De Quoi Sont Fait Nos Leaders
De Quoi Sont Fait Nos Leaders
DE QUOI
SONT FAITS
NOS
LEADERS
édito
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Révision: Jocelyne Dorion
Correction: Julie Brouillard
Infographie: Michel Fleury
Conception graphique de la couverture: Marie-Josée Forest
Illustration de la couverture: Akindo / iStock by Getty Images
Photo de l’auteur: Bénédicte Brocard
ISBN: 978-2-924959-29-9
ISBN Epub: 978-2-924959-54-1
© Radio-Canada 2018
Entrevues réalisées dans le cadre de la série Vocation: leader diffusée sur les ondes de Radio-
Canada.
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À maman
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Un livre dans la poche,
c’est une police d’assurance pour l’esprit*.
Dany Laferrière
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Avant-propos
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pas deux recettes semblables pour construire un leader.
Et, soyons clairs dès le départ: ce livre n’est pas un
hommage aux PDG d’entreprise. Vous lirez les propos
d’entrepreneurs, de gestionnaires et de hauts dirigeants de
société, certainement. Mais le leadership n’est pas la
chasse gardée de quelques présidents dans leur grande
tour au centre-ville. Au contraire, vous verrez que des
leaders, on en compte dans toutes les sphères de la société
et de notre vie, de Nathalie Bondil, au Musée des beaux-
arts de Montréal, à Yoshua Bengio, grand spécialiste de
l’intelligence artificielle à l’Université de Montréal, en
passant par l’architecte Phyllis Lambert, l’entrepreneur
Charles Sirois ou le philanthrope Pierre Lassonde.
Ils ont du charisme. Ils ont une vision, un propos, un
engagement, une conviction. Ils ont le désir de développer,
d’embaucher, d’investir, de créer, de refaire le monde. Ils
sont entêtés, ils travaillent sans relâche, ils font de l’argent,
mais considèrent que c’est un outil, un moyen d’avancer, et
non pas une fin en soi. Ils lisent, ils savent convaincre, ils
ont de la chance, ils sont curieux, ils sont exigeants, ils se
lèvent tôt, ils écoutent leur voix intérieure.
Ce livre s’articule autour de 22 entrevues réalisées avec
11 hommes et 11 femmes dans le cadre de la série
Vocation: leader présentée sur les ondes d’ICI RDI et d’ICI
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Radio-Canada Télé, qu’on peut voir également sur ICI
TOU.TV. Appuyé par une équipe de production solide et
accompagné de mes collègues et amis Louise Brassard,
Elsa Legault et Sylvain Lampron, je suis allé rencontrer
des gens passionnés, ouverts, qui assument leurs idées,
leurs points de vue, et qui sont animés de valeurs
profondes et inspirantes.
Le titre de la série exprime bien notre démarche dans ces
entrevues. Pour diriger, pour guider, entraîner,
convaincre, réussir, il faut être composé de quelques
ingrédients exceptionnels. J’écris cela parce que toutes les
personnes que nous avons rencontrées ont parlé de la
solitude nécessaire dans la prise de décision, du travail
constant qui doit être fait pour motiver et stimuler les
équipes, pour les rassembler dans les moments difficiles. Il
y a une force, un feu, un carburant, une vitamine
intérieure qui fait en sorte que certaines personnes, dans
notre entourage, dans la famille, à la maison, dans nos
activités sociales, au travail, sont désignées et considérées
comme des leaders.
Je ne crois pas que le leadership vienne en héritage. Sans
doute des prédispositions sont-elles nécessaires pour unir
une équipe autour d’une idée ou d’un projet. Mais il faut
aussi, et surtout, beaucoup de travail, d’engagement, de
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sincérité et d’honnêteté.
Malheureusement, il peut aussi y avoir manipulation,
hypocrisie, mensonge et méchanceté. Dans ces moments-
là, c’est bien plus tard, souvent trop tard, qu’on réalise que
celle ou celui qu’on voyait comme un leader est, en fait, un
imposteur.
Dans les pages qui suivent, je vous rassure tout de suite,
j’entends vous proposer une réflexion sur le leadership à
travers des témoignages sincères. Vous y trouverez
beaucoup de conviction, d’affirmation et d’engagement.
Mais vous y trouverez également le doute, la peur,
quelques faiblesses, peu de regrets, quelques déceptions,
quelques angles morts aussi. Les vrais leaders ne sont pas
parfaits, mais ils semblent exprimer une authenticité qui
leur permet de convaincre bien des gens.
Nous nous sommes aperçus, dès le départ, que sur
certains sujets, les leaders ne voient vraiment pas tous les
choses de la même manière, alors que, sur d’autres, ils ont
presque tous la même réponse. J’ai voulu replonger dans
ces entrevues, dont une petite partie seulement a été
diffusée à la télé. J’ai voulu recouper les réponses, les
mettre en opposition ou en complémentarité, pour
comprendre la complexité de ce qui fait un leader. Ces
entrevues sont riches en inspiration, en contenu vivant,
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réel, en sueur et en vérités. Je veux faire ressortir ces
nutriments de vie et j’espère que ça vous fera vibrer un
peu.
Quant à moi, je suis journaliste depuis plus de 20 ans,
j’anime RDI économie depuis plus de 10 ans, ce qui m’a
permis d’interviewer des milliers de personnes, dont
plusieurs leaders dans leur domaine. J’ai une vision bien
personnelle de ce qui compose un leader, que ne
partageront pas nécessairement certains lecteurs ou des
experts en cette matière. Néanmoins, j’ai envie de vous
dire ce qui constitue un leader à mes yeux. Je le fais du
point de vue d’un observateur et non à titre d’expert en
leadership.
Premièrement, il m’apparaît évident qu’un décideur qui
se cache, qui refuse de répondre aux questions, qui décline
les demandes d’entrevue manque sérieusement à sa
responsabilité. Personne n’atteint les hautes sphères d’une
société publique ou privée sans l’aide de la société. Comme
le souligne Marc Dutil, nous sommes ce que nous sommes
«grâce aux autres», grâce au système d’éducation, aux
valeurs qui nous sont transmises, au travail des employés,
à l’apport des actionnaires, au soutien de l’État dans bien
des cas. Diriger est un privilège qui vient avec de grandes
responsabilités, notamment celles d’assumer, d’expliquer
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et de défendre des décisions ou des prises de position.
Il n’est pas rare, dans mon travail, qu’on dise non à une
demande d’entrevue sur un sujet difficile, puis qu’on me
sollicite, quelques jours plus tard, pour venir à l’antenne
lorsque les nouvelles sont plus positives. Un vrai leader est
disponible quand ça va bien et quand ça va mal, sans pour
autant l’être 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Personne
n’attend une telle chose.
Voyez-vous, de nos jours, le cycle des nouvelles est
rapide. Le silence peut être moins dommageable dans les
communications d’une entreprise qu’une tentative
d’exprimer une position sur la place publique. Les services
de relations publiques des entreprises connaissent bien
cette réalité et n’hésitent pas à déployer toutes les
stratégies possibles pour contrôler leur message. C’est de
bonne guerre, diront certains. C’est légitime,
probablement. Mais le silence d’un décideur quand il y a
des enjeux à expliquer n’est pas une grande marque de
leadership.
Ensuite, je pense qu’un leader se définit par son
authenticité. Il n’est pas simple de convaincre ses
employés, des collègues, des amis, d’aller dans la même
direction, d’œuvrer à la réussite d’un projet en particulier.
Il n’est pas simple non plus d’expliquer une mauvaise
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nouvelle, des compressions budgétaires, des coupes dans
le personnel, des changements de cap. Peu de gens savent
communiquer une vision, qu’elle soit enthousiasmante ou
difficile à intégrer.
Une personne qui communique avec franchise, avec
ouverture, peut réussir à fédérer bien des gens, même dans
les moments difficiles. L’idée n’est pas de maquiller une
mauvaise nouvelle pour qu’elle paraisse fantastique. Cet
exercice de relations publiques, cousu de fil blanc, est
souvent mal réalisé. Un leader doit plutôt savoir vous dire
la vérité, tout en réussissant à vous convaincre que c’est le
bon chemin pour se rendre à la destination prévue.
Et puis, un bon leader sait communiquer et convaincre.
Il faut savoir dire les choses. Nous sommes des êtres
d’émotions, nous ne sommes pas des robots. Il est donc
essentiel d’avoir des aptitudes pour communiquer un
message, pour convaincre, expliquer, pour gérer une crise.
Pour y arriver, ce leader doit être à l’écoute, il doit associer
ses employés aux processus de consultation. Et il doit,
ultimement, savoir expliquer ses décisions.
Pensez-y quelques minutes. Vous connaissez un patron
qui n’a pas su vous expliquer une orientation de
l’entreprise. Vous connaissez des gens qui ne savent pas
comment faire passer leurs idées, qui en viennent même à
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vous choquer, à vous insulter, à vous décevoir. En retour,
vous vous souvenez sans doute aussi de gens
exceptionnels, qui vous ont impressionné par leur
démarche, par leur conviction, par leur capacité à réussir
un projet et à communiquer leur passion.
Au fil des pages, vous pourrez lire quelques
commentaires que vous trouverez sous forme d’encadrés
intitulés «Avis d’expert». Ces commentaires proviennent
d’entrevues réalisées avec Cynthia Mathieu, professeure en
comportement organisationnel à l’École de gestion de
l’Université du Québec à Trois-Rivières, et avec Éric
Brunelle, professeur agrégé au Département de
management de HEC Montréal et professeur associé à la
Chaire de leadership Pierre-Péladeau.
Le leadership est une chose complexe, un mélange de
psychologie, de travail, de charisme, dont les contours
demeurent flous. «Le leadership est sans aucun doute le
thème le plus étudié par les chercheurs en gestion»,
affirme Cynthia Mathieu. Mais, «c’est probablement le
phénomène le plus complexe à étudier», ajoute Éric
Brunelle. Donc, qu’est-ce que le leadership? «Ça fait plus
de 110 ans que les chercheurs se posent la question, dit
Éric Brunelle, et encore aujourd’hui, on n’a pas de
consensus sur ce que c’est que cette “patente”-là!»
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«Il y a une multitude de livres qui sont sortis sur le
leadership, dit Cynthia Mathieu, et il y a autant de
définitions que de gens qui l’étudient. C’est difficile à
définir parce que le leadership évolue avec la société. La
façon de définir le leader il y a 30 ans, même 25 ans, était
complètement différente de notre façon de définir les
leaders d’aujourd’hui. Par contre, on peut dire que ce sont
des personnes qui ont une très grande curiosité
intellectuelle. Pour être un leader, on doit être capable
d’influencer les gens et de les amener à un but tout en
étant capable également de les motiver, de les mobiliser,
de leur donner un pouvoir à l’intérieur de leur travail et de
les inspirer.»
«Le leadership, c’est un peu comme l’amour, dit Éric
Brunelle. Quand on le voit passer, on le reconnaît! Les
poètes en amour, ils vont décrire les émotions. Le médecin
constatera que les pupilles se dilatent, que le cœur bat plus
vite. Le neuropsychologue va voir des synapses qui
apparaissent et il va décrire le même phénomène qu’on
appelle l’amour. Le leadership, c’est un peu la même
chose. C’est un phénomène hyper-complexe.»
On pourrait penser que le leadership se reconnaît à la
personne qui le représente. «Les premières personnes qui
se sont intéressées au phénomène ont regardé l’individu,
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ont défini le leadership par “qui” l’exerce, explique Éric
Brunelle. Ils se sont dit que le leadership, ce sont des gens,
des Napoléon, des Jules César, des Winston Churchill, des
mère Teresa, des Gandhi. Qu’est-ce qu’ils ont, eux, que les
autres n’ont pas?»
On pourrait plutôt croire que le leadership est associé à
un comportement. «Exemple concret, dit Éric Brunelle:
bien parler, apprendre à bien parler. Pourtant, les gens
parlent bien et on ne les reconnaît pas comme des leaders.
Les chercheurs ont été bien embêtés avec ça, jusqu’à ce
qu’on se dise que ce n’est peut-être pas une question de qui
on est ou de ce qu’on fait, mais une question de fit. Ce
qu’on fait dans un contexte en particulier. Et donc, il y a
toute la notion de style de leadership qui est apparue.
Dans une situation de crise, on espère avoir un leader
directif qui va orienter les gens, qui va les rassurer. Et dans
un contexte d’innovation, on va espérer avoir un leader
peut-être plus “laisser-faire”, collégial, qui va laisser
émerger les idées. Ce sont deux approches complètement
différentes, mais, selon le contexte, on va les reconnaître
comme étant du leadership.»
Les leaders sont autour de nous. Ce ne sont pas les plus
riches, ce ne sont pas ceux qui ont le plus de pouvoir. Ce ne
sont pas nécessairement les présidents d’entreprise ou les
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décideurs politiques, bien que plusieurs manifestent de
vraies qualités de leadership. C’est peut-être, par ailleurs,
votre maman, un des enseignants de votre garçon à l’école
primaire ou encore un commerçant de votre quartier, qui
organise un marché public. Vous êtes peut-être ce leader
qui a su rassembler les gens du coin autour d’un projet
communautaire. Les leaders sont multiples, sont
inspirants, sont présents, ils sont engagés et volontaires.
Ils ne sont pas parfaits, mais ils sont convaincus et
convaincants.
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Les protagonistes
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institution. Elle a transformé le musée grâce à des
expositions audacieuses, de nouvelles acquisitions et une
réorganisation des œuvres. Le Musée des beaux-arts de
Montréal, le plus vieux du Canada, est aussi le plus
populaire. Elle est vice-présidente du Conseil des arts du
Canada. Elle a été nommée chevalière de l’Ordre national
du Québec, est membre de l’Ordre du Canada et a reçu la
médaille d’officier des Arts et des Lettres de la République
française. Nathalie Bondil est née à Barcelone, en 1967.
Elle vit au Québec depuis 1999.
Sophie Brochu est PDG d’Énergir, entreprise de
distribution de gaz naturel et de production d’énergie
électrique à partir de sources renouvelables, au Canada et
aux États-Unis. Elle a été analyste financière et vice-
présidente de la Société québécoise d’initiatives pétrolières
(SOQUIP). C’est en 1997 qu’elle se joint à Énergir, qui
portait à l’époque le nom de Gaz Métro, à titre de vice-
présidente. Elle sera nommée PDG de l’entreprise en
2007. Elle est engagée socialement, notamment avec la
création de Ruelle de l’avenir, un organisme à but non
lucratif qui soutient les jeunes en milieu défavorisé, puis
avec L’effet A, un regroupement qui cherche à inspirer les
femmes en affaires. Elle est membre de l’Ordre du Canada
depuis 2015. Sophie Brochu est née à Lévis, au Québec, en
18
1963.
Yvon Charest a dirigé la compagnie d’assurance
Industrielle Alliance de 2000 à 2018, la quatrième société
d’assurance en importance du Canada. C’est en 1979 qu’il
se joint à l’entreprise, alors qu’il vient de terminer ses
études en actuariat à l’Université Laval, à Québec. Il y
occupe plusieurs postes au fil de sa carrière, avant d’en
devenir le PDG. Il complète la démutualisation de
l’Industrielle Alliance, qui entre en Bourse en 2001. Il a été
nommé Personnalité financière de l’année à trois reprises
par l’industrie financière du Québec. En 2013, il reçoit un
doctorat honoris causa de l’Université Laval, puis, en
2017, il est fait officier de l’Ordre du Canada. Yvon Charest
est né à Charlesbourg, au Québec, en 1956.
Jocelyna Dubuc est la présidente du Spa Eastman,
qu’elle a créé en 1977 après un voyage marquant en Inde.
En 1993, elle fonde l’association Spa Relais Santé, puis
achète, en 1996, un relais de jour à Montréal, qui sera
rebaptisé le Spa Eastman Montréal. Renommée et
reconnue comme la pionnière des centres de santé, elle en
a inspiré plus d’un: le Québec compte aujourd’hui plus de
140 établissements du même genre. Jocelyna Dubuc est
née en 1947 à Sorel, au Québec.
En exlusivité pour téléchargement gratuit
19
sur french-bookys.com
Marc Dutil est, depuis 2012, le PDG de Canam, une
entreprise de construction de bâtiments, de structures et
de ponts. Après des études et un premier emploi aux États-
Unis, il revient en Beauce en 1989 et travaille au
développement de solutions informatiques pour améliorer
la production de dessins d’atelier à Canam. En 2003, il
devient chef de l’exploitation de l’entreprise. En 2010, il
fonde l’École d’entrepreneurship de Beauce. Il est nommé
entrepreneur de l’année au Québec en 2013 et est fait
membre de l’Ordre du Canada. Il est père de cinq enfants.
Marc Dutil est né le jour de Noël 1964 à Saint-Georges, en
Beauce, au Québec.
Mitch Garber est un investisseur, PDG de Caesars
Acquisition Company. Il préside le conseil de l’agence
fédérale Investir au Canada et le conseil d’administration
du Cirque du Soleil, en plus d’en être actionnaire
minoritaire. Il a participé à l’émission Dans l’œil du
dragon, à Radio-Canada. Il fait partie du groupe de
partenaires pour le retour du baseball majeur à Montréal
et est actionnaire minoritaire de la nouvelle équipe de la
Ligue nationale de hockey (LNH) à Seattle, aux États-Unis.
Il a fait fortune dans le secteur du jeu et des casinos. En
2019, il est fait membre de l’Ordre du Canada. Mitch
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Garber est né à Montréal en 1964.
Amina Gerba est propriétaire de plusieurs entreprises
dans le domaine des produits de beauté et de soins. Au
cours de sa carrière, elle a travaillé dans diverses
entreprises canadiennes spécialisées dans le
développement de marchés en Afrique, avant de fonder sa
société de consultation. Elle s’emploie à créer des liens
économiques entre l’Afrique et le Canada. Elle a lancé le
Forum Africa ainsi que la Fondation Gerba pour faciliter
l’accès à l’école des enfants africains de milieux
défavorisés. En 2014, elle est faite chevalière de l’Ordre
national du Québec. Elle est nommée, début 2018,
présidente de l’organisme Entreprendre ici, dont la
mission est d’accompagner les entrepreneurs immigrants.
Amina Gerba est née en 1961 à Bafia, au Cameroun. Elle
est la 18e d’une famille de 19 enfants. Elle a immigré au
Canada, avec son conjoint, en 1986.
Christiane Germain est la coprésidente de Groupe
Germain Hôtels, une chaîne lancée en 1988 comptant
aujourd’hui une vingtaine d’établissements au Canada et
1250 employés. Son leadership et son sens des affaires ont
maintes fois été reconnus. En 2009, elle est nommée
chevalière de l’Ordre national du Québec. L’Université
Ryerson (Toronto) et l’Université Concordia (Montréal) lui
21
ont décerné des doctorats honorifiques. Elle est faite
membre de l’Ordre du Canada en 2014 et est nommée
parmi les 100 femmes les plus influentes du Canada en
2016. Elle participe à l’émission Dans l’œil du dragon, à
Radio-Canada. Christiane Germain est née à Trois-
Rivières, au Québec, en 1955.
Diane Giard est administratrice de société, a été vice-
présidente de la Banque Nationale et de la Banque Scotia.
D’abord caissière en 1981, elle touche à tout au fil de sa
carrière dans le secteur bancaire, des ressources humaines
aux valeurs mobilières, de la gestion des succursales à la
gestion privée. Parmi les gestionnaires les plus influentes
du pays, elle a été nommée à 7 reprises parmi les 25
personnes les plus influentes de l’industrie financière du
Québec, reconnue en 2014 et 2015 comme l’une des 100
femmes les plus influentes du Canada par le Women’s
Executive Network. Diane Giard est née à Montréal en
1960.
Chantal Glenisson est une gestionnaire dans le
commerce de détail, ex-PDG des magasins Aubainerie et
ex-vice-présidente de Rona et de Walmart Canada. Au
milieu des années 1980, elle fait des études en
administration tout en travaillant comme caissière dans
des supermarchés, où elle gravit les échelons, à titre de
22
gérante de magasin, puis en occupant des postes de
direction chez Provigo et chez Loblaw. Elle termine entre-
temps une maîtrise en administration des affaires pour
cadres à la Harvard Business School. Chantal Glenisson est
née à Casablanca, au Maroc, en 1959, et est arrivée au
Québec avec ses parents en 1965.
Phyllis Lambert est architecte. Elle a fondé Héritage
Montréal et le Centre Canadien d’Architecture (CCA), une
institution de recherche internationale et un musée
reposant sur l’idée que l’architecture est d’intérêt public.
De 1954 à 1958, elle dirige la planification du siège de
Seagram à New York. Elle s’associe alors à l’architecte
Mies van der Rohe, qui devient le maître d’œuvre de la
construction de l’édifice. En 1996, elle crée le Fonds
d’investissement de Montréal, un fonds privé consacré à la
revitalisation de l’habitat destiné aux ménages à faible
revenu. De nombreux titres honorifiques lui sont remis
pour souligner son exceptionnelle contribution à
l’architecture et à la préservation des bâtiments
historiques. Elle est compagnon de l’Ordre du Canada et
grande officière de l’Ordre du Québec. Elle est également
Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres de la
République française. À la Biennale d’architecture de
Venise en 2014, on lui décerne le Lion d’or d’honneur
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couronnant l’œuvre d’une vie. Phyllis Lambert est née à
Westmount, au Québec, en 1927.
Pierre Lassonde est un homme d’affaires et un mécène. Il
est président du conseil de Franco-Nevada, entreprise
spécialisée dans les redevances aurifères qu’il a cofondée
en 1982. Elle a été la première entreprise minière du
monde de par son association avec Newmont Mining de
2002 à 2008. Depuis 2015, il préside le conseil
d’administration du Conseil des arts du Canada. De 2005 à
2016, il a été président du conseil du Musée national des
beaux-arts du Québec, auquel il a fait un don de 10
millions de dollars pour la construction d’un nouveau
pavillon qui porte aujourd’hui son nom. Il est membre de
l’Ordre du Canada depuis 2002 et a été nommé grand
officier de l’Ordre national du Québec en 2019. Pierre
Lassonde est né à Saint-Hyacinthe, au Québec, en 1947.
Chantal Lévesque est PDG et fondatrice de Shan,
entreprise de création et de fabrication de vêtements
fondée en 1985. En 1989, la maison présente sa collection
au Miami SwimShow, elle commence à exporter chez Saks,
à New York, puis présente sa collection au Salon de la
lingerie de Paris. L’entreprise est vendue à la Caisse de
dépôt et de placement du Québec en 1999, avant d’être
rachetée par sa fondatrice quelques années plus tard. En
24
2011, Shan est nommée créatrice de l’année au salon Mode
City, à Paris. Aujourd’hui, Shan exporte ses créations dans
30 pays. Le Conseil québécois du commerce de détail a
remis à Chantal Lévesque le prix Hommage à un bâtisseur
en 2018. Chantal Lévesque est née à Montréal en 1958.
LP Maurice est PDG et cofondateur de Busbud, une
plateforme de réservation en ligne de billets d’autobus
dans plus de 20 000 villes à travers 80 pays, offrant un
total de 2,3 millions de trajets. C’est au cours d’un séjour
au Brésil qu’il établit son plan d’affaires pour Busbud, qu’il
va développer avec des amis d’enfance, Michael Gradek et
Frédéric Thouin. Aujourd’hui, Busbud fait affaires avec
3900 sociétés de transport par autobus. LP Maurice est
cofondateur également de Credo, une firme-conseil qui a
créé notamment l’espace collaboratif pour entrepreneurs
La Gare, à Montréal. LP Maurice a été nommé
Entrepreneur de l’année en 2014 par la Jeune Chambre de
commerce de Montréal et Jeune entrepreneur de l’année
en 2016 par le Conseil du patronat du Québec. LP Maurice
est né en 1981 à Montréal.
Louis Morissette est artiste et PDG de la maison de
production KOTV. C’est comme humoriste, avec Les Mecs
comiques, qu’il se fait connaître du grand public, puis
comme comédien au cinéma et à la télé, notamment dans
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le film Le mirage et les séries Plan B et C.A. En 2011, il
fonde, avec des partenaires, KOTV, qui a produit
notamment les Bye Bye de fin d’année, Les appendices,
C.A., Conseils de famille et 1res fois. Il est maintenant le
diffuseur du magazine Véro et d’autres publications. Le
couple qu’il forme avec Véronique Cloutier est connu et
adulé du public. Louis Morissette est né en 1973 à
Drummondville, au Québec.
Lorraine Pintal est comédienne, directrice artistique et
générale du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), à
Montréal, depuis 1992. Diplômée du Conservatoire d’art
dramatique de Montréal, elle fonde la troupe La Rallonge
en 1973. Elle devient réalisatrice à Radio-Canada en 1987
pour plusieurs séries télévisées, dont Le grand remous, de
Mia Riddez, et Montréal PQ, de Victor-Lévy Beaulieu. En
2002, elle est décorée de l’Ordre du Canada. De 2008 à
2011, elle anime l’émission littéraire Vous m’en lirez tant
sur ICI Radio-Canada Première. En 2016, elle est faite
officière de l’Ordre national du Québec et, en 2017, on la
consacre compagne de l’Ordre des arts et des lettres.
Lorraine Pintal est née en 1951 à Plessisville, au Québec.
Placide Poulin est un homme d’affaires, fondateur de
Maax, entreprise de fabrication de produits de salle de
bain. C’est en 1969 qu’il lance cette entreprise, qui va
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entrer en Bourse en 1987 avec l’appui du Régime
enregistré d’épargne-actions. Maax deviendra le numéro
un de son secteur au Canada, numéro trois en Amérique
du Nord. En 2004, Placide Poulin vend «son bébé»,
comme il l’appelle, à un groupe d’investisseurs privés de
Boston pour 640 millions de dollars. La famille Poulin
tente en vain de racheter l’entreprise en 2008. Placide
Poulin dirige aujourd’hui le Groupe Camada, société de
capitaux privés qui investit dans l’immobilier au Québec et
en Europe. Il a été nommé membre de l’Ordre du Canada
et a été fait chevalier de l’Ordre national du Québec en
2016. Placide Poulin est né en 1938 à Saint-Jules-de-
Beauce, au Québec.
Calin Rovinescu est PDG d’Air Canada depuis 2009.
Admis au Barreau en 1979, avocat chez Stikeman Elliott
pendant 20 ans, il s’est joint à Air Canada en 2000. Il
prend la tête de la compagnie aérienne alors qu’elle est en
pleines turbulences financières et que sa survie est
menacée. Il est reconnu aujourd’hui comme étant celui qui
a su redresser et relancer la société. Conflits de travail,
restructuration, mises à pied, Air Canada fait souvent la
manchette. Mais l’entreprise est aujourd’hui rentable, son
chiffre d’affaires atteint un niveau record et elle fait partie
des 20 compagnies aériennes les plus importantes du
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monde. Calin Rovinescu est né à Bucarest, en Roumanie,
en 1955, et est arrivé à Montréal par bateau avec ses
parents en 1961.
Louise Roy est administratrice de société. Elle a été PDG
de la Société de transport de la communauté urbaine de
Montréal (STCUM) de 1985 à 1992, une première pour une
femme au Canada. Elle s’emploie d’ailleurs à faire plus de
place aux femmes et à la diversité culturelle dans
l’entreprise et à rétablir les liens entre les parties patronale
et syndicale. En 1992, elle passe à la Laurentienne, puis à
Air France, à Télémédia et à l’Association internationale
du transport aérien. Elle préside ensuite le Centre
interuniversitaire de recherche en analyse des
organisations (CIRANO) et le Conseil des arts de
Montréal. En 2007, elle sera nommée chancelière de
l’Université de Montréal, une première, une fois de plus.
Elle a été faite officière de l’Ordre du Québec en 2009 et a
été décorée du titre d’officier de l’Ordre du Canada en
2012. Elle a été citée parmi les 100 femmes les plus
influentes du pays et a reçu le prix Femme de mérite de la
Fondation Y des femmes en 2014. Louise Roy est née à
Québec en 1947.
Charles Sirois est un entrepreneur et un investisseur,
fondateur et président de Telesystem. C’est en 1978 qu’il se
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lance en affaires en rachetant Setelco, entreprise de
téléavertisseurs appartenant à son père. En rachetant
plusieurs petites entreprises, il fait grandir une filiale de
Telesystem, du nom de National Pagette, qui va fusionner
avec Bell Cellulaire en 1987. En 1992, avec Bell, Telesystem
acquiert Téléglobe et crée, en parallèle, Microcell, qui sera
connu pour ses téléphones Fido. Il est fait membre de
l’Ordre du Canada en 1994, puis chevalier de l’Ordre
national du Québec en 1998. Après la débâcle des
technologies au tournant des années 2000, Charles Sirois
crée Enablis, un organisme à but non lucratif visant à
développer l’entrepreneuriat en Afrique. Il participe à la
fondation de la Coalition avenir Québec en 2011, puis
cofonde Pangea, qui propose un nouveau modèle
d’entrepreneuriat agricole. Charles Sirois est né à
Chicoutimi, au Québec, en 1954.
François-Xavier Souvay est le fondateur et le chef de la
direction du Groupe Lumenpulse, entreprise spécialisée
dans l’éclairage. Il crée sa première entreprise en 1997,
Gestion FXS, puis rachète Luxtec en 1999, entreprise
d’éclairages architecturaux de Québec. C’est en 2006 qu’il
crée Lumenpulse, où il consacre l’essentiel de sa recherche
à la technologie DEL. Il réalise les éclairages de musées, de
sièges sociaux, de la place du nouveau World Trade
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Center, à New York, du Stade olympique de Montréal, du
stade BC Place, à Vancouver. Il ouvre un bureau à Londres
en 2011, puis à Paris en 2015. Il a été nommé entrepreneur
de l’année au Québec dans la catégorie «Produits et
services d’entreprise à entreprise» en 2015. François-
Xavier Souvay est né en 1970 à Montréal.
30
Le point tournant
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d’une rencontre, dans une salle de cours ou sur une plage
(pourquoi pas!), a fait tourner le vent en leur faveur. Tant
mieux pour eux!
Toutefois, le point tournant peut aussi nous mener vers
la mauvaise route. Personne n’est à l’abri d’un choix
inadéquat, d’une influence malsaine, d’une malchance,
d’une décision imposée. Et si j’évoque ce moment-clé de la
vie, ce virage serré, cette décision de prendre telle sortie
plutôt que la suivante, c’est pour qu’on se rappelle bien
que tout cela est fragile.
Nous n’avons pas la science infuse. S’il faut travailler
pour atteindre nos objectifs, une bonne dose de chance est
aussi souvent nécessaire pour y arriver; certains parlent
d’ailleurs de leur bonne étoile, et à juste titre. Pensez-y une
seconde, c’est incroyable combien nous sommes chanceux
parfois. En tout cas, moi, je peux vous dire que j’aurais pu
faire d’autres choix qui m’auraient mené à une toute autre
vie. Je ne sais trop à quoi aurait ressemblé cette vie, mais
elle aurait certainement été différente de celle qui
m’amène à vous écrire quelques réflexions sur le
leadership aujourd’hui.
Révélation
La cartographie qui a conduit Sophie Brochu à la tête de la
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société Énergir, autrefois Gaz Métro, ressemble à celle de
Venise: sinueuse, complexe, sans grande logique. Après
avoir voulu être médecin et après avoir fait des études en
sciences pures, elle s’est inscrite au Conservatoire d’art
dramatique du Québec, puis en économie à l’Université
Laval, avant de rencontrer, un beau jour, le professeur
Antoine Ayoub et de tomber littéralement amoureuse du
secteur de l’énergie.
Tout commence au ministère fédéral des Pêcheries.
«J’étais alors agente de liaison, explique Sophie Brochu,
pour le gouvernement fédéral, en plein été, au milieu de
ma maîtrise, que je n’ai jamais terminée d’ailleurs. J’avais
obtenu une petite bourse, j’étais allée en Nouvelle-Écosse,
on m’avait confié le mandat d’expliquer à des pêcheurs
toute la question des quotas de poissons et le fait qu’il
fallait réduire la pêche. […] De fil en aiguille, je me suis
rendu compte que j’étais devant un mur et que les
pêcheurs, au fond, avaient tout à fait raison de s’opposer
philosophiquement à la chose en disant: “Si ce n’est pas
nous qui pêchons le poisson, mademoiselle − j’étais jeune
–, ça va être des grands bateaux japonais qui vont pêcher
juste à l’extérieur des eaux de pêche canadiennes.”»
Désemparée, Sophie Brochu appelle ses supérieurs au
ministère, qui lui expliquent que les pêcheurs disent vrai,
33
mais qu’il faut tout de même imposer des restrictions à la
pêche. «C’est venu me secouer», dit-elle. Elle réalisait
combien les décisions des autorités ont des répercussions
réelles sur la vie des gens, des travailleurs de la pêche dans
ce cas-ci.
Avant même cette expérience, dès l’enfance, tout aurait
pu basculer pour Sophie Brochu. «J’ai eu du plaisir à
l’école primaire. Je suis une fille ludique. Jouer au
baseball, au hockey dans la rue, c’était ça, mon bonheur
dans la vie. Je suis arrivée au secondaire dans une école de
filles, c’était la mort. Ça n’a pas été une belle période. Les
cinq années du secondaire ont été d’une tristesse inouïe, je
le réalise a posteriori, ça a été très ennuyant. Je n’ai pas
aimé l’école, ça a été difficile tout du long. […] J’étais une
fille qu’on appelait une petite tomboy. Ma mère était très
féminine, mais elle m’a laissée vivre ma vie de jeune fille
qui voulait jouer au hockey et au baseball dans la rue.
Cette liberté-là, elle me convenait tout à fait.»
À l’université, raconte Sophie Brochu, «je voulais
comprendre les grands ensembles. Je ne me retrouvais pas
dans le monde corporatif, je ne me retrouverais pas dans le
monde politique. Écoutez, je ne me retrouvais pas à grand
place!
«Et c’est venu comme en plein coup de vent, à la fin du
34
bac – d’ailleurs, même tout le bac en économie a été très
souffrant, bien qu’on ait eu des profs formidables, Henri-
Paul Rousseau, Pierre Fortin. Puis, à la dernière session du
bac, je suis tombée sur Antoine Ayoub, Syrien d’origine,
qui s’assoit et qui nous parle du pétrole, des sept sœurs1,
des politiques industrielles, des philosophies de guerre, du
budget des ménages… Révélation! Je veux faire ça. Je ne
sais pas ce que c’est, mais je veux être là-dedans. Et là, il y
a eu un coup de foudre, il y a eu un coup de passion. Moi,
j’ai fonctionné par passion… Voilà.»
Ainsi, le point tournant, pour Sophie Brochu, c’est la
rencontre d’un professeur extraordinaire, qui est arrivé
dans sa vie, déjà pleine d’expériences, comme une
révélation, le mot parfait pour décrire ce qu’elle a vécu.
Comme un coup de foudre, finalement.
Je crois que ces professeurs sont essentiels, ils nous
éveillent, nous réveillent. Vous avez possiblement un
professeur, quelque part dans votre enfance et votre
jeunesse, qui a peut-être changé le cours de votre vie.
Trouver sa place
Dans les entreprises familiales, il n’est pas toujours simple
pour les enfants d’entrepreneurs de se mettre en valeur, de
trouver leur voie et de s’épanouir. On pense que la partie
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est facile, que le chemin est tracé d’avance. Mais, entre les
attentes de papa ou maman, le désir de voler de ses
propres ailes et la dynamique émotive dans la famille, un
homme comme Marc Dutil a cherché pendant un certain
temps ce qui allait lui permettre d’être heureux.
Fils de Marcel Dutil, homme d’affaires connu, prospère
et respecté en Beauce, il n’était pas convaincu que sa vie
allait se dérouler à Canam, dans l’entreprise dirigée par
son père. «À 11 ans, dit Marc Dutil, je lavais les autos sur le
bord du chemin. Puis, j’ai enseigné l’informatique au cégep
et j’ai vendu des logiciels. J’ai tout le temps essayé de
gagner une “piasse”. Quand mon père me demandait si
j’avais besoin d’argent, je répondais toujours: “Non, je suis
correct, je me suis débrouillé.” Et un jour, il m’a dit: “Va te
trouver une vraie job!” Je vous dirais que le déclic – il n’y a
pas eu comme le Saint-Esprit qui m’a parlé –, ça a été de
reconnaître – je n’aime pas dire ça – que je prenais le
leadership. C’était naturel pour moi, les gens se tournaient
vers moi en disant: “On va faire quoi?” Et, à un moment
donné, tu l’assumes, tu es capable de le porter.»
Si Marc Dutil a décidé de poursuivre et de transformer
l’œuvre de son père, Phyllis Lambert a cherché, elle, dès
son enfance, à prendre en main son destin et à se libérer
d’un cadre familial où pouvoir et richesse apportaient leur
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lot de contraintes. «Je devais avoir 9 ou 10 ans, je me
promenais dans le jardin de notre maison, raconte Phyllis
Lambert, il était assez grand, quelques acres. Dans la
neige, je faisais des petits tunnels, j’étais toute seule, c’était
moi, c’était mon univers. Je peignais, je voulais être
artiste, être indépendante, très jeune.»
Le point tournant, dit-elle, «je crois que c’est quelque
chose qui arrive, je crois que ça vient aussi des choses
qu’on n’aime pas. Je n’aimais pas faire partie d’une famille
qui existait déjà. Je voulais être moi, je voulais être
responsable de ce que je faisais, de ma place dans la vie. Je
ne voulais pas être la fille de quelqu’un».
La confiance du père
Charles Sirois, quant à lui, s’est laissé convaincre par son
père de poursuivre des études qui l’ont amené à prendre
les rênes de certaines activités de l’entreprise familiale.
Mais ce n’était pas du tout son intention au temps de ses
études. «En fait, mon ambition était d’être professeur de
physique, pas d’éducation physique, mais de physique,
d’astrophysique. Et c’est mon père, qui était un homme
d’affaires et qui était un peu découragé par le fait que son
seul garçon ne reprendrait pas la compagnie familiale, qui
m’a convaincu qu’il y avait beaucoup de mathématiques en
37
finances.»
Il faut dire que le père de Charles Sirois a tout fait pour
encourager son fils à s’intéresser aux affaires. «Il jouait à
la Bourse et je me demandais ce qu’il faisait. Tous les
jours, il regardait le journal et il traçait des lignes partout.
Alors, il m’a expliqué: “Voici l’action, le prix de fermeture,
le volume, et cetera.” À un moment donné, à force de
m’entendre lui poser des questions, il m’a donné
500 dollars et il m’a dit: “Tu devrais investir dans des
penny stocks. Des minières qui sont à un sou, deux sous,
trois sous par action.” Dans ma tête, je me disais: “Hé,
c’est une bonne idée, parce qu’il me semble que c’est facile,
dans une action, de passer de un sou à deux sous, donc je
vais doubler mon argent rapidement! Et si on en a
beaucoup, on peut devenir riche!”»
L’extraordinaire point tournant dans la vie de Charles
Sirois repose sur sa relation avec son père. «Mon père m’a
toujours fait confiance, a toujours eu en moi une confiance
que je trouvais toujours plus grande que ce que je méritais.
Très jeune, il m’a fait prendre des décisions qui,
aujourd’hui, me surprennent.»
Alors que Charles Sirois termine l’université, il se voit
confier la construction d’un immeuble par son père. Il n’a
que 24 ans. «Alors j’ai bâti un immeuble de cinq millions
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de dollars en 1978. Mon père m’a dit: “Bâtis-le!” J’ai fait de
la construction, j’ai embauché l’architecte… À 24 ans! Je
ne suis pas certain que je serais capable de faire ça
aujourd’hui, de dire à quelqu’un de 24 ans: “Vas-y, fais-le.”
Mais ça, c’était le genre de confiance que mon père avait
en moi.»
Esclaves ou passionnés?
