Panorama de La Bande Dessinée en France - Présentation 2021
Panorama de La Bande Dessinée en France - Présentation 2021
de la BD en France
2010-2020
PAR XAVIER GUILBERT
AVANT-PROPOS L’édito de la présidente du CNL 03
Annexes 61
Répartition détaillée du plan d’urgence 63
Répartition détaillée du plan de relance 64
Répartition des aides attribuées, de 2018-2020 65
Répartition géographique des aides 2020 66
Répartition thématique des aides 2020 68
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 1
2 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
MOT DE LA PRESIDENTE DU CNL
RÉGINE HATCHONDO
Après l’étude « Les Français et la BD », publiée par le CNL en septembre 2020, qui nous a
permis de mieux comprendre les pratiques, les motivations et les leviers de lecture des
Français dans le domaine de la bande dessinée, il nous a semblé indispensable de
clôturer l’Année de la bande dessinée, « BD 20-21 », par un état des lieux très détaillé du
secteur.
Décrypter les grandes tendances, les spécificités, les paradoxes et les dynamiques à
l’œuvre depuis 10 ans, c’est toute l’ambition du présent rapport, réalisé par Xavier
Guilbert, que je tiens à remercier pour son engagement.
Pour répondre à ces défis, je souhaite que le CNL participe pleinement aux actions qui
seront menées pour développer le lectorat et favoriser la diversité dans le secteur, mais
aussi qu’il soit le lieu de l’échange et du dialogue entre tous les acteurs de la bande
dessinée.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 3
4 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
PRÉAMBULE
Le contenu des pages qui suivent s’inscrit dans la prolongation d’un travail débuté il y a
une quinzaine d’années, avec la toute première « Numérologie » publiée sur du9 en
2006. Derrière ce titre en forme de pirouette (présenté comme « l’art de faire parler les
chiffres »), se cache une envie toujours présente de comprendre les grandes tendances
qui animent le monde de la bande dessinée ces dernières années. La publication
successive de ces analyses a suscité des rencontres et des échanges avec nombre
d’éditeurs, de libraires et d’auteurs, apportant des réponses, mais soulevant aussi bien
des questions.
Pour répondre à l’affirmation qui voudrait que l’on peut faire dire ce que l’on veut aux
chiffres, je me suis toujours attaché à détailler ma démarche, à expliquer mes choix
méthodologiques et à présenter les sources et les documents sur lesquels je m’appuie.
L’analyse de marché consiste avant tout à émettre des hypothèses, et loin d’attendre de
mes lecteurs qu’ils me croient sur parole, je préfère mettre à leur disposition tous les
éléments pour qu’ils puissent en tirer leurs propres conclusions. Cela se fait au prix, je
m’en excuse par avance, d’un (trop) grand nombre de notes de bas de page et de
références bibliographiques.
Ce sont les mêmes contraintes qui font que cette étude, basée avant tout sur des
données chiffrées, propose principalement une « vision de l’extérieur », qui gagnerait à
être prolongée et complétée par une exploration plus approfondie des pratiques
éditoriales, au travers de témoignages et d'entretiens avec des acteurs du secteur
(auteurs, éditeurs, mais aussi libraires et journalistes).
J’ai bien conscience qu’une telle analyse, aussi sincère et rigoureuse puisse être ma
démarche, ne présente qu’une vision du monde, qui a parfois autant à voir avec la
réalité des faits qu’avec le regard que l’on pose sur elle. Ce document n’a pas pour
ambition d’apporter une réponse qui serait aussi finale que définitive, mais plutôt de
constituer le début d’une conversation.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 5
Remerciements
En premier lieu, mes remerciements vont à ma famille et plus particulièrement mon
épouse, Marie-Anne, pour sa patience et son soutien de tous les instants.
Je tiens aussi à saluer les équipes du CNL, pour la confiance qu’elles m’ont accordée ;
Serge Ewenczyk, dont l’invitation a été déterminante dans l’existence de ce projet ;
Marius Chapuis, Martin Zeller et le Libraire Caché, pour leur relecture attentive ;
Emmanuel Michaud, pour ses corrections et son attention au détail ; et enfin Gilles
Ratier, pour l’aiguillon (amical) qu’il a pu représenter pendant ces longues années.
Enfin, je tiens à remercier tous ceux qui, au sein du petit monde de la bande dessinée,
ont pu nourrir ces réflexions, directement ou indirectement.
6 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
SYNTHÈSE L’édito de la présidente du CNL 03
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 7
8 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Alors que le marché du livre en France s’inscrit à la baisse sur la période 2010-2020 (-9 %
en volume / -11 % en valeur selon GfK), le secteur de la bande dessinée a connu une
progression remarquable (+34 % en volume / +46 % en valeur) et continue de
représenter un réservoir indéniable de best-sellers pour l’édition. Le secteur a d’ailleurs
terminé l’année 2020 à un niveau record : 53 millions d’exemplaires vendus, pour un
chiffre d’affaires de 591 millions d’euros, malgré la fermeture des librairies durant les
deux confinements liés à la pandémie de Covid-19.
D’une part, une bande dessinée de création franco-belge, attirant un lectorat plus âgé,
tiraillée entre des séries classiques aux performances faiblissantes, et la tentation d’un
roman graphique proche du modèle de la littérature dont les ventes sont plus
incertaines. Cette bande dessinée ressort comme un loisir occasionnel, où prédomine
l’image d’une « lecture détente ».
Les auteurs sont les premières victimes de cette évolution sur la période 2010-2020,
marquée par la mise en lumière de leur paupérisation croissante et leur mobilisation
pour la reconnaissance et la revalorisation de leur métier. Les suites à donner aux deux
rapports sur le secteur de la bande dessinée, commandés par le ministère de la Culture
(à Pierre Lungheretti puis à Bruno Racine), dans un contexte de tension importante
entre auteurs et éditeurs, sont à l’étude.
D’autre part, s’appuyant sur un lectorat jeune et impliqué, le manga s’affirme comme
composante majeure du paysage éditorial français et est en passe de s’imposer comme
une lecture véritablement populaire. Représentant désormais plus de 40 % des
exemplaires vendus en bande dessinée, ce segment s’est diversifié et développé.
Originellement très concentré autour de trois séries best-sellers (Naruto, One Piece et
Fairy Tail), sa forte croissance (+59 % en volume / +72 % en valeur) repose aujourd’hui
sur une plus grande diversité de séries et d’éditeurs.
Parallèlement, malgré la dynamique apportée par l’arrivée d’un nouvel éditeur de poids
en 2012 (Urban Comics), le segment des comics semble condamné à rester une niche
sur le marché français. Paradoxalement, la popularité que rencontrent les héros de la
Marvel au cinéma ne se retrouve pas dans les ventes de livres.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 9
10 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Données sur la bande dessinée
Un marché est le lieu (symbolique ou réel) qui rend possible le commerce, c’est-à-dire la
rencontre entre l’offre et la demande de biens ou de services.
Pour cette étude qui porte sur le marché de la bande dessinée en France sur la période
2010-2020, nous avons choisi de nous appuyer principalement sur les données
suivantes :
• Pour les chiffres de ventes, un set de données produites par GfK qui
comprend : les ventes mensuelles cumulées par circuit et par segment, en
volume et en valeur, ainsi que les tops 5 000 annuels, avec ventes en volume
(ventilées par circuit de distribution) et en valeur pour chacune des références,
complétés par les ventes cumulées à date (soit au 1 er février 2021).
• Pour les indicateurs sur le lectorat, deux études qui encadrent la période
considérée, à savoir l’enquête La lecture de bande dessinée en France
(BPI/DEPS/SLL – TMO Régions, 2011) et l’étude Les Français et la BD (CNL –
Ipsos, 2020). Nous avons choisi de compléter ces enseignements par les
enquêtes décennales sur les pratiques culturelles des Français (DEPS, 1988-
2018) et par les études sur les acheteurs de bande dessinée, réalisées par GfK
pour le compte du groupe BD du Syndicat national de l’édition (2017 et 2019).
Par ailleurs, l’ensemble des références évoquées dans le texte de cette étude sont
listées en annexe (dans la partie « Bibliographie et références »), accompagnées d’une
ressource en ligne lorsque celle-ci est disponible. Les liens fournis ont été vérifiés et
étaient tous fonctionnels au moment de la publication de cette étude (juin 2021).
Enfin, par convention (et pour éviter toute confusion), nous avons systématiquement
indiqué en petites capitales les segments de GfK. Pour donner un exemple, « manga »
désignera le genre dans son acception générale, alors que MANGAS correspondra
spécifiquement à la catégorie correspondante au sein des données GfK.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 11
12 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
LA BANDE L’édito de la présidente du CNL 03
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 13
14 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Le terme de « bande dessinée » présente cette particularité, dans le langage courant, de
désigner à la fois un médium d’expression artistique (« la bande dessinée »), mais aussi
son support de diffusion (« une bande dessinée »). Or, la bande dessinée existe en
dehors des albums de bande dessinée, que ce soit dans les revues qui lui sont
consacrées en kiosque, sous forme de strips publiés dans des journaux, ou encore sur les
« blogs BD » qui ont connu leur heure de gloire – liste non exhaustive, évidemment.
Pour tenter de véritablement cerner l’état du marché de la bande dessinée, il faudrait
pouvoir embrasser tous les espaces dans lesquels celle-ci existe.
Les informations publiées par l’Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias
(ACPM, anciennement Office de Justification de la Diffusion – OJD) sont avant tout
destinées à l’élaboration des tarifs publicitaires des supports certifiés, et ne dressent
qu’un panorama extrêmement parcellaire de l’offre effective. Association
professionnelle, l’ACPM ne propose que les données relatives à ses adhérents et ne
dispose a priori pas de catégorie spécifique dédiée à la bande dessinée : la plupart des
titres de bande dessinée qui y sont recensés sont classés dans les thématiques
« famille » et « enfants », et rattachés au bureau « presse payante grand public ».
Enfin, le terme de « bande dessinée » est parfois évoqué pour désigner la production
franco-belge, en opposition aux productions japonaise (« manga ») et américaine
(« comics »). Dans l’ensemble de cette étude, nous avons choisi au contraire de
privilégier l’acception « bande dessinée » comme désignant le médium artistique dans
son ensemble, en prenant soin de préciser son origine (stylistique ou géographique)
quand cela était nécessaire.
1
Selon les résultats de l’étude Les Français et la BD (CNL/Ipsos, 2020), seulement 43 % des adultes lecteurs
et acheteurs de bande dessinée n’achètent jamais d’ouvrages d’occasion (et ils ne sont que 2 % à ne jamais
acheter d’ouvrages neufs).
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 15
16 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Le lectorat de bande dessinée
L’idée d’une bande dessinée populaire, lecture facile qui séduirait tous et toutes, est
largement répandue, tant chez les défenseurs du Neuvième Art que chez ses
détracteurs. Depuis un quart de siècle, la réalité que révèlent systématiquement les
études sur les pratiques de lecture en matière de bande dessinée est toute autre, loin de
la formule « pour tous les jeunes de 7 à 77 ans », popularisée par le Journal de Tintin.
Les adultes lecteurs de bande dessinée vivent généralement dans un foyer CSP+3, et
sont de grands lecteurs qui lisent de nombreux autres genres littéraires (en plus des
bandes dessinées), et ce plus que l’ensemble des adultes de la population française. Ce
portrait rejoint un constat inchangé depuis plus de vingt ans : « La bande dessinée est
davantage prisée par un public jeune et cultivé (niveau d'étude et catégorie
socioprofessionnelle). » (IFOP, 2000)
Le profil du lecteur de bande dessinée semble donc peu évoluer, mais les enquêtes
décennales sur les pratiques culturelles des Français mettent en lumière un phénomène
des plus préoccupants : depuis la première apparition de la bande dessinée dans leur
questionnaire en 1988, le taux de ses lecteurs n’a cessé de s’effondrer, passant de 41 %
des Français de plus de 15 ans en 1988, à 33 % en 1997, 29 % en 2008, pour tomber à un
maigre 20 % en 20184. Certes, cette évolution à la baisse s’inscrit dans un contexte plus
général de désaffection de la lecture (le taux de lecteurs de livres passant de 75 % en
1988 à 64 % en 2018), mais elle demeure préoccupante.
Si l’étude Les Français et la BD est la première du genre conduite par le CNL, la question
de la lecture de bande dessinée apparaît également dans le baromètre Les Français et la
lecture, publié tous les deux ans par le CNL depuis de 2015. Globalement5, on constate
que les études du CNL sont traditionnellement plus optimistes que les enquêtes sur les
pratiques culturelles des Français (PCF, cf. explication ci-après), avec un taux de lecteurs
de livres s’inscrivant autour de 90 % et un taux de lecteurs de bande dessinée au-dessus
de 40 %.
2
Comme on le verra plus loin dans le chapitre consacré au numérique, la majorité de cette lecture au
format numérique relève d’une pratique occasionnelle. Il est possible par ailleurs que ce taux élevé
s’explique par le fait que l’on parle peut-être moins ici de lire « une bande dessinée » (= un album) que de
lire « de la bande dessinée » (ce qui peut être une simple planche ou un strip), dans le cadre de la
multiplication des espaces en ligne où existe désormais la bande dessinée (Facebook, Instagram, etc.).
3
Terme qui désigne les catégories socio-professionnelles les plus favorisées en France. Il regroupe les chefs
d’entreprises, les artisans et commerçants, les cadres, les professions intellectuelles supérieures et les
professions intermédiaires.
4
Les questionnaires des éditions 2008 et 2018 précisaient « bandes dessinées et mangas », afin d’englober
le lectorat de bande dessinée au sens large.
5
Il existe une édition antérieure datant de 2014, réalisée avec Ipsos MediaCT et dont la méthodologie
semble différer des suivantes.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 17
De son côté, l’étude La lecture de bande dessinée en France (BPI/DEPS/SLL – TMO
Régions, 2011) estimait un taux de lecteurs de livres à 59 %, pour un taux de lecteurs de
bande dessinée à 34 %6.
L’écart entre les résultats des deux séries d’enquêtes pourrait s’expliquer par une
différence de méthodologie : dans les enquêtes sur les pratiques culturelles, la lecture
de livres n’est qu’une pratique envisagée parmi bien d’autres (écoute de la radio, de la
télévision, lecture de magazines, etc.), alors que les enquêtes menées par Ipsos pour le
compte du CNL s’intéressent spécifiquement à la question de la lecture. L’évaluation du
taux de lecteurs y passe par deux étapes, avec perception initiale (« diriez-vous que vous
êtes plutôt quelqu’un qui lit beaucoup/moyennement/peu/pas ? »), puis
questionnement détaillé (« Parmi les genres de livres que je vais vous citer, quels sont
tous ceux que vous avez lus, au cours des 12 derniers mois, que ce soit au format papier
ou au format numérique ? »)7. Cette méthode entraîne une réévaluation à la hausse du
taux constaté sur la base des perceptions initiales, passant ainsi de 81 % à 87 % dans le
dernier baromètre en date (mars 2021).
6
Pour référence (et en gardant à l’esprit la différence importante entre acheteur et lecteur), les deux études
consacrées aux lecteurs-acheteurs de 2017 et 2019 (SNE/GfK) font état d’une population d’acheteurs de
l’ordre de 8 millions de Français, soit environ 15 % de la population âgée de plus de 15 ans.
7
L’étude 2011 conduite par TMO Régions procédait de la même manière, en utilisant une question de
contrôle : « Vous m’avez dit que vous ne lisiez jamais de bande dessinée, mais ne vous est-il pas arrivé au
cours des douze derniers mois de lire au moins une bande dessinée, y compris les genres suivants […], y
compris sur Internet ? »
18 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Sans atteindre l’ampleur constatée sur la période longue des enquêtes sur les pratiques
culturelles des Français, cette tendance à la désaffection semble se retrouver au sein des
études réalisées pour le compte du CNL et est d’autant plus préoccupante que la lecture
de bande dessinée ressort comme une pratique peu investie pour une large part des
lecteurs, aussi bien dans l’enquête de 2011 (BPI/DEPS/SLL/TMO) que dans celle de 2020
(CNL/Ipsos). Dans la note de synthèse La lecture de bande dessinée publiée par le DEPS
en 2012, Christophe Evans et Françoise Gaudet observent ainsi :
« La lecture de bandes dessinées est loin d’être une pratique intensive ou régulière
pour la plupart des lecteurs. Certains d’entre eux entretiennent en effet un rapport
assez lâche à cette activité : plus de 4 lecteurs sur 10 (43 %) ont lu moins de dix
bandes dessinées au cours des 12 derniers mois, alors que les forts lecteurs (50
bandes dessinées et plus lues dans l’année) ne représentent que 14 % des lecteurs
actuels (soit 3 % seulement des Français âgés de 11 ans et plus).
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 19
Comme pour l’enquête 2011 (BPI/DEPS/SLL/TMO)8, la question cruciale pour la bande
dessinée est avant tout de convaincre de l’intérêt qu’elle représente (dans une situation
d’arbitrage tendu entre différentes pratiques culturelles), plutôt qu’une question de
coût. On peut alors s’interroger sur la pertinence des opérations pour le recrutement de
nouveaux lecteurs, qui visent souvent à proposer des versions « à prix réduit », ou à
procéder (par le biais de périodiques, le plus souvent en été) à des ventes couplées. Le
succès de ces initiatives pourrait beaucoup plus tenir de l’achat d’aubaine pour un public
déjà conquis, tout en entretenant auprès des réfractaires l’image d’un divertissement
« au rabais » qui ne mérite pas qu’on s’y attarde.
Finalement, les enquêtes sur les pratiques culturelles des Français et les études du CNL
s’accordent sur un point, celui de la part des femmes au sein du lectorat de bande
dessinée, qui reste globalement stable, avec un léger fléchissement ces dernières
années. Ce constat relativise l’idée régulièrement avancée d’une « féminisation » du
lectorat de la bande dessinée, qui serait encouragée par les mangas et une offre
éditoriale plus riche spécifiquement destinée aux lectrices)9.
8
La note de synthèse du DEPS (2012) indique ainsi : « Trois raisons principales [pour l’abandon de la lecture
de bande dessinée] sont avancées par les anciens lecteurs : d’abord la perte d’intérêt pour ce type de lecture
(41 %) et le manque de temps (40 %), suivis par la préférence pour d’autres activités (35 %). Le critère de
coût arrive très loin derrière (7 %), et les autres motifs proposés (déception quant à l’évolution récente de la
bande dessinée, absence d’intérêt de l’entourage…), qui recueillent moins de 5 % des suffrages, restent assez
peu significatifs. »
9
L’hypothèse d’une intensification de la lecture de bande dessinée au sein du lectorat féminin est
contredite par les données collectées dans le cadre des enquêtes décennales sur les Pratiques Culturelles
des Français, qui abordent (succinctement) cette dimension. Entre 1988 et 2018, on y observe ainsi une
structure inchangée du lectorat féminin, qui se répartit grossièrement en 50 % de lectrices occasionnelles (1
à 4 bandes dessinées lues au cours des 12 derniers mois), 40 % de lectrices moyennes (entre 5 et 19 bandes
dessinées lues) et autour de 10 % de grosses lectrices (plus de 20 bandes dessinées lues).
20 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
La presse de bande dessinée
La question d’une définition du périmètre que constituerait la « presse BD » est
particulièrement épineuse, du fait des multiples interprétations que l’on peut en avoir.
Sur ce sujet précis, les données à notre disposition et sur lesquelles nous avons basé les
analyses de cette étude, ne nous sont d’aucune utilité, car provenant d’outils
professionnels destinés à la chaîne du livre.
A titre d’exemple, au sein du Dépôt légal, qui réalise pour son pan « livres » un
inventaire minutieux, le pan « périodiques » propose une liste sans indication du
nombre de numéros publiés, se limitant à qualifier l’état d’activité (« vivant » ou
« mort ») de chacun des titres évoqués.
Les difficultés que rencontre la presse depuis des années ne sont un secret pour
personne, comme en témoigne la faillite du distributeur Presstalis en 2020 (malgré deux
prêts consentis par l’État pour un total de 68 millions d’euros), conclusion attendue d’une
longue agonie. Il faut reconnaître que la diffusion en kiosque souffre des inconvénients
de ses avantages. En effet, le réseau des kiosques permet de toucher un large public, en
s’appuyant sur un nombre important de points de vente : près de 21 000 en 2020 selon
Presstalis (malgré une baisse de 27 % par rapport à 2011), loin devant les 3 300 librairies
recensées par le SLF. Cependant, cette large couverture entraine des contraintes
logistiques conséquentes pour les éditeurs désireux d’y être diffusés, comme le résume
Xavier Fournier, ancien rédacteur en chef de la revue spécialisée Comic Box :
« Pour pouvoir diffuser votre revue, vous devez suivre leurs règles. Pour espérer
vendre 10 000 unités, vous devez en fait en imprimer 30 000 et les faire tous
envoyer à travers la France. Une fois le nouveau numéro arrivé le mois suivant, les
invendus sont renvoyés par les kiosquiers. Ces deux déplacements sont facturés,
juste pour pouvoir être présent dans le rayonnage. »11
10
Mot porte-manteau emprunté à l’anglais, de « magazine + book », soit une publication périodique au format
approchant du livre, et généralement distribuée dans le réseau des librairies. Illustrant son caractère hybride,
un mook se voit attribuer un ISBN (en tant que livre) mais aussi un ISSN (en tant que revue). En bande dessinée,
La Revue Dessinée (trimestriel depuis 2013) et Topo (bimestriel depuis 2016) constituent les exemples les plus
visibles et durables de cette tendance, s’appuyant sur un mix entre ventes en librairie et abonnements.
11
Propos rapportés dans « Qui a tué le comics kiosque en France ? » (Zoo, 2020).
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 21
Le segment des COMICS en ressort particulièrement touché, avec le repli de ses deux
principaux acteurs :
• Urban Comics est passé d’une cinquantaine de numéros annuels sur 2013-
2016 à tout juste quatre en 2020, annonçant en mai 2020 l’arrêt de son offre
en kiosque (déjà réduite aux seuls titres bimestriels) ;
• Panini, qui publiait de l’ordre de 180 numéros annuels entre 2011-2014, n’en a
sorti qu’une soixantaine en 2020 après son désengagement massif du circuit
en juillet 2018.
Amorcée vers la fin des années 1990 et trouvant une accélération durant les années
2000, cette tendance de fond continue de se faire sentir sur la période 2010-2020,
durant laquelle la « presse BD » marque un net recul. En effet, l’inventaire établi par le
Dépôt Légal pour 2010-2019 comptabilise 408 périodiques de bande dessinée, qui se
répartissent en 324 magazines et 16 revues, auxquels il faut ajouter 31 fanzines et 37
bulletins. Cette classification délimite les contours d’une offre que l’on pourrait appeler
« professionnelle », opposée à une offre « amateur ou associative ». Sur ces 408
périodiques, à peine 123 sont considérés comme étant « vivants » (donc encore en
activité) ; l’hécatombe touchant plus particulièrement la sphère « professionnelle »,
dont le nombre de publications est quasiment divisé par cinq (22 % de « vivants » fin
2019, contre 71 % pour la sphère « amateur ou associative »).
12
Dans la conclusion de son ouvrage L’effet livre – Métamorphoses de la bande dessinée (2019). Sylvain
Lesage est maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Lille et auteur de recherches
sur l’histoire du livre et l’histoire visuelle.
22 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Il s’agit là de transformations profondes, dont les ramifications touchent l’ensemble du
secteur de la bande dessinée. En privilégiant certaines options économiques, les
éditeurs ont peut-être compromis le socle sur lequel s’appuyait le succès durable de la
bande dessinée. En mars 2020, suite à la publication du rapport Racine, Vincent
Montagne (président du SNE et de Média-Participations) résumait bien le nœud du
problème : « Il faut que le plan Riester accentue les efforts sur la formation à la lecture.
[…] Il faut donc revenir aux fondamentaux et s’interroger : qu'est ce qui fait lire ? »13
13
Propos rapportés par Anne Douhaire dans « Statut des auteurs : Vincent Montagne, le représentant des
éditeurs s’explique » (France Inter, 2020).
14
Les auteurs de bande dessinée évoqués ne le sont souvent que pour leurs excursions dans un autre art
pictural, comme la peinture. En dehors de ces pas-de-côté, le magazine se contente d’évoquer
régulièrement les expositions et les ouvrages primés à l’occasion du Festival d’Angoulême.
15
Hors-séries consacrés à Tintin entre 2010 et 2020 : « Tintin au pays des philosophes », Philosophie
Magazine, août 2010 ; « Les personnages de Tintin dans l’histoire », Historia, juillet 2011 ; « Tintin au pays
du cinéma », Le Figaro Magazine, octobre 2011 ; « Tintin secret », Le Point, octobre 2011 ; « Tintin, Hergé et
la Belgique », Pays du Nord, janvier 2012 ; « Les personnages de Tintin dans l’histoire vol.2 », Historia, juillet
2012 ; « Le tour du monde de Tintin », GEO, octobre 2012 ; « Tintin et les forces obscures », Historia,
octobre 2013 ; « Le rire de Tintin », L’Express-Beaux Arts Magazine, avril 2014 ; « Tintin et la mer », Historia,
octobre 2014 ; « Tintin, Les arts et les civilisations vus par le héros d’Hergé », GEO, avril-mai 2015 ; « Ce
qu’on ne vous a jamais dit sur Tintin », Le Figaro Magazine, septembre 2016 ; « Les animaux de Tintin », Le
Point, septembre 2015 ; « Hergé, les secrets du créateur de Tintin », Beaux Arts Magazine, octobre 2016 ;
« Tintin : à la découverte des grands ports du monde », Ouest France, octobre 2016 ; « Tintin, Les peuples
du monde vus par le héros d’Hergé », GEO, avril-mai 2017 ; « Tintin, quelle religion ? », L’Express, février
2018 ; « Tintin, c'est l'aventure », GEO, décembre 2019 ; « Hergé, le père de Tintin se raconte », Les Cahiers
de la BD, août 2020 ; et « Tintin et le trésor de la philosophie », Philosophie Magazine, novembre 2020.
Auxquels il faut rajouter trois hors-séries en couverture desquels on trouve Tintin : « Humour et BD », Beaux
Arts Magazine, décembre 2011 ; « La saga du journal Tintin », Paris Match, juillet 2016 ; et « Connaître la
bande dessinée franco-belge et européenne », Connaissance des arts, septembre 2016.
16
Hors-séries consacrés à Astérix entre 2010 et 2020 : « La France gallo-romaine avec Astérix », Détours en
France, septembre 2012 ; « Génération(s) Astérix », Télé 7 Jours, octobre 2013 ; « Astérix, notre héros — la
saga », Le Point, octobre 2013 ; « Astérix, l’irréductible voyageur », GEO Voyage, novembre 2013 ; « Astérix,
la saga », Le Point, novembre 2013 ; « Astérix chez les philosophes », Philosophie Magazine, novembre
2014 ; « Astérix et Obélix à l’épreuve de l’histoire », Kaboom, juillet 2015 ; « Astérix l’irréductible », Le
Monde, octobre 2015 ; « Astérix, l’histoire de la Gaule vue par nos héros », GEO, octobre 2015 ; « Astérix,
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 23
leurs créateurs, tend probablement à entériner l’image d’un médium bande dessinée
globalement indigne d’attention, à l’exception des quelques « génies » qu’on lui
reconnaît.
tous les secrets des albums », Paris Match, octobre 2016 ; « La vraie vie d’Astérix en 100 questions »,
Science & Vie Junior, septembre 2017 ; « L'Art d’Astérix », L'Express, octobre 2017 ; « Sur la route avec
Astérix », Auto Plus, octobre 2017 ; « Astérix le Gaulois, la naissance d'un mythe », Les Cahiers de la BD,
février 2019 ; « En Bretagne avec Astérix », Ouest France, octobre 2019.
17
Si l’appellation de « bande dessinée d’auteur » est probablement apparue en référence au « cinéma
d’auteur », on peut s’interroger sur ce que cette qualification implique quant au jugement porté sur le tout-
venant de la bande dessinée. On notera la situation inverse qui existe entre littérature et « littérature de
gare », indiquant une perception radicalement différente.
24 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Légitimité de la bande dessinée
En 2017, le numéro de Débat intitulé « Le sacre de la bande dessinée » s’ouvrait sur
cette introduction en forme de justification :
Cette posture ambivalente, qui célèbre tout en s’excusant, révèle toute l’ambiguïté de la
situation dans laquelle se trouve la bande dessinée aujourd’hui : reconnue comme un
art, mais souvent impensée comme tel. Pour être honnête, cette vision paradoxale
semble partagée par une majorité des lecteurs, comme le soulignent les deux grandes
études qui ont été consacrées à la bande dessinée au cours de la décennie écoulée.
Ainsi, en 2011, l’étude La lecture de bande dessinée en France (BPI/DEPS/SLL – TMO
Régions) indiquait :
« Si les enfants considèrent [que la bande dessinée] est plus efficace que d’autres
livres pour se faire plaisir, se détendre ou suivre les aventures d’un héros, les
adultes y voient un bon moyen de renouer avec leurs lectures d’enfance (38 % des
lecteurs adultes). En revanche, ils jugent la BD moins efficace que d’autres livres
pour réfléchir ou s’instruire (pour 32 % des enfants et 40 % des adultes). »19
18
On notera combien la perception de la bande dessinée qui ressort de cette étude fait écho aux « cinq
handicaps symboliques » que listait Thierry Groensteen dans son Un objet culturel non identifié, paru en
2006 : texte et image, les noces impossibles ; le péché d’infantilisme ; la tâche ingrate d’amuser ;
l’indifférence à l’art ; le regard émietté.
19
Cette ambivalence apparaît également dans les résultats de l’étude de 2011 : « Les opinions selon
lesquelles la bande dessinée éveillerait à la culture obtiennent des taux d’accord compris entre 65 % et 70 %.
Une majorité de la population juge en effet que la BD peut donner le goût d’autres lectures, permettre de se
cultiver, inciter à s’intéresser à d’autres formes d’art. Toutefois, la part des personnes en total accord avec
ces idées atteint 20 %, les autres, constituant la proportion la plus importante (près de 50 %), faisant preuve
d’une approbation plus modérée. Entre 15 % et 20 % de la population ne considère pas que la bande
dessinée soit un levier vers d’autres formes de culture. »
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 25
Cependant, la question « la bande dessinée est-elle plus ou moins efficace que d’autres
livres pour découvrir une autre forme d’art ? » donne des résultats contrastés : plus
efficace pour 28 % des enfants et 24 % des adultes, moins efficaces pour 12 % des
enfants et 19 % des adultes. Sur le sujet, ce sont plutôt les indécis qui dominent (60 %
des enfants et 57 % des adultes).
