Annuaire de l’École pratique des hautes
études. Section des sciences religieuses
121 | 2014
Annuaire de l'EPHE, section des Sciences religieuses
(2012-2013)
Religion de l’Égypte ancienne
Religion de l’Égypte ancienne
Conférences de l’année 2012-2013
Christiane Zivie-Coche
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URL: https://journals.openedition.org/asr/1223
DOI: 10.4000/asr.1223
ISSN: 1969-6329
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Publications de l’École Pratique des Hautes Études
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Date of publication: December 20, 2014
Number of pages: 77-86
ISSN: 0183-7478
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Christiane Zivie-Coche, “Religion de l’Égypte ancienne”, Annuaire de l'École pratique des hautes études
(EPHE), Section des sciences religieuses [Online], 121 | 2014, Online since 19 November 2014,
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Religion de l’Égypte ancienne
Mme Christiane Zivie-Coche
Directrice d’études
I. L’Ogdoade, élaboration et évolution d’une cosmogonie (suite)
Cette année nous avons poursuivi et achevé l’examen des textes thébains relatifs
à l’Ogdoade avant de poursuivre la recherche dans les grands temples ptolémaïques,
en commençant par celui d’Edfou. Dans la mesure où les temples de Montou à
Tôd et à Ermant sont extrêmement ruinés, les conclusions que nous pouvons tirer
concernant la présence de l’Ogdoade et le rôle qu’elle y joue, demeurent évidem-
ment fragmentaires.
1. Le temple de Tôd
À une vingtaine de kilomètres au sud de Louxor, également sur la rive est, le
temple de Tôd, Djerty en égyptien, fut dédié à Montou au Moyen Empire, le dieu
étant qualifié de « taureau qui réside à Tôd ». Il connut un grand développement
sous Sésostris Ier et Amenemhat II. De l’état de cette époque, en dépit des multiples
remaniements qui eurent lieu du Nouvel Empire jusqu’à l’époque ptolémaïque
et même romaine1, subsiste encore une paroi de Sésostris Ier qui a été incluse
dans l’édifice ptolémaïque ultérieur2. Le souvenir de ce pharaon était d’ailleurs
vivace et soigneusement préservé puisque sur l’une des parois de la crypte de Tôd,
on a représenté le naos de Sésostris Ier, comme l’indique la légende de l’image.
Néanmoins, peu de choses subsistent de cette période, et le temple ptolémaïque et
romain lui-même (Ptolémée VIII Évergète II, Ptolémée XII Aulète, Antonin) est
fort ruiné. Cependant, on y repère quelques scènes figurant les Huit, même si elles
sont incomplètes ; on peut en signaler deux exemples. Le roi fait un encensement
et une libation, l’offrande par excellence présentée à l’Ogdoade, devant ces entités
réparties en deux tableaux. Dans la salle hypostyle (scène 134), la deuxième scène a
disparu, mais on peut la restituer avec une très grande probabilité. Ces deux scènes
sont situées au registre supérieur de part et d’autre de la porte centrale. Dans le
second vestibule, deux autres scènes similaires occupent la partie centrale du linteau
de la porte (scènes 192 et 192 bis) qui en comporte deux autres à ses extrémités.
Les Huit sont figurés de manière purement anthropomorphe et portent les noms
de Noun, Naunet, Hehou, Hehet, Kekou, Kekout, Niaou et Niaout, désignations
fréquemment utilisées, où le couple Amon Amonet n’apparaît pas. Ces scènes sont
conformes à toutes celles rencontrées dans d’autres temples de la région thébaine.
Mais dans la mesure où les parois de Tôd sont incomplètes, il est difficile de les
situer dans un contexte religieux global. Les Khemenyou sont encore mentionnés
1. J.-Cl. Grenier et Chr. Thiers, J.-Fr. GouT (relevé photographique), Les inscriptions du temple
ptolémaïque et romain, Le Caire 1980-2003 (FIFAO 18), 3 vol.
