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L'Exception D'inconstitutionnalité en Question - Dans La Protection Des Droits Et Libertés - en Guinée Et Au Sénégal

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REVUE

CONSTITUTION ET
RCC CONSOLIDATION
DE L’ÉTAT DE DROIT DE LA DÉMOCRATIE ET
DES LIBERTÉS FONDAMENTALES EN
AFRIQUE

ÉDITORIAL
DOCTRINE (Page 5)
« La hiérarchie entre les normes de constitutionnalité au Bénin »
Prudent SOGLOHOUN, Maître-assistant en droit public Université
d’Abomey-Calavi (BENIN) (Page 7)
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits et libertés
en Guinée et au Sénégal »
Ansoumane SACKO Docteur en droit public / Université GLC de Sonfonia-Conakry (Page 61)
« La compétence pénale des juridictions constitutionnelles dans les Etats d’Afrique
noire francophone »
Jean Mermoz BIKORO, Docteur en droit public, Assistant à la Faculté des sciences juridiques
et politiques, Université de Yaoundé II (Cameroun) (Page 115)
« Le contentieux des contrats de partenariat public-privé en droit gabonais »
Félicien- Hance MBA NGUEMA, Doctorant en droit public Chercheur associé au CEDIC /
Université de Yaoundé 2 (Page 167)
«Le pouvoir normateur du Chef de l’État dans le régime parlementaire camerounais »
AMYE ELOUMA Lazare II Ph. D en droit public de l’Université de Yaoundé II
Chargé de cours à la FSJP de l’Université de Douala
Chercheur au CERCAF / Université de Yaoundé II (Page 209)

TRIBUNE LIBRE
« La Constitution invisible de la République du Bénin »
Errol TONI Docteur en droit public CERAF / Université d’Abomey-Calavi
Équipe de droit public / Université Jean Moulin – Lyon 3 (Page 257)
« Le contrôle de la légalité du représentant de l’Etat sur les
collectivités territoriales décentralisées au Cameroun»
AWONO ABODOGO Frank Patrick Docteur en droit
public à l’Université de Douala (Page 279)

JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE
DECISION EP 21-017 DU 22 FEVRIER 2021 (Page 307)
DECISION EP 21-014 DU 17 FEVRIER 2021 (Page 317)
DECISION EP 21-012 DU 17 FEVRIER 2021 (Page 323)
DECISION DCC 21-142 DU 20 MAI 2021 (Page 331)
ACTUALITÉ DES JURIDICTIONS CONSTITUTIONNELLES (Page 337)
351
2021 N° 5 / SEMESTRIEL COUR CONSTITUTIONNELLE
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN

COUR CONSTITUTIONNELLE

REVUE
C O N S T I T U T I O N ET
RCC C O NCSOONL SI D
O AL I D A T I O N
ET L’ÉTAT
AT DE DROIT DE DROIT, DE LA DÉMOCRATIE ET
DES LIBERTÉS FONDAMENTALES EN AFRIQUE

Doctrine ;
Tribune libre ;
Cour constitutionnelle
Jurisprudence ;
Actualité des juridictions constitutionnelles

1 N° 51/ Semestriel
2021
1
Copyright : Cour Constitutionnelle du Bénin

Mise en page et impression


BEDI CONSUTING
La Montagne D’Hebron
00229 96 09 68 38 / 00229 95 35 40 73
[email protected]
ABOMEY - Bénin
a
ISSN : 1840-9687
Dépot légal : n° 11573 du 30 adécembre
oût 2019 2020
3ème trimestre Bibliothèque Nationale
Distribution
s :+00229 21 31 14 59

Droités de reproduction, de traduction, d’adaptation réservés pour tout pays.


(Loi n° 2005-30 relative à la protection du droit d’auteur et des droits voisins
en République du Benin)

2
« L’exception d’inconstitutionnalité en question
dans la protection des droits et libertés
en Guinée et au Sénégal »

Ansoumane SACKO
Docteur en Droit Public
Université GLC de Sonfonia-Conakry

I- L’exception d’inconstitutionnalité en droits guinéen et


sénégalais : un mécanisme de protection des droits et libertés
A- L’originalité des systèmes guinéen et sénégalais
1- Les réformes normatives à l’origine de la consécration du
système de contrôle a posteriori en Guinée et au Sénégal
2- Les principales caractéristiques de l’exception
d’inconstitutionnalité en Guinée et au Sénégal
B- Une procédure encadrée dans sa mise en œuvre
1- Le champ d’application
2- Le cadre procédural in concreto

61
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

II- L’exception d’inconstitutionnalité entre protection des


droits et libertés et limites du contrôle en Guinée et au
Sénégal
A- Deux systèmes différents d’appréciation de la pertinence
des recours par les juges de fond
1- Un système de transmission de l’exception
d’inconstitutionnalité dénué de tout filtrage dissuasif en
droit guinéen
2- Les exigences préalables : sources de rapport
conflictuel dans l’appréciation des recours en exception
d’inconstitutionnalité au Sénégal
B- La jurisprudence de l’exception d’inconstitutionnalité en
manque d’épanouissement en Guinée et au Sénégal
1- La faible saisine au plan quantitatif
2- Les limites des juges constitutionnels guinéen et sénégalais
dans l’appréciation de l’exception d’inconstitutionnalité

62
Ansoumane SACKO

La justice constitutionnelle postule l’idée de la suprématie de la


Constitution garantie par un mécanisme de contrôle sanctionnant
les violations de la norme fondamentale1. La soumission de la loi
à la primauté de la Constitution et le développement du contrôle
de la constitutionnalité des lois sont devenus les marqueurs du
constitutionnalisme contemporain2. L’idée que le législateur puisse
adopter des lois liberticides est désormais acquise et le contrôle de l’acte
législatif est devenu une nécessité vitale pour la survie des démocraties
contemporaines. Dès lors, la garantie juridique de la Constitution et la
protection des droits fondamentaux conditionnent le fonctionnement
des systèmes politiques modernes3. La loi n’exprime la volonté
générale que dans le respect de la Constitution selon l’heureuse
formule du Conseil constitutionnel français4. En Guinée et au
Sénégal, l’expérimentation de la justice constitutionnelle pouvait être
qualifiée d’embryonnaire5. Le juge constitutionnelle, incorporé dans
une section ou chambre de la Cour suprême n’avait que peu d’impact
dans le jeu politique et institutionnel,6 ainsi que dans le contrôle et
la garantie des droits fondamentaux. Les nouvelles constitutions
africaines de la transition démocratique7 font du juge constitutionnel
1 El. Omar Diop, « Justice constitutionnelle et démocratie en Afrique », Annales africaines, Vol. 1,
Avril 2017, N° 6, p. 2
2 E. Piwnica, « Le changement de culture opéré par l’arrivée de la question prioritaire de
constitutionnalité », pp. 19-41.
3 Ibid. p. 1
4 CC 85-197 DC, 23 août 1995, Nouvelle Calédonie, recueil, p. 10.
5 Ibid.
6 G. Conac (dir.), les Cours suprêmes en Afrique, T 1 et T. 2, Paris, Economica, 1989.
7 La doctrine consacrée à cette question est illustrative : B. Kanté, « La justice constitutionnelle
face à l’épreuve de la transition démocratique », in O. Narey (sous la direction de ), La justice
constitutionnelle, Acte du Colloque international de l’ANDC, Paris, l’Harmattan, 2016, p. 33 ; A.
Bourgi, « Le constitutionnalisme en Afrique, du formalisme à l’effectivité », RFDC, 2001, pp.
1-25 ; J. du Bois de Gaudusson, « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique », in
renouveau du droit constitutionnel, Mél. Louis Favoreux ; I. E. Manzan, Les accords politiques
dans la résolution des conflits armés internes en Afrique, thèse de doctorat en droit public, Univer-
sité La Rochelle et Université d’Abidjan, 2011-2012, 615 p ; F. J. Aïvo, « La crise de la normativité

63
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

la clé de voûte de l’architecture démocratique, et mieux encore,


l’instrument privilégié de l’édification de l’Etat de droit8. Sur le
chantier de l’Etat démocratique et dans la logique du renouveau
constitutionnel marqué par un processus atypique ayant débouché
sur l’adoption d’une constitution ad hoc, la Cour constitutionnelle
de Guinée a été créée par l’ancienne constitution du 07 mai 2010,
sans être rattachée, ni organiquement, ni fonctionnellement au
pouvoir judiciaire9. Cette consécration a entrainé une émancipation
institutionnelle vis-à-vis de la Cour suprême qui intégrait les
attributions constitutionnelles dans sa chambre constitutionnelle et
constitutionnelle en Afrique », RDP, 2012 ; L. Sindjoun, « Les dynamiques de la justice constitu-
tionnelle en Afrique », in de l’esprit du droit africain, Mél. en l’honneur de Paul Gérard Pougoué,
wolters Kluwert, pp. 676-678 ; F. Hounanké, Les juridictions constitutionnelles dans les démocra-
ties émergentes de l’Afrique noire francophone. Les cas du Bénin, Gabon, Niger, Sénégal, Togo,
Université de Lomé, Togo, avril 2012 ; O. Dia, le contrôle de constitutionnalité des lois au Sénégal :
analyse jurisprudentielle du processus de vérification des lois à la Constitution, Thèse, Université
Gaston Berger de Saint-Louis, 2011, 507 p. ; C.P.T. Soglohoum, le rôle du juge constitutionnel dans
le processus de démocratisation en Afrique. Les cas du Bénin, du Mali, du Sénégal et du Togo, Thèse de
doctorat en droit public, Université d’Abomey-Calavi 2011 ; Augustin Loada, Abdoulaye Soma et
autres, Avis et décisions commentés de la justice constitutionnelle burkinabé de 1960 à nos jours,
Ouagadougou, CGD, 2009 ; E.H.O. Diop, La justice constitutionnelle au Sénégal. Essai sur l’évo-
lution, les enjeux et les réformes d’un contre-pouvoirs juridictionnel, Dakar, CREDILA, 2003, 298
p. ; pour une étude récente voir, A. Hassane, justice constitutionnelle et démocratie dans les Etats
d’Afrique noire francophone : cas du bénin, du Mali et du Niger, Thèse de doctorat en droit public,
Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2014, pp. 364-365.
8 T. Holo, « Emergence de la justice constitutionnelle », Pouvoirs, n° 129, p. 102. Voir aussi : El
Hadji Omar Diop, « Justice constitutionnelle et démocratie en Afrique », Annales africaines, n° 6,
vol 1, Avril 2017, P. 13 ; Y. S. Lath, « Utopie et vraisemblance du service public de la justice consti-
tutionnelle en Afrique francophone », in Fabrice Hourquebie (dir.), quel service public de la justice en
Afrique francophone, Bruxelles, Brulant, 2013, pp. 27-52 ; R. Manangou, « Congrès de l’Association
française de droit constitutionnel, Lyon, 26, 27 et 28 juin 2014, Atelier D : constitution, pouvoirs
et Contre-pouvoirs, animés par Bruno Daugeron et Anne Marie Le Pourhiet, in www.droitconsti-
tutionnel.org. (consulté le 11 septembre 2020).
9 Ses membres ont été nommés le 30 mars 2015. Voir le Décret D/2015/046/PRG/SGG du 30
mars 2015 portant confirmation de l’élection et de désignation des membres de la Cour Consti-
tutionnelle. Ils ont prêté serment le 07 avril suivant et ont été officiellement installés le 23 juillet
2015. Voir aussi, M. L. Bangoura, « L’exercice de l’exception d’inconstitutionnalité en Guinée »,
2éme Séminaire International : Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africains- CJCA, Alger,
du 24 au 27 novembre 2017, p. 115.

64
Ansoumane SACKO

administrative. Par contre, l’institutionnalisation d’une juridiction


constitutionnelle est relativement plus ancienne au Sénégal avec
la création du Conseil constitutionnel en 199210. Ce dernier,
forme avec la Cour suprême, la Cour des Comptes et les Cours et
tribunaux, le pouvoir judiciaire11.
En effet, la création des juridictions constitutionnelles en Guinée ou
au Sénégal, fait écho, certes décalé, à un phénomène de mode qui
s’est manifesté en Afrique par la vague des cours constitutionnelles
des années 1990. Le besoin de démocratisation et la nécessité
d’assurer la sanction des violations de la norme constitutionnelle se
traduisant en termes de renouveau constitutionnel, ont conduit au
prescrit de l’article 93 al. 2 de la constitution suivant lequel « Elle
(la Cour constitutionnelle) garantit l’exercice des droits fondamentaux
de la personne humaine et des libertés publiques » dont le répondant
est l’article 91 de la Constitution sénégalaise. La novation d’un
contrôle par voie d’exception qui s’opère a posteriori devient donc
une novation qui ne fait pas disparaître le contrôle a priori. Elle
influence cependant les conditions dans lesquelles il s’exerce. La
juridiction constitutionnelle peut être amenée à tenir compte d’une
décision rendue à la suite d’une exception d’inconstitutionnalité
dans une décision rendue dans le cadre du contrôle a priori. Dans
ces deux Etats, l’exception d’inconstitutionnalité tend à devenir la
seule procédure de contrôle de la constitutionnalité de la loi par le
juge de l’application de la loi (juridiction de droit commun).
10 M. Diop, « Evaluation de la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au Sénégal, et
les recommandations qui en découlent », 2éme Séminaire International : Conférence des
Juridictions Constitutionnelles Africains- CJCA, Alger, du 24 au 27 novembre 2017, p. 125.
11 Article 88 de la loi Constitution : loi constitutionnelle n°2008-34 du 7 août 2008 portant révision
de la Constitution, article remplaçant les mots « conseil d’Etat, Cour de Cassation » par « Cour
suprême ».