20
Nous avons-nous-même exploré cette question, en particulier dans notre article « La légitimation en
devenir de la bande dessinée » (Comicalités, 2011) et dans Jade 661U : Enfin légitime ? (6 pieds sous terre,
2015). Dans ce dernier ouvrage, l’entretien « L’organisation de festival est un sport de combat » aborde en
particulier la question des relations avec les institutions culturelles.
21
Et depuis renommée « BD 20-21 », du fait de sa prolongation jusqu’en juin 2021 à cause de la situation
sanitaire.
26 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Les prix littéraires dédiés à la bande dessinée
La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a entraîné l’annulation en masse de la
plupart des manifestations organisées autour de la bande dessinée – quelques-unes
essayant toutefois de se réinventer « en ligne », le temps de quelques rencontres en
visioconférence. Que ce soit pour l’édition 2020 de Quai des Bulles (à Saint-Malo) ou
pour l’édition 2021 du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD),
seule s’est tenue la remise des prix qui sont décernés chaque année : il y a là un
impératif temporel, tant symbolique qu’économique, avec lequel on ne saurait
transiger. De fait, en 2019, Sandrine Vigroux (directrice market intelligence
entertainment chez GfK) expliquait :
« L'effet multiplicateur du Fauve d'Or est indéniable. Regardons les derniers opus
primés, et nous observons des impacts sur les ventes allant de +60 % pour un
auteur déjà établi comme Riad Sattouf en 2015, avec L'Arabe du futur, jusqu'à
multiplié par 3 pour La saga de Grimr et même par 16 pour le lauréat 2017
Paysage après la bataille. »
Pourtant, il faut reconnaître que la question des prix divise régulièrement le microcosme
de la bande dessinée, en faisant ressortir les chapelles et les affinités, et réactivant à
l’occasion les accusations d’élitisme qui continuent d’entourer certaines manifestations.
Dans un article consacré au festival d’Angoulême paru en 200922, Thibaut Dary résumait
ainsi les forces en présence : « La bande dessinée grand public d’un côté, la bande
dessinée branchée de l’autre. L’une se vend bien et attire le public en masse ; l’autre est
un marché de niches, mais récolte les prix. »23
Plus près de nous, à propos de l’édition 2020 de ce même festival, le journaliste Olivier
Mimran évoquait « Un succès populaire un peu plombé par un palmarès trop pointu »,
en déplorant le « décalage entre les choix faits par des initiés […] et la majorité du
lectorat amateur de bande dessinée », et rapportait cette citation d’un festivalier d’un
jour : « mettre un coup de projecteur sur une BD un peu confidentielle, c'est chouette,
mais ça frustre ceux qui sont venus pour les séries grand public, celles qu'on trouve à
l'hypermarché du coin. »24.
Les critiques dont fait souvent l’objet le palmarès du festival d’Angoulême tiennent tout
autant à son importance (aussi réelle que symbolique)25, qu’à la manière dont ses prix
sont décernés. Le fait de s’appuyer sur un jury (ou un comité), tant pour la sélection que
pour le choix final des lauréats, ouvre la possibilité d’aboutir à des choix plus radicaux
(par souci de transparence, l’auteur de ces lignes tient à souligner qu’il fait partie du
Comité de Sélection du Festival d’Angoulême depuis 2018). À l’inverse, les autres prix
que nous avons étudiés ici s’appuient sur le vote d’une académie (large réunion de
22
Thibaut Dary, « À quoi sert vraiment Angoulême ? », Le Figaro, 30 janvier 2009.
23
L’AFP procédait à un jugement de valeur comparable lors de l’édition 2007 du festival : « Le jury a fait la
part belle aux petites maisons d’édition, comme Cornélius, Atrabile ou L’Association, qui raflent la moitié des
principaux prix, au détriment parfois d’une bande dessinée plus populaire. »
24
Olivier Mimran, « Festival d’Angoulême 2020 : Un succès populaire un peu plombé par un palmarès trop
pointu », 20 minutes, 2020.
25
Comme le résume Benoît Peeters : « Pour la bande dessinée francophone, le festival d’Angoulême est le
moment médiatique le plus important de l’année. Il n’est donc pas surprenant qu’il soit le bouc émissaire. La
fin du mois de janvier révèle les tensions et les préoccupations de la profession, c’est le cas depuis
longtemps. » (propos rapportés dans « Qui veut la peau du festival d’Angoulême ? », Les Cahiers de la BD
n°14, 2021).
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 27
professionnels), dans une approche qui privilégie le consensus. Les propositions les plus
audacieuses sont alors écartées par manque de suffrages26, sans qu’il soit possible d’en
défendre les qualités.
De fait, l’analyse des listes d’ouvrages nommés pour sept prix majeurs27 fait ressortir
une forme de consensus critique se cristallisant autour d’une poignée de livres (entre 7
et 9), qui se retrouvent présents dans la majorité de ces listes. Sur 2012-2020, les titres
les plus plébiscités (nommés dans au moins 6 des 7 prix considérés) sont les suivants :
Cette liste est en fait à l’image de l’ensemble des titres nommés, avec présence
marginale des mangas ou des comics (hors « graphic novel »), et la domination
écrasante des grands groupes d’édition : hors sélection du festival d’Angoulême (qui, par
son ampleur, déséquilibrerait l’analyse), le quatuor Média-Participations / Glénat /
Delcourt / Madrigall représente 70 % des titres nommés pour l’un de ces prix, et 80 %
des titres relevant d’un consensus critique (et nommés dans au moins quatre des listes
considérées). Il est d’ailleurs possible que cette situation de concentration des prix sur
quelques élus soit propre au monde de l’édition en général : ainsi, on critique souvent
l’importance de « Galligrasseuil » sur les prix littéraires.
26
Certaines souffrent peut-être aussi de ne pas avoir été lues. Devant l’ampleur de la production, il est
possible que libraires et journalistes privilégient d’abord les ouvrages sur lesquels repose une attente
(commerciale ou médiatique), au détriment de publications plus confidentielles.
27
Soit :
• le prix Ouest-France Quai des Bulles : fin octobre, sélection de 10 titres soumise à un jury de lecteurs.
• le Grand Prix RTL de la Bande Dessinée : novembre, sélection des 9 « bandes dessinées du mois »
choisies entre janvier et octobre soumise à un jury composé de quelques libraires et journalistes de la
radio.
• le prix Landerneau BD : mi-novembre, sélection de 10 titres établie par Michel-Edouard Leclerc et dix
libraires BD des Espaces Culturels E.Leclerc, soumise au vote de l’ensemble des libraires BD du réseau.
• le Grand Prix de la Critique ACBD : fin novembre, sélection de 15 titres (jusqu’en 2013, seuls les 5
finalistes étaient communiqués) et Grand Prix déterminé par vote des membres de l’Association, en
trois tours.
• le Prix de la BD Fnac (devenu Prix de la BD Fnac France Inter en 2019) : mi-janvier, sélection de 20
titres (30 jusqu’en 2016) établie par les libraires Fnac, soumise au vote en ligne du public.
• le Prix des Libraires de Bande Dessinée : janvier (mai jusqu’en 2016), sélection de 12 titres (18 en
2017) établie à partir des votes des libraires du réseau Canal BD à raison de deux titres tous les deux
mois, soumise au vote des libraires.
• les prix du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême : fin janvier, sélection variable
établie par un comité de sélection, soumise à un jury de personnalités choisies par le Festival.
28 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Marché global de la bande dessinée
« Une santé insolente » – voilà le qualificatif qui revient souvent dans la presse pour
commenter l’évolution du marché de la bande dessinée28, face aux chiffres moins
encourageants du secteur du livre en général. On pourra donc se rassurer : sur 2010-
2020, la bande dessinée a encore progressé, enregistrant une augmentation de 33,9 %
en volume et 45,7 % en valeur, atteignant de nouveaux records.
Néanmoins, cette progression remarquable repose sur des évolutions très contrastées
des différents segments du marché ; celui-ci étant tiré principalement par les MANGAS et,
dans une moindre mesure, par la BD JEUNESSE. La BD DE GENRES, installée comme premier
segment du marché, est désormais largement distanciée par les MANGAS, et est en passe
de se faire rattraper par la BD JEUNESSE (même si, comme nous le verrons plus loin, la
distinction qu’opère GfK entre ces deux segments peut être discutée).
28
Pour ne citer qu’exemple récent : « Le succès insolent de la BD sur un marché de l'édition languissant »,
Les Échos, 11 septembre 2019.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 29
Évolution des ventes en volume par segment
Base : données GfK
Lors de la présentation de son bilan 2020 (en association avec le Marché international
des droits du Festival d’Angoulême), GfK s’appuyait sur son panel d’acheteurs pour
estimer la répartition des différents segments, en fonction de l’âge de la personne à qui
l’achat était destiné. En combinant ces estimations avec les données du marché sur la
même période (soit 12 mois à fin septembre 2020), on obtient la cartographie indicative
suivante, qui rejoint les résultats des études sur le lectorat évoqués précédemment :
Clé de lecture : chaque case de l’encadré représente le poids des achats du genre donné pour la tranche
d’âge considérée au sein de l’ensemble des ventes de bande dessinée en France. Par exemple : « 25 % des
achats de bande dessinée en France sont des mangas achetés pour des 15-29 ans ». Les pourcentages
indiqués en italique à la fin des lignes correspondent aux « parts de marché » des différentes tranches
d’âge, ceux en bas des colonnes, aux parts de marché des quatre grands segments.
30 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Après des années de forte progression (documentées par Gilles Ratier29 dans ses
rapports annuels), la production de bande dessinée semble être arrivée à un palier situé
autour de 5 000 sorties annuelles à compter de l’année 2012. Incidemment, Livres
Hebdo avait titré son bilan annuel paru en janvier de la même année « La planète des
sages », soulignant : « Sur un marché plus mûr et diversifié, mais aussi beaucoup moins
réactif pour la deuxième année consécutive, les éditeurs jouent la prudence. Ils limitent
les risques en contenant la production, en valorisant leur fonds et en sortant l’artillerie
lourde des succès éprouvés, adaptations et licences, notamment pour les comics qui font
un grand retour. »30
Malgré les disparités observées sur l’évolution des ventes de chacun, cette stabilisation
de la production touche l’ensemble des segments identifiés par GfK. Cet équilibre
surprenant soulève alors la question de savoir si ce niveau de production ne
correspondrait pas au maximum que l’ensemble de la chaîne du livre de bande dessinée
est en capacité de produire et d’absorber aujourd’hui.
29
Secrétaire général de l’Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée (ACBD) de 1993 à
2916.
30
Fabrice Piault et Anne-Laure Walter, « La planète des sages », Livres Hebdo n°893, 20 janvier 2012.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 31
Évolution de la répartition des parutions par segment
Base : titres figurant dans la base Dilicom et recensés par GfK
Par ailleurs, le marché se répartit équitablement entre nouveauté et fonds 31, puisque les
sorties de l’année représentent en moyenne 47 % des ventes en volume et 50 % des
ventes en valeur au sein des tops 5 000 annuels à notre disposition.
Prix moyen
Entre 2010 et 2020, le prix moyen constaté sur le marché de la bande dessinée a
progressé de 8,8 %, venant apporter de l’eau au moulin des observateurs qui y voient le
signe d’une forme de gentrification du médium. « Lentement mais sûrement, la bande
dessinée, jusqu'alors accessible à un prix plus abordable que le livre par un lectorat jeune
et pas toujours riche, devient un produit de luxe réservé à la classe aisée. » regrettait
ainsi Henri Filippini dans dBD en 2013. L’évolution du prix d’un album des Aventures de
Tintin depuis 195232, corrigée de l’inflation, montrerait une tendance plus nuancée.
31
Le fonds se définit en opposition à la nouveauté, et désigne donc des ouvrages qui sont déjà présents
dans les stocks des libraires. Les bilans proposés par GfK qualifient de « nouveauté » tout titre sorti durant
l’année considérée, et de « fonds » les titres sortis précédemment. Dans nos analyses, nous utilisons le
même critère pour effectuer cette distinction.
32
Nous sommes redevables à Sylvain Lesage pour les données de prix concernant la période 1952-1990.
32 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Prix de vente d’un album des Aventures de Tintin, en euros de 2020
Il ne fait aucun doute que cet attachement à la vision d’une « bande dessinée autrefois
bon marché » est un corollaire de la construction mythologique de la « bande dessinée
populaire »33, longtemps restée centrale dans les entreprises de légitimation du
médium.
Cette perception déformée tient à la difficulté pour la plupart d’entre nous d’évaluer à
leur juste valeur les effets de l’inflation (qui, pour la période 2010-2020, contrebalancent
l’augmentation constatée, avec une inflation estimée à 10,5 %). Plus encore, le prix
moyen observé au global est la résultante de phénomènes très divers, qu’il s’agisse de
l’introduction du format poche (avec des prix plus bas) pour la grande majorité des
mangas, ou de l’arrivée sur le marché des romans graphiques et autres intégrales, à la
pagination et au prix plus élevés.
La comparaison de la répartition par niveau de prix des ventes du top 5 000 pour 2010
et 2020 montre bien la manière dont cette augmentation s’opère, avec la stabilité du
standard des MANGAS (autour de 7 €) et le glissement à la hausse des deux autres
standards (autour de 10-11 € pour BD JEUNESSE et BD DE GENRES ; autour de 15 € pour BD
DE GENRES et COMICS). La contribution des ouvrages vendus à un prix plus élevé apparaît
alors comme très marginale.
33
Sur ce sujet, voir Xavier Guilbert, « Quelques idées reçues sur la bande dessinée », Le Monde
Diplomatique, janvier 2010.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 33
Répartition des ventes en volume par niveau de prix
Base : titres figurant au sein des tops 5 000 annuels (GfK)
Séries en séries
C’est peut-être parce qu’elle a pris son essor dans la presse, avec des formats
périodiques au début du XXe siècle, que la bande dessinée est aussi attachée à la
sérialité – à moins qu’il faille y voir un choix délibéré de la part des éditeurs, qui y
trouvent là un modèle rentable. Thierry Groensteen observe ainsi, dans Un objet culturel
non identifié (L’An 2, 2006) :
On peut par ailleurs s’interroger sur l’importance de cet aspect dans la perception de la
légitimité de la bande dessinée, cette sérialité renvoyant à l’opposition entre romans-
feuilletons populaires et grande littérature, comme le constate également Thierry
Groensteen : « En privilégiant à outrance le phénomène de la série, les éditeurs
enferment la quasi-totalité de la bande dessinée dans le carcan de la littérature
industrielle. »
De fait, entre 2010 et 2020, la bande dessinée présente un marché largement dominé
par les séries. Si l’on considère les meilleures ventes sur cette période, on ne trouve
qu’un « one-shot » dans le top 50 (Dans la combi de Thomas Pesquet de Marion
Montaigne, classé 17e). Sur les 200 meilleures ventes, ils ne sont que six : Les Ignorants
d’Étienne Davodeau (57e), Zaï Zaï Zaï Zaï de Fabcaro (58e), Chroniques de Jérusalem de
Guy Delisle (90e), Les Indes Fourbes de Juanjo Guarnido et Alain Ayroles (156e), auxquels
on peut ajouter le diptyque Quai d’Orsay de Christophe Blain et Abel Lanzac (les deux
tomes se classant respectivement 63e et 157e).
34 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Sur l’ensemble des titres figurant dans les tops 5 000 annuels à notre disposition, ceux
qui ne s’inscrivent pas dans une série représentent à peine 7 % des ventes constatées en
volume et 11 % des ventes en valeur (sachant qu’on y trouve un certain nombre de
titres « parasites », comme les agendas, calendriers et autres monographies classés
abusivement dans l’univers « bande dessinée »). Cette situation est particulièrement
marquée sur le segment des MANGAS (où 99 % des ventes constatées en volume sont le
fait de séries), mais aussi des COMICS (plus de 95 % des ventes constatées).
Sur un marché caractérisé par une offre pléthorique, le modèle de la série permet à la
fois d’assurer une pérennité à l’œuvre (chaque nouvelle sortie contribuant à lui
redonner de la visibilité), mais aussi de capitaliser sur la fidélité des lecteurs, qui y voient
la garantie d’une qualité d’expérience renouvelée. On peut ainsi décomposer les ventes
d’un nouvel opus d’une série en trois catégories :
• les achats réalisés par des lecteurs ayant acheté l’opus précédent
(fidélisation) ;
• les achats réalisés par de nouveaux lecteurs (recrutement) ;
• et les achats non réalisés par des lecteurs ayant acheté l’opus précédent
(abandon).
34
En marketing, l’utilisation de cette représentation a mené à l’identification d’une barrière déterminante
au niveau du passage de primo-adoptants à jeune majorité, qui décide du succès éventuel du produit, cf.
Crossing the Chasm, de Geoffrey Moore (1991).
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 35
L’arrivée du manga, avec un rythme de publication très élevé, a permis d’observer ces
dynamiques à l’œuvre dans une version condensée. La courbe des ventes de Naruto35
(dont la publication débute en 2002) adopte cette forme typique en cloche, résultant
des deux phénomènes conjugués (diffusion au sein de la population de lecteurs et
érosion progressive du lectorat), et met en évidence trois phases distinctes :
Ce modèle n’est pas limité au seul manga : l’observation de la « vague Titeuf », sur les
années 2000-2005, met en évidence une structure comparable, avec une phase
« acquisition » jusqu’en 2002 (année du pic de ventes), puis « régularisation » sur 2002-
2004, et enfin « exploitation » à partir de 2004. Les ventes de comics semblent
également régies par les mêmes dynamiques, comme on peut le voir avec Walking
Dead.
35
Dans le cadre de cette analyse, nous nous sommes basés sur des données Ipsos MediaCT, la période
considérée se situant en-dehors de celle pour laquelle nous disposons de données via GfK.
36
Depuis 2004, à l’exception d’une année 2007 bénéficiant de 7 sorties.
36 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Au sein des ventes couvertes par les données GfK à notre disposition (2010-2020), la
série Les Carnets de Cerise (de Joris Chamblain et Aurélie Neyret, chez Soleil) a connu
une sortie quasi-annuelle sur la période de 2012 à 2018 et présente une évolution
comparable, terminant sa phase d’« acquisition » en 2016, avec son quatrième tome. La
relative brièveté de la série (5 volumes complétés d’un hors-série) fait qu’elle ne
bénéficie pas d’une phase de « régularisation » et bascule immédiatement dans la phase
d’« exploitation ».
Évolution des ventes cumulées des Carnets de Cerise par année de sortie
Base : données GfK
Deux éléments apparaissent ainsi comme déterminants pour les dynamiques sérielles :
le recrutement de nouveaux lecteurs et la sortie régulière de nouveaux volumes. Dans
l’ouvrage Les éditeurs de bande dessinée de Thierry Bellefroid (2005), Claude de Saint-
Vincent faisait état du même constat : « Un objet parfait comme les huit premiers
albums de XIII pourrait rester une série culte, mais elle aurait eu de plus en plus de mal à
trouver de nouveaux lecteurs. On peut imaginer un tas de choses pour faire vivre le
fonds, mais rien ne le dynamise mieux qu’une nouveauté. »
Distribution
Avertissement : les accords qui lient GfK aux distributeurs ne nous permettent pas de
rendre publiques les données de distribution de manière précise dans le présent rapport.
La décennie écoulée met en lumière une évolution profonde de la structure des ventes
par circuit de distribution pour la bande dessinée, caractérisée par un désengagement
progressif des grandes surfaces alimentaires (GSA), au profit des grandes surfaces
spécialisées (GSS) et de l’ensemble « Librairies de 2e niveau + Internet + autres ».
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 37
Ce recul des GSA s’inscrit dans un mouvement plus global qui touche l’ensemble du
livre, comme en témoigne l’article « Peut-on sauver le livre en hyper ? » dans Livres
Hebdo, en décembre 2018 :
« En dix ans, entre 2007 et 2016, les grandes surfaces alimentaires [GSA] ont
perdu près de 30 % en valeur sur la BD jeunesse et le manga, et le double sur la
bande dessinée pour adolescents et adultes. C'est un véritable effondrement. »
« Les achats spontanés de livres s'élèvent à 53 % en hypermarché contre 28 % en
moyenne dans les autres circuits », rappelle-t-on, soulignant l’importance que
peut représenter ce circuit pour les éditeurs.
Malheureusement pour les éditeurs, ces enseignes ont désormais changé de stratégie
par rapport au livre, dans une recherche constante de maximisation des revenus
générés par les produits en rayon, mais aussi dans le choix de leurs produits d’appel 37.
Comme le résume succinctement un responsable du groupe Madrigall : « Il est
compliqué de demander aux hypermarchés d'investir en place et en personnel alors que
le marché [du livre] est en décroissance molle, et le bio en pleine expansion. »
Les GSA ressortent comme le circuit de vente qui présente le tropisme le plus marqué
pour la BD JEUNESSE, qui y représente en moyenne plus de 40 % des ventes totales de
bande dessinée (en volume et en valeur). C’est également celui qui présente un prix
moyen nettement inférieur à celui des autres circuits de distribution : 8,95 € sur 2010-
2020, contre 11,21 € pour les GSS, 12,53 € pour les Librairies de niveau 1 et 12,04 € pour
l’ensemble « Librairies de niveau 2 + Internet + Autres ».
On y observe une stratégie claire de se positionner sur les références les plus
vendeuses : les titres présents dans les tops 5 000 annuels à notre disposition génèrent
la quasi-totalité des ventes de bande dessinée en GSA, tant en volume qu’en valeur,
tandis qu’à titre de comparaison ils n’en génèrent que les deux tiers au sein l’ensemble
« Librairies de 2e niveau + Internet + Autres ». Alors que la présentation habituelle de
ces quatre circuits de distribution (GSA / GSS / Librairies de 1er niveau / Librairies de 2e
niveau) suggère une gradation progressive allant du plus généraliste, concentré sur les
best-sellers, au plus spécialisé vendant un large panel de références, l’analyse des
données à notre disposition fait apparaître une hiérarchie (si tant est que le mot soit ici
approprié) sensiblement différente en matière de bibliodiversité pour la bande
dessinée : soit GSA / Librairies de 1er niveau / GSS / Librairies de 2e niveau, relativisant
l’importance des librairies de 1er niveau. Ce constat n’est d’ailleurs pas surprenant, dès
lors que l’on considère que la distinction entre librairies de 1er niveau et librairies de 2e
niveau se fait sur la base des ventes de livres dans leur ensemble, reléguant
généralement les librairies spécialisées en bande dessinée dans le 2e niveau.
Vu le positionnement des GSA sur les titres les plus vendeurs, il est normal de constater
que l’impact d’Astérix s’y fait fortement sentir ; la courbe des ventes présentant des pics
les années impaires (années de sortie d’une nouveauté), depuis 2013 et la parution
d’Astérix chez les Pictes, premier album de la reprise par Jean-Yves Ferri et Didier
Conrad. De fait, chaque année de sortie d’une nouveauté Astérix, celle-ci concentre
généralement 10 % des ventes annuelles de bande dessinée au sein des GSA.
37
Les produits d’appel sont des produits vendus à un prix qui ne permet pas de dégager de profit, mais dont
l’effet d’aubaine peut induire d’autres achats au sein du même commerce.
38 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Cependant, tous les best-sellers n’ont pas droit à ce traitement, mettant en lumière une
sorte de choix éditorial de la part des GSA. Ainsi, l’Arabe du Futur de Riad Sattouf est
indéniablement l’un des grands succès de ces dernières années : le premier tome (sorti
en 2014) est la 5e meilleure vente de la période 2010-2020, avec plus de 690 000
exemplaires vendus.38 Que ce soit en GSS ou en librairie (1er ou 2e niveau),
l’autobiographie de Riad Sattouf n’a pas à rougir de sa rivalité avec les aventures du
célèbre Gaulois, réalisant un peu plus de la moitié en volume de la performance d’un
Astérix « moyen » en GSS, et autour des trois quarts en Librairie de 1er niveau et en
« Librairie de 2e niveau + Internet + Autres ». Mais en GSA, Astérix a vendu en moyenne
38 fois plus que l’Arabe du Futur.
Afin de profiter des achats spontanés (dont bénéficie sans nul doute Astérix), les
éditeurs proposent des ouvrages à prix réduit, qui sont spécifiquement destinés aux
GSA. On pense ainsi à cette collection de comics à 2,99 € (34 références dans les
données à notre disposition), lancée par Panini depuis 2018 et qui représente des
volumes très conséquents : autour d’1,5 million d’exemplaires cumulés sur 2018-2020.
On peut également citer la collection « best of », lancée en 2020 par Bamboo et Fluide
Glacial, composée de sept albums à 1 €, dont les ventes cumulées atteignent 627 000
exemplaires, soit 8,6 % des ventes totales de bande dessinée en volume en GSA pour
l’année… mais à peine 1,1 % en valeur39. Au final, en 2020, près d’une bande dessinée
sur cinq vendue en GSA l’est à moins de 3 €.
38
Nous avons choisi dans le présent rapport de citer certains chiffres de vente au titre lorsqu’ils nous
paraissaient éclairants pour la compréhension globale du marché.
39
Les 4 volumes « Collect’Or » de Bamboo sortis en 2019 à 3,99 € font figure de test, avec des ventes
beaucoup plus modestes, se situant autour de 15 000 exemplaires par référence. Il est légitime de
s’interroger si cette performance n’a pas été limitée par un tirage modéré. Bamboo est coutumier de cette
stratégie de prix réduits, puisque l’éditeur propose depuis 2010 des titres à 4,99 € dans sa collection « Top
Humour », disponibles dans l’ensemble des circuits de distribution.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 39
40 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Acteurs de la bande dessinée
• La deuxième phase (au cours des années 1960) voit l’apparition de l’album et
l’évolution des éditeurs de presse qui deviennent aussi éditeurs de livres. Le
statut des créateurs reste globalement inchangé ; cette deuxième vie en tant
qu’ouvrage n’est accordée qu’à quelques (rares) séries, dont le succès est déjà
avéré : seuls les auteurs de best-sellers bénéficient alors de droits d’auteurs
sur cette deuxième exploitation de leur travail. Si cette situation a pu faire
grincer des dents au sein de la population des créateurs (bien peu d’élus ayant
le privilège de « passer en album »), elle présentait l’avantage d’un risque
minimal pour l’ensemble des parties. En effet, l’édition d’albums apporte des
ressources financières complémentaires et un support de visibilité qui
viennent sécuriser la situation des journaux, et par ricochet celle des auteurs.
40
Il faut signaler ici une évolution, de surcroît paradoxale, si l’on considère l’historique que nous venons de
parcourir rapidement : aujourd’hui, la publication d’un album dans un journal est considérée comme une
« prépublication », sur laquelle l’auteur ne perçoit qu’un droit de replacement, et non pas un « prix de
planche ». Cette nouvelle donne illustre parfaitement le glissement d’une économie passée (celle de la
presse) vers l’économie actuelle (ressortissant du livre).
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 41
De leur côté, les éditeurs se retrouvent face à une équation inextricable, ne
pouvant plus rémunérer autant les auteurs pour des livres qui se vendent
moins41.
Annoncés en octobre 2014 durant le festival Quai des Bulles à Saint-Malo, les États
Généraux de la Bande Dessinée (EGBD) s’ouvrent solennellement le 30 janvier 2015,
dans le cadre du festival d’Angoulême. Association pilotée par un trio d’auteurs (Benoît
Peeters, Denis Bajram et Valérie Mangin), ces États Généraux se constituent au moment
même où la modification du régime de retraite complémentaire obligatoire des artistes-
auteurs (RAAP45) fragilise la situation de beaucoup d’auteurs de bande dessinée 46.
Présentés en janvier 2016, les résultats de l’« Enquête auteurs » portée par les EGBD,
font l’effet d’un électrochoc : la moitié des auteurs ayant répondu déclarent un revenu
annuel inférieur au SMIC, et un tiers d’entre eux sont en-dessous du seuil de pauvreté.
41
Dans les colonnes du Soir, François Pernot (CEO de Dargaud-Lombard et du Pôle Image du Groupe Média-
Participations) indiquait d’ailleurs que « aujourd'hui, 60 % des premiers tomes ne dépassent plus 1 300
exemplaires, ce qui signifie que ces albums sont vendus à perte ». (in Daniel Couvreur, « La BD franco-belge
en eaux troubles », Le Soir, 28 janvier 2013).
42
La page de présentation du Syndicat BD (disparue depuis lors de l’intégration au sein du site du SNAC)
listait treize membres fondateurs : Alfred, Christophe Arleston, Virginie Augustin, Alain Ayroles, Joseph
Béhé, Denis Bajram, Valérie Mangin, David Chauvel, Franck Giroud, Richard Guérineau, Cyril Pedrosa, Lewis
Trondheim, Fabien Vehlmann.
43
Parmi les premières affaires traitées par le SNAC-BD, figurent ainsi les retards de paiement des
Humanoïdes Associés (alors sur le point d’être placés en redressement judiciaire) ou l’erreur de fabrication
du Vilebrequin d’Arnaud Le Gouëfflec et Obion pour le label KSTR (groupe Flammarion).
44
Le texte complet de l’accord cadre est disponible en particulier sur le site du SNE, et consultable à
l’adresse : https://www.sne.fr/editeur-et-auteur/accord-auteurs-editeurs-du-21-mars-2013/ Ses
dispositions ont été prolongées et complétées par un autre accord interprofessionnel signé le 29 juin 2017,
que l’on peut consulter à l’adresse : https://www.snac.fr/site/2017/08/signature-de-laccord-cpe-sne/
45
Soit Régime d’assurance vieillesse complémentaire des Artistes et Auteurs Professionnels.
46
En juin 2014, le RAAP annonçait aux auteurs de bande dessinée que leurs cotisations obligatoires au
régime de retraite complémentaire allaient passer d’un système de choix volontaire, à un taux unique de
8 % des revenus perçus dans l’année. Cette réforme devait entrer en vigueur le 1 er janvier 2016, mais a
finalement été appliquée dans une modalité progressive, arrivant au taux plein de 8 % en 2020.
