ont plus d’activités. Cette prétendue
association de dragues est un mouvement monté de toute pièce par les
autorités centrales, provinciales et locales afin de s’enrichir au détriment
de la population. Elles ont même permis aux Chinois d’exploiter avec les
dragues industrielles (robots) alors qu’ils n’ont pas de concession23. »
22
Interview réalisée le 18 juin 2015.
23
Interview réalisée lors de notre descente sur le terrain avec le président de la synergie des
coopératives minières de Shabunda, le 16 juin 2015.
De la semi-industrialisation de l’exploitation minière artisanale : cas des dragues à Shabunda 225
Se prononçant sur la question de la légalité de leur activité, les tenanciers
réagissent : « Nous exerçons notre travail en toute légalité. Nous avons tous
les documents exigés et nous payons toutes les taxes requises par les ser-
vices étatiques24. »
Quoi qu’il en soit, une certaine confusion sur la légalité de l’exploitation
minière par dragues à Shabunda reste non dissipée. Les outils et méthodes
utilisés semblent poser un problème de qualification au regard des critères
requis pour l’exploitation minière en droit congolais25. En recourant à la fois
aux dragues semi-industrielles et industrielles, employées par les Congolais,
les Chinois et les Tanzaniens, cette exploitation va à l’encontre des textes
légaux. Ces derniers distinguent de fait l’exploitation industrielle de l’ex-
ploitation à petite échelle et artisanale. Ils légalisent l’activité de chaque
type d’exploitation d’après des critères déterminés. Si l’exploitation par dra-
gues constituait une semi-industrialisation, c’est-à-dire une exploitation de
petite échelle, elle devrait reposer sur un montant d’investissement dont la
fourchette varie entre 100 000 et 2 000 000 de dollars, des réserves géolo-
giques exploitables dont la durée n’excède pas 10 ans et une mécanisation
des opérations d’extraction, de transport et de traitement de minerais. Cette
exigence n’est pas rencontrée par les dragues suceuses et la société chinoise
Kunhou Mining Group, qui, aux dires de la société civile, utilise les dragues
à chaîne à godets sans titre minier (COSOC-GL 2015 : 17). Par ailleurs, cet
argument n’est pas partagé par les coopératives minières, dont un représen-
tant nous a déclaré :
« Les autorités avancent que la société chinoise n’a pas obtenu de titre minier
pour escamoter leur responsabilité vis-à-vis de la population. Trouveriez-
vous normal, voire possible, qu’une entreprise quitte la Chine, traverse
de nombreux pays aux ressources abondantes tels que le nôtre, avec des
machines destinées à l’exploitation minière et que son voyage ne s’arrête
qu’en RD Congo sans posséder de titres ? Par quelles frontières ces engins
ont-ils traversé26 ? »
En outre, le fait qu’aucune zone d’exploitation artisanale n’ait été attri-
buée par le cadastre minier à Shabunda, y compris dans la rivière Ulindi, et
que des étrangers exercent la même activité viole les textes, qui réservent
l’exploitation minière artisanale aux seuls Congolais.
24
Interview avec un tenancier de dragues réalisée le 2 juillet 2015.
25
Le Code minier de 2002 ainsi que le règlement minier de 2003 ne contiennent pas de
dispositions relatives à l’exploitation minière par dragues.
26
Entretien réalisé le 15 juin 2015 avec le chef de section de la COOPEMESHA à Shabunda.
226 Conjonctures congolaises 2016
3.3. Une augmentation de la production dont la quantité n’est pas
connue ou estimée
Tous les tenanciers de dragues s’accordent sur le fait que leur mode
d’exploitation a augmenté la production. Mais, les chiffres relatifs à cette
augmentation restent inconnus27. Se prononçant sur la quantité produite,
l’un d’eux nous a répondu :
« Il est vrai que la production a augmenté. Mais, je ne saurais avoir de
chiffres exacts, car la production varie selon les jours, les différents endroits
de la rivière et la technicité du personnel. Parfois, on arrive à un endroit où
on n’a jamais exploité. Ce jour-là, c’est comme une “manne”. Il y a des jours
aussi où la quantité est trop faible. Et dans ce cas, le propriétaire de la drague
sera amené à faire des dépenses personnelles, notamment pour nourrir le
personnel28. »
Un autre nous a dit :
« La production est là, mais si on calcule les coûts auxquels on doit faire face,
il n’y a pas de profit. En effet, des fois, les coûts excèdent les 150 000 dollars
si l’on prend en compte tout le cycle, de l’installation de la drague à la
production. L’achat de la drague coûte au moins 30 000 dollars. À cela il faut
ajouter : les frais de transport de la drague de Kisangani jusqu’à Shabunda,
payés à la SESCAM et s’élevant à 10 % de la production, le payement du
personnel, la restauration du personnel, le payement des taxes et impôts,
dont 2000 dollars par an au service des mines, 100 000 francs d’impôts à
payer à la DGI (soit 111,11 dollars)29, 500 000 francs par an pour la chefferie,
les frais d’accostage de 500 000 francs et le payement du site, correspondant
à 10 % de la production30. »
Une étude de la coalition de la société civile a estimé la production
mensuelle respective de 175 dragues suceuses et de 4 dragues à godets à
550 kg et 110 kg, soit 660 kg d’or pour l’ensemble. Elle a projeté une pro-
duction annuelle de 8 tonnes d’or (COSOC-GL 2015 : 16). Ces chiffres
sont toutefois à prendre avec réserve. Il n’y a pas de statistiques établies
susceptibles de renseigner sur la quantité réelle issue de l’exploitation par
dragues à Shabunda. La quantité de production est ainsi soit surévaluée
soit sous-estimée. On peut l’estimer à 10 tonnes par an pour tout le pays
(ONU 2014) tandis que d’autres études avancent presque les mêmes chiffres
27
Sur les 17 tenanciers de dragues interviewés, aucun n’a affirmé connaître la quantité d’or
qu’une drague produit par jour.
28
Entretien avec un tenancier de dragues, le 17 juin 2015.
29
Il s’agit du taux en vigueur lors de notre mission.
30
Entretien avec un tenancier de dragues, le 18 juin 2015.
De la semi-industrialisation de l’exploitation minière artisanale : cas des dragues à Shabunda 227
(8 et 10 tonnes) pour la seule partie est (International Peace Information
Service 2014 : 12). Un tenancier nous a même déclaré ce qui suit :
« Ma production varie de 30 à 50 g par jour. Notre travail est bizarre et
ceux qui produisent plus sont des gens qui ont des “grigris” et qui font des
sacrifices31. »
3.4. Une absence de l’État et la négation de l’autorité locale
Il s’avère que l’État est quasiment absent des opérations d’exploitation
par dragues à Shabunda. Plusieurs raisons expliquent cela. D’abord, on peut
signaler l’enclavement du territoire, car bien que disposant de nombreuses
ressources minérales, la ville est dépourvue de routes pouvant la relier à
Bukavu, chef-lieu de la province.
Selon les dirigeants de coopératives minières interviewés, « l’absence de
routes serait due à une décision délibérée des autorités étatiques, car l’en-
clavement leur permettrait d’opérer avec tranquillité en contournant la loi.
Si la route parvenait à être réhabilitée, les services étatiques accéderaient
à la zone, ce qui pourrait affaiblir le réseau mis en place pour commercer
illégalement les minerais32. »
En deuxième lieu, cette absence de l’État est due à la défaillance des
services étatiques intervenant dans le secteur minier. Interrogé sur cette
défaillance, un interviewé a déclaré :
« Tout partira du respect des textes et de l’implication du Gouvernement
dans l’encadrement des creuseurs artisanaux. Cela n’est pas encore le cas
aujourd’hui, car le Service d’Assistance et d’Encadrement du Small-Scale
Mining (SAESSCAM) qui devait les encadrer s’est transformé en service
prédateur. Ce qui est déplorable, c’est que cette prédation n’est même pas
faite au profit de l’État, mais des individus33. »
La présence de l’État se manifeste toutefois, car les tenanciers des
dragues subissent une inflation d’impositions. En effet, la DGRAD, la
DPMER, le bureau isolé de la division des Mines, la DGI, la chefferie, le
SAESSCAM et la division provinciale des Mines perçoivent des taxes pour
la plupart illégales. À cela s’ajoute la part de 10 % payée au concession-
naire par accostage et le versement dû au groupe armé Raïa Mutumboki. Par
ailleurs, des conflits éclatent entre les tenanciers de dragues et la population
31
Interview avec un tenancier de dragues réalisée le 19 juin 2015.
32
Propos recueillis lors d’un focus group organisé chez le président de la synergie des
coopératives minières de Shabunda.
33
Entretien avec un tenancier de dragues réalisé le 25 juin 2015.
228 Conjonctures congolaises 2016
locale d’une part, et d’autre part, entre cette dernière et l’autorité locale34.
L’absence de l’État résulte du fait qu’en réalité, les autorités congolaises
ne sont pas aptes à faire respecter la loi par un contrôle en amont et en aval
des creuseurs. Faute de satisfaire à cette obligation, les autorités se trouvent
directement impliquées dans sa violation.
3.5. Des relations avec les groupes armés
Les minerais de la RDC ont été considérés par les groupes armés, les
forces armées nationales et étrangères comme une source de financement ou
d’accumulation de richesses35. C’est ce constat qui fut à la base du processus
de traçabilité (Bahalaokwibuye 2016 : 187).
Les agissements du Raïa Mutomboki (nom swahili qui signifie « citoyens
en colère »), un groupe d’autodéfense contre les FDLR, participent de ce
processus. Ce groupe, animé par une intention commune à d’autres groupes
armés actifs au Congo, cherche à exploiter les conflits en leur donnant suf-
fisamment d’ampleur pour mobiliser le soutien populaire et celui des élites.
Une multitude de conflits, souvent liés aux problématiques que sont l’auto-
rité locale, l’identité et l’accès à la terre et aux autres ressources naturelles,
se retrouvent ainsi sur le devant de la scène (Rift Valley Institute 2016 : 3).
Il résulte de nos entretiens que ce groupe armé, qui opère à Shabunda depuis
plusieurs années, percevrait des droits sur plus de la moitié des dragues
actives dans le territoire. Les dragues ne sont toutefois pas sa seule cible. Le
groupe abuse également de son autorité sur les passants en exigeant d’eux
un « droit de passage ».
Selon les informations recueillies auprès de nos interviewés, les tenanciers
des dragues payent au Raïa Mutomboki au moins 20 % de leur production.
Les agents du groupe joueraient déjà le rôle d’intermédiaires entre les ser-
vices étatiques et les tenanciers. La part dont s’acquittent les dragues actives
dans le territoire sous contrôle de Raïa Mutomboki s’évaluerait entre 30 000
et 40 000 dollars, ce qui fomente les conflits. Ce montant est versé en deux
34
Lors de notre séjour, nous avons rencontré l’administrateur du territoire et lui avons
donné rendez-vous pour un entretien. Notre entrevue n’a toutefois pas eu lieu, car un
habitant a été tué par un citoyen chinois de la société Kunhou Mining et cela a provoqué
des manifestations populaires qui ont fait fuir l’administrateur, évacué par l’avion de la
Monusco.
35
Une littérature abondante démontre que dans beaucoup de pays en conflits, notamment
la RDC, les ressources minières sont utilisées par les milices et autres groupes armés, et
parfois par l’armée gouvernementale, comme source de financement ou d’accumulation
de richesses. Les propos de Bahalaokwibuye (2016 : 187), d’Autesserre (2012 : 4) et
de Jacquemot (2009 : 195-203) offrent un éclairage intéressant sur cette problématique.
Malgré l’intensification de l’activité des multinationales telles que Banro, la RDC occupe
la 176e place sur l’indice de développement humain (PNUD 2015 : 30).
De la semi-industrialisation de l’exploitation minière artisanale : cas des dragues à Shabunda 229
fois, nous a déclaré un tenancier de dragues : « Nous payons “la quinzaine36”
et “la trentaine37” selon la production réalisée. Mais, le montant ne peut
jamais être inférieur à l’équivalent de 10 g d’or. Les rebelles occupent les
deux rives de la rivière et nous devons payer chaque groupe38. » Un rapport
récent de l’ONG Global Witness a affirmé que les Raïa Mutomboki dispo-
sent d’une base dans la forêt située à 20 ou 30 m de l’endroit où travaillent
les mineurs (Global Witness 2016 : 12).
3.6. Des conséquences environnementales non maîtrisées
Il est clair qu’au vu de la loi du 11 juillet 2002 portant sur le Code minier,
les exploitants artisanaux se doivent de respecter les normes en matière
de sécurité, d’hygiène, de protection et de conservation de l’environne-
ment avant, pendant et surtout après l’exploitation (Kahilu et al. 2015 :
583). Nous avons pu constater qu’à Shabunda cette obligation est bafouée.
L’exploitation minière par dragues altère beaucoup les conditions environ-
nementales et humaines du territoire, d’abord par l’utilisation à outrance de
mercure39, employé pour amalgamer l’or alluvionnaire. Dans son rapport
2015, la COSOC-GL fait remarquer :
« Chaque drague suceuse utiliserait 2 kg de mercure par semaine, soit plus
d’une tonne de mercure par mois pour la seule rivière Ulindi. Ce nombre
ne comporte pas la quantité utilisée par l’entreprise chinoise qui exploite
par des dragues industrielles, car n’étant pas connue » (COSOC-GL 2015 :
32-33).
Alors que l’eau est dans ce territoire une ressource précieuse, on assiste
à la pollution des deux rivières, due aux travaux réguliers d’exploitation et
au gaz émis par les moteurs, qui présentent une concentration importante
d’oxydes d’azote, de dioxyde de carbone et de soufre. L’environnement se
36
Il s’agit du montant que les tenanciers de dragues versent le 15e jour du mois, soit la moitié
de la somme mensuelle. Cela prouve qu’il existe un dialogue continu entre la milice et les
exploitants.
37
Représente la part restante et qui est payée à la fin du mois.
38
Interview avec un tenancier de dragues tenue le 28 juin 2015.
39
L’usage de mercure est décrié dans la littérature sur l’exploitation minière. Comme le
note Hilson (2000) : « a common problem is that the majority of developing countries
have only recently implemented national environmental legislation, and of the laws
pertinent to mining related activity, most are far from stringent, and fail to effectively
regulate all aspects of the industry according. » La pollution résulte de l’usage de mercure,
qui facilite l’amalgamation de l’or. Le mercure présente des effets nocifs sur la santé et
est susceptible de compromettre les vies humaines. Une autre étude signale : « mercury
vapour released during amalgam decomposition can be hazardous to artisanal miners or
individuals working or living near shops. Chronic vapour exposure can result in symptoms
ranging… » (Hinton, Veiga & Tadeu 2002 : 109-111).
230 Conjonctures congolaises 2016
voit également menacé par la fréquence des dragages, qui détériorent les
couches sédimentaires et les rives des deux rivières où pêche la population
par endroits. Sur les 15 tenanciers interviewés, aucun n’a pu démontrer sa
participation à la préservation de l’environnement. Cette situation procéde-
rait du manque d’implication de l’État dans le secteur.
Conclusion
L’exploitation minière et les questionnements qu’elle suscite appa-
raissent au cœur des débats scientifiques et politiques récents. Cet intérêt
collectif n’a pourtant pas induit des remises en question et une modifica-
tion de ces pratiques contestées qui influent tant sur les exploitants miniers
artisanaux que sur l’économie locale. Dans ce chapitre, nous avons abordé
une problématique complexe souvent absente des débats : la semi-industria-
lisation de l’exploitation minière artisanale et son impact sur les conditions
de vie de la population, et plus particulièrement des habitants de Shabunda.
Les entretiens menés dans le cadre de notre étude nous ont permis de saisir
les enjeux de cette mécanisation. Trois grandes lignes en constituent une
synthèse éclectique.
Premièrement, aussi séculaire soit-elle, et en dépit des réformes juridiques
et institutionnelles mises en œuvre dans de nombreux États et appuyées par
les institutions internationales, l’exploitation minière artisanale demeure
entachée. Ses effets néfastes, tant sur l’environnement que sur les droits
fondamentaux, portent atteinte aux objectifs qu’elle s’est donnés. De ce
fait, elle n’a ni amélioré les conditions socio-économiques des mineurs ni
impulsé le développement des États dans lesquels elle est pratiquée.
Pourtant, au vu du contenu théorique, la semi-industrialisation de l’ex-
ploitation minière pourrait contribuer à l’amélioration des conditions de
vie de la population. Elle devrait donc être maintenue et modernisée, son
impact positif primant indubitablement sur ses effets négatifs (Ngoy et al.
2015 : 719). Nous avons donc démontré qu’en tout état de cause, elle reste
une opportunité pour une main-d’œuvre abondante et une source de revenus
pour l’État (Hilson 2016 : 7 ; Geenen, Fahey & Iragi 2013 : 5).
En deuxième lieu, l’analyse des données empiriques révèle que la méca-
nisation devrait être soutenue par des mesures étatiques, sans quoi elle serait
vouée à l’échec. L’absence de telles mesures à Shabunda ne favorise pas
les conditions sociales : les populations se sont inégalement réparties l’ex-
ploitation des minerais dans trois grands centres miniers (Shabunda-Centre,
Penekusu et Matili) et l’extraction de l’or par dragues dans la rivière Ulindi,
qualifiée de rivière « d’or » (Global Witness 2016 : 1). Ces mesures éta-
tiques peuvent pourtant s’inscrire dans les termes de la bonne gouvernance
et de la coopération internationale. Nous pensons ainsi que les méthodes et
outils à employer pour cette semi-industrialisation doivent être définis par
De la semi-industrialisation de l’exploitation minière artisanale : cas des dragues à Shabunda 231
l’État et transmis au moyen d’un programme éducationnel, et ce afin d’en
assurer le contrôle en amont.
Enfin, les minerais étant des ressources communes, ils devraient être
exploités dans l’intérêt de la communauté et des générations futures par
une gestion responsable de la rente (Bashizi & Geenen 2014 : 242-244). Le
développement endogène implique, en effet, une action de masse pour la
masse (Pius 2015 : 649). Il est donc impérieux que l’exploitation de mine-
rais soit mécanisée en RDC pour permettre à l’État d’en assurer un contrôle
efficace et d’en tirer profit. Comme le révèle la situation à Shabunda par la
problématique de la semi-industrialisation, l’exploitation actuelle des res-
sources bénéficie principalement aux Chinois et au Raïa Mutomboki, au
détriment de l’emploi et de l’économie locale. Par ailleurs, pour enrayer
l’enlisement de la population dans la pauvreté, il s’agirait que l’État sou-
tienne d’autres secteurs, notamment l’agriculture et le commerce.
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III
Agriculture et développement
socio-économique
Introduction
An Ansoms
Les chapitres précédents ont soulevé deux problématiques fonda-
mentales : dans quelle mesure le contexte politique et sécuritaire et les
transformations économiques – dont l’exploitation des ressources natu-
relles – ont-ils un impact sur les conditions sociales des populations
congolaises, parmi lesquelles les paysans, qui en constituent la plus grande
partie. Les contributions au sein de cette troisième partie posent concrète-
ment cette question sociale à partir de thématiques liées à l’agriculture et au
développement socio-économique.
Tout d’abord, dans son texte « Le développement rural : réalités, enjeux
et pistes d’actions », Grégoire Ngalamulume Tshiebue évoque la situation
près de 40 ans après la création du ministère du Développement rural. Il
expose les différents enjeux et les défis auxquels sont confrontées les
campagnes congolaises. Il analyse les multiples contraintes liées au déve-
loppement rural et met en exergue les réponses qui y ont été apportées par
les pouvoirs publics et les partenaires au développement. L’auteur essaie
enfin de démontrer que les approches d’intervention utilisées jusqu’à pré-
sent n’ont pas facilité la création d’une capacité rurale d’action susceptible
de répondre aux problèmes des communautés rurales et à leurs demandes de
développement. Il démontre que les mécanismes de gouvernance n’ont pas
permis l’éclosion d’un développement rural durable, parce qu’elles présen-
tent un déficit à la fois politique, social, économique et environnemental qu’il
importe de compenser, à partir de quelques pistes d’action envisageables.
Le chapitre suivant aborde le même sujet, mais cette fois-ci à partir de
la question foncière : « Zones économiques spéciales : vers l’accapare-
ment des terres ? Perceptions des paysans du site pilote de Maluku ». Joel
Baraka, Aymar Nyenyezi Bisoka et An Ansoms commencent par y analyser
les liens entre les ZES et l’industrialisation considérée comme vecteur de
modernité. L’argument central vise à montrer que ces zones économiques
spéciales impliquent l’accaparement du sol dans la mesure où des expro-
priations limitent l’accès des paysans à la terre en renforçant le contrôle des
entreprises sur celle-ci. Les auteurs insistent sur le fait que ce risque est à
prendre sérieusement en compte au-delà des bénéfices que pourraient ou
non apporter les ZES. Ils étudient le cas de la ZES pilote de Maluku et le
défi d’accaparement des terres qu’il a posé. Dans leur conclusion, ils tentent
238 Conjonctures congolaises 2016
de définir des remédiations aux critiques formulées en termes de politiques
publiques qui tiendraient compte des intérêts des acteurs locaux.
Dans leur texte « Quel avenir pour les ménages maraîchers ? », Claudine
Dumbi, Benoît Lallau et Alphonse Roger Ntoto M’vubu reviennent sur
les conditions dans lesquelles les maraîchers de Kinshasa et de Mbanza-
Ngungu exercent leur activité et les risques liés à l’insécurité foncière, à
la commercialisation et à la production auxquels ils sont confrontés. Ils
expliquent comment tous ces facteurs suscitent des questionnements sur les
moyens d’existence et sur l’avenir des maraîchers de Kinshasa. Ceux-ci sont
victimes de menaces de la part des chefs coutumiers et des militaires dans
les sites où ils travaillent ; ils continuent, malgré tout, leurs activités tout en
étant conscients de leur exposition aux menaces d’expulsion, de vol, etc.
Les auteurs démontrent que cette persistance des maraîchers dans l’exercice
de leur activité, nonobstant tous les dangers auxquels ils font face, prouve à
bien des égards que celle-ci est importante et constitue une source de revenus
pour les nombreux ménages étudiés dans l’enquête effectuée. L’insécurité
foncière est un risque qui rend l’avenir du secteur maraîcher incertain.
Enfin, dans le dernier chapitre, Maïté le Polain et Marthe Nyssens déve-
loppent « Les logiques socio-économiques sous-jacentes aux stratégies
de protection des acteurs populaires au Sud-Kivu ». Les résultats de cette
étude sont issus d’une enquête exploratoire, réalisée en juin 2011 dans l’Est
du Congo, complétés par les données de deux recherches de terrain ulté-
rieures effectuées en 2013 et 2014. Les auteurs décrivent tout d’abord la
variété des stratégies mobilisées par les acteurs populaires en réponse à un
choc économique. Ils analysent ensuite les logiques socio-économiques qui
sous-tendent ces diverses stratégies en s’appuyant sur les principes d’inté-
gration économique de Karl Polanyi. Le travail de Maïté le Polain et Marthe
Nyssens met en lumière la pluralité des logiques socio-économiques et la
prédominance des principes de réciprocité et d’administration domestique.
Ces résultats invitent à repenser les stratégies publiques et de développe-
ment qui cherchent à améliorer la protection économique des populations
les plus vulnérables en tenant compte de l’importance de ces logiques socio-
économiques dans les stratégies actuelles.
Le développement rural : réalités, enjeux
et pistes d’action
Grégoire Ngalamulume Tshiebue1
Introduction
En RDC, les zones rurales forment la majeure partie du territoire national
et hébergent, à elles seules, près ou plus de 70 % de la population2. Mais
cette majorité de la population ainsi que les milieux qui l’hébergent sont
confrontés à d’énormes et importants défis liés tant à la précarité et à la déli-
quescence des services de base qu’à la mauvaise gouvernance de manière
générale, et particulièrement celle des ressources naturelles dont ils dépen-
dent et à la dégradation des conditions de vie et de travail.
Depuis 1977, la RDC dispose d’un ministère gouvernemental entièrement
dédié au développement rural, avec pour mission de « planifier et coordon-
ner les interventions en milieu rural en vue d’améliorer les conditions de
vie des masses paysannes et conduire ainsi à la stabilisation des popula-
tions rurales » (Ministère de l’Agriculture & Ministère du Développement
rural 2010).
En vue de matérialiser les ambitions conférées à ce jeune ministère,
quatre instituts supérieurs de développement rural (ISDR) furent créés entre
1977 et 1982 en vue de la mise à disposition des ressources humaines spécia-
lisées dans l’accompagnement et la promotion des milieux ruraux (CAIST
2015) : Bukavu (Kivu), Tshibashi (Kasaï-Occidental), Mbeo (Bandundu) et
Mbandaka (Équateur).
Suite au succès de ces premières expériences, les ISDR se sont multipliés
et déversent chaque année sur le marché des milliers de TDR (technicien
en développement rural, appellation réservée aux ressortissants de l’ISDR),
mais pour quels résultats ? Les données en notre possession3 renseignent
qu’il existe, au premier trimestre 2015, 39 ISDR publics à travers le pays,
auxquels il faut ajouter des instituts privés et des extensions de certains
d’entre eux dans d’autres territoires et provinces.
1
Professeur à l’Institut supérieur de Développement rural (ISDR, Tshibashi) et directeur du
Centre de recherche-action en population, environnement et développement (CRAPED-
RDC).
2
69,7 % selon l’enquête 1-2-3 de 2005 et 61,2 % selon celle de 2012.
3
Ces données proviennent du conseil d’administration des instituts supérieurs techniques.
240 Conjonctures congolaises 2016
Près de quarante ans après, la situation des campagnes congolaises
demeure préoccupante. Plus nous avons de TDR formés à travers le pays,
plus les milieux dits ruraux s’enfoncent dans la précarité et la misère tan-
dis que la perspective de leur épanouissement et de leur émancipation
s’évanouit !
Le développement rural en RDC présente ainsi des réalités multiples et
complexes. Par ailleurs, le pays compte parmi ceux qui jouissent d’abon-
dantes ressources naturelles, mais aussi ceux dont la population est l’une des
plus pauvres et des plus affamées de la planète. Que manque-t-il réellement
à la RDC pour décoller et se lancer ainsi dans le processus du développe-
ment de son milieu rural ?
Telle est la préoccupation centrale de cette étude qui s’inscrit dans la
logique du bilan et tend à établir un état des lieux de près de quarante années
d’existence du ministère du Développement rural en RDC.
Malgré le plaidoyer de Robert Chambers (1990)4 vieux de plus d’un
quart de siècle en faveur des milieux ruraux des pays en développement et
l’alerte lancée par le Fonds international du Développement agricole FIDA
(2011)5 au cours de son deuxième rapport sur la pauvreté rurale, les défis
sont encore immenses dans les campagnes congolaises, comme le révèlent
les diverses enquêtes nationales récentes (Ministère du Plan & Ministère de
la Santé 2008 ; 2014 ; Ministère du Plan 2010) : pauvreté croissante, misère,
exode rural, enclavement, faim, sous-alimentation et malnutrition, analpha-
bétisme, maladies, épidémies, délabrement et précarité des infrastructures
de base, etc.
Toutefois, en dépit du contexte difficile et défavorable aux milieux
ruraux, ces derniers possèdent un potentiel immense qui pourrait être capi-
talisé pour le développement national (fourniture de matières premières et
de la main-d’œuvre pour d’autres secteurs, ressources naturelles, production
de la nourriture, etc.).
Il sied par ailleurs de mentionner que la situation rurale congolaise
s’inscrit dans un contexte international, où l’agriculture a été très forte-
ment délaissée pendant des décennies. Il a fallu attendre l’avènement du
4
Dans Développement rural. La pauvreté cachée, Robert Chambers constate que la pauvreté
rurale, considérée comme la caractéristique évidente et grave du sous-développement,
passait littéralement inaperçue aux yeux des « experts » externes, qu’il qualifie
d’« outsiders ». Chambers propose ainsi de mieux écouter les ruraux et d’en faire des
acteurs clés du développement des nations à travers son slogan « les derniers deviennent
les premiers ».
5
Dans son deuxième rapport sur la pauvreté rurale, le FIDA révèle que 1,4 milliard de
personnes vivent dans l’extrême pauvreté, dont plus de 70 % dans les zones rurales des
pays en développement ; environ 925 millions d’entre eux sont sous-alimentés. Même si
les organisations internationales véhiculent souvent une certaine idéologie pour justifier
leurs interventions, les observations de terrain tendent à accréditer la thèse de conditions
de vie et de travail difficiles en milieu rural.
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 241
XXIe siècle pour que les acteurs dominants considèrent à nouveau l’agri-
culture comme un secteur porteur de croissance, en mettant en avant sa
multifonctionnalité, notamment sa capacité à réduire la faim et la pauvreté,
à améliorer les moyens d’existence en milieu rural et à promouvoir un déve-
loppement équitable et durable du point de vue environnemental, social et
économique dans des régions comme l’Afrique subsaharienne. D’où l’appel
à la mobilisation des budgets des États et de l’aide publique internationale
en faveur de politiques de développement agricole. C’est le sens du titre du
rapport sur le développement dans le monde datant de 2008 de la Banque
mondiale : « L’agriculture au service du développement » (Banque mon-
diale 2008). Ce regain d’intérêt pour l’agriculture au niveau des grandes
institutions internationales reste toutefois marqué par un fort accent néolibé-
ral avec un focus sur l’agriculture moderne et industrielle, le secteur privé ;
trop peu de place est accordée à l’agriculture paysanne.
Synthétisant les conclusions d’un ouvrage récent sur cette thématique
(Ngalamulume Tshiebue 2016 : 206), le présent chapitre essaie de passer
en revue la situation du développement rural en RDC. Il fait les constats de
la situation sur le terrain, analyse les faits ainsi observés ou les multiples
réalités du développement rural au pays, et propose quelques pistes d’action
pour permettre à la RDC de relever l’immense et important défi du dévelop-
pement de ses milieux ruraux.
Notons que le développement rural s’entend comme un processus
d’évolution, de changement et de transformation positive des structures
socio-économico-politiques et culturelles en vue d’une amélioration maîtri-
sée des conditions de vie des populations d’une société rurale. Cela implique
que ces populations deviennent aptes à satisfaire d’elles-mêmes leurs
besoins fondamentaux : physiologiques, de sécurité, sociaux, de personna-
lité. Les différents aspects (mentalités, modes de vie et de pensée, revenu,
techniques de production, habitat, infrastructures…) et secteurs du milieu
rural (économie, politique, socioculturel, environnement…) doivent ainsi
évoluer simultanément dans une dynamique cohérente et une interaction
harmonieuse. Le développement rural comprend le développement agricole,
qu’il associe et intègre au développement d’autres secteurs et d’autres acti-
vités socio-économiques du milieu rural dans une dynamique cohérente et
systémique (ibid.).
1. Le développement rural en RDC : quels enjeux ?
Le développement rural présente un intérêt indéniable pour un pays
comme la RDC, où environ sept personnes sur dix résident en milieu rural et
connaissent des défis importants pour leur survie en tant qu’espèce humaine.
Plusieurs raisons majeures à la fois socio-économico-politiques et
éthiques militent en faveur de la priorisation du développement des milieux
dits ruraux. En effet, ces milieux regorgent de la grande majorité des popu-
lations du pays. En délaissant ces populations tout en maintenant les disparités
242 Conjonctures congolaises 2016
territoriales et les biais dans l’allocation des ressources et des investissements
en leur défaveur, le pays tout entier est condamné à la stagnation, le dévelop-
pement étant d’abord et avant tout l’affaire d’une majorité devant jouir des
retombées positives de changements connus. Dans ce sens, le développement
de la RDC sera rural ou il ne le sera pas. Aussi, bien que possédant un potentiel
immense de développement économique en offrant des opportunités énormes
(grande disponibilité des terres agricoles, conditions climatiques et écolo-
giques favorables, main-d’œuvre abondante et débouchés, donc potentialité
de marché, réveil du mouvement paysan, etc.), le secteur agricole congolais se
heurte à d’énormes contraintes techniques, institutionnelles, sociales et éco-
nomiques. Or, c’est sur lui que reposent les espoirs pour relever les défis de
la réduction de l’extrême pauvreté et de la faim, vu le nombre de personnes
qu’il touche et qui en dépendent (Note de politique agricole 2009 ; Ministère
de l’Agriculture et du Développement rural 2013 ; Ministère de l’Agriculture
& Ministère du Développement rural 2010).
Nous sommes bien conscients à l’heure actuelle que notre pays ne peut
se permettre une industrialisation de type occidental à grande échelle avec
des usines clefs en main, parce qu’il n’en a pas les moyens financiers et
matériels d’une part, et parce qu’une bonne industrialisation est le fruit d’un
processus maîtrisé, d’autre part. Et même dans le cas d’une telle industria-
lisation, celle-ci risquerait de se buter à d’énormes contraintes ; elle serait
davantage exclusive et ne saurait contribuer efficacement à la réduction
importante de l’extrême pauvreté et de la faim, comme le ferait la promo-
tion de l’agriculture familiale. Dans notre contexte, l’agriculture industrielle
ne devrait pas constituer une priorité ni un idéal à atteindre. Là où elle a été
appliquée, elle a parfois engendré plus de problèmes que de solutions sur
les plans économique, social et écologique. Elle s’effectue aux dépens de
l’environnement et de la justice sociale et comporte des coûts cachés pour
la collectivité, comme le rappelle Olivier De Schutter (2013). D’où l’inté-
rêt de nous focaliser sur le développement du secteur agricole, pour lequel
nous disposons d’un avantage comparatif évident, et à partir de lui, sur la
promotion du dynamisme des campagnes afin d’établir leur viabilisation à
partir de la diversification de leurs activités. Concrètement, le pays devrait
concentrer ses efforts sur le développement rural qui peut bien, dans notre
cas, s’assimiler au développement national.