65
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

L’expression plus adaptée à la situation guinéenne et sénégalaise


devrait être celle dite de la question préjudicielle, même si l’expression
« exception d’inconstitutionnalité » est utilisée de façon générique.
Il est depuis longtemps établi qu’« une question préjudicielle est
une question dont (un juge) est saisi (et) que le juge ne peut lui-
même résoudre »12. A ce titre, il s’agit tout simplement de question
préjudicielle13, mais connue sous le nom générique exception
d’inconstitutionnalité. On le sait, l’exception d’inconstitutionnalité
est un incident de procédure dans le cadre d’un procès, à l’occasion
duquel un justiciable met en cause la conformité d’une loi14. Après
en avoir examiné le caractère sérieux, le juge, saisi au fond, est
appelé soit à statuer lui-même, soit à en renvoyer l’examen à la cour
constitutionnelle, au titre d’une question préjudicielle15. Dans ses
grandes lignes, la procédure est la suivante : à l’occasion d’un litige
devant n’importe quelle juridiction, un justiciable peut invoquer
la violation, par une disposition législative qui lui est appliquée,
des droits et libertés que lui reconnaît la Constitution16. Mises à
part la polysémie et la versatilité terminologique de la notion, les
droits fondamentaux sont les droits proclamés par la constitution

12 C. Cambier, Droit Judiciaire Civil, Bruxelles, Larcier, 1974, P. 210. ; voir aussi, M-Fr. Rigaux et B.
Renauld, La Cour constitutionnelle, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 174.
13 C’est l’expression qui a été préférée par exemple dans l’Annuaire international de justice constitu-
tionnelle, 2007 ; M. Fatin-Rouge Stefanini (études rassemblées par), « La question préjudicielle
de constitutionnalité en droit comparé », in A.I.J.C., 2007, pp. 12 et s
14 Elle peut concerner également une convention internationale à la constitution comme on le vois
dans le cas sénégalais
15 D. Rousseau, « La question prioritaire de constitutionnalité : un big bang juridictionnel ? », RDP,
n° 3, 2009, p. 634 ; Bertrand Mathieux, Question prioritaire de constitutionnalité, jurisprudence mars
2010-novembre 2012, LexisNexis, Paris, 2013, p. 47.
16 En France, cette question, qui prime sur une éventuelle question de conventionalité, d’où l’intitulé
retenu de « question prioritaire de constitutionnalité », arrête alors le déroulement du procès.

66
Ansoumane SACKO

et ou un texte international et dont la violation est sanctionnée, en


particulier, par le juge constitutionnel et ou le juge international17.
Le critère de fondamentalité est l’existence du droit dans le catalogue
constitutionnel et sa justiciabilité18. Il est évident que l’avènement de
la juridiction constitutionnelle dans les deux pays pris en exemples
constitue une révélation assez pertinente du rôle qu’elle joue dans
la protection des droits fondamentaux et la consolidation de l’Etat
de droit19. Son rôle ne se limite pas seulement à un simple contrôle
de constitutionnalité des normes, dans la mesure où, d’abord elle
a en charge les principaux contentieux à savoir le contentieux des
élections et des consultations populaires, le contentieux de la division
horizontale des pouvoirs, le contentieux de la division verticale des
pouvoirs et le contentieux des droits et libertés fondamentales20.

17 J. Andraintsimbazovina, H. Gaudin, (sous dir. de), Dictionnaire des droits de l’Homme, PUF, Paris,
2008, pp. 332 et s.
18 V. M. Habchi, « Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception d’inconstitu-
tionnalité, en Algérie », 2éme Séminaire International : Conférence des Juridictions Constitutionnelles
Africains- CJCA op. cit. p. 64 B. Mathieu, Question prioritaire de constitutionnalité, LexisNexis, Paris,
2013, pp. 47 et s.
19 En Guinée, la justice constitutionnelle est rendue par le la Cour constitutionnelle, juridiction
spécialisée, exclusivement compétente pour apprécier la conformité des lois et des engagements
internationaux à la Constitution. C’est la Constitution adoptée par le Conseil National de
la Transition en 2010 qui a institué la Cour constitutionnelle. La création d’une juridiction
constitutionnelle n’est pas une nouveauté en Guinée, la Constitution du 14 mai 1982 prévoyait
déjà la mise en place d’un Conseil constitutionnel. Mais en réalité cette juridiction n’a jamais
existé. Quant à la loi fondamentale du 23 décembre 1990, elle a institué la Cour Suprême
(Chambre constitutionnelle et administrative) compétente en matière constitutionnelle. Cette
dernière a existé jusqu’en 2015. C’est la Constitution du 07 mai 2010 qui a créé l’actuelle Cour
Constitutionnelle. Celle-ci a effectivement démarré ses activités en 2015. Elle demeure dans
l’armature institutionnelle, la gardienne de la Constitution. (art. 1er loi org. L/2011/006/CNT
du 10 mars 2011). Au Sénégal et à la différence du cas guinéen, le Conseil constitutionnel relève
organiquement du pouvoir judiciaire (V article 88 de la Constitution. Il s’agit d’une réforme
institutionnelle intervenue suite à la loi constitutionnelle n°2008-34 du 7 août 2008 portant
révision de la Constitution.
20 L. Favoreu, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2009, p. 237.

67
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

A ceux-ci s’ajoutent, la régulation du fonctionnement et des activités


des pouvoirs publics et des autres organes de l’Etat. Justement avec
l’internalisation du droit et de la justice, en tant que processus ou
dynamique qui marque une ouverture des systèmes et attenue les
frontières entre le dedans et le dehors, la vertu même du contrôle
de constitutionnalité des lois s’amenuise à proportion de la perte
d’importance de la loi21. En revanche, le problème spécifique de la
protection des droits fondamentaux est devenu plus important22.
La démarche n’est pas de savoir s’il s’agit d’un recours constitutionnel
contre un acte normatif seulement ou d’un mécanisme complet de
recours constitutionnel23, y compris contre des actes individuels,
comme c’est le cas en Afrique du sud ou au Bénin24. Partant de
cette exigence, les compétences de la Cour constitutionnelle
sont dorénavant axées essentiellement autour des domaines du
contrôle a priori de la constitutionnalité des lois, des règlements
intérieures des assemblée parlementaires et certaines institutions
constitutionnelles ainsi qu’autour du contrôle a posteriori de la
21 Ibid.
22 B. Kanté, « La justice constitutionnelle face à l’épreuve de la transition démocratique », in O. Narey
(sous la direction de), La justice constitutionnelle, Acte du Colloque international de l’ANDC, op.
cit. pp. 10-33 ; I. Y. Ndiaye, « Le juge constitutionnel, un juge spécial », communication au 6ème
Conférence des chefs d’institutions de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage
l’usage du français (ACCPUF), le statut du juge constitutionnel, Niamey, 3 et 4 novembre 2011,
p. 20, www.accupuf.org. Consulté, le 11 septembre 2020 ; A. B. Fall, « le juge constitutionnel,
artisan de la démocratie en Afrique ? », Ve Congrès français de droit constitutionnel, atelier 7, «
Le constitutionnalisme : un produit d’exportation ? », AFDC, Montpellier, 9, 10, et 11 juin 2005 ;
K. D. Kokoroko, « L’apport de la jurisprudence constitutionnelle africaine à la consolidation des
acquis démocratiques. Les cas du Bénin, du Mali, du Sénégal et du Togo », Revue Béninoise de
Sciences Juridiques et Administratives, n°17, 2007, p. 111.
23 N. El Moumni, « le cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception d’incons-
titutionnalité au Maroc », 2éme Séminaire International : Conférence des Juridictions
Constitutionnelles Africains- CJCA, p. 154.
24 Ibid.

68
Ansoumane SACKO

constitutionnalité des lois par voie d’exception25. D’ores et déjà, la


jurisprudence clairsemée sur l’exception d’inconstitutionnalité des
deux juridictions constitutionnelles : guinéenne et sénégalaise, la
faible fréquence de saisine des particuliers soulevant l’exception
d’inconstitutionnalité devant les juridictions de droit commun, les
incertitudes de la saisine par l’Institution Nationale Indépendante des
Droits Humains (INIDH)26, l’omniprésence d’une procédure non
contradictoire et l’absence d’un règlement de procédure en matière
d’exception d’inconstitutionnalité conduisent au constat heuristique
d’une efficacité obérée de la garantie des droits fondamentaux par
les deux juridictions constitutionnelles malgré leur ambition affichée
par l’effet de contagion venue de la Cour constitutionnelle du Bénin,
doyenne des Cours constitutionnelles africaines.
Les conditions et les modalités de l’accès individuel à la justice
constitutionnelle déterminent si une juridiction constitutionnelle
est à même d’assurer la protection des droits de l’homme. Encore
faut-il que le juge de cette instance accorde l’importance qu’il doit
à la protection des droits de l’homme et défend l’individu contre
des ingérences inconstitutionnelles de toute origine. C’est donc
à juste titre qu’il convient de s’interroger sur la mise en œuvre de
l’exception d’inconstitutionnalité en Guinée et au Sénégal. Permet-
elle des mécanismes de sauvegarde fiables et efficaces de nature
à garantir et protéger les droits fondamentaux des particuliers
à la lumière de quelques années de jurisprudence dans le cadre
de l’Etat de droit en construction en Guinée et au Sénégal ?
25 Si la Constitution en vigueur, celle du 14 avril 2020 renvoi pour les détails des modalités de
contrôle notamment celui a priori à la loi organique relative à l’organisation et au fonctionnement
de la Cour constitutionnelle, la Constitution du 07 mai 2010 cette question réglait elle-même ces
détails.
26 Pour le cas particulier de la Guinée

69
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

Il reste entendu que l’existence d’une justice constitutionnelle,


quel qu’en soit le modèle, permet non seulement de faire respirer
régulièrement la norme fondamentale mais aussi de faire respecter
les prescriptions de la constitution, en particulier celles relatives aux
droits fondamentaux 27. Cette affirmation qui traduit l’établissement
d’un lien axiologique entre l’élaboration de la constitution, la
proclamation des droits fondamentaux et l’existence d’une justice
constitutionnelle28 offre l’occasion à partir des exemples de la
Guinée et de du Sénégal d’évaluer en quelque sorte l’étendue
et la réalité de l’exercice de l’exception d’inconstitutionnalité
à la consolidation et à l’effectivité des droits proclamés par la
constitution. Dans les développements qui suivent dans le cadre
deux pays visés par l’objet d’étude, il revient d’abord à considérer
l’exception d’inconstitutionnalité en droits guinéen et sénégalais,
comme un mécanisme de protection des droits et libertés (I) avant
de relever qu’elle se retrouve entre protection des droits et libertés
et limites du contrôle dans ces pays respectifs (II).
I- L’exception d’inconstitutionnalité en droits guinéen et
sénégalais : un mécanisme de protection des droits et libertés
La consécration du contrôle de constitutionnalité des lois par
voie d’exception constitue l’une des innovations majeures
introduites dans la Constitution du 07 mai 2010 maintenue dans
la loi organique relative à l’organisation et au fonctionnement de
la Cour Constitutionnelle relative à la Constitution en vigueur, du
22 mars 202029. Alors qu’elle a déjà existée au Sénégal depuis 1992.
27 B. Sarr, « la garantie de la protection des droits humains par le juge constitutionnel », Afrilex,
janvier 2016, p.13.
28 Ibid.
29 En effet, les constitutions révolutionnaires de 1958 et de 1982 n’avaient pas consacré l’exception

70
Ansoumane SACKO

L’histoire de de ce mécanisme qui a existé depuis plus de deux


siècles30 est relativement récente dans ces deux pays et dans une
moindre mesure pour le Sénégal contrairement à la Guinée. Son
évolution progressive a donc suivi le rythme des grands moments
de l’histoire de l’humanité et des droits de l’homme31. D’où l’intérêt
qui s’attache à l’analyse de l’originalité des systèmes guinéen et
sénégalais (A) qui s’inscrivent dans une procédure encadrée dans
leur mise en œuvre (B).
A- L’originalité des systèmes guinéen et sénégalais
Le contrôle constitutionnel, ne se limite plus au contrôle a
priori, il s’exerce dorénavant sur la loi dans le cadre du contrôle
appelé a posteriori qui suit l’adoption du texte. La compétence
de la juridiction constitutionnelle en Guinée et au Sénégal pour
d’inconstitutionnalité. Ce qui ne n’est point étonnant dans la mesure où cette consécration est
récente dans la plupart des systèmes juridiques. L’avènement de la deuxième République avec
la Loi fondamentale de 1990, bien qu’étant une constitution libérale et démocratique n’avait
rien consacré relativement à l’exception d’inconstitutionnalité. Il a fallu attendre la Constitution
transitoire du 07 mai 2010 pour voir une telle innovation. Elle est maintenue dans le système
juridique notamment le projet de loi organique relative à la Cour constitutionnelle créée par la
Constitution du 14 avril 2020.
30 P. Ardant et B. Mathieu, Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 31ème édit., Paris, 2019
– 2020, pp. 103-134 ; M. HABACHI, « Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié
à l’exception d’inconstitutionnalité, en Algérie », 2éme Séminaire International : Conférence des
Juridictions Constitutionnelles Africains- CJCA, Alger, du 24 au 27 novembre 2017, p. 58 ; l. Garlicki,
« la légitimité du contrôle de constitutionnalité : problèmes anciens c/développements récents »,
RFDC, 2009/2 n° 78, p. 231 ; P. Pactet, « Brèves remarques sur le pouvoir de dernier mot en droit
constitutionnel », mél. J-F Aubert, P. 81 ; L’Etat de droit, mél. en l’honneur de Guy Braibant,
Dalloz, Paris 1996, 817 p.
31 P. Ardant et B. Mathieu, Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 31ème édit., Paris, 2019
– 2020, pp. 103-134 ; M. HABACHI, « Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié
à l’exception d’inconstitutionnalité, en Algérie », 2éme Séminaire International : Conférence des
Juridictions Constitutionnelles Africains- CJCA, Alger, du 24 au 27 novembre 2017, p. 58 ; l. Garlicki,
« la légitimité du contrôle de constitutionnalité : problèmes anciens c/développements récents »,
RFDC, 2009/2 n° 78, p. 231 ; P. Pactet, « Brèves remarques sur le pouvoir de dernier mot en droit
constitutionnel », mél. J-F Aubert, P. 81 ; L’Etat de droit, mél. en l’honneur de Guy Braibant,
Dalloz, Paris 1996, 817 p.

71
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

l’exercice du contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois et


ou des conventions internationales, sur saisine d’une juridiction
de droit commun32 à l’initiative d’une partie au litige, constitue
un pas qualitatif dans le système juridique et judiciaire guinéen et
sénégalais. On peut à ce titre s’interroger sur les réformes normatives
de la consécration de ce système de contrôle a posteriori (1) et ses
principales caractéristiques (2).
1- Les réformes normatives à l’origine de la consécration du
système de contrôle a posteriori en Guinée et au Sénégal
Aujourd’hui, nul ne peut contester le caractère universel de la justice
constitutionnelle et rares sont les pays qui n’ont pas gravé dans le
marbre de leurs constitution le contrôle de constitutionnalité33.
La Guinée et le Sénégal s’arrimeront effectivement au mouvement
universel de justice constitutionnelle, à la faveur de l’élaboration en
Guinée de la Constitution transitoire du 07 mai 201034. La période
transitoire de 2008 à 2010 en Guinée a marqué un tournant majeur
dans la vie politique et constitutionnelle nationale par notamment
l’institution d’un contrôle de constitutionnalité centralisé, qui
s’exerce aussi bien a priori qu’a posteriori. Le contrôle a posteriori
prend ainsi une importance particulière. L’histoire de l’exception
d’inconstitutionnalité est donc récente en Guinée. Par ailleurs,
c’est seulement en 2010 que le constituant guinéen a choisi la
32 La Guinée ne contrairement à certains systèmes juridictionnels comme la France, ne connais
qu’un seul ordre de juridiction et de dualité du contentieux.
33 M. Habchi, « Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception
d’inconstitutionnalité, en Algérie », 2éme Séminaire International : Conférence des Juridictions
Constitutionnelles Africains- CJCA, op. cit., p. 55
34 La Constitution du 7 mai est le fruit d’une transition militaire en vue de régir la période transitoire.
A noter que l’un des griefs qu’on reprochait à cette constitution et qui a suscité son abrogation est
sa non approbation par le peuple au référendum.

