Paris Criminel 1572 (Denis Crouzet)
Paris Criminel 1572 (Denis Crouzet)
95,bdRaspail,75006Paris
www.lesbelleslettres.com
ISBN:978-2-251-92037-5
AVANT-PROPOS
Trenteansaprès
Trenteansaprèspourraitêtreletitreoulesous-titredecelivre.
En1994eneffet,j’aipubliéunouvragesurlemêmesujet,quis’intitulaitLaNuit
de la Saint-Barthélemy. Un rêve perdu de la Renaissance. J’avais insisté sur l’idéal de
concorde néoplatonicienne qui inspirait la monarchie des derniers Valois. Le roi
devaitêtreunroiphilosophedontlavocationétaitd’entretenirsurterrelamême
harmonie que celle qui régissait le Cosmos. Il était un roi d’Amour qui devait
empêcher ses sujets de s’abandonner aux passions menaçant d’ensanglanter son
royaume, mais qui pourtant bascula dans le crime en décidant de l’exécution des
capitaineshuguenotsvenusàParisfêterlemariagedeMargueritedeValoisetdu
princeHenrideNavarre.Jem’étaisefforcéd’identifierletravaildepacificationqui
conduisit Catherine deMédicis à inventer, dès les années 1560-1563 et surtout à
partirdelafindel’été1570,unecohabitationconfessionnellequijusque-làrelevait
de l’impensable. La mère de Charles IX vivait dans la conscience de ce qu’elle
appelaitune«nécessitédestemps»exigeantquelegouvernantaccepteàlafoisde
changerlesloisetdemodifierlescadresdesonactionenfonctiondesévénements,
dans l’unique but d’empêcher que les violences des hommes ne fassent glisser le
royaumedansl’horreurinhumainedesmassacresettueries.C’étaitpar«esgardàla
saison»qu’ilfallaitchangerdecap,écrivait-elledès1562,etentrerdansunchamp
alternatif d’une raison politique exigeant que catholiques et protestants vivent
ensemblesanss’entredéchirer.Lapolitiquedevaitêtreuntravailsurunmondequi
change sans cesse, un travail sur la « malice des temps », une repensée constante
visantàlapréservationdelaconcordecivilecontrelesarmes.
L’imaginairedel’action,outrequ’ildevaitrendregloireàunDieud’amour,était
un art de l’adaptation aux circonstances, aux « occasions », une pratique de la
flexibilité du gouvernant face aux faits et aux hommes. Reine de concorde,
CatherinedeMédicisn’étaitniunediscipledeMachiavelniuneâmemonstrueuse
de duplicité et de violence. Bien au contraire. Elle n’avait qu’une « obsession » :
essayer d’entraver le déchaînement des passions humaines, jusqu’à recourir à
l’instrumentdumeurtreetdumassacrequandl’histoireluisemblasefermeràson
utopiedepaixroyale.
Quatre jours après le mariage de sa fille Marguerite de Valois et du protestant
HenrideNavarrequisymbolisaituneuniondescœursdesFrançaiscatholiqueset
protestants, la reine mère et son fils Charles IX virent l’histoire qu’ils avaient
encadréeetaccompagnéesedérobersouseux,soudain,quand,le22août1572,un
attentatciblaàParislechefhistoriquedupartihuguenot,l’AmiraldeColigny.
J’avais réagi contre l’idée d’une préméditation royale à long, moyen ou court
termedelaviolenceendéfendantl’idéequel’utopiepolitiqueavaitbasculédansla
plus grande horreur. Il s’agissait d’un « crime d’Amour », un crime destiné à
maintenir la possibilité d’une paix civile par la décapitation du protestantisme de
guerre et donc à éviter un recommencement de la guerre civile qui semblait
inéluctable.Maisj’avaisaussidémontrépourquoilerecoursàcetteviolences’était
traduit par un échec dramatique, car un imaginaire de destruction de l’hérésie
protestanteétaitvenusegreffersurcetteexécutionroyaledequaranteàsoixante-
dix nobles de guerre, et un terrifiant massacre était survenu dans Paris. Le crime
d’Amouravaitétésubvertiparcequidemeurelegrandcrimeannihilationnistede
l’histoire de France. Comme quoi le « rêve perdu » de la monarchie de la
Renaissancetardives’étaitretournécontreunegrandeespérance…
Trenteans ont passé.C’est à la foisbeaucoup et peu d’années.Le XVIesiècle des
guerresde Religiona continué à êtrel’objet de rechercheshistoriennesqui, telles
celles de Jean-Louis Bourgeon, Arlette Jouanna et Jérémie Foa, ont précisé ou
révisé la remise en perspective analytique du massacre de la Saint-Barthélemy à
laquellej’avaistentédeprocéder.
J’aidoncsouhaitémeplieràl’exerciced’humilitéquiaétéderevenirenarrièresur
l’intriguetragiquedelafindumoisd’août1572.Humilitéparceque,parfois,j’aiété
conduitàportersurl’événementunregardplusapprofondietsuspicieux.Humilité
encore parce que je demeure certain que l’événement paroxysmique qu’a été le
massacre de plusieurs milliers d’hommes, d’enfants, de femmes, de vieillards,
malgré tous les efforts des chercheurs, risque de demeurer hors du possible de
l’histoire…
Etunequestionoriginelles’estposée:lelangagenarratifn’est-ilpasmortlorsde
laSaint-Barthélemy comme il est mort àAuschwitz ? Il ne faut passe le cacher :
l’événementdesmatinesparisiennesestuninstantnonseulementoùlesensdufait
initialdel’invisibilitédescorpsvictimisésfaitnaufrage,maisaussioùl’incertitude
etl’obscuritésontsitotalesqu’ellesretirenttoutepertinenceautantàl’objectivisme
qu’au subjectivisme comme outils d’investigation ou de compréhension. Ce qui
étaitentenduen1994comme«unevéritépossible»decequis’étaitpassédansle
monde effondré du Paris d’août-septembre 1572, n’avait rien de « polémique »,
maisvoulaitrefléteruneperplexitédevantdesnarrationsqui,tropsouvent,nese
rendaientpascomptequ’ellesétaienthorsdes limitesheuristiquesdel’événement
et, au contraire, se dissimulaient à elles-mêmes leur contingence en raison du
traumatisme immédiat qui les avait nécessitées. Elles exprimaient la perplexité
devant un instant de crise du concept de « réel » mais aussi devant une aphasie
traumatiquedessurvivantsfaceàuntempsdeviehorsdelavie,dansleParisdes
lendemains des noces sanglantes de 1572. Ce temps de mort avait été d’une telle
puissance qu’il leur fut impossible de dire combien de ceux et de celles de leur
religionavaientétéassassinés,untempssidérantd’horreur.
Ne faut-il pas, en continuité de ce que j’avais tenté en 1994, partir de la
constatationqu’avantd’êtrehistoricisable,lemassacredelaSaint-Barthélemydoit
être reconnu comme un trauma, ou plus encore comme l’indice d’un travail de
l’inconscienttentantdetrouverdescausesàuneatrocité«inouïe»,impossible,et
préférant se taire ? Face au langage tétanisé et désarticulé par l’événement lui-
même, n’y a-t-il pas eu toutefois une réplique substitutive, qui aurait été, pour
reprendre le propos d’Inès Zahra, celle du traumatisme porté à ressurgir par le
truchement d’un « imaginaire théâtral de la fragmentation, de la discorde, du
deuil1»?Etdoncunrégimed’obstructionàl’écritureévitantdedirecequipouvait
êtredit?
Mais n’y eut-il pas eu aussi et surtout un non-dit inavoué, englouti dans les
conscienceset les inconscients,qui fut celui de la cristallisation et de la surgie de
représentations projetées ou encodées dans les épouvantables jeux gestuels de
violencesqui eurent lieu ? Et n’est-ce pas cette cristallisation qui peut mener à la
seule histoire susceptible d’éviter l’anachronisme, une histoire qui, au lieu de
chercher les causalités et la réalité des faits, s’emploierait à discerner ce qui se
projettesubitementdansl’advenanttumultueuxqu’estl’instantdel’événement,en
l’occurrence des imaginaires ? Et, si le massacre est un trauma, ne faut-il pas le
traiter quasi cliniquement en tant qu’effraction, blessure qui se serait cautérisée
d’elle-mêmeparvoiede«destructiondelanotiondefaitdelafactualitédufait»ou
d’unepartiedecettefactualité2?
À une échelle évidemment bien moindre, dans un moment qui, au même titre
qu’Auschwitz,et avecmoinsunedissimulationoudestructiondespreuvesqu’une
fabrication rétrospective destinée à occulter la blessure, la Saint-Barthélemy ne
marquerait-elle donc pas « les confins où la connaissance historique voit sa
compétencerécusée 3»,sielleenresteàvouloirexpliquercequiseraitinexplicable
positivementouobjectivement?Etnefaut-ilpasalors,poursortirdelatentation
d’analyse facticiste et de la sphère close dans laquelle elle tend à se déployer en
vérité«réelle»ou« plausible»,tenterderecomposer,horsdela prétentionàla
véridicité ou à la crédibilité absolue, l’histoire de la Saint-Barthélemy comme
projection de représentations dont l’accomplissement était jusque-là suspendu,
mais qui envahirent soudainement la durée et prirent possession d’acteurs se
laissantainsienvahirparleurpuissancemême?
C’est porté par cette thématique de la blessure cachée, voire niée, que j’ai tenté
danslespagesquisuiventd’allerplusenprofondeurquejenel’avaisfaiten1994,
tout d’abord en procédant à une sorte d’endoscopie de l’exercice de l’autorité
monarchique de Charles IX et Catherine de Médicis. J’ai développé l’idée qu’il y
avaiteu,aulendemaindelapaixde1570,lamiseenfonctionnementd’unpouvoir
dualdel’énigme,enconstanterechargeoubrouillagedesens,etayantpourfinde
révélerquelafindel’actionetdeladécisionpolitiquesestlaconcorde.L’énigme,
annihilant les dissensions et, à la manière du jeu de paume opposant des joueurs
jusqu’àlafindelapartiequilesvoitsereposantensemble,porteàlasérénitéetà
unevieencommunrecomposéedansunepaixmagiqueconformeauxidéauxdela
Renaissance.Ilsauraientviséunpouvoirde«l’énigmeenprophétie»,àlamanière
rabelaisienne,unpouvoir prophétiqueausens dediction dela volontédivine.Le
jeu royal, semblant mettre le roi et sa mère en opposition et brouillant ainsi les
significations, manipulait le secret pour neutraliser les haines et restaurer une
union de sujets catholiques et protestants encore traumatisés par l’intensité des
violencesdetroisguerrescivilesépouvantables.Ilcomptaitbienfairealler,contre
les vicissitudes événementielles récurrentes, l’histoire jusqu’à un mariage unissant
HenrideNavarre,protestant,etMargueritedeValois,catholique.
Et il sembla réussir, jusqu’à l’attentat, le matin du 22 août, contre l’Amiral de
Coligny;l’événementtransformaParisenunesphèreempliedemultiplesrumeurs
etcontre-rumeurs,quimettaientencauseaussibienlamaisonultra-catholiquedes
Guisequelaroyauté,toutenlaissantfiltrerl’imaginaired’unrisquedemobilisation
protestante vite transmuée en un complot. En quelques heures, la politique de
concordeentretragiquementencrise.
Ce livre défend l’hypothèse d’une opération préventive montée avec l’accord du
pouvoirroyal,d’uncontratentrelaroyautéetlamaisondeGuisepourréduirele
périlprotestantquisemblaitmonterenpuissance.Ilseseraitagi,parlamiseàmort
del’AmiraldeColignyetdescapitainesquil’entouraient,deréduirelehautrisque
d’une guerre protestante qui ferait revenir les drames récents à un niveau sans
douteplustragiquequ’auparavant.Trèsvitetoutefois,lapolitiquedel’énigmeest
réactivée, les justifications données à un crime curial par le roi et sa mère étant
contradictoires, et tous deux reprenant leur jeu mystérieux. Ainsi quand le
1er septembre 1572, au Collège de Navarre, sont jouées « une tragédie et une
comédieenhexamètreslatinscomposéessurlamortdel’Amiraletlemeurtredes
huguenots», la reine mère et le duc d’Anjou sont présents tandis que Charles IX
brilleparsonabsence.
LavilledeParis,mimétiquementdecettepremièreviolencequiatoutl’apparence
del’exerciced’unejusticeextraordinaireuntempsmasquéeparlaprésenceduduc
de Guise, entre en action de manière irrésistible. C’est un grand pogrom qui
commencesurles 8-9heuresdu matinet quivaperdurer enune «dévastation»
humaineinédite.J’aianalysélemassacre,quejeportejusqu’àunchiffredeplusde4
000victimesauminimum,commeunegrandetuerieaccompliepartouteuneville
saisie par une hystérisation miraculeuse. Non pas, de façon trop terre à terre, un
crimedevoisinsencadrésparunpetitnombredetueursdemasse,maisunatroce
crimecommunautairequipeutsecomprendreàlalumièredesgrandspogromsde
l’histoire.
IlyaParisquiassassine;etparParisilfautentendrenonseulementleshommes
de la milice bourgeoise en armes et une partie des gardes royales et suisses, mais
aussiunlargeéventailsociétalquientuantditsonamourd’unDieudemiséricorde
etsavolontédevoirParisrestauréenunenouvelleJérusalem.Ilyaencoreceuxet
cellesquidéambulentdanslesruesetquiregardent,dansuneparticipationparles
yeuxauxmeurtres;auxquelss’ajoutentceuxquisontprudemmentcantonnéschez
eux,complicesparpassivité.
Pour moi, le massacre de la Saint-Barthélemy met en valeur une responsabilité
collectivedetouteuneville,detoutsonpeuple,toutautantquedupouvoirroyal
quisemontraincapablededisciplinersessoldatsetensuited’imposerrapidementla
fin des agressions mortifères. Cette responsabilité surgit en force dans certaines
misesàmort ritualiséespourthéâtraliserl’exterminationd’hommes etde femmes
condamnés à une éternité infernale. Comme dans les grands pogroms, cette
extermination est symbolisée par une volonté d’invisibilisation des corps ayant
pourfindelesdémémoriser,d’annihilationbibliquedesventresdesfemmesetdes
nouveau-néspourfairedisparaîtreune«race»diabolique,defêteautourdesobjets
desmortsmisenvente.
UnParisheureuxquecePariscriminel,unParisd’unitédetousettoutesdansle
désird’êtredans«l’affiliationunique»,leParisrêvéparlesprédicateurszélésavant
lemassacrequis’emplitd’uneferveurthéophanique.LaSaint-Barthélemyconsacre
le retour vers les temps de Moïse et des adorateurs du Veau d’or, et donc une
obéissance absolue exigeant que celui qui aime Dieu aille jusqu’à tuer frère, père,
mère,enfants,parents.
Paris criminel d’une des grandes atrocités de l’histoire pourtant relativisée
historiquement,maisqui,miseenfaceàfaceaveclesgrandspogromsdel’histoire,
peut être mieux restituée. Paris criminel dissimulé dans une grande blessure de
l’histoire immédiatement refermée, un traumatisme que j’ai essayé, comme on le
verradanslecoursde ladémarcherelativistequej’aisuivie, demettreaujouren
tantqu’unpossibledupassé,unpossibledel’effroyableénergiequiatué.
1.InèsZahra,«“ÔDieu,jusquesàquand?”.LetraumatismedesguerresdeReligiondanslatragédiefrançaise
de1562à1610»,Bruxelles,PeterLang,2023,p.45-50etp.105-221.
2.MarcNichanian,LaPerversionhistoriographique.Uneréflexionarménienne,Paris,Lignes,2006,p.9.
3.Jean-FrançoisLyotard,citéinJudithLyon-Caen,«Lefaitetsadestruction.Àproposde:MaximeDecout,
Fairetrace.LesécrituresdelaShoah,Paris,ÉditionsCorti»,LaViedesidées,6décembre2023.
CHAPITREI
Âmesmortes,histoireperdue
Avantdepénétrerdanslesarcanesdumassacredu24août1572,intéressons-nous
à la représentation d’un monde qui semblait être dans l’expectative de tueries
sanglantes.
Unmondeàhautrisque
Michel de Nostredame, médecin et astrophile, mourut quelques années avant la
tragédie de la Saint-Barthélemy, le 2 juillet 1566 ; mais son écriture, à partir de
1555 et par la voie des éditions successives de ses quatrains prophétiques, est
obnubilée par le fantasme récurrent du massacre qui semble planer à tous les
instantsd’unehistoireoscillantentrelepassé,leprésentetlefutur.Toutsepasse
comme si le monde humain ne faisait qu’être hanté par un risque constant de
renversement dans un mal sanglant, dans un malheur paroxysmique qui se
concrétiseraitdansdesimagesdecadavresamoncelés,mutilésetsanglants.
Nostradamusest le visionnaire detemporalités d’angoisses certessegmentées en
unesuccessiondequatrains,maisquinepeuventpasconnaîtrederépitparcequele
motif de l’extermination d’innocents revient sans cesse. Il est un prophète du
«glaivedeDieuéternel»quifrappeleshommesparlapeste,laguerreetlafamine,
pardes«mutationsderègnes»,parle«dardduciel»,parl’apparitiond’unétrange
oiseau dont la venue s’accompagnera d’une terrible famine, si grande « que
l’homme d’homme sera anthropophage ». Et, bien sûr, par des massacres
monstrueuxdecruauté.Unmouvementperpétuelparaîtanimersesmotsévoquant
les tremblements de terre, les tempêtes destructrices, les crues dévastatrices des
fleuves, les maladies, les mers sanglantes, la mort, la ruine, la « terre sèche », les
grands vents, la « loyauté rompue », le « cruel acte », ainsi que la discorde qui
projetteleshumainsdansdesviolencesextrêmesqu’ilsaccomplissentousubissent.
LacolèredeDieuplaneainsisurl’humanitéparcequeleshommestransgressentles
commandementsdivins:cruautéinouïe,férocitébarbare,maisonsetcitésbrûlées,
effusion du sang des femmes et des enfants, persécutions inhumaines et
anéantissementshumainssesuccèdent1.
Nostradamus énonça les données d’une anthropologie négative qui était
traumatogène parce qu’elle recourait à l’outil d’une énigmatique prophétique
produite par une dérégulation du langage, de sa grammaire et de sa syntaxe, et
donnant à comprendre que le mal est dans l’homme plus qu’il ne l’a jamais été
depuislestempsbibliques:cesontlesfilsquisedresserontcontrelespèrespourles
mettre à mort impitoyablement, les pères qui feront massacrer leurs fils, le jeune
neveu qui fera tuer son vieil oncle, la jeune reine qui sera emprisonnée par son
onclejusqu’àsamort.Fratricides,parricides,matricides,infanticidesrythmerontle
temps.
Dansunfutur aussibienimmédiatque distant,lespeuples serebellerontcontre
les gouvernants qui répliqueront eux-mêmes traîtreusement par des tueries
inhumaines, tandis que le tyran étranger ou barbare viendra abattre le prince
pacifique : conjurations, tueries, trahisons, supplices, crimes épouvantables se
succéderont, la scène de l’effroi étant encore occupée par l’infidèle violeur de
viergesoul’hérétiqueprofanateur,parlescorpsdesinnocentsjonchantlaterrede
cités dévastées par une cruauté extrême ; et le sang des gens d’Église coulera
« comme de l’eau en si grande abondance ». Rien ne résistera à l’infinie
prolifération du mal qui caractérisera l’humanité et qui la portera à s’entre-
massacrer : les lieux saints, les cimetières seront profanés, les villes seront
dévastées, et la paix sera toujours plus précaire. Les passions les plus mortifères
sontdoncl’avenirde l’homme: luxuredébridée,adultèreset incestes,vengeances
horribles, ingratitude démesurée, insatiable ambition, hypocrisie, cupidité, haine,
tromperie,jouissancecriminelle,atteignantleurpointd’intensitélepluseffroyable
dansdeshécatombeshorribles.Legoûtdusangseraaucœurdecequiressembleà
unsensdel’histoire.
Nostradamus paraissait raconter par anticipation un monde humain tendant à
devenirun enferterrestre. Il écrivaiten mimantles avertissementseffrayants des
prophètesbibliquesetendépeignantlesplusgrandescalamitésqui,déjàadvenues
dans le passé, allaient encore nécessairement affliger le peuple de Dieu. Il voulait
faire comprendre à ses lecteurs qu’ils devaient se tenir à distance de ceux qui,
emportés par leur prétention à détenir une vérité une et unique, étaient prêts à
persécuteroutuerleursprochainscommed’autresassassinsdemassel’avaientfait
jadis.
Mais il ne faut pas en rester là. Le prophète de Salon-de Provence recourait
implicitement à la phobie invasive du massacre afin de signifier que la violence
allaitàl’encontre dela foid’amour évangéliqueque Dieuattendait etexigeaitdes
siens. À ses yeux, les exclusivismes religieux qui opposaient les catholiques et les
protestantsentraînaient la chrétienté dans une terrifiante et sanglante impasse. Il
cherchait,enrecourantàlapuissanceinquiétantedel’énigmeprédictive,àmontrer
les dangers qui risquaient de faire oublier aux hommes le message d’amour du
Christetquilesprécipitaientdans«untempsenmiettes»relevantd’une«logique
déconstructionniste»etdoncd’unefuitedel’histoireversunefincalamiteuse2:et
c’estcequepouvait,parmid’autres,enseignerlequatrain18delacenturieIV:
Despluslettrésdessuslesfaitscelestes
Serontparprincesignorantsreprouvés:
Punisd’Édit,chassés,commescelestes,
Etmisàmortlaouseronttrouvés.
L’histoire n’était parcourue bien souvent que par des massacreurs et des
massacres,commeleprédisaitlequatrain,IX,203.Et,àproposdumassacredela
Saint-Barthélemy dont il avait été témoin à Orléans, l’étudiant allemand Johann
Wilhelm von Botzheim se rappellera que Nostradamus avait énoncé « Pris en
dormant », « Capti in dormiendo », ajoutant « Et ainsi il advint effectivement »4.
Maispartoutlesangcoulaitouallaitcouler:
DenuictviendraparlaforestdeReines,
DeuxparsvaultorteHernelapierreblanche.
LemoynenoirengrisdedansVarennes,
Esleucap.causetempeste,feu,sang,tranche.
Le sang recouvrirait encore les terres au terme d’une guerre qui durerait vingt-
sept ans et verrait « les hérétiques morts » : « Sang, corps humain, eau rougie
greslerterre»(VIII,77).Revenaientlesmotifsdela«mortconspirée»etdu«sang
d’innocencedevantsoyparremort»(VIII,87).Lamortsurviendraitaussiavecles
«Corpsmortsd’eau»,quiseraientrejetéssurlaterre,«Sperantsvainheurd’estre
làensevelis»(IV,20).Enrefletd’unbestiairenostradamiquequin’estconstituéque
de serpents, léopards, sangliers, aigles, animaux d’agressions déchirantes, de
griffures et de morsures pour la plupart, les humains ne sont que bourreaux,
monstres,ouvictimes5;ilsnetrouventjamaislapaix,ouquetrèsprovisoirement.
Ils ne sont qu’objets et sujets de violences subies ou agies. Les images sont
«tendues»,d’abordnoiresetrouges,demortetdesang6.
Nostradamus insiste sur l’instabilité des temps immédiats, soumis à un ordre de
mutations qui est le devenir des humains : mutations attachées aux pouvoirs,
depuisceuxdesroisjusqu’àceuxdesdétenteursd’officesetdesguerriers,maisaussi
mutationsdespeuples.Mutationsquideviennent«pereclitation»,découlantd’une
surmultiplication des haines, « noises », « legeretez », « infidélitez » s’emparant
aussi bien des « personnes de dignité et religion ecclesiastique par diversité de
sectes»,quedesplusgrandsetnobles.
L’antechristbientostannichilez,
Vingtetseptansdurerasaguerre,
Lesheretiquesmortz,captifz,exilez,
Sangcorpshumaineaurogiegreslerterre7.
Le lecteur d’aujourd’huipeut retirer de sa lecture des Centuries l’impressionque,
dès avant 1555, la phobie de l’annihilation de l’autre se faisait jour dans des
imaginairesquipouvaientvivreledevenirsouslapressiond’uneattentemorbideet
angoissée projetée dans des images terrifiantes. Surtout, la mort individuelle ou
collectivepouvaitsurgiràtoutinstantetentoutlieu,etvenirduparent,del’ami,
duvoisin,etdelamanièrelaplusatroce.Nostradamusnevoulait-iltoutefoispas,
dansladictiondesesfantasmesvisionnaires,donnerunsensàl’histoire,quiétait
deneplusavoirdesensetsollicitaitleshumainsdefairepreuvederuseetdenepas
se laisser prendre au piège de ce qu’elle était en mesure de pouvoir devenir ? Ne
proférait-il pas, déjà, la trame d’une succession événementielle sans histoire,
puisqu’elleétait révélée sous une forme énigmatique qui devait susciter l’humilité
deshumainsacceptantenfindenepassefairelesinstrumentsdumal;ouplutôtles
Centuries n’avaient-elles pas pour fin de donner à comprendre que seul Dieu
possèdelaconnaissancedudeveniretquelasagesseédictedenepasempiétersur
ce qui relève de son absolue transcendance ? Sous l’artifice de l’énigme se
dissimuleraituneherméneutiquedudivinassumant,seul,lavéritédufuturqueles
humainsnedevraientpass’approprier8.
C’esticiqu’ilfautréfléchirens’intéressantauquatrainI,27quiexposeque,sousle
chêne qui porte le gui et qui attire la foudre, non loin, est caché dans la terre le
trésoramassédepuisdelongssiècles.Quiletrouveraaural’œilcrevéparleressort
du coffre enterré, quand il s’essayera à l’ouvrir par la force ou à en fracturer la
serrure.Leguiestsymboled’éternitéetdefécondité,tandisquelechênequifixela
foudre signifie la puissance de Dieu. Le trésor découvert ne serait pas, en réalité,
constituédemétauxetdejoyauxprécieux;ilévoqueraitmoinslacupiditéfébrile
dudécouvreur etle fait quece dernierest immédiatementpuni, qu’une formede
folieprofanatricedelagloiredivine:
DessousdechaineGuienduCielfrappé,
Nonloingdelà,cachélethresor,
Quiparlongsieclesauoitestégrappé,
Trouuémourra,l’œilcreuéderessort.
Pour le prophète de Salon-de-Provence, celui qui tente par la force d’ouvrir le
coffreetde s’approprierpar lui-mêmeson contenusymbolisela présomptionqui
faitcroireàl’hommequelaVéritépeutêtreacquisede sapropreinitiativeetqui
l’empêchedereconnaîtrequelevraitrésorestleRoyaumedesCieux,invisibleaux
yeux humains parce que royaume d’un Dieu caché dans son Logos. Le sens du
Verbe est une énigme, tel est l’essentiel. Dans l’Épître de Paul aux Colossiens,
ChristestlemystèredeDieu,lemystèredanslequel«sontcachéstouslestrésors
delasagesseetdelascience9».Cetrésorestlafoiquel’hommemetdanslabonté
divine.Dansl’ÉvangileselonsaintMatthieu,lestrésorsdelaterresontdétruitspar
lateigneetlarouille,etdérobésparlesvoleurs10.Aucontrairedestrésorsduciel:
«Carlàoùesttontrésor,làesttoncœur.»Alorsl’œilcrevéduchercheurdetrésor
signifie l’échec du choix de la voie par laquelle l’homme empiète sur une sagesse
divine qui transcende son entendement et qui est mystère dans son énigmatique
même:«L’œilestlalampeducorps.Sitonœilestenbonétat,touttoncorpssera
éclairé ; mais si ton œil est en mauvais état, tout ton corps sera dans les
ténèbres11!»
ImaginerqueleVerbedivinestaccessibleimmédiatementestlefaitdequiignore
quelagloiredeDieuestde«celareverbum».Iln’estdevraitrésorqueceluidelafoi
intérieure, le trésor de la confiance en l’œuvre de Rédemption acquise grâce à
l’«opprobre»duChrist,«plusgrandtrésorquelesrichessesdel’Égypte12 »,trésor
de l’Évangile qui ne peut être reçu que dans le sacrifice de ce qui est propre à
l’homme,saprésomption,sonamourdelui-même13 .LeDieudeNostradamusest
leDieupauliniendontlaconnaissanceest«enénigme»,leDieudelanesciencequi
nepeutsevivrequedansl’intérioritédechaquechrétien.Ledésirdesavoirparsoi-
mêmeestunimmensepérilfaceàunDieudontlesilencerésonnedansl’âmequia
foienlui.C’estcequelesProphétiessouhaitentfairecomprendre,dansleurmiseen
évidencedel’irréductibledésignifianceimmédiatedulangage.
Leparadigmesignifiantdelachasseàuntrésorquiestunleurrenedit-ilpasque
le système d’écriture des Prophéties est un piège, qu’il est volontairement miné de
l’intérieur,parce que le jeuherméneutique vise à mettrele chrétien sur une piste
signifiante qui n’est là que pour qu’il s’éprouve lui-même dans sa débilité, se
connaisselui-mêmecommeinapteàatteindrelesavoir,seperdedanslestraverses
multiplesdesmotsetdécouvrequ’iln’yapasdesensàs’approprier?Nostradamus
estunprophèteencequ’ilditetredit,enreculantlespossiblesdelacompréhension
jusqu’à l’absurde, que la présomption de savoir est un danger, que l’homme a un
devoir,faceà Dieu,de nepas s’ingéreràaller au-delàde sonpossiblede créature
pécheresse : Dieu lui a caché des choses depuis toujours, parce qu’il n’était pas
capabledelesrecevoirparlui-même.
L’écrituredes Prophétiesestenquelquesortemimétique:constituantun«savoir
enénigme»,elleestobscureparcequ’elleveutsymboliserl’obscuritéquicaractérise
celui qui la reçoit, l’obscurité d’un être voué au péché et à la mort, incapable de
connaîtreDieuparlui-même commeilest endéfinitiveincapablenon seulement
debriserlesecretd’unelangueobscureetdoncd’anticipersurletempsdumal.Elle
sedéveloppedansl’incertitudeparceque,Nostradamusl’exprimedèslespremières
lignes de la « Préface » à son fils César : « les aventures de l’humain desinement
estreincertaines».
Les Prophétiessontunenseignementdecetteimpéritieoufaiblessehumaine,par
elles-mêmesetparleurénigmatique.Celuiquicroitqu’ilpeutconnaîtrespontesuo
lesMystèresdivinsseperdlui-même,ildevientaveugleàDieuetserendainsiprêt
àparticiperd’uneviolenceinhumaine,àassumercedevenirdesangcoulantcomme
del’eauetdemassacretraitantleshommescommedesbêtesdeboucheriequeles
Centuriesdonnentàvoircommelefuturdestemps.
L’ignorance assumée, acceptée et modelée christiquement est la condition de
l’octroi de la miséricorde divine ; elle s’oppose, selon Érasme, à la religion
cérémoniellepratiquéeparceuxquiaimentlesprivations,lesveilles,les«larmes»,
les « épreuves » et les « outrages », et qui croient atteindre Dieu parce qu’ils
imaginent le connaître. La vraie piété est la simplicité, la simplicité de l’âme tout
empliedefoidansl’espérancesalvifique.ÉrasmeexpliquealorsNostradamusetson
choix d’une écriture cryptique, en donnant le sens de ce qu’est une énigme à la
Renaissance.
«NulneconnaîtlePèretelqu’ilest,exceptéleFilsetceluiàquileFilsabienvoululerévéler14.»C’est
pourquoirechercherpardesraisonnementshumainslaconnaissancedelanaturedivineestdelatémérité;
parlerdecequinepeutpointêtreexprimépardesmotsestdeladémence;ledéfinirestdel’impiété.S’il
nousestdonnédèsici-basd’encontemplerquelqueaspect,ilestcomprisparunefoisimpleplusréellement
queparlessecoursdelasagessehumaine.Etilsuffitmaintenantpouratteindrelesalutéterneldecroireau
sujetdeDieucequ’ilarévéléaugrandjourlui-mêmedanslesSainteslettres,pardeshommeschoisispour
cela,inspirésparsonesprit,cequeparlasuite,étantsurterre,iladécouvertàsesdisciplesetenfincequ’ila
daigné dévoiler par l’intermédiaire du Saint esprit aux mêmes disciples choisi pour cela. S’attacher à ces
véritésparunefoisimple,c’estlaphilosophiechrétienne;lesvénérerd’uncœurpurc’estlavraiereligion…
L’ignoranceestlavraiephilosophieduChrist,carelleaétévoulueparlui15.
SiNostradamusparleparénigme,cen’estpaspourengagerseslecteursàchercher
àdéchiffrerlesénigmesdes Prophéties,c’estpourleurdirequ’ilssontincapablesde
procéder par eux-mêmes au déchiffrement qui permettrait d’accéder au sens de
l’histoire qu’ils vivent. C’est pour leur dire aussi que les Centuries sont une
métaphore du Logos. L’énigme vaut pour leur signifier leur inaptitude à une
connaissanceautrequecelledel’ineffabilitéduLogos.Pourl’homme,iln’yapasde
véritéautrequeDieu,leleurreseraitdecroireque,parsespropresforces,l’homme
seraiten mesure dedéfaire le mystère desénigmes de la Créationdont seul Dieu
connaîtles significations et qui repose dans sa Vérité. L’écriture nostradamienne,
en apparence déconstruite mais en vérité surconstruite, veut renouer avec une
languepurequiestcelleduDieu«fabricateur»dumonde,doncavecleLogosdans
lequel le chrétien doit se perdre plutôt que de s’abandonner à sa « philautie » en
l’accommodantàlui-même.
Levraisavoirestunerencontreavecl’infinituded’unDieuquiestnéantetTout
simultanément. Il est donc un appel à entrer dans le néant de soi. Citons ici
l’analysedeJanMiernowski:«Posécommeséparé,outoutsimplementdistinct,le
moiestnéant.Laconversionconsistedonc,avanttout,enuneclaireperceptiondes
réalitésontologiques. C’est aussi pourquoi elle est une libération : le moi ne peut
être emprisonné, cerné puisqu’il n’est rien. Ce qui dans l’homme pouvait être
asservi,c’étaitson«Cuyderd’estre»,unmoded’existencecertesapparent,illusoire,
mais suffisant pour capter le moi. » De là découle que le non-être est dans le
langage, qu’il est le piège même du langage et son leurre : « Les « paroles »
humaines, les noms dont nous usons ne sont pas noms (car nom représente
quelquesubsistance)maisprivationdenom.Minéparlenéant,lelangagehumain
n’est qu’absence, tout comme le mal n’est qu’une privation de bien, la mort, une
privationdevie,etc.EnrevancheDieuseulpossèdeunnom16.»Cequeverrontet
reconnaîtrontenfinleshumainsauboutdecequelesProphétiesaugurent,ceserale
sens,Dieuomnipotent.EtilsverrontetreconnaîtrontcequeNostradamustentede
leurdiredanslesmotschargésdel’inexorablepesanteurdunon-êtrequ’ilaligneles
uns après les autres dans ses quatrains. Et procéder par énigme, c’est en
conséquencefaireacted’humilité,reconnaîtrequeDieuestlemaîtredel’histoireet
secoulerdansson «celareverbum».Cequiexpliqueraitpourquoilemassacredela
Saint-Barthélemy,danssesséquencesparoxysmiquessuccessives,auraitétépourla
monarchiel’expérimentationdel’incertitudeàtraversune écriturecontradictoire,
quiserechargeaufildesjoursdemanièretoujoursplusénigmatique.
Ce lien obligé entre violence extrême et mise en énigme se trouve comme
suractualisé aux lendemains des jours et des nuits de la Saint-Barthélemy. Il est
possibleque,par-delàleschampsimmédiatsdedilatationémotionnelledumassacre
bienvite nommé les «vêpres parisiennes » oules « noces desang », par-delà les
antagonismeshistoriographiquesirréductiblesquiprenaientprécocementdansun
étau polémique un déroulement factuel instable et imprécis, par-delà encore les
reconstructions et instrumentalisations contradictoires qui furent élaborées, le
traumatisme qui submergea les imaginaires provenait d’avoir fait l’expérience, de
prèsoudemoinsprès,delaconfrontationàunconceptd’événementn’historicisant
que des images de charniers remplis de corps assassinés et mutilés. Le devenir
déconstruit de Nostradamus était désormais devant soi17. Le langage obscur,
l’« occulte vaticination », du prophète de Salon-de-Provence s’était comme, aux
lendemainsdes«vêpresparisiennes»,emparéduréeltoutenlesubvertissantpar
l’effet d’une absence de syntaxe qui augmentait l’effet d’angoisse et
d’indéterminationduprésent.
Delàunequestionpeutsurgir:l’historien,plutôtquedes’aventureràdonnerdes
réponses positivistes aux interrogations que pose le massacre d’août 1572 et à
essayer,parexemple,d’allermêmejusquedanslesarcanesd’une«histoiredupetit,
du commun, du banal dans un événement qui assurément ne l’est pas18 », ne
devrait-il pas aborder son intrigue en termes d’énigme, en soupçonnant que ses
décideurs et acteurs auraient voulu qu’il en soit ainsi afin d’éprouver la volonté
divine,desepersuaderqu’elleétaitàleurscôtésetqu’ilsluiobéissaientetavaient
obéi ou devaient continuer à lui obéir19 ? N’escomptaient-ils pas que ce qui avait
subsistéentantquetracesdel’événementauraitlemêmeeffetdedésignifianceque
celui de « l’énigme en prophétie » que Rabelais avait proposée aux « Pauvres
humains » en 1542 dans Gargantua ? En l’occurrence que l’énoncé des calamités,
allégorisées par un feu qui brûlait et détruisait toutes les cartes ayant généré des
dissensionsentrejoueurs,avaitpourfindedésamorceroudésactualiserlemalqui
pouvaitcontinuerdecouverdansleurmondeetlesporteràs’entredéchirer?Ainsi
quel’aécritRaphaëlCappelen,«l’Énigmemontrecommentaprèslesdivisionset
lesquerelles,il estnécessaire queles anciensamis retrouventdes sentimentsplus
paisibles,mêmesiceluiquiaperduconserveunelégèreamertumedeladéfaite20».
L’énigmeproductricedepaix,deconcorde.
Sil’onneparvientpasàdiscernerune«vérité»facticistecohérentedansladurée
desjoursetnuitsdelafindumoisd’aoûtetdudébutdeceluideseptembre1572,ce
pourraitêtreparcequecelaavaitétélerésultatescompté.Danslediscoursquele
duc Ludovico de Nevers-Gonzague adressa à Charles IX au cours du mois de
septembre 1572, il est frappant de remarquer qu’il s’érigea en déchiffreur d’un
événement qui se présentait selon lui comme une énigme dont il était urgent
d’aspireràappréhenderenfincequesonobscuritédissimulaitourecouvrait.Sous
le massacre et son indétermination signifiante, il y aurait un Dieu voilé ayant
procédédanslemystèreabsoludesavolontéinaccessibleàlapenséerationnelle:
parcequ’ilétaituneénigme,l’événementde1572seraitàcomprendrecommeune
théophanie21.
Votremajestépeultdireavoireuletonnaireetruinedelaminecommancéedutempsdufeuroysonpere
etalluméedecelluydesonfrere,sanssacoulpeetfaulte.Carpuisqu’elleestoitcommancéeetallumée,il
falloitqu’elleesclatastlesmaulx etruinequ’ellea faicte.Tellementquec’est sanssacoulpetousce qu’est
advenudemalensonreaulmeetseulementparunesimplepermissiondeDieu;lequelpermectadvenir
quelquefois grandz accidens pour amener ung plus grand bien et splandeur en son Église ; laquelle il a
souvent fourbie par les heresies de peur qu’elle ne s’enroullast en l’ignorence et avarice. Ce que se voit
manifestementestrecommejeledis;parceque,oresqueDieuaytfaictnaistreetbienaugmenterl’heresie
envotreroyaulme,sussequ’iln’avoulluqu’elleserenforsastpar-dessussonÉgliseetqu’ellelasucombast,
aiantpourceconservéungboncueur,ungsainentendementetungsaintvoulloirauxpersonnesdevoz
majestezetmessieursvozfreres,pourchasseretdestruiresessuperbesetorgueilleuxquipensoinctavoir
faict,endepitdeluy,uneaultretourdeBabel.Et,[…]d’ailleurss’ilapermisquesestroublessoientadvenuz
durantvotreregne,ilavouluaussifaireaparoirquen’enestiezcause,vousaiantpourcefaictsonministre
pourlesexterminer,nonpasavecvozpuissantesforces,ainsparungvilpeupledesvillesdésarméetmis
leurspetitzcousteaulxseulement,pourdonneràcognoistrequeluyseulaestécausedecefaictetnonla
force des hommes du monde, aiant pour ce faict nestre les occasions telles qu’elle a esté poulcée par sa
volontéàfairefairecequ’elleafaict.22.
L’aconnaissance est signe et marque de ce que Dieu a été au travail dans
l’événement23.LemassacredelaSaint-Barthélemyfut,danscecontexte,pourune
partdesescontemporainsun événementconfusionnelsemblantenappeleràune
césure épistémologique puisqu’il ouvrait à une logique de déstabilisation de la
providence œuvrant dans l’histoire tout en suggérant à Michel de L’Hospital le
souhaitinspirédesSylvesdeStace,que,paradoxalement,«périsselamémoiredece
jour24».L’événementseniaitentantqueteltantildéjouaitlesréférentspassésou
immédiatsdel’histoireetqu’ilenappelaitàseréfugierdansunDieuénigme,dufait
del’excroissancefactuellemonstrueusequ’ildonnaitàmémoriseretdudésespérant
déficit d’intelligibilité qui l’enveloppait dès ses lendemains. Christophe de Thou,
alorspremierprésidentduParlement,luiaussiauraittrouvérefugedansunversde
Staceinvitantàceque«périsselamémoiredecejour 25»,afindelégitimerpour
lui-même une mise en oubli total du crime qui avait ensanglanté le royaume :
« Qu’il ne parle jamais plus de ce jour, et que les sièclesà venir ne croyent point
qu’ilaitété;etpournousgardonslesilenceetcouvronslescrimesdenotrepropre
nation,lesensevelissantdansdesprofondesténèbres.»
«etpournousgardonslesilence…»
Il ne faut pas oublier que cette tension d’assoupissement de la mémoire fut
encouragée par le pouvoir royal, à l’image de Charles IX exigeant du même
ChristophedeThou,le23mars1573,qu’ilnerendepaspublic,«parmylepeuple
etmesmementparmy lesestrangers,comme ily ena tousjoursqui semeslentde
escripre et qui pourroient prendre occasion d’y respondre », son compte rendu
personneldelaSaint-Barthélemy,nienfrançaisnienlatin26 .Laisserl’énigmeàson
mystère ! Sylvie Daubresse a rappelé que le roi sollicita alors impérativement
ChristophedeThoudenepaspublier,cequ’ilavaitpusavoiretmettreenécritde
l’événementd’août1572.Visiblement,ilfallaitfaireensortequel’aphasiequiavait
priscommeaupiègelaSaint-Barthélemyaideàapaiserl’histoireenempêchantque
ne reviennent certaines des conditions ayant présidé au déclenchement du
massacre.Notonsiciqu’undesdangersidentifiésparleroisenommele«peuple»,
touteninsistantsurlefaitqu’ilnefaudraitpas,àsesyeux,quelemassacreacquière
une totale lisibilité. Laisser l’histoire à elle-même, à son mystère et aux
contradictions qui la traversent serait alors se réfugier dans un Dieu qui, en se
dissimulant, révélerait sa Toute-puissance, un Deus incognitus et incertus, un Deus
absconditus.CharlesIXseseraitalorsvoululemaîtreetgardiendusilence,soucieux
dece que la Saint-Barthélemy ne fossilise pas plusencore les haines et ne bloque
pas l’histoire sur le cycle infini des vengeances, ce qui devait inéluctablement
arriversielleprocédaitd’évidencesappeléesàdevenirdescertitudesirrévocables.
L’histoiredevenaitainsid’autantplusuneénigmequecertainss’interdisaientd’en
parler,etelleseremplissaitd’inquiétudestoujoursplusvivespuisquelemassacreen
appelait désormais d’autres qui ne pouvaient être que plus violents encore et que
surtout la Saint-Barthélemy devenait une hantise. Ainsi que l’a écrit Mark
Greengrass, l’expérience du massacre qui avait eu lieu à Paris puis s’était comme
prolongée en province pouvait paraître « continuée, constamment revécue,
repensée et revisitée lors du passage de la mémoire à l’histoire27 ». Elle pouvait
s’étendre tragiquement à tout le devenir, d’autant que, dès les mois d’octobre-
novembre 1572, les bruits coururent d’un nouveau massacre qui aurait été
secrètement en gestation et que le président de Thou dut faire publier une
ordonnance prohibant à quiconque de répandre des bruits annonçant un second
grandmassacre.Lesoupçontombaittoutparticulièrementsurlespersonnesayant
colportédesbruitssinistresselonlesquels«ilyaentreprisedecourirsusàceuxqui
sontetontestédel’opinionnouvelle,quisontchosesinventéesetquefontpublier
de main en main aucuns perturbateurs du repos public contre l’intention de Sa
Majesté28».
SilaSaint-Barthélemyestuninstanthistoriquedecriseabsolue,c’estd’unepart
parcequedesonavènementmêmejaillituneaporiesurlescausesetlesmodalités
de perpétuation de la violence, une « destruction de la factualité » (Judith Lyon-
Caen29),etd’autrepartparcequ’elleremetencauselecaractèreprédictiblequiétait
attaché à l’histoire même et fait que la magister vitae est désormais comme
dépourvuedesafinalitéexistentielledèslorsqu’ellenesuggèreplusqueledésarroi,
l’angoisse et l’impuissance, et surtout la confrontation à une contingence qui ne
peut être qu’effrayante. Elle projette l’écriture de l’histoire dans le doute sur elle-
mêmeetdoncdansunecertainelassitudeperformativequis’étendrétroactivement
à l’appréhension de la conscience de soi qui pouvait être celle des contemporains
ayant perdu de vue les balises qui pouvaient leur permettre de s’orienter dans la
durée30. Le massacre en appelait à un travail de reconceptualisations et de
reformulations épistémologiques dont Jacques-Auguste de Thou31 et Lancelot
Voisin de la Popelinière tentèrent d’être les premiers expérimentateurs en
s’efforçantderelativiserlefaitirréductibledelasurvenueconfusionnelledupassé
d’août-septembre157232.
PourJacques-AugustedeThou,c’estquandleshommessontsanssagesse33 ,quela
Fortune prend le pouvoir sur l’histoire et lui retire la raison qui devrait lui être
inhérente et invite à une difficile procédure cognitive. L’auteur des Historiae sui
temporis, âgé alors de 19 ans, décrit dans ses Mémoires sa décision de se confiner
d’abord chez lui pour ne pas avoir à voir l’atrocité de la tuerie qui était alors en
cours,faisantlevœuque«Périsseàjamaiscejour,etpuisselapostériténepasy
croire ! Taisons-nous du moins, et laissons ensevelis dans une nuit profonde ces
crimes de notre maison 34 ». Sorti pour entendre la messe le matin du dimanche
24août,ilpréférasereplierchezluiaprèsavoirvuavec«horreur»maissansoser
« jeter une larme, traînés à la rivière les cadavres » (« jam interfectos ») de deux
huguenots,JérômeGroslot,sieurdeChampbaudouinetdeL’Isle,baillid’Orléans,
et son neveu Calixte Garrault35 . Moins un défaussement qu’une fuite devant
l’histoire.
Quand il prit la résolution de revenir au monde après avoir subi un tel effet de
sidération panique, ce fut pour comprendre que sa conscience de l’histoire avait
cesséd’êtrecequ’elleétaitdufaitmêmede«cestempsmalheureux»quiavaienteu
cours:
La fureur de ces massacres étant un peu appaisée, il alla quelques jours après voir son second frere, qui
logeoit près la porte Montmartre : celui-ci le mena sur une hauteur, d’où ils pouvoient découvrir
Montfaucon.Lepeupleyavoittraînécequirestoitducorpsdel’Amiral,etl’avoitattachéàunepiècede
bois de traverse avec une chaîne de fer. Aussitôt l’idée de ce Seigneur, qu’il avoit vû quelques jours
auparavantavecattention,seréveilladanssonesprit.IlrappelladanssamémoireceCapitainefameuxpar
tantdecombats,parlaprisedetantdeVilles,etsurlepointdetriompherdesPays-Bas:ilvoyoitalorsson
cadavre,aprèsmilleindignités,attachéàuninfâmegibet.Cesréflexionsluifirentadmirerla profondeur
des jugemens de Dieu, la foiblesse de notre condition, dont les bornes si étroites devroient bien nous
refroidirsurnosvastesprojets,etnousrenfermeràtousmomensdanslapenséedecequinousdoitarriver
unjour36 .
Faceàtousceuxquiviventencroyantquelaviolencepeutlesporterenavantde
l’histoireetlesfaires’engagerdanslesensdesdesseinsdivins,etquidoncpensent
pouvoirarticulercesdesseinsprovidentielsàleurarbitrairemarquéparlepéché,il
n’y a de clairvoyance que chez l’historien incité à remettre en question une
épistémologie de l’histoire « où tout se déroule selon un plan préalable fixé par
Dieu37»jusquedansl’énigmequiseraitinhérenteàuntelparoxysmedeviolences
humaines38 .Et,s’ilyaénigme,ilyauraitunDieuquisedissimuledanslessilences
del’histoire,ouplutôtquiveutsedissimulerainsi.
Écrire aujourd’hui sur le massacre de 1572 et sa temporalité aussi embrouillée
qu’improbable puisque se déployant d’une « sédition […] advenue par la querelle
particulière qui est dès long temps entre ces deux maisons » jusqu’à un crime de
Majestéayantdéjoué«ladétestableconspiration»deshuguenots,revientàsefixer
surleregistredessymbolisationstransgressivesquipeuventavoirétéàl’étatlatent
dansl’espaceparisiendudébutdeladécennie1570etêtrecommeprojetéesdansles
multiples gestes criminels ayant scandé les jours et les nuits des matines
parisiennes;maisc’estaussitenterd’allerau-delàdecequisedissimuleraitsousde
tellesmodalitésd’activationallant àcontresensd’une histoireimmédiatequi avait
étépolariséeautourd’ungrandrêveroyaldeconcorde.C’estencoreallerau-delàde
lasituationdecriseépistémologiquehéritéedutraumagénéréparlebasculement
dansl’inconnuquirésultaitdusurgissementdeconduiteseffroyablesdecruautéet
tenterdecomprendredel’intérieurl’indicibleenrompantaveclesultimesartifices
néopositivistes qui viennent et reviennent toujours dans le champ de l’histoire.
Paradoxalement, c’est chercher le sens dans son éclatement même, dans
l’indétermination de la factualité, dans cette énigmatique dont les contradictions
ontpoureffetdeperturbernécessairementtouteapprocheraisonnée.
Uneinterrogationseposealors:l’irrésolutionfactuelleetladébâcleconjecturale
quinimbentla temporalitédu massacredela Saint-Barthélemyne prévalent-elles
pas parce que ceux qui y ont pris part ou qui en ont été les spectateurs s’en sont
intentionnellementmisàdistanceenserepliantdanslemutismeoul’ambiguïté,en
se refusant à donner les clefs d’une énigme dont, volontairement ou
involontairement,ilsnevoulaientpasqu’ellesoitinterrogée,ouqu’ilsnepouvaient
pasinterroger?Enseplaçantdanslecoursd’unévénementsanshistoiredicible?
Etlepouvoirroyaln’a-t-ilpasoccupéuneplaceprivilégiéedansceprocessus?
Ne faudrait-il pas, pour dépasser ce seuil d’insignifiance due aussi bien à la
dynamique même de l’accomplissement factuel qu’au mode d’intériorisation de
l’histoire propre aux acteurs du moment, penser les matines d’août 1572 à la
manièredeNostradamus,commeuneénigmeouunjeudontlesensseraitdécalé
parrapportaux discoursouaux représentationsqu’ilsénoncent39?Le sensserait
alorsledéficitmêmedesensetauraitpourfindeconsacrerlaToute-puissanced’un
Dieuvoilédanslapuissancesurprenantedumassacre.
Un historien du XIXe siècle, Jules Loiseleur, qui a bien senti le problème, cita
Voltaires’élevantcontreles«absurdités»,les«sottises»,les«erreursgrossières»
quiémaillaientleslivresd’histoireoudegéographieetcontrelesquellesilvaudrait
mieux adopter une attitude pyrrhonienne. Lui-même classa la Saint-Barthélemy
commeuneénigmedel’histoire,àcôtéduMasquedefer:
Enfin, si les événements les plus intéressants, les plus terribles, qui se passent sous nos yeux, sont
enveloppés d’obscurités impénétrables, que sera-ce des événements qui ont vingt siècles d’antiquité ? Le
grandGustaveesttuédanslabatailledeLützen;onnesaits’ilaétéassassinéparundesespropresofficiers.
OntiredescoupsdefusildanslescarrossesdugrandCondé;onignoresicettemanœuvreestdelacourou
delaFronde.Plusieursprincipauxcitoyenssontassassinésdansl’HôteldeVilleencestempsmalheureux;
onn’ajamaissuquellefutlafactioncoupabledecesmeurtres.Touslesgrandsévénementsdeceglobesont
commeceglobemême,dontunemoitiéestexposéeaugrandjour,etl’autreplongéedansl’obscurité40.
Mais,pouraoût1572,iln’yapasdepartlaisséeaugrandjour,danslechampdes
décisionscommedansceluidusubivictimaire.
Plusquesurlacriseduconceptd’événement,nefaudrait-ilpasseconcentrersur
ce qui serait central dans le processus de violence et ce à quoi les historiens
continuentàêtreconfrontés,cesenstoutàlafoissuspenduetdisperséinvitantà
procéderinductivementselonlesvœuxdeNostradamusen1555,envalorisantle
rapportauMystèreauquellescontemporainsdumassacreétaientparticulièrement
sensibles?
C’est pour cette raison que j’ai pu écrire que l’histoire se heurte, lorsqu’elle se
penchesurlatragédieabsoluedelafinaoût1572,àun«événementsanshistoire»,
submergéousubvertiparlesincertitudesetlesaporiesaupointquetoutdansson
cours semble instable, silencieux, camouflé, brouillé, enfoui, indémontrable41 . La
nuit de la Saint-Barthélemy paraît perdue à l’histoire et à sa mise en écriture, et
tenterderetrouverlenœudtragiquedesonavènementàlasoudainetététanisante
reviendrait à basculer dans une virtualité contestant d’elle-même toute
épistémologierationnelle.L’histoirenepourraitêtrequepossibilistedanslamesure
où elle a été, aussi bien dans ses mises en actes qu’en discours, saturée de
contradictions et d’interrogations qui lui étaient comme fatalement inhérentes et
qui l’ont nourrie et entretenue jusqu’à aujourd’hui. Et donc un événement sans
histoire!
Ainsique l’aremarqué AnnaCarlstedt ense référantà Agrippa d’Aubignéet au
Livre«lesPrinces»des Tragiques,silemassacredelaSaint-Barthélemydemeure
aujourd’hui sans histoire, c’est aussi parce qu’il y eut une tentation partagée de
«coulerlesexecrableschoses/Danslepuitsdel’oublyetausepulchreencloses»,
afin que les temps à venir ne soient pas comme imprégnés du mal même, de ces
violencesinéditesquirisquaientàtoutinstantdefaireretour.D’où,toutefoisselon
encore d’Aubigné, la nécessité de réagir contre ce péril en montrant toute
«l’infection»decequiaeulieu,carlavertun’estpaslafilledel’ignorance.Mais,
s’ilyeut,toutdesuite,uneapparentedéroutecognitivequientravaleprocessusde
miseenrécitsfiablesetdonttémoignentlesreplisensoideMicheldeL’Hospitalet
duprésidentdeChristophedeThou,cefutparcequ’ilnefallaitpasempiétersurla
Toute-puissance d’un Dieu voilé et donc, comme l’écrivit quelques années plus
tard,selaisserprendreparcette«folefiertédelangage»quiporteleshumainsà
« ramener Dieu à leur mesure42 ». La fuite dans une histoire impossible à
approcher,masquéequ’elleétaitpardesmensongescontrairesàladocteignorance
de Nicolas de Cues, révèle peut-être aussi une angoisse face à un instant qui ne
pouvait que dissimuler l’effrayant potentiel du mal humain43. Et Michel de
L’Hospitald’écrire:«Notreespriterredanslesténèbres,aveugle,ilnepeutvoirla
vérité44.»
Pensons ici, précisément, à Montaigne dont l’éphéméride à la date du
24août1572 estdemeuréevierge. Dansles Essais, laSaint-Barthélemy,requérant
donclesilence,estcommemisesurlemêmeplanquelesautresmassacresdeson
époque et du passé45. Peut-être le silence vise-t-il à sauvegarder une liberté
intérieure précieuse, ainsi que l’a jugé Arlette Jouanna 46, voire à préserver les
ambitionssocio-politiquesdeMontaignedanslaperspectived’unattachementàla
modérationquevalorisePhilippeDesan47.SelonAlainLegros,laSaint-Barthélemy
n’a toutefois pas sa place dans les Essais, qui ont pour objet de traiter « de nos
mœursetmouvements»,brefde«l’humainecapacité»,lesfaitspetitsetgrands,
«advenusounonadvenus»,n’offrantàla«réflexionanthropologiquequ’unvivier
oùpuiserdesexemplesdel’unitéoudeladiversitéhumaine 48».Ajoutonsencore
que Montaigne stigmatise la tendance du langage humain à s’emparer de la
puissancedivineetlamodeleràsesenvies,quand«leshommesrecherchentcette
folefiertédelangage,pourramenerDieuàleurmesure[…].Etdelàs’engendrent
toutes les resveries et erreurs desquelles le monde se trouve saisi, ramenant et
poisantàsabalancechosesiesloignéedesonpoix49».
Maisilpeuts’êtreagiencoreduchoixd’unestratégiepersonnelle:ceseraitpour
exorciser les violences que Montaigne aurait décidé de ne pas se laisser aller à
s’immiscer dans l’incertitude des faits et de ne pas faire courir à sa « creance » le
risqued’êtreprisedanslepiègedemotsd’autantarbitrairesetpérilleuxqu’ilétait
impossible de savoir de façon ferme et certaine ce qui s’était passé50. Jean
Starobinskil’aécrit,auxyeuxdeMontaigne«lemondeestunthéâtretrompeur»
l’invitantà«neplusresterenscène51»:
Lacorruptiondusièclesefaictparlacontributionparticulieredechacundenous:lesunsyconferentla
trahison,lesautresl’injustice,l’irreligion,latyrannie,l’avarice,lacruauté,selonqu’ilssontpluspuissans;
les foibles y apportent la sottise, la vanité, l’oisiveté, desquels je suis. Il semble que ce soit la saison des
choses vaines quand les dommageables nous pressent. En un temps où le meschamment faire est si
commun, de ne faire qu’inutilement il est louable. Je me console que je seray des derniers sur il faudra
mettrelamain.Cependantqu’onpourvoiraauxpluspressans,j’aurayloydem’amender52.
Surtout,ilyaDieuquiseulpossèdelesavoirdesfaitsdumondehumainetauquel
il ne faut pas se risquer à se substituer par un orgueil ignorant que la créature
humaine ne doit et ne peut s’en remettre qu’à « la pure conduite du ciel ». En
filigrane,cequeledéficitdesensetlesilencequiluiseraitcorrélatifcacheraient,ce
serait précisément une émotion face à un paroxysme de la violence ouvrant au
mystèretranscendantdesonaccomplissement.
MontaignerepritlesversdeMicheldeL’Hospitaletlesfitinscriresurlespoutres
duplafonddesabibliothèque:l’esprithumain«erredanslesténèbres»etilyest
comme « aveugle », ne pouvant pas saisir « le vrai » d’autant que sa raison est
«tordue,etboiteuse,etdéhanchée».Cequiimpliqueque,demêmequel’écriture
est vouée à ne parvenir à s’inscrire que dans le transitoire et le fugitif de la
successiondesinstants dela vie, leréel estinaccessible, lasagesse consistantà ne
paschercheràs’immiscerenluiparlaforceetàlesoumettreàcequeMontaigne
nommelacrédulitétropfacilementréceptive lorsqu’ilya« tempestepublique»:
« Quoi qu’on nous prêche, quoi que nous apprenions, il faudrait toujours se
souvenir que c’est l’homme qui donne et l’homme qui reçoit ; c’est une mortelle
mainquinousleprésenteetc’estunemortellemainquil’accepte.»
En effet, dans le paroxysme de violence demeuré incompressible malgré les
commandements royaux, s’est fait jour l’évidence que, comme le chanta Ronsard,
leshommesnesontquedes«petitsanimaux»inaptesàs’immiscerdanslesarcanes
delaraisondivine?
…carDieu,quiestcaché,
Neveutquesonsegretsoitainsirecherché.
Brefnoussommesmortels,&leschosesdivines
Nesepeuventlogerennosfoiblespoictrines
Etdesaprescienceenvainnousdevisons,
Cariln’estpassujectànossottesraisons:
L’entendementhumain,tantsoitiladmirable,
DumoindrefaitdeDieu,sansgrace,n’estcapable53.
FaceàlaSaint-Barthélemy,lapenséeseseraitmiseprudemmentàl’arrêtetainsi
disposéeàeffectuerungrandécart.Elleseseraitrésolue,sansl’avouer,àresterdans
l’énigme,hors d’uneconnaissance appartenantà Dieu seul.Ne pourrait-on passe
demander, en poussant l’analyse d’Alain Legros dans ses marges 54, si Montaigne
n’exprimeraitpas,ensetaisant,uneexpériencepartagée? Ceseraitalorsuneclef
pourcomprendre la retenue ou les contradictionsdes écritures et des paroles des
temps d’après massacre55 . Son silence nous donnerait à voir une conscience
confrontée à une impossibilité du « vrai », incitant à l’adoption d’une posture de
dérobade ou, plutôt, de fuite. La politique apparaît en filigrane confrontée à un
universsicomplexequ’ilyadesmomentsoùilpourraitsemblerplusconfortable
d’accepterqu’ellen’aitriendelalisibilitéattendue:
Notrebâtiment,etpublicetprivé,estpleind’imperfection.Maisiln’ya riend’inutileennature[…].De
même,entoutepolice,ilyadesofficesnécessaires,nonseulementabjects,maisencorevicieux:lesvicesy
trouventleurrangets’emploientàlacouturedenotreliaison,commelesveninsàlaconservationdenotre
santé.S’ilsdeviennentexcusables,d’autantqu’ilsnousfontbesoinetquelanécessitécommuneeffaceleur
vraiequalité,ilfaut laisserjouercettepartieaux citoyensplusvigoureuxetmoins craintifsquisacrifient
leur honneur etleur conscience, comme ces autres anciens qui sacrifièrent leurvie pour le salut de leur
pays;nousautres,plusfaibles,prenonsdesrôlesetplusaisésetmoinshasardeux56 .
Enneparlantpasdumassacredu24août,enserefusantàporterunjugementsur
lesdrames horribles qui ont eulieu, et en ne cherchantpas à s’immiscer dans les
débats causalistes, Montaigne aurait entériné qu’il y a un au-delà des apparences
dans la politique,qui échappeà la compréhensiondes gouvernéset qui relève de
Dieu,lePrincepouvantseconfronterdirectementaumaletallantjusqu’àseglisser
en lui pour des raisons que lui seul est en mesure d’appréhender et dont il est
uniquement responsable devant Dieu57 . Et il se serait agi pour lui de bloquer
l’histoiresurl’incertain,afindenepasfaired’elleunirrémédiablevecteurdehaines
éloignantleshommesdelaconcordevoulueparDieu.
Cespenséesmefontmesouvenird’unetapisseriede1535-1545faisantpartiedela
tenture des « Fructus belli » et mettant en scène une réalité comme décalée en ce
qu’ellenereprésentepaslemomentépouvantablequ’aétélemassacredeshabitants
d’une ville, sans doute pour que les spectateurs ne succombent pas à la puissance
angoissantedelavisiondecadavresmassacrés.Cettevisionparticipedutempsque
MarkGreengrassaévoquéentermesd’« Europe’sParoxysm 58».Àmonsenset de
manière anachronique certes, puisqu’appliqué à un drame d’une quarantaine
d’années plus tardif, ce qui est cependant montré euphémise en quelque sorte
l’événementdeladévastationd’unecitéenl’allégorisantetdoncenledistanciantde
cequ’ilapuêtre:lesecondplandonneàvoireneffetunevilledétruiteetsaccagée,
enruinesfumantessymbolisantpeut-êtrel’indicibilitéoul’évanescencedecequia
étéunparoxysmedeviolences.Sontseulementvisiblesdemanièreflouequelques
petitsêtreshumainsquisemblentperdusaumilieudecechaos.C’est-à-direquela
tapisserie,certesinclusedansuncycledemomentsguerriers,pourraitêtreluehors
dececyclemême.
Le premier plan met en valeur en effet un cortège d’hommes, de femmes,
d’enfants,devieillardsquifuientlacitédésoléeetenflamméetoutenselamentant
douloureusementetenlevantlesmainsverslecielensignededésespérance.Jeme
suisdemandésicespersonnagesparticipaientd’une«vraie»réalitéquelascènese
devrait de suggérer à celui qui la regarde. Sont-ils vraiment des survivants d’une
cruauté atterrante ? Ne figureraient-ils pas plutôt les âmes mortes de ceux et de
celles qui ont été massacrés durant le sac de la ville59. Ne sont-ils pas les acteurs
d’une mise en énigme de ce qui a eu lieu, d’une histoire qui ne peut pas avoir
d’histoire ? Sur les bordures, est en effet lisible l’inscription « non sine fastidio »,
«nonsansrépulsion»ou«nonsansaversion»,quirendraitcomptedel’horreur
qui n’est pas représentée puisque l’exode des fugitifs allégoriseraitle charnier que
serait devenue la cité livrée à une violence extrême ; un charnier irreprésentable
tantilseraitépouvantableeteffrayant.Uncharnierqu’ilfaudraitinvisibiliserpour
que l’idée d’un avenir de la vie humaine qui serait autre que terrifiant puisse
subsister,dansl’espritduspectateur.Uncharnierénigme.
Lespectateurnesaitpasenoutrequelleestcettevilleetquisontcesfugitifsdont
onnepeutquedevinerladouleurd’êtredésormaisdesâmeserrantes,desspectres
incapablesdeparlerdel’atrocitéqu’ilsontsubie.Serait-ceTroie,Carthage,Rome,
Brescia ? Ou la douleur des fugitifs n’est-elle pas le symbole d’une destinée de
l’humanité toujours susceptible d’être vouée à la rencontre effrayante avec une
violenceparoxysmique,maisquiestuneénigmepuisquelesseulspersonnagesqui
figurentsurlascèneseraientdesspectrescriantleurdouleuretpourtantincapables
d’expliquer ce qui s’est passé et aussi de raconter qui ils sont ? En fin de compte,
l’aphasie des victimes serait le vrai thème de la tapisserie, qui relaterait que la
violenceparoxysmiqueestindicible,nepeutpasêtreobjetdeparoles,aussibiende
la part de ceux et celles qui l’ont endurée que de ceux et celles qui l’ont mise en
œuvreetenassumentlaresponsabilité.
Aucunedonnéen’est fournie,qui permettraitde savoirquel estl’événementqui
estreprésentéentantque «fructusbelli»danssonirreprésentabilitémême,cequi
renvoieàl’idée qu’uneviolence absolueestun défipour l’histoire,qu’ellene peut
susciter de narratif tant elle est inassimilable et insoutenable, d’autant que les
discours immédiatement produits tant par certains des acteurs que certains des
spectateurs la complexifient et l’énigmatisent encore davantage. Le seul élément
perceptible est que la violence, sous ses formes variées, ne peut que générer
souffranceetdeuil.Lecaractèreindirectdelafigurationseraitalorssymboliquede
ce que la violence extrême est d’autant plus tragique qu’elle déréalise l’histoire,
qu’ellel’emportedansl’indicibilité,qu’ellen’est pasmêmeen mesurederelaterce
pour quoi elle a été un drame effrayant puisqu’elle doit se résoudre à ne pas
entreprendre de figurer ou dépeindre l’horreur même des corps massacrés ou
torturés,ensanglantés.
L’histoire, fuyant devant elle-même, devient énigme. On pourrait
anachroniquement ici évoquer « Rêve parisien » de Baudelaire et la vision d’une
«Babeld’escaliersetd’arcades»,d’«unpalaisinfini/Pleindebassinsetdecascades
/tombantdansl’ormatetbruni».Cetuniversestcomposéd’«étangsdormants»,
de « mouvances merveilleuses » qui sont faites pour être vues dans un « terrible
paysage»,maisquinesuggèrentendéfinitivequ’«unsilenced’éternité 60».Carla
finalité de l’histoire confrontée au paroxysme violent n’est pas l’histoire, mais le
dévoilementdesessilencesheuristiques.
L’historienne britannique Nicola Mary Sutherland constatait judicieusement, en
1991,que,dufaitdela«confusionetdelapartialité»destémoignages«quisont
incontestables », il est impossible d’évaluer avec « certitude le rôle d’aucun
protagoniste » dans le temps du carnage de 1572. Et il faut avouer que, sur le
massacredu24aoûtcommesurl’attentatduvendrediprécédent,aucunehypothèse
ne peut être encore aujourd’hui vérifiée. La machine à remonter le temps ne
fonctionnepassurleparoxysmeetdoncsurl’impossible.Entémoignelefaitque,si
l’on suit les sources, l’alarme aurait été sonnée entre 1 heure 30 minutes (voire
minuit) et 5 heures du matin du dimanche 24 août ; et ce flou originel donne sa
tonalitédominanteàl’histoire,d’autantquelesgrandsacteursdudrame,dumoins
ceuxquilivrentuntémoignage,s’acharnentàbrouillerlespistes,leurobjectifétant
moins de livrer un récit des faits advenus que de se retirer ou se mettre
temporairement en marge du cours de l’histoire et donc de toute implication
personnelle.
Lesmétamorphosesd’aprèslesviolences
La violence va jusqu’à métamorphoser les individus en les défaisant
silencieusementd’eux-mêmes.
Les exemples sont nombreux, aux lendemains de la Saint-Barthélemy, de
franchissements subjectifs d’une existence de soi jusqu’à une autre, comme s’il y
avaiteulatentationdeseséparersymboliquementd’unepartdesoi-même.Toutse
passe comme si, pour certains, il ne pouvait plus être question de faire vivre
subjectivement l’altérité en soi, ou de soi 61. Comme si ce qui était au cœur de
l’humanisme,«l’expériencejoyeusedel’altérité»,nepouvaitplusêtreintérioriséet
se retrouvait chassée hors de soi et donc hors de l’avenir. Pour certains autres, si
auparavant le « comble de l’épanouissement » était, selon Michel Jeanneret,
«atteintaumomentoùlesujet,aulieudechoisir»pouvait«semultiplierdansla
simultanéité,être à la fois un etdivers, soi-même et tous les autres 62», ce temps
étaitcommerefouléloinduprésent.C’estpeut-être,àmonsens,cequ’exprimerait
égalementsymboliquementladouleurdesâmesmortesdelatapisseriedesFructus
belli, la prise de conscience que le temps passé pourrait ne plus revenir et qu’un
avenir de sang et de souffrances, ne cherchant qu’à étouffer et éliminer l’autre,
pourraitêtrelefuturhumain.
Iln’yauraitpaseuquelechoixdumutismeoudelaprisededistancepermettant
d’espérernepassubirleseffetsd’unpouvoirdel’horreur;ilyauraiteulapossibilité
d’exhiberlaruptureavecunepartdésormaispasséedesoi.Uneconversionaurait
vu la psyché s’orienter vers une « ressaisie autopoïétique », pour reprendre
l’expressiondeFélixGuattari63.
CitonslecasdeJeanDoratqui,aprèsavoircélébrépoétiquementlesvictoiresde
JarnacetdeMoncontour,etchantélafelicitasdeCharlesIX,s’étaitensuiteattachéà
multiplierlespoésieschrétiennestoutenchantantlesbienfaitsdelapaix:
Qu’estilbesoingdetantlaPaixcrier
Parlescantonsdesvillesetvillettes?
Qu’estilbesoingd’huissiersnedetrompettes
PourlaPaixfaicteenFrancepublier?
Ilvaudroitmieux,encriant,Dieuprier
Qu’illagardastdetroublesinquietes;
Ilvaudroitmieuxenchantantchansonnettes,
ViveleRoyporte-paix,s’escrier.
Sansautrebruitassezestpubliée
LaPaix,deceux,quimilleetmillefois
Ladesiransontfaictsigransaboys.
Sansautrecryassezjaestcriée
LaPaix,deceux,quil’ontsihaultpriée,
QueDieuaucielenaouylavoix.
Cependant,aprèslemassacred’août1572,Doratexprimetemporairementsajoie
extrêmede savoir qu’ontété abattusdes « barbaramonstra», des «bêtes sauvages
innommables».Cesontdes«porcs»quisontmortsenmêmetempsqueColigny.
Lepoètechantel’unitédupeuplequis’estruéaumassacre,jeunes,vieux,pèreset
mères : « urbs omnis in iras / Cum ruit. » Il exprime ensuite le souhait que les
meurtriers,pères,mères,vieux,jeunes,défilenttriomphalementpartouteslesrues
de Paris, chacun portant ses bannières : « mixta patrum matrumque, senum
juvenumqueferantur/Agmina,signiferosquaequesecutasuos.»L’Océan,ajouteDorat,
devra renvoyer les cadavres dans les « atra Caribdis », les noires profondeurs de
Charybde,d’oùnepeuventressortirceuxquiysontengloutis,oudanslesfleuves
desenfers.
La Saint-Barthélemy devient alors une nouvelle nuit de Noël ou de Pâques, un
instantsacréquienappelleàlaplusgrandeglorificationetàuneunitésalvifiquede
tousettoutes64.Elleredonneuneimpulsionsacréeàl’âmedupoèteressaisiparun
devoir de proclamer la puissance d’un Dieu jaloux plus fortement et avec plus de
virulencequ’ilnel’avaitfaitauparavant.
Lesalutdeshommesaétéopérélanuit;voiciqu’unenuitsauveencorelesbons,nuitdigned’êtreilluminée
etrendueplusclairequeleplus clairjour!Nuitbienheureuse,oùle roisaintLouisaremislui-mêmele
glaiveaux mainsdes vengeursde la religion! CeGaspard, qui blessoitMarie aété frappédans le temps
consacréàMarie,etc’estjustementquelaVierges’estvengéedanssonoctave,ainsiqueleChristavoitfait
danslasienne,quanduntrait,lancéparunemaindivine,vintfrapperunereinequiméprisoitlesmystères
duChrist(reinedeNavarremort).Soientdoncjuilletetaoûtconsacrésàjamais,juilletàcélébrerlavictoire
duChrist,aoûtcelledeMarie.
Nul ne doit échapper,parmi les hérétiques : « Vous fuyez, mais en vains faites-
vousserviràvotrefuitelavitessedeceschevauxquevousaviezpréparéspourla
guerre,lespierressaurontvousatteindre,lespierresquevouslanceralepeupledes
villes et des campagnes. Christ est une pierre, pierres sont aussi les enfants
d’Abraham,etvousdevezcraindrecespierres,chiensquevousêtes65.»
Donnonsencorel’exempledeJeandeMonluc66 qui,en1563danslecontextede
remontrancesprésentéesdevantleroiauparlementdeParis,avaitexaltéundevoir
chrétieniréniqueenaffirmantque«Dieuareservélaperfectionpourluyseul,eta
vouluqueleshommesaientlesespoirsdifférentz,cequeleplussouventilznese
puissent accorder67 ». Penny Roberts ajoute que, lorsqu’il s’exprima ensuite sur
l’édit de pacification d’Amboise, l’évêque de Valence souligna que, sans l’accord
consacréparl’édit,leroyaumevivraitsansreligion,Dieun’ayantjamaisvouluque
«religionsisainteaieestémesléeavecautantdemeschanceté68».
Lemassacrede1572métamorphosetoutefoisJeandeMonluc.SonsecrétaireJean
Choisninconstatait en 1573 que la monarchie française était ardemment mise en
causedansleprocessusayantconduitàlatuerie:
Leplusgrandempeschementqu’ilavoit,c’estoitlanouvelledeParisqu’onfaisoitrafraischirdenouveaux
advis. Toutes les sepmaines l’on apportait des peintures où l’on voyoit toute manière de mort cruelle
dépainte:l’onyvoyoitfendredesfemmespourenarracherlesenfansqu’ellesportaient.Leroyetleduc
d’Anjouyestoientdépeints[…]marrysdecequelesexécuteursn’estoientassezcruelz[…].Àcelayprint
ledict sieur [de Monluc] deux remèdes : l’un de respondre aux libelles diffamatoires, comme il avoit jà
commencé,etfairepubliersesrespons69.
ÀVarsovie,oùilestchargédefairel’apologied’unsouverainquivapérenniserla
tolérance religieuse en Pologne, Jean de Monluc dut, le 10 avril 1573, prononcer
une première harangue disculpant le roi Charles IX d’une responsabilité directe
dans la tragédie, contre tous ceux qui le stigmatisaient pour être un « Tyran tres
cruel»alorsqu’iln’yavaitenlui«aucunetracedecruauté.»Ilmettaitsurtouten
avantuneconjonction defacteursqui avaientpu jouerdansce quiavait étéà ses
yeux une bénéfique décision royale. Il y a eu l’attentat déstabilisateur contre
l’Amiral;«cequi estadvenuàParis,certainementc’estpar uncasfortuit,quil’a
faictsoudainementnaistre,sansquepersonnel’aytsçeuprevoir,contrel’esperance
etopiniondetoutlemonde:carcombienqu’ilzeussenttresgriesvementoffenséle
Roy, et qu’ils fussent lors mesme par aucuns accusez de leze Majesté, pour avoir
conjuré70».
Plusieursparamètressesontaccumulés:ladisponibilitéàla«fureur»du«peuple
excité», l’animositédu duc deGuise et deplusieurs grands seigneursà l’égardde
l’Amiral, le risque d’une guerre aux Pays-Bas qui pouvait devenir une guerre en
France même, le danger d’une prise d’armes protestante et donc d’une quatrième
guerrecivile. Le duc d’Anjou n’a joué aucun rôle dans le « meurtre de Paris », et
touteslesaccusationsdirigéescontreluisontdescalomnies,àcommencercellequi
affirmequ’ilauraitdonnéleconseildemassacrer.Lemassacren’aeudefinquede
contrerpréventivementleshuguenotsquiétaientprêtsàprendre«facilement»les
armes,«ainsiqu’ilsavoyentfaictauparavant».CharlesIXn’afaitqueréitérerceà
quoi jadis le pieux empereur Théodose avait procédé, « oubliant son humanité
accoutusmée » et ordonnant la mort de 6 000 habitants de Thessalonique, en
représailles de ce que la population de cette cité avait abattu sa statue. La
suspension exceptionnelle de la clémence s’est toutefois accompagnée, pour
Charles IX, de l’envoi de lettres en province interdisant le recours à la violence.
Ainsiunautrecheminementdansl’énigmatiqueserait-ildiscernable:ceseraitsoi-
même,danslebasculementd’unesubjectivité,quideviendraituneénigme,comme
elleledeviendraitdanscequiseraituneduplicationdelaconscience.
D’autresprocèdent,auseinmêmedecequipeutêtrecomparéàun«séisme 71»,à
undédoublementouunedissociationdelapersonnalité,àl’imagedeGuyduFaur
de Pibrac qui avait, dès le 26 août, devant le Parlement, demandé au roi de faire
cesserlesviolencesparisiennes.Danslesannéesquisuivent,enréactioncontrele
massacre, l’Avocat général cultive un irénisme néostoïcien dans ses Cinquante
Quatrains, contenant preceptes et enseignemens utiles pour la vie de l’homme dont la
publicationestinitiéeen157472.LequatrainLIIIexalteainsiunesagessedunoscete
ipsumdevantpermettreàchacundesemettreàpartdesvicissitudesangoissanteset
surtoutdesparolestrompeuses:
Pointnetechailleestrebond’apparence,
Maisbiendel’estreàpreuveetpareffect:
Contrevnfaulxbruitquelevulgairefaict,
Iln’estramparttelquelaconscience.
L’idéaldel’homme,quicombatcontrelui-mêmeetlesdangersdelacolère,etqui
seveutàdistancedescrisethurlementsdesmassacres,estcoupléàunidéaldela
royauté usant de tempérance et de clémence, loin des jours et des nuits la Saint-
Barthélemy.
Sitonamyacommisquelqueoffense,
Nevasoudaincontreluyt’irriter
Ainsdoucement,pourneledespiter,
Fayluytaplainte,etreçoysadefense.
Pibrac composa un poème en alexandrins exaltant Les Plaisirs de la vie rustique73
dontLorisPetrissoulignequ’ilviseàproposerl’idéald’unjardinsubjectifdistancié
d’unordremoral,socialet politiquedénaturé:«L’observationde lanaturevade
pair avec l’observation de soi, qui préside à une nouvelle appropriation de soi à
travers une sagesse du contentement où l’abondance de la nature incite,
paradoxalement, à la mesure et la simplicité : l’espace clos, le « verger esquarré »
florissantdevient lamétaphore du jardinintérieur nouvellementconquis par une
sagessedelaconnaissancedesoi74.»
MaisPibracvitunemanièredeschizophrénieassuméeetentretenue,enrédigeant
en1573sonOrnalissimicujusdamviriderebusGallicisadStanislaumElvidiumepistola
qui est une violente apologie du massacre construite sur le modèle des récits,
donnésparCicéronetSalluste,delaconjurationdeCatilina75.Lorsdelaréunion
duconseilroyalqui,toutenauditionnantdeprésumésdélateurs,auraitétéinvitéà
délibéreren fonction d’informations certifiant l’existence d’un complot huguenot,
le roi, sa mère et ses frères y sont montrés partisans de suivre les usages de la
procédure.Cesontles«anciens»duconseil,quisontcensésreprésenterlasagesse
et la continuité politiques, qui auraient invoqué selon Pibrac l’urgence du choix
d’une action anticipatrice : « Sont d’advis qu’es maladies extremes et tres
dangereuses, il est loisible et besoing d’user de remede prompt, extreme et
hazardeux:qu’ilfalloitincontinentallerau-devantdelaconjuration,laprevenir,et
destourner promptement sur la teste des conspirateurs, l’encombrier, et meschef
qu’ils machinoient contre le Roy et les siens, et que, sans plus tarder, sur l’heure
mesme,ilfalloitmettrelamainaux armes,etsedespecherd’eux 76.»Letempset
l’urgenceimposent auroi l’idée d’uneexécution immédiate.Charles IXse résigne
doncàunfaitdejusticeextraordinaire,maissonattitudeestcelled’unprincetriste,
donnantsonconsentementàregretetordonnantqueseulslesconspirateurssoient
châtiés77.
Pour rendre compte de la sédition populaire qui accompagne la violence royale
d’exception visant le protestantisme militaire, Guy du Faur de Pibrac évoque le
capitaldehainesquicouvaitdanslavilledeParisetquin’attendaitquelemoment
opportun pour s’exprimer. Mais l’important, dans sa démonstration, est que les
vraisresponsablesdumassacresontlesprotestantseux-mêmes,quin’onteuquece
qu’ils méritaient. S’il y a un mystère de la Saint-Barthélemy et de l’effroyable
carnagequis’estdéroulé,ilfautl’éluciderenfaisantdesvictimeslesvraisacteursde
leur mise à mort. Le sens procède par un jeu d’inversion du sens, et l’histoire est
construite en se niant afin de défendre la politique monarchique sur le plan
diplomatique. On a là un extraordinaire exemple, parmi d’autres, de dissociation
entreéthique–LorisPetrisnousindiquantqueseulement«quelquesmois»après
lemassacre,lesquatrains46 à48seront «unappellancé auroipour qu’ilusede
«clémenceetdemaîtrisedesoi78»–etdevoircourtisanquiseraensuiteretravaillé
parFrançoisdeChantelouvedans LaTragédiedefeuGasparddeColigny,surlafin
octobre157479.
Dans ce contexte de complexité des positionnements ou repositionnements
faisantsigneversunedispersionetunefluidificationdespsychésfaceàlaquestion
delavérité,ceseraitlepropredelaviolenceparvenueàunparoxysmed’intensité
que d’être un « événement sans histoire » et, par là même, une énigme. La seule
tâchepossiblequiincomberaitàl’historienseraitdechercheràpenserl’impensable
enseglissantdanssanégativitéénigmatiquemême.Cequiportel’étudeconduite
ici à aller au-devant d’« une certaine possibilité impossible de dire l’événement »
(JacquesDerrida)etdoncàsefixersurl’énigmecommeétantlaseule«vérité»de
la phénoménalité du massacre80 . Cette aporie face à une violence inédite, « c’est
l’épreuve de l’indécidable dans laquelle seule une décision peut advenir. Mais la
décisionnemetpasfinàquelquephaseaporétique81 ».
Cetempiredel’énigmatiqueenvientàenglobernombrededocumentsquisontà
la disposition de l’historien dans la mesure où ils sont parcourus par un désir
d’occultercequiseraitunpointfocalcritiquedansl’histoiredusecond XVIesiècle:
enl’occurrenceque,dèslespremièresheuresdumassacredu24août1572,lecours
événementiel sembla aux contemporains s’être perdu ou dissous dans la
contingence,aupointquelaplupartd’entreeuxsecontentèrentsoitdeneriendire
ou écrire, soit de limiter leur témoignage à une chronologie minimaliste, soit de
camper sur une position de réserve prudente tout en faisant allusion à certaines
informationsquileurseraientparvenues.C’est-à-direqu’ilyauraiteu,delapartde
ceux qui ne participaient pas directement à la tuerie, une conscience quasi
immédiate que le drame spectaculaire qui se déroulait sous leurs yeux était
originellementfloutéetquecequis’endisaitétaitbiaiséoufalsifié,etsanshorizon
autrequedeparticiperouprocéderd’uneétrangetédulangagesurgiedufaitmême
du paroxysme. Une évanescence de l’événementialité, qui rejoint l’assertion de
JacquesDerridaselonlaquelle«l’événement,c’estd’abordcequejenecomprends
pas.Mieux,l’événementc’estd’abordque jenecomprennepas.Ilconsiste[…]en
monincompréhension».
D’où pour l’historien d’aujourd’hui, il faut le redire, la Saint-Barthélemy est un
événement dont le cœur est une incompréhensibilité, ou un événement dont
l’histoire est perdue ou silencieuse parce qu’impossible, effondrée sur elle-même,
sur son sens caché, sans traces autres que celles facticement produites dans des
cadres tactiques ou polémiques, défensifs ou offensifs. Cette zone grise et
mouvante82 exclut tout dispositif de verbalisation fiable pouvant lui donner une
lisibilitéautrequecelled’uneénigmeinquiétante 83.Lemassacreestunévénement
aporétique puisque d’emblée sans issue herméneutique, un événement surgi de
l’impossible,quiestarrivé«commelavenuedel’impossible».Ceuxquisedisent
portésàécrireparundésirdetémoigneretdedépasserlasituationdramatiquedu
blocageoudel’évanescencedu sensrecourent,pourparvenirà unenarrationqui
seraitfiable, à ce quiressemble à une turbulencedu langage puisqu’émanantd’un
collagedetémoignagesdésarticulés.Ilscherchentlavéritédanscequiressembleà
son contraire, une déraison des mots, ou plutôt des mots faisant écran avec un
passédésormaisirrémédiablementinaccessible.
Destémoinssansregards
À titre d’exemple, intéressons-nous à l’humaniste Guido Lolgi, présent dans la
capitaledepuissansdoutelafindeladécennie1550entantquereprésentant/agent
duducdeParmeetdePlaisance,le cardinalAlessandroFarnèse,àquiilécritpar
deuxfoispourluifaireunrécitdes événementsdeladestructiondela«maudite
secte ». Dès sa lettre du 25 août, il dépeint les gardes du roi pourchassant les
huguenots,tuantceux qui figuraientselon luisur deslistes préétablies,pillant les
biensetlaissantcedontilsnes’emparaientpas «allegentebassadellacittà».Tout
aurait commencé au Louvre, avant de gagner les espaces parisiens à propos
desquelsilneditriendeprécissansdouteparcequ’aucuneinformationdistinctive
neluiestencoreparvenue.Ilécritque«cettebraverésolution»duroidelibérer
son royaume d’une « tanta peste » a laissé certains dans un état de très grande
stupéfactionetilsedit lui-mêmeincapabled’avoirune idéeclaireet distinctedes
conditions qui auraient impliqué le déclenchement de la violence. Ce qui ne
l’empêchepas,danslefluxmêmedesévénements,d’observerquedeuxhypothèses
luiviennentàl’esprit,entrelesquellesilnepeutpaschoisircellequiseraitlaplus
pertinenteetlamoinsimpossible.
Selonlui,planeeneffetledoutesurlaquestiondesavoirs’ilyaeupréméditation
ou si la violence est survenue « per qualque occasione ». On parle, ajoute-t-il, de
parolesmenaçanteslancéesparcertainsdesnoblesréformésaprèsl’attentatcontre
Coligny.Larumeurenfleaussid’une«conspiration»huguenotequeleroiaurait
voulue « prevenire » en profitant de la concentration dans Paris de nombreux
capitaineshuguenotsqu’ilétaitaisédemettreàmortparsurprise 84.Enbref,cette
première lettre montre qu’à chaud, l’événement est l’objet de questionnements
irrésolus tant la stupéfaction l’emporte sur la détermination d’une rationalité des
faits.
Le4septembre,Lolgireprendlaplume,insistantsur «lagrandepreda»effectuée
par les gardes du roi. Charles IX, selon lui, essaie de calmer les esprits tout en
prenant des mesures pour éviter que les huguenots ne se mobilisent en province
afinde recommencer les troubles. Comme l’a jadis analysé Charles Samaran, il se
contentededirequetoutfinirapars’éclaircir;maislagenèsemêmedel’événement
demeureautanttroubleetopaquequ’irrésoluedanssonesprit,etceladanscesdeux
lettres successives qu’il compose ainsi à chaud et qui suggèrent une sorte
d’évanescence ou désorientation du réel85. La vérité du massacre surgira dans le
futur,explique-t-il.Pourl’instant,ilaconscienced’êtrelui-mêmesousl’emprisede
mensonges ou d’informations très peu fiables et de ne pas être en mesure de
s’évaderdececarcanaporétique.
Etiln’estpasleseulàêtresaisiparundoutequienvientàamplifierledéficitde
sens de l’histoire. En effet, les témoins du massacre font preuve d’une perplexité
quasi immédiate devant cette immense incertitude, à la différence de ceux qui s’y
engouffrent, avides d’instrumentaliser la violence et surtout de la prolonger.
Commesi,etcelaadéjàétéenvisagé,elleavaitétévouluepardesacteursqui,àtous
lesniveaux,avaienteneux-mêmesunhautdegréd’incertitudesurcequ’ilsfaisaient
ouprofitaientdecetteincertitudepour,enboutdecompte,semétamorphoseren
tueurs!
Peut-être y a-t-il, en fait, des segments de durée historique durant lesquels le
principederéalités’évanouit,carlasurdensitéémotionnellesaisitdesprotagonistes
qui interviennent dans une sorte de brouillard et ne distinguent pas ou plus
pourquoiilsdeviennentdesmachinesàordonnerdetuerouàtuer!
D’autrestémoins setrouvent sous le coupd’une impuissance àdéfinir au moins
une version plausible de l’histoire et se mettent en attente d’un éclaircissement à
venir. Portons l’attention sur une déposition notariée faite à Heidelberg le
7 septembre par un bourgeois de Strasbourg qui avait quitté Paris dès le 31 août
grâceàunsauf-conduitdélivréparleducd’Aumale 86.Mêmes’ilsoutientavoirété
letémoindirectdesfaitsqu’ilrelate,sarelationsembleétonnammentcompositeet
mêmefactice,donnantàsoupçonnerqu’ilparleparcequ’ildoitsejustifierd’êtrelà
etdoncd’avoirpufacilementfuirParisalorsquelacapitalefrançaisevivaitencore
dansl’horreur desmeurtresde fidèlesde l’Évangile: s’il ditavoir «vu »l’attentat
contre Coligny, quand il évoque la visite du roi et de ses frères au blessé, « il
soulignenepasavoirétéinformé»sila«vieillereine»est«alléechezl’Amiral».
Sachronologiedesfaitsdelanuitdu24aoûtestfloue,indécise,ettientvisiblement
de bruits collationnés dans la mesure où elle fixe l’assassinat de Coligny sur les
1h30-2h00dumatinetquele«on-dit»estsasourced’information.Letocsin,
qui vaut pour un appel au secours, une alerte, a seulement sonné « vers le jour,
entretroisetquatreheures»!Et«alorsacommencélemassacrepartoutParis,de
sorte qu’il n’y avait point de ruelle, quelque petite qu’elle fût, où l’on n’en ait
assassinéquelques-uns, et le sang coulait dans les rues comme s’il avait beaucoup
plu».
Ensuite,leStrasbourgeoisaffirme avoir« vu» lecadavre del’Amiral dansl’eau,
être tiré « de nouveau » de l’eau ; « quelqu’un lui coupait une oreille, l’autre lui
crevaitunœil,d’autresencoreluicoupaientlenezetlespartiessexuelles,d’autres
enfin les orteils. Enfin il en vint un qui déclara qu’il pourrait gagner 6
000 couronnes avec sa tête ; après quoi la tête fut séparée du tronc et emportée,
bien qu’elle fût terriblement fracassée par la chute ». De cette tête, une rumeur
dominante rapporta ensuite qu’elle aurait peut-être été sectionnée dès après la
chuteducorpsdanslacourdel’hôteloùlogeaitColigny,GiovanniMariaPetrucci
certifiantqueHenrideGuise,quelquesjoursaprèslamiseàmort,l’auraitconfiée,
enmêmetempsquelesmains,àunécuyerpourqu’illesporteàRomeaucardinal
deLorraine 87.Et c’est, enoutre, un épisodecontracté en quelquesheures 88 ,alors
qu’ildura,pourcequiconcerneladépouillemartyriséedel’Amiral,plusieursjours,
puisque«desvauriensontensuitesaisilecorpsparlespieds,l’onttraînéparlaville
etpenduàMontfaucon».OnsaitquelacérémoniedependaisonàMontfauconeut
lieuseulementle27août,enprésenceduroi.
Assurément,entre le dimanche et le jeudi matin, le bourgeois de Strasbourg est
prudemment resté cloîtré dans son logis. Il faut attendre qu’il arrive au jeudi
28 août dans le cours de sa déposition, pour qu’il se remémore avoir « vu » une
comtesse d’une grande beauté, en état de grossesse très avancée, être percée de
coups sur le pont des « Moulins » [Meuniers]. Il s’agit sans doute de Madeleine
Briçonnet, veuve du maître des requêtes Thibaud de Longuejoue, seigneur
d’Iverny,alorsâgéed’unesoixantained’années!Etila«vu»aussiuncompagnon
orfèvre,sesauvantparlestoits,êtreabattupardestirsd’arquebuse.Le30août,ce
sonttroiscorpsqu’ila«vus»traînésàlarivière.Desautrescrimes,ilnesaitrien.
Levoirest,etl’impressionperdure,chezluiunvoirparprocuration,un«entendre
avoir vu ». Tout ce qu’il sait d’autre relève visiblement d’une collecte hasardeuse
d’informations,cequidonneraitàpenserqu’ilseraitplutôtdemeurédanssonlogis.
Sontémoignagevise,enfonctiondecesassertions,àleverlesdoutesquipourraient
surgiràproposdesconditionsdesafuitehorsduroyaumedeFrance.Ilracontece
qu’il n’a pas vu « de visu ». D’où le bruit selon lequel, « le dimanche, jour où le
massacreacommencé,lelundietlesjourssuivants,leroin’apointdutoutvoulu
s’enoccuper,maisajouéàlapaumeets’estlivréàd’autresdistractions,commes’il
aspiraitlui-mêmeàdonnerl’impressiondevouloirignorercequisepassait 89».Et
toujoursunévénementsanshistoire,quineditriendel’histoireetlaissecommeen
surviesonénigmatique.
Arrêtons-nous encore sur une autre lettre, rédigée par le médecin mantouan
FilippoCavriana,endatedu27août.NicolaMarySutherlandpensaitqu’ils’agissait
delasourcelaplusfiableausensoùellenecherchaitpasàdireplusquesonauteur
ne pouvaiten dire.Car Cavriana écrit d’emblée que personne n’est en mesure de
révélercequis’estpassé.Surl’attentatdelaruedesPoulies,toutlemonde«n’aen
vuequesespropresaffairesetformuledesjugementsdifférents».Pourlesuns,il
faut incriminer Guise, pour d’autres le cardinal de Lorraine ayant agi à distance,
pourd’autresencoreladuchessedeNemours,tandisque«lesplusmodérésetles
plusavertis»mettentencauseleducd’Anjou90.IlyaencoreFrançoisdeVilliers,
sieur de Chailly, « maestro di casa del Re91 », dont le frère est le majordome du
cardinalNicolasdePellevé:letueurauraitutilisésonlogisd’oùils’estenfuiaprès
l’attentat.Le«snipper»pourraitencoreêtre«unodellaguardiadellaReginaMadre
Cristissima».Maisilestimpossibled’ensavoirplusparceque «ilpercussore»apris
lafuite.Leseulrésultatdel’attentatestqueletonmonteetquelesgentilshommes
huguenotsdéclarentque,sileroinefaitpasjustice,ilslaferontdeleurmainmême.
EtCavrianasoulignequ’ilsesontlaissésalleràproférer «altreparolepuibrave»et
quec’estdansleursmotsqu’ilfaudraitchercherpourquoiilyaeu«loroeccidioed
esterminio».
Le médecin observe ensuite que la question de la vengeance aurait été discutée
entrehuguenots.C’estCharlesdeTéligny92qu’ilmetenavant,pouravoirdemandé
àun «gentillissimoamiconostro»derapporteràlareinemèreque,sijusticen’était
pas rendue, une violence vindicatoire serait mise en œuvre. Les églises
protestantes,toujoursselonCavriana93 ,ontétéalertées,et4000hommesdevaient
rentrerdansParis,quiprendraientleLouvred’assautetexécuteraienttousceuxqui
auraientétésusceptiblesd’avoirmanigancél’attentat.
On est donc passé de l’incertitude sur le responsable de l’attentat à la certitude
qu’un complot est fomenté, avec Armand de Clermont, sieur de Piles, qui
bloqueraitl’entréeduLouvre,FrançoisdeMoneinsquiseraitchargédetuerGuise
etFrançoisdeBeauvais,seigneurdeBriquemault,préposéàassassinerleducetla
duchessedeNeversavecleursenfants,lafamilleroyalepouvantêtreinclusedansce
plan.CommeledevinaitNicolaMarySutherland,Cavrianan’apasuneécriturequi
serait « pure » ; il ne fait que transcrire, en amplifiant ou dramatisant ses
composantesdansl’expositiondece«planrocambolesque»,laversionroyalequi
avaitétépubliquementargumentéedevantleParlementlaveilledelarédactionde
salettre,le26août,douzeheuresavantqu’ilnerédigesaproprerelation.Cequ’il
appelle«savoir»estunesériederumeurssurvenuesouactualiséesenappuidela
déclaration royale devant le Parlement le 26 août, dont celles valorisant les
prétenduesrévélationsd’AntoinedeBayencourt,sieurdeBouchavannes,oulacrise
delarmesdeJeandeMorvillierlorsd’undesproblématiquesconseilsnocturnesdu
samedi23août,ainsiquelefaitqueCatherinedeMédicisauraitreçutroislettres
l’avertissantdesviolenceshuguenotesquiauraientétéengestation,danslesquelles
elleetsonfilsauraientétéciblés.
LalettredeCavrianaestainsiunecollectiond’anecdotesrecueilliesparlemédecin
mantouan, mais il s’agit pour lui, en discernant des cheminements possibles de
l’événementviolent,derendrecompteàsoncorrespondant,lesecrétaireConcini,
de sa propre pertinence en tant que témoin et analyste de l’histoire. C’est alors,
selon lui, pour le mardi 28 août, que la vendetta huguenote était ainsi
programmée : il revient, dans son récit, à Téligny d’avoir sollicité à plusieurs
reprisesungentilhommedontCavriana,quiserépète,ditqu’ilestun«gentillissimo
amico nostro » pour que celui-ci prévienne la reine mère que, si justice n’était pas
rendue, la paix serait rompue et, plus loin encore dans la bravade, que
l’extermination de la famille royale serait inéluctable. Adviendrait alors un vrai
«VesperoSiciliano».
Pourcequiestdelanuitdu23au24août,CavrianaexposequeleLouvrefutmis
en étatd’alertemaximale et que Catherine de Médicis aurait annoncé savoir que,
pour la date du mardi 26, les huguenots avaient délibéré de tuer le roi et qu’elle-
même,les frères de Charles IX et « in somma tutta la corte » étaient inclusdans la
tuerie.Des lettres lui étaient parvenues,qui étaient sans équivoque. C’estdans ce
contextequeCavrianaaffirmequelesseigneurscatholiquesprirentlesarmes,que
l’exécutiondeColignyetletumultepopulaireprirentplace,etquelacourauraitété
extrêmement surprise et déroutée par ce qui était arrivé. Le roi et la reine mère
auraientalorsaffirméqu’ilsavaientétécontraintsàleurdécision «dallanecessità».
Ducôté de la populationparisienne, un changementest vite notépar le médecin
mantouan. Le massacre devient un événement collectif, « et le peuple a été
tellement rasséréné que, alors qu’il haïssait la Reine Mère, il l’appelle maintenant
MèreduRoyaumeetconservatricedunomchrétien».
Ily a dans cettemissive du médecinmantouan la projectiond’un regard qui n’a
rienvu–oupresque–etl’expressiond’unepleineréceptivitéàcequiétaitproposé
par les rumeurs qui allaient et venaient, et dont la provenance était incertaine :
Cavrianas’avèreêtreuninformateurdistanciédesfaitsqu’ilrelate,complètement
absorbé par des bruits qu’il a collationnés pour tenter de remplir le vide de son
incertitude et pouvoir malgré tout mériter son statut d’indicateur94. C’est sa
mission de rendre compte de ce qui se passe en France et à Paris, et, en
conséquence,ilprocèdeàunmontageartificieuxd’informationsreçuesdeseconde
voire de troisième main. Et d’autres lettres sont traversées par une ambiguïté
similaire, qui fait que l’historien doit les appréhender elles aussi comme des
agencementsoudescombinaisonsderumeursinvérifiéesetinvérifiables:tellecelle
del’émissaireduducd’AlbeenFrance,MonsieurdeGomicourt,quicompteRetz,
donc Albert de Gondi, parmi les morts tout en reprenant le motif des 4
000huguenotsquiauraientétéeninstanced’envahirParis.
OnpeutencoreciterlerapportdictéenEspagneparJuandeOlaegui,quiétaitle
secrétairede l’ambassadeur Diego de Zúñiga : on y reconnaît les mêmes topiques
évoquantàproposdel’attentatdu22août,d’unepart,uncommanditairepossible
auxvisagesmultiples,quipourraitavoirétéleroi,Anjou,Guise,Aumaleoumême
leducd’Albe,et,d’autrepart,desmenacesprotestantesayantétéproféréesdevant
leroienpersonne.Etilfautreleverunflouchronologique,puisqueletocsinaurait
sonnédèslanuitdu23août,doncavantminuit,etqueCharlesIXseseraitrendu
auParlementseulementle27août,unjourplustardqu’ilnel’afait!Ceflougagne
lesposturesdesacteursmêmesdumassacre,avecledétailqu’HenrideGuiseaurait
tuéColignydesespropresmains95!
L’histoiresedisperseous’effriteainsidansdesanecdotesaussicontradictoiresque
problématiques, collationnées sans doute au hasard d’informateurs eux-mêmes
probablementmoinsinformésquedésinformés;etpeut-êtreest-cepourcontrerce
systèmeinformatifàlafoisproliférantetperversqueCharlesIXécrivitunelettre
aurésidentdeFranceauxPays-Bas,ClaudedeMondoucet,le26août,commes’il
avait conscience que, depuis le 22 août, le tumulte des mots avait joué un rôle
capitaldansletumulteindomptédescorpsetqu’ilfallaitquecessecettedynamique
dévastatrice. Sans doute pouvons-nous y soupçonner qu’indirectement, en
reprenantlepouvoirsurlesmotsetlecontrôlesurlesprocéduresd’historicisation,
leroinousexpliqueraitcequiseseraitpassédurantlesheuresd’avantledébutdu
massacre : en l’occurrence qu’une hystérisation du langage aurait multiplié et
amplifiélesimpulsionspaniquesdanslesespritsaussibiendescatholiquesquedes
protestantsetquelepouvoirroyalauraitétéprislui-mêmedanscejeudedéréalité
ouvrantàtouteslesmenacesaupointdedécider,parlaviolencecibléesurColigny
etlessiens,decoupercourtàunepertedecontrôledel’histoireetd’éviterquele
massacrenesoitlacaused’unautreconflit.Voilàpourquoiilauraitcommencépar
rejeter hors de lui une violence dont, temporairement, il rendit responsable, de
manièreimplicite,unemaisondeGuiseenattentedevendetta.Etpeut-êtreétait-il
danslevrai,sil’onsuitlesrecherchesrécentesdeStéphaneHellinquiamontréque
letueurMaureverta,deuxmoisavantl’attentatetpardesactesimportantspassés
devantnotaires,anticipésondépartdesonchâteau,cettedémarcheallantpeut-être
danslesens«d’uneorganisationducomplotbienantérieureau22août157296».
Lemassacre,autermedecettepremièreapproche,estetresteuneénigme.Sans
doute parce qu’il fut immédiatement historicisé comme tel par l’effet de
contradictionsamasséeslesunessurlesautres,maisaussiparcequel’énigme,àla
Renaissance,étaitunoutilpolitique.
1.DenisCrouzet,«NostradamusSaint-Rémy-de-Provence(Bouches-du-Rhône),14décembre1503–Salon-
de-Provence (Bouches-du-Rhône), 2 juillet 1566 », Commémorations nationales 2016, Centre des monuments
nationaux,ÉditionsduPatrimoine,2015.
2.Claude-GilbertDubois,«Unimaginairedelacatastrophe:Nostradamustémoinduprésentetvisionnaire
dufutur»,inLaFindestempsII,GérardPeylet(dir.),Pessac,PressesuniversitairesdeBordeaux,2001,p.68-81.
3. Georges Dumézil, « “Le moyne noir en gris dedans Varennes”. Sotie nostradamique suivie d’un
divertissementsurlesdernièresparolesdeSocrate»,Dix-huitièmeSiècle,n°17,1985,p.451-452.
4.«LeMassacrefaitàOrléansaumoisd’août1572,duquelfuttémoinetfaillitlui-mêmeêtrevictime,Joh.
Wilh.vonBotzheim,auteurdelarelationqu’onvalire»,CharlesRead(éd.),«LaSaint-BarthélemyàOrléans
racontéeparJoh.Wilh.deBotzheimétudiantallemandettémoinoculaire1572»,Bulletinhistoriqueetlittéraire
(SHPF),vol.21,n°8,1872,p.345-392.BotzheimmodifieiciletextedelaCenturieIII,11:
«Desseptrameauxàtroisserontreduicts,
Lesplusaisnezserontsurprinsparmort,
Fratriciderlesdeuxserontseduicts,
Lesconiurezendormansserontmorts.»
5. Denis Crouzet, « Nostradamus astrologue entre deux chaires ? », in Le Bon Historien sait faire parler les
silences.HommagesàThierryWanegffelen,FabienSalesse(dir.),Toulouse,PressesuniversitairesduMidi,2012,
p.273-297.
6. Yvonne Bellanger, « Nostradamus prophète ou poète », in Marie-Thérèse Jones-Davies (dir.), Devins et
charlatans au temps de la Renaissance, Paris, Institut de recherches sur les civilisations de l’Occident moderne,
UniversitédeParis-Sorbonne,1979,p.94.
7.CenturieIII,LXXIX.
8. Daniel Martin, « L’énigme dans le recueil : le Repos de plus grand travail de Guillaume des Autelz », in
L’Énigmatique à la Renaissance : formes, significations, esthétiques. Actes du colloque organisé par l’association
Renaissance, Humanisme, Réforme (Lyon, 7-10 septembre 2005), Daniel Martin, Pierre Servet et André Tournon
(dir.),Paris,HonoréChampion,2008,p.109-120;DanielMartinetGillesPolizzi,«L’énigmeàlaRenaissance.
Orientationsbibliographiques»,inibid.,p.550-571.
9.Col2,3.
10.Mt6,19-20.
11.Mt6,22.
12.Hébreux11,26.
13.Ibid.
14.Mt11,27.
15.DenisCrouzet,CharlesQuint,Empereurd’unefindestemps,Paris,OdileJacob,2016,p.612,note953.
16. Jan Miernowski, Signes dissimilaires. La quête des noms divins dans la poésie française de la Renaissance,
Genève,1997,p.54-55.Id.,LeDieuNéant.Théologiesnégativesàl’aubedestempsmodernes,Leyde,1998.
17. Nathalie Soulam, Vérité, responsabilité et causalité. Écrire l’histoire après la Saint-Barthélémy, thèse sous la
directiondePierre-FrançoisMoreau,ENSLyon,2020.
18.JérémieFoa,Tousceuxquitombent.VisagesdumassacredelaSaint-Barthélemy,Paris,LaDécouverte,2021,
p.8.
19. Raphaël Cappellen, « L’Énigme en prophétie, entre dualité auctoriale et pluralité interprétative
(Gargantua,LVIII)»,RevuedesLittératuresetdesArts,«AgrégationLettres2018»,n°17,automne2017,p.1-24.
20.Ibid.,p.23.
21.MarcelViau,«LamétaphoredumiroirchezNicolasdeCues», Revuedessciencesreligieuses,83,2,2009,
p.257-276.
22. Ariane Boltanski, « Discours adressé par le duc de Nevers à Charles IX (septembre 1572). Une
interprétation providentielle des massacres de la Saint-Barthélemy »,Parlement [s] Revue d’histoire politique,
PressesuniversitairesdeRennes,2023/1,n°37,p.177-190.
23.RaymondEsclapez,«MontaigneetNicolasdeCuse.Lethèmedela«docteignorance»danslesEssais»,
Littératures,18,printemps1988,p.25-40.
24.Excidatilladiesaevo(Sylves,V,vers88).
25.Ibid.(Sylves,V,vers88).
26. Sur les ambiguïtés de la position de Christophe de Thou, Sylvie Daubresse, « Christophe de Thou et
CharlesIX:recherchessurlesrapportsentreleparlementdeParisetleprince(1560-1574)»,Histoire,économie
etsociété,1998,17e année, n° 3[L’Étatcommefonctionnementsocio-symbolique],p.389-422. Ead., LeParlementde
Parisoulavoixdelaraison(1559-1589),Genève,LibrairieDroz,2005.
27.MarkGreengrass,«Introduction:returningtothemassacreofSaintBartholomew,1572-2022»,French
History,2022,XX,p.7.
28.«LettresdesroisdeFrance,desreines,princesethautspersonnagesduroyaume,auxévêques,chapitre,
gouverneur, bailli, maire, échevins, habitants et commune de Chartres 1296-1715 », Mémoires de la société
archéologiquedel’Orléanais,t.III,1855,p.126-127.
29.JudithLyon-Caen,art.cité.
30.Marie-ClartéLagrée,«C’estmoyquejepeins».Figuresdesoiàl’automnedelaRenaissance,Paris,Pressesde
l’universitéParis-Sorbonne,2012.
31. Robert Descimon, « Jacques Auguste de Thou (1553-1617) : une rupture intellectuelle, politique et
sociale»,Revuedel’histoiredesreligions,3,2009,p.485-495.
32. Brigitte Lourde, « “Sur les deux heures après la minuict…” : une écriture de la Saint-Barthélemy par
LaPopelinière»,inL’Instantfatal,ActesducolloqueinternationalorganiséparleCÉRÉdIetleGEMAS(Universitéde
laManouba,Tunis),lesjeudi13etvendredi14décembre2007,Jean-ClaudeArnould(dir.),Publicationsnumériquesdu
CÉRÉdI,«Actesdecolloquesetjournéesd’étude»,n°3,2009,enligne.
33.EstelleGrouas,«AuxoriginesdelalégendenoiredesderniersValois:l’HistoireuniverselledeJacques-Augustede
Thou»,inHommesdeloietpolitique:XVIe -XVIIIesiècles,HuguesDaussyetFrédériquePithou(dir.),Rennes,Presses
universitairesdeRennes,2007,p.77-87.
34. « Excidatilladiesaevo,neposteracredunt /Saecula:noscertetaceamus,etobrutamultà/ Noctetegipropriae
patiamurcriminagentis.»
35. Cf. Grégory Champeaud, « “Contenir le peuple en l’obéissance du Roy et la ville en paix” ? Élites
parlementairesetcrisesdesguerresdeReligion.LecasdesmassacresdelaSaint-Barthélemy»,inÉlitesetcrise
duXVI eauXXIe siècle,LaurentCoste,SylvieGuillaume(dir.),Paris,ArmandColin,2014,p.9-30;AndréThierry,
«Agrippad’AubignélecteurettraducteurdeJacques-AugustedeThou»,Albineana, Cahiersd’Aubigné,6,1995,
p.193-205.
36. MémoiresdelaviedeJacquesAugustedeThou,in Histoireuniverselle…depuis1543.Jusqu’en1607.Traduitesur
l’éditionlatinedeLondres,t.I,1543-1550,Londres,1734,p.13-14.L’Histoireuniverselle deJacques-Augustede
Thouprésentelesjeunesrois,FrançoisIIetCharlesIX,commedesprincessousinfluence,manipulésparleur
mèreetparleursplusprochesconseillers.MaisCharlesIXn’estpaspourautantexonérédelaresponsabilitéde
toussesactes.
37. Alexandre Tarrête, « Présages et prodiges chez Jacques-Auguste de Thou (1533-1617) », in Hasard et
Providence XIV e-XVII esiècles.ActesducinquantenairedelafondationduCESRetXLIXe ColloqueInternationald’Études
Humanistes,Tours, 3-9 juillet2006, Marie-Luce Demonet (dir.),Centre d’études supérieures dela Renaissance,
2007,p.93-115.
38.ArnaudWelfringer,«Preuveet parrêsiadansl’écrituredel’histoire:lesHistoriaesuitemporis deJacques-
AugustedeThou»,Littératuresclassiques,2017/3,n°94,p.127-143.
39.VoirJeanCéard, RébusdelaRenaissance:Histoiredurébus,Paris,MaisonneuveetLarose,1986;Marie-
LuceDemonet,LesVoixdusigne.NatureetoriginedulangageàlaRenaissance(1480-1580),Paris,Champion,1992.
40.Voltaire, LePyrrhonismedel’histoire,Paris,Garnier,1879 [ŒuvrescomplètesdeVoltaire],t.27,chap.XLII,
p.295-297.
41.DenisCrouzet, LaNuitdelaSaint-Barthélemy.UnrêveperdudelaRenaissance,Paris,Fayard,1994,p.27,
p.30etp.99.
42.Montaigne,Essais,II,12.
43.RaymondEsclapez,art.cité,p.25-40.
44.«NostravagaturIntenebrisneccaecapotestmenscernereverum.»VoirAdMargaritamregissororem,inMichel
deL’Hospital, Carmina,LivreII,DavidAmherdt,LaureChappuisSandoz,PerrineGalandetLorisPetris(éd.),
livreII,8,AdMargaritamregissororem,Genève,LibrairieDroz,2017.
45.AlainLegros,«Montaigne,sonéphémérideetlaSaint-Barthélemy:réflexionsautourd’unsilence»,in
Montaigne,penserentempsdeguerresdeReligion (colloquefranco-italiendanslecadredesAssisesdelaLaïcité,
Université Jean-Moulin-Lyon 3, oct. 2016), Thierry Gontier, Emiliano Ferrari, Nicola Panich (dir.), Paris,
ClassiquesGarnier,2022,p.85-99.
46.ArletteJouanna,Montaigne,Paris,Gallimard,2017,p.151.
47.PhilippeDesan,Montaigne,Unebiographiepolitique,Paris,OdileJacob,2014,p.123-131et236-238.
48.VoirAlainLegros,«Montaigne…»,art.cité; Essais,II,27:«Lavaillance…s’arrêteàvoirl’ennemiàsa
merci,maislapusillanimité[lâcheté],pourdirequ’elleestaussidelafête,n’ayantpusemêleràcepremierrôle,
prendpoursapartlesecond,dumassacreetdusang.Lesmeurtresdesvictoires,s’exercentordinairementpar
lepeuple,etparlesofficiersdubagage.Etcequifaitvoirtantdecruautésinouïesauxguerrespopulaires,c’est
quecettecanailledevulgaires’aguerritetsegendarmeàs’ensanglanterjusquesauxcoudes,etdéchiqueterun
corpsàsespieds,n’ayantressentiment[connaissance]d’autrevaillance.»
49.CitéinR.Esclapez,art.cité,p.38.
50.ArletteJouanna,«Montaignefaceàladéchirurereligieuseducorpspolitique»,inProtestantisme,nation,
identité. Hommage à Myriam Yardeni. Actes de la journée d’études du 7/10/2016, EPHE, Paris, Michelle
MagdeleineetVivianeRosen-Prest(dir.),Paris,2016,enligne.
51.JeanStarobinski,Montaigneenmouvement,Paris,Gallimard,1993,p.27-28.
52.CitationinTobiasVincentPowald,«LaChroniquedessentimentsdeAlexanderKluge:l’héritagedesEssais
deMicheldeMontaigneaprèsAuschwitzetStalingrad», TRANS-[Revuedelittératuregénéraleetcomparée],4,
2007,enligne.
53. RemonstranceaupeupledeFrance,in PierredeRonsard, ŒuvrescomplètesXI,PaulLaumonier(éd.),Paris,
Sociétédestextesfrançaismodernes,1990,p.71,v.143-146.
54.DominiqueBrancher,«Portraitd’AlainLegrosenpaumier»,BulletindelaSociétéinternationaledesamisde
Montaigne,Saveurdusavoir.MélangesAlainLegros,Paris,ClassiquesGarnier,2021,p.71-84.
55. Joanna Milstein, The Gondi. Family Strategy and Survival in Early Modern France, Ashgate, Farnham,
Burlington,2014.
56.AlexandreNicolai,«LemachiavélismedeMontaigne», B.S.I.A.M.,1957(p.11-21),1958(p.3-47)et1959
(p.2-8);etSylviaG.Sanders,«MontaigneetlesidéespolitiquesdeMachiavel», B.S.I.A.M.,avril-sept.1976,
p.85-99.
57. Géralde Nakam, Les Essais de Montaigne, miroir et procès de leur temps. Témoignage historique et création
littéraire,éditionrevue,corrigéeetmiseàjouravecunepréfaceinédite,Paris,A.G.Nizet,2001,p.217.
58. Mark Greengrass, Christendom Destroyed. Europe 1517-1678, Allen Lane-Penguin Books, Londres, 2014,
p.675.
59.AnnaCarlstedt,«“Parolesdetolérance”–stratagèmespoético-subversifsfaceauxcontroversesreligieuses
duXVIe siècle(oucommentrelireAgrippaetRonsardenSyrie)»,inLoxias-Colloques,18.Tolérance(s)II:Comment
définirlatolérance?,2021,enligne.Fructusbelli:«L’Incendie».Et«Cartond’unepiècedelatenturedesFructus
Belli (Fruits de la guerre), tissée à Bruxelles dans l’atelier de Jean Baudouyn avant 1549 pour Ferrante
Gonzague»[BenedettoPagniou JanCorneliszVermeyen],Détrempe surplusieursfeuillesdepapiercollées
bordàbordetcontre-colléessurtoile,CentredeConservationduLouvre.
60.Baudelaire,LesFleursdumal,«Rêveparisien».
61.MichelJeanneret,«Portraitdel’humanisteenProtée»,Diogène,n°174,avril-juin1996,p.111-123.
62.Ibid.,p.130.
63. Félix Guattari et John Johnston, « Vertige de l’immanence », Chimères. Revue des schizoanalyses, n° 38,
printemps2000.«Desplanssurlechaos»,p.13-30,p.16.
64.GenevièveDemerson, Doratetsontemps.Cultureclassiqueetprésenceaumonde,Clermont-Ferrand,Adosa,
1983,p.290-296.
65. Jean Dorat, Invictiss. Galliarum regis Caroli noni, piissimi justissimique principis, et acerrimi Christianae
religionis assertoris, tumulus, Jo. Aurato Poëta Regio, et alijs Clarissimis et doctissimis viris auctoribus, Ex officina
FedericiMorellitypographiregii,Paris,1574.
66. TatianaDebbagiBaranova,«Lavéritéetlesstratégiesd’accréditationdudiscourspolitiquependantles
guerresdeReligionenFrance»,in LaVérité,Jean-PhilippeGenet(dir.),Paris,ÉditionsdelaSorbonne,2015,
p.209-220.
67.PennyRoberts,«LaparoledelapaixenespaceciviqueautempsdesguerresdeReligion»,inLaParole
publique en ville, Stefano Simiz (dir.), Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2012, p. 167-
179.
68.JeandeMonluc,HarengueetadvisdeMonsieurl’EvesquedeValencesurlesremonstrancesfaictesparmessieurs
du Parlement de Paris : touchant la publication des lettres patentes de la majorité dudict Seigneur, publiées à Rouan,
1563,Ai.
69.CitéparPierreCouhault,«L’électionpolonaised’HenriIII,unmomentfondateur»,inL’HistoireàlaBnF
(2023,11mai).JeanChoisnin,«Discoursauvraydetoutcequis’estfaictetpassépourl’entièrenégociationde
l’électionduroydePolongne»,citéparIsabelleHaquet,«AuxyeuxdupeupledePolognelesportraitsd’Henri
deValois»,SeizièmeSiècle,n°14,2018,p.78.
70.JeandeMonluc,HaranguefaicteetprononceedelapartduRoyTresChrestien,le10. iourdumoisd’Avril1573,
ÀParis,ChezIeanRicherLibraire,1573,p.30.
71.DenisCrouzet,«Àproposdel’établissementdelaraisond’ÉtatetlaSaint-Barthélemy»,LesCahiersdu
CentredeRecherchesHistoriques,20,avril1998,p.49-65.
72.GuyHenry,«LesQuatrainsdePibrac», AnnalesduMidi:revuearchéologique,historiqueetphilologiquedela
Franceméridionale,t.15,n°60,1903,p.449-468.EtGuyduFaurdePibrac, LesQuatrains,LesPlaisirsdelavie
rustique,etautrespoésies,textesédités,introduitsetcommentésparLorisPetris,Genève,Droz,2004.
73.LorisPetris,«Entreunitéetvariété:éthiqueetesthétiquedansLesQuatrainsdePibrac»,Revuesuissedes
littératuresromanes,48,2004,p.49-69.
74.LorisPetris(éd.),LesQuatrains…,op.cit.,p.8-9.
75.RenéRadouant,«PibracetlaSaint-Barthélemy», Revued’HistoirelittérairedelaFrance,26 eannée,n°1,
1919,p.11-35.
76.GuyduFaurdePibrac,Traductiond’uneÉpistrelatined’unexcellentpersonnagedeceRoyaume,faicteparforme
deDiscours,suraucuneschosesdepuispeuadvenuesenFrance,ÀParis,Del’imprimeriedeFrédéricMorel,1573,
p.21(OrnatissimicujusdamviriderebusGallicisadStanislaumElvidiumepistola).
77.LorisPetrisprécisequec’estseulementen1576quel’éditiondes126quatrainsparaîtchezFrédéricMorel
àParis.
78.LorisPetris,«Entreunitéetvariété…»,art.cité,p.55.
79. François de Chantelouve, La Tragédie de feu Gaspard de Coligny, jadis Amiral de France, contenant ce qui
advintàParis le24.d’août 1572,avecle nomdespersonnages, Paris,N.Bonfons, 1575.VoirCharlotteBouteille-
Meister, « Mettre en scène le massacre du 24 août 1572 ? La Saint-Barthélemy ou l’actualité théâtrale
impossible»,Littératuresclassiques,2012/2,n°78,p.143-164.
80.GadSoussana,AlexisNoussetJacquesDerrida,Direl’événement,est-cepossible?SéminairedeMontréal,pour
JacquesDerrida,Paris,L’Harmattan,2001,p.79.
81. « Pourmoi l’indécidable est la condition de la décision, de l’événement » : Jacques Derrida, Sur Parole.
Instantanésphilosophiques,Paris,Éditionsdel’Aube,1999,p.52,citéinFrançoisRaffoul,«Derridaetl’éthiquede
l’impossible»,Revuedemétaphysiqueetdemorale,2007/1,n°53,p.73-88.
82.Commelenotaiten1972HenriDubief,«L’historiographiedelaSaint-Barthélemy»,inActesducolloque
L’AmiraldeColignyetsontemps(Paris,24-28octobre1972),Paris,SHPF,1974,p.352.
83.Surl’événement,voirClaudeRomano,L’Événementetlemonde,Paris,PUF,1998,etL’Événementetletemps,
Paris,PUF,1999.
84.AthanaseCoquerelFils,LaSaint-Barthélemy.ExtraitduPrécisdel’histoiredel’Égliseréforméepubliéeparla
NouvelleRevuedethéologie,ParisetGenève,J.Cherbuliez,1859,p.61,quicitelesRegistresdel’HôteldeVille,
en date des 25 et 26 août, deux mandements portant « que les quarteniers seuls, pour éviter émotion et
meurtres,aillententoutesles maisonsfaireauvrai etsansaucuneomission, surpeinedelavie,unrôledes
noms et surnoms des hommes, femmes et enfants, enjoignant aux maîtres et maîtresses, ou à ceux qui sont
logésèsmaisons,debiengardertouslesReligionnaires,qu’ilneleursoitfaitaucuntortnidéplaisir,aussisur
peinedelavie».
85.CharlesSamaran,«UnHumanisteitalien,GuidoLolgi,témoindelaSaint-Barthélemy»,inStudiinonore
duRiccardoFilangeri,vol.II,L’Artetipografica,Naples,1959,p.397-404.
86. « Récit d’un témoin oculaire sur la Saint-Barthélemy. Déposition notariée, faite à Heidelberg le
7septembre1572»,inRodolpheReuss(dir.),«UnnouveaurécitdelaSaint-Barthélemyparunbourgeoisde
Strasbourg»,Bulletinhistoriqueetlittéraire,SHPF,t.22,1873,p.378.
87. Guiseppe Canestrini et Abel Desjardins, Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, Paris,
Imprimerieimpériale,1865,t.III,p.855.
88.MyriamGilet,«Genèseetfortuned’unelégendedelaSaint-Barthélemy:Ladécapitationpostmortemde
l’AmiraldeColigny(1572-finduXVIIIesiècle)»,Bibliothèqued’HumanismeetRenaissance,t.81,n°2,2019,p.309-
332.
89.«Récitd’untémoinoculaire…»,art.cité,p.379.
90.NégociationsdiplomatiquesdelaFranceaveclaToscane,op.cit.,t.III,p.807:«Lesortdel’Amiralestdécidé
delonguemain.Lesunscroientqu’ilaététuésurordredonnéàM.deGuise;lesautresquecelui-ciaquittéle
palaisàl’insuduroi;lesautres,etc’estcequejecrois,queniM.d’AumaleniM.deGuisen’ysontpourrien,
maisquecelavientducardinaldeLorraine,deconcertavec leducdeSavoie,etlecomtedeRetz, etavecla
participationdeministresduroid’Espagne.»
91.Ilestmaîtred’hôtelduducd’Aumale.
92.SurlepersonnagedeCharlesdeTéligny,JulesDelaborde,«LesProtestantsàlacourdeSaint-Germain
lorsducolloquedePoissy»,Bulletinhistoriqueetlittéraire,SHPF,vol.23,n°10,1874,p.434-451.
93.NégociationsdiplomatiquesdelaFranceaveclaToscane,op.cit.,t.III,p.812-814.
94. Nicola Mary Sutherland, The Huguenot Struggle for Recognition, New Haven-London, Yale University
Press,1980,p.547-548.
95.Ibid.,p.549.
96. Stéphane Hellin, « Maurevert : étude de l’activité d’un tueur et de son entourage à partir des actes
notariés»,Revued’histoireduprotestantisme,2023,t.VIII,n°1,janv.-mars,p.11-22.
CHAPITREII
Unepolitiquedel’énigmeenprophétie1
Encollationnantlespseudo-sources-tracesdesjoursetnuitsdeSaint-Barthélemy,
l’historien se trouve confronté moins à ce qui a pu se passer qu’à ce qui rend
compte, en négatif, d’une présumée et souvent improbable logique qui aurait
déterminélebasculementdans laviolenceetl’expliquerait:uneinvasionpanique
desmots,unesubversionlangagièreviralequifaitduprésentuneénigme.Onentre
alorsdansuneduréeoppressante,dansuntempsd’événementialisationdufaux,du
recouvrement recommencé du faux par le faux. Comme si l’empilement du faux
avaitjouéaupointdedésorientertouslesacteurs,delesinsérerdansuneduréede
soupçons sans cesse reconditionnés et de les porter à se perdre dans les ruses de
l’indifférenciationdufauxetduvrai.
Gouvernerfaceàlafoliedesmots
Ici, il m’est apparu qu’il ne fallait pas en rester là, bloqué par les antinomies
généréespardesdiscourscomposésàpartirdecollagesdebruitsetrépondantàdes
jeux différents d’intentionnalités politico-religieuses. Il fallait avancer
systémiquement en procédant de l’intérieur même des jeux de déstructuration du
langage en considérant l’histoire de la Saint-Barthélemy comme une énigme par
laquellelepouvoirroyalacherchéàopérerparcontournementspouréviterqueles
pièges de l’histoire ne se referment sur lui et est intervenu par le langage en
mobilisantlapartsacréedesonêtrecontrecequ’ilestimaitêtrelafoliedesmots.
Enscrutantlesjalonstragiquesquesontlesmilliersdemortsdumassacre,jeme
suis demandé si, en remontant dans les arcanes d’un pouvoir se couvrant de la
«nécessité»pourlaissertueretdansl’imaginaired’un«peuple»parisientueuret
heureux de tuer, de faire tuer, ce n’était pas une forme de mystère qu’il fallait
identifier,un«mystère»ausenssacralquiauraitétéàl’œuvreetquicontribuerait
àl’énigmatiquedel’événement.Danslesprofondeursdumassacrecollectifcomme
desexécutionsplanifiéesdescapitainesprotestants,n’est-cepasleDieu-énigmede
l’Ancien Testament qui aurait parlé et imposé ses exigences, et dont le pouvoir
royalauraitadoptélelangagesansparoles?UnDieuquisemanifesteendépassant
l’entendement des humains et dont la manifestation expliquerait la puissance de
violence à l’œuvre dans Paris contre ceux qui étaient réputés avoir « la nuque
raide2»?UnDieudontlagloireestde«celareverbum»(Pr25,2)?
Je poserai l’hypothèse qu’il y aurait eu une mimétique sacrale, de la part de
Charles IX et Catherine de Médicis, dans le contexte de tensions extrêmes et des
débridements angoissants du langage qui suivirent l’attentat contre Coligny. Ne
riendiredestableoud’assuré,procéderparcontreditsentrele24etles26-27août,
continuerensuitedanslescontradictionsetlessilences,n’était-cepasjoueràfaire
placeà latranscendanceintervenant dansla sphèredes hommes? S’il ya énigme
surlaquestiondelaprisededécisiondedétruireleprotestantismemilitaire,c’est
quel’énigmeestlecœurdupouvoirsacrédusecondXVIesiècle.
Unindiceprécieuxpeutalorsêtremisenexergue:ils’agitd’unenotationd’Albert
de Gondi rapportant la réaction de Catherine de Médicis lorsque, le 22 août, elle
apprend la nouvelle de la tentative de meurtre de Coligny. La reine mère, selon
l’hommequil’auraitinformée,seraitdemeuréeimpassibleetnelaissarienparaître
desessentimentsousesémotions:«Gondim’aditquelapremièrepersonnequi
vintannonceràlareinemèrecommentonavaitfaitunearquebusadeàl’Amiral,la
trouvacalme,sansaucuneexpressionsursonvisage,cequisembleindiquerqu’elle
savait ce qui se faisait. Aussitôt arriva M. d’Anjou. La reine mère et le fils
s’enfermèrent dans une chambre3 . » Rien ne filtre alors de ce que mère et fils se
seraientdit.Toutefois,unenotationproblématiquemetleroidanslamêmeculture
des apparences invisibles : lorsque, sans doute le lendemain, un des présumés
huguenots conjurés lui fait part du complot tout en sollicitant son pardon,
CharlesIX«nes’espouventapasetnelaissapasdevinersapensée».
Cetteimpaviditépeutêtrepartagéeentrelamèreetlefilsesttoutàfaitfascinante.
C’estelle quiva ensuitepermettre àCatherine deMédicis dese teniren position
d’écoutedeshommesquisontconvoquéspourassisterauxconseilsquiauraientété
tenusdanslasoiréedu23aoûtetdelaisserleursparoless’exprimerjusqu’àcequ’un
glissementseproduiseverscequiauraitétéunedécisionroyale.Làencore,lamise
en énigme de soi n’eut-elle pas pour fin, dans cette dissimulation du cœur de la
reinemère,deprojeterl’histoiredansuncrimesacrérépondantàlavolontédece
Dieuretenantsaparole?Quelquesannéesplustard,ennovembre-décembre1578,
Catherine de Médicis, dans une lettre à Henri III qui est aussi une forme
d’instructionpédagogique,écritque,danslecoursdesnégociationsqu’elleconduit
alorsaveclesprotestants,uneformed’impassibilitéesttemporairementd’actualité.
Ilnefautsurtoutpasmanifesterde«grandedémonstrationeteffectextérieur».La
patienceestsynonymed’unartducontrôledesoietdesessentiments.Entoutcas,
c’est à « un aultre temps », et « comme les occasions se présenteront », qu’il est
nécessaire de remettre, « de le faire sentir à ceulx qui en sont les autheurs et
coupables 4». Ladissimulationdes émotionsetpensées est-elleiciconçue comme
unexercicedelavertudepatiencequiestdestinéeàsolliciter«l’aidedeDieu»?
Ellen’exclutentoutcaspaslerecoursàlacolère,les«cryeries»maniéescomme
un droit juste face à l’insoumission, dont se sont servis Moïse, Phinées, Élie,
Mattathias5 .
Cettemiseenénigmedesoi-mêmenes’est-ellepastrouvéedédoubléeenquelque
sortedanslepersonnagedeCharlesIXqui,rapporte-t-on,oscilladurantlanuitdu
23au24août,théâtralement,entremesureetcolère,entrelarmesetjoie,fureuret
désengagement,sansdoutepourmieux abandonnerl’histoireàun Dieuénigme?
Unroi,selonRonsard,«d’unespritpromptetvif,entredouxetcolère»?Unroi
rusé,«éloquentetdiscret»,et«Saturnienaureste»puisquesachant«cacherson
secret»àl’imageduDieudontiltientsonautorité6.CharlesIXouunsouverainde
l’introversion contrôlée comme un outil de la gestion de la chose politique et de
mobilisation de la part sacrée qu’il a face à lui-même. Et donc un roi en
complémentarité avec sa mère, réputée d’esprit jovien et concevant l’exercice du
pouvoircommeunjeudeconjonctionoucomplémentationdescontraires?
Venons-eniciàl’écritureduroi.Elleprocèdeparémiettement,aprèslapremière
séquence qu’il passa, de façon revendiquée, dès le 24 août en fin de matinée, à
désimpliquerlaroyautéd’uneviolenceimputéeàunevendettaentredeuxmaisons
aristocratiques.
Messieurs,vousaurezpuentendrecommemoncousinl’amiralfutblesséavant-hieretcommej’estoisaprès
àfairetoutcequ’ilm’estoitpossiblepourlavérificationdufaitetenfairesigrandeetpromptejusticequ’il
enfutsexemplepourtoutmonroyaume;àquoyilnes’estrienoubliédepuis.Ilestadvenuquemescousins
dela maison de Guiseet les autresseigneurs et gentilshommesqui les adhèrentn’ayant eu parten ceste
ville, comme chacun scait, ayant sceu certainement que les amis de mon dict cousin l’amiral vouloient
poursuivreetexécutersureuxvengeancedesablessurepourlessoupçonnerencestecauseetoccasion,se
sont esmus cette nuit passée si bien qu’entre les uns et les autres il s’est passé une grande et lamentable
sédition, ayant esté forcés le corps de garde qui avoit esté ordonné à l’entour de la maison du dit sieur
amiral,luituéavecquelquesautresgentilshommes,commeilenaaussiétémassacréplusieursautresenla
ville;cequiestmuavectellefuriequ’iln’aestépossibled’yapporterleremèdetelquel’oneustpudésirer,
ayanteuassésaffaireàemployerdemesgardesetautresforcespourmetenirleplusfortencechasteaudu
Louvre,affinaussidedonnerordrepartoutd’apaiserséditionquiestgrâceàDieuàcetteheure amortie,
étantadvenueparlaquerelleparticulièrequiestdèslongtempsentrecesdeuxmaisons.7
Leroinesetientpasdonclui-mêmehorsdecettehistoiresansvéritémaisils’y
insèreintentionnellemententantqueceluiquiaétécirconvenuetdésorientépar
une « sédition » qui, si elle était dirigée contre Coligny et les siens, visait aussi
implicitement sa politique. Le même jour encore, Charles IX fait usage du
subterfuge qu’il veut accréditer en France même ; il informe ainsi Bertrand de
SalignacdelaMothe-Fénelon,sonambassadeurauprèsdelareineÉlisabeth,qu’une
rixeentreceuxdeGuiseetdel’Amiral,causéeparl’accidentdu22août,n’apuêtre
niprévenueni«arrêtée8».Dèsle25aoûtetdoncavantleLitdejusticedu26août,
la version des faits est déjà réorientée ou refabriquée : une conspiration des
réformés réunis dans Paris contre le roi, ses frères et la reine mère est alléguée ;
c’estdéjàl’argumentairequereprendGuyduFaurdePibraclelendemaindevantle
Parlement.
LalettredeCharlesIX,composéele26août 9,paraîtavoirpourfindemettreun
point final à une perte de contrôle du langage par le pouvoir royal : le roi
commenceparrappelerque,levendredi22août,unearquebusadeablessél’Amiral
etilmetl’accentsurlemerveilleuxregretqu’ilaéprouvétoutdesuite,d’autantqu’il
avait le pressentiment immédiat que « tel accident seroyt suivy d’ung plus grand
mal»malgrétousleseffortsauxquelsilseraitprocédépouridentifierlescoupables
etleschâtier.L’objectifdelalettre,danslacontinuitédeladéclarationprésentéeau
Parlement le jour même, est de mettre fin aux rumeurs qui ont couru et à leur
puissance déstabilisante. Le roi n’accuse personne, et il n’est plus question de
vendetta,ilsouligneavoirapprisaprèslesamedi23aoûtquel’Amiraletlessiens,
«lesquelzestoyentfortzetengrandnombreencesteville,sedeffiantqu’ilfustfaict
justice dudit attentat, et sans avoir la patience de veoir et cognoistre les effetz de
mon intention, se deslibéroient d’en prendre eulx-mesmes la vengeance non-
seullementsurceulxdeGuise,maisaussysurtousceulxdesquelzilzestoiententrez
ensoubçon».
Directement, Charles IX met en cause un phénomène d’exaspération ou
d’inflammation du langage parmi les huguenots, une situation d’emportement
incontrôlé qui l’a contraint à laisser « ausdits de Guise » le soin de procéder à
l’exécution de l’Amiral et de « tous ses adhérens », exécution qui a été
« accompagnée d’une esmotion populaire » à l’occasion de laquelle « ce feu ainsy
alluméiracourantpartouteslesvillesdemonroyaume».Lalettreneparlepasde
complot, elle souligne que le roi a agi sous la contrainte afin de briser un
encerclementverbalquiledépossédaitdesonpouvoirdemaîtredesmotsetdonc
dedétenteurdusavoirluipermettantderégnersereinement.
L’importantestqueCharlesIX,s’iljoueaveclesmotspourcontrerleurpotentiel
crisique, écrit, le 26 août, avec une intention bien identifiable, qui biaise son
écriture:eneffet,ilsouhaitequeleducd’Albesoitmisaucourantdesesintentions
pacifiquesetnesetrompepassurcequedoiventêtrelesrelationsentrelaFranceet
l’Espagne ; il suggère que la violence massacrante du 24 août a procédé d’un
engrenagedontledéclenchementaviséàrompreladynamiqued’uneagitationou
d’une effervescence du langage périlleuse pour la paix civile et pour sa mission
mêmed’être le défenseurdu bien public.Pour prévenir l’exécutiondes projets de
Coligny et de ses adhérents contre les Guise, « il a été contraint permettre et
donner moyen à ces derniers de courir sus audit amiral, comme ils ont fait ; et
d’autantquecestediteexécutionaestéaccompagnéed’uneesmotionpopulaire,ung
très-grandnombredeceulxdelanouvellereligionontestémassacrezettaillezen
pièces…»
Dansl’ignoranceoùl’onétaitdel’identitédesauteursdel’attentatetenanticipant
sur les conclusions de l’enquête ordonnée par la royauté, les huguenots, selon
CharlesIX,se sontattribué lamaîtrise dulangageet, parlà même,de l’histoireà
laquelle ils ont voulu imposer le sens qu’ils désiraient ; et de la sorte, ils se sont
emparésdecequirevenaitauseulroi:c’est-à-diredelapuissancerégulatriced’une
éloquence10 cimentant l’unité du royaume et triomphant de la force par sa seule
pertinence.Ilssesontappropriécequirelevaitduroi,dispensateurdelavéritéet
delapaixdesâmes,parcequecequ’ilditfaitdesonrègneunrègnedelavertude
prudence11 .
CequedonneàdevinerCharlesIXàsoncorrespondantest,eneffet,quec’estla
prudencequil’aguidéetqu’ilneveutqu’être,«puisqu’ilapleuàDieuconduireles
choses és termes où elles sont », le restaurateur, si cela lui est possible, « d’un
perpétuel repos en mon royaume, mais aussi servir à la chrestienté ». Le roi, ici,
intègreleMystèredansl’événement.AuxPays-Bas,ilfautpersuaderleducd’Albe
derenvoyerenFranceleshuguenotsfaitsprisonnierslorsdeladéfaitedeGenliset
leshommesquientourentleprinced’Orange.Ilfautquelesgensdeguerrequisont
danslaplacedeMonssoienttaillésenpiècespourqu’ilsnerentrentpasenFrance
pourfomenterdestroubles.Ilfautdireetredireauducd’AlbequeleroideFrance
neveutquelapaixavecleroid’Espagneetquelesbruitsquipeuventluiparvenir
ne viennent que de ceux qui entretiennent une démence néfaste du langage.
Implicitement,CharlesIXdonneàentendrequ’ilyaune«voix»quiparleetditle
vrai, qui vient « d’en haut12 », qui unit et réunit les humains, qui apprivoise les
«hommespleinsd’effroy»enlesconjoignantgrâceaunœudqueforment«laFoi,
laLoi,leRoi».
C’estcettevoixquiestàl’originedescités.C’estlaNaturequiadonnéàl’homme
ainsileParlerquiestlefilsdel’Espritetquiporteàlaconcordeetdoncàlavertu13.
