Dire Straits / L'Amérique Fantasmée (Arnaud Devillard)
Dire Straits / L'Amérique Fantasmée (Arnaud Devillard)
DIRESTRAITS
L’AMÉRIQUEFANTASMÉE
LEMOTETLERESTE
2024
PRÉLUDE:ONTHENIGHT
Lyon,HalleTonyGarnier,20avril1992
Drôle de rideau de scène. Trois triangles de toile bleu marine
impeccablement tendus se chevauchent légèrement les uns les autres, un
logoPhilipsprojetésurceluidumilieu.Difficiledecomprendrecomment
tout cela est censé s’ouvrir au moment où démarrera le concert. Nous
sommesen1992.AvantInternet,avantlessmartphones–encorel’époque
oùdesvendeursambulantscirculentdanslepublicavecdesseauxremplis
de briquets pour qui aurait envie de brandir une flamme pendant les
chansons. Dans une petite quinzaine d’années, plus personne, dans cette
foule amassée sur le sol bitumé de la fosse et dans les gradins, déjà
surplombée par la nappe de fumée bleue de cigarettes encore autorisées
danslessalles deconcert,ne seposera dequestions.Tout lemondeaura
visionné des vidéos sur YouTube prises par des spectateurs lors de dates
précédentes ou partagé et commenté des photos avec des « amis »
Facebook.Pourl’heure,onsecontentedesquelqueséchosquel’onaeus.
Le groupe est sur les routes depuis huit mois. On connaît forcément
quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui y était on ne
sait plus quand. On a lu des choses dans les magazines, on a vu des
reportagesàlatélévision.Quandbienmême,celaresteflou,cettehistoire
derideauxtriangulaires.
C’estWas(NotWas)quiaassurélapremièrepartie,alorsquelalumière
du couchant passant à travers les verrières diffusait à l’intérieur de ce
bâtiment monumental, anciens abattoirs des années 1930 classés aux
Monuments Historiques, un halo orangé ridiculisant les modestes spots
braquéssurlesmusiciens.Pasévident,detoutefaçon,dechaufferunesalle
quandlegroupequetoutlemondeattends’estdissousavant,contretoute
attente, de publier un nouvel album et de se lancer dans une tournée
mondiale.
Ilfaitnoir maintenant.L’obsédantlogoPhilips semblevibrersurla toile,
salumièreblanchebrillerdeplusenplusintensémentcommepourattiser
l’attente.Lafoulecompacten’estplusqu’unemassesombrecaléesurdes
starting-blocks,quandlesquelquesmilliersde spectateursentasséssurles
gradinsdisparaissentderrièrelenuagedefumée.
Alors, une pulsation. Là, derrière les rideaux, des percussions mettent en
placeunrythmedemachine.D’abordléger,silégerquel’onn’yapastout
desuiteprêtéattention.Ilgonfleetenfle,commeuntrainsurgidulointain.
Ilemplitl’espaceetarrachedescrisàunpublicauxnerfsàvif,frustrépar
cesmauditestoilesdontoncraintqu’ellesnedisparaissentjamais.
D’uncoup,lasalleexplose.
Au moment précis où a tonné l’orchestre entier, puissant, assourdissant,
dominé par cette note de guitare par laquelle dix mille personnes ont
aussitôt reconnu la chanson, les rideaux ont disparu. Tels des élastiques
qui lâchent et se perdent dans l’espace. Les musiciens sont là, figés en
pleine lumière comme s’ils y avaient toujours été, sur une scène à trois
niveaux,faisantcaracolerdanslanuitlyonnaisecetétrangemorceauquia
signé leur retour sous la forme d’un single paru en août 1991, avant le
débutdelatournéeet,selonlespays,lejouranniversairedesonauteur(12
août)ouceluidelamortd’ElvisPresley(16août).«CallingElvis».
Dire Straits n’avait pas totalement disparu de la circulation. Après la
tournée Brothers In Arms, qui s’acheva à Sydney en avril 1986 au bout
d’unan, ily eut encorequelquesapparitions –le groupepas toujoursau
complet–,unecompilationausuccèsinvraisemblable,unechansoninédite
présentée sur scène à Knebworth en 1990. Sinon, oui, officiellement, le
groupe a été dissous en septembre 1988. On ne sait pas trop ce qui a
suscité cette reformation et ce nouvel album, On Every Street. La
nostalgie?Uneinspirationrégénérée?L’argent? Lacrainteduleaderde
DireStraitsdenepaspouvoircapitalisersursonseulnompourcontinuer
ensolo?
Ilssontneufsurscène.Deladernièremouturedugroupenesubsistentque
cinq musiciens, dont seulement deux issus de la formation originelle de
1977. Mais soyons honnêtes, il y a bien longtemps que Dire Straits se
résume à Mark Knopfler, son chanteur, auteur-compositeur unique,
arrangeur, guitariste soliste et producteur. C’est lui et ses phrasés
inimitablesquelaplupartsontvenusvoiretécoutercesoir.Enjeandélavé,
santiags,chemiseécrueetinénarrableserre-têteautourducrâneressortide
sapanopliedesannéesquatre-vingt,iltransperce«CallingElvis»detraits
fluides et chauds, en ponctuation d’un texte-hommage au King plus
marmonnéquechanté.Lesondeguitares’estépaissi,plussaturé,flirtant
avec le larsen. Terminé l’écho sec et claquant des Stratocaster – Fender,
Schecter ou Fernandes –, ces guitares électriques si emblématiques du
groupequeleguitaristeHalLindes,membredeDireStraitsentre1980et
1984, estimait que le fait d’en utiliser une lui-même l’avait aidé à être
embauché ! Désormais, depuis le concert pour la fondation du Prince
Charlesenjuin1988auRoyalAlbertHall,l’instrumentdeprédilectionde
MarkKnopfler est une splendidePensa-Suhr à corpsd’acajou et table en
érable, fabriquée sur mesure par un luthier new-yorkais. Pourtant,
impossiblede setromper. Lesyeux fermés,on reconnaîtraitce touchersi
caractéristique, ces attaques en forme de hoquet et de bégaiement que
l’instrumentistetired’unjeudemaindroiteauxdoigtsnus,sansmédiator
ni onglet. Annulaire et auriculaire appuyés sur la table pour stabiliser la
main ; pouce, index et majeur pinçant les cordes. Qu’elle en fascine des
amateurs de guitare, cette technique que l’on associe au fingerpicking de
Nashville ! Combien de pages les magazines spécialisés ont-ils noircies
pourladécortiquer?Combiend’interviewsleguitaristea-t-ildonnéespour
expliquerses«trucs»?
Comprendquipeut.Enattendant,cesmêmesdoigtsviennentd’exécuterle
fulgurantsoloquiperfore«CallingElvis»commeonouvreungouffre,le
restedugroupeàl’arrêt.Lasuiten’estpassurledisque.CarKnopfleren
rajoute,invitelapedalsteelguitardePaulFranklinàlesuivre.Perchésur
les hauteurs de la scène, Chris Whitten, remplaçant de Terry Williams,
martèlesespeauxenduoaveclepercussionnisteDannyCummingsdansce
qui s’apparente à une véritable furie. Mark Knopfler reprend ses droits,
PaulFranklinréinterprètelesphrases,PhilPalmer,ledeuxièmeguitariste,
livresaversion.Sesdernièresnotesnoyéesdanslesclameursdupublic,le
premiermorceaudececoncertdeDireStraitsauradurédixminutes,joué
commepourunfinal.Toutleproblèmevaêtred’enchaîner.
Unfauxproblème.«WalkOfLife»,letuberockabillyauthèmed’orgue,
estlargementdetailleàmaintenirl’excitation.Knopflerasortil’inévitable
Schecter Telecaster rouge, celle du vidéoclip sacrément stupide de 1985
consistantenunmontagedeséquencesdesport.Lafosseesttraverséede
mouvements de foule, une spectatrice prise de malaise est évacuée à
l’intérieur des barrières de sécurité qui cernent la régie son, le chanteur
laisse tourner le groupe derrière lui pour s’avancer en bord de scène et
tenterdecalmerlespremiersrangs.«Takeiteasy,takeiteasy…»Letitre
asesdétracteurs.Tropsimpliste,l’orguetropinsupportable.Saufqu’ilya
cettefoisPaulFranklin.Lapedalsteelguitarestlegrandajoutausonde
DireStraits,MarkKnopflerayantapparemmentdécidédemieuxassumer
sesamourscountry&western.Cequipermetaupassagedecompenserla
présence des synthétiseurs, devenus franchement envahissants au fil des
années.LesolodePaulFranklinhisse«WalkOfLife»àunniveaudont
onn’auraitjamaissoupçonnécettechansoncapable.
Les structures de la Halle Tony Garnier se remettent à trembler quand
retentit le gros riff saturé de « Heavy Fuel ». Chanson balourde qui ne
fonctionne pas plus sur scène que sur On Every Street. Un déluge de
guitares impersonnelles pour conclure, avant qu’un calme relatif ne
reprenne possession des lieux. Des nappes de claviers. L’entrée du
saxophoniste Chris White sur une introduction, composée spécialement
pourlesconcerts,quelesfansconnaissentbienetquiannonced’immortels
arpègesdeNationalStyleO,cetteguitaremétalliquede1937quiornela
pochettede BrothersInArmsetal’honneurdefigurersurlesbilletsdece
OnEveryStreetTour.C’estl’heuredesortirlesbriquets,DireStraitslivre
l’un de ses grands thèmes, « Romeo And Juliet ». La lumière des
projecteurs sur l’acier de l’ins trument fait gicler d’élégants éclats de
couleurs.L’éclairagetamiséestd’ailleursunebelleréussite,unagencement
de tonspastel créant des climatsfeutrés comme une lumièredu soir sous
les tropiques. Sur disque (Making Movies, 1980) comme en concert, le
groupen’ajamaisvraimentsucommentfinircetteballade.Uneenvoléede
saxophoneunpeumièvreemplitdoncl’espace.Etc’est«TheBug».Issu
de On Every Street, ce titre n’aurait pas déparé sur un disque de Merle
Haggard… si encore il était débarrassé des lourdeurs d’orchestration
devenueslanormechezDireStraits.
Le guitariste-chanteur abandonne une deuxième fois l’électricité pour un
duo guitare acoustique-piano avec le claviériste Alan Clark. « Private
Investigations » et ses évocations à la Dashiell Hammett. Mais c’est le
fameuxdéveloppementinstrumentalquel’onguette,nésurscèneilyatrès
longtempscommeune codade«News».Combiendepulsationsdebasse
deJohnIllsleyavantlarafaledeguitareélectrique?Cinquante-sixcomme
sur Alchemy ? Soixante-dix comme à la Wembley Arena en 1985 ? En
vérité, on s’en moque un peu. Trop éculée, la dramaturgie du titre ne
fonctionneplusqu’àmoitié.Onauraitpupasserdirectementàlasuite.
La suite ? Elle tarde, tout à coup. L’obscurité se prolonge anormalement
sur scène. Les projecteurs se rallument, on comprend : Chris Whitten est
installé derrière une batterie tout en bas, derrière Knopfler, Illsley et
Palmer. Un, deux… Coup de caisse claire, accord de ré mineur. La salle
exulte.«SultansOfSwing»,lesinglequiarévéléDireStraitsquinzeans
auparavant. Le seul titre qu’ils ne pourraient pas se permettre de ne pas
interprétersurscènesanssefairecrucifier…Maisilyaautrechose.Dire
Straitsl’exécuteàquatrecommeàl’origine,commesurlepremieralbum,
commedanslespubslondoniensdesannéespunketnewwaved’oùcette
formation britannique aux inspirations américaines a émergé en toute
incongruité.Commepersonne,danscettesalle,nelesasansdoutejamais
vuslajouer.Clind’œil?Nostalgied’untempsoùtoutétaitplussimple?
Regretd’une fraîcheur musicaleperdue ? On se prendà espérer qu’ils ne
flanchentpas,qu’ilsaillentauboutdupartipris.Devinezquoi?Cenesera
paslecas.Onlecomprendquandstoppelesolovirevoltantetqu’entrele
pianosur cesegment centralplanant apparulors desconcerts desannées
quatre-vingt.L’effervescence reprend peu àpeu, au fil des improvisations
de guitare. Et les couches s’empilent. Orgue, synthétiseurs, pedal steel,
jusqu’àcesaxophonequiatoujoursétémalvenusur«SultansOfSwing»
et pollue le final. Malgré les intentions initiales, la surenchère a gagné.
D’unecertainemanière,MarkKnopflern’ypeutplusgrand-chose.Iln’est
pluslemaîtreàbord.Lemaître,c’estDireStraits.LamachineDireStraits.
Le monstre Dire Straits, qu’il a créé et qui lui a échappé. Knopfler n’a
jamaiscachécombienlatournée BrothersInArmsl’avaitécœuré,dégoûté
desfoulesendélire,delasurexpositionetdesapropremusique.Onl’avu
reveniràsesrêvesde countrymusic,undisqueenduo avecChetAtkins,
unautreaveclesNottingHillbillies,uneformationdevieuxpotesdeLeeds
dont le titre de l’album avait le mérite d’être clair : Missing… Presumed
Having A Good Time. Perdu de vue… on suppose qu’il est en train
s’éclater.Sous-entendu:cen’étaitpluslecasavecDireStraits.
Le guitariste n’a-t-il pas présumé de ses forces et de sa patience en se
lançant dans ce nouveau parcours mondial ? À bien l’observer, il paraît
déjàlas,immobileaucentredelascène.L’enthousiasmejuvénilede«Two
YoungLovers»neparvientpasàgommercetteimpression;«YourLatest
Trick»etsonthèmedesaxophoneunpeuringardennuienttoutlemonde,
et lui le premier ne peut-on s’empêcher de penser en le voyant gratter
mollementunemagnifiqueGibsonSuper400.Sur«TelegraphRoad»,on
lesurprendàcontrôlerlui-mêmelesrefletsdel’éclairagesurlemétaldesa
National, visage soudain ravi de celui qui vient enfin de trouver de quoi
s’occuper. « On Every Street » pourrait être un dur moment à passer.
Piano scolaire, chant grommelant, ponctuation de saxophone soprano,
guitare minimale. Sagement, on attend les arpèges de Stratocaster qui
amorcent le crescendo final, procurant cette sensation de boucler sa
ceinturepourledécollage.C’estunpeucela,écouterDireStraitsen1992:
secalerdansunfauteuiletselaisserporter.
Noir.Faussefindeconcert.
Quandilrevient,MarkKnopflerestendébardeur,Pensa-Suhrenmainet
déferlantedenotesendistorsionsouslesdoigts.Onadeviné«MoneyFor
Nothing », quand il s’interrompt. Bras croisés, signe de dénégation de la
tête, moue boudeuse. Les autres feignent de l’inciter à continuer. Illsley,
Palmer, Whitten, Cummings, ils prennent le public à témoin, sourires en
coin,«Voyezcommeilest,levieuxbougon?Onnepourrarienentirer,
désolé».Allez,c’estbon.L’hommeauserre-têtesedétend,sepositionneet
envoie la sauce. Tout Knopfler dans l’un des riffs les plus célèbres de
l’histoire de la guitare électrique. Alors qu’à l’origine, il cherchait
simplement à imiter ZZ Top ! Un immense tube, aussi, accompagné de
quelquesmalentendus, en rotationjusqu’à la nausée surMTV dont il est
questiondanslesparoles.MTVquiacausétantdemalaurock.MTVqui
atoutpourdéplaireàunémuledeJ.J.CalecommeKnopfler.MTVquia
faitde«MoneyForNothing»sonhymneofficieux.Sansparlerdecette
polémiquesurleterme faggot(tantouze)quiamènedésormaislechanteur
àleremplacerparmother(pour motherfucker).Ets’ilyavaitduvraidans
le petit sketch, tout à l’heure avant la chanson ? Et si Knopfler en avait
vraimentmarre?Danscesconditions,passûrqu’iltiennejusqu’àlafinde
latournée…
« Brothers In Arms » et cette guitare qui tire des larmes empêchent de
réfléchir plus avant. Dire Straits n’est jamais parvenu à saccager cette
chanson tant le jeu de Knopfler occulte tout, doublé ici d’une déchirante
partie de pedal steel. Quand les musiciens reviennent au gros son sans
nuancede«SolidRock»,onsaitquelafinestproche.Cetitreboucleles
concerts depuis plus de dix ans. Plutôt ironique quand on connaît les
paroles,écriteslorsdel’infernaletournéede1979.L’auteuryexprimesa
lassitudedesfaussesvaleursdustarsystem,delavietrépidanteetirréelle
quiestlasienne–celle-làmêmequ’ilavoulufuiraupointd’avoirtentéde
saborder son groupe. Sur scène, « Solid Rock » n’est qu’un prétexte à
volumeassourdissantetconcoursdesoli,etPhilPalmertermineentapping
façon Eddie Van Halen. Passe l’orage et les musiciens s’alignent face au
publicpoursaluer.Tousnequittentnéanmoinspaslascène.Unedernière
enguisedeconclusiondéfinitive,lamêmequ’en1985-86,lamêmequ’en
1982-83.Lethèmecomposépourlefilm LocalHeromaisdanssaversion
intimisteet mélancolique – le« Wild Theme ». Perlesde Stratocaster sur
nappesdepianoetdesynthétiseurs.Unfinalensuspensdumeilleureffet.
Cettefois,DireStraitsestbienparti.IlssontencoreàLyondemain.Puis
Paris,Barcelone,Madrid,Nîmes,Nantes,Rotterdam,sixsoiréesd’affiléeà
Londres début juin, retour à Lyon en septembre… Jusqu’au prochain
disque, la prochaine tournée ? L’histoire a montré que non. Né dans les
annéespunk,DireStraitsaressurgiets’estéteintdanslesannéesgrunge.
Quinze années au cours desquelles la musique du groupe a beaucoup
évolué–enmêmetempsquesonpersonnel.D’uncountryrockminimaliste
teintédeblues,J.J.Cale,BobDylan,ChetAtkinsetl’Americanaengénéral
pourréférences, Dire Straits amuté peu à peu pourdevenir l’incarnation
d’un certainrock années quatre-vingtfacilement moqué. Des disquesque
l’on écoute dans les magasins de hi-fi pour tester le matériel ou que l’on
glisse dans le lecteur CD du coupé décapotable tandis que l’on file sur
l’autoroute la nuit, comme dans un épisode de Deux Flics à Miami qui
utilisa un jour « Brothers In Arms ». Il serait temps de regarder de près
commentonenestarrivélà.
1.THESAMEOLDBLUESAGAIN
C’estsommetoutetoujourslamêmehistoire.Celled’ungringaletdesîles
Britanniquesmarquéparsadécouverted’ElvisPresleyetdeBuddyHolly,
captivéparletwangdeDuaneEddy,fascinéparlevibratomaingauchede
B.B.King,les bendsd’AlbertKing,laslided’ElmoreJames,quicomprend
avec les chansons de Bob Dylan que l’on a le droit d’écrire des textes
intelligents sans trop se soucier de son timbre vocal. Et qui finit par
réclamer à son père de lui acheter la même guitare que son idole. En
l’occurrence,laFenderStratocasterrougedeHankMarvindesShadows.
Erwin Knopfler n’aura pas les moyens d’offrir une Fender Stratocaster à
centsoixante-huitlivresàsonfilsaîné.Poursapremièreguitareélectrique,
cadeau d’anniversaire de ses quinze ans acheté avec l’argent prévu à
l’originepourunecroisièrededixjoursaveclelycée,lejeuneMarkaura
droit à une imitation à cinquante livres, une Höfner V2 Super Solid de
1962àdeuxmicrosetbarredevibrato.Maisrouge.«Il fallaitqu’ellesoit
rouge. Pour faire rock star. Et une vraie rock star joue sur une guitare
commeça.C’est tellementm’as-tu-vu»,se souviendraMarkKnopfleren
1980pourlaBBC.Seulproblème:sonpèren’apasachetél’amplificateur
nécessaire, et Mark n’osera jamais le lui demander. Du coup, il branche
l’instrument sur la radio en trafiquant les fils, détruisant l’appareil dans
l’opération,avantd’emprunterdesamplisauxcopains.
LesKnopflerontd’abordvécuàGlasgow,oùleurfilleRuthSelmanaîten
1947,puisMarkFreuderle12août1949etDavidle27décembre1953.
Lepère,unarchitectehongroisjuifetcommuniste,estarrivélàaprèsavoir
quittésonpaysen1939pourfuirlesnazis,etyaépouséuneenseignante
du nom de Louisa Mary. En 1957, la famille descend à Gosforth, à huit
kilomètres de Newcastle-Upon-Tyne, dans le nord-est de l’Angleterre.
Coïncidence,HankMarvinestnéàNewcastle.AlanClark,futurclavierde
DireStraits,estaussidelarégion.
Complètementautodidacte,MarkKnopflerexercesesdoigtssurlaHöfner
V2avecdesthèmescomme«HouseOfTheRisingSun»ou«Shakin’All
Over»–lepremieraccordqu’ilmaîtriseestunsimplissimemimineuràla
deuxième case qu’il fait trembler à coups de vibrato, pour reproduire un
effet typique de la surf music. En son absence, David se précipite sur
l’instrumenthistoiredereproduirecequ’ila vusonaînéfaire– lesfrères
Jimmie et Stevie Ray Vaughan raconteront des anecdotes de jeunesse
similaires. Il finit par acquérir une guitare acoustique bon marché auprès
d’uncopain,enéchangedesonmanteaud’hiver!MaislesdeuxKnopfler
ne nouent pas vraimentde complicité instrumentale. « On a dû jouer un
peuensemblemaisriendesérieux.Jecroisquedetempsàautre,jedevais
le [Mark] forcer à me montrer quelque chose » raconte le cadet au
biographe de Dire Straits Michael Oldfield 1. Et chacun commence à
monter ses premiers groupes à l’école. Mark crée un duo avec sa petite
amiechanteuseSueHercombeetilsseproduisentdeuxfoisàlatélévision
locale. Trente-cinq ans plus tard, la télévision norvégienne en retrouvera
unetrace.Le17octobre2002,l’animateurdelaNRK,quiainvitéMark
Knopflerpourlapromotiondel’undesesalbumssolos,passeeneffetla
bandedelachanson«ChillyWind»interprétéeavecSueHercombeàla
BBC Newcastle en 1966. À la même époque, le jeune Mark peint
égalementettâteduthéâtreexpérimental.«Undecesmachinsdesannées
soixante, genre JulesCésar en polos à cols roulés avec des mitraillettes »
résumeDavid.
LesparentsKnopflernesontpashostilesauxpenchantsmusicauxdeleurs
garçons.Erwinpratiqueunpeuleviolon–bienquesoncredosoitplutôt
les championnats d’Écosse d’échecs auxquels il participe au début des
années cinquante –, Louisa Mary s’arrête parfois sur le piano familial et
l’oncleKingsleyyjoueduboogie-woogiepoursesneveux.Marks’essaiera
lui-mêmeaupianodèssessixans,puisauviolonversonzeansmaisdans
lesdeuxcas,ilstagnevite,rechignantàapprendrelathéoriequipourraitle
faireallerplusloin.
«LesdisquesdeskiffledeLonnieDoneganontétélespremiersquej’aifait
acheteràmamère.Jen’avaispasdixans,raconteMarkàGuitarPlayeren
1984 2.Sij’aidû attendremesquinzeansavantd’avoiruneguitare, c’est
parce que mon père voulaitque je savoure pleinement la chose quand ce
seraitenfinlecas.»
Le corps enseignant de la Gosforth Grammar School, le lycée que
fréquentent les deux frères, est nettement moins compréhensif. Le
rock’n’rollyesthonni,onnejurequeparleclassique,ilfautabsolument
savoirlirelamusiqueethorsdequestiond’apprendred’oreille,souspeine
desanction–c’est-à-dire,enpremierlieu,d’êtreinterditdepiano.C’està
un point que David Knopfler, qui compose à treize ans ses premières
chansons,évitedes’envanter.Ill’évoquedansuneinterviewpourl’éditeur
FearlessBooks en2013 :« Quandj’allais présentermes compositionsau
clubfolkdulycée,jedisaisqu’ils’agissaitdechansonstraditionnellesetje
les interprétais avec un horrible accent irlandais pour donner le change.
Puisque dans ce lycée, on était puni à chaque fois que l’on se montrait
créatifensortantducadreimposé,jem’étaispersuadéqueceseraitpareil
avecleclubfolk.»
À l’époque, entre quatorze et seize ans, les goûts musicaux de Mark
Knopflerjurenteffectivementavec leclassicismeexigé parl’école:Scotty
Moore,leguitaristed’ElvisPresley;JamesBurton,celuideRickyNelson,
quel’adolescentdécouvreparledisque«JustALittleTooMuch»,etqui
jouera également avec Presley ; Duane Eddy, dont le son de guitare sur
« Because They’re Young » (1960) l’obsède quelque temps ; les Everly
Brothersquil’amènentauguitaristeChetAtkins,lequels’avéreral’unedes
grandesinfluencesduleader deDireStraits. Silamusique venued’outre-
Atlantiquedomine,MarkKnopflernerésisterapasàladéferlanteanglaise
des années soixante. Il vénérait déjà Hank Marvin des Shadows, mais ce
genredegroupefaitsoudainpâlefigurefaceàl’énergiedesBeatles,Rolling
Stones et autres Kinks. « J’ai eu quelques problèmes à l’école pour avoir
griffonné“TheKinks”surmescahiersetsurdestables»(GP84).
Etpuisilyaleblues.MarkKnopflerasouventcitéleLiveAtTheRegal
de B.B. King, disque en concert de 1965, comme l’une de ses références
majeures, fasciné qu’il était autant par la guitare (les fameux tirés de
cordes,lesbends)queparlechantetlesréactionsdupublic.Maislegrand
choc,c’estBobDylan.«Ilm’aénormémentinfluencéversquatorze-quinze
ans, quand je traînais chez les filles à boire à peu près soixante-quinze
tasses de café, à fumer quatre-vingt-dix cigarettes et à écouter cent vingt
foisBlondeOnBlonde»(GP 84).MarkKnopfleradécouvertlechanteur
américain à la voix nasillarde dès ses premiers disques et son intérêt ne
faiblirajamais.Aupointquebiendesannéesplustard,ilproduiral’unde
sesalbums.Cequiluiinspireracetteenvoléepour GuitarPlayer,encore:
« Pour ce qui est de jouer de la guitare ou du piano, les compétences
musicalesdeDylansontlimitées.Maiscelan’entravepasladiversitédeses
compositions,sonsensdelamélodieetsafaçondeleschanter.Toutestlà.
Ilpeutfairedeschosestrèschouettesaupiano,mêmesic’estrudimentaire.
Cequiprouvebienquevousn’avezpasforcémentbesoind’êtreungrand
technicien. C’est toujours la même histoire, tout ce qui compte, c’est de
joueravecsoncœuretsonâme.»DavidKnopflersesouvientquec’estsa
sœur Ruth, violoncelliste classique dans un orchestre régional, qui a
ramenéà lamaison TheFreewheelin’ BobDylan et The Times TheyAre
A-Changin’. « Je connaissais déjà certains morceaux de Dylan via les
versionsdePeter,PaulandMaryetd’autresartistesfolkgentilletsmaisles
disquesdeDylaneux-mêmes,c’étaitautrechose.Ilsétaientprofondément
mystérieux et porteurs d’expériences que je ne pouvais même pas rêver
connaître un jour. Dès la deuxième écoute, j’aisenti en moise formerla
convictionquejepouvaisàmontourécrireetjouermespropreschansons
3
.»
Pendant ce temps, au sud de Birmingham, un certain John Illsley inscrit
dansuneécoleprivéedeBromsgroveestsurlamêmelongueurd’onde.Du
mêmeâgequeMarkKnopfler(ilestnéenjuin1949),ils’enflammepour
Dylandès 1962. « J’airéclamé une guitare àmes parents à l’âgede cinq
ans.Ilsnesavaientpaspourquoietmoinonplus!Jel’ai trouvéesousle
sapin à Noël. Elle était en plastique blanc avec des cordes rouges.
Impossibledel’accorder.Jel’aidémolieentroissemaines»(BBC, Arena,
1980).Plustard,ilseferaapprendrelesaccordsdebasedubluesparson
frère William. Ainsi commence un parcours de guitariste de collège
similaireàceluidesfrèresKnopfler.Lerock,lesgroupes,lesBeatles,John
Mayall avec Eric Clapton, LeonardCohen… Au grand dam du directeur
de la Bromsgrove School qui lui confisque parfois son instrument (qu’il
confondavecunbanjo!).«Celaallaitsionjouaitdupianooudutuba,
mais avec une guitare, onétait apparentéaux Rolling Stones, qui étaient
vraimentcontrel’ordreétabliàl’époque.»C’estenentrantdanslegroupe
del’école,lesKnott,qu’ilsemetàlabassecarilyadéjàtroisguitaristes.
Audébut,ilsecontentederetirerlesdeuxcordesaiguësdesoninstrument
avantdes’équiperd’unevraiebasseélectrique.LesKnottnefontquedes
reprises,etlestroupessedispersentàlafindelascolarité.Certainspartent
àl’université,d’autrescommencentàtravailler.JohnIllsleylui-mêmepart
suivredes études à Kettering…mais se consacre surtoutà une formation
debluesrock tendanceCreamqu’il intègrelà-bas,écumant lesfacset les
pubs.L’expériencedureunan,avantqueJohnIllsleyneretournechezses
parents discuter sérieusement de son avenir – c’est-à-dire de tout sauf de
jouer du rock. Alors le jeune bassiste rentre dans le rang. Direction
Londres, un emploi dans une société de bois de construction, une petite
amie, une maison en banlieue à Woolwich et un avenir de gentil cadre
moyentouttracé.
En1967,MarkKnopflerquitteNewcastlepourdesétudesdejournalisme
à l’université de Harlow, entre Cambridge et Londres. Le rock critic du
NME Charles Shaar Murray passera par Harlow, de même qu’un futur
rédacteur en chef du Melody Maker, Michael Oldfield. Ce dernier est
l’auteur de l’un des rares livres sur Dire Straits, dont le récit s’arrête au
moment où démarre l’enregistrement de Brothers In Arms. Il a fait la
connaissancedeMarkKnopflerlorsdecetteformationenjournalisme.
UnanaprèsHarlow,KnopflerseretrouveàLeeds,rédacteurauYorkshire
EveningPost.Iltiendradeuxans.«Jenepensepasquej’étaisassezsolide
pource métier.Etil fautque l’encrecouledans vosveines,ce quin’était
pas mon cas » reconnaîtl’intéressé pour le blog FrontStage du quotidien
belge Le Soir en 2012. Il reste qu’avec le recul, son travail d’auteur en
bénéficiera : « Cela vous aide à appréhender les informations.Écrire une
chanson,c’estpourunebonnepartêtreorganisé».Ilvajusqu’àcomparer
sonartavecsonancientravaildereportersurdesprocès:«C’estvraiment
ça,laminiature:vousaveztouteuneviequidoitêtreréduiteàquelques
lignes.C’estunebonneintroductionau songwriting,jepense.»D’ailleurs,
la musique et la guitare ne l’ont pas quitté et lors de ses pérégrinations
dans Leeds, il griffonne des couplets sur ses carnets. Puis un jour, il
rencontre pour une interview un guitariste du cru d’un an son aîné. Il
s’appelle Steve Phillips, il gagne sa vie comme réparateur de mobilier et
restaurateurdetableauxdanslesmuséesdelaville,estpassionnédeblues
etseproduitsurlesscèneslocalesarméd’uneguitareenacierde1937,une
NationalStyleO,dontlesonestamplifiénaturellementparunrésonateur.
Les bluesmenSon House, queKnopfler écoutera en concertà l’université
deLeeds,BukkaWhite,BlindBoyFullerouTampaRed(lepremiernoirà
s’enservirsurundisque,en1928)étaientdegrandsutilisateursdecegenre
d’instrument. Mark Knopfler n’en a jamais vu pour de vrai. Et celle de
StevePhillipsestplutôtchouette,avecsespaysagesdeplageetdecocotiers
gravésdanslemétal.
Le12décembre1969,lejeunejournalistepubliedansl’EveningPost une
série de brèves sur l’actualité musicale. La première est un commentaire
enthousiaste sur un concert de Deep Purple à Bradford ; la dernière est
consacrée à Steve Phillips « dans son genre, le meilleur chanteur et
guitaristedebluesdetoutlepays.»Lesdeuxhommessympathisentetne
tardentpasàformerunduo,lesDuolianStringPickers,soitlesPinceursde
Cordes de Duolian, référence à un modèle de guitare en métal. Knopfler
s’est en effet mis à l’instrument. Dès après avoir rencontré son nouveau
complice, il a repéré dans les petites annonces une guitare en acier
d’occasionàvendre,unmodèletriconede1928.«Jen’avaisniargent,ni
voiturealorsj’aiempruntélesdeux,j’airouléjusqu’auPaysdeGallespar
unepluiebattanteetj’aiachetécetteguitareàunvieuxmusicienquijouait
dans un orchestre. » (SkyArts 1, Guitar Stories).Elle fera une apparition
téléviséepourunplaybackde«RomeoAndJuliet»dansl’émissionTopof
the Popsdu 15 janvier 1981, sur BBC 1 4. Puis StevePhillips vend à son
compère sa National pour cent vingt livres, offrant un bel avenir à cet
instrumentpuisqu’onl’entendrasurtouslesalbumsdeDireStraitsetqu’il
trônerasurlapochettedeleurplusgrandsuccèscommercial,BrothersIn
Arms. « Elle a une sonoritévraiment unique quis’apparente au pianoet
convientàénormémentdechansons»noteMarkKnopfleren2004pour
VintageGuitarMagazine.En2006,ils’enferafabriquerunecopieexacte.
En attendant, le reporter qu’il est a décidé de ne plus l’être. Il quitte le
Yorkshire Evening Post et reprend une vie d’étudiant en s’inscrivant en
licenced’anglaisàl’universitédeLeeds.Sondernierarticle,écritlejourde
son départ, est une nécrologie de Jimi Hendrix. « J’étais dans la salle de
pressedel’HôteldeVillepourlajournée,jecouvraislesprocès,quandle
chef des actualités a déboulé et m’a dit, “Dis donc, un certain Jimmy
Henderson ou Jimi Hendrix ou J’en-Sais-Foutre-Rien-Comment-Il-S’-
Appellevientdemourir.Tuconnais?Onn’apasbeaucoupdetemps,jete
mets dessus”. J’étais sous le choc. Je ne me souviens plus de ce que j’ai
écrit, j’ai balancé deux-trois trucs, je suis parti et suis allé me soûler. »
(RollingStone,1985)
Durant toute cette période, il multiplie les rencontres musicales et Steve
Phillips, avec qui il jouera cinq ans, lui sert un peu de mentor,
l’immergeantdanslebluesdesannéesvingtettrente,lewesternswing,le
ragtime, la guitare slide, la musique hawaïenne. C’est avec lui qu’il a sa
première expérience de studio. En avril 1970, un promoteur l’envoie à
Londresenregistrerlamaquette del’unede seschansons,accompagnéde
Phillipsàlaguitaredouze-cordesetdemembresdesongroupedumoment
–elleneserajamaispubliée.Ilaaussiétoffésonéquipement.Pourquatre-
vingtslivres,ils’estachetésapremièreguitareélectriquedepuislaHöfner
desesquinzeans:uneGibsonLesPaulSpecialnoirequ’avecsoncompère
il s’empresse de décaper pour la repeindre en rouge cerise. Au milieu de
toutcela,ilsemarieavecKathyWhite.
John Illsley a également repris des études en parallèle de son travail.
SociologieauGoldsmiths’College.Maislamusiquelerattrapesibienqu’il
partouvrirunmagasindedisquesavecsapetiteamie.Faillite,séparation
du couple, déménagementde JohnIllsley à Deptford, un quartier un peu
miteuxdusud-estdeLondresàcôtédeGreenwich.Ils’installeaurez-de-
chaussée d’une barre d’immeuble sinistre de Deptford Church Street, la
Farrer House. L’appartement compte quatre chambres et il y vit seul,
jusqu’àcequ’uneamieluiparledel’undesescollèguesassistantsocialàla
mairie de Greenwich, un jeune homme du nom de David Knopfler.
Fraîchementséparédesapetiteamieluiaussi,ilchercheunpointdechute.
Les deux hommes font connaissance, s’entendent bien, constatent qu’ils
jouenttouslesdeuxdelaguitare–Johnestmêmedansungroupe.Etles
voilàcolocataires.
Aprèslelycée,DavidKnopflerestentréàl’écolepolytechniquedeBristol,
essentiellementsurl’insistancedesamère–luiauraitpréféréprendreune
année sabbatique… Mais sur place, il trouve de quoi s’épanouir
musicalement,jouantduclavieretdelaguitareicioulà,trouvantsavoie
danslefolkjusqu’àlafindesesétudesquineluilaisserontenelles-mêmes
aucunsouvenir.Ilentameunecarrièredansl’administrationquilemèneà
Londresoùilretrouvesonfrère.
Les trois ans de son cursus d’anglais achevés à Leeds, en 1973, Mark
Knopfler a en effet aussitôt pris le train pour la capitale sur la foi d’une
petiteannoncerepéréedansleMelodyMaker.Ungroupedebluesdunom
de Brewers Droop auditionne des guitaristes au pub le Nag’s Head, sur
LondonRoadàHighWycombe,aunord-ouestdeLondres.Ilseprésente
avec sa Gibson rouge et il est pris. S’ensuivent deux années chaotiques à
tourner dans les clubs et boire de la bière sans gagner grand-chose. Le
groupeenregistre unalbum auPays deGalles austudio Rockfield.Mark
Knopfler joue sur trois titres. Sur deux autres intervient le batteur du
studio,Pick Withers. Ilreste que le disquene sortira qu’en 1989,sous le
titre TheBoozeBrothers,sansdouteunefoisquequelqu’unseserarendu
compte que deux membres de Dire Straits figuraient dans les crédits.
Histoired’enfoncerleclou,lapochetteestuneparodiedecelledeBrothers
InArms.
Cettepériodelondonienneestunepériodedevacheenragée.Leguitariste
enchaînelespetitsboulots,d’entrepôtsenbureaux.Sonmariages’effondre
etmusicalement,rienneseprécise.«C’estassezdinguetoutcequej’aipu
fairepourjouerdansdesgroupes,fairedel’auto-stopàtraverstoutlepays
avecuneguitareélectriquelourdecommeunchevalmort,voyagerenbus
avecdeuxguitarespouralleràuneaudition.Jemesouviensêtrerentréen
stopàNewcastlelejourdeNoëldepuisl’autreboutdupays,delaneige
partout,pasunratdanslesruesàpartmoiavecmaguitareetmonsacau
milieudenullepart.Ilfautvraimentenvouloir.»(RollingStone,1985)
Leguitaristemetfinàceserrancesensuivantuneformationd’enseignant
etobtientunposteàl’universitédeLoughton,aunorddeLondres.Illoue
un appartement un peu plus au sud, dans Buckhurst Hill. C’est là que
Davidlerejointpourunmoisàsonarrivéedanslacapitale.Ilamèneavec
lui deux guitares acoustiques, dont une ramassée dans une poubelle et
rafistolée.C’estledébutd’unelonguesériedeséancesnocturnesàjouerà
deux. David le raconte à la BBC en 1980 : « Nous jouions de la guitare
acoustiquelesoir,aprèslafermeturedespubs,justepourleplaisir,aulieu
d’écouter des disques. C’était très tranquille [very quiet]. J’ai retrouvé ça
avecJohnquandj’aihabitéchezlui.Ilyavaitunedynamiquequiallaitde
soi. Nos personnalités s’accordaient à merveille. Le trio s’est ainsi
constitué.»
CarquandDavidKnopflertrouveàselogerchezJohnIllsleyàDeptford,
Markle rejointrégulièrement aprèsavoir pris« untrain pourl’est ». En
anglais,eastboundtrain.Ceseraletitredel’unedespremièreschansonsde
Dire Straits, née des trajets de Mark Knopfler entre Buckhurst Hill et
Deptford–les parolescitentles garesde NewCross,proche delaFarrer
House,lastationMileEndetlaCentrallinedumétrolondonien.
John Illsley a plusieurs fois raconté la rencontre. Un matin qu’il rentre à
l’appartementaprèsêtresortitoutelanuit,ilbutecontreuntypeallongé
parterre.Lebonhommedorttouthabillé,bottesauxpieds,uneguitaresur
leventreetuncendrierpleinàrasbordàportéedemain.MarkKnopfler
enmajesté.
Si le courant passe aussitôt entre les trois, John Illsley est soufflé par le
talent du grand frère Knopfler. Ce dernier est guitariste soliste pour les
CaféRacers(unmodèledemoto),uneformationquiasapetiteréputation
danslespubsetlesfacultés.Dublues,durockabilly,aucunecomposition
originale. Arrive un soir où, leur bassiste n’étant pas disponible, on
propose momentanément la place à Illsley. Et l’idée fait son chemin.
Pourquoi ne pas former un groupe à nous, pour interpréter nos propres
chansons?Aumoisd’avril1977,MarkKnopflerfranchitlepas.Ilquitte
BuckhurstHillpours’installeràlaFarrerHouse.
Selon John Illsley, c’est un peu comme si les vannes s’ouvraient. Le
nouveaucolocatairen’enfinitpasd’écrire.Àcetteépoque,iladéjà«Wild
WestEnd»,inspiréparsestribulationsdanslecentredeLondresoùl’on
sort, le West End, avec ses théâtres, ses cafés, son petit Chinatown ;
« Southbound Again » qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire
étant donné la musique inspirant son auteur, ne parle pas d’aller dans le
SuddesÉtats-UnismaisdesviréesverslesuddepuisNewcastle,c’est-à-dire
versLondres;unpeude«Lions»estlàégalement;untexteméchantest
écritdanslavoituredèsaprèslavisiteparMarketJohnd’unegaleried’art
modernesurShaftesburyAvenue,«InTheGallery».Ilyaaussicettesérie
delongscoupletsdatantd’avantlacréationdutrioetrendantcompted’un
concertdemusiciensdejazzNouvelle-OrléansauquelMarketDavidont
assisté un jour dans un pub de Greenwich – le Royal Albert, le White
Swan,laSwanTavern,leDuke? Lesexégètesendébattentencore.Trois
ou quatre personnes dans la salle, dont les deux frères, et l’orchestre qui
jouesanss’ensoucier,toutàsonart,interprétantàlademandedeMarkle
standard«CreoleLoveCall»–«…andthesultansplayed“Creole”».
Àl’origine,«SultansOfSwing»étaitunaircomplètementdifférentdece
qu’ilestdevenu,accompagnéàlaguitareNationalenaccordageouvertde
sol (l’accordage privilégié par Keith Richards ou par les praticiens de la
guitare slide). David Knopfler évoque même un arrangement originel au
piano. À Deptford, Mark, qui en 1977 a fait l’acquisition d’une Fender
Stratocaster de 1961 (là encore, il repeint en rouge vif le corps en bois
naturel), revoit entièrement l’ensemble en grande partie parce que la
souplessedescordesautorised’autrespossibilités.«Cettechansonillustre
très bien à quel point ce avec quoi vous jouez conditionne ce que vous
jouez.»(GuitarWorld,2008)
Voilà pourles textes. Et le jeu de guitare ? Mark Knopfler n’a jamaissu
daterexactementlemomentoùils’estpassédemédiatorpourattaquerles
cordes – selon John Illsley, avec les Café Racers, il s’en servait encore –
mais il a toujours donné la même explication : aux doigts nus, on peut
obtenir le même effet, la même puissance qu’avec un médiator tout en
faisantdeschosesquiseraientimpossiblesavec.
S’il n’est pas le premier à pratiquer la guitare électrique ainsi – Wes
Montgomeryfaisaittoutaupoucedroit–,ilamisaupointunetechnique
originaleetd’unegranderichessesurlaquelleilnecesserad’êtreinterrogé
parla suite.Elle est régulièrementqualifiéede fingerpicking,en référence
austyledeChetAtkinsouMerleTravis.Maiscen’estpasexactementla
même technique que ces derniers, qui utilisent un onglet au pouce.
Knopflern’exploitepasnonplusaussinettementlapolyphonie,mélodieet
basse en simultanée comme en guitare classique. Son procédé s’articule
autour du pouce, du majeur et de l’index droits, le premier n’étant pas
nécessairement dévolu aux basses et chaque doigt pouvant attaquer la
mêmecorde,parfoisl’unjusteaprèsl’autre,avecpourrésultatceseffetssi
caractéristiquesdebégaiementetdenotesoud’harmoniquesétoufféesdans
l’œuf(lemeilleurexempleétantl’introductionde«MoneyForNothing»).
Ilentireégalementunegrandefluidité,unefacilitéetuneprécisionaccrues
pour des phrasés entiers sur deux cordes en même temps, chose toujours
unpeubrouillonneetsurtoutmoinsbiencontrôléedèslorsquel’onutilise
unmédiator5 .Toujoursgrâceauxdoigtsnus,lejeurythmiquedeKnopfler
intègreuneversiontrèssimplifiéedurasgadoduflamenco.C’est-à-direune
manièredefrapperlescordesdudosdesdoigtsenrafale.
Leguitaristenedonnecependantpasdansla virtuositédébridée.Carila
unautrehéros,unchanteuretguitaristeaméricaindeTulsa,enOklahoma,
relocaliséuntempsàLosAngeles,quisepassedemédiatoretjouedansun
style tout en retenue, le laid back. En anglais, être détendu, être calé en
arrière,contreledossierd’unechaiseoucontreunmurparexemple6.J.J.
Cale(JohnWeldonCaledesonvrainom)estnéfin1938etadéjàséduit
un artisteautrement plus renomméque lui et Knopfler,Eric Clapton. Ce
derniera publié« AfterMidnight »sur son premieralbum soloen 1970
avantmêmequesonauteurnel’enregistresursonproprepremierdisque,
Naturally, en 1972. Ce titre était à l’origine la face B d’un 45-tours
remontantà1966,quandCaletentaitenvaindepercer,épauléparLeon
Russell. Cette reprise changea la donne, offrant enfin une carrière à
l’homme tranquille de Tulsa. Ironie de l’histoire, à partir du moment où
Clapton en a fait un succès, J.J. Cale a dû changer son arrangement
d’« After Midnight » pour ne pas donner l’impression de vouloir en
profiter, alors qu’il en est l’auteur ! Quoi qu’il en soit, Eric Clapton est
devenuunmordudu laidback.Le guitarheroanglaisauxsoliintenseset
aux improvisations à rallonge s’est converti aux rythmes tranquilles, aux
notes éparses et aux climats intimistes comme l’illustre la pochette de
Backless en 1978 où il reprend « I’ll Make Love To You Anytime » de
J.J. Cale (Slowhand, l’album précédent, s’ouvrait sur « Cocaine », du
même).Lafrontièreavecunecertaineparessen’esttoutefoispastoujours
claire… Clapton n’est pas le seul à avoir succombé. Lynyrd Skynyrd a
repris deux chansons de J.J. Cale, « Call Me The Breeze » en 1974 et
« (I’ve Got) The Same Old Blues Again » en 1976, en des versions
explosives,WaylonJenningsluiaemprunté«LouisianaWoman»etNeil
YoungvaconvierCalesurl’enregistrementdeComesATimes.L’intéressé,
lui,nesortirajamaisvraimentdecestatutdehéroscultequ’ilseradebon
tondevénérertoutenprenantsoind’ironisersurcesrockstarsaccaparant
toutelagloire–aprèslaquellelui-mêmen’ajamaiscouru,enregistrantses
albums dans son coin comme des maquettes, logeant un temps dans une
caravane sans téléphone. Même s’il n’est pas dupe de son propre
personnage : « Comme il faut bien coller une image à un artiste pour
vendredesdisques,onm’aattribuécelledumecquiécritdeschansonsen
solitairechezlui,sanstropsepresser»dira-t-ilen1995.
Nemanqueplusqu’unélémentpourconstituerungroupederockdignede
ce nom. Un batteur. C’est là que Mark Knopfler retrouve chez un ami
commun Pick Withers, croisé à l’époque des Brewers Droop.
Contrairementauxtroisautres,David“Pick”Withersaunvraiparcours
de musicien professionnel. Originaire de Leicester, il était fasciné enfant
parlagrossecaissedelafanfaredesaparoisse,qu’ilatoutfaitpourtenirà
sontour.Àdix-septans,iltournesixmoisenAllemagneavecungroupe,
puis vit trois ans en Italie avec un autre, enregistre un album avec un
troisième à Londres. Ce disque, publié chez RCA, est réalisé au studio
Rockfield.Ducoup,PickWithersyresteet endevientlebatteurmaison.
C’est ainsi qu’il accompagne Nick Lowe, Del Shannon, Foghat, Dave
Edmunds, les Brewers Droop. Quand il rentre à Londres, il continue ce
travail de sessions, notamment pour Ralph McTell (Right Side Up), -
l’auteurdutube«StreetsOfLondon»,etlalégendedu britishfolkBert
Jansch (A Rare Conundrum). C’est-à-dire qu’il en est réduit « à vivre de
boîtes de haricots froids et à être payé cinq livres par semaine » selon le
managerdeDireStraitsEdBicknell.
Et voilà Pick Withers qui, sans toutefois être colocataire, arrive dans
l’appartementenrez-de-chausséedelaFarrerHousetransforméensallede
répétition enfumée. Ainsi prend forme un quatuor fauché qui se cherche
mais dont les influences louchent clairement vers la musique américaine.
Sauf qu’il y a un hic. En 1977, l’époque n’est plus du tout aux bends
léchés,aubluesetauxenvoléesdeguitaresproprementexécutées.LesSex
Pistols ébranlent le pays depuis plus d’un an, leur premier 45-tours
« Anarchy In The U.K. » est paru en novembre 1976, ils sont en train
d’enregistrercommeilspeuventNeverMindTheBollocks,fontscandaleà
latélévision,multiplientlesprestations-chocsetlesoutragesàlaReineet
cetété-là,alorsqueKnopfler&Co.révisentleurBobDylanmâtinédeJ.J.
Calesuruntapissonoreépuré,ilsontdonnéunconcertenbateausurla
TamisepourtournerenridiculelescérémoniesduSilverJubileecélébrant
l’accession au trône d’Elizabeth II en 1952. Interpellations, bagarres,
arrestations. Le « Wild West End » n’est pas wild de la même manière
pourtoutlemonde…Danscecontexte,touteunenouvellescèneaémergé.
TheDamned,TheClash,TheStranglers,TheJam,TheBuzzcocks…Début
juillet1976,lesRamonesontjouéauDingwalls,unclubdeCamden.Face
àcesjeunesgensencolère,àcesguitareshurlantesmalaccordées(surtout
pasaccordées),àcescoupsdegueuleetcescoupsdepoing,lavieillegarde
rock s’en tient à un mépris affiché. Pourtant, l’électrochoc est réel. Pink
Floydpublieen1977Animals,unalbumausonbrutetauxtextessinistres
et misanthropes ; Queen rassemble une collection de chansons plus
concises et plus directes qu’avant pour News Of The World (1977
également);lesRollingStonessonnerontànouveaucommeungroupede
barsurSomeGirls(1978);«WhoAreYou»desWhoestinspiréeparune
soirée passée par Pete Townshend avec deux Sex Pistols ; Led Zeppelin
piqué au vif enregistrera la chanson « Wearing And Tearing » pour
prouver qu’il peut encore faire aussi bruyant et méchant que les punks.
ToutcelapourdirequelesquatredeDeptfordnepouvaientpasêtremoins
enphase.
Pourleurtoutpremierconcert,ilsnevontpasbienloin.Unfestivalpunk
est organisé sur la pelouse derrière la Farrer House. Au milieu d’une
farandole de groupes braillards d’un jour, ils montent sur scène sous le
nom temporaire des Café Racers, pris à l’ancienne formation de Mark
Knopfler. Ce dernier amène sa Les Paul Special, sa belle National, ses
FenderTelecasterdontsesertsonfrère,etuncâblebranchédirectementà
l’installationélectriquedel’appartementdeJohnIllsley,enpassantparla
fenêtre de chambre de Mark, alimente leur sono. Ils se produisent avant
Squeeze, formé quelques années plus tôt à Deptford. Ceux-ci sont
accompagnés d’un Néerlandais appelé Joop de Korte officiant comme
technicien pour leurs instruments. Il intégrera dans quelques années
l’entouragedesfutursDireStraitsetyresterajusqu’àlafin.Pourautant,il
n’a aucun souvenir de la prestation du quatuor cet après-midi-là ! Une
demi-heure durant, le répertoire original du groupe mêlé à quelques
reprisesnepassionnerapaslesfoules.Qu’est-cequel’onpeutbienenavoir
àfaire,quandl’anarchiedéferlesurleRoyaume-Uni,d’unorchestredejazz
vieillot, de souvenirs de jeunesse à Newcastle et de persiflages sur l’art
contemporain ? Mais si décalé que puisse paraître le groupe, Mark
Knopfler n’y voit aucun problème : « Le punk est la meilleure chose qui
soitarrivéeàlamusiquedepuislesséancesd’ElvischezSun,expliquera-t-il
auGuardianenjuin1979.Lesgenss’imaginentqu’onestcenséfairedela
“bonne musique”, mais quantité de musiciens techniquement doués me
laissentdemarbre».
ÀnouveauavantSqueezeettoujoursàDeptford,lesCaféRacersmontent
courant juillet sur la scène de l’Albany, sur Douglas Way à deux pas de
chezeux.C’estleurdeuxièmeconcert.Maisilsontchangédenom.Suivant
la suggestion d’un ami de Pick Withers inspiré par leurs silhouettes
faméliquesetl’étatdeleursfinances,ilss’appellentdésormaisDireStraits–
tobeindirestraits:êtredansladèche.
S’ensuitunenouvellepériodelaborieuse.AlorsqueMarkKnopflertientle
rôle de l’auteur, John Illsley prend celui du logisticien. Étant le seul à
posséderunevoiture,àchaqueconcert,c’estluiquitransportelematériel,
entassé sur la banquette et dans le coffre, tandis que les trois autres se
déplacententransportencommun.C’estaussiluiquidémarchelessalles,
le plus souvent pour se voir opposer un refus. « Les gens n’avaient que
faire d’un groupe de rock’n’roll jouant ses propres compositions. Ils
voulaient quelqu’un qui viendrait cracher sur tout le monde. » Le peu
d’argent gagné disparaît dans l’achat d’essence et la location de la sono
mais Dire Straits parvient à économiser deux cent cinquante livres pour
enregistrer sa première maquette au studio Pathway, au fond d’une allée
dans le quartier d’Islington. De ce local indépendant pas trop cher sont
sortis le premier single de Police, « Fall Out » (1976), avec le Français
HenriPadovaniàlaguitare,oulespremiersalbumsdesDamnedetd’Elvis
Costello.
Le24juillet1977,DireStraitscouchesurbandescinqtitres,«SultansOf
Swing », « Wild West End », « Down To The Waterline », « Water Of
Love»et«SacredLoving»,signéDavidKnopfler.Lasuiteestcequel’on
pourrait appeler un coup décisif. John Illsley envoie à tout hasard une
cassette à Charlie Gillett, animateur depuis 1972 de l’émission Honky
Tonk,ledimanchesurBBCLondon.Ilestparailleurscofondateurdulabel
OvalMusicetauteuren1970d’unlivresurlerock’n’rollquifaitautorité,
The Sound OfThe City. Ses avis sont de ceux qui comptent. Sur Honky
Tonk, il s’applique justement à présenter des artistes méconnus, passant
leurs démos le cas échéant. Et c’est exactement ce qu’il fait avec celle de
Dire Straits, qui l’enthousiasme aussitôt. Le 31 juillet 1977, il choisit de
diffuser«SultansOfSwing»entreuntitredeBonnieRaittetavantunRy
Cooder. Dans les notes de pochette de The Honky Tonk Demos,
compilationde1979sortiechezOvalMusic,CharlieGillettraconte:«Il
faut croire que la moitié des chasseurs de talents [A&R] de Londres
écoutaient la radio ce dimanche-là car nous avons essuyé une pluie
d’appels nous demandant de qui était cette chanson, sur le mode “Vous
savez, celle qui sonne comme un groupe américain”. » Virgin, Chrysalis,
Phonogram,safilialeEnsignsontsurlesrangs.Dansl’histoire,DireStraits
n’arienvupasser.CharlieGillettaréagisiviteàleurenvoiqu’iln’apas
prévenules musicienset aumoment de leurpremier passageen radio,ils
déménageaientunami.Pourserattraper,l’animateurrepasse«SultansOf
Swing»lasemained’après.Puislesautreschansonslessemainesd’encore
après.Jusqu’au 10 septembre1977, où Dire Straitsest invité par Charlie
Gillett à une Summer Party, une version live de son émission dans le
kiosqueàmusiqueduparcdesClaphamCommons.DavidKnopfleraura
ce commentaire qui s’impose : « C’est le meilleur coup de pouce qu’un
groupeauraitjamaispuespérer.»
