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Akofena Hors Serie n02 Vol.2 Mai 2023

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Hors-Série

n°02, vo.2
Mai 2023
L3DL-CI, Université Félix Houphouët-Boigny
https://www.revue-akofena.com/

Actes du 4ème Colloque international de Kodjoboué-Bonoua


06 et 07 octobre 2022
Coordinateurs :
TAPE Jean-Martial ; KRA Kouakou Appoh Enoc ;
ASSANVO Amoikon Dyhie Coordinateurs :
TAPE Jean-Martial
KRA Kouakou Appoh Enoc ;
Actes du 4ème Colloque international de Kodjoboué-Bonoua ASSANVO Amoikon Dyhie
06 et 07 octobre 2022

Thème : Les lettres, Sciences humaines et Sciences sociales


au service du développement durable
ISSN-L 2706-6312
E-ISSN 2708-0633

CC BY 4.0

https://www.revue-akofena.com/

D.O.I: https://doi.org/10.48734/akofena
Akofena, revue scientifique des Sciences du Langage,
Lettres, Langues & Communication
https://www.revue-akofena.com

D.O.I : https://doi.org/10.48734/akofena

PÉRIODIQUE : SÉMESTRIEL

CC BY 4.0 - Creative Commons

Sous-direction du dépôt légal, 1er trimestre


Dépôt légal n°16304 du 06 Mars 2020
----------

Éditeur :
L3DL-CI, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire

ISSN-L (imprimé) 2706 - 6312 E-ISSN (en ligne) 2708 - 0633


https://doaj.org/toc/2706-6312

https://reseau-mirabel.info/revue/7228/Akofena_revue_scientifique_des_sciences_du_langage_lettres_langues_et_communication

https://www.journaltocs.ac.uk/index.php?action=browse
&subAction=pub&publisherID=5480&journalID=46600&p
ageb=1&userQueryID=&sort=&local_page=1&sorType=&s
orCol=1

https://www.worldcat.org/title/revue-akofena-hors-srie/oclc/1151418959&referer=brief_results

https://bibliographies.brillonline.
com/pages/lb/periodicals
https://commons.datacite.
org/doi.org?query=Akofena
http://ezb.uni-regensburg.de/ezeit/detail.phtml?bibid=SUBHH&colors=7&lang=de&jour_id=466175

hhttps://searchworks.stanford.edu/vie
w/13629336

https://dbh.nsd.uib.no/publiseringskanaler/erihplus/periodical/info.action?id=498446

https://essentials.ebsco.com/search?query=Akofena&language=en

https://portal.issn.org/resource/ISSN/2078-0633

https://zenodo.org/search?page=1&size=2
0&q=Akofena

https://www.arsartium.org/wp-content/uploads/2021/02/MLA.pdf

https://scholar.google.com/scholar?hl=en&as
_sdt=0%2C5&q=revue+akofena&btnG=

https://v2.sherpa.ac.uk/id/publication/37175

https://www.ascleiden.nl/content/recently-published-journal-articles-week-21-2020

Pour plus d’informations sur toutes nos bases d’indexation internationale :


https://www.revue-akofena.com/indexation/
COMITÉ ÉDITORIAL & DE RÉDACTION
EDITORIAL AND WRITING BOARD

Directeur de publication et Rédacteur en chef / Director of Publication/ Editor-in-Chief


§ Dr (MC) ASSANVO Amoikon Dyhie, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire

Co-directeur de publication / Co-editor of Publication


§ Dr (MC) KRA KOUAKOU Appoh Enoc, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire

Secrétaires éditoriaux / Editors' Secretaries


§ Dr AHADI SENGE MILEMBA Phidias, Université de Goma, RDC
§ Dr ATSE N’cho Jean-Baptiste, Université Alassane Ouattara
§ Dr BOUTIN Akissi Béatrice, Université la Sapienza, Rome, Italie
§ Dr GONGO Bleu Gildas, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
• Dr KODAH Mawuloe Koffi, University of Cape Coast Cape Coast, Ghana
• Dr KOUACOU N'goran Jacques, Université Félix Houphouët-Boigny
§ Dr KOUASSI N’dri Maurice, Université Péléforo Gon Coulibaly, Côte d’Ivoire
§ Dr KOUESSO Jean Romain, Université de Dschang, Cameroun
§ Dr MADJINDAYE Yambaïdjé, Université de N’Djaména, Tchad
§ Dr MANDOU AYIWOUO Faty-Myriam, Université de Douala, Cameroun
§ Dr SIB Sié Justin, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr SEA Souhan Monhuet Yves, Université Félix Houphouët-Boigny
§ Dr TOLOGO Guillaume Ballebé, Université Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
§ Dr UNGUREANU Cristina, Université de Pitesti, Roumanie

Secrétaires de rédaction / Editorial Secretaries


§ Dr BEN LARBI Sara, Université de Lorraine, France
§ Dr BERE Anatole, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr CONGO Aoua Carole, CNRST, Burkina Faso
§ Dr EYI Max-Médard, Université de Libreville, Gabon
§ Dr KONE Drissa, Unification Theological Seminary, USA New York City Campus
§ Dr KOUASSI Amoin Liliane, INSAAC, Côte d’Ivoire
§ MAMADI Robert, Université Adam Barka d’Abéché, Tchad
§ Dr MBARGA François, Université de Yaoundé 1, Cameroun
§ Dr NANTOB Mafobatchie, Université de Lomé, Togo
§ Dr NIAMIEN N’da Tanoa Christiane, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr NGUEMA ANGO Joseph-Marie, École Normale Supérieure du Gabon
§ Dr N’GUESSAN Kouassi Akpan Désiré, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr STOLL Marie, Humboldt State University, USA
§ Dr YEO Kanabein Oumar, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr YOUANT Yves-Marcel, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire

Secrétaires informatiques / IT Secretaries


§ Dr ALLOU Allou Serge Yannick, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr DODO Jean-Claude, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr N’GORAN Konan Fortuna Arnaud, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire

Secrétaires administratifs / Administrative Secretaries


§ Dr AHATÉ Tamala Louise, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr ALLA N’guessan Edmonde-Andréa, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr AMANI-ALLABA Angèle Sébastienne, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr ANDREDOU Assouan Pierre, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr KESSIE-OUATTARA Diane-Laure, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr TAKORE-KOUAME Aya Augustine, Université Alassane Ouattara, Côte d’Ivoire
COMITÉ SCIENTIFIQUE & DE LECTURE
SCIENTIFIC AND READING BOARD

National
§ Prof. ABOA Abia Alain Laurent, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Prof. AHOUA Firmin, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Prof. BOGNY Yapo Joseph, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Prof. BOHUI Djédjé Hilaire, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Prof EKOU Williams Jacob, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Prof. FOBAH Eblin Pascal, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr (MC) GOA Kacou, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Prof. HIEN Sié, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr (MC) HOUMEGA Munseu Alida, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Prof. KOUAMÉ Abo Justin, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Prof. LEZOU KOFFI Aimée-Danielle, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Prof. KOSSONOU Kouabena Théodore, Univ. Félix Houphouët-Boigny
§ Prof. KOUADIO N’Guessan Jérémie, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr (MC) MANDA Djoa Johson, Institut National Polytechnique Félix Houphouët-Boigny
§ Prof. N’GORAN POAMÉ Léa Marie Laurence, Université Alassane Ouattara, CI
§ Dr (MC) TAPÉ Jean-Martial, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Prof. TOUGBO Koffi, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
§ Dr (MC) ZAKARI Yago, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire

International
§ Dr (MC) ADJERAN Moufoutaou, Université d’Abomey-Calavi, Bénin
§ Prof. AINAMON Augustin, Université d’Abomey-Calavi, Bénin
§ Dr (MC) BENAÏCHA Fatima Zohra, Université de Blida 2, Algérie
§ Prof. GBAGUIDI Koffi Julien, Université d’Abomey-Calavi, Bénin
§ Dr (MC) KABORE Bernard, Université Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
§ Prof. KANTCHOA Laré, Université de Kara, Togo
§ Prof KHARROUBI Sihame, Université Ibn Khaldoun de Tiaret, Algérie
§ Prof. LOUM Daouda, Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal
§ Prof. MALGOUBRI Pierre, Université Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
§ Prof. MOUS Maarten, Université Leyde, Pays-Bas
§ Dr(MC) NJIOMOUO LANGA Carole, Université de Maroua, Cameroun
§ Dr(MC) NOUREDINE Djamaleddine, Université de Tiaret, Algérie
§ Dr (MC) OULEBSIR-OUKIL Kamila, École Normale Supérieure de Bouzaréah, Algérie
§ Dr (MC) OUÉDRAOGO Mahamadou Lamine, Université Norbert Zongo, Burkina Faso
§ Prof. PALI Tchaa, Université de Kara, Togo
§ Prof. QUINT Nicolas, Université Paris Villejuif, France
§ Dr (MC) RAKOTOMALALA Jean Robert, Université de Toliara, Madagascar
§ Dr (MC) RAZAMANY Guy, Université de Mahajanga, Madagascar
§ Dr (MC) REDOUANE Rima, Université Abderrahmane MIRA-Bejaia, Algérie
§ Prof. TCHABLE Boussanlègue, Université de Kara, Togo
Ligne éditoriale

A
kofena symbolise le courage, la vaillance et l’héroïsme. En pays Akan, les épées
croisées représentent les boucliers protecteurs du Roi. La revue interdisciplinaire
Akofena des Lettres, Langues et Civilisations publie des articles inédits, à caractère
scientifique. Ils auront été évalués en double aveugle par des membres du comité scientifique
et d’experts selon leur(s) spécialité(s). Notons qu’Akofena est une revue au confluent des
Sciences du Langage, des Lettres, Langues et de la Communication. Les textes publiés sont
des contributions théoriques ou des résultats de recherches de terrain des Chercheurs,
Enseignants-Chercheurs et Étudiants. Pour éliminer toute velléité de collision avec des textes
existants en ligne, c’est-à-dire déjà publiés, et obtenir un texte publiable ayant une grande
qualité scientifique, valorisant tant le Contributeur que la revue Akofena, depuis octobre 2021,
le Comité scientifique et l’Éditeur imposent à tout projet d’article une soumission à la
détection anti-plagiat. Notons que le score obtenu ne devra pas excéder 20%. Akofena n’est ni
une revue nationale ni régionale, mais une revue ouverte et accessible aux chercheurs de tous
les horizons linguistiques. C’est à ce titre que les différents numéros publiés par Akofena font
l’objet d’appel à contributions internationales sur les canaux de diffusions existantes. Outre,
pour se départir des revues prédatrices, qui pullulent le monde universitaire, la soumission et
les évaluations des projets d’article sont entièrement gratuites. Les seuls frais perçus par le
nos services restent les frais liés à l’insertion/ publication des textes acceptés après
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Pour terminer, conformément à la politique de libre accès, les articles publiés peuvent être
copiés et distribués sans autorisation, à condition qu'une citation correcte de la publication
originale soit fournie. Nous nous engageons à faire progresser la science et les applications à
travers nos publications. Akofena veut s'assurer que votre expérience éditoriale se déroule le
mieux possible afin que vous puissiez vous concentrer sur ce qui compte vraiment.

M. ASSANVO A. Dyhié, Maître de Conférences, Directeur de publication, Éditeur-en-Chef


Dr MC TAPE Jean-Martial
Dr MC KRA Kouakou Appoh Enoc
Dr MC ASSANVO Amoikon Dyhie

Les Lettres, Sciences


Actes du 4
ème
Colloque 2022 Humaines & Sociales au
service du développement
durable

Akofena | Hors-Série n°02, Vol.2– Mai 2023


Date de mise en ligne 10 / 05/ 2023
ISSN-L : 2706-6312 //eISSN : 2708-0633
Éditeur : L3DL-CI, Université Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire)
URL : https://revue-akofena.com
Les Lettres, Sciences Humaines et Sociales au service du développement durable

ans le cadre des activités de l’équipe de recherche L3DL-CI, il s’est tenu, du 06 au

D
07 octobre 2022, le quatrième colloque international pluridisciplinaire de
Kodjoboué-Bonoua (Côte d’Ivoire), sous couvert du Laboratoire Dynamique des
Langues et Discours (LADYLAD) avec pour thème : « Les Lettres, Sciences
Humaines et Sociales au service du développement durable ». Cette rencontre
scientifique a mobilisé des enseignants-chercheurs et des étudiants des institutions
universitaires de Côte d’Ivoire et des scientifiques d’autres pays. Elle a donné l’occasion de
mener des réflexions sur l'apport des sciences "non exactes" au développement durable dans
un monde résolument tourné vers la recherche technologique. En effet, de plus en plus, les
politiques gouvernementales préfèrent consacrer beaucoup plus de financements aux
sciences dites exactes telles que les mathématiques, les sciences économiques, les sciences
physiques, l'astronomie, etc.

La relégation des Lettres Sciences humaines et Sociales (LSHS) n'est pas que l'apanage des
politiques. Selon le philosophe britannique Peter WINCH (2009, p.50) : "l'idée d'une
science sociale apparait alors comme une simple absurdité, parce que les phénomènes
sociaux ne peuvent être traités comme des faits physiques." On en déduit que les LSHS ou
sciences non-fondamentales ne servent quasiment à rien. Faut-il pour autant abandonner les
sciences non-fondamentales ? Aujourd'hui, certains homologues des sciences pures et
appliquées reconnaissent les inconvénients de leurs recherches sur l'homme et son
environnement. Nous avons en mémoire les effets de la bombe atomique larguée à Hiroshima
et Nagasaki en 1945, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986, etc. C’est autour de
cette problématique que s’est articulé l’ensemble des contributions lors de ce colloque.
Contributions qui se sont succédées en atelier suivant trois axes :

Axe 1 : La portée des langues dans le développement durable ;


Axe 2 : La part des lettres au développement durable ;
Axe 3 : L'apport des sciences humaines et sociales au développement durable.

Les échanges enrichissants découlant de ces assises ont permis de rassembler 35 articles
dans le présent ouvrage qui constituent les actes du colloque. Ces articles prenant appui sur
différentes approches théoriques, méthodologiques, descriptives et littéraires se présentent
comme des contributions originales et pertinentes de la question centrale du colloque et
permettent ainsi de montrer l'apport des Lettres, sciences humaines et sociales au
développement durable.

Comité scientifique : Pr N’Guessan Jérémie KOUADIO, Université Félix Houphouët-


Boigny ; Pr Firmin AHOUA, Université Félix Houphouët-Boigny ; Pr Hilaire BOHUI,
Université Félix Houphouët-Boigny ; Pr Pierre N’DA, Université Félix Houphouët-Boigny ;
Pr Zasseli Ignace BIAKA, Université Félix Houphouët-Boigny ; Pr Camille ABOLOU,
Université Alassane Ouattara ; Pr Aimée-Danielle LEZOU KOFFI, Université Félix
Houphouët-Boigny ; Pr Léa Marie Laurence NGORAN-POAME, Université Alassane
Ouattara ; Pr Kasimi DJIMAN, Université Félix Houphouët-Boigny ; Pr Paul N’Guessan

Actes du 4ème Colloque ⎜2022


Présentation des actes du 4ème Colloque

BECHIE, Université Félix Houphouët-Boigny ; Pr Maxime DA CRUZ, Université d’Abomey-


Calavi ; Pr Augustin AINAMON, Université d’Abomey-Calavi ; Pr Nicolas QUINT,
LLACAN, INALCO, Paris ; Pr Maarten MOUS, Université de Leiden ; Pr Yapo Joseph
BOGNY, Université Félix Houphouët-Boigny ; Pr Abia Alain Laurent ABOA, Université
Félix Houphouët-Boigny ; Pr Koia Jean-Martial KOUAME, Université Félix Houphouët-
Boigny ; Pr Kouabena Théodore KOSSONOU, Université Félix Houphouët-Boigny ; Pr Tano
Williams Jacob EKOU, Université Félix Houphouët-Boigny ; Dr (MC) Amoikon Dyhie
ASSANVO, Université Félix Houphouët-Boigny ; Dr (MC) Kouakou Appoh Enoc KRA,
Université Félix Houphouët-Boigny ; Dr (MC) Jean-Martial TAPE, Université Félix
Houphouët-Boigny ; Dr (MC) Alain Albert ADEKPATE, Université Félix Houphouët-
Boigny ; Dr (MC) Kallet Abraham VAHOUA, Université Félix Houphouët-Boigny ; Dr (MC)
Blé François KIPRE, Université Félix Houphouët-Boigny ; Dr (MC) Munseu Alida
HOUMEGA, Université Félix Houphouët-Boigny ; Dr (MC) Bra BOSSON Épe DJEREDOU,
Université Félix Houphouët-Boigny ; Dr (MC) Yao Emmanuel KOUAMÉ, Université Félix
Houphouët-Boigny ; Dr (MC) Moufoutaou ADJERAN, Université d’Abomey-Calavi.

Coordinateurs : Dr (MC) TAPÉ Jean-Martial, Université Félix Houphouët-Boigny et Dr (MC)


KRA Kouakou Appoh Enoc, Université Félix Houphouët-Boigny et Dr (MC) ASSANVO
Amoikon Dyhie, Université Félix Houphouët-Boigny.

Président du comité d’organisation : TAPÉ Jean-Martial

Les différentes commissions du comité d’organisation


Commission secrétariat : KOUACOU N’goran Jacques, AGNISSONI Kouassi Sidoine ; YEO
Kahatie Joseph ; BOHOUSSOU Louis-Charles Kouadio Kouame ; ADJOUMANI Kouadio
Eric, KOFFI Koffi, MOMO Lou Yeri Constance, Amenan Martiale N’GUESSAN Epouse
ADOU, N’GORAN Konan Fortuna Arnaud, GNONSIAN Fieglo Lopez, N’GUESSAN Josiane,
SOUMAHORO Kady Cécile, ADAÏ Marie Dominique, DOSSO Mariam Larissa, YEO
Foundanhan Eugenie, NIANDOH Ade Ange Carolle, KOUAKOU Koffi Felix, FOFANA
Kalidja Siby, ASSIE Amah N’groma Orelia Rose-Christiane, TAPE Jean Martial, KRA
Kouakou Appoh Enoc, ANDREDOU Assouan Pierre, DAGO Lago Joel Gibson.

Commission logistique : ALLOU Allou Serge Yannick, FANGMAN Yedehe, Kpanbadjin


Kisito Charles, OUATTARA Mamadou, GNADRE Carmel Denis, KOFFI Kouame Morel
Emmanuel, NYEMAN Angelo, DOUA Elie Timothee, KOUASSI Koffi Yeboua Vincent, BOA
Aka Kassi Georges, CISSE Moustapha, BOITINI Kouakou Jonathan, N’GUESSAN Modeste,
COULIBALY Tidiane

Commission finances : AHATE Tamala Louise, KESSIE Kokoa Diane Laure épouse
OUATTARA, ASSANVO Amoikon Dyhie, YATTE Akouba Lauvly Loriane

Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜305-314


Les Lettres, Sciences Humaines et Sociales au service du développement durable

Commission communication : Jean-Claude DODO, Velerou Adelin FALLE.

Commission accueil, installation et protocole : GOPROU Carlos, DRI Lou Claudine,


Symphorien Télesphore GNIZAKO, Affoué Cécile N’GUESSAN, Edith Jennifer OBODJE.

Commission santé, sécurité et hygiène : Bleu Gildas GONDO, Sié Justin SIB, Christiane
NIAMIEN, Kouakou Florent Fabrice DAPA.

Commission restauration : ALLA N’guessan Edmonde-Andrea, Marcel VAHOU,


Marthe KOSSONOU, Josiane N’GUESSAN.

Remerciements : L’organisation du quatrième colloque international pluridisciplinaire de


Kodjoboué-Bonoua représentait un immense défi pour les coordonnateurs et le comité
d’organisation. Au nom du Responsable du Laboratoire Dynamique des Langues et Discours
(LADYLAD), Dr (M.C) KRA Kouakou Appoh Enoc nous témoignons notre reconnaissance à
Professeur BALLO Zié, Président de l’Université Félix Houphouët-Boigny, à Professeur
Adama COULIBALY, Doyen de l’UFR Langues, Littératures et Civilisations, à Professeur
KOUADIO N'Guessan Jérémie, Directeur de l’équipe de recherche Laboratoire de
Description, de Didactique et de Dynamique des Langues en Côte d’Ivoire (L3DL-CI), et à
tous les animateurs des conférences plénières. La constante participation massive des
collègues Enseignants-chercheurs et Chercheurs, des étudiants de différentes institutions
supérieures et universitaires de Côte d’Ivoire, de l’Afrique occidentale, centrale et du nord
témoigne de l’intérêt qu’ils accordent à cette activité scientifique.

Actes du 4ème Colloque ⎜2022


Abdoulkader NAMATA SAMA IBRAHIM

PLACE ET RÔLE DE LA PHILOSOPHIE DANS LA POLITIQUE


DU DÉVELOPPEMENT HUMAIN DURABLE

Abdoulkader NAMATA SAMA IBRAHIM


Chargé d’enseignement de Philosophie au Lycée d’excellence de Niamey/ Niger
[email protected]

Résumé : L’apport des sciences humaines et sociales au développement durable, est à


tort ou à raison contesté par nombres de personnes. Comparativement aux sciences
exactes, ces dernières n’apportent pas assez dans la vie des hommes. Ce préjugé
lointain, découle d’une conception du développement centrée uniquement sur
l’économique. Désormais perçu comme un processus multidimensionnel, le
développement fait appel au social, au culturel, au politique et à l’éducationnel. Cette
approche du développement demande à investir dans l’homme ; car l’homme est la
première richesse d’une nation. Ainsi, à l’instar des sciences exactes, les sciences
humaines jouent un rôle déterminant dans le développement humain durable. La
confrontation traditionnelle, voire l'opposition entre sciences exactes et sciences
humaines et sociales doit donc s’estomper au profit d'un modèle de
coopération dialectique qui admet l'apport de chaque forme de savoir dans le processus
de développement humain.

Mots-clés : Développement, homme, philosophie, sciences, société

PLACE AND ROLE OF PHILOSOPHY IN SUSTAINABLE HUMAN DEVELOPMENT


POLICY

Abstract: The contribution of human and social sciences to sustainable development, is


rightly or wrongly contested by many people. Compared to the exact sciences, the latter
do not contribute enough to the lives of Men. This distant prejudice stems from a
conception of development centered solely on the economy. Now perceived as a
multidimensional process, development involves the social, the cultural, the political
and the educational. This approach to development requires investing in Man; for Man
is the first wealth of a nation. Also, like the exact sciences, the humanities play a
determining role in sustainable human development. The traditional confrontation, even
the opposition between exact sciences and human and social sciences must therefore
fade in favor of a model of dialectical cooperation which admits the contribution of each
form of knowledge in the process of human development.

Keywords: Development, man, philosophy, sciences, society

Introduction
Pendant plusieurs siècles, les sciences « dures » ou sciences « exactes » sont
apparues comme les seules disciplines pouvant améliorer le sort de l’humanité dans la
mesure où leur impact se fait partout visible dans les sociétés. A la différence des sciences
humaines et sociales qui n’apportent presque rien à la vie des communautés, les sciences
exactes enrichissent et améliorent les conditions de vie de l’humanité. Longtemps pensé
comme ne relevant que de la sphère économique, le développement ne doit rien aux sciences
humaines et sociales. Cependant, perçu comme un processus multidimensionnel, les

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 3


Place et rôle de la philosophie dans la politique du développement humain durable

nouvelles politiques du développement font aujourd’hui intervenir beaucoup de techniques


variables suivant les disciplines et les spécialistes de chaque domaine. A l’instar donc des
sciences exactes, les sciences humaines et sociales trouvent elles aussi leur mot à dire dans
les processus de développement des peuples. L’objectif général de ce travail est de détruire
le préjugé fort répandu selon lequel les sciences humaines ne prennent part au
développement d’aucune société. Ainsi, en considérant avec C. Albagli (2003 :97) « que le
développement est lié à une notion de progrès, d’améliorations des conditions de vie,
culturelles autant que matérielles, de l’ensemble des membres d’une société » ; nous
montrerons que les sciences sociales et humaines ont joué et continueront de jouer un rôle
important dans tous les processus de développement durable. Dans notre analyse, un accent
particulier sera mis sur la contribution de la philosophie dans le processus du développement
humain durable. Pour réussir ce travail, nous partirons de l’hypothèse suivante : les sciences
sociales en générale et la philosophie en particulier sont d’un apport inestimable dans le
développement des peuples. En quoi et comment les sciences sociales et humaines
contribuent-elles au développement des peuples ? De quelle manière la philosophie peut-
elle prendre part à ce développement ? La philosophie n'est-elle pas essentiellement
théorique ? Pour bien répondre à ces questions, il est nécessaire de définir d’abord les
concepts de science et de développement. Nous adopterons dans ce travail, une approche
comparative entre sciences sociales et humaines et sciences exactes, afin de partager une
meilleure compréhension du rapport de complémentarité entre ces deux domaines de
connaissances dans toute approche de développement durable.

1. Analyse du concept de développement


Le concept de développement est polysémique. Il est utilisé non seulement en
sciences sociales, mais aussi dans de nombreuses autres disciplines de la biologie à
l'économie G. Azoulay (2002, p. 29). Il importe donc, dans le cadre de cet article, de bien
clarifier le sens que nous accordons à ce concept afin de mieux faire comprendre l’apport
des sciences sociales exclues jadis dans tout processus de développement.

1.1. Approche économique de la notion de développement


Pendant longtemps, le développement a été pensé comme relevant uniquement de la
sphère économique. Il signifiait pour beaucoup, l’obtention d’une croissance économique
significative sur une longue période. Ainsi, jusqu’aux années dix-neuf cent soixante-dix
(1970), « le développement économique était analysé uniquement en terme quantitatifs » C.
Albagli (2003 :89), l’efficacité du processus de développement se mesurant à travers
l’accroissement du revenu par tête en terme monétaires. Chez les économistes classiques,
l’amélioration des conditions de vie passe par celle du capital. Ces théoriciens, écrit A. Jégou
(2007 :22) « manifestent une grande confiance dans la régulation marchande de
l’harmonisation des intérêts.». Les organisations internationales ont adopté ce principe et
ont encouragé les pays en développement à n’accumuler que du capital, occultant ainsi une
large part de leur potentiel favorable au développement. Les principes de l’économie
élaborés par les premiers théoriciens de l’économie classique, « […] ont ainsi servi pendant
une longue période de temps, de base aux théories du développement économique et du
développement tout court. » S. Tremblay (1999 : 13). Il a fallu les années dix- neuf cent
quatre -vingt -dix (1990), pour voir intervenir beaucoup de changements importants dans
l’approche du problème de développement. Ces évolutions sémantiques annoncent la
métamorphose de la notion de développement. Le revenu par tête, écrit C. Albagli (2003 :

4 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜003-012


Abdoulkader NAMATA SAMA IBRAHIM

89-90) « cesse d’être le seul indicateur du développement. On a créé l’indice du développement


humain qui, outre le revenu par tête, comprends d’autres éléments quantitatifs, mais aussi pour la
première fois des éléments qualitatifs. » Au développement tout court confiné dans le contenu
sémantique exclusivement économique est dorénavant associées des épithètes qui
témoignent du droit à l'expression des valeurs culturelles des civilisations issues de l'histoire
et des situations sociales spécifiques des sociétés émergentes. A la notion de « self-
reliance », d'autonomie ou développement autocentré qui fit son entrée dans la littérature du
développement, écrit J- R Legouté (2001 :17-18) « […] se succèdent les concepts de
développement endogène, développement solidaire, communautaire, intégré, authentique,
autonome et populaire, durable, humain, harmonisé, participatif, global,
l'écodéveloppement, l'endodéveloppement, l'ethnodéveloppement et pour finir, le
développement socialiste ». Le concept de développement, en intégrant le social et l'humain,
subit une véritable révolution sémantique. Du coup, le développement cesse d’être pris dans
sa seule dimension économique pour englober les autres dimensions à savoir le social, le
culturel, le politique et l’éducationnel. Cette approche non réductionniste des questions du
développement cherche à instaurer un développement qui tient compte des besoins et
aspirations des populations. Elle demande à investir dans l’homme, car l’homme est la
richesse première d’une nation.

1.2 La notion humaine du développement durable


L’idée du développement humain durable est liée à une conception large du
développement qui met au centre de ses préoccupations l’être humain. L’objectif est de
tendre à l’épanouissement de chacun et de tous. Contrairement au développement
économique, le développement humain durable est une forme de développement qui ne se
contente pas d’engendrer uniquement la croissance économique. Il vise la totale promotion
de l’être humain dans son insertion sociale et dans son épanouissement individuel tant sur
le plan spirituel que moral. Le développement durable se compose de trois piliers qui sont
entre autres, économique, environnemental et social. Cela signifie que ces trois notions
doivent être réunies pour parler de développement durable. En effet, nous pouvons ici
soutenir qu’il n’y a point de développement sans une culture du développement. Cette
culture, écrit H. Alkassoumi (2001 : 84) « est faite d’esprit d’ouverture, d’initiative et
d’imagination créatrice. » Le développement humain durable est ainsi conçu comme une
dynamisation d’une société dans son être même, comme une véritable lutte dans laquelle la
société s’engage en faisant appel à toutes ses capacités d’autocréation. Le développement
humain durable souligne donc la croissance, mais une croissance multidimensionnelle. C’est
peut-être pourquoi B. Kristin (2005 :290), écrit « Le concept de développement durable est
capable de rassembler des personnes de toute provenance idéologique.» Le Programme des
Nations kUnies pour le Développement (PNUD) propose sa notion de développement humain
comme suit :
Le développement humain ne se limite pas, loin s’en faut, à la progression ou au recul
du revenu national. Il a pour objectif de créer un environnement dans lequel les
individus puissent développer pleinement leur potentiel et mener une vie productive et
créative, en accord avec leurs besoins et leurs intérêts. La véritable richesse des
nations, ce sont leurs habitants. Le rôle du développement consiste donc à élargir les
possibilités, pour chacun, de choisir la vie qui lui convient. Ce concept dépasse ainsi
largement celui de croissance économique. En effet, celle-ci n’est qu’un moyen — aussi
important soit-il —d’accroître ces choix
PNUD, Rapport mondial sur le développement humain (2001)

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 5


Place et rôle de la philosophie dans la politique du développement humain durable

L’idée de développement humain durable est une sorte d’idée régulatrice qui incite
à créer et à entretenir un ordre politico-social, économique et écologique viable. Le
développement est un processus de long terme, qui a des effets durables « Une période brève
de croissance économique ne peut ainsi être assimilée au développement. » Celui-ci est ici
un développement humain, et son avènement est fonction de la volonté des élites dirigeantes.
En effet, si le développement durable appelle une “nouvelle approche”, ce n’est pas parce
qu’il s’agit d’un “nouveau” problème. C’est du reste, parce que ces aspects nouveaux du
problème ne disent pas en eux-mêmes comment ils doivent être pris en compte, comment ils
doivent intervenir dans la caractérisation de ce que serait un développement durable. C’est
à juste titre que P. L. B. Tinel (2010 :9-10), écrit « Appréhender le développement durable
implique non seulement de s’intéresser à la diversité intra-disciplinaire, mais encore de la
rendre lisible pour des spécialistes des autres disciplines. »

2. Le savoir scientifique comme condition du développement durable


La recherche scientifique a joué et joue encore un rôle essentiel dans la prise de
conscience des enjeux et des conditions du développement durable. Afin de mieux faire voir
la contribution de la philosophie dans la politique du développement durable, nous allons
entamer la deuxième partie de cet article d’abord par une brève explication de la notion
même de science. Nous montrerons par la suite, que les disciplines scientifiques,
contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes entretiennent beaucoup plus des
relations d’interdépendances que d’exclusions.

2.1 Qu’est-ce que la science ?


Le mot science peut s'entendre de deux manières : « au sens propre, comme
discipline ou corps de connaissance défini par un objet de recherche; dans une acception
plus large et plus commune, il devient synonyme d'instruction, de savoir.» L. Basso
(1927 :213) En effet, la science est une entreprise de recherche qui vise la connaissance.
Elle cherche à décrire, à expliquer et à prédire les phénomènes en identifiant les liens de
cause à effet qui les unissent. La science est donc un type de connaissance fondée sur le
raisonnement établissant des relations entre les phénomènes De nos jours, on ne parle plus
de la science comme d’une somme de connaissance unifiée. On parle des sciences avec des
méthodes et des vérifications différentes. Les sciences, au pluriel, désignent alors l’ensemble
des disciplines qui forment le savoir théorique. Cette valeur distinctive entre singulier et
pluriel se précise avec l’apparition du mot « scientifique » au XIVe siècle. » (P. Névejans
(2017 :3) Conformément à une conception dominante en philosophie des sciences,
l’hétérogénéité des connaissances est abordée sous l’angle disciplinaire. « La science serait
scindée entre disciplines en raison des différences de méthodes, lesquelles s’imposeraient
en fonction de l’objet. » Chalmers 1976), cité par P. L. B. Tinel (2010 :9) Les sciences dites
dures, celles qui traitent d'objets durs par opposition aux sciences humaines ont en commun
le recours à des expérimentations comme moyens de tester les hypothèses, les théories
conçues pour expliquer le réel.

2.2 Interaction entre sciences exactes et sciences humaines et sociales


La confrontation traditionnelle, voire l'opposition, entre sciences exactes et sciences
humaines et sociales sont aujourd’hui en train de s’estomper au profit d'un modèle de
coopération dialectique qui admet l'apport de chaque discipline dans le processus de
l’acquisition des connaissances. Aujourd’hui, c’est un truisme de le dire, on ne parle plus

6 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜003-012


Abdoulkader NAMATA SAMA IBRAHIM

de la science au singulier, mais des sciences avec des méthodes et des vérifications
différentes. En effet, les sciences exactes et les sciences humaines et sociales sont deux
formes éblouissantes de la culture humaine. Elles entretiennent des rapports de
complémentarité et d’interdépendance. Les objectifs du développement durable nécessitent
aussi bien l’apport des sciences fondamentales que celui des sciences humaines et sociales.
Toutes les sciences, on peut le rappeler avec V. Citot (2013 :4) « aujourd’hui autonomes
étaient d’abord incluses dans la religion puis dans la philosophie, qui ont joui
successivement du monopole du savoir. Les différentes sciences naissantes n’étaient que des
sous-parties de la philosophie.» En effet, la science et la philosophie furent longtemps
inséparables. Dans l'Antiquité, la philosophie représentait la science suprême, celle des
premiers principes et des premières causes. Les autres sciences, et notamment la physique,
recevaient d'elle leurs fondements. « L’œuvre de Newton, par exemple, qui conjointement aux
apports fondamentaux de Galilée fut à l’origine de la physique telle que nous la pratiquons
aujourd’hui, porte le titre « Philosophiae naturalis principia mathematica. » P. Parrini (2009 :114)
Il semble selon l’auteur qu’une valeur philosophique soit inhérente ou intrinsèque à la nature
de nombreux résultats scientifiques, de sorte que ces résultats deviennent un facteur
d’impulsion important pour les travaux philosophiques. Cependant, écrit H.G Gadamer :

Ce qui distingue les sciences naturelles de sciences humaines, c’est le fait que la vérité
est explicative et objective dans les premières, tandis qu’elle est compréhensive et
intersubjective dans les secondes. Pour comprendre la vérité des sciences humaines, il
faut recourir à la tradition en tant qu’englobant de tout ce qui est relatif à l’humanisme
: la culture ou la formation (Bildung), les préjugés, le sens commun, le jugement, le
goût, l’art et les symboles, la vision du monde, etc., bref tout ce qui correspond pour
nous à des évidences et abrite une grande richesse d’informations historiques.
H.G Gadamer (1996 :25)

Alors que les sciences naturelles travaillent à l’idée d’une appréciation qui serait
d’autant plus impartiale que, toutes les qualités émanant du monde vécu auraient été
éliminées du monde quotidien, « les sciences humaines peuvent aussi viser le même objectif
en se bornant à établir avec les meilleures garanties herméneutiques les expériences et les
pratiques acquises dans le monde vécu et en les reconstruisant en profondeur. » J.
Habermas, (2018 : 286). En effet, les sciences humaines et sociales sont celles qui
s’intéressent aux systèmes de comportement et d'action des individus dans la collectivité
sociale. À l'instar des sciences dites normales, ces sciences sociales font appel à une
méthode scientifique, à des démarches et à des méthodes de recherche reconnues. Leur
méthode de recherche est en général l’herméneutique ; et, c’est « en raisin de l’approche
herméneutique de leurs domaines d’objet, que les sciences humaines se rapportent elles
aussi à des faits qui se constituent dans un monde vécu intégrant par définition le rapport à
nous-mêmes. » J. Habermas (2018 : 270). Les sciences mathématiques, informatiques,
naturelles et techniques procèdent en mettant au point des inventions en laboratoire, les
sciences humaines et sociales font de la recherche et innovent en société.

Elles identifient et explicitent les problèmes et les aspirations de cette société, elles
suggèrent et évaluent différentes solutions, elles posent des questions et sollicitent les
compétences des sciences naturelles et de l’ingénieur, elles encadrent la mobilisation
des acteurs et des ressources. Elles permettent d’exprimer en quoi des technologies,

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 7


Place et rôle de la philosophie dans la politique du développement humain durable

des produits, des services se distinguent les uns des autres et constituent des
nouveautés qui contribuent à des changements économiques et sociaux plus larges.
Jeannerat et al. (2020 :9)

Il y a une forte interdépendance entre sciences exactes et sciences humaines et


sociales. En dix- neuf cent soixante- quatorze (1974), Michael M. Cernea, le premier
sociologue invité par la banque mondiale à rejoindre l’institution a, réussi à intégrer son
travail de façon organique dans l’ensemble de l’institution et à convaincre la banque de
l’utilité conceptuelle et opérationnelle de la sociologie dans l’entreprise complexe du
développement. Il est donc important que soit reconnue la contribution des diverses
disciplines scientifiques dans tout processus de développement.

3. Contributions des sciences humaines et sociales dans le développement durable


La faible importance accordée aux sciences sociales dans le développement durable
est de nos jours en train de perdre de l’ampleur. En effet, la politique mondiale de
développement durable fait aujourd’hui intervenir beaucoup de techniques variables suivant
les spécialistes permettant ainsi aux spécialistes des sciences sociales de peser de tout leur
poids dans les processus de développement des peuples.

3.1 Les sciences sociales comme motrices du développement durable


Forgée dans le cadre de grandes organisations internationales, la notion de
développement durable s'est rapidement diffusée dans les sciences sociales. Le
développement durable ne peut donc être identifié aujourd’hui à sa seule dimension
économique. « Le thème du développement durable fait appel à des domaines aussi variés
que la biologie, l’écologie, l’économie, la sociologie, la médecine etc. » P. Légé, B. Tinel
(2010 : 9) Ainsi, à l’instar des sciences exactes, les sciences humaines et sociales ont aussi
leur mot à dire dans tout processus de développement. L'activité humaine et la diversité
culturelle sont les objets d’étude communs à l’ensemble des sciences humaines et sociales.
L’objet des sciences humaines et sociales est donc de comprendre la manière dont les acteurs
de la société se coordonnent pour concevoir, réaliser, évaluer et transformer des productions
humaines. Ainsi, nourrissent-elles la réflexion et orientent l’action dans l’économie et la
société par la mise en perspective éthique du sens donné à des développements entrepris à
un certain moment et dans un contexte particulier. « Par leur capacité à expliciter et
imaginer des pratiques, des discours, des techniques et des Institutions, elles contribuent au
changement social et à l’innovation non pas de manière isolée, mais située dans une
réinterprétation continue du passé, du présent et du futur (Zürcher 2016) in H. Jeannerat et
al. (2020). La recherche sur le développement durable a donc besoin de pratiques
interdisciplinaires capables de combiner la recherche économique, l’analyse des pratiques
sociales et la discussion explicite des orientations éthiques qui sous-tendent les options de
modélisation. Dans le champ des sciences historico-critiques, Habermas distingue
particulièrement celles qui visent la libération par l’émancipation ou l’éclairement. IL s’agit
de la philosophie et de la psychanalyse. Leur intérêt ou visée de la connaissance est
émancipatoire en tant que structure transcendantale de destruction des pseudo-aprioris.
L’intérêt émancipatoire est en fait celui qui assure le lien du savoir théorique avec une
pratique vécue, c’est-à-dire avec un « domaine d’objet » qui naît seulement dans les
conditions d’une communication systématiquement déformée et d’une répression en
apparence légitimée : Il s’agit écrit A-D Bonyaga Bokélé (2013 :47) « de l’intérêt de la

8 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜003-012


Abdoulkader NAMATA SAMA IBRAHIM

connaissance qui vise à libérer de toutes les dominations sociales et de toutes les contraintes
intérieures à l’individu. »
Pour qu’une intervention de développement réussisse, il est fondamental de
comprendre le tissu social, le contexte dans lequel s’inscrit un projet. L’analyse sociale est
le seul moyen qui permet qui de dresser l’anatomie ainsi que l’architecture sociale d’un
projet. Des centaines de sociologues et anthropologues, de par le monde, sont engagés
chaque année en tant qu’experts consultants dans beaucoup de projets de développement.
Les connaissances sociologiques et anthropologiques, ainsi que l’analyse sociale, ne sont
plus un luxe ou un atout marginal qu’il est bon d’inclure dans le développement. Elles sont,
écrit J. P. Gern (2006 : 57) « aussi importantes que l’analyse économique pour concevoir
des programmes de développement appropriés et en étudier la faisabilité. » Comme nous le
constatons, les sciences humaines et sociales permettent de nourrir le changement dans la
société. Productrices des connaissances artistiques, philosophiques, culturelles et sociales,
elles nous permettent de comprendre comment organiser et accompagner ces changements.
Le développement durable ne peut donc être attribué au seul secteur des sciences exactes.
Il faut mettre à contribution les scientifiques de toutes les disciplines, si l’on veut atteindre
un développement durable inclusif.

3.2 La philosophie comme condition du développement humain durable


Il est un préjugé longtemps répandu que la philosophie est un discours creux, une
vaine spéculation qui nous éloigne de la réalité. Pour beaucoup d’individus, la pratique de
la philosophie est un jeu intellectuel stérile dans la mesure où son impact n’est pas visible
dans les développements des sociétés. Certes, dans le système de la science, la philosophie
ne peut pas jouer le rôle de science fondamentale. La philosophie n’est pas de ces disciplines
scientifiques qui peuvent se définir par une méthode sure ou par un domaine d’objet fixé par
avance. Toutefois, la philosophie, en tant que réflexion critique sur l’être dans sa globalité
et sa diversité est un élément fondamental pour tout développement humain durable. En
effet, reconstituer depuis son origine, le contexte de vie de la philosophie n’est pas sans
intérêt. On peut, écrit V. Steenblock (2010 :5) « établir avec certitude que la philosophie,
initiée par un Socrate posant ses questions à la croisée des chemins ou sur l’agora, le marché
de l’ancienne Athènes, s’est toujours pratiquée dans un contexte de vie quotidienne. » La
philosophie est le déploiement d'une pensée libre, personnelle et critique et peut donc
s'orienter sur des questions de développement. La philosophie est nécessaire à toute société
qui veut évoluer. Le philosophe met sa pensée au service de son temps et de son milieu, par
son enracinement, ses lumières et ses rêves pour l'avenir. R. Spaemann n’a pas tout à fait
tort d’insister sur le fait que « toute philosophie affiche des prétentions pratiques et
théoriques à la totalité. Ne pas les afficher revient à ne pas faire de philosophie » R.
Spaemann (1978) in J. Habermas (1986 :37). La philosophie a toujours cette double fonction
d’expliquer le monde et de donner à l’homme des règles pour l’habiter au mieux. V. Citot
(2013 :3). Elle constitue le cadre dans lequel l’homme peut comprendre le monde et agir sur
sa propre vie. Elle fournit les outils par lesquels l’homme peut découvrir la vérité et utiliser
son esprit pour améliorer sa vie. La philosophie est donc une condition du salut de
l’humanité. Car, comme l’écrit N. Omelchenko :

Elle permet à l’individu de dépasser les limites de son expérience vécue, de


transporter son moi au-delà de la réalité quotidienne. De toute évidence, c’est

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 9


Place et rôle de la philosophie dans la politique du développement humain durable

précisément cette projection de l’homme dans la réalité métaphysique, dans l’univers


des relations essentielles, qui garantit l’effet thérapeutique de la philosophie.
N. Omelchenko (2009 :96)

Selon Menke, la philosophie chercherait, depuis ses débuts à connaitre en quoi


consiste le réussir de nos pratiques, elle en retirerait une connaissance transcendantale
qu’elle concevrait comme une « intuition du bien et, partant, aimerait bien apporter sa
contribution pratique à la promotion de ce bien. » Menke et A. Kern (2000) in J. Habermas
(2008 : 225) La philosophie est par essence questionnement et réflexion critique sur la vie
de l’homme et les moyens d’accès à son épanouissement. Elle a sans conteste participé à la
conquête des droits fondamentaux, des degrés de conscience et de leur reproduction dans
les systèmes d’enseignement, qui sont maintenant la norme des sociétés développées. Elle
est impliquée de multiples façons dans les développements des grands systèmes culturels
comme l’explique V. Steenblock :

La politique dont elle a cherché à donner un modèle de Platon à Locke en passant par
Marx, la religion avec laquelle elle a partagé en Occident une histoire complexe, les
sciences de la nature dont elle a accompagné l’émancipation moderne, l’économie de
marché dont la prééminence actuelle a été pensée par Adam Smith. Elle a plus
particulièrement pris part à la libération des formes rationnelles modernes de la
démarche à la fois scientifique, technique et économique, formes caractérisant de façon
décisive le développement de la civilisation dans son ensemble, sans omettre les
dimensions sociales et écologiques, sources de nouveaux changements dans la culture.
V. Steenblock (2O10 :9)

L’ultime objet de la philosophie est donc d’aider à développer les capacités


humaines. Il est vrai que pour certains esprits mal informés, le développement est
essentiellement matériel, oubliant ainsi « qu’avant qu’il ne devienne matériel, le
développement est d’abord et avant tout mental, et quand le mental pose problème, il ne
serait pas facile de parler développement. A. M. Akanokabia (2019 : 213. » La philosophie,
en tant que réflexion critique sur l’homme et son environnement doit une part importante
dans tout processus de développement durable. A l'occasion de la journée mondiale de la
philosophie tenue en deux mille seize (2016) à Paris, la Directrice générale de l'Organisation
des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, Mme Bokova a appelé le monde
à oser ouvrir des espaces pour la pensée libre, ouverte et tolérante. Pour la Directrice
générale : « la philosophie se nourrit du respect, de l'écoute et de la compréhension de la
diversité des opinions, des réflexions et des cultures qui enrichissent notre manière d'être
au monde. » I. Bokova (17 novembre 2016 à paris.) Comme la tolérance, affirme la
Directrice, la philosophie est un art de vivre ensemble, dans le respect des droits et des
valeurs communes. Elle est une capacité à voir le monde à travers un œil critique, informé
du regard des autres, fortifié par la liberté de pensée, de conscience et de croyance. Pour
toutes ces raisons, la Directrice souligne que la philosophie est davantage qu'une discipline
académique ou universitaire. C'est une pratique quotidienne qui aide à vivre mieux, et plus
humainement. L'interrogation philosophique, dès le plus jeune âge, s'apprend et se
perfectionne, comme une clé essentielle pour animer le débat public et défendre
l'humanisme, si malmené par la violence et les tensions du monde. Il est aujourd’hui avéré
qu’aucune politique, qu’aucun développement dans une communauté ne peut être vraiment
mis en œuvre sans la participation active de tous les membres de cette communauté. Grâce

10 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜003-012


Abdoulkader NAMATA SAMA IBRAHIM

à la structure discursive de son discours et au débat argumenté qu’elle met en œuvre, la


philosophie joue ainsi un rôle fondamental dans le développement de la démocratie.
Permettant d’édifier une raison commune en contribuant à créer un espace libre de
discussion publique, sa pratique de la parole est indispensable pour soutenir le difficile
combat démocratique. Car écrit L. Letendre (2010) : « la démocratie est fragile. Pour la
construire et la préserver, il faut le débat et la raison, il faut la délibération née de la pratique
du dialogue philosophique. Sans cet exercice, il n’y a pas de démocratie. » D’après J.
Habermas :

Le recours à la discussion rationnelle est sans équivalence pour le projet


d’émancipation, même au sein du système capitaliste. Car la mise en œuvre des
techniques toujours plus nombreuses et plus élaborées n’est pas neutre des orientations
axiologiques propres à une tradition sociale donnée. J. Habermas,
Habermas (1973 :81)

Un pays est sur la voie du développement lorsqu’il existe des possibilités de


discussions, de prise de décisions en commun ou au moins d’arbitrage entre l’appareil de
l’Etat, préoccupé par le bien-être de ses citoyens et des représentants de ceux-ci. Le rôle de
la philosophie ici est encore clair. Elle ne renonce jamais tout à fait au discours, à la
discussion. Sa tâche dans la discussion est de veiller au respect des légalités spécifiques à
l’œuvre dans les « sphères de valeur » différenciés de la science et de la technique, du droit
et de la morale, de l’art et de la critique d’art et à veiller à leur intégrité tant au sein du
système de la science que dans le cadre des disciplines particulières. C’est pourquoi écrit J.
Habermas (2018 : 277-278) « Tant que la philosophie n’en vient pas à n’être plus qu’une
discipline universitaire, elle répond aussi timide que soit la répons eu besoin d’orientation
des sociétés modernes et préserve de cette manière son rapport à la pratique.» La philosophie
en tant que porteuse des lumières de la raison séculière est indispensable à toute politique
de développement durable. Il reste que la philosophie est comme toute autre science une
entreprise faillibiliste.

Conclusion
Les sciences exactes et les sciences humaines et sociales sont deux formes
éblouissantes de la culture humaine. Elles entretiennent aujourd’hui des rapports de
complémentarité et d’interdépendance. Tous les objectifs du développement durable
nécessitent aussi bien l’apport des sciences fondamentales que celui des sciences humaines
et sociales. Les rapports des sciences exactes et des sciences sociales et humaines ne doivent
donc pas être des rapports d'exclusion, mais de complémentarité. Les connaissances
sociologiques et anthropologiques, ainsi que l’analyse sociale, ne sont pas un luxe ou un
atout marginal qu’il est bon d’inclure dans le développement. Elles sont, écrit J. P. Gern
(2006 :57) « tout aussi importantes que l’analyse économique pour concevoir des
programmes de développement appropriés et en étudier la faisabilité.» Il faut en ce sens
intégrer les sciences sociales dans toutes les politiques de développement durable.

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Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 11


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12 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜003-012


Salif CISSE

LA SCIENCE POLITIQUE AU CŒUR DU DÉVELOPPEMENT HUMAIN

Salif CISSE
Science politique de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
[email protected]

Résumé : Cette thématique de communication tente de vulgariser l’importance


de la science politique dans le développement à travers son institutionnalisation
dans les paysages politique, administratif, scientifique et académique. Cette
vulgarisation permettra de faire sa promotion. Il s’agit donc de voir dans la
science politique, une science du pouvoir dans son rapport avec la gouvernance
(politique et administrative). Elle demeure également partenaire des actions et
des politiques de développement, de la gouvernance administrative, des
réformes juridiques et leur gouvernance administrative. Elle est l’art de
gouverner, de conduire et de gérer des projets, de la diplomatie, des politiques
internationales.

Mots-clés : Cœur, développement humain, science politique

POLITICAL SCIENCE AT THE HEART OF HUMAN DEVELOPMENT

Abstract: This communication theme attempts to popularise the importance of


political science in development through its institutionalisation in the political,
administrative, scientific and academic landscapes. This popularisation will
make it possible to promote it. It is therefore a question of seeing in political
science, a science of power in its relationship with governance (political and
administrative). It also remains a partner in development actions and policies,
administrative governance, legal reforms and their administrative governance. It
is the art of governing, leading and managing projects, diplomacy and
international politics.

Keywords: Heart, human development, political science

Introduction
La discipline science politique s’est inscrite dans une dynamique d’être au service
du développement. Il urge de le rappeler que celle-ci est à l’origine de la formation des
spécialistes appelés politistes. Ces politistes ont compétences pour analyser et décrypter les
questions liées aux phénomènes du pouvoir, de l’Etat, des comportements politiques, des
logiques d’acteurs, des réseaux de pouvoirs, des groupes d’intérêt. Ils s’intéressent
également aux questions liées à l’action publique et aux politiques publiques, aux
mouvements sociaux, aux relations internationales, et à la géopolitique. La science politique

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 13


La science politique au cœur du développement humain

est une discipline carrefour, une science de l’interdisciplinarité qui a réussi à asseoir pour
autant son autonomie vis-à-vis non seulement du droit public mais encore de la sociologie.
C’est une discipline importante qui intervient le plus souvent lorsqu’il y a conflits d’intérêts
politiques, par exemple entre acteurs politiques. Elle a une exigence lourde de vérification
empirique, de test des différentes hypothèses d’interprétation des données. La science
politique est la discipline qui forme les élites en charge des questions électorales, de
sécurité, des questions internationales, etc. Elle est à l’origine de la formation de l’essentiel
des hommes politiques, surtout de haut niveau, des directeurs de cabinet, des ministres
comme des maires (emplois contractuels dépendant du politique), les assistants
parlementaires, les permanents dans les partis. La science politique ouvre un éventail large
d’emplois et implique souvent sur le terrain professionnel, un complément de compétences
acquis ailleurs. C’est une discipline qui permet d’interroger les grands idéaux qui structurent
nos sociétés (la démocratie, la liberté, l’égalité…). Elle étudie l’existence et les composantes
de la « culture civique ». D’où le choix de notre thème intitulé : la science politique, une
science au service du développement humain. L’objectif de ce travail est de démontrer que
la science politique contribue au développement humain. Il nous parait ainsi nécessaire de
poser une problématique dont les réponses constitueront le fil conducteur de notre
raisonnement. Ainsi, la problématique qui mérite d’être posée est la suivante : dans quelle
mesure la discipline science politique peut contribuer au développement humain ? Pour ce
faire, la démarche que nous préconisons afin d’apporter des éclairages à cette problématique
nous permet de dégager dans un premier temps l’idée selon laquelle la science politique est
une science de la modernisation politique et administrative de l’Etat (première partie) et
dans un second temps nous démontrerons que la science politique est un outil d’analyse
économique institutionnaliste de l’Etat et de développement intellectuel et professionnel
(deuxième partie).

1. La science politique : une science de la modernisation politique et administrative de l’État


Il s’agira d’examiner dans un premier temps la science politique dans l’innovation
administrative (Chapitre I) avant d’analyser dans un second temps la science politique face
aux innovations politiques (Chapitre II).

1.1 La science politique dans l’innovation administrative


Cette partie va être développée à travers une étude détaillée sur l’objectif de la
politique de modernisation administrative (Section 1) ainsi que sur le contenu de la politique
de modernisation administrative (Section 2).