Il existe aussi une autre voix, porteuse de confusion, de discordance,
d’ensauvagement,etquine saitquedéfairel’unitédumonde.Ilestpossibleicide
citer ce que proclamera Guy Le Fèvre de La Boderie à propos de cette voix
synonyme d’une folie du langage propageant la mort et l’abomination de la
désolation14. Cette voix est telle la voix de la sorcière, désaccordée et confuse,
ensauvagée,évoquéeen1578danslaGalliade 15:
…elledesployeunevoixenrouée
Plusqu’herbesouveninspuissante,etavouée
DesEspritsinfernaux:ensongosierprofond
Unestrangemurmureellemesleetconfond,
Etfaitnaistredescrisduventdesonhaleine,
Debeaucoupdiscordantsdetoutelanguehumaine.
Elledesongosiercontrefaitmillevois,
LeshurlementsdesLoups,etdesChienslesabbois,
LeHouhoudesChouans,lecrydelaFresaye,
Lebruitougrongnementdel’OurseoudelaLaye,
LemugirdesToreaux,lerugirdesLions,
Lebarrird’Elefant,etmillemillions
Devoixdesanimauxensagorgeconjoinctes16…
Le parler est le propre de l’homme, mais, s’il n’est pas articulé en priorité pour
entretenirlacommunicationentreleshommesets’ilneproduitquedeladiscorde,
il devient un danger parce qu’il rompt l’unité des créatures faites par Dieu à son
image.Lalanguedu roi,àl’opposé, sedoitd’êtretransparentecomme l’eaud’une
source.Lorsdel’entréedansToulousequ’accomplit,le1 erfévrier1565,CharlesIX
àl’occasiondesongrandtour,ilputvoir,devantl’égliseSaint-Barthélemy,surle
piédestal d’une colonne portant une figuration de la Paix, le personnage de
Discorde « en forme de femme s’arrachant les cheveux, ayant le visage triste et
furieux, les dents rolheuses », portant une robe « toute dechirée ». Surtout elle
montrait une « langue grosse et pleine de sang » et une « bouche emplie de
dragons » symbolisant la langue dissolue et destructrice que parlent ceux qui
rompentlaconcordequandilsusentdemotsfaisantéclaterl’unionquidoitrégirle
rapport du roi à son peuple17 . Nouvel Hercule, Charles IX est pour Ronsard le
« chasse-mal, et sauveur18 », il est le détenteur de la puissance de l’éloquence qui
permet que ce qui sort de sa bouche – celle de l’Hercule gaulois – soit reçu
immédiatementparsessujetsàtraverslesymboled’unechaînerentrantdansleurs
oreilles.
Ce qui métamorphose Hercule en celui que Lucien décrivait comme ayant
accompli ses travaux « par le discours », et donc plus par la persuasion et la
prudence que par la force, est la parole synonyme de sagesse et de paideia 19. Au
point que l’on peut se demander si, sur la médaille frappée après la Saint-
Barthélemy et représentant Charles IX en Hercule portant la peau du lion de
Néméeetcombattant,avecl’épée-massueetlefeu 20,l’hydresymboliquedel’hérésie
nepeutpasêtrelueàunsecondniveaucryptique:lesquatretêtesdumonstrene
sont-ellespas à aussi les évocations de médisance,envie, ignorance, calomnie, les
vicesquipeuventsubvertirlelangageetenfairel’outildumal?Nerenvoient-elles
pasàcequeJulesCésarScaligerexprimaitdanssaPoétiqueàproposdel’allégorieet
du jeu énigmatique qu’elle objectivait : « une figure par laquelle nous disons une
choseetnousenfaisonscomprendreuneautre21»?
Ne faut-il pas deviner un hypersens qui serait celui d’un roi héros reprenant le
pouvoir sur le langage en anéantissant, par sa vertu de prudence divinement
suscitée, la mauvaise parole qu’est la parole multiple, désarticulée, affolée et
affolante,etquis’estemparéedelacouretdelaville?Neserait-cepas«mauvaise
bouche»répandant«detraction»et«susurration»,rumeursetmurmures 22,qui
serait ainsi énigmatiquement mise en accusation et dont l’éradication serait
exhibée?Une«mauvaisebouche»qui,surlafinaoût1572,auraitfaitcouriràla
res publica le risque soit d’une « grande guerre », soit d’un « incendie des plus
dangereux»,pourévoquerl’effetnocifdelaparoleaffolantedéfinieparÉrasme23 ?
Et,danscetteperspective,ne faudrait-ilpasciterMichelde L’Hospitaldéfinissant
« le mensonge, l’hypocrisie, le parjure, la trahison, la flatterie, l’imprudence, la
violence,l’iniquité,larébellionetdésobéyssanceauxmagistrats,laguerre»comme
« l’escorte, garde et satellites de l’injustice » dont le jeu pervers est de
«finablement»promouvoir«laruynepublique24 »?
La question qui s’impose alors est la suivante : dans l’affolement des bruits et
contre-bruits,danslamontéeenforced’uneparoleimpureetdangereusedurantles
journées et nuits du 22 et du 23 août, ne se serait-il pas agi pour Catherine de
MédicisetCharlesIXdese résoudreàunactecriminel pourévitercette«ruyne
publique»entraînantleroyaumedanslesspiralesinhumainesdelahaineetdela
vengeance, et donc de faire acte de prudence en faisant basculer le pouvoir royal
dans ce qui serait sa part sacrée lui permettant d’aller à la rencontre des attentes
divines,l’énigme?Maisensuitenes’est-ilpasagidelutterànouveauparl’outilde
la prudence contre les effets mêmes d’une décision qui n’avait pas de lisibilité
immédiate et qui n’en finissait pas de réamorcer l’hystérisation du langage ?
CharlesIXneprécise-t-ilpasàClaudedeMondoucet,toujoursle26août,qu’«en
telzaffairesilfaultprendregardedeprèsàtoutévénement»etdoncêtresurses
gardesàproposdetoutcequ’onpeutdireetquipeutsedire,pournepasêtrepris
aupiègeparlaductilitéoudelaperversitéinhérenteàtouténoncéfactuel?Cequi
donneàentendrequ’ilfaudraitdemeurerdansunsuspensdesmots,etdoncdans
une énigmatique qui neutralise ce potentiel négatif du langage. D’ailleurs, aucun
compterenduofficieldecequ’ilauraitditdevantleParlementnesubsiste,comme
s’ilavaitéténécessairedenepaslaisserdetracesdecequ’ilauraitrelaté25:«Sadite
majestédéclarequecequienestainsiadvenuaétéparsonexprèscommandement,
etnonpourcauseaucunedelaReligion,necontreveniràseséditsdepacification
qu’il a toujours entendu comme veut et entend observer, garder et entretenir,
[mais] pour obvier et prévenir l’exécution d’une malheureuse et détestable
conspiration faite par ledit amiral, chef et auteur d’icelle et ses adhérents et
complices. » Une source avance que, dans une conversation particulière,
ChristophedeThouauraitfaitpartauroidesesreproches:«Silaconjurationest
vraie,pourquoin’avez-vouspaspunilescoupablessuivantlesloix26 ?»Maisc’est
surlethèmeducomplotquelalégitimationducomplotestformuléedésormais.
Par-delà toutes les sources qui ont été spontanément ou intentionnellement
générées dans la proximité temporelle du massacre et qui demeurent aujourd’hui
encoredisponibles,lescausesmotricesdel’explosiondeviolenced’août1572,telles
qu’elles sont restituées par l’historiographie, n’en restent pas moins aléatoires et
contestables,malgrél’acharnementdescontemporainspuisdeshistoriensàtenter
de comprendre, de dénoncer ou légitimer, et donc de rationaliser ce qui était
advenu27.L’historienquis’appuie,mêmedemanièrecritique,surcessources,nese
retrouve-t-ilpasfatalementsous l’emprisedesconjecturespourtant inscritesdans
ce qui fut à l’origine du tragique et qui a ensuite continué à régir le champ du
discours, l’affolement du langage ? Cette obsession n’invite-t-elle pas à faire table
rased’unsystèmealternantassertionsetcontre-assertions?L’histoire,aujourd’hui
et tout autant si ce n’est plus qu’auparavant, continue à se cristalliser de manière
critique, toujours et encore, sur cet affolement des mots qui perdure après le
massacre en multipliant l’identification a posteriori de tensions virtuellement
conflictuelles et plus ou moins rémanentes mettant en cause la religion ou
l’ambition, la politique ou la peur, sur le rôle d’acteurs fixant en eux une
« responsabilité » ou tentant de mettre celle-ci à distance d’eux-mêmes en la
reportant sur d’autres personnages, sur des passions comme la vengeance ou la
convoitised’unbutinpermettantauxtueursdepayerleursdettes,des’enrichiraux
dépensdevoisinsriches28 .Nefaut-ilpasenappeleràunedéprisedetoutcequia
puêtreécritoudit,danslamesureoùchercherunevéracitéàpartird’informations
sortiesd’unlangagehystériséreviendraitàcheminerdansuneimpasse?
Ne faudrait-il pas se résoudre à inventer une historicisation de la Saint-
Barthélemy sans le recours aux mots qui ont alors submergé la sphère de la
communication et créé la spirale effrayante dont la monarchie cherchait à
débarrasser,pardesstratagèmesdelangage,l’espacepublic?CatherinedeMédicis
elle-même,danslalettrequ’ellefaitrédigeràl’intentiondePhilippeIIle29août,
exprimetoutd’abordsagratitudeenverslaProvidencepouravoiroffertauRoile
«moyendesedéfairedesessujetsrebellesàDieuetàluietdenepastombereux
tous dans leurs mains cruelles ». Elle dit tout son espoir de retirer d’un tel
événement de grands avantages, et elle se réjouit de penser que cette occasion
fortifieralesliensd’amitiéentrelacourd’Espagneetleroisonfils29.Maissalettre
estunvideinformatif,unstratagèmeénigmatiquequiluipermetdefuirdevantce
qu’elle sait ou ne sait pas, et d’essayer de préserver ce à quoi elle tient, sa
«réputation»enlaquelleelleimaginequePhilippeIIcroit.
Prudenceetstratagèmes:quedireetnepasdire?
Charles IX, le 27 août, affirme pour sa part qu’il prise si haut l’amitié de
l’Angleterre qu’il souhaite vivement que le mariage du duc d’Alençon, son frère,
avecÉlisabeths’effectue30.Etlemotifduprétenducomplotrevientinvariablement
dansseslettres.Iladû,poursegarantirdudanger,sefortifierdansleLouvreavec
sesfrèresetlareine,et«lâcherlamain»àMM.deGuise;iln’apasétépossible
ensuited’arrêterlepeuple31.Danssesrelationsaveclesliguessuisses,CharlesIXne
déviepasdecetterhétoriquequi,àsesyeux,devaitreleverdelavertudeprudence
encequ’elleavaitpourfind’anesthésierladémesurevoiredémencedesmotsqui,à
contresens de ce que la violence avait eu pour fin de produire, ne cessait de
s’amplifier;mais,cettefois,désespérantdeparveniràpersuaderlescantonssuisses
protestants que Coligny et les siens avaient conspiré, il rejette la faute sur les
auteursdel’arquebusadeetattesteque,voulantprévenirlesrésultatsdel’enquête,
«ils»s’étaientportésaulogisdel’Amiralenameutantlepeuple,qu’ilavaiteuassez
à faire, pour sa part, de se garder au Louvre avec la reine, les princes et les
princesses.C’est-à-direque,troisjoursaprèsledébutdumassacre,ilenrevientàce
qui était seulement implicite dans sa déclaration de la matinée du 24 août ! Une
vendettaayantéchouéetdonctransforméeenuneviolencepréventive!
Toutefois, Sa Majesté dit espérer, affirment les ambassadeurs, conserver « son
royaumeenbonreposquiaétédepuissondernieréditdepacification,maispour
regard des grandes levées et assemblées de gens de guerre qui se font en divers
endroits,mêmeèsPays-Bas,oùl’onnesaitencoredequelcôtéDieuferainclinerla
victoire».Leroiinsisteensuitesursontrèsvifdésirdedemeureruniaveclanation
des Ligues, de la secourir, de la faire craindre et admirer par ses voisins, quelque
grandsqu’ilssoient,etilseditlemeilleuretleplusparfaitamiquecettenationait
jamaiseu.Lapolitiqueestainsilefaitd’unroiayantintériorisélafiguredeProtée
et qui, lui-même et sans qu’il y ait besoin d’impliquer une connaissance de
Machiavel, joue de la malléabilité ou flexibilité du langage et rentre pleinement,
pour neutraliser ou enrayer le potentiel négatif des mots, dans des stratégies de
communication qu’il veut apaisées ou neutralisées. Au point de réactualiser,
soudain,sapremièredéclarationmettantencauseunevendettaaristocratique.
Charles IX ne négligea rien pour que son temps et la postérité connussent le
moinspossible,àParisetpartout,cequ’auraientétélesobscurssecretsdelaSaint-
Barthélemy. Ainsi nous transmet-il un message trop ignoré par l’histoire, c’est-à-
dire qu’il faut comprendre le massacre comme une énigme entretenue par le
pouvoirroyal à force de contradictions pourtantmaîtrisées. Le roi utilisacomme
armeslacontradictionportéeparsapropreparoleetdonclamiseenénigmequien
résultait. Nous en avons la preuve dans sa lettre un peu tardive, datée du
24 mars 1573, à Monsieur de Cesy, Achille de Harlay, membre de son Conseil
privé,etpremierprésidentauParlementdeParis:
MonsieurlePrésident,luiécrit-il,afinquecequevousavezdressédeschosespasséesàlaSaint-Barthélemy
nepuisseestrepubliéparmylepeupleetmesmemententrelesétrangers,commeilyenatoujoursquise
meslent d’escripre et qui pourroient prendre occasion d’y respondre, je vous prie qu’il n’en soit rien
impriménydufrançoisnydulatin,mais,sienavezretenuquelquechose,legarderversvouscommejefais
cequem’enavezenvoyé,quej’ayfaictseulementescripreàlamainpourm’enservirenungseulendroict32.
Leroirévèleiciqu’ilya,aucœurdesonpouvoir,uneimpossibilitésaturnienneà
dire et que donc tous ses efforts visent et ont visé à maintenir l’aporie sur
l’événementdu24août.
GrégoireXIIIreçutdirectement d’AntonioMariaSalviatila nouvellede lamort
del’Amiraletdesautresprotestants.Lesdépêchesdunonce,ellesaussi,concordent
avec celles du roi et de la reine mère, et des divers représentants des cours
étrangères à Paris. Dans sa missive qui semble datée du jour même du dimanche
24août,ilrappellequ’ilavaitécritaupapeenchiffres,cesjourspassés,quel’Amiral
s’avançaittropetqu’onfiniraitparluitaper«surlesongles»(«sulleunghie»).Ildit
sasatisfactiondesavoirquelaProvidenceavaitsibiencommencélepontificatde
SaSainteté:caravaientétéarrachéesàParisles«racinespestilentielles»avecune
grande « prudence », alors que « tous les rebelles » se trouvaient présent dans la
capitale. Des femmes catholiques portent désormais les petits enfants des
protestantsauxéglisespourlesfairebaptiser.Leroietsamèreparaissentsouhaiter
queleducd’AlbefassepérirGenlisetlesautresprisonniers,carilsontpeurqu’une
foislibérésilsaccourentpourfairelaguerrecivile!LeroideNavarreestlibreau
Louvre,etsaconversionsembleprochaine;leprincedeCondéestplusobstiné33.
Toutvadoncbien.
Le 27 août, Antonio Maria Salviati fournit au souverain Pontife des précisions
complémentaires,toutendonnantàentendrequ’ilavaiteuventd’élémentslaissant
penseràuneresponsabilitémonarchiquedansl’arquebusadedu22aoûtetdansle
choix de la violence en général. Le roi et la reine mère l’ont prié, assure-t-il,
d’expédieraupapeuncourrierassurantqu’ilsneveulentquelebiendelareligion
catholique;ilssongenttoutefoisàrenouvelerl’éditdepacificationetàconserverla
libertéduculteprotestant;ils’agitpoureuxdepréserverleroyaumeetd’empêcher
lemassacredeplusde40000personnes,quiseraitinévitablesionlaissaitdesarmes
danslesmainsdu«peuple».LaFranceseraitrempliedemeurtres,commeilena
étéàParis;lesAllemandsetlesAnglaissemobiliseraientpourapporterdusecours
aux huguenots français, le pays retomberait dans la guerre civile. Toutefois,
CatherinedeMédicisacertifiéquelavolontéroyaleestde«peuàpeu»restaurer
l’unitéreligieuseduroyaumeautermed’uneséquencequiverraitleroirevenirsur
sonéditde157034.Laprudencemonarchiqueconsistealors,onlecomprendbien,à
intégrerlepouvoirroyaldanslemassacre,àlefaireentrerdanslechampmêmede
laproliférationdesmotsetdeleurfolie.
Le 2 septembre, le nonce soutient avoir enfin reçu des précisions à apporter à
proposdel’attentatdu22août,danslecadredel’enquêtequ’ilmèneàproposdela
causedes «uccisionideliUgonotti».Ilfautremonterici,selonlui,àlaprééminence
acquise par Coligny à la cour « che quasi governa » au grand déplaisir de Jean de
Morvillier,du comtede Retzet de «altri », etsuscitant la « grande gelosia» de la
reine mère qui se concerta avec la duchesse de Nemours. D’où un accord secret
pourfairearquebuserColigny,auquel,surl’injonctiondesamère,leducdeGuise
fut partie prenante et dont fut aussi informé le duc d’Anjou. Tous sauf le roi.
CatherinedeMédicis,ayantconstatél’échecdel’attentatetprenantconsciencedu
dangerquiplanaitdésormaissurelledufaitdel’indignationdela «Ugonottaria»,
laquellen’acceptaitpasdecroirequel’arquebusadeaitpuêtretirée«dainsidiatori
mandati dal Duca d’Alba », se rendit auprès du roi pour l’exhorter « a la uccisione
seguita di tutti ». Pour l’instant, le roi a décidé de donner la vie sauve à quelques
nobleshuguenots.Etdonclenonceparticiped’unerechargedel’hystérisationdes
mots!
Mais il n’en reste pas à ces données impliquant le pouvoir monarchique. Le
22 septembre, il reconnaît que, dans ses dépêches antérieures, il a raconté
seulementcequ’ilpouvaitalorsraconter,surtoutàproposdescausesetdesdétails
de l’arquebusade ; il a bien fait connaître, ajoute-t-il, à qui il faut attribuer les
dernières résolutions relatives au massacre de tant de personnes (« di tanti ») et
quelsontétéleschefsprincipauxetlesexécuteurs.S’iln’apasfournitouslesdétails,
c’estenraisondeladifficultéqu’ilyaàdécouvrir«lavérité».Àtitred’exemplede
ceflouenquelquesorteimparable,ilrapportequeceuxquisevantentd’avoirtué
l’AmiralsontsinombreuxàParisquelaplaceNavonenelescontiendraitpas.500
hommesdupeupleontpériàRouen,augrandregretduroi,dontl’intentionétait
desedéfaireseulementdeschefs,lesquelsentraînentlesautres.Leplusimportant,
ilfautlerépéter,estpourlenonceapostoliquecettevéritéintrouvable:«Etsij’ai
laissé quelques autres détails à écrire, c’est que n’en a pas été une petite cause la
grandedifficultéqu’ilyadanscepaysàtrouverlavéritédeschoses,desortequ’ily
a tant de gens qui disent qu’ils ont tué l’Amiral de leur propre main, que si sa
chambreavaitétéPiazzaNavona,ellen’auraitpasconnudecalmedurantlamoitié
delajournée».Parmiceuxquirevendiquentl’assassinat,etparmid’autres,ilyale
dénomméPietroPaoloTosinghi,quiarboreàsoncoulachaînequel’Amiralavait
coutume de porter ; ce qui donne du poids à sa prétention. Mais nombreux sont
ceuxquisemettentenavant«avectouslesargumentsoupreuvesquipeuventêtre
dits».Ilyenad’autresquiprétendentavoirtuéBriquemaultets’envantentauprès
duroi.Unformulaireaétérédigépourlesnéobaptisés.Endéfinitive,la«vérité»
s’estompedevantunroivertueuxquiestunfidèleserviteurdel’Église.
Les12et13septembre,CatherinedeMédicis,poursapart,s’efforcederenouer
l’allianceanglaisequasirompueparlesnouvellesvenuesdeFrance.Elleveut,dit-
elle, continuer la négociation à propos du mariage avec Élisabeth. L’ambassadeur
FrancisWalsingham,avecquielleaeurécemmentuneconversationimportante,a
tort de craindre que les derniers événements ne rendent cette union désormais
impossible.LamortdeColignyneporteaucunementatteinteàl’allianceanglaise.
Quand Élisabeth a fait exécuter « ceux qui l’avaient voulu troubler et attenter à
elle»,laFrancen’aenrienchangésapolitiqueàl’égarddel’Angleterre:quandce
seraienttouslescatholiquesquiseraientvisésparunerépressionroyale,ajoute-t-
elle,«nousnevousenempêcherionsnialtérerionsaucunementl’amitiéd’entreelle
etnous».Pourcequiestduroisonfils,iladiscernéàlalecturedespapierstrouvés
dans la chambre de l’Amiral que, « par le moyen des presches et assemblées, les
religionnairesétablissaientunsecondroiensonroyaumeetfaisaientbeaucoupde
mauvaises entreprises contre luy et son estat, le tenant en sujétion » ; en
conséquence, « le roi avait résolu de ne plus leur permettre lesdits presches et
assemblées».Maistousvivrontenrepos,nulneseracontraintensareligion.Dans
unpost-scriptum,Catherineditavecadressequ’elleaprésentéàFrancisWalsingham
unelettrequeColignyavaitécriteauroietqu’ilavaitchargéCharlesdeTélignyde
montreraprèssamort.Ilyparlaittrèsmald’Élisabeth,tandisquelacourdeFrance,
observe malicieusement Catherine, a voulu en toute occasion être agréable à la
reined’Angleterre.
Onpourraitpoursuivredanscechampcommeimplosédulangageaussibienpar
l’effetd’un emballementdes mots qui auraitété apparemment incontrôlé que par
des reconstructions et réinstrumentalisations factuelles plurielles, de la part de la
monarchieoud’informateursrecueillantsesprisesdepositions.C’estunehistoire
sur-énigmatisée par le pouvoir royal qui joue sur des contradictions pour se
raconter au fil des jours et donc se joue de la vérité en pratiquant ce qui a fait
basculerParisdanslaviolence:unerhétoriquemimétiquedelafoliedesmotsquia
produitlemal,maisquidoitcontinuersontravailpourqueleroyaumeretrouvela
paix. Une politique du paradoxe, mais avec la prudence qui se voit clairement
attribué d’être l’âme du paradoxe. La folie des mots se trouve comme retournée
savammentcontreelle-mêmeetappropriéeparlamonarchiepourêtrel’outild’un
retouràl’ordre.Lesmotscontrelesmots.Lemêmecontrelemême.Ouplutôtle
mêmeparlercontreleparlerquiauraitconduitàlaSaint-Barthélemy.
Maisnefaudrait-ilpasalorsquel’historicisationdelaSaint-Barthélemyopèreun
glissementjusqu’àce quePaul Ricœurappelait une« repensée»,par rapportaux
discours et récits qui imposent à l’événement des effets de collages et de
reconstructions?Nefaudrait-ilpastenterderéimaginerla«passéité»dupasséen
mettant à distance l’événement autour duquel gravitent des perceptions plus ou
moins immédiates de sa perpétuation même, et cela en partant du postulat
méthodologiqueselonlequel« unetracene devienttracedu passéqu’aumoment
où son caractère de passé est aboli par l’acte intemporel de repenser35 » ? Ne
faudrait-il pas intervenir de façon méfiante et réservée face à la prétention de
l’historien à « produire de l’histoire dans une sorte d’état d’apesanteur socio-
culturelle » et à se vouloir être, en fonction de ce positionnement et de manière
toute-puissante,un « arbitre du sens » qu’il penserait pouvoir déduire de sources
quisecontredisentpourtantsanscesse?
Pourle massacredela Saint-Barthélemy,cela reviendraità occulterle problème
de la rémanence des dissensus narratifs consécutifs à l’effet de brouillage
immédiatementnotéparcertainscontemporainsetànepasavoirconscienceque
l’incertitude signifiante du langage aurait été le pivot même autour duquel la
décision de tuer aurait pu être enclenchée puis se serait amplifiée en un pogrom
avantd’êtreouverteàtouteslesvirtualitéspossibles.
Sil’onsuitPaulRicœureneffet,«leréelaupassérestel’énigmedontlanotionde
différence-écart, fruit du travail sur la limite, n’offre qu’une sorte de négatif,
dépouilléenoutredesaviséeproprementtemporelle».Tenterderentrerdansle
champ de la « repensée » revient alors à se placer dans une opération de
«réeffectuation»enoptantpouruneacceptationquelepasséestmortetqu’ilne
peut pas faire retour dans la mesure où travailler sur l’histoire revient ainsi à
accepter qu’il n’y ait d’intelligibilité de l’histoire que, paradoxalement, « comme
persistant dans le présent » dans les énigmes qu’il propose et non pas en
considérant que le présent doit s’infiltrer dans le passé. Le passé de la Saint-
Barthélemy n’est donc plus celui qui a été dit et mémorisé à travers de multiples
sources-tracesrévélatricesd’un affolementdesmots etd’une aspirationà replacer
ceux-ci dans des parcours signifiants. Car, s’il y a incertitude tout au long du
massacreetdanslesjoursquilesuivent,ceseraitparcequelesdécideursetacteurs
de la violence étaient innervés par une culture de la contingence qu’ils auraient
projetéedansl’événementmêmeetdansleurgestionimmédiatedel’histoire.Ilya
quelquechosed’installédansla«faceintérieure»del’histoire,quin’estpascequia
laissédestracessousformed’informationscollationnéesdanslecorpusdenarratifs
plus ou moins immédiats et toujours contradictoires. Cette « face intérieure »,
absentedesdiscours,demande,pourêtreapprochée,quel’historienneselaisseplus
hanterparl’éterneletfastidieuxretourd’unLeopoldvonRankeimaginantque,si
l’historiengommesonmoietcapitaliseleplusd’informationspossibles,lepassélui
viendra en parlant de lui-même par le truchement d’un travail critique sur les
sources36.LaSaint-Barthélemynousenseigneraitunevoiecontraire!
Ilnes’agitpasbienentendu,ici,dedénierleurspertinencesauxtémoignagesdu
fait des variables qu’ils intègrent et de prétendre que le passé des derniers jours
d’août 1572 serait inaccessible à la repensée, mais au contraire de prendre les
contradictionsouécartsdesdifférentstémoignagesetmémoirescommedesindices
de la nécessité de les désobjectiver et de les appréhender dans leur potentialité à
proposer l’histoire comme une énigme 37, sans leur imputer aucun autre sens. Ce
quisedissimuleraitderrièrelescontradictionsoulesvariablessignifiantesrendrait
comptedecequelespromoteursetacteursdumassacreétaienteux-mêmesinsérés
dansunchampd’incertitudes.
Aussinefaut-ilpastenterd’expliquerlemassacreàpartirdecequ’ilsontécritou
ditdesannéesplustard.Contrelatentationdejugerquelescepticismepuisseêtre
une fin de l’écriture de l’histoire, j’avance que, si l’histoire est comme demeurée
enfermée dans le doute38, c’est parce que le doute était consubstantiel de la
démarche cognitive de ses acteurs et décideurs, qu’il était ce qui opérait sous la
surfacedesapparencesqu’estlemassacre,qu’ilsuggéraitlepossibledelaviolence.
On est encore loin, en 1572, du temps de la « clarté » rassurante qui est le
dépassement surgi du doute même par Descartes. À cette époque, l’incertitude
dialogueaveclatentationdeviolenceafindel’exorciser.Ils’agitd’undoutenonpas
théologique39,maisexistentielsurl’aptitudeàtenterdenepassortirduchampdela
prudenceparlacréationd’unespacesubjectifaucentreduquellesensnecessepas
desedéplacer.Nousnesommesguère,ici,loindeGargantuaetdecequepourrait
signifierl’Énigmetrouvéeauxfondementsdel’abbayedesThelemites40.Neseserait-
ilpasagi,puisquel’histoires’étaitdérégléealorsqueleroijouaitaujeudepaume,
decompenserlepotentieldecrisequienavaitdécouléentransformantlelangage
même en jeu de paume, en une activité mimétique de la guerre et donc de la
violence afin de faire en sorte que, comme dans le jeu mettant aux prises des
protagonistes,lapaixrevienneaprèsleconflit?Nefaut-ilpasdevinerquejoueràla
paume,c’estrenvoyeruneballequiressembleenminiatureàla«machineronde»,
etjouerdoncavecl’histoirecommeunacteurjoueuntexte?
Unévénementcommemisenénigme
Sil’onréfléchit,les«nocesdesang»relèventd’unemiseenénigmequi,dansune
temporalité d’incertitudes, métaphorise un jeu de paume, où les joueurs se
renvoient la balle, mimant l’entrée en guerre et l’affrontement pour en fin de
compteenarriverauretournécessairedelapaix.Lejeudescontre-signifiancesqui
vontetviennentmetenscèneuneallégoriedestinéedansl’immédiatàdémontrer
«commentaprèslesdivisionsetlesquerelles»dontilaétéimpossibled’empêcher
le retour, « il est nécessaire que les anciens amis retrouvent des sentiments plus
paisibles41».OrunesourcenousrapportequeCharlesIX,danslesjoursd’acmédu
massacre, aurait joué à la paume comme il avait joué au moment de l’attentat du
22août,commesi,parlejeudesoncorps,ilavaiteulapenséemagiquedecontrer
la force des haines qui transformaient au même moment Paris en une cité
criminelle.Ne faudrait-il pas y deviner un signe « métalinguistique», le cryptage
d’unsensmétaphoriquesoulignantqu’aprèslaséquencevouéeàlaviolence,l’ordre
revient et que le politique doit demeurer ferme dans la sphère dans laquelle il se
tientenfaisantseneutraliserlaforcenégativedesmotsparelle-même?Enjouantà
faireénigmeetdoncenactivantunehistoiredevantallerverslapaix?Cequiferait
quecequel’onsaitdel’histoiredelaSaint-Barthélemyneseraitqueleproduitd’un
travailvisantàlanormalisationduprésent,àsadéconflictualisation.
Rappelons juste ici que l’énigme qui clôt dans le chapitre 58 le Gargantua est
censéeavoirétédécouvertedanslesfondationsdel’abbayedeThélème,dansune
«grandelamedebronze».
Pauvreshumains,quibonheurattendez
Levezvoscœurs,etmesditsentendez.
S’ilestpermisdecroirefermement
Queparlescorpsquisontaufirmament,
Humainespritdesoipuisseadvenir
Àprononcerleschosesàvenir;
Ousil’onpeutpardivinepuissance
Dusortfuturavoirlaconnaissance,
Tantquel’onjugeenassurédiscours
Desanslointainsladestinéeetcours,
Jefaissavoiràquileveutentendre,
Quecethiverprochainsansplusattendre
Voireplustôtencelieuoùnoussommes
Ilsortiraunemanièred’hommes,
Lasdurepos,etfâchésduséjour,
Quifranchementiront,etdepleinjour
Subornergensdetoutesqualités
Àdifférendetpartialités.
Etquivoudralescroireetécouter:
(Quoiqu’ilendoiveadveniretcoûter)
Ilsferontmettreendébatsapparents
Amisentreeuxetlesprochesparents.
Lefilshardinecraindral’impropère
Desebandercontresonproprepère,
Mêmelesgrandsdenoblelieusaillis
Deleurssujetsseverrontassaillis.
Etledevoird’honneuretrévérence
Perdrapourlorstoutordreetdifférence,
Carilsdirontquechacunàsontour
Doitallerhaut,etpuisfaireretour.
Etsurcepointauratantdemêlées,
Tantdediscords,venues,etallées,
Quenullehistoire,ousontlesgrandsmerveilles
Afaitrécitd’émotionspareilles 42.
L’énigmedépeintdonclasurrectiond’hommeshabitésparunimmensedésir de
violence,d’où ils’ensuitun dissensusabsolu, l’entréedans untemps inouïdurant
lequellavéritén’aurapasplusdepoidsquelafaussetéquiseralemoded’expression
lepluspartagépartous.Untempsdesubversionpuisquelesageseraremplacépar
l’ignorantetque«tous»selaisserontgagnerparladiscorde.Untemps,sansvérité,
untempsdemorttotale.
Lorsseverramainthommedevaleur
Parl’aiguillondejeunesseetchaleur
Etcroiretropceferventappétit
Mourirenfleur,etvivrebienpetit
Etnepourranullaissercetouvrage.
Siunefoisilymetlecourage,
Qu’iln’aitempliparnoisesetdébats
Lecieldebruit,etlaterredepas.
Alorsaurontnonmoindreautorité
Hommessansfoi,quegensdevérité:
Cartoussuivrontlacréanceetétude
Del’ignoranteetsottemultitude.
Dontlepluslourdserareçupourjuge.
La terre sera ainsi libérée des eaux, et la paix adviendra enfin au terme de cette
temporalité dramatique qui est en définitive la condition du rétablissement d’une
vie humaine durable. Le sens de l’énigme est alors qu’il faut le dissensus le plus
inquiétantetférocepourquelaconcorderetrouveunevoieassurée:
Resteenaprèscesaccidentsparfaits
Quelesélusjoyeusementrefaits
Soientdetousbiens,etdemannecéleste
Etd’abondantparrécompensehonnête
Enrichissoient.Lesautresenlafin
Soientdénués.C’estlaraison,afin
Quecetravailentelpointterminé
Unchacunaitsonsortprédestiné.
Telfutl’accord.Ôqu’estàrévérer
Cilquienfinpourrapersévérer.
Au total 108 vers composent l’énigme qui, selon Frère Jean, parlerait
allégoriquementd’unepartiedejeudepaumeentenduecommeunmimemagique
delanécessitédecedissensusquiestlaconditionsinequanon durevenirdel’unité
etdonc del’amitié.C’est cetteinterprétation quenousretiendrons,plutôtque les
autresquisontplusdépendantesdelachronologiedelapublicationdeGargantua43.
L’énigmeraconteraitledéroulementd’unepartiedejeudepaume,dontBalthasar
Castiglione avait écrit qu’il exhibait « l’harmonie du corps, la promptitude et la
souplesse de chaque membre et presque tout ce qui se révèle dans les autres
exercices 44 ». Elle peut être donc analysée comme un exercice du corps
métaphorisant une virtuosité et une sagesse de l’âme, sa capacité à supporter un
mondedevenuviolentetagressif,etàretournerl’histoirecontreelle-mêmepourla
pacifier au bout du temps incertain du jeu. Le sens de l’énigme surgit d’un
affrontementincertaindemots.
Lemoinedit:Quepensez-vousenvotreentendementêtreparceténigmedésignéetsignifié?–Quoi?dit
Gargantua le décours et maintien de vérité divine. – Par saint Goderan (dit le moine), telle n’est mon
exposition.LestyleestdeMerlinleprophète.Donnezyallégoriesetintelligencestantgravesquevoudrez.
Etyravassez,vousettoutlemondeainsiquevoudrez:demapartjen’ypenseautresensenclosqu’une
descriptiondujeudepaumesousobscuresparoles.Lessuborneursdegenssontlesfaiseursdeparties,qui
sontordinairementamis.Etaprèslesdeuxchassesfaites,sorthorslejeuceluiquiyétaitetl’autreyentre.
On croit le premier qui dit si l’éteuf45 est sur ou sous la corde. Les eaux sont les sueurs. Les cordes des
raquettessontfaitesdeboyauxdemoutonsoudechèvres.Lamachinerondeestlapeloteoul’éteuf.Après
lejeu,onserafraîchitdevantunclairfeuetchangel’ondechemise.Etvolontiersbanquettel’on,maisplus
joyeusementceuxquiontgagné.Etgrandchère.
Ilsepeutquelepouvoirroyalaitprocédéainsi.L’importantestqu’ilpeutyavoir
eu,danslecoursmêmedumassacreetlesjoursquilesuivirent,unemiseprolongée
enénigmedel’histoireetqueledésordredesmotsvisantàaccompagnerletemps
delaviolence,s’ilproduisitdel’incertitudeetdudoute,futpeut-êtredestiné,dans
le contexte d’une violence qui semblait irréductible, à réaliser ce qui était le sens
même de l’énigme rabelaisienne et donc du jeu de paume – un cheminement des
humainsversuneuniondescœursretrouvéeetuneannihilationdesfermentsdela
hainequiavaientemportéParisdansl’inhumain46 .
Les lendemains du massacre de la Saint-Barthélemy semblent une plongée dans
un univers de langage fuyant, en miettes, en dispersion, dont le contenu, comme
dans l’œuvre rabelaisienne, aurait été construit pour faire en sorte que, selon le
proposdeGérardDefaux,il«sedérobeàlaprisebeaucoupplusqu’iln’yparaît 47».
N’est-ilpaspossibledesedemandersiCharlesIX,avecsamèresetenantdansson
ombre,nejouepaslerôledulocuteurdeGargantua,MaîtreAlcofribasNasier,qui,
s’ilestl’«abstracteurdequinteessence»,n’enestpasmoinsungrandsophiste,un
des « magiciens de paroles « qui peuvent faire croire à tout ce qu’il veut faire
croire ? Plus encore, l’instrumentalisation des mots qui se partagent entre des
discours successivement contradictoires ne renvoie-t-elle pas à la moria
érasmienne?N’est-ellepasunefiguredelavraiesagessepaulinienne?
N’est-elle pas à l’image de la folie du Christ ? Charles IX serait alors un
«morosophe»disantlefauxpourfairevenirauprésent,autermed’uneséquence
horriblementenvahieparlamort,cequeseraitlebonsens?Laissonsicilaparoleà
LouisMarin:
Il faut que Thélème soit fondée sur un renversement pour qu’advienne le monde nouveau. Il faut que
Thélèmesoitdétruitepourquelemondedubonheuradvienne.Àvraidire,cettedernièreformulationest
trompeuse, car elle laisse entendre deux temps et deux moments, le temps de l’histoire et celui de la
parousie,lemomentdunégatif,delarévolutionetceluidel’affirmationsynthétiquequil’accomplitcomme
fin de l’histoire. En fait, en plaçant l’apocalypse au fondement de l’édifice, à l’« origine » du procès de
construction de la représentation utopique, tout en offrant sa lecture à la fin du discours qui la décrit,
«Rabelais»signifiequelemondenouveau,l’utopien’estpaslasynthèsequiaccomplitlemouvementd’une
dialectiquehistorique et naturelle, au prixd’une négation de la réalité, mais estl’autre de la réalité et de
l’histoire.Lerenversementestlefondement,lefondement,lerenversement 48 .
Sil’énigmedusensdutempsprésentsedéploiedansl’allégorieénigmatiquedujeu
de paume pratiqué par Charles IX au moment de l’attentat du 22 août et ensuite
continuédurantlespremiersjoursdemassacre49,ilfaudraitenconclureque,par-
delàl’évocationd’unepersécutiondesévangéliques,FrèreJeanmettraitenexergue
un pouvoir décisionnel dont l’absoluité reposerait sur le « secret », c’est-à-dire la
capacité à brouiller, jusqu’à le rendre indiscernable, le sens des événements qui
surviennent, mais au terme desquels les humains pourraient enfin se réunir dans
uneuniondescœursdéfinitivementlibérésdeleurspassionstragiques.Ilyaurait
doncunehistoirequiseraitpenséeetexorciséeparlemodeopératoiredel’énigme
rabelaisienne : la dissension qui commence par envahir le monde humain jusqu’à
un point paroxysmique de tension et est suivie par un banquet signifiant que la
communautéseressoudedansuneconcorde.
Ce n’est donc pas dans le champ discursif, dans des « sources » explicites et
implicites qui feraient « traces », que peuvent être approchés le comment et le
pourquoidelaSaint-Barthélemy,puisquelediscours,dufaitdesesdivergencesou
seshyperbolisationsconstitutives,ne diraitrien d’autreque l’impossibilitéde dire
cequiseraitle«vrai».Aucontraire,ledoute,quiémeutvoiredéstabilisetantles
historiens, exprimerait au plus fort ce qu’a pu être le processus de déportement
danslaviolence,cequ’aétélabéancedanslaquellesesontengouffréslesacteursdu
massacreparcequelaviolenceleurapparaissaitdevoirêtrel’uniquebalisepourse
raccrocheràréelàlafoisfugaceetfugitif,unréelsubvertiparlaproliférationdu
faux. En effet, dans l’optique d’une conception providentialiste de la situation de
l’homme dans la Création, l’action, confrontée à l’incertitude, doit céder le pas à
l’imprévisibilité de ce qui peut être accompli pour aller dans le sens du désir de
Dieu, portant à s’engager dans la voie la plus immédiate et la moins méditée ou
préméditéedansladurée.Lejeudepaumepratiquéouprétendumentpratiquépar
Charles IX durant le massacre serait synonyme d’un exercice de prudence, de
clairvoyance, d’aptitude à anticiper le jeu de l’adversaire, nécessaire à l’homme de
pouvoircommeaucapitainepourfairesereinementfaceàla«qualitàdeitempi50».
SuivonsiciJacquesChomaratetremontonsàÉrasmes’attardantsurlaprudence
etladissimulationduChristfaceauxpèlerinsd’Emmaüs.LeChristputlui-même
allerjusqu’àruserettromper,àtendreunpiègeauTentateur:ilpeutyavoirune
bonnetromperiechrétiennefaceaumensongediabolique,maislebonmensongea
cecideparticulierqu’iln’estexercéqueprovisoirementetestinspiréparlacharité.
Lefauxpeutêtreunoutilpositifdeluttecontrelefaux.IIfautseremémorer,écrit
Érasme,«commentleChristquinesauraitmentir,peuttromper[…];iltrompe
lesapôtres:afin d’arrachercomplètementdeleur âmetoutdésirde vengeance,il
lestrompepouruntempsparl’obscuritédesonlangage,maisilneleslaissedans
l’erreurqu’afindedétruireplussûrementetplusefficacementtouteleurpassionde
se venger ». La Tolerantia, parallèlement, ne doit pas être comprise comme « le
partage des erreurs ». Elle est une décision assumée en toute conscience de
«patiemmentsupporter»leserreursdesautresauxquellesseulDieuestenmesure
de mettre fin, « elle compte sur le temps, dans les Paraphrases, et sur la douceur
pourfairedisparaîtrel’erreur etnonsur laviolence51».Elle consisteàsemettre,
pourrait-ondire,soi-mêmeenénigmeparcequeDieuseulsaitlesensdutempset
qu’ilestdoncénigmecommeNostradamusl’avaitsuggérédanssesProphéties.
Etbiensûr,c’estl’HymneIVdeRonsard,«DetrèsillustrePrinceCharles»,qui
permetlemieuxd’approchercettecryptiquedulangagedeCharlesIX:ilaffirmela
nécessitéquelaFrancesoitguidéepar«unpiloteruzé»,d’autantquele«peuple»,
précisément,vad’une«opinionfolle»àuneautre«opinionfolle»,changeantde
jourenjouroud’instanteninstantetsetrouvantincapabledeprendreconscience
de son mal52. L’apaisement ne peut venir que de ruses déjouant « les serpens des
hideuses Fureurs » qui troublent les « cerveaux des hideuses fureurs ». C’est la
condition pour que le monde humain rebascule des maux en direction du bien,
reviveunprintempssuccédantauxrigueursdel’hiver53.
Dans l’Hymne du Printemps, la saison du printemps est dépeinte comme l’unique
saisonquelaterreconnutjadis,etcelajusqu’àcequeJupitersoitprisdejalousieen
voyantl’amourqueluiportaitFlore.ConcevantlaguerrièrePallas,leroidesdieux
créal’Été,l’Automneetl’Hyver,appelésàsesuccéderjusqu’auretourduPrintemps
et du beau soleil et de l’amour, sans fin54. La vie des États est à l’image de cette
succession des saisons : ils sont appelés à connaître, un jour, un automne et un
hiver, à passer de la vie la plus exubérante à la mort la plus calamiteuse. C’est
lorsqueleprocessusdemutationestenclenchéqu’ilpeutyavoirsurgissementd’une
conscience de la « necessité », qui est alors synonyme de ruse. Pour contrer
l’altérationdutemps,ilfautseplieràunchangementdesoi,nepassebloquersur
des positions frontales, essayer soi-même de peser sur l’histoire, de faire se jouer
l’histoireavantqu’ellenejoueelle-mêmedanslagrandetragédiequeseraitlamort
del’État.Ilfauts’approprierlelangagedeceuxquisupportentladiscordecivileet
doncdevenirunroiénigmatiqueexerçantunsagegouvernement.
Dansl’Institutionpourl’adolescenceduroytrèschrestienCharlesIX,Ronsardinvitait
le roi à exercer son pouvoir dans le secret d’une pia philosophia, reposant sur la
possessiondechoses«quiauxentendemensdetoushommessontcloses55»Toutes
lessciencesétaientditescontribueràlamiseenordredecepouvoirmystérieuxque
seul le souverain peut détenir. Outre la science du devenir qu’est l’astrologie, la
mathématique était présentée comme la science des nombres, permettant au
souveraindespéculersurlesrelationsquiunissentlemondedelacitéterrestreetle
Cosmos.Lamusique,autre sciencedesnombres,lui donnequantà elled’agirsur
les passions humaines, de rapprocher les humains de l’harmonie universelle qui
s’exprimedanslesmélodiestandisquelarhétoriquedétermineleconsentementdes
hommesetquelaphysiognomoniefaitdesonautoritéuneforcepsychologiqueen
lui ouvrant l’accès aux pensées les plus secrètes de ceux qu’il gouverne. La
connaissancedel’histoire,autreformederévélation,luidonnelaprudence.
LebonPrinceestalors,parcequ’ilsaittouteschosesetdoncparcequ’ilestjuste,le
prince de la prudence. Il ne doit jamais livrer sa pensée, tout en recourant aux
conseilsdesmeilleursetplusexpérimentésdesessujets.Lepouvoirestpouvoirde
secret, d’incertitude, et disons-le, de mise en énigme de lui-même par imitation
d’unDieudontlagloireestdanslesténèbres– «celareverbum».Etlasentence,qui
portede«celersonsecret»,etdoncd’avoiruncœurimpénétrableestessentielle.
Leprincesedoitdejoueràrefusertoutetransparence,afindedemeurerau-delàde
l’opinionhumaine et de préserver uneliberté lui permettant de faire régnerdans
sonroyaumelajusticeetlapaix.Ildoituserdesimulacrepournepasêtresousla
dépendance des simulacres, ce qui le rapproche du pouvoir de Dieu (Pr 25, 2)56.
L’Étatestleroicommelalumièreestlesoleil,etlesplanètesnefontqueréfracter
cette lumière : un État « des affaires duquel, je ne veux souffrir qu’entrepreniez
cognoissance,laquellejeréserveàmoyseul 57».LeroidelaRenaissanceestunroi
qui assume de posséder la vérité de l’histoire et qui chasse, à l’image de la galerie
François Ier de Fontainebleau, l’ignorance aveugle aux yeux bandés en tenant un
glaive pour montrer qu’il gouverne son royaume en souverain seul initiéet donc
seulpossesseurdu sensdel’énigme qu’est,devant lui,l’histoirevers lalumière de
laquelleils’avance58 .
«…deparlerpeuetdecelersonsecret»
Le poète Jacques Tahureau dédia en 1555 au roi Henri II une Oraison de la
Grandeurdesonregne,eninsistantsurle«Deparlerpeuetdecelersonsecret»:il
stigmatisait la langue : « mal dangereux / Que c’est un mal plein de poisons
amere ». Une fois prononcée, une parole est définitive ; vain est le repentir de
l’avoir proférée. Une seule parole a causé la mort de trop nombreux hommes
remplisdebravoure:
L’hommeestvraiementetsageetvertueux
Quiseulementenluimesmessefie,
Etquitouchantquelqueaffairedouteux
Nedeclarasonsecretensavie…
Heureuxcent-fois,etcent-foisestcelui
Dequicachéeesttoutel’entreprise,
Etquin’enfaitparticipantautrui
Nonentelacasseulementsachemise:
Ilvaudroitmieuxsachemisebrûler,
Ettrançonnersalanguetropvolage,
Coupersamain,quecelafitparler:
Encontresoiquelquemauvaislangage…
Lemalquifaitdelalangueabuser
C’estbienlemaldetouslesmauxlepire,
Etlavertuquiestplusàpriser
C’estdesçavoirbeaucoupetdepeudire59 .
Songeonsaussique,dansunmondequiestunthéâtreenpermanenceconfrontéà
saremiseenquestionparlapuissanced’une Fortuna aveugleetimprévisible,ilne
fautpastropchercheràréagirrationnellement,maisbienplusàtenterdes’insérer
dans l’incompréhensibilité apparente des basculements et des retournements
virtuelsdesituation,parl’anticipationoulafuiteenavant.«Lapolitiqueneserait-
ellepasunerencontreavecl’«expériencedurisqueetdel’irrationnel»,dansune
confrontation instantanée pouvant échapper à tout moment « au contrôle des
acteurs parce qu’elle peut prendre au moins deux directions opposées60 » ? Et ne
déborderait-elle, du fait de cet empirisme, sur tout le corps social ? Lisons, à ce
propos,lesderniersversdeL’Énigmeenprophétie:
Reste,enaprèscesaccidensparfaictz
Quelesélusjoyeusementrefaictz
Soientdetousbienetdemanneceleste
Etd’abondantparrecompensehoneste
Enrichizsoient…
Pour en revenir à la politique pensée et agie comme relevant de « la grave
obscuritédel’énigme»selonlaformuledeThomasSébillet61,ilfautsepersuader
quetouteslesambiguïtésdonts’entourentleroietsamèreauraienteupourfinalité
d’exorciserlaviolence:lerecoursàl’énigmeviseàconduirel’histoireverslapaix.
Onpourraitqualifierd’occultecettepolitique62 .Tentonsalors,danscetteoptique,
desortirl’événementd’août1572decequiseraitunsensintrouvable,enmettant
en œuvre une réeffectuation qui élimine le causalisme au profit de la quête d’un
«intérieurpensé»del’événementmisenénigme.Cetteeffractionpermetseulede
contournerunnarratif«plausible,probable,contestable,breftoujoursencoursde
réécriture 63».
Ilfauttenircompte,jusquedansladominanteinvasive,danslecoursdesmatines
parisiennes, de ce qu’on pourrait nommer une déraison des incertitudes relatives
auxactionsdenombredeprotagonistes;l’historienserendalorscomptequ’ilpeut
isoler et présenter dans la distinction de plusieurs segments une chronologie
minimaliste,évitantlesinformationsàhautdegrédecontingenceoud’évanescence
factuelle,maisaussisuggérantdespistesvirtuelles:cettechronologie,restreinteà
cequisembleplausibledanslefluxévénementiel,peutporterd’abordsurlestemps
difficiles qui suivent la pacification de Saint-Germain, d’août 1570 à août 1572.
AvantdoncderéfléchirsurcequeseraitlecodegénétiquedelaSaint-Barthélemy,
ilestnécessairederetireroud’extraireducorpsmêmedesapréhistoiretoutcequi
apparaîtcomme trophypothétique, tropéquivoque ou aléatoireparce quefaisant
partie du registre d’écritures de combat ou de désengagement du déroulement
factuel.
Ajoutons encore qu’il est impossible de retracer le massacre, à très forte densité
factuelle,danssondéroulementaussibienaujourlejourqu’heureparheure.Onne
peutque lescruter dansses premièressoixante-douzeheures – circa –, ettrop de
silencesentourentlasuitedesjours.Onsaitque,le15septembre,lenonceSalviati
écrit que des rafles de huguenots continuent à avoir lieu et que, « la nuit et sans
bruit»,plusieursdizainesdehuguenotsappréhendéslejourdansdiverslieuxsont
jetésdans laSeine. Le comtede Saint-Pol, ambassadeurdu duc deSavoie, ajoute,
dansunelettredu26septembre,quelesmisesàmortsepoursuiventencoreàParis
et«ailleurs».Surtout,s’ilaunavalavecunehistoriographiequasiimmédiatequi
poursuit encore ses analyses, il a un amont qu’il faut reconstituer sous peine de
passeràcôtédesdonnéesdesjeuxmêmesdemiseenénigme.
Prenons, sans prétendre qu’il y ait là un autre objectif qu’un essai
d’expérimentationévénementielled’une repenséedel’histoire entermes d’énigme
enprophétie,commepointdedépartlapaixdeSaint-Germain-en-Laye,signéele
8août1570etpubliéeparleParlementdeParis,quimetfinàlatroisièmeguerre
deReligionaprèsaumoinssixmoisdetractationsdifficilesfaitesd’avancéesetde
reculs et marquées par des rumeurs d’empoisonnements et d’assassinats64 . Faute
d’argent et de vivres, et du fait d’un chaos régnant dans les provinces, les deux
victoiresdeJarnacetdeMoncontouravaientété«stériles»,etlamonarchien’avait
paspupoursuivreuneguerrequ’elleavaitexaltéecommedevantêtreuneguerrede
destruction de l’hérésie. La réorientation pacifiste du pouvoir s’explique par la
nouvelle qui court selon laquelle les princes protestants allemands envisageaient
d’envoyerdes renforts à Coligny désormaisinstallé à La Charité-sur-Loired’où il
menaceleBassinparisien.Lesnégociationsavaientétéouvertesparlemaréchalde
Biron,agissantaunomduroi,avecdeuxcapitainesprotestants,PhilippedelaFin,
sieurdeBeauvaisLaNocleetCharlesdeTéligny.L’Amiralavaitd’abordtraînéles
pieds,«se voyantarmé etleroi désarmé», maisavaitété ralliéau principedela
négociation parce qu’il avait été positivement impressionné par l’éloignement
volontairedesGuisedelacour.
PourCatherinedeMédicis,lapaixs’imposedufaitdescirconstances,parceque,
« avec les armes, on détruit le pays et les innocents pâtissent aussi bien que les
coupables.En temps de guerre, lenombre des huguenots va toujourscroissant ».
Selon ses mots mêmes, la paix ne pourrait que générer « quelque remede ». Les
protestants se voient accorder une liberté limitée de pratiquer leur culte dans les
lieux où ils le pratiquaient auparavant ainsi que dans les faubourgs de deux villes
pargouvernement(saufParisetlàoùlaCourséjournaitainsiquedansunespace
de 14 lieues autour de Paris). Quatre places de sûreté leur sont aussi octroyées :
LaRochelle,Cognac,Montauban,LaCharité,pourdeuxansàl’issuedesquelselles
devront être restituées. Le culte est interdit à Paris. Odet de Coligny, cardinal de
Châtillon, et Jean de Ferrières, vidame de Chartres, sont sollicités pour poser les
basesd’unrapprochementdelaFrancepacifiéeavecÉlisabethIre quiestsansdoute
d’autantplusréceptivequ’elleaétéexcommuniéele25février1570parunebulle
du pape Pie V et qu’un projet de mariage français pourrait la sortir de son
isolement.
Il n’empêche que cette paix est précaire et hypothétique : elle a laissé un goût
d’amertume aux activistes catholiques qui continuent à juger que la présence des
hérétiques dans le royaume est un signe de la colère de Dieu et que tout juste se
devrait de participer à leur extermination. C’est ce que disent et redisent les
prédicateurs. Et de critiquer ouvertement un roi qui a accepté de laisser les
hérétiquesenmesuredevivreaumilieudupeupledeDieuaurisquenonseulement
delepolluerdeleurserreursmaisaussidepréparersaruineenattendantuninstant
favorable à ce qui serait un projet de subversion violente. La paix est précaire et
hypothétiqueaussiparcequeleschefshuguenots,dèslacessationdeshostilités,se
sont retirés loin de la cour, qu’ils vivent dans le soupçon d’un piège sanglant qui
leur aurait été tendu et que tout donne à entendre qu’au moindre signe ils
pourraientêtre disposés à reprendre les armes contre le roi et l’Église catholique.
Elleestprécaireenfinparcequ’entrelesdeuxgrandesfactions,ilyalecontentieux
de l’assassinat, sur la fin février 1563, du duc François de Guise par un
gentilhomme huguenot, Poltrot de Méré, assassinat dont la maison de Guise
attribue la vraie responsabilité à l’Amiral Gaspard de Coligny, désormais chef
historique des réformés français. Ce contentieux est toujours actuel, et, pour la
maisonde Guise, justice n’a pas été rendue ; le sang appelle le sang. Le risque de
déclenchementd’unevendettasanglantequirouvriraitlaguerrecivilepeutsembler
planer. Enfin et peut-être surtout, les huguenots sont hantés par un projet de
guerreétrangèredesoutienàleursfrèresenreligionpersécutésparPhilippeIIaux
Pays-Bas et unissant leur noblesse à la noblesse catholique contre l’Espagne. Ce
projetrisquederelancerbienévidemmentlaguerrecivilefrançaiseoud’ouvrirles
hostilitésavecPhilippeII.
Lafragilitédurééquilibragepolitiquequeconstituelapaixtientenfinaufaitque
lesdeuxdernièresguerrescivilesontsanctionnéunalignementdelamonarchie–
certestemporaireetdevenuobsolèteavecl’amnistiegénéraleproclaméeparlapaix
et la réintégration des huguenots dans leurs charges et dignités –, sur une ligne
d’exterminationdela Réformefrançaisequi intervintviteen réactionau coupde
forcedelasurprisedeMeaux(26-29septembre1569)etsedurcitensuite.Aumotif
de la paix avait alors succédé bien vite celui du châtiment par voie d’une guerre
totale parfois assimilée à une croisade. Dans les jours qui suivent la tentative de
prise de contrôle de la personne du roi et surtout la bataille de Saint-Denis
(10 novembre 1567), il est certain que le pouvoir royal se laissa séduire par une
tentation radicale ; une tentation qui le porta à imaginer une destruction, par la
force,descombattantshuguenotsquiétaientpourCatherinedeMédicisetsonfils
CharlesIXdesséditieux,desennemisparcequ’ilsavaientréduitànéantuneœuvre
entreprise pour la gloire de Dieu : la concorde civile mise en place à la fin de la
premièreguerredeReligion.
Lorsque la parole se brise, la parole que la reine mère a elle-même façonnée
comme moyen de neutralisation des passions humaines, lorsque les rapports
nouveaux de force font que le champ de la communication n’existe plus, seule
demeurelasolutiondelaviolence,etlareinemèreaffirmas’yrallier,sansmarquer,
semble-t-il,beaucoupd’hésitations.Et,le7décembre1567,elleconfiaàRaymond
deFourquevaux,ambassadeurauprèsdePhilippeII 65,que«l’onpourramaintenant
juger si nous prenons les matières à cœur pour nous délivrer premièrement puis
toutelachrestientéde cestevermine66 ».La guerredésormais, visaitàla «fin de
nos maulx ». Ce langage s’aligne donc sur celui des plus zélés catholiques, puis
revient temporairement à une expression modérée dans l’entre-deuxième et
troisièmeguerredeReligion.
Mais, quand le conflit reprend pour une troisième fois sur la fin août 1569,
Catherine de Médicis va plus loin dans ce qu’elle veut donner à voir comme une
posture de radicalisation. Alors que, depuis le mois d’avril 1569, l’armée royale
cherchaitlaconfrontationdirecte,le3octobresurvientlavictoiredeMoncontour.
LareinemèreécritdeuxjoursplustardàPhilippeIIpourl’informerdelavictoire
donnéeparlagrâcedivine,«unsigrentœuvre 67».Lespoètes,surcommande,se
lancentdansuneentrepriseapologique,s’associantauximprimésoccasionnelsqui
rendentgrâceàDieud’unedéfaitedesrebellesquiestunpremierpallierversleur
extermination68 .LaurentdeBourgannoncedéjàleretourd’Astréemaintenantque
lebrasdeDieuafrappélesmutins69 .Ronsardglorifieleducd’Anjoupourcesuccès
dans « L’Hydre desfaict70 ». Il valorise aussi une perspective qui pouvait alors
s’ouvriraupouvoirdeCatherinedeMédicisetleporteràcroirequ’uneséquence
temporelleétaitdésormaisclose.L’hérésiecombattanteyestcomparéeàl’hydrede
Lerne, « aux yeux ardents, à la gueule escumeuse, / À la poictrine infecte et
venimeuse », elle est telle un serpent à trois têtes ayant dévoré les villes et les
provincesduroyaume,avantdesubirunedécapitationsanglanteàMoncontour.Le
ducd’Anjou,nouvelHercule,estinterpellépour«parfaire»l’œuvreentreprise,en
s’attaquant désormais au corps de l’adversaire. « Il faut du tout veincre son
ennemy»,allerjusqu’auboutenfindecequ’estlavolontédivine.Ronsardcompose
aussi un « Chant triomphal pour joüer sur la lyre » : Monsieur a enfin coupé le
nœudgordiendesdestinées,etlesloupspeuventdésormaisserepaîtredescadavres
sans sépulture des ennemis du roi71. Une gigantomachie a eu lieu, qui a vu les
géantsorgueilleuxêtreterrassés,etl’annihilationnepeutquesuivre.
AmadisJamyn,quantàlui,célèbrecequiestlafindel’horriblechimèredontla
gueule vomissait du feu : il donne la peinture d’une armée de « mutins »
ensanglantés, abattus les uns sur les autres, mordant la terre. Un châtiment de
l’orgueildanslavisiond’uneterresurlaquellelescadavresblanchissentdésormais
etquiressembleàlaterrequandleseauxdudélugebibliquesefurentretirées72 .Les
Titansontétévaincus.Et,dansun«Dialogue»entreunpassantetle«Génie»de
Moncontour, il est proclamé que le droit de sépulture ne peut être donné aux
méchantsquiontabolitouslesliensdenatureoudesociétéetquiontbrisé«tous
lesdroitsdeDieuetdeNature».Ilsgisentdésormaisauxenfers,pourl’éternité73 .
Exaltationdoncd’unevictoirequiestlegrandjugementdeDieutantattendu.La
personne du duc d’Anjou est mise au cœur de la victoire : c’est lui qui, la veille,
faisaitdebellesremontrancesàsestroupespourlesappeleràprendrecourageetà
abattre l’ennemi mortel de Dieu, qui allait de quartier en quartier dans son camp
pour exhorter ses hommes, puis qui se confessait au docteur en théologie de la
Sorbonne Claude de Sainctes. Le lendemain matin, sur les trois heures, le duc
assisteàlamessediteparledocteurenthéologie,puiscommunie.Lesimagessont
destinéesàfairedel’événementundonetunegrâcedeDieu.LefilsdeCatherine
deMédicisestallécombattresanss’êtrealimentéetsansavoirabsorbéuneboisson,
« en ceste foy et fiance qu’en la vertu du corps et sang de Jesuschrist Nostre
Seigneurqu’ilvenoitderecevoirausainctsacrementde l’autel,ilsurmonteroitet
vincroit l’ennemy de Dieu et dudit sacrement, du roy et le sien ». On comprend
alors que le parti protestant reste prudent même après que la paix de Saint-
Germain a été signée. La reine mère n’est plus celle des années 1560-1566, qui
mettait ses espoirs dans la solution d’une modération qu’elle nommait la
«douceur».Elleaundoublevisagedontelletentedesedébarrasserbienvite,mais
quidemeureinscritdanslamémoiredescapitaineshuguenots.
Toutel’actionengagéeparlamonarchieentrel’automne1570etl’été1572paraît
avoir visé à neutraliser comme magiquement ces tensions et tentations de
déstabilisation de la paix et à ramener les parties prenantes à la cour pour les
enserrerdanslelieumêmed’unepolitiqued’uniondescœursquiseraitactivéeau
sensd’unemagiedel’harmoniehumainemiseenconcordanceavecl’harmoniede
l’univers.Laconjonctiondescontrairessaitcontrerunrapportdesforcesquipeut
paraître toujours aléatoire. La Saint-Barthélemy semble ainsi donc avoir éclaté à
contresensdel’histoireactivéeparCharlesIXaunomdesdeuxvertusdelapiétéet
justice sous lesquelles son règne a été placé et qui sont réactualisées au cœur du
dispositifsymboliquedesonaction.
Dans cette perspective du rêve d’une paix qui semble solidifiée par un travail
persévérantdupouvoir,Ilestnécessairedereconstituerlecheminementhistorique
quiamènehuguenotsetcatholiquesàêtreprésentsdansParisàlaveilledelaSaint-
Barthélemy,sansqu’ilsserendentcomptequ’ilsparticipentd’unemiseenénigme
de l’histoire au sens où ils sont, sans le savoir distinctement, les objets d’une
manipulationmagique74.Cettemagie,invisible,faitfigured’énigmepourceuxqui
la subissent passivement : elle « produit ses effets merveilleux par l’union et
l’application qu’elle fait des différentes vertus des êtres supérieurs avec celle des
inférieurs»,commeleditHenriCorneilleAgrippa 75.
Dans un premier temps, il s’agit de ramener les huguenots aux côtés des
catholiquesàlacouretdefairedelacourlelieumêmedeladynamiquedepaix.un
signe de conciliation qui est donné à l’occasion de pourparlers secrets engagés, à
l’initiative du duc François de Montmorency, au milieu du mois de juillet 1571 à
LumignyaveclecomteLouisdeNassau,alorsaucœurdel’agencementnaissantde
l’«international Calvinism 76»,etungroupedegentilshommeshuguenotsfrançais:
lamonarchie donnel’impression d’accepterde participer àun plan d’invasiondes
Pays-Bas,quiseraitcoupléavecunsoulèvementcalvinisteetundébarquementde
soutiens anglais. La contrepartie de son adhésion à ce projet qui était centré sur
l’armement d’une flotte destinée à faire réfléchir Philippe II par le parasitage des
liensmaritimesdesPays-Basaveclapéninsuleibérique,estconnue:c’est,aprèsdes
tractationsmenéesàBlois,leretourdeColignyàlacour77 ,le12-15septembre,etla
placequilui estrendueau conseilduroi. Ceprocessusque Catherinede Médicis
définitelle-mêmecommeuntravailde«bontéethumanité»estindissociabledesa
démarcheappuyéeauprèsdesGuisequi,enréplique,avaientdésertélacour,dèsle
mois d’août, puis en novembre, pour les prier de cesser de montrer leur refus
d’adhéreràcetteconcorde.
L’Amiralreçut200000livresparunetraitesurLyon,50000livressurl’arriéréde
ses appointements et une pension de 20 000 livres prises sur les revenus d’une
abbaye.Laveuvede FrançoisdeGuise,Anned’Este,duchesse deNemours,etles
sienssontinvitésàoublierlepasséetàvenirfairepromessedepaix.Lebutestde
promouvoir, à partir du point axial d’équilibre qu’est la royauté, une coincidentia
oppositorum, une conjonction des opposés qui lèverait les ambiguïtés et les
incertitudespersistantesentreacteurscatholiquesetprotestants,compromettantle
devenir de la paix. Participe de cette stratégie peut-être plus empirique qu’il n’y
apparaît la démolition de la Croix de Gastine, qui avait été dressée sur les lieux
mêmesdelademeurededeuxbourgeoishuguenotsparisiens,raséepourcausede
tenuedeprêches,etcommémoraitleurexécutionenmarqued’expiation.
Un dysfonctionnement majeur intervient toutefois, qui entraîne un partage des
rôles dans ce théâtre : le 7 octobre 1571, la bataille de Lépante démontre
l’extraordinairepuissancedel’Espagne,savocationàêtrelapremièreforcemilitaire
européenne.Ilestpossibled’observerunemodificationdujeupolitique,quiparaît
avoirsuscitéunpartagedesrôlesetdesattitudes;toutsepassedésormaiscommesi
leroiprenaitlepartidepersisteràaccompagneretsoutenirleshuguenotsdansleur
projetmilitaristeetinternationaliste,tandisquelareinemères’yopposait.Lesmois
qui suivent, on peut en poser l’hypothèse, vont produire un théâtre du simulacre
dont l’unique fin, vue sous l’angle de vision de la royauté et de son souci de
production d’une union des contraires, aurait été de restaurer une union entre
factions, à travers la mise en avant d’une variante de son jeu politique :
l’accomplissement d’un événement programmé dans le cadre d’une culture
magique,lemariage de MargueritedeValois, princessecatholique,avec leprince
huguenot Henri de Navarre. Le 11 avril 1572 est signé le contrat de mariage
d’HenrideNavarreetdelasœurduroi,précisantqueladotserade885000livres,
et bientôt suivi par un traité d’alliance avec la monarchie anglaise le 29 avril. Le
traité établit les clauses d’une possible ligue anti-espagnole. Charles IX écrit
d’ailleurs à Louis de Nassau pour lui dire qu’il est lui-même de jour en jour plus
persuadéquesesdécisionssontpertinentesetscellentlesconditionsnécessairesà
uneguerrejuste:
Télignym’afaitentendrelesgrandsmoyensquiseprésententpourfairequelqueentreprisepourlaliberté
des Pays-Bas : on nous demande seulement que nous leur donnions la main pour les arracher de cette
oppression,choseenlaquelletoutprincegénéreuxetchrétiendoitemployerlesforcesqueDieuamisesen
sesmains,commejesuisbiendéterminédelefaire,autantquelesoccasionsladispositiondemesaffairesle
permettront78 .
La politique de mise en scène semble fonctionner : entre le 17 et le 20 avril,
GiovanniMariaPetrucci,ambassadeurdeCômedeMédicisenFrancedepuis1565,
écritqueleroiaprisunerésolutionquivacontrelavolontédesamère.Etpeut-
êtrefaudrait-ilallerplusloindansl’hypothèsedecettethéâtralisationquiauraitvisé
à désorienter ceux qui auraient cherché à comprendre la politique royale. Le
portraitdeCharlesIX quedonneraun peuplustard GiovanniMichielseraittrès
significatifd’unevolontéduroidedemeurerhorsdetoutelisibilité.Dansl’univers
renaissant imprégné de réminiscences cicéroniennes, si la physionomie est le
miroirdel’âme,lesyeuxensontletruchement.Lesyeuxparlentsansparler79,ils
sontunoutildecommunication,voiredecommunion.Silesyeuxneselaissentpas
voir,c’estlaconnaissancedel’âmedel’autrequiestimpossibleparcequ’elleesttout
entièrerepliéedéfensivementdanssonintérioritéet,pour leroisansdoute, dans
uneobsessionde«celersonsecret».
Charles IX, dans le portrait que trace de lui l’ambassadeur Marino Cavalli80,
semble tout faire pour échapper à la capture de son regard, pour ne pas laisser
percevoirsesaffectsetsesémotions,pournerienlaisserdevinerdesesréactionset
surtoutpourmaintenirl’énigmequ’estsapolitique.«Ilpassepourêtreendessous,
commelemontretrèsbiensonairsombre.Quandonluiparle,ilneregardejamais
enface,mais,avecsesépaulescourbéescommelesavaitsonpère,ilal’habitudede
baisserlatêteetlesyeux,puisdelesrelevertoutàcoup,cequ’ilsemblemêmefaire
avec peine. Et, après avoir regardé en l’air ou jeté un coup d’œil vers son
interlocuteur,illesabaissedenouveausubitement81 .»CharlesIXsemetenscène
commele contrairedu princequi se laissereconnaître plusà sonregard qu’à son
aspect. Il donne l’apparence d’un homme replié dans des secrets qu’il ne veut pas
partager. Précisément, ne retrouve-t-on pas ici un acteur politique se mettant en
scène de manière énigmatique justement parce qu’il gouverne par le recours à
l’énigme82 ? À commencer par l’énigme de lui-même qu’il montre à voir en la
couvrant d’une mélancolie qui peut avoir été de composition afin d’établir une
distance entre lui et ses sujets, une énigme qu’avait bien cernée Michelet, sans
toutefois l’intégrer dans les procédures d’autosymbolisation du roi, en postulant
qu’ilavaitétéetdemeuraitencoreune«énigmepourtousetpourlui-même83».
CharlesIXnetend-ilpasàmétaphoriserlejeuauquelilselivreavecsamère,qui
consiste à mettre en œuvre savamment une indétermination, une opacité ou
imperméabilitédestinéeàrésisteràtoutetentatived’appréhension,dèslorsqu’elle
pourrait parasiter l’avancée stratégique vers l’union des cœurs84 ? Cette politique
qui voit le roi se prendre au jeu de celare verbum est une politique de la non-
proférationdemots,derésistanceàlaconvoitisedesyeuxinquisiteursdel’autre,et
se dédouble dans une passion pour la chasse qui isole encore le roi puisqu’il lui
arrivederesterentredouzeetquinzeheuresàchevalsansmettrepiedàterre,voire
à traquer un cerf durant deux ou trois jours. L’absence durant laquelle il se rend
introuvable,etdoncinvisible,participedelamêmeimperméabilitédupouvoir,de
sonjeud’illisibilité?CharlesIXparaîtdéployerunartdecontournementdetoute
appréhension en assimilant son personnage à un joueur de paume. Ce qui
expliquerait aussi les « fatigues excessives » qu’il s’infligeait et qui étaient
«incroyables»,etaussilefaitqu’ilétaitheureuxquandonluidisaitqu’ilmontrait
des«manièresetuntempéramentdesoldat».Maisnefaudrait-ilpasimaginerque
cette mise en scène de soi, en parallèle de la valorisation d’un jeu d’acteur
apparemmentantinomiquedeceluidesamère,apourobjetdefairelaguerreàla
guerre?Etcelaensynergieavec CatherinedeMédicisqui,selonMarinoCavalli,
luiauraitdictétoutcequ’ildevaitjoueràdireetàreprésenter.
Onpeutpoursuivreschématiquementlareconstitutionévénementiellesaisiesous
l’angle d’une manipulation savante : dans le cours du mois de janvier 1572, les
GuisesontdansParisetdéposentunesuppliquedemandantjusticecontrel’Amiral,
qui est rejetée ; le duc Henri, le 14 janvier, sollicite en effet de Charles IX
l’autorisation de provoquer l’Amiral en duel ou de faire appel à un arbitrage
composédesfrèresduroietdesmaréchauxdeFrance.Luietsonlignagesontmis
en garde de ne rien tenter le 27 mars 1572, par des lettres closes déclarant que
l’honneurdela veuveet desenfantsdu ducFrançois deGuise nerelevaitpas des
poursuitesquipouvaientavoirétéengagéescontreColigny.Audébutdumoisde
mai, Gaspard de la Chastre de Nancay rend visite successivement aux Guise à
Reimset à Coligny àChatillon-sur-Loing pour leur signifierqu’ils doivent cesser
toute manifestation d’antagonisme et d’inimitié. Et les princes lorrains, le
12mai1572,prennentl’engagementdenejamaiscontrevenirauxarrêtsroyauxet
font retour à la cour, suivis en juin par Coligny. C’est un obstacle à la stratégie
monarchique qui semble désormais désamorcé, tandis que des négociations sont
engagées avec Élisabeth Ire . Mais toute cette progression semble aux « bons »
catholiquesêtreorientéedansleseulsensrépondantauxattentesdeshuguenots.
Lerésultatpositifetattendudecetravailpolitique,tenduversunévénementfinal
–lemariaged’unprinceprotestantetd’uneprincessecatholique–quiseulcompte
parcequ’illuirevientd’absorbermagiquementlesprotagonistesdansunepratique
lesdésengageantdeleurstentationsantagonistes,aétéd’abordlavenueàlacourde
Jeanne d’Albret, dès le 15 février 1572. Des tractations parallèles sont menées
difficilement, mais, grâce au soutien de Ludovic de Nassau, elles conduisent
finalement la reine de Navarre à accepter le mariage de son fils Henri avec
Marguerite, la sœur du roi, la monarchie s’engageant à faire la demande d’une
dispensepontificale.Cettedemandeesteffectuée,CatherinedeMédicischargeant
l’émissaire de cour de France de faire savoir au pape que les apparences et les
médisances ne doivent pas le tromper et qu’une rétractation en douceur de la
Réforme a enfin commencé du fait de l’exercice d’une politique de « douceur ».
Tout le système mis en place est un système de signes et de contresignes, et, au
signequevientdelancerlepartiprotestantenacceptantleprincipedecemariage,
la royauté répond par un autre signe qui va dans le sens des demandes
d’engagementmilitaireauxcôtésdesréformésdesPays-Bas:àBordeauxetNantes,
des préparatifs militaires semblent engagés, qui pourraient annoncer une
expédition navale française vers les Pays-Bas. On ne serait pas loin, ici, d’un
déroulementdeséchangesdansunepartiedejeudepaume.
Le 29 mars 1572, Coligny fait pression sur la royauté en écrivant au roi qu’il
constate « les affaires réduites en tels termes qu’il est besoin que Votre Majesté
prenneuneprompteettoutesfoisbiendigéréerésolution».IlsupplieCharlesIXde
faire le choix d’une option claire et d’accéder à la certitude que sa « grandeur et
ruine»dépendentdelacéléritéd’unengagementquinepeutplusattendre.
Alorsquetoutsemblefavoriserlapolitiquedepaixintérieuredelamonarchie,un
événement imprévu se produit, qui perturbe l’affermissement magique de la
concorde:ils’agit,danslanuitdu31marsau1er avril1572,dudébarquementd’un
contingentdeGueuxdemerquioccupentlaplacedeLaBrielle,puisrallientàleur
cause les habitants de Gorkum et de Flessingue ainsi que nombre de places de
Zélandeàl’exceptiondeMiddlebourg.LaFranceseretrouvemiseendifficultépar
cetteinitiativequiparasitesoncalendrier.Ilnes’agitpasicid’entrerdanslesdétails
de la course de vitesse qu’engagent les huguenots pour obtenir l’intervention
française contre l’Espagne ; l’important est de mettre en évidence la construction
d’un théâtre qui peut avoir été un théâtre de la simulation, un théâtre des
apparencesdanslequelleroietsamèreparaissents’êtrerépartilesrôles,l’unallant
danslesenssouhaitéparlesréformés,l’autreintervenantpours’yopposer.Et,au
seindecettepolitiquedelaprudence,viennentsegrefferdesconseilsderetenueou
d’encouragement:c’estlerésidentfrançaisàBruxellesquisolliciteleroidenepas
laisser s’échapper une « si belle occasion » qu’il se doit d’« empoigner à beaux
cheveux85»;c’estlemaréchaldeTavannesqui,suscitéprobablementparlareine
mère,adresseàCharlesIXunavisluiconseillantdenepasbougerjusqu’àcequ’il
sachedemanièrecertainesilamobilisationdescalvinistesdesPays-Basderrièrele
prince d’Orange regroupera des forces plus nombreuses que celles dont dispose
dansl’immédiatleducd’Albe.L’actiondesGueuxn’empêchepasCharlesIXdese
maintenir sur la ligne qui est la sienne face à sa mère : il demande à son
ambassadeuràConstantinopled’avertirleGrand-Seigneurque,bientôt,uneflotte
portant de douze à quinze mille hommes va prendre la mer sous le prétexte de
protectiondeslittorauxfrançaisetmaisenréalitépour«tenirdeRoycatholiqueen
cervelle»etdonnerappuiauxGueuxdésormaisinstallésenZélandeettentantde
prendre possession de la Hollande. « Toutes mes fantaisies sont bandées pour
m’opposeràlagrandeurdesEspagnols86.»
Le pouvoir, par ce bicéphalisme théâtral qui fonctionne en son centre et sur sa
périphérie, et qui veille à attendre le kairos le plus favorable à la consolidation
prudentielle de la paix, joue ce qu’il souhaite obtenir, la confusion des contraires
destinéeàconstruirel’harmonieentrelesanciensadversaires.Toutmontrequela
mère et le fils sont en communication constante et qu’ils s’échangent les lettres
qu’ils reçoivent. Il n’y a pas de secrets entre eux, et ils cherchent à faire avancer
l’histoireverslafinqu’ilsdésiraientvoiradvenir,enactivantunjeudepostureset
deparolesantinomique87.
Lemariagepourmettrefinauxhaines
Cequiestsecretestlenon-ditd’unjeuderôlesqu’ilsmaîtrisentpourdésorienter
ceuxqui voudraientle contesterou l’entraver. Dansun premiertemps, le roifait
semblantd’attendreunengagementanglaisauprèsdesinsurgés,leposantcommela
condition de sa propre mobilisation militaire. Puis, comme les chefs militaires
huguenots se font plus pressants en arguant de la nécessité urgente d’une
intervention, Charles IX semble faire le choix de laisser partir Louis de Nassau,
venuàParisauxcôtésdeJeanned’Albret,etle«Bayard»huguenot,Françoisdela
Noue,pourinvestiretoccuperlesplacesstratégiquesdeMonsetValenciennes,les
22 et 23 mai. Alors que Coligny cherche à forcer l’histoire, la politique royale
semblen’avoirpourfinquedegagnerdutempsgrâceàdessimulacres,commele
ditunmémorialistedutemps:«Iln’osoitrejetterleconseildeColigny,depeurque
ce seigneur n’entrat dans quelque défiance ; d’un autre côté il ne vouloit pas
s’avancerjusqu’àdéclareruneguerre,qu’iln’avoitaucuneenvied’entreprendre;il
necherchoitqu’àgagnerdutemps.»Gagnerdutemps,pourallerjusqu’aubutquele
pouvoirseseraitdonnéetauraitprogrammé:lemariageroyald’oùprocéderaitune
histoireenfinenruptureavecleparoxysmetragiquequis’estemparéd’elledepuis
1562.Carlapressionestaussidansl’espaceduroyaume.PastrèsloindeParis,les
tensions sont fortes et émaillent la succession des jours jusqu’au temps d’avant
massacre:ainsienmai,unnombreimportantderéforméstroyenssontincarcérés
pours’êtrerendusàunprêchehorsdulieudeculteofficiellementoctroyé88.Mais
gagnerdutemps,c’estaussirecouriràlamiseenénigmedeladécision.
Le8juin,HenrideNavarre,leprincedeCondéetlecomtedeLaRochefoucauld,
avec un cortège imposant de gentilshommes, font leur entrée dans Paris. À leur
rencontreviennentlesducsd’Anjou,d’Alençon,deNeversetd’autresgrands,mais
aussil’Amiraldéjà présentdansla capitale,avec20 cavaliersà sescôtés,ainsi que
«tout»leParlementet136archers.Cetteentréemarqualedébutd’uncyclefestif
auquel prirent part Navarre, Alençon, Condé, d’Aumale et d’autres nobles venus
pour le mariage : durant quelques jours, il y eut un tournoi dans les jardins des
Tuileries,et,aprèsd’autresréjouissances,ilfutprocédéàuncrirépététroissamedis
consécutifs d’un édit exigeant de chacun de respecter la paix civile : quiconque
l’enfreindraitetrefuseraitledevoird’oublidelaguerrepassée,encourraitunejuste
punition. Et l’espace public n’en semble pas moins avoir été troublé par des
contestations ponctuelles, puisque « plusieurs furent pendus pour avoir violé
l’édit»,surordreduducd’Anjou.
Deuxfaitsjouenten faveurde lastratégieroyale :d’unepart, lamortdeJeanne
d’Albretle9juin1572,quiprivelepartiprotestantd’unefigurehistoriqueméfiante
à l’égard de Catherine de Médicis et de son fils, et qui détermine, pour raison de
deuil et certainement pour des considérations astrologiques, un décalage de la
cérémonied’unionausamedi18août;d’autrepart,lethéâtrepolitiquesemblebien
fonctionner, dès qu’il est visible que le soulèvement massif des Flandres que
promettaientlesGueuxetLouisdeNassau,àl’appeldeGuillaumed’Orange,nese
produit pas et qu’au contraire le duc d’Albe parvient à reprendre peu à peu le
contrôle de la situation. Charles IX lui-même donne des gages de ce qui serait le
doubledelui-mêmesoussonapparentattachementàlaguerre,puisque,le16juin,
iladresseàJeandeVulcob,sieurdeSassy,ambassadeurauprèsdel’empereur,une
lettredanslaquelleilsedésolidarisedel’entreprisedeLouisdeNassauetévoquele
« juste jugement de Dieu envers ceulx qui s’eslèvent contre l’auctorité de leur
prynce».Dèsledébutjuillet,GiovanniMariaPetruccipenseque,faceàceuxqui
veulent la guerre contre l’Espagne, le roi et sa mère font désormais bloc, « parce
qu’ilssontdéjàfatiguésdestamboursetdestrompettes89».Ilestprocédétoutefois
le9juillet,àLaBrielletenueencoreparlesGueux,àl’exécutiondeseizeprêtreset
moinesemmenés depuis Gorkum, dansdes circonstances atroces, dontil faudrait
savoirsilanouvelleputparveniràParis.
Toutepromesse,danslasociétédutemps,estcependantuneaffaired’honneur,et
leproblèmeestqueColignys’estengagéàvenir enaideauxfrèrescalvinistesdes
Pays-Bas et qu’il a impliqué le parti protestant dans ce sens. Sa parole l’a engagé
crucialement auprès des siens. La royauté se doit donc de tout faire pour que
l’honneur du capitaine protestant soit préservé et ne le porte pas à décider une
mobilisation militaire anti-espagnole impliquant le seul parti huguenot dans un
conflitavecl’Espagne.Ilnedoitpasapparaîtrecommeresponsabledelarupturede
sa parole, non plus que le roi en personne ne doit passer pour être à l’origine de
l’abandon du projet de guerre qui vaudrait pour marque de défiance à l’égard de
l’Amiraletdesonparti;carcettedéfiancerévéleraitqu’iln’auraitjamaisétésincère
et aurait été un prince du mensonge. Il s’agit, sans attendre, de parvenir à une
neutralisationdelatensionbellicisteparvoied’euphémisationetdoncdemaintenir
leroidanslasphèredel’énigmatique.Onrecourtdoncàunstratagèmenormalqui
estdefairedéciderenconseilduchoixdelaguerreoudelapaix.Ladélibérationen
conseilduroiprésentedeuxavantages:elleviseàpermettreàColignydesortirdes
débats des semaines précédentes la tête haute, puisqu’elle enraie le risque de voir
transforméeenunaffrontpersonneldelamonarchieàsonégardunedécisionde
non-intervention militaire qui repose sur une sagesse commune, soit la mise en
balance argumentée par divers hommes de savoir des données positives et
négatives.Surtoutlaroyautéretirelebénéficedeparaîtreneutredansunchoixqui
est collectif, à l’issue d’une succession de prises de paroles permettant que soient
peséslepouretlecontreduprojetdeguerreanti-espagnole.Encejeudemiseen
énigmevisantàdésorienteroudéjouerlesprotagonistes,lamonarchiejouecomme
àlapaume,sanscraindreladéfaitecommeilestédictéen1555dansleTrattatodel
giocodellapallad’AntonioScaino:
Pourquenotrejoueurpuissejouerlongtempsgrâceàunefouguegaillardeetàunevigueurassurée,tirant
avantage de l’art en plus des dispositions physiques, il faut qu’il entre sur le terrain le cœur intrépide et
fougueux car l’esprit de celui qui a peur de la défaite devient lent et plein de doutes, chose qui est très
contraire à la hardiesse et à l’agilité du corps […] Il ne sera pas pressé de frapper la balle mais très
circonspect […] et il la suivra toujours fixement du regard, mais avec une certaine nonchalance de la
personne[…].Ildoittoujourstâcherdeprendrel’adversaireaudépourvuet,commel’ondit,hors-temps90.
Ledésengagement,ponctuépardesscènesaucoursdesquelleslareinemère,selon
lesrumeursquipersistent,auraitexhortésonfilsàprivilégierl’optionréalistedela
paix,sedérouleencinqtemps:unpremierconseilsetintauchâteaudeMadridle
19juin.Colignyysoulignequel’occasiond’affaiblirl’Espagneestuniqueetqu’ilne
faut pas la laisser passer, toutes les Flandres n’attendant qu’un signal d’un appui
français pour prendre les armes. Catherine de Médicis ne serait pas intervenue,
maisCharlesIXsembleavoirdonnédessignesd’accord.C’esttoutefoisunefoisle
conseillevéquelecomtedeRetzauraitfaitpartàColignydesonscepticisme.Àses
yeux, la paix était une chance qui risquait de se perdre, et il évoqua « plusieurs
regrets du malheur de la France qui avoit laissé et laissoit passer une si heureuse
occasion de rendre la monarchie proportionnée, parfaicte, accomplie, arrondie et
limitée des bornes que les montagnes, les mers et les rivières luy ont, dès le
commencement du monde, ordonné, ce semble, pour son naturel pourpris ».
Colignyaurait répliqué en affirmant que cette chance se perdra aussi si la France
dédaignelaconquêtequiseproposeàelle.Etilseraitallémêmejusqu’àavancerque
Charles IX, une fois victorieux, pourrait faire cadeau à la maison de Lorraine du
Luxembourg et de la Gueldre afin de montrer que l’association, dans la guerre à
venir, des catholiques et des huguenots pouvait être profitable à tous et qu’une
nouvellegrandeurdelaFrancepouvaitpasserparuneunionquirépéteraitcellequi
avaitfaitlapuissancedeRome;enl’occurrencecelledesRomainsetdesSabins.
Unsecondconseil,tenuencoreauchâteaudeMadrid,reprendlesdélibérationsle
26juinetvoitlepouvoirroyalrefuserdedonnersonsatisfecitauprojetdeColigny.
SelonDiegodeZúñiga,laquestionàl’ordredujourestdedéterminers’ilfautoune
fautpasrompreavecl’Espagne.Leducd’Anjouestlepremierintervenant;illitun
textedontTavannesrevendiquerad’avoirétélerédacteuretinsistesurlefaitqu’ily
atropderisquesàentrerenconflitouvertavecleroid’Espagne,unallié.Ensuite
parle le maréchal de Tavannes lui-même qui dit que le projet protestant
apparemment sous-estime l’armée du duc d’Albe et au contraire surestime
artificiellementlaforcemilitairedesGueuxdemer.Sijamaisilarrivaitqueleduc
d’Albesoitvainqueur,leroyaumedeFranceconnaîtraitdetrèsgrandesdifficultés,
et, s’il était défait, le vrai vainqueur serait le parti huguenot qui aurait de quoi
imposer sa volonté au roi. De toute manière, le choix de la guerre mettrait la
France en danger, surtout parce que les huguenots, à un moment ou l’autre,
recibleraient leurs ambitions sur le royaume et n’hésiteraient pas à le livrer aux
affresdelaguerrecivile.LaguerrequeColigny,deplus,proposenecorrespondpas
àce que doit être une guerre juste ; la paix est laseule solution, dans l’immédiat,
face à une conjoncture périlleuse. Le nerf de la guerre est l’argent, et les finances
royales sont épuisées. L’armée a périclité durant les troubles civils, etc., et, aux
difficultésintérieuresduroyaume,ilnefautpasenajouterd’autresenfaisantd’un
ami«sonennemysigrand,quevotreEstatpuissecourirfortuneàcausedetantde
necessitez».
JeandeMorvillierinsistequantàluisurlefaitqu’ilfautselaisserguidernonpas
parlafortunemaisparlaraisonquiinciteànepasallerdanslesensd’unecertitude
quelesPays-Basseraientprêtsàlarévolte,quel’AngleterresuivraitlaFrancedans
son option de guerre, que les princes allemands seraient disposés à s’associer à
l’entreprise.Enoutre,ilnefautpasnonplusselaisserbercerparl’assurancequele
rejet d’une noblesse agitée hors du royaume garantirait le repos intérieur de la
France:carleroid’Espagne,detoutefaçon,finiraitparagressermilitairementla
France. Le peuple des Flandres, en premier lieu, n’est pas fiable parce qu’il a un
naturelquiluifaitrefuserl’absolutismemonarchique.Ilfautenoutretenircompte
delasuperpuissanceespagnoleetdel’instabilitéduprinced’Orangeetdesesfrères,
dont les promesses sont sujettes à caution. Attention, est-il affirmé de manière
appuyée, à ne pas se laisser leurrer par les forces prétendues qu’ils revendiquent
d’avoirà leurscôtés.En conclusion,Jean deMorvillierreconnaît quela conquête
française des Pays-Bas serait extraordinaire pour le roi de France, mais il ajoute
qu’ellen’estpasdel’ordredupossible;ilneparvientpasàimaginerque,dansles
circonstancesprésentes,ellepuisseêtreréalisée.Lepérilseraitqueleroyaumede
Francesoitengagédansuneguerreépuisanteparcequesansfinavecl’Espagne.
Coligny,dansladéfensequ’ilprésenteensuite,s’appuiesurunmémoirerédigépar
Philippe du Plessis-Mornay : il identifie la guerre contre l’Espagne à une guerre
d’honneurcontreunennemi,PhilippeII,quin’acherchéetnecherchequ’àaffaiblir
lagrandeurdelaFrance,attendantquelesceptredeCharlesIXetsacouronnesoit
briséspours’enemparer.CharlesIXnepeutpasfairemachinearrière,cariladéjà
commencélaguerreenaccueillantenFrancedesgentilshommescommeLouisde
Nassau,quePhilippeIIconsidèrecommedesrebelles,etseposeencoreleproblème
de Genlis désormais captif. La guerre sera aisée à conduire, car « le peuple ne
demandeque les armes ». La reine Élisabethest l’alliée de laFrance, tout comme
l’Allemagne.CharlesIX doitsavoir quesessujets, désormaisdélivrésde laguerre
civile, se mobiliseront financièrement et militairement en témoignage de leur
reconnaissance. Il sera accueilli en « libérateur » aux Pays-Bas et il fera ainsi
l’acquisition, de manière aisée, d’un pays d’une grandeur, population et richesse
remarquables.Ilseraainsile«plusgrandmonarquedelachrétienté».
Tavannes aurait alors repris la parole pour remettre les pendules à l’heure à
propos des forces présumées des rebelles. La France risque d’être défaite dans le
cours de la guerre. ll faut prendre en considération que le duc d’Albe, sous peu,
pourraavoiràsadisposition«unedesplusgrandesarméesquiaitestéilyalong
tempsensemble».ll disposed’argentenabondance« pourcontinuerla guerreet
mettreleschosesàlalongue»,d’autantqu’il«tientlepaysdequoyilvivra,alors
que les troupes adverses mourront bientôt de faim ». L’hiver approchera vite,
rendant la conquête des Flandres impossible en raison des marécages et de
l’humidité des terres ; surtout la guerre entreprise par le roi de France mettra
commeàunjeudehasardledevenirduroyaume,oùilya«unsigrandnombrede
peuple»quivivantdansl’anciennereligion,devraitparticiperaufinancementdes
opérationset pourraitmenacer de serebeller : «Est ensomme porter laquerelle
d’unepoignéederebellesdedehors,pourenfaireungrandnombrededans.»
Le roi serait demeuré imperturbable face à ces prises de paroles, même si les
présuméesMémoiresdeTavannesrapportentquel’interventiondumaréchalnefut
pas bien reçue, « joinct à la vacillation de la Royne possédée d’espérance, de
timidité,etdesafillequidevoitestreroynedeNavarre,delaterreurd’uneguerre
estrangere91».Leconseilressembleplusàuneséried’exercicesdestyleévaluantla
part du positif et celle du négatif dans la guerre qui pouvait intervenir. Mais
Catherine de Médicis aurait semblé en réalité considérer que les choses sont en
quelque sorte préréglées. Elle écrit au pape le 5 juillet que le bruit d’une guerre
contrel’Espagneestsansfondementetquesonfilsestloindelasouhaiter:«Jepuis
asseurer qu’il ne la commencera jamais, si l’on ne l’y constraint par force, et ne
désire que d’establir le repos de son royaume, lequel il se promet entier par le
mariageduroydeNavarre 92.»Iln’ya,àsesyeux,aucunflottementdanslesystème
de pouvoir de Charles IX, et l’entrevue qu’elle a ensuite avec Coligny ne produit
aucuneavancéedansunsensoul’autre.Cequin’empêchepasqueCharlesIXnese
découvretoujourspas:ilenvoiesonémissaireGian GaleazzoFregoso,quiaurait
été peu auparavant à l’origine d’un plan de partage des Pays-Bas, vers Louis de
Nassau,puisversleprinced’Orange 93;cedernier, s’approchantdeValenciennes,
constate que la bannière espagnole y flotte à nouveau. Mais ne s’agit-il pas de
continueràdonnerdesgagesdebonnevolontéaupartihuguenot?D’autantque,le
7juillet,estatteintundesobjectifspermettantlaréalisationdumariage:leroide
Navarre est dans Paris. Son cortège, lors de son entrée, aurait compris 800
gentilhommesqui,commelui,portaientledeuil94.
Sinousréfléchissons,cesdiscoursqui,prononcésenconseil,auraientétédestinés
à faire jaillir une raison royale des contradictions des propositions et des faits,
renvoient à une utopie rhétorique humaniste à laquelle la reine mère est depuis
toujoursattachée.Deladiversitédesmots,deleurdissemblanceoudiscordance,de
leur énigmatique, doit et peut ressortir une sagesse à même de réparer des
antagonismesquiopposentleshommesetrisquentdelesporteràs’entretuer.Cette
utopieestfondéesurlacertitudequelaparoleaétédonnéeauxhommesnonpas
pour qu’ils s’opposent et basculent dans la violence, mais puissent se rassembler,
s’unir pour vivre loin des tentations d’inhumanité. Avant le don de la parole, les
humains vivaient dispersés, sur le qui-vive, ne se rencontrant que pour se faire
violence.Laparoleestfondatriced’unordred’amitiéentreleshommessanslequel
nullesociéténepeutsurvivreetdontlesfemmessontlesgardiennes.
Dans la conception néoplatonicienne que le « Platon françois », Loys Le Roy,
vulgariseàlacourdeCharlesIXetquiasansnuldouterencontrél’attentiondela
reinemère,lemondehumainavécuunehistoirequil’arendu«politique»ausens
oùleshommesontétéamenésàvivreensociété.IlrevientàConcordedelesavoir
soustraits à la vie sauvage qu’ils « menoient nuds et velus parmy les forests et
montaignes, és creux des arbres, et cavernes hideuses, et les a reduits en ceste
sociétéetdouceurcivile».Concordelesad’abordassemblésparlesmariages,puis
et surtout « par la communication des lettres et du langage ». C’est du fait de ce
principedemédiationqu’ilsontpurecevoirenfinl’artetlamanière«desenourrir
etvestirhonnestement,d’edifiermaisons,chasteaux,forteressesetvilles:devivre
en republique avec Loix, Magistrats, jugemens, avec tant d’arts mecaniques et
liberaux,rendantlesgensexcellentsensapience,doctrine, vertu».Toutestvenu
dulangageetdesacapacitéàréuniretàenseigner.
À l’opposé, la discorde relève pour Loys Le Roy d’une évanescence ou d’une
corruption du principe fondateur de l’échange des paroles et de la mise en
conjonctionnégativedesantinomiesverbales.Etilestfrappantdeconstaterquela
discordenecorrespondpasàunedisparitiondulangage,elleinscritsadynamique
néfaste dans le développement d’une mécanique de déplacement de la finalité
harmonique des mots, qui, loin de secréter l’amour et l’ordre entre les êtres
humains, les éveille au doute, au soupçon, les dresse les uns contre les autres, les
sépareenlesportantàvivrepoureuxseulsetnonpasenempathiesociale:«Par
discordelesgentsdemeurentdispersetvagabonds,pleinsd’erreuretdecrainte,ne
s’osansfier à lieu ne à personne quelconque.» Loys Le Roy distingue alors entre
puissancedevieetpuissancedemort:«Brief,concordeetdiscordesemblentavoir
difference telle entre elle, qu’ont la mort et la vie : naissantes toutes choses en
concorde,perseverantesetvivantes:quianeantissentetperissentendiscorde 95.»
Faceàl’universsombredeladisharmonie,lavraieparoleestunelumièrequiouvre
les êtres humains les uns aux autres et peut permettre, non pas d’occulter le
tragique d’une existence marquée par le péché, mais d’empêcher qu’elle ne glisse
dans le chaos. Vivre humainement est vivre dans l’échange des mots et dans la
modération qu’implique cet échange, vivre non pas par et pour soi, mais en
communicationavecl’autre.
Car la vraie parole ne tourne pas sur elle-même, ne vaut pas par et pour elle-
même, elle est innervée par la foi et elle est tendue vers la charité nourrie
d’espérance.Lasagessehumainen’estqu’unesagesseenpointillé,GuillaumeBudé
l’avaitprécédemmentécritdanslaPraefatioqui,dédiéeàFrançoisI er ,inaugureleDe
transitu Hellenismi ad Christianismum. La parole, pourvu qu’elle vise l’harmonie,
participed’un désir de Dieu. Si elle tend vers les vertus d’espérance et de charité,
elle est supportée par la foi dont elle est une expression. La philologie majeure,
malgrésesaspectssévères,doitêtreprivilégiéeparrapportàlaphilologiemineure
qui, usant d’artifices pour séduire, est prométhéenne en ce qu’elle est seulement
humaine.Elleacetteparticularitédes’inscriredans«unesortede chaîned’ordu
Verbe divin et céleste, dont les maillons et les nœuds sont constitués par la
successiontrèscomplexedesactesdelaProvidence,quelesAnciensappellentaussi
“économie”et“théurgie”».Elleélèveversleciellesmortels,ellelielecieletlaterre.
Harmonique est la parole qui, une fois reçue et perçue du Ciel, respirant de « la
Minervecélesteetdivine»,sedonnecommefind’opérerpourleChristsurterre.
ElleestuneparolephilosophiqueappriseduChrist:«Effectivement,cettemême
philologie,quin’estpasfondée,tellequelaphilosophieancienne,surlaconfiance
enl’esprithumain,neconsidèrepascommehommeachevéetparfaitceluiquiest
constitué seulement d’une chair vivante et d’un esprit doté d’intelligence et imbu
d’uneraisonparfaite,c’est-à-diredroiteetexacteselonlarèglephilosophique96 .»
Philologie mineure et philologie majeure doivent donc être associées dans une
grandeœuvrederenouvellementdelarhétorique.
Dansunmondechargéd’unsensdramatiquequiinspiraitgénéralementl’idéeque
le faire devait primer sur le dire, dans un monde toujours en tension
d’assombrissement sous l’effet des assauts de la mort et de la violence, une
épistémologie politique voulut tenter de proposer un apaisement, une forme de
consolationsur un mode empirique. Les langues, dans le monde, ont une unique
origine, selon ce qu’affirmait Joachim du Bellay : la fantaisie des hommes ; mais
ellesontaussiunefinalitéquitranscendeleurinfiniediversitéetlarichesseplusou
moins grande des unes et des autres : « signifier entre nous les conceptions et
intelligencesdel’esprit97»etrecréercequiaétéperduaprèslepéchéd’Adam:un
sens de la communion humaine, de la concorde. La parole de la reine mère
s’intégrerait alors dans la conception humaniste du langage cernée par Michel
Foucaultentant quela« figured’un mondeen traindese racheteretse mettant
enfin à l’écoute de la vraie parole98 ». Cette philosophie de l’esprit cherchait à
rendregrâceàl’Espritdivindansladispensationd’uneparoleàlafoisapaisanteet
unifiante.
Etce fut sur les basesd’un logocentrisme travaillant pour quel’humanité puisse
aller à la rencontre de la Croix du Christ que l’imaginaire du travail politique de
CatherinedeMédicis–etsansaucundouteaussidesonfils–cherchaàsedonner
une cohérence sur la base d’une distinction capitale entre la parole ensauvagée,
négativeparcequemultipleetdoncantagoniste,etlaparoleordonnée,dontellese
voulaitlamaîtresse.Faceàdesdiscoursdesurenchèrequibloquenttoutevéritable
communication parce qu’ils sont instrumentalisés pour menacer l’autre, pour le
faire plier, la conception de la conversation à laquelle peut être référée la culture
curialedeCatherinedeMédicisserapprochedecelledeLouiseLabé,tellequ’elle
estthéoriséedanslecoursduDebatdeFolieetd’Amour.
En face, le mauvais langage est celui qui fonctionne à sens unique, de manière
unilatérale ou systématique, sans le principe d’équilibrage dialogique. Pour bien
parler,ilfautparleràl’autreetfaireparlerl’autre,parlerensemble.L’argumentdu
Debatest le suivant.Amour et Folieentrent en disputesur leur droitrespectif de
préséance,alorsqu’ilsdoivententrerdanslepalaisdeJupiteroùilsontétéconviés.
Amour mesurant qu’il n’est pas en mesure de vaincre Folie par ses paroles lui
décocheuneflèchequinetouchepassacible.Folie,devenueinvisible,sevengeen
rendantAmouraveugle.Jupiter,ayantprisconnaissancedececonflit,désignedeux
avocatspourdébattredudroit del’uneet del’autrepartie,avantde prononcersa
sentence. Par-delà la parodie des plaidoiries dont Mercure et Apollon se font les
truchements, comme l’écrit François Rigolot, l’enjeu du Débat tournerait entre la
«recherchedel’absoludelapossession»etla«délectationdanslechaosdudésir».
Jupiterrendfinalementsonjugement,toutenmarquantquedésormaisAmouret
Foliesontliésdemanièreirrémédiable,Foliedevantguiderl’aveugleAmouràqui
sesyeuxserontrestitués,etAmourpouvantexigerd’êtreguidé«partoutoùbon
luisemblera99».
Ledialogue,construitsurlesbasesd’unéchangeentre accusationetdéfense,est
conçu comme l’élément restaurateur d’un ordre de vie en commun, sans devoir
débouchersuruneconclusionquimarqueraitlaprimautédel’undesprotagonistes
surl’autre,ouquiconsacreraitquelavéritéestd’uncôtéplutôtquedel’autre.Siles
dieux qui ont assisté au débat sont partagés, Jupiter prononce son arrêt en
soulignantqueprimele«vivreamiablementensemble».Quantàlarésolutiondu
différend,Jupiterentérinelefaitquel’affairedoitêtreremise«àtroisfois,septfois,
neuf siècles100 ». À jamais en réalité… Mais la forme, dans ce Débat, est
surdéterminée par le contenu qui chante le bonheur d’une société traversée par
l’amour des femmes, par la force civilisatrice d’un sexe initié aux sciences
vertueuses ; surtout quand Apollon se lamente sur le caractère malheureux,
misérable, de ceux qui vivent sans amour, sans la passion que les femmes
suggèrent:«Cesontgensmornes,sansesprit,quin’ontgraceaucuneàparler,une
voixrude,unallerpensif,unvisagedemauvaiserencontre,unœilbaissé,creintifs,
avares,impitoyables,avares,etn’estimanspersonne:Loupsgarous.»
Trèstôt, la reine mère seveut la réconciliatrice etla modératrice qui travailleà
apaiserlavirulencedesmots.EstiennePasquierparladeson«hautcœur».Ilfaut
iciprendrel’exempledesrelationsentrelesGuiseetleprincedeCondé,arrêtéle
31 octobre 1560 et condamné à mort pour crime de lèse-majesté, mais libéré au
lendemain de la mort de François II. Louis de Condé, qui refuse de sortir de sa
geôle avant le 20 décembre, entame alors une longue lutte pour retrouver la
plénitudedesonhonneurqu’iljugesouilléparsacaptivitéetlesaccusationsquiont
étélancéescontrelui.Ilveutetexigeunejustificationquinefassepasdesamiseen
liberté une simple mesure de grâce, et pour cela il réclame que ses accusateurs,
évidemmentlesGuise,soientdémasqués.IlsereplieenPicardie,puis,àl’issuede
tractationsmenéesparsafemmeÉléonoredeRoyeetparleConnétable,ilserend,
avecun«cortège»decentchevauxetplus,àlacour,àFontainebleau.Pournepas
donner une impression menaçante, il congédie en route son escorte et ne se
présentele12marsqu’avecFrançoisdeLaRochefoucauldetJeandeMonchy,sieur
deSénarpont, quiétait lieutenantgénéralde Picardie etproche deCondé. S’ilest
bienaccueilliparlareinemèreetleroi,lesassistantstémoignentdelafroideurde
larencontreavecleducdeGuise.Le13mars,leroiappelleleprinceàvenirdevant
son conseil qui, à l’initiative du chancelier Michel de l’Hospital, reconnaît son
innocence.Cequinesuffitpas,carCondé,contrairementàcequevoulaitlareine
mère,réclameunarrêtduparlementdeParisquiconsacreraitsondroitetl’équité
desacause.
Débutedanscecontexteuneséquencequelescontemporainsontperçuecomme
unemanièred’offensivecontrelesGuise.Derrièrelaréhabilitationsecacheraitune
reprisedujeudesfactions,àl’initiativedeCondé.Leprocèssuit,avec,d’uncôté,les
appuisparlementairesduducdeGuiseet,del’autre,AntoinedeBourbonquiessaye
defaireaccélérerleschosesenfaveurdesonfrère.Enfindecompte,Catherinede
Médicisintervient, par deux lettres des 20 et 27 mai. Effrayéepar la peur que de
nouveauxtroublesnesurviennentàl’occasiondecettemiseenscènedesdifférends
aristocratiques,elleinvitelesgensdeParlementàdonnerpromptementsatisfaction
auprince.Le13juin,lacoursedécideàdéclarerleprinceinnocentdescrimesqui
luiontétéimputés.Unefoiscetteréparationsolennelle,devantlaGrand’chambre,
obtenueparCondé,CatherinedeMédicisselancedansuneactionderéconciliation
entre Louis de Bourbon et les Guise. L’atmosphère n’en est pas moins lourde,
commeentémoigneuneétrangenotationducuréJehandelaFosse,quirelateune
rumeur dans Paris : elle rapportait « qu’on trouvoir des petits enfants morts,
lesquelsestoientfendusparlemilieu».PlusieursItalienssonttuéssurlesoupçon
d’êtreàl’originedecesrituelscriminelsfantasmés,«desortequelesdictsItaliens
avoientgranspeuretn’estoientasseurésdedansParis101».Lebruitcourtaussi,le
moissuivant,quelepapeauraitfulminéunmonitoirecontreleroienraisondeson
soutienaumariage102 .
Lareinemèreorganisealors unecérémonie,sansdouteréglée parunprotocole
qui,rédigéàl’avance,s’attachaitsurtoutàréguleretprogrammerl’ordredesmots
qui seraient dits entre les deux hommes ; une cérémonie codifiée dans laquelle
chaqueprotagonistemimelesmouvementsetlesparolesvoulusparlareinemère:
chacun doit savoir ce qu’il doit dire et ce qui lui sera répondu, à l’avance. La
cérémonie a lieu à Saint-Germain-en-Laye, le 24 août 1561. Selon l’émissaire
anglaisAntonyThrockmorton,elleauraiteupourcadrelachambreduConnétable
malade, mais elle peut s’être aussi tenue dans une salle du château, voire dans les
jardins.Tout leconseil duroi yassiste, dontles princesdu sanget le Chancelier.
L’ordre préréglé des prises de parole est destiné à restaurer l’harmonie entre les
capitaines. Le roi intervient le premier, sollicitant le duc de Guise d’éclairer le
princedeCondésur«l’opinionqu’ilenaeue».Leducsedéfendalorsden’avoir
jamais voulu offenser l’honneur du prince et d’avoir été à l’origine de son
arrestation.LouisdeCondérépliqueensoulignantqu’iltientsesaccusateurspour
des méchants. Au terme de cet échange, les deux hommes, à la demande du roi,
s’embrassentetsedonnentrituellementlapromessederesteramis.PuisCatherine
deMédicisfaitpasserlasociétédecourdel’ordredelaparoleréconciliatriceàcelui
d’ungrandfestinauquellescourtisanssontconviésetquiconsacrelebasculement
dans l’amitié retrouvée ou recréée 103 – une récréation des êtres comme l’avait
exprimé Marsile Ficin et comme Rabelais l’avait envisagé au terme de l’énigme
prophétisantlaconcorde.
Revenonsàcejeucomplexe,animéaudébutdel’été1572etactivéensuiteparune
sériedepaliersquidonneàpenseràunjeudemiseenénigme;le12juillet,comme
pour compenser ce recul tactique et gagner du temps en se maintenant dans une
certaine ambiguïté, Charles IX laisse un contingent expéditionnaire de 4 000
arquebusierset600chevauxsortirdeFrance,emmenéparJeandeHangest,sieur
deGenlis,afind’allersecourirleshommesdeFrançoisdeLaNoueetdeLouisde
Nassau désormais assiégés dans Mons en leur apportant des vivres. Au total le
corpsexpéditionnaire,rejointpardesélémentsprotestants,auraitcomprisquelque
1000gentilshommes,900chevauxet6000hommesdepied.Ensuite,le17juillet,
c’est, avec sans doute 3 000 morts, l’écrasement catastrophique de ce contingent
surprisenpleinrepasparunearméeespagnole,quireplacelepouvoirenposition
de force – relative bien sûr – pour mettre un coup d’arrêt à l’entreprise belliciste
huguenote;uncoupd’arrêtquis’avèred’autantplusnécessairequenil’Angleterre
niGuillaumedeNassau,princed’OrangeetchefduparticalvinistedesPays-Bas,ne
bougentdésormaisetquelaFrancerisquedeseretrouverseuleimpliquéedansun
conflitavecl’Espagne,dramatiquepoursesintérêts.Enoutre,danslesbagagesde
Genlis,auraitétédécouverteunelettrequiauraitétéadresséeparleroiàLouisde
Nassau et lui garantissant que tout serait fait pour libérer les Pays-Bas de la
domination espagnole. Giovanni Michiel souligna que le duc d’Albe aurait eu
recoursàlatorturepourfaireparlersesprisonniers,dontGenlis104.
Charles IX, confronté à ce désastre à haut risque, fait le dos rond et charge son
ambassadeur Jean de Vivonne, seigneur de Saint-Gouard, de féliciter Philippe II
poursavictoire. Leroi d’Espagnerépondque l’occasions’imposeà CharlesIX de
purger son royaume de « ses ennemis », d’autant que l’Amiral est dans Paris au
milieud’unpeuplecatholiquedévouéàsonsouverain.Leroidoitdoncsedéfausser
auprèsdePhilippeIIetduducd’Albedesonjeudepouvoirquiconsisteenlamise
en énigme de sa capacité décisionnelle afin de mieux neutraliser les risques du
devenir. Quant à Catherine de Médicis, elle adresse au même ambassadeur un
message attestant son plaisir à « veoir touttes choses préparées à continuer une
saincte et bonne amitié, en empeschant toutes sortes de praticques qui se
pourraient faire au contraire par la malice du temps ou par faute de ses bien
entendre 105».
Lasituationest grave,car Genlisest prisonnier,avecquelque 1150 soldatstant
GueuxqueFrançais,dontcertainsserontexécutésautourdu18août,«dontc’estoit
grand pitié de les ouyr lamenter, et maudissoient monsieur de Jenlis et les autres
seigneurs,quilesavoientenlevezdeleurpaysdeFrance106».Surtoutilyaurgence,
car le duc d’Albe affirme avoir entre les mains des lettres de créance du roi de
Francedonnantà Genlisautorité surle corpsexpéditionnairedésormais défait.Il
enrésultequel’optionpacifistealeventenpoupe.Quefaut-ilpenserduproposde
l’Amiralquicourutalors107?Faceaudésaveuunanimeduprojetqu’ilsoutenait,il
se serait adressé à Catherine de Médicis en lui exprimant ce qui aurait pu être
interprété comme un avertissement lourd de sens : « Madame, le Roi renonce à
entrerdansuneguerre;Dieuveuillequ’ilneluiensurviennepasuneautredontil
neseraitpasensonpouvoirdesesretirer108.»
S’agit-il d’une bravade d’un homme de guerre irrité par la technique
scénographiquedontausélepouvoirroyalpourallerjusqu’auboutd’unprocessus
dontlerésultat–unefinderefusdel’aventuremilitaire–révèleraitqu’ilauraitété
maîtrisé dès son point d’origine ? Ou faudrait-il y deviner que le parti protestant
auraitluiaussiparticipéd’uneculturedujeuquipouvaitintégrer,par-delàlaguerre
étrangère engagée pour la défense des frères en religion, la guerre civile comme
instrumentd’avancementdesesprojets?
Une lettre de la reine mère au pape laisse soupçonner que le jeu de rôles, loin
d’êtreuneinventionrétrospectivesousmaplume,futbienréeletdestinéàlafoisà
leurrerleshuguenotspourmaintenirunepaixciviledansleroyaumeetàdonnerà
lamonarchie,aucasoùleschosesprogresseraientenfinpositivementauxPays-Bas
dans un sens favorable, une nouvelle perspective. Catherine y soutient qu’elle
connaît parfaitement les intentions de son fils et qu’en conséquence elle peut
assurer Grégoire XIII que, pour ce qui est d’une guerre contre l’Espagne, il ne la
commencera«jeamés»,saufs’ils’ytrouvaitcontraint«parforce».CharlesIXn’a
qu’unepréoccupation,«acheverdeacomoderlededansdesonroyaume,etquel’on
luiendonnelelouisir,etleluiempechetdeestablirlerepos,quiestencomensé,yl
seprometentierparlemariageduroydeNavarre109».Jean-LouisBourgeon,sur
cepoint,araisonquandilécritqu’ilfautvoirune«habileté»delamonarchiedans
lefaitde«fairecroireàtousqu’ilexisteraitquelquezizanieentreCharlesIXetsa
mère,etsurtoutentreCharlesIXetleducd’Anjou».Lesdivergences,affirme-t-il,
sontaffichéesenpublicmaisfontpartied’unestratégieduparaîtrequeLeTocsain
contrelesmassacreursdécrypteraen1577enaffirmantque«ondisoitouvertement
que c’estoit une farce jouée à deux personnages 110 ». Disons plutôt qu’il faudrait
voirlàencoreunemiseenénigmedelapolitiqueroyaledansuncontextedurant
lequel la promotion de la concorde civile est vitale pour ceux qui gouvernent le
royaume.
Parallèlement, les capitaines protestants, derrière Coligny, renforcent leur
pression,donnantàentendreque,s’iln’yapasdeguerreétrangère,laguerrecivile
se rallumera irrésistiblement. Ils auraient même avancé, selon Tavannes,
soupçonner que l’écrasement de Genlis et de ses hommes serait dû à des
informations parvenues aux Espagnols par le biais de truchements hauts placés.
CharlesIXessaiedenoyerlepoissonfaceàunColignyqui«journellement»vient
luidemanderl’autorisationdefairemouvementverslesPays-Bas.Leroiluiaurait
mêmedemandéunmoratoirede4à5joursavantdemettreenplaceledispositif
d’implication militaire anti-espagnol. Il part chasser à Montpipeau. Catherine de
Médicis,quiétaitalléevoirsafilleClaude,duchessedeLorraine,rentrele3aoûtà
Paris, pour renforcer théâtralement ce qui relèverait toujours et encore d’une
stratégie concertée de « gagner du temps ». L’ambassadeur Zúñiga évoque sa
volontéde« faireentendreau roilelangage delaraison111».Ce langagepasseà
nouveauparletruchementdelaconfrontationrhétorique.Malgréles Mémoiresde
Tavannes,quireconstituentunescèneproblématiquedurantlaquellelareinemère
se serait plainte à son fils de se retrouver complètement marginalisée dans la
nouvelle temporalité politique et d’avoir été remplacée par l’Amiral avec lequel,
selonsesaccusations,leroitiendraitdesconseilssecrets,nefaut-ilpascontinuerà
soutenirl’idéed’unjeuderôlequiapourobjetdemaintenirdansl’illusionleplus
longtempspossibleleshuguenotsetentraverleurdésirdeguerre?
Le6août,danscecontextequisemblefaireduroienquelquesorteunobligédu
partiprotestant,leconseilestrassemblé.Colignyreditsonargumentationjustifiant
l’actiondeconquêtedesPays-Bas.Ilsembleavoirremisl’accentsurlefaitque,sans
cette guerre, ce serait dans le royaume même que de grands troubles surgiraient,
moinsd’ailleursdufaitdeshuguenotsqueparceque,sileroid’Espagnel’emporte
surlesGueux,ilvoudraenprofiterpoursevengerdeshuguenotsquiprendrontles
armespourleurdéfense.LeroyaumedeFrancerisqueainsidedevenirunterrain
d’affrontementsintensifiés.
Tavannes,seloncequesonfilsJeanavoulutransmettreàl’histoire,n’auraitpas
varié non plus dans ses arguments : il souligne que l’intervention de soutien
françaisauxPays-Bas,sielleestdécidée,neferaquedéclencheruneguerresansfin
entre le roi de France et le roi d’Espagne. Charles IX, lié par son engagement
favorableàlaguerre,seradépendantd’unefactionquiluiôteratoutevelléitédese
désengagerduconflit.Etl’avisdeColignyestrejetéparleconseil,commeleprécise
GiovanniMichiel:
IlenfuttoutautrementqueColignynel’avaitespéré…Cefurentceuxmêmesquel’Amiralavaitestimésles
plus faibles, qui se montrèrent les plus osés. Le vote étant donc unanime à réprouver ses projets, il se
tournaversleroietluidit:«Sire,puisqueVotreMajesté,del’avisdeceuxquisontici,estentraînéeàne
passaisiruneoccasionaussifavorablepoursonhonneuretsonservice,jenepuism’opposeràcequ’ellea
fait, mais j’ai l’assurance qu’elle aura lieu de s’en repentir »… Puis se tournant vers la reine mère :
«Madame,dit-il,leroirenonceàentrerdanscetteguerre.Dieuveuillequ’ilneluiensurvienneuneautre,
delaquellesansdouteilneluiserapasaussifaciledeseretirer 112.»
Cette décision, qui pourrait semble sanctionner la fin de la temporalité
énigmatiquejouéeparleroietsamère,n’empêchepasdestractationstousazimuts
secontinuer,danslesjourssuivants,lesprotestantsdonnantàentendreque,sila
France entre en guerre, l’Angleterre ne pourra que suivre. Coligny aurait accusé
ceux qui s’opposent à lui d’avoir « une croix rouge dans le ventre113 ». C’est le
momentoùleroiauraittentédesedonnerunemargedemanœuvresuggérantà
Colignyqu’ilpourraitpréparerunelevéede12000arquebusierset3000chevaux.
Il rejoue, dans ce moment de tensions maximales, l’opposition à l’influence de sa
mère, laquelle joue encore à marquer son mécontentement en se retirant au
château de Monceau. Une tradition historiographique peu fondée, établie par les
MémoiresdeGasparddeSaulxTavannes,fixedecesinstantsuneimagedelareine
mère,accompagnéeduducd’Anjou,venantrencontrersonfilsle15oule16août
dans son cabinet et lui faisant comprendre que seule la mort de l’Amiral lui
permettrait de sécuriser sa couronne, d’autant que, pour elle, « tout le parti
huguenot»tenait«enlatestedel’Amiral».
En toute logique, les 9 et 10 août, il paraît avoir été procédé, après plusieurs
auditionsfaiblementcontradictoiresdemembresduconseil,auchoixd’abandonner
le grand dessein huguenot jugé trop dangereux et hasardeux dans le contexte
immédiat.Lesavisdeshommesde guerre,Coligny,Anjou, Montpensier,Nevers,
Cossé et sans doute encore Tavannes, auraient été déterminants. Avant d’être
contréparJeandeMorvillierquiinsistasurl’isolementdiplomatiqueetmilitairede
la France et fit repousser le projet huguenot, l’Amiral aurait repris le contenu du
mémoirerédigéparPhilippeduPlessis-Mornay,quiproposaitauroideFrancede
serévéler,danslaguerrecontrel’Espagnebarbare,«leplusgrandMonarquedela
chrestienté ». Il aurait justifié en termes médicaux la guerre future et aurait
développélethèmeducorpspolitiquesouffrantd’unemaladieetnepouvantêtre
guériqueparl’expulsiondeshumeursnocives:
ChacunsçaitcommeleFrançoisquiagoustélesarmesmalaisementlespeutlaisseretcommesouventde
gaieté de cueur par faute d’ennemi il querelle son compagnon, et ami mesme. L’Italien, l’Allemand, le
Suisse,lapaixfaicte,retourneàsonmestier:leFrançoisdesprisetousautresmestiers,demeuresoldatet
parfautedepluscommodeexercice,plusieursaimentmieux,oucercherlaguerreauloin,oulafaireaux
passanssurleschemins,quedesereposerchereux.Pourvuiderdonctantdesangcorrompuetsuperflu,
quipourroitcréerquelquemaladieaucorpsdevostreestat,ilfautouseigner,oupourlemoinséventerla
veine,entreprendredis-jeuneguerre.
Il aurait déployé ensuite avec la plus grande ardeur l’argument de la barbarie
espagnole,dumasquededévotiondontlefilsdeCharlesQuintserecouvriraitpour
légitimer les plus atroces et inhumaines violences perpétrées par les Espagnols
partout dans le monde. La barbarie espagnole érigeait la guerre française en
nécessité,contrelaquelleaucuneobjectionn’étaitpertinente:
Vousnelapouvezdelaiersansperdreleprofitdelapoursuite…Autrementd’autantest-il[PhilippeII]plus
àhairqueleTurc,queplusesthaissablelechienquimangel’autrequeleloupmesme114.
IlsembleégalementqueColignyaitprésentél’actioncontrel’Espagnecommeune
questiondevieoudemortpourlaRéformefrançaise.Sonattachementàl’idéede
guerre n’aurait pas été seulement politique, et ce ne serait pas uniquement parce
que son honneur était engagé qu’il aurait cherché jusqu’aux limites du possible à
persuaderleroidubien-fondédelaluttepourlalibertédesPays-Bas.L’émissaire
anglaisFrancisWalsingham,àproposdecesconseils,écritàlareineÉlisabethque
l’obsessiondel’Amiralestd’éviterl’écrasementdescalvinistesdesPays-Bas,surtout
parceque cette défaite, sousla pression d’une Espagne revigoréedans sa croisade
pourl’unitéchrétienne,pourraitavoirdesconséquencescapitalesenFrancemême.
LadéfaitedesGueuxdemeretdeceuxquisesontsoulevésàl’appeldeGuillaume
d’Orangerisqueraitd’avoirvaleurexemplaire,endémontrantàlaroyautéfrançaise
quelaviolenceestuninstrumentqui,endéfinitive,donnedesrésultatspositifs:
Soncourageestinvincible;ilreprésenteauroicequiestàcraindre,sileprinced’Orangesuccombeous’il
estobligédetraiteràdesconditionsquilaissentlesPays-BasretombersousladominationdesEspagnols.Il
m’apriédevousdirequecen’estpointsonintérêtparticulierquilefaitagir,etqu’aprèsdesilongstroubles
il ne se mêlerait plus de rien s’il ne voyait le péril qui en général menace tousceux de la religion et, en
particulier,leRoisonmaîtreetlaReinenotremaîtresse.Dansl’étatoùsontleschosesiltrahiraitDieuetsa
patrie,s’ilnefaisaitpastoutcequidépenddeluipouréviterdesifunestessuites115 .
Undernierbaroudd’honneur,maisleprojetprotestantestabandonné,laissantla
voieouverte,déjà,àdesrumeurs:parexemple,ausortirduconseil,Colignyaurait
agitélespectrenonseulementd’uneaction,horsdetoutaccordexpliciteduroi,qui
seraitdestinéeàapporterdusecoursauxfrèresenreligiondesPays-Bas,maisaussi
d’unrisquedesoulèvementdansleroyaumedeFrance.
L’énigme inhérente au mode de gouvernance d’un pouvoir royal partagé entre
guerreetpaixpendantceslonguessemainesn’esttoutefoisplusd’actualité.Elles’est
autorésoluethéâtralementd’unemanièreenquelquesortepassive,parsimpleeffet
delaconfrontationdesdiscoursetdoncdelamagieinhérenteaulangage.
La partie de jeu de paume se conclut par un apaisement. Et tout va très vite
désormais ; une première union biconfessionnelle, symbolique de l’unité
qu’autoriselelangage,estcélébréele10août:leprinceHenrideCondéprotestant,
enprésenceduroideNavarre,épouselatroisièmefilleduducdeNevers,Mariede
Clèves,catholique,àBlandy-en-Brie,àproximitédeMelun.
L’énigme a donc été jouée et pensée comme une « énigme en prophétie » d’un
tempsdepaix.
1. Michael A. Screech, « The sense of Rabelais’s Énigme en prophétie »,Bibliothèque d’Humanisme et
Renaissance,XVIII,1956,p.392-404;FrançoisRigolot,«ÉnigmeetProphétie:leslangagesdel’hermétisme
chez Rabelais », in Œuvres et critiques, XI-1, 1986, p. 37-47 ; Jan Miernowski, « In search of a Context for
Rabelaisian Hermeneutics : “Énigme en prophétie” or How to Combine the Unnameable with the
Omninameable»,in RabelaisinContext.Proceedingsofthe1991VanderbiltConference,BarbaraC.Bowen (dir).,
Birmingham, Summa Publications, 1993, p. 67-77 ; Olivier Pot, « “L’énigme en prophétie” chez Rabelais :
naissanceetdestind’ungenre»,inL’ÉnigmatiqueàlaRenaissance…,op.cit.,p.137-154.
2.Ex3,9-10et35?
3.LettresdeCatherinedeMédicis,HectordeLaFerrièreéd.,10vol.,Paris,1890-1909,t.VIII,p.308-310.
4. Ibid., t. VIII, lettre du 8 novembre 1578, p. 111, cité in Denis Crouzet, « Une diplomatie qui se voulait
maternelle : Catherine de Médicis face aux Huguenots (1578-79) », inFemmes en diplomatie. Diplomatie de
femmes,MathieuGellard(dir.),Paris,Pedone,2024,p.94-124.
5.ChristianeRaynaud,«LacolèreduPrince»,in Jean-PierreLandryetPierreServet(dir.), LeDialoguedes
Arts,t. I,LittératureetpeintureduMoyenÂgeauXVIIIesiècle,Lyon,CEDIC,2001,p.33-66.Surcepoint,l’analyse
deLorisPetris,«Lemagistratgallicanetl’AcadémieduPalais:leDiscoursdel’ire,etcommeillafautmodérerde
GuyduFaurdePibrac(Étudeetédition)»,NouvellerevueduSeizièmeSiècle,n°22/2,2004,p.57-82.
6.Voir YannRodier, Les Raisonsde lahaine. Histoired’unepassion dansla Francedupremier XVIIe siècle (1610-
1659),Seyssel,ChampVallon,2020:lechapitreIàproposduDiscourssurl’Ire àl’AcadémieduPalaisàlafinde
l’année1575:«leschosesnettessontéternelles».
7.«LettresdesroisdeFrance,desreines,princesethautspersonnagesduroyaume…»,art.cité,p.122-123.
8.NégociationsdiplomatiquesdelaFranceaveclaToscane…,op.cit.,t.VII,p.323-325.
9. Louis-Prosper Gachard, La BibliothèqueNationale à Paris, Paris, M. Hayez, 1877, t. II, p. 522-524, cité in
Jean-LouisBourgeon,CharlesIXdevantlaSaint-Barthélemy,Genève,Droz,1995,p.99.
10. Émile Gachet, « Annexes [à ce rapport (première partie)] »,Compte rendu des séances de la commission
royaled’histoire,DeuxièmeSérie,t.4,1852.p.339-352,p.348.
11.FrancisGoyet,«D’HerculeàGargantua:l’ambivalencedesgéants», ÉtudesRabelaisiennes,tomeXXXII,
1997,p.93-106.RabelaispourleXXIe siècle,MichelSimonin(dir.)Genève,Droz(ÉtudesRabelaisiennes,XXXIII),
1998.
12.ÉmileGachet,art.cité,p.326-330.
13. Rosana Gorris Camos, « “L’Encyclie des Secrets de l’Éternité” : poésie et secret à la Renaissance », in
Dominique de Courcelles (dir.), Les Secrets : d’un principe philosophique à un genre littéraire, Paris, Champion,
2005,p.297-336.
14. Voir Pascal Quignard, « La passion de Guy Le Fèvre de la Boderie », Poésie, 3, 1977, p. 95-109, qui
s’appuie sur Encyclie des Secrets de l’Éternité, Anvers, Plantin, 1571 (Pascal Quignard, Petits traités II, Paris,
Gallimard,1997,p.243-283).
15.LaGalliadeoudelaRévolutiondesartsetsciences.ÀMonseigneurilsdeFrance,frereuniqueduRoy.ParGuyle
Févre de la Boderie, Secretaire de Monseigneur, et son Interprete aux langues peregrines. À Paris. Chez Guillaume
Chaudiere,1578.
16.RosanaGorrisCamos,art.cité,p.273-278et Ead.,«LapassionpourGuyLeFèvredeLaBoderieetla
flammesombredu“Zohar”»,StudiFrancesi,181,LXI,I,2017,p.77-91.
17. Brief Discours de la Magniicence et entrée du Tres-chrestien Roy de France Charles IX, faicte en sa ville de
Tholose,ledeuxiesmejourdefevrierMDLXV,Paris,GuillaumedeNyverd,1565.
18.Raymond Trousson, « Ronsard et la légende d’Hercule», Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance,t. 24,
1962,p.77-87.NicolasLeRoux,«Leglaiveetlachair:lepouvoiretsonincarnationautempsdesderniers
Valois»,ChrétiensetSociétés,numérospécial«LaVocationduPrince»,II,2013,p.61-83.
19. Anne-Marie Favreau-Linder, « Lucien et le mythe d’Ἡρακλῆς ὁ λόγος : le pouvoir civilisateur de
l’éloquence»,Pallas,81,2009,p.155-168;ClaudeLaCharité,«HenriIIIRhéteur,NouvelHerculeGaulois»,
in NewChaptersintheHistoryofRhetoric,vol.1,2010,p.269-286;Marc-RenéJung, Herculedanslalittérature
françaiseduXVIesiècle.Del’Herculecourtoisàl’Herculebaroque,Genève,LibrairieDroz,1966.
20.NEFERRVMTEMNATSIMVLIGNIBsOBSTO/1572.«Depeurqu’ilnedédaignel’épée,jeluioppose
enmêmetempslefeu.»
21.JulesCésarScaliger, Poeticeslibriseptem…,Lyon,A.Vincentium,1561,p.130: «figuraquaaliuddicimus,
aliudintellegimus»,citéinColetteNativel,«Rubensetlarhétorique»,inActesdu24 ecolloquedelaVillaKérylosà
Beaulieu-sur-Merles4et5octobre2013,Publicationsdel’AcadémiedesInscriptionsetBelles-Lettres,2014,p.191-
216.
22. Voir Mawy Bouchard, « À propos de la médisance, auXVIe siècle et au-delà », inActa universitatis
Lodziensis.FoliaLitterariaRomanica15,2020,p.79-89.
23.ÉrasmeàMartinDorpius,mai1515,inÉrasme,ÉlogedelaFoliesuividelaLettred’ÉrasmeàDorpius,Paris,
Garnier-Flammarion,1964,p.97-126.
24. ŒuvresinéditesdeMichelL’Hospital,chancelierdeFranceprécédéesd’unEssaisursavieetsesouvrages, Pierre
JosephS. Duféy(éd.), 3 vol.,Paris, ChezA. Boulland etCie, 1825,t. I, p.70. DenisCrouzet, La Sagesseet le
malheur.MicheldeL’HospitalchancelierdeFrance,Seyssel,ChampVallon,1998.
25.SylvieDaubresse,«CharlesIXetleParlementdeParis:àproposdecinqdiscoursdupouvoir»,Revue
historique,t.297,2,602,avril-juin1997,p.435-455.
26.CitéinSylvieDaubresse,«ChristophedeThouetCharlesIX…»,art.cité,p.402.
27. Voir Philippe Joutard, Janine Estèbe, Élisabeth Labrousse et Jean Lecuir, La Saint-Barthelémy ou les
résonancesd’unmassacre,Neuchâtel,DelachauxetNiestlé,1976.
28.AdolpheSchaeffer,«LaSaint-Barthélemyfut-ellepréméditéedelonguemain?»,Bulletindelasociétéde
l’histoire du protestantisme français Documents historiques inédits et originaux. XVI e, XVIIe et XVIIIe siècles, Quatrième
année,1856,p.275-313.
29.Jean-BaptisteCapefigue,Histoiredelaréforme,delaligueetdurègnedeHenriIV,7vol.,Paris,Dufey,1834,
t.III,p.207etsuiv.
30. CorrespondancediplomatiquedeBertranddeSalignacdelaMotheFénelon ambassadeurdeFranceenAngleterre
de1568à1575,7vol.,ParisetLondres,1840,t.5,p.329.
31.MémoirejustificatifdelaSt-Barth.,envoyéle26août,pourservird’instructionàl’ambassadeurauprèsdelareine,
desesministresetd’autrespersonnes,avecprièrededonneravisdecequ’onendira,p.330etsuiv.
32. Revue rétrospective ou Bibliothèque Historique, contenant des mémoires et documens authentiques, inédits et
originaux,pourserviràl’histoireproprementdite…,t.III,p.195,citéinGeorgesGandy,«LaSaint-Barthélemy.
Sesorigines,sonvraicaractère,sessuites»,RevuedesQuestionshistoriques,vol.1,1866,p.11-94etp.321-391.
33. Augustin Théiner, Annales ecclesiastici, I, Rome, Ex Typographia Tiberina, 1856, p. 330-336.
Correspondance du nonce en France Antonio Maria Salviati (1572-1578), Pierre Hurtubise et Robert Toupin (éd.)
Rome,ÉcolefrançaisedeRome-Universitépontificalegrégorienne,1973.
34.GeorgesGandy,artcit.,p.331.
35.PaulRicœur,Tempsetrécit,Paris,LeSeuil,1985,p.256etp.262.
36. Jean Walch, « Romantisme et positivisme : une rupture épistémologique dans l’historiographie ? »,
Romantisme,1978,n°21-22,p.161-172.
37. Certitude et incertitude à la Renaissance. Florence Malhomme et Marie-Thérèse Jones-Davies (dir.),
Turnhout,BrepolsPublishers,2013.
38.SabinaLoriga,«Ledoutedel’historien»,in Biographiesetrécitsdevie,KmarBendana,KatiaBoissevain,
DelphineCavallo(dir.),Tunis,InstitutderecherchesurleMaghrebcontemporain,2005,enligne.
39.Jean-Pierre Cavaillé,Croyanceetdouteaudébutdel’époquemoderne.Uneapprocheanthropologique,2018,en
ligne.
40. Il faut préciser que le titre « Énigme en prophetie » ne date que de 1542, donc après la publication de
Gargantuaen1534-1535.
41. Marie-Madeleine Fontaine, « Le jeu de paume comme modèle des échanges : quelques règles de la
sociabilité à la Renaissance », Sociabilités, Pouvoirs et Société, Presses universitaires de Rouen, n° 110, 1987,
p. 143-153, repris dans Libertés et savoirs du corps à la Renaissance, Françoise Thélamon (dir.), Orléans,
Paradigme,1993,p.99-111.
42.Lesimpropèressontunchantquiaccompagnelavénérationdelacroixaucoursdelacélébrationliturgique
duVendredisaint.
43.Pouruneinterprétationévangélique,MichaelA.Screech,art.cité.
44.BaldassareCastiglione, LeLivreduCourtisan.Présentationettraductiond’aprèslaversiondeGabrielChappuis
(1580),AlainPons(éd.),Paris,Flammarion,1991,p.49.
45.Laballe.
46.Rabelais, Gargantua,Éditioncritiquesurletextedel’éditionpubliéeen1535àLyonparFrançoisJuste,
GérardDefaux(éd.),Paris,LeLivredePoche,1994,p.484.
47.Ibid.,GérardDefaux,«Introduction»,p.14.
48.LouisMarin,«Lescorpsutopiquesrabelaisiens»,Littérature,n°21,1976,p.35-51,p.45-46.
49.Marie-MadeleineFontaine,«Lejeudepaume…»,art.cité,p.143-153.
50.AntonioScaino, Trattatodelgiuocodellapalla,Venise,GabrielGiolitode’Ferrari,1555.VoirJohnMartin,
« Inventing sincerity, refashioning prudence : the discovery of individual in Renaissance Europe », The
AmericanHistoricalReview,102-5,1997,p.1309-1352; ChiaraContinisio,«Ilreprudente.Saggiosullevirtù
politiche e sul cosmo culturale dell’Antico regime », in Ead. et Cesare Mozzarelli (dir.), Repubblica e virtù.
PensieropoliticoemonarchiacattolicafraXVIsecoloeXVIIsecolo,Rome,Bulzoni,1995;AntonellaFenechKroke,
«La palla dascanno en mots et en images : enquête sur un jeu àla Renaissance »,Revue d’histoiremoderne et
contemporaine,2014/2,n°61-2,p.61-88.
51.JacquesChomarat,GrammaireetrhétoriquechezÉrasme,2vol.,Paris,LesBellesLettres,1981,t.II,p.662:
LaprudenceduChristinviteànepasrechercherledanger:«Lorsquel’Évangileaplusàperdrequ’àgagnerpar
tamort,fuis,cache-toi…»Ilfautsavoircéderquelquefois:«Parsonacte,leChristnousavertitquequelque
foisilfautcéderàlamalicedeshommes,depeurqu’ellenes’exaspèreencoreetnecommettedespéchésplus
horribles. » Données complémentaires in Robert H. Murray, Erasmus and Luther, their Attitude to Toleration,
Londres et New York, Society For Promoting Christian Knowledge, 1920 ; Wallace K. Ferguson, « The
AttitudeofErasmustowardToleration»,in PersecutionandLiberty,EssaysinhonorofGeorgeLincolnBurr,New
York, Books for Libraries Press, 1968, p. 171-181 ; Myron P. Gilmore, « Les limites de la tolérance dans
l’œuvre polémique d’Érasme », in Colloquia Erasmiana Turonensia, vol. II, Limoges, 1972, p. 713-736. Sur le
refus érasmien de l’intolérance, Thierry Wanegffelen, L’Édit de Nantes. Une histoire européenne de la tolérance
(XVIe-XX esiècle),Paris,Librairiegénéralefrançaise,1998,p.77-87,qui,plutôtquecompassion,utilise,ensuivant
Mario Turchetti et sa très fine analyse du concept de « sygkatabasis », le motif de la « condescendance des
humanistes » (Mario Turchetti, « Une question mal posée : Érasme et la tolérance. L’idée de Sygkatabasis »,
Bibliothèqued’HumanismeetRenaissance,53(2),1991,p.379-395).
52.DanielMénager,Ronsard.LeRoi,lePoèteetlesHommes,Genève,LibrairieDroz,1979,p.199-200.
53.Ibid.,p.201-215.
54. Ronsard, Œuvres complètes, Gustave Cohen (éd.), 2 vol., Paris, Gallimard, 1938, t. II, p. 230-233, « Le
second Livre des Hymnes. À Odet de Colligny, cardinal de Chastillon. Hymne du Printemps. À Fleurimond
Robertet,seigneurd’Aluye».
55.CitéparDanielMénager, Ronsard…,op.cit.,p.151.VoirDenisCrouzet, Le«Hautcœur»deCatherinede
Médicis. Histoire d’une raison politique au temps du massacre de la Saint-Barthélemy, Paris, Albin Michel, 2005,
p.420-427.
56.JeanHeluisdeThillard,LeMirouërduprincechrestien,posésurlesdeusColonnesRoïallesdePietéetJustice:
enrichidesplusexquisornemens,etautresraressingularitez,quilepeuventseurementguideraucombled’unegrandeur
honorable,ÀParis,ChezThomasBrumen,1566,p.90.
57.LaHaranguequefeitleRoyaMessieursdelaCourtdeParlementensonPalaisaParis,estantlorsensonaage
Royal,lelundidouzièmejourdeMars,milcinqcenssoixanteetunze,s.l.,1571,aiiii-b.
58. Christine Tauber, « Disséminer la Vérité. La Grande galerie à Fontainebleau et le roi des signes,
FrançoisIer »,inLaVérité.Vérité etcrédibilité:construirelavéritédanslesystèmedecommunicationdel’Occident
(XIIIe -XVIIesiècle).ActesdelaconérenceorganiséeàRomeen2012parSASencollaborationavecl’ÉcolefrançaisedeRome,
Jean-PhilippeGenet(dir.), Éditionsdela Sorbonne,Publications del’Écolefrançaise deRome, 2015,p.237-
260.
59.JacquesTahureau,OraisonAuRoy:delagrandeurdesonregne,etdel’excellancedelalanguefrançoise.Plus
quelquesversdumesmeautheurdediezàMadameMarguerite,ÀParis,ChezlaveusveMauricedelaPorte,1555,
diii.