2. Les principales caractéristiques du secteur rural congolais
Le monde rural congolais représente un énorme potentiel pour le dévelop-
pement économique et social du pays. Ce potentiel réside dans la richesse en
ressources naturelles et humaines qui pourraient être capitalisées à cet effet.
S’agissant des ressources naturelles, il y a lieu de mentionner les terres,
les forêts, les ressources en eau, les ressources pastorales et fauniques ainsi
que les ressources halieutiques qui prouvent à quel point la nature favorise
ce pays.
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 243
Toutefois, en dehors de quelques groupes minoritaires, l’abondance de
ressources naturelles en RDC n’a pas du tout profité aux Congolais dans
leur ensemble. Bien au contraire, le pays nourrit des paradoxes criants avec
une population figurant parmi les plus pauvres de la planète. Cela accrédite
la thèse de la malédiction des ressources naturelles (Carbonnier 2007). Ces
ressources ont, en effet, souvent alimenté de multiples rébellions et conflits
armés, la corruption et le détournement des deniers publics, qui ont davan-
tage desservi le pays.
En effet, la RDC disposerait d’environ 75 à 80 millions d’hectares de
terres arables, dont seulement presque 10 % sont effectivement exploitées,
avec environ 3,5 millions d’hectares pour l’agriculture et 4,5 millions d’hec-
tares pour l’élevage (Note de politique agricole 2009 ; Étude du secteur
agricole 2009 ; Ministère de l’Agriculture & Ministère du Développement
rural 2010 ; Lebailly, Michel & Ntoto M’vubu 2014). De plus, presque tout le
territoire national bénéficie de conditions agroclimatiques particulièrement
favorables aux activités agricoles. Une réelle diversification des productions
agropastorales est ainsi envisageable grâce à la position du pays, situé de
part et d’autre de l’équateur (Ministère du Commercec 2010). Ces terres
théoriquement abondantes posent d’énormes problèmes en pratique. On en
vient même à se demander régulièrement où passent ces millions d’hectares
déclarés à travers le territoire, dans la mesure où beaucoup d’agriculteurs
recherchant des terres arables n’en trouvent pas dans certaines régions pour
plusieurs raisons. D’abord, leur accès n’est pas aisé en raison d’un droit
foncier hybride, portant à la fois sur des règles modernes et traditionnelles,
qui engendre de multiples confusions sur le terrain. Ensuite, dans les régions
et provinces à forte densité démographique comme dans l’Est du pays, l’ac-
cès aux terres devient de plus en plus difficile pour plusieurs couches de
la population. Aussi, l’exploitation peu rationnelle des terrains, fondée sur
des pratiques épuisantes et dégradantes, a pour conséquence l’épuisement et
l’infertilité des sols. Les rendements obtenus sont donc faibles et la majeure
partie des paysans est conduite à l’abandon. Enfin, l’accaparement des
terres par des élites économiques, politiques et militaires achève de priver
les petits paysans des espaces exploitables pour leurs activités et menace
leur survie.
La RDC abrite la plus vaste forêt d’Afrique et la deuxième forêt tropicale
du monde. Selon les estimations, les forêts de la RDC couvrent de 109 mil-
lions à 155 millions d’hectares, avec un taux de couverture de près de 60 %
du territoire, soit 10 % de l’ensemble des forêts tropicales du monde et
environ 45 % de celles d’Afrique (SODEFOR 2014 ; Ministère de l’Environ-
nement 2010). Ces forêts sont essentielles à la survie et au développement
de nombreux Congolais, particulièrement les populations autochtones,
tant pour leur alimentation, leur habitat et leur santé que pour l’énergie-
bois. Toutefois, les forêts sont menacées de dégradation par l’exploitation
244 Conjonctures congolaises 2016
industrielle incontrôlée, des coupes parfois sauvages, et la mise en culture
itinérante pour la production vivrière. La compétition foncière a ainsi un
impact négatif sur les ressources forestières.
En ce qui concerne les ressources pastorales, les étendues d’herbage et
de savanes disponibles sont susceptibles de supporter un élevage de plus
de 40 millions de têtes de gros bétail, contre un cheptel évalué à environ
700 000 têtes dans la deuxième moitié des années 2000 et 1,5 million
en 1990 (Note de Politique agricole 2009 ; Ministère du Commerce 2010).
Aussi, la faune congolaise est riche et variée. Le pays compte parmi les
dix pays de la méga biodiversité du monde avec 480 espèces de mammi-
fères, 1086 espèces d’oiseaux, 1000 espèces de poissons, 352 espèces de
reptiles, 220 espèces de batraciens et plus de 10 000 angiospermes dont
3000 seraient endémiques (Ministère du Plan 2006).
Par ailleurs, le potentiel halieutique du pays est estimé à plus de
707 000 tonnes de poissons par an. Or, actuellement, la production interne
de poissons est estimée à moins de 200 000 tonnes (Note de Politique agri-
cole 2009).
Ces différentes ressources peuvent logiquement contribuer à la lutte
contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté en milieu rural. En outre, la
RDC dispose d’importantes ressources et d’abondantes réserves en eau qui
pourraient favoriser le développement des cultures. Sa pluviosité est impor-
tante et régulière à travers l’ensemble du territoire où l’on totalise plus de
1200 mm de pluies par an en moyenne. Ensuite, le réseau hydrographique du
pays est l’un des plus développés au monde. Les plans d’eaux, qui compren-
nent les écosystèmes fluvial, lacustre et marin couvrent environ 86 080 km2,
soit 3,5 % de la superficie du territoire national. Ses ressources en eaux
représentent 52 % des réserves totales du continent (Étude du secteur agri-
cole 2009). Malgré ces potentialités, d’importants défis doivent être relevés.
3. Les principaux défis du développement rural en RDC
Le développement rural en RDC pourrait solutionner de nombreux pro-
blèmes : la pauvreté et les inégalités, la baisse de la production agricole
et l’insécurité alimentaire chronique, l’enclavement, la faible structuration
rurale, etc.
La précarité est une réalité criante en RDC, surtout en milieu rural. Huit
personnes sur dix vivraient sous le seuil de la pauvreté absolue dans ce
pays, selon la directrice du Programme des Nations unies pour le dévelop-
pement (PNUD) en RDC, qui s’exprimait, le 17 octobre 2016, en marge de
la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, en se fondant
sur les données récentes de l’Institut national de la Statistique (INS ; Radio
Okapi 2016). Ces données corroborent celles du FMI qui relevait, dans son
dernier rapport d’octobre 2015, un taux de pauvreté absolue en RDC parmi
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 245
les plus élevés au monde, s’élevant à 82 % (IMF 2015). Les observations
sur le terrain tendent à confirmer cette tendance négative : le budget de l’État
a été revu à la baisse au cours de l’exercice budgétaire 2016, passant de plus
de 8 milliards de dollars à environ 6 milliards, entraînant par là-même des
coupes budgétaires dans certains secteurs vitaux. Aussi, le projet de bud-
get 2017 est évalué à moins de 5 milliards de dollars pour près de 80 millions
d’habitants, suite à la dépréciation des prix des matières premières sur les
marchés mondiaux. La dépréciation de la monnaie locale, qui était maîtrisée
il y a quelques années, a repris, entraînant une inflation et la perte du pouvoir
d’achat des populations. En outre, le pays est toujours mal classé en termes
de développement humain par rapport à certains voisins, etc.
Tableau 1 : croissance annuelle moyenne de l’IDH RDC
et Afrique subsaharienne 1980-2013 (en %)
Période Taux de croissance IDH (%)
RDC Afrique subsaharienne
1980/1990 -0,53 0,44
1990/2000 -1,52 0,52
2000/2011 2,25 1,31
2000/2013 1,64 1,37
Source : l’auteur, sur la base des données du PNUD 2014.
Le chômage de masse, le manque d’accès à l’éducation, les crises pro-
voquant les déplacements de la population et la mauvaise gouvernance sont
autant de facteurs déterminant la persistance et même l’accentuation de la
pauvreté en RDC. Le contexte économique international actuel, marqué par
la baisse constante du prix des matières premières, déséquilibre à son tour
les finances publiques. L’économie du pays étant dépendante des produits
primaires, cet état de fait représente une circonstance aggravante.
Concernant les inégalités, le rapport national OMD 2012 (PNUD-RDC
2014a : 12-13) relève que la part du cinquième quintile le plus pauvre de la
population, comparée à celle du premier quintile, traduit une grande inéga-
lité sur la répartition des revenus dans la population. En effet, les 20 % les
plus pauvres des Congolais ne représentaient que 7,8 % de la consommation
nationale en 2005 contre 43 % pour le quintile le plus élevé, c’est-à-dire
les 20 % les plus riches. Le rapport note que cette proportion devrait avoir
empiré, accusant encore davantage d’inégalités depuis lors. En effet, il faut
souligner que la stabilité du coefficient de Gini (44,4) (PNUD-RDC 2014b)
au cours des dernières années est une illustration de l’absence de progrès en
matière de réduction des inégalités en RDC.
246 Conjonctures congolaises 2016
Les inégalités entre le milieu rural et le milieu urbain s’observent pour
plusieurs indicateurs de développement. L’enquête sur la situation des
enfants et adolescents en dehors de l’école EADE 2012 renseigne que sur
les 7 375 875 enfants et adolescents des 5-17 ans en dehors de l’école, la
grande majorité, soit plus de 3/4, se situe en milieu rural (5 694 525).
Les milieux ruraux sont, en réalité, moins bien lotis en infrastructures
de base, au contraire des villes et centres urbains (qui disposent d’hôpitaux,
de centres de santé, d’adduction d’eau, d’écoles, d’universités, de routes,
de fourniture d’électricité, etc.). La cartographie des infrastructures socio-
économiques du pays ainsi que des capitaux physiques et financiers étale
au grand jour un fort biais au profit des centres urbains (Ministère du Plan
2006). Ainsi, les enfants des villages sont obligés de parcourir pour cer-
tains des dizaines de kilomètres pour atteindre l’école la plus proche ; même
chose pour les femmes enceintes devant parcourir de longues distances vers
la maternité la plus proche, ce qui les contraint à accoucher chez elles. Les
difficultés sont ainsi générales dans les villages pour tous les services essen-
tiels : soins de santé, documents administratifs, etc.
Selon le DSCRP2 (Ministère du Plan 2011), la pauvreté sévit davan-
tage dans les ménages dont le chef est apprenti (80,25 %), dans ceux dont
le chef travaille à son propre compte dans l’informel agricole (75,52 %)
et ceux dont le chef est employé/ouvrier semi-qualifié (71,47 %). D’après
la même source, la pauvreté des ménages augmente proportionnellement à
leur taille (milieu rural et milieu urbain), de même que le niveau d’instruc-
tion du chef du ménage influence la vulnérabilité à la pauvreté. Les craintes
s’intensifient sur le sort des paysans et ruraux, qui font largement partie des
catégories socioprofessionnelles les plus exposées à la pauvreté en RDC. En
effet, la majorité des ruraux n’ont pas un niveau d’instruction dépassant le
primaire (PAM & INS 2008) et la taille moyenne de leur ménage est de sept
membres (Ngalamulume 2011b ; PAM & INS 2008).
Les principaux indicateurs de santé et de développement fournis par
l’enquête du Ministère du Plan de 2010 renseignent sur le niveau et l’am-
pleur des inégalités rural/urbain en RDC, comme on peut le constater dans
le tableau 2.
Toutefois, si l’on prend le milieu rural dans sa globalité, les disparités
persistent entre grandes agglomérations, centres extracoutumiers et villages.
En effet, les grandes agglomérations et centres extracoutumiers, composés
dans la majorité des cas de missions religieuses (paroisses catholiques et
protestantes), d’anciens ou actuels centres politico-administratifs (chefs-
lieux de secteurs ou de territoires), de gares de chemin de fer ou ports et
biefs importants, concentrent à leur tour les principales infrastructures des
milieux ruraux, tandis que les villages en sont dépourvus.
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 247
Tableau 2 : inégalités entre milieu rural et milieu urbain
selon les principaux indicateurs de développement
Indicateur Milieu Milieu National
rural urbain /RDC
Mortalité des enfants
Taux de mortalité infantile (pour 1000) 105 71 97
Taux de mortalité infanto-juvénile (pour 1000) 174 111 158
Nutrition
Enfants de moins de 5 ans avec une insuffisance 27 17 24
pondérale (%)
Enfants de moins de 5 ans avec un retard de 47 34 43
croissance (%)
Enfants de moins de 5 ans émaciés (%) 9 7 9
Vaccination
Enfants de 12-23 mois ayant reçu tous les 40 46 42
vaccins (%)
Enfants ayant souffert de la fièvre et ayant reçu 36 49 39
une anti-malaria (%)
Enfants âgés de moins de 5 ans ayant souffert de 18 17 18
diarrhée (%)
Eau et assainissement
Membres des ménages utilisant une source d’eau 31 83 47
potable améliorée (%)
Membres des ménages utilisant des installations 4 36 14
sanitaires améliorées (%)
Éducation
Taux d’alphabétisation chez les jeunes femmes 37 79 51
âgées de 15-24 ans
Taux net de fréquentation à l’école primaire (%) 70 86 75
Taux net de fréquentation à l’école secondaire 21 53 32
(%)
Protection de l’enfant
Enfants de 5-14 ans engagés dans le 46 34 42
travail des enfants (%)
Santé de la reproduction
Femmes de 15-49 ans ayant accouché dans une 69 93 75
structure sanitaire
Source : l’auteur, sur la base des données du Ministère du Plan de 2010.
248 Conjonctures congolaises 2016
La situation alimentaire de la RDC se caractérise par la chute de la
production agricole vivrière, la baisse de la consommation alimentaire et
l’augmentation du taux de malnutrition des enfants et des adultes. Ici, l’insé-
curité alimentaire concerne tant l’offre que la demande. La pauvreté restreint
l’accès des ménages à la nourriture et constitue l’une des causes principales
des taux élevés de malnutrition. Aussi, l’écart entre l’offre domestique et la
demande en produits alimentaires de base s’accroît de manière constante,
traduisant la dépendance alimentaire vis-à-vis de l’extérieur et entraînant
des coûts estimés à plus de 1,5 milliard de dollars par an d’exportations ali-
mentaires, alors que le pays est à vocation agricole (Lebailly 2010).
L’accès à la nourriture connaît des limites tant sur le plan de la quantité
que sur celui de la qualité. En quantité, près de 30 % de la population ne
consomment qu’un repas par jour, voire moins, et presque 60 % ne mangent
pas plus de deux fois par jour (PAM & INS 2008). Aussi, en moyenne, 6 %
des ménages ont une consommation alimentaire pauvre6 et « de nombreux
ménages, bien que décrits comme en sécurité alimentaire, sont tellement
proches de la marge que même de petits chocs pourraient avoir des consé-
quences importantes et immédiates » (ibid. : 17).
Par ailleurs, près de la moitié des enfants du milieu rural (47 %) souffrent
de malnutrition chronique modérée ou sévère contre 33 % en milieu urbain.
Sous la forme sévère, la proportion d’enfants atteints d’un retard de croissance
varie de 14 % en milieu urbain à 26 % en milieu rural (Ministère du Plan &
Ministère de la Santé 2014 : 162).
Toutefois, bien qu’en crise, le secteur rural demeure la pierre angu-
laire de l’économie congolaise, avec l’agriculture comme fer de lance. En
effet, l’agriculture de subsistance occupe à ce jour la grande majorité de la
population. Selon des chiffres confirmés par diverses sources, elle génère
près de 40 % du PIB et environ 2,5 % des exportations enregistrées tout en
mobilisant plus de 60 % de la population active (BAD 2012 ; Herderschee,
Mukoko Samba & Tshimenga Tshibangu 2012). Sa contribution à la crois-
sance du PIB réel s’estime entre 1,1 et 1,2 point de pourcentage en moyenne
au cours des cinq dernières années, derrière le secteur minier (plus de 2
points en moyenne) et un peu à la hauteur du commerce (1,1 point) (Banque
centrale du Congo 2013).
Mais, au vu du nombre de personnes que l’agriculture mobilise et de sa
contribution au PIB, estimée à 40 %, la productivité du secteur par rapport à
l’ensemble de l’économie demeure relativement faible. Cette situation, loin
d’être spécifique à la RDC, se rencontre un peu partout dans les pays africains,
et même dans certains pays développés ; ce qui justifierait l’argument selon
6
La classe de consommation alimentaire pauvre comprend les ménages ayant une
alimentation basée sur la consommation de céréales et de féculents (5j/7), accompagnés de
légumes (3j/7) et d’huile (4j/7), avec un accès faible aux protéines animales, aux fruits, au
lait et produits laitiers, etc.
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 249
lequel l’agriculture doit bénéficier d’un traitement spécial dans les négocia-
tions commerciales internationales (Étude du secteur agricole 2009 : 8). Il est
clair que le secteur connaît d’énormes difficultés d’ordre à la fois structurel
et humain qui l’empêchent d’évoluer normalement et de fournir son meilleur
potentiel dans la lutte contre la pauvreté et la réalisation des OMD ou des
ODD. En effet, l’agriculture familiale, qui regroupe une majorité de paysans
et de ruraux, développe des activités essentiellement orientées vers l’auto-
subsistance. La production vivrière est par conséquent déficitaire depuis de
nombreuses années. Elle ne suit pas le rythme d’augmentation de la popula-
tion. Le déclin du secteur, exacerbé par les conflits récents et l’abandon des
fermes, s’est soldé par une baisse d’environ 60 % de la production agricole
entre 1960 et 2006. Quant aux exportations agricoles, elles ne représentent
plus que 10 % du PIB actuellement contre 40 % en 1960 (Ministère du Plan
2011). Les recettes d’exportation agricoles ont ainsi logiquement décliné dra-
matiquement, passant de 334 millions de dollars en 1995, à 4,3 millions de
dollars en 2003 (Étude du secteur agricole 2009). Elles croissent de nouveau
ces dernières années et proviennent essentiellement de l’exportation du bois
et du café7 ; elles se sont élevées respectivement à 111 millions et 105 mil-
lions de dollars en 2010 et en 2011 (Banque centrale du Congo 2011).
Bien que l’agriculture congolaise constitue la base de son économie et
possède le plus fort potentiel pour contribuer à la réduction de la faim et de
la pauvreté8, ce potentiel est encore largement sous-exploité. La production
alimentaire annuelle n’atteint pas 20 millions de tonnes pour une demande
totale estimée à 25 millions9. D’où un déficit très souvent comblé par des
importations de plus en plus nombreuses qui coûtent au pays près de – ou
plus de – 1 milliard de dollars chaque année. Depuis quelques années, un
7
En 2011, on a enregistré de maigres exportations de caoutchouc, de cacao et de thé (Banque
centrale du Congo 2011).
8
Les observateurs notent que c’est l’unique secteur intensif en main-d’œuvre. À titre
d’exemple, la production d’arabica requiert 450 jours de travail à l’hectare, soit l’équivalent
de deux emplois agricoles temps plein. L’ouverture de 10 000 ha supplémentaires fournirait
un emploi à 20 000 personnes et donc, des revenus à 160 000 personnes. Même chose pour le
palmier à huile et d’autres cultures industrielles. Par ailleurs, de tels revenus agricoles sont
dépensés pour des biens et services produits localement, ce qui favorise l’économie locale.
Aussi, la croissance de la productivité agricole réduit les prix des denrées alimentaires,
ce qui bénéficie à toute la population et aux autres secteurs de l’économie (Ministère du
Commerce 2010).
9
Selon les études récentes, déclarait Jean Chrysostome Vahamwiti, lors de son intervention
du jeudi 7 août 2014 à la FIKIN, à l’occasion d’une journée placée sous le thème «
relance agricole et parcs agro-industriels », la production vivrière totale du pays atteignait
19 000 000 de tonnes en 2009 pour un besoin total de 25 000 000 de tonnes, soit 76 %
des besoins, soulignant que la production congolaise s’accroît annuellement de 2,6 %,
contre une demande de plus de 3 % (Mediacongo http://www.mediacongo.net/show.
asp?doc=57696 - .U-Ssjz8cSc0).
250
Tableau 3 : évolution de la production agricole en RDC pour les principaux produits vivriers
de 1991 à 2011 (tonnes)
1991 1994 1997 2000 2003 2006 2009 2010 2011
Maïs 1 053 259 1 184 430 1 167 307 1 184 000 1 154 800 1 155 490 1 156 180 1 156 410 1 345 074
Manioc 19 366 000 19 101 683 16 402 403 15 959 000 14 944 570 14 989 440 15 034 450 15 049 483 15 569 138
Riz paddy 393 900 426 170 322 099 337 800 314 780 315 830 316 880 317 231 345 000
Arachide 531 200 598 230 399 728 382 000 359 640 368 740 370 630 371 263 367 000
Haricot 166 190 178 870 135 442 122 000 108 390 111 270 114 240 115 247 120 000
Niébé 38 810 40 850 43 623 47 968 52 360 56 340 60 620
Soja 13 170 9 500 7 382 11 368 14 250 15 530 17 520 18 232 20 000
Millet 30 000 32 880 26 920 34 310 36 420 37 250 38 090 38 376 45 000
Conjonctures congolaises 2016
Ban. plant. 2 090 000 2 262 000 691 372 526 735 586 390 488 000 490 470 1 250 000 1 552 062
Pat. douce 398 900 407 359 247 142 237 000 223 190 233 110 243 460 247 011 261 668
P. de terre 34 010 115 320 88 250 89 850 91 890 93 140 94 400 94 826 95 500
Source : l’auteur, sur la base des données du SNSA (2009) et de FAOSTAT (2013).
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 251
nouveau dynamisme semble renaître dans le secteur et certaines sources
avancent un rythme de croissance de la production agricole autour, voire
au-delà, de 3 % depuis 2006. Ce dynamisme est attribué essentiellement au
recouvrement de la paix et de la sécurité dans une bonne partie du pays et
à la réhabilitation de certaines infrastructures de transport. Cette moyenne
devrait se situer, d’après les projections, à environ 4,6 % entre 2011 et 2015
(Ministère de l’Agriculture et du Développement rural 2013). Toutefois, le
secteur ne bénéficie pas encore de l’attention qu’il mérite auprès des diri-
geants, d’où la persistance de ses faibles performances.
Alors que la population croît de manière régulière, l’évolution de la pro-
duction des principales cultures vivrières (maïs et manioc) suit la tendance
inverse, ou tout du moins stagne et reste inférieure à celle de la popula-
tion. Ainsi, durant environ vingt ans (1991-2009), la production du manioc
a chuté de près de 29 % et celle du maïs a augmenté seulement de près de
9 %, alors que la population censée manger ces produits a augmenté de plus
de la moitié, ce qui annonce un déséquilibre réel et criant entre l’offre de
produits et les besoins alimentaires du pays. Le rythme de la croissance de la
production agricole, qui était régulier au début des années 1990, notamment
grâce à une relative stabilité sur le plan sécuritaire et politique, et à l’ap-
port de certaines interventions extérieures, a été brutalement interrompu par
l’insécurité née des guerres incessantes que le pays a connues depuis 1996
jusqu’en 2003. Au cours de cette période (1996-2003), le secteur agricole
a énormément souffert de l’occupation et du pillage des champs et des
récoltes par les forces armées rebelles et gouvernementales, de la fuite des
producteurs et, par conséquent, de l’abandon des champs et des activités
champêtres, sans compter l’absence quasi totale de tous les partenaires et
bailleurs de fonds. Le recours aux importations alimentaires, pourtant défa-
vorable pour le pays, s’est ainsi révélé nécessaire.
Tableau 4 : évolution des importations agricoles de la RDC,
1959-2006 (en milliers de tonnes)
1959 1970 1980 1990 2000 2005 2006 2009
Viande 8,0 11,0 8,7 54,0 19,0 57,0 80,0 76,0
Poisson 34,0 32,0 8,7 164,0 73,0 93,0 120,0 87,0
Œufs et lait 11,3 9,0 39,0 74,0 123,0
Maïs 6,0 60,0 147,0 17,0 57,0 117,0 200,0 220,0
Riz 2,3 19,0 10,0 61,0 52,0 208,0 200,0 197,0
Farine de blé 38,7 52,0 103,0 110,0 217,0 372,0 200,0 347,0
Huile de palme 8,0 16,0 60,0 74,0
Source : Ministère du Commerce, PME (RDC) 2010 : 125.
252 Conjonctures congolaises 2016
Bien que les chiffres ne soient pas toujours fiables en raison des
contraintes imposées par les services de douanes s’occupant des déclara-
tions, lesquelles ne permettent pas d’expliquer clairement les variations
importantes d’une année à l’autre, ils rendent compte, néanmoins, de
l’augmentation des importations, surtout à partir des années 1990. Trois
facteurs essentiels permettent d’expliquer cette évolution : le déclin de la
production intérieure, les petits producteurs n’ayant pas les moyens de pro-
duire davantage et s’étant refermés sur une agriculture d’autosubsistance ;
l’augmentation de la population, surtout dans les centres urbains ; et les poli-
tiques nationales favorisant les importations au détriment de la production
nationale. Ces importations massives mettent les paysans congolais dans
une situation de concurrence déloyale vis-à-vis des producteurs occiden-
taux dont les produits sont largement subventionnés et les prix ne tiennent
pas compte des coûts réels de production. Les produits importés étant à bas
prix, les paysans locaux se voient contraints de vendre à des prix en deçà
de leurs coûts de production. N’étant pas rémunérés proportionnellement
aux efforts endurés, certains agriculteurs se découragent et se replient sur
une agriculture d’autosubsistance. C’est le cas du riz asiatique, du poisson-
chinchard (mpiodi) et du poulet congelé qui sont de moins en moins cher et
très appréciés par les habitants des villes, au détriment des produits locaux.
Par ailleurs, l’un des défis majeurs du développement rural en RDC
constitue le désenclavement des campagnes. En effet, toutes les activités
humaines sont sensibles à la distance et aux coûts du transport. Les échanges
économiques, les mouvements migratoires et les contacts interpersonnels
ont tendance à diminuer d’intensité avec la distance, c’est-à-dire au fur et
à mesure que les coûts de transport augmentent (Polèse & Shearmur 2005,
cités par Nyoka Mupangila 2011). En RDC, l’insuffisance quantitative et
qualitative de l’offre des services de transport, accentuée par le mauvais état
des infrastructures de transports, constitue le principal problème prioritaire
du pays. Elle constitue une entrave à une croissance économique durable
et ne facilite pas les échanges commerciaux ni l’accès des populations aux
autres services sociaux de base (Ministère du Plan 2006).
Avec des voies et moyens de communication généralement dégradés
(routes, voies ferrées et maritimes), les milieux ruraux, en général, éprouvent
d’énormes difficultés pour entrer en contact avec les grandes agglomérations
et certains se trouvent même coupés du reste du monde et donc, totalement
enclavés. Cette situation les empêche d’acheminer les surplus agricoles pro-
duits sur les marchés et centres de consommation et de recevoir des produits
manufacturés en provenance des villes ; elle est à la base de leur enclave-
ment économique et social (Bolikanga Ilye 2013).
La structuration et l’accompagnement approprié du monde rural congo-
lais restent un autre défi majeur à relever. En effet, la fin des années 1980
consacre à la RDC un début d’émancipation et d’autoprise en charge par
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 253
les acteurs paysans et ruraux, suite à l’abandon progressif de l’État de ses
charges naturelles dans le secteur agricole et rural induit par les politiques
néolibérales d’ajustement structurel. Depuis quelques années, les initia-
tives paysannes se multiplient, s’organisent, se structurent, se consolident,
devenant des acteurs incontournables du développement du pays. Certaines
de ces organisations se spécialisent, augurant la mise en place de filières
agricoles et prenant en charge des pans entiers de la production ou de la
commercialisation. Désormais, les organisations paysannes (OP), unions,
réseaux, fédérations et confédérations paysans voient le jour dans la majeure
partie des villages tandis que les leaders paysans émergent et prennent la
parole. Tout le monde, à quelque niveau que ce soit, sait qu’ils existent et
qu’il faut désormais faire avec eux et compter sur eux, ce qui n’était pas
le cas il y a quelques décennies. Accompagnée et soutenue par les amis
étrangers du monde rural, notamment les partenaires au développement
(Agences de la coopération, ONG du Nord), la structuration du mouvement
paysan est désormais une réalité en RDC, même si elle évolue à un rythme
variable à travers le pays. Dans chaque province, il y a actuellement des
structures endogènes qui fédèrent les initiatives paysannes au niveau des
secteurs/chefferies, des territoires et/ou de la province. L’action des ONG
du secteur et des plateformes paysannes aînées dans l’accompagnement, la
structuration et la fédération des organisations paysannes est dans ce sens
déterminante. Ces initiatives et les dynamiques qu’elles impulsent et qui les
accompagnent témoignent de la vitalité du monde rural congolais et de sa
capacité à s’organiser pour résoudre ses problèmes dans un contexte d’auto
prise en charge individuelle et collective, même de manière limitée. Dans
ce sens, elles constituent un espace privilégié d’organisation de la résis-
tance aux diverses forces négatives, tendant à insécuriser les conditions
d’existence de leurs acteurs. Bien qu’encore fragile et à géométrie variable
à travers le pays, ce mouvement canalise les diverses aspirations paysannes
et mobilise ses membres autour de causes qui leur sont communes, même si
c’est avec des spécificités territoriales. Les mobilisations paysannes ont été
manifestes dans le processus du vote du Code agricole congolais, la mise en
œuvre du PDDAA ou celle récente des parcs agro-industriels (PAI), où elles
continuent de faire entendre leur voix à travers leurs plateformes. Elles sont
actives dans l’animation des CARG à la base.
Toutefois, le mouvement peine à parler d’une seule voix au niveau natio-
nal avec la multiplication des interlocuteurs et demeure jeune, hétérogène,
très atomisé, avec des acteurs divers de poids différents. Sa consolidation est
encore fragile dans certaines provinces. L’amateurisme, les logiques oppor-
tunistes et même les velléités individualistes et séparatistes sont toujours
à craindre. Beaucoup de partenaires travaillent, par ailleurs, sur la ques-
tion pour aider à structurer le mouvement, mais le processus doit s’affirmer
davantage.
254 Conjonctures congolaises 2016
4. L’action du Gouvernement congolais
Pour faire face aux multiples défis du secteur rural, les pouvoirs publics
ont tenté de réagir, mais les résultats sont mitigés. Depuis la fin des
années 1960, de multiples documents, plans et programmes ont, en effet, été
rédigés et mis en application en vue de favoriser le développement général
du pays, avec un focus particulier sur le secteur rural. Malheureusement,
ces initiatives, si elles connurent un certain succès sur le plan politique, ne
parvinrent pas à éradiquer la pauvreté des masses congolaises et à assurer la
sécurité alimentaire.
Tableau 5 : plans/programmes et documents sur le secteur rural
N° Plan/Programme Période
1 Plan intérimaire de relance agricole 1966-1972
2 Plan Mobutu 1979-1981
3 Programme agricole minimum (PAM) 1980
4 Plan de Relance agricole 1982-1984
5 Programme intérimaire de Réhabilitation économique 1983-1985
6 Plan quinquennal 1986-1990
7 Programme d’Autosuffisance alimentaire (PRAAL) 1987-1990
8 Plan directeur du Développement agricole et rural 1991-2000
9 Programme national de Relance du Secteur agricole et rural 1997-2001
(PNSAR)
10 Programme triennal minimum 1997-1999
11 Programme triennal d’Appui aux Producteurs du Secteur 2000-2003
agricole
12 Programme multisectoriel d’Urgence, de Réhabilitation et 2002-2010
de Reconstruction (PMURR)
13 Programme minimum de Partenariat pour la Transition et la 2004-2005
Relance « PMPTR » en RDC
14 Document de la Stratégie de Croissance et de Réduction de la Depuis 2004
Pauvreté (DSCRP) ; version intérimaire en 2004, DSCRP1
en 2006, DSCRP nouvelle génération en 2011
15 Note de Politique agricole 2009
16 Stratégie sectorielle de l’Agriculture et du Développement 2010
rural
17 Loi portant principes fondamentaux relatifs à l’Agriculture 2011
18 Plan national d’Investissement agricole PNIA 2013-2020
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 255
Ces plans et programmes présentent quelques caractéristiques com-
munes. D’abord, ils ont eu à établir, dans une certaine mesure, un diagnostic
des problèmes du secteur rural congolais et à proposer des pistes, même
générales, pour les résoudre. Ensuite, ils ont eu le mérite de mobiliser l’opi-
nion tant nationale qu’internationale sur les problèmes du secteur rural, et
d’y attirer quelques capitaux étrangers.