72
Ansoumane SACKO

consécration de la justice constitutionnelle comme mécanisme


pour l’édification de l’Etat de droit démocratique. Suite au coup
d’Etat militaire de 2008 ayant porté la junte militaire au pouvoir,
une transition s’ouvre à cet effet avec la mise en place du Conseil
National de Transition (CNT)35. Le CNT dans sa volonté de
promouvoir des réformes visant à moderniser le régime politique,
à renforcer la bonne gouvernance ainsi qu’à consolider l’Etat de
droit et la démocratie a consacré en matière de protection des droits
humains le mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité. Cette
consécration volontariste est rénovatrice du droit positif guinéen.
Les articles 94 et 96 de l’ancienne Constitution du 07 mai 201036
ont constitué à l’époque, le fondement de cette nouvelle voie de
droit. Il s’agit d’un changement de rapport du citoyen et de ses
représentants à la Constitution37.
En 1960 la Constitution adoptée après l’éclatement de la fédération
du Mali avait institué au Sénégal, une Cour suprême organisée par
l’ordonnance n°60-17 du 3 septembre 1960. C’est ce système qui
sera maintenu jusqu’en 1992 avant d’être supprimé avec la grande
réforme judiciaire intervenue le 30 mai 1992 instituant trois
juridictions au sommet de la hiérarchie : le Conseil constitutionnelle,
la Cour de cassation et le Conseil d’Etat38. Le Conseil constitutionnel
reprendra les attributions jadis dévolues à la Cour suprême en

35 Le Conseil National de la Transition a joué le rôle du pouvoir constituant originaire.


36 Constitution remplacée par celle du 14 avril 2020.
37 La nouvelle constitution, celle du 22 mars 2020 renvoie implicitement l’exception d’inconstitutionnalité
à la loi organique relative à l’organisation et au fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
38 M. Diop, « Evaluation de la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au Sénégal, et
les recommandations qui en découlent », 2éme Séminaire International : Conférence des
Juridictions Constitutionnelles Africains- CJCA, op. cit , pp. 125-126.

73
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

matière de contrôle de la constitutionnalité des lois qui s’exerce par


voie d’action ou par voie d’exception à la même année39.
Il apparaît donc que l’une des innovations majeures dans les
droits guinéens et sénégalais est, sans conteste, la consécration de
l’exception d’inconstitutionnalité qui permet désormais à toute
partie à un procès de pouvoir contester devant une juridiction, toute
disposition législative et ou conventionnelle dont dépend l’issue du
litige qui serait de nature à porter atteinte aux droits et libertés garantis
par la Constitution. Le contrôle par voie d’exception présente un
avantage certain du point de vue pratique dans la mesure où, il
permet de mesurer le degré de protection des droits et libertés des
citoyens. En effet, ce contrôle est un des moyens efficaces d’assurer
cette protection puisqu’il fait bénéficier au citoyen de l’inapplication
d’une loi ou d’un engagement international jugée inconstitutionnel.
C’est dans ce cadre qu’il convient de relever que l’évolution socio-
politique de la Guinée a connu des pans importants en matière de
violation des droits humains40. Sans ignorer le contexte universel
de l’évolution du constitutionnalisme, l’évolution de la conscience
citoyenne, la soif du respect des droits de l’homme et le réveil de
conscience populaire sont aussi des causes endogènes qu’il faut sans
doute tenir compte.
Plus de six décennies de vie constitutionnelle ont permis à la Guinée
et au Sénégal de mettre à jour ses mécanismes institutionnels
essentiels à la pratique républicaine. En effet, durant plus de
39 Le contrôle par voie d’exception a été introduit dans le droit positif sénégalais à l’issu de la grande
réforme de 1992
40 Contrairement au Sénégal qui a connu une stabilité politique, les régimes successifs de la Guinée
ont connu de nombreux cas de violation des droits humains notamment pendant les régimes d’ex-
ceptions que le pays a traversé de 1984 à 1990 et de 2008 à 2010.

74
Ansoumane SACKO

soixante (60) années, les différents ressorts du jeu politique


interne, quoique souvent teintés, naturellement, de tensions, mais
sans débordements tragiques, ont pu témoigner de la solidité à
toute épreuve de notre ordonnancement institutionnel. Pendant
ces moments, coïncidant avec une « re-sacralisation »41 sans
précédent des droits et libertés humains, la vivacité des dynamiques
citoyennes guinéennes et sénégalaises, sans cesse entretenue par les
régimes successifs et parfois militaires pour la Guinée en particulier,
a administré la preuve que l’Etat de droit doit être désormais une
réalité42. Dans cette perspective, la sauvegarde et la protection
effectives à un niveau élevé s’avère nécessaire avec l’intervention
de la juridiction constitutionnelle, voire des juridictions de droit
commun intervenant dans le processus à travers l’exception
d’inconstitutionnalité pour pallier à l’inaccessibilité directe des
particuliers à la justice constitutionnelle.
En conférant au justiciable, personne physique ou morale, le droit de
contester une disposition législative en vigueur qu’il juge attentatoire
aux droits et libertés garantis par la Constitution, le constituant
donne au citoyen les moyens de sanctionner, la norme produite
par ses représentants et de protéger ainsi, par le droit, son espace
constitutionnel. La pratique de l’exception d’inconstitutionnalité,
41 B. Sarr, « la garantie de la protection des droits humains par le juge constitutionnel », op.cit. p.14 ;
M. Fatin-Rouge Stefanini, « Les décisions du conseil constitutionnel en matière de QPC », in
Evolutions et limites du contrôle de constitutionnalité, regards croisés entre les expériences française et
Est-européen, op. cit. p. 70.
42 Sous l’impulsion des forces vives de la nation, la Constitution du 7 mai 2010 a vu le jour. Elle
intégrait dans son titre 2 intitulé : Des libertés, devoirs et droits fondamentaux soit le plus long
des titres les droits et libertés universellement reconnus. La nouvelle constitution du 14 avril 2020
est restée dans la même dynamique avec une réaffirmation plus forte des droits économiques so-
ciaux et culturels ainsi que des doits collectifs ou de la solidarité. A titre d’exemple, la pratique des
manifestations politiques et l’exercice de la liberté d’expression et d’opinion sont aujourd’hui des
réalités qu’on ne peut nier dans l’évolution démocratique de la Guinée.

75
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

ne manquera pas, à terme, de faire évoluer les mentalités et les


comportements des citoyens qui ne se sentiront plus étrangers
au texte constitutionnel dans lequel ils se sont identifiés avant de
l’adopter par voie référendaire et dont ils prennent rapidement
conscience, une fois entrée en vigueur, qu’ils en ont été dépossédés.
C’est justement ce que l’exception d’inconstitutionnalité ambitionne
de rétablir en renouant le lien direct entre le justiciable, le citoyen et
la constitution, et permettra ainsi à celui-ci de se la réapproprier à
terme43. L’accès du citoyen à la Constitution confère à celui-ci la
possibilité de faire annuler par la juridiction constitutionnelle une
disposition législative votée par les représentants. Ce mécanisme
renforce non seulement les croyances individuelle et collective aux
vertus de l’Etat de droit et de la démocratie, mais contraint également
les représentants de la nation à intégrer dans leur raisonnement et
leur comportement la ressource constitutionnelle44. Cependant, les
systèmes guinéen et sénégalais de l’exception d’inconstitutionnalité
peuvent être caractérisés autour d’un certain nombre d’éléments
dont les principaux peuvent être relevés.
2- Les principales caractéristiques de l’exception
d’inconstitutionnalité en Guinée et au Sénégal
Les systèmes guinéen et sénégalais de l’exception
d’inconstitutionnalité se présente ainsi comme des modèles
importés mais pas reconstruit45. Il ressort ainsi que les
43 B. Sarr, « la garantie de la protection des droits humains par le juge constitutionnel », op. cit. , p.11.
44 J. Gicguel et J-E. Gicguel, Droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit., p. 259 ; B. Sarr, « la
garantie de la protection des droits humains par le juge constitutionnel », op.cit. p.14 ;.
45 L’exception d’inconstitutionnalité consacrée dans la constitution du 7 mai 2010 a fait des
emprunts avec certaines constitutions en matière d’exception d’inconstitutionnalité, notamment
la constitution béninoise, à la différence qu’au Bénin elle reste plus libérale. Au Bénin, c’est l’article
122 de la Constitution du 11 décembre 1990 qui règle la matière : « Tout citoyen peut saisir la
Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de

76
Ansoumane SACKO

caractéristiques qui distinguent aujourd’hui le système guinéen


de justice constitutionnelle reposent sur l’adoption d’un contrôle
constitutionnel concentré confié à une Cour spécialisée se situant
en dehors des juridictions de l’organisation judiciaire, et sur
des domaines de compétences regroupant, à la fois, le contrôle
a priori et le contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois.
Ces compétences, en tant que fonctions principales de la justice
constitutionnelle, ont évolué selon le modèle (européen et
américain) dont le mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité
et son schéma procédural forme une partie46. Le Conseil
constitutionnel sénégalais connaît ces mêmes attributions ou
fonctions à la différence que ce dernier tout en étant spécialisé, fait
partie du pouvoir judiciaire47. Les constituants ont à cet effet fixé
aux juridictions respectives guinéenne et sénégalaise une mission
qui dépasse la simple protection du système constitutionnel objectif,
en intégrant, pour la première fois, des mécanismes garantissant la
protection des droits fondamentaux des individus par la juridiction
constitutionnelle à travers la possibilité donnée aux parties, en cas de
litige judiciaire, de soulever une exception d’inconstitutionnalité si
la loi appliquée au litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis
par la Constitution. L’on peut ainsi définir trois objectifs à atteindre
par l’exception d’inconstitutionnalité : conférer un nouveau droit
au justiciable pour lui permettre de faire valoir ses droits garantis
par la Constitution, nettoyer le corpus législatif des dispositions
l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction.
Celle-ci doit sursoir jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un
délai de trente jours. »
46 M. Troper et D. Chagnollaud, (sous la dir. de), Traité international de droit constitutionnel, op.cit.,
p. 69 ;
47 Article unique de la loi constitutionnelle n°2008-34 du 7 août 2008 portant révision de la
constitution ( JORS du 8 août 2008, p. 755).

77
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

inconstitutionnelles et assurer la suprématie de la Constitution dans


l’ordre normatif interne48.
Dans cette perspective, ont défini les principales caractéristiques du
modèle guinéen et sénégalais de l’exception d’inconstitutionnalité,
de la manière suivante : un mécanisme d’accès indirect à la justice
constitutionnelle ; un moyen pouvant être soulevé à l’occasion d’un
litige judiciaire déterminé ; les parties sont seulement habilitées
à soulever une exception d’inconstitutionnalité, le juge n’étant
pas habilité à le faire d’office joue un rôle de transmission, le
particulier en conséquence ne peut le faire directement ; l’exception
d’inconstitutionnalité peut être soulevée à toute les étapes de
l’instance ; l’absence de procédure de filtrage49. Ce mécanisme est
proche, de l’exception d’inconstitutionnalité à la française50. Il
diffère cependant du modèle retenu par le Bénin et l’Afrique du Sud
51
. Il s’agit d’une compétence nouvelle qui a récemment intégré la
Guinée parmi le groupe de pays qui ont institué un contrôle général
sur la constitutionnalité des lois comme le Sénégal, le Bénin ou
la Côte d’ivoire. En outre, ce contrôle permet, le cas échéant, de
nettoyer le corpus juridique en vigueur des inconstitutionnalités
existantes. En Guinée, le contrôle par voie d’exception ne signifie,
48 B. Sarr, « la garantie de la protection des droits humains par le juge constitutionnel », op. cit. , p.11.
49 Il s’agit en réalité de l’exception d’inconstitutionnalité en droit guinéen où on peut noter l’absence
d’un mécanisme de filtrage
50 A l’exception de l’absence de la procédure de filtrage. Voir : S-J. Liéber, d. Botteghi et V. Daumas,
« La question prioritaire de constitutionnalité vue du Conseil d’Etat », in La question prioritaire
de constitutionnalité, les nouveaux Cahiers du conseil constitutionnel, N. Sarkozy, J-L. Debré
et autres (sous dir.de), Dalloz, n°29-2010, p. 79 ; L. Fabius, « cadre constitutionnel, législatif et
réglementaire lié à l’exception de l’inconstitutionnalité en France », 2éme Séminaire International :
Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africains- CJCA, Alger, du 24 au 27 novembre 2017, p.
51 ; M. Diop, « Evaluation de la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au Sénégal, et
les recommandations qui en découlent », op. cit.p. 127.
51 Constitution béninoise de 1990, Constitution sud-africaine de 1996.