60.PierreHassner,«Violence,rationalité,incertitude:tendancesapocalyptiquesetiréniquesdansl’étudedes
conflitsinternationaux»,Revuefrançaisedesciencepolitique,14 eannée,n°6,1964.p.1155-1178.
61.ThomasSébillet, Art poétiquefrançais (1548), Traitésde poétiqueetde rhétoriquedelaRenaissance,Francis
Goyet(éd.),Paris,LeLivredePoche,1990,p.135.
62.RaphaëlCappellen,art.cité
63.PaulRicœur,«Lamarquedupassé», Revuedemétaphysiqueetdemorale, janv.-mars1998,p.17,citéin
François Bédarida, « Une invitation à penser l’histoire : Paul Ricœur, La Mémoire, l’histoire et l’oubli », Revue
historique,2001/3,n°619,p.731-739.
64. Abel Desjardins, « La paix de Saint-Germain (1570) d’après des documents entièrement inédits », in
Comptesrendusdesséancesdel’AcadémiedesInscriptionsetBelles-Lettres,9e année,1865,p.128-131.
65. Célestin Douais, Lettres de Charles IX à M. de Fourquevaux ambassadeur en Espagne (1565-1572), Paris, A.
Picard,1897.
66.LettresdeCatherinedeMédicis,HectordeLaFerrière(éd.),10vol.,1890-1909,Paris,Imprimerienationale,
t.III,p.88.
67.Ibid.,t.III,p.277.
68.DiscoursdelaBatailleetcruelzassaultz,DonnezentreMont-contourt,Hervaulx,Etdelatres-memorablevictoire
obtenue(parlagracedeDieuetdelabonneconduictedeMonsieur)lelundytroisiemejourd’octobre,MDLXIX.Ensemble
lesnomsdesrégimentsdesHuguenotzdeffaictz,Etlesnomsdeceuxquisontmortsetblessez,delapartduRoy,ÀParis,
GuillaumedeNyverd,1569,n.p.
69.LaurentdeBourg,Discourssurlavictoirequ’ilapleuàDieud’envoyerauRoy,surleshereticquesetrebelles:avec
diversespreuvesdel’assurancedenostrevictoire:jointeuneexhortationàseresituerenDieuetàlouerleschefsdeceste
guerre,etunchantd’allegresseàtoutlepeupledeFrance.ÀMonsieurdeMandelotgouverneurdeLyon,ÀParis,Par
DenisduPré,1570,Iiii-Iiiii.
70.Ronsard, Œuvres…, op. cit.,Gustave Cohen (éd.),t. II, p. 625-629: « L’Hydre desfaictou la louange de
MonseigneurleDucd’Anjou,FrèreduRoy,àpresentRoydeFrance»,originellementpubliéeen1569dansles
Paeanessive hymni in triplicemvictoriam, felicitateCaroli IX. : Galliarvmregis inuictissimi, &Henrici fratris, ducis
Andegauensisvirtutepartam,Paris,ChezJehanCharron,1569.
71.«Chanttriomphalpourjoüersurlalyre:Surl’insignevictoirequ’ilapleuàDieudonneràmonseigneur
frereduroi»,inrecueilsanstitre,BNF,8°PieceYe5977,quicontientdespiècesserapportantauxvictoiresde
latroisièmeguerredereligionetaussiàlaSaint-Barthelémy,d’auteursaussidiversqueChristofledeBordeaux,
ArtusDesiré,FrèreLegierBon-tempsetenfinRonsard,letoutimpriméaprèslemassacred’août1572.
72.AmadisJamyn,LesŒuvrespoétiques.PremièrespoésiesetLivrepremier,SamuelM.Carrington(éd.),Genève,
Droz,1978:«CantiquedelavictoiredeMonseigneurleDucd’Anjou,frèreduRoy»,p.67-72.
73.Ibid.,«Dialogue.LePassantetleGéniedeMoncontour»,p.213-214.
74.JeanServier,LesTroislivresdelaphilosophieocculteoumagie,Paris,BergInternational,1981-1982.
75. Henri Corneille Agrippa de Nettesheim, La Philosophie occulte ou la magie, Livre I, Paris, Éditions
traditionnelles,1979,p.3-5.
76.Selon le titredu livre éditépar Menna Prestwich, International Calvinism, 1541-1715,Oxford, Clarendon
Press,1985.
77. Coligny rentre dans Paris, dès le jour de la Fête-Dieu, le 5 juin, avec 300 gentilshommes (?) et va
directementauchâteaudeMadridsaluerleroi.
78.LucienRomier,«LaSaint-Barthélemy,lesévénementsdeRomeetlapréméditationdumassacre»,Revue
duSeizièmeSiècle,t.1,1913,p.529-560,p.543-544.
79.Deoratore,III,22;FernandDelarue,«Cicéronetl’inventionduregard», L’Informationlittéraire,2004/4,
vol.56,p.32-41.
80.MarinoCavalli,inLe RelazionidegliambasciatorivenetialSenatoraccolte,annotateededitedaEugenioAlberi,
Florence,Societàeditricefiorentina,1839,p.67.
81.LaSaint-BarthélemydevantleSénatdeVenise.RelationsdesambassadeursGiovanniMichieletSigismondCavalli,
WilliamMartin(éd.),Paris,1872,p.54.
82.ValérieHayaert,compterendude MiroirsdeCharlesIX.Images,imaginaires,symbolique,LuisaCapodieci,
Estelle Leutrat, et Rebecca Zorach (dir.), Genève, Librairie Droz, 2018, Cahiers de recherches médiévales et
humanistes,2021,enligne.
83.CitéparJacquesBailbé,«LaSaint-Barthélemydanslalittératurefrançaise»,Revued’Histoirelittérairedela
France,73e année,n°5,sept.-oct.1973,p.771-777.
84.VoirJérémieFoa,«Banalitéducorps.Laprison,l’exiletlamarchecommecommunautéd’expériences
huguenotesautempsdesguerresdeReligion»,inMédialitéetinterprétationcontemporainedespremièresguerres
deReligion,GabrieleHaug-MoritzetLotharSchilling(dir.),DeGruyterOldenbourg,2014,p.127.
85.Claude de Mondoucet, cité in Hector de La Ferrière, La Saint-Barthélemy :la veille, le jour, lelendemain,
Paris,C.Lévy,1892,p.47.
86.GustaveBaguenaultdePuchesse,JeandeMorvillier,évêqued’Orléans,gardedesSceauxdeFrance:étudesurla
politiquefrançaiseauXVIesiècled’aprèsdesdocumentsinédits,Paris,DidieretCie,1870,p.241.
87. Joseph Bruno M. C. Kervyn de Lettenhove, Les Huguenots et les Gueux : études historiques sur vingt-cinq
annéesduXVIesiècle(1560-1585),6vol.,Bruges,Beyaert-Storie,1885,t.2,p.474.
88.ÀTroyes,lesprotestantsserontagressésàlafinduprêchedel’Islepardescatholiques,aprèsunbaptême,
le 10 août. Ils sont assaillis au faubourg de Groncels et poursuivis à coups de pierres, l’enfant nouvellement
baptiséétanttuédanslesbrasdesamère.Aucunepoursuiteneseraengagée,semble-t-il.
89.NégociationsdiplomatiquesdelaFranceaveclaToscane,op.cit.,t.III,p.788.
90. Antonio Scaino, Trattato del gioco della palla, op. cit., cité in Antonella Fenech Kroke, « La palla da
scanno…»,art.cité.
91.GasparddeSaulx,seigneurdeTavannes,Mémoires,ClaudeBernardPetitot(éd.),Collectioncomplètedes
mémoiresrelatifsàl’HistoiredeFrance,Paris,1822,t.23-24-25,t.III,p.280.
92.J.B.M.C.KervyndeLettenhove,op.cit.,t.II,p.468.
93.Hugues Daussy,« Louisde Nassau etle partihuguenot », inEntre calvinisteset catholiques: Les relations
religieuses entre la France et les Pays-Bas du Nord (XVIe-XVIIIe siècle), Yves Krumenacker (dir.), Rennes, Presses
universitairesdeRennes,2010,p.31-43.
94. Mémoires et autres écrits de Marguerite de Valois, la reine Margot, Yves Cazaux (éd.), Paris, Mercure de
France,1986,p.52-53.
95. Loys le Roy, Exhortation aux François pour vivre en concorde, et jouir du bien de la Paix…, À Paris, De
l’imprimeriedeFedericMorel,1570,p.18-19.
96.GuillaumeBudé,LePassagedel’hellénismeauchristianisme.DetransituHellenismiadChristianismum,Marie-
MadeleinedelaGaranderieetDanielFranklinPenham(éd.),Paris,LesBellesLettres,1993,p.4-6.
97.JoachimduBellay,«Ladeffenseetillustrationdelalanguefrançoyse(1549)»,inJosianeRieu,L’Esthétique
deduBellay,Paris,Sedes,1995,p.161.Onpeut,pourcesquestionsessentielles,sereporteraussiàMarie-Luce
Demonet, op. cit., à Claude-Gilbert Dubois, Mythe et langage au XVI e siècle, Paris, Eurédit, 2010, et à Kees
Meerhof,RhétoriqueetpoétiqueauXVIesiècleenFrance,Leyde,E.J.Brill,1986.
98.MichelFoucault,LesMotsetleschoses.Unearchéologiedesscienceshumaines,Paris,1966,p.52:«Leslangues
sontaveclemondedansunrapportd’analogieplusquedesignification;ouplutôtleurvaleurdesigneetleur
fonction de redoublement se superposent ; elles disent le ciel et la terre dont elles sont l’image ; elles
reproduisent dans leur architecture la plus matérielle la croix dont elles annoncent l’avènement, – cet
avènementquiàsontours’établitparl’ÉcritureetlaParole.Ilyaunefonctionsymboliquedanslelangage:
maisdepuisle désastredeBabel ilnefaut pluslachercher –àde raresexceptionsprès –dansles motseux-
mêmes mais bien dans l’existence du langage, dans son rapport total à la totalité du monde, dans
l’entrecroisementdesonespaceavecleslieuxetlesfiguresducosmos.»
99.François Rigolot, «Préface », in LouiseLabé, Œuvres complètes.Sonnets. Élégies. Débatde Folie etAmour,
Paris,Flammarion,1986,p.12-15.
100. Ibid.,p.103.F.Rigolotinsistecependantsur l’indéterminationdu« partoutoùbonluisemblera»,le
«lui»pouvantdésignerautantAmourqueFolie!
101.JeandeLaFosse,Journald’uncuréligueurdeParissouslestroisderniersValois,suividuJournaldusecrétaire
dePhilippeduBec,archevêquedeReims,de1588à1605,ÉdouarddeBarthélemy(éd.),Paris,Didier,1866,p.144.
102.Ibid.,p.146.
103.Voir Jean-Marie Le Gall et Claude Michaud, Les Rencontres princièresen Europe, 1494-1788, Paris, PUF,
2023.
104.LaSaint-BarthélemydevantleSénatdeVenise…,op.cit.,p.8.
105.7août1572,inJ.B.M.C.KervyndeLettenhove,op.cit.,t.II,p.501.
106.« Relation de la défaite prèsde Mons, des protestants françaissous la charge de Monsieurde Genlis.
1572»,AnnuaireBulletindel’HistoiredeFrance,1866,t.VI,p.203-207.
107.Cf.PierredeBourdeille, Œuvrescomplètes dePierredeBourdeille,seigneurdeBrantôme,publiéesd’aprèsles
manuscritsavecvariantesetfragmentsinéditspourlaSociété del’histoiredeFrance,LudovicLalanne(éd.),11vol.,
Paris,VeuveRenouard,1864-1882,t.IV(Viesdesgrandscapitainesestrangersetfrançais),p.299.
108.JosephdeCroze, LesGuise,lesValois,etPhilippeII,2vol.,Paris,Librairied’Amyot,1866,t.1,p.193,qui
s’appuiesurlesRelationsdesambassadeursvénitiensauSénat.
109. Catherine de Médicis évoque la demande de dispense de consanguinité ; Edgar Boutaric, « La Saint-
Barthélemyd’aprèslesarchivesduVatican»,inBibliothèquedel’ÉcoledesChartes,1862,t.23,p.1-27,p.7-8.
110.Jean-LouisBourgeon,CharlesIX…,op.cit.,p.19.
111.J.B.M.C.KervyndeLettenhove,op.cit.,t.II,p.507.
112.Ibid.,p.510-511.
113.GasparddeSaulx,op.cit.,t.III,p.257.
114. DiscoursauroiCharlesIXpourentreprendrelaguerrecontrel’EspagnolespaïsBas– ilfutescritparMonsieur
duPlessislorsaagéde23ansenl’an1572etparluimisesmainsdemonsieurl’AdmiraldeChastillonquileprésentaau
Roy,in MemoiresdemessirePhilippesdeMornay,seigneurduPlessisMarli,barondelaForestsurSevre…Contenans
diversdiscovrs,instructions,lettres,etdepeschesparluidressees,ouescritesauxrois…depuisl’anMDLXXII.jusquesa
l’anMDLXXXIX;ensemblequelqueslettresdesdessusditsauditsieurduPlessis,JeanDaillé,1624,t.I,p.18.
115.LettredeFrancisWalsingham,10août1572,inJulesDelaborde, GasparddeColigny, AmiraldeFrance,
3vol.,Paris,G.Fischbacher,1882,t.III,p.407et425.
CHAPITREIII
Laconcordeetlesdangersdulangage
Le mariage royal put ainsi avoir lieu le lundi 18 août1, selon un cérémonial qui
voitcatholiquesetprotestantsalleràlarencontrelesunsdesautresdansunefusion
des contraires restaurant dans le royaume l’harmonie que l’anima mundi diffuse
danslesdifférentessphèresdel’univers.
Dansl’énergiedel’animamundi
L’entouragedeMargueriteporteunvêtementtissédefilsd’or,etlesprochesde
HenrideNavarreunvêtementtissédefilsd’argent.Cettemiseenscèneauraitvisé
àattirerlespuissancesoccultesdusoleiletdelalune,dujouretdelanuit,delavie
etdelamort,enunissantl’oretl’argent,etdoncensolidifiantune«identitéluni-
solaire»duroyaume2.Lemariagereflétaitdoncl’ordredelaCréationetlefaisait
commeadhéreraumonded’ici-basqu’étaitleroyaumedeFrancepouruneéternité
quisetraduiraitparunretourprophétiquedel’ætasaurea.
Ledimanche17août,lesfiançailles,béniesparleCardinaldeBourbon,ontlieu
dans la Salle Haute du Louvre, suivies par un souper et un bal. Marguerite est
ensuite conduite à l’évêché, pour y passer la nuit. Le 18 août, Henri de Navarre
vient la chercher ; sur les 3-4 heures, a lieu la cérémonie de mariage d’Henri de
Navarre,quineportedoncplusledeuildesamère,etdeMargueritedeValoisqui
estprésentéeparsonfrèreetquiest«habilléeàlaroyaleaveclacouronneetcouet
d’herminemouchetée,quisemetau-devantducorps,toutebrillantedespierreries
delacouronne,etlegrandmanteaubleuàquatreaulnesdequeueportéepartrois
princesses 3 ». L’union est célébrée par Pierre de Gondi, évêque de Paris, sur une
estradedresséedevantNotre-Dame,etlabénédictionestdonnéeparlecardinalde
Bourbon4 .
Cet ordonnancement ne doit pas surprendre, car il s’agit d’un rituel qui était
observépourles fillesdesrois.Des échafaudstendusde drapd’or étaientdressés,
«selonlacoustumedesnopcesdesfillesdeFrance,quiallaientdel’évêchéàNotre-
Dame et qui sont empruntés par les mariés et toute la cour ». Henri de Navarre
conduit son épousée dans la cathédrale, puis se retire. Pour bien marquer que le
rituel est catholique et non pas évangélique, deux cierges brûlent sur l’estrade
durant toute la durée de la cérémonie. Le marié n’assiste pas à la messe qui est
chantéedanslechœurdelacathédrale;ilestinstallédanslasacristie.Unefoisla
messe chantée, Henri de Navarre se présente devant la grande porte de la
cathédrale,afindeconduiresonépouseauPalaisdejustice.Ilestdifficiled’évaluer
laréceptionparisiennedelacérémonieetdesavoirsielleauraitétéboudéeparles
zéléscatholiquesdemanièredémonstrative.
LucGeizkofleraffirmetoutefoisquelepeupleestmassivementprésentetqu’àla
findelacérémoniedesmédaillesd’orfurentlancéesaupeuple:surl’aversdel’une,
HENRICUS BORBONIUS REX NAVARRAE et MARGARETA VALESIA REGINA
NAVARRAE ;surlereversunagneaupascal avecSECURITASPACIS,CONSTRICTA
HOC DISCORDIA VINCLO5. Une autre médaille portait sur l’avers VOBIS
ANNUNCIOPACEMINCERTOVENERIT…,tandisquesurlereversétaitfiguréun
prêtre auprès d’un autel enflammé avec les lettres M. H. D’autres pièces,
bimétalliques, or/argent furent jetées en direction des spectateurs : sur l’avers or,
une femme modestement vêtue tenait un serpent ouroboros au-dessus d’un autel
couvert d’un brasier, tandis que sur l’avers argenté était gravé ÆTERNA QUÆ
MuNDA [la puretÉ est Éternelle]6 . On serait loin de l’affirmation de Jean-Louis
Bourgeonsignalantunecathédrale«déserte»parceque«lesplushautesautorités
civilesetreligieuses»auraientboudélacérémonie7 .
Cettefêteexpliqueraitpourquoilamonarchieatoutfaitpourquecettecérémonie
aitlieu,pourque Colignyetlessiens, auxcôtésdesgrands seigneurscatholiques,
expriment leur adhésion à la cérémonie nuptiale et à l’ordre de concorde qu’elle
consacre. Car la beauté féminine est, dans l’œuvre de Marsile Ficin comme dans
une vision développée par Pontus de Tyard dans ses Erreurs amoureuses de 1548,
l’« image de la beauté divine ». Le visage de la femme est l’ordre de l’harmonie
spirituellequidoitpénétrerlemondehumain,ilestl’idéedel’unitécosmiqueetde
la félicité éternelle : « sous ton haut front, qui le cler Ciel ressemble ». Il est la
perfection appréhendée grâce à l’œuvre de « Nature divine », de l’« idée
universelle»quiestlafinetlecommencementdetouteschoses.Levisageféminin
quiappelleparsabeautél’Amourestl’idéedel’Espritdivinetdelapaix.Catherine
de Médicis ne fait qu’activer la force magique qu’elle revendique depuis toujours
pourelle-même,ladouceurféminine.
L’amour entre deux êtres, que solennise le mariage royal, n’est que l’événement
qui convoque à une contemplation de la Beauté puis invite, consciemment ou
inconsciemment, à une mimétique collective d’adhésion à l’harmonie céleste.
MargueritedeValoisestnéele14mai1553,etAmadisJamynévoqueleprintemps
quirégnaitalorsetqu’ellecontinueàincarner;elleestbellecommeunprintemps.
Ellefigurece printempsdu mondequi doitreveniraprèsles tempsdifficiles d’un
automne et d’un hiver. Elle est la perle et la fleur du royaume. Ses grâces sont
souveraines,au-dessusdeshumains.LepoètelacompareàsatanteMargueritede
Savoie, qui, du temps du roi Henri II, « dessauvagea le siècle encore sauvage : /
Combatit l’Ignorance et luy donna frayeur 8 ». L’œil ne peut pas se lasser de
contempler Marguerite. Vouloir, comme Apelle, peindre la beauté de la sœur du
roiest impossible.Elleest unastre dela France.Le poèterapproche sonunion à
HenrideNavarredelachaînequiretintMarsetVénusensemble.C’estunamour
que rien ne pourra rompre, un amour qui symbolise les bienfaits de l’union des
contraires:
QuandNatureliadanssavoutureronde
Lespremierselemensdontestbastilemonde,
Dontnoussommesbastis,ettoutcequiestné,
Quilamatieresuitdontilestfaçonné
Marsestdessimplescorpslapremierediscorde,
Venusdessimplescorpslapremiereconcorde:
CarlaHaineetlaPaixjoignentleselemens,
L’unàl’autreattachezparleursenchaisnemens9 .
Il faut que les Français se joignent les uns les autres par une chaîne identique à
cellequelacérémoniedu18août1572asolennisée.AutantlaHaineestunprincipe
de corruption, autant la Paix recompose et ressoude les éléments dissociés, parce
qu’ilyalachaîneforgéeparVulcain,unechaînequiestlefeud’amour,uneflamme
qui,enunissantMarsetVénusd’un«nœudferme»,vientcontraindrelesPrinces
àoubliercetteguerrequiavaitensauvagéleursesprits.Letempsestainsivenuque
secalmentlestumultes,autourdecesdeuxcœursbrûlésd’unamourvertueuxqui
fait le bonheur de la France et qui doit aspirer le royaume dans l’espérance d’un
renouvellementdestemps.
Dumariagedecelledontlagrâceseuleestenmesured’anéantirlaforceguerrière
deMars,decellequiestlevisagemêmedel’amour,«perled’honneur»,ressortent
uneabsolueperfectionetdoncunemagienaturelle,carlepoètedépeintl’amourqui
est en Marguerite comme blessant naturellement les hommes par sa force
universelle,embrasantleurscœursetlesemportanthorsdespassions.Lemariage
etsescérémoniesfestivessontplusqu’unesymboliquedelaconcorderestaurée,ils
sont des rituels de destruction du mal, d’inclusion des hommes dans un univers
ficiniend’amour,tantparlacontemplationdelaprincessequiestdonnéeàadmirer
àtouslesassistantsqueparl’auditiond’unemusiquequiestl’encyclopédiedetoutes
lesconnaissances;cettemusiquequidoitlespurgerdeleurspassionsapourtrois
effets de « serrer, desserer, acoyser les espritz passionez et afectionez ». La
perfection,offerteencontemplationauxhuguenotscommeauxcatholiques,convie
au retour de l’ordre, à la mise en conformité du temps humain avec l’ordre du
cosmos,parcequ’elleincite«cequiestbasàsetournerverscequiestmeilleuret
plushaut».Elleestlesensmêmed’unepolitiquedemiseenénigme.
Leroiest,lorsdelacérémonienuptiale,autantOrphéequeMercureouApollon,
ilestceluiquiviseàredonnerauxhommesl’idéedel’harmoniedel’universenleur
faisant voir et écouter l’harmonie même, celui qui cherche à les charmer pour
mieux les débarrasser de leurs pulsions de violence. Il est celui qui, sans qu’ils en
aient conscience, leur parle de l’amour, de la sérénité, celui qui investit leurs
pensées d’une immense espérance. L’union ficinienne de Vénus et de Mars,
l’assoupissement des désirs violents de l’homme par la séduction de la beauté
féminineestcequidoitsedéroulerenchaqueFrançais.
Tout l’acharnement du pouvoir à négocier avec la reine de Navarre l’union de
Marguerite de Valois et d’Henri de Navarre prend sens à cet instant. Les
gentilshommeshuguenots,obsédésparl’idéequelesortdesPays-Basetl’avenirde
la réforme française dépendaient d’une entreprise guerrière que la royauté ne
pourrait plus leur refuser au lendemain de la cérémonie de mariage, furent pris
dans une histoire qui les dépassait, une histoire dont ils ne soupçonnaient pas la
trame magique et dont pourtant, tout comme les gentilshommes catholiques, ils
étaient les objets, les cibles vivantes. Il y eut préméditation le 18 août, mais
préméditation d’inclusion dans un rituel d’Amour qui devait, précisément, leur
fairecomprendremagiquement,àtous,quelapaixétaitleseulavenirduroyaume.
Lapolitiquemonarchiquefutunepolitiquemagicienne.
LacapitaleduroyaumeestdoncenferméedanslemondeidéaldesnocesdeMars
etdeVénus,dansuneutopiedubonheuretdel’âged’or,danslelangagemagique
d’une énigme qui attire le monde des hommes vers l’esprit divin de paix. C’est
CharlesIX quil’écrit lui-même à FrançoisRougier, baronde Ferals, évidemment
pour lui donner un argument destiné à contrer les réticences du pape : Henri de
Navarre,unefoismariéàMargueritedeValois,pourraêtreramenésurlechemin
del’Églisecatholiqueetromaine,commel’ajadisétésonpèreAntoinedeBourbon.
Lemariagedu18aoûtn’adesensques’ilpréfigure,danslacapacitédedeuxêtresà
l’amour, une réunion des Français dans l’unique religion qui est celle de l’Église,
dansuntermeindéterminé,maiscertaind’advenir10.
Tout est alors fait pour créer une dynamique de l’adhésion parisienne, après un
banquet donné par le roi auquel sont invités à prendre part non seulement les
princesetprincesses,lesprélats,etnobles,maisaussileprévôtdesMarchands,les
échevins,conseillers,quartenierset«bourgeois»delavilledeParis.Lesnocessont
suiviesparquatrejoursdefêtesetdemascaradesdanslegrandpalaisduParlement,
dont le Vénitien Giovanni Michiel observe qu’elles furent « magnifiques » et
attirèrent un « tel concours de peuple et de noblesse11 ». Une fête est d’abord
organisée,au cours de laquelle défilent des chars de triomphe à la mode romaine
«antique»:surl’un,onvoitleroideFrancepersonnifiantSaturne,encompagnie
desesdeuxfrères.Lemotifduroisaturnien,alorsattribuéàHenriII,avaitdéjàété
exploité lors de l’entrée de Rouen quand un arc triomphal avait été orné d’un
Saturned’orinstallésuruncroissantlunairesoutenuparlasibylledeCumesetla
sibylle tiburtine et tenant un écriteau. Il y déclarait qu’il était « l’âge d’or »
redonnantvieaumonde12 .Saturneprotecteurdelaprospéritédesroyaumes13.Un
autrecharreprésenteleMontParnassesurlequelsetiennentApollonetlesMuses
quichantenttoutenjouantd’instrumentsàcordes.Cettemiseenscènetraduitle
souci d’attirer magiquement, dans le monde humain, l’harmonie que la lyre
d’Apollonfaitentendre,uneharmoniequidoitdescendredessphèreshiérarchisées
quiconstituentlecosmos.Lerègnedel’Amourdoitadveniraprèsqueledieuatué
le serpent Python symbole de discorde et de violence, comme, dans une
chronologiesansdouteproche,lereprésenteleLimougeaudPierreCourteysdans
unplatovaleconservéaumuséeduLouvre.
SuitlaséquencedefestinquiattendlesmariésetlesinvitésauPalais,leParlement
ayantétésollicitédesiégeraucouventdesAugustins.LucGeizkofleraainsivule
roiprendreplaceàtableencompagniedelamariée,deladuchessedeLorraineet
deses deux frères: « le roi deNavarre se tint auprès,debout », sansdoute parce
qu’illuirevenait,àlafoispardéférenceetpardistinction,derendrehonneurauroi
en le servant à table. Puis suivent des danses auxquelles les huguenots n’auraient
pasprispaspart.Lafêteduretard,aupointquelesinvitésneselevèrentquevers
uneheuredel’après-midilelendemain!
Le 20 août, le gouverneur de Paris et de l’Île-de-France, le duc François de
Montmorency, se retire à Chantilly sous le prétexte d’aller à la chasse14 . Mais je
souhaiteattirericil’attentionsurunépisodedemeuréinétudiésansdouteparceque
problématique,maisquisymbolisepeut-êtrefortementcequiétaitencausedansle
travail énigmatique du pouvoir royal : des comédiens italiens jouent en effet une
comédie,Zodiacusvitæhumanae,devantlacouret«grandeaffluencedepeuple».
Nefaut-ilpasimaginerquecette«comédie»auraitétél’adaptationthéâtraled’un
poèmeendouzechantsquifutcomposéenlatinetdédiéauducdeFerrareHercule
II, époux de Renée de France, sans doute en 1535 par le présumé médecin
Marcellus Palingenius Stellatus15 et qui, édité à Venise dès 1536 sous le titre de
Zodiacus vitae pulcherrimum opus atque utilissimum 16, a eu ensuite de multiples
éditions en Europe, dont à Lyon dès 1552 puis en 155617. Il s’agit d’un poème à
composantes à la fois didactiques et satiriques, avec des moqueries contre la
mythologiegrecque,contreleclergésoumisàsonappétitderichessesmondaineset
deplaisirs charnels.Sousla successiondes signesastrologiques, c’estune manière
positive,selonJacquesChomarat,devivredanslasagesseetdoncdanslesouverain
bienqu’estDieuetdans«lapaixintérieureéloignantl’hommedeserreurspouvant
leséduire,quiestenseignée».
LafinalitéduZodiacusestde«cultiverl’âme»dansuneoptiquenéoplatonicienne
et de signifier qu’il faut prendre garde au monde où règnent le mal, l’injustice, le
malheuretlaviolence.Lamiseenscènefestiveapourfind’énoncerlarésolution
de l’énigme qu’a été le débat entre désir de guerre et attachement à la paix. Le
mondeestunecomédiedangereuse,«unthéâtredesotsetuneboutiqued’erreurs»
danslaquelle figurent le clergé, les grands, lesprofesseurs incompétents. Dieu est
« le père et auteur des choses », Dieu qui « crée tout ce qui est bien et beau », à
commencerparlesformesincorporellesquisont«là-haut»où«lesguerressont
absentes».
Ilsnesouffrentpasdehaineoud’envie.
Unepaixéternelleestenvigueur;
Laconcordeesttrèsgrande,
Etl’amourmutuelestchezeuxpermanent18 …
Le Zodiacus est un appel à prendre conscience du fait que, plus une sphère du
cosmosest«basse»,pluslemalestpuissantparcequ’yrègnel’obsessiondel’orqui
dressel’uncontrel’autre:«C’estpourcelaquelesoldatcourtaudacieusementàde
furieux combats. » Chacun s’adonne aux ruses, aux vols et à la violence pour
acquérirdesbiensterrestres.Lemondehumainestcaractériséparla«démence»
qui fait oublier Dieu et cloue au sol les âmes de « la foule à l’esprit épais19 ». La
discordeestdénoncéeparcequ’ellebouleverse«parundésordreinsensé[…]toutes
choses », et les spectateurs devaient saisir l’allusion quand il était proclamé
qu’«aujourd’huionseplaîtàêtremenaçant,àdéchirerlesloisavecl’épée.Lajustice
c’estd’avoirétéplusfort20 ».L’hommemauvaisbouillonnecommeleStromboliau
milieu des flots, alors que la concorde est synonyme d’une « amitié » sereine et
partagée«quirègnedanslessphèressupérieures».Lesalutexigeleméprisdela
«terre»,etl’animamundi attireàellelesâmeshumaines,toujoursplusfortement.
Lapaixest«filledel’amour»quirègnedanslesplushautscieuxet«elleestleplus
rareprésentdesCieux»parcequetouslesêtresdel’univers«nesontformezque
parlaPaix»quiestdoncleurfinabsolue.
EnlisantetrelisantattentivementleZodiacus,onpeutsedemanders’iln’apasété
effectivementjouédansuneversionsimplifiéepourfaireconnaîtrecequevisaitle
mariageprincier,c’est-à-direlapérennisationmagiquedelapaix:«C’estpendant
leregnedelapaixquelesAbeillesproduisentleurplusdouceAmbroisie;queles
Troupeaux se multiplient : que les Campagnes sont cultivées et qu’elles rendent
dansla rocheAutomne les abondantesMoissons dela blonde Ceres; le Laitplus
doux que le Nectar coule dans des vases. Bacchus fournit sa seduisante Liqueur,
c’estdanscetemsheureuxqu’onexprimel’huile,richepresentdel’ArbredePallas.
Les Jeux et les ris marchent sur les traces de la Paix et le champêtre Chalumeau
excitelesdansesrustiques.»LaPaix donneauxhommesl’idéede cequefutl’âge
d’orsaturnien,d’autantéloignéque,maintenant,«ladiscordeparsesmouvemens
tumultueux, étonne, frappe, renverse ; rien ne resiste à ses fureurs. La cruauté
devientnecessaire.OnenfraintlesLoixlesplussaintes:laJusticeneseregleque
parlepouvoirarbitraire.Ons’armedesSerpentsetdesFlambeauxdesFuries;les
habitans de l’Univers semblent autant de Bacchantes : les cruelles Érinyes, enfin,
ébranlent les États et les Monarchies, par les plus violentes secousses. Pourquoi,
miserables Mortels, hâtez-vous votre mort par d’inhumains combats ? » Le
Zodiacus, s’il a été ainsi joué, à Paris en 1572, aurait été une invitation à la
conversionàlapaix,àuntempsordonnépar«l’amitié»etparlamodération21 .
Les festivités se poursuivent, centrées sur une série de divertissements dont le
premierestdestinéàmarquercombienleroiestau-dessusdesessujets,etqueson
rirefaitpartiedesamajesté.Ànouveau,LucGeizkoflerpeutservirdeguide,caril
estleseulàtémoignerdecetteculturecérémonielle.Leroifaitconduiredansune
courtroisanimaux:unlion,unbœufd’unetailleimpressionnanteetungrosours
blanc qui avait récemment été capturé par un Suisse, qui sont exhibés devant la
foule.Maisl’oursparvientàselibérerdesesliens,déclenchantunepaniqueparmi
les spectateurs qui prennent leurs jambes à leur cou, abandonnant sur place
manteaux et chapeaux. Le roi, installé à distance sur une galerie en hauteur, se
montreraviduspectacleaupointqu’ilestpossibledesedemandersicen’étaitpas
sursonordrequelabêtesauvageavaitétémalattachée22 ets’ilnesignifiepasainsi
sonplaisird’êtreleroidelapaixens’amusantàjouerlefou,ensemoquantdelui-
mêmeetdesonautoritéainsiquedesessujets.
C’estensuiteauducd’Anjouqu’ilrevientd’offriràHenrideNavarre,àMarguerite
etaux invitésun grandbanquet. Estdonné, selon lesmots deLuc Geizkofler, un
« beau spectacle et tournoi dans la grande salle divisée en deux », qui combine
danse, chant et musique23. Le « Paradis d’amour24 », une fête 1minutieusement
conceptualisée et réglée, est mis en représentation à l’hôtel du Petit-Bourbon (la
résidenceducardinaldeBourbon)sansdoutele20août1572,quatrejoursavantle
massacredelaSaint-Barthélemy.Ilapoursensdesymboliseretd’exalterlaréussite
d’une action royale qui a travaillé sans relâche à préserver la paix, malgré les
obstacles et dangers. « Premièrement, en ladite salle à main droite, il y avait le
paradis»oudemeuredesespritscélestes.L’entréeduquelétaitdéfenduepartrois
chevaliers armés de toutes pièces, qui étaient Charles IX et ses frères. À main
gauche, était l’enfer, dans lequel il avait un grand nombre de diables et de petits
diablotaux, faisant infinies singeries et tintamarres, avec une « grande roue
tournantedansleditenfer,touteenvironnéedeclochettes».LeroideNavarrese
trouve avec les siens dans ce lieu. « Le paradis et l’enfer étaient séparés par une
rivière,quiétaitentredeuxsurlaquelleilyavoirunebarqueconduiteparCaron,
nautonier d’enfer. » Un tournoi oppose les deux groupes protagonistes, qui tous
portaientdesplendidesarmuresdorées.
Àl’undesboutsdelasalle,etderrièreleparadisétaientlesChamps-Élysées,àsavoirunjardinembellide
verdureetdetoutessortesdefleurs;etlecielempirée,quiétaitunegranderoueaveclesdouzesignesdu
zodiaque,lesseptplanètesetuneinfinitédepetitesétoilesfaitesàjour,rendantunegrandelueuretclarté
parle moyendes lampeset flambeauxquiétaient artistementaccommodéspar derrière.Cette roueétait
dans un continuel mouvement, faisant aussi tourner un jardin dans lequel étaient douze nymphes fort
richementparées.
Danslasalleseprésentèrentplusieurstroupesdechevalierserrants(c’étaientdesseigneursdelareligion,
qu’onavaitchoisisexprès),ilsétaientarmésdetoutespièces,vêtusdediverseslivréesetconduitsparleurs
princes(leroideNavarreetleprincedeCondé),touslesquelstachantdegagnerceparadis,pourensuite
allerquérircesnymphes,enétaientempêchésparlestroischevaliersquienavaientlagarde:lesquels,l’un
aprèsl’autre,seprésentaientàlalice,etayantrompulapiquecontrelesditsassaillantsetdonnélecoupde
coutelas, les renvoyaient vers l’enfer où ils étaient traînés par des diables et diablotaux. Cette forme de
combat dura jusqu’à ce que les chevaliers errants eussent été combattus et traînés un à un dans l’enfer,
lequelfutensuiteclosetfermé.
Àl’instantdescendirentducielMercureetCupidon,portéssuruncoq.LeMercureétaitcetÉtienneleRoi,
chantre tant renommé, lequel, étant à terre, se vint présenter aux trois chevaliers, et, après un chant
mélodieux,leurfituneharangueetremontaensuiteaucielsursoncoqtoujourschantant.Alorslestrois
chevaliersselevèrentdeleurssièges,traversèrentleParadis,allèrentauxChamps-Élyséesquérirlesdouze
nymphesetlesamenèrentaumilieudelasalle,oùellessemirentàdanserunballetfortdiversifié,etqui
duraunegrosseheure.Leballetachevé,leschevaliersquiétaientdansl’enferfurentdélivrésetsemirentà
combattre en foule et à rompre des piques. Le combat fini, on mit le feu à des traînées de poudre, qui
étaientautourd’unefontainedresséepresqueaumilieudelasalle,d’oùs’élevaunbruitetunefuméequifit
retirerchacun.
Cettegrandechorégraphieétaitprobablementpenséecommeunaboutissement,
uneformedefind’histoirequ’ellescandaitcommes’ilfallaitdonnersasignification
à la durée qui prenait forme du fait du mariage, comme s’il fallait projeter
scéniquement et donc magiquement ce qui advenait désormais dans un raccourci
symboliqueallantdupasséauprésentetdoncaufutur:elleétaitunthéâtredela
forcedel’amourressuscitéparle travaildelapolitiquede concordemonarchique
qui délivrait de l’enfer les forces qui, symboliquement, incarnaient les passions et
leshainesgénératricesdeviolences,etquiinstauraitunordredurabledepaix.Le
roiétaitceluiquisuivaitleconseildumessagerdesdieuxMercure,dispensateurde
la volonté et de la connaissance divine, et donc inventeur de l’harmonie, et de
Cupidon,lelieutenantdeVénus,déessedel’amouret «vinculum»ducosmos 25.Il
était celui qui réintégrait, comme malgré elles mais par l’exorcisme gestuel d’une
lutte magique, les forces contraires dans l’équilibre du royaume microcosme de
l’univers et faisait jouer la concordia discors ou la discordia concors pour qu’elles
pérennisentunerefondationpolitique.
Leritueldeceballetenfaisaitplusqu’unereprésentationdecouràfinalitéfestive.
En effet, la danse à la Renaissance, outre qu’elle fait basculer les corps dans une
harmonie gestuelle reflétant une harmonie spirituelle, reproduisait dans les
mouvements des pieds des danseurs et danseuses les mouvements des planètes et
visaitàfairedescendresurterrel’ordreéterneletharmoniquedelaCréationdivine
etdoncàréinsufflerl’âmedumondedanslapetitesphèredelaviehumaine,enun
influxmagique,pourlapaix,etparlafermeturedel’enferquiclôtlascènesousun
zodiaque dessiné un ciel. Cette danse des nymphes consacre un changement de
temporalité,lebasculementversunrègned’absoluitéquiverralafindelabarbarie,
unâged’or deréconciliationpuisqueceux quisebattaientsont désormaishappés
dans l’apaisement de leurs passions. Disons-le de manière appuyée : le Paradis
d’amour ne peut se comprendre que dans la perspective des jeux de signifiances
animésparleroietsamère:ildonneàceuxquiassisteàlafêtelesclefspermettant
decomprendre l’énigmesavammentconçue qu’aété lapolitique dela monarchie,
sanscesserepensée,sesambivalencesetinfirmations,sesavancéesetsesreculs,ses
dits et ses contredits. Et surtout son intelligence ayant permis d’assoupir et de
neutraliser les passions humaines. L’énigme de la politique royale est dévoilée au
sensd’unequêtedel’amourretrouvéentrelesFrançais.
Le jeu de coïncidences entre une conjonction symbolique des opposés – le
masculin et le féminin, le martial et la douceur, le catholicisme et le
protestantisme–nevisait-ilpasàdéfaireletropismedelaguerreetàlaisserrentrer
le royaume dans une transparence retrouvée des jeux politiques ? Les noces ne
mimaient-ellespascellesdeMarsetVénusdanslecoursd’unprintempsquiavaitle
sens d’un recommencement, d’une recréation ou d’un revenir d’une harmonie de
l’ordre universel du monde et de l’ordre politique du royaume ? Ne doit-on pas
identifier dans le travail de la monarchie d’avant la Saint-Barthélemy le projet
d’accomplissementd’unrêved’unâged’orrestauré,parlamanipulationsavantedes
forces antinomiques afin de les désengager du devenir politico-religieux du
royaume ? L’important alors ne tint-il pas à ce que l’attentat du 22 août contre
l’Amiral dérégula et rendit inopérante toute une magie politique qui tentait de
remettre le royaume de France au diapason d’un ordre de la Création synonyme
d’harmoniedivine?
Le motif du jardin de Catherine de Médicis est surthéâtralisé en un espace
signifiant le triomphe de l’amour, un « paradis » qui annonce le devenir que le
royaume de France va désormais connaître. Mercure prend la parole pour dire
qu’avec la libération des nymphes, les tourments des jours passés sont désormais
terminés:«unbeaujardin,ainçois/unparadis,desdéliceslechois/,oùfleurset
fruicts en abondance naissent, / et à l’envy l’une sur l’autre croissent » doit
désormais se voir sur terre. Un hymne à la concorde. Le but de la fête est de
signifierque la paix et la sérénitépropres à l’âme de Catherinede Médicis,ayant
neutralisélesvirtualitésdedésordrepassionnelgrâceàsasagesseetàcelledeson
fils, s’étendent, à travers le mariage royal de Henri de Navarre et Marguerite de
Valois, à tout le royaume en instance de devenir un jardin d’amour, et donc de
concorde.LaFranceentreenunprintempsdel’histoireouverteauretourd’unâge
d’or, grâce à un roi-mage distributeur de paix des âmes, un roi musicien sachant
que l’âme du monde recèle en elle une « structure numérique harmonieuse » et
qu’ellepeutpénétrerdanslesâmeshumaines26 .
On est ici, loin de l’univers d’un déchaînement violent, au cœur de l’idéalité
politiquedelareinemèretellequeBrantômel’aidentifiéeetquiestunestratégie
d’exorcisme magique : « Et notez que toutes ces inventions ne venoient d’autre
boutique ny d’autre esprit que de la royne ; car elle y estoit maistresse et fort
inventive en toutes choses ; elle avoit cela que, quelques magnificiences qui se
fissentàlacour,lasiennepassoittouteslesautres 27.»
Lejeudi21août,auLouvre,cesontencoreleroi,sesfrères,leducdeGuiseetle
chevalierd’Angoulêmequi,déguisésenAmazones28,combattentleroideNavarre
etsescompagnons,travestisenTurcsportantde«grandesrobbesdedrapd’or»et
coiffés de grands turbans29. Il y a aussi le prince de Condé et le jeune La
Rochefoucauldquisonthabillésàl’estradiotte,enrobesdedrapd’or 30.Aprèsdeux
ou trois courses dans la lice, parce qu’il était tard, la « partie » est remise au
lendemain. Les rues de Paris sont fleuries, et une foule nombreuse s’associe aux
fêtes,dontonpeutsedemandersiellesnevisentpasàretarderlaprisededécision
officielle des huguenots de partir en direction des Pays-Bas, et cela pour la
neutraliser, d’autant qu’un autre programme festif aurait été prévu au château de
Fontainebleau pour les jours d’après. Ne pas y prendre part aurait pu apparaître
comme une forme de défi à l’autorité du roi, comme une manière de se
désolidariser de la mise en ordre de la concorde, d’autant que des bruits
rapportaient que l’Amiral aurait adressé un ordre de mobilisation à ceux de la
religion et qu’il pouvait compter, dans un bref délai, sur un appui de trente ou
quarantemillehommes.Certainshommesdeguerre,selonlarumeur,auraientété
vus déjà à Soissons et, plus à l’est, à Morfontaine. Des préparatifs sont un peu
partoutrapportés–en Picardie,enChampagne–, tandisquedes bruitsévoquent
desremontéesdegensdeguerredepuislemidi.Decetteinflationderumeurson
peutsedemandersiellenefutpaségalemententretenueparColignyetlessiens,
dansleurdésirdemettrelamonarchieaupieddumuretdeluiôtertoutemargede
manœuvrequandils’agiraitderetravaillerlaquestiondelaguerreauxPays-Bas.
Pietasetjustitia:verslerègnedel’Amour
Pour mieux assimiler le sens de l’union de Marguerite de Valois et de Henri de
Navarre, il nous faut revenir sur ce qui est au cœur de l’action politique de
Catherine de Médicis et, sans doute, de son fils : le rêve de l’établissement d’une
royauté néoplatonicienne. Ce fut dès après la mort de Henri II l’objet du travail
iconographiqued’AntoineCaronquis’employaàidentifierCatherinedeMédicisà
lareineArtémisedeCarie,veuveduroiMausole,dansuntableauquimontreque
lesdeuxcolonnesdela puissanceroyalesontlajustice etlapiété, pietaset justitia,
devise de Charles IX, et qui réalise la transcription multiscénique d’un
recommencement magique de cycles de temps à travers l’action de personnages
rejouant l’action de personnages du passé. Pour illustrer ce recommencement,
citons le moment de la remise du Livre et de l’Épée, dans lequel le jeune roi
Charles IX, nouveau Lygdamis, se tient dans l’ombre de sa mère protectrice,
nouvelle Artémise. Suivi par un groupe d’hommes qui incarnent sans doute les
différentes sciences, un vieillard s’avance sur la gauche et lui remet un livre,
symbole de ce savoir que seul l’élu de Dieu peut posséder mais qui s’acquiert par
l’éducation. Cette fraction de la scène est dominée par une statue triomphale
d’Athéna, la déesse de la sagesse, une allégorie de cette connaissance qui est
synonyme de piété parce que connaître est se connaître soi-même et donc
connaître Dieu puisque l’homme est un petit monde et que le monde est l’idée
harmonique de Dieu. À droite, décentrés et comme secondarisés, deux autres
personnagesentenuemilitaires’apprêtentàdonneràl’enfant-roil’épée,lebouclier
etlecasque, symbolesde forceet dejusticeplus quede guerreet deviolence. En
effet,eux-mêmesetceuxquilesentourentontdéposéleursarmesetsetiennentau
piedd’unestatuecolossaledeMarstenantsonépéerangéeaufourreau.Ilyaaussi
un homme qui supporte entre ses mains un globe, présage de domination
universelle.Destabletteshoroscopiquessontposéesenévidenceaupremierplan,
commepourtémoignerquecetteprisedepouvoirparleprince-enfantn’estpensée
qu’enfonctiondelatotalitédel’univers,n’adesignificationquedansunequêtede
l’harmonieuniverselle.
Lechoixdelapersonned’ArtémisedeCariepourfigurerlareinemèren’estpas
innocent.DanslesystèmephilosophiquedeMarsileFicin,laveuveduroiMausole
est le paradigme de l’Amour sensible ouvrant naturellement sur l’Amour divin et
donc d’une royauté aspirant en elle l’harmonie de l’univers. Au-delà de ses
dimensionsesthétiques,lasimilaritévisaitàproduireunmouvementderevenirde
l’histoire,àfaireensortequecequis’étaitpasséjadis,lasurvieduroyaumeduroi
Mausole grâce à l’attention de tous les instants de sa veuve et grâce à la sage
éducation donnée à l’enfant-roi, se répète dans le présent. Le rêve d’une royauté
philosophiquedeCharlesIXestàrelieràuneconceptionmagiciennedupolitique,
danslaquellel’histoiren’estpaslinéaire,maisaucontrairepeut,parl’intervention
humaine, être contrôlée et réactiver un cycle du passé qui a consacré une paix
retrouvée.
Cetteroyautéduroi-philosopheetdel’histoirecycliquenefutpasqu’undiscours
ouuneutopie.Ellesetraduisitaussidansl’exercicedupouvoir,d’unepart,àtravers
la création, à l’initiative de Charles IX, d’une académie de musique et poésie.
Fondée en 157031, elle comptait bien, par la recréation de genres perdus de
l’Antiquité, faire résonner dans les sphères inférieures du monde sensible des
œuvres qui, conjoignant mélodie et poésie, permettraient de lutter contre la
barbarieetlechaosenfaisantentendrel’harmonieauxhommesetenleurdonnant
ainsil’idéedelaBeautéspirituellequiordonnel’univers.Pourleroi,ils’agissaitde
saisir,dansletempsdel’exercicedesonpouvoir,lemagistèredupoèteinspirépar
unefuriedivine etdumusicien recréantlessonoritésantiquespour ressusciterle
temps virgilien de l’Âge d’or. Dans cette nouvelle pax romana, il serait un nouvel
Auguste, et Ronsard et Baïf tiendraient la place de Virgile. Au sein de cette
académie, Claude Lejeune élabora la véritable renovatio musicale que fut Le
printemps. D’autre part, Catherine de Médicis inscrivit dans ce cadre complexe et
compliqué d’une science festive d’inspiration néoplatonicienne ses efforts pour
intégrerplusintimementencorelaroyautédanslegrandmystèredel’universetde
sonordred’éternité.
LetableauditleTriomphedel’hiver,peintparAntoineCaron,peut-êtreentre1564
et 1568, ou plus sûrement entre 1570 et 1572, relate cette tentative en
l’immobilisant dans une imagerie rituelle qui exige un décodage. Ronsard en fut
sans doute l’initiateur puisque Caron semble s’être inspiré de son « Hymne à
l’Hiver » dédié à Monsieur Bourdin. Le centre signifiant est un temple circulaire
quisedétachesurunfonddeneigeimmaculéeetdecielsombre,symboledeDieu
et d’éternité,ainsi que de pureté,devant lequel se tiennent plusieurs personnages
pourlaplupartféminins.Parmieux,dansunepénombrelunaire,sedistingueune
femmevêtuedenoir,CatherinedeMédicis,quiparaîtprésideràlacérémonie.Le
Dieu Janus aux deux visages, figure de cette science permettant au monarque de
connaîtrecequiestpasséetdeprévoircequivaadvenir,marcheendirectionde
cet édifice cosmique et donc de la reine mère. Il joue dans la fête royale son rôle
d’ordonnateurdelaviehumaineparceque,filsd’Apollonetd’Hécate,filsdusoleil
etdelalune,etdoncdumouvementrégulierdelavie,iltientunegrandeclefd’or
ets’apprêteàouvriruneportedutemplepoursansdoutelarefermer.Songestequi
s’ébauchesignifiequ’une année estsur lepoint de recommencerquand uneautre
s’apprêteàfinir,qu’uncycledutempsesteninstancedes’acheveretqu’unautreva
débuter.Que,parconséquent,riennepeutarrêterlecoursdelavieduroyaumeni
l’histoire du reste, puisqu’en vertu de l’ordonnancement qui a été voulu par la
sciencepolitiquedusouverainetdesamère,untempsnouveauvadébuter,celuidu
printemps de la vie, l’âge d’or. Le roi est en effet présent en un autre plan,
accueillantdeshommesetfemmesquimontentversluisurdesembarcationsetqui
vont,sansdoute,ensuiteprendrelechemindutempledeJanus.
La France, dans son centre qu’est la cour du roi, se voyait ainsi magiquement
réglée par l’action royale sur le mode de l’univers. Les troubles, qui ont pu la
secouer et faire croire que sa fin était proche, appartenaient à une normalité
puisqu’il est normal qu’une fois l’an, après les tempêtes de l’automne, la terre se
recouvrede neige etque l’hiver s’installeavant que nerecommence une nouvelle
ère temporelle et que la vie n’emplisse la nature de forces nouvelles. Janus est le
guidedesâmes,celuiquidoitlesemmenerdesrégionsinférieuresverslesrégions
supérieures, de la sphère sensible vers la sphère intelligible, de la corporéité vers
l’ordrespirituel.Ilestceluiquilesamèneversuneessenceabsentedelascène,mais
dont tout annonce le triomphe, l’Amour : en effet, il est lui-même précédé et
escorté par plusieurs putti. Et tous ceux qu’il entraîne forment un mystérieux
cortègedivinenpassederecevoirlarévélationorphiquedel’avènementd’unrègne
dePietasetjustitiatriomphantdespassions.
Àcôtéd’unprêtreporteurdufeuéternelquibientôtvaréchaufferlanatureetqui
éclairelacérémonie,ilyad’abordApollonquidonnesonmouvementaucortège
enjouantd’unelyre,symboleenvoûtantdel’accordetdelajusticequi,désormais,
règnent justement entre les hommes et vont permettre la renaissance à l’Amour,
danscettesaisonau coursde laquellelavie sembles’êtrearrêtée, pétrifiéesousla
neige, la glace et le froid. Il y a aussi Athéna, divinité de la force pacifique, de la
fortitudo, de la philosophie spéculative en ce qu’elle a déposé les armes, le laid
Vulcainquis’avancepacifiquemententenantlefoudre,précédépartroiscyclopes
forgerons. Ensuite, c’est peut-être une figuration de Pluton qui pourrait être
discernéedansunsombrehommepresquenu,marchantlesyeuxfixésausol
Toutefois, une divinité olympienne retient l’attention au sein de cette ronde.
Entre Apollon et Athéna, les conduisant en direction de Janus, avance Hermès-
Mercure, dieu de la prudence et de la sapience, et surtout dieu de paix, esprit de
Vérité et de sagessepour les néoplatoniciens; le dieu tient devant lui le caducée,
symboledelaconcordeentreleshommes.C’esteneffetautourdecettevergeque
s’enroulent deux serpents qui sont ici, explicitement, les serpents de la discorde
passéeentrecatholiquesetprotestants.Lebonheurestbientôtpossible,semble-t-il
proclamer, parce que c’est par la puissance du pouvoir royal que l’équilibre des
contrairesestenvoied’êtreaccompli.
Unestructure ficinienne présideà la composition de cettescène magique qui se
donneàcontemplercomme uneréalisationde laconcordedu mondeàtravers la
captation, l’ordonnancement et la personnalisation d’influences célestes qui, dans
l’harmonie de leurs mouvements, ne peuvent être que bénéfiques au royaume
terrestredeFrance.Enreprésentantlesquatrevertusnéoplatoniciennes,prudence,
justice,tempérance,fortitude,quidoiventrégnerdanslacitéparfaite,enaccordant
donclecentreactifdel’Étatàl’intellectdel’universetdesonmouvementordonné,
en livrant la cour à une fureur divine que produisent danse,chant et musique, la
fêtetentededéporteretfixerl’harmoniecosmiquedanslatotalitéduroyaume.Elle
a pour fin d’attirer les ordres sociaux dans la représentation magique de paix
retrouvéeàlaquelleelleintroduit.C’estl’imagedel’harmoniefaisantretouraprèsle
tempsdeladiscorde,l’imaged’unciel«meuharmoniquement»,«parmouvemens
etsonsharmoniques»quiestreprésentée,imagedubeau,del’ordreuniverseldes
choses,duvouloiréterneldeDieu.
Lafêteestunemétaphoredelapolitiquedepaixrégulée parl’Espritdivininfus
dans la personne royale et par la stratégie de mise en énigme. En réalité, ces
divinitésnefontqueprécéderladivinitélunairedel’hiver,unevieillefemmevêtue
d’unerobeblanchebrodéedefilsd’or,assisesurunchardetriomphetirépardes
grues. La danse des dieux qui précède sa progression triomphale retrace
précisémentquelapaix,quiparaîtuntempséprouvantetangoissantcommel’estla
saisond’hiverlorsqu’elleabatsesfrimassurlesterres,n’estqu’uninstanttransitoire
quiprépareunerenaissanceàlavie,l’exubérancevitaled’unprintempsduroyaume
aucoursduqueltousleshommesdébuterontunenouvelleèredevieencommun.
Et, effectivement, le tableau suivant du cycle peint par Caron sera celui du
triompheduprintemps,d’uneviedébordantedejeunessequivoitVénussoumettre
Mars,figuredespassions,àlaforcedel’amourvitalquiagagnélemondehumain
etl’entraînerdanslecortèged’unedivinitéprintanière.
Cette scénographie symbolique n’était pas seulement le rêve d’une reine et d’un
roiadmirant une miseen allégorie de leurpolitique ou unmoment ludique pour
ses acteurs, qu’elle aurait simplement cherché à emmener hors du monde
inquiétant qui les entourait, en une sorte de fable mysticisante ou en un théâtre
mythologique. Le Triomphe de l’hiver est, à proprement parler et pour reprendre
uneidéedeFrancesYates,lespectacled’unefêtetalismanique,inspiréedesthéories
néoplatoniciennes et hermétiques du spiritus, telles que Marsile Ficin avait pu les
développer à partir du Pimandre (attribué à la révélation d’Hermès Trismégiste).
Pour l’humaniste florentin, le divin imprègne la matière, et l’art de la magie
naturelle consiste à capter et diriger l’influx du spiritus divin vers les formes
sensibles,dansunvéritable«cerclemagiquedesesprits»,selonl’historienEugenio
Garin32 .
Ainsise découvrele projet quiest au cœur decette fête réelleou imaginairede
cour:opéreruneactionmagique,fairedescendrelesinfluencesmagiquesdesastres
par la grande incantation de ce cortège chantant et dansant, et donc produisant
l’harmonie même de l’univers dans la beauté des corps et des sons, par le
mouvementversl’éternitédelapaixuniverselle,etlesrépercuterversceroyaume
de France dont la cour n’est jamais que le petit monde. Le Triomphe de l’hiver est
ainsilatranscriptionscéniqued’unedesarticulationscentralesdelaphilosophiede
MarsileFicin
La politique royale, au temps des troubles de Religion, aurait été une gestuelle
ésotériquefondéesurleprincipeselonlequeltouteschosespeuventreveniràl’Être,
à la paix, parce que l’Être est dans toutes choses, dans chaque homme, et que
surtoutleroipeutattirerses sujets,peut-êtremalgréeux,verscette régénération
quiestunerenaissanceàl’Êtredel’univers,àl’harmonie.
Lamagierompue
Il est possible de percevoir cette dimension originale dans le sens que la
propagande royale donna publiquement à la pacification du mois d’août 1570.
L’histoire des mois qui précèdent le massacre de la Saint-Barthélemy semble
calquée sur l’enchaînement mythique qui préside au passage de l’hiver au
printemps.Le travail royal paraît consister en un travail de glissement des forces
politico-religieusesduroyaumed’untempsdansunautre.C’est,eneffet,àl’instant
delapaixdu8août1570quetransparaît,delamanièrelapluspatente,lelienqui
unitundesgrandsidéologuesdutemps,LoysLeRoy,àlapolitiquedelaroyauté.
Depuis Saint-Germain-en-Laye où il affirme se trouver, le « Platon françoys »
dédicaceauroiuneExhortationauxfrancoispourvivreenconcorde,etjouirdubiende
la paix, un véritable texte de propagande monarchique qui actualise, dès ses
premièreslignes,lethèmevirgiliendel’Âged’or33 .Lapaixyestdécritecommeune
révolutiondansl’ordredestemps,elleclôtuneépoquequiavuleschampsdélaissés
enfriche,lesvillagesetlesbourgsdésertés,lesvillespilléesetbrûlées,leshorreurs
de la sédition. Maintenant, affirme Loys Le Roy en s’adressant aux « seigneurs »
français,ilfautprendreconfiancedanslanaturesalutairedelaconcordeetoublier
lescraintesethaines,touteslescraintesettoutesleshaines:«letempsrevient»,
ajoute-t-il, reprenant ainsi le motif central de la Florence de Laurent de Médicis,
«iltemposirinuova».
Cette royauté d’Amour mettant en mouvement une révolution temporelle va à
l’encontre de l’hypothèse que la Saint-Barthélemy aurait été préméditée ou
programmée par la monarchie. Charles IX appelait la pacification de Saint-
Germain«sontraitéetsapaix»,etillaconsidéraitcommeunegrâcedivinequilui
avait été concédée. Toute la pratique du pouvoir ne visait alors qu’à préserver la
concorde,malgrélesméfiancesdesdeuxpartisreligieux.Lapaixqu’ils’acharnaità
protéger devait au contraire aboutir à bannir la force et la violence du champ de
l’actionpolitiqueetreligieuse.Etc’esttoutlecontrairequiseproduisit,entraînant
unedésénigmatisationdupouvoir.
Carl’histoire,subitement,brutalement,voitseromprelamagie.Lesrumeurssont
capitales dans le déclenchement des conflits, et il se pourrait qu’avant même
l’attentat de la rue des Poulies soit déjà perceptible la montée en puissance, en
attente, d’un désir de tuer l’autre dans le Paris catholique34. Pour être plus
évocateur, suivons ici l’analyse donnée par Gérard Heuzé à propos du conflit
musulmano-hindoude1993:«Lesrumeursquicorrespondentàdessituationsde
conflitintensesontdesimagescondenséesetexaspéréesdel’Autre.Concrètement,
ce sont des phrases lapidaires, presque des cris, parfois suivies d’explications
nombreuses et contradictoires sur lesquelles il est permis de broder : chaque
transmissiondelarumeurrajoutequelquechose.Ellesreprennentunegrandepart
ducapitaldereprésentationsdéveloppéesdanslaperspectivehistorico-culturelleet
àtraverslesstéréotypes,maisl’universd’«images-forces»delarumeuresttoutà
faitparticulier.Lapropagationsansfreindesfauxbruitssupposed’abordunétatde
chocdanslapopulationetlatransformationdesmilieuxsociauxenmassesouen
foulesàlastructurationlâcheoutotalementabsent».Quandlarumeurs’emparede
l’espacede communication,c’est le signed’une ambivalence,dans la mesureoù la
rumeurditàlafoislespeursetlesdésirs.«Trèssouvent,leschosesquel’oncraint
leplussontcellesquel’onaimeraitfairesubiràl’autre.»
Arrêtons-nousdésormais, et de manière précise dans la mesure du possible, sur
lesdeuxjoursquiprécèdentlatuerie:le22août,vers11heuresdumatinoupeut-
êtreunpeuplustard(«versl’heuredudîner»),seproduitunattentatdirigécontre
lechefhistoriquedelaRéforme,l’AmiraldeColigny.Letireur,parlasuiteidentifié
souslenomdeCharlesdeLouviers,sieurdeMaurevertdontleducdeGuiseestle
principal protecteur35, embusqué dans la maison de François de Pilla, sieur de
Villemur, qui aurait été un ancien précepteur de la maison de Guise, parvient à
prendrelafuiteetàquitterParis36 .Lamaisonestfouilléetoutdesuite,maisonn’y
aurait découvert que quatre vieilles femmes 37 et des arquebuses chargées ; les
femmesdéclarentqueletireur,aidéparunhommequiauraitpréparétroischevaux
depostesurl’arrièredulogis,avaitprislafuite38.L’armedu«snipper»auraitété
chargée,selonlenonceSalviati,detroisballesdebronze,plusgrossesquelesballes
ordinaires,ou,selonunerelationadresséeàl’évêquedeNeustadtLambertGruter,
detroisballesdecuivredontl’unepercelamaindroitedel’Amiral«au-dessousde
l’index,et les deux autres le bras gauche». Ambroise Paré devra couper un doigt
pouréviterlagangrène.
GiovanniMichielessaiederendrecomptedel’échecdel’opérationqui,enréalité,
auraitviséàtoucherl’Amiralenpleinepoitrine39.Lechefdupartihuguenotétait
accompagnéd’une douzaine de gentilshommes parmi les plus actifs etengagés de
son parti, dont Edme de Régnier, sieur de Guerchy, René de Sorbiers, sieur des
Pruneaux, qui l’encadraient, Charles de Téligny, Pierre de Malras, baron d’Yolet,
ArmanddeClermont,seigneurdePiles,FrançoisdeMonneins,LouisdeMoustier,
PierredelaGelière,seigneurdeCornaton,JacquesPape,seigneurdeSaint-Auban,
RenédeValsergues,seigneurdeGéré,etNicolasBarnaud.Ilportait,auxpieds,des
pantoufles trop larges qui entravaient sa marche. Il aurait pris l’initiative de les
retirerpourlesdonneràunpagequilesuivait.Ilseseraitpenchéversl’arrière,en
sortequelaballe,aprèsluiavoirarrachéundoigt,frappasonbrasdroitauniveau
du poignet et le traversa jusqu’au coude 40. Selon le récit du capitaine suisse
originaire de Saint-Gall Josué Studer von Winkelbach, l’Amiral aurait été touché
alorsqu’ilmarchaitenlisantunmémoirequivenaitdeluiêtreremis,etlanouvelle
de l’attentat41, en se répandant, aurait aussitôt suscité « de grands cris et une
émeute»,pointde détailnoncorroboréparune autresource42.Letireurs’enfuit
aussitôtparuneportesurl’arrièredelamaison,làoùunchevalgarnidepistolesà
l’arçon de la selle l’attendait, et se serait dirigé vers la Porte Saint-Antoine où un
genetd’Espagneauraitétééquipépourassurerlerelais.
Le premier à rendre visite à l’Amiral aurait été le roi de Navarre, venu en
compagnieduprincedeCondésuividenombreuxgentilshommes43 .Dansl’après-
midi,leroi serend àl’hôtel dePonthieu,rue del’Arbre-Sec, aucoin dela ruede
Béthisy,auchevetdublessédontlamaindroiteestmutiléeetlebrasgauchebrisé;
certains des huguenots réclament justice et auraient déjà parlé de manière très
revendicative.Accompagnédesamèreetsesdeuxfrères,ducardinaldeBourbon,
duducdeBouillon,dumaréchaldeCossé,CharlesIXauraitjurédefairevengeance
del’agressionetpromisunejusticeimpartiale.Touteslesportesdelacapitale,sauf
deux, sont fermées. Selon le secrétaire du roi Jules Gassot, l’attentat inspire à la
monarchie des étalages d’affliction : « Leurs Majestez firent une grande
démonstration d’estre marrys de l’accident de M. l’admiral 44. » Les présidents de
Parlement Christophe de Thou et Bernard Prévost et le conseiller Jacques Viole
sontensuitedésignéspourentreprendrelarecherchedescoupables 45.Faceauroi
qui aurait fait démonstration, selon Agrippa d’Aubigné, à la fois de colère et de
peine,Coligny,desoncôté,auraitdonnélarépliqueenréexposantsuccinctement
lanécessitédel’engagementroyaldanslaguerredesoutienauxGueux.Etaussi,il
aurait,selonSimonGoulard,prononcéunréquisitoirecontrel’Espagne,etsurtout
auraitdénoncél’inapplicationdel’éditdepacification:«Vousavezjurédegarderla
paixpromiseàceuxdelaReligion.Maisonnesauroitdireencombiend’endroits
de vostre Royaume, ceste promesse est vilainement violée, non seulement par
quelques particuliers, mais aussi par vos gouverneurs et officiers. » Il présente
implicitementl’attentatcommeunrévélateurdulaxismedelapolitiqueroyalequ’il
met ici quasiment mise en accusation46. On n’a pas assez insisté sur cet échange
entreleroietleblessé,qui,enquelquesmots,peutavoirsembléromprelamagie
politique du pouvoir royal. Ou du moins remettre en cause ce que les conseils
avaient suggéré. L’attentat est bien une rupture, dans la mesure où Coligny se
retrouve en position offensive et paraît vouloir instrumentaliser sa blessure au
profitdupartiprotestant.
Ilfautnoterqueledispositifsymboliquedel’attentatn’étaitpassansreleverd’un
jeude réitérationqui pourraitavoir été destinéà signifierque lesang nepouvait
êtrevengéqueparlesangdanslecadred’uneinfrajusticemimétique:toutsepasse
comme si les Guise, ou ceux qui auraient prémédité l’attentat, avaient voulu
répéter, à travers la scénographie choisie par Maurevert, les circonstances de la
mortduducFrançoisdevantOrléans,tuéparletireurembusquéPoltrotdeMéré.
Entoutcas,selonunedépêchevénitienneendatedu25août,c’estimmédiatement
que«tousceuxdelaReligionsemontraienttrèsirritéscontreM.deGuise,tenant
pourcertainquelecoupavaitététirésursonordre47 ».Untemps,lebruitcourut
quel’assassinseraitrestéenville,Cavrianaconfirmantpoursapartqu’ilyaeuune
balledebronzetirée,«moltogrossa»,etretrouvéefichéedansunmur 48.
Ce qui n’empêche pas que Giovanni Michiel évoque un point de vue
contradictoiredanssarelation:déjàauraientcirculédessoupçonsmettantencause
lareinemèrequiauraiteudepuis«lontemps»la«pensée»detirer«vengeance»
de ceux de la religion ; ce qui s’est passé ne serait pas accidentel mais relèverait
d’une préméditation. Dans l’immédiat, les protestants n’auraient pas caché pas ce
qu’ils pensaient, ils parlent et ils auraient trop parlé – selon Giovanni Michiel49.
Certainsd’entreeuxseraientvenustrouverleroilorsdesondîner,etdonc,dèsle
22août,letonseraitmontéenmilieudejournée.Ils’enseraitmanquédepeupour
qu’ils se rendent aussi en armes trouver Henri de Guise dans la chambre dont il
disposait au Louvre. À l’opposé, une contre-rumeur est activée, affirmant que le
ducdeGuiseneseraitpourriendansl’attentat,selonleVénitienquidéveloppeune
analysealambiquée,«cariln’auraitpaseul’audaced’enveniràunetelleextrémitéà
la face du roi, parce que l’injure aurait été faite au roi lui-même, et quand même
celui-ciauraitfeintdenepaslaressentirsurlemoment,ilauraitpus’ensouvenir
plustardaugranddommagedecemêmeGuiseendesamaison,enl’excluantdeses
serviceset le privant de ses faveurs ». Et pourtant, la pièce dans laquelle le tueur
s’est embusqué était une dépendance du logis de la duchesse de Nemours, dont
certains avancent qu’elle avait été laissée vacante intentionnellement pour que
l’attentat,inspirépar lesGuise, puisseêtresoigneusement préparé50.On estdonc
immédiatementdansunesituationd’ébullitiondiscursive.Ouplutôtons’yretrouve
comme quelques semaines auparavant quand il s’était agi de peser le pour et le
contred’uneexpéditionauxPays-Bas.Ettoujoursdonc,danslaprofusiondesmots
qui redevient dramatiquement d’actualité, les conditions de production d’un
événementsanshistoire.
Est-ce une rumeur qui se serait diffusée alors dans la capitale que Josué Studer
introduitdanssonrécit,lorsqu’ilrapportequ’unconseilsecretseseraitréuni,qui
aurait vu des huguenots en nombre significatif se conjurer autour d’un projet de
réplique prévoyant les assassinats du roi, de sa mère, de ses frères et d’autres
seigneurs51 .Ledébridementdulangagesuitunepenteascendante:lecrimedevait
avoirlieulemardi26août,maislarumeur,venuesansdoutedezéléscatholiques,
semble avoir couru qu’un des conjurateurs aurait dénoncé le projet au roi. Bien
évidemment, on ne peut que douter de la réalité de cette entreprise. Mais, à cet
instantoùsedéfontlescertitudesetsemultiplientlesbruits,larumeurpeutavoir
participé de la dynamique de l’exécration des huguenots qui étaient, dans la ville,
toujours plus présentés comme suivant une ligne politique subversive parce que
dissidente. Comme l’a affirmé jadis Édouard Forestié, la monarchie est enserrée
dansunfaisceaudemotsincontrôlablesetincontrôlésquinepeuventquelaporter
à tenter de se replacer, face à toutes les virtualités qui semblent se présenter, au
centredel’histoireet,surtout,denepassubirunpossibleenchaînementfactuelqui
emporteraitParisdanslaviolence.Lesmotsreprennentleuragitation,etlafoliedu
langage, pourtant neutralisée lors du mariage, resurgit de manière aussi brutale
qu’immédiate.
En outre, le temps semble très court dans ce contexte de profusion discursive.
L’interventionagressivedeJeandeSégur,sieuretbarondePardaillan,soutenupar
quelques autres seigneurs huguenots, aurait donné à penser alors, selon ce que
rapportera Marguerite de Valois52, que l’« accident » de l’attentat « avoit mis les
affaires en tels termes que si l’on ne prevenoit pas leur dessein, la nuit même ils
attenteroientcontreleroi»etlareinemère.Lesoupçonquiauraitsurgiest«qu’ils
avoient quelque mauvaise intention ». D’où, selon Marguerite, déjà l’idée d’une
action préventive, même si, dans la lettre qui est adressée en fin de journée à
Bertrand de Salignac de la Mothe-Fénelon et que celui-ci montrera à la reine
Élisabeth,leroinecherchepasàcontournercequiluisembleévidentenmettant
encausel’inimitiédesGuiseàl’égarddelamaisondeChâtillon.Cetteinformation
dontrien negarantit lavéracité participeencore dela dynamiquede la peur: les
huguenotsauraientadresséàleurséglisesetàcertainsdeleurscoreligionnairesdes
lettresinterceptéespardesbonscatholiques:ilétaitquestionde«setenirprêtsà
défendre leur religion et leur vie » et de se mobiliser pour, tous, converger vers
Paris53.
On apprend aussi que, selon Tomasso Sasseti, le sieur de Piles aurait parlé à
Marguerite sur un ton très agressif alors qu’elle déjeunait avec sa mère, laquelle
auraitétéainsiindirectementpriseàpartie:
Madame,sileRoi,votrefrère,nefaitpasunprocèsrigoureuxetnerendpasunejusticesévèrecontreles
responsablesde cette action honteuse, ainsi que contre les personnesimpliquées, nous serons obligés de
nousvenger,cequineserapasenviolationdel’éditdepaixetdebien-être,puisqu’iladéjàétéenfreintpar
nos adversaires. Et si votre mari, sa majesté le roi, n’intercède pas en notre faveur, nous passerons par-
dessuslatêtedes autres,qu’ilen coûtelavieà trentemillegentilshommes.Et ilsadressèrentdesparoles
semblablesàlaReine-mère,quiétaitencompagniedespersonnessuivantes:M.d’Anjou,leducdeGuise,
le duc de Nevers, M. de Tavannes, le comte de Rets et le chancelier Birague et d’autres qu’il présumait
complices;ilajoutaque,si l’onneremédiaitpasimmédiatementà lasituation,lesangcouleraitdansles
ruesdeParis,enplusd’autresparolesimpertinentes 54.
Lesmots,toujourslesmots,quisemblentprendrelepouvoiretemporterlacour
dans une spirale incontrôlée. L’enfer des mots. La magie du langage en crise. On
comprendalorsqueCharlesIXprendlesoind’écriredeslettresstandardiséesaux
gouverneurs de province et aux magistrats des principales villes pour entraver la
dynamique subversive des rumeurs. À François de Mandelot, gouverneur du
Lyonnais, par exemple, il écrit en revendiquant d’avoir mis en place un système
d’interceptiondutueurdelaruedesPouliesafindepunirun«actesiméchant»:
Etd’autantquelanouvellepourroitesmouvoirplusieursdemessubjectsd’unepartetd’autre,jevousprie,
M.deMandelot, que,faisantentendreès lieuxdevotre gouvernementoùverrez qu’ilysera debesoing,
comme le faict est advenu, vous admonestiez et assuriez ung chacun que mon intention est de garder
inviolablement mon édict de pacification, et chastier les contrevenans si estroictement que l’on jugera
quelleestlasincéritédemavolonté.
À son ambassadeur auprès de la reine Élisabeth, il exprime sa totale volonté de
maintenir son édit de pacification : « Je ne veux oublier de vous dire que ce
méchantacte procèdede l’inimitiéd’entre samaison et ceuxde Guyze; et sauray
biendonnerordrequ’ilsnemeslerontriendemessubjectsenleursquerelles:carje
veuxquemonédictdepacificationsoitdepointenpointobservé55.»
CatherinedeMédicisauraitcraintque,lanuitmêmeduvendrediausamedi,les
huguenotsn’entreprennentuneaction.Surles9ou10heuresdusoir,lemaréchal
de Retz aurait été envoyé pour rendre compte au souverain qu’il était en danger,
avec l’argument que les soupçons réformés se portaient sur sa mère et son frère
Anjouetque,malgrétoutessesmanifestationsd’«affection»pourleroi,Coligny
serait toujours un danger pour la paix civile de l’État56. Selon Retz, l’échec de
l’arquebusadedeMaurevelmettaitCatherinedeMédicisenpositiondifficiledans
lecadredel’inflationdesrumeurspuisquelamenacepesaitsurelledereprésailles
huguenotessurdessoupçonsdecollusionavecladuchessedeNemours,laveuvede
FrançoisdeGuise.Lanuitquidébutaitétaitàhautsrisques.Onpeutsedemander
si,écrivantses Mémoiresplustard,àunmomentoùellesouffred’unedésaffection
de sa mère, Marguerite de Valois ne règle pas ses comptes en la rendant
responsabledumassacreetenavançantque,dèslanuitduvendrediausamedi,elle
aurait réagi à l’effervescence toujours plus intense des rumeurs en optant pour la
possibilitéd’uneviolenceanticipatrice.Entoutcas,elleconfirmeunesecondefois
l’état d’irritation extrême des gentilshommes protestants ; elle rapporte avoir
trouvé autour du lit du roi de Navarre entre trente et quarante « huguenots » :
«Toutelanuictilsnefirentqueparlerdel’accidentquiestoitadvenuàmonsieur
l’admiral, se resolvants, dès qu’il seroit jour, de demander justice au roy de
monsieurdeGuise,etque,sionnelaleurfaisoit,ilsselaferoienteux-mesmes.»
SelonGiovanniMichiel,plustard,«peus’enfallut»quedescapitainesprotestants
« n’allassent au Louvre et qu’ils ne dispersassent les gardes sous prétexte d’y
chercher les Guise ; et s’il en eut été ainsi, le frère du roi et le roi lui-même
n’eussentpeut-êtrepaséchappéàleurfurie».
Leclimatdetensionsetdesoupçonsquisemetainsienplacenes’apaisepasavec
lanuitpuisque,departetd’autre,desrumeurscomplotistescommencentàcirculer
etàserenforcer:ducôtécatholique,s’accroîtlaphobied’uneactionsubversivedes
huguenots qui serait destinée à venger la tentative d’assassinat de l’Amiral et se
trouverait polarisée autour du fantasme d’un projet régicide et peut-être, d’une
tentative armée de prise de contrôle de Paris. Le bruit aurait aussi couru que les
réformésenvisageaientuneinterventionsécessionnisteengageantunilatéralement
leprotestantisme de guerredans une expéditionaux Pays-Bas, ce quiéquivalait à
une rupture ouverte avec le pouvoir royal. Dès le samedi matin probablement,
après un conseil tenu autour de l’Amiral, Charles de Téligny, François de La
Rochefoucauld et Armand de Piles seraient venus au Louvre en compagnie de
« tous les chefs huguenots » et n’auraient pas hésité à faire publiquement « mille
bravades»devantleroietsamère,«déclarantàgrandscrisetdanslestermesles
plussuperbesque,s’ilneleurétaitpasfaitjusticedanslesvingt-quatreheures,ils
avaientlesmoyensdeselafaireeux-mêmes;quesil’Amiralavaitperduunbras,
mille autres se lèveraient qui feraient un tel massacre que toutes les rivières
rouleraientdusangetqu’ilssauraientbienfrapperleurscoupsenbonslieux57».
Lasphèredesmotsestenbouillonnement,bienquel’onpuisseaussisedemander
si ce ne sont pas des incidents recréés après le massacre afin de lui donner une
manière d’explication rétrospective. Avec peut-être un point de fixation
inquiétant : c’est ce que Jules Gassot a, pour sa part, entendu puis noté
consciencieusement, qui donnerait à entendre une tentation sécessionniste de la
partdesHuguenotsquiseraitunpréludeàuneprised’armes 58:ils«murmuroient
merveilleusement contre les personnes et l’honneur de Leurs Majestez avecq
grossesinjuresetmenaces:etavoitondisposéunelictierepourl’emmenerensa
maison de Chastillon, où ilz n’eussent pas failly de faire de beaux complots et
machinationsàladestructionduroyaulme».MicheldeWaelearaisond’amplifier
cette phobie d’une conspiration protestante « imaginée » dans le cadre d’un
débridement d’un langage incontrôlé ou insoumis retirant au roi son autorité de
maître des mots. Pour lui, les fantasmes d’après attentat du 22 août viennent se
télescopersurunemémoiretraumatiséeetdoncd’autantréceptive:
Depuis le début des troubles de religion, Paris se trouvait presque continuellement en état d’alerte. Ses
habitants se croyaient ciblés par les protestants, et les pouvoirs royal et municipal les confortaient
régulièrement dans leur conviction. Cette crainte « temporelle » quasi permanente d’un assaut extérieur
jumeléàlatrahisondeconcitoyenscontribueaudéveloppementdel’étatd’espritsanslequellesviolences
populairesdelaSaint-Barthélemyn’auraientpusedéchaîner.Eneffet,desévénementsviolentsquipeuvent
paraîtrespontanéssontbiensouventl’aboutissementd’unprocessuss’étendantsurplusieursannées.
Cetteanalysepermetdemieuxcomprendrecequiauraitpuemporterlepouvoir
monarchique,nourriparlaprisedeconscience–peut-êtreelle-mêmeaffolée–du
piège destructeur que fabriquaient les mots, à finir par faire le choix d’une
exécutioncibléesurlescapitainesprotestantsdontilredoutaitqu’ilsnerallumentla
guerre civile dans le royaume ou qu’ils ne dévastent Paris. Des gentilshommes
huguenots étant venus réitérer au roi les exigences de justice de leur parti,
CharlesIXauraitdemandéauxGuisevenuslevoirauLouvreenfindematinéede
quitter Paris, sans doute pour éviter que la capitale ne devienne l’espace d’une
grandevendetta.Ceux-cisemblentobtempérer,maissereplientdansleurhôtel.
L’histoiresembles’enfoncericidans toutessesvirtualités:il yala rumeur,plus
préciseque lesprécédentes, quiaurait véhiculéun ordresecret de rassemblement
deshuguenotsdeguerreàMeaux,pourle5septembre.Ilnes’agiraitpas,rapporte
encore Giovanni Michiel qui fait le choix d’une dramatisation accentuée, d’une
mobilisation pour aller faire la guerre à l’Espagne aux Pays-Bas, mais d’une
déclaration de guerre contre le roi Charles IX. Or cette mobilisation serait
périlleuse parce que la monarchie, jusqu’alors concentrée sur sa politique de
concorde, n’était pas préparée militairement à un affrontement immédiat : « Se
fairerendreraisonparlesarmes59.»Plusdramatiqueencore,uneréunionseserait
tenue et aurait fomenté un complot visant à tuer le roi, sa mère, sa sœur
Marguerite,sesfrèreslesducsd’Anjouetd’Alençon,lechevalierd’Angoulêmeetles
principauxmembresde lamaison deGuise. LeLouvre devaitêtre investigrâce à
l’intervention des « 600 » gentilshommes présents dans Paris et armés, qui
recevraient le lundi 25 au soir ou le mardi 26 au matin le renfort des 3 à 4
000hommesjusque-làsecrètementcampésdanslesenvironsdelacapitale.
L’Amiralauraitdit,durantceconseil,qu’ilneluirestaitpaslongtempsàvivreet
qu’ilsouhaitaitqueleroideNavarreluisuccèdeentantquechefduparti.DonJuan
deZúñigaécritàPhilippeIIpourluirapportercequiauraitétéledernierpropos
tenuparColignylorsdeceprésuméconseil:«Maisilfautfairepérirlesauteursde
cettetrahison60.»Unsecondconseil,selonGiovanniMariaPetrucci,seseraittenu
après le dîner, qui aurait décidé d’anticiper la saisie du Louvre au lendemain
24 août, vers 4 heures du matin, avec une organisation bien structurée visant à
prendrelecontrôledeParis:LaRochefoucauld,Briquemaultetd’autrescapitaines
setiendraientauprèsdeColigny,«poreseguirlacongiura»,tandisqueMontgomery
etlevidame deChartres investiraientle faubourgSaint-Germain.Il reviendraità
Beauvoir, Pardaillan, Piles et Monneins de présider à l’investissement du Louvre
avecquatre-vingtsgentilshommes,surleprétextedevenirrendrehonneurauroi
deNavarreetauprincedeCondé:lesgardesseraienttués,etlesportesouvertesà
des renforts. Monneins serait chargé d’assassiner le duc de Guise, et Briquemault
auraiteupourcibleleducdeNevers.PuislesportesdeParisseraientouvertespour
laisser rentrer des troupes de soutien opérationnel. Henri de Navarre serait
proclaméroideFrance61.
Si de tels bruits sont parvenus au Louvre ou aux Tuileries, ne faudrait-il pas
prendre en considération le fait que la monarchie s’est trouvée confrontée, à une
vitessevertigineuse,àcequiétaitpourellel’adversairedesapolitiquedeconcorde,
l’adversaire qu’un effort constant depuis 1570 avait cherché à neutraliser ? Un
retourtragiqueàlacasedépart?Maisonpeutaussisuggérerquecesbruitspeuvent
avoirétéunefabricationrétrospectivejustifiantlatuerie.
Toujours dans le même univers d’informations plus ou moins sujettes à
manipulations, Giovanni Michiel ira jusqu’à se targuer d’avoir recueilli les
confidencesdugardedesSceauxRenédeBirague,quiluiauraitconfiéquel’Amiral,
enquatresemaines,auraitétéenmesurederassembler7à8000cavalierset25à30
000fantassins;unprojetdegouvernementrépublicainduroyaumeauraitétédéjà
en gestation62 ! Bien évidemment, on est ici dans une histoire dévertébrée, qui,
écrite à chaud ou une fois les esprits apaisés, cherche à remplir des cases pour
expliqueroulégitimerrétroactivementcequis’estdéroulélesjourssuivants.Dans
cette histoire autant fantasmée que fantasmatique, le seul fait « réel » qui
subsisterait tiendrait dans l’effrayante subversion du langage, sous la pression des
rumeursetcontre-rumeurs.
Ilestimpossibledesavoirsil’argumentducomplotaétéfabriquéetvéhiculédès
avant l’intervention armée dans Paris dans la nuit du 23 au 24 août ou s’il a été
élaboréetdiffusédurantlespremièresheuresdumassacre,afinderendrecompte
auxParisiensdesexécutionsdegentilshommeshuguenotsquisedéroulaientdans
Paris : la version la plus détaillée est recueillie ou refaçonnée par les diplomates
florentins, avec quelques précisions ou variantes par rapport aux versions
précédemment rapportées, en un récit édulcoré dans le sens d’une plus grande
précisiondesrumeursquiauraientétéencirculationdèsle22-23août:
Ilsfirentdireàleurscoreligionnairesdesetenirprêts,et,àunjourfixé,quiseraitlepremiermardid’après,
c’est-à-dire le 26, un certain nombre de cavaliers devaient arriver à Paris, qui, joints à ceux qui s’y
trouvaientdéjà,devaientcompléterlenombredequatremille.Leurintentionétaitdes’emparerduLouvre
etdeselaverlesmainsdanslesangdesauteursducrime,conseillers,complicesetmeurtriers:c’étaitpour
eux comme un devoir. Piles, le spadassin, devait s’emparer de la porte ; Monino [Monneins] assassinait
Guise;BriquemaultégorgeaitNevers,safemmeetsesfils.Aprèss’êtreainsipartagélatâche,ilsfaisaientde
nouvellesVêpressiciliennes;ilyalieudecroirequ’ilsn’auraientpasmêmerespectélesangroyal,puisque
c’étaitMonseigneur(d’Anjou)etlaReinequ’ilsredoutaientleplus63 .
Il faut écrire ici totalement au conditionnel, tant tout est biaisé par l’hystérie
agressiveoupaniquequisévitautourdeColignyetauLouvre,ainsiqueparlefait
que les indices consécutifs à l’attentat relèvent pour presque tous d’écritures
postérieuresàlamortdel’Amiral:uneformedeputschauraitétéplanifiéepourle
24aoûtàquatreheuresdumatin.Toutcequitoucheàlavirtuelleprogrammation
de l’opération huguenote, analysée dans une lettre du Siennois Giovanni Maria
Petrucci,datéedu27août,estdoncplusquesujetàcautionmêmesisonauteurest
un adversaire de l’idée de préméditation. L’information qu’il transcrit, à quelques
différences près, est la même que celle qui est envoyée à Florence, donnant à
comprendre qu’il y a eu un travail concerté pour fournir un argument en faveur
d’une violence visant à anticiper sur une conjuration. Il aurait été prévu qu’un
centre de commandement réunirait Coligny, Briquemault et d’autres chefs, « per
eseguirlacongiuraloro».LaprisedecontrôledufaubourgSaint-Germainauraitété
confiée à Montgomery et au vidame de Chartes. Pardaillan, Beauvoir, Piles et
Monneinsauraientreçulamissiondes’infiltrerdansleLouvreetdetuerlesgardes
pourpermettrel’entréeenmassed’hommesarmés.
«Cosicompartitelecarichetraloro,facevanounVesperoSiciliano»; «edèdacredere
che non averiano perdonato al sangue regio », surtout à la reine mère et au duc
d’Anjou.FrançoisdeLaRochefoucauld,renforcéde200gentilshommesetsecondé
par Gabriel de Montgomery, aurait quadrillé la capitale pour contenir la milice
bourgeoiseetpourtenirouverteslesportesdeParisetainsiassurerlelibrepassage
à des renforts attendus64. Sans doute l’historien est-il ici confronté à une post-
rumeurdestinéeàappuyerlastigmatisationparleroi,le26août,d’une«cause»
protestante impliquée dans une conjuration de grande ampleur qu’il aurait fallu
prévenir non seulement parce qu’elle menaçait la monarchie mais aussi parce
qu’ellenepouvaitqueromprel’œuvremagiquedecettedernièreetressusciterles
fantômesdelaguerrecivile.
Mais ne serait-il pas envisageable que l’imaginaire du complot ait participé de
l’effervescencedulangagedanslesheurescritiquesdelafindejournéedu23août
etaitcontribuéàimpulserlescrimesdelanuit?Etn’aurait-ilpasétéessentieldans
lechoix,parlamonarchie,d’unestratégiecriminelledestinéeàbriser,avantqu’elle
nefassebasculerlaréformefrançaisedansunelutteouvertecontrelaroyauté,une
révolte qui pouvait avoir des implications catastrophiques pour le pouvoir de
CharlesIX?
1.Lecontratestpasséle17août.
2.LuisaCapodieci, Medicæa Medæa.Art,astreset pouvoiràlaCour deCatherinede Médicis,Genève,Librairie
Droz,2011p.533.
3.MémoiresdeMargueritedeValois…,op.cit.,p.55-56.
4.Enfindejournée,vers6heuresselonLucGeizkofler.
5. Mémoires de Luc Geizkofler, tyrolien (1550-1620), Jules-Guillaume Fick (éd.), Genève, Imprimerie Jules-
GuillaumeFick,1892,p.53.
6.JohannWilhelmvonBotzheim,CyclopicaillaatqueinauditahactenusdetestandaatqueexecrandiLaniena,quae
factaestlutetia,Aureliis,LugdunialiisqueinlocisGalliae,subCarolo IX,infestoBartholomei,annoChristi1572…,in
FriedrichW.Ebeling,ArchivalischeBeiträgezurGeschichteFrankreichsunterKarlIX,mitAnmerkungen…,Leipzig,
VerlagvonIm.Tr.Wöller,1872.
7.Jean-LouisBourgeon,CharlesIX…,op.cit.,p32.
8. AmadisJamyn, « Sur le jour de naissance de Margueritede France, Royne de Navarre », in Les Œuvres
poétiques.Premièrespoésies…,op.cit.,p.194-202.
9.AmadisJamyn,«Épithalame,PourleRoyet laRoynedeNavarre.ImitéduLatindeJ. Dorat»,in ibid.,
p.202-209.
10.LettresdeCatherinedeMédicis,op.cit.,t.IV,XXXVIII.
11.LaSaint-BarthélemydevantleSénatdeVenise…,op.cit.,p.18.
12.LuisaCapodieci,op.cit.,p.482-484.
13.Ibid.,p.549.
14. Alphonse de Ruble, « François de Montmorency, gouverneur de Paris et de l’Île-de-France », Mémoires de la
Sociétédel’histoiredeParisetdel’Île-de-France,Paris,HonoréChampion,t.6,1879,p.200-289.
15.Pier-AngeloManzoli,néprèsdeFerrareàlaStellata.
16. Palingène (Pier-Angelo Manzolli, dit Marzello Palingenio Stellato, Marcellus Palingenius Stellatus), Le
Zodiaque de la vie (Zodiacus Vitae, 1534), texte latin établi, traduit et annoté par Jacques Chomarat, Genève,
LibrairieDroz,1996.
17. Marcelli Palingenii Stellati poëtae doctissimi zodiacus vitae, hoc est, de hominis vita, studio, ac moribus optime
instituendis libri XII : cum indice locupletissimo, Lugduni, apud Ioan. Tornaesium et Guil. Gazeium, 1552 ;
Marcellus Palingenius Stellatus, Zodiacus vitae, Lyon, Jean de Tournes et Guillaume Gazeau, 1556 ; Marcelli
PalingeniiStellatiPoëtaedoctissimiZodiacusvitaehocest,Dehominivita,studio,acmoribusoptimeinstituendislibri
XII,Lugduni,apudJoannemTornaesiumTypogr.Regium,1559et1567.
18. Marcello Palingenio Stellato, Le Zodiaque de la vie (Zodiacus vitae)…, op. cit., p. 480-482, le « Livre des
poissons».
19.Ibid.,p.493.
20.Ibid.,p.124.
21.Ibid.,p.124-134,inLeZodiaquedelavieouPréceptespourdirigerlaConduiteetlesMœursdesHommes.Traduit
duPoëmeLatindeMarcelPalingen,célèbrePoëtedelaStelladaParM.delaMonnerie,ÀLaHaye,chezSwart,1731.
22.OlivierSpina,«Delacouràlaville:lescombatsd’animauxsauvagesàLondressouslesderniersTudor»,
inCorinneBecketFabriceGuizard(dir.), LaBêtecaptiveauMoyenÂgeetàl’époquemoderne,Amiens,Encrage
Université,2012,p.93-107.
23.MarkFranko,DanceasText:IdeologiesoftheBaroqueBody,Oxford,OxfordUniversityPress,2015,p.201.
24.LauraNaudeix,«Quiestl’auteurd’unballetdecour?DuParadisd’amour(1572)auxFâcheux(1661)»,in
Écrirepour la scène (XVe-XVIIIe siècle), Sabine Chaouche, EstelleDoudet et Olivier Spina (dir.),Paris, Classiques
Garnier,2017,p.97-113.
25.LuisaCapodieci,op.cit.,p.581.
26.Ibid.,p.571-573.
27.Brantôme,citéinibid.,p.91.
28.Ana Iriarte, « Athénaet les Amazones sur l’Acropole», in Femmes médiatriceset ambivalentes. Mytheset
imaginaires,AnnaCaiozzoetNathalieErnoult(dir.),Paris,ArmandColin,2012,p.293-306.
29.ConcettaCavallini,« DelaMascaradeau Balletdecourdans lasecondemoitiédu XVI esiècle.Lesfêtes
entreenjeuxsociauxettransformationsdegenre»,LeVerger–bouquetXIII,oct.2018,enligne,p.8.
30.SimonGoulard,Mémoiresdel’estatdeFrancesousCharlesneufiesmecontenantleschoseslesplusnotables,faictes
etpubliées tant par les catholiquesque par ceux de laReligion, depuis le troisiesme édict de pacification faitau mois
d’aoust1570jusquesauregnedeHenritroisiesmeetreduitsentroisvolumes,ParHeinrichWolf,Meidelbourg,1758,
p.271.
31.ÉdouardFremy,L’AcadémiedesderniersValois:Académiedepoésieetdemusique1570-1576,AcadémieduPalais
1576-1582,d’aprèsdesdocumentsnouveauxetinédits,Paris,ErnestLeroux,[1887].FrancesA.Yates,LesAcadémies
enFranceauXVIe siècle,Paris,PUF,1996.
32.EugenioGarin,LeZodiaquedelavie.PolémiquesastrologiquesàlaRenaissance,Paris,LesBellesLettres,1991,
p.58.
33.LoysLeRoy,ExhortationauxFrançoispourvivreenconcorde…,op.cit.
34.GérardHeuzé,«Rumeurs,images,échosduconflithindou-musulmanàBombay(1993)»,inAltéritéet
identité, Jackie Assayag et Gilles Tarabout (dir.), Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences
Sociales,1997,p.333-336.Voiraussiid.,«Bombayenflammes»,LesTempsmodernes,49,563,1993,p.75-103.
35.StéphaneHellin,«Maurevert:lespaiementsd’untueurprofessionnelautempsdelaSaint-Barthélemy»,
Revued’histoireduprotestantisme.7,3,oct.2022,p.309-341.
36.Id.,«DeuxfidèlesdesGuisecomplicesdeMaurevert»,ibid.,p.343-368.
37.Ouuneuniquevieillefemme.
38.MémoiresdeLucGeizkofler…,op.cit.,p.49.
39.LechevalierCavriana,dansunelettreadresséeausecrétaired’ÉtatConcini,àFlorence,donnedesdétails
à peu près semblables : « Le bonheur de l’Amiral voulut qu’il eût aux pieds des mules qui l’empêchaient de
marcheràsonaise.Pendant qu’ilbattaitlaterredu pieddroitpourles mieuxenfonceret qu’ilsedisposaità
fairedemarnedupiedgauche,ils’envintàreculerunpeu,etcommeilretiratoutsoncorpsenarrière,ilarriva
quelesbrasreçurentetrelevèrentlecoupqui,sanslaposenouvellequ’ilavaitprise,arrivaitdroitaumilieudu
corps»(NégociationsdiplomatiquesdelaFranceaveclaToscane,op.cit.,t.III,p.812).
40.Ibid.,p.23.
41.LaSaint-BarthélemydevantleSénatdeVenise…,op.cit.,p.19.
42. Josué Studer, Récit et rapport sommaire des faits…, cité in Édouard Forestié, Corbeyran de Cardaillac-
Sarlabous:mestredecampgouverneurdeDunbar(Écosse)etdu Havre-de-Grace,Paris,H.Champion,1897,p.139-
140.
43.JosephBrunoM.C.KervyndeLettenhove,op.cit.,t.II,p.582.
44. SommairemémorialdeJulesGassot,PierreChampion(éd.),Paris,Champion,1934,p.97-98.Avecl’ajout
p. 102 : « … que l’on se print garde qu’aucun tort ne desplaisir fut faict à ceulx de la Religion, mais fussent
maintenus soubz le benefice et la protection de l’Édict. Offrirent leurs Majestez audict sieur admiral et le
prierentdevenirlogerauLouvre:dontillesremercia,suppliantnéanmoinsLeursMajesteztrouverbonque
lesprincipauxdesacompagnieetreligion,quiestoientdispersezçàetlàpartouteslesruesdelaville,etencore
auxfauxbourgs,vinssentlogerauprèsdeluyenlaruedeBetizy».
45.SylvieDaubresse,«ChristophedeThouetCharlesIX:recherchessurlesrapports…»,art.cité,p.417.
46.SimonGoulard,Memoiresdel’estatdeFrance…,op.cit.,t.III,p.277-278.
47.Dépêche,inLaSaint-BarthélemydevantleSénatdeVenise…,op.cit.,p.89.
48.NégociationsdiplomatiquesdelaFranceaveclaToscane,op.cit.,t.III,p.813
49.LaSaint-BarthélemydevantleSénatdeVenise…,op.cit.,p.20.
50.Ibid.,p.36.
51.Ilfutditque,danslespapiersdeColigny,onauraittrouvéuncommentairedel’Amiralécritàl’imitation
deCésar, touchant toute l’histoireà laquelle il avaitpris part ; et deuxécrits, l’un sur l’attaque,l’autre sur la
défenseduroyaume.
52.MémoiresdeMargueritedeValois…,op.cit.,p.55-56.
53. John Tedeschi (éd.), « Tomasso Sassetti’s Account of the St. Bartholomew’s Day Massacre », in The
MassacreofStBartholomewReappraisalsandDocuments,AlfredSoman(dir.),LaHaye,Nijhoff,1974,p.6.
54.Ibid.,p.3-5.
55.CorrespondancediplomatiquedeBertranddeSalignacdelaMotheFénelon…,op.cit.,t.VII,p.322-323.
56.MémoiresdeMargueritedeValois…,op.cit.,p.55.
57.NégociationsdiplomatiquesdelaFranceaveclaToscane,op.cit.,t.III,p.823.
58.SommairemémorialdeJulesGassot…,op.cit.,p.102-103.
59.LaSaint-BarthélemydevantleSénatdeVenise…,op.cit.,p.37.
60.J.B.M.C.KervyndeLettenhove,op.cit.,t.II,p.565.
61.Ilestfortpossiblequecetterumeuraitétéparerreuridentifiéeau23août.
62.LaSaint-BarthélemydevantleSénatdeVenise…,op.cit.,p.47.
63.NégociationsdiplomatiquesdelaFranceaveclaToscane,op.cit.,t.III,p.814;p.812-822etp.827-832.
64.J.B.M.C.KervyndeLettenhove,op.cit.,t.2,p.548-557.
CHAPITREIV
Ombresetpénombresàlacour
Dans ce cours factuel submergé par les bruits, il faut isoler un épisode dont
témoignentaumoinsdeuxsources.Ilestpréciséle26août,dansunelettredestinée
à François de Médicis, que le baron de Pardaillan serait allé loin dans la
provocation,déclarant que, « si l’Amiralperdait un bras, il en restaitune infinité
d’autres qui feraient perdre la vie à tant de gens que les rivières du royaume
rouleraientdesflotsdesang1».
Lerenoncementàl’espérance
CettevirulenceestconfirméeparMargueritedeValoisquis’attardesurlefaitque
Pardaillanaurait réitéré ses menaces « au souperde la reine ma mère » et donné
plus de précisions sur « la mauvaise intention des huguenots ». On serait
probablementalorssurlafindelajournéedu23août,quandPardaillanetquelques
autrescapitainesdelareligionauraientréussiàfranchirpareffractionledispositif
desécuritémisenplaceautourduchâteaudesTuileries:Ilsauraientététrouverla
reinemèreaucoursdesonrepasdusoiretluiauraientparlédemanièreagressive,
aupointdeluidonneràsongerque,désormais,ilsauraientétéanimésde«quelque
mauvaise intention2 ». Là encore, que penser d’indices intégrés tardivement dans
lesnarratifscentréssurlapré-Saint-Barthélemy,montrantdeshuguenotsqui,par
exempleselonBrantôme,auraientrecouruàdesparolesvéhémentesetleurfaisant
direqu’ilsn’auraient decesse,pour sevenger, defrapper ettuer3? «Parole troppi
insolente»adresséesàlareinemère,conclut-il.
Les proscriptions peut-être planifiées dans la nuit du 23 au 24 août
s’expliqueraient-elles, dans ces circonstances, en termes de réplique d’extrême
urgenceconditionnéeparlapeur?Rappelonseneffetunpointimportant:lareine
mèreavoululaconstructiondesTuileriescommeunanti-signedansunmondequi
avait basculé dans la guerre, dans des turbulences qu’elle qualifiait
d’« inhumanités ». Elle voulait insérer dans la capitale une demeure de plaisance,
d’otiumet depaix, un« paradis »qui avaitsans doutepour find’exorciser, parsa
beautéformelle,ledésordredespassionsqui,depuis1559,entraînaientlesFrançais
às’entretueretàravagerunroyaumequesonfils,CharlesIX,avaitreçudeDieu,
aveclamissiondelegouverner.Cetanti-signeactifdevaitopérercommeunoutil
conjuratoiredesviolences,parcequelaRenaissancesereprésentaitlaconstruction
architecturale,dufaitdesessupportsunissantmathématiqueetgéométrie,comme
une projection de l’harmonie cosmique et lui donnait donc pour fin de faire
descendrel’ordredelaCréationvoulueparDieudanslasphèredelaviehumaine,
del’installerencontrepoidsdespassionsenvahissantlescorpsetlesâmes,dansune
formedemagie.Ilyauneconcordanceévidenteentrel’attachementdeCatherine
de Médicis à une politique de modération reposant sur la vertu féminine de
«douceur»qu’ellerevendiquaitdeposséderetladécisiondeconstruireunédifice
palatialmonumentalisantla concorde qu’ellesouhaitaitimposer aux sujetsdu roi.
Cesymboled’uneunionharmoniquedescœursagissantcontreleurstentationsde
violences,ellevoulaitcommelegreffersurParis,enavantdelaPorteSaint-Honoré
etdelaPorteNeuvequibordaitlaSeineaveclatourdeBlois,dansl’intentionde
recréer la ville en lui donnant un autre centre nerveux, qui figurerait la vertu
devantaimanterlessujets duroià l’actionpolitiquede modérationetd’humanité
quis’incarnaitgrâceàelle.
Leshistoriensontétéfrappésparunfait:iln’yapasdeparallélismedesTuileries
parrapportauLouvre,maisaucontraireuneorientationdebiaisquidémontrerait
qu’àl’originelareinemèren’envisageaitpasdeliaisonaveclevieuxpalaisetavait
conçu sa future résidence comme un monument palatial à part, et cela avant que
Henri IV ne la relie par une galerie longeant la Seine. En outre, il ne faut pas
oublierquelareinemère,s’identifiantaprèslamortd’HenriIIàArtémisedeCarie,
laveuveduroiMausole,cherchaitlesmoyensd’affermirl’autoritéroyalequandelle
programma les travaux de construction des Tuileries. Un des instruments qu’elle
utilisa pour mener à bien l’action pacificatrice et restauratrice après la première
guerre de Religion était la reconstitution d’une vie de cour où se croiseraient
protestantsetcatholiques,unesociabilitédefêtes,dereprésentationsthéâtrales,de
protectionsaccordéesauxpoètesetmusiciens,de«civileconversation»entretenue
etcontinuéeentretouslessujetsduroi.
Ilfallaitdoncunlieuquin’eûtpasenlui,entresesmurs,lamémoiredeshainesdu
passé, un lieu vierge d’histoire et de ses fantômes inquiétants. Le nouveau palais
devaitêtreunespacedecommunicationentreleshommesetlesfemmes,parceque
laculturedelaRenaissancefaisaitduparlerlemoyenparexcellenced’apaisement
des passions et aussi d’endiguement des calomnies et des mensonges qui
subvertissaient facilement les esprits des hommes et les portaient ensuite à
s’entredéchirer. Les Tuileries devaient être l’espace voué à la magie de la parole,
autour de la reine mère, et contribuer à une neutralisation, par le langage, des
tentationsnégatives.Contrelesflatteurs,leprinceetsesconseillerssedevaientde
fairedelacourunlieude«franchise».
CatherinedeMédicissembleavoirjouéàattirerlesprotagonistesdujeupolitique
dans un lieu spécifique contigu de son palais, le jardin. Cet espace d’ordre
symbolisaitla totalité de la natureet du cosmos, lieu de l’amourdivinet donc de
transparence, dans lequel les barrières entre humains étaient transcendées par
l’amitié. Les cœurs devaient s’y ouvrir, et l’intime se livrer parce que les défenses
individuellestombaient dansle cours apaisantdes conversations.D’où les poésies
laudativescomposéesàl’occasiondecertainesfêtesdecourcommecellequ’offritle
cardinaldeLorraineàl’occasiondesnocesdudauphinFrançoisetdeMarieStuart:
lareineyétaitprésentéecommecellequinoueetentretient,dansleroyaume,«les
amitiés parfaictes / De ceux qui ont par vous et leurs vertuz / Leurs ennemis et
vostresabatuz».
CatherinedeMédicispouvaitsepromenertrèslongtemps,trèslongtemps,etelle
pouvait,danslesnégociationsauxquelleselleprenaitpart,usersespartenairespar
son opiniâtreté. Ce fut sans doute grâce à sa ténacité qu’au printemps 1572, elle
parvintenfinàobtenirdeJeanned’Albretsonralliementauprojetdemariagedu
princeHenrideNavarreaveclaprincesseMarguerite,safille4.
Le jardin des Tuileries était tel un éden verdoyant, récréatif, s’étirant sur une
longueurde500mètresdelongsur300mètresdelarge,orientéd’estenouest,dans
l’axedelaconstructiondupalais.Ils’organisaitautourdesixlonguesalléesdroites
parallèlesàlaSeine,traverséesparhuitalléesperpendiculaires.Chaquecroisement
délimitaitdes«parquets»plantésdebosquets,departerresdefleurs,devignesou
de légumes. Il constituait un grand verger qui faisait de lui comme une
encyclopédiedelanaturearbustivedumonde.500arbresfruitiersyétaientplantés,
poiriers,amandiers,pruniers,cerisiers,cohabitantavecdestilleuls,desormes,des
sapins,desmerisiers,desbuistaillés«enfleursdelys»,desifs.Signalonsaussides
fraisiers, des pelouses, des bois, des simples – le myrte, le thym, le serpolet, le
romarin, la lavande, la camomille, le persil et l’oseille sans doute mis en culture
selonlespréconisationsdel’apothicaireNicolasHouel.Enoutre,lejardinageestà
la Renaissance un exercice de sagesse et une « sainte délectation et honnête
occupationdecorpsetd’esprit»selonlestermesmêmesdeBernardPalissy.
Àquois’ajoutaitunlabyrinthefaitdesaules,decyprès,decerisiersetdefontaines,
qui était destiné à inciter le promeneur à méditer sur la complexité ou la
contradictionqui, seule, permettrait à l’être humain d’atteindre la Vérité : « Il s’y
trouveunlabyrinthetracéavectantd’artqu’unefoisentréonensortdifficilement.
On y voit des tables faites de branches et de feuilles, des lits, etc. Ce qui est
étonnant,c’estquecelabyrintheestpresqueenentierformédecerisierscourbés.»
Le labyrinthe végétal symbolisait la difficile progression de la vie jusqu’à la
rencontreaveclafigureinvisibledeDieu;ilreprésentaitlanécessitéd’erranceset
de méditations de l’esprit avant l’accession à la Connaissance, la démarche
raisonnéeetmédiatiséedel’intellectprimantsurl’immédiatetédusurgissementdes
passions. Et c’était un art de la décision qu’il suggérait. Ou plutôt un art du
cheminement de la politique par énigmes, qui finissaient toutes par se résoudre
grâceàunepatiencetenantpourbeaucoupdel’obstination!
Ilyavaitencoredesstatues,uncadransolaireetlunaire,plusieursfontainesdont
l’une se trouvait dans une grotte travaillée par Bernard Palissy, et dont le projet
datait sans doute de 1565. Cette grotte détruite durant le siège de Paris par
Henri IV, comprenait un « rocher » orné de terres cuites figurant des serpents,
crapauds, tortues et limaces, de coquillages, de guirlandes de fruits. Les
ambassadeurssuissesquil’ontdécritsedisaientimpressionnésparl’ouvrage,selon
euxleplus«remarquable»dujardin:
Dansce jardinsont plusieursfontainesavec desnymphes etdes faunesqui tiennentdes urnesd’où l’eau
s’échappe. Une surtout est remarquable. C’est un rocher sur lequel courent divers reptiles, serpents,
limaçons,tortues,lézards,crapauds,grenouilles,ettouteespèced’animauxaquatiques.Euxaussiversaient
del’eau.Mêmeoneûtditquedurocherlui-mêmesuintaitdel’eau.C’estàgrandsfraisetavecbeaucoup
d’habileté qu’on est parvenu à faire tout cela. Et pourtant, parce que personne n’en prend soin, la
destructionenestimminente.
Ils’agissaitdesymboliserlapuissanced’unenatureàlafoisvégétaleetanimalequi
résumait en elle la Création comme ordre divin dont l’homme peut donc avoir
l’idéeenlacontemplantdansunrefletminiaturisé.DansleBanquetreligieux(1522),
Érasme avait insisté sur la métaphysique du jardin, car « loin d’être muette, la
naturetoutentièreparle,etenseignebeaucoupàl’hommequilacontemple,s’ilest
attentif et se laisse instruire ». Le jardin des Tuileries apparaît donc comme un
espacesacré,permettantàlareinemèredeméditeretpréméditersereinementses
choixpolitiquesensesituantelle-mêmeaucœurd’unmicrocosmed’uneCréation
danslaquelleselisait,enunemanièredeprojection,laToute-puissancedeDieu.
Pourquoicetexcursushorsdusuivi,presqueheureparheure,delamiseenfolie
desmotsquiadvientdanslesruesdeParisetàlacour?J’aivoulu,enanalysantce
que symbolisaient les Tuileries, préciser que château et jardin étaient pour
Catherine de Médicis une représentation en relief de ce qui la faisait vivre, son
attachement à une royauté porteuse d’espoir de paix civile dans un temps de
délitementdel’unitéreligieuseetderêvessanglants.Etl’incidentdu23aoûtetces
gentilshommesprotestantsquiseraientparvenu,dansuncoupdeforce,àréussirà
s’introduiredansunespacequiétaitunemétaphored’elle-même,n’aurait-ilpasété
reçu comme une forme de viol de ce qu’elle voulait préserver et protéger ? Le
massacredelanuitdu24aoûtneserait-ilpastapidanscesinstantscruciaux,parce
qu’ilsmettaientencauseetagressaientunepolitiqueconstruitesurlesecret?
La reine mère pensait que le secret était la condition d’accomplissement d’un
pouvoir de paix et de ses prises de décision. Le jardin, par l’isolement qu’il
favorisait,parlasérénitéquiémanaitd’unenatureordonnée,parlacontiguïtéde
ceuxquiparlaientensembleavecl’intentionnalitédivinecréatricedelavie,étaitle
cadre d’une pratique du secret à laquelle il offrait de fonctionner sur le mode de
l’harmonie universelle condensée en lui et évitant la contradiction que susciterait
unepublicisation.Par exemple, cefut dansle jardin qu’ellerencontra ensecret le
12 mars 1571 l’émissaire personnel d’Élisabeth d’Angleterre, Lord Buckinghust. Il
s’agissaitdediscuter,suruneinitiativeanglaise,d’unmariagedufrèreduroialors
soupçonnéd’êtretropprochedesGuiseetdelareineÉlisabeth,danslecadred’une
offensive diplomatique dirigée contre Philippe II. Margaret Mc Gowan a relevé
qu’entre les 13 et 20 juin 1572, en liaison avec la ratification du traité d’alliance
défenseetoffensiveentrelaFranceetl’Angleterre–dittraitédeBlois–,l’émissaire
anglais, l’High Admiral Edward Clinton, comte de Lincoln, après un banquet au
Louvre,futconduitparleroiauxTuileriesoùilrencontral’AmiraldeColigny.
Le jardin des Tuileries fut aussi le théâtre d’un banquet auquel participèrent
FrancisWalsinghametThomasSmithetquidonnalieu,semble-t-il,àunéchange
decadeaux.Mais,danscepremiercasdefigure,lestémoignagesanglaispermettent
de voir que les Tuileries furent appropriés par le roi Charles IX, qui utilisa
l’appareillagesymboliqueélaboréparsamèrepourconduiresonjeudiplomatique
visant à isoler l’Espagne et par là même affaiblir en France l’ultracatholicisme
militantetlamaisondeGuisehostilesàlapolitiquedeconcorde.LesTuileriesn’en
restaient pas moins au centre de la politique de conciliation dont la fin était la
réalisation du mariage d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois qui devait
ramenerenFrancelaconcordepar-delàlesdivisionsdereligion.
On ne peut, je l’ai affirmé et réaffirmé, tenter de se déplacer dans les heures et
jours de la Saint-Barthélemy qu’en acceptant que l’histoire soit sans histoire et
qu’elle échappe à toute certitude. Ou plutôt qu’il est nécessaire de chercher à
comblerlesfaillesoulesvidesquilarendentincernableetindiscernableàlafois,en
se mettant en quête d’indices symboliques dont la lisibilité n’est accessible que de
manière internaliste, au-delà de la surface événementielle même. Il est donc
intéressantdesuspectericiunfacteurdéclenchant,aveccescapitaines,deshommes
de guerre, envahissant le haut lieu de la reine mère et le dévitalisant en quelque
sorte de sa magie. Car une évidence doit être mise en valeur : ce fut après les
« noces de sang » que Catherine de Médicis renonça à poursuivre son projet de
bâtirunpalaisquidevaitêtreunedesmerveillesdumonde.Unrêved’harmonieet
de paix brisé, l’indice d’un échec ressenti subjectivement de façon dramatique. La
reinemèren’habitapluslesTuileries,ellenevoulutplusyrésideretn’yrésidaplus.
Danscedésinvestissementroyal,n’yaurait-ilpasl’indicequelapremièretueriede
la Saint-Barthélemy fut autant l’expression d’une crise du langage que la
conséquenced’undésamouràl’égardd’unlieudanslequellareinemèreavaitmis
toutessesespérances,toutesapsyché,etquiavaitétécommesouilléetdésacralisé
dufaitdel’intrusionhuguenote?
Enoutre,lefaitderenonceràcequiétaitlecœurdesoncœurpourunedemeure
parisienne beaucoup plus modeste ne renverrait-il pas à une forme de culpabilité
rétroactive,àunesecondesouilluredanslaquelleelleauraitpuêtreimpliquéeparla
force des faits ? J’aimerais avancer l’hypothèse que ce serait dans le palais ou son
jardin qu’elle aurait été conduite par la « nécessité » à aller dans le sens d’une
décision totalement contraire à cette « douceur » qui caractérisait son esprit de
reinemèreetdefemme.LerejetdesTuileries,ledésenchantementdeCatherinede
Médicisàl’égardd’unespacequiavaitpoursensderendresapolitiqueefficaceet
effective,nedécoulerait-ilpasdecequ’ilseraitdevenu,par-delàtoutcequ’elleavait
projeté, au contraire criminogène ? D’autant que, déjà en début d’après-midi, la
reinemèreaurapeut-êtretenuconseildanslejardindesonpalaisetenvisagéalors
uneexécutiondecapitaineshuguenotsjugéstropmenaçantspourl’Étatroyal–en
réactionàcertainesaccusationsquiauraientcouruàproposd’uneimplicationdela
reinemèreoudesonfilsHenrid’Anjoudansl’attentatcontreColigny.
L’extrêmefragilitédetouslespossibles
Ilestpossible,jedisetredisbien«possible»,puisquerienn’estsûrdanscesjours
defermentationdulangage,queleLouvreaitétéensuitel’épicentreoùauraitété
priseladécisiondetuer.LessourcesproblématiquesquesontlesMémoiresdel’estat
de France sous Charles IX, ou le De furoribus Gallicis5, toutes deux de facture
huguenote, iraient en ce sens. On pourrait même être tenté de faire l’économie
d’une enquête sur ce qui se serait passé avant la mise à mort de Coligny tant
l’histoire est nimbée d’incertitudes et de contradictions. Revenons ici sur la
chronologie possibiliste qui a été déjà été proposée précédemment. Auraient été
présents, à une heure indéterminée de la fin de l’après-midi ou de la soirée, à un
conseilvirtuellementtenuauLouvreenl’absenceduroi,lemaréchaldeTavannes,
lecomtedeRetz,leducdeNevers,lechancelierdeBiragueetleducHenrid’Anjou.
Ilreviendraitàceshommesd’avoirpromulechoix,préventif,delaviolence,pour
déjouercequiseraitensuiteprésentécommeun«complot»huguenot,maisqui,
dans l’immédiat, tiendrait plutôt de l’exercice d’une justice extraordinaire. Aurait
été établie une liste de nobles de guerre protestants – entre une vingtaine et une
cinquantaine,voireencoreunevingtainedeplus–àéliminer.Unautreconseilse
seraitréunidenouveauversonzeheureslesoir,toujoursauLouvre,cettefoisen
présence du roi à qui la reine mère aurait révélé l’existence d’un « complot »
huguenotcontresapersonne,pourlecontraindred’accepterleprincipedelamiseà
mortd’uncertainnombredechefsdupartiréformé.Uneultimeréunionauraiteu
lieu, peu avant minuit, pour donner des instructions aux capitaines catholiques,
dont Henri de Guise qui aurait auparavant posé ses exigences en des termes plus
qu’explicites, et pour organiser la mobilisation des Suisses et de la milice
bourgeoise. Mais redisons-le, aussi bien pour le conseil qui se serait tenu aux
TuileriesquepourceuxquiauraientétéconvoquésauLouvrejusquetarddansla
nuit,iln’yariend’assuré.
L’histoireestcommecapturéeàlafoisparlesrumeurspaniquesd’avanttuerieet
lesreconstitutionsorientéesd’aprèsmassacre.Touslesrécitssontimpurs,surtout
parcequelesilencearégné.Etceuxquipeuventavoirétérécritsrécemmentlesont
aussi. Même quand, avec Jean-Louis Bourgeon qui a valorisé l’hypothèse d’un
forcingd’HenrideGuisepourcontraindrelaroyautéàlaisserfaireuneviolencede
grande amplitude, il faut reconnaître en Charles IX un maître du mensonge,
feignantune«singulièredétresse»alorsque,peut-être,ilseseraitagipourluide
continueràmettreenœuvreunpouvoirdel’énigmeayantpourobjectifdelaisser
sedéfairelestensionsd’elles-mêmes 6.
Dans ce contexte, il est difficile de savoir quand le pouvoir peut avoir choisi
l’optiondelaviolenceetdans quellesituationdecontrainteils’yestrésolu :sans
douteest-cebientardivement,peut-êtreaprèslesouperquiauraitétéperturbépar
les capitaines protestants ; mais la décision fut prise dans un temps très court. Il
n’en reste pas moins que l’on est dans un brouillard épais. Je trouve tout à fait
judicieuse une réflexion avancée par Adolphe Schaeffer en 1856, posant qu’« il
résulte de toutes les relations que nous avons de la Saint-Barthélemy que les
différentsévénementsquiprécédèrentimmédiatementlesmassacresdu24aoûtse
trouvèrent tellement enchaînés les uns aux autres, et que, encore le 22 au matin
(pournepointremonterplushaut),Catherinesavaitsipeucommenttourneraient
leschoses,qu’ilseraittoutàfait absurdedesupposerqu’elleaitpu prévoir,dèsle
mois de juin, que l’Amiral et tous les huguenots présentsà Paris en même temps
queluiseraientmassacrésle247 ».D’oùl’onpeutsupposerquele22août,lareine
mèreetsonfilssesontsoudainretrouvésconfrontésàunehistoirequidevaitêtre
recomposéedetouteurgence.
Ilendécoulequelesdifférentsessaisdereconstitutionexplicativeprésententune
très grande fragilitéinhérente, dans la mesure où comme on l’a supposé, tout est
théâtredansunsystèmecurialquiestsavantdanslesdiscoursqu’ilproduitetoùles
indiceslaissésàproposduprocessusdécisionnelnepeuventavoirétéquedesoutils
devantpermettredemontrerquec’estcontreelle-mêmequelamonarchieseserait
résolueàmettreenœuvrecequiestprésentécommeune«exécution».Peut-être
nefaut-il pastomber dansle piège quis’ouvre dansles sources? Il ya donc d’un
côtélareinemèreetsesconseillersitaliensdontJérômeGondi8 ,quiauraientopté
dans l’urgence pour la violence, et, de l’autre, le roi demeurant le plus longtemps
possible fidèle à « sa » paix ainsi que cela a été analysé, et dont les documents
montrentqu’ilarésistéàtouteslespressionsavantdecomprendrequ’ilenallaitde
lasurvied’unÉtatadhérentàunordrequiletranscende.
N’est-onpasencoreetànouveau,danscetécartentrelamèreetlefils,aucœur
d’un système politique qui ressemble à un jeu de rôles bien orchestré et dont la
finalitéestlaquêtedel’efficacitéd’unepratiquedel’Étatroyalquisepenseàl’image
de l’univers et peut donc entrer en rupture avec lui-même quand la nécessité
s’impose?Maisaussiunjeudanslequellefuturimmédiatpassepourreleverdela
même virtualité que des événements passés ayant mis jadis en péril la royauté, à
l’imagedelaconjurationd’AmboiseetdelasurprisedeMeaux,ouquedestensions
récentestellesquecellessuscitéesparlaguerreauxPays-Bas.
Et,sileroiestrapportéavoirrésistéuneheureetdemieàtouteslespressions,de
samèreetdeses conseillers,c’estsansdoutepourpréserverl’imaged’un pouvoir
qui n’arriverait pas à croire que ceux en qui il avait mis sa confiance en les
réintégrant dans sa gestion politique auraient basculé dans un projet subversif de
sonautoritésacrée.Outrelesargumentsmisenavantparsamèrepourdéterminer
son inflexion, il y aurait le capitaine Piles qui se serait, à nouveau, présenté au
Louvre pour y rejoindre le roi de Navarre ; il aurait été accompagné de 800 (!)
gentilshommes et aurait menacé, si justice n’était pas faite, de rendre une justice
plussanglanteencore,selonuneassertionbiensûrtardivedeScipionDupleix9 .
Leréalisme,dansl’analysehistorique,n’arienàvoiraveclenégationnismequinie
laréalitédesfaitsmêmes.Onnesaurajamaissilesdifférentsconseilsévoquésdans
les correspondances et récits se sont réellement déroulés et s’ils se sont déroulés
comme ils ont été racontés. Ceux qui revendiquent d’en avoir été les témoins et
acteurs,etquiontrelatélesdébatsquiseseraientsuccédéontcherchéavanttoutà
se dégager de toute responsabilité dans la décision de tuer – si cette décision a
véritablementétéprise.Laseule donnéequipourraitavoir uncertainbien-fondé
aumilieud’indicesaussiproblématiquesseraitque,danscesinstantsdecriseaurait
étéréactivéel’ambivalencedupouvoir,sonjeud’apparencesmettantauxprisesun
roi jouant une carte favorable au parti protestant et sa mère rétive à laisser
l’autoritéroyalesubirl’emprisedeceparti.D’oùunroiquiauraitprisl’apparence
d’un souverain en larmes quand il lui aurait fallu capituler devant son conseil et
entériner le fait de la tuerie des capitaines protestants, et sa mère ne supportant
aucunfreinàcequiauraitétésavolontédepréserverlapaixcivileenrecourantau
crime.CommelorsdesdiscussionsàproposdelaguerreauxPays-Bas,onpeutse
demandersilamèreetlefilsn’auraientpasconçuunpartagedesrôlespermettant
en fin de compte de neutraliser les hésitations, les doutes, et de rendre
l’inacceptableacceptable,ouplutôtl’impossiblepossible.
Onsaitencore que,le samedi,dansla matinée,Guisese présentaau Louvre,en
compagnie de son oncle le duc d’Aumale. Selon la source problématique qu’est le
DiscoursduroyHenritroisième,l’entrevueauraitportésurlaquestionduretraitdes
membres de la maison de Guise dans leurs terres. Mais les ducs de Guise et
d’Aumalesereplièrentensuitedansleurshôtels,avantderessurgirséparémenten
soiréeau Louvre et deconstater que le roi auraitdonné son consentementà une
actiondejusticeextraordinaire,dansuncontextedesoupçontoujoursaccrud’une
insurrectionhuguenoteimminenteetdoncdecoursedevitesseavecletempsqui
passeetquiverraitlePariscatholiqueêtredisposéàs’armerpourdéfendresafoi.
Leshistoriens,depuistoujours,sesontappuyéssurunechronologiereconstituée
àpartir de donnéeséparses etd’une fiabilité touterelative. Ceque l’on peutjuste
considérer comme probable serait que Charles IX aurait fini par sortir de son
énigmatique en se ralliant au principe d’une tuerie d’urgence de gentilshommes
protestantsprécédemment listés.Ce serait doncdurant cette fintardive de soirée
du23aoûtqu’auraitétépriseladécisiondes’accorderaveclesGuiseetdoncavec
l’aristocratie zélée, de manière improvisée et parce que la monarchie risquait de
perdrelecontrôledelasituation–etpeut-êtreplusencored’êtresubvertieparles
bruitscommedansunemissiveadresséeàGasparddeSchomberg,l’envoyéduroi
enAllemagne,danslaquelleildéclareque«cequiestadvenu»aétéfait«augrand
regret de sa dicte Majesté », mais en réplique « pour l’occasion qu’ils en ont eux
mesmesdonnélespremiers».Cequin’empêchepasquelamonarchiedisposaitdes
outilsintellectuelspouropérercebasculementetavaitconstruitlacertitudequela
violencen’étaitqu’unbiaispermettantdemaintenirlapaixcivileduroyaume.On
nesaitriendesrencontresaucoursdesquellesdesinstructionsauraientétédonnées
aux nobles catholiques, dont Henri de Guise, pour procéder à la répartition des
opérations d’exécutions des capitaines huguenots. Il aurait été convenu que
l’intervention débuterait au tout petit matin, une heure avant le jour, au son du
tocsinquibattraitàlatourdel’horlogeduPalaisdejustice.
D’aucuns10sesontinterrogéssurunepossiblepréméditationauseindelamaison
de Guise. Dans la société ancienne, le sang appelle le sang, et ne pas venger une
mortd’undessiensquiaétél’objetd’unacteassimiléàuncrime,c’estdéshonorer
son sang et se déshonorer soi-même en se désolidarisant de la chaîne de ses
ancêtres.L’honneurpossèdeunedimensionsacrée,ilcouledanslesangdulignage
quiestnobleparcequel’aptitudeàlavertuqueDieuluiadonnéeestsupérieureà
cellequ’ilattribueauxautreshommes.Celuiquinevengepasl’honneurnerépond
pasàl’attentedeDieuquiestoffenséparl’inaction.
PourlamaisondeGuise,l’ombredeColignyquiauraitpousséPoltrotdeMéréà
tuer François de Guise pèse sur chacun de ses membres, à commencer son fils
Henri. Selon Lucien Romier, ce serait au mois d’avril 1572, le 15 avril, que le
cardinaldeLorraine,leducClauded’AumaleetleducHenrideGuise,auraientpris
leur décision et que la délibération de tuer ou faire tuer l’Amiral aurait été prise,
couplée avec la réactualisation d’un projet d’extermination de ceux qui étaient les
ennemisdeDieuetduroi.Iln’apeut-êtrepastort,maisJean-HippolyteMariéjol
luiréponditqu’aucune pièced’archivesn’autorisait àsupposerque lesGuise aient
puestimerqu’illeurétaitpossibledepenseràprépareràl’avancecequiauraitété
uncoupd’État.Estprésentéenoutreuncontre-indice:surlafinavril1572,lefrère
cadetdeHenrideGuise,âgédedix-septans,lemarquisduMaine,sanseninformer
Charles IX qui réprouvait tout engagement militaire contre une puissance
secrètementalliée,quitteleroyaumeavecquatre-vingtsgentilshommes.Ilvoulait
participeràlaguerreengagéeparlesVénitienscontrelesTurcs11 .ArrivéàVenise
audébutdumoisdejuin,ilobtientdepouvoirpoursuivresonvoyageendirection
duLevant.Peut-êtres’agissait-ilpourluidenepasêtrecontraintàprendrepartà
une guerre contre l’Espagne qui serait conduite par des protestants ? Mais cet
engagement du jeune marquis va à l’encontre de l’hypothèse d’une préméditation
quiauraitnécessitélamobilisationdetoutelaMaisondeGuise.
L’histoirecommeinstrumentdeveillefaceauxpérils
Ilfaudraiticisuspendrecesuivichronologiquedont lafragilitéestindéniableet
poser une hypothèse sur ce jeu de rôles antinomiques qui voit en Charles IX un
princequiauraitétéattachéjusqu’auderniermomentoupresqueàunrefusdela
violenceetdistingueaucontraireensamèrelaplanificatricedumassacreàveniret
rapproche cette mise en scène d’une œuvre de Loys Le Roy : la Consideration sur
l’histoirefrançoiseetl’universelledecetempspubliéeàParisen1567-1568.L’idéologue
delamonarchieythéorisaituneépistémologiedel’histoirequiintégraitlemonde
humaindanslesmouvementsducosmosetédictaitunepédagogieetuneéthique
du pouvoir. Le monde inférieur obéit au monde supérieur et est placé sous le
gouvernementrégulateurdecedernier.
Ilne fautpas selaisser allerà imaginerque l’histoiredes hommesrépond à une
téléologie de la dégénérescence ou de l’empirement, car le monde humain est
interdépendant de l’ordre cosmique, et, dans cet ordre, il y a une cyclicité
temporellefaisantallerdumieuxaupire,del’humanitéàl’inhumanitédeshommes,
dumalheuraubonheur,delahaineàl’amour,ducataclysmeàlarégénérescence,et
vice versa. « Tellement que selon espactz, oppositions, conjonctions, distances,
apparences, cachemens des astres, descendent ça-bas diverses influences, rendans
leshommesplusdisposezenl’unesaisonqu’enl’autreàlavertuauxlettresetaux
armes. » Le temps est ontologiquement mobile, et les hommes, et donc les
gouvernants, ne doivent pas s’attacher à l’illusion d’une aptitude à maîtriser
l’histoire à laquelle au contraire ils ne doivent pas tenter de résister. En effet,
LeRoyajoutaitqu’ilyavaituneformedenormalitéàcequeletempsdelavertu
basculedansletempsdumalheuravantdefaireretouraumondehumain:«Puis
sortansde la mesme cause celeste grandset espovantables evenemens de guerres,
famines, pestes, inondations, temblemens alterer tous cas humains par certaines
revolutionsdel’univers,selonquelespartiesducieletdelaterrecorrespondent,et
quelamatiereyestdisposée12 .»
Dans ce contexte d’invasion maléficiente, le Prince doit le premier rompre avec
une politique axée sur la concorde et se régler sur le principe de la nécessité qui,
seul, peut lui permettre de maintenir à flot le navire de l’État et de préserver le
vivreencommundesessujetspourque,leplusvitepossible,ilspuissentéloigner
d’eux le spectre de la destruction par la guerre civile. La question se pose :
l’étonnantjeuderôlesquiauraittrouvésonexutoireaprèslesouperdeCatherine
deMédicisetauraitvulareinemèreetsonfilsfinir,dansladouleur,pars’accorder
suruneadhésionàunprojetdepréventiondecequ’ilspouvaientcraindreêtrele
basculement imminent dans une guerre civile ne serait-il pas à référer à une
idéologienéoplatoniciennedelaprudence?
L’histoiren’estpasàsensunique.Ilestcertesirréalisted’imaginer,observaitLoys
Le Roy, qu’il puisse y avoir sur terre un règne parfait, universel et unique sur le
modèle du règne divin. Il est impossible que tant de pays divers puissent être
unifiés,carladissemblancefaitpartiedel’univers,etmêmedumicrocosmequ’est
l’homme où chaque membre du corps possède un « office » différent que l’âme
accorde.Maiscequinepeutêtrefaitàl’échelledumondeetdesonimmensitépeut,
«àtoutlemoins»,êtreréaliséàcelled’une«chacunegrandeprovince»delaterre,
oùl’utilitécommunedemandequel’unioncivile,au-delàdesdifférencesdefoi,soit
préservée.Legarantdecetteunion,sanslaquelleiln’yauraquechaosetsang,ruine
etdécadence,est«unChef13».
Si l’on part de l’idée selon laquelle Catherine de Médicis adhère à cette vision
néoplatonicienne,qu’ellelasuggèreaussicommeinstrumentd’autolégitimationde
sonaction,etsil’onacceptequesonfilsCharlesIXait,parcequ’ildevaitêtreunroi
philosophe, participé de la même sagesse de la concordia discors que Loys Le Roy
avaitvaloriséedès1558entraduisantenfrançaisLeSymposedePlaton,oudel’Amour
et de beauté14, il y aurait un lien, à ne pas négliger, entre une représentation du
monde et de son histoire entendue comme une perpétuelle déconstruction
autorisant un recommencement, et l’exigence de la possession et défense du
pouvoir.SeullePrincequidétientl’autoritépeutêtreenmesuredeprocéderàun
jeu assumant la contradiction universelle pour l’endiguer, la maîtriser, ou plutôt
l’intégrerdanslesmécanismesmêmesdufonctionnementdel’autorité.CharlesIX
devaitêtrelenouvelAugustequiramèneraitl’âged’orvirgiliensonroyaume,grâce
auxoutilsphilosophiquesexposésparLoysLeRoy.
Cen’auraitpasétéalorsunhasardsiCatherinedeMédicis,autournantde1560,
recommanda au cardinal François de Tournon, alors à Rome, de se renseigner à
propos d’un Adonis, « qui est si beau » et dont elle a entendu dire que son
propriétaire,unmédecin,avaitenviedelevendresansavoirtrouvé,pourl’instant,
unacheteur.Ilfautlesonderetessayerd’avoiruneidéeduprixqu’ildemande,sans
quepourautantilsoitamenéàsoupçonnerquec’estCatherinedeMédicisquiena
envie.
Pourquoi Adonis ? Peut-être parce qu’Adonis symbolise ce principe de
contradiction qui doit à tout instant être intériorisé et géré par l’acteur du jeu
politique.Perséphone,àquiAphroditeconfiaAdonisnéd’unarbre,s’épritdeluiet
ne voulut pas le rendre à la divinité de l’amour quand celle-ci en émit le désir. Il
revint à Zeus d’arbitrer le débat entre les deux déesses et de décider qu’Adonis
vivrait un tiers de l’année avec la divinité du monde souterrain, un tiers avec
Aphrodite et un tiers là où il voudrait. Il se déroba à cette sentence puisqu’il
consacra deux tiers de son temps à la déesse de l’amour avant d’être tué par un
sangliersuscitéparArtémisouparMars.Maislemythetraduituneconsciencede
ladurée,danslaquelleletempsestscindéentreunprincipenégatif,l’obscuritédes
ténèbres qui s’abattent sur le monde, et un principe positif, la lumière et la
végétation, l’amour qui finit toujours, par-delà les vicissitudes, par-delà la mort
même,parreprendreledessus.
Ronsards’étaitappropriélemytheen1563,aprèsClémentMarot,pourrappeler
quetoutplaisirestmêlédedouleur.Adonis estlui-mêmecontradiction,carilest
bergeretchasseurtoutàlafois,ilestvieetsimulacredevieencore,carsabeautéle
fait ressembler à des images, et il causa le bonheur et le malheur de Vénus. Il
ressembleàunpréfleuri«quelePrintempsnouveau[…]/Etladouceroséeensa
verdeur nourrissent15 ». Sa beauté rendit Vénus « furieuse » d’amour, oublieuse
d’elle-même, du Ciel et des honneurs divins. La déesse de l’amour ne pense plus
qu’auchasseurauxcheveuxd’or,quilarendàsongréselonsoncapricesoitjoyeuse,
soit courroucée. Elle devient sa compagne de tous les jours, chasse avec lui et
conduit ses troupeaux en sa compagnie, dormant à même le sol. Vénus met en
garde Adonis contre le danger qu’il court dans les forêts à poursuivre les bêtes
sauvages. Elle le prévient de ne pas s’attaquer aux sangliers, tigres et ours, et de
toujours préférer les daims, lièvres et chèvres. Elle dit à son amant que sa mort
seraitsapropremort.Mars,alors,estprisdedésespoir,dejalousieetdecolèretout
àlafois.Ilappelleàl’aidesasœurDiane,luidemandantdevengersonamourparla
mortd’Adonis.Sarequêteluiestaccordée.
Lelendemain,alorsquele«chasseurboccager»courtdebuissonenbuissondans
lesforêts,unsanglierenvoyéparDianesurgit,figuredumalheur,figuredel’hiver,
aux yeux de feu et au dos hérissé, les narines remplies d’écume, et charge le
chasseur,luiplantantsesdéfensesdansl’aine.Adonissuccombe,etVénusnepeut
qu’accourirpourcontemplerlecorpsfroiddesonamourets’évanouir.Puis,ayant
repris ses sens, elle entame une complainte scandée d’une anaphore de vers par
laquelle elle s’adresse à son amant : « Helas ! pauvre Adonis, tous les Amours te
pleurent, / Par ta mort, Adonis, toutes delices meurent. » Douleur de se sentir
commeveuve,douleurdesesavoirrevêtuedésormaisdenoir,douleurdevoirque
lesfleursblanchessontdevenuesrouges,douleurquilafaiterrerparlesboistoute
échevelée,piedsnus,laissantleschardonsetlesépineségratignersabellepoitrine
etsadoucepeau.Sadouleurinfinieluifaitenvisagerlavoiedusuicide.Ladéesse
appellealorssescygnesàprendreleurenvolpourallerparlemonderaconteraux
fleursqueVénusaverséautantdelarmesqu’Adonisdesang:
Dusanglabellefleur
Delarosevermeilleaportraitsacouleur,
Etdutendrecrystaldemeslarmesmenues
Lesfleursdescoqueretsblanchessontdevenues…
Vénus,aprèsavoirinvitélespetitsamoursàprendreledeuiletàfairelatoilette
funérairedumort,baiselabouched’Adonisdont«desormaisjouïraProserpine».
Mais,unefoiscelongchantlamentatifdéclamé,ladéesseabandonneauventson
regretetpasseàd’autresamours.C’est-à-direquelemythed’Adonissymboliserait
une forme de mouvement éternel, de passage de la mort à la vie et de la vie à la
mort,de lacontradiction commeélément vitalde toutevie. L’amourest douleur,
larmes, mais aussi promesse de reviviscence et de plaisir. L’amour, ainsi, est
principedetout,ilestunrésumédetoutelaCréation,deceque,commelechanta
AmadisJamyn:
Toutechosenaissantehasoncommencement
Desprincipesdiversenqualitécontraire:
Rienn’estsimpleicybas,dontilestnecessaire
Quetoutsoitcomposédecontraireelement16 .
Ilyaunenécessitédel’antinomie,dansl’ordredetoutechose,detoutepensée,de
toute histoire, de tout être, une nécessité qui peut aller en conséquence jusqu’à
irriguerlapolitiqueetfaireensorteque,danscertainsmomentscruciaux,quandla
parolen’estplusenmesuredejouersonrôleapaisant,legouvernantsedémarque
par rapport à sa volonté de « doulceur » pour faire, temporairement, le choix de
soncontraire,laviolencedonc.Etvivre,c’estassumercettenécessitéavectoutce
qu’ellepeutimpliquerdetragique.L’amourpeuttemporairementsefondredansla
mort,laviolence,pournepasseperdreetdisparaître.
Le désir de Catherine de Médicis d’acheter ce tableau d’Adonis, de pouvoir se
l’approprierpour être en mesure de contempler cette nécessité existentielle,de la
méditer, de l’avoir toujours en mémoire, de peut-être s’en inspirer quand les
circonstancesexigeraientuneréflexionsurladécisionetsespossibles,neseraitpas
qu’esthétique,maisrenverraitàuneautrenécessité,celledechercherl’inspiration
desapolitiquedansuneimage-symboledecequelaviepasseparlamort,deceque
chaque être doit « en soy » savoir qu’il « loge son adversaire » et que, en
conséquence,ilpeutêtreappeléàjouerêtrecetadversaire,temporairement,pour
nepasseperdreàlui-mêmeetàl’histoire.Àdoncdonnerlamortpourempêcher
qu’elleneprenneledessussurlavie.
LaculturephilosophiquepartagéeparCatherinedeMédicisetsonfilsneserait-
ellepaslaclefdel’événementdelaSaint-Barthélemy?Nelesaurait-ellepasportés
tousdeuxàassumerunjeu,quiseseraitfiniparl’acceptationdelamiseàmortdes
capitainesprotestants,autermed’unemiseenénigmeprolongéejusquedurantles
ultimesconseilsdelafindelajournéedu23août?