Plusieurs contradictions et facteurs expliquent les faibles performances
des différents plans. On notera, entre autres (Ministère de l’Agriculture
PNUD/UNOPS 1997 ; Makala Nzengu 2009 ; Ngalamulume 2011b) :
- le désinvestissement dans l’agriculture à la suite des mesures contro-
versées de zaïrianisation de 1973 et de nationalisation (1974), reflétant
la perte de confiance des investisseurs privés, confiance qui n’a tou-
jours pas été rétablie ;
- les changements incessants de gouvernements ayant pour conséquence
un éternel recommencement, les nouveaux arrivants n’ayant pas la
maîtrise des dossiers antérieurs et voulant souvent faire table rase de la
situation passée ;
- la détérioration profonde des infrastructures existantes (réseau de
transport intérieur, stockage et conservation des produits) et des ser-
vices d’aide à l’agriculture, notamment la recherche, la vulgarisation,
la fourniture d’intrants, le crédit, l’enseignement agricole ;
- l’absence de moyens importants résultant de la modicité du budget
alloué au secteur agricole (moins de 2 % du budget national) ;
- la mauvaise gestion tant des services étatiques que des projets de
développement rural entraînant des distorsions dans l’affectation des
ressources ;
- les politiques macro-économiques inappropriées, fondées sur la poli-
tique de contrôle de la commercialisation et des prix, combinée à des
importations de produits alimentaires bon marché afin de conserver au
plus bas les prix à la consommation en milieu urbain ;
- les réformes concernant l’ajustement structurel ayant entraîné des
effets pervers dans le secteur agricole et rural.
Le tableau 5 laisse transparaître le malaise qui persiste dans la gestion
du secteur rural congolais et dénote l’absence de vision claire. Il n’y a pas
eu de politique adéquate et cohérente en matière de développement rural
en RDC depuis l’indépendance. Ce secteur n’a pas bénéficié d’une atten-
tion soutenue de la part des dirigeants, et les mesures prises étaient le plus
souvent conçues par les services centraux et la hiérarchie gouvernemen-
tale, sous la pression et/ou l’injonction de l’extérieur, sans la participation
réelle de tous les acteurs impliqués et des partenaires de terrain. De ce fait,
des solutions standards ont souvent été retenues, négligeant ou reléguant
au second plan les préoccupations véritables et les réalités et spécificités
256 Conjonctures congolaises 2016
propres à chaque milieu. Dans ces conditions, leur impact, s’il n’a pas été
négatif partout, ne pouvait être que très limité (Ministère de l’Agriculture
PNUD/UNOPS 1997 ; Makala Nzengu 2009 ; Ngalamulume 2011b).
Quelques mesures et actions récentes dans le secteur rural
Depuis quelques années maintenant, on observe une certaine éclaircie et
des débuts d’actions plus ou moins prometteurs dans le secteur, même s’il
y a encore du chemin à parcourir. Alors que le secteur naviguait à vue, sans
cadre directeur et documents de référence, une certaine volonté d’établir
une stratégie plus claire, en se dotant des cadres d’intervention appropriés,
se fait ressentir. Certaines actions courageuses, qui tranchent avec l’aban-
don du secteur agricole et rural tant décrié, sont ainsi menées. Tour à tour,
avec l’appui notable des partenaires au développement, le pays s’est doté
de la Note de politique agricole en 2009, de la Stratégie sectorielle de
l’agriculture et du développement rural en 2010 ; a promulgué le Code agri-
cole en décembre 2011 ; lancé officiellement le processus du Programme
détaillé pour le Développement de l’Agriculture en Afrique PDDAA10 en
juin 2010 et a procédé à la signature de sa Charte en mars 2011 ; a for-
mulé, adopté et lancé le Programme national d’Investissement agricole
PNIA en septembre 2013 ainsi que le programme des parcs agro-industriels
en juillet 2014. D’autres actions comme l’acquisition et la distribution de
2250 tracteurs agricoles à travers le pays, le financement de campagnes
agricoles11 ainsi que le lancement du Conseil agricole et rural de Gestion
(CARG) dans environ 120 territoires sont à mettre à l’actif de cet enga-
gement. Prévu comme outil de décentralisation des services agricoles en
rapport avec la réforme des services d’encadrement rural, le CARG est
conçu comme une structure de concertation et de suivi du plan de dévelop-
pement agricole provincial. Il est composé de divers acteurs publics et privés
du monde agricole et rural local (Makala Nzengu 2010a ; 2010b). Il analyse
le contexte provincial et local, identifie les besoins et les priorités de la
province, du territoire ou du secteur et examine les voies et les moyens
pour son développement agricole et rural. Le CARG organise, entre autres,
la sensibilisation et l’encadrement des paysans, la vulgarisation des textes
légaux du secteur et la sécurisation des paysans et autres détenteurs de droits
fonciers sur leurs terres. Toutefois, étant donné que les CARG fonctionnent
grâce au volontariat, sans avoir les moyens de leur politique, on peut s’in-
10
En rapport avec la composante économico-agricole du NEPAD.
11
Sur fonds propres, le Gouvernement a financé les campagnes agricoles 2012-2013 et
2013-2014 à concurrence respectivement d’environ 26 millions de dollars et 30 millions
de dollars, en appuyant les organisations et structures locales dans la mise en œuvre de
grandes activités.
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 257
terroger sur la durabilité et la viabilité de leurs actions dans ces conditions.
Aussi, l’appropriation de l’approche et de la mission des CARG demeure
faible auprès de ses membres. En effet, la logique du top-down suivie pour
l’importation des CARG en provinces, territoires et secteurs à partir du
niveau national, a consacré une sorte de dirigisme. Néanmoins, le CARG
reste un puissant outil en vue de la promotion des pratiques participatives,
l’internalisation et l’amélioration de la gouvernance locale.
S’agissant des tracteurs et du financement de la campagne, notons que
ces initiatives ont été minées par des contradictions internes, notamment
le clientélisme et la corruption dans la sélection des bénéficiaires, ce qui a
davantage limité leur impact sur le terrain.
Par ailleurs, bien que représentant une opportunité certaine pour le
développement du pays, l’implantation des parcs agro-industriels risque de
représenter une réelle menace pour les petits agriculteurs, qui se verraient
simplement transformés en ouvriers agricoles de ces grandes entreprises,
un statut plus que précaire. Aussi, la pression sur les terres et les espaces
renforcerait leur accaparement au détriment des petits agriculteurs et des
communautés locales. L’usage excessif d’intrants tels que les pesticides et
les engrais pour soutenir la production industrielle risque également d’avoir
des répercussions négatives sur l’environnement et la biodiversité. De
même, la diversité des espèces et variétés cultivées risque de céder la place
à la monoculture et à l’universalisation des cultures. Il y a donc lieu de faire
un choix entre une production issue de l’agriculture familiale ou de l’agri-
culture industrielle avec toutes les conséquences qu’elle est en mesure de
générer.
5. Quelle contribution pour les partenaires extérieurs ?
À côté des pouvoirs publics et des acteurs non étatiques (organisations
des producteurs et des consommateurs, ONG du secteur, opérateurs éco-
nomiques) siège un acteur non moins négligeable : les bailleurs de fonds
du secteur (partenaires techniques et financiers, agences de la coopération,
ONG internationales ; Peemans 2011). Ces partenaires conduisent différents
programmes bilatéraux et multilatéraux pour accompagner le Gouvernement
et les masses rurales dans l’amélioration de leurs conditions de vie.
En effet, les partenaires au développement participent au financement des
interventions dans le secteur rural par des « projets » ou même des « appuis
budgétaires » au Gouvernement. Dans le cadre de la coopération bilatérale
dans le secteur rural, on compte particulièrement sur l’appui belge (CTB),
américain (USAID), français (AFD), suisse, japonais, chinois et néerlandais.
Quant à la coopération multilatérale, on mise sur le soutien de la Banque
mondiale, de l’Union européenne, de la Banque africaine de Développement
et des agences des Nations unies (PNUD, FAO, PAM, FIDA, UNICEF,
258 Conjonctures congolaises 2016
BIT, OMS, ONU-FEMMES…), dont la plupart disposent d’un bureau de
représentation au pays. Il s’avère important de signaler également l’action
des ONG internationales dans ce secteur, qui agissent soit avec des fonds
multilatéraux, soit interviennent dans le cadre de la coopération bilatérale
indirecte. Les partenaires appuient directement les communautés rurales ou
transitent par les ONG locales et les services publics.
Ils soutiennent la mise en œuvre des programmes visant l’augmentation
de la productivité agricole en vue d’une amélioration de la sécurité alimen-
taire et du développement des revenus agricoles. Ces activités comprennent :
- la structuration des organisations paysannes ;
- l’appui en conseils agricoles et en intrants pour les cultures vivrières,
maraîchères, ainsi que pour la pêche et la pisciculture ;
- la réhabilitation des voies de desserte agricole (pistes et voies fluviales)
et des périmètres irrigués pour les cultures maraîchères ;
- la réhabilitation et la construction d’infrastructures sociales de base
telles que les centres de santé, les écoles primaires et les ouvrages
d’eau potable ;
- le renforcement des capacités des services publics d’encadrement.
Même si les partenaires au développement se réunissent depuis
quelque temps au sein du GIBADER (Groupe inter bailleur Agriculture et
Développement rural ; Ministère de l’Agriculture et du Développement rural
2013), on constate toutefois que l’alignement sur les politiques nationales
demeure encore problématique pour certains bailleurs. Ainsi la concentra-
tion exclusive d’infrastructures dans certaines zones géographiques, alors
que d’autres contrées sont abandonnées à leur triste sort, pose également
question quant au bien-fondé des démarches entreprises. De même, les len-
teurs dans l’exécution de nombreux projets ainsi que le manque de suivi,
limitant l’impact de certaines actions, sont toujours à déplorer. Bien que
contribuant à colmater certaines brèches au niveau local en améliorant les
indicateurs de santé, d’éducation, d’hygiène et d’environnement, les effets
de la coopération au développement restent, dans une certaine mesure, insuf-
fisants. Les motivations des donateurs, la qualité de l’aide par rapport à ses
composants et à ses conditionnalités, ainsi que sa gestion tant par le donateur
que par le bénéficiaire ne se révèlent pas à la hauteur de la tâche à accomplir
(Ngalamulume 2010). Dans ce sens, on peut insister sur le fait que les prio-
rités et dispositifs engagés par la coopération internationale sont définis par
les principaux donateurs et par les grandes institutions internationalesle ; la
majorité des bénéficiaires n’ont aucune emprise sur ces décisions. Dans ces
conditions, la coopération au développement reste et constitue un puissant
outil d’administration de la politique dominante, et donc un cheval de Troie
des politiques néolibérales (Charmillot 2008 ; Calderisi 2006).
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 259
6. Les freins au développement rural en RDC
Le développement rural en RDC connaît de multiples contraintes.
Nous retiendrons parmi celles-ci les limites induites par l’environnement
socio-économico-politique général du pays, et celles internes et spéci-
fiques au secteur rural national. En ce qui concerne les freins externes au
secteur rural, nous évoquerons les politiques économiques inadéquates,
la modicité du budget alloué, les troubles sociopolitiques, les pillages et
les guerres (Ngalamulume 2011a ; 2011b ; Ministère de l’Agriculture et
du Développement rural 2010 ; Lebailly 2010 ; Note de politique agricole
2009).
Au chapitre des politiques inadéquates, on mentionne la fameuse « zaï-
rianisation » décrétée en 1973, ayant cédé aux nationaux toutes les sociétés
de services (entreprises agricoles, commerciales et de transport) apparte-
nant aux étrangers. Justifiant cette mesure par les efforts de redressement de
la nation, les initiateurs ont pourtant péché par le clientélisme et la désor-
ganisation dans l’attribution de ces entreprises. Les nouveaux acquéreurs,
sans expertise ni expérience dans la gestion de tels outils de production, les
ont vite précipités dans la faillite. Cette mesure a compromis durablement
l’avenir et l’évolution positive du pays en assénant un coup d’arrêt aux per-
formances économiques et aux perspectives de développement à l’époque.
Elle est à la base de la méfiance qui persiste jusqu’à ce jour dans le chef
de beaucoup d’investisseurs étrangers, et peut facilement s’assimiler à un
crime économique.
Par ailleurs, les différents gouvernements qui se sont succédé à la tête du
pays ont créé un biais dans l’allocation des ressources favorable au secteur
minier aux dépens de l’agriculture, alors que le pays est à vocation agricole.
En outre, l’environnement macro-économique instable a lourdement pesé
sur l’évolution positive et le développement du secteur rural.
S’agissant de la modicité du budget alloué au secteur, notons que malgré
les discours proclamant l’agriculture « priorité des priorités », et la souscrip-
tion du pays depuis juin 2003 au protocole de Maputo12, le budget alloué au
secteur rural congolais demeure dérisoire et donc inefficace. Les dépenses
publiques du Gouvernement allouées au secteur se situent aux alentours
de 2 % du budget global (environ 3 % pour les derniers exercices), tandis
que la part du secteur agricole dans le PIB total du pays dépasse les 40 %
en moyenne. Bien que faibles et insuffisantes au départ, plus de la moi-
tié des ressources affectées au secteur ne sont jamais réellement dépensées
(Ministère de l’Agriculture & Ministère du Développement rural 2010).
12
Le protocole de Maputo recommande l’allocation d’au moins 10 % du budget national
au secteur agricole pour atteindre l’objectif de 6 % de taux de croissance annuels de la
production agricole.
260 Conjonctures congolaises 2016
Dans ces conditions, les services de base tels que l’encadrement rural
et la vulgarisation, la recherche agricole, l’entretien des pistes et le finan-
cement du monde rural ne peuvent être assurés. Ce faisant, le secteur est
condamné à la régression ou à la stagnation.
Par ailleurs, les troubles sociopolitiques qui ont suivi l’indépendance
(rébellions, sécessions, conflits interethniques…) avaient entraîné la baisse
de la production agricole – les plantations, les exploitations d’élevage et
les entreprises agro-industrielles ayant subi des dégâts énormes. Au début
des années 1990, le Congo-Zaïre a connu par deux fois (1991 et 1993) des
pillages qui ont détruit son tissu économique et condamné à la fermeture et
à la faillite plusieurs entreprises publiques et privées, dont certaines jouaient
un rôle important dans le milieu rural. L’activité économique a accusé un
sérieux coup et a eu du mal à se redresser. Ces pillages sont un prélude à
une longue période d’instabilité qui démarra en 1996 avec la guerre de libé-
ration, puis celle d’agression (1998-2002). L’insécurité s’est ainsi accrue
(tracasseries, assassinats, vols, viols, pillages, etc.) et les marchés des pro-
duits alimentaires, particulièrement les circuits de commercialisation, se
sont effondrés.
Aussi, l’une des contraintes principales au développement rural de
la RDC est la faiblesse des circuits de commercialisation résultant de la
dégradation avancée de presque toutes les voies de communication (routes,
chemins de fer, voies navigables) et de la rareté des moyens de transport,
contraignant ainsi le monde rural à l’enclavement. Par ailleurs, l’absence
significative d’infrastructures sociales et culturelles (écoles et hôpitaux
de qualité, eau potable, électrification rurale, habitat rural, divertissement,
etc.) est à la base de l’exode rural et de la fuite de la main-d’œuvre. Les
campagnes sont ainsi dépeuplées, devenant de plus en plus inactives, peu
dynamiques et contraintes à la léthargie.
Au niveau des contraintes spécifiques au secteur rural congolais, nous
pouvons retenir la faiblesse des services et des méthodes d’encadrement, le
prix non rémunérateur du producteur rural et l’insécurité foncière. En effet,
la faible productivité du secteur rural tire son origine des faibles capacités
organisationnelles, actionnelles, méthodologiques et techniques des ser-
vices d’encadrement. Ceux-ci sont désorganisés et dépourvus de moyens
d’action appropriés (logistiques, techniques et humains). C’est notamment
le cas de l’approvisionnement en intrants (semences et géniteurs, engrais,
pesticides, produits vétérinaires, petit outillage agricole, matériel de pêche,
etc.), où il n’existe pas de filières organisées et fiables ; de l’encadrement
technique (vulgarisation agricole), dont les méthodes d’intervention ne
mobilisent pas les paysans et ne tiennent pas compte de leur savoir ; de la
recherche agricole et de l’accès au financement. Aussi, les infrastructures
de stockage (dépôts, greniers, silos), les technologies de conservation et
de transformation de certains produits agricoles (fruits, légumes, carottes)
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 261
font cruellement défaut, entraînant des pertes post-récoltes et des déficits de
valeur ajoutée.
Par ailleurs, de l’avis de nombreux observateurs, le niveau des prix
agricoles détermine le niveau des revenus des producteurs. La maîtrise des
prix agricoles est de ce point de vue capitale dans la croissance de l’écono-
mie rurale, le faible revenu paysan étant un facteur limitant la production
(ROPPA 2003). Or nous observons que les prix des denrées alimentaires
dans les campagnes congolaises ne tiennent pas compte des coûts réels de
production. Ils dépendent plutôt d’autres facteurs, à la fois politiques et
économiques : présence ou non de beaucoup d’acheteurs et de beaucoup
de produits (loi de l’offre et de la demande), restrictions imposées par les
autorités politico-administratives, prix des produits importés – sans compter
les diverses tracasseries fiscales, administratives et policières. Notons aussi
que les importations alimentaires massives mettent les paysans congolais
dans une situation de concurrence déloyale vis-à-vis des grands produc-
teurs occidentaux, dont les produits sont largement subventionnés (Lebailly,
Michel & Ntoto M’vubu 2015).
Enfin, bien que disposant de terres théoriquement abondantes, la RDC
est confrontée à une réelle insécurité foncière. En effet, l’accès à la terre
n’est pas aisé en raison d’un droit foncier hybride, mêlant droit moderne
et règles traditionnelles. Cela engendre de multiples confusions sur le ter-
rain d’une part (Sakata 2010), et une forte densité démographique, qui
exerce une pression sur les terres disponibles dans certaines provinces du
pays (est), d’autre part. Aussi, l’exploitation peu rationnelle des terres au
moyen de pratiques épuisantes et dégradantes conduit à leur épuisement et à
leur infertilité. Cet état de fait explique la situation de la majeure partie des
paysans, livrés à eux-mêmes, et justifie les faibles rendements du secteur.
Par ailleurs, l’accaparement des terres par des élites économiques, politiques
et militaires prive les petits paysans d’espaces exploitables et menace leur
survie (Ngalamulume 2016 ; Nyenyezi & Ansoms 2015 ; Peemans 2014).
7. Quelles pistes d’action ?
Nous pensons qu’il est indispensable d’accorder une attention particulière
aux campagnes en plaçant le paysan congolais au centre des préoccupations,
si l’on veut mettre fin à cette spirale négative. Pour cela, investir suffisam-
ment et convenablement dans le secteur doit devenir une priorité absolue, non
seulement dans les discours, mais aussi dans les faits. Il suffit pour cela d’un
courage politique, d’un certain volontarisme à même d’affronter les réalités
propres du pays et de faire face aux défis que pose le secteur rural. Il nous
faut donc une vision claire afin d’orienter et de canaliser nos efforts dans la
réalisation des objectifs que nous pouvons nous assigner librement. Il s’agit
également de mobiliser des moyens conséquents pour la matérialisation de
262 Conjonctures congolaises 2016
cette vision ambitieuse. Désormais, les actions à envisager doivent avoir pour
finalité l’amélioration de la situation du paysan congolais, sur qui repose la
charge du développement de la nation. Dans ce sens, il y a lieu de fonder
la politique agricole sur l’agriculture paysanne, en donnant la priorité à la
sécurité alimentaire populaire et à la souveraineté alimentaire. Cela aura pour
effet de restituer une certaine dignité aux populations paysannes et rurales en
respectant les valeurs, pratiques et stratégies de sécurisation de leur culture.
Une telle politique se doit de clarifier et déterminer le rôle de l’agriculture
dans le développement à long terme du pays.
En effet, dès que le pays verra les besoins alimentaires de sa popula-
tion satisfaits, le processus de développement rural pourra s’appliquer à
des politiques ambitieuses, en s’appuyant sur une batterie d’instruments
(prix minimums garantis, organisation des marchés et des mécanismes de
régulation tels que la gestion des stocks, le gel des terres, des dispositifs
d’approvisionnement et de financement incluant de nombreuses formes de
subventions). En outre, le respect de l’environnement ne peut être escamoté,
vu les enjeux actuels en termes de développement durable. La RDC ne peut
donc éluder cette problématique.
En vue du développement rural de la RDC, il devient indispensable de
créer les conditions nécessaires pour permettre aux nombreux agriculteurs
familiaux de travailler la terre et de produire de la nourriture de subsistance,
mais aussi pour les consommateurs des villes. Il convient ainsi d’offrir un
large espace d’expression au monde paysan, appelé à y contribuer de manière
significative, et de permettre la valorisation de ses ressources naturelles tout
en l’aidant à renforcer ses capacités d’analyse et d’action. Il importe donc
de travailler pour le renforcement du pouvoir socio-économique, politique
et culturel du paysan en vue de l’avènement, en RDC, d’un monde rural où
il fait bon vivre, un monde véritablement solidaire, professionnel et pros-
père. Ce travail, ciblé sur les hommes ruraux et les paysans ainsi que sur
leurs capacités de négociation et d’action, devra relever un certain nombre
de défis auxquels ils font actuellement face : la sécurisation de la terre et
de son accès, l’harmonisation et l’efficacité des stratégies d’intervention
(vulgarisation, recherche agricole, financement), la professionnalisation de
l’agriculture paysanne et la réhabilitation identitaire du producteur agricole
congolais. Cela contribuerait au relèvement de la faible technicité, se tra-
duisant par une relative stagnation technologique en milieu rural – cause et
conséquence d’une utilisation peu efficiente des terres, du sous-emploi de la
main-d’œuvre rurale disponible, du bas revenu par habitant, et partant, d’un
manque chronique de capitaux susceptibles de financer l’équipement rural
d’une part, et de renforcer et réorganiser les structures d’encadrement des
producteurs ruraux et des institutions rurales d’autre part.
Le financement du monde rural par des formules d’institutions mises en
place par les organisations paysannes dans certaines provinces pourrait être
Le développement rural : réalités, enjeux et pistes d’action 263
renforcé et étendu à d’autres régions du pays (Ngalamulume 2013). Il en
va de même pour le financement des analyses sur les systèmes d’assurance
contre les risques de production agricole, lesquelles s’opèrent au moyen
d’instruments innovants de transfert de risques qui portent sur des indices
climatiques en cours d’expérimentation dans certains pays (Hardelin 2010).
La question de l’exode rural et du sous-emploi dans les campagnes
congolaises devrait préoccuper les dirigeants, appelés à redynamiser les
milieux ruraux en y assurant des conditions de vie acceptables (désencla-
vement, prix minimums des produits agricoles, fourniture des services de
base) afin de les rendre davantage attractifs. Pour cela, il est nécessaire d’en-
courager la diversification de l’économie rurale, à travers la mise en place
de conditions favorables à l’éclosion d’une économie rurale florissante et
dynamique, avec un potentiel de croissance durable. Cette économie peut
être stimulée par des investissements massifs et efficients dans le secteur
rural et des changements importants dans les techniques de production et
dans le domaine social.
La professionnalisation des ruraux passe par la promotion et le soutien de
l’entrepreneuriat et de l’innovation en milieu rural. Pour ce faire, un accom-
pagnement et un encadrement spécifique (coaching, incitants) doivent être
mis en place pour favoriser notamment l’amélioration du niveau d’éduca-
tion et de formation, la sensibilisation à la prise de risque, la promotion d’un
environnement favorable.
Le développement étant complexe, la mise en œuvre de ces mesures ne
sera pas une mince affaire. La faisabilité de ces actions requiert que soient
acquis quelques préalables, notamment sur le plan de l’amélioration de la
gouvernance, de manière générale, et particulièrement de la gouvernance
locale par la décentralisation rurale effective (Ngalamulume 2015). L’autre
condition est de garantir la paix et la sécurité tant physique que juridique
des producteurs, des investisseurs et de l’ensemble des consommateurs. La
réalisation d’une action réellement concertée, par le biais d’approches suffi-
samment inclusives et de partenariats innovateurs entre les diverses parties
prenantes, est vivement souhaitée.
Conclusion
L’analyse de la situation du développement rural en RDC permet de tirer
quelques leçons majeures.
Il apparaît que le développement du pays sera rural, sans quoi il n’abou-
tira pas. Au vu du nombre de personnes qui vivent en milieu rural et en
dépendent, ainsi que de l’importance du secteur pour favoriser l’essor natio-
nal, ce constat nous semble évident.
Les mécanismes actuels de gouvernance n’ont pas permis l’éclosion d’un
développement rural durable, car un déficit à la fois social, économique,
264 Conjonctures congolaises 2016
environnemental et politique est à déplorer. La promotion de modes de
gouvernance participatifs, guidés par l’intérêt général et permettant une uti-
lisation transparente, rationnelle, efficace et efficiente des ressources s’avère
donc essentielle à l’amorce de ce développement. Il convient ainsi de mettre
en place des conditions dans lesquelles tout le monde trouve son compte, au
travers de synergies innovantes issues de la collaboration entre les secteurs
public, privé et civil. La mise en œuvre de la décentralisation rurale augure,
de fait, des perspectives réelles de réalisation et d’expérimentation de ces
processus multi-acteurs.
Par ailleurs, les approches de développement menées jusqu’alors n’ont
pas permis la création d’une capacité rurale d’action capable de trouver des
réponses adéquates aux problèmes des communautés rurales et de répondre
favorablement à leurs demandes de développement. Il devient dès lors
indispensable de privilégier les approches basées sur la participation des
communautés rurales et le renforcement de leur statut social, en mettant
l’accent sur les capacités managériales, entrepreneuriales et d’innovation à
la fois technique et institutionnelle de ces communautés.
Le développement, c’est d’abord et avant tout la volonté. Cette volonté a
été absente pendant des décennies tant au niveau des communautés rurales
que des responsables politiques et des partenaires au développement. Aucun
de nous n’a été à la hauteur des enjeux.
En définitive, le développement rural est possible en RDC. Il suffit que
chaque partie prenante au processus (État, société civile, populations, parte-
naires techniques et financiers) prenne conscience de ses responsabilités et
joue convenablement son rôle. Tel est le sens de notre plaidoyer au travers
de ce chapitre.
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Zones économiques spéciales :
vers l’accaparement des terres ?
Perceptions des paysans du site pilote de Maluku
Joel Baraka1, Aymar Nyenyezi Bisoka2, An Ansoms3
Introduction
En 2012, le Gouvernement congolais lève l’option de l’implantation des
Zones économiques spéciales (ZES) sur le territoire national, particulière-
ment à travers les axes nord-sud-centre-est-ouest (RDC 2012a : 16)4. Ces
ZES sont un ensemble d’espaces géographiques dans lesquels un certain
nombre d’activités sont encouragées par des mesures de politique écono-
mique qui ne s’appliquent pas au reste du pays (Ge 1999 : 1268 ). C’est entre
autres sur ces zones que le Gouvernement congolais comptera désormais
pour booster sa production agro-industrielle, qui devrait participer à la lutte
contre la pauvreté et à la croissance économique à travers le secteur indus-
triel (RDC 2011 : 9).
Le site de Maluku5 (axe ouest, dans la périphérie de la ville de Kinshasa)
constitue alors une zone pilote pour l’expérimentation des ZES6. Un marché
international dédié aux produits de celles-ci notamment7 est actuellement en
construction sur ce site. Par ailleurs, les ZES supposent des expropriations,
dans la mesure où leurs activités s’organisent souvent sur des espaces occu-
pés soit légalement soit légitimement par des populations locales. C’est pour
1
Joel Baraka est étudiant à l’Université catholique de Louvain.
2
Aymar Nyenyezi Bisoka est chercheur postdoctoral à l’Université d’Anvers, à l’Université
catholique de Louvain/FNRS et au CRE-AC.
3
An Ansoms est professeur à l’Université catholique de Louvain et co-directrice du
CRE-AC.
4
Les ZES sont régies par la loi n° 14/022 du 7 juillet 2014 fixant le régime des ZES en
RDC. Cette loi a pour objet de « promouvoir les investissements par la création des ZES ».
L’administration des ZES relève d’un établissement public à caractère administratif et
technique créé par décret du Premier ministre. Il s’agit de l’Agence des Zones économiques
spéciales – AZES en sigle – fondée en 2015.
5
Le site de Maluku servira comme projet de ZES pilote, tel un catalyseur de l’aménagement
d’autres zones d’exploitation à travers la RDC.
6
Voir le décret n° 12/021 du 16 juillet 2012.
7
On y trouvera également les produits du parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, qui est
associable aux ZES.
270 Conjonctures congolaises 2016
cette raison que la vingtaine d’entreprises ayant souscrit à ce jour à l’appel
du Gouvernement pour des investissements à Maluku sont dans l’attente
de la fin du processus déjà amorcé pour indemniser les concessions expro-
priées, l’un des préalables fonciers aux travaux d’aménagement.
Le présent chapitre se propose d’analyser cette question d’acquisitions
foncières tout en mettant l’accent sur les perceptions des populations locales
quant aux expropriations de terres pratiquées dans le cadre de l’industria-
lisation. Cette problématique est envisagée dans une perspective globale,
s’interrogeant sur l’avenir de la paysannerie locale en RDC en général, et à
Maluku en particulier. En effet, le peu d’études qui traitent des ZES en RDC
portent soit sur les perceptions des autorités étatiques soit sur celles des
entrepreneurs (Ministère des Finances, Banque mondiale 2013 ; RDC, Arteli
2012 ; RDC 2015). Elles posent rarement la question de la manière dont les
paysans vivent les bouleversements des rapports fonciers qu’impliquent les
ZES. Cela est probablement lié à la tendance dominante à considérer l’in-
dustrialisation comme une solution à la sous-productivité alimentaire et à
la lutte contre la pauvreté. En outre, ces études mettent souvent en exergue
le discours moderniste de la croissance économique, vue globalement sous
l’angle de la création d’emplois et des bénéfices économiques à engranger
en termes de PIB. Sous cette visée « économiciste » (Cote 2011), certains
préalables, voire certaines priorités de nature socioculturelle et parfois envi-
ronnementale pour les populations affectées, se voient minimisées. C’est
sur la perception de ce dernier volet que s’attèlera ce chapitre, en canalisant
la voix locale de Maluku face aux projets de zones pilotes dans son milieu.
Ainsi donc, ce texte ne rentre pas dans le débat développé par une cer-
taine littérature concernant le caractère « insoutenable et destructeur »
de la croissance économique (Beaud 1997 : 105 ; Latouche 2003 : 15 ;
Polanyi 1983) sans limite et non soucieuse des aspects sociaux et envi-
ronnementaux. Il s’éloigne également du courant opposé qui estime qu’une
allocation ou une expropriation considérée au départ comme injuste est
positive lorsque la somme des bénéfices économiques qu’elle produit est
bénéfique au plus grand nombre (Rawls 1987 ; Sen 2012). En d’autres
termes, il ne s’agit pas ici d’émettre un jugement de valeur sur le caractère
bon ou mauvais de l’expropriation, ou encore de critiquer l’hypothèse éco-
nomique et controversée de Rawls8, mais de rapporter la perception locale
des expropriations afin de parvenir à problématiser les ZES.
Il convient de rappeler qu’au niveau planétaire, l’expérimentation des
ZES a été abondante. En effet, près de 70 % des États ont légiféré en matière
des ZES (Bost 2010 : 21). La Chine est passée maître en la matière puisque
8
Ceci n’est d’ailleurs pas possible, car les bénéfices économiques en question ne peuvent
être évalués qu’en fin de projet.
Zones économiques spéciales : vers l’accaparement des terres ? Cas de Maluku 271
ses premiers sites d’expérimentation datent du début des années 1980,
lorsque le pays a introduit l’économie de marché dans un certain nombre
de zones, notamment à Shenzhen (Banque mondiale 2014 : 1)9. L’arrivée
des pays africains dans cette dynamique est récente, ne datant que des
années 200010, en dépit des tentatives amorcées vers les années 1970 pour
les zones franches d’exportations (telles qu’Inga, pour ce qui est de la RDC).
Mais même si elles sont présentées, particulièrement par la Banque mon-
diale, comme un modèle compétitif de croissance, les ZES peuvent ne pas
atteindre l’objectif de croissance économique escompté lorsqu’elles ne tien-
nent pas compte des dynamiques et des réalités locales en faisant table rase du
passé et de l’enracinement culturel des sociétés qu’elles touchent (Pecqueur
1989 : 46). Elles peuvent, de ce fait, s’avérer des investissements improductifs,
comme celles qualifiées de « cathédrales dans le désert » vers les années 1980
(Lemrabott 2001 : 24). Certaines critiques montrent d’ailleurs que l’expé-
rience chinoise des ZES n’a pas fonctionné correctement ; ce fut également le
cas pour d’autres États (Xiaodong 2014 : 7). Au-delà de leurs facettes macro-
économiques, les ZES en tant qu’industries de masse cacheraient une réalité
moins reluisante quant à la survie des communautés paysannes (Sarr 2014 : 9).
Les acquisitions foncières aux fins de leur implantation conduiraient généra-
lement au déséquilibre de l’économie locale et à l’expropriation des terres des
paysans, soumis aux conditions des relations de pouvoirs (ibid.). Ce phéno-
mène est qualifié « d’accaparement des terres ».
En effet, l’accaparement des terres s’opère en acquisitions foncières
(location, concession ou achat souvent controversé) de grandes étendues
de terre agricole auprès des pays en développement. Les acquéreurs sont
des entreprises transnationales et gouvernementales, mais aussi des élites au
niveau local (Borras & Franco 2013 ; Ansoms & Hilhorst 2015). Bien qu’il
soit souvent à l’origine de conflits locaux, l’accaparement des terres s’ac-
compagne d’un discours de productivité, de croissance et de lutte contre la
pauvreté, dans une logique de concentration foncière par des capitaux privés
(Nyenyezi 2016).
Cette dualité conflictuelle entre, d’un côté, le discours sur les impératifs
de croissance économique par l’industrialisation et, de l’autre, la protection
9
Selon les estimations, elles représenteraient depuis quelques années 22 % du PIB national,
46 % des IDE et 60 % des exportations, et auraient permis la création de plus de 30 millions
d’emplois (Banque mondiale 2014).
