Corpus Shoah Fiction - Litt-D-Idées - Seconde
Corpus Shoah Fiction - Litt-D-Idées - Seconde
« Je ne sais pas si ce que j'écris aujourd'hui est vrai, mais je sais que c'est véridique »
Charlotte DELBO, Aucun de nous ne reviendra, 1980
« Ils ne sauront jamais, ceux qui n’y ont pas été… Jamais vraiment... Il restera les livres, les romans de
préférence. »
Jorge SEMPRUN, L’écriture ou la vie, 1994
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Thomas SOTINEL, « Le Fils de Saul » : une fiction périlleuse sur l’absurdité des camps de la mort, Le
monde, 14 mai 2015. .............................................................................................................................. 11
Claude LANZMANN sur Le fils de Saul. Propos recueillis par Mathilde BLOTIERE pour Télérama, 24 mai
2015 ........................................................................................................................................................ 12
Gautier LABRUSSE, édito du n°199 du programme du Cinéma Lux, Caen. ............................................ 13
Semaine 2, La zone d’intérêt (Jonathan GLAZER, US, 2023), « une obscène tranquillité » ?..................... 14
Johann CHAPOUTOT, 5 février 2024 pour Lokko .................................................................................... 14
Nicolas CHEMLA, dans La Revue des Deux mondes, 22 février 2024 ..................................................... 14
Document complémentaire ........................................................................................................................ 15
Imre KERTESZ sur R. BEGNINI, La vie est belle, IT, 1998 ......................................................................... 15
Sujet d’essai ................................................................................................................................................ 16
Pour savoir, il faut s’imaginer. Nous devons tenter d’imaginer ce que fut l’enfer d’Auschwitz en été 1944.
N’invoquons pas l’inimaginable. Ne nous protégeons pas en disant qu’imaginer cela, de toutes les façons –
car c’est vrai –, nous ne le pouvons, nous ne le pourrons pas jusqu’au bout. Mais nous le devons, ce très
lourd imaginable. Comme une réponse à offrir, une dette contractée envers les paroles et les images que
certains déportés ont arrachées pour nous au réel effroyable de leur expérience. Donc, n’invoquons pas
l’inimaginable. Il était tellement plus difficile, pour les prisonniers, de soustraire au camp ces quelques
lambeaux dont nous sommes à présent dépositaires, dans la lourdeur de les soutenir d’un seul regard.
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Ces lambeaux nous sont plus précieux et moins apaisants que toutes les œuvres d’art possibles, arrachés
qu’ils furent à un monde qui les voulait impossibles. Images malgré tout, donc : malgré l’enfer d’Auschwitz,
malgré les risques encourus. Nous devons en retour les contempler, les assumer, tenter d’en rendre
compte. Images malgré tout : malgré notre propre incapacité à savoir les regarder comme elles le
mériteraient, malgré notre propre monde repu, presque étouffé, de marchandise imaginaire.
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https://www.magrittegallery.fr/product-page/ceci-n-est-pas-une-pomme
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https://www.cnap.fr/monumenta-2010-christian-boltanski et https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/monumenta-
christian-boltanski
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La représentation littéraire de l’expérience concentrationnaire
Robert ANTELME, L’espèce humaine (1947) : Avant-propos
Il y a deux ans, durant les premiers jours qui ont suivi notre retour, nous avons été, tous je pense, en proie
à un véritable délire. Nous voulions parler, être entendus enfin. On nous dit que notre apparence physique
était assez éloquente à elle seule. Mais nous revenions juste, nous ramenions avec nous notre mémoire,
notre expérience toute vivante et nous éprouvions un désir frénétique de la dire telle quelle. Et dès les
premiers jours cependant, il nous paraissait impossible de combler la distance que nous découvrions entre
le langage dont nous disposions et cette expérience que, pour la plupart, nous étions encore en train de
poursuivre dans notre corps. Comment nous résigner à ne pas tenter d'expliquer comment nous en étions
venus là ? Nous y étions encore. Et cependant c'était impossible. À peine commencions-nous à raconter,
que nous suffoquions. À nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous paraître
inimaginable.
Cette disproportion entre l'expérience que nous avions vécue et le récit qu'il était possible d'en faire ne
fit que se confirmer par la suite. Nous avions donc bien affaire à l'une de ces réalités qui font dire qu'elles
dépassent l'imagination. Il était clair désormais que c'était seulement par le choix, c'est-à-dire encore par
l'imagination que nous pouvions essayer d'en dire quelque chose.