78
Ansoumane SACKO

cependant, pas que ces juridictions de droit commun peuvent


renvoyer l’exception d’inconstitutionnalité devant la Cour
constitutionnelle suivant des conditions rigoureuses prescrites dans
la loi au motif qu’à ce jour aucun texte d’application déterminant la
procédure suivie devant la Cour Constitutionnelle, ni même le décret
portant modalités d’application de la loi organique relative à la Cour
constitutionnelle52, qui dans la logique des choses, est en principe le
texte légalement prévu en la matière53. Pourtant un texte édité en la
matière constituerait une sorte de charte procédurale interne pour
le juge constitutionnel, les requérants, plaideurs ou avocats voire
la juridiction saisie. La loi organique relative à l’organisation et au
fonctionnement du Conseil constitutionnel sénégalais échappe à
une telle difficulté de vide législatif ou règlementaire à laquelle se
trouve confronté la Cour constitutionnelle de Guinée.
Une autre caractéristique du procès en exception
d’inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle de Guinée
et le Conseil constitutionnel du Sénégal est relative à l’absence
d’audiences publiques. Force est pourtant de reconnaître que la
présence des parties à l’audience de la Cour Constitutionnelle ou
du moins des avocats contribue à la rendre plus vivante et plus
instructive ne serait ce que la partie orale du procès constitutionnel54.
52 Le décret D/2018/293/PRG/SGG fixant les modalités d’application de la loi organique
L/2011/006/CNT du 10 mars 2010. Dans certaines juridictions constitutionnelles, les modalités
d’application sont prévues les règlements intérieurs. Au Bénin, le règlement intérieur de la Cour
constitutionnelle fixe le circuit décisionnel de l’exception d’inconstitutionnalité.
53 Article 88 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle. Il dispose que : « Les modalités
d’application de la présente Loi organique pourront être déterminées par Décret pris en conseil
des Ministres, sur proposition de la Cour Constitutionnelle. »
54 M. Guillaume, « QPC : textes applicables et premières décisions », in La question prioritaire de
constitutionnalité, les nouveaux Cahiers du conseil constitutionnel, N. Sarkozy, J-L. Debré et
autres (sous dir.de), Dalloz, n°29-2010, pp. 22 et s. S-J. Liéber, d. Botteghi et V. Daumas, « La
question prioritaire de constitutionnalité vue du Conseil d’Etat », op. cit., pp. 79 et s ;

79
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

Les avocats peuvent davantage éclairer sur des points particuliers,


qui peuvent avoir une influence sur le sens de la décision finale.
Comme on le voit, cette carence justifie que l’appropriation de
l’exception d’inconstitutionnalité en Guinée et au Sénégal n’est pas
rapide et générale par les juridictions, les avocats, les justiciables et
les professionnels du droit dans leur ensemble. Même s’il convient
de noter que ce mécanisme reste encadré dans sa mise en œuvre.
B- Une procédure encadrée dans sa mise en œuvre
Les Constituants sénégalais et guinéens ont fixé aux juridictions
constitutionnelles respectives, une mission qui dépasse la simple
protection du système constitutionnel en intégrant pour la
première fois, des mécanismes garantissant la protection des droits
fondamentaux des individus à travers la possibilité pour les parties,
en cas de litige judiciaire, de saisir la juridiction constitutionnelle en
soulevant une exception d’inconstitutionnalité si la loi appliquée au
litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
La loi fixe à cet effet les conditions devant être observées dans
l’exception d’inconstitutionnalité. Il convient à ce titre de fixer le
champ d’application (1) et le cadre procédural in concreto (2).
1- Le champ d’application
La loi organique sur la Cour constitutionnelle de Guinée
comporte des définitions portant essentiellement sur la loi, objet
de l’exception d’inconstitutionnalité et sur les parties au procès.
Ainsi, ladite loi organique a retenu une définition matérielle de la
loi que l’une des parties au procès soutient qu’elle porte atteinte à

80
Ansoumane SACKO

ses droits et libertés garantis par la Constitution55. Cependant la loi


organique relative au Conseil constitutionnel sénégalais entend aller
au-delà de la loi en tant qu’acte législatif pour s’étendre à l’examen
de l’appréciation de la conformité des stipulations d’un accord
international à la Constitution56. Alors que cet examen est restrictif
devant la Cour constitutionnelle guinéenne, qui ne peut connaître
que l’exception d’inconstitutionnalité portée devant elle relativement
à une loi. De ce point de vue le champ d’application de l’exception
d’inconstitutionnalité est plus étendu en droit sénégalais que guinéen.
Il apparaît ainsi une affirmation explicite de la subordination des
normes internationales à la Constitution sénégalaise.
Dans le même cadre, ces deux lois organiques n’ont pas retenu
une définition restrictive des plaideurs ou parties au procès57. A
l’analyse, celles-ci englobent tout demandeur ou défendeur dans
une affaire devant une juridiction ainsi que tout accusé ou partie
civile ou responsable civil dans l’action publique, sous réserve des
règles prévues dans le Code civil et le code de procédure pénale ;
ainsi que toute autre règle de procédure prévue dans des textes
particuliers, selon le cas. En principe, le juge n’est pas une « partie »
à l’instance et sa fonction, au regard du principe de neutralité qu’il
doit impérativement observer, lui interdit de s’immiscer dans
le procès. Par conséquent, il ne peut soulever « d’office » une
55 Cette définition englobe toute disposition à caractère législatif applicable à l’instance devant la
Cour constitutionnelle et dont une partie au procès soutient que son application conduirait à la
violation, à l’atteinte ou à la privation d’un de ses droits ou d’une de ses libertés garantis par la
Constitution.
56 Voir article 22 de la Loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel
du Sénégal
57 Articles 18 et 41 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle de 2011 de Guinée et
article 22 de la Loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel
du Sénégal

81
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

exception d’inconstitutionnalité. Ailleurs cette possibilité n’est


pas également admise. En France notamment, seul un justiciable
peut présenter une question prioritaire de constitutionnalité,
puisque le moyen ne peut être soulevé d’office par le juge58. Une
partie de la doctrine constitutionnaliste estime cependant que
le juge devrait le faire59. Cette doctrine n’admet pas en effet que
dans un Etat de droit, un juge ne puisse pas réagir à l’égard d’une
disposition manifestement inconstitutionnelle et qu’il pourrait
être amené à l’appliquer consciemment et parfois contre son gré.
Même si le choix de l’interdiction de la saisine « ex officio » par
les juges devrait prévaloir dans la loi organique, une réflexion et
un débat sur cette question ne seraient pas de trop. Au sujet de
la juridiction devant laquelle l’exception d’inconstitutionnalité
peut être invoquée, le législateur organique en Guinée a laissé
cette possibilité ouverte à toute juridiction. L’on pourrait déduire
que le justiciable peut invoquer l’exception devant n’importe
quelle juridiction notamment les cours et tribunaux de l’ordre
juridictionnel unique guinéen. En revanche, au Sénégal la loi
organique ne donne cette possibilité qu’à la Cour d’Appel et la
Cour suprême retenues comme juridictions de renvoi.60
L’exception d’inconstitutionnalité obéit à un certain nombre de
conditions que la jurisprudence inspirée du droit comparé de la
Cour suprême de Guinée a fourni dans son arrêt n°11 du 03 octobre
58 E. Piwnica, « Le changement de culture opéré par l’arrivée de la question prioritaire de constitu-
tionnalité », in Les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, G. Drago, P-Y Gahdoun et e.
Piwnica (sous dir. de), Lextenso, n° 58, janvier 2018, pp. 8-17. p. 25.
59 Voir en particulier : G. Tusseau, « Le pouvoir des juges constitutionnels », in Traité international
de droit constitutionnel, suprématie de la constitution, op. cit. ; p. 154 ; M. Troper et D. Chagnollaud,
(sous la dir. de), op. cit. pp. 169-206. Voir dans le même ouvrage : P. Wachsmann, « techniques de
protection », pp. 300 et s.
60 Article 22 précité de la loi organique du Sénégal.

82
Ansoumane SACKO

201961. Il ressort dudit arrêt que l’exception d’inconstitutionnalité


n’est recevable que s’il est établi que la disposition contestée porte
atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. A contrario,
les droits et libertés non garantis par la Constitution ne sont pas
recevables dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité. Les
juges de renvoi doivent s’assurer dès lors de l’existence d’un lien entre
le droit ou la liberté constitutionnelle et la disposition législative
contestée62. Mais, la notion de « droit et libertés garantis par la
Constitution » n’est pas définie avec précision dans la Constitution.
Il appartient donc à la loi organique, aux juges de fond saisis et au juge
constitutionnel d’en préciser le sens63. On peut en déduire aisément
pour le Sénégal, qu’il ne s’agit pas seulement de loi qui violerait la
Constitution mais aussi d’une norme internationale se trouvant
dans la même situation. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel
sénégalais ne peut intervenir que quand la solution d’un litige
porté devant la Cour d’Appel ou la Cour suprême est subordonnée
à l’appréciation de la conformité des dispositions d’une loi ou des
stipulations d’un accord international à la Constitution qui violent
les droits et les libertés prévus par la Constitution.

61 A cette occasion, la Cour suprême a indiqué que l’exception d’inconstitutionnalité suppose la


réunion des conditions suivantes :
1. La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ;
2. La disposition contestée n’a pas déjà été préalablement déclarée conforme à la constitution
dans les motifs ou le dispositif d’une décision de la Cour constitutionnelle ;
3. La question a un caractère sérieux.
62 G. Braibant, « Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil
d’Etat », in La déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, Paris, PUF, 1989 ;
63 Par droit et libertés garantis par la constitution, nous pensons qu’il y a lieu d’entendre non seu-
lement les droits et libertés énumérés au titre II de la Constitution mais aussi ceux figurant dans
le préambule qui fait désormais partie intégrante de la Constitution, et ceux figurant au titre du
pouvoir judiciaire.

83
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

Mais une incertitude plane sur l’exhaustivité de la liste des droits


et libertés garantis par la Constitution64. En effet, la juridiction
constitutionnelle peut, en exerçant le pouvoir d’interprétation
qui est le sien par la volonté du constituant, découvrir de
nouveaux principes voire de nouveaux droits ayant pour substrat
la constitution. C’est le cas du principe d’égalité souvent qualifié
de principe gigogne en ce qu’il se décompose en une multitude
jamais finie de principes65. Ainsi, il revient à la jurisprudence de
préciser le contenu de la notion de droits et libertés garantis par la
Constitution ainsi que les paramètres de son identification. Pour
le droit guinéen, en précisant la nature législative de la disposition
susceptible d’être contestée par un justiciable au cours de son procès,
le législateur exclut les autres normes ne revêtant pas cette qualité.
Ainsi, à l’opposé du droit sénégalais, les traités et les engagements
internationaux en droit guinéen ne devraient pas faire l’objet d’une
exception d’inconstitutionnalité du fait qu’ils ne revêtent pas
un caractère législatif. Toutefois, en Guinée on ne peut conclure
que les engagements internationaux échappent complétement à
l’exception d’inconstitutionnalité en ce sens que la loi autorisant
leur ratification rentre dans le champ d’application de l’exception
d’inconstitutionnalité. L’inconstitutionnalité par voie d’exception
d’une loi d’autorisation de ratification peut atteindre indirectement
l’engagement international dont elle autorise la ratification.
Par ailleurs, en ce qui concerne les lois organiques et tout ou
partie d’une loi ordinaire ayant déjà fait l’objet d’un examen de
64 Il s’agit des droits, libertés et devoirs consacrés à travers 29 articles du titre II de la Constitution du
14 avril 2020
65 F. Mélin-Soucramanien, « le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Quelles perspectives pour la question prioritaire de constitutionnalité, in Les Nouveaux cahiers du
conseil Constitutionnel, Dalloz, n° 29-2010, pp. 89-100.

84
Ansoumane SACKO

constitutionnalité dans le cadre du contrôle obligatoire a priori, ou


facultatif qui ne peuvent être contestées devant un juge dans le cadre
de l’exception d’inconstitutionnalité66. L’exclusion de ces textes vise
à préserver l’autorité de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.
En effet, ces textes ayant fait l’objet d’une décision de conformité
à la Constitution, sont en vertu de ce principe constitutionnel,
définitifs et s’imposent erga omnes. Une autre catégorie de textes
exclus du champ d’application de l’exception d’inconstitutionnalité
concerne les ordonnances avant leur adoption par le parlement67.
Ces textes pris par l’exécutif dans des matières relevant du domaine
d’intervention du parlement n’acquièrent valeur législative qu’après
leur ratification par ce dernier. Et ce n’est qu’une fois cette condition
remplie que l’exception d’inconstitutionnalité pourra être invoquée
par le justiciable. En outre, d’autres textes juridiques exclus du champ
d’application de l’exception d’inconstitutionnalité se rapportent
aux règlements. Dans ce dernier cas sont concernés, les décrets, les
arrêtés et décisions individuelles qui ne sont pas de nature législative.
Il faut rappeler que ces textes règlementaires peuvent être contestés
devant les juridictions de droit commun au Sénégal et en Guinée.
A tous ces textes, il y a lieu d’ajouter les lois référendaires et les lois
constitutionnelles, expression de la volonté directe du peuple ou
exprimée par ses représentants et à ce titre ils doivent être exclus du
contrôle dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité68.

66 G. Drago, « Les différents types de contentieux ou 5.000 décisions en 60 ans », in Les Nouveaux
Cahiers du Conseil Constitutionnel, déjà cité, p. 25.
67 bid.
68 N. El Moumni, « le cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception
d’inconstitutionnalité au Maroc », 2éme Séminaire International : Conférence des
Juridictions Constitutionnelles Africains- CJCA op. cit. pp. 151-155.

85
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

Par ailleurs, le modèle de l’exception d’inconstitutionnalité présenté


dans les lois organiques guinéenne et sénégalaise ne comporte
aucune barrière temporelle concernant les dispositions à caractère
législatif relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution et
susceptibles de faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité.
Sur le plan du principe, et après adoption de mécanismes judiciaires
appropriés, le système juridique sera épuré des dispositions
inconstitutionnelles à travers un cadre procédural.
2- Le cadre procédural in concreto
L’exception d’inconstitutionnalité, si elle est invoquée à l’occasion
d’un litige, dépasse l’instance à l’occasion de laquelle l’exception
est soulevée (inter partes) et s’étend au système juridique,
dans son ensemble (erga omnes)69. Dans ce cadre, l’exception
d’inconstitutionnalité d’une loi ne peut être renvoyée devant la
juridiction constitutionnelle s’il y a renonciation à l’instance à
l’occasion de laquelle ladite exception est invoquée70. En revanche,
il ne peut y avoir une renonciation à l’instance si une juridiction de
renvoi a rendu une décision de recevabilité de l’exception et a décidé
de son renvoi à la juridiction constitutionnelle. Contrairement
à ce qu’on observe au Sénégal et ailleurs71, la Guinée a opté pour
une saisine directe de la Cour constitutionnelle par tout juge de
fond après examen de la recevabilité du recours individuel en
inconstitutionnalité qui a été transmis.

69 G. Drago, « Les différents types de contentieux ou 5.000 décisions en 60 ans », in Les Nouveaux
Cahiers du Conseil Constitutionnel, déjà cité, p. 20.
70 Ibid.
71 Le Sénégal comme la France ou le Maroc ont réservé la saisine de celle-ci à certaines juridictions
limitativement. Au Sénégal c’est Cour d’Appel et la Cour suprême.