-L’objectif de la politique de modernisation administrative


La politique de modernisation administrative est liée au projet plus ambitieux de
moderniser l'Etat (Luc ROUBAN, 1990). Pour apprécier le sens de cette évolution et sa portée
politique, il s'avère nécessaire de dépasser la rupture épistémologique établie entre la
science administrative et l'analyse des politiques publiques. Le concept de politique
institutionnelle offre une grille de lecture qui permet de mesurer l'ampleur des mutations
affectant aussi bien le rôle des fonctionnaires que les modes d'action de l'Etat. La remise en

14 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜013-020


Salif CISSE

cause des caractéristiques du modèle politico-administratif français (par exemple, la


politisation de la fonction publique, évaluation des politiques publiques, nouveaux rapports
centre-périphérie) conduit à s'interroger sur les mécanismes de légitimation de la Cinquième
République. La fin de la spécificité française, qui alimente les thèses d'extrême droite, peut
alors se comprendre comme la recherche d'une voie médiane entre le modèle américain et
le modèle social-démocrate.

-Le contenu de la politique de modernisation administrative


La politique de modernisation administrative recouvre une multitude d’initiatives,
plus ou moins disparates, mais qui vont toutes dans le sens d’une remise en cause du système
administratif. La modernisation administrative est liée à une thématique plus vaste, celle de
la modernisation de l’Etat. Par ailleurs, le terme de modernisation, plus téléologique que le
terme de changement, a fait l’objet d’une véritable occupation sémantique par les
gouvernements de gauche depuis 1984 (BRAUNS Patrick, 1990). L’idée de modèle politico-
administratif ne peut bien évidemment se réduire, ni à la morphologie descriptive des
institutions ni, inversement, à la mise en œuvre d’un ensemble plus ou moins homogène de
politiques publiques. Néanmoins, cette idée s’est toujours trouvée écartelée entre des
analyses internalisâtes ( l’approche internaliste considère qu’il faut analyser les
connaissances scientifiques depuis l’intérieur, c’est-à-dire en étudiant les théories, les
hypothèses, mais aussi les concepts utilisés par les scientifiques dans leurs publications, et
comment les scientifiques forment, déforment et rectifient ces concepts ou ces théories au
cours de leur œuvre ou au cours de l’histoire des sciences) et des analyses externalistes
(l’approche externaliste considère que l’activité scientifique s’explique essentiellement par
des facteurs extrascientifiques, qu’il s’agisse de facteurs économiques, politiques, sociaux,
institutionnels, idéologiques, religieux, etc (DUBOIS Michel J.E et BRAULT Nicolas, 2021).
Quelque soient les apports de la science politique, le repérage des modèles administratifs a
longtemps impliqué la prise en compte des mécanismes, de procédures, caractérisant de
manière internaliste le fonctionnement de l’appareil d’Etat. Diversement, les auteurs ont
cherché dans un certain nombre de facteurs la clé d’un développement historique du système
administratif de l’Etat. On peut citer, pour mémoire : la structure de la fonction publique et
le rôle des grands corps (BODIGUEL Jean-Luc, 1986) ; la fermeture d’un système de décision
fonctionnant selon une logique top-down (HOFFMAN Stanley, 1976) ou selon un processus de
blocage.

-La science politique face aux innovations politiques


Dans le meilleur des cas, l’intervention des chercheurs dans l’espace public se ferait
soit au nom de la vérité, en déconstruisant les préjugés auxquels seraient condamnés les
simples profanes, soit en tant que citoyens intervenant à titre non professionnel, sans lien
avec les résultats de la recherche (Yves SINTOMER, 2017). Nous verrons successivement
les paradigmes des modèles d’articulation des échelles dans l’innovation politique (Section 1) et
l’importance des occurrences de la notion de service (Section 2).

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 15


La science politique au cœur du développement humain

1.2. Les paradigmes des modèles d’articulation des échelles dans l’innovation politique
Les acteurs et chercheurs occidentaux, tout comme les Chinois, sont divisés sur la
façon d’articuler les échelles dans l’innovation politique. Si l’on compare sur ce terrain la
France à l’Allemagne, la Suisse ou les pays nordiques, la marge d’action des gouvernements
locaux est réduite, et l’innovation passe le plus souvent par des mesures législatives venues
d’en haut, pensons par exemple à l’introduction de dispositifs de démocratie de proximité
avec la loi Vaillant de 2001 ou à la fusion des régions imposée sous la mandature de François
Hollande. Le Prix de l’innovation créé à l’initiative de Yu Keping visait quant à lui à stimuler
la créativité locale, avec un raisonnement sous-jacent : les réformes au niveau national étant
difficiles à mener et potentiellement dangereuses pour la stabilité du régime, l’échelon local
pouvait être celui de l’expérimentation réformatrice ; les critères distinguant les meilleures
pratiques étant établis au niveau national à travers le prix, le Centre se réservait la possibilité
de distinguer les innovations méritant d’être érigées en exemples, et de favoriser ainsi des
pratiques similaires dans d’autres localités ; parallèlement, une nouvelle culture politique
constituant un terreau favorable pour des réformes à l’échelle nationale devait se forger
progressivement à la base. Les valeurs idéelles auxquelles le pouvoir se réfère pour tenter
de se légitimer ont la plupart du temps des effets ambivalents. Pour une part, elles
fonctionnent comme des idéologies, qui travestissent les rapports de domination ou du moins
les subliment. Pour une autre part, cependant, dans la mesure où elles sont invoquées dans
des dynamiques de critique et de justification et parce qu’elles sont pour partie au moins
intériorisées par les élites officielles (les cadres, dans le langage chinois) et par les citoyens,
elles ont des effets incitatifs sur les pratiques, qui ne peuvent simplement les court-circuiter.
Cela est vrai dans les régimes les plus divers, quoiqu’à des degrés variables.

1.3. L’importance des occurrences de la notion de service


L’importance des occurrences du terme de service mérite quelques commentaires.
Récemment, l’historien français Jacques Dalarun (2012) a soutenu que, dans certains ordres
monastiques, une conception du gouvernement comme service rendu aux gouvernés s’était
constituée et que cette conception avait pu prendre une réelle ampleur au-delà de son
contexte de naissance. L’auteur ajoutait que cette conception était spécifiquement
occidentale et qu’elle constituait le cœur d’une certaine idée de la démocratie. Dans un tel
contexte, on comprend mieux l’importance de la notion de service et, plus largement, d’une
bonne partie des thèmes mis en relief par le prix de l’innovation politique. Le texte de Yu
Keping est ainsi plein d’enseignements sur la science politique et la réalité des réformes de
la gouvernance locale en Chine, mais aussi, en retour, sur des schémas interprétatifs que les
lecteurs francophones peuvent concevoir comme évidents alors qu’ils sont loin de l’être. Ce
jeu de miroir n’est pas réductible à une simple opposition binaire entre l’Occident et la
Chine. Au-delà du langage et de la nature très spécifique du texte de Yu Keping, l’ensemble
qu’il constitue, avec les textes de Chunyu Shi, Éric Florence et Émilie Frenkiel qui le mettent
en regard et le discutent, a le grand mérite de nous le rappeler. La science politique permet
de proposer une solution privilégiée pour résoudre les problèmes rencontrés par le secteur
public en vue de sa modernisation. Elle sert à l'innovation comme moteur de modernisation
durable des organisations publiques, précisément au regard de l'expérience de mise en place

16 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜013-020


Salif CISSE

d'une plateforme de collaboration et de participation gouvernementale. La science politique


permet de regrouper les instruments et mécanismes permettant son intégration comme
moteur de modernisation de l'administration d'un pays émergent sur la base d'une approche
qualitative et au moyen d'une analyse processuelle.

1.4 La science politique : un outil d’analyse économique institutionnaliste de l’État et de


développement intellectuel et professionnel
Pour mieux développer le contenu de cette seconde partie, il serait judicieux de démontrer que
la science politique est un outil d’analyse économique institutionnaliste de l’Etat (Chapitre
I) mais aussi un outil de développement intellectuel et professionnel (Chapitre II).

2. La science politique : un outil d’analyse économique institutionnaliste de l’État


L’intérêt de la science politique pour analyser les processus d’émergence et de diffusion en
complément des cadres d’analyse de l’économie institutionnaliste est notable à deux niveaux : le
recours aux différents cadres d’analyse issus de la littérature sur les politiques publiques
(Section 1) et la pertinence de ces cadres d’analyse pour l’alimentation des échanges
théoriques et méthodologiques (Section 2).

2.1 Le recours aux différents cadres d’analyse issus de la littérature sur les politiques publiques
Il apparait opportun de recourir aux différents cadres d’analyse issus de la littérature
sur les politiques publiques pour analyser l’émergence, la mise en œuvre et les évolutions
des PSE dans des contextes nationaux différents. En effet, dans les deux espaces nationaux
étudiés, les PSE ont donné lieu à des dispositifs hétérogènes dans la mesure où l’historicité
des politiques environnementales nationales, et les apprentissages qui en découlent, les
capacités de l’Etat, le rôle du politique, ou encore les entrepreneurs de politique influencent
de façon déterminante les modalités de mise en œuvre des dispositifs. Ceci est d’autant plus
important que la tendance actuelle au niveau des institutions internationales consiste à
normaliser l’instrument PSE. Il s’agit de proposer une définition générique qui le différencie
des autres instruments. Cette recherche de l’idéal-type explique le succès de la définition
de Wunder (2005). Elle explique également les difficultés pour les acteurs de terrain de
s’emparer d’un instrument qui n’est pas qu’économique. Il s’insère dans une dynamique plus
politique que ces cadres d’analyse en science politique permettent d’analyser avec justesse.

2.2 La pertinence des cadres d’analyse pour l’alimentation des échanges théoriques et
méthodologiques
Ces cadres sont apparemment pertinents pour alimenter les échanges théoriques et
méthodologiques avec l’analyse économique institutionnaliste qui étudie la nature et la
performance institutionnelle des dispositifs. Qu’il s’agisse d’une analyse en termes
d’efficacité, d’efficience ou d’équité, d’une approche basée sur les coûts de transactions,
l’action collective, ou les motivations, l’analyse économique institutionnaliste se focalise
principalement sur les effets et les conséquences des PSE.
D’une part, les PSE ont des résultats très différents. En partant d’une idée assez
simple, la mise en œuvre, le design et l’évolution des PSE prennent des formes très distinctes

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 17


La science politique au cœur du développement humain

d’une situation à l’autre pour des raisons extra-économiques mais dont les conséquences ont
des implications économiques évidentes ne serait-ce qu’en termes d’efficacité
environnementale.
D’autre part, contrairement à une idée souvent véhiculée, le choix des instruments
de politique publique ne se fait pas seulement en fonction de leurs conséquences attendues,
mais plutôt en raison de rapports de force, de coalitions, de fenêtre d’opportunité…. C’est
en ce sens où la science politique offre des compléments indispensables à l’économie pour
une démarche compréhensive des PSE. À l’inverse, l’analyse économique institutionnaliste
éclaire les processus politiques du choix des instruments. Cela est notamment perceptible
dans le cas d’outils tels que les PSE. Contrairement par exemple à une loi ou une taxe, les
PSE sont des processus décentralisés basés sur le contrat1 et sujets à paiements. Ils prennent
donc des formes très variées. Compte tenu de l’importance des outils dits de marché dans la
régulation environnementale actuelle, il apparait important de renforcer les échanges entre
les différentes disciplines en sciences sociales. Ceci est d’autant plus évident dans un
contexte de globalisation des politiques publiques et la diffusion internationale de ces PSE
de par le monde.

2.3 La science politique : un outil de développement intellectuel et professionnel


Pour présenter l’éventail des métiers accessibles à partir de la science politique, on
utilisera une distinction classique chez les anglo-saxons (Arnauld LECLERC, Jean-Marc
FERRY, 2015). Ceux-ci distinguent la politique au sens de « politics » c’est-à-dire le
processus lié à l’exercice et la conquête du pouvoir (activité des partis, élections…) (Section
1) et la politique au sens de « policy » c’est-à-dire les programmes et actions menés par les
autorités publiques (Section 2).

2.4 Le processus lie à l’exercice et à la conquête du pouvoir


C’est globalement un secteur très étroit où la compétence seule ne suffit pas.
L’essentiel des hommes politiques sont formés en partie à la science politique. Au-delà, leurs
proches collaborateurs sont aussi formés à la science politique. Cela recouvre les directeurs
de cabinet des ministres comme des maires, les assistants parlementaires, les permanents
dans les partis. L’activité électorale et partisane mobilise aussi bien au-delà de ces cercles
restreints. Là encore, la science politique joue un rôle important. Cela concerne le
journalisme politique, les instituts de sondages. Un nombre plus important d’emplois
résident dans la communication politique. Il faudra alors bien maîtriser les techniques
publicitaires, le marketing politique… Cela reste un créneau étroit.

2.4 Les programmes et actions menés par les autorités publiques


Ils sont infiniment plus nombreux et il est difficile d’en faire le tour. Ils sont très
nombreux et très diversifiés. On peut se retrouver à gérer un collège, un lycée, s’occuper des
finances d’une ville, des ressources humaines, gérer les commandes publiques, animer une
politique culturelle ou sociale… Mais il faut toujours passer un concours. Les concours de

1
Ce qui n’exclut pas qu’ils soient encadrés par une loi nationale comme cela est le cas au Costa Rica ou dans d’autres
pays.

18 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜013-020


Salif CISSE

catégorie A représentent 6 à 7000 postes par an. Là encore, la science politique est une aide
majeure ; les étudiants politistes réussissent 5 fois mieux que les juristes qui eux même font
un peu mieux que les autres disciplines. Malgré tout, il sera nécessaire de passer par une
préparation spécialisée et intensive aux concours. Les autorités publiques ont de plus en
plus besoin d’analyses pour accompagner leurs programmes d’action. Ces analyses peuvent
s’opérer avant le programme ; par exemple, un contrat local de sécurité implique la
réalisation d’un diagnostic préalable sur la situation en matière de sécurité dans la ville ou
l’agglomération concernée. Ce sera souvent un cabinet extérieur spécialisé qui réalisera cette
étude en mobilisant fortement la science politique. Ou encore, une structure peut avoir
besoin d’un audit financier ou organisationnel, d’un audit technique sur la faisabilité d’un
projet. Là encore, ces études sont souvent le fait de cabinets spécialisés mêlant plusieurs
compétences dont la science politique. Il peut aussi s’agir d’une étude postérieure au
programme pour évaluer son impact. A ce niveau aussi, des cabinets spécialisés dans
l’évaluation des politiques publiques mobilisent essentiellement des politistes. Les
associations constituent aussi un secteur para-public. Elles peuvent contribuer à réaliser une
action publique par délégation d’une autorité. On y retrouve des activités voisines de celles
énoncées plus haut.

Conclusion
En définitive, il faut retenir que la science politique ouvre à un éventail large
d’emplois. Institutionnellement, la science politique a favorisé le développement de
l’enseignement et de la recherche qui peuvent, sous certaines conditions, permettre des
avancées importantes dans l’avenir (Philippe BRAUD, 2017). La science politique permet,
à tout citoyen, de chercher à comprendre les ressorts de l’action publique en traitant les
notions de gouvernance, de politiques publiques, de diplomatie et de géopolitiques. C’est
une discipline qui s'intéresse avant tout aux logiques de pouvoir qui conditionnent à la fois
ce qui peut être dit et ce qui peut être reçu. Elle permet de comprendre les implications d’un
développement durable sur les modalités de la prise de décision politique. Elle sert à
identifier les bénéfices et les risques de la prise en compte du développement durable dans
les politiques (Philippe BRAUD, 2017). C’est une discipline dont l’analyse à vocation à
prendre pour objet toute forme de langage, verbal ou non, dès lors que ce langage contribue
à influencer les modes d’exercice du pouvoir politique en pesant sur les représentations que
s’en font les agents sociaux (BOURDIEU Pierre, 1982). Elle permet de mieux embrasser
l’ensemble des préoccupations actuelles des chercheurs. Les unes, plus clairement orientées
sur la relation sociale locuteurs, vecteurs ou récepteurs, s’attachent aux milieux producteurs
de langages, aux dispositifs qui en assurent la diffusion, aux conditions sociopolitiques de
leur réception. Les autres, focalisées sur la dynamique discursive elle-même, s’intéressent
aux capacités de mobilisation politique inhérentes à la charge symbolique du langage
politique.

Références bibliographiques
Bodiguel, J-L. (1978). Les anciens élèves de l’ENA, Paris, Presse de la Fondation nationale
des sciences politiques

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 19


La science politique au cœur du développement humain

Bourdieu, P. (1982). Les débats d’idées : Nombre de débats d’idées sont moins irréalistes
qu’il ne paraît si l’on sait le degré auquel on peut modifier la réalité sociale en
modifiant les représentations que s’en font les agents
Braud, P. (2017). La science politique : les espaces de développement, pp 29-38 ;
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Dubois Michel, J. E & Brault, N. (2021). Les grands courants de l’épistémologie au XX è
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Leclerc, A. & Ferry, J-M. (dir.). (2015). L’Europe : crise et critique, Paris, Presses de
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Rouban, L. (1990). La modernisation de l’État et la fin de la spécificité française, Revue
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Vellalba, B. (2015). La science politique et le développement durable, CANAL UVED,
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Wunder, S. (2005). Payments for environmental services: some nuts and bolts, Édité par
Research Center for International Forestry, CIFOR occasional paper, 0854-9818;
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Sintomer, Y. (2017). La science politique et l’innovation gouvernementale. À propos d’un texte de Yu
Keping, Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], consultable. URL : DOI :
https://doi.org/10.4000/traces.716

20 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜013-020


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

LA RESTRICTION DE LA MENTALITÉ : LA LÉGÈRETÉ D’UN MOT

Herizo ANDRIAMISANDRATSOA
Doctorant en Sociologie de l’Université d’Antananarivo
[email protected]
&
Arozo ANDRIAMISANDRATSOA
Doctorante en Sciences Interépistémologiques de l’ONIFRA - Antananarivo
[email protected]

Résumé : Pour les jeunes universitaires d’un pays en retard de développement tel que
Madagascar, un mot de leur langue n’a pas la même représentation mentale qu’un mot
de la langue d'un pays développé, supposé de même sens. Toutefois, un standard
universel de représentation mentale existe dans la culture générale. La problématique
repose sur la chose qui est responsable de la restriction d'une représentation mentale.
Le manque d’analyse conceptuelle et de conceptualisation qui sont les causes de la
légèreté du poids cognitif d’un mot est pris comme hypothèse. Notre question de
recherche se concentre sur la contribution de l’analyse conceptuelle et de la
conceptualisation à la construction d’une représentation mentale plus universelle.
D’abord, des enquêtes ont été réalisées afin de déterminer la force et la faiblesse d’un
mot d’une langue déterminée en matière d’envergure et portée des structures cognitives
qu'il contient ainsi que de la qualité de productivité. Les mots des pays en retard sont
perceptuels, oraux et éduqués informellement. Cet état correspond au paradigme, esprit
et personnalité traditionnaliste, qui se fonde encore sur des tâtonnements et qui semble
être soutenu par la colonisation. Ces mots restreignent les représentations mentales. Par
contre, les mots des pays développés sont conceptuels, écrits et éduqués formellement.
Leur état reflète plutôt la renaissance, les paradigmes du modernisme, du
postmodernisme voire de l'hyper-modernisme qui illustre l’évolution de leurs
représentations mentales. Ensuite, des études ont affirmées (i) que l’observation
identifie les mots cognitifs dévoilant la qualité de la mentalité, (ii) que le paradigme
concourt à la conceptualisation des mots alter-cognitifs avec plus de poids cognitif et
(iii) que l’analyse conceptuelle renforce la capacité d’évaluation les définitions ou
notions, les notions liées, les enjeux, le schéma et l’utilisation des concepts qui
constituent la pensée et la mentalité. Et puis, la comparaison des données sur la langue
malgache et la langue française a montré l’existence ou non d’analyse conceptuelle et
de conceptualisation dans chaque langue et a évoqué l'effet de cette situation sur
l'évolution de la représentation mentale et de la mentalité de ceux qui l'utilisent par le
biais d'une enquête. Les mots des pays en retard renferment des percepts superficiels
et subjectifs qui sont logiquement plus légers. Ce sont des mots cognitifs. Tandis que,
ceux des pays développés sont chargés par des concepts rigoureux et structurés d’une
manière intersubjective formant des mots alter-cognitifs. Finalement, la confirmation
de l'hypothèse implique par absurde la possibilité de changement de paradigme et de
mentalité par l’utilisation d’un environnement-plus formé d’instrument didactique
cognitif capable de provoquer un renforcement de culturalité et mutabilité vers un
individu plus rigoureux, critique et créatif.

Mots clés : mots cognitifs, représentation mentale, poids cognitif, mots alter-cognitifs,
rééquilibrage

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 21


THE RESTRICTION OF MENTALITY : THE LIGHTNESS OF A WORD

Abstract: For young university students from backward countries such as Madagascar,
a word from their language does not have the same mental representation as a word,
supposed to have the same meaning, from the language of a developed country.
However, a universal standard of mental representation exists in the general culture.
The problematic is based on the thing that is responsible for the restriction of a mental
representation. The lack of conceptual analysis and conceptualization is chosen as
hypothesis. Our research question focuses on the contribution conceptual analysis and
conceptualization to the construction of a more universal mental representation. First,
surveys were conducted to determine the strength and weakness of a particular language
word in terms of the breadth and depth of the cognitive structures it contains as well as
the quality of its productivity. The words of backward countries are perceptual, oral and
informally educated. This state corresponds to the traditionalist paradigm, spirit and
personality, which is still based on trial and error and which seems to be supported by
colonization. These words restrict mental representations. On the other hand, the words
of developed countries are conceptual, written and formally educated. Their state rather
reflects the renaissance, the paradigm of modernism, postmodernism or even hyper-
modernism which illustrates the evolution of the mental representations. Then,
documentation studies have confirmed that the observation identifies the cognitive
words revealing the mentality quality, that the paradigm contributes to the
conceptualization of alter-cognitive words with more cognitive weight and that the
conceptual analysis reinforce the evaluation capacity of the concept definitions or
notions, related notions, issues, schema and use of concepts that constitute the thought
and the mentality. Third, the comparison of data on the Malagasy language and the
French language showed the existence or not of conceptual analysis and
conceptualization in each language and evoked the effect of this situation on the
evolution of the mental representation and the mentality of those who use it through a
survey. The words of backward countries contain superficial and subjective percepts,
which are logically, lighter. Whereas, those of developed countries are loaded with
rigorous and structured concepts in an intersubjective way forming alter-cognitive
words. Finally, the confirmation of the hypothesis implies by absurd the possibility of a
change of paradigm and mentality using environment-plus formed by cognitive didactic
instrument capable to provoke culturality and mutability building leading to rigorous,
critical and creative person-plus.

Keywords: cognitive words, mental representation, cognitive weight, alter-cognitive


word, rebalancing

Introduction
Madagascar était une colonie française de 1896 en 1960, des perturbations de la
constante culturelle et spirituelle locale font émerger, pendant et après cette période, des
différents mythes tels que le mythe du mouton de panurge, le mythe du seigneur paresseux,
le mythe de la révolution socialiste, le mythe de contentement passif, le mythe de
dissimulation. Depuis l’indépendance, force est de constater la faiblesse face à
l’inachèvement de la décolonisation. Dans le cadre de la langue par exemple, la langue
coloniale n’est pas maîtrisée, la langue locale n’est pas aussi conceptualisée et le choix de
langue administrative et de langue d’enseignement reste confus, la conception d’instrument
didactique cognitif spécifique aux malgaches ne voit pas encore le jour alors que l’éducation

22 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

est la base de tout développement. Il est évident que la culture rencontre un bouleversement.
Elle a succombé à la rencontre culturelle. Même si la culture malgache persiste, le droit dont
la source est encore la culture française, s’affirme dans toutes les institutions et tous les
ministères. Constatant que la situation économique, sociale et politique est en désordre, celle
de la culture en dégradation, le développement en retard malgré les richesses en ressources
naturelles, il s’avère logique de parler de l’inefficacité de la gouvernance. Comme faits, des
crises cycliques à raison de 10 années environ depuis 1972 se sont produites dans le cours
de l’histoire. En effet, le pays se trouve parmi les plus pauvres du monde. D’autres résultats
affirment que cet échec de développement est centré sur la mentalité. Mais comment
approcher de cette mentalité ? Des difficultés seront présentes dans cette démarche car déjà
d’après des résultats scientifiques obtenus par l’OMS dans deux régions de Madagascar,
30% de leur population sont atteints d’un trouble mental. Et pire encore, le projet HIFALI
(Hestika Iombonana ho an’ny Fahasalaman-tsaina sy Lamina eny Ifotony) a avancé un
pourcentage de 47%. Quelle performance pourrait-il exister ?

1. Deux mots synonymes, deux représentations mentales différentes


A Madagascar qui est un pays en retard de développement, un mot de la langue
nationale n’a pas la même représentation mentale qu’un mot supposé de même sens de la
langue française. Il semble que le poids d’un mot, dans le sens cognitif non pas numérique,
est différent pour la langue malgache et pour la langue française. Le mot « processus » par
exemple a comme traduction en malgache « dingana » sauf que les deux mots n’ont pas
vraiment les mêmes significations. Le mot processus désigne l’action d’aller vers l’avant,
l’ensemble des phases successives d’un phénomène naturel ou d’une opération artificielle.
Tandis que, le mot « dingana » représente la distance effectuée pour un pas. Dans ce cas, il
pourrait plutôt être le synonyme du mot « étape ». Alors qu’« étape » et « processus » ne
sont pas synonymes. Le mot « processus » pourrait évoquer (i) un ensemble d’activités de
transformation d’un état initial à un état final, (ii) un mécanisme fondamental, (iii) voire
même un système d’exploitation renfermant en lui des instructions de programme impliquant
des ressources et des moyens. La traduction du mot « processus » en « dingana » lors d’une
explication facilite logiquement la compréhension mais n’enrichit pas les connaissances et
limite l’approfondissement. La représentation mentale provoquée par le premier est donc
plus précise et plus démonstrative que la deuxième. De cette manière, les poids cognitifs des
deux mots sont différents. Celui du processus serait probablement plus lourd. Toutefois, si
l’explication donnée par processus est transmise à « dingana », la représentation mentale
associée au premier mot serait attribuée au second et vice-versa. Ce qui veut dire qu’un mot
peut véhiculer une quelconque représentation mentale. Cette dernière dépend alors de la
création et/ou de la compréhension des concepts. Évidemment, beaucoup de variables
pourraient intervenir dans ce cas. Le cas des jeunes de l’Université privée ISERP du
banlieue d’Antananarivo, la capitale de Madagascar a été choisi pour les études et
recherches.

2. Mot, représentation mentale, structure cognitive et expression


Chez un enfant, dès le commencement de la maîtrise du langage, l’explosion verbale
s’opère, les ressentis et les perceptions s’installe au fond de sa pensée dans tous les niveaux
en structures cognitives. Chaque mot devient une représentation mentale. Chez l’enfant que
chez l’adulte, les mots entrent dans cette structure, s’y installent sous cette forme de

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 23


représentation et ressortent de nouveau en mot (voir schéma 1). La responsabilité des adultes
et de la société est en effet très importante dans le cadre de la politique et de l’éducation.
Deux mondes distincts sont présents : le monde des mots et le monde des représentations
mentales. Dans la communication dans une société, les mots sont utilisés pour dire le monde,
pour décrire le réel, pour désigner des choses, pour communiquer des impressions relatives
à la réalité de choses. Un mot doit être associé à l’idée d’une chose ou d’une essence. La
réduction ou l’enrichissement du mot affecte la pensée, l’attitude et le comportement.

Schéma 1 : Représentation mentale associée à un mot


Communication Communication
Mot qui entre Mot qui ressort

Entendement Comportement cognitif


Mot qui s’installe
L’entendement produit la
Représentation mentale
qui forme les Structures cognitives
qui gère le Comportement cognitif

Source : Compilation des auteurs

Selon, Dawkins (1976) explique que les mots ne sont que des outils utilisés par les
mèmes pour se répliquer. Les mèmes sont des unités culturelles analogues aux gènes. Ils
sont des "paquets d'information" qui se propagent d'un individu à l'autre par le biais de la
communication et de l'imitation, et qui peuvent évoluer et se répliquer en fonction de leur
succès dans la culture. Les mèmes peuvent être des idées, des comportements, des modes
de vie, des croyances, des styles musicaux, des langues, des coutumes et des traditions. Les
mèmes peuvent représenter des choses dans le monde réel, comme des concepts ou des
objets, mais ils peuvent aussi être des abstractions qui n'ont pas de correspondance dans le
monde physique.

3. Constante culturelle, organisation cognitive, mentalité et différentes puissances


culturelles
Comme rappel, c’est Piaget (1954) qui a formulé le développement cognitif et ses
étapes à partir de sa théorie structuraliste et a donné une description systématique des
organisations cognitives. Comme rappel, les entités cognitives sont structurées par le biais
des mots et les représentations mentales qu’ils apportent. Inhelder et Piaget (1955) ont donné
une interprétation structurale des changements cognitifs observés à l’adolescence. Jérôme
Bruner (1956) a donné une définition de la cognition comme l’ensemble des processus
mentaux qui se rapportent à la fonction de connaissance et mettent en jeu perception, le
langage, la concentration, l’attention, l’interprétation, la mémorisation, le raisonnement,
l’intelligence, l’apprentissage, l’organisation, la résolution de problèmes et la prise de
décision. La cognition est relative aux actions intellectuelles et faits intellectuels. Toutefois,
l’ensemble des habitudes intellectuelles, des croyances et des dispositions psychiques
caractéristiques d'un groupe au niveau collectif et l’ensemble des manières d'agir, de penser,
de juger de quelqu’un au niveau individuel s’appellent la mentalité. Par ailleurs, il est clair
que l’ensemble de ces différentes manières forme une culture avec ses propres valeurs et

24 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

que la diversité culturelle, l’interculturalité et le dialogue culturel offrent une possibilité de


rencontre entre les valeurs. Cette situation constitue une grande richesse. Toutefois, leurs
puissances respectives ne sont pas identiques même si elles sont toutes fondées sur une
même constante culturelle. Les représentations de chacune d’elles sont variées. À l’extrême,
il y en a des cultures très puissantes et il y en a des cultures très fragiles. Il y en a des
cultures dominantes et il y en a celles qui sont dominées.

4. Capacité cognitive : légèreté et fragilité de la représentation mentale


Dans le cadre du rapport de puissance culturelle, comme constat sur le niveau des
jeunes à l’entrée de l’université privée ISERP d’Antananarivo à Madagascar, le problème de
légèreté et fragilité de la représentation mentale est assez flagrant comparant leurs cultures
à celle de la culture générale la plus étendue et profonde. Au centre de ce problème, ces
jeunes universitaires semblent avoir une compréhension superficielle et somatique des mots
qu’ils utilisent que ce soit malgaches ou français. Les connaissances fondamentales
paraissent comme étant apprises par cœur pour avoir le diplôme du baccalauréat sans savoir
la pensée qu’elles portent en elles. En effet, la mentalité apparait très restreinte. De ce fait,
la problématique repose sur la raison pour laquelle les capacités cognitives et métacognitives
de ces jeunes semblent être réduites, raison qui est responsable de cette restriction de
mentalité. Effectivement, l’objet de recherche se focalise sur le phénomène de restriction de
la mentalité. L’objectif de l’analyse de l’existant est de comprendre la nature de la capacité
cognitive qui restreint la représentation mentale et la mentalité des étudiants de l’Université
ISERP à Antanetibe dans le banlieue d’Antananarivo qui est la capitale de Madagascar.
Ainsi, la recherche a pour finalité la compréhension du mécanisme qui régit ce phénomène
cognitif. Cette position requiert les sciences inter-épistémiques impliquant les sciences
sociales et les sciences humaines, les sciences de l’éducation et les sciences cognitives. A
ce stade de recherche, quelques notions sont incontournables. D’abord, en ce qui concerne
le mot, Ferdinand de Saussure, un linguiste suisse du 20ème siècle, a élaboré une théorie du
signe linguistique qui considère le mot comme un signe arbitraire composé d'une
signification (le sens) et d'un signifiant (la forme acoustique). Du fait que la définition du
« mot » est le résultat d'un travail collaboratif et d'un processus évolutif, une définition
générique le considère comme une unité de langage composée d'un ou plusieurs sons ou
lettres qui exprime un concept, une idée ou une action. Le mot peut être utilisé pour
transmettre d’un côté des informations, des idées, des opinions et une conduite et de l’autre
côté des sentiments, des émotions, des pulsions et une logique. Alors qu’un mot, un son ou
un groupe de sons articulés ou figurés graphiquement, correspondant à un sens isolable
spontanément, constituant une unité porteuse de signification à laquelle est liée, dans une
langue donnée, une représentation d'un être, d'un objet, d'un concept... C’est une parole, un
énoncé, une phrase exprimant une pensée de façon concise et frappante. C’est un élément
du lexique, en tant que signe. C’est un élément de la langue composé d'un ou de plusieurs
phonèmes, susceptible d'une transcription écrite individualisée et participant au
fonctionnement syntactico-sémantique d'un énoncé. C’est un Moyen d'expression orale ou
écrite.
Ensuite, pour la pensée, William James (1890) définit que c’est un processus mental
actif qui implique l'expérience subjective et la prise de décision. Selon Piaget (1920), la
pensée est la construction de système de représentation d’une manière consciente (verbale)
ou inconsciente (non verbales) des imageries. Ce sont des activités cognitives à deux
dimensions intentionnelle (représentation interne du monde extérieur) et opératoire

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 25


(capacité de raisonner, extraire, stocker et combiner des informations). Et puis, J. R. Angell
(1906) a été utilisé le terme cognition pour la première fois. Cependant, c'est le psychologue
américain Ulric Neisser qui a largement popularisé le terme avec la publication de son livre
"Cognitive Psychology" en 1967. Dans ce livre, Neisser a proposé une définition de la
cognition comme le traitement de l'information par l'esprit et plus tard l’aptitude de faire
cette action. La cognition englobe donc les processus mentaux qui se rapportent à la fonction
de connaissance tels que la perception, l'attention, la mémoire, le raisonnement, la résolution
de problèmes, la prise de décision, la communication et la conscience. Pour d’autres
chercheurs, la cognition est la faculté de connaître et par extension la connaissance elle-
même. C’est une aptitude à traiter les informations arrivant dans le cerveau.
En outre, les capacités cognitives seront généralement définies comme les capacités
du cerveau qui permettent d’être en interaction avec notre environnement telles que la
capacité de percevoir, de se concentrer, d’acquérir des connaissances, de raisonner, de
s’adapter et d’interagir avec les autres. La capacité cognitive semble être une capacité
managériale des informations. Selon Piaget (1920), la capacité cognitive peut être définie
comme la capacité de l'individu à s'adapter à son environnement, à assimiler de nouvelles
connaissances et à résoudre des problèmes de manière créative. En sus, la
métacognition désigne l’aptitude globale d’un individu à développer une pensée à propos de
sa propre pensée. Cette capacité est considérée comme résultant d’un large éventail de
facultés, plus ou moins indépendantes, qui permettent à l’individu de se former des
représentations de ses propres états mentaux et de ceux d’autrui. Un individu pourrait se
présenter un excédent métacognitif ou un déficit métacognitif. Les capacités métacognitives
permettent d’élaborer, de concevoir et de réviser des jugements sur ce que l’on croit, sent,
rêve, ou craint, dans une série de contextes évoluant rapidement. Ainsi, la capacité
métacognitive paraît comme une capacité politique de suivi et d’évaluation de ce
management des informations. Dans les années 1970, Flavell a défini la métacognition
comme la connaissance et le contrôle des processus cognitifs.

5. Mots cognitifs, éléments cognitifs : types à l’entrée et à la sortie du système cognitif,


impacts sur le processus cognitif
Dans ses travaux, Pinker (1999) décrit les mots comme des unités cognitives de base
qui peuvent être stockées et traitées dans la mémoire. Il propose également que la
signification des mots est liée à des processus cognitifs plus larges, tels que la perception, la
mémoire, l'attention et le raisonnement. En effet, il serait intéressant de poser des questions
de recherche (i) sur le type d’élément cognitif qui constitue la représentation mentale des
mots dans la structure cognitive et le système cognitif des étudiants à l’entrée au sein de
l’ISERP ; (ii) si ces éléments cognitifs, utilisant les fonctions cognitives des structures
cognitives, arrivent-ils à donner des comportements adéquats pour faire face à
l’environnement ; (iii) si l’enseignement de l’analyse conceptuelle peut contribuer à
remplacer les anciens éléments cognitifs y afférents par des nouveaux dans les activités de
la pensée habituelle. Par conséquent, un mot pourrait être un élément cognitif appauvri et
faible ou enrichi et puissant. Dans le cas de l’étude, la fragilité des étudiants n’ayant pas
suivi d’analyse conceptuelle, rigueur de ceux qui l’ont suivi. Dans le domaine de la santé
par exemple, les mots peuvent avoir des effets non seulement sur la capacité cognitive amis
aussi sur la capacité physique, c’est-à-dire, non seulement sur la capacité de réflexion mais
aussi sur la capacité comportementale et la capacité physique pour l’équilibre. Selon James
W. Pennebaker, les mots cognitifs sont des mots qui reflètent la façon dont les gens pensent

26 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

et perçoivent le monde. Ils sont utilisés pour exprimer des émotions, des pensées, des
opinions et des jugements, et comprennent des termes tels que "je pense que", "je crois que",
"je sais que", "je me souviens que", "j'espère que", etc. L’utilisation des mots cognitifs pour
les patients signifie adhésion à ses structures cognitives. Les mots que nous utilisons dans
notre vie quotidienne révèlent nos pensées, nos sentiments, notre personnalité et notre
motivation. En effet, ils se sentiraient à l’aise et en équilibre ce qui serait favorable pour
leurs santés. Ce phénomène subsume que l’attention et le choix de type de mots utilisés dans
la vie quotidienne concours tant au processus de développement cognitif qu’au processus de
développement physique. La transformation des schémas d’écriture fait partie d’un
processus de développement cognitif. Sur la base de ces informations, il a posé une question
sur la motivation de ne pas commencer à prêter davantage attention au type de mots que
nous utilisons dans notre vie quotidienne. En effet, ce que James W. Pennebaker a émis est
relatif à l’adéquation du type de mots qui entre avec celui les mots cognitifs qui sortent
habituellement d’un individu. C’est-à-dire une adéquation avec les structures cognitives.
Cette situation reflète la nature des structures cognitives présentes dans la cognition. Mais,
quand est-il si le type de mots qui y entre n’est pas en adéquation avec ces mots cognitifs ?
Quel serait son impact sur les structures cognitives et les capacités cognitives ? Il y a donc
une possibilité ou bien ces mots qui entrent sont cognitifs – en adéquation avec les mots
cognitifs, ou bien moins cognitifs ou bien plus cognitifs ce qui les rendent comme éléments
cognitifs déstabilisants ou stabilisants.

6. Manque d’analyse conceptuelle et allègement de poids cognitif


Puisque la problématique repose sur la raison pour laquelle les capacités cognitives
et métacognitives de ces jeunes semblent être réduites, raison qui est responsable de cette
restriction de mentalité. C’est-à-dire la capacité d’analyse des mots entrants, la capacité
d’évaluer les méthodes adéquates pour le traitement des éléments cognitifs y afférents et la
capacité d’approprier l’utilisation. Tout d’abord, l’hypothèse avance qu’un manque d’analyse
conceptuelle susceptible de ne pas enrichir les capacités cognitives et métacognitives qui
agissent sur les représentations mentales, les éléments cognitifs, les unités cognitives, les
structures cognitives et les mots cognitifs. Alors que cet enrichissement devrait les rend plus
conceptualisés. Ensuite, avec cette analyse conceptuelle, les capacités cognitives et
métacognitives évoquées par les mots conceptualisés qui arrivent à l’esprit entrent en
dynamique avec les capacités qui y sont déjà et provoquent un développement cognitif pour
une meilleure conceptualisation de mot à qualité plus enrichie. Par contre, avec des mots
peu conceptualisés, les capacités cognitives et métacognitives sont réduites et deviennent
faibles. La capacité d’absorption cognitive et métacognitive se dégrade. La qualité est donc
un peu appauvrie. Par ailleurs, ces nouvelles qualités des mots cognitifs définissent leurs
poids cognitifs. En absence de cette qualité, le poids cognitif est très faible et les mots
cognitifs seront impuissants. En effet, l’hypothèse avance la légèreté du poids cognitif
attribué à chaque représentation mentale relative au mot utilisé. Finalement, il est logique
que la capacité d’analyse et de conceptualisation est faible entrainant la fragilité des
habitudes intellectuelles et des croyances qui forment la mentalité. Le poids cognitif désigne
l’importance d’un mot et de sa représentation due par l’enrichissement cognitif apporté par
l’analyse conceptuelle. Cette valeur non numérique mais cognitive est déterminée dans un
domaine de définition du mot et englobe une notion sémiologique plus précise, des notions
avoisinantes, du schéma conceptuel, des enjeux épistémologiques et axiologiques et du
domaine d’utilisation. En effet, le poids cognitif correspond aux valeurs cognitives afférente

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 27


au enrichissement attribué à l’élément cognitif ou activé par le l’élément cognitif qui joue le
rôle de stimulant. Le mot est léger lorsque l’enrichissement qu’il dégage dans sa
représentation est faible. Inversement, il est lourd lorsque l’enrichissement dégagé est
important. C’est ce poids qui apporte la valeur cognitive d’un mot et l’efficience cognitive du
processus cognitif dans la prise de décisions vers l’attitude et le comportement. Ainsi, les
recherches se concentrent sur les questions relatives à la justification (i) de l’importance de
la conceptualisation sur les structures cognitives, (ii) du manque d’analyse conceptuelle sur
les structures cognitives, (iii) d’une restriction de mentalité en conséquence, (iv) de l’effet
de qualité et de valeur de la conceptualisation et de l’analyse conceptuelle sur l’état de la
représentation mentale, de la mentalité, du paradigme, du concept, des capacités cognitives,
du développement cognitif, de l’attitude et du comportement et (v) de l’effet de
l’enseignement de l’analyse conceptuelle et de l’utilisation des mots mieux conceptualisés
sur les étudiants de l’ISERP.

7. Méthodologie
7.1 Objet, logique et finalité
La méthodologie est portée sur l’analyse de l’existant avec une démarche mentale
inductive suivie d’une étude prospective avec une démarche mentale déductive. Tout
d’abord, comme la problématique repose sur la chose qui est responsable de cette restriction
de mentalité. Pourquoi la faculté cognitive semble être réduite ? Quelle cause engendre ce
phénomène ? L’objet de l’étude est donc la variation de la qualité de l’expression cognitive
– ensemble de mots cognitifs exprimant une idée – avec lesquels la qualité des structures
cognitives sera identifiée et constituera ce qu’est le poids cognitif de la représentation
mentale associée à un mot (non pas dans le sens numérique mais cognitif) pour un individu
ou un groupe d’individus dans une société donnée. Une étude rétrospective avec un
raisonnement inductif donnera sens à la valeur d’un mot par le biais d’une recherche
fondamentale et d’une approche inter-épistémologique impliquant la Sociologie, la
psychologie, la Science cognitive et la Linguistique. Une étude prospective validera le
renforcement proposé pour l’amélioration de la qualité et de la valeur, donc pour le
raffermissement du poids cognitif. Enfin, la finalité de l’étude est la compréhension du
mécanisme qui anime la variation de poids de la représentation mentale associée à un mot.
Par la suite, l’utilisation à la fois l’approche interprétativiste pour les études rétrospectives
et l’approche constructiviste pour les études prospectives est logique. Dans le cadre de
l’interprétation : l’étude de document, des ouvrages et des articles est réalisée avec une
approche historique afin d’assurer la présentation du contexte et du cas, l’entretien et
l’enquête est réalisée avec une approche de participation observante pour identifier
l’importance de la qualité de la représentation mentale. Dans le cadre de la construction :
l’étude de document, des ouvrages et des articles est réalisée avec une approche inter-
épistémique afin d’assurer l’adéquation des concepts utilisés avec le contexte qui tend à
mettre en exergue la multi-dimensionnalité, l’entretien et l’enquête est réalisée avec une
approche critique pour mesurer la performance afin d’identifier les besoins de renforcement.
Conception d’un plan de renforcement didactique en matière d’analyse conceptuelle
utilisable. Ainsi, les recherches se concentrent sur les questions relatives à la justification :
de l’importance de la conceptualisation sur les structures cognitives, du manque d’analyse
conceptuelle sur les structures cognitives et d’une restriction de mentalité en conséquence ;

28 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

de l’effet de la qualité et de la valeur de la conceptualisation et de l’analyse conceptuelle sur


l’état de la représentation mentale, de la mentalité, du paradigme, du concept, des capacités
cognitives, du développement cognitif, de l’attitude et du comportement et
de l’effet de l’enseignement de l’analyse conceptuelle et de l’utilisation des mots mieux
conceptualisés sur les étudiants de l’ISERP. Finalement, le mode d’analyse de données est
une recherche descriptive et explicative qui tend vers une praxéologie de work in progress.

7.2 Méthodes utilisées


En somme, les méthodes utilisées sont la documentation, la méthode historique, la
méthode d’enquête et l’analyse SWOT.
Premièrement, la méthode historique pour dégager l’effet de la période de la
renaissance en France sur la langue française, la méthode de documentation pour déterminer
le rang de la langue française au niveau mondial, la méthode d’enquête pour déterminer, les
langues utilisées pour les mots techniques et pour l’enseignement des concepts, l’existence
ou non d’analyse conceptuelle dans la politique et le programme avant l’entrée à l’université,
l’effectif des étudiants étudiés et le niveau d’utilisation de concepts chez ces étudiants afin
de bien situer le problème et poser la problématique.
Deuxièmement, la méthode de documentation qui va élucider dans la
conceptualisation si les mots conceptualisés sont comme porteurs de pensée, montrer
l’existence de relation entre la représentation mentale, l’unité de concept et l’objet mental et
expliquer dans l’analyse conceptuelle si son produit tend vers l’enrichissement du poids
cognitif. Il y a aussi une autre méthode de documentation sensée expliquer le système
cognitif, l’existence d’outil nécessaire pour le comportement cognitif, les capacités
cognitives et les fonctions cognitives. Et il y a en plus, la méthode d’enquête pour éclaircir
la relation entre l’état des concepts et l’état d’enrichissement afin de dégager la nature des
poids cognitifs et de la mentalité y afférente.
Troisièmement, pour tester pratiquement l’action issue de la confirmation de
l’hypothèse. Pour ce faire une analyse des documents politiques a été élaborée pour
déterminer l’existence ou non de l’analyse conceptuelle dans la politique linguistique, la
politique et le programme éducatif malgache et dans la politique et programme de l’ISERP,
une analyse SWOT a été procédée afin de fournir une meilleure compréhension du
fonctionnement des capacités cognitives et une enquête a été réalisée pour faire
sortir l’existence de politique et de programme pendant le cursus universitaire et les effets
de l’analyse conceptuelle dans différents niveaux d’utilisation de concepts. Divers
documents sont étudiés, l’histoire de la France et de Madagascar sont analysée, les étudiants
auprès de l’ISERP, la politique et le programme éducatif de Madagascar, de l’école de
provenance de ces étudiants et de l’université ISERP constituent les corpus de ces études.

8. Résultats
Les résultats obtenus sont répartis en trois catégories. La première est relative à la
réalisation (i) de la puissance de la langue française due à ses atouts et sa conceptualisation,
(ii) de la faiblesse de la langue malgache et légèreté du poids cognitif des mots malgaches à
cause du faible transfert et exploitation du poids cognitif des mots français et (iii) de la
restriction de la mentalité, car les représentations mentales associées aux mots utilisés ont
cette légèreté. La deuxième catégorie de résultat se concentre sur la découverte d’une
nouvelle acception de l’apprentissage et de la pédagogie compte tenu tout d’abord de la
compréhension des mots alter-cognitifs équivalent aux mots cognitifs enrichis de conception

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 29


et soutenus par une analyse conceptuelle, ensuite de la conception d’un modèle d’instrument
didactique cognitif issu des concepts et théories axé sur l’enrichissement des représentations
mentales associées aux mots alter-cognitifs, et puis de l’absence de cet instrument dans la
politique nationale de l’éducation et programme éducatif national, en plus de la présence de
cet instrument dans la politique éducative et programme éducatif de l’ISERP et finalement
de la force, de la faiblesse, de l’opportunité et du menace respectifs des mots mieux et peu
conceptualisés. La dernière catégorie illustre la réalisation d’un développement cognitif aux
termes du programme cognitif utilisant le nouvel instrument didactique cognitif.

8.1 Restriction de la mentalité des étudiants avant l’étude universitaire


-La puissance de la langue française
Analysant le positionnement international de la France et de Madagascar, la France
est passé historiquement par la période de renaissance. Elle en est à la fois l’acteur et
l’héritier (voir tableau 1). Cette période est marquée par la transformation des idées et de
l'art avec les humanistes et une modernisation de la société. Les humanistes ont également
une nouvelle vision de l'Homme, avec le souci de la perfection intellectuelle mais aussi
physique, ce qui veut dire, de nouveaux regards artistiques, des nouveaux concepts, donc
des nouvelles visions, des nouveaux paradigmes, des inventions, des sciences modernes, des
politiques, des religions, de la modernité… La renaissance semble s’illustrer par une
exploitation à outrance de la conceptualisation. Par contre, Madagascar n’a pas eu cette
occasion. La comparaison des données historiques malgaches et françaises sur l’exploitation
de la renaissance dans le domaine de l’enseignement montre du côté de la France un
avantage majeur dans le développement de paradigme et d’esprit.

Tableau 1 : Héritage de la pensée issue de la renaissance pour la France et Madagascar

Madagascar France

Etat traditionnaliste Pas de conceptualisation locale Déjà la conceptualisation a commencé

Renaissance Vide Ayant joui du paradigme et de l’esprit


apportés par la renaissance

État moderniste Joui des résultats de la conceptualisation Exploitation à outrance de la


occidentale conceptualisation
Tout en gardant la pensée traditionnelle

État postmoderniste Suiveur Leader

État hyper-moderniste Suiveur Course des leaders


Source : Auteurs

La conceptualisation est l’action d’abstraire, de généraliser, de synthétiser,


d’élaborer et de formaliser un concept ou un ensemble de concepts communicables ou une
expérience ou une intuition en une théorie. Elle peut aboutir à des concepts quotidiens si la
source est la vie ou à des concepts scientifiques si la source est l’école. Fruit d’une grande
conceptualisation, la langue française est très puissante, elle est située à la 5ème place
mondialement par rapport au nombre de personnes qui l’utilise comme langue maternelle et
langue secondaire (voir tableau 2). Elle possède alors une force linguistique très puissante
à travers sa politique linguistique dans le monde. Les mots français ont mieux conceptualisé.

30 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

Tableau 2 : Utilisation de la langue malgache et française en 2022

NOMBER OF INDIVIDUALS NOMBER OF INDIVIDUALS


WHO USE IT AS WHO USE IT AS
LANGUAGE LANGUAGE
MOTHER TONGUE AND MOTHER TONGUE AND
SECONDARY LANGUAGE SECONDARY LANGUAGE

English 1.5 B Standard Arabic 274.0 M

Mandarin Chinese 1.1 B Bengali 272.7 M

Hindi 602.2 M Russian 258.2 M

Spanish 548.3 M Portuguese 257.7 M

Français 274.1 M Urdu 231.3 M

Source : https://www.ethnologue.com/guides/ethnologue200

-Faiblesse de la langue malgache dans la cohabitation


En effet, la puissance d’une langue – puissance de la conception linguistique – a une
grande influence sur le rapport de force linguistique ce qui est observée dans l’utilisation
des langues française et malgache en amont de l’entrée à l’Université – dans des écoles
primaires et secondaires. Les résultats obtenus sont identiques pour les étudiants pris. Le
fait que Madagascar a été colonie pendant 64 ans a laissé des empreintes institutionnelles,
politiques et juridiques. Même s’il est indépendant, la langue française est encore la langue
de l’administration. Or comme la langue française n’est pas bien maîtrisée, la langue
malgache sert de langue d’explication des termes techniques français (voir tableau 3). Mais,
une distance cognitive se présente entre la pensée portée par le concept français et la pensée
portée par l’explication en malgache. Il est à noter que les mots malgaches sont encore peu
conceptualisés. En effet, la langue malgache et la langue française sont en contact dans le
milieu pré-universitaire et universitaire. Un phénomène de perte de poids cognitif apparait.

Tableau 3 : Utilisation de la langue malgache et française


dans l’enseignement malgache dans la banlieue de la capitale (Antanetibe 2022)

Langue utilisée Langue utilisée pour Langue utilisée Langue utilisée Langue utilisée pour
dans la société l’explication globale pour les termes pour l’explication la prise de notes
techniques des termes
techniques

Malgache Malgache Français Malgache Français


Source : Auteurs

La perte de poids cognitif pourrait être expliquée par le fait que Madagascar n’a pas
su profiter de la force linguistique de la langue coloniale ou transmettre le pouvoir conceptuel
de cette langue à la langue malgache. La conceptualisation est très peu développée et
l’analyse conceptuelle manque (voir tableau 4).

Tableau 4 : Utilisation de l’analyse conceptuelle par les étudiants avant d’entrer au sein de l’ISERP

Politique linguistique Politique éducative Programme scolaire


malgache malgache malgache

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 31


Conceptualisation Peu développée Peu développée Peu développée
Analyse conceptuelle Néant Néant Néant
Source : Auteurs

-Restriction de la mentalité des jeunes bacheliers recrus de l’iserp


Les étudiants de l’Université de l’ISERP ont été la cible d’une enquête afin de
justifier cette perte de poids cognitif qui pourrait être le responsable de la restriction d’une
mentalité (voir tableau 5).

Tableau 5 : Répartition des étudiants étudiés au sein de l’Université ISERP en 2022

1ère année 2ème année 3ème année

25 15 10
Nouveaux Etudiants Etudiants
Mention Développement
étudiants au passants au passants au
total total total
Source : Auteurs

L’analyse effectuée revient à l’étude du pouvoir cognitif. Il est intéressant de voir que
la situation actuelle est marquée par l’absence de l’analyse conceptuelle dans
l’enseignement à Madagascar. Donc, les mots en français, même s’ils sont mieux
conceptualisés, sont expliqués en malgache tels que l’enseignant les appréhende. Ainsi, la
compréhension des mots français se fait en malgache d’où la déclinaison de la pensée mieux
conceptualisée apportée par le mot français en pensée malgache peu conceptualisée.
Lorsque cette pensée devient une habitude, elle constitue la mentalité. Le niveau
d’utilisation des concepts, où le fait que la pensée est peu conceptualisée serait la cause de
la restriction de la mentalité (voir tableau 6). L’étude est portée sur les étudiants cités ci-
dessus et a donné le résultat suivant :

Tableau 6 : Répartition des étudiants étudiés au sein de l’Université ISERP en 2022


60 mots français sur le
Bacheliers
développement

Actions entreprises Sans enseignement de l’analyse conceptuelle et de


la conceptualisation

Exploitation des mots pour 10%


produire

Utilisation simple 35%

Utilisation erronée 55%

Observation Représentation mentale restreinte

Source : Auteur
Le problème de restriction de mentalité des étudiants avant l’étude universitaire. La
problématique tourne autour du mécanisme qui anime la perte de poids cognitif.