2. Chr. BarBoTin et J. J. Clère, « L’inscription de Sésostris Ier à Tôd », BIFAO 91 (1991), p. 1-32.
Annuaire EPHE, Sciences religieuses, t. 121 (2012-2013)
Résumés des conférences (2012-2013)
dans une scène voisine en lien avec Amon l’ancien (scène 185) ; ils peuvent aussi
être qualifiés de Hoteptyou (scène 187), « ceux qui reposent », terme déjà rencontré
dans plusieurs autres textes. À côté de ces représentations habituelles dans l’espace
thébain, coexiste une autre qui fait partie des figurations qui couvrent les parois
de la crypte d’étage à laquelle on accède par la salle dénommée « chambre des
déesses ». Dans cette crypte, dont l’analyse d’ensemble reste à faire, figurent des
êtres composites, hippopotames à plusieurs têtes, de nombreuses images de Montou,
celle du naos de Sésostris Ier comme l’indique sa légende, et celle également des
membres de l’Ogdoade, représentés cette fois-ci avec des têtes de batraciens pour
les mâles et de serpents pour les femelles (scène 284). En outre, ils sont chaussés
des « pantoufles de Thot », autrement dit des têtes de chacal à l’extrémité de leurs
pieds3. Le roi effectue en face d’eux un geste rituel, malheureusement en lacune.
Ils sont suivis de trois divinités, elles aussi non identifiables. On note derrière la
jambe de la déesse qui ferme le cortège, un œuf posé à terre, représentation tout à
fait insolite et sans parallèle. Ces images ne sont accompagnées d’aucun texte, et on
ne peut donc affirmer, comme pour d’autres sur ces parois, qu’il s’agit de statues.
Ces dernières sont en effet accompagnées de l’indication de leurs dimensions et
de leur matériau. Il semble que l’on ait voulu représenter ainsi les membres de
l’Ogdoade conformément à ce que furent leurs plus anciennes images à l’époque
saïte4. La présence de l’œuf renvoie aussi bien à la création du monde hermopo-
litaine qu’à celle de Thèbes5. Une autre particularité des Huit à Tôd réside dans
le fait qu’ils ne jouent pas ici le rôle de dieux morts enterrés dans la butte locale
ou douat. Car sur une autre paroi de cette même crypte, une série de neuf figures
momiformes couchées sont définies comme les « seigneurs de la grande butte, la
douat mystérieuse » ; et ils apparaissent ailleurs encore dans le temple. Ce sont
donc eux les dieux morts de Tôd, qu’il faut rapprocher également de la butte de
Djedem, maintes fois citée dans les textes de Tôd, tout à la fois lieu de combat
contre les ennemis de Rê et douat où reposent les dieux morts6. Ceux-ci ne sont pas
sans rappeler la troupe similaire que l’on connaît à Edfou. Parmi les inscriptions
sur des blocs épars, dont certaines encore inédites, on citera un ensemble prove-
nant de la bibliothèque du temple et fournissant une liste de « livres », récitations
de prières ou titres de rituels ; on lit ainsi : « grande adoration [mystérieuse] par
les Huit, adoration de Ptah par les Primordiaux, ouverture de la nécropole pour
3. Cf. J. QuaeGeBeur, « Les pantoufles du dieu Thot », dans Sesto Congresso Internazionale di
Egittologia Atti I, Turin 1992, p. 521-527.
4. Cf. Chr. Zivie-CoChe, « L’Ogdoade à Thèbes à l’époque ptolémaïque et ses antécédents », dans
Chr. Thiers (éd.), Documents de Théologies Thébaines Tardives 1, Montpellier 2009 (CENiM 3),
p. 174-176.
5. Ainsi dans les textes de Pétosiris à Touna el-Gebel et, entre autres, dans la cosmogonie de la
chapelle de la barque du temple de Khonsou. Noter aussi la présence de deux œufs sur le pavois de
Thot ibis dans la section consacrée à Hermopolis, de la cella du temple d’Hibis : N. de Garis davies,
The Temple of Hibis III, The Decoration, New York 1953, pl. 4.
6. Voir J.-Cl. Grenier, « Djedem dans les textes des temples de Tôd », dans J. verCouTTer (éd.),
Hommages à Serge Sauneron, Le Caire 1979 (BdE 81/1), p. 381-389, avec la bibliographie antérieure.