[…] j’aurais pu, par exemple, fragmenter la narration pour ne raconter que les moments frappants. Sauf
que dans les camps de concentration, mon héros ne vit pas son propre temps, puisqu’il est dépossédé de
son temps, de sa langue, de sa personnalité. Il n’a pas de mémoire, il est dans l’instant. Si bien que le pauvre
doit dépérir dans le piège morne de la linéarité et ne peut se libérer des détails pénibles. Au lieu d’une
succession spectaculaire de grands moments tragiques, il doit vivre le tout, ce qui est pesant et offre peu
de variété, comme la vie.
Mais cela m’a permis de tirer des enseignements étonnants. La linéarité exige que chaque situation
s’accomplisse intégralement. Elle m’a interdit, par exemple, de sauter élégamment une vingtaine de
minutes pour la seule raison que ces vingt minutes béaient devant moi tel un gouffre noir, inconnu et
effrayant comme une fosse commune. Je parle de ces vingt minutes qui se sont écoulées sur le quai du
camp d’extermination de Birkenau avant que les personnes descendues des wagons ne se retrouvent
devant l’officier qui faisait la sélection. Moi-même, j’avais un souvenir approximatif de ces vingt minutes,
mais le roman m’interdisait de me fier à mes réminiscences. Presque tous les témoignages, confessions et
souvenirs de survivants que j’avais lus étaient d’accord sur le fait que tout s’était déroulé très vite et dans
la plus grande confusion : les portes des wagons s’ouvraient violemment au milieu des cris et des
aboiements, les hommes étaient séparés des femmes, dans une cohue démentielle ils se retrouvaient
devant un officier qui leur jetait un rapide coup d’œil, montrait quelque chose en tendant le bras, puis ils
se retrouvaient en tenue de prisonnier.
Moi, j’avais un autre souvenir de ces vingt minutes. En cherchant des sources authentiques, j’ai commencé
par lire Tadeusz Borowski, ses récits limpides, d’une cruauté masochiste, dont celui qui s’intitule « Au gaz,
3
https://www.nobelprize.org/prizes/literature/2002/kertesz/25372-imre-kertesz-conference-nobel/
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messieurs-dames ! » Ensuite, j’ai eu entre les mains une série de photos qu’un SS avait prises sur le quai de
Birkenau lors de l’arrivée des convois et que les soldats américains ont retrouvées à Dachau, dans
l’ancienne caserne des SS. J’ai été sidéré par ces photos : beaux visages souriants de femmes, de jeunes
hommes au regard intelligent, pleins de bonne volonté, prêts à coopérer. Alors j’ai compris comment et
pourquoi ces vingt minutes humiliantes d’inaction et d’impuissance s’étaient estompées dans leur
mémoire. Et quand en pensant que tout cela s’était répété jour après jour, semaine après semaine, mois
après mois, durant de longues années, j’ai pu entrevoir la technique de l’horreur, j’ai compris comment on
pouvait retourner la nature humaine contre la vie humaine.
J’avançais ainsi, pas à pas, sur la voie linéaire des découvertes ; c’était, si on veut, ma méthode heuristique.
J’ai vite compris que les questions de savoir pour qui et pour quoi j’écrivais ne m’intéressaient pas. Une
seule question me travaillait : qu’avais-je encore en commun avec la littérature ? Car il était clair qu’une
ligne infranchissable me séparait de la littérature et de ses idéaux, de son esprit, et cette ligne – comme
tant d’autres choses – s’appelle Auschwitz. Quand on écrit sur Auschwitz, il faut savoir que, du moins dans
un certain sens, Auschwitz a mis la littérature en suspens. A propos d’Auschwitz, on ne peut écrire qu’un
roman noir ou, sauf votre respect, un roman-feuilleton dont l’action commence à Auschwitz et dure jusqu’à
nos jours. Je veux dire par là qu’il ne s’est rien passé depuis Auschwitz qui ait annulé Auschwitz, qui ait
réfuté Auschwitz. Dans mes écrits, l’Holocauste n’a jamais pu apparaître au passé.
On dit à mon propos – pour m’en féliciter ou pour me le reprocher – que je suis l’écrivain d’un seul thème,
l’Holocauste. Je ne trouve rien à y redire, pourquoi n’accepterais-je pas, avec quelques réserves, la place
qui m’a été attribuée sur l’étagère idoine des bibliothèques ? En effet, quel écrivain aujourd’hui n’est pas
un écrivain de l’Holocauste ? Je veux dire qu’il n’est pas nécessaire de choisir expressément l’Holocauste
comme sujet pour remarquer la dissonance qui règne depuis des décennies dans l’art contemporain en
Europe. […] Dans l’Holocauste, j’ai découvert la condition humaine, le terminus d’une grande aventure où
les Européens sont arrivés au bout de deux mille ans de culture et de morale.
Tadeusz BOROWSKI, « Aux douches, mesdames et messieurs », Un monde de pierre (1948, 1964 trad. fr)
— Voilà le convoi, fit quelqu’un, et tous se levèrent, dans l’attente.