Ladécisionauraitété,selonlesenvoyésdeFlorenceetdeVenise,prise«soudain
etnonde longuemain »,et GiovanniMariaPetrucci soulignedèsle 25août que
«lanécessitéatoutamenéàl’improviste»sansdouteparcequelaprised’armesdes
huguenots qui était crainte aurait été accompagnée de l’exécution de grands
personnagesetpeut-êtremêmecelle«duducd’Anjouetdelareinemère».Tout
pourrait confirmer que, pris dans la tourmente des bruits et des rumeurs, le
pouvoirmonarchiqueauraitvouluprendredecourtcequ’ilimaginaitpouvoirêtre
une action huguenote qui aurait eu pour but de faire justice d’une violence que
l’autoritéroyalenesemblaitpasapteàchâtieretquipouvaitmêmevenird’elle.
C’estcequeFilippoCavrianaaffirmele27août.DonJuandeZúñiga,poursapart
et dès le 24 août, paraît estimer que ce fut de manière défensive que la décision
royalefutpriseaprèsunattentatquiauraitmêmeétévouluparlepouvoirroyal:
«Silessouverains,aprèslablessuredeColigny,avaientlaissépasserdeuxjours,on
eûtexécutécontreeuxcequ’ilsontexécutéeux-mêmes.»Ilestaussipossiblequela
présence aux portes du Louvre, de huguenots armés ait accéléré le processus
décisionneldelamonarchie,avantbiensûrlesexécutionsdesgentilshommeslogés
auLouvre.C’estcequ’asubodoréavecintensitéJean-LouisBourgeon17.
Ilestentoutcascertainque,danslasoiréedu23août,l’histoiresedérobe;ellene
peutplussedirequedansunconditionnelplusaccentuéencore,quiinsistesurla
nature hypothétique des analyses qui s’en tiendraient à la sphère des discours et
écrits d’autant que certaines informations peuvent être interprétées de manière
ambivalente : ainsi l’ordre de mobilisation de la milice bourgeoise, donné vers
11heures-minuit,auprévôtdesmarchandsJehanLeCharronetàl’ancienprévôt
Claude Marcel convoqués au Louvre à cette fin, ainsi l’hypothétique
commandementdefairefermerlesportesdelacapitale,detendredeschaînessurla
Seine et dans certains points axiaux parisiens, et enfin d’installer des pièces
d’artillerieenplacedeGrève.Ilestcependantimpossibledesavoirsicedispositif,
s’il a existé, aurait eu une finalité préventive – pour empêcher une sédition qui
aurait pu être aussi bien catholique que protestante – ou aurait participé de la
préparationetdel’organisationd’uneopérationspéciale,pourreprendreunterme
contemporain18 , qui aurait été destinée à contrer, comme le pouvoir royal le
reconnutdèsle25août,uncomplotdeColignyetdessiens.
Lesspectresd’unpasséquidevientprésent
Onpeutsedemandersileshistoriens,àforced’avoirtentéderejeterdemanière
argumentée et critique le motif de la préméditation et d’avoir insisté sur le
déclenchement, dans le cours d’une durée plus ou moins brève, d’une mécanique
simultanément contrôlée et incontrôlable, n’auraient pas fermé la voie à une
réflexion alternative ; c’est-à-dire à une enquête gravitant autour de la mise en
exergue d’une pulsion de destructivité 19, une pulsion « à haïr et anéantir ». Il y
avait,dansl’amontdesconsciencescuriales,unecultureducrimeoudel’exécution
politiquequitrouvaitdesprécédentshistoriquesdansdesinstantsd’exerciced’une
justiceextraordinaire.C’esticiqu’ilfautfairesurgiraupremierplanCatherinede
Médicis, princesse de la douceur féminine, mais aussi de la mémoire longue :
n’avait-elle pas dans son patrimoine subjectif la réplique hyperviolente et
scéniquement humiliatrice orchestrée par Laurent de Médicis, après l’échec de la
conjurationdu26avril1478,etl’exécutionthéâtraledesPazziensuiteexposésaux
fenêtres du Palazzo della Signoria ou du Palazzo del Podestà de Florence ? Les
fugitifsn’avaient-ilspasétépourchassésdanstoutel’Italieetplusloin,puisramenés
à Florence et pendus, après avoir subi l’énucléation, à l’image de Bernardo di
Bandino Barroncelli, l’assassin de Giuliano de Médicis, pourtant réfugié à
ConstantinoplemaislivréparleSultan?
Cemodèlerépressifnefut-ilpasadoptéensuiteàSienneetdansd’autresvillesde
lapéninsulecommeFerrare 20?N’yavait-ilpas,latent,unesortedepré-encodage
d’unejusticespectacleextraordinairequi,calquéesurdesmodèlesantiques,servait
àdésignerlasouillure,laquelledevaitêtreexposéepourêtreéradiquée21 ?Ainsides
carcassesmutiléesdevictimesabandonnéesdanslesruesoutraînéespouramuser
le peuple, des morceaux de chairs portées sur des lances au cri pro-médicéen de
«Palle!Palle!»etdel’invocationàcequepérissenttouslestraîtres22 …
Ilfauticisedemandersilesimaginairesnesontpaspeuplésdespectresquiyvont
et viennent et qui peuvent, au cours de dialogues sans paroles, aider les acteurs
politiquesàrésoudreleursquestionnements.N’est-cepassurcematériaujudiciaire
d’exception que l’on pourrait poser l’hypothèse que la violence existerait au
préalable dans la pensée et pourrait être activée dans l’immédiateté de tensions
hyperboliques?Nefaudrait-ilpassoulignerquelaculturedesacteurslesportaità
savoir qu’il était nécessaire à chacun d’être sur la défensive, dans un monde dont
Salluste avait affirmé qu’il n’était habité que par des humains cultivant la
dissimulationetl’hypocrisie–«Autreestcequ’ilsont,toutprêt,enbouche;autre
cequ’ilsont,caché,dansleurcœur 23»?CommeCatilinaetsescomplices,lesPazzi
et leurs complices avaient été assimilés à des hommes cherchant à pallier leur
déchéance financière par une conquête et confiscation du pouvoir révélatrices de
leurfuroretdeleurinsania?DanssonPactianaeconiurationiscommentarium24,Ange
Politienavait formalisé un réemploi du récit deSalluste, le Bellum Catilinae, en le
paraphrasant ponctuellement pour stigmatiser les Pazzi et leurs associés, et
présenter Laurent de Médicis comme le sauveur de Florence, le défenseur de la
«florentina libertas25 ». C’estdans cetouvragequ’il avaitmis envaleur l’idéede la
nécessitédu recoursàlaviolence,danslamesureoùildépeignaitJacopode’Pazzi
commeunnouveauCatilina,punidemanièrejuste26.Ilincarnaitlesvicesetétait
poussé à agir par le désir de « rerum novarum », donc de susciter une révolution
dans une ville dont Laurent Le Magnifique peut être dit après avoir été le
sauveur27.Précisonsqu’unetraductionfrançaise,parLouisMeigret28,deL’histoire
touchantlaconjurationdeL.SergeCatelin,aveclapremiereharanguedeM.TulleCiceron
contreluy:ensemblelaguerreJugurthine,etlaharanguedePortiusLatrocontreCatelin:
traduittesdeLatinenFrançoisdeSallusteavaitétédisponibledèsdécembre154629.
N’yavait-ilpas,aucœurdesimaginaires,l’évidencepessimiste,inspiréedeCicéron,
que«lesloissetaisentparmilesarmes.Lefilss’enquiertavantl’heuredesannées
quirestentàvivreàsonpère.L’hôten’estpasensûretéavecl’hôte,nilebeau-père
avec son gendre, entre frères même, l’affection se fait rare. L’homme est un loup
pourl’hommeetiln’estpasdepestesidétestablequinenaissedel’hommeàl’égard
del’homme30 »?
CatherinedeMédicis,parcequ’elleavaitapprisl’histoiredeFlorencedutempsde
Laurent de Médicis, son arrière-grand-père, ne pouvait-elle pas avoir en tête le
paradigme d’une violence pouvant être anticipée sur une durée très courte31 ?
D’autantqu’elleavaitégalementluetassimilécetteidéeàtraversles Catilinairesde
Cicéron, qui montrent la concordance entre la violence devenant un spectacle
répressif et le sauvetage d’une sphère politique en danger 32. La construction du
parcours postmortemdeColignynereproduit-ellepasceluiquesubitlecadavrede
JacopoPazzi,rapportédanslanarrationd’AngePolitien 33?
Plus encore, ne faudrait-il pas porter l’attention sur un portrait composite de la
reine mère, dessiné autour de 1560-1561 par François Clouet34 ? Catherine de
Médicis y figure en veuve, après son adoption de la devise « Ardorem extincta
testanturvivereflamma35»?Elleestreprésentéedansunmédaillonentourépardeux
vertus:ilyad’unepartlaRenomméequibranditunepalmeetunetrompette36 et
d’autrepartlaprudencequitientdanssamaindroiteunlivreetarbore,enrouléà
son bras gauche, un serpent, faisant référence à Matthieu X, 1637 . Cette
représentationrappellelesymboledelaprudencequiseraiten1559,selonGabriel
Symeoni, propre à la reine mère : un serpent en forme d’anneau entourant une
étoile,symboledeperfectionetdoncd’éternité38 .Laprudence,représentéeparle
serpent,estsignificativederuse,subtilité,défianceetméfianceparantàtoutesles
menacesetpouvantsecombineraveclaforce39 .Ilyalàunevariantedumiroirque
tient Prudentiadans unmédaillon ovaleconçu parPierre Courteysen 155940,qui
exprimecependantl’idéeque,pourêtreprudent,ilfautavoirintériorisélessecrets
delaconnaissancequisontlesmystèresd’uneCréationdanslaquellelamortetla
vievontdepair.Lesavoir,aucœurduquelsetientl’histoire,estuneconditionsine
quanondelaprudenceparcequ’ildonnelesoutilspourl’appréhensiondetoutesles
situationspossiblesetdoncdelacomplexitédumondehumain,desespiègesetde
sesrisques.Lelivresymbolisedonclaconnaissancedumaletdubien.
Catherine de Médicis apparaît comme une nouvelle Minerve, détentrice d’une
sagesseluidonnantlaforcedetriompherdesloupsquihantentlemondehumainet
veulentinstaurer lechaos, laviolence, la haine.Cette nouvelleMinerve, oscillant
entreviolenceetpaix,estprêteàanticipersurlesviolencesqu’ellepeutdevineren
gestationparmilesprotagonistesdujeupolitiqueet nedoutepasderecourir àla
violencesila situationrend celle-cinécessaire.L’identificationà Pallas,qui faisait
de Catherine de Médicis l’incarnation de la raison, de la vertu de justice, de la
sagesse, avait été suggérée dès 1548 par Vasquin Philieul qui avait rapproché
CatherinedeMédicisdelaLaureaiméedePétrarque 41;etelleperdurepuisque,le
1er janvier1565,lesconsulsdeBéziersoffrentauroiune Pallasd’argentciseléequi
pourraitbien être une invitation à suivre la vertu de samère, tandis que la reine
mèrereçoitunecouped’argentpleinedemédaillesd’or.
Le premier dessin de L’Histoire de la royne Arthemise représente Catherine de
Médicis entourée des arts libéraux et, dans un médaillon surmonté de l’effigie de
Minerve, dispensatrice à son fils du savoir parler pour faire reculer les passions
humaines.Dans L’HistoireFrançoysedenostretemps,elleest«ainsiqu’unePallas»,
quiachassé«lediscorddeFrance».Lelogos,maîtriséparlesavoir,estsynonyme
delaraisonquipeutguérirlemalhumainetéloignerd’euxlemalheur;laraison
telle « La flamme par l’obscure nuit / Plus belle et profitable éclaire42 ». Cette
communion d’espérance, partagée par Catherine de Médicis et par la sœur de
François Ier , les aurait portées toutes deux à croire que la rhétorique, dans ses
variables littérales ou allégoriques, privées et publiques, possédait en elle une
puissancesacrée43.
Les poètes n’hésitent pas à chanter en 1571 la gloire de celle dont le langage
permetmêmedecomprendrelamission,parlamiseenvaleurd’unehomophonie
quiconcernesonprénom.Unereinequiallégoriselesensmêmedesonœuvrequi
aétéuneœuvrede«longuepatience»etde«prudence» 44.Cefutellequi,«par
fataleinfluence»,futappeléeàvenirlibérerlesFrançais«insensez»deleursluttes
civiles. Elle a été la purificatrice, « par destin », qui a purgé la France avec une
«grande,bonneetsagemédecine»danslaquelleselitsaparole.Cefutellequia
éteintl’«ardeur»quibrûlaitleroyaume.DeCatherineàcatharsis…
Pallasestlaguideduroi,elleleprotègeetveillesurlui.Dansledessin«Allégorie
desguerresreligieuses»,leroiestaupremierplan,tandisqu’ausecondplanonvoit
une bataille qui se déroule et des cadavres accumulés. À côté du roi est mise en
valeurunefigureféminine casquéeetarmée,une nouvelledéessedela prudence,
évoquéeparunsonnet:«PartaPallasessainctementguidé/Enlasuivanttute
verrasaydée/DelaVertualencontreduVice45.»Ladéessepeutaussiparticiper
d’unhommageàlavertuquelareinemèreincarnaitpourlessujetsduroi:onsait
qu’en 1578 elle donna à la ville de Clermont l’hôtel de Boulogne dont la
municipalité voulut faire un nouvel hôtel de ville. Pour le portail d’entrée, en
façade,dansuneniche,LéonardSarsonfutchargéderéaliserunestatuedePallasde
1,85mdehauteurquifutinauguréeen1582,entouréed’unécussonauxarmesde
Catherine de Médicis, de deux caryatides, de fleurs 46. Pallas, accompagnée d’une
chouette, ce qui pouvait constituer un appel symbolique à ce que la reine mère,
comtessed’Auvergne,continueàêtrelaprotectricedelacité,tenaitdanssamain
droiteun bouclieroù étaitfigurée latête deMéduse. Elleportait aussiune lance,
unearmure,uncasqueàcrinière.
L’identification à Pallas va parfois dans le sens d’une prudence offensive : par
exempleen1586,souslaplumedupoèteduroi,JeanDuprat,laSaint-Barthélemy
est exaltée comme une violence nécessaire durant laquelle les exploits d’Ulysse
avaientétédépassés,puisqu’auboutdedixannéeslehérosdel’Odysséen’avaitpas
pris Troie ni n’avait été confronté aux prétendants : « Par le conseil d’une autre
Pallas,voiciPergamerenversée,ParismortavecGaspard,etgisantsdanslecarnage
ceux qui prétendoientnon à la main de Pénélope, mais à la couronne, ô roi, à ta
couronne,qu’ilsvouloientarracheràtoi,àtonfrère,auxprincesdetonsang.Leurs
détestables embûches ont été dévoilées, et leurs perfidies prévenues. Ces
prétendantsontétéécorchéscommedesporcs47.»
Prudenceetanticipation,alorssynonymes,peuventporteràlaconceptualisation,
dans l’urgence, de répliques intégrant la violence contre la violence. Le couplage
Prudence/Renommée s’explique : la Renommée est inséparable de l’utilitas
communisqu’elleconsacreetquiœuvreàlaconcorde48.Cequisignifiequelagloire
vient, par sa vertu, à celui ou celle qui s’engage pour l’utilité publique 49 et lui
permet d’être victorieux de la mort comme les palmes le symbolisent. Le serpent
quetientPrudencerenvoiesansdouteàCicéronetsoulignequelaprévoyance,la
finesse, la connaissance de soi, l’anticipation des situations, la ruse et la
circonspection, la méfiance, sont nécessaires à qui ne veut pas se laisser dominer
par les passions humaines. Plus encore, nous aurions ici la mise en image d’une
souplesseouflexibilité dela consciencecapablesans cessedese repenserdans les
moyens de ses fins et de s’adapter aux circonstances, embûches et occasions pour
quelaraisonopératricedelaconcordetriomphemalgrétout.
Le serpent tenu par Prudence qui apparaît comme un double de Catherine de
Médicis signifie que la pratique politique n’est pas linéaire, qu’elle peut, dans
certaines circonstances de mise sous tension, se plier à des réorientations
contradictoires quand la nécessité s’en impose, c’est-à-dire quand le pouvoir sent
qu’il perd toute marge de manœuvre. De même que le pardon fait partie de la
gestiondupolitique,demêmelavertudeprudencepeut-ellesuggérerlaviolence
entantqu’ultime ratio.Contrelepotentieldedestructivitédelaviolence,ilpeuty
avoiruneviolenceconservatricequiestunecontre-violence.
Ce que Catherine de Médicis put avoir à l’esprit, c’est ce qu’elle avait vu
auparavant : corps déchirés, lynchés et surtout une menace radicale pesant sur
l’autoritéqu’ellejugeaitdéléguéepar Dieuàsonfils CharlesIX.Faceà l’irruption
d’un possible qui semblait inéluctable, elle put être assaillie par un fantasme
d’horreur.Ets’imposala«forceéruptivedudroit»pourciterDerrida50.Letabou
d’un État fonctionnant sur la non-violence est suspendu dans la mesure où la
perpétuationdelachosepubliqueassurantlasurviedelacommunautéestenjeuet
où,surtout,lecimentdulienduprinceàsessujetssemblesurlepointdesebriser.
Lebasculementhorsdel’éthiqueafindecontrerl’imprévisibilitéetlacontingence
estlepropredelaphronêsisaristotélicienne51.
Surtout, ne doit-on pas porter l’attention au fait même d’un échange constant
entredeuxconfigurationssubjectivesopérantdanslesujet,laconfigurationréelle
et la configuration idéelle ? Le sujet n’est-il pas, comme l’a présupposé Hannah
Arendt52 , un « deux-en-un » au sein duquel le moi subit par effet de fascination
quasi hypnotique le pouvoir de l’idéalité de soi qui lui est dicté par autant des
imagesquedesdiscoursetselaisseguiderdanssesdécisionsparcequeluiditcet
idéel?L’autredesoinetend-ilpasàcommandercequ’ildoitpenseretfaire?
Lesrémanencesd’unefablecomplotiste
Ne devrait-on pas, dans ces conditions, attribuer une certaine pertinence à la
fictiond’un complot huguenotqui aurait joué dans la psyché de la reine mère de
manière décisive ? Et ne serait-il pas nécessaire de s’intéresser au fait que le
complotisme et ses fantasmes sont au cœur de la psyché collective du temps des
troublesreligieux,réamorçantsanscesseleshainesetlesenviesdepoursuivreles
guerres ? C’est ce que Tomasso Sasseti, qui se trouvait alors à Lyon, semblerait
rapporter sur la base d’informations peut-être collectées auprès de l’ambassadeur
FrancisWalsinghamdeuxsemainesaprèslemassacre.Selonlui,laviolencesubie
parColignyrenvoieàcellequeCondéavaitenduréequelquesannéesauparavant,
et plus en amont à la tentative de saisie du roi lors de la Saint-Michel 1567, que
Catherine de Médicis aurait considéré comme impardonnable. C’est ce que la
lecture de Guy du Faur de Pibrac peut suggérer, dans la mesure où, après
l’événement même, il introduit le motif que Marc Venard a lu comme une
« réplique » d’un instant de la conjuration de Catilina : « On vint advertir le roy
qu’au logis de l’amiral on avoit fait une conjuration et conspiration de tuer sa
Majesté,laroynesamère,sesfrèresettouslesprincesdusang,etchangerl’État,ou
transférerlacouronneailleurs53 .»Enhistoire,cequicompte,c’estques’imaginent
lesacteursetnonpascequiseraitréel…
D’où une interrogation à propos de cette science de la société civile que le
gouvernant doit intérioriser : quels textes se cachent-ils dans l’inventaire des
manuscrits de Catherine de Médicis sous la nomination « Sallustius54 » ? Nous
serions ici invités à deviner ou soupçonner que la pratique du politique par
Catherine de Médicis ne serait en rien empirique ou soumise au gré des
circonstances et occasions, mais relèverait bien au contraire d’un savoir qu’elle
aurait intériorisé comme un patrimoine transmis qu’elle se devait à la fois
d’entretenir et, dans des circonstances dramatiques, d’activer. Il faut, ici, s’arrêter
sur l’ouvrage rédigé par le Florentin Migliore Cresci au début des années 1550,
I Doveridelprincipe,etdédiéàCômeducdeFlorence.L’auteuryinsistesurlefait
que le prince ne doit pas oublier de prendre conseil des hommes savants en la
science de l’astrologie, « dans laquelle fut très versé l’empereur Adrien ainsi que
plusieurs pontifes célèbres, et qui fut aussi une vertu exaltée par Laurent le
Magnifiqueetpard’autresprinces55».
Si Catherine de Médicis fut attentive à la science des astres au point de faire
édifier en 1574 dans la cour de son hôtel parisien une colonne au sommet de
laquelleilluiauraitétépossibledecontemplerlecielastral,n’est-cepasenpartieen
référence à cette possibilité qui était reconnue à cette science de prévoir les faits
positifsàveniretdepermettred’éviterdesaccidentscontraires?Laquestionqu’il
fautposeralorsseraitlasuivante:cettesensibilitéastrologiquen’est-ellepaspour
CatherinedeMédicisuntémoignagedesoninscriptiondansunehistoirefamiliale
qui doit, dans la persona qu’elle incarne, se prolonger et qu’elle a le devoir de
perpétuerenusantcertainsdesoutilsquiluiontgarantiunepérennité?
Ceneseraitdoncpasdumilieudu XVII esièclequeremonteraitl’idéederuinedes
monarchiessuscitant«unevéritableangoisse»desgouvernants56,maisilfaudrait
la situer dans l’éthos de Catherine de Médicis hantée par l’histoire florentine
récenteetdoncportéeàintervenirdansunemimétiquedeceuxdontlesangcoule
enelle,LaurentetCôme!Àproposdecedernieràquiilsrendenthommageparce
qu’ilasu«réunirsespeuplesenunseulcorps»etempêcherquelesfermentsdela
divisionnedétruisentcetteunité,sesapologistesontinsistésurleslocicommunesde
sesqualités,Prudence,AstuceouRuse,Diligence,Bonjugement,Clémence,Vertu,
Sagesse, Magnanimité et Constance. Selon le Ritratto du Padouan Lucio Paolo
Rosello57,lasagacitéduprinceleporteàtoujourschercheràidentifiersesennemis
et à prévenir leur malignité. Dans la salle de Jupiter du Palazzo Vecchio, Giorgio
Vasari a représenté l’Astuce pour signifier que la loyauté peut être dans certaines
circonstances délaissée parce qu’il faut que le prince s’adapte à la « qualité des
temps».Lebonprinceestdétenteurdesmystèresdupouvoir,lesarcanaimperii,et
lesecretdoitguidersonaction.
Lareinemèrepourraitbienavoireuaccèsàlatraductiondes Politiquesd’Aristote
queLoysLeRoydonnaen1568avecuncommentairesavantetqu’ildédiaàHenri
d’Anjou58;sonobjectifétaitdecloreenfinlaséquencedetroublesayantdébutéen
1562etd’ouvriràune renovatioiréniquedel’État.LoysLeRoyquialuMachiavel
l’utilise tout en le critiquant vivement comme « autheur sans conscience, et sans
religion regardant seulement à la puissance et gloire mondaine, qui deçoit
beaucoupdegens59»eteninvitantàlirele Princeavec«grandediscretion».Les
conseilsdu Princefontpartiedes«causesquiruinentlesroyaumesettyrannies».
LeRoyestungrandlecteurd’Érasme,etlamodérationquecedernierpréconise,à
ladifférencedeMachiavel,estàsesyeuxlefildirecteurquedoitsuivrelepouvoir
duPrinced’autantquelatyrannieroyaledoitêtredénoncéeencequ’ellerecoureà
«tousactesséveres60».
Toute une partie du champ des bonnes lettres s’intéresse depuis le début des
années 1540 à investiguer et proposer des voies permettant d’assurer le maintien
desrégimespolitiques soumisà destensions déstabilisatrices:c’est ainsique Jean
Charrier, avant de publier L’Art de la Guerre, composé par Nicolas Machiavelli, en
1546, avait traduit en 1544 le Des Magistratz et République de Venise, de Gasparo
Contarini.Danslesdeuxouvrages,ilproposaitauxlecteursdetrouverunethérapie
auxdangersauxquelslarespublicapouvaitêtreconfrontéeentoutelogiquepuisque
lavieestfaited’opposésquinecessentdelatroubler.LoysLeRoyintervintdansle
mêmesillage,commeMariaElenaSeverinil’aremarqué,ausensoùlaguerreetla
politiques’entre-expliquent.LeboncapitaineestlemiroirdubonPrincequidoit
travailler à la manutention de la res publica dans le contexte d’une mutabilité et
instabilité inhérentes à la vie mondaine. La politique est une guerre, et la guerre
mimelapolitique.
Pour remonter un peu dans le temps, comment ne pas être tenté d’établir le
parallèleentrecequiseraitunescèneoriginellederéactionàuncrimepréméditéet
lespendusdutumulted’Amboise,accrochésle17mars1560auxcréneauxdestours
etportesduchâteauquiavaitvuconvergercivilsetsoldatshuguenots?Comment
ne pas discerner dans le théâtre des mises à mort des huguenots la logique
sanctionnantun « crimede lèse-majesté »dont se défendent d’ailleursensuite les
libellesprotestants61?La«tresmeschante»conjurationn’avait-ellepaspourobjet
depromouvoirla«subversionduroyaume»,selonlesmotsmêmesd’unelettrede
FrançoisIIauconnétableAnnedeMontmorencyendatedu25février1560,etles
accusationsquiysontportéesd’«attenteràlapersonnedelaRoynemamère,età
celles de mes frères, et des principaulx de ceulx qui sont auprès de moy » ne
laissent-ellespassoupçonnerla main deCatherinede Médicis62? AndreaZorzi a
remarquéquelapendaisondesPazzietdeleursamis,quirésultaitdel’applicationà
des personnages de haut rang de Florence d’un châtiment alors réservé à des
hommesdesbassescouchessocialesdelacité,ainauguréunepeineassociéeàpartir
de ce moment au « crimen laesae maiestatis 63 ». Catherine de Médicis aurait ainsi
voulu, en instrumentalisant les Guise, mettre en spectacle à Amboise un théâtre
symboliquequireproduisaitceluiduchâtimentdesPazzietdeleursamis.
Nepourrait-onpasincluredanscecrimenletraitementsubiparlecadavredeJean
duBarry,sieurdelaRenaudie,tuéle18marsetensuiterituellementpendudevant
lavilled’AmboisesurlepontsurlaLoire,avecunécriteauattachéaucousurlequel
étaitinscrit«LaRenaudiese faisantappelerLaForest,auteur delaconspiration,
chefetconducteurdes rebelles 64»? Onpeut alorsdouterque lespendaisonsaux
créneauxdelaterrassesurplombantlaruellequidonnaitaccèsauchâteauaienteu
seulement pour fin d’« estonner » les autres conjurés qui pouvaient encore errer
danslevoisinage 65etqu’ilfaudraitsecontenterd’yvoiruneinitiativedeFrançois
deGuise réagissantcontre deshommes dénonçant sa« tyrannie66» ! Et,ensuite,
que penser des nombreuses exécutions par noyade dont le châtiment frappa ceux
quiavaiententreprisla«ruined’estat»?
Avantmêmel’éditdeRomorantin,finmai1560,n’est-ilpascruciald’analyserla
violence telle qu’elle aurait été conceptualisée comme une punition de séditieux
coupablesd’uncrimedelèse-majesté 67parcequ’ilssepréparaientàagirouavaient
déjà agi contre « l’estat et repos » d’un royaume gouverné par un roi tenant son
autoritédeDieu68?Jepensequ’ilfautdistinguericil’influenced’uneCatherinede
Médicisirritéeetveillantàceque,commedanslaFlorencede1498,lecrimesoit
châtié par une peine dégradante assimilant les criminels à la lie de la société. La
répression,le22mars,touchevingtgentilshommes,pendusoudécapités,ainsique
cinquanteroturiersquisontjetésdanslaLoire.
La société de cour du temps des derniers Valois avait encore dans son capital
mémoriel le paradigme des proscriptions de l’Antiquité romaine, avec les têtes
décapitéesdescapitainesRaunay,Mazères,quiavaientconduitdeshommesvenus
du Béarn, et du baron de Castelnau, et placées sur le portereau du château
d’Amboise. La « préméditation », sans être assumée voire pensée comme l’outil
d’unenormalitédel’action,feraitainsipartied’unensembledemesuresalternatives
auquelilpeutêtrerecourudanscertainesconditionsd’urgence,c’est-à-direchaque
foisquesefaitsentirlebesoind’undispositifsymboliqueévoquantlatrahison,et
qu’ilestquestionderépliqueràcequiestinterprétécommelèse-majesté?Pierrede
Vaissière a jadis attiré l’attention sur le fait que, dès les lendemains de la paix
d’Amboise, courut le bruit d’une entreprise dirigée contre l’Amiral Coligny, son
frèreAndelotetLouisdeCondé,quiauraitviséà«lesfairemourirtoustroisenun
seuljour».L’avertissementmettaitencause JacquesPrévost,seigneurdeCharry,
un proche de la reine mère et Corbeyran de Cardaillac, seigneur de Sarlabous69.
Mêmesil’onsaitque,lorsdel’entrevuedeBayonne,ilauraitétéopposéunefinde
non-recevoirauducd’Albeetàsonconseild’éliminerleschefsdupartiprotestant,
dansunemissivedu10mai1567,donJuandeZúñigarapportedepuisRomequele
papeluiaconfiésouslesceaudusecretque«lesmaîtresdelaFranceméditentune
chosequejenepuisniconseiller,niapprouveretquelaconscienceréprouve;ils
veulentfairepérirparpratiquesleprincedeCondéetl’Amiral70»!
Lafablecomplotisterevientsanscesseaussibiendanslepartiprotestantquedans
les cercles de combat catholique. Que penser de la tentative conduite entre fin
juilletetdébutaoût1568parlemaréchaldeTavannespourinvestirleschâteauxde
Tanlay et de Noyers où se réunissaient Condé, d’Andelot et Coligny, et de la
réactionparanticipationdeschefsprotestantsquirépondaientaupossibledanger
ens’enfuyantàLaRochelle,avantmêmequ’HenryNorrisn’aitconfirméqueleur
vieavaitétéendanger71?Sil’onveutréintégrerlanotiondepréméditationdans
l’histoire des troubles de religion, il faudrait l’appréhender en tant qu’une
composantenécessairedelapsychédesacteursetdesesfantasmes.Parexemple,le
cardinalOdetdeChatillonauraitétéaverti,alorsqu’ilsetrouvaitaudébutdumois
deseptembre1568àSenarpont,del’imminenced’uneexécutiondontildevaitêtre
la cible. Le 5 septembre, il écrivit au roi qu’il avait pris connaissance du projet
crimineldelabouchemêmedeceuxquiavaientétéenvoyéspourletuerpar«ceux
quisesontdelonguemaindéclarésmesennemisetceuxdetouslesmiens»,etqui
ont«aujourd’huileglaivedelapuissanceenlamain72».Dèslafinseptembre1568,
Henry Norris rapporte une confidence d’un protestant, qui lui a affirmé que
cinquante Italiens parcouraient le royaume dans le but d’empoisonner vins et
victuailles des huguenots. Bien sûr, on est ici dans le champ de la rumeur, mais
celle-cipourrait,danssesréitérations,refléterunfantasmedeculturecollective.
Que penser encore de l’exécution de sang-froid de Louis de Bourbon, prince de
Condé,lorsdelabatailledeJarnacle13mars1569,parlecapitainedesgardesdu
duc d’Anjou, Joseph François de Montesquiou, alors que, immobilisé sous son
chevaltué,ilétaitdansl’incapacitédesemouvoir?Soncadavrefutensuiteemporté
hors du champ de bataille les « jambes pendantes » sur une vieille ânesse, avant
d’êtreexposé,selonAgrippad’Aubigné,surunepierrecontreunpilierdelagalerie
deJarnacpuisd’êtreconduitdeCognacjusqu’àChâteauneuf73 .Ceritueldedérision
mettaitenscèneunprincequiavaitvoulujoueràfaireleroi,voiresefaireroi,et
qui sortait de ce lieu du jugement divin qu’avait été la bataille sur une monture
rappelant à l’envers que le Christ, pour sa part, est entré triomphalement dans
Jérusalem sur un ânon symbolisant la paix et l’humilité. Et l’exhibition, au pied
d’unecolonne,ducadavresurunepierrequiressemblaitàuneclaie,eutpoursens
dedireetdemémoriserl’infamiequiavaitjustifiélamiseàmort.
Quepenser en outre de la mise à mort d’autres gentilshommes faits prisonniers
lorsde la même bataille, dontHonorat de Chastelier-Pourtautde Latour, au titre
qu’il avait, cinq ans auparavant, pris part à l’assassinat du capitaine Charry ?
J’aimeraisciterici,carelleesttrèsévocatrice,unelettredeFrancésdeAlava,écrite
le7avril1569,quirapportequelareinemèreluiauraitconfiésesangoissesd’après
la victoire de Jarnac, dont celle de savoir si l’Amiral aurait le projet, après avoir
reconstitué ses forces, de tuer son fils Anjou. La missive va plus loin dans la
projectionphobiquefixéesurlareinemèrequi,précisel’auteur,s’estalorsvantée
d’avoirdéjàfaitsonnerleglascontreColigny,AndelotetLaRochefoucauld,c’est-à-
dire d’avoir fait mettre leurs têtes à prix. Il s’agit d’une mesure que, déjà sept ans
auparavant,elleavaitrésolude prendre,mais« certains»l’enempêchèrentalors,
«quis’ensontrepentisdepuis».«Surcepoint,ellem’aparuextrêmementdécidée,
montrantunejoievéritabledecequ’onl’enapprouvait,ajoutantquelàétaitleseul
remèdeàtoutecetteaffaire74 .»
Lareinemèrefaiticiréférenceàl’arrêtduParlementdu13septembre1569,qui
fut«exécutépar figure,lesarmoiries traynéesparles carreffoursdecesteville et
faulxbourgsde Paris, à queuesde chevaulx, et rompuespar l’exécuteurs de haulte
justice », l’Amiral ayant été déclaré criminel de lèse-majesté, « perturbateur et
violateur de la paix, ennemy de repos, tranquillité et seureté publique, chef
principal,autheuret conducteurdela rébellion,conspirationet conjurationqui a
estéfaictecontreleRoyetsonEstat».Coligny,privédesestitres,capturé«mort
ouvif»selonlaprécisiondonnéeparleprésidentdeThouauroi75,étaitcondamné
àmortparétranglementàunepotencequidevraitêtredresséeenplacedeGrève,
devantl’Hôteldeville.Son corpsouson effigiedevraitydemeurer pendudurant
vingt-quatre heures avant d’être emporté au gibet de Montfaucon pour y être
suspendu.Sesarmoiriesetenseignesseraienttraînéespardeschevauxdanstoutela
villeetfaubourgsdeParis,puisseraientbriséesparl’exécuteurdehautejustice,«en
signed’ignominieperpétuelle,tandisquesesbiensserontconfisquésetsesenfants
déchus de toute noblesse. Commandement est fait à toutes personnes de ne pas
donner aide de quelque sorte à Coligny ». Au contraire il leur est « enjoinct le
dénoncer et mettre ès mains de justice, sur peyne d’estre déclarez faulteurs et
complices dudict de Colligny, rebelles au Roy et crimineulx de majesté ». La
promesse,parunarrêtdu28septembre,estrenduepublique,d’unesommede50
000 écus d’or à ceux qui livreront l’Amiral mort ou vif à la justice, ainsi que de
l’octroi d’un pardon au cas où ils auraient adhéré à la rébellion et conspiration
contreleroietsonroyaume.
Des précisions furent apportées peu après dans l’arrêt du Parlement de Paris en
date du 28 septembre 1569 qui réitérait la condamnation à mort de l’Amiral par
contumace,maisenajoutantque,«àceluyouceuxquirendrontoureprésenteront
ledict de Coligny au Roy ou justice, vif ou mort, de quelque qualité, condition,
nationoupartyqu’ilzsoient,subjectzduRoyouestrangers,domestiques,familliers
ounondudictdeColligny»,lapromessededélivrancedelasommede50000écus
d’or était confirmée 76. On sait que furent en outre rendues publiques les mises à
prix,pour20000écusd’or,delatêtedeFrançoisd’Andelot,et,pour30000écus
d’or,celledeFrançoisdeLaRochefoucauld 77 .Leshuguenotsauraientdénoncéune
coïncidence avec ces mises à prix quand François d’Andelot meurt. Une rumeur
rapportant qu’un Italien s’était vanté d’être le responsable de la mort du frère de
Coligny se répandit. Cela n’empêche pas que d’autres rumeurs circulent, qui font
croirequeFrançoisd’Andelotaétéempoisonné,tandisquelareinemèreseserait,
pour sa part, réjouie de l’événement, en affirmant espérer que « Dieu fera aux
autres,àlafin,recevoirlemêmetraitementqu’ilsméritent78 »!
Enjuin1569,donFrancésdeAlavaseprévautd’uneinformationquiconcerneun
Italien qui avait, selon lui, proposé à la reine mère de tuer Condé, Coligny et
d’Andelot,etquiseseraitmisautravaildèslemoisdedécembre1568:«Enfin,on
a accordé un tel crédit audit Italien, qu’il y a six mois, il a été enfermé en une
chambre avec un ouvrier allemand que ledit Italien a amené de Strasbourg. Cet
Allemand a fait faire trois figures d’hommes de bronze, de la taille du prince de
Condé,del’Amiraletded’Andelot,pleinesdevisauxjointuresetàlapoitrine,pour
lesouvriretfermer,etpourtenirlesdeuxbrasfortementadhérents,ainsiqueles
cuisses, le visage regardant en haut, les cheveux très longs et les pointes des
cheveux dressées. Tous les jours, ledit Italien ne fait que regarder la nativité des
troispersonnagessusditsetsonastrolabe,etserreretdessererlesvis 79.»Aprèsle
décèsdeCondé, «on ditqu’ona vudes marquesnettesà sacuisse, dèsqu’ilétait
mort».
Desfantasmes d’assassinat courent de manièrerécurrente : Henry Norris écrit à
sir William Cecil le 18 juillet 1569 que c’est un capitaine nommé Hayz, un
Allemand,quiauraitétémissionnépourempoisonnerl’Amiraletqu’illuiauraitété
promis«pourcelalemêmeprixqu’auxautresprécédemmentpourlesemblable».
DonFrancésdeAlava,le8août,estreçuenaudienceparCharlesIXetsamère,et
illeurditavoiraccueillidanssonlogisunAllemandvenuducampdel’Amiral,qui
affirmait savoir que « la mort de l’Amiral était combinée ». Il rapporte que
CatherinedeMédicisetsonfilsl’invitèrentàpasserdansuncabinetafinqu’iln’yait
aucuntémoindelaconversationquisuivit:«Etmedirentque,aunomdeDieu,je
n’en parlasse à personne parce qu’ils attendaient à chaque instant une bonne
nouvelle à ce sujet ; cela fut dit avec une joie d’où il résulte clairement qu’ils ont
combiné cette mort. Ils considéraient si bien cette mort comme faite, que je leur
demandaisic’étaientdesAllemandsquidevaienttuerl’Amiral 80.»
Un mois plus tard environ, Norris transmet l’information selon laquelle des
empoisonneurs ont tenté d’agir, dont un domestique de l’Amiral, Dominique
d’Alba, qui subit huit interrogatoires et est condamné à la pendaison après avoir
avouéavoirreçudel’argentainsiqu’unepoudreblanchedesmainsducapitainedes
gardesfrançaisesduducd’Anjou,JeandeLaRivièreetdeSeignelay81.DonFrancés
deAlavapoursuitsonenquêteenécrivantquel’envoûtementdemeurepratiqué:
Onditqu’on.Avuilyaquinzejours,àlastatuedel’amiral,lesmêmesmarques[quecellesvisualiséespour
Condé et Andelot]. De là peut-être venu le bruit qui s’est répandu ces jours-ci qu’il était mort, et
maintenantqu’onvoitquec’étaitunefarce,attenduqu’onsaitqu’ilestvivantetenbonnesanté,lesauteurs
decettebonneœuvredonnentàentendrequeladitestatueoufiguren’apasmontrélesmarquesdemort
comme firent cellesde Condé et de d’Andelot ; elle n’a fait qu’indiquer la maladie dangereuse qu’asubie
l’Amiraletsignifierlamortdesonfilsaîné[…]etlesortilègerecommenceengrandsecret,etl’espérance
renaît[…].Quandlareineestpartiedecetteville[Paris]pourlecampdeLimoges,elleaécritaucardinal
deLorraineetàl’évêquedeSensquedanstrèspeudetempsilsapprendraientunenouvellequicauseraitau
papeetàlachrétientélaplusgrandejoiequ’ilsaientéprouvéedepuisvingtans.Cedoitêtrelebonespoir
qu’onadeseffetsduditsortilège.
Les 9-10 octobre, c’est à Fernando Alavarez de Toledo y Pimentael, duc d’Albe,
que don Francés de Alava relate la nouvelle qu’il a apprise et selon laquelle six
hommesontgagnélecampdel’Amiral«pourytuerleschefsparordreduRoi».
Élisabeth elle-même serait ciblée par cette opération tout comme William Cecil,
danslamesureoùNorrisditavoirapprisquelecardinaldeLorraineaenvoyéen
Angleterre deux de ses proches, un Italien nommé Giovanni Battista, et un
apothicaireportantunepetitebarberousseetayantunetête«likecoloured».Puisil
faudraitencoreévoquerl’assassinatdurégentMorayenjanvier1570enÉcosse.
Uneculturecriminellepréexistaitdoncaumassacrede1572,quipouvaitêtrede
l’ordreàlafoisdufantasmeetd’unenécessitéderéplique.CatherinedeMédicisput
elleaussirecouriraucrimecommeoutildesortied’unesituationàhautpéril,son
filsCharlesIXentrantdanssonjeuenparticipantd’uneremiseenscèned’unjeude
l’énigme.
1.NégociationsdiplomatiquesdelaFranceaveclaToscane,op.cit.,t.III,p.823.
2.ÉdouardForestié,op.cit.,p.132.MémoiresdeMargueritedeValois…,op.cit.,p.55-56.
3.PierredeBourdeille,op.cit.,t.IV,p.301.
4.UneJeanneAlbretdésorientéeetépuiséeparcequ’ellecraignaitdepercevoircommedessimulacres,quand
CatherinedeMédicisjouaitalternativementdel’indignationetdelasollicitude.
5.FrançoisHotman(?), DefuroribusGallicis, horrendaetindignaamiralliiCastillionei,nobiliumatqueillustrium
virorum caede, scelerata ac inaudita piorum strage passim edita per conplures Galliae civitates, sine ullo discrimine
generis,sexus,aetatisetconditionishominum:veraetsimplexnarratio.ErnestoVaramundoFrisioauctore…,àBâlepar
ThomasGuérin,1573.
6.Jean-LouisBourgeon,CharlesIX…,op.cit.,p.15.
7.AdolpheSchaeffer,art.cité,p.288-289.SchaefferpartdesthèsesdeG.W.Soldan.IlétaitpasteuràColmar
et est l’auteur de Les Huguenots du XVI e siècle, Paris, J. Cherbuliez, Grassart et Meyrueis, 1870, qui se veut en
quelquesorteunlivresurl’ADNréforméfrançais,débutant:«Jemeproposedefairerevivreungrandpeuple:
lesHuguenotsduXVIesiècle.»
8. Sur Gondi, Stéphane Hellin, « Espionnage et contre-espionnage en France au temps de la Saint-
Barthélemy:lerôledeJérômeGondi»,Revuehistorique,2008/2,n°646,p.279-313.
9.J.B.M.C.KervyndeLettenhove,op.cit.,t.II,p.569.
10.LucienRomier,art.cité,p.529-561.
11.Ibid.,p.539-540.
12. Loys le Roy, Consideration sur l’histoire françoise et l’universelle de ce Temps, dont les merveilles sont
succintement recitées, Lyon, Benoist Rigaud, 1568, p. 9-11. Sur ce texte, voir Danièle Duport, « Histoire et
éducationdansl’universdeLoysLeRoy»,Écrirel’histoire,6,2010,p.39-46.
13.Ibid.,eii.
14.LeSymposedePlaton,oudel’Amouretdebeauté,traduitdegrecenfrançois,avectroislivresdeCommentaires
extraictz de toute philosophie et recueillis des meilleurs autheurs tant grecz que latins et autres, par Loys Le Roy, dit
Regius. Au Roy Dauphin et à la Royne Dauphine. Plusieurs passages des meilleurs poëtes grecs et latins, citez aux
commentaires,misenversfrançoisparJoachimDuBellayAngevin,Paris,VincentSertenas,JehanLongisetRobert
leMangnyer, 1558. Voir Jean-MarieFlamand, « Loys LeRoy, traducteur etcommentateur du Symposede Platon
(1558)»,inLoysLeRoy,renaissanceetvicissitudedumonde,Caen,PressesuniversitairesdeCaen,2011,p.31-50.
15.Ronsard, « Les élégies à très-vertueux seigneur Anne de Joyeuse,Admiral de France », « Adonis », in
Œuvres.Textede1587,IsidoreSilver(éd.),8vol.,Paris-Toronto,1970,t.II,p.25-33.
16.AmadisJamyn,Œuvres,op.cit.,t.I,p.142.
17.Jean-LouisBourgeon,Charles…,op.cit.,p.30.
18.AthanaseCoquerelFils,op.cit.,p.105:«Cejourd’huySamedyXXIIIjourd’Aoustaudictanmilcinqcent
soixantedouze,ledictsieurPrésidentLeCharron,Prévostdesmarchans,aestémandéparleRoyestantenson
chastelduLouvreausoirbientard,auquelsieurPrévostdesmarchanssaMajestéauroitdéclaréenlaprésence
de la Royne sa mère et de Monseigneur le Duc d’Anjou son frère et autres princes et seigneurs avoir esté
advertyqueceulxdelanouvellereligionsevoulloientesleverparconspirationcontresadicteMajestéetcontre
sonestat ettroubler lerepos de sessubjects etde sadicte villede Paris ;ce quesa dicteMajesté auroitplus
amplementetparticullièrementfaitentendreàicelluyPrévostdesmarchans…»
19.DenisRibas,«Pourquoilapaix?»,Revuefrançaisedepsychanalyse,2016/1,vol.80,p.15-26.
20.Andrea Zorzi, «La politique criminelleen Italie(XIII e-XVIIIesiècles) », in Crime, histoireet société, II/ 2,
1998,p.91-110.
21.Jean-LouisVoisin,«Pendus,crucifiésetoscilladanslaRomepaïenne»,Latomus38,1979,p.422-450.
22. Marwin E. Wolfgang, « Political Crimes and Punishments in Renaissance », Journal of Criminal Law,
CriminologyandPoliceScience,vol.44,5,1954,p.555-581. «Palle»faitréférenceàl’emblèmedesMédicis,les
boules;NicholasScottBaker,«Forreasonsofstate:PoliticalExecutions,Republicanism,andtheMediciin
Florence,1480-1560»,RenaissanceQuarterly62(2),2009,p.444-478.
23.CitéinStéphaneGal,GrenobleautempsdelaLigue;Étudepolitique,socialeetreligieused’unecitéencrise(vers
1562-vers1598),Grenoble,PressesuniversitairesdeGrenoble,2000,p.581.
24. Angelo Poliziano, Pactianae coniurationis commentarium (La congiura dei Pazzi), Alessandro Perosa (éd.),
Padoue,Antenore,1958.
25.DonatellaBisconti,«“Vesanaconstantia”.Leportraitduconjuré:stéréotypesetcontradictions»,Arzanà.
Cahiersdelittératureitalienne,20,1,p.91-109.
26.Jenesuispasicil’hypothèsedeThierryMénissier,«LaSaint-Barthélemyauprismedumachiavélisme:
massacregénéraliséetintentionnalitépolitique»,LesCahiersdelaJustice,2011/1,n°1,p.15-28.
27.ÉmilieSéris,«LeConiurationisPactianaeCommentariumd’AngePolitien(1478)»,in LaLyreetlapourpre:
Poésielatineetpolitiquedel’AntiquitétardiveàlaRenaissance,NathalieCatellani-DufrêneetMichelPerrin(dir.),
Rennes,PressesuniversitairesdeRennes,2012,p.207-219.
28.CrispeSalustedelaconjuraciondeL.SergeCatilin.AveclapremièreharenguedeMarcTulleCiceroncontreicelui:
ensembledelaguerreIugurthine,avecl’invectivedePorciusLatrocontreleditCatilin,ÀLion,ParJeandeTournes,
1546[réédition1556].
29.LouisMeigretproposesatraductiondixansaprèslapublicationdePierreSaliat,L’OraisonquefeitCrispe
Saluste contre Mar. Tul. Ciceron. Plus l’oraison de Mar. Tul. Ciceron responsiue a celle de Saluste. Auec deux aultres
oraisonsdudictCrispeSalusteaIulesCesar,affinderedresserlaRepubliqueRomaine.Letouttranslaténouuellementde
Latin en Francoys, par Pierre Saliat, Paris, Simon de Colines, 1537. Voir Stefania Vignali, « L’épître « Aux
Lecteurs»del’oraisonquefeitCrispeSalustecontreMar.Tul.CicerondePierreSaliat(1537).Unevéritable
«illustration»delalanguefrançaise»,CorpusEve,enligne.
30.StéphaneGal,«MalaiseetutopieparlementairesautempsdelaLigue:les“moyenneurs”duparlementde
Dauphiné»,Revuehistorique,2001/2,n°618,p.403-431.
31. « Dont s’en suivrait l’entière ruyne de ce royaume… » ; Anna Carlstedt, « Stratégies rhétoriques de la
tolérance : relecture d’une lettre à Catherine de Médicis sur les massacres de la Saint-Barthélemy », in
Narrations fabuleuses. Mélanges en l’honneur de Mireille Huchon, Isabelle Garnier, Claude La Charité, Romain
Menini, Anne-Pascale Pouey-Mounou, Anne Réach-Ngô, Trung Tran, Nora Viet (dir.), Paris, Classiques
Garnier,2022,p.785-797.
32.ArnaldoMarcone,« Catilinaelasua(s)fortunainToscanaallafinedelMedioevo»,in Lecarteeidiscepoli.
StudiinonorediClaudioGriggio,FabianadiBrazzà,IlvanoCaliaro,RobertoNorbedo,RenzoRabbonietMatteo
Venier(dir.),Udine,Forum,2016,p.33-41.
33. Angelo Poliziano, Pactianae coniurationis commentarium, op. cit., p. 59-60, cité in Donatella Bisconti, art.
cité,p.91-109.«Lejoursuivant,cequiparutunévénementextraordinaire,unegrandemultituded’enfants,
commesielleavaitétéexcitéed’unecertainefaçonparlestisonsmystérieuxdesFuries,déterrentànouveaule
cadavre et il s’en fallut de peu qu’ils ne lapident une personne qui essayait de les en empêcher. Puis ils le
saisissentparlenœudcoulantaveclequelilavaitétépenduetavecforceinvectivesetrailleriesletraînentdans
touteslesruesdelacité.»
34.EtBaptistePellerin.
35.«Les gouttesd’eauet delarmesmonstrent bienleurardeur, encor’quelaflamme soitestaincte.»Voir
ThierryWanegffelen, CatherinedeMédicis.Lepouvoirauféminin,Paris,Payot,2005,p.161.L’eaun’éteintpas
soncontraire,lachauxvive,maislaravive.Cf.FrankLestringant,«CatherinedeMédicis,oulesimplecorps
delareine»,inLeBonhistoriensaitfaireparlerlessilences…,op.cit.,p.53-40.
36.AlexandraZvereva,PortraitsdessinésdelacourdesValois:lesClouetdeCatherinedeMédicis,Paris,Arthena,
2011. Ead., LesClouet deCatherine deMédicis :chefs-d’œuvre graphiquesdu muséeCondé, Catalogued’exposition,
MuséeCondé,Chantilly(25septembre2002-6janvier2003),Paris,Somogy,Chantilly,MuséeCondé,2002.
37.«Soyezprudentscommelesserpentsetsimplescommelescolombes.»
38.GuydeTervarent,Attributsetsymbolesdansl’artprofane:Dictionnaired’unlangageperdu(1450-1600),
Genève,Librairie Droz, 1997, p.397. Voir Négociations,lettres et piècesdiverses relatives au règnede François II
tiréesduportefeuilledeSébastiendeL’AubespineévêquedeLimoges,LouisParis(éd.),Paris,Imprimerieroyale,1841,
etSophieTéjedor,«CatherinedeMédicisfaceau“jourd’après”»,inMélangesdel’ÉcolefrançaisedeRome–Italie
etMéditerranéemodernesetcontemporaines,132-1|2020,p.35-45.Onpeutreleverque,dansletableaufigurant
laprudenceetpeintparAntonioPollaiuoloen1469-1472(GaleriedesOffices,Florence),lamaindroitedela
vertu tient un miroir tandis que la main gauche serre un serpent qui n’est pas enroulé autour du bras, la
clairvoyanceévoquantlefaitqu’ilfautseconnaîtresoi-mêmepourentretenirlaprudenceensoi.
39. « Le serpent, la remore, le dragon », in La Vertu de prudence entre Moyen Âge et Âge classique, Évelyne
Berriot-Salvadore,CatherinePascal,FrançoisRoudautetTrungTran(dir.),Paris,ClassiquesGarnier,p.968-
978.
40.Châteaud’Écouen.
41. Daniel Maira, « Catherine de Médicis, dédicataire allégorique de la « Laure d’Avignon » de Vasquin
Philieul(1548)»,StudiFrancesi,147(XLX|III),2005,p.517-526.VoirLaured’AvignonextraitdupoêtePetrarque
misenfrançoisparVasquinPhilieul,aunometadveudeCatherinedeMedicis,roynedeFrance,Paris,Gazeau,1548.
42.Jean-AntoinedeBaïf,LePremierlivredespoèmes,GuyDemerson(éd.),Grenoble,Pressesuniversitairesde
Grenoble,1973,p.53-55.
43.MargueritedeNavarre,elleaussi,avaitétéunenouvellePallaspourlespoètesdesontemps.Pallascertes,
mais Pallas héritée de la Florence médicéenne et dominant, dans le tableau peint par Botticelli, le Centaure
symboledel’ignorance,delabestialité,delaviolence.
44.AmadisJamyn,Œuvres…,op.cit.,p.46,«PourlaJunonnopcièreàlamêmeentrée»(1571).
45.VoirJulesGuiffrey, LesDessinsdel’HistoiredesroisdeFrance,parNicolasHouel,Paris,ÉdouardChampion,
1920 ; Barbara Gaehtgens, « Gouverner avec des images. L’image du roi présentée par la reine régente, de
CatherinedeMédicisàAnned’Autriche»,inL’ImageduroideFrançoisI eràLouisXIV,Thomas-W.Gaehtgenset
NicoleHochner(dir.),Paris,ÉditionsdelaMaisondessciencesdel’homme,2006,p.77-110.
46.SusannBroomhall,TheIdentitiesofCatherinede’Medici,Leyde,Brill,2021,p.270.
47. ŒuvrespoétiquesdeJ.Dorat,poeteetinterpreteduroy,CharlesMarty-Lavaux(éd.),1875,Slatkinereprints,
1974;GenevièveDemerson,Dorat…,op.cit.,p.65.
48. Jean-Marc Chatelain, « L’espace politique de la renommée d’Érasme à Juste Lipse (1530-1570) »,
Médiévales,n°24,1993,p.117-129.
49.FrançoiseJoukovsky,LaGloiredanslapoésiefrançaiseetnéo-latinedu XVIe siècle:desrhétoriqueursàAgrippa
d’Aubigné,Genève,LibrairieDroz,2015,p.498-511.
50.JacquesDerrida,Forcedeloi:le«Fondementmystiquedel’autorité»,Paris,Galilée,1994,p.59.
51.PierreAubenque,LaPrudencechezAristote,Paris,PUF,1963.
52.VoirHannahArendt,«Questionsdephilosophiemorale»,inResponsabilitéetJugement,Payot,Paris,2009.
53. Marc Venard, « Arrêtez le massacre ! », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1992, 39-4, oct.-déc.
1992,p.645-661.
54. Edmond Bonaffé, Inventaire des meubles de Catherine de Médicis en 1589 : mobilier, tableaux, objets d’art,
manuscrits,Paris,A.Aubry,1874,p.197.
55. Sandro Landi, « La découverte de la censure », in Naissance de l’opinion publique dans l’Italie moderne :
SagessedupeupleetsavoirdegouvernementdeMachiavelauxLumières,Rennes,PressesuniversitairesdeRennes,
2006, p. 59-98. Cf. Lucio Paolo Rosello, Della providenza di Dio Sermoni dieci di Teodoreto, vescovo di Giro,
nuovamente di greca in volgare lingua tradotti per Lucio Paolo Rosello Padoano. Alla Serenissima Reina di Francia,
Venetia,appressoBartholomeoCesano,1551.
56.BrunoTribout,«Révolutionstemporellesetconspirationspolitiques:lafigurationdutempshistorique
dansquelquesrécitsdeconjurationsousLouisXIV»,Dix-SeptièmeSiècle,2005,4,n°229,p.693-712.
57.Lucio Paolo Rosello, Il Ritratto del verogoverno del prencipe, dal l’essempiovivo del gran Cosimo de Medici.
CompostodaLucioPaoloRoselloPadoano,condueorationid’Isocrateconformiall’istessamateria,tradottedalmedesimo
diGrecoinVolgareitaliano,Venise,1552.VoirAntonellaFenechKroke,«CosimoIde’Medicietl’idéalisation
duprinceparlalittératureetlesarts»,inLeMiroiretl’espaceduprincedansl’artitaliendelaRenaissance,Philippe
Morel(dir.),Tours,PressesuniversitairesFrançois-Rabelais,2012,p.219-253.
58.DanièleDuport,«Préfaces,épîtres,opusculeset Delavicissitudeouvariétédeschosesenl’universdeLoys
LeRoy:lalanguedansl’histoire»,2015,CorpusEve,enligne.PhilippedeLajarte,«Entrelogiquenaturelleet
logiqueprovidentielle:lesressortsdel’Histoired’aprèsletraitéDelavicissitudeouvariétédeschosesenl’universde
LoysLeRoy»,SeizièmeSiècle,n°10,2014,p.245-260;IrinaFalkovskaya,«L’irénismedeLouisLeRoy:Entre
philosophiegrecque et réalité française », in Nicolas Breton, ThomasGuillemin et Frédéric Lunel (dir.), Les
Dialoguesinterreligieux:Lieuxetacteurs(XVIe-XXI e siècle),Rennes,PressesuniversitairesdeRennes,2018,p.107-
118. Loys Le Roy, Exhortation aux François pour vivre en concorde…, op. cit., comprend une définition de la
sédition,p.8:«…jedyqu’ilnepourroitadvenirpirecalamitéàtoutestatpubliquepourquelquecausequ’elle
soit excitee : d’où procede toute sorte de maulx, voire les plus pernicieux, comme irreverence envers Dieu,
desobeissance aux magistrats, corruption des meurs, changemens de Loix, mespris de Justice, abolition des
Lettres,vengeanceshorribles,mescognoissancedeconsanguinitéetparentage,oublianced’amitié,extorsions,
violences,pilleries,rançonnements,ruinesdepaïs,saccagementsdevilles,bruslementsd’edifices,confiscations,
fuites, bannissements, proscriptions cruelles, meurtres inhumains, alterations de polices, avec autres infinis
excezetmiseresinsupportables,piteusesàvoirettristesàraconter.ParquoyPythagorastresillustrePhilosophe
disoit, qu’il failloit en toute manière oster maladie du corps, ignorance de l’ame et seditions de la cité,
corruptionadvenantésRepubliquesopulentespourrendrelesgrandsEmpiresmortels:ainsiqu’enTiteLivre
parleMarcValeredictateur.CequiameuledivinPlatond’affermer,n’yavoirpiremalenlacitéqueceluyqui
ladivise,etd’uneenfaictdeux:nerienmeilleurquecequilalieetunitensemble».
59.MariaElenaSeverini,«LePrinceetleCapitaine:échosdeMachiavelchezLoysleRoyetFrançoisdela
Noue», SeizièmeSiècle,n°9,2013,p.247-259,quicomplèteA.HenriBecker, Unhumanisteau XVIe siècle:Louis
LeRoy(LodovicusRegius)deCoutance,Paris,OudinetCie,1896;WernerL.Gundersheimer,TheLifeandWorks
ofLouisLeRoy,Genève,Droz,1966;EnzoSciacca,UmanesimoescienzapoliticanellaFranciadelCinquecento.Loys
LeRoypensieropolitico,Florence,Olschki,2007.
60.Éditionde1568,p.789.Etp.374dansl’éditionde1576parMicheldeVascosan.
61. « Histoire du tumulte d’Amboise », in Archives curieuses de l’Histoire de France depuis Louis XI jusqu’à
Louis XIII, Louis Cimber et Félix Danjou (éd.), Paris, Beauvais, 1835, 1re série, t. IV, p. 33. Henri Naëf, La
Conjurationd’AmboiseetGenève,Genève-Paris,A.Jullien,G.etEd.Champion,1922.
62.«Lettredu Royau connestabledeMontmorency,parlaquelleilluymandedeluyenvoyerlesieurdeSoucelleset
levicomtedeSaint-Aignan,prisonniersauboisdeVincennes,etRobertStuart,Escossois,prisonnieràlaConciergeriedu
Palais,soubçonnesd’estrecomplicesdelaconspirationd’Amboise»,inibid.,p.32-33.
63.AndreaZorzi,«Ritualidiviolenza,cerimonialipenali,rappresentazionidellagiustizianellecittàitalianecentro-
settentrionali (secoli XIII-XV) », in Le forme della propaganda politica nel Due e nel Trecento, relazioni tenute al
convegno internazionale di Trieste (2-5 marzo 1993), Rome, École française de Rome, 1994, p. 395-425,
p.408-421.MarioSbriccoli,Crimenlaesaemaiestatis.Ilproblemadelreatopoliticoallesogliedellascienzapenalistica
moderna,Milan,Giuffrè,1974;MartaCelati,ConspiracyLiteratureinEarlyRenaissanceItaly:Historiographyand
PrincelyIdeology,Oxford,OxfordUniversityPress,2021.
64.LucienRomier,LaConjurationd’Amboise.L’Auroresanglantedelalibertédeconscience.Lerègneetlamortde
FrançoisII,Paris,LibrairieacadémiquePerrin,1923,p.115-116.
65.MémoiresdeMicheldeCastelnau,ClaudeBernardPetitot(éd.),Paris,Foucault,1823,p.50-52.
66.Ibid.,p.50.
67.BenjaminDeruelle,«Aupréjudicedelafidélité,dudroitetdelanature.Lesusagesdelalèse-majestédans
le discours monarchique à la noblesse de France (1560-1598) », Revue d’histoire moderne et contemporaine,
2020/1,n°67-1,p.167-189.
68.JérémieFoa,«Lesdroitsfragiles.L’insécuritéjuridiquedeshuguenotsautempsdesguerresdeReligion»,
Revued’histoiremoderneetcontemporaine,2017/2,n°64-2,p.93-108.
69.PierredeVaissière,Récitsdutempsdestroubles(XVIesiècle).Dequelquesassassins:JeanPoltrot,seigneurdeMéré,
CharlesdeLouviers,seigneurdeMaurevert,JeanYanowitz,ditBesme,Henry IIIetlesQuarante-cinq,JacquesClément,
Paris,Émile-PaulÉditeur,1912,p.96.
70.Ibid.,p.96,quis’appuiesurJ.B.M.C.KervyndeLettenhove,op.cit.,1876,t.II,p.369.
71. Junko Shimizu, Conflict of Loyalties : Politics and Religion in the Career of Gaspard de Coligny, Admiral of
France,1519-1572,Genève,LibrairieDroz,1970.
72.CorrespondanceducardinaldeChâtillon,LéonMarlet(éd.),Paris,Picard,1885,p.89et90.
73.VoirOlivierMartin,Undéfenseurdelacauseprotestantesurlascèneeuropéenne.L’ambassadeuranglaisHenri
Norrisàla courfrançaise durantlatroisième guerrecivile(1568-1570) [MémoireduDépartement d’histoirede la
faculté des lettres de l’Université Laval, 2009] ; Anne-Marie Cocula, « Dreux, Jarnac, Coutras : le
rebondissementdelavendettadesGrands»,in Avènementd’HenriIV.QuatrièmeCentenaire.I,Pau,J&D,1988,
p.17-37.
74.PierredeVaissière,op.cit.,p.99.
75.SylvieDaubresse,LeParlementdeParis…,op.cit.,p.183-184.
76.PierreChampion, La JeunessedeHenri III1551-1571,Paris, BernardGrasset,1941,p. 176etNicolaMary
Sutherland,TheMassacreofSt.BartholomewandtheEuropeanConflict:1559-1572,Londres,TheMacmillanPress,
1972,p.101.
77. Sylvie Daubresse, Le Parlementde Paris…, op. cit., p. 182. Arrest de la court de Parlement contre Gaspartde
Colligny, qui fut Admiral de France, mis en huict langues, à sçavoir, François, Latin, Italien, Espagnol, Allemant,
Flament,AngloisetEscoçois,Paris,ParJeanDallierlibraire,1569,inArchivescurieusesdel’HistoiredeFrancedepuis
LouisXIjusqu’àLouisXIII,LouisCimberetFélixDanjou(éd.),Paris,Beauvais,1835,1resérie,t.VI,p.375-380.
78.LettresdeCatherinedeMédicis,op.cit.,t.III,p.211.
79. Eugène Defrance, Catherine de Médicis, ses astrologues et ses magiciens-envoûteurs. Documents inédits sur la
diplomatie et les sciences occultes du XVIe siècle, Paris, Mercure de France, 1911, p. 154-155 : Dépêche de Don
FrancésdeAlava,ambassadeurd’EspagneàParis,auroid’Espagne,Paris,8juin1569.
80.Ibid.,p.167-168:DépêchededonFrancésdeAlavaauroid’Espagne,8août1569.
81.SentencereproduiteparJulesDelaborde,op.cit.,t.III,p.565à567.
CHAPITREV
La«nécessité»criminelle
Examinonsdésormaiscequiauraitpusepasserauseind’unecourquiauraitfait
lechoixducrime.
L’assassinatdu«plusgrandcapitainedelaChrestienté»
L’exécutiondeColignyfutreçuedansl’Europeprotestantecommeundesgrands
crimesdel’histoire.J’enveuxpourpreuveunépisodequi,selonBrantôme,seserait
déroulé durant le voyage du duc Henri d’Anjou vers la Pologne : lors d’une
rencontreavecl’électeurpalatin,cedernierauraitmontréàceluiqu’ilaccueillaitun
portraitdel’Amiralqu’ilconservaitdanssoncabinet1.Ettoutsepassecommesile
capitaine huguenot prenait indirectement la parole par son truchement : « Vous
cognoissezbiencethomme,monsieur;vousavezfaitmourirenluyleplusgrand
capitainedela Chrestienté:et neledeviez pas,car ilvouseust faictetau royde
très-grandzservices2 .»
Essayons de reconstituer les circonstances de la mort de l’Amiral. Une réponse
positive, qui put endormir temporairement la méfiance du parti huguenot après
l’attentatdelaruedesPoulies,estdonnéeàlademandedeColignyquesoitétabli
auprèsdeluiunglacisdeprotectioncontretouteentreprisemenaçanteetquesoit
empêchée la tenue de rassemblements hostiles. Jean de Montlezun, sieur de
Cosseins,maîtredecampsdescompagniesdegensgascons,reçoitl’ordred’investir
l’hôteldePonthieuavec50arquebusiersetdesSuissesdelagardeduducd’Anjou
qui sont cantonnés dans deux boutiques voisines du logis de l’Amiral, tandis que
cinqSuissesdelagarded’HenrideNavarres’installentdansla«basse-cour»même
de ce logis, au plus près de l’Amiral. Le calme semble régner encore vers minuit,
puisque le bourgeois de Strasbourg assure que, traversant alors le quartier du
Louvre,ilapuregagnersonlogement«trèstranquillementetsansencombre3 ».
Un petit groupe de fidèles serait demeuré auprès du capitaine huguenot : son
gendre Charles de Téligny, et sa fille Louise, Pierre de la Gelière, seigneur de
Cornaton, Pierre de Malras, seigneur d’Yolet, le secrétaire Belon, le contrôleur
Pruneau, Ambroise Paré, le chirurgien Thomas, le pasteur Pierre Merlin,
l’interprèteNicolasMuss,etl’étudiantSalomonCerton.Cantonnésdansunepièce
voisine,ilsauraientétélestémoinspassifsdel’assassinat.
Undéroulésynthétique,mais aminima,desfaitsdelanuitdu23au24aoûtpeut
êtresuggéré:Guise,éclairépardes«flambeaux»etsuiviparlesducsd’Angoulême
etd’Aumale, parvientrue deBéthisy avecles hommesqu’il amobilisés,renforcés
encheminsoitde300capitainesetsoldats,soitde«cinquanteousoixantechevaux
etdecinq ousixcapitaines desrégimentsde gensdepied, suivisd’autresgens de
guerre».Ensecondeligneetàdistance,aucasoùunappuiauraitéténécessaire,ily
avait1200hommesquiauraientétéenattenteencasderésistancecollective.Aux
côtésdeFrançoisdeGuisesetiennentencoreNicolasdeHalwin,seigneurd’Atin,
FrançoisdeCazilhac,barondeCessac,Edmed’Hautefort,jadismaîtredecampen
Piémont, le Florentin Pier-Paolo Tosinghi, gentilhomme de la chambre du Roi,
chevalierdel’ordre,etsonfils,leSiennoisAchillePetruzzi,JeandeBiron,seigneur
de Goas, et Jan Yanowitz, dit Besme. La Bonne, maître d’hôtel de Coligny, est
requis,aunomduroi,d’ouvrirlaportedelacouretobtempère.
Cosseinsseseraitprécipitésur lui,l’auraitpoignardé,pénétrantde forcedansla
cour avec ses hommes, tandis que les Suisses du roi de Navarre sont bousculés :
deuxsont tués. Les Suisses de la garde du duc d’Anjou sont à l’offensive. Ce sont
alors dix hommes qui forcent toute résistance et entrent dans la chambre de
l’Amiral. Coligny est tué selon des modalités d’autant plus incertaines que les
hommes qui sont venus jusqu’à lui vont ensuite, pour la plupart, revendiquer la
gloiredel’avoirmisàmort.
Peut-être la version la plus plausible serait-elle celle que Scipion Dupleix
transcrira dans son Histoire générale de France, en soutenant la tenir d’un
domestique4 : l’Amiral se serait tenu, ayant quitté son lit, debout en robe de
chambre,etlestueurs«s’acharnèrentd’abordsurluiavectantdeforcequ’iln’eut
que le temps de dire ces quatre mots : “Que me demandez-vous, Messieurs ?” ».
Frappé probablement de multiples coups d’épée, de dagues et de pieux, il aurait
encorerespiréquandGuise,Aumaleetlechevalierd’Angoulême,setenantdansla
cour,auraientexigéqu’onl’achèveetqu’onjettesurlepavésoncadavre,sansdoute
dépouillédesesvêtementsdenuit,parunefenêtre,etqu’ilsoitpeut-êtredécapité.
Àtitredecomplément,nousdisposonsdurécitdeJulesGassotdanssonSommaire
mémorial:
CarsurlestroisàquatreheuresdumatinMonsieurd’AumalleetlejeuneMonsieurdeGuysesortirentde
l’hostel d’Aumalle, près du Louvre, avecq cinquante ou soixante chevaux et cinq ou six cappitaines des
regimensdegensdepied,suivizd’aultresgensdeguerre,etallèrentàlaportedulogisdudictadmiral,rue
de Betizy, laquelle porte ilz firent enfoncer avecq des bûches. Et entra dans la chambre de l’admiral ung
nomméBesme,Allemand,quiaultrefoisavoitestépaigedeMonsieurdeGuyse,etletuadanssonlict,ou
peus’enfalloit:et demandansceulxquiestoientàlacour etcrianssic’estoitfaict,ilzle jetterentparles
fenestres sur les carreaux d’en bas. Et s’est longtemps veu sur lesdictes fenestres de son sang. […] Il fut
incontinenttrainéparlesruesdanslariviere,etpuisretiréetencoreretrainé;onluycouppalesmembres
etlateste,etpuisonlemenapendreparlespiedsàMontfaucon5.
D’autresadaptationsscénographiquesducrimecirculent,mettantenvaleurtelou
telprotagoniste:l’Amiral,dansleRécitvéridiqueetdescriptiondel’assassinatcommis
enFranceen1572,auraitétéfrappéàmortd’uncoupdehallebardeparlefourrierdu
ducd’Anjou,leFribourgeoisMartinKoch,maislecoupfatalseraitvenudeMoritz
Grünenfelder,deNiederurnendanslecantondeGlaris,qui,voyantl’Amiralencore
vivant, aurait enfoncé son petit couteau dans sa bouche. Quant à Josué Studer, il
affirme que ce fut vers 4 ou 5 heures du matin (!) que la hallebarde de Moritz
GrünenfelderportalepremiercoupàColignyquiétaiten«robedenuit»,tandis
queMartinKochletransperçaensuitedesapiqueetjetalecadavreparlafenêtre.
Àce «signal »,le grand« tumulte» seserait déclenché.On disposeencore dela
lettrerédigée le 24 août même par un proche du capitaine Josué Studer, Joachim
Opser,deWyl,etadresséeàl’abbédeSaint-Gall 6:c’estd’undesprotagonistesdu
crime,enl’occurrenceceluiquiauraitportéletroisièmecoupavecsahached’arme,
queJoachimOpserdittenirlenomdutueur,unnomméConradBürgqu’ilconnaît
dutempsoùilétaitpalefrenieràWyl.ÀMartinKoch,ilreviendraitd’avoirporté
le premier coup avec sa hallebarde, le second coup étant porté par Besme, et le
troisièmeparConradBürg.Maiscenefutqu’auseptièmequeColignyseraittombé
mort,Guisedonnantordredepuislacourencontrebasquesoncadavresoitjetépar
lafenêtreavantd’êtretraîné,unecordeaucou,«commeàunmalfaiteur».
Cet assassinat qui ouvre au temps du massacre parisien n’est-il pas symbolique,
dansl’identificationincertainedutueurdel’Amiral,d’unévénementd’autantsans
histoire qu’il se dérobe à toute certitude dans son moment décisif ? Outre le fait
qu’ilseseraitpassédansuncréneautemporelquelquepeuflou?
Ilestdifficiledesavoirsiletocsinasonnéavantouaprèscettepremièreopération
qui aurait peut-être débuté autour de deux heures du matin, un peu avant ou un
peuaprès.CeseraitCatherinedeMédicis,effrayéeselonAgrippad’Aubignéparla
venue bien tardive au Louvre de huguenots inquiets des bruits qui couraient et
cherchant à se renseigner sur ce qui se passait, qui aurait fait avancer l’heure du
crimeenfaisantsonnerletocsindeSaint-Germainl’Auxerrois–l’égliseétantd’un
accès plus aisé que le Palais –, vers 2 heures et demie du matin, et donc avant le
tocsin de l’horloge du Palais qui, vers 3 heures, devait consacrer l’enclenchement
d’unmomentdejusticeroyaleextraordinaire 7.Disonsqu’Agrippad’Aubignédonne
cette version parce qu’elle lui permet de charger la reine mère de l’indiscutable
responsabilitéd’ordonnatricedece quiaurait étéalorsmoins uncoup deMajesté
qu’un crime voulu par une Italienne perverse et assoiffée de pouvoir. On peut se
demandertoutefoissicen’estpas Guisequiauraitprogramméletocsin deSaint-
Germain l’Auxerrois, soit pour prévenir un possible revirement du roi, soit pour
être assuré de ne pas voir son effet de surprise affaibli par les inquiétudes et
préventions des réformés mêmes. En tout cas, l’alarme semble s’être étendue à
d’autresclochersparisiens,Sullyserappelantavoirétéréveillé«surlestroisheures
dumatin[…]aubruitdeplusieurscrisdepeuples,etdesallarmesquel’onsonnoit
danstouslesclochers8».
Dansladémesureviolente:lavilleetlaCour
L’historienJoseph Bruno M. C. Kervyn de Lettenhove soutint que ce furent les
six conseillers réunis durant la nuit du 23 au 24 août qui auraient planifié
l’opérationselonune progressionsystématique: lamise àmort deColigny aurait
été le premier jalon d’un anéantissement qui aurait initialement été limité au
protestantisme politico-militaire considéré comme une menace vitale pour l’État
royal.Laprioritéauraitdoncétéimmédiatementdonnéeàlatraqueetl’exécution
desgentilshommeshuguenotsdispersésdansParis,leurslogementsétantidentifiés
grâceà des listesdistribuées auxtueurs quiavaient reçu aupréalable les nomsde
leurs cibles. Ensuite, la troisième priorité aurait été assignée à l’exécution des
capitainesprésentsauLouvreparcequ’ilsydormaient.Enfinuneinterventionétait
programméecontreleshommesdeguerrelogésaufaubourgSaint-Germain9 .
Sans doute la milice parisienne joue-t-elle originellement un rôle de garde-fou,
forte de sa mission de neutraliser, au cas où cela serait nécessaire, une sédition
protestante dans la capitale. Comme on l’a entrevu en effet, le prévôt des
marchandsMarcelauraitreçuversminuitl’ordredesuperviserlamobilisationdela
miliceparisiennedontlesinstancesdecommandementetlesbourgeoisdevaientse
tenirdisponibles,avecleursarmesetdestorches,àintervenirencasdetroubles.Il
yavaitdequois’inquiéter.Sieneffetleroidisposaitdes1200arquebusiersrentrés
dans Paris le 16 août, des archers de la garde, des Suisses royaux qui étaient
originairesdespetitscantonscatholiquesetdesgensd’armesduducdeGuiseainsi
quedesasuite,PierreMatthieu,danssonHistoiredeFrance10 ,affirmequeColigny
était en mesure d’aligner, en cas de conflit ouvert dans la capitale, quelque
800 gentilshommes réformés ainsi que leurs serviteurs, auxquels pouvaient
s’ajouterlesbourgeoisetartisansparisiensdelareligionquiauraientpuêtrejusqu’à
8000.Onpeutsedemandersilebasculementprécoced’unepartiedelamilicedans
uneentreprisedetuerienerenvoiepasàlapréventiond’unaffrontementquifaisait
partiedes événements possiblesdu petit matin ;et à une pratique mimétiquedes
violences auxquelles les soldats accompagnant Guise et les autres capitaines
catholiquess’étaientlivrés.
LessourcessontcependantmuettessurcequiseseraitpasséentreleroietHenri
deGuise.Leprincelorrainauraitétéintégrédansledispositif,maissansquel’on
parvienneàsavoirsilegranddéclenchementcrimineleutlieusurunultimatumde
sa part ou sur un accord conclu avec Charles IX. Il pourrait avoir été le maître
régisseurdel’opérationetdisposerpourcefaired’unegrandelibertédemanœuvre,
selonlerécitfourniparJacques-AugustedeThoucitéparJean-LouisBourgeon11.
Il aurait pris de court la monarchie et contraint ainsi le roi à un laisser-faire qui
auraitété une capitulationdevant lamenace qu’il auraitreprésentée. Ce seraitlui
qui aurait réuni « quelques Capitaines des Suisses Catholiques des cinq petits
cantonsetquelquesColonelsdescompagniesFrançoises»,leurdisantquel’instant
étaitvenuetqu’ilnefallaitpasmanquerl’occasiondeprendrevengeancede«toute
lafactiondesrebelles»,que«lavictoireétaitfacile»etqu’unbutinimportantétait
assuré.
Pour Jean-Louis Bourgeon, Henri de Guise a déclenché cette mobilisation de
manièreautonomeet doncsubversive,et ila obtenuleralliement contraintdela
monarchiemisedevantlefaitaccompli desaperted’autoritésur unepartiedesa
soldatesque.Ily aurait eu« débauchage» des «gardes mêmesdu roi, françaisou
suisses»,et,sanscetteopération,«laSaint-Barthélemyn’étaitpasconcevable 12».
Maisyeut-ilvraimentuncoupdeforceguisard,etnepeut-onpassoupçonnerune
collusion préliminaire, dans la mesure où les indices donnent à penser que le roi
aurait donné son accord, pour ce qui est du Louvre, à l’assassinat des nobles de
guerreprotestantsquiypassaientlanuit?Entoutcas,cetassassinatsembleavoir
étéimpossiblesanssonaccord!Nefaut-ilpasmettreenexergueaussileconceptde
« coup de majesté » que Catherine de Médicis, ainsi qu’on vient de le voir, peut
avoirimposéàl’histoire?
Onnesaitpasàpartirdequelleheuredelanuitoudutrèspetitmatinlefilsde
FrançoisdeGuise auraitété présentauLouvre. Dansla mesureoù onsait quele
sangappellelesang,ilestpossiblequ’ilaitdemandéd’ouvrirletempsdelaviolence
contreleshuguenotsdeguerreendirigeantleshommesquiavaientcommeobjectif
laruedesPoulies.Ilfautnoterquedeshommesquiluisontliéssontprésentssoità
sescôtésdèsletoutdébutdumassacre,soitactifsdanslecadredesmisesàmorts
programméesetciblées.Cequisignifieraitqu’ilsavaient reçuplustôtlaconsigne
d’êtreprêtspouruneopérationdeguerrequidutêtreplanifiéedanslaplusgrande
discrétion. Un des clients de la maison de Guise, Raymond de Laguo, sieur de
Meritens, paraît être venu, à l’occasion du mariage royal, de Caen dont il était
gouverneur;ilestaussitrèsliéàCharlesIXdepuis1562-156313etilconfirmedès
le25août,dansunelettreécriteaumaréchaldeMatignon,quelemassacreaurait
répondu à un état d’esprit du roi qui aurait pris la décision d’une intervention.
« Vous aurez vu comme le roy a délibéré de traiter ceux de ce parti-là ; qui me
garderavousenfairepluslongdiscours.»Laguoprendpartauxpremiersactesde
la tuerie parisienne, intégré dans des commandos devant cibler certains des
capitaineshuguenots,et,pourlui,ilsembleraitquel’allégeanceàHenrideGuiseet
l’obéissanceauroisoientalléesdepair.
SelonunelettrerédigéeparFilippoCavriana,ceseraitaveccinqautreshommes
armés qu’il aurait eu la mission de prendre part à l’exécution de François de La
Rochefoucauld.Puis leplanning qui lui auraitété donné sembleavoir prévu qu’il
s’occupe de François-Antoine de Marafin, qu’il croise parce qu’il s’était levé à la
premièrerumeur,aveccinqdessiens,pourserendreauprèsdel’Amiral:Laguolui
ferme le passage avec une broche à la main. Mais tout peut avoir été plus
complexe:sesmissionsaccomplies,LaguoauraitfiléàCaenoùilseraitarrivédèsle
28août,dansunecitéoùlelieutenantgénéraldeBailliageJeanVauquelintentait
rapidement d’appliquer le modèle d’une recatholicisation par abjuration des
religionnaires et par emprisonnement des ministres calvinistes. Il n’est pas
inintéressantdeconstaterque,danssalettreaumaréchaldeMatignon,le25août,il
incrimineuneresponsabilitéduroienannonçantqu’ilserendtoutefoisàCaense
fairelavoixd’unsouverainquisouhaitequelesvillesduroyaumerestentàl’écart
de l’épidémie tueuse qui s’est étendue dans la capitale14 . N’aurait-on pas, avec
l’engagement de ce capitaine, un indice de ce que certains des tueurs ont attendu
d’êtreassurésdeprendrepartàuneexécutionàlafoisvoulueparCharlesIXetpar
Henri de Guise pour commencer à quadriller Paris et à assassiner ou traquer des
victimesprédésignées?
Au Louvre comme dans les rues de Paris, c’est à un véritable carnage que se
livrentlesgardesfrançaisesetsuissesduroi.OnnevoitpascommentCharlesIX
n’est pas partie prenante de ce plan d’exécutions systématiques. Certains
gentilshommes,commel’ancienprécepteurd’HenrideNavarreBeauvoir,paralysé
parunecrisedegoutte,sonttuésdansleurlit.Maislaplupartdesgentilshommes
qui avaient été invités à dormir dans les appartements du prince de Condé et
d’Henri de Navarre sont réveillés, invités à déposer leurs armes sans opposer de
résistance;etconduits,aprèsquetouteslesgaleriesettouslescouloirsainsiqueles
appartementsetchambresontétéinspectésminutieusementpardesarchersmenés
par le duc de Montpensier, dans la grande cour. Ils sont préliminairement
désarmés, puis massacrés à coups de piques, le maître de camp du régiment des
gardes,Françoisd’O,seigneurdeFresneetdeMaillebois,ayantformédeuxhaies
de Suisses. Jean de Ségur-Pardaillan, Brion, qui était le gouverneur du frère de
Condé,AntoinedeClermontd’Amboise,marquisdeRenel,GaliotdeCrussol,sieur
de Beaudiné, Charles de Quellenec, baron du Pons et de Soubise, et Armand de
ClermontdePiles,quiestéviscéré,figurentparmilesvictimeslesplustitrées.Dans
le cours de ce carnage qui donnera lieu à un rituel d’exposition des cadavres
dépouillés de tous leurs vêtements, la présence du roi est évoquée dans certaines
sources, mais invérifiable. La lettre que Cavriana envoie au secrétaire Concini,
datéedu27août,observequ’auLouvrelecriétaitgénéral:«Tue!Tue!»,«che
vuoldireAmazza!Amazza,ondeilrumorefugrande,etmaggioreilmacello15».Ilest
impossiblede savoir si cemassacre se déroula en mêmetemps que l’exécution de
l’Amiral ou la précéda par précaution, ou encore la suivit. L’évaluation de
200victimesfournieparLucGeizkoflerestinvérifiable.
Une damnatiomemoriaepourlèse-majesté,précédantl’annihilationdescorpsjetés
danslaSeine,futmiseenplace,àl’imagedescadavresdeTiberiusGracchusetde
ses partisans précipités dans le Tibre comme des déchets. Un rituel de
déshonneur16, ce qui est important sur le plan symbolique, car ce rituel signifiait
quelesmorts étaientdes criminels,moinspour cequ’ils avaientpufaire jusqu’en
1570 que par leur implication immédiate dans un projet qui aurait visé à la
subversion d’une monarchie sacrée17. Songeons ici à l’immense pogrom
anticommuniste qui ensanglanta l’Indonésie lors de l’automne 196518 et à la
pratiquedel’expositioncollectivedescadavres,avecousanstête,àmêmelaterre
ou mis à la rivière, liés les uns aux autres pour constituer une sorte de radeau
flottant;uneexhibition« faitepourredoublerl’effroi »etsignifierque lesmorts
étaientdestraîtresàlapatrie19 .
L’acteultimemaisleplusprolongéetmortifèreauraitétéjouépar certainesdes
compagniesdelamilicebourgeoise,chargéesdecontrôlerdurantlanuitlesplaces
et les ponts et les portes de la capitale. Des mandements auraient été portés aux
quarteniers, archers, arquebusiers de « fort bon matin20 ». De Thou, suivi par
d’Aubigné,souligne que «les capitaines etdixainiers excitoyentleurs bourgeois à
une triste et horrible face partout21 ». Et alors se pose la question sur laquelle il
faudra revenir de manière détaillée : pourquoi le « peuple », pour reprendre le
termedeGiovanniMichel,est-ilintervenu?Sil’onsuitGiovanniMichiel,ceserait
parcequelanouvelleseseraitrépandued’unordredonnéparleroiquiappelaità
« massacrer et piller les autres huguenots22 ». Dans une lettre du seigneur de
Gomicourtévoquantune«boucherie»,chaque«traître»devaitsubirlaviolence
qui devait être appliquée aux autres huguenots coupables eux aussi de trahison.
C’estle«peuple,quiestoit sienraigécontreledictAmiral »quis’emparede son
cadavre disposé sur une claye pour être emmené à Montfaucon et pendu par les
pieds23:lerécitestalorsfantaisiste,puisqu’ilrelatequ’àdeuxmaisonsdesonlogis,
unhommeluicoupelatêteetlafixesursonépaule,pourlaporteràchevalparles
ruesdeParisencriantàhautevoix:«Voicylemeschanttraistrequiavoulutuerle
royetaperdulaFranceetatantfaitdemalàlavilledeParis24.»
Le roi serait plus impliqué que sa mère dans l’exécution de Coligny et des
capitaines huguenots : le Discours du Roy Henry III un personnage d’honneur et de
qualité estant près de sa Majesté Cracovie, des causes et motifs de la Sainct Barthelemy
souligneque tout s’estpassé au Louvre àl’initiative de CharlesIX ! De même les
Mémoires de Marguerite de Valois insistent-elles sur le caractère rationnel de la
décision prise par Charles IX, à l’issue d’une discussion contradictoire et
argumentée qui faisait partie du déroulement ritualisé du conseil, pour préserver
«l’État»menacéparlarivalitédedeuxpuissantesfactions.Elleattribueàsonfrère
la vertu première des rois, la prudence, qui lui permet de « prendre résolution »
après avoir écouté son principal conseiller, Retz. Son récit met en lumière une
structure pyramidale de la délibération : ce sont plusieurs « avis » des proches
conseillers (Guise et Anjou, puis Retz) qui auraient motivé la « résolution » des
décideurs,CatherinepuissonfilsCharles:laresponsabilitéestpartagée,maisc’est
bienleroiqui,loind’êtremanipulé,auraitprisladécisionfinale.
EntrelesTuileriesdelareinemère,l’hôteloùGuiseetAumalesetenaient,etle
Louvredesonfils,onnevoitguèreoùauraitétél’épicentredecequiauraitétéla
mise en œuvre d’un processus décisionnel. Et on ne sait pas, par-delà le quitus
donnéprobablementparCharlesIX,voire uneprogrammationquiauraitpuêtre
établie par le conseil du roi en connivence avec Henri de Guise, s’il y a eu une
pressionexercéesurlui,sicettepressionvirtuelleestvenuedesamère,deGuise,
d’un front commun de Catherine de Médicis et d’Henri de Guise, des conseillers
italiens. On devine juste une cour submergée par les bruits rendant totalement
instable la situation et donc ouvrant à une pluralité d’initiatives possibles et,
finalement,aubasculementdansuntempsdephobiespuisdetueries.Etonpeutse
laisseralleràsoupçonnerunsouverainsoudainsaisiparl’obsessiond’unepertede
contrôle de son autorité sacrale, en une phobie qui se serait cristallisée sur les
exigences provocatrices de quelques gentilshommes huguenots et sur les
inquiétudes de certains des membres de son conseil, soucieux de ne pas voir la
Majesté royale être mise en cause et prise en défaut par la force qu’auraient
représentéeces600ou800gentilshommesdelareligionpossiblementprésentset
logésdanslacapitale25.
Il est ainsi légitime de se demander si la mise à mort de Coligny par voie d’une
justiceextraordinaire,unejusticepréventiveface auchoixpossiblede l’Amiralde
quitter la capitale et de mener de manière autonome une expédition militaire en
directiondesPays-Bas,n’auraitpasétéungagedonnéàl’Espagnedenon-agression
aux Pays-Bas et un moyen de désamorcer le processus belliciste anti-espagnol en
arguant d’une « malheureuse et détestable conspiration que le feu amyral et ses
adhérans et complices faisoient contre moy26 ». Si l’on suit Jean-François
Labourdette,l’EspagneestpourCharlesIXl’ennemihistorique27 ,maissonoption
estun«niguerrecivileniguerreavecl’Espagne28».Dèsle28août,Catherinede
Médicisreprendàsoncomptedansunelettrelemotifdel’actionpréventived’une
conspirationetl’«occasion»quis’estprésentéeetqui«augmenteral’amitiéentre
lesdeuxcouronnes».Parallèlement,ellefaitpartàMonsieurdeSaint-Gouardde
ses défiances à l’égard de Philippe II, parce qu’à ses yeux la situation s’est
complexifiée:
Jesaisbienqueceuxdepardelàsontmalaisésdeémouvoir,sinonentantqu’ilscognoissentyallerdeleur
profit.L’onestimequelacrainte qu’ilsavoientqueleRoymon filsfavorisâtlestroublesdeFlandres,les
inviteroitplustôtànonseulemententretenir;maisàfortifieretestreindreamitiéavecnousquetoutautre
respect;maintenant,commeàcausedecettemutation,noussommesembarquésàcourirpareillefortune
qu’eux,ilestàcroirequ’ilsnesedonnerontaujourd’huiautantdepeinederecherchernotreamitié,comme
ilseussentfait,s’ilseneussenteubesoinpourlaconservationdeleurpays.
D’oùl’idéedetenterdesuggéreràPhilippeIIunmariageduducd’Anjouavecsa
filleaînée;cequipermettraitplustard,àlamortduroi,àlaFrancedecontrôler
l’Espagne.
Écrire,malgrésoi,letragiquesurlevif
N’est-ilpasfrappantd’observerquelanouvelledelamortdes«tyrans»estreçue
àMadrid,selonJeandeVivonne,seigneurdeSaint-Gouard,comme«leremèdeà
toutes sortes de dangiers de maulx qui apparaissoient » ? Philippe II exhibe à
l’ambassadeur français un discours où il loue la dissimulation de Charles IX qui
mérite désormais son titre de Roi très chrétien. Mais l’ambassadeur Zúñiga lui
certifiequelemassacre,quiaétéuneréactionimpromptueàunemontéeenforce
soudained’unpérilprotestant,n’apasétéprémédité.«Ilsnevoulaientquelamort
del’Amiraletl’imputerauducdeGuise;maisl’Amiraln’ayantpasététuéducoup
d’arquebuseetsachantd’oùilpartait».Cefutparcraintederessentirleseffetsdela
vengeance du blessé que le roi et ses conseillers « se sont décidés à ce qu’ils ont
fait».
À Madrid, dès la seconde semaine de septembre, il est patent que personne ne
croit, pour interpréter le 24 août, en une politique de Charles IX qui aurait été
pensée sur un long terme. Charles IX est mécontent, et son mécontentement
perdureencoreenfévrier1573,d’autantqu’ilestcertainquelapolitiqueespagnole
est centrée sur une volonté d’isoler diplomatiquement la France : « Ils publient,
écrit-il à son ambassadeur, que le tout a esté plutost exécutté par hasard que
deslibéracion préveue et meurement considérée, et n’y a aulcune espèce
d’imposturedontilsnes’aydentpourmenuyre 29.»Pourquoidanscesconditions
nepasfaireavancerl’idéequeceseraitlamonarchiequiauraitprisladécisionde
neutraliserleprotestantismemilitaireenéradiquantseschefs?
Entoutcas,cequiévidentetsurquoil’attentionadéjàétéportée,c’estqueleroi
CharlesIXlui-même,relayéparsonfrère,samèreousesdiplomates,passed’une
version à une autre, comme s’il avait conçu une stratégie du glissement d’une
argumentation à une contre-argumentation, donc d’une recomposition constante
du discours s’adaptant aux aléas de la conjoncture à partir du 25 août, puis
confirmée le 26 août devant le Parlement de Paris et enfin le 27 août par une
déclarationroyale.Lapolitiquemonarchiquedéstabiliséeparl’attentatdelaruedes
Poulies,le22août,auraitd’abordcherchéànepasselaisserdéborderparlanature
instableetmenaçantedeladurée,maisauraittoujoursœuvréàseréaccommoderà
elleà l’image d’un cosmosparcouru par un soufflevital dont il faut maintenirles
effetspositifssurunroyaumeenconstantdangerdebasculerdansledissensus.Il
s’agit«d’attireruneintelligencesidérale»,une«matièrecéleste»pleined’«énergie
vivifiante»etsurtoutd’éviterquecette«intelligence»neseperdeparcequ’iln’en
résulteraitqu’unchaosgénéraliséetuneinhumanitéeffroyable.
Luisa Capodieci a mis en évidence l’obsession de Catherine de Médicis pour les
« thèmes de l’imitation du ciel et de la captation théurgique du flux divin30 » et
aussisa volonté en tant que nouvelle Junon d’assumer le devoir de protectiondu
royaumeetdecultiverlavertudeprudencereprésentéeparlesymboleduserpent
rappelantl’Horapollonetsadéfinitiondutempsdanslequel«leprinciperejointla
fin et le mouvemente » et « apporte les choses et les enlève31 ». Un serpent
ouroboros, ailé et tenant sa queue dans sa bouche. Et le temps de recharge d’une
politiquedel’énigme?
Il faut ici se référer à l’une des devises qui composent Les Regrets et deuil de
CatherinedeMédicissurlamortdeHenriII,deHermannTaffinsieurdeTorsay:Fato
prudentiamaiorestassociéen 1559àune image:le squelettedelareine mèreest
étendu, mais en signe d’éternité s’élèvent au-dessus d’elle deux serpents enlacés
remémorantune vie qui aété conduite dansl’exercice d’une prudence attentiveà
l’ordreducosmos32 .Prudenceetéternitésontalorssynonymespuisquetoutcequi
aétéinitiéparlacréaturehumaineaviséunefinquiétaituncommencementeta
donc été une projection de la vie éternelle du monde 33. En réalité, c’est
précocement que Catherine de Médicis se fait attribuer une devise codifiant ce
qu’ellesedoitd’êtreetqu’elleenconfiel’ornementationàGabrieleSymeonidontLe
ImpreseHeroicheetMoralisontenfinpubliéesàLyonparGuillaumeRovilleen1559
quandelleentamesonveuvage:ils’agitdelareprésentationd’uneétoileaucentre
d’un«serpentcouronnéquisemordlaqueueaveccesmots:FATOPRUDENTIA
MAJOR»etestsurmontéd’unecouronne.Cequisignifietoutd’abordquelareine
est placée sous une influence astrale favorable dans la mesure où elle est née des
illustres duc d’Urbino et de madame de Boulogne, nièce du grand pape
ClémentVII,épousedu«sigenereuxetinvaincuroiHenriII»et«mèred’aussi
beaux et royaux enfants ». Mais surtout elle est, grâce à sa modestie
« incomparable », sa patience « extreme » et son « honnêteté sans faille, la plus
aimée et honorée de toutes les reines de France ». C’est-à-dire que Catherine de
Médicis est montrée, par sa devise, la juste héritière de la maison des Médicis et
d’une pratique de la vertu de prudence synonyme d’éternité. La prudence est une
vertu de médiation entre deux postures rhétoriques extrêmes qui s’opposent à la
folie,ensortequ’il«fautsavoirtantôtfrapper(pugnere),tantôtlécher(leccare)34».
Danslanuitdu23au 24août,neseserait-ilpasagi dedonnertemporairement
maisdécisivementledessusau«pugnere»?
Entoutcas,àLondresoùlanouvelleseraitarrivéeles28-30août,lasituationest
difficilepourBertranddeSalignac,d’autantqu’unecertaineconfusionrègnesurce
quis’estpasséàParis:l’amitiépourlaFrances’estconvertiesoudainementenune
«extrêmeindignation,etunemerveilleusehaynecontrelesFrançoys,reprochans,
touthault,la foyrompue, avecgrande exécrationde l’excèsetavec tantde sortes
d’outrages ». Ceux qui veulent affirmer le contraire sont mis en difficulté, et la
fureuretl’exagérationsontcommunes,lePapeetPhilippeIIétantaccusésd’avoir
rallumélefeudelaguerreciviledansleroyaume.Ilfauttroisjoursd’attenteavant
quelediplomatefrançaisobtienneenfinuneentrevueàOxfordavecÉlisabeth,qui
luiprésenteunvisage«tristeetsévère».Salignacconfie,danssalettreendatedu
14septembre,avoirarguéquelaquestionaétécelledelavieduroi,desamèreet
desesfrèresd’uncôté,etdel’autred’uninévitablerecommencementdestroubles,
piresqueparlepassé.Leroiaétécontraint,àson«plusquemorteldeplaysir»,à
laisserexécutersur l’Amiral etles siens« cequ’ils preparoient». Ila réagi contre
l’«ingratitude»etla«perverseintentiondeshuguenots».L’argumentdeSalignac
est que le roi a accepté de se laisser couper un bras, « pour saulver le reste du
corps35 ». Élisabeth déclare que ce motif de la conspiration huguenote ne
correspondpasàcequeFrancisWalsinghamluiarapporté.Ellesaitenplusquele
roiafaitapprouversadécisionparleparlement.Salignacrevientàl’offensive,en
suppliantÉlisabethdeprendreencomptequeleroiauraitvouluprocéderparvoie
dejustice,maisquecelaluiétaitimpossible:«etqu’àdeuxdangersquiestoientsi
pressantz,quel’irrésolutiond’uneheure»signifiaitlaruinedelavieduroietdes
siens,etl’entièredésolationdesonroyaume.Élisabethdemandeavecinsistanceque
l’éditsoitmaintenupourceuxdesprotestantsquisontencoreenvie.
Lepremiertempsestceluidela«querelleparticulière»etdumaintiendel’éditde
Saint-Germain.Deuxièmetemps:le26août,Guiseestditavoiragisousl’autorité
du roi, et cette déclaration est inscrite dans les registres du parlement tandis que
l’interdiction de tuer et piller est publiée à tous les carrefours. Troisième temps :
uneversionmoyenne,le27août,parlaquelleleroiaffirmeavoirpeurqu’«aucuns,
se couvrant de ce pretexte, ne veulent executer leur vengeance » et, en
conséquence,exigequetoutsoitfaitdansleroyaumepourqu’«ydemeureenrepos
etseuretésansprendrelesarmesnis’offenserl’unl’aultre,souspeinedelavie»;
complémentairement, le 28 août, une autre déclaration royale est publiée qui
promet toute liberté aux protestants et, pour entraver tout processus de crise,
interdit toutes assemblées sur peine de la vie, ordonnant également de relâcher
ceux qui se trouveraient encore emprisonnés, sauf s’ils pouvaient être identifiés
comme complices de la conspiration récente. Quatrième temps, le 30 août, les
ordres verbaux et écrits donnés précédemment sont révoqués ; ce qui signifie un
basculement dans une rhétorique de protection des huguenots survivants :
«Quelquecommandementquenousayonspufaireàceuxquenousavonsenvoyés,
lorsquenousavionsjustecausedecraindrequelquesinistreévénement,nousavons
révoqué et révoquons tout cela, ne voulant pas que par vous ou autres, en soit
aucunechoseexécutée36.»
Mais tout le problème est qu’un temps peut cohabiter avec un autre, puisque le
lendemain 31 août, ce qui vaut pour le royaume de France ne vaut pas pour les
Flandres, ainsi que le précise une lettre de Charles IX à son représentant à
Bruxelles,ClaudedeMondoucet.Cettelettreconcernel’attitudeduducd’Albeface
auxsujetsrebellesduroideFrancetoujoursinstallésdansMonsetl’exigencequ’ils
soient punis : si le duc ne procède pas avec la rigueur qui s’impose, l’envoyé de
CharlesIXdoitcertifierauducd’AlbequeleroideFranceauraunmotifgravede
seplaindredelui.Ildoitseulementexécuterleshuguenotsquisontprisonnierset
tuer ceux qui sont encore dans Mons : « Vous luy direz que c’est ce qu’il doibt
faire ». À l’ambassadeur du duc de Toscane, Catherine de Médicis parle un autre
langage tout en ajoutant ne l’avoir avoué à personne explicitement : « Il valait
mieuxque celatombât sureux quesur nous» ; àAlphonse Delbène,l’envoyé du
duc de Savoie, elle concède que « ce qui a été fait était plus que nécessaire »,
ajoutantqueleducnedoitpasavoiréprouvéderegretsfaceàlamortdel’Amiral,
parcequecedernier«nel’aimoitguerre».
Une missivedu roi à Arnaud du Ferrier, son ambassadeurà Venise, articule un
argumentaire,rédigéàchaudaulendemaindel’attentatetconfirmantquel’Amiral
a été blessé, qu’il en est maintenant triste et qu’il espère qu’il n’y aura pas de
conséquencesfâcheusesàcetincident.CharlesIXajoutetoutefoisunpost-scriptum
dans lequel il soutient avoir retardé l’envoi de sa lettre « pour parler plus
certainement et à la vérité, comme les choses succederoient de cette émotion
dernièrementadvenueencetteville».C’est-à-direqu’ilveutmaintenantévoquerle
massacredu24aoûtet«direcequienest»commeill’afait«entendrepartousles
gouvernementsetprovinces»desonroyaume:ilyaeucomplotdeColignyetdes
siens,quiontconspirécontrelui,contresesfrères,samère,lesprincesetleroide
Navarre.CharlesIXinsistesurunpoint:cen’estpasàl’improvistequ’ila donné
ordre de tuer les conjurés : c’est au contraire « après avoir bien et diligemment
esclaircylavéritéetprissurcebonadvisetconseil»qu’illesafaitstous«tailleren
pièces » pour prévenir l’exécution du complot37 . Cela s’est fait par « son exprès
commandement38».
La violence a été donc préventive de la part d’une monarchie qui se savait en
instanced’êtreagressée.Maistoujoursetencore,cequeditleroiviseàmettreen
valeur non pas les faits, mais sa vertu de prudence qui le conduit à édicter une
vulgatedel’histoiredumassacreayantpourfinrétrospectived’exalterlajusticede
sonpouvoir.
On comprend alors le point de vue de l’ambassadeur Marino Cavalli, présent à
Paris, « L’on commit tant d’erreurs, l’on prit tant de décisions contraires qu’il fut
faciledereconnaîtrequecetteexécutionavaitétérésolueàl’improvisteetnonpas
préparéedelonguemain,commejel’aitoujourscru.»
L’«aspreté»deCharlesIXetlerevenirdel’énigme
Essayonsdecomprendrecommentleroietdoncsamère,etGuiseetsessoutiens,
auraientpus’accorderpourfairedeParisunespacevouéàdesexécutionscapitales.
Pour user d’un terme moderne, il faudrait entrevoir l’existence d’un « deal », un
« contrat» entre Charles IX et sa mère d’une part, et le clan lorrain d’autrepart.
C’estd’ailleurslaversiondesfaits,endatedu31août,queGianGaleazzoFregoso
estchargéd’apporterdelapartduroideFranceàGuillaumed’Orange.Àl’origine
dumassacresetrouveunedéclaration,issuedesmilieuxprotestants,qu’ilyaurait
prised’armessijusticedelablessuredel’amiraldeColignyn’étaitpasrenduedans
lesdeuxjours;d’oùl’existenced’unimmense«danger»pourlaroyauté.SaMajesté
aalorsété«contraintedelâcherlamainàmessieursdelamaisondeGuisequi,le
vingt-quatrièmede ce mois d’août, avec quelque petit nombre de soldats, ont tué
leditamiraletquelquesautresgentilshommesdesafaction».D’autrepart,dansune
lettre adressée à Nicolas de Neuville, sieur de Villeroy, et transcrite par Mark
Greengrass,treizeannées plustard,en novembre1585, HenriIIIdévoile quelque
peule secret de la Saint-Barthélemy.Il se trouve alors lui-même confrontéà une
crise politique catastrophique, le pouvoir monarchique étant pris dans l’étau des
factionsligueuses,huguenotesetpolitiques.LeLanguedoc,tenuparlemaréchalde
Damville,«letraistreseigneur»,menaced’êtreperdu.HenriIIIaffirmeàVilleroy
qu’ilaprisladécisionderéagirenenvoyantdestroupesauplusviteetqu’ilsaitque
l’ondiraqu’ilest«violant».Mais,etc’esticiquelesmotssontlourdsdesouvenir,
cetteviolence«estchosenaturelle».EtlefrèredeCharlesIXdeconfierqu’iln’a
pas été pas lui-même assez violent et que les choses se seraient peut-être mieux
passéess’ilavaitadoptélamêmelignedeconduitequesonfrèreen1572:«Etsije
m’enfeussemyeulxtrouvésij’eussesuivyl’aspretédufeuroymonfrèredevantsa
mort39.» Le motâpreté dit beaucoupde ce qu’apu ressentir CharlesIX dans ces
instantscruciauxdurantlesquelsl’histoirepouvaitparaîtredevoirbasculer…
Pour ce qui est du 24 août 1572, il y aurait eu un « contrat », dont les clauses
seraientimmédiatementtombéesendésuétudeenraisondel’indisciplineimprévue
delasoldatesqueabandonnéeàelle-mêmeetdel’irruptionspontanéeetinattendue,
aumatin, d’unesecondeSaint-Barthélemy quiest celledu «peuple ».Le pouvoir
royal, pour ne pas se mettre en marge de l’enthousiasme massacreur du peuple
catholiqueet pour ne pas se placer en situation de rupture par rapport à l’œuvre
sacraledepurificationquisedéroulait,auraitétélogiquementcontraintàassumer
cequi,àl’origine,nedevaitêtresupportéqueparGuiseetlessienssoucieuxautant
d’accomplirleurvendettaquedeporteruncoupdécisifauprotestantisme.Et,dans
larelationqu’emporteavecluilesieurdelaMothe-Fénélon,lemytheducomplot
huguenotauraitpermisdedonnerunelogiqueàcetartderattraperl’histoire:
S’étantl’émotiongrandementaccrueparmilepeuple,pourêtrejàimbudelasusditeconspiration,etbien
fortirritéd’avoirvuSaditeMajesté,contrainteaveclaReine,samère,messeigneurssesfrères,etleditRoi
deNavarre,deseresserrerdedanssonchâteauduLouvreavecleursgardes,etdetenirleursportesfermées,
pour s’assurer contre la force et violence que l’on leur voulait faire ; et pour laquelle exécuter aucuns
gentilshommesde lafaction dudict Admiral,Pilleset Mouny40 ,ses principauxfactieux, avoientpassé la
nuictdedansledictchasteau,cachésendeschambrespourayderàceulxquidebvoientvenirdudehorsen
plusgrandnombreetforcerlesportesdudictchasteauetexécuterleurentreprinse:cequifutdescouvert
degrandmatin,etlesdictsgentilshommesdéchassésdudictchasteau41 .
Le prétexte du complot huguenot intervint comme la justification de la mise à
mort,d’autantqu’ilyauraitlàlavéritablecausede«lasédition»collectiveetdesa
puissance d’agression, écrit Charles IX à son représentant auprès de la reine
d’Angleterre : tout en regrettant que l’« émotion » advenue la veille, « dès le
matin », ne soit pas encore apaisée, le roi avance que c’est parce que « l’on a
commencéàdescouvrirlaconspirationqueceuxdelareligionprétandueréformée
avoientfaictecontremoymesmes».C’estdèsle25,celaaétédit,quelethèmedela
conjurationhuguenotetendàsesubstitueràcelui,originel,delavengeanceprivée
guisarde. C’est que le « contrat » n’a désormais plus de sens tant la force qui
parcourt Paris a eu d’effets destructeurs. Guise a sans doute la conscience d’avoir
accomplilerôlequilui avaitétéimpartien échangedesaprise deresponsabilité.
Maisl’histoireadépasséetsubverti,danssadynamiqueimprévue,lepartageinitial
des rôles et des attitudes, elle l’a rendu absurde pour le duc comme pour le roi.
Selon les Mémoires de l’estat de France en effet, il aurait été décidé que, dès le jour
mêmedel’exécution del’Amiral etdescapitaines réformés,leduc deGuise etles
siensquitteraientParis;leurrepliauraiteupourfindedonnerl’illusion«àtoutela
Franceetauxrégionsvoisinesquec’estoyentceuxdeGuisequiavoyentfaitletout,
sanslesceuduRoy,pourvengersurl’amiraletautreshuguenotslamortduvieux
ducdeGuise,quePoltrotavaittuéauxpremierstroublesdeFrance».
Grâce à cette mise en scène programmée, la monarchie aurait pu se proclamer
pureetinnocenteducrimequ’elleauraitpourtantmanipulé.Elleauraitpuespérer
avoir gagné sur tous les tableaux ; le mariage royal ayant eu lieu, Coligny et ses
lieutenants ayant disparu, les Guise satisfaits mais repoussés loin de la cour, les
huguenots n’auraient eu aucune justification pour rompre la paix civile. Malgré
l’effet déstabilisateur de l’attentat du 22 août, le Triomphe du printemps aurait pu
demeurerd’actualité;etlapolitiquedel’Âged’orauraitpeut-êtrepusecontinuer,
d’autantquelafactionréforméeauraitétéconsidérablementaffaiblie.
Dans cette machination qui reposait sur des simulacres en chaîne, la violence
n’aurait pas empêché la magie de la concorde de poursuivre son action rêvée par
Charles IX et sa mère, du moins tous deux ont-ils peut-être pu le croire dans les
instantsdifficiles d’un choixqui aurait été celuid’une mise à mort préventive.La
stratégie de l’énigme en prophétie aurait retrouvé sa pertinence. Si les choses
s’étaientdérouléesainsi,lediscourspolitiquenerompaitpasaveclesengagements
du passé tout en laissant l’avenir ouvert à une perpétuation de l’œuvre d’Amour
néoplatonicienne voulue par Catherine de Médicis. Il concrétisait le « savio
consiglio42 »parlequellareinemèrea«longuementgouverné,prévoyantleschoses
futureset pourvoyant aux affaires présentes du mieux qu’elle a pu ». Et, de toute
manière, le « repos » du royaume serait resté d’actualité, car « poco a poco se yria
remediandotodo43 ».
MaislafuiteducomteGabrieldeMontgomery,arrivédansParisdèsle7juillet,
auraittoutdéréglé.Unengagementestunengagement.LesGuiseauraientchoisi
delepoursuivre,luietsescompagnonsd’armes,pourpouvoirmeneràbienleplan
dedécapitationdelaforcemilitairehuguenoteetaussipourexclurelasurvied’un
homme qui aurait pu diffuser une autre vérité que celle qui devait se trouver
enfouie dans le prétexte de la « vengeance particulière ». De plus, le meurtrier
accidenteld’HenriIIentretenaitdepuislongtempsdesrelationsétroitesaveclacour
d’Angleterre.Montgomerydevaitmourir,parcequeCatherinedeMédicisvoulait
absolumentpoursuivrelesnégociationsdemariageentrelareineÉlisabethetleduc
Françoisd’Alençon.Àleurretourenville,lespoursuivantsauraientétésaisispar
l’ampleurquasisismiquedumassacre,quin’avaitplusrienàvoiravecl’opérationde
policeque,laveille,ilsauraientmontéepourleroi:
Voyans l’atrocité du fait avenu et considérans qu’ils attiroyent sur eux et leur postérité l’ire de tous les
hommes à qui l’humaine société est chère, et par conséquent se mettoyent en butte à laquelle chascun
viseroit, comme sur les seuls autheurs et coulpables ; prévoyans, di-je, le mal qui leur pourroit avenir,
estansretournezdansParis,n’envoulurentsortirn’abandonnerlacour,demandansaucontrairequeleRoy
advouastletout44.
Un second « contrat » aurait donc été conclu entre la monarchie et les princes
lorrains:leroiauraitétécontraintd’«advouertoutcequis’estoitpassé».Ilaurait
étéenserrédansunerusedel’histoire,contraintpeut-êtremalgréluidereconnaître
ce qu’il aurait voulu réellement laisser faire sans l’avouer. Un piège se serait
refermé.Leroyaumedel’Amourficinienn’estplus,pourl’instant,àl’ordredujour,
tantlahaineaprisledessus.L’irréparables’estproduit,aveclesmilliersdemorts
quelaSeineaemportés.LepeupledeParisafaitdégénérerl’«exécution»enun
massacredemasse,parcequ’ils’estautopersuadéqu’ilyavaitcommandementroyal
pourquesoitparachevécequiavaitcommencéaveclescapitaineshuguenots.
Ilestévidentque,pourCharlesIX,leseulmoyendefairecessercetempsdemort,
qui ne veut pas s’arrêter, est de s’en déclarer lui-même l’instigateur, l’unique
responsable ayant agi sous l’emprise d’une divine inspiration. Il y avait absolue
urgence à ce que le roi se sacrifie en quelque sorte face à l’histoire, qu’il se livre
pleinement au désir de ceux contre les passions desquels il n’avait cessé avec sa
mère,depuisdesannées,devouertoussesefforts.Lediscourssurlaviolenceroyale
estautantuneprisedepositiontactiquequ’unacted’Amoursedissimulantsousle
voiled’unevolontédeviolence.ReprendrelepouvoirdansParis,c’estdirequele
massacre a été pleinement acte de pouvoir, révélation christique du mystère
monarchique,c’estaccepteretendosserpubliquementlemalentendud’originepour
empêcher que l’horreur ne gagne la province et n’engloutisse tout un peuple
innocent.Malgrétouteslessimulationsettouslessimulacres,lafindelaroyauté,
l’Amour,futlemoyenoccultédelarestaurationdelapaixcivile.
La tuerie devient vers huit heures sans doute un massacre qui s’étend à tout le
protestantisme parisien. Henri de Guise déserte la capitale en se lançant à la
poursuite des gentilshommes logés au faubourg Saint-Germain, qui avaient été
prévenus par un homme ayant traversé la Seine à la nage. Dès les 11 heures du
matin du dimanche 24, probablement parce qu’il sait que les exécutions
programméessont effectives etqu’il y a un haut risquede débordement vers une
grande pulsion massacrante, le roi tente d’arrêter les violences qui se sont
épouvantablement intensifiées en faisant publier un mandement selon lequel la
mort de l’Amiral et de ses lieutenants n’est pas de son initiative, qu’elle a été
programmée sur le motif d’une vengeance particulière qui n’est pas sans évoquer
uneinitiativeguisarde.LeprévôtdesmarchandsestconvoquéauLouvreetreçoit
l’ordre de faire cesser la tuerie, mais sans résultat. Des potences auraient été
dressées à certains carrefours de Paris45. Selon les versions, ce serait soit le duc
d’Anjou,soitleducdeNeversetlechevalierHenrid’Angoulêmequiauraientreçu
lamissiondefairecesserlemassacre,tandisquecertainesrelationslesmontrentau
contraireentraind’encourageretdefédérerdesmassacreursautourd’eux.
Les violences se poursuivent et s’intensifient dans le cours de la matinée du
24 août. En cours de journée, Charles IX « fit faire deffenses à son de trompe
qu’autresque ceux de la garde et les officiers de la ville, ne prinsent les armes ne
prisonnier, sur la vie. Ains que tous à l’avenir fussent mis ez mains de justice, et
qu’ils se retirassent en leurs maisons clauses46 ». La Popelinière estime qu’il
s’agissait,pourCharlesIX,autantd’apaiser«lafureurdupeuple»quedepermettre
auxhuguenotsdequitterParisoudetrouverdesrefugessécurisés.Maisildécritle
problèmeenrecourantàunethéoriedeshumeurs:«Carcommelabesteunefois
eschaufféeneserapaisepourlepremiermoyenqu’onveutteniràl’adoucir:Aussi
un tel peuple composé de si differens humeurs : une fois mis en furie pour telle
occasionmesmemantquedessus,nesepeuvoitsitostreconoistre.Ainssialterédu
sang Huguenot ne cerchoit que les moyens de donner une autre pinsade aux
rechapez de la première chaleur. » La violence du « peuple » se recharge d’elle-
même, même en présence du « miracle christique » qui advint, vers 7-8 heures,
dans le cœur vivant de la capitale, le cimetière des Saints-Innocents : le
refleurissement,àcontre-saison,d’uneaubépinedesséchéedepuistroisans,surles
feuillesdesquellesauraientenoutreperlédesgouttesdesang.Ausondescloches,
les fidèles seraient accourus en grand nombre pour prier et demander au Dieu
vivantsamiséricorde.LaPopelinièreajoutequelerefleurissementdel’aubépine47
eut pour effet « d’eschauffer le peuple d’avantage » et donc explique pourquoi le
« peuple » se porta au logis de l’Amiral dont il s’empara du cadavre, le déchirant
avantdeledécapiteretémasculer.
Partout, selon Giovanni Michiel, « une furie qui dépasse l’imagination48 ». Et
l’affirmationcourtque«leroiayantordonnéaupeupledetueretdepiller,cequi
fut fait avec un déploiement extrême de rage et de fureur 49 ». Entre chansons et
poésies, la volonté de conserver la mémoire de l’événement qui remplissait Paris
d’unefélicitéchristiquesemanifestaabondammentetstimulale«peuplemutiné»
àrepartirdanslaviolencecontreleshuguenots.Uninstantsacré:
« Aucuns malades languissans, ayans ouy ce miracle, se firent porter audit cymetière pour veoir ladite
espine;lesquelz,estanslàavecfermefoy,firentleurprièreàDieuenl’honneurdenostredamelaVierge
Marieetdevantsonymagequiestenladittechapelle,pourrecouvrerleursanté,etaprèsleuroraisonfaicte
s’enretournèrentenleursmaisonssainsetguérisdeleurmaladie,chosetrèsvéritableetbienapprouvée.Il
semblaqueDieu,parcemiracle,approuvasteteustpouragréablelaséditioncatholicqueetlamortdeson
grandennemil’admiraletdessiensquiavoienttantetsiaudacieusementdepuis12ans,deschirésarobbe
sanscouturequi estsavraye Égliseetson espouse,etconculqué etgastéles sainctzsacrementsd’icelle…
Après les quinze ou vingt jours passez, laditte espine s’en retourna à son premier estat de seicheresse et
d’aridité».
Danslasoiréedudimancheettoutaulongdelajournéedulendemain25août,
Charles IX et sa mère adressent aux gouverneurs de province des lettres dans
lesquellesils dénienttoute responsabilité dansce qui est arrivédans la capitale et
dans cette violence qu’ils sont impuissants à arrêter. Probablement entre 400 et
600maisonsontétéattaquéesetpillées,etlemassacres’estétenduàtoutelaville,
ainsiqu’aux faubourgs. Le roi et sa mère, cherchant probablement à devancer un
parasitagedeleurautoritépardeszéléscatholiquesquiprésentaitlatueriecomme
un devoir de tous les bons sujets du roi, demandent que tout soit fait dans les
gouvernementsduroyaumepourquelaviedeshuguenotssoitpréservéeetqueles
clauses de l’édit de pacification de 1570 continuent à être appliquées. L’instant
capital a toutefois lieu au cours de la journée du mardi 26, alors que Paris est
toujoursensédition etque rienne semblemettrefin aumassacre :le roise rend
solennellementauParlement,et,aucoursd’unLitdejusticeoud’uneséanceroyale,
il change complètement son argumentation puisqu’il déclare que tout ce qui s’est
passél’aétédesavolonté:c’estlui-même,proclame-t-il,quiaprisladécisionde
faire exécuter les huguenots et leur chefs parce qu’ils complotaient contre lui, sa
familleetl’État.
Onpeutsedemander,àcemomentdudéveloppementhistorique,siCharlesIX,
enprenantenchargelaviolencecollective,nerejoignaitpassimplementlarumeur
mêmedelacapitalequimassacraitdepuisledébutaunomdesavolontéetdecelle
d’unDieuexigeantuneobéissanceabsoluedesesfidèlesUn.Ilordonne,d’unepart,
lafindesviolences50 ,quinecesserontquequelquesjoursplustard,le29aoûtsans
doute,maissepoursuivrontponctuellement,leplussouventàlafaveurdelanuit,
jusque vers le 15 septembre : et, d’autre part, il réitère son mandement de
reconduction de son édit de paix du 8 août 1570, paradoxe sur lequel on n’a pas
assezréfléchi.EnsortantdelachambredoréeduPalais,leroi,sesfrères,samèreet
lesPrincesdusangvontassisteràlamessedanslaSainte-Chapelle.
Deux jours plus tard, le roi envoie aux gouverneurs de province des lettres qui
reprennentlecontenudesondiscoursdevantsacourdeParlement–que«seulil
estoitl’auteurdetoutcequiestoitadvenu».Ildédoublecetenvoid’unedéclaration
destinéeàempêcherquedesbruitsmalfondésn’altèrentlavérité:l’«exécution»a
eupourfindeprévenirune conspirationdel’Amiraletdescapitainesprotestants
contresapersonne,sonÉtat,lareine,lareinemère,sesfrères,leroideNavarre,les
princeset seigneurs de sa cour. Les réformés doivent savoir que le pouvoir royal
souhaiteetveutqu’ilsviventdans leursmaisons,avecfemmes,enfantset famille,
entoutesûreté,etils’engageàleurdonnersaprotection,ordonnantquelapeine
de mort soit appliquée à ceux qui iraient contre sa volonté en participant à la
poursuitedesviolencesquisesontdérouléesetcontinuentàsedérouler.Tousceux
quiontétéincarcérésdoiventêtreremisenliberté.L’exerciceduculteréforméest
suspendu partout, sous le prétexte de ne pas donner d’occasions aux zélés
catholiquesderéitérerleursviolences.Parallèlement,pourtenterde«donnerdes
gagesdebonnevolontéauxcatholiqueslesplusdurs»,selonSylvieDaubresse,le
28 août, l’avocat général Guy du Faur de Pibrac présente devant la chambre des
Tournelles des lettres de rémission concernant « plusieurs pauvres gens qui ont
estébannyzpourlefaictdelacroixdeGastine51 ».
Cequidonneraitàpenserquelepouvoirroyalauraitétéconscientque,sousles
violencesquiperdurentàmoindreintensitédésormaisdansParis,rythméesparle
cride«ViveDieuetleRoi»,ilpourraityavoiruncontentieuxquicouvedepuisla
publication de la paix de Saint-Germain. C’est pourquoi le procès des deux
protestants, Arnaud de Cavaignes et François de Beauvais, sieur de Briquemault,
débute alors et vient comme officialiser l’implication de la justice du roi dans les
nocesdesangetl’intégrerdanslesviolencescollectivespourmieuxluirestituerle
contrôle de la situation. C’est-à-dire que la Cour souveraine, par souci d’ordre et
aussi parce qu’elle aurait été ciblée par certains séditieux depuis l’émotion de la
CroixdeGastine,accorde«sonappuiauroi»etàsonentreprisedefabricationde
lathèseducomplotetd’affirmationdelanécessitéduretouràlapaixcivile52 .Le
30août,c’estunMémoireetinstruction…quipréciseencorecequeleroiadécidé,et,
le18septembre,CharlesIXprocèdeàunedernièremiseaupointparlapublication
d’unédit.
Ilresteàmettreenvaleurcequiauraitétécentraldanslesystèmedujeupolitique
de Catherine de Médicis et, sans doute, de son fils Charles IX, à savoir la
«nécessité»,sanslaquelleriennesecomprendrait.Larevendicationd’unemaîtrise
du langage, pouvant aller jusqu’à la construction d’une énigme, comme tekhnè
élémentaire du pouvoir, s’articulerait à l’aptitude du pouvoir à manier la
« nécessité ». La reine mère s’attache, dans ce cadre, à souligner qu’il y a une
«superficiedesaffaires 53».C’est-à-direqu’elledonneàentendrequ’ilya,dansla
conduite de l’État, comme un domaine dérobé, invisible aux esprits communs et
construitsurlapossessiondela«vérité»,surunsavoirdesfaitsetdeshommesqui
estinaccessibleau plusgrandnombre.Ilyaunesphèredelamaîtrisedu langage
dont seule la monarchie détient le sens. Ronsard, dans l’Institution qu’il versifie,
détailleralesconditionsd’accessionduPrinceàcettemaîtrisequiletransformeen
un roi-philosophe à la manière platonicienne54. L’autorité est souveraine, parce
qu’elleestlesavoirdecequiestcachéaucommundesmortelsetquelesouverain
détientgrâce à une vertu unique quilui est donnée par Dieu. Pour répondre aux
exigences du service de Dieu, elle doit être en mesure d’accéder au secret des
mystèresdel’univers,aulangagedelaCréationmême.C’estdanscetteoptiqueque
lareinemèrejustifieparexemplel’éditdejanvieretsapolitiquedeconcorde.Sielle
s’estrésolueàentérinerl’idéed’unelibertédecultedonnéeauxreligionnaires,c’est
envertudecequ’ellenommela«nécessitédestemps».
Le monde a changé, et il n’est plus possible de gouverner comme avant. Il faut
plierdevantlechangement,avanttoutpouréviterl’explosiondelaviolence,mais,
en pliant ainsi devant le temps, le pouvoir monarchique n’abdique pas de son
autorité. Au contraire, il se replace au centre des enjeux, comme instance
médiatrice divinement initiée aux secrets du devenir, car la cohabitation des
religionsdoitpermettreauxhommesd’attendrelepardondivinpourlesfautesqui
leur ont valu le châtiment de la division religieuse. Et c’est là où surgit l’idée de
«nécessité»aucœurdudispositifintellectueldelamonarchieetdelapenséed’une
reinemèreaffirmantqu’«ilvalaitmieuxquecelatombâtsureuxquesurnous».
La«nécessité»faceàla«malicedutemps»
QuandlareinemèresollicitemonsieurdeRennes,BernardinBochetel,afinqu’il
justifieauprèsdel’empereurl’inflexionqu’opèrel’éditdejanvier1562,elleélabore
sonargumentationendeuxpoints:d’abordellen’agitquepourlaconservationde
«nostre»religion,etlapolitiquequ’ellemènen’estpas«entièrement»cellequ’elle
voudraitmener.Ensuite,ilfautl’excuser,carelleagitsouslacontrainte,ellefaitce
qu’elle peut dans des circonstances qui exigent d’elle l’accommodation ; elle doit
s’adapter parce qu’il ne peut en être autrement : « J’ay tant de choses qui s’y
opposent.»Savolonté,peut-ondire,estunevolontéquiseditcontrainteetsemble
accepter de l’être, de manière « positive », puisque cette contrainte doit éviter la
guerre. C’est « la malice du temps et necessité de l’affaire55 » qui ont pesé
lourdementsursadécisiondepublierl’éditquiconcèdeauxhuguenotslalibertéde
culteetquidressecontrelepouvoirroyalunepartiedelapopulationparisienne.Et
une autre manière de dire ce suivi des contingences, qui révulse ceux qui n’ont
accèsqu’àla«superficie desaffaires»,estd’invoquer «letempstel qu’ilayst56 »,
une réalité d’aujourd’hui qui n’est pas la réalité d’hier et face à laquelle l’unique
recoursestdeprocéderparajustement,de paraîtrechangersoi-mêmecequel’on
pense et ce que l’on veut sans cesser de se situer toujours dans le registre de la
vertu 57.
La«necessité»,CatherinedeMédicisenparleaussiàdonFrancésdeAlava,dès
sonarrivéeàlacour,enfévrier1564.CederniervientenFrancepourremplacer
ThomasPerrenot,comtedeChantonnay,àquilareinenepardonnepassavolonté,
qu’ellejugeintransigeanteet«malévolente»,delacalomnierauprèsdePhilippeII.
Le nouvel ambassadeur a reçu des instructions : il doit essayer de sonder les
véritables intentions de la régente, et, si elle ne se découvre pas, il devra aller
jusqu’à lui faire peur. Sur le soir, après un échange rituel de propos bien étudiés,
CatherinedeMédicisentraînedansunepromenadel’ambassadeurquiluifaitpart
desinquiétudesdePhilippeII,desonangoisse,pourcequiestdelareligion,quela
temporisationetladissimulationnefassentallerleschosesdemalenpisenFrance.
Laréponsedesoninterlocutriceestque«leschosesdelareligionestoiententels
termesqu’ilnes’ypouvoitfairenymieux,nypis».Elleévoquedoncsapolitiquede
paix comme une sorte de point d’équilibre minimal, de neutralisation, voire de
suspensiondel’histoire.Etlaraisonqu’elleendonne,précisément,estlacontrainte
delanécessité:nécessitédelaconservationduroyaumequirendcomptedel’édit
d’Amboise de mars 1563, qui a mis fin à la guerre civile. Mais nécessité qui s’est
transmuéeenuneutilité,laquelle,désormais,lerendinviolable,parceque,grâceà
la paix qui est ainsi assurée, « partye du royaume avoit esté saulvé et par là il le
falloit conserver ; d’aultre part que demeurant le royaume, la religion seroit
conservée, et le ruynant, l’on n’auroit quie faire se soucyer de religion58 ». La
nécessité, en conséquence, cesse d’être seulement une contrainte simultanément
subieetacceptéeparlegouvernant,quandelleserévèleprofitable;etcequeveut
direCatherinedeMédicisestqu’elleaétépositivepourlareligioncatholique.Qu’il
y a comme une sorte d’ironie, un développement ludique de l’histoire. Et
désormais, écrit-elle quelques jours plus tard à monsieur de Rennes, il faut faire
savoir que cette nécessité de la paix a pour cause l’épreuve pratique même de la
guerrequivientdeseterminer,lepeude«proffict»quienaété«experimenté».
Une lettre du 31 janvier 1561, également adressée à Sébastien de L’Aubespine,
seraitàinterprétercommeuneexpressiondelaconsciencepolitiquedeCatherine
deMédicis.Cetteconscience,engestationaufildesévénements,opèredoncdans
la«doulceur».LareinemèrecommenceparévoquerlaclôturedesÉtatsd’Orléans,
puiselleexposelesgrandeslignesdelapolitiquequ’elleafaitesienne,reprenantà
soncompted’ailleursouaccommodantlibrementlesargumentsquiavaientététout
récemmentdéveloppésparlechancelierdel’Hospital.Pourcequiestdelareligion,
les exemples récents ont prouvé qu’un unique remède n’était pas apte à guérir le
maldontsouffreleroyaume.Selonles«nouveauxaccidens»,ilfautchanger,écrit-
elle, de médicament jusqu’à ce que soit découvert celui qui pourra donner la
guérison.Lapolitiquedoitdoncêtreplastique,mouvante,hybride.Depuisvingtou
trenteans,c’est parlacautérisationque l’ona cruentraverla contagiondes idées
nouvelles,maislaviolenceduremèdeaétéinopérante:lespeinesrépressivesn’ont
eu pour effet que de confirmer dans l’opinion nouvelle « une infinité de pauvre
peuple ». La mort des adeptes des nouvelles opinions – et il y a là comme une
paraphrase ou un écho de la parole irénique de Michel de L’Hospital –, loin de
détourner l’attention des hommes et des femmes du royaume, n’a fait que les
fortifier dans la foi calviniste. Les choses en sont venues à un point tel que le
royaume n’a plus été qu’une grande sédition, heureusement apaisée pour l’instant
parla grâcedeDieu. Siun nouveau remède aété testéaprès celui dela violence,
cela a été, selon la reine, sur l’avis de tous les princes du sang, et des princes et
seigneurs du conseil du roi. Il fallait faire d’autant plus attention que Charles IX
étaitmineuretsurtoutquelescendresdufeudelaséditionvenaientdes’éteindre,
qu’ellesétaientencore chaudeset que lamoindre étincellepouvait lesranimer en
unplusgrandflamboiementquejamaisiln’avaitété.
C’est donc par « esgard à la saison » qu’il a fallu changer de cap. Catherine de
MédicissorticidelalogiquedudiscoursdeMicheldeL’Hospitalpours’aventurer
dansd’autresperspectivesqueleseulalignementsurlamétaphored’unemédecine
alternative. Il a fallu entrer dans un autre champ de la rationalité politique, celui
danslequelonnepénètreque«quelquesfoys»,souslacontraintedesévénements,
etoùonestcommeforcéde«dissimulerbeaucoupdechosesqueenaultretemps
l’on n’endureroyt pas ». Catherine de Médicis définit empiriquement, ici, la
politiquecommeunapprentissagedeladifférence,commeuntravailsurunmonde
qui change, un travail sur la « malice des temps », une aptitude à toujours se
repenseren fonctiondu présent et deses potentialités,et donc à nepas hésiterà
entrer dans la contradiction par rapport à ce qui, précédemment, a été voulu ou
accompli.
Leremèdenouveauestunremèded’exception,quin’aétéadoptéquedemanière
transitoireet qui a exigé que soit désormaissuivie « la voye de doulceur ». Cette
voie,précisément,acecidespécifiquequ’elleestbaliséepardestentativesdeprises
de parole : « honnestes remonstrances, exhortations et prédications » destinées à
ramener ceux qui errent dans la foi59. C’est la volonté de « doulceur » qui
revendiqueicid’êtrel’impératifd’unepolitiquequiconfèreànouveauleprimatàla
parole. Le 31 mars 1561, cette voie devient celle qu’impose « la necessité du
temps60»,unenecessitéqui,le20juin,devientdeplusenplusforte,carelle«nous
presseetcontrainctdefasonquenousnepouvonsfairemoingsquecela 61».
Cependant,dansunsecondtemps,essentielestqu’ilyeutuneautredécouvertede
la«necessité»,toujourssansdoutepenséeempiriquementenfonctiondelaraison
des temps et des hommes. Il est évident qu’après la surprise de Meaux, après
l’incompréhension–feinteouréelle–despremièresheures,CatherinedeMédicis
donneàsavoirqu’elleachangésafaçondevoir;quesespersonnages,dedoubles
outriples,deviennentencoreplusnombreux.C’estàcemomentquelareinemère
laissesoupçonneruncertaindésarroi.Danslanuitdu28au29septembre1567,elle
informe avec brièveté monsieur de Fourquevaux de l’« infâme entreprise » qui
vientd’avoirlieuetdontelleespèrequeDieu«nous»préservera.Elleécritainsi,
dès le 29 septembre, au duc de Savoie, de sa propre main à la fin de la missive
rédigée par le secrétaire Robertet, visiblement dans l’urgence : Dieu « nous » a
donnésonaidepouréchapper«delaplusgrandeméchancetédumonde62».
C’est là où Catherine de Médicis, après cette tentative de concertation, modifie
son attitude, comme si elle jugeait que la fin de non-recevoir donnée à ses
propositions d’amnistie constituait une rupture unilatérale de la situation de
communication qu’elle s’était efforcée de rétablir après la surprise de Meaux.
Comme si l’ordre de l’utopie de la parole était brisé par la volonté de surenchère
huguenoteetparleurprised’armes,etdoncn’étaitplusfiable.Elleditn’entrevoir
aucun moyen pour pacifier les remuements, d’autant qu’elle a reçu l’information
quedesvilles importantescommeNîmes, Orléans,ontété prises.Elleréclame de
l’aideàtouslesgrands,Tavannes,Nevers,etmêmeauducEmmanuelPhilibertde
Savoie.
Il y a, dans cette séquence précise, un moment où, quand des limites ont été
outrepasséesetquandleprocessusdialogiquecessedefonctionner,quandunedes
parties dénie à la reine mère son rôle de modératrice et de dispensatrice d’une
parole de concertation, le pouvoir monarchique accepte la violence comme le
symbole même de son autorité bafouée, comme une revanche et une réplique de
cetteparoled’amitiéqu’ilsouhaitecultiverpourrétablirouentretenirlaconcorde.
C’est Michel de L’Hospital qui, alors, se voit accusé d’être responsable de la crise
présente,àcausedesonattachementàunepolitiquedemodérationrefusanttout
correctif.
NonseulementCatherinedeMédicisassumasansdoutelacritiquevirulentedes
huguenotsàl’égarddesItaliensdesonentouragecommeundéfiàelle-même,mais
elle opta soudain pour un raidissement. Elle fait donc écrire par Charles IX à
BertranddeSimianedeGordes,lieutenantgénéralduroienDauphiné63 ,afinqu’il
empêcheleshuguenotsdefairelemoindreremuementenDauphiné.S’ilconstate
qu’ils s’apprêtent à partir pour se rendre à l’armée huguenote, elle exige qu’il les
fasse tailler en pièces, « sans espargner un seul, car tant plus de morts, moins
d’ennemis64 ». Il s’agit sans doute d’une lettre type comme en reçurent tous les
gouverneurs et lieutenants généraux. Avec Philippe II, elle est plus directe dans
l’expressiondesonindignation:elleparledelaméchancetédeshuguenots,quiont
voulucapturerleurroisansraisonetquiontaccompliune«peuretréyson65 ».Au
ducdeSavoie,elledécritlesévénementscommelamanifestationd’unimpensable,
cedontellen’auraitpaspusedouteretquinetendqu’àlasubversiondel’Étatetà
la mise en danger des vies de ses enfants et d’elle-même. Au duc de Nevers, elle
parlede«mechanseté».Onnepeutqu’êtrefrappéparlefaitqu’elleparaîtneplus
tergiverser, qu’elle est extrêmement virulente dans sa dénonciation des pratiques
dupartihuguenot.Elleneparle plusdepaix,maisde châtiment,semettantcette
fois-cicommeaudiapasondesappelsdelarhétoriquepapisteàuneguerretotale66.
Le10novembre1567,l’arméeroyaleestdéployéedanslaplainedeSaint-Denis.
LeConnétableAnnedeMontmorencyesttuédurantlescombats.Cefutnonpasla
défaitedel’arméeprotestante,maissondécrochementquiconclutlarencontreet,
pour la première fois, Catherine de Médicis laisse percer une attitude différente
face à la guerre. Le lendemain en effet, elle écrit à monsieur de Gordes que, si le
soleil ne s’était pas couché, la victoire aurait été totale67. Après que Charles de
Télignytente,aunomduprincedeCondé,deparlementer,leshuguenotsdélogent
deSaint-Denisle14novembre.
La reine mère se prend alors à rêver d’une seconde bataille qui réglerait le
problèmedupartihuguenot.Decettesecondevictoire,ellefaitpartàPhilippeII,
auducdeNevers,auducdeFerrare.Elles’émerveilled’une«forthonteusefuite».
Et elle dit prier Dieu pour qu’après la violence de l’engagement dramatique qui a
coûté la vie à son « compère » le Connétable, il octroie bientôt « la fin de toust
cesi».EllechargemonsieurdeFourquevauxdefairesavoirauroid’Espagnequele
tempsestproche,«quandnousauronsnettoyélemalquiestennous»etqu’alors
lui-mêmepourra plus aisément se faireobéir dans ses pays où la «vermine » est
actuellement active68. Encore le 3 décembre, elle évoque, pour presser le duc de
Neversderejoindrel’arméeroyaleavecseshommes,unevictoirequiseraitlafinde
« nos maulx69 ». Le vocabulaire de ses lettres témoigne d’une radicalisation. De
mêmequelapaixselégitimaitenvertudutempsquichangel’ordredeshommeset
deschoses,laguerreàoutrancepeutsejustifierparlescirconstancesmodifiées.
Lareinemèreentrevoitdonc,danscetempsoù,parlaforcedeschosesetsurtout
la désobéissance des huguenots, il n’est plus pour elle question de politique de
concorde,quelaviolencepourraitêtrel’outilqui,décisivementetnécessairement,
mettra fin à l’instabilité. Il ne faut donc pas limiter le déchiffrement de la figure
politique de Catherine de Médicis aux pratiques qui ont été isolées durant la
premièreguerrecivile.
Au gré des événements, la reine mère invente une position réactive nouvelle.
Comme on l’a vu, dans les jours qui suivent la surprise de Meaux et surtout la
bataille de Saint-Denis, il est certain qu’elle se laisse séduire par une tentation
radicale qui la porte à imaginer brièvement une destruction, par la force, des
combattants huguenots qui sont pour elle des séditieux, des ennemis parce qu’ils
ontréduitànéantsonœuvreentreprisepourlagloiredeDieuetlafraternitédes
hommes.
Lorsqu’elle apprend la victoire de Jarnac, le 13 mars 1569, c’est un de ces
retournementsdel’histoirequ’elleperçoitetquil’inclineàrepositionnersonpoint
de vue dans le sens d’un durcissement accentué. À la quête recommencée d’une
uniondesprincessouverains,ellesubstituelapolitiquedel’offensiveàoutranceen
laquelleelleavaitdéjàcruen1567.Ilya,alors,unesortedespiraledelanécessité
qui exerce sa force d’attraction. D’ailleurs, la bataille de Jarnac n’est pas qu’une
victoire 70:elleexprimebienl’ambiguïtéoulescontradictionsdelapolitiqueroyale,
s’insinuant toujours dans ce qu’elle nomme la « necessité » et qui renvoie à sa
capacité de s’adapter aux réalités immédiates des rapports de force, de les faire
jouer.LeprincedeCondé,probablementsurordreduducd’Anjou,futexécutépar
le sieur de Montesquiou alors qu’il s’était rendu aux seigneurs d’Argences et de
Saint-Jean.Deuxcapitaineshuguenotsquis’étaientillustréspardesactesréclamant
vengeancesontaussituésdesang-froid:lesieurChâtellier-Portault,quiavaitjadis
assassinésurlePont-Neufunprochedelareinemère,lecapitaineJacquesPrévost,
sieur de Charry, et l’Écossais Robert Stuart, meurtrier du connétable de
Montmorency lors de la bataille de Saint-Denis71 . Il s’agit symboliquement de
fermer une page d’histoire, en décapitant le protestantisme militaire, pour le
réduire à la négociation, voire l’éradiquer. Jean Dorat compose un « Paean ou
hymnedevictoire72 ».IlévoquelefaitqueCondéseseraitfaitsaluercommeroi.