Dire Straits ne signera pas chez Oval Music, qui logiquement les
convoitait, mais chez Vertigo, un autre label de Phonogram. Son
représentant John Stainze aurait bondi hors de la douche pour se
rapprocherdelaradiolorsque«SultansOfSwing»surgitsanscriergare
ce31juillet1977.
Toujours est-il que Dire Straits n’a pas cessé de chercher à placer sur les
petitesscèneslondoniennesson«pubrockdenouveaupropriétaire»dixit
le narquois Nick Kent dans son autobiographie Apathy For The Devil 7.
On les voit passer début août à Woolwich dans une ancienne centrale
d’énergiepourtramwaytransforméeenthéâtre,leTramshed;auHope&
Anchor,unpubpunketnewwaved’Islington;auRockGarden,àCovent
Gardendans lecentre deLondres ; auDingwallsà Camden. LeHope &
Anchor, justement, les programme à nouveau plusieurs fois entre
novembreetdécembre.Ycomprisdanslecadred’unfestivalmissurpieds
parl’établissemententrele22novembreetle15décembre1977,leFront
RowFestival.Sibienquelapremièreapparitionofficielledugroupesurun
disqueneseferapassurun45-toursouunalbumàsonnom,maissurla
compilation tirée de ces concerts en mars 1978. Avec son « Eastbound
Train»très fiftiescaptélevendredi9décembre1977,DireStraitsjureun
peu au milieu de XTC, des Stranglers, de Wilko Johnson ou de The
Saints…
Maisce genrede bricolageva bientôtse terminer.Début décembre, John
StainzeacontactéEdBicknell,unancienbatteurdevenuagentchez NEMS,
la compagnie de management fondée par Brian Epstein pour gérer à
l’originelacarrièredesBeatles.L’hommeestdécouragéparlemétieretles
formations punk dont il s’occupe. La proposition qui lui est faite ?
Organiser des concerts pour Dire Straits de manière plus professionnelle.
MaisBicknell,aprèsêtrealléécouterlegroupeauDingwalls,esttellement
emballéqu’ilinsistepour devenirleurmanager toutcourt.« Lapremière
chosequej’airemarquée,c’estqu’iln’yavaitpasbesoindeseteniraufond
delasalle,ilsavaientunsontrèsdoux.»Unplaisirrareàcetteépoqueà
Londres…Méfiantsaudépart,lepersonnageétantunbrinexubérant,les
quatremusiciensselaissentconvaincre.Etleurpremierpasdanslemusic-
business consiste à assurer la première partie des Talking Heads sur les
datesanglaisesdeleurtournéequeBicknellétait entraindeplanifier.Ce
quiveutdiredes setsdecinquanteminutes,uncachetdecinquantelivres
par soirée, voyages en bus et hôtel. Dire Straits est aux anges. Ils
sympathisentmêmeaveclesTalkingHeads,àquiilsapprennentqu’ilest
possibledechangerdescordesdeguitareetquiinvitentMarkKnopfleret
JohnIllsleyàjoueraveceuxpourlesrappelslederniersoir,le5février.En
fait,latournéeauraitdûcontinuermaislegroupedeDavidByrne,épuisé
par le rythme d’un concert par soir, a annulé la suite. Bien sûr, les Dire
Straits ignorent qu’eux-mêmes viennent d’entamer un continuum de dix-
huitmoisdescènesetde passagesobligéspromotionnelsquilesmettraà
genoux. Pour l’heure, ils se préparent à la prochaine grande étape,
l’enregistrementd’unpremieralbum.
JUSTPICKIN’
En1996,StevePhillipspublieunecompilationdevieillesdémosenregistréesentre
1967 et 1981, Just Pickin’.On y trouve quatre instrumentaux avec le jeune Mark
KnopflerremontantauxannéesàLeeds(dontlachanson-titre),véritablesexercices
destyleragtimeetcountrybluesavecguitaresenmétaletmandoline.
LESDISQUESDE1977
MuddyWaters,HardAgain(janvier)
Television,MarqueMoon(février)
TheDamned,Damned,Damned,Damned(avril)
TheJam,InTheCity(mai)
NeilYoung,AmericanStars’N’Bars(juin)
IanDury,NewBootsAndPanties!!(septembre)
SexPistols,NeverMindTheBollocks(octobre)
BeeGees,SaturdayNightFever(octobre)
DavidBowie,Heroes(octobre)
EricClapton,Slowhand(novembre)
2.FENDERBROTHERS
Dire Straits n’a pas attendu les séances consacrées à son premier album
pour retourner en studio. Après la démo de juillet 1977, le quatuor est
revenu devant la console huit-pistes de Pathway courant octobre pour
enregistrer trois titres destinés à l’émission de Charlie Gillett :
« Southbound Again » (dont l’introduction diffère sensiblement de la
versionfinale),«SixBladeKnife»(plusrapide)et«InTheGallery».Età
nouveaule9novembrepour«SettingMeUp»,quiressembleàcestadeà
l’undecesdronesbluesdeHowlin’Wolf,«EastboundTrain»et«Real
Girl»,pastichedepetiteannoncedanslaquelleunhommeénumèretoutce
qu’ilneveutpaschezunefemme.Autrementdit,sil’oncumuletoutesces
démos,onal’intégralitédeDireStraits,hormis«Lions».
DireStraits
Enregistrédu13févrierau5mars1978auxBasingStreetStudiosdeLondres
Sortile8juin1978
D
ireStraitsentrele13février1978auxBasingStreetStudios,uncomplexe
crééparChrisBlackwell,lefondateurd’IslandRecords,dansuneancienne
églisedeNottingHill.Lesquatremusiciensvonttravaillertroissemainessous
ladirectionduproducteurMuffWinwood,frèredeSteve,dontlerôleconsiste
surtoutàcorrigerletirsurdesenchaînementsetlesmétriques.Surlesdémos,
c’estla loidu genre,le groupesonne pressé,le chantn’estpas toujoursbien
posé,lestransitionssonterratiques.MuffWinwoodinjecteplusderespirations
et de netteté dans tout cela, fait gagner en qualité et professionnalisme, au
risquedeperdreenurgenceetspontanéité.
Laformationdebaseàdeuxguitares,basseetbatterieestconservéedemême
que la structure et la longueur des chansons, certaines dépassant pourtant
allègrementlescinqvoiresixminutes.Dessolossontpresquereprisnotepour
notedes démos(«Sultans OfSwing »,«Down ToThe Waterline»), même
l’accord de si mineur neuvième concluant « Down To The Waterline » était
déjà là. Il reste que Dire Straits en profite pour étoffer ses arrangements en
mixantparfoistroisguitares,unedeuxièmerythmiqueétantassuréeparMark
Knopfler.C’estlecassur«WaterOfLove»,«SettingMeUp»,«Southbound
Again»,«Lions»,«InTheGallery»,«WildWestEnd».
Lepartagedes tâchesentre lesdeuxguitaristes nefaitpas nonplusdébat. À
Davidl’accompagnement,àMarklessoli,lestransitionsetautresfioritures,le
toutsurdesFenderStratocasterouTelecasterpourcequiestdel’électrique.
«CommejesuisplusjeunequeMarkdeplusdetroisans,ilyavaitentrenous
un écart de compétence que je n’ai jamais su réduire, reconnaît aujourd’hui
David Knopfler 8 . Mark était le genre de type à qui les gens demandaient
toujoursdesortirsaguitarealorsquej’étaisdemoncôtéencoreentrainde
medébattreavecdenouveauxaccords–queluimaîtrisaitdepuislongtemps.»
Pasnonplusd’effetsurcesguitares,quirestentensonclairsansdéformation.
À quelques exceptions près : la séquence introductive de « Down To The
Waterline », évoquant une corne de brume dans le lointain, est habilléed’un
chorus (un effet d’écho). Il ne provient pas d’une pédale, il a été rajouté au
mixageparl’ingénieurdusonRhettDavies.Danslamême,laguitaredeDavid
Knopfler passe dans un genre de flanger, provoquant un effet tournant à la
manièred’unecabineLeslied’orgueHammond.QuantàMark,ilused’uneffet
bienconnupourgommerl’attaquedescordesetmonterlesonjusteaprèsafin
d’obtenir une imitation de violon (d’où le néologisme de violining). C’est ce
qu’onentendabondammentsur«WildWestEnd»et«Lions».Leguitariste
expliquera souvent qu’il s’agissait de reproduire les inflexions de la voix
humaineetdegagnerenexpressivité.Onpenseaussiàuneimitationdepedal
steelguitar,instrumenttypiquedelacountry.CeprocédéestutiliséparDicky
Betts,duAllmanBrothersBand,audébutde«InMemoryOfElizabethReed»
sur AtFillmoreEasten1971.JeffBecks’ylivresursaversioninstrumentalede
« ‘Cause We’ve Ended As Lovers » et Roy Buchanan en est l’un des grands
spécialistes.Maistousseserventdupotentiomètredevolumedel’instrument,
contrôlégénéralementparl’auriculaire.LesBeatlesontétélespremiersàs’en
remettreàunepédale,sur«INeedYou»en1965.StephenStillsfaitdemême
sur « Helpless » de Neil Young. Et c’est la technique pour laquelle optera
toujoursMarkKnopfler,àl’aide d’unepédaledevolumeMorley,les premiers
temps,puisuneErnieBall.Le violiningvadevenirunepartieintégrantedeson
styleaumêmetitrequesonfingerpicking.
LesonDireStraits,àcestadedeleurcarrière,doitaussibeaucoupàlasection
rythmique. Guitare, basse et batterie créent un tapis minimaliste mais
suffisammentépaispourremplirl’espaceetstabiliserleschansons.Lesaccords
de David Knopfler sont souvent très présents dans le mixage et la batterie
gagned’autantplusenrondeurquePickWithersestéconomedesescymbales.
Le résultat est une belle cohésion d’ensemble, donnant l’impression d’un vrai
travaildegroupemalgrél’omniprésenceetletalentdesonsoliste.
MarkKnopfleraécritetcomposétouslestitres.Maiss’ilestfandeBobDylan,
ilnetraitedanssestextesd’aucuneréalitésociopolitiquequelconque.Toutes
les chansons ne parlent que de lui. Elles sont même ordonnées de manière
biographique.CelacommenceparlessouvenirsdeNewcastlede «DownTo
TheWaterline»,quandMarkKnopflertraînaitavecsapetiteamiesurlesquais
de la Tyne au risque de se faire prendre par une patrouille de police (« A
policeman shines a light upon my shoulder »). Viennent ensuite les échecs
amoureux.«WaterOfLove»,trèsempreintedeRyCooder,estlacomplainte
d’un homme en quête d’amour, qu’une série de métaphores transforme en
source,enpluie,enrivière.Unesourcesiprofondémentenfouiedanslesous-
sol que le narrateur n’arrive pas à l’atteindre (« Water of love deep in the
ground/Butthereisnowaterheretobefound);unerivièreàlaplacedelaquelle
ne reste qu’un rocher (« Once there was a river now there’s a stone »). Sur la
démo,lachansoncomptaitdeuxguitaresélectriques;àBasingStreet,elleest
réarrangée pour trois acoustiques, dont la National Style O achetée à Steve
Phillips pour le thème de slide en open tuning de sol (en concert, Mark
Knopflers’entiendratoujoursàl’électrique,généralementlaFenderTelecaster
Thinlinenoire deson frère).Son minimalismeestaussi dûà PickWithers : il
délaisse la caisse claire pour tenir la pulsation à la cymbale charleston et aux
tomsenalternance.
Le contraste est d’autant plus frappant quand arrive l’agressif « Setting Me
Up»,dénonçantladuplicitéd’unefemme.Elleapiégélenarrateur(tosetupen
anglais)etl’ahumilié(«You’remakingmeouttobeyourclown»).Apparemment,
Mark Knopfler digère mal la fin de son premier mariage. La chanson a été
accéléréeparrapportàladémo,dotéed’unriffrock’n’rolletdepartiessolos
tranchantes exécutées à la Telecaster. Son rythme sautillant évoque « Lay
DownSally»deEricClapton,surl’album Slowhandl’annéed’avant.Troisième
histoirededéceptionamoureused’affilée,«SixBladeKnife»filelamétaphore
d’une lame déchirant le cœur et frappant la victime par derrière. Dans son
rythme originel, la chanson ressemblait furieusement à « Sultans Of Swing ».
Ralentie, elle devient un blues lugubre, avec basse et batterie très en avant.
Tout est retenu, subtil, suggéré, lechant est quasi parlé. Un vrai exercice de
styleàlaJ.J.Cale.Entoutcas,l’intéressén’ajamaisétédérangéparcegenrede
mimétisme:«J’adorelafaçondontjoueMarkKnopfler.Voussavez,detoute
façon, on s’inspire toujours les uns des autres. On prend toujours quelque
choseàquelqu’un,unaccordpar-cipar-là.»(GuitaresetClaviers,1995)
Rupturesentimentaleànouveaudans«SouthboundAgain».Onretrouveaussi
la Tyne. Plus généralement, la chanson fait écho aux années d’indécision de
Mark Knopfler (« I don’t know if I’m going or leaving home »), tour à tour
journaliste, étudiant, professeur d’univer sité, marié, divorcé, musicien, auteur
de chanson et sans un sou (« Got no money I’ve got no place to go »). Alors
autantfiler au sud,à Londres, tout ense demandant sic’est une bonneidée.
Les Knopfler multiplient les pistes et sonorités de guitares sur ce titre.
L’introduction, notamment, est nettement plus percutante que celle de la
démo,exploitantàoutrancelesonclaquantdesFender.
Pourlasuitedudisque,onestàLondres.D’aborddanscepubdeGreenwich
où,avecsonfrère,MarkKnopflerécoutaunorchestredejazzjouerpourune
sallevide–hormisdejeunescrétinssaoulsenpantalonbaggyquin’enontrien
àsecouerdestrompettes(«Thenacrowdayoungboysthey’reafoolin’aroundin
the corner / Drunk and dressed in their best brown baggies and their platform
soles / They don’t give a damn about any trumpet playin’ band »).Difficile, avec
«SultansOfSwing»,de nepasimaginerKnopflers’identifieràcesmusiciens
quinepassionnentpersonne,étrangersàtoutenotiondemode,hérautsd’une
culture musicale et d’un art de vivre d’un autre temps. Dans le Londres de
1978, citer dans une chanson « Dixie », le style honky tonk et la Nouvelle-
Orléans,c’estplusquedel’audacepourungroupeinconnu,maisquasimentun
suicideartistique…«SultansOfSwing»cumuleàpeuprèstoutcequeMark
Knopflersaitfairedemieux,lesensdudétail,ladictiondylanienneetsurtout
des lignes de guitares prolongeant à merveille son phrasé vocal, exactement
commes’ilcontinuaitàchanteràtraverssaStratocasterrouge.MarkKnopfler
est un exemple pas si fréquent d’instrumentiste dont on peut littéralement
chanter ou siffloterles soli comme une mélodie et « Sultans… » en est sans
doute la meilleure illustration. « Seul un musicien doué d’un réel sens de la
structureestcapabledesonnerainsi,commes’ilincarnaitdeuxpersonnesàla
fois»écriralecritiqueaméricainRobertChristgaudansTheVillageVoice.
« In The Gallery » prolonge ces réflexions sur l’art mais a agacé pas mal de
chroniqueurs. L’auteur s’en prend aux artistes contemporains, présentés
comme des fumistes chouchous des galeristes, marchands d’art et autres
faiseurs de mode. En guise de contre-exemple, Knopfler porte aux nues un
certain Harry, sculpteur réaliste qui a façonné un cavalier et un mineur du
NationalCoalBoardenterreglaise(cetartisteexisteréellement :ils’agitde
HarryPhillips,lepèredeStevePhilips,l’amideLeeds9).Pasassezdanslecoup,
pasassezdanslespetitescombines,iln’abiensûraucunechancedepercer.Ici
aussi,ondevineàquilechanteurs’identifie.Maisl’attaqueestunpeuconvenue
etdémagogique.
Lesdeuxdernierstitressontdespeintureslondoniennesquasidocumentaires,
àlaLouReed.Mais«duLouReedasexué»commel’aunjourécritRock&Folk.
IlesteneffetbiengentilleSohode«WildWestEnd»,avecsesrestaurants
chinois et italien (le Barocco Bar mentionné était au 13 Moor Street), ses
brûleursdecafé(Angeluccisesituaitau23BFrithStreetavantdedéménagerau
nord dans le quartier d’East Finchley), ses serveuses bienveillantes et ses
quelques go-go danseuses. Il reste que la pulsation tranquille amorcée par la
National (qui a droit à une mention dans les paroles), l’entrelacs de guitares
électriques, les chœurs sur le refrain, tout cela crée un climat onirique très
réussi.
LeslionsdelachansonéponymerenvoientautantauxsculpturesdeTrafalgar
Square encadrant la colonne de Nelson qu’à la faune urbaine au moment où
tombelejoursurlesruescrasseuses(«Redsungodownwayoverdirtytown»).
Ladescriptionimpressionnistedecesambiancesdefermeturedesbureauxet
de métro du soir est le seul texte du disque écrit au moment de
l’enregistrement.Pourlamusique,MarkKnopflerautiliséunemélodietrouvée
plusieurs années avant. Quelques accords de neuvième apportent une
colorationjazzàlafindescoupletsetlaguitaresolisteestunmodèledelaid
back : miaulements à la pédale de volume, phrases avortées, notes isolées,
silences. Sur toute sa dernière minute, « Lions » se stabilise sur un seul et
mêmeaccord(unlamajeur).Lesoloneprendjamaissonenvol,multipliantàla
placelesmotifsabstraits.DireStraitslivreainsiunefind’albumensuspension,
comme s’il se terminait sans se terminer vraiment. Invitant à le réécouter
depuisledébut.
Lemêmesensdumystèreémanedel’illustrationdurectodelapochette.Une
peinture d’un certain Chuck Loyola, un artiste qui travaillait pour l’agence de
création londonienne Hothouse.On distingue une silhouette a priori féminine
aux contours indistincts, adossée à un pilier dans une galerie avec, en fond,
peut-être, la lumière blanche d’un matin blême. Une belle œuvre, surtout
comparée aux photos-portraits sinistres des quatre musiciens, mais un choix
plutôtaudacieuxpourvendreungroupedecountryrockanglaisdébutant.
«SultansOfSwing»,troisième
Ensortantdustudio,DireStraitsembraiesurunerésidencehebdomadaire
au célèbre Marquee Club, à l’époque situé au 90 Wardour Street dans
Soho.Ilsyjouentles14,21et28marspuisle11avril.Avantderetourner
s’enfermeren salled’enregistrement dixjours après,cette foisen traînant
les pieds. Car Phonogram veut un 45-tours pour entraîner les ventes de
l’album sur le point de sortir. Le label a choisi « Sultans Of Swing », la
chansonquiarévélélegroupe.Oriln’estpasconvaincuparlaversiondu
disque,troppropre,pasasseznerveusepourlesradios.Les20et26avril,
DireStraitsgravedoncunetroisièmefoislachansonsurbande,austudio
Pathway et en se produisanteux-mêmes. Le résultat, plus « garage », les
guitares saturant légèrement, servira au single britannique avec
«EastboundTrain»auHope&AnchorenfaceB.Maisladiffusionhors-
Royaume-Unidu45-toursseraplusconfuse,certainspaysayantdroitàla
version de l’album, d’autres à celle de Pathway, ailleurs la chanson est
amputéed’uncouplet.
DeHollandevintlesalut…
Le single sort le 19 mai, l’album le 8 juin… et il ne se passe pas grand-
chose.«Ilyavaitàl’époque[auRoyaume-Uni]unecommissionsurRadio
One, la radio rock nationale si on veut. Ils ne jouaient pas “Sultans Of
Swing” parce qu’ils trouvaient qu’il y avait trop de paroles. Ils avaient
peut-êtreraison!»sesouvientMarkKnopfleren1984pourLesEnfants
du rock. Ce même mois de mai, c’estle début d’unesérie de concertsen
première partie des Anglais du Climax Blues Band d’abord, puis des
AméricainsdeStyx.LesquelsannulentleurpassageenEuropeauboutde
trois dates à Paris, La Haye et Hambourg, faute de rencontrer le succès
qu’ils espéraient. Dire Straits enchaîne avec plus d’un mois de tournée
comme tête d’affiche pour la première fois. Ce qui les mène jusqu’à
ÉdimbourgetDundee,enÉcosse,enpassantparquelqueslieuxdupassé,
Leedsetl’Albany TheatredeDeptford.Cela nese passepasfranchement
mieux.Aprèsquoi,laBBClesenregistrele22juillet1978auParisTheatre
deLowerRegentStreet(lasalleenphotosurl’albumdesBeatlesLiveAt
TheBBC) dans le cadre duprogramme In Concert.Un disque officiel en
seratirédix-septansplustard–DireStraitsLiveAtTheBBC.
C’estalorsqu’unphénomènecurieuxseproduit.LaBelgique,l’Allemagne,
lesPays-Bascommencentàs’arracherl’album.Pendantdeuxsemaines,ce
dernier est en troisième position des ventes allemandes de disques alors
qu’au départ, il n’était disponible qu’en import. Au Pays-Bas, les
animateurs radio du réseau VPRO diffusent en boucle « Sultans Of
Swing».DireStraitsfinirapardécrocherdanscepayssonpremierdisque
d’or. Dans l’immédiat, le groupe file aussitôt faire une émission de
télévision à Amsterdam. « Tout est parti de Hollande. Nous y sommes
allés…etonnousapassésàlamoulinette»raconteraMarkKnopfleraux
Enfantsdurock.Caraprèsl’honneurdescaméras,uneséanced’interviews
retientlesmusicienspendantdixheuresjusqu’àuneheuredumatin.C’est
ladouchefroide.Ilsensortentsonnésetvidés,sanssavoirqu’ilnes’agitlà
qued’undébut…
Lamachineestlancée.DireStraitsadésormaisunlocalderépétitiondigne
decenom,lesWoodWharfStudios,àGreenwich,dansunancienquartier
dedockssurlarivesuddelaTamisefaceàl’ÎleauxChiens,etpastrèsloin
delaFarrerHouse.C’estlàqu’ilspréparentdébutseptembrelaprochaine
étape. Ils traversent en effet la Manche pour une quinzaine de dates en
Belgique,auxPays-Bas,enAllemagne.Le14octobre,ilsinterprètentneuf
titres (certains deux fois à cause de problèmes techniques) au Théâtre de
l’EmpireàParis,pourl’émissiondetélévision Chorus.Quandilsrentrent
début novembre, un circuit des universités britanniques les attend. C’est
surl’avant-dernièredate,àHitchin,qu’unagentartistiquedunomdePaul
Cumminslesvoitpourlapremièrefois.Cesoir-là,deuxpunksperturbent
laprestationdugroupeaupointquecelui-cis’arrêteenplein«WaterOf
Love ». « Si vous aviez le culot d’interrompre une soirée punk à cette
époque,vousétiezmort»serappellePaulCummins,quis’attendaitsurle
moment à une émeute. Il n’en sera rien ; les deux types sont évacués (et
cognés par d’autres spectateurs), Dire Straits reprend le fil du concert et
Cummins emporte avec lui un souvenir impressionné de la scène. Dans
quelquesmois,ils’associeraàEdBicknellpourgérerlacarrièreduquatuor
etfairementirsonnom.
Avant la fin de l’année, Dire Straits est numéro deux des ventes en
Nouvelle-Zélande et en tête en Australie pendant les trois premières
semaines de décembre. Entre-temps, Ed Bicknell a négocié un contrat de
distribution aux États-Unis, où l’album paraît le 20 octobre. Cela tombe
bien, sur scène, Dire Straits interprète une nouvelle chanson intitulée
«OnceUponATimeInTheWest».
LESDISQUESDE1978
XTC,WhiteMusic(janvier)
VanHalen,VanHalen(février)
VillagePeople,MachoMan(février)
LouReed,StreetHassle(février)
FrankZappa,ZappaInNewYork(mars)
BobMarley&TheWailers,Kaya(mars)
TheBand,TheLastWaltz(avril)
BruceSpringsteen,DarknessOnTheEdgeOfTown(juin)
Chic,C’estChic(août)
ThePolice,Outlandosd’Amour(novembre)
3.«MAINTENANT,ONFAIT
UNVRAIDISQUE»
En1978,ceguitaristeestunerévélation.Aprèsquelquesannéesdevaches
maigresàjouerdanslesclubs,songroupeafiniparfinancerlui-mêmeune
démo,avantdedécrocheruncontratdiscographique.Lepremieralbuma
étéenregistréentroissemaines.Ilsortetc’estl’ascensioninexorabledans
les classements de ventes, la découverte d’une poignée de titres appelés à
devenir des classiques et d’un jeu de guitare en passe de bouleverser
l’approche de l’instrument. Ce guitariste joue sur une Stratocaster
trafiquée, il est américain, est né aux Pays-Bas et il s’appelle Eddie Van
Halen.
Dire Straits est encore en tournée en Grande-Bretagne pour défendre son
premieralbumquandlemanagerEdBicknellpartauxÉtats-Unistâterle
terrainchezRSO,Columbia, RCA,Mercury,Warner…Lecontexte n’est
pasfranchementpropice. SaturdayNightFever, GreaseetDonnaSummer
font un tabac. Quantau renouveau du rock à guitares, dont on annonce
régulièrementla fin, il estincarné par le tapping à deux mains, le brown
soundetlesexubérancesd’EddieVanHalen.Apriori,DireStraitsvaavoir
dumalàtrouversaplaceoutre-Atlantique.
Les réactions aux démarches d’Ed Bicknell sont variables, de la non-
réponse jusqu’au représentant de label qui propose un dessous-de-table
dans un sauna pour emporter le contrat ! C’est finalement Warner qui
signe.
DeLondresauxBahamas
Pourlaproductionduprochaindisque,Warnervoitd’embléeleschosesen
grand : ni plus ni moins que le duo légendaire Jerry Wexler et Barry
Beckett.S’ildoitsaréputationàsacarrièrechezAtlanticRecords,Wexler
est chez Warner depuis 1977 10. Né soixante ans plus tôt à New York,
journalistedeBillboardMagazineàlafindesannées1940,ilestdébauché
parAtlanticen1953.Ilendeviendravice-président,aucôtédufondateur
Ahmet Ertegun. À partir de là, son curriculum vitae se lit comme une
histoire de la soul music et du rhythm’n’blues, terme qu’il a inventé à
Billboardaprèsunedemandedurédacteurenchefpourtrouveruneautre
formule que race records afin de désigner les disques de musique noire-
américaine.
Chez Atlantic, il « supervise » (selon le terme souvent mentionné sur les
pochettes) de nombreuses sessions de Ray Charles (The Genius Of Ray
Charles, The Genius Sings TheBlues, After Hours…), WilsonPickett (In
TheMidnightHour,TheWickedPickett)etprèsd’unequinzained’albums
d’ArethaFranklin.IlaproduitSolomonBurkeetT-BoneWalker,leBlues
FromTheGutter(1958)deChampionJackDupree,l’albumquiaconverti
Brian Jones au blues, le Gumbo de Dr. John, le splendide Dusty In
Memphis de la Britannique Dusty Springfield, et même deux albums de
WillieNelsonàunmomentoùAtlantics’intéressait(paspourlongtemps)à
lacountry.AumomentoùDireStraitss’apprêteàtravailleraveclui,Jerry
Wexler vient de terminer Unlock Your Mind (1978) des Staple Singers,
coproduitavecBarryBeckett.
Les deux hommes se sont connus quand Jerry Wexler a découvert les
studios du Sud, à Memphis, dans le Tennessee, et à Muscle Shoals, en
Alabama.Pianisteetorganiste,BarryBeckettfaisaitpartiedecegroupede
musiciensdesstudiosdulabelFAMEpartifonderleMuscleShoalsSound
Studios de Sheffield, dans l’Alabama (les Rolling Stones y enregistrèrent
clandestinement«WildHorses»,«BrownSugar»etleurreprisede«You
GottaMove»).Producteurplusoccasionnel,iljouesurdesdisquesd’Etta
James, Tony Joe White, Boz Scaggs, Bobby Womack, Wilson Pickett ou
BobDylan.
Dansun premiertemps, DireStraits rejointJerry Wexlerdans le Suddes
États-Unis, histoire de faire connaissance. Mais c’est aux Compass Point
Studios de Nassau, dans les Bahamas, également fondés par Chris
Blackwelll’annéeprécédente,queseraenregistrél’album.
Communiqué
Enregistrédu28novembreau22décembre1978auxCompassPointStudiosde
Nassau(Bahamas)
Sortile15juin1979
Q
uand les séances commencent fin novembre 1978, Dire Straits est sorti
aux États-Unis trois semaines plus tôt et le groupe a passé les deux
premiers mois de l’automne sur scène. Mark Knopfler a néanmoins trouvé le
tempsd’écrirelaplupartdeschansonsetcertainesontététestéessurscène.
«PortobelloBelle»àBirminghamle4juillet,«OnceUponInTheWest»et
« Lady Writer » à Rotterdam le 19 octobre, puis à Amsterdam quatre jours
plustardoùlegroupedévoileégalement«Single-HandedSailor»,«FollowMe
Home»,«News»et«WhereDoYouThinkYou’reGoing?»justeavantle
finalesur«Southboundagain».Àcestadedelatournée,cesnouveauxtitres
sonttellementrodésqu’ilsserontgravéstelsquelssurdisque.
Enrevanche,«RealGirl»neserapasretenu,nonplusqued’autresnouveautés
comme«What’sTheMatter,Baby?»,coécriteavecDavidKnopfler,et«Me
and Your Friends » / « Move It Away », deux versions d’un boogie assez
basiquequel’onpeutentendresurun bootlegàl’écolePolytechniquedeLeeds
le30janvier1978ousurunautrecaptéàBirminghamdébutjuillet.
Si l’enjeu est de taille – à la fois transformer l’essai du premier album et
conquérirl’Amérique–lesquatreBritanniquessecoulent,àNassau,dansune
drôled’ambiancedetravail,faitedelangueurtropicaleetdeconfortmatériel,
sous la direction paternaliste de Jerry Wexler. L’homme est une figure
d’autorité et a une réputation de big boss dont on ne discute pas les
instructions.Pourtant,il optepourune approchedifférenteavec DireStraits.
«Cegroupeneressembleàpersonnequejepuissenommer.L’étapesuivante
duraisonnementestdonc:nepasytoucher,nepaslegâcher»affirme-t-ilà
MichaelOldfield.Defait,lesclaviersdeBarryBeckett(souslepseudonymede
B.Bear)sefontdiscretssur«Communiqué»,quidonnerasontitreàl’album,
«PortobelloBelle»et«WhereDoYouThinkYou’reGoing?».
Ilestcommunémentadmisque Communiquéestunalbumdécevant,engrande
partie parce qu’il ressemblerait trop à son prédécesseur. Il serait injuste d’en
resteràunjeudecomparaisons.Carl’écritureetlaconstructiondeschansons
ont nettement évolué. En tant qu’auteur, Knopfler a gardé son talent de
miniaturisteetd’observateurtoutenélargissantlepropos,quandlestextesde
DireStraitsrelevaienttousdel’évocationbiographique.
Commesontitrelesuggère,«OnceUponATimeInTheWest»aétéécrite
alors que Mark Knopfler regardait le film éponyme de Sergio Leone à la
télévision,l’espritembruméparl’alcoolselonsonpropreaveuàGuitarPlayeren
1984. Sur une rythmique louchant sur du reggae, les paroles dépeignent un
monde moderne où les comportements diffèrent peu de ceux du temps de
l’Ouestsauvage.Desfousduvolants’amusentàeffrayerlespassantspourun
frissonfacile,onpeut«seprendreuneballedelapartdesforcesdumaintien
delapaix»etmêmeleshérospeuventtomber.
Climat tout aussi sombre, voire mortifère, dans « News » (pressenti pour
nommer l’album), à propos d’un motard quittant froidement le foyer, fermé
aux suppliques de son épouse, pour enfourcher sa moto et foncer à toute
vitessesurlesroutes.Avantdefairel’objetd’«unelignedanslesjournaux»,
autrement dit succomber à un accident qui alimentera les faits divers, selon
l’adroiteellipsequiconclutlachanson.Troisguitaresélectriquess’entremêlent,
unepourlesaccordstrèssecsdeDavidKnopfler,uneautrepourdesarpèges
deMarketlatroisièmepourlessolietlesdésormaistypiqueseffetsdeviolining
àlapédaledevolume.Car,commesur DireStraits,laplupartdeschansonsdu
disquesontarrangéesàtroisguitares.
«Communiqué»estlancéparunriffcountryrocktrèstypé(leseuldudisque)
mêlantpianoetguitare.C’estuneamusantedescriptiondujeudechatetdela
souris entre d’un côté, des journalistes réclamant une déclaration officielle à
unecélébritéet,del’autre,unattachédepressefaisantbarrageenpromettant
quetoutseradanslecommuniquéàvenir.MarkKnopflers’inspireàcoupsûr
d’unedoubleexpérience,celledel’ancienjournalisteetcelle,désormais,dela
personnalitésollicitéeparlesjournalistes.L’épisodenéerlandaisaapparemment
laissé des traces… Les reporters qui, dans les années à venir, se plaindront
régulièrementdumanquedecoopérationetd’enthousiasmeduleaderdeDire
Straitseninterviewserontunpeudemauvaisefoi:cettechansonlesprévenait
bienasseztôt.
Arrivant sur une rythmique nonchalante à la National Style O, « Portobello
Belle » parle d’une prostituée de Portobello Road, le quartier jamaïcain de
Londres(ChrisBlackwellyacommencésacarrièreenvendantàl’arrièredesa
voiture des disques de reggae rapportés directement de Jamaïque). Dehors
danslarue,unchanteuraveuglefaitlamancheenentonnantuneritournelleà
propos d’une jeune Irlandaise. Lors de la tournée de 1982, Mark Knopfler
présentera parfois la chanson, passablement réarrangée, comme un « Irish
reggae».
Écarté de la sélection bien que régulièrement interprété sur scène, « What’s
TheMatter,Baby?»trouveunedeuxièmeviesur Communiqué.MarkKnopfler
engardelastructure,lesaccords,ladynamiquegénéralemaisréécritletexteet
changeconsidérablementsespartiesdeguitares.Si«LadyWriter»nenomme
pascetteécrivainedissertantsurlaViergeMarieàlatélévision(«Ladywriteron
theTV/TalkabouttheVirginMary»),ilyadegrandeschancesqu’ils’agissede
MarinaWarner,auteuren1976deAloneOfAllHerSex:TheMythAndTheCult
OfVirginMary.Pasdequoiflatterl’intéressée:«J’aimeraispouvoirrevendiquer
quelquechosedeplushonorableentermedeculturepopulairemaisjecrains
quecenesoitpaspossible»déclarera-t-elleen1999dansunarticlede Time
Magazine.Quantàsonlivre,ilsuscitadevifsdébatsenexpliquantqueleculte
delaViergeneprovenaitpastantduNouveauTestament,oùlepersonnageest
peumentionné,qued’uneconstructionaufildutemps,assimilantquantitéde
figuresetpratiquesdufolklorepopulaire.Detoutcela,iln’estabsolumentpas
question dans la chanson ! « Lady Writer » montre un Knopfler remâchant
toujours sa précédente rupture amoureuse et qui, de manière assez peu
élégante, compare l’érudition de Marina Warner à celle plus limitée de son
anciennecompagne…Qu’onenjuged’aprèscegenredevers:«Etjesaisque
tun’asjamaisluunlivre»(«AndIknowyouneverreadabook»);«L’écrivaineà
latélévisionmaîtriseàfondsonsujet/Toitusavaisàpeineécriretonnom»
(«LadywriterontheTV/Sheknewallaboutahistory/Youcouldn’thardlywrite
your name ») ; « L’écrivaine à la télévision / Avait tout pour elle, esprit et
beauté/ Cela ne te correspondpas des masses /Tu ne m’adressais la parole
quequandcelatechantait»(«Shehadallthebrainandthebeauty/Thepicture
doesnotfit/Youtalkedtomewhenyoufeltlikeit»)…Ilrestequelachansonest
enrobéedemerveilleuseslianesdeguitares,chaqueversponctuédecespetits
hoquets attaqués de l’index et du majeur droits, au rôle plus percussif que
mélodique.
C’estunautreélégantmotifdeguitarequianime«Single-HandedSailor».Un
phrasé décliné tout au long du titre, soutenu là encore par deux guitares
rythmiques.Letexteestunenouvellepeinturelondonienne,enl’occurrencele
quartier des docks où répète Dire Straits. Le Cutty Sark non loin (il y est
toujours), la brise dans la nuit, une lumière verte à deux heures du matin, le
passaged’unebargechargéedesableetcesvaguesqu’onnepeutdomestiquer.
Untexteprécis,ciselé,oùlasolitudeetl’abandonsontpalpables.
Etpuisilya«WhereDoYouThinkYou’reGoing?».Dans DireStraits,tous
les titres étaient donnés d’emblée, leurs structures posées dès le départ
jusqu’au terme. « Where Do You Think You’re Going? » tente une nouvelle
approche.Lachansoncommencesurunriffdebluesassezbanalsurunaccord
de la mineurà la guitare acoustique puis se construit et se transforme peuà
peu.MarkKnopflerbrodesurunautreriffenintervalles,lemorceauenchaîne
accélérationsetpausesavantquelechanteurnelaisseéchapperun comeonà
partir duquel débute une envolée à trois guitares superposées (et l’orgue de
Barry Beckett au fond du mix). Si l’orchestration correspond aux canons du
DireStraitspremièremanière,onpeutentrevoirdanscetypedeconstruction
biendesdéveloppementsàvenir,«TunnelOfLove»et«TelegraphRoad»en
tête.
Dansunemoindremesure,«AngelOfMercy»exploitelemêmeprocédé.Le
morceausemueenungenredejaminformelle,flottantethésitantsurlasuite
àsedonner.Desarpègesdeguitare,puisunerythmiquereggae,quelqu’unsiffle
entoutedécontraction.Ettoutrepartdansunebelleénergie,lerefrainrepris
enchœur.Legroupeparvientlààrestituer,dansunstudiodesBahamas,cette
bonnevieilleambiance livedepubquiétaitsonquotidieniln’yaencorepassi
longtemps.
Alors bien sûr, il y a les similitudes avec le premier disque. « Once Upon A
Time In The West » débute comme « Down To The Waterline » par une
introduction de guitare noyée d’écho, jouée comme un exercice pour se
chaufferavantquenedémarrevraimentlemorceau.Etchacundesdeuxtitres
ouvresonalbumrespectif.«News»etsapulsationmonotonefinalerenvoieà
« Lions », « Lady Writer » peut évoquer « Sultans Of Swing », certains
chroniqueursvontjusqu’àentendredans«Communiqué»uneversionralentie
de « Southbound Again ». Les rôles entre guitares soliste et rythmique sont
toujoursaussibiendéfinis,lesonclairetclaquantdesFendertoujoursdemise,
lesinfluencesinchangées.«FollowMeHome»,quisembleavoirétéécritsur
une balancelle en sirotant une citronnade par quarante degrés à l’ombre, ne
déparerait sur aucun album de J.J. Cale. « Tout le contenu de l’album sonne
outrageusementcomme“SultansOfSwing”,amenantl’auditeuràsedemander
siMarkKnopfleraautrechoseàproposerquesesimitationsdeBobDylan»
écrira le chroniqueur du Register Guard, un quotidien de l’Oregon. Même
l’atmosphèreéthéréeeténigmatiquedel’illustrationdecouvertureafaittiquer
les critiques, leur rappelant le tableau de Chuck Loyola de Dire Straits. Une
choseestsûre,entoutcas:legroupeesttoujoursaussipeuàsonavantagesur
lesphotos-portraitsblafardesdelapochetteintérieure.
Tous ces points communs sont en réalité moins flagrants qu’on a bien voulu
l’écrire. Le problème de Communiqué est ailleurs. D’abord dans l’agencement
des chansons. « Once Upon A Time In The West » et son rythme plutôt
tranquille est suivi de la pesanteur de « News » avant la lenteur en mode
mineurdudébutde«WhereDoYouThinkYou’reGoing?»Sanscompterque
«FollowMeHome»termineledisquesurunetouchedenonchalancemorne.
Quelquesannéesplustard,MarkKnopfleradmettraque«OnceUponATime
InTheWest»n’estqu’un«squelettedechanson»,quigagneraendimension
sur scène. Mais l’on pourrait dire la même chose de « Portobello Belle » ou
«FollowMeHome».«Toutcelanesonnepassimalmaisilfaudraitsongerà
augmenter le nombre de beats par minute » note Robert Christgau dans sa
rubrique Consumer Guide pour The Village Voice. Sans réels contrastes d’un
titreàl’autre.Communiquémanqueeneffetsingulièrementdenerf.
Et la production n’arrange rien. Jerry Wexler a certes affirmé avoir eu
l’intention de « ne pas toucher » à l’identité musicale du groupe. Maisen les
faisantveniràNassau,ilavaitsapetiteidée.DanslelivretdelarééditionCD
deDireStraits,CharlieGillettexpliquequeJerryWexlern’avaitpasunegrande
considérationpourlaproductionminimaliste(low-key)decepremieralbum.«Il
leuradit:“OK,onsortcedisquemaisaprès,onenfaitunvrai.”C’estpour
cela qu’ils sont partis enregistrer le deuxième dans un studio coûteux, tandis
queDireStraitsétaitenvoyéauxradiossansqu’on enattendegrand-chose.Plus
tard,Jerryareconnuqu’ilenavaitgrandementsous-estimélepotentiel.»Une
erreurdejugementquiaunetraductionbienconcrètesur Communiqué.Parti
mixer les bandes à Muscle Shoals après la fin des séances à Nassau fin
décembre 1978, le producteur polit et lisse le son, gomme les aspérités qui
rendaientlepremierdisquesivivant.Lespistesdeclavierspousséesàl’arrière-
plan enrobent et adoucissent l’ensemble. La raison ? Fournir un disque tout
simplementcalibrépourlesradiosaméricaines.Unebonnepartdel’énergiedu
groupes’évanouitdansl’opération,lamusiquecommeplacéesousétouffoir.Le
résultatestundisqueplus feutré,donnantl’impressionque,déjà,DireStraits
tourneenrond.
Laconquêtedel’Ouest
Dès février, le groupe part pour quelques concerts et exercices
promotionnels dans ces pays qui les ont aidés à décoller, Pays-Bas et
Allemagne.Le16,ilssont àColognedanslestudio LdelachaîneWDR
pour la prestigieuse émission en public Rockpalast. Particulièrement en
forme (fantastiques phrasés de guitare bluesy sur « Six Blade Knife »,
rythmiquesetglissandonerveuxsur«InTheGallery»),DireStraitslivre
ses habituels extraits du premier disque et des versions énergiques, voire
rageuses, d’une demi-douzaine de titres du deuxième encore inédit.
Interprété avant le rappel, « Where Do You Think You’re Going? »,
notamment,prendtoutsonsenssurscène.
Puisc’estlegrosmorceau:vingt-huitdatesauxÉtats-UnisetauCanada.
Soitlapremièretournéeaméricainedugroupeanglaisleplusaméricaindu
moment. Prudents, Ed Bicknell et Paul Cummins, qui s’est joint au
managementets’associeraavecBicknellauseindeDamageManagement,
visent le circuit des clubs de quelques centaines de places, tels le Bottom
LinedeNewYork,leRoxyàLosAngeles,leParadiseTheateràBostonou
le Old Waldorf de Bill Graham à San Francisco, et se paient le luxe de
refuser le Madison Square Garden (surtout pour s’éviter le mauvais effet
queproduiraituneincapacitéàleremplir).C’estessentiellementlepremier
albumqu’ils’agitdepromouvoir,celui-ciétantentraindegrimperdansle
classement des ventes américaines. Il atteindra la deuxième place selon
Billboard et « Sultans Of Swing » se classera quatrième. Aujourd’hui
encore, le premier single de Dire Straits, plus que d’autres chansons du
groupe,estrégulièrementdiffusésurlesradiosaméricainesde classicrock.
En Angleterre, il a enfin décollé et s’assurera la huitième place en mars
1979.
Sessionman(1)
Début mars, après l’un des quatre concerts new-yorkais au Bottom Line
(Dire Straits en a assuré deux par date), Mark Knopfler est approché en
coulisse par le producteur Gary Katz. Ce dernier a officié sur tous les
albums de Steely Dan jusque-là et est justement en train de réaliser le
prochain.DesséancesontlieuauSigmaSoundStudios,surBroadway,et
leguitaristeestconviéàyparticiper.C’estlapremièred’unelonguelistede
collaborations extérieures. L’intéressé en retirera une impression mitigée,
commeilleraconteraquelquesmoisplustard,enjuillet,danssonpremier
grandentretienà GuitarPlayer :«Jen’aijouéquesuruneseulechanson
mais il s’agissait d’overdubs ; je n’ai pas joué avec legroupe. Je suistrès
content du résultat mais ce n’est vraiment pas mon univers. Avec Dire
Straits,nousfaisonsnosdisquescomplètementdifféremment.Chacunnous
ademandétroissemainesdetravail,tandisquepourcettesession,toutle
processus était tellement plus laborieux. » Et pour quoi, au final ?
Quelquesinterventionssous-mixéessur«TimeOutOfMind»,del’album
Gauchoquiparaîtennovembre1980.Lesolonedémarrequ’àlatoutefin,
quandlachansoncommenceàdisparaîtreenfondu.L’essentieldutravail
duguitaristeaétéréduitaustrictminimum.
Trois semaines et demie plus tard, c’est à peu près le même scénario au
Roxy de Los Angeles, à la suite d’un autre concert. Sauf que cette fois,
MarkKnopflerestréclaméparl’undesartistesdontilciterégulièrementle
nomaunombredesesinfluencesmajeures:BobDylan.Mieux,ledisque
quelechanteurpréparevaêtreproduitparJerryWexleretBarryBeckett.
MarkKnopfleretPickWitherspartentenregistreràMuscleShoalsunefois
la tournée bouclée, entre fin avril et début mai. Ils découvrent alors que
Dylans’estconvertiauchristianisme.ToutesleschansonsévoquentDieuet
safoinouvelleetsontconçuescommedevéritableshymnesreligieux.Pour
lereste,lesdeuxDireStraitssefondentparfaitementdansuneproduction
pour laquelle Wexler et Beckett bâtissent ces fameux arrangements
rhythm’n’blues dont ils ont le secret : piano, orgue, cuivres, chœurs,
percussions.Pourtoutdire,àécouter SlowTrainComing,résultatdeces
séances,ils semblentbien plusà l’aiseque Bob Dylanlui-même,que l’on
sentunpeuàl’étroit,contraintparcesorchestrationsluxuriantesetcarrées
dontiln’apasl’habitude.
Le guitariste et le batteur sont clairement, ici, des exécutants, non des
invités de prestige. La guitare est parfois réduite à sa plus simple
expression,commesur«GottaServeSomebody»,letitred’ouverture,ou
surlereggae«ManGaveNamesToAllTheAnimals».Labatteriesonne
pluslourdeetimposantequesurlesalbumsdeDireStraits.Néanmoins,on
retrouvesanspeineletoucherdeKnopfler,quandbienmêmeleguitaristea
changédestyleàlademandedeJerryWexler.Plusblues,plustranchant,
plusdirect.Pourl’occasion,illaissesesFenderdansleursétuisetemprunte
sur place une Gibson ES-335, une électrique à caisse rendue célèbre par,
entreautre,ChuckBerryouAlvinLee.Toujoursaussiadroitpourlesnon-
dits, maîtrisant tous les trucs d’Albert King (« Slow Train », « Gonna
Change My Way Of Thinking »), le guitariste fait merveille sans jamais
êtreenvahissant.L’albumparaîtraenaoût1979.Bienqu’encenséparJann
WennerdansRollingStone(«LemeilleuralbumdeBobDylandepuisThe
BasementTapes(enregistréen1967avecTheBandmaissortiseulementen
1975)»), Slow Train Comingsera l’objet de vifsdébats. Avec le recul,il
sonnecommeunecuriosité,sinonuneincongruité,dansladiscographiede
Dylan.
Accolades
Enattendant,DireStraitscontinued’écumerlespetitessallesaméricaines.
Aumoment oùils se produisentà LosAngeles, finmars, uncompatriote
guitaristearriveàsontourdanslepays.EricClaptonestentournée.Dans
songroupe,unautreAnglaisaétéembauchéàlasecondeguitare,Albert
Lee.Celui-ciaparticipéàuneséried’albumsd’EmmylouHarrisetapublié
en janvier son premier disque solo, Hiding. Et, surprise, il y reprend
«SettingMeUp»,avecDonEverly(desEverlyBrothers)auxharmonies
vocales.Lachansonestintégréeaurépertoirescéniqueetvoisineainsiavec
«WonderfulTonight»,«DoubleTrouble»,«Cocaine»(deJ.J.Cale)et
autre«Badge».AlbertLeeassurelechant,croisantsessolosavecceuxde
Clapton – le double album en concert Just One Night en témoignera en
1980.Quedemanderdemieux?
Le2avril,lesconcertsaméricainsdeDireStraitsseterminentàl’université
deCalifornieàDavis,dansl’ouestde Sacramento.Àcestade,lequatuor
deDeptfordsembleavoirtoutgagné.Enréalité,labellemécaniqueesten
traindes’enrayer.
«TortureTour»
Concerts en rafale, interviews, reportages, télés, radios, gens du métier à
saluer dans les coulisses, people et collègues musiciens dans le public,
managers aux cent coups, maison de disque aux aguets… « C’est en
Amérique que nous avons goûté pour la première fois au côté dingue de
l’industriedudisque »sesouviendra JohnIllsley.DireStraits n’estpasle
premier groupe de rock à se laisser emporter par un tel tourbillon. Mais
leur relative maturité avait pu faire croire à ses membres qu’ils sauraient
garder la tête froide. En effet, en 1979, John Illsley et Mark Knopfler
auront trente ans respectivement en juin et en août, David Knopfler en
aura vingt-sept en décembre et deux jours après la dernière date
américaine, Pick Withers atteint les trente et un ans. À ces âges-là, les
Beatles se séparaient, Led Zeppelin avait tout vécu et plus encore, David
Bowie avait eu plusieurs incarnations artistiques, les Rolling Stones
tournaient en rond, Ozzy Osbourne était dans un tel état qu’il se faisait
chasserdeBlackSabbath,EricClaptonavaitétésuccessivementuneidole,
unhas-beenetunrevenant,quandd’autresétaienttoutsimplementmorts.
«Touslesmagazinesderockracontentcequiarriveauxgensetpourtant
onsecroitàl’abri.Onseditqu’onnevientpasdumêmeendroitetqu’on
ne risque pas de se retrouver au même point. Mais ce n’est pas le cas »
témoigneraen1980DavidKnopfler.«Ondevientunpeufou.Unjouron
estenAmérique,unjour,en Allemagne.Onenregistreundisquepuison
part jouer ailleurs. On n’a jamais le temps de s’arrêter pour réfléchir »
confirme John Illsley. Dire Straits n’est tout simplement pas de taille à
lutter.
Finmai,legroupereprendlaroute.UnedouzainededatesenAllemagne,
autant au Royaume-Uni, un passage devant soixante mille personnes au
festivalnéerlandaisPinkpop(aucôtédePolice,Rush,PeterToshouElvis
Costello),unautreauPalaisdesSportsdeParis,deuxdatesenBelgiqueles
7et 8 juilletet c’estreparti pourles États-Unisdès le 8septembre. Cette
fois,terminéslesBottomLineet autreRoxy,DireStraitsseproduitdans
des salles de plusieurs milliers de places, l’Orpheum de Boston, le
Palladium à New York, le Chrysler Hall à Norfolk ou le Fox Theater
d’Atlantasauvédeladémolitionen1976.
Àcemoment-là,Communiquéestparu(enjuin).Impatientedeprofiterdu
succèsde DireStraits,quiatteintlemilliond’exemplairesvendus,Warner
a refusé de retarder la sortie du deuxième album aux États-Unis. Or, le
public est tout juste en train de se familiariser avec le premier. Le
télescopageestinévitable.Etcommelescritiquesde Communiquénesont
pastrèsbonnes,sinonmauvaises,c’estlaconfusion.Sortiensingle,«Lady
Writer » ne dépassera pas la quarante-cinquième place au classement de
Billboard. Au Royaume-Uni, c’est pire : cinquante et unième. Fidèle au
postenéanmoins,l’Allemagneréserveaudisqueunaccueilhistorique:c’est
lepremier,danslepays,àatteindrelesommetdesventesdèslapremière
semainedesasortie.
CettedeuxièmesériededatesaméricainesseconcentresurleMidwest,la
côteAtlantiqueetleSud.Maisl’enthousiasmedesdébutsestsérieusement
entamé. Mark Knopfler se délite sur pieds, David râle beaucoup, Paul
Cummins s’inquiète. Quand arrive le coup de grâce. La petite amie
chanteuse de Mark, Holly Vincent, restée en Angleterre pour répéter,
appelleunsoirpourrompre.Sonné,leguitaristes’effondreintérieurement,
s’enferme dans l’isolement et le mutisme tandis que le groupe peine à
remplirlessallesduSud.
UnedernièredateàChicago etDireStraitsjoueàla AhoyRotterdamen
préambuleàcinqautresconcertsnéerlandais.Etlecycleinfernalreprend.
Allemagne,Suède,Danemark,Norvège,Belgique.Les20et21décembre,
touts’achèvepardeuxsoiréesauRainbowTheatredeLondres,filméespar
laBBC.
À l’occasionde leur passageà l’Ekeberghalle d’Oslo,le 21 novembre, les
quatre musiciens ont été interviewés par la chaîne de télévision publique
NRK. Épuisés, dispersés – et à moitié endormi concernant Mark
Knopfler –, ils ne font aucun mystère de leur ras-le-bol. Question du
journaliste : « Cela ne vous ennuie pas que l’on vous pose toujours les
mêmesquestions?»Réponse:«Ohquesi!»Quantaufaitquelegroupe
nefassejamaisparlerdeluiàlarubrique peopleoupourdesfrasquesde
rockersdéchaînés,PickWithersàcettetiraded’unerareélégance:«Lire
danslesjournaux“KeithMoonaenvoyésaRollsRoycedanslapiscine”,
cen’estpasexactementdumêmeniveauque“PickWitherss’estlevépour
aller chier”. » On a également droit au couplet contre les critiques :
« Certaines, censées être bonnes, sont parfois plus irritantes que les
mauvaises tellement elles sont à côté de la plaque » (David Knopfler).
Avant que tous n’éclatent de rire à l’évocation d’une chronique
dithyrambique qualifiant la fin de « News » (un rythme minimaliste de
batterie)de«fulgurantcrescendo»!(blisteringcrescendo).
Il faut se rendre à l’évidence : ils sont au bout du rouleau. « Les trois
derniersmoisde1979furentuncauchemar»résumeMichaelOldfield.Ed
Bicknellvaplusloin:pourlui,DireStraitsestàcetteépoqueauborddela
rupture.
À l’automne 1975, après trois albums, l’incessante valse des concerts, la
désertiondel’undesesguitaristesentredeuxspectacles,unchangementde
producteur, la pression de leur label pour rééditer le succès de « Sweet
HomeAlabama», LynyrdSkynyrdavaitterminé satournéedans unétat
de délabrement avancé. Cette tournée y gagna un surnom éloquent : le
TortureTour.Àsonéchelle,DireStraitsvientdevivrelesien.Pourtant,la
vraiecriseestencoreàvenir.