A la sortie du virage apparurent des wagons de marchandise : le train avançait en marche arrière ; un
cheminot, debout sur le tampon d’arrêt, se pencha, agita le bras, siffla. La locomotive lui répondit par un
coup de sifflet strident et haleta bruyamment. Le train s’engagea lentement le long du quai. Derrière les
barreaux des petites lucarnes, on apercevait des têtes chiffonnées, pâles, mal réveillées, hirsutes : des
femmes effrayées, des hommes qui, détail exotique, avaient encore des cheveux. Ils nous dépassaient
lentement, observant la gare en silence. C’est alors qu’à l’intérieur des wagons quelque chose commença
à s’agiter et à résonner contre les parois de bois. Des appels sourds et désespérés fusèrent.
— De l’eau ! De l’air !
Aux fenêtres se penchaient des visages ; des bouches aspiraient désespérément l’air. Après quelques
gorgées, les gens disparaissaient des fenêtres et d’autres les prenaient d’assaut, puis disparaissaient de la
même manière. Les cris et les râles s’amplifiaient.
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Un homme en uniforme vert, plus couvert d’argent que les autres, eut une grimace de dégoût. Il tira sur sa
cigarette et la jeta brusquement, passa sa sacoche de sa main droite dans sa main gauche et fit un signe à
l’un des gardes. Ce dernier épaula lentement sa mitraillette et lâcha une rafale sur les wagons. Le silence
se rétablit. Pendant ce temps les camions s’étaient avancés, l’on avait installé les marchepieds et l’on s’était
placé comme il fallait près des wagons.
Le géant à la sacoche fit un signe de la main.
— Gare à ceux qui prennent de l’or, ou quoi que ce soit d’autre, à l’exception de la nourriture. Ils seront
fusillés pour avoir volé la propriété du Reich. Compris ? Verstanden ?
— Jawohl! hurla-t-on avec plus ou moins de force, chacun pour soi, mais avec de la bonne volonté.
— Also los! Au travail !
Les verrous grincèrent, on ouvrit les wagons. Une vague d’air frais s’abattit à l’intérieur, frappant les gens
comme de l’oxyde de carbone. Courbaturés, comprimés par une quantité monstrueuse de bagages, de
malles, de valises, de mallettes, de sacs à dos, de ballots en tout genre (ils avaient emporté tout ce qui
constituait leur ancienne existence et devait fonder la nouvelle), ils étaient terriblement entassés, ils
s’évanouissaient sous l’effet de la chaleur, étouffaient et étouffaient les autres. Ils se massèrent près des
portes ouvertes, haletant comme des poissons hors de l’eau.
[…]
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plus faibles se révoltaient et, dans le noir, le grouillement reprenait, les jambes repartaient de tous les
côtés. La lucarne n'indiquait plus rien, elle était noire. Ça se passait au milieu du wagon. On sentait la figure
sous le pied ou le pied sur la figure. Ça gueulait dans le noir.
Mais cette lutte était épuisante, et les jambes à la longue retombaient. Écrasées ou non, ennemies et
collées ensemble, elles acceptaient.
Je me suis tourné sur le côté droit. L'os de la hanche cognait contre le plancher. La tête dans le dos de H ...,
Jo appuyait la sienne contre mon dos. On est parvenu à s'immobiliser dans la vibration du wagon. Et les
poux se sont réveillés lentement. Sur la peau immobile, ils ont commencé à rôder […].
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Samuel BLUMENFELD pour Le Monde, 08 août 2007.4
Rétro-controverse : 1994, peut-on représenter la Shoah à l'écran ?
La Liste de Schindler de Steven Spielberg arrive sur les écrans français le 2 mars 1994. Sorti trois mois plus
tôt aux Etats-Unis, il vient d'y remporter un succès public inattendu, doublé d'un accueil critique quasi
unanime. Favori logique pour l'Oscar du meilleur film, qu'il remportera, La Liste de Schindler est également
un phénomène social outre-Atlantique. Le président Bill Clinton souhaite que le film soit diffusé dans les
écoles.
Le contexte français est différent […]. La Liste de Schindler est pourtant, dans un premier temps, salué
comme un événement par la presse française. "Ne jamais oublier Auschwitz. Evénement : le nouveau film
de Spielberg", titre Le Point. Le Nouvel Observateur choisit une accroche similaire : "Le film événement de
Spielberg, La Liste de Schindler". Un papier signé Claude Lanzmann, "Holocauste, la représentation
impossible" (Le Monde du 3 mars 1994), consacré au nouvel opus de Spielberg, lance un débat auquel La
Liste de Schindler n'échappera plus.