42 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Cette prise de conscience rejoint celle d’autres collectifs d’auteurs œuvrant dans
d’autres domaines du livre et mène à la création de la Ligue des Auteurs Professionnels,
en septembre 201847. Dans sa thèse Les auteurs et autrices de bande dessinée – La
formation contrariée d’un groupe social, Pierre Nocérino fait un constat ambivalent de
ces années de mobilisation :
Les deux situations évoquées par Kris permettent d’illustrer cette évolution : en 2001,
un album de 46 pages rémunéré 400 € la page51 (dont 50 % en « faux fixe ») atteignait
pour l’éditeur son « point mort » à 6 471 exemplaires vendus ; en 2011, un ouvrage
rémunéré par un forfait de 15 000 € en avances sur droits atteignait pour l’éditeur son
« point mort » à 3 768 exemplaires vendus52. La rentabilité de ces ouvrages a donc été
fortement accrue pour l’éditeur, et ce, même dans un contexte de ventes à la baisse.
47
La Ligue liste deux organisations fondatrices : la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et les États
Généraux de la Bande Dessinée. Depuis mars 2021, la Ligue des Auteurs Professionnels est devenue un
syndicat professionnel des auteurs et autrices du livre.
48
Fabien Vehlmann, « Auteurs de BD : vers une période d'extinction massive ? », publié le 26 octobre 2010.
49
Kris, « 20 euros, "nonisme" et quelques bagatelles. Réflexions sur la rémunération des auteurs », posté le
19 mai 2011.
50
Dans l’ouvrage Les éditeurs de bande dessinée de Thierry Bellefroid (Niffle, 2005), Yves Schlirf expliquait
d’ailleurs très simplement : « [I]l est clair que si les auteurs se parlent entre eux, les éditeurs se parlent
également. […] Ils font d’ailleurs tous partie du Syndicat National de l’Édition, section bande dessinée, où ils
décident d’un tas de choses. Par exemple, je crois que c’est Marcel-Didier Vrac de chez Glénat qui avait
imaginé la suppression du prix à la planche pour le transformer en avances sur droits. Il n’a pas fallu 45
secondes pour que tous les autres éditeurs trouvent l’idée vachement bonne ! »
51
Soit une enveloppe globale de 18 400 €.
52
Dans le cadre des hypothèses suivantes : album vendu 10 € TTC en 2001 et 14 € TTC en 2011, avec des
droits d’auteur représentant 10 % du prix de vente hors taxes, et la part revenant à l’éditeur estimée à 20 %
du prix de vente hors taxes.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 43
Illustration des deux scénarios (2001 et 2011) évoquées par Kris
Revenus dégagés par l’auteur et l’éditeur en fonction du nombre d’exemplaires vendus
Comme le résume Stéphane Beaujean dans sa tribune publiée dans Libération en janvier
2020 :
« En reposant de plus en plus sur des ouvrages uniques aux modèles de rentabilité
fluctuants, l’éditeur a perdu en visibilité sur son échéancier. […] La baisse des coûts
de fabrication a, entre 2000 et 2010, permis d’absorber ce risque. Mais à l’orée
des années 2010, il ne restait plus que la part de l’auteur sur laquelle négocier
pour trouver la flexibilité nécessaire à la poursuite d’une croissance construite sur
une production démultipliée. »
Un constat partagé par Bruno Racine dans son rapport L’auteur et l’acte de création,
remis au ministère de la Culture en janvier 2020.
Aussi salué par les uns que critiqué par les autres, le rapport Racine a mis du temps à se
transformer en mesures concrètes : au plan d’action, annoncé par le ministère de la
Culture en février 2020, a succédé en mars 2021 le plan du gouvernement destiné à
soutenir les artistes-auteurs, qui ne retient qu’une partie des recommandations
préconisées par Bruno Racine, promettant la mise en place de plusieurs dispositifs d’ici à
la fin du quinquennat.
44 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Éditeurs de bande dessinée
Dans son dernier rapport publié en 2016, Gilles Ratier estimait à 384 le nombre
d’éditeurs œuvrant sur le marché francophone européen de la bande dessinée. Ce
chiffre reflète avant tout l’étendue des intentions éditoriales, il faut donc le relativiser
sur le pan économique, avec un marché organisé de longue date en grands groupes.
En 2010, les quatre leaders du marché étaient, selon le bilan annuel de Livres Hebdo
(basé sur des chiffres Ipsos MediaCT) : le groupe Média-Participations (30,4 %), le
groupe Glénat (15,1 %), le groupe Delcourt (9,9 %) et le groupe Flammarion (7,9 %),
concentrant alors à eux quatre près des deux tiers du marché en valeur (63,3 %). Dix ans
plus tard, en 2020, on retrouvait les mêmes, dans un ordre légèrement différent : le
groupe Média-Participations (22,1 %), le groupe Glénat (13,1 %), le groupe Delcourt
(12,4 %) et le groupe Madrigall ayant absorbé Flammarion (7,0 %), pour une part de
marché cumulée en léger retrait, s’établissant désormais à 54,6 % (le groupe Hachette
venant jouer les trouble-fêtes au sein du quatuor, avec 7,1 % de part de marché en
valeur). Cette contraction est principalement due à un effet mécanique, la progression
de leurs ventes (+26 %) étant moins importante que l’évolution du marché très
dynamique (+46 % sur la même période).
À l’instar de ce que l’on peut observer du côté de la littérature générale, le discours des
« observateurs du marché » évoquent souvent l’opposition entre les « grands éditeurs »
et les « indépendants », quand bien même les réalités que recouvrent ces appellations
sont aussi diverses que mal définies53. Ainsi, Gilles Ratier avait dans un premier temps
(jusqu’en 2011) adopté cette dualité dans les rapports annuels de l’ACBD, avant d’opter
pour une classification plus complexe du panorama éditorial : « leaders », « groupes au
poids économique non négligeable » et « autres entreprises » (regroupant les
« structures au catalogue classique », les « éditeurs jeunesse », les « opérateurs
littéraires » et enfin l’« édition alternative »). On voit bien comment s’opère la
catégorisation : dans un premier temps, un clivage basé uniquement sur des
considérations économiques, sur lesquelles se greffe, dans un deuxième temps, une
classification éditoriale mélangeant école stylistique, cible marketing et ambition
artistique (à défaut d’un terme plus approprié), dans laquelle la catégorie « autres
entreprises », désigne des acteurs dont le poids économique est implicitement marginal.
Dans le cadre de notre étude, une autre segmentation, s’articulant autour de la création
d’une part, et de l’achat de droits d’autre part, apparait plus pertinente. L’achat de
droits consiste pour un éditeur à se porter acquéreur des droits d’exploitation d’une
œuvre réalisée (le plus souvent, dans le cadre d’une traduction), pour une durée limitée.
A l’inverse, l’approche centrée sur la création s’organise autour de l’accompagnement
éditorial d’un auteur, l’éditeur assurant par la suite l’exploitation de l’œuvre ainsi créée
(laquelle peut comprendre la vente de droits). Ces deux approches répondent à des
stratégies éditoriales très différentes.
53
Le segment des COMICS vient ajouter une complexité supplémentaire, puisque les spécialistes adoptent
généralement la classification nord-américaine, et désignent « indépendante » toute production qui ne
relèvent pas des deux majors, Marvel et DC. Ainsi, Walking Dead, publié par Image Comics, est considéré
comme une production « indépendante », bien que la série soit éditée par Delcourt en France.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 45
Pour un éditeur tourné majoritairement vers la création, la constitution du catalogue est
le fruit d’une vision éditoriale, construite avec des auteurs spécifiquement choisis
(moyennant les qualités d’exécution des uns et des autres) – chaque œuvre
correspondant à un investissement qu’il s’agit de faire fructifier au maximum. Pour un
tel éditeur, l’arrêt de commercialisation ressort comme un constat d’échec, qu’il faut
éviter autant que possible.
En matière de bande dessinée, les MANGAS et les COMICS relèvent, dans leur immense
majorité, de l’achat de droits, alors que les BD DE GENRES « traditionnelles » reposent en
premier lieu sur la création.
2011 – En mars, Hachette Livre prend le contrôle à 100 % des éditions Albert-René
suite au rachat des parts détenues par Sylvie Uderzo (qui en détenait 40 %). En
juin, Mourad Boudjellal55 cède la totalité des parts de Soleil Productions aux
éditions Delcourt. Moïse Kissous fonde Steinkis Groupe. Dupuis rachète les
éditions Niffle.
54
La croissance organique, ou croissance interne, correspond au développement de l’activité propre d’une
entreprise (augmentation de ses parts de marché, croissance du marché, implantation sur de nouveaux
marchés, etc.). Elle s’oppose à la croissance externe, qui repose sur une stratégie de fusion-acquisition.
55
Éditeur et fondateur des éditions Soleil Productions en 1989.
56
En mars 2021, Steinkis Groupe a cédé Warum aux éditions Lapin.
46 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
2016 – En novembre, les éditions AUDIE (et par conséquent le magazine Fluide
glacial) sont rachetées par les éditions Bamboo aux éditions Flammarion, qui en
restent actionnaire minoritaire.
Cette décision permet néanmoins d’observer les forces en présence sur le secteur de la
diffusion-distribution, secteur qui est aussi stratégique qu’il peut être rentable. Dans son
mémoire intitulé Économie du livre et numérique : quels scénarios pour la bande
dessinée ?58, Max Carakehian observe :
57
Dans sa décision n°15-DCC-70 du 16 juin 2015, consultable à l’adresse
https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/decision-de-controle-des-concentrations/relative-la-prise-de-
controle-exclusif-des-societes-volumen
58
Mémoire de Master en Ingénieur de gestion, finalité spécialisée, à l’Université Libre de Bruxelles, soutenu
en 2013.
59
Résultat d'exploitation avant impôts / revenu de l'activité.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 47
De fait, les grands groupes d’édition disposent tous de leur propre structure 60, qui
diffuse non seulement leur propre production, mais offre également ses services à
d’autres éditeurs. Le tableau ci-dessous, extrait de la décision de l’Autorité de la
concurrence et concernant les chiffres de l’année 2013, distingue donc une activité
« externe » (correspondant à la diffusion des ouvrages d’éditeurs tiers) et une activité
« totale » (qui inclut la diffusion de leur propre production par ces groupes d’édition).
École des loisirs [0-5]% [0-5]% [0-5]% [0-5]% [0-5]% [0-5]% [0-5]% [0-5]%
Livres Hebdo publie bien chaque année, dans ses bilans consacrés à la bande dessinée,
les parts de marché des principaux éditeurs (pour l’ensemble du marché et pour le
segment des MANGAS), mais ces données souffrent de deux inconvénients majeurs. Le
premier tient au calendrier : du fait du report initial du festival d’Angoulême en juin
2021, Livres Hebdo a décalé la publication de son bilan annuel consacré à la bande
dessinée, visant probablement cette nouvelle date, et les données pour l’année écoulée
ne sont toujours pas disponibles à l’heure où nous écrivons ces lignes. Le second écueil
est méthodologique, puisque ces bilans se sont appuyés sur le suivi de marché réalisé
par Ipsos MediaCT jusqu’en 2014, avant de se tourner vers GfK. Du fait des différences
d’approche des deux panélistes, les deux séries de données sont difficilement
réconciliables et une tentative de comparaison ne permettrait pas d’assurer le niveau de
rigueur auquel nous essayons de nous astreindre tout au long de ce document.
60
Pour la bande dessinée, seul le groupe Glénat ne dispose pas de sa structure propre et est distribué par
Hachette.
48 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Média-Participations
Leader du marché depuis que Livres Hebdo publie ses bilans annuels sur la bande
dessinée, Média-Participations s’est maintenu en tête, en s’appuyant sur une stratégie
équilibrée. Équilibrée, tout d’abord, parce que le groupe table à la fois sur une croissante
interne (création des éditions Huginn&Muninn ou lancement d’Urban Comics) et sur une
croissance externe (rachat des éditions Niffle, de Marsu Production ou de Graton Éditeur),
privilégiant une cohérence éditoriale des catalogues. Équilibrée ensuite, grâce à
l’investissement du groupe sur l’ensemble des segments du marché de la bande dessinée,
même si sa position s’est affaiblie sur les MANGAS (principalement du fait du fléchissement
puis de la conclusion de sa série best-seller Naruto), et que le levier de croissance incarné
par Urban Comics montre déjà ses limites. De leurs côtés, la BD DE GENRES montre un
fléchissement progressif de ses meilleures franchises, Largo Winch et XIII en tête, et la BD
JEUNESSE se maintient, en s’appuyant sur un socle de séries historiques du groupe (Lucky
Luke, Boule et Bill, Les Schtroumpfs, Les Tuniques Bleues), associé à quelques créations
plus récentes (Seuls, Les Nombrils ou Les Enfants de la Résistance).
Glénat
Contrairement à Média-Participations, Glénat semble avoir largement privilégié un
développement interne, les acquisitions se faisant plutôt au gré des opportunités
laissées par le déclin de certains éditeurs (on pense à la reprise de 12 bis placé en
liquidation judiciaire, ou des Éditions Aaarg ! après l’arrêt de la revue du même nom).
Premier grand éditeur à s’être intéressé à la production japonaise à partir de 1991,
Glénat est aujourd’hui le numéro 1 sur le segment des MANGAS, qui représente pas
moins de 60 % de ses ventes pour la décennie. Sans surprise, Glénat a également subi le
ralentissement du segment MANGAS sur la première moitié de la décennie, avant de
retrouver un dynamisme à compter de 2017, notamment avec le début de Dragon Ball
Super, venant épauler One Piece au sein des best-sellers. Pratiquement inexistant sur le
segment des COMICS, Glénat voit un fléchissement de sa position sur la période 2010-
2020, tant sur la BD JEUNESSE (avec le recul de séries phares comme Titeuf et Lou !, dont
les sorties sont plus espacées) que sur la BD DE GENRES (avec notamment l’absence de
nouveauté pour le Joe Bar Team depuis 2013, alors qu’à sa sortie en 2010, le tome 7
représentait à lui seul 21 % des ventes en volume de Glénat sur le segment).
Delcourt
Avec le rachat des parts de Soleil en 2011, Delcourt a clairement renforcé sa position sur
la BD DE GENRES, en constituant un catalogue cohérent, solidement implanté dans la
science-fiction et la fantasy. Ce sont d’ailleurs les succès sur ce sous-segment qui
expliquent l’évolution des ventes au sein des tops 5 000 annuels, où le recul de la BD DE
GENRES chez Delcourt (avec le fléchissement de la franchise Lanfeust de Troy) est en
partie contrebalancé par la progression de la BD JEUNESSE (tirée par Les Légendaires). La
présence de Delcourt sur le segment des COMICS bénéficie du succès de Walking Dead,
et plus modestement des licences Star Wars. Cependant, ces dernières ont été
récupérées par Panini en 2017 (avec les titres Marvel), et la conclusion de la série de
zombies de Robert Kirkman va certainement amplifier à court terme le repli déjà
enclenché. Du côté des MANGAS, le groupe a effectué des ajustements éditoriaux
(absorption de Tonkam et fin de la collaboration avec Akata), sans fondamentalement
transformer son catalogue, et peine désormais à dégager un best-seller : ses meilleurs
succès sont liés à l’exploitation de licences Nintendo (The Legend of Zelda ou Splatoon)
et du SHOJO Switch Girl !, dont la parution s’est achevée en 2014. Delcourt paie
probablement son net positionnement sur le SHOJO (puisque le sous-segment
représentait 35 % des sorties en MANGAS et 37 % des ventes du groupe sur 2010-2020),
dont la dynamique est orientée à la baisse.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 49
Madrigall
Il est très probable que la bande dessinée n’ait pas été centrale dans le choix du rachat
du groupe Flammarion par Madrigall (holding éditoriale contrôlée par la famille
Gallimard), mais il faut reconnaître que l’ensemble qui en résulte apparaît comme
particulièrement cohérent et présente une forme d’orientation plus littéraire, en
décalage par rapport aux autres grands groupes présents sur la bande dessinée. En effet,
à l’exception de Tintin et Le Chat (qui représentent néanmoins un tiers des ventes en
volume du groupe en bande dessinée sur 2010-2020), on y observe une production
moins tournée vers le format sériel que vers une sensibilité « roman graphique », que
l’on pourrait rattacher à l’héritage de (À suivre) et de son concept de « roman bande
dessinée ». En partie du fait de ce choix plus « qualitatif », mais aussi d’une présence
très mineure sur le segment des MANGAS (avec le label Sakka) et d’une absence sur le
segment des COMICS (le label Paperback lancé en 2018 a été interrompu l’année suivante
avec à peine 6 titres parus), Madrigall occupe généralement la quatrième place sur le
marché de la bande dessinée, à distance respectable du trio de tête.
Hachette
Incontournable sur le secteur du livre, Hachette apparaît pour la bande dessinée comme
un éditeur bicéphale, comprenant Astérix d’un côté et les MANGAS (avec Pika) de l’autre.
Cette particularité explique l’évolution en dents de scie des ventes du groupe en bande
dessinée, alternant entre les ventes d’albums du célèbre Gaulois, au gré des sorties
bisannuelles, et une forme de stabilité provenant des productions japonaises. Pika,
détenu par Hachette depuis 2007, a jusqu’ici très bien géré le passage de témoin entre
Fairy Tail (qui s’est terminé en 2016) et L’Attaque des Titans (débuté en 2013) :
cumulées, les deux séries représentent plus de la moitié (51 %) des ventes en volume de
Pika sur 2010-2020. Cependant, la conclusion de L’Attaque des Titans, prévue pour 2021
(avec son 34e tome), combinée à la problématique d’animation du fonds Fairy Tail en
l’absence d’un nouveau best-seller, pourrait se révéler compliquée à gérer à moyen
terme.
Alternatifs ou indépendants ?
Si l’on a longtemps opposé « grands éditeurs » et « indépendants », c’est plutôt le terme
d’« alternatifs » qui semble s’être imposé pour ces derniers, avec notamment la création
du Syndicat des Éditeurs Alternatifs (SEA) en 2014. Jean-Louis Gauthey, fondateur des
éditions Cornélius et porte-parole du SEA, explique son point de vue sur ce choix dans
un entretien récent61 :
61
Propos rapportés dans l’entretien « Jean-Louis Gauthey : « La bande dessinée du réel est une imposture
intellectuelle absolue » », AOC.media (2021).
50 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
La charte du SEA (qui regroupe aujourd’hui 51 maisons d’éditions), pose les principes
d’une vision commune autour d’une approche vertueuse de l’édition :
« Les éditeurs réunis au sein du Syndicat des Éditeurs Alternatifs (S.E.A), éditent et
publient des livres en s’attachant avant tout à la mise en valeur d’une œuvre ; ni
stratégie marketing ni exploitation de droits dérivés ne président à leurs choix
éditoriaux. Les éditeurs du S.E.A travaillent en étroite collaboration avec les
auteurs, en étant toujours attentifs au respect de leurs droits et de leur œuvre. »62
S’inscrivant dans cette ambition, l’un des premiers gestes du SEA a été de proposer un
modèle de contrat d’édition unique et tenant sur quatre pages, dont le principe est
« d’affirmer que l’éditeur / éditrice et l’auteur / autrice sont liés équitablement ». Ce
modèle de contrat a été validé par le Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs
BD (SNAC BD).
62
L’ensemble du texte de la charte est consultable à l’adresse https://www.lesea.fr/a-propos/
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 51
52 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
COVID-19
Ce n’est un secret pour personne : l’année 2020 a été dominée par une crise sanitaire de
grande ampleur, due à la pandémie de Covid-19. Les bouleversements qui y sont liés ont
impacté tous les compartiments de la vie du pays et modifié durablement bien des
aspects de notre quotidien. Le monde de la bande dessinée n’y a pas échappé, et nous
allons tenter d’en esquisser (à chaud) un tour d’horizon.
L’impact de cette année « blanche » (qui s’est prolongée sur 202164) est difficile à
estimer aujourd’hui. Les structures qui animent ces manifestations compensent
généralement par l’enthousiasme et la passion ce qui leur manque en matière d’assise
financière solide. L’avenir nous dira combien d’entre elles seront capables d’encaisser
les pertes sèches occasionnées par ces annulations.
Enfin, il faut mentionner les auteurs, qui ont également doublement pâti de cette année
particulière. Tout d’abord, la pandémie a entraîné une forte diminution des
interventions rémunérées (lecture publique, animation d’ateliers, intervention en milieu
scolaire, etc.), qui constituent pour certains une part conséquente de leurs revenus.
Ensuite, le choix des éditeurs de reporter une partie des ouvrages à paraître a eu un
impact immédiat (report des perceptions de droits d’auteur pour les plus chanceux),
mais surtout un impact différé, qu’il est à nouveau difficile d’estimer actuellement : avec
un calendrier de parution pour 2021 soudainement plus riche des titres initialement
prévus pour 2020, les éditeurs réduiront probablement la voilure du nombre de
nouveaux projets dans lesquels ils vont s’engager. À nouveau, la fragilité de la profession
(mise en lumière depuis l’enquête réalisée en 2016 par les États Généraux de la Bande
Dessinée) n’encourage pas à l’optimisme.
63
L’année de la bande dessinée, initialement baptisée « BD 2020 » et devenue depuis « BD 20-21 » avec sa
prolongation jusqu’en juin 2021, est une initiative du ministère de Culture, reprenant l’une des 54
propositions avancées par Pierre Lungheretti dans son rapport remis en 2019. Son organisation a été
confiée au Centre national du livre (CNL) et à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image
(CIBDI), en collaboration avec le service du Livre et de la Lecture de la direction générale des Médias et des
Industries culturelles du ministère de la Culture.
64
Avec notamment l’annulation de la 48e édition du festival d’Angoulême, à l’exception de la remise des
prix qui s’est tenue fin janvier, dans une version minimaliste.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 53
Marché de la bande dessinée en période de crise sanitaire
Du côté du marché traditionnel de la bande dessinée, les événements majeurs de
l’année ont sans conteste été les deux confinements auxquels nous avons dû faire
face65. Du 17 mars au 11 mai 2020, le premier confinement a entraîné la fermeture
effective de tous les lieux publics « non indispensables ». À cette occasion, c’est
l’ensemble de la chaîne du livre qui s’est retrouvée à l’arrêt : dans un communiqué daté
du 15 mars, le Syndicat de la librairie française recommandait aux libraires de ne pas
effectuer de retours et annonçait que la livraison des offices serait suspendue « pour
l'ensemble des réseaux de vente afin qu'il n'y ait pas de distorsion de concurrence. »
Les arguments pour la réouverture des librairies semblent s’organiser autour de quatre
grands thèmes :
• et enfin, l’aspect technique, expliquant que la filière est désormais tout à fait
organisée pour assurer son plein fonctionnement dans le respect des règles
sanitaires.
Il faudra cependant attendre le 28 novembre pour que les librairies puissent ouvrir à
nouveau. En guise d’épilogue, le décret n°2021-217 du ministère de la Santé et des
Solidarités, publié le 25 février 2021, fait des librairies un « commerce dit essentiel ».
65
À l’inverse, les librairies sont restées ouvertes durant le troisième confinement, entré en vigueur à
compter du 3 avril 2021 et avec un déconfinement progressif à partir du 3 mai.
66
Consultable à l’adresse https://www.sne.fr/actu/laissez-nos-librairies-ouvertes-communique-du-sne-du-
slf-et-du-cpe/
67
Soit Catherine Meurisse, Florence Cestac, Régis Loisel et Jul.
54 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Sur le plan comptable, pour le marché de la bande dessinée, l’année 2020 s’est terminée
sur une note positive, au point que le communiqué-bilan de GfK titrait, presque
incrédule : « La bande dessinée ne connaît pas la crise ». Enregistrant, contre toute
attente, une progression de 9 % en volume et de 6 % en valeur68, avec de surcroît « une
dynamique forte sur tous les segments », le Neuvième Art a su traverser au mieux cette
période mouvementée :
De fait, on constate une saisonnalité des ventes très particulière pour l’année écoulée,
avec un profil en dents de scie, correspondant aux deux périodes de ralentissement de
l’activité, suivies de périodes de reprise. Il faut cependant noter que la performance de
l’année dans son ensemble s’inscrit dans la lignée de ce que l’on pouvait espérer dans
une situation « normale », sur la base des ventes des deux premiers mois. Il est certes
remarquable que la bande dessinée réussisse à réaliser une bonne année dans de telles
circonstances. Mais d’une certaine manière, les confinements ont contraint à une
redistribution des ventes dans l’année, du fait de la fermeture temporaire des points de
vente69, sans pour autant présenter un engouement supplémentaire manifeste. L’idée
souvent avancée du livre qui serait une « valeur » refuge, vers laquelle on se tournerait
en l’absence d’autres loisirs culturels, apparaît alors comme discutable pour la bande
dessinée.
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
68
Dans le contexte d’un marché global du livre en recul de 3,4 % en volume et de 2,7 % en termes de chiffre
d’affaires, selon les estimations de GfK, présentées le 8 février 2021, à l’occasion du bilan annuel sur les
chiffres à la consommation des biens culturels.
69
À l’exception de la pratique du « click and collect », ou service de retrait de livres à la demande, que
certaines librairies ont mis en place dès le premier confinement. L’article « Click & collect : un bilan en demi-
teinte » publié dans Livres Hebdo en mai 2020, évoquait surtout « un enjeu symbolique », qui visait plus à
assurer une présence et un lien avec la clientèle qu’à véritablement compenser le manque-à-gagner dû au
confinement.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 55
Saisonnalité des sorties
Base : titres figurant dans la base Dilicom et recensés par GfK
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses parutions au sein de la
production annuelle. Par exemple : « les parutions du mois d’octobre représentent 10 % des parutions
annuelles totales ».
La saisonnalité des sorties présente quant à elle un profil différent, où l’on observe
surtout un coup de frein important de la production sur la période avril-mai (avec un
rattrapage très marginal sur juin-juillet), et un fléchissement marqué en novembre.
Nous l’avons vu, si l’ensemble de la chaîne du livre s’était mise à l’arrêt durant le
premier confinement, cela n’a pas été le cas pour le deuxième. Au moment où était
annoncée la fermeture des librairies, la Commission de liaison interprofessionnelle du
livre faisait le choix de poursuivre son activité :
« Nous avons prévu de produire les prochains offices comme prévu, à date et avec
les quantités demandées. Après la réunion avec les libraires, ces derniers nous ont
confirmé vouloir les offices et réassorts livrés comme prévu, et tous prévoient d’au
moins mettre en place du click & collect, et de traiter les ventes en collectivité. »70
Il faut dire que l’enjeu économique est autrement plus important : pour la bande
dessinée, la période du premier confinement représente généralement autour de 13 %
des ventes annuelles en valeur (moyenne sur 2017-2019) ; les deux derniers mois de
l’année, quant à eux, concentrent près d’un tiers (30 %) du revenu de l’année. Sur cette
période cruciale dans une année perturbée, les éditeurs ont majoritairement fait le
choix de ne sortir que les valeurs sûres71, décalant à l’année suivante les titres au succès
plus incertain. Cette stratégie explique la baisse observée sur les sorties du mois de
novembre.
Au global, GfK observe une baisse nette de 12 % des nouveautés par rapport à 2019. Sur
la base des deux premiers mois de l’année, nos projections - basées sur la saisonnalité
de la période 2017-2019 - évaluent à 800 le nombre de titres « manquants » dans le
planning de sorties de l’année 2020 (ou 18 % de la production totale théorique ainsi
calculée).
70
David Gobert, directeur général de Dilisco, filiale distribution d’Albin Michel, cité dans l’article
« Reconfinement : la distribution maintient la cadence » de Pierre Georges et Nicolas Turcev (Livres Hebdo,
2020).
71
Dès juillet, Livres Hebdo titrait « place aux valeurs sûres » en introduction de son dossier annuel sur la
rentrée littéraire 2020.
56 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
C’est peut-être en cela que cette année 2020 peut sembler paradoxale pour le marché
de la bande dessinée. Largement dominé par les dynamiques sérielles, celui-ci a toujours
considéré les nouvelles sorties comme un moteur essentiel. Pour reprendre la citation
de Claude de Saint-Vincent dans l’ouvrage Les éditeurs de bande dessinée de Thierry
Bellefroid (2005), « On peut imaginer un tas de choses pour faire vivre le fonds, mais rien
ne le dynamise mieux qu’une nouveauté. » Et pourtant, en 2020, malgré les nouveautés
en berne, les ventes se sont maintenues.
Si l’on observe au global une part plus prépondérante du fonds (59 % des ventes en
volume pour 2020, contre 51 % pour la période 2017-2019), on constate une fois de plus
une situation très contrastée en fonction des segments :
• La BD DE GENRES continue d’être dominée par les nouveautés (56 % des ventes
en volume en 2020, contre 57 % pour 2017-2019), tirée par le sous-segment
HUMOUR et porté par les collections à petit prix de Bamboo et Fluide Glacial ;
• Même constat du côté des COMICS, où les collections à petit prix de Panini
tirent encore plus vers la nouveauté un segment qui en compte déjà
naturellement beaucoup (83 % de nouveautés au sein des ventes en volume
en 2020, contre 69 % sur 2017-2019) ;
La répartition des ventes par circuit de distribution met en évidence la « bonne affaire »
des GSA lors du premier confinement – situation amplifiée par la sortie (probablement
programmée très en amont) de la collection Panini à petit prix de titres de super-héros,
destinée spécifiquement à ce circuit. A l’inverse, la faiblesse des chiffres de l’ensemble
« Librairies de 2e niveau + Internet + Autres », dans lequel est comptabilisé Amazon72, va
à l’encontre de l’image d’une ruée vers les achats en ligne.
72
Les six entrepôts d’Amazon en France ont été fermés entre le 16 avril et le 18 mai sur décision du Tribunal
de Nanterre (confirmée en appel par la cour d’appel de Versailles), les organisations syndicales s’étant
alarmées des risques liés à la pandémie. Une estimation très optimiste pour la période du premier
confinement, attribuant l’intégralité des ventes de l’ensemble « Librairies du 2e niveau + Internet + Autres à
Amazon », et rapportant ce chiffre aux ventes théoriques du marché hors Covid sur la base des deux
premiers mois de l’année, place la part de marché d’Amazon autour de 7 % de l’ensemble, soit nettement
en-deçà des 10 % généralement avancés pour l’ensemble du marché du livre.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 57
De même, il ne semble pas qu’il y ait eu une « numérisation » accrue des pratiques : le
baromètre 2021 Les Français et la lecture (CNL/Ipsos) observe la stabilité du taux de
lecteurs au format numérique (à 23 %, -1 point par rapport à 2019), alors que le taux de
lecteurs au format papier reculait significativement (à 83 %, contre 91 % en 2019).