32 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

8.2 Découverte d’une nouvelle acception de mode d’apprentissage et de pédagogie


-Compréhension et conceptualisation des mots alter-cognitifs
D’un côté, pour pouvoir illustrer la qualité et la valeur de la conceptualisation relative
à un mot, il est nécessaire d’utiliser quelques pensées. D’abord, l’essentialisme rend
l’existence d’un mot tributaire du déterminisme de son essence. Selon Henri Bergson (1919)
et Pierre Janet (1934), l’isomorphisme entre les manières de penser et les manières de parler,
lesquelles ont en commun leur rapport aux structures de l’expérience et au contexte
environnemental des sociétés renforce la logique de l’essentialisme. Ainsi, un mot est porteur
de pensée qu’on lui a attribuée. En plus de cela, pour Herbert Marcuse et Ivan Illich (1964),
le verrouillage idéologique influence les représentations, la perception de la réalité,
l’élaboration des politiques et stratégies. Ce qui est important c’est de comprendre le fait
qu’une pensée peut être attribuée à un mot que ce dernier peut porter en lui dans la cognition.
Par contre, Benjamin L. Whorf (1941) pensent que la logique de l’action et des conduites
sociales permet de rendre compte du relativisme linguistique défini par le fait que la position
de l'observateur dans l'espace modifie sa vision de l'objet réel observé et d’expliquer le
verrouillage du sens inhérent aux contraintes du langage (voir schéma 2). L’adaptation du
langage aux besoins de la vie pratique et aux comportements sociaux des individus, aux
évolutions de la société restreint le champ des possibilités d’expression pertinentes et oriente
tendancieusement les usages de la langue en les maintenant dans les cadres d’un paradigme.
Utilisation du mot conceptualisé selon les besoins.

Schéma 2 : Pensée et Conceptualisation relative à un mot.


Déterminisme

Existence Essence

Contexte environnemental

MOT
CONCEPTUALISATION
tation
Pensée attribuée
Adap
à un mot
MOT uites Paradigme
Cond les
OBJET RÉEL socia
Assim
VERBAL ilatio
n
MOT
Actio CONCEPTUALISÉ
n
Porteur de pensée
Personnalité
Structures de l’expérience

Représentations objectales
Représentations mentales
Manière de parler
Manière de penser
Mentalité
Source : Compilation des auteurs

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 33


C’est possible d’avancer quelques étapes méthodologiques générales pour la
conceptualisation : déterminer l'objectif de la conceptualisation : clarifier ou créer un
concept pour répondre à une question, résoudre un problème ou améliorer la compréhension
d'un domaine ; Identifier et définir le concept à travailler, à clarifier ou à créer. Cela peut
impliquer une recherche de concepts existants similaires ou liés. C’est dans cette étape que
les mots cognitifs sont étudiés ; Collecter des données sur le concept à partir de différentes
sources pour mieux comprendre le concept, notamment les définitions, les descriptions, les
exemples, les propriétés, les relations, les contextes d'utilisation, etc. ; Analyser les données
et synthétiser les résultats : une fois que les données ont été collectées, il faut les analyser
en détail pour en extraire les informations clés sur le concept. Les résultats de l'analyse
doivent être synthétisés en une définition précise du concept ; Vérifier la validité de la
définition du concept en la confrontant à d'autres sources et en la testant dans différents
contextes pour assurer que la définition est pertinente, complète et cohérente. Les mots alter-
cognitifs sont développés dans cette étape ; Élaborer une représentation visuelle du concept
qui peut aider à clarifier sa définition et à le rendre plus facile à comprendre pour les autres.
Cette représentation peut prendre la forme d'un schéma, d'un diagramme ou d'une carte
conceptuelle. Cette étape est le lieu de développement de l’instrument didactique cognitif.
Finalement, c’est la représentation mentale correspondant à la pensée
conceptualisée véhiculée par le mot et activée dans les structures cognitives lieu des
systèmes cognitifs, du mécanisme cognitif, des capacités cognitives et des comportements
cognitifs. Dans ce cadre, l’enrichissement du poids cognitif signifie amélioration des
représentations mentales et serait la qualité et la valeur du produit de l’analyse conceptuelle
(voir schéma 3).

Schéma 3 : Relation entre le paradigme, le concept et la représentation mentale.

PARADIGME
MOT VISION DU MONDE
OBJET RÉEL CONCEPT
VERBAL OBJET LOGIQUE STABLE
Saussure Représentation générale et
abstraite commune
VALEUR, DISPOSITIF, OUTIL, MOYEN
Maturana et Varela

REPRÉSENTATION MENTALE
OBJET MENTAL - SUSTITUT
UNITÉ DE CONCEPT
SIGNE - IMAGERIE VERBALE
Présent, Sensible, Visible
mentalement
Claud Meyer

Source : Compilation des auteurs

L’analyse de document a montré la relation entre le paradigme, le concept, la


représentation mentale, l’objet mental et l’unité de concept. Dans le dictionnaire Larousse,
le concept véhiculé dans un mot est défini comme une représentation générale et abstraite

34 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

d’un objet, d’une classe d’objets ayant une propriété qualitative commune. C’est un objet
logique stable en compréhension et en extension. Il est relatif aux traits sémantiques. Pour
Maturana et Varela, un concept fournit des outils pour pouvoir problématiser, possède des
dispositifs expérimentaux et des valeurs prédictibles, est un moyen d’explication daté, inscrit
dans un paradigme et est susceptible de s’enrichir et d’évoluer si un nouveau paradigme
émerge. Par ailleurs, une représentation, Selon Claud Meyer (2001), est une unité de
Concept consciente ou inconsciente qui rend présent et sensible un objet au moyen d’un
substitut, qui rend visible mentalement au travers de la présence de signe. Les mots cognitifs
(Flavell 1963) sont les mots utilisés par un individu qui reflète ses structures cognitives. Par
contre les mots alter-cognitifs (Auteurs) sont ceux qui sont enrichis par la conceptualisation
scientifique.

-Analyse conceptuelle
D’un autre côté, pour illustrer les qualités et les valeurs de l’analyse conceptuelle, il
est important d’étudier les différentes étapes qui la constitue. La méthode systématique
d'analyse conceptuelle proposée par Gilles Gaston Granger est une méthode philosophique
qui permet de clarifier les concepts que nous utilisons dans notre pensée et se déroule en
plusieurs étapes : Identifier les concepts à analyser et à clarifier, en le définissant le plus
précisément possible. Il peut s'agir de concepts philosophiques, scientifiques,
mathématiques, ou issus de domaines spécifiques comme la psychologie, l'économie ou la
politique ; Examiner les usages courants des concepts, en identifiant les différentes
significations que les concepts peuvent prendre dans différents contextes. C’est de
comprendre la spécificité du concept. ; Examiner les théories et les modèles qui sont
associés aux concepts dans la discipline dans laquelle il est utilisé, en identifiant les
hypothèses et les présupposés qui les sous-tendent. C’est de comprendre les plus apportés
par ces hypothèses et présupposés ; Examiner les relations entre les concepts en identifiant
les liens de dépendance, d'interdépendance et d'indépendance qui peuvent exister entre eux.
C’est de comprendre le positionnement du concept dans le monde conceptuel ; Formuler des
définitions opératoires qui permettent de les utiliser de manière précise et rigoureuse dans
un cadre scientifique ou philosophique. Cette étape est le lieu de développement de
l’instrument didactique cognitif ; Analyser et préciser les conditions où le concept est
applicable et pertinent. Cela peut aider à définir les limites de son utilisation ; Identifier les
exemples et les contre-exemples qui peut aider à préciser la signification du concept et à
clarifier ses limites ; Évaluer les conséquences pratiques et théoriques de l'utilisation du
concept qui peut aider à déterminer si le concept est utile et pertinent dans un contexte
donné. Par la manière dont l’analyse conceptuelle s’effectue se dégage le niveau de rigueur.
En effet, l’analyse conceptuelle de niveau scientifique se distingue de l’analyse conceptuelle
de niveau social.

-Modèle d’instrument didactique cognitif


Selon la « Théorie Représentationnelle du Mental » (TRM), les représentations sont
encodées, stockées et manipulées sous la forme de symboles internes, ou d'un langage,
comparable au « langage-machine » des ordinateurs, et douées de pouvoirs causaux, en vertu
de leurs formes et de leur synthèse. En effet, la représentation mentale dépend de
l’entendement. Fodor postule que ce langage doit être inné, privé et propre à chaque type de
créature, qu'il est un « langage de la pensée » (Fodor 1975, 1987). C’est ce langage qui
anime l’attitude propositionnelle et le comportement cognitif (voir schéma 4).

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 35


Schéma 4 : Le mots, la représentation mentale qui lui est associée, l’attitude et le comportement cognitif.
Entendement
Production de
Représentation mentale
représentation mentale
Concept Attitudes
Claud Meyer
Image mentale
propositionnelles Comportements
Connaissances déclaratives
Influence les
Connaissances procédurales cognitifs
comportements non
Claud Meyer représentationnels
automatiques
(automatiques)
sur le Langage de la pensée
Jerry Alan Fodor
Jerry Alan Fodor
Source : Compilation des auteurs

Par ailleurs, la stimulation cognitive venant de l’extérieur apporte les éléments


cognitifs avec ses enrichissements qui définissent son poids cognitif. Deux type d’éléments
cognitifs sont présents ; ceux qui sont enrichis et ceux qui sont appauvris. Les capacités
cognitives comprennent les capacités de gérer toutes les fonctions cognitives parmi
lesquelles la capacité d’absorption. Les unités cognitives formées par divers processus et
séquences logiques allant du plus élémentaire au plus élaboré sont responsables de
l’absorption, du traitement et de l’exploitation des éléments cognitifs en vue de produire un
comportement adéquat. L’élément cognitif peut apporter de nouvelles valeurs cognitives aux
structures cognitives ou activer les anciennes valeurs déjà existantes par le biais de l’analyse
conceptuelle. L’absorption d’éléments cognitifs plus enrichis contribue à la diminution de la
distance cognitive et à l’optimisation des schémas mentaux responsables du développement
cognitif. Les capacités cognitives absorbent les données brutes et les données intelligibles,
forment les connaissances par la structuration des informations, produisent des savoirs par
la combinaison des connaissances, développent l’intelligence par l’exploitation de la force
imposée par les savoirs et optimisent la production cognitive par l’utilisation de l’intelligence
(voir schéma 5). L’instrument didactique cognitif repose sur l’utilisation des mots alter-
cognitif comme éléments cognitifs qui agissent en tant que stimulation cognitive capable
d’activer les capacités cognitives et même métacognitives par le biais des représentations
mentales.

Schéma 5 : Stimulation cognitive, capacités cognitives et fonctions cognitives.


IVE
STRUCTURES COGNITIVES CO GNIT
ON ANT
M U LATI S ENTR
SYSTÈME COGNITIF STI
GNIT
IF
ogniti
f
EN TS CO issement c
ÉLÉ M h
CAPACITÉS COGNITIVES enric nitif
avec Poids cog
Capacité d’absorption
Nouvelles valeurs cognitives apportées par l’élément cognitif
Anciennes valeurs cognitives activées par l’élément cognitif
dans les Structures cognitives

FONCTIONS COGNITIVES C OM
POR
ÉLÉM TEM
Unités cognitives ENT
ENT
(supérieures et élémentaires) S CO
après GNITI
Processus plus élaborés et Processus plus élémentaires FS
déve assimilat SORTA
loppe ion e NT
ment t
Source : Compilation des auteurs cogn
itif

36 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


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-Données sur l’enrichissement cognitif, l’instrument didactique cognitif


Pour les éléments cognitifs formés par des concepts forts, comme c’est le cas des
mots français, si l’analyse conceptuelle et la conceptualisation sont rigoureuses, les valeurs
conceptuelles vont être sauvegardées. Bon français, bon malgache. Et si elles ne sont pas
rigoureuses, Les éléments cognitifs perdront petit à petit ses valeurs conceptuelles. Dans le
cas des éléments cognitifs relatifs aux concepts faibles, comme c’est le cas des mots
malgaches qui sont encore au niveau perceptuel, Si l’analyse conceptuelle et la
conceptualisation sont rigoureuses, elles-mêmes apprécieront ces mots d’une manière
normée et statueront logiquement leur position en bas de l’échelle. Par contre, si elles ne
sont pas rigoureuses, elles risquent de donner d’autres valeurs, un faux statut du mot. Dans
chaque cas, l’habitude de pensée est différente, les manières de penser, d’agir et de parler
sont différentes. Diverses catégories de mentalité apparaissent, il y a celle qui est ouverte et
celles qui sont restreintes. En effet, il y a deux variables l’état du concept et l’état de
l’enrichissement (voir schéma 6). L’état des structures cognitives est caractérisé par l’état
des concepts à l’issu de la conception des mots de la langue technique utilisée. En effet, ces
concepts, qui servent de référence, pourraient avoir une puissance forte ou une puissance
faible. En revanche, ces structures cognitives sont aussi caractérisées par l’état de
l’enrichissement de mots par le biais de l’analyse conceptuelle avec la langue
d’enseignement.

Schéma 6 : Rigueur de l’enrichissement et État des concepts existant.

Etat des concepts


dans la langue technique
CONCEPT FORT CONCEPT FORT
ENRICHISSEMENT NON RIGOUREUX sans ENRICHISSEMENT RIGOUREUX par une
Analyse conceptuelle Conceptualisation et Analyse conceptuelle
Puissance Éléments cognitifs introduits moins enrichis Éléments cognitifs introduits très enrichis
forte Perte de valeurs conceptuelles Sauvegarde des valeurs conceptuelles
POIDS COGNITIF MOINS ÉLEVÉ POIDS COGNITIF ÉLEVÉ

MENTALITÉ PEU RESTREINTE MENTALITÉ POUSSÉE

CONCEPT FAIBLE CONCEPT FAIBLE


ENRICHISSEMENT NON RIGOUREUX sans ENRICHISSEMENT RIGOUREUX par une
Puissance Analyse conceptuelle et Conceptualisation Conceptualisation et Analyse conceptuelle
faible Éléments cognitifs introduits très appauvris Éléments cognitifs introduits moins enrichis
Fausses valeurs conceptuelles Faibles valeurs conceptuelles
POIDS COGNTITIF TRÈS FAIBLE POIDS COGNITIF FAIBLE

MENTALITÉ TRÈS RESTREINTE MENTALITÉ RESTREINTE

Enrichissement non rigoureux Enrichissement rigoureux


Etat de l’enrichissement par la rigueur
de la langue d’enseignement
dans l’exploitation des concepts
Source : Auteurs

L’enrichissement pourrait être rigoureux ou non rigoureux. Dans le cas présent, la


langue technique est le français et la langue d’enseignement est le malgache. Ces variables

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 37


déterminent les valeurs du poids cognitif des représentations mentales afférentes aux mots,
à savoir la valeur élevée, moins élevée, faible ou très faible, qui alimentent les capacités
cognitives. Enfin, l’état de l’activité de la pensée donne l’état de la mentalité tel qu’une
mentalité poussée, une mentalité peu restreinte, une mentalité restreinte ou une mentalité
très restreinte.

-Absence d’instrument didactique cognitif dans la politique nationale de l’éducation et le


programme éducatif national
L’étude de la politique nationale de l’éducation, du plan sectoriel de l’éducation et
du programme éducatif national ont permis d’identifier l’absence flagrante de la
conceptualisation et de l’analyse conceptuelle (voir tableau 7). L’enseignement supérieur et
la recherche scientifique reposent sur quatre axes stratégiques à savoir, un enseignement
supérieur de qualité accessible et équitable ; une employabilité des formés et diplômés ; une
adéquation de la recherche scientifique avec la formation et les besoins du développement ;
une amélioration de la gouvernance, de la gestion et du financement.

Tableau 7 : Utilisation de la conceptualisation et de l’analyse conceptuelle dans les mesures publiques

Politique linguistique Politique éducative Programme universitaire


Nationale Nationale Nationale

Conceptualisation Absente Absente Absente

Analyse conceptuelle Absente Absente Absente


Source : Auteurs

-Présence d’instrument didactique cognitif dans la politique éducative et le programme


éducatif de l’ISERP
En revanche, l’étude de la politique éducative et du programme éducatif de l’Institut
Supérieur d’Études, de Recherches et de Pratiques (ISERP) – ayant un statut d’université
privée non confessionnelle de 16 années d’existence sise dans le banlieue d’Antananarivo,
Capital de Madagascar – a permis d’identifier la présence de la conceptualisation et de
l’analyse conceptuelle. La politique d’enseignement et de recherche de l’ISERP, tout en
respectant les normes, les qualités et les droits en vigueur se fonde sur des axes étudiés et
élaborés d’une manière scientifique. Des mémoires, communications et thèses constituent
ses bases. L’enseignement repose sur l’utilisation d’un instrument didactique cognitif qui
véhicule des mots alter-cognitifs conceptualisés spécifiquement pour chaque parcours selon
les usages courants de la forme de vie malgache (pratiques sociales, culturelles et
historiques) et des théories de la forme de vie cognitive malgache (capacités cognitives et
métacognitives). La première condition est réalisée pour déterminer leurs sens et la
deuxième pour affirmer leurs poids cognitifs (voir tableau 8).

38 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

Tableau 8 : Utilisation de la conceptualisation au sein de l’ISERP

Politique linguistique Politique éducative Programme universitaire


de l’ISERP de l’ISERP de l’ISERP

Conceptualisation Présente Présente Enseignée, Démontrée et Expliquée

Analyse conceptuelle Présente Présente Enseignée, Démontrée et Expliquée


Source : Auteurs

-Force, faiblesse, opportunité et menace respectifs aux mots mieux et peu conceptualisés
La comparaison des résultats de l’Analyse SWOT (voir schéma 7) de l’étudiant de
l’ISERP dans l’utilisation de mots mieux conceptualisés et de mots peu conceptualisés
permet de déterminer non seulement la force et la faiblesse, les opportunités et les menaces
du mot, mais surtout le niveau de compréhension et la qualité des produits intellectuels émis.
Les mots cognitifs qui ne sont pas enrichis restent des mots cognitifs. Ils servent à stabiliser
les structures cognitives. Par contre, ceux qui sont enrichis deviennent des mots alter-
cognitifs. Si l’enrichissement se fait uniquement par des concepts de la vie quotidienne, les
mots sont peu conceptualisés. Tandis que si l’enrichissement se fait par des concepts
scientifiques ordonnés épistémologiquement, les mots sont mieux conceptualisés.

Schéma 7 : Force, Faiblesse, Opportunité et Menace pour les mots mieux et peu conceptualisés.
Étudiants et des mots mieux conceptualisés Étudiants et mots peu conceptualisés

Faiblesse Force Faiblesse Force

Réalisme dominé par Capacités cognitives et Construction, Capacités cognitives et


les conceptions métacognitives accrues innovation et métacognitives stable
Processus cognitif conception dominées Processus cognitif
conceptualisé et par le réalisme réaliste à la portée de
optimisé Réfutation difficile à tout le monde
Culturalité à contexte cause de la non Culturalité à contexte
faible créant un besoin rigueur de la fort créant un besoin
d’information et de procédure de relation et
précision d’appartenance

Menace Opportunité Menace Opportunité

Démarcation de soi Poids cognitif Démarcation des Poids cognitif social


Naissance de jalousie scientifique autres qui ont changé Adéquation cognitive
Si expansion lente, Conflit cognitif Risque de retard Stabilisation
risque de surnombre Rééquilibrage Risque d’imposition de Immuabilité
des mots peu Développement cognitif la logique des mots Réalité qui s’ouvre sur
conceptualisés et des Autres mots dominés conceptualisés une perception
éléments cognitifs d’une manière théoriques sur celle naturelle
appauvris qui risque incontournable si le des mots non
de fragiliser le pouvoir pouvoir de conception conceptualisés mais
de conception est fort réels

Source : Auteurs

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 39


Réalisation d’un développement cognitif aux termes du programme cognitif
L’observation participante réalisée auprès de l’Université ISERP par le biais de sa
politique et de son programme comprenant l’analyse conceptuelle permet de vérifier sur
quelques étudiants l’effet de l’enseignement de la conceptualisation et de l’analyse
conceptuelle de 60 mots sur l’extension ou la restriction de la représentation mentale.
L’existence de l’enseignement de la conceptualisation et de l’analyse conceptuelle contribue
au changement de paradigme des étudiants (voir tableau 9). En effet, l'analyse conceptuelle
est une méthode utilisée pour examiner les concepts existants et leurs relations. Elle
implique une compréhension approfondie des concepts, de leurs propriétés, de leurs
relations, de leur fonctionnement et de leur utilisation dans différents contextes. L'analyse
conceptuelle est utilisée pour clarifier et distinguer les concepts, pour élaborer une théorie
ou pour examiner les implications d'une théorie existante. Elle contribue à l’assimilation des
mots conceptualisés, renforce les capacités cognitives d’absorption, renforce les capacités
métacognitives de contrôle, d’évaluation et de planification, valorise et développe les poids
cognitifs de divers mots choisis ce qui tend vers l’amélioration et le développement des
produits intellectuels scientifiques.La conceptualisation consiste à identifier et définir les
concepts importants liés à un domaine d'étude ou à un sujet spécifique, par exemple le thème
de mémoire. Elle implique la création de concepts qui permettent de saisir et de représenter
les phénomènes d'intérêt de manière abstraite et générale. La conceptualisation est donc une
étape importante dans la construction d'une théorie ou d'un modèle conceptuel.

Tableau 9 : Qualité d’utilisation de mots conceptualisés avant et au sein de l’ISERP

Bacheliers 1ère année 2ème année 3ème année

Utilisation de Non utilisation Utilisation avec 60 Evaluation sur les Evaluation sur les
l’Instrument mots alter-cognitifs Mémoires de Diplôme de Mémoires de Licence
didactique cognitif Technicien Supérieur Professionnelle

Exploitation des 10% 50% 70% 85%


mots pour produire

Utilisation simple 35% 28% 20% 10%

Utilisation erronée 55% 22% 10% 5%

Observation Représentation Début de l’extension Glissement de paradigme Représentation mentale


mentale de la représentation dans la représentation plus étendue et
restreinte mentale mentale étendue approfondie
Source : Auteurs

9. Discussion
La discussion repose sur l’évaluation scientifique des résultats que ce soit par rapport
à la logique interne de la recherche que ce soit par rapport aux autres recherches et résultats
existants. Elle met en exergue la différence entre les mots alter-cognitifs et les mots cognitifs
de Flavell (1963). Elle explique une nouvelle acception du poids cognitif d’une
représentation mentale associée à un mot qui est relative à la force cognitive attribuée par
les capacités cognitives, c’est-à-dire la qualité, la valeur et le contenu des représentations
mentales associées à un mot alter-cognitif, et non pas à la charge cognitive de John Sweller
(1988) qui est constituée par les sept traitements supportés par le processus cognitif. Elle

40 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

distingue l’environnement-plus qui est un instrument didactique cognitif utilisé dans une
programmation cognitive de transformation de l’individu-solo de Belle DePaulo (1979) en
un individu-plus de David N. Perkins (1990) (voir schéma 8).

Schéma 8 : Processus de changement pour devenir un individu-plus,


partant d’un individu-solo via environnement-plus

RESSOURCES MOYENS

MOTS COGNITIFS ENVIRONNEMENT-PLUS


Mots exprimés représentant la structure Outil didactique centré sur
cognitive du corpus la PROGRAMMATION des MOTS ALTER-COGNITIFS,
Flavell l’Analyse conceptuelle et la Conceptualisation
ANALYSE CONCEPTUELLE Mots alter-cognitifs valent Mots cognitifs
Méthode systématique d’Analyse conceptuelle conceptualisés scientifiquement
Gilles Gaston Granger Auteurs Herizo et Arozo
CONCEPTUALISATION
Conceptualisation par l’interaction sociale
Vygotsky

ÉTAT INITIAL TRANSFORMATION ÉTAT FINAL

INDIVIDU-SOLO STRUCTURES COGNITIVES INDIVIDU-PLUS


Apprentissage et Conflit cognitif – Rééquilibrage cognitif Apprentissage et
Pédagogie centrés sur Processus dynamique de conceptualisation Pédagogie centrés sur
l’individu seul Jean Piaget l’écosystème apprenant
Bella DePaulo Attributrices de force cognitive et David N. Perkins
de POIDS COGNITIF
aux représentations mentales associées
à ces mots alter-cognitifs
Auteurs Herizo et Arozo
Source : Auteurs

9.1 Scientificité des résultats


-Management des représentations mentale et résolution de la problématique
Malgré les difficultés rencontrées au cours de la recherche, les résultats présents
nous permettent d’avancer qu’il est possible de gérer l’état de la culture contextuellement
faible (low context de Edward T. Hall) qui est fondée sur les besoins de communication
directe, verbale et explicite, donc des informations claires et précises. Cette situation
correspond bien aux jeunes universitaires. La formation en conceptualisation et analyse
conceptuelle constitue une raison du management des représentations mentales associées
aux mots alter-cognitifs pour qu’il n’y ait pas de restriction de la mentalité. La chose qui est
responsable de la restriction mentionnée dans la problématique est le vide, la non existence
de la faculté de conceptualisation (charge cognitive, programme cognitif, capacité cognitive)
et de la non maîtrise de l’analyse conceptuelle. La confirmation de l’inverse permet de dire
que l’analyse conceptuelle contribue (i) à la structuration des représentations mentales
(unité de concept formant les structures cognitives) qui constituent à leur tour des prémisses
pour le renforcement des activités cognitives, (ii) à l’amélioration de la construction de
connaissance et de la compréhension et (iii) à l’optimisation de toute activité mentale et de
la mentalité.La formation en conceptualisation et analyse conceptuelle installe des contenus

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 41


conceptualisés, des règles cognitives et des pratiques intellectuels qui constituent un
ensemble de nouvelles habitudes intellectuelles, croyances et dispositions psychiques
caractéristiques de l’institution responsable du développement ou la restriction de la
mentalité. Par rapport à l’hypothèse, les mots malgaches sont peu conceptualisés, donc le
poids cognitif est léger. Ce sont les mots français qui dominent dans les mots scientifiques,
technologiques et techniques. Puisque le manque d’analyse conceptuelle est flagrant, alors
l’assimilation n’est que superficielle. Cette situation est la cause de l’absorption aveugle de
divers mots et du bas niveau de compréhension. Par conséquent, les étudiants n’ayant pas
reçu de l’enseignement de l’analyse conceptuelle n’arrivent pas à s’exprimer avec rigueur.
Ils se trouvent dans une culture de bas contexte (low context). Tandis que ceux qui ont reçu
cet enseignement peuvent conceptualiser des études, des recherches et des explications plus
rationnelles, scientifiques et critiques.

-Relativité cognitive favorable au renforcement des capacités métacognitives et cognitives et du


poids cognitif
Par rapport à l’objet de l’étude, la possibilité de comprendre l’un des mécanismes
qui rend la mentalité restreinte est expliquée. Dans le cadre de cette recherche, un mot alter-
cognitif est comme un sac. Si les contenus de ce sac sont des percepts, il est léger. Son poids
cognitif est réduit. Par contre, si ce sont des concepts, il est enrichi et son poids cognitif
augmente. La légèreté d’un mot restreint la représentation mentale. Par ailleurs,
l’enrichissement scientifique du poids cognitif d’un mot alter-cognitif serait la raison de
l’étendue et de la profondeur de la représentation mentale. Plus précisément, un mot alter-
cognitif a de volume et de capacité cognitive, il contient de percepts et de concepts, donc de
pensées perceptuelles et de pensées conceptuelles qui constituent une dynamique. Le
contenu de ce mot peut être absorbé par la cognition. Pendant sa présence en une fraction
de seconde, divers processus de production cognitifs pourraient s’opérer. Ainsi, cette durée
semble être soumise à une relativité cognitive – temps réel de passage d’un mot dans le
monde réel versus le temps cognitif d’évaluation et de traitement dans le monde métacognitif
et cognitif – car durant laquelle elle pourrait réaliser l’évaluation des dispositions cognitives
à utiliser et les orientations à prendre, la conception d’idées, la prise de décision et même la
conception d’un grand dessein. Alors que ces réalisations nécessitent des durées assez
longues dans le monde objectal. Cette situation semble montrer une distorsion temporelle.
Le poids cognitif est en effet relatif à la quantité et à la qualité de représentations mentales,
à la valeur de la tension de la dynamique cognitive, au système de processus, à la dimension
des programmations mentales qu’un mot alter-cognitif porte en lui. L’existence de capacité
réduite provoque la restriction de la représentation mentale. L’acception de la relativité
cognitive prise dans cette étude est différente de celle du psychologue Robert Rosenthal qui
avance que la relativité cognitive est une théorie qui suggère que la perception que nous
avons de la réalité est relative à notre propre cognition et à notre expérience personnelle. Par
conséquent, deux personnes peuvent avoir des perceptions subjectives évidemment
différentes de la même situation en fonction de leurs expériences passées et de leur
environnement.

42 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

9.2 Enseignabilité du modèle environnement-plus, poids cognitifs et mots alter-cognitifs


Afin de respecter l’empathie et l’enseignabilité dans le cadre de la construction, une
approche adéquate a été utilisée et un modèle a été conçu. Le modèle a comme éléments :
des mots cognitifs employés dans le cadre du développement par quelques cibles obtenus
par une approche de participation observante ; des concepts scientifiques relatifs aux mots
cognitifs et des acceptions y afférentes apportées par quelques génies malgaches connus qui
ont réussi leurs exploits expliquant et illustrant les mots alter-cognitifs ; une programmation
cognitive de conceptualisation et d’analyse conceptuelle et un programme d’enseignement
qui constituent l’instrument environnement-plus ; une évaluation de l’individu-plus, c’est-
à-dire l’esprit critique de la cible.

9.3 Mots cognitifs, poids cognitif et mots alter-cognitifs


Les mots cognitifs de Flavell, issus des mots fréquemment utilisés par in individu,
mot ayant la capacité de stimuler les valeurs cognitives de cet individu (voir schéma 9). Ils
sont dans les mêmes lignes que les représentations mentales dans les structures cognitives
de l’individu en question. Ils évoquent en effet la pensée, les sentiments, la personnalité et
la motivation de ce dernier.

Schéma 9 : Formation des mots cognitifs.et Stabilité cognitive.

MOTS MOTS COGNITIFS


utilisés REPRÉSENTATION MENTALE fruits de la
quotidiennement Pensée, Personnalité, Sentiment, Motivation production cognitive
dans la vie sociale associée au Mot utilisés dans les
STRUCTURES COGNITIVES expressions,
formées par desseins et projets
des Eléments cognitifs et des Unités cognitives

PRISE DES MOTS COGNITIFS EXPRIMÉS ET


RÉUTILISATION SANS ENRICHISSEMENT

MOTS COGNITIFS MOTS COGNITIFS


fruits de la REPRÉSENTATION MENTALE fruits de la
Pensée, Personnalité, Sentiment, Motivation
répétition de la production cognitive
associée au Mot
production cognitive utilisés dans les
STRUCTURES COGNITIVES
utilisés dans les expressions,
expressions, formées par
desseins et projets
des Eléments cognitifs et des Unités cognitives
desseins et projets
ADÉQUATION MOT-REPRÉSENTATION
forme une Stabilité
MAINTIEN DE POIDS COGNITIF
valeur associée à force sociale et qui s’exerce sur
les capacités cognitives et métacognitives
Source : Auteurs

Le poids cognitif se trouve dans d’abord dans les structures cognitives (mémoire,
sentiments, textes, explications, paroles, expressions, programmations, livres, dictionnaire,
programmations…). Le poids cognitif est la force exercée par la qualité, la quantité et la

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 43


performance des valeurs conceptuelles d’une représentation cognitive associée à un mot sur
les autres représentations. En effet, c’est une mesure de la force conceptuelle attribuée par
les structures cognitives et exercée sur le milieu cognitif. Le poids cognitif devient donc une
propriété cognitive de la représentation mentale relative à un mot. Il dépend de la valeur
conceptuelle et des capacités cognitives et métacognitives de la structure cognitive. Cette
force est multidirectionnelle et s’applique sur les structures cognitives des éléments du
préconscient, du conscient et de l’inconscient dont l’intensité est marquée par la qualité de
la scientificité des valeurs épistémologiques ainsi que par la quantité des informations
donnant des précisions dans sa structure, son utilisation et son fonctionnement. Elle peut
toucher la sensibilité, l’impulsivité et la rationalité. Elle est activée pendant la durée à
laquelle la force est appliquée dans la construction de la pensée consciente qu’inconsciente
et tend vers la compréhension, l’utilisation et la production. C’est une force de type
interactionnelle cognitive. L’instrument didactique cognitif est capable de transmettre les
qualités et quantités conceptuelles nécessaires pour que le poids cognitif devient significatif
pour la production de meilleurs idées et desseins. La présente recherche avance des mots
alter-cognitifs, issus des mots cognitifs fréquemment utilisés dans un domaine précis, mais
conceptualisés et optimisés, ayant la force d’exercer une stimulation sur les capacités
cognitives à créer d’autres valeurs cognitives plus élaborées et plus performantes qui va
constituer un gain de poids cognitif (voir schéma 10). Ils portent l’individu dans des lignes
autres que les représentations mentales dans les structures cognitives de l’individu en
question. Ils évoquent en effet d’autres pensée, sentiments, personnalité et motivation qui
vont entrer en conflit nécessaire pour le désapprentissage, l’apprentissage et le
développement cognitif.

Schéma 10 : Mots alter-cognitifs, conflit cognitif,


désapprentissage, apprentissage, rééquilibrage cognitif et développement cognitif.
MOTS ALTER-COGNITIFS MOTS ALTER-
fruits d’une REPRÉSENTATION MENTALE COGNITIFS
conceptualisation rigoureuse Pensée, Personnalité, Sentiment, Motivation
plus enrichis,
enseigner dans associée au Mot fruits de l’optimisation de la
l’analyse conceptuelle STRUCTURES COGNITIVES production cognitive
et utilisés dans les formées par utilisés dans les
expressions, des Eléments cognitifs et des Unités cognitives expressions,
desseins et projets INADÉQUATION MOT-REPRÉSENTATION desseins et projets
forme une
Instabilité nécessaire pour
le désapprentissage, l’apprentissage
et le Développement cognitif

GAIN DE POIDS COGNITIF


valeur associée à force conceptuelle et rigoureuse enseignée dans l’analyse
conceptuelle et qui s’exerce sur les capacités cognitives et métacognitives
Source : Auteurs

-Types de mentalité en fonction du poids cognitif


Évidemment, les mots alter-cognitif dans le cas où l’analyse conceptuelle fait défaut
ou pire les valeurs introduites sont erronées, tendent vers l’appauvrissement de la qualité
des représentations mentales courent éperdument vers la perte de poids cognitif. En étudiant

44 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

l’état des mots contre l’état de la structure d’accueil cognitive, les différents états de
mentalité qui va de la mentalité retreinte, de la mentalité dégradée à la mentalité développée
et la mentalité épanouie se distinguent (voir schéma 11).

Schéma 11 : La mentalité en fonction de l’état du mot qui entre et de l’état de la structure d’accueil cognitive.

Etat de la Structure d’accueil cognitive


MOT APPAUVRI ET MOT ENRICHI ET
STRUCTURE COGNITIVE ENRICHIE STRUCTURE COGNITIVE ENRICHIE
enrichie RISQUE de Changement de niveau cognitif Maintien du niveau cognitif
vers un niveau moins élevé à un niveau plus élevé
PERTE DE POIDS COGNITIF POIDS COGNITIF ÉLEVÉ
MENTALITÉ DÉGRADÉE MENTALITÉ ÉPANOUIE

MOT APPAUVRI ET MOT ENRICHI ET


STRUCTURE COGNITIVE APPAUVRIE STRUCTURE COGNITIVE APPAUVRIE
appauvrie Maintien du niveau cognitif CHJANCE de Changement de niveau cognitif
à un niveau moins élevé vers un niveau plus élevé
POIDS COGNTITIF TRÈS FAIBLE GAIN DE POIDS COGNITIF
MENTALITÉ RESTREINTE MENTALITÉ DÉVELOPPÉE

appauvri enrichi Etat du Mot


Source : Auteurs

Lieux de présence des mots cognitifs et des mots alter-cognitifs


En outre, le poids cognitif d’un mot ou d’une représentation mentale qui lui est
associée n’a pas de force cognitive que lorsque l’attribution cognitive affectée par son milieu
d’accueil mental (structures cognitives) soit effectuée, systématisée et effective. Toutefois,
ce milieu d’accueil pourrait aussi être objectal, le milieu des mots cognitifs ou des mots alter-
cognitifs (idées, phrases, connaissances, propositions ou informations sur des supports texte,
papier, numérique, audio, vidéo…) (voir schéma 12). Les mots cognitifs qui reflètent les
structures cognitives de son émetteur ne les sont que si l’observateur est conscient des
valeurs cognitives qu’ils véhiculent. Donc, si on renvoi les mots cognitifs à celui qui l’a émis,
celui-ci les comprend aisément. Si on renforce et enrichit ces mots pour qu’ils deviennent
des mots alter-cognitifs, ils ne les sont pas par l’observateur que s’ils sont enveloppés
d’analyse conceptuelle qui explique sa conception, ce qui stimulera l’observateur tant
conscient ou inconscient.

Schéma 12 : Mots dans les Structures mentales et Mots dans les Structures objectales.

MOTS MOTS
écoutés, lus, vus… REPRÉSENTATION MENTALE diffusés…
Pensée, Personnalité, Sentiment, Motivation
associée au Mot dans les
STRUCTURES MENTALES ou STRUCTURES
OBJECTALES
qui toutes les deux
Le POIDS COGNITIF d’un Mot ou d’unedeviennent
Représentation
des Structuresmentale
cognitives qui lui est associée
n’a pas de Force cognitive que lorsque l’Attribution cognitive affectée
par son Milieu d’accueil mental ou Milieu objectal
soit effectuée, systématisée et effective

Source : Auteurs

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 45


-Environnement-plus : instrument didactique cognitif de conception de mots alter-cognitifs
Le cycle ci-dessous (coir schéma 13) présente la complémentarité,
l’interdépendance, la suite logique des différentes recherches sur l’enrichissement d’un mot
et de sa représentation et de son effet dans les structures cognitives.

Schéma 13 : Cycle Mots-Structures cognitives.

INDIVIDU-PLUS

Selon David N. Perkins (1990), la


psychologie de l'apprentissage et la
pédagogie considèrent en plus que
l’apprenant est pris dans un écosystème
apprenant.
STRUCTURES COGNITIVES
RÉÉQUILIBRAGE COGNITIF
Selon Jean Piaget (1920), ce sont des
structures mentales, ou schèmes qui sont Selon Jean Piaget (1920), situation de
des modèles mentaux qui organisent les rééquilibrage, de réapprentissage
informations et les expériences de conduisant à l'assimilation ou à l'ajustement
manière à permettre à l'individu de des schèmes mentaux, ce qui permet à
comprendre le monde qui l'entoure. l'individu de comprendre et d'interagir avec
le monde de manière plus sophistiquée.

MOTS COGNITIFS
CONFLITS COGNITIFS
Selon Flavell (1963), ce sont des mots qui
reflètent les structures cognitives d’un Selon Jean Piaget (1920), situation de
individu qu’on détecte à travers son déséquilibre des structures cognitives, de
élocution. désapprentissage ou confrontation avec les
mots alter-cognitifs.

INDIVIDU-SOLO MOTS ALTER-COGNITIFS


Selon Bella DePaulo (1979), la Selon les Auteurs (2023), ce sont des mots
psychologie de l'apprentissage et la qui reflètent les structures cognitives
pédagogie se sont focalisés sur les seuls issue de l’enseignement :
processus d'apprentissage de l'individu - d’une conceptualisation et
seul. - d’une analyse conceptuelle

ENVIRONNEMENT-PLUS

Selon les Auteurs (2023), la psychologie de l'apprentissage et la pédagogie ne se limite pas


sur la considération de l’individu et l’écosystème apprenant mais propose un instrument
didactique cognitif éducatif dans l’environnement de l’individu (environnement-plus), une
programmation cognitive qui se focalise sur le mécanisme de la conceptualisation et de
l’analyse conceptuelle pour former des mots alter-cognitifs et un alter-processus cognitif afin
de rehausser la qualité, la valeur des capacités cognitives et métacognitives et d’inciter le
développement cognitif. En effet, c’est un instrument qui sert à provoquer un ajout de poids
cognitif via les capacités cognitives et métacognitives et à promouvoir l’individu-plus.
Évidemment, selon Piaget, les schèmes se développent et se complexifient à l’acquisition de
nouvelles expériences et connaissances.

46 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

Source : Auteurs
Un instrument didactique cognitif est un outil pédagogique qui est spécifiquement
conçu pour faciliter le processus d'apprentissage en stimulant les processus cognitifs des
apprenants. Les processus cognitifs font référence aux différentes façons dont les apprenants
traitent, organisent, stockent, récupèrent et utilisent les informations. Les instruments
didactiques cognitifs peuvent inclure des outils tels que des graphiques, des diagrammes,
des schémas conceptuels, des cartes mentales, des matrices de comparaison et des
programmations en utilisant des mots alter-cognitifs. Ces outils peuvent aider les apprenants
à organiser les informations de manière cohérente et à les intégrer avec leurs connaissances
existantes, ce qui peut faciliter la compréhension et la mémorisation des informations. La
programmation porte en elle les compétences transférables (David N. Perkins 1990) telles
la pensée critique, la créativité, la collaboration, la communication efficace et la capacité à
apprendre de manière autonome. Les jeux éducatifs, les simulations, les activités de
résolution de problèmes et les projets d'équipe peuvent également être considérés comme
des instruments didactiques cognitifs, car ils encouragent les apprenants à réfléchir de
manière critique, à résoudre des problèmes et à appliquer leurs connaissances de manière
créative. Cette manière amènera les apprenants à ce qu’on appelle individus-plus, individus
qui ont les compétences citées ci-dessus. L'utilisation d'instruments didactiques cognitifs
peut aider les enseignants et les formateurs à créer un environnement d'apprentissage plus
stimulant et plus interactif, où les apprenants peuvent participer activement et construire
leur propre compréhension des concepts.

-Portée des mots alter-cognitifs


Les résultats de la recherche pourraient proposer un processus cyclique pour
l’atttibution de force pour l’obtention de gain en poids cognitif tout en prenant comme base
le processus de construction d’information, de connaissance, de savoir et d’intelligence. La
portée des mots alter-cognitifs positifs affecte la force cognitive imposée par les
combinaisons de structures cognitives dont l’intelligence (voir schéma 14).

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 47


Schéma 14 : Attribution de force au poids cognitif par les capacités cognitives et métacognitives

CAPACITES CAPACITES
cognitives et cognitives et
Force métacognitives métacognitives
VOULUES Force cognitive
métacognitive OBSERVÉES

FORCE IMPOSEE MOTS COGNITIFS


par les combinaisons des
structures cognitives GAIN EN POIDS COGNITIF
Renforcement attribué par les Lieu d’adéquation avec les
Lieu de validation capacités cognitives et structures cognitives
COMBINAISONS formées métacognitives
par des structures cognitives MOTS
de mots alter-cognitifs ALTER-COGNITIFS

Lieu de raffermissement STRUCTURES Lieu d’inadéquation les


COGNITIVES formées par structures cognitives
des mots alter-cognitifs Lieu
Lieude
dedésapprentissage
désapprentissage
Lieu d’adaptation ou Lieu de rééquilibrage
Lieu de reconstruction
Source : Auteurs

9.3 Pouvoirs des mots alter-cognitifs


Poids cognitif responsable de la restriction ou du développement de la mentalité
Les résultats obtenus montrent quelque chose d’innovant qui est le poids cognitif
d’un mot, son degré de légèreté ou son degré d’enrichissement et son pouvoir de restreindre
ou de développer les représentations mentales, les croyances, les dispositions psychiques et
les habitudes intellectuelles formant un paradigme. Plus exactement, ces résultats expriment
la capacité d’un mot de porter des structures cognitives dynamiques, des systèmes de
représentation mentale et des systèmes de concepts productifs capables de donner des
produits intellectuels responsables de la restriction la mentalité ou du développement
mental. Comme l’intelligence est constituée de la force imposée par les combinaisons de
connaissances et de concepts, elle pourrait donc être intégrée dans ces structures formant le
poids cognitif. La conceptualisation et l’analyse conceptuelle assure la compréhension des
concepts et leurs installations dans les structures cognitives et de l’intelligence que portent
les mots alter-cognitif en eux. Dans la démarche de conceptualisation, la création de concept
est une action de structuration et de dotation de capacité à ces mots. Ainsi, un mot alter-
cognitif est comme un sac, un lieu où ces structures conceptuelles se manifestent, un petit
monde cognitif de population cognitive dynamique formée par des structures cognitives qui
détermine ses valeurs cognitives ; son poids cognitif. Pour Bob Jickling (1999), il a montré
dans son article intitulé « De la nécessité d’une analyse conceptuelle en éducation relative
à l’environnement - Réflexions sur le langage de la durabilité » une facette de l’importance
de l’analyse conceptuelle. Il a montré comment, en s'appuyant sur le concept de durabilité,
il est possible de rassembler un large éventail d'idées et de valeurs en un seul mot. Cet article
précise la qualité de ces valeurs allant de la légère à l’enrichie. De son côté, Tomas Mikolov
(1993) apporte plus de précision, un mot est représenté comme un sac de n-grammes de

48 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

caractères. Une représentation vectorielle est associée à chaque caractère n-grammes. Les
mots étant représentés comme la somme de ces représentations. Un mot est enfin est associé
à un vecteur très utile dans l’espace de mots voisins et dans le domaine de la numérisation
des mots.

-Force conceptuelle allant jusqu’aux structures cognitives autonomes


Les résultats de cette recherche montrent la possibilité pour les mots alter-cognitifs
de développer ou restreindre la mentalité selon la qualité de la force cognitive attribuée.
Toutefois, dans le cadre de l’identification de la force conceptuelle qui rend les structures
cognitives autonomes, Francisco Varela et Humberto Maturana (1972), dans leur concept de
l’autopoïèse dans le domaine de la biologie, évoquent la propriété d’un système de se
produire lui-même, en permanence et en interaction avec son environnement, et ainsi de
maintenir son organisation malgré son changement de composants et d’informations. Ainsi,
appliquée au domaine de la cognition, cette force conceptuelle pourrait contenir une
structure, un système ou un processus autonome. La création de nouveau concept, la force
conceptuelle et la qualité des représentations mentales pourraient être utiles dans le
développement de la mentalité. Du même ordre d’idée, Bourdieu (1972) définit l’habitus
comme étant des structures structurées prédisposées à fonctionner comme des structures
structurantes. C’est un puissant système générateur au-delà d’une simple habitude. Il
apporte des pensées incorporées. Cet article précise la qualité de cette pensée incorporées
allant de la restriction au développement.En outre, Michel Foucault (1985) dans le rapport
du concept à la vie dit que « former des concepts, c'est une manière de vivre et non de tuer
la vie ; c'est une façon de vivre dans une relative mobilité et non pas une tentative pour
immobiliser la vie : c’est manifester, parmi ces milliards de vivants qui informent leur milieu
et s’informent à partir de lui, une innovation qu’on jugera comme on voudra, infime ou
considérable : un type bien particulier d’information ». Cette gamme d’innovation est
retrouvée dans les résultats, partant du perceptuel jusqu’au conceptuel. Selon Wittegenstein
(1953), le sens des mots dépend de leur utilisation dans des contextes spécifiques de la vie
quotidienne (voir schéma 15).

Schéma 15 : Attribution de sens et Attribution de poids

Capacités
Structure cognitive
sociales et culturelles
Forme de vie intérieure qui attribuent le sens d’un mot
Représentation mentale
Pratiques mentales
Structure sociale
Forme de vie extérieure
Capacités Représentation mentale
cognitives et métacognitives Pratiques sociale, culturelles et
qui attribuent le poids d’un mot historiques
Auteurs Herizo et Arozo (2023) Wittgenstein (1953)
t

Source : Compilation des auteurs

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 49


Stuart Hall avance que l’incompréhension critique des représentations culturelles
peut créer des stéréotypes et préjugés qui désorientent les idées et les croyances et influencer
la mentalité. Autrement dit, la compréhension plus approfondie et critique des
représentations culturelles est essentielle pour lutter contre les stéréotypes et les préjugés
qui peuvent limiter la pensée critique et conduire à des discriminations et des injustices
sociales. Tout cela, ce n’est pas pour façonner la mentalité mais pour qu’il y une pensée
critique. Pour notre cas, c’est le renforcement en conceptualisation et en analyse
conceptuelle avec un instrument didactique cognitif qui faciliter l’instauration d’une pensée
critique. Ainsi, c’est un renforcement de culturalité, mais aussi un renforcement de
mutabilité.

Conclusion
La présente recherche a démontré que les mots aident à l’accès aux structures
cognitives, à la formation des représentations mentales, à la gestion des capacités cognitives
et métacognitives et au raffermissement de la mentalité. Le but n’est pas de pourvoir façonner
la mentalité, mais d’apporter d’ouverture, d’approfondissement et de renforcement afin que
la mentalité elle-même pourrait avoir une capacité d’analyse critique. En effet, la présente
communication développe la force qui est imposée par le pourvoir de compréhension de la
conception. Cette force rend énergétique, dynamique et actif la représentation mentale
associée à un mot afin qu’il soit capable de provoquer des effets. Ainsi, un mot est porteur
de paradigme (sens, procédures et pratiques qu’il porte en lui) et d’esprit (la sensation, la
pulsion et la logique qu’il engendre et fait sentir). Selon la structure cognitive d’accueil, il
est associé à une petite ou énorme capacité. Un mot devient une sorte de stimulant capable
d’éveiller l’entité cognitive qui lui est associée renfermant en lui une intelligence qui attend
d’être activée. La faculté de conceptualisation obtenue par la maitrise de l’analyse
conceptuelle pourrait renforcer, maintenir ou changer ce paradigme et cet esprit. Plus
précisément, la puissance de la conception attribuée ou acquise constitue le poids cognitif
qui assure que la performance du processus cognitif soit optimisée. Il semble que chaque
représentation mentale possède un poids cognitif qui est aussi celui du mot. La présente
recherche démontre que le poids cognitif d’un mot est relatif au programme cognitif formé
par l’ordonnancement logique des schémas conceptuels définis dans un paradigme donné.
L’analyse conceptuelle entraine une clarification de la capacité de conception mentale. En
effet, le poids d’un mot dans le sens cognitif joue un rôle très important. Un mot est léger si
la pensée ou le programme cognitif qu’il apporte en lui ou qu’il peut provoquer sont mieux
conceptualisés. Par contre, il est enrichi si la pensée ou le programme cognitif qu’il apporte
en lui ou qu’il peut provoquer sont peu conceptualisés. Comment est-ce que c’est possible
qu’un ensemble de mots légers puisse apporter des inventions, des innovations, du
changement et de développement ? La légèreté d’un mot constitue une restriction de la
représentation mentale, ainsi que de la mentalité. La gestion des mots qui devient une gestion
des représentations mentales rend possible la gestion du changement de mentalité et/ou de
paradigme. Ce processus concerne le renforcement de la conceptualisation de mots alter-
cognitifs et de l’analyse conceptuelle chez un individu. Dans cette logique, le développement
cognitif pourrait contribuer aux autres dimensions du développement. L’idéologie, les
politiques, les lois, les stratégies, la gouvernance, la diplomatie et l’administration partent
de l’utilisation de mots, donc de représentations mentales qui lui sont associées. Le
développement ne devrait-il pas commencer par un développement cognitif ? Toutefois, au-

50 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Herizo ANDRIAMISANDRATSOA & Arozo ANDRIAMISANDRATSOA

dessus de toute démonstration, il est évident que les résultats se situent dans le working
progress.

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52 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜021-052


Kanga Germain AMANI, Kouassi Modeste N’GUESSAN & Kobenan Moïse DADIE

ANALYSE COMPARATIVE DES SYSTÈMES NUMÉRAL ET MONÉTAIRE


DU BAOULÉ ET DU MALINKÉ

Kanga Germain AMANI


Département des Sciences du Langage
Université Félix Houphouët-Boigny, (Côte d’Ivoire)
[email protected]

Kouassi Modeste N’GUESSAN


Département des Sciences du Langage
Université Félix Houphouët-Boigny, (Côte d’Ivoire)
[email protected]
&
Kobenan Moïse DADIE
Département des Sciences du Langage
Université Félix Houphouët-Boigny, (Côte d’Ivoire)
[email protected]

Résumé : Cette étude décrit les mécanismes linguistiques du système numéral et


monétaire du baoulé et du malinké. En effet, le fonctionnement des systèmes numéral
et monétaire s’est toujours révélé complexe dans les langues ivoiriennes, surtout quand
il s’agit des grands nombres au-delà de mille. L’étude comparative s’inscrit dans une
perspective synchronique afin d’établir les caractéristiques communes et les traits
distinctifs dans la nomination des nombres entre ces deux langues. Tout en postulant
que toutes langues disposent, naturellement, d’un principe général de formation
numéral et monétaire, l’analyse se fera par rapprochement du baoulé et du malinké,
deux langues appartenant respectivement aux familles linguistiques kwa et mandé nord.
Ce travail revêt un intérêt pédagogique dans la mesure où le processus d’apprentissage
doit amener l’apprenant à s’approprier les règles d’usage (structures grammaticales,
aspects morphologiques et syntaxiques) et les règles d’emploi. Ainsi, ce travail se donne
de mettre en évidence les procédés linguistiques qui gouvernent le fonctionnement du
système numéral et du système monétaire en baoulé et en malinké.

Mots-clés : baoulé, malinké, systèmes numéral et monétaire, étude comparée

COMPARATIVE ANALYSIS OF THE BAULE AND MALINKE NUMERAL AND


MONETARY SYSTEMS

Abstract: This study describes the linguistic mechanisms of the numeral and monetary
system of Baoulé and Malinké. Indeed, the operation of the numeral and monetary
systems has always proved complex in (local) languages ; especially when it comes to
large numbers beyond a thousand. This comparative study is part of a synchronic
perspective in order to establish the common characteristics and distinctive features in
the naming of numbers between these two languages. While postulating that all have,
naturally, a general principle of numeral and monetary formation, this study proceeds
by bringing togerther Baoulé and Malinké, belonging respectively to the Kwa and
Northern Mandé linguistic families. This work is of pedagogical interest insofar as the
learning process must lead the learner to appropriate the rules of use (grammatical
structures, morphological and syntactic aspects) and the rules of use. Thus, this work

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 53


Analyse comparative des systèmes numéral et monétaire du baoulé et du malinké

aims to highlight the linguistic processes that govern the functioning of arithmetic and
the monetary system in Baoulé and Malinké.