Scénario semblable pour Chantal Glenisson, qui n’était pas
du tout convaincue de vouloir faire la même chose que ses
parents. «Moi, j’avais l’impression qu’ils étaient presque
des esclaves sur le plan du travail.» Ses parents
travaillaient alors dans le commerce de détail.
«Quand j’étais jeune, je voulais être institutrice. J’aimais
beaucoup enseigner et essayer de transmettre mon savoir.
Étudiante, j’ai travaillé à temps partiel dans un magasin
d’alimentation. […] Quand j’ai commencé à travailler
vraiment dans le commerce de détail, le contact avec le
client, le contact aussi avec des employés, être entourée de
gens, ça a vraiment éveillé une passion chez moi. Et je
pense que ça a été le déclic. Si vous m’aviez posé la
question à l’âge de 15 ans, jamais je n’aurais dit: “Je vais
être dans le commerce de détail. Je regarde mes parents,
combien ils travaillent fort, je ne veux pas faire ça, mais
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pas du tout.” […] Je me disais: “Ils n’ont pas de vie, ils
travaillent tout le temps, ils n’ont jamais de repos, ils ne
profitent pas.”»
Mais, Chantal Glenisson n’avait pas saisi l’extraordinaire
passion qui animait ses parents. «Je l’ai compris,
probablement, plus près de la vingtaine, quand je me suis
dit: “Chantal, vraiment là, c’est une passion pour toi.” Tout
m’intéressait: comment le client se comporte, comment il
fait le magasinage, comment il réagit en magasin.
J’observais beaucoup, beaucoup de choses. Tout
m’intéressait dans un magasin.»
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maison, au travail, à l’école, à la retraite, mais aussi dans
les rapports sociaux et le fonctionnement de la démocratie.
Pourtant, avant son abolition en 2009, ce fameux cours
d’économie a été fondamental pour plusieurs personnes.
C’est le cas pour LP Maurice, comme vous pourrez le lire
dans le chapitre «Inné ou acquis?», mais aussi pour Diane
Giard. «Ça a été révélateur pour moi, dit-elle, j’ai adoré ce
cours-là. On recevait chez nous la Gazette à l’époque ou le
Montreal Star, on recevait tous les journaux en anglais. En
français, La Presse, Le Journal de Montréal, et cetera. Et
puis, la section économie, que mes parents lisaient, moi, je
ne la comprenais pas trop, trop!»
Et c’est grâce au cours d’économie au secondaire qu’elle
parvient à lier les enjeux et les événements. «Je
comprends que l’économie, c’est un peu un effet domino, il
y a tellement d’interdépendance, tellement de choses
reliées. Donc, ça m’a incitée à poursuivre des études plus
poussées en économie à l’université, pour comprendre un
peu plus. Ensuite, travailler dans une banque, c’était une
évolution naturelle. Ça venait combiner ma curiosité
intellectuelle et le désir d’être avec des gens, pour des
gens.»
Ce cours d’économie a été très important dans la vie de
Diane Giard. Autrement, et vous me permettrez un peu
41
d’autodérision, elle aurait pu sérieusement mal tourner!
«Bien, à l’âge de 13 ans, je vais vous surprendre, je voulais
être journaliste! Je m’exerçais devant le miroir avec un
micro pour faire exactement ce que vous faites
aujourd’hui. Puis, j’aurais pu combiner ça aussi avec le
cours en économie. Mais je voulais être avocate également.
Je voulais être avec les gens, je voulais faire une
différence.»
C’est une fois dans le monde bancaire qu’elle réalise
combien elle souhaite être gestionnaire et diriger des
employés. C’est là qu’elle découvre qu’elle veut «leader des
gens».
«Quand j’étais plus jeune, dans le sport ou avec mes
amis, dit-elle, j’étais toujours un peu leader: celle qui
organisait les affaires, celle qui voulait aller à tel show […],
toujours revendiquer des choses, amener des gens à me
suivre. Alors, ça a été naturel, quand je suis devenue
gestionnaire, de vouloir leader et diriger un plus gros
groupe encore. Pour moi, 5, 50, 5000 personnes, c’est
aussi passionnant.»
Leçons de vie
Il y a des circonstances qui modifient votre parcours pour
toujours. C’est le contexte économique difficile qui a
42
amené François-Xavier Souvay à saisir l’occasion qui se
présentait et à accepter un emploi avant la fin de ses
études. «S’il n’y avait pas eu de récession économique au
début des années 1990 et si le taux de chômage n’avait pas
été de 14%, je n’aurais probablement pas choisi d’aller sur
le marché du travail avant de terminer mes études, j’aurais
probablement fait la dernière année qu’il me restait et
continué mes études à l’université.»
François-Xavier Souvay s’est joint alors à une jeune
entreprise en démarrage. «Cette opportunité, pour moi,
était excitante, parce que les perspectives d’emploi ne
l’étaient guère à cette époque. Alors, si l’économie avait été
meilleure, peut-être que j’aurais eu une trajectoire
différente.»
François-Xavier Souvay dit regretter d’avoir abandonné
les études, «particulièrement quand tu as des enfants et
que tu veux faire la promotion des études aux enfants, leur
dire qu’il faut continuer, qu’il faut aller jusqu’au bout. […]
J’ai regretté de ne pas avoir continué. Par contre, jamais
au point de vouloir faire les choses autrement. Je suis
vraiment très heureux d’avoir eu la chance de sauter dans
l’entrepreneuriat parce que c’était vraiment quelque chose
[d’important] pour moi».
Ce qui a fait basculer la vie de Jocelyna Dubuc, c’est la
43
mort de sa mère alors qu’elle était adolescente. «Je pense
que des choses nous arrivent dans la vie, qui entraînent
des ancrages incroyables, qui nous marquent au fer rouge.
[…] Ma mère est décédée dans un accident d’auto, je me
suis retrouvée chef de famille. J’étais l’aînée, mais ma
mère prenait soin de moi, elle gérait la famille, et c’était
une bonne gestionnaire de famille. Lorsqu’elle est décédée,
moi, le seul modèle que j’avais, c’était ma mère. Alors, il
fallait que je devienne comme elle.»
Elle annonce alors à son père qu’elle va quitter l’école,
bien que son intention, à cette époque, fût de devenir
médecin psychiatre. Son père, qui n’avait pas eu la chance
d’aller à l’école, l’amène à reconsidérer sa décision. «C’est
là que j’ai décidé de faire un bac en pédagogie.»
En même temps, elle s’occupait de la maison et de la
famille. Et comme la «bonne» qui avait été engagée ne
faisait pas l’affaire, explique Jocelyna Dubuc, elle a
annoncé à ses frères et sœurs: «“Écoutez, on va prendre le
salaire de la bonne, on va vous le donner.” Dans le fond,
j’ai créé une entreprise dans ma famille. Les pauvres, les
pauvres!» dit-elle en riant.
C’est avec émotion que Jocelyna Dubuc raconte ce
moment de vie douloureux mais fondateur. Le départ de sa
mère, ses études, son rôle dans la famille, sa santé fragile:
44
la vie de Jocelyna Dubuc aurait pu déraper. Mais ces
circonstances l’ont amenée à voyager, contre vents et
marées, finalement… «La chose qui a été difficile, c’est
quand j’ai fait ma cure et lu L’aventure de la conscience2,
j’ai réalisé qu’il y avait tout un potentiel qui n’était pas
développé. Et le choix de partir et de les laisser là [mes
frères et mes sœurs], ça a été très difficile.»
Elle est partie quatre mois pour «apprendre à être une
bonne humaine», dit-elle. «Et quand je suis revenue, j’ai
trouvé des enfants épanouis. Ça m’a donné le courage.» Le
courage de voyager encore, d’aller en Inde, notamment, de
partir une année complète, «un an qui n’a pas été facile
pour moi, dit Jocelyna Dubuc, parce que là, tout à coup, tu
es confrontée aux vraies affaires intérieurement».
45
déplaçant en autobus. Et c’est là que j’ai vu de mes propres
yeux qu’il existait un besoin chez les voyageurs, qui
voulaient réserver leurs billets d’autobus interurbains plus
facilement, plus rapidement. Je me suis alors dit: “Il y a
peut-être quelque chose que je peux faire.”»
C’est à ce moment-là que s’est produit le déclic pour LP
Maurice. «C’est parti avec une histoire d’amitié entre moi
et mes deux cofondateurs, que je connais depuis 15,
20 ans, depuis le secondaire, l’université. On a réalisé
qu’on avait des talents complémentaires, on a découvert
qu’on pouvait travailler ensemble. On s’est mis à
embaucher d’autres gens qui avaient des talents
complémentaires également, et aujourd’hui, c’est devenu
une famille.»
Pour Lorraine Pintal, le voyage était en réalité une fugue.
«J’ai fait une fugue parce que j’étais acceptée au
Conservatoire. J’avais 16 ans et mon père m’a ramenée de
force à Granby pour que je termine mon cégep. Et, contre
sa volonté, je me suis réinscrite au Conservatoire et j’ai
fugué carrément. Je suis partie de la maison, je me suis
trouvé un appartement avec des étudiantes du
Conservatoire de façon inopinée, et je crois que j’ai fait
pleurer mon père. Le grand bonheur que j’ai eu, c’est que,
quand j’ai été nommée au TNM [Théâtre du Nouveau
46
Monde], il était encore vivant, et là, il s’est dit: “Ah, ben là,
ma fille va peut-être gagner sa vie!”»
La fugue est un point tournant dans la vie de Lorraine
Pintal, mais «le virage important, raconte-t-elle, c’est, un
peu comme une révélation à la Claudel – Paul Claudel qui,
tout à coup, voit devant lui se tracer son avenir, dans son
cas, un avenir religieux, dans le mien, c’est une religion
aussi –, le théâtre. Ça s’est passé quand j’étais très, très
jeune. Souvent, les vraies vocations, elles débutent avant
même l’adolescence, je dirais. Parce que, dès l’enfance, je
me créais des spectateurs imaginaires et je lisais les contes
de Perrault et j’inventais des personnages».
Le véritable déclencheur de cette passion, «c’est ma
mère, répond Lorraine Pintal. Ma mère avait une très belle
voix, elle jouait du piano à l’oreille, aurait aimé faire une
carrière de chanteuse». Elle a eu quatre enfants, ce qui l’a
amenée à rester à la maison, finalement. «J’entendais ma
mère chanter et, dans les fêtes familiales, c’était la
musique avant tout.»
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que j’ai rencontré mon mari, quand on a décidé de venir au
Canada, nous raconte Amina Gerba. C’est lui qui m’a
encouragée à retourner à l’école, et c’est à l’école que j’ai
constaté que j’étais capable de penser me lancer en
affaires. […] C’est à partir de l’encouragement de mon
mari, qui a voulu que je me prenne en main, que j’aie une
éducation complète.»
Orpheline, 18e de 19 enfants, Amina Gerba est partie du
Cameroun pour venir vivre au Québec en 1986. «On est
arrivés en août. Pour moi, c’était déjà trop froid, je revois
mes photos en août, le 26 août, j’étais totalement couverte,
les mains, les oreilles, les pieds. [Je n’avais] encore rien
vu! Le premier hiver, j’ai fait quasiment une dépression.
J’étais enfermée dans une maison, alors que je viens d’une
famille nombreuse, où l’on avait toujours du monde
autour. Et là, je me retrouvais seule, enfermée.
«Heureusement, ensuite […], je commence à aller au
cégep. […] J’ai 25 ans, je recommence le cégep à 25 ans.
Autour de moi, ce sont tous des jeunes qui ont 17, 18 ans,
mais je m’intègre facilement parce qu’avec ces jeunes-là, je
communique beaucoup, je parle beaucoup, et ils me
posent beaucoup de questions sur l’Afrique, sur mon
origine.»
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Et la chance, dans tout ça?
Le point tournant de la vie de Pierre Lassonde tient à une
chance incroyable, celle d’avoir investi dans une mine d’or
exceptionnelle. D’ailleurs, un chapitre dans ce livre est
consacré à la chance, notamment à celle de Pierre
Lassonde.
«Après la découverte de la mine de Goldstrike, de la
société Barrick, dit Pierre Lassonde, mon associé et moi,
on a pensé vendre nos actions. On s’est dit: “On
recommencera une nouvelle compagnie!” […] J’étais un
peu fanfaron, je venais de faire quelques millions avec
cette découverte, parce qu’on avait les royautés sur cette
mine.»
Il dit alors au géologue qui avait découvert la mine qu’il
voulait vendre ses actions et chercher d’autres sites. Le
géologue lui réplique: «Pierre, tu comprends pas, hein?» Il
ajoute: «Ce n’est pas la découverte d’une vie, c’est la
découverte de trois vies.»
Autrement dit, explique Pierre Lassonde, «c’est le genre
de découverte qui ne se fait pas dans une génération, c’est
le genre de découverte qui se fait seulement toutes les trois
générations. Et lorsqu’on regarde dans l’histoire des mines
d’or en particulier, ce genre de mine là, de 50 millions
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d’onces et plus, on en trouve seulement tous les 50 ans,
75 ans. Alors, il avait tout à fait raison. Si on voulait bâtir
une compagnie, on n’aurait jamais, jamais la chance de le
faire aussi bien qu’avec ça. Et le fait est que cette
transaction a été ma première, et, de toute ma vie, ça a été
ma meilleure! Je n’ai jamais pu en refaire une autre
comme ça!»
C’est ainsi qu’est née l’entreprise Franco-Nevada et que
Pierre Lassonde est devenu extrêmement riche.
Avis d’expert
Quand on regarde l’histoire des leaders – j’en ai
étudié des centaines –, il y a un élément qui revient
toujours: l’élément déclencheur n’est peut-être pas
tant externe qu’interne. Le leadership va émerger
lorsqu’il va y avoir une cohérence entre qui je suis
comme personne, le contexte dans lequel je me
trouve, les besoins auxquels je réponds dans la
société ou chez les gens que je vais influencer. Cet
équilibre-là, c’est une espèce de magie. Il y a un
aspect mythique du leadership. Et cette cohérence,
souvent, répond à des besoins très internes, très
personnels.
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— Éric Brunelle
1. Les «sept sœurs» sont les sept sociétés pétrolières qui se sont, en
quelque sorte, partagé le marché du pétrole mondial, soit Shell, BP,
Mobil, Chevron, Exxon, Gulf et Texaco.
2. Satprem, Sri Aurobindo ou l’aventure de la conscience, Paris,
Buchet-Chastel, 1964.
51
Apprendre des autres
52
dirais, selon ma perception, qu’il est très attentif. «Hier,
dit-il quand on s’est rencontrés, je me promenais à l’usine
et j’avais une bonne nouvelle: on a eu un projet, il y aura
de l’ouvrage cet hiver. Mon plaisir, c’est 300, 400
personnes qui vont travailler cet hiver parce qu’il y a de
l’ouvrage. C’est ça, le plaisir. Ce n’est pas un million de
plus dans les revenus! Honnêtement, je ne peux pas dire
ça, ce n’est pas pour ça qu’on est en affaires.»
C’est grâce aux autres, c’est pour les autres et c’est par les
autres qu’on existe et qu’on grandit. Les leaders rencontrés
ont tous reconnu que, sans un professeur, un conjoint, des
employés, un ami, un investisseur, l’école, la communauté,
la famille, ils n’y seraient pas arrivés. Je pense sincèrement
que les propos des leaders à ce sujet sont de véritables
petites leçons de vie.
53
«Alors, quand j’ai décidé de rester au Québec, j’avais
l’impression que tout ce que j’avais reçu de la société avait
beaucoup de valeur et je ne me sentais pas bien à l’idée de
trahir ça, d’une certaine manière, en allant, au faîte de ma
carrière, en Californie. Je me sens redevable et je pense
que les chercheurs qui ont bénéficié de ça devraient avoir
un sens de la responsabilité par rapport à la société. On ne
fait pas les choses simplement pour notre carrière, pour
notre prochain article. On fait partie d’un tout plus grand
que nous et c’est inspirant.»
54
c’est que je ne suis pas opératrice. Les dirigeants ne savent
pas tout faire! Je pense qu’on a tous une majeure, une
mineure. Mon plaisir, ma passion, c’est de tenter de voir ce
que va être la société, ce que va être le monde de l’énergie
et de l’environnement et ce que peut être Gaz Métro
[Énergir] dans 10 ans ou dans 15 ans. Ça, c’est ma
majeure. Mais comment me rendre là, je n’en ai aucune
idée. Alors, ma force, c’est de m’entourer d’une équipe qui
est absolument formidable, complémentaire, et qui, elle,
sait comment on va déployer les plans pour se rendre.»
Non seulement Sophie Brochu tient à bien s’entourer,
mais elle n’hésite pas à consulter des gens qui ont
différentes compétences. «Je ne peux pas dire que j’ai eu
un mentor qui m’a suivie toute ma vie. Mais je n’ai pas
hésité 30 secondes à appeler des gens que je ne
connaissais pas… “J’ai vu que vous aviez fait ça, je suis un
peu curieuse, voulez-vous m’accueillir?” Les gens sont
ouverts à ça.»
Sophie Brochu ajoute que sa mère était de bon conseil.
«Quand elle me voyait ou m’entendait prendre une track,
parfois, elle me disait: “Là, je ne suis pas certaine, Sophie.”
Elle me questionnait. Ça, c’était précieux. Ce n’est plus là,
mais il y a plein de gens qui me donnent des conseils, et
j’en demande beaucoup, c’est très utile. […] Un des plus
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grands conseils que j’ai reçus quand j’ai été nommée [PDG
d’Énergir], c’est le président de notre syndicat des cols
bleus qui me l’a donné, la CSN [Confédération des
syndicats nationaux]. Ça faisait 10 ans que j’étais ici, il m’a
dit: “Sophie, on est tous contents, mais là, faut juste pas
que les gens se mettent à t’appeler madame Brochu!”»
56
des solutions, il trouve son état de bien-être. Moi,
c’est ça qui m’allume: que la personne, quand elle
quitte l’endroit, ait de la lumière dans les yeux, qu’elle
dessine son chemin. […] Je pense qu’il faut faire les
choses pour les bonnes raisons. Pourquoi j’ai créé
cette entreprise-là? Parce que, fondamentalement,
moi, ça m’a apporté quelque chose d’exceptionnel: du
bonheur et de la joie de vivre. Et ça dessine un futur
qui fait du bien. Je vois ce que ça apporte aux gens.
Alors, ça, c’est mon ADN. Est-ce que j’ai le goût de
mettre ça en signe de piastres? Ce n’est pas ça qui
m’allume.
«[…] Fondamentalement, le corps a besoin d’être
bien nourri. On ne joue pas avec ça. Ça fait des
millions d’années que ça existe, ce corps-là, qu’on ne
vienne pas me faire croire que du plastique va pouvoir
le nourrir et qu’il y a de nouvelles molécules qui vont
faire toute la job. Il y a un savoir profond que le corps
a, c’est à moi d’être assez intelligente pour lui donner
ce dont il a besoin profondément, ce corps-là.»
57
certains aspects. «La première chose que j’ai faite, c’est
d’aller chercher des gens qui [ne pensent pas comme moi],
qui, même, sont plus forts que moi à bien des égards. Je
trouve qu’on a souvent peur de s’entourer de gens qui ont
plus de talent que soi, alors qu’on ne devrait pas, car ils
nous amènent à nous dépasser et nous font découvrir des
aspects auxquels on n’aurait jamais pu faire face sans leur
appui. Ce sont des personnes qui ont une vision
également, et elles m’ont vraiment poussée à aller
beaucoup plus loin.»
Lorraine Pintal est entourée d’artistes, de metteurs en
scène, d’auteurs, d’acteurs, sans oublier l’incroyable
partenaire qu’est le public dans une institution comme le
TNM. «C’est là que j’ai créé la troupe des abonnés du
TNM, dit-elle. J’avais besoin que le public me parle, il
n’était absolument pas question que je m’enferme dans
une tour d’ivoire et que je place le TNM là où il devrait
être, au sommet, et que je ne sois pas connectée à la
réalité. Nous, c’est un théâtre de classiques, et des
classiques d’aujourd’hui, bien sûr, mais si on n’est pas
ancré dans le présent, ça ne fonctionnera jamais!»
Louis Morissette voit les choses de la même façon et
reconnaît, à travers le soutien des autres, ses propres
faiblesses. «J’ai beaucoup de choses à apprendre, donc je
58
suis allé chercher des leaders [en gestion] pour
m’apprendre des choses. À la direction générale aussi, ça
me prenait quelqu’un qui était capable d’avoir du recul par
rapport à la gestion de l’entreprise parce que, parfois, je
suis un peu trop dans le day-to-day.»
Philosophe, Calin Rovinescu rappelle que,
fondamentalement, on apprend des autres durant toute
notre vie. «Même à mon âge, dit-il, je continue à
apprendre tous les jours des gens qui m’entourent. Et si je
m’attendais, au début de ma vie, à ce que mes enfants
apprennent de moi, aujourd’hui, j’apprends d’eux et de ma
femme. Si l’on voit la vie comme étant un continuum, on
continue d’apprendre tout le temps.»
Calin Rovinescu croit que les hauts dirigeants qui
s’attribuent tout le mérite ou tout le poids des décisions
font erreur. «Dans mon cas, c’est remarquable combien j’ai
eu le soutien de notre équipe de direction [au moment] de
faire les changements nécessaires. Donc, ce n’était pas
seulement sur mes épaules. Des PDG disent: “Tout dépend
de moi”, mais c’est très peu de ces gens-là qui peuvent
avoir du succès quand ça va mal.»
59
«Le grand déclic, dit LP Maurice, c’est vraiment quand j’ai
découvert que les technologies m’intéressaient, le mélange
de technologie et d’affaires. Et quand j’ai lancé la première
entreprise qui construisait des sites Web – on réalisait des
produits, des logiciels, des sites Web pour d’autres
entreprises –, j’ai rencontré beaucoup de dirigeants
d’entreprise qui me faisaient confiance pour bâtir leurs
sites Web.»
Plusieurs entrepreneurs ont répondu oui à l’appel de LP
Maurice. «Je suis toujours fasciné par le fait que, à
Montréal, les entrepreneurs prennent le temps d’aider
d’autres entrepreneurs, que ce soit Alexandre Taillefer, Joe
Poulin, de Luxury Retreats, qui est un de nos premiers
investisseurs à Busbud, ou Dax Dasilva, de Lightspeed. Ces
gens-là prennent beaucoup de temps pour m’entourer,
pour aider d’autres entrepreneurs, faire partager leurs
leçons. Assurément, ça a eu une influence sur mon
parcours entrepreneurial.»
Cet apport est précieux, parce que c’est la passion,
l’aventure, le plaisir qui ont amené LP Maurice, avec ses
amis, à lancer sa première entreprise. «Au début, on part,
ça va bien, on n’a que quelques collègues, quelques amis,
dit LP Maurice. Mais quand on monte à 30, 40, 50, 100
employés dans l’entreprise, il y a vraiment des choses
60
importantes à développer sur le plan de la gestion de
performance, de l’évaluation, des choses qu’on doit faire
pour rallier les gens autour d’une vision.
«Quand on a lancé notre première entreprise, au
secondaire, je n’avais pas vraiment de modèle. Donc, on a
appris un peu sur le tas. Quand on a créé Busbud, là, on a
eu la chance d’avoir des modèles autour de nous. Ça nous a
vraiment aidés à grandir comme entrepreneurs.»
61
curiosité. «Je dirais d’abord des valeurs, puis une curiosité
intellectuelle, une volonté de connaître, de comprendre le
monde qui nous entoure, et puis de prêter attention aux
autres personnes, à la société. Ce sont des choses que j’ai
tenues pour acquises, parce que c’était comme ça dans ma
famille, mais je réalise que j’ai été très chanceux d’être
dans ce milieu-là, qui m’a nourri et qui a peut-être
contribué à éveiller la passion qui s’est développée en moi
avec les années d’études et de recherche.»
62
La flamme
63
que j’y croyais. Je croyais que je pouvais tout réussir.
Donc, je ne me mettais pas de limites, je ne freinais pas
mes rêves. Même si c’était fou, mes parents ont toujours
été là à me stimuler. J’ai l’impression que c’est
probablement ce qui a fait qu’en moi, il y avait un petit
quelque chose. Mais, ils ont allumé le feu. Ils l’ont
entretenu, et puis j’ai grandi comme ça. J’avais des peurs,
mais ce n’était pas grave.»
«Mon père nous parlait de toutes sortes de choses qu’on
ne comprenait pas, raconte Yoshua Bengio, toujours de
nature philosophique, mais ça nous a beaucoup stimulés.
Il s’intéressait aussi beaucoup à la science. Il pensait que
c’était quelque chose que tout le monde devait
comprendre, et aujourd’hui je réalise à quel point c’est
important, dans notre société, que les citoyens ordinaires
aient des bases scientifiques, parce qu’on a des décisions à
prendre collectivement et on ne peut pas le faire de
manière aveugle en ne se fiant qu’à quelques experts.»
64
importants. Et contrairement à des personnes que je
connais, qui ont peut-être dû se battre contre les valeurs
de leurs parents pour arriver là où ils sont, moi, c’est venu
un petit peu gratuitement, ça a été naturel.
«Le problème, ce n’est pas le manque d’inspiration. Le
problème, c’est que beaucoup de gens inhibent leur
penchant, leur curiosité et leur créativité naturelles. Je
crois que les enfants très jeunes ont tous ça, mais on les
écrase, on leur fait perdre confiance en eux, on inhibe leur
motivation à s’exprimer en leur envoyant le message qu’ils
ne sont pas bons, que ça n’a pas d’allure ce qu’ils disent.
Moi, j’ai été chanceux que la société très tôt me dise: “C’est
bien ce que tu dis, continue, on veut t’écouter.” Mais tout
le monde part dans la vie avec ce potentiel. C’est ce que je
crois.»
65
À ce rythme, avec des enfants en bas âge, Louis
Morissette dit ressentir un peu de fatigue, parfois. Il se
promet toujours de ralentir, de donner plus d’équilibre à
sa vie. «Le lendemain, dit-il, je rencontre un ami, qui est
auteur, qui me parle de son projet. Il me dit: “On devrait
faire ça ensemble.” Je trouve que c’est une maudite bonne
idée et je m’embarque: “Oui, on fait ça, on va chercher
untel, on va le financer comme ça, il va sortir…” Je reviens
à la maison et je raconte ça à Véro, qui me dit: “C’est pas
hier que tu me disais que tu devrais ralentir?”»
Se nourrir de l’action
Ceux qui connaissent Louise Roy savent combien cette
femme est dynamique, volontaire, spontanée, expressive et
optimiste. C’est une femme d’action. C’était vrai à la
STCUM ou à Air France et ce l’est encore aujourd’hui, dans
les conseils qu’elle donne en matière de gouvernance.
«J’ai comme un appétit d’accomplir des choses, de faire
une différence, dit Louise Roy. Je suis dans une période de
ma vie où je redonne à la société, c’est un peu l’expression
consacrée, je ne suis plus dans des boulots opérationnels.
J’ai adoré le management, j’ai aimé gérer des équipes,
jouer un rôle de rassembleur, avoir une vision, faire en
sorte qu’on soit ensemble comme équipe pour accomplir
66
des choses. J’ai adoré cette période-là de ma vie, je m’y
suis développée.»
Aujourd’hui, son action est moins opérationnelle et plus
stratégique. Elle a été chancelière de l’Université de
Montréal, elle a présidé le Conseil des arts de Montréal et
elle préside le conseil du Centre interuniversitaire de
recherche en analyse des organisations (CIRANO).
«Donc, je me dis, aujourd’hui, que mes racines, mon
ancrage, sont dans les causes que j’embrasse. J’ai eu
beaucoup de chance d’être associée à deux facettes
extraordinaires pour Montréal: la culture et l’éducation.»
67
perceptions incroyables, du coup, ça nous permet
d’envisager des points de vue, des perspectives sous des
angles qu’on n’aurait pas imaginés.»
Ses voyages l’inspirent dans son travail au Musée des
beaux-arts de Montréal. «On comprend pourquoi la
culture est non seulement un vecteur de mieux-être, de
récupération, on n’est pas très loin de l’art thérapie, mais
aussi un vecteur économique, pour retrouver une force
touristique. Ça, ça me bouleverse. Je reviens avec des idées
de projets, c’est toute cette nourriture…»
Nathalie Bondil travaille toujours – «Ah, oui, oui, tout le
temps» –, griffonne des notes, construit 1000 projets. «Je
crois que ma vie est un voyage. […] Je crois que le destin,
c’est à nous de le fabriquer, après, la destination, on la
trouvera quand il faudra.»
La flamme pour le voyage s’est allumée dès l’enfance. «Je
crois qu’on demeure toujours un peu l’enfant qu’on a été.
Et cet enfant-là, pour moi, a toujours gardé des yeux
émerveillés sur toutes sortes d’horizons. J’ai toujours rêvé
d’être exploratrice, j’aurais même rêvé d’être astronaute,
mais comme je suis absolument lamentable en sciences et
en mathématiques, c’était un rêve impossible. Par contre,
j’ai toujours admiré les personnages comme Alexandra
David-Néel3 et bien d’autres explorateurs. L’exploration,
68
c’est un voyage objectif et, en même temps, c’est une façon
de mieux se connaître.»
69
Mais, à part ça, je fais presque tout. J’ai joué au hockey un
peu quand j’étais plus jeune.»
La conviction et l’énergie qui animent Diane Giard
trouvent leur source aussi dans le sport. «Mes week-ends
sont consacrés à peu près entièrement à faire du sport. […]
Je cours, je fais de l’équitation. Je suis des cours, je fais du
saut d’obstacles avec des chevaux. Je fais de la raquette, du
ski, de la randonnée en montagne. L’été, je vais jouer au
tennis, je joue au golf. Je voudrais qu’il y ait plus d’heures
dans une journée pour que je puisse faire plus de sport.
Quand on dit un esprit sain dans un corps sain, c’est
vraiment important pour moi. Je carbure aux sports.»
«Il faut que ça bouge, dit Chantal Glenisson. J’aime les
randonnées, j’aime le ski. J’aime vraiment bouger. Je
n’aime pas les sports qui sont lents. Vous allez me
demander: “Est-ce que tu veux jouer au baseball ou au
basketball?” Bien, c’est sûr que je vais choisir le basketball.
Alors, c’est ma nature, c’est moi, je bouge beaucoup, j’aime
l’action.»
Personnellement, je crois qu’on sous-estime ici beaucoup
le baseball. Mais ce n’est pas le sujet de ce livre!
70
famille. J’ai perdu ma mère il y a presque deux ans, un
coup dur qu’on ne voit pas venir. Et, aujourd’hui, j’ai le
bonheur d’avoir mon père, et ce sont tous les instants que
je passe avec lui qui sont précieux. Ça m’enracine. La
campagne m’enracine. Moi, je suis une fille de campagne,
je suis bien là. La ville m’épate, la campagne me repose,
mes racines sont à la campagne, dans mon potager, alors
que mes racines business sont dans l’équipe qui m’entoure,
dans le désir, puis la conviction qu’on peut changer les
choses.»
Elle poursuit: «Mes racines, c’est le quartier Hochelaga-
Maisonneuve, qui n’est pas la ville, qui est à l’extérieur du
centre-ville, où on a des familles formidables, des enfants
qui grandissent, mais qui sont nés dans un quartier
défavorisé, économiquement. Ce qui m’enracine, c’est le
fait de penser qu’on change la vie de plusieurs d’entre eux
en leur donnant la possibilité de développer leur plein
potentiel malgré le fait qu’ils n’ont pas ces moyens
économiques. Ce qui m’enracine, c’est le désir de faire la
bonne affaire pour ma famille, pour le quartier, pour
l’entreprise.»
De la campagne à la ville, la flamme, la force, la racine de
Phyllis Lambert, c’est l’architecture, bien sûr, et c’est la
ville. «Ça vient de Montréal, dit-elle. Quand je marchais
71
pour aller à l’école, je passais devant l’Institut de
philosophie, qui était un grand bâtiment en pierre grise. Et
je passais très souvent devant les Sœurs grises, les
Sulpiciens, et j’adorais ces grands bâtiments en pierre
grise. J’ai toujours eu un fort intérêt pour ça. Aussi, c’était
très paysagé, il y avait beaucoup d’arbres. […] Ça vient de
ça, du fait que j’étais artiste, j’étais sculptrice et je
regardais, j’avais appris à observer. Quand vous êtes
sculptrice, que vous êtes en train quand même de façonner
des formes – et l’architecture, c’est des formes, mais des
formes dans lesquelles on vit, pas des formes qu’on voit de
l’extérieur –, c’est le cœur de la chose qui est important.»
72
Inné ou acquis?
73
d’autonomie, c’est une fierté.»
Marc Dutil est d’avis qu’on apprend à composer avec les
situations difficiles et à les régler. «J’ai eu un été très
difficile, en passant, confie-t-il, et ce n’est pas la faute des
autres. C’est ça, l’entrepreneuriat. Ce n’est pas la faute des
Chinois, ce n’est pas la faute du ministre, ce n’est pas la
faute de la devise quand il nous arrive quelque chose dans
la vie, que ce soit extraordinaire ou malheureux. Ça
m’appartient et je fais avec! […] Je refuse que ce soit inné,
ça s’apprend, ça!»
74
c’est lorsque j’étais au secondaire, dit-il, en troisième
secondaire, dans un cours d’économie, où le professeur a
parlé d’entrepreneuriat. C’est vraiment là que j’ai accroché,
que je me suis dit que, peut-être, je pourrais moi-même
me lancer un jour en affaires. Dans les semaines qui ont
suivi, un camarade, mon ami, et moi avons lancé une
entreprise qui construisait des sites Web. On a exploité
cette entreprise pendant environ huit ans. C’est vraiment
là que j’ai eu mon premier désir d’entrepreneuriat, mes
premières expériences en tant qu’entrepreneur.»
Considérant son expérience, LP Maurice est convaincu
que cet intérêt s’acquiert et qu’il est accessible à tout le
monde. «Je pense que ça peut arriver à n’importe quel âge,
juste en étant exposé à l’entrepreneuriat et à des modèles
d’entrepreneur. […] Dans mon cas, c’est grâce au
programme Jeunes entrepreneurs, dont les représentants
visitent les écoles et parlent d’entrepreneuriat […] que j’ai
pu me reconnaître dans ce profil-là.»
Donc, l’entrepreneuriat, ça s’apprend? «Je pense que
oui, absolument, dit-il. Certaines personnes parlent d’un
genre d’ADN d’entrepreneur. Moi, je n’y crois pas du tout.
Je pense que c’est un mythe qui est propagé par des
personnes vraiment intelligentes, des leaders d’affaires,
des politiciens. Est-ce qu’il y a un ADN de journaliste? Est-
75
ce qu’il y a un ADN d’avocat? Un ADN de plombier? Je n’y
crois pas. Je pense que c’est en plaidant des causes qu’on
devient un meilleur avocat; c’est en changeant des éviers
qu’on devient un meilleur plombier; c’est en acquérant de
l’expérience dans une start-up ou dans une entreprise
qu’on devient un meilleur entrepreneur.»
Pour entreprendre, diriger, guider, foncer, être un
leader, il faut tout de même un caractère particulier et des
aptitudes. Il faut de la persévérance, de la patience, une
forte conviction. «Ça prend certainement une
personnalité, dit LP Maurice, une personne qui a
beaucoup d’énergie, qui a une certaine confiance en elle,
puis qui est prête à persévérer parce que, bien entendu,
des obstacles vont se présenter. Une chose que j’ai
remarquée dans les dernières années en rencontrant
d’autres entrepreneurs à Montréal, c’est qu’il y a différents
types de personnalités. Il y en a qui sont plus structurées, il
y en a qui sont plus intuitives.»
76
toujours été bien présente. «Ce n’est même pas une
question que je me suis posée. C’était une chose qui était
naturelle pour moi. J’ai rapidement compris que je me
sentais plus à l’aise en étant mon patron et en dirigeant
que l’inverse.»
Même chose pour Chantal Lévesque, qui avait la création
en elle. Ça vient de loin, souvent, de l’enfance, c’est
quelque chose qui semble faire partie de soi. «J’ai
commencé très jeune, dit-elle, je fabriquais des poupées
toutes simples avec des bas, des chaussettes recyclées, puis
je brodais. Je les vendais de porte en porte. À l’époque, on
avait le droit de cogner aux portes et de vendre des objets!
C’est comme ça que j’ai acheté ma première bicyclette. Je
gagnais de l’argent, mais je le dépensais!»
«J’imagine qu’il faut l’avoir dans son profil d’individu,
dit Louis Morissette à propos de cet ADN d’entrepreneur.
Mais c’est difficile pour moi de déterminer un point
tournant parce que c’est la seule réalité que j’ai connue.
[…] Je suis allé à l’Université McGill, j’ai étudié en
marketing et en commerce international. Mais j’aurais de
la difficulté à dire que mon passage à l’Université McGill
est à l’origine de ma façon de voir les choses, d’aborder les
affaires. J’ai l’impression que je l’avais en moi, par
mimétisme un peu, en regardant les autres autour de moi.
77
Je ne pense pas que l’université ait vraiment été un point
tournant. Ça m’a appris beaucoup de choses sur moi, ça
m’a appris l’anglais, ça m’a appris l’ouverture sur le
monde, mais je ne pense pas que ça ait formé
l’entrepreneur en moi.»
«Mes parents avaient l’esprit d’entreprise, dit François-
Xavier Souvay, mais ils étaient fondamentalement des
artistes, au départ. Mon père était un sonorisateur-
éclairagiste du milieu de la scène, mais il a toujours voulu
être libre et faire ses affaires lui-même, ce qui lui a procuré
un grand succès individuel en matière de qualité de vie et
de bonheur. Et ça, ça m’a inspiré beaucoup. Par ailleurs, je
me souviens qu’il m’avait déjà dit, quand j’étais plus jeune:
“Mon fils, assure-toi de créer un jour ta propre job, tu vas
être beaucoup plus heureux.” Évidemment, c’est un conseil
que peu de parents donnent à leurs enfants.»
78
que c’est un trait de caractère. Il faut être capable de
composer avec un niveau de risque élevé, être capable de
garder son calme malgré la très haute pression, être
capable physiquement de passer à travers. […] C’est un
style de vie, c’est un métier fantastique, mais si tu n’es pas
fait pour ça, tu vas le trouver pénible et tu vas en devenir
malade. Les risques, les adversités sont nombreux.»
Placide Poulin va plus loin. «On naît avec des talents. Il y
en a pour qui être entrepreneur, c’est facile, ou jouer du
piano, c’est facile. Moi, je ne suis pas Gregory Charles. Lui,
c’est un talent! Moi, je vais pianoter, mais il y en a d’autres
qui vont [exceller]. Être entrepreneur, c’est un peu pareil.
On naît entrepreneur. C’est facile. Il y en a un qui va
prendre le relais à la tête d’une entreprise, mais ce n’est
pas un entrepreneur-né, c’est plus difficile. Il va être obligé
de donner de la formation et ce n’est pas inné, ce n’est pas
en lui. C’était facile pour moi, c’est comme un talent. Je me
dis qu’on naît entrepreneur.»
Fondamentalement, dit Charles Sirois, il y a «deux
mouvements de départ» chez un entrepreneur: le rejet du
statu quo et le désir de créer, de modifier une situation.
«Si vous ne rejetez pas le statu quo, vous n’êtes pas
entrepreneur. On rejette le statu quo et on se dit: “Il me
semble qu’il y a une meilleure façon de faire les choses, il
79
me semble qu’on pourrait faire quelque chose de différent,
il me semble qu’on pourrait construire un produit,
satisfaire un besoin.”»
80
demande pourquoi on va étudier ça. “Peut-être que je
ne serai jamais comptable!” se dit-on. Mais quand on
est en train d’appliquer directement à un problème
qu’on vit dans notre entreprise les concepts qu’on a
vus dans le cours la veille, ça devient encore plus
pertinent. Donc, j’ai en quelque sorte eu deux
scolarités: une à l’école et une dans l’entreprise que je
fondais avec mes amis.»
81
normalement, mais d’aller plus loin.»