LESDISQUESDE1979
Motörhead,Overkill(mars)
Squeeze,CoolForCats(avril)
SimpleMinds,LifeInADay(avril)
ThinLizzy,BlackRose:ARockLegend(avril)
DonnaSummer,BadGirls(mai)
TheCure,ThreeImaginaryBoys(juin)
NeilYoung,RustNeverSleeps(juillet)
MichaelJackson,OffTheWall(août)
PinkFloyd,TheWall(novembre)
TheClash,LondonCalling(décembre)
4.ETDIRESTRAITSDEVINT
DIRESTRAITS
Mark Knopfler s’est fait voler sa guitare électrique. Pas la Fender
Stratocaster rouge de 1961 de « Sultans Of Swing », non. Une Schecter
StratocasterDreamMachinesunburstrécemmentacquiseaveclaquelleila
enregistréletroisièmealbumdeDireStraitsàNewYork.Fabriquéeparun
fournisseur californien en pièces détachées pour Gibson et Fender, qui
s’étaitlancédepuispeudanslalutherie,elleétaitdevenuel’instrumentde
prédilection du guitariste. Numéro de série S8136. Plus puissante, mieux
adaptée à l’actuelle direction musicale du groupe et accessoirement plus
solide, atout non négligeable pourla tournée qui s’annonce. Ce mercredi
soir, Dire Straits venait justement de terminer une répétition aux Wood
Wharf Studios en vue de cette prochaine virée sur les routes. Mark
Knopfler et un roadie étaient arrivés en coccinelle Volkswagen devant le
Duke, un pub de Creek Road à deux pas du local, et avaient laissé la
Schecterdanssacaisseàl’arrière.C’estlàqu’unindélicatl’avolée–ainsi
quel’argentetlepasseportduroadie.
Une annonce a été passée dans le journal, avec descriptif et appel à
témoignage.Peineperdue.LeleaderdeDireStraitsneretrouverajamaissa
favorite. Tant pis. Dans quelques semaines, quand il montera sur scène
pour défendre ses nouvelles chansons et délivrer des soli tout neufs, il
brandiraunmodèlederemplacementparfaitementidentique.
Car,oui,malgrécesdeuxannéesaprèslesquellesonnedonnaitpluscher
deleurpeau,lesDireStraitsonttrouvél’énergiedes’yremettre.Écriture,
enregistrement, album et plus d’une centaine de concerts en perspective
jusqu’àl’été1981.Maisbeaucoupdechosesontchangépourenarriverlà
–etpasseulementlesguitaresdeKnopfler.
Trauma
Après le Communiqué Tour, ce n’est qu’en février 1980 que Mark
Knopflersereprend.IlpartàNewYorkavecEdBicknellpourtrouverun
studio et un producteur. Dire Straits veut sortir de cette image laid back
quicréeparfoisdesmalentendusetlouchesurlerockmuscléeténergique
qu’a popularisé Bruce Springsteen.Dans cet esprit,David Knopfler a fait
écouter à son frère Damn The Torpedoes, de Tom Petty & the
Heartbreakers(1979),estimantquec’étaitunepisteàsuivre.Ledisqueest
produit par Jimmy Iovine, ingénieur du son sur trois albums de
Springsteen,BornToRun(1975),DarknessOfTheEdgeOfTown(1978)
et TheRiver,encoursd’enregistrement.Iovineaégalementproduit Easter
(1978)dePattySmith(quiinclutlehit«BecauseTheNight»coécritavec
le Boss) et a travaillé sur le surgonflé Bat Out Of Hell (1977) de Meat
Loaf, un des best sellers de tous les temps où officient le pianiste et le
batteurdel’EStreetBand.Autantdirequec’estsurJimmyIovinequeles
Britanniquesarrêtentleurchoix.«Jenepensepasque Communiquésoit
un bon disque, tranche Knopfler pour Bill Flanagan dans Written In My
Soul. Making Moviescorrespond bien plus à ce que j’aime faire. Pour ce
disque,j’étaisbiendécidéànepasmelaisserentraverparquoiquecesoit
et à faire ce dont je me sentais capable. Donc j’ai beaucoup travaillé,
déterminéàêtreunsurvivantetnonunevictime.»
La tension n’est pourtant pas totalement retombée. Les 4 et 7 mars, les
quatre Dire Straits répondent aux questions des reporters de Arena,
l’émission de la BBC 2 qui a déjà filmé les concerts du Rainbow en
décembre. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont encore sous le
chocdesdix-huitmoisqu’ilsviennentdevivre.
MarkKnopfler:«Jecroisquej’aiessayédemeprotéger,sanssuccès,en
disant:“Voiciquelqueschansons.Jenesaispas d’oùellesviennent.”Ce
genredetrucs.Celapeutsecomprendre.Unefoispropulsédansl’arène,on
al’impressiondemenerunepetiteguerreàl’autreboutdumondeetonne
veut pas se retrouver en première ligne. Mais ce genre de protection ne
fonctionnepas.»
JohnIllsley:«Celametunepressionincroyable,cegenredetravail.Picka
ditque c’étaitcomme une coursed’obstacles,ce qui résumeassez bienla
situation.»
Maisc’estDavidKnopflerquiavisiblementleplusmalvécuce«vortex»
(selonsestermes):«C’estunprocessusquipeutêtretrèsaliénantcarles
contacts que vous nouez avec les gens sont faussés. On perd de vue ses
amis–j’aidûperdredevuequatre-vingt-dixpourcentdeceuxquej’avais
avant.C’estmoche.»ÀproposdufuturdeDireStraits:«Jenesuispas
prêt à retrouver ce style de vie et les mêmes pressions qu’avec les deux
premiersalbums.Troiscents concertsendeux ans! Ceseraitimpossible.
Nous ne sommes pas taillés pour ça. Si nous n’y changeons rien, la
musiqueenpâtiraetnousenpâtirons.»Etmêmeàproposdesesrelations
avecsonfrère:«Cesdeuxannéesdetournéeontététrèsdurespournous
deuxetpourtousceuxquienontfaitlesfrais.Pick,nospetitesamies,Ed,
notremanager,Paul,letourmanager,l’équipetechnique…Ilyaeutoutes
sortesderépercussionsmaisc’estàMarketmoideréglerça.»
EdBicknell,lui,amoinsd’étatd’âme:«Ilestindispensable,aumoinsen
début de carrière, d’occuper l’espace. Il faut être prêt à donner des
interviews,àjouerpourlesgensquiontachetévosdisques,àpasseràla
télévisionetc.Sitoutcelamarchebien,ondoitpouvoiratteindreunniveau
oùceladevientmoinsnécessaire.Beaucoupdesuperstars,jepenseàPink
Floydparexemple,fontpeudetournéessansquecelaaffecteleursventes
dedisques.Maisilssontlàdepuisdixans.Nousn’existonsquedepuisdix-
huitmoispourlepublic.J’estimequ’ilsn’enontpasencoreassezfaitpour
pouvoirralentirlacadence.»
Remiseàflot
C’estdanscecontextequeDireStraitsseremetautravail.Pourtoutdire,
MarkKnopflern’apasattendulafindelatournéepourécrire.Encoreune
fois,legroupeaprésentésurscènequelquescompositionsinédites.«Solid
Rock », jouée au Rainbow dans un arrangement assez primaire, évoque
justement les tourments de son auteur. « Les Boys » est inspiré d’une
anecdotevécueàMunich,«TwistingByThePool»estunrockabillydoté
d’exubérantsbreaksdebatterieetdeparolesvolontairementniaises.Surla
scène de l’Orpheum de Boston, le 8 septembre 1979, Mark Knopfler la
présente comme un « truc à l’américaine » (american thing). Deux mois
plus tard, à Cologne (american noise, cette fois : du « boucan
amerloque »), le groupe la joue à cent à l’heure, avec un Pick Withers
déchaîné. Elle ne sortira officiellement sur disque qu’en 1983, augmentée
d’unpiano,maisl’essentielestdéjàenplace.C’estégalementàBostonque
DireStraitsinterprètepourlapremièrefois«InMyCar»,titresansdoute
nourri,luiaussi,desexpériencesdel’époque,avecsonnarrateurdéstabilisé
par le bouleversement de son univers. « Bernadette », chantée par un
DavidKnopfleràlavoixmalassurée,commenceunpeucomme«London
Calling » des Clash. Il y a aussi « Suicide Towers » dont on entend des
bribes dans Arena, ou « Sucker For Punishment », texte assez brutal sur
une déception amoureuse que Mark Knopfler lit face caméra en tentant
d’ironiser(«N’importequoi!Direqu’ilyenaquigagnentleurviecomme
ça!»).«MakingMovies»estconstruitsurunriffdeguitarequifinirasur
une autre chanson, « Expresso Love », tandis que les paroles seront -
retravailléespourcréer«Skateaway».
Cen’estpastout.VenuunjourassisterauxrépétitionsàWoodWharf,Ed
Bicknellensortépoustouflépardeuxautresinédits:l’épique«TunnelOf
Love », qui se démarque résolument de tout ce qu’a enregistré le groupe
jusque-là, et la ballade « Romeo And Juliet » dans laquelle Knopfler
rumineencoresaruptured’avecHollyVincent.Àpartirdelà,lemanager
enestsûr:legroupeestfinprêt.
Sessionman(2)
En avril 1980, le chanteur et bassiste de Thin Lizzy Phil Lynott sort son
premier album solo. On y retrouve en fait les membres de son groupe,
actuelsetanciens,etquelquesinvités.DontMarkKnopfler.Ilenregistrede
délicateslignesdeFenderStratocastersur«King’sCall»oùLynottévoque
sa réaction à la mort d’Elvis Presley. « Phil réalisait un disque qui
toucheraitàpleindestylesdifférents.J’aimaisbeaucouptraîneravecPhil.
[Sa mort] m’a choqué, c’était un type si adorable » (Vintage Guitar
Magazine, 2004). Il est assez amusant, dans le clip qui accompagne la
chanson, de voir Knopfler tenter de se couler dans la panoplie d’un
membre de Thin Lizzy : pantalon de cuir, regard dur et chewing gum
mastiquéostensiblement.
Rupture
Juin 1980. Dire Straits retrouve Jimmy Iovine à New York à la Power
Station, une ancienne centrale électrique reconvertie en studio
d’enregistrement en 1977, sur la cinquante-troisième rue ouest à
Manhattan.BruceSpringsteenetleEStreetBandyenregistrentTheRiver
depuismars1979.
Jimmy Iovine, qui est plus exactement coproducteur auprès de Mark
Knopfler, est du genre dur à la tâche. La première semaine se passe à
trouverlebonsondebatterieentestantdespeauxàn’enplusfinir.Àbout
de patience, raconte John Illsley dans My Life In Dire Straits, « Pick
Withers finit par quitter son poste, refusant de frapper quoi que ce soit,
pour laisser un assistant terminer les essais ». Cependant, Jimmy Iovine
n’estpasvenuseul.IlainvitéauxséancesRoyBittan,pianisteduEStreet
Band depuis Born To Run. Ses interventions sur les chansons de Dire
Straits apportent aussitôt une dimension inédite au répertoire du groupe.
L’ambiance de travail en bénéficie grandement. Jusqu’à ce que les choses
dérapentfinjuillet.
Les protagonistes de l’histoire sont toujours restés évasifs concernant le
départde David Knopfler, évoquantau gré des interviewsla lassitude, la
pression et les proverbiales divergences musicales. L’intéressé lui-même
n’estjamaisentrédanslesdétails:«Jesuispartipourlesmêmesraisons
quevousquittezunjobquinecorrespondplusàvosaspirations.Jeneme
voyaispasgrattermaguitare(beingastrummer)lerestantdemaviepour
réaliserlesrêvesdequelqu’und’autre.»(InterviewpourFearlessBooksen
2013)
Telleque la raconte Michael Oldfield,la crise se seraitcristallisée autour
d’une partie de guitare de « Romeo And Juliet » que David Knopfler
n’arrivait pas à jouer. Le ton serait monté entre les deux frères, l’aîné
finissant par cesser d’adresser la parole au cadet. Puis ce dernier aurait
commisl’erreurdeprendrel’initiatived’«essayerquelquechose»deson
cru sur la chanson. Fureur abyssale de Mark. La situation empire, les
séancessontannulées,Davidrefuselesexcusesquel’onexigedelui.Le25
juillet1980,ilrentreàLondres.Pourlui,DireStraits,c’estterminé.
Iln’yajamaisvraimenteud’ambiguïté,pourpersonne,quantaufaitque
legroupen’étaitqu’unoutilauservicedesvisionsdeMarkKnopfler.C’est
ce dernier qui écrit, compose, chante, exécute les soli et décide qui joue
quoi–sinoncomment.Malgrésesdénégations,c’estbeletbienluileboss,
pour reprendre une terminologie bien connue de Bittan et Iovine. David
Knopflerl’aadmis, iln’apas perçucet ascendantprispar l’aînésurDire
Straits et n’a jamais su faire la part des choses entre le grand frère en
compagnieduquelilgrattaitsesguitarestardlesoirdansunappartement
deBuckhurstHilletledirecteurmusicaltendancesergent-instructeur.
« Je n’étais pas prêt à considérer Mark comme il voulait qu’on le
considère. C’était mon frère, et il s’attendait à être traité comme Bruce
Springsteen. Je n’avais jamais travaillé comme musicien de séance, pour
personne, et je ne me voyais certainement pas le devenir. J’estimais faire
partir intégrante du groupe, un groupe que techniquement j’ai fondé. »
(CultureSonar.com, 2019) David Knopfler laisse ensuite tomber ce
commentairequienditlongsurunerelationdontlesproblèmesdépassent
de loin le cadre de l’enregistrement d’une chanson : « Mark était prêt à
bâtir sa carrière quel qu’en soit le prix… Moi, je n’étais pas disposé à
courber l’échine… Mais ce n’était pas comme s’il n’avait pas déjà pris -
l’habitudedemepiétiner.»
EdBicknellsera,lui,sanspitiédans ClassicRockenavril2015:«Jevais
pointer une évidence, mais David était dansle groupeparce qu’ilétait le
frère de Mark, pas parce qu’il était le meilleur guitariste rythmique que
Markauraitpuavoir.»
Quoiqu’ilensoit,DavidKnopflern’apasététrèssoutenuetpersonnen’a
essayédelerattraperparlamanche.Cequ’ilaenregistrépourl’albumest
effacéetsonnomn’apparaîtrapasdanslescrédits.Ilestremplacéaupied
levéparleguitaristeaméricaindesessionSidMcGinnis.Onpeutentendre
ce dernier sur le deuxième album solo de Peter Gabriel (où l’on trouve
aussi Roy Bittan), sur Bottom Line de John Mayall en 1979 ou Come
Upstairs de Carly Simon, paru en juin 1980 et enregistré lui aussi à la
Power Station. Fin août, le nouveau disque de Dire Straits est bouclé.
MakingMoviessortlemêmejourqueTheRiverdeSpringsteen.
MakingMovies
Enregistrédu20juinau25août1980àlaPowerStationdeNewYork
Sortile17octobre1980
C
’est presqueune déclaration d’intention.Le premier instrument que l’on
entendsurletroisièmealbumdeDireStraitsn’estpasuneguitare,mais
un orgue doublé d’un piano. Roy Bittan interprète « Carousel Waltz » de
Rodgers et Hammerstein, tirée d’une comédie musicale des années quarante,
Carousel,enouvertured’unechansonayantpourtoiledefondl’atmosphèredes
parcsdeloisirs,«TunnelOfLove».ContrairementàCommuniqué,lesclaviers,
présents sur tous les morceaux, constituent une voix à part entière, aussi
présentsquelaguitaresoliste,comblantl’espaced’uneguitarerythmiquedont
lerôlenevafaireques’amenuiserau fildesannées.PourDavidFrickedanssa
chroniquede MakingMoviespour RollingStone,«lepianisteduEStreetBand
Roy Bittan sème des touches de couleurs que le grattage besogneux
[workmanlike strumming] de David Knopfler ne faisait que suggérer sur Dire
StraitsetCommuniqué».
«Jemesuismisàréfléchirtrèsdifféremmentàpartirdumomentoùl’onaeu
des claviers.Je me suis penchéplus sérieusement sur leslignes de basses, les
renversements d’accords et les harmonisations » se souvient Mark Knopfler
dans Guitaristen1995.Defait,deseffetsinéditsapparaissentdanslamusique
dugroupe,tellepassagederelaisentreguitareélectriqueetpianodanslefinal
instrumental de « Tunnel Of Love » ou l’introduction de « Expresso Love »
danslaquellelesphrasésdepianosemblents’enroulerautourduriffdeguitare.
Cesontlesclaviersquidonnenttoutesonampleurà«RomeoAndJuliet»,qui
resterait sinon une chanson d’amour déçu à la guitare acoustique, et
permettentà«LesBoys»d’accentuersaparodiedeKurtWeill.Piano,orgue
et autres synthétiseurs s’imposent comme une composante essentielle de
l’identitémusicaledeDireStraits,autorisantàlafoiscedernieràdiversifierses
climats mais aussi à échapper à un statut réducteur de groupe de rock à
guitares.Pastoujourspourlemeilleur,commel’avenirlemontrera.
Lechangementestplusgénéral.MarkKnopfleraremplacésesFenderpardes
Schecterpourobtenircesondeguitareélectriqueplusdurquicaractériseles
rythmiquesde«TunnelOfLove»en powerchords–desaccordscomposésde
la fondamentale et de la quinte, ce qui revient en pratique à frapper trois
cordesbassesaulieudebrosserlessix.DelafameuseDreamMachinequilui
sera volée à Londres, Mark Knopfler dira en 1984 qu’elle était la « meilleure
guitareélectriquequ’[ilait]jamaiseue».
«TunnelOfLove»estuneembardéedeplusdehuitminutesinspiréeparla
SpanishCitydeWhitleyBay,unefêteforainepermanentedeborddemerau
suddeBlythoùlesfrèresKnopflerserendaientenfants.Remontantauxannées
mille neuf cent dix, les lieux abritaient salons de thé, restaurants et salles de
concert. Dans Alchemy, Mark Knopfler raconte au public que l’on pouvait y
écouterdesgroupesderock’n’rollcommelesAnimals–formésàNewcastle.
Fermés en 1999, les lieux ont été rénovés pour rouvrir en juillet 2018. Les
paroles de « Tunnel Of Love » sont gravées dans la pierre de l’esplanade
donnantsurlaplage.
Par sa construction élaborée et son rythme enlevé, la chansonpeut être vue
comme une tentative pour retranscrire l’étourdissement que procurent les
attractions foraines et l’excitation globale de ce genre d’endroit, citant pêle-
mêlelagranderoue,letrainfantôme,lalumièredesnéons,lescrisetlafièvre
desmachinesàsous(« Ihadonearmbanditfever»).Le tunneloflovedutitre
est lui-même une attraction, ces petits tunnels mystérieux dans lesquels on
s’engouffreenbarque,généralementencouple,commedansL’inconnuduNord-
ExpressdeAlfredHitchcock.
Deux cassures brisent l’élan. La première consiste en un tonitruant dialogue
entreWithersetKnopfler,rafaledebatterie contrepluieserréedenotesde
guitare – l’équivalent des chocs entre auto-tamponneuses peut-être. La
deuxième, pour le dernier couplet, voit la chanson quasiment s’arrêter, le
chanteur murmurant les paroles seul avec sa guitare. L’orchestre redémarre
peu à peu, additionné d’une discrète guitare acoustique, et tout s’emballe à
nouveaujusqu’àunsolooùlaguitareélectriqueestsuiviedupiano.Cettefois,
nous sommes sur les montagnes russes. Si la puissance instrumentale de
«TunnelOfLove»évoquesanspeine«ThunderRoad»deBruceSpringsteen,
ce genre de construction sophistiquée est aussi une influence directe de
l’Américain,notammentdesonalbumTheWild,TheInnocentAndTheEStreet
Shuffle(lestitresalambiquéstels«WildBilly’sCircusStory»ou«NewYork
CitySerenade»).
Lachansonn’estpasexactementuneodeauxmanègesmaisuneromance.Le
narrateurarencontréunefillequelquepartentreunegranderoueetuntunnel
desamoureux,maisill’aperdue.Depuis,illacherchedésespérément«parmi
lescarrouselsetlessallesd’arcades/partout,duSteeplechaseParkauPalisades
Park », deux autres sites de loisirs du New Jersey et de New York (« I’m
searchingthroughthese carouselsandthe carnivalarcades/ Searchingeverywhere
fromSteeplechasetoPalisades»).Et«deWhitleyBayàRockaway»(Rockaway
Playland,encoreunparcnew-yorkais).
Surlessepttitresde MakingMovies,cinqexplorentlessentimentsamoureux.
Dèsaprès«TunnelOfLove»,DireStraitsremetdoncçaavec«RomeoAnd
Juliet ». Écrite par Mark Knopfler lors de vacances en Bretagne avec Paul
Cummins,cettechansons’articuleautourd’unarpègedeguitaredevenudepuis
ungrandclassique.Knopflerl’auraittrouvéenexpérimentantdespositionssur
saNationalenaccordageouvertdesol.Ilrestequecemotifmusicalressemble
furieusement à l’introduction de piano de « Jungleland » de, encore, Bruce
Springsteen(surBornToRun).S’ils’inspiredel’échecdelarelationduchanteur
avecHollyVincent,letexteévitel’apitoiementetjouelecontre-pied:«Ilya
uncôtéridiculequejetrouvaisamusant…Lorsquej’étaisgosseetqu’unefille
merendaitmalheureux,monpèremedisait:“Unjour,turirasdetoutcela”.Et
c’estvraiquec’étaitplutôtmarrant.C’estsansdoutepareilpourlesfemmes.Il
yaquelquechosed’absurdeàtomberamoureuxdequelqu’unquis’enfout.»
(Les Enfants du rock, avril 1984). Les paroles fourmillent de clins d’œil, en
premier lieu à la pièce de Shakespeare mais aussi à West Side Story, comédie
musicalepuisfilmbaséssurcettedernière11,autubedesannéessoixante«My
Boyfriend’s Back », à chaque fois pour tourner en dérision les initiatives -
d’amoureuxtransideRoméo.
«TunnelOfLove»et«Skateaway»ontétéconsidéréespourfournirsontitre
à l’album. Ce sera finalement une formule issue de « Skateaway », « She’s
makingmovieson location».Unechanson étrange,suaveet feutrée,lisséepar
unfiletd’orgueetauxrefrainsscandésparlepiano.Ils’agitd’unescènederue
oùune fille enpatins àroulettes (dont lebruit estimité par unecouronne à
cymbalettes) slalome entre les voitures, les taxis et les camions, telle un
« toréador urbain », écouteur aux oreilles. Une imagerie très années quatre-
vingt:lepremierbaladeuràcassette,leWalkmandeSony,estapparuen1979.
Àl’époquedudisque,ilestvendudepuisquelquesmoisseulementauxÉtats-
Unis.
Nouvelle histoire d’un amour qui s’étiole et voit ses deux protagonistes
s’éloigner l’un de l’autre, « Hand In Hand » est un peu tout ce que Mark
Knopfler masque par l’ironie dans « Romeo And Juliet ». Premier degré et
cœurdouloureux.Dansl’arrangements’illustreunlégereffetdetrémolosurla
guitareélectrique, évocateurde surfmusic oudes thèmes d’EnnioMorricone
pourleswesternsdeSergioLeone–cequirevientaumême.«HandInHand»
estladernièrechansonenregistréepourl’album,quandDavidKnopflerestdéjà
parti.«Sij’aiétéduravectoi,celan’ajamaisétémonintention/Jen’aijamais
voulu personne d’autre / J’ai fait de mon mieux pour être quelqu’un dont tu
pourrais être proche / main dans la main comme font les amants ». En
septembre 1985 dans Musician, le journaliste Bill Flanagan suggère que les
paroles pourraient être adressées par le grand frère à son cadet après leur
dispute.
Passé«TunnelOfLove»,lesolisteKnopflerfaitnettementprofilbassurles
morceauxsuivants.Dupointdevuedesguitares,letitred’ouverturenediffère
pas fondamentalement d’un « Sultans Of Swing » par exemple : des phrasés
fluidesponctuentlesversdans leprolongementduchantavantque nenaisse
un solo virtuose en bonne et due forme. Sur « Romeo And Juliet »,
«Skateaway»et«HandInHand»,laguitaresoloestplushésitante,refusant
des’imposer.C’estflagrantsurlafinensuspensionde«RomeoAndJuliet».
«Skateaway»s’achèveenun violiningépuré,fondudansl’ensemble.Lebutest
évident:concentrerl’attentionsurleschansons.
Enrevanche,legrouperevientàdurockpuretdursur«ExpressoLove»et
« Solid Rock », sacrifiant aux figures imposées du genre : motifs de piano
boogie,riffetsolideguitares.Danslepremiertitre(jouéavecunmédiatoret
nonauxdoigtsnus),l’auteuraenfintrouvél’âmesœur.Ledeuxième,quel’on
imagine très bien interprété par Springsteen, est un exutoire braillard où
Knopfler revient sur ses amours déçus mais aussi sur son statut aliénant de
gloire montante. « Solid Rock » a été écrit lors de la deuxième tournée
américaine, à l’automne 1979, quand le groupe commençait à sérieusement
fatiguer. Que nous dit (crie, plutôt) Knopfler ? Qu’il veut vivre sur des bases
solides(«Igonnaliveonsolidrock»),qu’ilneveutplussesentircoincé(«Idon’t
wanna be blocked »), qu’il en a marre de tant de vanité (« I’m sick of vanity
now»),qu’ilveutdésormaiss’enteniràduconcret(« I’mstickingtoessential,
reality now »), qu’il n’en peut plus de sa vie faite d’illusion et de confusion
(«Livinganillusion,livinginconfusion»).Etlesmétaphoresenrajoutent:ilabâti
unchâteaudesablequelamaréeabalayé,unemaisonencartesàjouerquine
pouvaitques’effondreraupremierchoc,etainsidesuite…Sansparlerdeson
cœurbrisépar-dessustoutcela.Malenpoint,leleaderdeDireStraits.Maisce
dernier transcende son état par une énergie agressive et quelques traits de
guitares fulgurants auxquels les deux premiers albums ne nous avaient pas
préparés. « Solid Rock » vadevenir unfinal dechoix enconcert, et ce pour
tout le reste de la carrière de Dire Straits. C’est-à-dire jusqu’à ce que Mark
Knopfleréprouveànouveauleras-le-bolexprimédanslachanson.
Enconclusionde MakingMovies,«LesBoys»estexactementcequeletexte
raconte : un mauvais spectacle de cabaret auquel le groupe a assisté au
restaurant de l’hôtel Hilton de Munich, après un concert l’année précédente.
MarkKnopflerauxEnfantsdurocken1984:«Ons’étaitretrouvéslàparceque
le restaurant de l’hôtel avait déjà fermé. On avait faim alors on nous a dit :
“Vouspourrezpeut-êtreallerdînerlà-haut”.C’étaitunesortederestau-disco.
LesBoysétaitunnumérodecabaret.Etilsétaienttellementnuls!Absolument
pasdrôlesetsurtoutépouvantables.»C’est-à-dire,sil’onencroitlesparoles,
une esthétiquecuir-nazi-SM du meilleur goût (le film Portierde nuit a lancé la
modeen1974),bonnepourlesputesdeluxe,leshommesd’affairesenviréeet
les touristes qui ramèneront au moins des photos. La musique, elle, est très
atypiquepourduDireStraits:niplusnimoinsqu’uneversionclichédeKurt
Weill, avec roulements de caisse claire et accompagnement de piano
bastringue.
PourDavidFricke,dans RollingStone,lavénérationqueMarkKnopflerporteà
seshéros(J.J.Cale,BobDylan,B.B.Kingetlesautres)avaitl’inconvénient,dans
les deux premiers albums, d’occulter son talent d’auteur. Making Movies
corrigeraitletir.Lejournalistevajusqu’àaffirmerque«MarkKnopflerapparaît
enfin derrière ses influences et Dire Straits apparaît enfin derrière Mark
Knopfler. » Malgré tout, les racines musicales du groupe demeurent et sont
explicitementrappelées.Outre WestSideStoryet«MyBoyfriend’sBack»,on
l’a vu, Making Movies cite « Slippin’ And Slidin’ » de Little Richard dans
«Skateaway»,«TheSkyIsCrying»,lebluesd’ElmoreJames,dèslespremiers
motsde«HandInHand»,éventuellement«LoveInVain»deRobertJohnson
danslamêmeet…DireStraits.Lenarrateurde«TunnelOfLove»diteneffet
chanter des chansons à propos de couteaux à six lames (« Sing about the six
blade…»)etceluide«ExpressoLove»estinvitéparsadouceàunebalade
dans le « Wild West End » londonien. N’est-il pas un peu tôt pour l’auto-
référence?Certes,maisl’enjeuestautre.Ils’agittoutbonnementdetournerla
page. Le sympathique combo bluesy des frères Knopfler, c’est de l’histoire
ancienne.
Alan,HaletJoop
Cinq jours après la parution de Making Movies, Dire Straits donne le
premier concert de la tournée 1980-1981 au Commodore Ballroom, une
salled’unmillierdeplacesàVancouver,auCanada–àuneépoque,ilétait
de tradition de débuter une tournée dans des villes à l’écart des médias
prestigieux, pour que l’artiste soit rodé quand il arriverait dans des cités
stratégiques telles Londres, New York ou Los Angeles. Cent dix autres
dates vont s’enchaîner sur ce On Location Tour (lasuite dela phrasede
«Skateaway»dontesttirélenomdel’album),dontplusd’unevingtaine
auxÉtats-Unis dèsaprès Vancouveret dix-neufen Australieet Nouvelle-
Zélande.
Évidemment, pas question pour le groupe de monter sur scène sous la
formedu trio qu’il étaitmomentanément devenu. « TunnelOf Love » et
« Romeo And Juliet » auraient piètre allure. Roy Bittan retournant chez
Springsteen, lui-même parti sur les routes début octobre pour présenter
TheRiver,DireStraitsarecrutédeuxnouveauxmembres,unclaviéristeet
unguitariste.
«Sivotreenfantveutsemettreaupiano,songez-yàdeuxfoisavantdelui
faire prendredes cours. Cela a été mon cas à six anset quand j’en ai eu
neuf,jedétestaistellementçaquej’aifinipararrêter.»Lemoinsquel’on
puisse dire, c’est que la carrière musicale d’Alan Clark, qu’il détaille sur
sonsiteweb, partaitsurde mauvaisesbases.Ce natif,en 1952,deGreat
Lumley, dans la région de Newcastle, renoue avec l’instrument quelques
annéesplustardquand,enconvalescenceaprèsuneappendicectomie,ilse
retrouveàpassersesjournéesàlamaisonavecunpèreégalementencongé
maladie.Lesdeuxs’occupentensedéfoulantsurlepianofamilial.«Mon
pèrepouvaitreprendreunechansond’unemanièreépatantequoiqueassez
basique,entoutcasjustecommeilfautpourquej’apprenneàjouer“Blue
Moon”surdesaccordsdedomajeur,lamineur,famajeuretsolmajeur(il
se servait de ces mêmes accords, dans cet ordre, pour n’importe quel
morceau).»
Alan Clark reprend des leçons et, alors qu’il a quatorze ans, entame un
parcoursd’organistedanslesclubsouvriers.Ilétudielamusiqueaucollège
techniquedeDurhametauraitpudevenirprofesseurdemusique.Ilpréfère
continuer à accompagner des artistes dans les boîtes de nuit, les casinos,
sur des bateaux de croisière, cultivant une vraie passion pour l’orgue
HammondB3,instrumentqu’il adécouvertdansun magasindeChester-
le-Street.«J’aifinipargagnerplusd’argentparsemainequemonpère.»
Après un an et demi passé à jouer dans les clubs de Miami, Alan Clark
rentre avec l’intention de s’intégrer à un vrai groupe pour créer de la
musique. Il joue un temps pour une formation glam rock de Newcastle,
Geordie, dont le chanteur s’appelle Brian Johnson, futur remplaçant de
Bon Scott dansAC / DC en 1980. Puis avec le duo Splinter,signé par le
label de George Harrison Dark Horse. Il enregistre avec les Écossais
GallagherandLylepourleurdernieralbum,en1979.D’autresexpériences
encore, mais au final, pas grand-chose de concluant. Jusqu’à ce que le
managementdeGallagherandLylecontacteAlanClarkquandilapprend
que Dire Straits est en quête d’un claviériste. De son propre aveu,
l’intéressé n’avait jusque-là prêté qu’une oreille distraite à la musique du
groupe, trop orientée guitare pour lui. Il se rend à Londres pour une
audition aux Wood Wharf Studios et il est engagé. Il restera dans Dire
Straitsjusqu’àlafin.
Sid McGinnis aurait pu continuer avec le groupe mais ses exigences
financières ont été jugées trop élevées. Il n’apparaît même pas dans les
créditsde Making Movies,nonplusque DavidKnopfler– nerestentque
troisphotos-portraitssurlapochette,unpeumoinsmochesquecellesdes
albumsprécédents.C’estunCaliforniendevingt-septansaujoliminoisde
surfer blond qui est recruté à la guitare rythmique. Né à Monterey, Hal
Lindessuituntempsluiaussidescoursquifaillirentledécourager.Mais,
sous influence des Beatles et des Rolling Stones, il s’accroche et enchaîne
lesgroupesdelycée.Uncourtpassageàl’université,pourfaireplaisiràses
parents,etilpartcarrémentpourLondresoù,pense-t-ilcommebeaucoup,
tout se passe. Il déchante assez vite avant d’apprendre qu’une place est
libre au sein de Dire Straits. Après avoir contacté Paul Cummins, il
décroche une audition à Wood Wharf. Il se présente avec une Fender
Stratocaster blanche de 1959 et Mark Knopfler lui fait d’abord écouter
« Tunnel Of Love » sur une cassette glissée dans un Walkman. C’est la
première fois que Hal Lindes en voit un ! La séance se prolonge et des
décennies après, en interview, le jeune guitariste se souviendra avec
émotion d’avoir joué sur « Sultans Of Swing » en voyant le soleil se
coucher sur Londres et la Tamise à travers les baies vitrées du studio.
MêmesiHalLindesaunstyleetunsonplusrugueux,ilestpris.
Après avoir été présent au concert de la Farrer House en 1977, Joop de
Korte avait recroisé la route de Dire Straits sur les dates américaines de
1979. Technicien et stage manager pour Ian Gomm, qui assurait les
premières parties, il est de fil en aiguille devenu le technicien batterie de
PickWithers.Pourcettetournée,ilvoitsesattributionss’élargir,commeil
leraconteàdesfansespagnolssurlesitedel’UniversitédeValence:«Ils
m’ontdemandédemechargerdetoutelatechniqueentantquemanager
de production, régisseur de scène, technicien batterie et percussionniste.
C’estbeaucouptroppourunseulhommeetjenelereferaiscertainement
pas ! Mais c’était un moment clef pour Dire Straits. On allait voir s’ils
appartenaientàlaracedesgrandsgroupesdescènepromisàlalégendeou
s’ils allaient disparaître dans l’anonymat comme des centaines d’autres
avantetaprèseux»C’estaussiluiquiannonceaumicrol’entréeenscène
dugroupe.
OnLocation
Les concerts s’ouvrent sur le thème d’Ennio Morricone pour Le Bon, la
brute et le truand, avec ces voix humaines imitant le cri du coyote. Cela
s’impose : juste après, Dire Straits attaque « Once Upon A Time In The
West».Plusexactement,onentendd’abordunemélodieressemblantàun
sifflementetinterprétéeparAlanClarksurunsynthétiseurProphet,avant
que ne claque la guitare de Mark Knopfler. C’est l’autre nouveauté : le
répertoirescéniqueestémaillédesegmentsadditionnels,enouverturevoire
enpleinmilieudecertainstitres.C’estengrandepartiedû,làencore,àla
présence des claviers, qui élargissent les possibilités et permettent une
approcheplusorchestraledes arrangements.Ilssonttrès présentstoutau
longde«OnceUponATimeInTheWest»,avecunpassageauparfum
reggaejouéauxsynthétiseursrégléssurunsonpastrèsgracieuxdecuivres.
La chanson atteint désormais les dix minutes. Idem sur « Sultans Of
Swing»,AlanClarkajouteuneséquenceunpeuplananteaubeaumilieu
duderniersolodeguitare.Unvéritablemorceaudanslemorceau,avecson
thèmeetsesdéveloppements,appeléàêtreretravailléetétoffétoutaulong
desannéessuivantes.La«CarouselWaltz»quilance«TunnelOfLove»
est également précédée d’une séquence ténébreuse et vers la fin de la
tournée(auPalaisdesSportsàParisle17juin1981parexemple)leriffde
guitare de « Where Do You Think You’re Going? » est à peine esquissé
qu’un nouvel arrangement prend le relais, dominé par des nappes de
synthétiseurs. Il sera repris lors des tournées suivantes mais associé à
«RomeoAndJuliet».Touscesajoutsnequitterontjamaisledomainede
la scène. Excepté celui composé pour la fin de « News ». Alors que la
chansonseconclutnormalementparunmotifmonotonedebatterie,ellese
mue en une séquence dramatique, littéralement transpercée d’une
explosiondeguitare.Onal’impressionqu’unautremorceauprendforme.
C’est effectivement le cas : ce passage constituera plus tard le final de
« Private Investigations ». Quoi qu’il en soit, une chose est sûre, le Dire
Straits des deux premiers albums fera bientôt figure de curiosité pour
puristes.
Autour, c’est à nouveau la litanie des interviews, des rencontres en
coulisses, des radioset des émissions de télévision mais le groupe tient le
coup. Mark Knopfler a emmené toute une collection de Schecter, des
modèlesStratocasteretTelecastersurlesquelsjoueparfoisHalLindes;il
élaboredessolospluslongs,plusnerveuxetausonplusdurquelorsdes
tournées précédentes. Au Roxy de Los Angeles le 29 octobre 1980, Roy
Bittanenpersonneestàl’orguesurla«CarouselWaltz»de«TunnelOf
Love» : le E StreetBand vient d’arriveren ville pour quatreconcerts du
The River Tour à la Sports Arena. Alan Clark jongle avec ses claviers
comme s’il avait toujours été présent. Sur « Sultans Of Swing », il
interprèteaupianodeslignesdeguitarehabituellementjouéeparKnopfler,
« Lions » et « Portobello Belle » s’étirent en de longues jams festives,
«Single-HandedSailor»devientunfunkauClavinetfaçonStevieWonder
etl’onpeineàreconnaître«AngelOfMercy»,réarrangéepourunpiano
jazz-rock. À Dortmund, où Dire Straits se produit dans l’émission de
télévision Rockpop in concert le19 décembre 1980, c’estMark Knopfler
qui,cettefois,jouela «CarouselWaltz»àl’orgue tandisqu’AlanClark
est au piano. Un roadie tient la dernière note le temps que le chanteur-
guitariste file retrouver sa place sur le devant de la scène. Ce soir-là,
«News »est dédiée àJohn Lennon,assassiné onzejours plustôt àNew
York;àParisauPalaisdesSportsle17juin1981,elleestjouéepourBob
Marley,décédéd’uncancerle11mai.
À ce stade de la tournée, le groupe commence à présenter une réelle
nouvelle chanson. Elle raconte la fondation d’une cité dans le wilderness
américain, charriant des images de conquête de l’Ouest et de naissance
d’unecivilisationsurlaFrontière.Unevillebâtiesurunepisteindiennele
longdelaquellepasseraunjourletélégraphe.
LESDISQUESDE1980
BryanAdams,BryanAdams(février)
DefLeppard,OnThroughTheNight(mars)
JudasPriest,BritishSteel(avril)
PeterGabriel,PeterGabriel(mai)
EmmylouHarris,RosesInTheSnow(mai)
TheRollingStones,EmotionalRescue(juin)
Ultravox,Vienna(juillet)
Madness,Absolutely(septembre)
BruceSpringsteen,TheRiver(octobre)
Motörhead,AceOfSpades(novembre)
5.LEGROUPEDEROCK
PRÉFÉRÉDESGENSQUI
N’AIMENTPASLEROCK
Il y a très longtemps, un homme est arrivépar la piste. Il venaitde faire
cinquantekilomètresàpiedquandilaposélegrossacqu’ilportaitsurle
dosàl’endroitquiluiasembléleplusappropriépourfonderunfoyer.Là,
danscesgrandsespacesviergesetsauvages.Ilabâtiunepetitemaison,une
dépendance où stocker le bois et les vivres pour l’hiver et s’est mis à
labourerlaterre,nonloindeseauxglacéesd’ungrandlac.D’autrescolons
sontarrivéset,àleurtour,sesonts’installés.Ilsnesesontjamaisditqu’ils
auraientpupousserplusloinmaisnesontjamaisnonplusretournésd’où
ilsétaientvenus.Onaconstruitdeséglisesetdesécoles,onavus’établir
desjugesetdesavocats,ledroitetlaloiontétenduleurempire.Lagrande
époquedu cheminde fer acédé laplace auxconvois desemi-remorques.
Aujourd’hui,levieuxsentierorigineln’estplus.Ouplutôtsi,maisils’est
muéenuneautorouteurbaineàsixvoies,surtroisdesquelles,ensemaine,
onrouleaupasauxheuresduretourdutravail.C’estlelongdecetteroute
qu’àuneépoque,onatiréletélégraphe.
Mark Knopfler a eu l’idée de la chanson « Telegraph Road » aux États-
Unis, courant novembre 1980, alors qu’il était assis à l’avant du bus de
tournée pendant la traversée de Detroit, sur un axe nord-sud bel et bien
appelé Telegraph Road. Le lac évoqué dans le premier vers étant le lac
Michigan. À l’époque, le musicien lisait L’Éveil de la glèbe (1917), récit
d’unretouràlaterrequivaudraàsonauteur,leNorvégienKnutHamsun,
le prix Nobel de littérature en 1920. Cette fresque raconte comment un
hommeparts’établirdanslescontréesnordiquesinhospitalières, loindela
révolutionindustriellequiestentraindegagnerlaNorvège.L’intentionde
départ–travaildusol,modedevierudeettraditionnel–donnepeuàpeu
naissance à une petite communauté avant que ce monde isolé ne soit
rattrapéparlacivilisationetleprogrèsenmarche.C’estexactementlerécit
de « Telegraph Road », transposé dans le contexte de la colonisation de
l’Amérique.Detroitayantlongtempsétél’undesdernierspostesavancésde
la civilisation avant le wilderness, ce « désert américain » que Alexis de
Tocqueville explore quinze jours en juillet 1831 en partant de cette ville
desGrandsLacs.Puisvintl’industrieautomobile,l’expansionurbaine,les
embouteillages, les mouvements pendulaires des travailleurs, la pollution,
lesghettos,lestensionssocialesetraciales,ledéclinéconomique,lecrime,
lechômage…Toutestdanslachanson,quasimentconçuecommeunlong-
métragehollywoodienavecsestroisactes.C’estbiensimple:surscèneen
1981, le morceau, qui arrive vers la fin des concerts, dure plus de onze
minutes. L’arrangement en est encore un peu frustre. Selon les versions,
Mark Knopfler attaque d’emblée à la guitare électrique, la Schecter
Telecasternoirequ’ilutiliseégalementpour«SolidRock»,oulaisseAlan
Clarkposeraupianol’introduction.
Latournées’estachevéedébutjuillet1981.Normalement,MarkKnopfler
devaitenchaînersurl’écritured’unemusiquedefilmmaisletournagedece
dernier ayant été repoussé, c’est à un nouvel album de Dire Straits qu’il
s’attelle.Sibienqu’aumomentd’entrerenstudioen1982,ilauraécritune
bonne vingtaine de titres. Au point d’envisager un double-album.
PhonogrametEdBicknell,quianticipentlesdifficultéscommercialesd’un
telprojet,parviennentàl’endissuaderetlegrouperevientdébutmarsàla
PowerStationdeNewYorkpourlaréalisationd’unalbumstandard.Ou
presque:ilnecompteraquecinqchansons;lapluscourteapprochelessix
minutes,lapluslongue(«TelegraphRoad»)dépasselesquatorze.
LoveOverGold
Enregistrédemarsàjuin1982àlaPowerStationdeNewYork
Sortile4septembre1982
L
’enregistrementdesprécédentsalbumsdeDireStraitsavaitprisentretrois
semainesetdeuxmois.Lequatrièmedemanderatroismois.Etpourcause:
LoveOverGoldprolongeetamplifietoutcequiaététestéavec MakingMovies.
Delongueschansonsauxarrangementscomplexes,affranchiesdelastructure
couplet-refrain. Il s’agit de raconter des histoires avec des guitares et des
pianos.Pasderiffsaccrocheursnidemélodieàreprendreenchœurentapant
dupiedmaisdel’imagerieromanesqueetdel’introspection.
MarkKnopflerestseulproducteur,épauléparl’ingénieurdusondelaPower
StationNeilDorfsmandontc’estlapremièrecollaborationavecDireStraits.À
cetteépoque,leguitaristes’intéresseaujazzetilarepéréDorfsman,formésur
letasparEddieKramerauxstudiosElectricLadylanden1976,danslescrédits
de Wanderlust (1981),du vibraphoniste Mike Mainieri. Ce dernier, ainsi qu’un
autre musicien de Wanderlust, le clavier et programmateur Ed Walsh,
collaborentàl’album.
Quoique indéniable grand patron, Knopfler ne verrouille pas tout. Pour
PerformingMusicianennovembre2008,JohnIllsleysesouvientd’unvraitravail
de groupe : « Mark était très ouvert. Il arrivait souvent en studio avec des
chansonsqu’ilcroyaitachevéesmaisquin’étaientenréalitéquedesesquisses.
Invariablement, celles sur lesquelles nous nous mettions à travailler tous
ensemble devenaient les morceaux les plus intéressants. » L’intéressé affirme
lui-mêmeincorporerdesidéesdeHalLindesouAlanClark,ycomprissicela
change l’esprit initial d’un morceau. Clark estime carrément avoir eu « carte
blanche» sur Love OverGold. Ilraconte qu’ilarrivait uneà deuxheures avant
toutlemondeaustudiopourdéfricherdesarrangementssurdeschansonsque
Knopflerluidévoilaitàlaguitareacoustique.
«TelegraphRoad»,quiouvreledisque,enestunbonexemple.«Ill’aécrite
petitboutparpetitbout,sesouvientleclaviéristeen2014.Auxbalancesavant
chaque concert, on s’y mettait lui et moi. On reprenait à partir de là où on
s’était arrêté la fois précédente et on réfléchissait à la section suivante, en
articulantmesparties depiano etsesparties deguitares, etc’estainsi quela
chansons’estconstruite.»
Lachansoncommencepardessynthétiseursutiliséscommeuntapisorchestral
àlamanièred’ungénériquedefilm(aveclebruitaged’unorageàl’arrière-plan).
Mark Knopfler ressort la guitare National pour un duo avec le piano d’Alan
Clark.Unepulsationrocksemetenplaceàseulementuneminutetrente-deux
etla guitare électriqueentre àune minutequarante-huit. Àpartir de quoi,la
musique évolue avec l’histoire de la ville. La chanson alterne envolées
dynamiquesdetoutlegroupe,pausesetrelances;unpremiersolodeguitare
estsuivid’unquasi-arrêtdelachanson.Lesgensrentrentdutravailenvoiture,
la météo annonce qu’il va geler dans la nuit… Partie de piano aux accents
classiques.Ilyadesguitaresacoustiques,desarpègesd’électriques,duviolining,
un orgue d’église. Et ainsi de suite pendant un quart d’heure, jusqu’à un
crescendodeguitarefrôlantl’hystériealorsquelenarrateurvientd’expliquer
combien il a hâte de fuir cette ville en lambeaux. Derrière, le groupe sonne
commesicettemétropoles’effondraitsoussespropresexcès.MarkKnopfler:
« Il y a de longues prises et nous parlions de la séquence instrumentale du
milieu comme de la séquence filmée parce qu’on sentait que la caméra allait
s’éloigneretqu’onallaitavoirunevuesurleschosestellesqu’ellesavaientété
puistellesqu’ellessontdevenues.»
« Telegraph Road » est une chanson si longue que lapeau dela caisse claire
perd en tension au bout de sept à huit minutes lors des séances
d’enregistrement, et cela s’entend. En concert, il faudra faire avec et ce sera
moins audible, mais sur disque, Neil Dorfsman sait comment y remédier. Il
coupeendeuxlachansonpourré-enregistrerladeuxièmemoitiéaprèsavoir
rectifiéleréglagedelacaisseclaire,puisiljointlesdeuxmorceauxdebande.
Bienmalinceluiquisauradétecterlepointdemontageàl’oreille.
Cen’estpasforcémentévident,mais«PrivateInvestigations»estcenséêtre
un pastiche de film ou roman noir. De la « musique spaghetti », selon son
auteur, comme il y a eu des westerns spaghettis. C’est-à-dire où tout est
exagéré.Undétectiveprivéraconteson travaildansuntexteplusmarmonné
quechanté,d’unevoixlasseetsous-mixée.Unpeucommeunevoixoffdans
un polar des années quarante. Dans une interview pour le magazine français
Best en juillet 1983, Mark Knopfler explique que la chanson est en fait une
métaphore du processus créatif : « Lorsqu’il s’attaque à ses partitions, le
musicien se retrouve obligatoirement seul : c’est cela le côté privé. Ça peut
toutaussibienêtrel’attaqued’unetournéeouunenouvelleinterview,cartu
apprendsbeaucoupsurtoiaufildesentretiens.Tuapprendsàexprimercequi
couleentoi.»Leguitaristeesttoutdulongàl’acoustiqueenduoaveclepiano.
En toile de fond des couches de claviers et d’accords de guitare électrique
jaillissantparlecontrôledevolume.Iciaussiunecourteséquencefaitofficede
générique.Enl’occurrence,dessynthétiseursetunelignedeguitareélectrique
perdue dans le lointain qui sera jouée plus loin dans la chanson. L’équivalent
d’unflashforwarddansunfilm.Letexteterminé,«PrivateInvestigations»part
dans un développement instrumental aux allures de montée de suspense. La
production n’est pas avare de détails : guitare, piano et vibraphone se
répondentlesunslesautres,labassemarquecommeunbruitdepas,aufond
dumixonentendduverresebriser.Etlamusiqueexplosecommeuncoupde
feu,prenantles dimensionsd’ungrandorchestre habillantunescèned’action.
Un son strident obtenu en raclant avec la tranche d’un médiator les cordes
d’uneguitare électriqueen distorsionimite lebruit d’undérapage devoiture.
C’estlaséquencenéesurscènepourmeublerlafinde«News»surlatournée
OnLocation.EnFrance,ellepasseraàlapostéritégrâceà…unepublicitépour
leCréditAgricole.
L’humour est plus évident dans « Industrial Disease ». Le chant plus dylanien
que jamais sur des phrases interminables qui pourraient donner un bon rap,
Mark Knopfler aborde pour la première fois de front les problèmes de son
temps.Àsavoirledéclindumondeindustriel,lacriseéconomique,lechômage.
Le ton est sarcastique, moquant médias, sociologues et autres experts (la
« maladie industrielle » du titre est diagnostiquée par un Dr. Parkinson en
consultation), il s’y glisse une allusion aux Brewers Droop, ce groupe de pub
chez qui Mark Knopfler a fait un passage des années avant Dire Straits, et le
tout est ponctué d’aboiements de pédale wah-wah. C’est le seul titre
résolument rock de l’album. « Love Over Gold » est tout l’inverse, premier
degréetintimiste,mêmesil’orchestrationestaussifourniequelesmorceaux
précédents,aveclaforteprésenceducouplepiano-guitareacoustique.Sontitre
est tiré d’un graffiti repéré sur un mur du quartier de la Farrer House à
Deptford.Silachansonévoquelesamoursdéçusdesonauteur,iln’yacette
foisniagressiviténirancœur.Lenarrateurestrésigné,sinoncompréhensif,et
laissepartirsabellesansdemanderdecomptesniprendrelemondeàtémoin
desavilenie.
Sur le même thème, le dernier titre « It Never Rains » est plus dansant.
Débutantparunorgueenjoué,ilévolueluiaussiversunfinalausonmassif.La
guitareélectrique,ànouveaubranchéesurunepédalewah-wah,s’envolepour
unsolodeprèsdetroisminutestandisquelasectionrythmiquelouchesurle
thème de « Peter Gunn ». Quant aux paroles, elles s’en prennent à Holly
Vincent.L’ex-petite amiechanteuse n’estpas citéenommément maiscertains
passages laissent peu de doutes : « Tu n’en as rien à faire des types que tu
accroches / Et que tu laissesen sang sur le carreau / Tu entubes les gens en
pleineascension/Sipersuadéeque,toi,tunetomberasjamais.»Or,si,elleest
tombée–pourtoutdire,ellen’ajamaisvraimentdécollé,contrairementàun
certain auteur-compositeur de Deptford. Et qu’en dit en substance Knopfler
dans«ItNeverRains»?«Bienfait,pauvrefille…»
Avec LoveOverGold,Mark Knopfleradoncvules chosesengrand.Peut-être
trop.Profondémentfaçonnéparlesclaviers,lerockdeDireStraitsseparede
partiesdesynthétiseursd’arrière-planquivontdeplusenplusl’aseptiser.Love
Over Gold n’est pas franchement du rock progressif, plus du tout du country
bluesdepubets’apparentedeplusenplusàcegenreappeléAOR,pouradult
oriented rock ou album oriented rock. Du rock de professionnels, fignolé au
mixageetunpeudésincarnémaisidéalpourl’autoradio.
Aufond,est-ceencoredurock?DansunarticlepoilàgratterpourRock&Folk
en1984 PhilippeLeblond qualifiaitMarkKnopfler de« leader charismatocdu
groupederockpréférédesgensquin’aimentpaslerock»…Lepireétantque
l’intéresséneserapasloindepenserlamêmechose!Ilaeneffetplusieursfois
racontécetteanecdotedanslaquellelasonod’unbaroùilprenaituncafés’est
miseàdiffuserseschansons:«Danscegenredesituation,tunepeuxpasfaire
autrementqu’écouter.Alors,après “TelegraphRoad”,ce futletourd’une de
ceschansonsdeBuddyHolly,“RaveOn”,jecrois.Etc’étaitincomparable.On
ne pouvait pas lutter. Ça sonnait mieux, ça sonnait formidable et ça avait dû
êtreenregistréen1957…»(LesEnfantsdurock,1982)
L’albumestsanscontestesurproduit.Lesarrangementsnesontpaslourdsen
eux-mêmes,lesarticulationsetchangementsderythmerestentfluidesetbien
amenés. C’est l’enchaînement de cinq chansons aussi travaillées, parfois sans
réelle mélodie et toutes d’une durée conséquente qui rend l’album moins
séduisantetparfoisimpersonnel.Cequinel’empêcherapasd’êtrenuméroun
auRoyaume-Uni,enItalie,enNorvège,auxPays-Bas,enAutriche,enNouvelle-
Zélande ou en Australie, où l’album reste quatorze semaines d’affilée entête
desventesentreoctobre1982etjanvier1983,nid’atteindrelesdeuxmillions
d’exemplaires en cinq semaines. Pour le premier 45-tours, c’est l’improbable
«PrivateInvestigations»quiestretenu.Résultat?NumérodeuxauRoyaume-
Uni,numérounauxPays-BasetenBelgique.Lepublicaméricain,enrevanche,
c’estvrai,estmoinsenthousiasméparLoveOverGold.