10
Ainsi, la matérialisation des ZES s’est opérée au Kenya depuis 2005 (ZES d’Athi River), en
Éthiopie en 2013 (inauguration de la ZES de Bole-Lemi, près d’Addis-Abeba) ; au Gabon
en 2013 (ZES de Nkok, près de Libreville, inaugurée en 2011), au Congo-Brazzaville
en 2012 (Ouesso, Oyo/Ollombo, Brazzaville et Pointe-Noire), en RDC en 2012 (mesures
politiques en 2012, législatives en 2014, phase d’apurements fonciers en cours sur le site
pilote de Maluku depuis 2014), etc.
272 Conjonctures congolaises 2016
de l’agropaysannerie locale rappelle les critiques de la théorie de la
modernisation (Braudel 2008 ; Polanyi 1983), et particulièrement du
« désenchantement des mondes ruraux » décrit par Gosselin dans son ana-
lyse des transitions en Afrique subsaharienne (Gosselin 1980). Ce faisant,
l’industrialisation en tant que vecteur de modernité et, partant, les ZES,
participent largement de ce désenchantement rural. La question de l’accapa-
rement des terres, qui mène à l’expropriation et limite l’accès des paysans
à la terre, doit par conséquent être traitée afin de saisir tous les enjeux de la
situation.
Pour aborder cette question, nous partons d’une étude de cas portant sur
le défi de l’accaparement des terres dans le processus d’implantation de la
ZES pilote de Maluku, à 70 km du centre-ville de Kinshasa. Nous avons réa-
lisé notre enquête en août 2016. Essentiellement qualitative, notre démarche
méthodologique a fait recours aux entretiens ouverts et semi-structurés ainsi
qu’à l’observation in situ. Nous avons complété l’observation avec d’autres
matériaux récoltés dans le cadre des recherches précédentes qui ont eu lieu
sur le site. Ce sont tous ces éléments qui nous permettent de proposer ici
une analyse critique des acquisitions foncières opérées et des indemni-
sations engagées à Maluku. Outre cette introduction (1), nous allons tout
d’abord approfondir la question des ZES et la manière dont l’accaparement
des terres peut s’y observer (2). Nous étudions ensuite le cas de la ZES
pilote de Maluku plus en détail et le défi d’accaparement des terres qu’il a
posé (3). En conclusion, nous essayons de comprendre les implications des
critiques que nous formulerons, en termes de politiques publiques qui tien-
nent compte des intérêts des acteurs locaux (3).
1. Les ZES : entre industrialisation et protection
de la paysannerie ?
Avant de traiter des rapports entre les ZES et l’accaparement des terres
observé à Maluku, il nous paraît important d’aborder trois éléments clés de
cette analyse : la spécificité des ZES, la modernisation et l’accaparement
des terres. C’est sur cette base que nous étudions les perceptions des acteurs
locaux à Maluku.
Les ZES, comme évoqué précédemment, émergent en 1979. Sous
l’impulsion des réformes mises en place par Deng Xiaoping et dans une
perspective d’ouverture, la loi chinoise sur les entreprises en participation
permet aux entreprises chinoises de s’associer au capital étranger. Quatre
ZES sont alors créées et bénéficient d’une large liberté de commercer et
d’attirer des investissements étrangers (Kennedy 2002 : 42). Les résultats de
cette ouverture sont spectaculaires et se font ressentir sur la période 1980-
Zones économiques spéciales : vers l’accaparement des terres ? Cas de Maluku 273
1995 dans les provinces où ces ZES ont été implantées11. En 1988, les ZES
s’étendent déjà à une dizaine de villes chinoises pour ensuite fleurir sur
l’ensemble du littoral (Demurger et al. 1996).
Si les ZES ont émergé en Chine (Xiaodong 2014 : 2), elles apparaissent
également dans d’autres États du monde, notamment en Europe de l’Est.
Par ailleurs, plusieurs pays africains rejoignent le mouvement en créant
des ZES dès les années 1980. Pour la Banque mondiale, si ces ZES n’ont
pas connu le même succès qu’en Chine, c’est parce que plusieurs facteurs
nécessaires à celui-ci n’avaient pas été réunis (Banque mondiale 2014). En
effet, pour prétendre au succès, les ZES doivent s’inscrire dans une pers-
pective ultralibérale. Toutes ont en commun le caractère dérogatoire au
droit commun, notamment en matière fiscale et douanière, qui constitue une
source d’attraction pour les investisseurs. Ainsi, au niveau du groupe de la
Banque africaine de Développement, les ZES sont considérées comme « des
zones géographiques délimitées à l’intérieur des frontières d’un pays où
les règles commerciales sont différentes, généralement plus libérales, que
celles qui s’appliquent au reste du territoire national » (Banque africaine de
Développement 2015 : 20).
Plus spécifiquement, la plupart des ZES instaurent un régime « spécial »
qui confère aux investisseurs quatre avantages majeurs par rapport à ce dont
ils bénéficieraient dans un environnement ordinaire : des infrastructures
aménagées (1), un régime réglementaire et administratif amélioré (2), un
régime douanier spécifique (3) et un régime fiscal attractif (4) – permet-
tant notamment la réduction ou la suppression des impôts, de la TVA et des
contributions sociales sur les sociétés.
Comme nous pouvons le constater, les ZES s’inscrivent dans une perspec-
tive d’expansion de l’agriculture commerciale afin de favoriser la croissance
économique dans des contextes où l’agriculture est souvent conçue comme
une activité familiale. La modernisation agricole et les problèmes qu’elle
a toujours suscités au niveau local, dès la période coloniale, pose à nou-
veau question avec les ZES. En effet, au lendemain de la décolonisation de
l’Afrique, l’industrie est présentée au premier plan pour amorcer la crois-
sance économique et par là-même le développement de l’Afrique au travers
de la productivité et de l’accumulation des biens et services (Fransman
1982 : 13). Une telle perspective, mettant en avant la croissance économique
comme gage de développement au moyen de l’industrialisation, a aussi été
envisagée dans le cadre du développement rural (Peemans 2008). Depuis
11
Par exemple, la zone de Shenzhen a connu un taux de croissance de plus de 35 % en termes
réels, se traduisant par une croissance de : 7 % dans l’agriculture, 49 % dans l’industrie
(essentiellement légère) et 30 % dans les services.
274 Conjonctures congolaises 2016
lors, la place et le sort réservés à la paysannerie face à la modernisation
agricole sont sujets à interrogation.
En effet, parmi les avantages conférés aux entreprises dans le cadre
des ZES figure celui des infrastructures qui peuvent être constituées, entre
autres, de grandes étendues de terres dont dépendent les exploitations. Ce
déploiement implique l’expropriation des terres et par conséquent le dépla-
cement des populations locales qui utilisent ces espaces de subsistance soit
comme terres arables soit comme pâturages. Pour les tenants de la moderni-
sation agricole tels que la Banque mondiale, les paysans doivent intégrer les
exploitations industrielles en tant qu’ouvriers afin d’assurer leur survie. Dès
lors, ils n’auront plus besoin de terres (Collier 2010). Alors qu’en 2008, ce
discours semblait soutenir une expulsion pure et simple des petits paysans
de l’agriculture (ibid.), il évolue en 2013 en proposant un partenariat entre
grandes entreprises agricoles, impliquées dans le cadre de projets tels que
les ZES, et paysans œuvrant à petite échelle.
Or, beaucoup d’études montrent que le modèle proposé, qui soumet les
agriculteurs à la collaboration avec de grandes entreprises, ne peut être béné-
fique aux paysans, dans des contextes où, paradoxalement, les trois quarts
des sous-alimentés sont ruraux et eux-mêmes producteurs de denrées ali-
mentaires (Centre tricontinental 2010). Les conditions d’inégalités extrêmes
– notamment foncières et techniques –, sur fond de libéralisation des mar-
chés agricoles et du retrait concomitant des soutiens publics, ne peut que
mener à la faillite des petits paysans et à leur expulsion du secteur agricole
(Ansoms & Rostagno 2012). Dès lors, que deviennent ces paysans qui ont
perdu leurs terres et qui ne peuvent pas trouver de débouchés dans d’autres
secteurs ? L’accaparement des terres qu’impliquent les ZES menace ainsi la
survie de la paysannerie de façon générale.
En troisième lieu, il est à remarquer que si le problème d’accaparement
des terres posé par les ZES provoque la vulnérabilité à long terme des
paysans, c’est parce que l’implantation et le déploiement de celles-ci exi-
gent un contrôle de la terre et des ressources dépendantes – comme l’eau.
L’accaparement des ressources pour la viabilisation des ZES contraint iné-
vitablement les populations locales à l’expropriation de leurs terres ou à
la limitation de leurs droits d’accès à ces ressources. Il s’agit dès lors d’un
« accaparement du contrôle », c’est-à-dire le privilège d’exercer un pouvoir
sur la terre et les autres ressources associées, telles que l’eau, les minéraux
ou les forêts, afin d’avoir mainmise sur les bénéfices liés à leurs utilisations.
En d’autres termes, le projet tend à « établir ou consolider les formes d’ac-
cès à la richesse foncière » (Borras & Franco 2013 : 7).
Il y a même lieu d’aller plus loin et de se demander dans quelle mesure
les investissements dans les ZES sont davantage liés à la recherche exclu-
sive des intérêts des investisseurs qu’à la lutte contre la pauvreté. En effet,
depuis 2012, certains auteurs parlent d’un « accaparement virtuel des
Zones économiques spéciales : vers l’accaparement des terres ? Cas de Maluku 275
terres » où, « derrière la façade d’acquisitions foncières pour un objectif
énoncé, se cache un agenda d’appropriation de subventions, d’obtention de
crédit bancaire utilisant les permis fonciers comme garantie, ou encore de
spéculation sur l’augmentation future de la valeur des terres » (McCarthy
et al. 2012). Dès lors, virtuel ou réel, l’accaparement est par essence poli-
tique, étant donné que l’enjeu est le pouvoir de décider comment et à quelles
fins la terre et l’eau peuvent être utilisées aujourd’hui et dans le futur.
De ce point de vue, même les acquisitions rendues plus transparentes
sont susceptibles de mener à l’accaparement des terres et risquent de causer
la vulnérabilité des paysans. Dans la suite de notre étude, nous essayons de
comprendre comment le problème de l’accaparement des terres se pose dans
la ZES pilote de Maluku.
2. La ZES pilote de Maluku : le défi de l’accaparement
des terres
La 1re ZES à avoir été mise en place en RDC est celle de Maluku. Créée
par le décret n° 12/021 du 16 juillet 2012 dans l’axe ouest, cette ZES s’ins-
crit actuellement dans le cadre du Projet de Développement du Pôle de
Croissance ouest (PDPC), financé par la Banque mondiale pour un montant
de 27 millions de dollars. 22 millions de ce montant sont consacrés à l’amé-
nagement du site et de ses infrastructures12. La zone de Maluku présente
une superficie totale de 885 ha, dont 244 ha13 pour le complexe à viabiliser.
Elle vise les filières industrielles telles que l’agro-industrie, les matériaux
de construction, les emballages et la transformation métallurgique (Agence
nationale pour la Promotion des Investissements 2015).
Le site dispose de nombreux atouts : sa proximité avec la ville de
Kinshasa, qui constitue un marché d’environ 10 millions d’habitants, de
bonnes connexions de transport national et international (routes, ports et
aéroports), sa situation sur le fleuve Congo permettant un accès vers le vaste
intérieur du pays, son potentiel de développement d’une plateforme agro-
industrielle, etc. (RDC, CAZES 2012).
À ce stade, la zone pilote de Maluku, en phase de démarrage, se situe
au niveau de l’apurement des préalables fonciers, une étape basique avant
12
Sur les 27 millions de dollars pour la composante II (ZES de Maluku) du PDPC, 1,5 million
de dollars est alloué à la facilitation d’un PPP, 3,5 millions de dollars au renforcement
des capacités de l’AZES et 22 millions de dollars aux infrastructures (RDC ; SOUHAID
2015).
13
Un plan d’occupation des sols flexible maximise les espaces industriels sur une surface
totale de 244 ha, 141 ha aménagés en zones industrielles, 8 ha en zone commerciale et 2 ha
en zone administrative.
276 Conjonctures congolaises 2016
Figure 1 : Localisation des zones habitées et carte d’occupation
des sols dans la ZES
Source : Plan d’aménagement et de réinstallation dans la ZES de Maluku. RDC 2012a.
le lancement des activités d’aménagement. Cependant, il s’y construit déjà
le Marché international14, dont les travaux ont été lancés depuis mai 2015
pour un coût global évalué à 100 millions de dollars15. Le schéma directeur
actualisé du site de Maluku, rendu public en décembre 2015, a prévu pour
l’année 2016 de finaliser les relocalisations et compensations ainsi que la
mise en place des infrastructures prioritaires. En 2017, il est question, selon ce
schéma, de la finalisation de la viabilisation des 50 ha (phase 1). L’installation
progressive des entreprises advient par la suite. L’opérationnalisation indus-
trielle de la ZES est projetée à 2018-2022 (RDC 2015 : 40).
14
Le Marché international de Kinshasa sera un lieu de négoce qui va fonctionner sur la base
du rapport commission/agent. En clair, les agriculteurs vont vendre leurs productions aux
agents du Marché, qui à leur tour vendront aux acheteurs. Le Marché est situé dans la
ZES de Maluku, en face du fleuve, dans un périmètre qui accueillera une infrastructure
portuaire permettant de servir les autres provinces et de réceptionner les produits de
celles-ci. Ce marché est dit international parce que le standard sera le même qu’au niveau
international ; les produits qui y seront vendus devront respecter la norme qualité, tant dans
l’emballage que dans le contenu pour ainsi correspondre à n’importe quel marché étranger
(Radio Okapi 2015).
15
Ce coût nous paraît largement élevé pour un seul marché, qu’il soit dit international
ou pas. La RDC disposant de 145 territoires (les circonscriptions administratives étant
considérées à l’intérieur des provinces), on pourrait faire émerger, avec un coût équivalent,
une centaine de marchés locaux susceptibles d’impulser le développement et de soutenir
l’économie rurale locale au travers de l’agriculture paysanne.
Zones économiques spéciales : vers l’accaparement des terres ? Cas de Maluku 277
Aussi, il convient de rappeler que les ZES ne constituent pas en soi une
première expérience de projets vastes d’industrialisation dans la région de
Maluku. De telles entreprises ont déjà été inaugurées en RDC sous le régime
Mobutu. Pour ce qui est de Maluku, tout part de la planification du barrage
d’Inga en 1963, qui offrait une opportunité à des investisseurs étrangers,
notamment italiens. Il s’en était suivi un grand projet près de l’embouchure
du fleuve Congo, à savoir la ZOFI (Zones franches d’Inga)16. En 1974, la
sidérurgie de Maluku (SOSIDER) fut lancée et développée en 1976, ce
qui justifia l’aménagement de 1300 maisons. L’implantation de l’usine
SOSIDER a considérablement marqué la commune de Maluku, principale-
ment dans sa zone centrale. Au début des années 1980, l’entreprise déclina
rapidement et son effectif fut réduit (RDC, Arteli 2012 : 50 ; Willame 1986 :
80-86 ; Bézy et al. 1981 ; M’bokolo 1987 : 80 ; Muissa 2005 : 10). La sidé-
rurgie a finalement été déclarée en faillite en 1982 en raison des options
catastrophiques levées par les décideurs lors de sa mise en place (Ntumba
2013 : 28). Globalement, la faillite de la sidérurgie de Maluku est attri-
buée à « sa gestion politique calamiteuse mêlant corruption, clientélisme,
affairismes, amateurisme, désordre parfois délibéré, absence de planifica-
tion, etc. Ce qui prouve qu’en même temps qu’on licenciait la main-d’œuvre
sous-payée, les décideurs zaïrois continuèrent à caser leurs ‘‘amis’’ ou les
élites kinoises surpayées et improductives » (Willame 1986 : 84). Willame
qualifie par la suite ces projets de grande envergure, s’inscrivant dans la
lignée d’Inga (ZOFI), de « prédation industrielle » (ibid.).
2.1. État des expropriations à Maluku
Au 31 juillet 2012, le Plan d’aménagement et de réinstallation dans
la ZES de Maluku, document de travail préliminaire émanant des experts
de la Banque mondiale et du Gouvernement, fait état d’environ 545 per-
sonnes éligibles à la réinstallation, en plus des 37 ayants droit. Dans ce
plan, 58 ménages étaient affectés par la perte d’une habitation principale
tandis que 37 perdaient des bâtiments hors habitation, en plus des cultures.
Il en ressortait que la surface cultivée perdue représentait 39 ha d’exploita-
tions agricoles et environ 20 ha de culture extensive. Le nombre d’arbres
productifs abattus s’élevait à environ 1600 alors que ceux-ci jouent un rôle
primordial dans le quotidien des paysans. Les autres pertes importantes
présentées dans ce plan sont respectivement les cimetières et le terrain de
football. Or, si ce terrain de football peut justement être considéré comme
16
Expansion de la Gécamines, sidérurgie de Maluku, la « Voix du Zaïre », le pont de Matadi,
la cimenterie nationale, le complexe agro-industriel de N’Sele, l’aéroport international de
Kisangani, le barrage de Mobaye, la Comingem, le Centre de commerce international du
Zaïre, etc.
278 Conjonctures congolaises 2016
remplaçable, ce n’est pas le cas des cimetières, qui ont une valeur symbo-
lique importante pour les paysans.
Il y a lieu de noter que ces chiffres n’intègrent que les étendues des petits
concessionnaires ; certains espaces détenus par de grands concessionnaires
fonciers le long du fleuve Congo ne sont pas répertoriés ici. Or, ces conces-
sions sont essentiellement exploitées par des paysans locaux à la recherche
de terres fertiles pour leur survie. Aussi, certains acteurs locaux beaucoup
plus fortunés les utilisent comme des espaces d’exploitation touristique à
l’instar du cadre du « Petit paradis » situé au bord du fleuve Congo avec une
importante biodiversité forestière17.
En outre, le maraîchage, la pisciculture (étangs artisanaux), la pêche
au bord du fleuve Congo et surtout l’élevage subissent de lourdes pertes
dont 24 fermes répertoriées dans la zone proche du village Maes, 5 fermes
proches de la zone d’Inkiene et 5 autres situées à proximité de la zone de
Camp Yayé (RDC-PAR : 7). Toutes ces pertes s’avèrent problématiques
pour l’économie locale des populations paysannes dans cette zone.
Il était prévu qu’une commission soit mise en place pour des investi-
gations détaillées. La commission avait pour mandat de dresser la liste des
concessions et édifices en supervision sur le site de la zone économique spé-
ciale de Maluku, d’identifier les titulaires des droits sur lesdits concessions
et édifices, de procéder à la vérification des titres fonciers et immobiliers et à
l’évaluation des concessions et édifices (Le Potentiel Online 2015). Cette com-
mission, nommée par arrêté ministériel n° 010/CAB/MIN.ATUHITPR/2013
et n° 002/CAB/MIN/AFF.FONC/2013 et datant du 15 juillet 2013, a présenté
ses conclusions en 2015, lesquelles réévaluent les chiffres issus du plan. Elle
a alors identifié un total de 190 parcelles et 23 concessions à exploitation
agricole et industrielle pour un coût s’élevant à 5 millions de dollars améri-
cains d’indemnisations (ibid.). Tandis que les besoins en terre (déplacement/
indemnisation d’environ 2500 personnes ; démolition et réfection de bâti-
ments ; structures fixes ; installations précaires ; indemnisation ressources
économiques et agricoles, etc.) étaient estimées pour une provision d’environ
9 378 771 de dollars selon le cadre de politique de réinstallation (Ministère
des Finances, Banque mondiale 2013 : 9).
2.2. Défaut d’indemnisations
Fin octobre 2015, le ministre de l’Industrie, Germain Kambinga, annon-
çait, au cours d’un point de presse à Kinshasa, le démarrage du processus
d’indemnisations des occupants du site abritant la ZES pilote de Maluku.
17
Biodiversité appelée à disparaître à l’avenir du fait de l’activité industrielle, et ce en dépit
des mesures de l’étude d’impact environnemental (Arteli 2012).
Zones économiques spéciales : vers l’accaparement des terres ? Cas de Maluku 279
Lors de ce point de presse, le ministre avait précisé que chaque bénéficiaire
serait indemnisé en fonction de la valeur de la portion de terre occupée
(Agence congolaise de Presse 2015). Cependant, aussitôt lancé, le processus
d’indemnisations a fait preuve d’irrégularités que nous relèverons au travers
des perceptions des paysans rencontrés au site de Maluku.
Rappelons tout d’abord que le cadre juridique des expropriations pour
cause d’utilité publique en RDC pose le principe général d’une indemnisa-
tion préalable (aux travaux à effectuer par l’acquéreur), juste et équitable.
En cas d’insatisfaction, il revient aux victimes de saisir les cours et tribu-
naux qui apprécieront à cet effet la portée juste et équitable de l’indemnité
offerte au cas par cas18. En général, les indemnisations pécuniaires sont pré-
férées, bien que les compensations en nature (terre) ne soient pas exclues.
Dans le cadre de la stratégie prônée par la Banque mondiale à travers les
mesures de la Politique opérationnelle de la Banque Mondiale en matière de
réinstallation (Politique opérationnelle 4.12.) dans laquelle la réinstallation
est priorisée, surtout lorsqu’il s’agit d’un retrait involontaire19 des terres20
provoquant une relocalisation ou une perte d’habitat, d’une perte de biens
ou d’accès à ces biens ou encore d’une perte des sources de revenu ou des
moyens de subsistance, que les personnes affectées aient ou non à se dépla-
cer sur un autre site. Nous estimons toutefois que la réinstallation n’exonère
pas l’accaparement des terres, surtout lorsqu’elle a lieu dans un contexte de
retrait involontaire des terres comme c’est le cas à Maluku. À ce sujet, un
éligible aux indemnisations du village Maes désapprouve la démarche en
ces termes :
« Je fustige l’intransigeance de l’État, qui agit sans se soucier de la stabilité
socio-économique que nous avons maintenue ici. Ce projet va bouleverser
notre situation. L’État n’a qu’à faire son projet ailleurs, comme à Nsele où
il a des parcelles, ou s’étendre à Bukanga-Lonzo et nous laisser tranquilles
ici. »
Il ressort du Plan d’aménagement et de réinstallation dans la ZES
de Maluku (RDC 2012a : 14) qu’outre la compensation monétaire21,
18
Loi n° 77-001 du 22 février 1977 portant expropriation pour cause d’utilité publique.
19
Aux fins de cette politique, « involontaire » signifie que les actions peuvent être entreprises
sans que les personnes déplacées donnent leur consentement en toute connaissance de
cause ni qu’elles aient la faculté d’exercer un choix.
20
« Terres » inclut tout ce qui pousse ou est édifié de manière permanente, tel que des
bâtiments ou des cultures.
21
Il ressort du cadre de politique de réinstallation (Ministère des Finances, Banque mondiale
2013 : 10) que les coûts relatifs aux indemnisations sont à la charge du Gouvernement,
tandis que la réinstallation qu’implique le projet est financée par le groupe de la Banque
mondiale.
280 Conjonctures congolaises 2016
la réinstallation pourrait suivre, en faveur d’une catégorie d’occupants22,
dans d’autres milieux, dont la colline surplombant la zone à occuper.
Alors qu’il a été lancé fin 2015 en grande pompe médiatique, le proces-
sus d’indemnisations a été suspendu au 1er semestre 2016 pour des raisons
non communiquées aux paysans. Ceci est problématique étant donné que
les paysans dont les terres sont actuellement en situation juridique d’expro-
priation ne perçoivent aucune indemnisation préalable au vu des travaux
du Marché international déjà entrepris. L’un d’entre eux, au quartier Maes,
nous fait part de son appréhension :
« Les travaux du Marché en construction de l’autre côté nous inquiètent.
Nous risquons de voir un jour nos parcelles englouties par d’autres projets-
surprises sans que l’indemnisation n’ait eu lieu. Vraiment ce pays manque de
planification, car nous ne savons plus la suite des indemnisations. »
2.3. Défi de communication et méfiance par rapport
à l’indemnisation
La situation à Maluku suscite un véritable défi de communication, en
raison, notamment, de l’incompréhension des populations affectées23. En
effet, dans les villages Maes et près du camp Yayé, peu de personnes sont
au courant du projet d’installation de la ZES dans leur milieu de vie, qui est
pourtant directement concerné par les acquisitions devant intégrer la ZES
de Maluku. Certaines personnes rencontrées ont même été surprises d’ap-
prendre l’existence du projet.
Au ruisseau maraîcher dit « Maziba », qui est un point vital pour les habi-
tants (agricultures familiales, lessive, maraîchages, puisages, pêches, etc.),
une dame a déclaré, en réponse à la question de savoir si elle était au courant
du projet de ZES intégrant ce ruisseau :
« Ce ruisseau appartient à la communauté et personne ne peut nous le spolier.
Nous avons vécu ici dans ce village depuis plusieurs années et personne n’a
osé nous inquiéter sur les activités que nous y accomplissons. Ce ruisseau a
toujours existé pour le bien de tout le monde et nous n’accepterons pas qu’il
nous soit exclu d’accès, car il nous aide dans plusieurs travaux ménagers et
alimentaires du quotidien. »
22
Au-delà des occupants ayant des titres formels, ce plan prend également en compte ceux
qui ont des revendications sur les terres qui sont reconnues coutumièrement, mêmes s’ils
n’ont aucune preuve écrite. Bien plus, le plan intègre ceux qui occupent des terres avant la
date butoir d’enregistrement et n’ont ni droits formels ni revendications reconnues sur ces
terres. Il s’agit d’habitants dits « allogènes », qui occupent de petites parcelles à Maes ou
Inkiene (PAR : 27-30).
23
Une stratégie de communication avait été définie en 2012 par le cabinet français Arteli
(annexe D du rapport de cadrage Arteli – juin 2012), mais son exécution ne s’est pas faite
de manière idoine.
Zones économiques spéciales : vers l’accaparement des terres ? Cas de Maluku 281
Une autre dame, nous indiquant l’emplacement de son champ maraîcher
situé non loin du ruisseau, a aussitôt renchéri :
« Ce ruisseau facilite mes cultures maraîchères sans quoi je serais mendiante,
car c’est à partir d’ici que je parviens à nourrir ma famille. Je suis prête à me
battre pour sauver ce ruisseau contre toute intrusion nous y limitant l’accès. »
Un rapport du Gouvernement congolais signifie, par ailleurs, que le
ruisseau Maziba participe au drainage naturel du site de Maluku et à l’écou-
lement des eaux du bassin versant dans le fleuve Congo. Il ajoute qu’afin
d’éviter des inondations lors des saisons des pluies, l’écoulement naturel de
ce ruisseau ne devra pas être interrompu par la ZES et devra être protégé par
une zone tampon. Il s’agit d’une bonne option, à supposer que le ruisseau
reste libre d’accès aux populations locales riveraines lors de la construction
des clôtures devant encercler la ZES de Maluku à l’avenir.
Certains habitants de la zone se rappellent toutefois d’une mission de
sensibilisation ayant eu lieu en 2012 relative à cette entreprise, mais ils pen-
saient que l’État aurait gelé son projet sur le site. Un habitant témoigne :
« Les gens de la Banque mondiale et du Gouvernement sont venus en 2012,
ils nous ont expliqué le projet qui allait s’implanter ici lors d’une réunion
publique à la SOSIDER. Leurs enquêteurs nous rassuraient en nous disant
que tout allait avoir lieu dans les mois qui suivraient, mais on n’a plus eu
de nouvelles et il nous semblait que le projet fut abandonné avant de voir
les travaux débuter pour le Marché en construction de l’autre côté, près du
fleuve, sur un terrain loti par l’État il y a quelques mois. »
Un autre habitant, informé de la suspension des indemnisations, nous a
fait part de la situation familiale en regard de ces mesures :
« Mon père n’ira plus accomplir les formalités d’indemnisation, car les
prix des parcelles ont galopé dans la commune et il n’espère plus avoir
l’opportunité d’une compensation équitable, surtout qu’il s’agit des champs
de la famille. »
Sur le terrain, nous avons appris que beaucoup de paysans se montraient
réticents à l’idée de céder leurs terrains en contrepartie d’une indemnisation.
En évoquant l’échec de la SOSIDER – une industrie qui fut lancée vers les
années 1970 et qui s’est avérée coûteuse en raison de la mauvaise gouver-
nance –, un paysan nous déclare :
« Cette sidérurgie de la SOSIDER, bien à côté, est tombée en faillite depuis
plusieurs années et les arriérés de nos salaires n’ont jamais été payés.
Pourquoi l’État congolais va expérimenter d’autres projets pharaoniques au
lieu de restructurer et de relancer cette industrie qui a déjà existé tout en nous
laissant libre accès à nos terres ? »
282 Conjonctures congolaises 2016
La voisine du paysan, qui suivait notre échange, intervient : « Tika
makambo oyo ya ba politiciens », ce qui signifie en lingala « laissez ces
affaires de politiciens congolais ». Nous lui avons alors demandé son avis
sur le fait que ce projet de ZES permettrait la création d’emplois ; voici sa
réaction :
« J’ai un champ non loin d’ici qu’ils projettent de me prendre. J’y cultive
depuis longtemps des produits maraîchers et je parviens déjà à nourrir ma
famille et à faire scolariser mes enfants ; quel emploi parviendront-ils à me
donner, moi qui n’ai pas eu accès à de grandes études ? »
3. Conflits latents et frustrations au sein de la population
Les conflits latents et les frustrations inavouées des populations, soumises
à un climat d’incertitude et à la peur du lendemain face aux expropriations
grevant leurs terres, se font ressentir. À titre illustratif, un habitant du village
Maes nous a confié :
« Au début de la campagne d’indemnisations et lors des enquêtes de la
commission du Gouvernement, il nous a été dit que le moins indemnisé
aurait 5000 dollars au minimum24. Aujourd’hui, le Gouvernement propose
aux gens moins que cela en se fondant sur des données physiques non
actualisées25. On ne nous donne pas de choix, comme si l’État c’est un dieu.
Les parcelles sont devenues chères ici et la vie de plus en plus difficile. Il
faut que la fixation de ces montants tienne en compte les promesses des
experts du Gouvernement et de la Banque mondiale faites en 2012 et 2013. »
La pratique engagée dans le processus d’indemnisations semble présager
l’inexistence de règles claires par rapport aux montants des indemnisations,
qui semblent s’être écartées de la logique du Plan d’aménagement et de
réinstallation (RDC 2012a) et du cadre politique de réinstallation (Ministère
des Finances 2013). Cette situation mène à des soupçons de malversations
dans le processus amorcé. En effet, lors de notre passage à Maluku, en
août 2016, les indemnisations avaient déjà été suspendues, selon plusieurs
sources sur place. Ces déclarations ont été confirmées par la CAZES.
Les administratifs locaux (commune de Maluku et quartiers concer-
nés), qui semblent jouer l’interface avec les services compétents
(notamment la bureaucratie basée au centre-ville de Kinshasa, à plus de 70 km),
24
Dans le plan de 2012, il était justement prévu une somme de 6800 dollars par personne
réinstallée (à titre de prévision, en attendant le rapport détaillé de la commission ad hoc,
lequel fut présenté en 2015 avec appréciation au cas par cas).
25
Monsieur Auguy Bolanda, coordonnateur de la CAZES, nous affirmait déjà, fin 2015,
que l’indemnisation se fera selon la valeur de l’étendue du terrain exproprié et que toute
personne aura droit à 50 dollars ou son équivalent en francs congolais par m2.
Zones économiques spéciales : vers l’accaparement des terres ? Cas de Maluku 283
se retrouvent dépassés par les enjeux financiers en place. Au bureau du
quartier Manguenguengue, deux d’entre eux se plaignent de la superpuis-
sance de l’État, qui met de côté les véritables propriétaires du sol. Selon
eux, les « chefs coutumiers téké » du groupement Nguma ont été écartés
des mesures d’indemnisations. Ils nous ont par ailleurs déclaré que des cas
de non-liquidité à la Banque26 et d’omissions parmi les personnes censées
bénéficier de l’indemnisation avaient eu lieu, sans qu’une explication ne leur
soit donnée. Nos tentatives menées dans les administrations de Kinshasa
pour accéder à la liste officielle des personnes éligibles aux indemnisations
ont été vaines. Il nous a semblé clair que les enjeux financiers liés à l’admi-
nistration des indemnisations sont très grands et se concentrent au niveau
des autorités nationales à Kinshasa. Les habitants de Maluku, qui perdent
leurs terres et se voient délaissés par l’administration, sont ainsi tout à fait
déboussolés27.
Dressant le bilan de son action ministérielle en décembre 2016, le ministre
de l’Industrie Germain Kambinga a implicitement confirmé le malaise lié
aux indemnisations de la ZES Maluku en ces termes : « l’indemnisation a
concerné 181 concessions affectées par la mise en place de la ZES. À ce
jour, le taux d’exécution du PAR est de 72 %. Il reste à poursuivre l’indem-
nisation des maraîchers en bouclant le budget y afférent d’un montant de
283 500 dollars et convaincre les concessionnaires expropriés récalcitrants
à adhérer au processus d’indemnisation de la ZES » (Le Soft international
6 décembre 2016).