Est-ce que tout ça est instinctif ou c’est une vision
planifiée? «Instinctif complètement, répond Lorraine
Pintal. Moi, j’ai zéro formation en gestion. J’ai une
formation d’actrice et j’ai une formation de metteuse en
scène, j’ai une expérience de réalisation et de direction de
théâtre. J’ai appris ça sur le terrain et je me permets de
dire que c’est probablement la meilleure formation. C’est
vraiment d’être au cœur de l’action, face à tous les
problèmes qui se présentent, de trouver des solutions et
d’avoir un esprit novateur, de faire preuve d’audace, de
vision. […] C’est difficile à décrire, mais il va m’arriver,
dans des périodes de solitude, d’avoir des visions d’un
spectacle, des visions d’un projet, des visions d’une
manière d’arriver à inventer ce qu’on fait tous les jours. Et
ça arrive comme des éclairs intérieurs. Ça fait un peu
mystique, mais ce ne l’est pas du tout, c’est comme… c’est
vraiment des visions.»
82
«Dans ce programme, dit-elle, j’ai suivi des cours de
marketing, des cours de finances, c’est là que j’ai ouvert
mes yeux et ma tête à l’entrepreneuriat. J’ai commencé à
bâtir mes plans d’affaires quand je suivais le cours de
marketing. Et je me disais déjà que j’allais me lancer dans
quelque chose: “Voilà comment je vais procéder, comment
je dois aller chercher de l’argent.” Et ça naît de là.»
Son parcours n’est pas simple, mais il est rempli de
courage et de détermination. «J’ai terminé le cégep et
obtenu mon DEC [diplôme d’études collégiales], dit Amina
Gerba, parce que c’était juste une année complète, alors
que j’étais enceinte de ma première fille, qui est née ici, au
Canada. Je suis ensuite entrée à l’UQAM [Université du
Québec à Montréal] pour le baccalauréat, puis j’ai eu mon
deuxième enfant. Inscrite au programme de MBA
[maîtrise en administration des affaires], j’ai fait mes
recherches alors que j’étais de nouveau enceinte et, quand
j’ai terminé, j’ai eu ma troisième fille! Après avoir obtenu
mon MBA, j’ai commencé à travailler et je suis encore
tombée enceinte, un garçon, cette fois. Donc, pour moi,
chacun de mes enfants a un diplôme!»
Avis d’experts
83
Est-ce que c’est inné ou acquis? Grande question
existentielle. Les scientifiques ne s’entendent pas là-
dessus. C’est certainement quelque part entre les
deux. Dans certains cas, on peut exercer son
leadership parce qu’on a en soi ce qu’il faut pour y
arriver. On peut apprendre certaines choses. Par
exemple, l’art de communiquer, l’art politique, ça
s’apprend. Mais les caractéristiques qu’on associe
souvent aux leaders, telles que l’intelligence, le
charisme, est-ce que ça s’apprend?
— Éric Brunelle
84
celles-ci ne sont pas développées, ces personnes ne
deviendront jamais des athlètes. C’est la même
chose pour les leaders.
— Cynthia Mathieu
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Histoires de famille
86
Les Dutil
«Je vis dans la maison où j’ai grandi, dit Marc Dutil. Je vis
dans la maison de l’arrière-grand-père Lacroix. Ça, c’est le
boulevard Lacroix, à Saint-Georges, précise-t-il en
pointant la route près de nous. Six générations d’ancêtres
natifs de la Beauce. Je suis ici chez moi. Aujourd’hui, les
nouveaux moyens de communication, les nouveaux
moyens de transport me permettent de rester chez moi et
de faire de belles affaires. Chez moi.»
Marc Dutil est le fils de Marcel Dutil et le petit-fils de
Roger Dutil, cofondateur de Canam en 1960. Il dirige
aujourd’hui le groupe après avoir gravi les échelons un à
un. «L’entreprise Canam est venue au monde en Beauce à
cause de sa proximité avec la frontière américaine. J’ai
commencé à l’usine de Canam à Saint-Gédéon quand
j’avais 14 ans, en 1979. J’ai dévié, je suis allé à l’université,
je suis revenu en 1991 à l’usine, où je suis resté cinq ans à
temps plein.»
Et ce, sous la direction de son père, bien sûr! «Des fois,
c’était à coups de tapes dans le dos et, des fois, à coups de
pied au derrière, mais j’ai vécu une relation intense qui
m’a permis de développer des aptitudes.» Relation
intense, mais forte pression quand même. «C’est une
87
pression motivante, c’est sûr!» dit-il dans un éclat de rire.
N’empêche, il n’est pas simple de prendre le relais de son
père. Le passage n’est pas toujours facile. Comment s’est-il
déroulé chez les Dutil? Comment succède-t-on à Marcel
Dutil? «On le respecte, répond Marc Dutil. On devient
complice du rêve, on se respecte soi-même, on est capable
de dire non. […] Je ne suis pas Marcel Dutil. J’admire ses
forces, je tolère ses faiblesses. Je partage ses ambitions, on
a un tronc commun de valeurs, le respect de l’argent, des
employés, des clients, des partenaires. Quand ça, c’est
solide, le style, on vit avec!»
Marc Dutil raconte cette histoire: «Il y a environ 15 ans,
dans un effort de planification stratégique, quelqu’un avait
dit à mon père: “Vous savez, Marcel, il n’y a rien qui
pousse sous un monument!” Et là, mon père avait dit:
“C’est qui le c***** de monument? – Ben… c’est vous!”»
88
14 ans, je suivais mes titres en Bourse de Cascades et de la
compagnie de mon père, qui l’était à l’époque, c’était ça
mon quotidien. Est-ce que le Canadien a gagné? Les
actions ont-elles bougé?»
Élever des enfants dans un tel milieu amène la plupart
des parents à imaginer que leur progéniture prendra le
relais. Le père de Louis Morissette l’espérait, en tout cas.
«Il aurait aimé ça. C’était clair pour tout le monde, et le
président à l’époque – mon père n’était pas président –,
qui n’avait pas d’enfants, lui aussi, il me voyait comme le
dauphin. C’était assez clair aux yeux de tout le monde, car
j’avais commencé en faisant le ménage dans les bureaux,
j’ai travaillé dans la shop de nuit, dans la shop de jour, j’ai
fait mes stages universitaires dans les bureaux et,
rapidement, je me suis retrouvé dans les meetings, dans
les comités, où je ne disais pas un mot, j’étais là juste pour
regarder, pour écouter, pour apprendre.»
Louis Morissette n’a pas repris l’entreprise de son père.
Il poursuit plutôt une carrière d’humoriste, de comédien et
de producteur. S’attend-il, à son tour, à ce que ses enfants
reprennent un jour sa société de production? «Ah ben,
aujourd’hui, là, j’espère qu’aucun des trois ne va reprendre
l’entreprise! Pas j’espère, c’est un peu fort, mais j’espère
que ce n’est pas leur plan de vie, aujourd’hui, à tout le
89
moins. J’espère qu’ils vont s’accomplir dans un autre
domaine. Je ne souhaite pas les voir dans le show-business
pour différentes raisons.»
Pourquoi donc? «Quand ma grande fille me dit:
“J’aimerais ça être animatrice comme maman”, ça me
donne un peu le shake. Comme le fils de Gretzky qui dit:
“Moi, je veux jouer au hockey.” C’est peut-être un peu de
pression inutile. Comptable, ça ne vous tente pas?»
Les Germain
Christiane Germain a grandi derrière un comptoir dans un
commerce! Ses parents étaient dans le commerce de détail,
d’abord une tabagie, puis des restaurants, et dans
l’immobilier. Dans sa jeunesse, reprendre le flambeau de
ses parents n’était pas dans ses plans. «Non, non pas du
tout. Je vous dirais que j’avais ce goût d’aller vivre d’autres
expériences ailleurs. Après mes études, relativement
courtes – j’ai étudié dans la restauration à Toronto, au
Humber College, où j’ai suivi le programme Hotel and
Restaurant Administration –, mon premier emploi
significatif a été pour une chaîne de restaurants aux États-
Unis. Je n’avais que 20 ans, et je me suis fait embaucher
par un chasseur de têtes ici, à Montréal, qui recrutait des
directeurs de restaurant pour cette entreprise qui
90
prévoyait s’implanter à Montréal.»
Christiane Germain s’est ainsi retrouvée dans un secteur
qu’elle connaissait bien, mais loin de l’entreprise familiale.
Elle a découvert de nouvelles façons de faire, aux États-
Unis, notamment, et a ouvert un restaurant à Montréal
pour la chaîne américaine pour laquelle elle travaillait.
«Puis, mon père est revenu dans les parages, poursuit-
elle. J’avais quand même beaucoup d’idées pour faire
marcher un restaurant. C’est à ce moment-là que mon père
m’a convaincue de revenir à Québec et je me suis dit:
“O.K.! Je vais revenir un an, un an et demi”, et, finalement,
j’y suis restée un bon bout de temps!»
Christiane Germain était donc animée par un désir de
liberté, mais, en fin de compte, elle a par la suite renoué
avec un univers qui ressemble à celui qu’elle a connu avec
ses parents. Elle a, elle-même, reproduit le contexte d’une
entreprise familiale dans le commerce, l’hébergement,
l’accueil, le contact avec les clients, en créant, avec son
frère, les Hôtels Germain.
«C’est vraiment devenu une histoire de famille, dit-elle.
Je ne vous cache pas que, pendant quelques années, j’ai
voulu voler de mes propres ailes. C’était très important
pour moi. Je l’ai fait et je suis revenue. Peu de temps après,
la famille, si l’on peut dire, a repris le dessus et,
91
maintenant, c’est plus fort que jamais.»
Est-ce une question de continuation par tradition? «Ce
n’est sûrement pas la tradition, répond Christiane
Germain, ce n’est pas ma motivation. C’est beaucoup plus
une question de transmission et de libre arbitre. Ce n’était
pas une question de tradition du côté de mes parents, et
chez mon frère et moi, ce n’est pas non plus un choix que
nous imposons à nos enfants. C’est un choix qu’ils font, et,
encore aujourd’hui, on est extrêmement heureux d’avoir
nos enfants avec nous. Mais je ne sais pas de quoi l’avenir
sera fait. Ils sont là, on a la chance d’avoir trois jeunes
extraordinaires et, encore là, ils ont des choix à faire et ça
demeure toujours leur choix. C’est très important pour
nous.»
Est-ce la bonne attitude que de favoriser le travail en
famille quand on sait que des gens peut-être plus
compétents pourraient remplir certaines fonctions? La
question me paraît fondamentale, mais certainement
troublante dans le contexte d’une entreprise familiale. «Ce
n’est pas une question facile… parce qu’on n’est pas
ensemble à cause des qualités que nous avons. C’est clair
qu’on en a, des qualités, pour faire arriver les choses
comme nous les faisons arriver. En fait, ce n’est pas d’être
avec ma fille qui me motive. Je souhaite que ma fille soit
92
très heureuse. Je souhaite que mon neveu et ma nièce
soient très heureux et s’ils peuvent l’être avec nous, s’ils
peuvent continuer à faire progresser l’entreprise, tant
mieux! […] C’est un cadeau, mais ce n’est pas quelque
chose qu’on doit forcer si on veut qu’ils soient heureux.»
Parce que ça peut aussi mener à des conflits familiaux?
«Ça se peut… on a beaucoup de respect entre nous et ce
respect-là nous a été enseigné surtout par nos parents. Et
entre mes frères aussi, mon frère Jean-Yves, mes neveux et
nièces. Il y a une forme de naturel qui s’est installé, puis ça
va bien… ça va bien.»
Les Poulin
Après différentes mésaventures, Placide Poulin a bâti son
entreprise de fabrication de produits de salles de bain
Maax avec l’appui de sa famille. Au plus creux, il lui a fallu
une bonne dose d’humilité pour demander l’aide de… la
belle-famille. «Ah, beaucoup d’humilité, d’aller dire à son
beau-père: “Me prêteriez-vous 500 dollars?”, mais j’en
avais besoin pour vivre. Passer Noël sans un sou dans nos
poches et sans cadeaux, les enfants connaissent ça.»
Placide Poulin parle de «moments qui sont tristes», mais
se console en pensant que sa femme, Pierrette, a toujours
été à ses côtés dans ces moments difficiles. «Pierrette était
93
mon pilier», dit-il. Il ajoute que Pierrette «avait une vision
plus conservatrice que moi. Moi, j’étais un entrepreneur,
j’étais plus rêveur, passionné, et j’étais plus généraliste
dans la façon de faire également. Elle, elle a toujours été là
pour me faire voir le côté que je ne voyais pas».
Pierrette avait le don de recentrer son mari sur les
priorités et de l’encourager à poursuivre son travail. Sa
maladie, puis son décès ont changé le cours des choses.
«En 1998, on avait un chiffre d’affaires de 400 millions.
On a parlé relève, aussi, dans l’entreprise, mais ce n’était
pas un sujet de discussion prioritaire en famille. Tu penses
que tu es éternel, tu as 58, 60 ans, tu es dans la fleur de
l’âge, tu prétends que ton objectif du milliard peut être
atteint, tu aimerais le réaliser.» Mais…
«En 2000, Pierrette a eu une leucémie. Ça, pour moi, ça
a changé ma préoccupation centrale. Je me suis demandé:
“Comment est-ce que je veux vivre la continuité de
l’entreprise?” Ça m’a ramené à des valeurs de base, alors
que l’entreprise m’accaparait beaucoup, des semaines de
100 heures à voyager à travers le Canada et les États-Unis.
On avait 12 usines au Canada, 12 aux États-Unis, une en
Europe. Alors, pour moi, c’était énorme tout ça.»
Quand est venu le temps de céder sa place à la tête de
l’entreprise, le conseil d’administration de Maax n’a pas
94
souhaité confier la direction à l’un des enfants du
fondateur, notamment à sa fille Marie-France, qui était
membre du conseil. Placide Poulin n’était pas convaincu
que de prendre le relais à la tête de l’entreprise qu’il avait
fondée fût le rêve de ses enfants.
Tout de même, transmettre l’entreprise aux enfants, «ça
aurait été mon rêve, dit-il, mais il aurait fallu en discuter
plus que ça. On parlait de croissance, on ne parlait pas de
relève. Quand ce jour est arrivé, ça m’a pris au dépourvu,
alors j’en ai parlé aux enfants, j’en ai parlé avec le conseil
d’administration. On m’a dit: “Placide, on devrait mettre
cette personne-là, ce vice-président aux opérations, au
moins directeur général.” Alors ça, ça a été, pour moi, une
transition difficile».
Il a ensuite vendu l’entreprise à un groupe américain. «Si
j’avais encore 50 ans, je bâtirais encore, parce que j’ai
beaucoup de rêves. Le seul regret, si j’en avais un, c’est de
ne pas avoir parlé de relève au moment où les événements
sont arrivés. […] Si j’avais préparé cette relève, les quatre,
cinq dernières années, peut-être qu’il y aurait eu
continuité familiale.»
Les Poulin gèrent aujourd’hui le groupe Camada, la
société d’investissement de la famille.
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Partir, loin de la famille, changer de nom!
Phyllis Lambert a choisi de partir, très jeune, de s’éloigner,
de voler de ses propres ailes, avant de revenir faire une
proposition à son père dans les années 1950.
«Mon père était très… père de famille, dit-elle, sourire en
coin. On devait faire ceci, on devait faire autre chose. Aux
soupers de famille, tous les vendredis, il fallait qu’on récite
un poème ou qu’on parle de quelque chose. Je n’aimais pas
tout ça. Et on parlait beaucoup d’affaires, et ça, je n’aimais
pas.» Elle ne s’y intéressait pas et elle n’aimait pas la façon
d’en parler.
Je comprends qu’elle ait voulu se libérer du poids du
pouvoir et de la richesse. «Je ne savais pas que c’était de la
richesse. On est jeune, on sait qu’on a un grand jardin, je
ne voyais pas beaucoup d’autres maisons d’autres familles.
Ce n’était pas la richesse, c’était ce poids du contrôle.
Notre maison était entourée d’un mur, on était contraint
là-dedans, c’était notre chef-lieu, on sortait uniquement en
compagnie d’un adulte.»
Comme une prison dorée. Dès qu’elle a pu le faire,
Phyllis Lambert est partie. «J’ai quitté Montréal pour aller
à l’université et je suis restée aux États-Unis, un peu à
Paris, un peu à Chicago, pendant 30 ans.» Elle a aussi
96
conservé le nom de son mari, même après sa séparation.
Phyllis Lambert rappelle que le nom de Bronfman, dans
les années 1940, «n’était pas un nom tellement bien vu […]
parce qu’il appartenait à une famille juive [qui] était dans
le whisky, alors ce n’était pas tellement bien vu dans la
société».
En 1954, à l’âge de 27 ans, elle convainc son père de lui
confier la planification de la construction du siège de
Seagram à New York, un bâtiment magnifique,
exceptionnel, qu’elle a réalisé avec l’architecte Mies van
der Rohe. Elle gagne la confiance de son père. «Oui, c’est
ça. Ça, c’est étonnant!»
Mais leur relation, complexe, demeure difficile.
«Écoutez, ça n’a jamais changé, mais j’étais une autre
personne pour lui. Avant, j’étais une petite fille jolie, et
puis c’était ça. Alors là, il était un peu étonné, mais il a
compris. J’étais tellement convaincue, j’avais une vision, et
lui, c’était un visionnaire aussi. Les gens autour de lui
disaient: “On peut faire ceci, on peut faire cela, on peut
faire d’autres choses”, mais ils n’avaient aucune vision.
C’est ça qu’il a reconnu en me donnant la possibilité de
faire le Seagram Building. Il ne me l’a jamais donnée, en
fait, je l’ai prise, il n’a jamais dit non.»
97
Continuer après le suicide de son père
Avec son père, Mitch Garber a vécu des moments difficiles
et tragiques. «Mon père, je l’ai plus connu sans argent
qu’avec de l’argent. Il était un entrepreneur brillant et,
pour lui, qui avait quitté l’école en deuxième secondaire, le
plus important, c’était que ma sœur et moi, nous allions à
l’école, au cégep après le secondaire, puis à l’université, et
que, si possible, nous exercions une profession.»
Mitch Garber a étudié en droit. Mais il avait en lui la
fibre entrepreneuriale de son père. «J’ai beaucoup appris
de lui quant à son esprit d’entreprise, quant à son habileté
de surmonter certains problèmes. C’est sûr qu’il n’a pas
surmonté le plus difficile, mais quand même je l’ai vu
surmonter des problèmes. Et je l’ai vu glisser aussi.»
Il a vu son père tenter sa chance en Bourse en achetant
des penny stocks, des actions à quelques cents, des
investissements risqués et spéculatifs. «Mon père jouait
beaucoup à la Bourse et il a perdu beaucoup, dit-il. Il avait
fait tellement d’argent dans la restauration, il était devenu
millionnaire à 22, 23 ans, puis il a tout perdu, il est tombé
en faillite. Et je pense que tout ce qu’il a fait jusqu’à sa
mort, c’est d’essayer de récupérer vite la fortune qu’il avait
perdue.»
98
C’est une leçon de vie, «malheureusement, c’est une
mauvaise leçon», ajoute Mitch Garber. Il dit être beaucoup
plus prudent avec l’argent qu’il gagne, ayant appris des
mésaventures de son père. «Je n’ai jamais risqué ce que
j’avais déjà gagné.»
Mitch Garber a fait fortune dans le monde des casinos à
Las Vegas. Son père a, quant à lui, perdu beaucoup
d’argent en jouant dans les machines de casino. «Je suis
très conscient de l’ironie dans toute cette histoire-là. Je
sais que, dans le domaine du jeu, à Las Vegas en
particulier, on fait notre argent non pas avec les gens qui
hypothèquent leur maison, mais avec le divertissement,
l’hôtellerie, l’alimentation, le magasinage, et tout, qui
représentent 60% des gains. L’autre 40%, ça vient du jeu.
La promotion du jeu responsable est le pilier le plus
important à Vegas.»
Avant de partir, le père de Mitch Garber lui a laissé un
message. «Mon père a laissé une lettre de suicide dans
laquelle il me dit: “Suis Cookie [son oncle], il sait quoi
faire. Fais ce qu’il te dit de faire, deviens avocat et suis les
conseils de Cookie.” C’est plus que l’avis d’un mentor, c’est
le dernier vœu de mon père, celui de suivre les conseils de
Cookie, et je l’ai fait. C’était son meilleur conseil.»
99
La transmission familiale
Marc Dutil parle avec passion de sa famille, des
débats et de l’importance de se dire continuellement
la vérité. «La première chose, c’est la famille, cette
unité dont les membres s’aiment, se respectent,
veulent travailler ensemble, et qui est au service de
l’entreprise. La première chose à transmettre, c’est
qu’une entreprise, ce n’est pas une structure
financière pour payer les vacances en Floride et
l’adhésion au club de golf. Ce n’est pas ça. C’est la
famille qui est au service de l’entreprise. L’autre
chose, c’est qu’il est important d’aborder les sujets
délicats. Je connais beaucoup de familles qui disent:
“Dans ma famille, ça va bien, on ne se chicane
jamais!” Si vous ne vous disputez pas, c’est peut-être
que, au nom de l’harmonie, vous évitez des sujets
difficiles; il y a des virages que l’entreprise n’a pas
effectués, des talents qui se sont perdus, que vous
n’avez pas recrutés. Vous ne vous parlez pas.
«L’harmonie qui résulte du silence, ça ne vaut pas
grand-chose. Dans ma famille, on a eu des
conversations désagréables, parfois constructives,
mais pour le bien de l’entreprise. Il faut oser aller là, il
100
faut oser se dire ce qu’on a à se dire, c’est très
important.
«Il n’y a pas de confusion. C’est pour le bien de
l’entreprise. Ce n’est pas de savoir qui est le patron,
qui mène ou qui crie le plus fort. C’est de savoir ce
qu’il faut faire pour que cette usine-là aille mieux,
pour que tel département fonctionne bien, pour que
tel client soit satisfait, pour que la structure de capital
fonctionne. Il faut que la conversation porte sur des
facteurs qui renforcent l’entreprise.»
101
Amina Gerba est la seule de sa famille à avoir fréquenté
l’école, «parce que, dit-elle, dans la tradition de ma
famille, les filles devaient rester à la maison, s’occuper des
travaux familiaux, s’occuper de faire à manger, faire la
vaisselle, s’occuper de leur frère qui est à l’école. La fille
devait rester là à attendre son mari. C’est plus qu’une
chance, souligne Amina Gerba. Je dis que c’est une grâce
divine d’être sortie de là».
Amina Gerba a pu étudier, mais le trajet a été difficile.
Elle est tombée enceinte très jeune, elle a dû aller travailler
et quitter l’école. C’est au travail qu’elle a rencontré son
mari. «Mon mari décide de venir étudier au Canada, dit-
elle, il a obtenu une bourse d’études de l’Agence
canadienne de développement international [ACDI], qui
lance une bourse pour former des journalistes. […] Encore
une grâce de Dieu, c’est par miracle qu’il remporte ce
concours, je pense qu’il est le seul à gagner ce concours
cette année-là, et c’était le dernier que l’ACDI présentait en
Afrique et au Cameroun. Donc, c’est comme ça qu’on
émigre ici en 1986.»
Il n’est pas difficile de croire qu’Amina Gerba a bénéficié
d’un soutien exceptionnel pour arriver là où elle est
aujourd’hui. Mais sa détermination a sans doute joué un
grand rôle. Même si elle évoque son mari, le mari de sa
102
cousine et la grâce divine, sa propre énergie intérieure ne
peut pas être minimisée.
«Moi, je dis que ça prend trois choses, affirme Amina
Gerba. Je dis que c’est FTP: la foi, le travail et la
persévérance. Il faut avoir la foi, croire en soi. […] Ça vient
de ma mère, qui n’a jamais voulu baisser les bras. Mon
père est décédé, ma mère s’était mariée très jeune, elle
n’avait que 14 ans. Elle s’est toujours battue, elle a toujours
été un modèle pour moi, un modèle de persévérance, parce
qu’elle ne s’est pas remariée, elle a pris en main ses enfants
et a continué à soutenir mes frères.»
Elle poursuit: «Pendant les vacances, quand j’allais la
voir, elle était toujours en train de faire des arachides, des
oranges à vendre, tous ces produits alimentaires, et je
l’aidais. C’est comme ça que j’ai commencé
l’entrepreneuriat, sans le savoir. […] Le vendredi, on était
tous sur la route avec nos sacs, nos assiettes d’arachides ou
de beignets sur la tête pour aller les vendre.»
Amina Gerba affirme que son mari lui a apporté un
soutien continu. «Pendant que je poursuivais mes études,
lui, il gardait les enfants. Il était au programme de
doctorat, en rédaction de thèse. Il avait plus de temps que
moi et c’est lui qui restait à la maison pour conduire les
enfants à l’école avant d’aller poursuivre ses recherches. Ça
103
m’a beaucoup aidée et ça m’a donné beaucoup de temps
pour réfléchir à mon avenir et à ce que je voulais faire.»
Si l’on n’a pas vécu l’immigration, si l’on ne sait pas ce
que c’est de quitter l’Afrique ou de venir au Canada comme
réfugié, je ne crois pas qu’il soit possible de décrire les
émotions, les peurs, les craintes, l’excitation aussi, qui
peuvent surgir à l’intérieur d’une femme comme Amina
Gerba. Son parcours est tout simplement impressionnant
et renversant.
104
valeur que je prends au sérieux. Je ne suis pas du tout
religieux, mais, ayant grandi avec les juifs et dans la
communauté juive, c’est sûr que ces valeurs-là,
concernant la famille, la philanthropie et l’éducation,
je les ai intégrées et je les ai suivies.»
105
Mes employés, ma famille
Quelques courtes histoires de famille pour terminer ce
chapitre…
Groundée. En plus de travailler avec sa propre famille,
Chantal Lévesque, dans son atelier de fabrication de
vêtements, se voit comme une mère pour ses employés.
«Oui, tout à fait. Je le sais, aujourd’hui, je le réalise. C’est
vraiment le rôle que je joue ici. Ça va loin, parce que je suis
devenue proche, de plus en plus proche de mes employés.
Les gens sont là depuis longtemps, j’ai beaucoup
d’employés de longue date, ici. Je les aide, on se conseille.
C’est vraiment ma famille. Mes enfants sont ici, la famille
est réunie au complet. Je dois dire que mes trois enfants
ont fait en sorte que je sois restée groundée. L’entreprise
était là, mais c’était toujours très humain.»
Porte ouverte. «J’ai hérité des valeurs fondamentales et
humanitaires de ma mère et du sens des affaires de mon
père, résume Charles Sirois. La porte de la maison était
grande ouverte, ma mère invitait tout le monde. Elle m’a
dit la semaine dernière que 21 personnes avaient habité
chez nous plus d’un an parce qu’elle les avait accueillies.
Elle disait: “Tu peux rester à la maison”, et les gens
restaient à la maison […]. C’était le côté rassembleur de ma
106
mère, très particulier, que j’ai gardé en moi.»
Des histoires. «Il y avait quelque chose d’un peu magique
quand j’étais petite, dit Sophie Brochu. Mon père partait le
matin, revenait le soir et racontait des histoires. Il y avait,
pour une petite fille, quelque chose d’un peu mystérieux.
Je me souviens que je me disais: “Ah, ça, moi, j’aimerais
partir le matin, puis revenir le soir.” Le stimulus
intellectuel, mon papa le rapportait, il y avait de grands
débats, surtout avec mon frère. Les repas à la maison
étaient animés, le ton montait vite, mais c’était d’excitation
sur un sujet. Il y avait une sorte de confrontation d’idées.
[…] Moi, je les écoutais, je les trouvais très vigoureux.»
Liberté. «Mon père, tout ce qu’il voulait de nous, relate
Pierre Lassonde, c’était l’assurance que nous aurions une
bonne éducation, c’est la seule demande qu’il nous a faite.
Nous étions libres. Mon enfance, c’est la liberté qu’on
avait, on pouvait faire n’importe quoi. Lorsque j’avais
14 ans, je suis parti “sur le pouce” avec mon meilleur ami
pour un mois en Gaspésie. Un mois… On a envoyé deux
cartes postales et c’est tout! Quand je suis revenu, ma mère
m’a demandé: “Pierre, qu’est-ce que tu veux pour souper?”
Mes parents nous faisaient confiance, nous avions une
liberté extraordinaire.»
107
Femmes d’affaires
108
Par conséquent, j’ai demandé aux entrepreneures et aux
dirigeantes rencontrées de nous raconter leur réalité, ce
qu’elles ont vécu, comme femmes face à un banquier, à un
conseil d’administration ou dans le développement de leur
entreprise. Toutes m’ont parlé de détermination.
Christiane Germain s’est fait dire un jour par un
directeur que, parce qu’elle était une femme, elle gagnerait
moins d’argent. «Ça m’a fâchée, dit-elle, mais moi, je suis
partie de là. Je vais leur montrer. Ça a été une source de
motivation. Ma réaction a été de dire: “O.K., je vais aller
me chercher un diplôme, je vais aller me trouver un
emploi, je vais gagner ma vie.” C’était de montrer ce que
j’étais capable de faire.»
Diane Giard, quant à elle, refuse de conclure qu’il est
plus difficile pour une femme de se tailler une place dans
le secteur bancaire. «Non, absolument pas, non. Homme
ou femme, il faut, comme leader, être en mesure d’avoir
une vision qui est claire, être capable de communiquer,
être capable d’être authentique, d’être humble à l’occasion,
il faut être capable de bien comprendre le risque ou les
incidences des gestes qu’on pose. […] Souvent, ce qui va
manquer chez la femme, c’est ce désir de prendre le risque
qui est associé à ces décisions et à la peur de se tromper, la
peur d’être jugée.»
109
Il faut dire que, tôt dans sa vie, sa mère lui envoyait un
message clair. «Ma mère me disait tout le temps: “Tout est
possible, […] pourquoi tu ne serais pas présidente d’une
banque?” Je répliquais: “Voyons, maman, sois réaliste, là!”
Elle insistait: “Non, Diane, pourquoi tu t’arrêterais à des
paradigmes qui te disent ça?” Alors, moi, j’ai eu ça, j’ai eu
le bonheur dans ma vie d’avoir une femme qui m’a
vraiment poussée, puis qui m’a fait voir qu’il n’y en avait
pas, des limites. Les seules limites que j’avais, c’étaient
celles que je m’imposais.
«[…] Je crois qu’il faut, par exemple, que les femmes
s’entraident autant que les hommes s’entraident. Il faut
également solliciter la collaboration des autres, hommes et
femmes, pour, justement, aller chercher le meilleur des
gens qui nous entourent pour nous élever.»
110
d’un rapport dévastateur du vérificateur général sur la
gestion de l’organisme.
Dépenses injustifiées, nombreux départs dans
l’organisation, Chantal Lévesque se défend d’avoir dilapidé
de l’argent public. La CDPQ met fin rapidement aux
activités de Montréal Mode, et Chantal Lévesque rachète
son entreprise Shan, qui avait été acquise par la CDPQ au
moment du lancement de l’organisme Montréal Mode.
Plus de 15 ans après les événements, sans porter de
jugement sur ce qui s’est passé, les torts des uns et des
autres, j’ai voulu savoir comment Chantal Lévesque avait
vécu cette période de sa vie.
Force est de constater que la blessure ne s’est pas
refermée. «Je vais vous dire quelque chose que je n’ai
jamais dit à personne, jamais, lance Chantal Lévesque. Et
c’est peut-être parce qu’on vient de vivre des élections
assez particulières chez nos voisins cette semaine
[référence à l’élection de Donald Trump au moment de
l’entrevue], mais ce que j’ai envie de dire aujourd’hui, c’est
que si j’avais été un homme, ça aurait été complètement
différent.»
Je tiens à préciser ici que ce qui m’intéresse dans le cadre
de ce livre, ce n’est pas de refaire l’enquête dans cette
affaire, mais de voir quels enseignements a tirés Chantal
111
Lévesque de cette aventure, sa perception après tout ce
temps passé, comment elle s’est relevée et transformée.
«Ça a vraiment accroché parce que j’étais jeune, j’étais
une femme. Et j’irais même jusqu’à dire – et je vais vous
dire quelque chose de gros – que si j’avais été moins jolie
aussi, ça aurait été plus facile. Parce que tout le monde
accrochait là-dessus. J’étais la designer blonde! Pourtant,
ce n’est pas ça que j’étais avant d’occuper ce poste-là. Je
n’ai jamais voulu le dire parce que, pour moi, c’était avouer
que les femmes, on n’est pas où l’on devrait être. C’est
malheureux, mais il faut l’admettre.»
Selon Chantal Lévesque, il est de toute évidence plus
difficile pour une femme de mener à bien ses projets
d’affaires que pour un homme. «C’est particulier, mais
c’est comme ça et je l’accepte. L’important, c’est la
perception. Et l’objectif ultime quand on a un besoin, c’est
de le combler. Quand on a un rêve, c’est de le réaliser. S’il
faut envoyer Jean-François [son conjoint et partenaire
d’affaires] pour que ça marche, je n’y vois pas de difficulté.
Et ici, nous, les femmes, avons tendance à nous plaindre
un peu, mais en Russie, et à Paris, c’est encore beaucoup,
beaucoup, beaucoup, beaucoup les hommes qui dominent.
C’est correct, ça ne me dérange pas.»
Les femmes sont aussi responsables de cet état des
112
choses, dit Chantal Lévesque. Elles doivent se mettre
davantage en valeur. «Les femmes sont souvent plus dures
entre elles que les hommes. C’est la réalité. J’ai des copines
qui sont entrepreneures, j’en parle souvent avec elles, on
n’est pas nombreuses à s’aider. Les femmes sont comme
ça.»
Les choses changent, dit-elle, quoique les hommes
disposent de lieux de rencontre et de convergence qui sont
quasi inexistants chez les femmes. «Les boys’ clubs, nous,
on n’a pas ça parce qu’on a des enfants! On ne fait pas ça,
quand on est jeune, se retrouver quatre filles pour un
foursome de golf! Honnêtement, je n’y ai jamais pensé,
puis je ne sais pas comment! Dernièrement, je suis partie
avec trois femmes d’affaires. On est allées à la Semaine de
la mode à Paris. C’est la première fois que je le faisais. […]
J’avais l’impression de commettre un acte de délinquance
d’une grande profondeur. Pourtant, je suis allée travailler
avec trois femmes d’affaires à Paris!»
Représentatif de la collectivité
Autre épisode, on recule un peu plus dans le temps, dans
les années 1980. Louise Roy est à la tête de la Commission
de transport de la communauté urbaine de Montréal
(CTCUM), devenue la Société de transport de Montréal
113
(STM). Elle est la première femme à diriger une société de
transport au Canada.
«On était deux dans le monde, raconte Louise Roy. Il y
avait aussi une femme à Washington, une femme noire,
Carmen Turner, une femme extraordinaire. On se dit,
lorsqu’on regarde les usagers du transport en commun,
que ce ne sont pas que des hommes. Ce sont des femmes,
des étudiants, des personnes âgées, mais on n’est pas
représentatif comme service à la collectivité. On n’est pas
représentatif des gens que l’on sert.»
On commence alors à penser, à cette époque, à la place
des femmes et aussi à celle des membres de la diversité,
qu’on nommait à l’époque les «minorités visibles». Louise
Roy explique qu’il existait, à ce moment-là, «un biais,
assez systématique, qui faisait en sorte que, dans ces
entreprises, on ne pouvait pas embaucher de femmes
parce qu’on demandait un permis de conduire
commercial, ce qui veut dire qu’on embauchait des
conducteurs de camions plutôt que des gens qui
détenaient un permis de conduire ordinaire. […] Alors, on
a changé les exigences, on a dit qu’au fond, la seule chose
dont une personne a besoin pour devenir chauffeur
d’autobus, c’est un permis de conduire, c’est de savoir
conduire. Après, on forme les gens sur place. On aime
114
mieux embaucher des personnes qui ont de l’expérience
dans le service public, dans la restauration, qui aiment les
gens, parce que c’est ça, fondamentalement, [qui importe]
et on va les former au métier.»
Louise Roy et son équipe se fixent un objectif: puisque
40% des permis de conduire dans la région de Montréal
sont détenus par des femmes, il n’y a pas de raison pour ne
pas augmenter la proportion de femmes au volant des
autobus.
«Même chose, dit Louise Roy [à propos de la diversité]:
20% de la population montréalaise est issue des
communautés, il n’y a pas de raison pour laquelle ces gens-
là ne postuleraient pas. Donc, on a instauré des
programmes et, rapidement, on a eu du succès. Au cours
des années qui ont suivi, 500, 600 femmes chauffeuses
d’autobus ont été embauchées et elles ont changé les
rapports à l’intérieur de l’entreprise. […] C’est vraiment
une réalisation dont je suis très fière, parce que la diversité
des talents, des profils, pour moi, c’est très important, c’est
comme ça qu’on a une richesse aussi dans nos
organisations.»
115
«Moi, je n’ai jamais subi une once de misogynie, raconte
Sophie Brochu, avant les mois passés dans l’Ouest
canadien pour le fabuleux dossier d’Énergie Est, je n’avais
jamais vécu ça.»
En 2014, Gaz Métro demande publiquement à
TransCanada de revoir son projet, qui pourrait, en
utilisant les oléoducs existants, réduire la capacité de
transport de gaz naturel. «Il a fallu aller expliquer ça dans
l’Ouest canadien, au gouvernement fédéral. Et quand on a
dû le faire, quand je l’ai fait à la Chambre de commerce [de
Montréal], j’ai reçu des coups de téléphone de l’Ouest me
disant: “Écoute, il semble y avoir quelque chose d’un peu
hystérique là-dedans.” Jamais, on aurait dit ça à un
homme que “ça paraît un peu hystérique”.»
À l’époque, Sophie Brochu tente de régler le litige en
coulisse, mais force est de constater qu’elle n’arrive pas à
atteindre ses objectifs. Sa sortie publique a provoqué un
tollé chez les décideurs politiques et industriels de
l’Alberta. «Ils s’attaquaient au fait qu’on avait pris la
parole devant la Chambre de commerce de Montréal. On
ne l’a pas fait de gaieté de cœur. Il a fallu nous défendre
pendant des mois et des mois avant, je voulais régler ça,
moi, derrière les portes closes! […] Un mois, six mois,
douze mois, quatorze mois, et là, il y a une annonce de
116
projet. Alors, avec les gens en Ontario, qui étaient avec
nous, over our dead body, à un moment donné, on a dit:
“Vous ne croyez pas qu’on va sortir? On va sortir!” Là, on
est sortis et ils ont dit: “Ah, mon Dieu! Ils sont sortis!”»
Sophie Brochu affirme qu’elle a été visée par la contre-
attaque. «Ce ne sont pas les dirigeants de l’Ontario qu’on a
appelés, c’est moi qu’on a appelée, et on m’a dit: “Il
faudrait peut-être que tu modules le propos. Il est étrange
qu’une entreprise attaque une autre entreprise.” J’ai
répondu: “Je n’ai pas attaqué une autre entreprise, j’ai
exprimé une préoccupation parce que personne ne nous
écoute.” Et là, on a vraiment mis une étiquette sur [le
dossier]: “C’est une approche de femmes hors de
contrôle.”»
Un mois plus tard, une entente a été conclue, et Sophie
Brochu affirme qu’on lui a donné raison. Mais «c’est la
première fois, dit-elle, qu’on mettait une couleur de femme
à mon style de gestion. J’ai dit alors: “Si c’est ça, être une
femme, j’aime beaucoup ça!”»
117
responsabilité. «Moi, je vois dans un rôle comme le mien,
avec la carrière que j’ai, la responsabilité d’ouvrir les
portes aux autres femmes, déclare Chantal Glenisson. Il y a
de beaux talents féminins et, parfois, je crois que les
femmes ne se rendent pas compte à quel point elles
pourraient avoir des opportunités. Donc, ouvrir toutes ces
portes-là, leur donner la chance d’évoluer, de se
développer, puis d’atteindre des postes de leadership
intéressants, les dirigeantes le peuvent.»