86
Ansoumane SACKO

Au regard du principe de sursoir à statuer par la juridiction saisie


de l’exception, sur l’instance, elle suspend les délais liés à cette
instance, à compter de la date de présentation du sursis à statuer72.
Toute fois faut-il noter que dans des cas précis lorsqu’il s’agit
de procédures d’enquête dans les matières civiles et pénales, de
mesures temporaires ou conservatoires nécessaires, de mesures
légales adéquates à prendre dans le cas d’une mesure privative de
liberté, ou d’un délai prévu par la loi pour statuer sur l’instance
ou statuer en référé, ou bien lorsque la mesure induit un préjudice
irrémédiable aux droits d’une partie73. L’appréciation du caractère
sérieux de l’exception d’inconstitutionnalité dépend du juge saisi au
niveau des juridictions74.
S’agissant de la procédure relative à l’exception d’inconstitutionnalité
d’une loi devant la Cour constitutionnelle de Guinée, il existe à
l’état actuel de son fonctionnement des lacunes. Le décret portant
modalité d’application de la loi organique, portant organisation
et fonctionnement de la Cour constitutionnelle75 n’ajoute pas
d’éléments spécifiques allant au-delà de ceux prévus par la loi
organique pour sa mise en œuvre. Dans l’analyse fondée sur la
loi, l’exception est soulevée devant les juges de droit commun à
l’occasion d’un litige. Un sursis à statuer sur ledit litige est décidé
jusqu’à ce que la juridiction constitutionnelle se prononce sur
72 M. C. Gbeha Afouda, « Exception d’inconstitutionnalité au Bénin : organisation et procédures
internes », 2éme Séminaire International : Conférence des Juridictions Constitutionnelles
Africains- CJCA, op. cit., pp. 86 et s.
73 Ibid.
74 M. Fatin-Rouge stefannini, « La singularité du contrôle exercé a posteriori par le conseil
constitutionnel : la part de concret et la part d’abstrait », Les Nouveaux Cahiers du Conseil
constitutionnel, N° 38, 2013, p. 216.
75 Le décret D/2018/293/PRG/SGG fixant les modalités d’application de la loi organique
L/2011/006/CNT du 10 mars 2010

87
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

l’exception dont elle est saisie. Dans le même sens, il appartient à


la juridiction devant laquelle l’exception d’inconstitutionnalité
d’une loi est soulevée, de mettre à la disposition de la juridiction
constitutionnelle, le dossier de l’instance76.
Pour que l’exception d’inconstitutionnalité puisse être recevable, il
est nécessaire que soit établi un lien entre la disposition législative
ou conventionnelle et le litige77. Autrement dit, la disposition
contestée doit être applicable au litige et à la procédure ou constitue
le fondement des poursuites. Cette condition tend dans sa finalité à
créer un lien entre le procès ordinaire et le procès constitutionnel78.
En outre, dès lors que les législateurs guinéen et sénégalais ne
posent aucune condition particulière, ni restrictions temporelles
ou formelles à l’invocation de l’exception d’inconstitutionnalité,
l’on pourrait comprendre de son silence, que le justiciable peut la
soulever à tout moment et à toute étape de la procédure devant la
juridiction de renvoi. Particulièrement en Guinée, elle peut être
soulevée pour la première fois en première instance, en appel ou
directement devant la Cour suprême. Alors que dans le cadre du
Sénégal, elle ne peut être soulevée que devant deux juridictions :
la Cour d’Appel et la Cour suprême79. En termes de délai imparti,
les deux juridictions constitutionnelles statuent sur l’exception
d’inconstitutionnalité dans un délai de 30 jours à compter de la date
de leur saisine de l’exception.

76 Article 41 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle.


77 M. Diop, « Evaluation de la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au Sénégal, et les
recommandations qui en découlent », op. cit. p. 126
78 M. Fatin-Rouge stefannini, « La singularité du contrôle exercé a posteriori par le conseil constitu-
tionnel : la part de concret et la part d’abstrait », op.cit., p. 210.
79 Article 22 de la loi organique précitée

88
Ansoumane SACKO

Dans la mesure où les décisions de ces juridictions constitutionnelles


s’imposent à tous et ne sont susceptibles d’aucun recours 80,
elles ont un effet obligatoire et exécutoire à l’égard de toutes les
personnes morales et physiques et de tous les organes de l’Etat.
Elles produisent leurs effets dès leur publication. Ces décisions,
il faut le préciser s’appliquent aux normes juridiques et non aux
actes judiciaires, ni aux actes administratifs81. Etant définitives, les
décisions rendues dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité
ne peuvent faire l’objet d’aucun recours hormis les rectifications
d’erreurs matérielles non imputables au requérant. Ainsi, lorsque la
juridiction constitutionnelle prononce l’inconstitutionnalité d’une
disposition législative, celle-ci est abrogée. Elle disparaît de l’ordre
juridique. Mais son abrogation ne fait pas pour autant disparaître les
effets qu’elle aura produits lorsqu’elle était en vigueur. Se pose alors
la question de la gestion des effets dans le temps de la décision de la
juridiction constitutionnelle ? Le principe est qu’il revient à la même
juridiction constitutionnelle de fixer, dans sa décision le moment
à partir duquel la disposition législative jugée inconstitutionnelle
cesse de produire ses effets juridiques. Elle dispose à cet effet de
deux possibilités qui lui permettent d’agir sur la temporalité de la
disposition jugée inconstitutionnelle. Elle peut en effet, selon le
cas, soit prononcer l’abrogation de la disposition législative jugée
inconstitutionnelle avec effet immédiat, soit différer son abrogation
à une date qu’elle aura fixée dans sa décision. Cette abrogation
différée vise à laisser, au législateur, le temps nécessaire pour qu’il
puisse tirer les conséquences de l’inconstitutionnalité et décider de

80 Article 62 al. 2 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle. Voir le cas du Conseil consti-
tutionnel sénégalais.
81 Ibid.

89
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

la solution qu’il convient de prendre pour revenir à une situation


conforme à la constitution, dans le délai qu’elle lui aura accordé82. Ces
deux possibilités connues dans la jurisprudence constitutionnelle
comparée, n’excluent pas des évolutions futures et l’émergence
d’autres solutions possibles83. Ainsi, l’abrogation d’une disposition,
donc sa disparition de l’ordre juridique, peut entraîner une remise
en cause de droits acquis. Elle provoquerait des perturbations du
fait des effets produits parfois de façon massive et entraînerait des
conséquences négatives sur la sécurité juridique84.
Tenant compte de cette situation, la juridiction constitutionnelle
doit rester maître de la gestion des effets dans le temps de ses
décisions. Son appréciation du délai à accorder au législateur,
selon les différents cas, à l’effet de corriger l’inconstitutionnalité
ou de procéder à un nouvel amendement du texte pour le mettre
en conformité avec la Constitution, doit tenir compte des
contraintes éventuelles susceptibles d’empêcher ou de ralentir
l’action du législateur85. Sur ce point précis et partant de l’analyse
des jurisprudences constitutionnelles de la Guinée et du Sénégal,
aucune exception d’inconstitutionnalité n’a fait jusque-là, l’objet
d’examen au fond et entraînant l’inconstitutionnalité d’une loi ou
d’un accord international. Dans le même sens on peut s’interroger
82 L. Fabius, « cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception de l’inconstitutionnalité
en France », 2éme Séminaire International : Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africains-
CJCA op. cit. p. 52
83 Voir en particulier : L. Fabius, « cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception de
l’inconstitutionnalité en France », 2éme Séminaire International : Conférence des Juridictions Consti-
tutionnelles Africains- CJCA op. cit. p. 50 ; N. El Moumni, « le cadre constitutionnel, législatif et ré-
glementaire lié à l’exception d’inconstitutionnalité au Maroc », 2éme Séminaire International :
Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africains- CJCA op. cit. pp. 151-155
84 Ibid.
85 N. El Moumni, « le cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception
d’inconstitutionnalité au Maroc », op. cit. p. 151.

90
Ansoumane SACKO

sur l’exception d’inconstitutionnalité qui se trouve être à la croisée


des chemins en Guinée et au Sénégal.
II- L’exception d’inconstitutionnalité entre protection des
droits et libertés et limite du contrôle en Guinée et au Sénégal
L’une des questions de droit soulevées dans la présente analyse est
comment concilier entre les exigences de faciliter l’accès à la justice
constitutionnelle de dossiers soumis à sa propre appréciation et la
protection des droits et libertés ? Cela est aussi lié à la question de
l’efficience juridique. En l’occurrence, le filtrage n’est pas prévu par
la procédure guinéenne et sénégalaise. Dans ce cas, l’appréciation de
l’exception dépend de la juridiction saisie. Si elle juge que la question
n’est pas dépourvue de caractère sérieux, inspiré du droit comparé,
elle saisit la juridiction constitutionnelle. Cette condition au contenu
imprécis nous paraît difficile à vérifier par les juges compétents. Pour
que l’exception d’inconstitutionnalité puisse être recevable, il est
aussi nécessaire que soit établi un lien entre la disposition législative
et le litige. Autrement dit, la disposition législative contestée doit
être applicable au litige et à la procédure ou constituer le fondement
des poursuites. Elle ne doit non plus avoir été déclarée conforme à
la Constitution. Cette condition tend dans sa finalité à créer un lien
entre le procès ordinaire et le procès constitutionnel. C’est donc à
juste titre qu’on relève ici, deux systèmes différents d’appréciation
de la pertinence des recours par les juges de fond (A) et une
jurisprudence de l’exception d’inconstitutionnalité en manque
d’épanouissement en Guinée et au Sénégal (B).

91
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

A- Deux systèmes différents d’appréciation de la pertinence


des recours par les juges de fond
L’article 92 al. 1 de la Constitution sénégalaise dispose : « le
Conseil constitutionnel connaît de la constitutionnalité des lois et
des engagements internationaux, des conflits de compétence entre
le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, ainsi que des exceptions
d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’Appel ou la Cour
suprême ». Dans les termes sensiblement différents, la loi organique
guinéenne indique que : « La Cour statue sur… l’exception
d’inconstitutionnalité soulevée devant les juridictions ; ». Dans le
même sens, le projet de loi organique voté par le parlement en
application de l’article 108 de la nouvelle Constitution guinéenne
a repris la formule de l’ancienne Constitution comme suit : « Tout
plaideur peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi
devant toute juridiction »86. L’analyse de la mise en œuvre de ce
mécanisme juridique met en évidence, un système de transmission
de l’exception d’inconstitutionnalité dénué de tout filtrage dissuasif
en droit guinéen (1) et les exigences préalables : sources de
rapport conflictuel dans l’appréciation des recours en exception
d’inconstitutionnalité au Sénégal (2).
1- Un système de transmission de l’exception d’inconstitu-
tionnalité dénué de tout filtrage dissuasif en droit guinéen
Les systèmes actuels sénégalais et guinéen de l’exception
d’inconstitutionnalité n’empêchent pas qu’une exception
d’inconstitutionnalité soit soulevée la première fois devant la Cour
86 Cette disposition est renvoyée conformément à 108 de la Constitution du 14 avril 2020 au projet
de loi organique voté par le parlement.

92
Ansoumane SACKO

suprême87 ou lorsque le dossier est déjà mis en délibéré. Dans pareil


cas, le juge ordinaire est obligé de rabattre son délibéré de ce motif.
On constate, malheureusement pendant ces deux dernières années,
que les conditions très libérales de l’exception d’inconstitutionnalité
à la guinéenne ont fait qu’elle est devenue, pour certains, un
instrument privilégié de ralentissement des procédures, du dilatoire
et par conséquent du non-respect du délai raisonnable88. Le renvoi
préjudiciel d’appréciation de constitutionnalité est parfois utilisé
par les avocats guinéens comme un moyen dilatoire dans un système
dénué de tout filtrage dissuasif89. Il ne fait donc pas l’objet d’évaluation
par le juge de fond, il ne fait donc pas un effort pour évaluer la
possibilité d’un renvoi. Dans une conclusion90 adressée à la Cour
constitutionnelle, les avocats de sieurs Abdourahmane Sano et Cie
ont invoqué que le droit de « manifester et de cortège » consacrés
par les articles 7 et 10 de la Constitution implique, par sa nature
même, un rassemblement de personnes, un « attroupement ». Ils
soutiennent entre autres l’inconstitutionnalité de la disposition
suivante : « Toute provocation directe à un attroupement non armé, soit
par des cris ou discours publics, soit par des écrits affichés ou distribués,
soit par tout autre moyen de transmission de l’écrit, de la parole ou de
l’image est punie d’un emprisonnement de 1 mois à 1 an, si elle a été
suivie et, dans le cas contraire, d’un emprisonnement de 2 à 6 mois et
87 Voir CS N°11 du 03 octobre 2019
88 C’est une technique que les avocats emploi pour jouer sur le temps et retarder le procès. Pour une
étude approfondie sur la question du délai raisonnable, voir : Thierry S. Renoux, M. de Villiers
et X. Magnon (sous dir. de), Code constitutionnel, LexisNexis, 2017 ; D. Simon et A. Rigaux,
« La priorité de la question prioritaire de constitutionnalité : harmonie(s) et dissonance (s) des
monologues juridictionnels croisés », op. cit. p. 63.
89 Affaire I. K. Dioubaté du 16 septembre 2019 ; affaire Ministère public et Abdoulaye Bah contre
Cheik Ahmed Fofana alias Cheik Affane, affaire A. Sano et autres.
90 Conclusion de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par les avocats dans l’affaire Abdouraha-
mane Sanoh et Cie devant la cour d’appel

93
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

d’une amende de 500.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux


peines seulement. ». Ils assimilent ainsi dans leur requête, le droit de
manifester et les attroupements. Malheureusement, ce raisonnement
qui assimile les manifestations et attroupements ne peut être qu’un
moyen dilatoire, sachant bien entendu que les attroupements sont
par nature une infraction au sens du code pénal et reste interdit à
juste titre par la Constitution. Par ailleurs, elle demeure en droit
administratif une responsabilité fondée sur le risque engageant la
responsabilité sans faute de l’Etat91. Une telle conclusion dont le
caractère dilatoire est évident pouvait en principe être rejetée par le
juge de fond par son manque de sérieux.
Dans leur velléité récidiviste, ces mêmes avocats ont introduit au
niveau de la troisième Chambre correctionnelle de la Cour d’appel
de Conakry une exception d’inconstitutionnalité92 des articles
632 al.1er et 561 de la loi93 en ce qu’ils portent atteinte à la liberté
d’opinion, d’expression, au droit de manifestation et la sécurité
juridique respectivement garantis par les articles 7 et 10, 24 et 72
al.2 de la Constitution94. Encore une fois, ils allèguent les mêmes
arguments que le droit de « manifestation et de cortège » consacrés
par les articles 7 et 10 de la Constitution implique, par sa nature
même, un rassemblement de personnes, un « attroupement ».
Ils soutiennent de même qu’il est impossible d’exercer le droit de
manifestation et de cortège, si le législateur prohibe, au stade même
du projet, toute possibilité d’inviter des citoyens à se réunir en vue
de former un « attroupement » pour exercer, « collectivement »,

91 J. Morand-Deviller, Droit administratif, Montchrestien, 2011, pp. 702 et s.


92 Affaire Abdourahamane Sanoh et Cie contre le Ministère Public.
93 Loi N°2016/059AN portant code pénal de la Guinée.
94 La Constitution du 07 mai 2010.