Après les compliments de pure forme, "J'ai vu Les Aventuriers de l'Arche perdue, j'ai vu E.T., j'ai dû voir Les
Dents de la mer, et j'aime bien ses films" et la volonté de voir le film sans a priori, le réalisateur de Shoah
se lance dans une analyse dévastatrice. Le premier point soulevé par Lanzmann repose sur le dilemme
auquel Spielberg s'expose inévitablement : "Spielberg ne peut pas raconter l'histoire de Schindler sans dire
aussi ce qu'a été l'Holocauste ; et comment peut-il dire ce qu'a été l'Holocauste en racontant l'histoire d'un
Allemand qui a sauvé 1 300 juifs, puisque la majorité écrasante des juifs n'a pas été sauvée ?"
Pour Lanzmann, l'Holocauste soulève surtout le problème de la représentation. Il se réfère à l'un des dix
commandements, celui relevant de l'interdit de représentation, pour décrier le principe d'une fiction sur
l'Holocauste. Ce débat n'est pas nouveau. Il remonte à 1961, à Jacques Rivette et à son article, "De
l'abjection", publié dans les Cahiers du cinéma. Le réalisateur de Paris nous appartient s'en prenait
violemment à Kapo, de Gillo Pontecorvo, qui met en scène une adolescente juive déportée avec ses
parents. Rivette dénonçait un plan où Emmanuelle Riva se suicide en se jetant contre les barbelés
électrifiés.
4
Article complet : https://www.lemonde.fr/idees/article/2007/08/08/retrocontroverse-1994-peut-on-representer-la-shoah-a-
l-ecran_942872_3232.html
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Les arguments de Rivette seront développés plus tard en 1992 par Serge Daney dans un article intitulé "Le
travelling de Kapo", une des pierres d'angle de la cinéphilie en France, où, à la lumière de la série télévisée
américaine "Holocauste", le critique estimait nécessaire de décréter un embargo5 pour aborder ce thème.
"En voyant La Liste de Schindler, écrit Lanzmann, j'ai retrouvé ce que j'avais éprouvé en voyant le feuilleton
"Holocauste". Transgresser ou trivialiser, ici, c'est pareil : le feuilleton ou le film hollywoodien transgressent
parce qu'ils "trivialisent", abolissant ainsi le caractère unique de l'Holocauste."
Sur ces bases, Lanzmann place son propre film, Shoah, sorti en 1985, en référence absolue. Il y a, selon lui,
un avant et un après-Shoah, qui fait qu'il lui semblait acquis que certaines choses ne pouvaient plus être
faites. La Liste de Schindler se révèle à ses yeux l'opposé de Shoah. La Liste met en scène une histoire
singulière, Shoah veut raconter un destin collectif. Spielberg vise un mélodrame cathartique, Shoah refuse
au contraire toute possibilité de pleurer. […] Enfin, Lanzmann estime certaines séquences de La Liste "
ambiguës" et "dangereuses" car introduites sans nuances : le rôle de la police juive, les négociations entre
Schindler et les membres du Judenrat (conseil juif nommé par les Allemands), ou la séquence finale en
Israël, qui viendrait donner l'idée fausse qu'Israël serait la rédemption de l'Holocauste. "Ces six millions ne
sont pas morts pour qu'Israël existe, conclut Lanzmann. La dernière image de Shoah, ce n'est pas ça. C'est
un train qui roule, interminablement. Pour dire que l'Holocauste n'a pas de fin."
[…] Steven Spielberg réagira plus tard, dans un entretien accordé au Monde en 1998 : "Aucun film, et j'inclus
La Liste de Schindler dans le lot, aucun documentaire, même Shoah de Claude Lanzmann, ne peut
décemment rendre compte de ce que le monde juif en Europe a enduré, et ce à quoi il a survécu. Mon
sentiment est qu'il me fallait en parler, tout au moins essayer. D'une certaine manière, j'ai échoué, comme
Claude Lanzmann, comme Primo Levi, comme Elie Wiesel."
L'un des points de vue les plus décisifs exprimés sur la polémique autour de La Liste de Schindler reste celui
de Raul Hilberg, dont le livre Exécuteurs, victimes, témoins (Gallimard, 1994) est dédié à Claude Lanzmann.
Dans un entretien donné à L'Express, l'historien - mort samedi 4 août (Le Monde du 8 août) - estime
puissants les outils de la fiction cinématographique et ne remet absolument pas en cause le côté
émotionnel de La Liste. Il n'y trouve par ailleurs aucune erreur historique flagrante. Surtout, Hilberg offrait
une piste d'interprétation valide des enjeux suscités par cette polémique. S'appuyant sur Le Chagrin et la
Pitié et Shoah, Hilberg estime qu'ils sont finalement "devenus des documents, pas tant d'ailleurs sur
l'Holocauste que sur les années 1970 et 1980 et la mémoire elle-même".