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le grand aîné (i.e. Rê dans la douat durant son périple nocturne) »7. Les titres
de ces livres malheureusement perdus font songer aux rites funéraires pratiqués
dans la douat de Djemê sur la rive gauche du Nil, à Medinet Habou. Néanmoins,
rien, par ailleurs, dans les textes de Tôd ne permet de dire que de tels rites étaient
également effectués dans ce temple, alors que leur existence semble plus assurée
à Médamoud (présence d’une porte dite porte de Djemê) et à Ermant (attestations
d’un rite d’offrande décadaire). À Tôd, comme c’est le cas également à Edfou ou
Esna, se pose la question de la cohabitation des dieux morts locaux, enterrés à
Djedem, et de l’Ogdoade qui n’y assume pas cette fonction.
2. Le temple d’Ermant et le Bucheum
Sur l’autre rive du Nil, et pratiquement en face de Tôd, la cité d’Ermant, Iounou
chemâ en égyptien, ou Héliopolis du sud, constitue le quatrième élément du « pal-
ladium de Thèbes », pour reprendre l’expression de Drioton8. Mais plus encore
qu’à Médamoud ou Tôd, la destruction du temple et du mammisi dans la seconde
moitié du xixe siècle a été drastique. Le mammisi dont certaines scènes avaient été
copiées par Lepsius a disparu et le temple est réduit à ses fondations. Néanmoins,
avec la reprise de l’étude de ce bâtiment, tel qu’il avait été laissé par ses fouilleurs
du début du xxe siècle, Mond et Myers, trois cryptes de caisson, dans l’épaisseur
des murs, ont été découvertes et leur décor datant de Ptolémée XII Aulète, bien
que partiellement conservé seulement, apporte des éléments extrêmement précieux
pour comprendre leur fonction9. Parmi les divinités représentées, dont Montou en
premier lieu, figure l’Ogdoade, seuls les pieds et les jambes étant encore visibles,
et le nom du premier de ses membres, Noun, encore reconnaissable. Elle reçoit
des vases de vin de la part du pharaon. On ne peut être assuré de l’iconographie
des personnages, tout le haut de la scène manquant : divinités purement anthro-
pomorphes, comme elles le sont le plus souvent dans la région thébaine, ou à tête
de batraciens et serpents comme dans la crypte de Tôd ? Jouxtant cette scène, un
texte court (n° 38) présente de manière très concise une théogonie où Ptah-Tatenen
démiurge crée trente dieux parmi lesquels on a différencié plusieurs groupes :
huit Khemenyou, huit Djebaou, six Khenemou et sept Djaisou de Mehet-ouret,
qui additionnés au démiurge lui-même forment bien une troupe de trente dieux.
On remarque que Tatenen, créateur des Huit dans plusieurs textes thébains, crée
aussi d’autres troupes qui sont connues à Edfou, essentiellement pour les Djebaou
et les Khenemou ; les Djaisou ayant eux une audience plus vaste. On note aussi
que les autres mentions répertoriées de ces troupes font état de sept Djebaou ou
flotteurs et de sept Khenemou, bâtisseurs à l’image de Khnoum, sans que l’on
puisse expliquer cette modification dans leur nombre à Ermant, alors que le texte
est gravé avec soin. Enfin, le nombre trente n’est pas anodin, lui non plus, et se
retrouve plusieurs fois, tant à Edfou, que plus tard à Esna, pour désigner la troupe
7. Chr. Thiers, « Fragments de théologie thébaine. La bibliothèque du temple de Tôd », BIFAO 104
(2004), p. 553-572.
8. É. drioTon, « Les quatre Montou de Médamoud : palladium de Thèbes », CdE 6 (1931), p. 259-270.
9. Chr. Thiers et Y. volokhine, Ermant I. Les cryptes du temple ptolémaïque. Étude épigraphique,
Le Caire 2005 (MIFAO 124).
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Résumés des conférences (2012-2013)
primordiale accompagnant le démiurge : « les Trente ». Ce petit texte montre les
liens entre les écoles de Thèbes et d’Edfou, comme cela apparaissait également à
Tôd. Ptah Tatenen, père des Huit à Thèbes, à l’instar d’Amon, est aussi créateur
à Edfou. L’Ogdoade caractéristique de Thèbes est associée aux troupes d’entités
divines qui se rencontrent à Edfou, Djebaou, Khenemou et Djaisou. Néanmoins,
c’est bien au contexte de la théologie thébaine que l’on peut rattacher les images
des Huit et le texte théogonique. Les cryptes, en effet, semblent jouer le rôle de
douat où Montou-Rê-Horakhty, seigneur d’Héliopolis du sud, retourne après avoir
effectué les rites du 26 Khoiak sur la butte de Djemê, à Medinet Habou, pour les
dieux morts et pour Osiris.