94
Ansoumane SACKO

les droits consacrés par l’article 10 de la Constitution du 07 mai


201095. Ces mêmes arguments ont été développés de manière itérative
devant la même Chambre dans l’affaire Badara Aliou Cheikna Koné,
Abdoulaye Bangoura, Aboubacar Sylla contre le ministère public,
au motif que l’alinéa 1er de l’article 632 du Code pénal fait obstacle
à toute forme de manifestation et de cortège, puisqu’il prohibe toute
provocation directe à un attroupement non armé. De ce chef, que
l’expression « toute provocation directe à un attroupement » utilisée
par le législateur est si élastique, qu’elle intègre les manifestations
sociales et culturelles les plus banales. On constate à cet effet que
l’usage que ces avocats font ainsi de l’exception d’inconstitutionnalité,
est abusif et malheureusement une appréciation de la pertinence de
celle-ci n’est pas opérée par le juge saisi au fond même au plus haut
niveau notamment la Cour suprême96.
Face à cette attitude dilatoire, le juge saisi ne semble pas être
armé d’argument juridique pour contourner tout ralentissement
de procédure par les avocats. Le juge de fond renvoi
systématiquement à la Cour constitutionnelle, toutes les exceptions
d’inconstitutionnalité qui sont soulevées devant lui. Il n’est pas
rigoureux dans l’appréciation des conditions que lui-même a
déterminées, notamment le caractère sérieux de l’exception.
Une décision de la Cour suprême sur le renvoi de l’exception
d’inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle ne peut en
l’occurrence résister à l’analyse97. Dans ses motivations, la Cour
suprême qui n’ignore pas que l’ensemble de la loi objet du recours
avait bénéficié du brevet de constitutionnalité reconnait de manière
95 La Constitution du 07 mai 2010 déjà abrogée.
96 Arrêt N° 11 du 03 octobre 2019.
97 Ibid.

95
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

explicite en des termes suivants : « Considérant que l’ensemble du texte


de la loi organique L/2017/003/AN du 23 février 2017, a été déclaré
conforme à la Constitution par Arrêt de la Cour constitutionnelle N°AC
09 du 19 juillet 2017 », mais « que par contre aucune décision de la
Cour constitutionnelle ne s’est préalablement prononcée sur l’exception
d’inconstitutionnalité de l’article 134 de la loi organique L/2017/003/
AN du 23 février 2017, en particulier ». Partant de ces motivations, la
Cour suprême a tiré la conclusion qu’il convient, en application de
l’article 55 de la loi organique L/2011/006/CNT du 10 mars 2011,
en renvoyant l’exception d’inconstitutionnalité des dispositions de
l’article 13498 en cause devant la Cour Constitutionnelle, compétente
pour les examiner. Pourtant, déjà dans la même décision de renvoi,
le juge saisi a bien déterminé les conditions afférentes au renvoi de
l’exception d’inconstitutionnalité99.
En reconnaissant que l’une des conditions cumulatives à celles
que la Cour suprême elle-même a dégagé en ces termes 100 : « la
disposition contestée n’a pas déjà été préalablement déclarée conforme à
la constitution dans les motifs ou le dispositif d’une décision de la Cour
constitutionnelle », et après avoir constaté que l’ensemble du texte de
la loi organique L/2017/003/AN du 23 février 2017 dont relèvent
les dispositions visées, a été déclaré conforme à la Constitution par
Arrêt de la Cour constitutionnelle101, il ne saurait y avoir de renvoi
en l’espèce au regard du contrôle préalable que l’ensemble de la loi y
98 Du code pénal guinéen, déjà cité.
99 L’arrêt N° 11 du 03 octobre 2019 indique que le renvoi de l’exception d’inconstitutionnalité
devant la Cour constitutionnelle suppose la réunion des conditions suivantes : 1. la disposition
contestée est applicable au litige ou à la procédure ; 2. La disposition contestée n’a pas déjà été
préalablement déclarée conforme à la constitution dans les motifs ou le dispositif d’une décision
de la Cour constitutionnelle ; 3. La question a un caractère sérieux.
100 Ibid.
101 Arrêt N°AC 09 du 19 juillet 2017.

96
Ansoumane SACKO

compris les dispositions en cause a fait l’objet, sauf changement des


circonstances de droit ou de fait102. Il aurait fallu à la Cour suprême
de prononcer un non-lieu à statuer relativement à une disposition
dont la rédaction et l’objet sont identiques à une disposition que la
Cour constitutionnelle a déjà jugée conforme à la Constitution. Il
convient de considérer qu’en principe, les dispositions d’un article
d’une loi déclarée conforme à la Constitution sont indivisibles,
quels que soient les moyens soulevées103. La Cour suprême était
donc en droit d’estimer qu’il n’y avait pas lieu à surseoir à statuer
et à transmettre une quelconque question préjudicielle à la Cour
Constitutionnelle tout en relevant le caractère dilatoire de l’action. La
condition restrictive du sérieux de l’exception viserait à permettre au
juge de fond d’écarter les exceptions qui sembleraient formellement
fantaisistes, à but dilatoires ou celles qui, d’apparence, n’ont aucun
effet sur l’instance ou dont la loi, objet de l’exception, n’a pas de
lien avec le litige dans l’instance au fond104. Ainsi, la signification du
sérieux requis pour se prononcer sur la suspension de la poursuite
de l’instance et son renvoi à la Cour constitutionnelle revêt deux
aspects. Le premier est que, pour statuer sur l’exception, celle-ci doit
avoir un lien avec l’objet du litige et produire un effet sur son issue.

102 Le changement de circonstances est de façon générale une cause explicative sinon justificative de
réexamen au besoin d’office de dispositions législatives ordinaires, organiques ou celles d’un rè-
glement d’une assemblée. Pour une étude plus détaillée de l’expression « changement de circons-
tance », voir : M. Disant, « L’appréhension du temps par la jurisprudence du Conseil constitution-
nel à propos du changement de circonstances », Les Nouveaux Cahier du Conseil Constitutionnel,
N° 54, Janvier 2017, pp. 20-29.
103 La validation des modifications apportées à une disposition, elle-même non examinée par le biais
du contrôle de constitutionnalité, vaut validation de cette disposition alors qu’elles ont le même
objet.
104 M. Fatin-Rouge stefannini, « La singularité du contrôle exercé a posteriori par le conseil
constitutionnel : la part de concret et la part d’abstrait », Les Nouveaux Cahiers du Conseil
constitutionnel, op. cit., p. 211.

97
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

Le second est l’existence d’une éventualité que la loi attaquée pour


inconstitutionnalité, s’écarte des dispositions de la Constitution105.
Cela témoigne ainsi toute la difficulté d’appréciation de la pertinence
des recours à travers les exigences préalables qui peuvent se révéler
comme des sources de conflit entre les juridictions de renvoi et la
juridiction constitutionnelle.
2- Les exigences préalables : sources de rapport conflictuel dans
l’appréciation des recours en exception d’inconstitutionnalité
au Sénégal
A la différence du système guinéen, au Sénégal, la question des
exigences préalables posées par le Conseil Constitutionnel limite
le dilatoire mais n’en demeure pas moins une source de rapport
conflictuel surtout entre le Conseil constitutionnel et la Cour
suprême. Dans sa Décision n°1/C/95 du 13 février 1995, le Conseil
Constitutionnel avait déjà posé un principe qui détermine toute
saisine en matière d’exception d’inconstitutionnalité en ces termes :
« que la Cour de cassation doit se prononcer avant toute saisine du
Conseil constitutionnel, sur sa compétence et sur la recevabilité du
pourvoi ou la déchéance, tout examen de la « solution du litige » leur
étant subordonné ; qu’un pourvoi, non purgé de toutes fins de non-recevoir
ou simplement fantaisiste, ne saurait servir de prétexte pour saisir le
Conseil constitutionnel d’une exception d’inconstitutionnalité qui, si elle
devrait être reçue et examinée par le Conseil, constituerait un véritable
105 La doctrine considère que l’appréciation de l’exception signifie que le juge de fond doit s’assurer
de la conformité ou non de la loi incriminée à la Constitution. S’il s’assure de sa constitutionnalité,
il est alors de son pouvoir de rejeter la demande d’exception. C’est ce que nous rejetons car ce
pouvoir appartient exclusivement au juge constitutionnel. Il suffirait au juge de fond, à travers
un examen formel du texte, de saisir l’existence de motifs raisonnables qui pencheraient vers
l’inconstitutionnalité. Voir G. Drago, « Les différents types de contentieux ou 5.000 décisions en
60 ans », in Les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, G. Drago, P-Y Gahdoun et E. Piwnica
(sous dir. de), déjà cité, pp. 8-17.

98
Ansoumane SACKO

détournement de procédure, » 106. Sur la base de ce considérant, le


Conseil Constitutionnel a renvoyé à la Cour de cassation le dossier
de la procédure107. Il apparaît à ce titre que le Conseil Constitutionnel
ne peut être saisi que des recours recevables devant la Cour d’Appel
ou la Cour suprême108. Celles-ci doivent se prononcer avant toute
saisine du Conseil constitutionnel, sur leur compétence et sur la
recevabilité du pourvoi ou la déchéance.
Pour la clarté de ces décisions, le Conseil constitutionnel est resté
constant dans cette position et dans tous les cas de saisine en la
matière109. La mention suivante résume et limite la question de
filtrage : « entendu que cela signifie que le litige qui lui est soumis est
susceptible d’être transmis au Conseil constitutionnel, conformément
aux dispositions de l’article 56 de la loi organique sur le Conseil d’Etat et
non point que l’exception elle-même est recevable »110. Contrairement
au renvoi systématique vers le juge constitutionnel guinéen mis en
œuvre par le juge de fond guinéen, le juge constitutionnel sénégalais
a l’avantage de bénéficier de la rigueur du juge de fond dans
l’appréciation des conditions de renvoi. Ainsi, en 2017 les juges de
la chambre d’accusation ont estimé qu’il n’y avait pas lieu à surseoir
à statuer et à transmettre une quelconque question préjudicielle
au Conseil Constitutionnel, puisque la solution du litige dont elle
était saisie ne dépendait pas de l’appréciation de la conformité
ou non d’une disposition légale par rapport à la Constitution111.
106 Décision n°1/C/95 du 13 février 1995.
107 Voir Arrêt n°2 du 17 janvier 1995.
108 Suite à la réforme intervenue en 2016, seuls la Cour d’Appel et la Cour suprême sont compétentes
pour renvoyer au Conseil Constitutionnel, l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant elles.
109 Décision n°2/C/95 du 13 février 1995 ; Décision n° 2/C/95 du 12 février 1995.
110 Décision n° 2/C/95 du 12 février 1995.
111 Voir CA, 2017 Ministère public et Agent judiciaire de l’Etat C/ Khalifa Ababacar Sall et autres.

99
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

Toutefois, cette décision de la Chambre d’accusation reste un cas


isolé.
Par ailleurs, le juge de la Cour suprême a souvent manifesté son
désaccord avec le Conseil constitutionnel sur les exigences que ce
dernier a fixées comme préalable à sa saisine. En effet, en 1995 dans
l’affaire Demba Mbaye, la Cour de Cassation avait saisi le Conseil
Constitutionnel d’une exception d’inconstitutionnalité. Le juge
constitutionnel a considéré que le juge du fond ne s’était prononcé
ni sur sa compétence, ni sur la recevabilité du recours porté devant
lui. Le Conseil Constitutionnel dans sa constance a martelé encore
une fois de plus que sa saisine d’une exception d’inconstitutionnalité
ne pouvait intervenir que lorsque le juge aura préalablement
statué sur les questions préalables et en conséquence, qu’une telle
procédure, non purgée des fins de non-recevoir, ne pouvait être
soumise à son examen112. En revanche, la Cour de cassation avait
considéré que ces exigences manquaient de base légale en ce sens
qu’aucun texte ne l’obligeait à statuer sur ces préalables à la saisine
du juge constitutionnel113. Ainsi, par son arrêt n°12 du 18 avril 1995,
la première Chambre de la Cour de cassation statuant à nouveau,
tout en reprenant le même dispositif que celui de l’arrêt du 17
janvier 1995, a estimé d’abord, que le Conseil constitutionnel par sa
décision du 13 février 1995, lui a fait une injonction qui ne résulte
pas des termes de l’article 67 précité. Elle a ensuite indiqué que par
son arrêt du 17 janvier 1995, qu’elle a pris soin de préciser que le
pourvoi formé par Demba Mbaye est régulier. La Cour de cassation
insiste dès lors en notant qu’« elle n’a pu affirmer la régularité dudit
112 Décision n°16/C/1995 du 13 février 1995 du Conseil Constitutionnel sénégalais.
113 Ibid.

100
Ansoumane SACKO

pourvoi qu’après avoir vérifié sa compétence et constater que le pourvoi


a satisfait à toutes les conditions exigées par la loi pour être déclaré
recevable ».
Ces deux positions avaient été réitérées aussi bien par la Cour
de Cassation que par la Cour suprême dans les affaires Moussa
Ouattara114 et autres et Ndiaga Soumaré115. Dans la dernière affaire, la
Cour suprême avait estimé devoir se limiter à la seule obligation de
saisir le Conseil constitutionnel de l’exception d’inconstitutionnalité
et de sursoir à statuer jusqu’à ce que le Conseil Constitutionnel se
prononce sur l’exception. La Cour suprême a estimé également
qu’en lui retournant les procédures sur la base des exigences
préalables, le Conseil Constitutionnel lui fait des « injonctions »
alors qu’aucun texte ne lui reconnaît ce pouvoir116. En réponse à
la Cour suprême, le Conseil Constitutionnel a exclu le caractère
injonctif de ses exigences et a estimé s’inscrire dans une dynamique
constructive : « par sa décision le Conseil constitutionnel voulait
signifier tout simplement, que la recevabilité du pourvoi ne résultant
pas du dispositif, le doute pouvait exister sur l’examen de toutes les
fins de non-recevoir susceptibles d’entacher le recours avant saisine
du Conseil constitutionnel ; que cette préoccupation est très éloigner
d’une « injonction » que le Conseil constitutionnel n’a aucun pouvoir
de donner sauf dans certaines hypothèses résultant de l’application de
l’article premier de la loi organique sur le Conseil constitutionnel117 ; ».

114 Décision n°17/C/1995 du 13 février 1995.


115 Décision n°2/C/2012.
116 Arrêt du 17 janvier 1995.
117 Voir le considérant 5 de la décision n°3/C/95 du 19 juin 1995.