DePickàTerry
L’enregistrement bouclé, Mark Knopfler file en Écosse. Le tournage du
filmdontildoitcomposerlamusique, LocalHero,adébutéetilveutêtre
surplacepours’imprégnerdel’ambiance.Letravaildestudioauralieuà
NewYorketàLondres 12.Ilenchaînesurunprojetcoupdetête:un45-
toursderock’n’rollàl’anciennepourconjurerlesérieuxetlesoutrancesde
LoveOverGold.«Aprèsavoirpassétantdetempsàproduireuntravailsi
soignéetjoué“PrivateInvestigations”àpeuprèsvingtmillefois,laseule
chose dont vous ayez envie, en gros, c’est de faire “Be-Bop-A-Lula”. »
(GP84)
N’étaituneombreautableau:le23juin1982,PickWithersadécidéde
quitter Dire Straits. Comme pour David Knopfler, les explications
resterontlongtempssibyllines.Lassitudedestournées,volontédepasserà
autre chose. En 2021, pour la chaîne YouTube Rock History Music, il
développera. Non seulement le rythme répétitions-studio-concerts a fini
parl’user,maislevolumesonoredelamusiquedeDireStraitscommençait
àluicauserdesproblèmes,l’ambiancedebandedepotesdesdébutsavait
disparu et les crises d’ego et d’autorité de Mark Knopfler lui plaisaient
encore moins. Le manager Ed Bicknell, encore une fois, est moins
sentimental:«Markaunefortepersonnalité,ilesttrèsdéterminéetplutôt
dugenresanspitié.Maisilfautêtresanspitiésivousvoulezallertouten
haut,etladémocratiedanslesgroupes,celan’ajamais,maisalorsjamais,
fonctionné. » (Classic Rock, 2015) Dans le vidéo-clip de « Private
Investigations », tous les musiciens de Dire Straits apparaissent sauf Pick
Withers,symbolisé parun piedde cymbalecharleston poséà l’écart.Son
remplaçantestleGalloisTerryWilliams.Luiaussiacommencétôtàjouer
etàmontersurscèneauseindediversgroupes,versquatorze-quinzeans
(ilestnéenjanvier1948).Leschosessérieusescommencenten1970quand
il devient batteur du groupe Man pour six ans, puis de Dave Edmunds,
avecLoveSculpturepuisRockpile,unquartetavecNickLoweàlabasse,
etquel’onretrouved’ailleurssurles troispremiersalbumsdecedernier.
Entre 1981 et 1982, Terry Williams est en tournée avec Meat Loaf.
Quelques jours après son retour, il est convié à une audition à Londres,
sansqu’ilsachepourlecomptedequi.Ils’yrendaccompagnédesonfrère
etunesemaineaprès,onluiapprendqu’ilestdésormaislebatteurdeDire
Straits.Sonpremiertravailaveceux?Dutwistauborddelapiscine.
ExtendeDancEPlay
Enregistrédu1er au3octobre1982auxJamStudiosdeLondres
Sortile10janvier1983
L
es trois premiers jours d’octobre 1982, Dire Straits s’enferme aux Jam
Studios, créés par deux Suédois dans le bâtiment d’anciens studios Decca
sur Tollington Park, dans le nord de Londres. « Twisting By The Pool »,
enregistrédeux anset demiauparavant parla formationoriginelle, estrefaite
avecTerryWilliams,HalLindesetAlanClark,reprenantlesmêmesrafalesde
batterie dignes du Muppet Show. Une romance de fin d’été dans l’ambiance
asexuée des années cinquante nimbe « Two Young Lovers », un rock’n’roll
élémentaireensol-do-ré(sanssolodeguitare,quiseradéveloppésurscène).Ily
a des bisous sur la joue, un papa et une maman attendris par leur fille
amoureuse,unmariageàlafinetlapremièreapparitiond’unsaxophonedansle
répertoiredeDireStraits.C’estceluideMelCollins,ancienmembredeKing
Crimson, collaborateur occasionnel de Bad Company ou Bryan Ferry et
auxiliaire des Rolling Stones sur Some Girls et d’Eric Clapton sur Slowhand.
Enfin,MarkKnopflersortdesonchapeauun«IfIHadYou»auxparolesaussi
navrantes que possible (« J’ai un tatouage avec ton nom sur le cœur qui dit
“C’estmapoupée,mapoupée,ouais,c’estlameilleure”/Jepourraisêtreton
Superman, tu pourrais être ma Lois Lane / Je pourrais être ton Tarzan, tu
pourraisêtremaJane,siçatedit»).Auchant,onjureraitLouReed.
Cestroisparodies sontmalgré toutsoignées,les guitaressonnentmordantes
et claquantes à souhait, même si « If I Had You » s’éternise un peu. Et
l’exercice de style n’est pas poussé jusqu’à produire des chansons de deux
minutes et demie : toutes dépassent les trois minutes trente ou quatre
minutes.Onneserefaitpas.
Cette mini-collection compose le super 45-tours ExtendeDancEPlay qui sort
début1983sousunepochettecrayonnéeassezaffreuse.Laversionaméricaine
estaugmentéedelafaceBdusingle«PrivateInvestigations».Remontantaux
séancesdeLoveOverGold,«Badges,Posters,Stickers&T-Shirts»compteàce
titrePickWithersdanssonpersonnel.Trèsjazz,soutenueparunmartèlement
destouchesgravesdupianodansuneambiancelive,cettechansonrenoueavec
lesarcasmeens’enprenantaumerchandisingentretenuautourdesgroupesde
rock(AC/DCestcité)etàl’excitationdecertainsfanspourcettecamelote–
fansclairementdépeintscommedesdébiles…
Labonneblaguepassée,MarkKnopflerneserapasplustendreaveccedisque
qu’avec Love OverGold : « “Twisting By The Pool” était encore une mauvaise
idée. Pour tout dire, je ne savais absolument pas faire des disques de
rock’n’roll.»(Guitarist,août1995)
Sessionman(3)
Mark Knopfler n’en a pas terminé avec les studios. Avant de partir en
tournée avec Dire Straits en décembre, il est de nouveau convié par Phil
Lynottà jouer sur sondeuxième album solo.Le leader de Thin Lizzylui
proposed’intervenirsurunechansondylanienneendiable,jusquedansson
titre,«OdeToLiberty(TheProtestSong)».Ilyestquestiondesmauxde
l’époque,dutiers-monde,des armesnucléaires,dumanque d’espoiretde
compassion.Mark Knopfler couche d’impeccablesparties de guitare etle
toutsorten septembre1982sur ThePhilLynott Album(MelCollinsest
aussisurledisque).
Ilaccompagneégalementles sœursKateet AnnaMcGarriglesurl’enjoué
«LoveOverAndOver»où,surunrythmedoo-wop,saguitaretravaillée
à l’écho et au violining fait merveille. Le titre paraît en avril 1982 sur
l’albuméponyme.
PhilEverlyenregistrecetteannée-làunalbumsoloenpartieàLondres,aux
EdenStudios.TerryWilliamsetMarkKnopflerparticipentauxséances,au
même titre que Christine McVie, de Fleetwood Mac, Cliff Richard, le
guitariste Billy Bremner, ex-collègue de Williams aux côtés de Dave
Edmunds, ou le claviériste Pete Wingfield. Le batteur de Dire Straits
marque huit morceaux de sa frappe musclée. Le guitariste joue sur cinq,
notamment«SheMeansNothingToMe»,unduoavecCliffRichardqui
devint un tube en 1983 et sur lequel il tient la guitare rythmique. À
quelqu’un,lorsdesséances,quiexprimaitsonenthousiasmeàl’écoutede
«BetterThanNow»,PhilEverlyauraitrépondu:«Maisc’estparcequ’il
jouedessus!»
Au total, cela fait quatre collaborations extérieures dans l’année pour
Knopfler si l’on compte Beautiful Vision de Van Morrison, enregistré en
juillet 1981 mais paru en février 1982. On l’entend sur « Cleaning
Windows » et « Aryan Mist ». Quoique entendre est unbien grandmot
car, un peu comme avec Steely Dan, son travail est difficile à discerner
danslemix,VanMorrisonayantfinalementpréférés’enremettreàChris
Michie,quideviendrasonguitaristerégulier.
LESDISQUESDE1982
Simon&Garfunkel,TheConcertInCentralPark(février)
IronMaiden,TheNumberOfTheBeast(mars)
PaulMcCartney,TugOfWar(avril)
TheCure,Pornography(mai)
SpandauBallet,Diamond(mai)
DuranDuran,Rio(mai)
JoeJackson,NightAndDay(juin)
DepecheMode,ABrokenFrame(septembre)
MarvinGaye,MidnightLove(octobre)
MichaelJackson,Thriller(novembre)
LESDISQUESDE1983
Eurythmics,SweetDreams(AreMadeOfThis)(janvier)
U2,War(février)
Echo&TheBunnymen,Porcupine(février)
ZZTop,Eliminator(mars)
DavidBowie,Let’sDance(avril)
StevieRayVaughanAndDoubleTrouble,TexasFlood(juin)
Metallica,Kill‘EmAll(juillet)
UB40,LabourOfLove(septembre)
Level42,StandingInTheLight(octobre)
Slayer,ShowNoMercy(décembre)
6.GUITARANTI-HERO
« Il semble qu’à n’importequel moment,on peut trouver une exposition
Brett Whiteley en Australie. ». Au moment où The Guardian écrit ces
lignes, en septembre 2014, il y en avait une à Katoomba, dans les Blue
Mountains,etuneautreasuivi,terminéeenmai2015,dansl’ancienatelier
quecepeintreaustraliens’étaitcréédansunentrepôtdésaffectédu2Raper
Street à Sydney. Brett Whiteley l’avait acheté en 1985. Il s’en est servi
jusqu’àsamorten1992àcinquante-troisans.C’estaujourd’huiunmusée,
le Brett Whiteley Studio, gérépar la Galerie d’Art de Nouvelle-Galles du
Sud. Très cotées, très populaires, les toiles de Brett Whiteley, qui encore
aujourd’hui«séduisentlepublicparleurabstractionéclatantedecouleurs,
leur spiritualisme hippie et l’aura de romantisme émanant de leur défunt
auteur » continue The Guardian. L’exposition de Raper Street était
consacrée à des œuvres inspirées par Arthur Rimbaud, Francis Bacon et
VincentVanGogh.Maislepivotenétaitunehuilesurtoiledeseizemètres
surdeuxcomposéededix-huitpanneauxdeboisetincluantdescollagesde
textesetdematériaux.Réaliséeentre1972et1973,elleselitdedroiteà
gauchecommelecycledelavie,delanaissanceàlamort,barréeenson
centre par le mot IT. Sur l’extrémité droite, le peintre a dessiné des
variationsde flèchesnoires sur fond blanc, dont l’une consiste à opposer
deuxpointesfaceàface.
C’estl’œuvre laplus connuede Brett Whiteley.Notammentchez les fans
de Dire Straits. Elle s’appelle Alchemy et elle sert d’illustration à la
pochettedu doublealbum enconcert quepublie legroupe enmars 1984
(uneguitareatoutdemêmeétéajoutée).Ledisquereprendaussiletitreet
lesflèchesdécorentleT-shirtqueporteMarkKnopflerlorsdececoncert,
commeentémoignelefilmassocié.
BrettWhiteleyarencontréDireStraitsen1982.Ils’étaitprésentélui-même
au groupe à l’occasion du passage du Love Over Gold Tour à Sydney.
Mark Knopfler continuera longtemps à porter des T-shirts avec les
fameusesflèchesetdanslesannéesdeuxmille,JohnIllsley,quiseseramis
àlapeinture,citeraWhiteleyaunombredesesinfluencesprincipales.
AprèstroissemainesderépétitionàWoodWharf,latournéedébutele30
novembre 1982 à Guildford, au sud-est de Londres. Suivent vingt et un
concerts en vingt et un jours sur les scènes britanniques et quasiment
autant en Australie et Nouvelle-Zélande (six soirées sont programmées à
Sydney)enmars.Lamoindredeschosesvul’accueilréservéauxdisquesde
Dire Straits dans ces deux pays. À l’inverse, l’Amérique est totalement
délaissée.C’estensuite,pourlapremièrefois,unpassageauJapon,début
avril1983.Enfin,unlongcircuiteuropéens’étirejusqu’àfinjuillet,oùle
groupe,deretouràLondres,donneunconcertauDominionTheatre,sur
Tottenham Court Road, pour la fondation du Prince Charles (le même
soir, il y a Duran Duran). Cette œuvre caritative, fondée en 1976 pour
aideràl’emploietàl’insertiondesjeunes,organisedepuispeudesconcerts
derockpourseslevéesdefonds.Deuxjoursaprès,DireStraitsconclutsa
tournéepardeuxsoiréesàl’HammersmithOdeon,l’actuelHammersmith
Appolo. La première voit monter sur scène un invité au parfum de rêve
d’enfantpourMarkKnopfler:HankMarvinetsaStratocasterrouge.La
deuxièmefourniralamatièreàAlchemy.
Si LoveOverGoldsonneunpeustatiqueettropproduit,celan’empêche
passescinqchansonsd’êtretoutesinterprétéeslorsdecettetournée.Dire
Straits ne se prive pas non plus de défendre ses bonnes blagues que sont
«TwistingByThePool»et«TwoYoungLovers».Ilrestequelescinq
musiciens ont eu besoin de renforts : Mel Collins intervient sur plusieurs
titres,JoopdeKorte,quiannoncetoujourslegroupe,estauxpercussions
etsurtout,TommyMandel,venudechezBryanAdams,ajoutesesclaviers
à ceux d’Alan Clark. Après les Stratocaster rouges, Dire Straits, c’est
désormais un Synclavier, un Hammond B3, un Yamaha GS-1, deux
Prophet,unKorgCX3…Carlesaménagementsdurépertoireinitiéssurla
tournée précédente sont repris et prolongés. Les concerts commencent
comme en 1980-1981 par « Once Upon A Time In The West », avec la
même mélodie d’introduction aux claviers et le même intermède reggae.
«SultansOfSwing»continued’êtrechahuté–d’aucunsdirontdéfiguré–
maisce n’estrien à côtéde «Portobello Belle» avec sonsynthétiseur au
sondebandonéon,sesmarimbasetsonsolodesaxophone.QuantàMark
Knopfler,ilarboreencoredenouvellesguitares.EnplusdesFenderetdes
Schecter,ilatrouvéuneGibsonSGblanchepourassurerlarythmiquede
«TwoYoungLovers»ainsiqu’untoutnouvelinstrumentconçuparson
maîtreChetAtkins,uneguitareclassiqueélectriquequ’ilutilisepourlafin
de«RomeoAnd Juliet»,pour«Private Investigations»etpour«Love
Over Gold ». Ce drôle d’engin, la Gibson Chet Atkins CE, est une solid
body,c’est-à-direuneplanched’unseultenanttailléeenformedeguitare
classiqueetmontéeavecdescordesennylon.Elleaunerosacemaispasde
caisse.Larosacen’estqu’unecavitédefaibleprofondeurpourrapprocher
lesondeceluid’uneclassique,maiscelui-ciresteentièrementamplifiépar
desmicros.
Ilrestequemusicalement,surscène,MarkKnopflern’estpasdugenreàse
jeter dans le vide. « Tous ces longs solos mélodiques qu’il faisait étaient
préparés à l’avance, presque comme s’il jouait une pièce de musique
classiqueaveclapartitionécritedanssatête»sesouvientHalLindespour
VintageGuitaren2006.
Si le guitariste rythmique se dit impressionné par la précision et la
constancedujeudesonleader,TommyMandelaunavisplusnuancésur
cette tournée, comme il l’a expliqué en 2013 à un blogueur espagnol :
«Nousdevionsrespecterscrupuleusementnosparties,iln’yapaseuune
seule note de spontanée.C’est ce que je n’ai jamais bien compris chez ce
groupemaisjesupposequ’avecseptmusicienssurscèneetunemusiquede
haut niveau à restituer, c’est ainsi que Mark Knopfler voyait les choses.
C’étaitpeut-êtreindispensablemaispastrèsexcitant.»
Il n’y aura pas d’album de Dire Straits en 1983. En revanche, Mark
Knopfleratrouvéletempsd’enfaireunquandmême,là,danscettebéance
d’unpeuplusd’unmoisentreunconcertàOsakale5avriletunautreà
Hambourgle11mai.UnalbumdeBobDylan.
BobDylan,Infidels
Enregistrédu11avrilau8mai1983àlaPowerStationdeNewYork
Sortile1ernovembre1983
En1979,MarkKnopfleretPickWithersavaientjouésurlepremieralbum
«chrétien»deDylan,SlowTrainComing.Quatreansplustard,Knopfler
revientsur un disque de l’Américainrefermant cette parenthèse religieuse
quienauracomptétrois.D’oùsontitre, Infidels.LeleaderdeDireStraits
n’estpluscettefoissimplemusiciendeséance.Ilestproducteur.C’estlui
quiproposedetravailleravecl’ingénieurdusonNeilDorfsmanàlaPower
StationetdefairevenirAlanClark.IlavaitaussipenséàBillyGibbonsde
ZZ Top pour partager les parties de guitare mais Dylan préfère Mick
Taylor.LechanteurappelleenfinlelégendaireduoSlyDunbar(batterie)et
Robbie Shakespeare (basse), qui a, entre autre, beaucoup accompagné
Peter Tosh et fait partie des musiciens de séances des Compass Point
Studios.
L’enregistrement s’étale d’avril à mai 1983. « C’était parfois bizarre. Le
travail de producteur consiste en bonne partie à se montrer
flexible.Chaquechansona enelle cepetitquelque chosequila distingue
d’uneautre,quifaitqu’ellevaprendrevie.Parfoisilfautletitillerunpeu
pourqueçasorte,d’autresfoiscelavientvite.Iln’yapasderègles,ceque
vousjouezcompteaumoinsautantqueceuxavecquivousjouez.Sivous
êtes réceptif et que vous savez vous adapter, ça devient un vrai plaisir.
Maisje dirais que j’étaisplus discipliné [queDylan]. » (GP 84)Et Mark
Knopfler de citer pour Rock&Folk cette propension qu’a le chanteur à
toujoursvouloirs’essayeraustyledesautres.Aupointdeproposerunjour
d’enregistrer une chanson dans le style du rapper Kurtis Blow, qui
travaillaitdansunstudiovoisin.
AlanClarkaussiaquelquessouvenirs:«Bobétaitsympa,chaleureux…et
fascinant.Ilavaitl’habitudedeposeruncahiersurmonorgueHammond,
qui était la surface plane la plus proche de son micro, et je le voyais y
griffonner ce que je supposais être de nouvelles chansons, bien souvent
justeaprèsenavoirchantéune!Commentpeut-onfaireuntrucpareil?»
C’estsur ce disque que Knopfleret Dorfsman s’essaientaux technologies
numériques encore balbutiantes. Se débattent avec, pour être exact.
« C’était un cauchemar, reconnaîtra l’ingénieur du son dans Sound On
Sound.Onnepouvaitpasfairedemontage,onnepouvaitrienfairepour
toutdire, hormisenregistrer, etencore… Lesconvertisseurs tombaienten
rade,quandoncorrigeaitquelquechose,celas’entendait,etgrossomodo,
toutallaitdetravers.»
Infidels renoue avec les orchestrations simples et directes d’avant la
révélationreligieuse.Pas de sectioncuivres, d’orgued’égliseni de chœurs
gospel.IlrestequelesdeuxDireStraitsdoiventreprendrelarouteenmai.
BobDylanpasseauxcommandespourterminerletravail.Etleschosesse
gâtent.Ilrevoitlasélectiondeschansonsinitialementprévues,réenregistre
despistesetmixel’albumàreboursdesintentionsdeMarkKnopfler.Àla
grande fureur de ce dernier, qui s’efforcera de rester elliptique dans les
interviewssurlesujet–pourEightDaysaWeek,surlaBBC,ilsequalifie
lui-mêmedecoproducteurplusquedeproducteur,évoquantpudiquement
lesenvieschangeantesdeBobDylan.
Ledisqueestefficacemaisunpeutropcarréetsentantlesannéesquatre-
vingt, notammentdu côtéd’une batterie un brin clinquante. Tout ce que
voulait éviter Knopfler. Un nouveau sujet de débat dylanien naît ici,
alimenté par quantité d’enregistrements pirates des sessions laissant
entrevoircequ’auraitpuêtrele«vrai»Infidels.EmpireBurlesque(1985),
pourlequelAlanClarkreviendrajoueravecBobDylan,et DownInThe
Groove (1988) exploitent eux-mêmes des chutes des séances. D’autres
ressurgirontsurles BootlegSeriesVolumes1-3,dontlaversionacoustique
piano-guitareduvertigineux«BlindWillieMcTell».Ilexisteuneversion
électriqueaveclaguitare slidedeMickTaylor,toujoursinéditeendisque
officiel.Maisqu’ils’agissedel’uneoudel’autre,aujourd’huiencore,tout
lemondesedemandecequiaprisàDylandel’écarterdel’album.
Sessionman(4)
En mai 1983, Mark Knopfler a le temps pour une autre collaboration :
jouerdelaguitaresurunechansonintitulée«Madonna’sDaughter»d’un
certain…DavidKnopfler.LepetitfrèreenrupturedeDireStraitsenjuillet
1980 enregistre en effet à Londres, aux studios Workhouse, son premier
album solo, Release. John Illsleyest égalementprésent sur un autre titre.
Enavril1984,lesdeuxfrèresse retrouverontsurlascèned’uneémission
de télévision italienne pour promouvoir (en play-back) « Madonna’s
Daughter».«J’écoutelesbandesqu’ilm’envoie,révèleMarkKnopflerà
Gérard Bar-David, en 1983 dans Best. Objectivement, je représente pour
luiquelquechosequ’ildoitexorciserpourpouvoirseréaliser.Ilfautsavoir
s’échapper des gens que vous aimez. » Régulièrement questionné sur le
sujet en interview, David Knopfler a toujours expliqué n’avoir jamais eu
aucun regret à quitter le groupe alors que celui-ci allait atteindre des
sommetsdepopularité.Tropd’enjeux,tropdepression.Luis’esttoujours
vuenpetitartisandelachanson,libreetindépendant,vénérantBobDylan
et Joni Mitchell, bien qu’il puisse admettre que ce ne soit pas toujours
facile.Ilcontinuerad’enregistrerdesdisquesetlivrerdesconcertsdansla
plusgrandediscrétionmédiatique.
Etpuisqu’ilestquestiond’échappéesensolo,égalementen1983,courant
octobre,JohnIllsleyréalisesonpremieralbum. NeverToldASoulparaît
en 1984. Illsley chante, tient la basse, parfois la guitare acoustique,
produit,écrittouslestitres.Parmilesmusiciens,onrepèreleguitaristePhil
Palmer et le saxophoniste Chris White qui accompagneront Dire Straits
dans quelques années, ainsi que Terry Williams à la batterie sur un
morceauetMarkKnopflersurquatre.
Puis c’est au tour de Scott Walker de recourir aux services de Knopfler.
Entre octobre et décembre, il travaille à Londres sur le futur Climate Of
TheHunterde1984.LeguitaristevientposerdesobreslignesdeNational
sur«BlanketRollBlues».ÉcritparTennesseeWilliamssurunemusique
ducompositeurKenyon Hopkins,cebluesest issudufilm L’hommeàla
peau de serpent de Sidney Lumet en 1959 (adapté d’une pièce de
Williams), où il est chanté par Marlon Brando. Pour cette version,
Knopflerimproviseseulpendantplusd’uneminuteavantqueScottWalker
nesefasseentendre.
Alchemy:DireStraitsLive
Enregistréenconcertle23juillet1983àl’HammersmithOdeondeLondres
Sortile16mars1984
I
ssu de l’ultime concert du Love Over Gold Tour, le premier live de Dire
Straitsestpourmoitiécomposédemorceauxdehuitàdixminutes,gorgés
desolideguitare.En1984,laguitarerockestloind’avoirétéenterréesousles
synthétiseursetlegeldegarçonscoiffeur.Saufqu’elles’épanouitdansuntout
autregenrequeceluidugroupedeMarkKnopfleretJohnIllsley.C’esteneffet
lagrandeépoquedelaNewwaveofbritishheavymetal–termeinventépardeux
journalistes du magazine Sounds –, Iron Maiden, Judas Priest, Saxon, Def
Leppardfontdesravages,bienquelargementignorésetméprisésparlapresse
musicale généraliste. De l’autre côté de l’Atlantique, dans la foulée de Van
Halen, une foule de surdoués techniciens commence à sortir du bois, les
shredders – Joe Satriani, Steve Vai, Paul Gilbert, Vinnie Moore, le Suédois
débarquéàLosAngelesYngwieMalmsteen…SiMarkKnopflerdétonne,c’est
qu’il relève d’une tradition musicale en piètre forme. Celle des Eric Clapton,
RoryGallagheretautreJohnnyWinter,s’abîmantàcetteépoquedansunblues
rockpoussifetéculé.
Certes, le guitariste de Dire Straits s’illustre par un jeu et un son qu’il est
difficile encore aujourd’hui de confondre avec d’autres, mais il n’est pas à
proprementparleruninnovateurouunexplorateur.Iln’yapaseuunavantet
un après Mark Knopfler comme il y a eu des avant-après Jimi Hendrix, Eric
Clapton ou Eddie Van Halen. À peine peut-on le qualifier de guitar hero, la
notionneselimitantpasauxexploitsinstrumentauxmaisenglobantuneaura
de mystère, une odeur de soufre, toute une geste largement extra-musicale
dont l’archétype s’incarne en un Jimmy Page. Or Dire Straits est plutôt
l’archétype du groupe sans histoire – comme le disait déjà Pick Withers en
1979 à la télévision norvégienne. Hal Lindes confirme : « Le seul genre
d’anecdoted’après-concertquej’aivécu,c’estunfanvenantmetrouveraubar
del’hôtelpourmedemanderqueltirantdecordesj’utilisais»(VintageGuitar,
2006).Pasdeséancesdesorcelleriedanslespalaces,pasdetéléviseursjetésdu
hautdesbalconsdes chambresd’hôtel,pasde sex tentssouslascène,pas de
lignesdepoudreblanchesurlesamplispendantlesconcerts,pasdeguitareen
feu–pasmêmeunepastèquesurl’épauleenfindeprestationcommeAlvinLee
àWoodstock.
Néanmoins, et c’est tout l’intérêt du disque, il émane d’Alchemy un
enthousiasme,uneénergieetuneurgenced’autantplusremarquablespourune
findetournée.Sanscompterqueledisquen’abénéficiéd’aucun overdub.Tout
cequel’onentendabeletbienétéjouésurscènecesoir-là,aveclesdéfauts,
les erreurs (sur « Going Home ») et le souffle court de Mark Knopfler (sur
«TelegraphRoad»parexemple).Quelquestitressontpassésàlatrappefaute
de place sur le vinyle originel : « Industrial Disease », dont on entend les
derniers soubresauts de pédale wah-wah juste avant « Expresso Love »,
«PortobelloBelle»,quisortirasurlacompilation MoneyForNothingde1988,
et«LoveOverGold»quiservirapourun45-toursavantd’êtreintégréesurla
versionCDd’Alchemy.
L’album (et le concert) s’ouvre sur le solennel « Stargazer », une plage
instrumentale composée par Knopfler pour le film Local Hero. Puis, dès le
premiermorceau,«OnceUponATimeInTheWest»,toutestlà,tensionet
sonmordantàlaSchecterStratocasterrougeenlieuetplaceduswingunpeu
lâchedeCommuniqué.Etdessolosàl’inspirationsanscesserenouvelée.
Plus surprenant, ce dynamisme marque tout autant les morceaux complexes
issusd’unpatienttravaildestudio,«TunnelOfLove»et«TelegraphRoad».
Bienquelegroupeenobservescrupuleusementlesstructuresrespectives,illes
interprèteavecunesorted’empressement,commeemportéparsonélan,leur
insufflant une vitalité nouvelle. « Romeo And Juliet » profite grandement des
interventionsàlaGibsonChetAtkins.Sur MakingMovies,MarkKnopfleravait
conçuune outroméditativeàlaguitareélectrique.Sur Alchemy,ilabandonnesa
National Style O après le dernier refrain pour faire entendre des phrasés
nerveux sur les cordes en nylon de sa guitare classique électrique. Quant à
« Solid Rock », elle devient un véritable capharnaüm où se mêlent guitares,
pianoetsaxophone.
CommelesuggéraitTommyMandelplushaut,DireStraitsn’estpasungroupe
d’improvisationcommepeutl’êtrel’AllmanBrothersBand.Àpartquelquessoli
étendus de Mark Knopfler, un autre de Hal Lindes ajouté sur « Two Young
Lovers»(etunecourteinterventiondecedernieràlaTelecastersur«Sultans
Of Swing »), les véritables variations concernent ces fameuses séquences
additionnellesapparueslorsdesconcertsde1980-1981.Laréorchestrationaux
claviersde«WhereDoYouThinkYou’reGoing?»devientuneintroductionà
« Romeo And Juliet », un instrumental de quatre minutes dominé par le
saxophone précède « Tunnel Of Love » et les sautes de rythme aux
synthétiseurs sont devenues parties intégrantes de « Once Upon A Time In
TheWest»et«SultansOfSwing».
InterrogésurlesujetparGuitarPlayer,MarkKnopflerexpliquaitquetoutesces
idées lui venaient simplement du fait de gratter sa guitare en permanence, y
comprisdevantlatéléouensomnolant:«Jepeuxjouertoutseulpendantdes
jours,j’adoreça.Parfoisjememetsaupiano,jefrappelestouchesauhasard,
deschosesprennentformemaisjenesuispaspianiste.Entantqueguitariste,
jenesuismêmepasunvéritablemusicien,jemeconsidèreplutôtcommeun
étudiantquinesuivraitaucuncours.»(GP84)
Toutn’estcependantpasdumeilleurgoûtdansAlchemy.Lessonoritéscriardes
oulessonsdecordesbasdegammesurlesquelssontleplussouventréglésles
synthétiseurspassentdifficilement.«SultansOfSwing»,enparticulier,aperdu
la finesse et l’élégance des premiers temps pour devenir une grosse chose
indigesteettonitruante.Enconcert,labatteriedeTerryWilliamsfaçonnéepar
des années de rock rentre-dedans avec Man et Dave Edmunds s’avère très
envahissanteetbien moinssubtile quecelle dePick Withers.Lesrelances ne
sontpastoujoursàproposetlesonamalvieilli.
Alchemy,lavidéo
L’albumsortenmêmetempsqu’unevidéoduconcert.Peu dedifférences
entrelesdeux,sicen’estlelaïusduchanteuràproposdelaSpanishCity
avant«TunnelOfLove»ouunepetiteprésentationde«GoingHome»,
coupés sur le disque. Visuellement très pauvre, bénéficiant d’éclairages
ternes,lefilmseconcentresurcequialieusurscène,peusurlepublic–
nousépargnantcesplansdegruemégalomaniaquessurlafouletantprisés
desconcertsfilmés.
Même si Mark Knopfler multiplie les indications de chef d’orchestre, le
groupe est plutôt statique hormis Hal Lindes qui ne tient pas en place,
sautant et gesticulant guitare en main comme s’il craignait qu’on ne le
remarque pas. Pour le reste, avec les bottines et le veston rouge vif de
Knopfler, le blouson blanc sans manche et les baskets de Lindes, le
pantalonjaunedeMelCollinsetlesbraceletsenépongedetennismend’un
peu tout le monde, le film contribue à figer Dire Straits dans une
iconographie encore une fois très années quatre-vingt, pas très loin des
vidéosd’aérobicdeJaneFonda.
Legroupeestencoreentraind’interpréterl’instrumentalquiclôtlasoirée
quand les lumières de l’Hammersmith Odeon se rallument. Les roadies
jaillissent sur scène pour commencer de démonter le matériel, slalomant
entre John Illsley et sa basse Wal noire,Mel Collins enplein solo,Mark
KnopflerhilareetHalLindesfaisantdegrandssignesd’adieux.Ilesttemps
de rentrer à la maison. Justement, c’est le titre du morceau, « Going
Home».Ilnefigurepassurunalbumdugroupe.C’estunautreextrait,le
plus connu, de la bande originale de Local Hero. Au moment où paraît
Alchemy,leleaderdeDireStraitsenadéjàenregistréunedeuxièmeetune
troisièmevasuivre.Maislesidéespourleprochainalbumstudionevont
pas tarder à poindre. Il y aura peut-être une ou deux chansons sur la
guerre, des tentatives de jazz et sans aucun doute un texte très rigolo
inspiré d’une diatribe visant les groupes de rock entendue au rayon
télévisiond’unmagasind’électroménager.
LESDISQUESDE1984
VanHalen,1984(janvier)
BonJovi,BonJovi(janvier)
TheSmiths,TheSmiths(février)
YngwieMalmsteen,RisingForce(mars)
Scorpions,LoveAtFirstSting(mars)
INXS,TheSwing(avril)
Prince,PurpleRain(juin)
HüskerDü,ZenArcade(juillet)
Madonna,LikeAVirgin(novembre)
PatBenatar,Tropico(novembre)
7.BIENVENUEDANSLA
MACHINE
Miami,octobre1985.UneFerrari365GTS/4noirefiledanslanuitsur
lesautoroutesurbainesdésertes.Bretelledesortie,avenuesvides.Néonset
lampadaires giclent sur la carrosserie impeccable, les jantes chromées
étincellentsousleslumièresdelaville.Lebolidefoncedansdesquartiers
oubliés. À l’intérieur, deux inspecteurs de police. Ils viennent de recevoir
unappel,uncaïdrecherchéaétéretrouvé.Leurcourses’arrêtedevantun
bâtimentdélabré.Ilsdescendentdevoiture,sortentleursarmesetavancent
prudemmentdanslesgravats.Unescalier.Enhautpasseunesilhouette.Un
signe de la main, invitation à monter les marches. La silhouette est celle
d’unpolicierretraité.C’estluiquiatéléphoné.Danslapénombre,lesdeux
autres grimpent, méfiants. Ils le connaissent, ce flic retraité. Un type pas
net, impliqué dans des trucs louches. Il y a quoi là-haut ? Il y a qui
d’autre?Iln’yapersonned’autre.Enfin,si.Enchemisehawaïenneouverte
surunmaillotdecorps,leretraitélancesoudain«Say“Hello”toMister
Arcaro!»avantdesemettreàdéfoncerunmuràcoupdemasse,devant
lesyeuxahurisdesdeuxflicsauxalluresdeyuppies.L’autresecalme.Ils
fontunpasenavant,armesauxpoings.Là,derrièreleplâtredéchiré,peau
desséchéeetboucheouvertefigée,lecadavrede«MisterArcaro».
C’estlascènefinaledutroisièmeépisodedeladeuxièmesaisondelasérie
Deux flics à Miami, « Le retraité ». Le titre original est plus évocateur :
« Out Where The Buses Don’t Run » – « Là où les bus ne s’aventurent
pas».Ettoutdulong,pendantplusdesixminutes,ilyaeu«BrothersIn
Arms » de Dire Straits en intégralité. Avec la voix susurrante de Mark
Knopflerduplusbeleffetdanslanuitchaude.
L’album Brothers In Arms est sorti six mois avant la diffusion de cet
épisode,en mai1985. Voilàoù en estdésormais DireStraits. Iln’est pas
seulement le groupe triomphantdes années quatre-vingt. Il est les années
quatre-vingt. Il est le son des années quatre-vingt. C’est dans la série
téléviséeemblématiquedecettedécennie,frimeuseetclinquante,glacéeet
un brin dépressive, qu’une de leurs chansons passe en entier. Du rock
brillant comme la carrosserie d’un coupé sport briqué à la peau de
chamois. Du rock en costume pastel sous les palmiers. Idéal pour
l’ambiance.Idéalpourmeubler.
Au même moment, pourtant, l’Angleterre bout du côté de Manchester,
avec des formations qui incarneront l’époque. New Order, The Smiths,
James, Happy Mondays, les Stone Roses. Et la Haçienda a ouvert ses
portes en 1982. Mais Dire Straits, c’est autre chose. En 2007, les
Américains The Killers, issus de Las Vegas, reprenaient « Romeo And
Juliet».BrandonFlowers, lechanteur:«C’estincroyabledesedirequ’ils
sont Anglais. Pour moi, leurs chansons sonnent toutes comme venues du
désertaustralien!Onn’imagineabsolumentpaslesgrosnuagesd’unciel
d’Angleterredansleurmusique.Ilsontréussiàtranscendertoutça.»Et,
accessoirement, à vendre trente millions d’exemplaires de Brothers In
Arms.
AztecCamera,Knife
Enregistréenmai1984auxAIRStudiosdeLondres
Sortienseptembre1984
En mai 1984, Mark Knopfler rendosse le rôle de producteur pour Aztec
Camera. Cette formation new wave est en réalité l’affaire d’un seul
homme, son guitariste, chanteur et auteur-compositeur Roddy Frame.
Celui-cipartaged’autrespointscommunsavecleleaderdeDireStraits:il
est né à Glasgow et il est très influencé par la musique américaine, en
particulier la soul et le rock californien, même s’il a été marqué par
l’explosionpunk.
Fortd’un succès commercial etcritique avec High Land,Hard Rain, son
premier album paru chez RoughTrade en 1983, Aztec Camera réalise le
deuxième, Knife, pourWEA (groupeWarner Music)à Londres,aux AIR
Studios de George Martin. L’année précédente, Roddy Frame avait
énormément écouté Infidels de Bob Dylan. « J’ai vu que Mark Knopfler
l’avaitproduit 13etjemesuisdit“Ilfautquejemerenseignesurlui”.Et
j’aicommencéàécriredeschansonssurlesquellesj’estimaisqu’ilpourrait
travailler » (PopMatters, 2014). Frame a un autre objectif : « J’avais
vraimentenviedesortirdelacase“groupeindé”,voussavez,cetrucàla
NME pour qui seules quelques formations qui sonnent toutes pareil
méritentqu’onparled’elles[…].J’étaisjeune,l’espritun peurebelleetje
nesupportaispasl’idéed’êtreungenredechouchoud’ungarsduNME.»
De ce point de vue, Mark Knopfler soumet la musique de l’Écossais au
traitement qu’il a imposé à Dire Straits après les deux premiers albums :
élargir les possibilités et varier les climats à coup de claviers. Sur High
Land,HardRain,eneffet,laplupartdeschansonssontemmenéespardes
guitares sèches funky très présentes. Pour Knife, le producteur fait
participer Guy Fletcher et le saxophoniste Chris White aux séances,
emprunte quelques guitares acoustiques Martin à son nouvel ami Eric
Clapton(ilétaitvenuvoirlegroupeencoulissesurlatournéeLoveOver
Gold) et prête sa Schecter Telecaster rouge, une acquisition récente. Les
séances sont orageuses, Frame et Knopfler ayant chacun des idées bien
arrêtées dont ils peinent à démordre. Le chanteur d’Aztec Camera se
souvientnéanmoinsavoirénormémentappris:«C’estpeut-êtrebizarrede
direcela,maisilaétélepremiermusiciendontj’aicroisélaroutequiavait
véritablement compris que toute la question était de choisir la bonne
guitare pour le bon ampli et de trouver le bon micro. Rien à foutre de
bidouiller les équaliseurs, simplement enregistrer les choses comme elles
devaientl’être.Toutl’inversedel’attitude“Oncorrigeraçaplustard”!»
(TheQuietus.com,2014)
Àl’arrivée, Knifeconservel’énergiedesonprédécesseuretsesrythmiques
de guitare enlevées, mais Knopfler a parfois eu la main lourde sur les
arrangements.Onn’évitepasnonplusunecertainepompe(«BackdoorTo
Heaven»)etlachanson-titre,laborieuse,s’étiresurneufminutes.L’album
choqueralesfansdelapremièreheuremais,danslegenre,iltientplutôtla
route.
Sessionman(5)
Après « Badges, Posters, Stickers& T-shirts» l’année d’avant, une autre
chute des sessions pour Love Over Gold ressort des archives en 1984 :
«PrivateDancer».Cetexteécritdupointdevued’une«danseuseprivée,
unedanseusepourl’argentquifaittoutcequevousvoulezqu’[elle]fasse»
–sansqu’ilnesoitjamaisditsi elleestuneprostituéeounon–avaitété
mise de côté car Mark Knopfler, en tant qu’homme, ne se voyait pas la
chanter.IllaproposeàTinaTurnerquil’enregistreaccompagnéedetout
DireStraitssauflui-même, occupéailleurs.MelCollins estausaxophone
etJeffBeckàlaguitare.Lachansondonnerasontitreàl’album,quisort
en mai 1984. Outre son rôle aux claviers, Alan Clark a assuré celui de
directeurmusicalpourcettesession,sibienquelachanteuseluidemande
d’endossercerôlesurscène,pourdesdatesaméricainesenpremièrepartie
deLionelRitchieenmai-juin.
Conçu comme une machine à conquérir les radios avec ses huit
producteurs et ses sept singles pour dix titres, porté par le succès de
«What’sLoveGotToDoWithIt»,«BetterBeGoodToMe»etdans
une moindremesure « Private Dancer», l’album consacreraTina Turner
en superstar. Il s’en vendra vingt millions d’exemplaires. Dire Straits est
décidémenttoujoursdanslesbonscoups…
Quelquesmoisplustard,enaoût,TerryWilliamsjouedelabatteriesurle
premieralbumdesEverlyBrothersreformés, EB84.Lesséancesontlieuà
Londres, aux studios Maison Rouge appartenant à Jethro Tull, et le
producteurestsonvieuxcamaradedeRockpileDaveEdmunds.Cedernier
afaitappelàquelquesauteursderenom:PaulMcCartney,JeffLynneet
Mark Knopfler, qui fournit la délicate berceuse « Why Worry ». Elle ne
sera pas retenue pour ce disque mais pour le suivant, Born Yesterday,
également produit par Edmunds aux Maison Rouge Studios et publié en
1986.Àcemoment-là,laversiondelachansonparDireStraitsseradéjà
parue sur Brothers In Arms. Le batteur rejoint ensuite un autre ex--
Rockpile, le guitariste Billy Bremner. Ce dernier enregistre en 1984 son
premieralbumsolo,Bash!etWilliamsestprésentsurtroismorceaux.
SiMarkKnopflern’étaitpasavecsongroupechezTinaTurner,c’esttout
simplement qu’il était lui-même pris par une séance pour Bryan Ferry.
Celui-cis’éternisedepuis1983surlaréalisationde BoysAndGirls(sortie
en juin 1985), qui voit défiler du beau monde : Nile Rodgers, David
Gilmour, David Sanborn, Tony Levin (Peter Gabriel), Omar Hakim
(Weather Report), Marcus Miller, Guy Fletcher (membre de Roxy Music
peudetempsauparavant).Knopflerintervientsurlereggae«Valentine»
avecuneguitaretrèsproéminente,ausonplusgrasqu’àl’accoutumée.
Pour toutes ses collaborations extérieures, le guitariste ne reçoit
généralement aucune instruction précise de la part des artistes qui font
appelàlui.Iln’estmêmejamaisquestiondesonnercommeduDireStraits.
Knopfler,desoncôté,nepréparepasgrand-chose.Sonmodusoperandiest
des plus rudimentaires : il improvise sur le moment ses parties, en
enregistretroisversionsqu’ilcombineensuitepourobtenirlerésultatfinal.
Seule exigence : connaître les textes ou au moins savoir de quoi parle la
chanson. « Bryan Ferry travaillecomplètement à l’inverse de moi. Il crée
d’abord toutes ces superbes sonorités, ces grooves très simples et c’est ce
quifait naîtrelesparoles. Ellesarriventà lafin, cequi esttrèsbien mais
parfois, je demandais à Bryan “Bon, alors, de quoi ça parle ? D’une
libellule?Ahd’accord.”Celapeutquandmêmeposerproblème…»
Interrogé par Rolling Stone en 1985 sur un agenda susceptible de trahir
une certaine addiction au travail, Mark Knopfler dédramatise : « À la
maison, je me fais traiter de fainéant. Il m’arrive de traîner sur le lit à
regarderlesportàlatélémaisquandLourdes[sonépouseàl’époque]veut
faireleménage,jefinisparmefaireéjecterdelamaison.Ilfautbienqueje
trouvequelquechoseàfaire,non?Alorspourquoinepasallerenregistrer
unepetitesession?»
Desampoulesauxdoigts
Leguitaristes’estmariéennovembre1983avecuneemployéedelaPower
Station, Lourdes Salomone, fille du vice-président des hôtels Hilton
AlphonseW.Salomone.En2008,sonfrèreRobertraconteraauNewYork
Times que pour leur premier séjour aux États-Unis en 1964, les Beatles
devaientloger àl’hôtel Plazaque dirigeaitson père.Or ce dernier,affolé
par les images d’actualité délirante de la beatlemania, était sur le point
d’annuler la réservation craignant que la situation n’échappe à tout
contrôle.«Ma sœurestintervenue, aexposéses argumentscommeseule
une pré-ado pouvait en être capable et mon père céda, et maintint la
réservation ». Le couple vit entre Londres et New York. Un jour qu’ils
arpentent un magasin d’électroménager dans l’Upper East Side à
Manhattan,MarkKnopflerentend unemployélivrerses richespenséesà
lacantonade.L’homme,unmastardrougeaudàcasquettepastrèsfinaud,
setientdevantlemurdetéléviseursd’expositionaufonddumagasin.Tous
lesécranssontalluméssurMTVqui,àcemoment-là,diffuseunvidéoclip
del’unedecesformationsglammetalduSunsetStrip(NikkiSixx,bassiste
deMötleyCrüe,estpersuadéqu’ils’agissaitd’unclipdesongroupe).Etle
typedecommenter touthaut: «Non maisregardez-moices guignols,ils
onttrouvélacombine,ilsjouentdelaguitaresurMTVetilssontlesrois
dupétrole!(«Lookatthemyo-yo’s,that’sthewayyoudoit,youplaythe
guitarontheMTV »).J’appellepasçabosser moi,maisilseramasse du
fricàlapelleàrienglanderetdesgonzessesenveux-tu-en-voilà.»(«That
ain’t working, money for nothing and chicks for free »). Atterré mais
incapablederésisteràcettetranchede réel,MarkKnopflerfileàl’entrée
du magasin demander un stylo, un bout de papier, s’installe dans une
cuisine de démonstration en vitrine et retranscrit tout ce qu’il peut, mot
pour mot. « Je vais vous dire, ils sont pas cons les mecs, au pire, ils se
choperontpeut-êtreuneampouleaupetitdoigtouaupouce!»(«Maybe
get a blister on your little finger, maybe get a blister on your thumb »)
Forcément,çadégénère:«Visez-moicettetanteavecsesbouclesd’oreille
etsonmaquillage,lavache,c’estàluitouscescheveux?N’empêchequ’ila
sonproprejetprivéetqu’ilsefaitdesmillions,c’tetarlouze.»(«Thelittle
faggot got his own jet airplane, the little faggot he’s a millionaire »).
« Quand je pense que nous, on doit se farcir des installations de fours à
micro-onde, des livraisons de cuisine sur-mesure et transbahuter ces
conneriesdefrigosetdetéloches…»(«Wegottainstallmicrowaveovens,
custom kitchen deliveries. We gotta move these refrigerators, we gotta
movethesecolorTVs.»)
L’histoire ne dit pas si, ce jour-là, Mark Knopfler a commandé un lave-
vaisselleouachetéunetélévision.Cequiestcertain,c’estqu’ilestreparti
avecunechanson.
AIRMontserrat
Fidèleàsonhabitude,leleaderdeDireStraitsn’aenregistréaucunedémo
pourleprochainalbum.Ilatoutentête,lesmélodies,lesarrangementset
le groupe a répété sur ces bases le nouveau répertoire pendant un mois
avantd’entrerenstudiodébutnovembre1984,danslasuccursaledesAIR
Studiossur l’île de Montserratdans les Caraïbes(le site a été abandonné
suiteaupassagedel’ouraganHugoenseptembre1989mêmes’iln’apas
étédétruitparlatempête).Àcestade,unspécialistedessynthétiseursetdu
SynclaviernomméGuyFletcher,quivientdetravailleravecMarkKnopfler
sur la musique du film Cal, a intégré le groupe. Né fin mai 1960, Guy
Fletcher est fasciné par les prouesses des Beatles en studio. Steely Dan,
Stevie Wonder, Keith Emerson, Weather Report et le clavier de Deep
Purple,JonLordl’influencentfortement.Convaincudesonavenirdansla
musique,ilquittel’écoleàquinzeanspourtrouverdutravailàLondres.Il
se retrouve d’abord garçon de courses chez un éditeur musical avant
d’entrer aux DJM Studios où il commence à participer à des
enregistrementscommetechnicienetingénieurduson,sespécialisantdans
lamanipulationdebandes.Puislascèneletravaille.Ilseproduitavecson
propregroupe,Atlantis,avant,àvingtetunans,derejoindreRoxyMusic.
«J’airencontréMarkKnopflerpourlapremièrefoisen1983,quandjeme
suisprésentéchezluiavecun[synthétiseurnumériqueYamaha]DX7sous
lebrasȎcrit-ilsursonsiteweb.
Enrevanche,àpeinearrivé,HalLindesestinvitéàpartir.Unefoisdeplus,
personne ne s’étendra sur le sujet. Même dans ses interviews des années
deux mille dix, le guitariste élude, expliquant être allé aussi loin que
possible avec le groupe et qu’il était temps pour lui de faire autre chose,
notammentdesmusiquesdefilms.L’autobiographiedeJohnIllsleyparue
en2021livreuneautreversion.
Hal Lindes s’est installé à Montserrat avec femme et enfant, dans une
maisonàl’écart,créantungenrede«zoned’exclusivité»,écritlebassiste.
LapetitefamilleinviteparfoisàdînerMarkKnopfleretJohnIllsley,mais
seulement eux, pas les autres musiciens, encore moins des membres de
l’équipe de production. Pour cette raison, les deux privilégiés refusent
systématiquement. Knopfler voyant venir scissions et frictions alors qu’il
veutungroupesoudé,HalLindesestprisentrequatreyeux:«Laviedu
groupenepeutpasêtrecontrôléeetdirigéeparlapetiteamiedequiquece
soit d’entre nous, raconte Illsley. Hal a donc été confronté à cet horrible
choix:legroupeousacopine.Ilachoisisacopine.»DireStraitsdevient
donc un quintet à une seule guitare et deux claviers, ce qui donne une
bonneindicationdesorientationsmusicales:encoreplusdetravailsurles
orchestrations,lestextures,lesclimats.
Knopflerest ànouveau producteuret plus quejamais ilest seulmaître à
bord. Encore moins intéressé que pour l’album précédent par la formule
rock standard, il se focalise sur le son d’ensemble. Coproducteur et
ingénieur du son, Neil Dorfsman racontera qu’il devra même pousser le
guitaristeréticentàgraverdessoli.«[PourLoveOverGold]Markenétait
à entraîner son groupe avec lui sur de nouveaux territoires alors que
BrothersInArms,c’étaitl’albumoùilrecrutaitsimplementdesmusiciens
parce que ses visions portaient désormais beaucoup plus loin […]. La
dynamiquedu groupeétait complètementdifférente. Ilétait bienplus sûr
de son coup pour Brothers In Arms que pour Love Over Gold. »
(MixOnline,1999)14
De toute façon, l’intéressé a parfaitement conscience qu’il peut tout se
permettre.Illereconnaissaitauprèsd’AntoinedeCaunesdès1982:«Sije
veuxfairen’importequoi,commeenregistrercesbouteillesavecdesvoixet
peut-être un mixeur fou, je pourrais le faire et je ne pense pas que la
maisondedisquess’enmêlerait.Jedirais:“Voilàcequejeveuxproduire”
alorsquejesaistrèsbienqu’àd’autres,ellerépondrait:“Non,vousallez
plutôt faire ça”. Je n’ai jamais eu à subir ce genre de contrainte. J’ai pu
m’épanouir librement, sans interférences et c’est l’un des avantages du
succès.»
Le producteur George Martin a ouvert AIR Montserrat en juillet 1979.
Dans les interviews, Neil Dorfsman ne tarit pas d’éloge sur la console
vingt-quatre pistes Neve A4792 fabriqué sur mesure (AIR s’en fera faire
deux autres, identiques, pour ses sites londoniens). « Le studio était de
qualitémaisiln’yavaitpasdequois’excitersurlasalled’enregistrement
proprementdite.Lesondustudio,c’étaitsaconsole.»Etpourcause:la
sallen’estpastrèsgrande,s’avèrebassedeplafondetiln’estpaspossible
d’isoler les instruments les uns des autres. Dorfsman compartimente
l’espace comme il peut avec des cloisons amovibles, des baffles et des
couvertures. Le piano est coincé dans un coin au fond de la salle, la
batterie dans un autre, l’ampli de basse est enregistré dans une petite
cabinevoix,la cabineLesliede l’orgueHammondd’AlanClark estcasée
dansunsasàcôtédelasalledecontrôle,laquellehébergelessynthétiseurs
de Guy Fletcher. Les micros doivent être placés au plus près des
instruments,impossiblede les écarterpour enregistreren modeambiance
commel’ingénieurdusonenal’habitudeàlaPowerStation.
À l’instigation de Mark Knopfler, l’album est entièrement réalisé sur une
machineSonynumériquevingt-quatrepistes,unbienmeilleurmatérielque
celui, si problématique, utilisé pour Infidels. Cette volonté de passer au
numérique remonte aux sessions de Love Over Gold quand, après avoir
enfin trouvé le son exact de piano qu’ils souhaitaient pour « Private
Investigations », Knopfler et Dorfsman n’ont cessé d’être déçus par la
déperditionàchaquenouvelleécoutedesbandesanalogiques,notamment
dansleshautesfréquences.
Faute de démos, toutes les chansons sont jouées live dans le studio pour
fournirlesbasessurlesquellesposerensuiteles overdubs.Certainsseront
réalisésàNewYork,àlaPowerStation.
Durockenshort
BrothersInArmsn’apasétéfacileàréaliser.Montserratal’inconvénient
d’êtreunpetitparadis.La mer,laplage,le soleil…«Jeme souviensêtre
sortiunjourdelacabinedecontrôlepourrameuterlegroupeetjelesai
trouvésentraindetraînerauborddelapiscinecommedegrossesbaleines
échouéessuruneplage…Quandjelesaieustousdanslestudio,ilssesont
misàtravailleravecleursserviettesdebainenrouléesautourdelatailleet
surlatête,enlunettesdesoleiletdelacrèmesolairesurlenez,ettoutce
qu’ilsjouaientnedépassaitpaslessoixantepulsationsàlaminute.C’était
d’un mou ! Il a falluque je les réveille : “Hé les gars, onfait un disque,
là!”Ilfaisaittellementbonvivrelà-basqu’ilétaitdifficiledeseconcentrer
à moins d’être incroyablement discipliné. » L’histoire de Communiqué se
répète…
Les séances se traînent, l’énergie se dilue dans l’eau de la piscine et les
chansons ne parviennent pas à sonner mieux que des démos. Courant
décembre,MarkKnopflerfaitvenirunemployédeRudyMusic’sStop,un
magasin de guitares et atelier de lutherie de la quarante-huitième rue à
New York avec qui il travaille beaucoup depuis Making Movies. Le
nouveauvenus’appelleJackSonni.Guitariste,ilatentépendantdixansde
faire carrière dans la musique, en vain, et au moment où Knopfler
l’appelle, il s’apprête à tout laisser tomber pour reprendre des études de
littérature.Surplace,Sonniestsurprisparl’étatd’avancementdestravaux,
commeilleracontesursonsiteWeb:«Beaucoupdechansonsn’avaient
pasvraimentprisforme,cequiestsurprenantquandonsaitqu’ilyavait
unmoisderépétitionetdeuxmoisdestudioaumomentoùj’aidébarqué.
Tout était un peu confus. Sans l’ombre d’un doute, Neil [Dorfsman] a
sauvéledisquemaisilycroyaittellementpeuqu’ilapréférésefairepayer
auforfaitplutôtqu’aupourcentage.»
S’y ajoutent des soucis techniques, comme le Synclavier qui tombe en
panne tous les jours à seize heures (!) ou des bandes défectueuses qui
causentlapertedetroispistes,rallongeantleplanningd’unesemaine(les
données numériques sont à l’époque stockées sur bande magnétique, les
DAT,nonsurdisquedur).
Il y a un autre problème, et pas des moindres. L’ingénieur du son et
producteurl’aviteidentifiémaisabataillépourenconvaincreKnopfler:
Terry Williams ne s’en sort pas. Le batteur de Dire Straits n’est tout
simplement pas à l’aise avec ces chansons en demi-teinte, ces structures
empruntantaujazzfusionouaureggaecomme«YourLatestTrick»ou
« Ride Across The River ». Le musicien en a d’ailleurs parfaitement
conscience. Mais tout n’est pas dû à l’ambiance de farniente ou au
répertoire,commeildétailleradansunpodcasten2013.Dèsledébutdes
séances, Mark Knopfler passe un temps fou à expérimenter avec les
machinesnumériques,condamnantlesautresànepasfairegrand-chose,et
s’estentichédutravailàlaclicktrackenvued’obtenirunesynchronisation
parfaitedesinstruments.EtTerryWilliamsdétesteça.Aupointde n’être
pascontentdecequ’ilcouchesurbande.«Jesonnaiscommeunsinge,ce
n’étaitpasmoi,pasmonstyle.»Ilfinitpars’enouvriràKnopfler,même
s’ilnevoit aucuninconvénientà ceque sespartiessoient conservéessile
leader de Dire Straits n’y trouve rien à redire. Difficile de savoir si ce
dernierasurinterprétélesinsatisfactionsdesonbatteurous’ilasautésur
l’occasion pour se débarrasser d’un poids mort, mais quelques jours plus
tard,leroadmanagerPaulCumminssignifieàTerryWilliamsqu’ilafait
son temps à Montserrat et peut rentrer chez lui pour les fêtes de Noël !