Ermant est aussi le site qui abrite le Bucheum10, la nécropole des taureaux
Boukhis, hypostases de Rê et de Montou sur terre, et non loin de là, celle de leurs
mères, à Baqaria. Ce taureau d’Ermant semble être le seul animal vivant que l’on
puisse associer à Montou, contrairement à ce qui a été souvent écrit. Chaque ville
de Montou n’avait pas un taureau vivant, en dépit d’épithètes du dieu, telles que
Montou, « taureau qui réside à Médamoud, Tôd », etc. Quant au « très grand taureau
vénérable qui réside à Médamoud », j’ai déjà eu l’occasion de montrer qu’il s’agit
d’une hypostase, toujours anthropomorphe, de Montou. Les stèles consacrées aux
différents Boukhis enterrés entre le règne de Nectanébo Ier et celui de l’empereur
Dioclétien permettent de suivre le parcours de certains d’entre eux, découverts
dans une ville plus ou moins lointaine, intronisés à Thèbes, avant de venir passer
leur vie à Ermant et d’y être enterrés. Elles fournissent également des informa-
tions précieuses sur la façon dont le Boukhis a trouvé une place dans la théologie
thébaine. À l’origine image de Rê, à l’instar de Mnévis, le taureau d’Héliopolis, il
devient une hypostase de Montou. Par ce biais, il peut aussi adopter tous les aspects
de Montou, comme ceux d’Amon créateur et ancêtre primordial. Quelques textes
indiquent qu’Aménopé, porteur de l’offrande décadaire, se rendait à Ermant pour
honorer le Boukhis. Ainsi le Bucheum, tout comme le temple de Montou à Ermant,
était intégré dans le cycle de la théologie dont Djemê était le cœur. Du reste, les
textes romains du petit temple de Medinet Habou indiquent clairement que Montou
venait d’Ermant une fois par an, à l’occasion des fêtes osiriennes de Khoiak, pour
assurer des rites funéraires tout à la fois devant Kematef, l’Ogdoade et Osiris. Il
est vraisemblable que si le temple d’Ermant avait été préservé, on y aurait aussi
retrouvé des traces de ce rituel et de ces éléments de théologie.
3. Le temple du Deir el-Roumi
Retournant vers la montagne thébaine, sur la rive gauche du Nil, il faut encore
mentionner les restes très mal conservés d’un spéos qui avait été précédé d’une
structure bâtie, aujourd’hui ruinée, décorée sous le règne d’Antonin, contemporaine
de la cour devant le petit temple de Medinet Habou11. Cet édifice à l’entrée de la
10. R. Mond et O. H. Myers, The Bucheum, The Egypt Exploration Society, Londres 1934 (EES 41) ;
L. GolBrunner, Buchis. Eine Untersuchung zur Theologie des heiligen Stieres in Theben zur grie-
chisch-römischen Zeit, Turnhout 2004 (MRE 11).
11. G. leCuyoT et M. GaBolde, « A mysterious dwȝt from the Roman Times at the Deir er-Roumi »,
dans C. J. eyre (éd.), Proceedings of the Seventh International Congress of Egyptologists, Louvain
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Christiane Zivie-Coche
Vallée des reines fut ensuite réutilisé par les Coptes. Selon les informations dont
on dispose, les linteaux de porte ont été organisés en suivant le modèle du pylône
ptolémaïque du petit temple de Medinet Habou, conformément à la théologie de
Montou accompagné de l’Ogdoade. La structure du Deir el-Roumi serait peut-être
à interpréter comme une réplique de la douat de Djemê.