Non seulement Chantal Glenisson veut aider les femmes
à se tailler une place, mais elle croit aussi à leur apport
bénéfique dans les entreprises. «Je crois beaucoup dans la
diversité de pensée, dit-elle. Quand on a des équipes
équilibrées entre hommes et femmes, on a le meilleur des
deux, et ça veut dire que cette fusion d’idées nous amène à
de meilleures décisions en tant qu’entreprise.»
Comme Diane Giard et Chantal Lévesque, Chantal
Glenisson est d’avis que les femmes ont un devoir de
solidarité. «Les femmes se sont battues longtemps et
continuent de se battre. Ce n’est pas facile partout. Ce n’est
pas particulièrement la faute des hommes, je crois que les
femmes ont aussi à apprendre là-dedans: entre nous, il
faut qu’on se soutienne, qu’on s’aide, qu’on se donne des
moyens.»
118
Amina Gerba partage cette idée de la responsabilité. «Je
pense que je suis en mission, dit-elle, et tant que je n’ai pas
vu les résultats de cette autonomisation des femmes en
Afrique, je pense que je serai toujours en mission. C’est
important. En Afrique, et partout dans le monde d’ailleurs,
il y a 51% de femmes, sinon plus. Ces femmes-là, surtout
en Afrique, ce sont des battantes, elles sont très sérieuses,
très compétentes, dans leur façon de fonctionner, dans
leurs affaires, elles sont très bonnes gestionnaires. Quand
on fait crédit à une femme, on est sûr de se faire
rembourser. Elle va se battre jusqu’au bout pour
rembourser sa dette. Donc, il faut les aider, les encourager,
les accompagner, et c’est ça, ma mission.
«C’est l’engagement d’une femme d’affaires, c’est mon
engagement personnel, mais c’est également un
engagement social. J’aimerais amener d’autres personnes
à se joindre à moi, je le fais déjà, je le fais à travers des
missions que j’organise, à travers des actions sociales que
nous accomplissons dans certaines localités en Afrique.
[…] Ce que je souhaite au fond de moi, c’est qu’on se dise
que, grâce à Amina Gerba, on a aujourd’hui un fonds
d’investissement pour les femmes en Afrique, un fonds qui
permet à ces femmes de se développer, de s’accomplir,
d’avoir de vraies entreprises, qu’on parle de
119
multinationales de femmes en Afrique.»
La gestion au féminin
Lorraine Pintal a introduit la gestion au féminin à la tête
du TNM. «Je remarque, chez mes consœurs, quand on
siège à des conseils d’administration ou qu’on se croise à
des rencontres institutionnelles, qu’il y a beaucoup de
finesse, beaucoup d’écoute, de conciliation. C’est aussi une
question de caractère, c’est une question d’éducation peut-
être, ou d’ADN. C’est l’esprit de conciliation, de
rassemblement, cette espèce de sens de la fête, cette
compassion, cette écoute, cette compréhension, le désir de
ce que j’appelle la gestion participative.»
Par exemple, avoue Lorraine Pintal, «je suis très
orgueilleuse. Mais je trouve qu’il y a plus de femmes que
d’hommes qui reconnaissent facilement leurs erreurs. Et,
dans le rapport au pouvoir, on n’a pas du tout la même
relation, parce qu’on n’a pas été éduquées dans l’idée –
maintenant, ça change, tant mieux – qu’on allait assumer
un pouvoir, sauf, peut-être, un pouvoir familial ou à une
certaine échelle. Mais je considère que j’assume un rôle de
pouvoir, je l’assume pleinement, mais ce n’est jamais dans
l’idée d’abuser de ce pouvoir».
Lorraine Pintal a beaucoup réfléchi au rôle des femmes
120
et à leur style de gestion. «Il faut accepter, dit-elle, qu’il y
ait une gestion au féminin, comme il y a une gestion au
masculin. Mais, par les temps qui courent, avec l’évolution,
avec le féminisme – merci, le féminisme –, on voit que la
gestion au féminin contamine la gestion au masculin. Et
moi, je côtoie des hommes qui sont des leaders, qui ont
une sensibilité extraordinaire tout en étant fermes. On est
fermes, aussi, comme femmes.»
L’effet A
«On s’est réuni, un groupe de femmes, raconte Sophie
Brochu, puis on a dit: “On va faire quelque chose.”
Pour moi, ça a été une découverte de constater
qu’encore aujourd’hui, on doit mentionner qu’il est
nécessaire d’avoir des femmes préparées pour
prendre la relève dans nos organisations. C’est un peu
fou qu’on ne soit pas encore à parité dans les conseils
d’administration. Ça s’explique, par ailleurs, et il faut
s’y attaquer. Que 50% des gens qui sortent de
l’université soient des femmes, qu’elles entrent sur le
marché du travail à 45% ou 50% et qu’au fur et à
mesure, tout ça s’étiole pour avoir 30% ou 20%, ou
même 15% de femmes dans ce qu’on appelle la C-
121
Suite dans l’exécutif, il y a quelque chose là! Ça a été
une découverte pour moi et je me suis demandé:
“Aurais-je pu, moi, changer quelque chose chez Gaz
Métro?” La réponse est oui. J’aurais pu faire
beaucoup mieux, bien davantage. Alors, je m’applique
à le faire maintenant.»
122
Des échecs et des erreurs
123
mauvais. On aime en parler. […] Je pense qu’il y a de la
naïveté quand on commence. Ce sont les meilleurs
moments, quand on est jeune, naïf, et que notre banquier
nous dit que ça n’a pas d’allure. Et on se dit: “Voyons donc,
c’est sûr que je vais réussir, je ne sais pas pourquoi il dit
ça.” Ça, ce sont les meilleurs moments!»
«L’été passé, dit Diane Giard, j’ai participé à mon
premier concours équestre. J’étais avec mon coach, toute
fière, c’était la première fois que je sautais, c’est quelque
chose que je voulais faire, j’ai une grande passion pour ça.
Au premier parcours, mon cheval ne va pas assez vite, il
arrive devant un saut, il arrête, je tombe par-dessus. Je me
relève tout de suite, je regarde mon coach, qui est à l’autre
bout, et je lui lance: “La prochaine, je la gagne.” C’est
exactement ce que j’ai fait. Et tout le monde est parti à
rire!»
Déconstruire
L’éclatement de la bulle technologique au tournant des
années 2000 a plongé Charles Sirois dans un grand silence
public, médiatique. Il a frôlé la faillite, il a vécu un échec
réel, ce fut une période de grande introspection pour
l’entrepreneur tonitruant qu’il est, qui a le verbe haut,
triomphant.
124
On peut dire qu’on l’a perdu de vue pendant plusieurs
années. «Pour toutes sortes de raisons, dit-il. Moi, je suis
un bâtisseur d’entreprise. Il n’y a rien que j’aime mieux
que d’offrir un emploi à quelqu’un, que de construire avec
les gens. Une étape comme ça, on ne construit plus, on
déconstruit. Et ça, c’est contre ma nature. Mais je n’avais
pas le choix de déconstruire, de laisser aller des gens qui
m’avaient été loyaux. Tu n’as pas le choix, il faut que tu les
laisses aller. Ça, c’était quelque chose de difficile pour moi,
très difficile, et, honnêtement, toute cette restructuration,
ça a été fait de façon à ce que tout le monde s’en sorte
bien.»
La couverture médiatique a été injuste, à certains
moments, selon lui. «Les gens ont porté des jugements
très sévères à mon endroit à cette époque-là, pour toutes
sortes de raisons. C’est ce qui m’a mené à me retirer et à
m’arrêter de parler, parce que les gens énonçaient des
affirmations qui étaient totalement hors contexte. Je me
souviendrai toujours, on avait une participation de 10%
dans une société californienne qui a fait faillite et le
journal a titré: “Une autre compagnie de Charles Sirois fait
faillite”. J’avais 10%!»
Il a donc pris du recul et cessé d’accorder des entrevues.
«Je me suis quand même retrouvé président du conseil
125
d’une banque canadienne [la CIBC]. Ça n’a pas dû être si
pire que ça!»
126
évidemment, on a restructuré le fonds de pension des
années plus tard.»
127
Bombardier quand il a inventé son Ski-Doo pour que sa
femme puisse aller accoucher?” Dans le fond, je me sens
un peu comme ça. J’ai un bébé à mettre au monde, il faut
avoir les bons outils pour y arriver et éviter que le bébé ne
meure! Je ne connais pas toute l’histoire, mais je me
sentais un peu comme ça.»
Amina Gerba admet avoir «connu beaucoup, beaucoup,
beaucoup d’échecs. Beaucoup, répète-t-elle, mais je pense
que c’est dans les échecs qu’on apprend, parce que je suis
toujours en train d’essayer de nouvelles choses, je suis
toujours en train de créer, de vouloir innover, de vouloir
faire des choses en primeur. Ça ne marche pas toujours,
mais ça me permet de m’améliorer, de voir les choses
autrement et de me dire que la prochaine fois, on ne fait
plus ça comme ça. J’essaie d’écouter beaucoup, parce que,
quand on est entrepreneure, ça se passe dans notre tête et
on a l’impression qu’on peut tout faire tout seul. J’essaie
de m’entourer des gens qui sont capables de m’amener
plus haut».
128
«C’était mon rêve d’avoir mon entreprise, raconte-t-il.
J’avais échoué une première fois, mais [je savais qu’on]
pouvait réussir une deuxième fois. On est partis beaucoup
plus modestement, il fallait repartir presque à zéro. On a
acheté une première bâtisse, puis une deuxième. Et elles
ont brûlé.»
Des moments difficiles pour l’entrepreneur, au bord du
découragement. «M’en revenir chez moi en pleurant et me
dire: “Regarde, c’est fini, là.” Tu sais, des fois, tu as un rêve
et tu veux le réaliser, mais il y a toujours un obstacle, c’est
comme dire que tu fesses un mur.» Placide Poulin remet
alors tout en question. Il s’interroge: «C’est-tu ça, ton rêve,
Placide? Ton rêve que tu veux réaliser, le faire de cette
façon-là qui est si difficile? Peut-être que tu n’es pas sur la
bonne voie!»
Il persiste néanmoins, malgré un ralentissement
important dans le secteur de la motoneige, il rencontre de
nouveaux investisseurs et commence à rembourser sa
dette. «Je suis un gars qui se bat, je joue pour gagner.
Alors, je vais mettre 110% d’énergie, je vais tout mettre.
Alors je me dis: «On ne se laissera pas abattre encore, on
va aller voir s’il y a des opportunités de marché. Et c’est là
qu’on a découvert le bain et la douche, qui commençaient
en Californie. On a rapporté la fabrication au Canada, au
129
Québec.» Et c’est ainsi que Maax est né.
C’est à l’instinct que Placide Poulin a développé une
bonne partie de ses affaires. «Un entrepreneur, c’est un
visionnaire. Des fois, j’aurais pu prendre des décisions plus
lentes, plus réfléchies, mais je suis un type à qui on pose
une question et qui répond! Peut-être que je devrais
réfléchir davantage. C’était comme en politique, je disais
tout haut ce que je pensais, peut-être que c’était bon, ou
pas bon, mais je le disais! C’est ça, mon tempérament!» On
en parle d’ailleurs au chapitre qui porte sur l’engagement.
130
demain, précise Sophie Brochu. Alors, si on tient quelque
chose pour acquis parce qu’on l’a réussi l’année dernière,
on va se planter solide!»
Se planter solide! Mais «il ne faut pas avoir peur de
l’échec, ajoute-t-elle. C’est un autre truc, ça: les gens disent
que les hommes ne parlent pas de leurs échecs, que les
femmes en parlent. Je ne le sais pas! On a tous de petits ou
grands échecs, j’en ai eu quelques-uns qui m’ont formée,
qui ont changé ma façon de voir le monde, de me voir».
Finalement, je ne sais pas si je vais tenter de nouveau un
jour de cultiver des cerises de terre et de les récolter avant
les écureuils et les petits lapins, mais, selon Sophie
Brochu, «il ne faut pas s’empêcher de prendre des risques
parce qu’on ne veut pas subir d’échec. C’est correct, un
échec. Il faut donner le temps à ce deuil-là de faire son
œuvre. Faut pas essayer de racheter son échec demain
matin, il faut le laisser nous influencer, orienter ce qu’on
va devenir de fil en aiguille».
131
erreurs. Moi, c’est quelque chose qui m’irrite.»
Lorraine Pintal reconnaît avoir fait des erreurs en 2011,
mesurant mal les réactions qu’allait provoquer une
invitation du metteur en scène Wajdi Mouawad, pour un
rôle dans une pièce présentée au TNM faite au chanteur
Bertrand Cantat, reconnu coupable d’homicide
involontaire sur la personne de sa conjointe, Marie
Trintignant, en 2003. Il a été condamné à huit années
d’emprisonnement et a obtenu une libération
conditionnelle en 2007.
«Je suis quelqu’un qui s’emballe facilement, dit Lorraine
Pintal. Tout projet artistique que ce soit, le moindrement
audacieux ou innovant, m’interpelle. Je suis vraiment
enthousiaste à l’idée de porter des choses inédites sur
scène. Et je trouvais qu’on avait un projet extraordinaire
entre les mains. Ce que j’ai appris, c’est de ne pas gérer la
situation seule, de me taire lorsqu’il faut se taire, de
prendre le temps de réfléchir, d’arriver avec une position
qui tient compte des contrastes. Je peux parfois ne pas être
très nuancée, y aller assez catégoriquement, radicalement,
alors que là, cette situation m’a obligée à apporter des
nuances et à les exprimer publiquement, ce qui n’est pas
toujours facile non plus.»
Lorraine Pintal a finalement annulé l’invitation faite à
132
Bertrand Cantat. «Je crois que, rendus à ce point-là, on a
bien géré la crise. Si une crise pareille survenait
aujourd’hui, j’agirais de la même manière, c’est-à-dire en
me faisant aider par des personnes compétentes, en
soignant le message, en étant à l’écoute de ceux qui sont
vraiment en contradiction avec ma propre position. Je
crois qu’envoyer promener les gens parce que je pense
qu’ils ont tort, ce n’est pas une manière d’ouvrir le
dialogue.»
L’affaire Cantat a fait mal au TNM et plusieurs membres
ont mis fin à leur abonnement. «Ça a pris deux bonnes
années avec certains abonnés, reconnaît Lorraine Pintal.
On a quand même connu une situation étrange, alors que
beaucoup de gens nous écrivaient en nous disant: “Je ne
remettrai jamais plus les pieds dans votre théâtre.” On
comprenait par la suite qu’ils n’avaient jamais mis les
pieds, de toute façon, dans un théâtre! Ce fut un ouragan,
un ouragan médiatique incontrôlable, où le pire côtoyait le
meilleur, où le vrai côtoyait le faux. C’était à moi de
m’élever au-dessus de cette tempête pour garder l’esprit
clair, lucide, et lancer un message qui positionnait le TNM
en exprimant de la compassion pour toutes les personnes
qui se disaient victimes des hommes violents et, en même
temps, en demandant à ce que l’art soit aussi libre. Je ne
133
peux pas accepter la censure dans l’art.»
Avis d’experte
On voit, dans les entrevues, que plusieurs
entrepreneurs, plusieurs leaders ont eu des parents
qui étaient eux-mêmes entrepreneurs. C’est un
élément qui est important. Mais ce qui fait qu’on
devient entrepreneur ou leader, ce n’est pas tant le
statut de ces parents que leurs discours, selon
lesquels tout est possible. Donc, ce sont des jeunes
qui ont grandi dans cet esprit-là et avec le droit à
l’erreur, en percevant l’erreur comme un défi
supplémentaire plutôt qu’un échec dont on ne se
relève pas. C’est cette mentalité, avec un entourage
qui nous pousse vers ça, qui fait en sorte qu’on
puisse se développer comme leader.
— Cynthia Mathieu
134
Le pouvoir et l’argent
135
des autres. Alors l’objectif, c’est d’écouter ce que les gens
ont à dire, d’établir là où on va, de s’écarter et de les laisser
travailler. Ceux qui ont du pouvoir, c’est l’homme ou la
femme cols bleus qui sont dans leur camion aujourd’hui,
qui devront intervenir dans une rue. C’est le représentant
qui signe le contrat avec un client. C’est la dame ou le
monsieur au service à la clientèle qui va répondre à la
plainte, à la question d’un client. Eux, ils ont du pouvoir,
ils peuvent changer quelque chose demain matin.»
Diane Giard abonde dans le même sens, affirmant que le
pouvoir, ce n’est pas elle seule qui en est investie. «J’en ai
énormément de pouvoir à la banque avec mon équipe. Je
n’ai pas de pouvoir individuel. J’ai un devoir d’influence
pour m’assurer que la stratégie qu’on a mise en avant avec
le bureau de la présidence sera déployée. […] J’ai un
certain pouvoir avec mes 8000 employés de changer les
choses.»
Pouvoir médiatique?
Le pouvoir peut aussi s’exercer dans les médias, en
influençant l’opinion publique, en captant l’attention des
gens. Louis Morissette est un cas intéressant: il est
humoriste, comédien, producteur, conjoint de Véronique
Cloutier. Il me semble que ça cadre avec une certaine idée
136
du pouvoir, non?
«Est-ce que j’ai un pouvoir d’influence en général? Je ne
le pense pas, dit Louis Morissette. Je ne pense pas que le
téléspectateur se forge une opinion à partir de ce qu’un
artiste pense.» Vraiment? Et les épisodes du Bye Bye?
«Oui, mais ça ne sert absolument à rien, répond-il.
Stephen Harper n’aurait pas été premier ministre pendant
10 ans si on avait eu vraiment du pouvoir! Il y a des années
où on s’est dit: “Hey, là, on lui a donné une go”, puis il
revenait au pouvoir l’année d’après. Alors, non, je ne pense
pas avoir du pouvoir du tout, du tout, du tout.»
KOTV a été fondée en 2011. C’est la maison de
production de Louis Morissette. «Le mini-pouvoir que je
peux avoir, il est à l’interne, ici, et c’est peut-être une
certaine influence pour pousser les créateurs à aller plus
loin et les challenger. C’est tout mince, mais c’est peut-être
juste ça. […] Ce que je veux, c’est accomplir des choses et, à
la toute fin, quand ce sera terminé, regarder dans le
rétroviseur et dire: “J’ai fait telle affaire, j’ai fait des films,
j’ai fait des spectacles, j’ai fait de la télévision, j’étais
capable d’en produire, d’en faire ailleurs dans le monde.”»
Son objectif, dit-il, c’est de créer et de se réaliser, et non de
devenir riche. «Je trouve ça vide.»
«Il faut garder les pieds sur terre, répond Yoshua Bengio.
137
D’ailleurs, je trouve qu’avec tout ce qui se passe du côté
médiatique dans les dernières années il faut que je fasse
attention parce que ça peut me tourner la tête! Je sais très
bien que je suis la même personne que j’étais avant que les
médias ne s’emparent de moi. Je sais aussi que j’étais un
prof parmi d’autres et que j’ai été chanceux d’une certaine
manière. J’ai fait de bons choix. Les choses qu’on a
réalisées ont fonctionné dans l’industrie, ça aurait pu
arriver à quelqu’un d’autre!»
138
d’affaires, riche et puissant. Saidye Bronfman a été très
active dans la communauté juive, très engagée dans
plusieurs organisations et dans les arts. Ils ont eu quatre
enfants: Edgar, Charles, Minda et Phyllis.
«Je n’ai jamais considéré que j’avais du pouvoir ni de la
richesse, affirme Phyllis Lambert. […] Oui, je savais qu’on
était un peu riches, mais, à cette époque, c’est uniquement
quand je suis revenue à Montréal et que je me battais pour
la protection contre la démolition, pour la mise en valeur
de la ville […] que j’ai réalisé que j’avais une certaine
influence à cause de ma famille.»
Phyllis Lambert se sert de cette influence pour
construire, protéger, éveiller les consciences sur
l’importance de maintenir le patrimoine, mais surtout
conserver des milieux de vie habités et dynamiques. C’est
ce qu’elle a fait en empêchant la démolition du quartier
Milton Park, à Montréal.
«Le Milton Park, raconte Phyllis Lambert, est un endroit
où il y avait des entrepreneurs qui voulaient démolir tout
le quartier qui s’était développé devant l’Hôtel-Dieu.
C’étaient des gens de moyens métiers, peut-être des petits
bourgeois, qui arrivaient là par tramway, probablement
tiré par des chevaux à cette époque-là.»
Phyllis Lambert se souvient de «quelques maisons
139
formidables», elle se rappelle qu’on a finalement «démoli
la moitié du quartier», que des gens ont manifesté pour
maintenir en vie ce quartier et pouvoir élever dignement
leurs enfants.
Cet engagement n’est pas un don philanthropique,
précise- t-elle. «Je ne suis pas mécène. Un mécène, c’est
quelqu’un qui donne de l’argent à droite et à gauche. Je ne
sais pas ce qu’il cherche, le mécène. Le contrôle, je
suppose?» Elle ajoute: «Le Centre Canadien d’Architecture
(CCA) s’est fait avec beaucoup de biens que j’avais hérités,
mais que j’aie construit le CCA ne fait pas de moi une
mécène.»
La déconfiture de Microcell
«Je vais vous dire honnêtement, déclare Charles
Sirois: l’argent n’a jamais été ma préoccupation. Moi,
ce qui me [préoccupait], c’était que mes entreprises se
perdent. Lorsque j’ai décidé de restructurer Microcell,
l’entreprise n’était en défaut sur aucun de ses prêts.
La chose que je voyais, c’est que Microcell allait faire
face à un refinancement au cours des 24 prochains
mois, une nécessité, pour cette entreprise, d’aller
chercher presque deux milliards et demi de dollars de
140
capital. Et je me disais qu’on ne serait pas capables de
le faire. Est-ce que je vais attendre de frapper le mur
ou, immédiatement avant, pour être certain que
l’entreprise va passer au travers, est-ce que je suis
prêt, moi, comme actionnaire, à mettre mon argent en
jeu et à sauver l’entreprise avant même qu’elle soit en
péril? La réponse est oui, j’ai accepté de le faire.
D’ailleurs, plusieurs banquiers m’ont demandé: “Mais
pourquoi tu vas faire ça, on n’était en défaut sur
aucun prêt bancaire?” Parce que je sais que, dans
deux ans, l’entreprise va être en péril et je ne le veux
pas. Fido, on l’a créé, on l’a mis en place, il va vivre, il
va continuer à vivre. Alors, ma grande préoccupation
de 2000, c’était la survie des entreprises, ce n’était
pas la protection de mon capital. Oui, au bout du
compte, l’argent n’est pas en péril, il fallait
rembourser mon prêt, il fallait nous assurer que ceux
qui nous ont fait confiance, qui nous avaient fourni le
capital, dans les circonstances, retrouvent leur mise
de fonds. Mais l’enjeu fondamental était d’assurer que
l’entreprise allait survivre à cette crise-là. La crise de
2000 a été pénible. Même France Télécom n’avait pas
pu lever de capitaux et c’est le gouvernement français
qui a dû assurer sa garantie. Alors, c’était le contexte
141
de 2000, c’était très difficile.»
142
revenus. Par la suite, je suis rentré en affaires. Alors,
l’argent, pour moi, n’a jamais été une préoccupation. Ce
que je voulais, c’était construire une grande entreprise.
J’aime construire les choses qui ont des retombées. […]
L’argent, c’est pour construire!»
143
un premier succès avec sa première entreprise, qui peut se
permettre de prendre un grand risque, comme coloniser
Mars! C’est l’argent qui peut permettre ça.
«Ou si on regarde, par exemple, Bill Gates, avec le grand
succès de Microsoft, qui peut avoir une certaine liberté
créative pour aller vraiment s’attaquer à un nouveau
problème, comme éradiquer la polio, puis, vraiment, se
livrer à la philanthropie de haut niveau. C’est vraiment
l’argent qui permet de faire ça. L’argent, dans un contexte
de création, je trouve ça très intéressant.»
Il faut dire qu’au Québec, depuis longtemps, déclarer
qu’on est riche, c’est s’exposer à un certain nombre de
critiques. Il est clair qu’en ces temps de grandes inégalités
dans le monde, favoriser l’enrichissement de quelques-uns
et accroître les écarts de richesse sont des voies qui sont
totalement contre-productives. Les inégalités représentent
d’ailleurs de réelles menaces pour l’ordre social et pour la
démocratie, ce que les grandes organisations comme le
Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE)
reconnaissent.
Cela dit, certains leaders sont d’avis que le Québec, qui
est la société la moins inégalitaire d’Amérique du Nord, a
besoin de créer plus de richesse et que ses citoyens doivent
144
faire la paix avec l’argent et valoriser le succès financier de
certains entrepreneurs. Ils n’hésitent pas à lier leur
richesse personnelle à l’essor social, économique et
culturel du Québec.
«J’aime avoir de l’argent, dit sans détour Diane Giard,
parce que ça apporte évidemment un plus grand pouvoir
d’achat. C’est la première chose qu’on voit: un pouvoir
économique, un pouvoir philanthropique, un pouvoir
d’influencer les choses. Je pense qu’une économie qui est
prospère, c’est une économie qui est capable d’avoir plus
de culture, de redonner davantage, pour toute la
communauté. […] Moi, l’argent pour accumuler de
l’argent, je ne suis pas comme ça.»
François-Xavier Souvay croit, pour sa part, que «la
richesse, c’est une conséquence de la bonne réussite d’un
projet, ce n’est pas un but. Ce que tu veux, c’est bâtir une
marque forte, voir tes employés progresser au sein de
l’entreprise. Pour moi, une des plus grandes fiertés, c’est
de voir que les gens ont des promotions et font grandir
l’entreprise avec des idées innovatrices. Et quand on fait
bien les choses, évidemment, il y a une récompense. Et
puis, en affaires, la récompense, elle est également
financière. […] Ce n’est pas la seule mesure, mais c’est une
mesure de succès qu’on doit apprivoiser peut-être un peu
145
plus au Québec».
146
dans un système, une société qui a des règles et des lois
politiques et économiques qui nous encouragent à bâtir
des compagnies comme Apple, Microsoft, Couche-Tard ou
Saputo. Mais, en même temps, on doit aider ceux qui ont
moins de chance et moins d’outils».
Comme plusieurs autres entrepreneurs, Mitch Garber
associe le travail à l’argent, évoque l’importance de
redonner de cet argent aux plus déshérités et assume
pleinement son parcours.
«J’ai acheté ma première voiture avec l’argent que j’ai
gagné au casse-croûte, dit-il. J’ai voyagé en Europe à
20 ans avec l’argent que j’ai gagné au casse-croûte. Je
connaissais donc la valeur de l’argent et j’ai voulu en faire
pour me payer ces expériences-là.»
Le succès d’une entreprise, affirme Mitch Garber, se
calcule en chiffres. «Le BAIIA [bénéfice avant intérêts,
impôts, amortissements], ça se calcule en chiffres. Je fais
de l’argent si la compagnie fait de l’argent. Je ne me lève
pas le matin en me demandant: “Combien d’argent Mitch
va faire, combien, moi, je vais faire?” Je me lève le matin
en me demandant: “Qu’est-ce qu’on doit faire dans la
compagnie pour qu’elle continue sa croissance, pour
qu’elle devienne plus attirante pour un futur acheteur?” Je
pense comme ça.»
147
Il est où, le bonheur, il est où?
148
Lassonde, c’est l’or! Mais disons que le personnage fictif et
le mécène du Musée national des beaux-arts du Québec
n’ont pas les mêmes valeurs. Quand même, Pierre
Lassonde ose dire que «la chose la plus difficile pour bien
des entrepreneurs, c’est de donner leur argent,
simplement parce qu’ils ont travaillé très fort pour le
gagner.
«Et ils connaissent la valeur de cet argent-là, poursuit-il.
Le donner et avoir le même rendement deviennent très,
très difficiles. Ils ne veulent pas simplement signer un
chèque à l’intention, par exemple, de la Croix-Rouge et
dire: “Allez faire ce que vous voulez!” Pour moi, lorsque
ma fondation s’implique dans quelque chose, il faut que ce
soit un projet qui est déterminant, qui va changer le cours
de la vie d’une organisation, d’une université, qui va créer
quelque chose qui n’existait pas, mais qui va être
soutenable dans le futur.»
Pierre Lassonde est un collectionneur, un grand
collectionneur d’œuvres d’artistes québécois. Ces œuvres
n’ont pas de prix et ne sont pas à vendre. Avec un sourire,
je pourrais dire qu’il se rapproche davantage ici de
Séraphin, qui refusait de se séparer de son or et de son
argent.
«En fait, c’est curieux, dit Pierre Lassonde, j’ai vendu
149
seulement une œuvre dans toute ma vie. Croyez-le ou pas,
c’est un Riopelle! Et c’est une œuvre que j’avais mise sur le
mur. Pendant six mois, elle m’a agressé tous les matins. Je
la regardais, puis elle me faisait tchitt, tchitt! Après six
mois, je n’en pouvais plus, il fallait qu’elle parte!»
Quelle œuvre? «Le chemin des roses, je n’étais pas
capable. J’avais l’impression qu’elle avait des épines.
Pourtant, mes tableaux de Riopelle, je les adore tous. Mais
celui-là, non! Et c’est très personnel, les œuvres, pour moi,
je les accroche au mur et il faut que je sois en amour avec.
Si je ne suis pas en amour, je ne les achète pas. Ce n’est pas
une question de valeur. Il faut être en amour avec!»
Pierre Lassonde parle des œuvres qu’il possède avec
passion. «Lorsque je me lève le matin, j’ai un grand Helen
McNicoll devant moi. Je me retourne, j’ai un grand Marc-
Aurèle Fortin, des grands arbres de Sainte-Thérèse, c’est
tellement beau, c’est inouï, ça fait pleurer pratiquement. Et
ensuite, de l’autre côté, j’ai un grand Riopelle, Les quinze
chevaux, c’est à tomber par terre, vous savez. Alors il faut
que ça m’interpelle, sinon je passe.»
150
quantité d’argent, ça n’a plus tellement de sens d’être si
vorace. Je regarde ça avec un peu de tristesse aujourd’hui.
Il y a tellement d’argent dans mon domaine que les jeunes
deviennent un petit peu obnubilés par cette idée qu’il faut
faire des salaires. Quand il n’y avait pas tout cet argent, les
étudiants ne pensaient pas à ça. Ils pensaient seulement à
la science et à découvrir. L’argent a une espèce de pouvoir
de corruption et on doit faire attention à ça.»
En même temps, comme dans bien des secteurs, l’argent
est le nerf de la guerre et est nécessaire pour effectuer des
travaux plus poussés. «J’ai besoin d’argent pour mener
mes recherches, reconnaît Yoshua Bengio. On a besoin
d’argent pour faire avancer la science, pour recruter les
meilleurs chercheurs du monde, ici, pour démarrer des
entreprises de calibre mondial. Donc, l’argent est le nerf de
la guerre, oui, mais il y a un côté psychologique qui est
associé à l’argent qui peut nous égarer, je pense.»
Peut-être que le scientifique se met à rêver quand il
évoque cette idée: «Moi, j’aimerais que la philosophie soit
enseignée au primaire, au secondaire, pour que, à l’âge où
les jeunes se posent des questions sur l’humain, même si
c’est peut-être au départ naïf, ils soient orientés vers une
capacité de recul, de réflexion, de compréhension des
choses qui sont intuitives chez l’humain dès la naissance,
151
en lien avec la moralité, avec le groupe, l’individu. Ce sont
des choses pas si compliquées que ça, mais on devrait
mieux préparer nos enfants, pour qu’ils ne se laissent pas
attraper par diverses tentations, que ce soit de l’argent ou
d’autres choses, qui peuvent nous éloigner de notre
bonheur personnel et collectif.»
Tout un programme!
Avis d’experte
Le followership, c’est le pouvoir des membres de
l’équipe du leader. On étudie de plus en plus le
pouvoir de ces gens-là, leurs caractéristiques, parce
que ça a une incidence sur le leader. C’est très
difficile de se proclamer leader si on est seul sur une
île déserte. Ça prend des gens à leader, ça prend des
followers, ça prend des employés, des gens autour si
on veut être un leader. Et donc, ils ont un très grand
pouvoir parce que leadership n’égale pas
nécessairement promotion. Ce n’est pas un titre qui
nous donne les caractéristiques d’un leader. On a des
gestionnaires qui ont un très mauvais leadership alors
qu’il y a des gens qui n’ont pas de poste de gestion et
qui ont beaucoup de leadership. Les employés ont ce
152
pouvoir-là, les followers ont ce pouvoir de faire
changer le style de leadership de leur gestionnaire
parce que si l’équipe ne suit pas, le gestionnaire va
devoir se questionner ou partir.
— Cynthia Mathieu
Avis d’expert
153
Le doute
154
«Pour être un bon chercheur, dit Yoshua Bengio, il faut
aussi qu’on écoute nos doutes et qu’on écoute les doutes
que les autres émettent lorsqu’on fait des erreurs.»
Le grand spécialiste de l’intelligence artificielle est un
homme modeste. «À un moment donné, ajoute-t-il, on
réalise bien que toutes les idées qui nous viennent ne sont
pas nécessairement bonnes. Il faut prendre du recul, il faut
douter, mais ça, c’est un équilibre entre le doute et une
espèce d’enthousiasme qui fait qu’on est prêt à prendre des
risques pour aller de l’avant. Il faut essayer des choses.
Moi, je suis capable de prendre des risques, d’aller essayer
des trucs sans être sûr que ça fonctionne, en étant
simplement porté par la vision.»
Cela dit, Yoshua Bengio affiche une confiance sereine,
qui lui vient de ses parents. «Ils m’ont suffisamment
renforcé positivement, dit-il, dans les années cruciales où
on a besoin de ça pour ne pas se laisser envahir par les
croyances et les paroles des autres. Je les écoute, mais
j’écoute ma voix intérieure.»
Bref, oui, le doute est essentiel, mais il ne doit pas altérer
la confiance en soi, la capacité à tenter certaines choses.
«Il faut absolument se garder une place pour les erreurs,
dit Yoshua Bengio, se laisser la place pour essayer, pour
écouter nos idées, même si ça ne marche pas du premier
155
coup.»
Il compare le chercheur au boxeur. Il reçoit des coups,
mais il doit persévérer et résister, ne pas se laisser démolir
par son adversaire ou, dans ce cas-ci, par d’autres
chercheurs, qui critiquent un article scientifique, par
exemple. «J’ai l’impression d’être, parfois, un visionnaire,
dit Yoshua Bengio. Je me dis: “Ah, c’est par là qu’il faut
aller”, c’est très intuitif. Même si ce que je fais, ce sont des
mathématiques, de l’informatique – ça a l’air aride, formel
–, en réalité, je suis un visuel. Beaucoup passe par une
espèce d’imagination visuelle et des intuitions qu’on ne
peut pas toujours clarifier au moment où ça arrive.»
Avec confiance, «j’écoute ma voix, tout simplement, dit
Yoshua Bengio, et je crois qu’on devrait encourager ça plus
largement».
Le doute cartésien
Yvon Charest se déclare habité par le «doute cartésien».
Cet homme d’assurance, qui se dit franchement
conservateur dans la vie, très prudent et analytique,
cherche toujours à comprendre, à vérifier s’il est en train
de prendre la bonne décision. «Il faut la mûrir, dit-il, il
faut que j’y repense. Moi, ma religion pour rester en forme,
c’est d’aller faire mon ski de fond seul, le samedi matin et
156
le dimanche matin. C’est là que les décisions me
reviennent, que les enjeux me reviennent. […] C’est ça que
j’appelle “mûrir une décision”.»
Il va jusqu’à expliquer ses décisions à des gens qui ne
sont pas d’accord avec lui ou qui sont sceptiques. Ensuite,
il écoute leurs «bons arguments» et arrive à une décision
finale. Ça peut demander un certain temps.
D’ailleurs, dans un entretien au magazine L’actualité, en
2015, Yvon Charest disait que sa zone d’ombre, c’était ce
laps de temps dont il a besoin pour arriver à une décision.
«Il y a un test qu’on fait, qui consiste à reconnaître ses 5
plus grandes compétences sur un total de 35, raconte Yvon
Charest. Dans les cinq compétences qui sont sorties, la
première, c’est une évidence, on n’a besoin d’aucun test
pour ça, c’est que je suis une personne très analytique.
Excessivement analytique. Et la deuxième, c’est que j’aime
que l’équipe soit en harmonie. Alors, quand on met
ensemble ces deux compétences, un analytique qui aime
que son groupe soit en harmonie, le résultat est le risque
que la prise de décision exige beaucoup trop de temps.
C’est ça, ma zone d’ombre!»
Pour la combattre, il réclame une date limite. «Il n’y a
rien de mieux que d’avoir une date limite pour te forcer à
prendre une décision!»
157
«To catch the nearest way.»
Phyllis Lambert est reconnue pour avoir une vision très
claire de ses engagements et de ses projets. Avec beaucoup
de conviction, elle a gagné son indépendance et sa liberté
par rapport à sa riche et célèbre famille. Elle n’a jamais
douté, dit-elle, de sa capacité à y arriver. «Jamais.»
«Jamais, répète Phyllis Lambert, parce que je n’allais pas
quelque part, je n’allais pas monter une affaire, je vivais
dans les idées et l’art. La seule chose qui m’a beaucoup
gênée, jusqu’à ce que je commence à travailler sur le
bâtiment Seagram – je faisais de la sculpture et de la
peinture –, je ne voyais pas l’idée de faire ça
commercialement.»
C’est avec la réalisation de l’immeuble Seagram, sur Park
Avenue, à New York, que Phyllis Lambert a trouvé sa voie,
peu importe ce qu’en pensait son père, Samuel Bronfman.
Elle n’a jamais douté de sa vision et de la place qu’elle
pouvait prendre.
Néanmoins, j’ai demandé à Phyllis Lambert si elle
doutait parfois et si, au fil de sa vie, elle s’était dit, à
l’occasion, qu’elle n’avait peut-être pas raison. J’ai
volontairement posé une question un peu provocante,
sachant très bien que Phyllis Lambert allait assumer
totalement sa réponse.
158
«Non, non! Il y a eu des moments dans ma vie où je ne
savais pas où j’allais et c’était très difficile. Quand j’ai
quitté l’école d’architecture, je ne savais pas exactement ce
que j’allais faire. Et quand j’ai fini le bâtiment Seagram, je
suis allée à l’université pour apprendre l’architecture. Il y a
eu des moments comme ça où je ne savais pas où j’allais.
Mais des moments comme ça, c’est très bien, parce que ça
vous force à trouver, n’est-ce pas? To catch the nearest
way.»
Ces derniers mots anglais, choisis par Phyllis Lambert,
sont ceux de Lady Macbeth dans la tragédie Macbeth, de
Shakespeare. Lady Macbeth avait l’ambition indestructible
de voir son époux devenir roi, mais elle doutait de la
capacité de ce dernier à prendre tous les moyens et le
chemin le plus court (the nearest way) pour y arriver.
159
Les sacrifices
160
des amis, je ne sais pas quand ça va finir!” Ça n’existe
pas.»
Les journées ont 24 heures et il n’y a pas de temps mort!
«Avec les enfants, c’est très précis, dit-il. J’essaie de me
réserver du temps le matin pour être avec eux et pour aller
m’entraîner, puis c’est aller travailler, revenir à la maison à
l’heure du souper, aider à faire les devoirs, faire un shift de
soir, de 8 heures à 11 heures, minuit, quand le monde va se
coucher.»
Ouf.
161
suis contente!»
Charles Sirois voit les choses un peu de la même façon,
lui qui a bâti une société que dirige aujourd’hui son fils et
dont la direction accueille plusieurs membres de la famille.
«C’est évident, dit-il, pour conjuguer travail et famille en
entrepreneuriat, ça nécessite des sacrifices importants.
Une entreprise, c’est très demandant et c’est entier. Il est
évident qu’il y a des concessions familiales qu’il faut faire.»