Keywords: Baoulé, Malinké, numeral and monetary systems, comparative study

Introduction
Le baoulé et le malinké sont deux langues ivoiriennes de la macro-famille Niger-Congo,
appartenant respectivement aux groupes linguistiques kwa et mandé-nord de Côte d’Ivoire.
Ces langues occupent les premiers rangs dans leur différente famille linguistique du point
de vue du nombre de locuteurs. En effet, selon le recensement général de la population et
de l’habitat (RGPH, 2014), les locuteurs baoulé et malinké représenteraient respectivement
23% et 19,5% de la population ivoirienne. Ainsi, le choix porté sur ces langues pour une
étude contrastive sur la numération et la monnaie, est motivé par le fait que

Ces langues sont la plupart du temps parlées au-delà de leur zone d’implantation et
sont, par ailleurs, les langues les plus véhiculaires eu égard à leur quasi-présence aussi
bien dans les milieux ruraux et qu’urbains dans des secteurs d’activités notamment, le
transport, le commerce, l’artisanat. Elles connaissent une perméabilité à grande
échelle. C’est d’ailleurs, la principale raison qui explique leur fort taux de locuteurs. Il
ne s’agit pas uniquement de locuteurs natifs qui les parlent mais bien plus. [Elles] sont
associées à un développement des échanges sociaux au-delà de l’ethnie, à l’expression
des réalités modernes généralement importées et largement intégrées aux cultures
locales.
Kamagate O. (2016 : 45-47)

A cette ère où l’on pense à l’intégration des langues locales dans le système éducatif, la
question des mathématiques en langues (locales) se révèle comme une tâche moins aisée
surtout pour le locuteur contemporain. Dans cette perspective, connaître le mécanisme du
fonctionnement du point de vue linguistique des mathématiques s’avère nécessaire puisque,
« De tout temps, l’homme a cherché à compter avec plus ou moins de réussite » et, « (…)
s’il est relativement simple de compter avec des [objets] jusqu’à 5, il devient plus difficile
de compter au-delà », LINGANI (2010) cité par KOUADIO E. (2015 : 89). De ce fait, de
nombreuses difficultés se présentent du point de vue linguistique selon LINGANI (2010)
cité par KOUADIO E. (2015 : 89). Le comptage, selon bien d’auteurs, est « une libre création
de l’esprit humain (…) » et, partant, « le système numéral [et monétaire ont] une structure
différente d’une langue à une autre » (KOUADIO E., Ibid.). Toutefois, certaines
manifestations linguistiques tant dans la numération cardinale que dans la monnaie en
baoulé et en malinké démontrent, très souvent, le contraire. C’est le cas par exemple de :
[blú-nī-kṵ́] en baoulé et [tá̰-nī-kélḛ̄] en malinké pour nommer le nombre « 11 » dans le
numéral cardinal d'une part ; et de [bàblú kṵ́] en baoulé et [dàsí kélḛ̄] » en malinké pour
désigner la somme de « 5f CFA », au compte du système monétaire d'autre part. Ce constat
soulève un certain nombre de questionnements : les systèmes numéral et monétaire du
baoulé et du malinké obéissent-ils à des principes linguistiques ? Existe-t-il des procédés
linguistiques (aspects morphologiques et syntaxiques, etc.) identiques dans le
fonctionnement numéral et monétaire de ces deux langues, bien qu’appartenant à des
familles linguistiques différentes ? Telles sont les interrogations qui constitueront l’ossature
de la présente réflexion. Ce questionnement suscite les hypothèses dans la section qui suit.

54 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜053-062


Kanga Germain AMANI, Kouassi Modeste N’GUESSAN & Kobenan Moïse DADIE

Compter est un phénomène naturel et de ce fait universel (MOIGNET 1965, DIANE 2000,
KOUAME 2015, TEMPIER 2013, KOFFI et KOUASSI 2018). Ainsi, toutes les langues
disposent, naturellement, d’un principe général dans le fonctionnement de leur système
numéral et monétaire. De la sorte et relativement au questionnement ci-haut, nous pouvons
postuler que : la numération en baoulé et en malinké obéit à des mécanismes linguistiques ;
Il existe des caractéristiques linguistiques communes et les traits distinctifs dans la
nomination des numéraux cardinaux et monétaire en baoulé et en malinké. L’étude vise à
déterminer les mécanismes linguistiques qui rentrent en ligne de compte dans le système de
comptage des langues ivoiriennes en vue de participer à la documentation et à
l’apprentissage de celles-ci. Il s’agit spécifiquement de mettre en lumière les
caractéristiques communes et les aspects distinctifs qui gouvernent le fonctionnement du
point de vue linguistique du numéral et la monnaie en baoulé et en malinké.

1. Cadre théorique et méthodologique


La présente étude s’inscrit dans une vision descriptive dans la mesure où elle a pour
but de mettre en exergue les procédés linguistiques qui régissent le fonctionnement de la
comptabilité, des points de vue arithmétique et monétaire, dans les langues ivoiriennes. Dans
ce contexte, l’approche adoptée pour mieux conduire l’étude est contrastive. Elle va consister
d’une part, à mettre en évidence les règles et procédés linguistiques qui gouvernent le
fonctionnement des systèmes numéral et monétaire en baoulé et en malinké. Et, d’autre part,
à ressortir les caractéristiques communes et les traits distinctifs susceptibles de se présenter
dans ces deux langues. Pour ce qui est de la méthodologique adoptée, elle repose sur un
groupe d’échantillons représentatifs (corpus) des systèmes numéral et monétaire collectés
via une recherche documentaire (KOUAME E., 2015 et 2016 ; KOFFI K., et KOUASSI G.,
2018) ; et des entretiens oraux avec des locuteurs natifs des langues cibles. Les données
recueillies ont été classées de sorte à retenir les plus pertinentes à la réflexion. Pour le
compte des numéraux, l’on n’a pris en compte que les cardinaux dans le cadre de cette étude.

2. Présentation et analyse des faits


Cette section présente les systèmes de base numéraux cardinaux et monétaires du
baoulé et du dioula.

2.1 Système numéral cardinal


Dans l’optique de mettre à nu les unités de base dans la comptabilité de ces deux
langues, la présente section sera structurée en quatre sous-section. Ainsi, il sera
premièrement question des numéraux cardinaux de 1 à 10. Deuxièmement, nous aborderons
les cardinaux de 11 à 19. Troisièmement, l’accent sera mis sur la formation des cardinaux
de 20 à 99 et, quatrièmement, l’expression des grands nombres allant de 100 à 1.000.000
va constituer le dernier point de la section.

-Les numéraux de 1 à 10
Dans la numération cardinale, les nombres de « un » à « 10 » sont formés d’unités
simples formant le socle sur lequel sont générés les autres numéraux des langues (IFRAH,
1994 ; TEMPIER, 2013 ; KOUAME, 2015 ; KOFFI et KOUASSI 2018). Le tableau 1
suivant met en exergue ces « unités simples » en baoulé et en malinké :

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 55


Analyse comparative des systèmes numéral et monétaire du baoulé et du malinké

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Baoulé (ŋ̀)kṵ̀/kɔ̰̀ ɲ̀ɲɔ̰̄ ǹsā̰ ǹnà̰ ǹnú ǹsjɛ̰̌ ǹsǒ ǹcɥɛ̄ (m̀ mɔ̀cɥɛ̌) ŋ̀glwā̰ Blú
Malinké kélḛ fìlā sàbā nánī lórū wɔ́rɔ̄ wōrō̰vlà ʃégī kɔ̄rɔ̰d̄ ɔ̀ tá̰

Tableau1 : Les numéraux cardinaux de 1 à 10 en baoulé et en malinké


A ce compte, KOUAME (2015 : 92) fait remarquer que dans le système de
numération dioula, « les numéraux qui sont composés d’unités simples sont en nombre assez
restreint. Il s’agit des numéraux de « un » à « dix » (kélḛ /1/, fìlā /2/, sàbā /3/, ná̰nī /4/, lórū
/5/, wɔ́rɔ̄ /6/, wōrō̰vlà /7/, ʃégī /8/, kɔ̄rɔ̰̄dɔ̀ /9/, tá̰ /10/). Ces ensembles de numéraux
constituent le socle de la numération. C’est à partir de ces ensembles qu’on pourra générer
tous les autres numéraux de cette langue ». Il va même plus loin en considérant également
les nombres « vingt » (mūgà̰) et « cent » (kɛ̄mɛ̀) comme appartenant aux unités de base
simples.Dans le même ordre d’idée, KOFFI et KOUASSI (2018 :337) rendant compte de la
numérotation en baoulé (agba), attestent que « le système de comptabilité du baoulé, relève
des bases constitutives primaires sur lesquelles sont construites les autres ». Ainsi, comme
nous pouvons déjà le deviner à travers ces auteurs, il va sans dire que le système numéral
de ces deux langues, à l’instar de toutes langues naturelles d’ailleurs, est formé de numéraux
simples et de numéraux composés ; et les premiers servent d’éléments de bases ou
constituent le socle, encore mieux, « la base primaire » dans la formation des seconds,
KOFFI et KOUASSI (2018). Sur le plan morphophonologique et contrairement au malinké,
l’on constate le phénomène de préfixation de la nasale syllabique à ton bas [N] dans
l’expression des unités de « un » à « 9 » en baoulé. Cette nasale a une réalisation
homorganique, c’est-à-dire qu’elle prend le lieu d’articulation de l’unité consonantique
qu’elle précède. Il convient de faire remarquer que ces numéraux simples ou primaires sont
morphologiquement distincts des uns des autres dans une même langue, mais aussi d’une
langue à une autre.

-Les numéraux de 11 à 19
11 12 13 14 15 16 17 18 19
Baoulé blú nī blú nī blú nī blú nī blú nī blú nī blú nī blú nī blú nī
kṵ́/kɔ̰́ ɲ̀ɲɔ̰̀ ǹnsā̰ ǹnà̰ ǹnú ǹsjɛ̰̌ ǹsǒ m̀ mɔ̀cɥɛ̌ ŋ̀glwā̰
Malinké tá̰ nī ta̰-́ nī tá̰ nī tá̰ nī tá̰ nī ta̰ nī tá̰ nī tá̰ nī ʃégī tá̰ nī
kélḛ fìlā sàbā nánī lórū wɔ́rɔ̄ à wōrō̰vlā kɔ̄rɔ̄d̰ ɔ̀

Tableau 2 : Les cardinaux de 11 à 19 en baoulé et en malinké


Selon le tableau 2 ci-dessus, la formation des nombres cardinaux de 11 à 19 en
baoulé et malinké peut être présentée de manière détaillée comme suit :
[blú nī kṵ/́ kɔ̰]́ «11» [tá̰ nī kélḛ]
10 +/avec/et 1 10 +/avec/et 1
[blú nī ɲ̀ɲɔ̰]̀ «12» [tá̰ nī fìlā]
10 +/avec/et 2 10 +/avec/et 2
[blú nī ǹnsa̰]̄ «13» [tá̰ nī sàbā

10 +/avec/et 3 10 +/avec/et 3

56 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜053-062


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[blú nī ŋ̀glwa̰]̄ «19» [tá̰ nī kɔ̄rɔ̄d̰ ɔ̀]


10 +/avec/et 9 10 +/avec/et 9

L’observation montre que le baoulé et le malinké nomment les nombres cardinaux


de 11 à 19 par l’opération d’addition à travers le nombre « dix » qui est [blú] et [tá̰]
respectivement en baoulé et en malinké, avec le « truchement », selon le mot de KOUAME
(2015), du morphème relateur nī commun à ces deux langues. Le morphème relateur « nī »,
servant de mode d’opération pendant la nomination, présente les mêmes caractéristiques
linguistiques des points de vue morphologique, tonal, syntaxique et sémantique dans ces
deux langues bien qu’appartenant à des familles linguistiques différentes : kwa d’un côté et
mandé-nord de l’autre. Ce morphème a une structure monosyllabique CV et porte un ton
moyen [M] sur la voyelle comme on peut le voir dans sa structure. Au niveau sémantique, la
valeur de « nī » s’apparente à une conjonction de coordination et prend vraisemblablement
le sens d’addition dans l’opération. Un fait important qu’il faudra souligner est que « le
relateur nī ne peut être déplacé de sa position médiane au risque d’une agrammaticalité »,
et partant, la structuration devient irréversible », KOFFI et KOUASSI (2018 :339). Ce
processus de nomination avec pour intermédiaire le relateur « nī », se perçoit également
dans la formation d’autres nombres cardinaux impliquant d’autres bases primaires.

-Les numéraux de 20 à 99
A ce compte, TEMPIER (2013, p. 22) fait remarquer que « La construction
[numérale] est itérative dans le sens où on définit les savoirs de la numération pour les
nombres compris entre 0 et 9, puis 10 à 99, etc. Les savoirs définis pour une tranche
s’appuient sur les savoirs définis pour la tranche inférieure ». Le tableau 3 suivant rend
compte de la formation des cardinaux de 20 à 99.

20 25 30 40 50 60 70 80 99
Baoulé àblàṵ́ àblàṵ́ nī ǹnú àblásá̰ Àblàná Àblènú àblènsjɛ̰̌ àblènsǒ àblàncɥɛ̌ àblàŋ̀glwā̰
nī ŋ̀glwā̰
Malinké mṵ̀gā̰ mṵ̀gā̰ nī lórū bísàbā bínán̰ ī bílórū bíwɔ́rɔ̄ bíwōrō̰vlā bíʃégī bíkɔ̄rɔ̄d̰ ɔ̀

Tableau 3 : Les numéraux de 20 à 99


A observer ce tableau, il nous présente plusieurs et différents faits linguistiques
concernant la numération des cardinaux de 20 à 99. Ainsi, comme nous pouvons le constater
« les phénomènes morphophonologiques se manifestent mieux au niveau des dizaines à
travers l’opération de multiplication impliquant la base primaire [blú] en baoulé », KOFFI
et KOUASSI, 2018, p.340). Les exemples suivants en font une belle illustration :

blú ɲ̀ɲɔ̰ ̀ [à-blá-ṵ̀/ɔ̰̀] ⇒ [àbláṵ̀] vingt


dix/deux
blú ǹsà̰ [à-blá-ǹsà] ⇒ [àblàsá̰] Trente
dix/trois
blú ǹnà̰ [à-blá-ǹnà] ⇒ [àbláǹná] Quarante
dix/quatre
blú ǹnù [à-blé-ǹnú] ⇒ [àblénṵ́] Cinquante
dix/cinq

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 57


Analyse comparative des systèmes numéral et monétaire du baoulé et du malinké

blú ǹsjɛ̌ [à-blé-ǹsjɛ̌] ⇒ [àblésjɛ̰̌ ] Soixante


dix/six
blú ǹsò [à-blé-ǹsò] ⇒ [àblèǹsò] soixante-dix
dix/sept
blú ǹcɥɛ̄ [à-blá-ǹcɥɛ́] ⇒ [àbláǹcɥɛ́] quatre-vingt
dix/huit
blú ŋ̀glwā̰ [à-blá-ŋ̀glwā̰] ⇒ [àbláŋ̀glwā̰] quatre-vingt-dix
dix/neuf
blú ŋ̀glwā̰ nī ŋ̀glwā̰ [à-blá-ŋ̀glwā̰ nī ŋ̀glwā̰] ⇒ [à-blá-ŋ̀glwā̰ nī ŋ̀glwā̰] Quatre-vingt-dix-neuf
dix/neuf +/et neuf

Tableau 4 : Manifestation des cardinaux composés à base primaire multipliés par [blú] en
baoulé (Source : KOFFI et KOUASSI, 2018)
La nomination des numéraux se manifeste du point de vue morphologique à travers
un phénomène d’affixation par le morphème [a-] préfixé à la base [blú]. Se rapportant à
BOHOUSSOU (2006) que citent KOFFI et KOUASSI (Idem.), le morphème /a-/ préfixé à
[blú] « dix » se manifeste en classe nominale, entraînant un changement (amuïssement) qui
s’opère dans les unités simples initiales de « un » à « neuf » lors de la préfixation de [à-].
La langue dioula, quant à elle, pour le compte des numéraux cardinaux allant de « 20 » à
« 99 », procède par préfixation de la base liée [bí-] pour les numéraux cardinaux de «
trente » à « quatre-vingt-dix » suivie des unités simples initiales (kélḛ « un » ; fìlā « deux
» ; sàbā « trois » ; nánī « quatre » ; lórū « cinq »; wɔ́rɔ̄ « six »; wōrō̰vlà « sept »; ʃégī
« huit »; kɔ̄rɔ̰̄dɔ̀ « neuf »), et la base [mṵ̀gā̰] qui se réalise uniquement pour le numéral
cardinal « vingt ».

-Les numéraux de 100 à 1.000.000


La remarque que fait IFRAH (1994) à ce niveau, tombe à pic pour l’analyse, d’un
point de vue linguistique, du fonctionnement de la numération impliquant les grands
nombres. Il écrit à ce sujet que :

L'être humain se trouva donc désormais confronté à un problème insurmontable à


première vue : comment désigner des nombres élevés avec le moins possibles de
symboles ? […] La solution a été de privilégier un groupement particulier (comme la
dizaine, la douzaine, la vingtaine ou la soixantaine par exemple) et d’organiser la suite
régulière des nombres selon une classification hiérarchisée fondée sur cette assise. […]
C’est ce que l’on appelle le principe de la base. Sa découverte a marqué la naissance
des systèmes de numération : systèmes dont la « base » n’est autre que le nombre
d’unités qu’il est nécessaire de grouper à l’intérieur d’un ordre donné pour former une
unité de l’ordre immédiatement supérieur.

IFRAH (1994 :73)


Le système numéral du baoulé et du malinké est organisé en bases (simples ou primaires et
complexes ou composées). Les bases simples sont spécifiques de kṵ́/kélḛ « un » à
kɔ̄rɔ̰̄dɔ̀/ŋ̀glwā̰ « neuf » pour la classe des unités. Les bases complexes àblá/mṵ̀gā̰ pour les
dizaines, jā/kɛ̰mɛ̰ pour les centaines, àkpí/wá- pour les milliers, respectivement en baoulé et
en malinké. Son fonctionnement dans ces deux langues met en évidence des principes
linguistiques (morphologique, syntaxique, sémantique, etc.,) quelques fois similaires comme
l’ont montré les analyses précédentes.

58 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜053-062


Kanga Germain AMANI, Kouassi Modeste N’GUESSAN & Kobenan Moïse DADIE

2.2 Système monétaire


Cette section met en exergue le système monétaire des langues baoulé et malinké.
Concernant l’expression de la monnaie en baoulé, les études de KOUADIO (2016) et KOFFI
et KOUASSI (2018) sur la question ont mentionné les unités constituant ledit système. Pour
mieux rendre compte du fonctionnement de ce système, visualisons le tableau 5 ci-dessous
présentant largement et concomitamment la monnaie en baoulé et en malinké.

Baoulé Malinké
5F CFA bàblú kṵ́ (bàblú kɔ̰́) dàsí kélḛ
10F CFA bàblú ɲɲɔ̰̄ dàsí fīlà
15F CFA bàblú nsá̰ dàsí sàbā
20F CFA bàblú nnā̰ dàsí nánī
25F CFA pɔ́nù kṵ́ (pɔ́nù kɔ̰ ́ ) dàsí lórū
30F CFA bàblú nsjɛ̰̌ dàsí wɔ̄rɔ̄
35F CFA bàblú nsǒ dàsí wórō̰vlà
40F CFA bàblú ncwɛ̄ (bàblú mɔ̀cwɛ̌) dàsí ʃégī
45F CFA bàblú nglwā̰ dàsí kɔ̄rɔ̰̄ dɔ̀
50F CFA pɔ́nù ɲɲɔ̰̄ dàsí tá̰
55F CFA pɔ́nù ɲɲɔ̰̄ bàblú kṵ́ (kɔ̰́) dàsí tá̰ nī kélḛ
60F CFA pɔ́nù ɲɲɔ̰̄ bàblú ɲɲɔ̰̄ dàsí tá̰ nī fílā
65F CFA pɔ́nù ɲɲɔ̰̄ bàblú nsá̰ dàsí tá̰ nī sábà
70F CFA pɔ́nù ɲɲɔ̰̄ bàblú nnā̰ dàsí tá̰ nī nánī
75F CFA pɔ́nù nsá̰ dàsí tá̰ nī lórū
80F CFA pɔ́nù nsá̰ bàblú bàblú kṵ́ (kɔ̰́) dàsí tá̰ nī wɔ́rɔ̄
85F CFA pɔ́nù nsá̰ bàblú ɲɲɔ̰̄ dàsí tá̰ nī wórō̰vlà
90F CFA pɔ̀nú nsá̰ bàblú nsá̰ dàsí tá̰ nī ʃégī
95F CFA pɔ́nù nsá̰ bàblú nnā̰ dàsí tá̰ nī kɔ̄rɔ̰̄dɔ̀
100F CFA pɔ́nù nnā̰ (pɔ̀ɔ̀ nnā̰) dàsí mṵ̀gā̰
125F CFA pɔ́nù nnú (pɔ̀ɔ̀ nnú) dàsí mṵ̀gā̰ nī (bí) lórū
200F CFA pɔ́nù ncwɛ̌ (mɔ̀cwɛ̌) dàsí bí nánī
1000F CFA kòtòkú kṵ́ (kɔ̰́) dàsí kɛ̰mɛ̰
5000F CFA kòtòkú nnú dàsí wá kélḛ
100.000F CFA kòtò já (kòtòkṵ́ já kṵ́(kɔ̰́)) dàsí wá mṵ̀gā̰
100.005F CFA kòtòkú já kṵ́(kɔ̰́) bàblú kṵ́(kɔ̰́) dàsí wá mṵ̀gā̰ nī dàsí kélḛ
101.000F CFA kòtòkú já kṵ́(kɔ̰́) kòtòkú kṵ́(kɔ̰́) dàsí wá mṵ̀gā̰ nī kɛ̰mɛ̰ fìlā
190.000F CFA kòtòkú já kṵ́ kòtòkú àblà ǹglwā̰ dàsí wá mṵ̀gā̰ nī bí kɔ̄rɔ̰̄dɔ̀
999.000F CFA kòtòkú já ǹglwā̰ kòtòkú àblà ǹglwā̰ ni ǹglwā̰ dàsí wá bí kɔ̄rɔ̰̄dɔ̀ nī kɛ̰mɛ̰
1.000.000F CFA kòtòkú àkpí kṵ́(kɔ̰́)
1.000.000.000F CFA kòtòkú akpí ŋ̀gbí kṵ́(kɔ̰́)

Tableau 5 : Expression de la monnaie en baoulé et en malinké.


La première remarque que l’on fait est que, contrairement à la numération cardinale,
le système monétaire est de base 5. Dans le tableau 5 ci-dessus, ils se manifestent différents
phénomènes dans l’expression de la monnaie (Le Franc CFA en français) en baoulé et en
malinké. Les exemples suivants permettent de visualiser ces faits.

-Cas du baoulé
bàblú kṵ́ ⇒ [bàblú] x [kṵ́] ⇒ 5Frs x 1, pour avoir [bàblúkṵ́]= 5 Francs CFA;
bàblṵ́ ɲ̀ɲɔ̰̀ ⇒ [bàblú] x [ɲ̀ɲɔ̰̀] x⇒ 5Frs x 2, pour avoir [bàblúɲ̀ɲɔ̰̀] qui donne en français, la
somme de 10 Francs CFA;

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 59


Analyse comparative des systèmes numéral et monétaire du baoulé et du malinké

pɔ́nù kṵ́ ⇒ [pɔ́nù] x [kṵ́] ⇒ 25Frs x 1, pour avoir [pɔ́nùkṵ́] qui équivaut à la somme de 25f
CFA en français;
kòtòkú kṵ́ ⇒ [kòtòkú] x [kṵ́] ⇒ 1.000Frs x 1, pour avoir [kòtòkúkṵ́], équivalent de 1.000
Francs CFA;
kòtòkú akpí ⇒ [kòtòkú] x [akpí]: 1.000Frs x 1.000, pour avoir [kòtòkúakpí]=1.000.000
Francs CFA;
kòtòkú já ⇒ [kòtòkú] x [já]: 1.000Frs x 1000, permettant d'obtenir la somme [kòtòkújá]
dont la valeur en français est 100.000 Francs CFA.

L’analyse ci-haut fait cas de trois unités de base dans la formation de la monnaie en
baoulé. Ces unités de base sont :
bàblú : correspondant aux unités évoluant en 5 frs
- pɔ́nù : pour celles équivalant à 25 frs
- kòtòkṵ́ : se rapportant à celles évoluant en 1000 frs.

Dans cette expression de la monnaie, l’on constate la réalisation d’une opération de


multiplication. Celle-ci se réalise en multipliant les différentes bases [bàblú], [pɔ́nù] et
[kòtòkṵ́] par les nombres correspondants à la somme indiquée. Toutefois, la notion pour
exprimer le Franc, c’est-à-dire l’argent, et le morphème de multiplication ne sont pas
morphologiquement marqués en baoulé.

-Cas du malinké
Pour exprimer la monnaie en malinké, l’on précède de la somme qu’on souhaite
désigner, le morphème dàsí comme nous pouvons l’observer dans le tableau 5 ci-haut. Cela
dit, contrairement à la langue baoulé, le Franc a une valeur morphosyntaxique de structure
CVCV en malinké.

dàsí kélḛ ® 5Frs


dàsí fīlà ® 10Frs
dàsí sàbā ® 15Frs
dàsí wórō̰vlà ® 35Frs
dàsí mṵ̀gā̰ ® 100Frs
dàsí bí nánī ® 200Frs
dàsí wá mṵ ̀ gā̰ ® 100.000Frs
dàsí wá bí kɔ̄rɔ̰̄dɔ̀ ® 900.000Frs

Comme nous l’avons vu en baoulé, le malinké recourt à l’opération de multiplication pour


exprimer le Franc, c’est-à-dire l’argent. L’opération est aussi non marquée du point de vue
morphologique.
3. Synthèse
L’étude a révélé que le système numéral du baoulé et du malinké, à l’instar de toutes
langues naturelles d’ailleurs, est formé de numéraux simples et de numéraux composés ; et
les premiers servent d’éléments de bases ou constituent le socle, encore mieux, « la base
primaire » dans la formation des seconds, comme l’a affirmé KOFFI et KOUASSI (2018).
Mais sur le plan morphophonologique et contrairement au malinké, l’on constate le
phénomène de préfixation de la nasale syllabique à ton bas [N] dans l’expression des unités

60 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜053-062


Kanga Germain AMANI, Kouassi Modeste N’GUESSAN & Kobenan Moïse DADIE

de « un » à « 9 » en baoulé. Cette nasale a une réalisation homorganique, c’est-à-dire qu’elle


prend le lieu d’articulation de l’unité consonantique qu’elle précède.
Quant aux nombres cardinaux de 11 à 19, ces deux langues procèdent par l’opération
d’addition à travers le nombre « dix » qui est [blú] et [tá̰] respectivement en baoulé et en
malinké, avec le « truchement », selon le mot de KOUAME (2015), du morphème relateur
nī commun à ces deux langues. Le morphème relateur « nī », servant de mode d’opération
pendant la nomination, présente les mêmes caractéristiques linguistiques des points de vue
morphologique, tonal, syntaxique et sémantique dans ces deux langues bien qu’appartenant
à des familles linguistiques différentes : kwa d’un côté et mandé-nord de l’autre. Pour ce qui
est système numéral du baoulé et du malinké, il est organisé en bases (simples ou primaires
et complexes ou composées). Les bases simples sont spécifiques de kṵ́/kélḛ « un » à
kɔ̄rɔ̰̄dɔ̀/ŋ̀glwā̰ « neuf » pour la classe des unités. Les bases complexes àblá/mṵ̀gā̰ pour les
dizaines, jā/kɛ̰mɛ̰ pour les centaines, àkpí/wá- pour les milliers, respectivement en baoulé et
en malinké. Son fonctionnement dans ces deux langues met en évidence des principes
linguistiques (morphologique, syntaxique, sémantique, etc.,) quelques fois similaires comme
l’ont montré les analyses présentées.
Au niveau du système monétaire, il faut remarquer que, contrairement à la
numération cardinale, le système monétaire est de base 5. Ils se manifestent différents
phénomènes dans l’expression de la monnaie (Le Franc CFA en français) en baoulé et en
malinké. Et le baoulé et le malinké ont recourt à l’opération de multiplication pour exprimer
le Franc, c’est-à-dire l’argent. L’opération est aussi non marquée du point de vue
morphologique.

Conclusion
Cette réflexion a permis de visualiser la comptabilité en baoulé et en malinké. La
comparaison des systèmes numéral et monétaire du baoulé et du malinké a mis en jeu les
unités de base simples d’une part et les bases composées d’autres part. Aussi, quelques
phénomènes linguistiques gouvernant le fonctionnement de l’arithmétique et de la monnaie
dans ces deux langues ont été mis en exergue. En cela, KOUAME écrit que

Dans la situation des langues à tradition écrite, ancienne à l’exemple du français, les
mutations linguistiques s’aperçoivent à partir de l’écrit ancien et moderne tout aussi
bien que dans la langue vivante contemporaine. Ainsi, il est un cas de convergence qui
est que les noms de nombre (des numéraux cardinaux) semblent complexes en raison
de leurs particularités lexicales et syntagmatiques. Les numéraux à base complexe sont
représentés par tous les dizaines sauf « dix » et « vingt », les numéraux de « onze » à «
dix-neuf », de « vingt et un » à « quatre –vingt– dix – neuf » et tous les autres numéraux
au-delà de « cent » Trois types de procédés morphologiques permettent d’obtenir ces
numéraux : la juxtaposition de lexèmes (ou composition) ; la combinaison de lexèmes
par le truchement du relateur « nī » l’usage des deux procédés de façon simultanée.
Kouame (2015 : 93)

Il importe de rappeler que le système de comptabilité arithmétique est différent de


celui de la monnaie dans les langues objet de cette réflexion (baoulé et malinké). En effet,
pour le système numéral, l’unité de comptage est à base 1 alors que la monnaie est à base 5.
Nous retenons de cette réflexion que les langues baoulé et malinké ont plus de traits linguistiques
communs dans l’expression de leur comptabilité bien qu’étant des langues appartenant à des familles
linguistiques différentes. L’enjeu d’une telle étude réside dans son intérêt à participer à la

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 61


Analyse comparative des systèmes numéral et monétaire du baoulé et du malinké

documentation et à la promotion des langues objet d’étude, mais aussi à faciliter


l’apprentissage de celles-ci.

Références bibliographiques
Diane, A. O. (2000). L’expression mathématique en akyé, Mémoire de Maîtrise en Sciences
du Langage, Université Félix Houphouët-Boigny
Koffi K. & Kouassi, K. G. (2018). Le numéral en baoulé-agba : approche
morphosyntaxique », in ABILANG, Actes du colloque international à l’Université
Alassane Ouattara (Bouaké) :336-348
Kouadio, N. J. & Kouame, K. (2004). Parlons baoulé (e kan bawlé), Langue et Culture de
Côte d’Ivoire, Ed harmattan, Paris
Kouadio N. J. (1982). Atlas des langues Kwa de Côte d’Ivoire : Le baoulé, ILA Abidjan,
1 :277-306
Kouame Y. E. (2015). La morphologie de la numération en dioula, Baobab, Deuxième
semestre, 89-97
Kouame Y. E. (2016). Phonologie et morphologie du baoulé : Analyse générative, in Baobab,
Deuxième semestre,168-184.
Kpami, B. C. M. (2015). Étude morphosyntaxique des expressions mathématiques de
l’adjoukrou, Mémoire de Master en Sciences du Langage, Université Félix
Houphouët-Boigny
Moignet, G. (1965). Le problème du nombre, Études linguistiques, ‘’II Français’’ 463-480
Soltesz, J. A. (1978). Nombre grammatical et système du nombre en français, Cahier de
linguistique, 89–135
Tempier, F. (2013). La numération décimale à l’école primaire. Une ingénierie didactique
pour le développement d’une ressource, Thèse de Doctorat, École Doctorale :
Savoirs scientifiques : Épistémologie, histoire des sciences et didactique des
disciplines, Université Paris Diderot - Paris VII, Français

62 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜053-062


Bêrè BALLO & Firmin AHOUA

LES CLASSES NOMINALES EN KADILE, PARLER SENOUFO


DE CÔTE D’IVOIRE

Bêrè BALLO
Département des Sciences du Langage
Université Félix Houphouët-Boigny
[email protected]
&
Firmin AHOUA
Département des Sciences du Langage
Université Félix Houphouët-Boigny

Résumé : Cet article présente les classes nominales en kadile. C’est un parler
senoufo qui ne dérobe pas à la règle des classes nominales dans les langues Gur. En
ce qui concerne ce parler, cinq (05) classes nominales dénombrables et deux classes
non dénombrables ont été dénombrées. Ces classes sont pour la plupart des paires
(singuliers pluriels) et comportent souvent plusieurs séries de classe. Il présente
également 4 (quatre) classes de défini comptant chacune 2 (deux) morphèmes dont un
singulier et un pluriel et 5 (cinq) classes de pronom anaphorique comprenant
également chacune 2 (deux) morphèmes (singulier ; pluriel). Ce qui a permis de
déduire 5 (cinq) genres nominaux.

Mots-clés: classes nominales; règles ; nombre ; singulier ; pluriel

THE NOMINAL CLASSES IN KADILE, SENOUFO LANGUAGE OF CÔTE


D’IVOIRE

Abstract: This article presents the nominal classes in Kadile. It is a Senufo language
which does not escape the rule of nominal classes in Gur languages. For this language,
five (05) countable nominal classes and two non-countable classes have been counted.
These classes are mostly pairs (singular plural) and often have several sets of classes.
It also presents 4 (four) classes of definite with 2 (two) morphemes each, one singular
and one plural, and 5 (five) classes of anaphoric pronoun with 2 (two) morphemes
each (singular; plural). This made it possible to deduce 5 (five) nominal genders.

Keywords: noun classes; rules; number; singular; plural

Introduction
Le senoufo est une langue Gur de la Côte d’Ivoire qui fait partir du phylum Niger-
Congo. Il a été bien décrit et est reconnu comme une langue à classe. Le kadile quant à lui
est un parler senoufo usité à l’extrême Nord de la Côte d’Ivoire. Plus précisément dans le
département de Tengrela. Ce parler qui a fait l’objet de très peu d’étude a en son sein
plusieurs aspects à décrire. Inscrit parmi les langues senoufos, il obéit à la règle des
langues à classe. Ces classes nominales peuvent être définies comme des morphèmes
suffixés au nom tout en lui conférant une certaine catégorie. Dans notre travail intitulé «
les classes nominales en kadile, langue Gur de Côte d’Ivoire », les données phonologiques
sur la langue seront rappelées, les marqueurs nominaux et les schèmes d’accord qui s’y
dégagent seront présentées et ainsi que les genres nominaux.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 63


Les classes nominales en kadile, parler senoufo de Côte d’Ivoire

1. Données phonologiques
Ce volet consiste à faire un rappel phonologique sur le kadile. Pour rappel, le kadile
comprend 25 voyelles phonologiques dont 9 voyelles orales / i ; y ; e ; o ; ɔ ; u ; ɛ ; oe ; a ; /
et 6 voyelles nasales / ḭ ; ɔ̰ ; ṵ ; ɛ̰ ; oḛ ; a̰ / 7 voyelles orales longues /i: ; y: ; o: ; ɔ: ; ɛ: ; oe:
; a: /et 3 voyelles nasales longues /ṵ: ; oḛ: ; a̰: / et 21 consonnes dont 9 occlusives / p, t, c,
k, b, d, ɟ, g, gb / ; 5 fricatives / f, s, ʃ, z, ʒ /; 4 nasales / m ; n ; ɲ; ŋ / ; 2 semi-voyelles / j, w
/ et une vibrante/ r /.

1.1 Système vocalique


Le kadile comprend 25 voyelles phonologiques. 16 voyelles orales et 9 voyelles
nasales qui ont été représenté dans le tableau 1.

ii: y y: u ḭ ṵ ṵ:
E o o:
ɛ ɛ: œ œ: ɔ ɔ: ɛ̰ œ̰ œ̰: ɔ̰
a a: a̰ a̰:

1.2. L’harmonie vocalique de copie


En kadile il existe plutôt l’harmonie de copie. Elle consiste pour la dernière syllabe, à
copier la voyelle de l’avant dernière syllabe du mot. A l’exception des voyelles i et o ou la
dernière syllabe ne copie pas directement l’avant dernière syllabe mais la voyelle la plus
proche de celle-ci. Ainsi la voyelle i s’harmonise pour donner la voyelle e et la voyelle u
s’harmonise pour donner la voyelle o.

1.3 Système consonantique


Le kadile comporte 21 consonnes phonologiques dont 9 occlusives, 5 fricatives, 4
nasales, 2 semi-voyelles et une vibrante. Ces consonnes ont été représenté dans le tableau
2.

p t c k
b d ɟ g gb
f s ʃ
z ʒ
m n ɲ ŋ
r
j w

2. La présentation des marqueurs nominaux (les faits)


La classe nominale est définie comme : « Tous les substantifs qui entrainent les
mêmes choix lors de l’adjonction de déterminants donnant lieu à accord ». D. CREISSEILS
(1991:82). Autrement dit, c’est un ensemble de noms qui répondent à un même morphème
et qui entraîne un schème d'accord. Les classes nominales en kadile comme dans la
plupart des parlers senoufo se présentent sous la forme d’un ensemble de sous classe. En
effet, dans une même classe peut exister plusieurs paires de classes. Il est bon de signifier
aussi qu’un morphème de classe au singulier peut avoir plusieurs morphèmes au pluriel.
De même un morphème de classe au pluriel peut avoir plusieurs morphèmes au singulier.

64 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜063-070


Bêrè BALLO & Firmin AHOUA

Ainsi cette étude a permis de dénombrer cinq (05) classes nominales dénombrables et
deux (02) classes non dénombrables en kadile qui ont été présentés ci-dessous :

2.1. Les classes dénombrables


Ces classes sont celles de tous les noms qui peuvent être dénombré c’est à dire tout
ce qui est comptable etc…tout ce qui n’est pas abstrait à l’entendement des hommes.

-Classe 1
Elle est composée de six (06) séries de classe qui ont été présentées ci-dessous selon le
model singulier/pluriel. Ce sont les paires (gV / jV) et (ɣV / jV). Des exemples seront
donnés par paire.
• (gV / jV)
Exemple 2 : a) gòrògó « un cobra » gòròjó « des cobras »
b) gòʃīgé « une plume » gòʃījé « des plumes »
• (ɣV / jV)
Exemple 3 : a) ná̰ɣ̰ á « une queue » ná̰j̰ á̰̰ « des queues »
b) toēɣɔ̄ « un pied » toḛ́jɔ̄ « des pieds »

Il est bon de signifier que la paire (ɣV / jV) est la même que la paire (gV / jV) car le
morphème ɣV est une variante de gV qui est employé uniquement quand il est dans une
position intervocalique entre deux voyelles iso timbres ou entre oē et ɔ̄.

-Classe 2
Cette classe comporte deux (02) sous classe qui sont : (nV / ŋV) ; (lV / gV). Nous
présenterons ci-dessous les paires suivies d’exemple.
• (lV / gV)
Exemple 4: a) zōwjélé « un anus » zōwjègɛ̰́ « des anus »
b) ɟàlà « un haricot » ɟàgɛ̰́ « des haricots »
• (nV / ŋV).
Exemple 5 : a) tùpúnɔ̰̰́ « une colline » tùpùŋɛ̰́ « des collines »
b) ɟōgúnɔ̰̰̀ « un genou (petit) » ɟōgúŋɛ̰́ « des genoux (grand) »

De même que dans la classe 1, nous pouvons dire que la série (nV / gV) est une variante de
la série (lV / gV) car nous remarquons que la nasale n qui a le même lieu d’articulation que
la liquide l, est la correspondante nasale de l. Pour dire que l devient n dans un
environnement nasal.

-Classe 3
La classe 4 (quatre) contiennent quatre (04) sous classes qui ont été citées avec des
exemples à l’appui.
• (gV / rV)
Exemple 6 : a) fóʃīgè « du manioc » fóʃīrè « des maniocs »
b) Kácìgè « un os » kácìrè « des os »
• (nV / rV)
Exemple 7 : a) sòmúɲɛ̰̰̀nɛ̰̰̀ « une fourmi rouge » sòmúɲɛ̰̀rɛ̰̀ « des fourmis rouges »
b) broɲɛ̰̰̀nɛ̰̰̀ « un habit rouge » broɲɛ̰̰̀rɛ̰̰̀ « des habits rouges »

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 65


Les classes nominales en kadile, parler senoufo de Côte d’Ivoire

• (Ø / rV)
Exemple 8 : a) tāɟwā « une salive » tāɟwārá « des salives »
• (V / rV)
Exemple 9 : a) sòmúwɔ̰́ɔ̰́ « une fourmi noir » sòmúwɔ̄rɔ̰́ « des fourmis noirs »
b) tjèwɔ̰́ɔ̰́ « un teint noir » tjèwɔ̰́rɔ̰́ « un teint noir »

-Classe 4
Cette classe comprend également quatre (4) sous classes qui seront cité ci-dessous
suivie d’exemples.
• (wV / bV)
Exemple 10 : a) ŋá̰̰wá̰̰ « un jumeau » ŋá̰̰bɛ́ « des jumeaux »
b) sɛ̄rwɛ̰́ « une abeille » sɛ̄rbɛ́ « des abeilles »
• (V / bV)
Exemple 11 : a) kuɟɛ̰́ɔ̀ « un ancêtre » kuɟɛ̰́bɛ́ « des ancêtres »
b) cófwɛ̰́djɛ̰̀ɔ́ « un grand père » cófwɛ̰́djɛ̄bɛ́ « des grands pères »
• (NV / bV)
Exemple 12 : a) kòtnɔ̰̰́ « un singe » kòtỳbɛ́ « des singes »
• (Ø / bV)
Exemple 13 : a) bá:ɟɔ̰́ « une barbe» bá:ɟɔ̄bɛ́ « des barbes»
b) tágbá « une forêt » tágbábɛ́ « des forêts »

-Classe 5
Cette classe contient deux séries de classe notamment la série : (Ø / lV) et la série
(Ø / nV).
• (Ø / lV)
Exemple 14 : a) gòpoḛ̀ « un coq » gòpoḛ̀lɔ̰́ « des coqs »
b) dōgūcɔ̰́ « une veuve » dōgūcɔ̰̀:lɔ̰́ « des veuves »
• (Ø / nV).
Exemple 15 : a) pṵ́ « un chien » pɔ̰̄ nɔ̰́ « des chiens »
b) dōgúnɔ̰̀: « un veuf » dōgúnɔ̰̀nɔ̰́ « des veufs »
La paire (Ø / nV) est la variante nasale de la paire (Ø / lV) car nV est utilisé dans un
environnement nasal.

2.2. Les classes non-dénombrables


Les classes non dénombrables se manifestent à travers les deux (2) morphèmes mV
et rV pour lesquelles des exemples ont étés présentés ci-dessous :

-La classe mV
La classe mV concerne les non dénombrables liquides
Exemple 16 : a) ʃȳmɔ̰̰́ « du sel » sḭ́d̰ ìmɛ̰̰̀ « du tchapalo »
b) sīmɛ̰̀ « de l'huile » fìmé « une urine »

-La classe rV
Cette classe contrairement à la précédente relève les non dénombrables solides.
Exemple 17 : a) kārá « de la viande » djārá « un intestins »
b) fré « un excrément »

66 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜063-070


Bêrè BALLO & Firmin AHOUA

3. Les schèmes d’accords


Comme l’indique son nom, le schème d’accord est la concordance qui existe entre
le déterminant et le substantif qu’il détermine. Pour ce travail, le morphème du défini, le
pronom objet et le genre nominal ont été présentés.

3.1. Les morphèmes de défini


Le morphème de défini est un morphème suffixé au nom lorsque celui-ci est au
défini. En kadile, nous avons huit (8) morphèmes de défini dont quatre (4) au singulier et
quatre (4) au pluriel que nous présenterons plus bas.

-Morphème de défini de la classes 1


La classe 1 à deux (2) morphèmes de défini. Le défini singulier ŋé et le défini
pluriel jɛ. confer les exemples
• (ŋe / jɛ)
Exemple 18 : a) kà̰ŋé « Village » kà̰jɛ̰́ « Village »
b) ɲɛ̰̄ bíŋè « Nuit » ɲɛ̰̄bíjɛ̰̰̀ « Nuit »

-Morphème de défini de la classes 2


La classe 2 contient deux (2) séries de morphèmes singulier/pluriel dont (nɛ / ŋi) et
(ŋe / ŋi)
• (nɛ / ŋi)
Exemple 19 : a) gbènԑ̰̰ ́ « bâton » gbìŋí « bâtons »
b) cᴐ̰̀kἑrnɛ̰́ « flèche » cᴐ̰̀kἑrŋí « flèche »

-Morphème de défini de la classe 3.


Cette classe comprend deux (2) morphèmes de défini. Un morphème du singulier
qui est le morphème ŋè et un morphème du pluriel qui est le morphème ne.
• (ŋe / nɛ)
Exemple 20 : a) ʃìŋé « plume » ʃìné « Plumes »
b) wԑ̰ ́ŋè « feuille » wԑ̰ ́nè « feuilles »

-Morphème de défini de la classes 4


Cette classe comprend également deux (2) morphèmes de défini. Celui du singulier
V/wV et du pluriel mi.
Exemple 21 : a) pjà « enfant » pìmí « enfants »
b) cēpoéwᴐ̀ « mari » cēpoémí « maris »

3.2. Les pronoms objets


Les pronoms objets ou encore pronoms anaphoriques sont des pronoms à la
troisième personne par lesquels les noms auxquels ils réfèrent peuvent être remplacés dans
un énoncé en kadile. Dix (10) pronoms objets ont été dénombrés et regroupé en cinq (5)
classes. Ces pronoms ont étés présentés ci-dessous à travers des exemples.

-Les pronoms objets de classe 1


Exemple 22 : a) nɔ̰̰̀wá cɛ̰́ɔ̰̀ jérí
nonwa femme+def .Sing appeler +Acc

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 67


Les classes nominales en kadile, parler senoufo de Côte d’Ivoire

« nonwa a appelé la femme »

b) nɔ̰̰̀wá wú jérí


nonwa Pro.Obj.Sing appeler +acc
« nonwa l’a appelé »

c) nɔ̰̰̀wá coḛ̀mí jérí


nonwa femme+def Plur appeler +acc
« nonwa a appelé les femmes »
d) nɔ̰̰̀wá pé jérí
nonwa Pro.Obj Plur appeler +acc
« nonwa les a appelé »

-Les pronoms objets de classe 2


Exemple 23 : a) ngolo cíŋé cérí
ngolo arbre+def Sing couper+acc
« ngolo a coupé l’arbre »

b) ngolo kì cérí
ngolo Pro.Obj.Sing couper+acc
« ngolo l’a coupé »

c) ngolo cínɛ̰́ cérí


ngolo arbre+def Plur couper+acc
« ngolo a coupé les arbres »

d) ngolo tì célé
ngolo Pro.Obj Plur couper+acc
« ngolo les a coupé »

-Les pronoms objets de classe 3


Exemple 24 : a)céwá múgà̰n̰ ɛ̰́ dɔ̰̀
céwá cuillère+def Sing prendre+acc
« céwá a pris la cuillère »

b) Céwá dì dɔ̰́
céwá Pro Obj Sing prendre+acc
« céwá l’a pris »

c) céwá múgà̰ŋ
̰ í dɔ̰̀
céwá cuillère+def Plur prendre+acc
« céwá a pris les cuillères »

d) céwá kè dɔ̰̀
céwá Pro Obj Plur prendre+acc
« céwá les a pris »

68 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜063-070


Bêrè BALLO & Firmin AHOUA

Les pronoms objets de classe 4


Exemple 25 : a) :zacɔ ɲɛ̰̰́ kánè kjɛ̰̀
zàcɔ̰́ etre viande+def manger+inacc
« zàcɔ̰́ mange de la viande »

b) zàcɔ̰́ ɲɛ̰̰́ ti kjɛ̰̀


zàcɔ̰́ etre Pro.Obj.Sing manger+inacc
« zàcɔ̰́ la mange »

-Les pronoms objets de classe 5


Exemple 26 : a) ɲèlé ɲɛ̰̰́ sìmé ʃɔ̰́
ɲèlé etre huile+def acheter+inacc
« ɲèlé achète de l’huile »

b) ɲèlé pí ʃɔ̰́
ɲèlé Pro Obj Plur acheter+inacc
« ɲèlé l’achète »

4. La valeur sémantique des genres


Bole-Richard (1983 :55) affirme : « on appelle genre, l'ensemble des bases
utilisant la même corrélation de classe pour marquer la notion de nom ». Autrement dit le
genre nominal est un ensemble singulier pluriel pour un même mot. Dans le cas du Kadile
le genre se manifeste pour un certain nombre de morphème appartenant à une même
classe. Les schèmes d’accord qui se manifestent à travers le défini et le pronom
anaphorique laissent voir 5 (cinq) genres dans cette langue. Nous avons le genre humain
ou animé. En dehors du genre 1, nous avons le genre des non humain ou inanimé qui est
subdivisé en fonction de la catégorie de l’objet. Ainsi aurons-nous le genre des gros objets ;
le genre des petits objets; le genre des indénombrables solide et ceux des indénombrables
liquides.

Genre 1
Le genre 1 est le genre des humains ou animé qui comporte deux morphèmes. Ce sont le
morphème [wú] pour le singulier et le morphème [pé] pour le pluriel.
Genre 2
Ce genre, utilisé pour désigner les gros objets contient également deux morphèmes. Un
morphème du singulier [ki] et un morphème du pluriel [tì].
Genre 3
Le genre trois est celui des petits objets et comprend aussi deux morphèmes. Le morphème
dì utilisé pour le singulier et le morphème [ke] utilisé pour le pluriel.
Genre 4
C’est le genre des indénombrables solides. Il est donc un genre unitaire qui n’utilise qu’un
seul morphème notamment [tí].
Genre 5
Encore unitaire, ce genre est celui désignant les indénombrables liquides qui utilise
également un seul morphème qui est le morphème [pí].

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 69


Les classes nominales en kadile, parler senoufo de Côte d’Ivoire

Conclusion
Nous pouvons retenir que l’étude des classes nominales en kadile nous a permis d’y
dénombrer cinq classes nominales avec pour certaines plusieurs séries de classe ; 4
(quatre) classes de défini comptant chacune 2 (deux) morphèmes dont un singulier et un
pluriel et 5 (cinq) classes de pronom anaphorique comprenant également chacune 2 (deux)
morphèmes (singulier ; pluriel). Elle a surtout permis de déduire 5 (cinq) genres
nominaux. Cependant, étant donné l’organisation des morphèmes par rapport à la
sémantique, pourrait-on parler de classe nominale en kadile?

Références bibliographiques
Bole-Richard, R. (1983). La classification nominale en Ega, Journal of West African
Languages (XIII)1:51-61
Delplanque, A. (1995). Que signifient les classes nominales, Linguistique africaine, Paris,
15
Manessy, G. (1967). Evolution de la classification nominale dans les langues gurunsi
(groupe voltaïque), La classification nominale dans les langues négro-africaines.
CNRS, Paris
Tchagbalé, Z. (1987). Classes et genres nominaux en Foodo, langue guang du Bénin,
Cahiers Ivoiriens de Recherche Linguistique, 22:61-126
Tchagbalé, Z. & Kra, K. A. E.(2015). Le koulango, une langue gur à deux genres, Corela,
13-2. [En ligne], consultable sur DOI : 10.4000/corela.4141
Yéo, K. (2013). Morphologie nominale 6 langues senoufo (1), Thèse de Doctorat unique,
Université de Cocody Abidjan

70 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜063-070


Kouakou Patrice BEHIBRO

ÉVALUATION DE L’APPORT DES LANGUES MATERNELLES AU DEVELOPPEMENT


DURABLE EN COTE D’IVOIRE : CAS DES LANGUES LOCALES DE TABOU

Kouakou Patrice BEHIBRO


Université Alassane Ouattara
[email protected]

Résumé : La nécessité de trouver une solution durable à la question de l’intégration


socioéconomique des personnes déplacées à la suite des crises militaro-politique et post-
électorale, a amené l’Etat de Côte d’Ivoire et ses partenaires au développement à engager
un processus de concertation basé sur une approche communautaire et multisectorielle
pour englober les divers groupes cibles dans le département de Tabou. Ainsi, notre
présente contribution a pour objectif d’évaluer l’apport des langues maternelles dans la
quête de ce développement durable. Pour y arriver, nous avons utilisé les méthodes
qualitative et quantitative. La première nous a permis de savoir que les langues
maternelles ont contribué énormément au développement durable du département en tant
que moyens de communications efficaces pour une population à majorité analphabète.
Quant à la méthode quantitative, elle a évalué les points de vue des populations par
rapport à la même question. A cet effet, les résultats ont montré qu’en moyenne 85% des
participants à cette enquête estiment que les langues maternelles contribuent au
développement durable dans les dimensions sociale, économique, éthique, écologique et
gouvernance.

Mots-clés : Développement durable-langues maternelles-communication-population-


Département de Tabou

EVALUATION OF THE CONTRIBUTION OF MOTHER TONGUES TO SUSTAINABLE


DEVELOPMENT IN CÔTE D'IVOIRE: THE CASE OF THE LOCAL LANGUAGES OF
TABOU

Abstract: The need to find a lasting solution to the question of the socio-economic
integration of displaced persons following the military-political and post-electoral crises
has led the State of Côte d'Ivoire and its development partners to initiate a process
consultation based on a community and multi-sectoral approach to encompass the various
target groups in the department of Tabou. Thus, our present contribution aims to evaluate
the contribution of mother tongues in the quest for this sustainable development. To
achieve this, we used both qualitative and quantitative methods. The first allowed us to
know that mother tongues have contributed enormously to the sustainable development of
the department as effective means of communication for a majority illiterate population.
As for the quantitative method, it evaluated the points of view of the populations in
relation to the same question. To this end, the results showed that on average 85% of the
participants in this survey believe that mother tongues contribute to sustainable
development in the social, economic, ethical, ecological and governance dimensions.