«Markestmalheureuxdesavoirquetuesmalheureux»seral’explication
donnée.
Pour le remplacer, on fait venir de New York Omar Hakim, batteur de
WeatherReport,présentaussisurLet’sDancedeDavidBowie,desalbums
de David Sanborn ou Roy Ayers. « Un musicien de séances brillant, de
première classe, capable de jouer avec une click track » commente Terry
Williams. Coïncidence, les deux hommes se croisent sur le tarmac de
l’aérodrome,l’unenpartancepourl’Europe,l’autres’apprêtantàprendre
la route du studio avec ses baguettes et unecaisse claire. « Éclate-toi! »
lancesansrancunelepremierausecond.
La participation d’Omar Hakim est une révélation. Neil Dorfsman : « Il
s’est assis derrière les fûts, on lui a envoyé “So Far Away” et il a été
époustouflant. Ce n’est pas qu’il était particulièrement inventif, mais
l’atmosphère,leson,l’énergieétaientparfaits.Etcelaacontinuéainsitout
dulong.Onadûfairetroisprisesdelachanson,autantpourchacunedes
autres et on n’a rien retouché. Omar écoutait d’abord les morceaux, sur
lesquelsilyavaitdéjàdelabatterie,histoiredesavoircequ’ilavaitàfaire,
etils’ymettait.»Aufinal,letravaildeTerryWilliamsesteffacé,remplacé
parceluid’OmarHakimendeuxjours etdemisurpresquetoutl’album.
Lequel,d’uncoup,sortdesmarécagesoùils’enlisait.
Début février, Dire Straits quitte Montserrat pour New York pour un
marathon d’overdubs dans le studio B de la Power Station. Une foule
inéditedemusiciensadditionnelsdéfile,laplupartvenantdujazzetdela
fusion : à nouveau le vibraphoniste Mike Mainieri, les frères Michael et
Randy Brecker au saxophoneet à la trompette, le percussionnisteJimmy
Maelen,l’anciensaxophonistedel’AverageWhiteBand,MollyDuncan,le
trompettiste des TKO, Horns David Plews. S’ajoutent à la liste deux
grands techniciens de la basse, qui ont participé à la bande originale de
LocalHero,NeilJasonetTonyLevin.
Le premier est déjà sur place, à la Power Station, au moment où Dire
Straits s’installe. Il jongle entre des sessions pour Cindy Lauper dans le
studio A et pour Billy Joel dans le studio C quand Mark Knopfler le
sollicite.Unpeuembarrasséàl’idéederemplacerJohnIllsley,ilcomprend
lasituationendécouvrantsoncollègueanglaisaveclesdeuxbrasdansle
plâtre!IlachutéenfaisantdujoggingautourduréservoirdeCentralPark
lelendemaindesonarrivéeàNewYork.
NeilJasonenregistresespartiesenbranchantsesinstrumentsdirectement
danslaconsole,MarkKnopflerassisàcôtédelui,parfoisenprésencede
John Illsley. Mais son rôle ne se résume pas à celui de simple suppléant,
commeils’enrappellepour BassMagazine enjuillet2022.Pourplusieurs
titres, il refait des lignes préalablement jouées par Illsley ou Knopfler.
« Mark m’apprenait la chanson, pour laquelle je griffonnais rapidement
une partition, ou alors il me faisait une démonstration à la basse de
l’ambiance qu’il souhaitait. À d’autresmoments, il ajoutait une partie de
guitare.C’étaitfascinantdelevoirjouerd’aussiprès.»
Tony Levin, lui, s’est fait un nom en accompagnant Peter Gabriel. Il a
intégré en 1981 une nouvelle mouture de King Crimson, mais après la
dernière tournée, en juillet 1984, Robert Fripp a dissous la formation
minée par les tensions. Levin a alors mis entre parenthèses sa carrière
musicalesibienqu’audébutdesesséancespourDireStraits,JohnIllsleyle
trouve«unpeurouillé».
Neil Dorfsman et Mark Knopfler ont fait installer leur chère console
numérique Sony dans le studio mais l’engin est encore capricieux. Le
saxophonedeMichaelBrecker,parexemple,disparaîtpuisréapparaîtsans
que l’on sache bien pourquoi. Contrairement à une légende tenace,
entretenueparlamention«DDD»audosduCD, BrothersInArmsn’a
pas été réalisé de bout en bout en numérique : toutes les pistes ont été
transférées sur bandes analogiques pour le mixage. Responsable en 2005
duremixageen5.1del’album,l’ingénieurdusonChuckAinlayexplique
dans High Fidelity Review : « Modéliser numériquement, avec précision,
uncompresseurouunéqualiseurauraitexigéunepuissanceinformatique
faramineuse, surtout si on parle de la quantité de canaux d’égalisation
qu’implique le mixage d’un disque, où pratiquement tout doit avoir son
équaliseur, associé à un peu de compression. » En 1985, même les
machineslespluspointuesn’onttoutsimplementpaslescapacitésrequises.
Quoiqu’ilensoit,durantcetteétapedélicate,legroupepresséparletemps
est réuni à la Power Station pour répéter une tournée mondiale qui
démarrefinavril1985.
BrothersInArms
Enregistrédu2novembreau21décembre1984etdu3janvierau6février1985
auxAIRStudiosdeMontserrat,du7févrierau10mars1985àlaPowerStationde
NewYorketdu12au31mars1985auxAIRStudiosdeLondres
Sortile17mai1985
L
etitred’ouverturedeBrothersInArmssuffitàfairecomprendreoùvaDire
Straits. « So Far Away » est un empilement de textures littéralement
fondueslesunesdanslesautres,oùlesclavierssonnentcommedesguitaresou
desbassesetinversement.Labatterieestminimale,lesvariationssontàpeine
perceptibles,JohnIllsleyetGuyFletcherlivrentdesharmoniesvocaleséthérées
etiln’yapasdesolo.Unebonnepartdecesonétrangesortd’uninstrument
appelélaPensa-SuhrRCustom,dunomdesesconcepteurs,leluthierargentin
Rudy Pensa, du Rudy Music’s Stop, et un membre de son atelier, John Suhr
(futur fabricant lui-même). De forme Stratocaster, cette guitare a été
assembléespécialementpourKnopfleràpartird’élémentséparsetestbardée
d’électronique:ellepermetdecontrôleràdistanceleSynclavier.Commeelle
reste munie de micros, elle peut toujours servir comme guitare électrique
conventionnelle mais sur « So Far Away », elle mêle les sons des deux
instruments.Lerésultatestaérien,unbrinoniriqueetunpeufroid.Toutcela
sentbonlamachineetlafascinationtechnologique.
Lecommentairevautpourl’ensembledudisque.Ilyaparexempletrèspeude
guitare sèche (sur « The Man’s Too Strong » et la rythmique de « Walk Of
Life ») et pas de piano, celui du studio n’ayant pas un son satisfaisant. Par
contre, Guy Fletcher a amené avec lui treize claviers, dont l’album exploite
nombre de réglages : clavecin, piano électrique, orgue, cordes, tout y passe.
Mark Knopfler compense avec des guitares très saturées – ses habituels
arpèges claquants de Stratocaster ne se font entendre que sur « Why
Worry»–maiscelanesuffitpas.
À l’instar de Dire Straits, Brothers In Arms est scindée en deux parties,
correspondantauxdeuxfacesduvinyleoriginel.D’unepartlessentiments,le
sarcasme,la rigolade ; d’autrepart quatre chansons gravessur la guerre etla
foliedeshommes.
Dansledoux-amer«SoFarAway»,l’auteurs’adresseàl’êtreaiméabsent.La
solitudeluipèse (« Tiredof beingin loveandbeing allalone»), ilest lassédes
conversationspartéléphoneet l’onimagineque lefait d’êtresoiten tournée
de par le monde soit en studio loin de chez lui y est pour quelque chose.
L’épouse de Mark Knopfler bondira toutefois en entendant son mari chanter
«See,you’vebeeninthesunandI’vebeenintherain»(«Tuétaisausoleilquand
j’étais sous la pluie »), sachant que le guitariste se trouvait aux Caraïbes
pendant qu’elle passait un hiver new-yorkais au milieu des travaux de
rénovationdeleurmaisondeGreenwichVillage.Laviedecouples’accommode
maldelalicenceartistique.
« Money For Nothing » utilise ce texte griffonné quelque temps auparavant
dansunmagasind’électroménagernew-yorkais.Decefait,lachansonn’estni
unbrûlotanti-MTV,niunepublicitédéguiséepourlachaîne,niunecritiquedes
groupes de glam metal, ni une insulte homophobe, toute chose pourlaquelle
elleaétéetestencoreparfoispriseaujourd’hui.Leguitaristesemoqueplutôt
desconsidérationsbassesdeplafondd’unAméricainmoyenquiconsidèreque
jouerdurockn’estpasuntravail,tellementfrustréqu’ilenestréduitàinsulter
latélé. Biensûr, onimaginesans peineque MötleyCrüe, Warrant,Poisonet
autreSharkIslandnesontpaslatassedethédeMarkKnopfler,etpeut-êtrea-
t-il trouvé là une occasion d’ironiser sur ces gens et sur la culture du clip.
D’ailleurs,letitredetravaildelachansonauraitété«MTV».
Lefabuleuxriffd’introductionsurdeuxcordesaététrouvé,commed’autres,
un peu par hasard, sans véritable réflexion préalable. En studio, Knopfler l’a
joué cinq ou six fois et Dorfsman a procédé à un montage des meilleurs
passages.L’objectifétaitdesonnercommeduZZTop,trèsprésentsurMTV
avec les vidéoclips d’Eliminator, ceux avec la Ford coupé rouge des années
trente.D’oùl’emploid’uneGibsonLesPaul.KnopflerrécupèreauprèsdeRudy
Pensaunecopied’unmodèlesunburstde1959fabriquéeen1983etlabranche
à un ampli Laney avec, entre les deux, une pédale wah-wah stabilisée en
position intermédiaire, générant une tonalité nasale. Le reste est un autre
heureuxhasard.Alorsquel’ingénieurdusons’apprêtaitàreplacerdesmicros,
untechnicienluiasoudainconseillédenetoucheràrien.«Unmicropointait
verslesol,unautren’étaitpasexactementenfaceduhaut-parleur[del’ampli],
encoreunautreétaitdirigéjenesaisoù–j’avaisdûtoutlaisserenplanlaveille
enprévoyantdefinirl’installationcejour-là.Quoiqu’ilensoit,quelabonneou
mauvaisepositiondesmicrosysoitpourquelquechoseoupas,lesonquecela
aproduitestexactementceluiquel’onentendsurledisque.Nousn’avonsrien
trafiqué au mixage. » De retour à la Power Station, Neil Dorfsman essaiera
pendant des heures de le recréer, avec les mêmes équipements, réglages et
placements qu’à Montserrat (il avait même dessiné des plans !). Mais il n’est
jamaisparvenuàobtenircettemêmerugosité.
Au départ, « Money For Nothing » commençait directement par cette
introduction de guitare. Puis, Guy Fletcher (selon Neil Dorfsman), Mark
Knopfler (selon John Illsley) ou Alan Clark (selon Alan Clark), a eu l’idée
d’utiliserleslogandelachaîneMTVditpardiversartistesderocktelsPolice
ouChrissieHyndedansdespublicitésde1984:«IwantmyMTV».AucunDire
Straits ne le chantera sur le disque. Il se trouve que Sting est en vacances à
Montserrat(le dernier album de Policey a été enregistré)à ce moment-là. Il
vient dîner un soir avec Dire Straits et c’est ainsi qu’on lui propose
d’interpréterleslogansurlamélodiede«Don’tStandSoCloseToMe»de
Police.D’où le crédit de coauteurde « Money For Nothing» que recevra le
chanteur-bassiste.GuyFletcherouAlan Clark(làaussiles versionsdivergent)
construituncrescendodélirantauxsynthétiseurs,commepour«unescènede
film de science-fiction quand s’apprête à surgir le monstre » dixit Neil
Dorfsman. Cequi nous vaut ces sonorités volontairement criardes à la limite
du supportable, brutalement interrompues par le riff de guitare libérant la
tension. Par-dessus, c’est bien Terry Williams qui se défoule sur la batterie.
C’est la seule de ses interventions qui a été conservée, avec éventuellement
quelques fills ici ou là dans la chanson. Il l’a enregistrée avec ses toms placés
devant la vitre de la cabine de contrôle, encouragéà en faire des tonnes par
MarkKnopflerdel’autrecôté.NeilJasonyajoutedeseffetsdeglissandoà la
bassefretlesssonnantcommeunebatterieélectronique.Onlesentendsurla
versionintégraledecetteintroduction,surl’éditionenCDdeBrothersInArms.
Pourlerestedelachanson,c’estOmarHakimlebatteur.
Sionavaitécoutésonauteur,«WalkOfLife»nefigureraitpassurl’album.À
la rigueur sur une face B. C’était pour lui un clin d’œil, un hommage à ces
musiciensderue oudescouloirsdu métroquijouentpour trois-quatresous
(« Down in the tunnels trying to make it pay »), mais dont la simplicité ne
s’accordait pas avec les autres titres. L’idée lui est venue de la photo utilisée
pourlapochettede NeverToldASoul,l’albumdeJohnIllsleysortien1984.On
y voit un guitariste avec son instrument tourné face à la paroi carrelée d’un
couloir de métro. Elle a été prise par un ami du bassiste, Bob Mazzer,
spécialistedescènescaptéessurlevifdansletubelondoniendanslesannées
soixante-dixetquatre-vingt,àl’occasiondesesproprestrajets(lephotographe
auradroitàsapremièreexpositionengalerieenjuillet2014).
Les paroles multiplient les citations de vieux tubes, de ceux qu’un musicien
faisant la manche pourrait parfaitement interpréter au bas d’un escalier de la
Northern Line de Londres : « Be-Bop-A-Lula », « What’d I Say», « IGot A
Woman»,«MackTheKnife»(levers«thesongabouttheknife»),leblues
«MySweetLovin’Woman».Leguitaristeexécuteunerythmiquebasiquemi-
la-sisursaSchecterTelecasterrouge,lapartbelleétantlaisséeàl’orgue(sorti
en faitd’un synthétiseur). Et il estvrai que son motif répétitif et leswouhou
houintempestifsduchanteurjurentparticulièrementaveclerestedudisque…
mais c’est ce qui va pousser Ed Bicknell à convaincre Knopfler et Dorfsman,
toutaussiréticent,degarderlemorceau.Untubeenpuissance.
Michael Brecker exécutait déjà le thème au saxophone de « Going Home »,
composé pour le film Local Hero mais devenu un classique des concerts de
DireStraits.Ilseradésormaisresponsabled’uneautresciedugroupe,«Your
Latest Trick ». Vite horripilante, cette mélodie de saxophone est précédée,
dans la version longue parue en CD, d’une partie de trompette plus
mystérieusejouéeparRandyBrecker,avecuneguitarelointaine.Baignantdans
uneambiancenocturnenew-yorkaise(leBoweryestcité)àl’heuredescamions
poubelleet des derniersverres avantla fermeture desbars, la chansontraite
d’un nouvel amour brisé, enchaînant les vignettes urbaines très réussies et
irradiantdesolitude.Maisl’arrangementtireversungenredejazzcocktailau
Fender Rhodes et vibraphone plus évocateur d’un séminaire de cadre
d’entreprises que d’une soirée au Village Vanguard. En tout cas, on imagine
effectivement mal Terry Williams aux baguettes. Idem pour « Why Worry »
queMarkKnopfleravaitécritepourlesEverlyBrothers.Après«YourLatest
Trick»,cetteberceusebrassedessentimentspluspositifs,entreréconfortet
promesse d’un avenir radieux. Elle est dominée par la Stratocaster rouge de
1961, rejointe peu à peu par de discrets claviers et des percussions. Puis
l’ensemble se mue en une jam jazz fusion avec basse fretless et batterie
syncopéequinemènenullepart,unpeuàlamanièredel’outrode«Romeo
And Juliet » sur Making Movies. Tony Levin intervient sur cette chanson avec
l’instrumentdontilestl’undesspécialistes,leChapmanStick.C’estunebasse
sanscorps,réduiteàunlargemanchedehuitàdouzecordesfavorisantlejeu
enaccordsetquisetientquasimentàlaverticale.
La deuxièmepartie du disque s’ouvre sur une chansonà deux points de vue.
«RideAcrossTheRiver»faitparlerunguérillerosebattantpourlalibertéet
unmercenairepayépourtuer. Deuxversionsd’unemêmeappétencepour la
violenceetlaguerre.MarkKnopfleraécritcetexteenpensantàunarticlede
WilliamBroylesdans Esquire,«Whymenlovewar»(«Pourquoileshommes
aiment faire la guerre »), paru en novembre 1984. « C’est l’analyse la plus
intelligenteetpénétrantedusyndrome“Rambo”quej’aijamaislue.Moi-même,
enfant,j’adoraisjoueràlaguerreetramperdanslesfourrés»,diralechanteur
de Dire Straits au New York Times. Journaliste américain, William Broyles a
combattu au Vietnam dans le corps des Marines entre 1969 et 1971. En
septembre1984,ilretournepourlapremièrefoissurplace,revisitedessites
debatailles, rencontred’anciens Vietcongset entire «Why lovemen war».
Puislelivre BrothersInArms:AJourneyFromWarToPeace.Lespercussions,le
rythmereggae,lessynthétiseursimitantuneflûtedepan,desbruitsd’insectes
dans la nuit et autres fantaisies tissent un climat exotique digne d’un film
d’actiondanslajungle15–c’estaussilagrandeépoquedelaworldmusic.
Avec«TheMan’sTooStrong»,DireStraitssemblerenoueravecsesracines
country.Lachansonesteneffetmenéeparunmotifdeguitareacoustiqueen
ré mineur typique du genre. Une slide sur la National Style O confirme
l’ambianceamericana.Maislerefrainestl’occasiond’unedéferlantesynthétique
assezlaide.C’estlacontributionprincipaledeJackSonni,dechezRudyMusic’s
Stop:marteleruneséried’accordsàlaguitare-Synclaviersur«TheMan’sToo
Strong».Pourletexte,c’estuncrimineldeguerrequiracontesansétatd’âme
sonhistoireenattendantsonprocès(KlausBarbieaétéextradéenFranceen
1983 mais le chanteur évoque en interview Rudolf Hess emprisonné à
Spandau).En fait,Knopfler selivre au mêmeexercice quepour « MoneyFor
Nothing»,àsavoiradopterlepointdevuedequelqu’undedétestableetpour
lequel il n’a aucune empathie. En essayant, dans le cas de « The Man’s Too
Strong », de faire ressentir la culpabilité sourde mêlée de haine qui anime le
narrateur.
Lors de ses séances d’overdubs avec Mark Knopfler, Neil Jason se souvient
d’avoirjouésur«WalkOfLife»,«SoFarAway»,«TheMan’sTooStrong»
ou«RideAcrossTheRiver»,pourlaquelleilétouffesescordes.Maisdetout
cela,ilignorecequiaétégardéexactement.Seulecertitude:c’estluiquel’on
entend sur « One World ». Très atypique pour du Dire Straits, même à
l’échelledecenouvelalbumaventureux,lachansondonnedanslefunkàcoups
depianoélectriqueetdebasseslappéetravailléeauxpédalesd’effets.«J’avais
dansl’idéed’enclencherunepédaledevibratopourétirerlesnotesàlafindes
phrases, au lieu de faire osciller les doigts ou de tirer sur les cordes. J’ai
beaucoupappréciéqueMarkmesuivesurcecoup.»
Cedernierplaceuneguitareélectriqueagressivetrèsenavantenchantantdes
parolesplusallusivesqueprécédemment.Engros,lesmalheursdumondequi
serépètentencoreetencoreetcontrelesquelsilenrage.
SilelivredeWilliamBroylesenafourniletitre,«BrothersInArms»asurtout
été inspirée par la guerre des Malouines, qui a opposé le Royaume-Uni et
l’Argentine au printemps 1982. Magnifiée par une guitare plaintive et rauque
gorgée d’émotion – la Les Paul de « Money For Nothing » – « Brothers In
Arms»vacrescendosurdesnappesdeclavierspourunefoissobres,dominées
parleB3.Ilyestquestiondelaguerrevécueàhauteurd’homme–lapeur,la
panique,lesoutiendecamaradesetlesouvenirdesmorts.Letexteépousele
pointdevued’unsoldatagonisantetquiseditque,finalement,celuid’enface
n’est pas tant un ennemi qu’un type comme lui, promis au même sort – un
frère d’arme au même titre que les hommes de son propre camp. Tout le
groupe semble gronder comme l’écho d’un lointain champ de bataille,
réussissantletourdeforcedesonneràlafoisgrandioseetintimiste.
Ce cinquième album studio renoue avec la structure couplet-refrain délaissée
sur LoveOver Gold.Oubliés lesdéveloppementsalambiquéset lescassures de
rythme,MarkKnopflerprouvequ’ilesttoujourscapabled’écriredevéritables
mélodies à fredonner. En la matière, quasiment toutes les chansons sont,
littéralement, mémorables, qu’il s’agisse de la simplicité d’un refrain (« So far
awayfromme/SofarIjustcan’tsee»,«Wegottainstallmicrowaveovens…»,«I
want my MTV »), d’un thème musical persistant (« Walk Of Life », « Your
LatestTrick»),d’unepartiedeguitarequel’onpourraitsiffler(«BrothersIn
Arms ») ou d’un riff tout simplement promis à la postérité (« Money For
Nothing»).C’estlaproductionquiamalvieilli.Ilestévidemmentfacile,avec
trente ans de recul, de sourire aux sonorités de synthétiseurs bien moins
performants que ceux d’aujourd’hui. Mais Dire Straits n’était pas non plus
obligédeselaissertenterparuneimitationdeclavecindans«OneWorld»ou
d’écrireunelignedesaxophonedigned’unhabillagesonorepourtirageduloto
pour « Your Latest Trick ». Si l’album a le mérite d’explorer des territoires
inédits, comme sur « Ride Across The River », et si Mark Knopfler a su
renouveler son approche de la guitare, il sonne un peu trop souvent comme
l’œuvre d’un groupe de requins de studio et d’ingénieurs du son trop
concentréssurla positiondes potentiomètresetle contrôledesniveaux. Un
groupeenquêtedepureté.Ungroupedel’èrenaissanteduCD.
Unmilliondedisquescompacts
En1979,PhilipsetSonys’associentautourd’unprojetdenouveausupport
audio. Il s’agit d’un disque de plastique de onze centimètres et demi de
diamètre(le produit final enfera douze) où la musiqueserait encodée en
numérique et lisible grâce à un faisceau laser, et non plus sortie de
microsillons gravés dans une galette en vinyle de trente centimètres sur
lesquelspasseundiamant.Ledisquecompactaffranchitl’auditeurdetous
les bruits parasites tels que grattements, ronronnements, chuintements,
produitsparlestourne-disques.Ajoutons-ylemoindreencombrementetla
durée de stockage – soixante-quatorze minutes de musique (selon la
légende pour pouvoir contenir la Neuvième Symphonie de Beethoven)
contremoinsd’uneheuresurun33-tours.
Symboledemodernité,sicen’estdeperfection,cenouveauproduitviseen
premierlieulesamateursdemusiqueclassique.Sibienqueletoutpremier
CD à être commercialisé, en août 1982, est une réédition de valses de
Chopinpar lepianiste chilienClaudio Arrau.Un moiset demiplus tard,
52nd Street de Billy Joel, remontant à 1978, marque la première
commercialisationd’unCDdepop.En1983,onenestàunpeuplusd’un
millierderéférences.Alors,en1985,pourdoperlamachine,Philipsdécide
de s’associer à Dire Straits. Le groupe et son album Brothers In Arms
deviennentlesoutilsdepromotiondunouveauformat.Etlabonneparole
estportéepartoutdanslemondeaufildelatournéedantesquede1985-
1986dontPhilipsestsponsor. BrothersInArms,l’album,seralepremier
CD à se vendre à un million d’exemplaires. « Brothers In Arms », la
chanson, fera l’objet du premier CD single (sur mini-disque compact de
huitcentimètres),contenantdeuxversionsdutitre,«GoingHome»etla
codainstrumentalede«WhyWorry».
Sessionman(6)
CBS publie le premier disquecompact de country music en mai 1985 (la
versionvinyleétantsortieenjanvier).Etpourmarquerl’événement,quoi
demieuxqu’unalbumdel’hommequiincarneNashville? StayTunedde
ChetAtkinsestunesuccessiond’instrumentauxavecquelquessommitésde
la guitare, dont les jazzmen George Benson, Larry Carlton et Earl Klugh
(d’oùunclimatplutôtfusion),ainsiqueSteveLukatherdeToto.EtMark
Knopfler, sur deux titres. Il est assez discret derrière Chet Atkins et Paul
Yandell sur « Some Leather And Lace » et joue d’égal à égal avec
« Mr. Guitar » sur « Cosmic Square Dance », qui mélange arrangement
typique (violon, banjo, picking) et effets dignes de l’époque (batterie
réverbérée, gadget électronique). Ainsi débute une fructueuse relation
artistiqueentrelemaîtreetl’élève.
«MoneyForNothing»etsesambiguïtés
Lesuccèsde Brothers InArms estaussiinattenduquefulgurant:l’album
estnumérounàpeuprèspartoutoùilsort.L’enthousiasmegagnejusqu’à
DavidKnopflerquidiraàBillFlanagan:«Dieuquecetalbumestgrand.
“Brothers In Arms” m’a tiré des larmes. J’aimerais pouvoir, un jour,
réaliser un disque de cette trempe. » La tonalité triste de la plupart des
chansonscomme la froideur dela pochette autour dela photographie de
Deborah Feingold, spécialiste de portraits de jazzmen (la dominante du
bleu,lemétaldelaNationalensuspensiondanslesnuages),laissaientpeu
présagerd’untelengouement.EdBicknellaeuduflair.«WalkOfLife»
paraîtd’abordenfaceBdusingle«SoFarAway»enavril1985avantde
faire l’objet d’une face A en octobre (la photo de Bob Mazzer orne la
pochette).LachansondevientalorsnumérodeuxauRoyaume-Uni,oùelle
reste quatre semaines dans le Top 10 début 1986, et atteint la septième
place du classement Billboard aux États-Unis. Un premier vidéo-clip est
réalisépourlemarchébritannique.Collantauproposdelachanson,ilmet
enscèneunmusiciendumétrovêtudelachemisewesternrougeetnoirde
MarkKnopfleretjouantavecpassiond’uneguitareNational…avantdese
faire embarquer par les Bobbies. Le tout est entrecoupé d’extraits de
répétitions à Jérusalem, au début de la tournée Brothers In Arms. Le
groupeajusque-làévitétoutestratégiedélibéréepourréellementconquérir
les États-Unis. La tournée précédente avait carrément fait l’impasse sur
l’Amérique du Nord. « Ce serait sympa d’élargir notre public, ici, aux
États-Unis.Maisleschosessonttrèsbiencommeellessont,nousyavons
déjà une large audience, explique Knopfler à Musician en 1985, lors des
séancesàlaPowerStation.Cepaysn’arienàvoiravecaucunautremais
nous n’allons pas nous tuer à dormir dans des Holiday Inns juste pour
ça. » Pourtant, preuve que Dire Straits est en train d’entrer dans une
nouvelle dimension, un deuxième clip de « Walk Of Life » est livré
expressément pour le marché américain et international. Il entremêle des
imagesdugroupeavecdesséquencessportivesfaçonbêtisier.Sileparallèle
entrelefaitdefaireleshowsurscèneetsurunterrainfonctionne,lelien
entrejouer«Be-Bop-A-Lula»etvociférersurlebancdetoucheous’étaler
sur le gazon reste assez cryptique. Que ce soit du premier ou du second
degré,lerésultatn’estpasdesplusfins.
Unemauvaisesurpriseattendcependantlegroupeaudétourd’uncouplet
de « Money For Nothing ». L’emploi répété du terme faggot (tapette,
tarlouze)passemal,certains critiquesetdes associationsluttantcontrela
stigmatisationdeshomosexuelsdénoncentl’homophobiedelachanson.Il
n’estpasbesoindeconnaîtrelagenèsedesparolespourcomprendrequ’il
n’enestrien.LacibledeKnopflern’étantpasles«tapettes»maisungenre
degrosbeauf’machoauxidéesobtuses.Ilrestequefaggotestuntermebel
et bien péjoratif et méprisant, assimilant l’homosexualité à une insulte.
S’abriterderrière les propos d’uneautre personne suffit-ilà se dédouaner
delesavoirutilisés?C’estl’éterneldébatconsistantàsavoirsireproduire
un comportement ou une tournure d’esprit pour les dénoncer et les
caricaturer est judicieux ou ne fait qu’en rajouter. Quoi qu’il en soit
«MoneyForNothing»seraamputéducoupletencausepourlesinglede
juin1985,levidéoclipet,quelquesannéesplustard,lacompilationMoney
For Nothing. Sur scène, Dire Straits conservera le passage en remplaçant
faggot par queenie ou mother (pour motherfucker). Ce qui n’empêchera
pas le Conseil Canadien des Normes de Radiotélévision (CCNR),
organisme privé représentant les industriels du secteur, de revenir à la
charge…enjanvier2011!Suiteàuneplainted’unauditeurdelastation
CHOZ-FM à Saint-Jean de Terre-Neuve, il a purement et simplement
interdit la chanson. Avant de se rétracter en septembre après avoir été
chaleureusement incité par le Conseil de la Radiodiffusion et des
Télécommunications Canadiennes, autorité publique, à mieux étudier le
cas (le CCNR ignorait qu’il existait une version tronquée utilisable de
«MoneyForNothing»).
En novembre 1984 dans Rolling Stone, Mark Knopfler reconnaîtra ses
torts.C’est-à-direavoirététropnaïf,comparantsonsortàceluideRandy
Newmanavec«ShortPeople»(àproposdesnains)ouBruceSpringsteen
voyantRonaldReagandétournerdesonsens«BornInTheUSA».«Le
rédacteur en chef d’un journal homosexuel londonien [Gay News] m’a
reprochéde“taperendessousdelaceinture”.Sionpassesurlefaitqu’ily
a des gens stupides chez les homos comme ailleurs, cette histoire montre
qu’ilfaut peut-être éviter de donnerprise à l’interprétation.Il faut savoir
être direct. En fait, je ne sais jamais si c’est une bonne idée d’écrire des
chansonsquinesoientpasàlapremièrepersonne,oùjelaisses’exprimer
d’autrespersonnages.»
« Money For Nothing » va poser un autre problème, cette fois à son
auteur. La chanson est sortie en single et MTV, qui l’apprécie (et pour
cause, son nom y est scandé tout au long), réclame un vidéoclip pour
pouvoir la passer. « Les vidéoclips, ce n’était pas du tout le truc de
Knopfler,se souvientle réalisateurSteve Barronen 2010.Il croyaiten la
pureté de la musique et, pour lui, en donner une interprétation visuelle
revenait à gribouiller par-dessus. L’atmosphère et l’émotion originelle en
seraientpervertis.»Leguitaristeaccepteduboutdeslèvres,laissel’équipe
du réalisateur filmer Dire Straits sur scène à Budapest puis s’en
désintéresse.Or,l’entrepriseval’emmenerbienplusloinqu’iln’auraitcru.
« Money For Nothing » est le premier vidéoclip en animation par
ordinateur, les graphistes Ian Pearson et Gavin Blair recréant cette scène
fondatricedumanutentionnairedevantdesclipsàlatélévision.Saufqu’à
la place d’un groupe de metal hollywoodien, les écrans montrent des
imagesréellesdeDireStraitsinterprétantlachanson 16.Vertigedelamise
enabîme…Lerésultatestdiffusépourlapremièrefoissurlachaînecâblée
le1er juillet1985.Ilytourneraenbouclejusqu’àlanausée.Le5septembre
1986,ilreçoitleMTVAwardduvidéoclipdel’annéepourungroupeetle
1eraoût1987,«MoneyForNothing»estlepremierclipàêtrediffusésur
MTVEurope.Pasmalpourquelqu’unquidétestaitceformat.
Untourdumonde
La tournée Brothers In Arms pourrait se résumer à une série de chiffres
affolants.Deuxcentquarantehuitconcerts,du25avril1985au26avril
1986;plusdevingtpays;cinquante-septdatesenAustralieetNouvelle-
Zélande ; cent dix mille places vendues en vingt-quatre heures pour des
concertsàDarwin;treizesoiréesd’affiléeàlaWembleyArenadeLondres
avec le Live Aid au beau milieu, l’après-midi du 13 juillet 1985 au
Wembley Stadiumjuste à côté. JohnIllsley : « Nous sommes passés puis
nousavonssimplementretraverséleparkingpourallerjouernotreconcert
dusoir.Nousn’avonsmêmepaseubesoinderépétervuquenousétions
enpleinetournée.Nousétionsgonflésàblocmaisdifficilededireceque
nous avons ressenti tellement ce moment a été unique dans l’histoire et
dansnosvies,cedontj’avaisparfaitementconscience.»Envingtminutes,
devantplusdesoixante-dix millepersonnes,unDireStraits effectivement
engrandeformeinterprète«MoneyForNothing»avecSting,commesur
l’enregistrementoriginal,et«SultansOfSwing».Le20novembre1985,
dansunimprobableintersticedetempsentredeuxdatesallemandes,Dire
Straits trouveaussi le moyen de mimer « Money For Nothing » dans un
tunnel de métro parisien pour la télévision française. La séquence est
diffusée le 6 décembre dans l’émission spéciale de TF1 Johnny Métro
Blues, consacrée à Johnny Hallyday et son album Rock’n’Roll Attitude.
LesAnglaissemblentbeaucoups’amuseràbâclerleurplaybackaumilieu
desrails,surjouantune«rock’n’rollattitude»quileurressemblesipeu,en
manteaudecuir,lunettesdesoleiletécharpeblanchesousleperfecto!
JackSonniestàladeuxièmeguitaresurcettetournée.Ilestmêmeautorisé
à livrer quelques soli, quoique assez plats, sur « Two Young Lovers »,
«ExpressoLove»ou«WildWestEnd».C’estlegrandmomentdesavie
tant il avait perdu ses illusions quant à une carrière de rockeur. Il ne se
privedoncpasdesauterentoussensentenuevoyante(lemanteaurouge
duLive Aid,les foulardsde pirate surla tête,les Stratocasterde gaucher
tenues en droitier…), comme en témoigne nombre de documents vidéos.
Plusdureseralachutequandilcomprendraplustardquetoutcelan’aura
été pour lui qu’une courte parenthèse. Terry Williams a repris sa place
derrière la batterie et peut taper tout son soûl. Joop de Korte et Chris
Whitesontaussidelapartie;lejourduLiveAidestlejourdestrenteans
du second. Quand il ne souffle pas dans son saxophone, il est à la flûte
traversièresur«RideAcrossTheRiver»ou«BrothersInArms»,attrape
quelques percussions ou seconde Guy Fletcher aux claviers. Plusieurs
chansonssontréorchestréespourintégrersoninstrument.« SolidRock»
toujours,maisaussi«ExpressoLove»ou«SultansOfSwing»,quin’en
finitpasd’êtremalmenée.Lepréambulede«RomeoAndJuliet»estaussi
réécritpourlui.Uneidéed’AlanClarkalorsqu’ilestenvacancesdansles
Caraïbeslorsd’unepausedanslatournée.
Àl’occasion,lesamismusiciensrejoignentlegroupesurscène.Le4juillet
1985, pour le premier de ses treize concerts à la Wembley Arena, Dire
Straitsjoue à nouveau pourla fondation duPrince Charles. Sting etPete
Townshendsontconviés.Pourl’occasion,leprincedeGallesadressetous
ses vœux de réussite à la tournée dans le programme de la soirée et la
princesse Diana tient à saluer les musiciens en personne. On a connu
accoladeplusrock’n’roll…
Le10juillet,leguitaristeduEStreetBandNilsLofgrenestinvitésurletrès
springsteenien«SolidRock»;lelendemain,PaulBradytientlamandoline
surdeuxmorceauxdelaBOde Cal,écriteparKnopfler,etHankMarvin
estàlaguitaresur«GoingHome»,quelesShadowsont reprissurleur
album XXV de 1983 ; le 3 octobre au Radio City Music Hall de New
York, Dire Straits reçoit le saxophoniste de jazz Branford Marsalis sur
«WhyWorry»et«WildWestEnd»;le12,danslamêmeville,c’estson
collègue David Sandborn sur « Why Worry » et Billy Joel sur « Two
YoungLovers»auMadisonSquareGarden.
Le16septembreestungrandmoment:DireStraits(etquelquesoixante-
dix personnes de leur entourage dans deux bus de tournée) entre sans
prévenirauSweetwaterCafé,unclubdeMillValley,danslabaiedeSan
Francisco. Sur la scène, il y a J.J. Cale. C’est ni plus ni moins que la
première rencontre entre Cale et Knopfler, laquelle se termine
inévitablementenjamjusqu’àlafermeture.Troismoisplustard,lechantre
américain du laid back rejoint à son tour son disciple britannique sur la
scène de l’Hammersmith Odeon de Londres. Le lendemain, le 19
décembre, au même endroit, Eric Clapton intervient sur « Two Young
Lovers»,«Cocaine»et«FurtherOnUpTheRoad»etHankMarvinse
présenteànouveaupourlefinalsur«GoingHome».Claptonrevientle
22 décembre. En Australie, en février 1986, ce sont les retrouvaillesavec
BobDylanàSydneypuisMelbourne.
Pour ce qui est de la musique, la production ciselée et un peu trop
consciente d’elle-même de Brothers In Arms laisse place à une force
scénique évidente. « So Far Away », par exemple, s’affranchit de son
Synclavierpourlaisserfleurird’épatantsphrasésknopfleriensàlaSchecter
Stratocasterrouge.EnAustralie,lachansoncommencemêmecommeune
calypso sur la Gibson Chet Atkins ! « Ride Across The River » ne cesse
d’évoluerenderichesimprovisations.Lecrescendostridentetlesvocalises
de Guy Fletcher qui ouvrent « Money For Nothing » se révèlent un très
efficaceeffetdescène.Maiscertainschoixrestentvraimentpesants,telsle
saxophone trop bavard et pas toujours pertinent, l’affreuse imitation
d’harmonicasur«TheMan’sTooStrong»et«PrivateInvestigations»et
plusgénéralementl’omniprésencedesynthétiseurspeusubtils.
Si ce long parcours mondial a fini par user le groupe jusqu’à la corde,
l’ultime concert, à l’EntertainmentCenter de Sydney le 26 avril 1986, ne
trahit aucunement la lassitude, la fatigue voire le dégoût éprouvé par les
unsetlesautrespourleur propremusique.JackSonni,enparticulier,est
complètementdéchaîné,dansantpiedsnussur«WalkOfLife»outorse
nusur«SolidRock»,courantsurscènecaméscopeaupoingpourfilmer
le public. Il se souvient encore très bien de ce qui s’est passé ensuite :
« J’étais sur les marches de l’hôtel à faire de grands gestes d’au-revoir à
toutlegroupequipartaitversl’aéroportpourrentrerenAngleterre.Moi,
jesuisrestéenAustraliepourfairedusurf.Etbiensûr,jenesoupçonnais
absolumentpasquec’étaitladernièrefoisquejelesvoyais.»JackSonni
n’aeneffetpascomprisquesicettedernièredateatanteudesalluresde
fiesta, c’est qu’elle sonnait l’heure de la libération et que tous n’avaient
qu’unehâte:passeràautrechose.Plusde«SultansOfSwing»,plusde
MTV, plus d’interviews, plus de foules hurlantes, plus de chambres
d’hôtels.Voire,peut-être,plusdeDireStraits.
LESDISQUESDE1985
ChrisIsaak,Silvertone(janvier)
PhilCollins,NoJacketRequired(janvier)
TheSmiths,MeatIsMurder(février)
MickJagger,She’sTheBoss(février)
SuzanneVega,SuzanneVega(mai)
MötleyCrüe,TheatreOfPain(juin)
A-ha,HuntingHighAndLow(juin)
ThePogues,RumSodomy&TheLash(août)
TheCult,Love(octobre)
TheJesusAndMaryChain,Psychocandy(novembre)
8.ONSUPPOSEQU’ILS
S’ÉCLATENT
C’est un procès improbable. Sur le banc des accusés, Ralph McTell, le
chanteur et guitariste auteur de « Streets Of London » en 1969. On lui
reproched’avoirpubliéunmanueldeguitareintitulé100EasyTunesFor
Guitar – 100 morceaux faciles à jouer à la guitare. Or, un plaignant
soutientquerienn’yestfacile,etcepourunebonneraison:RalphMcTell
n’a fait imprimer que des portées et aucun de ces petits diagrammes en
formedegrilleavecdespointsàl’intérieurpermettantàceuxquinesavent
pas lire la musique de repérer où placer leurs doigts sur le manche. Il y
aurait tromperie sur la marchandise et le procureur compte bien en faire
l’éclatante démonstration en convoquant des témoins de prestige. Le
premierd’entreeuxestMarkKnopfler,deDireStraits.Ilarriveàlabarre
en jouant le riff de « Money For Nothing » sur sa Fender Stratocaster
rouge.Leprocureurluidemandedelerefairemais,cettefois,ensuivantle
manueldeRalphMcTell.Knopflerscrutelespages,perplexe.Etn’yarrive
pas. Il est incapable de déchiffrer sa propre chanson. « Y a-t-il un
problème?»demandeinnocemmentl’accusation.«Ehbienoui,c’esttrès
difficile sans le truc pour les doigts ». Le procureur jubile. Deuxième
témoin. Lemmy de Motörhead, qui bute à son tour sur son « Ace Of
Spades».IdemavecDavidGilmourdePinkFloydsur«AnotherBrickIn
The Wall, part 2 » ; avec Mark Johnson de Level 42 sur « Lessons In
Love ; avec Gary Moore sur « Parisian Walkways »… Ralph McTell est
bon pour le cachot. Si ce n’est que ce procès n’a biensûr jamais eu lieu,
sauf dans un sketch télévisé de la série French & Saunders de la BBC 2,
diffuséle19avril1990.
Ainsi s’occupe Mark Knopfler depuis la fin de la tournée Brothers In
Arms. Il s’amuse, il se fait plaisir. Comme les autres membres de Dire
Straits. Sitôt rentrées d’Australie, les troupes se sont dispersées telle une
voléedemoineauxdontonauraitenfinouvertlacage.
Enstudio
En mai 1986, Tina Turner sort Break Every Rule. Elle s’est à nouveau
associéeàd’illustrescollaborateurs,PhilCollins,SteveWinwood,Branford
Marsalis,BryanAdams…MarkKnopflerluiaécritleboogie«Overnight
Sensation»quiévoquelesdébutsdelachanteuseetseseffortspourpercer.
Ilyjouedelaguitareainsiquesur«ParadiseIsHere»,unechansonde
PaulBrady(laflûteetlamandolinede Cal).Lesdeuxtitressontproduits
par Neil Dorfsman et comptent Guy Fletcher aux claviers. « Overnight
Sensation»estlapremièrechansondeKnopflercrééeexpressémentpour
quelqu’un, sur commande, après le succès de« Privatedancer ». Avec le
recul, l’expérience le laissera dubitatif : « Je ne crois pas que ça
fonctionnait si bien. À mon avis, mieux vaut écrire une chanson tout
court:“PrivateDancer”n’avaitpasétéécritepour[TinaTurner]àlabase,
etils’estavéréqueçaaparfaitementcollé.»(BBCRadio1)
De son côté, Terry Williams apparaît sur l’album Full Moon de Paul
Brady.En 1988, il jouesur The Mona Lisa’sSister de GrahamParker et
sur Pinker And Prouder Than Previous de l’ex-Rockpile Nick Lowe,
produitparDaveEdmunds.
Sur son album suivant, Primitive Dance, Paul Brady, encore lui, invite
MarkKnopfleretBenE.KingfaitdemêmepourSaveTheLastDanceFor
Me. Le guitariste est dans le vidéoclip de la chanson-titre. Il est aussi
retourné à AIR Montserrat avec Eric Clapton. Entre le printemps et l’été
1987, Sting y réalise son album …Nothing Like The Sun et les deux
guitaristesparticipentà«TheyDanceAlone(CuecaSolo)»,hommageaux
femmes des victimes de la dictature chilienne de Pinochet. Toujours en
1987, Knopfler produit le premier album solo de Willy DeVille, Miracle,
dont il réutilise la chanson « Storybook Love » pour la musique du film
ThePrincessBridequ’ilcréeaumêmemoment 17.
Miracle est enregistré en formation réduite mais comptant le Synclavier
multitâche de Guy Fletcher. D’où un son très synthétique et une
production chargée (« (Due To) Gun Control » en particulier). Seuls
«SpanishJack»(coécriteavecKnopfler),avecsesguitaresacoustiques,et
«Southern Politician», dontles pédaleswah-wah rappellent« Industrial
Disease»donnentdanslasobriété.
Puis, en 1988, Mark Knopfler s’occupe de Randy Newman, produisant
septtitresdeLandOfDreams–ilapparaîtégalementdanslevidéoclipde
«It’sMoneyThatMatters».Saguitareestsurtoutprésentesurcedernier
morceauetsurceluid’ouverture«DixieFlyer».GuyFletcherestfidèleau
poste.
Quant à John Illsley, il publie son deuxième album solo en juillet 1988,
Glass. Parmi les musiciens, Mark Knopfler, Alan Clark, Guy Fletcher,
ChrisWhite.Lamêmeannée,AlanClarkestdanslescréditsdeNorthAnd
SouthdeGerryRafferty.
Lesnotables
Le 20 juin 1986, la fondation du Prince Charles fête ses dix ans à la
Wembley Arena et le gotha pop rock répond présent. Phil Collins, Tina
Turner, Eric Clapton, Paul Young, Midge Ure, Statu Quo, Paul
McCartney, Rod Stewart, Elton John, George Harrison, Bryan Adams,
Dave Edmunds… Mark Knopfler et John Illsley sont de la partie, le
guitariste surgissant sur scène en empoignant un instrument bizarre déjà
apparusurladeuxièmepartiedelatournéeBrothersInArms.Uneguitare
électrique Steinberger en forme de petite boîte carrée. Idéal pour
transporter partout avec soi (Knopfler raconte qu’il pouvait la prendre
avecluiencabineenavion).CommeauLiveAid,«MoneyForNothing»
estchantéeavecSting,toutlemondejoueavectoutlemonde,c’estfestif,
enthousiaste mais difficile de ne pas voir dans ce genre d’entreprise une
sorte d’institutionnalisation de musiciens aux allures de cadres
dynamiques.DireStraitsestdésormaisintégrédanscecercleprivilégiéde
notables du rock où un Eric Clapton en costumes Armani ou Versace
évolue déjà comme un poisson dans l’eau. La soirée est diffusée à la
télévision et des extraits composeront le disque Recorded Highlights Of
The Prince’s Trust 10th Anniversary Birthday Party en 1987, puis un
doublealbumen1989,TheRoyalConcert.Danslesdeuxcas,laphotode
groupeillustrantlerectodevraitdéfinitivementfairecessertoutevelléitéde
nostalgiedesannéesquatre-vingt…
Dansla fouléede la sortiede BreakEvery Rule,Alan Clarkremonte sur
scèneavecTinaTurner,reprenantsonrôlededirecteurmusicallorsd’un
concert filmé au Camden Palace de Londres pour la chaîne câblée
américaine HBO. Dans le petit film introductif aux allures de clip pour
«Afterglow»,lasalleestprésentéecommeleclubparisienLeZéro.Tina
Turner:BreakEveryRule,c’estlenomduprogramme,estdiffuséenmars
1987alorsquelatournéemondialedelachanteusevientdedébuter.Des
extraitsfigurerontdanssonpremieralbumenpublic,TinaLiveInEurope,
en1988.
L’amiEric
Cependant,c’estavecunautreartistequeleclavierdeDireStraitsentame
à cette époque un long compagnonnage : Eric Clapton. En 1987, le
guitaristeenregistreàlaPowerStationdeManhattanunenouvelleversion,
pluslente,plusmenaçante,d’«AfterMidnight»deJ.J.Cale.Elleserviraà
unepublicité pourla bièreMichelob (« The nightbelongs toMichelob »
dit le slogan, tandis que déambule dans la nuit un Clapton à l’époque
alcoolique), avant d’être incluse sur la compilation Crossroads d’avril
1988.Pourcetteséance,sonclavierhabituelGregPhilinganesn’ayantpas
puselibérer,EricClaptons’esttournéversAlanClark.L’orgueHammond
decelui-civientefficacementcompenserunsondeguitaretrèsmétallique
ettravailléauxpédalesd’effetsetcelafonctionnesibienqueClarksuitle
« Dieu » barbu dans l’émission d’ITV South Bank Show qui lui est
consacréele6octobre1987,puissursatournéeaustralienneetjaponaise
enquartet.L’expériencetournecourtenraisondel’entréeduguitaristeen
curededésintoxicationàlacliniqueHazeldenprèsdeMinneapolis.Avant
quenereprennele22janvier1988unesériedeconcertsoùofficientAlan
Clarket…MarkKnopfler.
Les deux guitaristes sont effectivement devenus inséparables. Knopfler
avait déjà accompagné Clapton pour quelques dates en janvier 1987 à
Manchester, Londres (six soirées au prestigieux Royal Albert Hall),
Bruxelles et Paris. Cette fois, les deux Dire Straits s’embarquent dans un
véritablepéripleincluantl’Angleterre,lesÉtats-Unis,leCanadaetleJapon
avant un retour au Royal Albert Hall en janvier-février 1989. De leur
répertoire, néanmoins, seul « Money For Nothing » est régulièrement
interprété.
Dansl’intervalle,les5et6juin1988,EricClaptonetMarkKnopflersont
présents, en habituésde la maison, au concert annuel de la fondation du
Prince Charles, au Royal Albert Hall. Pour l’occasion, Elton John est au
clavieràlaplaced’AlanClark.
De cette période d’entre-deux, le véritable événement se tient cinq jours
plus tard, au Wembley Stadium. Dans l’esprit du Live Aid de 1985, un
concert géant organisé par Artists Against Apartheid prend prétexte des
soixante-dix ans de Nelson Mandela (il est né le 18 juillet 1918) pour
appeleràlalibérationduleaderdel’ANC,emprisonnédepuisvingt-sixans
par le régime sud-africain. Tracy Chapman, Eurythmics, Simple Minds,
Sting,WhitneyHouston,BryanAdams,JoeCocker,UB40ettantd’autres
sesuccèdentpendant onzeheures.Mais lebouquetfinal enestni plusni
moinsqueDireStraitsaucomplet.Oupresque.JackSonnin’estpaslà.Sa
femme vient de donner naissance à des jumelles. Mark Knopfler, en
costume un brin vieillot, sans serre-tête ni bracelet en éponge, l’annonce
lui-mêmeau micro, assurant son ex-guitariste,en guise de compensation,
desfélicitationsdesixcentsmillionsdepersonnes(leconcertestretransmis
par les radios et les télévisions). Et d’enchaîner : « On a dû trouver un
remplaçantà ladernière minute,il estlà dans lecoin gaucheau fond du
ring.Iln’avaitjamaisjouéàWembleyjusque-là…Bon,c’esttoutcequ’on
aputrouver…EricClapton!»
Enguisederépétition,legroupeadonnédeuxconcertsàl’Hammersmith
Odeon les 8 et 9 juin, pour les fans inscrits à la newsletter officielle du
groupe, le Dire Straits Information Service (la présence de Clapton leur
avait d’ailleurs été révélée via la newsletter). À Wembley, pendant près
d’uneheure,Dire Straitsvadonc interpréter«Walk OfLife», «Sultans
OfSwing»,«RomeoAndJuliet»,«MoneyForNothing»,«BrothersIn
Arms»,l’inévitablefinalsur«SolidRock»encompagniedel’auteurde
«WonderfulTonight»,reprisecesoir-là(l’occasionaussipourleleaderde
DireStraitsdeglisserdans«WalkOfLife»uneréférenceà«LayDown
Sally»,chansondel’album Slowhand).Sicettesélectionnebrillepaspar
sonoriginalité,silesaxophonetraînetoujoursdanslespattesde«Sultans
Of Swing », la prestation du groupe trahit une agressivité assez
inhabituelle. Clapton livre lui-même quelques soli dévastateurs – quoique
parfois hors sujet – et la version de « BrothersIn Arms » est sans doute
l’unedesplusépoustouflantesjamaisdonnées.
Cenouveausonestenpartiedûàunenouvellevenuedanslacollectionde
guitaresdeMarkKnopfler.FabriquéesurmesureparRudyPensaetJohn
Suhr, la Pensa-Suhr MK1 est censée allier les qualités d’une Fender
Stratocaster,pourl’ergonomieetletoucher,àcellesd’uneGibsonLesPaul
pour la dureté du son, en partie pour éviter à son propriétaire d’avoir à
changersi souventd’instrument d’unechansonà l’autre lorsd’une même
prestation. Le projet remonte à 1987, quand Knopfler et ses luthiers
préférésontsoi-disantdessinélespremiersplanssuruneservietteenpapier
en prenant un café, même si Rudy Pensa et John Suhr, qui ontmis fin à
leurcollaborationen1991,sechamaillentsurlesdétailsdel’histoire 18.La
première apparition sur scène de la Pensa-Suhr remonte au gala pour la
fondationduPrinceCharles,quelquesjoursplustôt,maislegrandpublic
la découvre par ce concert pour Nelson Mandela. Corps d’acajou, table
bombée en érable flammé, touche en palissandre, elle va devenir
indissociable de Mark Knopfler, avant que celui-ci ne s’en fasse faire
d’autresversions.
Le concert passé, Alan Clark reste avec Clapton avec qui il enregistre
Journeyman, un de ces albums (sorti en novembre 1989) où l’ancien
puriste du blues tente désespérément de sonner moderne avec force
synthétiseurs, séquenceurs et autre batteries programmées. Le clavier de
Dire Straits est sur la tournée qui suit et, à ce titre, figure sur le double
albumenregistréauRoyalAlbertHall,24Nights.
LesamisSteveetBrendan
Trois ans après le départ de Mark Knopfler de Leeds, en 1973, Steve
Phillips s’était trouvé un autre partenaire, le chanteur-guitariste Brendan
Croker, originaire de Bradford, à l’ouest de Leeds. Les deux hommes
avaient constitué le duo Nev and Norris avant que Croker ne crée son
propregroupe,les5O’ClockShadows.Steves’étaitmisàlapeinture,plus
trèssûrdesonavenirdanslamusique.
Or,toutjusterevenudeSydneyavecDireStraits,MarkKnopflerestle31
mai1986àHolbeck,ausuddeLeeds,surlascènedupubTheGroveavec
les deux compères, qu’il n’a jamais perdus de vue. Guitares folk et
Nationalenmains,ilsenchaînententoutedécontractionlesvieuxairsde
blues, de country et de rock’n’roll. Puis conviennent de prolonger
l’expérienceenréalisanttousensembleledeuxièmealbumdeStevePhillips
dans le home studio londonien de Knopfler. Héritant du rôle de
producteur,cedernierappelleGuyFletcherpourl’assister.Jusqu’àcequ’il
se rende compte que, finalement, ils viennent de créer un groupe. Ainsi
naissentles Notting Hillbillies,une formation country &western dont le
nom est un jeu de mots sur le quartier de Notting Hill, où se trouve le
studio ainsi que les bureaux de Damage Management, et hillbillies,
désignantleshabitantsdesAppalachesoùestnéelamusiquecountry.Leur
premierconcertalieuentoutediscrétiondansunpubdusuddeLondres,
unsoir dela fin 1989.Personne nesait quiils sont,encore moinsque le
leader de Dire Straits est dans le coup. Le public ne le découvre que
lorsqu’ilarrivesurscène.