En fait, le travail et la vie personnelle ne deviennent
qu’un à un certain moment. «Il faut accepter, dit Charles
Sirois, le fait que l’entreprise va nous accaparer 24 heures
sur 24. Ce n’est pas un travail où on quitte le bureau et
c’est réglé. Ça continue tout le temps, 7 jours sur 7,
24 heures sur 24. C’est pour ça qu’il faut être fait pour ce
métier-là.»
Mais il y a un cadeau dans tout ça, dit Charles Sirois.
Partir d’une feuille de papier et arriver à créer des emplois
avec une entreprise réelle, «il n’y a pas plus grande
récompense, c’est très gratifiant», conclut-il.
«La façon de réussir cette vie-là, estime Calin Rovinescu,
c’est de mélanger la vie personnelle avec la vie d’affaires.
C’est ce que je faisais avant même les années d’Air Canada.
Toute ma vie a toujours été comme ça, les week-ends, les
soirs, tout était toujours un mélange de business dans ma
162
vie personnelle, et j’adore ça.»
163
aujourd’hui, à de grandes carrières professionnelles. Elle
dit aux jeunes femmes: «Faites ce que vous avez à faire sur
le plan personnel parce qu’après, si vous avez le goût de
vous engager encore plus sur le plan du travail, il y aura
toujours des occasions qui se présenteront.»
Louise Roy est d’avis que les femmes n’ont plus à faire ce
sacrifice qu’elle n’aurait jamais dû accepter, par ailleurs.
«Ce n’est pas linéaire, des carrières, dit-elle, ça peut
s’arrêter, ça peut recommencer. Et je pense
qu’aujourd’hui, ce qu’on voit dans les organisations, c’est
que toute cette jeunesse de 25, 30, 35 ans, ces jeunes ont le
souci d’avoir une vie beaucoup plus équilibrée, garçons
comme filles d’ailleurs, et de ne pas tout consacrer au
travail.»
Les valeurs sont importantes dans les choix
professionnels des plus jeunes, affirme Louise Roy. «Ils
posent des exigences aux organisations, qui doivent
s’adapter à cette nouvelle réalité, et je pense que c’est très
bien. Je pense que ça, c’est positif.»
Elle n’hésite pas à dire qu’elle aurait aimé que quelqu’un
lui tienne ce discours à son époque. «Une relation de
mentor, par exemple, je n’ai pas eu ça, vraiment, de façon
systématique. Ça m’aurait beaucoup aidée.»
164
Le secret des rituels familiaux
Yvon Charest a pu compter sur sa femme pour mener à
bien sa carrière professionnelle tout en ayant une famille.
«Nous avons eu trois enfants, et c’est parce que ma femme
a décidé de prendre sa retraite très, très jeune, à 40 ans,
qu’on a réussi à faire l’équilibre travail-famille ensemble»,
dit-il.
Mais, il est indéniable qu’il y a eu des sacrifices. «C’est
évident. C’est un gros investissement de temps. Dans le
fond, si quelqu’un veut progresser, la première chose dont
il a besoin, c’est de l’ambition. Il faut que tu sois prêt à
mettre des heures. Il faut que tu sois prêt à faire des
sacrifices. Moi, quand j’avais de jeunes enfants, bien avant
que tout le monde se lève ou une fois que tout le monde
était couché, ou le dimanche soir, [je préparais] ma
semaine. Ça faisait partie de ma façon de travailler.»
Yvon Charest a donc instauré des rituels familiaux pour
atténuer tous les sacrifices. «Quand mes enfants étaient
plus jeunes, le samedi matin, on dressait une liste de ce
qu’ils voulaient faire. Moi, j’étais d’une flexibilité totale. Je
disais: “On va commencer en haut de la feuille. Pensez
comme il faut à l’endroit où vous inscrivez votre activité.
Ne venez pas me dire, le dimanche soir: ‘Ah, c’est de
165
valeur, on n’a pas fait ça! – Mais non, tu l’avais mis au bas
de la liste! ’”» Yvon Charest poursuit: «… d’après moi, rien
n’est plus important que de rendre tes enfants autonomes.
[…] Honnêtement, on vient d’avoir quatre petits-enfants
en trois ans, alors je me reprends sur les petits-enfants!
Peut-être que je passe suffisamment de temps avec mes
petits-enfants pour conclure que j’aurais pu en passer plus
avec mes propres enfants!»
166
voulais pas. Je ne voulais pas la vie de bourgeoise, je ne
voulais pas être la femme de quelqu’un, je voulais être
artiste, d’une certaine façon. […] Le sacrifice, c’est de dire:
“Je ne ferai pas ça parce que je fais ça”, n’est-ce pas? Moi,
je faisais toujours ce que je croyais être important. Et les
choses qui tombent à côté, elles tombent!»
C’est vrai qu’à un certain moment, et pour ce qu’on peut
vraiment contrôler dans la vie, on fait des choix. Les gens
qui ont des convictions et de l’énergie, comme les leaders
qui nous parlent dans ce livre, sont capables, suppose-t-
on, de trancher, de choisir et d’assumer pleinement leurs
décisions.
Mais que nous ayons beaucoup de responsabilités ou très
peu de pression dans la vie, nous ne sommes pas faits d’un
pain entier. Il y a des failles, des doutes, des zones
ombragées, il y a des moments de la vie où nous sommes
moins forts, où l’arbre courbe sous le vent qui souffle. Et
les sacrifices révèlent, au fond, que nous sommes humains,
que nous ne pouvons tout accomplir, que nous avons
besoin d’aide, que nous ne sommes pas parfaits.
Avis d’experte
Comme psychologue, on va voir dans les bureaux
167
des gens qui ont de la difficulté à prendre leur retraite,
parce qu’ils s’identifient à leur emploi. Quand tu es
entrepreneur, ton entreprise, c’est toi! Les
entrepreneurs ont donc beaucoup de difficulté à
partir. Le jour où ils vendent, ils vivent aussi une autre
perte d’identité, parce que tout leur réseau social, ce
sont les chambres de commerce, les clubs de golf,
les gens d’affaires… Souvent, qu’ils le veuillent ou
non, ils doivent négliger un peu leur famille. Et les
liens qu’ils tissent avec leur famille sont parfois un
peu moins serrés. Cela fait en sorte que lorsqu’ils
quittent leurs fonctions, ils se retrouvent très seuls. Et
ils le sont aussi dans l’entreprise, quand ils ont à
prendre des décisions difficiles. C’est dur, d’être au
sommet. Ce n’est pas évident.
— Cynthia Mathieu
168
La peur et le risque
169
que ce n’est pas donné à tout le monde.
170
mais avec mon corps, avec mes enfants, avec ma femme.
Je ne prends pas trop de risques, et quand le monde
m’appelle “entrepreneur”, je dis toujours: “Non, je suis un
homme d’affaires.” Je n’ai pas inventé quelque chose dans
mon garage, je n’ai pas tout misé sur une idée que j’ai eue,
et si je perds, je perds tout. Je n’ai pas fait les choses
comme Steve Jobs, Bill Gates, ou comme les autres,
comme Alain Bouchard, qui est vraiment un
entrepreneur.»
171
c’était, donc je n’ai pas fonctionné comme ça.» Cela
dit, Jocelyna Dubuc ne voyait pas, dans les années
1970, ce qu’allait devenir le Spa Eastman. «Pas du
tout, pas du tout. Je ne le voyais pas en termes de
produit fini, je le voyais en termes d’expérience.
L’expérience que j’avais vécue – changer mon
alimentation en profondeur, faire du yoga, de la
méditation, explorer mes croyances, l’humain, ce qui
nous motive –, ça m’avait apporté une qualité de vie
exceptionnelle. Et c’est ça que j’avais le goût de faire
partager.»
172
nos instincts. Si on l’apprend et si on croit à ce qu’on
ressent et qu’on s’écoute, je pense que les choses vont plus
vite. Ça accélère les processus, il faut prendre des décisions
rapidement, il faut faire des choix. C’est toujours ce qui est
le plus difficile, mais, avoir peur, c’est normal, ce n’est pas
grave non plus.»
173
gens qui sont plus forts que soi», dit-elle. «Je me rappelle
les premiers temps à la Société de transport, ça a été
difficile pour moi, je n’avais pas le réseau que j’ai
maintenant, j’étais très seule. Mais de se dire: “Bien, ma
foi, je vais passer au travers”, ça fait appel à toutes nos
ressources. On en a des ressources, au fond, et on ne le
réalise pas tant qu’on n’est pas mis devant le défi. C’est là
qu’on va chercher en soi ce que ça nous prend.»
174
rien. Il y avait dans ma personnalité quelque chose qui
aimait défier et réaliser l’impossible. Pour moi,
l’impossible, ça n’existe pas, non plus».
François-Xavier Souvay s’est lancé, lui, à 21 ans dans
l’industrie de l’éclairage. Et c’est à peine deux ans plus tard
que l’entreprise pour laquelle il travaillait lui a confié la
tâche de développer le marché américain. «À l’époque, dit-
il, et ceux qui me connaissent aujourd’hui auraient de la
difficulté à le croire, mon anglais n’était pas excellent. Je
trouvais même des façons de mimer et d’inventer certains
mots pour me faire comprendre, mais j’étais, comme on
dit en anglais, fearless. Pourtant, c’est ce que j’ai fait, je l’ai
démarrée [l’entreprise], puis je pense que ça prend cette
dose de naïveté quand on se lance en affaires. Si j’avais eu
la conscience que j’ai aujourd’hui, probablement que je
n’aurais jamais démarré une entreprise, parce que c’est
beaucoup d’efforts et d’imprévus. Et ça prend cette
naïveté-là pour se lancer en affaires.»
Placide Poulin a décidé de plonger dans une aventure
entrepreneuriale alors qu’il avait des obligations familiales
importantes. «Déjà, j’avais trois enfants, une femme,
j’avais une sécurité, j’avais quand même un bon salaire
pour l’époque. Je dis: “Je pars à zéro avec toutes mes
économies dans un domaine qu’on connaît plus ou moins.”
175
[…] Quand tu fondes une entreprise, c’est beau, c’est un
rêve que tu as. Si on connaissait tous les défis à relever, je
pense que personne ne créerait d’entreprise. Tu es mieux
de ne pas les connaître, alors tu embarques dans ça un peu
à l’aveuglette!»
Comme au baseball…
LP Maurice a créé, avec des amis, l’application Busbud,
une plateforme d’achat de billets d’autobus accessible
partout dans le monde. «Je pense qu’au début on avait
peur un peu quand on a lancé cette entreprise-là. Mes
cofondateurs quittaient des carrières où ils gagnaient bien
leur vie pour s’engager dans un projet très risqué. Je pense
que ce qui nous réconfortait, dans cette peur-là, c’est que
j’avais vu, de mes yeux, tous ces voyageurs qui avaient
besoin d’un outil comme celui-là. Moi-même, je savais que
je le voulais! On savait qu’il y avait une certaine demande
pour ce qu’on allait créer. Mais, quand même, le grand défi
était d’aller chercher l’autre côté de la plateforme, tous les
partenaires, tous les transporteurs par autobus. La bataille
n’était pas gagnée, ça nous a pris beaucoup de temps. On a
cogné à beaucoup de portes, on a eu beaucoup de rejets,
des portes qui nous fermaient au nez. Puis, au fil du temps,
on a continué à cogner aux portes et, aujourd’hui, on est
176
rendu à 500 exploitants partout dans le monde.»
LP Maurice compare le développement d’une entreprise
à un match de baseball. «Les trois premières manches, le
lanceur partant doit créer, il doit donner le ton à la partie
et on doit prévoir une petite avance. Après ça, dans les
trois manches qui vont suivre, c’est la relève. Il faut
préserver les acquis. Au cours des trois dernières manches,
il faut closer. Donc, que ce soit une acquisition ou une
valeur qu’on a créée au cours des six manches
prédédentes, je pense qu’il y a une comparaison entre
l’entrepreneur et le lanceur partant. Je pense que ce qui est
intéressant dans cette comparaison, c’est que
l’entrepreneur se trouve à changer beaucoup au fil du
temps, non seulement dans les tâches qu’il doit faire, mais
aussi dans le tempérament, puis le caractère qu’il doit
avoir pour vraiment persévérer.»
Ça veut dire également, si on compare ça à un match de
baseball, qu’un entrepreneur peut tout perdre.
«Absolument», reconnaît LP Maurice.
Avis d’expert
Si on reprend toutes les théories du leadership, il y a
trois grandes dimensions: la tête, le cœur et le
177
courage. Les personnes qui exercent du leadership,
on se rend compte qu’elles trouvent un équilibre entre
ces trois dimensions:
1- La tête: la capacité d’avoir une vision, de voir des
opportunités, de prendre des décisions réfléchies,
systémiques.
— Éric Brunelle
178
La chance
179
aujourd’hui, spécialisée dans la réservation de billets
d’autobus.
«Je crois que la chance, c’est sourire à ce que la vie nous
donne, le reconnaître et être capable de dire que la vie a
été généreuse avec nous, déclare Marc Dutil. J’ai su dire
merci et en profiter. C’est peut-être ça, la chance.»
Lucky Pierre
Cela dit, le seigneur de la chance est indéniablement Pierre
Lassonde. Sa fortune, qui se chiffre en milliards selon
différentes sources, s’est bâtie sur un modèle et des
découvertes de gisements que Pierre Lassonde ne pouvait
pas deviner, espérer, fantasmer!
Sa chance commence par son incapacité à entrer à
l’université. «J’ai toujours aimé l’architecture. J’ai travaillé
dans la construction, j’ai travaillé pour mon voisin qui était
architecte. Quand j’ai fini mon secondaire, j’ai déposé une
demande d’admission dans trois universités. Elles m’ont
toutes dit que je n’avais aucun talent. Alors, je les remercie
aujourd’hui, mais, à ce moment-là, j’étais un peu
débobiné.»
Il est embauché par Bechtel, une entreprise américaine
de travaux publics. «Un des vice-présidents, raconte Pierre
Lassonde, qui était à deux ans de sa retraite, qui n’avait
180
rien à gagner, m’a pris sous son aile. […] Et il m’a donné
une idée qui m’a suivi toute ma vie et qui fait que j’ai tant
aimé faire ce que j’ai fait dans l’or. L’idée, c’est que lorsque
vous forez un trou pour essayer de découvrir un gisement,
vous pouvez, si c’est le bon trou, créer un milliard de
dollars de richesse. Et ça m’est arrivé trois fois dans ma
vie! Alors, mon sobriquet, c’est Lucky Pierre!»
Trois gisements valant chacun un milliard de dollars,
vous imaginez? Fallait-il être brillant et perspicace ou être
dans les bonnes grâces de l’univers, vous croyez? «J’ai été
chanceux, mais d’une façon absolument inouïe», reconnaît
avec grande humilité Pierre Lassonde, qui a l’air de se
pincer encore d’avoir eu une telle veine.
«C’est incroyable, c’est vraiment incroyable la chance
que j’ai eue. C’est comme si la vie m’avait dit: “Pierre, tu
vas être chanceux dans la vie, mais la contrepartie, c’est
que tu vas en redonner, tu vas être là aussi pour montrer
l’exemple à d’autres.” C’est un peu comme ça que je vois la
chance que j’ai eue dans la vie. J’en ai eu énormément et ce
que j’essaie de faire, que ce soit avec le Musée national des
beaux-arts du Québec ou les universités, c’est de redonner
et de donner l’exemple.»
Le problème avec la chance, c’est que ça ne se prévoit
pas, ça ne peut pas faire partie de son modèle d’entreprise,
181
ça ne peut qu’exister dans l’espoir. «La chance, ce n’est pas
un plan d’affaires, dit Pierre Lassonde. Dans l’industrie des
ressources naturelles, il y a un côté qui est absolument
extraordinaire, que j’adore, c’est ce qu’on appelle
l’optionnalité.»
C’est-à-dire? «Lorsqu’on achète une royauté, par
exemple, un terrain où il y a déjà un gisement, il va peut-
être couvrir cinq acres. Mais les terrains qu’on a, nous,
c’est peut-être 100 000 acres. Tout ça, les 99 995 autres
acres, si on découvre quelque chose, pour nous, c’est
gratuit, parce qu’on n’a pas à mettre quoi que soit. Et c’est
ça, le concept gagnant dans [notre entreprise] Franco-
Nevada. Alors, c’est la chance d’un côté, mais cette chance-
là, elle fait partie de ce qu’on fait.»
182
transaction.
«J’avais la vision d’entrer dans ce domaine de jeux
mobiles, dit Mitch Garber, quand j’ai vu Farmville sur
Facebook [un jeu créé en 2009]. J’ai pris la décision, à ce
moment-là, de chercher une entreprise israélienne. Je
crois beaucoup dans la mentalité, la culture israéliennes, et
je parle couramment hébreu.»
Et c’est alors qu’il est tombé sur Playtika, créé par
l’homme d’affaires Robert Antokol moins d’un an
auparavant. Il occupait alors un appartement avec 13
employés pour développer des jeux mobiles. Son bénéfice
atteignait déjà 10 millions de dollars la première année.
Aujourd’hui, l’entreprise génère des profits de plus de 500
millions de dollars par année.
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«Je crois beaucoup qu’il faut te mettre en position pour
avoir de la chance, dit Mitch Garber. Et c’est Dickie Moore,
l’ancien du Canadien, qui m’a vraiment enseigné cette
leçon-là. Dickie Moore était un mentor pour moi, un très
bon ami. Il m’a demandé: “Est-ce que tu aimerais mieux
être bon ou être chanceux?” Pour l’agacer, j’ai dit que
j’aimerais être bon. Il a dit: “Non, tu aimerais être
chanceux.” Et il m’a expliqué que si la rondelle dévie sur
183
ton genou, puis entre dans le filet», c’est un but. Un but
chanceux, mais un but quand même!
«Il faut être bon pour rester devant le filet, dit Mitch
Garber. Il faut être fort pour être devant le filet. […] Moi, je
me demande toujours où je dois être pour que la rondelle
dévie sur mon genou et entre dans le filet. Quel cocktail,
quel souper, quel gym, quel groupe de gens, quels amis? Il
y a des points tournants où je me suis trouvé au bon
endroit, au bon moment.»
Mitch Garber croit sincèrement que la chance a joué un
grand rôle dans sa vie. «Il y a tellement de gens qui ont
plus de vision que moi et qui n’ont pas eu la chance que j’ai
eue. Il y a des gens plus intelligents que moi qui n’ont juste
pas eu de chance. Il y a des gens qui ont des malchances.
Je donne beaucoup de crédit à la chance.»
184
Mode de vie: travailler
185
des recherches qui ont été effectuées sur le sujet: «[Ce] qui
émerge de ces études, c’est qu’il faut dix mille heures
d’entraînement pour atteindre le degré de maîtrise associé
à une expertise de calibre mondial – en quoi que ce soit
[…]. Dans toutes les études menées sur des compositeurs,
des basketteurs, des romanciers, des patineurs, des
pianistes de concert, des joueurs d’échecs, des criminels
passés maîtres, et tout ce que vous voulez, ce nombre
revient constamment4.»
Cependant, comme l’explique Malcolm Gladwell:
186
pour guider, diriger, entraîner, amener les autres avec eux.
187
me lever tôt le matin, j’aime ce temps qui est un temps de
silence, un temps aussi où on se sent reposé, on se sent
prêt à repartir explorer le monde avant de retourner dans
sa tombe chaque soir. J’ai l’impression de faire un grand
voyage chaque matin, je me lève, j’explore le monde, et
puis, le soir, je pourrais mourir et dire: “Merci beaucoup,
c’était extraordinaire.”»
«Si je laisse la nature décider, dit Marc Dutil, je vais me
lever à sept heures. Mais l’horaire fait en sorte que je me
lève à six heures. Parfois, c’est cinq heures. Et, pour aller
prendre l’avion à Québec, c’est trois heures et demie.»
«Je me suis vite habitué à avoir une routine, explique
François-Xavier Souvay, à prendre du temps pour moi tôt
le matin, en me levant. Je n’ai jamais eu énormément
besoin de sommeil de toute façon, et ce temps-là, c’est
mon temps, le moment où il n’y a pas de bruit dans la
maison. C’est le temps pour réfléchir, pour préparer mon
premier cappuccino, lire le journal, tout de suite envoyer
mes courriels pour qu’en arrivant au bureau, tout ça soit
déjà derrière moi. Cette routine, ça fait des années que je
la suis.»
Une routine comme une discipline rigoureuse?
«Absolument, affirme François-Xavier Souvay. Je me
souviens que la routine m’effrayait quand j’étais plus
188
jeune, parce que j’avais l’impression que je perdrais ma
spontanéité. Finalement, je me rends compte que la
routine est nécessaire pour être capable d’accomplir
plusieurs choses.»
«Je travaille de nuit, dit LP Maurice. Je travaille plus la
nuit que le jour. […] Je vais souper, puis, généralement,
vers 10 heures, je vais rouvrir mon laptop, je vais
commencer à écrire des courriels et je vais probablement
travailler jusqu’à 1 heure ou 2 du matin. C’est une
mauvaise habitude que j’ai prise à l’université, qui est
restée. Je faisais mes devoirs après le souper et je
m’endormais avec un livre sur moi.»
Yvon Charest se lève à cinq heures. «La réalité, c’est que
si cette job-là me pose un problème, c’est un problème de
sommeil. Je sais que c’est relié au travail, parce que, quand
je suis en vacances, je n’ai absolument pas ce problème.
Alors je suis porté à me coucher plus tôt pour être certain
d’avoir un bon sommeil. Mais, si je me couche plus tôt, je
me lève plus tôt. À un moment donné, je me suis dit: “Il y a
des limites.” J’essaie de me convaincre: “Yvon, tâche de
dormir jusqu’à cinq heures.” Je ne réussis pas toujours,
mais c’est la discipline que je me suis donnée, parce que,
sinon, il n’y aurait plus de fin.»
189
2. Ne pas compter ses heures
«J’étais avec un collègue hier, raconte Marc Dutil, et je lui
disais: “Je ne sais plus c’est quoi, travailler! Je suis rentré
d’Atlanta mardi soir, il était une heure et demie du matin
et je ne sais pas si ça compte, ces heures-là.”»
«L’entrepreneuriat, c’est un style de vie, c’est une façon
de vivre, dit Christiane Germain. Ce n’est pas quelque
chose qui commence à huit heures le matin et qui se
termine à cinq heures le soir.»
«Je ne calcule pas les heures, parce que je crois que mon
cerveau est à on de façon régulière et je m’assure,
beaucoup mieux maintenant qu’avant, d’être capable de le
mettre à off quand c’est requis, souligne François-Xavier
Souvay. Mais il va revenir à on aussi souvent que
nécessaire, que ce soit le soir ou les week-ends.»
Travailler de longues heures, «je ne pense pas que ce soit
obligatoire, dit LP Maurice. Il y a des moments où c’est
nécessaire, notamment au démarrage d’une entreprise.
Mais aussi, il y a des blitz où on doit vraiment être présent,
travailler des 12 ou 15 heures par jour, parce qu’il y a
beaucoup de choses à faire.»
«Dans les débuts de l’entreprise, tout le monde doit
mettre la main à la pâte, dit Placide Poulin, parce qu’on est
190
un peu un jack of all trade, on fait tout! Après ça, on se
structure, on va déléguer pour travailler de façon normale.
Je pense que tout le monde aimerait travailler 40 heures et
moins par semaine, mais quand tu es à la tête d’une
entreprise, il ne faut pas que tu comptes les heures si
vraiment tu veux atteindre les objectifs. Et un
entrepreneur, selon moi, qui sait bien s’entourer devrait
travailler des heures normales. Mais encore là, il y a
toujours des choses qui arrivent qui font que tu vas
travailler plus que ça. Ce n’est pas le travail qui fait mourir,
mais c’est le travail qui va apporter le succès de
l’entreprise!»
«Je ne calcule pas les heures, explique Chantal
Glenisson, parce qu’on consacre les heures qu’on a
l’impression d’avoir besoin de consacrer. Je ne regarde à
peu près jamais ma montre pour me dire: “Ah, mon Dieu,
il est sept heures, je ne suis pas partie du bureau!” Ça va
arriver très rarement, parce que je vais d’une chose à
l’autre, d’une réunion à une autre, je rencontre différentes
personnes, je carbure à ça. C’est pour ça que les heures, je
ne les compte pas, je ne les ai jamais comptées, ça fait
partie du métier.»
191
«Tu traînes ton métier 24 heures sur 24, dit Charles Sirois.
Moi, les problèmes, je les ai dans la tête continuellement.
Ma femme me dit souvent: “Hé, reviens, tu es ailleurs!” Je
suis continuellement ailleurs! Ce n’est pas parce que je ne
suis pas au bureau. Que je sois à la maison ou ailleurs, s’il
y a quelque chose dont il faut que je m’occupe ou qui me
trotte dans la tête, ça devient obsessif. Je veux alors
trouver la solution.»
«On est toujours en train de penser à l’ouvrage, dit Marc
Dutil. Il faut que je fasse attention, je suis en vacances sur
le bord d’une plage, j’ai une idée, je veux la noter sur mon
téléphone. J’ai l’impression qu’on se consacre à cette
profession-là à temps plein.»
Fille d’entrepreneure, Christiane Germain connaît ce
style de vie depuis toujours. «Notre vie familiale tournait
beaucoup autour de ce qui se passait ailleurs qu’à la
maison, ce qui se passait dans les restaurants. Des fois,
papa venait à la maison, il arrivait à quatre heures et
demie, cinq heures. Il passait un petit peu de temps avec
nous, puis il retournait au restaurant parce qu’il y avait
une période occupée. […] Ce sont des souvenirs qui sont
très, très, très présents. Même quand j’avais cinq ans et
que mes parents avaient une tabagie, je me souviens très
bien, le dimanche matin, on se retrouvait, mon frère et
192
moi, au comptoir du restaurant. […] Jean-Yves et moi, on
avait la permission, à ce moment-là, de prendre une
“liqueur” et on regardait nos parents travailler. Ça a été
une façon de vivre et, dans mon cas, ça s’est continué tout
simplement.»
«On n’est pas entrepreneur à temps partiel, dit François-
Xavier Souvay, on l’est à temps plein, 24 heures sur 24.
C’est fatigant si on ne prend pas le temps de profiter du
moment présent pour d’autres choses. C’était beaucoup
plus fatigant quand j’étais plus jeune, parce que, à cette
époque-là, je me mettais toute la pression d’exécution sur
les épaules. Je n’avais pas encore compris que, pour
réaliser les plans que j’avais en tête, ça me prenait une
équipe solide.»
«J’en mange de ce que je fais, dit Yoshua Bengio. Des
recherches, c’est tellement, tellement fort, c’est un plaisir
quasiment physique quand on comprend et qu’on réalise
des choses et qu’il nous vient de nouvelles idées. Ça, c’est
un moteur qui me propulse vers l’avant.»
193
société Shan pour Chantal. Et mon fils s’appelle Shan
aussi! On a mis un S pour que, justement, à l’international,
ça fasse une meilleure sonorité.»
Louis Morissette conseille de «modeler [s]on horaire
autour de l’agenda familial, peu importe si on fait des
spectacles». Il précise: «Le samedi et le dimanche, c’est le
hockey du garçon, puis la danse des filles. Je me couche
pas mal brûlé! Je vais avoir mes six heures. Je dors et c’est
bienvenu.»
«Je n’ai jamais voulu imaginer ma vie avec, d’un côté, le
travail, et, de l’autre côté, les loisirs, affirme Nathalie
Bondil. Je pense que chaque projet, c’est ma vie. Je
n’attends pas la retraite pour faire les choses qui me
plaisent, j’ai décidé de les faire dès que possible.»
194
«Pour diriger une institution comme le TNM, estime
Lorraine Pintal, il faut avoir connu, sur les planches, dans
la salle, ce que c’est que d’être un acteur avec ce que ça
représente comme défi, comme responsabilité, et arriver à
intéresser le public, qui est le nerf de la guerre.»
6. Chercher l’équilibre
«Je pense qu’on n’a jamais assez de temps, lance LP
Maurice. Au début, quand on a démarré l’entreprise, je
pensais que c’était un sprint. Je travaillais à toute allure,
parfois des journées de 12 heures, de 15 heures. Mais,
maintenant, j’ai réalisé qu’il fallait que j’utilise mon temps
de la bonne manière, utiliser mon temps de manière
stratégique pour accomplir toutes les choses que j’ai à
faire. Et avoir un peu de temps pour concilier le travail
avec la famille, avec les amis, et être capable d’être un
humain équilibré.»
Pour François-Xavier Souvay aussi, 24 heures dans une
journée, c’est peu! «L’équilibre, c’est d’avoir suffisamment
de temps pour s’occuper de la business, suffisamment de
temps pour s’occuper de la famille, suffisamment de temps
pour s’occuper de son couple, lorsqu’on a encore la chance
d’en avoir un, et suffisamment de temps pour s’occuper de
son propre temps. Et j’ai vite compris que mon propre
195
temps était difficile à gérer en ayant une famille et une
entreprise!»
«Il y a deux sortes de personnes dans la vie, dit Yvon
Charest. Il y a des gens qui, pour aller chercher leur
énergie, ont besoin de solitude. Il y en a d’autres qui, pour
aller chercher de l’énergie, ont besoin d’un bon cinq à sept,
ils ont besoin de rencontrer plein de monde, et ils
reviennent avec beaucoup d’énergie. Moi, je le sais, je fais
partie de la première catégorie.» Celle du cinq à sept du
matin! «Oui, c’est ça, c’est bon, ça! dit Yvon Charest en
riant. C’est pour ça que, par exemple, dans une fin de
semaine, quand j’ai le samedi matin et le dimanche matin,
c’est à moi, c’est mon petit moment à moi.»
7. Aimer sa vie
Malgré les sacrifices, malgré les nuits blanches, malgré les
difficultés, il apparaît clair que les leaders aiment
profondément leur vie et ce qu’ils réalisent. «Oui, c’est une
belle vie», approuve Marc Dutil sans hésiter. «C’est un
métier exigeant, c’est le plus beau métier du monde»,
affirme Charles Sirois.
196
par Michel Saint-Germain, Paris, Flammarion, 2018.
5. Malcolm Gladwell, op. cit.
197
Convaincre
198
qu’il desservait dans l’est du Québec. Nous sommes allés à
Dolbeau, à La Tuque, nous avons parcouru des centaines
de kilomètres. J’étais fasciné, admiratif, très heureux
d’être avec lui. Je l’ai vu s’entretenir avec des gérants et
des employés de magasin pour les convaincre de s’engager
à acheter ses produits, mais aussi à les vendre aux clients.
On a envie de suivre Donald Cloutier parce qu’il est vrai,
authentique, particulièrement drôle, doté d’une grande
capacité de dérision, et il est tout à fait convaincant.
C’est à mon oncle Donald que je pensais quand je suis
allé faire un tour à l’École d’entrepreneurship de Beauce, à
Saint-Georges, il y a quelques années. Dans ce lieu,
l’homme d’affaires et fondateur de l’école Marc Dutil va
bien plus loin que le plan d’affaires ou le calcul du ratio
cours/bénéfice. Les professeurs et les entrepreneurs-
entraîneurs de l’école enseignent la communication, la
gestion du risque, le pouvoir des mots, des images et de
l’authenticité pour convaincre et réussir.
Marc Dutil dit à ses étudiants: «Si vous pesez 400 livres,
que vous bégayez et que vous avez une jambe de bois, je
vous conseille de commencer votre discours en disant: “Je
pèse 400 livres, je bégaie et j’ai une jambe de bois.” Cette
candeur-là va vous ouvrir toutes les portes. Si vous essayez
d’être quelqu’un d’autre pour une minute, ça ne marchera
199
pas du tout.»
200
même direction, elle a dû, affirme-t-elle, demeurer en
contact réel avec les besoins et les attentes de la clientèle.
«Ça a toujours été très important pour moi, l’arrivée et
l’heure de départ des clients dans un hôtel. C’est là
vraiment que tu prends le pouls de ta clientèle. […] Si tu
n’es pas là pour ces moments cruciaux, tu risques de
perdre le feeling de ce qui se passe dans ton
établissement.»
Apprendre à convaincre
Louis Morissette reconnaît que son point faible, c’est la
gestion de ses équipes. «Je ne suis pas très porté sur le
renforcement positif, admet-il. Il faut que j’apprenne
beaucoup. L’entreprise grossit […] et j’ai tendance, je
l’avoue, à avoir cette espèce de…»
Cette espèce de quoi?
«Tu sais, on traîne tous nos “bibittes”, dit-il. Je n’ai pas
été élevé dans un milieu où il y avait beaucoup de tapes
dans le dos pour dire: “Bravo, t’es bon, t’es donc bien bon!”
[…] Mais quand tu as une entreprise, il faut que tu
apprennes à prendre un temps pour aller voir les gens et
leur dire que tu es content. Tu ne vas pas leur parler juste
quand ça ne va pas.»
Ne relever que les mauvais coups et les erreurs ne
201
favorise en rien l’esprit d’équipe. Prendre le temps de
souligner ce qui va bien peut certainement contribuer à
créer une relation plus harmonieuse, une adhésion plus
forte aux valeurs et aux objectifs de l’entreprise. «J’ai eu
longtemps tendance à me dire que c’est normal que ça aille
bien, avoue Louis Morissette, après tout, on est tous payés
pour que ça aille bien! Et quand ça ne va pas bien, là, il
faut réaligner les choses. Ce n’est pas vrai!»
L’homme d’affaires reconnaît qu’il doit modifier son
comportement maintenant que son entreprise prend de
l’expansion. Lorsque KOTV était une société plus petite,
qu’ils n’étaient que quatre associés, «disons que mes
émotions, je les laissais un peu paraître», lance Louis
Morissette. «Quand tu es 40, à la minute que le président
passe la porte et qu’il rentre dans son bureau et claque la
porte et qu’il crie, c’est sûr qu’il y a comme un climat [qui
s’installe]. Et là, tout le monde se demande: “Est-ce que je
vais perdre ma job?” Alors, il faut que tu sois conscient de
l’image que tu donnes.»
202
Même convaincre un journaliste? «Malgré ce défaut,
répond-il en riant, je suis très convaincant! Je me mets
toujours dans la peau de la personne qui est en face de
moi, que je dois convaincre.»
En fait, Charles Sirois dit qu’il prépare à la fois les
arguments et les contre-arguments. Aux objections qu’il
nomme à un client ou à un partenaire, il apporte tout de
suite les réponses. «Pas des réponses tirées du ciel! Si je
n’ai pas la réponse, je vais la chercher et je vais trouver la
voie.»
Il dit avoir un «leadership de conviction» d’abord. Et,
«deuxièmement, je fais confiance. Ça, c’est une autre
forme de leadership. Mais confiance avec un livrable. Il
faut s’entendre sur ce que doit être ton résultat, un genre
de contrat qu’on va avoir entre nous deux».
Je n’ai pas de mal à croire Charles Sirois quand il dit
qu’il a un leadership de conviction. Il faut voir l’énergie et
la passion qui animent cet homme lorsqu’il vous parle de
ses projets en agriculture, en Afrique ou dans les
télécommunications. Il gesticule, il s’enflamme, il parle
fort, il en dit peut-être trop à certains moments, ce qui lui
a valu des critiques.
Il ne fait pas de doute que Charles Sirois sait convaincre
les gens avec qui il discute et négocie. A-t-il toujours
203
raison, est-ce que ses projets méritent d’être critiqués et
remis en question? Peut-être, je ne me prononcerai pas sur
ce sujet. Dans le dossier de l’achat de terres par Pangea,
une société d’activités agricoles qu’il a cofondée, par
exemple, le débat est polarisé et Charles Sirois défend avec
passion son projet.
Je l’ai reçu en entrevue à plusieurs reprises, je l’ai vu
aussi prononcer des discours devant des gens qui buvaient
littéralement ses paroles. Charles Sirois peut convaincre
une personne assise devant lui, mais aussi un groupe de
150 personnes. Le ton, la voix, les mots, les expressions
qu’il choisit, l’humour, avec un brin de cabotinage, la
recette de la conviction marche bien pour Charles Sirois.
204
nécessairement, je veux avancer.»
Et aujourd’hui? «Je suis encore en accord avec cette
phrase-là, dit-elle. Il faut écouter, il faut consulter,
mais il faut aussi être capable de décider, de trancher.
[…] Au moment où j’ai dit ça, j’étais dans un
environnement, à la Société de transport, où il y avait
eu des grèves importantes, des problèmes de relations
de travail sérieux, fondamentaux. Certains syndicats
avaient été mis sous tutelle. J’arrive alors dans une
organisation qui, de toute évidence, souffre d’un
manque de communication entre la direction et ses
employés. Une fois qu’on a bien fait cette
communication et qu’on a bien consulté, qu’on s’est
mis un peu à la place des gens, qu’on a un plan, une
vision et qu’on sent qu’on est mûr pour passer à
l’action, on y va! On entraîne les gens quand on est
capable de communiquer une vision emballante,
audacieuse, et qu’on a des gens autour de soi qui sont
capables de mettre en œuvre cette vision-là. Moi, mon
leadership a été un leadership d’entraînement. Je suis
une rassembleuse, je ne suis pas quelqu’un qui
commande, je ne viens pas du tout de cette culture-là.
Si les gens adhèrent, c’est parce qu’ils comprennent la
vision, où on s’en va, et qu’ils se sentent respectés. Les
205
gens vont adhérer s’ils se sentent écoutés.»
206
l’humour, notamment, pour mieux faire accepter les
choses. «Il faut prendre nos responsabilités au sérieux, dit-
elle, mais ne pas nous prendre au sérieux! Je pense que ça,
ça aide à l’équilibre!»
207
une étincelle chez un étudiant. «J’ai réalisé avec les
années, dit-il, l’importance du côté psychologique de ma
relation avec les étudiants. Il y a évidemment l’attention
intellectuelle que je donne à leur travail, qui est essentielle,
mais ce n’est pas suffisant. Il y a tout un côté de soutien
moral, il faut les encourager, les critiquer d’une manière
qui ne les démolisse pas. Je dois favoriser leur créativité,
leur capacité d’expression, ce qu’ils ont à l’intérieur.»
L’image qu’il projette, le pouvoir qu’il détient dans sa
relation avec les étudiants, Yoshua Bengio en est
pleinement conscient. Et tout cela lui permet également de
convaincre des entreprises de s’associer à ses recherches et
à son université.
«Je pense que les qualités grâce auxquelles j’ai pu
convaincre des chercheurs d’aller dans la direction que je
mettais en avant, convaincre mes étudiants et ensuite les
collaborateurs, m’ont aussi permis de convaincre de
grandes entreprises de venir à Montréal et de convaincre
des gouvernements d’investir. Ce n’est pas moi tout seul,
c’est un contexte qui a fait que l’intelligence artificielle est
devenue un sujet de plus en plus important, c’est un
alignement de planètes. Peut-être que j’avais la bonne
personnalité pour agir à ce moment-là?»
Yoshua Bengio est parvenu à convaincre de jeunes
208
chercheurs québécois talentueux de revenir au bercail.
Certains de ses étudiants, partis à Boston ou en Californie,
sont revenus à Montréal. Le fait que Yoshua Bengio a
décidé de rester à l’université, de demeurer à Montréal et
de rassembler les bailleurs de fonds dans la métropole du
Québec est un puissant message, très convaincant: on
reste à Montréal!
«Oui, et apparemment les gens ont cru ce que je disais!
lance Yoshua Bengio dans un éclat de rire. J’ai dit, à un
moment donné, qu’il faudrait que l’on construise une
Silicon Valley de l’intelligence artificielle à Montréal. Ça a
été spontané, parce que j’avais un peu cette vision-là, et
ces mots me sont venus durant une entrevue à Radio-
Canada. Et on dirait que ça a vraiment marqué
l’imagination! Des fois, ça ne tient pas à grand-chose. Ce
sont de petites choses qui vont faire bouger les esprits dans
une certaine direction et après, le train avance.»