S’agissant du Marché international déjà en construction, un activiste local
d’une association paysanne, rencontré non loin des ruines de la SOSIDER,
nous a, quant à lui, donné son avis sur le Marché :
« Même nous, les représentants locaux, n’accédons pas à ce chantier du
Marché international, qui s’exécute en toute exclusion des populations
locales, ne serait-ce que pour savoir ce qui s’y passe et l’évolution
26
Fin 2015, lors du lancement du processus d’indemnisation à l’hôtel Venus de Kinshasa,
la ministre de l’Industrie Germaine Kambinga avait précisé dans son point de presse que
l’argent destiné à l’opération d’indemnisations à Maluku était logé dans un compte à la
BIAC (Le Potentiel 30 octobre 2015). Au cours du premier semestre de l’an 2016, cette
banque a été déclarée en situation de faillite par la Banque centrale du Congo. Ceci tend à
soutenir le témoignage recueilli ici.
27
À la cellule d’appui au projet des ZES, on nous fait état d’un arrêté ministériel fixant le
barème, les conditions et même la liste des éligibles aux indemnisations, tout en nous
renvoyant expressément au service du Journal officiel, sans autres détails. Au Journal
officiel, on nous a demandé de retourner au ministère de l’Industrie (secrétariat général)
pour y chercher la référence de l’arrêté. Au secrétariat général, on nous a renvoyé au
cabinet politique du ministre, auquel nous ne nous sommes finalement pas rendus (il s’agit
de souligner que la cellule d’appui aux ZES d’où nous sommes partis est rattachée à ce
cabinet).
284 Conjonctures congolaises 2016
des travaux, et ce malgré nos tentatives ayant consisté à accompagner les
demandeurs d’emploi. Ceci interpelle déjà ; pensez-vous que les pauvres
citoyens accéderont à la zone quand ce sera un grand complexe modernisé ?
En plus, ils disent à la radio que ce marché sera ouvert aux populations, mais
ils ne tiennent pas compte du fait que ces populations sont d’un revenu très
faible et vivent de ces terres qu’ils projettent d’aménager au bénéfice des
personnes riches qui viendront du centre-ville. »
Il est à noter que le terrassement et la construction des principaux bâti-
ments dudit Marché ont commencé sans étude d’impact environnemental et
social préalable28.
4. Incertitude et impasses quant à la poursuite du projet
Les impasses et l’incertitude concernant la poursuite du projet renforcent
la peur du lendemain précédemment évoquée. Parler de « poursuite » nous
semble déjà malaisé, car à ce jour, les travaux peinent à commencer, en dépit
du chantier du Marché international.
Les personnes que nous avons approchées semblent méfiantes et consi-
dèrent ce projet comme un nouvel éléphant blanc, à l’instar des expériences
ratées dans la région vers les années 1970 (SOSIDER). Les hésitations qui
s’en dégagent et la qualité de la gouvernance en général alimentent ces
inquiétudes. En effet, sur la route vers le Marché en construction, seul indice
des aménagements en cours sur le site de Maluku, notre chauffeur, un habi-
tant d’une quarantaine d’années, nous a déclaré en lingala :
« Ce projet peut s’arrêter à tout moment, car les politiciens congolais
manquent souvent de vision claire. Le panneau de la ZES date de 2012, mais
c’est seulement aujourd’hui qu’ils commencent timidement les travaux. À
l’instar de l’usine de la SOSIDER, qui est en ruine depuis longtemps, je ne
suis pas certain que celui-ci aboutisse malgré l’implication des “ingénieurs
étrangers” qui y travaillent. Pour moi, tout cela c’est des projets politiques
pour bouffer l’argent du pays sans pérennité pour les générations futures et
sans impact sur la vie des petits paysans pauvres que nous sommes. »
Rappelons que l’agence des zones économiques spéciales (AZES) ne
dispose pas, à ce jour, d’animateurs ; sans moyens politiques ni aménageur
concluant, elle reste au point mort29. Seule la cellule d’appui aux zones
28
Un plan dit « de gestion environnementale et sociale » n’a été publié que plus d’une année
après le début des travaux (RDC : août 2016) sans associer les populations locales dans son
élaboration, bien qu’il fasse référence à celles-ci.
29
Le 4 mars 2016, à l’Hôtel du Gouvernement de Kinshasa, le ministre de l’Industrie et
l’ADG du Fonds de Promotion de l’industrie (FPI) ont signé un contrat-programme
pour l’opérationnalisation des ZES en RDC. Dans ce contrat, le FPI fut désigné comme
Zones économiques spéciales : vers l’accaparement des terres ? Cas de Maluku 285
économiques spéciales (RDC, CAZES 2012) fonctionne provisoirement
à Kinshasa dans un contexte politique d’instabilité gouvernementale où
son action juridique demeure limitée. Entre-temps, les autres États qui ont
expérimenté les ZES en même temps que la RDC ont débuté l’exploitation
effective, comme c’est le cas de Nkok, au Gabon.
5. Les populations ni vues ni connues
Sur le terrain, on rencontre une catégorie de population constituée essen-
tiellement de marginaux méconnus (militaires et femmes de militaires,
paysans pauvres travaillant sur les terres de grands concessionnaires, pay-
sans installés sur les terres des chefs coutumiers locaux, etc.). Ces individus
ne disposent d’aucun droit formel sur les terres, mais vivent dans la zone ou
à proximité. Leur subsistance est intimement liée aux ressources de celle-ci.
Ils vivent principalement de l’agriculture et pratiquent accessoirement la
pêche et l’élevage.
N’ayant pas été enregistrées en 2012 ni en 2013, et ignorées des projets
d’indemnisations, ces personnes en marge subissent directement l’accapare-
ment des terres qui emporte leurs ressources vitales. Nous avons rencontré
deux paysans cultivant des champs maraîchers depuis plusieurs années non
loin du camp Yayé, au sein du site de la ZES. Ceux-ci nous ont confié leur
inquiétude :
« Il ne s’agit pas pour moi de trouver où aller30, mais de trouver quoi faire
pour survivre. Je suis sentinelle de ces terres et mon patron, qui en est le
propriétaire, habite au centre-ville et ne m’exige rien. Grâce à l’exploitation
agricole que j’y accomplis, je nourris ma famille et je vends au marché du
port de Maluku des légumineuses en surplus. Si on nous exclut de ces terres,
ce sera la pauvreté à l’extrême. »
Le deuxième témoin, une paysanne, nous a déclaré :
« J’ai été expulsée de Brazzaville en 2013 et je suis revenue à Kinshasa avec
ma famille sans aucun bien. Avec quelques personnes dans ma situation,
je suis venue ici parce que le Gouvernement nous a abandonnés. Mais
l’intervention de ma tante, qui est proche des chefs locaux, a facilité mon
installation. Je peux cultiver et nourrir ma famille ici. »
aménageur, mais cet organisme public rencontre actuellement de sérieuses difficultés de
trésorerie suite à d’importants crédits non remboursés à ce jour, en raison notamment
de la mauvaise gouvernance impliquant certains officiels (RDC, Rapport d’enquête
parlementaire du 18 novembre 2015).
30
Ce dernier vit à proximité de la ZES. Tandis qu’il exploite en qualité de gardien les
parcelles de grands concessionnaires terriens qui, eux, seront indemnisés, ce paysan ne
pourra bénéficier du même traitement puisqu’il ne détient pas de terres.
286 Conjonctures congolaises 2016
De passage à Inkiene, trois femmes de militaires et paysannes ont égale-
ment exprimé leur peur de se voir écartées des petites exploitations situées
dans la ZES. Afin de suppléer les conditions sociales et salariales déplo-
rables de leurs maris, elles recourent à la petite agriculture familiale pour la
survie de leurs ménages. Elles nous ont assuré être nombreuses dans cette
situation.
Conclusion
Dans l’optique de l’émergence prônée par la RDC à l’horizon 2030, l’in-
dustrie est considérée comme l’un des secteurs prioritaires pour amorcer
une évolution bénéfique. En effet, le modèle des pôles de croissance que
constituent les parcs agro-industriels (tels que le parc de Bukanga-Lonzo31,
déjà opérationnel) et les ZES (telles que la zone pilote de Maluku, en phase
d’implantation) illustrent cette volonté politique.
L’apurement des litiges fonciers étant la phase préalable du projet de
ZES à Maluku, il est nécessaire qu’il soit respecté dans son expression
la plus large, complété par le cadre du groupe de la Banque mondiale tel
qu’il ressort de sa Politique opérationnelle mise en place en 2001(Politique
opérationnelle 4.12.) La loi dite foncière32 a posé le principe de la doma-
nialité publique (sorte d’étatisation des terres) en affirmant que « le sol est
la propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l’État ». Cette loi
n’est pas sans conséquence sur le sort de la paysannerie, dans le contexte
contemporain de l’avènement des ZES portées par l’État et ses partenaires
économiques. En effet, elle proscrit la propriété privée en RDC (Nobirabo
2009 ; Utshudi 2009). Les terres jadis occupées par les communautés
locales pour l’habitation, l’exploitation agricole individuellement ou col-
lectivement, conformément aux coutumes et aux usages locaux, sont ainsi
devenues propriétés de l’État.
Si la ZES pilote de Maluku est aujourd’hui présentée comme un pro-
jet pilote, catalyseur d’autres expériences à venir, il y a lieu de remarquer
qu’elle s’inscrit dans un environnement physique marqué par une triste
31
Eric Tollens rappelle à son tour l’inquiétude quant au devenir de l’agriculture familiale
(paysannerie) face à l’industrialisation agricole en évoquant le parc agro-industriel de
Bukanga-Lonzo (Tollens 2015).
32
Tout a débuté en 1966, lorsque Bakajika a fait une proposition d’ordonnance-loi stipulant
que l’État récupère la plénitude de toute sa souveraineté sur son sol et son sous-sol. C’est
dans la lignée de cet esprit que l’Assemblée nationale va adopter en 1973 la loi n° 73/021
du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime
des sûretés en exécution des principes directeurs du Bureau politique du Mouvement
populaire de la Révolution-MPR.
Zones économiques spéciales : vers l’accaparement des terres ? Cas de Maluku 287
expérience d’industrialisation passée (SOSIDER, ZOFI, etc.). Le projet de
ZES en général, et celui de Maluku en particulier, doivent dès lors tirer les
leçons des vaines tentatives d’industrialisation déjà entreprises, lesquelles
se sont avérées catastrophiques pour l’État congolais. Jean-Claude Willame
parle à ce titre d’une « prédation industrielle », qui s’inscrit dans la lignée
de « l’épopée d’Inga ». Ces tentatives infructueuses d’industrialisation,
qualifiées « d’éléphants blancs », ont largement contribué à la longue crise
économique dont les effets se font encore ressentir à ce jour (chômage,
extraversion de l’économie, dette publique, etc.). Pour reprendre l’expres-
sion de Benoît Verhaegen, ces entreprises d’industrialisation s’apparentent à
des « safaris industriels ». L’expression caricature en effet la complaisance
« touristico-affairiste » des individus proches du pouvoir et du bureau de
la Présidence de la République de l’époque, véritables organes de décision
économiques du pays, à en croire la thèse de Désiré Ikanga-A-Mponga
(2014 : 196).
Aussi, l’expérience de Maluku tend à démontrer les dangers que pré-
sentent les ZES, qui, par l’accaparement des terres, sont susceptibles de
générer des conflits fonciers au niveau local si certains préalables33 ne sont
pas sérieusement pris en compte. Dans le cas contraire, les ZES risquent de
se voir assimilées à des mythes d’investissements fonciers. En effet, il existe
une série de mythes sur les investissements fonciers, résultant largement des
discours promus par le groupe de la Banque mondiale (Borras & Franco
2013 : 5). Le premier mythe tient à l’existence de terrains sous-utilisés, pré-
sentés comme « vides », « marginaux », « inactifs » ou encore « dégradés ».
En réalité, non seulement de tels terrains n’existent pas, mais de plus, nom-
breux sont les investisseurs qui acquièrent des terres de première qualité.
Le deuxième mythe prétend que l’agriculture nécessite des investissements,
notamment étrangers, mais dans les faits, la majeure partie de l’investisse-
ment dans l’agriculture est entreprise par les agriculteurs eux-mêmes, qui,
dans de nombreuses régions en développement, produisent la plupart des
aliments consommés localement. Le troisième mythe prédominant insiste
sur la nécessité de transactions foncières à grande échelle pour faire face aux
pénuries (alimentaires et pétrolières), alors que le système bénéficie de suf-
fisamment de denrées alimentaires pour nourrir tout le monde ; le problème
tient avant tout à la mauvaise gestion de ces ressources (coûts, gaspillages,
pertes de récoltes et reconversion des terres aux industries de denrées non
alimentaires). Enfin, le quatrième mythe soutient l’aspect bénéfique des
transactions foncières tant que celles-ci reposent sur des droits de propriété
33
Il s’agit par exemple des pertes en termes de biodiversité, de l’usage du territoire par
les populations locales au-delà des questions de propriété, de l’organisation politique
territoriale réelle et du rôle que les chefs coutumiers y jouent, de la politisation, et des
risques de détournement des fonds d’indemnisations, etc.
288 Conjonctures congolaises 2016
formels. Dans le contexte actuel de l’accaparement des terres, la sécurité
foncière réfère toutefois le plus souvent à la sécurité du capital transnational
investi dans le foncier.
Les quatre mythes sur les investissements fonciers sont lisibles dans le
discours véhiculé depuis 2008 par les documents officiels du Gouvernement
et de la Banque mondiale sur la question. Ces discours ne peuvent être réa-
listes que si les intérêts immédiats de la paysannerie sont préalablement
protégés. Or, comme on le constate à Maluku, la paysannerie est totalement
écartée et demeure en marge des opérations, en dépit de la réinstallation
hypothétique, qui du reste ne pourra jamais se substituer à l’agriculture pay-
sanne. Dans la mesure où la paysannerie dispose encore des ressources qui
peuvent favoriser l’enrichissement du capital (Peemans 2016 : 147), toute
réforme agraire viable devrait s’accompagner préalablement de la recon-
naissance des droits des populations autochtones ou des paysans. Ceux-ci
pourraient ainsi engager la réappropriation de leurs territoires et des mar-
chés éthiques, revendications actuelles des mouvements sociaux et des orga-
nisations de la société civile (Castaneda et al. 2014 : 17).
Nous restons par ailleurs sceptiques quant à l’option politique des ZES
en regard de l’économie de la RDC, présentant un taux de pression fiscale
trop faible. Dans l’état où elle se trouve, la RDC ne pourrait se permettre de
perdre des recettes fiscales et douanières en vue d’attirer des investisseurs
directs étrangers. La situation est d’autant plus délicate que l’accaparement
des terres engendrerait un déséquilibre du bien-être local, particulièrement
dans le monde rural, qui représente plus de 60 % de la population. Ceci
est préoccupant pour l’avenir d’un pays « où le secteur rural, bien qu’en
crise, car “non capturé” demeure la pierre angulaire de l’économie congo-
laise avec l’agriculture comme fer de lance. L’agriculture rurale occupe une
grande part de la population et sa contribution à la croissance du PIB est
estimée à 1,1 et 1,2 de moyenne au cours des cinq dernières années, juste
après le secteur minier et un peu à la hauteur du commerce » (Banque cen-
trale du Congo 2013 citée par Ngalula 2016 : 75).
L’agriculture paysanne n’est pas encore apte à nourrir la population
congolaise, car elle n’est pas encadrée et ne bénéficie pas des conditions
infrastructurelles nécessaires à son épanouissement depuis plus de cin-
quante ans (Peemans 2016 : 147). À ce jour, l’agriculture industrielle en
Europe est de plus en plus remise en question en raison de ses méfaits,
notamment sur la santé (perturbateurs endocriniens et autres maladies
toxicologiques) et sur l’environnement. L’émergence de l’agriculture dite
« biologique » (proche des pratiques paysannes locales de la RDC mal-
heureusement non labélisées) impose aux décideurs congolais une réflexion
profonde sur les politiques d’industrialisation telles que les ZES, qui entraî-
nent de loin ou de près une « mort programmée » de la petite paysannerie.
Les sommes colossales investies dans les ZES seraient plus profitables si
Zones économiques spéciales : vers l’accaparement des terres ? Cas de Maluku 289
elles permettaient de générer des économies locales prospères sur l’en-
semble des 145 territoires ruraux que compte le pays.
Ainsi, la paysannerie doit survivre et ses espaces agricoles doivent être
préservés, car « la terre est une composante essentielle des ‘‘territoires de
vie’’ des mondes paysans » (Peemans 2016 : 117). L’importance de la paysan-
nerie est réaffirmée, notamment par les compétences des paysans, véritables
acteurs et générateurs du développement durable. Elle constitue donc un
levier majeur du développement et de la souveraineté alimentaire (ibid.), à
condition que l’État privilégie des politiques fortes pour son encadrement.
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Quel avenir pour les ménages maraîchers ?
Claudine Dumbi1, Benoît Lallau2, Alphonse Roger Ntoto M’vubu3
Introduction
Les membres des ménages maraîchers des quartiers périphériques de
Kinshasa et de Mbanza-Ngungu (à 150 km de la capitale congolaise) peu-
vent être qualifiés de « petits paysans périurbains ». « Paysans », car ils
présentent des caractéristiques souvent attribuées à la paysannerie : étroite
imbrication de la famille et de l’exploitation agricole, ancrage local, partage
entre individualisation des pratiques et intégration dans des dynamiques
collectives, relations souvent conflictuelles avec la société englobante, etc.
« Petits », car l’activité maraîchère, aussi structurante qu’elle soit, reste pour
la majorité une activité de survie. Beaucoup d’entre eux considèrent ainsi le
maraîchage comme un substitut aux autres activités, dans le contexte de crise
multiforme de la RDC. C’est le « mayélé », la capacité à la « débrouille »
caractérisant les ménages congolais, qui fait émerger cette catégorie que
constituent les néomaraîchers périurbains.
Mais, bien que « néo », ces maraîchers ont-ils un avenir ? Autrement
dit, ce chapitre s’interroge sur la capacité des ménages maraîchers à faire
face à l’adversité et à améliorer tant leurs conditions d’existence que leurs
capacités productives. Notre étude porte donc, d’une part, sur l’identifica-
tion de l’adversité à laquelle les ménages maraîchers sont confrontés, et,
d’autre part, sur les pratiques adoptées pour y faire face, tant individuel-
lement que par des mobilisations collectives. L’ampleur de cette adversité
nous conduit donc à interroger la capacité des ménages à maintenir leur
activité de maraîchage, tout en envisageant les conditions d’un tel maintien
et celles permettant un dépassement du stade de la survie.
Pour ce faire, nous présentons, dans un premier temps, quelques éléments
contextuels d’un maraîchage dit de « survie », les concepts mobilisés et la
méthodologie du travail mené sur deux villes congolaises. Une deuxième
section propose une caractérisation des ménages maraîchers, fondée sur
les revenus dégagés. Une troisième section présente les différents risques,
1
Docteur au Clersé, Université de Lille.
2
Maître de conférences HDR, Clersé, Université de Lille.
3
Professeur, Université de Kinshasa.
294 Conjonctures congolaises 2016
commerciaux, productifs, familiaux, et une quatrième section expose les
pratiques adoptées par ces ménages pour y faire face. Enfin, la dernière sec-
tion se concentre sur la principale incertitude vécue, l’insécurité foncière,
qui hypothèque l’avenir d’une majorité de ces ménages maraîchers, en dépit
de tentatives de mobilisations collectives.
1. Étudier le maraîchage en RDC : éléments de cadrage
1.1. L’importance d’une agriculture urbaine et périurbaine
En dépit de son potentiel agricole important, la RDC n’arrive pas à satis-
faire la demande alimentaire intérieure et importe de nombreuses denrées
agricoles. Le pays recourt à des importations massives, lesquelles ne per-
mettent pas de réduire la prévalence de l’insécurité alimentaire. Lebailly
et al. (2015) certifient que ces importations de produits alimentaires ont
aujourd’hui pour effet de couper les producteurs agricoles congolais des
marchés principaux pour la vente de leurs produits, ce qui a entraîné une
baisse de la productivité agricole, la grande majorité des producteurs ayant
opté pour une stratégie d’autosuffisance, ne commercialisant que le surplus
occasionnel de leur production. Bien qu’il soit très difficile d’obtenir des
statistiques fiables en la matière (WFP 2014), il apparaît que la capitale
congolaise n’échappe pas à ce problème d’insécurité alimentaire. Il est
depuis fort longtemps difficile de se nourrir dans Kinshasa, tant du fait du
manque de revenus que des problèmes d’approvisionnement. Le maraî-
chage constitue, dès lors, une modalité de réponse essentielle pour pallier
ce manque ; il est à la fois source de revenus pour les sans-emploi et source
d’approvisionnement de proximité pour les urbains. Il peut ainsi être quali-
fié de pratique de survie, dans la mesure où il assure la subsistance de ceux
qui en vivent et de ceux qu’il permet de nourrir (Lallau & Dumbi 2007a).
Si le maraîchage a commencé à prendre une certaine ampleur avec l’urba-
nisation, il n’était toutefois pas considéré comme une activité de subsistance
par la population. Les maraîchers pratiquaient cette activité non pas pour
leur alimentation, mais pour la vente aux Européens, chez qui l’écoulement
était assuré immédiatement après la récolte. Ainsi, le centre maraîcher de
Kimbanseke a été créé par un Belge, Voldeken, avec comme mission prin-
cipale l’approvisionnement des expatriés belges en légumes frais. À Ndjili
fut aussi créé un centre de commercialisation de produits maraîchers et frui-
tiers (CECOMAF) grâce à la coopération française. Depuis lors, beaucoup
de projets se sont succédé pour appuyer le centre, dont, en 1987, le projet
d’appui aux associations de maraîchers de Kinshasa (PASMAKIN), chargé
de l’encadrement des maraîchers.
Cette activité a également été adoptée en dehors de Kinshasa. À Mbanza-
Ngungu (Bas-Congo), les cultures maraîchères ont été initiées un peu avant
Quel avenir pour les ménages maraîchers ? 295
1940, sous l’impulsion de colons belges et avec le soutien des autorités. Les
colons imposaient cette activité aux habitants des villages voisins dans le
but de ravitailler les expatriés. D’activité destinée à satisfaire les besoins en
légumes frais de quelques élites, le maraîchage est devenu progressivement
une activité essentielle à la survie tant des producteurs que des consom-
mateurs. En outre, si le maraîchage était autrefois presque exclusivement
réservé aux femmes (Mianda 1996), il est désormais pratiqué par une majo-
rité d’hommes, alors que les opportunités d’emplois se sont raréfiées dans
les activités industrielles et de service.
Cette pratique s’opère en pleine ville, dans les moindres espaces libres
(en bordure d’artères routières et parfois même dans les parcelles d’ha-
bitation), comme dans les zones périphériques qu’offrent notamment
Mbanza-Ngungu, moins contraintes par l’espace disponible. En 2001,
Kinkela estimait à quelque 30 000 le nombre de maraîchers à Kinshasa
même (Kinkela 2001). L’absence de statistique fiable ne permet pas d’ac-
tualiser cette donnée, mais l’importance de cette activité pour la sécurité
alimentaire, la création d’emplois et de revenus conduit les organisations
internationales et les pouvoirs publics à tenter de la soutenir.
Depuis l’an 2000, le Service national d’appui au Développement de l’Hor-
ticulture urbaine et périurbaine (SENAHUP) travaille avec des associations
professionnelles de maraîchers afin de répondre à la demande croissante en
légumes et fruits. Il intervient également à Mbanza-Ngungu, sous l’appella-
tion « HUP » (Projet d’appui au développement de l’Horticulture urbaine et
périurbaine), avec la même mission. Citons encore les activités du Réseau
de l’Agriculture urbaine de Kinshasa (RAUKIN), qui se conçoit comme une
plateforme de réflexion et de coordination des activités maraîchères tout en
soutenant la lutte contre l’insécurité alimentaire. Le maraîchage apparaît
donc bel et bien comme une illustration de la « débrouille » des Congolais
(Trefon 2004), qui sont confrontés à une crise prolongée. Mais la ques-
tion se pose : le maraîchage peut-il dépasser le stade de la « débrouille » ?
Autrement dit, peut-il permettre aux maraîchers d’améliorer leurs condi-
tions d’existence actuelles et à venir ? Notre analyse tend à répondre à ce
questionnement, en se focalisant sur l’avenir des producteurs.
1.2. Cadrage conceptuel
C’est par le prisme d’un cadre conceptuel inspiré des sustainable live-
lihoods et fondé sur la notion de vulnérabilité, que nous approchons, dans
un premier temps, la problématique. Ce cadrage s’applique à ce que nous
appelons le « ménage maraîcher », un ménage dont, d’une part, le chef est
lui-même maraîcher – et non un salarié ou un manœuvre agricole – et qui,
d’autre part, tire l’essentiel de ses revenus de cette activité. Le maraîchage
n’est donc pas pratiqué ici par souci d’autosubsistance (même s’il peut
296 Conjonctures congolaises 2016
contribuer à l’alimentation du ménage), mais essentiellement dans le but
de générer des revenus ; il constitue le pivot des moyens d’existence (ou
livelihoods) du ménage.
1.2.1. Les moyens et conditions d’existence du ménage
Nous mobilisons ici la notion de livelihood, ou « moyen d’existence » :
« A livelihood comprises the capabilities, assets (stores, resources, claims
and access) and activities required for a means of living » (Chambers &
Conway 1991 : 6). Les moyens d’existence sont considérés comme durables
lorsqu’ils permettent aux individus de limiter leur vulnérabilité : « A liveli-
hood is sustainable which can cope with and recover from stress and shocks,
maintain or enhance its capabilities and assets, and provide sustainable
livelihood opportunities for the next generation, and which contributes net
benefits to other livelihoods at the local and global levels and in the short
and long term » (ibid.). Ellis et Wlodehama (2005) lient explicitement les
livelihoods à la résilience, considérant cette dernière comme « livelihood
security ». Ils l’opposent ainsi à la vulnérabilité, entendue comme une insé-
curité de ces moyens d’existence.
Le dernier développement en date de cette approche, qui fait écho à la
problématique abordée ici, est celui des « secure livelihoods ». Il s’agit alors
d’étudier des situations où il ne peut être question de soutenabilité, puisque
les moyens d’existence sont affectés par un conflit, par une crise prolon-
gée, ou par une menace particulièrement marquée, foncière par exemple
(Carpenter et al. 2012). Ceci nous renvoie aux situations observées au sein
du maraîchage congolais, et donc à notre questionnement, celui de la possi-
bilité de perpétuer cette activité face à l’adversité.
Notre grille d’analyse peut donc se formuler ainsi : les moyens d’exis-
tence d’un ménage nécessitent une combinaison d’actifs ainsi qu’un système
d’activités et d’agencement. Il convient tout d’abord de disposer d’actifs
matériels et immatériels, évalués tant en termes de dynamiques de dota-
tions (capitalisations/décapitalisations) qu’en termes de conditions d’accès,
afin d’intégrer les questions de pouvoir et d’institutions. Un système d’ac-
tivités permet d’articuler l’activité principale, que constitue le maraîchage,
aux éventuelles autres activités productives du ménage (élevage, trans-
formation, commerce, travail salarié, etc.). Avec une certaine dynamique
d’agencement des membres du ménage, la dimension individuelle peut être
prise en compte (les aspirations et perceptions de chacun, notamment par
rapport aux risques) ainsi que la dimension collective, ce qui implique des
modalités de coordination et de décision au sein de ce collectif élémentaire
que représente le ménage. Ces moyens d’existence autorisent, dès lors, la
mise en œuvre de stratégies susceptibles de favoriser les conditions d’exis-
tence des ménages.
Quel avenir pour les ménages maraîchers ? 297
1.2.2. La vulnérabilité du ménage
Le contexte de crise que connaît la RDC nous conduit à mobiliser la
notion de vulnérabilité dans le cadre de notre analyse. Ce recours est récur-
rent en sciences sociales (Revet 2011), même si la notion de vulnérabilité a
connu une forme de glissement, du politique au technique, de la radicalité
à l’apparente neutralité d’une science économique concentrée sur un sujet
abstrait. Ainsi, sa portée macrosociale s’est largement estompée durant les
années 2000, alors que les économistes s’en emparaient en l’abordant essen-
tiellement dans une perspective microéconomique, comme extension en
dynamique des analyses de la pauvreté (Lallau 2008). Les individus devant
faire face aux risques se heurtent souvent à l’impossibilité d’agir lorsqu’ils
se situent en dessous du seuil de pauvreté (Dercon 2005).
Figure 1 : les pratiques du ménage, du fatalisme
à l’engagement politique
Source : Lallau & Droy 2014.
La vulnérabilité, entendue comme la fragilité structurelle des ménages
face à l’adversité, est analysée au travers de trois dimensions distinctes :
l’évolution des moyens et conditions d’existence, l’impact de l’environne-
ment économique et institutionnel ainsi que la nature et les résultats des
pratiques permettant de « faire face ». Ces pratiques peuvent alors être ana-
lysées de manière un peu moins technique et plus politique. Il s’agit, en
particulier, d’ajouter aux actions individuelles des pratiques collectives afin
de passer d’une acceptation fataliste de l’adversité à un engagement dans
des mobilisations collectives. Le « faire avec » combine une volonté de
continuité des activités du ménage, un ajustement à la baisse de ses aspi-
rations, une diversification défensive, des restrictions au sein du ménage,
etc. La « débrouille » relève ainsi d’une adaptation au quotidien (Lallau &
Dumbi 2007b). Le « mayélé » de Kinshasa constitue à ce titre une réponse
adaptée à l’adversité, en cela qu’il permet de tirer parti de ce qui semble
accessible à court terme, sans remettre en question les causes structurelles
de cette adversité. La rupture allonge l’horizon temporel de l’adaptation,
puisqu’elle induit un changement d’activité dominante, de mode de vie,
298 Conjonctures congolaises 2016
de lieu de résidence. Mais la capacité à affronter l’adversité passe aussi par
une action collective, tantôt d’ordre technico-économique (s’organiser pour
commercialiser, acheter, etc.), tantôt d’ordre politique (défendre des intérêts
ou des droits partagés, lutter contre les causes structurelles de l’adversité).
1.2.3. Options méthodologiques
Ce cadre conceptuel a orienté le travail de terrain mené dans deux zones
distinctes, représentatives de la dualité du maraîchage approvisionnant
majoritairement le marché de Kinshasa. Il s’agit d’une part, bien évidem-
ment, des sites maraîchers de la province de Kinshasa, et d’autre part, de
ceux de Mbanza-Ngungu, dans le Bas-Congo, à quelque 150 km du centre
de la capitale. À Kinshasa, nous avons retenu les sites maraîchers de Funa,
Kimbanseke, Kimwenza, Lemba Imbu et Tshuenge, car ils sont comptés
parmi les sites qui approvisionnent le plus la ville de Kinshasa en légumes
frais. Et à Mbanza-Ngungu, nous avons visité les sites de Loma et Zamba,
car ce sont les deux grands sites qui approvisionnent certes Mbanza-Ngungu,
mais aussi et surtout Kinshasa, et au-delà, la ville de Matadi, le Kabinda et
l’Angola. Notre étude s’est déroulée de la mi-février à la mi-mai 2014 et de
début janvier à fin mars 2015. Elle s’est opérée en trois étapes : des entre-
tiens collectifs, des entretiens avec des chefs coutumiers et des personnes
ressources, et enfin, des questionnaires individuels.
Deux entretiens collectifs ont été organisés sur chaque site, réunissant
à chaque fois 8 hommes et 8 femmes. Au total, donc, 14 réunions, 10 à
Kinshasa et 4 à Mbanza-Ngungu ont impliqué 224 personnes. Les sujets
abordés concernent l’importance du site, les conditions de production et de
commercialisation, la question foncière et l’action collective. 5 entretiens
individuels ont été réalisés avec les responsables de différentes associations
de maraîchers et 2 avec des chefs coutumiers. Les entretiens ont essentiel-
lement porté sur les difficultés rencontrées, en particulier par rapport à la
question foncière. Cette question est, en effet, centrale dans les préoccupa-
tions exprimées lors des entretiens collectifs et individuels, à tel point que
les enquêtes tendent à revenir sur l’aspect foncier, même lorsque le sujet
abordé est tout autre. Avant de débuter l’enquête quantitative, le question-
naire d’enquête a fait l’objet d’un test auprès de 2 maraîchers dans chaque
site cible. L’enquête quantitative a été menée auprès de 210 maraîchers, 30
sur chacun des sites. Le questionnaire s’articule autour des grands points
ci-après : l’identification de l’enquêté et du chef de ménage ; les caracté-
ristiques du ménage ; le système de production et d’activités ; la situation
économique du ménage ; l’organisation du circuit de commercialisation et
de la filière ; l’implication dans les dynamiques collectives.
Quel avenir pour les ménages maraîchers ? 299
2. Que sont les ménages maraîchers ?
En dépit des difficultés liées à l’insécurité et à la réticence de certains
maraîchers à répondre à nos questions, nous avons pu recueillir une grande
quantité d’informations, à même d’éclairer notre réflexion sur l’avenir des
ménages maraîchers alimentant Kinshasa. Les résultats de notre enquête
nous ont ainsi permis d’esquisser une première typologie de ces ménages.
Nous restituons une partie des données recueillies dans ce chapitre.
2.1. Une typologie fondée sur le revenu
Le revenu généré par le maraîchage peut-il contribuer aux moyens d’exis-
tence des ménages ? Pour répondre à cette question, les ménages cibles ont
été catégorisés en fonction de leur revenu mensuel, présenté dans le tableau
ci-dessous.
Tableau 1 : catégorisation des ménages
En survie Précaires Aisés
< ou = 58 000 FC *
> 58000 FC = ou > 124 000 FC
67 soit 32 % 101 soit 48 % 42 soit 20 %
*Un dollar américain équivaut à 910 FC en date du 15 mars 2014, quand l’enquête a été
effectuée.