GenevièveDemersonconsidèrequelapolitiqueduprince,depuis1567,auraitfait
basculerunhommemodérécommeDoratdansundiscoursexaltantdésormaisles
piabelladel’arméeroyaleetlacolèredivines’abattantsurdesrebellesquisontdes
coupables 73.Mais lavision de lareine mère estplus sûrementà l’origine decette
volontédedécriresouslestraitsd’uneguerresainteuneguerredirigéecontreles
ennemisduroi.
Ilyalàl’émergenceoul’inventiond’unetechniquepolitiquealternativeàlavoie
traditionnelledelapaixobtenueparlanégociationetdoncparlejeudelaparole.
CatherinedeMédicisselaissemêmeallerjusqu’àdéclareràdonFrancésdeAlava,
débutavril,qu’elleauraitdécidé « lasonaria»,lemassacreausondescloches,des
chefs militaires de la réforme, de fortes récompenses étant promises à qui tuerait
l’Amiral,d’AndelotetlecomtedeLaRochefoucauld74.Quand,quelquesmoisplus
tard,elleestinforméedelamortdeFrançoisd’Andelot,danslanuitdu6mai,elle
nepeuts’empêcherd’écrirequ’elles’enréjouitetqu’elleespère«queDieuferaaux
autres à la fin recevoir le traitement qu’ils méritent75 ». Comme si la peste avait
poursuivi le travail accompli par le sieur de Montesquiou. Une tempête s’était
abattue sur la tête des ennemis du roi, chante Amadis Jamyn, et ils ont été enfin
foudroyés76.
Alors que, depuis le mois d’avril 1569, l’armée royale cherchait la confrontation
directe,le3octobre,c’estlavictoiredeMoncontour.Lareinemèreécritdeuxjours
plustardàPhilippeIIpourl’informerd’«unsigrentœuvre 77»donnéparlagrâce
divine.Lespoètes decour selancent dansune entrepriseapologétique78.Laurent
deBourgannoncedéjàleretourd’Astrée–maintenantquelebrasdeDieuafrappé
les mutins79 . Ronsard glorifie le duc d’Anjou pour ce succès dans « L’Hydre
desfaict80».Lesimagessontdestinéesàfairedel’événementundonetunegrâcede
Dieu81 . Le duc est allé combattre sans s’être alimenté et sans avoir absorbé une
boisson,«encestefoyetfiancequ’enlavertuducorpsetsangdeJesuschristNostre
Seigneurqu’ilvenoitderecevoirausainctsacrementde l’autel,ilsurmonteroitet
vincroitl’ennemydeDieuetduditsacrement,duroyetlesien».
La mémoire compte au moins autant. La mémoire de la peur et de l’offense, la
mémoiredesémotionsqu’ilnefautpasoublieretquines’oublientpas.Durantces
années difficiles, Catherine de Médicis a peut-être expérimenté les limites de son
utopierhétoriqueenconstatantlabrisuredelaparoleàlasuitedecequ’ellepouvait
considérercommeunerupturedefoi,pardeuxfois,delapartdeshuguenots.Ellea
peut-êtreexpérimentéque, dans certainesconjoncturescritiques, quandsa parole
nepouvaitplusrienetquel’enjeudevenaitl’autoritémêmedelamonarchiesacrale
desonfils,illuifallaits’engagerdansuneautrehistoire,tendueverslaréduction
violentedel’adversaire.
Elle explora probablement une approche plus savante du concept de nécessité,
découvrantsespotentialitésdanslaconfrontationavecladuretémêmedel’histoire,
etconçutquelaviolencepouvaitdevenirunealternativeàlapolitiquedemesureet
depaixquandcelle-cisemblaitdépasséeouinopérantefaceàunprotagonistesans
loi. Dans la culture politique de la monarchie des derniers Valois coexistaient
probablement l’aspiration à l’harmonie néoplatonicienne et un pragmatisme de la
raison.
Quand,en août 1570, la «paix mal assise »est enfin signée, la complexitéde la
situations’accroît.Desparamètres,dontceluid’unemémoired’uncontentieuxavec
le protestantisme militaire, non seulement tenté par la rébellion mais aussi
soupçonnéde projetssubversifs oucriminels àl’égard de lamonarchie, jouentde
façonlatente.Ilyasurtoutcetteflexibilitédesespritsauchangement,àlamutation
qui semble ne plus poser de problèmes même aux plus engagés dans les rêves
iréniques.Lerapportàl’absoluitépolitiques’engagedansunemutation,quidébuta
sansdouteaprèslasurprisedeMeauxetconnutsonpointd’accomplissementlors
de la Saint-Barthélemy, comme l’a laissé envisager la lettre de Charles IX
précédemmentanalysée.
Undocumentpeutpermettred’allerencoreplusloindansl’histoiredesrapports
teintésd’ambiguïtédupouvoirroyaletdelaviolence,danslecadredelaméthode
«immersive » queje metsen place ici,essayant deretrouver une raisondes faits
dansunenvironnementtextuellargeetcomposite 82.Ilproposeeneffetuneanalyse
assez poussée et particularisée de ce qui s’est passé dans le Paris de la seconde
quinzained’août.Il s’agitd’untexte irénique,mystérieusementsigné P.D., publié
enoctobre1576parunimprimeurprochedupouvoir,RobertLeMangnier83 .Ilest
dédié à l’humaniste Guy du Faur de Pibrac, lui-même négociateur de la paix
récemment conclue à Étigny puis confirmée par la promulgation de l’Édit de
Beaulieu84:AmiableAccusationetcharitableexcuse,desmausetevenemensdelaFrance,
pourmonstrerquelapaisetreüniondessubjetsn’estmoinsnecessaireàl’estat,qu’elleest
souhaitableàchacunenparticulier.
Chacunyexpose,aprèsledîner,sonpointdevueparticulierdansundiscoursqui
a l’apparence d’une harangue. Un des trois orateurs se nomme Ambroise. Son
discoursposeunrapporttrèsparticularisédupouvoiràceuxqu’ilrégitetconstruit
sasystématisationsurlapenséedeGuichardin:ilconseilleauxFrançais,eneffet,
de regarder sans aigreur ceux qui sont en charge de l’administration des affaires.
Nulautreque lePrince, ensembleavecceux quil’entourentau plusprès,n’est en
mesuredepouvoirdonnerunjugement–positifcommenégatif–surl’exercicedu
pouvoir même et, par extension, sur « les particuliers evenemens de nostre
Tragedie Françoise » dans lesquels se devine la Saint-Barthélemy85. Cette clôture
du pouvoir sur lui-même ainsi dessinée renvoie à une conception de l’autorité
inscritedansunesphèredistinctedecelledesgouvernés.Ilya,là,lareconnaissance
d’unécartontologiquedusujetparrapportauPrince,quitientd’unesituationde
méconnaissance du politique et aussi de l’immense distance entre le privé et le
public.Lesouverainsetienthorsdujugementdesessujets.Uneautreapprochede
la«necessité»del’Étatsurgitici,uneapprochepositivequiinverseleprincipede
la contrainte : le souverain exerce la plénitude de son autorité non pas en
contraignant la volonté de ses sujets, mais en contraignant volontairement sa
proprevolontépourempêchersonÉtatdebasculerdansl’anarchieetpréserverle
biencommun.Mais,lorsqu’ilvientàexercerlaviolence,c’estqu’unpoint-limitea
étéatteint,quin’auraitpasdûl’être…Ilendécoulequ’ilnerevientpasauxsujetsde
savoircequeleprinceavoulu.Lavolontédecedernierestparessencesecrète,car
luiseulconnaîtlaraisondesesactesetdécisions:
Comme a dit Guiciardin en l’un de ses conseils, les hommes privez ne peuvent bien louer ou blamer
beaucoupcequefontlesPrinces,nonseulementpourignorerl’estatdesaffaires,etquel’onnesçaitcequi
lestoucheetqu’ilsprojettent,maisaussipourcequeladifferenceestgrandequigistentrelaprudenceet
volontédesPrinces,etcelledel’hommeprivé[…].aussijepenseroyraisonnablequ’unPrinceéschosesqui
sontproprementdelaroyauté,nedevroitavoirquedesroyspourjuges,ouceuxquilesrepresentent,et
nondespersonnesprivées,dontlapetitessenepeutmesurerqu’àveuedepayscequiestdelagrandeur86 .
Oncomprendicimieuxleblack-outsurlesinformationsqu’asembléimposerle
pouvoirroyalet,enparallèle,l’effortimmédiatpourdiluerlesfaitsdansdesécrits
contradictoires.
Le Prince agit et décide dans le cadre de ce qu’Ambroise appelle « le secret de
l’estat87»,les«secrettesnecessitésdel’estat88».S’ilyauneabsoluitédupouvoirà
laRenaissancetardive,elleconsisteraitencetteindicibilité.Alorsquejusqu’alorsle
pouvoirétaittravailetexercicedelangage,qu’ilsecaractérisaitparlefaitqu’ilétait
unpouvoirenmots,unpouvoirparlant,ildevientunpouvoirsansmot,silencieux
parcequ’ontologiquementilestmystère.LePrinceestetdoitêtrepoursessujets,
dansl’idéalquiesticianalysé,unsouveraindel’énigme,unPrincedontlaformedu
pouvoir est l’énigme. Ce qu’il décide et révèle de ses décisions propres est
indépendantdecequ’ilestauthentiquement,voiredecequ’iladécidéréellement.
C’estce qu’il faut savoir. La cour et le royaume sont effectivement parcourus par
l’ambitiondesgrands,parunjeudeforcesdanslequelcesdernierscherchentsans
cesse à accroître leur puissance et à se quereller, et le Prince doit lui-même
« tousiours estre en action89 », et cela pour ne pas se laisser prendre dans les
menaces d’un devenir inconstant, pour ne pas, en dévoilant ses projets et ses
décisionsà ses sujets,se présenter en positionde faiblesse faceaux ambitions des
grands. Il doit se vouer à un véritable travail d’anticipation sur l’histoire à venir.
L’utilisationdeGuichardinestloindedébouchersuruneapologiedel’étatismeet
delaraisond’Étatmodernetellequ’ellefutpenséedurantlespremièresdécennies
du XVIIe siècle. C’est une autre raison qui intervient dans l’exercice de style
développé d’Ambroise : la raison non pas justifiant la force comme expédient
extraordinaire du pouvoir, mais démontrant par la négative que la force est
l’antinomie du pouvoir juste, ce à quoi il ne peut être contraint que malgré lui,
quandlespartialitésetlesambitionsvontau-delàdecertainesbornesetmenacent
larespublica.
Ambroisefaitalorsunrécitinéditdesévénementsdu24août1572,montrantque
leroi,s’ilaétéimpliquédansladécisiondemiseàmortdel’Amiral,aeusavolonté
contrainte. Il replace l’événement dans une durée plus longue qui est celle d’un
mode vertueux de gouvernement cherchant, à imposer aux sujets, malgré leurs
volontésantagonistes,unordrepolitiqueparletruchementd’unesciencedusecret.
Il nous permet peut-être de soupçonner que l’idée des « secrettes necessités de
l’estat » s’ancre dans tout un jeu savant de manipulations et dépasse la seule
définition cicéronienne du salut de l’État. Charles IX devient, dans ce récit, un
souverain qui s’est trouvé forcé à la violence, qu’il n’a jamais voulue ni méditée,
mêmequandils’estrésoluàlacautionnerdanslecadred’un«deal»,danslanuitdu
24août,etaussilesjourssuivants.Tout,auxyeuxd’Ambroise,aeupourorigine,
précisément,l’ambitiondesgrandsetleshainesquiopposaientcertainsd’entreeux.
Leroi,ajoute-t-il,n’arieneuàvoiravecl’attentatdirigécontrel’AmiraldeColigny
le 18 août ; d’où découle que ce qui s’est passé après, dans la nuit du 24 août,
n’impliquepassaresponsabilitévéritable.Cequiadéprogrammélapolitiqueroyale
de paix et déclenché les matines parisiennes, c’est la loi de la vengeance entre les
grandsseigneurs,celledela«diversitédevolontez».Làsontlemaletlemalheur,
issusdu«venindelabilerouge»ayantfinipars’épancherhorsdelatumeurquila
dissimulait,maisoùelleétaitcommeenattented’exploser.
Dansunfragmentdesondiscoursparticulièrementcomplexe,parcequ’ilobligele
lecteuràseréféreràdifférentesséquencesdupasséetsurtoutàtenterdecernerce
que sa pensée contient d’implicite, Ambroise compare « la bleceure du feu
Admiral » à la mort du duc de Bourgogne, Jean sans Peur, qui eut lieu le
10 septembre 1419 à Montereau et qui fut le fait de Tanneguy du Châtel90 ; il
affirme être certain que, comme jadis, « l’aveu et consentement du Roy » ne
précédèrent pas, mais au contraire suivirent le développement de la trame
historique qui prit sa dynamique après l’attentat de Maurevert : Charles IX s’est,
selon Ambroise, inséré dans le cours incertain des événements, par une décision
soudaineetextraordinairequinerépondaitqu’audésirdetirerpartiaumieux–ou
aumoinspire–d’unattentatdontiln’étaitpasresponsableetd’unedétermination
vengeressedesennemisdel’Amiraldontilsavaitlaforce:
Pource que, d’un costé, le premier coup donné ayant assez manifestement pour auteurs les ennemis du
blecé, quelque reconciliation qui semblast avoir esteint la souvenance de leur pere occis [François de
Guise],etcestehainequelesaffairesavointrenduehereditaireentreleursmaisons,jen’estimepointqu’il
soitbesoinpourtrouverlaveritédelachose,dejoindreàl’entreprise[lamiseàmortdeColigny,le24août
aupetitmatin]lapersonneduRoymesme,quiayantoresdesavouépuisavouélefait,nemonstrepointy
avoirapportéunelongueetcertainepensée,ainsunconseilprissurlechampseloncequ’ilfutpersuadé,et
pensadevoirmieuxreüssirpourlebien,etasseurancedesesaffaires.
Laviolenceaétéimposéeparlanécessité,l’utilité.L’assassinatdel’Amiral,aupetit
matin du dimanche 24 août, fut une décision d’exception, non préméditée, non
référée à des maximes machiavéliennes, elle fut volontairement et consciemment
prise contre ce qui était la volonté même du roi, son rêve de paix. C’est que
l’histoires’étaitcommeferméesurelle-mêmeetquelaviolencepouvaitpeut-être,à
courtoumoyenterme,jouerpourrestabiliserladynamiquedepaix.Les«secrettes
necessités de l’Estat » dont Ambroise fait part à ses amis se tiennent dans cette
reconnaissanceparleroidelanécessitéderecouriràcequiestlepluscontraireàsa
volontépolitiquemême,danslebutderedonnerunemargedemanœuvreàcette
politique.
Undéveloppementhistoriquevirtuel
L’enclenchementducycleévénementielestdoncdûàlapratiqued’unevengeance
qui est la seule vérité de ce qui a suivi. Régner, en ce sens, c’est aussi jouer avec
l’histoire,êtreen mouvementdans lafixitémême, seplier auxvirtualitésles plus
contraignantesdudevenirpourruseraveclemalheurquimenaced’autantplusqu’il
acommencéàétendresonombredangereusesurleprésent.Oudumoinsc’esten
ces termes qu’Ambroise recompose la trame de l’événement d’août 1572. Le
pouvoirestabsoluquandiltravaillesurlerelatif,quandilacceptederecouriràce
quiestlecontrairedesonoutillagepolitique:laviolence.
CharlesIX,arguantd’uncomplotdontilestimpossibledesavoirs’ilétaitpourlui
fictif ou réel, s’est vu obligé le 26 août devant sa cour souveraine non seulement
d’assumeruneviolencecollectivequ’iln’avaitpasvouluemaisaussidecouvrirles
ressortssecretsd’unévénementàl’origineduquelilyavaitl’initiativecriminelledes
Guise(l’attentatdu22août)etquiaétélethéâtredelafureurpopulaire:
PourcequelePrinceaestéforcéquelquefoisparlessecrettesnecessitésdel’estat,d’avouer,ouclorel’œilà
cequiestoitfaitcontrelerepospublic,etl’observationdesesedits:tellementqueleshommesquiontesté
esloignez des affaires, et qui moins y ont entendu, ont estimé que toutes choses se passoient par
dissimulation,haineetconspiration :etay veuqu’iln’yavoit sortededessain siestrangeetmalheureux,
dontlebruitnefutreceucommedechosepleined’apparence:pourcequetoutcequisefaitaquelques
bornesderaisonetdiscours,maiscequisecraintn’enapoint91.
C’est donc une autre définition du pouvoir politique qui est présentée ici –
critiquée:celled’unpouvoirdusecret,pousséàse«rendrepartisan»parlaforce
des pressions aristocratiques et aussi à camoufler partiellement la vérité des
responsabilités qui sont les siennes ; un pouvoir qui, malgré les buts qu’il s’était
fixés,etsurtoutparcequ’ilétaitenfermédansunehistoiretragique,abasculédans
lemal.
Latensiond’uneprisedeconsciencedela«nécessité»,quiestautravailsurelle-
mêmetoutaulongdesannéestragiquesquivontdelamortd’HenriIIauxmatines
parisiennes d’août 1572, joue donc un rôle capital dans le processus de sortie du
champ de la modération. Certes, par la magie du langage, le réel peut être attiré
dansl’ordredu désird’harmonie éternellequi traversela Création,mais,face àla
temporalitéetàsaméchanceté,lepouvoirétabliparDieuparmileshommesdoit
aussi user de moyens à la fois pragmatiques et empiriques. Catherine de Médicis
auraitété,danslaFrancedutempsdesguerresdeReligion,l’artisaned’unesortede
découverteprogressivedescontraintesquilesévénementsetleshommesimposent
parfois à la volonté politique et des conséquences que cette dernière doit être
amenée à en tirer : d’où la concession aux huguenot de la liberté de culte et de
conscience, la constatation qu’il faut accepter l’inacceptable parce qu’il est
impossibleàquiveutpréserverl’humanitéd’uneviecommunedessujetsduroide
Franceetaussil’autoritédel’Étatdefaireautrement.
Catherine de Médicis aurait été confrontée une première fois à l’usage de la
nécessitédansl’histoirequandelledutmesurerleprimatd’uneapprochepositive.
Maisilsemble,jel’aianalysé,quecesoitaprèslarévélationdelasurprisedeMeaux
qu’elle ait progressivement découvert le potentiel du concept de nécessité et ait
doncapprisàenvaloriseruneacceptionnégative.Faceàla«malicedestemps»,
toutsepassecommesilareinemèreenétaitvenueàenvisagerquel’histoirepuisse
aussiêtreinfléchieparlaviolence,parlecrime,quelaquêtedelapaixcivilepuisse
sefaireparlerecoursàl’outilantinomiquemêmedelapaix,laviolence,lecrime,et
cela, dans des circonstances particularisées et de manière limitée. Nous sommes
toujours dans la perspective d’un ordre du monde régi par la contradiction, dans
lequelladisharmoniepeutêtreréduiteparladisharmoniemême.Lapolitiquedela
nécessité aurait donc été traversée par deux usages contradictoires, auquel il
pouvaitêtrerecourualternativement,enfonctiondesaccidentsoulesoccasionsde
l’histoire. Et l’un de ces usages aurait entraîné la reine à oblitérer l’écart entre le
BienetleMal,ànepluspenserleMaletleBiendansunrapportd’antagonisme.
LemassacredelaSaint-Barthélemypourraitbiendécoulerdecettedécouverteou
inventionconceptuelle:quandl’énergiepacificatriceetmodératricedelaparoleet
de la magie se brise après l’attentat contre Coligny, quand les rapports de forces
deviennenttelsquelaroyautésetrouveprisedansunétau,ilneseraitplusrestéà
Catherine de Médicis et à son fils qu’à tenter d’éliminer un des protagonistes de
cettehistoirequin’étaitplus,apparemment,qu’ouvertequ’aumalheuretàlahaine;
en l’occurrence les chefs du protestantisme militaire par qui la guerre pouvait se
déclencheràtoutinstantetquiavaient,durantlesdeuxièmeettroisièmeguerresde
Religion, donné des indices de leur adhésion à une culture subversive de la
rébellion.Iln’estpasquestionicide«Realpolitik»,maisd’unevolontécontrainte
par l’histoire. Ce serait peut-être à ce contexte que Montaigne fera savamment
allusion dans le chapitre XLVII du Livre I des Essais, lorsqu’il affirmera que la
nécessitéestune«violentemaistressed’escole»etqu’elleestd’autantplusviolente
qu’elleestauxabois:«gravissimisuntmorsusirritatænecessitatis92».
Pour redonner une chance à court ou moyen terme à la politique de l’Amour,
neutraliserleretourmaléfiquedespartialités,ouêtreenmesuredereconstituerun
ordre du langage dans les temps à venir, et surtout parce qu’aucune solution
alternativenepouvaitêtreproposée,unaccordseraitintervenuaveclesGuise,au
termeduquellaresponsabilitédesmeurtresleurauraitétéattribuéenéchangede
l’accomplissementdeleurvengeancedesang;puisl’expansiondes violencesàun
grand massacre sacral dans la matinée du 24 août aurait déterminé une
surinterventiondel’idéedenécessité.Pouressayerd’endiguerlavaguedeviolences
éradicatrices qui submergeait Paris, le pouvoir aurait dû contraindre sa volonté
politique une seconde fois, en acceptant d’assumer la responsabilité du massacre
parisien en vertu d’un complot présumé de la faction huguenote. Telle serait la
logique virtuelle de l’histoire de la Saint-Barthélemy et du surgissement d’une
conception alternative de l’absoluité : une violence décidée par la royauté contre
elle-même,puisassuméedanssaglobalitésousl’indéniablepressiondestorrentsde
sang;quicoulaientdansunevilledeParisemportéedansunrêvemystique.Mais
paspardésirde violenceouselonles calculsd’uneconsciencefroideassimilantle
pouvoiràlaforceetdoncàlaterreurquepouvaitimposerlacruauté.Ledésirde
paix et d’humanité n’a cessé de primer, car la paix et l’humanité étaient la fin de
l’histoirepourCatherinedeMédicis.
Iln’enrestepasmoinsque,dansl’histoire,ilfautaccepterquelapartaccidentelle
puissejouer.Etc’estpeut-êtrecequis’estpasséaprèsl’assassinatdel’Amiral.Pour
comprendrecommentParisabasculéd’uncrimedenécessitévouluparlepouvoir
àuncrimecollectif,pourdéterminercommentun«peuple»apus’approprierle
droitetledevoirdetuerparetcommentlecrimedecourabasculédansunetuerie
de masse, plusieurs indices peuvent être sollicités : le miracle de l’aubépine, qui
symboliselaréconciliationdeDieuaveclacapitaleduroyaumedeFrancepurifiée
delasouillureprotestante;lecadavredeColigny,traînépardescentainesdepetits
enfantsdanslesbouesdelavilleentémoignaged’unaccomplissementdel’attente
christique ; plus une donnée circonstancielle mais sans doute décisive : une fois
l’Amiralmisàmort,toutindiquequ’HenrideGuiseetseshommesavaientplanifié
de rejoindre à cheval le faubourg Saint-Germain afin d’exterminer les nombreux
capitainesréformésquis’yétaientlogés.OrPariss’estréveilléausondesarmeset
des cris, et les rues ont été vite encombrées, au point que Guise doit faire crier,
pour avancer vers la rive gauche, l’exigence qu’on le laisse passer sans qu’il soit
retardé, au nom d’un commandement royal. C’est là peut-être qu’il faut évoquer
unesurinterprétationcollectiverelevantd’uneattenteducatholicismeparisienaux
yeuxduquellamiseàmortdel’Amiral,aunomduroi,enappelled’autresquine
peuventpasêtreremisesparcequeleroilecommande.«Tueztout.»Guise«sort
delaportedulogisaveclesautres,ets’escriantdit:“Courage,soldats,nousavons
heureusementcommencé,allonsauxautres.”Incontinentaprès,l’horlogedupalais
sonna, et commença-on à crier que les Huguenots estoyent en armes, et se
mettoyenteneffortdetuerleRoi93.»
Lescatholiquesparisiensontpucroireadvenulemomentd’unerévélation,àson
peuple,d’unroirejoignantlesplusgrandesfiguresdel’AncienTestament,«entre
autres, Moyse, Phinées, les Juges, Samuël, Asa et Josaphat, Roy de Juda, Ioiada
sacrificateur,JehuRoyd’Israël,EzechiasRoydeJuda,lepeupledeJuda,Mattathias
sacrificateur:lesquelsparglaiveougibet,ont faitmourirceuxquiontdelaisséle
servicedeuàDieu.LepropheteÉlieetJosiasRoydeJudaparglaiveetfeuenont
fait iustice. Quant est des exemples sous la loy évangélique, je ne vueil pour le
presentinsérersinoncelledespremiersEmpereursChrestiens94».
Cela aura cependant été un grand malentendu : Guise s’adressait à ses hommes,
rien de plus, pour les inciter à le suivre dans sa marche qui devait le conduire
jusqu’aux principaux chefs réformés dont les noms auraient figuré sur une liste
peut-être établie au cours du conseil tenu au Louvre au cours de la nuit : « Et
répétoitsouventàhautevoixcesparoles:LeRoylecommande;c’estlavolontédu
Roy, c’est son expres commandement. » Mais il y avait une telle attente d’une
violenceroyalequececommandementfutpossiblementcompriscommeappelant
au massacre de tous les réformés. D’où le basculement dans la fureur de tuer.
Quelquesmotsditsetreditsaurontsuffiaupassaged’unpremiercrimesansdoute
décidéencouràuncrimedemasse.PourciterWilhelmGottliebSoldan,«cene
sontpaslesordrespartisdel’Hôteldeville,c’estuniquementl’exempledestroupes
royalesquientraînalapopulaceaupillageetaumeurtre95».Maisilyeutaussiune
surinterprétationdesparolesdeGuise,quivoulaitfaireviteetavaitbesoinqueles
ruesdeParisleconduisentvitelàoùsasecondemissiondevaits’accomplir.
Un«coupd’estat»avantlescoupsd’État?
Malgré toutes les réserves qu’inspire légitimement un texte rédigé quelques
décenniesaprèslesfaitsparunhommeaigriparl’échecdelaLigueparisiennedont
il fut un des acteurs importants, j’ai cherché un complément d’explication dans
plusieurssourcespeufréquentéesparleshistoriens.Lapremièreévoqueunescène
tardivedel’année1572.Lorsquel’ambassadeurflorentin,VincenzioAlamanni,est
reçu en première audience par la reine mère, le 11 novembre, il trouve cette
dernièreencompagniedesafille,laduchessedeLorraine,delareinedeNavarreet
deplusieursautres «grandame».Laconversationtourneunmomentautourdela
Saint-Barthélemy:surlaquestiondel’«esecuzione(massacrodegliugonotti)»,lamère
deCharlesIXauraitaffirméque«SaMajestéavaitétécontrainte(«forzata»)àfaire
cequ’elle avait fait pour la sauvegardeet la protection de sonroyaume et que les
faits étaient allés dans ce sens96 ». Pour aller plus en profondeur dans ce que ces
parolespouvaientimpliquer,j’airecouruàunmanuscritconservéàlaBibliothèque
nationale,uneHistoiredesoriginesdelaLigue.Sonauteurestunedesgrandesfigures
dumilitantismeultra-catholiquedesannées1585-1594,l’avocatLouisDorléans,né
en1542-154397.Il étaitdans Parislors dumassacre de1572, etil n’apas manqué
d’aller contempler le cadavre de l’Amiral, et a relaté dans un poème ce qu’il avait
vu:
Celuiqu’onquevivantmesyeuxn’ontvouluvoir,
Irritezqu’ilbravoitparaudacenouvele
MonDieutroppatient,monRoypartropfidele,
Monpaïstropbeninpoursesfaitsrecevoir,
Depuisetantmeurtry,etcontresonespoir,
Aiantaveclesangvomil’amecruele,
Mesieuxl’ontvouluvoir,pourremarqueéternelle
Del’irequemonDieusursateteafaitchoir.
Jel’aidoncveüpendu,sanschef,sansmains,sansbras,
Lafabledesenfans,descorbeauslerepas,
Laterreurdesmechansetdesbonsl’asseurance.
Danssonhistoiremanuscrite,LouisDorléansreconstitued’abordlesraisonsqui
ontpermisaucalvinismedegagnerenforcedansleroyaume.Passantrapidement
enrevuelestroispremièresguerresdeReligion,ilénumère,d’unepart,lesinfinies
etimmenses«cruautez»deshérétiquesquiontétéselonluisuscitéesparlediable,
et,d’autrepart,lesgrandesvictoiresqueDieuadonnéesauxcatholiques.Mais,en
réalité, c’est dans les dernières lignes de cette histoire inachevée qu’il livre sa
réflexionpersonnellesurl’origineréelledesmalheursduroyaumedontl’hérésiea
étélaconséquence:cesontlespéchésdesFrançais,et,parmicespéchés,ilenisole
deuxquiontattirélechâtimentdivin,l’allianceturquenégociéeparFrançoisIer et
la confédération avec princes protestants de l’Empire faite par Henri II. Louis
Dorléans n’est pas fondamentalement hostile à Catherine de Médicis, bien qu’il
affirmequ’elle aurait été un temps séduitepar les livres réformés et qu’elle aurait
assistéanonymement,le4septembre1557,àl’assembléedelarueSaint-Jacques.Il
prend même sa défense contre ce qu’il appelle les « plumes impudentes et
mensongeres de Geneve ». Il décrit son bel esprit, soutient que le mal vint de ce
qu’elle fut mal conseillée, surtout au temps du colloque de Poissy, épisode
catastrophique à ses yeux, et dont il impute la responsabilité au chancelier de
L’Hospital, ancêtre et inspirateur, « pere et patron », des Politiques du présent98.
«Ellereconnutlafauteparapres,maisilestoittroptardpouryaporterremede.»
L’historien Dorléans n’est pas non plus, initialement, défavorable à Charles IX,
mêmes’ilrapportel’événementdumariageprincierde1572enracontantcombien
lacérémonieparut«étrange»auxFrançais:«Caronnepouvoitgouter,qu’unroi
deFrancetres-chrestien,etfilsainédel’Églize,donatsasœuraunheretique,veula
defensedessaintscanons,lesfunestesissuesdetelsmariages,etlesexperiancesque
la france avoit eu en Clovide fille de Clovis. » Et, comme à la décharge de
CharlesIX,ilciteuneconversationquecedernierauraiteueaveclenonceSalviati
etqui,selonlui,dévoilequ’enversetcontretoutepressionilétaitdévouéàl’Église
corps et âme : « Il le pria d’ecrire à sa sainteté de sa part, qu’il ne vouloit et
n’entendoit jamais, non pas pour mille morts, se separer de l’eglize : et pour
asseurancetirasonaneaudesondoigt,qu’illuiprezanta:maisMonsieurleNonce
s’excuza de le prendre, lui dizant, qu’il n’y avoit gage, qui s’egalat a sa parole. »
Visiblement,àsesyeux,leroiaétéloindesecontredire,parcequ’ilaétél’auteurde
laSaint-Barthélemy.
PourLouisDorléans,iln’yaaucundouteàavoirsurles«mensonges»dontles
calvinistesontnoircileursécrits.C’est,eneffet,CharlesIXqui,«enunenuit[…]
fittuerleshuguenotsvenusauxnocesduroideNavarre,etlesfitjeterenunefosse
aupré aus clercs;ce qui fut suiviaux autres villeset provinces ». Puisvient une
énumération longue, apparemment inspirée par les articles mêmes du jugement
prononcécontrel’Amiralaprèssamort,desraisonsquiontpousséleroiàagir.Ily
a,d’abord,lafautedel’AmiralColigny,«hommeremuantetdevifjugement,mais
méchant », pour lequel le roi éprouvait de la haine. Le passif était lourd :
« heretique », d’une part, Coligny avait « fait meurtrir en trahizon, et contre la
naturellegenerozitédesFrançois,leDuc deGuizesonlieutenant general,lorsdu
siege de la ville d’Orleans ». L’image de l’Amiral, telle qu’elle existait dans la
conscienceroyale selon Louis Dorléans, était essentiellement celle d’un traître : il
étaitl’hommequiavaitvenduleHavredeGrâceàÉlisabethd’Angleterre,quiavait
noué de « grandes intelligences avec les anciens ennemis de la couronne ». Il est
ensuiteunfactieux,quia«soutenu,suscité,etfomentélafactionheretique,distrait
les Princes du sang de l’obeïssance du roi, rompu en deux parts son Estat, fait
plusieursliguesaveclesLutheriensd’Alemaigne».
Maissurtout,Colignyétaitl’hommed’orgueilquiavaitportéatteinteàlaMajesté
royaleparsaparole,le22août1572,etquiauraitainsiinduitleroiàagircontrelui
de manière préventive : il aurait « peu auparavant menacé le Roi, qui le vizitoit,
blesséqu’ilavoitestéd’uncoupd’harquebuzeaubras,tiréd’unefenetreprochede
sonlogis(laveritéestqu’onessaioitaletuer,poursoninsolenceettemerité)dizant
auRoiCharlesneusieme,ques’ilavoitlebrasofensé,ilavoitl’espritsain,pouren
avoirsaraizon».Etcetteparoleagressiveetmenaçanten’étaitvenuequ’auterme
d’unelonguesériedeparolesqui,toutes,visaientàexercerunepressionsurleroi,
en usant de la menace de la guerre civile. Pour Louis Dorléans, Coligny, comme
touslessiens,étaitunhommedeviolence:
J’adjouterai que les Heretiques, et lui sur tous, estoient si orgueilleus, et avoient tant ulceré le Roi par
bravades,parimportunitez,parparolesoutrageuzes,quelesplussagesjugeoient,queleRoileurferoitun
mauvaistour;carleRoiseantensonconseil,ilfitplaiderparRobertAdvocathuguenot,quela maison
d’Orleans,dont leRoi estoitissu,n’avoit faitque dumal enFrance :dont leroi irritémit lamain ason
poignard,pourluiendonner:dontilfutretenu;etleditAdmiralditauConseil,qu’ilfaloitluiacorderce
qu’ildeziroitetdemandoitpourlesHeretiques:oubienilfaut,dizoitil,ilfautrevenirauxarmes.
LaSaint-BarthélemysembleainsiavoirétéunevengeanceduPrince,exercéeen
vertudesajusticepourrestaurersonhonneuretsaMajesté,etchâtieruncriminel
quiavaitattentéàl’intégritédesonpeupleetàl’honneurdecertainsdesessujets.
LapaixdeSaint-Germain,sielleavaitfiniàl’automne1571parautoriserleretour
des capitaines huguenots à la Cour, avait eu pour autre résultat, de placer le roi
dansunenvironnementdeprécaritéquidécoulaitdel’agressivitéhuguenote:
Et qui ne sait les bravades, les importunitez, les arrogances, dont cet Admiral, le Prince de Condé,
Cavaignes,Piles,Briquemaut,deLagny,etautrestelsfrelonsHeretiquespiquoientsanscesse,etpressoient
lajeunessedecepauvreprince?LeshuguenotsprenoienttelleautoritédansleConseilduroi,ets’estoient
desjarendussiredoutables:quesilemoindredesleursprezantoitquelqueresquesteauroi,pourobtenir
quelquechoze, et il estoitrefuzé : ils nemenacoient le roi, derien moins, que de laprize des armes, du
retentissement de leurs harnois, et du fouragement des provinces. C’est ce que le dit Admiral avoit dit
auparavanttouthaut,enunecauzequiseplaidoitpourleshabitansdesaintLeonardenLimozin,contrele
capitainePilles,pourquatremilescus…
Enfin,dansl’espritdeCharlesIX,lepassifdel’Amiraletdessiensprenaitlevisage
delacruautéqu’ilsavaientdéployéedanslesviolencesdesguerrescivilescontreses
sujets et l’Église et qui avait atteint le roi au plus profond de lui-même. Surgit
l’imaged’unsouverainqui,sansriendire,asupportélesoffenses,quis’estsentisans
cesse agressé. Et c’est sur une confidence inédite faite à un homme qui était
pourtant un des artisans de la politique de concorde que cette détestation de
CharlesIXàl’égarddescalvinistesestmiseenvaleur.LouisDorléanss’adresseici
directementàceuxqu’ilinterpelleenlesnommantleshérétiques:
C’est cette cruauté plus que barbare, que vous reprochoit souvent le Roi Charles : car parlant a
MonsieurdeMonlucÉvequedeValance,s’ilsavoient,dit-il,moncœur,ilsledevoreroient,etenferoient
curee,commefontmeschiensd’uncerfabatu:encoren’enseroient-ilspassaouls.Àlaverité,nel’aianspeu
devorer vivant, apres l’avoir depouillé d’une partie de son Estat, et couru en la campagne de Meaux, et
donné quatre ou cinq batailles, vous l’avez dechiré apres sa mort avec vos sales plumes de medizances ;
aiantsfaitcommeleslievres,quivoiansmortunjeunelion,quinepouvoitpluslesfairefuir,luitiroientles
barbesparvengeance,etsemoquoientdelui,etdesaredoutablegenerozitéquin’estoitplus.
Et alors, pour l’homme qui, près de trente ans après, revient sur le mois
d’août 1572, ce fut la conjonction du choix de la trahison, d’un tempérament
factieux, d’un naturel orgueilleux, « qui occasionna le Roi, de se rezoudre a une
saint Barthelemi (apelée les matines pariziennes, comme on dizoit les vespres
Siciliennes)poureviterledangerouilestoit:considerélaforceetlesintelligences
qu’avoientlesHeretiquesenlavilledeParisetensonRoiaume».Ilyavaitpéril,et
LouisDorléansreflètel’universd’angoissequipouvaitêtreceluidescatholiquesde
lacapitale,soudainementenvahieparlesbruitsetlesrumeurs.Danssaperspective,
laviolence,qu’ilditroyale,nesupporteaucuneréprobation,parceque,commandée
parunroidevengeancehumaineetdivine,elleaétélégitimementexercéecontre
deshommesqui étaientdesrebelles etparcequ’elle étaituneréplique justeàune
immensecruautéquiavaitauparavantjonchélaterredeFrancedecadavresetde
ruinesetquiaétélaplus«espouvantable»etplus«sanglante»del’histoire:une
cruautédépassantcelledesroisBusirisetThyeste,voiredesbêtesbrutes.
Etiln’estpasindifférentderemarquerquecetteidéedevengeanceroyalen’estpas
nouvelle : elle avait déjà été énoncée, par exemple, par des apologistes de
l’engagement monarchique dans la guerre contre les réformés entreprise en 1567
après la surprise de Meaux. Le roi avait été exalté comme le vengeur de son
royaume, le glaive de la vengeance de Dieu contre ceux qui oppressaient son
royaume,détruisaientl’Égliseetavaientrompuleurfoi.Ilestfortpossiblequecette
idée de vengeance ait été à l’origine de l’entreprise de Tavannes sur Condé-sur-
Noyers et surtout de l’exécution du prince de Condé ainsi que des capitaines et
soldatshuguenotsfaitsprisonniersàJarnac.
Aprèsavoirévoquécequ’ilestimeavoirpousséleroiàuserdelaviolence,Louis
Dorléans va très significativement au-delà d’une explication par la seule causalité
humaine. La Saint-Barthélemy est avant tout l’œuvre de Dieu, elle est advenue
parcequ’ellenepouvaitqu’advenir.Elleaétél’instantd’uneréalisationprophétique
deDieu.«CejourremarquabledelasaintBarthelemi»asurtoutété«lejourdela
vengeanceduSeigneur,ouplusieursrenardshuguenotslaisserentnonseulementla
queuë,maisaussilapeau:etdontlescharognesinfecterentlepréauxClercs,qui
leurfutdonnépourcimetiere.»Jamais,enconséquence,uncatholiquenepourra
condamner«unechoze,enlaquellelanecessité,laraison,l’utilité,etl’honeuront
une liaizon tres etroite. Vraiment, Messieurs les calvinistes, je vous demande, s’il
estbienseantaunhuguenot,crueletinhumaindenature,deprecherauxcatoliques
ladouceuretl’honeteté:etquelui,quiestrebelleasonRoi,nousrecommandele
respectquelondoital’autoritéduRoi».LaSaint-BarthélemyprofèreDieu:
Cejourestant,commeditleProfete,unjourdecourous,detribulation,etd’angustie,jourdecalamitéetde
mizere,jourdetenebresetd’obscurité,jourdenuagesetdetonnerre,pourabaisserl’orgueil,etchatierles
insolancesdesHeretiques;c’estoitcejourqueMalachieavoitpredit,qu’ilviendroitunjouralumécomme
ungrandfeu,auqueltouslessuperbesettouslesmechansseroientdevorezcommepaille99.
LouisDorléansproposeuneimmersiondans unelecturetotalementbibliquedu
massacre qui se surimpose ainsi à l’évidence de la « haine royale » : il y a eu un
« sacrifice » présenté à Dieu, et c’est en termes de « propice holocauste », offert
pourtouslespéchésdelaFrance,quelaviolenceestrelatée,lesimpiesdel’Ancien
Testament devenant les hérétiques du présent. Il y a eu une immolation de
méchantesâmesquinevivaientquedansunimaginairedesang.Leproblèmeest
que, précisément, cette offrande est restée inachevée, incomplète. L’univers de
l’instantdelaSaint-Barthélemyestainsirevécusousunangledavidique;touts’est
passécommesil’espritdeDavidavaitétéprésentdansParis.LouisDorléansditet
répète que la vengeance a eu lieu et que l’événement n’est pas réductible au seul
«desirdeshommes».Ilrapporteunprodigequi,advenudanslesjoursquivoient
lafindumassacre,signifielesgrâcesdeDieusurParis:encequ’ilmarqualapart
« qu’il prenoit au chatiment des Heretiques, c’est que l’on executa Briquemaut et
Cavaignes,combienqu’ilfutforttart,etquechacunpensatlesoleilestrecouché:si
est-cequesoudainillançaunraion,afindevoirmourircesdeusgarnemens,vrais
piliersetetançonsdelacausedeSathan,etlesdeusennemisconjurezduroietdu
roiaume».
L’important est que Charles IX a assumé pleinement et publiquement la Saint-
Barthélemy,parcequ’ilavaitétélui-mêmeoffensédanssonhonneuretsaMajesté:
Parmilesfaitsquiontpesédansladécisionroyale,ajouteLouisDorléans,ilyaeu
le dévoilement d’une conjuration. L’historien reprend donc une justification
donnéeparlamonarchieelle-mêmeetrelatel’espritdevengeancequianimaitles
gentilshommes calvinistes après l’attentat contre l’Amiral et qui les portait à dire
quelesbrasdespécheurs«seraientbrisez»etquelesjustesseraientconfirméspar
Dieu. La conjuration visait à tuer le roi, sa mère, ses frères, les princes. L’Amiral
lui-même, par ailleurs, n’avait pas hésité à parler à Charles IX de l’esprit de
vengeance qui était en lui : « L’Admiral dizoit-il pas au roi mesme, bien qu’il le
pensatauteurdel’assassinatcommisensapersonne,ques’ilestoitblesséaubras,il
avoitl’espritbiensainpourvengersablessure.»
Face à cette conjuration manifeste, Louis Dorléans ne fait preuve d’aucune
originalité,parrapportàunapologisteroyaldelaSaint-BarthélemycommeGuydu
FaurdePibrac :le roia agidans sonpleindroit, etil avaitderrièrelui touteune
longue mémoire qui, depuis les temps bibliques, depuis l’Antiquité grecque et
romaineetjusqu’àlaFrancemérovingienne,racontaitcommentlessouverainsont
toujoursrecouruàlaviolencecontreceuxquimenaçaientleurvieetleurpeuple.Il
rappelle alors les articulations fondamentales d’une culture politique de la justice
extraordinaire. La Saint-Barthélemy s’est inscrite dans une longue succession
d’actesdejusticesouveraine,quifontd’elleuneexpressionpleineettotaledudroit,
et qui lui donnent une entière et incontestable légitimité : « On ne peut donc
denier, que le Roi a deu prevenir ces assassins, qu’il a deu en les prevenant
empecherlesentreprizesqu’ilsavoientsursapersone;siVespaziann’eutprevenu
Marcellus,il perdoitet l’Empire etla vie : Autanten fut-ilavenu à Constantinle
grand,s’iln’eutprovenuLicinius.»
Il y a en conséquence erreur, comme le font les calvinistes, à prétendre que le
massacre d’août 1573 renverrait à une pratique politique inspirée par Machiavel,
carilexisteune«foule»d’exemplesd’actionspréventivesparlesquelleslePrincea
défendu sa vie et son État par la violence : de tout temps, et face aux mêmes
« maux », un remède semblable a été utilisé contre les hérétiques. Bien avant
Machiavel,le droit a permis de les punir, d’autant que la marque qui distingue le
vrai chrétien, souligne Louis Dorléans, a été et est toujours d’avoir en lui la
«haine»del’hérésie.Cettehaine«àmort»adeuximplications:premièrement,
l’hérésie«se doittraiter seulementpar lecouteau, commesa naturellecure »,et,
deuxièmement,le chrétienn’est pastenu de respecterla «foi », laparole donnée
aux hérétiques, surtout si ces derniers, les premiers, n’ont cessé de la violer
auparavant,commecela aétéle casavecles huguenots,ets’apprêtentencore àla
violer,commecelaaétéaussilecasdel’AmiralColigny.
Louis Dorléans reprend l’argumentation d’inspiration cicéronienne qui fut
présentéeparCharlesIXdurantleLitdejusticedu26août1572.Maisl’important
pour nous est que la Saint-Barthélemy est identifiée à « un coup d’estat », une
action durant laquelle Dieu a fait « conoitre viziblement aus hommes, qu’il
cherissoit le roiaume de France d’un amour plus tendre, que tous les autres
Roiaumes de la terre ». C’est dans ce « coup » d’État que se trouve résolu le
problème de compréhension que pourrait susciter la double impulsion
précédemment décrite par Louis Dorléans, divine et royale, du massacre. Le
massacreest l’œuvre providentielleet simultanée de Dieu etdu roi, et, du fait de
cetteconjonction,dansl’actionmême,dedeuxacteurs,ilimpliqueunmystère.Par
«coupd’estat»,LouisDorléansveutsignifierquelesmatinesparisiennesrenvoient
à l’œuvre de la toute-puissance divine qui est immanente dans la personne du
Prince : l’ordre politique possède, par là même, ontologiquement, un champ
d’indicibilitéd’où,dansdescirconstancesextraordinaires,peutprocéderl’essencede
lasouveraineté.
Le problème est alors de comprendre vraiment ce qui est entendu par l’idée de
« coup d’État », un néologisme qui pourrait évoquer le mouvement brutal par
lequel l’État est restauré, replacé dans son authenticité fondatrice100 . Louis
Dorléans,bienplustard,en1622,publiedesNovaecogitationesinlibrosAnnaliumC.
CorneliiTacitiquiexstant,etilestfortpossibleque,parmileslivresdanslesquelsil
rapportes’êtreplongédanssonexil,ilyaiteulesAnnales101,cequirendraitcompte
desonusageoudesoninventiond’unconceptquin’apparaît,danslevocabulaire
delaFrancemoderne,quelongtempsaprèslaSaint-Barthélemy.Maisilnefautpas
en rester là : la praxis violente peut avoir précédé la théorisation, et, alors
effectivement,LouisDorléansnousdiraitquelaSaint-Barthélemyauraitétéunde
ces«coupsdemajesté»surlesquelsYves-MarieBercés’estpenché,undesmodes
d’expressiondelasouverainetéroyalejoignantunepratiqueconjuguéedusecretà
uneffetd’étonnementdel’opinionparlerecoursàlaforce102.Danscesystème,face
àceux qu’il soupçonnecomploter contrelui, le Prince comploteau nom du droit
qu’il est le seul à détenir et de la mission qu’il estime avoir divinement reçue. Le
«coupd’État»nepeutpasavoiruneorigineexterneàl’État,ilestlefaitdel’État,il
estl’actionbrutaleparlaquellel’Étatrefaçonneourestauresaplénitudesacrée.
LouisDorléanscaractériseuneroyautédel’actionpréventive,del’implicationdu
Princedansunchampd’initiativesqui,enfonctiond’unesituationconjoncturelle,
s’inséreraient dans une réflexion contemporaine sur les différentes formes de
respublica, sur leurs corruptions, les processus de leur décadence. Il faudrait, ici,
avoir recours aux Considérations politiques sur les coups d’État de Gabriel Naudé
(1639), parce que son articulation étatiste se fixe elle-même en perspective de la
Saint-Barthélemy : pour Naudé, la violence du Prince n’est qu’illusoirement une
anomalie institutionnelle, ce qui est peu éloigné de la pensée de Louis Dorléans,
pour qui l’histoire établissait une sorte de code de fonctionnement du pouvoir à
travers les exemples de mises à mort légitimées par le simple effet des décisions
princières.PourNaudé,telquel’aanalyséLouisMarin,«lecoupd’Étatduprince,
c’estlepouvoird’Étatfaisantenquelquesorterégressionàlavaleuroriginairedesa
fondation, à son fondement de force103 ». La compréhension des matines
parisiennespasseraitdoncparl’appréhensiondupouvoirdeCharlesIX,àl’instant
de la décision, comme une « épiphanie foudroyante », révélant que, d’une part,
l’Étatestmystèreetque,d’autrepart,leprincegouverneparlesecretpours’inscrire
danslavolontédivine104.
Replacerladécisiondelanuitdu24aoûtdansuneperspectivedecontinuitéallant
de LouisDorléans à Gabriel Naudé permet d’assimiler pourquoi l’historien en est
réduitauconstatqueseuleunehistoireplausibledelaSaint-Barthélemypeutêtre
écrite:l’«épiphanie»delaviolenceroyale,structurellementpourrait-ondire,pose
l’histoire comme indicible. La capacité du pouvoir à avoir savamment agencé la
violencecomme un « coup d’État » serait symbolisée par l’impossible véritéde la
Saint-Barthélemy,lemystèreétantl’expressionmêmedelapartdel’Étatdansson
aptitude à se repositionner comme le centre du politique pris dans l’étau des
incertitudes. Ce serait dans ce cadre que Charles IX, avec ses conseillers, aurait
montéun«stratagème»dontlesressortsidéologiquessontdifficilesàdeviner.Ily
auraitd’abordletacitisme.
Onpeuttoutefoisfaireremonterlachronologiedel’imaginairepré-étatistejusque
vers 1560-1570105, même si les choses sont plus compliquées qu’on ne tend à le
penser dans l’historiographie : outre le travail accompli par Michel de l’Hospital,
dontlesbasessontd’abordcicéroniennes,leshommesdecesannéesdedébutdela
crisecivileavaientàleurdispositionuncertainnombred’instrumentsquipeuvent
leuravoirfaitconnaîtrelesenseignementsdelaprudentiatellequ’elleétaitfaçonnée
enItalie:ainsi,latraductionfrançaisedela Storiad’ItaliadeGuichardin,imprimée
en Italie en 1561, est-elle dédiée en 1568 par Jérôme Chomedey à la reine mère,
après qu’une version latine eut été adressée à Charles IX106 . En outre, le texte
italien devait circuler à la cour. La Storia d’Italia enseignait la nécessité pour le
Prince d’être aux aguets face la fortune et à son cours imprévisible, et surtout
promouvait une approche relativement pessimiste du politique, notamment dans
l’avertissement lourd de sens par lequel elle annonçait qu’elle allait décrire les
accidentsadvenusenItalieàlasuitedel’invasionfrançaisede1494:
Carilapparoistraclairementparinnumerablesexemples,àcombiendemutations(ainsiqu’unemeragitée
desvents)leschoseshumainessontexposées:combiensontpernicieuxpresquetousjoursàeuxmesmes,
maistousjoursauxpeuples,lesmalmesurésconseilsdesPrinces:lorsqu’ayantsseulementdevantlesyeux,
ouleursfollesfantasies,ouleursconvoitisespresentes,sansaucunsouvenirdesordinaireschangementsde
lafortune:ettournansaudommaged’autruy,lapuissancequileuraestébailléepourlesalutcommun:ils
serendent,ouparfautedeprudence,oupartropd’ambitions,autheursdenouveauxtroubles107.
Ilseraiterroné,malgrécettedualitéidéologiquequi,parexemple,encesannées
d’avantla Saint-Barthélemy,oppose certains fuorusciti commeJacopo Corbinellià
Loys Le Roy108 , de préjuger qu’il y a eu une véritable concurrence entre une
définitionnéoplatoniciennedel’État distributeurde laconcordeet unedéfinition
tacitiste d’un État dans lequel la science du Prince consiste à se couler, en cas de
nécessité, dans le mystère d’une sphère de violence correctrice des risques de
désordre.Richard Tuck adémontré que Corbinelli etles dissidents florentinsqui
lui sont associés, après avoir supporté la politique de concorde de Michel de
L’Hospital,ontproposéunenouvellepolitiquequiseréféraitàTaciteetàlaleçon
en matière de techniques de manipulation que pouvaient constituer les Annales
surtout109.
Ilnefautpasenvisagerl’imaginairepolitiquedanscesannéesdecriseentermes
de ligne droite que le Prince suivrait et par rapport à laquelle il refuserait
absolumentdedivaguer.Bienaucontraire,dansununiversqu’ilsaitgouvernépar
la Fortuna,l’inconstance,lePrincepeutàtoutmomentfairelechoixdecequi,en
apparence, est le contraire de la politique qu’il suit mais doit lui permettre
d’effectuerunrepositionnement.Etc’estsansdoutepourcetteraisonquelaSaint-
Barthélemyapuêtreun«coup»initiéparCharlesIX,temporairementounon,de
manièreévidenteounon,poursedésaxerdesaproprepolitique.
Rienn’est impossible enmatièrede mutabilité du gouvernant,parce que l’ordre
mêmede la vie politique est fondé sur l’inconstanceet l’incertitude ; et le Prince,
pour répondre à cet ordre, doit lui-même composer sa politique en tant
qu’inconstance et incertitude, secret. L’absence de transparence est le principe
moteurdel’exercicedel’autorité,etc’estpourquoilescontemporainspeuventavoir
authentifié un point de conjonction, qui autorisait de possibles échanges entre le
tacitisme,lenéoplatonisme,leguichardinisme,voirelemachiavélismeconvoquant
lafigured’unPrinceduqui-viveetdusoupçon,quipouvaitêtrelemêmeetl’autre
de lui-même tout à la fois et qui comptait sur cette ambiguïté pour perpétuer
l’exercicedesasouveraineté.
Revenons plus précisément à la Saint-Barthélemy. Dans un monde qui vit dans
l’angoissedesmutationsdelafortune,silePrinceestcontraintàmettreenavant
les«secrettesnécessitésdel’État»,cen’estpeut-êtrepasseulementparlaforcedes
événements, mais aussi parce qu’il vit dans le soupçon et que le soupçon peut le
porteràdonneruneréponseviolenteauxtensionsquesapolitiquesubitourisque
de subir. À partir du moment où le royaume tendait à imploser dans des luttes
fratricides que rien ne semblait pouvoir arrêter, l’autorité royale accéda à la
conscienceaiguëdecequ’uncorpspolitiqueétaituncorpsvivant,quipouvaitaller
delavieàlamortàtoutinstant.Onpeutsedemandersiellen’auraitpasbasculé
danscequiseraplustardnomméun«coupd’État»:uneactionviolentedirigée
contrelestêtesduprotestantismemilitaire,plusieursdizainesdecapitaines,parce
qu’elle se sentait déstabilisé par les bruits d’un complot huguenot. Il n’y a pas eu
biensûruncomplotdela«cause»,malgrécequ’enditLouisDorléans,ainsiquele
roilui-mêmeetsonapologistePibrac,maisl’importantestquelepouvoiraitpule
croire possible, dans un contexte de prolifération débridée d’informations et de
parolesentenduesousurtoutrapportées.
MichelSimoninamontréquelebruitapucourirdeceque,le26août,plusieurs
milliersdenobleshuguenotspourraientsetrouverprèsdeParisetqueleLouvre
seraitlacibledeleurrassemblement.Ilyauraiteucroisementou chevauchement
entrelefantasmepolitiqueetlavisionmêmedupolitiquequeTacitepouvaitalors
permettredefaçonner.SelonMichelSimonin,«l’informationn’estsansdoutepas
pureintoxication»,etl’onpeutajouterquelaconjurationd’Amboiseapuservirde
modèleàlaconstructiond’unfantasmepaniqueauLouvre.S’il estcependantpeu
vraisemblable que « le délai indiqué, trois à quatre jours après le soir de
l’arquebusade,correspondautempsnécessaireàNassauetàseshommespourêtre
informés et gagner Paris », il n’en est pas moins vrai que la monarchie pouvait
craindrequeleplan,prêtéàColigny,departirpourlesFlandres,aprèslesfêtesdu
mariage,avecuncorpsexpéditionnairehuguenot,nesoitenmesuredeluifournir
les hommes disponibles à un possible investissement de Paris. L’important est
moinslaréalitédecepassageenforce110quesavirtualité,sapuissanceimmédiate
dedésorientationetdoncderéorientationdelapolitiqueroyale.Leshistoriensont
trop tendance à mettre les faits de mémoire à distance de ce qui détermine la
décision.Onsaitquelatentativedesurprise,enpleinepaix,parleprincedeCondé,
delafamilleroyaleàMeauxfut unchocpourCatherinedeMédicisetqu’elleeut
pour conséquence un raidissement de sa part face aux calvinistes. Denis Richet
estimaitqu’ellefut àl’origine del’engagement royaldans unestratégiequi n’avait
pluspourbutlaconcorde,maisl’éradicationduprotestantisme.Etilestcertainque
les deuxième et troisième guerres de Religion voient la royauté opter pour une
solutiondelutteàoutrance,certestemporaire,contrelaRéforme.
Onsaitencore quelafiction ducomplothuguenot visantà tuerleroi étaitdéjà
présentevers1567-1568dansl’imaginairemonarchique,etilyeut,certainement,
uneréflexionsurlesmoyensdirectsetindirectspourleréduire.Citonsànouveau
icil’exécutionàfroidduprincedeCondésurlechampdebatailledeMoncontour,
qui participe d’une réorientation radicale de la royauté, dont témoigne encore
Ronsard dans l’hymne de victoire qu’il composa et qui chanta l’hydre de l’hérésie
enfinmorte.Cetengagementactifdansunchoixd’éradications’opposeàlafoisàla
politique de concorde des années antérieures mais aussi au revirement qui s’était
traduitparleretouràuneinitiativedélibéréedepaixetàl’ÉditdeSaint-Germain:
signe que la politique est synonyme de contingence, ne se pense que comme
contingenteetsoumiseauxaléasdelafortune.
Lorsque se fait jour l’opportunité de bloquer un glissement de l’histoire vers la
guerre civile, la monarchie semble ne pas hésiter à s’y engouffrer. Lorsque cette
ouverturehistoriquesereferme,CharlesIXfaitensortederefaçonnersonchoix,
en se réadaptant par un discours sur l’harmonie des contraires comme en 1570.
C’est ce qui explique l’immense méfiance de Coligny et des siens après la paix de
Saint-Germainetleurprisededistancefaceàlacour.Redisons-le,lapolitiqueau
tempsdesderniersValoisestavanttoutl’exercicedelavirtualité,etc’estpourcette
raisonquel’historiensetrouvelui-mêmeconfrontéàunehistoiredontilnepeut
décrypter les ressorts qu’en tant que jeu sur des possibles, d’autant que la science
néoplatonicienneduPrinceetdesesconseillersaconsistéàvivrelapolitiquehors
de toute lisibilité, dans un théâtre dont eux seuls connaissaient les règles et qui
devait,àtoutinstant,leurredonnerlamaîtrisedudevenir,leurlaisserlafacultéde
ne pas être pris dans le piège de circonstances évolutives et de manipulations
présuméesdangereuses.
Charles IX, placé devant un océan d’incertitudes et de dangers, aurait pu être
porté à agencer l’histoire en l’intégrant dans l’incertitude de son pouvoir, dans la
mesure où il savait que toute action de violence, à chaque instant, pouvait être
retournée,auprofitdeceluiquil’adécidée,enuneactiondepaixetque,dansun
royaume divisé, le Prince devait gouverner en scindant et rescindant sans cesse
l’image de sa souveraineté qu’il possédait en lui et projetait. C’est cette image
fractionnéequisurgitdesesécrits:leroiestuntechniciendesareprésentationet
dessignificationsdecettereprésentation,et,pourcetteraison,ilselaissevoirsous
plusieurs angles, celui du roi qui n’a pu qu’être spectateur d’une vendetta
aristocratique,celui du roi quia agi contre un complot huguenot,celui du roi de
vengeance,celuid’unroisoumisàlavolontédesamère.S’ilyaeudécisionroyale,
cettedécisionn’entendaitpasoriginellementclorel’histoiresuruneéradicationdes
capitaines calvinistes : elle n’avait qu’un but, détruire le protestantisme français
comme force militaire en faisant endosser la responsabilité des meurtres des
capitainesprotestantsparlesGuise,afinquelaroyautésoitensuiteensituationde
renouer,àcourtoumoyenterme,ledialogueaveclesÉglisescalvinistes,affaiblies,
etderelancerunepolitiquedeconcordesurdesbasesnouvelles.C’estenfonction
de l’évolution du massacre même de la Saint-Barthélemy que le roi laisse ensuite
certainsdeslibellistesénoncer,sur untonplusradical,quelavolontédupouvoir
estdemettrefinàladivisionreligieuse,etd’autrescontinueràdiffusersonchoix
devoirl’applicationdel’éditdeSaint-Germainêtrepoursuivie.
Le«coupd’estat»formaliséparLouisDorléansneseraitjamaisquel’expression
moderniséedela«nécessité»,souslacontraintedesévénements,pourlePrince,
deseresituerentantquelieud’originedumouvementdel’histoire,d’êtreàlafois
danscemouvementethorsdecemouvement,enétantdoncsimultanémentdans
touslespossiblesdecettehistoire.Cetteremiseensituationnepouvaitpaspasser
par les moyens ordinairesde la politique,parce que ces moyensplacent le Prince
sous la contrainte des hommes et de leurs passions. Le seul recours aurait été le
« coup d’estat », entendu comme action dont l’origine est l’État même, dont
l’instrumentestlaviolenceetdontlavisibilitéest,d’unepart,implacableenraison
desaforceet,d’autrepart,incompréhensible.
Tout, dans l’attitude de Charles IX comme de sa mère, semble empreint de
théâtralité et dévoile la construction d’un système de temporalités et de
significations virtuelles, un système destiné à produire un double effet : la
résolutiond’unesituationbloquée,maisaussiladésorientationdescontemporains.
Lesdéssontsansdoutejetésaudébutdelanuitdu23au24août,sil’onencroitun
manuscrit conservé à la bibliothèque nationale. Tout est allé très vite en effet, à
l’issued’uneultimeréunion:«Lareinemerepeuapreslaminuitdusamedypassée,
fut veue entrer dans la chambre du Roy, n’aiant avec elle qu’une femme de
chambre:quelquesseigneursquiyfurentmandez.Yrestapeu.maisjenesaypas
pourquoy.Ilestvrayquedeuxheuresaprèsletocsin111.»L’auteuranonymedevine
qu’ilsetrouvedevantdescontradictionsquiposentproblème,carilparleàlafois
de«ladesloyauté»duroietdesa«bizarrerie»Cette«bizarrerie»marquerait,en
définitive, le système de création du coup d’État112 , qu’il ne parvient à expliquer
qu’en évoquant une présumée coalition du duc d’Anjou, « un boute feu », et de
Catherinede Médicis qui se seraient associés pour parvenir à persuader le roi du
bien-fondé d’un massacre des calvinistes. Venus trouver ensemble le roi, « ilz le
prioient qu’il fasse l’execution de leur entreprise, qu’ilz savoient bien que si ceste
occasion se perdoit ilz ne la trouveroyt jamais telle ». Ils auraient fondé leur
argumentation, ajoute l’auteur du Recueil d’un dialogue…, sur La Franciade de
Ronsard, à partir de l’exemple que leur fournissait le meurtre intenté par Bodille
sur Childéric. Mais le roi, dans ce document, n’est pas qu’un acteur contraint,
puisquec’esttrèstôtlematindu24aoûteneffetqu’ilseseraitfaitamener«leRoy
deNavarreetCondéauRoy:lequellesvoyant,leurdit,qu’iln’entendoitsupporter
doresnavantensonroyaumeplusqu’unereligion».
Il ne faut pas oublier que l’Amiral faisait figure d’irréductible. C’est Estienne
Pasquier qui, très significativement, dans ce qu’il appelle « une saillie », se
remémore que Coligny avait ce trait de ne jamais perdre le « cœur » face aux
vicissitudes de la fortune, de demeurer obstiné dans l’espérance113 : une défaite
comme celle de 1569 ne l’empêcha pas d’être prêt à reprendre le combat dès le
lendemain, « comme le jour precedent ». Une faculté de toujours s’adapter et se
réadapterauxcirconstancessembleavoircaractérisél’Amiraletfaisaitsaforceaux
yeuxautantdessiensquedesesadversaires,etilestpossiblequelaroyautéaittenu
comptedecetteobstination.Ilétaitl’hommequi,«lequellesayantlaisséescouler,
sçavoittoutesfoisradoubersesfautessiàpropos,qu’ilsembloitn’avoirrienperdu
de l’occasion114 ». Il était aussi le capitaine qui avait suscité le mécontentement
royal par ses prises d’armes et qui s’était livré à « plusieurs grands hazards de
guerre115 ». La royauté avait en outre conscience du risque de voir s’ouvrir une
guerre dans des perspectives très négatives pour elle, dans la mesure où, si
Charles IX ne rendait pas justice, elle pouvait se transformer en une guerre
révolutionnairecontrelatyrannie.
Dès l’automne 1571, c’est un système de leurres et de simulacres qui est édifié
patiemment par la monarchie, dans lequel le roi et sa mère se partagent les rôles
afindedisposerd’unemaîtrisedutempsgrâceàl’incertitudepolitiqueainsiétablie.
Iln’yapasderaisonàcequecesystèmen’aitpascontinuéàfonctionnerdurantles
jourset les nuits qui suivirentl’attentat du 22 août.Il faut au contraireprésumer
quelapluralitédesdiscoursroyauxsurlemassacreavaitpourfindeprolongerce
partagedesrôlesaupointqueCharlesIX,danslanuitdu23au24août,putjouerà
être hostile à la décision de mettre à mort l’Amiral, laissant son frère et sa mère
s’impliquerdansl’organisationetlemontageducrimeaveclesGuise,etceladans
l’espérance que, plus tard, malgré la mort de Coligny, il pourrait demeurer
l’interlocuteur obligé des calvinistes de son royaume. D’où la première série de
lettresetdéclarationsdanslesquellesCharlesIXaffirmeavoirétéprisaudépourvu
par l’initiative guisarde et n’avoir de projet que le maintien de l’édit de Saint-
Germain.Enbref,onnepeutpassavoir,danscettehistoire,quiestmanipuléetqui
manipule.Toutestaffairedejeux,dedéplacementsdupouvoirdansunthéâtreoù
sontbrouilléslesdifférentsplansdemiseenreprésentations.
Commel’asoulignérécemmentÉlianeViennot,iln’yapasderaisondemettreen
doutelanarrationqueMargueritedeValoisdonnedansses Mémoires.Lasœurdu
roiinsistesurlacraintedeCatherinedeMédicisdevoirleshuguenotsattenter«la
nuictmesme»contreleroietsapersonne.Toutpourraitalorss’êtrepassédansun
climatdepaniqueetd’improvisation,danslequeltouslesarguments,dontceluide
lacomplicitéduducd’Anjouetdelareinemèredansl’attentatdu22août,peuvent
avoir été présentés au roi pour le convaincre 116. Et puis il y aurait eu, peut-être,
une rixe préliminaire entre gardes du roi et gentilshommes huguenots auprès du
Louvre, qui a pu, bien que le conseil secret ait déjà eu lieu, donner une force
nouvelleàlapolitiquedusoupçon.
Il est encore fort possible que le roi et sa mère, dans cet univers d’incertitude,
aient eux-mêmes vécu comme enveloppés dans un brouillard durant les jours du
massacre, ce qui les aurait portés à remodeler sciemment leur argumentation. Ce
serait lorsqu’ils auraient discerné leur propre échec, puisque l’exécution d’un
nombrelimitédecapitaineshuguenotss’esttransforméeenuncrimecollectifque
riennesemblaitpouvoirarrêter,queCharlesIXauraitprisladécisiond’assumerla
totalitédelaviolencedevantleParlementetdoncd’amplifiercequirelèveraitdesa
«bizarrerie».Cettedécisionseraitunsacrificequ’ilauraitaccomplifaceàl’histoire,
mais aussi une tentative d’adaptation consciente et délibérée à l’effet même du
massacre.Etilestfondamentalde constaterquecetterationalisationcontinuéeet
mouvante du discours royal est l’objet de l’analyse des Mémoires de Gaspard de
Saulx-Tavannes,quiendécritlesscansionsdefaçonprécise,aprèsavoir rapporté
que la résolution d’origine de la royauté et de son conseil avait été dépassée par
l’irruptiond’uneviolenceintensedu «peuple» mettantàmort« indifferemment
hommes, femmes et enfants huguenots », « ne pouvant le Roy ny lesdicts
conseilliers retenir les armes qu’ils avoient debridées 117 ». Le roi, à partir de là,
aurait cherché à épouser le mouvement de l’histoire par un enchâssement de
discoursqui devaientlui permettre dedemeurer le maîtredu langage, etdonc de
l’histoire ; il est, à travers ses mots qui doivent dispenser l’information, le roi
rhéteur. Et le « coup d’estat » serait avant tout, dans cette ultime séquence, un
exercicedelangage.
Cecoupfaict,lacolererefroidie,leperilpassé,l’acteparoistplusgrand,plusformidableauxespritsrassis;
lesangespandublecelesconsciences.L’executiondel’acteavoitoccupélesentendements,tellementqu’ils
vacilloient aux pretextes, plusieurs fois changez selon les occurrences ; monstre qu’il n’y avoit rien de
premedité,etdeschargelesHuguenotsdel’accusationdel’entrepriseàeuxdepuisimputée.Lespremieres
lettresduRoycontenoientauxprincesestrangersetambassadeurs,quelablesseuredel’Admiralavoitesté
commiseparceuxdeGuise,sesennemis;lestilenestchangéapreslemeurtregeneraldesHuguenots,les
mesmes villes et ambassadeurs advertis par le Roy que c’estoient ceux de Guise qui avoient faict ce
massacre;bruitquieustcontinuésilesditssieursdeGuise,plusfins,cognoissansletemps,queleurrefus
nepouvoit retarder l’executionjà acheminée,n’eussent dit etpublié que cen’estoit eux,ains Sa Majesté,
qu’ils supplioient ne les vouloir mettre en bute à tous les heretiques de la chrestienté ; que puis que Sa
majestéen avoit peur,par plus forteraison lesdevoient-ils craindre. Leconseil r’assemblé,la foy violée,
l’himenarrousédesang,contraintd’inventeruntroisiesmemensonge.LesHuguenotssontaccusezd’avoir
voulutuerLeurs Majestez,dontla forcen’avoit donnétempsny moyend’user delaformalité dejustice,
avoitcontraintdelasupersederjusquesapresl’executionpourmieuxprevenirlaleur;qu’iln’yavoitdanger
dementirenlesaccusant,puisqu’enl’entreprisedeMeauxilsavoientfeintquel’oneustentreprissureux
pourprendre le Roy. Sa Majestéadvoüe l’acte assisen sa cour de parlement; l’Admiral traisné, penduà
Montfauconparlespieds,satesteenvoyéeàRome,lesprocessionsgeneralessefont.LesieurdeTavannes
separe les quartiers de la ville à plusieurs seigneurs, par le commandement du Roy, pour faire cesser le
meurtreetlepillage.
Ainsiquel’aévoquéFrançoisBillacois,l’effetmêmedudéchaînementdumassacre
collectifputêtreune«surprise»royaledevantcetteviolenceinattendue,maisune
surprise « divine » qui pouvait être récupérée. Non seulement elle affaiblissait
considérablement la Réforme française, mais en outre, comme le dira plus tard
Ludovico de Nevers-Gonzague, elle ne pouvait découler, aux yeux des
contemporains, que de l’accomplissement d’un mystère divin. Charles IX, en
assumant par sa parole la totalité du massacre, s’engouffrait dans un ordre
théophanique dont il pouvait espérer qu’il impliquerait non seulement une
adhésionplusdenseausystèmedelamonarchieabsoluequeMicheldeL’Hospital
avaitdéfinimaisaussiunreplivoireuneréductiondel’hérésie–cequed’ailleursles
nombreusesabjurations de la fin août et du début septembre semblèrent pouvoir
confirmer.Ildevint,souslaplumed’AmadisJamyn,«Charlessçavant,victorieuxet
sage118 », et un libelle publié par Pierre Luillier, un imprimeur proche de la
monarchieetquiparaîtavoirété,aprèslemassacre,l’outildediffusiondudiscours
de justification, le présenta comme le roi qui confirmait de façon spectaculaire la
vertudefoidetoussesancêtres,depuisClovis,«lepremierRoyquireceutenson
amelaReligionChrestienne,etquilepremierlaplantaenlaFrance».Clovisestle
roi qui, devenu chrétien, se rendit immédiatement « admirable persecuteur des
ennemisdelaFoyChrestienne,etdeceuxquiparimpuresetheretiquesopinions,
et par nouvelles sectes la voulloient polluer et souiller 119 ». Charles IX est figuré
commeleroiquiacherché,depuislecommencementdesonrègne,àguérirlaplaie
ouverteparlefaitmêmedeladiversitédereligion.D’unepart,ilamisfaceàface
dansdescolloquesetdesconférenceslesthéologienscatholiquesetcalvinistesetila
aussi promulgué des édits provisionnels qui permettaient aux réformés de vivre
dansleslibertésdeconscienceetdeculte.D’autrepart,c’estpardesactesdejustice
oudes guerres qu’il a agià leur égard. Mais c’estselon une déterminationdouble
qu’ilestditavoirpensésapolitiquefaceauxreligionnaires:celledela«necessité
dutemps»etcelledel’«avisdesonconseil».
LelibelleveutdoncassurerqueCharlesIXatouttentéavantlaSaint-Barthélemy
etqu’auboutdecettehistoire,ilyaeularencontreobligéeavectouslessouverains
quil’ontprécédé:pourlereposdesonroyaumeetl’unitédel’Église,ilaaccomplila
«justeexécution»deshérétiquesrebelles,«quiavoientconjurécontresavieetson
estat,ayantenunjourgaignéplusieursbataillesetplusfaitquecinqousixbatailles
n’avoientpeufaire,etrenduàl’ÉglisedelaFrancesonpremierhonneur,ungrand
reposàsessubjectzCatholiques,etlalibertédevivreseurementenleurreligion,et
àlaChrestientéunbontesmoignagedelasyncereetsainteaffectionenversDieuet
soneglise».Leroiestainsimisenscèneparletruchementdel’allégoriedubonet
savant chirurgien, qui a tenté les « onguents » doux avant d’être placé sous la
contrainted’userduferetdecouper«lachairmorte,afinquelaplayen’ayantrien
quilagaste,sepuisseconsolideretqu’ilnedemeureenicelleaucunepourriture».
Cetusagedelaviolencelui estvenud’une« saincteinspiration»dontDieului a
fait la grâce, et de cette victoire obtenue contre les ennemis de l’Église, il est
rapportéavoir remerciéDieu pardes jeûnes,des vœux,des jubilés,des aumônes,
desprièresetdesprocessionsgénérales120.
Encela,CharlesIXseraitlegouvernantquinerègnequeparlemouvementetse
réorienteconstammentenfonctiondel’«occasion121 ».C’estainsiquel’onpourrait
définir le « coup d’estat » royal, la faculté d’être et de ne pas être l’acteur de la
décision, parce qu’en définitive seul Dieu a été l’auteur de l’événement et en
connaît, dans son omniscience, les secrets. Pierre Luillier publie dans la même
tranche chronologique un Discours sur les causes de l’execution faite és personnes de
ceux qui avoient conjuré contre le Roy et son Estat, où il développe une approche de
l’histoire un peu différente, moins centrée sur les filiations pluriséculaires du roi
trèschrétienquesurlavisionpersonnellequil’aconduitàserésoudreaumassacre,
autermed’uneséquencedetreizeannéesquiavaientvusonroyaumeêtreagitéet
troublépresquecontinuellementdeguerrescivilesayantprocédédeladiversitéde
religion. Ce léger décalage par rapport au libelle précédent est intéressant, parce
qu’il révèle, au sein du même système de légitimation, des propositions de sens
sensiblementdifférenciées.Leshuguenotssontceuxquin’onteudecessed’attenter
«contrel’ÉtatetlaviedeleursPrinces»enserecouvrantdumanteaudeReligion
ou du « voile de piété ». Ils sont ainsi des hommes de la violence et de la
destruction,dela«fureur»,faceauxquelsleroiCharlesIXalongtempsexercésa
libéralitéetsapatience.Àleur«orgueiletsuperbe»,àleur«mauvaiseintention»,
partroisfois,ilaopposéles«doucesvoyes»,maissansrencontrerdegratitude.La
paixde1570n’apasapaisélemalquiétaiteneux:
Maisse sont tellement eslevezen orgueil et superbe…,ont tué les Catholiqueslà où ils ont estéles plus
forts:leurontempeschél’exercicedeleurReligion:ontsouventenpleinconseil,etmesmesenparticulier,
bravé le Roy par menasses de guerres, par importunscayers, et par fascheuses, injurieuses et picquantes
Remonstrantces,etparsuperbesRequestesetplaidoyers:jusquesàdire:sivousnefaictescela,vousaurez
laguerre:Sivousnenousfaictesjustice,nouslanousferons:etontuséd’autressemblablesfaçonsdefaire
etdeparlerpleinesdebraveirieetderebellion.
L’attentat du 22 août relève, alors, non pas d’un complot, mais du seul fait d’un
hommequel’Amiralauraitauparavantmenacédefairependre,et,commedansle
récitultérieurdeLouisDorléans,vientl’imaged’unsouverainqui,venuauchevet
dublessépourluidiresavolontédefairejustice,seheurteàlaviolencedelaparole
decedernier:«L’Admiral,quiparsablessureavoitdavantageulcerésoncourage
et ses desseins, et qui se sentoit plus offensé au cueur qu’au bras, pensant
faulsement que le Roy l’eust fait blesser pour le tuer et que Messieurs de Guise,
assistezdesamajesté,eussentpratiquéceluiquileblessa,seresolutdesevengeren
un mesme temps et d’un coup, du Roy et desicts seigneurs, et de les faire
massacrer.»Lesmenacessontprononcées,queleroi,d’abord,neveutpasprendre
ausérieux:«Silebrasestblessé,latestenel’estpas:s’ilmefaultcoupperlebras,
j’auray la teste de ceux qui en sont cause : ils pensoient me tuer, mais je les
previendray. » Dans ce libelle qui pourrait avoir été une préversion de la grande
fable qu’est le pamphlet de Guy du Faur de Pibrac, c’est après le déjeuner qu’un
conseil est secrètement réuni autour de l’Amiral et qu’est, le samedi, prise la
décisiondetuerleroi.Cen’estqu’ausoirquecedernierestprévenu.CharlesIX,
ici,estseul:
Il pensa qu’il falloit donner un prompt, souverain et rigoureux remède à une si prompte et cruelle
conspirationetentreprise,delaquellel’advertissementestoitasseuré,sanss’amuseràenfaireplusgrande
enqueste: car enmatiere d’advertissemens quiconcernent la vie,ou l’Estat desPrinces, dés qu’onen est
asseurément adverty, il fault venir à l’execution et punitions, devant que venir aux informations,
procedures et jugemens, ce que ne se fait en autres matieres d’advertissemens, ausquelles les jugemens
precedent les executions ; mais en celles-cy les executions doivent marcher les premiers, quand la
conjurationestmanifeste,puislesjugemensfontleurdevoiretesclarcissentcequiaestéfaict.
D’où l’ordre de punition exemplaire, donné le dimanche matin, à l’aube. À sept
heures,l’Admiraletlesprincipauxdesafactiononttousétéexécutésparcequia
étéun«justejugementdeDieu[…].Dieutardifàpunirlesmeschans,leurgardant
auciel ceste lentepunition, a choisynostre Roy pourministre et executeurde sa
fureur et ire, et luy a donné la volonté prompte et un moyen prompt de les
exterminer».Vintensuiteletempsdupeuple,quiparamourpoursonroi,aexercé
saviolenceetsa«fureur122».
Ces imprimés engagés sont importants : ils émanent de la sphère royale et ils
prouvent que le pouvoir a cherché avant tout, dans les jours qui suivirent le
massacre,àprocédertactiquementenobjectivantunelogiquedelaviolenceeten
diffusant une information structurée et cohérente centrée sur le mythe d’une
menace huguenote et sur l’évidence d’une action de salut de l’État divinement
inspirée. Mais, là encore, cette disponibilité de la monarchie à se plier aux
circonstancesenditlongsurcequiauraitpulaporterdanslanuitdu23-24août,
parcequ’ilfallaitrépondreàdespressionscontradictoires,àglisserd’unepolitique
deconcordeauchoixd’uneviolence,relevantdeceque,plustard,PhilipBenedict
nommera une « Realpolitik », et qui, dans ce livre, est nommé une politique de
l’énigme.
1.KatherineMacDonald,«Colorerlesfaits:lestatutduportraitgraphiquechezBrantôme»,SeizièmeSiècle,
n°3,2007,p.207-223.
2.Viesdesgrandscapitainesestrangersetfrançais,LudovicLalanne(éd.),t.1à5,inŒuvrescomplètesdePierrede
Bourdeille,seigneurdeBrantôme,publiéesd’aprèslesmanuscritsavecvariantesetfragmentsinéditspourlaSociétéde
l’histoiredeFrance,Paris,VveJulesRenouard,1864-1882,11vol.
3.«Dépositionnotariée,faiteàHeidelbergle7septembre1572»,op.cit.,p.377-381.
4. Scipion Dupleix, Histoire générale de France Avec l’Estat de l’Église et de l’Empire : Contenant l’histoire depuis
LouisXI,jusquesàHenryIII,3vol.,ÀParis,ChezClaudeSonnius,1637,t.III,p.745.
5.SommairemémorialdeJulesGassot,op.cit.,p.104-105.
6. Lettre de Joachim Opser à l’abbé de Saint-Gall, 26 août 1572, in « Deux lettres de couvent à couvent :
écritesdeParis,pendantlemassacredelaSaint-Barthélemy(lejourmêmeetlesurlendemain,25et26août)
parJoachim Opserde Wyl, jésuite,sous proviseurdu collège deClermont, à Paris,1572 »,Henri Martinet
F.JoachimOpser(éd.),BulletindelaSociétédel’histoireduprotestantismefrançais,vol.8,n°6/7,juin-juil.,p.284-
294.ÉdouardForestié,op.cit.,p.147-150.
7.PierredeVaissière,op.cit.,p.205.
8.CitéinJean-LouisBourgeon,L’AssassinatdeColigny,Genève,LibrairieDroz,1992,p.114.
9.Tavannesditquesurlepetitnombredecatholiquesparisiensqu’onavaitcommandés,lamoitiémanqua,
quoiquel’ordredes’armerémanât duroilui-même,il n’attribuequ’àlapeurcettedéfection. Brantômeparle
aussi des difficultés que firent les principaux de Paris, difficultés dont on ne vint à bout qu’en menaçant les
récalcitrantsdelesfairependre.
10.PierreMatthieu,Histoirede FrancesoubslesregnesdeFrançoisI,HenryII,FrançoisII,CharlesIX,HenryIII,
HenryIV,LouisXIII,3vol.,ÀParis,ClaudeSonnius,1631,t.I,p.344.
11.Jean-LouisBourgeon,L’Assassinat…,op.cit.,p.95.
12.Ibid.,p.96.
13.AntoineDauvin,«RaymonddeLaguo,capitainebéarnaisetgouverneurdeCaenpendantlesguerresde
Religion(1563-1578)»,RevuedePauetduBéarn,2016,p.17-51.
14.Voirlathèseinédited’AntoineDauvinsousladirectiond’AlainHugon,NormandieUniversité,2021,Un
mythedeconcordeurbaine?LecorpsdevilledeCaen,legouverneuretleroidurantlesguerresdeReligion(1557-1594),
p.220.
15.LettredeCavriana,27août1572, Revuedel’AunisetdelaSaintonge,3 eannée,1866,p.757-763.En1866,
Gabriel-Léopold Delayant, conservateur à la bibliothèque publique de La Rochelle, proposa la traduction
suivante:«LecapitaineLaguo,Basque,eutlachargedetuerLarochefoucauld,cequ’ilfitaussitôt,etilpritson
filsâgédedix-huitans,nédelasœurducomtedelaMirandole,àquileroiadonnélavieaveclesbiensdeson
père.Ilpromettaitseizemilleécusàcecapitaine,s’ilvoulaitluisauverlavie;maiscelaneluiréussitpas,leroi
voulaitjusticeetnondesrichesses.Guerqui[Guerchy],enseignedel’Amiral,réveilléparlebruitaveccinqdes
siens,sortitnudesamaisonpourserendreàlamaisondel’Amiral,maisLaguoluibarralepassageunépieuen
main,ill’entraversadepartenpartbienqueGuerquisedéfenditavecsonépéeetsonpoignard.»
16. Claire Laborde-Menjaud, « La seconde mort de l’ennemi. Dégradation de cadavre, interdiction de
sépultureetdestructiondesresteshumainsdanslaRomeantique»,Droitetcultures,82,2021/2,enligne.
17.MicheldeWaele,art.cité,p.97-115.
18.Jean-LouisMargolin,«Indonésie1965:unmassacreoublié», Revueinternationaledepolitiquecomparée,
vol.8[«L’utilisationpolitiquedesmassacres»],n°1,printemps2001,p.59-92.
19.Leradeauconfectionnéavecdescadavresdecatholiquesd’Orangeliéspardescordesestégalementunfait
despremièresguerresdeReligion.
20. Registres des délibérations du Bureau de la Ville de Paris, François Bonnardot (éd.), Paris, Imprimerie
nationale,1893,t.VII,p.10-11.
21. Agrippa d’Aubigné, Histoireuniverselle, Alphonse de Ruble (éd.), Paris, Librairie Renouard, 1889, t. III,
p.328-329.
22.LaSaint-BarthélemydevantleSénatdeVenise,op.cit.,p.46.
23.Auboutdequinzeàvingtjoursd’expositionpublique,lecorpsdeColignyauraitétésecrètementenlevé
dugibetparlessoinsdesoncousin,lemaréchaldeMontmorency.
24.J.B.M.C.KervyndeLettenhove,op.cit.,t.II,p.610,etLouis-ProsperGachard,op.cit.,p.580.
25. Hugues Daussy, Le Parti huguenot. Chronique d’une désillusion 1557-1572, Genève, Librairie Droz, 2014,
p.761.
26. Lettre à Arnaud du Ferrier en date du 24 août, de deux jours antérieure à la déclaration devant le
Parlement,inJean-FrançoisLabourdette,CharlesIXetlapuissanceespagnole:diplomatieetguerresciviles:1563-
1574,ParisHonoréChampion,2013,p.447-448.
27.Ibid.,p.483.
28.Ibid.,p.482-483.
29.CitéinJean-MichelRibera,Diplomatieetespionnage.LesambassadeursduroideFranceauprèsdePhilippeII.
DutraitéduCateau-Cambrésis(1559)àlamortdeHenriIII(1589),Paris,ClassiquesGarnier,2018,p.327-328.
30.LuisaCapodieci,op.cit.,p.22.
31.Ibid.,p.199.
32.Ibid.,p.202-203.
33.IlariaTaddei,LaPrudenceaupouvoir.Florence, XIVe-XVe siècles,Paris,ClassiquesGarnier,2022,p.252-255,
surlemotif duserpentassocié àceluidu miroir.SurFlorence, citédela prudencepartagée,p.333-348. Sur
prudenceetdissimulation,p. 376-382.VoiraussiPhilippe Morel,«Virtù, Providenceetarcanesdu pouvoir
dans la salle des Audiences du Palazzo Vecchio », in Le Miroir et l’espace du prince dans l’art italien de la
Renaissance,PhilippeMorel(dir.),Tours,PressesuniversitairesFrançois-Rabelais,2012,p.195-218.
34.IlariaTaddei,op.cit.,p.390.
35.CorrespondancediplomatiquedeBertranddeSalignacdelaMotheFénelon…,op.cit.,t.5,ParisetLondres,1840,
p.122-123.
36.Paulin Paris, Correspondance du roiCharles IX et du sieurde Mandelot,gouverneur de Lyon,pendant l’année
1572,époquedumassacredelaSaint-Barthélemy,Paris,ChezCrapelet,1830.
37.«Tous»ausensdescapitaineshuguenots.
38.CitéparGeorgesGandy,art.cité,p.416.
39. Jacqueline Boucher, « Les lettres de Henri III au secrétaire d’État Villeroy : expression personnelle ou
politique?»,inL’ÉpistolaireauXVIesiècle,CahiersV.L.Saulnier,n°18,Paris,ÉditionsRued’Ulm,2001,p.207,
citéinNicolasLeRoux,«Leglaiveetlachair:lepouvoiretsonincarnationautempsdesderniersValois»,
Chrétiensetsociétés,NumérospécialII,-1,p.61-83.
40.LireMonneins.
41.SupplémentàlaCorrespondancediplomatiquedeBertranddeSalignacdelaMotheFénelon.Lettresadresséesde
laCouràl’Ambassadeur,ParisetLeipzig,BrockhausetAvenarius,1840,t.VII,p.330-333.
42.«LetteradelSenatoVeneto…,12diSettembre1572»,citéinDenisCrouzet,LaNuit…,op.cit.,p.455.
43.DonFrancésdeAlava,citéinibid.,p.308.
44. Jean de Serres, Inventaire general de l’Histoire de France, depuis Pharamond jusqu’à présent, À Paris, Chez
PierreMettayer,1627,p.716-719,citéinibid.,p.455.
45.SommairemémorialdeJulesGassot,op.cit.,p.107.
46. Lancelot-Voisin de La Popelinière, L’Histoire de France, Enrichie des plus notables occurrances survenues en
Provincesdel’Europe&paysvoisins,soitenPaixsoitenGuerre:tantpourlefaitSeculierqu’Ecclesiastic: Depuisl’an
1550jusquesàcestemps,2vol.,[Paris?],Del’imprimeriedeAbrahamH.,1581,t.2(liv.29),p.67.
47.Ilajoutequece«miracle»futl’artificed’uncordelier«pourfairecroirequelaFrancerecouvroitsabelle
fleurperduëcontretoutespoirhumain»,p.67.
48.LaSaint-BarthélemydevantleSénatdeVenise,op.cit.,p.24.
49.ClaudeHaton, op.cit.,FélixBourquelot(éd.),t.II,p.681-684,observequ’«ilnefaultlaisserenarrièrele
miraclequeDieudesmonstradedanslavilledeParis,aucymetièredeSaint-Innocent,lesjoursetnuictzdela
séditionsusditteetsaccagementduditadmiraletlessiens,quifuttelqu’ils’ensuit.Faultnoteretcroirequant-
et-quant,quededanslecymetièredemons.Saint-InnocentdeParis,yaunepetitechapelette,dedanslaquelle
est une ymage de la vierge Marie nostre dame, devant laquelle tous catholicques qui passent par là font la
révérenceet plusieurs semettent à genoux pourprier Dieu enl’honneur de la viergeMarie, mère deJésus-
Christ, et pour l’utilité des pauvres trépassez ; devant laquelle chapelle et ymage y avoit une espine blanche
plantée,quiaultresfoisavoitestéverteetbienreprinse,portantparplusieursannéesfeuilles,fleursetfruictz,
et quiestoit devenue morte et sèche il y avoit plus de quatre ans auparavantceste présente, sans avoir jetté
feuilles,fleursnifruictz,etn’enfaisoit-onaultrecasqued’unarbremortetsec.Lequelarbreouespine,dèsle
matin du saccagement ou sédition, fust veue reverdir de feuilles et fleurir de fleurs belles et blanches, ayans
pareille odeur que les fleurs d’espine blanche qui fleurissent au mois de may, et dura ce miracle l’espace de
quinze jours entiers, au veu etau sceu de tout le monde de Paris et aultres lieux qui y estoient et furent de
toutesparts durant ce temps.Icelle espine fust par toutespersonnes touchée et visitéeen son escorce, boys,
feuilles et fleurs, pour veoir si c’estoit point ung abus qui eust esté faict par art magicque ou enchantement
d’enchanteurs,sorciersouVaudois,etfuttrouvéquenon,maisquec’estoitlavertudeDieuquiyopéroit.»
50.LaPopelinière,op.cit.,t.II,p.68-69.«Ilcommandequesurl’heureonailledeffendreàsondetrompeetà
peine de la mort en tous les cantons de la ville : qu’aucun ne fust si hardi de tuer ame vivante, de piller ne
tourmenteraucunforsceuxquiserontordonnezpourcefaire.»
51.Ibid.,p.198.
52.Ibid.,p.199.
53.LettresdeCatherinedeMédicis,op.cit.,t.I,p.228-229.
54.RobertAulotte,«Ronsardetl’Institutionpourl’adolescencedeCharlesIX»,inFrenchRenaissanceStudies
inHonorofIsidoreSilver,FriedaS.Brown(dir.)[KentuckyRomanceQuarterly,vol.XXI,n°2],1974,p.29-38,qui
insistesurlesparallélismesavecMicheldeL’Hospital,danslesmodèlesd’Achab,deCharlemagneetdeDavid,
etlerefusdelaforcebrutaleparlePrinceayantpourpointdecompensationledevoird’obéissanceabsolue.
55.LettresdeCatherinedeMédicis,op.cit.,t.I,p.275.
56.Ibid.,t.I,p.282-283.
57.Pourlepassédecettepolitiquequiaccepteetintègreladissimulationcommeexpressiondelavertude
prudence, voir les développements in Denis Crouzet, Charles de Bourbon, connétable de France, Paris, Fayard,
2003,p.115-238.
58. Lettres de Catherinede Médicis…, op.cit., t. II, p.150-151. Est publiéla même année untexte qui semble
d’inspiration très érasmienne, Les Louanges et recommandations de la Paix, extraites de l’escriture saincte. Plus est
monstréquecestchose fortdeshonnestequeles Chrestiensayentguerreensemble.Avecune suasionàfairela Paix,au
regarddugrandtravailqu’ilfautsouffriràmenerlaguerre,etdesgransfraizqu’ilyfautfaire,ParJeanSaugrain,À
Lyon,1563,quidéfinitlepouvoirpolitiquecommeunpouvoird’amitiéetdeconcorde,etlafoicommetendant
àl’amitiéetàlacharité.Êtrechrétien,c’estparticiper«d’unmesmechef,quiestIesusChrist,ayansunmesme
pereéscieux,estansvisitezetconservezd’unmesmeesprit,ayantfaictlaprofesssiond’unemesmefoy,estans
rachetezd’unmesmesang,regenerezd’unmesmebaptesme…».Laguerreestlemal,n’apportantquemalheur,
donnantlagloireàdeshommesn’accomplissantquedesforfaits,faisantdel’injusticelajustice,rabaissantles
Chrétiensàsemontrerpiresquelespaïens.Cequel’onappelleledroitdelaguerreest«ledroictduDiable».
59.LettresdeCatherinedeMédicis…,op.cit.,t.I,p.577.
60.Ibid.,t.I,p.587.
61.Ibid.,t.I,p.599-600.
62.Ibid.,t.III,p.63.
63. BertranddeGordes,lieutenant généralduroienDauphiné, Correspondancereçue(1572),StéphaneGal, Mark
GreengrassetThierryRentet(éd.),Grenoble,PUG,2017.
64.LettresdeCatherinedeMédicis…,op.cit.,t.III,XI.
65.Ibid.,t.III,p.62.
66.Àtitred’exemple,FrèreThomasBeaux-amis,Remonstrancesalutaireauxdevoyezqu’iln’estpaspermisaux
subjects,sousquelquepretextequecesoit,leverlesarmescontreleurPrinceetRoy,letoutprouvéparl’escrituresaincte,À
Paris,ChezGuillaumeChaudiere,1567.
67.LettresdeCatherinedeMédicis…,op.cit.,t.III,p.73.
68.Ibid.,t.III,p.75.
69.Ibid.,t.III,p.84.
70.LevrayDiscoursdelabatailledonnée(parMonsieur)le13.jourdeMars,1569:(oùesttombémortleprincede
Condé).Avecleroolledesmortz,prisonniersetblessez,ParGuillaumeNyverd,ÀParis,1569.
71.CedernierfutexécutéparlemarquisdeVillars,dontleConnétableétaitlebeau-père.
72.JeanDorat,ŒuvrespoétiquesdeJeanDorat,poèteetinterprèteduRoy,op.cit.,p.35-39.
73.GenevièveDemerson,op.cit.,p.275-277.Doratneferaretourversl’idéaldepaixqu’aveclapaixdeSaint-
Germain,qu’ilchanteracommeunevictoiredelaclémenceroyale.
74.PierreChampion,LaJeunessedeHenriIII…,op.cit.,p.176.
75.LettresdeCatherinedeMédicis…,op.cit.,t.III,xlvii.
76.AmadisJamyn, ŒuvrespoétiquesPremierlivre, op.cit.,«Ode,sur labatailledeJarnac,àMonsieurBelot,
MaistredesRequestes»,p.210-213.
77.LettresdeCatherinedeMédicis…,op.cit.,t.III,p.277.
78.DiscoursdelaBatailleetcruelzassaultz,DonnezentreMont-contourt,Hervaulx,op.cit.
79.LaurentdeBourg,Discourssurlavictoirequ’ilapleuàDieud’envoyerauRoy…,op.cit.,Iiii-Iiiii.
80.Ronsard,Œuvrescomplètes,GustaveCohen(éd.),op.cit.,t.II,p.625-629,«L’Hydredesfaictoulalouange
deMonseigneurleDucd’Anjou,FrèreduRoy,àprésentRoydeFrance».Unepiècequifutpubliéeen1569
dansles Pænessive hymniin triplicemvictoriam,felicitate CaroliIX. Galliarvmregisinuictissimi, &Henrici fratris,
ducis Andegauensis virtute partam, Paris, in aedibus Ioannis Aurat, 1569. Voir Denis Crouzet, « Langages de
l’absoluité royale (1560-1576) », in Absolutismus, ein unersetzliches Forschungskonzept ? Eine deutsch-französische
Bilanz.L’Absolutisme,unconceptirremplaçable?Unemiseaupointfranco-allemande,LotharSchilling(dir.),Institut
historiqueallemand,Munich,2008,p.107-139.
81.NuccioOrdine,GiordanoBruno,Ronsardetlareligion,Paris,AlbinMichel,2004,p.93.
82. Voir Lambert Wiesing, « Virtuelle Realität : die Angleichung des Bildes an die Imagination », in id.,
ArtifiziellePräsenz.StudienzurPhilosophiedesBildes,Francfort-sur-le-Main,Suhrkamp,2005,p.107-124.
83.Il estsignificatifde voir quece texteest contemporainde lacritique anti-machiavavélienned’Innocent
Gentillet,Discourssurlesmoyensdebiengouverneretmaintenirenbonnepaixunroyaulmeouuneprincipaulté,divisé
entroisparties,àsavoir,duConseil,delareligion,etPolicequedoittenirunPrince,contreNicolasMachiavelFlorentin,
s.l.1576.InnocentGentilletadhèreaugroupedesMalcontents.MaiscommeonleverraP.D.s’attaqueàcequi
estlachevilleouvrièredeladémonstrationdeGentilletetaussidesmonarchomaques,c’est-à-direlathèsedela
préméditationetdel’influencedesmauvaiscourtisansteintésdemachiavélisme.C’estaussien1576queJean
BodindonneenfrançaislesSixlivresdelaRépubliqueavantl’éditionlatinede1586,DeRepublicalibrisex…
84.Surcettepaix,DiscoursdelapaixpubliéeaucampdeSetignyetàsensetdepuisaussiàParis,leRoyseantensa
courdeParlement,ÀParis,ParDenisduPré,[mai]1576,p.9-10.
85.AmiableaccusationetcharitableexcusedesmausetevenemensdelaFrance,pourmonstrerquelapaisetreunion
dessubjectsn’estmoinsnecessaireàl’Estatqu’elleestsouhaitableàchacunenparticulier,ÀParis,RobertLeMangnier,
1576, p. 49. Voir aussi François Secret, Postel revisité. Nouvelles recherches sur Guillaume Postel et son milieu.
[Premièresérie],Paris-Milan,Arché,1998,chap.VIII,«PierredeDampmartinetFrançoisd’Alençon»,p.51-
61,FrançoisBerriot,«EntrePlutarqueetMontaigne:PierredeDampmartindanssaConnoissanceetmerveilles
dumondeetdel’homme »,inFrançoisBerriot(dir.), Spiritualités,hétérodoxiesetimaginaires.ÉtudessurleMoyen
Âge et la Renaissance, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1994, p. 275-286 ; Mack
P. Holt, The Duke of Anjou and the Politique Struggle during the Wars of Religion, Cambridge, Cambridge
UniversityPress,1986,p.101et109.VoiraussiPierredeDampmartin,Delaconnaissanceetmerveillesdumonde
etdel’hommedediéauroytres-chrestienHenryIII.RoydeFranceetdePologne,ÀParis,ChezThomasPerier,1585.
86. Ibid., p. 51-54. Avec cette précision : « … le feu Roy, quoy qu’on le die avoir esté aspre et enclin à se
courroucer…»
87.Ibid.,p.68.
88.Ibid.,p.89.
89.Ibid.,p.63.
90. Un libelle, Remonstrance d’un bon Catholique françois, aux Trois estats de France, Qui s’assembleront à Blois,
suyvantleslettresdesaMajestéduVI.D’Aoust,presenteannée(M.D.L.XXVI.),s.l.,1576;àl’opposé, Advertissement
auxtroisestatsdelaFrance,surl’entretenementdelaPaix.AuRoytres-chrestienHenryIII.DunomRoydeFranceetde
Poulongne, À Paris, Pour François Tabert, 1576. Briesve remonstrance à la noblesse de France, sur le faict de la
DeclarationdeMonseigneurleDucd’Alençon,s.l.,1576,p.53-54.
91.PierredeDampmartindoitêtrecitéànouveau,dansunouvragequiluiesttardivementattribuéetquiest
intitulésignificativementLaFortunedecour…,Paris,chezNicolasdeSercy,1642(unepremièreéditionen1592,
àAnvers,sous letitre Du bonheurdela cour,etvraie felicitédumonde).Au coursdeson développement,ilen
vient à s’intéresser à nouveau au massacre de 1572 et reprend le principe d’une décision royale : la mort de
Colignyestlefaitd’uneactionaristocratiqueréunissantlesducsdeGuiseetd’Aumale,lebâtardd’Angoulême,
leducdeNeversetaussilessieursdeTavannesetdeLansac.Toutpartduroi,maisensuite,ilestimpossiblede
savoir pourquoi le roi a fait l’acte de violence. Toutes les hypothèses, pour lui, qui pourraient expliquer les
raisonsdece«coupd’État»,serévèlenttellementcontradictoiresqu’ilnedemeurequelemystèreinsondable
del’acte…
92.Montaigne,LesEssais,MauriceRat(éd.),2vol.,Paris,1962,t.I,p.314,unecitationdePorcusLatroqui
peut être traduite ainsi : « les morsures de la nécessité aux abois sont très graves ». Voir Robert J. Collins,
«Montaigne’srejectionofReasonofStatein“Del’utileetdel’honneste”»,SixteenthCenturyJournal,t.XXXIII,
n°1,p.71-94.
93. Jean Crespin, Histoire des martyrs persécutez et mis à mort pour la vérité de l’Évangile de puis le temps des
Apostresjusquesàprésent(1619),D.BenoitetM.Lelièvre(éd.),Toulouse,1889,4°H80(3),p.667.
94.Discourssurlavictoirequ’ilapleuàDieud’envoyerauroy,surleshéréticquesetrebelles:avecdiversespreuvesde
l’assurancedenostrevictoire:jointeuneexhortationàseresiouyrenDieuetàlouerleschefsdecesteguerre,etunchant
d’allégresseàtoutlepeupledeFrance.ÀMonsieurdeMandelotgouverneurdeLyon,ÀParis,ParDenisduPré,1570,
p.27.
95.WilhelmGottliebSoldan,LaFranceetlaSaint-Barthélemy,Paris,LibrairiedeCh.Meyrueisetcomp.,1855,
p.57.
96.AbelDesjardins, op. cit.,t.III, LettredeVincenzoAlamanni àFrançoisde Médicis,11novembre1572,
p.859.
97.LouisDorléans,Histoiredel’originedelaLigue,BnF,Msfr.4922,microfilm352,fol.1-71.
98. Cette situation clé du colloque de Poissy est déjà présente dans Louis Dorléans, Advertissement des
CatholiquesangloisauxFrançoisCatholiques,dudangeroùilssontdeperdreleurReligion,etd’expérimenter,commeen
Angleterre,lacruautédesMinistress’ilsreçoiventàlacouronneunRoyquisoitHeretique,1586/1588,p.17.
99.Laréférence,ici,estMalachieIII,19.
100.Ontrouvelenéologismeaussi,avantPierreCharron,dansEstiennePasquier,Lettreshistoriquespourles
années 1556-1594, Dorothy Thickett (éd.), Genève-Paris, Librairie Droz, 1966, Lettre VI, Livre XIII, « À
Monsieur Airault », p. 368, à propos de l’assassinat du duc de Guise : « Or comme cette mort est un coup
d’Estat…»IlestpossiblequecettelettreaitétérécriteparPasquierdisposantdumatériauintellectueldu«coup
d’estat».Surleconceptderaisond’Étatetsespremiersusages,MarcelGauchet,«L’Étataumiroirdelaraison
d’État:laFranceetlachrétienté»,inYves-CharlesZarka(dir.),Raisonetdéraisond’État,Paris,PUF,1994.
101.AnalysebrèvedecetexteinÉtienneThuau,Raisond’Étatetpenséepolitiqueàl’époquedeRichelieu,Athènes,
Institut français d’Athènes, 1966, p. 38-39, rééd. Paris, Albin Michel, « Bibliothèque de l’Évolution de
l’humanité », 2000. Sur l’essor de la pensée tacitiste à la Renaissance, Kenneth C. Schellhase, Tacitus in
RenaissancePoliticalThought,Chicago-Londres,UniversityofChicagoPress,1976.
102. Yves-Marie Bercé, « Les coups de majesté des rois de France, 1588, 1617, 1661 », in Complots et
conjurations dans l’Europe moderne. Actes du colloque international, Rome, 30 septembre-2 octobre 1993, Yves-
MarieBercéetElenaFasano-Guarini(dir.),Rome,ÉcolefrançaisedeRome,1996,p.491-505.
103.Gabriel Naudé, Considérations politiquessur les coups d’État.Précédé de Pour une théoriebaroque de l’action
politique,LouisMarin(dir.),Paris,LesÉditionsdeParis,1988,p.18.
104.Ibid.,p.20.
105.Voirsurcepoint,Jean-LouisFournel,«LecturesdeGuichardin.Véritéshistoriquesetébauchesd’une
raisond’Étatà lafrançaise »,in LaCirculation deshommeset desœuvres entrela Franceetl’Italie àl’époque dela
Renaissance,JoséGuidietal.(dir.),Paris,UniversitédelaSorbonneNouvelle,1992,p.165-187.
106.HierosmeChomedeyestletraducteurdeSalluste,L’HistoiredelaconjurationdeCatilin,ÀParis,PourAbel
l’Angelier,1575.Aveccetavertissement:«Ceuxquiusurperontleglaive,perirontparleglaive.»
107. François Guichardin, Histoire des guerres d’Italie. Écritte en Italien… et traduitte en François par Hierosme
Chomdey,GentilhommeetConseillerdelavilledeParis,Paris,ChezMichelSonnius,1577,p.1.
108.GuillaumeCardascia,«UnlecteurdeMachiavelàlacourdeFrance:JacopoCorbinelli»,Humanismeet
Renaissance,IV,1938,p.445-452.
109. Richard Tuck, Philosophy and Government 1572-1651, Cambridge, Cambridge University Press, 1993,
p.39-45.
110.MichelSimonin,CharlesIX,Paris,Fayard,1995,p.327-328.
111.BnF,Msfr.4897,Recueild’undialogue,auquelestintroduiteAlythie,c’estàdireverité,laquelleestlogéeences
quartiersdelaHongrie,quiestsouzlapuissanceduTurc,parl’Autheurquiestmeconnu:sicen’estqu’aucunsl’attribuent
ausrduPlessis,delamaisondeBouy,Huguenot,fol.58.
112.Ibid.,fol.72.
113.EstiennePasquier,op.cit.,p.208.
114.Ibid.,p.211.
115.Ibid.,p.370.
116.ÉlianeViennot,«ÀproposdelaSaint-BarthélemyetdesMémoiresdeMargueritedeValois», Revue
d’HistoirelittérairedelaFrance,sept.-oct.1996,n°5,p.894-917,icip.898.
117.GuillaumedeSaulx…,op.cit.,t.3/25,p.298-299.
118.CitéparM.Simonin,op.cit.,p.357.
119. De la religion catholique et foy chrestienne des Roys de France. Œuvre par lequel est monstrée la devotion, et
l’affectiondesdictsRoysenversleschosessainctesetlapunitionpareuxfaictedesheretiquesetdesrebelles,ÀParis,à
l’OlivierdePierreLuillier,1572,Aiii.
120.Ibid.,H-Hii.
121.VoirsurcepointBnF,CinqcentsdeColbert,Ms7,fol.425-6,MémoiredonnéauseigneurChangyallant
trouverlesieurdeVilliersle27aoust1572(VilliersLespaulx).
122.Discourssurlescausesdel’executionfaicteéspersonnesdeceuxquiavoientconiurécontreleRoyetsonEstat,À
Paris,Àl’OlivierdeP.L’Huillier,1572.
CHAPITREVI
Unetrèsgrandetuerieparuntoutpetitnombre?
Tout récemment, une voie nouvelle a été empruntée dans un travail de haute
tenueheuristiquequiacherchéàredéfinirlescontoursd’unehistoirealternative.
Ils’esteneffetagidecontourner,avecunescientificitéexigeante,laquestiondu
« sens » en changeant d’angle d’appréhension et en basculant dans une approche
microfactuelleconçuecommeunoutilpertinentpourcomprendrel’extraordinaire
ampleurdelaviolenced’août1572etparveniràlaréhistoriciser.Ouplutôtd’une
conception déterministe de la causalité qui régirait les configurations sociales en
laissant«parler»lesseulsfaits–icidesmicro-faits–,selonlaformulationcritique
de Max Weber, et donc en les dotant d’une faculté d’élocution outrepassant les
écartstemporels.
Quandladonnedel’écriturehistoriquechange
AvecTousceuxquitombent,JérémieFoaaeneffetchangéladonnedel’écriturede
l’histoiredesmatines parisiennes:il choisitdedéporterl’analysehors delaquête
d’une intelligibilité de l’engrenage qui aurait généré la tuerie effroyable d’août-
septembre1572;horsdoncd’unerecherchesurcequiauraitétélefonctionnement
d’une machine infernale. À ses yeux, les questionnements traditionnels ne sont
désormaisplusnécessairesdanslamesureoùonensauraitassezsurlebackground
même du crime ainsi que sur ses mécanismes : « Pourquoi dès lors s’échiner à
bêchercesterroirsdudéjà-luetdusibiendit?»CatherinedeMédicis,danscette
optique, n’est plus une « matrone abusive et sanguinaire », et « de nombreux
historiensontpointédesresponsabilitésautresquecelledelareinemère:[…]le
poids des ingérences internationales et […] le rôle décisif de la milice parisienne
danslesviolences».
Jérémie Foa construit une sociographie compréhensive des gestes criminels de
tueurs parisiens nominalement identifiés, et la déconnecte intentionnellement de
l’examen des dynamiques pouvant avoir conditionné le basculement généralisé
d’une cité de plus de 280 000-300 000 habitants dans la violence la plus
dévastatrice1 . Ce seraient 3 000 huguenots qui auraient été assassinés, selon les
évaluationsentérinéesparJérémieFoa,dontilesttoutefoispossiblequ’ellessoient
minimalistes. Mais « plutôt qu’une autre histoire de la Saint-Barthélemy », il
souligne avoir voulu écrire une histoire par le « bas », celle « des autres dans la
Saint-Barthélemy » : « Une histoire du petit, du commun, du banal dans un
événement qui assurément ne l’est guère », qui « tourne donc le dos au Louvre,
délaisselemonarque,lesGuiseetleursintrigues,ignorelongtempsColignyoula
reine mère 2 », sans pourtant oublier d’intégrer l’émotion devant les drames
particularisés qui peuvent être reconstitués. Cette histoire gravite autour d’un
double questionnement portant sur des « vies minuscules »3 : d’une part,
« comment des hommes ordinaires ont-ils pu soudain égorger leurs voisins de
toujours?»,et,d’autrepart,commentunpetitnombredetueursdemassea-t-ilpu
exécuterunactecriminelaussiterrible?
D’où, malgré tout, une interrogation qui vient d’emblée au lecteur : n’est-ce pas
une facilité de laisser en arrière ce qui serait une histoire « par le haut », sans
laquellel’histoire«parlebas»n’auraitcertainementpaseulieuet,surtout,n’aurait
pas pris une si épouvantable ampleur ? N’y aurait-il pas, en conséquence, une
situationdedéficitheuristiquequiseraitinhérenteàladémonstrationetàsonparti
pris,àlaquellesesuperposeraitlepetitnombredescasétudiés?L’historienpeut-il
scinderl’histoireentrele«haut»etle«bas»,etpeut-ilseprévaloird’unpouvoirsi
absolu qui le mettrait en mesure de « passer le passé à l’ultraviolet – retrouver
quelque chose des disparus », sans intégrer dans sa démarche les processus de
violencesquiseraientvenusdu«haut»?
Le massacre impliquerait, toujours selon Jérémie Foa, un savoir et surtout une
actualisationd’«habituscohérents»,quiattesteraientdela«troublantecontinuité
entre l’avant et l’instant du crime ». Il donnerait à penser à une planification
mortifèrecertesimproviséedanslaplusgrandeurgence,maisréutilisantdesacquis
accumulés durant les années antérieures et autorisant une connaissance
systématisée, par avance, de ses cibles. Selon Jérémie Foa, la temporalité
d’exceptionquis’ouvreautrèspetitmatindu24aoûtfaitremonteràlasurfacede
consciencesengagéesdepuislongtempsdansladéfensedelafoicatholiquetoutun
passif sociétal, allant de conflits ou de contentieux intrafamiliaux ou
intraprofessionnels, de frustrations ou de jalousies sociales ou économiques à un
mécontentementmilitantdevantlespaixdereligionautermedesquelles,àchaque
occasion depuis 1563, une politique de l’oubliance des méfaits, « tors et injures
passées»deshuguenotsavaitétéentérinéeparlepouvoirroyal.PourJérémieFoa,
« le massacre de la Saint-Barthélemy est l’histoire d’une longue lassitude des
catholiquesdevantlespromessesnontenues.Dixfoislesplustenacesontétéjetés
enprison,ontjurédevivrebonscatholiques.Dixfoisonlesaarrêtés»etsanscesse
«ilsontétélibérésenpromettantunebonneconduite4».
Quelqueshommesauraientcapitaliséunsavoiraufildesannées,un«butin»qui
auraitétéun«l’annuaireduprotestantismeparisien».Troisd’entreeux,danscette
perspective,sontresponsablesdelamoitiédes504incarcérationspourhérésieàla
Conciergerieentreoctobre1567etaoût15705.«Sanseux,pas demassacre.Très
vite, ils ont pu, grâce au charisme durement acquis dans les rues de la capitale,
mobiliser leurs amis, leurs collègues, fidèles ou gros bras prêts à tous les coups
tordus6.»Des compagnonsde tueriebienfantomatiques puisqu’aucund’euxn’est
cité avec précision ! Jérémie Foa dévoile des cas symptomatiques d’une violence
désinhibante grâce à des recherches paléographiques aussi pointues qu’inédites :
MaryeRobertestpeut-êtreunevictimedesonmari,àcausedesonprotestantisme
qui avait pu avoir socialement pénalisé ce dernier redevenu bon catholique, mais
aussiparce que sa mort lui permet de se remarier bien vite avec une veuve, avec
laquelleilauraitentretenupeut-êtredès auparavantuneliaison7.Ladémarchede
Jérémie Foa recoupe alors les Mémoires de l’estat de France sous Charles Neufiesme,
contenansleschosesplusnotables,faitesetpubliéestantparlesCatholiquesqueparceuxde
la religion…, du pasteur Simon Goulard8 (1576-1577) et de l’Histoire des martyrs
persecutezetmisàmortpourlavéritédel’Évangile(1582-1619)9 , dontlesrécitsdela
Saint-Barthélemy dépeignent souvent l’action mortifère de voisins ou de proches
pourdémontrer que le crime collectif se seraitcouvert du manteau de la religion
alors qu’en réalité, selon le paradigme des massacres de l’Antiquité romaine, les
pirespassionsintimesagitaientlestueurs.
Le projet de Jérémie Foa a donc été le suivant : « Repeupler le massacre,
singularisersesprotagonistes,c’estainsisedonnerlesmoyensdesavoirsilatuerie
abienété«manifestementmotivéeparlareligion»ousimplementlégitiméepar
ellemaisexercée«pourdetoutautresmotifs»?Est-ilpossibledesavoirsileurs
motivations furent uniques ou plurielles, religieuses ou séculières, conscientes ou
inconscientes10 ?»Estdépeinteunesociétéquientreenviolencepoursepurgerde
sestensionsinternesdontlapluparttiennentcertesàunehainedereligioncouplée
à des passions particulières, mais aussi qui ont pour fin de tirer des bénéfices
matériels des décès que l’occasion rendrait enfin possibles11. Ce qui a intéressé
Jérémie Foa est moins le massacre en tant qu’interrogation herméneutique sur le
rapportentre la transcendanceet la violence que lesmassacrés, dont l’échantillon
est cependant trop réduit pour ne pas laisser le lecteur sur sa faim. La
démonstration procède par la voie d’une imputation causaliste qui est fragile
épistémologiquement puisqu’elle repose sur les données d’une psychologie
conflictuellequiseraitinhérenteàdesrapportssociauxdeproximité.
L’analyseaurait ceci de novateurqu’elle ne limite pas lemassacre à un crime de
foule tuant à l’aveugle ceux et celles qui se laissent immédiatement identifier
commeméconnaissantlesrudimentsde la« vraiereligion».Le massacreestune
tuerievouluepardesParisiensquisaventquiilsdoiventtuer,quiconnaissentleurs
victimes dans un contexte où la vie continue tout autour d’eux, qui les ont
clairementidentifiéesdepuis1562.Cependant,ilfautledire,lesexemplesmettant
en scène et en actes un groupe au sein duquel se distinguent les porteurs de la
châssedesainteGenevièvesontdérisoirementpeunombreuxparrapportauxplus
de4000victimes,voireplus,protestantes.
Ces tueurs de la fin août 1572 auraient été « une poignée », une vingtaine de
«bons »ou «vrais »catholiquespeut-être, entraînantdansleur sillagemortifère
certainsbourgeoisdelamiliceenarmes.Lepillageauraitétélefaitdeprofiteursde
leurscrimes,entrés dansles 400à 600maisonsinvesties auparavantparceux qui
onttoutde «serialkillers»procédantàuneopérationsystématiquedepurification
del’espaceparisien.Onpourraitrajouterquecesvraistueursavaientétédepuisdes
années à l’écoute des prédicateurs eschatologiques dont la parole saturait l’espace
public,ilsauraientétédesParisiensangoisséspourleursalutetauxaguetsfaceàla
menacequi,àleursyeux,minaitdel’intérieurleurcité.Ilsauraientétéintensément
dansl’attentequelegrandjouradviennepourexhiberdansParisl’intensitédeleur
foi en faisant couler le sang impur de religionnaires qui avaient pris part
auparavant,directementouindirectement,àdestueriesdeprêtresoudemoines,à
des profanations et destructions iconoclastes, et qui honoraient un dieu ennemi
d’une Église romaine qu’ils voulaient voir anéantie. Des « religionnaires » qui
profanaientlagloiredivineenseprésumantprédestinésausalutetensouillantde
leurserreursetmensongeslavilledeParis.
Les assassins de Jérémie Foa étaient des hommes en nombre restreint, qui « se
connaissaient»;et,commeilsavaientpersécutélesdissidentsparisiensdelafoide
manièreparalégaleauparavant,ilsavaientdoncacquiscequiauraitété«unsavoir-
faire»qu’ilneleurauraitpasétédifficiledemobiliserdurantlespremièresheures
dudimanche24août.Lapulsionde violenceauraitpréexistédansl’imaginairede
ceshommesquiseprécipitentdanslafaillequis’ouvresoudaindevanteuxaprèsle
meurtredel’AmiraldeColignyetleurpermetdemettreenfinàmortceuxetcelles
avecquiilsonteu«unecertaineintimité»etunefamiliarité.Ilyauraiteuaussià
leurscôtés,auseinde«l’infiniegammedesmotivationsalternativesàlareligion»,
les«opportunistesqui profitentdesviolencespour réglerdescomptes, selibérer
d’ennemisoudeconcurrentsvoired’épousesencombrantes».
D’oùunegénéralisationpeut-êtretropaventureuse:«Ilnemesemblepasjustifié
d’attribuer la majorité des assassinats de la Saint-Barthélemy à une « foule », ni
même peut-être à un collectif, tant nombre d’assassinats ont été commis les yeux
danslesyeux,pardesindividusprécissurdesindividusprécis.»PourJérémieFoa,
ce n’est pas l’anonymat de la foule qui rendrait compte de la toute-puissance
criminelle d’août 1572 ainsi possiblement désinhibée : « Il me semble qu’au
contraire,lefaitquelestueursconnaissaientlestuésafavorisénonseulementleur
mise à mort mais aussi la violence avec laquelle les bourreaux ont œuvré, a
posteriori,àdéshumaniserleursvictimes.»Lestueursnesontdoncpasune«foule
anonyme » s’attaquant à des cibles également « anonymes » : « Il y a des
interconnaissances très fortes entre les tueurs et les tués. Ce sont ces
interconnaissances qui ont permis précisément le massacre. » La vingtaine de
tueurs de masse auraient, par leurs actions perçues comme exemplaires et justes,
livré le Paris protestant au pillage ou au saccage par ceux qui sont alertés et
accourent pour prendre part à un événement basculant alors des meurtres à la
curée : « coffres effondrés, bahuts renversés, chambres et placards fouillés. L’or,
l’argenterie,leschevaux,l’argent,touts’envole.»
PourJérémieFoa,«lamiliceestaucentredetout»,etilnefautpasimpliquerce
qu’ilnomme« lechaoscollectif,irresponsable,aveugle etanonyme» qui«a bon
dos12».Cetteaffirmationposeévidemmentunproblèmecapital:nefaudrait-ilpas
distinguerdes responsabilitésen chaîne, celle des soldats du pouvoir et de Guise,
quiouvrentletempsdelaviolenceendonnantl’impressionquetuerestordonné
parleroi,celle,ensuite,delamilicequicibledesprotestantsparmid’autresetqui
contribueàexemplariserundevoirdeviolence,etenfin«lepeuple»quis’empare
intensémentdecedevoircommec’estsouventlecasdansnombredepogroms–et
qui«fait»laSaint-Barthélemy.
Certes,JérémieFoaafaitladécouvertedesourcesdanslesquellessontnommésà
plusieurs reprises des tueurs de masse, les Pezou, Croizier, Chenet, Tanchou, qui
semblentavoirétélespromoteursdecertainesactionscriminelleslaissantentrevoir
leur rôle qui, hypothétiquement, aurait été déterminant : « le groupe d’hommes
motivésetorganisés,quiontmisenœuvrelesmassacres,tandisquelamajoritéde
leurs voisins catholiques faisaient autre chose, vaquaient à leurs occupations,
vivaient leur vie ». Dans cette optique, est adressée au lecteur une déclaration
d’intention,parlaquelleilaffirme«refuserdepointerenbloclesParisiens,pire,le
« peuple », trop souvent accusé des pires tueries, pour mieux s’arrêter sur ceux,
bonsbourgeois,capables,entempsvoulu,d’organiserunimpitoyablemassacrede
civils13 ». Une question taraude le lecteur : pourquoi le « peuple », à la fois de
voisinset de curieux motivés par leur foi, ne peut-il pas avoir pris part au crime
alorsquenombredetémoignagesledésignent?
Leparadigmed’unmassacredevoisins
C’est le modèle du « massacre de proximité » des Tutsi développé en 2014 par
HélèneDumasquiesttransposérétrospectivementdanslecoursdel’étéparisiende
157214 ,unmodèlecoupléàceluide«micrologiques»quisontcellesdelarueou
duquartier.Êtreuntueur,c’estallerauplusprèsdesoi,dansl’espacedufoyeroude
la famille ou encore du métier et donc de la rue, pour régler des conflits de
différentstypesoudeshainesrecuitesquipeuventviserlafemme,leneveu,l’oncle,
latante,levoisindumêmemétier,lecollègue,afindemettrelamainsurdesbiens
matériels,del’argent…
Unevisionpsychologisante,quioublielapartinsistantedudevoirreligieux,ouce
qu’auraitétélerapportd’unefoiviveàcetteprédationimplacable.Et,quienoutre
neprécisepasbiencequ’ilfautentendrepar«voisins»danslemondeparisiendu
secondXVIesiècle,nedéfinitpascequepeutavoirétél’expérienceduvoisinage,ses
limitesetsesextensionsvirtuellesspécifiquesdansunetrèsgrandecitéquin’estpas
un gros bourg du Rwanda. Qu’est-ce qu’habiter à Paris, donc dans un univers
élastique et interactif, en 1572, qu’est-ce que faire relation, qu’est-ce qu’être dans
unecohabitancedansuntempsdeconflits,quelleestladifférenceentrevoisinage
et interconnaissance ? En bref, les « voisins » de Jérémie Foa ne sont-ils pas des
acteurstrèsflousdesVêpresparisiennesetsont-ilssi«voisins»qu’ilestavancéde
leursvictimes?
Lesassassinsde1572sontdesbourgeoisoudesartisans,desmembresdelamilice
bourgeoise, et c’est un petit noyau distinctif qui peut alors être repéré, à l’image
d’un de ceux qui ont été mémorisés dans les rares notations de contemporains :
Thomas Croizier, le tireur d’or qui était un des porteurs de la chasse de sainte
Genevièveetquihabitait,danslaValléedeMisère,uneruellevoisinedupontdes
Meuniers, une maison à la porte peinte en rouge dans laquelle auraient été
assassinésplusde500à600protestantsetprotestantes15.Unchrétienfréquentant
l’égliseSaint-JacquesdelaBoucherie,activistedemini-terreursparisiennesdurant
lesdeuxièmeettroisièmeguerresciviles,etquiaurait,seloncequiestrevenuaux
oreillesdeTomassoSasseti,tuédesamainplusde400huguenotsets’envantait!
Jérémie Foa démontre que ces tueurs n’ont jamais été pénalisés par le pouvoir
royal,etmêmeThomasCroizierrachètelamaisond’undeceuxqu’ilaassassinés,
l’orfèvreMathurinLussault,etymeurtbiendesannéesplustard.DansleParisde
l’été 1572 et des années qui suivent, « tout le monde connaît les coupables car,
commeàParisouàLyon,lestueriesontétépilotéesparunepoignéedenotables
qui ne se cachent pas ». Jérémie Foa rejoint ici indirectement Agrippa d’Aubigné
qui avança qu’un des théâtres du massacre aurait eu effectivement pour cadre la
maison de la Vallée de Misère, qui aurait servi de quartier général durant les
premiers jours de la violence à de présumés tueurs en série, « ou tous ou partie
d’eux»:leursvictimesétaiententraînéesjusqu’àlaported’entréepeinteenrouge,
puisjetéesdanslaSeine.
Etles coulpables ont conté que levendredi ils avoyent poignardé etprécipité une femme, de laquelle ils
avoyent voulu voir les cheveux avant la tuer, et que ses cheveux s’estoyent entortillez en une cheville,
suspendans le corps en l’eau jusques aux mammelles, qui ne pût tomber pour quelques pierres qu’ils lui
jettèrent,etautrescorpsprécipitezenmesmelieu,maisque,ledimanche,sonmari,amenéetrecogneupar
aucunsd’eux,despeschéenmesmeplace,tombadesdeuxbrassurlecoldesafemmeetl’emporta16 .
Maisil«nesuffitpasdedétesterpourtuer»,sedoit-ond’ajouterensuivantpasà
pasJérémieFoa.Lespassionssont-ellesd’ailleursunobjethistorique?Nedoit-on
pasêtreprudentensuivanticiMaxWeber,observantquelafinalitéd’unescience
dela«vieculturellehumaine»est«d’ouvrirlacompréhensionintellectuelleaux
idéespourlesquellesleshommesontluttéetcontinuentdeluttersoitenréalitésoit
enapparence17».Des«idées»etdoncdesimaginaires,etnonpasunemécanique
passionnelle!
En marge de la démonstration de Jérémie Foa, il convient de s’interroger sur le
systèmedesymbolisationquipourraitressortirdelaporterougedusinistrelogis
du tireur d’or Croizier. Serait-ce une allusion à la Passion du Christ, comme la
porterougequiouvraitaunordsurlechœurdeNotre-DamedeParisetquiserait
liée au symbolisme du cerf luttant contre les serpents et donc une image de
l’homme saint cherchant Dieu et luttant contre le péché, Christ cerf entre les
cerfs18 ? Car le rouge peut avoir été une couleur de défi à la foi réformée19 qui
l’associait à la luxure, l’orgueil ou la colère. N’y aurait-il pas une forme de
déclarationdefoichristiqueaffichéeàl’entréedulieuprésuméduchâtiment?Une
porte rouge comme le sang du Christ, comme ses plaies20 ? Une porte qui
rappelleraitlanécessitéd’unevengeancedesangcontredeshérétiquesaccuséspar
la polémique catholique d’avoir, depuis 1562, par leurs atrocités iconoclastes et
leurstueriesdeprêtres,recrucifiéleChristenbrisantlescrucifixouenpiétinantles
hosties?Uneportequipeutnousinviteràsoupçonnerqueletueurensérieaurait
puêtreanimé,demanièreexhibitionnisteetproclaméesymboliquement,d’unefoi
bibliqueluicommandantdemettreimplacablementàmortceuxquiparticipaientà
sesyeuxd’ungrandprojetdedestructiondelafoi?
Cette porte rouge n’avait-elle pas, pour le tireur d’or, la finalité symbolique de
protéger contre l’Ange de la Mort et ne renvoyait-elle pas à Hébreux 2, 28 et à
l’institution de la Pâque par Moïse ordonnant d’enduire de sang les portes des
maisons,afinquel’Exterminateurnetuepaslesfilspremiers-nésdesHébreux21?
Dans ce cas, Thomas Croizier aurait été plus un guerrier de Dieu à l’image des
fidèlesparisiensdelareligiontraditionnellequ’unparanoïaqueplanificateurde la
violence.Etsamaisonauraitétémémoriséedufaitdelahauteexpressivitédeson
pouvoirsymbolique.Cependant,pourJérémieFoa,lecritèredécisifestceluid’une
violenced’abordvicinicide22:cen’estpaslecas,cependant,ducapitaineMichelqui
entrechezleprésidentPierredelaPlacearméd’unearquebuseetd’unepistoleen
proclamant«quelesieurdeGuiseavoittuéparlecommandementduroil’Amiral
etd’autresseigneurshuguenots» etajouteque lavolontédu roiestque «toutle
restedesHuguenotsdequelquequalitéqu’ilsfussent,estoyentdestinezàlamort».
Puis,leprésidentestvisitéparNicolasdeBauffremont,barondeSennecey,prévôt
del’Hôtel,quirevientlelendemain25aoûtavecdesarchers,etlivréensuiteàdes
tueurs probablement apostés par le boucher Pezou rue de la Verrerie (« certains
meurtriersquil’attendoyentlà»).Ilestassassinéàcoupsdedagues,soncorpsétant
emporté jusqu’à une étable dépendant de l’Hôtel de ville : là, « la face lui fut
couvertedefiens,etlelendemainmatinfuttraînéàlarivière».Lestueurstuenten
seplaçantsousleregarddeDieu.Lamortaiciunesignificationthéophaniqueau
sensoùelleétablitunevéritéendisantqueleprésidentavaitétéaveugletoutesa
viedurantetquesonsavoirn’étaitquenéantfaceàlajusticedeDieu.
Ilyabieneu uneviolencebourgeoisequiestcelledes commissaires,capitaines,
quarteniersetdizeniersdeParisqui«alloyentavecleursgensdemaisonetmaison,
làoùilscuidoyenttrouverdesHuguenots23 »etquipouvaientavoirdeslistes,rue
par rue, des maisons où habitaient les ennemis de Dieu. D’autres capitaines de
quartierapparaissentenunepremièrelignecriminelle,commeChoquart,mercier
du palais, et Cosme Carré, papetier. Mais ne faut-il pas tenir compte, aussi et
fondamentalement, de ceux qui surgissent en avant de la violence, « les
crocheteurs,belistresetbatteursdepavé»,detousceuxdoncquin’ontpaslaisséde
nomsetqui,parlàmême,échappentàtoutrecensementetcadrage?Surtout,les
tueursdeJérémieFoanesuffisentpasàfairequelemassacreaitétéunetueriede
masse. Il est évident que des anonymes se sont aussi mobilisés pour mettre en
fonctionnementleprocessusassassin:citonslecasdeCharlesPerrierleJeune,fils
du libraire Charles Perier installé dans la rue Jean de Beauvais, qui réussit à
successivementéchapperàplusieursassassinsenquêtedeproies,maisqui,avecson
pèreetundesesjeunesfrères,futidentifiéetcapturésurlePont-au-Change.Ilfut
conduitauprévôtClaudeMarcel,quidonnal’ordrequ’onl’emmèneàlaprisonde
laConciergerie24 .«Etcommecejeunehommeeustrequisd’estremenéàCosme
Carré papetier, et Capitaine du quartier, auquel il avoir conoissance, à cause du
trafic de papier pour la librairie, ce capitaine ne luy voulut aider aucunement,
tellementqu’ilfuttrainésurlepontauxmusniers,daguédeplusieurscoups,jetté
enl’eaueetachevéparlesmariniers 25.»Lestueurssemblentavoirtentéd’avoirun
blanc-seing de celui qui avait sous son autorité la milice, puis d’un capitaine de
celle-ci,etilsfinissentpartuerenquelquesortecommepardépit.
Jérémie Foa décrit une morphogénèse plausible du crime, mais, dans son
interprétation, la dimension d’activisme gestuel collectif est limitée à une micro-
minorité militante de Dieu appliquant froidement une logique annihilatrice
demeurant,àmonsens,horsdupossiblephysiquedetueursmêmeshyper-motivés.
D’où une interrogation : cette approche n’est-elle pas trop réductive dans ses
propositions explicatives d’un massacre dont une chanson catholique
contemporaine marqua non seulement l’ampleur quasi innumérable des victimes,
maisaussilefaitqu’ilétaitéprouvécommesalvifiqueparlesParisiensreprésentés
chantantunanimementleurjoie?Saréalitédépassaitladictiondesesacteursetde
sesvictimesdanslamesureoùc’étaitun«nous»quirevendiquaitd’enavoirexercé
laresponsabilité.Etpasuntoutpetitnombre!Maisbienplutôtuntriomphedela
Transcendance:
Descavojrnombrertesmorts
C’estunechoseimpossible;
Sansfin,sanscesse,lescorps,
Pendantlafureurterrible,
Tantdesmallesquefemelles
Estoyenttousjettezdansl’eau
Pouremporterlesnouvelles
JusquesaRouensansbateau.
Endépitdel’Antechrist
Catholiques,jevousprie,
ServonstousjoursJesus-Christ
AussilaviergeMarie,
EnsuivonslasaincteÉglise
DeJesus-Christtoutpuissant
Afinquenouspuissionsestre
DeParadisJouissans26 .
Et, évidemment, se repose ici la question, déjà envisagée et d’ordre simplement
pratique, de savoir comment ce « petit nombre », au sein duquel certains
revendiquentoucaptentlagloired’avoirétédesassassinsdemasse,apuaccomplir
une tuerie d’une aussi grande ampleur en seulement quelques jours. Seraient-ils
devenusdessurhommesdotésd’uneforceextraordinairepourquadrillerParisavec
leursacolytes,traînerlesvivantsjusqu’àuncoupe-gorgeetytueràlachaîneleurs
victimes?D’autantqueleshuguenotsethuguenotesamenésparleurstortionnaires
sur les rives de la Seine ou sur un des ponts proches, et assommés ou percés de
coupsavantd’êtrejetésdansleseauxsemblentavoirététrèsnombreux.Iln’enest
pasmoinscertainque lessourcesinforment dece quebeaucoupde victimessont
misesàmortdansleurrue,etjetéessurlepavé.
Disons-ledemanièreappuyée:pourtuer,ilfautconnaîtrequiilfauttuerouêtre
guidé vers ceux qu’il faut tuer, et alors le fait de la violence de vicinité, dans une
dynamiquecumulative,seraituneconditionsinequanondel’ampleurdumassacre;
et Jérémie Foa aurait raison d’aborder la violence de 1572 sous cet angle : « Les
ressourcesdesmassacreurssontd’unetroublantebanalité:cequisertàtuer,c’estla
connaissanceduvisagedesvoisins,laconnaissancedeleuradresse,deleurnom–
savoirpatiemmentacquisentempsdepaixdanslarue,autravail,auxhalles.»
Ladémonstrationestséduisante,tropséduisantecertainement.Sestueursensérie
sont des hommes ayant acquis durant les troubles de religion un « savoir » qui,
peut-être, leur a permis de lister ceux et celles qui étaient hérétiques et qui ne
méritaient que la mort parce qu’ils offensaient Dieu. Mais, si nous réfléchissons
sereinement, est-il besoin d’être un bourgeois de la milice pour disposer d’un tel
savoir ? Tout Parisien peut avoir ce savoir. Le protestant de l’Évangile n’est pas
invisibledansParis,surtoutenpériodedepaix.Ilnepratiquepaslenicodémisme,
bienaucontraire:ilmontre,voireexhibesonobéissanceauxcommandementsde
Dieu,entravaillantdanssonatelierledimanche,ennesesignantpasquandilpasse
devantuneimagesainteapposéesurunmur,enquittantlacapitalepourserendre
au prêche dominical, en portant des vêtements qui répondent aux exigences de
« modération » de Calvin. Il n’y a pas besoin d’être un Thomas Croizier ou de
fréquentersamaisonàproximitédelaValléedeMisèrepourêtreenmesured’être
untueurdepersonnesquiontétévues,croisées,dévisagées,identifiéesaugrédes
déambulations ou déplacements individuelles dans Paris. Au quotidien, les
protestants sont là, car leur foi en un Dieu de miséricorde les accompagne dans
touteslesheuresdeleursvies,lesportantànepascacherleurreligionquiest,pour
eux, celle des premiers temps d’après la Passion, restituée après des siècles
d’enténèbrementsvoulusetentretenusparl’Égliseromaine.ToutParisienpeutêtre
un tueur au matin du 24 août, dans son voisinage immédiat, mais aussi plus loin
encore,parcequ’ilsaitoùilpeutobéiràl’appeldivinquiretentitdanslacapitale.
Est-il nécessaire de circonscrire de manière aussi restrictive la sphère de la
violenceàcelled’une«sociétédeproches»,uneviolenceperpétrée«enmétriques
pédestres par leurs voisins sur leurs voisins27 ». La micro-histoire peut être un
piège enfermant l’historien dans un monde artificiel. Certes il peut y avoir des
donnéesautorisantle croisementdes gestesde 1572avec ceuxaccomplisdans les
villagesduRwandad’avril-juillet1994ou,auparavant,danslesvillagesukrainiens
des années 1918-1921. Mais Paris est une très grande ville, et ses quartiers
comptent, pour certains, jusqu’à plus de 20 000 habitants. Est-ce la configuration
adaptéepouropéreruntransfertdumodèleruralvaloriséparHélèneDumaspour
leRwandaetdesmodalitésd’interconnaissancequiyrègne?Ilyaeusansdoutele
faitduvicinicide,ilfautlereconnaître,maisilyaeuplusetpeut-êtrepluspuissant
si l’on pense anthropologiquement en termes de sollicitation à devenir un
meurtrieroùquel’onsetrouve,prèsouloindechezsoi.LaSaint-Barthélemyn’a-t-
ellepasétéuneeffroyabletueriecollectiveparcequeleshabitantsdelacapitaleont
étéportésàserendrelàoùdescrisetdeshurlementss’entendaient…?L’appeldu
vacarme, de la douleur, des paroles de haine, du fracas des coups, la voix
confusément atroce de ce qui était imaginé être la voix de la justice du roi et de
Dieu–queSimonGoulardtentaplustarddefairerésonnerdanslesespritsdeses
lecteurs pour les aider à comprendre le basculement des Parisiens dans un crime
n’ayantcesséplusieursjoursetnuitsdemultipliersesvictimes–n’ont-ilspasexercé
unesorted’envoûtementincitatifàsejoindreàlafureurlàoùelleétaitàl’œuvre?
Lepapierpleureroitsijerecitoislesblasphemeshorriblesquifurentprononcezparcesmonstres,etdiables
encharnez, pendant la fureur de tant de massacres. La tempeste, le son continuel des harquebouzes et
pistoles,les cris lamentables eteffroyables de ceux qu’onbourreloit, les hurlemens deces meurtriers, les
corpsjettezparlesfenestres,trainezparlesfangesavecdeshuéesetsifflemensestranges,lesbrisemensdes
portes et des fenestres,les cailloux qu’on faisoit voler contre, et les pillages de plus de six cens maisons,
continuanslonguement28…
Une anecdote donne à réfléchir : elle concerne le boucher Nicolas Pezou qui,
devantCharlesIX,seseraitglorifiéd’avoirlui-même,durantuneseulejournée,mis
àmort120 hommeset femmeset d’enavoirle mêmenombre enréserve pourle
lendemain29! Si le roi estdépeint se mettant àrire face à ce quiressemble à une
forfanterieouuneaffabulation,neserait-ced’ailleurspasparcequ’iln’auraitpasété
duped’uneparoled’auto-exaltationmeurtrièredestinéeàretenirsonattentionsur
un homme qui se met en scène comme ayant exercé une violence paroxysmique
dontilimaginequ’elleledésigneraitcommeunserviteurexemplairedesonroiet
devantrecevoirunerécompensedelapartdecedernier30?