Yoshua Bengio comprend que son attitude influence les
autres. «Je crois que j’ai une certaine confiance en moi et
que ça joue. À mon avis, c’est humain de penser que
lorsque quelqu’un est convaincu, il est convaincant!»
209
«Il faut inspirer avec de nouveaux projets, avec des
valeurs. Je crois qu’il faut partager des valeurs au-delà des
arts, au-delà de l’histoire de l’art, au-delà de l’institution
muséale, pour que chacun puisse ressentir le fait qu’il est
un acteur pour la société, qu’il est capable de faire un
changement politique dans le cadre de la cité. […] Alors ça,
je crois que ça fait partie du ferment qui nous permet
d’avancer vers le même but, un but qui dépasse
l’institution.»
LP Maurice encourage, lui aussi, ses employés à trouver
leur motivation dans un ensemble plus large que le travail
effectué pour l’entreprise. Il applique la règle des 20% du
temps de travail.
«C’est une idée inspirée de Google, explique-t-il, qui
donne à tous ses ingénieurs 20% de leur temps pour
travailler sur un projet de leur choix. Le concept clé
derrière ça, ce sont des “projets passion”. Les employés
viennent travailler ici pour créer le meilleur site Web
d’autobus, de neuf heures à cinq heures tous les jours.
Mais il y a peut-être d’autres choses qui les passionnent. Si
les employeurs peuvent donner une certaine fraction de
leur temps à leurs employés pour explorer ces passions,
souvent de meilleures idées vont émerger.»
LP Maurice et ses partenaires en sont venus à créer une
210
forme de hackathon, qui consiste à consacrer, pour les
employés, deux ou trois jours par trimestre à trouver
ensemble de nouvelles idées. «Il y a toutes sortes de
projets qui sont sortis de ça, affirme LP Maurice, qui ont
vraiment accéléré l’expansion de notre entreprise.»
Cet entrepreneur travaille beaucoup avec les jeunes de la
génération du millénaire. Sans généraliser, on reconnaît à
cette génération une recherche d’indépendance, mais aussi
d’engagements. Plusieurs de ces jeunes cherchent un
travail qui correspond à leurs valeurs bien avant de
vouloir, à tout prix, trouver le job le plus payant.
«Je pense que je donne beaucoup de liberté et
d’indépendance aux gens dans l’équipe, dit LP Maurice.
Mon rôle, tel que je le conçois, est de créer des conditions
gagnantes en termes de culture d’entreprise pour qu’ils
accomplissent le meilleur travail de leur carrière à
Busbud.»
Il dit miser sur l’honnêteté et la transparence. «C’est
important de recueillir le feedback d’une manière
participative pour qu’il y ait un certain sentiment
d’imputabilité à propos de notre plan. […] Je crois
beaucoup à la méritocratie, une approche courante dans la
Silicon Valley. L’idée ici, c’est que l’autorité est méritée par
les gestes, par les actions qu’on pose tous les jours, plutôt
211
que de facto parce qu’on a un rôle ou du pouvoir.»
Avis d’expert
Chaque leader a sa propre recette. Découvrir sa
recette à soi passe inévitablement par la
connaissance de soi. On a fait des études sur de
grands échantillons. […] Les gens qui se connaissent
bien gagnent en moyenne 36% de plus que les gens
qui se connaissent moins, à scolarité égale. […] La
clé est la suivante: les gens qui se connaissent bien
arrivent à mieux trouver une recette, à trouver un
contexte dans lequel ils vont être en mesure
d’exercer leur leadership, de bien s’entourer, de
trouver l’équilibre adéquat entre qui ils sont et leur
famille, leur milieu. La passion, le grip, ce qui
m’anime, si ce n’est pas présent, si je ne me connais
pas, il me sera difficile d’être pleinement performant,
enthousiaste, et d’amener les gens à vouloir me
suivre. Trouver sa recette passe inévitablement par
une certaine connaissance de soi.
— Éric Brunelle
212
Exigeant
213
part de quelqu’un qui impose un climat délétère ou qui
semble abuser de son pouvoir. J’ai du mal à croire qu’on
puisse considérer une personne qui a des demandes
injustes ou incohérentes comme un leader. Cette personne
peut être autoritaire, désagréable, méchante, mais elle
n’exprime pas de leadership.
Un leader exigeant impose quelque chose de plus grand
que lui-même. Nous travaillons, nous nous battons, nous
nous engageons pour atteindre un objectif plus important
que notre réussite personnelle. Cette recherche
d’excellence a un sens et, portée par un véritable leader,
elle peut mener bien des gens à déplacer des montagnes.
214
trompent trop souvent!»
«Moi, je dis les choses, affirme Chantal Lévesque. Il n’y a
pas de cachotterie. Quand ce n’est pas bien, ce n’est pas
bien. Mais, en même temps, je considère que c’est assez
souvent de ma faute. C’est moi la présidente de
l’entreprise. Alors, s’il y a quelque chose qui ne va pas, je
suis la première responsable. […] Je n’attends pas trois
jours avant de dire ce que j’ai à dire. Je suis très impulsive.
Dès que c’est dit, par contre, c’est terminé. Il n’y a aucune
rancune. Je tolère mal les erreurs ridicules. J’ai beaucoup
de difficulté avec ça. Je pense que c’est peut-être mon
défaut le plus grand.»
Humbles et exigeants
Chantal Glenisson a dirigé les magasins Aubainerie de
2016 à 2019. Elle affirme que l’histoire de l’entreprise
impose d’être à la fois rigoureux, exigeant et humble.
«C’est une entreprise familiale, depuis 1944. Ça fait
longtemps qu’elle est là, et elle a été fondée par une
famille de gens humbles. Ils n’ont jamais voulu
vraiment parler d’eux, ils ne veulent pas faire parler
d’eux, mais ils font plein de bonnes choses.»
Les magasins de la famille Croteau ont changé au fil
215
du temps. Une nouvelle bannière est née dans les
années 1980 pour répondre aux changements
constants dans le secteur du commerce de détail. «Je
regarde l’évolution depuis 1944, dit Chantal
Glenisson, c’est extraordinaire ce que ces gens-là ont
fait. Mais, ils n’en parlent pas. Parfois, ils sont
étonnés de constater que plusieurs ne savent pas
quelle est notre offre en magasin. Mais c’est parce
qu’ils n’en parlent pas! Je leur dis: “Vous faites
tellement de belles choses, vous avez tellement une
belle évolution à travers les années, vous êtes l’une
des entreprises entièrement québécoises encore dans
le marché, votre entreprise emploie des Québécois,
participe à l’économie québécoise.” C’est fantastique,
ça! Mais ils n’en parlent pas. Alors, c’est ça, pour moi,
l’humilité. C’est très bien, mais il faut faire attention.
Il ne faut pas que ça empêche de parler des bonnes
choses et d’avancer.»
Authentique et engagée
Phyllis Lambert est une femme de conviction qui n’a pas
froid aux yeux, qui a une vision et qui l’exprime
clairement. Parlant d’elle, l’avocat Michel Yergeau, ex-vice-
président d’Héritage Montréal, déclarait, dans un article
216
de L’actualité, en mai 1989: «Elle est redoutable… mais je
l’aime beaucoup. C’est vrai qu’elle peut être despotique
comme employeur: elle voudrait que tout le monde devine
ce qui se passe dans son cerveau. Mais elle est authentique
et engagée.»
J’ai demandé à Phyllis Lambert si c’était exact. «C’est
vrai, a-t-elle répondu. J’ai appris à m’expliquer un peu
plus avec les gens avec lesquels je travaille, mais c’est à peu
près correct.»
Phyllis Lambert a toujours exprimé son engagement avec
force et conviction. Elle n’hésite pas à faire connaître son
approbation ou son mécontentement aux personnes
concernées. «J’aime bien travailler avec les gens qui sont
talentueux et qui sont autonomes. Je n’aime pas travailler
avec les gens qui nous attendent. […] Il faut quand même
s’assurer que tout le monde est d’accord, que les gens
prennent les choses en main. Mais, tout de même, je
regarde toujours toutes les étapes, je regarde toujours,
toujours, tous les détails.»
Autoritaire?
Les leaders ont du mal à se considérer comme autoritaires.
Il y a certainement un facteur de génération ou de secteur
d’activité. Mais les leaders à qui je parle rejettent l’idée de
217
qualifier leur approche d’autoritaire. Sauf, peut-être,
Phyllis Lambert, qui ne nie pas la description faite par
Michel Yergeau. Sauf aussi, peut-être, Frank Dottori, que
je vais citer exceptionnellement dans ce chapitre, parce
que je l’ai rencontré au printemps 2019 à Toronto dans le
cadre d’une autre entrevue. Ses propos m’ont marqué.
Frank Dottori a longtemps fait la pluie et le beau temps
dans le monde de la forêt. Il a dirigé Tembec du début des
années 1970 jusqu’à 2006, avant d’acheter de nouvelles
scieries en Ontario. Il a toujours dit sa façon de penser aux
syndicats, aux autres propriétaires d’entreprises
forestières, aux différents gouvernements. Il assume
pleinement son côté autoritaire, alors que certains, au fil
du temps, l’ont carrément traité de dictateur.
«Moi, je prends position, dit-il. C’est sûr que je suis très
agressif. Parce que, moi, je dis que, pour réussir, il faut
avoir un objectif. Mais tu ne peux pas faire ça tout seul. Tu
as besoin d’une équipe. Les gens ont peut-être des
opinions qui ne sont pas les mêmes que les miennes. Une
dizaine de cerveaux, c’est mieux qu’un. Mais il en faut un
qui dirige. Tout le monde a un vote, mais moi, j’en ai
plusieurs si nécessaire. [Il esquisse un sourire.] Des gens
disent que ce n’est pas la démocratie. Bien, il faut que
quelqu’un prenne le leadership et dise ce qu’on va faire.
218
Pour les gens qui sont d’accord, c’est du leadership. Pour
les gens qui ne sont pas d’accord, c’est de la dictature!»
D’une façon certainement moins conflictuelle, Louise
Roy est arrivée au même constat, en quelque sorte, que
Frank Dottori, lorsqu’elle dirigeait la STCUM dans les
années 1980. À un certain moment, il faut prendre une
décision! «Je ne suis pas autoritaire, dit Louise Roy, mais
j’estime que, quand il faut faire des choix, il faut faire des
choix, puis il faut avancer, il faut décider.»
L’approche n’est pas la même, toutefois, selon qu’on se
trouve à la tête d’une société forestière, aux commandes
d’une société de transport ou à la direction d’une
université, comme l’a été Louise Roy à l’Université de
Montréal, à titre de chancelière, de 2008 à 2018. «Je
pense que ça dépend des milieux, dit-elle. Il y a des
secteurs, et je pense que le milieu universitaire en est un,
qui fonctionnent beaucoup par consensus. Il faut écouter,
consulter, essayer d’obtenir des consensus et, parfois, ça
peut être plus long que dans d’autres secteurs.»
Sans être autoritaire, Louis Morissette reconnaît qu’il est
exigeant. «C’est sûr que mes silences en disent beaucoup,
admet-il. Je ne parle pas tant, mais tu peux comprendre
facilement ce qui se passe, dans mes yeux et dans mes
silences. Mais, autoritaire, je ne pense pas l’être.
219
«Un de mes oncles, ajoute-t-il, m’a recommandé de lire,
quand j’étais à l’université, un livre qui s’intitulait Horse
Sense6. Tu es aussi fort que le cheval que tu montes. Tu as
beau être le meilleur jockey du monde, si ton cheval est
pourri, tu ne gagneras pas de courses. Ça m’est rentré dans
la tête: il faut que je travaille avec les meilleurs. Même s’ils
ont des tempéraments forts, même s’ils ne sont pas
d’accord avec moi, il faut que je travaille avec les meilleurs.
Donc, je vais laisser de la place et de la corde, mais tu peux
te pendre avec ta corde!»
Confiance absolue
C’est formidable d’avoir la confiance de son patron, mais
ça vient avec des responsabilités et des engagements qui
relèvent de l’exigence. «Moi, j’ai toujours dit que lorsque je
choisis un gestionnaire pour mon entreprise, c’est avec une
confiance absolue, clame Charles Sirois. Si je doute un peu,
je ne le garde pas. Si je doute, c’est instantané, j’arrête
immédiatement. C’est cent ou c’est zéro.»
N’est-ce pas très exigeant, ça? Il me semble que ça ne
laisse pas beaucoup de chance à l’employé, au partenaire,
au collaborateur, au gestionnaire qui a été sélectionné. Au
contraire, dit Charles Sirois, «ça laisse beaucoup de
chance! Le doute ne veut pas dire que ça ne laisse pas
220
place à l’erreur. L’erreur est acceptable, c’est très
acceptable. Le doute, c’est autre chose».
Charles Sirois dit faire confiance à celle ou celui qui est
capable de trouver une solution pour corriger une erreur
commise, qui est capable de passer outre à cette erreur et
d’avancer.
221
capables de nous donner la vie qu’ils nous ont donnée.
Donc, il faut être très exigeant et il faut avoir une certaine
perspective sur la vie. Être moyen ne suffit pas.»
Cette recherche de l’excellence amène Calin Rovinescu à
tout mettre en œuvre pour atteindre les objectifs que
l’entreprise se fixe. «C’est certain qu’on ne peut pas plaire
à tout le monde, admet le patron d’Air Canada. On doit
faire le nécessaire pour réaliser la vision, déployer la
stratégie, atteindre les objectifs. Et c’est certain qu’il y aura
des gens qui vont avoir une opinion différente.»
Cela dit, Calin Rovinescu rappelle qu’il n’est pas en
politique. Il doit prendre des décisions souvent difficiles.
«Je n’essaie pas de gagner des votes!»
222
comprends pas pourquoi tu me dis ça, je ne t’ai rien
demandé!» Réponse: «Justement, c’est ça, ton exigence!»
En réalité, Yvon Charest a fait dire à cette personne qu’il
fallait rentrer au travail durant la fin de semaine afin de
terminer un projet pour le lundi. Il ne lui a pas demandé
de venir au bureau, mais a plutôt posé la question toute
simple: «Qu’est-ce qu’on fait?» Elle a répondu: «On n’a
pas le choix: il faut rentrer demain matin à huit heures!»
Yvon Charest a acquiescé: «C’est parfait, je vais être là!»
Yvon Charest reconnaît qu’il impose ainsi une exigence à
ses collaborateurs. Il fait passer son message en ramenant
à l’avant-plan «une obligation de résultats», pour
reprendre ses mots.
223
plan et on livre le plan. C’est ça que je veux dire quand je
parle de rigueur et de discipline.»
Néanmoins, Chantal Glenisson dit prôner une gestion
collaborative, avec beaucoup d’humilité, et estime agir
comme une coach avec ses collaborateurs. Et, dans un
monde comme le commerce de détail, elle affirme que
l’exigence première, c’est de remettre, souvent, tout en
question.
«Je remets à peu près tout en question. J’ai une petite
allergie quand on dit: “Ah, mais oui, ça fait 20 ans qu’on
fait ça, puis ça fonctionne!” J’ai toujours tendance à dire:
“Est-ce qu’il y a quelque chose qu’on pourrait faire
différemment pour que ça fonctionne encore mieux?”»
Chantal Glenisson ajoute: «Je trouve qu’on apprend
beaucoup plus en étant humble, parce qu’on s’interroge
beaucoup plus que lorsqu’on est très content de soi!»
Avis d’experte
Si le leader est extrêmement performant et exigeant
envers lui-même et qu’il leade par l’exemple, à ce
moment-là, il y a de fortes chances pour que les
employés désirent se surpasser. Il aura des équipes
assez performantes. Il faut prendre en considération
224
le fait que beaucoup de leaders sont des gens dotés
de curiosité intellectuelle. Ils ont des capacités et une
énergie supérieures à la moyenne, ce qui n’est pas le
cas de tous les employés sous leur responsabilité. Il
faut prendre garde de ne pas en demander trop à ses
employés, il faut rester à l’écoute et reconnaître les
situations où l’on devient intransigeant, c’est-à-dire où
l’on se place du côté négatif de l’exigence.
— Cynthia Mathieu
225
L’émotion
226
l’incertitude sont des carburants exceptionnels derrière les
décisions de ventes et d’achats en Bourse. Je n’y croyais
pas trop, mais, après avoir discuté avec des stratèges en
matière d’investissement et au fil de mes observations, j’ai
l’impression que la Bourse envoie des signaux précurseurs
de ce qui pourrait arriver dans les prochains mois. Ce sont
des signaux, et ce n’est pas une science exacte.
La crainte d’un conflit, d’une escalade des tensions, le
signal d’une faille dans le marché du crédit, tout apparaît
dans le tableau de bord boursier. Preuve que l’émotion est
maîtresse de l’économie, on mesure depuis des années la
volatilité du marché financier (indice VIX) et la confiance
des consommateurs (indice de confiance du Conference
Board, de l’Université du Michigan, etc.). Ces tentatives de
calcul et de quantification de l’émotion sont, par
définition, difficiles à maîtriser. On ne peut pas calculer
l’émotion comme on calcule avec précision la température
d’une pièce.
Je ne sais pas pourquoi, mais ce sont deux entrepreneurs
bien connus en Beauce qui m’ont le plus parlé d’émotion.
Cette région, berceau de l’entrepreneuriat québécois,
reconnue pour son sens des affaires, a mis au monde des
gens passionnés par les entreprises et le commerce. Marc
Dutil et Placide Poulin n’ont pas hésité à parler de
227
l’émotion au cœur de leurs activités.
Changer la vie
Marc Dutil parle des gens, des travailleurs, de l’émotion
qu’il ressent en réalisant qu’une personne accomplit
quelque chose de particulier parce qu’elle travaille dans
son usine, Canam, ou parce qu’elle passe par l’École
d’entrepreneurship de Beauce, à Saint-Georges.
«J’étais à l’usine hier, nous dit Marc Dutil au cours de
notre rencontre, et l’équipe de Saint-Gédéon nous
présentait un plan d’investissement sur trois ans. On a un
collègue, il a 59 ans, sa santé n’est pas parfaite, mais il est
fait fort. Bien, j’aimerais qu’il reste les 15 prochaines
années parce que je vois qu’à 59 ans il grandit encore avec
nous autres.»
Il ajoute: «Je viens de rencontrer des gens qui vont
obtenir leur diplôme demain, qui viennent de passer
deux ans avec nous autres. Ils me disent: “Marc, merci. Ça
a changé ma vie!” Ça, c’est vraiment le fun. Pour dire que
ça a changé ta vie, c’est parce que ça te marque. Et te le
faire dire, c’est vraiment gratifiant.»
S’il est si attentif et sensible aux gens qui l’entourent,
c’est peut-être parce qu’il est le papa d’un enfant atteint du
syndrome de Williams. Avec Catherine Larochelle, il a eu
228
cinq enfants. Il en parle avec fierté, bien sûr, et avec
émotion. «Vous aviez un reportage à Radio-Canada sur les
parents âgés avec des enfants handicapés, dit Marc Dutil.
C’est rare, mais j’ai fait une pause. Et je ne pleure pas
souvent. C’était émouvant. Je voyais quelque chose que je
vis moi-même.»
Il n’était pas obligé de nous en parler. Mais il l’a fait.
229
pas comment on fait, comme être humain, quand on a
monté quelque chose de toutes pièces, pour tourner la
page sur des décennies de labeur et d’investissements,
pour vendre et aller vers un autre projet.
Le preacher
Quand il était propriétaire de Maax, Placide Poulin
prenait le temps de se rendre régulièrement dans les
usines, à la rencontre des employés. Franc et direct, il
aimait parler aux gens. «J’arrêtais la chaîne de
production pour leur dire: “Merci pour ce que vous
faites pour nous autres. Voilà où notre plan est rendu,
voici nos objectifs, ce qu’on a réalisé, merci d’être ce
que vous êtes dans l’entreprise et de nous permettre
de croître.”»
Placide Poulin affirme qu’il faut y mettre de
l’émotion et du cœur pour convaincre les travailleurs
de vouloir aller jusqu’au bout. Ils doivent sentir que le
patron est proche d’eux. «Il faut que tu sois émotif
dans ce que tu réalises et il faut que tu la transmettes,
ton émotion! Moi, je rencontrais des employés et
j’étais un peu comme un preacher. Je leur parlais
avec beaucoup d’émotion. Quand j’avais fini, je disais:
230
“Raise your hand if you believe in it, raise your hand!
[Levez la main si vous y croyez!]”»
Placide Poulin affirme que ses employés lui ont
souvent dit qu’ils appréciaient sa proximité. «Les gens
me disaient: “Placide, tu es un charismatique, tu es
proche de nous autres.” Ils me serraient dans leurs
bras, je leur donnais une tape dans le dos. C’est ça,
gagner en équipe.»
231
Placide Poulin raconte que les derniers moments à la tête
de l’entreprise ont été difficiles sur le plan émotif. «Je me
souviens du dernier conseil d’administration et de la
dernière assemblée générale avec les actionnaires, j’avais
les larmes aux yeux.»
Il revient à l’analogie du bébé en parlant de son
entreprise: «Quand tu crées une entreprise, c’est comme si
tu mettais un enfant au monde. C’est ça. Et tu le passes,
ton enfant, à un autre. En dedans de toi, il y a beaucoup de
déchirements, parce que si on compte toutes les heures, les
sacrifices, tout ce que tu as fait pour la bâtir, les nuits
blanches peut-être que tu as passées, les larmes que tu as
versées, les discussions que tu as eues, les frictions aussi à
travers tout ça, tu te dis que tu laisses aller quelque chose.
Mais il faut que tu sois fier de ce que tu as bâti et
accompli.»
Avis d’experte
Les chercheurs s’intéressent beaucoup au côté plus
sombre, et c’est très difficile de différencier les bons
des mauvais leaders, parce qu’ils possèdent
plusieurs caractéristiques qui se ressemblent. Mais je
dirais que ce qui les distingue, c’est l’empathie,
232
l’intelligence émotionnelle, la capacité à reconnaître
leurs propres émotions, à les moduler, à s’intéresser
aux émotions des gens qui les entourent et l’intention,
la raison pour laquelle ils amènent les gens vers un
but. Les leaders positifs vont avoir un but qui sera
bon pour la société, positif pour l’entreprise et les
employés, alors qu’un leader plus négatif va chercher
à obtenir une position de leadership et à utiliser ce
pouvoir-là à des fins personnelles. […] Un bon leader
doit avoir des émotions, doit les ressentir et doit être
capable de les maîtriser. Il doit surtout être capable
de les reconnaître dans son équipe, parce que, pour
que les gens le suivent dans un projet, pour pouvoir
les influencer, il lui faut être capable de détecter la
présence d’un malaise, d’une résistance, surtout
quand il les amène vers un changement. En
business, on dit souvent qu’il n’y a pas de place pour
les émotions. C’est totalement faux, parce que les
gens qui ne sont pas connectés aux émotions sont
incapables de gérer des équipes performantes. C’est
une caractéristique méconnue mais essentielle, sur
laquelle on n’insiste pas assez quand on embauche
des PDG. On a tendance à croire que le mot
«émotion» égale le mot «faiblesse», alors que c’est
233
faux!
— Cynthia Mathieu
234
Ce qui choque
L’incompétence
«L’incompétence, répond Louis Morissette sans hésiter
quand on lui demande ce qui le choque. C’est tout un
combat. Il y a plein d’incompétents, il y en a beaucoup,
beaucoup, beaucoup trop. […] Dans le domaine de la
création, ce ne sont pas tous les décideurs qui savent lire
235
un projet, qui savent juger si c’est une bonne ou une
mauvaise histoire. C’est vraiment enrageant.»
Face à cet état de choses, dit Louis Morissette, il faut être
intelligent. «Quand j’étais plus jeune et que je
commençais, j’avais tendance à laisser paraître que je
n’étais vraiment pas content. Mais tu apprends avec le
temps. Car la vie, c’est une game de poker jusqu’à un
certain point. Sans être une “guidoune” et sans te
dénaturer, il faut que tu apprennes à quel moment mettre
tes cartes sur table, à quel moment y aller all in! Tu ne
peux pas être all in à tout bout de champ, tu vas te brûler.
Il faut que tu te dises que cet incompétent-là, il faut que tu
l’amènes de ton côté. Il faut que son incompétence te serve
et qu’il te fasse confiance.»
La voie de la facilité
La paresse est ce qui choque plusieurs leaders. Le désir de
diriger une équipe, de mener à bien un projet,
s’accompagne d’exigences. Et choisir la voie facile, ou
vouloir éviter les situations difficiles, c’est de la paresse
aux yeux de plusieurs.
«Pour moi, dit François-Xavier Souvay, ce qui est
extrêmement important, c’est de tout le temps donner
l’heure juste. Même quand ça va mal. Et de ne pas essayer
236
d’embellir une situation quand elle n’a pas à l’être.»
C’est une question d’honnêteté envers ses collègues,
ajoute-t-il. «Si on ne cultive pas ça, pour l’entreprise, c’est
le début de la fin à mon avis.» Cela dit, François-Xavier
Souvay reconnaît que l’évaluation de ce qui ressemble à de
la paresse peut être faussée par son propre vécu et ses a
priori. «Ma génération – la génération X! – a commencé
dans le monde du travail alors qu’il n’y avait pas d’emplois.
Forcément, on était prêt à travailler à des heures
incroyables.»
Aujourd’hui, les jeunes cherchent un meilleur équilibre
entre le travail et leur vie personnelle. «Il faut faire
attention à l’évaluation qu’on fait de la paresse. Ce n’est
pas nécessairement de la paresse. Selon moi, dit François-
Xavier Souvay, il faut se poser des questions avant de
formuler un diagnostic à propos d’un employé: est-ce
qu’on a mis cette personne-là sur la bonne chaise? Est-ce
qu’on l’a placée dans des conditions gagnantes pour
réussir?»
La critique irrationnelle
Pas loin de l’incompétence et de la paresse, il y a la
«critique irrationnelle», pour reprendre les mots de
Charles Sirois. «La chose qui me choque le plus, c’est
237
l’irrationalité, je n’aime pas les cons, ça me tombe sur les
nerfs!»
Quand il dit ça, Charles Sirois pense à Pangea, son
entreprise de partenariat agricole par laquelle il fait
l’acquisition de terres avec des agriculteurs. Selon lui, la
critique à son endroit et contre le projet ne tient pas la
route. «Elle est totalement irrationnelle, dit-il avec verve.
Je ne suis pas capable de comprendre la logique derrière.
[…] L’agriculture a besoin de capital, c’est inévitable. Les
agriculteurs, pour réussir, ont besoin de terres. Or 50% des
agriculteurs au Québec ont plus de 55 ans, ils vont devoir
disposer de leurs terres et les agriculteurs plus jeunes
n’ont pas les moyens de les acheter. Il n’y en a pas, de
solution. On peut-tu en dessiner une?»
L’inquiétude avec le modèle Pangea, c’est de voir de
grands groupes financiers ou de riches investisseurs
acheter des terres pour les revendre ensuite à gros prix.
Les critiques parlent de spéculation foncière agricole.
Charles Sirois rejette cette analyse. «Moi, je suis prêt à
discuter de tout, mais pour autant que ce soit rationnel.»
238
c’est «quand on attribue aux autres la responsabilité de ses
propres malheurs. Au Québec, en particulier, c’est toujours
la faute des politiciens».
Marc Dutil cite un exemple qui illustre le fait que tout le
monde, au Québec, se tourne souvent vers l’État: «Il y
avait une région où ça allait mal. Dans le journal, c’était
écrit: “Le maire et le député se sont réunis, ils vont essayer
de trouver une solution.” Voyons donc! La communauté
d’affaires a un rôle à jouer, les intervenants
communautaires ont un rôle à jouer, les médias, les
politiciens ont un rôle à jouer.»
Ce n’est pas tant le rôle de l’État qu’il remet en question,
que la position attentiste qu’adoptent bien des gens,
habitués aux interventions gouvernementales. «Ça, ça me
choque un petit peu. […] C’est une réflexion que j’ai depuis
longtemps. Le politicien a rarement le courage d’avouer
son impuissance et le citoyen a rarement le courage
d’assumer sa puissance.»
Marc Dutil dit avoir rencontré Stephen Harper lorsqu’il
était premier ministre du Canada, dans le cadre d’une
consultation prébudgétaire. «On se demandait ce qu’on
pourrait faire. J’étais le dernier à parler et j’ai dit: “Peut-
être qu’on pourrait ne rien faire! Faites donc un budget où
on pourrait dire: débrouillez-vous tout seul!” Ce n’est pas
239
gagnant, mais c’est libérateur!»
240
énormément.»
La paresse et la bêtise
Nathalie Bondil exprime une opinion proche de celle de
Yoshua Bengio. «Qu’est-ce qui me révolte? Le manque de
curiosité, la paresse, mais c’est vrai que je suis peut-être
exigeante de ce point de vue.»
Elle ajoute la bêtise, faisant référence à l’élection de
Donald Trump et à la montée de mouvements populistes
d’extrême droite. «Ce qui est révoltant, c’est de devoir
accepter que, finalement, on recommence sans arrêt
certaines choses. On a l’impression d’apprendre de ses
erreurs, on a le rêve, l’utopie d’être en plein élan de
progrès.» Et on reproduit les mêmes erreurs.
Elle déplore «le manque d’échanges et de conversations.
En ce moment, on est dans une société qui se durcit dans
sa façon de s’exprimer. […] On voit des comportements qui
sont ultra-narcissiques où on affirme son opinion. Or,
affirmer son opinion à la face du monde, c’est tout
simplement un acte d’égocentrisme incroyable qui ne
permet pas les échanges et la discussion. Je crois que ça, ce
durcissement qu’on voit, qui est une bêtise incroyable, ça
me révolte, parce qu’il faut l’accepter, il faut l’analyser, il
faut vivre avec, il faut essayer chacun d’y répondre».
241
La fermeture d’esprit
Quand on ne cesse de penser à des innovations, que les
idées fusent sans arrêt, comme c’est le cas pour LP
Maurice, il y a fort à parier que la résistance au
changement peut être une source de frustration et de
colère.
«Je suis toujours en train de réfléchir à de nouvelles
idées pour régler des problèmes, dit LP Maurice. Et,
souvent, je me bute à des gens qui veulent juste rester dans
le passé, dans le statu quo. Ça me fâche, car cette attitude
empêche une vague de progrès qui peut toucher tous les
domaines, autant l’environnement que la santé,
l’éducation, etc. Je pense que beaucoup de personnes, un
peu comme moi, qui ont des idées, se butent parfois à des
esprits fermés pour un nombre de causes différentes.»
Chantal Glenisson dénonce la même chose: «Ce qui me
choque, dit-elle, ce sont les gens qui ont des idées très
arrêtées, qui ne veulent pas ouvrir leur vision. Ce qui me
choque aussi, ce sont les gens qui ont de si gros ego qu’ils
écrasent ceux qui les entourent. Ils manifestent un
manque d’ouverture face à ce qui est beau, face aux bonnes
idées et aux personnes autour d’eux.»
Amina Gerba constate que beaucoup de gens vivent
242
«enfermés dans leur environnement, ne voient pas ce qui
se passe autour. […] Ça me choque beaucoup de voir qu’il
n’y a plus cette valeur du partage».
243
présentation aux actionnaires]. Mon partenaire et
moi, on faisait des sketches, on faisait de l’humour et
des trucs comme ça pour s’amuser. L’une des
serveuses vient me voir et me dit: “Monsieur
Lassonde, je voudrais vous remercier.” Elle avait un
accent du rideau de fer, très fort, vous savez un accent
européen très, très fort. Et on voyait qu’elle avait du
vécu aussi, elle était ridée, elle avait travaillé très fort
dans sa vie. Or, moi, je pensais qu’elle me disait merci
parce qu’elle travaillait ce soir-là. Elle s’explique:
“Monsieur Lassonde, en 1985, j’ai lu un article dans le
Sun qui recommandait Franco-Nevada et j’ai mis
toutes mes économies dans le titre…” J’avais peur,
j’avais froid pratiquement… “Et le mois passé, grâce à
ça, j’ai été capable de m’acheter une maison.”
Incroyable!»
Pierre Lassonde est ému par cette histoire, en la
racontant, comme si le récit de cette dame venait
donner un sens à ce qu’il a développé au fil de sa vie.
«Ça, ce sont les gens pour lesquels vous travaillez. Il
ne faut jamais, jamais l’oublier. Et, malheureusement,
dans la culture des entreprises, il y a encore trop de
chefs d’entreprise qui oublient qui sont les
propriétaires ultimes de leur entreprise.»
244
Crises et conflits
245
dans cette direction-là. Il n’y a aucune randonnée où on ne
marche pas dans la boue une fois de temps en temps. Il n’y
a aucun voyage où il ne pleut pas. Parfois, on a le vent dans
la face, mais quand on sait où on s’en va, tout ça, ce n’est
pas grave. Je vous dirais que c’est pour ça que même les
journées difficiles sont satisfaisantes.»
C’est en considérant une vision comme celle-là qu’on
imagine un leader capable de prendre les bonnes décisions
et de rallier les gens autour de lui.
246
gestion globale, quand ça ne va vraiment pas bien, ce n’est
pas là que je vais me fâcher. Jamais, jamais, jamais! C’est
le moment où je vais devenir positif et c’est là que le vrai
leadership s’impose».
Charles Sirois est tout le contraire. «Je ne suis pas
quelqu’un qui exprime ses émotions. Ma mère m’a
toujours dit: “Toi, on ne sait jamais si tu es de bonne
humeur ou pas de bonne humeur.” Je suis très expressif
pour des choses qui ne me touchent pas. Si ça me touche, il
y a très peu de gens qui vont savoir mon état d’âme. […]
S’il y a un gros problème, je vais plutôt être calme et
essayer de m’y attaquer. S’il m’arrive d’avoir un accès de
colère, ça ne durera pas.»
Maintenir le dialogue
Il faut préparer les moments difficiles. Il faut faire preuve
de lucidité et prévoir qu’il y aura des conflits et des crises,
et il faut être prêt à affronter ces situations. Louise Roy sait
de quoi elle parle. «Écoutez, dans ma vie, j’ai eu du stress,
je ne suis pas une personne qui cherche le conflit, mais j’en
ai eu, des conflits, à régler! Il y a des gens qui se révèlent
dans les conflits et qui vont même faire en sorte que les
rapports soient un peu tendus, mais ce n’est pas moi, ça.»
Le ton, l’approche, l’intelligence, les faits, Louise Roy sait
247
comment faire pour résoudre un problème.
«Honnêtement, je pense que si on est capable d’avoir une
approche claire et vraie, on est capable d’expliquer les
choses, et ma foi, de dénouer des crises.»
Louise Roy a mené des négociations difficiles avec des
syndicats. «J’ai vécu des situations d’opposition à
plusieurs reprises, à la STM, à Air France. On finit toujours
par régler les problèmes quand on sait bien présenter les
choses et quand on est capable d’évoluer, de mettre de
l’eau dans son vin pour en arriver à une solution.»
Elle ajoute: «Pour moi, le dialogue, ce n’est pas juste
quand les affaires vont bien. Il faut aussi être capable de
maintenir un dialogue et d’expliquer les choses quand ça
ne va pas bien. Souvent, dans les organisations, on va
parler aux employés pour annoncer de mauvaises
nouvelles. Mais il faut que les gens comprennent où
l’organisation s’en va, qu’ils soient au courant. Et ça, je l’ai
fait chaque fois à la STM et à Air France.»
Même discours du côté d’Air Canada, qui connaît sa part
de difficultés depuis 20 ans, sans parler des négociations
complexes et souvent médiatisées avec les employés,
agents, techniciens et pilotes. Air Canada a subi des
restructurations, il y a eu des mises à pied, des conflits de
travail.
248
La communication est la clé, selon Calin Rovinescu, le
PDG d’Air Canada. «On pourrait avoir les meilleurs
cerveaux du monde, dit-il, les gens les plus intelligents qui
ont les meilleures stratégies innovatrices, s’ils ne sont pas
capables de communiquer ce qu’il faut faire, les employés
ne pourront pas se rallier [au projet ou à la mission de
l’entreprise].»
Calin Rovinescu est devenu le grand patron d’Air Canada
en 2009, alors que la compagnie aérienne traversait une
importante zone de turbulences, financières dans ce cas-ci.
Air Canada avait frôlé la faillite, les liquidités fondaient à
vue d’œil.
«Ça a été une période extrêmement difficile pour la
compagnie, affirme Calin Rovinescu. Toutes les
conventions collectives venaient à échéance. On avait un
fonds de pension qui enregistrait un déficit de plus de
quatre milliards de dollars. Vraiment, la vie était très
compliquée. C’était le meilleur moment pour apporter des
changements.»
Calin Rovinescu compare la gestion des affaires à cette
époque à un cube Rubik. «Il fallait travailler toutes les
couleurs en même temps, dit-il. On n’avait pas le temps de
régler le bleu avant le jaune ou avant le rouge, il fallait
faire tout ça en même temps. C’était très motivant, il fallait
249
s’assurer que les gens comprenaient les défis. Alors, on a
été parmi les premières entreprises à utiliser YouTube
pour communiquer avec nos employés. On a utilisé toutes
sortes de moyens de communication pour expliquer que la
situation était grave, mais qu’on avait différentes
solutions, qu’on n’était pas certain qu’on allait y arriver,
mais qu’on avait une stratégie.
«On y est arrivés», conclut Calin Rovinescu.
250
personnages de théâtre.»
Elle ajoute: «La clé, pour gérer une crise, pour moi, en
tout cas, c’est d’être dans un état d’aide pour que la
personne puisse se sortir de cette crise-là, pour qu’on
trouve des outils, des moyens pour l’aider. Si on est tous,
au final, face à un cul-de-sac, la décision d’une mise à pied
ou d’un renvoi, ou peu importe, se prend presque
automatiquement. Elle se prend en accord avec la
personne. À ce chapitre, j’ai beaucoup de compassion, et
ça, c’est peut-être une qualité féminine.»
251
Au cœur de l’entreprise, rappelle-t-il simplement, il y a
des êtres humains qui font tourner la machine. «Les êtres
humains sont la clé fondamentale du succès d’une
entreprise. Ce n’est pas une entreprise qui fait des gens, ce
sont des gens qui font des entreprises et, conséquemment,
ce sont des gens qui défont des entreprises aussi.»
Parfois, explique l’entrepreneur, il faut, dans l’intérêt de
l’entreprise, remercier un employé qui n’est pas à sa place.
«Il faut être capable de prendre des décisions rapidement
quand les choses ne fonctionnent pas. C’est l’aspect
humain qui est le plus difficile, mais comme entrepreneur,
il faut être capable de les prendre, ces décisions-là.»
Pour François-Xavier Souvay, ce qui est le plus
important dans une entreprise, pour réduire les difficultés
de toutes sortes, c’est de bien sélectionner les employés. Il
faut bien choisir les gens qui se joignent à l’entreprise, dit-
il. «Engageons très lentement, mais lorsque nous nous
sommes trompés, réglons la situation très rapidement.
C’est l’aspect humain qui est difficile, parce que ça brise
des familles. C’est pour ça qu’il est important de prendre le
temps à l’embauche; les ressources humaines sont
indéniablement l’aspect le plus délicat d’une entreprise.»
252
Abandonner? Jamais!
253
Abandonner n’est pas dans la nature des entrepreneurs.
Chaque leader à qui je parle d’abandon me répond sans
hésiter: jamais! Et si certains avouent qu’ils y ont pensé,
tous me disent qu’après réflexion ils ne voient pas
comment ils auraient pu abdiquer. J’admire cette
détermination.
«Tout abandonner, ça m’arrive d’y penser», dit Chantal
Lévesque. Peut-être se rassure-t-elle ainsi quant à
l’existence de cette possibilité. «J’ai toujours eu le choix et
j’ai toujours pris la décision de continuer. Peut-être parce
que j’ai beaucoup d’énergie, peut-être parce que j’ai du
courage! Choisir d’arrêter ne m’est pas encore arrivé!»