[…]
[…] En voyant un film, tout spectateur peut avoir pris le palais d'Hiver, être mort dans une tranchée de
1917, avoir jeté le pavé de Mai 68, mais avoir également compris comment s'organisait la vie dans une
ferme d'Ancien Régime, comment les ouvriers travaillaient à la chaîne aux côtés de Charlot. La forme
cinématographique est de part en part historique.
Un dispositif inédit
5
Forte restriction, voire mesure d’interdiction.
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Ce qui paraît une évidence fut pourtant longtemps laissé en friche. Et c'est depuis l'université, après 1968,
que ce lien entre cinéma et histoire fut repris et tracé, souvent dans l'adversité. Ces travaux sont alors le
fruit d'un historien atypique à l'EHESS : Marc Ferro, qui dénonce le peu de cas fait des films dans les études
historiques et propose de partir d'eux pour remonter au monde qui les a produits. Dans un article fondateur
des Annales en 1973, il écrit : « Partir de l'image, des images. Ne pas chercher seulement en elles illustration,
confirmation ou démenti à un autre savoir, celui de la tradition écrite. Considérer les images en elles-mêmes
pour mieux saisir l'histoire. » Dans Cinéma et histoire (1977), Marc Ferro prend l'exemple de M le Maudit
de Fritz Lang, grâce auquel il développe une « analyse historique à partir d'une procédure purement
cinématographique ». A travers la chasse d'un détraqué sexuel, l'historien démontre le fonctionnement «
pervers » de la république de Weimar et souligne la fascination de l'Allemagne et de Fritz Lang lui-même
pour la personnalité de Hitler et sa montée vers le pouvoir. Marc Ferro conclut ses études en assurant que
« le film constitue une forme privilégiée de l'histoire ».
En découvrant, grâce aux films, une réalité non visible aux historiens, il semble possible de construire un
dispositif inédit, jeux de miroirs entre un film et un état de société qui l'a produit, le considère et le
comprend. C'est là bâtir une discipline nouvelle, « cinéma et histoire », qui irriguera une part de l'histoire
des représentations et de l'histoire culturelle.
Deux œuvres cinématographiques majeures arrivent à point pour relancer à nouveau, au cours des années
1980 et 1990, les travaux des historiens qui considèrent le film comme leur source et le cinéma comme
leur méthode : Shoah de Claude Lanzmann (1985) et les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard (1988-
1998).
Shoah, d'une durée de 9 h 30, réalisé en une douzaine d'années, donne la parole aux acteurs de l'histoire,
refusant l'image d'archive comme toute reconstitution fictionnelle. Ces témoins sont de trois catégories :
les victimes, les persécuteurs et les « voisins ». Claude Lanzmann a conçu des dispositifs de cinéma, visibles
lors de ses entretiens. Les questions posées aux survivants juifs cherchent ainsi à les replacer dans
l'émotion, voire l'effroi, de leur expérience des camps de la mort : Shoah considère qu'ils sont des revenants
et qu'ils détiennent une vérité que le film doit révéler. Les questions imposent donc de revivre l'histoire. Il
s'agit alors, comme le dit l'historien Raul Hilberg, de « s'attacher aux précisions et aux détails, afin de les
organiser en une forme qui décrive le plus complètement ce qui s'est passé ». Autrement dit, pour faire
comprendre l'histoire, la caméra enregistre la façon dont certains hommes la revivent à travers leurs
paroles, leurs mouvements, leurs émotions. C'est un tournant décisif, non seulement dans l'histoire de la
mémoire de l'extermination des Juifs d'Europe, mais dans la façon dont les historiens travaillent (avec) le
cinéma.
Les huit épisodes des Histoire(s) du cinéma, réalisés sur une décennie, proposent une forme qui permet à
Jean-Luc Godard de « rendre visible » l'histoire de son siècle. « Mon idée, précise-t-il lors de la réception
du prix Adorno, en 1995, super-ambitieuse, que Michelet n'a pas eue, même quand il finissait sa grandiose
Histoire de France, c'est que l'histoire est là, seule, et que seul le cinéma peut la rendre visible. » Mais la
thèse godardienne est d'abord un constat d'impuissance : l'histoire du cinéma comme rendez-vous
manqué avec l'histoire, décalage auquel Jean-Luc Godard tente de remédier par ses Histoire(s).