En allant au-delà de la démonstration horizontale de Jérémie Foa, on peut
déplacer le regard en constatant que la ritualisation des violences, en août 1572,
sursignifie dramatiquement l’hérétique en l’exhibant publiquement dans sa mort
même comme ayant rompu avec Dieu et subissant un châtiment répondant aux
exigencesdelaParoledeDieu.Unpeucommelesnazisformatésparl’idéalitéd’une
Rassenbiologieprétendaientreconnaîtrequiétaitde«sangjuif»etexprimaientdans
leurs violences mêmes la projection-spectacle d’une idéologie raciste représentant
les Juifs comme des « vermines parasites » dont la destruction était censée avoir
une portée salvifique pour une « race aryenne » hantée par la menace d’une
impuretécorrompantsonsangsupérieur.Unpeuencorecommel’idéologieraciste
des Hutus faisait qu’ils donnaient la mort aux Tutsi par des rituels publics de
purificationtelsquelesincendiesmeurtriersdeséglisesoùilss’étaientréfugiés;des
églisesquipouvaient,avantd’êtrebrûlées,avoirétédesabattoirsexprimant,sousle
regardimmédiatdeDieu,labestialitédeceuxquimouraient,leurnatureparasitaire
parvoie d’identification à la vermine, auxcancrelats, aux serpents, etc.Ils étaient
dénudés, puis dépecés et donc projetés dans l’imaginaire d’animalité biblique que
plaquaientsureuxlestueurs.Laviolencesemblealorsavoirétéunjeusymbolisant
le retour à un âge d’or d’abondance alimentaire qui allait être consécutif de la
disparitiondeceuxquiperturbaientparleurprésuméeavariceetcupiditél’ordrede
la Création. Si l’on part alors de la clef analytique de la sur-signification,
l’interrogationsurlemassacredoitporterplussurlasymboliquedesgestestueurs
quesurlesprésuméstueurs.
Unequestiond’adéquationàlaviolencepogromique
À mon sens, ce serait plutôt dans l’univers des pogroms urbains qu’il faudrait
enquêter pour essayer de comprendre une logique de la violence qui mobilise
toutes les strates de la société, par-delà les interconnaissances, le voisinage, les
antagonismes de personnes. La violence, en 1572 comme durant les XIX e-
XXIe siècles, ne surgit pas plus de réactions instinctives que d’une déraison
improbable, mais elle participe d’une culture intériorisée au fil des années, d’une
maturation ou d’un mûrissement dans une psyché collective progressivement
formatée à la négation de l’autre qui fait partie, en toute logique, de l’espace du
voisinage, surtout dans une grande ville comme Paris. Au point qu’on peut se
demandersilevicinicideestlanécessitéoriginelledelaviolenceextrême,s’iln’ya
pas une « normalité » à ce que tout massacre cible de manière privilégiée les
voisins.Ontued’abordceuxqu’onconnaîtetqu’onsaitappartenantàunealtérité
qu’ilfautdetouteurgenceréduireavantd’allerplusloindanslaviolence.
C’estcequiressortdesanalysesdonnéesàproposdestueriesquiontfaitautour
de 1 000-2 000 victimes musulmanes dans l’état du Gujarat, en février-
mars200231:corpsmutilésetsouventbrûlésvifsenmanièrededénonciationdece
quelesmusulmansneprocèdentpasàlacrémationdeleursmorts,aprèsavoirété
préalablement torturés et violés comme s’il avait fallu retarder le plus possible
l’instant même de la mort. Or il est frappant de noter qu’une organisation
extrémiste nationale-hindoue avait diffusé, bien avant les tueries, un manuel
invitant à ruiner toute trace de l’islam, à commencer par les mosquées et les
mausoléesdesaintsmusulmans,etquelesmassacresontétéorchestrésinitialement
par des responsables politiques du BJP32 ou par des autorités religieuses, avec le
supportdelapoliceet,cequinousintéresseici,lacollaborationdelabureaucratie
locale : celle-ci a fourni les documents, listes électorales ou liste de l’assiette de
l’impôt,permettantdelocaliserdefaçonprécisesleshabitationsdesmusulmans,de
leslister,cellesdeshindousétantpréventivementmarquésdelasvastikaensigne
de protection33. Une justice et, surtout, une police aux ordres, et des voisins qui
tuent ensuite leurs voisins mais appuyés par le renfort de foules venues des
quartiers ou de villages environnants… La violence est donc produite par un
conglomératcomposited’acteurs.L’impulsionpremièreestpolitique;s’yengouffre
ensuite un « nous » qui semble signifier que la dynamique est prioritairement
collective.
Un des planificateurs des inhumanités advenues dans deux quartiers
d’Ahmedabad, Babu Bajrangi, qui était le chef de la branche gujaratie du Bajrang
Dal, put ensuite se targuer lui-même de pratiques de cruauté qui font écho aux
grandsrituelseuropéensd’annihilation,dontceluide157234 ,ainsiqued’uneparole
apologiquedelui-même:
«ÀNaroda[Gam]etNarodaPatiya,nousn’avonsépargnéaucunmagasinmusulman,nouslesavonstous
brûlésettués…Nouslesavonsbrûlésparcequecesbâtardsdisentqu’ilsneveulentpasêtreincinérés,ils
ontpeurdeça…Ilestécritdansmonacted’accusation…ilyavaitunefemmeenceinte,jel’aiéventrée…
[Je]leuraimontrédequeltypedevengeancenoussommescapablessilesnôtressonttués…Jenesuispas
unchétifmangeurderiz.Jen’aiépargnépersonne…Ilsnedevraientpasavoirledroitdesereproduire…Je
le dis aujourd’hui encore… Quel qu’il soit, femme, enfant… Il n’y a rien d’autre à faire d’eux que de les
découper.Lesécraser,lestrancher,lesbrûler,cesbâtards…JemesentaiscommeRanaPratap,quej’avais
faitquelquechosecommeMaharanaPratap35 .»
Etpeut-être,commedansleParisde1572,yeut-ilunmassacred’Étatquinesedit
pas dès lors que la figure manipulatrice de Narendra Modi se dessine en arrière-
plan, un massacre d’État surdimensionné en un massacre de foule ? Le parallèle
serait d’autant plus frappant qu’en amont de la violence il y avait eu, à Godhra,
l’incendie de la voiture S6 du Sabarmarti Express transportant des pèlerins
nationalistes hindous. On accusa des musulmans, sur un montage documentaire
peut-être fabriqué de toutes pièces, mais aux effets dévastateurs parce qu’ayant
légitimélerecoursàlaviolence36 .
Certainesdesplaintesquipurentêtreenregistréesmontrentbienquelaviolence
collective,sielle estarticulée demanière apparenteau vicinicide,dépend d’autres
facteursensonorigineetensondéroulement;néanmoins,lesmatinesparisiennes,
si elles virent l’intervention des voisins, sont difficiles à réduire à ce paramètre
premier. Une femme enceinte de cinq mois, victime d’un viol collectif dans son
villageduGujaratdurantlesémeutesdu3mars2002,rapportaqu’elleavaitassisté
auvioldetroisdesesparentsetàl’assassinatdesapetitefillepardesvoisinsqu’elle
connaissaitbien.Dansunautredistrict,l’interconnaissancemassacreurs-massacrés
apourcadrelevillageetlesviolencesquis’ydéroulentontpourprotagonistesdes
voisinsdesvictimes,oudesHindousdesvillagesproches.LetémoignagedeRania,
àproposdesmicro-quartiersd’Ahmedabadmême,recoupelerécitdelaplupartdes
victimes quant au degré d’interconnaissances liant attaquants et attaqués : « Les
gensquiontdétruitmamaison,jelesconnais.»
Lesvoisinsontdoncfourniunélémentclédupogrom:laconnaissancedeslieux
et, dès lors, la possibilité de cibler efficacement les musulmans. Mais les faits
dénotent une certaine complexité : c’est ainsi que Rahil souligne que « les
attaquantsétaientd’icietdel’extérieur»;«ceuxdel’extérieurdonnaientlesarmes
etencourageaientleslocauxàagirentenantdesdiscourshaineux».Puisildétaille
les « soixante-dix maisons brûlées, une centaine, détruites, plus de quatre cents
pillées».Et desfemmes ontétééviscérées dansune symboliqued’annihilationde
l’altérité,d’autresétantexploséesde l’intérieuravecdesmèches placéesdansleurs
partiesintimes37.Leshommes,pourleurpart,ontétécastrésoumêmebrûlésvifs
aprèsavoirétépourcertainsviolés.L’Étatalaisséfaire,aveclecasparadigmatique
d’une ministre guidant un groupe d’attaquants vers le quartier de Naroda Patya,
tandis que le massacre de 97 personnes se déroulait à proximité immédiate du
commissariatlocalsanssusciterl’interventiondelapolice.IlyeutcequeCharlotte
Thomas note comme une « ingénierie locale de la violence » plus complexe que
cellequeJérémieFoavoitenfonctionnementen1572,quiaimantenonseulement
les voisins mais une foule des rues proches et moins proches ou des villages ou
quartierspeuéloignés.Cequinousindiqueraitquelalogiqueinterned’unpogrom
dépendrait d’une concaténation de trois types de tueurs : d’abord une autorité
politique impliquée de manière distanciée, ensuite des voisins, et enfin une
«foule»quijouelerôlemoteurdelatueriedemasse.
JérémieFoas’appuiesurlamortdePierreBaillet,marchandteinturierdemeurant
rueSaint-Denis,pour donnerun exempletypede vicinicide.Le récit,collationné
par Simon Goulard et édité en 1579, rapporte que, sur la minuit, l’attention du
marchandestretenuepar«lebruitdesarmesparlarue»etqu’ildemandeàunde
sesserviteursdesortirpoursavoirdequoiilressort.Des«voisinsarmez»donnent
l’ordre au serviteur de rentrer et de dire à son maître qu’il « se tinst quoi ». Ils
ajoutent qu’ils sont mobilisés parce que le bruit court d’un projet consécutif à
l’assassinatdel’Amiraletqu’«ilsestoyentenarmespour empescherlasédition».
Onpeutsedemandersices«voisins»sontd’ailleursdesvoisinssiimmédiatsqu’il
paraît,s’ilsnesontpasdesmiliciensenchargeduguetderuesoudeplacesproches,
donc connus dans le microquartier où vit et travaille Pierre Baillet. On peut
imaginer,sanstrops’avancer,quecesontdeshommesdelamilicebourgeoisequi
ont été mobilisés à la demande du roi par le prévôt Le Charron pour quadriller
Paris durant la nuit et éviter tout débordement. Dans la deuxième séquence, la
narrationexemplariseunemortconformeàunefoiaxéesurl’absoluemiséricorde
de Dieu. Pierre Baillet, « entendant ces nouvelles, connut que c’estoit fait de sa
vie». Ilréveille sa femmeet sessept enfants,et tous prient.Troisième séquence,
dontGoulardneditpasàquelleheureellesedéroule:onsonneàla«clochette»
delademeure.Safemmeouvrelaporteetestsouffletée.Etalorsl’histoiredevient
une illustration d’un protestantisme travaillé par le motif stoïcien du mépris du
monde à travers la figure sacrificielle du marchand teinturier s’improvisant pater
familias.Iln’estplusquestioncettefois-cidevoisins,maisde«meurtriers»:«[…]
descendit promptement, et d’une parole ferme dit qu’on laissast sa femme pour
gouverner ses petits enfans, qu’il estoit le chef de la maison pour respondre à ce
qu’on voudroit demander ». L’ultime séquence voit ses visiteurs le conduire à la
prisondel’abbayeSaint-Magloireetl’incarcérer«quelquetemps»enexigeantune
rançon qu’il dit ne pas être en mesure de leur donner au prétexte « qu’il n’avoit
grandsmoyens».C’estdevantlaportedelaprisonqu’ilestalorsassomméettué,
devantdeuxdesesfils.Lestueurssontanonymes,cequidonneraitàsupposerqu’ils
n’auraientpasétédesvoisins.
LespogromsdelaRussiedelafindu XIX esiècleetdudébutdu XXesièclerévèlent
deuxparadigmes:ilyeutd’aborddespogroms,plutôtspontanés,quiintervinrent
danslecadredecommunautésdevoisinsetsuivirentl’assassinatdutsarAlexandre
II, le 1 er mars 1881 ou le meurtre d’un garçonnet à Dubossary en Moldavie en
avril1903,fantasméenmeurtrerituel,stimulésparlapassivitéoulacomplicitédes
forcesdel’ordre.Le6avril,premierjourdesPâqueschrétiennes,desbandesd’entre
vingt-trente hommes, prennent le contrôle de la ville de Kischinev, attaquant et
pillantoudémolissantlesmaisonsdesJuifs,puismassacranttoutenbénéficiantde
l’inaction de la police38 . Nicolas Werth a démontré qu’il y eut un autre
fonctionnement de la violence durant la Grande Guerre, débutant par des
expulsionsdeJuifsdeszonesvoisinesdelaguerreetdespogromsquiatteignirent
leurintensitémaximaleen1917:
Lespogromsétaientleplussouventinitiéspardesbandesdedéserteursoudessoldatsdegarnisondevenus
maîtresdepetitesvillesoùplusaucuneautoritén’étaitenmesured’assurerl’ordrepublic.LesJuifsétaient
attaquéssousleprétexteque,selivrantaucommerce,ilsspéculaientsurlespénuriesetfaisaientmonterles
prix;enréalité,l’occasionétaittropbelledeselivrerimpunémentaupillageetauxprofanations.Lesplus
grandspogromseurentlieuenseptembreetoctobre1917,àTambov,Roslavl,Gomel,BobrouïsketNesvij.
Cespillages,accompagnésd’exactions(misesàsacdesynagogues,profanationsdecimetières),deviolsetde
massacres,s’inscrivaientclairementdansleprolongementdepratiquesmisesenœuvre,demanièrecertes
plus«ordonnée»,parl’arméerusseaucoursdesdeuxannéesprécédentes39.
Et donc plus des soldats ou d’opportunistes et moins des voisins ! Avec le
détonateur que jouèrent sans doute des tracts alors mis en circulation pour
annoncerquelaRussiecouraitlerisquededevenirunenouvelleJudée:«Puisqu’il
enestainsi,mesfrères,crionsàl’occasiondenotregrandeFêteaunomduSauveur
quiversasonsangpournous,crions:ÀbaslesJuifs!Tuezcesinfâmesdégénérés,
cesbuveursdesang,quis’enivrentdenotresangrusse.»
Ilpeutyavoirfusionentrelemodèledesvoisinsetceluidessoldats,aveclepillage
et les meurtres « en seconde ligne » qui sont accomplis par les voisins subissant
l’attraction des maisons pillées, des tueries accomplies et entrant en lice. On ne
serait peut-être ici guère loin de la Saint-Barthélemy, avec les soldats, la milice
bourgeoise, les voisins et le « peuple40 ». Limiter le massacre de 1572 à un
vicinicide,ensuivantl’exempledeMariePassart,estpeut-êtrefaireduparticulierle
général.Certes«l’ineffaçableblessured’uneressemblanceentrelesmortsàveniret
les vivants qui les précipitent explique l’acharnement avec lequel les coups
pleuvent, et pourquoi ils sont souvent portés au visage des victimes41 ». Mais la
modélisation du massacre ainsi proposée n’est-elle pas trompeuse ? Paris est une
ville immense, et sans doute faut-il imaginer l’interconnaissance de manière plus
limitativeou,plutôt,lesprofilssociauxdesmassacreursplusvariés.
Enoutre, lepogrom, danssa typologieplurielle, meten actionsouvent, en plus
des voisins, des acteurs externes à la communauté, qui font certes partie d’un
environnement géographique, mais à distance. Le vendredi 4 avril 1920, jour de
«grandeprière»,unefoulede600pèlerinsrentredansJérusalemet,excitéeparle
mairedelaville,scande:«NousboironslesangdesJuifs»,«ÉgorgezlesJuifs».
S’ensuiventquatrejoursdeviolences,durantlesquelsdesJuifssonttuésoumutilés
et leurs biens saccagés et pillés, de nombreuses femmes étant violées. Toujours à
Jérusalem,levendredi23août1929,jourdela«grandeprière»,c’estune«foule
arabe»quivientennombredanslavillesainte.Aprèslaprisedeparoledel’imam,
ausortirdelamosquée,l’assautestdonnéauxespacesdeviejuive.Pasdesvoisins,
maisdeshommesarmésdesabres,gourdins,massuesetfourchesquidévastentle
quartierdelavieillevillejouxtantl’esplanadedesMosquées,puissedirigentversle
quartierdeMéaShéarim.LaviolencegagneTel-Aviv,Haïfa,tandisque60%des
villagesjuifsdePalestinesontattaqués.ÀHébron,lelendemain,soixante-septJuifs
sonttués,dontdouzefemmesettroisenfants,etlacommunautéjuivequittedeux
jours plus tard la ville dans l’urgence, tétanisée par les atrocités qui avaient
accompagnélamobilisationarabe,racontéesparAlbertLondresdansLeJuiferrant
estarrivé : « Ils coupèrent desmains, ils coupèrent des doigts,ils maintinrent des
têtesau-dessusd’unréchaud,ilspratiquèrentl’énucléationdesyeux.[…]Onmutile
leshommes.Lesfillesde13ans,lesmèresetlesgrands-mères,onlesbousculadans
le sang et on les viola en chœur 42. » Mais pas de signe de vicinicide, ce qui est,
logique,puisquelesJuifsvivaientdansdesespacesparticularisés.Etunequestion:
cespogromsnesont-ilspasprochesdestueriesdelaSaint-Barthélemy?
Lesvoisinsjoueraienttoutefois,sil’onconsidèreavecattentionlecasduGujarat
en2002,unrôledestimuli.Ilsprocèdentaumontagedescènesquiseraientàlafois
excitativesetfédérantesparcequ’ellesportentenellesunemémoireexemplarisant
ledevoirdetuer.Ilssontdespédagoguesdudevoirdetuer43.Maislaplupartdes
assassinats sont un fait communautaire dépassant le seuil d’une violence de
voisinage.Ils’agitd’unestratégiedepurificationcollectivequirenvoieàunefoule
criminellestimuléeparunmotd’ordreobsessionnel:«Nousnevoulonspaslaisser
un seul musulman vivant au Gujarat. […] Éliminez les musulmans de l’Inde
[Bharat] […]. Lorsqu’ils régnaient en maître, les rois musulmans forçaient leurs
frèreshindousàseconvertiretcommettaientlespiresatrocitésàleurégard.Etil
enseraainsitantquelesmusulmansneserontpasexterminés[…].Ilesttempsque
les hindous des villages fassent cause commune avec les hindous des villes et
parachèventl’œuvred’anéantissementdesmusulmans44.»Lesrécitsdessurvivants
montrent que les agressions répondent à l’exultation d’une foule qui assiège les
maisonsoulesenvahit,lesinondepourélectrocuterleshabitants,oucontraintdes
enfantsàboiredukérozèneavantdelanceruneallumettedansleursbouches.Les
voisinssontsansdoutelà,maisaumilieud’unefouleàquiontétédistribuéesdes
listes de maisons à attaquer. Un des tracts mis en circulation appelait les
« hindous » à procéder tous à l’anéantissement des « miyas », et le chef de
l’organisationnationalisteVishwaHinduParishad(VHP)déclaraensuitequecequi
avaiteulieuétait«lapremièreréponsedonnéeaufondamentalismemusulmanpar
les Hindous en mille ans de temps. » Et donc une « mass violence » d’autant plus
intensequelapolicerefusedevenirenaideàceuxquisontciblésetqu’elleintègre
des « voisins attaquant des voisins dans le cadre de la violence collective » elle-
mêmesansdoutepréparée45.Lesvoisinssegreffentalorssurl’événement,sansen
être les acteurs déterminants. 97 musulmans sont tués durant le massacre de
Naroda Patiya, au cours d’une « mob of approximately 5 000 people » régie par le
Bajrang Dal, un courant du Vishwa Hindu Parishad ayant fait allégeance au
Bharatija Janata Party de Narenda Mody. Et donc la question : durant la Saint-
Barthélemy,nedevrait-onpasreléguerausecondplanl’hypothèsed’unvicinicide
face à une omniprésence récurrente de la foule ? Ne devrait-on pas inscrire les
noces de sang d’août 1572 dans la perspective d’une anthropologie parallèle des
crimesintracommunautaires.
Enreveniràlaviolencecollective
Les crimes d’août 1572 paraissent avoir été des spectacles que l’on vient voir et
applaudir ou à proximité desquels on erre dans l’espoir de pouvoir récupérer un
vêtementouunobjettoutenparticipantàdesoccasionsmeurtrières.Sansdoutey
a-t-ildes assassinatsdont lapremière séquenceest le sondes coups depoing aux
portesàl’initiativedecousins,deneveux,devoisinsdumêmemétier,maislelieu
de la violence est, de manière nécessaire, un lieu de convergence sociale,
d’excitationpartagéeàlavuedusangquicoule,deperceptiondescrisdedouleur,
de suivi ou d’accompagnement des corps tirés vers la Seine, et, en conséquence,
d’inclusiondansun «tumultus»libérateurparcequesotériologiquepourtousceux
quiseveulentêtreles«vraiscatholiques»parisiens.D’autantquelesrécitsdonnés
par Simon Goulard procèdent d’une logique pastorale : ne valorisent-ils pas le
vicinicide afin d’illustrer de la manière la plus pédagogique la foi sacrificielle des
huguenotsconfrontée au pire de ce que peut être l’humain quand c’est le proche,
l’ami,quiassassineetquidoncsedressecontreDieu…
La séquence historique du génocide arménien renforce mon interprétation : en
effet, si les tueurs peuvent avoir été initialement des militaires ou des
paramilitaires, des membres de tribus kurdes, turkmènes ou circassiennes se
joignirent à eux, ainsi que des citadins ou des paysans qui se trouvaient associés
volontairementauxmeurtres.«Enplusd’uneoccasion,d’ailleurs,lesvictimessont
torturées et battues à mort dans le cadre de spectacles qui associent des
communautés entières dans une ambiance de fête46. » Le paradigme arménien
enseignequeleclivageentretueursetvoyeurs,quiseréunissentautourdebûchers
collectifs ou de crucifixions parodiques, est artificiel ou illusoire. Il ne faut pas se
laisser prendre au piège d’une dichotomie artificielle47. Il y a des tueurs
identifiables,maisaussi desanonymesqui seretrouvent soudainlibérés detoutes
leurs inhibitions et se laissent volontairement aspirer dans la production festive
qu’est le meurtre de masse dont ils deviennent, du fait de leur nombre, les
protagonistes les plus impliqués. Ne pas avoir de noms au milieu d’une foule
criminelleaideàs’improvisertueuretànepas,pourautant,sesentirunassassin.
Laviolenceestcollective,dynamiséesansdoutedemanièretransocialeparledésir
de tous de prendre part à un événement refondateur ou défenseur de ce qu’ils
pensentouimaginentêtre.Disons-lealors,l’identiténeseréduitpasàlaconscience
de rapports de voisinages dans lesquels l’individu est impliqué : elle relève
d’affiliationshiérarchiséesetdoncdifférenciéesetdistanciées…
En 1572, le « vicinicide » n’exclut pas non plus une multiplicité d’interventions
individuellesquinesontpasfacilesàidentifiermaisquisurgissentdèsle24aoûtau
hasarddesnarrations:ainsiestsignificativel’aventureduministreAntoineHuyard
sieurdePresles48 ,venuàParispourlesaffairesdel’ÉgliseréforméedeTroyes,qui
sevoit«lejourdecepiteuxetcruelmassacreenunextremedanger.Caruncertain
caporal de Paris […], qui estoit au mesme lieu pour les affayres des catholiques
contreceuxdelareligion,s’enalladèslematinaulogisdeJeanGrosderriereSaint-
Pierre-aux-Bœufs,oùestoitlogéHuyardettroysouquatreautresdelareligion,et
commanda à l’hoste qu’il s’asseurast de la personne dudit Huyard, attendant qu’il
receustplusamplecommandementdecequ’ilauroitàfayre».Ledangervientici
en même temps d’une connaissance arrivée à Paris et d’un logeur mis devant sa
responsabilitédeboncatholique:cen’estdoncpaslalogiqueprésuméedominante
du vicinicide qui joue. Antoine Huyard se retrouve enfermé dans une chambre
communeaveclesieurdeMussy,unnommédeVilliersetunChampenoisappelé
GeorgesCapitain.Leurpremièreréactionestdeseprépareràsedéfendre;puisils
décident de négocier avec leur hôte qui les envoie vers la maison d’un frère ou
procheparent,maisqui,changeantensuited’avis,refusedelesaccueillirplusavant.
Huyardseretrouveàlarueetserendchezuncousingermainauprèsdequiilest
d’abordbienreçu,«maysaussytostqu’ilyeutmitzlepied,onlerenvoyacommeil
estoitvenu».ChezungentilhommedeChampagne,MonsieurdesBoriessieurde
Contenant, il est d’abord bien accueilli, mais « tost après, deux personnages qui
estoient au service dudit de Contenan, quoy que ce soyt en sa compagnie,
s’adresserentàHuyard,etluydirenttoutàtracqu’ilfailloitqu’ilcrachastaubassin,
autrementqu’ildeliberastdepasserlepascommelesautresdesaqualité».Effrayé
etnedisposantpasdel’argentexigé,Huyardparvientàs’enfuirgrâceàl’aided’un
deceuxquilegardent;maisl’hommel’abandonneensuiteàsonsort.Gênéparsa
mauvaise vue et dépourvu de chandelle pour s’orienter dans la nuit, il se heurte
alorsà un corps de garde et, bien qu’il justifie sa présence dans la capitale du fait
d’unprocèsetdises’appelerPierreClivier,procureuraubailliagedeChaumont,il
est reconnu, puis enfermé au Châtelet, d’où il rapporte avoir été redevable à la
providence divine d’échapper à la mort. Libéré, il doit la vie à un « certain
moynne » de sa connaissance qui l’héberge « pourvu qu’il voulust aller à la
messe49 ».LesmonstressesuccèdentdansParis.Samésaventurenouslivrel’image
angoisséed’unecapitalequilaissepeudepossibilitédesurvieauxprotestants,tant
ellemultiplielesembûcheshorsdetouteprogrammationpréexistante,jusqu’àceux
quipourraientêtredesaidesmaisserévèlentdescomplicesd’ungrandcrime.Mais
ceuxquisurviventàl’épreuveontlamissiondeglorifierlaprovidencedivine.
Ilnes’agitpasalorsdefaireunehistoirecomparéeàl’anciennequiseraitunnon-
sensépistémologique,maisdepartird’autresexemplesdemassacresdemassepour
mieux saisir l’implicite de la violence d’août 1572 et donc dépasser ce qui nous
sembleêtrel’impassedeladonnée,quiseraitprééminente,duvicinicide.Lestrous
des narrations peuvent être comblés par des données, aussi bien micro- que
macrofactuellesintervenuesdansdespogromsd’avantoud’après1572.
Je crois utile, à propos d’une ville toute mobilisée pour faire la chasse aux
huguenots, de rappeler la « matanza », l’« abattage », de Séville. Après un
préliminaire de quelques jours, avant la semaine sainte, au cours desquels
l’archidiacredeEcijaetchanoinedelacathédraledeSéville,FerranMartinez,lança
des appels à la haine et proclama qu’il n’était pas criminel de tuer les Juifs 50, le
pogrom débute le 6 juin 1391 avant de gagner toute l’Andalousie, la Vieille et la
Nouvelle Castille, le Léon, la Navarre et la Catalogne et les Baléares. Plus de
70 villes. Neuf semaines d’une immense tragédie dont l’acteur principal est un
« vaste mouvement social 51 » enraciné dans une obsidionalité judéophobe
véhiculée par des prédications passionnelles qui intégraient les fantasmes du
déicide, de la profanation des crucifix et des hosties consacrées, de l’usure, des
meurtresrituels,desempoisonnementsdepuits52 .
Le judaïsme, dans ce contexte de stigmatisationhystérisée, ne faisait que mener
ceuxquilepratiquaientàunevietoutentièredirigéecontreDieu,etexigeaitune
conversionrapideetunepénitenceintensequidevaientdésarmerl’Antéchristdans
son travail de destruction de la foi par l’instrument qu’était l’idolâtrie53 . Il y eut
peut-être des centaines et des centaines de morts, jusqu’à même 4 000 selon une
tradition, à Séville, et des conversions forcées, deux des trois synagogues étant
immédiatement converties en églises. Le massacre se fonda en partie sur
l’argumentaireselonlequellesJuifsminaientdel’intérieurlarelationauChristen
tentantd’attireràeuxdeschrétiensdontlesâmescouraientlerisqued’êtreperdues
àDieu54 .Ilétaitnécessaire,detouteurgence,soitqu’ilsseconvertissent,soitqu’ils
périssentparcequ’ilsétaientdestraîtresoffensantlagloiredeDieuetsouillantson
peuple. Les prédications avaient comme figé dans les imaginaires cette urgence
eschatologique annihilatrice qui put donner aux survivants le pressentiment que
Dieuavaitcachédésormaissafaceet«nousadonnésennourritureauxoiseauxdes
cieuxetbêtesdelaterre55 ».
La Juderia devint, le 6 juin, un véritable sas interdisant toute possibilité de fuite
vers l’extérieur puisque les portes étaient contrôlées par des hommes qui tuaient,
pillaient, incendiaient – comme le seront les portes de Paris qui resteront closes
jusqu’au mercredi 27 août. Les cris qui rythmaient les violences étaient « la
conversion ou la mort pour les Juifs », dont l’élimination était présentée comme
uneexigenceabsoluedeDieu56.ÀValencecefutunemêmeinvitationchristiqueà
latueriedemasse,etlemassacrefutinitiéparuneprocessiondecinquanteenfants
figurant l’innocence christique du peuple de Dieu, encerclant le quartier juif, qui
fonctionna un peu comme le simulacre de procession des petits enfants parisiens
tirant par les rues et les carrefours le cadavre de Coligny au matin du tumulte
d’août 157257. Mais, si l’on considère que « pogrom » est synonyme de
« destruction » de toute ou partie d’une communauté humaine, consciemment
voulue et effectuée par un collectif le plus souvent informel d’individus, on peut
sansdifficultéyassimilerlaSaint-Barthélemy,elleaussipréparéeouaccommodée
par une parole homilétique impitoyable et initiée par l’action d’hommes armés
provoquantunsurenclenchementmimétiqueetuneeuphoriecriminellecollective
qui associaient bourgeois, artisans et prolétariats de la ville 58. La notion de
surenclenchementmimétiquemeparaîtapplicableauPariszélédelafinaoût1572.
Elleprésente l’avantage de changer lesdonnées du problème en laissant imaginer
quelesassassinsfurentbeaucoupplusnombreuxqueTousceuxquitombentleveut.
Ne devrait-on pas corréler le fait que le miracle de l’aubépine, qui refleurit le
premier matin même du massacre d’août 1572 devant une image de la mère du
Christ, se déroule près de l’église des Saints-Innocents où étaient conservées les
reliquesde l’adolescent Richard prétendument tué et crucifiéà la Pâque 1163 (ou
1171) par des Juifs de Pontoise ? Le saint Innocent Richard, martyr, dont les
intercessions donnaient lieu à miracles et à qui une passio composée par Robert
Gaguin redonna en 1498 une actualité en déplaçant le lieu même du martyre à
Paris59, rappelle que la judéophobie parisienne était intégrée dans la sacralité de
l’espace de la capitale. Les violences d’août 1572 l’ont peut-être projetée
inconsciemment dans les figures des protestants, accusés mimétiquement d’avoir
profanélagloiredeDieuenprocédantàdescrucifixionsdeprêtres,d’avoirétédes
empoisonneurs de la foi en proférant des paroles inspirées par Satan et d’avoir
séduitdesâmesainsiportéesàserebellercontreDieu.
Une anthropologie de rapprochement ne s’impose-t-elle pas pour mieux
comprendrecequipeutavoirjouésubconsciemment,voireinconsciemment,dans
leParisdel’été1572?Jem’appuieicisurunindicedonnéparJohannWilhelmvon
BotzheimprécisantqueColignyfutpenduàMontfauconparlespieds«utJudaeus
quidam60 », c’est-à-dire comme un traître à Christ, à la fois pécheur désespéré et
rebelle,symbolisantalorscequ’estl’hérésiepourles«bons»catholiques,uncrime
déicide61 .
Il faut alors en revenir à la violence comme fait collectif total, en partant à la
recherchedesinvariantsquilastructureraient.
Àlarecherchedesinvariants
Pour explorer l’hypothèse d’une continuité entre un grand crime collectif et les
pogromsmédiévauxetmodernes,jesuivraiiciladémarchedeStéphaneAudouin-
Rouzeau se référant à Françoise Héritier et donc à une anthropologie ayant la
missionde«découvrirdesinvariants,oumêmedesimplesloisd’agencement,qui
[…]permettraientdecomprendrenonseulementdescomportementsmaisaussiet
plus profondément les systèmes de représentation ou les systèmes sociaux 62 ». Il
s’agitpourmoi,enconséquence,demettreenévidence,en1572,des«invariants»
qui sont « des modules, des matrices en quelque sorte, formant des cadres
conceptuels, constitués par des associations obligées de concepts, qui ne peuvent
pasne pas être faites, mais qui sont meublées de façon différente par les diverses
culturesetsesituentdansdeschampsdontleslimitespeuventêtretracéesgrâceà
l’expérience ethnologique qui décrit et rassemble ce qui existe, ou grâce au
raisonnementlogiquequienvisagetouslespossiblesmêmesicertainsn’ontjamais
vulejour63 ».Cesontcesinvariantsquinientl’altéritéetportentàsadestruction,à
sapersécutioncollective:«Soussesformeslesplusévidentesquisontl’exclusion
ou l’annihilation de groupes entiers, l’intolérance est toujours profondément
l’expression d’une volonté d’assurer la cohésion de ce qui est considéré comme
relevant du soi, l’identique à soi, en détruisant tout ce qui s’oppose à cette
prééminenceabsolue.»Jeretienscommesymptômedecequedesinvariantssontà
l’œuvre«l’euphorieduracisme,dufanatismeetdel’intolérance».
L’étude menée dans les pages qui suivent tentera de comprendre le massacre de
1572enprojetant,commeclefd’interprétationdesacriminogenèsecollective,ces
invariantsquipermettentdevoir,dansle«bonheurdelahaine»quis’exprimepar
lesviolences,unestratégieréparatricedel’angoissefaceàunêtrecollectifhantépar
l’impureté et donc par la damnation. Dans une longue histoire tragique, le
marqueurdesinvariantsdestueriesdemasseseraitunoutilpouréviterlespièges
tendusparunpassétragiquementaphasique.
Rappelons tout d’abord que les calvinistes furent identifiés à de nouveaux Juifs
dont ils reproduisaient, selon les polémistes ou prédicateurs catholiques, les
agressionsapocalyptiquescontreleChrist(Ap2,9et3,9).UneOdespirituellecontre
lesfauxÉvangéliquesrédigéeparlebénédictinLégerBontemps,dès1560,lesdécrit
commeconstituantla«SynagogueimmondedeSathan»quiseraruinéebientôt64.
Et, en 1566, le curé René Benoist affirme que ceux qui se vantent de suivre « la
religion Chrestienne reformée » et prétendent « estre les esleuz de Dieu et son
peuple fidele », alors qu’ils sont des schismatiques et corrompus et suivent une
« doctrine sophisticquée et fondée en raisons humaines », sont des « enfans de
Belial » formant « la synagogue de Satan, auquel ils servent, et aucunement à
Dieu65 »,lasynagogueapocalyptique 66.Lesprotestantsétaient,fantasmatiquement
biensûr,«commeJuifsennemisduSeigneur»:nonseulementilsarquebusaient
ou brûlaient des crucifix, mais ils flagellaient aussi à mort des prêtres comme les
JuifsflagellèrentleChrist67.Ilsétaient,danslecadred’unrecyclageplusoumoins
implicitedelafigureduJuif 68,denouveauxenfantsdudiablepuisqueleuridolâtrie
lesidentifiaitaux«sacrificateursdeBaal»etfaisaitd’eux,selonSimonVigor,des
disciples du Diable qui est le singe de Dieu et dont ils miment les méfaits en se
faisantles«singesdel’Église69».Danslachasseaux« rasés»,prêtresetmoines,
queleshuguenotsmirentenpratiqueàpartirdespremiersjoursdel’été1562,les
catholiquesvirentl’œuvrede«tyrans»qui portaientlemaldansleurpoitrineet
dontchacunpouvaits’êtrerévélé«commeJuifennemiduseigneur»enétantallé
jusqu’àcrucifierunprêtre 70.
Ces textes permettent de penser que le sur-enclenchement mimétique aurait
travaillélesParisiensdèslepremiermatindu24aoûtenfaisantresurgireneuxdes
pulsionsannihilatricesquiremontaientàdesfantasmesd’agressionjudéophobiques
du passé. Myriam Yardeni a démontré que Calvin n’a jamais parlé de « peuple
déicide » à propos des Juifs et qu’il fut lui-même accusé d’être « judaïsant » : il
appelaitleschrétiensàsedéfairedetoute«arroganceetconfiancetéméraire»en
leurpropre«vertu»etdoncànepasinsulterlesJuifs,«desquelsnousavonsesté
substituezenlaplace 71»etaveclesquelsilyaunecontinuitépositiveàreleversur
laprédestination72 .Mais,pourledocteurenthéologieSimonVigor,cequifaitle
calviniste est qu’il a en horreur le nom de Jésus, tandis que, pour Gilbert
Génébrard,uneproximitédoitêtredétectéeentreJuifsetprotestants,parexemple
parcequ’ils «veullent qu’onnous enterrecomme bestesdans chantni lumière ni
prestresenquoiilsjudaisentcarlesministresdes juifznialloientpoint[…].Ilsy
envoyoientdesscribespour fairel’office(Levit.28)73».PourleprêtreGabrielde
Saconay,lesréforméssontdenouveauxJuifsdontlesactesdisentlemalabsoluqui
leshabite.L’espacelyonnaisravagéen1562devientlelangagemêmedumal,ille
révèledanslanaturesataniquedescrimesperpétrésparles«nouveauxchrétiens»:
c’est le Christ, outre ses saints, qui a été visé par les religionnaires, la tête de
l’organisme mystique qu’est la cité de Dieu ; un Christ qui a comme subi une
secondePassiondansles«horribles»profanationsdontilaétévictime:
Davantageaestécommisunpeschéforténorme(pouvons-nousdireaveccebonOptatus),quivoussemble
toutesfois fort legier : c’est que toutes choses sacrées ont esté violées par voz ministres, jusques à
commanderquel’Eucharistiefustgettéeauxchiens,nonsanssigneévidentdujugementdeDieu(dit-il);
car les mesmes chiens, esguillonnez de rage, ont deschiré leurs maistresà belles dens, comme larrons et
punissablespour l’offense faictecontre le corps deJésus Christ. Enquoi vous avoit offenséJésus-Christ,
dequel(parcertainintervalle)lecorpsetsanghabitaitlà?Pendantquemalheureusementvousperséquutez
nozmainslàoù habitoitJésus-Christ,voussouillezlesvostres.ParcemoyenvousensuivezlesJuifs: car
commeilsontmislesmainsenJésus-Christsurlacroix,vouslesmettezenluysurl’autel.
Les huguenots sont allés encore plus loin que ceux dont ils reproduisent
l’engeancemaléfique,ilsontdécapitédestêtesduSauveurencroix,ilsontpiétiné
des hostiessaintes ou les ont jetées dans la fange74 . Le transfert antisémite,on le
constate, procède ici par condensation et transposition. En conséquence, ne
faudrait-il pas considérer les tueurs en série de Jérémie Foa non pas comme les
interprètes privilégiés d’une histoire prenant sens à partir de leur obsession
vicinicide,deleur«savoir-faire»etdeleurpulsionannihilationnistedel’hérésie,
mais comme des pièces parmi d’autres d’un puzzle beaucoup plus vaste incluant
même une part d’inconscient ? Ce puzzle ne pourrait prendre forme que dans la
perspectived’uneanthropologiedesinvariantsdeladéshumanisationdel’autre.Le
grand problème de la Saint-Barthélemy, comme d’autres grandes tragédies
pogromiques, serait alors celui de l’invisibilité des morts, qui serait corrélative
d’uneinvisibilitédesassassinsetquiobligeraitàremettreencausetouteentreprise
facticiste puisque l’événement serait alors désignifié par ceux qui le mettent en
scènedefaçonquelesmortsdemeurentdanslesilencedeleurpropredéshumain75.
Eticinouspouvonsbienapprécier,ennousappuyantsurlestravauxdeChristian
Ingrao et de Johann Chapoutot, combien l’histoire rejoue ses tragédies sur des
matriceslatentes.PensonsaujuristeKurtTrampler,qui,en1934,construisitune
argumentationsurl’idéequ’ilyavaitdes«frontièresraciales»quinedevaientpas
être déplacées et que chaque peuple conçu comme une « unité naturelle » devait
vivre dans « son espace racial inaliénable ». La race était une « communauté de
destin » qui ne devait pas être polluée par des intrusions externes76. Elle devait
demeurer pure. De même, ce qui se passe dans le Paris d’août-septembre 1572 a
visé à restaurer ce qui était une communauté des destins fidèles à la religion
romaine en l’épurant des protestants qui la souillaient par leur présence
déshumaine dans l’espace collectif. Ils étaient une « race » – le mot revient –
soumiseàSatan,etilfallaitlesextirperpourqu’ilsnebrisentpasl’unionmystique
dupeuplecatholiqueavecsonDieu.Etleursmortsdevaientbasculerdanslesilence
etdoncl’absenceàl’histoire.
L’invariant de l’antisémitisme se fait jour au Rwanda, dont l’histoire est saturée
d’ombresquiparticipentdelacohérenced’unedémonologieenactes.Parexemple,
larevue Kangura (Réveille-le)77reprendàsoncomptedès1997lesthématiquesdes
Protocoles des sages de Sion en projetant l’imaginaire du complot juif dans un
prétenduprojetd’asservissementdespopulationsafricainesparlesTutsi,«affublés
detouslestraitsprêtésauxJuifs–calculateurs,fourbesetmenteurs78»etenoutre
accusés d’être des « assoiffés de sang et de pouvoir » et ourdissant un projet
suprématiste79.Ilyaencore,biensûrlaRadiodesmillecollinesappelantàbrûlerles
« cafards », les « rats ». Dans le discours anti-tutsi précédant la « révolution
sociale»de1959,laquestionsocialeestprésentéecommedécoulantdirectementde
la différenciation raciale hamite-tutsi/bantou-hutu, et l’on voit surgir les
thématiques typiques du discours antisémite européen des années 1930 : censés
exceller dans l’administration et les positions de commandement (auxquelles ils
n’ontpourtantplusqu’unaccèsfortlimitédepuis1959),lesTutsi«monopolisent»
les secteurs synonymes d’argent et de pouvoir. Investis dans le commerce,
«avides»et«rusés»,ilspillentlesrichessesdupayspourlesinvestiràl’étranger,
avec l’aide du puissant « réseau » que la diaspora rwandaise tutsie est supposée
entretenir.CommelefaitremarquerJean-PierreChrétien,«toutsepassecomme
silesimagesdel’antisémitismedudébutdu XXe siècleavaientétéprojetéessurun
groupe est-africain supposé d’origine orientale et identifié comme « hamito-
sémitique80 ».LesTutsiappréhendéscommelesJuifsdel’Afrique;etleurgénocide
misenactionàpartirl’extensiond’uneappréhensioncriminellestéréotypéeàtoute
unepopulation,commeonadevinéqu’ilenavaitétépourlesprotestantsenquise
devinaientdenouveauxJuifsdansl’imaginairecatholiquede1572.
Mais le problème est alors celui du paradigme possible des violences extrêmes
subies par les Juifs, non seulement durant la Shoah81 , mais dans le cadre de
dynamiquesd’annihilationayantopérédurantd’autrespériodesdel’histoire:lemal
est,par-delàlesdistancestemporelles,localisécommeétant«racialement»dansle
sang et progressant grâce aux femmes et à l’argent. Il ne faut pas procéder par
comparaison,maisparidentificationanthropologiquedelapuissancedelahaine,et
doncdesamorphogenèse 82.Chaquecrimegénocidaireason«esprit»sil’onpeut
employerlemot,maisilpeutaussiêtreconceptualisédemanièreréférente:ainsi
dans le fait que les acteurs et témoins vivent sur le plan de l’indifférenciation la
sécurisation que signifie pour eux la violence, ou plutôt la « logique de
l’anéantissement83».
Dans le cadre d’enjeux et de référents différents, et tout en tenant compte de la
« plasticité » des « répertoires de violence 84 » ainsi que de la distinction entre
violence et cruauté à laquelle invite Stéphane Audouin-Rouzeau, l’historien peut
voirsurgir,àdistancedequatresiècles,lamêmephobieidentifiantl’autreàunsang
impur qui exigeait, Hitler le proclama, « une violence absolue85 », tout comme
SimonVigorl’avaitédictédanssessermons.Ildoitseulementsepersuader,pourne
pas être enserré dans une anthropologie systémique réductive par effet
d’anachronisme, que ce « même » est un langage ancré dans des temporalités
spécifiques et donc fonctionnant, si l’on suit encore Stéphane Audouin-Rouzeau,
surdesgrammairesetdessyntaxesparticularisées.
Mortssanscorps,vivantseuphoriques
La convergence entre phobie judéophobe et terreur antiprotestante peut nous
inciteràreprendrenotrecheminementdansunehistoirepossibiliste,encherchant
à évaluer si d’autres violences de masse présentent certains invariants communs
avec la Saint-Barthélemy et à décrire un type de violence qui ne peut prendre de
l’ampleurqueparcequele«peuple»yprendpartdemanièredécisiveetyimpose
samarquesanspourautantoccuperledevantdelascène.
L’eaupurificatrice?Uninconscientde1572
On vient de le voir : le huguenot cache un Juif en lui dans le tumulte des
représentations catholiques zélées du second XVIe siècle. Dans ces conditions, la
judéophobie ne fournirait-elle pas une logique de la violence lors de la Saint-
Barthélemy, et le basculement dans un épouvantable massacre ne s’est-il pas
produit parce que la figure fantasmée du Juif déicide aurait été inconsciemment
projetéedansl’êtremêmequivitdansl’Évangilerestitué?
Lemodèledemassacres,peut-êtrelepluspertinentpourlaSaint-Barthélemy,se
trouvedansunterritoiredelaCouronned’Aragondelafindu XIVesiècle,etplus
spécifiquementàBarcelonedontlestroubless’inscriventdanslacontinuitédeceux
deSéville.En1320,lavilleauraitcomptépeut-êtrejusqu’à5000habitantsjuifs.Ily
avait alors quatre synagogues, ce qui reflétait une communauté prospère. Le
Conseil municipal, dans un premier temps, prend des mesures préventives pour
protégerlacommunauté juive,l’Aljama, mais, dèsle 5août 1491une centainede
Juifssontassassinésparunebandedanslaquelleilyauraiteudesmarinscastillans
et étrangers, les portes d’El Call, le quartier juif, ayant été forcées. Sans doute
250 morts. El Call est incendié, et les survivants trouvent refuge dans une tour
fortifiée, placée sous la protection de soldats réquisitionnés par le gouverneur de
ville.Dixprésumésmarinsayantétécondamnésàlapendaison,uneémeuteobtient
leurlibérationtandisquelesJuifsréfugiésdanslatouroùilsavaientreçuledroitde
seréfugiersonttuésoubaptisésdeforce.
CitonsiciletémoignagedonnéparlerabbinHasdaïCrescasquinouspermetde
soupçonnerquelesacteursdelatuerieétaient,commeilsleserontultérieurement
lors de la Saint-Barthélemy, des habitants de la ville de toutes origines sociales :
« Alors la masse des simples gens rugit et se dressa contre les gouverneurs, et ils
combattirent les Juifs réfugiés dans la tour, armés d’arcs et de catapultes. […]
Beaucouppérirentenmartyre[…].Beaucoupd’entreeuxsesuicidèrent,certainsen
se jetant du haut de la tour et ils étaient déjà déchiquetés avant même d’avoir
parcouru la moitié de leur chute. […] Les autres furent convertis au
christianisme1.»Lesviolentssontqualifiésde«mauvaisespersonnes»,etilyeut,
semble-t-il, de nombreuses conversions forcées 2. Une Histoire des sultans
mamelouks, du copte Moufazzal ibn Abil-Fazail, donne un détail supplémentaire :
lesJuifsauraientétéjetésdanslamerquiseseraitmiseàrépandrejusqu’enÉgypte
uneodeurdepourritureintense3 !Entoutcas,lesviolencesontétécommisespar
l’entitésocialeanonymiséequ’estle«peuple»,lestueursn’ayantpasdenom,cequi
estsignificatif.Quantàlapuanteur,elleseraitsymboliquedecequelesJuifssont
censésavoireneux,enfinrévélédansleurmiseàmort.LemytheduFoetorJudaicus
incarnantjusquedanssamortunealtéritéradicale!
Avançons un peu dans le temps pour aller plus loin dans la détection de cet
invariant que put être l’invisibilité approchée comme ce qui se tient au cœur de
«l’ordrecachédeschoses»,pourciterFrançoiseHéritier.Parlonsdesmassacresde
Lisbonne, durant la semaine sainte de 1506, qui présentent, à des siècles de
distance,dessimilitudesfrappantes:denombreuxcorpssemblentavoirétébrûlés
surdesbûchersimprovisés,desnouveau-néssontcoupésenmorceauxoufrappésà
mortcontredesmurs.
Le7avril1919,leBaronGuinzbourg,partideKiev,estinterceptépardeshommes
del’AtamanIlyaTimoseievitchStroukopérantpourl’arméeblancheauxcris«Les
Juifsd’uncôté,lesRussesdel’autre»et«lesfemmesàpart».Puislesfemmessont
jetées dans le Dniepr, tout comme les hommes accusés d’être des communistes.
L’uned’entreellessurvitet,cachéedansunvillage,elleentendceuxqu’ellenomme
danssadépositiondes«bandits»,qui«tiraient,hurlaient,jouaientdel’accordéon
et chantaient à tue-tête jusque tard dans la nuit ». Quant à Basia Isaakovna
Makovskaia, une autre femme cachée, qui a vu, dans un autre village, le jour de
Pâques, son mari déshabillé, roué de coups, rançonné puis tué d’un coup qui lui
fendlecrâne,elle entendlesassassinsdire :«Il fautretrouverla vieille.Elledoit
être quelque part ici. Cela serait bien de l’attraper pour qu’elle traîne son mari
jusqu’au fleuve, puis nous la noierons. » Le thème répété de l’eau permet de
soupçonnerquecetélémentfaitpartied’unesymboliquerituelleobligée,commeil
semble l’avoir été en 1572 pour les tueurs parisiens : c’est le boutiquier Moïssei
DavidoKhatoutskii,dontlaboutiqueestd’abordpilléedefondencomblepardes
hommesdeStrouk,puisquidoitdonner200roublesqu’ilavaitsurlui,avantque,
pardeuxfois,sestortionnaireslejettentdansl’eaupourlenoyer4.
Pour nombre de Juifs, l’eau est un agent de l’invisibilisation victimaire. Ainsi à
Séville,oùlescadavresontétéimmergésen1491;ainsi,entre1917-1922,c’estpar
la noyade, une fois dénudés et battus à coups de crosse, que les Juifs trouvent la
mort:«Onnousretiranoschaussuresetnosmanteauxetonnouspoussadansla
rivière5 .»Ilnes’agitpasicid’unvicinicide,maisd’uneviolencepratiquéepardes
formations armées de toutes origines politico-ethniques appuyées spontanément
par des paysans des environs qui surviennent occasionnellement. Il y eut des
pogromsblancs,d’autresrouges.Aupremierplandelagesteassassine,ilyaalors
l’arméeukrainienne,etensuitedeschefsdeguerre,l’arméedeDenikine,desunités
del’Arméerougeetdesbandesprofitantdudésordre.Commeen1572,lescadavres
pouvaientaussiêtreemportésdansdesfossescommunescreuséesdanslecimetière
juif6 –lecasextrêmeétant,les29et30septembre1941,celuiduravindeBabiYar
ou«ravindelavieillefemme»,quisertdefossecommuneaux33771JuifsdeKiev
contraintspourcertainsàsedéshabillerpuisépouvantablementmisàmortparles
fusillades des Einsatzgruppen. Ces cadavres immédiatement invisibles
métaphorisaientet annonçaient le devenir de tous les Juifs ainsi réduits à néant :
personne ne viendrait se prosterner sur leurs tombes ni ne réciterait le kaddish
pourlapaixdeleursâmes7.
L’eaucommesépulcredesmassacrésrevientdemanièrecertesdiscontinue,mais
très significative : entre le 18 juillet et le 25 juillet 1941, les Allemands, qui
occupaient la ville de Vitebsk, semblèrent vouloir déplacer les Juifs, sans doute
quelquesmilliersquiétaientinstalléssurlarivegauchedufleuveDvina,verslarive
droite.Comme le pont permettant de passerle fleuve avait été détruit,ils durent
monter sur des radeaux et dans des barques, que les hommes de la Wehrmacht
firentensuitechavirer.Ceuxetcellesquinesavaientpasnagersenoyèrent,tandis
quelesautresfurenttuéspardescoupsderames,oupardestirsd’armesàfeu.Près
de20000JuifsdughettodeBudapestontensuitepérifusillésen1944,surlesbords
duDanube, après avoir été précipitésdans l’eau. Les tueurs,qui appartenaient au
partides Croix fléchées, commandèrent aux Juifsqu’ils avaient rassemblés sur les
rives d’enlever leurs chaussures, peut-être pour symboliser qu’ils n’étaient rien
sociétalement et que donc leur basculement dans les profondeurs aquatiques
épuraitlemondehumaindeleurnéant.
L’eausertàinvisibiliserparcequel’invisibilisationconsacrelenéantdel’autre,fait
qu’il n’est plus l’autre puisqu’il n’existe plus. Elle a une fonction à la fois
invisibilisante et purificatrice pour les tueurs du génocide arménien :
précédemment, en juin 1915, des notables arméniens arrêtés à Trébizonde sont
noyéslelendemainaulargeduportdelaville,Platana,et,quelquessemainesplus
tard, à Erzincan, deux chariots chargés de petits garçons sont précipités dans
l’Euphrate. Des bébés sont aussi entassés dans des sacs et noyés. Ce sont encore
plusieursdizainesdemilliersd’Arméniensd’Erzincan,quidéportés,sontjetésaux
alentoursdu28mai1915danslesgorgesvertigineusesdeKemah,«siteabattoir8 ».
Deuxjoursplustard,unepartiedeshommesde41villagesarméniensdukazade
Tercansontassassinésetjetésdanslesmêmesgorges.
L’eaudelaSeineauraitengloutiaumoinslamoitiédesvictimesde1572,sil’on
suitlepasteurNathanaëlWeiss.Elleauraitparticipédel’expulsiondunéantd’être
qui offense la gloire divine, et donc de la mise en oubli des morts et de ce mal
angoissantqui a nécessité leurassassinat. Elle est l’enferd’oùils sont sortis. Dans
unepassionjouéeàFrancfortàlafindu XVesiècle,l’enfern’estpaslocalisédansla
bouchedémoniaqued’undragonfumant,maisdansuncoursd’eauquis’écouleen
contrebasd’undescôtésdelaplacesurlaquellelareprésentationestdonnée;Satan
ensurgit,avantdegravirlaberge9 .
L’eau,sielleaunevocationlustrale,estaussiunsymboledelamortetdel’enfer.
Renvoyantàun engloutissementdévorateur,elle estl’élémentdans lequeltoutse
perd et s’oublie, tout est emporté et comme dévoré. Dans la tentation de saint
AntoinequedessinePieterBrueghelen1556,lesaintestreprésentéagenouillésur
la terre, tournant son visage à l’opposé d’une rivière sur laquelle s’agitent de
multiplesêtresdifformes,hybridesd’humains,d’animaux,depoissonsetd’objetsdu
quotidien, autour d’une tête démesurée qui flotte et qui a la bouche ouverte et
fumante,surmontéed’unénormebrochetauventrecrevé.Lestentationsviennent
de l’eau, les démons essayant de grimper sur la berge pour capter l’attention du
saint, qui conserve pieusement les yeux fixés sur les Écritures. L’eau est
démoniaque, et qui y est noyé est imaginé comme immédiatement absorbé ou
dévoréparSatan.
Le prêtre Gabriel de Saconay se prit un jour à rêver mélancoliquement d’une
peinesacralepourleshérétiques,touscoupablesdevouloirtuerlevraiChrist,une
peine qui, si elle avait été appliquée, « si une douzaine, ou moins encores, des
habitants de Lyon eussent esté par justice jetés dans un sac en la rivière », aurait
préservésaville,Lyon,detouslestroublesetcalamitésqu’elleaconnusdepuisla
finavril1562.L’eauinstruitd’unengloutissementenenfer.Letestamentsatirique
de«MartinLeuter»,précocement,confirmacepointdevue,quandl’hérésiarque
confiaitaulecteurl’impatiencedesonâmen’attendantplusqu’enfinde«dessendre
èssombrestenebreuses;Tousmesespritsdefureursontravis:CardePlutonmon
corpsserarepris.Etsubmergéèsondesrabieuses10».
Danslesviolencesmêmes,leliendel’hérétiqueàSatanestassuréparlesupplice
de l’eau infligé, en 1562, à une femme huguenote, enfermée dans un sac par des
« garnemens », qui l’appelaient, en la contemplant s’enfoncer dans la rivière, « la
mèreaudiablevert11».Undiablefaisantpenseràl’effrayantdiablevertpeintpar
MichelPacherseconfrontantàsaintAugustin12!ÀParis,Sens,Angers,Orléans,
Lyon,Toulouse,danslesgrandescommelespetitesvilles,onnoieleshuguenots,
ou on plonge leurs cadavres dans l’élément aquatique. Alors qu’à Paris ce fut par
milliers que la Seine reçut les hérétiques, à Meaux, en 1572, ce furent vingt-cinq
victimes, qui, en groupe, furent amenées au moulin de la Juiverie et précipitées
dans la Marne. Et là encore, court une mémoire longue – ou une structure – de
l’invisibilisation : lors de la crise des Cabochiens en 1413 puis des massacres
d’Armagnacs en 1418, on constate que contre ceux qui sont nommés les
« malfaicteurs », outre la peine du gibet, on recourut à la noyade13. L’eau est
présente en enfer, et les visions montrent certains des réprouvés subissant une
peineéternellequiressemblefortàuneimmersioncontrainte,àlaquellelesâmes
damnéesinvitentl’âmedeLacomplaintedoloreuse…àvenirprendrepart:
Avecquesnousvousbaignerez
Icyetaccompaigneres
Pourcequenousaccompaignates
Dupechéetvousbaignates 14.
La descente de saint Paul en enfer témoigne de ce que ceux qui n’auront pas
écoutélaParoledeDieuserontimmergésjusqu’auxlèvresdansunbaind’eauàla
fois glacé et brûlant. Dans la vision de Tondale, une des séquences les plus
pathétiquesestcelleaucoursdelaquellelesâmesarpententunpontextrêmement
étroit, en surplomb d’un fleuve (ou d’un lac immense) agité par une tempête et
grouillant de bêtes démoniaques prêtes à déchirer les âmes qui tomberaient, en
l’occurrence les âmes des sacrilèges 15. L’action de jeter les corps dans les rivières
participed’uneconscienceprophétiquelibératrice,quiagitdansl’obéissanceàDieu
etquiprécipitelesréprouvésdansleséjourdesmortsoùlaParoledeDieuaénoncé
qu’ils seront relégués pour l’éternité, dans le non-être d’où ils ne doivent surtout
pasrevenir. Un séjouréternel de souffrancequi est au fondd’un gouffre situé au
cœur de l’océan. L’abandon des corps à l’eau des fleuves et rivières est encore un
abandonàlapourritureetàlapuanteurquiestunepeinespécifiquedespéchésde
lachairprécédantleurcombustionéternelle,etunabandonàdesmonstresvivant
danslepuitsdepuanteuretprêtsàlesdévorer 16.
L’invariantdel’invisibilisationdesennemisdeDieu
Ilresteraitàidentifierpourquoil’eau,enmêmetempsquelefeuou laterre,est
nécessaire aux violences paroxysmiques, tant celles des catholiques de la Saint-
BarthélemyprécipitantlesprotestantsmortsouvivantsdanslaSeinequecellesdes
antisémites du XXe siècle17. En tout cas, ce qui ressort, c’est la volonté de faire
disparaître le Juif considéré comme impur, de le rendre invisible, englouti dans
l’eau purifiante ou sous la terre qui est alors censée l’absorber, l’annihiler en
pourritureautermeparfoisd’une«Jugenjagd18».Lorsdupogromdu4juillet1946,
qui se déroule à Kielce, au cours duquel quarante Juifs rescapés des camps furent
tués, nombre des hommes des femmes et des enfants sont noyés dans la rivière
Silnica. Ce rituel aurait visé surtout à dire qu’ils n’avaient jamais existé en tant
qu’êtres humains, qu’ils n’étaient rien parce qu’ils n’avaient jamais été humains et
qu’ilsallaientverslenéantqu’ilsétaientdanslesfantasmesdeleursassassins.
Uneautregrandetragédiehistoriqueautoriseunelectureprochedumassacrede
1572. Il s’agit du Farhoud dont fut, au début du mois de juin 1941, victime la
communautéjuivedeBagdad,quireprésentaitprobablement20%delapopulation
delaville.Lapropagandenazie,relayéeparlegrandmuftideJérusalemMohamed
HadjAminalHusseini,avaitexacerbélestensionsenarticulantlemotifd’unelutte
contrel’impérialismebritanniqueàunantisémitismequiaccusaitlesJuifsd’êtredes
traîtresàleurpatrie.Làencore,laviolencerelèved’unpréconditionnementqui,ici,
mêlelereligieuxetlepolitique.Noussommesdoncenprésenced’une«matrice»,
etmêmed’unestructure,sil’onsuitFrançoiseHéritier19.
Lesmatricessontenquelquesorte,decepointdevue,égalementdesstructures,dessystèmesquiencadrent
de façon précise des contenus diversement agencés etapriori discernables,nomenclaturables.Partant du
principequelastructures’imposeàdesensemblesdesignificationdéjà-là,entantqueréalitéspréexistantes,
ce sont ces ensembles de signification les plus voilés, les plus enfouis, qu’il nous faut saisir : ces choses
cachéesfondamentales,quisontderrièrelesapparencesdescomportementsetdesmots,quivontsemettre
àexisterenassociation,enentrelacs,defaçonstructurée,matricielleaupremiersensduterme.
Le dimanche 1er juin 1941 était pour les Juifs de Bagdad jour de Chavouot, une
fêteàl’occasiondelaquellelacoutumeétaitdeporterdesvêtementsblancsetd’aller
en pèlerinage sur les tombes des prophètes. Et tout commence alors du fait de
soldatsqui,àlalisièredelaville,tuentunJuifetenblessentseizeautresquifurent
conduitsparlapoliceàl’hôpitalgouvernemental.Lapoliceydisperseunefoulequi
s’étaitmasséepourexigerqueluisoientlivréslesemployésjuifsdel’établissement.
Onconstatelerôlepremierdel’arméedanslesmomentsquiprécèdentcequipeut
avoirétéunsurenclenchementmimétiquecollectif.
Lemassacredébuteensuitedansuneruetraversantle quartierjuifoùunefoule
interceptebusetautos,ettueoumaltraitelespassagersjuifs.Untémoinassisteà
un rituel collectif de mise à mort qui n’est pas, dans les manières de tuer, sans
rappelerles crimesde la Saint-Barthélemy: « J’aivuune grande fouleet environ
huitautobusgarés.ToutJuifquisetrouvaitdansunautobusétaittraînéetégorgé
avecdespoignardsetdeskandjars.UnedizainedeJuifsontététirésdesautobuset
massacrés. Je me trouvais à six ou sept mètres des personnes assassinées. » Les
troubless’étendantgéographiquementetlapolicesecontentantdetirerenl’air,ce
sontlesmaisonsdesJuifsquisontenvahies,«lesportes[…]briséesetarrachées»,
pardeshommes quimassacrentceuxet cellesquin’ont pasletempsde tenterde
fuirparlestoits,etquipillentlesintérieurstandisquelafoule,dehors,lesapplaudit
etlesacclame.Unefouleunieetsolidaire,lesagressionsmortifèresétantrythmées
parlescrisdeceuxquiregardentlesviolences.Ladésindividuationinhérenteàla
foule semble signifier, par effet de miroir, que ses cibles n’existent pas en tant
qu’êtres humains, qu’elles sont néant et doivent faire retour au néant. L’espace-
tempsinformel créé par lacacophonie des hurlementsde douleur des victimeset
des cris terrorisants des tueurs nie l’humanité de ceux et celles qui sont voués à
mourirdecequiest,pourlafoule,leurinhumanitémême 20.Entoutcas,retenons
l’invariant d’une « grande foule » qui ici comme précédemment aurait été une
conditiondelaritualisationcollectivedelaviolence.
Lamatriced’uneSaint-Barthélemyayantviséàinvisibilisersesvictimesetdoncà
lesretirerdel’histoireseretrouvedanslerécitd’unjeunehabitantduquartierde
Tatran,quirapporteuneambiancenocturneeffrayanteeteffroyable:
Cefutunelonguenuitd’angoisseàTatranetdanslesenvirons.Àlamaison,nousentendionsparfaitement
lescrisdedétresseprovenantdel’unedesmaisonsvoisines.Ilss’affaiblirentauboutdequelquesminutes,
maisreprirentetnecessèrentplus,revenantavecunerégularitéeffrayantedetouteslesdirections.Nous
entendionsleshurlementset,intérieurement,noushurlionsavecceuxquicriaient,pleurionsavecceuxqui
pleuraientet,silencieusement,totalementimpuissants,nousattendionsnotretour.Jen’oublieraijamaisces
crisdeterreur21.
Lesfemmesetlesenfantsnesontpasépargnés.Aumatin,desBédouinsentrent
enville,etlatueries’étendencoreàdenombreusesmaisonsetàdesmagasinsjuifs
situéshorsduquartierjuif,quisontpillés.Lestémoignagesparlentd’«émeutiers»
et,ànouveau,d’«unegrandefoule»qui envahitetpillelesmaisonsjuives,etde
tueursquiutilisentdespoignardsetdeskandjarspourmassacrer.Despoliciersse
joignentalorsàcette«foule»:
« Vers vingt et une heures, les mêmes policiers qui avaient reçu de l’argent arrivèrent avec la foule et
pillèrentmamaison.J’aivulespillardscasserlaportedemamaisonetypénétrer.Ilsonttoutemporté.Ma
familleetmoi-mêmeavonsfuiparletoitdenosvoisinsquin’avaientpasétépillés.Lelendemainmatin,je
suissortietj’aivuquetouteslesmaisonsdesJuifsdeTatranetdeAbouSifinavaientétépillées.Lesportes
étaientbriséesouarrachées22.»
Cettefoulequibriselesportes,tue,viole,mutilejusqu’auxfemmesenceintesqui
sont éventrées et jusqu’à des corps d’enfants qui sont fracassés rappelle la
configuration de la Saint-Barthélemy, scindée qu’elle est en de multiples groupes
qui investissent les maisons et dont les acteurs n’ont pas de noms, tandis que les
nomsdesvictimesdemeurentpourtoujoursperdus.Ilfautquedessoldatsappelés
enrenforttirentàballesréellessurlesassassinspourquelesmeurtrescessent.
Pourlessurvivants,saisisparlapeurd’inhumerleursmorts,survintletempsdu
silence.Commeen1572,cesmortsfurentsansnom,sanssépulture,sansmémoire;
ils basculèrent dans l’inexistence, puisque les autorités décidèrent qu’ils devaient
êtreinhumésdansunefossecommune.Autotal,durantlesdeuxjours,entre150et
169, voire 180 Juifs furent assassinés, et 600 autres blessés. Et on compta 1
500boutiquesetmaisonspillées;àcebilanilfaudraitajouterlesviolsdefemmeset
les enlèvements de jeunes filles. Du côté des tueurs, il s’agissait d’un collectif
informelincluantdessoldatsetdesmembresdebataillonsdejeunesse,rejointspar
unmondedepauvresoudemoinspauvres,etparfoisguidésparcertainshabitants
chrétiens de Bagdad. Le massacre semble avoir été socialement instructuré et
diffus;ilparaîtagiparunagrégatincertain,informe,presqueinvisiblepourrait-on
dire,auseinduquelilpeuts’avérervainouartificield’identifierdes«leaders».Au-
delàdesfiguresincitatricesouexcitatricesengagéesaudébutducycledeviolence,
unecertainevolatilitédesacteursestperceptible.
La temporalité pogromique serait donc caractérisée par un certain paradoxe de
l’invisibilisation:laviolenceinvisibiliselesmassacrésquisontdesmortssansnom
parceque,pourlestueurs,ilsnerelèventpasdel’humain;maisellefaitdemême
pour les tueurs dont l’euphorie atroce s’expliquerait peut-être précisément par le
faitqu’iln’yapersonne pourlesidentifier.Ilsnesontpour laplupartd’entreeux
quedesinvisiblesdel’histoire,perdusdansune«foule»quiencadrelemassacre.
Onpeutalorscomprendrepourquoilafouleseraitalorsàlafoisprésenteetabsente
danslemassacredelaSaint-Barthélemy,etpourquoionnepeutenfairel’histoire
quepardéduction,àlalumièred’événementstoutaussitragiques.Ilseraitinhérent
auxtemporalitésdesmassacresdefairebasculerlesmassacrésdansl’absence,dans
lenon-être.
Laviolence,enlesnoyant,enfendantlesventresdesmères,encassantlestêtes,
déshistoricise et produit une invisibilité d’autant plus totale que les corps et les
visagesnesontplusidentifiablesàforcedecoupsreçus.Etalors,lerisqueestdese
laisser manipuler par les documents, en pensant que les noms d’une dizaine ou
vingtaine de mythomanes affabulateurs peuvent permettre d’appréhender la
dynamiquedumassacre.L’accomplissementd’unprojetgénocidairepasseparlejeu
dramatique d’un « nous » qui se nourrit de « la haine du différent », de « la
constructiondelarépulsiondeladifférence»quisetraduitparla«constitutionde
l’Autre en radicalement Autre », à la manière de ce que déclara Himmler en
avril1943dansundesesdiscours:«L’antisémitisme,c’estcommel’épouillement.
Sedébarrasserdespoux,cen’estpasunequestiondephilosophie,c’estuneaffaire
de propreté […]. Nous serons bientôt épouillés, il ne nous reste plus que 20
000pouxetnousenauronsfinipourtoutel’Allemagne23 .»
Je voudrais, pour tenter d’expliquer le pourquoi des non-dits des crimes d’août-
septembre1572,meréféreràunpogromadvenuenRoumanieàlafinjuin1941,
dans la ville de Jassy – Iasi – dont plus du tiers si ce n’est la moitié des 100
000habitantsétaientjuifsetquiétaitundesfoyersdel’antisémitismeroumainau
tempsdeladictaturepronaziedeIonAntonescu.Le22juin1941,desaffichessont
placardéesenvilleappelantàtuerlesJuifs,assimilésàdescommunistesetdoncà
destraîtres.«L’heuredelavengeanceasonné»,telestlemotd’ordre.Le25juin,
pour éviter tout risque de confusion, les maisons habitées par des Roumains
chrétiens sont marquées d’une croix24 , tandis que de fausses attaques contre des
soldats roumains sont mises en scène pour renforcer l’accusation ambiante d’une
culpabilité juive opérant aux ordres de Moscou. Après une phase préparatoire au
coursdelaquelledejeunesJuifsréquisitionnéssontcontraintsàcreuserdeuxfosses
communes dans le cimetière juif de Jassy et qui voit déjà des pillages de maisons
juives,lematindu29juin,desgradésdel’arméeetdelagendarmeriemobilisentles
troupes : des gendarmes, des policiers, des officiers et des soldats roumains et
allemandsforcentlesJuifsàabandonnerleursdemeuresetlesconduisentlesmains
en l’air, sous les insultes, les crachats et les coups, jusqu’à la Chestura, le quartier
généraldelapolice.Surlechemin,certainssonttués.
Lafoule,composéed’ouvriers,depetitsfonctionnaires,denégociants,dejeunes,
defemmes,dontcertainsfournissentlesadressesdesJuifsparceque,sansdoute,ils
les connaissent, semble avoir à nouveau été un agrégat transsociétal. Jean Ancel,
aprèsavoiridentifiédanssonanalysedes«grandscriminels»,distingueceuxqu’il
appelleles«petitscriminels»:deslycéens,despetitsfonctionnaires,desartisans,
des commerçants, des intellectuels, des cadres de banque, des ingénieurs, des
retraités. Les voisins des Juifs jouent un rôle certain, n’hésitant pas à donner des
coupsetattendantparfoisl’occasiondepiller.«Cesontbiensouventles voisinsdes
Juifs,ceuxquilesconnaissaientde près,quifurentleurspiresennemis,quifirent
preuveduplusgrandzèleafinquepasunn’échappeausortquiluiétaitdestiné.»
Maisilnefautpasselaisserprendreàcethèmedu«voisin»,card’autres«petits
criminels»,ennombre,surgissentdèsqu’ilsperçoiventquelesJuifssontdésormais
rejetésrituellementhorsdel’humain:domestiques,cochers,balayeurs,apprentis…
Tousces«petitscriminels»sontmassivementimpliquésdanslatuerie:«Armés
degourdinsetdehaches,ilsfrappaient,fracassaientlescrânes,vidaientlespoches,
allaientmêmejusqu’àdépouillerlesJuifsdeleursvêtementsetdeleurschaussures.
Infirmiers, secouristes volontaires, engagés dans la défense passive, employés des
servicesdepropretéurbaine–bref,toutcequiportaitbrassard–prêtèrentmain-
forte aux patrouilles venues chasser le Juif, et leur apportèrent une contribution
précieuse.Chacuntravaillaitpourlebutcommun,toutenpillantpoursonpropre
compte.»Lepogromimpliquedoncunemultiplicitéd’intervenantsrépondantàun
projet génocidaire ; il procède par une succession désordonnée de greffes
individuellesoucollectives.
Laviolenceestd’abord exercéeàcoups debarresde ferquivisent lestêtesafin,
peut-onimaginer, demettre enreprésentation demanière persuasivele non-être
de Juifs qui sont hors de l’humain, mais c’est dans la soirée qu’un massacre a lieu
danslacourdelaChestura:unefusilladeàl’aveugleestdéclenchée,sansdouteen
réponseàun motd’ordre.Lesdeuxjourssuivants,lesmeurtressepoursuiventet
font des milliers de morts. La plupart des cadavres sont dépouillés de leurs
vêtements,commedansleParisd’août1572,puishissésdansdescharrettesoudes
camionsetemmenésverslesgrandesfossescreuséesdanslecimetièredePacurari.
En 1948, le procès du massacre porta le nombre des victimes à 14 850. Certes, il
faut désigner la responsabilité de l’État roumain (armée, gendarmerie, police,
servicessecrets,etc.)etcelledeschefsexécutantsquisontdehautsresponsablesde
l’armée25 et rappeler la décision politique du massacre sans aucun doute prise à
Bucarest,maislapopulationcivilenedoitpasêtreexonéréedenombred’atrocités
commedestortures,desviols etdesmeurtres,despillages26.Etdonc,toujourset
encore, comme dans le massacre génocidaire des Arméniens, l’invariant d’une
violence partagée et invisibilisant l’ennemi en le sortant de l’histoire même.
Comme,àParisen1572,desfossescommunes.
Onretrouvelavolonté 27defairedisparaîtrelesmortsdevenusnonseulementdes
sanscorps, mais aussi et surtout des sans nom. Le pogrom déshumanise puisqu’il
oblitère ce qui fut la vie de ceux qu’il fait mourir et disparaître. Mais, comme il
participed’unprogrammenommé«Grandplan»parAntonescu,«depurification
de la nation roumaine28 », ce qui semble relever d’un empirisme sanglant fut
programmétoutenétantrelayéparunehainecollectivequiadésignéetrassemblé
les Juifs, les a frappés tout en assistant à leur mort, du moins pour ceux qui
périssentdanslacourdeChestura.Eneffet,ledictateurpronazi,arrivéaupouvoir
enseptembre 1940,avait instrumentalisél’antisémitisme« ordinaire» à partirde
l’entréeen guerrede la Roumanie contrel’URSS en1941. Le pogromse déroule,
danslasubjectivitédeceuxquiyontprispart,enfonctiondelaconstructionetde
la diffusion d’un mythe du complot : en l’occurrence la définition du Juif comme
traîtreauservicedel’URSS,quicachedesarmesetdesmunitionsdansl’attentede
donner un soutien à l’Armée rouge ou collabore avec l’ennemi en signalant aux
avions russes les cibles au sol à bombarder et en dissimulant des parachutistes
ennemis.
Retenonsicil’élémentsansdoutecrucialqu’estcemythedelatrahison,par-delà
l’identificationdesJuifsàuncorpsétrangeretnocifdontlepeupleroumaindoitse
purgerdetouteurgence.LeJuif estuntraître,commele protestantde1572était
accusédel’êtreàl’imageemblématiquedel’Amiral.Leshuguenotssontdesimpurs
qu’ilfautannihilerjusqu’audernier,etlapratiquede«l’outrageaucadavre29»,qui
débutesurl’AmiraldeColignyavantdes’étendreàl’ensembledumondeprotestant
parisien,possèdeunedimensiondecrimecollectif.La«sortiedel’être»activéesur
les victimes constitue une « désintégration ontologique 30 » et une invisibilisation
quilesretiredel’histoiremême,desonprésentetsurtoutdesonfutur.Lahainede
l’autre est bien matricielle. L’invisibilisation joue comme une invariance dans les
violencesetaidedoncàpercevoircequesontcelles-cistructuralement31 .
Unsecondmomentd’atrocitésdébutelorsquedesJuifssurvivantssontconduitsà
la gare et chargés dans des wagons à marchandises sans aération. Ce train de la
mort surtout par asphyxie ou déshydratation est suivi par un second train qui
fonctionnedemême,pourun totaldesansdoute 7000morts.Cette violenceest
d’autant plus déshumanisante qu’elle n’est pas le fait direct d’actions meurtrières
humaines. L’enfouissement des cadavres dans des sépulcres collectifs disséminés
spatialementsuggèrequelepropredelatueriede masseestderendreimpossible
autantl’identificationdesmortsquel’estimationdeleurnombre.Nepasprocéderà
une comptabilité qui laisserait une trace renvoie à l’invisibilité et donc à
l’invisibilisation.
Pour ce qui est de la Saint-Barthélemy, je propose, dans cette optique, de
rehausserlechiffragedesvictimeset,sansallerjusqu’aux10000«tuésounoyés»
proposés dès le 29 août par le jésuite Gregor Fabius, de le rapprocher des 7
000 morts suggérés par Claude Haton dans le cadre de ce qu’il désignait
significativement comme un « saccagement32 ». On y reviendra de façon plus
précise.
Desvictimesplusnombreusesqu’iln’estprésumé
Si la Saint-Barthélemy présente des similitudes avec les tueries effrayantes qui
viennent d’être brièvement analysées, nous sommes confrontés à une question
complémentaire.Peut-onpenser,ensuivantlemodèleétabliparJérémieFoa,que
laviolenced’août1572etsesmilliersdevictimesauraientpuêtregérées,contrôlées
etassuméesparuntoutpetitnombred’acteursdontonpeutdevinerqu’ilssontdes
mythomanes cherchant à se composer des figures de zélés serviteurs de Dieu ?
Commentune«poignée»detueursa-t-ellepuavoir,dansuneséquencedetemps
aussibrèvequecelledestrois-septpremiersjours,laforcephysiquedetuerautant
etdetireroufairetirerautantdecadavresjusqu’aufleuve?LaSeinefutcomparée
aussitôtàunegrandelouvebuveusedesang,qu’ilsaientétéengloutisparlesflots
ou emportés plus loin pour annoncer à leur passage le miracle de la victoire
parisiennesurle«monstre»abominabledel’hérésie.Cefurentaumoins1800à2
000cadavresquelesfossoyeursducimetièredesSaints-Innocentsdurentrécupérer
en aval de Paris, sur les berges de la Seine, entre Passy, Saint-Cloud, Auteuil et
Chaillot,etinhumersansplusattendreafind’éviteruneinfectiondel’airparisien.
Mais tous les massacrés ne vinrent pas s’échouer au bord du fleuve. D’autres,
possiblement, continuèrent leur cheminement aquatique vers l’aval ou les
profondeurs!
Dans Paris et ses faubourgs, de très larges franges de ce qui était une société
protestantedisparurentainsientrele24etle31août1572,etpasseulementcelles
dont la richesse attira les pilleurs et que les historiens du temps ont très
partiellement gardées en mémoire33. La société de l’Évangile assassinée était sans
doutebienplusnombreusequelescadavresquis’échouèrentenavaldespontsde
Paris. Cette humanité est perdue à l’histoire, parce que les meurtriers voulaient
précisément qu’il ne subsiste plus rien de ce qu’elle avait été34. Le pasteur érudit
Nathanaël Weiss s’est bien sûr heurté au problème épineux des chiffres quand il
chercha à savoir ce qui s’était passé dans les derniers jours d’août 1572. Il estima
qu’il fallait doubler le nombre des corps jetés dans les eaux – dont je rappelle
l’estimationentre1800et2000–etdoncparvenirà4000morts,auxquelsilajouta
4 000 victimes mises en terre dans l’ensemble de la capitale et de ses banlieues35.
Exagérait-il ? Rappelons que toute une ville fut en action. Juan de Olaegui écrit
qu’unefoisl’alarmesonnéeà«3heuresdumatin»,«touslesParisiens»semirent
àmassacrer36.CharlesIXlui-mêmeparlad’un«peuple»acteurdelatransgression
violente.
Enréalité,àcôtédesélitesdel’argent,dusavoir,delahautetechnicitéartisanale,
une partie de la base populaire du monde protestant parisien fut éliminée, mais
oubliéeparcequ’impossibleàrecenserdansle Martyrologe.Elleconstitueunefoule
anonymiséedanssamortetdoncsanshistoirecommelefutlemassacremême,un
mondede«sanstombeaux»abandonnésàladévorationparlespoissons,comme
ironisèrent les zélés catholiques dans certaines poésies 37. Une chanson, mise en
valeur par Tatiana Debbagi-Baranova en raison de la glorification du massacre
qu’elle faisait entonner aux Parisiens, porte l’attention sur un protestantisme
populaireainsivictimisé:
Lemenupopulaire,
Frerefutiloccis?
Ouyfreresansnul’grace
Sanspitiénemercy,
Varletzetchambrieres
Iettezdanslariuiere,
Touschaussezetvestuz
Noussommestousperduz38.
Un Discourssurlamortinsisteégalement,dansunespaceurbaincomme«repavé
demortz»quin’ontpasétéépargnés,sur«lespluspetisetpauvresdelaterre»qui
ont péri. Le poète invite à chanter une suite comme infinie de morts sans nom
ayant suivi dans le trépas les nobles de guerre qui, quant à eux, ont droit à être
nommés:
RochefouquaultdeSoubiseetdePille
DeTheligni,Rayneletencoremille
Lesontaccompagnant
Etmilleencoredecepeuplerebelle
Quiontpasséalabarquemortelle
Quelenoiresttaignant.
Il y a là, sous l’écriture, une histoire égarée, impossibilisée, et d’autant plus
tragiquequ’elleprivelesmortsdeleurspropresmorts.C’étaitl’objectifmêmedes
massacreurs que d’enclencher une durée dont était exclue toute remémoration
pouvant faire revivre dans un avenir plus ou moins proche ce qui avait été un
tempsdemalédiction,etleurvolontéqued’effacerunpassépourqu’ilnepuissepas
revenir.L’invisibilisationestunestratégiedesuppressiondel’autrephysique,mais
aussiexistentielleetdonceschatologique.
Cet invariant décisif a ceci d’important qu’il nous rappelle que le crime
annihilationniste, malgré les silences qui peuvent entraver sa reconstitution
historique,estd’aborduneœuvrecollective.D’autresvictimesfurentprobablement
emportées plus loin que l’île Maquerelle et ses alentours. Mais surtout, dans ce
contexte,ilfauttenircompted’unelettredel’agenttoscanFilippoCavrianaendate
du27août,quiarecueillil’informationdesecondemainselonlaquellelaSeinen’est
pasleseulsépulcredesmorts:lescadavresfurentaussiportésauPré-aux-Clercs,là
où il était de tradition de jeter les « bestes mortes » et donc les charognes
pourrissantes.Cepointdedétail,quiestloind’enêtreun,envérité,estconfirmé
par l’avocat Louis Dorléans dans son Histoire de la Ligue exaltant « Ce jour
remarquable de la saint Barthelemi », qui a été « le jour de la vengeance du
Seigneur,ouplusieursrenardshuguenotslaisserentnonseulementlaqueuë,mais
aussilapeau:etdontlescharognesinfecterentlepréauxClercs,quileurfutdonné
pourcimetiere».
Il y aurait eu des fosses communes creusées dans l’urgence à peu de distance de
l’enceintedelacapitale,ainsiqued’autres,aménagéesdanslesfaubourgs,prèsdes
portes septentrionales de Paris, également hors de l’enceinte. Et même peut-être
intramuros.Unecroixdefer,scelléeaumurdel’égliseSaint-Gervais,auraitrappelé
lesouvenird’uneinhumation,effectuéedansl’urgence,de475huguenots39 quedes
travaux de réparation, en 1851, parurent confirmer, quand des ossements furent
découverts. C’est la mort qui produit des « tas de morts », des cadavres sans
rédemption d’autant qu’ils sont comme engloutis sous terre40. Des cadavres
invisibilisés dans l’urgence sur le prétexte de la menace que leur pourrissement à
l’airlibrepouvaitconstituer.Descadavres,surtout,commemauditspourl’éternité
etofferts ausilence dunéant. Maisil y aaussi lesinhumations effectuéesau plus
secretdeslieuxdes crimes.OudinPetit auraitétémis enterre danssacave après
avoirreçuvingt-septcoupsdepistolesetdehallebardes41 .Sesassassinsauraientété
l’hôtedelaBelleImageetd’«autresgarnemens»quilesuivaient,envoyésparson
proprebeau-père,lelibraireJacquesKerver«àraisond’uneinimitiéqu’ilseurent
ensembleenunpartageapreslamortdelamereduditPetit».
LepasteurNathanaëlWeissaprobablementvujustequandilécrivitquelaSeine
n’auraitattiréàellequelamoitiédel’ensembledescadavresparisiens.«LaSeinene
reçutdoncvraisemblablementquelescadavres,souventàdemimorts,deceuxqui
furenttuésàproximitédesesrives,auxenvironsduLouvre,del’HôteldeNeslequi
était en face, et surtout les victimes des ponts, alors couverts de boutiques et de
maisons élevées, de la Cité et de ses alentours immédiats, c’est-à-dire de ce qui
constituait en somme le cœur du Paris du XVIe siècle42 . » Les morts furent plus
nombreuxqu’iln’estpossibledel’évaluerens’appuyantsurlesseulsdocumentsque
l’histoiremetàdisposition.L’objectifdestueursfutd’ensevelirlamémoirequeles
huguenotsreprésentaientetainsiderompredéfinitivementlecoursd’unehistoire
qui avait vu, dans leur système de représentations, des traîtres au roi et à Dieu
tenterd’imposerauroyaumetrèschrétienunefoiinspiréeparSatan.Commecefut
l’objectif des acteurs ou des voyeurs des tueries de masse de l’Europe de jadis :
invisibiliser pour parfaire l’anéantissement et aussi pour dire qu’il devait se
continuerenunegrandefêtecollective.
L’invariantdel’altérisation43
Rappelonsiciquel’imaginairequiprogrammeetproduitlagestuelledeviolence
est valorisé, depuis le tournant de 1560, par des rituels d’animalisation qui
actualisentlesparoleschristiquesannonçantqu’auxderniersTemps,danslebutde
détruire l’Église, les loups se déguiseront en brebis, « corrompus ainsi que bestes
brutes»parcequemortsspirituellementcommeleproclameunlibelleprophétique
dutemps.L’animalisationveutdécaperlavéritéd’uncorpsbestial,rendantvisible
que l’hérétique fait partie de ceux dont Jésus a prophétisé qu’ils viendront aux
derniers Temps avec la Bête assaillir son Église sainte. Récurrents sont les textes
quidisentquelescatholiquestraitentleursvictimes«commedesbestes».Cesont
les petits enfants de Provins attachant une corde aux pieds d’un hérétique et le
tirantainsidecarrefourencarrefourparlesruesdelaville«commeonfaitd’une
beste morte », d’un être sans âme parce qu’en se détournant de Dieu il a tué son
âme,l’amiseàmortenlalivrantàlamortéternelle.Cesontencoredeschassesaux
huguenots, coursés par l’espace communautaire comme des bêtes, qui sont
organisées.ÊtrequiaperdusonâmeenladonnantàSatan,lehuguenotestainsi
appelé à rejoindre au Pré-aux-Clercs les lieux où les charognes animales étaient
enterrées.UneâmepourrissantepuisqueséparéedeDieu,uneâmemorteàDieuet
nepouvantplus,unefoisengloutieparlaterre,continueràvivredansl’obéissance
àSatan44 .
SilaviolenceestvécueetexaltéecommeuneœuvredejusticevoulueparDieu,
unemanièrederetourdeDieuparmisonpeuple,c’estparcequetoutuntravailde
paroledesprêtresetdesmoinesacertifiéquelehuguenotnedoitpas,nepeutpas
être considéré comme un vivant parmi les autres : il n’est qu’un corps sans âme,
qu’ilfautdonctraitersanspitiéaucuneetdontilfautabolirjusqu’àlamémoire.Ila
la mort en lui, et donc le tuer, c’est l’envoyer vers ce qu’il est déjà. Son histoire
cristallise la nécessité de son altérisation et donc de sa mise hors de l’humain. Le
disciple de Calvin, parce qu’il est censé vénérer un dieu qui n’est qu’une illusion
diabolique,n’estplusqu’uneapparencedel’imagecrééeparDieuàsaressemblance.
Aucunehésitation ne doit, aux yeuxdes prédicateurs et des polémistesde l’Église
romaine, s’interposer entre l’exigence divine d’extermination et l’acte de mise à
mort. Tuer n’est pas pécher, c’est au contraire aimer Dieu, aller au-devant d’un
désirdeDieu.Êtrehérétique,c’ests’êtredéplacédel’humainverslenon-humainet
appeler immanquablement sur soi le châtiment que Dieu a commandé
bibliquement à son peuple d’appliquer sans nulle pitié à celui qui le reniera en
adorantMolochouBaal.«Nilesexe,nil’âgedespersonnesn’ontétépardonnés,et
le peuple a été ainsi consolé. » Les mots sont importants : il y a le peuple, et de
l’accomplissementviolentauquelilprendpart,lepeuplereçoituneconsolation,un
apaisement de ses angoisses face à un Dieu dont les commandements avaient été
oubliés et qui avait été irrité par les abominations perpétrées45. Dans chaque
assassinat de la Saint-Barthélemy, c’est la figure d’une idole, honorée au fond du
cœur de l’hérétique, qui est symboliquement abattue ou brisée, et donc c’est le
commandementdel’Éternelquis’accomplit:
AinsiparleleSeigneur,l’Éternel,
Auxmontagnesetauxcollines,
Auxravinsetauxvallées:
Voici,jefaisvenirl’épéecontrevous,
Etjedétruiraivoshautslieux.
Vosautelsserontdévastés,
Vosstatuesdusoleilserontbrisées,
Etjeferaitombervosmortsdevantvosidoles.
Jemettrailescadavresdesenfantsd’Israëldevantleursidoles,
Etjedisperseraivosossementsautourdevosautels46 .
Les meurtriers, par leurs propres gestes, se trouvent introduits dans
l’accomplissementdelaviolencedivinedesderniersTempsdumonde.Récurrents
sontlestextesquidisentque,depuislafindesannées1550,lescatholiquestraitent
leurs victimes comme des « bestes47 » et c’est ce qu’ils font durant les matines
parisiennes. Ce sont de telles exhortations décisives qu’il faut prendre en compte
dans la reconstitution virtuelle de la « scène intérieure » propre aux « bons
catholiques»decesannéesdesangetplusprécisémentdesjoursetdesnuitsdela
Saint-Barthélemy.Unescènequiexigel’invisibilisationdel’autrequ’estl’hérétique,
samétamorphoseencenéantd’êtrequ’ildissimule.Unestructuresedégageici.
Il y a en effet obligation de violence annihilationniste parce que Dieu veut une
violencequin’épargnepersonneetdontlagestuellerépètelesatrocitésdupasséet
du futur. Et l’obligation est celle de chaque fidèle de Dieu quand il est référé à
l’énoncé biblique édictant que tout séducteur, qui détournerait le peuple des
commandementsdivins,doitêtrelapidé,dansl’oublidesliensmêmesdelachairet
dusang48.Àl’originedelapulsiondeviolence,ilyauncapitaldereprésentations
qui appelle les « devotz Chrestiens vrays Catholiques49 » à se replacer dans les
traces du peuple de la première Alliance. Dieu est exalté dans les sermons pour
avoir donné le droit de tuer à ceux qui sont membres de son corps mystique. La
défense de l’Église commande d’urgence la mort de ceux dont la présence est
représentée sous la forme d’un assaut ultime de Satan. C’est un véritable combat
contrelemalquechaquefidèlecatholiqueestainsiincitéàmener,pourempêcher,
est-il dit, que les saints temples soient mis à bas et que les saints prêtres soient
massacrés:l’hérétiqueestlediable,calomniateurensesparolesetsurtouthomicide
parsafaussetéquifaitsanscesseglisserd’autresâmesverslamortspirituelleque
signifiel’adorationidolâtred’unfauxdieu.Toutestabominationenlui,etletuer
n’estpascrime,maispurejustice,« médecine»dupeuple purifiantlecorpsdela
chrétienté.LeprêtreArtusDésiréallajusqu’àavancerquelepardonestunpéché
enuntempsoùiln’estplusquestiondetergiverseraveclemal,parcequechaque
instantaugmentelapuissancedeSatan.Lecombatestnécessaire,jusqu’ausacrifice
desoipourlagloiredeDieu:
Ceulxquirespandrontleursang
Pourcestecausejusteetbonne,
SontasseurezqueDieuleurdonne
Plainpardondetousleurspéchez…
Etsinouspardonnonsaumoindre,
Dieunousextermineratous50 .
La mise à mort des protestants de l’Évangile, impies et hérétiques, doit être
assuméepartousquandlepouvoirpolitiquesemontretropconciliant.Toutepaix,
quandleshérétiquescontaminentparleurprésencelacommunautédesfidèles,est
unefaussepaix,etlaguerred’exterminationestlesalutL’obéissanceàDieuprime,
et les prédicateurs allèguent tous les exemples bibliques de violence, entre autres
celui de Moïse qui commanda à tous ceux qui aimaient véritablement Dieu de
massacrer, ou celui ordonnant au frère fidèle de tuer le frère infidèle, de le faire
disparaîtredelaterre,delerendreinvisible,parcequ’ilestundiablesecachantsous
l’apparencehumaine51.L’altérisation,commel’invisibilisation,joueunrôlecapital.
Ilenrésulte,finaoût1572,unehauteintensitémortifèredanslamesureoù,sil’on
suitencorelarelationdeTomassoSasseti,ilsuffisaitd’êtredésignéaucri«voyez
voilà un huguenot » pour être pris pour cible. Et ceci jusque dans les villages
environnants de la capitale. C’est ainsi que d’aucuns, comme François Eudes de
Mézeray52 ou l’ambassadeur de Portugal à Paris Ruy Gomez da Silva, arrivent au
nombrede5000morts.Iln’yapasdecomptabilitéprécisedecettezonedeforte
dynamique tueuse qu’est l’Université, pour laquelle l’anonyme bourgeois de
Strasbourgpréciseque«beaucoupd’étudiantsetdejeunesgarçons,doncnombre
d’Allemands,ontétélàégorgés».Etilyacequisepassaitdanslesecretdesgeôles;
le sieur Huyard, quand il est incarcéré au Châtelet, est informé peu après son
arrivéeparunautredétenuquelasituationn’estpasfavorable:«C’estpitiédevoir
etentendrelespauvretezquis’exercentcontreceuxdelareligion.Quandviendra
surlaminuict,vousn’entendrezquecrisethurlemenslamentables,deceuxqu’on
esgorgera,etpuisjetteral’onlescorpsmortsenlarivière.»
On tue encore après le 10 septembre, de manière ponctuelle sans doute mais
signaléeparlenonceAntonioMariaSalviati:«Souventonjettedanslarivière,la
nuitetsansbruit,quelquesdizainesdeprotestantsquel’ontraîneàlarivière.»Àla
date du 14 septembre, le curé Jean de la Fosse souligne que la recherche des
huguenotssecontinueenville,visantàlesemprisonneret «estoientexécutésde
nuict par le bourreau ceux qui demeuroient obstinés53 ». Des morts toujours et
encoresans nom, et donc en quelque sorte sanscorps. Quant au comte de Saint-
Pol,ambassadeurduducdeSavoie,le16septembre,ilécritquel’oncontinue«une
grandeexécution,maisdenuit, etsontjettésdans larivièresansestre cogneus».
Dixjoursplustard,ilconstateque«onfaittoujoursmourirdeshuguenots,tantà
Parisqu’ailleurs54».
Que penser des 7 000 morts sur lesquels Claude Haton s’attarde ? Ceux qui ont
« vu » l’événement parisien se disent avoir été véritablement impressionnés par
l’effet, horripilant du fait du nombre, des corps assassinés et amoncelés : alors
résidant au collège jésuite de Clermont, Joachim Opser, après s’être limité le
24 août à évoquer l’« allégresse des Parisiens » et les cadavres des chefs du parti
huguenots,dépouilléset exposéssur lesplaces deParis, observele 26août qu’ila
assistéàcequ’ilnommeun«immensecarnage».Ilconfiequ’ilaétémarquéparce
qu’ilacontempléaprèsavoirprobablementdescendularueSaint-Jacquesjusqu’àla
Seine:«J’aifrémiàlavuedecetterivièrepleinedecadavresnusethorriblement
maltraités55. » Les nouvelles ont couru vite dans la capitale et contribuent à
renforcerladimensionexterminatricedumassacre:«Tousleslibraireshérétiques
qu’onaputrouverontétémassacrésetjetésnusdanslesflots.Ramus,quis’était
élancédesachambreàcoucher,assezélevée,estencoreétendusansvêtementssur
lerivage,percédenombreuxcoupsdepoignards.Enunmot,iln’yapersonne,sans
mêmeexcepterlesfemmes,quinesoittuéoublessé.»N’ya-t-ilpaslàl’indiced’une
tueriedemassed’uneplusgrandeamplitudequecellequel’historiographieatendu
àentérinerenselimitantdemanièreprivilégiéeauxfossescreuséespourlescorps
déposéslelongdesrivesdelaSeine,enavaldeParis56?
Arrêtons-nousicisurunpointdedétailquiestrécurrentdurantlemassacreetqui
iraitenrenforcementdenotredémonstration:Ramus,commebeaucoupd’autres
protestants,péritassassinédemultiplescoupsdepoignardoudague,soitdesarmes
quinesontpascellesqueportentlesgensdelamilice,desépées,desarquebuses,
desmousquets,desfusils.LudovicodeNevers-Gonzagueattribueainsilemassacre
à«ungvilpeupledesvilles»,sansarmesmaismuniprovidentiellementde«petitz
cousteaulx57 ». Nous pourrions tendre en effet à penser que ce serait, outre les
gentilshommeshuguenotsvenusàParisàl’occasiondumariagedu18aoûtetaussi
tousceux présents pour affaires, une part majeurede la communauté protestante
parisiennequi aurait été anéantie. Selon une affirmation de Joachim Opser, Paris
bruissedenouvellesrelatantlesnomsdesprotestantsassassinésetlesconditionsde
leursmisesàmort.Lestueursneseraientpasdemeurésdansl’ombre,ilsauraient
parlé aussitôt de ce qui s’était passé, et au regard porté par ceux qui vont voir le
spectaclesemblents’êtresurimposéslesmotsdetémoinsouacteurs.Maiscesmots
n’ontpasététranscrits,àl’exceptiondetémoignagescollationnésàGenève.
Une violence de très forte magnitude est ainsi soupçonnable, qui inclinerait à
supputer une mortalité criminelle élevée et dépassant les 3 000 tués. En
conséquence, un chiffrage d’au-delà des 4 000 assassinés, précédemment suggéré,
neseraitpasabsurde.Ilnes’agitpasdefairedelasurenchère,maisd’avoirlesouci
dedonnerexistenceàdesmortssansnoms,sanscorps,intentionnellementprivés
d’histoire.
Lesrarescatholiquesqui,peut-être,auraientpufournirdesinformationsprécises,
pourleurpartsontrestésmuets,souvents’abritantderrièreunpremiereffroiqu’ils
dirent avoir ressenti et dont ils n’auraient pas voulu surimpressionner leur
mémoire.Onl’avu,Christophede Thous’enfermetrèstemporairementchezlui,
pournepascontinueràvoird’autresatrocités,etdepeurdenepouvoircontenir
sonémotion face auxmassacreurs. Celane l’empêche pasd’être présent auLit de
justicedu26aoûtetdedirecequ’ilnesouhaitaitsansdoutepasdire!Le31août,à
Limoges,cefutlemaîtred’hôtelduseigneurde Lossequi,àsonarrivéedeParis,
dans le plus grand secret, s’adressa à un des consuls de la ville et l’informa du
«grandetsanglantmassacre»commencéledimanche«uneheureaprèsminuit».
Son interlocuteur l’emmena alors devant une assemblée extraordinaire réunissant
la plupart des consuls en charge et des notables de la ville. Là, il raconta ce qu’il
avait vu, et, pour tous les auditeurs, ce fut la stupeur, le sentiment qu’ils étaient
projetés dans un autre univers, subitement : « Les premières et plus qu’estranges
nouvelles dung si soubdain et inopiné changement estoient tant eslongnées de la
pensée et jugement des hommes qu’elles ressembloient plutost la mémoire dung
songequeàungvrayrécitethistoiredevérité58.»Unestupeurtotalequiiraitdans
le sens d’une évaluation haute des morts reflétant la puissance du processus
d’altérisationayantétéautravaildansleParisdesmoisetdessemainesd’avantle
massacre.
Le«peuple»enpuissancedetuer
Le«peuple»d’août1572estuneforceportéeàtuerpourrépondreàundésirde
Dieu, et il ne se réduit pas à des assassins en petit nombre même entourés
d’hommesdemain.Ilprésentelamêmedynamiquesocialecriminellequecellede
tumultes antérieurs, comme celui de l’église Saint-Médard sur la fin de l’année
1561,lesamedi27décembre:ceseraitalorsle«séditieuxpopulaire»quiauraitété
àl’œuvre59 ,qu’unlibellehuguenotnommepolémiquement«cestespouvantailde
peuple et appeau de sedition », formé de « nombre de prestres et autres mutins
embastonnezd’espées,rondelles,longsbois,grospavezetarbalestres,faisansarmes
àtouteoutranceetcruelleresistence 60».Etc’estlemêmepeuplequi,stimulépar
SimonVigor,semobilisalorsdelaséditionquisuivitledéplacementdelaCroixde
Gastine au cimetière des Saint-Innocents durant la nuit du 19 au
20décembre157161 .Aumatin,c’estl’«émotion»,«unepopulace»passantdevant
lePalaisetydéclenchantunepanique.Deuxmaisons,cellesduMarteaud’OretLa
Perle,sontdévastéessurlepontNotre-Dame,tandisqu’aumêmemomentquelques
bandes sont en action dans certaines des rues de Paris62 ; et la répression donna
lieu,selonlecuréJeandelaFosse,àlapendaisond’undesémeutiers,unvendeurde
fruits,enplacedeGrèvetandisque«unglundyfurentfouettésdespauvresgens,
lesquels avoient bruslé et mis le feu aux maisons des huguenots 63 ». Un « menu
peuple64 » qui pille et vole et aussi65 , des « petitz et menuz peuples », des
«manœuvres,femmesetenfanssansarmesayansseullementpierresetbastonsde
bois », que le roi soupçonne d’être encouragés par des « gros66 ». Ces « pauvres
gens » ne seraient-ils pas à nouveau en action durant les journées de la fin
août1572 afin de laisser exploser,cette fois-ci dans uncadre qu’ils pensent licite,
leurhaineannihilatricedel’hérésie?
Le jeune Maximilien de Béthune rapporte avoir été réveillé sur les trois heures
aprèsminuit « au bruit de plusieurs cris de peuples, et des alarmes qu’on sonnait
dans tous les clochers ». L’expression « cris de peuples » évoque de nombreuses
présences activistes. Paris s’éveille à la fois dans un vacarme vocal et au son des
cloches.Ilcomprendque songouverneur,le sieurde Saint-Julien,etsonvalet de
chambre sont sortis pour aller aux nouvelles ; il ne saura jamais ce qu’ils sont
devenus, probablement parce qu’ils font partie des morts sans nom des toutes
premières heures du massacre. Il est seul et il veut survivre67. Malgré les
suggestionsdesonhôtequiestprotestantetquilepressed’alleravecluiàlamesse,
ilrevêtsatenued’écoliertouten«prenantungroslivred’heuressoussonbras»
pour s’en faire une sorte de passeport. Son projet est de se rendre au Collège de
Bourgogne.
Le témoignage de Sully est précieux, car il permet d’identifier de manière plus
certaine une ville vite devenue criminelle par effet du nombre de ceux qui sont
dehors. Il est alors « saisi d’horreur », raconte-t-il ; en sortant dans la rue et en
voyant « des furieux qui couraient de toutes parts, et enfonçaient les maisons en
criant : tue, tue, massacre les huguenots ». Le sang coulait partout sous ses yeux68.
Parissembleavoirétéunespacesaturédeviolencesetsurtoutdeviolentsquivont
etviennent.Lavisionqu’ilaretenueestcelled’uneséditionàlafoisprogramméeet
spontanée,entreceuxquiarpententlesruesdelacapitaleensemblantserépartir
les tâches et en sachant où ils doivent porter leur action, et ceux qui paraissent
intervenirempiriquement 69.Dehors,ettoutseul,ilcroisetroiscorpsdegardemis
en place pour intercepter et contrôler les passants, successivement dans la rue
Saint-Jacquesoùilestarrêtéet«rudoyé»,danslaruedelaHarpe,etenfindevant
laporteducloîtreSaint-Benoît.
Cequ’ilvoitencoursdecheminressembleàuneactioncollectivededévastation
ou d’extermination, à une ruée meurtrière dans le cours de laquelle les mêmes
gestes et les mêmes mots sont réitérés, suscitant ou entretenant une sorte
d’émulation partagée : « Enfoncer et piller des maisons, massacrer hommes,
femmesetenfants,avec lescrisde tue, tue,ôhuguenot, ôhuguenot.» Difficilement,
grâceauprincipal GeoffroydeLa Fayeet alorsquele nombredes «furieux »lui
paraîtnepascesserd’augmenter,laporteduCollègedeBourgogneluiestouverte,
etilestalorscachédansunechambresecrète,malgrécequeracontaientalorsdeux
ecclésiastiquesquiaffirmaientêtre informésd’un« desseinformé detuertous les
huguenots jusqu’aux enfants à la mamelle, et ce à l’exemple des Vêpres
siciliennes70».AvecSully,nousdisposonsd’untémoinoculairequinousassureque
ceseraient des tueurs en nombre impressionnant, qui seraientintervenus dans la
capitaleprécocementencematindedimanche.
La«populace», lemotrevient tropsouventpourque laviolenceait étéleseul
faitd’unemicro-élitebourgeoisezélée etsecréditant,par lasurmultiplicationdes
assassinats71, d’une réalisation des attentes du roi et de Dieu. Même Estienne
Pasquier consacre un développement anecdotique à l’un des rares protestants
parisiens à avoir tenté de résister aux tueurs en se barricadant dans sa maison
durant huit ou neuf heures. Il s’agissait du lieutenant de la Maréchaussée et
procureurenlacourdeParlement,unhommederobelongue,PierredeTaverny,
quitinttêteainsiàla«populace»jusqu’àmourirencombattant72.Unepopulace
qui n’est pas ainsi réduite à des hommes de la milice bourgeoise menée par des
capitaines ou des lieutenants 73. Le narrateur strasbourgeois, dans sa déposition,
s’attardesurunautrecasderésistance:«Ledimanche,autoutcommencementdu
massacre,troisgentilshommesetunedamequilogeaientàl’aubergedesTrois-Rois
se sont retirés, à travers une écurie, dans une chapelle appelée chapelle des
Orfèvres;là,ilssesontdéfendusaussilongtempsqu’ilsonteudelapoudreetdes
balles, et en tirant au dehors et blessant beaucoup d’assaillants. Mais lorsqu’ils
n’eurentplusdemunitions,onaforcélesportesdelachapelle,etilsfurenttaillés
enpièces.»
Ne peut-on pas alors induire de l’usage des mots mêmes que la violence s’ancre
dansunehistoirelonguecristalliséeautourdecrisesayantpourfinlapurification
de la communauté parisienne ? Car les séquences massacrantes de la révolte
cabochienneetdelamiseàmortdesArmagnacsontétéactivéespardes«menus
gens»selonPierredeFenin,des«gensdepetitestat»,parune«foulefurieuseet
insensée»etune«cohuedelapopulace»ainsiquelesouligneThomasBasin 74.Ne
doit-on pas ici suivre Bronislaw Geremek et son insistance sur la présence d’un
«Lumpenproletariat»jouantunrôleexcitatifdans«l’anarchiedesdécisions»mais
n’excluant pas une part activiste jouée par des bourgeois75 ? Le Paris criminel de
1572 s’ancre dans un passé des tumultes parisiens. On ne peut qu’être frappé et
hantéparlesmotsqu’emploiedansunelettredatéedeParis,le27août,leFlorentin
JacopoCorbinelli,lorsqu’ilparledutempsquisuivitlamortdeColigny,abandonné
« à la licence populaire76 ». Tout, dans ce temps où la « bouche » de Cerbère est
ouverteet oùles huguenotssont « précipitésà la rivière», donneun sentimentde
dépassementinédit : « Combien de pillages, combien demorts! Quel triumvirat ! Quel
spectacle surpassant tout mémoire. » Il aura été donné libre cours « à la licence
populaireetàlapassiondupeupledeParis»longtempscontenue,maisayantdela
sortepuassouvir«safureur»commeentémoignelavision«d’unetellemultitude
decorpsmassacrésetnuds77»
Un bruit assourdissant a envahi l’espace parisien, et dans ce grand nombre de
tueursarmésetdisséminésdanslaville,onpeutdistingueràlafoisdes«soldats»
etdescivils.Unautretémoin,certeslogénonloindel’épicentredumassacrequ’a
étélelogisdel’Amiral,sesouvintque,depuissachambre,ilputentendre«legrand
bruictettumultequiestoitdanslarue,etlerompementdesportes,mesmecelledu
logisdeM.L’Admiral78».JacquesNompardeCaumontaconservélesouvenirde
bateaux«remplisde soldatsqui,soudain qu’ilsabordoient– surlarive gauche–,
couloientlelongdelaruedeSeine».AprèsavoirpensérejoindrelePré-aux-Clercs
quiétaitcenséservirdepointderalliementàlanoblessehuguenote,luietsonpère
parviennentaulogisoùsonfrèreaîné,affaibliparunegravemaladie,demeurait79.
Là,cesontplusieurs«soldats»quifrappentàlaportetoutencriantàtrèshaute
voix,«Ouvre,ouvre,avecbeaucoupdeblasphèmes».Uneservanteestenvoyéepour
déverrouillerlaporte,etalors«labasse-courseremplitaussitôtdesoldatsconduits
par un capitaine, lesquelsmontentà la chambre, l’épée à la main, et se mettent à
crier:tue,tue».Unefoisleursépéesconfisquées,lecapitaine,nomméMartin,dità
sonpère : «Prie Dieu, situ veux, caril te fautmourir80! » FrançoisNompar de
Caumontdemandealorspitiépoursesjeunesenfantsetpromet,enéchangedeleur
viesauve,unerançon.Laphasedepillageparlessoldatsdébutealors,maiscomme
les clefs des coffres ont été emportées par un valet qui a pris la fuite, bahuts et
armoires sont traînés au milieu de la chambre, et enfoncés avec les chenets de la
cheminée.Toutestvolé,argent,vaisselle,meubles,habits.
Lecapitaineetsescompagnons,àcemoment,seréfèrent«avecblasphèmes»,à
un mot d’ordre dont la provenance n’est pas précisée : « Qu’ils avoient
commandementdetuertoutsansrienépargner.»Sansdouteest-celemotd’ordre
autogénéré par l’assassinat de l’Amiral ? Tout se passe comme si on se trouvait
confrontéàun «pattern»deviolenceantiprotestantedetype«pogrom»,avecdes
tueursquinientl’humanitédeleursvictimesetquiappliquentcequ’ilspensentêtre
unlégitimedevoird’extermination.Mais,attiréparlapromessederançon,Martin
décide d’équiper le père et les deux fils, ainsi qu’un page et un valet de chambre,
d’une croix faite avec un mouchoir déchiré qu’il attache sur les chapeaux ou
bonnetsetdeleurfaireretrousserlamanchedubrasdroitjusqu’auhautdel’épaule,
ensigneduservicedeDieu.Labandeemprunteuncheminquilafaitpasserdevant
leLouvre,oùilspeuventvoiràmêmelepavédenombreuxcadavres,dontceluidu
sieur de Piles. Ils rejoignent la rue des Petits-Champs, où habitait le capitaine
Martin. François de Caumont fait alors une double promesse : donner la rançon
dansdeuxjoursetresterdanslamaisonavecsesenfants.DeuxSuissessontlaissés
engardetandisquelevaletGastestenvoyéauprèsdeMadamedeGontaut,labelle-
sœurdumaréchaldeBiron,quiprometd’êtreenmesurederéuniretdélivrerles2
000livresderançonpourlemardi26août.Toutseseraitpeut-êtrebienpassési,le
26 au matin, la maison n’avait pas été investie par Annibal de Coconas et 40 à
50soldatssuissesetfrançais.Lecomtearguequ’ilvientchercherlepèreetsesfils
surordreduducd’Anjou,prévenuqu’ilssontendétentionetquiveutleurparler.
Maisvite,aumomentdepartir,laconfigurationchange:lesmanteaux,chapeaux
et bonnets sont retirés aux prisonniers, qui l’interprètent comme l’indice d’une
mortimminentemalgrélapromessederançonquiaétéfaite.Lepèreetsesdeux
fils doivent sortir de la maison et marcher vers le « fond » de la rue des Petits-
Champs.Là,les soldatscrient «Tue, tue! ».Le filsaîné estle premierfrappé de
coups de poignard, puis c’est le père qui tombe « percé de coups ». Jacques de
Caumont,éclabousséparlesang,selaissetomberàterreentresonpèreetsonfrère
qui continuent à recevoir de nombreux coups de poignard. Les meurtriers
dépouillent leurs victimes de leurs vêtements et les laissent nus à terre sans se
rendrecomptequel’uned’ellesestvivante.Lepèremetlongtempsàexpirer,etle
fils peut écouter ses sanglots, en de longs moments de souffrance. Il est en outre
conscientqu’illuiseradésormaisquasimentimpossiblede«sesauveretsegarantir
de la furie enragée d’un peuple mutiné ». On voit ici que la temporalité violente
met donc en scène deux acteurs, des professionnels de la violence qui sont sans
doutedessoldats,etle«peuple»quiparaîtlessuivreouaccompagner.Ensuite,sur
les4heuresdel’après-midi,deshabitantsdesmaisonsvoisinessortentdechezeux:
«UnmarqueurdujeudepaumedelarueVerdelet,voulantluiarracherunbasde
toilequiluiétoitrestéàunejambe,leretourne,carilavoirlevisagecontreterre,et
levoyantsijeune,s’écria:“Hélas!celui-cin’estqu’unpauvreenfant:n’est-cepas
granddommage?Quelmalpouvoit-ilfaire?”»
L’homme prend ses distances, car les tueurs sont encore dans les parages, puis
revintluimettresurlesépaules«unméchantmanteau»etlefaitmarcherdevant
luiendonnantl’impressionqu’illuidonnedescoups.Auvoisinquil’interroge,ilse
justifieendisantqu’ilfouettesonpetit-neveuquiestivre.Ill’emmènechezlui,tout
enpassantplusieurscorpsdegarde:c’esttoutelacapitalequiestainsiquadrillée,
précise-t-il(«carilyenavoitencoreàtouslescoinsderue»).Cachédanslapaille
d’unlit,ildoitdonnertouteslesbaguesqu’ilportaitauxdoigts,devantmêmeplier,
pour obtenir à manger, devant la femme du marqueur qui exige le diamant qu’il
tenait de sa mère. Il demande à être conduit au Louvre, où se trouvait sa sœur
remariée à Nicolas de Grémonville, sieur de Larchant, capitaine des gardes de
CharlesIX.Lemarqueurrefuse,arguantquepouryarriver«yatantdecorpsde
gardeàpasserquequelqu’unvousreconnoitroitetqu’onnoustueroittousdeux».
Le lendemain matin très tôt, Jacques de Caumont doit enfiler des chausses et un
pourpointde toile crasseuse,ainsi que lemanteau prêté la veille,et mettre sur sa
têteun«méchantbonnetrouge»ornéd’unecroixdeplomb.Auleverdujour,il
parvient ainsi à l’Arsenal et réussit à trouver sa tante, madame de Brisambourg.
L’aventuren’estpasfinie,carilfautlecacher,avantdel’exfiltrerchezFrançoisde
Guillon,sieurdeRichebourg,contrôleurgénéraldel’artillerie,chezquiilrestehuit
joursavantdeparveniràsortirdeParis.
Surlechemin,dansuneauberge,ilvoitun détrousseurdecadavresquiportela
robe de chambre de son frère et qui fait preuve d’une exaltation affirmée, « ne
faisantdurantlesouperqueloueràmerveillelagénéreuserésolutionduRoideles
avoir exterminés », tout en ajoutant son contentement de savoir que François
Nomparde Caumont et sesfils avaient étémis à mort. Jacquesde Caumont aura
besoin de huit jours pour rejoindre le Périgord et y retrouver son oncle lui aussi
fugitifdeParis… Cequ’il avuest uneville danslaquelledes soldatsquisemblent
pourcertainsêtredesSuissesduroituentourançonnentcertes,maisoùégalement
se sont spontanément mobilisés des individus qui traquent les protestants ou
profitentdelasituationpours’approprierdesvêtements…
AjoutonsletémoignagedeCharlotteArbalestedeLaBorde,alorsveuvedusieur
de Feuquières : réveillée tôt le matin du dimanche 24 août dans son lit par une
servante qui était de la religion et qui vient lui dire que « l’on tuoit tout », elle
regardeparlesfenêtresetvoitdanslagranderueSaint-Antoineàlafois«toutle
mondefortesmeu»etplusieurscorpsdegarde,chaquehommeportantunecroix
blancheàsonchapeau81.Seloncedontellesesouvientavecémotion,c’estdansles
rues mêmes que tuent les massacreurs, qu’elle évoque sous le terme générique de
« ceste populace82 », agissant dans le cadre de ce qui est « une sédition qui
s’esmouvoitfort».Surleshuitheuresdumatinseulement,elleapprendl’assassinat
del’Amiral«etdetantdeseigneursetgentilshommes».Ellerecourtànouveauau
mot « sédition » pour qualifier ce qui se passe. Son logis est pillé par des
domestiquesduducdeGuise.Préventivementelleatrouvérefugechezunmaître
desrequêtes,MonsieurdePerreuse,avecsafilleâgéedetroisansetdemi.Plusde
quarantepersonnessontcachéeschezlui;cequilecontraintàfairechercherdes
vivres«àunaultreboutdelaville»,pouréviterlessoupçons,tandisqu’ildoitse
tenir sur le seuil de sa porte, pour saluer les M. de Guise ou M. de Nevers, et
« aultres seigneurs qui passoient et repassoient par là, et aussy aux capitaines de
Paris, qui pilloient les maisons voisines de ceulx de la religion ». Des capitaines,
dont Robert Descimon a souligné qu’ils étaient pour beaucoup de « bons
marchands», maisaussi et en moindre nombre des gens de métier ou même des
gensdeloi83.
Réfugiée dans une « voûte creuse » du grenier, le mardi 26 août, elle peut
entendre « de si estranges cris d’hommes, femmes et enfants qu’on massacroit
parmylesrues»,commesilaviolence,devaitêtrevueetentendue,sousleregard
du Dieu jaloux de Moïse. Comme s’il fallait qu’elle envahisse de manière sonore
l’espaceparisienpourproclamerquel’AngedeDieuétaitenactiondanslaville.La
situationsetenddufaitl’annonced’unevisiteimminentedecapitainesdelamilice
qui se livrent au pillage des demeures voisines. Charlotte Arbaleste garde en
mémoire une immense angoisse qui l’étreignit : « J’entray en telle perplexité et
quasidésespoirquesanslacraintequej’avoisd’offenserDieu,j’eusseayméplustost
meprécipiterquedetomberviveentrelesmainsdecestepopulaceetdevoirma
fillemassacréequejecraignoisplusquemamort.»Entoutcas,c’esticidésormais
la«populace»quitue:une«furiequiadvient».Lesoir,elleparvientàtrouverun
hébergementchezun maréchal-ferrantmariéà l’unede sesfemmes dechambres,
«hommeséditieuxetquiestoitCapitainedesonquartier»,enluipromettantune
gratification notable. Cette perspective n’empêche pas son hôte de ne faire que
«mesdiredeshuguenots»,tandisquel’onnecessepasd’apporterchezluidubutin
pillédanslesmaisonsdeceuxdelareligion84 .
CharlotteArbaleste parvient enfin à quitter Paris, après avoir été hébergée cinq
jourschezunmarchanddeblé.Lemercredi3septembre,ellemontedansunbateau
se dirigeant vers Sens, qui est toutefois vite intercepté au niveau de l’Hôtel des
Tournelles. Parce qu’elle n’a pas de passeport sur elle, elle est débarquée. Elle
demandeàêtreconduiteàlamaisond’unauditeurdesComptes«quiestoitdemes
amys» et qui sedonne garant de sacatholicité sanstoutefois déclarer êtreassuré
qu’elle soit toujours une fidèle de l’Église romaine, deux « soldats » montant la
gardeàlaportepourl’empêcherdefuir.Elleserafinalementsauvée.
Les rescapés protestants et les planqués catholiques semblent avoir retenu du
massacre le même fond sonore et visuel : ainsi Jacques Auguste de Thou qui
rapportaque«lavillen’estplusqu’unspectacled’horreur;touteslesplaces,toutes
lesruesretentissentdubruitdecesenragésquituentetpillentdetouscôtés,etdes
hurlementsdesgensqu’onégorge;partoutdescorpsmortsjetésparlesfenêtres,et
les cours des maisons pleines de cadavres que l’on traîne dans la fange des
carrefours ; partout des lacs et des ruisseaux de sang85 ». Et « l’air résonnoit des
hurlements des mourants ou de ceux qu’on despouilloit à la mort. Les corps
destranchez tomboyent des fenestres ; les portes cochères et autres estoyent
bouchéesdecorpsachevezoulanguissans[…].onnepouvoitnombrerlamultitude
des morts, hommes, femmes, et enfans, quelques-uns sortans du ventre des
mères 86».Ilyadoncindéniablement,danslesruesdelacapitale,la«populace»,
queJérémieFoalaisseàl’écartdudéroulementfactuel.Unequestionsepose:que
faut-ilentendreparcette«populace»récurrente?Laréponselaplussimpleserait
« la basse partie du peuple », le « menu peuple » ou la « multitude ». Le champ
occurrentiel du XVIe siècle évoque un « vil Populasse enragé 87 », un « mutin
populace88 », une « simple populace 89 », un « confus populace90 », un « grossier
populasse91 », un « rude populace92 », un « populace effrené 93 », un « gros
populas94 », un « populace insensé 95 ». La populace est donc une figure à la fois
d’irraison et de désordre, et aussi de confusion sociale. Pour autant, selon le duc
Ludovico de Nevers, la violence qui a libéré en 1572 le royaume de la menace
diabolique ne peut toutefois pas être seulement celle de cette foule qu’il a vue à
l’œuvre:elle relèved’un miracle.C’estDieu quiaagi parelle, dansledécryptage
textuelquedonneArianeBoltanski,pourpurifiersonroyaumeetfairedisparaître
lesennemisdelafoi96 .Dieuautiliséla«populace»pourfaireensortequeParis
soitdélivréede l’hérésiequila souillait.Et laSaint-Barthélemyn’a pusedérouler
queparcequ’ilamobiliséla«populace»pourexercersavengeance.
Remontonsicidequelquesdécennies;dansunrécitdonnédelaGrandeRebeyne,
la sédition lyonnaise des 18-27 avril 1529, survenue en période de cherté pour
caused’unimpôtsurl’entréedesvinsetblésenville,«ungrandtasdetaverniers,
etpetitsartisans»,trouvaleprojetsi«mauvais»«qu’ilsconcitèrentlapopulaceà
faire et esmovoir une grosse sedition comme vous scavez que à ce ils sont tant
faciles97 ». La « populace » est assimilée à une force sociale bigarrée, et même
plastique, susceptible d’être instrumentalisée parce qu’elle est composite et
désarticulée,forméedegensdemultiplesoriginesetactivités.Elleestunpointde
rencontre indéfini, à la différence du « peuple » qui peut recouvrir toutes les
composantes du spectre social. Et surtout, comme l’écrit Lancelot Voisin de La
PopelinièreaprèslemassacredelaSaint-Barthélemy,ellepeutparnatureserévéler
disponibleà«uneextremeviolence»etdoncselivrerà«toutecruauté»:«etne
garde moyen, ni mesure quelconque »98 . Paris semble, dans les narrations la
dépeignant livrée à une violence paroxystique, saisi par « l’inéluctabilité d’un au-
delàdupolitique,frangeinassignable,incompréhensible,scandaleuse,inorganisée,
intransformable,delaviesocialequ’elleentraînetoutentièredanssondéséquilibre
etdanssondésordre99».LancelotVoisindelaPopelinièren’est-ilpasfiablequand
ilrappelleque la proclamationroyalede la matinéedu 24août futde nuleffet et
observequelaviolenceestlefaitdu«peuple»quicontinuaàtuersansrienécouter
decequiluiétaitcommandé100 ?Ilfautleciterici:«Auxpoursuivislepeuplene
paroissoit rien quicter de sa fureur ; encor qu’à diverses fois le roy iterast ces
premieres deffenses à tout homme, sous peine de la vie, de prendre armes ny
prisonnierssans son congé. Si bien que le presque dernier jour de la semaine fut
peumoins remarqué de meurtres particuliers qu’avoient étéles autres. » Et il y a
aussiSalviati,lenoncepontifical,quisignalequedanslesruestrèsnombreuxsont
ceuxquel’oncroiseportantlacroixblancheàleurschapeauxoubonnetsetdisant
que«celaestd’unbienboneffet»;lagrandeactricedutempssubversiffutàses
yeux « la populace » qui a forcé les maisons des huguenots « avec une avidité
incroyable»,aupointque«telcesoirferaladépensepourseschevaux,remisera
son coche, mangera et boira dans de la vaisselle d’argent, qui de sa vie n’y avait
songé»101.
LemassacrefaitàToursparlapopulaceaumoisdejuillet1562,danslareprésentation
donnéeparJacquesTortoreletdeJeanPerissin102,renvoieàcequeDavidElKenz
appelleune«miseenscènemédiatique»auseindelaquellela«populace»,formée
àlafoisd’hommesarmésetcasqués,etdecivilséquipésd’armesblanches,assassine
de manière atrocement variée 103 ; les tueurs constituent une sorte de magma
indifférencié socialement au sein duquel ils n’ont pas de nom104 . L’estampe, que
donnevers1590FranzHogenberg,campeunefouled’anonymesdisperséesurles
rives et sur le pont de Loire. Elle est intitulée : « La populace de Tours s’esleve
contreceux de laReligion reformée, et enmassacrent iusqueau nombre de deux
cents ou environ, les tirants premièrement d’une Église, ou on les avoit miz
prisonniers,auxfaulbourgsdelariche,etfaictdemeurersansboirenimangerdeux
ou trois jours, puis les tuent et noyent, mesme ayants attaché le President
Bourgeois, à un arbre, luy arrachent le cœur et les entrailles105. » Une multitude
hétéroclitemenéeparuneobsessionmeurtrièrequilafédère.
Citons encore, plus proche de la Saint-Barthélemy parisienne, De la puissance
légitimedupeuple,etdupeuplesurleprince…,le VindiciacontratyrannospubliéàBâle
en1579etattribuéàHubertLanguet,quiidentifiela«populasse»,à«cestebeste
qui porte un million de testes, se mutine et accoure en desordre pour donner
ordre»etquiestune«multitudedesbridée»àlapsychéimprévisibleparcequ’elle
n’existe que par sa forme flottante ou indifférenciée106, relevant de greffes
sociétalesdiverses,dontlespauvresetles«nonincorporés 107»,voirelesaisés,qui
ycoexistent,fût-cetrèstemporairement108.La«populasse»,loind’êtreseulement
la « masse », la « canaille » ou les gueux, est assimilée à un rassemblement aussi
hybridequemomentané.
Lorsqu’il est question de « peuple », bien souvent le terme renvoie à une
population parisienne envisagée dans la hiérarchie de notabilités qui, à la fois, la
représententetlagèrent.Référons-nousiciànouveauàStephanusJuniusBrutus:
lepeupleestsynonymede«ceuxquiontenmainl’autoritédeparlepeuple,asavoir
lesMagistratsquisontinférieursauRoy,etquelepeupleadeleguez,ouestablisen
quelquesorte que ce soit, comme conforts de l’empire et controlleurs des Rois et
qui représentent tout le corps du peuple. Nous entendons aussi les Estats qui ne
sont autre chose que l’épitome ou brief recueil du royaume, ausquels tous afaires
publicsserapportent.[…]PuisapresleschefsougouverneursdesProvinces.Item,
les Juges et Prevosts des villes, les capitaines de mille hommes, les Centeniers et
autres qui commandoyent sur les familles : les plus vaillans, nobles et autres
personnages notables, desquels estait composé le corps des Estats, assemblés
beaucoup de fois, selon qu’il appert par les mots de l’Histoire saincte. » Mais le
«peuple» peut parfoissurgirdans unsens plusenglobant :quand Gargantuaest
parvenuàParisetqu’ilentreprenddevisiterlaville,c’est«toutlemonde»quile
regardeavecunegrandeadmiration.Etle«peuple»n’estpassansressembleràla
«populace»:«CarlepeupledeParisesttantsot,ettantineptedenature,qu’un
basteleur, un porteur de rogatons, un mulet avec ses cymbales, un vielleux au
milieu d’un carrefour assemblera plus de gens que ne feroit un bon prescheur
évangélique. » Le peuple est une assemblée de « marroufles », c’est-à-dire de
vauriens disponibles à toutes les peurs et rumeurs et donc prêts à toutes les
violences109.Ilest,selonRabelais,unvidedepensée,unpleindesuperstitions,ilne
réfléchitpas,ilsemetenséditionpourunrien:ainsi,quandunebulleautoriseà
manger des œufs en temps de carême et que, sur protestation de la faculté de
théologie,la bulle est brûlée en placede Grève au milieu des « cris de joie et des
dansesdupeuple».
Orilsemblequec’estcettesecondeacceptiondu«peuple»quiestàl’œuvredans
Parisle24août,s’engouffrantsansdoutedanslavoiecriminelleouverteparceux
de la milice bourgeoisequi ont basculédans la violence. Dans le bref récit que le
Troyen Nicolas Pithou consacre au massacre, après que le corps de Coligny a été
défenestré,c’estla«populace»quiintervienthystériquement:«Lesmainsetles
partieshonteusesluifurentcouspéesparlapopulace,etlecorpstraisnél’espacede
troysjourspartoutelaville.»C’estlamêmehystériequ’àTroyes,quandlafemme
de Colin le Brodeur est transpercée de coups de dagues : « La populace voyant
qu’elleneluypouvoitpisfaire,etn’avoitplusmoyend’escumersaragesurlecorps
decestefemmequis’enalloitàvald’eau,s’attaquaàsonsangetàquelquescheveux
quiestoientdemourezsurlaplaceoùelleavoittestémassacrée,ets’amuserentlong
tempsàlafouillerettriperauxpieds.»
Mais peut-être faudrait-il être plus analytique en se référant à Hegel et en
dissociant la « populace », « der Pöbel », d’une situation économique et sociale
prédéfiniequil’enfermeraitdansdesstratesinférieuresdelasociétéurbaine.Mieux
vaudraitdéfinirlapopulaceentermesde«consciencedel’absencedudroitsousla
prédisposition du droit 110 », et donc d’une aptitude spontanée à la violence dans
l’appropriationoulacaptationd’un«non-droit»:elleestune«mentalité»,«faite
de défiance et d’emportement contre les institutions existantes ». Elle est alors
irreprésentable111 dans la mesure où elle est une contingence interne et externe,
l’indétermination même de ce qu’elle est, une présence qui n’existe
qu’occasionnellement puisqu’elle se constitue dans des situations conjoncturelles
émotionnelles et donc imprévisibles et fugitives112. Elle n’existe que dans les
instantsdesonactualisationetestloindeseréduireauxexclusouauxdésocialisés
delasociété.Commeelleestdotéed’unanonymatcollectif,ellen’ad’existenceque
virtuelle puisqu’elle n’est jamais identique dans la succession des instants de son
parcours violent. De cette irreprésentabilité pourrait découler son exclusion
quelquepeufaciledelascènecriminellede1572dansTousceuxquitombent…
Cette « populace » fuyante et récurrente ne renverrait-elle pas – et sur ce plan
Jean-LouisBourgeonseraitdanslejuste–àcequenoteLucGeizkofleraprèsavoir
raconté le déroulement des noces du 18 août et des fêtes des jours suivants ? Il y
auraitunedissonanceentrel’événementdumariageorchestréetscénographiépar
lamonarchie,etle«seditiosuspopuluslutetianus113 »qui«murmuroit»toutense
laissantalleràdire«queleroideFranceétaitsurlepointdesefairehuguenot».
Ce«populus»senourritalorsdecertitudesquilesoutiennentdanssonhostilitéàla
politique royale ; toujours selon l’étudiant tyrolien Luc Geizkofler, la rumeur
courait que le roi venait d’attribuer à l’Amiral et à sa famille les revenus d’une
abbaye,etavaitordonnédeslevéesimportantesdesoldatsquidevaientpermetteau
chefhuguenotdemarchercontreleducd’AlbeauxPays-Bas.Etensuite,aufuretà
mesurequelesrumeurscroissentàParisetàOrléans,c’estlaviolencequicouve:
elle est qualifiée de « tumultus » des âmes hantées par la volonté d’altérisation, et
c’estle«populusomnis»qui«inflammabatur».
RevenonsiciauparcoursdeCharlotteArbalestedansunParisensédition,quand
ellesetrouvefaceàfaceavecdeshommesenarmes.Ledialoguequis’établitalors
révèlequecourteffectivementdansParislemotd’ordrede«Tuez-lestous»:une
femme,arrivéesurleslieux,interrogelessoldatssurce«qu’ilzmevouloientfaire
[…]ilzluidirent:«Pardieu,c’estunehuguenotequ’ilfautnoyercarnousvoyons
combien elle est effrayée »114 ». Charlotte Arbaleste tente de réagir en affirmant
qu’elle va tous les jours à la messe, mais qu’elle est tellement effrayée que depuis
huitjoursellesesentfiévreuse.Etl’undessoldatsrépliquequeluiaussiressentun
effroi,aupointd’enavoirle«bectoutgaleux»etdesesentirluiaussifébrilefaceà
cequ’ilvoitetàcequ’onluiacommandédefaire.Cetépisodetendraitàmettresur
lapisted’unautreressortdelaviolence,lapeurdenepasprendrepartàlachasse
auxhuguenotsetd’êtresoi-mêmesoupçonnédenepasêtreunvraifidèleobéissant
sans réserve au mot d’ordre asséné collectivement. Plus encore peut-être, la peur
d’une attaque huguenote – « the contagious quality of fear », selon la formule de
Barbara Diefendorf – peut avoir joué au plus profond des imaginaires civiques
catholiques.
Il faut se rappeler ce qui s’était passé cinq ans plus tôt, lorsque les huguenots
avaient illuminé le ciel avec des moulins à vent en feu. L’ampleur de la violence
était moindre durant cette première occasion, mais le schéma de la réaction
populaire était sensiblement le même. À cette occasion également, les Parisiens
s’étaient retournés contre leurs voisins protestants, les imaginant complices de
troupesillusoiresquisemassaienthorsdesmurs 115.
L’automnede1567étaitrestégravédanslesmémoires,quandlapeur,entretenue
par les rumeurs, faisait craindre aux Parisiens que l’armée huguenote ne prît la
capitale avec le soutien d’une cinquième colonne protestante… Et si l’on tue par
milliers les huguenots et huguenotes en août-septembre 1572, c’est par effet d’un
retour des fantasmes qui s’étaient surdéveloppés après la surprise de Meaux : le
Pariscatholiques’imaginetravailléparunprotestantismeocculteprêtàouvrirles
portes de la ville à une armée mobilisée pour détruire ses sanctuaires et tuer ses
prêtres. Des traîtres cachés, comme le bruit avait couru dans les jours d’avant le
24 août. L’altérisation est décisive, car elle procède par fixation d’intentions
maléficientes dans la société protestante de la capitale et débouche sur l’exercice
d’unejusticeassuméeimmédiatement.
Joursetnuitsdefête
Un autre invariant court sous les silences du massacre de 1572 : la violence
commeeuphorisantcollectif;laviolencecommeleplaisird’unefoulequiselibère
de seshantises. Revenons au récit de Charlotte Arbaleste, raccompagnéejusqu’au
bateau.Ausoir,ledînersepassesoustension,carlesdeuxmoines,leprêtreetles
deux marchands avec qui elle avait embarqué à Paris « ne font que parler en
réjouissance de ce qu’ilz avoient veu à Paris 116 ». Le massacre est un plaisir qui
apparaîticipartagéentretueursettémoins,uneallégressequiréduitl’écartentrela
joiedetueretcelledesavoirqu’ilyatuerie.
LaSaint-Barthélemyestlefaitdetueursparprocuration,destueursqui,sanstuer,
prennentpartàuneexultationcollective.AinsidujésuiteGregorFabiusprenantla
plumepour direqu’il ya eu «un miraclemanifeste deDieu »et que l’Amiralest
mort, « avec de nombreuses blessures et le corps mutilé, sous les sarcasmes de la
foule, traîné par des garçons jusqu’à la potence ». Quant au jésuite Bernardin
Gastorius, dans le rapport qu’il rédige à la demande du recteur du collège de
Clermont,OliveriusManareus,ilexaltelabontédivinequiadonnéenfinl’espoir
auroyaumedeFrance.Cequiaeulieuestlefaitdelamiséricordedivine:«Celaa
donné à tous les catholiques une grande joie et un soulagement pour leurs
souffrances. » Le temps qui s’ouvre est à la « consolation » après toutes les
tribulationsendurées et surtout, peut-être, la peur générée par les rumeurs d’une
tentative de réplique huguenote à l’attentat du 22 août par une prise d’armes qui
aurait eu lieu dans Paris même. Consolation, parce que soulagement dans la joie
massacrante dans laquelle même les petits enfants auraient eu leur part, selon le
témoignage de Luc Geizkofler relatant que dans plusieurs collèges on donna des
représentations mettant en scène la mort de l’Amiral. Neuf Hymnes furent
composésàproposdesmeurtresdeshuguenots,«quedesadultesnonseulement,
maisaussidesenfants,incitésparleursparents,chantentdanslesgrandesrues117».
En tout cas, tout confirme que Paris est, en ce dimanche 24 août et durant les
jourssuivants,unespacedontlesParisiensontprisunepleinepossessionetqueles
tueurssontnombreux:selonlarelationproblématiquementattribuéeaumaréchal
deTavannesetquiestenréalitél’œuvredesonfilsJean,«onnerencontroitque
des gens qui fuyoient, et d’autres qui les poursuivoient en criant “Tue ! tue !” ».
Parisressembleàunevillemiseàsac,àcommencerparleshommesduducd’Anjou
etceuxduroi,etaussiparl’agrégatindistinctetvitemobiliséqu’estla«populace»
peut-être reproduisant les premiers gestes assassins de quelques tueurs de masse.
Unevillequiressembleàunecitéconquisemilitairement.Et,«augrandregretdes
conseillers du roi » qui n’auraient envisagé que la mise à mort des « chefs et
factieux » du parti protestant, « au contraire tous Huguenots, femmes et enfans,
sont tuez indifféremment du peuple, ne pouvant le Roy ni lesdicts conseillers
retenirlesarmesqu’ilsavoientdebridées118».Agrippad’Aubigné,poursapart,se
feraplustardl’observateurd’unespaceurbainensituationd’émotioncollective,et
ceciselonluitrèstôt:«Lesruesestoyentdesjàpleinesdegensarmez»quandle
tocsinduPalaissonne119.«Sibienqueparlebruyt,lesreniementsdeceuxquise
rencontroyent au meurtre et à la proye on ne s’entendoit point par les rues. »
S’ajoutaientleshurlementsdesmourantsetdeceuxqu’on«despouilloitàlamort»,
lefracasdescorpsprécipitéssurlepavédepuislesfenêtres.Maisaussi,sansdoute,
lescrisdejoiedestueurs…
Et peut-être faudrait-il s’éloigner temporairement des exaltations parisiennes
pourimaginerquecequipeuts’êtrepassédurantlaSaint-Barthélemyorléanaise,et
querapporteJohannWilhelmvonBotzheim,peutaussiavoireucoursàParis.Ilen
estdelaSaint-BarthélemydeParissansdoutecommedecelled’Orléansoùlafête
faitpleinementpartiedutempsdelaviolence,commeentémoignentlesétudiants
allemandsréfugiésdansuneauberge:
Pourenreveniraurefugeoùnousétionsétablis,ilfallaitaumilieudecesbrigands,decesassassins,deces
bourreaux,êtreencoreaveceuxgais,libertins,licencieux.Ilfallaitrireaudîneretausouper,quandchacun
racontaitsesexploits.Ontuaitdelasortesansombredepitié,avecladernièrebarbarie,etc’estainsique
l’onprocédaitengénéral.D’abordd’uncoupdepistolet,onvousperçaitd’uneballe;puis,libreàtousles
assistantsdefrapper avecleursglaivesensanglantés etdemassacrer àleurguise ;celafait, onallaitvous
précipiterdanslarivière…
Les massacreurs viennent dîner et souper, et raconter alors leurs exploits, en
réclamantdesapplaudissementsdelapartdupublic:
… Celui-ci disait connaître, encore des retraites où certains huguenots se tenaient cachés, et il irait les
égorgeraprès dîner ; celui-làse targuait d’en avoir tuétant et tant le jourmême ; un autre racontaiten
détailcommenttelsettelsavaientétéoccisetcoupésendeux.Etilnefallaitpasseulementmangeretboire
avec ces gueux et veiller à ce que la table fût bien pourvue ; nous devions encore les égayer par de la
musique,enjouantdelaguitare,duluth,etlesdivertirpardesdanses.Ilvenaitaussidesfemmes,aumilieu
delanuit,quandnosgensétaientaulit(pastous,carilyenavaitdeuxquiétaientobligésdecoucherpar
terre),etl’onsemettaitàchanterdeschansonsobscènes;etiln’yavaitpointdefinàcetteviededébauche.