4. Le temple de Deir Chelouit
Sur la route d’Ermant, comme l’indique précisément un texte de Deir Chelouit
(III, 154), à quelques kilomètres au sud de Medinet Habou, le temple décoré à
l’époque romaine (Ier et IIe siècles de notre ère), est dédié tout à la fois à Montou
et à Isis12. L’Ogdoade y trouve place en deux points, plus quelques mentions. Sur
le propylône (I, 31), en deux scènes symétriques, dont l’une est détruite. Dans le
naos, sur les parois sud et nord, deux couples accompagnés respectivement de
Montou et d’Amon-Rê, reçoivent encore une fois libation et encensement (III, 139
et 151). Curieusement, on a reproduit deux fois les mêmes entités au détriment des
deux autres, sans que l’on puisse offrir d’explication à cette bizarrerie. Ces scènes
s’inscrivent dans le contexte funéraire de Djemê avec une série d’autres divinités,
formes d’Osiris, Anubis, Isis. Par ailleurs, un des bandeaux de frise du naos (III, 157)
rappelle que c’est le 26 Khoiak que Montou-Rê-Horakhty apporte les offrandes à
Djemê pour Osiris, Kematef et les Huit, s’arrêtant sans doute dans le temple de Deir
Chelouit, où l’Ogdoade prononçait, elle, un hymne devant Osiris lors des fêtes du
dieu, ce même mois (III, 124 et 127)13. Le temple de Montou et d’Isis est ainsi un
des derniers témoins de cette théologie complexe de la rive gauche thébaine qui
incluait les dieux morts de Djemê et Osiris, Amon et Montou, les dieux porteurs
d’offrande, quotidienne, décadaire ou annuelle, et enfin Isis, tout à la fois parèdre
de Montou et d’Osiris, faisant la protection de ce dernier.
Avec le temple de Deir Chelouit, s’achève l’examen des textes et figurations de
l’Ogdoade dans les temples thébains des époques ptolémaïque et romaine. Pour en
résumer très brièvement les résultats14, il apparaît que les théologiens thébains ont
accordé aux Huit une importance non négligeable dès le début de l’époque ptolé-
maïque (règne de Ptolémée III avec les propylônes de Khonsou et de Montou). Ils
sont très souvent représentés de manière purement anthropomorphe et non compo-
site à têtes animales, comme on les rencontre ailleurs sur des parois de temples ou
sur des documents mobiliers. Figurant dans des scènes d’encensement et libation,
ils apparaissent au travers de longues légendes, comme les dieux primordiaux,
nés dans le temple de Louxor, enterrés dans la butte de Djemê sur la rive gauche
thébaine au terme de leur vie, souvent après avoir fait un long périple qui les mène
1998 (OLA 82), p. 661-667.
12. Chr. Zivie-CoChe, Le temple de Deir Chelouit I-III, Le Caire 1984-1986.
13. Alain Fortier a traduit certaines scènes du temple de Deir Chelouit.
14. Voir Chr. Zivie-CoChe, « L’Ogdoade à Thèbes I », dans Chr. Thiers (éd.), Documents de Théologies
Thébaines Tardives (D3T 1), Montpellier 2009 (CENiM 3), p. 167-225 ; Chr. Zivie-CoChe, « L’Ogdoade à
Thèbes II », dans Chr. Thiers (éd.), Documents de Théologies Thébaines Tardives (D3T 2), Montpellier
2013 (CENiM 8), p. 227-284 ; Chr. Zivie-CoChe, « L’Ogdoade à Thèbes III », dans Chr. Thiers (éd.),
Documents de Théologies Thébaines Tardives (D3T 3), sous presse.
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Résumés des conférences (2012-2013)
à Hermopolis, Memphis et Héliopolis. Ils sont pourvus de caractéristiques de
créateurs, en particulier de créateurs de lumière, mais aussi de gardiens et protec-
teurs de Thèbes. La chapelle de la barque du temple de Khonsou à Karnak abrite
un texte narratif de cosmogonie extrêmement complexe et fort original qui met
en scène la naissance des Huit et fournit des étiologies pour les noms des temples
thébains. Sur la rive gauche, dans leur sépulture qu’ils partagent avec Kematef,
l’ancêtre primordial et Osiris né dans le temple d’Opet sur la rive droite et enterré
sur la rive gauche, ils reçoivent les offrandes funéraires qu’apporte Khonsou-Chou
quotidiennement depuis son temple de la rive droite, la Benenet, Aménopé qui part
de Louxor, tous les dix jours, et enfin Montou-Rê-Horakhty d’Ermant qui se rend
à Djemê une fois par an à l’occasion du 26 Khoaik. Ils sont ainsi au cœur de ce
réseau théologique complexe qui relie les temples de la rive droite à ceux de la rive
gauche tout au long de l’année, et participant aux grandes fêtes parmi lesquelles
il faut inclure la fête de la vallée.