Trois principaux critères ont été mis en exergue pour déterminer cette
catégorisation. Il s’agit premièrement de l’unité des dépenses moyennes
du panier de consommation. En outre, ce panier de consommation est
constitué des dépenses mensuelles de produits alimentaires effectuées par
les ménages. Il faut noter qu’il y a aussi un forfait pour la santé et la sco-
larité ainsi que les dépenses engagées pour la communication (téléphone
portable). Le deuxième critère de catégorisation porte sur la taille des
ménages, et le troisième, sur le revenu. Les calculs d’échelle d’équivalence
qui nous ont permis d’établir cette catégorisation ont été effectués avec le
modèle d’échelle d’équivalence d’Oxford et l’ancienne échelle de l’OCDE
(OCDE 2010).
2.2. Choix des critères
Le choix des critères du classement s’est opéré en fonction des besoins
primordiaux des ménages. Il s’avère que la sécurité alimentaire est la préoc-
cupation première de toutes les personnes que nous avons rencontrées lors
de focus groups, des enquêtes individuelle et qualitative. Dans ce cas, nous
considérons le panier de consommation comme un indicateur d’enjeux,
300 Conjonctures congolaises 2016
car c’est la satisfaction des besoins alimentaires qui conduit les ménages à
entreprendre l’activité maraîchère. Par ailleurs, la taille du ménage constitue
également un critère indispensable : plus la taille de la famille est grande,
plus il est difficile d’en satisfaire les besoins alimentaires.
Les différents éléments du panier de consommation d’un ménage
Le panier ménager correspond au niveau de revenu mensuel nécessaire
pour assurer les besoins alimentaires (charbon de bois, bassine de manioc,
bassine de maïs, huile, poisson (chinchard), viande, légumes, pain, sucre,
épices), auxquels s’ajoutent les dépenses en habillement, logement, com-
munication, transport, les forfaits pour la santé et l’éducation. Ce sont des
dépenses indispensables à la survie des ménages maraîchers enquêtés.
Selon les ménages ciblés, les articles cités ci-dessus sont considérés
comme les premiers besoins devant être satisfaits pour mener une survie
plus ou moins équilibrée. Chaque ménage remplit son panier avec des pro-
duits de bonne ou de moindre qualité selon son niveau de revenu.
3. L’adversité au quotidien
Les auteurs du manuel Reaching Resilience (Heijmans et al. 2014) décla-
rent que « [p]our s’assurer que les interventions seront pertinentes, adaptées
et perçues comme une priorité par les populations, il est important d’ex-
plorer et d’analyser le paysage des risques des populations. Le “paysage
des risques” renvoie à la large gamme de risques auxquels les populations
sont exposées, le cas par exemple des catastrophes naturelles, mais aussi
des risques qui résultent des maladies, de la famine, du chômage, du droit
foncier non garanti ou de la violence. »
De ce fait, les maraîchers enquêtés évoquent trois types de risques
majeurs auxquels ils sont confrontés : ceux liés à la commercialisation, les
risques personnels ainsi que ceux liés à la production.
3.1. Les risques commerciaux
Selon les maraîchers enquêtés, la commercialisation est une phase très
importante de leur activité. Malheureusement, le système de commercialisa-
tion est contrarié par un ensemble de risques qui affectent leur revenu.
3.1.1. Le primat des revendeuses à Kinshasa
D’une part, le risque est lié au fait de n’avoir qu’un seul type de clients :
les « revendeuses », appelées « mama ya ndunda », qui achètent surtout à
crédit et parfois rechignent à payer. D’autre part, la saisonnalité est égale-
ment considérée comme un facteur déterminant dans la chute des prix. On
Quel avenir pour les ménages maraîchers ? 301
constate, en effet, une augmentation de l’offre sur le marché entre les mois
de janvier et février, mai et juin ainsi que juillet et août, ce qui induit une
chute des prix de vente. Par ailleurs, il faut prendre en compte la saison
durant laquelle certains fruits mûrissent (telles que la mangue et le safou),
car les mama ya ndunda privilégient la vente des fruits durant cette saison.
Ces périodes défavorables pour les maraîchers sont appelées « bitula » alors
que les périodes plus favorables sont nommées « bitimwa ». Par ailleurs,
le prix de vente baisse beaucoup durant la rentrée scolaire, car le pouvoir
d’achat est très faible à cette période en raison du paiement des écolages.
3.1.2. La pratique de vente dans les sites Mbanza-Ngungu
Le risque de vente à crédit aux revendeuses concerne essentiellement
les maraîchers de Kinshasa. Ceux de Mbanza-Ngungu vendent plutôt leurs
produits aux revendeuses de Kinshasa et d’ailleurs (Brazzaville, Angola,
Matadi, Kabinda). Ils se rendent ainsi dans la capitale ou y envoient leurs
épouses vendre pendant la période de surproduction, ce qui leur permet de
garder un certain équilibre lorsque le prix baisse sur le marché. Il s’agit tou-
tefois d’une pratique très peu répandue, quel que soit le type de maraîcher.
En général, c’est très rare que la vente ne passe pas par les revendeuses :
comme il ressort dans les résultats de l’enquête que 100 % des « maraîchers
de survie » vendent leurs productions aux revendeuses, 96 % des précaires
et 100 % des aisés passent par le même circuit pour parvenir à vendre leurs
produits. Les maraîchers estiment ne pas avoir d’autres options pour écouler
leurs produits. Quant au prix de vente, il est fixé par le vendeur (exploitant),
souvent sans consultation des autres producteurs. Ils tiennent tout simple-
ment compte des négociations des mamans ya ndunda tout en ignorant
le prix final attribué à leurs produits, car les revendeuses ne leur donnent
jamais la vraie information.
La qualité des produits, la dimension des plates-bandes et la période de
vente sont des facteurs indispensables qui influencent le prix. De ce fait,
cette contrainte de baisse de prix devient une arme de négociation pour les
revendeuses : en cas de désaccord sur le prix, celles-ci adoptent une stra-
tégie de repli. Au bout de quelques jours, les producteurs sont obligés de
les poursuivre. Et, se trouvant ainsi en position de force, les revendeuses
« cassent » davantage le prix sous le prétexte que la qualité des produits s’est
dégradée. Elles vont même jusqu’à arguer que si elles acceptent de prendre
des produits d’une qualité inférieure, c’est par pitié pour les producteurs et
non pour en tirer profit. De ce fait, les risques liés à la commercialisation, en
particulier la chute des prix de vente des produits, découragent souvent les
producteurs et les poussent même à abandonner l’activité.
3.1.3. À Mbanza-Ngungu : les aléas du transport
Les modalités de commercialisation des maraîchers de Mbanza-Ngungu
diffèrent quelque peu de ceux de Kinshasa. Mbanza-Ngungu emploie des
302 Conjonctures congolaises 2016
« courtiers », c’est-à-dire des jeunes gens qui guident les revendeuses chez
le producteur. Les courtiers touchent une commission de la revendeuse et du
maraîcher. De petits garçons appelés « torcaires » transportent, quant à eux,
les bottes de ciboulette jusqu’à l’arrêt du bus. Le transport constitue également
un goulot d’étranglement du circuit de commercialisation. Les maraîchers de
Mbanza-Ngungu qui vont vendre leurs produits à Kinshasa l’ont confirmé :
les conditions sont pénibles et la surcharge est une pratique courante. À l’in-
térieur des véhicules, les voyageurs et les bagages s’entassent. La surcharge
est aggravée par l’insuffisance des équipements et le mauvais état du maté-
riel roulant (absence de banquette, fermeture difficile des portières, qui sont
parfois retenues à l’aide de lanières en caoutchouc ou simplement par le
« contrôleur », défectuosité des freins, insuffisance des suspensions, etc.).
Dans ces conditions, pannes et accidents sont inévitables et fréquents.
3.2. Les risques productifs
3.2.1. Une activité très exposée aux aléas
Les risques et contraintes affectant la production maraîchère dans nos
sites d’investigation sont nombreux : inondation après débordement des
rivières, érosion, attaques de parasites, manque d’intrants et de matériels.
Mais il convient de remarquer que ces désagréments varient d’un site à
l’autre. L’exploitation de terres marginales expose davantage les maraî-
chers aux risques naturels, qui peuvent conduire à leur abandon. Les risques
naturels et ceux liés à la production remettent ainsi en question l’activité
maraîchère dans les sites concernés. Les risques les plus rencontrés par les
maraîchers sont d’ordre productif : le manque d’intrants et de matériels ainsi
que l’usage de deux arrosoirs (activité fatigante exposant les producteurs au
risque de maladie).
Tableau 2 : principales difficultés liées à la production
Kinshasa Mbanza-Ngungu
Manque d’intrants 56,5 % 19,8 %
(fiente, semences, outils)
Attaques des ravageurs 33,5 % 24,1 %
Manque d’eau 3% 29 %
Insuffisance d’assistance technique 7% 27,1 %
Total 100 % 100 %
Les intrants sont constitués de matière organique (telle que la fiente de
poules) et représentent un facteur déterminant de la production. Les maraî-
chers emploient souvent le terme « fumier ou fiente de poules » pour désigner
Quel avenir pour les ménages maraîchers ? 303
la matière organique. On constate que 56,5 % des personnes interviewées sur
les sites de Kinshasa éprouvent des difficultés à s’approvisionner en fiente de
poules. Il en va de même pour les maraîchers de Mbanza-Ngungu : 19,8 %
des enquêtés se plaignent du problème d’approvisionnement en intrants, ce
qui défavorise leur production. Signalons que certains sites de Kinshasa sont
localisés dans un environnement doté de fermes avicoles, comme le site de
Kimwenza, qui compte des exploitations avicoles appartenant aux commu-
nautés religieuses et à certains expatriés (Libanais, Indiens, etc.) dont les
terres étaient jadis détenues par les maraîchers. En dépit de la proximité des
maraîchers de Tshuenge avec la ferme présidentielle de N’sele, l’approvi-
sionnement en intrant pose problème, en raison d’un manque de moyens
financiers. Par ailleurs, les sites de Funa, Cecomaf, Lemba Imbu, Loma et
Zamba n’échappent pas à cette difficulté.
3.2.2. L’utilisation de compost
Notons que l’usage du compost est presque inexistant, car sa fabrication
exige beaucoup d’opérations et de temps (de 3 à 4 mois). Cette pratique
pourrait pourtant s’avérer très avantageuse pour les maraîchers : d’une part,
elle est moins coûteuse, et, d’autre part, elle favoriserait l’amélioration de
la structure et de la fertilité du sol. Cependant, les producteurs ne peuvent
s’engager dans ce genre de technique à long terme. En effet, les besoins
des maraîchers nécessitant des résultats immédiats, ceux-ci ne peuvent
se risquer à une irrégularité des ventes à laquelle l’usage du compost les
conduirait. Ainsi, l’inaccessibilité à la matière organique renforce encore
davantage l’incertitude des maraîchers quant à leur production, car lorsque
le sol n’est pas bien fertilisé, les légumes jaunissent et perdent toute leur
valeur commerciale. Cet état de fait confirme que le maraîchage de survie se
caractérise actuellement par le court terme et les besoins immédiats.
3.2.3. L’insécurité
Certains maraîchers exercent leur activité dans un environnement déter-
miné par l’insécurité et le vol. Tous les maraîchers de Lembu Imbu déclarent
qu’ils sont continûment menacés par les Kuluna4 : « Nous avons peur des
jeunes gens qu’on appelle “Kuluna”, car ils tuent facilement les gens à la
machette. Nous ne savons pas si nous devons continuer à faire cette activité
maraîchère ou pas, car c’est trop risqué maintenant, mais c’est le seul moyen
de vivre que nous avons ». Par ailleurs, les maraîchers du site de Zamba se
sentent aussi en insécurité, le site étant localisé près d’un camp militaire
Ebeya.
4
Les jeunes délinquants qui dépouillent et tuent en cas de résistance des passants dans les
rues de Kinshasa.
304 Conjonctures congolaises 2016
3.3. La précarité des conditions d’existence
3.3.1. La pauvreté du régime alimentaire
La sécurité alimentaire des ménages maraîchers dépend essentiellement
de la production et de la vente des légumes. Tous les producteurs pratiquent
le maraîchage pour subvenir aux besoins alimentaires de leur ménage :
« c’est juste pour pouvoir nourrir les enfants que nous faisons le maraî-
chage », soulignent ainsi certains enquêtés lors des entretiens collectifs.
Tableau 3 : répartition des enquêtés par nombre de repas
consommés par jour
En survie Précaires Aisés
(N = 67) (N = 101) (N = 42)
1 repas par jour 28,4 % 16,8 % -
2 repas par jour 71,6 % 82,2 % 73,8 %
3 repas par jour - 1% 26,2 %
Total 100 % 100 % 100 %
Le nombre de repas consommés par jour est un critère pertinent pour éva-
luer la sécurité alimentaire des ménages. Une majorité de ménages mange
deux fois par jour en moyenne ; seuls les ménages aisés peuvent envisager
trois prises de nourriture quotidiennes, tandis qu’une part non négligeable
de maraîchers en conditions de survie ou en situation de précarité doit se
contenter d’un seul repas. Ces résultats concordent avec les études menées
par PAM & INS (2008), lesquelles ont montré que la plupart des ménages
en RDC bénéficie de deux repas quotidiens.
3.3.2. Les aléas
Les principales difficultés rencontrées par les ménages sont liées à l’ali-
mentation, aux deuils, au manque de revenus, aux maladies et à l’éducation
des enfants. Le tableau 4 présente l’importance relative de ces difficultés
selon les niveaux de vie.
Lors des entretiens avec les maraîchers, nous avons demandé à ceux-ci
d’identifier les principales difficultés auxquelles ils avaient été confron-
tés au cours des trois mois ayant précédé l’enquête. Les résultats de cette
enquête confirment que les ménages plus aisés parviennent à faire face
plus facilement aux difficultés de la vie tout en satisfaisant leurs besoins
fondamentaux.
Quel avenir pour les ménages maraîchers ? 305
Tableau 4 : répartition des ménages selon leurs principales difficultés
En survie Précaires Aisés
(N = 67) (N = 101) (N = 42)
Alimentaire 32,8 % 28,7 % 7,1 %
Deuil 7,5 % 6,8 % 40,5 %
Manque de revenus 34,3 % 36,6 % 16,7 %
Maladies 3% 11,9 % 33,3 %
Scolarité des enfants 22,4 % 16 % 2,4 %
Total 100 % 100 % 100 %
4. Affronter l’adversité
La personne en situation de pauvreté doit s’adapter aux risques élevés
qu’elle encourt, aux lourdes contraintes que fait peser sur elle l’environ-
nement. Ainsi, les maraîchers savent faire preuve de résilience devant le
cortège de risques auxquels ils sont exposés au quotidien. Nous décrivons
ici les stratégies adoptées par les ménages en réponse à l’adversité ambiante.
4.1. Des pratiques individuelles à portée limitée
Devant l’adversité, les pratiques individuelles adoptées varient selon les
conditions de vie des ménages. Il se dégage de notre enquête que la majorité
des ménages a recours à une stratégie de réduction de la quantité de nourri-
ture attribuée aux adultes afin de résoudre le problème lié à l’alimentation.
Tableau 5 : répartition des ménages selon les stratégies adoptées
en cas de manque de nourriture
En survie Précaires Aisés
(N = 67) (N = 101) (N = 42)
Supprimer un repas 7,5 % 13,9 % 14,3 %
Nourrir uniquement les 7,5 % 5,9 % -
enfants
Réduire la quantité de 64,1 % 61,4 % 64,3 %
nourriture chez les adultes
Demander de l’aide à la 20,9 % 18,8 % 21,4 %
famille
Total 100 % 100 % 100 %
Source : ces résultats correspondent à l’étude qui a été menée par Action contre la faim
en 2009.
306 Conjonctures congolaises 2016
La stratégie de nourrir uniquement les enfants est également observée dans
les catégories en survie et situation de précarité. Toutes les catégories décla-
rent toutefois faire ou avoir déjà fait l’impasse sur un repas. Par ailleurs, une
certaine solidarité s’établit entre les familles, bien que le pourcentage de
ceux qui la pratiquent en situation de survie soit plus faible.
« Les stratégies d’adaptation sont des réponses temporaires destinées à réduire
ou à minimiser les effets d’un événement stressant ou d’une situation défavo-
rable où l’accès alimentaire est anormalement perturbé, par exemple lors d’une
sécheresse, d’inondations, d’un séisme ou d’une activité militaire. Les méca-
nismes de détresse, également nommés mécanismes de crise ou de survie, dans
leur forme la plus radicale, sont des mesures prises par les ménages en réponse
à une crise grave. Ils sont globalement irréversibles et préjudiciables à la sub-
sistance et la dignité des individus. Ils peuvent nuire de manière permanente à
l’avenir de leur sécurité alimentaire et de leur subsistance. Ils sont une forme
extrême de la stratégie d’adaptation » (ACF 2009 : 102).
Généralement, la catégorie des aisés est la seule qui diversifie ses activi-
tés dans le but d’augmenter ses revenus. La vente de légumes demeure par
ailleurs l’une des principales stratégies permettant aux ménages de résoudre
les problèmes liés à la survie, comme l’indique le tableau 6.
Tableau 6 : stratégies adoptées par les ménages face aux difficultés
En survie Précaires Aisés
(N = 67) (N = 101) (N = 42)
Vente de légumes 34 % 50,7 % 41,6 %
Emprunt 22 % 32,8 % 5%
Aide familiale 8% 11,9 % 9,9 %
Diversification - - 34,7 %
des activités
Vente des biens du 3% 4,5 % 8,9 %
ménage et de production
Total 100 % 100 % 100 %
Au regard des résultats consignés dans le tableau ci-dessus, on constate
de fait que toutes les catégories comptent d’abord sur la vente de légumes
pour faire face aux difficultés quotidiennes. Par ailleurs, on remarque que
34,7 % des aisés diversifient leurs activités afin de bénéficier d’une source
de revenus complémentaire. Ces résultats rejoignent ceux d’Olivier de
Sardan (2011). Dans de nombreux cas, la vente des biens permet également
d’accéder à un revenu supplémentaire pour affronter l’adversité : il s’agit de
Quel avenir pour les ménages maraîchers ? 307
la vente de biens personnels, de biens de production ou de terres. Ces straté-
gies entraînent cependant une dégradation de l’aptitude future des ménages
à subvenir à leurs besoins et à pallier les difficultés à venir.
Le tableau 7 dégage, quant à lui, les différentes stratégies mises en place
pour lutter contre les difficultés relatives à la production.
Tableau 7 : stratégies pour faire face aux difficultés liées
à la production
En survie Précaires Aisés
(N = 67) (N = 101) (N = 42)
Travail en groupe 27,9 % 11,1 % 33,3 %
Autoproduction 44,3 % 40,8 % 38,9 %
Emprunt de semences 16,7 % 25,9 % 11,1 %
Métayage 11,1 % 22,2 % 16,7 %
Total 100 % 100 % 100 %
4.2. Stratégies pour contrer le manque de semences
Les semences de légumes exotiques sont importées en totalité par les
petites maisons sur place. Selon les données dont nous disposons, les
semences de légumes locaux sont produites par 40,3 % d’individus en
situation de survie, 40,7 % d’individus en précarité et 38,9 % des aisés.
Malheureusement, la qualité de ces semences laisse parfois à désirer, en
raison des conditions de reconditionnement et de conservation inadéquates.
Notons qu’il existe aussi des vendeurs ambulants d’intrants agricoles
(semences, outillage, engrais et produits phytosanitaires) qui circulent à tra-
vers les sites maraîchers. Compte tenu des conditions climatiques, les deux
sites de Mbanza-Ngungu sont classés parmi les plus grands producteurs de
semences de ciboulette.
L’élevage : une solution ou un complément ?
L’élevage est pratiqué par toutes les catégories sociales. Le type d’éle-
vage varie cependant considérablement selon le niveau de vie des ménages
(tableau 8).
Cette répartition peut s’expliquer par le fait que la catégorie en survie et
les individus en précarité ont tendance à élever des animaux plus accessibles,
dont les besoins alimentaires sont limités, tels que les poules et canards. Il
s’agit, dès lors, d’un élevage de précaution, la vente de quelques sujets per-
mettant de résoudre les situation d’urgences.
308 Conjonctures congolaises 2016
Tableau 8 : répartition des ménages enquêtés selon le cheptel
En survie (N = 67) Précaires (N = 101) Aisés (N = 42)
Chèvres 13,4 % 21,8 % 31 %
Porcs 17,9 % 20,7 % 64,2 %
Volaille 68,7 % 57,5 % 4,8 %
Total 100 % 100 % 100 %
4.3. Des actions collectives peu nombreuses
L’idée d’une action collective a été mise en exergue afin d’observer dans
quelle mesure une telle démarche peut prévenir ou atténuer les risques au
niveau individuel et collectif. Cependant, tous les responsables de structures
rencontrés attestent que le fonctionnement d’un groupe devient de plus en
plus difficile compte tenu du manque de membres. En effet, pour certains
maraîchers, les expériences passées, entachées par une mauvaise gestion,
ont provoqué une certaine méfiance et une résistance de leur part à adhé-
rer aux structures associatives. La réticence est telle que bon nombre de
producteurs ne veulent plus entendre parler d’une quelconque organisation.
Et pourtant, la plupart des sites sont localisés sur des terrains accidentés
qui nécessitent d’être entretenus régulièrement par toute la communauté.
Ainsi, dans les sites où les associations subsistent encore, les membres se
mobilisent pour mener des actions collectives afin de prévenir ou d’évi-
ter les risques d’érosion et d’ensablement. Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de
mener une action contre la pression foncière, qui bénéficierait à tous, les
non-membres ne participent jamais.
Les structures ci-après ont pu être identifiées lors de nos enquêtes
en 2014 dans les sites cibles : AJJLK (Association des jeunes Jardiniers de la
Lukaya-Kimwenza), COOPMALI (Coopérative des Maraîchers de Lemba
Imbu), APEREM (Association pour la production rizicole et maraîchère),
ZAMBA (Association des maraîchers), COOPACEK (Coopérative agri-
cole du Centre de Kimbanseke)/CECOMAF (Centre de Commercialisation
des Produits maraîchers et fruitiers), UGMK (Union des Groupements de
Maraîchers de Kimwenza) et APDFM (Action pour le Développement des
Femmes maraîchères). Les sites de la Funa et de Loma ne comptent toute-
fois aucune organisation. Notre enquête révèle que 20,9 % de la catégorie
des individus en survie sont membres d’une association, tandis que 19,8 %
des précaires, et 50 % des ménages aisés y adhèrent. On constate ainsi que
le taux d’adhésion aux organisations est relativement faible chez les plus
pauvres.
Si le manque de confiance est la première raison qu’invoquent les maraî-
chers pour justifier leur choix de n’adhérer à aucune structure associative,
Quel avenir pour les ménages maraîchers ? 309
le paiement de droits d’adhésion achève de les dissuader. Toutes les struc-
tures d’intérêt collectif demandent, en effet, un droit d’adhésion. À titre
d’exemple, la COOMALI et la COOPACEK (CECOMAF) demandent
15 dollars par an à tous ses membres. Or tout le monde n’a pas la possibilité
de s’acquitter de cette somme. En outre, les maraîchers sont convaincus que
les responsables des structures font des projets en leur nom sans qu’eux-
mêmes puissent en tirer parti.
4.4. La faiblesse de l’appui extérieur
À l’exception des sites de la Funa, Loma et Zamba, tous les autres sites
ont bénéficié d’un appui extérieur dans le passé. Ainsi, certains maraîchers
du site de Kimwenza ont bénéficié, par l’intermédiaire de l’UGMK, d’un
appui financier d’AGRISUD International entre 2005 et 2008.
Depuis 2005, AGRISUD International a effectivement mis en œuvre
un programme d’appui au développement agricole périurbain (PADAP).
Ce programme a été mené jusque fin 2008 dans la zone de Kimwenza, en
collaboration avec les maraîchers, qui ont été appuyés respectivement par
la Coopération française et par l’Union européenne. Quelques associations
maraîchères ont été cofinancées et soutenues par : AGRISUD, la fondation
PHITRUST, les Caisses d’Épargne Aquitaine Poitou-Charente (CEAPC) et
l’association « Toit de la grande Arche ». Deux partenaires principaux ont
été associés à l’action : FOLECO (Fédération des ONG laïques à Caractère
économique du Congo) et AGRIDEV (ONG du Congo Brazzaville)
(AGRISUD 2008). De 2013 à 2015, le site de Kimwenza a également béné-
ficié d’un appui financier du Programme de Microfinancement du Fonds
pour l’Environnement mondial (PMF/FEM) chapeauté par le PNUD. Ce
projet d’essai visait à transformer la fiente liquide en compost.
Les maraîchers de Tshuenge ont, quant à eux, bénéficié d’un formation
technique ainsi que de l’intervention de l’ACF pour l’acquisition d’équi-
pement agricole en 2001. « Nous avons essayé d’écrire pour renouveler le
projet, mais la réponse a été négative. Ses actions sont plus tournées vers les
collectivités touchées par le conflit dans les provinces du Nord-Kivu et du
Sud-Kivu », déclarait le président du site de Tshuenge (mars 2014).
On constate ainsi, au niveau local, que les actions entreprises avec l’ap-
pui des ONG, peinent à s’inscrire dans la durée après le départ de celles-ci.
La notion de la capitalisation des connaissances acquises n’est pas encore
intériorisée par les bénéficiaires. Les boutiques mises en place par les ONG
internationales se transforment d’ailleurs, en raison d’une mauvaise gestion,
en coquilles vides lorsque le projet prend fin. La méfiance à cause de la
mauvaise gestion et la démotivation semblent ainsi primer sur toute tenta-
tive d’amélioration de la situation.
310 Conjonctures congolaises 2016
5. Comment affronter la menace foncière ?
5.1. Les incertitudes du statut foncier
Il existe trois types de statuts fonciers dans les sites maraîchers de
Kinshasa : le statut de propriétaire, celui de locataire et celui d’ayant droit5.
Les propriétaires sont ceux qui ont hérité de la terre de leurs grands-parents,
parents ou qui font partie de la famille des chefs coutumiers. Certains pro-
priétaires ont toutefois acheté une portion de terre au chef coutumier. Dans
les sites Mbanza-Ngungu, seuls le statut d’ayant droit coutumier et celui de
locataire se rencontrent.
Tableau 9 : statuts fonciers vis-à-vis de l’exploitation maraîchère
En survie Précaires Aisés
(N = 76) (N = 101) (N = 42)
Ayant droit 10,5 % 8% -
Titre de propriété 12,3 % 20,6 % 19 %
légale
Locataire 77,2 % 71,4 % 81 %
Total 100 % 100 % 100 %
Les ayants droit des deux premières catégories présentées dans le tableau
ci-dessus ont hérité de la terre laissée par leurs parents ou leurs grands-
parents. Malheureusement, aucun ne dispose d’un titre de propriété parmi
ceux qui déclarent avoir le titre de propriété légale. En conclusion, il semble
que le statut de locataire ne donne aucune certitude quant à la durabilité de
l’activité maraîchère, quelle que soit la catégorie sociale des producteurs.
5.2. L’ampleur des menaces foncières à Kinshasa
La question foncière révèle les nombreuses contraintes rencontrées
par l’agriculture urbaine et périurbaine en RDC. Par ailleurs, force est de
constater la rapidité avec laquelle la menace foncière évolue dans la ville
de Kinshasa. Les enquêtes que nous avons effectuées en 2005 avaient
démontré que le site de Bandalungwa subissait la pression foncière la plus
importante. Ce site a d’ailleurs été transformé en quartier résidentiel depuis
quelques années. Actuellement, presque tous les sites sont menacés. Si le
site de Kimwenza était auparavant le plus sécurisant, il est à présent en
5
Les ayants droit du chef coutumier sont des membres de sa famille qui pratiquent
aussi l’activité maraîchère.
Quel avenir pour les ménages maraîchers ? 311
voie de disparition, le chef coutumier ayant cédé plusieurs hectares aux
concessionnaires et aux Libanais. Jacmain et Rosillon déclarent à ce propos :
« Les chefs coutumiers cèdent, sous la pression d’investisseurs privés
soucieux de développer leurs activités, des terres ancestrales occupées
par une communauté d’usagers. C’est le cas des maraîchers obligés de
libérer les parcelles pour permettre l’extension d’un site d’exploitation de
carrière. Ce patrimoine foncier traditionnel est aussi dilapidé en faveur
de concessionnaires qui acquièrent parfois plusieurs centaines d’hectares,
immobilisant ainsi une ressource de plus en rare, sans la mettre en valeur et
aux dépens des communautés locales qui voient dépossédés leurs espaces de
vie et de travail » (Jacmain & Rosillon 2015 : 113).
Tableau 10 : répartition des enquêtés selon les menaces foncières
En survie Précaires Aisés
(N = 76) (N = 101) (N = 42)
Conflit 16,5 % 9,9 % 7,1 %
avec le chef coutumier
Expulsion 71,6 % 81,2 % 52,4 %
Conflit de limites 11,9 % 8,9 % 40,5 %
Total 100 % 100 % 100 %
Les résultats présentés dans le tableau 10 nous permettent de constater,
notamment, que toutes les catégories sociales connaissent des conflits de
limites. Ces conflits ont lieu lorsque les limites d’une parcelle empiètent
sur celles du terrain voisin. Les conflits de limites sont très prononcés à
Mbanza-Ngungu, et particulièrement dans le site de Zamba, situé juste à
côté d’un camp militaire.
En conclusion, ces différentes menaces semblent hypothéquer l’avenir
de l’activité maraîchère dans les sites enquêtés. Selon Trefon (2015), les
appropriations massives de terres fragilisent les droits aux ressources des
populations et, en conséquence, leurs moyens d’existence ainsi que la sécu-
rité alimentaire du pays.
5.3. Stratégies et appuis face à la menace foncière
La pression foncière prend de l’ampleur dans les sites de Kimwenza,
de Lemba Imbu, de CECOMAF et de Tshuenge. Par ailleurs, le site de la
Funa, qui exploite des terres marginales (inondables, inconstructibles, non
fertiles), est lui exempté de spoliation car il n’intéresse personne.
Les maraîchers de Tshuenge, exposés à la menace foncière, tentent de
s’organiser pour plaider leur cause auprès des institutions en charge de la
question foncière. Sous l’impulsion du président du site, en qui les produc-
teurs ont pleinement confiance, ils ont entrepris, en 2014, des actions pour
312 Conjonctures congolaises 2016
se prémunir des menaces des chefs coutumiers. Les stratégies auxquelles
ils ont eu recours sont davantage collectives. Dans un premier temps, ils se
sont adressés aux ministères des Affaires foncières et de l’Agriculture. Ils
ont ensuite, par l’intermédiaire d’émissions diffusées à la télévision, révélé
au grand jour la vente abusive des terres par les chefs coutumiers. Toutefois,
comme le font remarquer Wagemakers et al., « lorsque des conflits éclatent
et que la terre d’un maraîcher (ou d’un certain nombre de maraîchers) est
prise, les maraîchers qui ont les moyens peuvent aussi essayer de porter
l’affaire devant la justice. Pourtant, ces cas ne constituent généralement pas
des réussites » (Wagemakers et al. 2010 : 21).
L’activité maraîchère demeure une source de revenu primordiale pour
les ménages qui la pratiquent. Les données résultant des enquêtes que nous
avons menées en 2014 nous ont permis d’identifier trois catégories de
ménages en fonction des revenus des producteurs. Il s’avère que les ménages
en situation de survie et ceux dans la précarité sont particulièrement vulné-
rables. Les ménages dits « aisés » ne mènent toutefois pas une vie de tout
repos et tentent de faire face à l’adversité en développant diverses stratégies.
Malheureusement, certaines stratégies ne sont pas adaptées et peuvent faci-
lement rendre les maraîchers qui les ont adoptées plus vulnérables encore.
Par exemple, la réduction de la ration de nourriture des adultes et la vente
des biens se révèlent plus néfaste que bénéfique à la survie des ménages.
Par ailleurs, l’insécurité foncière dont sont victimes les producteurs rend
l’avenir du secteur maraîcher encore plus incertain. Les terres que les maraî-
chers exploitent sont vendues abusivement par les ayants droit, les chefs
coutumiers et le ministère des Affaires foncières. Force est de constater
que ceux qui se disent propriétaires ne disposent pourtant d’aucun titre de
propriété. De ce fait, toutes ces contraintes empêchent les producteurs du
secteur maraîcher d’améliorer leurs conditions de vie.
Conclusion
Au terme de notre étude, l’activité maraîchère nous apparaît menacée
à plus d’un titre. Les conditions dans lesquelles les producteurs exercent
cette activité, les risques liés à la production et à la commercialisation, les
problèmes personnels, et la menace foncière auxquels ces derniers sont
confrontés suscitent des questionnements sur leurs moyens de subsistance
et sur l’avenir de la profession.
En outre, l’expulsion des maraîchers de certains sites, les conflits de
limites entre les exploitants, ainsi que les différends opposant les chefs
coutumiers et les maraîchers constituent autant de menaces qui fragilisent
l’activité maraîchère en zones urbaines et périurbaines, à Kinshasa et à
Mbanza-Ngungu.