Pendant le premier confinement, l’ouverture des GSA (alors que les autres circuits sont
restés fermés) a logiquement profité aux genres qui y performent bien, et en particulier
celui de la BD JEUNESSE. En revanche, malgré la sortie des collections Panini dans une
fenêtre extrêmement favorable, la performance moyenne des COMICS de SUPER-HEROS
sur l’ensemble de l’année (+6 % en volume) semble avant tout confirmer l’hypothèse
d’un « achat d’opportunité » en GSA, les ventes de ces titres pensés comme produit
d’appel ne se traduisant pas par un intérêt plus marqué pour le genre sur le reste de
l’année.
Saisonnalité des ventes en volume (%), sur l’année 2020, par circuit de distribution
Base : données GfK
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales en GSA ».
Sur la fin de l’année, il est plus difficile d’avoir une lecture claire des dynamiques, à la
fois du fait d’un deuxième confinement moins long (à peine quatre semaines) et de
l’importance de l’effet « Noël » sur l’ensemble du marché.
58 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
On observe cependant que l’ensemble « Librairies de 2e niveau + Internet + Autres » a
profité à plein de cette période, sans qu’il soit possible de dire si cette réussite est à
mettre au compte de la belle performance des librairies (qui ont souvent mis en place
un système de « click and collect » durant le confinement), ou si c’est Amazon qui en est
le premier bénéficiaire. Les chiffres annoncés par le SLF début 2021 semblent plutôt
encourageants, estimant que les librairies ont terminé l’année avec un chiffre d’affaires
en recul limité à 3,3 % par rapport à 201973 – et montrent que les Français, dans leur
ensemble, semblent avoir nettement privilégié les petites librairies par rapport aux plus
grosses74.
Contrairement à un été très positif pour la BD JEUNESSE et les COMICS grâce aux
opérations à « petit prix », la période des fêtes s’est appuyée en 2020 sur des
nouveautés à fort potentiel pour redynamiser le marché, tous circuits confondus : que
ce soit le dernier Lucky Luke, le 5e volume de L’Arabe du Futur, le dernier Blake et
Mortimer, un Mortelle Adèle en version cartonnée ou encore le 6e tome des Vieux
Fourneaux. Au final, 17 des 20 meilleures ventes du dernier trimestre 2020 ont été
réalisées par des titres parus durant cette même période.
L’apport de ces nouveautés entraîne naturellement une dynamique positive pour les
segments auxquels elles sont rattachées. On y observe ainsi une belle performance pour
l’ensemble des ouvrages « à sensibilité roman graphique » (soit l’agrégat « NON
FICTION/DOCUMENT », « FICTION CONTEMPORAINE », « BIO/ADAPTATION DE CLASSIQUES »), qui
représente plus de 11 % des ventes en volume sur le dernier trimestre (contre 8 % à
peine pour l’ensemble de l’année), et pour l’HUMOUR, qui continue de faire une bonne
année et représente plus de 7 % des ventes en volume (contre 6 % pour l’année
entière).
Le sondage du SNE semble avant tout destiné à mettre en avant un chiffre fort : « Si un
3e confinement devait avoir lieu, les Français rejettent presque unanimement (85 %) qu’il
implique la fermeture des librairies. »
73
Chiffres tirés du communiqué du SLF, « 2020, un bilan en demi-teinte en librairie ».
74
Peut-être en écho aux messages de mobilisation qui militaient pour la réouverture des librairies, ou dans
un contexte plus global d’encouragement au soutien des commerces de proximité.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 59
L’étude du CNL explore quant à elle toute la complexité de la situation que le pays a
traversée, et traverse encore :
« Beaucoup de Français ont connu une contraction du temps dont ils disposaient.
Au-delà des mesures de confinement et de couvre-feu qui ont logiquement limité
leurs possibilités de déplacements, ils disposent de moins de temps disponible
depuis le début de l’épidémie et subissent un effacement de la frontière vie
professionnelle / vie privée. Les Français consacrent une part encore plus
importante qu’auparavant aux activités en ligne, en particulier surfer sur internet,
aller sur les réseaux sociaux ou regarder des vidéos. »
Cette étude observe deux mouvements contradictoires, qui font peut-être écho au
constat que « La prévalence des problèmes de santé mentale devient très
préoccupante. » D’une part, du fait de la cohabitation forcée entre loisirs et travail au
sein du domicile, « les lecteurs sont plus nombreux à avoir le sentiment de lire plus
souvent qu’auparavant (26 % ; + 6 pts vs 2019), notamment chez les jeunes […],
provoquant chez certains une mise à distance de la lecture. En effet, les Français sont
nettement moins nombreux que les années précédentes à avoir envie de lire plus (57 % ; -
12 pts). »75
D’autre part, « les Français n’ont jamais autant, ni de façon si affirmée, valorisé la
lecture. Si le plaisir (72 % très important, + 8 pts vs 2019) et la découverte (66 %, + 13
pts) restent les deux premiers enjeux qu’ils projettent sur la lecture, la moitié d’entre eux
considère que c’est aussi un moyen d’être heureux et épanoui dans la vie (49 %, + 20
pts). »
On le voit, il en ressort que la relation entre les Français et la lecture est pour le moins
ambiguë : activité à la fois plébiscitée pour ses valeurs positives et mise à distance
lorsqu’elle devient, par défaut, la seule option de loisir disponible. Ou comme on dit
parfois sur les réseaux sociaux : « c’est compliqué ».
75
Ces observations sont en partie confirmées par le sondage du SNE : « Pendant les confinements, un tiers
des Français s’est mis à lire davantage. C’est le cas en particulier des moins de 25 ans. Les Français ont
surtout lu pour lutter contre l’ennui (43 %) mais aussi pour se déconnecter de l’actualité (33 %) et éviter de
rester trop longtemps sur les réseaux sociaux (31 %). »
60 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Repères chronologiques de la crise sanitaire
1er février : Tous les pays de l’espace Schengen, sauf la France, suspendent les visas avec
la Chine (soit 25 pays).
14 février : Premier mort recensé en France (l'un des deux touristes chinois hospitalisés
le 24 janvier).
29 février : Réunion d’un conseil des ministres exceptionnel. Les manifestations de plus
de 5 000 personnes en milieu fermé sont interdites.
15 mars : Fermeture effective de tous les lieux publics non indispensables à la vie du
pays.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 61
62 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Numérique76
Il n’échappera à personne qu’évoquer la question d’une « révolution numérique » en
2021 est un rien ironique. En effet, tout au long de l’année passée, la pandémie liée à la
Covid-19 a profondément recomposé nos vies quotidiennes, faisant basculer une bonne
partie de nos interactions sociales sur Zoom, Teams et autre Whatsapp. Pourtant, le
terme de « révolution numérique » semble bien mal adapté, en ce qu’il évoque quelque
chose de rapide et violent. Or, les évolutions de nos habitudes au cours de ces mois de
confinement vont plutôt dans le sens de la fameuse citation du romancier William
Gibson : « The future is already here – it’s just not evenly distributed. » (soit à peu près :
« Le futur est déjà là, mais il est inégalement partagé. ») C’est pour cela que nous
préfèrerons plutôt parler ici d’une « frontière numérique », en écho à la « Frontier » de
la colonisation américaine, avec son lent processus de découverte et de conquête
progressive d’un territoire inexploré.
Depuis le tournant des années 2000, le numérique s’est installé en coulisses de l’édition
traditionnelle de bande dessinée. Si le résultat final reste inchangé, puisqu’il s’agit
toujours de produire un ouvrage imprimé, presque toutes les étapes, allant de son
élaboration à sa commercialisation, ont bénéficié des apports du numérique : dessin,
mise en couleur, scan, maquette, lettrage, impression, commandes, expédition,
promotion… auxquels il faut rajouter les simples outils de communication, qui
transforment radicalement la gestion du temps et de l’espace. Tous ces éléments ont
contribué à des gains de productivité, et l’on peut affirmer que grâce au numérique, il
est aujourd’hui beaucoup plus facile de « faire un livre de bande dessinée ».
Cependant, cette évolution n’a pas été sans friction, notamment aux deux extrêmes de
la chaîne du livre. L’informatisation progressive de la chaîne de distribution et la
centralisation des commandes ont eu un effet de « rationalisation » des mises en place
par rapport à l’historique, avec comme conséquence structurelle une diminution des
ventes.77 Les éditeurs y ont répondu pour la plupart en augmentant le nombre
d’ouvrages qu’ils publiaient chaque année, puisqu’ils en avaient désormais la capacité.
76
Le texte d’introduction de cette partie reprend, dans une version remaniée, le contenu d’une
communication sur le sujet faite dans le cadre du colloque « Droit(s) et bande dessinée », organisé
conjointement par la BnF, l’Institut de recherche pour un droit attractif de l’université Sorbonne Paris Nord
et le Centre de recherche juridique Pothier de l’université d’Orléans, et qui s’est tenu le 22 janvier 2021.
77
Si sur une mise en place de 200, une grande chaîne de librairies vend 150 exemplaires d’un tome 1, elle ne
commandera que 150 exemplaires du tome 2… qui à son tour, ne vendra que 120 exemplaires, et ainsi de
suite. Ce raisonnement d’optimisation des stocks serait valable (quoique de manière plus discutable) pour
un marché réduit à une seule librairie, où viendraient tous les acheteurs potentiels. Dans le marché réel,
cette approche de « rationalisation » se heurte à la dispersion à la fois des points de vente, mais aussi des
acheteurs, occasionnant nécessairement un certain nombre d’invendus – contrainte de la distribution
physique qui est (par essence) structurellement inefficace.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 63
Certes, ces questionnements ne sont pas ceux que l’on associe généralement au terme
de « bande dessinée numérique », mais il est important de les rappeler. De fait, quand
on parle de « bande dessinée numérique », le plus souvent, il ne s’agit pas d’évoquer le
mode d’élaboration de l’œuvre, mais plutôt d’en définir la nature par son support : sur
un écran, et généralement disponible en ligne. L’histoire de l’exploration des
potentialités ainsi offertes est passionnante78, mais révèle aussi plusieurs limites :
Ces limites n’ont cependant pas empêché une effervescence continue sur la scène de la
bande dessinée numérique ces vingt dernières années, riche de créations marquantes
pour qui s’y intéresse. Étonnamment, si celles-ci sont souvent remarquables, c’est moins
pour leur utilisation systématique du multimédia offert par l’outil informatique, que
pour les bouleversements fructueux de création qu’elles ont opérés : jeu de ping-pong
littéraire pour Chicou-Chicou, collaborations improbables avec les duels de bras de fer
organisés par Ruppert et Mulot, ou encore sérialisation démesurée avec la
« bédénovella » Les Autres Gens orchestrée par Thomas Cadène. Si cette exploration est
avant tout le fait d’auteurs, quelques éditeurs en ont également fait l’expérience, sans
réussir à pérenniser leurs projets restés à l’état de « recherche et développement ».
Par rapport à cette bande dessinée numérique, qui sera peut-être celle de demain, la
bande dessinée numérique d’aujourd’hui est empreinte de pragmatisme. On observe
ainsi deux mouvements : une exploitation commerciale de l’existant papier transposé
sur un format numérique, ou une exploitation commerciale au format papier d’un
existant ayant fait ses preuves en numérique.
De fait, le premier geste des éditeurs a été de s’appuyer sur leur savoir-faire en
transposant sur papier les formats émergents d’Internet. La vague des « blogs BD » peut
d’ailleurs être considérée comme une proposition « gagnant-gagnant », combinant la
valorisation du travail de l’auteur79, à une prise de risque minimale pour l’éditeur du fait
d’une popularité déjà établie.
78
L’ouvrage de Julien Baudry, Cases – Pixels, Une histoire de la BD numérique en France (PUFR, collection
« Iconotextes », 2018) est à ce titre incontournable.
79
Valorisation qui peut être purement symbolique, comme dans le cas de David Revoy, auteur de la série
Pepper & Carrot. Financée par le biais de mécénat en ligne (via Tipeee et Patreon) et diffusée gratuitement
64 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Bien sûr, cela implique que l’œuvre numérique soit envisagée comme étant « papier-
compatible » – et si l’on pourrait voir cette contrainte comme restrictive quant aux
expérimentations les plus audacieuses, elle a aussi le mérite de préserver une proximité
avec la bande dessinée traditionnelle80.
Du côté des auteurs, l’exemple le plus marquant est certainement Laurel, avec les
campagnes liées à son diptyque Comme Convenu. Pour l’anecdote, elle avait décidé de
se lancer dans l’auto-édition après qu’un grand éditeur lui avait proposé à peine 8 000 €
pour l’ensemble du récit de 500 pages, soit moins d’un dixième de ce qu’elle a
probablement reçu, une fois l’ensemble des frais déduits, pour la seule première
campagne de financement. Au-delà de l’importance des sommes levées82, on voit
combien la figure de l’éditeur en sort fragilisée : hier passage obligé, demain maillon non
essentiel ?
Alors que les succès d’Internet viennent se décliner en version papier, on observe en
parallèle le mouvement inverse de dématérialisation, transposant le contenu papier
existant vers le numérique. Bien sûr, cette évolution n’est pas spécifique à la bande
dessinée, puisqu’elle touche aujourd’hui la quasi-totalité des biens culturels. Dans
chaque cas, on a pu observer un processus de transformation en trois étapes :
sous licence « Creative Commons Attribution » (CC-BY), cette bande dessinée a été publiée par Glénat en
août 2016, sans que son auteur (ravi au demeurant) ne perçoive de droits d’auteur sur ses ventes. Glénat
est cependant devenu mécène de la série à hauteur de 350 € par épisode.
80
Julien Baudry, dans son article « Paradoxes of Innovation in French Digital Comics » (The Comics Grid,
2018) y voit également une évolution naturelle du processus d’innovation, fait d’une oscillation entre des
phases d’expérimentation (défrichant des potentialités) et des phases d’appropriation (via l’annexion des
formes traditionnelles).
81
Ce terme regroupe deux types de fonctionnements, l’un visant à soutenir un projet spécifique (formule
Kickstarter / Ulule / KissKissBankBank), l’autre correspondant plutôt à du mécénat (option Tipeee /
Patreon). Dans les deux cas, différentes contreparties sont disponibles en fonction de l’investissement
consenti.
82
Plus de 725 000 € cumulés pour les deux campagnes, dont la majeure partie a servi à couvrir les frais
d’impression et d’expédition des deux ouvrages.
83
Soit la mise à disposition de scans ou de « scantrads » (traductions et adaptations amateurs,
principalement de manga).
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 65
• enfin, dans un troisième temps, le lancement d’une plateforme commerciale de
diffusion des œuvres, la plupart du temps par un acteur jusqu’alors en marge de
l’industrie, qui entraîne à moyen terme une transformation profonde des
habitudes.
Pour la musique, l’électrochoc a été le lancement d’iTunes par Apple adossé à l’iPod ;
pour le cinéma, c’est bien sûr Netflix qui a donné un coup d’accélérateur au streaming.
Pour la bande dessinée, la question reste ouverte, puisque la plateforme Izneo, lancée
en 2010 par un groupement d’éditeurs84, peine toujours à trouver sa place. Les raisons
de ce démarrage difficile sont multiples : réticence structurelle des consommateurs
(besoin d’introduire un support de lecture spécifique85, impossibilité de transposer sa
collection86), catalogue initialement limité (ensemble des principaux éditeurs non
représentés, absence du manga), et enfin tâtonnements quant au modèle économique
(passant d’un achat à l’unité à la possibilité d’un abonnement à volonté). On peut
également s’interroger sur la réticence possible des éditeurs à investir dans un domaine
différent de leur cœur de métier. Non seulement rien ne garantit que le potentiel de la
distribution numérique se concrétise, mais il est même possible que cette nouvelle offre
vienne tout simplement concurrencer (et affaiblir) une diffusion traditionnelle déjà en
prise avec ses difficultés propres.
Lectorat numérique
Sans surprise, l’étude du CNL, publiée en 2020 et consacrée à la bande dessinée, met en
évidence une pratique de lecture numérique impliquant une population jeune et
probablement technophile :
« Si le format papier reste largement privilégié par tous pour lire des bandes
dessinées, un quart des enfants et un tiers des adultes lecteurs de bande dessinée
en lisent également au format numérique. Le taux de lecteurs de bande dessinée
au format numérique varie fortement selon l’âge. C’est entre 16 et 35 ans qu’il est
le plus élevé, autant chez les femmes que chez les hommes. La tablette tactile et
l’ordinateur sont les principaux supports utilisés pour lire des bandes dessinées au
format numérique. »
84
Comprenant alors les diverses composantes des groups Média-Participations, Flammarion et Bamboo.
Depuis 2017, la FNAC est entrée au capital d’Izneo à hauteur de 50 %.
85
Contrairement à la musique ou à la vidéo, le livre ne nécessite pas d’intermédiaire technologique pour
être consulté. Face aux lecteurs MP3 et autres lecteurs DVD, le néologisme de « liseuse » destinée à un
lecteur humain vient souligner cette particularité.
86
La possibilité de convertir facilement sa collection de CD au format mp3 (ou autres) a sans aucun doute
fortement contribué à accélérer le processus de migration vers le numérique dans le domaine de la
musique.
66 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Taux de lecteurs en fonction de l’âge (population française)
Base : étude « Les Français et la BD » (CNL/Ipsos, 2020)
« La bande dessinée au sens large n’est pas le genre littéraire le plus lu en version
numérique : l’étude réalisée par l’Hadopi en 2014 montre que le roman est le
genre le plus lu en format dématérialisé avec 54 % des lecteurs de livres
numériques qui en lisent, devant les livres scientifiques (30 %). Les bandes
dessinées et mangas arrivent en troisième position avec 27 % de lecteurs, devant
les livres d’actualité (20 %). En considérant donc environ un quart de lecteurs
numériques lisant des bandes dessinées dématérialisées, une estimation d’un taux
de 4 % environ d’usages parmi les internautes parait réaliste, ce que confirment
l’ensemble des experts rencontrés lors de cette étude […]. »
Marché numérique
Pour la bande dessinée au format numérique comme pour la plupart des autres produits
culturels dématérialisés, l’estimation de la taille du marché est largement limitée par la
propension des plateformes à communiquer ou non autour de leurs chiffres.
Néanmoins, depuis leur édition 2016 (chiffres 2015), les synthèses statistiques annuelles
du SNE indiquent la répartition des ventes de livres numériques par catégorie. La bande
dessinée apparaît ainsi comme une sous-catégorie de la catégorie « grand public (hors
littérature) », pour un poids stable qui se situe autour de 1 % de l’ensemble du chiffre
d’affaires de l’édition numérique (soit environ 2 millions d’euros), sur la période 2015-
2019. Ainsi, la bande dessinée numérique ne représenterait que 0,7 % du chiffre
d’affaires déclaré par le SNE pour la bande dessinée dans son ensemble.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 67
Le dixième anniversaire du lancement de la plateforme Izneo (qui concentre entre 60 %
et 70 % du segment de la bande dessinée numérique) a donné lieu à plusieurs articles
dans la presse, reconnaissant que le plus dur reste à faire :
Début 2020, Izneo publiait une infographie résumant son « Étude sur les lecteurs de BD,
manga, webtoon et comics numériques »87, dans laquelle on découvrait que le site
revendiquait, en 2019, 2,6 millions de visiteurs uniques pour 3 millions de lectures
d’albums numériques – et seulement 350 000 volumes vendus.
La situation française parait bien éloignée de ce que l’on peut constater au Japon, où
depuis 2017, les ventes numériques de mangas dépassent les ventes papier. Si certaines
des raisons derrière cette évolution sont spécifiques au contexte économique japonais
(stagnation du pouvoir d’achat depuis trois décennies, effondrement des revues de
prépublication sur la même période), plusieurs facteurs ont contribué à y développer
largement la bande dessinée numérique.
Au même titre que les services de VOD comme Netflix ont bouleversé la manière dont
on aborde la télévision (avec l’apparition de nouveaux modes de consommation), on
voit bien comment au Japon, l’émergence d’une offre numérique riche met à mal le
format établi des revues de prépublication88, tout en permettant la progression nette
des ventes des recueils papier.
87
Que l’on peut consulter ici : https://actualitte.com/article/9334/distribution/portrait-du-lecteur-de-bd-
manga-webtoon-et-comics-en-numerique
88
On notera que s’il existe des versions numériques de ces revues, les revenus qu’elles génèrent restent très
marginaux, représentant à peine 0,8 % du marché total du manga en 2017.
68 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Acteurs de la bande dessinée numérique
Historiquement, dans la bande dessinée, ce sont les auteurs (souvent très familiers de
technologies qu’ils utilisent quotidiennement dans leur travail) qui ont, les premiers,
cherché à investir l’espace numérique, avec des créations spécifiques (Les Autres Gens,
8comix.fr, BDNag, Mauvais Esprit, Professeur Cyclope, etc.), s’appuyant souvent sur une
base d’abonnement payant. Certains de ces projets ont connu une longévité
remarquable, au regard de la modestie de leurs moyens, trouvant un équilibre
commercial grâce à des communautés d’abonnés peu nombreux89 (au regard des
chiffres de vente de l’édition papier), mais très impliqués. On trouve ici l’illustration en
action de la théorie des « 1 000 vrais fans » proposée par Kevin Kelly en 200890.
Depuis, il semble que ce genre d’expérimentation trouve son soutien auprès de certains
médias : ainsi, c’est Arte qui a financé les deux premières saisons du feuilleton Été, sur
Instagram (Thomas Cadène, Joseph Safieddine, Camille Duvelleroy & Erwann Surcouf),
en 2017-201891. Dargaud s’essaye aussi à l’exercice depuis le 15 avril 2020, avec Mâtin,
quel journal !, toujours sur Instagram.
Cependant, il faut reconnaître que la décennie 2010-2020 a été celle de la mise en place
massive d’une offre de bande dessinée au format numérique, par le biais d’un certain
nombre de plateformes commerciales (cf. ci-dessous).
Izneo
Créée à l’initiative du trio Média-Participations/Flammarion/Bamboo, Izneo a été lancée
en mars 2010, avec l’ambition de proposer une offre centralisée et unifiée qui
regrouperait l’ensemble des éditeurs. À ce titre, elle avait bénéficié des aides du CNL92 à
hauteur de 30 000 € pour 2010 et de 150 000 € pour 201193. Son capital est détenu à
50 % par la Fnac depuis 2016. Catalogue d’environ 30 000 titres, diffusion de comics et
mangas au chapitre, en « simultrad ». Achat au titre ou abonnement mensuel pour un
catalogue restreint de 5 000 titres.
Sequencity
Lancée en 2014 par Actialuna (start-up qui avait développé une plateforme de lecture
innovante pour la bande dessinée), Sequencity a établi un partenariat avec le groupe
E.Leclerc fin 2017. Catalogue d’environ 30 000 titres disponibles à l’achat.
bdBuzz
Existant depuis 2010, bdBuzz est à la fois une plateforme de vente de bande dessinée au
format numérique, mais également un outil de gestion de collection. Catalogue
d’environ 25 000 titres à l’achat, abonnement pour une sauvegarde de sa collection
dans le cloud.
89
Thomas Cadène indiquait dans un entretien publié sur OWNI avoir 1 200 abonnés en moyenne pour Les
Autres Gens.
90
Kevin Kelly était le rédacteur-en-chef de la revue WIRED à sa création, en 1993. En 2008, dans un texte
intitulé « 1,000 True Fans » publié sur son blog, il expliquait comment il suffisait pour un créateur (artiste,
musicien, photographe, etc.) d’avoir mille « vrais fans » pour pouvoir vivre de son activité – le « vrai fan »
étant une personne prête à acheter chacune des productions de ce créateur.
91
Cependant, la troisième saison du feuilleton a eu recours à une campagne de financement participatif sur
KissKissBankBank.
92
Outre les aides du CNL, Izneo a bénéficié du soutien d’Oséo et du Fonds National pour une Société
Numérique, pour des montants non communiqués.
93
Les rapports d’activité et bilans des aides du CNL sont disponibles à l’adresse :
https://centrenationaldulivre.fr/donnees-cles
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 69
Comixology
Fondée en 2007, Comixology était à l’origine une communauté en ligne, avant de lancer
son service « Comics by Comixology » et de devenir une plateforme de vente de bande
dessinée en 2009. Rachetée par Amazon en 2014, elle s’appuie notamment sur une
technologie de « lecture guidée » case à case. Catalogue d’environ 75 000 titres, dont
17 000 en français. Achat au titre uniquement ; l’abonnement illimité pour un catalogue
restreint de 25 000 titres étant seulement disponible pour les utilisateurs américains.
Mangas.io
Nouveau venu sur le marché, disponible depuis l’été 2020 (mais toujours en version
« bêta »), et fonctionnant sur le même principe que Netflix. Catalogue restreint (une
cinquantaine de titres), sur abonnement mensuel uniquement.
Si l’offre disponible est aujourd’hui comparable à ce que l’on peut trouver en librairie, il
a fallu longtemps avant que ce soit le cas : lancée avec 600 titres en mars 2010, la
plateforme Izneo ne comptait que 4 000 références en juillet 2013 et il a fallu attendre
fin 2016 pour atteindre la barre des 15 000 titres, puis 2020 pour passer le cap des
30 000.
70 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Pour expliquer la lenteur de cette mise en place d’une offre légale, on invoque souvent
des questions de coûts94, mais il faut rappeler que cette offre numérique95 se pose en
concurrente de l’offre papier et met les éditeurs face à un choix cornélien : investir sur
l’avenir en risquant de fragiliser les revenus actuels, ou bien sécuriser ces derniers en
attendant le développement d’un marché numérique qui tarde à porter ses fruits 96.
Notons que c’est cette attitude qui avait entraîné l’immobilisme des majors de la
musique face au développement du MP3 et qu’il avait fallu l’irruption d’un acteur
extérieur au monde de la musique, Apple, pour qu’une véritable offre numérique se
mette en place.
Alors que le livre numérique est encore réservé à une population relativement jeune, la
croissance de ce secteur au cours des dernières années laisse envisager son
implantation à large échelle dans un avenir proche. Dans cette perspective, il faut
souligner combien les choix stratégiques et techniques effectués par les acteurs de la
sphère commerciale négligent, voire interdisent le prêt.
La disparition à moyen terme de cette modalité d’accès à la bande dessinée pourrait
avoir des conséquences diverses :
• le report des gros lecteurs vers les alternatives moins légales, mais plus souples
vis-à-vis du partage et de l’échange, entraînant une diminution forte des
achats ;
Face à cette révolution numérique annoncée, qui recompose en profondeur nos usages
et notre rapport au livre, et a fortiori à la bande dessinée, la question de sa circulation et
de son évolution future pourrait bien constituer un enjeu majeur pour le secteur.
94
Comme l’expliquait par exemple Claude de Saint-Vincent (président de Média-Participations), invité dans
l’émission Soft Power sur France Culture en 2012 : « Il faut bien voir que contrairement à ce que le bon sens
laisserait supposer, la distribution numérique coûte très cher. Il ne s'agit pas de juste mettre des fichiers en
ligne, comme on donne des fichiers à un imprimeur, mais de créer des bases de données, des bases de
données interactives, avec – alors, c'est un peu technique, des métadonnées, c'est-à-dire toutes les
informations qui accompagnent un livre (l'auteur, sa biographie, sa vie, le reste de son œuvre). Cette librairie
numérique, elle est ouverte sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Comme vous l'ont montré les remarques
que vous avez lues, il faut un service après-vente. Donc on se retrouve en distribution numérique sur des
schémas assez proches de la distribution papier. » Il faut signaler que l’investissement sur la numérisation
des catalogues des éditeurs a été encouragé et soutenu par le CNL par le biais d’aides spécifiques accordées
chaque année.
95
Dont les marges opérationnelles semblent néanmoins être plus importantes que pour le livre papier,
comme le suggèrent les résultats de plusieurs éditeurs américains, fortement positionnés sur le segment.
Voir en particulier l’article « Chiffre d’affaires en baisse, marges en hausse » d’Adrien Azerman (Actualitté,
2012).
96
Il faut également souligner l’épineux problème que représentent les droits associés à l’exploitation
numérique des œuvres, souvent relégués au sein des droits de cessions audiovisuels. C’est d’ailleurs ce
point qui avait donné lieu à la première mobilisation importante des auteurs (alors regroupés autour du
SNAC-BD), au moment de la préparation puis du lancement d’Izneo. Le développement d’un marché
numérique fort soulèverait immanquablement la question de la possible renégociation de ces contrats, un
sujet des plus épineux.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 71
Piratage et scantrad
Depuis l’apparition de Napster en 1999, la question du téléchargement illégal a été au
centre des préoccupations de l’industrie de l’entertainment, inquiétant tout autant
artistes et auteurs qu’exploitants et éditeurs. À ce phénomène préoccupant pour la
pérennité de l’industrie, il est apparu nécessaire d’apporter une réponse organisée
autour de deux axes : d’une part, la répression de ces abus par le biais d’une législation
spécifique ; d’autre part, la mise en place d’une offre légale large et adaptée.
Cependant, dans le cas particulier du livre (et surtout de la bande dessinée), il nous
semble que le piratage numérique rend visible certaines pratiques qui étaient
jusqu'alors souterraines et difficiles à quantifier98. Pour le lecteur désireux de découvrir
un livre sans l’acheter, il existe depuis longtemps plusieurs options : emprunt auprès
d'un ami, emprunt en bibliothèque, ou encore lecture sur le lieu de vente. Une partie de
ces modalités d’accès à la bande dessinée ont été couvertes dès l’étude La lecture de
bande dessinée en France (BPI/DEPS/SLL – TMO Régions, 2011), mais ce n’est qu’avec
l’étude Les Français et la BD (CNL/Ipsos, 2020) que les lieux de vente ont été intégrés au
sein des réponses possibles à la question « Dans quels lieux avez-vous l’habitude de lire
des BD ? ». Si 99 % des lecteurs tant adultes qu’enfants déclarent lire chez eux, les
« lieux du livre » sont également investis par 21 % des lecteurs adultes et 37 % des
lecteurs enfants. Derrière les bibliothèques et médiathèques, on trouve alors les
grandes surfaces culturelles (pour 14 % des lecteurs adultes comme enfants), mais aussi
les hypermarchés ou supermarchés (7 % des adultes mais 11 % des enfants) ou les
librairies (10 % des adultes et 11 % des enfants).