Keywords: Sustainable development-mother tongues-communication-population-


Department of Tabou

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 71


Évaluation de l’apport des langues maternelles au développement durable en Côte d’Ivoire :
cas des langues locales de Tabou

Introduction
La Côte d’Ivoire occupe une place importante dans la sous-région, en Afrique
occidentale grâce à son développement économique axé sur les cultures industrielles. Ainsi, le
sud-ouest, particulièrement le département de Tabou, situé dans la région de San-Pedro est
convoité pour sa richesse en culture de palmiers à huile et d’hévéas. Mais, cette localité
transfrontalière et excentrée du pays avait été déclarée « zone rouge » (zone dangereuse) du
fait de l’insécurité grandissante. Selon Babo (2010), cette situation de violence a commencé
par les affrontements dans la tribu Hompo à Tabou (Sud-ouest) qui ont opposé les kroumens
aux Dagari et aux Lobi burkinabé en 1999. Ensuite les guerres causées par les conflits
fonciers de 1997, la crise postélectorale de 2002 et la présence massive des réfugiés libériens
chassés par la guerre de Liberia. Par conséquent, la menace de la faune et de la flore s’est
accentuée dans cette anarchie. Pour remédier à cette situation précaire, les gouvernants ont
tenté plus ou moins d’intégrer le concept de développement durable. C’est la prise de
conscience générale du fait qu’il faut changer de systèmes de production et de consommation,
préserver les ressources naturelles, lutter contre la pauvreté et apporter la paix. En réalité,
depuis la création de ce nouveau concept en 1972, sa réaffirmation en 2012 à la Conférence
Rio+20 et de la mise en place d’un programme de développement Durable à l’horizon 2030
appelé (Objectifs de Développement Durable) (ODD), la Côte d’Ivoire a toujours fait du
développement Durable son cheval de bataille. Aujourd’hui cette politique des autorités a
porté ses fruits dans la mesure où le département de Tabou a amorcé un développement
économique sans précédent qui prend en compte la cohésion sociale, la préservation de
l’environnement, de l’équité et de la bonne gouvernance. Et ce, grâce à l’apport considérable
des langues locales de ces populations cosmopolites. Pour ce faire, nous situerons d’abord le
cadre conceptuel et théorique, ensuite proposerons une méthodologie de travail, enfin
analyserons les résultats de nos enquêtes suivi de la discussion.
La question principale de cette recherche se formule comme suit : quel est l’apport des
langues nationales dans le développement durable du département de Tabou ? Dans quel
domaine les langues maternelles ont-elles contribué pour restaurer le développement durable
du département de Tabou après de nombreuses crises sociopolitiques ? Notre hypothèse
principale est que les langues maternelles ont contribué au développement durable du
département de Tabou après des crises sociopolitiques. Aussi, notre seconde hypothèse est-
elle la suivante : Les langues maternelles ont favorisé le développement durable du
département de Tabou au niveau social, écologique, éthique et gouvernance.

0.1. Cadre conceptuel


Urbain (1982 : 9) en s’appuyant sur (Nicole d'Oresme1, 1361) estime qu’à l’origine, la
langue maternelle était définie comme : « La langue régionale ou locale, langue commune,
langue de bas usage. » Ainsi, pour lui le mot maternelle renvoyant à « mère » est une
métaphore. En réalité, au XVIè siècle, la femme était considérée comme un être inferieur

1
En 1361, Nicole d'Oresme, francisant une expression déjà existante dans le latin médiéval, introduit en français la locution
langue maternelle. Homme érudit (il est traducteur d'Aristote) et puissant (il est évêque de Lisieux), il entend, dans une
France non encore unifiée linguistiquement, désigner à l'aide de ce composé un certain niveau de langue : celui du français,
d'oïl ou d'oc, par opposition au latin, la langue du savoir et de la pensée. Urbain (1982:9)

72 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜071-084


Kouakou Patrice BEHIBRO

ayant pour tâche ménagère et chargée d’éduquer les enfants dans la cellule familiale. Dès lors,
grâce à son enfant, elle est revalorisée. Ainsi, à partir du XVè au XVIè siècle, la notion de
langue maternelle crée l'ambiguïté : le mépris et le respect, le rejet et le remords.
Politiquement dévaluée, en tant que langue domestique de bas usage, elle est
contradictoirement surévaluée en tant que langue optimalement proche des origines. Elle est
donc langue originelle et vulgaire, langue pure et impure à la fois ». Malheureusement très vite
à la fin du XVIè siècle, l’idéologie rationaliste affirmait que la langue maternelle n’était pas
naturelle mais artificielle. Elle est apprise, progressivement reconstruite à l'issue d'un lent
apprentissage. Cette dernière notion ruine toute une mythologie car elle fait de la langue
enfantine « une langue imparfaite et embryonnaire. Cette situation va occasionner la quête des
langues idéales. Pour finir au xviii è siècle, la langue du père s’avère la meilleure appelée « La
lingua del pane »2, « c'est la langue de l'unification linguistique, la langue qui, ayant épousé la
convention linguistique nationale, renie et refoule la diversité dialectale dans la domesticité et
la ruralité » En représailles à cette « linga pane », les nationalistes tels que Diderot, prêt à
nier la planète entière afin d'hypostasier la scientificité de la langue nationale, Montesquieu
Rousseau, Voltaire et Alembert, par le progrès social entreprirent la normalisation
linguistique (soumettre la langue maternelle à la norme). Ainsi, l’entreprise encyclopédique,
l’œuvre d’alphabétisation, la pédagogie et l’enseignement de la langue maternelle furent les
activités essentielles. Par conséquent aux XVIIIè siècle, la langue maternelle est revalorisée
selon les dires de Urbain (1982 : 20) lorsqu’il annonce que : « La langue maternelle, langue
orale, langue des premières paroles et donc langue d'apprentissage, est de ce fait intégrée à
nouveau à l'univers du linguiste (d'où elle était somme toute exclue) au titre de modèle
pédagogique valable tant pour l'acquisition des langues étrangères que pour l'acquisition de la
langue nationale. » Ce modèle de lutte a commencé en Côte d’Ivoire par le biais de cette élite
qui très engagée, organise des colloques internationaux, crée des revues sérieuses telles que
AKOFENA de l’Institut de Linguistique Appliquée (ILA) qui encouragent les publications sur
les langues maternelles ivoiriennes. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire s’apprête à intégrer les
langues nationales dans l’enseignement primaire. Ainsi, le professeur Mariatou Koné, ministre
de l’éducation et de l’alphabétisation dans son allocution à l'ouverture du Symposium organisé
le lundi 24 avril 2022 au Centre National des Matériels Scientifiques, n’a manqué de
remercier quelques-uns des pionniers de ce projet lorsqu’elle affirme :

Je pense d’abord aux pionniers de l’enseignement bilingue dans notre pays depuis les
années 1980, avec le Projet Nord du Professeur Khaled Aït Hammou, chercheur de
l’Institut de Linguistique Appliquée (ILA) à Lataha, ainsi que l’ONG « Savane et
Développement » du Professeur Saliou Touré, dans les années 1990 à Kolia.
MENA (2022)

Selon Duclaux-Monteil (2018 : 14) la formule Brundtland, universellement acceptée,


définit le développement durable comme : « un développement qui permet de satisfaire les
besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures de répondre aux

2
C’est une autre langue, celle qui est associée au pouvoir dans la communauté, celle qui permet de gagner son pain.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 73


Évaluation de l’apport des langues maternelles au développement durable en Côte d’Ivoire :
cas des langues locales de Tabou

leurs ». Deux concepts sont inhérents à cette de notion : le concept de besoins, plus
particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus
grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation
sociale imposent à la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. Le
développement durable est « un type de développement qui prévoit des améliorations réelles
de la qualité de la vie des hommes et en même temps conserve la vitalité et la diversité de la
Terre. Le but est un développement qui soit durable. À ce jour, cette notion paraît utopique, et
pourtant elle est réalisable. De plus en plus nombreux sont ceux qui sont convaincus que c’est
notre seule option rationnelle » (UICN, PNUE et WWF, 1980). Le développement durable est
« une démarche visant l’amélioration continue de la qualité de vie des citoyens par la prise en
compte du caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale, économique et
culturelle du développement durable dans une perspective d’équité intra- et
intergénérationnelle » (OIF, 2002).

0.2 Cadre théorique


Deux théories du développement durable : « les idéalistes » qui se réfèrent aux
principes et « les pragmatiques » qui recherchent un équilibre du développement. Notre
travail se focalise sur la deuxième théorie « les pragmatiques ». Villeneuve & Riffon (2011)
élaborent 32 questions pour analyser les projets relatifs au développement durable. Ainsi, ces
questions se résument en quatre dimensions telles que la dimension éthique, écologique,
sociale, économique et gouvernance. Selon AGENDA 21 (2015 : 1) le développement durable
constitue une véritable nécessité pour un développement humain tenant compte des
dimensions économique (améliorer l’efficacité économique), sociale (améliorer l’équité sociale
et lutter contre l’exclusion) et environnementale (maintenir l’intégrité de l’environnement).
Ainsi, notre travail s’inscrit dans la discipline sociolinguistique et l’ethnographie.

0.3 Méthodologie de la recherche


Nous avons utilisé trois types de recueil de données qui sont : La revue documentaire,
l’entretien semi-direct et le questionnaire. La revue de toute la documentation disponible sur
le département de Tabou a été la première phase. Cette phase de préparation a permis
d’obtenir le profil général et les grandes caractéristiques de la zone de l’étude. Quant au
second type de recueil, il a concerné l’autorité communale (la mairie) et le media de proximité
(la Radio Phare). Ces entretiens ont permis de connaitre d’une part les objectifs de
l’introduction des langues locales dans la communication des informations, des spots et
émissions de la à la radio « radio phare » de Tabou et d’autre part, les résultats de cette
politique d’intégration des langues locales. Pour ce qui concerne le questionnaire, il a été
renseigné par 57 habitants du département de Tabou que nous avons organisé en quatre
groupes ethniques (Les krou, Akan, Mandé et Gour). Le choix de ces personnes se justifie par
le fait que ceux-ci sont les acteurs clés du développement durable de la ville de Tabou. C’est
ce que confirme OUEDRAOGO P. (2018 : 31) lorsqu’il affirme : « Depuis le Sommet de la
Terre de Rio de Janeiro (1992), les territoires sont au coeur du développement durable. À
l’aide du plan Action 21, véritable feuille de route de la politique de développement durable

74 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜071-084


Kouakou Patrice BEHIBRO

des collectivités, les réseaux de villes et les communautés urbaines sont à même d’exprimer
les besoins et de mettre en œuvre des solutions. »

-Informateurs

Tableau 1: Résumé des acteurs de l’enquête


Participants Responsabilités Méthode de recueil de Effectifs
données
Rapport PNUD (2020) Consultant national, Revue documentaire 1
démographe-statisticien

Collectivité (Mairie) Adjoint au maire


1
Entretien semi-direct
Media(Radio « Phare » Directeur de la radio 1
Akan 10
Communautés Krou Questionnaire 30 57
ethniques Mandé 16
Gour 1

Source : Enquête

0.4 Méthode d’analyse


Notre méthode d’analyse est quantitative et qualitative. Nous nous sommes inspirés de
la méthode développée par la Chaire de recherche et d’intervention de l’Université de Quebec
(Canada) au sujet de l’étude du développement durable (Villeneuve & Riffon (2011) et du
consultant environnement Lerond (2004). La première analyse le point de vue de la population
pour vérifier si le développement est conforme aux caractéristiques du développement durable.
C'est-à-dire, est-ce qu’il prend en compte la dimension écologique, sociale, éthique,
économique et gouvernance ? Quant à la deuxième méthode à caractère pragmatique relative à
l’évaluation des projets de développement durable, elle étudie le projet dans sa phase
pratique. Ainsi, elle comporte trois phases : la phase de l’identification des enjeux et leur
hiérarchisation. C’est l’établissement du profil de développement durable ; la phase de
l’établissement d’un état de référence avec des indicateurs renseignés ; la phase de suivi de
l’avancement de l’opération conformément aux enjeux et les impacts envisagés en s’appuyant
sur les indicateurs. En réalité, nous allons évaluer l’impact de la langue maternelle dans le
développement durable de la ville de Tabou à travers les réponses obtenues de notre
questionnaire en fonction de la grille d’analyse suivante :

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 75


Évaluation de l’apport des langues maternelles au développement durable en Côte d’Ivoire :
cas des langues locales de Tabou

Tableau 2: Grille d’analyse


Analyse quantitative (Méthode Analyse qualitative (Méthode pragmatique)
Classique)

Evaluation de l’apport des langues Evaluation de l’apport des langues maternelles


Dimension du maternelles dans le DD de Tabou dans le DD de Tabou
DD

+ - + - Etape 1 : Etape 2 : Etape 3 :


Profil de DD Etat de Suivi et bilan
référence

Ethique
Ecologie
Sociale
Economique

Adapté de Villeneuve & Riffon (2011) et Lerond (2004)

1. Résultats et discussion
La démarche pragmatique relative à l’évaluation de projet de développement durable
du consultant environnement Lerond (2004) a permis d’obtenir les données consignées dans le
tableau ci-dessous.

76 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜071-084


Kouakou Patrice BEHIBRO

Tableau 3 : Évaluation du projet de développement durable du département de Tabou à


travers les langues locales

Dimensions Social Economique Ecologique éthique Gouvernance


Les langues locales parlées dans Les langues Les langues Les langues Pour associer
le département de Tabou ont locales sont des locales sont maternelles de les
participé à favoriser le climat de moyens de utilisées par la Tabou sont les communautés
paix et de cohésion sociale après communications radio pour canaux de ethniques dans
les conflits fonciers de 1999 et la de la radio locale sensibiliser la sensibilisation la gestion
crise postélectorale de 2012. « Radio phare » population rurale pour l’égalité du politique de la
pour la promotion sur la protection genre cité du
des médicaments de la forêt classée « Guibetoua »
Synthèse des de Taї . (Tabou),les
naturothérapeute langues
« tradi- maternelles
praticiens » afin sont des
de réduire la tremplins pour
pauvreté. véhiculer les
communiqués
officiels issus
de la préfecture
ou du conseil
municipal.
+Création des communautés +Interaction +Les messages de +Amélioration de +Les locuteurs
ethniques pour la solidarité et avec la sensibilisation en la condition de en langue
l’entraide comme Association population rurale langue locale ont vie des femmes et maternelle sont
des baoulé (AFABAT) pour faire le plus d’impact sur un taux élevé de dotés d’une
-Dans le département de Tabou, marketing des les populations scolarisation des sagesse et d’une
un peu plus de sept femmes sur médicaments. rurales. filles dans le bonne
dix (70,2%) et près de six -La région de -Malgré les département de organisation
hommes sur dix (59,8%) n’ont San-Pedro qui sensibilisations en Tabou dans les
aucun niveau d’instruction. abrite le langue locale, les -L’activité villages et
-La population est département de populations économique est collaborent de
Forces et majoritairement analphabète Tabou, a un taux commencent à dominée par les façon franche
faiblesses avec plus de deux personnes sur de pauvreté de infiltrer dans la hommes avec un avec les
trois (66,6%) dont 73,9% de 35,4% (ENV, forȇt classée de taux net d’activité autorités locales
femme et 60,1% d’homme. 2015). Ce taux Taї à des fins de 87,5% contre dans la mise en
est plus élevé en agricoles et 36,1% chez les place du plan
milieu rural braconnières. femmes. d’action de
(40,9%) qu’en développement
milieu urbain de la commune.
(23,8%). -Les langues
maternelles
sont limitées
dans une zone
rurale, le
français est
utilisé lors des
réunions
politiques
officielles

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 77


Évaluation de l’apport des langues maternelles au développement durable en Côte d’Ivoire :
cas des langues locales de Tabou

décisives. Les
idées des
locuteurs en
langues
maternelles ne
sont pas
extériorisées.
On constate une tendance à Les langues Les institutions Les langues Les autorités
revaloriser les langues locales maternelles sont ont changé de maternelles sont politiques
par les autorités locales et la érigées en méthode de lutte utilisées dans les introduisent
radio locale. langues d’affaires contre procès à la justice souvent dans
Tendances l’exploitation de la leur discours
évolutives forêt classée de politique
Tai et le quelques mots
braconnage en des langues
finançant les locales pour
projets aux attirer
populations l’attention de
concernées. ses
interlocuteurs
analphabètes.
Objectifs de La consolidation de la cohésion La lutte contre la La protection de la Egalité du genre Parvenir à la
références sociale dans les zones de retour pauvreté forêt classée de et l’émancipation bonne
ou de réinstallation Taї et de sa faune. de la femme gouvernance
(inclusive )
Enjeux forts : valorisation des Intégration des Protection de la L’épanouissement Au plan
langues maternelles pour la valeurs forêt et des de la femme national : Projet
cohabitation des populations culturelles des animaux longtemps d’intégration
autochtones et allogènes. langues marginalisée dans des langues
maternelles à la société maternelles
travers la africaine . dans
Enjeux et promotion des l’enseignement
orientations médicaments et -Célébration de la primaire dans
artistes journée des les années à
traditionnels femmes et venir.
financement Au plan local :
accordé aux Implication des
femmes pour leur chefs
projet coutumiers
dans la gestion
politique de la
cité (et non la
mairie.
Nombre de réunion des Nombre de spots Nombre de spots Nombre Nombre des
communautés ethniques avec le en langue ou émissions d’associations rencontres des
préfet ou le conseil municipal. maternelle au radiophoniques féminines en acteurs du
Nombre de spots en langue sujet des ventes pour la plein essor à système
maternelle par jour à la radio de médicaments sensibilisation sur Tabou. éducatif
Indicateurs « phare » de Tabou au sujet de traditionnels par la protection de la ivoiriens au
la paix après les conflits fonciers jour à la radio forêt classée de Nombre de spots sujet de la prise
de 1999 et la crise postélectorale « Phare » de Tai et la lutte ou émission en en compte des

78 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜071-084


Kouakou Patrice BEHIBRO

de 2012. Tabou contre le langue maternelle langues


braconnage. à la radio maternelles à
« Phare » de l’école
Tabou pour primaire.
sensibiliser sur le
droit de la femme Nombre de
terrains vendus
par les chefs de
terre avec les
dossiers
administratifs
fiables.

1-La place des langues maternelles dans la cohésion sociale et la paix à Tabou après la guerre
de 2002
2-Les langues maternelles à la radio « Phare » de Tabou : De véritables moyens publicitaires
des médicaments traditionnels
3-L’essor des artistes musiciens en langues maternelles de Tabou

-Des données quantitatives


Dans cette partie, il s’agira d’analyser l’évaluation faite par 57 participants de quatre
groupes ethniques au sujet de l’apport des langues locales de Tabou dans les projets de
développement durable. Ces participants sont regroupés en fonction de leur profession, leur
âge, leur groupe ethnique et leur sexe. Ce premier tableau ci-dessous nous montre ce qui suit :
45,61% des participants à cette enquête affirment que la langue maternelle permet de réduire
la pauvreté dans le département de Tabou. Seulement 7,01 % sont pessimistes tandis que
47,36% avec une position intermédiaire révèlent que ces langues maternelles pourraient-elles
plus ou moins contribuer à freiner son progrès.

Tableau 4 : Apport de la langue maternelle dans la réduction de la pauvreté


La langue maternelle contribue-t-elle à réduire la pauvreté ? Total
Profession
Oui Non Plus ou moins

Fonctionnaires 2 3,5% 0 0% 4 7,01% 6 10,52%


Cultivateurs 0 0% 0 0% 4 7,01% 4 7,01%
Ménagères 3 5,26% 0 0% 1 1,75% 4 7,01%
Elèves 21 36,84% 4 7,01% 18 31,57% 43 75,43%
Total 26 45,61% 4 7,01% 27 47,36 % 57 100%

54/57 soit 92,98% des participants ont reconnu de façon unanime la contribution des langues
maternelles dans la réduction de la pauvreté. Cependant, est-ce possible que ces langues
locales rendent prospèrent cette population ? A cette question, les avis sont partagés, 43,85%
répondent par l’affirmation et 31,57% ayant un point de vue mitigé contrairement à 24,56%
qui expriment leur incrédulité. Notons que de façon générale que 53/57 d’un pourcentage

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 79


Évaluation de l’apport des langues maternelles au développement durable en Côte d’Ivoire :
cas des langues locales de Tabou

estimé à 75,43% des enquêtés attestent l’apport des langues maternelles dans le domaine
économique. 72,72 % de ces participants ont l’âge compris entre 15 et 30 ans ainsi que
84,61% se situent entre 30 et 50 ans.

Tableau 5 : Contribution de la langue maternelle à la prospérité de la population

Âge La langue maternelle contribue-t-elle à la prospérité ? Total


Oui Non Plus ou moins
15-30 21 36,84% 12 21, 05% 11 19,29% 44 77,19%
30-50 4 7,01% 2 3,50% 7 12,28% 13 22,80%
50-70 0 0% 0 0% 0 0% 0 0%
Total 25 43,85% 14 24,56% 18 31,57% 57 100%

Les jeunes comme les adultes sont d’accord que la langue maternelle est un facteur de
développement durable sur le plan économique. Mais, la langue maternelle peut-elle
contribuer à sensibiliser à la sauvegarde de la forêt et des animaux ?
A cette préoccupation, 45,61% répondent par l’affirmation, 7,01% s’y opposent et 47,36%
adoptent la position modérée.

Tableau 6 : La langue maternelle, moyen de sensibilisation à la préservation de la faune et de


la flore

Groupes ethniques La langue maternelle contribue-t-elle à sensibiliser à la Total


préservation de la faune et de la flore ?
Oui Non Plus ou moins
Krou 13 22,80% 2 3,50% 15 26,31% 30 52,63%
Akan 6 10,52% 0 0% 4 7,01% 10 17,54%
Mandé 6 10,52% 2 3,50% 8 14,03% 16 28,07%
Gour 1 1,75% 0 0% 0 0% 1 1,75%
Total 26 45,61% 4 7,01% 27 47,36 % 57 100%

Les groupes ethniques reconnaissent que leurs langues contribuent à communiquer


efficacement avec cette tranche de population rurale analphabète. Cependant, ces mêmes
langues peuvent-elles favoriser l’égalité du genre tant méconnue par cette population
foncièrement ancrée dans la tradition ? De même que les questions antérieures, les réponses
sont diverses. Sur un total de 57 participants, 17,54 % du sexe masculin et 28,07% du sexe
féminin répondent « oui » contre 12,28% qui n’y croient pas. 42,10% sont dans le doute
n’ayant pas un avis précis sur la question.

80 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜071-084


Kouakou Patrice BEHIBRO

Tableau 7 : Contribution de la langue maternelle à l’égalité du genre

Sexe La langue maternelle contribue t-elle à instaurer l’égalité du genre ? Total


Oui Non Plus ou moins
Masculin 10 17,54% 5 8,77% 17 29,82% 32 56,14%
Féminin 16 28,07% 2 3,50% 7 12,28% 25 43,85%
Total 26 45,61% 7 12,28% 24 42,10% 57 100%

2. Analyse des données qualitatives et quantitatives


Ces deux méthodes d’analyse s’accordent pour démontrer à travers les données
recueillies que les langues maternelles représentées dans le département de Tabou sont un
atout pour le développement durable du département. D’ailleurs, c’est pourquoi l’actuel
député-maire, M.Klébé Julien met l’accent sur la représentation des communautés ethniques
dans les grandes instances de décisions. Ces trois adjoints au maire sont de groupes ethniques
différents. Le directeur de la radio locale est malinké. Les populations allogènes tels que les
baoulé sont regroupés dans les associations ethniques. Par conséquent, ceux-ci développent
une solidarité mutuelle et une cohésion sociale. Ils sont à majorité des agriculteurs (planteurs
d’hévéas, de palmier à huile et de cacao). Par ailleurs, la question du développement durable
tel que conçu par les grandes puissances cause une véritable difficulté dans la pratique surtout
dans le domaine d’équité et écologique. En réalité, les cultures africaines voire ivoiriennes
conçoivent que l’homme soit le chef de son foyer. Par conséquent, il détient des droits
supérieurs à celui de la femme. Alors, malgré la sensibilisation quotidienne dans les langues
locales, les mentalités sont loin de changer. Aussi les religions chrétiennes et musulmanes
partagent-ils cet avis. Dès lors, la loi sur l’égalité de sexe est votée mais non appliquée dans la
société. Cependant, les chefs coutumiers sont de temps en temps associés dans la mise en
pratique du droit de la femme dans les villages. En plus, le domaine écologique du
développement durable pose un véritable problème majeur à cette population qui vit des
cultures industrielles. Faut-il les empêcher de développer l’agriculture sur laquelle repose
l’économie ivoirienne ? C’est pourquoi, seule la forêt classée de Tai est interdite d’accès. Nous
sommes conscients des changements climatiques dus à la destruction de la forêt à Tabou, mais
quelle politique efficiente mettre sur pied pour arrêter les paysans qui s’efforcent à exploiter
clandestinement cette forêt classée de Taї ?

3. Discussion
Notre discussion va tourner autour de l’importance des langues maternelles dans le
développement durable. A cet effet, les contributions de l’UNESCO (2020 ,2022) et de
Brunet-jailly (1991) vont meubler cette partie. UNESCO (2020) affirme que les langues
maternelles sont en effet une source d’inclusion sociale, d’innovation et d’imagination ; elles
sont aussi une respiration pour la diversité culturelle et un instrument de paix. C’est-à-dire
que les langues maternelles sont indispensables pour la cohésion sociale, les recherches et
inventions scientifiques grâce à leur richesse culturelle variée. Cela dit, les langues
maternelles contribuent fortement au développement durable. Mais, Brunet-jailly
(1991) affiche une opposition farouche à cette idée et estime que seules les langues qui

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 81


Évaluation de l’apport des langues maternelles au développement durable en Côte d’Ivoire :
cas des langues locales de Tabou

exprimeront facilement les messages du nouvel esprit scientifique sont indispensables dans ce
monde caractérisé par la mondialisation et la globalisation. Pour lui, il faut donc une langue
qui transmette les connaissances scientifiques acquises. « A un autre niveau d’ambition, il
faudra une langue qui permette de faire connaitre les résultats originaux, qui permette la
communication avec les chercheurs des autres pays. » (Brunet-Jailly (1991 : 315). Autrement
dit, l’anglais, langue étrangère doit être la seule langue d’échange dans ce village planétaire ?
Or, aujourd’hui la coopération internationale entre les pays doit pas être verticale (les pays
sous-développés dépendent des grandes puissances) mais horizontale (chaque nation apporte
ce qu’elle possède comme richesse). A cet effet, si l’Afrique veut participer au développement
durable à l’aide de ses langues nationales, il faudrait la normalisation de celles-ci. C’est dans
ce contexte que Brunet-Jailly affirme :

L’écriture est donc nécessaire et primordiale. La récente « découverte » de


l’alphabétisation en langue locale, comme condition de la participation de la population
aux opérations de développement le montre bien : la maîtrise effective des tâches les plus
simples passe par l’écriture. Mais on sait aussi quelles sont les difficultés : il s’agit
d’introduire à la fois les mots nouveaux et les concepts nouveaux.
Brunet-Jailly (1991 : 326-327)

Comme le dit un adage « Qui veut aller loin ménage sa monture », alors le
gouvernement ivoirien projette intégrer des langues nationales dans l’enseignement scolaire
primaire. Aussi l’UNESCO (2022) envisage-t-elle propulser l’essor des langues maternelles
dans les dix prochaines années à compter de cette année 2022. Ses actions consisteront à
garantir le droit des peuples autochtones à préserver, revitaliser et promouvoir leurs langues.
Elle offre l'occasion de collaborer dans les domaines de l'élaboration des politiques, de
stimuler un dialogue mondial et de prendre les mesures nécessaires pour l'utilisation, la
préservation, la revitalisation et la promotion des langues autochtones dans le monde.

Conclusion
A l’issue de notre réflexion, il ressort que l’évaluation de l’apport des langues
maternelles dans le développement durable du département de Tabou s’est faite de deux
manières : D’une part, à travers une analyse qualitative à caractère pragmatique et une analyse
quantitative des points de vue de la population. Ainsi, les résultats montrent que les langues
maternelles ont favorisé le climat de paix et de cohésion sociale après les conflits fonciers de
1999 et la crise postélectorale de 2012. Ensuite, les langues locales sont de véritables
instruments de la radio locale « Phare » pour la publicité des médicaments des
naturothérapeutes « tradi-praticiens », pour la sensibilisation sur le droit des femmes et la
protection de la forêt classée de Taї.

Références bibliographiques
AGENDA 21 (2015) .Questionnaire sur le développement durable. Rapport de la Commune
d’Uztaritz/ Uztaritze.

82 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜071-084


Kouakou Patrice BEHIBRO

Babo , A. (2010). Conflits fonciers, ethnicité politique et guerre en Côte d’Ivoire .Alternatives
sud .(17) :95-118.
Brunet-jailly , J. (1991). La contribution des langues au développement : un parti et une
application au domaine de la santé. Cah. Sci. Hum. 27(3-4) :315-341
Duclaux-Monteil Ott, C. (2018) . Le concept du développement durable. Ndoutoum,J.P (dir) .
Développement durable : Comprendre et analyser des enjeux et les actions de
développement durable.Université Senghor. Sénégal.
Lerond M.(2004) .Une méthode simple pour évaluer le développement durable.9ème colloque
International des spécialistes francophone en évaluation d’impacts. Ouagadougou.
MENA (2022). Vers l'introduction de nos langues maternelles dans le système éducatif
ivoirien. [En ligne], consulté le 05 /09/22 sur URL :
https://education.gouv.ci/actualite/actudetail/vers-l-introduction-de-nos langues-
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Ouedraogo , P.(2018).La gouvernance du développement durable . Ndoutoum,J.P (dir) .
Développement durable :Comprendre et analyser des enjeux et les actions de
développement durable. Université Senghor. Sénégal.
PNUD (2020). Profil socioéconomique sous forme de diagnostic stratégique du département de
tabou. Rapport PNUD. Abidjan.
UNESCO (2020)
Urbain, J.D. (1982). La langue maternelle, part maudite de la linguistique?. Langue française,
Maternelle et communauté linguistique. 54 :7-28 [En ligne], consultable sur doi :
https://doi.org/10.3406/lfr.1982.5275
Villeneuve, C. & Riffon, O. (2011). 32 questions pour une réflexion plus large sur le
développement durable. Département des sciences fondamentales, Université du
Québec à Chicoutimi

Annexe
Etape 1
Les composants de cette étape sont le diagnostic, les enjeux et orientations, les indicateurs
prévus. Le diagnostic prend en compte les caractéristiques essentielles de l’apport des langues
maternelles dans le développement durable à Tabou et les objectifs de références des autorités
locales (la mairie). Les caractéristiques sont les forces et faiblesses, les données factuelles,
les politiques de suivies et les grandes tendances évolutives. Quant aux objectifs de référence,
ce sont entre autres les engagements internationaux, les politiques nationales, régionales et
locales. En ce qui concerne les enjeux, ils sont régionaux, territorialisés et transversaux). Ces
enjeux sont transformés en orientations stratégiques. Les indicateurs sont choisis par rapport
aux enjeux identifiés comme prioritaire l’objet d’un suivi régulier.
Etape 2
L’état de référence est composé d’indicateurs avant le début.
Ce second document sert aussi à évaluer les impacts, proposer des choix et des mesures
réductrices ou d’accompagnement.
Etape 3

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 83


Évaluation de l’apport des langues maternelles au développement durable en Côte d’Ivoire :
cas des langues locales de Tabou

Cette étape comporte des indicateurs renseignés pendant et après. Elle servira à vérifier la
conformité.

84 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜071-084


Kouakou Appoh Enoc KRA, Sansan Blaise KAMBIRE & Pascale Gwladys KOUALA

LES ADJECTIFS DE COULEUR DANS QUELQUES LANGUES GUR : UNE ANALYSE


MORPHOLOGIQUE ET SÉMANTIQUE

Kouakou Appoh Enoc KRA


Département des Sciences du Langage
Université Félix Houphouët-Boigny
[email protected]

Sansan Blaise KAMBIRE


Département des Sciences du Langage
Université Félix Houphouët-Boigny
[email protected]
&
Pascale Gwladys KOUALA
Département des Sciences du Langage
Université Félix Houphouët-Boigny
[email protected]

Résumé : Cet article porte sur les adjectifs de couleurs dans trois langues Gur de Côte
d’Ivoire à savoir, le koulango, le lobiri et le tagbana. Deux domaines de l’analyse
linguistique seront abordés : la morphologie et la sémantique. Pour rendre compte des
faits de langues observés dans les adjectifs de couleurs tels qu’ils se présentent dans les
trois langues, la linguistique descriptive va servir de cadre d’étude. La nature ou l’univers
des hommes est constitué(e) de diverses réalités qui se distinguent les unes des autres par
leur couleur ou leur teinte. Ces couleurs sont utilisées pour qualifier des objets de la
nature d’une part et de la création humaine d’autre part. Quand la couleur permet de
qualifier un objet par rapport à un autre, on parle d’adjectif de couleur. Sur le plan formel
et selon les langues, les adjectifs de couleur sont rendus par des signifiants aussi simples
que complexes. Dans les trois langues, objet de la présente analyse, il est question de
mettre en lumière les différentes formes de signifiants utilisées pour désigner la teinte de
constituants naturels ou humains. En outre, ce travail vise à montrer qu’à partir d’un
même signifiant, le signifié d’un adjectif de couleur peut faire référence à des propriétés
sémantiques distinctes.

Mots-clés : couleur, adjectif, morphologie, sémantique, langue gur.

ADJECTIVES OF COLOUR IN SOME GUR LANGUAGES: A MORPHOLOGICAL AND


SEMANTIC ANALYSIS

Abstract: This paper focuses on colour adjectives in three Gur languages of Côte d'Ivoire,
namely, Koulango, Lobiri and Tagbana. Two areas of linguistic analysis will be addressed:
morphology and semantics. In order to account for the language facts observed in the
colour adjectives as they occur in the three languages, descriptive linguistics will be used
as a framework for study. Nature or the human universe is made up of various realities
that are distinguished from each other by their colour or hue. These colours are used to
describe objects in nature on the one hand and in human creation on the other. When

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 85


Les adjectifs de couleur dans quelques langues gur : une analyse morphologique et sémantique

colour is used to describe one object in relation to another, it is called a colour adjective.
In terms of form and depending on the language, colour adjectives are rendered by simple
or complex signifiers. In the three languages analysed here, the aim is to highlight the
different forms of signifiers used to designate the colour of natural or human constituents.
Furthermore, this work aims to show that from the same signifier, the signified of a colour
adjective can refer to distinct semantic properties.

Keywords: colour, adjective, morphology, semantics, Gur language.

Introduction
La première grammaire de la langue grecque est constituée par les Alexandrins dans le
cadre de la Bibliothèque d'Alexandrie et de Musée. Cette grammaire fait suite à l'apparition
des premières dénominations des parties du discours introduites par des non spécialistes de la
grammaire du grec au IVème siècle av. J.C. Elle se propose de sortir de propos philosophiques
pour être une véritable grammaire linguistique. C'est dans ce contexte qu’est mis en place un
modèle de grammaire comportant huit classes de mots : le nom, le verbe, la conjonction, la
préposition, le participe, l'adverbe et le pronom (D. C. Guitart, 2003). Dans cette grammaire,
on remarque l'absence de l'adjectif, considéré comme une subdivision du nom. C'est à partir
du Moyen Age, en 1492 que l'on distingue dix parties du discours parmi lesquelles l'adjectif.
Cette position va être confortée dans la grammaire de Port-Royal (1660). Si dans les langues
indo-européennes le statut grammatical de l'adjectif est établi par la grammaire traditionnelle,
son étude reste cependant confrontée à de nombreuses difficultés dans les langues africaines.
D'ailleurs, la littérature linguistique africaine révèle peu d'études consacrées à cette catégorie.
Et pour cause, les travaux portant sur les catégories lexicales se répartissent en deux groupes.
D’une part, le nom et le verbe sont considérés comme les seules catégories fondamentales et
d’autre part, les deux catégories sont mises sur un pied d’égalité avec l’adjectif, l’adverbe et
les adposition (D. Creissels, 2002). Cependant, malgré cet imbroglio, l'adjectif continue
à susciter un grand intérêt et demeure l'une des priorités de la grammaire en général et un
défi majeur pour les linguistes africains en particulier. L'étude envisagée ici, à travers le sujet
"Les adjectifs de couleur dans quelques langues gur de Côte d'Ivoire: une analyse
morphologique et sémantique", se veut une contribution aux importants travaux antérieurs sur
la description de l'adjectif D. Creisseils (2002), O. K. Yéo (2020), J. S. Sib et O. K. Yéo
(2019), E. A. K. Kra (2007). Elle vise à mettre en lumière les propriétés morphologiques et
sémantiques des adjectifs de couleurs dans ces trois langues. Pour conduire ce travail, trois
axes serviront d'orientation. Il s'agit d'aborder dans un premier temps les aspects théoriques
relatifs au sujet. Cette phase sera suivie de l'étude de la morphologie des adjectifs de couleur
et la dernière partie traitera des propriétés sémantiques des adjectifs de couleur.

0.1. Aspect théorique


Trois langues font l'objet de cette étude. Il s'agit du koulango, du lobiri et du tagbana,
tous issus de la grande famille de langues Gur. En Côte d'Ivoire, le koulango et le lobiri sont
parlés dans la zone Nord-Est. Quant au tagbana, il appartient au groupe de langues sénoufo. Il
est parlé à Katiola dans la région de Hambol au nord de la Côte d'Ivoire. Il existe trois

86 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜085-096


Kouakou Appoh Enoc KRA, Sansan Blaise KAMBIRE & Pascale Gwladys KOUALA

dialectes du tagbana à savoir le cèdààlà, le kàcààlà et le kàcòòlò. Le kàcòòlò est le dialecte qui
fait partie des trois langues de cette étude.
Deux termes nous intéressent ici : il s'agit des mots adjectif et couleur. Dans la
grammaire de Port-Royal (1660), on retrouvait déjà la définition de l'adjectif. Dans cette
grammaire, Arnauld et Lancelot situent l'adjectif parmi « les mots qui signifient les objets des
pensées ». Parmi ces mots, il y a ceux qui signifient les substances et qui sont qualifiés de
« noms substantifs » et ceux qui signifient les accidents, en marquant les sujets auxquels ces
accidents conviennent et qu'on appelle « noms adjectifs » (Port-Royal, 1676:31). Pour
Arnauld et Lancelot, l'adjectif présuppose toujours un nom substantif; ce que Gustave
Guillaume traduit en termes « d’incidence externe ». Cette dépendance a été relevée par
Beauzée (1767) comme l'un des critères pertinents pour distinguer l'adjectif du nom. Les
récentes études consacrées à cette classe de mots s'inscrivent dans le même ordre d'idées et
tentent de rendre plus explicitent la définition de l'adjectif. Selon F-J-M, Noël et C-P, Chapsal
(1886 :91), « L’adjectif est un mot que l’on ajoute au nom pour exprimer les qualités, les diverses
manières d’être des personnes ou des choses désignées par ce nom. » A travers cette définition,
l’adjectif se révèle comme un terme qui sert à préciser l’aspect d’un objet, d’un être ou d’en
indiquer la qualité ou les défauts. Cette approche amène à identifier deux propriétés de
l'adjectif à savoir, la dépendance du substantif et l'assignation d'une qualité à un support ou
une substance (J. Goes, 1993). En effet, l'adjectif n'a pas d'autonomie dans le discours. Il se
définit par son rapport avec un nom. Celui-ci sert de support à l'adjectif et lui donne son
nombre et/ou son genre comme c'est le cas de certaines langues à genre ou à classe par
exemple dans les langues africaines.
La couleur est le deuxième terme qui nous intéresse dans ce travail. Parlant de la
couleur, R. Sève (2009 :7), estime qu’« Il est difficile de définir la couleur. » Cette difficulté en
effet, tient au fait que la notion de couleur s’aborde selon plusieurs approches (artistique,
chimique, physiologique, cognitive). L’approche physiologique de la couleur par exemple,
relie la perception au système visuel. C’est dans cette perspective que Rosenstielh (1924)
inscrit la définition de la notion de couleur. Pour lui, la couleur est la « Qualité de la lumière
que renvoie un objet et qui permet à l’œil de le distinguer des autres objets, indépendamment de
sa nature et de sa forme » (Rosenstielh, 1924 :17). En d'autres termes, la couleur renvoie à une
perception visuelle de l’aspect d’une surface. La couleur permet de distinguer des objets les
uns des autres d’une part et de coder des informations d’autre part. Cette approche est celle
retenue dans le cadre de ce travail. En effet, le système de couleurs en koulango, lobiri et
tagbana se répartit en deux groupes : les couleurs de base et les couleurs nuancées. Au regard
de ce qui est écrit supra, l'adjectif de couleur s'appréhende comme un mot ou groupe de mots
qui dépend d'un nom dont le but est de décrire l'éclat, la teinte ou la pigmentation des objets,
des substances ou des êtres.

0.2. Démarche méthodologique


Ce travail qui aborde les adjectifs de couleur en koulango, en lobiri et en tagbana
s’inscrit dans le cadre de la linguistique descriptive. L’étude se fonde sur la double approche
de la morphologie fonctionnelle et de la sémantique des couleurs. L’approche fonctionnelle
servira de cadre pour rendre compte des comportements morphologiques des adjectifs de

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 87


Les adjectifs de couleur dans quelques langues gur : une analyse morphologique et sémantique

couleurs. L’approche sémantique quant à elle, fait suite aux travaux de A. Zagidullina (2021).
Elle s’appuie sur une démarche socioculturelle de la signification des couleurs qui se base sur
l’analyse des sens dénotatif et connotatif. Pour analyser et vérifier les faits, une enquête a été
menée et a permis la constitution d’un corpus à partir des termes de couleurs. Ce corpus est
composé de données recueillies en koulango, lobiri et en tagbana auprès d’informateurs et ce,
pour les besoins de ce travail. A ces informations fournies par des informateurs, s’ajoutent des
données recueillies dans des travaux existants dans ces langues.

1. Noms de couleurs en koulango, lobiri et tagbana


Dans les cultures koulango, lobi et tagbana, les unités linguistiques utilisées pour
nommer les couleurs se répartissent en deux groupes. Dans le premier, il y a des unités qui
désignent des couleurs basiques ou fondamentales dont l’inventaire est fermé à trois unités
pour chacune des langues. Ces unités sont le noir pour les couleurs froides chromatiques, le
rouge pour les couleurs chaudes chromatiques et le blanc en tant qu’une couleur
intermédiaire. C’est ce qu’on peut observer dans les exemples (1- 4) ci-dessous :
Nom Couleur Langue
hòtóró sɩ̀ɛ̀ lobiri
1. Une voiture rouge kɔ̀rɔ̀ ɲíɛ tagbana
mótóká̰ vá̰jɔ̀ koulango
gólò fíí tagbana
2. jɔ̀l búló lobiri
Un poulet blanc
zı́mjó vúṵ̀ koulango

3. Une feuille jaune fà sɩ̀ɛ̀ lobiri


wɛ́rɛ̀ ɲíɛ́ tagbana
gbɛ́ɛ́ vá̰jɔ̀ koulango

kàsɩ́á wùɔ̀ tabgana


4. Un sac bleu lɔ́ká bír lobiri
bɔ́ɔ́tɔ́ bííkò koulango

Le deuxième groupe de couleurs renferme des unités linguistiques qui réfèrent à des objets ou
des êtres. Ces couleurs sont dites couleurs référentielles. Ces unités linguistiques assimilent
un objet référé à la teinte d’un objet ou d’une réalité naturelle.

2. Morphologie des adjectifs de couleur


2.1. Caractéristiques formelles et fonctionnelles des adjectifs de couleur
Les unités linguistiques désignant les couleurs en koulango, lobiri et tagbana présentent
sur le plan formel, des caractéristiques de l’adjectif qualificatif. En effet, comme le
qualificatif, les termes de couleur sont des formes adjectivales dont la base est constituée d’un
lexème verbo-nominal-adjectival qui respecte l’accord de classe et de nombre en koulango et
tagbana et opère une distinction de nombre (singulier et pluriel) en lobiri. Voyons ces
phénomènes dans ce qui suit :

88 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜085-096


Kouakou Appoh Enoc KRA, Sansan Blaise KAMBIRE & Pascale Gwladys KOUALA

En lobiri :
SG PL
5. tɩ̰ ́ « vieux » tʰɩ́ná̰
cɔ tɩ̰ ́ « une vielle maison » cɔ tɩ̰ ́ná̰ « des vielles maisons »
6. bír « noir » bírǝ́
nà bír « un poulet noir » nà bírǝ́ « des bœufs noirs »
7. búló « blanc » búlosɷ̀nɔ̰̀
tòdá búló « un habit rouge » tòdá búlósɷ̀nɔ̰̀ « des habits blancs

En tagbana:
8. kasɩa ki wuɔ kasɩara ti wuɔrɔ
Sac SG CL. noir > Sac PL CL Noir PL
Un sac noir Des sacs noirs

9. goolo wi wuɔ gwolo pe wuɔrɔ


poulet CL. noir > Poulet PL CL Noir PL
Un poulet noir Des poulets noirs

En koulango :
10. bɔ́ɔ́tɔ́ bííkò bɔ́ɔ́tɔ́ɷ̰́ bı́ı́n
sac SG noir SG > sac PL noir PL
Un sac noir Des sacs noirs

11. jɛ́rɛ́ bíírò jɛ́bɔ́ bííbò


Femme SG Noir SG > Femme PL Noir PL
Une femme noire Des femmes noires

Outre le fait que les adjectifs de couleur se présentent sous des formes simples et
complexes, il est possible, à l’instar des adjectifs qualificatifs, de dériver un syntagme
adjectival désignant une couleur à partir des bases verbo-nomino-adjectivales, comme c’est le
cas en lobiri :

Base verbo-nomino-adjectivale Adjectif qualificatif Syntagme adjectival


12. bír « être noir » nɛ́fá bír « une chaussure dà bír « la noire »
noire »
13. búló « être saint » ɲɩ̰ ́ búló « esprit saint » dà búló « le blanc »
14. sìɛ̀ « être rouge » fà sìɛ̀ « feuille rouge » dà sɩ̀ɛ̀ « le rouge »

Au niveau fonctionnel, les adjectifs de couleur entretiennent avec le nom un rapport


syntagmatique de fonction qualificative et dont la relation s’établit selon la structure suivante :
QUALIFIE + QUALIFIANT. La position de qualifié est occupée par un nominal substantif et
celle de qualifiant est occupée par le terme de couleur, tel qu’illustré dans l’exemple (15) ci-
dessous :

15. kàsɩ́á wùɔ̀


sac bleu

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 89


Les adjectifs de couleur dans quelques langues gur : une analyse morphologique et sémantique

Un sac bleu

2.2. Adjectifs de couleur simples


Les adjectifs de couleur simples sont des termes constitués de radicaux
indécomposables. En koulango, lobiri et tagbana, ces termes désignent en général les couleurs
fondamentales. Illustrons les faits à travers les exemples (16), (17) et (18) :
En lobiri :
16. nà bír
boeuf noir
Un bœuf noir

17. tòdá búló


chemise Blanc
Une chemise blanche

18. jɔ̀l sɩ̀ɛ̀


poulet rouge
Un poulet rouge

En tagbana :
19. wɛ́rɛ̀ ɲíɛ́
Feuille jaune
Une feuille jaune

20. kàsɩ́á wùɔ̀


Sac bleu
Un sac bleu

21. gólò fíí


Poulet blanc
Un poulet blanc

En koulango :
22. dátáɡá bííkò
pagne noir
Un pagne noir

23. dátáɡá vá̰jɔ̀


pagne rouge
Un pagne rouge

24. dátáɡá vṵ́ŋò


pagne blanc
Un pagne blanc

90 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜085-096


Kouakou Appoh Enoc KRA, Sansan Blaise KAMBIRE & Pascale Gwladys KOUALA

2.3. Adjectifs de couleur dérivés


Le système des couleurs dans les langues gur distingue les adjectifs de couleurs dérivés
des adjectifs de couleurs simples. Ces adjectifs de couleurs désignent des noms d’objets réels.
Le processus de dérivation s’opère de diverses manières. D’une part, il s’effectue par référence
à la teinte d’un objet. En effet, les couleurs peuvent être dérivées à partir de noms d’objets ou
des phénomènes naturels dans les langues gur. Dans ces cas de figures, pour nommer une
couleur on l’identifie à un objet en lui attribuant sa teinte.

25. wróò kí ɲiɛ̰́ kásíɛ̰́ ní gé


moisissure il être cour dans la
Il y a de la moisissure dans la cour.

En tagbana, le terme « wróò » en (25) pris de façon isolée ne désigne pas la couleur mais un
phénomène réel de la nature alors qu’en (26), associé à un nom il renvoie à la couleur verte
qui est la teinte de la moisissure.

26. wɛ̀rɛ̀ wróò


feuille moisissure
Feuille verte

D’autre part, la dérivation des couleurs peut s’effectuer par référence à la teinte des
objets ou des êtres au moyen des termes de comparaison. Ici, on assimile l’objet à nommer à la
couleur d’un objet auquel on se réfère. Illustrons tous ces phénomènes à travers les exemples
(27), (28) et (29) ci-après :

En lobiri :
27. cı̰ ̀cı̰ ́n bíré hò fà
habit noir ressembler feuille
Lit. Un habit est noir comme une feuille
Lib Un habit vert

En tagbana :

28. nà̰ kà̰ kàsɩ́á ɲɩ̀ɛ̀ nɛ̰ ̀ gàfàhlɛ̀


moi donner sac SG rouge Comparatif antilope SG
Lit. Donne-moi le sac rouge comme l’antilope
Lib. Donne-moi le sac marron.

En koulango

29. ɡbɛ́ɛ́ búrúɡò


feuille non-mûr
Lit. : « une feuille non-mûre
Lib. : « une feuille verte »

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 91


Les adjectifs de couleur dans quelques langues gur : une analyse morphologique et sémantique

Les adjectifs de couleurs dérivés se forment à partir des couleurs fondamentales


auxquelles il est joint le référé grâce à un morphème de comparaison. Ces couleurs
assimilatrices concernent les couleurs dites chromatiques. Ainsi, le noir sert de base à la
formation des couleurs froides, le rouge permet de former les couleurs chaudes.

2.3. Adjectifs de couleur suivis d'idéophone


L’idéophone est un terme employé pour la première fois par Doke (1935), pour décrire
des formes expressives dans la tradition orale. Il se définit comme une représentation vivante
d’une idée, d’un son ; c’est un mot souvent onomatopéique qui sert à décrire un prédicat, un
qualificatif ou un adverbe en tenant compte de la manière, le son, l’odeur, l’action, l’état ou
l’intensité (Doke, 1935 :118). En linguistique, l’idéophone fait partie des mécanismes de
création lexicale. Les langues s’en servent pour enrichir leur stock lexical. Dans les langues
gur, il est possible de nommer un adjectif de couleur en faisant suivre les termes de couleurs
fondamentales d’un terme idéophonique. C’est le cas du lobiri et du koulango. Proposons les
exemples (30-36) en guise d’illustration :

En lobiri :
30. tòdá sɩ̀ɛ̀ ɂɩ̀mɩ̀mɩ̀
habit rouge IDEO
Un habit cramoisi

31. kpɛ̀ sɩ̀ɛ̀ kʰàlà kʰàlà


chapeau rouge IDEO
Un chapeau pourpre

32. ló̰ bír Ɉìlǝ̀ Ɉìlǝ̀


Porte noir IDEO
Une porte grise

33. lɔ́ká búló ká̰fà̰rà̰


sac blanc IDEO
Un sac belge

En koulango

34. bɔ̀ tɔ̀ɡɔ̀ sɩ́ɩ́ kpɩ́rɩ́kpɩ́rɩ́


Poss. peau Acc.+noircir IDEO
Sa peau est extrêmement noire

35. bɔ̀ tɔ̀ɡɔ̀ bá̰ pɩ̰ ́pɩ̰ ́


Poss. peau Acc.+rougir IDEO
Sa peau est extrêmement rouge
36. bɔ̀ tɔ̀ɡɔ̀ vɷ̰́ɩ̰ ́ prúprú
Poss. peau Acc.+blanchir IDEO
Sa peau est extrêmement blanche

92 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜085-096


Kouakou Appoh Enoc KRA, Sansan Blaise KAMBIRE & Pascale Gwladys KOUALA

3. Sémantique des adjectifs de couleur


Dans toutes les sociétés, les couleurs jouent un rôle très important dans la perception
visuelle des objets. En effet, il est difficile pour l’homme de distinguer des objets de son
environnement sans la couleur. Vu sous cet angle, on peut arguer que la couleur participe à la
construction du champ sémantique d’une langue. En fonction des réalités socioculturelles, les
langues disposent d’unités diverses pour nommer les couleurs. Celles-ci peuvent recouvrir des
propriétés sémantiques distinctes. Dans cette section, nous traitons, les adjectifs de couleur
d’un point de vue sémantique respectivement en leur sens dénoté et connoté.

3.1. Sens dénoté de l’adjectif de couleur


La dénotation est la désignation de ce à quoi un signe fait référence. Parler du sens
dénoté d’un signe c’est se référer à son sens stable, son sens non-subjectif, analysable hors du
discours. On parle également du sens dépourvu de toutes allusions culturelles, admis sans
aucune interprétation et inscrit dans le code linguistique que tous les locuteurs d’une même
langue ont en partage. Il existe dans toutes les langues des universaux en termes de couleurs.
Dans les trois langues gur à l’étude à savoir, le koulango, le lobiri et le tagbana, les lexèmes de
couleurs de base désignent des réalités partagées par les locuteurs de chaque langue. Les
adjectifs de couleurs sont utilisés pour refléter des faits réels. Ainsi, en tagbana, un objet de
teinte rouge l’est aussi en koulango et en lobiri. Aucun locuteur du koulango ne peut désigner
par une couleur noire du sang par exemple reconnu comme rouge par les locuteurs lobiri et
tagbana. Ainsi, les adjectifs de couleurs proposés en (37), (38) et (39) ci-dessous
respectivement en lobiri, koulango et en tagbana dénotent les réalités suivantes :

37. nɛ́fá sɩ̀ɛ̀ « une chaussure rouge » : dénote un objet que l’on porte au pied et qui est
en rapport avec le sang, le feu, le soleil en termes
de couleur.
38. ná̰ bríígò « un bœuf noir » : dénote un boviné dont la teinte a trait à la nuit,
l’obscurité.
39. kàsɩ́á fíí « un sac blanc » : dénote un objet ni rouge ni noir.
Dans le vécu des locuteurs koulango, lobiri et tagbana, la couleur noire dénote des faits
réels qui ont trait à l’obscurité. Elle est représentative des couleurs dites froides (une feuille
verte, une personne de teint noir…). La couleur rouge quant à elle, reflète le sang, le feu ou le
soleil. Celle-ci représente toutes les couleurs chaudes (farine jaune, un chien roux). En ce qui
concerne la couleur blanche, elle fait référence à une teinte qui n’est ni rouge ni noire.