5. Le temple d’Edfou
Le grand temple d’Edfou offre une variété de représentations et de mentions
de l’Ogdoade présente dans plusieurs types de scènes où elle occupe des fonctions
différentes. Dans une des chapelles latérales autour du sanctuaire, dénommée le
« trône de Rê », décorée sous Ptolémée IV, on retrouve le rite d’encensement et de
libation devant les Huit figurés de manière purement anthropomorphe (Edfou I,
289, 1-11 et pl. 29b). La scène se rattache très clairement au contexte thébain :
Thèbes est le lieu de leur naissance et c’est là aussi que Thot les enterre après leur
mort, à Djemê, tandis qu’ils bénéficient des offrandes quotidiennes et décadaires
de Khonsou-Chou et d’Aménopé ; l’intervention de Thot comme prêtre funéraire
rappelant sans doute leur lointaine origine hermopolitaine, tout comme la naissance
du soleil dans un lotus.
L’offrande du lotus, précisément, est figurée à maintes reprises sur les parois du
temple15. Parmi ces scènes, dans quatre d’entre elles (Edfou III, 312, 2-8 et pl. 79 ;
IV, 139, 11-141, 11 et pl. 85 ; V, 84, 12-86, 14 et pl. 113 ; Mammisi 80, 17-81, 10 et
pl. 20) l’Ogdoade est présente, soit seule, soit accompagnant l’enfant solaire sortant
du lotus, qui illustre la thématique bien connue de Rê émergeant d’un lotus dans
le grand lac de l’île de l’embrasement à Hermopolis. Ses membres sont figurés soit
entièrement anthropomorphes, soit avec une tête animale. Si le mythème de l’enfant
solaire dans le lotus est prégnant dans ces scènes, on y retrouve cependant des
éléments présents à Thèbes : les Huit ne sont pas seulement des adorateurs du soleil
levant, mais aussi des dieux créateurs dont l’action est longuement développée. En
outre, la scène gravée au nom de Ptolémée IX dans la cour du temple reprend la
thématique de « l’âge d’or » (Edfou V, 85, 13-15) connue par trois autres exemples
plus anciens à Karnak. Dans ces scènes, on a étroitement entremêlé deux traditions
qui coexistent, de même que l’on n’a pas choisi une iconographie spécifique pour
les huit entités de l’Ogdoade accompagnant le jeune dieu solaire.
15. Voir M.-L. ryhiner, L’offrande du lotus dans les temples égyptiens de l’époque tardive, Turnhout
1986 (RitEg 6), p. 28-70, pour ces scènes.
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Christiane Zivie-Coche
Les Huit sont aussi présents dans une autre série de scènes, dans un contexte
totalement différent. Sur les parois intérieures du mur d’enceinte, à côté des ensembles
de scènes relatifs à certaines fêtes d’Edfou, sont également gravées des scènes appar-
tenant au rituel de fondation qui n’est pas représenté dans son intégralité (Edfou VI,
181, 5-186, 10 et pl. 149 ; VI, 318, 14-372, 12 et pl. 152). Thot et Séchat en sont les
protagonistes principaux avec le roi, mais ils sont invariablement accompagnés
par différentes troupes de divinités parmi lesquelles on compte l’Ogdoade, à côté
des Djaisou et des Khemenyou, dans des regroupements parfois complexes. Les
Huit sont généralement en adoration, mais leur présence, comme celle de tous les
autres groupes, permet avant tout d’assurer la protection du temple et de son dieu
Horus de Behedet. Leurs caractéristiques de dieux primordiaux et créateurs sont
pratiquement effacées au profit de celles d’adorateurs et de protecteurs.
Enfin, dans deux scènes liées au cycle solaire (Edfou I, 34, 5-35, 14 et pl. 13 ;
III, 49, 11-55, 5 et pl. 53-54) – la rentrée du disque dans le sanctuaire pour la nuit
et le cycle du lever et du coucher du soleil sur la corniche de façade du pronaos –
les Huit sont présents, mais sous forme de babouins, réactualisant ce qui fut sans
doute la forme et la fonction premières de l’Ogdoade dans la tradition hermopoli-
taine. Edfou comporte encore quelques autres représentations ou occurrences de
l’Ogdoade, dont je ne donnerai pas tout le détail ici ; elles n’apportent pas d’éléments
originaux par rapport à celles qui ont été analysées.