Un « lamento » du XXe siècle
Cette démission du cinéma, notamment au moment de la montée des périls, du nazisme, de la guerre, de
l'Occupation et de la Solution finale, hante le film, qui insiste sur la culpabilité des clercs du cinéma devant
l'histoire, ces « grands réalisateurs incapables de contrôler la vengeance et la violence qu'ils avaient vingt
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fois mises en scène ». L'épreuve de vérité du cinéma, c'est l'histoire qui la lui impose, et Jean-Luc Godard
ordonne cette ordalie. Si le cinéma a failli, seules quelques images documentaires ont pu le racheter, celles
qui ont été enregistrées à l'hiver 1944 et au printemps 1945 lors de l'ouverture des camps. Et ces actualités
filmées peuvent même sauver la Babylone moderne, Hollywood : « Si George Stevens n'avait pas utilisé le
premier film en 16 millimètres couleur à Auschwitz et Ravensbrück [en fait, Godard se trompe, c'est à
Dachau], jamais sans doute le bonheur d'Elizabeth Taylor n'aurait trouvé une place au soleil. » George
Stevens, opérateur à Dachau, devenu six ans plus tard réalisateur hollywoodien d'Une place au soleil,
s'élève ainsi à la gloire par rédemption de l'histoire.
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Systématiquement, Laszlo Nemes et son chef opérateur Matyas Erdély suivent les déplacements de Saul.
L’écran est étroit, le cadre le plus souvent serré et l’arrière-plan délibérément maintenu dans le flou. On
comprend vite que cette restriction du champ de vision correspond à celle que le scénario prête à Saul, qui
ne peut accomplir ses tâches qu’en en ignorant l’horreur.
De même, le scénario (du réalisateur et de Clara Royer) ne fournit les informations que par bribes, laissant
au spectateur le travail de reconstituer une image cohérente de ce que fut l’existence des
Sonderkommandos. On entrevoit les divisions nationales, religieuses, politiques, de classes. Ce que met
aussi en scène Le Fils de Saul, c’est l’absurdité de l’entreprise génocidaire, menée par un assemblage de
fonctionnaires et de bourreaux qui renoncent à l’organisation industrielle du crime pour revenir à la
barbarie la plus élémentaire dès qu’ils se trouvent dans l’incapacité de maintenir la fiction de rationalité
dont ils ont entouré le massacre.
Cette notion de perte du sens se communique à tout le film. La quête de Saul, qui veut faire exister une
prière dans un monde dont tout prouve que le destinataire de ce message est absent, renvoie plus au
théâtre de l’après-guerre qu’à d’autres films sur la Shoah. Mais le prix d’En attendant Godot tient à la
distance que Beckett a creusée entre la réalité de l’horreur et la représentation qu’il en donne. Ici, la vaine
entreprise de Saul devient un artifice placé dans une réalité impossible à embrasser. Au fur et à mesure
que s’accumulent les informations sur le projet de soulèvement, l’obstination du protagoniste qui met en
danger ses camarades et leur projet apparaît déraisonnable, puis tout à fait vide de sens, quand bien même
il s’agirait de mettre en scène la diversité des comportements des membres des Sonderkommandos.
Enfin, Le Fils de Saul laisse entière la question centrale de l’incarnation des victimes. Les partis pris
photographiques permettent de l’éluder en partie. Reste que la séquence qui montre comment les
déportés d’un convoi sont abattus au bord de fosses communes parce que les installations ne répondent
plus aux objectifs des bourreaux renvoie forcément à d’autres mises en scène d’autres crimes, d’autres
massacres et ravale ce crime-là, malgré son caractère unique, au répertoire des crimes de cinéma.
Claude LANZMANN sur Le fils de Saul. Propos recueillis par Mathilde BLOTIERE pour Télérama, 24
mai 2015
László Nemes a inventé quelque chose. Et a été assez habile pour ne pas essayer de représenter
l'holocauste. Il savait qu'il ne le pouvait ni ne le devait. Ce n'est pas un film sur l'holocauste mais sur ce
qu'était la vie dans les Sonderkommandos. Une vie relativement très courte. Il s'agit de Sonderkommandos
hongrois, arrivant avec les convois de juifs hongrois. Ils vivaient des expériences épouvantables. Tous
étaient condamnés à terme, les nazis les liquidaient régulièrement, et les membres du Sonderkommando
le savaient parfaitement. Ce que j'ai toujours voulu dire quand j'ai dit qu'il n'y avait pas de représentation
possible de la Shoah, c'est qu'il n'est pas concevable de représenter la mort dans les chambres à gaz. Ici, ce
n'est pas le cas. Le réalisateur s'intéresse à ces commandos spéciaux chargés de la tâche atroce de forcer
d'autres Juifs à se dévêtir, à laisser leurs vêtements puis à entrer dans les chambres à gaz. A Auschwitz,
dans les chambres à gaz des crématoires 2 et 3, on faisait rentrer plus de 3 000 personnes à la fois, hommes,
femmes, enfants. On les comprimait à coup de matraques jusqu'à ce qu'il n'y ait plus un mètre de libre
entre eux. On fermait les portes avant de jeter par les ouvertures des cristaux de Zyklon B. Soudain, tous
commençaient à étouffer. Le gaz montait de bas en haut. Plus il était au ras du sol, plus il était efficace.