Les causes de la spoliation des terres sont multiples. Il s’agit première-
ment de ventes abusives par les chefs coutumiers, en complicité avec les
Quel avenir pour les ménages maraîchers ? 313
membres de leur famille. Les terres suscitent également la convoitise des
riches, qui achètent de grandes concessions pour y installer diverses activités
(parcs de loisirs, fermes…). Les expatriés négocient à leur tour auprès des
chefs coutumiers pour acquérir de grandes concessions afin d’y implanter
des fermes industrielles. De plus, l’urbanisation accrue incite les personnes,
et notamment les plus vulnérables, à construire de petites cases pour s’abri-
ter n’importe où, quel que soit l’emplacement. Toutes ces raisons conduisent
à la spoliation croissante des terres dans les sites maraîchers de Kinshasa.
Par là-même, les conditions de vie se dégradent encore davantage.
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Les logiques socio-économiques sous-jacentes
aux stratégies de protection des acteurs populaires
au Sud-Kivu
Maïté le Polain1 et Marthe Nyssens2
Introduction : repenser les mécanismes de protection à
partir des stratégies mobilisées par les acteurs populaires
L’économie en RDC se caractérise par une prédominance du secteur
informel. Selon les dernières enquêtes nationales 1-2-3 réalisées par l’Insti-
tut national de la Statistique (INS) en 2012, 88,6 % des Congolais tireraient
leurs revenus d’activités exercées dans ce secteur, contre seulement 11,4 %
du secteur public, parastatal ou privé (INS 2014). Les échecs de la « zaïria-
nisation » de l’économie sous Mobutu dans les années 1970, la contraction
des dépenses publiques imposées par les programmes d’ajustements struc-
turels (PAS) dans les années 1980, et les années de guerres (1996-1997 et
1998-2002) ont tour à tour causé une réduction drastique de l’emploi for-
mel et une explosion de l’informalité de l’économie (De Herdt & Marysse
1996 ; MacGaffey 1991). Si l’informalité de l’économie a des racines pro-
fondes en RDC, ses formes se sont complexifiées au cours de cette période.
La vulnérabilité des acteurs populaires liée à l’informalité est exacerbée par
l’absence de mécanismes publics de protection sociale, tels qu’une assu-
rance chômage ou une couverture maladie universelle (Weijs, Hilhorst &
Ferf 2012). En cas de difficulté, les acteurs populaires sont livrés à eux-
mêmes, soumis à la loi de la « débrouille » (Ayimpam 2014 ; Trefon 2004).
Pour lutter contre la vulnérabilité des ménages et pallier le déficit de pro-
tection étatique, les ONG et bailleurs de fonds internationaux soutiennent
techniquement et/ou financièrement d’autres sources de protection, comme
le développement de la microfinance, qui ambitionne d’offrir des services
d’épargne et de crédit à des populations pauvres dans le but de lutter contre
la pauvreté (Yunus & Jolis 2003). Le développement de mutuelles de santé,
qui cherchent à améliorer l’accès à des soins de santé de qualité, est éga-
lement favorisé (Fonteneau 2004). Cependant, ces formes institutionnelles
ne rencontrent pas le succès escompté. En 2014, seuls 5 % de la population
1
Centre interdisciplinaire de recherche « État, Travail et Société » (CIRTES) et Centre
d’études du développement, Université catholique de Louvain.
2
Centre interdisciplinaire de recherche « État, Travail et Société » (CIRTES) et IRES.
316 Conjonctures congolaises 2016
adulte congolaise auraient eu recours à des institutions de microfinance
(IMF) ou à des coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC) (FinMark
Trust 2015). L’étude pointe le manque de confiance comme principal obs-
tacle à l’utilisation des services offerts. Le caractère mutualiste du modèle
COOPEC, largement dominant en RDC puisque les COOPEC représentent
88 % de l’ensemble des institutions de microfinance (Masangu Mulongo
2012), est, en principe, garant d’un contrôle démocratique et d’une finalité
non lucrative (Jacquier 1999 ; Périlleux 2009). Mais les faillites récurrentes
– les plus récentes étant celles de COOPEC IMARA en 2014 et de COOPEC
MECRECO en 2016 – écornent périodiquement la confiance de la popula-
tion à leur égard. Quant aux mutuelles de santé, l’étude de Soglohoun (2012)
constate un déficit démocratique et l’absence d’implication des communau-
tés locales. Or, plusieurs auteurs signalent que parmi les déterminants d’une
faible adhésion aux mutuelles de santé, on retrouve le manque de confiance
dans la gestion de la structure (Defourny & Failon 2011 ; De Allegri et al.
2006 ; Basaza et al. 2008).
Par ailleurs, la méfiance de la population à l’égard de ces formes
institutionnelles pousse un nombre croissant d’acteurs du développe
ment à s’interroger et à explorer de nouvelles voies de protection socio-
économique, qui seraient mieux adaptées aux besoins des populations
ciblées. L’engouement récent pour les modèles de groupes d’épargne
(savings groups), qui visent la mise en place de services d’épargne, de cré-
dit et d’assurance de base, selon un modèle communautaire, décentralisé et
autogéré, est emblématique de cette nouvelle quête (Allen & Panetta 2010).
En marge de ces mécanismes de protection formels3, les acteurs popu-
laires ont aussi recours à des stratégies informelles pour se protéger d’un choc
et sécuriser leur existence. Au cours des dernières années, les chercheurs ont
démontré l’extrême complexité des stratégies de protection informelles (voir
par exemple : Besley 1995 ; Morduch 1999 ; Fafchamps 1992 ; Fafchamps
1999 ; Dercon 2004 ; Dercon & Krishnan 2000 ; Collins et al. 2009 ; Udry
1994). Alderman et Paxson (1992) proposent de distinguer les stratégies de
gestion de risques (risk management strategies) et les stratégies de mitiga-
tion des chocs (risk coping strategies). Les stratégies de gestion du risque
impliquent, entre autres, la diversification des sources de revenus tandis que
les stratégies de mitigation englobent notamment le recours à l’endettement.
D’autres auteurs distinguent les stratégies individuelles d’une part, telles
que les pratiques d’auto-assurance via la constitution de petites épargnes
de précaution (Deaton 1992 ; Dercon 2002), et les stratégies collectives
3
Les qualificatifs « formels » et « informels » sont utilisés pour distinguer les stratégies de
protection fondées sur des institutions juridiquement reconnues de celles portant sur des
acteurs non reconnus juridiquement.
Stratégies de protection populaires et logiques socio-économiques au Sud-Kivu 317
d’autre part, fondées sur la mise en commun des ressources et/ou le partage
des risques. Parce qu’une seule stratégie suffit rarement, Cohen et Sebstad
(2005) insistent sur l’intérêt des combinaisons de plusieurs stratégies.
Ce chapitre présente les résultats d’une enquête exploratoire réalisée en
juin 2011 au Sud-Kivu, complétée par deux enquêtes de terrain ultérieures,
menées en 2013 et 2014. L’étude exploratoire ambitionnait de décrire la
variété des stratégies de protection mobilisées par les acteurs populaires au
Sud-Kivu, et d’analyser leurs logiques socio-économiques sous-jacentes.
En cela, notre entreprise tend à contribuer à une meilleure compréhension
des logiques socio-économiques à l’œuvre dans les stratégies de protection
privilégiées par les acteurs populaires. En mobilisant une grille de lecture
polanyienne, ce travail s’inscrit dans la lignée des recherches adoptant ce
cadre d’analyse pour sortir de l’ombre des pratiques socio-économiques plu-
rielles dans divers contextes contemporains (Hillenkamp 2013 ; Lemaître &
Helmsing 2012 ; Laville 2003 ; Hillenkamp, Lapeyre & Lemaître 2013 ;
Meyer 2015 ; Degavre & Lemaître 2008 ; Degavre & Nyssens 2008 ;
Sabourin 2012 ; Hann & Hart 2009).
1. Polanyi et les quatre principes d’intégration
socio-économiques
Pour analyser les principes socio-économiques des stratégies de protec-
tion privilégiées par les acteurs populaires au Sud-Kivu, nous mobilisons
le cadre d’analyse proposé par Karl Polanyi (Polanyi 2008 ; 2009). Cet
auteur invite à dépasser une vision formelle de l’économie, qui cantonne
cette discipline à l’étude du « comportement humain en tant que relation
entre des fins et des moyens rares à usages alternatifs rationnels entre fins
et moyens » (Robbins 1932 : 16, cité par Maucourant & Plociniczak 2011).
S’appuyant sur des travaux historiques et anthropologiques (notamment
ceux de Malinowski & Devyver 2002 ; Thurnwald 1937), Polanyi sort de
l’ombre des logiques socio-économiques particulières, qui ne peuvent se
réduire à une logique purement marchande. Pour les englober, il adopte une
définition substantive de l’économie, qui inclut l’ensemble des activités
dérivées « de la dépendance de l’homme par rapport à la nature et ses sem-
blables pour assurer sa survie » (Polanyi 2008 : 53). Polanyi distingue, aux
côtés du marché, trois autres principes d’intégration économique que sont la
redistribution, la réciprocité et l’administration domestique (Polanyi 2009).
Ces principes d’intégration économique confèrent « unité et stabilité » au
processus économique via des modes particuliers d’organisation de la pro-
duction, de la distribution et de la consommation de richesse (Polanyi 2008).
Ainsi, le principe de marché suppose l’échange de biens et services sui-
vant les lois de l’offre et la demande, où les prix d’échange résultent de la
concurrence. L’échange réunit, le temps de la transaction, deux individus
318 Conjonctures congolaises 2016
anonymes, supposés égaux, et motivés par la maximisation de leur inté-
rêt personnel. À l’origine, Polanyi distingue deux formes traditionnelles de
marché, le commerce de longue distance d’une part, et les marchés internes
et locaux d’autre part. Servet (2009) suggère quant à lui de distinguer, au sein
du marché, la logique des « places de marché », où prévaut l’anonymat qui
neutralise les identités sociales des parties prenantes, et la logique de « liens
clientélistes » dans laquelle le vendeur adapte son offre en tenant compte de
sa relation à l’acheteur, en vue de sa fidélisation. Ces deux logiques peuvent
coexister même si l’une domine le plus souvent l’autre. Cette différence
opérée par Polanyi et Servet n’est pas sans rappeler la distinction faite par
Braudel (1985) entre marchés capitalistes d’une part, et marchés locaux
d’autre part. Selon cet auteur, les marchés locaux appartiennent à la sphère
économique quotidienne où opèrent les « acteurs du bas », soit les paysans,
artisans et petits commerçants, et constituent le ciment de la société.
Le principe de « redistribution » implique que les activités de produc-
tion, de redistribution et de consommation sont organisées par une autorité
centrale (à savoir un État ou un chef de tribu). Entre l’autorité centrale et les
agents qui y sont soumis s’établit une relation qui s’inscrit dans la durée. Car
l’autorité centrale qui reçoit, emmagasine et distribue accroît son prestige et
son pouvoir politique. Le principe de redistribution suppose généralement
une subordination de la production et la distribution de la richesse à des
objectifs collectifs et politiques, puisque le centre est souvent défini par le
régime politique en vigueur. Si Polanyi met en évidence ce principe à travers
la figure du chef dans des sociétés traditionnelles, la redistribution a le plus
souvent été associée, par la suite, à la figure de l’État-providence, et donc
limitée à la redistribution publique.
Le principe de « réciprocité » suppose la circulation de biens et services
entre des groupes ou personnes en situation d’interdépendance volontaire et
complémentaire. Le modèle institutionnel de symétrie constitue le socle du
principe de réciprocité. Ce principe donne lieu à des échanges, qui tout en
s’apparentant à des dons, appellent à des contre-dons « socialement accep-
tables », régulés par des normes sociales plutôt que par une équivalence
parfaite (Polanyi 2008). La réciprocité ne prend sens que dans la volonté de
manifester un lien social entre les parties prenantes. Polanyi suggère deux
espaces privilégiés de réciprocité :
« La parenté, le voisinage ou le totem appartiennent aux groupements les plus
permanents et les plus larges ; dans leur cadre, des associations volontaires
ou semi-volontaires à caractère militaire, professionnel, religieux ou social,
créent des situations dans lesquelles – au moins provisoirement ou vis-à-vis
d’une localité ou d’une situation type donnée – se forment des groupements
symétriques dont les membres pratiquent une certaine forme de mutualisme »
(Polanyi et al., [1957] 1975 : 247, cité par Servet 2007).
Stratégies de protection populaires et logiques socio-économiques au Sud-Kivu 319
Enfin, le principe « d’administration domestique » est une forme par-
ticulière de la redistribution qui s’exerce au sein de la cellule de base
qu’est le foyer. Si Polanyi (2009) fonde à l’origine ce principe sur la forme
autarcique, des auteurs plus récents invitent à l’élargir à une logique de pro-
duction, de distribution et de consommation visant à satisfaire les besoins de
subsistance de l’unité domestique, qu’elle soit autarcique ou non (voir par
exemple, Gregory 2009 ; Hillenkamp 2013).
Polanyi insiste sur un point : « les formes d’intégration ne représentent
pas des “stades” de développement. Aucune succession dans le temps ne
doit être sous-entendue. Plusieurs formes secondaires peuvent être présentes
en même temps que la forme dominante […] » (Polanyi [1957] 1975 : 256,
cité par Servet 2007). Il adopte en cela une posture non évolutionniste. Les
principes d’intégration économique doivent donc être davantage appréhen-
dés comme des idéaux-types au sens wébérien (Weber 1965), c’est-à-dire en
tant que constructions abstraites permettant aux chercheurs de positionner
des pratiques économiques l’une par rapport à l’autre.
Polanyi suggère d’emblée que certains principes peuvent prendre appui
sur d’autres :
« En tant que forme d’intégration, la réciprocité gagne beaucoup en efficacité
du fait qu’elle peut utiliser la redistribution ainsi que l’échange comme
méthodes subordonnées. On peut parvenir à la réciprocité en partageant le
poids du travail selon des règles précises de redistribution, par exemple lors
de l’accomplissement des tâches “à tour de rôle”. De même, la réciprocité
s’obtient parfois par l’échange selon des équivalences fixées afin d’avantager
le partenaire qui vient à manquer d’une espèce de produits indispensables
– institution fondamentale dans les anciennes sociétés d’Orient. En fait, dans
les économies non marchandes, ces deux formes d’intégration – réciprocité
et redistribution – se pratiquent généralement ensemble » (Polanyi et al.
[1957] 1975 : 247).
Cette précision nous invite à repérer non seulement les enchevêtrements
de logiques au sein d’une même pratique, mais aussi les formes de complé-
mentarité et de tension (Tableau 1).
2. Contexte de l’étude et méthodologie de la recherche
Situé à l’est de la très vaste RDC, le Sud-Kivu porte encore les stigmates
des années de guerres (1996-1997 ; 1998-2002) et d’instabilité qui ont dure-
ment frappé cette province voisine du Rwanda et du Burundi. De nombreux
habitants ont été contraints à de fréquents déplacements pour échapper à l’in-
sécurité. Ceux qui ont trouvé durablement refuge dans les villes de Bukavu
et d’Uvira sont à l’origine de l’explosion démographique urbaine observée
à partir du milieu des années 1990 (Nyenyezi Bisoka & Ansoms 2015). Si la
320 Conjonctures congolaises 2016
Tableau 1 : les quatre principes polanyiens d’intégration économique
Marché Redistribu- Réciprocité Administra-
tion tion domes-
tique
Figure Interdépen- Centralité Complémen- Divers types
d’inter dance automa- instituée tarité instituée possibles
dépendance tique via une (complé-
concurrence mentarité ou
mécanique hiérarchies
instituées)
Type de Système de Verticale (et Horizontale Groupe
structure marchés hiérarchique) (et symé- domestique
institution- (à prix trique) (parfois
nelle fluctuants) autarcique)
Logique Maximisation Obligation Obligation Production
d’action des intérêts dans un sys- entre pairs pour son
personnels tème centra- propre usage
lisé et partage
Source : Hillenkamp, Lapeyre & Lemaître 2013.
paix est revenue, des poches d’insécurité subsistent dans les campagnes, qui
sont encore le théâtre d’incivilités commises par des groupes rebelles ou des
militaires en déroute. Début 2015, l’agence onusienne de coordination des
affaires humanitaires (OCHA) pour le Sud-Kivu estime que le nombre de
déplacés à l’intérieur de la province s’élève à plus de 600 000, soit environ
10 % de la population (OCHA 2015).
La vaste majorité des quelque 5 millions d’habitants que compte la pro-
vince survivent grâce à des activités dans le secteur informel. En milieu
rural, il s’agit principalement d’activités informelles dans le secteur de
l’agriculture et de l’élevage, même si de nombreux ménages tentent de
diversifier leurs activités en entreprenant de petits commerces (tels que la
revente au détail de biens achetés en ville) ou l’exploitation artisanale de
minerais (coltan, or ou cassitérite selon les opportunités). En milieu urbain,
l’emploi formel est non seulement limité mais également précaire.
Les résultats présentés sont principalement issus d’une enquête de ter-
rain exploratoire, réalisée en juin 2011 au Sud-Kivu. Cette enquête visait à
saisir les stratégies de protection mobilisées par les acteurs populaires et les
logiques socio-économiques sous-jacentes. Pour répertorier la variété des
stratégies, l’enquête fut réalisée en milieu urbain (Bukavu, Uvira-Kalundu),
péri-urbain (Bagira, Kiliba) et rural (Kalehe, Miti). Ces zones d’enquête
furent sélectionnées selon des critères pragmatiques de sécurité et d’acces-
sibilité. Au total, 69 entretiens individuels et semi-directifs (avec une quasi
Stratégies de protection populaires et logiques socio-économiques au Sud-Kivu 321
équivalence d’hommes et de femmes) et 12 entretiens collectifs ont été réa-
lisés avec la collaboration d’un chercheur local4.
Le guide d’entretien comprenait des questions sur les risques et les
chocs, sources de vulnérabilité, ainsi que sur les stratégies de protection
mobilisées pour y faire face. L’entretien comportait également des ques-
tions ouvertes visant à saisir les logiques socio-économiques à l’œuvre dans
ces stratégies. Notre objectif n’était pas de quantifier, mais simplement de
répertorier la diversité des stratégies de protection et d’en saisir les logiques
socio-économiques dominantes. Les résultats de cette première enquête
exploratoire furent l’objet d’une première publication (le Polain & Nyssens
2013) que le présent article revisite à la lumière de données recueillies ulté-
rieurement, en 2013 et 2014. Deux enquêtes de terrain ont été menées en
octobre/décembre 2013 et juillet/octobre 2014 en milieu urbain (Bukavu),
péri-urbain (Bagira) et rural (Miti) dans le cadre de notre thèse de doctorat
– portant sur l’étude des processus d’appropriation des groupes d’épargne –
et nous ont permis de compléter nos premiers résultats et analyses relatives
aux logiques socio-économiques des stratégies de protection.
3. Origines des risques et chocs sources de vulnérabilité
Avant de décrire les stratégies de protection mobilisées par les acteurs
populaires, citons brièvement la nature des risques et des chocs à l’origine
de tensions financières pour les personnes interrogées5.
Il y a tout d’abord des événements communs à de nombreuses sociétés.
Les ménages interrogés citent l’arrivée d’un nouvel enfant ou la célébration
d’un mariage, qui occasionnent des dépenses prévisibles mais néanmoins
importantes. L’accouchement engendre également des dépenses impor-
tantes, surtout lorsqu’il nécessite une césarienne. Les dépenses liées à la
célébration d’un mariage sont proportionnelles au nombre d’invités qui se
joignent aux festivités. Or ce nombre est souvent important au Sud-Kivu,
même au sein des ménages dépourvus de moyens financiers. Aux dépenses
liées aux festivités, s’ajoute la remise traditionnelle de la dot, qui alourdit le
fardeau financier du futur marié (et de sa famille). Le décès d’un membre
du ménage est un événement généralement non prévisible qui implique éga-
lement des dépenses, liées à l’organisation des funérailles. Il ne s’agit pas
seulement d’acheter un cercueil (dont le prix avoisine les 20-30 dollars),
mais surtout d’accueillir et de nourrir les proches qui viendront rendre un
dernier hommage au défunt.
4
Guillaume Bidubula, chercheur à l’Université catholique de Bukavu (UCB).
5
Cohen et Sebstad (2005) ainsi que Collins et al. (2009) distinguent les chocs liés à des
urgences (emergencies) et ceux liés au cycle de la vie (life-cycle events). Nous distinguerons
plutôt dans notre analyse les risques et les chocs qui ont toujours existé de ceux liés à
l’évolution récente du contexte du Sud-Kivu.
322 Conjonctures congolaises 2016
Ensuite, les ménages se voient exposés aux aléas naturels liés au cli-
mat ou à des maladies qui affectent les cultures vivrières. Dans la ville de
Bukavu, construite à flanc de collines, les ménages interrogés évoquent les
dégâts causés durant la saison des pluies. Les déluges qui rythment cette
saison occasionnent de nombreux éboulements de terrain, qui endommagent
fréquemment les habitations. En milieu rural, les enquêtés citent également
les maladies qui s’attaquent aux cultures vivrières, par exemple le flétris-
sement bactérien du bananier ou la mosaïque du manioc, lesquelles sont à
l’origine d’une baisse de la production et d’une perte de revenus.
Par ailleurs, les pressions financières liées à la contraction des dépenses
publiques dans les secteurs de la santé et de l’éducation accentuent ces
conditions de vulnérabilité. L’absence de ressources publiques à disposition
des structures sanitaires implique que la quasi-totalité des soins de santé
au Sud-Kivu sont à la charge des patients (sauf dans les structures médi-
cales appuyées financièrement par des ONG internationales qui appliquent
la gratuité des soins). L’hospitalisation d’un membre de la famille, sou-
vent inattendue et inévitable, peut dès lors se présenter comme un gouffre
financier. Une personne interrogée raconte à ce titre la rétention de son
mari, pourtant guéri, à l’hôpital d’Uvira en raison d’une facture impayée6.
Dans le secteur de l’éducation, la faiblesse des dépenses publiques signifie
que la majeure partie des salaires des enseignants provient de « primes »
scolaires que versent les parents d’élèves. Ces primes scolaires s’élèvent
à 5-15 dollars par enfant et par trimestre dans l’enseignement primaire et
30-60 dollars dans l’enseignement secondaire. Pour décourager les parents
mauvais payeurs, les enseignants n’hésitent pas à renvoyer chez eux leurs
enfants concernés7. Pour les parents ayant plusieurs enfants en âge de fré-
quenter l’école, les primes scolaires, bien que prévisibles, représentent un
lourd fardeau financier souvent évoqué au cours des entretiens.
Enfin, nombre de chocs sont causés par l’insécurité qui prévaut dans
cette région. En milieu rural, les ménages interrogés à Miti, aux abords du
parc de Kahuzi Biega8, ou à Kalehe mentionnent les risques de vols et de
pillages occasionnés par des groupes armés qui sèment çà et là trouble et ter-
reur. Plusieurs personnes interrogées aux abords de Miti racontent qu’elles
ont été contraintes d’abandonner maison, champs et petit bétail pour échap-
per temporairement à l’insécurité ambiante9. Si celles-ci trouvent refuge
ailleurs, elles sont toutefois privées de leurs moyens de production, et donc
de potentiels revenus. À cela s’ajoute un climat économique instable. Les
6
Entretien avec une femme à Uvira, juin 2011.
7
Observations réalisées à l’école de Kadutu, novembre 2013.
8
Le Parc national Kahuzi-Biega, situé au nord-ouest de Bukavu, est devenu un lieu de
refuge pour certains groupes armés.
9
Entretiens réalisés auprès de plusieurs ménages à Miti, septembre 2014.
Stratégies de protection populaires et logiques socio-économiques au Sud-Kivu 323
ménages interrogés rapportent en effet la volatilité du prix des matières
premières exploitées de façon artisanale (coltan, cassitérite, or). Quant aux
personnes actives dans le commerce, elles évoquent la volatilité des coûts
de transport et les multiples « tracasseries » causées par les agents de l’État.
Même des activités d’achat et de revente, en apparence faiblement risquées,
sont soumises au Sud-Kivu à une part importante d’incertitude qui occa-
sionne des rendements aléatoires.
En conclusion, si les tensions financières occasionnées par une naissance,
un mariage, ou même des aléas naturels liés au climat ou à des maladies de
cultures ont toujours existé, les sources de pressions financières se sont mul-
tipliées ces dernières années. La faiblesse des dépenses publiques implique
que les frais de scolarité et soins de santé sont désormais à la charge des
ménages ; tandis que le climat sécuritaire encore fragile au Sud-Kivu a
d’importantes répercussions sur les activités économiques des individus.
4. Stratégies de protection mobilisées par les acteurs
populaires
Pour faire face à une perte de revenus ou à des dépenses importantes ou
imprévues, les personnes rencontrées au cours de notre enquête ont recours
à plusieurs stratégies. Pour les présenter, nous distinguons 1) les stratégies
individuelles (formelles et informelles), 2) les stratégies collectives infor-
melles et 3) les stratégies collectives formelles. Ce choix est opéré pour
des raisons de facilité par rapport aux suites de l’analyse sur les logiques
socio-économiques qui sous-tendent ces stratégies de protection. Précisons
encore que par stratégies formelles, nous entendons simplement qu’il s’agit
de stratégies s’appuyant sur des acteurs ou des institutions qui disposent
d’un statut juridique.
Les résultats de notre enquête nous ont permis d’identifier trois stratégies
individuelles (ou du ménage) répandues : a) la constitution d’une épargne
de précaution, b) la diversification des activités génératrices de revenus et
c) le recours à de petits prêteurs informels. Une stratégie commune à de
nombreux enquêtés consiste à épargner, constituer des réserves lorsque les
affaires tournent afin d’y puiser en cas de besoin financier urgent. Mais
la constitution d’une épargne de précaution ne se réalise pas sans peine.
Lorsqu’elle est gardée à la maison, il faut résister à la tentation de l’utili-
ser à d’autres fins plus immédiates10, comme l’illustre cet extrait : « parce
que quand je gardais l’argent à la maison, je m’apercevais après un temps
10
Ce phénomène de décalage entre intention et réalisation d’épargne est démontré par les
auteurs qui mettent en évidence l’existence de préférences temporelles (hyperboliques),
tournées vers le présent (Gugerty 2007 ; Umuhire 2013).
324 Conjonctures congolaises 2016
que je l’avais bouffé sans m’en rendre compte11 ». À cela s’ajoute la dif-
ficulté de résister aux sollicitations des proches qui viennent quémander
de l’aide : « quand on travaille, on est confronté à beaucoup de dépenses,
[…] au niveau familial, les problèmes ne manquent pas12 ». Pour échapper à
ces pressions, les personnes interrogées adoptent deux stratégies d’épargne
individuelles (nous évoquerons plus tard les tontines, stratégie d’épargne
collective). En milieu urbain, quelques ménages recourent aux services de
collecteurs d’épargne. Ces collecteurs visitent quotidiennement leurs clients,
sur leur lieu de travail ou à domicile, afin de collecter le montant d’épargne
fixe accordé au préalable (variant généralement entre 0,2 et 2 dollars). En
échange de l’épargne reçue, le collecteur composte la carte du client, com-
posée de 30 cases représentant le nombre de jours dans le mois. Le client est
en droit de récupérer son épargne auprès du collecteur à tout moment, mais
ce dernier ponctionnera, peu importe le montant total de l’épargne, des frais
équivalent à un jour d’épargne. Pour minimiser le rendement négatif sur leur
épargne, les clients sont incités à se conformer à leur projet d’épargne.
Certaines personnes interrogées protègent leur épargne en transformant
leur surplus monétaire en biens productifs, via l’achat d’animaux (une poule
vaut généralement entre 3 et 10 dollars, une chèvre entre 30 et 50 dollars,
et, dans le meilleur des cas, une vache s’acquiert entre 400 et 600 dol-
lars) voire l’acquisition d’un terrain. Bien que transformés, ces biens sont
considérés comme de l’épargne, comme en témoignent les deux extraits sui-
vants : « avoir une chèvre chez soi, c’est comme avoir de l’argent dans sa
poche13 » ; « chez nous, les Bashi, l’élevage ce n’est pas un métier, c’est
une épargne ». Les hommes interrogés privilégient aussi l’achat de tôles ou
de briques, qu’ils destinent à la construction ou à l’extension d’une habita-
tion future, mais qu’ils peuvent toutefois revendre en cas d’urgence. Si cette
stratégie de transformation du surplus monétaire en biens productifs domine
chez les ménages interrogés en milieu rural, elle est également pratiquée
par des personnes rencontrées en milieu urbain14, pourtant proches des ins-
titutions de microfinance et des collecteurs d’épargne. Ces enquêtés urbains
font le choix de transformer une partie de leur épargne monétaire par l’achat
de bétail ou de terrains dans leur village d’origine afin que ces placements
contribuent aux besoins de proches y résidant encore. Les familiers consom-
ment ainsi les produits dérivés de l’épargne, tels que le lait et les œufs, pour
satisfaire leurs besoins de consommation.
La diversification des activités génératrices de revenus est une stra-
tégie de réduction des risques répandue parmi les personnes interrogées.
11
Entretien avec une femme, Bukavu, octobre 2013.
12
Entretien avec un homme, Bukavu, novembre 2013.
13
Entretien avec un homme, Uvira, juin 2011.
14
Données récoltées au cours d’entretiens à Uvira, juin 2011.
Stratégies de protection populaires et logiques socio-économiques au Sud-Kivu 325
De fait, aucune personne rencontrée ne dépend d’une seule source de
revenu. Les ménages cherchent à réduire autant que possible la variabilité
de leurs revenus en multipliant les activités. Il peut s’agir d’activités de pro-
duction artisanales entreprises à domicile (comme la fabrication de beignets
de farine de manioc, de chips de bananes ou de savons traditionnels à base
d’huile de palme) ou encore d’activités d’achat et de revente au détail de
biens de consommation (haricots, farine, charbon de bois pour la cuisson,
vêtements de seconde main). La revente au détail s’effectue à la maison
(devant la porte ou à la fenêtre si l’habitation donne sur une ruelle fréquen-
tée) ou de manière ambulante. Soulignons que tous les membres du ménage
sont mis à contribution pour le bon fonctionnement de cette stratégie de
diversification. La main-d’œuvre disponible du foyer contribue à la fabrica-
tion artisanale de produits ou est chargée d’assurer la revente à la maison15.
Dans cette région caractérisée par l’omniprésence des acteurs de l’aide,
la participation recherchée à divers projets de développement relève en par-
tie d’une stratégie de diversification des revenus. Cette stratégie n’a pas
été explicitée par les personnes interrogées, mais plutôt observée au cours
des enquêtes de terrain de 2013 et 2014. Certains individus multiplient les
appartenances à des groupements (groupements de patients, associations de
femmes vulnérables, coopératives de producteurs ou mutuelles) appuyés
financièrement ou matériellement par des ONG. Les revenus susceptibles
d’être engrangés par ces engagements communautaires – via le paiement
de per diem, une rémunération ou des primes – représentent, chez certaines
personnes rencontrées, un complément non négligeable16.
Certains enquêtés évoquent aussi la possibilité de s’adresser, en cas d’ur-
gence, à des prêteurs informels. En ville, ils s’adressent aux cambistes, qu’on
retrouve à tous les coins de rue. Ailleurs, il peut s’agir d’un individu de la
communauté reconnu comme « Banque Lambert ». Ce nom, à l’origine,
celui d’une banque belge de l’époque coloniale, désigne aujourd’hui dans
le langage familier tout prêteur qui octroie des crédits sans délai, mais à des
taux exorbitants. Il s’agit d’une forme de crédit pont, pris pour affronter un
manque temporaire de liquidités, dont la durée peut être aussi courte qu’une
journée et dépasse rarement un mois. Notons que ces prêteurs locaux offrent
leurs services dans un rayon géographique spécifique, ce qui leur assure une
connaissance des clients. Pour récupérer leur argent auprès d’un débiteur
récalcitrant, certains n’hésitent pas à s’associer à des militaires pour exercer
15
Observations réalisées lors de la fabrication artisanale de chips de bananes et de beignets
de manioc dans deux ménages à Bukavu.
16
L’importance des ressources du secteur de l’aide au Sud-Kivu conduit à l’adoption de
comportements stratégiques de la part de certains acteurs populaires, qui cherchent
volontairement à se positionner comme « bénéficiaires » potentiels (le Polain 2015).
326 Conjonctures congolaises 2016
des pressions. En raison du coût et du stress occasionné par cette forme de
prêts, il s’agit néanmoins d’une stratégie de dernier recours.
Aux côtés de ces stratégies individuelles, les personnes interrogées men-
tionnent les stratégies collectives mises en œuvre informellement au niveau
de la communauté. Parmi celles-ci, nous avons relevé dans les entretiens :
a) la solidarité communautaire, b) les tontines, c) les mutuelles familiales, et
enfin d) les groupes d’épargne (savings groups), promus et encadrés par des
acteurs du développement.
Les réseaux de solidarité communautaire, qui se fondent sur les liens
familiaux, de quartier ou d’église, jouent un rôle primordial dans les stra-
tégies de protection des acteurs populaires. Cette assistance mutuelle, que
certains enquêtés dénomment eux-mêmes « solidarité africaine », signi-
fie que les membres appartenant à une même communauté adressent leur
sympathie à l’égard d’un des leurs affecté par un événement particulier.
Le soutien est non seulement affectif mais aussi matériel et/ou financier.
Soulignons que le terme de « solidarité » ne présuppose pas qu’il s’agit de
pratiques motivées par de l’altruisme (ni même un calcul intéressé ou autre
considération morale). Car les normes qui commandent ce genre de pra-
tiques semblent tellement évidentes aux yeux des personnes interrogées, et
sont si ancrées socialement, qu’elles laissent peu de place à une réelle liberté
individuelle. Les codes de l’assistance mutuelle au sein d’une communauté
sont généralement connus et partagés par ses membres. Les enquêtés disent
savoir plus ou moins ce que tel ou tel réseau attend d’eux comme contribu-
tion, en fonction du type d’événement. Cela transparaît dans l’explication
de l’un d’entre eux, qui nous précise : « pour le mariage d’un frère ou d’une
sœur, je me dois d’apporter une chèvre et un casier de bières17 ».