3.2. Sens connotatif de l’adjectif de couleur


S’il est vrai qu’il existe un symbolisme universel dans le système de représentation des
couleurs en gur, notamment en koulango, lobiri et tagbana, il n’en demeure pas moins que des
allusions culturelles peuvent induire diverses autres significations des couleurs dans ces
langues. Ces significations qui viennent s’ajouter au sens non-subjectif sont dites sens connoté
ou connotatif. Le sens connoté d’une couleur est l’interprétation socioculturelle qu’on peut
faire de cette couleur. Inscrit dans le code culturel et linguistique, le sens connoté apparaît
comme une convention culturelle et sociologique. Cette convention émane du vécu, de
l’expérience de chaque individu ou d’un groupe de personnes. Ainsi, ce qui symbolise la

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 93


Les adjectifs de couleur dans quelques langues gur : une analyse morphologique et sémantique

spiritualité chez le peuple Akan par exemple ne l’est pas chez les voltaïques. Tel que perçu, le
sens connotatif d’une couleur est une « signification figurative », une symbolique qui relève
d’un fond socioculturel. Examinons quelques faits pour nous en convaincre.

En lobiri
La couleur noire symbolise :
- la difficulté, problème, malheur,
40. ɂjɩ̀ɛ̀ bìré òlò
visage être noir Ollo
la figure de Ollo est noire
Ollo a des difficultés.

- le manque ou l’absence,
41. ɂà tʰé ɲɛ̰́ bìr
il sortir main PL noir
Il est sorti les mains noires.
Il en est sorti vide.

Le blanc symbolise :
- la bonté, la gentillesse,
42. írí hánánɛ̰̀ háár búló
iri avoir foie blanc
Iri a un foie blanc
Iri est gentille

- l’agonie.
43. kʰódáár càr jí búló
malade ouvrir œil PL blanc
Le malade a ouvert des yeux blancs
Le malade est agonisant/ mourant

En tagbana
La couleur blanche est le symbole de :
- la générosité, la bonté,
44. kátɩ́náŋ wɩ́ làm pɩ́ fɩ̀ɩ̀
katinan Cl. entrailles cl. blanc
Kitinan a des entrailles blanches
Katinan est généreux/gentil.

En koulango
Le blanc symbolise :
- l’innocence, la franchise.
45. kùmà̰ bɔ̀ mı̰ ̀ɲò vɷ̰́ɩ̰ ̀
Kouman Poss. intérieur blanchir
Kouman est innocent.

94 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜085-096


Kouakou Appoh Enoc KRA, Sansan Blaise KAMBIRE & Pascale Gwladys KOUALA

Conclusion
Le propos de cet article est d’appréhender les comportements morphologiques et les
caractéristiques sémantiques des adjectifs de couleur dans les langues Gur. Cette
préoccupation nous a amené à analyser des faits de langue en koulango, lobiri et tagbana.
L’analyse révèle que les adjectifs de couleurs ont des propriétés morphologiques et
sémantiques diverses. Sur le plan morphologique, les adjectifs de couleur dans ces trois
langues se caractérisent par des propriétés formelles et fonctionnelles qui s’identifient à celles
de l’adjectif qualificatif. Ils respectent l’accord de classe, de genre et de nombre, l’un des
traits définitoires des langues gur. Ces trois langues distinguent des adjectifs de couleur
simples (qui sont les couleurs fondamentales) des adjectifs de couleurs complexes (des
couleurs nuancées ou référentielles). D’un point de vue fonctionnel, ils entretiennent avec le
nom auquel ils se rattachent une relation syntagmatique de fonction qualificative.
Sémantiquement, les adjectifs de couleurs recouvrent des réalités sémantiques distinctes. Il
existe dans ces trois langues des universaux en termes de signification. Il s’agit du sens
dénotatif des adjectifs de couleur. Ce sens renvoie aux aspects de l’apparence visuelle des
adjectifs de couleur. Aussi, en fonction des associations mentales que chaque peuple ou
individu fait de la couleur, il peut en avoir diverses interprétations sémantiques selon les
langues.

Références bibliographiques
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linguistique et langues subsahariennes : actes de colloque, Université Paris III :1-23
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204.pdf

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 95


Les adjectifs de couleur dans quelques langues gur : une analyse morphologique et sémantique

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96 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜085-096


Lou Yeri Constance MOMO & Kobenan Kra Florent YAO

LES CARACTÉRISTIQUES LINGUISTIQUES DES ONOMATOPÉES ET IDÉOPHONES


EN GOURO ET EN ANGLAIS: UNE ÉTUDE CONTRASTIVE

Lou Yeri Constance MOMO


Université Félix Houphouët Boigny (Abidjan-Cocody), Département des Sciences du
Langage, Ecole Doctorale Communication, Arts, Lettres et Langues (ED-SCALL)
[email protected]
&
Kobenan Kra Florent YAO
Université Félix Houphouët Boigny (Abidjan-Cocody), Département d’Anglais
Ecole Doctorale Communication, Arts, Lettres et Langues (ED-SCALL)
[email protected]

Résumé : L'onomatopée et l’idéophone, fabrications imitatives de mots à partir de sons, sont


des phénomènes courants que l'on retrouve dans toutes les langues du monde. L'étude des
onomatopées et des idéophones est cependant insuffisante au regard d’une perspective
contrastive notamment entre les langues occidentales et Africaines. Compte tenu de son
importance dans le développement du langage, la présente étude fournit un compte rendu
descriptif des onomatopées et des idéophones de deux (2) différentes langues à savoir
l’Anglais et le Gouro. Quelles sont les structures morphologiques et syntaxiques des
Idéophones et onomatopées du gouro et de l’anglais ? Mieux, les structures morphologiques
et syntaxiques des idéophones et onomatopées du gouro sont-elles semblables à celles de
l’anglais ? Cet article met en exergue les structures morphologique et syntaxique des
onomatopées et idéophones de l’Anglais et du Gouro (langue mandé sud de Côte d’Ivoire).
L’objectif est de rendre compte des similitudes et des différences entre ces deux
phénomènes linguistiques. Il a été découvert qu’il existe une relation de similarité
morphosyntaxique élevée entre les onomatopées et les idéophones de l’anglais et du Gouro,
mais aussi il faut noter qu’une différence en partie existe dans certains cas.

Mots-clés : Onomatopées, Idéophones, Gouro, morphologie, structure, syntaxe

LINGUISTIC CHARACTERISTICS OF ONOMATOPOEIA AND IDEOPHONES IN


GOURO AND ENGLISH: A CONTRASTIVE STUDY

Abstract: Onomatopoeia and ideophone can be define as the imitative production of words
from sounds. These phenomena are found in all languages of the world. However, the studies
of onomatopoeia and ideophones are insufficient with regard to a constructive perspective,
especially between western and African languages. Considering its importance in language
development, the present study provides a descriptive account of the onomatopoeias and
ideophones of two (2) different languages namely English and Gouro. Therefore, what are
the linguistic characteristics of ideophones and onomatopoeia in English and Gouro? This
article highlights the morphological and syntactic structure of the onomatopoeia and
ideophones of English and Gouro, a south Mandé language of Côte d'Ivoire. The objective
is to account for the similarities and differences between these two linguistic phenomena. It
was found that there is a high morphosyntax similarity relationship between the English
idiophonic onomatopoeic words and Gouro, but also it should be noted that a difference in
part exists in some cases.

Keywords: Onomatopoeia, Ideophones, Gouro, morphology, structure, syntax

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 97


Les caractéristiques linguistiques des onomatopées et idéophones en gouro et en anglais: une étude contrastive

Introduction
Les mots d’une langue se rangent dans trois catégories, à savoir ; les mots iconiques
(qui se rapporte à l'icône, à l'image en tant que signe.), les mots indexicaux (termes dont la
signification dépend entièrement de certaines caractéristiques du contexte dans lequel ils
sont prononcés.) et les mots symboliques (qui constitue un symbole, repose sur un ou des
symbole(s). La dernière classe constitue la plus importante dans la mesure où la plupart des
mots dans toutes les langues humaines sont des mots symboliques. Dans ce cas de figure, il
existe une relation arbitraire entre leurs formes et leurs significations. Cependant, les
onomatopées et les idéophones font exception à cette règle. Ils ont un caractère iconique. De
par leur caractère imitatif des sons naturels, la relation entre leurs formes et leurs
significations n'est pas arbitraire. Les investigations sur les idéophones et les onomatopées
que l’on trouve dans la langue anglaise sont récents (Diffloth, 1972). Dans la même
perspective de recherche, il est important de préciser que ces phénomènes linguistiques sont
en perpétuelle évolution. Tout comme le système linguistique entier, les idéophones et les
onomatopées subissent le même principe d’évolution linguistique, (F. de Saussure, 1959).
Cela prouve que les mots renferment des idées ou connaissances qui participent à la
communication à proprement dite. Par conséquence, les idéophones et onomatopées
concourent au partage d’un certain nombre d’idées et de connaissances. Mais la description
des autres catégories grammaticales participe aussi à la compréhension des langues. Cette
étude permettra de mieux distinguer les onomatopées des idéophones mais aussi, de
contribuer à une bonne compréhension des langues pour permettre des échanges ou partages
de connaissances telles que la traduction de faits ou des cultures dans le domaine
cinématographique par exemple. De nos jours, avec le développement des technologies de
l'information, l’accès électronique des éléments catalyseur de développement, les savoir-
faire étrangers sont devenus plus accessibles aux personnes d'autres pays. Grâce à l'accès
facile à Internet dans la plupart des pays du monde, les connaissances et mode de vie sont
partagés à travers le monde. Ces connaissances (sciences) et mode de vie (cultures) sont
transmis à travers des œuvres littéraires et cinématographiques étrangères. Le partage et la
compréhension totale de ces connaissances mettent donc en exergue le statut important de
la « traduction/interprétariat ». Dans cette perspective, il est à noter que l'une des
spécificités langagières omniprésentes dans les œuvres artistiques anglaises qui sont sources
de difficultés de traduction/interprétariat est le phénomène des « idéophones et onomatopées
». Les éléments de réponses de cette étude contrastive pourront donc aider à la
compréhension maximale des langues, en mettant en lumière les caractéristiques,
morphologiques et syntaxiques des idéophones et des onomatopées en gouro et en anglais.
Surtout que les langues s’entre-clairent les unes les autres (H. Adamczewski 1982). Ainsi,
la difficulté des traducteurs ou interprètes sera réduite lorsqu’il s’agira de traduire les mots
onomatopéiques et idéophoniques des savoirs anglophones pour des populations africaines
(le cas du Gouro).

1. Problématique
L’étude de ces mots (onomatopées et idéophones) peut paraître, à première vue,
dépourvue de sens; car parfois l’on les assimile au divertissement. En effet, pour certains ils
n’en valent pas la peine d’être sujet de recherche scientifique. Cependant, on ne peut ignorer
l’importance de ces mots qui sont très souvent plus expressifs que des noms, des verbes, des
adjectifs, des adverbes, etc. Nous nous intéressons donc aux idéophones et aux onomatopées

98 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜097-108


Lou Yeri Constance MOMO & Kobenan Kra Florent YAO

pour mettre en lumière les caractéristiques morphologiques et syntaxiques des idéophones


et onomatopées de l’anglais et du Gouro en particulier.
La littérature sur les idéophones et les onomatopées nous a permis de réaliser que toutes les
langues du monde renferment des onomatopées et que les idéophones sont presque typiques
qu’aux langues africaines, (Doke 1935). Si pour certains auteurs, l’onomatopée et
l’idéophone renvoient à la même notion ou réalité́ linguistique, d’autres soutiennent qu’ils
sont distincts. Ayant constaté la quasi inexistence de telles études (études comparatives) sur
l’Anglais et le Gouro, nous avons voulu explorer ce domaine très peu exploité. Dès lors, notre
objectif est de étudier leurs manifestations à travers leurs caractéristiques morphologiques
et syntaxiques. Le problème que nous tentons de résoudre peut se résumer en cette
interrogation : quelles sont les caractéristiques morphologiques et syntaxiques des
idéophones et des onomatopées en anglais et en gouro ? L’objectif visé est de décrire les
idéophones et onomatopées de l’anglais et du gouro puis comparer morphologiquement et
syntaxiquement leurs caractéristiques. Pour certains auteurs comme Leibniz (2000) cité par
Danguolė Melnikienė (2016), l’onomatopée est à l’origine du langage alors que pour d’autres
penseurs comme Otto Jespersen (1976) cité par Danguolè M. (2016), l’onomatopée n’est pas
à l’origine du langage, mais reste plutôt un moyen d’enrichissement du stock lexical de la
langue. Solange Bernard-Thierry (1960), dans son étude sur les onomatopées en Malgache,
rejette cette pensée de Müller. Elle affirme que si Max Müller a pu dire que l’onomatopée
n’avait cours qu’à l’intérieur de la basse-cour, et que c’est seulement au-delà̀ de son enceinte
que commençait le langage, il n’a pu le penser qu’en fonction d’une langue indo-européenne.
Pour elle, les onomatopées sont à l’origine du langage. Dans la linguistique serbe, tous les
grammairiens et les linguistes serbes sont unanimes sur la définition de l’onomatopée : les
onomatopées sont les imitations sonores : « l’onomatopée représente une formation ou une
combinaison de phonèmes qui ont tendance à reproduire ou imiter un son naturel en donnant
son équivalent acoustique » (Subolic’, Sredojecic’,Bjelakovic’ 2012 :9). Chaque langue
encode différemment les onomatopées. À ce propos, Sierra Soriano (1999 :585) note qu’ :
«on a affaire à une création linguistique qui imite la réalité́ en se soumettant aux règles de
la langue ». De façon générale, l’onomatopée sert à reproduire des sons émis par un objet ou
un animal. Cela soutient la définition générale de l’onomatopée qui postule que les
onomatopées imitent phonétiquement des sons divers de la nature. Comme le dit Luca Nobile
(2014), l’onomatopée est « une imitation phono-articulatoire directe d’évènements sonores».
Le terme d’idéophone employé́ pour la première fois par Doke (1935), est traditionnellement
utilisé pour décrire certaines formes expressives qui font partie de la tradition orale dans les
langues d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie. De par son caractère imitatif, la notion d’idéophone
fait penser à celle d’onomatopée. Cependant un idéophone n’est pas une onomatopée. Un
idéophone est susceptible d’être formé sur l’imitation d’un bruit. Seulement, un idéophone
ne tente pas de reproduire le son comme le fait l’onomatopée (Tomimoto et Nishioka
2013:114). A ce sujet, W Samarin (1967, 35-41pp) relève l’équivoque en ces termes :
«l’une des tentatives les plus naïves des idéophones est de les appeler onomatopées ».
Jakobson (1960:33), cité dans (Grégoire 2010:56), atteste aussi que « de nombreux mots
phonétiquement et sémantiquement proches tels que smash (coups dur), lash (coups de
fouet) clash (choc violent), se rapprochent de l’onomatopée, mais il s’agit de ce qui est
communément nommé « Idéophone » dans les langues africaines et en anglais notamment »,
(Jakobson 1960 :33, cité dans Grégoire 2010 :56). Comme un idéophone ne cherche pas à
reproduire un bruit ou un son, il n’est pas une onomatopée, néanmoins certains idéophones
tirent leur origine d’une onomatopée. Georges Mounin (1978) écrit dans ce contexte que «

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 99


Les caractéristiques linguistiques des onomatopées et idéophones en gouro et en anglais: une étude contrastive

l’idéophone est un terme qui dénote un bruit existant dans la nature et dont les sonorités
imitent l’expérience acoustique dénotée. Il constitue toujours une imitation approximative,
donc relativement arbitraire ». Les idéophones définissent une représentation vive d’une
idée par un son ou un bruit. En effet l’idéophone est une catégorie de mot visant à rendre
(visible, physique) une sensation ou une perception, une idée, voire un mouvement en dépit
de son effet sonore. Quant à l’onomatopée c’est un mot imitant ou prétendant imiter par le
langage articulé, un bruit naturel (humain, animal). Ce sont des mots dont la forme ressemble
à l’objet qu’ils désignent. La distinction entre onomatopées et interjection n’est
malheureusement pas nette. Toutefois, ils sont classés comme catégorie au sein des
interjections, (Estela Klett, 2020).

2. Cadre théorique
Pour mener à bien notre étude, nous nous sommes appuyés sur le cadre théorique
fonctionnaliste dans la mesure où nous avons utilisé́ les outils et concepts opératoires de ce
dernier. La pensée fonctionnaliste d’André́ Martinet (1908-1999) se situe dans la droite
ligne du structuralisme européen élaboré́ par Saussure et, dans la perspective fonctionnelle,
par le Cercle linguistique de Prague, en particulier à travers les travaux de Troubetskoï.
Martinet a commencé́ par des recherches sur l’indo-européen et la phonologie puis a étendu
son travail à la linguistique générale. Bien qu’il n’ait pas proposé de modèle linguistique
général (comme celui de Chomsky par exemple), l’ensemble de ses travaux constitue
cependant une théorie, dans le cadre d’une linguistique fonctionnelle. Martinet veut
pratiquer une linguistique à la fois objective (en refusant de s’appuyer sur le sentiment
linguistique, ou l’intuition psychologiste) et échappant au formalisme voire au dogmatisme.
Le principe théorique de base de la linguistique de Martinet est sa définition de la langue
comme « instrument de communication doublement articulé et de la manifestation vocale »
(1991 :20). Martinet donne une définition synthétique à la perspective fonctionnelle de ses
travaux, dans Fonction et dynamique des langues(1989) : « le terme de fonctionnel y est pris
au sens le plus courant du terme et implique que les énoncés langagiers sont analysés en
référence à la façon dont ils contribuent au processus de la communication ». Le choix du
point de vue fonctionnel dérive de la conviction que toute recherche scientifique se fonde
sur l’établissement d’une pertinence et que c’est la pertinence communicative qui permet de
mieux comprendre la nature et la dynamique du langage. Tous les traits langagiers seront
donc, en priorité́, dégagés et classés en référence au rôle qu’ils jouent dans la communication
de l’information » (1989 :53).

3. Méthodologique
L’enquête de terrain avait pour objectif de rassembler le maximum d’informations
sur les idéophones et onomatopées en pays gouro. Ces données se subdivisent en deux types
de sous-corpus : un écologique et un autre non écologique. La première classe concerne les
onomatopées de la langue Gouro où des interlocuteurs natifs ont été interviewés. La seconde
catégorie s’est basée sur des onomatopées et idéophones recueillis sur internet, dans des
bandes dessinées etc. Ainsi, pour cette étude, nous avons établi une liste non exhaustive qui
représente un échantillon de l’utilisation des idéophones et onomatopées au quotidien du
Gouro. Le corpus est constitué́ de (160) items, comportant 80 onomatopées et 80 idéophones
du Gouro et de l’anglais. Les (160) mots onomatopéiques et idéophoniques Gouro et anglais
ont été choisis après avoir préparé plusieurs listes des mots onomatopéiques universels dans
leur classe à partir de différents sites Web et dictionnaires ; et il était important pour nous

100 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜097-108


Lou Yeri Constance MOMO & Kobenan Kra Florent YAO

de sélectionner des mots onomatopéique anglais familier et pour les locuteurs natifs du
gouro. Les données onomatopéiques collectées peuvent être scindées en quatre (04) groupes
à savoir ; les cris des animaux, les bruits de la nature, les sons produits par les hommes, et
les divers sons. Les idéophones se situent dans la représentation vive d’une idée par un son
ou un bruit. Les items idéophoniques choisis ici rendent (visible, physique) une sensation
ou une perception, une idée, voire un mouvement en dépit de son effet sonore. Les items
choisis sont des unités qui se réfèrent à des éléments que l’on peut trouver dans les deux
contextes linguistiques (Anglais et Gouro) tels que des animaux, des faits ou autres éléments
universels.

4. Analyses et résultats
Il s’agit dans cette partie d’analyser les structures morphologiques et syntaxiques
des onomatopées du gouro et de l’anglais puis de présenter le résultat à la suite de l’analyse
des caractéristiques linguistiques des deux langues.

4.1 Analyse Morphologique des Onomatopées et Idéophones


La morphologie est l’étude de la forme et de la formation des mots. Elle est l’étude
des formes ou des parties du discours, de leurs formes, de leurs fonctions et de la formation
des mots ou la dérivation. Dans cette partie, nous mettrons en exergue la ou les structure(s)
sous lesquelles se présente les idéophones et onomatopées des deux langues.

-Unités simples
On entend par unités simples, les mots indécomposables ; les lexèmes qui ont une
autonomie morphologique et sémantique.
Les idéophones concernés à ce niveau sont ceux qui consistent en une seule syllabe.
On peut observer ci-après, quelques exemples. Les idéophones sont marqués par la couleur
rouge.
(1a)
fú: « très blanc »
(1a’)
[ɡɔ̄lɛ̄ sɩ́ɛ́ ā fú:]
/ ɡɔ̄lɛ̄ sɩ́ɛ́ ā fú:/
/Golé/dents/Aux/blanc-blanc/
« Les dents de Golé sont très blanches. »
(1b)
Kick / kIk /
« Expression qui fait référence à de nouvelles chaussures. L’item à lui seul met en exergue
la qualité de chaussures généralement utilisé pour aller à l’école ». Dans les exemples ci-
dessus (1a’ et 1b), les idéophones traduisent l’idée de la qualité, l’état d’une personne ou
d’une chose. En gouro comme en anglais, il existe des idéophones de deux (2) syllabes.
Cette structure syllabique est fréquemment utilisée par les locuteurs de ces deux langues.
Les exemples ci-après en sont une illustration:

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 101


Les caractéristiques linguistiques des onomatopées et idéophones en gouro et en anglais: une étude contrastive

(2a)
ɟóɟró « très long »
(2a’)
[nɛ̰̄ ā ɟóɟró]
/nɛ̰̄ ā ɟóɟró/
/enfant/Aux/très long/
« L’enfant est très grand de taille »
(2b)
Zigzag / zIgzæg /

Faisant référence à quelque chose ayant la forme ou le caractère d'une série de courbe en
serpenté.
(2b’)
« A zigzag road (une route en zigzag) »

Ces idéophones dissyllabiques pris en exemple ci-haut apportent une intensification ou une
qualité à la qualification d’une personne ou d’une chose. On n’a donc l’impression de faire
face à des adjectifs avec ces items dissyllabiques. Aussi, tout comme les idéophones, il existe
des onomatopées d’une et de deux syllabe(s) qui jouent les mêmes rôles. A l’instar des
idéophones monosyllabiques, les onomatopées sont constituées également d’une seule
syllabe. Les onomatopées sont marquées en bleu. Observons les exemples ci-
dessous :
(3a)
vrɔ̀ « Bruit d’un coup de poing »
(4a)
kplà « chute d’une petite branche. »

(3b)
Bong /bɒŋ/
« une chute brusque d’un objet «(bruit) »
(4b)
Boom /bu:m/ « bruit d’une explosion »

Dans les exemples ci-dessus, les monosyllabes imitent le son soit d’une chute, soit
d’une explosion. Ce son montre que l’action imitée est brusque et brève. Les mots d’une
syllabe, dans les onomatopées, sont marqués par des voyelles postérieures brèves telles que
(3a et b et 4a et b). Les onomatopées dites « dissyllabiques » sont constituées de deux
syllabes. En gouro tout comme en Anglais, il existe des onomatopées de deux syllabes.
Voyons la série d’exemples présentées ci-dessous :

(5a) cwɛ́cwɛ́ « mange trop »


(6a) cíbá «cri d’étonnement »
(7a) ɡbùɡbù « frapper à la porte »
(5b) Bang-bang / bæŋ - bæŋ /
« frapper à la porte »
(6b) Bum-bum /bʌm - bʌm/
« un cœur qui bat »

102 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜097-108


Lou Yeri Constance MOMO & Kobenan Kra Florent YAO

Les onomatopées mentionnées plus haut sont l’expression d’une action produite avec
puissance et dynamisme. Au regard des exemples (5a, et 7a), on remarque un redoublement
de la première syllabe. Quant aux exemples anglais (5b et 6b), ils se forment de la même
manière que ceux cités plus haut ; mais à la différence de ceux-ci, l’on marque une pause
après la prononciation de la première syllabe.

4.2 Les unités complexes


Il s’agit des mots décomposables en unités minimales significatives. Certaines unités
complexes sont obtenues par allongement de la voyelle de la dernière syllabe, d’autres par
redoublement d’unités simples, et d’autres encore par redoublement suivi de suffixation.

-Les unités complexes idéophoniques


Nous décrivons ici, dans un premier temps la dérivation comme unités complexes,
dans un second temps les idéophones avec allongement de la voyelle finale et dans un
troisième temps les unités trisyllabiques.

-La Dérivation
La dérivation est un procédé de formation de nouveaux mots. Elle se fait soit par
l’adjonction d’un affixe à une base lexicale, soit par le redoublement. La dérivation se fait
de plusieurs manières tel que nous le démontrent les exemples ci-après : le redoublement
simple des deux premières syllabes du mot. Les mots de plusieurs syllabes sont formés par
le redoublement d’un mot de deux syllabes. La forme redoublée garde son sens d’origine
avec un accent particulier qui consiste en une accentuation. Les exemples ci-après en
donnent un aperçu.

(8a) [líá óó è ā ɲɛ̰̄nɛ̰̄ɲɛ̰̄ nɛ̰̄ ]


/líá óó è ā ɲɛ̰̄nɛ̰̄ɲɛ̰̄ nɛ̰̄ /
/médicament/défini/3Sg/Aux/amer –amer/
« Le médicament est très amer. »
(9a) [è táó dùɡládùɡlá]
/è táó dùɡládùɡlá/
/3Sg/marcher.Inacc/éléphant/
« Elle est très grosse et lourde. »
(8b) Plop, plop, fizz, fizz

« bruit que fait un comprimé effervescent dans l’eau (cet idéophone est le slogan d'Alka
Seltzer une marque de comprimé effervescent) ». Dans les exemples (8a), (9a) et (8b) les
premières syllabes sont redoublées et le redoublement de ces premières syllabes ne change
en rien le sens des unités de départ.Dans l’exemple (9a), l’unité dissyllabique [dùɡlá] a été
redoublée pour obtenir la forme dérivée [dùɡládùɡlá]. Cette forme redoublée garde toujours
son sens premier. L’idéophone [dùɡlá] renvoie à la démarche de l’éléphant qui est un animal
de grande taille et d’une masse imposante. Cette personne qui marche est grosse et lourde
d’où une démarche similaire à celle d’un éléphant. Dans l’exemple (8b) les unités doublées
permettent de reproduire le bruit que fait un comprimé effervescent dans l’eau. Certains
idéophones sont également obtenus par la réduplication intégrale de la ou des syllabes qui
compose(nt) le radical avant d’ajouter un suffixe.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 103


Les caractéristiques linguistiques des onomatopées et idéophones en gouro et en anglais: une étude contrastive

-Les unités complexes onomatopéiques


Nous décrivons comme unités complexes, les onomatopées trissyllabiques (formées
à partir de trois syllabes).

-Les onomatopées trisyllabiques


Dans les onomatopées, on rencontre des unités trisyllabiques homovocaliques. Les
mots de trois syllabes, lorsqu’ils sont privés de la dernière syllabe, peuvent, soit perdre leur
sens de départ, soit le garder. Voyons la série d’exemples ci-après :
(10a) [kā bɛ̄ ɟɛ̄ pōpōpō]
/kā bɛ̄ ɟɛ̄ pōpōpō/
/2Pl/ main/frapper/ bruit d’acclamation relatif à l’énergie/
« Acclamez chaleureusement!! »

(11a) [è jɔ̰́mā̰ ɡbàɡbàɡbà]


/è jɔ̰́mā̰ ɡbàɡbàɡbà/
/3Sg/trembler.Inacc/bruit/
« Elle grelote excessivement »
(10b)
Splash-splash-Sploosh
« faire un bruit d'éclaboussure répété »
(11b)
squeak-squeak /skwi:k- skwi:k/
“He always squeak”
« Il passe son temps à couiner »

Dans les exemples (10a et b) et (11a et b), la reprise de la première syllabe traduit l’idée
d’insistance du bruit de l’ovation, du grelottement ou de bruit que l’on produit ou émet avec
insistance. La suppression des dernières syllabes ne change pas le sens de l’expression.
L’analyse morphologique mise en lumière dans cette partie a permis de révéler les
caractéristiques morphologiques des idéophones et des onomatopées en gouro et en anglais.
La formation des idéophones et des onomatopées utilise bien les trois types de syllabe V, CV
et CCV de la langue. Leur combinaison permet de former des unités simples et des unités
complexes. Dans ces unités complexes, on remarque la présence de phénomènes comme la
réduplication partielle ou totale, la suffixation de dérivatif à une base simple ou redoublée.

5. Analyse syntaxique des idéophones et onomatopées des deux langues


Il est question de ressortir les différentes fonctions qu’assument les idéophones et
onomatopées dans les phrases.

5.1 La fonction syntaxique des idéophones


Les idéophones assument diverses fonctions dans la phrase telle que la fonction
adverbiale, adjectivale et même verbales.

104 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜097-108


Lou Yeri Constance MOMO & Kobenan Kra Florent YAO

(12a) [è dā bélī tútá]


/è dā bélī tútá/
/3Sg/venir. ACC/matin/tôt/
« Elle est venue très tard la nuit. »

(13a) [boti ā bāví]


/ boti ā bāví/
/boti/Aux/très large/
« Boti est obèse. »
(12b) I zigged when I should have zagged
« J’allais dans un sens alors que j’aurais dû aller dans l’autre »

(13b) You sound kind of blah


vous avez un peu le cafard

(13c) We had kind of a blah time


« Nous avons passé un peu de temps »

En (12a), l’idéophone [tútá] joue le rôle d’un adverbe. Quand à (12b) les idéophones « zig »
et « zag » jouent le rôle de verbe. L’exemple (13a) joue le rôle d’un adjectif tandis qu’en
(13b), l’item « blah » joue le rôle d’un adverbe. Tout comme les idéophones qui jouent divers
rôles dans les phrases, les onomatopées quant à elles, assument des rôles dans les phrases.

5.2 La fonction syntaxique des onomatopées


En analysant les exemples ci-dessous, nous remarquons que les onomatopées en
position de sujet dans la phrase fonctionnent comme des noms. Cela leur confère un emploi
nominal comme l’atteste l’exemple (14a et 15a).
(14a) [kpɛ̰́já̰ nṵ̄ ɡù]
/kpɛ̰́já̰ nṵ̄ ɡù/
Poussin/ Pl/ aller/
« Les poussins sont partis. »

(15a) [kɔ̰́cɛ̰́kɔ̰́cɛ̰́ sōlɷ̄ gā cɔ̄ɷ́]


/kɔ̰́cɛ̰́kɔ̰́cɛ̰́ sōlɷ̄ gā cɔ̄ɷ́/
/cri de pintade.Acc/aujourd’hui/
« Cinq pintades sont mortes aujourd’hui. »

(14b)
Big Bang
Une/la grande explosion

(14c)
Meowing: En miaulant
(14d)
to tweet: tweeter

Dans l’exemple (14a et b), l’onomatopée [kɔ̰́cɛ̰́kɔ̰́cɛ̰́] exerce un emploi nominal.


Dans le cas anglais les onomatopées peuvent jouer divers rôles dans les phrases. Ainsi, une
onomatopée peut être un nom « bang » (14b), un participe présent « meowing » (14c) et

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 105


Les caractéristiques linguistiques des onomatopées et idéophones en gouro et en anglais: une étude contrastive

même un infinitif « to tweet » (14d). Les idéophones et onomatopées en gouro et en anglais


assument les fonctions adjectivale, adverbiale et nominale dans la phrase verbale. En Gouro
Lorsque les onomatopées jouent le rôle de syntagme nominal (N) dans la phrase, elles
deviennent des idéophones. Les syntagmes Nominaux des exemples (14a et 15a) ci-dessous
sont en réalité les cris respectifs du poussin et de la perdrix, leur emploi nominal dans les
phrases en position initiale n’imitent plus les cris émis par ces animaux mais, traduisent une
idée. L’idée selon laquelle les poussins sont partis et que 5 perdrix sont mortes aujourd’hui.

6. Discussion
Les résultats de l’étude contrastive nous ont permis de faire ressortir les points de
ressemblances aux niveaux des structures morphologiques et syntaxiques des idéophones et
onomatopées dans les deux (2) langues, mais aussi, des différences. La formation des
idéophones et des onomatopées en Gouro et anglais utilise bien les trois types de syllabe V,
CV et CCV de la langue. Leur combinaison permet de former des unités simples et des unités
complexes. Dans ces unités complexes, on peut mettre en exergue la présence de
phénomènes comme la réduplication partielle ou totale, la suffixation de dérivatif à une base
simple ou redoublée. Ce phénomène se perçoit aussi dans la formation des idéophones et
onomatopées d’autres langues telle que le Baoulé, (Kouamé Emmanuel: 2015) et du
Japonais Tomimoto et Anna Nishioka (2013). Dans la construction syntaxique, les
idéophones et onomatopées en gouro et en anglais assument les fonctions adjectivale,
adverbiale et nominale dans la phrase verbale. Pour Akita (2013) cité par Mojde Yaqubi
(2018, p206), les onomatopées et idéophones anglais comme plusieurs langues peuvent
assumer presque toutes les fonctions (nominale, adverbiale, adjectivale, verbales) dans une
phrase. Plus loin nous avons découvert que ces types de constructions peuvent être utilisées
comme des énoncées. Pour Bates et al. (1979), MacWhinney (1978), les onomatopées et
idéophones ne sont pas des parties du discours ils sont eux-mêmes des énoncées. De plus,
lorsque les onomatopées jouent le rôle de syntagme nominal dans la phrase, elles peuvent
prendre la forme d’idéophones. « Un idéophone est une dramatisation d'actions ou d'états. "
(Kunene 1978: 3). Pour reprendre cette distinction communément admise entre langage
ordinaire et idéophones dans des mots familiers : ce que nous dit le langage conventionnel,
un idéophone – exactement comme un geste performatif – nous le montre. Dans le cas des
cris de réponse anglais ou des exclamatives que nous avions répertoriés, cela nous montre
quelque chose sur les sentiments du locuteur (cf. Dingemanse 2011 : 214). Les idéophones
sont souvent accompagnés de gestes visibles. Selon les mots de Daniel Kunene (idem),
prononcer un idéophone, c'est « dire l'acte », ou passer du récit d'une « histoire » (dire
quelque chose : raconter l'histoire) à monter une « pièce de théâtre ». La différence
intuitivement claire entre les deux expressions pourrait cependant être saisie directement
comme celle entre les idéophones sont des lexèmes expressifs. Ces termes ont une structure
morphologique en rapport avec les sons (bruit) qu’ils produisent, dans leur contexte
d’emploi, Téra (1992 :7). Les onomatopées peuvent-être classées en deux sous-groupes : les
onomatopées imitant les cris d’animaux et les onomatopées imitant des coups, des chutes,
Tanja M (2018). Les différences culturelle et géographique entrainent nécessairement des
différences au niveau linguistique. Dans la même veine, il est à constater que chaque langue
encode différemment les onomatopées. À ce propos, Sierra Soriano (1999 :585) note qu’ : «
on a affaire à une création linguistique qui imite la réalité en se soumettant aux règles de la
langue ». Au niveau morphologique, la formation des unités complexes, les idéophones et
onomatopées gouro peuvent être fait par redoublement de la première syllabe sans

106 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜097-108


Lou Yeri Constance MOMO & Kobenan Kra Florent YAO

interruption ou pause entre les unités. Quant aux idéophones et onomatopées anglais, ils se
forment de la même manière mais à la différence de ceux-ci, l’on marque une pause
matérialisée par un tiret après la prononciation de la première syllabe. D’un point de vue
syntaxique, aucune différence apparente ne peut être relevée. Les idéophones et
onomatopées anglais et gouro fonctionnent syntaxiquement de la même manière. De prime
abord, les idéophones sont typiquement africains. Aussi, Les idéophones relèvent-ils de
certaines formes expressives qui font partie de la tradition orale dans les langues d’Asie ou
d’Océanie Doke (Voeltz et Kylian-Hatz 2001, Dingemanse 2011) en 1935. La cohabitation
des peuples a permis des empreints de ces termes dans la langue anglaise. Par la suite, les
idéophones et onomatopées anglais influencent de nos jours plusieurs langues notamment
les langues occidentales telles que le Français, l’Italien (P. Pier Simone, 2022). Cela est dû
à l’exportation de la culture anglophone à travers le cinéma, la musique, etc. Le principe de
contrastivité sur quoi repose notre étude nous permettra d’appréhender le fonctionnement
des langues (Gouro et Anglais). Toutes les langues du monde, aussi différentes soient-elles
en surface, s'éclairent les unes les autres de telle sorte qu'une langue peut présenter en
surface une opération de manière plus explicite qu’une autre (H. Adamczewski : 1982).
L’analyse contrastive est l’étude systématique d’une paire de langues dans le but d’identifier
leurs différences structurelles et leurs similitudes. Historiquement, elle a été utilisée pour
l’apprentissage d’une seconde langue. Elle donc permet aux linguistes de découvrir le
principe commun (une architecture commune) à toutes les diversités des langues naturelles.
Mais aussi, pour confirmer ou infirmer une opération qu'un linguiste a posé comme opération
principale effectuée par une unité, H. Adamczewski (1999). L’analyse contrastive démontre
que la systématicité qu’offrent les langues n'est pas une imagination du linguiste. C'est plutôt
une propriété inhérente des langues naturelles humaines. De ce fait, l’on peut révéler les
similarités et différences de deux langues pour mieux comprendre leurs fonctionnements.

Conclusion
Dans cet article nous avons voulu mettre en lumière les caractéristiques,
morphologiques et syntaxiques des idéophones et des onomatopées en gouro et en anglais.
Au terme de notre travail, nous pouvons affirmer que les idéophones et les onomatopées
utilisent bien la structuration morphologique obéissant à des procédés formels comme la
dérivation, la réduplication, etc. Leur fonctionnement syntaxique est caractérisé par des
constructions semblables dans la mesure où ils assument les mêmes rôles syntaxiques dans
la phrase et peuvent-être utilisés comme des unités à part entière. Aussi, il est à noter que
les idéophones et onomatopées anglais et gouro, bien qu’ayant des similarités
morphosyntaxiques importantes, révèlent une part infime de différences au niveau
morphologique. Les différences à relever sont situées au niveau des cris de certains animaux
dû sans doute aux différentes espèces et à la différence culturelle et géographique. Les
idéophones n’ont toutefois pas de sens en dehors d’un contexte d’emploi alors que les
onomatopées sont dotées d’un sens codé qui leur permet d’être prises comme des mots pleins
en dehors d’une situation d’énonciation. À travers cette analyse, nous nous sommes rendu
compte que la formation de ces unités ne fait pas abstraction du caractère arbitraire de la
langue comme le conçoit certains linguistes (Tsoi T et Chung C, 2014), (Mojtaba K. et al,
2014). Le même bruit produit par un même animal ou la nature n’est pas reproduit
linguistiquement de la même manière dans différents contextes socioculturels. Cela
s’explique par le fait de la relation d’interrelation entre la langue, la géographie et la nature
qui eux peuvent-être différents en fonction des régions qui influencent la perception des

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 107


Les caractéristiques linguistiques des onomatopées et idéophones en gouro et en anglais: une étude contrastive

peuples. Le crie du coq parait très universel mais pas la description linguistique que lui
confère les langues.

Références bibliographiques
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108 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜097-108


Balaïbaou KASSAN & Djibrila TETEREOU

CRÉATION LEXICALE DANS LES DOMAINES SPÉCIALISÉS DE CONNAISSANCES


ET DE PRATIQUES EN FULFULDÉ

Balaïbaou KASSAN
Université de Kara, Togo
[email protected]
&
Djibrila TETEREOU
Université de Kara, Togo
[email protected]

Résumé : La présente contribution analyse les procédés de création lexicale que le


fulfulde offre à ses locuteurs pour répondre à leurs besoins de désignation des concepts
appartenant à des domaines spécialisés de connaissances et de pratiques. Adoptant une
démarche empirico-inductive et de type qualitatif, l’analyse s’est basée sur des données
empiriques collectées à cet effet à travers des recherches documentaires et une enquête
de terrain. Les résultats de l’étude montrent que les termes de spécialité présentent des
structures complexes dépendamment des procédés utilisés pour les former. Ainsi, le
vocabulaire de spécialité est-il composé de termes simples, des termes formés par
composition, dérivation, emprunt, calque linguistique et calque sémantique.

Mots-clés : création lexicale, fulfulde, composition, dérivation, emprunt

LEXICAL CREATION IN SPECIALISED AREAS OF KNOWLEDGE AND


PRACTICE IN FULFULDE

Abstract: This paper analyses the processes of lexical creation that Fulfulde offers its
speakers so that to meet their needs for designating concepts belonging to specialized
fields of knowledge and practices. The study is carried out through the lenses of the
empirical-inductive and qualitative approach. The analysis is based on empirical data
collected for this purpose through documentary research and a field survey. The results
of the study show that the terms used in specialized fields of knowledge and practices
present complex structures depending on the processes used to form them. Thus, the
specialized vocabulary is made up of simple terms, terms formed by composition,
derivation, borrowing, linguistic loans and semantic loans.

Keywords: lexical creation, Fulfulde, composition, derivation, borrowing

Introduction
Le fulfulde offre à ses locuteurs, diverses possibilités de création lexicale afin de
satisfaire leurs besoins en matière de dénomination des concepts surtout dans les domaines
spécialisés de connaissances et de pratiques. En effet, « la créativité n’est, dans aucune
langue, impossible […] » (C. André & B. Jean, 1984, p.214), mais les procédés de création
lexicale varient d’une langue à une autre. Cependant, si l’on compte un nombre important
de travaux de description du fulfulde, l’analyse des procédés de création lexicale dans les
domaines spécialisés de connaissances et de pratiques semble n’avoir pas jusqu’à
maintenant retenu l’attention des chercheurs. La présente étude a le mérite de combler le
vide documentaire sur la description des procédés de création des termes spécialisés en

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 109


Création lexicale dans les domaines spécialisés de connaissances et de pratiques en fulfuldé

fulfulde pour assouvir les besoins de désignation des notions et concepts de spécialité. La
langue d’étude est donc le fulfulde qui, selon la classification de K. Williamson & R. Blench
(2004 :33), appartient à la famille atlantique nord du phylum Niger-Congo. Selon O. Boukari
& D. Tetereou :

Le fulfulde, encore appelé ful, fula, fulani, pulaar, ou peul selon les zones linguistiques,
est une des langues les plus parlées du continent. Du fait de leur longue tradition de
peuple nomade, ses locuteurs se rencontrent un peu partout dans le monde. Mais, ils
sont avant tout originaires de différents pays africains tels que le Sénégal, la Guinée, le
Mali, le Niger, le Nigeria, la Mauritanie, le Soudan, le Cameroun, le Togo, le Ghana, le
Bénin etc.
O. Boukari & D. Tetereou (2021 : 64)

La variante dialectale sur laquelle porte notre étude est celle désignée dans la
littérature sous l’appellatif de fulfulde juguureere (M. Bakpa & D. Tetereou, 2019). Elle est
parlée majoritairement dans les régions de la Centrale et de la Kara au Togo et s’étend
jusqu’à Djougou, au Benin. Pour examiner les procédés de création lexicale dans cette
langue, nous nous sommes basés sur les domaines spécialisés de connaissances et de
pratiques. En effet, c’est dans les domaines spécialisés que la créativité lexicale est de mise
pour le besoin de désignation de nouvelles notions que les locuteurs s’approprient suite aux
transferts de connaissances et techniques entre des cultures différentes et ceci, grâce aux
contacts des langues. Cette créativité lexicale se base sur le stock lexical de la langue pour
former de nouveaux termes. D. Tetereou (2019, p.147) souligne que « La création lexicale
dans le vocabulaire de spécialité se base sur des éléments linguistiques de la langue
générale, lesquels traités au moyen de divers procédés acquièrent un nouveau sens dans le
domaine notionnel concerné ». La création lexicale intervient dans les domaines spécialisés
de connaissances et de pratiques lorsqu’une nouvelle notion qui fait son entrée dans les
transactions empiriques des locuteurs d’une langue est sans support verbal dans la langue
de la communauté d’accueil. Vue les effets de la mondialisation et la nécessité de transfert
de compétences d’une communauté à une autre, d’un lieu à un autre, entre connaissances
endogènes/sociaux et connaissances exogènes/scientifiques, le besoin de création lexicale
pour désigner de nouvelles notions se fait toujours ressentir en toute circonstance. Il convient
alors, partant de ce constat, de se poser la question de savoir comment cette création lexicale
se fait en fulfulde ? Pour vérifier notre hypothèse selon laquelle le fulfulde offre plusieurs
procédés de création lexicale à ses locuteurs pour la désignation de toute notion qui entre en
jeu dans leurs transactions empiriques avec le monde, nous avons procédé à une observation
et interprétation de données empiriques collectées à cet effet. Il est alors évident que
l’objectif de la présente étude est d’inventorier et d’analyser les différents procédés de
formation de termes de spécialité attestés en fulfulde. A la suite de la présente section
introductive, nous présentons les cadres théorique et méthodologique (§1), les résultats de
l’analyse (§ 2) puis la conclusion de l’étude.

1. Cadres théorique et méthodologique


La démarche structuraliste dans ses considérations morphologique et sémantique
constitue le cadre qui balise la présente étude. Sur le plan morphologique, nous nous
inspirons de la conception structurale de S. R. Anderson (1992) selon laquelle la
morphologie est l’étude de la structure des mots et de leurs interrelations avec les autres

110 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜109-126


Balaïbaou KASSAN & Djibrila TETEREOU

mots de la langue. Selon cet auteur, les mots, à travers leurs constituants peuvent fournir des
informations complexes et bien structurées. Quant au niveau sémantique, nous prenons
appui sur R. Champagnol (1993) et G. Mounin (1972). Le premier souligne que la
composition des unités linguistiques se fait en lien avec les transactions empiriques que les
sujets parlants ont avec le monde qui les environne. Le second quant à lui fonde l’analyse
sémantique des unités linguistiques sur des traits distributifs, distinctifs et contrastifs. C’est
sur ces considérations théoriques que nous prenons appui pour la conduite de la présente
étude. Sur le plan méthodologique, l’étude s’est essentiellement basée sur un corpus de
données collectées dans le domaine notionnel du pastoralisme. Le pastoralisme est une
pratique séculaire longtemps reconnue aux éleveurs peuls, locuteurs natifs du fulfulde. C’est
un secteur d’activités fortement ancré dans la culture peule si bien que la création lexicale
dans ce domaine est assez riche surtout suite au contact avec le français qui véhicule des
pratiques modernes de l’élevage du bétail. L’étude est essentiellement marquée par trois
étapes qui sont (i) la collecte des données documentaires, (ii) la collecte des données de
terrain puis (iii) l’analyse des données collectées en vue de l’identification et interprétation
des différents procédés de création lexicale. Pour la recherche documentaire, il a été
question de répertorier les termes de spécialité dans les documents spécialisés au
pastoralisme notamment les lexiques, les supports didactiques et pédagogiques du
programme d’éducation et de formation des populations pastorales aux métiers de l’élevage,
etc. La démarche onomasiologique a été adoptée pour la collecte des données de terrain.
Cette démarche consiste à partir des concepts appartenant à un domaine de spécialité pour
aller à la recherche des termes qui les désignent dans la langue.

2. Analyse des procédés de création lexicale


Les termes fulfulde spécialisés au domaine pastoral sont formés au moyen de
procédés divers et présentent de ce fait des structures complexes. Ainsi, la terminologie
fulfulde du pastoralisme comporte des termes simples, des termes formés par composition,
dérivation, emprunt, calque sémantique et par calque linguistique que nous décrivons dans
cette section. Ainsi, notre analyse intègre le cadre de la néologie. R. Boutin-Quesnel et al.
(1985, p.23) précisent que la néologie est le « processus de formation de termes nouveaux.
Néologie s’entend aussi de l’étude des processus de formation des termes nouveaux et des
termes ainsi formés ». Un terme nouveau créé au travers des procédés de création lexicale
attestés dans la langue pour assouvir un besoin de communication s’appelle néologisme. Pour
qu’un néologisme puisse être valide dans une langue donnée, sa création doit prendre en
compte un certain nombre de critères. Ces critères sont ceux de brièveté, maniabilité,
motivation, adéquation, possibilité de dérivation et d’acceptabilité selon R. Dubuc (2002,
p.130). Dépendamment du procédé de création lexicale utilisé, l’on fait une distinction entre
néologisme de forme et néologisme de sens. En parlant de néologisme de forme, l’on fait
allusion au fait que le terme créé présente une nouvelle forme. Cette nouvelle forme peut
résulter d’une adjonction d’un affixe à un radical, la combinaison d’au moins deux unités
linguistiques libres pour désigner une notion unique, la troncation d’une unité qui existe
déjà etc. Le néologisme de sens est un terme créé en se basant sur le contenu sémantique
des termes déjà existant. Notre analyse aborde en premier lieu les termes simples, ensuite
les termes créés par composition, dérivation, emprunt puis par calques linguistiques et
sémantiques.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 111


Création lexicale dans les domaines spécialisés de connaissances et de pratiques en fulfuldé

2.1 Termes simples


Dans la terminologie spécialisée notamment celle du pastoralisme qui nous sert de
base pour la présente étude, il se trouve des termes simples. Nous entendons par terme
simple, une unité linguistique formée uniquement qu’à partir des constituants obligatoires
selon la catégorie grammaticale à laquelle elle appartient. Partant, un nom simple est un
nom formé à partir des constituants obligatoires qui sont le morphème lexical et le nominant.
Un verbe simple est quant à lui formé d’un morphème lexical et du verbant. Nous empruntons
à E. Bonvini (1988), les termes de verbant et de nominant. Le nominant est un morphème
qui s’adjoint à une base lexicale et qui intègre le produit ainsi formé dans la catégorie du
nom alors que le verbant est un morphème qui s’adjoint à une base lexicale et qui intègre le
produit ainsi formé dans la catégorie grammaticale du verbe. Le nominant et le verbant sont
donc des morphèmes porteurs d’informations grammaticales qui servent à ranger les unités
lexicales soit dans la catégorie des noms pour le premier, soit dans la catégorie des verbes
pour le second. Il convient d’aborder tour à tour la description des noms simples et des
verbes simples.

-Structure des noms simples


La présente section est réservée à l’analyse de la structure interne des noms simples.
Tel que nous venions de l’exposer plus haut, le nom simple en fulfulde est composé d’un
morphème lexical et d’un nominant. Dépendamment, la structure canonique du nom simple
est la suivante :
Nom simple : Lexème + nominant

Le lexème est le constituant du nom qui porte le contenu informationnel. Le nominant


quant à lui est le morphème grammatical qui s’adjoint au lexème pour former un nom. Dans
la structure des noms en fulfulde, le nominant est le suffixe de classe. Les noms en (1) sont
des noms simples formés au moyen des deux éléments linguistiques obligatoires notamment
le lexème et le suffixe de classe.
(1)
Baal-al « tronc d’attache »
Cettu-ngol « crème ».
Ñay-ngal « pâturage post-cultural ».
Seefaa-jo « courtier ».
Pinaa-nge « boeuf à maquillage ».

A travers les noms simples présentés en (1), il est alors évident que le nom simple
peut être segmenté en deux constituants fondamentaux qui sont le morphème lexical et le
suffixe de classe. Les morphèmes lexicaux baal- ; cettu- ; ñay- ; seefaa- et pinaa- véhiculent
des informations d’ordre lexical. Chacun d’eux représente le constituant du nom qui a pour
référent la chose nommée. Les morphèmes -al; -ngol; -ngal; -jo et -nge qui leur sont
respectivement adjoints sont des suffixes de classe qui font office de nominants. Si le lexème
permet de se référer à la chose nommée, le suffixe de classe dans son rôle de nominant
assume trois fonctions essentielles. Il (i) range le nom dans une classe nominale donnée ;
(ii) donne une information grammaticale relative au nombre (singulier ou pluriel) et (ii)
précise la nature du référent (humain, non-humain, augmentatif, diminutif). De même, D.
Tetereou (2019, p.154) précise que le suffixe de classe « commande le mécanisme d’accord
des unités linguistiques qui entretiennent des relations de dépendance avec le nom. Ce

112 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜109-126


Balaïbaou KASSAN & Djibrila TETEREOU

mécanisme d’accord est respecté autant dans les syntagmes terminologiques que dans les
phrases ». Comme nous pouvons le constater déjà à travers les illustrations en (1),
dépendamment du nombre de classes nominales en fulfulde, il existe plusieurs suffixes de
classe qui s’adjoignent aux morphèmes lexicaux pour former des noms dans ladite langue.
Les différents morphèmes classificateurs ainsi que les suffixes de classe correspondant sont
résumés dans le tableau ci-après (D. Tetereou, 2019, p.135-136).

Classes Morphèmes Suffixes de classe Exemples de substantifs


classificateurs
Humains
Cl.1 o -o; -jo; -wo; -ɗo koɗo; debbo; duroowo
Cl.2 ɓe -ɓe; -en rewɓe; durooɓe; sukaaɓe
Dimunitifs
Cl.3 ngel -wel; -gel; -yel; -ngel;-el jawngel; ɓoggel
Cl.4 kal -al; -hal; wal; kal li’ohal; conal
Cl.5 ngu -u; -yu; -wu; -gu; -ngu galaangu; sukawu; cofu
Cl.6 kon/koy -kon; -koy; -hon; -on sukahon; kaaƴon; unirkon
Augmentatifs
Cl.7 nga -a; -wa; -ga; nga ɓogga; ceɓa; galaanga
Cl.8 ko -ko; -ho; -o; -wo ɓoggo; ceɓo; unirko
Non-humains
Cl.9 nde -re; -de; -(e)re; -nde daande; hoodere; ñiire
Cl.10 ndi -(i)ri; -di; -ri; -ndi kanndi; ñiiri; gawri
Cl.11 ndu -(u)ru; -du; ru; ndu rawaandu; howru; henndu
Cl.12 nga -a; -wa; -ga; -nga ñiiwa; gammbuwa; pitta
Cl.13 nge -e; -ye; -we; -ge; nge nagge; haɓɓanaaye; wiige
Cl.14 ngo -o; -yo; -wo; -go; -ngo hoggo; luumo; wuro
Cl.15 ngu -u; -yu; -wu; -gu; -ngu konu; batu; haabu
Cl.16 ngal -hal; -wal; gal; -ngal; -al jawngal; kural; duɗal
Cl.17 ngol -ol; wol; -gol; -ngol ɓoggol; laawol; lefol
Cl.18 ka -a; -ha; -wa; -ka ɗonka; sadaka; fina
Cl.19 ki -i; -hi; -wi; -ki lekki; curuki; bagi
Cl.20 ko -o; -ho; -wo; -ko li’o; hunuko
Cl.21 kol -ol; hol; wol; -kol kaakol; ñaakol
Cl.22 ɗam -am; -jam; -ɗam kosam; lamɗam; ndiyam
Cl.23 ɗum -um; -jum; -ɗum goɗɗum; kanjum
Cl.24 ɗe -je; -ɗe; -le; -ƴe; -e leɗɗe; jawle; kaaƴe
Cl.25 ɗi -ji; -ɗi; -li; -ƴi na’i; liɗɗi; biriiji

Tableau des classes nominales du fulfulde (D. Tetereou, 2019 :135-136).