Il paraît important de signaler ici que la sphère commerciale accepte (encourage même)
la consultation des ouvrages, en particulier ceux de bande dessinée, sur le lieu de vente.
En 1998, la Fnac semblait s’être résignée devant cet état de fait avec le spot publicitaire
« Jean-Luc / La BD »99, qui mettait en scène un lecteur installé dans le rayon bande
dessinée d’un magasin Fnac, et qui concluait par : « Mais aujourd’hui, ce qui nous ferait
plaisir à nous, à la Fnac, ce serait que Jean-Luc nous achète enfin quelque chose », avant
de tempérer ce constat par ce slogan : « Nous avons tous les livres. Vous avez toutes les
libertés. »
97
On pourra par exemple lire « Dix ans après la loi Hadopi, que reste-t-il du téléchargement illégal ? », Le
Monde, 12 juin 2019.
98
Sur le sujet cependant, deux approches (malheureusement interrompues) fournissaient des informations
passionnantes : d’une part, le Baromètre des Usages de l’Hadopi, publication semestrielle puis annuelle qui
proposait entre 2012 et 2014 une typologie des consommateurs de contenu numérique, avec les raisons
principales pour lesquelles chaque population pouvait se tourner vers l’offre illégale ; d’autre part, les trois
études « ebookz » réalisées par le MOTif (Observatoire du livre et de l’écrit en Île-de-France, dissous en
2017) entre 2010 et 2012, qui exploraient l’étendue de l’offre illégale de livres numériques.
99
Consultable en ligne à l’adresse : http://www.youtube.com/watch ?v=_uPYIDkeU9Y On notera que la
Fnac a proposé deux « suites » du même acabit consacrées à Jean-Luc, tout d’abord en 2014 (consultable à
l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=MteExRT58lg) puis plus récemment en 2020 (consultable à
l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=zSBNgUW8Mo0).
72 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Alors que l’impact de ces pratiques sur les achats semble difficile à estimer, les pratiques
numériques illégales apparaissent comme immédiatement quantifiables (nombre de
fichiers disponibles, nombre de téléchargements), entraînant dans leur sillage un autre
décompte : les pertes sèches que cela représente pour les éditeurs et les ayant-droits,
dans un calcul qui supposerait qu’un téléchargement représenterait une vente perdue.
C’est d’ailleurs le calcul qu’a fait la plateforme mangas.io, en juillet 2020, à l’occasion du
lancement de son initiative #WeLoveManga : « En France, sur 400 millions de chapitres
de mangas lus chaque année, plus de la moitié l'est de façon illégale ! C'est un peu
comme si votre mangaka préféré, votre libraire ou votre éditeur devait travailler
gratuitement la moitié du temps. »100.
Cependant, l’articulation entre offre légale et pratiques illégales est plus complexe,
comme le détaille le constat établi par l’Hadopi, en décembre 2017, dans son étude La
diffusion dématérialisée de BD et mangas en France :
« Les mangas peuvent aussi être lus de façon illicite à grande échelle : les services
proposant des copies non autorisées, des scantrads101, sont foisonnants et très
organisés. […] Toute l’originalité des pratiques d’accès illicites des mangas est que
le scantrad n’est pas forcément un frein aux ventes papier. En effet, si les lecteurs
aiment réellement une série, ils n’hésiteront pas à l’acheter en format physique
après l’avoir lue sous forme de scantrad. […] Si les usages illicites n’ont pas
forcément un impact négatif sur les ventes physiques, ils posent un réel problème
pour le développement de l’offre légale dématérialisée. »
100
Notons que cette initiative se défend d’être une campagne anti-scantrad, mais adopte une approche
beaucoup plus constructive, qu’il faut saluer : « La problématique du piratage de mangas en France, sujet
inflammable, est très complexe et relève de plusieurs facteurs. Aussi, nous avons choisi une démarche
bienveillante et inclusive, ni agressive envers la scantrad ni moralisatrice. C’est en rassemblant l’immense
communauté de lecteurs de mangas que nous pourrons arriver à un système meilleur. »
101
Ce terme consacré, « scantrad », est un mot-valise construit à partir de « scan + traduction », en écho à
l’anglo-saxon « scanlation » (de « scan + translation »).
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 73
Explorant la question particulière de ces traductions pirates à l’occasion de l’annonce de
#WeLoveManga, l’enquête menée par Arthur Bayon pour Le Figaro rejoint sur beaucoup
de points le constat établi par l’Hadopi. Outre le fait que la fameuse riposte graduée ne
concerne pas le manga, du fait de la faiblesse des chiffres constatés102, il ressort que
l’impact réel se situe ailleurs :
« Est-ce que le scantrad nuit aux ventes de mangas papier ? Je ne le pense pas… ou
alors pas tant que ça », confie avec franchise Satoko Inaba de Glénat. « En
revanche, le piratage freine le développement du marché numérique légal, qui a
beaucoup de mal à démarrer. »
Depuis 2014 et les premiers pas de Kana avec Naruto, plusieurs éditeurs proposent
désormais des chapitres de mangas en « simultrad », à un prix généralement inférieur à
1 €103, permettant de satisfaire les lecteurs les plus impatients. Dans son étude, l’Hadopi
évoque les deux principaux axes qu’elle entrevoit pour favoriser le développement de la
bande dessinée dématérialisée :
Deux obstacles y sont également évoqués, à savoir la politique du prix unique du livre
numérique (l’offre légale étant perçue comme chère, faut-il adapter la loi au
numérique ?) et la multiplicité des modèles en vigueur (qu’ils soient économiques ou
techniques), qui rend la navigation de l’offre contre-intuitive. Sur ce dernier point,
l’Hadopi recommande le modèle de l’abonnement, qui, jusqu’ici, est très largement
minoritaire au sein des plateformes disponibles.
Après plusieurs années d’atermoiement, les éditeurs semblent s’être armés des outils
nécessaires pour la pérennité d’une offre numérique légale. Ne reste plus qu’à
transformer l’essai.
102
Nous citons l’article : « « Les volumes ne sont pas assez significatifs pour que le parquet intervienne »,
nous explique Pauline Blassel, la secrétaire générale, avançant le chiffre de 440 000 visiteurs uniques
mensuels sur les sites de scantrad, « fourchette basse », qui ne comptabilise pas les échanges en « peer-to-
peer » (torrents, notamment) ou via des clients de discussions instantanées. »
103
A l’heure où nous écrivons, la plateforme Izneo propose environ 120 séries à l’achat dans ce format.
Souvent, les premiers chapitres sont consultables gratuitement, imitant en cela le modèle de « freemium »,
pratiqué pour les webtoons coréens ou les « LINE Manga » japonais.
74 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
LES GRANDS SEGMENTS
DU MARCHÉ
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 75
76 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Mangas
Régulièrement, la presse vient rappeler que la France est le « deuxième marché pour le
manga au monde après le Japon ». Si l’objet n’est pas ici de discuter de la réalité de
cette affirmation (au mieux optimiste), il ne fait aucun doute que les productions
japonaises se sont solidement installées au sein du paysage éditorial hexagonal depuis
une quinzaine d’années104. Leur arrivée s’est accompagnée de la création de magasins
spécialisés dans le manga, à l’exclusion de tout autre type de bande dessinée 105. Plus
généralement, on constate dans les rayons des librairies combien le manga s’est affirmé
comme catégorie à part, ne serait-ce que par l’adoption massive d’un format « poche »,
jusqu’ici largement délaissé par la bande dessinée franco-belge106.
GfK a identifié très tôt la particularité (et l’importance) de ce segment, n’hésitant pas à
donner comme titre au communiqué de presse annonçant son bilan 2006 sur le marché
de la bande dessinée : « entre sushis et moules frites » (sic), précisant dans le texte : «
aujourd’hui, plus d’une bande dessinée sur trois achetées sur le marché français est un
manga. […] Il serait faux de croire que manga rime avec bagarre de petits hommes aux
grands yeux écarquillés. […] Si la grande majorité des ventes de mangas se fait encore
sur des titres pour ados (Shonen), les séries pour filles (Shojo) ou les titres pour adultes
(Seinen) ont également une place importante sur le marché. »
Cette segmentation, calquée sur ce qui est en vigueur au Japon, se retrouve tant chez les
éditeurs que dans les échanges qui animent la communauté des fans de manga – même
si elle est souvent source de bien des désaccords. Pour résumer rapidement un débat
plutôt technique, s’opposent d’un côté, certains fans partisans de conserver la
classification japonaise originale (qui se fait selon la revue de publication), et de l’autre,
les éditeurs qui optent pour une classification française différente, correspondant mieux
selon eux au public auquel l’œuvre pourrait s’adresser. Cette problématique toucherait
particulièrement les publications destinées à un lectorat féminin, où serait reclassé en
seinen tout titre shōjo aux thématiques un peu sérieuses, résultant en une catégorie
shōjo caricaturale très éloignée de la richesse de son équivalent japonais107.
104
C’est en effet à partir de 2005 que l’on observe un investissement massif des éditeurs français sur le
segment, au point que Gilles Ratier évoquait « l’année de la "mangalisation" » dans son rapport annuel, en
détaillant cette progression importante : « Parmi les 2701 nouveautés BD parues en 2005 (2120 l’an
dernier), 1142 BD asiatiques ont envahi les librairies francophones et représentent 42,28 % du secteur. En
1994, seulement 19 mangas étaient traduits sur le territoire francophone européen, en 2000 il y en avait
227, puis 269 en 2001, 377 en 2002, 521 en 2003 et 754 en 2004 […]. »
105
On notera cependant que ces boutiques embrassent une sorte de « culture manga », et proposent
souvent des ouvrages ayant trait à des aspects aussi divers que la mode, la cuisine japonaise et les dessins
animés.
106
Sur les tentatives avortées d’installer un format « poche » en bande dessinée, on se reportera à l’article
de Sylvain Lesage, « L’impossible seconde vie ? Le poids des standards éditoriaux et la résistance de la bande
dessinée franco-belge au format de poche » (Comicalités, 2011).
107
L’article « L’ambiguïté du "shōjo" » de Gemini (du9, 2019) explore dans le détail ces problématiques.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 77
Lectorat MANGAS
Si les premières apparitions du manga en France remontent probablement à quelques
pages dans la revue Budo Magazine en octobre 1969, ce n’est véritablement qu’à partir
de la publication d’Akira par Glénat, en 1991, que le genre va exister commercialement
dans l’Hexagone. Cette introduction, relativement récente au regard de l’histoire des
autres traditions de bande dessinée en France, explique le caractère véritablement
générationnel qui ressort des études sur le lectorat :
« [L]a courbe des taux de lecture de mangas revêt quelques similarités avec celle
des comics. Se retrouve notamment un décrochage net à partir de 40 ans, la part
des lecteurs de mangas parmi les lecteurs de BD chutant aux alentours des 10 %. »
(La lecture de bande dessinée en France, BPI/DEPS/SLL – TMO Régions, 2011)
L’étude publiée en 2020 par le CNL complète ce profil, en soulignant tout d’abord un
lectorat de manga très masculin (64 % d’hommes au sein du lectorat adulte), et ce de
manière encore plus affirmée qu’au sein de la bande dessinée en général (60 %
d’hommes). Cette situation se retrouve également au sein du lectorat enfant (61 % de
garçons pour le manga, contre 56 % pour la bande dessinée en général) et contredit
l’idée généralement acceptée d’un segment manga qui aurait fortement contribué à la
féminisation du lectorat, par l’introduction d’une offre spécifiquement destinée aux
filles (shōjo). De fait, moins d’un tiers des lecteurs de manga (29 % des enfants / 31 %
des adultes) déclare lire du shōjo, loin derrière la domination écrasante du shōnen (76 %
des enfants / 72 % des adultes), et derrière le seinen (39 % des adultes, la modalité de
réponse n’ayant pas été proposée pour les enfants).
Les deux études se retrouvent également sur l’attachement très fort que suscite le
manga pour ses lecteurs :
« Les mangas sont moins lus que d’autres genres par les lecteurs de BD mais
lorsqu’ils sont lus, c’est dans des volumes plus importants que les autres genres. »
(La lecture de bande dessinée en France, BPI/DEPS/SLL – TMO Régions, 2011)
« Quel que soit l’âge, les mangas suscitent un fort enthousiasme chez tous ceux
qui en lisent. »
(Les Français et la BD, CNL/Ipsos, 2020)
Cependant, l’étude de 2020 met en lumière un élément qui ne ressortait pas des
résultats de l’étude de 2011 : contrairement à l’ensemble du lectorat de la bande
dessinée, qui se trouve de manière marquée au sein de foyers CSP+ (43 %), « les lecteurs
de mangas sont plus nombreux à vivre dans des foyers CSP- (44 %) »108. Il semblerait
donc que le manga soit en train de renouer avec une partie du lectorat populaire, dont
la bande dessinée en général s’est coupée, en opérant sa transition de la presse vers le
livre109 à la fin du XXe siècle.
108
Pour référence, Ipsos répartit les foyers en trois catégories pour cette étude : CSP+ (37 % des foyers),
CSP- (34 %) et Inactif (29 %).
109
Sur cette évolution historique et la création du standard de l’album, les deux ouvrages de Sylvain Lesage
constituent une somme inestimable : Publier la bande dessinée : les éditeurs franco-belges et l’album
(Presses de l’ENSSIB, 2018) et L’effet livre : métamorphoses de la bande dessinée (PUFR, 2019).
78 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Taux de lecteurs par genre en fonction de l’âge
Base : étude « Les Français et la BD » (CNL/Ipsos, 2020)
L’étude de 2011 avait exploré en profondeur les pratiques de lecture et dressé une
cartographie passionnante des différentes populations de lecteurs. On y découvrait
notamment un lectorat manga très impliqué, et organisé autour d’un noyau de gros ou
très gros lecteurs, réduit mais très actif. En schématisant, on aurait les très gros lecteurs
à plus de 120 volumes annuels (ou une vingtaine de séries) ; les gros lecteurs à 48
volumes annuels (ou huit séries) ; et le reste des lecteurs autour de 12 à 20 volumes
(deux ou trois séries). L’étude de 2020 ayant choisi d’explorer d’autres aspects du
rapport à la lecture de bande dessinée, il ne nous est pas possible d’actualiser cette
analyse, même si plusieurs indicateurs semblent aller dans le même sens.
Enfin, il faut souligner combien les communautés de fans de mangas ont, dès la
première heure, fortement investi les espaces de discussion en ligne. L’enquête de 2011
soulignait cette propension à consulter « des sites et forums qui parlent de bande
dessinée », plus fréquemment observée chez les lecteurs de manga (18 % des lecteurs)
que chez ceux de comics (12 %) ou d’albums (7 %). Ces gros lecteurs (qui forment le
noyau dur du marché manga) sont très impliqués et très bien renseignés – mais peuvent
aussi se montrer particulièrement actifs et mobilisés, notamment sur les réseaux
sociaux.
L’étude La Bande dessinée, une pratique culturelle de premier plan : qui en lit, qui en
achète ? (SNE – GfK, 2017) dressait ainsi le portrait des acheteurs de manga : 1,8 millions
d’acheteurs (soit quatre fois moins que pour la bande dessinée franco-belge), un âge
moyen de 33,8 ans (contre 40,7 ans pour l’ensemble de la bande dessinée), et un panier
annuel moyen de 57 € pour l’achat de 8 mangas (soit un panier supérieur à celui de
l’acheteur de bande dessinée franco-belge, de 43 € pour 3 albums). L’actualisation de
cette étude indiquait en 2019 des évolutions à la hausse : 1,9 millions d’acheteurs pour
le manga avec un panier annuel moyen de 64 € pour l’achat de 9 mangas.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 79
Acheteurs de bande dessinée MANGAS SHONEN SEINEN SHOJO Global
Nombre d’acheteurs 1,8M 1,1M 0,9M 0,4M 8,4M
Dépense moyenne annuelle sur le segment 57 € 50 € 32 € 37 €
Nombre de livres achetés en moyenne 8 7 4 5
Âge moyen des acheteurs 33,8 34,6 33,1 32,8 40,7
Part des 15-29 ans 34 % 35 % 36 % 31 %
Part de femmes 54 % 53 % 60 % 67 % 53 %
Achat pour soi 49 % 59 % 35 % 48 %
Source : étude SNE/GfK, 2017. Ventes de livres physiques neufs pour l’année 2016
Marché MANGAS
Modèle périodique
L’évolution du marché du manga en France tient en grande partie à la spécificité du
format éditorial qu’il a introduit en librairie : le format périodique. En mars 1990, Glénat
commence à publier Akira en kiosque sous la forme de petits fascicules. Néanmoins, il
ne s’agit pas là d’une création, mais de la seule traduction d’une version américaine110.
La véritable création sera Dragon Ball, également publié en kiosque par Glénat en demi-
volumes mensuels à partir de février 1993. Certes, une publication périodique en
kiosque n’avait alors rien de novateur — c’était, depuis longtemps, le format adopté par
l’ensemble des revues de bande dessinée ou des « petits formats »111. La véritable
innovation est alors de transposer ce modèle à la librairie, dès mai 1993, avec la
publication bimestrielle régulière des volumes reliés de Dragon Ball.
Les années qui suivent (1994-1996) voient la plupart des éditeurs entrant sur le segment
adopter ce format périodique. Sur les 21 séries que nous avons pu répertorier sur cette
période, la moitié sont bimestrielles, les autres étant pour la plupart mensuelles ou
trimestrielles112. À l’époque, il ressort fortement que cette stratégie de publication vise
avant tout à profiter au maximum de ce qui n’est alors considéré que comme une mode
éphémère. Avec la pérennisation du segment, le rythme bimestriel s’est imposé comme
un standard de publication.
110
Cette version colorisée par Steve Oliff et publiée en sens de lecture occidental par Marvel, par le biais de
e
son label Epic, sera interrompue au 31 numéro aux États-Unis, ce qui occasionnera en février 1992 l’arrêt
total de la parution de la version française. Les recueils cartonnés paraissent à partir de la fin 1990 avec une
périodicité irrégulière proche du trimestriel, mais connaîtront aussi une interruption. Il faudra attendre fin
1994 (et la mise en place d’une traduction à partir du japonais) pour voir paraître, avec un rythme annuel,
les trois derniers volumes reliés complétant la saga.
111
Les « petits formats » désignent les fascicules de bande dessinée vendus bon marché et édités au format
poche, généralement en noir et blanc. Représentant une bande dessinée de (mauvais) genre, ils sont
souvent écartés du périmètre considéré par les spécialistes de la bande dessinée.
112
Appleseed (Glénat) et Asatte Danse (Tonkam) étant les deux exceptions semestrielles. Notons également
que les débuts de Casterman sur le segment du manga, en 1995, ont combiné des titres tirés des
expériences de Kôdansha avec des auteurs occidentaux (comme L’autoroute du soleil de Baru), et de
véritables productions japonaises (dont L’homme qui marche de Taniguchi Jirô). La périodicité erratique des
séries comme Gon ou L’habitant de l’infini (deux sorties consécutives pouvant être espacées de plus d’un
an) résulte plus d’une faible implication de l’éditeur que d’une véritable volonté éditoriale. Il est assez
symbolique que Casterman soit, un quart de siècle plus tard, l’éditeur de premier plan le moins présent sur
le segment du manga.
80 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Répartition des parutions en fonction du rythme de parution
Base : titres figurant dans la base Dilicom et recensés par GfK
De fait, en 2010, près d’un tiers (32 %) des sorties étaient espacées de deux mois,
correspondant au pic nettement visible sur la courbe ci-dessus. L’ensemble du segment
manga présentait alors une durée médiane de 70 jours entre la parution de deux
volumes d’une même série.
Pour les éditeurs, ce modèle périodique présente de nombreux avantages. Tout d’abord,
on y retrouve les dynamiques connues de la série. En effet, à la différence de ce qui s’est
passé aux États-Unis, ce sont les éditeurs en place (les éditeurs de séries de bande
dessinée franco-belge) qui se sont installés très tôt sur le segment du manga : sur un
marché où les one-shots restent toujours difficiles à vendre, le format de la série est plus
rassurant. De plus, le rythme bimestriel ou trimestriel permet quatre à six sorties
annuelles, loin de la sortie annuelle (au mieux) des grandes séries franco-belges.
113
En fonction de la revue dans laquelle une série est publiée (hebdomadaire, bimensuel, mensuel,
bimestriel, etc.), les rythmes de parution des recueils au Japon varient énormément. Dans le cas des grandes
séries shōnen, généralement publiées dans des hebdomadaires, les recueils sortent tous les trois mois et
demi à quatre mois – soit généralement trois volumes annuels, et quatre les années fastes.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 81
Dans le cas d’un succès, les sorties rapprochées assurent des ventes soutenues,
auxquelles s’ajoute la dynamique d’« acquisition » (cf. page 36) qui voit le recrutement
de nouveaux lecteurs, désireux de rattraper leur retard. À l’inverse, un éditeur peut
décider d’augmenter le rythme de publication d’un titre qui battrait de l’aile, pour sortir
les tomes restants et s’acquitter au plus vite de ses obligations contractuelles vis-à-vis
des éditeurs japonais.
Production
82 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Part des titres disponibles début 2021 selon l’année de sortie
Base : titres figurant dans la base Dilicom et recensés par GfK
Clé de lecture : les courbes indiquent la part des titres parus durant une année donnée qui sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. Par exemple : « 40 % des titres parus en 2010 sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. »
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 83
Croissance
Sur la décennie, l’évolution des ventes des MANGAS se décompose en deux phases :
114
Observateurs dont nous faisions partie. Cf. par exemple notre article « Le manga en France », publié sur
du9 en 2012.
84 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Ces trois catégories connaissent des situations très contrastées (cf. tableau ci-dessous).
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 85
La domination du SHONEN se retrouve parfaitement retranscrite au sein des meilleures
ventes : sur les 100 séries les plus vendues sur 2010-2020, plus des deux tiers (67 séries)
relèvent du SHONEN, loin devant le SEINEN (21 séries) et le SHOJO (12 séries).
Cependant, cette vision à l’échelle d’une décennie dissimule des dynamiques très
contrastées selon les sous-segments, comme le révèlent les courbes de production et de
ventes sur la période 2010-2020 :
• Le sous-segment SEINEN se développe, avec une offre plus que doublée entre
2010 et 2020 (+115 %), tout en enregistrant des performances commerciales
très honorables (+144 % en volume) ;
L’examen des ventes initiales du premier tome des séries lancées sur la période 2010-
2020 illustre encore ce rapport de forces : sur près de 1 500 nouvelles franchises sur la
période, seul le sous-segment SHONEN permet d’avoir des titres dépassant les 30 000
exemplaires ; la meilleure performance pour un titre SHOJO se situant autour de 12 000
exemplaires, pour Bloody Kiss (Glénat, 2010).
86 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Le revirement opéré par les MANGAS au milieu de la décennie écoulée, et en particulier
concernant les séries SHONEN, s’explique lorsque l’on examine la structure du segment.
Au début de la décennie, le segment était très concentré sur trois séries (One Piece,
Naruto et Fairy Tail), seules à dépasser le cap des 500 000 exemplaires vendus dans
l’année. Ce trio contrôlait alors un quart (24,7 %) des ventes totales de MANGAS en
volume.
Or, la publication de ces trois titres a connu plusieurs changements importants. L’édition
française de Naruto (Kana), tout d’abord, a rattrapé l’édition japonaise en 2011 (voyant
son rythme annuel passer de six titres à trois), avant d’arriver à sa conclusion en
novembre 2016. À la différence de Kana et son Naruto, Glénat avait anticipé le
rattrapage de la publication japonaise de One piece et ralenti le rythme des sorties à 4
par an. De plus, suite à un changement de traduction, les soixante premiers tomes de
One Piece ont été réédités entre 2013 et 2014, permettant de redynamiser l’ensemble
des ventes de la série. Enfin, Fairy Tail (Pika) s’est conclu en juin 2018. La combinaison
de ces facteurs aurait pu sérieusement remettre en question la santé du segment
MANGAS – et de fait, il enregistre en 2014 sa plus mauvaise performance (avec tout juste
11,7 millions d’exemplaires vendus), depuis que GfK publie des données sur le marché
de la bande dessinée.
Cependant, les années qui ont suivi cette mauvaise passe ont permis de mettre en place
les éléments nécessaires à progression remarquable que l’on peut constater depuis,
concluant la décennie avec trois années record (et 22,5 millions d’exemplaires vendus
en 2020). Le facteur déterminant semble être la transition d’un standard bimestriel vers
un standard trimestriel, contrainte par le rythme de publication des éditeurs japonais.
Cette évolution a entraîné une baisse significative des ventes des best-sellers (et plus
largement, du segment des MANGAS) sur la période 2013-2014, mais également mis en
place les conditions du renouveau du segment.
En effet, les éditeurs ont pu diversifier leur offre avec de nouvelles propositions, tout en
maintenant un niveau de parutions stabilisé – les séries « en cours » représentant
mécaniquement moins de sorties annuelles. Tout en continuant à suivre leurs séries
préférées, les lecteurs ont pu, quant à eux, diversifier également leurs lectures sans
devoir augmenter leur budget consacré aux MANGAS. Ce sont ces deux effets combinés
qui sont à l’œuvre et expliquent l’évolution du sous-segment SHONEN.
C’est ainsi que l’on a pu observer l’émergence d’autres séries best-sellers permettant
une meilleure stabilité du segment : L’Attaque des Titans (Pika, à partir de 2013), My
Hero Academia (Ki-oon, 2016), One-Punch Man (Kurokawa, 2016), Dragon Ball Super
(Glénat, 2017), The Promised Neverland (Kazé, 2018) et enfin Demon Slayer (Panini,
2019) ont réussi à leur tour à passer la barre symbolique du demi-million d’exemplaires
vendus dans l’année. De trois séries best-sellers en 2010, on est ainsi passé à huit en
2020. Cette situation se traduit par une modification de la forme de la « longue
traîne »115 du segment MANGAS, plus aplatie et avec des ventes mieux réparties.
115
Le concept de « longue traîne » a été popularisé en 2004 par Chris Anderson, alors rédacteur en chef de
la revue WIRED. La répartition des ventes selon la loi de Pareto (également appelé « principe des 80-20 »)
prend la forme d’une courbe qui s’écrase rapidement. Alors que les stratégies commerciales habituelles
visent à se concentrer sur la tête de la courbe pour profiter des best-sellers, Chris Anderson argumentait
que des opérateurs comme Amazon pouvaient tirer profit de la « longue traîne » des produits à faible
demande, qui peuvent collectivement représenter une part de marché plus importante que les best-sellers.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 87
Ensuite, il convient de rappeler combien les « vétérans » que sont Naruto, One Piece et
Fairy Tail continuent de maintenir un niveau important de ventes. Si One Piece bénéficie
toujours de la parution de nouveaux volumes, de leurs côtés, tant Kana que Pika ont
choisi de proposer les premiers tomes de leurs séries-fleuve à un prix réduit (3 €), pour
recruter de nouveau lecteurs. C’est ainsi le cas pour les trois premiers volumes de
Naruto depuis 2016, et pour les cinq premiers volumes de Fairy Tail depuis 2018.
Cette stratégie est d’autant plus marquante que le segment MANGAS est sans conteste
celui qui présente l’homogénéité la plus forte au niveau des prix pratiqués, pour les
titres apparaissant au sein des tops 5 000 annuels à notre disposition. Près de neuf
mangas sur dix (88 %), vendus entre 2010 et 2020, sont dans une fourchette de prix
allant de 6 à 8 €. De fait, le prix moyen constaté pour l’ensemble du segment s’inscrit à
7,48 € et n’affiche qu’une progression modeste de 8,2 % sur la décennie.
Cette augmentation du prix moyen, qui s’opère essentiellement entre 2010 et 2015, est
simplement mécanique, et correspond à la modification par les éditeurs du prix de leurs
références ; évolution que l’on peut suivre par le biais des grilles de prix réactualisées et
publiées par le SNE chaque année, en janvier et en juillet. Le choix de Glénat de passer le
prix de sa référence GL10 de 6,50 € à 6,90 €, en janvier 2011 (soit +6,2 %), a été suivi par
Kana, qui a ajusté à la hausse sa référence KA01 en deux temps, passant de 6,25 € à
6,75 € en janvier 2011, puis à 6,85 € en janvier 2012 (soit +9,6 % au total).
Or, il s’agit là respectivement des références de One Piece et Naruto, qui déterminent en
quelque sorte le standard de prix pratiqué sur le marché. Bien sûr, l’importance de ces
deux séries fait que cette évolution à la hausse du prix impacte l’ensemble du segment :
à eux seuls, One Piece et Naruto contribuaient à plus d’un point d’augmentation du prix
moyen du segment entre 2010 et 2015 (+8,8 % constaté, qui aurait été ramené à +7,7 %
si les titres de ces deux séries étaient restés à leur prix de 2010).
Saisonnalité
88 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Ventes moyennes des nouveautés BD DE GENRES au 31 décembre
selon le mois de sortie sur la période 2010-2019
Base : titres figurant dans les tops 5000 annuels de GfK
Clé de lecture : la courbe continue indique les ventes moyennes réalisées par les parutions d’un mois donné
au 31 décembre de l’année de leur parution. Par exemple : « un manga sorti en avril vend en moyenne
7 000 exemplaires au 31 décembre de la même année ». Les lignes pointillées délimitent une bande d’un
écart-type de part et d’autre de la moyenne. Dans le cadre d’une distribution dite « normale », cette zone
concentre plus de 68 % des valeurs.
Marché de « flux », le segment MANGAS montre une saisonnalité assez peu marquée,
tant au niveau des sorties de titres qu’au niveau des ventes. L’impact de Noël en fin
d’année est visible, mais contrebalance simplement le « creux », sans doute lié à la
rentrée scolaire, que l’on observe sur septembre-octobre. La courbe des ventes
moyennes des nouveautés116 à fin décembre, en fonction de leur mois de sortie pour la
période 2010-2019, illustre bien un fonctionnement en régime établi, sans qu’une
période semble plus propice qu’une autre – contrairement à ce qui se passe sur le
segment de la BD DE GENRES, où la fin d’année apparaît comme des plus cruciales.