«Jamais», dit Charles Sirois avec fermeté, jamais il n’a
pensé abandonner. «Je ne pourrai m’arrêter que le jour où
je n’aurai plus la conviction que ce qu’on bâtit crée une
valeur, crée un bénéfice pour ceux qui [font partie de
l’entreprise].»
Seul, au volant
Le scientifique Yoshua Bengio est reconnu aujourd’hui
pour ses recherches en intelligence artificielle. Sommité
mondiale, il est invité partout et il a reçu tous les
honneurs. Mais son travail est celui d’un homme
persévérant.
254
C’est dans les années 1980 qu’est apparu le concept de
l’apprentissage profond, la technique qui consiste à donner
aux machines une capacité d’apprentissage. Même au
début des années 2000, alors qu’on imaginait depuis si
longtemps que les voitures allaient voler (ou presque!),
peu de gens croyaient au développement de la machine
intelligente. C’était de la science-fiction, il fallait être un
peu fou pour croire à la recherche en intelligence
artificielle.
Encore là, Yoshua Bengio fait partie de ceux qui
n’envisagent pas la possibilité de lâcher prise,
d’abandonner, de tout laisser tomber. «J’étais assez
confiant, dit-il, à l’époque, au début des années 2000,
quand c’était le creux le plus important par rapport aux
idées que j’ai défendues. Mes étudiants voulaient faire
autre chose que ce que, moi, je voulais explorer, ce n’était
pas à la mode. Je restais convaincu que c’était ce qu’il
fallait faire et ça ne m’est pas venu à l’idée de baisser les
bras.»
En fait, j’ai presque l’impression que le «savant fou»
dans son laboratoire ne se préoccupait pas trop de ce qui
se passait à l’extérieur des murs. Convaincu qu’il avait
raison ou qu’il avait, à tout le moins, le droit de poursuivre
son travail. «Je ne m’en faisais pas avec ça du tout. J’allais
255
de l’avant. […] J’ai été chanceux quand même, admet
Yoshua Bengio, je pense que, dans d’autres milieux,
certains ont dû abandonner leur rêve. Mais, au Canada, on
a un système de financement qui permet à des chercheurs
qui n’ont pas nécessairement une très grande
reconnaissance, ou qui ne sont pas à la mode, d’être
financés et de poursuivre leur petit bout de chemin. C’est
comme ça que des idées originales vont pouvoir sortir du
lot, par l’exploration et par la curiosité. Dans le monde de
la recherche, c’est essentiel.»
Interdit de reculer
L’idée que chacun se fait de l’abandon est grandement
influencée par la culture, l’éducation, le milieu familial,
l’entourage et les convictions personnelles. Calin
Rovinescu projette l’image d’un homme sûr de lui, droit et
déterminé. «Moi, c’est très rare que je regarde en arrière
pour dire que j’aurais dû faire quelque chose d’autre»,
affirme le PDG d’Air Canada.
«Ah, mon Dieu, je ne suis tellement pas une fille qui
abandonne! Jamais, lance Diane Giard, visiblement
étonnée que je lui pose la question. Je suis probablement
plus têtue, j’ai probablement le défaut de la qualité, qui est
celui d’aller trop loin.»
256
François-Xavier Souvay apporte une nuance
intéressante. «La pire affaire, c’est de tomber en amour
avec nos plans. Il ne faut pas faire ça, il faut être objectif,
être capable de reconnaître qu’on s’est trompé, d’établir un
autre plan et de recommencer. Mais laisser tomber le
projet global qu’est Lumenpulse [son entreprise], jamais!»
«Ça n’a jamais été une option, dit Jocelyna Dubuc, mais
ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de difficultés énormes.
Mais, abandonner, ça aurait été m’abandonner moi-
même.»
Pour plusieurs entrepreneurs, la volonté de ne pas
abandonner peut ressembler à de l’entêtement. «Il faut
que tu croies à ton rêve», dit Placide Poulin. Mais, parfois,
ce rêve aboutit à un échec. «On te met une étiquette quand
tu ne réussis pas. Alors, il a fallu se battre, il a fallu repartir
à zéro avec une dette, pas de salaire, emprunter de l’argent
à mon beau-père, à ma belle-sœur, à mon oncle. Faut le
faire! Ça prend de l’humilité.»
257
ils défont, recommencent, ajoutent, ils créent, ils
reculent un peu pour mieux avancer.
L’histoire de LP Maurice avec ses cofondateurs à
Busbud, c’est celle d’un groupe d’amis qui ne voyaient
pas d’obstacles à leurs idées de grandeur. Il n’était pas
question de laisser tomber. C’était droit devant!
«En fait, nous, on était un petit joueur, dit LP
Maurice, on était trois personnes dans un
appartement sur le Plateau qui voulaient changer le
monde du transport en autobus. On parlait à des
entreprises qui, comme Greyhound, Megabus,
Orléans Express, sont des grandes franchises qui
existent depuis des décennies, voire, dans le cas de
Greyhound, depuis plus d’un siècle.
«La grande question était: quelle valeur peut-on
apporter à ces joueurs-là? C’est vraiment grâce à
l’écoute et au dialogue qu’on a pu comprendre quels
étaient les besoins et quel rôle on pouvait jouer pour
créer de la valeur ensemble.»
Donc, abandonner n’était pas une option, mais les
négociations avec des entreprises établies n’ont pas
été faciles. «Je pense que j’ai beaucoup de
persévérance, dit LP Maurice, mais il y avait certains
facteurs au début, au moment de la signature de tous
258
ces partenariats, qui étaient plus difficiles que prévu.
On s’est remis en question.»
259
L’esprit immigrant
260
d’un atout, d’une force.
Pour deux raisons. La première, c’est que l’immigration
est synonyme de persévérance. C’est un geste d’une grande
portée, dans la vie d’une personne, que de changer de
pays, que de tenter de se faire de nouvelles racines ailleurs.
La seconde, c’est qu’être immigrant, c’est aussi être
différent. La recherche de l’acceptation est un parcours qui
peut être difficile.
261
fierté, parce que ça nous a donné une diversification, une
diversité culturelle, un intérêt et une compréhension à
l’égard de la différence aussi. Je pense qu’on fait partie de
la nouvelle génération de Nord-Américains, nés de parents
immigrants, et probablement que pour mes enfants, ce
sera très différent. Ce l’est déjà, je le vois.»
Scénario semblable pour Yoshua Bengio, qui a grandi à
Paris, dont les parents sont d’origine marocaine et qui est
arrivé au Québec avec toute la famille en 1977. Il atterrit ici
en pleine tempête de neige «et puis, un choc culturel, dit-
il, la langue déjà, l’accent québécois dans la cour d’école…
L’accent français, que j’avais, n’était peut-être pas
nécessairement bien reçu. Alors, je me suis rapidement
adapté. […] La cour d’école, ce n’est pas toujours tendre et
puis, moi, je n’étais pas un enfant très sociable à
l’adolescence ni même avant. Donc, comment dire, c’était
important de rentrer dans le moule pour ne pas être visé
par les bullies de l’école. Heureusement, il y avait mon
frère, plus jeune que moi, qui me défendait à l’époque».
Tiens, tiens, comme c’est pratique et utile d’avoir un
frère plus carré, plus grand, plus fort! «Plus jeune et plus
large et plus costaud et qui ne se laissait pas
impressionner! Donc, on formait une paire! J’ai
rapidement appris à parler comme les autres élèves, mais
262
j’ai gardé aussi l’accent français. Donc, ça dépend de la
personne avec qui je parle. Je suis un peu caméléon.»
Des batailleurs
Chantal Glenisson est d’origine marocaine également. Elle
est née à Casablanca, a vécu quelques années en France et
est arrivée toute jeune au Québec. Le côté entrepreneur est
l’héritage principal de ses parents, dit-elle, mais cette
aventure de vie qui l’amène jusqu’au Québec est
nécessairement ancrée en elle.
«Même si je me sens tout à fait québécoise, parce que j’ai
quand même passé ma vie au Québec, reste que, pour moi,
c’est une fierté d’avoir des racines françaises et
marocaines. Je trouve que c’est un cadeau que mes parents
m’ont fait, parce qu’ils ont apporté, avec ces nationalités,
différentes cultures, une façon différente de voir les
choses. C’est sûr que le côté entrepreneur est fort parce
que mes parents sont entrepreneurs, et la famille aussi
l’est. Ce sont des gens qui, en général, sont à leur compte.
Ce sont des batailleurs, des gens qui veulent aller plus loin.
[…] Mes parents avaient un rêve: ils voulaient offrir le
meilleur à leurs enfants. Une vie meilleure, c’est la raison
pour laquelle on est au Québec.»
263
Ténacité
L’esprit immigrant apporte «la ténacité», dit François-
Xavier Souvay. «On peut réussir dans n’importe quel pays.
Je pense que ce sont ces valeurs-là qui m’ont donné
beaucoup d’énergie et qui m’en donnent encore
aujourd’hui, qui m’ont donné la capacité de réussir ailleurs
qu’au Québec, de sentir qu’on peut s’intégrer, comprendre.
Think globally but act locally, c’est d’avoir une vision
globale, mais d’agir en fonction des réalités locales. Et je
pense que mon héritage culturel et multiethnique m’a
donné ces outils-là pour être capable de bien réussir.»
Le courage
Immigrer et entreprendre, «ça prend les mêmes énergies,
dit Amina Gerba. Avoir le courage de quitter son pays, de
venir dans un nouveau pays, sans savoir ce qui nous
attend, c’est la même chose quand on entreprend. Tu as
une idée en tête, tu construis ton idée, tu es la seule à
croire en ton idée et la seule qui sait comment tu peux faire
en sorte que ça marche. Immigrer, c’est la même chose, on
ramasse ses choses, on s’en va dans un nouveau pays, on a
en tête ce qu’on cherche et on continue dans ce sens-là
jusqu’à ce qu’on obtienne ce qu’on veut».
C’est avec cette conviction qu’Amina Gerba est arrivée au
264
Québec, s’est inscrite au cégep pour devenir entrepreneure
et se lancer en affaires. «Déjà, en entrant au cégep, au
milieu des Québécois, pour moi, j’étais comme eux. Je ne
voyais pas la différence. Je me disais: “J’étudie avec les
Québécois, les Canadiens, je fais les mêmes choses qu’eux,
j’ai le même parcours qu’eux, pourquoi est-ce que je dois
me considérer comme différente?”
«Non, je ne peux pas me considérer comme différente,
parce que si je commence à me considérer comme
différente, ça va jouer dans ce que je vais entreprendre,
dans ce que je vais penser, dans mon entourage. Je vais
essayer de rester avec des gens qui sont comme moi. Je ne
suis pas différente, je suis une entrepreneure et, dans ce
sens-là, je vais avec ceux qui vont dans le sens de mon
entreprise et non avec ma communauté.»
265
Et donc, il fallait rebâtir une vie. La chose qu’ils
avaient, c’est ce qu’ils avaient dans leur tête, dans leur
cerveau. Les choses dans les valises, évidemment,
c’est parti après un certain temps, et les 60 dollars
aussi! Mais, ils ont été capables de rebâtir leur vie,
leur carrière, grâce à leurs diplômes.»
Les parents de Calin Rovinescu souhaitaient donner
une éducation de haut niveau à leurs enfants. «Mon
père voulait que je devienne médecin. C’était la chose
la plus importante pour lui.»
L’immigration mène au dépassement, dit Calin
Rovinescu. «Le dépassement, l’importance de la
connaissance. Souvent, on parle des choses qui sont
importantes dans la vie. Et, moi, les leçons que j’ai
retenues de mes parents ainsi que de tout le monde
qui m’a influencé au cours de ma vie, c’est
l’importance de la connaissance, le courage et la
conscience… être aware, comme on pourrait dire en
anglais. Avoir le courage de faire des choses
nécessaires. Mais on ne peut pas les faire sans avoir
étudié, sans les connaissances.»
Le fait d’immigrer, même jeune, change la
perception tout au cours de la vie. «Venir ici, sans
rien, comme ça, et moi étant déjà né, donc étant
266
immigrant moi aussi, ça influence beaucoup la façon
de voir les choses. Il y a beaucoup d’auteurs qui
parlent du monde des affaires et de l’attitude à avoir
pour réussir en affaires. Bien, souvent, il faut avoir
une attitude d’immigrant. Quelqu’un qui est un
immigrant est, par sa nature, optimiste. Il est un peu
paranoïaque aussi, parce qu’il ne sait pas s’il va avoir
assez d’argent pour continuer. Donc, être un peu
paranoïaque, être un peu optimiste, avoir le courage
de dire qu’on va tout essayer. Si ça marche, parfait, si
ça ne marche pas, on va essayer quelque chose
d’autre! Cette attitude, quand on passe d’une
entreprise en voie de développement à une entreprise
en voie de changement, de transformation, ces traits
ne sont pas nécessairement mauvais. […] La mentalité
immigrante, toujours optimiste, mais un peu
paranoïaque. Just in case…»
267
L’engagement
268
l’engagement. Plusieurs, vous allez le constater, se sentent
redevables à la société, ils sont conscients de leurs
privilèges, de leur chance, peut-être aussi mal à l’aise vis-
à-vis de l’argent qu’ils ont accumulé, une réaction que
certains qualifieraient de judéo- chrétienne, par référence
au fait qu’il a, semble-t-il, toujours été mal vu, au Québec,
d’avoir de l’argent et surtout d’en parler.
269
je me souviens, il y avait plein d’enfants sur le trottoir.
J’étais ébahie! Dans ce quartier où il y a tant d’enfants, les
conditions économiques sont souvent difficiles. Un
ménage sur deux vit sous le seuil de la pauvreté. Or, ces
enfants-là, quand on les assoit sur un banc d’école et qu’on
leur demande d’apprendre un texte ou de revenir le
lendemain avec un devoir écrit, c’est très difficile»,
explique Sophie Brochu.
Un engagement dans la communauté lui est apparu
comme une évidence. «J’ai eu le goût, avec des collègues,
de proposer à notre conseil de s’impliquer lourdement et
de faire un changement dans la durée sur 10 ans, 15 ans,
20 ans dans le quartier.» C’est ainsi qu’est né le projet
Ruelle de l’avenir, un organisme à but non lucratif (OBNL)
qui offre des ateliers pédagogiques, des activités
d’apprentissage et des camps d’été aux enfants du quartier.
«On a créé une espèce de laboratoire où les enfants
viennent avec leurs professeurs, raconte Sophie Brochu
avec enthousiasme. Les professeurs s’inscrivent à des
classes d’apprentissage liées à leurs matières scolaires,
mais de manière transversale. Il y a une cuisine, il y a un
toit vert, on fait pousser les légumes, l’été. Les plus grands
vont vendre les tomates au petit marché Frontenac. Il y a
des ateliers de robotique. Les enfants apprennent leurs
270
matières en classe, ils viennent vivre des expériences à la
Ruelle et ils retournent en classe.»
La Ruelle de l’avenir existe depuis 2008 et rassemble des
milliers d’enfants et de familles autour d’activités variées
et des camps, financés par des donateurs et plusieurs
partenaires privés et publics.
271
concitoyennes: “Écoutez, je ne suis pas le seul qui est bien
nanti ici, au Québec, et regardez ce qu’on peut faire pour le
reste de la société.”»
Son engagement à l’égard du Musée national des beaux-
arts veut soutenir l’art au Québec et attirer l’attention sur
un joyau d’exception. Le pavillon Pierre Lassonde a été
inauguré en 2016. C’est aujourd’hui la porte d’entrée du
Musée, un magnifique édifice de verre, lumineux,
majestueux, situé sur la Grande Allée, avec un escalier
spectaculaire qui donne accès au grand hall. Allez voir, si
ce n’est pas déjà fait, ça vaut le coup!
Cet endroit est somptueux et porte le nom d’un homme
modeste. «Que le public québécois ne me connaisse pas, ça
ne me dérange pas du tout, dit Pierre Lassonde. L’idée
derrière le Musée, c’est vraiment d’aider la communauté
artistique québécoise. Au départ, je me disais que si l’on
créait un écrin extraordinaire – vous savez, les œufs des
tsars, que vous ouvrez pour découvrir des trésors à
l’intérieur, dans notre cas, des œuvres québécoises –, on
attirerait beaucoup plus de gens au Musée, on leur ferait
connaître des œuvres que, normalement, ils ne viendraient
pas voir.»
Cette vision noble et généreuse l’était peut-être trop pour
les décideurs de l’époque, inquiets de plusieurs facteurs.
272
«C’était le concept original du Musée, poursuit Pierre
Lassonde, et pour ça, moi, je voulais une compétition
internationale d’architecture pour avoir ce qu’il y a de
mieux. Et, là, on a exercé des pressions sur moi en me
disant: “Non, ça se passe toujours mal, des concours
d’architecture, les coûts sont toujours dépassés”, etc. J’ai
subi énormément de pression, mais j’ai tenu mon bout et,
finalement, j’ai été obligé de dire: “Ben, si vous voulez mon
argent, c’est ce que je fais. Sinon, c’est bye bye!” Alors, on a
dit: “D’accord!”» La menace a fait effet. Et l’on peut dire,
sans se tromper, que cet engagement pour la culture est
important dans l’histoire du Québec.
Au début du projet, Pierre Lassonde a été clair avec les
concepteurs. Il a dit: «Je veux que, lorsque les gens
regardent l’édifice, ils disent wow! Je veux que, lorsqu’ils y
pénètrent, ils disent wow! Et je veux que, lorsqu’ils
sortent, ils disent wow! Et, une dernière chose: ça ne peut
pas coûter plus que 100 millions. Point final. O.K. Alors
c’est exactement ce qu’ils nous ont donné. Un édifice
absolument superbe, qui a gagné toutes sortes de prix et, le
plus important, qui attire les foules.»
273
musée, Nathalie Bondil a tenu à instaurer, dès son arrivée
au Musée des beaux-arts de Montréal, des activités et des
approches visant la communauté. Elle mise sur l’art
thérapie, elle parle de santé mentale, d’éducation, elle a
introduit la musique au Musée. Elle a aussi rassemblé des
dessins de partout dans le monde à la suite de l’attaque
meurtrière dans les locaux de Charlie Hebdo, à Paris, en
janvier 2015.
Elle parle d’un musée sans frontière. Son engagement est
social, politique, il est partout dans le travail du Musée. «Il
est fondamental, je vous dirais qu’il dépasse le Musée, dit
Nathalie Bondil. Un médecin peut exercer sa profession
dans cette direction-là, un avocat peut travailler pro bono,
un journaliste peut aussi avoir cet engagement-là. Je pense
que le métier, cette connexion, c’est un vecteur de
communication et d’ouverture sur le monde parce que les
artistes voient plus loin que nous.»
Elle poursuit: «Les œuvres d’art ouvrent les portes de
nos émotions, souvent, ce qu’on ne peut pas dire avec des
mots, on peut le ressentir. Et c’est là que la culture est si
importante. On voit d’ailleurs beaucoup d’enfants qui ont
été traumatisés en temps de guerre, entre autres, et qui
reviennent à la vie normale grâce au dessin. Ils ne peuvent
pas parler, ils ne peuvent pas exprimer ce qu’ils ont vécu.
274
Je crois très fortement que la culture, les œuvres d’art
peuvent nous aider à devenir humains, à être en meilleure
santé, à la fois soi-même, mais en même temps ensemble,
en collectivité.»
275
l’équivalent de 7% de mon salaire en dons. Comment ça se
fait qu’aujourd’hui on ne soit plus capable de faire ça? […]
Un budget de dons, ce n’est pas juste une question
d’argent. C’est une question de valeurs.»
Comme PDG de l’Industrielle Alliance, Yvon Charest
gagnait moins que ses homologues de compagnies
concurrentes, ce qui ne l’empêchait pas de donner
beaucoup plus que d’autres dirigeants. S’appuyant sur des
données statistiques, Yvon Charest explique que, parmi les
ménages au Canada qui gagnent 53 200 dollars et moins et
«qui font des dons, les gens donnent en moyenne 2% de
leurs revenus. Ils sont capables de trouver 1000 dollars.
C’est incroyable! Si ces gens sont capables de donner 2%,
vous et moi, on est capables de donner 3%!»
Il poursuit: «En moyenne, les Québécois donnent deux
fois moins que les gens du Canada anglais. […] Et quand je
sollicite mes collègues pour des dons de 2500 dollars à
Centraide, il y en a un seul qui m’envoie son chèque avant
que je le demande. Et, comme par hasard, dit Yvon
Charest, c’est le seul anglophone du groupe!»
Il affirme se sentir redevable à la société et estime
primordial de se rappeler combien les Québécois
contribuent collectivement à l’éducation des jeunes à
l’université. «Ma mère m’a dit un jour: “Yvon, le cégep, ça
276
ne coûte rien, alors je vais te le payer. Et, à l’université, tu
emprunteras!”»
Yvon Charest calcule grossièrement que les jeunes à
l’université vont payer environ 15% de leurs études.
«Quand vous regardez ça, ça va coûter 2000 dollars par
année pour être instruit à l’Université Laval. Alors, c’est
sûr que je me sens redevable, c’est la société qui a payé
85% de mes études!»
Cela dit, quand on compare le Québec et le Canada au
reste du monde, il apparaît clairement que nous vivons
dans une société riche. Nous sommes parmi les privilégiés
de la planète. Comment se fait-il que bien des gens et des
organisations doivent compter sur la générosité des mieux
nantis? Est-ce normal?
«Oui, c’est normal, dit Yvon Charest, puis c’est utile,
honnêtement, parce que quand tu fais un don, tu gères la
générosité, tu décides où le don va. Pour toutes sortes de
raisons, tu peux décider de donner à Centraide, tu peux
décider de donner à des jeunes qui ont du potentiel et qui
n’ont pas de sous. Moi, j’ai fait mon don testamentaire à
l’université, pour les jeunes qui ont du talent et qui n’ont
pas d’argent pour étudier. Dans ce sens-là, c’est utile.»
Yvon Charest affirme qu’on a quatre grandes chances
possibles dans la vie. Il les énumère: «La chance de la
277
santé, est-ce que vous l’avez? La chance d’être né au
Québec, avec l’éducation pour laquelle on ne paie que 15%
des coûts; la chance de l’entourage, parce que tout le
monde peut traverser des moments difficiles dans la vie.
Quand il y a un moment difficile, est-ce qu’il y a quelqu’un
pour vous aider ou pas? Et la quatrième chance, c’est de
comprendre que nous sommes dans une décennie où les
inégalités de revenus n’ont jamais été aussi grandes, alors
il faut être [conscient de ça]!»
278
Gabriel [Nadeau- Dubois], j’étais assis à côté de
Françoise David [ex-porte- parole de Québec
solidaire] et de Marie-Maude Denis [journaliste
d’enquête], et j’ai été traité de voleur et d’abuseur par
l’assistance. Ça a commencé de même, ça a duré deux
heures et demie, mais, quand j’ai quitté la salle, une
jeune fille s’est approchée et m’a dit: “Monsieur Dutil,
merci beaucoup d’être venu nous voir, j’ai compris
pourquoi mon père était en affaires. Ça m’a fait du
bien.”»
279
jouer de sa hurdy-gurdy à la maison. Je disais être navrée
pour cet homme et mon père avait répondu: “Il ne faut pas
avoir pitié des gens. S’il avait voulu, il aurait pu faire autre
chose.” Je savais très bien que ce n’était pas correct.»
Phyllis Lambert identifie ce moment comme une
révélation pour elle. Ces mots de son père lui ont fait
réaliser, dit-elle, que «les gens n’ont pas tellement le
pouvoir sur leur vie. Et c’est ça que je trouve tellement
navrant. […] C’est terrible de mettre des gens en dehors de
leur maison. Mais c’est parce que les gens n’ont pas la
capacité d’agir. Ils n’ont aucun moyen de s’affirmer dans
quoi que ce soit, c’est ce que je trouve tragique».
L’architecte affirme que son action vise à «établir des
conditions dans lesquelles ils peuvent agir». C’est
pourquoi elle a créé, en 1997, le Fonds d’investissement de
Montréal, destiné à maintenir un parc immobilier
abordable, à favoriser la mixité des quartiers et à
permettre l’accès à un logement de qualité aux familles à
faible revenu.
Selon elle, le travail d’Héritage Montréal et du Centre
Canadien d’Architecture (CCA) a contribué à changer les
mentalités et les perceptions. «C’est une question de
constance, dit-elle, de toujours être là, de pousser, de
trouver une autre façon de faire pour y arriver. C’est ça,
280
c’est la constance. C’est un peu un projet de guerre. Il faut
avoir des réunions tout le temps et agir.»
Pourrait-on dire que l’engagement de Phyllis Lambert,
c’est d’avoir été et d’être toujours en guerre? «Oui, je crois,
au fond…», répond-elle en riant.
281
car il est pleinement conscient des dérives possibles dans
l’utilisation de l’intelligence artificielle, à des fins militaires
notamment. Plusieurs expriment des craintes quant au
risque que la robotisation n’augmente les inégalités
sociales.
«Il y a beaucoup à faire, dit-il, sur le plan de la recherche,
on est très loin d’avoir atteint le niveau d’intelligence des
humains. Moi, je cherche une espèce de formule simple
qui permet de comprendre l’intelligence humaine. On n’en
est pas là. J’aimerais pouvoir contribuer plus à ça et
j’aimerais pouvoir aider la société à faire les bons choix.
Parce qu’on a des choix devant nous et on peut aller vers la
dystopie, vers la misère humaine. Ou on peut aller vers un
monde bien meilleur que celui dans lequel on vit
aujourd’hui. La science, la technologie peuvent nous
donner ça, mais peuvent aussi nous donner autre chose.
Alors j’aime l’idée de pouvoir pousser des choses dans le
bon sens.»
282
même formé 2500 entrepreneurs en Afrique, c’est toute
une organisation qu’on a bâtie à travers l’Afrique. Je crois
que, dans tout ça, il y en a au moins une vingtaine qui sont
devenus de grands entrepreneurs.»
Sans s’attribuer le mérite de leur succès, Charles Sirois
estime avoir contribué à l’enrichissement des personnes
que son organisme a soutenues au fil du temps. «J’ai laissé
quelque chose derrière ces entrepreneurs-là. Est-ce qu’ils
auraient réussi sans Enablis? Je ne sais pas, mais je crois
que ça a laissé quelque chose.»
L’engagement de l’homme d’affaires s’est également
concrétisé dans la création, avec sa femme, Susan McPeak,
du Groupe McPeak-Sirois, une initiative privée consacrée à
la recherche clinique en cancer du sein. «Ma femme et
moi, déclare Charles Sirois, on a créé ce groupe
essentiellement pour permettre à presque toutes les
femmes du Québec qui sont atteintes du cancer du sein
d’avoir accès à un protocole de recherche. Ma femme
jugeait que ça avait été une chance pour elle d’avoir été au
bon endroit avec le bon médecin. Ça n’a quasiment pas
d’allure! Il ne faut pas que ça soit une question de chance.»
Charles Sirois est aujourd’hui convaincu que des vies
pourront être sauvées grâce à cette initiative.
283
Se rappeler que l’on est privilégié
Christiane Germain s’implique dans la Dauphinelle, un
foyer pour les femmes qui sont victimes de violence
physique ou psychologique. «Je suis une privilégiée de la
vie, dit-elle. J’ai fait mon chemin pour y arriver quand
même, j’ai travaillé pour, mais je demeure une privilégiée.
Et les inégalités sociales me touchent beaucoup.»
La femme d’affaires raconte que, toute jeune, elle a
souhaité, à un certain moment, devenir missionnaire.
«Très tôt dans ma carrière, je me suis engagée dans ma
communauté, auprès d’organisations culturelles,
d’organisations qui viennent en aide aux gens dans le
besoin, de différentes institutions d’éducation au Québec,
d’hôpitaux, etc. […] La communauté m’a donné beaucoup
et me donne encore beaucoup. Alors, c’est tout à fait
naturel pour moi.»
Elle fait partie de celles et ceux qui disent se sentir
redevables à la société. «Absolument, je me sens redevable
et j’ai du plaisir à faire ça aussi, ça me fait plaisir de
redonner, je fais des rencontres extraordinaires. Si je ne le
faisais pas, je ne me sentirais pas bien.»
284
servir ses concitoyens est un geste noble mais très
exigeant. Il est fascinant d’ailleurs de voir certains leaders
trébucher, se casser les dents, en tentant de se lancer en
politique. Les exemples sont nombreux, de Marcel Côté en
2013 en politique municipale à Montréal à Alexandre
Taillefer avec les libéraux à Québec en 2018. Le passage du
monde des affaires et de l’entrepreneuriat à l’univers de la
politique est semé d’embûches.
Pourquoi? Et quelles leçons retenir? Essayons de
comprendre un peu à travers le récit de quelques
dirigeants qui ont tâté de la politique.
Commençons par Lorraine Pintal, candidate pour le
Parti québécois en 2014 dans la circonscription de Verdun.
Elle a été battue, son parti a été chassé du pouvoir, y
compris la première ministre Pauline Marois, qui a perdu
dans sa circonscription.
«Il y avait un tel vent, un souffle qui poussait sur le Parti
québécois à l’époque, il y avait presque une certitude de
gagner, explique Lorraine Pintal. Dans Verdun, moi,
j’avoue que j’y allais avec lucidité aussi. […] J’avoue que je
suis rentrée la tête basse. J’avais une peine profonde. Pas
pour moi, mais pour Mme Marois, bien sûr, et pour
l’avenir du Québec. C’est ce qui m’a beaucoup attristée.»
À peine quelques jours après la défaite électorale, elle est
285
retournée au TNM pour lancer la nouvelle saison. «J’ai fait
le lancement. Parce que je suis comédienne dans l’âme, j’ai
pris la peau de mon personnage de directrice artistique.»
La campagne électorale a duré un peu plus d’un mois.
«Ça a été tellement fascinant de faire une campagne
électorale, c’est extraordinaire comme expérience, je le
suggère à tout leader. Même si tu perds, ce n’est pas grave,
parce que, encore une fois, ce que j’ai trouvé fascinant,
c’est la rencontre avec le citoyen, avec les gens.»
Lorraine Pintal s’est lancée en politique dans une
circonscription libérale depuis 1939. Malgré cela, elle y a
mis toute sa fougue et son énergie. «Verdun, c’est pauvre,
dit-elle. On ne parlera pas de L’Île-des-Sœurs, on va parler
de Verdun terre ferme. Sincèrement, les gens que j’ai
rencontrés là, leurs préoccupations, ils sont très loin de
l’art et de la culture. Parce que, parfois, ils ne gagnent pas
bien leur vie, ils n’arrivent pas à joindre les deux bouts.
Alors, je pense que j’ai développé mon sentiment de
compassion, qui était peut-être un peu émoussé.»
Malgré sa défaite, une forme d’engagement politique
demeure chez Lorraine Pintal, qui veut faire rayonner un
théâtre national et une dramaturgie nationale. «Si le
Québec ne se dote pas d’un théâtre national dans les
prochaines années, ça indiquera une absence de conviction
286
profonde que l’art et la culture peuvent vraiment
transformer le citoyen, changer le monde (c’est peut-être
très ambitieux), apporter ce qu’un citoyen doit avoir, c’est-
à-dire une formation globale, mais aussi du rêve. Rêver à
son avenir. Se connecter à ses émotions, voir la vie
autrement… J’y crois tellement que, oui, c’est une volonté
politique, sociale, culturelle, artistique.»
287
en politique quand j’étais jeune. J’avais été conseiller
municipal. Mais on fait des choix, dans la vie. Être en
entreprise et être en politique, c’est deux games
différentes. Alors, moi, j’ai choisi d’être en entreprise.»
Néanmoins, s’il a choisi le monde de l’entreprise, il n’a
pas renoncé à son droit de s’exprimer publiquement en
matière de politique. Placide Poulin a appuyé l’ex-
conservateur Maxime Bernier en 2006. Il a été
organisateur pour les libéraux de Jean Charest en 2007.
Et, pendant la campagne référendaire de 1995, Placide
Poulin n’a pas hésité à prendre la parole publiquement en
faveur du NON. «Le Parti québécois n’a peut-être pas aimé
ça, mais moi, je pense que, peu importe le parti, la
personne a le droit de s’affirmer. Je respecte l’opinion de
l’autre. Je suis franc, je suis honnête, je suis direct.»
Au cours d’une visite de Jacques Parizeau, alors premier
ministre du Québec, dans son usine, en 1994, Placide
Poulin lui a demandé de lui nommer trois choses que la
souveraineté pourrait apporter pour améliorer la qualité
de vie. La réponse de M. Parizeau n’a pas dû satisfaire
Placide Poulin, qui a rétorqué, sans réserve, que tout cela
était possible dans un Canada uni!
288
Mitch Garber ne laisse personne indifférent. Se prononcer
sur les enjeux de politiques publiques, c’est une forme
d’engagement pour lui. Alors que les gens d’affaires
hésitent à prendre position sur certaines questions
délicates, l’entrepreneur Mitch Garber n’a pas peur de
sauter dans l’arène.
«Moi, je pense que si mon opinion peut refléter une
pensée commune à plusieurs personnes, peut-être que je
peux créer un débat, dit Mitch Garber. J’ai lancé un débat
sur le décrochage scolaire en avançant l’idée de donner
1000 dollars à chaque élève qui termine ses études
secondaires dans une école publique. Mais je ne pensais
pas vraiment donner ces 1000 dollars. Cette idée-là n’a pas
été acceptée à l’Assemblée nationale. Mais le fait que ça
fasse partie du débat, le fait que ça fasse la une de La
Presse, du Journal de Montréal et du quotidien The
Gazette presque pendant une semaine, ça, c’est l’effet que
j’ai eu. Je me pince, mais est-ce possible qu’en parlant du
décrochage scolaire, moi, Mitch Garber, je puisse
provoquer une telle réaction?»
Mitch Garber admet être provocateur, pas pour
alimenter le conflit, mais pour stimuler le débat.
N’empêche, certaines de ses déclarations ont donné lieu à
des réactions d’indignation. Se mêlant régulièrement des
289
discussions sur l’identité, il a déclaré, devant le Cercle
canadien de Montréal, le 19 septembre 2016: «Le refus de
certains membres de ma communauté juive et anglophone
d’apprendre le français et de vivre en français est
embarrassant.»
«Je parle de ma communauté, je parle de moi, explique
Mitch Garber. […] C’est vrai qu’on a laissé le débat de la
langue, au cours des 40 dernières années, influencer nos
choix culturels et nos choix sociaux, parce que les
francophones n’aimaient pas entendre l’anglais, peut-être
avec raison. Les anglophones ont résisté à apprendre le
français, peut-être avec raison. Mais, 40 ans plus tard, on
devrait respecter la langue française dominante et on
devrait tous parler deux langues, parce que la langue
d’affaires et la langue culturelle du monde, c’est l’anglais.
C’est important de le savoir. Donc, j’ai dit à ma
communauté: “Après 40 ans, il faut savoir qui est Martin
Matte, il faut savoir qui est Guy A. Lepage, qui est Gérald
Fillion, et ça va faire du bien de savoir toutes ces choses-
là.”»
Il s’est prononcé aussi sur le projet de loi du
gouvernement de Philippe Couillard sur la neutralité
religieuse, le qualifiant de raciste, ce qu’il regrette
aujourd’hui. Il a aussi critiqué publiquement l’ancien chef
290
du Parti québécois, le propriétaire de Québecor, Pierre
Karl Péladeau, à l’émission Tout le monde en parle, sur les
ondes de Radio-Canada. Il savoure sa liberté de parole et
se dit convaincu qu’elle ne nuit en rien à ses décisions
d’affaires.
«Pas une porte ne s’est fermée jusqu’à maintenant,
déclare-t-il. Toutes les portes sont ouvertes pour moi, je
trouve! Peut-être est-ce parce que les gens apprécient
même s’ils ne sont pas d’accord? Quand le Cirque du Soleil
a été vendu, Guy Laliberté a mis son bras autour de mes
épaules et a dit: “Mitch, maintenant que tu es président du
conseil du Cirque du Soleil, on est une compagnie
apolitique, on vend des billets à tout le monde, donc peut-
être que tu ne peux pas prendre position d’un côté ou de
l’autre.” J’ai répondu: “O.K., c’est un bon conseil, merci.”
J’avais la volonté de le suivre, mais je n’ai pas été
capable!»
291
politique qui m’endurerait. Je serais imbuvable. Mais
si, un jour, il y avait la possibilité d’avoir, par
exemple, des élections avec un mandat, un seul, de
cinq ou six ans, puis qu’on dise: “Voici qui seraient
mes ministres et voici quel est mon programme,
donnez-moi six ans, je le réalise”, ça, je le ferais! Mais
il n’y a pas un parti politique qui va vivre avec ça.»
Donc, il y a une ouverture pour un mandat de
six ans, si je comprends bien? «Oui, mais c’est une
ouverture dans un monde utopique, on est dans le
fantastique administratif, là!»
292
La responsabilité
293
agissait alors pour aider les autres, pour concrétiser une
conviction qui était profonde en lui. Et il sentait qu’il avait
le devoir de créer cette maison pour amener les
entrepreneurs à transformer leur rêve en réalité.
Sa responsabilité, c’est d’accomplir des actions pour
améliorer le sort des gens autour de lui, c’est de parler,
d’intervenir publiquement, quand il pense qu’il doit le
faire et parce qu’il peut le faire. «Mon père me l’a dit en
toute franchise: “Marc, je trouve que tu fais trop
d’interventions publiques.” Et je lui ai dit: “Qui d’autre va
parler? Qui d’autre va conter nos histoires? Qui d’autre va
parler de nos valeurs et de nos motivations à être en
affaires? Il faut relier ces communautés-là qui ne se
parlent plus, au Québec.”»
Écouter
LP Maurice va, lui aussi, au-delà du rôle qu’on attribue à
un entrepreneur. Au cœur de ce qui transforme l’économie
aujourd’hui, la technologie, les communications
numériques, l’intelligence artificielle, les algorithmes, LP
Maurice travaille avec de jeunes cerveaux hétéroclites.
«Je pense que, dans le fond, il faut avoir une certaine
ouverture en tant que leader pour gérer des gens de tous
les âges, dit LP Maurice. Et puis, en particulier, je pense
294
qu’un levier important, c’est l’écoute. Écouter les
préoccupations, autant celles des gens qui ont 25 ans et qui
viennent de terminer leurs études à l’université […] que
celles des personnes qui sont un peu plus matures, qui ont
travaillé dans 4 ou 5 différentes entreprises. Mettre en
relation ces gens-là, pour qu’il y ait un coaching d’employé
à employé. C’est très riche quand on réussit à faire ça.»
Ce rôle, qui est de diriger, de guider, d’encadrer, vient
avec son lot de pressions de toutes sortes. «C’est clair que,
quand on est entrepreneur, on a toujours de la pression,
dit LP Maurice. Mais, souvent, c’est nous-même, en tant
qu’entrepreneur, qui nous imposons cette pression pour
aller plus vite, pour ne pas nous faire dépasser.»
Plus une entreprise grandit, plus les sources de tension
et de pression se multiplient. De la part des fournisseurs,
des clients, des employés aussi. LP Maurice en est
conscient. «Je pense que la clé, c’est d’apprendre à gérer ça
dans une perspective à un peu plus long terme pour ne pas
tout le temps être en train d’éteindre des feux.»
295
qu’il est viscéral, profond.
«J’ai tellement d’amour pour mes employés et pour cette
entreprise-là, c’est fou, dit-elle. C’est difficile à décrire.
J’aime mes enfants, mais c’est comme si j’avais trois
garçons et que j’avais Shan. C’est aussi simple que ça. J’ai
125 employés, j’ai une responsabilité, j’ai 125 hypothèques
à payer, c’est comme ça que je le sens. Et puis, ils m’aiment
beaucoup, mes employés. C’est sûr que c’est dans les deux
sens. Je les aime, je leur montre mon affection, je suis très
dure comme employeuse, je le sais, mais je suis dure avec
moi aussi. On s’aime, c’est très important, il faut aimer, il
faut beaucoup aimer.»