Au total, on constate que, hors de Thèbes, on retrouve différentes traditions
coexistant aussi bien dans l’iconographie des Huit que dans les fonctions qu’on
leur attribue. La vieille tradition hermopolitaine d’une troupe de babouins adorant
le soleil est reprise, mais les Huit sont aussi selon la tradition thébaine des entités
primordiales et créatrices qui font naître le soleil et le reste de la création, avant
d’être enterrées, au terme de leur vie, dans la butte de Djemê à Medinet Habou.
Mais c’est dans ce seul cas qu’ils apparaissent à Edfou comme des dieux morts, les
dieux morts de Thèbes. Jamais ils ne sont enterrés à Edfou qui possède sa propre
troupe, inhumée dans la butte locale, mais avec une mythologie singulièrement
différente, celle de divinités rebelles que leur père Rê a massacrées avant que de
leur rendre un culte funéraire. Pourtant si l’on lit les textes qui parlent d’eux, on
constate que ces dieux morts d’Edfou ont emprunté à l’Ogdoade un certain nombre
de particularités. Cela est tout à fait révélateur de la manière dont travaillaient les
hiérogrammates en charge du programme de décor du temple : il convenait de
mêler une tradition locale propre, mais qui pouvait s’inspirer d’éléments extérieurs,
à d’autres qui gardaient leurs propres spécificités16.
6. Les dieux morts : conférences de Marc Gabolde
Marc Gabolde, maître de conférences HdR à l’université de Montpellier, a
accepté de faire deux conférences, dans le cadre du séminaire, sur le thème des
dieux morts dans les temples d’Edfou, Dendara, Tôd et Esna, ce dont je le remercie
chaleureusement. Les caractéristiques de ces troupes divines ont permis de mieux
16. L’ensemble des scènes d’offrande du lotus a été traduit et commenté par Lorenzo Medini.
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Résumés des conférences (2012-2013)
mettre en lumière ce qui fait l’originalité de l’Ogdoade, mais aussi de souligner
la labilité de ses fonctions d’un temple à l’autre, adaptées aux théologies locales.
II. Géographie religieuse, le Delta oriental.
Mendès et la XVIe sepat de Basse Égypte (fin)
La seconde heure a été consacrée à l’examen des mentions de la ville de Mendès,
Djedet, de la province ou sepat, Hatmehyt, dans les processions géographiques de
Dendara, les textes des sérapées, ceux des chapelles osiriennes, quelques autres
processions géographiques et le Livre du Fayoum. À Dendara, tout comme à Edfou,
on retrouve sur les soubassements de certaines parois des processions géographiques
conduites par le roi devant la divinité patronne du temple, ici Hathor ou sa contre-
partie Isis, et menant la totalité des provinces du pays, ou sepat, devant la déesse
pour lui en offrir les tributs. Dans une mise en parallèle de plusieurs processions,
nous avions déjà eu l’occasion de lire le texte concernant Mendès, appartenant à
la procession « quadripartite » de l’extérieur du naos (Dendara XII, 197, 7-17).