Par ailleurs, malgré son importance croissante au fil des ans117, la grand-messe de Japan
Expo, début juillet, ne semble pas avoir d’impact notable, ni sur les sorties ni sur les
ventes118. Dans le détail, on constate un « effet d’opportunité », qui voit les sorties de la
période juin-juillet plus ramassées autour des dates de Japan Expo, mais dont l’influence
reste marginale par rapport au roulement régulier qu’instaure un système basé sur une
périodicité bimestrielle.
116
Limitées aux titres figurant au sein des tops 5 000 annuels à notre disposition.
117
L’édition 2019 de Japan Expo avait attiré 252 500 personnes sur quatre jours (du 4 au 7 juillet), au parc
des expositions de Paris-Nord Villepinte. La pandémie de la Covid-19 a entraîné l’annulation de l’édition
2020, ainsi que de l’édition 2021 de la manifestation.
118
Notons que les chiffres collectés par GfK ne couvrent pas les ventes réalisées durant la manifestation,
comme c’est le cas pour l’ensemble des ventes réalisées en salon ou festival.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 89
La gestion de Dragon Ball par Glénat représente un cas d’école : première édition en
1993, version double en 2001, deuxième édition en sens de lecture japonais en 2003
(avec sa version « de luxe » commercialisée en coffret de deux volumes), puis version
« perfect » en 2009 et enfin version « grand format » en 2018. Des approches similaires
sont observables sur nombre d’autres séries à succès, comme Death Note (Kana,
première édition en 13 volumes sur 2007-2009 / édition spéciale en 6 volumes sur 2010-
2011) ou FullMetal Alchemist (Kurokawa, première édition en 27 volumes sur 2002-2011
/ version double en 13 volumes sur 2012-2015 / version « perfect » en 17 volumes
débutant en 2020). Néanmoins, le bénéfice de ces opérations reste modeste au regard
du succès de la première édition : l’édition spéciale de Death Note ou la version double
de FullMetal Alchemist n’ont finalement généré que 6 % des ventes en volume réalisées
par leur première édition.
Distribution
Avertissement : les accords qui lient GfK aux distributeurs ne nous permettent pas de
rendre publiques les données de distribution de manière précise dans le présent rapport.
Du fait du poids du segment MANGAS au sein de la bande dessinée en général, il n’est pas
surprenant que la ventilation de ses ventes sur les différents circuits de distribution
s’approche de celle du Neuvième Art dans son ensemble. Tout juste observe-t-on un
léger avantage accordé aux grandes surfaces spécialisées et à l’ensemble « Librairies de
2e niveau + Internet + Autres », au détriment des Librairies de 1er niveau.
Réalisant près d’un cinquième des ventes en volume en 2010, les grandes surfaces
alimentaires ont vu leur importance divisée par deux sur les ventes de MANGAS pour
2019-2020. Très concentré sur les titres les plus porteurs et notamment sur le SHONEN
(qui y représente 83 % des ventes de MANGAS), ce circuit a particulièrement souffert du
fléchissement des MANGAS sur 2013-2015, voyant ses ventes en volume reculer de 32 %
entre 2010 et 2015. Pour référence, sur la même période, l’ensemble des MANGAS
enregistrait un -11 %. Mais alors que le segment a amorcé une reprise spectaculaire sur
la deuxième moitié de la décennie (+75 % entre 2015 et 2020), les GSA n’en ont que très
partiellement profité, avec un modeste +32 % qui voit 2020 s’établir en deçà des niveaux
de vente de 2010 (-9 %), dans un contexte pourtant globalement très positif (+57 % pour
l’ensemble des MANGAS).
De fait, s’il y a eu un positionnement très clair sur les best-sellers établis au début de la
décennie, les GSA ont ensuite délaissé les nouvelles franchises qui ont participé à la
reprise du segment. Ainsi, sur 2010-2015, les GSA représentaient plus du tiers des
ventes en volume pour Naruto, One Piece, pour Dragon Ball et Pokémon, soit un poids
individuel nettement supérieur à celui des GSA dans les ventes en volume et en valeur
pour l’ensemble du segment MANGAS (écart de 17 points en moyenne). En revanche, la
situation est radicalement différente sur 2019-2020, avec une part des GSA inférieure à
un quart pour la plupart des best-sellers, l’ensemble du segment MANGAS ne réalisant
plus qu’un peu plus d’un dixième de ses ventes dans ce circuit.
90 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Acteurs du segment MANGAS
Les bilans annuels de Livres Hebdo consacrés à la bande dessinée publient depuis 2014
les parts de marché des principaux éditeurs de MANGAS, sur la base de données GfK. Sur
la période 2014-2019119, on observe une hiérarchie plus ou moins établie, avec Glénat
en numéro 1 incontesté. Derrière, le duo Pika-Kana est devenu un trio avec la forte
progression de Ki-oon, boosté par les performances de My Hero Academia.
Une des caractéristiques marquantes du segment MANGAS réside dans le fait que chaque
éditeur du top 6 reste très dépendant de sa série best-seller, qui représente entre 40 %
et 45 % de ses ventes constatées en volume. Sécuriser une telle série apparaît donc
essentiel pour un éditeur, tant son importance est grande : l’intégralité de la croissance
de Ki-oon ou de Kurokawa depuis 2016 peut être respectivement attribuée à My Hero
Academia et One-Punch Man.
119
Nous ne disposons malheureusement pas des données pour 2020, les parts de marché par éditeur pour
le segment MANGAS ne figurant pas dans le bilan annuel de Livres Hebdo pour cette année.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 91
Contribution de My Hero Academia aux ventes constatées en volume de Ki-oon
Base : titres figurant au sein des tops 5 000 annuels de GfK
92 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Comics
Définir ce que recouvre le terme « COMICS » n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Le
terme, qui désigne outre-Atlantique la bande dessinée dans son ensemble, est utilisé en
France pour évoquer la production du monde anglo-saxon. A l’instar de GfK qui ne
fournit ni définition, ni explication sur la manière dont sont ventilés les titres sur les
segments de l’univers « bande dessinée », on pourrait dire que l’« on sait de quoi on
parle » et que la seule provenance géographique suffirait à déterminer ce qui relève, ou
pas, des « COMICS ».
Dans les faits, c’est bien cette deuxième option (moyennant quelques ajustements) qui
semble avoir été retenue par GfK, opérant la classification suivante :
On peut y voir, en filigrane, la manière dont s’articule l’offre éditoriale aux États-Unis :
d’un côté, les productions « mainstream » des grands éditeurs (Marvel et DC en tête), de
l’autre, les productions alternatives (qui désormais se déclinent aussi au sein des
grandes maisons d’édition de littérature, comme Pantheon). Pour résumer : sont classés
en « COMICS » par GfK la plupart des titres paraissant aux États-Unis en « floppies »
(petits fascicules d’une vingtaine de pages, à la parution généralement mensuelle) ; les
éditions françaises reprenant généralement les recueils (« TPB » ou « trade paperback »)
qui en sont tirés. Et comme les choses ne sauraient être aussi simples, il faut y ajouter
les quelques « comics à la française », comme les productions d’Ankama qui ont adopté
un format de publication comparable.
120
Détail assez parlant : le questionnaire de l’étude 2011 proposait plus loin « Des romans graphiques ou
des bandes dessinées alternatives (Persepolis, L'Ascension du Haut Mal, Nine Antico, Fabrice Neaud,
Baudoin)… », soit une sélection 100 % francophone pour cette catégorie.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 93
Lectorat COMICS
Les résultats de l’étude Les Français et la BD, publiés par le CNL en 2020, dressent le
portrait d’un lectorat de comics étant plutôt un lectorat de niche, avec des pratiques qui
s’inscrivent loin derrière celles des albums et mangas. Le genre ressort comme jeune (34
ans d’âge moyen, avec 61 % de moins de 35 ans et 36 % de moins de 25 ans), nettement
masculin et particulièrement implanté en Île-de-France : « En lien avec les pratiques de
lecture, l’appétence pour les comics semble se concentrer entre la préadolescence et le
début de la vie adulte. […] Le lectorat diminue ensuite régulièrement jusqu’à ce que ce
genre soit totalement ignoré par les seniors. »
94 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Ces conclusions rejoignent le portrait des acheteurs de comics établi dans l’étude La
Bande dessinée, une pratique culturelle de premier plan : qui en lit, qui en achète ? (SNE
– GfK, 2017)121 : 0,9 millions d’acheteurs (soit deux fois moins que pour le manga), un
âge moyen de 33,6 ans (contre 40,7 ans pour l’ensemble de la bande dessinée), à peine
40 % de femmes (contre 53 % pour la bande dessinée dans son ensemble), avec un
panier moyen annuel de 53 € pour l’achat de 4 comics (soit un panier comparable à celui
de l’acheteur de manga en valeur (à 57 €), mais deux fois moins important en volume,
du fait des politiques de prix respectives pratiquées pour chacun des deux segments).
Marché COMICS
En France, l’exploitation des COMICS s’est longtemps limitée aux ventes en kiosque, sous
la forme de petits fascicules vendus par Lug puis Semic, ne commençant à s’implanter
timidement en librairie qu’au tournant des années 2000 122. Cette approche a d’ailleurs
contribué à mettre en place une situation éditoriale particulière pour la production
américaine : si certains pans sont largement inexplorés, d’autres n’ont été abordés que
de manière parcellaire et souvent anarchique dans ces formats périodiques123. Peut-être
plus encore que pour les autres segments, cet angle mort sur les chiffres de ventes (qui
ne couvrent que les ventes de livres et n’intègrent donc pas les périodiques 124) soulève
un véritable problème d’estimation du poids réel du segment COMICS et de son évolution
récente.
De fait, la crise que traverse la presse papier depuis au moins une décennie a fortement
remis en question la viabilité des publications en kiosque. Les deux acteurs principaux
sur le segment COMICS, que sont Panini et Urban Comics, ont tous deux repositionné leur
offre en direction de la librairie (respectivement en juillet 2018 et en mai 2020). La
progression observée au sein des chiffres produits par GfK est donc à relativiser,
correspondant probablement en partie à un report des achats du kiosque vers la
librairie, sans qu’il soit possible d’en déterminer la contribution réelle.
De plus, du fait de sa taille modeste en regard des autres segments (4,4 % des ventes
totales de bande dessinée en volume, pour 5,8 % en valeur, sur la période 2010-2020),
les données à notre disposition ne nous donnent qu’une couverture très partielle des
ventes individuelles : en effet, les comics figurant au sein des tops 5 000 annuels ne
représentent en moyenne que 62 % des ventes en volume et 58 % des ventes en valeur
du segment dans son ensemble (contre respectivement 79 % et 76 % pour l’ensemble
du marché de la bande dessinée, tous segments confondus). La « part immergée » y est
donc plus importante.
121
La deuxième édition de cette étude, portant sur les acheteurs-lecteurs et conduite en 2019 par GfK pour
le SNE (La Bande dessinée, variété et richesse), fait un focus sur la bande dessinée patrimoniale et les
mangas, mais n’évoque la question des comics que très rapidement, dans une unique diapositive détaillant
la répartition du marché par segment.
122
L’article de Yaneck Chareyre, « Qui a tué le comics kiosque en France ? » (Zoo, 2020) offre une
perspective historique de cette implantation en librairie.
123
Bien souvent ce type de publication regroupe l’équivalent de deux numéros des fascicules américains, et
va piocher au sein des multiples publications mensuelles consacrées à un même héros ou groupe de héros.
124
Comme nous l’avons évoqué précédemment (partie « presse » dans le chapitre consacré à la bande
dessinée dans son ensemble), le dépôt légal rencontre un problème similaire, en traitant à part les
périodiques, mais avec un recensement « sec », qui se limite à noter l’existence d’un titre avec sa
périodicité, mais sans indication des numéros véritablement publiés.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 95
Enfin, avec un lectorat plutôt jeune et urbain (donc avec un accès plus aisé à des
librairies spécialisées en import125), ainsi qu’une barrière linguistique moins importante
que pour les mangas, il est également légitime de s’interroger sur la part des lecteurs qui
se tourneraient vers la version originale. À notre connaissance, il n’existe aucune étude
qui aborde ce sujet.
Croissance
Néanmoins, après une progression plutôt soutenue sur 2010-2016, le segment COMICS
semble s’être stabilisé depuis trois ans, autour d’un chiffre d’affaires de l’ordre de 43
millions d’euros, ayant doublé – tant en volume (+128 %) qu’en valeur (+108 %) – au
cours de la décennie. Plusieurs facteurs viennent expliquer cette évolution :
125
Ou plus simplement, le recours à une plateforme en ligne comme Amazon, qui propose un large éventail
de livres en anglais.
126
Cf. « Les comics envahissent les bacs des libraires », David Barroux, Les Échos, 25 avril 2012.
96 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
À elle seule, sur la période 2010-2020, la série représente un exemplaire vendu
sur six sur le segment COMICS et truste les 27 premières places du top des
ventes. Hors publications à prix cassés, les 32 volumes de la série se trouvent
dans le top 36127.
• Enfin, depuis 2018, le lancement par Panini de collections à prix cassés (2,99 €)
destinées spécifiquement aux GSA (34 références dans les données à notre
disposition) et qui représentent des volumes très conséquents : près d’1,5
million d’exemplaires cumulés sur 2018-2020 – soit 4,6 % des ventes totales du
segment COMICS en volume pour 2018, 7,2 % en 2019 et pas moins de 10,4 % en
2020.
Ces trois éléments sont responsables d’une large part de la progression des ventes en
volume du segment COMICS (cf. graphique ci-dessous) : avec eux, le segment progresse
de 127 % entre 2010-2020 ; sans eux, la progression tombe à +9,7 % pour la même
période. Cependant, l’importance de la « partie immergée » du segment (c’est-à-dire
non couverte par les tops 5 000 annuels à notre disposition) ne nous permet pas
d’explorer plus avant les raisons de cette (modeste, certes) évolution à la hausse.
127
Seuls intrus venant perturber la mainmise des zombies sur les meilleures ventes : Watchmen, The Killing
Joke et les deux premiers tomes du Batman de Scott Snyder : La Cour des Hiboux /La Nuit des Hiboux.
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 97
Distribution
Avertissement : les accords qui lient GfK aux distributeurs ne nous permettent pas de
rendre publiques les données de distribution de manière précise dans le présent rapport.
Sur le segment COMICS, on observe une pratique de prix plus élevée que sur les autres
segments et qui se cristallise autour de trois niveaux de prix : 13 €-15 € (41 % des ventes
en volume), 18 €-19 € (9 % des ventes en volume) et 22 €-23 € (4 % des ventes en
volume). Ce positionnement est contrebalancé par les collections à prix réduit, autour
de 3 € (9 % des ventes en volume, mais concentré sur 2018-2020) et de 5 €
(correspondant à une série de sorties à couverture souple chez Panini sur 2016-2017,
puis de sorties à couverture souple chez Urban Comics en 2020, dans le cadre de leur
« opération été »).
Le cas de Walking Dead est cependant une bonne illustration de la manière dont les GSA
se positionnent sur les titres à fort potentiel : alors que la série ne représentait que
1,6 % des ventes de COMICS en volume au sein de ce circuit en 2010 (contre près de 11 %
tous circuits confondus), la situation change radicalement, à partir du moment où elle
devient un phénomène éditorial. En 2013 et 2014, Walking Dead représente désormais
25 % des ventes de COMICS en volume en France, tandis que son poids en GSA est encore
plus important : 63 % en 2013 et 58 % en 2014. Alors que la série se dirige vers sa
conclusion, les choses vont progressivement rentrer dans des proportions plus
raisonnables, tout en montrant un surinvestissement marqué des GSA : sur 2010-2020,
Walking Dead y représente 31 % des ventes totales de COMICS, contre 17 % tous circuits
confondus (hors titres à prix cassés).
Décomposition des ventes en volume du segment COMICS dans le circuit des GSA
Base : données GfK
98 PANORAMA DE LA BD EN FRANCE
Acteurs du segment COMICS
Comme nous venons de l’évoquer, les COMICS sont relativement mal représentés au sein
des tops 5 000 annuels à notre disposition, laissant une trop grande zone d’ombre pour
pouvoir se pencher en détail sur les performances des différents éditeurs. On constate
cependant que le trio Panini-Urban Comics-Delcourt se détache très nettement des
autres éditeurs, réalisant chacun des ventes de l’ordre de quatre à cinq millions
d’exemplaires entre 2010 et 2020. Pour référence, Ankama se situe en quatrième
position avec tout juste 300 000 exemplaires.
Clé de lecture : les courbes indiquent la part des titres parus durant une année donnée qui sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. Par exemple : « 40 % des titres parus en 2010 sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. »
PANORAMA DE LA BD EN FRANCE 99
On a vu précédemment combien Walking Dead a dominé le segment COMICS, propulsant
son éditeur, Delcourt, en tête du classement entre 2012 et 2015, alors que la série était
à son apogée. Sans surprise, on constate qu’elle représente à elle seule pas moins de
85 % des ventes constatées en volume pour l’éditeur français. Alors que Robert Kirkman
a mis fin à la saga de zombies en juillet 2019 (le volume 32 paraissant en France en
octobre de la même année), Delcourt doit s’interroger sur « l’après », sachant que
l’impact du passage de la vague s’est déjà fait ressentir sur les ventes : par rapport au pic
de 2014, les ventes constatées en 2020 sont en recul de 70 %, établissant l’éditeur en
distant troisième du segment.
Devenu deuxième acteur du segment en 2013 (soit sa deuxième année d’existence !),
Urban Comics doit son succès à une stratégie agressive et à un nombre de nouveautés
conséquent : débutant son activité avec plus de 120 titres en 2012, sa production s’est
stabilisée depuis autour de 150 titres annuels128. En s’appuyant sur des titres reconnus
(Watchmen et V pour Vendetta en tête, mais également Batman), Urban Comics a
rapidement construit un catalogue attractif. Cependant, il semble que les ventes se
soient stabilisées autour de la barre des 500 000 exemplaires vendus par an –
rencontrant, au même titre que Panini, des difficultés à attirer un public plus large.
Les opérations à prix réduit de ces dernières années (3 € pour Panini sur 2018-2020 ; 5 €
chez Urban Comics en 2020) montrent que les éditeurs ont bien conscience de ce besoin
de recruter de nouveaux acheteurs / lecteurs, mais on peut s’interroger sur la solution
choisie, tant elle est déconnectée de la réalité du segment COMICS. Il est en effet peu
probable qu’un lecteur ayant acheté un titre en supermarché à 3 € ou 5 € soit enclin à
poursuivre son exploration en librairie en déboursant 15 € pour un ouvrage comparable.
Rappelons que les études sur le lectorat ont confirmé, à chaque fois, que si le prix est un
facteur limitant pour les lecteurs déjà investis dans la pratique, la principale barrière au
recrutement de nouveaux lecteurs est le manque d’intérêt. Il est donc très possible que
ces collections à prix réduit aient connu un tel succès, essentiellement par l’effet « achat
d’aubaine » qu’elles représentaient pour des personnes faisant déjà partie du lectorat
de COMICS.…
C’est peut-être d’ailleurs le paradoxe le plus étonnant pour ces deux éditeurs, qui
exploitent des licences au succès indéniable sur grand écran : la popularité des super-
héros, portée par les films-record de Marvel Studios et, dans une moindre mesure, par
les efforts mitigés de DC Studios, ne se traduit pas dans les ventes des bandes dessinées
qui les ont vus naître. Il est vrai que les films en question ne s’appuient que rarement sur
un titre en particulier, mais puisent plutôt dans la mythologie globale des personnages.
Il est alors plus difficile d’orienter le lecteur novice attiré par l’un de ces blockbusters,
face à une production qui a toujours favorisé un développement narratif tentaculaire.
128
Ou 200 titres annuels, en incluant les titres sortis sous le label « Urban Comics Presse ».
Sans aucun doute, le segment BD DE GENRES est celui dont l’appellation est la plus
trompeuse, puisque c’est ici que l’on retrouve non seulement la bande dessinée « de
genre », mais également la bande dessinée « d’auteur », pour reprendre ce distinguo
propre au cinéma. En fait, il apparaît surtout que sa définition s’établit en creux,
regroupant tout ce qui n’est pas BD JEUNESSE, MANGAS ou COMICS. Le nombre de sous-
segments qu’il comporte (pas moins de dix, soit plus que ceux des trois autres segments
réunis) atteste de formes et de contenus très hétéroclites.
Belle illustration de cette appellation aux contours mal définis : c’est le premier volume
de la saga autobiographique de Riad Sattouf, L’Arabe du Futur, bande dessinée d’auteur
par excellence (et d’ailleurs catégorisée comme telle dans la base Dilicom), qui est la
meilleure vente du segment BD DE GENRES entre 2010 et 2020, avec près de 700 000
exemplaires vendus. Certes, lorsque l’on considère les franchises les plus vendeuses du
segment, on retrouve un paysage bien plus habituel : Blake et Mortimer, XIII, Largo
Winch ou Thorgal, qui correspondent mieux à cette idée de BD DE GENRES, généralement
publiés dans le format « 48CC »130.
Cet apparent paradoxe met en lumière la tension qui existe entre deux modèles
éditoriaux radicalement différents :
129
Ou, si l’on veut se monter encore plus précis, « une tradition stylistique associée à une origine
géographique ».
130
Cette appellation, introduite par Jean-Christophe Menu dans son ouvrage Plates-Bandes (L’Association,
2005), désigne le standard industriel de l’album de bande dessinée, « 48 pages cartonné couleurs ».
Rapidement, elle en est venue à désigner l’ensemble des albums traditionnels de bande dessinée, sans se
limiter à une pagination exacte.
Cependant, une particularité ressort, à savoir l’implantation plus marquée des lecteurs
d’albums au sein des foyers CSP+ : 45 % pour les adultes et 54 % pour les enfants132. Or,
on sait l’importance de la transmission dans la constitution du goût pour la lecture de
livres en général et pour la bande dessinée en particulier, comme le relève l’étude 133 :
131
Dans le cadre des études portant sur le lectorat de la bande dessinée, les « albums » s’opposent aux
mangas et aux comics, et correspondent donc implicitement à la production francophone.
132
Rappelons qu’Ipsos répartit les foyers en trois catégories pour cette étude : CSP+ (37 % des foyers), CSP-
(34 %) et Inactif (29 %).
133
Cet aspect est également présent dans les résultats de l’enquête 2011, comme l’indique la note de
synthèse du DEPS : « L’enquête montre que la sensibilisation précoce à la bande dessinée favorise la pratique
à l’âge adulte, de même que le fait d’avoir eu des parents lecteurs de bandes dessinées : la probabilité d’être
lecteur soi-même est de 45 % en ce cas, de 18 % dans le cas inverse. »
L’étude précise par ailleurs : « Avec l’âge, l’approvisionnement en bande dessinée via les
parents diminue logiquement, pour être remplacé par l’achat personnel dès 16 ans. » À
la lumière de ces constats, et en considérant le profil de la répartition du lectorat par
âge selon les trois grands segments de bande dessinée (albums / comics / mangas), il
paraît plausible de considérer :
• d’une part, que les lecteurs adultes d’albums privilégient ce genre parce que
c’était le seul qui était disponible durant leur enfance, et que leurs goûts étant
établis, ils se montrent plus réticents à se tourner vers d’autres types de
bandes dessinées ;
• d’autre part, que les lecteurs enfants se tournent vers les albums parce qu’ils
sont faciles d’accès (tant au sein du foyer que dans d’autres lieux qu’ils
fréquentent134), dans une approche que l’on pourrait qualifier d’opportuniste,
avant d’aller vers d’autres genres à mesure que leurs référents évoluent
(connaissant généralement trois étapes : parents jusqu’à 6-8 ans, fratrie et
assimilés jusqu’à 10-12 ans, puis prédominance des pairs).
134
La note de synthèse du DEPS de 2012 indique ainsi : « D’une manière générale, les 11-14 ans cumulent les
moyens d’accès à la bande dessinée : ils sont tout à la fois les plus nombreux à déclarer procéder à des
achats, en emprunter à leur entourage à l’extérieur du foyer, et surtout à avoir recours aux bibliothèques.
62 % des lecteurs de bandes dessinées de cet âge déclarent être allés dans un de ces établissements pour lire
des bandes dessinées sur place (soit 30 points de plus que la moyenne des lecteurs de bandes dessinées qui
s’établit à 32 %), et 61 % pour en emprunter (contre 35 % pour l’ensemble des lecteurs). »
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses parutions au sein de la
production annuelle. Par exemple : « les parutions du mois d’octobre représentent 10 % des parutions
annuelles totales ».
Cette situation n’a rien de surprenant, puisque la plupart des grandes séries classées en
BD DE GENRES datent d’au moins une vingtaine d’années, et s’adressent à un lectorat qui
a grandi avec elles. Dans son bilan pour l’année 2020, GfK indiquait la répartition de
l’âge du destinataire de l’achat pour chacun des grands segments de la bande dessinée.
La BD DE GENRES ressortait clairement comme le segment « le plus âgé », avec près des
deux tiers (63 %) des destinataires âgés de plus de trente ans, et un gros quart (27 %)
âgés de plus de cinquante ans. Pour référence, les plus de trente ans représentaient
27 % des destinataires d’achats de BD JEUNESSE, 19 % des destinataires d’achats de
MANGAS et 42 % des destinataires d’achats de COMICS. Ce lectorat adulte bénéficie d’un
pouvoir d’achat plus important (car, rappelons-le, majoritairement CSP+), et est
probablement moins sensible aux questions d’augmentation de prix.
Par ailleurs, la stratégie mise en place par les éditeurs consistant à revaloriser leur
catalogue par le biais d’intégrales a également contribué à l’arrivée dans les rayons
d’ouvrages proposés à des niveaux de prix nettement plus élevés. Sur la période 2010-
2020, la base Dilicom comptabilise ainsi pas moins de 1 540 intégrales publiées en BD DE
GENRES135, pour une offre largement dominée par les « albums d’aventure » (66 % de ces
sorties), devant les sous-segments HISTORIQUE (15 % des sorties) et HUMOUR (avec 10 %
des sorties). Moins d’un tiers de ces ouvrages (31 %) sont vendus à un prix inférieur à
25 €, la majorité (55 %) se situant entre 25 € et 40 €136. Il faut cependant relativiser
l’impact de cette stratégie sur l’évolution à la hausse du prix moyen du segment BD DE
GENRES : les 310 intégrales apparaissant au sein des tops 5 000 annuels à notre
disposition ne représentent, en effet, que 1,5 % des ventes constatées en volume pour
la période 2010-2020 (et 3,0 % en valeur).
135
On peut y distinguer trois approches : les intégrales « patrimoniales » qui proposent une édition en
plusieurs volumes d’une série généralement ancienne et longue, et qui correspondent à une volonté de
revalorisation du fonds d’un éditeur ; des intégrales qui compilent un cycle narratif au sein d’une série à
suivre, qui visent plus à attirer de nouveaux lecteurs en proposant un point d’entrée plus abordable ; et
enfin, les intégrales « monovolumes » qui regroupent des séries plus brèves, et s’inscrivant souvent dans
une sensibilité « roman graphique ».
136
Tout en représentant une « proposition consommateur » économiquement intéressante : ce prix est
généralement inférieur à la somme qu’il faudrait débourser pour acheter individuellement les ouvrages ainsi
regroupés.
Concernant les GSA, on observe une affinité évidente avec les bandes dessinées des
sous-segments HUMOUR et BD JEUNESSE, qui ressortent lorsque l’on considère les séries
les plus vendeuses de ce « super-segment ». Dans le top 50, voici celles qui se
démarquent par une surperformance en GSA (avec, individuellement, près de la moitié
de leurs ventes en volume en GSA) : Astérix, Les Simpson, Boule et Bill, Titeuf, Les
Blagues de Toto, Les Schtroumpfs, Les Profs, et puis plus loin L’élève Ducobu, Cédric,
Garfield et la série des Guides chez Vents d’Ouest.
• les classiques jeunesse (Astérix, Boule et Bill, Titeuf, Les Schtroumpfs, L’élève
Ducobu, Cédric) ;
• les titres à licence (Les Simpson, Garfield) ;
• et les titres d’humour organisés autour d’une promesse immédiatement
identifiable (Les Blagues de Toto, Les Profs et la série des Guides).
Il faut descendre assez bas dans ce top pour trouver des séries qui fonctionnent
principalement en librairie : ce sera L’Arabe du Futur (18e ; dont 63 % des ventes sont
réalisées en librairies de 1er niveau ou dans l’ensemble « Librairies de 2e niveau +
Internet + Autres »), Les Vieux Fourneaux (20e ; 63%) ou encore Ariol (35e ; 60%).
• Ensuite, c’est au sein de ce segment que l’on retrouve les grands classiques
franco-belges comme Astérix, Lucky Luke, Tintin, Spirou et autres Gaston, ainsi
que des créations plus récentes comme Titeuf, Lou ! ou les Sisters. Il y a
quelque chose d’ironique de voir que cette bande dessinée, que l’on
revendique encore souvent comme étant pour « tous les jeunes de 7 à 77
ans » (pour reprendre le slogan programmatique du Journal de Tintin) est ici
considérée comme une lecture principalement à destination des enfants…
Le succès commercial de la reprise d’Astérix n’est cependant pas aussi net qu’il n’y
paraît. Certes, chaque nouvel opus se retrouve immanquablement propulsé à la tête des
meilleures ventes de livres de l’année, causant un émerveillement renouvelé chez la
plupart des journalistes devant une telle popularité. Pourtant, les chiffres (que nous
avons choisi de citer et d’illustrer ici, car ils nous paraissent éclairant pour notre analyse)
montrent une légère érosion d’un titre sur l’autre : alors qu’Astérix chez les Pictes avait
vendu 1,70 million d’exemplaires à fin 2013, Le Papyrus de César n’enregistrait « que »
1,64 million d’exemplaires à fin 2015, soit un retrait de 3,1 % de ses ventes en volume.