Le tableau ci-dessus présente les différents morphèmes classificateurs qui peuvent


s’adjoindre aux lexèmes pour former des noms simples. Selon ce tableau résumant les classes
nominales, il y a au total 25 morphèmes classificateurs et par ricochet 25 classes nominales.
Cependant, il faudrait souligner que certains parlers fulfulde peuvent en avoir plus et
d’autres moins que 25 classes nominales. Le morphème classificateur est le morphème de
base qui matérialise une classe nominale donnée. Ces morphèmes classificateurs
apparaissent sous forme de suffixes de classes lorsqu’ils s’adjoignent aux lexèmes pour

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 113


Création lexicale dans les domaines spécialisés de connaissances et de pratiques en fulfuldé

former des noms. Ils prennent des formes variées lorsqu’ils s’adjoignent aux lexèmes
nominaux. C’est à juste titre que dans le tableau ci-dessus l’on peut constater la présence de
plusieurs suffixes de classes devant chaque morphème classificateur. Mais pourquoi les
morphèmes classificateurs présentent-ils des variantes morphologiques dans leur adjonction
aux lexèmes ? Face à cette question, M. Bakpa & D. Tetereou (2019, p.626) font remarquer
que « Les variations morphologiques s’expliquent par divers phénomènes
morphophonologiques qui se manifestent à la frontière entre le suffixe de classe et la base
lexicale ». Et ces phénomènes morphologiques sont notamment l’élision, la resyllabation etc.
Les illustrations en (2), (3) et (4) montrent les différentes transformations que subissent
respectivement les morphèmes classificateurs o (cl.1), ndi (cl.10) et nge (cl.13).
(2)
2.a mannju-ɗo « celui qui fait le pâturage matinal »
lex.-suf.cl
2.b duroo-wo « berger »
lex.-suf.cl
2.c julaa-jo « commerçant de bétail »
lex.-suf.cl
(3)
3.a kan-ndi « colostrum »
lex.-suf.cl
3.b ngaa-ri « taureau »
lex.-suf.cl
(4)
4.a wii-ge « génisse »
lex.-suf.cl
4.b haɓɓanaa-ye « génisse prêtée »
lex.-suf.cl

L’illustration en (2) concerne les variations morphologiques qui interviennent dans


l’adjonction du morphème classificateur o (cl.1) aux bases lexicales. L’on constate qu’il y a
insertion d’une consonne (ɗ en 2.a ; w en 2.b et j en 2.c) entre la base lexicale et le morphème
classificateur o. En (3), le morphème classificateur ndi garde sa forme de base lorsqu’il est
adjoint à la base lexical kan- en 3.a. Par contre, ce même morphème classificateur subit une
résyllabation en 3.b lorsqu’il est adjoint à la base ngaa-. A ce niveau, la consonne nd du
morphème classificateur ndi est substituée par la consonne r pour former une variante
morphologique -ri du morphème classificateur. L’exemple en (4) met à l’évidence les
variantes morphologiques du morphème classificateur nge (cl.13) lorsque ce dernier est
adjoint aux bases lexicales pour former des noms. Ainsi, comme l’on peut le voir en 4.a, le
morphème classificateur prend la forme -ge alors qu’en 4.b, il prend la forme -ye. Toutes
ces variations que subissent les morphèmes classificateurs lorsqu’ils sont adjoints aux bases
lexicales en tant que suffixes de classes nominales sont dictées par la frontière entre la base
lexicale et le morphème classificateur. C’est un phénomène très intéressant à analyser.
Cependant, nous n’allons que l’effleurer ici compte tenu des restrictions en termes de volume
de la contribution tout en espérant l’aborder en détail dans nos prochaines publications. Pour
comprendre le phénomène, il y a lieu de nous intéresser aux aspects morphosyntaxiques,
c’est-à-dire aux règles qui régissent l’adjonction des morphèmes de classe aux bases
lexicales pour former les noms simples en fulfulde. Rappelons-le, les noms simples sont

114 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜109-126


Balaïbaou KASSAN & Djibrila TETEREOU

composés d’une base lexicale et d’un nominatif qui n’est qu’un morphème de classe. D.
Tetereou (2019, p.156) précise que : « La consonne initiale du morphème de classe, lorsqu’elle
est une prénasale, elle chute devant une base ayant une consonne orale en position finale. Dans
l’adjonction du morphème de classe à la base lexicale, la succession consonne orale + prénasale
n’est pas attestée. » Les données en (5) et (6) illustrent bien ce phénomène.
(5)
5.a hog- + ngo ˃ hog-go « étable» *hogngo
cvc- ccv cvc-v
base + morph.cl.

5.b duɗ- + ngal ˃ duɗ-al « feu anti insectes » *duɗngal


cvc- + ccvc cvc-vc
base+ morph.cl.

5.c caar- + ngol ˃ caar-ol « diarrhée » *Caarngol


cvvc- + ccvc cvvc-vc
base + morph.cl.

En (5), les morphèmes de classe ngo, ngal et ngol ont tous la consonne prénasalisée ng- en
position initiale. Dans leur adjonction aux bases lexicales ayant des consonnes orales en
position finale, cette consonne prénasale ng- chute pour laisser le morphème de classe réduit
à la seule voyelle o comme en 5.a ou à une syllabe de structure vc comme -al en 5.b et -ol
en 5.c s’adjoindre à la base lexicale. Par contre, si la consonne finale de la base lexicale est
une consonne nasale, le morphème de classe s’adjoint intégralement à celle-ci.
(6)
6.a fun- + ngo ˃ fun-ngo « espèce végétale ».
cvc- ccv cvc-ccv
base + morph.cl.

6.b kan- + ndi ˃ kan-ndi « colostrum ».


cvc- + ccv cvc-ccv
base + morph.cl

6.c wulan- + nde ˃ wulan-nde « herbe régénérée ».


cvcvc- + ccv cvcvc-ccv
base + moph.cl.

Partant des exemples (5) et (6), il est évident que la forme que prend le
morphème de classe dans son adjonction à la base lexicale dépend de la structure syllabique
de cette dernière. Ainsi, par exemple, le morphème de classe ngo apparaît dans sa forme
intégrale avec la base fun- en 6.a qui comporte une consonne nasale en position finale. En
5.a ce même morphème prend la forme –go (la consonne prénasalisée ng s’est substitué à
l’occlusive orale g) lorsqu’il est adjoint à la base hog- qui a une consonne orale en position
finale.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 115


Création lexicale dans les domaines spécialisés de connaissances et de pratiques en fulfuldé

-Structure des verbes simples


Nous l’annoncions plus haut, le verbe simple est composé de deux unités obligatoires
qui sont le lexème et le verbant. De ce fait, la structure canonique du verbe simple est la
suivante :

Verbe simple : Lexème + verbant.

Le lexème est le constituant du verbe qui exprime un procès. Le verbant quant à lui
est un morphème grammatical qui s’adjoint au lexème pour intégrer le produit qui en résulte
dans la catégorie du verbe. En (7) nous présentons des exemples de verbes simples pour
mieux étayer nos propos.

(7)
7.a ɓir-ude « traire (le lait) »
lex.-vbt

7.b laam-aade « tomber en gestation »


lex.-vbt

7.c tuf-eede « être vacciné »


lex.-vbt

L’illustration en (7) met à l’évidence les trois types de verbants attestés en fulfulde
quand le verbe est à l’aoriste ou à la forme infinitive. D’une manière générale, le verbant en
fulfulde porte à la fois des informations liées à l’aspect (accompli/inaccompli) et à la voix
(active, moyenne et passive). Cependant, les verbants -ude en 7.a, -aade en 7.b et -eede en
7.c qui marquent la forme des verbes à l’aoriste portent des informations par rapport à la
voix mais ne portent aucune indication par rapport à l’achèvement ou non du procès exprimé
par le verbe. Le verbant -ude marque la voix active, -aade indique la voix moyenne et -eede,
la voix passive. Par ailleurs, M. Bakpa & D. Tetereou (2021, p.169) soulignent qu’il y a
« plusieurs marques morphologiques pour les infinitifs verbaux selon les parlers fulfulde.
Les marques des infinitifs verbaux de la voix active sont –ude ; -oy ; -ugo ; celles de la voix
moyenne sont –aade ; -aago ; -aaki puis –eede ; -eego ; -eeki pour la voix passive » puis
appuient leur propos à travers l’illustration suivante :

lim-ude ; lim-ugo ; lim-oy « compter » ;


dar-aade ; dar-aago ; dar-aaki « être debout » ;
haɓɓ-eede ; haɓɓ-eego; haɓɓ-eeki « être attaché ».

Ce sont ces verbants, marques des infinitifs verbaux ou de la forme du verbe à


l’aoriste qui sont utilisés pour la création lexicale. Les verbant -ude/-ugo/-oy adjoints à une
base lexicale indiquent que le verbe est à la voix active, c’est-à-dire que le sujet fait l’action
exprimée par le verbe. Les marques -aade/-aago/-aaki quant à eux indiquent que le sujet fait
l’action sur soi-même et le verbe ainsi formé est à la voix moyenne. Enfin, -eede/-eego/-eeki
sont les verbants qui indiquent que le sujet subit le procès exprimé par le verbe et par
ricochet relève de la voix passive. Pour mieux étayer nos propos, nous prenons appui sur
l’exemple (7) ci-dessus. En 7.a, le verbe ɓirude « traire (le lait) » est à la voix active et

116 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜109-126


Balaïbaou KASSAN & Djibrila TETEREOU

indique que le sujet fait l’action d’extraire le lait des mamelles des femelles des mammifères.
Le verbe laamaade en 7.b quant à lui est à la voix moyenne et indique que l’action de tomber
en gestation se fait en la vache elle-même. Le verbe tufeede en 7.c formé par adjonction du
suffixe verbal -eede est à la voix passive car il exprime que l’animal subit l’action
d’introduction d’une substance dans son organisme afin de l’immuniser contre une maladie.

2.2 Termes formés par composition


Dans le besoin de dénommer les différentes notions d’un domaine spécialisé de
connaissances ou de pratiques, les locuteurs du fulfulde ont recours aux procédés de création
lexicale que leur offre la langue fulfulde. Au rang de ces procédés se trouve la composition.
Le recours à ce procédé de création lexicale conduit à la formation des termes dits composés.
La composition est selon R. Boutin-Quesnel et al. (1985, p.24) un « mode de formation de
termes par lequel des éléments lexicaux autonomes, sous forme pleine ou réduite, sont
juxtaposés ou soudés ». Ce procédé de création lexicale participe ainsi de la néologie de
forme. Selon les cas, la composition peut être faite par coordination ou par subordination des
unités qui entrent dans la création du terme nouveau.

-Composition par coordination


La composition par coordination est ce procédé de création lexicale par lequel « on
prend deux mots de même nature qu’on accole en les juxtaposant avec ou sans trait d’union »
(R. Dubuc, 2002, p.126-127). C’est donc un type de composition qui donne forme à des
syntagmes complétifs. Un syntagme complétif selon D. Tetereou (2019, p.149) « est
caractérisé par un regroupement d’unités linguistiques entretenant une relation d’ordre
déterminé-déterminant et l’absence d’un élément connectif entre elles ». Les données en (8)
l’illustrent bien.
(8)
Bononda gese « dégâts champêtres »
Dégâts / champs
Durdude finaatawa « pâturage naturel »
Pâturage/ tradition
Keddal biƴƴal « tourteau de coton »
Résidu/ grain de coton
Nokkuure ndiyam « point d’eau »
Lieu / eau

Comme nous le disions plus haut, les termes formés par le procédé de composition
par coordination constituent des syntagmes complétifs. Les deux constituants du terme
composé par coordination sont de la même catégorie grammaticale tel que nous l’observons
en (8). Tous ces polytermes en (8) sont formés chacun par juxtaposition de deux noms
simples pour désigner une notion/concept unique.

La structure des termes composés par coordination est la suivante : N1 + N2 dé da


Pour ces termes formés par juxtaposition de deux noms, le premier est le déterminé
et le second est le déterminant. La structure de l’un des constituants du terme composé par
coordination n’influence pas l’autre constituant. Chacun des constituants a un morphème de
classe qui le range dans une classe nominale donnée. Mais l’ensemble du terme composé est
rangé dans la classe du nom déterminé. Dans la chaine parlée, tous les constituants qui

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 117


Création lexicale dans les domaines spécialisés de connaissances et de pratiques en fulfuldé

doivent prendre des accords de classe par rapport à ce terme composé prennent l’accord
selon la classe du nom déterminé.

(9)
9.a Suu-du dammucc-e ndu yaajaa. « bergerie »
Chambre-cl.11 bétail -cl.24 dém+cl.11 large+nég.
Cette bergerie n’est pas large.
9.b Bonond-a gese ka no waawi waddude hawre.
dégât -cl.18 champ-cl.24 dém+cl.18 part. pouvoir-iacc. amener conflit
Ce dégât champêtre peut causer un conflit.

En 9.a, l’ensemble du nom composé suudu dammucce « bergerie » est rangé dans la
classe 11 (cl.11 –du / ndu) du constituant déterminé. Ainsi, étant donné que le pronom
démonstratif doit appartenir à la même classe que le nom qui désigne son référent, le pronom
démonstratif utilisé est le morphème de classe 11 du constituant déterminé suudu. Le même
phénomène s’observe en 9.b où le pronom démonstratif utilisé appartient à la classe 18 du
constituant déterminé bonnonda. Il existe aussi au sein des termes spécialisés aux domaines
de connaissances et de pratiques, des polytermes formés au moyen du procédé de création
lexicale reconnu sous l’appellation de composition par subordination.

-Composition par subordination


Nous allons aborder la composition par subordination en prenant appui sur les
données en (10).
(10)
10.a dammucca mawnga « gros bétail »
Bétail / gros
10.b dammucca cewnga « petit bétail »
Bétail / pétit

10.c hayre paynoore « bloc multi nutritionnel »


Pierre/qui fait grossir
Les polytermes en (10) sont formés sur la base de la composition par subordination. Ce
procédé de création lexicale permet de former des syntagmes qualificatifs. Les termes formés
au moyen de la composition par subordination présentent la structure suivante : N + adj.
qé qa Si dans les syntagmes complétifs formés au moyen de la composition par coordination
il n’y a pas d’influence par rapport aux accords de classe nominale entre les deux
constituants, dans les syntagmes qualificatifs, c’est tout à fait le contraire. Dans les
syntagmes qualificatifs, le nom (qualifié) impose son morphème de classe à l’adjectif
(qualifiant).

(11)
11.a Dammucc-a maw-nga « gros bétail »
Bétail-cl.12 gros-cl.12
11.b Hu-ɗo moƴƴinaa-ko « foin ».
Herbe-cl.20 arranger+acc.qui-cl.20
11.c Hay-re mettetee-nde « pierre à lécher ».
Pierre-cl.9 lécher (se).qui-cl.9

118 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜109-126


Balaïbaou KASSAN & Djibrila TETEREOU

En 11.a, le substantif dammucca est de la cl.12 (Cl.12 –a / nga). Par conséquent, la base
adjectivale maw- a reçu le morphème de Cl.12 du nom pour former maw-nga (Cl.12 -nga/
nga). Tous les termes composés par subordination en 11.a, 11.b et 11.c obéissent à ces
relations d’accord entre qualifié et qualifiant. L’analyse ci-dessus relative à la création
lexicale par composition révèle l’usage de deux types de composition notamment la
composition par coordination et la composition par subordination. Si la composition par
coordination permet de former des syntagmes complétifs, la composition par subordination
quant à elle donne l’être aux syntagmes qualificatifs. Si les syntagmes complétifs et ceux
qualificatifs sont caractérisés par l’absence d’éléments connectifs, le principal critère de
distinction entre les deux types de syntagmes est « l’absence d’accord par référent dans le
syntagme complétif alors que le syntagme qualificatif atteste des phénomènes d’accord » (M.
Houis, 1967, p.152-153). Il existe aussi en dehors des termes composés par coordination et
subordination, d’autres termes formés de plus de deux constituants. C’est une composition
complexe qui met en juxtaposition plusieurs unités linguistiques de catégories
grammaticales différentes. Cette façon de créer les termes fait ainsi appel à la phraséologie.

-Phraséologie
En parlant de phraséologie, nous faisons allusion à une certaine composition
complexe qui consiste à former un terme en utilisant plus de deux éléments lexicaux de
catégories grammaticales variées pour désigner une notion ou un concept donné. Ce sont
des termes à caractère phrastique et dont la combinaison des éléments est figée, stabilisée
et permettant d’assouvir un besoin de désignation d’une notion ou d’un concept relevant d’un
domaine notionnel donné. En fulfulde, il existe des phrases tout entières qui désignent des
concepts bien déterminés tel que nous pouvons l’observer en 12.a, 12.b et 12.c ci-dessous.
(12)
12.a Funngo ngo dammucce ɓuri yiɗude « espèce appétée »
espèce végétale morph cl bétail dépasser+inac aimer
« Espèce végétale que le bétail aime le plus ».

12.b Ñawu raaɓoowu yimɓe e daabaaji « Zoonose »


Maladie contaminer + qui humains et animaux
« Maladie qui contamine les Hommes et les animaux »

12.c Suudu huɗo moƴƴinaako « fenil »


Chambre herbe arranger + acc
« Chambre des herbes arrangées »

Ainsi, la ressource fourragère dont la consommation est tant désirée par les animaux est
désignée par le terme funngo ngo dammucce ɓuri yiɗude « espèce appétée »; une maladie
infectieuse atteignant les animaux et qui peut être transmise à l’homme est désignée par le
terme ñawu raaɓoowu yimɓe e daabaaji « zoonose », alors que le terme qui désigne le local
où l’on rentre le foin pour le conserver est suudu huɗo moƴƴinaako « fenil ». Tous ces termes
sont formés par juxtaposition de plusieurs unités linguistiques appartenant à des catégories
grammaticales variées mais qui servent à désigner une notion ou un concept unique. Nous
venons ainsi de présenter la composition qui est l’un des procédés de création lexicale que
le fulfulde offre à ses locuteurs. Dans les lignes qui suivent, nous allons aborder un autre
procédé de création lexicale qu’est la dérivation.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 119


Création lexicale dans les domaines spécialisés de connaissances et de pratiques en fulfuldé

2.3 Termes formés par dérivation


La dérivation tout comme la composition que nous venons de présenter plus haut
participe de la néologie de forme. La dérivation selon D. Tetereou (2019, p.150) « consiste
en la combinaison d’unités linguistiques dont l’une au moins appelée affixe n’est pas
susceptible de jouir d’une autonomie dans la langue ». La dérivation, faut-il le souligner
implique nécessairement l’usage d’un affixe. Pour R. Boutin-Quesnel et al. (1985, p.22), un
affixe est un « morphème qui se fixe au début, à la fin ou à l’intérieur d’un radical pour en
modifier le sens, la fonction ou le rôle ». En fulfulde, les termes dérivés ne sont formés que
par adjonction d’affixes. De ce fait, la dérivation dans cette langue n’est que suffixale. Les
différents suffixes qui interviennent dans la formation des dérivés en fulfulde selon
l’inventaire de B. Mimboabe & D. Tetereou (2021, p.173) sont: –an ; –id/-od; –in ; -ondir ;
–ir/-or ; -it ; -oy. A ces suffixes, nous ajoutons -oo et -aaku identifiés à travers l’analyse des
termes spécialisés aux domaines de connaissances et de pratiques. En fulfulde, au rang des
termes formés par dérivation, se trouvent des noms dérivés et des verbes dérivés qu’il
convient d’analyser les uns après les autres.

-Noms dérivés
Dans cette section, nous présentons la dérivation nominale, c’est-à-dire la dérivation
qui permet de former des noms. Le nom dérivé en fulfulde est formé par adjonction d’un
affixe à une unité lexicale déjà existante. En effet, la dérivation « produit un mot nouveau à
partir d’un seul mot préexistant, en modifiant en principe ses trois aspects: forme, sens et
catégorie grammaticale » (A. Lehmann & F. Martin-berthet, 2003, p.111). Justement, en
fulfulde, les noms dérivés sont formés à partir des verbes et aussi à partir des noms.
Concrètement, la dérivation nominale se fait par adjonction d’un suffixe à une base verbale.
Cette adjonction implique une nuance sémantique par rapport au verbe et une modification
de forme par adjonction d’un nominant qui suit directement le suffixe. Il y a en fulfulde, un
suffixe qui permet de former un nom dérivé à partir d’un autre nom. Pour illustrer nos propos,
nous prenons appui sur les noms dérivés: fowtirde « zone de transit »; maroowo « éleveur » ;
eggahoɗaaku « nomadisme ». Le terme fowtirde « zone de transit » est formé par dérivation
à partir du verbe fowtude, « reposer (se) ».

(13)
Fowt- ude « reposer (se) »
repos+ suff.
rad. + vbt

Fowt-ir-de « zone de transit »


rad. +dériv. +suff.cl.

Le terme fowtirde est donc formé par adjonction du suffixe -ir à la base fowt-. Dans
ce terme, le suffixe –ir désigne donc un lieu. Mais dans d’autres termes dérivés comme c’est
le cas du terme cumirgal « fer rouge », il peut désigner un instrument, un moyen dont on se
sert pour faire quelque chose. Dans le terme cumirgal, il désigne un instrument dont
l’éleveur se sert pour marquer les animaux. Le terme maroowo « éleveur » quant à lui est
formé par dérivation à partir du verbe marude « élever ». L’adjonction du dérivatif -oo à la
base verbale mar- a permis de former ce nom dérivé.

120 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜109-126


Balaïbaou KASSAN & Djibrila TETEREOU

(14)
mar-ude « élever »
rad.+vbt

mar-oo-wo « éleveur »
rad.+ dériv.+ suff.cl.

Le suffixe -oo sert donc à dériver des noms à partir des verbes et sur le plan sémantique
désigne un agent humain. Il y a dans les données soumises à l’analyse, d’autres termes
formés à partir de ce suffixe notamment duroowo « pâtre » ; sawroowo daabaaji
« vétérinaire » qui sont dérivés respectivement des verbes durude « pacager » et de sawrude
« soigner ».
Enfin, le terme eggahoɗaaku « nomadisme », à la différence de fowtirde et de
maroowo n’est pas dérivé à partir d’un verbe. Il est plutôt formé par l’adjonction du suffixe
–aaku au nom eggahoɗa. C’est donc un suffixe qui permet de former un nom dérivé à partir
d’un autre nom et sur le plan sémantique, fait allusion à la possession d’un caractère d’une
notion donnée. Il existe dans la langue, d’autres mots formés au moyen de ce suffixe.
(15)
Suka « enfant » donne sukaaku « enfance »
Pullo « peul » donne pulaaku « la morale ou la culture peule »

-Verbes dérivés
Le corpus de termes soumis à l’analyse comporte des verbes formés par dérivation.
La dérivation au niveau des verbes s’opère par l’insertion de l’affixe entre la base lexicale et
le verbant. Un verbe dérivé comporte alors une base suivie d’une concaténation d’affixes qui
ne sont autres que le dérivatif et le verbant. Ainsi dit, le verbe dérivé est formé de trois
constituants qui sont : la base lexicale, le dérivatif et le verbant tel que les données en (16)
l’illustrent bien.
(16)
16.a ñaw-ude « être malade ».
lex.-vbt
ñaw-t-ude « soigner ».
lex.+dériv.+vbt

16.b dur-ude « paître ».


lex.+ vbt
dur-oy-de « aller au pâturage ».
lex.+dériv.+vbt

L’observation des données montre qu’en 16.a, le verbe dérivé ñawtude « soigner »
est formé au moyen de l’adjonction du dérivatif it/-t à la base ñaw- du verbe ñawude « être
malade ». En 16.b, le verbe duroyde « aller au pâturage » est dérivé du verbe durude « paître
» à travers l’adjonction du morphème dérivatif -oy à la base lexicale dur-. L’analyse a montré
plus haut que le verbe simple est constitué d’une base lexicale et d’un verbant. L’observation
des illustrations en (16) montre que les verbes dérivés sont formés par adjonction d’un
morphème dérivatif à la base lexicale. Ainsi dit, le verbe en fulfulde a la même structure que
celle présentée par E. Bonvini (1988, p.84) qui est schématisé comme suit :

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 121


Création lexicale dans les domaines spécialisés de connaissances et de pratiques en fulfuldé

Lexème ± dérivatif(s) + verbant.

Le morphème lexical est le constituant du verbe qui porte le sens lexical du verbe.
Le morphème dérivatif est non obligatoire et n’intervient que dans la formation des verbes
dérivés. Selon D. Tetereou (2019, p.155) le morphème dérivatif a « la propriété de modifier
le sens du morphème lexical. Lorsqu’il est présent dans un verbe, il est inséré entre le
morphème lexical et le verbant ». Le verbant quant à lui « représente l’élément flexionnel
du verbe » (E. Bonvini, 1988, p.79). Il est suffixé directement au morphème lexical dans les
verbes simples et postposé au morphème dérivatif dans les verbes dérivés. Lorsque dans le
verbe dérivé le verbant est postposé au morphème dérivatif, l’on assiste alors à une
concaténation d’affixes. Au terme de notre analyse des termes simples ainsi que ceux formés
par composition et par dérivation, il est clair qu’en fulfulde, les unités lexicales servant à
désigner les notions et les concepts dans les domaines spécialisés de connaissances et de
pratiques sont polymorphémiques. Les noms et les verbes simples sont formés, les premiers
au moyen d’un lexème et d’un nominant et les seconds au moyen d’un lexème et d’un verbant.
Le procédé de composition permet de former des noms composés par coordination, par
subordination ou des noms complexes. Le procédé de dérivation quant à lui permet de former
des noms et des verbes dérivés par adjonction des morphèmes dérivatifs aux bases lexicales.
Dans les lignes qui suivent, nous abordons d’autres procédés de création lexicale qui sont
l’emprunt, le calque linguistique et le calque sémantique.

2.4 L’emprunt
L’emprunt constitue au même titre que la composition et la dérivation, un moyen à
travers lequel les locuteurs du fulfulde répondent à leurs besoins de désignation des notions
et des concepts dans les domaines spécialisés de connaissances et de pratiques. Selon J.
Dubois et al. (2002, p.177) « il y a emprunt linguistique quand un parler A utilise et finit
par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B
(dit langue source) et que A ne possédait pas ». Dans les domaines spécialisés, il existe des
notions ou concepts nouveaux dits exogènes ou scientifiques que les locuteurs du fulfulde
s’approprient et qui n’ont pas de désignations en fulfulde. Ainsi, dans le besoin de désigner
lesdites nouvelles notions ou concepts, les locuteurs utilisent et finissent par intégrer à la
langue fulfulde les termes qui désignent ces notions dans les langues à partir desquelles ils
ont acquis lesdites notions. Généralement, en Afrique, les emprunts des termes dans les
domaines spécialisés de connaissances et de pratiques sont faits aux langues européennes
héritées de la colonisation et avec qui les langues maternelles des africains sont en contact.
Justement, le corpus de données soumis à l’analyse étant collecté au Togo, les emprunts
recensés sont faits au français qui est la langue d’enseignement et d’acquisition des
connaissances scientifiques à travers les formations technique et professionnelle.
(17)
Wiriisi « virus »
bakiteeri « bactérie »

En (17) il apparait que les mots empruntés au français ont subi une modification en vue de
leur intégration au fulfulde. D’ailleurs, L. Kantchoa & D. Tetereou soulignent qu’

122 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜109-126


Balaïbaou KASSAN & Djibrila TETEREOU

Une unité linguistique empruntée à une langue A, avant son intégration à la langue B
qui est la langue d’accueil subit souvent des transformations au niveau phonologique,
lesquelles transformations s’expliquent par les différences qui existent entre les
systèmes phonologiques des langues en présence.
L. Kantchoa & D. Tetereou (2017a:90)

Ainsi, dans le processus d’intégration du mot virus emprunté au français, la consonne


initiale v est remplacée par w ; la voyelle u non attestée en fulfulde est remplacée par ii et la
voyelle i a été ajoutée en position finale conformément aux habitudes linguistiques que les
locuteurs ont en fulfulde. De même, le mot bactérie a subi une adaptation en fulfulde à travers
l’insertion de la voyelle i entre les consonnes k et t. Nous concluons alors avec E. Sapir
(1956, p.194) que « l’emprunt des mots étrangers entraîne toujours leur modification
phonétique, il y aura toujours des sons spéciaux ou des particularités d’accentuation qui ne
s’accordent pas avec les habitudes phonétiques de la langue qui emprunte. » Si l’emprunt
dont nous venons de faire cas a concerné l’intégration dans la langue fulfulde des unités
linguistiques d’autres langues dites de mondialisation, l’analyse des données révèle aussi
l’usage d’autres procédés de création lexicale qui résultent de l’appropriation des
connaissances et des pratiques venant d’ailleurs. Il s’agit notamment des calques sémantique
et linguistique.

2.5 Calque linguistique


Le calque linguistique est un « emprunt sémantique qui résulte d’un transfert de
sens par traduction d’une unité lexicale étrangère et dont la forme est remplacée
complètement par une forme préexistante ou nouvelle de la langue emprunteuse » (C.
Loubier, 2003, p.27). Nous présentons en (18), des exemples de calques linguistiques qui
résultent d’un transfert de sens par traduction des termes français.
(18)
durdude finaatawa « pâturage naturel »
durdude moƴƴinaande « pâturage cultivé ».
hayre metteteende « pierre à lécher »
keddal kettal « résidu de récolte »

Les termes français sont ceux issus des pratiques modernes de l’élevage et qui
apportent des précisions ou désignent des concepts auxquels les éleveurs qui pratiquent
l’élevage traditionnel ne sont pas familiers. A titre d’exemple, le concept de « pâturage
naturel » est né suite à une pratique moderne qui consiste à aménager des espaces pour la
culture du fourrage. Les éleveurs peuls qui longtemps utilisent les ressources pastorales
offerts par la nature n’ont que le terme durdude « pâturage ». Mais étant donné qu’il y a une
pratique nouvelle qui consiste à cultiver le fourrage, il y a donc lieu de distinguer entre les
deux types de ressources par « pâturage naturel » et « pâturage cultivé ». L’appropriation de
cette nouvelle pratique par les éleveurs fulaphones se traduit par la traduction des deux
termes par durdude finaatawa « pâturage naturel » et durdude moƴƴinaande « pâturage
cultivé ».

2.6 Calque sémantique


Pour passer du terme qui véhicule la nouvelle notion dans une langue étrangère à la
désignation de la même notion par les locuteurs qui se l’approprient, ces derniers procèdent

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 123


Création lexicale dans les domaines spécialisés de connaissances et de pratiques en fulfuldé

par le transfert de la substance notionnelle de la langue source dans la langue cible. La


substance notionnelle ainsi transférée est désignée en fulfulde par une expression
terminologique formée à des fins de désignation de la nouvelle notion. Dans ce cas, l’on peut
directement avoir une idée sur la notion désignée à travers la forme de l’expression
terminologique formée pour la désigner. Le calque sémantique consiste donc à former un
terme sur la base de la compréhension de la notion désignée. Les termes en (19) illustrent
nos propos.
(19)
doobu gommbal belengal « bagasse »
haɓɓirgal huɗɗo moƴƴinaako « Botteleuse »

Les notions de bagasse et de botteleuse sont issues de la pratique moderne de


l’activité d’élevage. Ainsi, les éleveurs fulaphones pour désigner ces pratiques dans leur
langue ont recours à la création des termes sur la base de la compréhension des notions
désignées par les termes français bagasse et botteleuse. En effet, à travers le terme fulfulde
doobu gommbal belengal « bagasse » l’on sait qu’il s’agit d’un résidu de la canne à sucre,
restant après l’extraction du jus sucré. De même, à travers le terme haɓɓirgal huɗɗo
moƴƴinaako « botteleuse », tout usager de ce terme sait en même temps qu’il s’agit d’un
matériel qui sert à mettre le foin en bottes. C’est justement pourquoi l’on parle de calque
sémantique car à travers le terme créé l’on a en même temps une idée sur la notion désignée.

Conclusion
Il s’est agi dans cette étude, d’analyser les procédés de création lexicale attestés en
fulfulde et qui permettent aux locuteurs de cette langue d’assouvir leurs besoins de
désignation des notions et concepts dans des domaines spécialisés de connaissances et de
pratiques. Nous sommes partis de l’hypothèse selon laquelle à partir d’un nombre limité
d’unités lexicales, le fulfulde offre des procédés de création lexicale à ses locuteurs leur
permettant de créer de nouvelles unités lexicales à l’infinie pour désigner toutes les réalités
qui entrent en jeu dans leurs transactions empiriques avec le monde. Il ressort de l’analyse
des données qu’en fulfulde, il y a plusieurs procédés de création lexicale dont l’usage permet
aux fulaphones de former des termes pour désigner les nouveaux concepts ou de nouvelles
notions qu’ils s’approprient dans l’exercice de leurs activités. Au rang de ces procédés de
création lexicale se trouvent : la composition, la dérivation, l’emprunt, le calque linguistique
et le calque sémantique. S’agissant de la composition, l’on distingue entre la composition
par coordination, la composition par subordination et la composition complexe. La technique
de composition par coordination permet de créer des polytermes qui sont des syntagmes
complétifs. Les syntagmes qualificatifs quant à eux prennent forme grâce à la composition
par subordination. La composition complexe pour sa part permet de créer des
phraséologismes. La dérivation quant à elle ne se fait qu’à travers l’adjonction des
morphèmes dérivatifs aux bases nominales ou verbales pour former de nouveaux mots.
L’emprunt, le calque linguistique et le calque sémantique sont des procédés utilisés dans
l’appropriation de nouvelles connaissances et pratiques véhiculées par le français, langue
de contact.

124 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜109-126


Balaïbaou KASSAN & Djibrila TETEREOU

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Polycopie : Faculté de Théologie S.J. 4, Montée de Fourvière, 69-LYON 5e. En ligne :
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africaines, Paris, Karthala: 21-90.

Liste des abréviations


c : consonne
cl. : classe nominale
dériv. : dérivatif
lex. : lexème
morph.cl. : morphème de classe
suf.cl : suffixe de classe

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 125


Création lexicale dans les domaines spécialisés de connaissances et de pratiques en fulfuldé

v : voyelle
verbant : vbt

126 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜109-126


Lèfara SILUE & Aboubacar Sidiki COULIBALY

RÔLE DE LA LITTÉRATURE ET CHANGEMENT SOCIAL DANS LE ROMAN


AFRICAIN D’EXPRESSION ANGLAISE : UNE ÉTUDE DE MATIGARI DE NGUGI WA
THIONG’O ET ANCESTRAL SACRIFICE DE KAAKYIRE AKOSOMO NYANTAKYI

Lèfara SILUE
Université Félix Houphouët-Boigny
[email protected]
&
Aboubacar Sidiki COULIBALY
Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako
[email protected]

Résumé : Cet article se propose de montrer le rôle de la littérature dans le


changement social. Dans ce sens, Matigari de Ngugi et Ancestral Sacrifice de
Nyantakyi peuvent être perçus comme des instruments de combat et de promotion des
langues et cultures pour l’émergence de l’Afrique. La figure du colon que Ngugi
dépeint dans Matigari, est celle d’un esclavagiste sans cœur. Dans cette perspective,
le protagoniste Settler Williams est représenté comme l’incarnation du démon
occidental. C’est un personnage qui tire son plaisir dans la souffrance des autres. Le
colonisé qui refuse de suivre la direction idéologique du pouvoir en place est traité de
terroriste. Par ailleurs, Ancestral Sacrifice de Nyantakyi est une œuvre littéraire
porteuse de charges culturelles africaines. L’étude de l’ensemble des éléments
textuels d’accompagnement permet de décrire le romancier Nyantakyi comme un
promoteur de la culture africaine. Les auteurs des romans du corpus : Ngugi et
Nyantakyi ont le mérite de poser des problèmes et de proposer des remèdes à ces
problèmes. Leur génie créateur réside dans le compromis, le dialogue et l’écoute de
l’autre qu’ils proposent comme des voies de sortie de crise. Le postmodernisme, la
sociocritique et la sémiotique seront utilisées pour décrypter la quintessence de notre
sujet.

Mots-clés : changement, culture, crise, émergence, littérature, mérite, promotion.

THE ROLE OF LITERATURE AND SOCIAL CHANGE IN THE ENGLISH-


SPEAKING AFRICAN NOVEL: A STUDY OF NGUGI WA THIONG'O'S MATIGARI
AND ANCESTRAL SACRIFICE BY KAAKYIRE AKOSOMO NYANTAKYI

Abstract: This paper aims at showing the role of literature in social change. In this
view, Ngugi’s Matigari and Nyantakyi’s Ancestral Sacrifice can be regarded as means
of fighting and promotion of languages and cultures for the emergence of Africa. The
image of the colonizer Ngugi depicts in his novel Matigari is that of a heartless
colonist. In this perspective, the protagonist Settler Williams is portrayed as a replica
of European evil. It is a character who gets his pleasure from the suffering of the
others. The colonized who refuses to follow the ruling system’s ideology direction is
treated as a terrorist. Moreover, Nyantaky’s Ancestral Sacrifice is a literary work which
carries African cultural charges. The analysis of the paratext reveals the writer as an
advocator of African culture. Both Ngugi and Nyantakyi have the merit of raising the

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 127


Rôle de la Littérature et changement social dans le roman africain d’expression anglaise : une étude de
Matigari de Ngugi wa Thiong’o et Ancestral Sacrifice de Kaakyire Akosomo Nyantakyi

issue of the cancer which corrodes African society and show the way out of bondage.
Their creative genius rests in compromise, dialogue and mutual understanding which
the two writers propose as a remedy for social unrest. Postmodernism, sociological
criticism and semiotics will be used to decipher the quintessence of our topic.

Keywords : change, culture, crisis, emergence, literature, merit, promotion.

Introduction
La littérature africaine écrite ou orale est un produit de la société. Autrement dit, la
littérature est un moyen qui permet de représenter la vie mais aussi de rendre la vie
communautaire comme une réalité sociale facile à appréhender. Ainsi, toute littérature est
marquée par le sceau de la société dans laquelle elle a pris naissance. Selon Agyekum
(2013:22): “Literature and society are interdependent, and one cannot function without the
other. […] The work of literature, both written and oral, can transform the society either
positively or negatively. Literature as a form of language has some persuasive power that
can change the lives of individuals and the society at large”. Il y a une interdépendance
entre la littérature et la société. L’une ne peut fonctionner correctement sans l’autre. La
société a une grande influence sur le type de littérature qu’elle produit, inversement, la
littérature peut influencer la société. L’écrivain ou le conteur peut observer des choses ou
des phénomènes qu’il croit être vraies pour la vie humaine, la nature et la réalité. Son
esprit se nourrit de la sève des faits sociaux qu’il voit au quotidien. Le roman, la pièce de
théâtre, la poésie, les chants ou toute autre forme de la littérature orale sont des formes
d’expression du vécu quotidien des africains. L’écrivain ou artiste transforme ainsi des
choses abstraites en une réalité pour la réception sociale. Par conséquent, la littérature ne
devrait pas être perçue comme un sujet qui s’écarte totalement des expériences
individuelles sociales. A ce propos, Wellek et Warren afferent que: « Literature is
therefore created with conventions, norms and values of the society in mind. Literature acts
as a tool to represent life and also to make life a social reality and easier to comprehend »
(1968, p.94).
Aujourd’hui, le processus de mondialisation a connu une ascension fulgurante.
Dans cette dynamique, l’émergence des réseaux sociaux a provoqué un succès inespéré qui
se traduit par la transformation de la terre en un village planétaire. L’effondrement des
barrières culturelles et linguistiques entre l’Afrique et l’Europe est la matérialisation
concrète de ce changement individuel et collectif. Dans ce contexte, l’Afrique doit apporter
sa contribution au dialogue des cultures. Pour réussir ce pari, la promotion des valeurs
culturelles africaines devient une urgence. Joseph Ki- Zerbo abonde dans cette logique
quand il dit, « Par les objets manufacturés qui nous viennent des pays industrialisés du
Nord, parce qu’ils portent des charges culturelles, nous sommes forgés, moulés, formés et
transformés. Alors que nous envoyons dans le Nord des objets qui n’ont aucun message
culturel à apporter à nos partenaires » (2003, p. 8). Ici, Joseph Ki-Zerbo questionne
implicitement la place de l’écrivain et de son art dans une société africaine anomique.
Dans ce sens, notre travail se propose de mettre en relief la place prépondérante que la

128 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜127-142


Lèfara SILUE & Aboubacar Sidiki COULIBALY

littérature occupe dans le processus de développement du continent africain. L’examen des


textes de notre corpus suscite plusieurs questions pertinentes : Qu’est-ce que la
littérature ? Pourquoi doit on encourager l’étude de la littérature ? Qu’est-ce que la
littérature peut offrir à l’humanité ? La littérature n’est-elle pas la représentation de la vie
en société ? Qu’est-ce que la littérature militante ? Et qu’est-ce qu’un auteur engagé ? Le
postmodernisme, la sociocritique et la sémiotique seront utilisées pour décrypter les deux
points suivants : la littérature engagée, une dénonciation du colonialisme et la littérature,
une promotion du patrimoine culturel africain.

1. La littérature engagée, une dénonciation du colonialisme


Dans les textes de Ngugi wa Thiong’o and de Chinua Achebe soumis à notre étude,
le colon est caricaturé comme un agent des forces du mal. Le missionnaire est la flèche de
lance de l’administration britannique. Dans ce sens, il se révèle comme un usurpateur et
chef sanguinaire.

1.1. La satire du système colonial


Dans le roman Matigari de Ngugi, le colon est perçu comme un envahisseur qui se
sert de la ruse pour nouer une amitié avec les Kikuyu. Il se présente comme un
missionnaire qui se préoccupe du bonheur et du bien-être des Africains. Au-delà de ses
actions philanthropiques à l’égard des Africains, on observe la fourberie qu’il déploie pour
spolier les Kikuyu de leur terre et de leurs biens. Comme dit Ngugi « Imperialism through
the missionaries of its ideology introduced writing to many African languages. It was
necessary that the biblical message of subservience, the administrative orders for and
taxes » (Ngugi, 1986, p.66). Dans la narration, Ngugi décrit les institutions de relais du
système colonial comme des instruments d’aliénation et de dépersonnalisation des
Africains. L’église est utilisée comme un moyen pour voler et transformer les Kikuyu en
squatteurs dans leur patrie : « We went to their church. […] He said: Let us kneel down to
pray. We knelt down. Mubia said: Let us shut our eyes. We did. […] When we opened our
eyes, our land was gone and the sword of flames stood on guard» (Ngugi, 1967:15). Ici, le
romancier dénonce l’idéologie colonialiste qui vise la destruction psychologique et mentale
des Africains. Dans cette perspective, le narrateur de Arrow of God de Chinua Achebe dit
que :

The white man, Wintabota, brought soldiers to Umuaro and stopped it. The story of
what these soldiers did in Abame was still told with fear, and so Umuaro made no
effort to resist but laid down their arms. […] The white man, not satisfied that he had
stopped the war, had gathered all the guns in Umuaro and asked the soldiers to break
them in the face of all, except three or four which he carried away. Afterwards he sat
in judgement over Umuaro and Okperi and gave the disputed to Okperi.
Chinua (1964 :28-29)

Dans le passage qui précède, on remarque que le but de l’idéologie colonialiste


dans les textes du corpus est de forcer les colonisés à offrir leur richesse et leur terre à
l’église missionnaire. Le Kikuyu ou l’Africain doit accepter de tout perdre sur la terre pour

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 129


Rôle de la Littérature et changement social dans le roman africain d’expression anglaise : une étude de
Matigari de Ngugi wa Thiong’o et Ancestral Sacrifice de Kaakyire Akosomo Nyantakyi

vivre dans le paradis après la mort: « As for Mubia, he went on reading the word,
beseeching us to lay our treasures in heaven where no moth would corrupt them. But he
laid his on earth, our earth» (Ngugi, 1967, p.15). Ce discours du Kikuyu converti au
christianisme incarné par le personnage Mubia révèle la supercherie du discours du colon.
Au-delà de l’idéologie expansionniste, on observe également l’ambiguïté de l’évangile. Les
missionnaires et l’administration coloniale vivent dans un paradis terrestre quand ils
s’accaparent de la terre et du trésor des colonisés. Cependant, ils encouragent les Africains
à demeurer dans l’ignorance, s’ils espèrent voir Dieu un jour : « The British race will take
its place, the British blood will tell » (Achebe, 1964 :33). Le narrateur du roman Matigari
de Ngugi wa Thiong’o met en exergue l’acharnement des dominants contre les dominés
comme suit :

You see, I built the house with my own hands. But Settler Williams slept in it and I
would sleep outside on the veranda. I tended the estates that spread around the house
for miles. But it was Settler Williams who took home the harvest. I was left to pick
anything he might have left behind. I worked all the machines and in all the
industries, but it was Settler Williams who would take the profits to the bank and I
would end up with the cent that he flung my way. I am sure that you already know all
this. I produced everything on the farm with my own labor. But all the gains went to
Settler Williams. What a world! A world in which the tailor wears rags, the tiller eats
wild berries, the builder begs for shelter.
Ngugi (1987 :21)

L’examen de ce paragraphe montre que l’alliance entre l’Afrique et l’Occident est


un partenariat basé sur un rapport de force. Dans cette alliance contre-nature où le
dominant et le dominé sont caricaturés comme des alliés, le plus fort est celui qui a les
moyens financiers et militaires. Le colon Settler Williams affirme la suprématie de la race
blanche quand il se transforme en usurpateur. Il confisque des terres et habite dans des
maisons construites par des Kenyans: « I built the house with my own hands. But Settler
Williams slept in it and I would sleep outside on the veranda» (Ngugi, 1987:21). La société
référentielle africaine du texte se dévoile comme une société anomique ou de crise. Ici, le
désordre devient l’ordre et inversement. Dans cette anomie sociale généralisée, les
propriétaires terriens sont privés de leur terre et les propriétaires des maisons deviennent
des sans-abris. Mieux, ils assurent la sécurité dans les lieux de résidence des usurpateurs,
ces voleurs déguisés en philanthropes. Dans le déroulement de l’intrigue, Settler Williams
est le véritable agent des forces du mal. La cruauté est l’aspect distinctif de son caractère.
La malice de cet esclavagiste démontre que l’esclavage est une machine de destruction
massive : « There is nothing worse than slavery in this world. Slavery! Ah, slavery! The
chaining of the mind and of the soul » (Ngugi, 1987:46-47). Le protagoniste Settler
Williams est farouchement déterminé à réduire les Africains à la mendicité. Il ne travaille
pas dans les usines esclavagistes, mais il est celui qui s'accapare du salaire mensuel des
ouvriers. C’est un homme qui profite du fruit de la souffrance: « The white-man-who-reaps-
where-he-never-sowed […] black-man-who-produces, not know the white-man-who-reaps-
where-he-never-sowed? » (Ngugi, 1987 :46).

130 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜127-142


Lèfara SILUE & Aboubacar Sidiki COULIBALY

Dans les textes du corpus, les noms : « police station » (Ngugi, p.8), « railway and
tunnel » (Ngugi, p.8), « factory » (Ngugi, p.9), « black Mercedes » (Ngugi, p.9),
« plantation » (Ngugi, p.42), « horses » (Ngugi, p.42), « Mercedes-Benz » (Ngugi, p.42) sont
des instruments d’exploitation et de domination du système colonial. Dans la narration,
« l’usine » et « la plantation » apparaissent comme de véritables agents des forces du mal.
Les ouvriers Africains travaillent dans ces deux structures sans repos et ils reçoivent un
salaire misérable pour le travail fourni. Le colon fait travailler les colonisés dans l’usine :
« ANGLO-AMERICAN LEATHER AND PLASTIC WORKS » (Ngugi, 1987, p.10) comme
des bêtes sauvages. La mention « PRIVATE PROPERTY » (Ngugi, 1987, p.10) participe
d'une catégorisation des groupes sociaux du texte. Le décodage du message que le nom de
l’usine renferme révèle que les Occidentaux sont venus pour s’enrichir mais pas pour
sauver les Africains. C’est pour cette raison que les ouvriers bénéficient chaque jour d’une
recréation de cinq minutes. L’analyse dévoile qu’un ouvrier ne peut pas se reposer et
récupérer l’énergie perdue pendant cinq petites minutes. Le non-dit de cette récréation est
de permettre à chaque ouvrier de se soulager et de fumer une cigarette. Ici, l’employeur, le
colon n’accorde pas de la valeur à la vie des Africains. Ce qui est important pour lui, c’est
la grande quantité de produits que l'usine fabrique. L’exploitation du colonisé se manifeste
également dans un autre lieu de rencontres communautaires que la vaste plantation
esclavagiste symbolise dans le texte. Le narrateur parle de l’étendue de cette entreprise
agricole du colon quand il dit :

‘This plantation is so big that the owner can cover it from end to end only on
horseback’. ‘Or maybe on a winged car’, Mŭriŭki added picturing in his mind their
yard. ‘Oh, how I would love to fly above this tea estate on a winged Mercedes-Benz or,
better still, on a winged horse, with the leaves of these bushes softly brushing the dust
off my aching feet’. […] Gŭthera and Mŭriŭki strained their eyes to look, and indeed,
there on top of the hill overlooking the whole country stood a huge house which
seemed to stretch out for miles, as if, like the plantation itself, had no beginning and
no end.
Ngugi (1987 :42)

Dans ce paragraphe, la plantation du colon est décrite comme un très vaste


domaine agricole. Cette plantation est tellement vaste que les responsables sont obligés de
se déplacer à cheval ou en voiture pour joindre ses deux extrémités. Au-delà de la grandeur
de la plantation, on se rend compte que le colon a confisqué les terres des Kenyans pour
créer son entreprise agricole. C’est donc un cadre qui participe à la pérennisation de la
domination coloniale en Afrique. L’immensité de ce domaine agricole constitue à la fois sa
beauté et sa laideur. Il est très vaste parce que des Kenyans y travaillent contre leur gré et
sans salaire. C’est un symbole qui traduit la souffrance endurée par les Africains pendant
la construction des institutions du système colonial. Le cheval et la Mercedes-Benz sont
des moyens de transport qui mettent en relief l’opulence des propriétaires de la plantation.
Le personnage Matigari ne supporte pas le mépris des collaborateurs de l’esclavagiste vis-
à-vis des Africains qui ont construit toutes les institutions de l’administration coloniale
avec les mains nues. Il relate l’histoire de l’invasion du pays à Bob, ce collaborateur du

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 131


Rôle de la Littérature et changement social dans le roman africain d’expression anglaise : une étude de
Matigari de Ngugi wa Thiong’o et Ancestral Sacrifice de Kaakyire Akosomo Nyantakyi

colon. Il était bien présent pendant la pénétration des Portugais, des Arabes et des
Britanniques : « I have seen many things over the years. Just consider, I was there at the
time of the Portuguese, and at the time of the Arabs, and the time of the British » (Ngugi,
1987, p.45). Au regard de ce qui précède, on note que la pénétration de l’Occident en
Afrique a été désastreuse, douloureuse et sanguinaire. Dans cette perspective, nous nous
intéresserons au caractère sanguinaire du colon dans le point suivant.