C'est pourquoi, cherchant à échapper à cette horreur, les déportés se montaient les uns sur les autres pour
essayer de respirer. Vous comprenez ? Les pères écrasaient leurs enfants sans même savoir qu'ils leur
marchaient dessus. Tout cela est parfaitement décrit dans Shoah par Filip Müller, l'un des membres du
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Sonderkommando d'Auschwitz. Les gens étaient nus. Mouraient dans le noir, sans avoir la connaissance de
leur propre mort. Ils ignoraient même où ils étaient parce qu'on les tuait deux heures après leur arrivée.
Auschwitz, ils n'en avaient jamais entendu parler. Tel était le véritable enfer des chambres à gaz. Comment
pourrait-il être reconstitué ?
[…] j'aime beaucoup Steven Spielberg et ses films mais quand il a réalisé La Liste de Schindler il n'a pas
suffisamment réfléchi à ce qu'était le cinéma et la Shoah, et comment les combiner. Le Fils de Saul est
l'anti-Liste de Schindler. Il ne montre pas la mort, mais la vie de ceux qui ont été obligés de conduire les
leurs à la mort. De ceux qui devaient tuer 400 000 personnes en trois ou quatre mois. C'était tellement
énorme que les fours crématoires n'y suffisaient pas. Ils se bloquaient et se retrouvaient inaptes à remplir
leur fonction. Les nazis avaient alors décidé de s'en passer et de creuser, autour des fours, des fosses, dans
la terre même. Les nouveaux convois qui arrivaient étaient directement conduits dans les fosses. Le film
de László Nemes montre cela, à plusieurs reprises : des corps nus tirés et entassés dont on peut deviner ce
qu'ils sont, à la condition de connaître l'Histoire.
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nous habituent les documentaires – il fait de ce film une plongée organique et sensorielle dans l’usine de
mort qu’a été Auschwitz, salutaire et indispensable car elle renfonce sans aucun doute notre capacité de «
perception », d’« éprouvement», sinon d’entendement.
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https://www.lokko.fr/2024/02/05/johann-chapoutot-la-zone-dinteret-est-un-film-exemplaire-pour-la-reflexion-historique/
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Comme souvent les films d’anciens publicitaires (Quentin Dupieux, par exemple), « La Zone » ne repose
que sur une seule idée – qui est à la fois sa force et sa limite -, et comme souvent celle-ci est assez
« puissante » (mais fait-on vraiment du cinéma avec une seule idée, aussi puissante soit-elle ?) : en
l’espèce, il s’agit ici de « déplacer le regard », et de travailler le hors-champ, par un travail sonore sidérant
(terme choisi à dessein : il plonge le spectateur dans un état de sidération permanente). Puisque la Shoah,
suivant la doxa cinéphilique post-lanzmanienne, demeure et doit demeurer l’obscène, la limite absolue de
la représentation – l’irreprésentable, à jamais hors du « spectaculaire » -, puisque donc la Shoah doit
demeurer hors-champ à jamais, nous dit Glazer, déplaçons le regard juste à côté, sur ses bords, et
intéressons-nous à la vie paisible du commandant Höss, « gestionnaire » en chef du camp d’Auschwitz, son
quotidien tranquille avec sa petite famille d’Aryens parfaitement blonds (dont la phénoménale Sandra
Hüller, qui, comme dans Anatomie d’une Chute, porte le film presque entièrement sur ses épaules).
Ainsi, s’immisçant dans les interstices non colmatées de la « jurisprudence » Lanzmanienne, Glazer utilise
le « son » de Auschwitz (le grondement sourd et continu des fours crématoires, les coups de feu des
exécutions sommaires, les suppliques des condamnés) pour installer l’horreur, rendue plus insupportable
encore par le caractère résolument idyllique de la villa familiale, de son jardin somptueux, coloré et baigné
de soleil. Plus encore que le son, c’est donc l’écart entre son et image que travaille Glazer, et c’est de cet
écart que le film tire sa puissance. Certes. Mais une fois le dispositif installé – un peu comme face à une
œuvre d’art contemporain – on tourne vite en rond. Au bout d’une demi-heure à peine, on a compris, et
les 90 minutes restantes paraissent bien longues.