Fin 2017, les compteurs d’Astérix et la Transitalique s’arrêtaient à 1,59 million
d’exemplaires, soit un nouveau retrait de 3,3 %. Enfin, fin 2019, La fille de Vercingétorix
arrivait à 1,57 millions d’exemplaires, soit un recul de 1 %… et donc un -7 % par rapport
à la performance des Pictes, six ans plus tôt. De plus, il faut souligner que ces nouvelles
sorties n’ont pas eu d’impact significatif sur les ventes du fonds d’Astérix, qui s’inscrivent
en moyenne autour de 580 000 exemplaires annuels sur la période 2010-2018.
Enfin, il est important de souligner combien les éditions Albert-René, qui publient quasi-
exclusivement les aventures d’Astérix, occupent ici une position particulière. Un éditeur
« normal » gère l’exploitation et la création ; une part des revenus générés par les
franchises établies servant à financer le développement de nouvelles créations, avec
l'espoir qu'elles s'installent à leur tour.
137
Les études réalisées pour le SNE sur les lecteurs-acheteurs de bande dessinée en 2017 et 2019 évoquent
une catégorie « patrimoniale » qui serait transversale, à la fois au segment BD DE GENRES et au segment BD
JEUNESSE. Cette catégorisation est absente des fichiers à notre disposition, et ne figurent pas non plus dans
les fichiers fournis aux éditeurs que nous avons pu consulter.
138
Au point de s’interroger de la pertinence de jauger de la popularité de la bande dessinée en tant que
genre à l’aune du succès d’Astérix. Pour reprendre la formule de Marius Chapuis dans Libération, un nouvel
Astérix serait avant tout « la promesse d'un moment un peu régressif, faute d'être vraiment une bande
dessinée. »
Derrière les mastodontes que sont Astérix (plus de 14 millions d’exemplaires vendus
entre 2010-2020) et Tintin (plus de 5 millions, sans véritable nouveauté à l’exception de
la version colorisée de Tintin chez les Soviets en 2017), on trouve trois séries, plutôt en
décalage par rapport aux classiques franco-belges qui constituent la majeure partie du
segment :
140
Pas moins de 4 volumes sortis en 2012, puis deux volumes annuels à partir de 2013 (à l’exception d’un
unique volume en 2015).
141
Ce format correspond d’ailleurs au standard habituel des publications Bayard en librairie, que Tourbillon
a adopté à compter de la parution du 5e tome de Mortelle Adèle, rééditant les quatre premiers tomes dans
ce format en 2013.
Cependant, ce sous-segment HUMOUR est en fort recul sur la décennie (-39 % en volume,
-34 % en valeur), fortement impacté par le désengagement des GSA sur la bande
dessinée, puisque ce circuit y représentait plus du quart des ventes en volume sur 2010-
2014 ; une part en recul de 11 points en 2019. Le rebond de 2020, dû notamment à la
sortie de la collection « best of » de Bamboo et Fluide Glacial, spécifiquement destinée
aux GSA, permet de terminer la décennie à -51 % en volume plutôt qu’à -72 % à fin
2019 ; les ventes en valeur (indicateur plus représentatif de l’évolution du sous-segment
HUMOUR au sein des GSA) enregistrant un -69 % sur 2010-2020.
Ce décrochage du sous-segment HUMOUR ne se limite pas aux GSA, puisque tant les
ventes en GSS (-47 % en valeur) que celles en Librairies de 1er niveau (-27 % en valeur)
sont fortement à la baisse. C’est également le cas pour l’ensemble « Librairies de 2e
niveau + Internet + Autres » sur 2010-2019 (-13 % en valeur), mais un rebond en 2020
permet à ce circuit de terminer la décennie sur une note positive : stable en volume
(avec un retrait de de seulement 0,5 %) et en progression en valeur (+20 %), soit une
dynamique à l’opposé de celle des prix réduits pratiquée en GSA.
Les ventes sont très centrées autour d’une fourchette de prix allant de 9 € à 11 € (50 %
des ventes en volume), avec 84 % des ventes réalisées à un prix inférieur à 15 €. Avec
une saisonnalité très marquée (le mois de décembre représente 27 % des ventes
annuelles en volume), le sous-segment HUMOUR ressort donc clairement comme un
achat « cadeau de Noël ».
Composée des nombreux titres basés sur des professions chez Bamboo (Les Profs, Les
Rugbymen, Les Pompiers, Les Gendarmes, Les Foot Maniacs, etc.) ou de la série des
Guides chez Vents d’Ouest (de la Vingtaine, de la Trentaine, de la Quarantaine, de la
Cinquantaine, de la Soixantaine, de la Retraite, du Mariage, du Jeune Père, de la Jeune
Mère, des Grands-Parents, etc.), l’offre s’adapte particulièrement bien à la dynamique
d’achat d’impulsion qui domine en GSA, pour un cadeau « personnalisé », couvrant un
large éventail de destinataires potentiels.
Le sous-segment HUMOUR est aussi emmené par les ouvrages tirés des Simpson, publiés
par Jungle, dont les 3 millions d’exemplaires vendus sont à répartir sur près d’une
centaine de références sorties entre 2010 et 2020. Il s’agit d’une approche quasi-
volumétrique de l’édition, qui caractérise également les collections de Bamboo et Vents
d’Ouest évoquées plus haut.
Autre pilier du genre avec ses sorties quasi annuelles, Le Chat de Philippe Geluck
(Casterman), qui semblait stabilisé autour de 180 000 exemplaires par titre (excepté La
Bible selon le Chat en 2014, bénéficiant probablement de son sujet pour dépasser les
270 000 exemplaires), enregistre un fort recul sur ses dernières sorties avec des ventes
diminuées d’un tiers pour Le Chat est parmi nous (2020).
Enfin, il faut souligner la performance presque inespérée du Zaï Zaï Zaï Zaï de Fabcaro (6
pieds sous terre, 2015), qui réalise la troisième meilleure vente en HUMOUR sur 2010-
2020, avec près de 270 000 exemplaires tous circuits confondus. Si l’on y ajoute les
350 000 exemplaires cumulés de Et si l’amour, c’était aimer ? (6 pieds sous terre, 2017),
Moins qu’hier, plus que demain (2018, chez Glénat), Formica (6 pieds sous terre, 2019),
Open Bar (2 tomes chez Delcourt, 2019-2020), il ne fait aucun doute que Fabcaro s’est
affirmé comme un auteur majeur du sous-segment HUMOUR.
De son côté, la série Roger et ses humains, scénarisé par le youtubeur Cyprien et
débutée en 2015, n’a pas tenu sa promesse sur la durée. La bonne performance du
premier tome n’a pas été renouvelée : le deuxième volume, sorti en 2018, enregistre
une érosion de ses ventes de 70 %142 par rapport au premier volume.
142
Un troisième volume est sorti à la toute fin 2020, et n’a pu bénéficier que de quatre semaines de ventes
dans les chiffres à notre disposition. Il n’est donc pas pertinent d’en juger la performance sur cette base
incomplète.
Ces « albums d’aventure » sont ainsi relativement peu présents au sein des GSA et des
Librairies de 1er niveau, et leurs ventes s’organisent autour de deux fourchettes de prix :
13 €-16 € (58 % des ventes constatées en volume) et dans une moindre mesure 10 €-
12 € (21 % des ventes en volume). Si ce sous-segment « albums d’aventure » présente
une saisonnalité marquée par un pic en décembre (qui représente 23 % des ventes en
volume), celle-ci est cohérente avec celle du standard du « super segment » BD DE
GENRES + BD JEUNESSE (décembre pesant pour 22 % des ventes annuelles).
Évolution des ventes entre 2010 et 2020 Volume Valeur Prix (€)
SF / FANTASTIQUE / HEROIC FANTASY -15 % 3% 15,1
THRILLER / POLICIER -48 % -35 % 13,9
AVENTURES / WESTERN -38 % -28 % 15,2
Ensemble -32 % -17 % 14,8
BD DE GENRES -9 % 15 % 15,2
Cette forte évolution des ventes à la baisse sur dix ans s’accompagne d’une diminution
du nombre de titres publiés, passant de 880 sorties annuelles sur 2010-2013 à 600 en
moyenne sur 2018-2020 (soit -32 %). Ce mouvement touche particulièrement le groupe
Média-Participations, leader incontesté sur cette catégorie de titres : représentant 23 %
des sorties, mais 46 % des ventes constatées en volume (et 45 % en valeur), le groupe a
quasiment diminué de moitié sa production (-47 %) au cours de la décennie, passant de
plus de 230 titres annuels sur 2010-2011, à environ 125 sur 2018-2020.
Par ailleurs, le groupe Delcourt a absorbé en 2011 Soleil Productions, les deux éditeurs
étant fortement positionnés sur le sous-segment SF/FANTASTIQUE/HEROIC FANTASY
(représentant 48 % des sorties du sous-segment en 2010-2011). Cette concentration a
eu pour conséquence de réduire fortement leur contribution combinée : une production
divisée par trois (-67 %), pour des ventes en net retrait (-52 % en volume).
• Lanfeust de Troy, qui outre ses suites directes (Lanfeust des Étoiles pour 8
volumes entre 2010 et 2008, puis Lanfeust Odyssey qui compte 10 volumes
depuis 2009) a élargi son univers avec les séries Trolls de Troy (24 volumes
depuis 1997), Gnomes de Troy (4 volumes entre 2000 et 2014), Les
Conquérants de Troy (4 volumes entre 2005 et 2014), Lanfeust Quest (5
volumes entre 2007 et 2010), Légendes de Troy (9 volumes entre 2009 et
2014), Cixi de Troy (3 volumes entre 2009 et 2011) et Les Guerrières de Troy (2
volumes en 2010-2011).
• Thorgal, avec les séries Kriss de Valnor (8 volumes entre 2010 et 2018), Louve
(7 volumes entre 2011 et 2017) et La Jeunesse (8 volumes depuis 2013,
toujours en cours), regroupées sous la marque « Les Mondes de Thorgal ».
Pour autant, et comme on le voit sur le graphique précédent, les ventes de ces
franchises sont restées inscrites à la baisse. Cette performance décevante n’est pas sans
conséquences. En effet, ces initiatives visant à compenser les limites du modèle éditorial
de l’album cartonné (soit une ou deux sorties annuelles) par une multiplication des
séries ont eu du mal à s’inscrire dans le temps. Début 2021, seuls Trolls de Troy et Les
Mondes de Thorgal - La Jeunesse continuent de paraître.
Durant les années 1990-2000, ces séries s’étaient établies autour d’une continuité
narrative en décalage par rapport au modèle d’albums globalement indépendants les
uns des autres qui dominait alors la production franco-belge. Cette nouvelle formule,
incarnée par Jean Van Hamme (scénariste de XIII, Largo Winch et Thorgal, entre autres)
a dans un premier temps été le moteur du succès de ces créations, renforçant les
dynamiques sérielles que nous avons évoquées précédemment. Cependant, l’étirement
des intrigues, associé au vieillissement du lectorat a contribué à une désaffection
progressive.
Dans une tribune publiée dans Libération en janvier 2020, Stéphane Beaujean, alors
directeur artistique du festival d’Angoulême, faisait le même constat :
Petite particularité cependant : si l’on constate sans surprise un recul du poids des GSA
au sein des ventes, il s’y opère un basculement marqué des GSS vers l’ensemble
« Libraires de 2e niveau + Internet + Autres ». Ainsi, on passe d’un poids comparable
entre les deux circuits en 2010 (plus du tiers des ventes en volume) pour arriver à une
domination incontestable de ce dernier ensemble (respectivement, un peu plus du quart
contre la moitié).
Historiquement, c’est Glénat qui avait été le premier à investir délibérément le sous-
segment HISTORIQUE, par le biais de son magazine Vécu lancé en 1985, et devenu
collection depuis. On constate d’ailleurs combien le trio Média-Participations / Delcourt
/ Glénat pèse sur ce sous-segment143, représentant plus de la moitié (51 %) des sorties
sur 2010-2020, et concentrant 48 % des ventes constatées tant en volume qu’en valeur.
Enfin, 45 des 50 meilleures ventes de ce sous-segment pour la période (et 82 des 100
meilleures) sont publiées par l’un de ces trois groupes éditoriaux.
143
Individuellement, Glénat est d’ailleurs le leader du sous-segment, concentrant 14 % des ventes
constatées entre 2010 et 2020. Ce n’est qu’en consolidant les différentes composantes du groupe éditorial
que Média-Participations prend légèrement la tête, à 18 % des ventes constatées en volume, contre 15 %
pour Glénat.
144
Curieusement, le troisième volume sorti en 2018 se retrouve classé en NON FICTION / DOCUMENTS.
Ce n’est finalement qu’au cours des décennies qui vont suivre que la notion de « bande
dessinée d’auteur » va s’imposer, célébrée dans un premier temps par la publication de
l’ouvrage d’Hugues Dayez, La nouvelle bande dessinée (2004), puis s’incarnant au
tournant de 2005 dans la forme symbolique du « roman graphique ».
S’il semble que le terme de « roman graphique »146 existe en France dès les années
1980, il fait son apparition dans le vocabulaire courant des observateurs au tournant des
années 2005-2006147. Comme le résume Joseph Ghosn dans son livre Romans
graphiques, il s’agit avant tout d’œuvres qui « ont pour elles de posséder une esthétique
forte, un propos singulier, faisant surgir à chaque fois la voix d’un auteur, jamais celle
d’un faiseur ou d’un copiste ». Cette affirmation d’une singularité passe bien souvent par
le rejet des standards dominants de la bande dessinée (soit une pagination importante,
l’utilisation du noir et blanc ou le rejet des approches sérielles), au profit de marqueurs
symboliques renvoyant à une forme considérée comme plus légitime (revendication du
« livre », couverture souple, etc.).
Dans les deux études réalisées pour le SNE (La Bande dessinée, une pratique culturelle
de premier plan : qui en lit, qui en achète ?, 2017 et La Bande dessinée, variété et
richesse, 2019), GfK rattache systématiquement les romans graphiques à la catégorie de
« BD de Genres (non patrimoniale) »148, spécifiant « BD adulte de genres (policier,
fantastique, humour…), y compris les romans graphiques ».
145
L’expression apparaît pour la première fois dans le numéro de mars 1964 de Lettres et Médecins sous la
plume de Claude Beylie, dans le deuxième article d’une série de cinq portant le titre « La Bande Dessinée
est-elle un Art ? ». On la retrouve le 17 décembre 1964 dans le numéro 1 392 du Journal de Spirou, comme
titre d’une rubrique signée Morris et Pierre Vankeer et sous-titrée « Musée de la bande dessinée ». Par la
suite, en 1971, Francis Lacassin la popularisera dans son ouvrage Pour un neuvième art, la bande dessinée.
146
Appellation dérivée de l’anglais (« graphic novel »), qui recouvre aujourd’hui un concept qui reste un peu flou :
pour certains lié à une ambition narrative (avec des récits qui chercheraient à s’approcher du roman, en particulier
par le biais de thématiques liées au réel), et pour d’autres un format éditorial (avec des livres souvent en noir et
blanc, et présentant une pagination élevée). Sylvain Lesage retrace en détail l’apparition de « l’aspiration
romanesque » en bande dessinée dans le chapitre « En route vers l’inconnu – La sérialité à l’épreuve du livre » de
son ouvrage L’effet Livre, Métamorphoses de la bande dessinée (PUFR, collection « iconotextes », 2019).
147
Ainsi, début 2005, Jean-Christophe Menu indique que : « On reparle donc beaucoup de “Roman
Graphique”, depuis peu. » (Plates-Bandes, 2005). Par ailleurs, le terme apparaît pour la première fois sous la
plume de Gilles Ratier dans l’édition 2007 de son rapport annuel.
148
GfK considère comme « patrimoniale » une série de bande dessinée dont le premier tome est paru avant
1983. Comme pour le roman graphique, cette catégorisation n’est pas reflétée dans les données dont nous
disposons.
On notera que GfK reprend à son compte l’appellation « 48CC », introduite par J.-C.
Menu dans son essai Plates-bandes en 2005 : « Au cours des années 1980, […] le moule
de l’Album-standard 48 pages cartonné couleurs s’imposa contre toute autre forme. Ce
standard, appelons-le le 48CC, n’était pas neuf. Il provient de l’album pour enfants de
l’école franco-belge. » Quinze ans plus tard, ce passage résonne avec une ironie amère,
tant le « roman graphique » (que l’Association a largement contribué à promouvoir), à
l’origine pensé en réaction contre le standard de l’industrie, a fini par devenir un
standard lui-même – ou pire, un concept marketing.
Alors que la quasi-totalité du catalogue des « éditeurs alternatifs historiques » est publié
dans un format livre (soit broché à dos carré, couverture souple), les grands éditeurs,
dans la foulée du « nouveau » Futuropolis relancé en 2005, ont de facto introduit un
nouveau standard de publication, le format « cartonné à dos rond », désormais proposé
comme une sorte de prolongement de l’album classique (le « 48CC ») dans une version
plus luxueuse. Ce positionnement des grands éditeurs sur ce segment a fragilisé la
situation des éditeurs alternatifs, devant faire face à une concurrence accrue (et, pour le
lecteur, formellement indifférenciée), en particulier au sein de la librairie généraliste
qu’ils avaient réussi à « défricher » et investir.
« Dans la bande dessinée du réel, on range tout. C’est devenu un énorme fourre-
tout […] dans lequel on trouve à la fois l’autobiographie, l’autofiction, la bande
dessinée de reportage, mais aussi la bande dessinée de vulgarisation – qui est
majoritaire aujourd’hui.
149
Morvandiau, « Les indépendants défendent leurs cases », Le Monde Diplomatique, janvier 2009.
Consultable à l’adresse : http://www.monde-diplomatique.fr/2009/01/MORVANDIAU/16703
« C’est parmi les lecteurs de BD âgés de 25 à 29 ans que s’observe la plus forte
proportion de lecteurs de romans graphiques : 41 % déclarent en lire. De part et
d’autre de cette tranche d’âge, les taux de lecture suivent un mouvement
progressif de décroissance jusqu’aux âges extrêmes. Entre 18-24 ans et 30-39 ans,
ces taux sont encore de 30 %. Entre 15-17 ans, la part des lecteurs est égale à 24 %
tandis qu’elle tombe à 14 % chez les 60 ans et plus, sa valeur la plus basse. »
Le lectorat de ce genre est également identifié comme marginalement plus féminin que
l’ensemble du lectorat de bande dessinée, et globalement plus à la recherche d’avis –
quels qu’ils soient – au moment du choix de la lecture (+5 à +6 points par rapport à la
moyenne). En 2020, on constatait :
De plus, les lecteurs de romans graphiques sont très souvent de grands lecteurs (56 %
contre 28 % pour la population nationale), plus lecteurs de romans (82 % contre 64 %),
notamment de romans policiers (84 %), fantastiques (62 %) et réalistes (60 %).
L’étude sur les acheteurs-lecteurs du SNE en 2019 montre d’ailleurs un roman graphique
bien implanté en librairie, et esquisse un marché de 2,0 millions d’exemplaires vendus
pour 793 000 acheteurs avec un panier moyen de 48 € par acheteur. C’est un genre dont
les acheteurs apparaissent comme sensiblement plus âgés, avec 57 % de plus de 40 ans
(l’étude 2017 donnait un âge moyen de 42,7 ans ; cette donnée étant absente de
l’édition 2019).
150
Propos rapportés dans l’entretien « Jean-Louis Gauthey : « La bande dessinée du réel est une imposture
intellectuelle absolue » », AOC.media (2021).
Par ailleurs, tant les études sur le lectorat que l’estimation réalisée par GfK en 2019
(autour de 2 millions d’ouvrages vendus dans l’année, donc) s’accordent sur un marché
plutôt modeste, sur lequel opèrent la majeure partie des éditeurs alternatifs. Or,
structurellement, les données collectées par GfK ne permettent pas d’avoir une
confiance satisfaisante pour les titres dont les ventes sont les plus modestes (du fait
d’une marge d’erreur trop importante), compromettant une analyse dans le détail.
Sans pour autant correspondre exactement à ce que l’on entend comme « roman
graphique », les trois sous-segments identifiés par GfK que sont « NON
FICTION/DOCUMENTS », « FICTION CONTEMPORAINE » et « BIO/ADAPTATION DE CLASSIQUES »
semblent correspondre, du moins dans le projet éditorial qu’ils esquissent, à l’acception
générale des thématiques abordées par ce genre élusif. Nous qualifierons donc cet
ensemble d’ouvrages comme étant de « sensibilité roman graphique », à défaut d’une
meilleure appellation. Il faudra cependant garder à l’esprit qu’il s’agit là d’une
interprétation à prendre au sens très large. De fait, pour 2019, les ventes de cet agrégat
s’élevaient à 4 millions d’exemplaires, soit exactement le double de ce que GfK
constatait dans son étude publiée la même année.
Alors que le segment BD DE GENRES dans son ensemble s’inscrit à la baisse en volume
(avec un retrait de 9 %) sur la période 2010-2020, ces trois sous-segments de
« sensibilité roman graphique » se démarquent en enregistrant sur la même période des
progressions à trois chiffres, la FICTION CONTEMPORAINE voyant ses ventes doubler, tandis
que celles des sous-segments NON FICTION/DOCUMENTS et BIO/ADAPTATION DE CLASSIQUES
sont multipliées par cinq.
Cet ensemble de « sensibilité roman graphique » présente une affinité très forte pour la
librairie en général, surperformant l’ensemble des BD DE GENRES, à la fois au sein des
Librairies de 1er niveau qu’au sein de l’ensemble « Librairies de 2e niveau + Internet +
Autres ». On note d’ailleurs un renforcement progressif de ce dernier circuit au cours de
la décennie, aux dépens du circuit des GSS (légèrement moins marqué pour le sous-
segment BIO/ADAPTATION DE CLASSIQUES). Cette situation est cohérente avec un
positionnement de prix nettement plus élevé que le reste de la BD DE GENRES.
Evolutions des ventes entre 2010 et 2020 Volume Valeur Prix (€)
NON FICTION / DOCUMENTS 406 % 420 % 20,3
FICTION CONTEMPORAINE 124 % 163 % 17,7
BIO / ADAPTATION DE CLASSIQUES 423 % 462 % 18,0
Ensemble « sensibilité Romans graphiques » 248 % 290 % 18,9
BD DE GENRES -9 % 15 % 15,2
Cet ensemble de « sensibilité roman graphique » est clairement dominé par Riad Sattouf
et ses deux séries publiées chez Allary : L’Arabe du Futur151, proche des deux millions
d’exemplaires depuis sa première publication en 2014, et Les Cahiers d’Esther, qui
approche des 750 000 exemplaires cumulés (5 volumes depuis 2016). Entre les deux, on
trouve la série Les Vieux Fourneaux de Wilfrid Lupano et Paul Cauuet, approchant
également les deux millions d’exemplaires cumulés (6 volumes depuis 2014).
Sans surprise, c’est également dans cet ensemble « de sensibilité roman graphique »
que l’emprise des séries sur les meilleures ventes est la moins forte, au profit de « one-
shots » ou de diptyques : on n’en compte pas moins de 21 dans le top 50 des meilleures
ventes sur 2010-2020, entraînés par Dans la combi de Thomas Pesquet de Marion
Montaigne (5e), le diptyque Culottées de Pénélope Bagieu (8e et 19e) et Les Ignorants
d’Étienne Davodeau (11e).
151
On notera que L’Arabe du Futur, comme toutes les autobiographies présentes au sein des meilleures
ventes, est classé en NON FICTION/DOCUMENTS. La catégorie BIO/ADAPTATION DE CLASSIQUES est donc à considérer
au sens strict en matière de biographies.
Sur la période 2010-2020, pas moins de 31 titres ont dépassé le cap des 100 000 ventes,
contre une cinquantaine pour l’ensemble THRILLER/POLICIER + SF/FANTASTIQUE/HEROIC
FANTASY + AVENTURES/WESTERN, qui accueille pourtant des séries considérées comme
parmi les plus populaires (Blake et Mortimer, XIII, Largo Winch ou Thorgal).
152
« Roman graphique, BD “d’auteur” ou documentaire, conceptuelle ou d’avant-garde… La bande dessinée
mêle désormais des thèmes ultrapointus à des graphismes déconcertants. Le neuvième art aurait-il perdu sa
bulle de légèreté ? », peut-on ainsi lire en introduction du dossier « La BD est-elle devenue intello ? » dans
Marianne en février 2019.
Tout d’abord, la lecture de bande dessinée apparaît comme une pratique très
contrastée dans son intensité. Du côté des MANGAS, est apparu un pôle de lecteurs,
s’éloignant de l’ancrage habituel au sein des foyers CSP+. Le succès des productions
japonaises tient probablement à la fois de l’efficacité de leur modèle éditorial (la série-
feuilleton paraissant sur un rythme trimestriel) et de la vitalité des communautés qui
ont pu se construire en ligne. Même s’il a connu un passage à vide durant la décennie
passée, ce segment MANGAS a retrouvé une belle forme et s’appuie désormais sur un
socle plus large de best-sellers et d’éditeurs.
La bande dessinée franco-belge présente, quant à elle, un bilan mitigé, malgré une nette
progression entre 2010 et 2020. Si son pan jeunesse s’appuie sur les ventes continues
des grands classiques, Astérix en tête, il bénéficie également du succès de nouvelles
créations comme le phénomène Mortelle Adèle. Par contre, le pan BD DE GENRES souffre
d’un fléchissement net des séries qui avaient porté le marché au tournant des années
2000 (entre absence durable de nouveauté pour certaines et désaffection des lecteurs
pour les autres), mais a pu trouver un moyen d’investir la librairie généraliste avec le
roman graphique.
De son côté, le segment COMICS, qui avait pu apparaître comme un possible levier de
croissance, montre aujourd’hui ses limites et représente une niche qui peine à attirer de
nouveaux lecteurs ; tout comme la bande dessinée numérique, qui semble se heurter à
l’attachement au format papier, malgré une offre désormais arrivée à maturité.
• Les ventes devenant plus imprévisibles, la situation des éditeurs et des auteurs
se dégraderait, occasionnant un nombre croissant de cessations d’activité ou
d’interruptions de carrière, et conduirait de facto à un appauvrissement
éditorial conséquent, contribuant à aggraver à son tour la situation de la bande
dessinée de création.
• Moins affectés, dans un premier temps, par ces évolutions (car s’appuyant sur
une forme de militantisme), les petits éditeurs pourraient voir par ricochet leur
avenir compromis, leurs publications se retrouvant noyées dans la masse ou
écartées des circuits de vente de la bande dessinée, eux-mêmes fragilisés.
• Enfin, les deux années blanches (ou presque) causées par la pandémie liée à la
Covid-19 pourraient laisser des traces au sein des manifestations consacrées à
la bande dessinée, mettant en danger un espace important d’interaction
directe entre le public et les acteurs du secteur.
Même s’il résulte d’évolutions présentes depuis plusieurs années sur le marché de la
bande dessinée, ce scénario catastrophe n’est pas inéluctable. Les deux rapports remis
au ministère de la Culture (par Pierre Lungheretti en 2019 et par Bruno Racine en 2020)
proposent de nombreuses recommandations d’action, et il serait présomptueux de
prétendre apporter ici une profondeur d’analyse comparable.
Tout d’abord, il nous apparaît que l’État devrait assumer pour la bande dessinée une
politique culturelle durable et volontaire, et s’affirmer comme instance de légitimation,
mais également de régulation des pratiques153. Cela passe par la reconnaissance d’un
statut pour les artistes-auteurs ; mais aussi par la valorisation et l’accompagnement de
la bande dessinée au sein des institutions, allant des musées aux salles de classe.
153
Comme ce fut le cas avec la Loi Lang sur le prix unique du livre.
Enfin, la presse (et plus généralement l’ensemble des prescripteurs) devrait embrasser
la bande dessinée pour ce qu’elle est aujourd’hui, et abandonner les mythes fondateurs
d’un médium populaire, que les études sur le lectorat ne cessent de démentir.
Au-delà des quelques figures unanimement célébrées et qui finissent par trop
accaparer l’attention, il devient indispensable de porter une vision qui rende compte
de la richesse et de la diversité du Neuvième Art. Plus encore, peut-être faudrait-il se
débarrasser de cette image d’un secteur à la « santé insolente », pour pouvoir en
aborder les faiblesses, les travers, les défis à affronter – mais aussi en identifier les
réelles forces et richesses. Car, il ne fait aucun doute pour nous que la bande dessinée
est un art majeur, qui mérite qu’on s’y intéresse et qu’on le défende.
ACBD
Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée.
BPI
Bibliothèque Publique d’Information.
CNL
Centre National du Livre.
Comics
Appellation empruntée à l’anglais, généralement utilisée pour désigner les productions
du monde anglo-saxon hors roman graphique.
CPE
Conseil Permanent des Écrivains.
DEPS
Département des Études de la Prospective et des Statistiques, dépendant du ministère
de la Culture.
DGMIC
Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles
EAN
« European Article Numbering », référence unique de 13 chiffres attribuée à un produit
commercialisé, figurant sur la presque totalité de ces produits sous la forme de « code-
barres ».
EGBD
États Généraux de la Bande Dessinée.
FIBD
Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême.
Fonds
Ensemble des ouvrages qui ne sont pas des nouveautés (les nouveautés désignant
généralement les ouvrages sortis durant l’année en cours).
GSA
Grandes surfaces alimentaires (soit hypermarchés et supermarchés).
GSS
Grandes surfaces spécialisées, également appelées « grandes surfaces culturelles ».
One-shot
Récit en un volume, qui ne s’inscrit pas dans une structure de série au moment de sa
parution.
Saisonnalité
Variation des ventes en fonction de la période de l’année.
Scantrad
Mot-valise (contraction de « scan » et « traduction ») qui désigne les traductions de
bandes dessinées (généralement japonaises), réalisées en amateur par des fans et mises
à disposition sur Internet.
SEA
Syndicat des Éditeurs Alternatifs.
SLF
Syndicat de la Librairie Française.
SLL
Service du Livre et de la Lecture, au sein du ministère de la Culture.
SNE
Syndicat National de l’Édition.
« les données de vente en sortie de caisse de plus de 4000 points de vente sur les
biens culturels […]. Ces points de vente sont représentatifs de la distribution de
produits culturels en France : Grandes surfaces spécialisées culture (GSS), Grandes
surfaces alimentaires (GSA), Librairies de 1er niveau et de proximité, disquaires,
Internet. Sur le livre, les grandes surfaces spécialisées non livre (bricolage /
jardinage / electrodomestique / jouets / jeux / informatique) sont aussi intégrées.