La solidarité communautaire justifie de même que les convives d’un
mariage arrivent rarement les mains vides. La remise des cadeaux est orga-
nisée publiquement au cours du mariage. Les invités offrent tour à tour leur
présent devant tous les invités présents. Le don d’une corde symbolise la
contribution d’une chèvre ou d’une vache dont la valeur monétaire équiva-
lente est remise aux jeunes mariés dans une enveloppe. Pourtant, une femme
interrogée reconnaît que si elle a bien reçu une corde de vache, l’équiva-
lent monétaire était ensuite bien inférieur à la somme attendue, comme en
témoigne sa remarque, teintée de regrets : « une corde de vache qui ne valait
même pas deux chèvres !18 » Cette remarque pointe en quelque sorte l’af-
faiblissement des pratiques de solidarité communautaire. Car, en dépit des
normes sociales véhiculées, ces pratiques d’assistance mutuelle dépendent
17
Entretien avec un homme, salarié au sein d’une ONG, Bukavu, juin 2011.
18
Entretien avec une femme, Bukavu, octobre 2013.
Stratégies de protection populaires et logiques socio-économiques au Sud-Kivu 327
in fine davantage de la capacité financière que de la volonté des membres à
honorer leurs obligations sociales. Et malgré la publicité des mécanismes,
les stratégies d’évitement restent toujours possibles.
En cas de difficulté, les enquêtés disent se tourner aussi vers leur réseau
(famille et amis) pour obtenir une aide ou un crédit. Le prêteur peut agir par
devoir moral, comme en témoigne cette femme : « avant, j’avais recours
à mon grand frère. Il me prêtait parfois 150 dollars, mais je peux dire que
c’était presque un don parce qu’après avoir remboursé 50 dollars il me disait
d’arrêter. Il me prêtait parce qu’il savait que je suis déjà veuve. Maintenant,
il s’est fait voler, c’est difficile pour lui d’encore me prêter19 ». Le prêteur
peut également être motivé par la perspective d’un geste réciproque20. Les
relations interpersonnelles dans lesquelles s’encastrent ces prêts comman-
dent de ne pas appliquer d’intérêt : « je prête mon argent mais je n’ai jamais
demandé un intérêt […] comment je peux demander un intérêt ? Si l’autre
commençait aussi à me demander des intérêts ? Dans notre famille, on s’aide,
on s’entraide entre nous21 ». Une forme d’intérêt, plus proche d’un partage
de bénéfices, est appliqué lorsque le crédit est fructifié, comme en témoigne
l’extrait suivant : « j’ai emprunté 80 dollars à un ami pour lancer mon éle-
vage de poules. L’ami qui m’a prêté cet argent me connaissait, je pouvais lui
confier mes problèmes. Après un certain temps, lorsque j’ai obtenu un petit
bénéfice, je l’ai remboursé avec un petit quelque chose22 ». Notons qu’en
swahili, le terme « faida » ne désigne pas seulement l’« intérêt », mais se
traduit également par « bénéfice », « profit » ou « avantage ». L’étymologie
arabe de ce mot suggère une conception de l’intérêt plus proche de celle du
principe de partage de perte et de bénéfices, caractéristique de la finance
islamique, que de celle d’une rémunération de l’épargnant, propre à la
finance occidentale moderne.
L’épargne, nous venons de le souligner, est une stratégie de protection
courante. Les cotisations régulières au sein de tontines (« likirimba » en
swahili ou encore « ristournes » pour les enquêtés urbains) constitue de
même une forme d’épargne répandue. Ces associations populaires d’épargne
et de crédit regroupent plusieurs personnes, souvent unies par des liens
19
Entretien avec une femme, Bukavu, août 2014.
20
Collins et al. (2009) distinguent les prêts « réciproques » et les prêts « obligatoires ». Pour
les premiers, le prêteur peut espérer que l’emprunteur lui rende la faveur dans le futur s’il se
trouve à son tour confronté à des difficultés financières. Dans le cas des prêts obligatoires,
le comportement du prêteur est dicté par l’obligation de prêter lorsqu’une personne proche
est dans le besoin.
21
Entretien avec une femme, Bukavu, août 2014.
22
Entretien avec une femme, Bukavu, août 2014.
328 Conjonctures congolaises 2016
de proximité (communautaires, géographiques ou professionnels)23 qui
décident collectivement du montant de et la fréquence de leurs cotisa-
tions. À chaque rencontre, la cagnotte (soit la somme des cotisations des
membres) est remise à l’un des membres du groupe, de sorte qu’à la fin
d’un cycle, chaque membre a eu son tour. Les tontines incitent et protègent
la constitution d’une épargne, comme l’illustre l’extrait suivant : « si je dois
me rendre moi-même à la COOPEC, je risque de négliger mon épargne, elle
va devenir irrégulière. Avec la tontine, je suis obligé de trouver 10 dollars
chaque jour ; je suis obligé de fournir des efforts chaque jour24 ». Au-delà de
cette fonction d’épargne, les personnes interrogées reconnaissent également
à la tontine une fonction d’assurance25. Même dans les tontines qui allouent
la cagnotte selon un ordre établi à l’avance, les enquêtés déclarent entre-
prendre des négociations – avec le groupe ou le bénéficiaire concerné – pour
permuter l’ordre d’allocation en cas de besoin. La permutation de l’ordre est
négociée avec ou sans frais, selon les motifs de l’échange et la relation qui
unit les deux individus concernés. Les tontines au sein d’un quartier, d’un
marché ou d’une église s’organisent généralement en fonction des capacités
contributives des membres. Par exemple, au sein d’une même église opè-
rent quatre groupes de tontines dans lesquelles la contribution varie de 0,5 à
5 dollars chaque dimanche pour s’adapter aux différences de revenus26.
Si les tontines remplissent une fonction d’épargne et dans une moindre
mesure d’assurance, les mutuelles, clubs d’entraide ou caisses sociales rem-
plissent avant tout une fonction d’assurance. Ces mutuelles regroupent le
plus souvent les ressortissants d’une même famille ou d’une même commu-
nauté qui décident de se réunir à une fréquence régulière27. Les réunions sont
l’occasion de cotisations qui alimentent un fonds de soutien permettant de
venir en aide à un membre de la communauté. Aujourd’hui, les mutuelles ne
se fondent plus uniquement sur l’origine territoriale des membres, mais éga-
23
Les tontines sont des associations d’épargne et de crédit informelles dont l’existence est
documentée dans un nombre impressionnant de sociétés (voir, par exemple, Geertz 1962 ;
Bouman 1995 ; Ardener 1964).
24
Entretien avec un chauffeur de taxi, Bukavu, décembre 2013.
25
Les auteurs de la littérature limitent généralement la fonction d’assurance aux tontines qui
allouent la cagnotte par mise aux enchères (Calomiris & Rajaraman 1998 ; Klonner 2003 ;
Gugerty 2007). Nos résultats suggèrent que même dans les tontines avec un ordre prédéfini
d’allocation de la cagnotte, les relations interpersonnelles autorisent des négociations et
permutations en cas d’urgence pour un membre du groupe.
26
Entretien avec une femme, membre d’une tontine, Bukavu, octobre 2013.
27
Selon Murhula Safari (2011), l’origine de ces mutuelles au Sud-Kivu est ancienne, et
remonterait à la période coloniale, lorsque les travailleurs qui avaient quitté leur milieu
d’origine pour répondre aux besoins de main-d’œuvre des colonisateurs, ont cherché à
recréer, dans leur nouveaux espaces de vie, une forme d’entraide en se regroupant par lieux
d’origine.
Stratégies de protection populaires et logiques socio-économiques au Sud-Kivu 329
lement sur des appartenances professionnelles ou des affinités. Il convient
de noter qu’une caisse sociale est parfois incorporée au fonctionnement
d’une tontine, via une déduction automatique d’une partie de la cagnotte ou
la mise en réserve d’une cagnotte, afin de répondre aux attentes d’assistance
mutuelle au sein du groupe.
Certains enquêtés appartiennent à un ou plusieurs groupes d’épargne
(savings groups). Ces groupes sont mis en place avec le soutien d’ONG de
développement, qui visent à améliorer la protection socio-économique des
personnes vulnérables. Rien qu’au Sud-Kivu, pas moins de neuf organisa-
tions d’aide internationales sont impliquées dans la promotion et la création
de groupes d’épargne fin 201428. En dépit d’appellations diverses29, tous les
modèles de groupes d’épargne s’organisent autour de deux caisses : (1) une
caisse d’épargne et de crédit et (2) une caisse de solidarité. Ces deux caisses
sont alimentées par des cotisations régulières des membres dont le mon-
tant est fixé collectivement. Ces modèles de groupes d’épargne s’inspirent
des pratiques populaires observées au sein des associations d’épargne et de
crédit comme les tontines ou les mutuelles, tout en visant à en améliorer le
fonctionnement (en sélectionnant les pratiques considérées comme les plus
efficaces) et à en faciliter la diffusion (via une standardisation des règles).
En réalité, ces modèles de groupes d’épargne se situent à la frontière entre
le formel et l’informel, puisqu’ils ne bénéficient d’aucun statut juridique,
mais opèrent selon des règles plus ou moins formalisées, enseignées par les
agents de développement qui promeuvent leur adoption.
La caisse d’épargne et de crédit collecte l’épargne des membres, laquelle
leur est ensuite prêtée. Cette caisse permet donc d’obtenir un crédit en cas
de besoin, sans délai ni garantie, même si le montant est limité par les fonds
disponibles en caisse. Les membres sollicitent un crédit lors des réunions du
groupe (hebdomadaires ou mensuelles, selon la fréquence fixée). Le délai
de remboursement varie entre 1 et 4 mois et le coût du crédit entre 5 et
20 % de la somme empruntée30. À nouveau, il ne s’agit pas exactement d’un
taux d’intérêt, mais plutôt d’un coût d’emprunt. Le modèle des mutuelles de
solidarité (MUSO) réfute explicitement la notion d’intérêt et préfère l’ap-
pellation de « PAF » (acronyme de « Participation aux Frais de gestion »).
Pourtant, les frais de gestion réels sont faibles puisqu’ils sont assumés entiè-
rement et bénévolement par les membres du groupe. Or, la PAF, convertie
28
Il s’agit des ONG internationales suivantes : CARE, CARITAS, CRS, IRC, Louvain
Coopération, PNUD, SIDI, W4W, ZOA.
29
Les plus connus étant l’Association villageoise d’épargne et de crédit (AVEC), Village
Savings and Loan Association (VSLA), Savings and Internal Lending Community (SILC),
Saving for Change (SfC) et Mutuelle de solidarité (MUSO).
30
Résultats obtenus au cours d’observations de groupes MUSO au Sud-Kivu, en 2013 et
2014.
330 Conjonctures congolaises 2016
en pourcentage du montant, représente une charge mensuelle oscillant entre
3 et 10 % du crédit, mais permet en revanche de couvrir le risque et faire
fructifier le fonds. Malgré ces deux principales limites – frais d’emprunt
élevés et montant du crédit limité par l’autofinancement –, les participants
à ces groupes d’épargne valorisent la rapidité, la flexibilité et le degré de
négociabilité qu’autorisent ces associations. Car les relations interperson-
nelles qu’entretiennent les membres des groupes impliquent, tout comme
pour les prêts interpersonnels évoqués ci-dessus, qu’un retard de rembour-
sement peut être toléré ou négocié avec le reste du groupe31.
Outre la fonction de protection par le biais du crédit, les groupes
d’épargne offrent également une forme d’assurance à travers la caisse de
solidarité. Cette caisse, également alimentée par des cotisations régulières,
verse des indemnités aux membres affectés par l’un des événements préala-
blement identifiés par le groupe comme donnant lieu à une compensation.
Les événements généralement retenus sont les mêmes que ceux qui appel-
lent à une solidarité communautaire (naissance, mariage, funérailles et
maladie). Si la caisse octroie des compensations financières, il n’est pas
rare que les membres y ajoutent des compensations en nature, surtout en
milieu rural (collecte de bois de chauffe, apport d’une poignée de haricots
pour venir en aide à un membre malade…). Il est intéressant de noter que
certains groupes d’épargne investissent une partie de leurs bénéfices collec-
tifs afin de lancer une activité génératrice de revenus (location d’un champ
communautaire, production artisanale de savons ou de braseros, achat d’un
moulin à manioc), dont les bénéfices sont destinés à renforcer les caisses
communes du groupe.
Quelques enquêtés nous confient souscrire à des mutuelles de santé,
des associations formelles visant à améliorer l’accès aux soins de santé.
Les premières mutuelles de santé sont apparues dans les années 1990 au
Sud-Kivu, à l’initiative d’acteurs du développement soucieux de favoriser
l’accessibilité financière aux soins de santé pour les populations plus vul-
nérables (notamment le Bureau diocésain des Œuvres médicales [BDOM],
avec l’appui financier de plusieurs bailleurs internationaux). L’adhésion
à une mutuelle réduit la charge financière des soins médicaux puisque la
mutuelle couvre généralement – sur la base d’une tarification négociée avec
les prestataires de soins – 50 % des frais facturés pour les soins ambula-
toires et 80 % des frais pour les soins hospitaliers. Pour devenir membre,
31
Nos observations rejoignent celles de Johnson et Sharma (2007) à propos des retards de
remboursement dans les groupes d’épargne au Kenya. Les auteurs mettent en évidence la
« négociabilité » des prêts, rendue possible par les relations sociales qui les sous-tendent.
Ils ajoutent que cette négociabilité est la plus grande force de ces groupes (les termes de
remboursement s’adaptent de façon flexibles aux difficultés des membres) autant que leur
plus grande vulnérabilité (un défaut de remboursement menace la pérennité du groupe).
Stratégies de protection populaires et logiques socio-économiques au Sud-Kivu 331
les adhérents doivent s’acquitter d’une cotisation annuelle pour l’ensemble
des membres de leur ménage (entre 3-7 dollars par individu). Si cette unité
familiale d’adhésion présente l’avantage de limiter les risques de sélection
adverse pour la mutuelle, elle constitue, selon les enquêtés, une barrière
financière pour les familles nombreuses.
Les institutions de microfinance (IMF) sont principalement utilisées
par les personnes interrogées en milieu urbain. Les exigences de garanties
matérielles (comme la preuve d’un titre foncier) et le délai d’attente pour
l’analyse d’une demande de crédit rend les produits financiers inadaptés aux
urgences financières. Certaines personnes déplorent également le manque
de souplesse des agents de crédit employés au service de ces structures, car
ces derniers ne tolèrent aucun retard de remboursement et sanctionnent sans
délai. Quant aux individus interrogés en milieu rural, la distance géogra-
phique explique à elle seule le faible attrait de ce type d’institutions.
Nous venons de décrire les multiples stratégies de sécurisation et de
protection mobilisées par les acteurs populaires au Sud-Kivu. En l’absence
de mécanismes de protection institutionnels publics, les personnes rencon-
trées au cours de notre enquête s’appuient sur une combinaison complexe
de stratégies de protection complémentaires. Les enquêtés recourent le plus
souvent à plusieurs stratégies en même temps, suggérant qu’une seule stra-
tégie suffit rarement seule à les protéger des conséquences négatives d’un
choc. Les ménages les plus vulnérables sont souvent exclus des groupements
informels (tontines, mutuelles, caisses sociales) autant que des COOPEC et
des mutuelles de santé. Leurs moyens de protection sont limités. Ils gèrent
les chocs vaille que vaille, le plus souvent exposés à des risques de vulné-
rabilité aggravée.
5. Des logiques socio-économiques plurielles
Les différentes stratégies de protection mobilisées par les acteurs
populaires que nous venons d’identifier opèrent selon des logiques socio-
économiques variées. L’objectif n’est pas de réduire chaque stratégie à un
seul principe d’intégration, mais à l’invitation de Polanyi, de repérer les
formes d’enchevêtrement, de complémentarité et de contradiction des
logiques au sein d’une même stratégie.
5.1. Administration domestique au cœur de la valorisation
de l’épargne
L’épargne en nature repose sur la logique de l’administration domes-
tique. L’avantage de cette pratique, selon les personnes interrogées, est la
perception de faire fructifier de l’épargne accumulée au sein du groupe
familial. Pour les habitants en milieu urbain, l’épargne en nature dans le
332 Conjonctures congolaises 2016
village d’origine présente l’avantage d’entretenir des liens et d’honorer un
devoir de solidarité envers les membres restés au village, qui bénéficient de
l’usufruit.
La stratégie de diversification des risques permet non seulement de
réduire les aléas de revenus, mais également de satisfaire aux besoins
de subsistance du ménage. Cela apparaît évident en milieu rural, où les
ménages font le choix d’une variété de cultures vivrières, destinées à l’au-
toconsommation. En milieu urbain, la nature des activités de production et
de commercialisation identifiées durant nos enquêtes (achat/revente de bei-
gnets, farine, haricots, braises) suggère que l’activité entreprise sert autant
à la (re)vente sur le marché (afin de dégager un surplus monétaire) qu’à
satisfaire les besoins de consommation du ménage. La stratégie de diver-
sification des activités génératrices de revenus répond donc à une logique
d’administration domestique, qui prend cependant appui sur une logique de
marché.
5.2. Prédominance de logiques réciprocitaires
Rappelons deux traits caractéristiques de la circulation des biens et ser-
vices dans une logique de réciprocité : la volonté de manifester un lien social
entre les parties prenantes, qui sont en relation d’interdépendance volon-
taire, et des échanges fondés sur la base d’une « équivalence » socialement
acceptable plutôt qu’une identité parfaite.
La solidarité communautaire est sous-tendue par une logique réciproci-
taire. Comme nous l’avons mis en évidence dans les sections précédentes,
certains événements (naissance, mariage, funérailles, maladies) donnent
lieu à des dons monétaires ou en nature – les dons en nature répondent à une
logique d’administration domestique. Ces échanges de dons tissent à leur
tour les liens de la communauté. La contribution de chacun se fait suivant
un critère d’adéquation de la contribution, lequel doit apparaître socialement
acceptable par l’ensemble du groupe. L’acceptation par la communauté
est rendue possible par les modes d’expression publique de ces échanges.
Pourtant, malgré l’obligation morale qui nourrit ces gestes d’entraide, « ce
n’est pas toujours facile ; ce n’est pas tout le monde qui va donner quelque
chose32 ». La solidarité communautaire tend à devenir une forme d’assis-
tance incertaine aux yeux des personnes interrogées.
Les groupements informels, tels que les tontines, les mutuelles d’entraide
ou les groupes d’épargne, redéfinissent de nouvelles formes d’entraide
mutuelle réciprocitaire. Les membres se choisissent librement pour entrer,
très clairement, en relation de complémentarité et d’interdépendance. Ils
définissent collectivement les règles d’entraide avant de se contraindre
32
Entretien avec un homme, Kiliba, juin 2011.
Stratégies de protection populaires et logiques socio-économiques au Sud-Kivu 333
mutuellement à leur respect, sous peine d’exclusion. La volonté d’adhérer
à ces groupements trouve son origine dans la perception d’une « solidarité
plus solide, plus facile et plus rapide33 », en comparaison avec l’assistance
mutuelle traditionnelle. En témoignent certaines appellations de mutuelles
très explicites comme celle de « caisse sociale solide, car ensemble on forme
une unité solide, qu’on ne peut pas casser. Cette caisse est sûre, on peut
compter dessus et elle solidifie nos relations34 ». Ces groupements infor-
mels ne se réduisent pas à leur seule fonction de protection ; ils remplissent
de toute évidence une fonction de maillage social entre les membres. Les
réunions de ces groupements sont des moments de partage et de sociabilité
privilégiés.
Néanmoins, ces groupements informels créent des espaces de solida-
rité plus étroite et plus exclusive. S’ils se fondent généralement sur des
liens préexistants d’appartenance (famille, église, voisinage), les capaci-
tés contributives du nouveau membre sont désormais examinées, comme
l’illustrent les deux extraits suivants : « on étudie aussi beaucoup les gens
avant d’accepter un nouveau membre, on sait ce qu’il fait, où il travaille, on
sait localiser l’argent35 », « on ne peut pas accepter tout le monde ». Au sein
d’une même communauté (église, quartier, marché, profession), les groupe-
ments informels se créent suivant les capacités financières des membres de
la communauté élargie, suggérant en cela une forme d’intérêt personnel, qui
reste cependant encadrée par la logique réciprocitaire dominante.
Le mode de fonctionnement des groupes d’épargne impulsés par les
ONG de développement s’inspire des pratiques observées au sein des ton-
tines. Si la logique réciprocitaire reste un fondement de ces modèles, ils
introduisent également des logiques marchande et de redistribution. Dans
les tontines, la cagnotte est allouée « à tour de rôle », conformément à une
logique de redistribution réciprocitaire. Mais qu’en est-il lorsque l’octroi de
prêts dans les groupes d’épargne est conditionné par le versement d’un inté-
rêt ? À nos yeux, cette condition introduit une forme de logique marchande
via l’attribution d’un prix à la ressource échangée (en l’occurrence, un
intérêt chargé d’équilibrer l’offre et la demande de monnaie). Si l’échange
n’a pas lieu entre deux anonymes et que les promoteurs des mutuelles de
solidarité insistent sur le fait que le versement d’un intérêt ne doit pas être
interprété comme une charge anonyme36, cette nouveauté n’introduit pas
moins subrepticement une logique de merchandisation (commodification)
de la ressource monétaire. L’intérêt, ou le prix de la monnaie, est justifié
33
Entretien avec un homme, membre d’une tontine, Bukavu, novembre 2013.
34
Entretien avec un homme, membre d’une mutuelle de solidarité, Bukavu, novembre 2013.
35
Entretien avec une femme, membre d’une tontine, Kalehe, juin 2011.
36
Voir Taillefer & Rossier 2005.
334 Conjonctures congolaises 2016
comme un moyen d’encourager une meilleure allocation de la ressource
monétaire par un mécanisme de prix.
À cela s’ajoute une logique de redistribution, absente des groupements
informels. Car les groupes d’épargne sont créés à l’initiative d’ONG dési-
reuses de combattre la vulnérabilité des ménages. Pour promouvoir la
création de groupes d’épargne, ces ONG sont soutenues financièrement par
des ressources de la coopération internationale. À la suite de Gardin (2006),
on pourrait voir dans cette relation à l’ONG une forme de réciprocité iné-
galitaire, qui correspond à la solidarité pour autrui lorsque le bénéficiaire
(en l’occurrence, le groupe d’épargne) n’est pas en position de rendre ce
qui lui est attribué (l’ONG). Mais la symétrie entre groupes, fondement de
la réciprocité, peut toutefois être contestée. À la suite de Lemaître (2009), il
est donc peut-être plus judicieux de voir dans cette solidarité internationale
une logique de redistribution. Les ressources de l’ONG sont, en effet, issues
des bailleurs de fonds de la coopération internationale, qui relèvent de la
redistribution, les ONG internationales et locales jouant un rôle d’intermé-
diaires. La réciprocité qui se déploie entre les membres du groupe d’épargne
est donc en quelque sorte encadrée par la redistribution. Ces réflexions nous
renvoient à la question des frontières parfois poreuses entre redistribution
et réciprocité, déjà présente dans les ouvrages de Mauss (1923) et Polanyi
(1944). En effet, comme le souligne Gardin (2006), il semble que pour ces
auteurs, le concept de don s’applique aussi à la sphère de la redistribution.
5.3. Mutuelles de santé et COOPEC : réciprocité menacée
par des logiques de redistribution et de marché
Les mutuelles de santé et les COOPEC sont deux modèles qui reposent,
dans leurs principes, sur un idéal démocratique, participatif et non lucra-
tif, qui implique une interdépendance volontaire et complémentaire des
membres, suggérant la primauté d’une logique réciprocitaire. Des logiques
de redistribution et de marché semblent cependant concurrencer cette
logique réciprocitaire.
À la base, l’esprit des mutuelles de santé repose donc sur une logique
de symétrie entre les mutualistes eux-mêmes, tout comme les tontines. Le
mouvement mutualiste est soutenu par un objectif social et politique d’ac-
cès aux soins de santé des communautés locales quel que soit leur niveau
de revenu. Les cotisations ne sont pas fixées en fonction du risque du
bénéficiaire, comme le voudrait une logique marchande. En pratique, les
mutuelles de santé au Sud-Kivu émanent d’initiatives centralisées, de la
part d’acteurs du champ de la santé, soucieux d’améliorer l’accessibilité des
populations aux soins de santé. Portés par cette ambition, ceux-ci dévelop-
pent alors de manière systématique la mise en place de mutuelles de santé.
Cette dynamique présente l’avantage d’une diffusion rapide du système
Stratégies de protection populaires et logiques socio-économiques au Sud-Kivu 335
mutualiste, tout en assurant au mouvement l’assise qui lui est nécessaire.
En effet, l’isolement des mutuelles les rend vulnérables, alors que leur dif-
fusion et leur mise en réseau leur permettent de renforcer leur viabilité. En
cela, on peut rapprocher ces dynamiques d’appui extérieur d’une logique de
redistribution, qui reste cependant volontaire puisque l’autorité centrale ne
peut imposer l’adhésion. Mais cette logique de redistribution, en visant l’ex-
pansion rapide du mouvement mutualiste, menace à son tour de fragiliser
les dynamiques d’entraide mutuelle ancrées dans la réciprocité. Comme le
soulignent Nyssens et Vermer (2012), il convient, sans doute, de trouver un
compromis entre, d’une part, la diffusion et la professionnalisation néces-
saires des mutuelles de santé et, d’autre part, le maintien de leur autonomie
indispensable à leur viabilité sociale.
En théorie, les principes de base des COOPEC suggèrent également une
logique de réciprocité. Pourtant, elles semblent de plus en plus soumises à
des logiques marchandes, comme le déplore un enquêté : « Parce que les
COOPEC, si seulement elles n’étaient pas détournées de leurs missions…
Mais courant derrière la rentabilité, elles ont été obligées de quitter leur
mission à l’initiale37 ». Parce qu’elles concentrent leur clientèle sur la classe
moyenne urbaine et conditionnent l’octroi d’un crédit à l’apport de garan-
ties, les COOPEC sont assimilées à une banque commerciale. Les frais
d’adhésion à un prix d’accès et le mouvement de circulation des ressources
par un échange marchand plus que par un échange intégratif ancré dans
la réciprocité – c’est-à-dire dans une reconnaissance d’interdépendances
entre membres d’une même communauté – achèvent de confirmer cette
perception.
Si les activités des mutuelles de santé et COOPEC sont donc, à l’origine
et dans l’idéal, encastrées et contenues par l’objectif collectif, la croissance
trop rapide du mouvement ou la course à la rentabilité menace la logique
réciprocitaire au cœur de leur fondement.
5.4. Logique de marché dominée par des liens clientélistes
Si la logique de marché, selon laquelle l’action est fonction d’une
recherche de profit et d’enrichissement personnel, domine peu les stratégies
de protection mobilisées par les acteurs populaires, elle n’est pas non plus
totalement absente.
Lorsqu’elle s’observe, elle prend plutôt la forme de « liens clientélistes »
que de « place de marché », pour faire référence à la distinction opérée
par Servet. Les collecteurs d’épargne qui visitent quotidiennement leurs
clients sur les marchés ou à domicile, ou les activités d’achat et de revente
qui ont lieu dans le quartier, et dont les clients appartiennent généralement
37
Entretien avec un homme à Bukavu, septembre 2014.
336 Conjonctures congolaises 2016
à l’entourage social direct du vendeur, opèrent selon une logique de liens
clientélistes. On est, dans ces pratiques marchandes, bien loin de la logique
d’anonymat. Dans une certaine mesure, même les prêteurs locaux qui
offrent en dernier recours des prêts à des taux exorbitants opèrent selon
une logique de liens clientélistes puisque leur activité de prêts repose sur la
bonne connaissance de leurs clients.
Tableau 4 : logiques socio-économiques dominantes
dans les stratégies de protection
Admin. Récipro- Redistri- Échange
domes- cité bution marchand
tique
Constitution d’épargne de x
protection via l’achat de biens
productifs
Constitution d’épargne de x
protection via les collecteurs
journaliers
Diversification des activités x
génératrices de revenus
Prêteurs locaux x
Solidarité communautaire x x
traditionnelle
Prêts interpersonnels x x
Tontines x
Mutuelles familiales ou x
communautaires
Groupes d’épargne (savings x x
groups) impulsés par des ONG
Mutuelles de santé x x x
COOPEC x x x
Conclusion
Ce travail vise à mettre en lumière les logiques socio-économiques à
l’œuvre dans les stratégies de protection des acteurs populaires. Malgré son
caractère exploratoire, qui constitue de toute évidence sa principale limite,
il nous invite à tirer quelques conclusions.
La première est qu’adopter une vision substantive de l’économie per-
met de saisir l’encastrement de stratégies de protection dans l’ordre social.
Stratégies de protection populaires et logiques socio-économiques au Sud-Kivu 337
Les stratégies de protection sous-tendues par des logiques d’administra-
tion domestique et de réciprocité ne peuvent être réduites à leur fonction
de protection économique. Les stratégies prennent appui sur des relations
sociales (préexistantes), mais les flux économiques d’assistance nourris-
sent d’autres finalités. Les échanges réciprocitaires qui ont lieu autour de
la naissance, du mariage et du décès suggèrent que ces flux font également
fonction d’institutions sociales, symboliques, religieuses, donc non écono-
miques. De manière plus subtile, l’encastrement social prévaut de même
pour certaines stratégies de protection individuelles, qui entraînent des indi-
vidualités financières, sans individuation à proprement parler. Au Sud-Kivu,
l’ordre économique n’agit pas seul, de façon autonome et indépendante, il
est encadré par l’ordre social.
Une seconde conclusion est que les logiques réciprocitaire, redistribu-
tive et marchande se côtoient, s’enchevêtrent et s’encadrent au sein parfois
d’une même stratégie. Nous avons montré que les groupes d’épargne sont
fondés sur une logique de réciprocité, mais que leur diffusion invoque elle-
même des ressources issues de la redistribution. De même, l’expansion et
la professionnalisation, d’une part, du mouvement mutualiste reposant sur
une logique redistributive de type volontaire, et d’autre part, du mouvement
coopératif reposant sur une logique marchande, viennent enserrer, mais au
risque de la fragiliser, la logique réciprocitaire sur laquelle ces mouvements
se fondent.
Enfin, il apparaît que la confiance est un élément indispensable au bon
fonctionnement des logiques socio-économiques. La logique réciprocitaire
se fonde sur une confiance mutuelle, qui est le produit d’interactions répétées
entre les différentes parties (Fafchamps 2004). Les logiques de redistribu-
tion et de marché reposent quant à elles sur une confiance institutionnelle et
généralisée. Or, ces deux dernières formes de confiance font le plus souvent
défaut dans le contexte particulièrement instable du Sud-Kivu, entravant le
bon fonctionnement des stratégies de protection sous-tendues par ses deux
formes de logiques socio-économiques. Repenser les formes de protection
sociale en RDC pose donc en filigranes la question de la construction de la
confiance institutionnelle et généralisée.
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récits de vie dans une ville de tous les dangers, n° 88, 2016, 196 p., 21,50 €.
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2015. Entre incertitudes politiques et transformation économique, n° 87, 2016,
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2014. Politique, territoires et ressources naturelles : changements et continuités,
n° 86, 2015, 304 p., 32,50 €.
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Marysse, Stefaan & Omasombo, Jean (éd.), Conjonctures congolaises 2013. Percée
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2013, 320 p., 33 €.
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Bouvier, Paule, en collaboration avec Francesca Bomboko, Le Dialogue
intercongolais. Anatomie d’une négociation à la lisière du chaos. Contribution à la
théorie de la négociation, n° 63-64, série 2003, 328 p., 29,50 €.
Trefon, Theodore (sous la direction de), Ordre et désordre à Kinshasa. Réponses
populaires à la faillite de l’État, n° 61-62, série 2003, 256 p., 23 €.
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Rubbers, Benjamin, Devenir médecin en République démocratique du Congo.
La trajectoire socioprofessionnelle des diplômés en médecine de l’université de
Lubumbashi, n° 56, série 2002, 132 p., 14 €.
Verhaegen, Benoît, avec la collaboration de Charles Tshimanga, L’ABAKO et
l’indépendance du Congo belge. Dix ans de nationalisme kongo (1950-1960),
n° 53-54-55, série 2001-2002, 460 p., 35 €.
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n° 15 de la revue Enquêtes et documents d’histoire africaine), 15 €.
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n° 30, 1997, 149 p., 14 €.
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De Herdt, Tom et Marysse, Stefaan, L’Économie informelle au Zaïre, n° 21-22,
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Mathieu, Paul, Laurent, Pierre-J. et Willame, Jean-Claude (dir.), Démocratie,
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Reyntjens, Filip, Rwanda. Trois jours qui ont fait basculer l’histoire, n°16, 1995,
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Yoka Lye, Lettres d’un Kinois à l’oncle du village, n° 15, 1995, 160 p., 15 €.
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Les ouvrages n°2, 3, 4 et 5 sont épuisés.
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CAHIERS AFRICAINS AFRIKA STUDIES
(anciennement Cahiers du CEDAF) (voorheen ASDOC-Studies)
ISSN 1021-9994
www.africamuseum.be/research/publications
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