D’autrescollaborationsprennentformeaupassage.Ainsi,BrendanCroker
etGuyFletchercomposentlamusiqued’undocumentairetélévisésurune
ascensiondel’Everest,OnTheBigHill(décembre1988)ettoutlemonde,
augmentéd’AlanClarketd’EricClapton,épauleBrendanCrokersurson
troisièmealbum,BrendanCrokerAndThe5O’ClockShadows(1989).
TheNottingHillbillies,Missing…Presumed
HavingAGoodTime
Enregistréentre1989et1990àLondres
Sortile5mars1990
Le répertoire des Notting Hillbillies se compose de reprises où se mêlent
trois originaux écrits par chacun des trois guitaristes. Pour parfaire
l’ambiance,on faitvenir deNashville lejoueur depedal steel guitarPaul
Franklin.Pourtant,lesmusiciensévitentdedonnerdansl’exercicedestyle
révérencieux. « Si vous collez de trop près aux morceaux anciens, vous
finirezfatalementparincarnerundecestypesenvestedesportàcoudières
encuiretquisepointentavecuneNationalpourjouertouscesvieuxblues
demanièreparfaitementacadémique,ensingeantGaryDavisouunautre.
Quelintérêt?»(GP 92)GuyFletchercréedoncunénièmearrière-plande
synthétiseurs fort peu « académique ». La pedal steel guitar se confond
avec les effets de violining de Knopfler et batterie, percussions et basse
sortentduSynclavier,mêmesilebassistedes5O’ClockShadowsMarcus
CliffeetEdBicknell,ancienbatteur,ontcontribuéaudisque.
Lerésultatparaîtsousletitre Missing…PresumedHavingAGoodTime.
Perdu(s)devue…Onsupposequ’il/ilsest/sontentraindes’éclater.Si
les trois acolytes annoncent ainsi la couleur, on se doute que la formule
tientparticulièrementàcœuràMarkKnopfler,quiretrouvelàunprojetà
taillehumaine.Leversodelapochetteestuneautrefacétie,montrantles
musiciens devant une toile peinte deville du Far West. Une Amérique de
pacotille, dont ils viennent de s’amuserà réaliserla bande-son. Certes, le
guitariste soliste renoue avec l’épure des premières années de Dire Straits
mais l’ensemble est surtout porté par des harmonies vocales à quatre.
Knopfler ne chante en leader que sur « Your Own Sweet Way ».
Fatalement,c’estcettechansonquisortensingle.
Missing… Presumed Having A Good Time reste un disque étrange,
sonnantcommes’iln’appartenaitàaucuneépoque,àlafoisbricoléettrès
(trop)professionnel.Aérienmaispastrèsdynamique,manquantd’aspérité,
ilpeineàs’extraired’ungenredecountrydehalld’hôtelquel’onpeineà
vouloirécouterattentivement.
LesNottingHillbilliesontjouélejeujusqu’auboutenpartantentournée
danstoutleRoyaume-Unientrelafinmarsetmai1990.Plutôtsatisfaitde
cette expérience, Mark Knopfler aura tout de même un regret : que le
grouperencontreunpeutropdesuccès(l’albumculmineraàladeuxième
place des ventes britanniques, à la quatrième en Nouvelle-Zélande, à la
sixièmeenAllemagneetenAustralie)!«Quandonjoueenclubs,onpeut
secomporterunpeucommesionétaitdanssonsalon;maislà,nousnous
sommes produits dans des grandes salles municipales. C’était marrant,
j’étaiscontentqueledisquesesoitbienvenduetj’étaiscontentpourSteve,
Brendan et Guy. J’espère que l’on pourra faire une autre tournée de ce
genre… Dans dix ou quinze ans, nous aurons sûrement deux ou trois
nouveauxtrucsàproposer!»(BBCRadio1)
Enréalité,ilsnesereformerontqu’occasionnellement,pourdesspectacles
de charité ou des soiréesspéciales. En juillet 1998, les Notting Hillbillies
tiendront une résidence de dix-huit dates aux Ronnie Scott’s de
Birmingham et de Londres, puis de six autres à Londres en juillet de
l’annéesuivante.
L’amiChet
La première collaboration entre Chet Atkins et Mark Knopfler, Stayed
Tuned en 1985, a été l’occasion pour le premier de faire découvrir au
deuxièmel’universdeNashville,sesmusiciensetmêmel’usineGibson.Dès
lors,lesdeuxhommesnesequittentplus.ChetAtkinsestàlaguitaresur
untitrede MiracledeWillyDeVille,produitparMarkKnopfleren1987.
Sur Sails la même année, les deux hommes donnent une version
instrumentalede«WhyWorry»dontla codajazzd’originesemueenun
passage planant sans intérêt. Sur C.G.P. (pour Certified Guitar Player,
guitariste certifié, un autre surnom de Chet Atkins) en 1988, ils jouent
« Imagine ». Sneakin’ Around, en octobre 1991, est un disque en
collaboration avec Jerry Reed mais Mark Knopfler apparaît sur deux
morceaux. Le point culminant de cette activité discographique reste
néanmoinsNeckAndNeck,paruenoctobre1990sousleursdeuxnoms.
Leduosemontreaussisurscène.IlseproduitauSecretPoliceman’sThird
Ball (un concert organisé par Amnesty International) fin mars 1987. Un
peuplusd’unmoisaprès,aucôtédesEverlyBrothers,deWaylonJennings,
d’Emmylou Harris ou de Willie Nelson, Mark Knopfler (bolo autour du
cou en signe de ralliement…) fait partie des invités entourant le maître
équipé de la fameuse guitare classique électrique qu’il a conçue, dans
l’émission CertifiedGuitarPlayerdiffuséesurPBSle2 mai1987.«Why
Worry»et«WalkOfLife»sontaurépertoire.
ChetAtkinsAndMarkKnopfler
NeckAndNeck
EnregistréàNashvilleetàLondresen1990
Sortile9octobre1990
Quasiment sans budget, l’album est enregistré dans les home studios
respectifs des deux instrumentistes, à Nashville et à Londres. Pour Rock
Steady, le 27 février 1990 sur Channel 4, ces derniers sont filmés et
interviewésdansceluideChetAtkins,leCAWorkshop,aménagédansson
garage. Mark Knopfler, au site MrGuitar.com : « Aucun des deux ne
sonnait bien. Chez Chet, je pouvais entendre sa femme Leona ouvrir le
frigopendantquenousenregistrions.Lebruitduthermostataatterriiciou
là. » Producteur et auteur d’une seule chanson (« The Next Time I’m In
Town»),KnopfleraconvoquéauxséancesGuyFletcheretPaulFranklin.
Si l’enjeu est le même qu’avec Missing… des Notting Hillbillies, à savoir
revenir aux premières références du patron de Dire Straits, les défauts le
sont aussi. Neck And Neck est trop lisse, trop mou, et frôle parfois
l’anecdotique, comme sur le titre d’ouverture « Poor Boy Blues », ou le
mièvre avec « So Soft, Your Goodbye ». « They’ll Be Some Changes
Made»,surlequelchanteChetAtkins,adesairsdebrouillondésinvolte.
EtDireStraitsdanstoutcela?
Après le concert pour Nelson Mandela, le groupe publiera encore un
disque : sa première compilation, Money For Nothing (un titre qui
s’impose, c’est le manutentionnaire du magasin d’électroménager de la
chanson qui va être content). Un mois avant, en septembre 1988, Dire
Straitsaétéofficiellementdissous.Delààcequecesoitdéfinitif…
MoneyForNothing
Sortile25octobre1988
«
MoneyForNothing»estprésentéedanssaversionsingle.Lachansonest
doncnonseulementexpurgéeducoupletinfamantmaisl’introductionetla
fin sont considérablement tronquées. « Brothers In Arms » est également
écourtée d’une minute quinze. « Where Do You Think You’re Going? » est
proposé dans une version alternative. « Portobello Belle », avec solo de
saxophone, est enregistrée en public à l’Hammersmith Odeon lors du même
concertquiaserviàAlchemy.«TelegraphRoad»égalementmaisellenefigure
quesurleCDdelacompilation,passurlevinyle,fautedeplace.
Lesuccèsresteàlahauteurdesperformancesdesalbumsprécédents:numéro
undesventesauRoyaume-UnietenFrance,numérodeuxenAllemagneeten
Nouvelle-Zélande,numérotroisenAustralie,numéroquatreauxPays-Bas.
LESDISQUESDE1988
L.A.Guns,L.A.Guns(janvier)
Pixies,SurferRosa(mars)
NeilYoung,ThisNote’sForYou(avril)
TheSugarcubes,Life’sTooGood(avril)
LivingColour,Vivid(mai)
Prince,Lovesexy(mai)
FrankZappa,YouCan’tDoThatOnStageAnymore,vol.1(mai)
Womack&Womack,Conscience(juin)
NewKidsOnTheBlock,Hangin’Tough(septembre)
SonicYouth,DaydreamNation(octobre)
9.UNDERNIERTOUR
Joanne Gillespie a huit ans quand on lui diagnostique une tumeur au
cerveau.Lesmédecinsluidonnentsixmoisàvivre.En1989,cetteenfant
deStockton-on-Tees,danslenord-estdel’Angleterre,aatteintsesonzeans
et publie Brave Heart, le récit de son combat contre la maladie et de sa
rémission après deux opérations chirurgicales. L’histoire sert alors
d’inspirationàlacréationde l’associationcaritativeBravehearts,quiaide
lesenfantsàtraverserdesépreuvessimilaires.PuisJoanneGillespiesevoit
attribuerletitredePersonnalitéduNord-Estdel’Année.Alors,pourfêter
ça,le9octobre1989,DireStraitspourtantséparévientjouerpourelleau
MayfairBallroomdeNewcastle.
L’événement, un dîner-concert de sept cents convives destiné à lever des
fonds, a été mis sur pieds par Bravehearts, dont Mark Knopfler est le
parrain.Touslesmusicienssontlà,avecChrisWhitemaissansJackSonni,
encoreunefois,remplacéparBrendanCroker.Dansuneprestationd’une
heure incluant « Sultans Of Swing », « Romeo And Juliet » et « Money
For Nothing » (dont le titre n’aura jamais été aussi peu approprié), Dire
Straits glisse une reprise de Chuck Berry, « Nadine », sur laquelle un
hommed’affaire du coin rejointle groupe à l’harmonicamoyennant cent
cinquante livres. Au final, la soirée permettra de collecter plus de trente-
cinqmillelivres19 .
«IThinkILoveYouTooMuch»
Depuis avril 1986, Dire Straits a disparu de la circulation. Quand il
reparaît, ce n’est plus que pour des opérationsspéciales auxquelles il fait
bénéficier sa capacité d’attraction. D’abord au concert pour Nelson
Mandela, en juin 1988. Puis, en mai 1989, pour un concert privé à cent
vingt-cinq livres la place au Anugraha Center de Egham, au profit d’un
programmedepréventioncontreladrogueauprèsdesjeunes.DireStraitsy
a réédité sa version calypso de « So Far Away » au milieu des habituels
«SultansOfSwing»,«RomeoAndJuliet»,«WalkOfLife»,«Money
For Nothing », « Twisting By The Pool » et la reprise de « Nadine ».
Ensuite,c’estleconcertpourBraveheartsetJoanneGillespie.
Lesamedi30juin1990,surlascènedufestivaldeKnebworth,montéau
profitd’uncentredethérapieparlamusiqueetd’unétablissementd’études
artistiques,se succèdent Tears ForFears, Phil Collins,Statu Quo, Robert
Plant(avecJimmyPage),CliffRichardetlesShadows,PaulMcCartneyou
encorePinkFloyd.EricClapton,FenderStratocasternoiresurVersacerose
pâle,terminesonset.Puis,faceauxcentvingtmillespectateurs(etauvent,
trèsfortcejour-là),ilannoncesimplement:«DireStraits!»
SurgissentalorssurscèneMarkKnopfleretsaPensa-Suhr,JohnIllsleyet
Guy Fletcher. Alan Clark est déjà en place en tant que musicien de
Clapton.Toutcebeaumondeattaque«SolidRock»,dansunalignement
de guitaristes en costumes colorés plutôt cocasse – Clapton en rose,
Knopflerenmarronclair,Illsleyenbleumarine,PhilPalmer,dugroupede
Clapton, en bleu roi. À la surprise générale, le leader de Dire Straits
enchaînepar uninédit, laissantplaner l’idéequ’il estdestiné auprochain
album,cequirevientàlaisserplanerl’idéequ’ilyauraunprochainalbum
de Dire Straits… « I Think I Love You Too Much » est l’un de ces
morceauxchaloupémid-tempotypiquedugroupe,gorgédecesonchaud
etgrassortidelaPensa-Suhr.Onterminesur«MoneyForNothing»et
MarkKnopfler reste pour« Sunshine Of YourLove » et unepoignée de
chansonsd’EltonJohnquiarejointlabande.
«IThinkILoveYouTooMuch»figurerasurladoublecompilationdu
festival,Knebworth.Sonauteurl’aégalementdonnéauguitaristecanadien
aveugle Jeff Healey, qui l’inclut en 1990 sur Hell To Pay (Knopfler
l’accompagne).MaislachansonnefinirasuraucunalbumdeDireStraits.
Pourtant, le lendemain du concert, Mark Knopfler, John Illsley et Ed
Bicknellseretrouventàl’hôtelHalcyon,enborduredeHollandPark,pour
bel et bien parler d’un nouveau disque et d’une nouvelle tournée du
groupe.
AIRLondres
L’excitationetl’enthousiasmenesemblentpasavoirprésidéàlaréalisation
deOnEveryStreet,quialieuauxAIRStudiosdeLondresentrel’automne
1990 et le printemps 1991. Interviewé en 2014, Alan Clark dit avoir été
trèssurprisquelamachinereparte,tantlatournée BrothersInArmsavait
eulesatoursd’unpointculminantautantquefinal.«Leschansonsd’On
EveryStreetauraienttoutaussibienpuconstituerunalbumsolodeMark.
Jene veuxpastrop m’avancermaisje pensequ’ila réunile groupepour
fairecedisqueparcequ’il étaitenpleindivorceetque celaluipermettait
d’êtreoccupéàautrechose,desechangerlesidéesetderesterloindechez
lui. » John Illsley, lui, n’a pas aimé la tournure prise par les séances,
interminables.«Iln’yariendepirequedepinaillersurdesdétails.Nous
avonspassétropdetempsàcoucherdeschosessurbandespourleseffacer
justeaprèsquandonafait OnEveryStreet.Franchement,c’étaitunvrai
cauchemar.»(PerformingMusician).
Encore une fois, la notion de groupe n’est que toute relative. Dans une
largemesure, ledisque estune continuationdes collaborationsavec Chet
AtkinsoulesNottingHillbillies.Lachanson«WhenItComesToYou»,
qui finira sur l’album, était déjà jouée en concert par ces derniers.
L’ingénieur du son Chuck Ainlay et le joueur de pedal steel guitar Paul
Franklin sont ramenés de Nashville. Quelques années auparavant, Mark
Knopfler avait proposé au chanteur country Vince Gill d’intégrer Dire
Straits et l’intéressé, qui peinait à se faire une carrière à l’époque, avait
beaucoup hésité avant de refuser. S’il avait dit oui, avait-il estimé, cela
auraitsignifiénepascroireenlui-mêmeettournerledosàsesambitions.
Mais les liens ont été gardés. Le chanteur, dont « When I Call Your
Name»estentraindedeveniruntubeaumomentoùDireStraitsentreen
studio,estinvitéàfaireleschœurssur«TheBug».
LejeudeTerryWilliamsnecadrantrésolumentplusaveccesorientations
musicales,ilnefaitplus partiedeDireStraits,mêmes’il viendrafaireun
tour au studio pour voir les copains. Jeff Porcaro, de Toto, et Manu
Katchéleremplacent.LeguitaristePhilPalmer,croiséchezEricClaptonet
PaulBrady,participeauxséances,demêmequelepercussionnisteDanny
Cummings,accompagnateurdeJohnMartynetdeGeorgeMichaeldepuis
Wham.
Manu Katché a des souvenirs en demi-teinte de son passage aux AIR
Studios. Sollicité pour « Planet Of New Orleans », il découvre une
ambiance pesante et un Mark Knopfler renfrogné ne parlant à personne,
enfermé dans la cabine de contrôle. Pendant deux jours, le batteur
s’acharnesurunpassagedontleleadern’estpassatisfait.Avantdesevoir
demander de refaire les parties de Jeff Porcaro sur « Heavy Fuel », soi-
disanten raison d’un problèmetechnique. Or, ce titretrès rock n’est pas
dutoutdanslestyledeManuKatchéquialesentimentdésagréable,dece
fait, de subir un genre de bizutage. La situation se débloque quand le
batteur se résout à jouer comme il l’entend età sedéfouler sur lestoms,
sans se préoccuper de l’avis de Môssieur Knopfler. C’est alors que ce
dernier exulte derrière la vitre avantd’inviter ManuKatché au pub pour
luiproposerdepartirentournéeavecDireStraits–l’intéressédéclinera.
OnEveryStreet
Enregistrédenovembre1990àmai1991auxAIRStudiosdeLondres
Sortile9septembre1991
L
a cavalcade qui ouvre On Every Street cache un étrange exercice. Un peu
comme«RailroadWorksong»audébutdel’albumdesNottingHillbillies,
lesélémentsrocketcountrys’appuientsurunbourdonnementmachiniquede
synthétiseurs et de boucles rythmiques. Sans véritable motif d’ouverture,
«CallingElvis»produitl’impressiond’avoircommencéavantmêmequel’onse
soitmis àl’écouter et laPensa-Suhr trèssaturée deMark Knopflerrépond à
unepedalsteelguitarquipeutseconfondreaveclesclaviers.Lesolodeguitare
n’en est pas vraiment un – un déluge de doubles croches comme pour un
exerciceavantunesuccessiondephraséselliptiques.DireStraitsestderetour
avecunsonrockpuissantetdesafféteriescountrypourunechansonsurunfan
tentantdejoindreElvisPresley,forcémentpleinedeclinsd’œil(«Heartbreak
Hotel»,«LoveMeTender»,«Don’tBeCruel,«Treatmelikeafool»,phrase
tiréede«LoveMe»,«Didheleavethebuilding20»…).Oubliéeslestendances
jazz, Mark Knopfler revient à ses racines. C’est affirmé dès l’illustration de
pochette, d’ailleurs : un guitariste en train de jouer les deux pieds dans des
santiagscroiséessuruneconsole,entoutedécontraction.Laidback.«WhenIt
Comes To You » et son narrateur qui s’exfiltre d’une relation invivable (en
citant«ColdColdHeart»deHankWilliams),«TheBug»etsamétaphore
rigolote sur les aléas d’une approche amoureuse (parfois on se sent pousser
des ailes, parfois on n’ose pas, parfois on mène la danse, parfois on se fait
envoyersur les roses,parfois onest le pare-brise,parfois onest l’insecte) et
« How Long » louchent aussi du côté de Nashville. De même que « Iron
Hand»,àproposd’unegrèvedemineursaccompagnéedeviolencespolicières
en juin 1984. Les images de charges de police montée à la télévision avaient
choqué Knopfler, d’où la comparaison, dans la chanson, avec les batailles
médiévalesdechevaliersenarmures.«Pourmoi,cen’estpascommecelaque
l’on résout un conflit, un désaccord. En Grande-Bretagne, on a l’habitude de
traiter autrement de tels problèmes. J’espère que ce n’est pas pour rien que
nous avons cinq cents ans de démocratie derrière nous » (BBC Radio 1FM).
Pourl’orchestration,PaulFranklinutiliseuninstrumentinventéparsonpère,le
Pedabro, c’est-à-dire un résonateur en métal adapté à une pedal steel. Pour
«TheBug»,ilaaccordésapedalsteelguitaruneoctaveplusbasse–cequ’il
appellelebaritonesteel.
« Fade To Black », à l’origine une chanson rock à la Rolling Stones, est une
véritablecarte postale de club jazz avecguitare à la Kenny Burrell (laGibson
Super400)etfemmefataledefilmnoir(fadetoblack:fonduaunoir).D’autant
que le groupe l’a enregistrée live dans le studio (c’est aussi le cas d’« Iron
Hand»et«CallingElvis»).
Unpeucommel’intimismede«PrivateInvestigations»arrivaitaprèsl’emphase
de « Telegraph Road » sur Love Over Gold, « On Every Street » succède à
«CallingElvis».UnemélancoliegarantiepurKnopflermaislepianoscolaire,le
violiningdeStratocasteretlesaxophonesopranoplaintifsortitoutdroitd’une
musiquedefilmsonnentunpeutropmécaniques,commes’ilsn’existaientque
pour la splendide succession d’arpèges de Gibson Super 400 et à laquelle se
mêlentleslignesdepedalsteelguitar.Tantdepréciositéspourenarriverlà,a-
t-onenviededire…
Lesimagesdepolarde«FadeToBlack»et«OnEveryStreet»racontenten
fait des relations amoureuses qui se délitent, des histoires d’hommes et de
femmes qui s’éloignent, moins dans l’acrimonie que dans un certain fatalisme.
«Jenesaispascommentçasefaitquejesoisencoresurl’affaire»(«OnEvery
Street»).Ledivorceencoursdel’auteuradetouteévidencenourril’album.
Fait rare dans le répertoire de Dire Straits, le texte de « You And Your
Friend » sert surtout de prétexte aux envolées de Gibson Les Paul et d’un
instrumentinventé parPaul Franklin, thebox (la boîte).Il s’agitde dix cordes
tendues dans une caisse sur lesquelles on passe un bottleneck. L’émotion, le
toucher,l’expressivitésontlàetlerésultatpourraitêtresidérantsiDireStraits
n’avait jamais enregistré « Brothers In Arms ». Très elliptiques, les paroles
laissentvolontairementlaplaceàtouteslesinterprétations.C’estcequiplaisait
à Knopfler dans la formule « you and your friend » (« toi et ton ami »), qui
peuvent faire référence à deux amants comme à deux amis, avec ou sans
trahison.
«HeavyFuel»revientàlasatire,énumérantàlapremièrepersonneunesérie
de vices (cigarettes, alcool, malbouffe, filles faciles) auxquels s’adonne un
narrateur arrogant. L’auteur réédite cet exercice consistant à incarner une
personnalitédésagréable,ettentelepartiprisde«MoneyForNothing»d’un
riff de guitare lourd et répétitif. Mais ce dernier est sans doute l’un des plus
pauvres du groupe et rappelle ce que Mark Knopfler disait de lui-même à
l’époque de « Twisting By The Pool » : « Je ne sais absolument pas faire de
disquesderock’n’roll»…
«TicketToHeaven»et«MyParties»prolongentcetteveinesarcastique,la
premières’enprenantauxtélévangélistes,laseconde,trèsamusante,moquant
unpropriétairem’as-tu-vuorganisateurdefêtes(onimagineunproducteurde
disquesdanssavilladescollinesdeL.A.,parexemple…).Lesdeuxfontfigure
de parenthèses orchestrales en décalage notable avec le reste de l’album :
«Ticket ToHeaven» estune ballade texmex surunarrangement decordes
signéGeorgeMartin,«MyParties»estdominéparunesectiondecuivreset
de saxophones assez peu galvanisante. Mark Knopfler avait envisagé de la
supprimerdelasélectionfinaleestimant,unpeucommepour«WalkOfLife»
àl’époque,quelablaguenetiendraitqueletempsdelapremièreécoute.
Dans les deux cas, l’exercice reste paradoxalement trop sobre, les effets pas
assez accentués d’où l’impression d’en rester au stade d’une musique
d’ambiance.EtlavoixdeKnopflertrouvedifficilementsaplace,commeplaquée
artificiellementsurl’ensemble.
Avec son introduction de guitare contemplative et ses accords de piano
électrique,«PlanetOfNewOrleans»aquelquechosedecinématographique.
CettepeinturedelaNouvelle-Orléans(musiciensenquêtededébouchés,bars,
errances nocturnes) multiplie les détails, percussions, saxophone, cassures de
rythmes,claviers,pendantprèsde huitminutesmaispourun résultatsomme
toutetrèsimpersonnel.Plusquelesdeuxprécédents,c’estlemorceauentrop
deOnEveryStreet.
S’ilestpluschaleureuxqueBrothersInArms,etsil’usagedesclavierss’avèrede
nettementmeilleurgoût,cesixièmealbumstudioparvientrarementàsonner
mieuxqu’ungroupedeprofessionnelsanonymes,noyantlesréférencescountry
oulesphrasésdeguitarederrièretoujoursplusdecouchesinstrumentales.Les
chansons ne décollent pas vraiment. D’autant que plusieurs souffrent de ce
défautrécurrentchezDireStraits:nepassavoirseterminer(«CallingElvis»,
«WhenItComesToYou»,«HeavyFuel»).«Peut-êtrequesil’oneffaçaitle
chant et que l’on trouvait un film qui aurait besoin d’une musique -
d’ambiance…»suggère EntertainmentWeeklydansunecritique.Biensûr,àla
toute findu disque, il y a « How Long », une balladecountry sur une liaison
peinant à se concrétiser et qui semble échappée du répertoire des Notting
Hillbillies – et la seule à passer sous la barre des quatre minutes. Mais à ce
stade,sonapparitionprendl’allured’unepistebonussurleCDsansbeaucoup
d’à-propos.
Dire Straits a enregistré deux autres titres, les faces B des singles « Calling
Elvis»et«HeavyFuel».Dans«MillionaireBlues»,unnantinousfairepartde
sesproblèmesdejacuzzienpanne,dedomestiquedémissionnaireetdemoral
dansleschaussettes(ouplutôt:danslestalonsdesesbottesenalligator).Très
amusante,d’autantquel’ondevineunecertaineautodérision,cettechansona
le tort de bien trop ressembler, musicalement, à « I Think I Love You Too
Much».Plussérieuse,«KingdomCome»s’enprendàunchasseuraccroàla
grosseartillerie,c’est-à-dire,danslefond,àlafascinationpourlesarmesàfeu.
Ungrosrockpuissantmaispastrèsaccrocheur.
Retoursurlesroutes
Plus de deux semaines avant la parution de l’album, le On Every Street
Tour débute à Dublin avec cinq soirées au Point Depot. L’occasion de
présenter,déjà,uninédit!«TheLongHighway»neserajouéquesurces
premièresdates. Il ressurgiraen 2000 sur lesingle « What ItIs » tiré du
deuxièmealbum solode MarkKnopfler, SailingTo Philadelphia.Surces
premièresdates,legroupetestedestitresquineserontplusrejouésensuite,
un«PortobelloBelle»ralenti(rejouéunefoissurunedateàGrenoble),un
« Why Worry » soporifique et un « Setting Me Up » fracassant, où la
pedalsteelguitarn’ajamaisétéaussipertinente.
Lasuite est un énième périplemondial étourdissantde près de deux cent
trente dates, à nouveau sponsorisé par Philips, jusqu’au concert final de
Saragosse, en Espagne, le 9 octobre 1992 sous un orage diluvien. Mark
Knopfler a remisé les costumes austères et repris ses serre-têtes, voire ses
maillotsdecorpsetsesbraceletsdetennislorsdesrappels.PaulFranklin
estsurscène,apportantunefraîcheurnouvelleà«WalkOfLife»,«Your
LatestTrick»oumême«BrothersInArms».Àlabatterie,ChrisWhitten
se distingue par un jeu plus complexe et plus fin que celui de Terry
Williams. Ce musicien de séance a été repéré sur la longue tournée
événementdePaulMcCartney,achevéeaumoisjuillet.Or,épuisé,ilnese
voyaitpasrepartirpouruntour.D’autantqu’iln’aimepaslamusiquede
DireStraitsetsoupçonneMarkKnopflerdedétesterlesbatteurs,commeil
leraconteraen2020danslepodcastallemandDarko.audio!Auditionnéà
Londressurlachanson«OnEveryStreet»,ilfinitparaccepterpourune
raisontrèspragmatique:unmusiciendeséancenepeutpasrefuserdefaire
sesuccéderPaulMcCartneyetDireStraitssursonCV,àmoinsdevouloir
disparaître du circuit. Il est épaulé par Danny Cummings et son
impressionnantkitdepercussions–quasimentunedeuxièmebatterie,pour
desinterventionstrèséloignéesdespetitestouchesdeJoopdeKorte.Chris
Whiteestdeplusenplusprésent,auxsaxophonesouàlaflûtetraversière.
Ilreprendl’arrangementcréépourluisur«RomeoAndJuliet»,intervient
dans « Telegraph Road », «Private Investigations » ou au début de
«BrothersInArms».Quantà«MoneyForNothing»,letitreestamputé
de son crescendo introductif et démarre directement sur un déluge de
guitare.
Si Dire Straits reprend ses grands classiques sans aucune surprise (pas
d’exhumation d’un « Wild West End » comme en 1985 par exemple), il
défend plutôt bien le nouvel album, dans un effort louable pour éviter
l’«effetnostalgie».Maisladuréedupériple,latailledessalles,lerythme
usentvitesonmonde.«Àunmomentdonné,surleOnEveryStreetTour,
nousavonsdonnétrente-cinqconcertsd’affilée.Auboutdevingt,vousne
savezquasimentplusoùvousêtesetn’enavezdetoutefaçonrienàfaire»,
résumeJohnIllsleypour PerformingMusician.Unefoisrentré,lebassiste
filera en thérapie pour se reconstituer. Il lui faudra deux années pendant
lesquellesilsemettraàlapeinture.
Déjà moyennement motivé, Chris Whitten finit la tournée tel un
«zombie»,commeilleraconteraen2020.«Auboutd’unanetdemi,je
ne supportais plus de voir un kit de batterie ». Travailler avec Mark
Knopflernelui laissepasun bonsouveniret levolumeassourdissantdes
concerts l’a particulièrement fait souffrir, en un temps où les protections
auditives n’étaient pas encore la norme. Il faut dire que sur scène, sa
batterie était cernée par sa propre sonorisation, en plus du système
principal, au point que Whitten pouvait à peine s’entendre. C’est bien
simple,luiqui, àsesmoments perdusentreles concertset lesrépétitions,
écoutaitGrandmasterFlashetlesBeastieBoys,ilneveutplusrienavoirà
faireaveclerock.
Mark Knopfler non plus n’était peut-être pas prêt à refaire un tour du
monde pour jouer les mêmes chansons soir après soir. La lassitude est
parfoisperceptibledanssonchantetsonmanqued’implicationsurscène,
patent. Les dialogues de guitares avec Paul Franklin et Phil Palmer, une
nouveauté chez Dire Straits, n’ont pas l’air de l’enthousiasmer plus que
cela. Joop de Korte, présent sur la tournée même s’il a été remplacé sur
scèneparDannyCummings,entémoigne:«MarkKnopflerasembléen
avoir marre à peine les répétitions terminées. L’album et les ventes de
billets n’ont jamais atteint les niveaux démentiels espérés et toute cette
affairerelevaitduprofessionnalismesansinspiration.»
OnTheNight/Encores
Enregistrésenmai1992auxarènesdeNîmesetle30maietle1erjuin1992au
FeyernoordStadiumdeRotterdam
Sortile10mai1993
P
asséel’entréeenmatièrede «CallingElvis», aveccesjeuxdequestions-
réponsesentreguitaresetpedalsteeletsespartiesdebatteriesépatantes,
cedeuxièmeliveofficieldeDireStraitsalesmêmestraversquel’albumstudio,
enplusprononcés.Lamusiquetournecommeunehorloge,maisdésincarnée.
Ce pourrait être Dire Straits comme n’importe quel autre groupe de rock
compétent,y compris dansles soli deguitare saturés.À ce propos,« Money
For Nothing » a droit à un traitement quasi heavy metal et, pour les plus
attentifs,consacreleretourduterme faggot(maisd’unseulsurlestroisdela
version originelle). « Sultans Of Swing » n’a pas été retenu dans la sélection
mais«RomeoAndJuliet»subitlesmêmesaffrontsdelapartd’unsaxophone
accumulant les clichés de slow langoureux. Si le solo de pedal steel guitar et
l’emploidelaGibsonSuper400sontplutôtbienvussur«YourLatestTrick»,
lespercussionslatinosachèventd’enfaireunecaricaturedemorceaupourthé
dansant.Musicalement,«YouAndYourFriend»faisaitdéjàfiguredereditede
«BrothersInArms»;avoirincluslesdeuxsurce live confirmedéfinitivement
cetteimpression.
On The Night est accompagné d’un quatre-titre, Encores, issu des mêmes
concerts. Il reprend « Your Latest Trick » et y ajoute « The Bug », « Solid
Rock » et « Wild Theme » du film Local Hero, qui remplace en clôture le
« GoingHome » des tournées précédentes. C’est la seule bonnesurprise de
ces deux disques, tant la mélancolie et l’épure de ce moment instrumental
contraste avec la lourdeur du reste. L’ensemble de ces chansons sera réuni
dansunevidéodesconcerts(égalementtitréeOnTheNight).
Sessionmen(7)
Lespetitsà-côtésontrepris.En1991,MarkKnopflerétaitavecJeffBeck,
Eric Clapton et les choristes de ce dernier sur Damn Right I’ve Got The
BluesdeBuddyGuy,l’albumquiallaitrelancerlacarrièredubluesman.La
même année, sa guitare se fond parfaitement dans deux morceaux de
l’albumjazzfusiondeChrisWhite,Shadowdance.En1993,ilaccompagne
Hank Marvin surun titrede son album solo Heartbeat et Aaron Neville
sur«Don’tFallApartFromMeTonight»deBobDylan,tiréd’Infidels.
Comme une séance de rattrapage pour le guitariste, qui n’avait pas pu
produire ce disque comme il aurait voulu. L’année d’après, Knopfler
retrouveChetAtkinssurReadMyLicksetjouepourNanciGriffithsurun
« Don’t Forget About Me » qu’on croirait écrite pour ou par lui. En
septembre1994,GuyFletcherrejointsesancienscollèguesdeRoxyMusic
tousconviéssurMamounadeBryanFerry.
Pendant ce temps, Chris White collabore à The Giver (1993) et Small
Mercies(1994)dutoujoursdiscretDavidKnopfler.Cequin’empêchepas
ce dernier d’évoquer dans « Southside Tenements », sur The Giver, le
quartieroùnaquitDireStraitsetlacitéCrossfieldoùlogeaitlegroupe.Ni
d’ouvrir Small Mercies par « Deptford Days ». À n’en pas douter, une
chansond’amour,maispeut-êtrepasseulement:«C’estvrai,jen’aijamais
faitl’amouravectoimais,qu’importe,jet’aime»,«Jenemesuisjamais
senti plus heureux que lorsque je me tenais là pour t’écouter jouer ». À
l’instarde«HandInHand»dans MakingMovies,ilestpermisd’yvoir
unmessage,conscientounon,d’affectionfraternelle.
Verslafin?
Il y a plus notable encore. En 1992, le chanteur country John Anderson
s’empare de « When It Comes To You » (son auteur est à la guitare) et
Mary Chapin Carpenter livre un très dynamique « The Bug ». Depuis
«SettingMeUp»parl’AnglaisAlbertLeeen1979,DireStraitsapeuété
reprispard’autres.Quedeuxartistesaméricainsdecountrys’yemploient
danslafouléed’OnEveryStreetatoutdusymbole.
Passûr, parcontre, quele groupe suiveplus avantla routede Nashville.
«Ladernièretournéeaétéunepuresouffrance,admettraEdBicknellvingt
ans plus tard à Classic Rock. Si nous avons un temps été en phase avec
l’esprit d’une époque [zeitgeist], là, c’était terminé. » Il ne fait guère de
doute,pourpersonne,queDireStraitsn’enapluspourlongtemps.Etilne
fait guère plus de doute que les principaux intéressés n’en feront pas un
drame.
10.MEMORYLANE
Il a fallu attendre plus de six ans et demi après le dernier concert de la
tournée On Every Street mais voilà, ça y est, Dire Straits s’est reformé.
Certes, pas longtemps, pas pour le grand public et ce n’était pas prévu.
C’était le 19 juin 1999, au second mariage de John Illsley. Après la
cérémonie à l’abbaye de Beaulieu dans le Hampshire, la fête s’est
poursuiviechezlebassisteetversonzeheuresdusoir,MarkKnopfler(par
ailleurstémoin), AlanClark, GuyFletcher etle managerEd Bicknellà la
batterie, comme au temps des Notting Hillbillies, se sont lancés dans un
petitsetcomptant«WalkOfLife»,«SultansOfSwing»,«MoneyFor
Nothing»,le«Nadine»deChuckBerryetle«WildTheme»deLocal
Hero.Pourladeuxièmeguitare,pasbesoind’EricClapton,onafaitappel
à un membre de l’orchestre irlandais qui assurait la musique d’ambiance
jusque-là.
Questionné sur cette réunion informelle par Rolling Stone en
décembre2017,JohnIllsleyminimiseraetn’évoqueraqueMarkKnopfler
rejoignant les musiciens irlandais : « Ce n’était pas du tout prémédité, je
me suis simplement assuré qu’on avait une guitare correcte et un ampli
qu’ilpuisseutiliser.J’aidit:“Tuveuxyalleretjouerquelquechose?”S’il
avaitrépondu“Non,pasvraiment”,j’auraisdit“OK,çaroule,moij’yvais
etjetefaisquelqueschansonsdeDireStraits!”Justepourlablague.Mais
ilm’aréponduavoirvraimentenvie,etils’yestmis.»
Quoiqu’ilensoit,depuisoctobre1992,legroupeétaitdéjàsortiunefois
desonsilence.Mi-1995,alorsqueSupergrassvenaitdesortirsonpremier
album,Radiohead et Björk leursdeuxièmes, que quelques moisplus tard
Different Class de Pulp et (What’s The Story) Morning Glory d’Oasis
seraient chez les disquaires, Dire Straits livrait l’enregistrement d’un
concertde1978.
LiveAtTheBBC
Enregistréenpublicle22juillet1978au ParisTheatredeLondresle19décembre
1980àlaWestfalenhalledeDortmund
Sortile26juin1995
C
enouvelalbumliveest publiésanscriergarealors quelegroupenefait
plusdutoutparlerde lui.Etpourcause:il s’agitdeprestationspourla
BBCdontcettedernièrealesdroits.D’oùlaparution,auRoyaume-Uni,surle
label partenaire Windsong International Records et non chez
Vertigo/PolyGram.Le disque entre dans le cadre d’unestratégie commerciale
delaradio-télévisionpubliquebritanniqued’exploitationdesesrichesarchives:
les Beatles, David Bowie, les Who, Led Zeppelin, Rory Gallagher, Cream,
Queenettantd’autresonteuouvontavoirdroitàleurliveàlaBBC.
Sept chansons sont tirées d’un numéro de la série In Concert remontant à
juillet1978,l’époqueduquatuororiginelavecDavidKnopfleretPickWithers.
Lepremieralbumestparuunmoisetdemiauparavantettoutesleschansons
de cette prestation en sont issues, sauf « What’s The Matter, Baby? ». Co-
signéeMarketDavidKnopfler,elleseraretravailléeplustardpourcréer«Lady
Writer».Lesonestbrut,lesFenderensonclairrugissentetlecontrasteest
saisissantavecOnTheNight,l’albumenconcertprécédent.Lesdeuxfrèresont
laissélesguitaresacoustiquesàlamaison.Toutestélectriquesur«WildWest
End»,«WaterOfLove»et«SixBladeKnife».Lesdeuxdernierstitress’en
retrouvent gorgés d’une tension nouvelle à coups de bends et de slide
tranchante.
Ledisqueseclôtsuruneinterprétationde«TunnelOfLove»le19décembre
1980àDortmundenAllemagnelorsd’unconcertdelatournéeOnLocation
(celui où « News » est dédié à John Lennon). Diffusé initialement dans
l’émissionRockpopinConcertdelaZDF,lepassageaensuiteétéacquisparla
BBCpourunnumérodeTheOldGreyWhistleTestle31janvier1981(c’estla
mentionretenuedanslesnotesdepochette).DireStraitsn’estàcemoment-là
plusdutoutlegroupede1978etl’enregistrementjureaveclesprécédentsqui
formentuntoutcohérent.Ilrestequece«TunnelOfLove»bénéficielui-aussi
d’une belle énergie, avec déjà son préambule scénique mystérieux qui ne le
quitteraplus(maisencoredépourvudesaxophone).C’estl’époqueoù,pourla
«CarouselWatz»,MarkKnopflerestàl’orguetandisqu’AlanClarkassurela
partie de piano, faute de deuxième claviériste. Le groupe saura bientôt
remédieràcettelacune.
VraieDissolution
Mais ce ne sontque de vieilles histoires. À l’époque de la parutionde ce
Live At The BBC, Mark Knopfler est en cours d’enregistrement de son
premier albumsolo, dont la sortie a déjà été plusieurs fois repoussée. En
cette année 1995, il intervient à la guitare sur des chansons de Sonny
Landreth,desChieftainsetàl’automne,ilfigureavecAlanClarkdansles
crédits de l’album Big River de l’acteur de télévision et chanteur Jimmy
Nail,unnatif deNewcastle.GibsonLes Paulenmain, Knopflerapparaît
dans le vidéo clip de la chanson-titre, qui évoque les quais de la Tyne
comme«DownToTheWaterline».
Surtout, même si John Illsley affirme que les choses n’ont jamais été
formalisées, 1995 est l’année de la dissolution de Dire Straits. Pour des
raisonsqui,ensomme,sontlàdepuislesdébutsdecegroupeconfrontéà
un succès trop rapide qui n’a jamais vraiment été digéré. « C’était de
l’autoprotection,unréflexedesurvie,justifieradesannéesplustardMark
KnopflerauTelegraph.Nousétionsarrivésàunstadequin’avaitplusrien
d’humain. En tournée, j’ai toujours adoré discuter avec les chauffeurs,
parce que ce sont des gens à l’esprit libre, indépendant. Sur la dernière
tournéedeDireStraits,jemesouviensêtrealléunjouràlacantine:jen’ai
pas su reconnaître un seul chauffeur. J’ai compris à ce moment-là que
quelquechosen’allaitpas.»
Deladernièreincarnationdugroupe,MarkKnopfleretGuyFletchersont
lesdeuxàresterleplusenvue,leseconddanslecadredelacarrièresolo
dupremieressentiellement.LejourdeNoël1999,laBBCOnediffuseun
film d’animation en stop motion, Robbie le renne dans la grande course
polaire.Lesdeuxcompèresensignentlamusique.
PhilPalmer,ChrisWhitten,DannyCummingsetPaulFranklinontrepris
leurs activités de musiciens de séances. Avant la fin de la décennie, Alan
Clarkselancedanslacompositiondemusiquespoursériestélévisées.John
Illsley,lui,attendral’année2008poursortirunnouveaudisquesolo.
Fausseréunion
L’ex-leaderde DireStraits vabientôt sortirson troisièmealbum quandil
monte quatre concerts de charité pour autant d’organisations différentes
entre le 23 et le 28 juillet 2002. Au Shepherd’s Bush Empire de Londres
pourlestroispremièresdates,puisàlaPalaceHousedeBeaulieu(levillage
où s’était marié John Illsley), ces soirées portent l’intitulé générique de
Mark Knopfler & Friends. Concrètement, elles réunissent le groupe du
guitariste,lesNottingHillbilliesetunersatzdeDireStraits:JohnIllsley,
Chris White, Guy Fletcheret, derrière la batterie, Danny Cummings. Les
deux derniers jouant en fait un double rôle, puisqu’ils sont avant tout
musiciens de Knopfler (vingt ans après, ils l’accompagnent toujours).
L’ancien Squeeze et animateur télé Jools Holland, le violoniste Bobby
Valentino ainsi que Jimmy Nail font également des apparitions. Si les
Hillbilliess’emparentde «CallingElvis »et de«Setting MeUp »,entré
depuis longtemps dans leur répertoire et additionné ici d’un violon
virevoltant, les ex-Dire Straits, avec Robbie McIntosh à la guitare
rythmique, livrent au gré des soirées « Walk Of Life », « Brothers In
Arms»,«SoFarAway»,«YourLatestTrick»,«RomeoAndJuliet»,
«MoneyForNothing»etbiensûr«SultansOfSwing».Pasde grande
surprise,mais,commeàWembleypourNelsonMandela,c’estlaloidetels
événements.
Ces concerts sont inégaux, le répertoire des Notting Hillbillies peinant
souvent à décoller. Celui du 23 juillet a droit à un article assassin du
Guardian avec son « Calling Elvis » poussif (la version livrée le 28 à
Beaulieu est plus dynamique). Le 25, c’est la grande forme, avec des
interprétations brillantes de « Money For Nothing » et « Brothers In
Arms».«SultansOfSwing»retrouvesonéconomied’origine,percutant,
sansintermède.Etsi«WalkOfLife»avaitbeaucoupgagnéavecl’ajout
d’une pedal steel guitar dix ans auparavant, le violon et l’accordéon lui
fontencoreplusdebien,réhaussantsonparfumcajun.Enfait,onalenet
sentiment que Mark Knopfler a trouvé la formule et la combinaison de
musiciens idéales pour interpréter les titres de Dire Straits. L’expérience
s’arrêteranéanmoinslà.Aucuneréunionofficiellenesuivra,encoremoins
un album, pas même un témoignage sur disque de ces soirées de
juillet2002.
Compilations
À cette date-là, une compilation est venue s’ajouter à la discographie du
groupe de Deptford et une deuxième va suivre, confinant un peu plus ce
dernierdanssonpassé.
La première porte le titre de Sultans Of Swing: The Very Best Of Dire
Straits. Parue en octobre 1998, elle a vocation à remplacer celle d’avant,
Money For Nothing. La sélection de 1988 est remaniée pour faire de la
place aux trois premiers singles de On Every Street (« Calling Elvis »,
« Heavy Fuel » et la chanson-titre) et deux extraits de On The Night
(« Your Latest Trick » et « Wild Theme »). « Lady Writer » de
Communiqué remplace « Where Do You Think You’re Going ? » du
mêmealbum,laversionde«PortobelloBelle»en1983àl’Hammersmith
Odeondisparaîtauprofitde«LoveOverGold»lamêmeannéeaumême
endroit (tiré d’Alchemy) et « Money For Nothing » est toujours proposé
danssaversionamputéeducoupletsurle«littlefaggot».
Sept ans plus tard, en novembre 2005, c’est Private Investigations: The
Best Of Dire Straits & Mark Knopfler. Disponible en version simple ou
doublealbum,elleassociecommesonnoml’indiquedeschansonsdeDire
Straits à des titresdu guitariste en solo et deux de ses musiques de films
(«TheLongRoad»de Caletl’inusable«GoingHome»deLocalHero).
L’albumcomptetoutefoisuninédit:unduoavecEmmylouHarris,«All
TheRoadrunning».Ilannonceledisqueéponymesurlequellachanteuse
country et l’ancien Dire Straits travaillent discrètement depuis des années
21
.Ilestprévupourlemoisd’avrilsuivant.
«BacktoDeptforddays»
En octobre 2008, John Illsley présente Beautiful You, un album en duo
aveclechanteurirlandaisGuyPearle.On neserefaitpas: GuyFletcher,
Chris White, Danny Cummings et Paul Brady comptent parmi les
accompagnateurs. Le disque a été enregistré à British Grove, le studio
ouverten2005parMarkKnopfleràChiswick,dansl’Ouestlondonien.
Durant la promotion, le musicien le reconnaît : oui, il se verrait bien
reprendre une rasade de Dire Straits. « Je pense vraiment qu’il reste en
nous de quoi faire une nouvelle tournée, probablement un autre album
aussi. » (BBC News) Sauf que la concrétisation d’un tel projet est
entièremententrelesmainsdeMark Knopfleretquecedernier n’enani
l’intention,nil’énergie,nil’envie.«Ildit:“Oh,jenesauraismêmepaspar
quel bout commencer pour remettre tout ce bazar en branle” » continue
John Illsley. L’intéressé est fort d’un parcours en solo respecté désormais
ancrédansladurée,decollaborationsaussinombreusesquevariées(onl’a
mêmeentenduchezlesDandyWarhols!)etd’unegestiondevenuesereine
desacélébrité.RéunirDireStraitsn’esttoutsimplementpasunsujetpour
lui.LemanagerEdBicknell,quicontinuaitàs’occuperdesacarrière,ena
faitlesfrais:àtropvouloircapitalisersurle passédesonclient,ilafini
par se faire remercier au début des années deux mille. C’est néanmoins
publiquementettrèsofficiellementqueMarkKnopflervafinirparrevenir
avecsonamibassistesurlestracesdeleursdébutscommuns.
Ce jeudi 3 décembre 2009 en fin de matinée, en effet, il y a un peu de
mondedevantunebarred’immeublebrunedeDeptford.LaFarrerHouse
n’apasdûattirerautantlafouledepuiscejourd’avril1977oùunfestival
punk était organisésur la pelouse, avec Dire Straits qui ne s’appelait pas
encoreDireStraits.C’estlaraisondecerassemblement.LaPRSforMusic
a décidé de marquer le lieu d’une plaque commémorant l’événement :
«DireStraitsfirstgiggedhere,1977,presentedtoFarrerHouse,Crossfield
Estate»[DireStraitsajouéenpublicpourlapremièrefoisici,1977,àla
Farrer House, cité Crossfield]. L’initiative entre dans le cadre d’un
programmenationalvisantàhonorerlessitesoùdesmusiciensdemusique
pop au sens large (rock, reggae, électro, new wave) ont livré leur tout
premier concert. Tout a commencé dix jours plus tôt, le 24 novembre,
quand Blur a été distingué par une plaque à l’East Anglian Railway
Museum de Colchester. Squeeze, Soul II Soul, Statu Quo, UB40, Elton
John,Queensuivront.
À Deptford, Mark Knopfler et John Illsley sont présents. Ils échangent
quelques souvenirs et impressions. De l’autre côté de la rue, une vaste
fresque murale de l’artiste spécialisé dans le paysage et l’architecture
urbainsGaryDrostle,etréaliséeen1989avecdesécoliers,représentedes
saynètesdelavielocale.ElleapournomLoveOverGold,commel’album
de 1982 de Dire Straits dont le titre provient d’un graffiti repéré par
Knopflerdanslequartier(l’anecdotefaitl’objetd’undétaildelafresque).
C’est « Back to Deptford days » [« Retour à l’époque de Deptford »],
commelechanteraMarkKnopflerdans«OneSongAtATime»en2018.
La parution en avril 2015, pour le Record Store Day, d’une nouvelle
archive va confiner encore un peu plus Dire Straits sur l’autoroute des
souvenirs. Parmi les cinq-cent-quatre-vingt-douze disques vinyles
disponiblescejour-làenéditionlimitée,entreunsingleBlackKeys/Junior
Kimbrough, un coffret Donna Summer et un live du Grateful Dead de
1990, figure en effet un 45-tours du tout premier enregistrement du
quatuordelaFarrerHouse:ladémoenvoyéefinjuillet1977àl’animateur
de Honky Tonk sur Radio London, Charlie Gillett. Celle qui a lancé sa
carrière.
TheHonkyTonkDemos
EnregistréauxPathwayStudiosdeLondresle24juillet1977
Sortile18avril2015
D
isponibledepuislongtempsenversionpirate,cetenregistrementestbien
connudesfansmaisétaitjusque-làd’assezmauvaisequalité.Leschansons
nedéfilaientpasàlabonnevitesseetlarythmiquetenaitd’ungenredebouillie
sonore.Cettepublicationofficielleàmilleexemplaireslivresquelquechosede
propre,avec les deuxcanaux de lastéréo restitués. Maiselle ne compte que
quatredescinqtitresfigurantsurladémooriginellereçueparCharlieGillett.
«SacredLoving»signéDavidKnopflern’apasétégardé.Labandecommençait
aussi par « Walking In The Wild West End » (titre initial de « Wild West
End»)etnon«SultansOfSwing».«Sultans…»estd’ailleursleseulextraitde
la démo à être déjà paru officiellement, sur la compilation The Honky Tonk
Demosde1979évoquéeaupremierchapitredecelivre.Aupassage,dansles
textesécritspourladitecompilation,Gillettdatedu31juillet1977ladiffusion
de«SultansOfSwing».Ici,ilestfaitmentiondu27juillet.
Quoiqu’ilensoit,cequatre-titresconfirmecequel’onsavaitdéjà:DireStraits
atellementjouéetrejouéceschansonsqu’ilnes’agitplusvraimentdedémos.
Toutest en placecomme surle premieralbum à venir.Quelques différences
sont évidemment perceptibles. Le son est sec, sans reverb, il manque des
phrasés de guitare dans « Sultans Of Swing », « Down To The Waterline »
démarresansl’introductionplanantetrafiquéeenstudioetlaguitarerythmique
est dépourvue de l’effet tournant qui l’habille dans Dire Straits. « Water Of
Love»compteunediscrèteponctuationàlaguitareélectriquealorsquetout
est acoustique dans la version de l’album. Il n’y a pas de discret piano sur
« Wild West End » ni l’effet de violoning conclusif et l’accompagnement
acoustique de David Knopfler est assez appuyé, quand il est plus subtil sur
l’album.
Ce disque n’offre donc aucune révélation mais laisse entendre des chansons
dansunétatàlafoisdefraîcheuretd’aboutissementquasi-prêtàl’emploi,ce
quin’estpassifréquent.«Lapremièrechoseàlaquellej’aipenséétaitqueje
n’allaispasdevoirchangerouréglergrand-chose,sesouviendraleproducteur
du premier album Muff Winwood pour MusicRadar en 2023. John et Pick
formait une excellente section rythmique, je me suis donc concentré sur la
manièredesouderétroitemententreelleslabasseetlagrossecaisse.Markse
débrouillaittoutseul;ilsuffisaitdeluidire“go”etc’étaitparti.»
LiveinChalons
Ilfauttoutefoisadmettrequelaparutionde TheHonkyTonkDemos fait
moinsde bruit(àtous lessensdu terme)que cellede lalégendairedémo
surcassettedeMetallicaNoLifeTilLeather(1982),miseelleaussipourla
premièrefoisencirculationofficiellelorsdeceRecordStoreDay.Unpeu
moins d’un an plus tard, en revanche, c’est l’effervescence. En France en
toutcas.LesmédiasannoncentniplusnimoinsquelareformationdeDire
Straits ! Quoique… Le fait que l’événement soit prévu pour le concert -
d’ouverture de la soixante-dixième foire de Châlons-en-Champagne, le
26août 2016, aurait dûmettre la puce àl’oreille… Il s’agit enréalité de
Dire Straits Legacy, un tribute band. L’ambiguïtéest venue de ce que les
musiciens sont d’ex-Dire Straits. Autour du clavier Alan Clark, qui a
monté ce groupe, on trouve les guitaristes Jack Sonni et Phil Palmer, le
batteurDannyCummings,lesaxophonisteMelCollinsetmême,untemps,
Pick Withers. La formation tourne toujours, en parallèle d’une autre du
même genre, Dire Straits Experience, emmenée par le saxophoniste Chris
White.JohnIllsleyadmettraplustardà RollingStoneavoirétéagacépar
cesinitiatives.MarkKnopfler,lui,sefendrad’uncommentaired’unerare
méchancetéaveclachanson«TerminalOfTributeTo»en201522.
Mais s’il existe une occasion de voir le véritable groupereconstitué, avec
sesdeuxpiliersquesontjustementKnopfleretIllsley,neserait-cequ’une
seulefois,c’estbienuneintronisationauRockandRollHallofFame.
Sultanofsnub
Le 12 décembre 2017, l’institution de Cleveland dévoile les noms de sa
prochainepromotion, qui serahonorée le 14 avril2018. Au côté deBon
Jovi, Nina Simone, les Moody Blues et la « marraine du rock’n’roll »
RosettaTharpe,figureeneffetDireStraits.
Comme souvent avec les formations dont la composition a beaucoup
évoluéaufildutemps,touslesmusiciensquienontfaitpartienesontpas
conviés (Pearl Jam a notoirement causé problème avec sa farandole de
batteurs). Sont donc invités à entrer au Panthéon des rockeurs les quatre
fondateurs ainsi que Alan Clark et Guy Fletcher, considérés comme
artisansessentielsdecequ’estdevenuelamusiquedugroupe.