[Les] données de vente remontent à juillet 2003 pour le livre, janvier 2003 pour la
vidéo. Pour des titres parus avant ces dates, les ventes réalisées depuis janvier ou
juillet 2003 sont toutefois identifiées, mais pas celles réalisées avant. »154
Ce service commercial, développé par GfK et destiné aux professionnels, est disponible
en plusieurs modalités d’accès. Le site Panels Culture permet ainsi d’obtenir les
estimations de vente titre par titre (ou pour être plus précis, EAN par EAN), mais ne
fournit pas de tableaux de synthèse sur l’ensemble du marché. Ce sont là des
fonctionnalités supplémentaires négociées dans des contrats-cadre, qui peuvent
prendre plusieurs formes : tableaux récapitulatifs de suivi envoyés à intervalles réguliers
ou achat de données en « one-shot », comme cela a été le cas pour la présente étude.
Par préoccupation budgétaire, nous avons opté pour un périmètre réduit, dont nous
estimons qu’il nous permet néanmoins de conserver la richesse et la pertinence de nos
analyses.
154
Notice explicative Consultable à l’adresse https://panelsculture.gfk.com/index.html#marche
Ainsi, Serge Ewenczyk des éditions çà et là propose chaque année un bilan chiffré
portant sur la performance des titres qu’il a publiés. Cet exercice de transparence
remarquable nous permet d’observer les écarts entre la réalité de l’éditeur et les
estimations du panéliste. Dans son bilan de l’année 2018155, Serge Ewenczyk fournit les
chiffres de ventes nettes à fin 2018 pour les titres sortis en 2017 (donc une fois
comptabilisée la quasi-totalité des retours des libraires). Dans l’ombre de la peur de Josh
Neufeld et Michael Keller, 3 300 exemplaires ; L’araignée de Masshad de Maya
Neyestani, 3 800 exemplaires ; Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien d’Ulli Lust,
5 700 exemplaires. Pour ces mêmes titres, les chiffres GfK s’inscrivent respectivement à
64 %, 72 % et 77 % de ces niveaux, et illustrent bien une marge d’erreur décroissante à
mesure que les chiffres de ventes effectifs sont élevés.
Pour ces raisons, nous avons privilégié des analyses globales, ou bien portant sur des
éditeurs ou des titres dont les chiffres de ventes sont suffisamment conséquents pour
ne pas être compromis par ces questions de marge d’erreur.
Nous sommes convaincus de l’intérêt qu’aurait une étude consacrée aux petits éditeurs
et aux éditeurs alternatifs, mais celle-ci nécessiterait le recours à une approche
qualitative (par le biais d’entretiens, notamment) ou économique. C’est donc à regret
que nous avons écarté ce pan de la production éditoriale de notre champ d’analyse.
155
Du fait des faibles volumes parfois réalisés par les ouvrages publiés par les éditions çà et là, ceux-ci ne
figurent que rarement au sein des tops 5 000 annuels à notre disposition. Le bilan 2018 est celui, parmi les
plus récents, qui comporte le plus de titres dont nous disposons également dans chiffres de ventes selon
GfK.
En dehors des informations issues de Livres Hebdo, nous n’avons donc pas abordé la
question des parts de marché des différents éditeurs. Cependant, nous nous sommes
appuyés sur les données relatives aux titres présents dans ces tops, afin de pouvoir
traiter de leur stratégie et de leur évolution respectives. Dans ce cas, nous avons utilisé
le terme de « ventes constatées », pour bien signaler le caractère incomplet (et donc
soumis à caution) de celles-ci.
Périmètre
Il est important de considérer la manière dont les données sur lesquelles sont basées ces
observations ont été collectées, et dans quelle mesure elles fournissent ou non une
vision déformée de la réalité du marché. De fait, bien que GfK précise que les points de
vente dont proviennent les données de son Panel Culture « sont représentatifs de la
distribution de produits culturels en France », ce n’est pas tout à fait exact. En effet, les
Chiffres-clés du secteur du livre, publiés chaque année par le ministère de la Culture
(pour le compte du Service du livre et de la lecture), indiquent comme lieux d’achat de
livres neufs (« livres imprimés neufs, hors livres scolaires et encyclopédies en fascicules,
hors livres d'occasion ») les catégories suivantes :
Si l’on retrouve ici une partie des points de vente précédemment cités, il apparaît que
les deux dernières catégories listées se situent hors du périmètre considéré par GfK et
représentent, à ce titre, un angle mort. De fait, lorsque l’on considère l’historique de la
distribution en valeur des achats sur les différents circuits, telle que constatée par les
chiffres du ministère de la Culture157, on observe les évolutions suivantes :
156
La nomenclature Kantar (anciennement TNS-Sofres) pour la collecte de ces données ne recoupe pas la
segmentation en librairies de 1er et 2e niveau utilisée par les diffuseurs.
157
Le rapport Gaymard (ou « Situation du livre. Évaluation de la loi relative au prix du livre et questions
prospectives ») complète les données des « Chiffres-clés du secteur du livre » et permet de retracer cette
évolution jusqu’à 1998 (l’année 1999 étant manquante). Par ailleurs, les « Chiffres-clés du secteur du livre »
ne fournissent pas de données pour l’année 2011, et précisent par la suite que : « En raison d'une
modification du mode de recueil des informations, les données issues du nouveau baromètre Achats de livres
de TNS-Sofres [panel de 3.000 personnes de 15 ans et plus] ne sont pas directement comparables aux
données issues du panel Achats de livres de 10.000 personnes précédemment diffusées par le Ministère de la
culture et de la communication (données 2010 et antérieures). » De plus, « Un certain nombre de
reclassements ont en outre été effectués dans la nomenclature des lieux d'achat. » Malgré cette précaution
méthodologique, les données pré-2010 et post-2010 présentent une cohérence globale, et laissent
supposer que ces changements impactent essentiellement la répartition entre les catégories « VPC,
courtage et clubs » et « autres ».
Cette dernière évolution est d'ailleurs reflétée dans les chiffres concernant « la
ventilation des ventes par canal », publiés par le SNE dans ses synthèses annuelles
(intitulées « Repères Statistiques » jusqu’en 2017, « Les Chiffres de l’Édition » depuis
2018).
Ainsi, le périmètre considéré par GfK pour le marché du livre évolue au fil des ans,
passant de 72,2 % du marché en valeur en 2003 à 77,9 % en 2010 et à 89,0 % en 2019. Il
s'agit d'une situation à double tranchant : si l'on peut en effet se réjouir de ce que les
chiffres fournis par GfK concernant l'ensemble du marché se rapprochent petit à petit de
la réalité de sa globalité, cela signifie également que les estimations historiques de ce
même marché en constitueraient une sous-évaluation plus ou moins importante – et
remettraient donc en question l'ampleur des progressions observées.
Le fait de considérer les évolutions en valeur introduit un autre biais dans l’estimation
de la progression du marché : en effet, les données fournies par GfK sont exprimées en
euros courants, et n’intègrent donc pas des considérations relatives à l’inflation. Si,
d’une année sur l’autre, cela représente un facteur marginal, il devient problématique
dès que l’on commence à considérer une temporalité plus longue. Ainsi, sur la période
2010-2020, l’INSEE constate une inflation cumulée de 10,5 %159.
Circuits
GfK considère quatre grands circuits de distribution pour le livre :
Le SNE précise160 la base sur laquelle s’effectue cette distinction entre 1er et 2e niveau
pour les librairies : « le 1er niveau désigne, selon les maisons, les 700 à 1 300 clients les
plus importants (librairies et/ou grandes surfaces culturelles), soit en termes quantitatifs
(chiffre d’affaires réalisé avec les éditeurs diffusés), soit en termes qualitatifs (capacité
du libraire à lancer un titre, travail sur le fonds des éditeurs diffusés, etc.) », en
opposition aux « librairies de 2e niveau (4 000 à 12 000 points de vente selon les
diffuseurs) et maisons de presse de taille inférieure ».
L’étude Le marché du livre en France – État des lieux des circuits de distribution, réalisée
en mai 2013 par GfK pour le Syndicat de la Librairie Française161, apporte quelques
précisions : pour 2012, les librairies proposaient à la vente 85 % des références, les sites
commerciaux 83 %, les grandes surfaces spécialisées 76 % et enfin les grandes surfaces
alimentaires à peine 50 %.
Par ailleurs, si les ventes par Internet sont comptabilisées dans les Chiffres-clés du
secteur du livre depuis 2002, les panélistes ont cessé de traiter à part cette catégorie à
partir de 2014, a priori suite à la demande d'Amazon. Vu le poids du géant américain sur
ce segment, donner les chiffres des ventes de livres sur Internet aurait fourni des
indications par trop précises sur son chiffre d'affaires. Depuis 2014, les ventes sur
Internet sont donc incluses dans cette catégorie peu satisfaisante intitulée « Librairies
de 2e niveau + Internet + Autres ».
158
Nous n’avons pas trouvé d’étude évoquant, par exemple, le poids de la bande dessinée au sein du chiffre
d’affaires de France Loisirs, numéro 1 des clubs de VPC, qui comptait encore en 2011 environ 3 millions
d’adhérents très friands de lectures (entre 8 et 10 livres achetés par année, contre 7 pour la moyenne des
Français) (cf. http://www.slate.fr/story/163655/france-loisirs-club-de-livres-litterature-abonnement). Le
Neuvième Art figure cependant en bonne place au sein du catalogue du club de livres.
159
Sur la base des données indiquées sur la page « taux d’inflation, données annuelles de 1991 à 2020 »,
accessible à l’adresse https://www.insee.fr/fr/statistiques/2122401
160
Disponible sur cette page : https://www.sne.fr/vendre-un-livre/diffusion-2/
161
À notre connaissance, il n’existe pas de mise à jour plus récente de cette étude.
Par ailleurs, le SNE publie chaque année un rapport d’activité ainsi qu’une synthèse
économique (intitulée « Repères Statistiques » jusqu’en 2017, « Les Chiffres de
l’Édition » depuis 2018). Si le premier document vise avant tout à promouvoir l’activité
de l’organisation, le second se présente comme un panorama richement détaillé de la
situation du marché du livre en France.
Néanmoins, un examen plus approfondi des données en révèle les limites :
• tout d’abord, une large partie des informations publiées se concentrent sur
l’activité des éditeurs membres du SNE, ce qui en limite nécessairement la
portée163 ;
Il faut de plus souligner le flou qui entoure ces chiffres, souvent présentés sans
indication de ce qu’ils recouvrent réellement (périmètre ou période considérés, nature
précise, etc.). Il devient alors particulièrement épineux d’essayer de réconcilier la vision
présentée par le SNE et celle qui ressort des chiffres de GfK. Ainsi, pour l’année 2012, le
SNE évoque un chiffre d’affaires de la bande dessinée s’établissant à 245,6 millions
d’euros, alors que l’estimation de GfK le situe à 560,9 millions d’euros. Pour 2020, le
rapport fait état d’un chiffre d’affaires de la bande dessinée estimé à 303,7 millions
d’euros, à mettre en regard des 556,5 millions d’euros constatés par GfK164.
162
Descriptif consultable à l’adresse : https://www.sne.fr/commissions/bande-dessinee/
163
Le SNE regroupe environ 700 éditeurs, alors qu’il estime lui-même à 10 000 le nombre de maisons
d’édition en France (cf. https://www.sne.fr/faq-de-ledition/), réparties entre « les "grandes maisons" – 20
éditeurs ont plus de 5 000 titres chacun – et […] les "petites structures éditoriales" – environ 5 000 éditeurs
ont moins de 10 titres chacun », laissant environ 5 000 éditeurs entre ces deux extrêmes.
164
On notera que le ratio entre les chiffres du SNE et ceux de GfK montre des variations importantes
(s’établissant respectivement à 44 % et 48 % pour 2012 et 2020), soulignant, encore une fois, une vision ne
reflétant pas l’ensemble des évolutions du marché du livre au global.
Plus encore, les chiffres de vente des éditeurs présentent également leurs limites. En
effet, si ces derniers comptabilisent dans un premier temps les mises en place, c’est-à-
dire les exemplaires placés par le diffuseur/distributeur auprès des libraires (et parfois
même uniquement les ventes réalisées auprès du diffuseur/distributeur), ils ne
connaîtront les ventes réelles réalisées auprès des consommateurs (les fameuses sorties
de caisse) qu’une fois enregistrés les retours166 – lesquels s’étalent dans le temps, tout
au long de la commercialisation d’un ouvrage. De plus, la question des territoires
considérés vient souvent rajouter un élément de confusion supplémentaire, les éditeurs
préférant évoquer des chiffres globaux (c’est-à-dire en France et ailleurs), alors que les
instituts se limitent aux ventes réalisées en France.
Enfin, n’oublions pas le défaut principal de ces chiffres : le fait qu’ils restent
généralement confidentiels. Comme le rappelle Olivier Bessard-Blanquy (professeur des
universités, enseignant en édition et histoire du livre) dans une tribune publiée dans
Livres Hebdo167 : « Le flou qui règne autour des chiffres du livre ne vient pas de nulle part.
Les éditeurs n'ont jamais été très enthousiastes à l'idée de voir s'imposer un système de
comptage strict, comme Bookscan ailleurs. De peur sans doute que les vrais chiffres du
livre ne révèlent le décalage qui peut exister entre le rayonnement d'un auteur et la
réalité comptable du montant des ventes. Dès la fin du XIX e siècle, Octave Uzanne a
ironisé sur ces éditeurs « passés maîtres dans l'art de faire dix éditions d'une édition
réelle ». ».
165
Non seulement par le biais des relevés hebdomadaires (sur abonnement), mais également sous forme
d’un outil de requête en ligne dédié.
166
Notons que la plupart des diffuseurs fixent à un an la durée maximale de garde pour un libraire, soit la
période durant laquelle le retour d’un ouvrage est soit remboursé, soit crédité à son compte. Cependant, la
pratique montre une situation beaucoup plus permissive au niveau des délais.
167
Olivier Bessard-Blanquy, « Prix Goncourt : Des chiffres complètement flous », Livres Hebdo, 3 avril 2021.
BD DE GENRES
• HUMOUR (BD DE GENRES)
• SF / FANTASTIQUE / HEROIC FANTASY
• THRILLER / POLICIER
• NON FICTION / DOCUMENTS
• HISTORIQUE
• FICTION CONTEMPORAINE
• AVENTURES / WESTERN
• BIO / ADAPTATION DE CLASSIQUES
• EROTIQUE (BD DE GENRES)
• AUTRES BD DE GENRES
BD JEUNESSE
COMICS
• SUPER-HEROS
• HORS SUPER-HEROS
MANGAS
• SHONEN
• SEINEN
• SHOJO
• EROTIQUE (MANGAS)
• AUTRES MANGAS
Construite sur la base des habitudes établies de l’industrie, cette segmentation apparaît
cependant comme très hétéroclite dans sa constitution. On y trouve ainsi mélangées des
considérations d’origine géographique (COMICS, MANGAS), de traitement (HUMOUR,
THRILLER, HISTORIQUE, etc.), de thématique (THRILLER, SF, WESTERN, etc.) et de public (BD
JEUNESSE, SHONEN, SEINEN, SHOJO) – sans oublier quelques catégories aux contours bien
mal définis (FICTION CONTEMPORAINE ou HORS SUPER-HEROS). Il y aurait beaucoup à dire sur
ces catégorisations : après tout, un manga pourrait tout aussi bien être destiné à la
jeunesse, et traiter d’un sujet historique sur le mode humoristique.
Cependant, l’examen des données et de la répartition des titres met en lumière les
principes qui régissent implicitement ces catégorisations. Tout d’abord, il y a des
considérations d’éditeur et de format de publication, primant sur la réelle origine de
l’œuvre elle-même : Nagasaki d’Agnès Hostache (Le Lézard Noir), Wakfu ou Dofus
(Ankama), Ki & Hi (Michel Lafon) ou encore Les Légendaires : Saga (Delcourt) sont
classés en manga, alors qu’il s’agit de créations françaises. Les productions américaines
ne se retrouvent pas toutes (loin s’en faut) catégorisées en COMICS : l’ensemble de la
production au format « roman graphique » se retrouve au contraire classé en BD DE
GENRES, comme Chris Ware ou Daniel Clowes. Ailleurs, du fait de son inspiration
japonisante, le Usagi Yojimbo de Stan Sakai se retrouve en MANGAS. À l’inverse, les
productions anglaises (comme nombre de titres patrimoniaux issus de la revue 2000AD)
sont pour la plupart classées en COMICS.
Cette problématique n’est pas spécifique à GfK, puisque l’on retrouve les mêmes écueils
au sein du traitement du dépôt légal ou des services proposés par Electre ou Dilicom168.
Il s’agit là d’un problème général d’organisation bibliographique, qui dépasse
probablement le cadre d’une étude comme celle-ci. Faute de mieux, et afin de proposer
des analyses s’appuyant sur une base reconnue, nous nous sommes finalement appuyés
sur la classification établie par GfK. Par convention (et pour éviter toute confusion), nous
avons indiqué systématiquement ces segments en petites capitales.
Suivi de la production
Contrairement à la situation particulière sur le front des chiffres de vente, la question du
suivi de la production bénéficie de plusieurs solutions concurrentes, qui soulèvent
néanmoins chacune des questions méthodologiques épineuses – et dont les estimations
peuvent grandement différer.
168
Ce flou entourant les frontières des univers mangas et comics se retrouve également dans la manière
dont les sites spécialisés abordent ce qui tient d’une « culture » plus que d’une distinction géographique
stricte. Ainsi, la base des sorties mangas du site Manga-News inclut toutes les tentatives de « manfra »,
productions 100 % françaises publiées en format poche et en noir et blanc, adoptant même souvent le sens
de lecture japonais.
Ainsi, les données 2010-2019 produites dans le cadre du focus évoqué plus haut font
apparaître pas moins de 1 057 notices pour des ouvrages parus en 2009, et plus de 200
ouvrages à la publication antérieure à 2009. Dans la mesure où il ne s’agit que d’une
part minime (2,8 %) de l’ensemble des notices générées (près de 46 000 au total), le
dépôt légal se révèle intéressant comme indicateur dans une perspective historique
longue. En revanche, c’est moins le cas dans l’optique d’un suivi à la visée plus
« instantanée » : pour l’année 2009 (couverte dans le bilan publié en 2010), les
statistiques de la Bibliographie nationale faisaient état de 3 965 ouvrages – auxquels il
faudrait donc ajouter les 1 057 recensés par la suite au cours de la période 2010-2019.
Soit une « erreur » (ou plutôt, une sous-estimation) de l’ordre de plus de 20 % ! Ce
décalage se retrouve dans l’évolution du nombre de notices bibliographiques par année,
telle que recensée sur le site du Catalogue général de la Bibliothèque nationale de
France, et que l’on peut visualiser sur le graphique précédent avec la chute marquée des
courbes pour la dernière année traitée.
169
Description présente sur la page « Qu’est-ce que le dépôt légal ? » sur le site de la Bibliothèque Nationale
de France. Consultable à l’adresse https://www.bnf.fr/fr/quest-ce-que-le-depot-legal
Par ailleurs, ces deux services intègrent une dimension que ne couvre pas le dépôt légal,
à savoir la disponibilité des ouvrages listés. Malheureusement, cette donnée n’étant pas
considérée dans une perspective historique, il n’est pas possible de savoir à partir de
quel moment un ouvrage n’a plus été disponible (épuisé, arrêt de commercialisation,
changement de distributeur, etc.).
Afin de nous positionner au plus près de la réalité du marché (et donc de la production
arrivant effectivement chez les libraires), nous avons fait le choix de privilégier la base
Dilicom dans notre étude. Ce choix n’est pas sans introduire quelques limitations
inhérentes au service lui-même. S’appuyant sur les informations fournies par les
diffuseurs et/ou éditeurs, il est tributaire des choix de catégorisation effectués par ceux-
ci : on constate ainsi que certains titres ne sont pas rattachés à l’univers « bande
dessinée », comme certains ouvrages d’Actes Sud BD classés en « Arts et Beaux Livres ».
Par ailleurs et au même titre que les données de ventes produites par GfK, il inclut des
références qui ne relèvent pas stricto sensu de la bande dessinée (produits dérivés
comme agendas, calendriers ou romans), ainsi que certaines destinées spécifiquement
aux libraires (PLV ou « packs » d’un album donné). Afin d’écarter ces données parasites
et de nous recentrer sur l’offre véritablement proposée à l’acheteur de bande dessinée,
nous avons limité notre analyse à la liste des références de la base Dilicom qui figurent
également au sein des ventes GfK pour la période 2010-2020. Cette décision nous a
également permis d’utiliser la segmentation mise en place par GfK pour la production, et
d’assurer ainsi la cohérence des différentes catégories éditoriales que nous avons pu
examiner.
« Même s’il garde, édition après édition, à peu près la même structure, le rapport
que vous allez lire est le fruit d’un travail de bénédictin qui se pratique tout au
long de l’année : ceci afin de collecter la liste la plus exhaustive possible de
toutes les publications imprimées de bandes dessinées, sur le territoire
francophone européen, à l’exception des ouvrages dont l’impression a seulement
été réalisée à la demande.
Les inventaires réalisés par Gilles Ratier représentent une base de travail riche
(différenciant notamment nouveautés et rééditions, une dimension absente des autres
services), qui n’est malheureusement disponible que par le biais des rapports annuels,
synthétiques et donc forcément partiels dans les données qu’ils mettent en avant170.
Cependant, il ne fait aucun doute que l’arrêt de leur publication a représenté une perte
conséquente dans le suivi de la production éditoriale de bande dessinée ces dernières
années.
170
N’ayant jamais eu l’occasion de pouvoir consulter la base de données servant à l’élaboration de ces
rapports, il nous est difficile d’en estimer les biais méthodologiques, ou même simplement d’en confronter
la couverture avec les autres bases.
171
On notera l’existence de deux enquêtes antérieures, réalisées par l'IFOP pour le compte du Festival
International de la Bande Dessinée d'Angoulême : Qui a peur de la bande dessinée ? (IFOP, 1994) et La BD et
les Français : comportements et attitudes (IFOP, 2000).
C’est pour cela qu’une enquête récurrente et stable dans son élaboration comme
l’enquête décennale sur les pratiques culturelles des Français est précieuse, en cela
qu’elle permet d’envisager l’évolution des pratiques dans une temporalité longue. Cette
enquête a connu six éditions (1973, 1981, 1988, 1997, 2008 et 2018), mais la bande
dessinée n’y est envisagée comme catégorie à part que depuis 1988.
Par ailleurs, les deux enquêtes réalisées par GfK pour le SNE sur les lecteurs-acheteurs
de bande dessinée (La Bande dessinée, une pratique culturelle de premier plan : qui en
lit, qui en achète ?, 2017 et La Bande dessinée, variété et richesse, 2019) explorent des
dimensions différentes et sont riches d’enseignements.
Il est cependant regrettable que l’ensemble des études se focalise sur une approche
principalement quantitative. Une approche se basant sur une série d’entretiens et de
portraits de lecteurs permettrait d’explorer toute la complexité du rapport qui peut
exister à l’égard de la bande dessinée, et de révéler une partie des pratiques et des
parcours possibles de lecteurs. L’ouvrage Les Mangados : Lire des mangas à
l’adolescence de Christine Détrez et Olivier Vanhée (2013) en est un bon exemple, et
donne un aperçu de la richesse des observations d’une telle démarche.
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses parutions au sein de la
production annuelle. Par exemple : « les parutions du mois d’octobre représentent 10 % des parutions
annuelles totales ».
Clé de lecture : les courbes indiquent la part des titres parus durant une année donnée qui sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. Par exemple : « 40 % des titres parus en 2010 sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. »
2010 2020
Volume Valeur Prix Moyen Volume Valeur Prix Moyen
(exemplaires) (exemplaires)
Marché
39,6 M 405,7 M€ 10,24 € 53,0 M 591,0 M€ 11,14 €
bande dessinée
14,1 M 98,8 M€ 6,98 € MANGAS 22,5 M 169,9 M€ 7,56 €
1,3 M 19,4 M€ 14,47 € COMICS 3,1 M 40,4 M€ 13,19 €
8,3 M 80,7 M€ 9,69 € BD JEUNESSE 13,2 M 142,0 M€ 10,80 €
15,8 M 206,8 M€ 13,09 € BD DE GENRES 14,3 M 238,8 M€ 16,65 €
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses parutions au sein de la
production annuelle. Par exemple : « les parutions du mois d’octobre représentent 10 % des parutions
annuelles totales ».
Clé de lecture : les courbes indiquent la part des titres parus durant une année donnée qui sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. Par exemple : « 40 % des titres parus en 2010 sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. »
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses parutions au sein de la
production annuelle. Par exemple : « les parutions du mois d’octobre représentent 10 % des parutions
annuelles totales ».
Clé de lecture : les courbes indiquent la part des titres parus durant une année donnée qui sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. Par exemple : « 40 % des titres parus en 2010 sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. »
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses parutions au sein de la
production annuelle. Par exemple : « les parutions du mois d’octobre représentent 10 % des parutions
annuelles totales ».
Clé de lecture : les courbes indiquent la part des titres parus durant une année donnée qui sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. Par exemple : « 40 % des titres parus en 2010 sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. »
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses ventes au sein des ventes
annuelles. Par exemple : « les ventes réalisées en octobre représentent 10 % des ventes annuelles totales ».
Clé de lecture : la courbe de saisonnalité indique pour chaque mois la part de ses parutions au sein de la
production annuelle. Par exemple : « les parutions du mois d’octobre représentent 15 % des parutions
annuelles totales ».
Clé de lecture : les courbes indiquent la part des titres parus durant une année donnée qui sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. Par exemple : « 40 % des titres parus en 2010 sont encore
disponibles et commercialisés début 2021. »
Les chiffres de l’édition – Rapport Statistique du SNE 2018-2019, Synthèse, SNE, 2019.
https://www.sne.fr/app/uploads/2019/06/RS19_Synthese_Web01_VDEF.pdf
Les chiffres de l’édition – Rapport Statistique du SNE 2019-2020, Synthèse, SNE, 2020.
https://www.sne.fr/app/uploads/2020/10/RS20_Synthese_web.pdf
La Bande dessinée, une pratique culturelle de premier plan : qui en lit, qui en achète ?,
SNE – GfK, 2017.
https://www.sne.fr/app/uploads/2017/10/GfK-SNE_SYNTHESE-BD_OCT2017-1.pdf
EVANS, Christophe & GAUDET, Françoise : La lecture de bande dessinée (Culture études –
Pratiques et public, 2012-02), DEPS, 2012.
https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-de-
synthese/Culture-etudes-2007-2021/La-lecture-de-bandes-dessinees-CE-2012-2
Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection ses Droits sur
Internet (HADOPI)
La diffusion dématérialisée de BD et mangas en France, Hadopi, 2017.
https://hadopi.fr/sites/default/download/HADOPI_Rapport_BD_numerique.pdf
AGENCE FRANCE PRESSE : « Le festival de BD d’Angoulême distribue ses prix », AFP, 2019.
BARROUX, David : « Les comics envahissent les bacs des libraires », Les Échos, 2012.
http://blogs.lesechos.fr/echosbd/les-comics-envahissent-les-bacs-a10314.html
BAUDRY, Julien : « Paradoxes of Innovation in French Digital Comics », The Comics Grid, 2018.
https://www.comicsgrid.com/articles/10.16995/cg.108/
BERTHOU, Benoît (Ed.) : La bande dessinée : quelle lecture, quelle culture ?, Éditions de
la Bibliothèque Publique d’Information, 2015.
https://books.openedition.org/bibpompidou/1671
DÉTREZ, Christine & VANHÉE, Olivier : Les Mangados : Lire des mangas à l’adolescence,
Éditions de la Bibliothèque Publique d’Information, 2013.
https://books.openedition.org/bibpompidou/321
DEZEQUE, Romain : « La BD veut se faire une place dans votre smartphone », France
Inter, 2020.
https://www.franceinter.fr/culture/la-bd-veut-se-faire-une-place-dans-votre-smartphone
EWENCZYK, Serge : « Bilan 2020 : on s’en sort bien ! », blog de çà et là, 2021.
https://infoscaetla.over-blog.com/2021/01/bilan-2020-on-s-en-sort-bien.html
FRANCE CULTURE : « Soft Power : Le financement de la BD, Al Qarra TV, Free Mobile, La
culture dans les salles de sport », France Culture, 2012.
https://www.franceculture.fr/emissions/soft-power-11-12/le-financement-de-la-bd-al-qarra-tv-free-mobile-
la-culture-dans-les
GFK : « Le marché du Livre en France - État des lieux des circuits de distribution »,
Syndicat de la Librairie Française, 2013.
https://www.syndicat-
librairie.fr/images/documents/etude_slf_tat_des_lieux_circuits_distribution_mai_2013.pdf
GUILBERT, Xavier (Ed.) : Jade 661U : Enfin légitime ?, 6 pieds sous terre, 2015.
LELOUP, Damien : « Dix ans après la loi Hadopi, que reste-t-il du téléchargement
illégal ? », Le Monde, 2019.
https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/06/12/dix-ans-apres-hadopi-que-reste-t-il-du-telechargement-
illegal_5475266_4408996.html
PIAULT, Fabrice & WALTER, Anne-Laure : « La fin de la bulle », Livres Hebdo n°849, 2011.
PIAULT, Fabrice & WALTER, Anne-Laure : « La planète des sages », Livres Hebdo n°893, 2012.
ROURE, Benjamin : « Dossier bande dessinée : la diversification paye », Livres Hebdo, 2020.
TURCEV, Nicolas : « « Click & collect » : un bilan en demi-teinte », Livres Hebdo, 2020.
https://www.livreshebdo.fr/article/click-collect-un-bilan-en-demi-teinte
Préambule 005
Remerciements 006
Synthèse 007
Données sur la bande dessinée 011
COVID-19 053
Marché de la bande dessinée en période de crise sanitaire 054
Distribution en période de crise sanitaire 057
Lectorat en période de crise sanitaire 059
Repères chronologiques de la crise sanitaire 061
Numérique 063
Lectorat numérique 066
Marché numérique 067
Acteurs de la bande dessinée numérique 069
Piratage et scantrad 072
COMICS
Lectorat COMICS 094
Marché COMICS 095
Acteurs du segment COMICS 099
Perspectives 127