Est-ce pour cela que Glazer finit par s’autoriser de nombreux effets arty, comme autant d’entorses au
principe de non-spectacularisation, comme s’il jouait un peu au chat à la souris avec les préceptes de
sacralisation (littéralement : mise à l’écart) de la Shoah ? Par exemple, les gros plans sur les magnifiques
fleurs du jardin, dont le rouge écarlate de la dernière finit par envahir l’écran, servent-ils à nous dire que la
nature elle-même est coupable ? Que Höss finalement n’est pas plus coupable qu’une rose ? Par exemple
aussi, ces plans où l’on voit, dans le ciel nocturne derrière la paisible villa, de lourds nuages de fumées
incandescentes s’élever de la cheminée des fours crématoires – n’est-ce pas une forme de
spectacularisation ? Un ami m’a dit : « j’ai trouvé ça terrifiant, presque sublime, on aurait dit l’œil de Sauron
trônant sur Mordor dans Le Seigneur des anneaux ». Mais non, en fait, la Shoah ça n’est pas Le Seigneur
des Anneaux.
Certains critiques ont affirmé : « c’est un film qui montre que la Shoah en est désormais à son stade muséal,
on ne peut plus la regarder que de loin, comme une œuvre dans un musée ». Si c’est vraiment le propos,
c’est glaçant.
[…]
Document complémentaire
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« A qui appartient Auschwitz ? » (1998) dans L'Holocauste comme culture (trad. N. et C. Zaremba, Actes Sud, 2009.
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les œillères de l'idéologie (et ne l'ont donc pas vu) et n'en ont pas compris le moindre mot, la moindre
image. En premier lieu, ils n'ont pas remarqué que l'idée de Benigni n'était pas comique, mais tragique.
Certes, tout comme le personnage de Guido, l'idée se développe lentement. Durant les vingt à trente
premières minutes du film, on a l'impression d'être dans les coulisses d'un film burlesque. On ne comprend
que plus tard à quel point ce prélude semblant impossible est une composante essentielle du film et de la
dramaturgie de la vie. Et, quand les pirouettes du personnage principal commencent à devenir
insupportables, sous le masque du clown apparaît petit à petit le magicien. Il lève sa baguette magique et,
dès lors, chaque mot, chaque image est transfigurée. Dans le livret joint à la cassette vidéo j'apprends que,
pendant le tournage, on a veillé particulièrement à donner une image fidèle du quotidien, des objets, des
accessoires. Par bonheur, cela n'a pas réussi. La fidélité réside dans les détails et non nécessairement dans
la ressemblance objective. [...] l'esprit, l'âme de ce film sont fidèle, ce film nous touche par le charme le
plus ancien qui soit : la puissance du conte. [...] Il y a dans le film une scène dont on parlera certainement
encore beaucoup. Il s'agit du moment où le héros du film, Guido, endosse le rôle d'interprète et traduit
pour les occupants de la baraque, mais surtout pour son fils de quatre ans, le discours d'un sous-officier SS
qui communique aux détenus le règlement du camp. Cette scène contient des éléments qu'il serait
impossible de décrire avec le langage rationnel et qui néanmoins nous disent tout sur l'absurdité de ce
monde terrible et sur la force spirituelle impuissante, faillible et pourtant inflexible de l'homme confronté
à cette absurdité. Pas de gigantisme, pas d'insistance pénible ou sentimentale sur les détails, pas de
didactisme. Tout est si clair, si simple et va droit au cœur : on ne peut s'empêcher d'avoir les larmes aux
yeux. La dramaturgie du film fonctionne avec la précision simple des bonnes tragédies. Guido doit mourir
à ce moment-là, de cette façon-là. Avant de mourir -et alors nous savons déjà combien pour lui la vie est
belle et précieuse- il faut encore une grimace à la Chaplin pour donner courage à son fils qui l'observe
depuis sa cachette. Le goût sûr, le style irréprochable du film font que nous n'assistons pas à la mort de
Guido ; mais la courte rafale de mitraillette joue un rôle essentiel et foudroyant dans la dramaturgie. Le
gros lot finit par arriver : le "vrai tank" roule vers le petit garçon. Mais alors, dans l'histoire, le deuil recouvre
le jeu et le gâchis. Et l'on comprend que ce jeu s'appelle aussi civilisation, humanité, liberté -tout ce que
nous considérions autrefois comme des valeurs. Et les mots de l'enfance qui s'écrie : "On a gagné !" dans
les bras de sa mère retrouvée prennent, dans la puissance du moment, la valeur d'une douloureuse élégie.
Sujet d’essai
En 1963, dans les Cahiers du cinéma, Jean-Luc GODARD avait écrit que « le seul vrai film à faire sur les
camps – qui n’a jamais été tourné et ne le sera jamais parce qu’il serait intolérable-, ce serait de filmer un
camp du point de vue des tortionnaires, avec leurs problèmes quotidiens. » Jonathan GLAZER a-t-il réalisé
ce projet ?
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