Lors d’une intronisation au Rock and Roll Hall of Fame, une célébrité
vient présenter à la tribune l’artiste à l’honneur, détaillant son rapport
personnelàsamusique(cequ’atrèsbienfaitZZToppourCream;ceque
n’a pas vraiment fait Keith Richards pour ZZ Top). Puis les intronisés
expriment leur émotion, remercient femmes, enfants, collaborateurs et
mentors avant que tout ne se termine en un concert d’une poignée de
morceaux. C’est ainsi que l’on a pu voir les trois Cream ravaler leurs
rancœursletempsdetroistitresenjanvier1993,LedZeppelin(moinsfeu-
JohnBonham)se reconstituerdeuxansplus tardouDavidByrne rejouer
aveclerestedesTalkingHeadsmalgrélesinimitiésen2002.Pourquoipas
DireStraits?
La cérémonie qui a lieu à Cleveland ce samedi pluvieux d’avril 2018 est
sansdoutelaplusbancaleàcejourdel’histoireduRockandRollHallof
Fame ! Ni Mark Knopfler, ni son frère David, ni Pick Withers ne sont
présents. Le premier et le troisième n’ont même fait aucun commentaire.
Finalement, le batteur expliquera en 2021 à la chaîne YouTube Rock
History Music s’être senti honoré sans vouloir s’imposer « tout le cirque
quecelaimpliquait».Iln’avaitpaseu«enviedefaireami-amiavectoutle
monde, de faire semblant que tout était merveilleux juste pour récupérer
un trophée ». Sur son site Web, Guy Fletcher révèlera toutefois avoir
rencontré pour la première fois Pick Withers à un événement privé lié à
cetteintronisationauxstudiosd’AbbeyRoadàLondres.
DavidKnopfler,lui,afaitsavoirqu’ilavaiteul’intentiondevenir.Maisil
s’est désisté quandil a appris que l’organisation du Hall of Fame n’avait
pasl’intentiondeluipayerlesfraisdevisaetdevoyagecommeilavaitété
apparemmentconvenu.
SeulsJohnIllsley,AlanClarketGuyFletchermontentdoncsurscène,au
son des « wouhou hou » du grand absent de la soirée dans « Walk Of
Life».Histoired’alourdirunpeuplusl’ambiance,DireStraitsnebénéficie
d’aucun discours introductif de quelque personnalité que ce soit. C’est
John Illsley lui-même qui se dévoue pour endosser le double rôle
d’intronisateuretd’intronisé.«Entantquemembrefondateur,j’aipensé
êtrepeut-êtreleplusqualifiépourlefaire.C’estunpeubizarre,maisvoilà,
lavieestétrange.»AvantdeciterElvisPresley,ChuckBerry,RyCooder,
J.J.Cale,BobDylanparmilesinfluencesfondatricesdugroupe.Unepause.
Puis,sesnotesenmain,levoilàquipointel’éléphantdanslapièce,comme
disent les Anglais pour caractériserun sujet délicat auquel tout le monde
pensesans oserl’aborder defront :« Je saisqu’on abeaucoup spéculéà
proposdel’absencedeMark,maisjepeuxvousassurerquecelaatoutde
personnel!Doncrestons-enlà.»Rirescoincésdanslasalle…
GuyFletcheretAlanClarkluisuccèdentaumicropuisJohnIllsleyreprend
laparole,cettefoiscommebassistedeDireStraits.Ilrevientauxsources.
LaFarrerHouse, lesconcertsdansles pubs,CharlieGillettet l’explosion
punk tout autour. L’ambiance si particulière des séances de studio pour
Communiquérefaitsurface,avantlalonguelistedenomsànepasoublier
etàremercier,membresdeDireStraits,musiciensadditionnelsenstudio,
sur scène ou invité de prestige (Sting), managers. Il n’y a guère que le
percussionniste Joop de Korte à ne pas être cité. Mais le dernier nom à
résonnerresteraceluidel’homme«sansquiabsolumentriendetoutcela
neseraitarrivé»,MarkKnopfler,glorieux« SultanofSnub»[Sultandu
Dédain]commelequalifieraunedépêched’AssociatedPressaulendemain
del’événement.
JohnIllsleyrendlemicro,lestroishommesquittentl’estradeet…plusrien.
Pas de petit concert entre amis, personne pour reprendre quelques
chansons des héros du moment comme cela aurait pu se faire. La
cérémonies’achèveeneaudeboudin,laissantlesoinauxmédias,lesjours
suivants, de commenter ce grand moment de malaise qu’aura été l’entrée
au Rock and Roll Hall of Fame de Dire Straits, le groupe aux tournées
géantesàquiontlittéralementappartenulesannéesquatre-vingt.
Souvenirsdelaroute
En2020,lessixalbumsstudiodeDireStraitssontrééditésencoffret,The
StudiosAlbums1978-1991.Nesontdoncinclusnil’EPExtendedancEPlay
ni les disques en concert. On n’y trouve aucun inédit, démo, prise
alternative,faux départ ou autre chute de studiocomme on peut trouver
cheztantd’autres, deFleetwoodMacà BruceSpringsteenen passantpar
Miles Davis. En revanche, le 3 novembre 2023, un coffret consacré aux
enregistrementsenpublicfaitplusd’efforts.
L’objet s’intitule simplement Live 1978-1992. Si le Live At The BBC est
inchangé, les autres disques comptent quelques ajouts et quelques
bizarreries.ÀsarééditionenCD, Alchemyoffraituntitresupplémentaire
parrapportaudoublealbumenvinyle,«LoveOverGold».Lanouvelle
version en ajoute trois autres, mixés par Guy Fletcher. « Industrial
Disease », dont on entendait jusque-là seulement l’introduction de piano
dansunfonduetlafinavant«ExpressoLove»,estsimilaireàlaversion
studio mais particulièrement percutante. La frappe du batteur Terry
Williams y est pour beaucoup et semble pousser en avant le débit si
particulier de Knopfler au chant. Les interventions de la guitare de Hal
Lindes sont aussi très présentes. Guy Fletcher n’ayant pas touché au
mixage originel du reste d’Alchemy, il a gardé le fondu qui suivait
« Sultans Of Swing » surles éditions précédentes, correspondant à la fin
d’unefacedevinyle.Ilyadoncunblancavant«TwistingByThePool»,
deuxièmebonus.L’interprétationn’apportepasgrand-chose,ilenexistede
plusfurieusesjouéesàl’époquedePickWithers,maisoncomprendqu’elle
formeunbinômeavec«TwoYoungLovers»justeaprès.
C’estl’inclusionde«PortobelloBelle»quifaitsurtoutdébatchezlesfans.
Ils’agitdelaversiondelacompilation MoneyForNothing complétéede
sonintroductioninstrumentaleetdescommentairesdeMarkKnopflersur
sa réorchestration (« London song », « Irish reggae », « British
saxophone »). En revanche, sur ces concerts, le titre évoluait en une jam
guitare-saxophone, dont témoignent les enregistrements pirates. Très
attendu, ce segment qui ferait presque sonner Dire Straits comme le
Grateful Dead se concluait par la présentation des musiciens. Mais il n’a
pasétéretenuaumixage.
D’autres parties sont écourtées, comme l’instrumental aux synthétiseurs
avant « Romeo And Juliet » ou l’allocution à propos de la Spanish City
avant«TunnelOfLove»,maisc’étaitdéjàlecassurleprécédentCD.Par
contre,«TheRocksAnd TheThunder»,extraitdela musiquedeLocal
Hero,étaitprésentsurledisqueorigineljusteavant«GoingHome».Ila
été supprimé. Dernière incongruité : « Telegraph Road » arrive après
«SolidRock»,commesurlevinylede1984,unsupportquinepermettait
pasdeplacer oùl’on voulaituneplage detreizeminutes. LepremierCD
d’Alchemy avait rétabli l’ordre réel du concert (« Solid Rock » en
deuxième).Pourquoinepass’ytenir?Mystère.
OnTheNightestrallongédepasmoinsdesepttitres.Ilsnechangentpas
l’atmosphère de professionnalisme froid et de surcharge orchestrale de la
tournée1991-1992.Néanmoins,laversionépurée,jusqu’àl’intermède,de
« Sultans Of Swing » fonctionne plutôt bien et montre tout ce que la
chansongagneaveclejeudebatteriedeChrisWhitten.«FadeToBlack»
offre de beaux phrasés jazzy à la Gibson Super 400, mais sur un
arrangementaseptisédepedal-steeletdemétallophone.OnestloindeWes
MontgomeryetMiltJackson.«WhenItComesToYou»nedécollepas,
«TwoYoungLovers»nonplusetlapesanteversionde«IThinkILove
YouTooMuch»perdtoutsonswing.
L’éclaircie vient paradoxalement des deux morceaux les plus épiques du
répertoire(etquienréalitén’étaientjamaisjouésensemblelorsd’unmême
concert).D’abordun«TunnelOfLove»dantesqueétiréau-delàduquart
d’heure. Plein de pauses et de relances, incluant la présentation des
musiciensetunecitationde «(Ghost)RidersIn TheSky»,le titregarde
sonimpactmêmesidesdétailssenoientdanslamasse.Puis«Telegraph
Road », qui s’ouvre à un moment où, sur la version studio de 1982, la
chansonadémarrédepuisunebonneminutevingt.Lesolodeguitareest,
lui,unsommetd’intensité.
Si le coffret des disques en studio ne comprenait pas l’EP de 1983, on
trouve ici l’EP Encores, le complément à On The Night. Apparemment,
personne n’a jugé bon d’en retirer « Your Latest Trick » pour éviter le
doublon.
Ce Live 1978-1992est dédiéau guitaristeJack Sonni,décédé àsoixante-
huitanstroismoisavantsaparution.Or,tristeironie,cettecompilationne
proposeaucunextraitdelatournéeBrothersInArms,laseuleàlaquelleil
ait participé. Reste un véritable coup d’éclat : un concert inédit de fin
1979,ledernierdelatournéeCommuniquédesinistremémoire.
LiveAtTheRainbow
Enregistréle21décembre1979auRainbowTheatredeLondres
Sortiele3novembre2023
À l’échelle de Dire Straits, ce double album est historique. C’est non
seulementledernierconcertdelatournéede1979,maisaussiledernierdu
quatuororigineletledernieravecDavidKnopfler.CaptéauRainbow,dansle
quartieràl’époquedéshéritédeFinsburyParkaunorddeLondres(oùagrandi
leSexPistol JohnLydon),il clôtunepériode folle.Legroupe estprogrammé
les20et21décembremaisilestauboutdurouleau,minéparlestensions,mal
aupointphysiquementetmentalement.LaprestationdeDireStraitsdéborde
pourtantdefougueetd’excitation.MarkKnopflerrigole,sefaittaquin,répond
àunspectateuravant«LesBoys»ettoutlegroupederrièreluisonnecomme
un seul homme. Dire Straits a déjà le sens de l’entrée en scène, livrant une
introduction étirée comme un générique de film sur le premier morceau,
« Down To The Waterline ». La plupart des interprétations sont assez
furieuses.Lescordesclaquent,lesdoigtsaccrochent,lesonestdur.Àl’instar
du LiveAtTheBBC,lesguitaristess’entiennentàleursinstrumentsélectriques.
Avecpoureffetd’entendreMarkKnopflerremplacerlamentiondesa«steel
guitar»danslesparolesde«WildWestEnd»parcelledesa«redguitar»(sa
Stratocaster rouge). En fait, toute la nonchalance propre aux deux premiers
albumsdisparaîtsurcettescèneduRainbow.C’esttrèsnetsurleschansonsde
Communiqué.
LasectionrythmiqueestparticulièrementmiseenvaleurparlemixagedeGuy
Fletcher,aveccettebasseépaisseetsobrequiillustrelesproposdeJohnIllsley
sur son rôle dans le groupe : « À la manière d’un John McVie, j’aime laisser
autant d’espace que possible parce que l’essence de la basse, en ce qui me
concerne, consiste à rendre la section rythmique, la salle des machines, aussi
soudéequepossible.»(BassPlayer,29juin2002).
Iln’yapasencorederéarrangementsnidesegmentsadditionnelscommesur
les tournées à venir, mais « Portobello Belle » est déjà bousculée et
« Southbound Again » vire funky. Et Dire Straits présente trois inédits, pour
l’époque: « Les Boys», donc, déjàimpeccable sans piano,un « Solid Rock»
manquant encore de tranchant et un « Twisting By The Pool » déchaîné,
respectantparfaitementsonpartiprisparodique.
Lafêteauraitpus’arrêterlà.Maiselleseprolongeavecl’arrivéesurscènede
PhilLynott,lechanteurbassistedeThinLizzy(dontlepremieralbumsoloest
en chantier, avec Mark Knopfler sur une chanson), et de Tony de Meur,
chanteur des Fabulous Poodles, des copains de Deptford qui viennent de se
séparer.S’ensuiventquatrereprisesdebluesetderock’n’roll,quineferontpas
date mais à l’enthousiasme irrésistible. Dire Straits finit par y faire office de
backingbandd’unLynottsiheureuxd’êtrelàqu’ildiraregretterquelegroupe
nejouepaslelendemaintantiladoreraitreveniraveceux!
Archivesenstock
Ajouté à la démo de juillet 1977, ce Live At The Rainbow pourrait
préfigurer la parution d’autres archives. On sait que la BBC a filmé les
concerts pour son émission Arena, que la télévision bavaroise a fait de
même au Roxy de Los Angeles et à l’Old Waldorf de San Francisco. La
chaîne YouTube officielle de Dire Straits ne se prive pas de diffuser des
vidéos de la prestation de Dortmund de 1980 ou à la Wembley Arena à
Londresen1985.Dequoiexciterbiendesfans.Alors,unjourpeut-être…
En attendant, Live At The Rainbow montre Dire Straits comme on avait
oublié qu’il avait été. Un groupe dans sa plus simple expression et
bouillonnantàlafois.Oncomprendqu’ilaiteuàcœur,aprèsceconcert,
de passer à autre chose tant il semble épuiser jusqu’à la dernière goutte
tout le potentiel de sa formule initiale. Il est évidemment facile de faire
cetteanalysequandonconnaîtlasuitede l’histoire.Celal’estsansdoute
moinssurlemoment,danslefeudel’action.Ilfallaitcertesdutalentpour
passeràl’étapesupérieure.Maisaussipasmaldeclairvoyance.Tousnela
vivraientpasjusqu’aubout,maisl’aventurenefaisaitquecommencer.
LESDISQUESDE1991
Queen,Innuendo(février)
R.E.M.,OutOfTime(mars)
BobDylan,TheBootlegSeries,volume1-3(mars)
Seal,Seal(mai)
Metallica,Metallica[BlackAlbum](août)
PearlJam,Ten(août)
Guns’N’Roses,UseYourIllusionI&II(septembre)
RedHotChiliPeppers,BloodSugarSexMagik(septembre)
Nirvana,Nevermind(septembre)
MyBloodyValentine,Loveless(novembre)
11.SOLOMARKI:MAKING
MOVIESOUNDTRACKS
Le troisième album de Dire Straits s’intitule Réaliser Des Films. Le
deuxième s’ouvre par une chanson empruntant son titre à un western de
Sergio Leone. Pour les concerts de la tournée On Location, le groupe
montait sur scène sur le thème du Bon, la Brute et le Truand. « Private
Investigations»loucheducôtédufilmnoir.Ilfallaitdoncbienqu’unjour
Mark Knopfler franchisse le pas et compose une musique de film. Pour
tout dire, il en a écrit plusieurs, pendant et après Dire Straits, toujours
créditéesdesonseulnom.Eneffet,MarkKnopflercommencelàniplusni
moinsquesacarrièresolo.Pourlesbandesoriginalesécritesàl’époquedu
groupe,mêmesicertainsmembressontsollicitésàl’occasion,DireStraits
n’estjamaisréunientantquetel,àpartsuruntitredeLocalHero.
C’estEdBicknellquiinitielespremièresdémarchesaprèslatournée1980-
1981. Il contacte une douzaine de producteurs britanniques de cinéma,
étudie trois propositions sérieuses et retient celle de David Puttnam,
producteur de Midnight Express, des Chariots de Feu ou encore de
Duellistes,lepremierlong-métragedeRidleyScott.Obsédéparlaguitare
de « Tunnel Of Love », Puttnam a en main un scénario qui se prêterait
bien,selonlui,àuneenvoléelyriquesimilaire.Ilaétéécritparlecinéaste
écossaisBillForsyth.C’estl’histoired’uncadreaméricaindel’industriedu
pétrole chargé de convaincre les habitants d’un village côtier écossais de
vendre leurs terrains pour qu’une compagnie texane puisse y bâtir une
raffinerie.Maisilvalentementchangerdecampauxcontactsdesgensdu
coin,deleurquotidienetdelabeautédesHighlands.
IlestaprioriparadoxalqueMarkKnopfler,donttoutel’œuvreajusque-là
puiséauxsourcesaméricaines,aitété,poursespremièresmusiquesdefilm,
assigné à des projets intimement liés au folklore celtique : Local Hero
d’abord,puis Cal(quisedérouleenIrlandeduNord).Leguitaristeyvoit
néanmoins une certaine cohérence : « Je suis né en Écosse, j’ai grandi à
Newcastle, dans le nord-est de l’Angleterre, où j’ai déménagé à l’âge de
huit ans. Il existe des liens très forts entre les deux régions. J’ai entendu
vraiment beaucoup de musique en Écosse, sans doute de la musique de
danse populaire. Et à Newcastle, on avait les airs traditionnels
northumbriens.Jepensequetoutcelam’abeaucoupinfluencé»(Vintage
Guitar Magazine, 2004). Mais au fond, il suffit de se rappeler que la
country music, le bluegrass, le yodel de Jimmie Rodgers où les effets de
bourdon des violons et des guitares en open tuning viennent en bonne
partie des traditions musicales irlandaises et écossaises, transplantées en
Amérique par les migrants et mêlées à d’autres styles tel, évidemment, le
blues.
Difficile de juger une musique de film comme on jugerait un album du
même artiste. Un tel travail n’a de sens qu’accompagné des images. Bien
souvent, il se résume à une succession de plages instrumentales parmi
lesquelles se distinguent un ou deux thèmes. Les bandes musicales créées
par Mark Knopfler ne dérogent pas à cette règle, malgré quelques
principes:«Vousaveztoutdemêmeenviequelamusiquetiennedebout
toute seule. Je n’aime pas tellement ces albums de musique de films où
vousn’avezqu’unechansonetoùtoutleresten’estqueduremplissage.»
Il aborde en tout cas cette tâche nouvelle en élève appliqué, avide de
coopérationaveclescinéastes.Pour LocalHero,ilserendsurletournage
enÉcosseetcôtoieleshabitants;pourCal,ildemanderaauréalisateurPat
O’Connordelerejoindretouslesjoursenstudio.
LocalHero
Sortiedufilm:17février1983auxÉtats-Unis
Sortiedel’album:16février1983.EnregistréauxEdenStudiodeLondres,du19
aoûtau13septembre1982;àlaPowerStationdeNewYork,du26juilletau13
août1982etdu3au24janvier1983;auHilton’sWomanRoyalInstituteHallde
Banff(Écosse)le19juin1982
Au départ, le réalisateur et scénariste Bill Forsyth ne voulait pas de
musique pour Local Hero mais se laisse convaincre par David Puttnam.
« Je suis heureux de dire que j’avais complètement tort. La musique de
Markacontribuéàfairedufilmcequ’ilestetjeluiensuisénormément
reconnaissant»estimaitlecinéasteen2008.Leguitaristecréeàlafoisla
musique du film proprement dite et des morceaux entendus par les
personnagesdanslecadredurécit. Àcetégard,ilforme etenregistresur
Nagra, dans une salle de fêtes locale en Ecosse, un orchestre de cèilidh,
c’est-à-dire un groupe de musique traditionnelle dans les bals et fêtes
populaires, baptisé The Acetones. Ed Bicknell y tient la batterie, Alan
Clarklepiano.Lorsdelaséquenceconcernée,unacteurtientlaplacedu
batteur mais le pianiste de Dire Straits apparaîtbel et bienà l’écran.On
voit aussi un musicien interpréter le thème du film à la flûte. Celui-ci
revient sous plusieurs formes, la plus connue accompagnant la dernière
séquenceetlegénériquedefin,«GoingHome».Cecrescendoestmarqué
parcelyrismequevoulaitDavidPuttnam.MarkKnopfleràlaguitareyest
accompagné par Terry Williams et le bassiste de séances Tony Levin et,
surtout, exécute la mélodie en ostinato avec le saxophoniste de jazz
MichaelBrecker.Promisàunebellepostérité,reprisparlesShadowsoule
régiment des Royal Scots Dragoon, adapté pour orchestre symphonique,
quatuor à cordes ou violon solo, joué par des fanfares et nombre de
formations de cornemuses, ce thème est aujourd’hui l’hymne officiel du
NewcastleUnited,leclubdefootballdelavilledesonauteur.
Seule la musique des Acetones sacrifie à l’exercice folklorique. Pour le
reste,Mark Knopflerprivilégie unetout autredirection, baséesur ceque
luiontinspirélagéographiedel’Ecosse,levent,lesvagues,lesrochers,le
climatetlesauroresboréales.Ils’appuiebeaucoupsurlessynthétiseurset
lesbouclesélectroniques,pourdeseffetssouventplusatmosphériquesque
mélodiquesoùlamusiquesemblenaîtredupaysage.
L’enregistrement ne fait appel à Dire Straits au complet que sur un
instrumental, « Freeway Flyer », qui aurait très bien pu figurer sur le
super-EPde«TwistingByThePool».Ilouvrelefilm,sortidel’autoradio
delaPorsche930dupersonnageprincipal.Unechansondugroupedatant
desséancesdeLoveOverGoldestréenregistréeavecMarkKnopfler,Alan
Clark et des musiciens de séance derrière Gerry Rafferty au chant. C’est
«TheWayItAlwaysStarts»,unevalseauxrelentstex-mex.«TheRocks
And Water » est un embryon de morceau techno (Mark Knopfler utilise
uneLinnDrum,uneboîteàrythmesutilisantdevéritablessonsdebatterie
échantillonnée et qui vient d’être commercialisée). « The Rocks And The
Thunder»,quienestunevariation,sertdepréambuleà«GoingHome»
sur Alchemy et « Stargazer» ouvre le concert capté sur ce même album.
«Boomtown»estunexercicedestylejazzavecMichaelBreckeretMike
Mainieri.
LefilmdécrocheraseptnominationsauxBAFTA,lesoscarsbritanniques,
dont une pour sa musique. Bill Forsyth sera consacré meilleur réalisateur
maisMarkKnopflerdevras’inclinerfaceàRyuichiSakamoto,auteurdela
BOdeFuryo.
L’histoire ne s’arrête pas là. En 2016, après avoir pris la direction
artistiqueduRoyalLyceumTheatre d’Edimbourg,ledramaturgeécossais
David Greig veut porter Local Hero sur scène, sous la forme d’une
comédiemusicale.Avec BillForsyth,il s’attèleàl’écriture dulivretet, en
toutelogique,MarkKnopflerfournitdenouvelleschansonsayantvocation
àêtreinterprétéesparlescomédiens.Pasmoinsdedix-neuftitresvoientle
jour (« What A Life », « Cheerio », « Houston,We Have A Problem »,
« Pyroman », « Barrel Of Crude »…), produites avec Guy Fletcher et
arrangées pour la scène par le pianiste et compositeur Dave Milligan.
L’orchestration est résolument plus folk celtique que rock : flûte,
accordéon,violon,contrebasse,guitare.
LapremièredeLocalHero,auRoyalLyceumd’Édimbourg,alieuenmars
2019. Le spectacle devait ensuite être porté sur la scène de l’Old Vic à
Londres, après quoi un album de la musique devait paraître. La crise
sanitaire du Covid-19 a bouleversé ces plans. La comédie musicale ne
reprendqu’àl’automne2022auMinervaTheatredeChichesteretaucune
daten’aétéannoncéepourl’album.Seuleladélicateballade«OnlyRocks
andWater»aétédiffuséeofficiellement,surInternet.
Sicettetranspositionscéniqueapartagélescritiques,lamusiquedeMark
Knopfleralaisséàtoutlemonde unpetitgoûtd’inachevé.Tropanodine
pour les uns, générique pour les autres. « On attend la chanson qui fera
monter la température maisrien ne vient » résume Variety. Seul « Filthy
Dirty Rich » a retenu l’attention. Il faut alors s’en remettre à l’unique
morceau de la bande originale du film retenu pour cette adaptation,
comme le raconte The Guardian (24 mars 2019) : « L’illustre thème de
Local Hero, “Going Home”, sans lequel, à l’instar de l’iconique cabine
téléphonique rouge, ce spectacle serait inimaginable. Quand il retentit, le
cœurs’enflamme.»Avoircrééunemélodiecapabled’untelimpactaprès
bientôtquaranteansresteindéniablementl’unedesplusgrandesréussites
deMarkKnopfler.
Cal
Sortiedufilm:24août1984auxÉtats-Unis
Sortie de l’album : 21 septembre 1984. Enregistré aux AIR Studios de Londres
entrejanvieretmars1984
Au moment où sort Alchemy, Mark Knopfler termine à Londres les
séancesconsacréesàlabandeoriginaled’unautrefilmproduitparDavid
Puttnam. Cal est un drame situé dans l’Irlande du Nord des années
soixante-dixetsonhérosCalMcCluskeyunmembredel’IRA.JohnIllsley
etTerryWilliamssontlà,l’ingénieurNeilDorfsmanégalement,ainsique
Guy Fletcher. C’est par cette BO que ce dernier inaugure sa longue
association avec Knopfler, d’abord au sein de Dire Straits puis dans
quasimenttouslesprojetsparallèlesduguitaristeetdanssacarrièresolo.
La musique de Cal ne compte aucune chanson. Plus que celle de Local
Hero, elle mêle instruments modernes et traditionnels, la cornemuse, la
mandoline, la flûte irlandaise (« Irish Boy », « Father And Son »,
«MeetingUnderTheTrees»).MarkKnopflerécritnéanmoinsunthème
porté par la guitare, sobre et aérien. Une version, « The Road », est
interprétéeàlaGibsonChetAtkins;unedeuxième,«TheLongRoad»,
laisseentendreuneSchecterTelecasterrouge.Cettenouvellevenuedansla
collectionduguitaristesertégalementpourletrèsbeau«IrishLove»,qui
sonnecommeunebasictrackd’undespremiersalbumsdeDireStraits.
ComfortAndJoy
Sortiedufilm:14août1984auRoyaume-Uni
Sortiedel’album:27juillet1984.EnregistréauxAIRStudiosdeLondresenmars
1984
En 1984, Mark Knopfler a enchaîné deux bandes originales de film.
Comfort And Joy est placé sous le signe de doubles retrouvailles : il est
réaliséparBillForsyth,auteurde LocalHero,etsedérouleàGlasgow,où
est né Knopfler. Si le cinéaste avait été au départ réticent quant à la
participationdecedernieràLocalHero,cettefois,ilafaitappelàluipour
desidéesprécises. Ilveutretrouverl’atmosphèrede villeendéliquescence
que l’on trouve dans « Telegraph Road » et l’ambiance de solitude et
d’introspectiondeLoveOverGold.«Ilm’afaitécouterl’albumavantque
je n’écrive mon scénario, même si j’enavais l’idée généraleen tête,et les
deuxempruntaientlesmêmeschemins»expliqueleréalisateuràl’époque.
Leguitaristeassembleunquintetcomptant,outrelui-même,GuyFletcher,
TerryWilliams,lebassisteMickeyFeatetlesaxophonisteChrisWhite,qui
luiaussis’apprêteàfaireunboutdecheminavecDireStraits.Leguitariste
a composé seulement trois instrumentaux. Le début de « Joy » évoque
« Take Five », le célèbre thème de Paul Desmond pour Dave Brubeck,
avant de se muer en un funk jazz. « A Fistful Of Ice Cream » est une
nouvelle version de « Private Investigations », sur un rythme de valse.
Enfin,«Comfort»donnedanslasurfmusicmélancolique.BillForsyth:
«[MarkKnopfler]alamêmetournured’espritqu’unréalisateurdefilms,
ilauneméthodedetravailtrèsconceptuelle.Cequ’ilfaitestsouventbasé
surdepetiteshistoires,cequiestaussimoncas.»
TheColorofMoney
(LaCouleurdel’argent)
Sortiedufilm:8octobre1986auxÉtats-Unis
Sortiedel’album:1er janvier1986
PourLaCouleurdel’argent,deMartinScorsese,MarkKnopflern’estque
l’undesnombreuxparticipants,avecEricClapton,DonHenleyouRobbie
Robertson qui supervise le tout, comme souvent chez Scorsese. Le
guitaristedeDireStraitsenregistreuninstrumentalintitulé«TwoBrothers
AndAStranger»,unevariationdeguitaresurfonddesynthétiseursetde
boîtesàrythmes.
ThePrincessBride
Sortiedufilm:18septembre1987auFestivalInternationalduFilmdeToronto
Sortiedel’album:12novembre1987.EnregistréauxA&MStudiosdeLosAngeles
Fin1986,leréalisateuraméricainRobReinercommenceenAngleterrele
tournaged’unecomédieromantiquejouantsurlescodesdurécitmédiéval
de princesses et de chevaliers. Le cinéaste raconte sa démarche dans le
livret du CD : « Étant donné les exigences que j’avais pour la bande
musicale,jemesuisrenducomptequelalistedescompositeurspotentiels
allaitêtretrèscourte.Enfait,iln’yavaitqueMarkKnopfler.Àl’époque,
je ne l’avais encore jamais rencontré mais j’étais un grand fan, de Dire
Straitscommedesesmusiquespour LocalHero, Calet ComfortandJoy,
quejetrouvaisobsédantesettrèsoriginales.Considérantquejen’avaispas
de second choix, j’ai envoyé le scénario à Mark et j’ai retenu ma
respiration.»Leréalisateurconfieraen2021à Varietyque,s’iln’aretenu
queleseulnomduguitariste,l’idéeluiaétésouffléeparleproducteuret
batteurBobbyColomby.
Laréponsedel’intéresséarriveassezvite.MarkKnopflerestd’accordmais
poseunecondition:queRobReinerréussisseàplacerdansunescènede
son film la casquette portée par son personnage dans Spinal Tap, le
désopilantfaux documentaire(pardon: rockumentaire…)du cinéastesur
un groupe de heavy metal anglais plus vrai que nature, sorti en 1984.
L’histoire de Princess Brideétant en réalitéracontée par un grand-père à
sonpetit-filsmaladeàl’époquecontemporaine,lacasquetteserabeletbien
placéedanslachambredupetitgarçon.
MarkKnopfler,lui,livresapremièrecompositionorchestrale.Descordes,
des cuivres, des flûtes, des harpes, des violons en pizzicato, de la danse
médiévaleàlavioleetàlabombarde(«FlorinDance»)…Saufqu’aucun
de ces instruments ne sera utilisé : tout est joué au Synclavier par Guy
Fletcher, avec quelques touches de guitare acoustique par Knopfler,
quoiquecertainespartiessortentellesausside lamachine.Commercialisé
par la firme américaine New England Digital dix ans plus tôt, cet
instrumentintègredessamplesde véritablesinstruments.GuyFletcheren
ajoute d’autres, transférés depuis un autre synthétiseur de l’époque,
l’Emulator.
Dansunpremiertemps,RobReinertique.Ilavaitimaginéunevraiebelle
musiqued’orchestresymphoniqueàl’ancienne.MaispourMarkKnopfler,
le Synclavier est un moyen d’expérimenter plus facilement (d’autant qu’il
ne sait pas écrire la musique) et de travailler plus librement qu’avec une
armée de musiciens classiques. Au final, ce parti pris du « faux » colle
parfaitementauprincipedufilm,unconteluparunepersonneàuneautre,
et à son ton parodique. Il y a tout de même une vraie chanson,
«StorybookLove»,deWillyDeVille.Elleestissuedupremieralbumsolo
deDeVille,produitlamêmeannéeparMarkKnopflerauxAIRStudiosde
Londres,etparledeprince,desortilègesetd’un«amourcommedansles
livresdecontespourenfants»(« myloveislikeastorybookstory»).Soit
lemêmeuniversquePrincessBride.Aprèsl’avoirentendulapremièrefois,
Knopfler appelle Rob Reiner et la lui fait écouter à travers le téléphone.
« J’ai dit : “Oh, mon Dieu, on dirait qu’elle a été écrite pour le film” se
rappellelecinéaste.Ons’enestdoncserviet[MarkKnopfler]enaextrait
des éléments qu’il a incorporés dans la musique du film ». La chanson
intervientsurlegénériquedefinmaissamélodieestutiliséepourlethème
de « Once Upon A Time… A Storybook Love ». Knopfler et Fletcher
s’efforcentaussidefairecorrespondreentreeuxlesarrangementsdesdeux
titres (les pulsations sourdes à la fin). « Storybook Love » sera nominée
auxOscars l’annéesuivante maisce sontles auteurs de« (I’veHad) The
TimeOfMyLife»,tirédeDirtyDancing,quirepartentaveclastatuette.
LastExitToBrooklyn
Sortiedufilm:26juillet1989auxÉtats-Unis
Sortiedel’album:3octobre1989.EnregistréauxAIRStudiosdeLondres
Mark Knopfler, Guy Fletcher et le Synclavier reprennent du service pour
uneproductiongermano-britanniqueadaptantlepremierromand’Hubert
SelbyJr.,LastExitToBrooklyn(1964).Encoreunefois,c’estFletcherqui,
concrètement, manipule le Synclavier. Restent quelques interventions de
« vrais » instruments : la guitare de Mark Knopfler et le saxophone de
Chris White sur « Tralala », pour lequel GuyFletcher fait sortirtout un
bigbanddesamachine,etlesviolonsdeDavidNolansur«ALoveIdea»
etdeIrvineArditisurlepoignant«Finale».Knopflersigneentoutcaslà
l’une de ses plus belles musiques de film, toujours dans la sobriété, mais
avecunsurcroîtd’émotion.
WagTheDog
(Deshommesd’influence)
Sortiedufilm:17décembre1997auxÉtats-Unis
Sortiedel’album:13janvier1998.EnregistréauxOceanWayStudiosdeNashville
DireStraitsestdéfinitivementdel’histoireanciennequandMarkKnopfler
s’attelle à la musique d’une satire politique de Barry Levinson, Des
hommes d’influence, avec Dustin Hoffman et Robert De Niro (la
présidenceClinton,avecl’affaireLewinksyetlesinterventionsmilitairesen
ex-YougoslavieouenIrak,estlaréférenceévidente).Leguitaristetravaille
aveclegroupede GoldenHeart (1996),sonpremiervéritablealbumsolo
(c’est-à-dire à part les BO de films) : Richard Bennett à la guitare, Chad
Cromwell à la batterie, Glenn Worf à la basse, Jim Cox au piano et à
l’orgue, Chuck Ainlay à la coproduction et l’indispensable Guy Fletcher
aux synthétiseurs. C’en est terminé des expérimentations au Synclavier et
delamusiqueirlandaise.Leguitaristesemontrebienmoinsaventureuxet
renoue avec la musique américaine. Les guitares acoustiques y sont
particulièrement présentes, comme sur « Just Instinct » et sa rythmique
manouche. « In The Heartland » met en valeur la National Style O. De
même que le bien nommé « Drooling National », un ragtime tout droit
sortid’uneséanceavecStevePhillips.Lespulsationsmid-tempoetlejeude
guitareélectriquetypiquesdustyleKnopflerilluminentlemorceau-titreet
«StretchingOut»,quisonnecommeunejampoursechauffer.Impossible
denepasyentendredesreliquatsdeDireStraits.
Si l’album sonne autant comme du Mark Knopfler, c’est aussi qu’une
poignée de titres composés par d’autres en ont été exclus. Le soi-disant
bluesd’avant-guerre«GoodOl’Shoe»d’EdgarWinter,chantéparWillie
NelsonetPopsStaples,l’hymne«TheAmericanDream»deTomBahler
et«GodBlessTheMenOfThe303»,unthèmedeHueyLewispourune
unitédesforcesspéciales(uneparodiede«TheBalladOfGreenBerets»).
Maiscesmorceauxontuneautrevocation:ilsfontpartieintégrantedela
narrationdufilm, créésparles protagonistesàdes finsdepropagandeet
demanipulationpolitique.
Metroland
Sortiedufilm:30août1997auFestivaldeVenise
Sortiedel’album:23mars1999.EnregistréauxSARMWestStudiosdeLondres
LefilmbritanniqueMetrolandmêleplusieursépoquesparlebiaisdeflash-
back, d’où l’utilisation de vieilles chansons de Françoise Hardy, Elvis
Costello,DjangoReinhardt,desStranglersoude…DireStraits(«Sultans
OfSwing»).MarkKnopflerestsollicitépourcompléter.Ils’installeavec
son groupe à Sarm West dans Notting Hill, les anciens studios de Chris
BlackwellsurBasingStreetoùavaitétéenregistrélepremieralbumdeDire
Straits. « Metroland » est la seule chanson écrite pour le film. Son
ouvertureaubuglepeutévoquerunfilmd’Eastwood.Lasuite,trèsenlevée,
a de nets accents celtiques malgré les habituels effets de violining, les
phrasés fluideset leson de guitare gras remontant aux années On Every
Street.«Annick»estunamusantexercicejazzcocktailrétroet«Brats»
donnedanslapopsixties,variationsur«Lucille»deLittleRichardavec
saxophone,orgue,guitareélectriqueàeffettrémoloet hand-claps.Comme
son titre peut le suggérer, « She’s Gone » est un air triste pour un duo
guitare-pianoet « Down Day» une série méditatived’accords de guitare
électrique.
AShotAtGlory
(Unbutpourlagloire)
Sortiedufilm:11septembre2000auFestivalInternationalduFilmdeToronto
Sortiedel’album:28avril2002.EnregistréauxCastlesoundStudiosdePentcaitland
(Écosse)
PourUnbutpourlagloire,chroniqueécossaisedanslemilieudesclubsde
football avec Robert Duvall, Knopfler et Fletcher, tous deux
coproducteurs, reviennent en partie aux instruments traditionnels, par
ailleurssouventutilisésdanslesalbumssoloduguitariste.Lamusiqueest
d’ailleursenregistréedanslacampagneàl’estd’Édimbourg.Si«SonsOf
Scotland» reprendles climatsépurés àla guitare du« WildTheme » de
LocalHerooude«TheRoad»de Cal,lesmorceaux«Training»,«The
New Laird », « All I Have In The World », « Hard Cases », dont
l’ambiancepeutévoquer«CallingElvis»,ouencore«FourInARow»,
sorte de techno-rock celtique difficile à avaler, convoquent force
accordéon,flûte,cornemuse,violonoubodhrán(untambourirlandais).La
cornemuse est jouée par une sommité de l’instrument, Iain MacInnes,
auteur d’une thèse sur le sujet en 1989 et présentateur, à l’époque du
disque, de l’émission musicale Pipeline sur la BBC Écosse. Le guitariste
écritcettefoistroischansons.Lesparolesdujazzy«SayTooMuch»ne
vont toutefois pas beaucoup plus loin que le titre. « He’s The Man »
propose un gros riff rock façon « Heavy Fuel ». « All I Have In The
World»sedistinguedulotparsamélodieconfrontantaccordsdeguitare
électriqueetflûte.
L’albums’avèreinégal,pastoujourstrèsfin,donnantparfoisl’impression
d’unexercice a minima. Mêmesi, encore une fois,tout cela est faitpour
accompagnerdesscènesdefilm.
Altamira(avecEvelynGlennie)
Sortiedufilm:1eravril2016enEspagne
Sortiedel’album:1eravril2016.EnregistréauxBritishGroveStudiosdeLondres
entrefin2014etleprintemps2015
En1879,MarcelinoSanzdeSautuola,unjuristedoubléd’unarchéologue
amateur, découvre dans la grotte d’Altamira, en Espagne, des peintures
jusque-là passées inaperçues. C’est sa fille de huit ans qui attire son
attention sur des représentations polychromes de bisons. Elles datent du
paléolithique. S’ensuit une controverse quant à l’authenticité de ces
peintures préhistoriques. Le film Altamira que le Britannique Hugh
Hudsontirede cettehistoiresera sondernier.Leréalisateur desChariots
de feu (1981) et Mark Knopfler se connaissent depuis longtemps mais
n’avaientjamaiscollaboré.Lesséancespourlamusiquedufilmdémarrent
àBritishGrove,austudiodeKnopfler,fin2014.Lemixagesetermineau
printempssuivant,unanavantlasortiedufilm.
Le guitariste n’est pas le seul auteur crédité. Contacté quelques années
auparavant pour d’éventuels projets ensemble par la percussionniste
écossaiseEvelynGlennie,il laconvieà intégrersesvibraphones,gongs et
marimbas à la musique. Sourde depuis ses douze ans, Evelyn Glennie a
l’habitudedejouerpiedsnusafindeseguiderauxvibrationsprovoquées
par ses instruments. Présentesur septdes dix morceaux, elle en compose
deux, correspondants à des séquences oniriques. Dans une ambiance de
grondements, de fracas et d’effets choc, ils évoquent la course des bisons
peints, véritables petits films sonores en eux-mêmes. « Dream Of The
Bison»estuncrescendoparticulièrementterrifiantsemblantvenirdufond
des âges à coups de stridences et de souffles rauques. « FarewellTo The
Bison»laisseflotterdesvibrationsobsédantesderrièrelesquelleslaguitare
sefaitattendretelunfantôme.
Ces deux morceaux tranchent nettement avec les partitions très
mélodiques, enjouées même (« Maria »), signées Mark Knopfler. Ce
dernier a cherché à éviter de donner à la musique tout marquage
spatiotemporel, Altamira renvoyant à des interrogations éternelles sur les
origines de l’humanité. La flûte suggère même des climats gaéliques plus
qu’hispanisantsetle XIXesiècledel’histoiren’empêcheenrienlestrucages
sonoressurlesmorceauxd’EvelynGlennie.
Knopflerjoueexclusivementuneguitareacoustiquemodèleparlour,c’est-
à-dire un format réduit, qu’iljuge adaptéeà l’évocationd’une fillette. Le
thèmeéponymedufilmestuneligneàlafoissimpleetentêtante,touteen
notes liées et glissées sur le manche, distillant une ambiance pensive
typiquedesonauteur.D’untitreàl’autre,leguitaristeprivilégieunjeuen
arpèges et en intervalle, dont certains accents renvoient à « Private
Investigations » (« Altamira », « Farewell To Altamira »). Des
réminiscences d’Ennio Morricone sont là également : le cor anglais de
« Marcelino’s Despair » et les phrasés de guitare sur deux cordes sont à
rapprocher de thèmes comme « Padre Ramirez » (Le bon, la brute et le
truand) ou « Goodbye Colonel » (Et pour quelques dollars de plus).
Discret aux synthétiseurs et à l’harmonium (« Altamira », « By The
Grave »), Guy Fletcher a assuré le travail préparatoire, créant toute
l’orchestration à partir de samples avant d’enregistrer avec de vrais
musiciens. Les deux morceaux de la percussionniste mis à part, la bande
originale d’Altamira s’avère une œuvre très homogène. Trop peut-être,
aveccesarrangementsdecordesinterchangeablesetsouventpasse-partout.
Mais Mark Knopfler réussit à renouveler son approche de ce genre
d’exercice.
12.SOLOMARKII:NOUVELLE
VIE
Quellequesoitladateretenue,1992ou1995,ilfautbienadmettrequela
fin de Dire Straits n’a pas fait d’énormes vagues. Chacun est simplement
partidesoncôté.AucuneréunionpourlabonnecausecommeàWembley
pourNelsonMandela,aucuneapparitionsurprisecommeàKnebworth.Le
30 juin 1994, cependant, Channel 4 diffusait un documentaire sur les
chantiers navals Swan Hunter à Wallsend, sur la Tyne, en aval de
Newcastle. On y entend une nouvelle chanson de Mark Knopfler, « My
ClaimToFame»,oùl’auteurconstatequeseschansonsontlachancede
pouvoir perdurer dans les esprits, alors que le travail des ouvriers sur la
constructiondesnaviresrestevouéàl’anonymat.Ellenesortirasurdisque
qu’en 1996, sur les singles « Darling Pretty » et « Rüdiger » tirés de
l’albumGoldenHeart.Pourl’ex-DireStraits,c’estlepointdedépartd’une
nouvelleviediscographique.
Tous les deux ou trois ans, l’homme a ainsi enchaîné les disques et les
tournées(dontdeuxendoubleafficheavecBobDylanen 2011et2012),
toujours accompagné du même noyau dur de musiciens, recréant cette
ambiancedegroupequ’ilaffirmeavoirtoujoursaimédepuisqu’ilfaitdela
musique.SeulsunaccidentdemotoetlacrisesanitaireduCovid-19sont
venusperturberlamécanique.AlorsqueDireStraitsétaitintronisé(enson
absence fort commentée) au Rock And Roll Hall of Fame, le guitariste
venaitdeterminerDownTheRoadWherever(2018),ledisquepourlequel
ilallaits’embarquerpoursadernièretournée,ainsiqu’ill’annonceraitsur
scènedèslespremièresdatesenEspagne.Difficilenéanmoinsdeparlerde
retraite:aprèsundélaiexceptionnellementlong,unnouvelalbumestsorti
enavril2024suivid’unquatre-titreunesemaineaprès.
GoldenHeart
Enregistréentre1994et1996auxEmeraldSoundStudios,auxJavelinaRecording
Studios,àSixteenthAvenueSounddeNashville;auxAIRStudiosdeLondres;aux
WindmillLaneStudiosdeDublin
Sortile25mars1996
Enmai1994,lanewsletterdeDireStraitsannonçaitqueMarkKnopfleren
étaitàmi-parcours del’enregistrementdeson premieralbum.En fait,les
séances vont s’éterniser, le guitariste ayant eu de nouvelles idées de
chansonsencoursderouteetdevantaussifaireaveccertainescontraintes
légales(laisserpasserlapublicationdu LiveAtTheBBC).D’abordprévu
enmars1995,puisenvisagépourl’automnedelamêmeannée,repousséà
début 1996, ce disque devait de toute façon être un exercice délicat.
CommentfaireoublierDireStraitssansnonplusserenier?Defait,l’ex-
hommeauxserre-têtesprolongesarelationavecNashvillecommesurOn
EveryStreetqui,aveclerecul,peutdéjàfairefigured’exercicesolo.Chuck
Ainlay (coproducteur et ingénieur du son), Paul Franklin, le guitariste
Richard Bennett, le chanteur Vince Gill, le batteur Chad Cromwell, tous
habituésdesstudiosdelacapitaledelacountry,ontparticipéauxséances.
S’y ajoutent Brendan Croker, Guy Fletcher, Danny Cummings, Barry
Beckettet plusieursmusiciens irlandaisdont PaulBrady etLiam O’Flynn
(la cornemuse de Cal). Autant dire un panorama des influences de
Knopfler – sur une durée conséquente de soixante-dix minutes. Golden
Heartapparaîtainsicommeunalbumtypiquedetransition.
Les apparitions de flûte irlandaise et de cornemuse (l’ouverture de
« Darling Pretty », « A Night Summer Long Ago », « Done With
Bonaparte ») ont tout l’air de servir de paravent pour masquer les
inévitablesréminiscencesdeDireStraits(«GoldenHeart»,«Cannibals»,
décalque de « Walk Of Life », « Rüdiger », chargé en effets violining et
inspiré par un chasseur d’autographes allemand rencontré lors d’une
tournée de Dire Straits) ou des Notting Hillbillies (« Nobody’s Got The
Gun »). Le son des morceaux rock tels « Darling Pretty », « Imelda »,
raillant Imelda Marcos, ou « Don’t You Get It » est massif, la guitare
puissante, dans le prolongement de «Calling Elvis» (Knopfler utilise un
nouveaumodèle surmesure dechez RudyPensa) etl’on retrouveun peu
partout ces nappes de fond de synthétiseurs made in Guy Fletcher. Tout
n’estpasredite,cependant,etl’album,bienquetrèsproduit,sonnemoins
chargéqueOnEveryStreet,plusdécontracté.«NoCanDo»estportépar
unriffdeguitarefunkyinhabituelchezKnopfleret«JeSuisDésolé»est
unépatantswingcajunàlaguitareslide,auviolonetàl’accordéon.Ilest
évidentque Mark Knopfler secherche une voie nouvelle,y compris dans
lesparoles,moinstournéessursapersonne.Maisilesttoutaussiévident
qu’il faudra du temps pour que le nom de Dire Straits disparaisse des
chroniquesconsacréesàsesdisques.
SailingToPhiladelphia
Enregistré entre 1998 et 2000 aux Ocean Way Studios et aux Tracking Room
StudiosdeNashville
Sortile25septembre2000
C’estenpartielamêmeéquipequiaréaliséledeuxièmealbum,ànouveau
à Nashville – sans les Irlandais. Le thème de ce disque est résolument
l’Amérique.Sontitreaunedoubleorigine:lalectureparMarkKnopfler
deMason&DixondeThomasPynchonetsespropresallersetvenuesaux
États-Unis,aveccorrespondancesàPhiladelphie.«Ilyaunpassagedansle
livreconsacréaumomentoùMasonetDixon23 voientPhiladelphiepourla
premièrefois ; ils voyageaientdepuis des semainesà bord d’un navireen
provenance d’Angleterre. Quand, à mon tour, je “voguais” vers
Philadelphieàtraverslesnuagesetquejevoyaiscesénormespétrolierset
cetimmenseaéroportoùtransitentdesmilliersdegenstouslesjours,jeme
suismisàrepenseràtoutceàquoilelivrem’avaitfaitréfléchir.»(Vintage
Guitar Magazine) C’est-à-dire les premières velléités d’in dépendance des
colonies américaines, le clivage Nord-Sud, l’esclavage, les Indiens, la
conquêteduwilderness.Etlamusique.«Cellequej’écoutaisquandj’étais
jeune venait principalement d’Amérique mais bien souvent elle est plutôt
alléelà-bas,enpartantd’Angleterre,avantd’yêtrepasséeàlamoulinette
pourressortirsousformededisquesaméricains.»L’histoiredeMasonet
Dixonfaitsans doutevibrerune autrecordechez Knopfler: commeille
chantedans le morceau-titre, JeremiahDixon est un Geordie, c’est-à-dire
originairedunorddel’Angleterre,àCockfield,ausuddeNewcastleoùa
grandileguitariste.Lachansonétantunduo,KnopflerincarneDixon,et
JamesTaylor,CharlesMason.
Sailing To Philadelphia évoque diverses facettes de l’histoire et de la
culture américaine. La ségrégation et les prêcheurs noirs ambulants
(« Baloney Again »), le fantasme puéril d’une rock star de « faire
l’Amérique » (« Do America »), les errances dans les grandes plaines
(« Prairie Wedding », « Wanderlust »), la déréliction des villes minières
(« Silvertown Blues »), les courses de stock-car (« Speedway At
Nazareth »). La production est nettement plus aérienne que celle de
GoldenHeart,avecdesrythmiquesdeguitaresacoustiquestrèsprésentes,
des arrangements simples et l’accent mis sur le chant. Celui de Mark
Knopfler maisaussi de ses invités : Van Morrison (« The Last Laugh »),
James Taylor (« Sailing To Philadelphia »), Gillian Welch et Dave
Rawlings (« Prairie Wedding » et « Speedway At Nazareth »), Glenn
Tilbrook et Chris Difford (« Silvertown Blues »), les fondateurs de
Squeeze,laformation newwavede Deptfordquiétait surlamême scène
quelesCaféRacers/DireStraitspourleurfameuxtoutpremierconcertde
1977.«WhatItIs»,enouverture,revientmêmeausondespremiersDire
Straits.«DoAmerica»joueaveclefameuxBoDiddleybeat,lebluesestà
l’honneur sur « Junkie Doll » et « Baloney Again ». Le son des guitares
électriques est chaud et légèrement crasseux – Knopfler s’est mis à
privilégier les Gibson, ES-335 de 1959, Les Paul Standard de 1958.
Pourtant,l’albumn’échappepasà uncertainronronnement.Commelors
de ce tunnel où s’enchaînent « El Macho », « Prairie Wedding » et
«Wanderlust».«DoAmerica»estleseultitrevéritablementenlevéetle
parti pris de l’intimisme et du minimalisme trouve ses limites sur la
longueur. Comme si, à nouveau, Mark Knopfler avait écrit ses chansons
avecdesimagesdefilmsentête.
TheRagpicker’sDream
Enregistrédu20janvierau2févrieretdu15au20avril2002auxEmeraldSound
StudiosdeNashville
Sortile30septembre2002
Mark Knopfler continue de s’entourer de son noyau dur de musiciens
constitué de Richard Bennett (guitares), Jim Cox (piano et orgue
Hammond),GuyFletcher(synthétiseurs),ChadCromwell(batterie),Glenn
Worf(basse).Cetroisièmealbumestconsacréauxpauvresetauxmigrants
allant chercher un avenir meilleur, ou moins sombre, dans un autre pays
(theragpicker’sdream:lerêveduchiffonnier).«WhyAyeMan»évoque
par exemple ces Anglais du nord (encore une fois Newcastle est citée)
partant travailler dans le bâtiment en Allemagne. « Fare Thee Well
Northumberland » et « Hill’s Farmer Blues » traitent également des
difficultés à survivre dans ce même nord (le Northumberland, donc) au
pointqu’ilfaillelequitter.«QualityShoe»s’adresseàunvoyageurquiva
avoirbesoinde«chaussuresdequalité»pourlelongcheminquil’attend.
Suruntonenjouéderagtime,«Daddy’sGoneToKnoxville»racontele
départ d’un fermier américain, dont l’exploitation périclite, pour la ville
industrielledeKnoxvilledansleTennessee,laissantderrièreluisafamille.
Onn’estpasloindel’albumconcept,musicalementencoreplusdépouillé
quel’albumprécédent,etencoreunefoistrèsmarquéparlebluegrassetla
country, avec guitare picking en solitaire (« Marbletown ») et piano
saloon.Celadit,lethèmedel’albumadequoisurprendredanslamesure
oùMarkKnopflern’ajamaisbeaucoupdonnédanslachroniquesocialeet
lamiseenvaleurdeslaisséspourcompte–un«IndustrialDisease»par-ci,
un«IronHand»parlà,sansplus.Cen’estpascequ’ilaleplusretenude
Bruce Springsteen. The Ragpicker’s Dream a ainsi un petit côté artificiel
accentué par une ambiance passéiste, contrairement à un The Ghost Of
Tom Joad bien ancré dans son époque, par exemple. D’où l’impression
étrange que Mark Knopfler ne ressent pas vraiment au fond de lui les
problèmesévoqués.Ilenfaitsimplementdejoliesvignettessépia,chantées
desavoixchaudelégèrementsomnolente,pluspréoccupédecalersachaise
contrelemurderrièreluiquedes’insurgercontrelacriseéconomique.
Shangri-La
Enregistré du 3 au 16 février et du 23 février au 12 mars 2004 aux Shangri-La
StudiosdeMalibu
Sortile27septembre2004
Le 17 mars 2003, à cinquante-trois ans, Mark Knopfler a un grave
accident de moto, percutant une voiture sur Grosvenor Road à Londres.
Six côtes et une clavicule cassée. Il revenait de Nashville où il avait
enregistréavecEmmylouHarris,devaitseproduireavecEricClaptonpour
unconcert decharité et s’apprêtaità commencerles répétitionspourune
tournéeeuropéenne.Celle-cin’aurajamaislieu.Carunefoisrétabli,plutôt
quedepartirsurscènedéfendre TheRagpicker’sDreamavecuntempsde
retard, le guitariste est retourné en studio. Comme l’indique son titre,
Shangri-Laaétéconçudansles studiosdumêmenomcréés àMalibuen
1976pourBobDylanetTheBand(lesséquencesd’interviewdeTheLast
Waltz y sont tour nées). On retrouve l’approche adoptée par Mark
Knopflerdepuisdeuxalbums.Formationréduite,arrangementsstandards,
touchesd’orgueetdepiano,guitareéconomeausonépais.Silaréférenceà
J.J.Calen’ajamaisétéaussiperceptible,onn’atoutefoispasdroitàcette
ambiancedebricolageunpeuje-m’en-foutistedesalbumsdel’Américain.
Les disques de Mark Knopfler restent du bel ouvrage, bien produit,
équilibré.Dulaidbackdericheensomme.