296
tout, dans tous les secteurs. Alors, je trouve que les gens se
mettent trop de pression.»
En même temps, énoncer des valeurs dans une
entreprise oblige tous les employés et les cadres à une
forme de responsabilité. Il faut les respecter, ces valeurs, il
faut les incarner et les porter. Et ça implique d’atteindre
des résultats.
«Ça fait deux ans de suite que notre performance
boursière est meilleure que celle des trois grands assureurs
canadiens, qui ont une capitalisation boursière sept fois
supérieure à la nôtre, dit Yvon Charest. Ce n’est pas vrai
qu’on a de tels résultats parce qu’on a été chanceux. Alors,
oui, une des valeurs, c’est le climat de haute performance.»
Atteindre et dépasser des objectifs, c’est une
responsabilité partagée dans une entreprise comme celle
qu’a dirigée Yvon Charest. «À l’Industrielle Alliance, la
rémunération variable, si le résultat n’est pas là, ça peut
être zéro. Et ça a été zéro deux fois dans les 10 dernières
années. En 2008, à cause de la crise, puis en 2011, quand
les taux d’intérêt ont cassé. […] Qu’est-ce qu’on va dire à
un client qui a eu rendement de -25% en 2008? Que, nous,
on peut avoir nos bonis quand même et que c’est juste le
client qui va payer? Alors, j’y crois beaucoup, aux incitatifs
financiers qui donnent le ton qu’on veut à la
297
performance.»
Métier: propriétaire
Charles Sirois se donne la responsabilité d’être un bon
propriétaire. «J’ai essayé d’enseigner à mon fils à être un
bon propriétaire. C’est un métier», dit-il. À la direction de
la société de portefeuille de la famille Sirois, nommée
Télésystem, le président et chef de la direction est Charles-
François Sirois, le fils de Charles Sirois. Il marche dans les
pas de son père, avec plusieurs membres de sa famille,
développant différentes entreprises dans les médias, les
technologies et le capital de croissance.
«Lorsqu’on a commencé, dit Charles Sirois, je devais être
un gestionnaire. On était une petite entreprise, il fallait
que je la gère. Aujourd’hui, il faut être un bon propriétaire.
On a une entreprise à Bangalore, en Inde. On va s’assurer
là d’avoir le bon gestionnaire, la bonne stratégie, la bonne
balance de capital, la bonne gestion de risques. Ça, c’est un
métier de propriétaire, pas de gestionnaire. C’est ce que
j’ai laissé à mon fils avec le même niveau de confiance que
mon père [m’a donné].»
298
suscite aussi beaucoup de crainte et soulève des questions
éthiques, des questions sur les dilemmes moraux. Yoshua
Bengio n’hésite pas à affronter les inquiétudes réelles à
l’égard des dérives potentielles de l’intelligence artificielle.
«Je me sens une responsabilité, dit-il. Je pense que tous
les chercheurs devraient se poser des questions sur
l’utilisation qui va être faite de leurs recherches. C’est sûr
que ce que nous faisons, moi et d’autres dans mon
entourage, c’est très abstrait, c’est comme des
mathématiques. On ne pense pas à une application, on
pense à des équations, on pense à l’intelligence à un niveau
très générique. Mais étant donné que ces idées-là seront
utilisées, et même le sont déjà de plus en plus, pour toutes
sortes de choses sur lesquelles on n’est pas nécessairement
d’accord, je crois qu’on doit prendre position, on doit
s’exprimer comme l’ont fait, par exemple, les physiciens au
moment de la Seconde Guerre mondiale.»
Yoshua Bengio a demandé, en 2017, au Premier ministre
Justin Trudeau d’appuyer un traité international pour
interdire les robots tueurs dans le monde militaire. Le
chercheur de l’Université de Montréal a tenu à exprimer
publiquement une telle requête. Il n’était pas obligé de le
faire. «Non seulement on n’est pas obligés, mais, en
réalité, on prend un risque en faisant ça, parce qu’on ne se
299
fait pas que des amis en exprimant nos opinions sur des
enjeux de nature politique. Mais je crois qu’on a une
responsabilité.»
Il le fait par conviction, parce qu’il ne peut pas être
heureux, dit-il, et faire des choses qui iraient à l’encontre
de son engagement éthique. «On a besoin d’être en accord
avec soi-même. Quand on fait des choix qui ne sont pas en
accord avec nos valeurs, on porte un poids. Ce n’est pas
agréable et ça nous empêche d’avancer dans la vie.»
Malgré tout, se peut-il que les chercheurs qui sont
applaudis pour leur travail aujourd’hui soient répudiés
dans 20 ans parce que les avancées exceptionnelles en
intelligence artificielle auront conduit aux robots tueurs?
«Il y a un danger, c’est sûr, admet Yoshua Bengio. Je ne
pense pas qu’individuellement les chercheurs peuvent se
sentir coupables et responsables. […] Quand on fait ces
recherches très abstraites, de prendre en compte toutes les
ramifications possibles des utilisations, à un moment
donné, ça devient un choix collectif: qu’est-ce qu’on choisit
de faire avec la connaissance? C’est un vieux débat.»
Il ajoute: «Je pense qu’il faut qu’on soit responsables
dans la manière dont on agit, dans l’application de la
science. Ça demande une discussion collective, dans une
démocratie en tout cas, et c’est pour ça que les chercheurs
300
ont un rôle à jouer. Ils ont une crédibilité, ils savent de
quoi ils parlent quand il s’agit de leur sujet, et c’est la
raison pour laquelle ils doivent s’impliquer.»
301
fort sentiment de responsabilité, de faire rejaillir son
succès sur l’Afrique. De donner à tout le monde des outils
et, à ses concitoyens africains, un exemple de réussite.
Amina Gerba, qui a quitté son pays et son continent pour
venir vivre au Québec, sait combien elle suscite de l’espoir
et de l’admiration.
«Je le fais parce que je veux aider, dit-elle, je veux
permettre aux gens de sortir de la misère. Aujourd’hui
encore, en Afrique, il y a beaucoup de misère. Et elle est
surtout vécue par les femmes. Il faut les aider à sortir de
cette misère-là. Et les aider, ça veut dire créer de la valeur
avec ce qu’elles produisent. Il ne faut pas juste vendre la
matière première, que n’importe qui peut prendre à vil
prix, il faut les aider à la transformer sur place.»
Elle cite en exemple son entreprise Kariderm, qui
fabrique des produits de beauté à base de beurre de karité.
«On a été les premiers au monde à avoir obtenu la
certification bio pour le beurre de karité de ces femmes-
là», dit Amina Gerba.
À Afrique Expansion, une autre organisation qu’elle a
fondée pour faciliter des partenariats entre des entreprises
africaines et canadiennes, l’objectif est d’améliorer le sort
des Africains. «On amène les gens à construire des
infrastructures, on aide les gens à obtenir des contrats, les
302
entreprises d’ici, à aller sur place pour obtenir des contrats
et bâtir l’Afrique. Pour y arriver, l’Afrique a besoin de
partenaires. On ne croit plus à l’aide, on croit au
partenariat entre le Nord et le Sud.»
Amina Gerba est indéniablement un modèle. «Je pense
qu’il faut donner le bon exemple. Je crois que les gens ont
tendance à penser que, parce qu’on vient de la diversité,
qu’on est immigrant, on n’est pas compétent. Il y a
beaucoup de compétences dans l’immigration, mais le
problème, c’est un manque de sérieux et de visibilité. […]
J’aimerais qu’on sorte un peu de ces clichés des
immigrants qui viennent voler du travail et qui ne font
rien. […] Moi, je pense que nous sommes tous des
ambassadeurs de nos communautés, chacun doit travailler
pour que ce qu’il fait soit visible.»
Elle invite les immigrants à regarder autour d’eux, «à
sortir de la communauté, à aller vers les autres, c’est ça qui
est payant. C’est bien d’être entouré des siens, mais il faut
aller vers les autres. C’est le premier conseil que je leur
donne».
303
vie est à propos des autres. Je suis inspiré là-dedans
par un discours prononcé à une remise de diplômes,
aux États-Unis, où un professeur a dit à 1000 élèves
tous beaux, tous fins, avec leurs parents: “Vous n’êtes
pas si spéciaux que ça! Vous fréquentez une bonne
école. Votre mère vous dit depuis que vous avez
trois ans que vous êtes super, vous aviez de jolis petits
cœurs dans vos cahiers quand vous aviez 95 en math
[…]. Vous n’êtes pas si spéciaux que ça. Si vous êtes 1
sur 1 million, il y en a 8000 comme vous sur la terre.
Individuellement, vous n’êtes pas si spéciaux que ça.
Votre contribution débute quand vous commencez à
vous connecter aux autres. Ce n’est que par les autres
que vous deviendrez spéciaux. Et sortez de l’école ici
avec cette mentalité-là, parce que le système scolaire a
tendance à récompenser la performance individuelle.”
«Moi, comme employeur, ajoute Marc Dutil, je n’en
ai rien à foutre du premier de classe! Je comprends
les autres, j’ai du courage, j’ai de l’humilité, j’ai de
l’empathie, j’ai du leadership, j’ai du jugement, je suis
capable de demander de l’aide, je suis capable de
demander pardon. C’est de ça que j’ai besoin.»
304
«Je suis un vendu»
305
n’ont pas favorisé l’image des gens d’affaires. La
corruption et la collusion, révélées au grand jour par la
commission Charbonneau, dans les secteurs de la
construction et de l’ingénierie, combinées aux magouilles
politiques, ont pu avoir des répercussions néfastes sur les
femmes et les hommes qui gagnent leur vie à la tête de leur
petite, moyenne ou grande entreprise.
Les scandales et l’avidité financière de certaines
personnes ont sans doute amplifié la perception négative
qu’une partie de la population peut avoir du monde des
affaires. Il s’est ensuivi qu’une forme de méfiance s’est
installée à l’égard des initiatives de quelques entreprises et
de leurs dirigeants.
306
responsables en partie de cette situation. «Pendant des
années, les dirigeants d’entreprise se sont un peu isolés.
[…] D’ailleurs, les conseils d’administration étaient assez
réticents à voir leurs dirigeants s’exprimer sur des enjeux
de société. On nous disait: “Écoute, dirige l’entreprise, puis
brasse pas trop la cage.” […] Je pense que trop longtemps,
on a eu une langue de bois pour toutes sortes de bonnes et
de mauvaises raisons.»
Aujourd’hui, dit Sophie Brochu, les choses ont changé.
«On attend d’un dirigeant qu’il puisse parler à ses
actionnaires, à ses clients, à ses parties prenantes, à la
société, aux intervenants, aux artistes, à la communauté.
On demande aux dirigeants de parler à tout le monde!
Mais un dirigeant, ce n’est pas un superhéros qui peut
faire ça de manière magique et parfaite! Les dirigeants ne
sont pas parfaits!»
307
dirigeants ont un rôle à jouer à ce sujet. «Je pense qu’en
général les gens ne comprennent pas vraiment la gestion
des entreprises et ce que ça commande. C’est complexe, il
y a différentes forces en jeu. […] Je pense que les
entreprises ont une responsabilité sociale. Dans la mesure
où, véritablement, elles en prendraient acte et feraient des
gestes dans ce sens-là, elles seraient peut-être mieux
acceptées.»
Louise Roy abonde dans le sens de Sophie Brochu sur le
rôle social des entreprises. L’implication dans le milieu est
essentielle. Les dirigeants et les entreprises ont un pouvoir
philanthropique qu’ils doivent absolument utiliser. C’est
une réelle façon de redistribuer de la richesse, selon Louise
Roy, et de remettre ainsi une partie des profits aux
citoyens.
L’ex-chancelière de l’Université de Montréal donne
l’exemple de la campagne de financement de son
établissement pour illustrer l’engagement des milieux
d’affaires dans la société. «Est-ce que les gens savent,
demande Louise Roy, que les 580 millions de dollars que
l’Université de Montréal a réussi à collecter [pendant
5 ans] auprès du secteur privé, c’est, au fond, une façon
pour ce dernier de s’engager envers l’éducation?»
Il faut expliquer ce genre d’initiative, dit-elle. Il faut
308
montrer que ce sont des donateurs privés, dans ce type de
campagne, qui redonnent à la communauté et pour le bien
public. «Je pense qu’il faut valoriser ça pour que les gens
voient un peu quand même qu’il y a une implication
communautaire. Ce n’est pas ça qui va effacer toute la
méfiance, mais quand on est un dirigeant, qu’on est là-
haut, qu’on est visible, […] on a encore plus de
responsabilités par rapport à la communauté.»
309
à entendre Louis Morissette. «Si tu penses en termes
d’affaires, dit-il, tu deviens une “guidoune”, tu deviens
quelqu’un qui vend son âme, alors que, dans le fond, moi,
j’ai décidé d’être un homme d’affaires pour servir le
créateur en moi et servir d’autres créateurs. Mais cette
perception-là demeure.»
Aux yeux de certaines personnes, Louis Morissette a
franchi une ligne, il est de l’autre côté de la clôture, du côté
des riches, des nantis, des patrons. Le portrait est sans
nuance. «Je suis un vendu parce que je ne suis plus un
artiste, je suis un homme d’affaires. Mais je ne vois pas
pourquoi ça n’irait pas ensemble! De toute façon, un
artiste se met en marché continuellement. On a dit
publiquement que Véronique Cloutier, c’était un brand.
Mais tout le monde a son brand! De Véronique Cloutier à
Cold Play, en passant par Richard Martineau, tout le
monde joue son brand, tout le monde joue son image au
quotidien.»
Il me semble que c’est encore plus flagrant, d’ailleurs, à
l’ère des réseaux sociaux.
310
dire qu’on valorise peut-être trop les entrepreneurs. Il faut
convenir que, du point de vue d’une jeune entreprise, qui
emploie beaucoup de travailleurs de moins de 30 ans, avec
un modèle d’affaires qui s’appuie sur une application
mobile et des millions de données, les perceptions ne sont
pas tout à fait les mêmes. Les choses changent, elles
évoluent rapidement.
«Je pense, dit LP Maurice, que, pendant longtemps, le
Québec n’a pas fait un bon travail pour reconnaître ses
grands bâtisseurs. Ça change beaucoup depuis quelques
années. On reconnaît les grands bâtisseurs comme
Couche-Tard, CGI et beaucoup d’autres. Et ça me rend très
heureux.»
Il poursuit: «Je pense qu’il y a beaucoup de leçons à
apprendre pour les jeunes entrepreneurs comme nous, à
travers des grands bâtisseurs qui ont construit des
entreprises sur 10, 20, 50 ans. De plus en plus, le Québec
adopte une nouvelle posture face aux entrepreneurs, aux
bâtisseurs, à l’économie, et face à l’argent aussi.»
En réalité, les jeunes entrepreneurs sont devenus, pour
certains, des vedettes. Ils sont appréciés, entendus,
reconnus. «Peut-être même trop, à la limite, dit LP
Maurice. Je pense que, dans certains cas, l’entrepreneuriat
est vraiment devenu un peu à la mode. Partout dans le
311
monde, il y a un mouvement pour promouvoir
l’entrepreneuriat. Moi, je suis très fier d’en faire partie, de
contribuer aussi à ce mouvement-là. Mais il y a certains
risques dans l’entrepreneuriat, dans le démarrage d’une
entreprise. Ce n’est pas nécessairement un métier pour
tout le monde.»
312
Lire
313
en investissant dans le système d’éducation, en permettant
à nos enfants d’avoir accès à des écoles de grande qualité,
en les menant à l’obtention de diplômes – études
secondaires, collégiales, professionnelles, universitaires –
que nous allons rendre notre société plus forte et plus
heureuse.
Il faut donc lire.
«Moi, si je pouvais, si j’avais tout le temps du monde, dit
LP Maurice, j’aimerais lire tous les livres, lire tous les
articles dans tous les domaines, que ce soit les
mathématiques, la biologie, la physique, tout ça
m’intéresse.»
S’ouvrir au monde
Marc Dutil est un personnage à part, vous l’avez peut-être
constaté au fil de la lecture de ce livre. C’est un homme qui
dirige une entreprise de construction, qui obéit à des
impératifs de production et de rendement assez précis.
Mais, loin de tous les objectifs financiers et de la pression
des résultats, Marc Dutil lit. Beaucoup.
«Je pense que, dans mon rôle, il faut que j’aie une
perspective particulièrement large pour comprendre où on
s’en va, voir les tendances, relier des choses dans ma tête,
donner du sens. J’ai toujours été comme ça, je l’étais à
314
12 ans, j’ai toujours été curieux. À cinq ans, j’étais le jeune
qui lisait les modes d’emploi sur les boîtes à la maison.»
La lecture, dit Marc Dutil, permet l’apprentissage sans
jugement. «On ne s’obstine pas avec le livre, on l’absorbe.
J’ai toujours aimé ça. On a fait des affaires au Mexique, j’ai
été à l’université avec des gens du Paraguay, j’ai rencontré
des Japonais, on a fait des affaires en Chine. La vie en
affaires m’a amené à me buter à des murs parfois et je me
disais: “Je vais passer au travers.” Au Québec, on a la
chance de venir au monde dans une culture bilingue. En
affaires, tu n’as pas le choix, tu parles anglais et français.
Et quand tu rencontres quelqu’un qui parle espagnol et
que tu ne le comprends pas, tu te dis: “Je vais le
comprendre!” Notre réflexe, c’est de vouloir comprendre
ce qu’on ne comprend pas. Ça, c’était le mien, et je pense
que c’est ça qui m’a amené à aller plus loin.»
315
intéressé à la méditation, au bouddhisme, à la philosophie
bouddhiste. Ça m’a aidé à prendre du recul par rapport
aux événements de la vie en général et par rapport à ce qui
se passe en ce moment. […] J’ai beaucoup lu. Il y a des
gens qui lisent beaucoup plus que moi, mais la lecture,
c’est essentiel pour nourrir l’esprit, la raison, et pour
favoriser le recul par rapport à soi-même.»
La même vision habite Pierre Lassonde. «Je viens tout
juste de terminer Progress, Ten Reasons to Look Forward
to the Future de Johan Nordberg, dit-il, un livre qui nous
rappelle d’où nous sommes partis il y a deux ou trois
siècles et où nous sommes aujourd’hui.» Un livre qui
raconte l’évolution de notre société, en santé, en
environnement, en science, qui met en lumière les
avancées exceptionnelles de notre civilisation. «On se rend
compte, dit Pierre Lassonde, qu’on est tellement mieux,
qu’on a fait tellement de progrès, c’est incroyable. C’est un
livre qui donne du recul!»
Churchill, Kennedy…
Le patron d’Air Canada aime lire, sur le monde des
entreprises et sur l’histoire également. «Je lis beaucoup,
dit-il, mais je dirais que c’est plutôt économique. Depuis
quelques années, moins de lectures de fiction. Je lis
316
beaucoup de livres d’affaires, des biographies de
personnalités comme Winston Churchill, des personnes
importantes du xxe siècle.»
Il veut connaître «ce qui a motivé des individus qui ont
eu beaucoup de succès dans leur vie. Moi, je trouve ça
fascinant, dit-il. Dernièrement, j’ai relu plusieurs histoires
sur Kennedy et sa famille. Ces choses-là me frappent».
Trouver l’inspiration
«Je lis énormément, dit François-Xavier Souvay. Il y a eu
une période de ma vie où je lisais encore plus. Je suis
quelqu’un d’extrêmement curieux intellectuellement.» Ce
qui l’intéresse, ce sont des livres de réflexions
philosophiques reliés au monde des affaires. «J’aime les
penseurs, j’ai aimé Malcolm Gladwell avec ses différentes
perspectives d’écriture, dit-il. […] J’ai besoin d’arriver à
faire un parallèle avec ma vie et c’est pour ça que j’aime
bien avoir des réflexions.»
Il suggère un livre de Jim Collins, De la performance à
l’excellence. «C’est un groupe de chercheurs, une trentaine
de personnes, dirigé par Jim Collins, qui ont analysé
environ 1000 compagnies dont les données étaient
publiques. Et parmi ces 1000 sociétés, ils en ont retenu 11
pour déterminer ce qui distinguait une entreprise
317
considérée comme performante d’une entreprise
considérée comme excellente. […] Ce qui est le plus
important, finalement, ce n’est pas qu’un groupe impose
une vision, c’est qu’un groupe accepte de travailler
ensemble.»
C’est la base pour imprimer une direction à l’entreprise.
«Ça m’a beaucoup inspiré», dit François-Xavier Souvay.
318
entreprises marchent à la foi.” C’est un businessman qui
m’a dit ça! Il a dit: “C’est pas avec la comptabilité qu’on
part des entreprises. C’est avec la foi, c’est avec le rêve.”
Effectivement, si on regarde juste les chiffres, combien de
fois on m’aurait fait fermer l’entreprise? Pour moi, il n’y
avait aucun doute, on continue! Oui, c’est difficile, dans
toutes les vies, dans toutes les entreprises, il y a des
moments difficiles, mais c’est pas un trip de pouvoir! C’est
de sentir que les choses, on doit les faire, les choses vont
arriver, il faut faire confiance.»
319
formidable, l’histoire d’une journaliste de guerre pour
Vogue à la fin de la Seconde Guerre mondiale.»
Elle ajoute: «Je ne lis jamais de livres de business. How
to Manage? How to Lead? How to…, je ne fais pas ça! Je
ne me retrouve pas là-dedans. Je n’ai jamais suivi de
cours. Je ne dis pas que ce n’est pas bon. Moi, je vais lire
sur le meilleur moyen de faire pousser les tomates russes
au Québec. Ça, ça m’intéresse!»
320
In extenso
321
enfants – ne pourrait gagner plus que 150% des salaires
des dirigeants qui relèvent de l’équipe. Honnêtement, je
me suis dit que si ce système à 140% ou 150%, ça
fonctionne aux autres niveaux hiérarchiques, pourquoi ça
ne fonctionne pas pour le président? Ça ne fonctionne pas
parce qu’on ne fait que comparer les salaires des
présidents des compagnies et on ne regarde pas l’équité
interne.
«Alors, moi, j’ai une entente à l’Industrielle Alliance,
selon laquelle mon salaire ne dépassera pas 150% du
salaire des deux personnes qui gagnent le plus après moi,
puis qu’il ne sera pas plus que deux fois celui des autres
officiers qui sont nommés dans la circulaire. Et je pense
que le grand principe qu’on a oublié, c’est le principe de
l’équité interne. Je n’accepte pas que ce soit autrement.
Quand j’ai été nommé président, on était trois bons
candidats internes. Pourquoi celui qui est choisi,
subitement, il devient tellement brillant, Dieu le Père, qu’il
va gagner quatre fois le salaire des deux autres? Ça n’a pas
d’allure.
«[…] J’ai regardé les statistiques des 36 pays de l’OCDE.
Nous, le Canada, on fait l’erreur de toujours nous
comparer à notre voisin américain et de nous dire: “Ah!
On est bien ‘moins pire’ que les Américains!” Mais quand
322
vous regardez les inégalités salariales des 36 pays de
l’OCDE, il y en a 31 qui sont meilleurs que nous. Surprise,
hein? Et quand vous regardez les inégalités salariales au fil
des décennies, vous vous apercevez que le gros
changement, il s’est produit en 1970. Dans les années
1930, après la Dépression, puis pendant tout l’après-
guerre, les gens se sont dit: “On est tous à terre, faut
travailler ensemble.” Et puis il y a eu très peu d’inégalités
salariales. À un moment donné, on l’a oublié. On a oublié
qu’on a besoin de toute une collectivité. […] Les gens l’ont
oublié et, en 1970, les inégalités se sont mises à
augmenter.
«Des gens disent: “Yvon, si tu gagnes plus d’argent, tu
n’as qu’à faire plus de dons!” Moi, je dis non, non, ça
soulève une question avant ça. Rappelez-vous quand
Daimler a acheté Chrysler, les cinq plus hauts dirigeants
de Chrysler avaient en moyenne 10 fois la rémunération
des cinq principaux dirigeants de Daimler. Dix fois! Et
aujourd’hui, on se questionne à savoir si le salaire des
PDG, c’est 137 fois ou 142 fois celui du Canadien moyen.
Arrêtez de gaspiller six mois de votre temps pour trouver
la troisième décimale! Vous le savez que c’est trop. Tout
simplement.»
323
Lorraine Pintal et l’affaire Cantat
Sept ans avant l’été 2018 et l’affaire SLA–V7, puis
Kanata8, la directrice du TNM, Lorraine Pintal, avait vécu
l’affaire Cantat. Le chanteur Bertrand Cantat avait été
invité à venir participer au spectacle de Wajdi Mouawad à
Montréal, ce qui avait provoqué un important mouvement
d’opposition. Bertrand Cantat venait de purger une peine
de prison après avoir été reconnu coupable d’homicide
involontaire sur la comédienne Marie Trintignant.
Dans son ouvrage De corps, de chair et de cœur,
Lorraine Pintal écrit: «[…] un ouragan médiatique a
soufflé sur cette prise de position et engendré intolérance
et peur. J’ai moi-même ressenti cette peur face à la
violence des mots utilisés pour dénoncer une violence
qu’ils ne faisaient pourtant qu’entretenir. […] Il y a eu un
tel acharnement à se poser en juge pour faire un deuxième
procès à Bertrand Cantat…»
Voilà une crise de grande ampleur. Lorraine Pintal
reconnaît qu’elle a cru ne pas pouvoir passer au travers de
cette tempête. «Oui, oui. Sincèrement, ça nous a dépassés
complètement, d’autant plus qu’on lançait la saison à cinq
heures la journée où la nouvelle est sortie dans les
journaux, et, le lendemain, tous les réseaux sociaux en
324
parlaient. C’est là qu’on a vu l’impact extrêmement
dangereux des réseaux sociaux, parce que tous ceux qui se
sont prononcés sur Bertrand Cantat l’ont fait de manière
anonyme. J’ai très mal géré la crise au départ.
«Par la suite, ça s’est arrangé, parce que je me suis prêtée
à toutes les entrevues. Le lendemain, j’étais à peu près sur
toutes les tribunes dans un état d’anxiété, d’angoisse et
même de culpabilité. On a fait appel à la firme de relations
publiques National, qui nous a aidés à gérer la crise. On
n’était pas à même, émotivement, de gérer ce qui était en
train de se passer. Les groupes de femmes, tout le monde
se prononçait, politiquement même, sur la venue de
Bertrand Cantat et sur le geste de Wajdi Mouawad.
«[Les gens de National] m’ont vraiment enfermée dans
une pièce pendant une journée pour que je réfléchisse à la
raison fondamentale pour laquelle j’avais accepté le projet
de Wajdi, qui était très justifié. Bertrand Cantat jouait le
coryphée dans une pièce qui dénonçait la violence faite aux
femmes: trois pièces de Sophocle, c’était la catharsis du
théâtre grec. Moi, je l’avais vu en Grèce, et c’était pour lui
une manière de s’excuser devant le monde entier du geste
qu’il avait commis. Il avait purgé sa peine. Je crois en la
réhabilitation. Pour moi, artistiquement, c’était un geste
fort de la part de Wajdi.
325
«Cette journée de réclusion m’a permis de penser
autrement et de voir l’impact que ça avait sur la société et
de me rendre compte que je n’avais pas eu le flair de
penser aux conséquences. Je n’en avais même pas informé
mon conseil d’administration, c’est pour vous dire à quel
point j’étais totalement dans la vision artistique de Wajdi.
J’étais complètement en accord avec ce qu’il avait fait. Ce
qui fait que j’ai défendu son point, jusqu’à vouloir que
Bertrand Cantat soit sur notre scène.
«Et il y a eu de telles actions politiques menées, dont un
refus de voir Bertrand Cantat fouler le sol canadien. Alors,
on s’est dit qu’on n’allait pas se retrouver en cour en train
de contester une loi ou un règlement et on a accepté qu’il
ne soit pas là. Mais, par la suite, à cette fameuse
conférence de presse, je trouve qu’ensemble, en équipe, on
est arrivés à très, très bien faire passer le message9.»
J’ai demandé à Lorraine Pintal si elle en était venue à
rédiger sa lettre de démission. «Non, non. Encore une fois:
assumer ses erreurs, faire amende honorable, comprendre
la situation, l’analyser, et je suis encore étonnée de
l’objectivité avec laquelle j’ai défendu la position devant les
médias. J’avoue que je me suis étonnée moi-même. Je
n’étais qu’une boule d’émotions, et la Balance en moi s’est
manifestée, le pour et le contre. Et je suis arrivée à avouer
326
l’erreur, non pas l’erreur d’avoir programmé la pièce, mais
celle de ne pas avoir saisi l’enjeu sociétal de ce choix.»
327
rien, rien du tout, rien.
«[…] En 1980, le téléphone sonne. C’était un chasseur de
têtes qui me dit: “Il y a quatre millionnaires, self-made
millionnaires, qui se cherchent un associé. Est-ce que tu
serais intéressé?” Alors, je me suis joint à la firme Beutel,
Goodman, et c’est là que j’ai rencontré Seymour Schulich.
Et ça a cliqué, même si on venait de milieux complètement
différents. Lui, un anglo juif, et moi, un franco chrétien.»
C’est ainsi qu’est né Franco-Nevada, qui va s’articuler
autour de l’acquisition de droits de propriété sur des
terrains miniers. Autrement dit, Pierre Lassonde et
Seymour Schulich ne se lancent pas dans le forage à
proprement parler, mais dans la détention de royautés,
c’est-à-dire des redevances versées par un exploitant
minier à une entreprise qui possède des droits de propriété
sur les terrains où s’effectue de l’extraction minière.
«Fallait y penser. Mais je vais vous raconter la suite,
parce que c’est là que vous allez voir combien j’ai été
incroyablement chanceux.» Il demande à son géologue de
surveiller de près les offres de royautés dans les journaux.
«Alors, un beau vendredi matin, [son géologue] prend son
café, lit le journal, le Reno Gazette, et, en page 3, il y a un
petit carré où il est écrit “royautés à vendre”, avec un
numéro de téléphone. Il appelle, c’est au Texas. Le gars dit:
328
“Oui, j’ai une royauté. Elle est dans le Carling Trail, au
Nevada.”
«[…] Durant le week-end, j’ai fait mon travail et j’ai dit à
mon géologue: “Demande au monsieur de me rencontrer à
Salt Lake City lundi matin et je vais voir si on peut
négocier quelque chose.” Je le rencontre et je lui offre un
million de dollars. C’est non. J’ajoute un million d’actions
de Franco- Nevada. Non. Les négociations durent une
heure et je comprends qu’il a une dette de 2 millions à la
banque et que, s’il ne rembourse pas la dette dans les
90 jours, la banque le met en faillite. J’avais une décision à
prendre: est-ce que je lui donne deux millions ou j’attends
que le truc aille en faillite? Et on ne sait pas ce qui va se
passer à ce moment-là.»
Pierre Lassonde accepte de payer deux millions de
dollars pour acheter la royauté. Il appelle son partenaire,
Seymour Schulich: «Seymour, j’ai des bonnes nouvelles et
j’ai des mauvaises nouvelles. – Quelles sont les bonnes
nouvelles? – On a acheté notre première royauté et je
pense, honnêtement, qu’on va faire cinq fois notre argent.
– C’est quoi, la mauvaise nouvelle? – Ben, on n’a plus
d’argent!»
Sur-le-champ, l’entente est signée, juste avant qu’une
autre offre ne soit faite pour la propriété minière en
329
question. «Si je n’avais pas été là ce matin-là, je ne l’aurais
jamais eue. La suite de l’histoire, bien… 50 millions
d’onces ont été découverts sur cette propriété-là et, à ce
jour, la royauté nous a rapporté plus de 1 milliard de
dollars!»
Incroyable mais vrai! «Vous savez, une chance comme
ça, dit Pierre Lassonde, encore étonné… C’est pour ça que
je dis que j’ai été chanceux, mais d’une façon absolument
inouïe. Comment peut-on trouver un truc comme ça, un
petit carré dans un journal… incroyable!»
Je demande à Pierre Lassonde qui il remercie quand il
réalise la chance qu’il a eue. «Je remercie Dieu! Et ça, ce
sont les débuts de Franco-Nevada, alors que l’action se
négociait à 35 cents, elle est montée à 15 dollars. Et c’est là
que j’ai vécu un autre point tournant. Un monsieur Meikle
m’a dit: “Pierre, ce n’est pas la découverte d’une vie, mais
la découverte de trois vies.” […] Et une transaction comme
celle-là… ça nous est arrivé trois fois d’acheter des trucs
pour deux millions qui valent un milliard aujourd’hui.»
Faites le calcul!
7. Voir ici.radio-canada.ca/nouvelle/1110780/slav-spectacle-
annulation-festival-jazz-montreal-excuse.
8. Voir ici.radio-canada.ca/nouvelle/1114833/kanata-robert-lepage-
330
autochtones-annulation-paris.
9. Voir ici.radio-canada.ca/nouvelle/511148/cantat-conference-tnm
331
Remerciements
332
présente, toujours disponible, efficace, redoutablement
efficace, qui fait tourner la machine au quotidien et qui a
contribué à la rédaction de ce livre.
Merci à Elsa Legault et à Sylvain Lampron, qui ont créé,
développé, donné de l’âme et du souffle, du coffre et de
l’envergure à Vocation: leader. Vous êtes les meilleurs.
Merci, mes collègues et amis, on forme une équipe du
tonnerre!
Merci à Sébastien Barangé, sans qui la vie ne serait pas
ce qu’elle est: riche, surprenante, excitante, tout va trop
vite.
Merci à mes parents, qui m’ont donné beaucoup de force
et d’énergie pour accomplir ce que je souhaite accomplir
dans cette vie. Maman, où que tu sois maintenant, et je
t’imagine tout près, je tiens à te dire qu’il y a beaucoup de
toi dans ce livre, du courage, de l’audace, de la
persévérance, de l’amour.
Et merci à vous, de lire, d’écouter, de commenter, d’être
aussi curieux. Vous avez raison!
333
334
335
Table des Matières
Avant-propos 6
Les protagonistes 17
Le point tournant 31
Révélation 32
Trouver sa place 35
La confiance du père 37
Esclaves ou passionnés? 39
Oui, le cours d’économie était utile 40
Leçons de vie 42
Les voyages (et les fugues) forment la jeunesse 45
Partir, quitter son pays, immigrer 47
Et la chance, dans tout ça? 49
Apprendre des autres 52
«Je me sens redevable…» 53
«On a tous une majeure, une mineure» 54
«On continue d’apprendre tout le temps.» 57
Inspirés par d’autres entrepreneurs et entrepreneures 59
Inspirés par les parents 61
La flamme 63
Tout le monde a du potentiel 64
Le blues du dimanche? Connais pas! 65
Se nourrir de l’action 66
«Je crois que ma vie est un voyage.» 67
«Le sport est essentiel…» 69
336
Ma famille, mon potager 70
Inné ou acquis? 73
L’ADN d’entrepreneur, un mythe 74
J’ai toujours su… 76
Deux mouvements de départ 78
Du charisme, de l’instinct… et une vision! 81
«Chacun de mes enfants a un diplôme!» 82
Histoires de famille 86
Les Dutil 87
Les Morissette (avant le spectacle!) 88
Les Germain 90
Les Poulin 93
Partir, loin de la famille, changer de nom! 96
Continuer après le suicide de son père 98
La foi, le travail, la persévérance 101
«Je suis plus conservateur que la moyenne…» 105
Mes employés, ma famille 106
Femmes d’affaires 108
«Si j’avais été un homme, ça aurait été complètement
110
différent.»
Représentatif de la collectivité 113
Pas une once de misogynie jusqu’à tout récemment… 115
«J’ai la responsabilité d’ouvrir les portes aux autres
117
femmes.»
La gestion au féminin 120
Des échecs et des erreurs 123
337
Déconstruire 124
«I missed a lot of baskets!» 126
Essai, erreur, on recommence… 127
«C’est-tu ça, ton rêve, Placide?» 128
Le secret est dans le potager 130
L’apprentissage tiré d’une crise mal gérée 131
Le pouvoir et l’argent 135
Pouvoir médiatique? 136
Une certaine influence 138
L’argent, c’est pour construire 142
Ma richesse, notre richesse! 143
Connaître la valeur de l’argent 146
Mon or, y a rien de plus beau! 148
L’argent, l’obsession de l’argent 150
Le doute 154
Être à l’écoute des doutes, les siens, ceux des autres 154
Le doute cartésien 156
Les sacrifices 160
Travail et famille ne font qu’un! 161
Le sacrifice de la vie familiale 163
Le secret des rituels familiaux 165
Pas de sacrifices, que des choix! 166
La peur et le risque 169
«J’ai peur de décevoir…» 170
«Les vertiges sont nécessaires.» 172
«J’ai accepté de sortir de ma zone de confort.» 173
338
«J’étais, comme on dit en anglais, fearless.» 174
Comme au baseball… 176
La chance 179
Lucky Pierre 180
Le conseil de Dickie Moore 182
Mode de vie: travailler 185
1. Se lever tôt. Ou se coucher tard! 187
2. Ne pas compter ses heures 190
3. Penser au travail pendant le souper, sur la plage 191
4. Savoir que vie familiale et vie professionnelle ne font
193
qu’un
5. Travailler, lire, comprendre, 10 000 heures, vous avez
194
dit?
6. Chercher l’équilibre 195
7. Aimer sa vie 196
Convaincre 198
Convaincus avant de convaincre! 200
Apprendre à convaincre 201
L’arme de conviction massive 202
L’humour, puissant moteur de conviction 206
«Les gens ont cru ce que je disais!» 207
Convaincre par les valeurs 209
Exigeant 213
Se tromper, oui… mais pas trop souvent! 214
Authentique et engagée 216
Autoritaire? 217
339
Confiance absolue 220
L’excellence: «Être moyen ne suffit pas.» 221
Est-ce qu’Yvon Charest est content? 222
Rigueur, discipline, humilité 223
L’émotion 226
Changer la vie 228
Vendre son «bébé» 229
Ce qui choque 235
L’incompétence 235
La voie de la facilité 236
La critique irrationnelle 237
Attendre l’intervention du gouvernement 238
Les faiblesses de l’humain 240
La paresse et la bêtise 241
La fermeture d’esprit 242
Crises et conflits 245
«Il faut que je me parle.» 246
Maintenir le dialogue 247
Être dans un état d’aide 250
Pas de glaçage sur les problèmes! 251
Abandonner? Jamais! 253
Seul, au volant 254
Interdit de reculer 256
L’esprit immigrant 260
Cachez cet accent… 261
Des batailleurs 263
340
Ténacité 264
Le courage 264
L’engagement 268
S’engager d’abord dans son quartier 269
Créer et distribuer la richesse 271
La culture au service du mieux-être 273
Donner sa hausse de salaire! 275
En guerre contre les inégalités 279
Aider la société à faire les bons choix 281
«J’ai laissé quelque chose…» 282
Se rappeler que l’on est privilégié 284
La politique, l’engagement quasi impossible 284
Les Beaucerons font toujours un peu de politique 287
S’engager dans le débat public 288
La responsabilité 293
Écouter 294
125 hypothèques à payer 295
Les valeurs et les résultats 296
Métier: propriétaire 298
Une lourde responsabilité 298
La responsabilité de prendre la décision, seul 301
Donner le bon exemple 301
«Je suis un vendu» 305
«Un dirigeant, ce n’est pas un superhéros…» 306
«Les entreprises ont une responsabilité sociale.» 307
«Je suis un vendu…» 309
341
«L’entrepreneuriat est vraiment devenu un peu à la 310
mode»
Lire 313
S’ouvrir au monde 314
Nourrir l’esprit et la raison, prendre du recul 315
Churchill, Kennedy… 316
Trouver l’inspiration 317
On fait des entreprises avec la foi! 318
Lire sur la culture des tomates russes au Québec 319
In extenso 321
Yvon Charest et la rémunération des PDG 321
Lorraine Pintal et l’affaire Cantat 324
Pierre Lassonde et la chance 327
Remerciements 332
342