Unejoieeffrénées’étaitemparéed’eux,parsuitedecettevictoiresurleshuguenots;toussefélicitaient,se
réjouissaientd’avoirenrichileursdemeuresdesbiensdeshuguenotsetdelesavoirenoutreoccispresque
nous120 …
Decettefête,ladimensiontragiquepeutêtremieuxidentifiéesionlarapproche
du JournaldePonary,deKazimierzSakowicz121,qui,racontecomment,en1941,à
moinsdedixkilomètresdeVilna,destueurstiraientdesheuresdurantsurlesJuifs
depuis le haut des fosses avant de revendre le dimanche matin après la messe les
vêtements, chaussures, bijoux contre la vodka, du lard, des espèces. « Il compte,
jour après jour, parfois plusieurs fois par jour, et même la nuit, le nombre de
victimes assassinées, la façon dont elles sont conduites, déshabillées, frappées à
coupsdefouetoudecrossejusqu’àlafosse.»Sakowicz,cachédanssongrenierou
derrière une palissade fermant son jardin, décrit les Lituaniens portant les
uniformesnoirsdelaGestapo, «quidémembrentlesnourrissons, puislesjettent
danslesfosses,quiviolentlesjeunesfillesetlesabattentensuite,quimarchentsur
lesvictimes,encorevivantes,pourégaliserlesamoncellementsdecorpsetjeterune
mincecouchedesabledessus.Leursbottesdégoulinentdesang,etilsrigolent.Les
feuillesdesarbressontrecouvertesdecervellesd’enfants.Ilssontheureuxquandle
tasdevêtementsestimportantetdebonnequalité.Lespaysanslesattendentsurla
routeetachètenttoutcequ’ilspeuventseprocurer.C’estlemarché.Iln’estpasrare
qu’ilsemmènentleurfamillevoircommentontuelesJuifs.Unechiennearracheles
intestins des cadavres et les rapporte à la fermière. Elle les accroche sur une
palissade.Toutlemondeestvraimentàlafête!Ledimanche,pouralleràlamesse,
lesfemmesetlesenfantssepavanentdanslesvêtementsdesvictimes122 ».
Ilne faut pas oublier que la violence d’août1572 est réjouissance et qu’il y aun
plaisird’êtredansl’horreur,aveccestueursdontDanielJonahGoldhagenamontré
que leur antisémitisme éliminationniste les faisait rire des atrocités qu’ils
accomplissaientetprendreplaisirdessituationsqu’ilscréaientdansunthéâtredela
haine. Ainsi d’un policier s’amusant des traces de cervelles qui constellaient son
uniforme;ilenfaisaitunefacétie,«unejoieouverte,enfantine123».
Lajoiecriminellevadanslesensd’uneidéedéveloppéeparHannahArendtselon
laquelle « la mort ne fait qu’entériner le fait que l’individu n’a jamais vraiment
existé ». Le rire ritualisé est purificateur parce qu’il transforme le Juif en non-
humain, par exemple quand le rieur le force à ingérer des selles, des crachats ou
encorelavomissuredechiens,etàboiredel’urine.LeJuifdevientencoreunjouet
carnavalesque quand les déportés sont contraints de plonger leurs têtes dans une
auge à cochons124. La joie est au cœur des non-dits des récits de la Saint-
Barthélemy,maisaussid’unépisodeexceptionneld’atrocité:laviolencedespetits
enfantsparisiensvenusruedeBéthisydepuislecimetièredesSaints-Innocentsau
matindu24aoûtparticipeainsid’uneintentionludique.Ellesedonnelavocation
de faire comprendre aux Parisiens que la violence qu’ils ont désormais le devoir
d’exercerserasurhumaine.PlacéesousleseulsignedeDieu,elleseramiraculeuse,
merveilleuse – et donc une fête. Les petits enfants agissant sous le regard de
bystandersmettentlecadavreaucontactd’éléments,laboue,l’eau,lefeu,l’air,qui
ontautantunefonction purificatricequ’ilsfigurentune violenceenacte deDieu,
unejoiedeDieuquinepeutquesecommuniquerauxhumainsquiluisontfidèles.
LaComplainteetRegretzdeColignylechanteraàlafoispieusementetjoyeusement:
c’est Dieu qui a fait sentir sa justice au chef de la « Cause ». Et l’amiral, ayant
comprisenfinqu’ils’était durantsatriste viedressécontreDieu etquec’est Dieu
qui, miraculeusement, vient de le punir dans une terrible colère, d’inviter les
catholiquesàchâtierdelasorte,sanscompassionmaisenexultantdeliesse,tousses
complices hérétiques ; tous ceux qui l’ont suivi dans son entreprise diabolique
doiventimpérativementmourir,punispourleurtrahison.
Claude Haton affirme que nombre de Parisiens entourent les enfants sans
marquerlamoindreréprobation,aucontraire,commes’ilyavaitdanslecoursdu
rituel une forme de révélation jubilatoire : « À veoir faire ce procès et trainer ce
corps mort par lesditz enfans, […] prenoient plaisir beaucoup de gens jeunes et
vielz,lesquelzbailloientcourageausditzenfans,approuvanscequ’ilzfaisoient 125.»
Coligny était un traître au peuple de France et à son roi, et vengeance a été
perpétréecontreluiparlesélémentsd’uneCréationquiestl’œuvredeDieuetdonc
exprimelajoiedeDieu:
Etvostretrahisonméritequ’entoutlieu
Onvousfacesentir,etleferetlefeu,
Oul’eaue,commemoncorpsasentylapuissance
Dufeu,dufer,del’eau,etlagrandevengeance
Delamaindeceluyquiaupoixdesesloix,
Balancelesdésirs,etœuvres,etdesRoys,
Etdesgrandsetpetits,lequelparsajustice
AdeffaitColigny,etchastiélevice
DesperversHuguenots,accablansleursdesseins,
Leursforces,etdésirs,etleurliantlesmains126.
Tout semble certifier que la violence a atteint un tel degré d’allégresse qu’elle
inviteàconclurequ’unepuissancespontanéedetuerauraitprislerelaisdesmisesà
mortsdesnoblesdeguerreparunesoldatesqueobéissantauxconsignesduLouvre
tout en les subvertissant. Même le châtiment de l’Amiral est un « spectacle
terrible », selon Bernardin Gastorius qui rajoute qu’après un parcours effrayant
danslacapitalelecorpsdel’Amiralavaitétédéposélelongdumurdelaprisonoù
« seule son image avait été accrochée les années précédentes ». Il avait « la tête
tournéeverslebas,qu’iln’avaitplus,lespiedsenl’air»,etc’étaitpourquilevoyait
un«spectacleagréableetenmêmetempsunspectacleterrible».Parisestuneville
dontles habitantsdeviennent «peuple »pour redevenirle peuple deDieu quise
doit de tuer ou d’assister aux violences de ce que François Hotman qualifie de
«boucherie127».Unevilleenexultationetexaltationparcequ’enviolenceagieou
contemplée.Unevilleenfêtecommeplustardd’autresvillesdurantlaShoah128.
Partoutilyadoncdescorpsdegarde,sesouvientJacquesNompardeCaumont.
Des hommes armés, comme les « peuples » de Paris, sont partout. Et il y a aussi
«danstouteslesrues,auxportesdeséglises,desmoinesetdesprêtresquisontlà
pourvendre“àhautprix”croix,deplomb,decuivreoud’argent129».Entoutcas,la
capitaleduroyaumesembleinvestiepardeshommes–etdesfemmes?–quivont
et viennent. Plus expressif encore, Luc Geizkofler souligne que c’est tout l’espace
parisienquiestenvahipardestueursindifférenciésquiopèrentenlequadrillantde
manière spontanée, hors d’une programmation régulatrice : « Par les rues, une
bande succédait à une autre bande, sans interruption surtout au quartier des
libraires130».«Plusieursdecesderniersfurentprécipitésduhautdeleursmaisons
danslefeuoùflamboyaientleurslivres.Lesfemmes,avecleursenfantsdontelles
nevoulaientpasseséparer,étaienttraînéesverslaSeine,percéesdecoupsetjetées
danslefleuveensigrandnombrequel’eauseteignitderouge.Onvoyaitflotterdes
milliersdecadavres, unvent violentlesramenait aubord, lapopulaceet lajeune
canaille les repoussaient au large : il fallait, disaient-ils, envoyer ces poissons à
Rouenetautreslieuxhabitésparleshérétiques.»
Geizkofler a été donc le témoin de ces va-et-vient des groupes de tueurs et de
leurs possiblesaccompagnateurs attirés par le goût du sang ou l’attrait du pillage.
Avecplusieursdesescondisciplesallemands,ilaprispensionetlogementchezun
prêtre qui donne à tous la recommandation de ne pas se montrer, se tenant lui-
mêmesurleseuildesamaisonen«costumedeprêtreetbonnetcarré».Surtout
«pasuneheurenes’écouloitsansqu’unenouvellecohortenevintdemanders’ily
avoit dans la maison des oiseaux huguenots à dénicher131 ». Geizkofler peut voir
tout ce qui se passe, à partir d’une fenêtre ouverte sur le toit de la maison qui se
trouvaitàl’angledetroisruesdanslesquellesdeslibrairesétaientinstallés.Ilassiste
ainsi au brûlement de livres « pour plusieurs milliers de couronnes ». Il voit la
femmed’unrelieurqui,alorsqu’ellepriaitenfrançaischezelle,estappréhendéepar
« une troupe » qui l’emmène jusqu’à la Seine avec ses enfants qu’elle refuse
d’abandonner. Les tueurs croisent alors d’autres tueurs, ce qui n’est pas sans
indiquer, toujours et encore, qu’ils sont en grand nombre : « vers la Seine, on
rencontrad’autreségorgeurs;ilss’écrièrentquecettefemmeétaitarchi-huguenote,
bref ils la jetèrent à l’eau ainsi que ses enfants132 ». Geizkofler parle
significativement,ilfautyinsister,de «furorpopuli»pourqualifierlaviolencequi
estencoursle24aoûtetlesjoursquisuivent.
C’estunevillecollectivementcriminellequiestdépeinte.Lajoiecommeinvariant
d’un crime communautaire. Camillo Capilupi, qui pour sa part écrit à longue
distance de Paris, à Rome133 , donne à la demande du cardinal de Lorraine une
explication à cette mobilisation qui marque de son empreinte sanglante l’espace
parisien, affirmant que le massacre, eut lieu un jour de fête, le dimanche ; ce qui
donna«meilleurecommodité»au«peuple»pourtueretpilleretdejoueràtirerà
coupsd’arquebusessurlesfuyardsquiselaissaientvoirsurlestoits 134.Etcommela
violenceestunefête, lejourférié sepoursuitlesjours suivants!Quant aunonce
Salviati,ilprécisaque«toutelavilleaprislesarmes»,etqu’elleestenémotion135 .
La violence demeure ici articulée à l’invariant des pogroms de l’histoire, le
«peuple»,etàsoneuphorie.
C’estcequeconfirmeCharlotteArbalesteracontantlespérégrinationsdePhilippe
du Plessis-Mornay : ce dernier, logé au Compas d’or, rue Saint-Jacques, chez
l’apothicaire Pierre Poret qui était le correspondant parisien de Christophe
Plantin136,estprévenuparunAllemandqu’ilavaitenvoyéaulogisdel’Amiral,vers
cinq heures du matin, d’un « fracas qui se faisait ». Il brûle tous ses papiers, et
renonce à se rendre au logis de l’Amiral tout en se dissimulant entre deux toits
quanddes«rechercheurs»approchent.Malgréquelquesmauvaisesrencontres,il
parvient à rejoindre la rue Saint-Martin, puis la rue Trousse-Vache où il trouve
l’huissierGirardquilefaits’assoirdanssonétude:«ilsemetàécrirecommeles
autresclercs»,maisestrepéré:«quifutcausequelecapitaineduquartiermandala
nuitl’huissier»enexigeantquecelui-ciluiremetteauplusvite «celuiqu’ilavait
chezlui».C’estbienicilamilicebourgeoisequiopère.Tôtlematin,undesclercs
se propose en affirmant qu’il pouvait l’aider à sortir de Paris par la Porte Saint-
Martin,grâceauxrelationsqu’ilyavait,ayant«étédegardeordinaireautrefois».
DuPlessis-Mornayacceptelapropositionsansfairetropattentionaufaitqu’iln’a
auxpiedsquedespantouflespeudestinéesàunlongvoyage.MaislaporteSaint-
Martinestclosecematinsurordreroyal,commelapresquetotalitédesportesdela
capitale,etilluifautsedirigerverslaporteSaint-Denis,oùleclercneconnaissait
personne.Aprèsdespalabres,onlelaissetoutefoispasser.
Toutefoislespantouflesqu’ilporteàsespiedssuscitentensuiteundouteparmiles
soldatsetilestrattrapésurlecheminmenantàSaint-Denis,prèsdelaVillette,par
quatrearquebusiers.Unefouleprolétairequiesttoutàlafoismasculineetféminine
surgitimmédiatementcommeellesurgitsansdoutepourd’autresmalheureuxdans
Paris:«Soudainaccoururentchartiers,carreyeursetplastriersdufauxbourgetdes
plastrièresetcarrièresprochainesengrantfurie.»Laprécisionesticicapitalepour
l’historien qui cherche ce que peut avoir été le « peuple » parisien en ces jours
effrayants,ets’interrogepoursavoirs’ilestvéritablementmobilisé.Laréponseest
sans appel : le « peuple » est en action, et cette fois-ci, il y a la participation,
impréciséedanslesautrestémoignages,defemmes.C’estla«foule»despogroms.
DuPlessis-Mornaysevoiteninstanced’êtretiréàlarivière,maissurl’intervention
de son compagnon, il est emmené sous bonne garde dans un cabaret où il fait
apporterpourtousàdéjeunersansparvenirpourautantàdétendrel’atmosphère:
«Lesplusgracieusesparoles,c’estoientmenacesdelenoyer.Ilfustsurlepointde
se jeter par une fenestre. » « Par ce aussi qu’il se disait clerc (comme les idiots
appellent les doctes en leur [langue] vulgaire), firent apporter un Bréviaire pour
voirs’ilentendaitlatin,etvoyantqu’oui,disaientque c’étaientassezpourinfecter
toute la ville de Rouen et qu’il s’en fallait défaire. Pour éviter toutes ces
importunités,illeurditqu’ilnerépondraitplusàchosequ’ilsdemandassent,ques’il
n’eûtriensu,ilseussentmalpensédelui,etmaintenant,letrouvantsavoirquelque
chose,qu’ilsenfaisaientpis,qu’ilvoyaitbienqu’ilsn’étaientgensderaison,etqu’ils
fissentcequebonleursemblerait.»Cen’est,selonCharlotteArbaleste,quegrâceà
laprovidencedivinequ’ilparvientàsesortirdecemauvaispaset,enpassantpar
Saint-Deniset L’Isle-Adam, rejoindre Chantilly où il peut rencontrer le maréchal
deMontmorency.
La foule, qui est en tumultus, tue toujours et encore : ainsi dans une requête
présentée le 6 septembre, un marchand de Toulouse, Claude Puget, dénonce
Anthoine d’Astorg, seigneur de Montbartier, pour avoir tenté de le faire tuer le
25aoûtenrecourantàunanciencuisinierd’AntoinedeCavaignesetenl’accusant
faussement, selon ce qu’il soutient, d’être huguenot : sans l’aide de Dieu et la
protection d’un capitaine de Paris qui l’avait reconnu, il aurait été tué par « le
peupleès mainsduquel ilestoit »« etqui l’emmenaità la Seine137 ». L’affaireest
plusquelouche etpourraitdissimuler danssesreplisune vendetta,selon Jérémie
Foa,etsurtoutune«décivilisationdesmœurs».Maisànouveaule«peuple»est
en première ligne, même si Jérémie Foa précise que le pouvoir de décider
appartientà la milice dans le contexte même de la violence. Une force collective,
qui s’identifie dans les Mémoires de Sully à « la fureur populaire138 », et qui se
distingue des archers, arquebusiers ou des soldats qui eux aussi participent au
massacre,mais sont sansdoute encadrés par descapitaines, des lieutenantset des
dizeniersquandilsnesontpasdeshommesduroioudesonfrèreleducd’Anjou.
Cesindicesmontrantunecapitaleinvestiepardes«bandes»ou«groupes»du
tueurs-pilleurssontprécieux.Parisestunegrandecitéetpeut-être,commecelaa
été proposé précédemment, un chiffrage d’au moins 4 ou 5 000 victimes serait
vraisemblable139. Et on comprendrait alors mieux ce que l’Histoire de Jacques
Auguste de Thou affirme : « En fin il y eut une multitude innombrable de
personnes massacrées : hommes, femmes, enfans et beaucoup de femmes
grosses140. » J’avoue que je dois faire, trente ans plus tard, mon mea culpa, ayant
jadisévaluélesvictimesdumassacreà2500-3000morts.Notonstoutefoisqu’ilest
trèsdifficilededénombrerlesprotestantsparisiensen1572,d’autantqueselaissent
deviner des nicodémites qui, selon Théodore de Bèze, en 1565 « se couvrent
faussement»pournepasêtreexposésauxsoupçonspapistes141 .
1. Hasdaï Crescas, Lumière de l’Éternel, traduit de l’hébreu, Éric Smilévitch (éd.), Paris, Hermann/Ruben
Éditions,2010,p.21.
2.Ibid.,citéinClaireSoussen,«Unconflitd’autorités:lesortdelacommunautéjuivedeBarceloneaprèsles
massacresde1391»,in Figuresdel’autoritémédiévale:MélangesoffertsàMichelZimmermann, PierreChastang,
PatrickHenrietetClaireSoussen(dir.),Paris,ÉditionsdelaSorbonne,2016,p.361-377.
3.«Onrapportequelesventsentraînèrentl’odeurdeleurscadavresjusqu’enÉgypte,provoquantunmalqui
frappa nombre de ses habitants. Rares furent ceux qui y échappèrent. Celui qui était sain se sentait malade
pendant deux ou trois jours, puis il guérissait. La plupart des gens, au moment où ils en étaient frappés,
tombaient brutalement à terre. Les gens désignaient ce mal sous le nom de al-laýýāš (“celui qui donne un
soufflet”)», cité in René Lavenant, « Lemassacre des Juifs de Barcelone en1320 d’après l’Histoire des sultans
mamelouks de Mufaal b. Abí l-Faā’il », halshs-00136281. Les Juifs auraient été ainsi accusés d’être des
dispensateursdelapestenoiredansleurscorpsmortsmêmes.
4.LeLivredespogroms.Antichambred’ungénocide.Ukraine,Russie,Biélorussie,1917-1922,LiliaMiliakova(dir.)et
NicolasWerth(trad.),MémorialdelaShoah-Calmann-Lévy,2010.
5.NicolasWerth,«Dansl’ombredelaShoah…»,art.cité,p.319-357.
6.C’estlecasdesJuifstuéslorsdupogromdeTàrrega,avecquatrefossescommunes(entrele29maietle
24 juillet 1438), en relation avec la peste noire arrivée en ville et attribuée par « les gens du peuple » aux
«péchésdeJacob».300morts.JosepXavierMuntané,«Aucarrefourdesdocuments:laPesteNoireàTàrrega
(Catalogne)etsesconséquencespourlesJuifsdelaville»,inFrançoisClément(dir.),Épidémies,épizooties:Des
représentationsanciennesauxapprochesactuelles,Rennes,PressesuniversitairesdeRennes,2017,p.73-82.
7.«XII.Trisk»,Revued’histoiredelaShoah,2014/1,n°200,p.495-514.
8. Serpouhi Hovaghian, Seule la terre viendra à notre secours. Journal d’une déportée du génocide arménien,
MaximilienGirardet RaymondKévorkian(dir.), Paris,BnFÉditions,2021 ;HilmarKaiser, «Financingthe
Ruling Party and Its Militants in Wartime : The Armenian Genocide and the Kemah Massacres of 1915 »,
Étudesarméniennescontemporaines,12,2019,p.7-31.
9.LaViethéâtraleautempsdelaRenaissance,Paris,Institutpédagogiquenationaléd.,1963,p.13.
10.«Rabieux»ausensdetumultueux.«LetestamentdeMartinLeuter»,inAnatoledeMontaiglon,Recueil
depoésiesfrançaisesdes XV eet XVIe sièclesmorales, facétieuses,historiques,Paris,P. Jannet,1855-1876,t.I, p.195.
Textedontlatraductionfrançaisedatede1532-1534.
11. Jean Crespin, Histoire des martyrs, persecutez et mis à mort pour la verité de l’Évangile, depuis le temps des
apostresjusquesal’an 1597:comprinseendouzelivres,contenantlesActesmemorablesduSeigneurenl’infirmitédes
siens, non seulement contre les efforts du monde, mais aussi contre diverses sortes d’assaux et heresies monstrueuses,
Héritiersd’EustacheVignon,1597,p.710.Le«diablevert»avaitprêchéauparavant.
12.AltePinakothek(Munich).
13. Pierre-Henri Guittoneau, Les Rituels de violence à Paris pendant la guerre civile entre les Armagnacs et les
Bourguignons,mémoiredemastersousladirectiond’ÉlisabethCrouzet-Pavan,SorbonneUniversité,juin2003,
p.134:«Ainsi,lescorpssontsoitmissurdescharrettesoudestombereauxsoitattachésparlespiedsàune
corde–c’estlecasdel’évêquedeSenlis–quel’ontire«parlavillejusqueshorsdesportesetlàonleslaissoit».
Estsignaléeaussil’éventrationdesfemmes,p.136,lesmeurtriersdisantalors«Regardezcepetitchienquise
remue».Estencorepréciséelaconnotationinfâmantedutombereau.
14. La Complainte doloreuse de lame damnée et les regrets quelle a au lit de la mort…, s.l., s.d., in Anatole de
Montaiglon,RecueildepoésiesfrançaisesdesXV eetXVI esièclesmorales,facétieuses,historiques,Paris,P.Jannet,1855-
1876,t.VII,p.91.
15.VisiondeTondalus;récitmystiqueduXIIe siècle,OctaveDelepierre(éd.),Mons,1837.
16. Jérôme Baschet, Les Justices de l’au-delà. Les représentations de l’enfer en France et en Italie (XII e-XVe siècle),
Rome,ÉcolefrançaisedeRome,1993,p.95-97.
17.MichaelaChrist,«Lesespacesdelaviolence.UneétudedecassurlemeurtredesJuifsenUkraine(1941-
1944)», Émulations, 12 – Anthropologie historique des violencesde masse, 2013, p.51-65. À Berditschew, oùles
non-Juifsclouentdes croixenbois surleursportes etposentdes icônesàleurs fenêtres,cinqgrandes fosses
furentcreusées,lesJuifsétantcontraintsdesedévêtir.12000Juifsfurentabattusle15septembre1941,leurs
corpsrecouvertsdeterreetenfouiscommedesdéchets.
18. Christopher R. Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la
solutionfinaleenPologne,Paris,LesBellesLettres,1994.
19. Françoise Héritier, « Les fondements de la violence. Analyse anthropologique »,Mélanges de l’École
françaisedeRome.ItalieetMéditerranée,t.115,n°1,2003,p.399-419.
20.EstherMéir-Glitzenstein,«LeFarhoud:pogromàBagdad»,Revued’histoiredelaShoah,2016/2,n°205,
p.511-533.«Farhoud»ausensde«dépossessionviolente».
21.Ibid.,p.521.
22.Ibid.,p.520.
23.CitéinFrançoiseHéritier,«Quelsfondementsdelaviolence?», Cahiersdugenre,n°35,2003,p.21-44:
«Àpartirdusoubassementdesbesoinsfondamentaux,nousavonsvunaîtredesinvariantsdelaconstitution
del’AutreenradicalementAutre,ausensd’ensemblesconceptuelsvéritablementconstruits;ilestautreparle
regardportésurlui,unAutrequ’iln’estpaspossibled’assimileràsoiparcequ’ilrelèvedel’animalou,dansune
métaphore organiciste, parce qu’il est sale et impur, donc dangereux, et par là même envieux, haineux,
caractéristiquesquiautorisentd’emblée sonévictionsocialeetmêmeparfoissonéliminationphysique.Cette
constructionidéologique peutêtre celled’une différenciationinterne statutairepropre àune sociétédonnée,
comme dans le cas hindou, ou du discours élaboré volontairement du système nazi ou de ceux, tout aussi
idéologiques,desguerresdeReligionoudesentreprisesdeconquêtecoloniale.»Laviolenceestprésentéepar
FrançoisHéritiercommeune«constructionidéologiquedontlessociétésnepeuventsedéprendrequeparune
pédagogiepositivedelafiguredel’autre».
24.DavidBall,« Despouxet deshommes: la«solutionfinale »dansles quotidiensen1942», LesTemps
modernes,n°591,déc.-janv.1997,p.146-173.
25.MatatiasCarp, Carteaneagra.LeLivrenoirdeladestructiondesJuifsdeRoumanie,1940-1944,Paris,Denoël,
2009.
26. Carol Iancu, « Le pogrom de Iași (2830 juin 1941) », Histoire et mémoire. Témoigner. Entre histoire et
mémoire,135,2022,p.86-97.
27. Gérard Dédéyan et Carol Iancu (dir.), Du Génocide des Arméniens à la Shoah. Typologie des massacres du
XXesiècle,Toulouse,ÉditionsPrivat,2017.
28. Jean Ancel, « Le pogrom de Iasi. Sur la responsabilité des autorités de l’État roumain dans la mise en
scène,lapréparationet l’exécutiondupogromdeIasi etsurl’établissementdunombre desvictimes»,Revue
d’histoiredelaShoah,2011,1,n°194,p.143-171.
29.MicheldeWaele,art.cité,p.97-115.
30.DidierDurmarque,Phénoménologiedelachambreàgaz,Paris,L’Âged’homme,2018;Jean-ClaudePressac,
LesChambresàgazd’Auschwitz.Lamachineriedumeurtredemasse,Paris,CNRSÉditions,1993.
31.FrançoiseHéritier,Delaviolence,Paris,OdileJacob,1996.
32. Claude Haton, op. cit., t. II, Félix Bourquelot (éd.), p. 460-461. Ce chiffre n’inclut pas selon Haton les
«aultresquifurentjettezdedanslarivièrequinefurentcognus».
33.Registresdel’HôteldeVille,citésparNathanaëlWeiss,«LaSeineetlenombredesvictimesparisiennes…»,
art.cité,p.474-481,allocation,le15septembre,d’unesommede15livres,puis,le23septembre,de20livres,
cettefois-cipouravoirenterré,«depuishuitjours,onzecentscorpsmorts…».
34.FrançoiseHéritier,Delaviolence,op.cit.
35.NathanaëlWeiss,art.cité,p.474-481.
36.LouisProsperGachard,«ParticularitésinéditessurlaSaint-Barthélemy»,Bulletinsdel’Académieroyalede
Belgique,Bruxelles,1949,t.16,1repartie,p.235-242.
37. Madeleine Csécsy, « Poésie populaire de Paris : avant la Saint-Barthélemy »,Bulletin de la Société de
l’histoireduprotestantismefrançais,oct.-nov.-déc.1972,vol.118,p.697-710.
38. Discours sur la mort de Gaspart de Coligny, qui fut admiral de France, et de ses complices, le jour Sainct
Berthélémy, vingt-quatriesme jour d’aoust, à très haut et très vertueux seigneur, messire René de Vayer, chevalier de
l’ordreduroy,baillydeTouraine,vicontedePaulmyetdelaRocheIanes,seigneurd’Argenson,laBaillolière,lePlessiset
Chastres.ParI.S.P,1572,dédiéaubaillideTouraineRenédeVayer.VoiraussiTatianaDebaggiBaranova,«La
poésiedénonciatrice…»,art.cité,p.24-67.
39.AthanaseCoquerelFils,op.cit.,p.62.Lesossementsfurentdécouvertsàl’occasiondetravauxdansl’église,
en1851.
40. Voir Marie-Madeleine Fragonard, « L’établissement de la raison d’État et la Saint-Barthélemy »,Les
Cahiersducentrederechercheshistoriques,Miroirsdelaraisond’État,20|1998,enligne.
41.AthanaseCoquerelFils,op.cit.,p.129-130.
42.NathanaëlWeiss,art.cité,p.474-477.
43.«L’altérisationestdoncunprocessusquimèneàlanégationdel’humanitédesautresetquisoutientles
inégalités, les discriminations et les persécutions. Le concept d’altérisation est plus commun et intuitif en
anglaisoùilsetraduitparothering,littéralement“rendreautre”»(Muséedel’HolocaustedeMontréal).
44.VoirDenisCrouzet,LesGuerriersdeDieu…,op.cit.,t.I.
45.Ézéchiel16,41-43.
46.Ézéchiel6,4-8.
47. Mémoires d’un calviniste de Millau, Jean-Louis Rigal (éd.), [Archives historiques du Rouergue II,
DocumentssurlaRéforme],Rodez,1911,p.26.
48.Ibid.,p.27-28et12-13.
49.CantiquegeneraldesCatholiques,surlamortdeGasparddeColligny,jadisadmiraldeFrance,advenueàParisle
XXIIII.Jourd’Aoust1572.QuipeutêtrechantésurlechantDamesd’honneurjevouspriemainsjoinctes,s.l.,s.d.
50. Artus Desiré, Le Contrepoison des cinquante deux chansons de Clement Marot, faulsement intitulées par luy
Psalme de David, faict et composé de plusieurs bonnes doctrines et sentences preservatives d’Heresie. À tres hault, tres
puissantetmagnanimeSeigneurMonseigneurlePrincedePiedmontDucdeSavoye[…].Adjoustédenouveaucertains
lieuxetpassagesdesœuvresdudictMarot,parlesquelzl’oncognoistral’heresieetl’erreurd’iceluy,ÀParis,ParPierre
Gaultier,1562,n.p.
51.ClaudedeSainctes,DiscourssurlesaccagementdesÉglisesCatholiques,parlesHeretiquesanciens,etnouveaux
Calvinistes,enl’an1562.ÀMonseigneurl’IllustrisimeCardinaldeLorraine,ÀParis,ChezClaudeFremy,1563,p.2-
3.
52.JeanPillard, Mémoiresdecequis’estpassédanslavilledeLaRochefoucaulddutempsdestroublesdereligion,
EusèbeCastaigne(éd.),Angoulême,Lefraise,1853.
53.JeandeLaFosse,op.cit.,p.151-152.
54.AthanaseCoquerelFils,op.cit.,p.204.
55.«Deuxlettresdecouventàcouvent[JoachimOpser]»,art.cité,p.284-294.
56. Nathanaël Weiss, « Le protestantisme à Auteuil, Passy et Billancourt », Bulletin historique et littéraire
(SHPF),vol.38,n°2,15février1889,p.103-107:«Cescadavres,aunombrede1827,furentjetés,icietlà,dans
de grandes fosses. C’est une de ces fosses communes qui fut découverte lorsqu’on creusa le fossé des
fortificationsauPoint-du-Jour,àAuteuil.Lenombredesossementsentassésyétaittrèsconsidérable.»
57.ArianeBoltanski,«Discours…»,art.cité,p.185-186.
58. Annales manuscrites de la ville de Limoges dites manuscrit de 1638, Émile Ruben, Félix Achard, Paul
Ducourtieux(éd.),Limoges,1872,t.I,p.387.
59.DenisRichet,«Aspectssocio-culturelsdesconflitsreligieuxàParisdanslasecondemoitiéduXVIe siècle»,
Annales.Économies,sociétés,civilisations,1977,32-4,p.764-789,p.769.
60. Histoire veritable de la mutinerie, tumulte et sedition faite par les prestres Sainct-Medard contre les fidèles, le
samedyXXVII.jourdedecembre1561,1561.
61.LéoMouton,«L’affairedelacroixdeGastine»,BulletindelaSociétédel’histoiredeParisetdel’Île-de-France,
t.56,1929,p.102-113.
62. DiscoursdecequiadvinttouchantlacroixdeGastine,l’an1571,versNoel,in Archivescurieusesdel’Histoirede
FrancedepuisLouisXIjusqu’àLouisXIII,LouisCimberetFélixDanjou(éd.),Paris,Beauvais,1835,1resérie,t.VI,
p.475.VoirSylvieDaubresse,LeParlementdeParis…,op.cit.,p.188-195.
63.JehandeLaFosse,op.cit.,p.107.
64.Discoursdecequiadvint…,op.cit.,p.476.
65. Barbara Diefendorf, Beneath the Cross : Catholics and Huguenots in Sixteenth-Century Paris, New York,
OxfordUniversityPress,1991,p.184-87.
66.SylvieDaubresse,LeParlementdeParis…,op.cit.,p.190.
67.JérémieFoa,«Enfiniraveclacoexistence.SurvivreaumassacredelaSaint-Barthélemy(1572)»,inLa
Coexistence confessionnelle en France et en Europe germanique et orientale : du Moyen Âge à nos jours, Catherine
Vincent(dir.),Lyon,LARHRA,2015,enligne.
68.CitéinCharlesdeLacretelle, HistoiredeFrancependantlesguerresdeReligion,4vol.,Paris,Maresq,1844,
t.II,p.343.
69.VoirlapeinturedeJean-AugusteDubouloz,SullyéchappantaumassacredelaSaint-Barthélemy.
70.Surlesenfantsobjetsdelatuerie,HélèneDumas,Sanscielniterre.ParolesorphelinesdugénocidedesTutsi
(1994-2006),Paris,LaDécouverte,2024.
71. ChristianIngrao, « Violence de guerre et génocide. Les pratiques d’agression des Einsatzgruppen », in
StéphaneAudoin-Rouzeau,AnnetteBecker,ChristianIngraoetHenryRousso(dir.),LaViolencedeguerre1914-
1918.Approchescomparéesdesdeuxconlitsmondiaux,Bruxelles,ÉditionsComplexe,2002,p.566-573.
72.EstiennePasquier, Lettreshistoriquespourlesannées1556-1594,DonaldThickett(éd.),Genève,Droz,1966.
p.207.
73.«Récitd’untémoinoculaire…»,art.cité,p.377-381.
74.Pierre-HenriGuittoneau,thèsecitée,p.101-102.
75.Ibid.,p.105.
76.PioRajna,«JacopoCorbinellielastragediS.Bartolomeo»,Archiviostoricoitaliano,1898,t.XXI,p.71.
77.Ibid.,Lettredu8octobre1572,deParis,p.65-81.
78. Mémoires de Jean de Mergey, in Collection complètes des mémoires relatifs à l’histoire de France, 34, Claude
BernardPetitot(éd.),Paris,Foucault,1823,p.69.
79.Cf.LePré-aux-Clercs,opéradeHérolscrééàl’Opéra-Comiqueen1832etinspirédeMérimée.
80.MémoiresauthentiquesdeJacquesNompardeCaumont…,op.cit.,t.I,p.10-37.
81. Sommaire mémorial de Jules Gassot, op. cit., p. 107 : « Ceux qui alloient par la ville pour faires telles
exécutionsportoientsurleurschapeauxdesmouchouersblancsetaultresbandesoulingesoubiendepapiers
faictsencroix.»
82. Charlotte Duplessis-Mornay, Les Mémoires de Madame de Mornay, Nadine Kuperty-Tsur (éd.), Paris,
Champion,2010,p.108-109.
83.RobertDescimon,«LescapitainesdelamilicebourgeoiseàParis(1589-1651):pouruneprosopographie
del’espacesocialparisien»,inL’Étatmoderneetlesélites.XIII e-XVIIIe:Apportsetlimitesdelaméthodeprosopographique ,Jean-PhilippeGenet
etGüntherLottes(dir.),Paris,ÉditionsdelaSorbonne,1996,p.189-216; Id.,«Solidaritécommunautaireet
sociabilité armée : les compagnies de la milice bourgeoise à Paris (XVIe -XVIIe siècles) », Sociabilité, pouvoir et
société,FrançoiseThélamon(dir.),Rouen,1987,p.599-610.
84.CharlotteDuplessis-Mornay,op.cit.,p.110.
85.JacquesAugustedeThou,Histoireuniverselle,op.cit.,t.I,p.105,et«LesvictimesdelaSaint-Barthélemyà
Paris. Essai d’une topographie et d’une nomenclature des massacres d’après les documents contemporains.
1572»,Bulletindelasociétédel’Histoireduprotestantismefrançais,9eannée,Paris,1860,p.38.
86.Agrippad’Aubigné,Histoireuniverselle,op.cit.,t.III,p.328-329.
87.OlivierdeMagny,LesOdes,Paris,chezAndréWechel,1559,p.42-43.
88.EstiennePasquier,ExhortationauxprincesetseigneursduConseilprivéduRoy,pourobvierauxséditionsqui
semblentnousmenacer pourlefait delaReligion,1561,in Mémoires deCondé,ou Recueilpourservir àl’Histoirede
Francecontenantcequis’estpassédeplusmémorabledansleroyaume,souslerègnedeFrançoisII.&sousunepartie
deceluideCharlesIX…,3vol.,duBosseetNillor,1711,t.I,p.915-918.
89. Satyre Menippée de la vertu du Catholicon d’Espagne et de la tenue des estats de Paris, 2 vol., Paris, Chez
N.DelangleetchezDalibon,1824,t.II,p.40.
90.GeorgesPelissier,LaVieetlesœuvresdeDuBartas,[1883],Genève,Slatkinereprint,1969,p.196.
91.Ibid.
92.EstienneJodelle, L’Eugène,comédie,1552,inÉdouardFournier, LeThéâtrefrançaisau XVIeetau XVIIesiècle…,
Paris,Laplace,SanchezetCie,s.d.,p.7.
93.JeanBodin,inAntonelladelPrete,Menupeuple,multitude,populace:considerazionisulvocabolariopolitico-
socialediJeanBodin,Laboratoriodell’ISPF.Rivistaelettronicaditesti,saggiestrumenti,2008,p.4-27;Michel
Glatigny, « Prince et peuple dans quelques chapitres de la République et de la Gaule Françoise : étude
lexicologique»,in JeanBodin.ActesduColloqueInterdisciplinaired’Angers,Angers,Pressesdel’Université,1985,
2vol.,t.I,p.157-169.
94.EstiennedeLaBoétie,Discoursdelaservitudevolontaire,PaulBonnefon(éd.),Paris,Bossard,1922,p.75:
«Cesontvolontiersceluxlàqui,ayantsl’entendementnetetl’espritclairvoyant,nesecontententpas,comme
legrospopulas,deregardercequiestdevantleurspieds,s’iln’advisentetderriereetdevant,etne…ce sont
ceulxquiayantslateste,d’eulxmêmes,bienfaicte,l’ontencorespolieparl’estudeetlesçavoir…»
95.PhilippeDesan,«LeDiscoursdelaservitudevolontaireetlacauseprotestante:lesparadoxesdelaréception
de La Boétie », Studi francesi, 182, LXI, II, 2017, p. 211-222. Évocationde Luther à propos de « la populace
insensée».
96.ArianeBoltanski,«Discoursadressé…»,art.cité,p.177-191.
97.Il s’agit de la GrandeRebeyne, évoquée par Guillaume Paradin, Mémoires de l’Histoire deLyon, À Lyon,
AntoineGryphius,1573,p.282-284,etétudiéeparHenriHauser,«ÉtudecritiquesurlaRebeyne(1529)»,in
Revuehistorique,1896,t.61,p.265-307etparRichardGascon,Grandcommerceetvieurbaineau XVIesiècle.Lyon
etsesmarchands,2vol.,Paris-LaHaye,Mouton,1971.
98.HenriLancelotVoisindeLaPopelinière,L’HistoiredeFrance,enrichiedesplusnotablesoccurrencessuruenues
èsprovincesdel’Europeetpaysvoisins,soitenpaix,soitenguerre,tantpourlefaitséculierqueecclésiastic,depuisl’an
1550jusquesàcestemps,2vol.,Genève,J.Chouet,1582,t.II,livreXXIX,p.153-154.
99. Pierre Macherey : présentation de l’ouvrage d’Étienne Balibar Violence et civilité, 21 mai 2010 ; La
philosophieausenslarge,enligne,https://doi.org/10.58079/su6m.
100.ClaudeGaignebetetOdileRicoux,«LeCombatdeCarnavaletdeCarême»,inPierGiovannid’Ayalet
MartineBoiteux(dir.),CarnavalsetMascarades,Paris,Bordas,1988,p.18.
101.«LesvictimesdelaSaint-Barthélemy…»,art.cité,p.36.
102.PhilipBenedict, GraphicHistory.The «Wars,Massacresand Troubles»ofTortorel andPerrissin,Genève,
LibrairieDroz,2007.
103. David El Kenz, « La mise en scène médiatique du massacre des huguenots au temps des guerres de
Religion:théologieoupolitique?»,Senspublic,2006.
104.SurlagravuredeTortoreletPerrissin,deslettrescommentantchacunedesscènespermetdediscerner
cequisepasse:B.Lepontdeladitevilleiusduquelplusieursdelareligionfurentgettezenlariuièreparlapopulace.
105. Franz Hogenbergh,Musée Carnavalet : B. Le pont de ladite ville ius duquel plusieurs de la religion furent
gettezenlariuièreparlapopulace.
106.Delapuissancelegitimeduprincesurlepeuple,etdupeuplesurlePrince.Traitétres-utileetdignedelectureence
temps, escrit en Latin par Estienne Iunius Brutus, & nouvellement traduit en François, 1581, reproduction en fac-
similé,Genève,LibrairieDroz,1979,p.61-62.
107.Letermede«nonincorporés»estreprisdeJeffryKaplow,«LapopulationflottantedeParisàlafinde
l’AncienRégime»,AnnaleshistoriquesdelaRévolutionfrançaise,1967,187,p.1-14.
108. Alphonse Dupront, « Problèmes et méthodes d’une histoire de la psychologie collective », Annales.
Économies,sociétés,civilisations,1961,16-1,p.3-11.
109. Myriam Marrache-Gouraud, « Maroufles et marauds Des anonymes en (bas)-relief », L’Année
rabelaisienne,2017,n°1,p.335-348.
110.CitéinLouisCarré,«Populace, multitude, populus.FiguresdupeupledanslaPhilosophiedudroit de
Hegel»,Tumultes,2013/1,n°40,p.89-107.
111. Bertrand Ogilvie, « Violence et représentation. La production de l’homme jetable », in id., L’Homme
jetable.Essaisurl’exterminismeetlaviolenceextrême,Paris,ÉditionsAmsterdam,2012,p.72.
112. Julia Christ, « Nous sommes tous de la populace. Réflexions hégéliennes à partir d’un aphorisme
d’Adorno»,Tumultes,2013/1,n°40,p.109-128.
113.JohannWilhelmvonBotzheim,Cyclopicaillaatque…,op.cit.,p.98-101.
114.CarolineTrotot,«CharlotteDuplessis-Mornay(1548-1606).Singularitédel’écrivaineaumiroirdumari
élu », in Femmes à l’œuvre dans la construction des savoirs. Paradoxes de la visibilité et de l’invisibilité, Caroline
Trotot,IsabelleMornatetClaireDelahaye(dir.),Champs-sur-Marne,Lisaaéditeur,2020,p.235-252.
115.BarbaraDiefendorf,BeneaththeCross…,op.cit.,p.98-99.
116. Son errance la conduit ensuite non loin du Vignay où Michel de L’Hospital habite lors de la Saint-
Barthélemy, où elle peut constater que les Suisses de la reine Élisabeth ratissent les villages pour tenter de
«trouverquelquepauvrehuguenot».
117.CitéparÉricSyssau,art.cité,p.183.Peut-êtres’agit-ildel’HymnetrionfalauRoy,susl’equitableiusticeque
saMaiestéfeitdesrebelleslaveille&iourdeSainctLoys,dontTatianaDebaggi-Baranova,«Lapoésie…»,art.cité,
p. 255, observe qu’il fut donné à imprimer par le bénédictin Claude-Étienne de Nouvellet, contenant entre
autresdespiècesexaltéesdeJeanDorat…etsansdoutel’OdetriomphaleauRoydecedernier.Voirid.,«Hymne
trionfal…surlaSaint-Barthélemy(1572)avecnoticeetnotesdeM.JulesManecy»,Mémoiresetdocumentsdela
sociétésavoisienned’histoireetd’archéologie,1900,t.XXXIX,p.459-496.
118.GasparddeSaulx-Tavannes,Mémoires…,op.cit.,t.III,p.298.
119.Agrippad’Aubigné,Histoireuniverselle,AlphonsedeRuble(éd.),10vol.,Paris,1886-1909,t.III,p.329.
120.CharlesRead(dir.),LaSaint-BarthélemyàOrléans…,op.cit.,p.383-384.
121.KazimierczSakowicz,JournaldePonary,1941-1943,Paris,Grasset,2021.
122. Myriam Anissimov, « Ponary ou l’extermination des Juifs lituaniens par leurs voisins », Nonfiction
Histoire,25janvier2022,enligne.
123.DanielJonahGoldhagen,LesBourreauxvolontairesdeHitler:LesAllemandsordinairesetl’Holocauste,Paris,
LeSeuil,1996,p.226.
124. Patrick Bruneteaux, « Figures du dédoublement : la mort lente ou le travail de divinisation du
bourreau»,ERESSud/Nord,2003,1,n°18,p.39-76,p.26.VoirDenisCrouzetetJean-MarieLeGall,Aurisque
desguerresdeReligion,Paris,PUF,2015etDenisCrouzet, LesEnfantsbourreauxautempsdesguerresdeReligion,
Paris,AlbinMichel,2020.
125.ClaudeHaton,op.cit.,LaurentBourquin(éd.),vol.2,p.461
126.ComplainteetregretzdeGasparddeColignyquifutadmiraldeFrance,ÀLyon,ParBenoistRigaud,n.p.
127. Nathanaël Weiss, « La Saint-Barthélemy. Nouveaux textes et notes bibliographiques », Bulletin de la
Sociétédel’histoireduprotestantismefrançais,t.43,1894,p.426-444.
128. Edward B. Westermann, « Alcool, mangeailles et rituels festifs sur les sites de massacres », Revue
d’histoiredelaShoah,213,2021,p.45-64.
129.JohannWilhelmvonBotzheim,«LaSaint-BarthélemyàOrléans…»,art.cité,p.70.
130.DenisPallier,«LesvictimesdelaSaint-Barthélemydanslemondedulivreparisien.Documents»,inLe
Livre et l’historien, Frédéric Barbier, François Dupuigrenet Desroussilles et al. (dir.), Genève, Librairie Droz,
1997p.141-163;DanielRégnier-Roux,«NotessurlesdernièresannéesdeJacquesBesson(1534?-1573?)»,
Réforme,Humanisme,Renaissance,n°77,2013.p.199-213.
131.JohannWilhelmvonBotzheim,«LaSaint-BarthélemyàOrléans…»,art.cité,p.67.
132. Mémoires de Luc Geizkofler…, op. cit., ajoute : p. 69 : « Un de ces hommes cependant, touché de
compassion, entra dans un bateau et sauva les deuxjeunes êtres, au déplaisir d’un parent et proche héritier,
lequel,d’ailleurs,futtuélui-mêmeparcequ’ilétaitriche.»
133. Stratagemadi CarloIX redi Franciacontro gliUgonottirebelli diDio etsuoi, etmandato diRomaal signor
AlfonzoCapilupi.Cestratagemeestcyapresmisenfrançoisavecunavertissementaulecteur,Rome,JacobStoer,1572.
134.CitéinAthanaseCoquerelFils,op.cit.,p.49.
135.Abbé LadislasLefortier, LaSaint-Barthélemy etles premièresguerres deReligion en France: leurcaractère,
leurscauses,leursauteurs,Paris,VictorPalméetBruxellesJ.Albanel,1879,p.296.
136.PierrePorethébergeaaussiJacquesBessonquiperditseslivresdemachines,Theatruminstrumentorum.
137.JérémieFoa,«Untueuràgages»,inTousceuxquitombent…,op.cit.,p.193-203.
138. LesOeconomiesroyalesdeSully,DavidBuisseretetBernardBarbiche(éd.),Paris,Klincksieck,1970,t.I,
p.18-19,aveclesproposduroiàAmbroiseParé,disantàcedernierqu’ilvoitdesfantômes…
139.ClaudeHaton,Mémoires,L.Bourquin,(éd.),2003,t.2,p.460.
140.JacquesAugustedeThou,Histoireuniverselle,op.cit.,t.VI,p.408.
141. Craig Koslofsky, « Nicodème et la nuit dans le protestantisme moderne », in Les Protestants à l’époque
moderne:Uneapprocheanthropologique,Rennes,PressesuniversitairesdeRennes,2017,p.305-316.
CHAPITREVIII
Lagrande«illusionsolitariste»
En vertu de quel préconditionnement non seulement des bons bourgeois, mais
aussi le « peuple » ont-ils pu se métamorphoser en tueurs animés d’une volonté
d’anéantissement biblique ? Un autre invariant complémentaire surgit, après
l’invisibilitéetl’euphorie.
Lesalutdans«l’affiliationunique»
Partons d’une constatation d’Amartya Sen qui, à propos de « l’affrontement
sectaire » auquel il assista dans ses jeunes années, pendant la Partition, évoque le
fantasmed’uneidentitéunique,«l’illusionsolitariste»qu’ilimputeaubasculement
dans«l’incarcérationcivilisationnelle»ou«l’affiliationunique1»,etdoncdansle
désirdeviolence2 .
L’enfantquej’étaissesouvientencoredesémeutes quiopposèrentleshindousetlesmusulmansdansles
années1940,aumomentduprocessusdeséparationdel’IndeetduPakistan.Jemesouviensdelavitesseà
laquellelespersonnesouvertesetgénéreusesaumoisdejanviersesontchangées,dèslemoisdejuillet,en
hindoussanspitiéetmusulmansféroces.Descentainesdemilliersd’êtreshumainsontpérisouslescoups
deceuxqui,menésparlesinstigateursdecescarnages,tuaientlesautres«aunomdesleurs».Laviolence
naîtde cesidentitéssingulières etbelliqueuses,imposées àdes espritscrédules,cornaqués parles habiles
artisansdelaterreur3 .
Aupetitmatinparisiend’août1572,c’estégalementunbasculementfulgurantde
rapidité qui semble s’être produit, dans ce Paris catholique exalté par sa
disponibilitéàcequ’ilvivaitcommeundevoirdetuer.Laviolence,durantlaSaint-
Barthélemy4etcommedanslesubcontinentindiendelaPartition 5,seproclame,se
crie,s’exige,etserevendique:JohannWilhelmvonBotzheimcitelevoisindeson
logeur orléanais Jean Gyot, qui pénètre de force dans la maison de ce dernier le
mercredi 27 août en jurant « par tous les dieux » que, s’il le trouvait, « il lui
passeraitlefildesonépéedansleventre6».Toutvatrèsvitedanslesmobilisations
pogromiques,sansdouteparcequ’ellesréalisentundésiretdesfrustrationserrant
depuis longtemps dans le conscient comme dans l’inconscient. Sans doute encore
parce que le « vacarme » noté par des témoignages put avoir un effet excitatoire
oscillantentrepeuretjoie.
Ilestproblématiquequelesassassins,constituantungroupesoudéparunefidélité
aucatholicismelepluszéléetaussipar«desréseauxprofessionnelsoufamiliaux»,
aient été un nombre relativement réduit d’acteurs conduits et incités par des
criminelsdemasserevendiquant,pourcertains,d’avoirmisàmortplusde100ou
200personnesdesdeuxsexeschacun,voirejusqu’à400.CesontlesNicolasPezou,
le boucher réputé avoir assommé ses victimes à coups de maillet et se glorifiant
devant le roi d’avoir un jour jeté dans l’eau 120 huguenots, Thomas Croizier qui
prétendaitàdespalmarèsde80tuésdesamainenunseuljour7,etde400autotal
quandlemassacreestparachevéseloncequerapporteJacquesAugustedeThou8 .Il
y a encore le brodeur Claude Chenet, qui aurait été un proche des Guise, et le
lieutenantcriminelderobecourteJeanTanchou,ainsiquel’avocatetcapitainede
la milice Jehan Ferrier, que Pierre de l’Estoile désigne. Ce sont ces hommes dont
JérémieFoa fait des tueurs en série pouvantalléguer à eux seuls d’avoir été, avec
quelquesautres,lesprincipauxacteursdelatueries’appuyantsurdesarchersquiles
accompagnent dans leurs parcours mortifères. Dans certains cas, on peut trouver
l’informationd’unmeurtrespécifiquementattribuéàl’undestueursdemasse:ainsi
AntoineMerlanchon,sansdouteancienoudiacredel’ÉglisedeParisetprécepteur
des enfants de la dame de Piquigny, aurait-il été tué dans une maison ayant sans
doute appartenu au fou Brusquet, à proximité de la porte Saint-Michel, par Jean
Tanchouenpersonne9.Maislaisseràceshommeslemonopoledesgestesassassins
nerevient-ilpasàfaussercequiestl’histoired’unPariscatholiqueeuphoriséparce
quiétaitpensécomme,pourtousettoutes,undevoiretdoncundroitdetuer,les
appelantàselaisseraspirerdansungrand«tumulte»salvifiquequisurvientsans
doutetrèsvite10 ?
Doit-on les croire dans leurs revendications d’avoir été des tueurs de masse ?
N’ont-ils pas à cette occasion, parlé la « langue des assassins » qui, durant le
nazisme,étaientsatisfaitsderaconterlesatrocitésauxquellesilsavaientprispartou
assisté. Saul Friedländer rapporte des données de cette parole recourant à une
rhétoriquedesurenchèrecriminelle :« Lessoldatsn’utilisaientpas depériphrase.
Ilsétaienttrèscontentsderacontercequ’ilsavaientàraconter.Ilyenaunquidit:
“Sivousnemecroyezpas,quandj’arriveraienpermission,j’amèneraidesphotoset,
alors,vousme croirez11”.»Ils étaientcontentscomme l’avaientétédes tueursen
1572.L’aventurenazieestl’aventured’unejouissancedefairesouffrir.N’ya-t-ilpas
alors un danger à se fier à ce qu’ont raconté d’eux-mêmes certains assassins
d’août 1572 ? Et à ignorer d’autres témoignages d’un rapport au plaisir dans la
violence,parexemplequandonrapportequedesSSsesontdivertisavecdel’alcool
et de la musique, alors qu’autour d’eux « le sol était jonché d’innombrables
corps12»?Ilyauneimpudicitévolontairedestueurs,heureuxd’eux-mêmes.
PourlepèreGregorFabius,danssonrapportdu29aoûtauSupérieurdesjésuites
deCologne,ilyabieneuun«miraclemanifestedeDieuayantjouéàlafoissurle
roietsursonpeupleparisienl’effetd’unappeldivin»:«Eneffet,danslecimetière
desinnocents,unarbre,quin’avaitpasbougédepuisdesannées,commençaitàse
flétrir,un arbre desséché devant lesimages de la bienheureuse Marie». Le roi et
son frère sont venus, après avoir fait une offrande, prier devant l’arbre qui « a
commencéàfleurirlejourmêmeoùleroicommençaàtuerleshérétiques,pourla
Francerenaissante.Ily asur toutesceschosesmerveilleuses uncalendrieret une
prophétie.C’estainsiqueDieusait,parl’intermédiairedel’ânessedeBalaam,parle
etprophétise13.Desprocessionsgénéralesontlieu,auxquellesparticipentleroi,le
roi de Navarre et tout le peuple ». S’adressant au jésuite Pierre Canisius, Gregor
Fabiusl’appelle,le5septembre,àrendregrâceauSeigneurpouravoirdonnéune
glorieuse victoire aux siens en France « où les nuques des calvinistes ont été
brisées. » Tout se passe comme si l’« illusion solitariste » s’était nourrie, dès les
premières heures du massacre et plus encore dans les jours suivants, d’une
allégresse d’être dans un temps de prodiges mettant fin aux malheurs qui se sont
succédédepuisquel’hérésieestprésentedansleroyaume.Il éprouveunvéritable
ravissementdesavoirquel’archangesaintMichelaprisenchargelecombatcontre
Satan puisque le fort vent qui souffle alors sur Paris est attribué au battement
joyeuxdesesailes14 .
L’illusion solitariste et la forfanterie ont partie liée. Tomasso Sassetti, dans sa
relationécritele13septembre1572,ajoutelesnomsd’autreszélésquisevantèrent
d’avoir fait encore mieux que les personnages inventoriés par Jérémie Foa et qui
semblent, jusque dans leur frénésie, avoir basculé dans l’identité lévitique et
deutéronomiqueques’étaientappropriéelesthéologiensdelaSorbonnescrutéspar
Thierry Amalou15. Un prêtre nommé Potri aurait assassiné « plus de
500 personnes, comme on me l’a affirmé ». Le « permis de tuer », concédé aux
fidèlesde l’Église depuis plusieursdécennies par les tenants d’un« sacerdotalisme
lévitique»,n’explique-t-ilpasdetellesrevendicationshyperboliques?Esteneffet
évoquéunautreprêtrequirevendiqued’avoirtuéd’unepartdesespropresmains
plusde700personnes«danssonquartier»etd’autrepart,encompagnied’autres
tueurs,plusde400autres.Nes’agit-ilpasd’uneformedecourseàlasaintetédansla
mesure où ces proclamations auraient visé, dans le contexte du massacre, à
rapprocherlesplusinspirésbibliquementdecequ’ilsimaginaientêtredesexigences
dictéesparDieu?Etcetterhétoriqueexaltéedeschiffresnedoit-ellepasinviteràla
méfiancedanslamesureoùilsuffiraitalorsdeseptouhuittueurspourarriverau
nombre de victimes des estimations minimalistes (2 000-3 000 morts) ? Surtout,
ellefaitpenserausentimentd’autosatisfactionqueErichvondemBach-Zelewski,
commandantenchefdanslazonedeVarsovie,relatedanssonjournal:«Sitoutse
passebien, j’aurai encore sauvéla vie à des milliersde femmes et d’enfants [dela
racearyenne].JesaismaintenantpourquoileSeigneurm’agardéenréserve.Ence
temps effroyable de sang et de larmes, je dois tenir haut l’attitude humaine. Cela
m’emplitd’unprofondbonheurqu’ilmesoitpermisdefaireautantdebien16.»Un
criminelgénocidairen’est-ilpasbiensouventunhommequis’exaltedesescrimes
dansdeslettresadresséesàsafamille?Ainsiquandl’unécrit:«Jepeuxmaintenant
comprendrel’expression“ivressedesang”[…]:lesnourrissonsvolaientengrands
arcsdecercleetnousleséclationsenvol17 .»Laviolenceestgaieettriomphalisteet
elle secrète une jouissance à la fois chez les tueurs et les spectateurs durant le
génocidearménien18.Untémoinoculaireallemandconstataquelessoldatsriaient
et « prenaient plaisir à entendre » les cris des adultes et des enfants arméniens
brûlésvifsdansleursmaisons.Ungendarmerapportaàdesrésidentsétrangersles
atrocités qui étaient infligées aux Arméniens durant les marches de la mort. À la
questiondesavoirpourquoiilsn’étaientpasmisàmortimmédiatementdansleurs
villages,laréponsefut:«C’estmieuxainsi.Ilfautlesfairesouffrir.»Leparoxysme
assassinpeutaussiêtreunparoxysmedeparole.
Eneffet, etil faut le diresans détour, dansles lendemainsdu massacre reconnu
comme conduit par la providence divine, les plus zélés des zélés cultivèrent une
forme exhibitionniste de « forfanterie », selon le mot habile de Marc Venard19 ,
s’affirmant ainsi comme des guerriers bibliques de Dieu, à leurs propres yeux et
pour un monde parisien fasciné par l’accomplissement théophanique qui se
déroulait alors. N’étaient-ils pas des bourreaux glorieux affichant leur exaltation
mythomaniaque d’eux-mêmes, des bourreaux qui riaient en tuant et qui
continuaientà rire en portant à laconnaissance publique des chiffresinventés de
victimes20 ?N’ont-ilspaspratiquéici«lalanguedesassassins»,pourreprendrela
formule de Saul Friedländer définissant d’autres violents, ceux et celles qui
appliquaientàlalettreledevoirquileuravaitétéenseignéouinculquédedétruire
lesJuifsetquilerevendiquaientpardesfanfaronnadesetdesvantardises,dansles
camps et hors des camps ? Dès 1875, un bon historien, professeur d’histoire
militaire à Saint-Cyr, n’avait-il pas dénoncé la prétention de Thomas Croizier à
avoirtué400personnesenunseuljourentermesd’«audacieusementerie21»?Le
tireur d’or, on l’a vu, « se vantoit publiquement des grandz meurtres qu’il faisoit
journellementdeshuguenotzetd’enavoirtuédesamainjusquesàquatrevingtz».
Onal’impressionquepluslemensongeestgros,plusaujourd’huiilpeutavoirde
pouvoirsurlesamateursd’histoire.Lesmeurtriersparisiensn’ont-ilspasvécu,en
proclamant leurs assassinats, eux aussi, et avant les atroces guerriers d’une future
« grande paix raciale » devant durer mille ans, une exultation d’être les acteurs
participantd’une« eschatologiepositive» dontils sevoulaient lesagentsles plus
méritoires22etquiexigeaitaussiqu’ilssoient,parl’invisibilisationdeleursvictimes,
devraisguerriersdeDieu?Ouplutôtcequenousnommeronshistoriquementdes
« assassins de la mémoire », en reprenant le titre d’un livre de Pierre Vidal-
Naquet23 ? Et n’a-t-il pas été tendu, par un Pierre de L’Estoile, gourmand de
collectionner des figures incarnant un paroxysme de péché humain et amateur
d’anecdotes«dontl’authenticitéesttrèscontestable»24,unpiègeàl’histoireenlui
proposant de glisser dans une variante de l’« empire du mensonge », pour
reprendre le titre de la revue Le Genre humain consacré au génocide des Tutsi du
Rwanda25?
Unetuerieprophétique
Ilmeparaîtnécessaired’associercetinvariantqu’estl’«illusionsolitariste»àune
emprise du divin et à une volonté d’en appeler au divin pour que ce qui a
commencé perdure jusqu’à la fin absolue de l’hérésie ? Ne faut-il pas mettre en
avantunemontéeenpuissanced’unetensiondequasi-saisiesacralepermettantaux
Parisiens de se savoir inscrits dans les attentes de Dieu ? L’« illusion solitariste »
n’est-ellepasalorsuneillusiondeDieudéposantenfinsagrâceensoioudonnant
sachanceàchacundelarecevoir? Etn’est-cepasdanscecontextequesetrouve
enclenchée la compétition mythomaniaque entre tueurs ? Certaines chansons
évoquent le massacre en termes de « déluge des huguenots »… N’est-ce pas un
délugemortelqu’appelleàchanterJacquesCoppierdeVelay?L’allégressedutueur
est pour lui un moyen de ravaler son adversaire, de lui prouver que la force qui
l’assassineestsupérieureàl’agir humainetnepeut êtrequevouluepar Dieutant
elle a été puissante ? Et peut-être aussi de proclamer au monde cette prétention
d’investissement,ensoi,quiestimaginéesacrale?
De la même façon, le 7 octobre 2024, les tueurs venus de Gaza, en exécutant
atrocement leurs victimes aux cris de « Allahou Akbar, Allahou Akbar »
« Massacrez les Juifs, Massacrez les Juifs », étaient comme portés à tuer par la
nomination même de l’opération à laquelle ils participaient, Amaliyyat Ṭūfān al-
Aqṣā – « Opération Déluge d’al-Aqsa ». Leurs actes illustrent une submersion
extrême,undélugedel’extrémitéquisignifiaituneviolencevoulueetcommandée
parDieu.Iln’yaetn’yauraplusdesécuritépourceuxetcellesquihabitentlaterre
d’Israël,direntlestueursdansunmessageeuphorique,etl’archedesurviedesJuifs
deviendradésormaisunsarcophage,uncercueil.Toutsepassacommesilestueurs
avaientparlédeleursviolencessurunmodeironique,voiresatiriqueouparodique,
puisqu’au milieu du déluge qui avait commencé l’arche juive serait sans devenir,
sanscapacitédesurvivrepardenouvellesnaissances,lesfemmesassassinéesetles
fœtus et enfants tués. Et, ils présentèrent les atrocités commises – les femmes
violéesetassassinéesetlesfœtusetenfantstués,lelancementd’unepluiede5000
roquettes depuis la bande de Gaza – comme une préfiguration parodique de
l’engloutissement à venir d’Israël et des Juifs quand, de la mer au Jourdain, ils
aurontétéchassés26 .L’horreurest,danslesespritsdeceuxquilacommettentetla
mettentenspectacle,commeunappelàDieu,pourqu’illafassetotale.
Outrelefaitquelesmassacres,historiquement,voientlestueurs,portésparleur
rêvedepuretéetdoncd’extirpationvétérotestamentairedetoutealtéritéreligieuse,
cibler les enfants parce qu’ils symbolisent une perpétuation d’une « génération
corrompueet perverse», née deSatan, quidoit être annihilée,pour lesactivistes
catholiquesde1572,iln’yaplusd’innocenceenfantinequandilstuentceuxqu’ils
perçoivent comme des ennemis de Dieu parce que nés d’un sang corrompu. La
violence qui éventre les femmes enceintes est peut-être une réminiscence de
l’annonce par Éphraïm de la colère de Dieu contre Samarie27 ou contre la race
impuredesBabyloniens 28ouseulementunegestuelledecoïncidencesymbolique:
le 18 mai 1562, à Gaillac, « et mesmes aux fames qui estoient enseintes ils
murtrirentlespetitsenfans»,tandisqu’àManosqueles«meschans»,aprèsavoir
assassiné la femme d’un couturier, piétinent son ventre « pour luy faire sortir
l’enfantdesoncorps».Une femmeestencorefendueviveprès deMontaubanla
mêmeannée;sonbébéestaussitôtmassacré.
La femme hérétique est censée s’être vautrée dans l’immondicité de ses désirs
charnelsquil’ontmenéeàuneconnaissancespirituelledeSatan,et,bibliquement,
lefruitqueportel’impiedanssesentraillesetquiestlefruitdesaperversiténepeut
être qu’ordure et donc engeance diabolique29 : et les enfants à naître d’une
malheureuse,quiestfenduevive,sontainsiextirpésdesonventre,«vifs,trainez,
etaprèsdonnezàmangerauxpourceaux».L’analogiedeNahum3,10(lesbébésde
Ninive«écrasésàtouslescarrefours»),oudelaSagessedeSalomon12,1(«car
c’étaituneracemauditedèsl’origine»)etdelaviolencecatholiqueétaitfrappante
lorsque, selon l’Histoire ecclésiastique des églises réformées au royaume de France…, à
Meaux,en1563,unenfantavaitétéarrachédesbrasdesamèreet«froissécontre
lamurailleenprononçantcesmots:parlamortDieu,ilnousfautperdrelaracede
ces huguenots30 ». Ces gestes et ces paroles qui se répètent reviennent lors du
massacrede1572etexprimentuninfini désird’annihilationdeceuxetcellesque
l’imaginaireaccused’avoirpaillardéenselivrantàl’étreintelubriquedeSatanetde
vouloirinstaurerunroyaumedeténèbresenFrance.
Sil’onveutcomprendrelesressortsdecettepulsiond’agressioncontrelescorps
despetitsenfants,ilfautlarattacheràuneculturespécifiqueproduisantunevision
intensémentdramatiquedeceluiquivitdansladifférencereligieuseetquipeutêtre
rapprochéedes«vieuxdémons»duracismeévoquéparClaudeLévi-Strauss31.Le
huguenotn’estqu’uncorpssansâme,uneillusiond’humanité;ilfautdoncletraiter
sanspitiéetsurtoutl’empêcherdesereproduireetdefairerevivrelerisqued’une
contamination satanique du corps mystique du Christ qu’est le peuple chrétien.
SimonVigorproclamequelediableacettepuissanceangoissantedesereproduire
et de se multiplier et qu’il faut en finir avec cette invasion subversive en tuant,
écrasant, noyant, mutilant, égorgeant. Le cumul des vices dans les figures
hérétiques vient alors assurer de l’urgence eschatologique de mettre fin à une
«race»impure.ArtusDésiré,danscetteoptique,énumère«lescausesetraisons
pourquoylesheretiquesontlaissélacitédeDieu»etontprislesarmescontreelle:
en premier lieu cela a été pour « vivre à leur mondain plaisir/ Selon la chair de
fornication»,leur«ordepaillardiselesportantàêtreneplusnemoinsquepouvres
genssauvages».Lavoluptéestlapremièretentationquiadétournéles«nouveaux
chrétiens»delacitéterrestredeDieuetadonnélavolontédemettre«àbas»:
Etmesmement,monsieursainctPolescript
Qu’auderniertemps,oumaintenantnoussommes
S’esleverontplusieursmalheureuxhommes,
Fortdangereux,etmateursd’euxmesmes
Pleinsdescandaleetinfamesblasphemes,
Haultains,ireux,ingratz,malicieux,
Superbesgens,fortavaricieux
Sansreverenceetsansbenignité
Gransamateursdetoutevolupté.
Au total,d’après les comptes de Luc Geizkofler, autour de 500 femmes auraient
été assassinées32 , et selon Johann Wilhelm von Botzheim, la plupart par
défénestration33 et « in aquam dejectae ». Un chiffre considérable mais peut-être
révélateur. La grossesse est loin, bien au contraire, d’émouvoir les tueurs, elle les
porteversunenécessitédemiseàmortetellelesstimuledetouteévidence:ainsi
l’épouse du plumassier de roi, qui habitait sur le pont Notre-Dame et qui était la
filledusieurdePopincourt,est-elleconfrontéesurlesquatreheuresdumatindu
dimanche24aoûtàdeshommesayantforcélaportedesamaison.Ellelesimplore
de tenir compte de sa grossesse et d’épargner l’enfant qui devait bientôt naître ;
mais les tueurs suivent un mot d’ordre auquel ils se doivent d’obéir et qu’ils
profèrent pour justifier leur refus de lui laisser la vie sauve : il faut « tout
exterminer », et elle est poignardée, puis jetée par une fenêtre dans la Seine.
«C’estoitunedesbellesethonnestesdamesdeParis».Sachevelureluirecouvrait
toutlecorpsetduranttroisjoursellel’accrochaauxpiliersdupont34 .Sontcitésles
casdefamillesdontles parentssonttuéssimultanémentavec leursenfants:ainsi
celle du marchand Nicolas le Mercier. Mais l’attention est aussi portée sur les
femmesenceintestuéesetprécipitéesdansl’eau:l’époused’AntoineSaunier,celle
du jeune (Michel ?) Tamponnet, celle d’un brodeur, celle de l’orfèvre Nicolas du
Puy;etrueSaint-Martin,unefemmeeninstanced’accoucher,alertéeparlesbruits
etayanttentédeprendrelafuiteparletoitdesamaison,esttuée,sonventreétant
ouvert,etsonenfantétant«jetéetbrisé»contrelesmurailles,bibliquement.Une
femmeenceinteencore,avecsafille,ruedelaHuchette,àl’enseignedel’Estoile.
QuandilécritauLandgravedeHessele6octobre1572,FrançoisHotman,insiste
surunnombre,soussaplumevisiblementexponentiel,demorts,50000personnes
quiauraient été assassinésen huit jours et quiconcrétiseraient selon lui leseffets
néfastes du concile de Trente ainsi qu’une France désormais peuplée de
« monstres ». Mais parmi les horreurs qui se sont déroulées et qu’il souhaite
dénoncerparcequ’ilyalààsesyeuxunrappeldumassacredesInnocents,ilyales
berceaux avec les petits enfants qui, à Paris, ont été lancés depuis les fenêtres et
aussides«choseshonteuses[…]projetéesdanslabouchedesfemmes35 ».Onest
icidansledoublesensdu Delugedeshuguenotzavecleurtumbeau, etlesnomsdeschefs
et principaux, punis à Paris le XXIIII. e jour d’Aoust, et autres jours ensuyvans, 157236.
Une dérision de ceux qui se croyaient, au milieu d’un monde humain qu’ils
pensaient vivre dans l’oubli de Dieu, des fidèles de l’Évangile ayant résisté à
l’infidélitéetconstituantunearched’espérancebénieetprotégéeparDieu:
Etcontretousjedypourepilogue:
Fyd’heretiques,fydesmastins,
Fyd’habandonnezliberteins,
FydeCalvin,fydetousschismes,
Fydesesnouveauxcathéchismes,
Fydescouvertztemporiseurs,
Fydegrandzflatteursabuseurs,
Fydesrebelles,fydetoustrahistres,
Fydecesfaulsesfacestristres
Quivouloyentmettreendésarroy
CegrandCHARLES,nostrebonRoy
Mauspourlesbons,toutaucontraire,
Nousexalteronsleurmémoire,
Etdironstousd’unbonneunyon:
Vivelacatholicquereligion,
ViveleRoyetlesbonsparroyssiens,
VivefidellesParisiens,
Etjusquesàtantn’ayonscesse
Quechascunailleàlamesse.
UNDIEU,UNEFOY,UNROY.
Lesscènessemblentserépéter;aveclemarietlafemmetuésdansleurmaison,et
leurstoutpetitsenfantsmisdansunehotteportéedémonstrativementàtraversla
ville,puisvidéedesonchargementdepuisunpontdanslaSeine.C’estencoreune
petitefilledumaîtreduMarteaud’orquiestbaignéetoutenuedanslesangdeson
pèreetdesamère,dansunesortedeparodiedebaptême,«avechorriblesmenaces,
que si elle estoit jamais huguenotte, on luy en feroit autant ». Ce peut être des
garçons (pueri)âgésdeneufoudixansquitraînentludiquement«unpetitenfant
aumaillotenletirantavecuneceinturenouéeàsoncou37 ».Doiventêtreencore
citéslesecrétairedefeu leprinceLouisde Condé,MartialParenteau,mis àmort
avec sa femme Marie de Moucheron qui était enceinte, un marchand de soie, sa
femmeettroisdeleursenfants,toustuésàlaCorne-de-Cerf,laveuveMarquette,
chaperonnièredelarueSaint-Martin,etdeuxdesesenfantsmisàmortàlaCroix-
de-fer,unefemmeenceinteetsafilleassassinéesruedelaHuchette,uncordonnier
deSaint-Marceautuéavecsafemmeetleurstroisenfants,l’hôtedelaMarguerite,
avecsesdeuxenfants38.
Lecombatcontrel’hérétiquequechaquecatholiquedevaitmenerdans l’urgence
était un véritable combat contre le diable, car l’hérétique mimait le diable dont il
étaitleserviteur,undiablecalomniateurensesparolesetsurtouthomicideparses
mensongesquifaisaientsanscesseglisserd’autresâmesverslamortspirituelleque
signifiel’adorationidolâtred’unfauxdieu.Toutétaitabominationenlui,etletuer
n’était pas un crime. Il était aussi un destructeur comme le proclamait le prêtre
Gentian Hervet : « Ne sçait on pas bien ce qu’ilz ont faict, et font encor en ces
prochainsvillages,etpresqu’à nozportes.Ontils paspilléleseglises,meporté et
prophanélescilices,abbatuetdemolilesimagesetlesautelz:voire,etquiestbien
pis,ontilspasbrusléleseglisesmesmessipresdeRheims,quequiyeustunpeu
prinsgarde,ileneustbienpossiblepeuvoirlafumée?»Ilestunpersécuteur,quia
commerecrucifiéleChristunesecondefois:
Maisqu’est-cequel’autel,sinonlesiègeducorpsetdusangdeJésus-Christ?Vostrefureurlesatousou
razés,outransportés.Quesi,parjugementpleind’envie,nousvoussemblionspolluzetindignes,qu’est-ce
queDieuvousavoitfaitqu’onaaccoustuméd’invoquersurlesautelz?EnquoivousavoitoffenséJésus-
Christ, dequel (par certain intervalle) le corps et sang habitait là ? Pendant que malheureusement vous
perséquuteznozmainslàoùhabitoitJésus-Christ,voussouillezlesvostres.Parcemoyenvousensuivezles
Juifs:carcommeilsontmislesmainsenJésus-Christsurlacroix,vouslesmettezenluysurl’autel.
Le«collectifassassin»,pourreprendreuneformulejudicieusedeJérémieFoa,ne
fut-il pas le 24 août 1572 en action, mais dilué ou dispersé dans de multiples
interventions massacrantes quadrillant l’espace parisien et qui impliquèrent le
«peuplefurieuxetempressé39»deceuxqui,commelerapporteencoreTomasso
Sassetti, s’approprièrent « la licence des armes » au moment où il suffisait que
«quelqu’uncrie“regardez,voilàunhuguenot!”pourqu’unpauvremalheureuxsoit
massacré » ? Un déluge de corps. Il est, reconnaissons-le à nouveau, absolument
nécessaire de réviser à la hausse la quantification des victimes, d’autant qu’il y a
nombredetuésquiontétéimmédiatementinvisibiliséssanssubirlanoyadedansla
Seine.« Dans lefaubourg Saint-Germain, quelquespersonnes ontété tuées, mais
beaucoupontétéfaitesprisonnièresetincarcéréesdanslaprisonpublique.C’estlà
qu’ils ont été tués après avoir été examinés et tourmentés, et le tout de la main
desditsbouchersdupeuple,parcequeleministredelajusticearefusédelefaire,
ayantétéappelé,disantqu’ilnevoulaitpasexécutersansavoirétéconvaincuetjugé
desindividusdignesdecemartyre40 ».Ilyeutsansdouteunautredélugedecorps,
danslescampagnesautourdeParis,lescorpsdeceuxetcellesquiavaientréussià
fuir la capitale mais furent interceptés. La mort a été pour beaucoup sans doute
silencieuseetsolitairequandelleestsurvenue.
L’identité des hérétiques est perçue comme une atteinte à la dimension sacrale
d’unespacequiacommeétéprofané.Laviolencequesubissentlescorpshuguenots
visedoncàremettrelecorpsurbaindanslesdesseinseschatologiquesdeDieu,mais
aussi à restituer sa pureté à l’espace. Les gestes visant à infernaliser le corps de
l’hérétique, en inscrivant sur lui des marques qui rappellent les peines que les
diables font et feront souffrir en enfer, pour l’éternité, aux réprouvés, sont une
autreexpressiondelaviolenceentenduecommeaccomplissementprophétique.On
nepeutqu’êtrefrappéparlafréquencedesmutilationspratiquéessurlesvisagesdes
massacrés:énucléation,sectionnementdunezetdeslèvres,essorillement:lamort
de l’hérétique semble comme théâtralement anticiper sur l’enfer, faisant glisser le
tempsterrestreversletempseschatologique;elleparticipeduJugementdeDieuau
termeduquelleChristàlalanguedefeuprécipiteraverslesbéancesinfernalesles
damnés.Onnoteralacoïncidenceavecladescriptiond’unepeineinfernaledonnée
encomplémentd’undesgrandstextesdelafinduXVe siècle,leGrandKalendrierdes
bergiers:lavisiondeserpentsetcrapaudsrongeantlesmains,nez,oreillesetyeux
desdamnés.Lanéantisationdescorpscontribueàcettemiseenscèneinfernalequi
s’applique à ceux qui ont sciemment voulu ignorer que la doctrine de l’Église
romaine était l’unique vraie doctrine. Selon Simon Vigor, Dieu n’a jamais voulu
qu’il«fustmémoiredesmeschans».«Trouvezvousaujourd’huylescorps,os,et
sepulchres d’un Arrius, d’un Donatus, d’un Nestorius, d’un Manicheus. Où sont
ajourd’huy les monumens, où estoient les plus anciens Heretiques ? comme d’un
Marcion,d’un Valentinus ? vous n’en sçauriez monstrer pance de a41. » Le néant
caractériseledevenirdel’hérétiquequiestétrangeràlabontédeDieu,sansoset
doncetsanscorpspourl’éternité.Iln’yaquedelamortenlui.
Lestueurssontdoncdeshommesquinecachentpasleurscrimes,quilesaffichent
autantgestuellementqueverbalementetquipeut-êtrecherchent,pourmieuxs’en
glorifier, à les surdimensionner, à l’image du comte de Annibal de Coconas. Car
Pierredel’EstoiletranscrivitunproposattribuéàCharlesIXausujetd’unhomme
qu’iltenaitàlafoiscommeun«vaillanthommeetbravecapitaine,maisméchant,
voireundesplusméchants»:«Ilmesouvientluiavoirouïdireentr’autreschoses,
sevantantdelaSaint-Barthélemy,qu’ilavaitrachetédesmainsdupeuplejusquesà
trentehuguenotspourlemoins,pouravoirlecontentementdelesfairemourirà
sonplaisir,quiétaitdeleurfairerenierleurreligion,soussafoietpromessedeleur
sauverlavie:cequ’ayantfait,illespoignardaitetfaisaitlanguiretmouriràpetits
coupstrèscruellement42.»Laviolenceensérieestaussilefaitdemythomaniaques
del’obéissanceàunroiquiseraitunnouveauDavidetd’hommesrevendiquantune
joied’avoircapturélespetitsenfantsdeBabyloneetdelesavoirfroissés«contreles
pierres 43 ».Direlegrandnombredeceuxquel’onatués,c’estproclamerquel’on
est un bien-aimé de Dieu et chanter la gloire de l’Éternel en tenant « des épées
affiléesàdeuxtranchantsdans[la]main44 ».Ils’agitpeut-êtreaussi,parcetteauto‐
glorification en paroles, de se faire entendre de Dieu afin qu’il laisse un peuple
ayant retrouvé la foi aller jusqu’au bout de l’œuvre qui a commencé. Paris tue et
regardetuertandisquecertainscherchentàtirergloiredecettepassionmortifère
qu’ilsrêventqu’ellelesrapprochedeDieu.NombredeParisienssontdehorspour
prendre part, activement ou passivement, à la grande fête théophanique tout en
cherchantàsecoulerdansl’universdeforfanteriesassassinesquipeutdéjàêtresous
leursyeux.Ilssefondentdansletempsd’unriredeDieuqui«seritduméchant»
quandil«voitquesontempsarrive45 ».Et,habitésparleriredeDieuquilesfait
accumulerlessévicesetmutilationssurlescorpsdeleursvictimes,ilsrientcomme
DieudontilsprophétisentainsilavictoiresurSatan.
Onnepeutdoncpasenresteràlaseuleévidenced’unmassacredevoisinsetde
proches, du moins seulement de voisins et de proches, dans le cours duquel les
passionslesplusdiversesauraientétéàl’œuvre,àcommencercellesquivisentles
biens matériels, l’argent, les charges ou les héritages, celles qui relèvent de
contentieux non réglés, etc.46. Mais aussi, et existentiellement, est perceptible la
métamorphosedel’individu,abandonnantsonactivitédetouslesjoursetbasculant
dans la haine la plus intense. Cette transformation de soi, si on la rattache à
l’hypothèse du surgissement d’une temporalité épiphanique, expliquerait le désir
meurtrierdu«peuple»deParis.
L’artisanparcemonstrealaissésabouticque,
Saneflemarinier,safoirelemarchand,
Etparluileprud’hommeestdevenuméchant47 .
Decetteviolencedelaquellenul,enfant,vieillard,homme,femme,n’estépargné,
il semble découler que ne sont exemptés que ceux qui portent sur le front ou au
braslesignedeTau.LaréférenceesticiÉzéchiel9,4,quandleSeigneurcommande
quedansJérusalemsoientmarquésduThaulesfrontsde ceux«quigémissentet
qui soupirent à cause de toutes les abominations qui se commettent au dedans
d’elle».SimonVigordéploielamêmeréférencedansunsermonpourleVendredi
Saint : « Semblablement en Ézéchiel il est dit que Dieu demanda à l’Ange, va
marquerlesbonsquisontdesplaisansdesabominationsquisefontaumilieud’eux,
dusignedeT,enleursfrons,àcellefinqu’ilssoyentsauvez:cequisignifioitaussi
lafiguredelaCroix48 .»LeTauestla«lettrefinale»chezlesHébreux,quisignifie
donc fin, c’est-à-dire consommation finale de l’hérésie, victoire définitive de la
Croix dans la violence qui vient d’avoir lieu. Il convient de rappeler ici que la
lettre T, placée à droite de la couronne royale, évoquait la croix de Jésus-Christ
dontleroiétaitdoncditêtreledéfenseursurterreparcequ’ilvenaitd’endéfendre
lamémoirecontresesennemis 49.Aveclaréférencecapitale:«Etl’Éternelluidit:
Traverselaville,Jérusalem,etfaisunemarque[tau]surlefrontdeshommesqui
gémissentetquisoupirent»(Ézéchiel9,4).LeTausignifiel’accomplissementdela
Parole de Dieu, la lettre qui dit qui est un vrai serviteur de Dieu en ce qu’il a
entreprisd’obéiraucommandementdemettreàmorttousceuxettoutescellesqui
accomplissent des actes abominables, « les vieillards, les jeunes gens, les jeunes
filles,lesenfants,lesfemmes».
PourlesParisiensquisontcertainsd’êtresurlecœurd’uneautreTerrepromise
au centre de laquelle il y a une nouvelle Jérusalem, s’impose le devoir de faire en
sorte que Jérusalem inflige une punition inhumaine parce que les impies doivent
mourir 50. C’est bien une forme de subconscient, voire d’inconscient
vétérotestamentairequiest à l’œuvre,inspirée parexemple d’Ézéchiel9, 5-10 qui
appelleàmassacrerenoccultantensoitoutelapartquirelèvedel’humain.Àmoins
que ce ne soit le basculement dans la violence annihilationniste qui produise un
effetdestructure 51.LeserviteurdelagloiredeDieudoitsedéshumaniser:«Et,à
mesoreilles,ilditauxautres:Passezaprèsluidanslaville,etfrappez;quevotre
œilsoitsanspitié,etn’ayezpointdemiséricorde!Tuez,détruisezlesvieillards,les
jeunes hommes, les vierges, les enfants et les femmes ; mais n’approchez pas de
quiconque aura sur lui la marque ; et commencez par mon sanctuaire ! Ils
commencèrentparlesanciensquiétaientdevantlamaison.Illeurdit:Souillezla
maison, et remplissez de morts les parvis ! […] Sortez ! […] Ils sortirent, et ils
frappèrent dans la ville. » Le figurisme biblique entre Hébreux et Français avait
gagné en légitimité depuis les années 155052 . Simon Vigor n’avait pas cessé de
rappelerqueladestructiondesennemisdeDieuétaitlaconditionsinequanonpour
queceuxqui,aujourd’hui,étaient«lesvraisIsraélitesnonseulementselonlachair
mais selon l’esprit », demeurent les « héritiers du royaume céleste ». Le
3mars1572,ilavaitproclaméqu’«ilyaunRoypar-dessuslaloyquiestDieu:que
s’ilcommande à quelqu’un de tuerune personne comme il fita Abraham de tuer
sonfils,ilfautqu’illetue».
Les femmes enceintes et les nouveau-nés sont les objets de traitements à haut
degré de signifiance vétérotestamentaire, qui peut être de l’ordre du conscient
commedel’inconscient.SilelapidaireOlivierdeMontaultesttuédanssonlit,sa
femme qui avait ouvert la porte à ceux qui frappaient, et qui était enceinte,
demandelaviesauvepoursonenfantde18moiset«qu’aumoinsl’oneustpitiédu
fruictdesonventre».Maislestueursseconcentrentsurceventre,quiestfendu
d’un coup d’épée, « tellement que par l’espace de quelques heures on vid l’enfant
qu’elle portoit respirer, puis mourir53 ». Même rituel pour l’épouse d’un autre
marchand lapidaire, Philippe le Doux, qui est sur le point d’accoucher quand les
meurtriers, sans doute conduits par Claude Chenet54, tapent à sa porte. Elle leur
ouvre et ils commencent par tuer son mari dans son lit avant de se mettre en
recherches d’espèces sonnantes et trébuchantes. La sage-femme sollicite que la
femmenesoitpastuéetoutdesuiteetqu’onlalaisseaccoucher«l’enfantquiestoit
le vingtuniesme que Dieu luy avoit donné ». Cette suggestion n’émeut pas les
tueurs,quiselivrentalorsàunritueldontlaportéesymboliqueestl’extermination
d’une«race»hérétiquequi nedoitpassereproduire parcequ’elleoffenseDieu:
«Aprèsavoir contestéquelquepeu detemps là-dessus,ilsprindrent cestepauvre
creature mi-morte de frayeur, et luy fourrerent un poignard jusques aux gardes
dans le fondement. Elle se sentant blessée à mort et desireuse neantmoins de
produiresonfruict,s’enfuitenungrenieroùilslapoursuivirent,etluydonnèrent
un autre coup de poignard dans le ventre. » Et, ensuite, ils jettent le corps ainsi
saccagéparlafenêtredanslarueoùl’onpeutvoirlefœtuscherchantàsortirsatête
du corps éventré, « et baailloit 55 ». Cette scène suit 1 Samuel 15. 3-3, quand le
SeigneurcommandeàSaületauxsiensdefaireàAmaleketauxAmalécitescequ’ils
ont fait à Israël : « Tu ne l’épargneras pas et tu feras mourir hommes, enfants et
bébés,bœufs.»SegreffesurcedevoirlaconstatationproclaméeparSimonVigor
que l’hérétique ressemble au loup et au chien enragé ayant goûté au sang de la
brebisetnepouvantplusdésormaisquecontinueràs’alimentervoracementdece
sang. Il faut l’exterminer et accepter soi-même de perdre la vie en donnant son
soutienàl’Église,parcequec’estle«plusgrandhonneurquipourroitadveniràun
homme».
Onvoitlàcequis’estdérouléauRwandadanslecontexted’uneautrealtérisation,
avecdesfemmeséventréesetlesfœtusarrachésdeleursentrailles,desnouveau-nés
lancés contre des murs ou démembrés56, des corps précipités vivants dans des
fosses communes et ensuite recouverts de terre, des animalisations dans
l’identificationparlestueursdeleuractionàune«chasse»oudanslapratiqued’un
dépeçage des victimes à la machette, des enfants atrocement mis à mort devant
leursparents,avec,enarrière-scène,l’obsessionselonlaquellelesTutsiseraientdes
représentantssurterredudiablequisereproduitpareuxenuneraceperverseet
souillée. À travers les corps assassinés des femmes et de leurs enfants, c’est un
exorcismeauquelilestprocédépourqueDieusoitréconciliéavecsonpeuplequi
estlepeuplehutu,aveccommeciblelamatriceféminine:«Silesexterminations
n’oublientjamaisdans leur programme,à côtéde l’exécutiondes hommes,le viol
desfemmesvoirel’éventrementdesfemmesenceintesoulamutilationdesparties
génitales des deux sexes, c’est qu’au-delà de la destruction visible des vies, elles
ambitionnent surtout celle, invisible et secrète du lieu de fécondation, de l’espace
intérieuroùgermentlavieetlapensée.L’anéantissementdel’aireculturelle,induit
par l’assassinat et la disparition des hommes, projette en fait, au dehors, cette
dévastation de l’intériorité de la mère, dévastation de la femme en elle57 . » Et il
s’agissait, à travers la déshumanisation des femmes, de dire et redire que tous les
Tutsiétaientdesimpurs,appartenantàune«mauvaiserace».Levioldesfemmes
participait du processus de destruction ethnique, « dans sa globalité58 ». Tout
commelamiseàmortdesnouveau-nés.
Citons ici une analyse décryptant le langage symbolique auquel recoururent les
assassins:«Lorsquelegénocideauneviséeprincipalementterritorialecommece
futlecasenex-YougoslavieouauRwandaen1994,commec’estencorelecasau
Congo,l’exhibitionduvioldemasseetlemassacredesfemmesetdesenfants,qui
constitue une partie substantielle de l’anéantissement de l’ennemi, revêtent
également une dimension symbolique : d’une part, l’appareil reproducteur, la
matrice du peuple est atteinte à travers les femmes, d’autre part, la descendance,
l’avenirdupeupleestdéniéàtraverslesenfants59.»Lamortdesnouveau-nésétait
miseenscèneafindeprouverleurappartenanceàuneracedevantêtreexterminée.
Leviolestunearmedesouillureetdenégationdesfemmesdestinéesàproduireun
basculement dans le silence, dans l’impossibilité de dire ce qui s’est passé : « La
cruauté et l’humiliation n’ont pas seulement marqué les tueries, elles ont
accompagné les victimes jusqu’au bout. Toujours dans l’intention de salir les
victimesetleurmémoire60.»Lessurvivants,incapablesdesavoiroùsontlescorps,
sontsoumisàunehantisejusqu’àlafindeleursviesdenepasavoirprocédéàleur
inhumation.
Etquiditviolenceextrême61ditpresquetoujoursviolencesacrale,ainsiaccomplie
dans les lieux consacrés dans lesquelles les Tutsi se sont rassemblés62. Certes le
génocide n’a pas eu lieu pour des raisons immédiatement religieuses, mais le
discours raciste hutu faisait de la haine contre les Tutsi un devoir de foi, dans la
perspectived’unedémonologieniantqueleurDieuexisteouaffirmantqu’ilestle
diable. Ou encore les assimilant eux-mêmes au diable. Ainsi « Mika a pris une
machette et il l’a… il a dépecé cette femme du sein jusqu’à son sexe pour voir
commentl’enfantquiestdansleseindesamèresecomporte.Etilaenlevélebébé.
Le bébé a crié un petit instant et jusqu’à ce qu’il […] est mort. Par la suite, les
assaillants […] ont découpé les bras de sa mère et ils ont taillé un pieu qu’ils ont
enfoncé dans son sexe… qu’ils ont enfoncé dans son bras. » La violence
exorcistique63devientunefêtequifaitquel’onboitetmangepourtueretentuant.
Et l’on put aller jusqu’à manger les cœurs rôtis des victimes ou, après ce qui
ressemble à une battue, jusqu’à livrer les cadavres aux dents des chiens ou des
charognards,afindemettreenreprésentationlabêtequiesteneuxetquinemérite
qu’unemanducationanimale.Lorsqueleséglisessontincendiéesavectousceuxet
toutes celles qui s’y sont réfugiés, il n’y a pas, encore une fois, de partage entre
acteursetspectateurs:tous,parmillierssouvent,communientdansladésécration
desdémonstutsietdanslacertitudequelamortdela«vermine»estpoursoiune
garantiedemaintiendansl’amourdivin.
Même signification « raciste » dont il faut reparler, avec les agressions des
militantsduHamasdu7octobre2023:femmestuéesn’ayantplusdevisagesafin,
précisément,denierleurféminité,mèreenceinteéventréeetsonbébépoignardé,
enfants décapités ou assassinés par balles les mains attachées dans le dos, jeunes
filles violées et mutilées. Les viols et les meurtres avaient aussi comme fonction
d’annoncer l’histoire à venir : les femmes étaient visées comme génitrices d’un
peupled’Israël,incarnantetsymbolisantdoncsonexistencequidevaitcesserd’être
quandilseraitchassé«dufleuvejusqu’àlamer».L’atrocitéénonçaitcequidevait
inéluctablement arriver, dans une sorte de préliminaire magique qui fera que la
destructiondes Juifsne pourraqu’advenir. Elle estprophétique etelle recoupece
queJacquesSémelinditdela«spiraledeladestructivitédescorps»secontinuant
aprèslamort:«Bienquedépourvusdevie,lescorpspeuventencoreressemblerà
ceux des vivants. Aussi s’agit-il encore de les scalper, de les ratatiner, de les
écrabouiller,pour qu’ils ne ressemblentplus à rien. À moinsqu’on ne les dispose
dans des positions grotesques, toutes plus abjectes les unes que les autres, qu’on
découpelescadavresenmorceaux,pourenfairedesdéchetssinondesordures64.»
Leslatrines, tantpubliquesque privées, sontles lieuxprivilégiés oùles victimes
tutsies ont été jetées, comme la voierie le fut en 1572. Beaucoup d’autres ont été
précipitées dans les rivières et les lacs, mortes ou vivantes, pour que leurs corps
soientemportésàjamais.Lescorpsquiontéchappéàdetelsgouffresontétéjetés
dans des fosses communes ou précipités, de façon dispersée, dans d’autres
endroits65Unedésymbolisationabsoluepuisquel’enterrementetdonclesritesde
deuilétaientdésormaisimpossibles66.Etunregistredelégitimationancrédansles
imaginaires, du fait, par exemple, de la circulation de textes comme Les Dix
commandements des Hutus, de 1990, qui n’avaient cessé d’insister sur le devoir de
rompretoutlienaveclesfemmestutsi.Ellesportaientenelleuneindignitémorale
etdes attributsdémoniaques,tels lalascivité,le mensonge,la traîtriseet lafausse
beauté. Le rôle d’une pseudo-théorie hamitique est alors décisif. Les tueurs
assistaient,pourleurpart,parfoisàdesmessesavantdecommettrelesassassinats.
En1572,c’estaussicequientreencomptedanslesviolencesquiprojettentune
tension magique, avec le haut sens que prennent les puéricides. Tuer les enfants,
c’est signifier, comme le criaient les Hutus à leurs victimes, que le Dieu des
huguenots est mort 67. « Tuez-les tous » est synonyme de mise à mort du Dieu
ennemietdevictoireduvraiDieuquireconnaîtralessiens68.Revenonsdanscette
perspectiveaugénocidetutsietauxtémoignagesrecueillisparHélèneDumas.Les
petitsenfantssemblentalorsaucœurdudispositifsymboliquedestueursquidisent
en les massacrant qu’il en est fini de leur Dieu parce que celui-ci ne peut pas les
protéger parce que, en même temps qu’ils meurent comme des serpents, l’ordre
sacré du monde fait retour : « À cet instant, ils se sont jetés sur nous en disant :
«Nous netrouvons pasleurs nuquespour lescouper. Quecelui quipeut donner
descoupsàcespetitsenfantsserpents[utwotwanatwinzoka]lefasse!Queceluiqui
peutcoupercoupeleplusprochedelui!»Celas’estpasséainsi:ilsontcommencé
à lancer dans les airs les nourrissons [utwanatw’impinja] qui se trouvaient parmi
nous;ilsleslançaientenl’airetilsretombaientsurlamachette.Ilsétaientcoupés
endeux»69 .CommeleditunHutu,lesenfantstutsisontdes«espritsmalfaisants»
ou des « satans ». Et sans doute aurait joué la réminiscence, consciente ou
inconsciente,deÉzéchiel9,6:«Vieillards,jeunesgens,vierges,enfantsetfemmes,
tuez-les tousjusqu’à extermination; maisn’approchezpas de quiconqueporterala
marque, et commencez. » Tuer, c’est aussi faire une offrande à Dieu pour qu’il
reconnaisse les siens… Tuer, c’est entrer soi-même dans un mouvement de
libérationdesaculpabilité…
Là encore, il y a l’évidence d’un « acharnement » sur la matrice avec les cas
répétitifsdepiétinementdesventresquicontinuentaprèslamortdesfemmes,car
«euxdisaientquelesserpentspassaientleurtempsàfairesemblantdemouriralors
qu’ilsn’étaientpasmorts70 ».Noussommesen1994,maislesatrocitésdesguerres
deReligionsemblentparticiperd’unmêmelangagesymbolique.L’enfantestalors
une figure sursymbolique, parce qu’en instance de devenir un « antéchrist », le
diable71 quirisque,s’ilsurvitetgrandit,defairevengeancedeceuxquisontmorts.
De la même manière, les viols ont pour fin d’annihiler le sang de la femme, de
signifier qu’elle ne vit pour satisfaire ses appétits charnels et engendrer une
progéniture diabolique. Ils la détruisent ludiquement comme créature humaine72.
LetempsprésentmétamorphoselesennemisdeDieudansleshabitantsdeSamarie
destinée bibliquement à être punie pour s’être révoltée contre Dieu : « Ils
tomberontparl’épée.Leurspetitsenfantsserontécrasés.Etl’onfendraleventrede
leursfemmesenceintes73.»
Danscecrimecollectifsacralqu’estlaSaint-Barthélemy,touslestueursettousles
habitantsd’une cité en instance d’avoir retrouvé l’amour divin dans l’annihilation
des hérétiques sont consacrés par une bénédiction divine. La violence est, pour
citer Alphonse Dupront, « acte pur » de réconciliation deutéronomique De ces
violences,le justene pourraque seréjouir, carelles actualisentle Psaume58, 11,
parce qu’il « lavera ses mains au sang du mechant » et donc brandira le néant de
celuiqu’ilamisàmort.LescrimesparlentDieu.Dansunefamille,dansunmétier,
dansl’espaced’unerue,l’impuretéd’unoud’uneseul(e)nerejaillit-ellepassurtous
ettoutes?TuerleprofanateurdelagloiredeDieurevientàsemettresoi-mêmeà
distancedelacolèredeDieu,àmériterdelamiséricordedivineens’éprouvantsoi-
mêmedevantDieu.L’exterminationdeceuxetcellesquisouillentdeleurinfidélité
une vie communautaire vouée à honorer unanimement Dieu ne vise-t-elle pas à
obtenirlepardondivin,enactualisantenun«actepur»lepassageversunabsolu
desoi74?Versdoncles mirabiliadel’existencehumaineenmouvementversDieu?
Et la violence n’est-elle pas rencontre et présence tout à la fois,
«communication» ?N’est-elle pas«salutifère »,dans lamesure oùtuer estaller
au-delàdesoi-mêmeetestdoncunau-delàdel’illusion«solitariste»,ouplutôtson
pleinaccomplissement75?
JacquesCoppierdeVellay 76exprimadanssesversuneémotionsacralepartagée
devant la vengeance divine perpétrée contre les traîtres à Dieu et à leur roi
désormais«trempezenlaflammeinfernalle»:
L’ÉternelDieuveritable
Quidescouvretouslessecretz
Apermisdedroictequitable
Lesperfidesestremassacrez.
Carledimanchevingt-quatriesme
Dususdictmoyssurladiane
Furenttuezplusd’unecentiesme
Faulteursdelaloycalviniane.
Despuysonacontinué
Depunirlesplusvicieux
Deceuxquiavoientremué
Toutelaterre,voirelescieux.
Le « voir tuer » est aussi salvifique que le tuer même. Et c’est un rêve d’unité
retrouvée qui surgit de la mort même des ennemis de Dieu et du roi, incitant à
exalterlamémoiredes«bons»etàcrier:
…d’unebonneunyon
VivelaCatholicquereligion,
ViveleRoy,etsesbonsparroyssiens,
ViventfidellesParisiens,
Etiusquesàtantnayonscesse
QuechascunailleàlaMesse.
Undétailcapitalnedoitpasêtre,àcepropos,négligé:à11heuresdumatindu
dimanche24août,lenouveauprévôtdesmarchandsJeanleCharron,élule16août
et réputé proche de Catherine de Médicis77 , vint avec les échevins parisiens
présenterauroidesremontrances: ilsignalalespillagesetassassinatsquiétaient
commis autant par les gentilshommes, les archers et soldats de la garde, que par
«toutessortesdegensetpeuplesmêlésparmietsousleurombre78»;etc’estpour
cetteraisonqu’unmandementfutpubliéinterdisantaussitôtàlafoisdetueretde
procéder à des actes de prédation, sans résultat d’ailleurs79. Essentielle serait ici
cette prise de parole qui nous enseigne que le massacre est bien assimilable à un
pogrom, qu’il fut tel une fête transsociale unissant des gens de guerre, la
bourgeoisieetle«peuple»deParis–voireleclergé–dansl’invariantde«l’illusion
solitariste».Avec,commebiensouventdanslespogroms,l’initiativepremièrede
soldats80.
Ceuxetcellesquisontdanslesruesetquiregardent
Dès 1991, Barbara Diefendorf a très judicieusement mis en avant le cas de la
massedes«bystanders»ayantapprouvélemassacresanspourautantyprendrepart
directement81.Laseuleprésencesurleslieuxdescrimesdecespassantsetpassantes
seraitsigned’acquiescementvoiredesoulagementjubilatoire!Unpeucommeles
populations qui, voyant passer des convois d’Arméniens affamés et épuisés,
contemplaient avec indifférence ou impassibilité les atrocités qui se déroulaient
sous leurs yeux. Sans doute leur fallait-il obéir aux interdictions officielles de
donnerdel’aideauxdéportés,maisc’étaitaussilerésultatdelapropagandeenmots
ou en images diffusée par le pouvoir Jeune-Turc accusant les Arméniens d’avoir
préparé des attentats, de vouloir détruire l’islam, de collaborer avec l’ennemi, les
comparant à des microbes dangereux et les renvoyant donc au non-humain. Les
Arméniensétaientdespresque-mortsqui,ilfautl’imaginer,suscitaientuneforme
d’exultation, et ceux qui les voyaient passer criaient et les qualifiaient de « porcs
d’Arméniens », « à l’abattoir ». Pour Barbara Diefendorf encore, la Saint-
Barthélemyestlefaitd’une«populaceagressive»quelesofficiersdel’Hôteldeville
n’ontpaseulesmoyensdecontrer.«Lecommandementdeposerlesarmesetde
rentreràlamaison,maintesfoisrépété,restesanseffet.»Lemassacreestaffairede
« l’impuissance des autorités civiles82 ». Et la part de la milice bourgeoise serait,
malgré les apparences, à restreindre, surtout parce que les militants de la
persécution antiprotestante entre octobre 1567 et octobre 1572 ne
constituent qu’« une petite minorité de la milice83 ». « Une partie maligne de la
miliceabienprêtélamainàlaSaint-Barthélemy,maisonnedoitpasconfondreces
radicaux avec la milice tout entière, non plus qu’avec toute la bourgeoisie
parisienne.»
Le terrible drame arménien aide à comprendre l’événement de la fin du mois
d’août1572etàcomblersesvidesinformatifs;lapassivité,durantl’annéetragique
1915,nousparaîttotalementcriminelle;commentétait-ilpossibledenepasvoir
l’horreur, les routes étant jonchées de chaque côté de cadavres carbonisés par le
soleil…Orc’estunfait:lescolonnesdedéportésquiavançaientenconvoisversle
désert syrien non seulement ne recevaient rien de ce qui aurait pu les aider à
continueràmarcheretpeut-êtreàsurvivre,maisellesétaientdesurcroîtlescibles
de coups et d’injures, et les populations qui étaient les témoins de leur infini
malheur n’hésitaient pas à leur jeter des pierres. Ces marches de la mort
contribuèrentfortementàl’annihilationdesdeuxtiersdelapopulationarménienne
vivantenAnatolie.Leprocessusgénocidairedéployatoutl’arsenaldesviols,corps
ligotés ensemble et brûlés vifs, femmes éventrées, enfants entassés dans des
tonneauxetprécipitésdansl’Euphrate,bébésmisdansdessacsetnoyés,hommes
égorgésdansdesfossescreuséesauparavantoujetésdansdesciternessouterraines
etdespuits,outuésàlahachedevantleursenfants,tousleshabitantsd’unvillage
rassemblés dans une grange et brûlés84 , le tout sous le regard complaisant de
spectateurs sans doute fascinés de plaisir à la vue du jeu auquel se livraient des
tortionnaires. L’absence de sépulture ajoutait une dimension d’ignominie dans la
mesureoùlecorpsnoyéestatroce,gonflé,noirci,puantavantdesedécomposeret
d’être englouti dans les profondeurs85. Enfin, le massacre des Arméniens est
marqué par le syndrome de l’invariance du crime de masse : faire disparaître les
corpsetdonclamémoireducrimemême.En1572,s’ilyadanscettefouleivrede
sonœuvresotériologiquedesParisiensetdesParisiennesquisauvent,parintérêt
oupargénérosité,deshommesetdesfemmesetdesenfantsenfuite86 ,ilya,avant
tout, Paris qui est dehors et qui assiste aux mises à mort ou regarde les cadavres
jetés depuis des fenêtres et tirés jusqu’à la Seine, ou accompagne du regard
l’incarcérationdesuspectsquineréapparaîtrontplus.
Etalors, il faut revenir sur la tuerie analysée par Jérémie Foa. Cette tuerie a un
sens théophanique, au-delà des passions particulières qui pourraient l’avoir
suscitée comme d’ailleurs toutes une série de saynètes collationnées dans le
MartyrologedeJeanCrespinoudansles Mémoiresdel’estatdeFranceledonnaientà
appréhender. Être un tueur, c’est non seulement être depuis longtemps sous
l’emprise d’un tenace désir d’éradication de la souillure que signifie l’hérésie dans
une cité qui se veut la tête du royaume le plus chrétien de la chrétienté et qui
souffre de savoir qu’un désamour de Dieu lui vaut d’avoir en elle des suppôts de
Satan et d’être possiblement dans l’imminence d’un châtiment divin dont les
calvinistes seraient les instruments. Mais c’est aussi savoir que, dans des
circonstancesparticulières,Dieuéprouvelessiensafindesavoirs’ilssontbienles
siens. Tuer ou faire tuer son proche, frère, cousin, oncle, beau-père, au nom de
Dieu,nepeut êtreque ceque nous,historiensd’un autresiècle, malgrétoutes les
atrocités qui peuvent encore aujourd’hui nous environner, rencontrons de plus
arduàassimiler.EtlerisquemesemblegranddetenirDieuàl’écartdel’imaginaire
assassin… Ceci parce que Dieu, dès avant la scission religieuse, avait dit que Son
peuple ne lui était plus fidèle, et que donc il faudrait deviner dans le massacre
comme une explosion libératoire et festive d’une angoisse de long temps ancrée
dans la psyché collective… L’histoire de la Saint-Barthélemy semble ainsi plus
longue que celle que Jérémie Foa met en valeur à travers les quelques figures
psychologiquesdesestueursremplisd’arrogancecriminelle.
LesParisiens,onlesretrouveencoreunisetréunissousleregarddeDieuetsans
compassion dans la ville qui se transforme en une grande brocante, une vaste
«bootfair », une braderieoù de multiplesobjets et biens provenantdu pillage des
maisonsoulogisdesprotestantssontmisenventeentouteimpunitéetoùonpeut
devinerqu’unefouledebadaudsoude «bystanders»serendpourmettreenvente
oupourachetercequiaétépillé.LucGeizkoflernousindiquequechaquejourde
septembre qui passe donne lieu à la vente en public de grandes quantités
d’ustensiles,delinges,detapisseriesrazziésdanslesmaisonsdesassassinés.S’ilya
vente,c’estqu’ilyadesacheteursetquedoncParisparticipedel’occasionquiluiest
donnéedeprofiterdupillage.
Le13septembre,unelettred’unSuisserelèveque:«EsistzuParismitpflündern
grosgewonnen.»«Lespillagesontrapportébeaucoupd’argentàParis.»LesSuisses,
est-ilajouté,onteuleurpart,etilssont«devenusriches»,àcommencerparceux
du roi qui auraient reçu le sac et le droit de pillage de la maison de l’orfèvre et
lapidaire Thierry Baduère. La rumeur parvient jusqu’à François Hotman qui en
retire la certitude que les Suisses ont été hyperactifs dans le massacre et la
prédation: «DieschweizerischeLeibwachehatbeiderBlutarbeitdiePalmeerrungen»;
ce qui signifie que les gardes suisses ont remporté la palme pour ce qui est du
«travaildusang».Undesesparents,GuillaumePrevost,aététuédanslamaison
mêmeducomtedeLaRochefoucauld.Deschiffressontdonnésàproposdubutin:
Martin Koch, 10 000 couronnes volées lors de l’assassinat de l’Amiral, 2
000couronnes pourMoritz Klein, uncheval d’Espagne pourDiethelm Forster,1
500couronnesdonnéesparleducd’AlençonàJosuéStuder,10couronnesoffertes
par Charles IX à chacun des Suisses de sa garde en cadeau d’honneur
(«Ehrengeschenk»),ConradBurg,80florinsd’orvolésàunprotestant87.
Le pillage est aussi d’ordre vestimentaire, opéré sur les cadavres mêmes, selon
SimonGoulard,par«lescrocheteurs,belistresetbateursdepavévoulansavoirles
habillemens88 ».Ilpourraits’agird’unesortedevengeancequiauraitétéàl’œuvre
contredes huguenotsparisiens accusés d’avoir, à la faveur des trois guerres qu’ils
avaientfaitsubirdepuis1562auroyaume,accumuléetthésaurisélesproduitsdes
pillages effectués de leur parti. La prédation d’argent ou de bijoux comme de
meublesou devêtements auraitété unemanière dejustice immédiate,avec, dans
l’ombre des imaginaires, le transfert aux huguenots de l’image des Juifs usuriers.
C’est ce que le Stratagème de Charles IX… donnera à comprendre aux lecteurs : le
pillage des demeures des calvinistes parisiens rendit un butin « presque
incroyable », « eux qui, pendant l’espace de plus de onze années, avaient pillé la
Franceetparticulièrement leségliseset leslieux saints,d’oùils avaientenlevé les
objetslesplusprécieux89».
LesParisienssontencoreunisenmassedansdesprocessionsrendantgrâceàDieu
pourlatueriesacréequivientd’avoirlieu.Unemanièredeprolongationducrime
peut sembler ici à l’œuvre : le 4 septembre, a lieu une grande procession
d’implorationdelaprotectiondivine.Leroi,samère,sesfrèresetlaCour,ettoutle
clergé marchent derrière le Saint-Sacrement et les saintes reliques90 . Le jésuite
Gastoriusobservequ’ilyeutuneaffluencedepeupletellequ’«ellenepouvaitêtre
plusgrande».Leroietsamèrefurentexhortéspubliquementpardesprédicateurs
à implorer par des prières l’aide du ciel afin que la religion chrétienne, qui s’était
affaiblieenFrancedufaitdel’hérésie,reprennetoutesaforce.
Plus encore révélateur d’une capitale autofascinée par le massacre qui a été
perpétré,ilyalemiraclemarialdel’aubépinequiperdure,prolongeantuneffetde
transfertdel’imaginairedesParisiensdansunesur-duréequirejoignaitlesprodiges
salvifiquesdel’histoirepostexilique.Revenonsunpeuenarrière,aupetitmatindu
24août,audébutdesactionsmeurtrièresexécutéespardescommandosqui,après
l’assassinat de Coligny, tuèrent plusieurs dizaines de capitaines protestants dans
Paris. Le « miracle » christique du refleurissement de l’aubépine desséchée et des
gouttes de sang perlant sur ses feuilles ne joue-t-il pas un rôle dans le
déclenchementdu crime collectifen liaison avec le fantasmed’une présence de la
transcendance et d’une diction sacrale du devoir de tuer ? La foule vint adorer la
spina quoque arida qui refleurit, et le roi et la reine mère seraient, selon Johann
WilhelmvonBotzheim,venusenpersonnerendrehonneurausignemerveilleux
quidisaitlavictoiredeDieusurl’hérésie.Auxmarquessanglantesquelessoldatset
civils tueurs impriment dans l’espace de la cité pour la rendre à une plénitude
d’obéissancedivine, Dieu lui-même mêlait sa propresignature ; celle de son sang
quijadisetpourl’éternitéacoulépourlaRédemptiondel’humanitépécheresse.
Ladévotionpaniqueimmédiateàl’aubépinemiraculeusenouspermetd’effacerla
cloisonentreacteursetspectateurs:ceuxquipriaientdevantlemiraclenetuaient
peut-êtrepas,ilsnemettaientpasàmortleshuguenots,maisilsimploraientDieu
pour que cesse la division de religion, pour que donc la violence libère Paris
d’hérétiques qui « polluaient » la gloire de Dieu. Selon les Mémoires de l’estat de
France…,lapressedu«peuple»,ausondesclochesquicarillonnaientàtoutevolée,
étaittellequ’ilfallutdisposerdesgardestoutautourdel’aubépinepourempêcherle
« peuple » d’approcher trop près. La France allait selon le peuple retrouver « sa
belle fleur et splendeur perdue ». Ce serait après avoir contemplé le « miracle »
qu’un«peuple»seseraitrenduaulogisdel’Amiraldécédé,et,ayantrencontréson
cadavre,l’auraittraînédanslesrues91.
Et,simultanément,ungrandventselevasurlacapitaletandisquerésonnaitune
forte clameur exaltant le souverain, « Vivat rex » : c’était, dit-on, l’archange saint
Michel qui battait des ailes de joie, en témoignage de sa satisfaction de voir le
peuple de Paris s’être placé sous la « vraye enseigne des militans en l’Église
chrestienne, portée depuis le vingtquatriesme jour, pour signal ès chappeaux des
bons Catholiques et vrais subjects du Roy, comme Ezechiel la vid marquer par
l’Angeésfronsdesfidelles 92».
L’important,pournous,estquecettepiétécommémorantlaPassionperduredans
lesjoursd’aprèsviolence,continuantàattirerlesParisiensquiviennentprier,dans
untempsdétestable,devantlaViergedel’aubépinereverdielematindu24août!
Et, tandis que des prêtres clament que s’il arrive que des sceptiques fassent de la
provocation en avançant ironiquement que le refleurissement se serait produit
quelques jours avant le 24 août, ils sont immédiatement lapidés et jetés dans la
Seine93.
L’onchantealorssansaucundoutelemiracledésormaisversifié.LeprêtreBlandis
soutient face à Luc Geizkofler que, si l’arbre s’était auparavant desséché, c’était à
l’image du royaume de France comme dépourvu de vie du fait de la tolérance
concédée aux huguenots. Il ajoute que, comme ils étaient désormais anéantis, le
royaumeallaitretrouverprospérité,tell’arbrerefleurissant,etqu’ilen seraitainsi
aussi longtemps que la religion catholique serait honorée94. Quant à Joachim
Opser, qui était proche du capitaine Josué Studer de Winkelbach95 , un Suisse
originaire de Saint-Gall et présent lors de l’assassinat de l’Amiral, il écrit avoir
approché son chapelet de l’aubépine sainte qui est pour lui miraculeuse96 . Selon
JacquesCarorguy,lemiracleauraitétévupar«100000»personnes,etlui-même
quil’avaitvuesècheauparavantavaitpuconstaterdepuis devisuqu’elleproduisait
desfruitsappelés«senelles97»etquel’arbreétaitdoncpleindevie.
Lerefleurissementestaussiinstrumentalisépourexalterlamystiqueroyale.Dans
la réédition, par les presses de Vincent Normant, de son Discours sur l’heur des
présages advenus de nostre tems signifiant felicité du regne de nostre Roy Charles
neusviesme tres-chrestien, François de Belleforest, quelques semaines après le
massacre, fait fond du miracle de l’aubépine pour authentifier la protection
providentielle qui est attachée à la monarchie de Charles IX : « Quel plus grand
signe en asseurée preuve en veux tu peuple chrestien, de voir, dans le jour que
Coligny fust massacré, ceste epine blanche auparavant seche et demye morte
reverdir, produire feuilles et fleurs au mois d’Août et outre la saison que les
Aubepinesfleurissent,àlaveuedetoutlemonde 98.»
Claude Haton précise que le « miracle perdura 15 jours, parfumant l’air
environnantdelamêmeodeurquediffusentlesfleursblanchesquifleurissenten
temps normal en mai. » Et surtout « Aucuns malades languissans, ayans ouy ce
miracle,sefirentporteraucymetierepourveoirladitteespine;lesquelzestanslà
avec ferme foy firent leur priere à Dieu en l’honneur de Nostre Dame la Vierge
Marie,etdevantsonymagequiestenladitechapelle,pourrecouvrerlasanté».Et
une fois dite leur oraison, Haton affirme qu’ils purent retourner chez eux guéris,
«chose tres veritableet approuvée »,et il y voitun grand signe del’approbation
divine99 . Paris semble, en continuité miraculeuse, vouloir se placer sous la
protection de la Mère du Christ, car une dispute est organisée en Sorbonne, qui
gravite autour d’une proposition de modification de la salutation angélique : il
s’agissaitdesubstituerà Ave,Maria,graciaplena,enraisondesbénédictionsquela
ViergeavaitmultipliéessurParistoutrécemment «AveMaria,gratiamater».Luc
Geizkofler a vu, pour sa part, la reine mère, en personne, devant l’aubépine
miraculeuse qui glorifiait la victoire sur l’hérésie et prophétisait la nécessité de la
violence. L’on chante aussi le miracle désormais versifié 100. Une chanson fut
composéedèsle25aoûtdevait,sansdoutepourêtreentonnéedanslajoiedeceux
quiserendaientaucimetièredesSaints-Innocents:
Ônobleetfrancheépine,oviergetresbenigne,
Quientonbenoistventreasperletantdigne,
TouslesdevotzChrestienstesupplienthumblement
Quel’heresieenFrancepreignedeffinement.
D’uneespinepoignantjaseicheetadmortye
Miraculeusementfueilleenfleurestsortye;
Parcestœuvredivinnousestsignificance
QuelafoycatholiquerefloriraenFrance.
PierredeL’Estoileobservaqueceseraitaprèsavoircontemplél’aubépineque«le
peuple de Paris », alerté par le son du tocsin et accouru de « toutes parts en si
grande foule », se porta vers le logis de l’Amiral pour procéder à des mutilations
corporellessursoncadavre.Cepointdedétailnedoitpasêtrenégligé,carilpermet
d’envisagerqu’enparallèledesbrefspréparatifsvouésàlamobilisationdesoldats,il
yauraiteu unemiseen scènedestinéeà enchanterlesParisiens.En mêmetemps
que la ville catholique est impliquée dans la tuerie on observe une extraordinaire
montéeenénergiemystiquedelafoiparisienne:TomassoSasseticonstatequeles
églisessontpleines,lesfrèresetlesprêtresprofitantdumassacrepourfaire«leurs
vendanges»defidèles,aupointque«bienmalinceluiquipeutavoirlapremière
placeaupieddel’autel».Chacun,lorsqueleprêtreélèvel’hostie,metunemainsur
lapoitrineetuneautresursabouche,enunprofondressentisubjectifdumiracle
christiquequiestàl’œuvredanslecoursdelatueriequiperdureencore.Parisest
pleindeDieu,unDieudemiséricordedanslecœurdesParisiens.
QuandleSacrés’installedansParis
Carle«peuple»n’estpasrentréchezlui,ilesttoujoursdehorsenattented’autres
signatures sacrées ; il continue à mettre en scène sa piété sous le regard de Dieu
quand, le 27 octobre, le chevalier François de Beauvais, sieur de Briquemault,
appréhendé alors qu’il se dissimulait sous l’habit de charbonnier ou d’un boucher
dans les étables de l’ambassade d’Angleterre, et le président à la cour des Aides
Arnaud de Cavaignes, sont traînés sur une claie depuis le Parlement jusqu’à
Montfauconet,là,sontpendusàunepotence«croisée»surles6heuresdusoir101 .
Deux mois après le massacre, la criminogénie parisienne est temporairement
réactivée puisqu’« une grand foule de peuple » assiste à leur exécution par
strangulationetpendaisonquiseseraitdérouléeenplacedeGrèveenprésencedu
roi, les corps étant ensuite dépendus et traînés par les rues 102 avant d’être
rituellement émasculés par « le peuple » en marque de trahison. Luc Geizkofler
consignequedesmilliersdepersonnes–«unegrandefouledepeuple»–étaient
présentesetquel’exécutiondutsetermineràlalueurde«centainesdetorches103 ».
En outre, le Parlement avait impliqué Coligny dans le procès des deux hommes,
puisqu’ilavaitordonnéquesoneffigieseraitsuspendueàunepotencedelaplacede
Grève devant l’Hôtel de ville, à côté de celles des deux condamnés, qu’elle y
demeureraitvingt-quatreheures,puisseraittraînéeàlaqueued’unchevalparles
ruesdeParisetattachéeaugibetdeMontfaucon;toussesportraitsdevraientêtre
brisés et foulés aux pieds par le bourreau, ses biens confisqués, ses armoiries
rompues,sesenfantsproclamésroturiers.SamaisondeChâtillon-sur-Loingdevait
êtreraséeetensonlieuetplacedevraitêtredresséunpiliersupportantuneplaque
de cuivre sur laquelle serait inscrit l’arrêt de condamnation ; chaque année, des
prières publiques et des processions solennelles auraient lieu, le 24 août, pour
rendregrâcesàDieudeladécouvertedesacriminelleconspiration 104.Ils’agiticide
fairesecontinuerlatemporalitémiraculeusedumassacretoutenlaplaçantsousle
contrôledelamonarchie.
Quand la violence, que François de Belleforest attribuera à la « main du
peuple105 »,aeneffetenfindécrusignificativement,le11septembre,estorganisée
unegrandeprocessionsolennelleàlaquelleprennentpartleroi,sesfrères,lareine
mère,sasœurMarguerite,leParlement;HenrideNavarrebrilleparsonabsence.
Et l’image de sainte Geneviève et nombre de reliques et d’autres images sorties
d’églisesanciennesdelacapitalesillonnentlacapitale106.LucGeizkoflersesouvient
avoir été surpris de « l’ardeur du populaire » à se masser devant la sainte en une
piétémystiqueetaccompagnerlaprotectiondelasaintesurlacapitaleduroyaume
en étant présent dans les rues où le massacre se déroulait. « Chacun vouloit la
toucherou,toutaumoins,mettreencontactavecelleunchapeau,uneceinture,un
objetquelconque.»Cesontplusieurscentainesdetrabans,suissesetfrançais,qui
doiventaiderlasainte,queGeizkoflercompareàlaDianehonoréeparlespaïens
d’AthènesetmentionnéedanslesActesdesApôtres,àavancerparmilafoule.Les
porteurs, au nombre de plus de vingt107, fendaient difficilement la presse. On
pourrait soupçonner que les grands tueurs de masse des jours précédents font
partie de ces hommes, prolongeant en eux, ainsi, la mise en représentation de
l’emprisesacralesouslaquelleilsrevendiquaientd’avoiragi.
La ville s’identifie ici aux acteurs les plus criminels du massacre de la Saint-
Barthélemy. Elle est criminelle en quelque sorte par procuration en rendant
honneuràlasaintequiestcenséeavoirprotégélafoicatholiqueparletruchement
dumassacredeshérétiquesetdoncparsonimplicationdansdesrituelssolennisant
la justice divine qui s’est exercée par la violence. Il y a véritablement une foule
euphoriquesurlepassagedelaprocession,carilfautplusieurscentainesdegardes
suisses et français pour canaliser la foule pénitente et permettre à la sainte
d’avancer.LaprocessionunanimistederrièrelasainteprotectricedeParisconfirme
l’hypothèsed’unPariscriminelnonseulementdanstoutson«peuple»etdanssa
sociétécléricale,maisaussidanssesstructuresdepouvoir108 .
Enoutre,lavillefitfrapperdesmédaillesdecommémorationdumassacre:ilfut
payé à Aubin Olivier, « demeurant à Paris », 85 livres : dont « pour quinze
médailles d’argent, quarante-cinq livres ; pour avoir refait le sceu et cachet de
laditte ville, cinq livres ; pour avoir refait les piles pour les jettons d’argent et de
laitons,trentelivres,desquellesmédaillesquiontestéfaitespourmémoiredujour
deSaint-Barthélemy.Etaestédistribuéàmesditssieursleprevostdesmarchands,
eschevins, procureur, receveur et greffier d’icelle ville109 ». Et ensuite des
gratificationsfurentaccordéesauxarchersdelavilleetàleurschefs.L’emprisede
Dieune cesse pasdans l’imaginaire de ceuxet celles qui sepouvaient se ressentir
enfindélivrésdel’angoissedepenserqueleurvilleestsouslamenacedelacolère
divine,commeplustard,enjanvier1589,aprèslasurvenuedesnouvellesdedouble
meurtrede Blois, ellesaisira par dizainesde milliers les Parisiensprocessionnant,
encadrés ou spontanément, pénitentiellement pour appeler sur le « Tyran de
Blois»lavengeancedelajusticedivine.
LemassacresembleavoirsecrétéunprofonddésirdecommunionavecleSacré,
chaqueParisiensouhaitantprolongerl’épiphaniedesjoursetdesnuitsdemassacre.
Lelendemain,le12septembre,cesontencoredevieillesfemmesquivendentdes
chapelets et des petites croix dont le prix a augmenté, parce que, lors de la
procession,on leur avait faittoucher la statuede sainte Geneviève, et quiétaient
réputéesprotégerdesmaladiesetautrespérils.LeprêtreBlandis,sonlogeur,assure
à Geizkofler que la vente a été si profitable et abondante qu’elle a rapporté au
clergé,dansleseulquartierdel’Université,plusde100000francs.
Le même 12 septembre, comme Éric Syssau l’a découvert en relisant Luc
Geizkofler, une nouvelle pièce de théâtre est jouée au collège de Navarre110 .
Charles IX est présenté comme ayant été partisan d’une politique d’hostilité aux
réformés,àladifférencedesamère,n’ayantpasperdudevue,alorsquelapaixde
Saint-Germainavaitétéconclueparopportunité,lepossibled’uneéliminationdes
réformés. C’est un roi mélancolique qui en assez d’une vie compliquée par des
huguenotsquiontdepuis1562dévastésonroyaumeetaveclesquelsilafaitlapaix
souslapressiondesamère,unepaixquilui vautlesreprochesdescatholiqueset
qu’il pense à rompre. Un dialogue s’engage, Catherine de Médicis se justifiant en
affirmantqu’elleavoululapaixpourqueleroyaumereprennedesforces.«C’estle
propredusagedetoujoursseplierauxcirconstances.Etlescirconstancesactuelles
offrentl’occasionderompre ànouveau lapaix,d’attaquer parsurpriseles princes
huguenotsrassemblésàParisetdelestuer;elleneledissuadepasdelefaire,mais
avertitleroiensortequ’ilnefasserieninconsidérémentetparpassion…»Suitun
développement qui met en valeur deux postures antithétiques : le roi et sa mère
voulaient en finir avec le parti huguenot, alors que les huguenots souhaitaient
affaiblirleparticatholiquetoutens’organisantdéfensivementafindesemettreen
positiondeforce.L’objectifdelareprésentationétaitclair:ilyavaitdonc,avantle
22août,unpouvoirquiétaitdéjàtentéparuneoptionviolenteetqui,delasorteet
implicitement,nepeutpasêtresoumisàlacritiquepoursapolitiquedeconcorde.
Mais l’attentat du 22 août survint, déterminant un exercice de dissimulation
affirméede lapart du couplemonarchique, des« politessesfeintes », alorsque le
partiprotestantdénonçaitlaresponsabilitédeHenrideGuiseetparlaitdeletuer
tout en présentant des exigences politiques exagérées donnant à penser qu’il
pourraitseprépareràunenouvelleguerre.Àquois’ajoutauneconfidencefaitepar
HenrideNavarreàMargueritedeValoisetrapportéeparcettedernièreàsonfrère
et sa mère, selon laquelle Coligny, se sentant près de sa fin à cause des balles
empoisonnéestiréesparMaurevert,luiauraitlaisséen«héritage»leroyaumede
France.
Dans ce contexte, c’est à Charles IX que revint la décision de « tuer les
huguenots»,souslapressiondesducsd’Anjou,d’Angoulême,deGuiseetd’Aumale
qui« pressent le roi, pour qu’ilse charge de les tuer sansretard, de peur que, s’il
reporteaulendemain,ilsoitempoisonnéparleshuguenots,commesonfrèreleroi
FrançoisII ». C’est aux Guise que la tuerie de « tous » les huguenots fut confiée.
Charles IX est ainsi dépeint comme ayant souhaité une extermination totale des
protestants et demandant ensuite qu’on lui montre les cadavres de l’Amiral, de
Téligny, de Piles et des autres grands nobles huguenots. Il reçoit ensuite les
congratulations de la ville de Paris et distribue les dépouilles aux soldats qui, en
perpétrantlesmeurtres,avaientexécutéaveczèleetempressementleurouvrage,et
les engage à respecter et révérer chaque jour davantage le duc de Guise, « très
habileàlaguerreettrèsdiligentexécuteursdesordresduroi».
Estainsiproposéunscénariodel’événementquimetenaccordleroi,samère,ses
frères, la maison de Guise, les autorités parisiennes, les soldats mobilisés, et cette
lecture avait bien sûr pour objectif de gommer toute part de doute sur les
intentionsetlerôledesunsetdesautresauseind’unemiseenintriguequiutilise
certainesrumeursd’avanttuerieetenrecréed’autres.Pourl’auteur,lemassacreest
unmassacredécidéàlacour,agiàlacour,etillaissesignificativementhorsscènele
déchaînementdelaviolencecollectiveparisienne.
Danslecourantdumoisdeseptembre,l’évêquedeParismitaupointunsystème
contrôlé d’abjurations : les hérétiques devaient prendre contact avec le curé de la
paroisseoùilshabitaient.Cedernierrédigeaitun«certificat»quiétaittransmisau
Pénitencierdel’Églisede Paris.Cestadepassé, l’hérétiquepénitentdevait,devant
l’official, faire profession de sa foi, après avoir abjuré et anathématisé toutes les
hérésiescontrairesàlareligioncatholique,apostoliqueetromaine;ildevaitavoir
aussijurésurlessaintsÉvangilesde«tenir,garderetconserverjusquesendernier
soupirdesavie»lafoidel’ÉglisedeRome.
Les conversions qui se multiplient s’expliquent par « l’aspect cumulatif » des
persécutions, selon l’expression de Denis Richet ; elles sont une « réaction de
désespoir » des protestants survivants qui sont comme aspirés dans l’exaltation
sacralemiseenscènedansleParisdutempsdepost-massacre.Lemarchanddrapier
JeanRouillé adresseà deux marchandsd’Albiune lettre trèssignificative, endate
du 22 septembre 1572, dans laquelle il affirme que le roy « a rendu fort ample
temoignagecommeilveultetentendqu’iln’yaitenceroyaulmequeunefoy,ung
Dieu et ung roy ». Et Charles IX, dans ce but, a « exterminé et mis à mort tous
ceulx qui, à ce faire, luy ont donné empeschement ». Rouillé, qui a signé tout
récemment un formulaire d’abjuration, affirme qu’il n’est plus temps de
tergiverser:sesdeuxcorrespondantsdoiventdetouteurgencefaireprofessionde
la foi catholique. À Paris, « plus de cinq mille hommes » se seraient, selon lui,
résolusàrevenirdansl’Églisedeleursancêtres,«cariln’yaqueceseulmoyenpour
segarantiretsauversavieetsonbien111 ».
Cela n’empêche pas que, le 19 septembre, le Siennois Giovanni Maria Petrucci
écritàFrançoisdeMédicisquele«populo»deParisestencoreenémotion:chaque
jour sont encore appréhendés de nouveaux huguenots, qui sont précipités la nuit
dansleSeine;ettoutsembleindiquerque«parlavillesepréparentdenouvelles
exécutions, parce que des fourches (forche) ont été disposées dans tous li luoghi
pubblicidella città112». Les25 septembre,les mêmesmises àmort sepoursuivent,
«horsdetouteprocédurejudiciaire».
Revenons donc à Barbara Diefendorf en nous intéressant à son application du
concept de « trahison des élites » : « Quand le bureau de la ville donna l’ordre
d’appeler la milice, délibérément ou non, il se fit complice du crime de la Saint-
Barthélemy. Quand le Parlement accepta sans protestation la déclaration du roi
confirmantqu’ilavaitordonnélemassacre,lesmagistratsdelacoursouverainese
firentcompliceaussiducrime 113.»
Quelquesjoursplustard,àproximitédel’égliseSaint-Hilaireetdoncnonloinde
l’Université,l’extraordinaireresurgit:unevieillefemmefaitpleureruneimagede
laViergequiexprimedelasortequ’elleasouffertdanslestempsrécentsjusqu’àce
que Paris exprime son amour pour son Fils. Miséricordieuse, c’est une mater
dolorosa qui appelle désormais à la conversion114, se donnant à voir en mère
protectrice qui prie en direction du Ciel pour que son Fils pardonne à toute une
villepurifiéeparseslarmesdupouvoirdel’enferaprèss’êtretoutentière,comme
enuneoffrandedesoi,purifiéedel’ignominiehérétique115 .PourunevilledeParis
qui s’imagine avoir retrouvé le Christ, un prolongement miraculeux se fait jour
danscettecompassionmarialeetdanscetteconfirmationd’unpardonquidécoule
de la violence même. Les larmes d’amour expriment la certitude d’une présence
sacrale et disent aussi que le temps est enfin forclos qui avait vu les hérétiques
remettreenquestiontoutepossibilitéd’immanenceetdoncd’entendementdansles
imagesfaitesdelamainhumaine116 .Letempsdesmiraclessembleainsirevenu,qui
estletempsdeDieuprésentparmisonpeupleensignesetenprodiges117.Letemps
d’une madone qui, comme dans le Liban des années de guerres civiles 1975-
1988118 , redit que les vrais fidèles ne doivent pas se laisser submerger par le
désespoiretquelesmalheursdeshommesrésultentdeleuroublideDieu.Letemps
dumiracledoitsecontinuer,puisqueceslacrimationsrappellentcellesdelaVierge
au pied de la Croix, disant son amour, mais aussi montrant que le chemin de la
pénitenceesttracédésormaispourqueParisn’oublieplusjamaissonSauveur.
On pourrait achever la chronologie de cette séquence parisienne, qui semble
unanimiste dans la glorification jubilatoire d’une violence sanctifiante faisant
revenirleChristparmisonpeuple,parcequivoudraitclore,àl’initiativeduroi,un
ordrerituel ayantoscilléentre violenceet euphorie.Le 29septembre, CharlesIX
créedansNotre-DamedeParisdenouveauxchevaliersdel’ordredesaintMichel.
En tête de cortège marchent les nouveaux chevaliers dont six d’entre eux avaient
pris part au massacre, suivis des anciens chevaliers, les maréchaux de France, les
chevaliers de sang royal, avec Condé, Navarre et le duc de Guise. À la fin de la
cérémonie,undînerestoffertparl’évêquedeParis,aucoursduquellesconvivesse
jettent au visage des boulettes de pain, des pelures de pommes, des raisins, des
sucreries humides. Charles IX n’est pas de reste puisqu’il participe à la dérision
rituelleentrempantsaserviette dansduvin etenlalançant auvisaged’unvieux
gentilhomme,entrelesdeuxyeux.CitonsiciRenaudVillard,pourqui«dérisionet
politique semblent ainsi antithétiques, mais de façon plus complexe qu’il n’y
semblerait»:ladérisionpermetderestaurer«ladignitédupolitique,enchassant
de son champ le non-humain, la bête qui avait usurpé sa place […] ; la dérision,
comme exclusion du champ politique (et du champ humain en général), entend
restaurer l’intégrité souveraine, en ôtant de son champ l’inhumain, le monstre
dissimuléquiyavaitprisplace»119.
Peuaprèset commesansdoute ilétaitde coutume,sur invitationleroi serend
avecleducd’AnjouaucouventdesCordeliers,oùl’accueillentquelque500frères.
C’estluiquisembleavoirprisl’initiativedemettreenscèneunautrejeudedérision
avecceuxetcellesquil’ontaccompagné:ilprendlaparolepourdireque,demême
qu’il venait de créer de nouveaux chevaliers choisis en fonction de leur habilité à
jouteret à combattreavec une lance defer acérée, il avaitle projet d’instituerun
nouvelordre accueillantceux quifaisaient preuvede vaillance virileavec la lance
charnelle.Commeilétaitvenuavecdesjeunesfemmescamoufléesenpages,illes
aurait encouragées à s’enfermer dans des « cabinets » avec certains des frères ou,
doit-on imaginer, des faux frères. Un roi du rire qui devient comme son propre
bouffon. Lors de cette dérision étaient présents les gens de cour, mais aussi
Catherinede Médicis et ses dames. Lesconnaissances de Luc Geizkofler reçurent
assurance que les « moines désignés pour la joute étoient si pressés, qu’ils ne
songeoient pas à quitter leur robe », mais qu’ils acceptèrent de mettre « de
méchants habits » afin de « se présenter avec plus de hardiesse120 ». Puis le roi,
accompagnéde son frère bâtard, réunit toutle monde dans une salle, les femmes
ayantrevêtudeshabitsdefillesdejoie.
C’estuneparodiecérémonialedel’ordredesaintMichelquisedéploiealors,dans
latraditiondesjeuxindécentsquiavaientcoursdanslescollègesdel’universitéde
Paris,avecunsimulacredemarcheouverteparles«ruffiens»etvaletsdechambre
du roi, dont l’un, vêtu en costume de héraut d’armes, prononça un discours sur
l’amour;ensuite,chaquedameoffritunecouronneàceluiquil’avaitméritée,etily
eutunbaiseréchangé.Pourfinir,l’assembléedansa,etunecollationfutservieaux
membresdela nouvellechevalerie, dits« lescompagnonsde Vénus». Peuaprès,
dansNotre-Dame,leroietleschevaliersdesaintMichelprirentpartàuneséance
solennelle. Ensuite, on se rendit au Collège de Navarre où on joua, comme il se
devait,d’abordunecomédiepuisunetragédie121 .
Le motif du travestissement serait sans doute à un premier niveau de lisibilité
satirique:l’habitnefaitpaslemoine.Maisonpeutsedemanders’iln’engagepas
unesignifiancespirituelle;unordredeforceetunordred’amoursontmisenscène
successivement,àtraverslalancedeguerreetlalancecharnelle,commesil’objectif
de la mise en scène royale était de dire qu’après l’ultra-violence du massacre, le
tempsrecommençaitetquedésormaisétaitrestauréela coincidentiaoppositorumsur
laquellereposel’unitédeshommes.MarsetVénusretrouvéscommeavantlaSaint-
Barthélemy…Unrègnedel’amourquiestderetour…
Àl’opposédel’analysequelquepeu,ilfautledire,illusionnistedeJérémieFoa,ne
faudrait-il donc pas restituer aux matines parisiennes leur dimension de grand
crime collectif, de « dévastation » humaine ? Ne faudrait-il pas en revenir à un
crimedu«peuple»deParispouvantavoird’ailleursétéautantactifquepassif,et
quicatalyseraitunlongprocessusdeconditionnementsotériologiqueautorisantla
surgie soudaine d’un état de quasi-possession sacrée par l’effet double d’une
obéissance aux commandements divins ? N’y a-t-il pas la dépêche en date du
26août, rédigéepar unanonyme toscanquiexprime sonimmense contentement
faceau «Mattutinparigino»,facedoncàcequiasuivileleverdusoleildufaitde
«questopopolazzoparigiano»,quiavectantd’ardeuretd’entrainamisenpièceset
noyéceuxqu’ilsavaitêtre«rebellesàJésusChristetauprince».Un«popolazzo»
parisienayantmassacréetunroiCharlesquiestdigned’êtrenommé«Charles-le-
Grand»,soutenuparsa«trèsglorieusemère»,etsesfrères,les«deuxCésars122 ».
C’estun témoinqui écrit doncles lignes suivantes: « Soitmille fois louéle Dieu
Tout Puissant, qui me donne occasion de vous transmettre d’aussi célestes
nouvelles ! Et soit mille fois béni le triomphant St-Barthélemy, qui, le jour de sa
fête, a remis aux mains des siens son couteau si bien affilé, pour accomplir un si
beausacrifice.»
Unehypnoseheureusedel’inhumanité
Revenons aux assassins. Ils paraissent opérer en état de quasi-hypnose, fascinés
parledevoirmortifèrequ’ilsaccomplissent.Ilyatousceuxquisontnommés«les
meurtriers » et qui forment un groupe hybride résistant à toute analyse
sociologique, mais exprimant parfois significativement une culture de dérision
carnavalesquedeceluioucellequiestl’ennemi(e)deDieuetduroi.Ceciàl’image
des hommes qui découvrent Françoise Baillet, la femme de Mathurin Lussault,
ayant eu les deux jambes brisées dans une tentative de fuite et réfugiée chez un
voisinquifinitparlalivreràceuxquisonttoutjustedésignéssousl’appellationde
ses«meurtriers»:«lorslaprindrentettrainèrentparlescheveuxfortloinparles
rues, et apercevans des brasselets d’or en ses bras, sans avoir patience de les lui
destacher, lui coupèrent les deux poings. » Au sein de la bande massacreuse, se
distinguealorsunrôtisseurqui«luyfourraunebrocheàtraverslecorps,laquelley
demeurafichée:puis,quelquesheuresaprès,cecorpsainsimutiléfuttrainéenla
rivière.Lesdeuxmainsdemeurèrentplusieursjourssurle pavéetfurentrongées
parleschiens123».Laviolencesanctionneraitlecrimed’avoirmangégrasentemps
decarême;enabandonnantàlamanducationdeschienslesmainsquiontcuisiné
et mangé la viande, elle voudrait révéler que celui ou celle qui a transgressé
l’interdit divin n’est pas humain, n’est donc qu’une bête à l’image des chiens qui
s’attaquent à lui… Une violence qui rappelle que Carnaval, peint par Brueghel
l’Ancien, chevauche un tonneau de vin la tête surmontée d’un plat de soupe au
poulet et brandit une broche sur laquelle sont visibles une tête de cochon et un
corpsdepoulet.Maissurtout, peut-être,lemeurtrethéâtraliserait-iluneviolence
rappelantque«celuidelamaisondeJéroboamquimourradanslavilleseramangé
par les chiens124 ». Jéroboam adorateur d’un veau d’or ! Ajoutons que le fait de
traînerparlescheveuxsuggèrel’impudicitédelafemme,lapunitiond’uneliberté
sexuelle qui ferait d’elle une « traînée » et qui l’aurait portée à fréquenter les
assemblées cultuelles huguenotes 125 ! Mais les assassins jouent également, et sans
nuldoute,sousl’emprised’unehypnoseludique.