Le guitariste rend quelques hommages : à Elvis Presley (« Back To
Tupelo»),àLonnieDonegan(«Donegan’sGone»)dontletitreenforme
d’onomatopée constitue l’essentiel du texte, et au boxeur Sonny Liston
(«SongForSonnyListon »).Maisletonest désenchanté.Onaaffaireà
l’Elvisdesfilmsniais(enl’occurrence Clambake,en1967)danslesquelsle
chanteur gâcha son talent ; Lonnie Donegan et son skiffle ont été
ringardisésd’un coup parles groupes des annéessoixante ; Sonny Liston
était mal aimé de la presse et est fortement soupçonné d’avoir été payé
pourse«coucher»faceàMohammedAlien1964.
Pourlereste,leclimatmusicalesttranquille,chaleureux,confortable.Un
peutrop,encoreunefois.Plusieurstitressontbâtisdelamêmemanièresur
une simple rythmique de guitare nonchalante : « 5:15 A.M. », « Our
Shangri-La », « Back To Tupelo », « The Trawlerman’s Song »,
«EverybodyPays».«Boom,LikeThat»estunportraithautencouleur
de Ray Kroc, l’homme qui a racheté leur entreprise de restauration aux
frères McDonald pour en faire ce qu’elle est aujourd’hui. C’est le seul
morceau à proposer un motif vraiment accrocheur et une dynamique
presqueépique.Etlapépite«PostcardsFromParaguay»donnel’étrange
envie qu’elle ne s’ar rête jamais, Knopfler recréant cet effet d’arpèges
circulairesdéjààl’œuvreàlafinde«OnEveryStreet».
TheTrawlerman’sSong
Enregistré les 3, 16 et 23 février et le 12 mars 2004 aux Shangri-La Studios de
Malibu
Sortile26avril2005
CetEP estunsingle amélioréde« TheTrawlerman’sSong »,de l’album
Shangri-La. La chanson est suivie de six autres du même album,
enregistréeslivedanslestudio.Deuxmoisplustard,unedeuxièmeversion
dece disquesortirasousle titre OneTake RadioSessions,augmentée de
deux titres dont un venu de Golden Heart, « Rüdiger ». Cette session
ayant été captée en même temps qu’était réalisé Shangri-La, les chansons
n’ont pas encore eu le temps de s’épanouir. Du coup, elles restent toutes
trèsprochesdeleursversionsalbumetn’apportentrien.
AllTheRoadrunning
(avecEmmylouHarris)
Enregistréentre1998et2005
Sortile24avril2006
Pour un Anglais versé dans la country, enregistrer tout un disque avec
Emmylou Harris peut faire figure de consécration, de celle qui signifie
« Vous en êtes ». Les deux se sont rencontrés lors de l’émission spéciale
consacréeàChetAtkinsavecunefouled’invités,enmai1987.L’idéed’une
collaboration a germé. Et pris du temps. Pour Sailing To Philadelphia,
Mark Knopfler avait prévu d’inclure « Red Swaggering » et « Donkey
Town ». Mais avant de les enregistrer, il les a fait chanter à Emmylou
Harris,un soirde Thanksgiving,pour voir.Il avu. Entendusurtout. Ila
mis de côté les deux titrespour la chanteuse. La réalisation de l’album a
réellementcommencélàetlesséancessesontsuccédéaugrédestrousdans
les emplois du temps de l’un et de l’autre, à partir de chansons écrites
spécialement pour ce projet. Pourtant, selon Emmylou Harris, toutes les
sessions mises bout à bout n’auront pas pris plus de deux semaines !
«Markétaitsioccupéqu’ilpouvaitm’envoyerdeuxpistessurunepériode
de plusieurs années. C’était frustrant parce que je me retrouvais avec les
premiersmixdetoutescesbelleschansonsetqu’ilmedisait:“Surtout,ne
lesfaisécouteràpersonnetantqu’ellesnesontpasterminées!”Maisj’ai
étéobéissante.»
À certains égards, All The Roadrunning n’est pas tant une collaboration
qu’un album de Mark Knopfler sur lequel chante Emmylou Harris. Dix
chansonssurlesdouzesontduguitariste–lesdeuxautresdelachanteuse,
dontunecoécritesavecKimmieRhodes–,plusieursétantinspirées,àdes
niveaux divers, par les événements du 11-septembre 2001 (« If This Is
Goodbye»,« LoveAnd Happiness»,« ThisIsUs »).Knopfler estaussi
producteur, tous ses musiciens participent, Guy Fletcher et Chuck Ainlay
sontderrièrelaconsole.Lesonrêcheetdépouillédesderniersalbumsn’est
cependantpasdemise.MarkKnopfleraoptépourunclimatcountryrock
propre, parfois assez puissant, où les envolées de guitare électrique sont
plusaffirmées(«IDugUpADiamond»,«ThisIsUs»,«RightNow»).
Avec, à nouveau, ces rythmes medium caractéristiques qui tendent à
uniformiserl’ensemble.Toutesréservesmisesàpart,ilfautreconnaîtreque
la combinaison des deux voix, si opposées l’une de l’autre, fonctionne à
merveille,celled’EmmylouHarrisdonnantlasensationd’enveloppercelle
desoncompère pourproduirece quelachanteuseelle-même appelleune
«voixfantôme».
RealLiveRoadrunning
(avecEmmylouHarris)
Enregistréenconcertle28juin2006auGibsonAmphitheatredeLosAngeles
Sortile14novembre2006
EmmylouHarriset MarkKnopfleront faitleschoses bien.Ils nesesont
pas contentés de publier un album, ils ont donné vingt-trois concerts en
Europe et en Amérique du Nord. Le troisième avant la fin fournit la
matière de ce disque en public et du DVD qui l’ac compagne (comptant
trois titres de plus). Même formation, même impression qu’Emmylou
Harris est une invitée de prestige. D’autant que si Mark Knopfler
agrémente la setlist de chansons de ses albums solos (« Done With
Bonaparte»,«SongForSonnyListon»,«OurShangri-La»)oudeDire
Straits (« So Far Away», « Why Worry », « Romeo And Juliet »), bien
moinssortentducataloguedelachanteuse(«BoulderToBirmingham»,
«RedDirtGirl»,«BornToRun»),surlesquellesKnopflersefonddans
lamassedel’orchestre,sanschanter.EmmylouHarrisdisparaîtelle-même
de scène pour « Romeo And Juliet ». Juste avant « Done With
Bonaparte»,quandKnopflerprésentelesmusiciens,iltermine:«Aufait,
EmmylouHarrisjouedelaguitaredansmongroupe,etellechanteaussi».
Letonestàlablaguemaisdécritfinalementbienlasituation.Lanotionde
duoseramieuxrespectéequelquesannéesplustardpourlesalbumsetles
concertsdelachanteuseavecRodneyCrowell.
Pasdedifférencescriantesentrecesversionsenpublicetcellesenstudio.Si
lefinaltonitruantsur«SpeedwayAtNazareth»détonneparrapportaux
climatshabituels du guitariste, cetteinterprétation est un classiquede ses
prestations.Impressionnantmaisjouéunpeumécaniquement,sansferveur
ostentatoireen toutcas. Idem pour le duo de Gibson Les Paul terminant
«IDugUpADiamond»(surleDVDuniquement).Ungrandmomentde
lyrisme… pendant lequel le statisme de Knopfler est presqueeffrayant. Il
restequelavoixd’EmmylouHarrissur«SoFarAway»s’avèreunedes
plus belles initiatives du concert, la chanteuse réussissant à sonner plus
éthéré à elle seule que tous les synthétiseurs de Guy Fletcher (qui sont
quandmêmelà,quel’onserassure).
KillToGetCrimson
Enregistréentrejanvieretmars2007auBritishGroveStudiosdeLondres
Sortile17septembre2007
En 2002, Mark Knopfler et ses collaborateurs David Harries, David
Stewart et Chuck Ainlay acquièrent un ancien atelier de teinturerie de
l’époque victorienne dans le quartier de Chiswick, au 20 British Grove.
Danslesannéessoixante-dix,lebâtimentaété occupéparlesbureauxet
un magasin de disques de Island Records avant de servir d’entrepôt, de
menuiserie ou d’imprimerie. Mark Knopfler, lui, en a fait un studio
d’enregistrementcombinanttechnologiesanalogiques(dontdeuxconsoles
récupéréeschezEMI)etnumériques.Composédedeuxsalles,lecomplexe
a tapé dans l’œil de Knopfler à cause de sa double hauteur de plafond,
idéale pour des séances d’enregistrement live. Si le lieu est ouvert à tout
client (Razorlight pour son premier album, John Illsley pour son
quatrième),leguitaristeenaévidemmentfaitsonlieudetravailprivilégié.
Kill To Get Crimson est le premier de ses albums à être intégralement
enregistréauxBritishGroveStudios.
Mark Knopfler est seul aux guitares. Flûte, clarinette, saxophone (par
Chris White), accordéon et violon font leur retour (« Heart Full Of
Holes », « Secondary Waltz ») sans que cela sonne artificiel comme sur
Golden Heart. Kill To Get Crimson a ainsi souvent des airs d’album de
balladesirlandaises,mêmesanslaprésenced’instrumentstraditionnelstant
les mélodies ou les arrangements de guitare, principalement une Fender
Stratocaster blanche de 1954 et une Gretsch 6120 rouge, sont imprégnés
de ce folklore. Ce sixième album solo (si l’on compte All The
Roadrunning) est sans doute le plus dépouillé de son auteur, entièrement
concentré sur un florilègede petites histoires, de portraits, de chroniques
sentimentaleschantésd’unevoixquiagagnéenexpressivité.«Monterle
volumenetransformerapas[ceschansons]enhymnespourrockdestade.
CommechezChopin,ilfautsouventsepencherettendrel’oreillepouren
saisirtouteslessubtilités.C’estdelamusiquecomplexeetadulte»estime
Jesse Kornbluth sur HuffingtonPost.com. De son côté, Mark Knopfler
expliquera au blog belge FrontStage qu’« écrire une chanson, c’est aussi
commesoignerunbonsaï:vousarrivezparfoisavecquelquechosedetrès
grand,etvoustaillezpourfiniravecunepetitesculpturefine.»
Lepremiercoupletde«MadameGeneva»atoutdel’autoportrait:«Je
confectionnedejoliespetitesballades/Jelesécrislà,danslarue/Onpeut
les acheter un peu partout en ville » (« I’m a maker of ballads right
pretty/Iwritethemrighthereinthestreet/Youcanbuythemalloverthe
city »). On pourrait dire la même chose du peintre de « Let It All Go »
(dont les paroles fournissent le titre de l’album : je tuerai pour avoir du
cramoisi)quin’enarienàfairedescommentairessursonœuvreetselaisse
guiderparsoninspiration.Aucasoùcertainsdouteraientdelarésolution
dumonsieurdanssespartispris…
GetLucky
Enregistréentreoctobre2008etmars2009auxBritishGroveStudiosdeLondres
Sortile14septembre2009
LadiscographiesolodeMarkKnopflerestdésormaisplusfourniequecelle
deDireStraits,etcesansmêmecompterlesbandesoriginalesdefilms(il
enacomposétroisdepuislafindugroupe).LesclimatsdeGetLuckyvont
l’éloigner encore un peu de toute comparaison. En plus de la présence,
désormais récurrente, d’instruments traditionnels, on trouve des
orchestrationsdecordes,uncord’harmonieetdesriffsdeguitaretoujours
aussi parcimonieux. À la fin de « Piper To The End », l’instrument
pourrait tout aussi bien être une cornemuse. « Hard Shoulder » ou
« Monteleone » flirtent même avec l’easy listening. Il est d’ailleurs
paradoxalquesurlaseconde,uneodesurunrythmedevalseauluthierde
Long Island John Monteleone, la guitare à caisse fabriquée spécialement
pour Mark Knopfler soit mise à peine plus en valeur que le piano et
l’ensembledecordes.Leluthierneledécouvriraqu’àlasortiedel’album,
maislesparolesreprennentcertainesformulesaveclesquellesils’amusaità
conclure ses e-mails adressés à Mark Knopfler, tels « The chisels are
calling » (« Les ciseaux à bois m’appellent »), « It’s time to make
sawdust»(«Ilesttempsdefairetomberlasciure»).
L’albumcompte seulementdeux chansonsvraimentrock, « CleaningMy
Gun » et « You Can’t Beat The House ». Pour le reste, les guitares
soulignentoureprennentlaplupartdutempslalignemélodiqueduchant
(« Monteleone », « Remembrance Day »). Pour « So Far From The
Clyde»,l’introductiondeguitareélectriquesembleencoreunefoissinger
uneouverturedefilm.
L’essentiel du disque a été enregistré sur bandes analogiques. Le ton
d’ensembleestàlanostalgie.Enfait,denombreuxthèmessontinspirésde
souvenirsetde lieuxd’enfance.Il fautdireaussi que2009est l’annéeoù
Mark Knopfler a eu soixante ans. « Before Gas & TV » se rappelle du
tempsoùiln’yavaitnitélévisionnivoitureetoùl’onpassaitsessoiréesau
coindufeuàsepasserlaguitare.«Sic’estcommeçaleparadis,alorsc’est
là où je veux être » (« If Heaven’s like this, well then here’s where I’ll
be »). « Get Lucky » est un texte sur un travailleur itinérant (réellement
rencontré par Knopfler quand il avait quinze ans), baignant dans une
imagerie pastorale et chanté comme Bob Dylan (cela faisait longtemps).
Dans«SoFarFromTheClyde»,l’auteursesouvientdesgrandsbateaux
(laClydeestlarivièrequicouleàGlasgow)etdans«PiperToTheEnd»
ils’adresseàsononcleFreddiequ’iln’ajamaisconnu(ilaététuéen1940
à Arras). « Border Reiver » raconte la vie des routiers dans les années
soixante – à Glasgow, les Knopfler vivaient non loin des usines Albion
Motors.«TheCarWasTheOne»revientsuruneanecdoteconcernantle
pilotedecourseMarkDonohue,qui,en1963,piétinaitdepouvoirunjour
participeràunecourse.Knopfleryvoitunparallèleavecsespropresrêves
dejeunessedeformerungroupederocketdevivredesamusique(onaura
repéré les coups de vibrato très surf music sur la guitare). Il lui a fallu
beaucouptravailler poury parvenir.Et aussi,quand même,avoir unpeu
dechance(getlucky).
Privateering
Enregistrédu4marsau7décembre2011auxBritishGroveStudiosdeLondres
Sortile3septembre2012
MarkKnopflerauraattendu trenteansavant deréaliserle doublealbum
qu’ilavaitenvisagéàl’époquedeLoveOverGold.MaisPrivateeringreste
une collection de chansons tout à fait classique quand, généralement, le
doublealbumestl’occasiond’expérimenter,d’incluredeschosesatypiques,
dejouersurlescontrastesdestyle,deduréeetc.Là,l’auteuraalignévingt
titrescommeilenauraitproposédix.Leschansonsdecenouveaudisque
retournentaudénuementetausonunpeubrutd’avantGetLucky.Cequi
n’empêche pas les guitares de régulièrement sonner de manière exquise ;
c’est dû à un travail préalable aux séances d’enregistrement proprement
dites qui voit Mark Knopfler tester pour chaque morceau, pendant
plusieurs semaines, toute une collection de guitares et d’ampli avec Guy
Fletcher, comme en attestent les carnets de bord publiés sur le site de ce
dernier.
L’épatant« RedbudTree »,ouvrant l’album,procure cettesensation que
Knopfler nous chante dans l’oreille. Comme d’habitude, les ballades
alternent avec les arrangements d’inspiration celtique, faisant dire au
Telegraph que Privateering est « l’équivalent musical d’une chemise à
carreaux qui aurait été beaucoup portée » (well worn plaid shirt). La
surprise se situe du côté d’un bon nombre de blues, parfois un peu
caricaturaux, avec piano bastringue, harmonica strident et slide guitar,
tandis que le chanteur s’essaie à imiter Muddy Waters (« Don’t Forget
Your Hat ») ou à singer « Rollin’ And Tumblin’ » (« Got To Have
Something»).«GatorBlood»ressemblecarrémentàunmorceaudeR.L.
Burnsidetandisque«BloodAndWater»tendplutôtverslebluesjazzy,
avecunsoloqui,àpeinelancé,disparaîtaussitôtdanslefonduterminant
la chanson. Le Chicago blues « Today Is Okay » ressasse les éternelles
histoires de chance / malchance typiques du genre, citant dans le texte
« Born Under A Bad Sign », chanson rendue célèbre par Albert King.
«AfterTheBeanstalk»est,lui,uncountrybluesavecmandolineetguitare
àrésonateurfaçonTajMahal,oùilestquestionduplaisirdejouerdela
musique après une journée de travail à la ferme… Autant d’exercices de
style qui sonnent bien, swinguent bien, sales juste ce qu’il faut, sans que
l’onpuisses’empêcherd’entrouvercertainsdispensables.
Tracker
Enregistréentrefin2013etfin2014auxBritishGroveStudiosdeLondres
Sortile16mars2015
Lepremiersingleextraitde Trackerpourraitfacilementinduireenerreur.
«Beryl»renvoiedirectementà«SultansOfSwing»,cequin’aéchappéà
personne. Tout y est, le son, le motif de guitare d’ouverture et même la
réflexionsurl’artquisous-tendletexte–laromancièreBerylBainbridge,
dont parle la chanson, a été distinguée du Booker Prize mais à titre
posthume,cequiagaceunMarkKnopflerclamantdanslerefrain:«It’s
alltoolatenow»[c’esttroptardmaintenant].Maislerestedudisquene
creuse pas cette veine. Assez sombre et cultivant ces éternels climats
méditatifsoumélancoliques,accentuésparderécurrentespartiesdeguitare
slide, il continue sur la lancée des précédents. « Basil » évoque le poète
BasilBunting.Iltravaillaitàl’EveningChronicledeNewcastle,quandun
Mark Knopfler de quinze ans y faisait un job d’été. L’adolescent était
fasciné par ce personnage ronchon et pas du tout à sa place dans un
journal. Sous ses airs de chanson à boire au son d’une flûte irlandaise,
« Laughs And Jokes And Drinks And Smokes » raconte le temps des
errancesdemusiciendésargentédansleLondresdespubsetdespotesaussi
«indirestraits»quel’auteur.«Peoplewouldgoontheirdifferentways/
Ilefttostartaband»[Lesgenssuiventchacundesroutesdifférentes/Moi
jesuispartipourmonterungroupe].Onconnaîtlasuite.
Les titres les plus enlevés du disque sont deux clins d’œil. L’un,
«Skydiver»,auxKinks,àcoupsdeslideetd’harmoniesvocales.L’autre,
«BrokenBones»,àJ.J.Cale.Terrasséeparunecrisecardiaqueàsoixante-
quatorzeansle26juillet2013,lafiguretutélairedeMarkKnopflerafait
l’objet,l’annéed’après,d’unalbumdereprisesconcoctéparEricClapton,
The Breeze: An Appreciation Of J.J. Cale. Le disciple interprétait deux
inédits du maître mais « Broken Bones » est son hommage personnel.
Derrière le récit à la première personne d’un boxeur rentrant chez lui et
comptantses blessuresaprès êtreallé autapis, se cacheune réflexionsur
l’âgequiabîme.Etàl’heuredubilan,l’auteurde«WaterOfLove»sait
combienilneserajamaisàlahauteurdeceluiqui«savaitsortirtousles
bons mots, quand moi je n’étais qu’une blague » (« He had the punch
lines, I was the joke »). Sans surprise, l’arrangement donne dans le
mimétisme mais la chanson dure bien plus longtemps que nécessaire tant
elleestrépétitive.
Un autre clin d’œil, moins bienveillant, figure dans la version deluxe de
Tracker.«TerminalOfTributeTo»s’enprenddetouteévidenceàAlan
ClarketdansunemoindremesureàChrisWhite.Lesdeuxex-DireStraits
ont monté ensemble (The Straits) puis séparément (Dire Straits Legacy et
DireStraitsExperience)destributebandsilestvraiambigus,faisantjouer
d’autresanciensdugroupe.AlanClarkasansdouteaussiletort,auxyeux
desonex-leader,detropvantereninterviewssescontributionspasséesau
répertoire de Dire Straits. Résultat : une mélodie basée sur le motif
toujours accrocheur d’une descente chromatique mais un texte humiliant
littéralement les deux fautifs, pointant leurs frustrations, leur imposture,
mais aussi leur ringardise et même leurs cheveux gris ! On peut
comprendre l’énervement mais ce genre de démarche vexatoire n’honore
jamais son auteur. « How Do You Sleep? » restera toujours un moment
gênantdanslacarrièredeJohnLennon.
Dansunregistreplusapaisé,lesdéambulationsde«LightsOfTaormina»
et«SilverEagle»ontétéinspiréesparlatournéefaiteavecBobDylanen
octobre-novembre 2012. Ce sont des impressions collectées sur la route,
depuis la fenêtre du bus ou le balcon des hôtels. Dylan n’est jamais
nommé,sonstatutdechanteurjamaismentionné.Cettefigureuniquedela
popmusic,évoluantenparallèledesonpropremythe,estesquisséeavecle
justeéquilibreentredistanceetprécision.Toujours,cetartdelavignetteet
duportraitqueMarkKnopflern’ajamaiscessédepeaufiner.
DownTheRoadWherever
EnregistréauxBritishGroveStudiosdeLondresdurantl’été2017etentrejanvier
etfévrier2018
Sortile16novembre2018
La tournée Tracker s’achève le 31 octobre 2015. Trois ans et deux
semaines plus tard paraît l’album suivant. Mark Knopfler est cependant
loindes’êtretournélespouces.Onl’avucollaboreravecZucchero,Dan
Auerbach(desBlackKeys),PietaBrown,BrianBennett(ancienbatteurdes
Shadows)etlesKillers.Finoctobre2016,avecentreautresRobertPlant,
Van Morrison, Bob Geldof, il était sur scène pour le concert des quatre-
vingtsansdeBillWyman,interprétantpourl’occasionunechansoninédite
fleurantbonleFleetwoodMacbluesydesdébuts.Ilestégalementaccaparé
par l’écriture de nouvelles chansons pour la transposition en comédie
musicale du film Local Hero, dont la première est attendue pour
mars 2019 à Édimbourg. Et il apparaît sur Accomplice One (2018) du
guitariste Tommy Emmanuel, pour une composition de sa plume
enregistréeàBritishGroveaveclevirtuoseaustraliendepassageàLondres.
Accessoirement, Down The Road Wherever, tous formats et éditions
confondus, offre dix-neuf titres. « Plus je vieillis, plus je suis productif.
Peut-êtreparcequejen’aiplusàcourirdanstouslessens»expliquera-t-il
àRollingStone.
CielimmenseetgrandsespacescommepourTracker,unerouteenlignede
fuiteassezconvenue:lapochettedeDownTheRoadWherevernepromet
riendeneuf.Orl’albumdétonne.Lesclimatsfeutrésetmid-temporestent
la norme, mais avec des sonorités nouvelles, une émulation de Stevie
Wonder(«NobodyDoesThat»),destouchesfunkyelectro(«GoodOn
You Son », « Back On The Dance Floor »), des exercices jazzy façon
CassandraWilson/NorahJones(«WhenYouLeave»,«SlowLearner»)
ou Jimmy Smith (le bonus « Rear View Mirror »), bien moins de flûte
irlandaise et plus de contrastes. Fait inédit, Mark Knopfler s’entoure de
chœursféminins,dontl’irlandaiseImeldaMay.
Onretrouvedes exercicesbienrodésde balladefolk-rocktel «Nobody’s
Child », l’histoire d’un enfant abandonné devenant hors-la-loi du Far
West. « Come a’cow cow yicky yicky yea », entonne Knopfler tel Lead
Belly sur « Out On The Western Plains », comme si les deux chansons
évoquaientle mêmepersonnage àdes âgesdifférents. L’Amériquevoisine
avecleshabituellestouchesbritanniques,parfoisdansunmêmemorceau.
Dans«GoodOnYouSon»,unAnglaisétabliàLosAngelesselanguitde
sa chère « Blighty » (l’Angleterre), de son « Camden shuffle » et de ses
vieux « sink estates » (logements sociaux miteux). « My Bacon Roll »
s’inspire d’une scène de café vu à Londres, mettant en scène un col-bleu
réclamant son sandwich au bacon. Mais l’une des grandes réussites de
l’album,c’est«JustABoyAwayFromHome».Knopfleryretranscritses
souvenirs de la nuit passée auprès de son père hospitalisé à Newcastle
aprèsunepremièreattaquecardiaque.Ilparvientàassocierunriffdeblues
emprunté à « Junkie Doll », un arrangement de cuivres et saxophone et
une poignante partie de slide à la Stratocaster interprétant la mélodie de
« You’ll Never Walk Alone », le classique de Rodgers et Hammerstein
devenul’hymneduLiverpoolFootballClubaprèslesuccèsqu’enontfait
Gerry & the Pacemakers en 1963. Il l’avait entendu depuis la chambre
d’hôpital.«C’étaitdetouteévidencequelqu’undeLiverpoolquiavaitraté
le train ou le buspour rentrer chez lui, quelque chose comme ça. Il était
seuletchantait“You’llNeverWalkAlone”etjepensequemonpèreya
vu un genre de signe pour s’accrocher » expliquera le musicien au
magazineGuitarist(issuedelacomédiemusicaleCarousel,lachansonaide
unmourantàpartirenpaix).
De fait, Down The Road Wherever multiplie les retours sur soi. Dès
l’ouverture de l’album. Le son d’une guitare à résonateur sur fond de
synthétiseurannonçantunrécitdelaFrontière(«TrapperMan»)nepeut
pas ne pas évoquer « Telegraph Road » de Dire Straits. Dans « Every
Heart In The Room » (autre bonus), un artiste sur scène n’attire qu’une
indifférence polie au milieu du brouhaha ambiant d’un club. Mais
« accroche-toi à tes rêves, laisse-les faire, laisse-les dire, ça n’a aucune
importance, un jour, le cœur de tous ces gens sera à toi » promet le
chanteur.UneexpériencevécuepartouslesSultansduSwingdumonde,à
commencerparKnopfler.Ilestsymptomatiquequeledisqueseterminesur
«MatchstickMan»(recyclageuntonau-dessusdelamélodiede«Heart
of Oak », un bonus de Tracker). Le musicien se souvient d’un retour à
Newcastle (« Geordieland ») en auto-stop le lendemain de Noël, sous la
neige,depuisunevilledeCornouaillesoùilajouéavecun«groupesorti
denullepart»(«nowhereband»),àl’époquedesesduresannéespré-Dire
Straits.Ilavaitracontécettehistoireeninterviewdanslesannéesmilleneuf
centquatre-vingt,etelleétaitenfiligranede«RiverTowns»surl’album
précédent. Mais ici, de la part d’un homme de soixante-dix ans qui va
bientôtarrêterlestournées,ellefaitfiguredeconclusionàunecarrièrebien
remplie.Chèrementgagnée,aussi.«Jeconnaisbeaucoupdemusiciensqui
n’ont jamais déchargé un camion et je trouve cela dommage pour eux
parcequesivousn’avezjamaisfaitdestrucscommeça,vousnesavezpas
vraimentàquoitoutcelarime»(Guitarist,2018).
Ne jamais oublier d’où l’on vient, comment on s’est construit. Ce thème
irrigue« OneSong At ATime »dont un versdonne sontitre àl’album.
CeluidelachansonestuneformuledeChetAtkins.LehérosdeKnopfler
lui avait expliqué qu’il s’était sorti de la pauvreté « une chanson après
l’autre».« OneSong AtA Time» sesitueà chevalentre deuxépoques,
1979 et 1879, dans un certain quartier des bords de la Tamise nommé
Deptford.LàoùDireStraitsestné,etdéjàdépeintdans«Single-Handed
Sailor » (en 1979, donc) et par David Knopfler dans « Southside
Tenements » (1993). Et il y a ce type accoudé au comptoir, qui rappelle
quelqu’un au chanteur. Tout simplement parce que « je sais que ce
pourrait être moi ». Mark Knopfler ne revient pas à Deptford, ni à
Newcastle.Iln’enestjamaisvraimentparti.
«GoingHome(ThemefromLocalHero)»
Enregistré aux British Grove Studios de Londres entre septembre 2021 et
novembre2023
Sortile15mars2024
Soixante-sept musiciens et pas moins de cinquante-quatre guitaristes de
renom pour une version de neuf minutes quarante-neuf de « Going
Home », l’éternelle mélodie du film Local Hero. C’est le projet un peu
dingue mené par Mark Knopfler, au profit de l’organisation caritative
TeenageCancerTrust,etsabrancheTeenCancerAmericafondéeparles
Who Roger Daltrey (à l’harmonica sur le disque) et Pete Townshend,
dédiéesausoutiendesadolescentsetjeunesadultessouffrantd’uncancer.
Crédité du nom de Mark Knopfler’s Guitar Heroes, le single sort trois
jours avant la série de concerts montés tous les ans par l’association au
RoyalAlbertHallàLondres.
Au côté de Knopfler et songroupe, ce tour de force fait intervenir Bruce
Springsteen,JoanJett,VinceGill,Zucchero,lesbatteursRingoStarretson
fils Zak Starkey qui alternent leurs parties, Sting et Sheryl Crow à la
basse…Maisc’estévidemmentl’aéropaged’asdelasix-cordesquiretient
toutel’attention,hommesetfemmes,vieuxmaîtresetjeunesloups.Onne
s’étonnera pas de la présence des copains habituels (Eric Clapton, David
Gilmour, Buddy Guy, Hank Marvin, Sonny Landreth). Mais il faut
compteraussiavecSlash,JoeBonamassa,SteveVai,JoeSatriani,Tommy
Iommi,KeijiHaino,TomMorello,lecoupleSusanTedeschi-DerekTrucks,
Joan Armatrading, Keith Urban, John McLaughlin et tant d’autres.
CertainssontvenusàBritishGrove(AlbertLeeaétélepremier),d’autres
ontenvoyéleurspartiesvialesréseauxetGuyFletcheramixéletoutdans
cequis’apparenteàuneprouessedemontage.Lesguitaressesuperposent,
s’entremêlent, harmonisent, se répondent. Autant dire qu’il n’y a pas la
place,commesurlaversionoriginale,pourunsaxophone.
Les premières notes sont de Jeff Beck, décédé l’année précédente d’une
méningite.Ildémarreseullemorceaupourcequis’avèreêtresondernier
enregistrement. Ses coups de vibrato retravaillent en fait « The Rock &
The Thunder » en guise de préambule, avant de continuer derrière les
arpèges de « Going Home » posées par Mark Knopfler. Les bends de
DavidGilmoursefontviteremarqueretEricClaptonestàlaguitaresèche
(tandis que Joe Bonamassa livre sa meilleure imitation de Clapton à
l’électrique).
Lecrescendoestplutôtbienconstruit,trèsprogressif(maisforcémenttrès
éloignédel’arrangementoriginelavecquantitéd’interventionsenbruitde
fond)etlaissemêmedel’espaceauxguitaresacoustiques.Aucunevéritable
envoléesoliste,toutlemonde gardeentêtele thème,reprisàl’enviet en
d’infinies variations de sonorités. Même la pochette est à la hauteur. Un
collage de photos montre tous les participants (ainsi que la cabine
téléphoniquerougedufilmdeBillForsyth)devantleHanksGuitarShop,
une boutique de Denmark Street, la rue des instruments de musique à
Londres.CettedéclinaisonduconceptdeSgt.Pepper’sLonelyHeartsClub
Band (1967) est signée de nul autre que l’artiste Peter Blake, cocréateur
avec son épouse de l’époque Jann Haworth, du visuel des Beatles. « Si
identifiertousceuxquisetrouventsurlapochettevousamuse,vousallez
encoreplusvousamuseràessayerderepérerquijouequoisurledisque!»
promet Brian May sur son site. Trouver Zucchero ou l’harmonica de
RogerDaltreytienttoutefoisdudéfi,maislesdouzelignesharmoniséesdu
guitaristedeQueennesont,elles,pasdifficilesàrepérer.
OneDeepRiver
EnregistréauxBritishGroveStudiosdeLondresentredébut2021et2023
Sortile12avril2024
Mark Knopfler n’aura jamais mis autant de temps à publier un nouvel
album. Et pour cause : la pandémie de Covid-19 et ses confinements se
sontinvitésdansleplanningdessessions.Levirusaemportéledirecteuret
co-concepteur des studios British Grove, David Stewart, dès avril 2020.
D’où un enregistrement morcelé, étalé sur près de trois ans. Le produit
final offre pourtant une belle homogénéité de ton, d’arrangements et de
style.Peut-êtretrop.Surtout quelesdeux premièreschansonsévoquentà
peuprèslamêmechose:lefaitdejouerdelamusiqueengroupe.
Si Mark Knopfler s’était montré capable de sortir de sa zone de confort
avec Down The Road Wherever, il y retourne avec One Deep River. Ce
dès l’ouverture sur « Two Pair Of Hands », un exercice sautillant avec
guitare rythmique dans un effet tournant, tout droit sorti d’un disque de
J.J. Cale. Le reste du disque arpente les terrains folk-country-rock et les
rythmeslanguidesbienconnusdel’artiste.«BlackTieJobs»et«Watch
Me Gone » semblent même servir à éprouver la patience de l’auditeur le
plusindulgent.
Leschansonss’organisentautourd’entremêlementsdeguitaresacoustiques
etélectriques,oùintervientunnouveauvenudanslegroupe,GregLeisz.Il
sechargenotammentdespedaletlapsteelguitars,instrumentsabsentsdes
deux albums précédents et qui donnent ici une nette inflexion country
(légèrement tex mex façon Willie Nelson concernant « Smart Money »).
Pas de saxophone, pas de trompette. Des nappes de cordes habillent
«BlackTieJobs»,unviolonetuneflûtesortentduboissur«ThisOne’s
NotGoingToEndWell»,uneharpisteintervientsur«AlongTheForeign
Coast » mais c’est un titre réservé aux éditions deluxe de l’album et les
effets électro qui avaient effarouché nombre de fans ont été remisés.
Beaucoup de titres sonnent en fait comme des démos, soignées mais en
attente de développements. Trop de thèmes de guitares se répètent du
début à la fin sans variation, trop de solos se résument à reprendre la
mélodieduchant.
One Deep River n’est pas totalement sans surprise. « Ahead Of The
Game»sedistingueparunsondebasseproéminent.L’introtrèsliturgique
de«Tunnel13»,àproposd’uneattaquedetraindansl’Oregonen1923,
est du plus bel effet. On pense avoir affaire à l’habituel récit de l’Ouest
« made in Knopfler » quand la chanson tisse un tout autre lien avec le
musiciendanssesdernièresphrases:l’Oregon,c’est(c’était,plutôt)lepays
desséquoias,ceboisdontestfaitesaguitare.
Enfin,mêmes’ilfautlaisserpassertroismorceaux,MarkKnopflersortde
sesgonds sur « ScavengersYard » avec uneguitare stridente aubord du
larsencommeonn’enavaitplusentenduchezluidepuistrèslongtemps.Le
plus étonnant reste peut-être l’ouverture de « Sweeter Than The Rain »,
pastrèséloignéed’uneambianced’horreurgothiquedelaHammer.Ou,ce
qui revient parfois au même, de certains enregistrements de Johnny Cash
pourRickRubin(lerefrainloucheclairementsur«WayfaringStranger»).
Il n’empêche que toutes ces idées sont à peine exploitées, la routine
reprenantledessus.
Aufond,MarkKnopflerregardetoutsimplementfilersessouvenirsdans
lecoursdelaTyne,larivièredutitredel’albumetdesonultimechanson.
LapochettearboreunephotoduTyneBridgeàNewcastle.«Traverserla
Tyne reste gravé en moi, explique le musicien dans le communiqué
annonçant OneDeepRiver.Quejeparteouquejerevienne,ilyacelien
avecl’enfance.C’estquelquechosede trèsfort,quines’effacepas ».On
retrouvecesentimentencreuxdans«WatchMeGone».L’artisteévoque
(unefoisdeplus)sesdébutsdanslamusique,auprixd’unarrachementà
soncherNorthumberlandetd’unabandondesêtresaimés(leguitaristey
utilise un instrument acoustique sur mesure d’un luthier de la région,
Stefan Sobell). Ce dilemme est aussi au cœur de « Before My Train
Comes » (« S’il y a un train qui part, direction la grande vie et les
sensations fortes, tu viens avec moi ? J’ai déjà dû tele demanderune ou
deuxfois»).
De ce point de vue, l’album semble prolonger la dernière chanson du
précédent, « Matchstick Man », qui racontait un retour à Newcastle.
CommesiMarkKnopflersuggéraitqu’aprèsavoiraccomplitoutcedontil
rêvait,ilétaittempsdefermerledossier.Quoique…« Onemorecar,one
more rider ». Chez les forains anglais, cette formule annonce un dernier
tourauxauto-tamponneusesavantfermeturedustand.Unesemaineaprès
One Deep River est publié un EP intitulé The Boy comptant quatre
chansonssurlethèmedelafêteforainequelemusicienfréquentaitenfant.
Undernierdisquecommeunderniertourdemanège,peut-être.
BOUCLERLABOUCLE
Uneclameuraccueilleunemélodiearrangéepourflûteettrompette,cesoir
d’avril 2019 au Paulu Sant Jordi de Barcelone, au premier concert de la
tournée Down The Road Wherever de Mark Knopfler. Pas seulement
parce que le public connaît bien cet air, joué à l’origine au synthétiseur.
Aussiparcequ’ilsaitqu’elleannonce«OnceUponATimeInTheWest».
La dernière fois que le guitariste a joué cette chanson, c’était en
juillet 1983, à la fin de la tournée Love Over Gold de Dire Straits.
Personne,sansdoute,nes’attendaitàl’entendrecesoir-là.
Mark Knopfler a troqué la Schecter Stratocaster de l’époque pour une
Gibson Les Paul. Les phrasés sont plus gras, plus pâteux. Moins fluides
aussi,maisleguitaristeavouevolontiersavoirperduenagilitéavecl’âge,
aupointdesimplifiercertainsdesesplanspourpouvoirlespasser.
Plustard,auxrappels,uneautreintroductionfameuseferasensationchez
les spectateurs espagnols : l’intégralité du crescendo de synthétiseurs de
« Money For Nothing », avec ses « I want my MTV » scandéspar Guy
Fletcher. Comme on n’avait plus entendu la chanson depuis longtemps,
Knopflerayantprisl’habitudededémarrersurleravageurriffdeguitare.
Difficiledenepasvoirdanstoutceladesgestesd’offrandeàunpublicqui
ne verra plus l’artiste sur scène après cette tournée annoncée comme sa
dernière.Plusglobalement,difficiledenepaspenseràunregardenarrière
sur ce qui l’a amené là. Car cela fait quelque temps déjà que l’homme
donnel’impressiondesolderlescomptes,payantsontributàsonpasséetà
seshéros:deschansonsévoquantBobDylanetJ.J.Cale,laparutiondela
premièredémodeDireStraits,unLiveAtTheRainbowsortidesarchives,
des références au groupe de Deptford dans Tracker et Down The Road
Wherever, sans oublier la préface écrite pour My Life In Dire Straits de
JohnIllsley.En2022,lebassisteestlui-mêmerevenudanssachanson«It’s
ALongWayBack»surl’aventuredeceuxquifurentuntemps«dansla
dèche » au point d’en faire leur nom. Même la vente aux enchères, le
31 janvier 2024, de cent vingt des guitares de Mark Knopfler chez
Christie’s semblait avoir servi à boucler la boucle. Elles étaient presque
touteslà:laPensa-SuhrMK1duconcertpourNelsonMandela,laGibson
Les Paul de « Money For Nothing », les Schecter Telecaster rouge de
«WalkOfLife»etnoire«SolidRock»,laGibsonChetAtkinsàcordes
de nylon en majesté sur Alchemy, les deux Ovation six et douze-cordes
utiliséespourl’albumLoveOverGold,laSteinbergerenformedeboîtede
la tournée Brothers In Arms, la Grestch Super Chet des photos
promotionnellesdelamêmeépoque,laRCustommauvepourcontrôlerle
Synclavierde«SoFarAway»,l’acoustiqueGibsonJ-50de«IronHand»,
laGibsonélectriqueàcaissede«FadeToBlack»,leprototypePensa-Suhr
rouge en matériau synthétique de « Heavy Fuel »… Même si tout n’y
concerne pas le groupe, le catalogue publié par la maison de vente se lit
commeunehistoiredeDireStraitsetdesonévolutionmusicale.
DireStraitsfutunétrangephénomène.D’uncôtéuneformationausuccès
surhumain, devenu si énorme que, du propre aveu de son leader, il n’a
même pas eu besoin de chercher à casser la baraque aux États-Unis. Un
groupe irrémédiablement identifié à ses excès de production, encore
aujourd’huisouventdécriépourcesonlisseetenveloppantdontlesnerfs
semblent s’être dissous dans la technologie. Ce qu’en 2005, dans son
premierspectacle,l’ancienjournalisterockdevenucomédienThomasVDB
tentait de définir en imaginant un genre musical qui serait tout sauf du
rock,le«rock-quoi»:«Jesuisentraindeparleravecquelqu’unetjelui
demande:“Qu’est-cequetuécoutescommemusique?”“Jesaispas,plein
detrucs…DireStraits,Jean-LouisAubert…Durock,quoi”.»
D’unautrecôté,ensixalbumsstudio,DireStraitsn’ajamaisprislavoiede
lafacilité,cherchantàchaquefoisuneapprochenouvelle–Communiqué
étant,selon MarkKnopfler, l’erreurde parcoursconsistantà avoirvoulu
répliquerlepremierdisque.Ilaoséleschansonsfleuvesauxalluresdelong
métrage, a fait un tube d’un morceau à peine chanté sur fond de guitare
classique, s’est un temps détourné de la construction couplet-refrain et a
atteint les sommets avec un album réduisant au minimum les soli de
guitaresquiavaientfaitsarenommée.EtsiDireStraitsn’ariendugroupe
à riff, comme peuvent l’être les RollingStones ou AC/DC,il asigné l’un
desplusexcitantsdugenreavecceluide«MoneyForNothing».
Autant que la musique, les textes ont façonné l’originalité du groupe :
derrièrel’Americana,uneidentitébritanniqueparfaitementassumée.Invité
en2019dansleprogrammetélévisédeBrianJohnsonALifeontheRoad,
sur la chaîne Sky Arts,Mark Knopflerexpliquait avoirtoujours tenté de
substituerauxréférencesaméricainesattenduesdeschansonsrockcequ’il
appellesa«géographiepersonnelle» («myown geography»).Quandil
passelarivière,cen’estpasleMississippimaislaTyne.Quandilpartau
Sud, ce n’est pas pour Memphis mais pour Londres. Quand il raconte le
WildWest,c’estleWestEnddelacapitalebritannique.Quandilévoque
des parcs de loisirs new-yorkais, il y mêle la Spanish City du nord-est
anglais. Une chanson inspirée autant par la guerre du Vietnam que celle
desMalouinescite«TheMistCoveredMountains»,fameuxairécossais
duXIXesiècle.
Les uns et les autres musiciens de Dire Straits ont témoigné d’un travail
collectif. Terry Williams a raconté qu’en conférence de presse, Mark
Knopfler orientait des questions de journalistes, immanquablement
adressées à lui, vers ses compères. Réalité ? Relecture de l’histoire ? Peu
importe, au fond. L’âme créatrice, c’est bien le guitariste, la vision
artistique,c’estlasienne.Soninstrumentestmêmeintimementliéàcesens
de l’espace associé à la musique du groupe. Au point que beaucoup de
reprisesdechansonsde DireStraitspâtissentcruellement desonabsence.
Comme pour le « Brothers In Arms » de Joan Baez, magnifiquement
chanté mais au goût d’inachevé. La version de « Walk Of Life » par les
Shadowsest un amical retourà l’envoyeur, mais sansle jeu rythmique si
caractéristique de Mark Knopfler, elle donne l’impression bizarre d’avoir
des ratés dans le moteur. À l’inverse, le guitariste de Art Garfunkel sur
« Why Worry » veut tellement « faire » Knopfler qu’on approche la
caricature.Le traitementFM de« SettingMe Up »par WaylonJennings
tombeà plat(sonfils Shooters’entire mieuxavec son«Walk OfLife »
sudiste où la pedal steel guitar et le violon se substituent à l’orgue).
Paradoxalement,lesCaliforniensheavymetaldeSystemOfADownsont
plutôtefficacessurleurversioncourtede«SultansOfSwing»(«Weare
theSystem,wearetheSystemOfADown…»):uneamicaleparodiedes
prouessesguitaristiquesà la foisdu leaderde Dire Straitset decelles des
shredders.
Au fond, l’aura du groupe aura pâtid’une fin de carrière en demi-teinte,
aveccedernieralbuminattendu,OnEveryStreet,auxaccentsunpeutrop
évidents de début de carrière en solo pour Mark Knopfler. Certes, il ne
pouvait pas plus mal tomber, au moment où explosaient Nirvana, Pearl
Jam,AliceInChains,oùMetallicaetlesGuns’n’Rosesdevenaientlesrois
dumonde.Maispeut-êtreque,plussimplement,leplaisirdejouerfaisait-il
défaut. Ce plaisir de faire de la musique en groupe dont Knopfler parle
encoredans«AheadOfTheirGame»,en2024.DireStraitsl’aplusieurs
foiscélébré,qu’ils’agissedefairelamanchedanslescouloirsdumétro,de
trimballer sa guitare National dans le West End londonien, de donner
envie de danser au bord de la piscine. Même Romeo, dont la sérénade
dérange Juliet, ou Les Boyset leur mauvais numéro de cabaret incarnent
cette joie de se consacrer à son art, quitte à susciter l’incompréhension.
N’est-ce pas d’ailleurs le thème de la chanson qui a révélé Dire Straits ?
Dansunesallebondéededixmille personnescommedansunpubdésert
dusudlondonien,ilyauratoujoursquelqu’unpourréclamerson«Creole
LoveCall».EtilyauratoujoursdesSultansduSwingpourlejouer.C’est
toutcequiimporte.Carquandlamusiqueemplitl’espace,pluspersonne
nefaitattentionauxcrétinspunkenpantalonbaggy.
SOURCES
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(le chapitre concernant Mark Knopfler est retranscrit à cette adresse web :
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GuyFletcher:www.guyfletcher.co.uk/
DavidKnopfler:www.knopfler.com/
MarkKnopfler:www.markknopfler.com/
TommyMandel:amarkintime.org/forum/index.php?topic=3260.0
JackSonni:jacksonni.com/
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ÀPROPOSDEBRETTWHITELEYETD’ALCHEMY
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m=1
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photographe-du-metro-londonien
ÀPROPOSDEGUITARES
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TheMarkKnopflerguitarcollection,Christie’s,2023
L’articledeGuitaristde1995setrouveàcetteadresse:
www.musicradar.com/news/guitars/classic-guitar-interview-mark-knopfler-august-
1995-538080/
Lestroisinterviewsde GuitarPlayerde1979,1984et1992sontreproduitsici:
ds.mk-guitar.com/knopfler-interviews.htm
ÀPROPOSDUCD
news.bbc.co.uk/2/hi/technology/6950845.stm
www.keithhirsch.com/the-first-cd-single-dire-straits-brothers-in-arms
CLASSEMENTSDEVENTES
Allemagne:www.officialcharts.de
Belgique:www.ultratop.be
États-Unis:www.billboard.com
Nouvelle-Zélande:www.charts.org.nz
Norvège:www.norwegiancharts.com
Pays-Bas:www.dutchcharts.nl
Royaume-Uni:www.officialcharts.com
DOCUMENTSAUDIOVISUELS
Antenne2,Lesenfantsdurock,«1982,l’annéeDireStraits»,21octobre1982
Antenne2,Lesenfantsdurock,«Unehistoireanglaise»,14avril1984
BayerischerRundfunk(télévisionbavaroise),reportagede1979
BBC4,Arena,«DireStraits»,reportagedemars1980
BBC1,Eightdaysaweek,interviewdeMarkKnopfler,29septembre1983
Darko.Audio(podcast),interviewdeChrisWhitten,2020:
NRKTV(télévisionnorvégienne),interviewdu21novembre1979
Rock History Music (chaîne YouTube), « Pick Withers interview », mars-avril
2021
SimonVRadioDJ2(podcast),interviewdeTerryWilliams,mars2013:
SkyArts,GuitarStories:MarkKnopfler,octobre2012
SkyArts,ALifeOnTheRoad,«MarkKnopfler»,17novembre2019
WFIT89.5FM(stationradiodeFloride),GuitarTrax,«HalLIndesinterview»,10
avril2020
DIVERS
Allmusic.com / Amarkintime.org/forum / Discogs.com / Imdb.com
/Oneverybootleg.nl/Wikipedia.com
REMERCIEMENTS
Il a été assez dit, dans les pages qui précèdent, combien Dire Straits a
empruntéàBruceSpringsteen.JusticesoiticirendueàOlivierBousquetet
àsonexpertiseenlamatièrequiasupointerdesexemplesprécisetciter
lesréférenceslespluspertinentes.
UngrandmerciàChristianEudelinepoursoninterviewinextensoetbrut
dedécoffragedeMarkKnopfler.
JetiensàsaluericiJean-FrançoisConvertpouravoirsignalé,en2015,la
parutionde la première éditionde ce livre surle forum A Mark InTime
desfansdeMr.Knopfler.
Et une mention toute particulière à David Knopfler qui a accepté de
replonger dans cette histoire et pris le temps de fournir des réponses très
complètes.
TABLEDESMATIÈRES
PRÉLUDE:ONTHENIGHT
Lyon,HalleTonyGarnier,20avril1992
1.THESAMEOLDBLUESAGAIN
2.FENDERBROTHERS
DireStraits
«SultansOfSwing»,troisième
DeHollandevintlesalut…
3.«MAINTENANT,ONFAITUNVRAIDISQUE»
DeLondresauxBahamas
Communiqué
Laconquêtedel’Ouest
Sessionman(1)
Accolades
«TortureTour»
4.ETDIRESTRAITSDEVINTDIRESTRAITS
Trauma
Remiseàflot
Sessionman(2)
Rupture
MakingMovies
Alan,HaletJoop
OnLocation
5.LEGROUPEDEROCKPRÉFÉRÉDESGENSQUIN’AIMENT
PASLEROCK
LoveOverGold
DePickàTerry
ExtendeDancEPlay
Sessionman(3)
6.GUITARANTI-HERO
BobDylan,Infidels
Sessionman(4)
Alchemy:DireStraitsLive
Alchemy,lavidéo
7.BIENVENUEDANSLAMACHINE
AztecCamera,Knife
Sessionman(5)
Desampoulesauxdoigts
AIRMontserrat
Durockenshort
BrothersInArms
Unmilliondedisquescompacts
Sessionman(6)
«MoneyForNothing»etsesambiguïtés
Untourdumonde
8.ONSUPPOSEQU’ILSS’ÉCLATENT
Enstudio
Lesnotables
L’amiEric
LesamisSteveetBrendan
TheNottingHillbillies,Missing…PresumedHavingAGoodTime
L’amiChet
ChetAtkinsAndMarkKnopfler
NeckAndNeck
EtDireStraitsdanstoutcela?
MoneyForNothing
9.UNDERNIERTOUR
«IThinkILoveYouTooMuch»
AIRLondres
OnEveryStreet
Retoursurlesroutes
OnTheNight/Encores
Sessionmen(7)
Verslafin?
10.MEMORYLANE
LiveAtTheBBC
VraieDissolution
Fausseréunion
Compilations
«BacktoDeptforddays»
TheHonkyTonkDemos
LiveinChalons
Sultanofsnub
Souvenirsdelaroute
LiveAtTheRainbow
Archivesenstock
11.SOLOMARKI:MAKINGMOVIESOUNDTRACKS
LocalHero
Cal
ComfortAndJoy
TheColorofMoney
(LaCouleurdel’argent)
ThePrincessBride
LastExitToBrooklyn
WagTheDog
(Deshommesd’influence)
Metroland
AShotAtGlory
(Unbutpourlagloire)
Altamira(avecEvelynGlennie)
12.SOLOMARKII:NOUVELLEVIE
GoldenHeart
SailingToPhiladelphia
TheRagpicker’sDream
Shangri-La
TheTrawlerman’sSong
AllTheRoadrunning
(avecEmmylouHarris)
RealLiveRoadrunning
(avecEmmylouHarris)
KillToGetCrimson
GetLucky
Privateering
Tracker
DownTheRoadWherever
«GoingHome(ThemefromLocalHero)»
OneDeepRiver
BOUCLERLABOUCLE
SOURCES
Livres
Articles
Critiquesetessais
Musiciens
DireStraits
ÀproposdeDeptfordetdusud-estlondonien
ÀproposdeBrettWhiteleyetd’Alchemy
ÀproposdeBobMazzer
Àproposdeguitares
ÀproposduCD
Classementsdeventes
Documentsaudiovisuels
Divers
REMERCIEMENTS
ISBN:978-2-38431-383-9
Dépôtlégal:mai2024
©Lemotetlereste
1.Parlasuite,lescitationsnonsourcéesproviennentdecetouvrage(voirSources).
2.Lestroisinterviewsde GuitarPlayerde1979,1984et1992serontréférencésdansletextesouslaforme
GP79,GP84etGP92.
3.E-mailàl’auteurenmars2015.
4.Lesplusacharnéstrouverontfacilementl’extraitsurInternet.
5.En2002,lecompositeuretprofesseurdeguitareclassiqueThierryTisserand,duconservatoiredeLille,a
écrit unmorceau tout ensyncopes et lignes mélodiquessur deux cordesimitant le «style Knopfler » et
intitulé«D’ailleurs,strettes…».
6.Voir Le NouveauDictionnaireduRock.OuencoreSylvainSiclierdans LeMonde :«Termevenantdujazz
évoquantunjeudécontracté,avecunplacementlégèrementenarrièredutemps,pasnécessairementsurun
rythmelent.»(voirSources).
7.RivagesRouge,2012,pourlatraductionfrançaise.
8.E-mailàl’auteuren2015.
9.Auteurnotammentd’uneAscensionduChristenfibredeverreplacéesousunpuitsdelumièredansl’église
SaintGeorgedeLetchworth.
10.AtlanticRecordsaétérachetéparWarnerdixansauparavant.
11.Danslevers« There’saplaceforus,youknowthemoviesong»,« there’saplaceforus»estunephrase
tiréedelachanson«Somewhere»deWestSideStory.
12.Voirchapitre11.
13.LesdésaccordsentreDylanetKnopflersurlaréalisationdudisquenesontàl’époquepastrèsconnus.
14. Par la suite, dans ce chapitre, toutes les citations de Neil Dorfsman proviennent des articles de Mix
Onlineen1999etSoundOnSounden2006(voirSources).
15. Ramboestsortien1982mais RamboII,quisedérouleeffectivementauVietnam,nesortiraqu’enmai
1985, une semaineaprès la parution de Brothers In Arms.Sur le même thème revanchard, Portés disparus,
avecChuckNorris,sortsurlesécransennovembre1984.
16. Steve Barron a filmé le groupe au Sportshall de Budapest, où quatre dates de la tournée étaient
programmées mi-mai 1985. Les images ont ensuite été trafiquées sur une machine appelée Paintbox
permettantdelittéralementdessinerdessus.
17.Voirchapitre11.
18.JohnSuhr,quiaffirmeêtreleseulcréateurdecetteguitare,auraiteudéjàdesinstrumentsenchantier
quandRudyPensaseraitvenulevoirpourluidired’enréserverunepourMarkKnopfler.
19.JoanneGillespieserafinalementemportéeparlamaladieen1993,àl’âgedequinzeans.
20.Référenceàlaformule« Elvishasjustleftthebuilding»prononcéeàlafindesconcertsd’ElvisPresley
pourévacuertoutespoirquelechanteurreviennesurscèneetinciterlesfansàviderleslieux(FrankZappa
enafaitunechansonen1988).
21.Voirchapitre12.
22.Voirchapitre12.
23.JeremiahDixonetCharlesMasonsontdeuxgéomètresetastronomesanglaisresponsablesdutracéde
la ligne dite Mason-Dixon censée régler un différend frontalier entre plusieurs colonies (et futurs États)
américainesetdevenuelalimiteentreNordetSud.
5.LEGROUPEDEROCKPRÉFÉRÉDESGENSQUIN’AIMENTPASLEROCK