Autour du naos lui-même, dans le couloir mystérieux, une double procession se
dirige vers l’axe du temple. La province de Hatmehyt y est représentée (Dendara
I, 127, 7-9 et pl. 74), apportant ses produits, tandis que dans la glose, la déesse Isis
est assimilée à la déesse du lieu, Hatmehyt, homonyme de la province. On notera
l’assertion relative à Mendès que comporte la sérapée inscrite sur les montants
de porte de la chambre de Sokaris. En s’adressant à Osiris, il lui est dit : « si tu
es à Mendès dans la demeure des Primordiaux, ta majesté se réjouit du sexe des
femmes » (Dendara II, 132, 3). On retrouve là, dans une phrase qui a parfois été
mal comprise, l’évocation de la puissance sexuelle du bélier de Mendès17. Dans les
cryptes de Dendara, Banebdjed et Hatmehyt se rencontrent plusieurs fois, assurant
comme d’autres dieux la protection d’Osiris. C’est cette même fonction qu’ils
remplissent dans les chapelles osiriennes, à l’instar de tous les dieux d’Égypte
convoqués sur les parois pour la sauvegarde du dieu mort. Les deux divinités
sont affublées d’une iconographie particulière que l’on ne connaît pas ailleurs :
Hatmehyt bisexuée, coiffée d’une couronne amonienne (Dendara X, 5-6 et pl. 7),
Hatmehyt armée qui extermine les ennemis (Dendara X, 368, 14-369, 2 et pl. 201),
ou encore un Banebdjed anthropomorphe à quatre têtes de bélier (Dendara X,
pl. 198), ce qui correspond à l’épithète du dieu, « quatre têtes sur un seul cou »,
mais qui n’est pas transposé ailleurs dans l’iconographie. Un autre aspect important
de ces chapelles est la reconstitution du corps démembré d’Osiris par l’apport de
l’ensemble des « reliques » osiriennes. Banebdjed dans la procession des canopes
apporte les reliques connues par d’autres documents : l’épine dorsale et le phallus
du dieu (Dendara X, 89, 7-10 et pl. 42). Les paroles prononcées par le roi en tête
du cortège des dieux porteurs des reliques enfermées dans des vases permettent
de mesurer toute l’importance de cette procession, car les reliques se confondent
avec les villes mêmes qui les abritent et finissent par constituer le corps du dieu,
étroitement associé avec la terre d’Égypte. Les deux divinités principales de la
17. Cf. Chr. Zivie-CoChe, « Banebdjed dans tous ses états : du Delta à Edfou », Études et travaux 26
(2013), volume dédié à Karol Mysliwiec, p. 761-771.
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Christiane Zivie-Coche
sepat de Mendès gardent leurs caractéristiques originelles, mais dans le cadre des
chapelles osiriennes, elles sont principalement dévolues à la survie d’Osiris ; il
ne faut pas oublier que depuis le Moyen Empire au moins, c’est à Mendès que se
réalisait l’union du ba de Rê et de celui d’Osiris, subsumés en Banebdjed, et qu’une
étroite relation existait entre Osiris et Banebdjed.
Des mentions additionnelles de Banebdjed et Hatmehyt sont repérables dans
différents autres temples, mal conservées comme au Qasr el-Agouz ou à Kom
Ombo, ou mieux préservées comme à Tôd ou Athribis en Moyenne Égypte.
Dans le Livre du Fayoum18, papyrus reproduisant le lac Moeris et le Fayoum
comme un microcosme de l’Égypte tout entière, Banebdjed est présent en plusieurs
endroits : dans la Hôné qui permet de pénétrer dans le lac et dans le Fayoum, où il
est associé à Hérichef d’Héracléopolis, comme d’autres occurrences l’indiquaient
également ; sur le bord du lac où sont figurés les dieux de tout le pays, à proximité
d’autres divinités du Delta ; enfin, sous forme de Sobek crocodilomorphe, comme
une litanie illustrée du dieu dans tous ses noms.
Si les textes des temples ptolémaïques ont apporté peu d’informations pour l’his-
toire de Mendès, ils confortent notre connaissance de la théologie de Banebdjed :
son rapport avec Osiris, son aspect de dieu procréateur, son double aspect de bélier
ba et de principe immatériel ba.
III. Séminaires de troisième heure
Comme chaque année, nous avons poursuivi les séminaires mensuels destinés
aux doctorants, étudiants préparant un diplôme de l’EPHE, auxquels s’adjoignent
des étudiants de master mais aussi des post-doctorants et des chercheurs. Ils réu-
nissent toujours des étudiants de l’EPHE et de diverses universités françaises et
étrangères, étant également ouverts aux personnes non inscrites à l’EPHE. Ils leur
permettent de faire le point sur l’état de leurs recherches, d’évoquer les difficultés
qu’ils ont pu rencontrer sur le plan méthodologique ou sur celui de l’analyse des
données réunies dans le cadre de leur sujet. Ils ont aussi par ce biais l’opportunité
de ne pas rester confinés au champ de leur propre recherche et de sortir du cadre
d’une trop grande spécialisation qu’entraîne la préparation d’une thèse.
18. H. BeinliCh, Das Buch vom Fayum, Wiesbaden 1991 (ÄAT 51).
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