Onpeut, àla lecture del’Histoire desmartyrs persecutez…comme des Mémoiresde
l’estat de France…, constater que les massacreurs forment des groupes parfois
nombreux, comme les hommes qui viennent auprès du grand médecin et
chirurgienAntoineSylvius-Dubois,quilogeaitdansunechambregarniedonnant
sur les fossés Saint-Germain l’Auxerrois : ils sont quarante individus qui
envahissentsachambre.Illeurpromet,pourrépondreàleursexigences,300écus
en échange de la vie sauve. L’ayant fait sortir de la maison à la demande de son
hôtesse,ils se partagent la sommetandis que l’un d’entre eux le met à mort alors
quelesautres«n’enfirentautresemblant» 126.Quaranteencore,c’estlechiffredes
agresseursqui,surles9heuresdusoir,le28oule29août,malgrélesdéfensesde
tuerlesfemmesetlespetitsenfants,serendentchezunmarchandchandelierqu’ils
soupçonnentdecacherlaveuvedeRichardGastinejadispendule30juin1569.Ils
rançonnent celle-ci, puis lui mettent sur les épaules un manteau d’homme et un
chapeausurlatêtepourdissimulerqu’elleestunefemme,etlaconduisentjusqu’au
pont des Meuniers. Là, « après l’avoir outrageusement battue en chemin, […] la
daguent et jettent en l’eau ». Parallèlement, certaines maisons sont les cadres de
micromassacres dont on devine qu’ils ont mobilisé une troupe de tueurs
nombreux:entre25et30personnestuéesauBahutroyal,àlaCoutellerie.Etprès
de la Croix du Tiroir, à la Bannière de France, tous les hommes, femmes, petits
enfants, serviteurs et servantes qui s’y trouvaient sans doute réfugiés. Même
schéma au Lion noir, rue Saint-Honoré. Un point de forte intensité surgit : la
maisondelaPerle,àcôtéduMarteaud’or,surlepontNotre-Dame,où«tousles
hommes,femmes,enfansetservantesfurentjettezparlesfenestresenl’eau».Des
maisons qui, peut-être, auraient été les cibles d’une extermination rappelant ce
qu’avaientjadisaccompliles80soldatsdeJéhurentrantàSamarieetmassacrantles
adorateursdeBaaldanslademeureoùilss’étaientrassemblés127.Unehypnosedela
réitérationbiblique!
Lemotd’ordresous-jacentquisembleavoirétémisenpratiqueest,unefoisun
protestantappréhendé,deproclamerqu’ildevaitêtreconduitàlaConciergerie:ce
quiauraitpusignifier,pareffetdedérision,qu’ildevaitêtretraînéàlaSeineetjeté
dansl’eau.Lesassassinsjouentets’amusent.Ilspeuventencoreêtredesmariniers
interceptant un homme jeté à l’eau et nageant pour échapper aux coups ou
achevant l’homme qu’un capitaine de la milice a « dagué de plusieurs coups » et
précipitédanslaSeine.Ouencoreachevantunmalheureuxauparavantpoignardé.
IlyaaussilecasdeMadeleineBriçonnet,veuvedumaîtredesrequêtesThibaudde
Longuejoued’Yverni et nièce du cardinal Briçonnet, interceptéedans sa fuite par
desindividusquil’identifientgrâceàuncotillontropfindépassantdelarobequila
déguisaitenfemmedupeuple,quilafrappentdeplusieurscoupsd’épieuetenfin,à
demi morte, la jettent dans la Seine depuis le Pont des Meuniers. Là, des
«bateliers»,selondeThou,«voyantqu’elleflottaitsurl’eau,ycoururentcommeà
unchienenragéetluidonnèrentlentement,avecunplaisirbarbare,centcoupsde
crocpourlafairealleraufond128».Coupsdebâtondonnésàlatête,etaussicoups
multiplesdénotantunacharnementjoyeusementcollectifcommec’estlecaspour
le marchand libraire de la rue Saint-Jacques Oudin Petit, qui, nous l’avons déjà
rapporté,auraitététuédevingt-septcoupsdepistolesetdehallebardes129.
De plus, la tuerie de 1572 demande visiblement souvent un accompagnement
rituelquisemblemobiliserplusieurshommes:ilpeutyavoirlamiseàmortréduite
àdescoups dedague oude poignard.Maiselle peutavoirexigé descoups portés
dans « toutes les parties du corps », une mutilation des membres, et avoir été
accompagnés de paroles moqueuses et humiliantes, de « huées et sifflemens
estranges».Letempsdelamortn’estdoncpascourt,ildemandedutempsetilfaut
deshommesennombrepourqueleparcoursdeviolenceprennelesensvouluqui
est l’obéissance à un désir divin, d’autant qu’il est rythmé aussi par le pillage. Un
collectifdecriminelsbasculantdansunehypnosebiblique.
Ilyaceuxquisontdesbourreauxetceuxquiregardentagircesderniersdansune
sorte de fascination leur faisant prendre part par le regard aux gestes assassins et
donc à la transgression qu’est la mise à mort de victimes. Tous les acteurs de la
foulecriminelle,qu’ilssoientpassifsetactifsoulesdeuxtoutàlafois,subissentla
mêmeemprisequiest,danscesecondXVIe siècle,d’êtremisenpriseimmédiateavec
le Sacré. On peut être un criminel sans tuer mais en se confondant dans l’ordre
consensueld’unecitétueusequiimaginerevivrebibliquement.Onpeutencoreêtre
uncrimineldistanciéàl’instardeceuxquiseprésententteljouraulieuordinaire
pour postuler aux charges et offices proclamés vacants le 4 septembre vacants du
faitdelamortdeleursdétenteursdepuisle24août;ouonpeutl’êtrecommeles
théologiensdela Sorbonne,avec d’autresecclésiastiques,qui,le 5septembre, s’en
vontperquisitionnerdansl’Universitéetfontbrûlerun«grandnombre»delivres
réputés suspects, parachevant ainsi le travail de ceux qui, ayant massacré les
libraires et imprimeurs, ont synchroniquement jeté dans des brasiers les livres
conservéschezeux.
Maisseposela questiondesavoiroù commencelaresponsabilitéquandelle est
inscrite dans le théâtre collectif du « peuple », voire de la « populace ». Doit-on
raccorder la Saint-Barthélemy, en suivant Karl Jaspers 130, au concept de
«responsabilitémétaphysique»procédantdeceque,devantDieu,«ilyasolidarité
entreleshommescommemembresdugenrehumainquirendenttoutunchacun
responsable de toute injustice commise dans le monde en particulier des crimes
commisensaprésenceouluilesachant»?Pourexpliquercequiauraitétél’assise
des crimes nazis, il faudrait remonter jusqu’à certains idéaux romantiques et à la
völkische Ideologie tout en descendant jusqu’à l’obsession, dans les esprits
d’Allemands « ordinaires », d’un antisémitisme « rédempteur131 ». Même si les
Allemandsn’étaientpastousobnubilésparunehainedesJuifs,iln’enestpasmoins
possiblequelefaitd’avoirdétournéleursregardsdespersécutionsquidébutèrent
précocement et qu’ils ne pouvaient que pressentir rien qu’en écoutant Hitler132 ,
feraitquel’histoiredunazismepourraitparaîtreainsicoscénariséeparHitleretle
«peuple»allemand.
Daniel Jonah Goldhagen133 a ainsi posé l’hypothèse d’un État criminel allemand
ayant développé une politique éliminationniste à laquelle les Allemands auraient
adhéré134:àlalimite,lesoutienàHitlerauraitétéintrinsèquementlaconditionde
réalisation de la Shoah. Même la passivité distanciée aurait rendu possible le
génocideauxyeuxde Goldhagenquiaffirmeque, sidetrès nombreuxAllemands
nefurentpasimpliquésdanslaShoah,«celatientuniquementaufaitqu’onneleur
avait pas demandé de l’être. Si tel avait été le cas, ils auraient tué avec autant de
plaisir que les 500 000 autres Allemands directement impliqués dans
l’holocauste135 ».Iln’yauraitpaseuquel’impressionnanteetzéléebureaucratiedu
régime nazi à mettre en œuvre son idéologie épouvantable impliquant un
«processusdedestruction136 ».Sicependantlathèsed’HannahArendtaunbien-
fondé permettant de pas subir l’ascendance séduisante d’une telle démarche
maximaliste,c’estquandelledémontrequ’AdolfEichmannsedéfinitpar«l’absence
depensée»,levidesubjectif,labêtise137.Ilyaunparadoxeducriminel,celuid’être
un«responsableirresponsable»,écrit-elledansPenserl’événement138,unparadoxe
qui pourrait s’appliquer aux Parisiens de 1572. Le nazisme n’a-t-il pas créé une
communauténationaleducrimequiinclutlesactifsbiensûr,maisaussilespassifs?
Une«complicitégénérale»fixéesurleJuif,ennemimétahistorique?Labanalité
dumalnepourrait-ellepasêtreétendueàtousceuxquinesavaientpasparcequ’ils
nevoulaientpassavoiretétaientdanslevidesubjectif139?
SaulFriedländeradémontréquelapsychosefutcollective 140etqu’ilnefautpasse
laisserleurrerparl’irénisme.Ilyeutdanslescampsetailleursdesassassinsquise
glorifiaientdeleurscrimes.Maisilyeutaussiundésircollectifdepurifierl’espace
allemand, et beaucoup d’Allemands, petits fonctionnaires, policiers, cheminots,
soldats, etc., savaient ou pouvaient soupçonner qu’il se passait un drame
monstrueux141.
On sait que, dans la réflexion de Paul Tillich142, l’important est de faire la
différenceentrelaculpabilité«diabolique»deceuxquifontvolontairementlemal
et la culpabilité « tragique » qui consiste à continuer à vivre comme si rien de
criminelnesepassait,parindifférenceouinertie,voireapathie.Celan’empêchepas
que « l’individu porte une part de responsabilité dans la manière dont l’État est
dirigé ». Plus encore, « tous les individus d’une nation sont responsables de
l’existencedugroupequilesgouverne 143».Enbref,onpeutêtreuncriminel,dans
certainscontextes,parcequ’àlamanièredeJacques-AugustedeThou,onsemetà
distancedecequel’onsaitêtreentraindesepasser.
D’oùunequestion144 :laSaint-Barthélemy,avantlelaboratoiredel’identification
duconcept deculpabilité collectiveattaché aunazisme età la Shoah,ne peut-elle
passuggéreràl’historien,quifaitletravaild’imaginerlesruesdeParisrempliesde
Parisiens assistant à la tuerie ou même vaquant à leurs occupations, la voyant de
leurs yeux ou faisant semblant de ne pas la voir, de penser qu’il y eut en 1572
commeunepréhistoirebiblicisantedesfoulescriminellesdespogromsmonstrueux
desXXe etXXIe siècles?Une«complicitégénéraleenglobantceuxquineveulentpas
voircequisepasse,ceuxquitournentlatêtepournepasassisterauxcrimes,etqui
peuventparaîtrel’assumeroulajustifierquandilsnesemobilisentpasensuiveurs
pourtueroupiller».
Danscetteperspective,nefaudrait-ilpasalleràl’enversdel’histoireetfairesurgir
lesombresdestueursdeJuifsdelaLituanieoudel’EstoniedelaSecondeGuerre
mondiale entourés de spectateurs qui, probablement venus du voisinage proche,
observèrent les scènes criminelles photographiées par l’un d’entre eux, et avec
complaisance?DansleRwandagénocidairedeplusde800000hommes,femmeset
enfants,lepartage entreceux quituent etles spectateurssemble avoirété sexuel,
maisdemanièreartificieuse:«Leshommesicituaient,maislesfemmes,vraiment,
c’était comme si elles venaient assister à une fête de mariage. Elles, elles ne
s’inquiétaientderien,carelles savaientquec’étaitles Tutsisquel’onchassait,pas
les Hutus. Les hommes finalement venaient abattre les vaches, et les femmes
venaientprendrelaviande.Jeconnaisplusieursfemmesquiontditàd’autres:«Ah
toi!Tonmariestentraind’abattrelesvaches,detenourrir,ettoitunefaisrien.
Tudois faire quelque chose. » Je me souviensd’un jour où on m’a emmenée à la
rivière,ilyavaitaumoinsunmillierdefemmesderrièremoi.[…]Comprenezalors
queleurrôleétaitdemontreràquelpointellesétaientheureusesdevoircequise
passait,et excitées par cela. » Il y a donc les criminels de sang, et les femmes qui
suivent les parcours mortifères des hommes, contemplent les mises à mort,
déshabillent les morts, se moquent des cadavres, pillent les maisons
ensanglantées145, et, ce faisant, authentifient symboliquement le sens même du
massacre qui est d’annihiler festivement ceux qui meurent, de faire en sorte que
riennesubsisted’eux.
On se trouve alors devant la même interrogation que celle qui s’attache à la
perception historiographique du nazisme et de sa politique d’extermination
antisémite. Continuons à interroger un autre passé que celui d’août 1572 pour
tenterdecomprendrelaSaint-Barthélemypardeseffetsderapprochementsoude
miroirs. Y eut-il adhésion volontariste du « Volk » allemand, entraîné par le
charisme d’Hitler et par un enfermement dans les filets d’une propagande
suramplifiantlahainedesJuifsquis’enracinaitdansunelongueduréeetfavorisant
uneadhésionàunprogrammed’invisibilisationconcentrationnaire?Ouyeut-ilun
processusd’indifférence,voiredecécitésubjective?AvancerquelePariscriminel
de 1572 n’est pas tout le Paris catholique ou presque ne revient-il pas à réduire ou
minimiserl’ampleurdelaviolencemême?L’exterminationdesJuifsn’a-t-ellepas
été un fait social global, par-delà le fait qu’elle a eu ses praticiens hyperactifs, SS
dans les Konzentrationslageret soldats de tous grades et Einsatzgruppen dans les
terresparcouruespar la Wehrmacht,et aussile faitdes Allemands« ordinaires»
que l’on voit photographiés entourant les SA, les SD et SS lors de la Nuit de
Cristal?Nedoit-onpasaccepterl’idéed’uneresponsabilitécollectivefaçonnéesur
les bases d’une culture éliminationniste qui était à l’œuvre dans un imaginaire
collectifformaté?Commeellel’étaitdanslesfantasmesdes«vrais»ou«bons»
catholiquesde1572arpentantdèstôtlematindu24aoûtlesruesetlescarrefours
deParis?
PourcequiestprécisémentdelaNuitdeCristal,ellepourraitévoqueruneSaint-
Barthélemydisséminéedansl’espace–deVienneàNurembergetBerlin–etdans
letemps,entrele9-10novembre1938etlessemainesquisuivent,avecsansdoute
d’abordplusieurscentainesdevictimesavantles25à30000déportésquidevaient
être,pourlaplupart,bientôtassassinésdansdescamps,avecdesnazisenuniformes
ou en tenue civile se consacrant au pillage des biens. Mais, là encore, ceux qui
saccagent les magasins et agressent les familles juives ne sont pas seuls : autour
d’eux,des passants, pour certainsbien habillés, et pasnécessairement des voisins,
contemplentleurœuvre,affluantlàoùrésonnelefracasdesvitrinesbriséesetoù
lespropriétairesjuifssontimmédiatementbrutalisésetinjuriés.Lepogromestune
fête collective unissant acteurs et spectateurs dans une communion dont la
significationetlaconditionsontladéshumanisationdesJuifs.Legrandnombrede
photosconservéestendraitàindiquerquelespersonnesphotographiéesvoulaient
conserver un souvenir de ce qui, pour elles, aurait pu être une manière de fête
libératrice d’un fantasme d’impureté. Joseph Goebbels lui-même commenta
l’événementenaffirmantquelesJuifsdevaient«sentirpourunefoislacolèredu
peupleallemand».
Onpourraitaussicorrélerlesévénementsd’août1572àcequisepassaenPologne
en 1941 avant l’arrivée des troupes allemandes quand « les populations locales »
agissant de leur « plein gré » réalisèrent une tuerie des Juifs des villes et des
campagnes, anticipant en quelque sorte la politique nazie d’extermination qui est
ensuite intervenue. Le cas de la petite ville de Jedwabne et du pogrom advenu le
10 juillet 1941 a été scruté très attentivement par Jan Thomas Gross 146 : les
autorités locales convoquèrent d’abord les non-Juifs à l’Hôtel de ville et leur
distribuèrentdesfouetset desgourdins.Tous lesJuifs furentensuiteappelésà se
rassembler sur la place de la ville où une partie d’entre eux fut assassinée. 1
600Juifs,hommes,femmes, enfants,vieillardsfurent alorssoitégorgés,décapités
ounoyés,soitenfermésdansunegrangequifutincendiéecommecelas’étaitpassé
quelquesjoursplustôtdansungrosvillageproche.Lesauteursdelatuerieétaient
les chrétiens habitants à côté d’eux. Il s’agit d’un exemple parmi d’autres, mais il
illustrebiencequeJanThomasGrossnomme«l’implicationàgrandeéchelled’une
population dans un meurtre » et dans des actes festifs de pillage visant
l’appropriationd’unmythique«or»juif.Làencore,ilyeutsansdoute,d’unepart,
les tueurs et, d’autre part, ceux qui accompagnaient leurs gestes de leurs regards.
Des estimations prouvent l’implication collective des Polonais chrétiens dans un
meurtre de masse à grande échelle – 200 000 des 3 000 000 de Juifs de Pologne
auraientététuéspardesPolonais,des«hommesordinaires»selonl’expressionde
Christopher Browning, qui eurent à leurs côtés des spectateurs complaisants et
donccomplicesparleseulfaitd’uneadhésiondesregards.
Lemassacrede1572nepeutpasavoirété,danscetteperspective,quelemassacre
réaliséenquelquesjoursparla«poignéed’hommes».LaSaint-Barthélemyestune
fête ou une célébration collective. Une ivresse collective portant à tuer comme
mécaniquement. Un moment liminaire est à évoquer, quand des petits enfants,
figures de l’innocence sainte, sont venus s’emparer du cadavre de Coligny sans
doutevers7-8heuresdumatin,etletraînentparlesruesdeParisdanslesboues,le
jettent sur des brasiers, en mettant en scène le désir de violence de Dieu contre
celui qui a fait la guerre aux Siens au nom d’un faux Dieu. Là aussi, il y a un
spectacle à haute signification. N’est-on pas ici dans des phénomènes
d’autosuggestion collective autorisant une mise en situation biblique et donc une
légitimation de la violence répondant à un désir de voir se rejouer une scène
primitiveparadigmatique?Nefaudrait-ilpasciterExode34,10pourdéduirequela
Saint-BarthélemyaeulieuafinderéaliseroumêmethéâtraliserlesparolesdeDieu,
delesaccomplirdansunmeurtrecollectifquiestuneréconciliationtantattendue–
«L’Éternelrépondit:Voici,jetraiteunealliance.Jeferai,enprésencedetoutton
peuple, des prodiges qui n’ont eu lieu dans aucun pays et chez aucunes nations :
tout le peuple qui t’environne verra l’œuvre de l’Éternel, et c’est par toi que
j’accompliraideschosesterribles»?Lemiracledujugementdivin,decettevenue
salvatriceduChristparmilessiens,auxcôtésdessiens,nepeutqueseparachever
en une fin d’histoire, dans le rétablissement d’une société unie par l’adoration du
seul et vrai Dieu. Et, pour glorifier ce moment merveilleux de joie, il faut lancer
verslecieldescantiquesd’infiniegratitude:
ChantonsdévotzChrestiensvraysCatholiques,
DecebonDieulesœuvresmagnifiques,
LequelnousapréservédesLyens,
Dontnousvouloientliercesmauditzchiens
DonnonsàDieulouangeséternelles
Quiabrisélechefdecesrebelles
CeCatylinceSymondesloyal,
CeproditeurcepuniqueAdmiral
Chantonschantonslaruineetdeffaicte
Decestetrouppeorgueilleuseetinfecte,
D’erreurcombléeetdesédition,
Quinecherchoitquenostreéversion147…
1.AmartyaSen,Identitéetviolence.L’illusiondudestin,Paris,OdileJacob,2015,p.242-245.
2.Ibid.,p.72-101.
3.Ibid.,p.24.
4. Cf. L’histoire du tumulte d’Amboyse advenu au moys de Mars, M. D. LX. Ensemble un advertissement et une
complainteaupeupleFrançois,s.l.;AlphonsedeRuble,«L’ArrestationdeJeandeHansetletumultedeSaint-
Médard(décembre 1561) », Nogent-le-Rotrou,impr. de Daupeley-Gouverneur, 1886; Histoire véritable de la
mutinerie, tumulte et sédition faicte par les prestres de Sainct-Médard, (1562), in Archives curieuses de l’Histoire de
FrancedepuisLouisXIjusqu’àLouisXIII,LouisCimberetFélixDanjou(éd.),Paris,Beauvais,1835,1resérie,t.IV,
1835,p.89;Louis-RaymondLefèvre,LeTumulted’Amboise,Paris,NRF,1949.
5.LaPartitionseraimmédiatementcomparéeenFranceàune«immenseSaint-Barthélemy».Cf. LaCroix,
11septembre1947.
6.JohannWilhelmvonBotzheim,«LaSaint-BarthélemyàOrléans…»,art.cité,p.358.Ontrouvelamême
forfanterieàOrléansaveclesieurFermineauquisevantaitd’avoirunpalmarèsde50tuésdesapropremain.
7.PierredeL’Estoile, JournalpourlerègnedeHenriIVetledébutdurègnedeLouisXIII.Œuvresdiverses,André
Martin (éd.), Paris, Gallimard, 1960, t. IV, p. 475, qui ajoute que Croizier s’exhibait en mangeant
«ordinairementaveclesmainsetbrastoutsanglants,disantqueceluiétaithonneur,pourcequecesangétait
sangd’hérétique…Cequiseraitmalaiséàcroiresionnel’avaitvuetentendudesaproprebouche».
8.JacquesAugustedeThourapportel’anecdoteàproposde Crucé-Croizier,«àfigurepatibulaire»,qu’ildit
«avoirvubiendesfoissevanterenmontrantinsolemmentsonbrasnud,quecebrasavoitégorgécejour-là
plusdequatrecentspersonnes».Ilyadeuxobservationsàprésenterselonl’historientrèscatholiqueJacques
B.deSaint-Victor, TableauHistoriqueetpittoresquedeParisdepuislesGauloisjusqu’ànosjours,Paris,àlalibrairie
classique élémentaire, t. 3, 1823, p. 204 : « La première, c’est qu’il est physiquement impossible qu’un seul
homme, dansl’espace de quelques dizaines d’heures, aitpu commettre quatre cents meurtres surdes individus
qu’ilfalloitallerappréhenderlesunsaprèslesautresdansleursmaisons,danslesquellesilfalloitchercherceux
quisecachaient,vaincrelesrésistancesqueleuropposoitledésespoirdeleursvictimes,etc.Laseconde,c’est
qu’ensupposantmêmelachosepossible, sicethommeeneût tuéquatrecentspoursapart, iln’auroitlaissé
presquerienàfaireàsescompagnons,qu’ilfautsupposeralorsuniquementchargésdesesaisirdesgensetde
lesluiamenerpourqu’illesexpédiât.»
9.«LesvictimesdelaSaint-Barthélemy,àParis…»,art.cité,p.38.
10. Cf. L’histoire du tumulte d’Amboyse advenu au moys de Mars, M. D. LX. Ensemble un advertissement et une
complainteaupeupleFrançois,s.l. ;AlphonsedeRuble,« L’ArrestationdeJeande Hansetle tumulte deSaint-
Médard(décembre 1561) », Nogent-le-Rotrou,impr. de Daupeley-Gouverneur, 1886; Histoire véritable de la
mutinerie, tumulte et sédition faicte par les prestres de Sainct-Médard, (1562), in Archives curieuses de l’Histoire de
FrancedepuisLouisXIjusqu’àLouisXIII,LouisCimberetFélixDanjou(éd.),Paris,Beauvais,1835,1resérie,t.IV,
1835,p.89;Louis-RaymondLefèvre,LeTumulted’Amboise,Paris,NRF,1949.
11. « Langue des bourreaux, langue des victimes. Rencontre avec Saul Friedländer et Pierre-Emmanuel
Dauzat»,parYvanJablonka,inLaViedesIdées.fr,le4avril2008.
12.LetémoignagedeLéonWells,citéinEdwardWestermann,«I.2/Alcool,mangeaillesetrituelsfestifssur
lessitesdemassacres»,Revued’histoiredelaShoah,2021/1,n°213,p.45-64.
13.LejésuiteapossiblementenmémoireNombres22,1-40;23,1-30;24,1-25.
14.RomainDoucet,Souslesailesdel’archange.SaintMichelàl’épreuvedel’histoire(France,XVe-XVIIe siècle),Thèse
dedoctoratsousladirectiondeDenisCrouzet,CentreRolandMousnier,SorbonneUniversité,déc.2023.
15.ThierryAmalou,LaSorbonneenguerredeReligion(1551-1589).Autoritéuniversitaire,censureetpouvoirroyal
en France, Genève, Librairie Droz, [à paraître] ; id., « Holy War or Sedition ? The Prophetism of Parisian
Preachers and Catholic Militancy (1558-1588) », French Historical Studies, n° 38, sept. 2015, p. 611-631 ; id.,
« L’imaginaire biblique de la guerre sainte pendant les guerres de Religion. Le rôle des théologiens de
Sorbonne»,in Violenzasacra.1.Formeemanifestazioninellaprimaetàmoderna,LuciaFelici(dir.), Rome,Viella,
p.53-83.
16.HaraldWelzer,LesExécuteurs,Paris,Gallimard,2007,p.60.
17. Cité in Christian Ingrao, Croire et détruire, Paris, Le Seuil, 2010. Voir Hélène Oppenheim-Gluckman,
«Destructivitéetmeurtresdemasse»,LesLettresdelaSPF,vol.42,n°2,2019,p.211-221.
18.StefanIonescu,« Perpetrators,bystanders,andrescuers: popularattitudestowardsOttomanchristians
duringtheArmeniangenocide»,StudiaPolitica:RomanianPoliticalScienceReview,vol.XI,(2),2011,p.328-344
et337-338:«Cen’estqu’ainsiquel’onpeutinterpréterlesacteshorriblesetgratuitsdetortureetdemutilation
descorps,ainsiquel’atmosphèredegaieté,lesriresetl’humeurjoyeusequilesaccompagnent.»
19.MarcVenard,art.cité,p.656-657.
20.KlausTheweleit,LeRiredesbourreaux.Essaisurleplaisirdetuer,Paris,LeSeuil,2019.
21.ÉdouarddeLaBarre-Duparc,HistoiredeCharlesIX,Paris,Auxfraisdel’auteur,1875,p.369.
22.JohannChapoutot,«L’historiciténazie.Tempsdelanatureetabolitiondel’histoire»,VingtièmeSiècle.
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23. Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire : « Un Eichmann de papier » et autres essais sur le
révisionnisme,Paris,LaDécouverte,2005.
24. Adolphe Schaeffer, « La Saint-Barthélemy fut-elle préméditée de longue main ? », BSHPF, t. IV, 1856,
p.286.
25.LeGenrehumain,numéro62,LeSeuil.
26.AnneSimon,«Pogrom,DélugeetArche»,K.LesJuifs,l’Europe,leXXesiècle,28février2024,enligne.
27.Osée14,1.
28.Ps136,8-9.
29.Ésaïe13,18.
30. Théodore de Bèze, Histoire ecclésiastique des eglises réformées au Royaume de France, en la quelle est
descrite au vray la renaissance et accroissement d’icelles depuis l’an M.D.XXI. jusques en l’année M.D.LXIII. leur
reiglement ou discipline, Synodes, persecutions tant generales que particuliers, noms et labeurs de ceux qui ont
heureusementtravaillé,villesetlieuxoùellesontestédressees,aveclediscoursdespremierstroublesouguerresciviles,
desquelleslavrayecauseestaussideclaree,3vol.,Del’ImprimeriedeJeanRemy,ÀAnvers,1580,t.II,p.356.
31.ClaudeLévi-Strauss,RaceetHistoire.RaceetCulture,Paris,AlbinMichel,2001,p.162.
32.MémoiresdeLucGeizkofler…,op.cit.,p.119.
33.JohannWilhelmvonBotzheim,Cyclopicaillaatqueinaudita…,op.cit.,p.119.
34.SimonGoulard,Mémoiresdel’estatdeFrance…,op.cit.,t.I,p.222.
35.NathanaëlWeiss,«LaSaint-Barthélemy.Nouveauxtextes…»,art.cité,p.426-444.
36.JacquesCoppierdeVellay,Delugedeshuguenotzavecleurtumbeau,etlesnomsdeschefsetprincipaux,punisà
ParisleXXIIII.ejourd’Aoust,etautresjoursensuyvans,1572,ÀParis,ParJeanDallier,1572,AvecPrivilege.
37.SimonGoulard,Mémoiresdel’estatdeFrance…,op.cit.,t.I,p.225-226.
38.«LesvictimesdelaSaint-BarthélemyàParis…»,art.cité,p.34-44.
39.JohnTedeschi(éd.),«TomassoSassetti’sAccount…», op.cit.,p.143:«Àtelpointquelepeuple,furieux
etpressé,reçutl’autorisationdeprendrelesarmesetquedesactesinouïsdescélératessefurentcommis…»
40. Par « bouchers du peuple », il faut entendre les greffiers qui sont accusés d’« écorcher le peuple » en
allongeantleparcheminparsuperfluitédelangage…
41.SimonVigor,Sermonsetprédicationschrétiennesetcatholiques,pourtouslesjoursdeCaresmeetfériesdePâques,
2vol.,ÀParis,ChezNicolasChesneau,1582,t.2,p.272.«Onneferaunepansedeacontrevous»signifie
qu’iln’yaura«riend’écritcontrevous.»
42.PierredeL’Estoile,JournalpourlerègnedeHenriIVetle…,op.cit., t.IV,p.482,CharlesIXajoutant:«Du
depuis,disaitleroi,jen’aijamaisaiméCoconnas,etencorequejen’aimasseguèreleshuguenots,jel’aitoujours
tenupourunméchanthommeetdignedelafinqu’ilaeue.»
43.Ps137,9.
44.Ps149,5-9.
45.Ps37,13.
46.L’explicationestpeut-êtreiciliéeàlalectureàl’antiqueàlaquelleleshistoriensprotestantsontprocédéet
qui se retrouve dans la démarche de Jérémie Foa. On peut toutefois se poser la question suivante qui est
complémentaire : les historiens protestants des atrocités de 1572 n’ont-ils pas suivi ou reproduit un modèle
narratifintégrantprécisémentdesparadigmesdeviolencessegreffantsurletempsdumassacre,d’autantque
lesmassacresperpétrésparlestriumvirsAntoine,OctavienetLépideontétédenombreusesfoisreprésentésau
cours des années 1550, inspirés par le récit de l’historien Appien qui avait évoqué les cas d’hommes et les
femmes ayant subi un sort pitoyable s’expliquant parfois par le jeu de données affectives ? N’y a-t-il pas eu
focalisationenfonctiond’unetypologiepréexistantedel’écrituredumassacre?Ilyeutainsi,citéeparAppien,
l’épousedeSeptimiusquiétaitamoureused’unamid’Antoine.Impatientedepasserdecetamouraumariage,
ellesollicitaAntoineparsonamantdeladébarrasserdesonmari.Septimiusimmédiatementfutmissurlaliste
desproscrits.Quandill’apprit,ignorantcettetrahisonfamiliale,ilsesauvadanslamaisondesonépouse.Elle,
commesielles’inquiétaitaffectueusementpourlui,fermalesportesetleretintjusqu’àl’arrivéedesmeurtriers.
Lejourmêmedelamortdesonmari,elleseremaria.Onn’estpasloinicidel’histoiredeMaryeRobert.On
pourraitencoreévoquerlecasdeFulviussesauvantchezuneservantequiavaitétésamaîtresseetàquiilavait
donnélalibertéetunedotpoursonmariage.Bienqu’ill’eûtbientraitée,elleletrahit,jalousequ’elleétaitdela
femmeavecquiFulviuss’étaitmarié.Appienévoqueencorelesenfantsorphelinstuéspourleurrichesse.Unde
cesderniers,quiallaitàl’école,futassassiné,ainsiquesonprécepteur,quientouraitdesesbraslegarçonetne
voulaitpaslelâcher.D’oùunequestion:les crimesintrafamiliauxoudevoisinscontredesvoisins,s’ilssont
patents,nesont-ilspasunpiègetenduàl’historienpareffetdefocalisationetdemimétiqued’écriture?
47.Ronsard,Discoursdesmisèresdutemps…,(1562),115-125.
48.SimonVigor,SermonscatholiquespourtouslesjoursdeCaresmeetFeriesdePasques,faitsenl’ÉgliseS.Estienne
duMontàParis…,àLyon,pourPaulFrellon,etAbrahamCloquemin,1593,p.368.
49.DenisCrouzet,LaNuitdelaSaint-Barthélemy…,op.cit.,p.535.
50.AnnaCarlstedt,«“Parolesdetolérance”…»,art.cité,enligne.
51. Sur l’idée d’un suivi ou repérage de ces temporalités crisiques, on peut regretter qu’Edgar Morin soit
absentdesréférencements.PourMorin,lasituationcrisiqueconditionnel’apparitionetlaprisedeconscience
de la complexité épistémologique dont elle est la surdétermination. La crise est alors une fracture dans un
continuum, une fracture qui projette dans la complexité et donc dans un abîme ayant englouti les parts du
conscient et de l’inconscient. Ce qui invite à se demander si la Saint-Barthélemy est une fracture dans un
continuum ou un continuum exacerbé de violences migrant d’un point de gestation à un autre. Les
temporalitéscrisiquesdesguerresdeReligionneseraient-ellespaslesséquencesd’émergenced’untempslong
auseinduquellacriseperdureetsemeut,etquiestcelled’undoutesurgiàlafinduXV esièclesurlacapacitédu
chrétienànepasselaisserconquérirparlediable,oucraindred’êtreplusdiaboliquequelediablelui-même?
Neserait-cepaslacomplexitéépistémologiqued’EdgarMorinqu’ilfaudraitcherchericiàidentifierdansunede
sestensionsderésolutiondramatiquequ’estlemassacredelaSaint-Barthélemy?Pourquoiyeut-ilsurlafindu
XVe siècle la répétition d’épidémies localisées de suicides, de possessions individuelles comme collectives, de
projectionssorcellairesfixatricesdel’angoissedudémonenpassedes’emparerdesoi?TuerpourDieuen1572
nerevenait-ilpasàcombattredanslesprocéduresdevictimisationdesréforméscettetensionlatentedeperte
decontrôledesoi,àsortird’undoutelancinantautravaildansl’imaginairedepuisdesdécennies?Lesconflits
neseraientpasalorsdescrises,maisdesprocéduresderésolutionagiesdansdiversesdirectionsetproduisant
une inhumanité de tueurs atrocement oppressés par une urgence de se libérer d’eux-mêmes à travers leurs
victimes?CerteslaSaint-Barthélemyestunmassacrequin’ariendespontané,mais,ilfutparadoxalementune
manière d’exorcisme de soi au terme duquel l’histoire de la violence même changea. Et pas seulement l’effet
d’unehainedeceuxquipensaientavoirretrouvéunefoiévangéliqueperdue,unehainecultivéeaurythmedes
événementsdelascissionreligieuse.
52.CitéinJean-LouisBourgeon,L’Assassinat…,op.cit.,p.38.SimonVigor,Sermonsetprédicationschrétienneset
catholiques…,op.cit.,t.1,p.110-111.
53.Ibid.,p.222-222.
54.JérémieFoa,Tousceuxqui…,op.cit.,p.97.
55.L’undestueursestditêtre«lebrodeurcompagnondutireurd’or»,c’est-à-diredeCroizier.
56.ElHadjTouré,«Au-delàdesfondementspolitiquesdugénociderwandais:uneconstructionhistorico-
socioculturelledel’ethnisme»,DévianceetSociété,2013,4,vol.37,p.463-485.ClaudineVidal,«Rwanda1994:
L’imaginairetraditionnelpervertiparlegénocide»,L’Homme,n°163,juill.-sept.2002,p.205-215.
57. Janine Altounian, La Survivance, traduire le trauma collectif, Paris, Dunod, 2000, p. 73, cité in Patrick
Rwagatare et Jean-Luc Brackelaire, « Génocide des Tutsis au Rwanda : quand le viol des femmes est utilisé
pourannihilerl’originemêmedelavieetdelapensée»,Cahiersdepsychologieclinique,2015,n°45,p.165-189.
58. « Tribunal pénal international pour le Rwanda (1998) Jugement, Procureur contre Akayesu, affaire
n°ICTR-96-4-T,2septembre»,inBridgetNievinski,«Uneanalyseintersectionnelledelaviolencesexuelleet
baséesurlegenredansleconflitdelarégiondesGrandsLacsd’Afriquedepuis1994:Lesviolencessexuelles
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59. Renée Fregosi, « La dimension génocidaire, angle mort des massacres du 7 octobre », 3 janvier 2024,
https://www.telos-eu.com/fr/politique.
60.HélèneDumas,LeGénocideauvillage…,op.cit.
61.DavidElKenz,«LesviolencesextrêmesauxXVIeetXVII esiècles»,inViolencesdemasse,violencesextrêmes:
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71. Timothée Brunet-Lefèvre, Le Père Seromba destructeur de l’église de Nyange. Rwanda 1994, Paris, Éditions
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72.GérardHeuzé,«Laviolenceindienneauxprisesavecl’imaginaire», RevueTiersMonde,2003/4,n°176,
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76.JacquesCoppierdeVellay,DelugeDesHuguenotz,avecleurtumbeau,&lesnomsdesChefs&principaux,punis
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77. Jean-Louis Bourgeon, L’Attentat…, op. cit., p. 81 ; Thierry Amalou, « L’imaginaire biblique de la guerre
sainte…»,art.cité,p.53-83.
78.MarioCamilleAlbertde Meaux,LesLuttesreligieusesenFranceau XVIesiècle,Paris,E.Plon etCie,1879,
p.155.
79. Registres des délibérations du bureau de la ville de Paris, op. cit., t. 7, p. 24, un mandement du matin du
24août:«IlestexpressementcommandéauxPrevostdesMarchandseteschevinsdecestevilleetQuarteniers
d’icelle,qu’ilsn’ayent aulcunementàsouffrirque aulcunssoldats,soitde lagardede saMajestéou aultre,ne
pillent…»
80. Barbara Diefendorf, « La Saint-Barthélemy… », art. cité, p. 341-352. Sur lesbystanders, Raul Hilberg,
Perpetrators,Victims,Bystanders:theJewishCatastrophe1933-1945,NewYork,AaronAsherBooks,1992.
81.Ead.,BeneaththeCross…,op.cit.,p.105.
82.Ead.,«LaSaint-Barthélemy…»,art.cité,p.349-350.
83.Ibid.,p.370.
84.ArsènePapazian,«LeGénocidedesArméniens.24avril1915-24avril2015:uncentenaireexemplaire»,
Hegel,2015/2,n°2,p.136-141;RaymondH.Kévorkian,LeGénocidedesArméniens,Paris,OdileJacob,2006;id.,
«L’exterminationdesArméniensparlerégimeJeuneTurc(1915-1916)»,inMassViolenceandResistance,2010,
en ligne; Hilmar Kaiser, «A Scene from the Inferno,The Armenians of Erzerum andthe Genocide, 1915-
1916 », in Hans Lukas Kieser et Dominik J. Schaller (dir.), Der Völkermord an den Armeniern und die Shoah,
Zurich, Chronos, 2002 ; James L. Barton, « Turkish Atrocities ». Statements of American Missionaries on the
Destruction of Christian Communities in Ottoman Turkey, 1915-1917, Ann Arbor, Gomidas Inst., 1998 ; Donald
Bloxham, The Great Game of Genocide : Imperialism, Nationalism, and the Destruction of Ottoman Armenians,
Oxford,OxfordUniversityPress,2007.
85.LaurenceMoulinier,«LanoyadeetsonappréhensionauMoyenÂge:unaperçudesquestionssoulevées
par certains “corps flottants” », in Corps submergés, corps engloutis. Une histoire des noyés et de la noyade de
l’Antiquitéànosjours,FrédéricChauvaud(dir.),Paris,Grâne,2007,p.35-53.
86.JérémieFoa,«Enfiniraveclacoexistence…»,art.cité,p.269-284.
87.MartinBundi,«ZumAnteilvonSchweizerSöldnernamMordgeschehenderBartholomäusnachtinParis
(24.August1572)»,SchweizerischeZeitschriftfürGeschichte,t.65,2,2015,p.287-310.
88.MathildeBernard,«L’objetducrime.LespillagesdanslesrécitsdumassacredelaSaint-Barthélemy»,
Albineana,Cahiersd’Aubigné,32,2020,p.101-109.
89.CamilloCapilupi,LeStratagèmedeCharlesIX,roideFrance,contreleshuguenots,rebellesàDieuetàlui,ou
relationdumassacredelaSaint-Barthélemi,traduitdel’italien,octobre1572,p.175,citéinMathildeBernard,art.
cité,p.107.
90. La Saint-Barthélemy devant leSénat de Venise, op. cit.,p. 94 : Giovanni Michiel,lettre du 5 septembre, la
lettresuivantechargeantlesambassadeursdeféliciterleroi,etc.
91.SimonGoulard,Mémoiresdel’estatdeFrance…,op.cit.,p.229.
92.RomainDoucet,thèsecitée,t.I,p.530d’aprèsNicolasFavyer, Figureetexpositiondespourtraicz etdictons
contenuz es medailles de la conspiration des Rebelles en France, opprimee et estaincte par le Roy Tres-Chrestien
CharlesIX.le24.Jourd’Aoust1572,ÀParis,chezJeanDallier,1572;voiraussisupra,p.XXX.
93.PioRajna,art.cité,p.34.
94.MémoiresdeLucGeizkofler…,op.cit.,p.92-93.
95.« DieSchweizerin derBartholomäusnacht »,in PhilippeAnton vonSegesser, LudwigPfyfferund seine
Zeit.EinStückfranzösischerundschweizerischerGeschichteim16.Jahrhundert,vol.3,Berne,K.J.Wyss,p.178-192.
96.ÉdouardForestié,op.cit.,p.147.
97. Jacques Carorguy, Mémoires de Jacques Carorguy, greffier de Bar-sur-Seine, 1582-1595, Edmond Bruwaert
(éd.),Paris,Picard,1880,p.92.
98.SophieHoudard,«Delaprophétieauxmotionsducœur.Spirituelsdecœuretdecourdanslapremière
moitié du XVIIe siècle », in La Prophétie comme arme de guerre des pouvoirs, XV e-XVIIe siècles, Augustin Redondo
(dir.),Paris,PressesdelaSorbonneNouvelle,2000,p.419.
99.ClaudeHatonop.cit.,LaurentBouquin(éd.),t.2,p.462-463.
100.Chanson nouuelle du miracle aduenu à Paris,c’est à sçauoir vne Espinequiest florie dedans le Cymetiere des
sainctz Innocens, le lendemeain de l’occision de l’Admiral, et de ses alliez. Et se chante sur le chant, Passez la riuiere,
p.30-31.MerciàTatianaDebaggi-Baranovadem’avoirfaitconnaîtreletexte.
«LeRoyayantpermis
Demettreàmortsanscrainte,
Lechefdesennemis
Del’Églisetressaincte,
L’espineiollye
Estsoudainflorie,
ParvoulloirdeDieu,
Quiestvnmiracle,
Grandetadmirable
Aduenuencebaslieu.
Commeonvoitl’espine
Precieuseetdigne
FlorieàParis.»
101.LesregretsetcomplainctesdeBriquemault.AuecsonÉpitaphe,ÀParis,AumontSainctHilaire…,1572.
102.Letexteestécriten1609ouachevéd’écrire…
103.MémoiresdeLucGeizkofler…,op.cit.,p.101.
104.Lesarrestsdederniereexecution.ContreGaspardeCollignyquifutadmiraldeFrance,FrançoisBriquemault,et
RenaulddeCauaignes,ParMichelJove,àl’enseigneduIesus,1573.
105.AliciaViaud,«FrançoisdeBelleforestetla«contraintedugenre»historique:prudencecourtisaneou
vérité partisane ? »,Albineana, Cahiersd’Aubigné,31,2019 [Paradoxesd’historiens:les enjeuxdel’écriture de
l’histoire en France (1560-1630)], p. 65-88, qui cite François de Belleforest, Discours sur l’heur des presages
advenuzdenostretempssignifiantzlafelicitéduregnedenostreRoyCharlesneufiesmetreschrestien,ÀParis,Vincent
Norment,1572,p.30.DansFrançoisdeBelleforest,LesgrandesannalesethistoiregénéraledeFrance,dèslavenue
desFrancsenGaulejusquesaurègneduroytrès-chrestienHenryIII,2vol.,ÀParis,GabrielBuon,1579,t.I.,aii,
sontnotéesdeprésumées«parolesmenaçantesdevantsamajesté»prononcéespardeshuguenots(suggérant
qu’ils pourraient s’en prendre aux Guise ou à l’entourage du roi, voire à Charles IX lui-même. Belleforest
justifielesinquiétudesduroifaceàdeshommesqui,selonlui,ontdéjàprovoqué«degrandestragedies»parle
passé,maisrappellequelesouverainsouhaite«nourrirlapaix».Parcequel’agitationserenforceendépitdes
promessesdeCharlesIX,l’entourageroyalacquiertlacertitudequ’un«complotdesAdmiralistes»seprépare,
qu’ilfautdevancer parl’exécutiondeschefs militaires,présentéecomme une«défaite »àla foispolitiqueet
militaire. Belleforest dit ensuite vouloir laisser de côté le massacre populaire qui fait suite aux assassinats
politiques. Il occulte une description détaillée des mises à mort, qui aurait pu montrer les protestants en
positiondevictimesdignesdecompassion.
106.MosheSluhovsky,PatronessofParis:RitualsofDevotioninEarlyModernFrance,Leyde,Brill,1998,p.118.
Maria-Carmen Gras, « Les processions en l’honneur de sainte Geneviève à Paris. Miroir d’une société (XVe -
XVIIIesiècles)»,Histoireurbaine,2011/3,n°32,p.5-30;Jean-MarieLeGalletIsabelleBrian,«Lesprocessions
desainteGenevièveàParis»,inLaViereligieuseenFranceXVI e-XVIIIesiècle,Jean-MarieLeGalletIsabelleBrian
(dir.),Paris,ArmandColin,1999,p.147-151.
107.LaConfrérieaétéinstituéeen1524;sesstatutslimitaientlenombredesporteursàtrentepuisquarante
«bonsBourgeoisetnatifsdelavilledeParis,sansreproche,d’unevieexemplaireetdunombredessixCorps
desMarchands».
108.Premièreédition:HistoiredesdernierstroublesdeFrancesoubslesrègnesdesRoistrès-chrestiensHenryIIIRoy
deFranceetdePologneetHenryIIIIroydeFranceetdeNavarre[parPierreMatthieu],contenanttoutcequis’estpassé
durant lesderniers troubles jusques à la paixfaite entre les rois de France et d’Espagne,avec un recueil des édicts et
articlesaccordezparleroyHenryIIIIpourlaréuniondesessubjects,ÀLyon,1594.Secondeéditionen1600,revue
etaugmentéede l’HistoiredesguerresentrelesmaisonsdeFranceetd’Espagne… :àproposdu«peuple»parisien
« fort catholique et fort affectionné au roi » et persuadé d’une « conspiration » huguenote contre l’autorité
monarchique, qui se serait rué « sur tous ceux qui étaient reconnus huguenots, tant à la ville qu’aux
faubourgs».
109.Cité inFrançois Rittiez,L’Hôtel deville etla bourgeoisiede Paris: origines,mœurs,coutumes etinstitutions
municipales,depuislestempslesplusreculésjusqu’à1789,Paris,Durand,1862,p.325.
110.ÉricSyssau,art.cité,p.183-197.
111.DenisRichet,art.cité,p.777.
112. Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, op. cit., p. 841. Ces fourches ont sans doute été
disposéesaucontrairepouravertirlesviolentsdesrisquesqu’ilsprennent.
113.BarbaraDiefendorf,BeneaththeCross…,op.cit.,p.173.
114.MémoiresdeLucGeizkofler…,op.cit.,p.92.
115. Le prêtre Blandis, toutefois, assure à Geizkofler que la Madone pleure sur l’endurcissement des
hérétiques.
116. Voir, à propos de la Vierge en larmes, Jean-Marie Sansterre, « La imagen activada por su prototipo
celestial:milagrosoccidentalesanterioresamediadosdelsigloXIII»,CodexAquilarensis,29,2013,p.7798. Id.,
«L’imageblessée,l’imagesouffrante:quelquesrécitsdemiraclesentreOrientetOccident(VI e-XIIesiècle)»,in
LesImagesdanslessociétés médiévales:pourunehistoirecomparée, Jean-MarieSansterreetJean-ClaudeSchmitt
(dir.),«BruxellesetRome»,Bulletindel’InstituthistoriquebelgedeRome,69,1999,p.113130,icip.116122.
117. Id.,«Vivantesoucommevivantes:l’animationmiraculeused’imagesdelaViergeentreMoyenÂgeet
époquemoderne»,Revuedel’histoiredesreligions,2,2015,p.155-182.JeremercieMarielleLamypoursonaide.
118.FadiaNassif,«Unsacréinterventionniste:lesrumeursreligieuses1975-1988»,inLesRumeursdansla
guerreduLiban:Lesmotsdelaviolence,Paris,CNRSÉditions,1998,p.107-138.
119.RenaudVillard,«Laqueuedel’âne.DérisiondupolitiqueetviolenceenItaliedanslasecondemoitiédu
XVe siècle », in La Dérision au Moyen Âge. De la pratique sociale au rituel politique, Élisabeth Crouzet-Pavan et
JacquesVerger(dir.),Paris,PUPS,2007,p.205-224.
120.MémoiresdeLucGeizkofler…,op.cit.,p.95-96.
121.JulesVodoz,LeThéâtreLatindeRavisiusTextor,1470-1524,SlatkineReprints,1970,p.41.EtsurtoutÉric
Syssau,«LesprotestantssurlascèneducollègedeNavarre(Paris,1533-1572)»,inThéâtreetguerresdeReligion
(Revued’HistoireduThéâtre),no 287,2020,p.81-106; LeThéâtreaucollège,EstelleDoudet,MathieuFerrandet
ÉricSyssau(dir.),Paris,ClassiquesGarnier,EuropeanDramaandPerformanceStudiesn°11,2018.AbelSouris
etJeanRose,TragédieslatinescomposéesaucollègedeNavarre(Paris,1557-1558),ÉricSyssau(éd.),Paris,Classiques
Garnier, 2020. À compléter, pour le collège de Navarre, par Charlotte Bouteille-Meister, « Catherine de
Médicis,puissanteparcequemère?DelaBergeriedeRonsardàLaGuisiadedePierreMatthieu:misesenscène
du pouvoir d’une reine mère au royaume de France », inFemmes et pouvoir dans le théâtre européen de la
Renaissance, Frédérique Fouassier et Juan Carlos Garrot Zambrana (dir.), 2021, en ligne, qui insiste sur la
duplicitédeCatherinedeMédicisdanscesreprésentations.
122.AbelDesjardins,CharlesIX.Deuxannéesderègne,1570-1572.Cinqmémoireshistoriquesd’aprèslesdocuments
inédits,Douai,L.Crépin,1872,p.489.
123.Ibid.,p.675.
124.1Rois14,11.
125.MyriamRolland-Perrin,Blondecommel’or:LachevelureféminineauMoyenÂge,Aix-en-Provence,Presses
universitairesdeProvence,2010,p.173-273.
126.AbelDesjardins,CharlesIX…op.cit.,p.576.
127.2Rois,24-25.
128.AbelDesjardins,CharlesIX…op.cit.,p.678.
129.SimonGoulard,Mémoiresdel’estatdeFrance…,op.cit.,t.I,p.221.
130.KarlJaspers, LaSituationspirituelledenotreépoque,ParisetLouvain,DescléedeBrouwer/Nauwelaerts,
1966. Id., LaCulpabilitéallemande,Paris,ÉditionsdeMinuit,1948.AndréGounelle,«Quelleculpabilité?Les
AllemandsetlenazismeselonArendt,JaspersetTillich»,Bulletindel’AcadémiedesSciencesLettresdeMontpellier,
vol.48,2017,p.1-8;id.,«PouroucontreHitler?LedébatentreHirschetTillichen1934»,Revued’histoireet
dephilosophiereligieuses,1994/4,p.411-429.
131.SaulFriedländer,L’AllemagnenazieetlesJuifs,1933-1939,lesannéesdepersécution,Paris,LeSeuil,1977.
132. JeanSolchany, « La lente dissipation d’une légende : la « Wehrmacht » sous le regard de l’histoire »,
Revued’histoiremoderneetcontemporaine,vol.47,n°2,avril-juin2000[Laviolencenazie],p.323-353.
133. Daniel Jonah Goldhagen, Les Bourreaux volontaires de Hitler…, op. cit. Et la critique par Ian Kershaw,
Qu’est-cequelenazisme?:Problèmesetperspectivesd’interprétation,Paris,Gallimard,1997.
134.ChristopherR.Browning,DesHommesordinaires…,op.cit.,p.234-235.
135. Cf. la synthèse de Henri Minczeles, « Quelques réflexions sur la responsabilité collective des
Allemands»,Revued’histoiredelaShoah,1999/3,n°167,p.102-131.
136.CequiseraitlathèsedeRaulHilberg,LaDestructiondesJuifsd’Europe,2vol.,Paris,Fayard,1988.
137.VoirAndréGounelle,«Quelleculpabilité…?»,art.cité
138.HannahArendt,Penserlibrement,Paris,Payot,2021,p.30et22-27.
139.GéraldineMuhlmann,«Lecomportementdesagentsdela “solutionfinale”,HannahArendtfaceàses
contradicteurs»,Revued’histoiredelaShoah,n°164,sept.-déc.1998,p.25-52.
140.SaulFriedländer,L’Antisémitismenazi.Histoired’unepsychosecollective,Paris,LeSeuil,1971.Id.,LesAnnées
d’extermination.L’AllemagnenazieetlesJuifs,1939-1945,Paris,LeSeuil,2008.
141. Raul Hilberg, op. cit., t. II, p. 896. Id., Exécuteurs, victimes, témoins. La catastrophe juive, 1933-1945, Paris,
Gallimard,1994.
142.AndréGounelle,«PouroucontreHitler?…»,art.cité
143. Paul Ricœur, « Culpabilité tragique et culpabilité biblique », Revue d’histoire et de philosophie religieuses,
1953,vol.33,4,p.285-307:«Lathéologiejudéo-chrétiennedupéchéoscilleainsientrel’inculpationtotalede
l’homme,premierpécheurdanslacréation,etlaconstructiond’unefigure-limitedumaldontl’hommeseraitla
première victime. Mais cette figure-limite reste liée à l’anthropologie ; elle est l’Autre de mon péché ; une
“spéculation”surSatan,horsdel’anthropologiedumal,estimpossible.Endehorsdelaséductiondel’homme,
endehorsdelastructurequasiextérieureetquasi“tragique”delatentation,laquelleestencoreunestructuredu
péchédel’homme,jenesaispascequ’estSatan,quiestSatan,nimêmesic’estQuelqu’un.»
144.LesAmbiguïtésdelavieselonPaulTillich:TravauxissusduXXIeColloqueinternationaldel’AssociationPaul
Tillichd’expressionfrançaise,MarcDumas,JeanRichardetBryanWagoner(dir.),DeGruyter,Berlin-Boston,
2017.
145.VivianeBaraduc,«Tueraucœurdelafamille.Lesfemmesenrelais»,VingtièmeSiècle.Revued’Histoire,
2014/2,n°122,p.63-74.
146.JanT.Gross,LesVoisins.10juillet1941,unmassacredeJuifsenPologne,Paris,LesBellesLettres,2019.
147.Cantiquegénéraldescatholiques,surlamortdeGasparddeColligny…,op.cit.
CHAPITREIX
Enavaldela«scèneoriginelle»
La lecture de l’œuvre de Jan Assmann, plus précisément de Moïse l’Égyptien. Un
essaid’histoiredelamémoire,inviteàréfléchirsurlesupportvétérotestamentairede
larelationentre«monothéismeexclusif»etviolencesacrée:lathèseselonlaquelle
la religion serait un principe suractif de séparation opérant sur une promesse de
rédemption,peutêtreintégréedansuneétudedumassacreparisiende15721.
Août1572dansla«distinctionmosaïque»
N’est-il pas en effet frappant de constater que le récit événementiel gravitant
autourduVeaud’or 2etanalyséparJanAssmannentantque«lascèneoriginelle»
de la violence « intérieure » est fréquemment récurrent ou sous-jacent dans les
prisesdeparolesdesprédicateursoudansleursécritspolémiquesdurantlesannées
1550-1572?Parsonconceptde«distinctionmosaïque»quiaffirmel’unicitéetla
transcendancedeDieu,excluanttouteautrepossibilitédemanifestationetdoncde
vénération théophanique, Jan Assmann assure qu’il ne peut plus y avoir alors
qu’uneuniqueformederelationaudivin: l’allianceduDieuUnavecsonpeuple,
qui détermine un régime d’exclusivisme absolu dont les implications majeures et
interagissantessontlafidélitédupeupleetlajalousiedivine.
ParcequeDieuadonnésonamouretsamiséricordeauxhumainsquil’ontchoisi
etqu’ilachoisis,ilregardedemanièrepermanenteenleurdirection,etlafidélité,
decefait,luiestduedansunetotaleabsoluité.PourAssmann,cettevisionn’aurait
pasétéprésentedansl’écriturebibliquedèssesdébuts,maiselles’imposaàpartirde
lafuiteverslaTerrepromiseetdecequiauraitétéunbouleversement,voireune
révolutiondanslasubjectivitéhébraïquequeJanAssmanndécritainsi:
DanslelivredelaGenèse,iln’estpasquestiond’aminid’ennemi,etencoremoinsdecolèreoudejalousie
deDieu,mêmes’ilyestsouventquestiondeviolencepunitive,àcommencerparl’expulsionduparadisetle
déluge jusqu’à la destruction de Sodome et Gomorrhe, en passant par la confusion des langues – durant
toutescesinterventionsviolentes,jamaisn’éclatelacolèredeDieu.Celasepoursuitdelamêmemanière
danslelivredel’Exode.DerrièrelesdixplaiesqueDieufaittombersurl’Égypte,onnetrouvepasdecolère
enflammée, mais le souhait d’envoyer des signes et de démontrer sa puissance. La colère et la jalousie
appartiennentseulementàlasémantiquedel’alliancequiestnouéedansleSinaï,etlerécitduveaud’ora
pourobjetderendrecelaclairetévident.
Troisouquatreheuresaprèssamort,LePicartfutexposé,levisagedécouvertet
lesmainsjointes,aumilieudelacourdesonlogis;lesParisiensavaientaffluétrès
nombreux pour venir le contempler, « et les pauvres et simples gens qui
consideroientsasaintetédevieet dedoctrine,faisoienttoucheràses mainsleurs
livresetpatenostres 17».IlétaitcenséavoirétédésignéparDieupourannoncerque
lesdernierstempsétaientimminentsparcequ’ilavaitsureconnaîtredanslevingt-
quatrième chapitre de l’Évangile selon saint Matthieu la « vraye description du
temps present », caractérisée par la venue de séducteurs qui se diront Christ,
l’élévationdenationcontrenation,lesfamines,lespestilences,lestremblementsde
terre.Laconversionpassed’abordparlacompréhensionque,silafindesTempsse
rapproche de manière effroyablement inquiétante, c’est avant tout parce que les
fidèles de Dieu laissent grouiller autour d’eux les adorateurs d’un faux Dieu et
demeurentinactifsfaceaumalquirongel’Église.Lafauteendoitêtreimputéeàla
fois à ceux qui offensent le vrai Dieu comme jadis les Hébreux l’ont offensé en
adorant le Veau d’or, et à ceux qui, demeurant passifs face une même situation
dramatique,sonttoutaussicoupables.Iln’estalorsd’issuequedansunmouvement
derégressionjusqu’àl’instantprimitifqu’aétélemassacredesadorateursduVeau
d’or,voilàcequelesprédicateursetlespolémistesdisentetredisentdanslesillage
deLePicart.Conversionetviolencesontsynonymes,etlaviolenceest,danscette
perspective, une épreuve puisqu’elle passe par le dépassement ou l’oubli du plus
intime des liens sociétaux, celui qui lie à ceux et celles du même sang que soi.
L’épreuveesturgente.
Le Picart a sans doute été un précurseur d’un conditionnement des imaginaires
polariséautourd’uneobsessiond’unrevenirdela«scèneoriginelle».Letoucher
desoncorpsneprépare-t-ilpasunautretoucher,violentcettefois,celuiducorps
massacrédel’hérétique.Parexemple,lorsducarêmede1560,àl’issuedusermon
traitantdel’histoiredelafemmeadultère18duminimeJeandeHansquiavaitsans
douterappelélaprescriptionmosaïquedelapidation,uneséditionseproduitdans
l’église des Saints-Innocents. Un homme, soupçonné d’être « luthérien », est
massacrédevantleportaildusanctuaire19 .«Iln’yavoitsipetitquineluybaillast
soncoup:etmettoyentmesmesleursmainsdedanslesplayes,puisleseslevoient,
seglorifiantdelesavoirtainctesdusangd’unlutherien.»Laviolencecollectivene
surgit-ellepasauboutd’unechaînequimèneleshommesdel’écouted’uneparole
inspiréedeDieuàunepulsiongestuellemosaïque?Etn’évoque-t-ellepas,dansun
autreimaginairereligieux,lesmainsrougesdesassassinsdesdeuxsoldatsjuifstués
àRamallahle12octobre2000?
Les exemples de cette communication verbale créant une empathie gestuelle ou
untransfertviolentsontnombreux.AveclavenueàProvins,pourlecarême1561,
dujacobin Pierre Dyvolé,un point d’apogée estatteint, du moinsdans ce que les
sources permettent de distinguer. Le prédicateur recourt à une rhétorique
prophétique, dans le but de faire comprendre à ses auditeurs qu’ils doivent
désormaiss’accoutumeràl’idéed’uneviolencesotériologiquequi,seule,peutpallier
la malédiction de l’ire de Dieu. C’est un prophète lévitique que Claude Haton a
entendu, un homme qui parle en communion avec la Parole des prophètes de
l’Ancien Testament et qui exprime un lien sacral de présence : « Et davantage
predist le mal prochain, que, en brief temps, seroit faict par eulx en la France ;
comme ilz s’esleveroientpar armes et sedition contre le roy, son estat et le repos
public, desolant les villes, saccageant les eglises et les temples, maltraitant les
prebstres, taschant à abolir toute vraye religion, toutes lois ecclesiastiques,
politicquesetcivilles,toussacremensetservicesdivin;commentparleurorgueil
ilz prendroient les armes au poing pour exterminer le roy et son estat, ensemble
toutlepeuplecatholique20 .»C’estparcequel’hérétiqueesthabitéparunetension
de violence niant les commandements divins que les catholiques doivent se
résoudre à prendre préventivement « les armes deffensives ». Le prophétisme de
1560-1561exigeque,pourDieuetconformémentàlavolontémosaïquedeDieu,
les hommes rompent immédiatement avec leur présent et inaugurent une
réconciliation avec Dieu qui passe nécessairement par l’action violente et une
manièrederétroprojectioncollectivedansuneduréemosaïque.
RetrouverMoïseetlepeupledel’Alliance
Un des motifs homilétiques obsessionnels est celui de l’absolue nécessité de
l’occultation deutéronomique des liens du sang : tout séducteur, qui détourne le
peupledescommandementsdivins,doitêtrelapidé,dansl’oublidesliensmêmesde
la chair qui est exigé dans Deutéronome 13, 6. La violence sera la manifestation
saintederetrouvaillesaveclavolontédivine;libéréedescontingencesimmédiates
etrevenantauxtempsoùlepeuplehébreusortaitdelaterredetourmentsqu’était
l’Égypte, elle est pleinement déculpabilisée : « Et qu’en ce faisant ne pescheront
aulcunement, selon le tesmoignage de l’escriture, non plus qu’avoient faict
Abraham,Moïse,Davidetlepeupled’Israel,lesquelz,pourladeffensedel’honneur
de Dieu et de la religion, avoient prins les armes contre les Philistins et les
incirconcis, armés pour l’extermination de tous sacrifices, sacrificateurs et peuple
fidèle de la circoncision. » L’extermination est un devoir, mais pas seulement un
devoir.L’incitationàlaviolencesedoubled’unanathèmeprophétiquelancésurle
royaume,quiprojettel’Ecclésiaste10,16dansunprésentbientôtlivréàlafuriedes
nouveauxidolâtress’il n’estpas procédéà leurmise àmort : «Il predistle temps
auquel ilz devoient prendre les armes et de quel orgueil ilz chemineroient et se
comporteroiententouslieus…»
Àla lecturede cesparoles prophétiques,ne met-onpas mieuxen perspectivela
brutalité ou la brutalisation extraordinaire de la réaction catholique face au
soulèvement protestant de 1562 ? La violence, en prolongeant une annonce qui
venait de Dieu par la bouche de prédicateurs inspirés, ne se coulait-elle pas dans
une durée extraordinaire d’immanence retrouvée dans le cours de laquelle une
interaction Dieu-peuple de Dieu était mise en scène ? La parole prophétique ne
permet-ellepas,enoutre,demieuxcomprendrecettecaractéristiquedelaviolence
catholiquequeseraitl’immédiation?Onnepeutquenoteruneprojection,dansla
psyché des acteurs des tueries ou massacres de 1562 comme de 1572, de cette
configuration quand la violence procède par une manière d’effacement du corps,
parunmouvementrituelquihabilled’ordurececorpsdontilfautextérioriserl’état
de pourriture intérieure. L’immondicité spirituelle est représentée par le
truchement de la mise en contact avec l’immondicité de la matière, ou
l’enfouissementdanscetteimmondicitéquirendsonhumanitéinvisibleetdoncla
projette dans le néant. C’est ainsi qu’à Gaillac, le 17 mai 1562, « les uns furent
traînésparlesboues 21».L’âmequiadivorcéd’avecDieuestmorte,carunhomme
quinevitplusparl’âme,quiestl’êtredeDieuenlui,nevitplusdeDieu,n’estqu’un
sinistresépulcrerenfermantunepourriture.Sonâmen’estplus,parcequ’elles’est
donnée à une idole et qu’elle honore celle-ci en l’ayant en quelque sorte installée
dans son propre corps. C’est un double diabolique qui est en l’hérétique, sous sa
peau,etlaviolence,enl’amenantensurfaceducorps,dumêmecouplefixedansla
véritéqu’ilévitaitd’exhiberparcequ’ilvénéraitunfauxDieuetquel’illusionestce
parquoileVeaud’orensoitendàexercerunepuissancenéfasted’illusion.
La violence défigure et déchire par des blessures multiples pour signifier que la
créature,quial’apparenced’êtreunecréationdeDieuàSonimage,n’estpluscette
image, qu’elle est l’image effroyable d’une idole signifiant le mépris du vrai Dieu.
Maissurtoutellemetenreprésentationl’actualitédeladifférencemosaïquequeles
prédicateurs profèrent obsessionnellement. Sans cesse reviennent, dans les récits,
les « infinis coups » d’épées ou de bâtons, qui précèdent ou suivent la séquence
rituelle de souillure22. Le théologien Antoine de Mouchy cite en conséquence le
Lévitique20,26,lecommandementdivinprescrivantdepunirparlejetdespierres
l’idolâtrequiauraconsacrésesenfantsàMoloch:«Lepeupledelaterrelelapidera
de pierres. Je mettray ma face à l’encontre de cet homme, et l’extermineray du
milieudesonpeuple.CariladonnédesagenerationauditMoloch,poursouiller
mon sanctuaire et mon sainct nom. Que si le peuple de la terre est nonchallant
d’entendreàl’hommequiadonnédesagénérationàMoloch,nelemettantpointà
mort, je mettray ma face contre cest homme, et contre sa famille, le faisant
exterminer du milieu de son peuple, avecques tous ceux qui ont fait fornication
avecMoloch.»IlrappelleégalementDeutéronome13,1-5,quienjointdetuerpuis
de lapider le prophète ou songeur de songes23. Chaque instant de la vie des
hérétiques est un blasphème lancé vers Dieu, Moïse l’a dit : « La punition des
hérétiques est juste, partant qu’il est escript : qui prendra la fille et la mère, soit
bruslé.Etquandla filledusacrificateurviendra àpaillarder,ellecontaminera son
père : pour ce elle sera bruslée au feu. Ces sentences conviennent bien à nostre
propos : parce que tous Chrestiens sont enfans du sacrificateur Jésus Christ.
Parquoys’ilsviennentàpaillarderetdélaisserDieuetlareligionchrestienne,pour
lagrandeinjurequifontàleurpèreJésusChrist,ilsméritentestrebruslez24 .»
Les sermons de Carême de Simon Vigor, dans leur publication potentiellement
expurgée de 1588, permettent de distinguer d’autres articulations de cette parole
mosaïque par laquelle le Saint Esprit incite les auditeurs à prendre la défense de
l’Église. Le principe à partir duquel peut intervenir la dénonciation de la paix
contraireàlavolontédivineestl’affirmationévangéliquequetoutroyaumedivisé
estvouéàladestruction(Matthieu12,25-26).Ladiversitédefoienunroyaumene
peutavoirpourcorrélatqueladivisionetladissension.Leshuguenots,parcequ’ils
sesontséparésdel’Égliseromaine,sontsanscessesurlequi-viveetnesubsistent
que dans la crainte ; la division impliquedonc la violence. L’évocation de
Genèse 3, 15 renforce l’idée que la paix qui imaginerait la cohabitation de deux
religions serait pure absurdité. Dieu ne pourra être que fureur à l’égard du
souverainquiauraédictésaloicontrelaLoi:«Jemettrayinimitiéentretoyetta
femme,etentretasemenceetcelledelafemme.»Laprophétieestdécryptéedela
manièresuivante:«Lasemencedudiable,cesontlesheretiques:etlasemencede
lafemme,lesenfansdel’Église25 .»
Cettethématiqueestradicaliséedansunsermonprononcélejourdel’Ascension
1570 (?), une semaine après la paix de Saint-Germain, un sermon qui peut avoir
présidé plus immédiatement encore au préformatage sotériologique des
massacreursd’août-septembre1572:Vigordéclarequelapaixestd’autantplusun
signe d’infidélité à Dieu qu’elle est contraire à Sa Vérité même, qui est d’être
commencementindivisibledetouteschoses.Dieuestditn’avoirprocédédepuisla
Création que par l’UN, à la fois tant parce que n’a été créé qu’un monde, qu’un
homme,queparcequ’Iladitquel’hommeetlafemme «eruntduoincarneuna»,et
parcequ’Iln’aéluqu’ununiquepeuple,«neluyabailléqu’unseulguideMoyse,un
seulroiSaul»etn’adonnéaumondequ’unseulRédempteur.Accepterladivision
defoi,c’estimmédiatementêtrehorsdecequiestdeDieu,entrerdanslemalheur
et le temps de malédiction. La paix, dans un royaume qui connaît cette division,
« ne merite pas le nom de paix ». Elle annonce une fin, « c’est une torche, qui
allumeraunfeusigrandqu’ilconsummeratoutleRoyaumedeFrance:voirequi
sera pour consummer tout le monde ». C’est non seulement l’histoire proche qui
enseigneque,faceàdeshommesdeperfidieetdetrahisontelsquelesadorateurs
d’unfauxDieu,lapaixestuneillusionquilieaudiableceuxquilapromulguentou
l’acceptent, mais aussi c’est Dieu qui commande de la refuser, Dieu qui appelle à
« hayr » les huguenots « mortellement » et donc, pour rentrer dans la logique
assmannienne,àthéâtralisersansplusattendrela«scèneoriginelle»dansl’histoire
duprésent.
Il y a obligation de violence parce que Dieu ne tolère pas que les siens laissent
vivreparmieuxceuxquinientsaMajesté.PourVigor,nulnedoitsehasarder,àla
fréquentationde ceux qui sontdes hérétiques, souspeine d’encourir l’indignation
divine.VivreenfamilleouenvoisinageavecdesennemisdeDieumetenpérille
salut du chrétien qui doit s’imposer de prendre le glaive contre ceux qui ainsi le
mettentàdistancedescommandementsdeDieu:
Orvousvoyezcommenoussommesenuntempsmiserable,etestbienàcraindrequ’ilnenousadvienne
commedutempsd’Osias.NousvoyonslesheretiquesmeslezaveclesCatholiquesetceparedict.Ilssont
receuzauxcitez,auxmaisons,voirepourfairelepirequ’ilspourront…Ôlegrandmalheur!sidieuaesté
tant courroucé contre un royaume, pour avoir laissé un lepreux vivre en une ville contre son
commandement et sa volonté : regardez combien d’avantage il le sera, quand on laissera les lepreux
spirituelsésvilles,ésparlemens,auconseilduRoy.Enpunitiondecestefaute,tantqu’ilavescu,n’yaeu
Prophetes en Israël. Hélas pour la mesme faute nous sommes en danger avoir faute de predicateurs en
France.
Le drame est qu’il a un risque de « famine spirituelle » et que, si le peuple ne
s’amende pas, « je m’asseure que Dieu frappera un bon coup, et exterminera
tout26».Ilnefautpasavoirpeurdemourirencombattantl’hérétiqueetensuivant
Davidallantcourageusementaffronter Goliath27.Ilfaut exterminertousceuxqui
nedonnentaucuneespérancedes’amenderetquisontcommeunmembrepourri.
PourVigor,l’importantestdepasserpar-dessusla«conjonctioncharnelle»etde
privilégier absolument la conjonction spirituelle, ce qui se réfère implicitement à
Deutéronome1.Nepas«frapperleshuguenots»,c’estnepasavoirdereligionet
fairelapaixaveceux,c’estmépriserDieu,Dieuquicommandedehaïrettuerses
ennemis28. Et alors, n’est-ce pas de manière prioritaire ce dépassement quasi
mystiquedesoiquiauraitjouédanslapsychédestueurs?
AnnihilerlesnouveauxCananéens
Et,là,onconstatequ’estsous-jacentl’anticananéismequeJanAssmannévoqueen
soulignant que le Deutéronome pose les bases d’une foi articulée de manière
impérativementsotériologiqueàunevolontéd’absolueexterminationdetousceux
qui n’obéissent à la Loi de Dieu. À l’origine donc de la pulsion de violence qui
explose en 1572, il y a, ancré dans les consciences de ceux qui se veulent des
«zélés»,unsavoirsacréquigénèreuneconfusionduprésentetdupassé,etqui,
quand il est supporté par le paradigme auquel recourent les prédicateurs en
proclamant que les hérétiques sont de nouveaux Cananéens vautrés dans leur
bestialité,relèved’unetensionquenouspourrionsqualifieranachroniquementde
« génocidaire » puisque les adversaires de Dieu appartiennent à une « race
mauldite ». Le prêtre Artus Désiré, pour sa part, imagine en effet dès 1551 un
combatd’argumentsentrel’AntipapisteetlePapistequiinterpellaitsonadversaire
danslestermessuivants:
Ôfiermastincananeen,
Produitdesangcananeiste,
Tun’espasderacebeneite
MaisplustostdecelledeCam…
La vengeance a eu lieu, et l’événement n’est pas réductible au « desir des
hommes », comme le dit Louis Dorléans. Dans les jours qui voient la fin de la
tension parisienne d’agression massacrante et sa captation par le pouvoir
monarchique,estrapportéunprodigequisignifielesgrâcesdeDieurevenuessur
Paris:«Etcequireinemèrelapartqu’ilprenoitauchatimentdesHeretiques,c’est
que l’on executa Briquemault et Cavaignes, combien qu’il fut fort tart, et que
chacunpensatlesoleilestrecouché:siest-cequesoudainillançaunraion,afinde
voirmourircesdeusgarnemens,vraispiliersetetançonsdelacausedeSathan,et
les deux ennemis conjurez du roi et du roiaume. » N’est-ce pas alors le soleil de
justice de Malachie qui éclaira la scène ? Ou plutôt ce rayon ultime mais
sotériologiquene met-il pas fin, dans l’imaginaire, à uneséquence trouble durant
laquelle les prodiges n’annonçaient que des dangers pour le royaume de France ?
Paris,audébutdel’année1572,avaitétéeneffetsignificativementlethéâtred’une
de ces violences au ciel qui pouvaient annoncer un péril d’agression protestante.
Ainsi,le15janvier1572,danslaprofondeurobscured’unenuitsanslune,ilyavait
eulavisionsoudained’une«clartéaussigrandeques’ileustestélapleinelune».
Deux heures durant, tous les Parisiens avaient assisté à un prodige qui prédisait
que,souspeu,leshommesatteindraientuntempsdeconflitsexacerbés.Desscènes
decombatsetdeguerresavaient étévuesparlesParisiensencore éveillésdansle
ciel,desscènesdontilsnepouvaientalorssavoirsiellesprésageaientletriomphe
delafoicatholiquesurl’hérésieoulavictoiredeSatansurceuxquisedisaientles
vrais catholiques : « Récitèrent que au ciel ilz veirent deux troupes d’hommes en
assez grand nombre, fiers et orgueilleux, une troupe contre l’aultre, de chascune
desquellessortitunghommequibaillèrentlecombatl’ungàl’aultre,lesaultresles
regardans 31. » Plus immédiatement, il y avait eu le fait sensible du prophétisme
d’une«nonneoubéguine»ayanterrédanslacapitaleautourdu15août1572et
ayant prédit l’anéantissement de Paris si ses habitants ne tuaient pas tous les
hérétiques;ilyavaiteuencoredespublicationsprophétiquescommel’Histoiredes
persécutionsde l’Églisechrestienneetcatholiquefaisantunamplediscoursdesmerveilleux
combatzqu’elleasoustenues…quePierreBoiastuauavaitéditéeenjanvier1572pour
inviter le lecteur à prendre connaissance de la vanité de la « gigantomachie des
tyrans et heretiques » face à l’extermination que le « Dieu des vengeances » a
toujours pratiquée ça à l’égard de ceux qui se ralliaient à Satan : annonce d’un
châtiment de Dieu imminent, appel à ce qu’il extermine les méchants et
désobéissants.
Revenonsàlaporterougedelamaisondutireurd’or:cetteporten’aurait-ellepas
été,pourceluiquiauraitétéunzélémassacreur,uneprotectioncontrel’Angedela
Mort ? N’aurait-elle pas proclamé aussi le devoir de sang contre des huguenots
accusésd’avoir,parleursatrocitésiconoclastesetlestueriesdeprêtres,recrucifiéle
Christ en brisant des autels qui étaient le « siège du corps et du sang de Jésus-
Christ32 » ? N’aurait-elle pas été, au cœur de Paris, un signe appelant à
l’actualisation prophétique de la « scène originelle » et à l’accomplissement d’un
devoirderachatdesâmesfidèlesparlesangdesennemisdeDieuquiontverséle
sangduChristendécapitantdescrucifix,enpiétinantdeshostiessaintesouenles
jetant dans la fange ? Ne faudrait-il pas alors imaginer que cette porte rouge
évoqueraitl’AlliancesurleMontSinaï(Exode24,2),lesymboled’uneespérancede
régressionmiraculeusejusqu’àl’instantd’avantlascèneoriginelle?«Moïsepritla
moitiédusangetlamitdansdesbassines,etavecl’autremoitiéilaspergeal’autel.Il
pritlelivredel’allianceetlelutenprésencedupeuple.Ilsdirent:«Nousferons
toutcequel’Éterneladit,nousyobéirons.»Moïsepritlesangetenaspergeale
peupleendisant:«Voicilesangdel’alliancequel’Éternelaconclueavecvoussur
labasedetoutescesparoles».»Laporterougedelamaisond’untueurdelaSaint-
Barthélemyseraitl’emblèmedelascèneoriginellequ’estlaconfrontationdeMoïse
auVeaud’oretsymboliseraitledevoirdebasculementdechacundanslemassacre,
allant,s’illefaut,jusqu’àfrapperceluietcellequiestauplusprochedesonpropre
sang. Elle vaudrait donc prière pour que revienne le temps des bénédictions
divines:«Moïsevitquelepeupleétaitenpleindésordreetqu’Aaronl’avaitlaissé
dans ce désordre, exposé au déshonneur parmi ses ennemis. Moïse se plaça à
l’entréeducampetdit:“Quiestpourl’Éternel?Qu’ilvienne”,etilleurannonça:
”Voicicequeditl’Éternel,leDieud’Israël:Quechacundevousmettesonépéeau
côté.Traversez et parcourezle camp d’uneentrée à l’autre etque chacun tueson
frère,sonprochain,sonvoisin”33 .»
Desdésirsdetuersurgisdel’imaginaire
Le mieux serait alors de conclure autour de deux petits épisodes : il y a d’abord
une donnée factuelle qui concerne l’arrivée à Paris de la nouvelle du massacre
advenu à Vassy le 1er mars 1562 et qui confirmerait la structure que semble être
l’invariant assmannien : les ministres protestants dénoncent immédiatement une
« impiété la plus grande et la plus cruelle du monde » tandis que la reine mère
reçoitplaintessurplaintesprovenantdeschefsdupartihuguenot.C’estparcetacte
ques’ouvresoudainletempsd’uneviolenceparisienneabsolumentnécessaire,agie
sousuneemprisemosaïque:
Lespredicateurscatholiquessoustenoientquecen’estoitpointdecruauté,lachoseestantadvenuëpourle
zeledelareligioncatholique:etalleguoientl’exempledeMoyse,quicommandaàtousceuxquiaymoient
Dieu,detuersansexceptiondepersonnetousceuxquiavoientpliélesgenouxdevantl’imaged’or,pourluy
fairehonneur,etaprèsqu’ilseneurenttuétroismille,ilditqu’illeurdonnoitsabenediction,etlaPrelature
detoutlepeuple,pouravoirconsacréleursmainsausangdeleursfrerespourleservicedeDieu34.
Nous sommes ici au tournant liminal des premières violences collectives
parisiennesetdudébutdelaguerrecivile,etleVeaud’orestlà,devantlepeuplede
Paris!Lesprédicateursaffirmaientenoutre 35que«JehuRoydeSamariefitmourir
pourmesme zele deuxRois et centdouze Princesde leur sang,et fit mangeraux
chienslaRoineJesabel,etayantfaitassemblertouslesPrestresidolatres,feignant
estredeleurReligion,illesfittoustuerdansleTempleparlecommandementde
Dieu : dequoy il reçût sa benediction, et ses enfans heritiers du Roy jusques à la
quatriesmegeneration,pouravoirvengél’honneurdeDieu36 ».
Unesecondedonnéedoitêtremiseenexergue.Le7janvier1558,doncbienavant
lesVêpresparisiennes,unprivilègeduroiavaitétédonnépourlapublication,chez
l’imprimeurClaudeFremy,delaResponceàquelqueapologiequelesheretiquescesiours
passésontmisenauantsouscetiltre:Apologieoudeffensedesbonschrestienscontreles
ennemisdel’Églisecatholique.AuteurAntoinedeMonchi,surnomméDemocharesdocteur
en théologie à la Sorbonne. Cet ouvrage fixait pour ainsi dire les règles du jeu qui
devaientêtreintérioriséesparles«bonschrestiens»encestempspérilleuxoùils
voient les « vrays heretiques » se multiplier pour la plus grande joie de la
« puissance du diable » : « Le blasphémateur du nom du Seigneur est digne de
mort»,ditAntoinedeMouchyencitantLévitique24,16,avantdepoursuivresa
démonstrationenlaisserparlerMoïseparletruchementdeDeutéronome13,1-5
rendantl’instantbibliquedramatiquementprésent:
Siaumilieudetoys’esleveunprophete,ousongeurdesonges,lequeltedonnersigneoumiracle.Etquele
signeoumiraclequit’apredict,advienne:etqu’iltedise:cheminonsapresd’autresdieux,lesquelsvous
n’avezcongneu, et servons à iceux: tu n’escouteraspas les parolles dece prophete, ou dece songeur de
songes.CarleSeigneurvostreDieuvoustente,poursçavoirsivousaymezleSeigneurvostreDieudetout
vostre cueur,et de toute vostre ame. Vous cheminerez apresle Seigneur vostre Dieu, et le craindrez, et
garderezsescommandements,etobeirezàsavoix,etleservirez,etvousadioindrezàluy.Maisceprophete
là,oùcesongeurdesonge,seramisàmort:carilaparlépourvousdestournerduSeigneurvostreDieu
(quivousatirédupaïsd’Égypte,ett’arachetédelamaisondeservitude)etpourtepoulserhorsdelavoie,
laquelletonSeigneurDieut’acommandéepourycheminer.
LedocteurdeSorbonnerêvedéjàd’ungrandholocaustequirépondraitàl’amour
exclusifexigéparDieu:sidansunedescitésqueDieuadonnéespourydemeurer
auxsiens,ilapparaîtquedescitoyensontétéséduitspardes«hommespervers»,
« tu battras griesvement les citoyens de ceste cité au tranchant de l’espée et tu
destruirasentierement ladicte cité, et tout ce qui y est, et le bestiald’icelle, par le
tranchant du glaive ». Et la cité sera brûlée. Et également l’enfant arrogant qui,
contrelavolontédesesparents,transgresseralecommandementdeDieu,méritera
la mort. Surtout Antoine de Mouchy en vient à citer Exode 32, évoquant Moïse
commandantdetuerlesidolâtresenproclamant:«QuiestduSeigneur,vienneà
moy.EttouslesenfansdeLevi,s’assemblerentversluy,auxquelsildit:Ainsiditle
seigneur aux enfans d’Israel : Mette un chacun son espée sur sa cuisse : passez et
repassezdeporteenporteaucamp,etchacundevoustuësonfrere,sonami,etson
prochain.EtlesenfansdeLevifeirentselonlaparolledeMoyse:etencejourlà
tombèrent du peuple, environ trois mille hommes. Et Moyse dit : Vous avez
aujourd’huyconsacrévozmainsauSeigneur,unchacunsursonfilsetsursonfrere,
àfinqu’aujourd’huyvoussoitdonnéebenediction37.»
Toute l’écriture d’Antoine de Mouchy est ici un immense dispositif de
justification de l’annihilation des hérétiques38. Dès 1558, il produit un intense
travail de publicisation dans ce tournant capital d’avant-guerre de religion :
réédition de la Response à quelque apologie en 1560 chez Claude Fremy, et surtout
intégrationdumêmetexteensuited’uneHistoirecatholiquedenostretemps,touchant
l’estat de la religion Chrestienne, de Simon Fontaine, en 1558 et 156039. Et d’autres
opuscules savants défendant la présence réelle, l’institution de la messe 40, une
éditionduDecretdeGratien,leConciledeTrenteauquelilaprisparten1562dans
lasuiteducardinaldeLorraine.
Un instant décisif venait donc, dès avant que la guerre de Religion ne débute,
comme au-devant des hommes ; tel semble, encore et toujours, être le contexte
paniqued’uneSaint-Barthélemyàlaquelletousles«bonscatholiques»,animéspar
uneculpabilitépousséeàl’extrême,devaients’êtrepréparésenimaginationdepuis
delongsmois,encouragésparcesopusculesetd’autres,commelelibelleL’origineet
sourcedetouslesmauxdecemonde.
Sonauteur,leprêtreArtusDésiré,s’appesantitsurlareprésentationd’uneFrance
envahie par la surabondance des vices et des péchés, dénaturée par des
déguisements qui, inversant l’ordre même de la Création, font prendre la femme
pourl’homme et l’homme pour la femme. Tout estnoir et diabolique dans la vie
humaine,uneviecaractériséeparl’impudicité,l’orgueildesenfants,lapropension
immodérée de tous au péché charnel. Les hommes se perdent dans un « temps
misérable que tous les diables sont déchaignez par tout nostre Royaume de
France », et ils doivent en prendre conscience s’ils ne veulent pas être engloutis
collectivementparlafureurlégitimedeDieu.ArtusDésirécomparel’indifférence
présentedupeupleauxnombreuxavertissementsqueDieuluiaadressés,depuisla
mort d’Henri II à celle de Pharaon, jadis insensible aux admonitions de Moïse et
puni par l’engloutissement de sa puissante armée dans les flots tumultueux de la
merRouge.
Etpourtantlescalamitésn’ontcessédeparleràtous,grandsetpetits,delacolère
deDieu,s’exclamelepolémiste-prophète;ellessontlamaindeDieuirritéparles
blasphèmes,leshérésiesetparl’infidélitétoujoursplusgrandeàSaLoi.Froidures
et famines que le royaume a connues et vient de connaître s’interprètent à la
lumièredesparolessaintesdeJérémie:«Pource(dict-il)quevousavezdélaisséma
loy,etn’avezvoulucheminerenicelle,aulieudepainjevousferaymangeralluyne
trèspuanteetamère,etvousdonneraypourbreuvage,eaüed’amertumeetdefiel,
ce que nous avons veu en ce règne misérable et calamiteux, de plusieurs pauvres
gens,quiontestécontraintsparladictefamine,manger(commedictest)lagraine
d’ivrayeetautresherbeschampestres41 .»
Lagrandequestionestcelledesraisonsdel’iredivine.ArtusDésiréyrépondaiten
soutenantquedansletempsprésent,contrelavolontédeDieu,lesméchantssont
exaltés,àcommencerparleshuguenotsschismatiquesquiattirentsurlepeuplela
malédictiondeDieuetquiontlapermissiondevivreauxcôtésdesbons.Maisles
hérétiques ne sont pas toute l’abjection d’une humanité impie, ils ne sont pas sa
plénitude de mal. La colère de Dieu est dirigée aussi contre les prélats qui ne
mènentpasuneviesainte,contrelesroisquinesuiventpaslesconseilsdel’Église
catholique, contre les nobles, les marchands, les artisans et les laboureurs, les
enfants. Est décrite une société sans charité, sans amour du prochain, mue
uniquement par l’orgueil et l’ambition et agitée par la haine de Dieu, est décrite.
TouslesÉtatssontremplisd’abusetd’impiétés.Lafaute,donttémoignelacolère
divine, ne pourra se résorber que dans l’extermination des hérétiques, première
phased’unegrandeœuvrederéformationdeshommesaudésirdeDieu.
Laprisedeparoled’ArtusDésirésefaitalorsprophétique,quandilrevendiquede
laisser parler le petit prophète Joël prédisant l’imminence du Jour de Dieu et
appelantlepeupled’IsraëlàcrierversDieusarepentance:«Lespèresmangeront
degrand rage et famineleurs propres enfans.» Les tribulationset angoisses sont
destinéesàfaireprendreconsciencedelanécessitédel’amendement.Ilfautqueles
fidèles se décident enfin, sous peine de damnation éternelle, à sortir de leur
sommeilàDieuenrompantaveclepéché,etilfautque,danslemêmetempscourt,
danslamêmeéchéancetrèsbrève,le«brasdejustice»duroicorrigeetréprime
décisivement et sans compromission « les grandes blasphèmes et hérésies de son
Royaume».
L’intéressant n’est-il pas, ici, cette césure immédiate que Dieu, celui que David
nommeleDieudesvengeances,exige,etquidoitaccorderuneviolencecollectiveà
uneviolenceroyale?PourArtusDésiré,letriomphedeDieus’approche,et,onle
voit,pourluiaussi,toutledevenirgraviteautourdel’attented’uneviolencequine
peutqu’arriver.
C’est dire que les Parisiens furent peut-être moins surpris qu’on ne le pense
d’entendre,autoutpetitmatindelaSaint-Barthélemy,cescrisquileurparaissaient
proclamer que le roi commandait de tuer tous les hérétiques et qui ne pouvaient
quelesappeleràsejoindreàcetteœuvredivine.
Peut-être furent-ils même plutôt soulagés de savoir que le temps angoissant de
l’attente était fini et que, dans les gestes que le roi semblait leur ordonner à tous
d’accomplir,enfinilsallaientpouvoirdireàDieudirectementleurextrêmefidélité
et leur retournement intense d’amour à lui. Un phénomène de fermentation
prophétique, de crispation collective autour d’un pressentiment diffus et
angoissant,auraitpropulséouhappélasociétémilitantedeDieudanslaviolence.
Silemassacrefutsansdoute«improvisé»,pourreprendrelaformuledeNicolas
LeRoux,il étaitnéanmoins commepréjoué danslespsychés angoisséesd’unbon
nombre de catholiques parisiens, disponibles à projeter les prémonitions et les
attentes qu’ils vivaient intérieurement dans un théâtre gestuel sanglant et à
surmonter leurs angoisses sotériologiques en devenant des guerriers de Dieu
vainqueursd’undiableidolâtrépardeshérétiquescommejadisleVeaud’or42.Des
guerriers opérant dans une ville qui portait en elle le mythe d’une nouvelle
Jérusalem, des guerriers s’abandonnant à ce qu’ils imaginaient être leur devoir de
foidansunPariscriminel?
En histoire, ne faut-il pas distinguer deux scènes latentes dans le cours de
l’événement-panique en instance de perpétuation, la première étant celle des
fantasmesetdesangoisses,lasecondecelledeleursprojectionscriminelles?Deux
scènes que l’on peut deviner s’être emboîtées lors des plus grandes tragédies du
passé, mais disponibles à participer aux drames encore inaccomplis du présent
commedufutur.
1.JanAssmann,Moïsel’Égyptien.Unessaid’histoiredelamémoire,Paris,Aubier,2001.
2.Exode32,26-29.
3. Id., Le Prix du monothéisme, Paris, Aubier, 2007, p. 9. Une approche que Jan Assmann a nuancée dans
l’ouvrageprécédemmentcité.
4.AntoinedeMouchy,Responseaquelqueapologie…,op.cit.,p.9.
5.JeanTalpin,RemonstranceàtousChrestiensquisesontseparezdel’ÉgliseRomaineparopinionqu’ellen’estpointla
vraye Église : Et qui pour crainte d’avoir faict le serment et profession de la nouvelle pretendue religion, n’osent s’en
retirerneretourner,Paris,NicolasChesneau,1567,p.108.
6.ThéodoredeBèze,op.cit.,t.I,p.248.
7.Mémoiresd’uncalvinistedeMillau,op.cit.,p.14.
8.ThierryAmalou,«L’imaginairedelaguerresainte…»,art.cité,p.54.
9.Ibid.,p.55.
10.Ibid.,p.60.
11.Ibid.,p.63.
12. Simon Vigor, Sermons catholiques sur les Dimanches et festes depuis l’onziesme après la Trinité jusques au
Caresme…,2vol.,Paris,NicolasduFossé,1597,t.II,p.393.
13.Nombres11,25.
14.SimonVigor,SermonscatholiquessurlesDimanchesetfestesdepuis…,op.cit.,t.II,p.342-344.
15.JeandelaVacquerie,RemonstranceaddresseeauRoy,auxprincescatholiques,etatousmagistratsetgouverneurs
deRepubliques,touchantl’abolitiondestroublesetemotionsquisefontaujourd’huyenFrance,causezparlesheresiesqui
yregnentetparlaChrestienté,Lyon,BenoitRigaud,1574(premièreédition,1560),p.36-37.
16.ArtusDesiré,LesRegretsetcomplainctesdePassepartoutetBruitquicourt…,Paris,PierreGaultier,1557,n.p.
17.FrèreHilarion deCoste, LeParfaitecclésiastique oul’Histoirede lavie etdela mortde FrançoisLe Picart…,
Paris,SebastienCramoisyetGabrielCramoisy,1658,p.30-39.
18.Dt22,22-24.
19.Th.deBèze,op.cit.,t.I,p.166.
20.ClaudeHaton,op.cit.,F.Bourquelot(éd.),t.I,p.137-140.
21.Th.DeBèze,op.cit.,t.III,p.69.
22.Pierre Dyvolé, Dixsermons de la sainctemesse et ceremoniesdicelle. Recueillissous feu de bonnemémoire M.
PierreDyvolé,docteurenthéologie,del’ordresainctDominique,ainsiqu’illesaprononcezàChartres, Paris,Nicolas
Chesneau,1577,n.p.
23.AntoinedeMouchy,Responseaquelqueapologie…,op.cit.,p.10-13.
24.Lévitique21,9.
25.SimonVigor,Sermons…CaresmeetFéries…,op.cit.,t.II,p.155-156.
26.Ibid.,t.II,p.74-88.
27.Ibid.,t.II,p.306.
28.Ibid.,t.II,p.26.
29.DenisCrouzet,LaNuitdelaSaint-Barthélemy…,op.cit.,p.535.
30. Denis Crouzet, « Louis Dorléans ou le massacre de la Saint-Barthélemy comme un “coup d’estat” : à
proposd’unmanuscritinédit»,inConflitspolitiques,controversesreligieuses.Essaisd’histoireeuropéenneaux XVI e-
XVIIIe siècles. MélangesoffertsàMyriamYardeni,OuziElyadaetJacquesLeBrun(dir.),ParisetHaïfa,Éditionsde
l’EHESS,2002,p.77-99.
31.ClaudeHaton,op.cit.,t.I,p.973.
32.GabrieldeSaconay,DiscoursdespremierstroublesadvenusàLyon…,parMichelJove,Lyon,1569,inArchives
curieuses de l’Histoire de France depuis Louis XI jusqu’à Louis XIII, Louis Cimber et Félix Danjou (éd.), Paris,
Beauvais, 1835, 1re série, t. IV, p. 217-342. « Vostre fureur les a tous ou razés, ou transportés. Que si, par
jugement plein d’envie, nous vous semblions polluz et indignes, qu’est-ce que Dieu vous avoit fait qu’on a
accoustuméd’invoquersurlesautelz?EnquoivousavoitoffenséJésus-Christ,dequel(parcertainintervalle)le
corps et sang habitait là ? Pendant que malheureusement vous perséquutez noz mains là où habitoit Jésus-
Christ,voussouillezlesvostres?»
33.Citationd’Exode32,27.
34. Michel de Castelnau, cité in Laurent Ropp, « Des tueries horribles. Les violences religieuses dans la
France du XVI e siècle selon les mémorialistes », Cahiers de l’équipe de recherche Arts, civilisation et histoire de
l’Europe,2019,14-15,p.39-57,p.42.
35.3Rois10-12.
36. Les memoires de Messire Michel de Castelnau : seigneur de Mauvissiere, illustrez et augmentez de plusieurs
commentaires&manuscrits,servansàdonnerlaveritédel’histoiredesregnesdeFrançoisII.CharlesIX.&Henry III.&
de la regence & du gouvernement de Catherine de Medicis avec les eloges des rois, reines, princes & autres personnes
illustres de l’une et de l’autre réligion sous ces trois regnes, l’histoire genealogique de la maison de Castelnau, et les
genealogiesdeplusieursmaisons,ÀBruxelles,chezJeanLeonard,1731,p.82.
37. Antoine de Mouchy, Histoire catholique de nostre temps, touchant l’estat de la religion Chrestienne, par S.
FontainedocteurenTheologie.AvecuneresponseàquelqueApologiequelesheretiquescesjourspassezontmisenavant,
ÀParis,chezClaudeFremy,1558.
38. Denis Crouzet, « Le devoir d’obéissance à Dieu : imaginaires du pouvoir royal »,Nouvelle revue du
XVI esiècle,2004,vol.22,p.19-47.
39.AntoinedeMouchy,Histoirecatholiquedenostretemps…,op.cit.,p.10-15.
40. Thierry Amalou, « Les listes épiscopales d’Antoine de Mouchy : enseignement, autorité doctrinale et
controversesreligieusesenSorbonneau XVIe siècle»,inLeTempsdeslistes.Représenter,savoiretcroireàl’époque
moderne,GregorioSalineroetMiguelAngelMelonJimenez(dir.),Bruxelles,PeterLang,2018,p.469-497.
41.Alluynepourabsinthe,amertume,«…Etletroisièmeangesonna…Alorstombaducielungrandastre,
commeunglobedefeu.Iltombasurletiersdesfleuvesetlessources;l’astresenommeAbsinthe:letiersdes
eauxse changeadonc en absinthe,et biendes gensmoururent de ceseaux devenuesamères », Ap 8, 10-12,
l’annoncedeladévastationd’Israël.
42.NicolasLeRoux,LesGuerresdeReligion,Paris,Belin,2022,p.153.
CONCLUSION
Anachroniserpourcomprendre
Je souhaite fermer ce livre en évoquant un texte rédigé outre-Manche il y a un
peu moins de deux siècles. En février 1836, La Revue britannique publiait en effet
danssa rubrique« Histoire »un article trèsérudit sur «Le massacre dela Saint-
Barthélemy1 », qui reprenait les grandes lignes d’une contribution parue en 1826
dansl’EdinburghRevieworCriticalJournal,unerevuepolitico-littérairedesensibilité
whig.L’auteur,JohnAllen,masterduCollegeofGod’sGiftdeDulwich,selivraità
unecritique férocede la réflexion conduitepar le prêtrecatholique JohnLingard
danslevolumeVIIdesonHistoryofEngland2quin’étaitrienmoins,selonlui,qu’un
tissu d’erreurs reposant sur des documents surinterprétés ou ne faisant pas le tri
parmidetropnombreusesfalsificationsfactuelles.L’articlecommençaitparattirer
l’attention des lecteurs sur l’ancienneté d’un débat touchant aux causes d’un
massacreayantmarquél’histoirefrançaiseetcontinuantàlamarquer;undébatqui
ne cessait d’être en effet réactualisé et rediscuté avec virulence. Le problème que
l’histoire,selonJohnAllen,auto-fabriquaitetsur-valorisaitdanslecasdelaSaint-
Barthélemy était celui de l’indiscernabilité du vrai et du faux, du fait de l’effet
perversd’unprimatdonnéaulangageet,biensouvent,d’unevolontédemontrer
qu’au XVIe siècle les idées réformées avaient été partout une catastrophe ! La
multiplication des ouvrages généraux ou des contributions ponctuelles ne faisait
querecréerinlassablementduconflitdanscequiavaitétéuneterrifiantetragédie
agonale, comme si l’histoire ne pouvait être mise sous tension de restitution que
dans une mimétique de son objet même, une tension de destruction ou de
dévastationdelafacticitéetdesa«vérité».
Surtout, mettant l’accent sur ce qui était à ses yeux une spécificité du travail
d’historicisation de l’événement des Vêpres parisiennes, soit l’impossibilité de
laisserlesvictimesreposerenpaixenleurvolantenquelquesorteleurdroitàun
repos serein, le texte paru dans La Revue britannique se proposait d’exprimer une
désillusion liée à un effet pervers : tout se passait comme si la mort, que les
assassinésde1572avaitépouvantablementsubieàPariscommeenprovince,leur
était refusée obsessionnellement, dans la mesure où elle ne parvenait à être
expliquée que dans des cadres divergents et conflictuels au cœur desquels était
poséelaquestionanachroniquedubienoudumalinhérentàlaRéforme.
Ainsileurmortn’étaitpas«leurmort»,elleneleurappartenaitpaspuisqueleurs
cadavres continuaient à être métaphoriquement déchirés par la zizanie
d’explicationsdiscordantes,qu’ellesviennentdeceuxquiavaientdéclenchéousubi
l’entreprise mortifère du massacre ou des récits partisans de ceux qui avaient
raconté l’événement après coup, depuis ses lendemains jusqu’à encore tout
récemment dans les premières décennies du XIX e siècle. Dès lors que la mort qui
s’était déchaînée dans Paris ne s’expliquait pas, les massacrés se voyaient interdit
l’accèsaureposultimequiauraitdécoulépoureuxdesavoirpourquoi,parqui,et
comment avait été programmée et exécutée la violence dont ils avaient été les
victimes.
La Revue britannique concluait que « le massacre de la Saint-Barthélemy était
encore un problème historique. Jamais événement ne justifia davantage le
scepticismedansl’histoire».L’histoire,était-ilpréciséparJohnAllenquis’avérait
icisansdouteunlecteurdeHumeencequ’ilinsistaitsurlafaillibilitédelaraison,
se retrouvait, quoi qu’il arrive et malgré toutes les tentatives concurrentes des
historiens, bloquée au bout d’impasses successives qui faisaient que tout ce qui
pouvaitêtreécritétaitaussitôtremisencauseetquedoncles«restes»decetemps
du passé, évoqués sous forme de témoignages apparents ou de fabrications
polémiques par les sources d’époque, étaient comme désignifiés et dépouillés de
toute vérité du fait du jeu incessant d’une tectonique des plaques
historiographiques.Onlevoit,laSaint-Barthélemy,danscetteoptique,pourraitse
retrouver incluse dans « une catégorie historiographique » dont elle devenait un
paradigme,«qui,d’unemanièregénérale,peutsedéfinircommelerefusraisonné
detouteconnaissancedetypehistorique,danslamesureoùcelles-cisefondentsur
desdonnéesintrinsèquementsujettesàcautionparcequ’elleséchappentàlafoisà
l’expériencesensibleetàl’évidencemathématique3».
Le dissensus régnait depuis toujours et souvent de manière agressive, parmi les
historiens,et necessait denier ou de réduireà néant touteffort de miseen récit
cohérentd’autantquelesocledocumentairedemeuraitinstableetavaitététoutde
suite,dèssaformation,sapédanssesfondations:«Remontezauxsources,écoutez
lescontemporains:ilsnes’entendentsuraucunpoint4 .»L’histoireparaissaitainsi
encombréede chimériques mensongeset de rémanentes obscuritésqui cachaient,
«presquetoujours», «lesmobiles desactionshumainesdansles profondeursles
plus abstruses ». Elle était comme égarée ou dissoute dans la multiplication des
reconstitutionset«detantderomans»ayantentouréde«leursnuages»unpassé
devenu comme introuvable parce que soumis à des logiques hypercritiques ou
surimaginatives5 .L’histoirerisquaitdenerienpouvoirdiredepertinentpuisqu’elle
avaitsubidepuisledébutetcontinuaitdesubirunecorrosionimplacableparl’effet
d’elle-même.
On pourrait être aujourd’hui aussi pessimiste que l’historien anglais. Mais il est
nécessaired’allerunpeudel’avantetdemarquerdesdistancesparrapportàcequi
seraitlatentationdudoute.Enachevantmarecherche,jen’aienaucunemanière
voulu faire l’apologie du pyrrhonisme en parlant d’histoire « possible ». J’ai juste
tentédedireque,pourtraceruncheminementdansl’ombredesnuitsetdesjours
de la Saint-Barthélemy, il fallait dépasser l’épistémologie facticiste, enfermée sur
elle-même et sur une critique sans fin des sources, en tentant de recomposer de
manière « immersive » et émotionnelle le puzzle des imaginaires individuels et
collectifs et en sachant par avance que le résultat ne serait qu’incomplet et donc
probabiliste6.
J’ai alors rencontré, avec des glissements dans l’effroi, un monde intensément
criminel,aussibienàlaCourqu’àlaVille,unmonded’assassins,lesunsemportés
vers le crime par une attention donnée à la « nécessité du temps » et à une
philosophe de l’Amour, les autres se soumettant au devoir de tuer que la
Transcendance semblait leur ordonner et se présentant pour certains comme des
saints.
Mais, en un temps où montent toujours plus en puissance le refus haineux de
l’autreetl’hystérisationnarcissique desoi-même,il n’estpeut-êtrepas absurdede
promener un récit d’histoire du XVI e siècle, de la fabrication d’une « illusion
solitariste»jusquedanslesextrêmeslespluscriminelsoùpeutavoirjadisemmené
lanégationdel’humain.Toutcommeiln’estpasinconséquent,ainsiquecelivrea
aspiré à le montrer, d’observer que l’histoire est scandée de recommencements
effrayants, terriblement proches de nous, et qu’un massacre tel que celui qui
ensanglantaParissurlafinaoût1572peutsecomprendredanslecadredynamique
d’autres événements criminels s’étant déroulés dans d’autres cadres
spatiotemporels : ainsi, au plus proche de nous, doit être cité le pogrom de Lviv
(Lwów)7, qui intervint du fait de l’abandon de la ville par les Soviétiques et de
l’occupationallemandequisuivitdèsle30juin1941.Ilyeutladécouverte,surtout
dans une des principales prisons, de fosses dans lesquelles avaient été inhumés
plusieursmilliers d’Ukrainiens assassinés sommairement par le NKVD. L’hystérie
desmots,àl’initiativedesAllemands,prendalorslepouvoirenville,attribuantpar
letruchementdelarumeur,auxJuifsdeLvivlaresponsabilitédelatuerieenvertu
d’une rhétorique amalgamant le Juif, traître à l’Ukraine, et le bolchevique
envahisseuretoppresseur.
Cequisuscitasansdouteleprocessusdedéclenchementdupogromfutlamiseen
visibilité des présumés coupables qui durent, encadrés non seulement par des
Einsatzgruppen, mais encore par des miliciens membres de l’organisation
nationalisteukrainienne laplus radicale (OUN-B),exhumer les corpset les sortir
delaprisonsouslesyeuxd’unefouleappeléeàserassembler…Cettetechniquede
communicationfaisaitdel’antisémitismeuneémotionexigeantvengeanceàtravers
unmontagescéniquequidésignaitpubliquementceuxquidevaientêtrereconnus
commedescoupablesetsubirunchâtimentexemplaire.
Etensuite,filméouphotographiépardessoldatsetofficiersallemands,letemps
estàlaviolencecollectivequiperdureentrele30juinetle2juillet1941,suiviepar
une seconde scansion du 25 au 29 juillet, encadrée par des militants ukrainiens
agissantsouslecontrôlenazi,maispasseulement.
Thomas Chopard, en s’appuyant sur des photos complaisamment prises par des
spectateurspour mémoriserce quiétait un châtimentglorieux etnécessaire dela
culpabilitéjuive,nousrapproched’uneSaint-Barthélemydanslaquellenousavons
vouludistinguerunmassacredefoule:«Onnoteraaussiquesurlaphotographie
lesautreshommesquifrappentlavictimeaucentredel’imagenesemblepasporter
debrassardoudesignedistinctif.C’estlaparticularitéd’unpogromcommeceluide
Lviven1941:quiconquepeutyparticiper.L’absenced’arme,lecaractèrechaotique
delascènelaissetoutelatitudeauxpassantsdesetransformerenpogromiste.Sur
d’autres clichés, des enfants ou des femmes participent activement aux violences
antisémites. » La foule est là et entoure les femmes déshabillées par leurs
tortionnairesquilescouvrentde coupsetfont coulerleursang enlesflagellantà
coups de nerfs de bœuf, tirant aussi des corps d’hommes par les cheveux ou les
piedsetentassantdescadavresdansdestombereauxoucharrettes.Rejointepardes
élémentsdelapopulationpolonaisedelaville,c’estencorelafoulequiencourageet
applauditunenfantfrappantàcoupsdebalaiunJuif,sansdouteavantque,horsde
lavilleoudanslesprisons,desassassinatsdemasseaientlieu:4000victimes.
Comme l’a analysé Marie Moutier-Bittan, « on assiste non pas à des pogroms
spontanés, mais à des pogroms à la fois « spontanés » et planifiés. Il y a une
organisation qui les rend possibles. Une organisation et une histoire8 ». Ce qui
invite à poser l’hypothèse d’un paradigme du pogrom dans lequel, malgré l’écart
temporel,onpeutreconnaîtrelaSaint-Barthélemy,par-delàlareligiondestueurs
et celle des tués : il s’agit d’un désir collectif qui fait surgir la foule et la
métamorphoseenl’actriced’uncrime«incitéparlesAllemands,coordonnéparla
miliceukrainienne,etréaliséavecleconcoursdeshabitants».Etilyasurtoutune
judéophobiegravéedanslesconsciencesdepuisdelonguesdécennies,quiselibère
etsedésinhibesoudaindanslesrassemblementsd’hommesetdefemmesautourde
victimesjuivesisoléesaumilieud’unpeuplehurlantetvociférant.
Onsaitquedescomitésmunicipauxsesontforméslocalementdèsledépartdes
Soviétiques, dont les éléments structurants sont souvent l’instituteur et le prêtre
uniate, et qui comprennent aussi des femmes. On sait encore qu’il y a une
disponibilité collective préexistante à ce que le « peuple » se greffe sur les
démonstrationsdehainejudéophobiqueetbasculedansl’euphorieassassine.
Carlesphotosmettentenscèneunefoulequiritdeschâtimentsquisontimposés
auxhommescommeauxfemmescontraintsdes’agenouiller,jetésàterreetbattus
decoupsde bâtonoude maillet.Une foulequis’amuse decontemplerles visages
déchirésparlasouffranceouensanglantés,voire,onledevine,d’assisteràdesviols
publicsquand il est procédé à des chasses de femmes à moitié déshabillées et aux
regardsperdusdepeurdanslaruePompierska.
J’aimeraisciter ici le témoignage d’un survivant, mettant en exergue un homme
portantunechemisebrodéeetbattantlesJuifsavecunecanneenmétal:«Aufur
etàmesure,ilnefrappaitplusquelestêtes.Àchaquecoup,ilarrachaitdesbandes
de peau. Il a fait sortir les yeux de certaines personnes, et arraché des oreilles.
Lorsque sa canne a éclaté, il a immédiatement attrapé un gros morceau de bois
carboniséetfracassélatêtedemonvoisin.Lecrâneaéclatéetlecerveauaéclaté,
éclaboussantdanstouteslesdirections9 .»Probablement,lerelaisest-ilprisquand
les Juifs ayant survécu aux coups de pied, de poing ou de massue, sont conduits
horsdelavilleetassassinéspardesEinsatzkommandos.
Pourquoi achever ce livre sur ce pogrom, qui connaît une terrible réitération
quand, le 25 juillet 1941, ce sont des paysans des villages environnants qui
pénètrent en ville armés de maillets et de haches, et traînent, sous le regard
complaisantdelapolice,detrèsnombreuxJuifsaucimetièreisraélitepourselivrer
àunegrandetueriedemasseetsansdouteaccompagnésparlesprotagonistesdes
atrocitésrécentes?
Maréponse estque parfoisl’anachronisme peutpermettre decombler des vides
dans des temps engloutis de l’histoire et de réagir contre l’esprit de facilité
schématiquequiprésideauxsurinterprétations.LemassacredelaSaint-Barthélemy
est sous-documenté, et les raisons de cette aphasie, parmi lesquelles se laissent
deviner peut-être une culpabilité inconsciente, sont nombreuses. Nous ne
disposonsquedetrèspeudedonnéesfiablesàproposdecequis’estpassédurant
lesmatinesparisiennesetnoussommesbiensouventréduitsàunereconstitution
hypothéticodéductive. Le massacre est indissociable d’une chape de silence qui
concerneaussibienlestueursquelestués.Unmassacresanshistoire,ouàl’histoire
impossible. Les photographies et le film retrouvé par les Américains dans une
caserneSSd’Augsbourg10 ,aprèslaguerre,peuventdoncservirdepalliatif,mêmesi
une chape de silence s’est aussi étendue sur la Galicie orientale, où les fosses
communes creusées à l’issue des pogroms se multiplièrent dans les villages et
demeurentpourbeaucoupdépourvuesdemémorial.
Le recours à l’anachronisme11 peut venir en soutien d’une compréhension
plausible de ce qu’a été la Saint-Barthélemy du « peuple de Paris », une tuerie
acharnéemaisrestéetropsilencieuse,qu’onnepeutpasréduireà unmassacrede
voisins, géré par un petit nombre de tueurs en série. Il ne faut pas enlever aux
morts leurs destinées tragiques d’avoir été les victimes d’un « peuple » dont ils
faisaientpartiemaisquis’estacharnésureuxdansl’absolueetterrifiantecertitude
qu’ilfaisaitsonsalut.Ilnefautpasdénaturerlecrimede1572ensevoilantlesyeux
etdonc enréduisant sondéchaînement d’intensitéassassineinouïe ayantporté le
«peuple»parisienàtuer,àregardertuer,voiremêmeàattendreàdistancequela
furiepasse.Etl’anachronisme,ilfautleredire,peutaiderparadoxalementàdéfaire
lerisqueanachronistiquequineporteàlirelepasséquedanssasuperficie.
Surcertainesphotographiesprisesdurantcesjoursdel’année1941,ondistingue
unefoulemasséeenrangsserréslelongd’uneruedeLviv,contemplantavecune
évidente fascination des hommes qui frappent un Juif qui est à terre. Cette
configurationnepourrait-ellepasavoirétécelled’unPariscrimineloscillantentre
voyeurisme et assassinat ? D’autant que d’autres clichés montrent une autre foule
cette fois-ci encerclant des Juifs ou Juives de manière aussi physiquement
oppressanteque jubilatoire et les regardant subir des coups de pied, de bâton, ou
encore être piétinés… Est-ce que ce peuple de Lviv, ainsi figé dans des instants
dramatiquesde juin-juillet 1941 et par l’effet de la « levée d’écrou » découlantdu
recours à l’anachronisme12, ne peut pas aider à appréhender ce qui a emporté en
août 1572 Paris dans une des grandes atrocités de l’histoire française ? L’atrocité
terrifiantedumassacrenepeut-ellepasresurgirdecesphotosprisessurlethéâtre
d’uncrime d’un autre temps et d’un autre lieu,et donc déjouer l’œuvre de tueurs
ayant voulu que leurs victimes, enfants, vieillards, femmes, hommes, riches,
pauvres, disparaissent pour toujours sans qu’on puisse relater ce qui a pu leur
arriver?
Et ne faut-il pas accepter d’impliquer, dans la compréhension historique de
l’événementdesVêpresparisiennes,unepartd’imaginationsubstituantaumutisme
documentaireunpossibledel’histoireet,cequiestundevoirdel’historien,rendant
lesmortsàleursmorts…?Doncenprocédantàunelecturedupasséqui«arrache
l’objethistoriqueaucontinuumducoursdel’histoire13»?
Faire parler des événements dans le cours d’une manière de conversation
commune afin de les doter de la signifiance de l’inconscient d’un Mal qui sourd
aujourd’hui autour de nous, c’est ce que j’ai tenté de faire en fouillant dans les
silencesdelaSaint-Barthélemy.
1.Lesgrandeslignesdudéveloppementiciprésentésontempruntéesàuntexteantérieurementéditédansle
volume XLVl de l’Edinburgh Review or Critical Journal (juin-septembre 1826, p. 96-156). Il s’agit d’un texte
critique, sans nom d’auteur, des travaux développés dans John Lingard, A History of England from the first
InvasionoftheRomans,14vol.,Londres,J.Mawman,1825-1831,t.VII,p.94-156,quiavaitadoptélathèsedela
préméditationlongueets’étaitappesantisurlafiguredeCharlesIXentantqu’ordonnateurdumassacreayant
toutefoiseuunpetitmomentdeflottement.L’auteurdelarecensionestl’historienJohnAllen(1771-1843),qui
futmasterofDulwichSchool(CollegeofGod’sGift).
2.«Nousn’avonstrouvédanssonrécitdecettetransactionaucunemarquedediligenceouderecherche,et
de nombreuses indications évidentes de négligence et de hâte, d’apprentissage emprunté et d’indifférence
inexcusable à l’égard de l’exactitude historique. S’il avait lu avec attention, ou lu tout court, les ouvrages
auxquelsilfaitappel,iln’auraitpaspumallesinterpréteroulesprésenterdemanièreerronéecommeill’afait.
S’ilavaitprislapeined’examinerlesautoritésqu’ilcite,iln’auraitpaspurenvoyerseslecteursàdespassagesqui
prouventlecontrairedecequ’ilssontcensésétablir.S’ilavaitmêmeparcouruavecunsoinordinairelesauteurs
qu’ilsembleavoirconsultés,iln’auraitpaspurisquerlesaffirmationsqu’ilafaites,ou,danssondésirdedonner
un effet dramatique à une scène particulière de son récit, se risquer à la coloration qu’il a employée à cet
endroit. La vision que le Dr Lingard a donnée de la Saint-Barthélemy est tirée de l’abbé de Caveyrac, un
écrivaincontroversédusiècledernier,quiaannexéàuneapologiedelarévocationdel’éditdeNantes,publiée
en1758,unedissertationsurcemassacre…»(ils’agitdeApologiedeLouisXIVetdesonConseil,surlarévocation
del’éditdeNantes,pourservirderéponseàlaLettred’unpatriotesurlatoléranceciviledesprotestantsdeFrance;Avec
uneDissertationsurlajournéedelaSaint-Barthélemi,s.l.,1758,del’abbéNovideCaveyrac).
3. Mouza Raskolnikoff, Histoire romaine et critique historique dans l’Europe des Lumières. La naissance de
l’hypercritiquedansl’historiographiedelaRomeantique,Rome,ÉcolefrançaisedeRome,1992,p.16-17.
4. Revue britannique ou choix d’articles traduits des meilleurs écrits périodiques de la Grande-Bretagne, par
MM.L. Galibert, directeurs…, t.I, Quatrième série, 1836,Au bureau de la Revue,rue des Bons-Enfans, 21,
1836,p.201-202.
5.Ibid.,p.229.
6.J’emploieici«probabiliste»pournepasdérangerdansseshautescertitudesunhistorienqui,jadis,donna
un compte rendu de mon livre de 1994 en avançant que tout historien fait de l’histoire « virtuelle » « en
reconstituantlepassé».Ilajoutaitquel’interprétationquej’avaisdonnée«estaussivraie–ouaussifausse–
que peut l’être l’image virtuelle comparée à l’image réelle ». Très finement toujours, cet auteur concluait
magistralement dans un total hors champ de ce que j’avais mis en œuvre : « … appliquée à l’histoire
événementielle,cette histoire“virtuelle”aboutit àune simpletautologie :tout événementest laconséquence
d’unévénementantérieurquil’annonceetanticipedesévénementsfuturs.C’est,sommetoute,unrésultatassez
mincepourunouvrageaussiépais.»
7.ThomasChopard,«LepogromdeLviv,juin1941»,Encyclopédied’histoirenumériquedel’Europe,enligne.
8. Citée in Stéphane Bou et Elenan Guritanu, « Juin 1941, les débuts de la Shoah en Galicie Orientale :
histoired’unpassageàl’acte»,K,LesJuifs,l’Europe,le XXIe siècle,27septembre2023,enligne,àproposdeMarie
Moutier-Bittan, LePacteantisémite. LedébutdelaShoahenGalicieorientale.Paris,Passéscomposés,2023.Voir
John Paul Himka, « The Lviv Pogrom of 1941 : The Germans, Ukrainian Nationalists, and the Carnival
Crowd»,CanadianSlavonicPapers/RevueCanadiennedesSlavistes,vol.53,no.2/4,2011,p.209-243.
9.CitationdonnéeparOlivierBerruyer,«LesNazisetl’Ukraine(5).LesortdesJuifsenGalicie(1/2)»,Les
Crises,23juin2014,enligne.
10.NationalArchivesandRecordsAdministration(NARA);etUnitedStatesHolocaustMemorialMuseum.
11. Nicole Loraux, « Éloge de l’anachronisme en histoire », inLeGenre Humain,Paris, Le Seuil,juin 1993,
p.23-39.
12.LaformuleestdeFrançoisDosse,«Del’usageraisonnédel’anachronisme»,EspacesTemps,87-88,2005,
p.156-171.
13.WalterBenjamin,thèseXIVn,«Surleconceptd’histoire»,ŒuvreIII,Paris,Gallimard,2000,p.349.
Sources
AdvertissementauxtroisestatsdelaFrance,surl’entretenementdelaPaix.AuRoytres-
chrestien Henry III. Du nom Roy de France et de Poulongne, A Paris, Pour François
Tabert,1576.
AnnalesmanuscritesdelavilledeLimogesditesmanuscritde1638,EmileRuben,Félix
Achard,PaulDucourtieux(éd.),Limoges,1872,t.I.
ArrestdelacourtdeParlementcontreGaspartdeColligny,quifutAdmiraldeFrance,mis
enhuictlangues,àsçavoir,François,Latin,Italien,Espagnol,Allemant,Flament,Anglois
etEscoçois,Paris,ParJeanDallierlibraire,1569,inArchivescurieusesdel’Histoirede
FrancedepuisLouisXIjusqu’àLouisXIII,LouisCimberetFélixDanjou(éd.),Paris,
Beauvais,1835,1resérie,t.IV,p.375-380.
Aubigné, Agrippa d’, Histoire universelle, Alphonse de Ruble (éd.), Paris, Librairie
Renouard,1889,t.III.
Baïf,Jean-Antoinede, LePremierlivredespoèmes,GuyDemerson(éd.),Grenoble,
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Belleforest, François de, Discours sur l’heur des presages advenuz de nostre
temps signifiantzlafelicitédu regnedenostreRoy Charlesneufiesmetres chrestien,A
Paris,VincentNorment,1572.
Belleforest, François de, Les Grandes Annales, et histoire générale de France, dès la
venue des Francs en Gaule jusques au règne du roy très-chrestien Henry III, 2 vol., A
Paris,GabrielBuon,1579,t.I.
Benoist,René,Responseàceuxquiappellentidolatres,lesChrestiensetvraysadorateurs,
Paris,NicolasChesneau,1564.
Bèze,Théodorede,HistoireecclesiastiquedeseglisesréforméesauRoyaumedeFrance,
en la quelle est descrite au vray la renaissance et accroissement d’icelles depuis l’an
M.D.XXI. jusques en l’année M.D.LXIII. leur reiglement ou discipline, Synodes,
persecutionstantgeneralesqueparticuliers,nomsetlabeursdeceuxquiontheureusement
travaillé,villesetlieuxoùellesontestédressees,aveclediscoursdespremierstroublesou
guerresciviles,desquelleslavrayecauseestaussideclaree,3vol.,Del’Imprimeriede
JeanRemy,AAnvers,1580,t.II.
BourdeillePierrede,Viesdesgrandscapitainesestrangersetfrançais,LudovicLalanne
éd.), t. 1 à 5, inŒuvres complètes de Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme,
publiées d’aprèsles manuscrits avec variantes et fragments inédits pour la Société de
l’histoiredeFrance,Paris,VveJulesRenouard,1864-1882,11vol.
Bourdeille,Pierrede,ŒuvrescomplètesdePierredeBourdeille,seigneurdeBrantôme,
publiées d’après les manuscrits avec variantes et fragments inédits pour la Société de
l’histoire de France, Ludovic Lalanne (éd.), 11 vol., Paris, Vve Renouard, 1864-
1882,t.IV(Viesdesgrandscapitainesestrangersetfrançais).
Bourg,Laurentde,Discourssurlavictoirequ’ilapleuàDieud’envoyerauRoy,surles
hereticquesetrebelles:avecdiversespreuvesdel’assurancedenostrevictoire:jointeune
exhortation à se resituer en Dieu et à louer les chefs de ceste guerre, et un chant
d’allegresseàtoutlepeupledeFrance.AMonsieurdeMandelotgouverneurdeLyon,A
Paris,ParDenisduPré,1570.
BriefDiscoursde laMagniicenceet entréeduTres-chrestien RoydeFrance CharlesIX,
faicteensavilledeTholose,ledeuxiesmejourdefevrierMDLXV,Paris,Guillaumede
Nyverd,1565.
BriesveremonstranceàlanoblessedeFrance,surlefaictdelaDeclarationdeMonseigneur
leDucd’Alençon,s.l.,1576.
Canestrini,Guiseppe,etDesjardins,Abel,NégociationsdiplomatiquesdelaFranceavec
laToscane,Paris,Imprimerieimpériale,1865,t.III.
Capilupi, Camillo, Le Stratagème de CharlesIX, roi de France, contre les huguenots,
rebellesàDieuetàlui,ourelationdumassacredelaSaint-Barthélemi,octobre1572.
Carorguy,Jacques, Mémoiresde JacquesCarorguy,greffierdeBar-sur-Seine,1582-1595,
EdmondBruwaert(éd.),Paris,Picard,1880.
Chanson nouuelle du miracle aduenu à Paris, c’est à sçauoir vne Espine qui est florie
dedansleCymetieredessainctzInnocens,lelendemeaindel’occisiondel’Admiral,etde
sesalliez.Etsechantesurlechant,Passezlariuiere,[1572].
Chanson spirituelle contre les lutheriens et calvinistes, heretiques de nostre temps. Lyon,
BenoîtRigaud,1560.
Chanttriomphalpourjoüersurlalyre:Surl’insignevictoirequ’ilapleuàDieudonnerà
monseigneurfrereduroi,s.l.,s.d.
Chantelouve, François de, La Tragédie de feu Gaspard de Coligny, jadis Amiral de
France,contenantcequiadvintàParisle24.d’août1572,aveclenomdespersonnages,
Paris,N.Bonfons,1575.
Complainte et regretz de Gaspard de Coligny qui fut admiral de France, A Lyon, Par
BenoistRigaud,,s.l.,s.d.
Coppier de Vellay, Jacques, Deluge Des Huguenotz, avec leur tumbeau, & les noms des
Chefs&principaux,punisàParislexxiiij.iourd’Aoust,etautresioursenfuyuans,1572,
Lyon,ParMichelJove,1572.
CorrespondancediplomatiquedeBertrand deSalignacde laMotheFénélon ambassadeur
deFranceenAngleterrede1568à1575,7vol.,ParisetLondres,1840.
Crescas,Hasdaï,Lumièredel’Éternel,traduitdel’hébreu,ÉricSmilévitch(éd.),Paris,
Hermann/RubenÉditions,2010.
Crespin,Jean,HistoiredesMartyrspersecutezetmisamortpourlaveritédel’Evangile,
depuisletemps desapostresjusques apresent(1619), Genève,P. Aubert,1619,rééd.
par Daniel Benoît et accompagnée de notes par Matthieu Lelièvre, Toulouse,
SociétédesLivresreligieux,1885-1888,3vol.
Crespin,Jean,Histoiredesmartyrspersecutezetmisàmortpourlavéritédel’Evangile
depuis le temps des Apostres jusques à présent (1619), 3 vol., Toulouse, Société des
livresreligieux,1889.
Crespin,Jean,Histoiredesmartyrs,persecutezetmisàmortpourlaveritédel’Evangile,
depuisletempsdesapostresjusquesal’an1597:comprinseendouzelivres,contenantles
ActesmemorablesduSeigneurenl’infirmitédessiens,nonseulementcontreleseffortsdu
monde, mais aussi contre diverses sortes d’assaux et heresies monstrueuses, Héritiers
d’EustacheVignon,1597.
Dampmartin,Pierrede,Amiableaccusationetcharitableexcusedesmausetevenemens
delaFrance, pourmonstrer quela paisetreunion dessubjectsn’est moinsnecessaireà
l’Estat qu’elle est souhaitable à chacun en particulier, A Paris, Robert Le Mangnier,
1576.
Dampmartin,Pierrede,Delaconnaissanceetmerveillesdumondeetdel’hommededié
au roy tres-chrestien Henry III. Roy de France et de Pologne, A Paris, Chez Thomas
Perier,1585.
Dampmartin,Pierrede,Dubonheurdelacour,etvraiefelicitédumonde,Anvers,s.d.
Dampmartin,Pierrede,Lafortunedecour…,Paris,chezNicolasdeSercy,1642.
Delapuissancelegitimeduprincesurlepeuple,etdupeuplesurlePrince.Traitétres-utile
etdignedelectureencetemps,escritenLatinparEstienneIuniusBrutus,&nouvellement
traduit en François, 1581, reproduction en fac-similé, Genève, Librairie Droz,
1979.
De la religion catholique et foy chrestienne des Roys de France. Œuvre par lequel est
monstréeladevotion,etl’affectiondesdictsRoysenversleschosessainctesetlapunition
pareuxfaictedesheretiquesetdesrebelles,AParis,àl’OlivierdePierreLuillier,1572.
Désiré,Artus, La grandetrahison etvoleriedu royGuillot princeetseigneurdetousles
larrons,bandolliers,sacrilèges,voleursetbrigansduroyaumedeFrance,s.l.,s.d.
Désiré, Artus, Le Contrepoison des cinquante deux chansons de Clement Marot,
faulsement intitulées par luy Psalme de David, faict et composé de plusieurs bonnes
doctrines et sentences preservatives d’Heresie. A tres hault, tres puissant et magnanime
Seigneur Monseigneur le Prince de Piedmont Duc de Savoye (…) Adjousté de nouveau
certainslieuxetpassagesdesœuvresdudictMarot,parlesquelzl’oncognoistral’heresieet
l’erreurd’iceluy,AParis,ParPierreGaultier,1562.
Désiré, Artus, Les regrets et complainctes de Passe partout et Bruitquicourt…, Paris,
PierreGaultier,1557.
« Deux lettres de couvent à couvent : écrites de Paris, pendant le massacre de la
Saint-Barthélemy (le jour même et le surlendemain, 25 et 26 août) par Joachim
Opser de Wyl, jésuite, sous proviseur du collège de Clermont, à Paris, 1572 »,
Henri Martin et F. Joachim Opser (éd.), in Bulletin de la Société de l’Histoire du
ProtestantismeFrançais,vol.8,n°6/7,juin-juil.,p.284-294.
DiscoursauroiCharlesIXpourentreprendrelaguerrecontrel’EspagnolespaïsBas-ilfut
escritparMonsieurduPlessislorsaagéde23ansenl’an1572etparluimisesmainsde
monsieur l’Admiral de Chastillon qui le présenta au Roy, in Memoires de messire
PhilippesdeMornay,seigneurduPlessisMarli,barondelaForestsurSevre…Contenans
divers discovrs, instructions, lettres, et depesches par lui dressees, ou escrites aux rois…
depuis l’an MDLXXII. jusques a l’an MDLXXXIX ; ensemble quelques lettres des
dessusditsauditsieurduPlessis,JeanDaillé,1624,t.I.
Discours de ce qui advint touchant la croix de Gastine, l’an 1571, vers Noel, in Archives
curieuses de l’Histoire de France depuis Louis XI jusqu’à Louis XIII, Louis Cimber et
FélixDanjou(éd.),Paris,Beauvais,1835,1resérie,t.VI,p.475-476.
DiscoursdelaBatailleetcruelzassaultz,DonnezentreMont-contourt,Hervaulx,Etdela
tres-memorable victoire obtenue (par la grace de Dieu et de la bonne conduicte de
Monsieur)lelundytroisiemejourd’octobre,MDLXIX.Ensemblelesnomsdesrégiments
desHuguenotzdeffaictz,Etlesnomsdeceuxquisontmortsetblessez,delapartduRoy,
AParis,GuillaumedeNyverd,1569.
Discours de la paix publiée au camp de Setigny et à sens et depuis aussi à Paris, le Roy
seantensacourdeParlement,AParis,ParDenisduPré,[mai]1576.
DiscourssurlamortdeGaspartdeColigny,quifutadmiraldeFrance,etdesescomplices,
le jour Sainct Berthélémy, vingt-quatriesme jour d’aoust, à très haut et très vertueux
seigneur,messireRenédeVayer,chevalierdel’ordreduroy,baillydeTouraine,viconte
dePaulmyetdelaRocheIanes,seigneurd’Argenson,laBaillolière,lePlessisetChastres.
ParI.S.P,1572.
Discourssurlescausesdel’executionfaicte éspersonnesdeceuxquiavoientconiurécontre
leRoyetsonEstat,AParis,Al’OlivierdeP.L’Huillier,1572.
Dorat, Jean, Œuvres poétiques de J. Dorat, poete et interprete du roy, Charles Marty-
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Dorat,Jean, Paeanes sivehymniintriplicemvictoriam, felicitateCaroliIX.:Galliarvm
regis inuictissimi, & Henrici fratris, ducis Andegauensis virtute partam, Paris, Chez
JehanCharron,1569.
Dorat, Jean, Invictiss. Galliarum regis Caroli noni, piissimi justissimique principis, et
acerrimi Christianae religionis assertoris, tumulus, Jo. Aurato Poëta Regio, et alijs
Clarissimis et doctissimis viris auctoribus. Ex officina Federici Morelli typographi
regii,Paris,1574.
Dorléans,Louis,Histoiredel’originedelaLigue,BnF,MsFr.4922,microfilm352.
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Dyvolé,PierreDixsermonsdelasainctemesseetceremoniesdicelle.Recueillissousfeude
bonnemémoireM.PierreDyvolé,docteurenthéologie,del’ordresainctDominique,ainsi
qu’illesaprononcezàChartres,Paris,NicolasChesneau,1577,n.p.
Erasme, Eloge de la Folie suivi de la Lettre d’Erasme à Dorpius, Paris, Garnier-
Flammarion,1964.
Fabre,Pierre,ResponseaucrueletpermicieuxconsieldePierreCharpentier,chiquaneur,
tendant à fin d’empescher la paix et nous laisser dans la guerre. Traitté duquel on
apprendraenquelcasestpermisàl’hommechrestiendeporterlesarmes,24mai1575,
s.l.
Gentillet, Innocent, Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne
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religion,etPolicequedoittenirunPrince,contreNicolasMachiavelFlorentin,s.l.,1576.
Goulard, Simon, Mémoires de l’estat de France sous Charles neufiesme contenant les
choses les plus notables, faictes et publiées tant par les catholiques que par ceux de la
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regne de Henri troisiesme et reduits en trois volumes, Par Heinrich Wolf,
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LeRoy,Loys,ExhortationauxFrançoispourvivreenconcordeetjouirdubiendelapaix
parLoysLeRoy. ProjectoudesseinduRoyaumedeFrance,pourenrepresenterendix
Livresl’estatentier,soubslebonplaisirduRoy.Les MonarchiquesdeLoysleRoy,oude
laMonarchieetdeschosesrequisesàsonestablissementetconservation,aveclaconference
des Royaumes et Empires plus celebres du monde ancien et moderne, en leurs
commencemens progrez, accroissement, estendues, revenus, forces par mer et par terre,
diversitez de guerroyer, Trains et Cours de Princes, Conseils souverains, Polices,
Judicatures,Lois,Magistrats,durées, decadence,etruine, AParis,De l’imprimeriede
FedericMorel,1570(autreéditionàParischezJaquesduPuisl’an1570).
Le Roy, Loys, Le Sympose de Platon, ou de l’Amour et de beauté, traduit de grec en
françois,avectroislivresdeCommentairesextraictzdetoutephilosophieetrecueillisdes
meilleursautheurstantgreczquelatinset autres,parLoysLeRoy, ditRegius.AuRoy
DauphinetàlaRoyneDauphine.Plusieurspassagesdesmeilleurspoëtesgrecsetlatins,
citez aux commentaires, mis en vers françois par Joachim Du Bellay Angevin, Paris,
VincentSertenas,JehanLongisetRobertleMangnyer,1558.
Les Actes de la conférence tenue à Paris es moys de juillet et Aoust, 1566. Entre deux
DocteursdeSorbonneetdeuxMinistresdeCalvin,AParis,chezClaudeFremy,1568.
Les arrests de derniere execution. Contre Gaspar de Colligny qui fut admiral de France,
François Briquemault, et Renauld de Cauaignes, Par Michel Jove, à l’enseigne du
Iesus,1573.
Les louanges et recommandations de la Paix, extraites de l’escriture saincte. Plus est
monstré que cest chose fort deshonneste que les Chrestiens ayent guerre ensemble. Avec
une suasion à faire la Paix, au regard du grand travail qu’il faut souffrir à mener la
guerre,etdesgransfraizqu’ilyfautfaire,ParJeanSaugrain,ALyon,1563.
Les memoires de Messire Michel de Castelnau : seigneur de Mauvissiere, illustrez et
augmentez de plusieurs commentaires & manuscrits, servans à donner la verité de
l’histoire des regnes de François II. Charles IX. & Henry III. & de la regence & du
gouvernementde Catherine de Medicis avec leseloges des rois, reines, princes & autres
personnes illustres de l’une et de l’autre réligion sous ces trois regnes, l’histoire
genealogique de la maison de Castelnau, et les genealogies de plusieurs maisons, A
Bruxelles,chezJeanLeonard,1731,p.82.
Les Œconomies royales de Sully, David Buisseret et Bernard Barbiche (éd.), 4 vol.,
Paris,Klincksieck,1970,t.I.
LesregretsetcomplainctesdeBriquemault.AuecsonEpitaphe,AParis,AumontSainct
Hilaire…,1572.
LetocsaincontrelesmassacreursetauteursdesconfusionsenFrance.parlequel,lasource
etoriginedetouslesmaux,quidelongtempstravaillentlaFrance,estdescouverte.Afin
d’inciteretesmouvoirtouslesPrincesfidelles,des’employerpourleretrenchementd’icelle.
AdresséàtouslesPrincesChrestiens,AReims,del’imprimeriedeJeanMartin,1579,
in Archives curieuses de l’Histoire de France depuis Louis XI jusqu’à Louis XIII, Louis
CimberetFélixDanjou(éd.),Paris,Beauvais,1835,1resérie,t.7,p.1-76.
Magny,Olivierde,LesOdes,Paris,chezAndréWechel,1559.
MarcelliPalingeniiStellatiPoëtaedoctissimiZodiacusvitaehocest,Dehominivita,studio,
a c moribus optime instituendis libri XII, Lugduni, apud Joannem Tornaesium
Typogr.Regium,1559et1567.
MarcelliPalingeniiStellatipoëtaedoctissimizodiacusvitae,hocest,dehominisvita,studio,
ac moribus optime instituendis libri XII : cum indice locupletissimo, Lugduni, apud
Ioan.TornaesiumetGuil.Gazeium,1552.
Matthieu,Pierre,HistoiredeFrancesoubslesregnesdeFrançoisI,HenryII,FrançoisII,
CharlesIX,HenryIII,HenryIV,LouisXIII,3vol.,AParis,ClaudeSonnius,1631,t.I.
Matthieu,Pierre,HistoiredesdernierstroublesdeFrancesoubslesrègnesdesRoistrès-
chrestiensHenryIIIRoydeFranceetdePologneetHenryIIIIroydeFranceetdeNavarre
[parPierreMatthieu],contenanttoutcequis’estpassédurantlesdernierstroublesjusques
àlapaixfaiteentrelesroisdeFranceetd’Espagne,avecunrecueildesédictsetarticles
accordezparleroyHenryIIIIpourlaréuniondesessubjects,ALyon,1594.
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Montaigne,Michelde,LesEssais,MauriceRat(éd.),2vol.,Paris,1962.
Mouchy,Antoinede, Histoirecatholiquedenostretemps,touchantl’estatdelareligion
Chrestienne,parS.FontainedocteurenTheologie.AvecuneresponseàquelqueApologie
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NompardeCaumont,Jacques,MémoiresauthentiquesdeJacquesNompardeCaumont,
ducdelaForce,maréchaldeFrance,etdesesdeuxfils,lesmarquisdeMontpouillanetde
Castelnaut, depuis la Saint-Barthélemy jusqu’à la Fronde, pour faire suite à toutes les
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Ode spirituelle, contre les faux Euangeliques et Protestans. Extraicte de la response de F.
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Palingenio Stellato, Le Zodiaque de la vie ou Préceptes pour diriger la Conduite et les
Mœurs des Hommes. Traduit du Poëme Latin de Marcel Palingen, célèbre Poëte de la
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PalingenioStellato,Marcello, LeZodiaquedelavie(ZodiacusVitae,1534),textelatin
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PalingeniusStellatus,Marcellus,Zodiacusvitae,Lyon,JeandeTournesetGuillaume
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Mémoiresde Condé,ou Recueil pourservir àl’Histoire de Francecontenant cequi s’est
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deDenisCrouzet
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(ISBN978-2-251-45611-9).