101
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

Néanmoins, dans une autre affaire Djiegdiame Diop contre Etat du


Sénégal118, le juge de la Cour suprême s’était clairement prononcé
sur sa compétence et sur la recevabilité de la requête avant toute
saisine du Conseil constitutionnel. De même, les remarques du
Conseil constitutionnel ont été prises en compte également dans
l’affaire Hissen Habré dans laquelle les conseils de ce dernier avaient
soulevé l’inconstitutionnalité de l’accord du 22 août 2012 entre
la République du Sénégal et l’Union Africaine sur la création des
Chambres Africaines Extraordinaires119. A part quelques cas isolés,
la Cour suprême maintient sa position en considérant les exigences
du Conseil constitutionnel comme une injonction au motif qu’il y
a l’absence d’un lien de subordination entre les deux juridictions.
Il y a lieu de reconnaître et de se rendre à l’évidence que le bras de
fer subsiste, car la Cour suprême considère toujours n’avoir failli à
aucune règle. Dans ce contexte marqué par un rapport conflictuel,
il faut noter l’inexistence d’une instance juridictionnelle chargée de
trancher ces conflits qui perdurent. Une réforme des textes pourrait
permettre de surmonter cette difficulté et d’améliorer en général
l’exercice du contrôle par voie d’exception au Sénégal. Le juge
constitutionnel guinéen est à l’écart d’un tel rapport conflictuel au
motif que les juridictions de renvoi ont toujours au préalable statué
sur la recevabilité de l’exception soulevée avant de la renvoyer à
la Cour constitutionnelle, même s’il faut relever leur manque de
rigueur relativement à la compétence et à la recevabilité. Force est
de constater que plus de 4 ans après la réforme de 2016 au Sénégal,
aucune exception soulevée devant une Cour d’Appel n’a été traité
par le Conseil constitutionnel. C’est à ce niveau, qu’on peut
118 Voir décision n°2/C/2013 du Conseil Constitutionnel.
119 Décision n°1/C/2015 du 2 mars 2015 du Conseil constitutionnel.

102
Ansoumane SACKO

s’interroger sur l’évolution des jurisprudences constitutionnelles


guinéenne et sénégalaise.
B- La jurisprudence de l’exception d’inconstitutionnalité en
manque d’épanouissement en Guinée et au Sénégal
Près de cinq ans de mise en œuvre après l’introduction de l’exception
d’inconstitutionnalité dans la Constitution en Guinée et la mise
en place effective de la Cour Constitutionnelle en 2015, et près de
deux décennies pour le Sénégal, force est de constater d’une part,
la faiblesse de la saisine des juridictions constitutionnelles au plan
quantitatif (1) et d’autre part, les limites du juge constitutionnel
dans l’appréciation de l’exception d’inconstitutionnalité (2).
1- La faible saisine au plan quantitatif
Une analyse des décisions de des juridictions constitutionnelles
guinéenne et sénégalaise sur l’exception d’inconstitutionnalité
aboutit généralement à un seul constat : le faible taux de saisine120.
Peut-on considérer que les lois sont sans reproche dans ces deux
Etats, raison qui expliquerait que les citoyens ne les attaquent
pas à l’occasion des instances ? Il serait illusoire de le penser. La
faiblesse du taux de saisine s’explique-t-elle par une ignorance de
l’existence de cette procédure ou par un manque de confiance en
la justice constitutionnelle ? Pas entièrement puisque l’exception
ne peut être soulevée que devant les juridictions de droit commun.
Or, à ce niveau de la procédure, les avocats sont souvent présents
et non seulement ils n’ignorent pas l’existence de cette procédure
mais la suspicion envers la justice ne les retient pas. L’absence de
120 Le faible taux de saisine des deux juridictions constitutionnelles soumises à l’étude est tributaire
entre autres de nombreux facteurs notés dans la mise en œuvre du contrôle de constitutionnalité
a posteriori.

103
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

filtrage n’a cependant pas produit des effets escomptés permettant


de multiplier la fréquence de la saisine à défaut pour les juges
constitutionnels guinéen et sénégalais d’être engorgés à l’image du
Bénin121. L’exploitation des données statistiques révèle que les citoyens
guinéens ne se prévalent pas de l’exception d’inconstitutionnalité.
Entre 2015 et 2020 la Cour constitutionnelle de Guinée a rendu
huit (8) décisions sur l’exception d’inconstitutionnalité122. De 2015
à 2016, aucune exception n’a été soulevée. Deux seulement ont été
soulevées en 2017 et 2018123 soit une saisine par an. L’année 2019
fut relativement la plus moissonneuse avec cinq (5) saisines124.
Par contre depuis l’année 2020 et l’année 2021 en cours, la haute
juridiction constitutionnelle de Guinée n’a encore été saisie d’aucun
recours par voie d’exception. Devant un tel phénomène, on peut être
amené à estimer que parfois l’ignorance des procédures de saisine de
la juridiction constitutionnelle ou la longueur des délais de jugement
constituent les véritables explications. Le droit guinéen connait
pourtant une décentralisation de la saisine, ce qui exclut la consécration
de tout monopole de saisine par une ou des juridictions supérieures
comme au Sénégal ou au Maroc125. Il est indiscutable que c’est devant
les juridictions du premier degré et du second degré que les citoyens
ont plus tendance à défendre leurs droits et que les procès sont plus
nombreux. Le système guinéen se rapproche des cas du Bénin, Togo,
121 M. C. Gbeha Afouda, « Exception d’inconstitutionnalité au Bénin : organisation et procédures
internes », 2éme Séminaire International : Conférence des Juridictions Constitutionnelles
Africains- CJCA, op. cit., p. 86 .
122 Voir las avis et décisions de la Cour constitutionnelle, 2020.
123 Arrêt N°AC 013 du 15 mai 2017 et Arrêt N° AC 042 du 26 novembre 2018.
124 - Arrêt N°AC 007 du 11 avril 2019 ; Arrêt N°AC 008 du 25 avril 2019 ; Arrêt N° AC 37 du 06
novembre 2019 ; Arrêt N° AC 040 du 02 décembre 2019 ; Arrêt N° AC 042 DU 26 décembre 2019.
125 N. El Moumni, « le cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception
d’inconstitutionnalité au Maroc », 2éme Séminaire International op.ct. pp. 151-155.

104
Ansoumane SACKO

Niger, Tchad entre autres où il est possible de soulever l’exception


d’inconstitutionnalité devant n’importe quelle juridiction126.
Si l’élargissement de la saisine pour une meilleure protection des
droits et libertés des citoyens n’a pas obtenu des effets logiques et
escomptés sur le plan quantitatif en Guinée, il est cependant loin
d’être un cas isolé. Il apparaît que le système sénégalais127semble
être confronté à la même problématique liée à la faiblesse de la
saisine du juge constitutionnel due à un manque d’élargissement
de l’exception d’inconstitutionnalité. A la différence que cette fois-
ci, le système ne permet pas aux citoyens de la soulever devant les
Tribunaux d’Instance et de Grande Instance128. Contrairement aux
craintes émises à l’origine, on n’a pas assisté au flot des exceptions
d’inconstitutionnalité à cause du manque de filtre et en conséquence,
le Conseil constitutionnel n’a pas été jusqu’ici noyé129.
A ce jour au Sénégal, l’exception d’inconstitutionnalité ne peut
être soulevée ni devant les tribunaux d’instance d’appel ou le
pourvoi en cassation130. L’exploitation des données statistiques
révèle que les citoyens sénégalais ne se prévalent pas de l’exception
d’inconstitutionnalité. Entre 1992 et 1994, aucune exception
n’a été soulevée devant l’ancienne Cour de cassation. De 1995
à 2001, soit six ans, le Conseil n’a examiné que 4 exceptions à lui

126 Ibid.
127 M. Malick Diop, vice-président du conseil constitutionnel du Sénégal, « évaluation de la mise
en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au Sénégal, et les recommandations qui en
découlent », 2éme Séminaire International : Conférence des Juridictions Constitutionnelles
Africains- CJCA op. cit. p. 133.
128 Ibid.
129 Ibid.
130 Ibid.

105
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

transmises131. Durant la période comprise entre 2002 et 2011, soit


9 ans, aucune exception n’a été soulevée. Durant la période de
2012 à 2015, nous avons régulièrement une exception soulevée par
année soit au total 4 cas examinés par le Conseil constitutionnel
sénégalais132. Depuis 2016, le Conseil Constitutionnel n’a pas été
saisi par voie d’exception133. On peut aisément constater que durant
20 ans c’est-à-dire de 1992 date de l’introduction de l’exception
d’inconstitutionnalité à 2002, quatre décisions seulement ont été
rendues par le Conseil constitutionnel. De 2002 à 2017 soit 15 ans
seules 4 décisions ont été rendues. C’est dans ce cadre qu’on a parlé
de « sécheresse jurisprudentielle »134. Le droit sénégalais qui avait
jusqu’ici consacré le monopole de la saisine par la Cour suprême
connaît une décentralisation de la saisine vers les Cours d’appel avec
la réforme constitutionnelle issue des consultations référendaires de
2016. En effet, désormais le Conseil Constitutionnel peut être saisi
soit par la Cour suprême soit par une Cour d’Appel. Cette réforme
avait suscité beaucoup d’espoir et certains avaient même pensé que
le Conseil Constitutionnel serait submergé de recours135.
131 Par l’ancienne Cour de Cassation et par la Cour suprême. Voir, Conseil constitutionnel du Sénégal,
recueil des décisions, janvier 1993-mars 2019, édit. février 2020
132 Conseil constitutionnel du Sénégal, recueil des décisions, janvier 1993-mars 2019, édit. février
2020
133 Il y a cependant à remarquer qu’une exception d’inconstitutionnalité a été soulevée devant la
Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Dakar au mois de mai 2017 dans l’affaire Ministère
public et agent judiciaire de l’Etat C/ Khalifa Ababacar Sall et autres. Elle a été rejetée par la Chambre
d’accusation.
134 Expression employée par l’ancien Vice-président du conseil constitutionnel sénégalais, Isaac
Yankhoba NDIAYE. Voir, M. Malick Diop, vice-président du conseil constitutionnel du
Sénégal, « évaluation de la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au Sénégal, et
les recommandations qui en découlent », 2éme Séminaire International : Conférence des
Juridictions Constitutionnelles Africains- CJCA, op. cit. p. 128.
135 M. Malick Diop, vice-président du conseil constitutionnel du Sénégal, « évaluation de la mise
en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au Sénégal, et les recommandations qui en
découlent », 2éme Séminaire International : Conférence des Juridictions Constitutionnelles
Africains- CJCA op. cit. p. 125.

106
Ansoumane SACKO

Dans cette perspective comparatiste, il est malaisé de constater


que la décentralisation de l’exception d’inconstitutionnalité dans
le système guinéen traine au même rythme que dans le système
sénégalais où le rétrécissement des juridictions habilitées à être saisi
de l’exception d’inconstitutionnalité est appliqué. Face à ce constat,
la jurisprudence en la matière se trouve à la croisée des chemins.
2- Les limites des juges constitutionnels guinéen et sénégalais
dans l’appréciation de l’exception d’inconstitutionnalité
En matière contentieuse, le contrôle de conformité des accords ou
conventions se trouve désormais rivalisé par les droits fondamentaux
(exception d’inconstitutionnalité) dans l’arène jurisprudentiel
à travers les arrêts sur les questions de droit aussi variées en droit
pénal, droit civil, libertés d’expression ou d’opinion etc136. Les
décisions rendent compte de la dynamique de la construction
jurisprudentielle en matière d’exception d’inconstitutionnalité qui
ne peut occulter les difficultés liées aux défis de la protection des
droits et libertés et à la recherche d’une identité propre à travers une
analyse d’ensemble de la jurisprudence constitutionnelle.
Un examen de la jurisprudence constitutionnelle guinéenne permet
de se rendre compte des difficultés d’appréciation par le juge
constitutionnel guinéen sans ignorer ses efforts dans la gestation
d’une jurisprudence dans l’affirmation ou la protection des droits et
libertés par le biais de l’exception d’inconstitutionnalité. Il s’agit en
premier lieu de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée contre
l’article 31 de la loi L/2016/037/AN du 26 juillet 2016 relative à la
cybersécurité et la protection des données à caractère personnel137.
136 Les domaines sont de plus en plus variés : liberté d’expression, droit à la défense, droits
successoraux entre veuves, droit de manifester…
137 Arrêt N°AC 007 du 11 avril 2019.

107
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

La Cour tout en réitérant sa jurisprudence relative à l’Arrêt N° AC


042 du 26 novembre 2018 sur l’exception d’inconstitutionnalité
des articles 108, 109 et 110 de la loi organique portant liberté de
presse138, a considéré que les limitations prescrites par le législateur
dans l’exercice des droits et libertés ne sont pas prohibées par
la Constitution. En outre, en matière de droits économiques et
sociaux, l’exception d’inconstitutionnalité soulevée de l’article
484 du code civil 139 est illustrative dans la construction de la
marque jurisprudentielle de la Cour constitutionnelle. La Cour
constitutionnelle n’a pas manqué de réaffirmer les droits légaux
reconnus à la femme veuve sans enfant, dans la succession de son
défunt mari140. En reconnaissant le droit à la femme veuve sans enfant
de succéder à son mari. La Cour a déclaré mal fondée, l’exception
d’inconstitutionnalité soulevée. Elle a aussi précisé que le législateur
en édictant l’article 484 du Code civil a voulu tenir compte de la
situation particulière de la veuve sans enfant en lui accordant une
part de la succession du défunt mari. Elle fait également mention en
outre que ledit article en fixant les droits légaux reconnus à la femme
veuve sans enfant dans la succession de son mari défunt se justifie
par son objet de faire bénéficier à cette conjointe survivante, une
protection qui fait d’elle l’un des principaux héritiers et vise à cet
effet à lutter contre la discrimination dans la succession à l’égard de
cette catégorie de femmes veuves ayant vécu dans un lien de mariage
empreint de dignité et de dévouement.

138 Loi L/2010/02/CNT du 22 juin 2010.


139 Arrêt N°AC 008 du 25 avril 2019.
140 L’inconstitutionnalité a été soulevée devant le Tribunal de Première Instance de Conakry 2,
au motif que l’article 484 du Code civil guinéen viole le préambule et les articles 1er et 8 de la
constitution (Constitution du 7 mai 2010).

108
Ansoumane SACKO

De même, la Cour constitutionnelle guinéenne dans son


raisonnement relativement à l’exception d’inconstitutionnalité141
soulevée contre l’alinéa 1er de l’article 485 de la loi142 portant code de
procédure pénale a indiqué que la consécration constitutionnelle des
droits ne fait pas obstacle aux aménagements procéduraux justifiés
en matière civile et pénale par le législateur conformément à l’article
72 al. 2 de la Constitution. A ce titre, la Cour constitutionnelle
tout en reconnaissant que le législateur peut prévoir des règles de
procédure différentes selon les faits, les circonstances, a posé ainsi le
principe que ces différences qui ne procèdent pas de différenciation
injustifiée doit assurer aux justiciables des garanties légales
relativement au principe du contradictoire et au respect du principe
du droit de la défense. A l’origine, cette question a été soulevée en
procédure de citation directe à comparaître devant le tribunal de
première instance de Dixinn statuant en matière correctionnelle.
Selon le motif essentiellement soulevé, le plaideur tente de justifier
que l’alinéa 1er de l’article 485 de la loi n°2016/060/AN portant
Code de Procédure Pénale s’applique bien au litige puisque les
prévenus, ne pouvant pas comparaître à l’audience du Tribunal de
Première Instance de Dixinn, se verront nécessairement opposer
cette disposition et, par la même, seront privés du droit d’être
représentés par leur avocat à l’audience143.

141 Arrêt N° AC 040 du 02 décembre 2019.


142 Loi n°2016/060/AN.
143 Pour le plaideur, l’alinéa 1er de l’article 485 de la loi pénale disposant que « Le prévenu qui
comparaît a la faculté de se faire assister par un défenseur », il tente démonter auprès du juge
de l’exception d’inconstitutionnalité qu’en accordant la faculté de se faire assister par un défenseur
au seul prévenu comparant à l’audience, le législateur dénie a contrario ce droit au prévenu non
comparant.

109
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

Si ces différentes dispositions visent en réalité, des lois ordinaires


notamment civiles et pénales, l’arrêt en date du 23 février 2017 144
est relatif à une loi organique portant attribution, organisation et
fonctionnement de la Cour suprême145. En la matière et aux termes
de l’article 104 al. 1 de la Constitution146, « Les lois organiques
sont obligatoirement soumises par le Président de la République à la
Cour Constitutionnelle avant leur promulgation. »147. Dans cette
logique, le contrôle que la Cour constitutionnelle exerce sur les
lois organiques, doit être regardé comme s’étant prononcé sur
la conformité à la Constitution de chacune des dispositions de la
loi organique qui lui est soumise, les lois organiques promulguées
doivent être considérées, dans leur intégralité sauf changement
de circonstances148, comme conformes à la constitution. Dans la
mesure où l’une des conditions de l’exception d’inconstitutionnalité
est que la loi ne devrait pas être préalablement déclarée conforme
à la constitution et qu’en l’espèce cette loi, objet du recours avait
bénéficié du brevet de constitutionnalité de la même Cour
constitutionnelle, il n’y avait donc pas lieu de déclarer recevable
ladite exception d’inconstitutionnalité. Par principe toute
exception d’inconstitutionnalité soulevée était à rejeter en la
144 Arrêt N° AC 37 du 06 novembre 2019.
145 L’article 134 de la loi organique L/2017/003/AN.
146 Constitution du 14 avril 2020.
147 Cconformément à cette disposition constitutionnelle, la Loi Organique L/2011/006/CNT en
son article 22 al. 5 dispose de manière très précise que : « Pour ce qui est des Lois organiques (…)
la Cour exerce un contrôle de conformité à la Constitution obligatoire et préalable à leur promulgation
pour l’Assemblée Nationale et à leur mise en application pour les autres institutions constitutionnelles ».
Les alinéas 1et 2 apportent les précisions suivantes : « Les lois organiques adoptées par l’Assemblée
Nationale sont transmises à la Cour Constitutionnelle avant leur promulgation. Les lois organiques
adoptées par l’Assemblée Nationale sont transmises à la Cour constitutionnelle par le Président de la
République pour contrôle de constitutionnalité. (...)».
148 Le changement de circonstance permet de contester une disposition jugée conforme à la
Constitution par la juridiction constitutionnelle. Ce changement de circonstance peut tenir à des
conditions de droit ou à des conditions de fait.

110
Ansoumane SACKO

forme pour cause d’irrecevabilité. Mais la décision de la Cour


constitutionnelle rendue au fond dans cette affaire relève en l’espèce
d’une démarche incohérente et inconséquente dans la mesure où
il suffisait simplement de tirer les conséquences qui s’imposent. La
Cour constitutionnelle a aussi manqué de sanctionner une attitude
dilatoire des requérants.
A contrario au Sénégal, l’examen de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel fait ressortir le rejet systématique en la forme des
exceptions d’inconstitutionnalité dont il est saisi. Dans sa décision
n°3/C/95 du 19 juin 1995 le Conseil constitutionnel a examiné une
série d’exceptions d’inconstitutionnalité soulevées contre l’article
140 du code de procédure pénale. Dans son raisonnement, il a déclaré
conforme à la Constitution l’article susvisé en considérant qu’il ne
viole ni les droits de la défense, ni la présomption d’innocence et
qu’en tout état de cause, bien qu’il s’agisse de liberté fondamentale
garantie par la Constitution, le législateur peut apporter des
restrictions à leur exercice en invoquant d’autres principes de
valeur constitutionnelle tels que : la préservation de l’ordre
public ou la sauvegarde de l’intérêt général, objectif que poursuit
précisément l’article soumis à son examen149. De même le Conseil
Constitutionnel n’a trouvé aucun moyen juridique lui permettant de
soulevée une quelconque violation. Il ajoute en effet, qu’il « ne relève
dans l’article 140 CPP aucune violation de la Constitution susceptible
d’être soulevée d’office, conformément aux dispositions de l’article 15,
alinéa 3 de la loi organique sur le Conseil constitutionnel ; »150. Le
Conseil constitutionnel ouvre à cet effet, une brèche relative à
son pouvoir de soulever d’office toute violation de la constitution.
149 Voir le considérant 5 de la décision n°3/C/95 du 19 juin 1995 le Conseil Constitutionnel.
150 Ibid. Considérant 6.

111
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

Dans le même ordre d’idées, le Conseil Constitutionnel, saisit sur


l’inconstitutionnalité d’un accord international entre le Sénégal
et l’Union Africaine a, après avoir déclaré la recevabilité de la
saisine conclu au rejet en estimant entre autres que le Ministre de
la justice, agissant ès-qualité, est en droit de conclure un accord
relatif à la mise en place d’une juridiction à caractère international
destinée à faire juger des infractions de même nature ; que l’UA,
partie contractante ne l’a pas considéré autrement. De même, le
Conseil constitutionnel a indiqué que le texte n’impose nullement
une saisine préalable obligatoire du Conseil constitutionnel pour
la ratification ou l’approbation d’un engagement international.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a estimé que l’existence
matérielle d’une loi autorisant la ratification n’est pas réellement
contestée dans la mesure où le requérant excipe plutôt d’une erreur
de date qui, même établie ne saurait remettre en cause l’essence de
la loi, ni constituer une violation de la Constitution151.
L’analyse de la jurisprudence constitutionnelle de ces deux Etats
rend à l’évidence qu’en Guinée tous les recours en exception
d’inconstitutionnalité ont été déclarés recevables en la forme152 alors
qu’au Sénégal ce sont 5 affaires153 qui ont pu échapper à la procédure
préalable de recevabilité sur laquelle le Conseil Constitutionnel
reste intransigeant. Par contre l’examen au fond fait apparaître un
trait commun entre les jurisprudences constitutionnelles guinéenne
et sénégalaise. Il ressort en Guinée tout comme au Sénégal que les
151 Décision n°1/C/2015 du 2 mars 2015.
152 Le juge du fond en Guinée a toujours observé cette procédure en statuant sur la recevabilité de
l’exception d’inconstitutionnalité même si la rigueur a manqué dans l’examen des conditions de
recevabilité.
153 - C. Cass, 18 avril 1995 Demba Mbaye ; - C. Cass., 28 juillet 2000 ; - C. S., 14 février 2013 ; - C. S.,
6 février 2014 ; - C. S., 23 janvier 2015.

112
Ansoumane SACKO

décisions rendues en matière d’exception d’inconstitutionnalité


ont toutes été déclarées non fondées au fond. Ce qui suppose
naturellement que les prétentions invoquées par les parties estimant
que leurs droits et ou libertés individuels protégés dans la Constitution
ont été violés sont vouées à l’échec. Cela suppose également que
ces juges constitutionnels sont restés constants et fermes sur la
constitutionnalité du droit existant découlant de son contrôle a priori.
Ce dernier contrôle n’a pu être controversé à l’issu d’un contrôle a
posteriori ou d’un changement de circonstance de fait.
L’exception d’inconstitutionnalité est au principe d’une révolution
juridique et les systèmes juridiques guinéen et sénégalais est
appelé à changer profondément. Le professeur Dominique
Rousseau, estime, à juste titre, qu’« avec ce nouveau moyen de droit,
la Constitution, devient la chose commune. Tout justiciable peut se
servir de la Constitution, tous les juges sont associés à sa protection et
tous les droits public et privé, y trouvent leurs principes fondateurs »154.
Cette révolution est porteuse de renouveau constitutionnel, de
changements essentiels du rapport du citoyen avec la Constitution,
les juridictions constitutionnelles et les juridictions de droit
commun. En conférant au justiciable, personne physique ou morale,
le droit de contester une disposition législative voire la stipulation
d’un engagement international en vigueur qu’il juge attentatoire aux
droits et libertés garantis par la Constitution, le législateur organique
guinéen et le constituant sénégalais donnent au citoyen les moyens
de sanctionner, la norme produite par ses représentants et de
protéger ainsi, par le droit, son espace constitutionnel. La pratique
de l’exception d’inconstitutionnalité, ne manquera pas, à terme, de
154 D. ROUSSEAU, « Droit du contentieux constitutionnel », LGDJ, 2013, p. 25.

113
« L’exception d’inconstitutionnalité en question dans la protection des droits
et libertés en Guinée et au Sénégal »

faire évoluer les mentalités et les comportements des citoyens qui ne


se sentiront plus étrangers aux différents textes constitutionnels155.
C’est justement ce que l’exception d’inconstitutionnalité ambitionne
de rétablir en renouant le lien direct entre le justiciable, le citoyen,
et la constitution et permettre ainsi à celui-ci de se la réapproprier
à terme. L’accès du citoyen à la Constitution confère donc à celui-ci
la possibilité de faire annuler par voie de justice constitutionnelle
une disposition législative votée par les représentants, renforcent
non seulement la croyance individuelle et collective aux vertus de
l’Etat de droit et de la démocratie mais contraint également les
représentants de la nation à intégrer dans leur raisonnement et leur
comportement la ressource constitutionnelle. On découvre ainsi à
travers les différentes décisions que la gestation d’une jurisprudence
en matière d’exception d’inconstitutionnalité en Guinée et au
Sénégal est possible et promet malgré les difficultés liées à la nature
des questions et la nouveauté du système.

155 Ibid.

114
DIRECTION DE LA PUBLICATION
Directeur : Joseph DJOGBENOU / Secrétaire : Gilles BADET (Assisté par Josué CHABI KPANDE
& Constant SOHODE)
COMITÉ SCIENTIFIQUE
Maurice AHANHANZO GLELE
Agrégé des facultés de Droit, Professeur de Droit public et de Sciences politiques, Ancien
Président d’honneur membre de la Cour constitutionnelle du Bénin, Ancien Président de la Haute Cour de justice
du Bénin (BENIN)
Théodore HOLO
Président Agrégé des facultés de Droit, Professeur de Droit public et de Sciences politiques, Ancien
Président de la Cour constitutionnelle du Bénin, Ancien Président de la Haute Cour de
justice du Bénin (BENIN)

Vice-Président Koffi AHADZI-NONOU


Agrégé des facultés de Droit, Professeur de Droit public et de Sciences politiques
Membre de la Cour constitutionnelle du Togo (TOGO)
Robert DOSSOU
Ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Bénin, Doyen honoraire de la Faculté des sciences
juridiques économiques et politiques de l’Université nationale du Bénin, Ancien ministre,
Ancien Président de la Cour constitutionnelle du Bénin (BENIN)
Martin BLEOU
Agrégé des facultés de Droit, Professeur de Droit public et de Sciences politiques, Ancien
ministre (COTE D’IVOIRE)
Babacar KANTE
Agrégé des facultés de Droit, Professeur de Droit public et de Sciences politiques, Doyen
honoraire de la Faculté de Droit de l’Université Gaston Berger de Saint Louis, Ancien Vice-
Président du Conseil constitutionnel (SÉNÉGAL)
Babacar GUEYE
Agrégé des facultés de Droit, Professeur de Droit public et de Sciences politiques, Université
Cheikh Anta Diop de Dakar (SÉNÉGAL)
Dorothé C. SOSSA
Agrégé des facultés de Droit, Professeur de Droit privé, Doyen honoraire de la Faculté de
Droit et de Sciences politiques, Université d’Abomey-Calavi, Secrétaire permanent honoraire
de l’OHADA (BÉNIN)
Noël A. GBAGUIDI
Agrégé des facultés de Droit, Professeur de Droit privé, Ancien Titulaire de la Chaire UNESCO des
droits de la personne et de la démocratie, Université d’Abomey-Calavi (BÉNIN)
Fabrice HOURQUEBIE
Professeur de Droit public, Université Montesquieu Bordeaux IV, Directeur de l’IDESUF,
Directeur adjoint du CERCCLE (FRANCE)
Membres Dodzi KOKOROKO
Agrégé des facultés de Droit, Professeur de Droit public et de Sciences politiques, Président de
l’Université de Lomé (TOGO)
Adama KPODAR
Agrégé des facultés de Droit, Professeur de Droit public et de Sciences politiques
ancien Vice-Président de l’Université de KARA (TOGO), Directeur général de l’Ecole National
d’Administration de l’Univerté de LOME (TOGO)
Ibrahim SALAMI
Agrégé des facultés de Droit, Professeur de Droit public, Ancien Vice-doyen de la faculté de Droit
et de Sciences politiques, Université d’Abomey-Calavi (BÉNIN)
Dandi GNAMOU
Agrégée des facultés de Droit, Professeure de Droit public, Université d’Abomey-Calavi,
Conseillère à la Cour suprême du Bénin (BÉNIN)
Mahaman TIDJANI ALOU
Agrégé en Sciences politiques, Professeur à l’Université Abdou MOUMOUNI de Niamey
(NIGER)
Brusil Miranda METOU
Agrégée des facultés de Droit, ancienne Vice-Recteur chargé de la recherche, de la coopération
et des relations avec le monde des entreprises Université de DSCHANG (CAMEROUN)
Victor P. TOPANOU
Maître de Conférences en Sciences politiques, Ancien Directeur de l’École doctorale ‘‘Sciences
juridiques, politiques et administratives’’, Université d’Abomey-Calavi (BÉNIN)
Hygin KAKAÏ
Agrégé en Sciences politiques. Vice Doyen de la Faculté de droit et de sciences politiques
Université d’Abomey-Calavi (BÉNIN)

COMITÉ DE LECTURE
352
Président : M. Razaki AMOUDA-ISSIFOU, Vice-Président de la Cour constitutionnelle
Membres : Pr. Joël ADELOUI, Pr. Igor GUEDEGBE, Pr. Hygin KAKAÏ, Dr. Gilles BADET,
Dr. Dario DEGBOE, Dr. Aboudou Latif SIDI

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