1.2. La dénonciation du sadisme de l’esclavagiste


La figure du colon que Ngugi révèle au lecteur dans le roman Matigari, est celle
d’un esclavagiste sanguinaire et insensible. Dans cette vision, le protagoniste Settler
Williams est représenté comme l’incarnation du sadisme occidental. C’est un personnage
qui se plait à faire souffrir les autres. L’auteur critique et dénonce le cynisme du colon
quand il écrit :

How the setters had loved shedding blood! They would dress in red, and the rider who
got to the fox first would cut off its tail in triumph; then he would smear the blood of
the fox on the face of a woman…Yes, it felt like a long time back…Well, there was no
night so long that it did not end with dawn…He hoped that the last of the colonial
problems had disappeared with the descent of Settler Williams into hell.
Ngugi (1987 :3)

Dans cet extrait, la bestialité du colon transparaît à travers son goût de l’effusion du
sang. Les dominants sont à l’image des vampires obnubilés par la vue du sang. C’est ce qui
explique le plaisir qu’ils éprouvent quand ils s’habillent en rouge. Ils sont d’ailleurs
heureux de décapiter un renard et de badigeonner le visage d’une femme africaine avec le
sang de la bête tuée. La méchanceté des Européens à l’égard des Africains est aussi
perceptible dans le comportement des deux policiers et de leur chien apprivoisé pour punir
les dominés. Le narrateur parle du cynisme des forces du mal dans la société référentielle
du texte quand il soutient :

A crowd of people stood around Gŭthera, watching the policemen unleash terror one
the woman. She was kneeling on the ground. The dog would leap towards her; but
each time its muzzle came close to her eyes, the policeman who held the lead
restrained it. Gŭthera’s wrapper lay on the ground. Each time she stood up to retreat,
the dog jumped at her, barking and growling as though it smelled blood. Some people
laughed, seeming to find the spectacle highly entertaining. A gush of urine rushed
down her legs, she was staring death in the face. […] ‘What is going on here? Are you
going to let our children be made to eat shit while you stand around nodding in
approval? How can you stand there watching the beauty of our land being trodden
down by these beasts? What is so funny about that? Why do you hide behind a cloak
of silence and let yourselves be ruled by fear? Remember the saying that too much
fear breeds misery in the land’.
Ngugi (1987 : 30-31)

132 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜127-142


Lèfara SILUE & Aboubacar Sidiki COULIBALY

Dans le texte, les policiers et leur chien agissent comme des promoteurs de la
violence et du terrorisme. Ces étranges hommes qui « passent […] la majeure partie de
leur existence à entretenir des divisions, à maintenir des fossés, à faire sauter des ponts, à
se barricader, à se cuirasser, à s’effrayer les uns les autres » (Dadié, 1968, p. 58) ont la
ferme conviction que se battre est un devoir pour eux. Ces forces du mal sont insensibles à
la douleur et la souffrance des personnes vulnérables. Le chien est symboliquement l’arme
que les collaborateurs du colon utilisent pour éviter toute velléité de révolte des colonisés.
Les deux policiers livrent à leur chien toute femme africaine qui refuse de coucher avec le
colon: «The dog would leap towards her; but each time its muzzle came close to her eyes,
the policeman who held the lead restrained it » (Ngugi, 1987:30). Ainsi, les démons blancs
posent des actes que le lecteur peut comparer à des actes terroristes. Le terrorisme que les
adjuvants du colon Settler Williams propagent dans la société référentielle du texte,
transforme les Africains en des traumatisés psychologiques. Cela se traduit par le
remplacement de la société de valeurs par la société anomique. L’inaction des Africains
vis-à-vis de l’humiliation et la maltraitance de la femme africaine que le chien force à
pisser sur elle-même : « A gush of urine rushed down her legs» (Ngugi, 1987 :30), nous
permet de comprendre que la solidarité africaine a cédé la place à l’individualisme sous
l’ère du colon Settler Williams. Les Africains sont devenus plus sadiques que les
colonialistes car la violence et le terrorisme sont perpétrés par des Africains contre leurs
propres frères. Par conséquent, l’Africain moderne se réjouit du malheur de son frère. Il ne
se sent plus obliger de compatir à la douleur de ses semblables. Au demeurant, l’église,
naguère lieu de refuge des parias et des pauvres devient elle aussi l’épicentre des séismes
sociaux qui s’opèrent dans le texte. L’église se détourne de sa mission première quand elle
se transforme en un lieu de manifestation de la haine et de l’injustice sociale. Le refus de
la communauté chrétienne de soutenir la jeune chrétienne qui doit échanger sa virginité
contre la vie de son père met également en relief la supercherie du système colonial. Le
père de cette jeune fille est arrêté et assassiné à cause de son refus de collaborer avec le
colon. Dans cette logique, le narrateur declare que:

One day, her earthly father was arrested. She went to see him in prison. She went to
the superintendent of police to ask why her father had been arrested. He told her:
‘Your father was found carrying bullets in his Bible. The girl denied this. Go ask your
father, they said. They brought him in, handcuffed. When she saw him like this, she
began to cry. […] The girl was great shocked and for a while remained speechless.
Being found in possession of bullets carried with it a death sentence. They took her
father back to his cell. The superintendent came out, smiling slyly. He said: My
supervisors do not know about this yet. We can settle this matter between us here and
now. Give me your purity, and I will your parent back to you. The young maiden
remained silent. The superintendent explained further: You are carrying your father’s
life between your legs.
Ngugi (1987 : 35)

L’inconscient du texte révèle que l’église est effectivement un agent des forces des
ténèbres. C'est un instrument de la répression contre les patriotes et les révolutionnaires

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 133


Rôle de la Littérature et changement social dans le roman africain d’expression anglaise : une étude de
Matigari de Ngugi wa Thiong’o et Ancestral Sacrifice de Kaakyire Akosomo Nyantakyi

Kenyans. D’ailleurs, le colonisé qui refuse de regarder dans la même direction que le
système est traité de terroriste. C’est ce qui explique l’arrestation arbitraire de ce
combattant de la liberté que l’administration de Settler Williams présente comme un
terroriste voire un danger public. On soupçonne ce patriote Kenyan de se promener avec
des minutions dans sa Bible: «Your father was found carrying bullets in his Bible» (Ngugi,
1987 :35). A ce stade, on remarque qu’il s’agit d’une accusation sans fondement. Sinon
quelle est la taille d’une Bible pour qu’elle soit utilisée comme un moyen de transport de
minutions ? L’analyse permet de déceler le mensonge de l’idéologie colonialiste que
contient l’évangile. D’ailleurs, pour libérer ce soi-disant terroriste, le garde-pénitencier
demande à la fille du détenu de lui offrir sa virginité contre la libération de son père. Le
garde-pénitencier ridicule et satirise la foi chrétienne des Africains quand il dit à la jeune
fille que son sexe est l’unique moyen pour sortir son père de la prison : « You are carrying
your father’s life between your legs» (Ngugi, 1987 :35). Il précise que l’ordre hiérarchique
n’est pas informé de cette arrestation, par conséquent, un règlement à l’amiable est
possible à condition que la fille du prisonnier accepte de lui offrir gratuitement son corps,
c’est-à-dire, sa virginité. Dans ce dilemme, la jeune fille se retourne vers l’église pour avoir
le soutien et la compassion de la communauté religieuse pour faire le bon choix.
Cependant, l’église lui conseille de protéger sa virginité au détriment de la survie de son
père. Elle se rend à la prison où elle annonce son refus de se sacrifier pour sauver la vie de
son père. Le brigadier tente alors de la convaincre à offrir son corps quand il affirme :

Your father is among those who call themselves patriots. He has been assisting the
terrorists with supplies of bullets. The crime of being found in possession of bullets
without a license carries a death sentence. But I shall help you. Nobody outside this
police station knows about this. You can trade your innocence for your father’s life.
The girl answered: I will never forsake my father, Creator of heaven and earth. He lay
down the commandment: Thou shalt not commit adultery. The police officer told her:
Say goodbye to your father, then. Her earthly father was killed. Their land was
confiscated by the colonial government and the girl was left to fend for her brothers
and sisters. Problem began to heap on problem. […] The girl went back to the priest.
She pleaded with all the other Christians in her church. When they saw her
approaching, they fled. A terrorist’s child? She would go to church, only to return
home empty-handed.
Ngugi (1987 : 36)

L’analyse de cet extrait met en exergue le sadisme de l’église et des chrétiens. La


jeune fille a suivi les conseils prodigués par les dignitaires de l’église missionnaire. Elle
refuse de sacrifier sa virginité pour épargner la vie de son père. Ce refus trouve son
fondement dans l’évangile qui stipule que nul ne doit commettre l’adultère : « Thou shalt
not commit adultery » (Ngugi, 1987 :36). Au-delà de cette non acceptation, on voit
l’aliénation mentale et psychologique d’une névrosée Africaine. A notre avis, si cette jeune
fille était lucide, elle comprendrait que sauver la vie de son géniteur est une chose très
importante. Cependant, on comprend son attitude puisque l’église est dépeinte comme un
espace idéal de promotion de la haine et de la méchanceté. L’assassinat de son père lui

134 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜127-142


Lèfara SILUE & Aboubacar Sidiki COULIBALY

permet de voir que l’institution religieuse n’est pas toujours un refuge pour les déprimés et
les parias Le refus de cette instance de la réconforter pendant la crise familiale qu’elle
traverse est la manifestation palpable de la malice des hommes de Dieu et des convertis
contre les pauvres. « The real Church of God resided in people’s hearts. The rest were
mere edifices (Ngugi, 1987:33). La jeune fille aimait profondément son père biologique à
l’image de son père céleste. Cependant, elle est stigmatisée par l’église comme la fille d’un
terroriste, ce qui sous-entend qu’elle est elle-même une terroriste en devenir. Pour cette
raison, elle ne bénéficie pas de l’assistance de l’église. Par ailleurs, cette jeune chrétienne
devenue orpheline et abandonnée par les dignitaires religieux se transforme en une
travailleuse du sexe pour s’occuper de sa famille. Ici, on note une fois de plus l'image
négative du colon en tant que force du mal à laquelle s'oppose la description positive de
Matigari, ce personnage charismatique qui symbolise le bien.

2. La littérature, une promotion du patrimoine culturel africain


Cette seconde partie de notre travail se préoccupe de la promotion de la culture
dans le texte de Nyantakyi. Il s’agit d’une opération qui vise à faire connaître le patrimoine
culturel ghanéen afin d’accélérer sa vente sur le marché mondial. L’étude sera centrée sur
la littérature comme affirmation de l’identité culturelle africaine et la littérature, un
échange culturel.

2.1 La littérature comme affirmation de l’identité culturelle africaine


Le roman Ancestral Sacrifice (2005) de Nyantakyi est une œuvre littéraire porteuse
de charges culturelles africaines. L’étude de l’ensemble des éléments textuels
d’accompagnement permet de décrire le romancier Nyantakyi comme un promoteur de la
culture africaine. D’ailleurs, le titre: «Ancestral Sacrifice» est le premier signe palpable qui
traduit l’engagement de l’auteur dans la promotion de la culture africaine. « Le rituel
traditionnel » que Nyantakyi convoque dans son texte vise la pérennisation des valeurs
culturelles positives de la religion traditionnelle africaine. Les différents éléments culturels
figurant sur la première de couverture à savoir : l’arbre, le soleil levant, les deux colombes
et la mer forment un panorama synthétique de la culture africaine. L’arbre est le symbole
de l’arbre à palabres qui joue le rôle de tribunal dans la société ghanéenne référentielle du
texte. Dans la société traditionnelle, l’arbre à palabres est le lieu de manifestation des
antagonismes sociaux. « Ce sont les références à l’image de l’homme et au rapport entre
l’œuvre et la réalité qui nous suggèrent que la précompréhension de la condition humaine
détermine la production d’un récit» (Collington, 2006 :84-85). C’est aussi l’épicentre de
tous les séismes sociaux. Le soleil levant est le symbole de l’aube, un nouveau jour ou un
nouveau départ pour la société africaine féodale qui prend l’initiative de s’ouvrir au reste
du monde. Les deux colombes sont considérées comme l’emblème de la douceur, de
l’amour, de la pureté et de la paix. La mer qu’on observe derrière l’arbre traduit les
mouvements aller-retour, la source de vie et la richesse de l’espace évoqué. «
Esthétiquement, chaque espace confère à son usager un mode de vie spécifique
inséparable de celle de la communauté globale. […] C’est pourquoi, l’espace, quoique
miniaturisé, est bel et bien producteur de signification ». (Sidibé, 1999 :88-89). Aussi, le

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 135


Rôle de la Littérature et changement social dans le roman africain d’expression anglaise : une étude de
Matigari de Ngugi wa Thiong’o et Ancestral Sacrifice de Kaakyire Akosomo Nyantakyi

décryptage de l’image de la quatrième de couverture confirme également l’attachement du


romancier Ghanéen à la culture africaine. Nyantakyi est habillé en tenue traditionnelle
comme un roi Akan avec une couronne noire dorée et un morceau de pagne rouge autour
du cou. Dans la dédicace, l’auteur se dévoile comme un adorateur des ancêtres : “I
dedicate this book to my traditional father, Asafoakye Kwaku Nyantakyi, and my Christian
mother, Margaret Ohenewaa Dokyi (Yaa Mansah), who lived in peace until death parted
them. Their love for each other, despite their conflicting beliefs, inspired me.” Nyantakyi
2005:3). L’auteur, Nyantakyi dédie son roman à son père qu’il considère comme son guide
spirituel traditionnel. Il est influencé par le comportement de ce gardien de la tradition. On
remarque que le fils est le véritable héritier du père. Par conséquent, Kaakyire Akosomo
Nyantakyi est également un promoteur et un défenseur de la culture africaine à l’image de
son père, Asafoakye Kwaku Nyantakyi. Les noms qu’ils portent ont la même configuration.
Chacun d’eux porte un nom africain constitué d’un nom de famille : Nyantakyi et d’un
prénom formé de deux noms africains. Dans le texte, le nom est un marqueur d’identité et
d’intégration sociale. Cette affirmation identitaire se perçoit dans le texte à travers le choix
des noms des personnages : Nana (Nyantakyi, 2005, p. 9), Awo Yaa Akoto (Nyantakyi,
2005, p. 9), Nana Koo Barima (Nyantakyi, 2005, p. 13), Nana Boatemaa (Nyantakyi, 2005,
p. 32), et des espaces vécus ou évoqués : Asana (Nyantakyi, 2005, p. 12). Ces empruntes
nominales posent le problème de l’identité et du rôle à jouer dans le monde. Sans identité,
nous sommes un objet de l’histoire, un instrument utilisé par les autres: un ustensile. Dans
l’identité, la langue compte beaucoup. La lente asphyxie des langues africaines serait
dramatique. Ce serait la descente aux enfers, pour l’identité africaine car les Africains ne
peuvent pas se contenter des éléments culturels qui leur viennent de l’extérieur (Ki-Zerbo,
2003, p. 8). Nyantakyi se sert de la fête de la nouvelle igname pour valoriser la culture
Akan:
On the stroke of noon the Stool-House drums began to rumble. This told the villagers
that the spirits of their ancestors had come home. People hurried from their houses to
place food and drink at their backyards for their unseen guests. The sky was clear and
serene. […] The air was filled with a good breeze, and everyone seemed to be ready.
This was the time for the young, the old, the weak, and the strong to forget about work
and worry, and prepare to enjoy the new yam with the spirit of their long-lost relatives.
At about two, Awo Yaa Akoto led the female members of the council to sprinkle
mashed yam and boiled eggs on the street corners for visiting spirits who had no
homes to go to. Meanwhile, some selected male members of council were at the village
river cleansing the Black Stool. The ritualistic purification of the Stool was conducted
by two male virgins, who alone had permission to touch the sacred Stool. Back in the
village, by the street sides, most of the villagers had gathered to catch a glimpse of the
Black Stool.
Nyantakyi (2005 :26)

Dans ce passage, le narrateur décrit la fête de la nouvelle igname comme une


cérémonie de rencontre communautaire. Cet évènement est donc le pont qui relie le monde
visible au monde invisible. Les jeunes et les personnes agées participent à l’organisation
de la cérémonie: «As the chief of the Stool House overseer, and the Council of Elders

136 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜127-142


Lèfara SILUE & Aboubacar Sidiki COULIBALY

meditated in preparation for the rituals, these enthusiastic young men and women sat
huddled together like fresh coconut clustered on a stalk, smiling» (Nyantakyi, 2005:27).
C’est un jour de rejouissance où chacun marque un arrêt de travail: «This was the time for
the young, the old, the weak, and the strong to forget about work and worry, and prepare to
enjoy the new yam with the spirit of their long-lost relatives» (Nyantakyi, 2005: 26). Une
cérémonie de purification est faite pour purifier le village et le tabouret noir « the Black
Stool», symbole de la puissance du prêtre traditionnel ou du propriétaire de la case. Il y a
de la nourriture en abondance pour le village et les invités. Dans ce sens, les esprits qui
n’ont pas de famille d’accueil ne sont pas oubliés. Du foutou et des œufs sont déposé en
bordure des routes pour eux. La réputation du chef akan ghanéen transparaît dans ce
passage comme suit:

When an attendant came to announce that the chief was about to make his entry
everyone stoop up. Three gun-shots from the lobby echoed and reechoed through the
stool-house and out in the streets. Cocks, hens, dogs, and turkeys out in the village set
up an alarm as if they had seen an unfriendly animal. Then Nana Kao Barima entered.
He was led by the stool carriers and flanked on his right by Baamuhene, the Stool-
House overseer, on his left by Okyeame, the chief’s spokesman, and behind him were
Ohemaa, the Queen-Mother, her attendants, and the village Council of Elders.
Nyantakyi (2005 :27)

Par ailleurs, le roman représente des attitudes liées à la perpétuation du groupe


social. Dans la narration, le rituel de l’igname est utilisé pour satisfaire des besoins
d’organisation du pouvoir, d’intégration et de cohésion sociale. « Les métaphores spatiales
constituent donc un discours, à portée presque universelle, puisqu’on y parle de tout,
littérature, politique, musique, et dont l’espace constitue la forme, puisqu’il fournit les
ternes mêmes de son langage» (Genette, 1966 :103). La fête de la nouvelle igname a
également une fonction intégrative ou éducative. Elle est une messe voire une réjouissance
qu’aucun villageois ne veut rater : «Family members met to either pretty family squabbles
or discuss matters of the family concern. Some form of activity was going on in almost every
home» (Nyantakyi, 2005: 25). Tout le village d’Asana respecte scrupuleusement les
différentes manifestations de cette messe de la religion traditionnelle akan du Ghana.
L’arrivée du prêtre traditionnel dans le sanctuaire est toujours précédée par trois coups de
fusil. Par conséquent, toute l’assistance, toute la communauté villageoise se lève comme un
seul homme pour accueillir l’élite traditionnelle charismatique. Ainsi, le guide religieux
entre dans le temple en compagnie de ses proches collaborateurs : Baamuhene, l’assistant
de la case sacrée, Okyeame, le porte-parole du guide, Ohemaa, la reine mère et le conseil
des sages du village. Nyantakyi fait également la promotion du rite de la puberté qui est
très significatif parce qu’il permet de contrôler le développement morphologique des
jeunes filles. Dans l’espace fictionnel Asana, les jeunes filles sont obligées de garde leur
virginité jusqu’à la puberté qui est le moment idéal pour les parents de proposer la
virginité de leur fille à un homme digne et respecté. Le narrateur parle de l’importance du
rituel de la puberté quand il dit:

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Rôle de la Littérature et changement social dans le roman africain d’expression anglaise : une étude de
Matigari de Ngugi wa Thiong’o et Ancestral Sacrifice de Kaakyire Akosomo Nyantakyi

Awo Yaa Akoto looked on for a while and hope her presence would wake Nana up but
it didn’t. Nana turned, and when her sleeping cloth slid off her waist, a slight smile,
like a knife mark in fresh dough, parted Awo Yaa Akoto’s lips. Her granddaughter had
coverd her genitals with a red bandana, which meant she had entered puberty. For six
days Nana Boatemaa was confined to the house and Awo Yaa Akoto gave her
instruction on the duty of a woman. Early on the seventh day, Nana shaved her
armpits and her genitals and Awo Yaa Akoto trimmed down her long, black hair. The
news was spread around the village, and girls of her age who had experienced the
puberty rituals rushed to congratulate her. At noon they blindfolded her and led her to
the village river. Amidst puberty rhymes they pushed Nana Boatemaa into the river,
and still blindfolded, she struggled her way out. The girls stripped her naked and with
a new sponge and a new towel, they gave her a bath.
Nyantakyi (2005 :17-18)

Ici, le rituel de la puberté se dévoile comme un évènement très important à l’image


de la fête de la nouvelle igname. Les camarades de la jeune fille qui a atteint la puberté
s’impliquent activement dans l’organisation de la cérémonie. Elles lavent l’adolescente à la
rivière afin de la débarrasser de toute impureté. Après la purification, la fille reçoit des
leçons portant sur la vie ou du moins sur le rôle de la femme dans la cellule familiale. La
puberté peut être interprétée comme un passage de l’adolescence à la maturité. C’est dans
ce que la grand-mère Awo Yaa Akoto annonce à sa petite fille qu’elle est devenue une
femme. «You are now a woman. There are some things in life that you must know. First and
foremost, you must understand that if life were not hard to live, the chicken would cover its
rectum with a red bandana. Life is full of setbacks» (Nyantakyi, 2005 :9). La puberté est
donc une initiation à la vie qui prépare la jeune fille à devenir une femme vertueuse,
soumise et courageuse. L’observance de cette pratique permet d’éviter les grossesses
indésirables et la débauche sexuelle. Cette étude de l’affirmation de l’identité culturelle
africaine sera suivie par l’examen des manifestations du changement.

2.2 Les manifestations du changement social


A ce stade de notre étude, nous tenterons de montrer comment l’émergence ou le
changement est perçu dans le texte de Nyantakyi. Il s’agit donc d’identifier les symboles
du changement afin de les décoder pour produire du sens. Dans cette logique, le narrateur
décrit Asana comme un village moderne :

Asana was a small but very popular village with a population of about one thousand.
Few of the houses at Asana were built of blocks, covered with roofs that bounced
signals from the sun, and furnished with modern facilities. Some of these houses, like
the Catholic Church, the mission house, the movies house, the school, and Mrs Little’s
house, could be seen through the nim trees which lined the main road that snaked its
way from Suhyen to the village. The palace and the Stool-House stood in the centre of
the village. […] Unlike many village streets, the streets at Asana were wide and well
kept. They connected to each other and there were enough gutters for proper drainage.
Nyantakyi (2005 :12)

138 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜127-142


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Dans ce passage, Asana est ironiquement décrit comme un village d’environ mille
habitants. La forte densité de la population explique qu’Asana n’est pas un village mais
plutôt une petite belle ville ghanéenne. Celle-ci a des infrastructures modernes :
l’architecture, les maisons, les routes très larges et propres ainsi que la voirie moderne. Le
village d’Asana a également des institutions à l’image de la capitale Accra : l’église
catholique, la mission, le cinéma, l’école, la maison de Mrs Little et le palais. La présence
de toutes ces institutions de relais du système colonial révèle qu’Asana est un véritable
symbole du progrès social. Dans la socialité du texte, Asana est une ville hybride.
D’ailleurs, l’hybridité identitaire d’Asana s’explique par la présence de l’église et de la
case du « Tabouret Sacré » dans le même espace référentiel. C’est une ville qui se sert à la
fois de la tradition et du modernisme. Nyantakyi se sert de l’église catholique et du
sanctuaire du Tabouret Sacré pour aborder la problématique de la cohabitation pacifique
entre les chrétiens et les fidèles de la religion traditionnelle de la société ghanéenne. Dans
le roman, la crise religieuse naît du refus des chrétiens zélés de reconnaitre l’autorité
politique des dignitaires de la religion traditionnelle. A ce propos, le narrateur soutient
que :
Apart from religious differences which sometimes divided them, the people of Asana
had very much in common. They were united in a common cultural heritage until the
Catholic missionaries arrived. When the missionaries established a school and
church, everything changed like a sudden shift of wind. The Christian converts began
to condemn Ancestral worship and called on the village chief to abolish it, and that
started the conflict between the traditionalists and the converts. Gradually, the
Christians refused to associate with the traditionalists, although they allowed all
children in their schools.
Nyantakyi (2005 :12)

L’examen de ce passage démontre que les habitants d’Asana sont unis et solidaires
malgré l’antagonisme de l’idéologie religieuse. L’institution scolaire est le symbole de cette
concorde sociale. Ici, l’école est destinée à la fois aux enfants des convertis et des non-
convertis. Ainsi, la scolarisation de tous les enfants du village symbolise l’alliance de la
tradition et du modernisme, de l’Afrique et de l’Europe. On y voit donc le dialogue
interculturel des deux civilisations : africaine et occidentale. Selon Bakhtine et Kristeva, le
texte (littéraire ou non littéraire) n’est pas monade : il eut être parlés ou écrits, historiques
ou contemporains que l’auteur connaît et avec lesquels il entre en dialogue. Un tel dialogue
peut prendre la forme d’un pastiche, d’une parodie, d’une polémique ouverte ou latente ou
d’une critique. (Zima, 2011 :76-77). L’école participe donc à la socialisation et à
l’intégration de l’enfant dans ce monde de globalisation. «We came here to work with you.
Our main aim is to educate your children so they can compete with the outside world in the
future. The beginning of everything is difficult, but we have to keep trying» (Nyantakyi,
2005:14). Le romancier ghanéen Nyantakyi a le mérite de poser des problèmes et de
proposer des remèdes à ces problèmes. Son génie créateur réside dans le compromis, le
dialogue et l’écoute de l’autre qu’il propose comme des voies de sortie de crise. Chez
Nyantakyi, c’est le prêtre, «the father» de l’église qui se déplace vers le guide traditionnel
pour le convaincre à ramener les enfants du village à l’école après la crise qui a opposé les

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Rôle de la Littérature et changement social dans le roman africain d’expression anglaise : une étude de
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deux communautés religieuses. Les traditionnalistes retirent leurs enfants de l’école


missionnaire pour réagir contre la désacralisation de leur lieu de culte. Mais les deux
communautés acceptent le compromis pour préserver la concorde sociale. Le sens du
compromis se révèle dans le discours de la directrice de l’école. «The traditionalists could
maintain their traditional laws and cultural customs among themselves as long they were
careful not to stop beyond the assigned limits» (Nyantakyi, 2005:13). Le chef d’Asana,
Nana Koo Barima est conscient des avantages de l’éducation occidentale. Dans ce sens, il
se transforme en un facilitateur entre l’église et le village. Le prêtre de l’église en sa
qualité de grand serviteur de Dieu et homme de paix, s’excuse auprès du conseil des sages
d’Asana:

At the meeting father Goodsman had assured the Council that it was not the mission’s
intention to undermine their past and cultural heritage. Some of the converts, he had
admitted, had gotten out the line and he would do his best to straighten them. He
would let them understand that the chief was the overall head of the village, and also
traditional studies were now part of the school syllabus.
Nyantakyi (2005 :13-14)

Le prêtre désire faire la paix avec les villageois. Il profite de l’occasion pour
renforcer l’amitié entre les chrétiens et les traditionalistes. C’est pour cette raison qu’il
soutient que l’église ne méprise pas ou ne cherche pas à détruire le patrimoine culturel des
hommes d’Asana. Le désordre qui ronge l’espace décrit est perpétré par quelques
nouveaux convertis écervelés. Les deux parties prennent des dispositions pour éviter de
telles situations désastreuses à l’avenir. Le texte de Nyantakyi prône également la
suppression des inégalités sociales et classes sociales. Comme on note, l’auteur aspire à
l’avènement d’une société juste et égalitaire. C’est donc une société démocratique où les
droits de l’homme seront respectés. L’union de Nana et de Bob démontre qu’il n’existe pas
de barrière en matière d’amour entre les différentes classes sociales. La déclaration
d’amour que Nana fait à Bob peut être lue comme un changement dans le comportement
des villageois. Dans le contexte africain, c’est l’homme qui généralement fait des avances à
la femme. « L’intérieur du texte, c’est dans les relations entre ces deux réseaux que
s’articulent les opérations de production idéologique, et simultanément, du moins dans ce
roman, la déconstruction qui les expose au lecteur » (Levaillant, 1979, p.107). Ici, c’est
Nana, la petite fille d’Awo Yaa Akoto, le leader des femmes d’Asana qui exprime son
amour à un chrétien connu sous le nom de Bob:

I have had my puberty. “Puberty? What that?” “It’s some changes young girls go
through before they become women. That’s why your mother said I’m now a woman.”
I’m now a woman, Bob. That’s why, Nana said and left. Bob Little continued to rock
himself back and forth, gradually increasing the speed, sitting and standing and
singing off key.
Nyantakyi (2005 :23)

140 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜127-142


Lèfara SILUE & Aboubacar Sidiki COULIBALY

Dans l’intrigue, la maman de Bob l’encourage à accepter le projet de mariage


formulé par Nana parce que ce mariage lui permettra de parfaire son intégration sociale.
Cette union entre le fils de madame Bob Little et la petite fille d’Awo Yaa Akoto est en
réalité la rencontre de deux familles diamétralement opposées. Le jeune Bob est naïf et
inconscient. Dans ce sens, il se comporte comme l’idiot du village pendant le rituel de la
fête de la nouvelle igname. Bob est incapable de supporter la vue du sang des moutons
immolés. Il se met donc à hurler. Quand il aperçoit l’assistant du prêtre badigeonner le
Tabouret Sacré avec le sang de bêtes immolées, il fuit le village pour se réfugier dans la
forêt sacrée. «Unable to stand the sight of the slaughter, he got up, and as if driven by some
force, cried out, stop it, stop it! This is awful» (Nyantakyi, 2005 :29). Son départ du village
à la forêt sacrée est un voyage qu’il effectue dans le monde des esprits. La forêt sacrée est
un lieu symbolique et idéologique de l’espace fictionnel Asana. « L’espace représenté dans
un texte littéraire est révélateur d’une certaine idéologie » (Eisenzweig, 1971 :186). C’est
le lieu de l’initiation ou de la métamorphose de l’homme. L’auteur déporte Bob dans la
forêt pour qu’il se transforme en un véritable homme. Son séjour dans la forêt fait de lui un
être conscient et audacieux. A son retour, Bob devient comme Moïse dans les saintes
écritures qui doit conduire son peuple à Canaan, la terre promise. Dans le déroulement de
l’histoire, il se métamorphose en bouc émissaire, faiseur de paix, symbole d’unité et héros
messianique. Ancestral Sacrifice de Nyantakyi est un roman post-moderne qui se
caractérise par son hybridité, c’est-à-dire la transgression des formes classiques dont il
tente de se libérer par un croissement des genres qui le place sous le signe de l’hétérogène
et de la diversité des formes, des langages, des discours (Karzazi, 2015 :133). Ce roman
fragmenté ou du moins en fragmentation est approprié à la société africaine en crise. Cette
société de crise est bien la société ghanéenne adultérée et déséquilibrée qui a perdu sa
cohésion. Par conséquent, les Ghanéens fictionnels ne parle plus d’une seule voix. Dans
cette anomie sociale, chacun parle et agit en son propre nom. L’homme Akan est donc à la
croisée des chemins. Son dilemme est tel qu’il est tiraillé entre le désir de préserver son
héritage culturel et celui d’adopter la culture occidentale. Le mariage mixte ou le mariage
entre chrétiens et traditionnalistes est une belle illustration de l’hybridisme identitaire.

Conclusion
Au total, on remarque que les romans analysés : Matigari de Ngugi wa Thiong’o et
Ancestral Sacrifice de Nyantakyi sont une contribution à la promotion des langues et
cultures pour l’émergence de l’Afrique. Ngugi et Nyantakyi sont des artistes au service du
peuple africain. Leurs textes peuvent-être lus comme des produits africains sur le marché
mondial, porteur de charges culturelles africaines. Ngugi et Nyantakyi font la promotion du
patrimoine culturelle africain. Les auteurs de notre corpus veulent faire connaître la
culture africaine pour montrer que l’Afrique a quelque chose à apporter au reste du monde.
L’Afrique doit se constituer à travers l’intégration. C’est par son « être » que l’Afrique
pourra vraiment accéder l’avoir. A un avoir authentique, pas un avoir de l’aumône, de la
mendicité. Il s’agit du problème de l’identité et du rôle à jouer dans le monde. Sans
identité, nous sommes un objet de l’histoire, un instrument utilisé par les autres (Ki-Zerbo,
2004, p. 8). Le romanciers Ngugi et Nyantakyi se révèlent également comme des

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 141


Rôle de la Littérature et changement social dans le roman africain d’expression anglaise : une étude de
Matigari de Ngugi wa Thiong’o et Ancestral Sacrifice de Kaakyire Akosomo Nyantakyi

promoteurs des valeurs sociales : la coexistence pacifique entre chrétiens et


traditionalistes, le respect de l’autre, la non-violence, le dialogue, le compromis, le don de
soi et l’abnégation. L’usage de ces valeurs africaines peut contribuer au règlement
pacifique des crises politiques et religieuses qui secouent le monde aujourd’hui. Nyantakyi
se sert d’une écriture fragmentaire ou fragmentée pour exprimer sa liberté d’expression. Il
décide de « démasquer le réel » (Leclaire, 1971 :26). Par conséquent, il viole toutes les
règles de l’écriture classique. Cette écriture fragmentaire se perçoit à travers l’émergence
d’une nouvelle esthétique littéraire, l’hybridité identitaire et langagière. Ancestral Sacrifice
combine tous les genres littéraire (le chant, le proverbe, la lettre, le pidgin, etc.), passe
d’un texte à un autre, multiplie les intrigues, confronte la réalité et la fiction. L’émergence
littéraire du texte de Nyantakyi est marquée par la décolonisation de la langue anglaise. Le
texte fragmenté participe à « l’essor de la sociologie littéraire » (Zima, 2011, p. 10). Il
exprime mieux les réalités de la société africaine fragmentée en quête de son identité et de
sa stabilité sociale.

Références bibliographiques
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fragmentaire dans les productions africaines contemporaines Paris, L’harmattan :99-113
Collington, T. (2006). Lectures chronotopiques: Espace, temps et genres romanesques, Canada,
Coulibaly, M. (2015). Le jeu fragmentaire chez Véronique Tadjo, un exercice de création
romanesque, L’écriture fragmentaire dans les productions africaines contemporaines, Paris,
L’harmattan, 59-76
Eco, U. (1965). L’œuvre ouverte, Paris, Éditions du Seuil
Eisenzweig, U. (1979). L’espace imaginaire du texte et l’idéologique, Sociocritique, Paris, Éditions
Fernand Nathan, 183-187
Françoise, R-T. (2001). Approche du roman, Paris, Hachette
Genette, G. (1966). Figures I, Paris, Éditions du Seuil
Karzazi, W. (2015). Nedjma de Kateb Yacine: une écriture fragmentaire, L’écriture fragmentaire
dans les productions africaines contemporaines, Paris, L’harmattan, 129-144.
Ki-Zerbo, J. (2003). À quand l’Afrique: entretien avec René Holenstein, Paris, Éditions de l’Aube
Leclaire, S. (1971). Démasquer le réel : un essai sur l’objet en psychanalyse, Paris, Éditions du
Seuil
Levaillant, J. (1979). Trajets de la représentation dans Les Dieux ont soif d’Anatole France» in
Sociocritique, Paris, Éditions Fernand Nathan, 98-110
Nyantakyi, K. A. (2005). Ancestral Sacrifice, U.S.A., Chicago Spectrum Press
Sidibe, V. (1999). Représentation de l’espace de la représentation dans le boucher de Kouta de
Massa Makan Diakité. En-Quête, Revue Scientifique de la Faculté des Lettre, Arts et Sciences
Humaines, Université de Cocody-Abidjan, PUCI, 4 :93-101
Todorov, T. (1978). Symbolisme et interprétation, Paris, Éditions du Seuil
Zima, P. V. (2011). Texte et société, Paris, L’Harmattan

142 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜127-142


Aminata KASSAMBARA & Bi Youan Mathurin TRA

L’APPORT DE LA LITTÉRATURE AU DÉVELOPPEMENT DE L’ÊTRE ET LA


SOCIÉTÉ : UNE ÉTUDE DE BESSIE HEAD ET NGUGI WA THIONG’O

Aminata KASSAMBARA
Université Félix Houphouet-Boigny, Cocody-Abidjan
[email protected]
&
Bi Youan Mathurin TRA
Université Félix Houphouet-Boigny, Cocody-Abidjan
[email protected]

Résumé : Le but de cet article est de montrer l’importance de la littérature africaine le


roman dans le changement des mentalités des leaders politiques et des peuples. Les deux
écrivains mis en évidence ici, Ngugi wa Thiong’o et Bessie Head qui par le biais des
personnages de Makaya, Muthony, Matigari ont pu atteindre leurs objectifs en dépit des
embuches politico-sociales. Ngugi lui fait recours à la révolution pacifique et violente face
à la colonisation et à l’élite noire dans l’Afrique postcoloniale tandis que Bessie appelle à
un changement sans recours à la violente. Pour Ngugi, il n’est plus question de décrire
mais plutôt tracer les sillons de la révolution pour une Afrique digne, prospère dépourvue
des pratiques ancestrales rétrogrades, de l’extrémisme religieux et du néocolonialisme
entretenus par les leaders politiques et l’élite intellectuelle. Quant à Head, l’émigration et
le racisme se sauraient constituer un frein à la réalisation des rêves d’un individu. Ngugi et
Head prônent le respect du genre, de la race et surtout le sacrifice de soi pour le bien-être
de la communauté gagent du développement durable.

Mots-clés : bien-être, changement, immigration, littérature, religion, révolution.

THE CONTRIBUTION OF LITERATURE TO HUMAN DEVELOPMENT AND SOCIETY:


A STUDY BY BESSIE HEAD AND NGUGI WA THIONG'O

Abstract: This article aims at showing the importance of african literature mainly novel in
the change of political leaders’ and the people’s mentality. Two writers are put into
evidence here, Ngugi waw Thiong’o and Bessie Head who through their characters:
Makaya, Muthony, Matigari who despite some socio-political ordeals reached their targets.
Ngugi is for peaceful and violent revolution against colonization and postcolonial African
leaders whereas Head calls for soft change. Concerning Ngugi, there is no more time to
describe but it is time to teach the ways that will trigger revolution for a dignified,
prosperous Africa rid of useless ancestral customs, religious extremism entertained by her
political leaders and intellectuals. For Head, emigration and racism could not be an
obstacle for and individual (woman) to achieve her dreams. Ngugi and Head yearn for
gender and racial respect, and specially self-sacrifice for the well-being of the community
guarantee of lasting development.

Keywords: well-fare, change, immigration, literature, religion, revolution.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 143


L’apport de la littérature au développement de l’être et la société : une étude de Bessie Head
et Ngugi wa Thiong’o

Introduction
Dans ce monde de la globalisation, la problématique du rôle du littéraire dans le
processus de développement de la société africaine est constamment évoquée dans les
discours politiques. Dans ce sens le politique africain a l’impression que le littéraire et ses
textes ne jouent aucun rôle dans le changement social, politique et économique de la
société. Pour apporter notre contribution à ce débat en cours sur le rôle ou l’importance de
l’art dans la société africaine que nous analyserons le thème : « L’apport de la littérature
au développement de l’être et la société : une étude de Bessie Head et Ngugi wa Thiong’o »
Pour mieux appréhender notre sujet il est important de définir les mots clés de notre sujet
autrement dit qu’est-ce que la littérature ? Et qu’est-ce que le développement ? La
littérature est l’expression de la société, comme la parole est l’expression de l’homme. A ce
propos, Wellek et Warren soutiennet que: « Literature is therefore created with
conventions, norms and values of the society in mind. Literature acts as a tool to represent
life and also to make life a social reality and easier to comprehend » (1968: 94). Autrement
dit, la littérature permet à l’individu de comprendre la société ou le monde afin de mieux
se comprendre comme un être conscient. On ne peut donc pas dissocier la littérature de la
société. Par ailleurs, le développement doit être perçu dans ce travail comme un
changement voire un phénomène qui influence le devenir de la société et de l’homme.
Dans cette dynamique, le sociologue français, Guy Rocher définit le changement comme
« Toute transformation observable dans le temps, qui affecte d’une manière qui ne soit pas
que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l’organisation sociale
d’une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire » (1968: 229). Ainsi, le
développement est l’amélioration des conditions de vie des hommes dans une société
donnée.
Dans le cadre de cette étude, notre corpus est constitué de deux romans de chaque
auteur : When Rain Clouds Gather et A Woman Alone de Bessie Head, The River Between et
Matigari de Ngugi wa Thiong’o. Nous nous effacerons à montrer en quoi est ce que les
romans de ces deux écrivains contribuent au développement de la société ? Dans quelle
mesure la littérature peut-elle contribuer à l’amélioration des conditions de vie et au
changement social ? Dans ces romans, la contribution de la littérature réside dans le fait
que les auteurs (Bessie et Ngugi) sont des panafricanistes, des révolutionnaires, leur
militantisme se transpose dans le texte à travers la dénonciation du système politique et
social. Ces deux auteurs sont des écrivains engagés, exilés car leur engagement participe
au développement de la société. Pour décrypter notre sujet, nous utiliserons la
sociocritique et la sémiotique pour analyser les deux points suivants : le militantisme de
l’écrivain et l’écriture de révolte.

1. Le militantisme de l’écrivain
1.1 Bessie Head : écriture comme engagement
La littérature engagée renvoie en règle générale à la démarche d’un auteur qui
défend une cause politique, sociale ou religieuse soit par ses œuvres soit par son
intervention direct en tant qu’intellectuel. C’est dans cette optique qu’un écrivain engagé
peut être défini comme un écrivain qui prend position, témoigne et dénonce faisant de la
plume une arme de combat et un instrument au service d’une cause noble. C’est dans ce
cadre que le premier roman intitulé When Rain Clouds Gather de Bessie Head relate
l’histoire d’un jeune sud-africain Makhaya qui fuit le régime apartheid de l’Afrique du Sud

144 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜143-152


Aminata KASSAMBARA & Bi Youan Mathurin TRA

pour se réfugier au Botswana voisin. C’est un activiste de la lutte anti-apartheid qui fuit la
ségrégation raciale et les persécutions. Dans le pays d’asile, la sécheresse et le tribalisme
règnent en maîtres. Mais à Golema Mmidi, le village où Makhaya a trouvé refuge, la
réforme agraire initiée par l’ingénieur britannique Gilbert va provoquer le changement
social et économique. Le britannique introduit de nouvelles méthodes de culture et
d’élevage pour accroitre la production animale et agricole. Le succès de cette réforme
réside dans l’union sacrée entre la coopérative des femmes du village et l’ingénieur
Gilbert. Makhaya veut apporter également sa pierre à l’édification de la nouvelle société de
Golema Mmidi. Pour cette raison, il intègre volontairement la cellule technique du
promoteur du projet de Gilbert. Ce roman porteur d’espoir, nous fait partager la vie d’une
communauté africaine et de comprendre la puissance de l’union. Le second roman A
woman Alone relate la vie de Bessie Head à travers une série d’articles et d’essais que le
lecteur peut combiner pour reconstituer le récit de sa vie. Head a un caractère combatif,
rude et violent mais le Botswana demeure pour elle un havre de paix. Elle se préoccupe
des problèmes de la haine raciale, le cynisme du système apartheid et le traumatisme de
l’exclusion sociale. Le texte s’ouvre donc par les déboires de l’auteure avec le régime et sa
quête d’un environnement paisible au Botswana. Dans When Rain Cloud Gather, le
personnage principal, Makhaya est un homme. Cependant, son histoire de vie est nettement
identique à celle de l’auteure Bessie Head. Parlant du brouillage identitaire, la narratrice
dit:

The little Barolong village swept right up to the border fence. One of the huts was built
so close that a part of its circular wall touched the barbed-wire fencing. In this hut a
man had been sitting since the early hours of dawn. He was waiting until dark when
he would try to spring across the half-mile gap of no-man’s-land to the Botswana
border fence and then on to whatever illusion of freedom lay ahead. […] In fact, the
inner part of him was jumble of chaotic discord, very much belied by his outer air of
calm, lonely self-containment. The only way you could sense this inner discord was
through a trick he had of slightly averting his face as though no man was his brother or
worthy of trust. Otherwise, his face was rather pleasing to the eyes. It was often wryly
amused. Its general expression was one of absorbed, attentive listening. His long thin
falling-away cheekbones marked him as a member of either the Xhosa or Zulu tribe
Head (1969:1)

Dans ce paragraphe, le protagoniste Makhaya se révèle comme l’incarnation de


Bessie. A l’instar de l’auteure, Makhaya est un activiste de la lutte anti-apartheid qui fait
de l’Afrique du sud pour s’exiler au Botswana. Il est le porteur d’un masque derrière
lequel, le lecteur voit planer l’ombre de Bessie Head. Le protagoniste et l’auteure sont des
victimes de la haine raciale. Ils sont paradoxalement de la même catégorie sociale. Par
conséquent, ils mènent un combat commun pour le changement de la société libre et
démocratique où les Africains et les Européens marcheront la main dans la main comme
des frères et sœurs. Le brouillage identitaire du personnage central se perçoit également
dans le roman A Question of Power où l’auteur se cache sous le manteau de l’héroïne
Elizabeth :

A year before her marriage she tentatively joined a political party. It was banned two
days later, and in the state of emergency which was declared. She was searched alone
with thousands of other people. Briefly arrested for having a letter about a banned

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 145


L’apport de la littérature au développement de l’être et la société : une étude de Bessie Head
et Ngugi wa Thiong’o

party in her handbag, and involved in court case. […] It might have been the court
case which eventually made her a stateless person in Botswana.
Head (1974:18)

Dans ce roman, Elizabeth apparait comme la flèche de lance de Bessie Head. Par
conséquent, la trajectoire de sa vie dans le fonctionnement de l’intrigue s’apparente à la vie
intime de la romancière. D’ailleurs, Elizabeth est également décrite comme une femme
traumatisée et révoltée qui se sert de son corps pour prôner l’avènement d’un nouvel ordre
social. A travers ses textes romanesques Head sensibilise, dénonce et incite à la prise de
conscience. On écrit pour ne pas oublier, pour laisser des traces. Ecrire nous permet donc
de laisser des traces aux jeunes car le livre contient le savoir d’un peuple donné.

1.2 Ngugi wa Thiong’o : une écriture de dénonciation


Ngugi dans son œuvre The River Between dénonce avec insistance l’excision ou
mutilation génitale féminine. Le terme “mutilation génitale féminine” a été introduit vers la
fin des années 1970, afin de distinguer cette pratique de celle de la circoncision
masculine. Ce terme permettait, en outre, de souligner la gravité de l’acte et mettait un
accent sur ses effets négatifs à long terme. Il a été adopté par l’ONU au début des années
1990 et est devenu couramment employé. Vers la fin de la décennie de nombreux
intervenants et organismes sur le terrain ont toutefois réalisé que le terme “mutilation”
était stigmatisant et était mal accepté des femmes et des communautés concernées, ce qui
créait un obstacle aux efforts visant à l’abandon de cette pratique puisque le nom déjà pose
problème. Dans les pays anglophones, les chercheurs et les organismes techniques se sont
donc mis à employer le terme plus neutre de “female genital cutting’’ (coupure génitale
féminine). Les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest emploient communément le
terme généralement bien accepté d’“excision”. Bien que, techniquement, l’excision ne
décrive pas vraiment l’ensemble des coupures génitales féminines, elle semble toutefois
comprendre la majorité de celles qui sont pratiquées en Afrique de l’Ouest et orientale. Par
ailleurs dans Matigari, l’auteur fustige le laisser aller ou du moins du mutisme coupable
des gouvernants qui laissent les enfants trainer dans les rues et fouiller dans les décharges
pour y trouver de quoi à manger et à vendre pour subvenir à leurs besoins quotidiens. Dans
cette léthargie sociale, les forces de l’ordre qui devraient veiller à ce que les enfants se
tiennent loin des décharges qui sans doute contiennent les produits nuisibles s’érigent en
agents de d’impôts qui exigent un droit d’entrée aux gamins.
Les filles sont contraintes de se soumettre à cette pratique aux conséquences
multiples et dévastatrices pour sauver l’honneur de la famille. Lorsque Muthony décide de
subir l’excision, elle le fait pour mettre fin aux humiliations et aussi remplir un rituel qui la
hisse dans la classe supérieure de la société Kikuyu. Elle le signifie sans ambigüité en ces
termes : «‘Nyambura, I want to be circumcised. […]‘Look , please, I – I want to be a woman.
I want to be a real girl, a real woman, knowing all the ways of the hills and ridges’ »
(Ngugi, 1965: 25, 26). Mais cet act qui est exercé par les femmes analphabètes vire
souvent à la tragédie. En effet, après le rituel Muthony a saigné pendant plusieurs jours et
a quitté le monde des vivants malgré les efforts conjugués par les uns et les autres sous la
houlette de Wayaki pour arrêter l’hémorragie. Puisque son père était un pasteur, les
villageois conservateurs estimaient que c’est une conséquence de sa conversion au
christianisme. Les deux vieillards dans leur échange donnent la solution qui consisterait à
faire un sacrifice : ‘I have always said so. You see what discord in the family does. If

146 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜143-152


Aminata KASSAMBARA & Bi Youan Mathurin TRA

Joshua had not sold his heart to these people, it would have been a simple case. Why! A
black ram without blemish under the Mugumo tree – simple sacrifice. And all would have
ended well’. (Ngugi, 1965 :48). Une fois encore Ngugi attire l’attention des lecteurs sur les
préjugés en Afrique car l’Africain en général ne cherche pas à déceler les causes des faits
mais tirent des conclusions en se fondant sur les hypothèses. La mutilation génitale
provoque environ 15% des décès de soit la mère soit l’enfant ou le décès des deux. A cela
il faut ajout la transmission des maladies sexuellement transmissibles et du tétanos dû à
l’usage des outils non stérilisés et rouillés. A ce phénomène s’ajoute un autre
disfonctionnement dont le christianisme est coupable. Avant l’avènement des colons qui
ont imposé le christianisme aux Africains notamment aux Kenyans, les Africains étaient de
fervents croyants. Ils croyaient fermement à l’existence d’un Dieu suprême et unique, à
l’existence du paradis et de l’enfer. Seulement que le médium chez l’Africain est un objet
qui peut être une montagne, une rivière, un arbre etc. tandis que chez le chrétien c’est le
pasteur, le prêtre ou le berger qui transmettent les desiderata du converti au père céleste.
Les deux villages voisins séparés par la rivière Honia vivaient jadis en parfait harmonie
mais le christianisme a métamorphosé la cohabitation harmonieuse en relation
tumultueuse. Le premier chapitre du roman est très explicite en ces lignes :

The two ridges lay side by side. One was Kameno, the other was Makuyu. Between
them was a valley. It was called the valley of life. […] A river flowed through the
valley of life. […] The river was called Honia, which meant cure, or bringing back-to-
life. […] Honia was the soul of Kameno and Makuyu. […] Kameno had a good record
to bear out this story. A sacred grove had sprung out of the place where Gikuyu and
Mumbi stood; people still paid homage to it.
Head (1965:1-2)

Aussi paradoxal soit-il, le village qui a rejeté le christianisme est reconnu de tous
être le lieu où Adam et Eve (Gikuyu and Mumbi) ont apparu et vécu dans la grotte qui est
considérée comme un lieu de pèlerinage. Mais dès que les habitants de Kameno ont décidé
de conserver les croyances traditionnelles, ils ont été considérés comme des envoyés du
diable, des incultes. Le conflit religieux dépeint par Ngugi ici est l’incarnation de tous les
conflits dont souffre l’Afrique depuis la nuit des temps. La politique qui consiste à diviser
les Africains pour mieux les dominer appliquée par le colonisateur et continue de
fragmenter l’Afrique. Makuyo et Kameno sont la représentation du parti au pouvoir et
l’opposition, des rebellions armées, des coups d’Etats, des constitutions qui sont modifiées
au gré du gouvernant etc. L’Occident a une part de responsabilité dans les problèmes qui
secouent l’Afrique mais les Africains sont coupables de plusieurs chefs d’accusations qui
sont entre autres la négligence, le mariage forcé, la polygamie etc.

2. Écriture de révolte
2.1. Matigari, une œuvre anti-dictature
Une approche définitionnelle serait opportune avant de passer à une analyse
approfondie de la notion de dictature. C’est un régime politique totalitaire, établi et
maintenu par la violence, dans lequel un homme ou un groupe détiennent un pouvoir
absolu et c’est malheureusement le système politique le mieux pratiqué depuis
l’indépendance des colonies anglaises et françaises. Les gouvernants se soucient que de
leur bien-être et non de celui du peuple. Et pour se maintenir au pouvoir, ces démagogues

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 147


L’apport de la littérature au développement de l’être et la société : une étude de Bessie Head
et Ngugi wa Thiong’o

ou despotes font usage de la force pour museler le peuple. Au lendemain de


l’indépendance grande fut la surprise désagréable à laquelle est confronté le peuple qui
hier scandait à unisson avec les leaders politiques les chants nourrissant un lendemain
meilleur qui sera matérialisé par une répartition équitable des ressources après le départ
du colonisateur. Mais une fois élu l’espoir du peuple (le leader politique) se mue en
bourreau. Ngugi dépeint cette situation du peuple que le président considère comme son
ennemi juré et traité comme tel. Les ouvriers sont à la première loge de l’agression
perpétrée par les hommes en arme du président :

Three army trucks and four police Land-Rovers went by. The soldiers were fully
armed with rifles and maching-guns. The police carried truncheons, shields and tear-
gas masks.’ Where are they going.’ Matigari asked. […] ‘To the factory,’ Guthera
replied. ‘The workers’ strike was due to start at two o’clock. […]‘Are they going to
fight the workers? He asked? ‘Of course. That’s what the police are always
doing,’Muriuki answered. ‘Wasn’t it only the other day that the workers were badly
beaten, and some of them had their legs broken?’
Ngugi (1987:40)

Nous constatons que l’armée et la police sont réquisitionnées pour réprimander les
ouvriers qui demandent de meilleures conditions de vie. Ici, Ngugi demande aux dirigeants
africains d’éviter l’usage de la violence physique par le biais des forces de l’ordre pour
brimer le peuple avec les armes achetées avec l’argent du contribuable. Cette méthode est
l’extériorisation d’une double incapacité car ces derniers manquent de moyens pacifiques
pour calmer le peuple et n’ont pas les moyens financiers pour faire face aux revendications
salariales. La violence psychologique est la méthode est plus utilisées par les dictateurs
pour faire valoir aussi leur suprématie et la voix royale est le média audio-visuel. En effet,
la radio publique pour vulgariser de fausses informations et organiser de parodie de procès
dont l’issue est connue au préalable car l’accusé ou les accusés sont toujours coupables
des faits qui leur sont reprochés comme le montrent la déclaration de la radio nationale :

Two university lecturers appeared in court yesterday charged with possessing books
on Karl Marx and V Lenin published in China. All books about the liberation of
peasants and workers, particularly those published in China, have been banned since
Independence […] Five university students were arrested yesterday for taking part in
a demonstration outside the British and the United States Embassies.
Ngugi (1987: 70)

Tous les moyens sont appliqués de manière individuelle ou collective, aux illettrés tout
comme aux intellectuels. Toute personne qui essaie de revendiquer son droit est accusé de
communiste et donc considéré et traité comme un citoyen dangereux. Des intellectuels à la
solde du parti au pouvoir sont dans la plupart des cas des portes- paroles privilégiés
comme dit le narrateur :

[…] The Permanent Professor of History of Parrotology, the Ph. D. in Parrotology and
the Editor of the Daily Parrody will give evidence to show that, historically,
philosophically and journalistically speaking, it is those who teach Marxism – in other
words, communism - who spoil our students and our workers. That is why they should
be detained without trial.

148 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜143-152


Aminata KASSAMBARA & Bi Youan Mathurin TRA

Ngugi (1987: 106)

Lorsque tous les moyens dissuasifs et persuasifs sont utilisés mais que les
manifestants persistent alors qu’un rassemblement pacifique peut être considéré comme
une réunion de fauteurs de troubles qui ont pour objectif unique de susciter un
soulèvement populaire et donc reverser le gouvernement. C’est cette considération
paranoïaque qui a incité la junte au pouvoir en Guinée à tuer et à violer des hommes, des
femmes et des enfants sans défense à outrance le 29 septembre 2009. Dans la société du
texte de Matigari, le porte-parole du gouvernement est omnipotent et omniscient, et
manipule le peuple et les informations à sa guise. Lorsque le citoyen est frustré et sent que
sa vie est en danger la seule issue qui lui reste est l’exile. Cependant il arrive de remarquer
que les individus quittent leur pays d’origine non pas par pression politique mais par
mimétisme ou par la recherche d’une vie meilleure. Ces aventuriers utilisent deux voies :
la voie légale et celle qualifié d’illégale. Nous nous intéressons dans notre analyse à la
seconde.

2.2. Affirmation de soi


Dans Maru, Margaret, l’héroïne affirme son identité culturelle et son statut de
femme émancipée, engagée dans la lutte pour la suppression des inégalités sociales. A ce
propos, la narratrice affirme:

She had a way of looking at people with one quick, wide stare, then immediately
looking away into a far-off distance as though she did not particularly want anything
from life or people. She had a long, thin, delicate face, with a small mouth, and when
she smiled she seemed very shy. She walked over and sat down at their table,
immediately lighting a cigarette with a quick, almost hidden movement of her hands.
[…] Dilepe village was the stronghold of some of the most powerful and wealthy chiefs
in the country, all of whom owned innumerable Masarwa as slaves. […] ‘If you keep
silent about the matter, people will simply assume you are you a Coloured. I mistook
you for a Coloured until you brought up the other matter’. ‘But I am not ashamed of
being a Masarwa.’ the young girl said seriously. […] She was quiet, no gongs sounded,
but she was a drastic revolutionary.
Head (1971:16-17)

L’analyse de ce passage démontre que l’institutrice Masarwa, Margaret vit dans le


village Dilepe où des chefs de tribus exploitent et abusent des hommes et des femmes de
l’ethnie Masarwa comme des esclaves. Mais malgré le risque d’être arrêté, emprisonné et
transformé en esclave, Margaret dévoile publiquement et sans fourberie son identité
Masarwa. L’affirmation de son identité Marsarwa dans ce village est perçue comme le
détonateur de la crise entre les révolutionnaires et l’aristocratie traditionnelle de Dilepe:
« She was quiet, no gongs sounded, but she was a drastic revolutionary » (Head, 1971 :17).
À travers cette traite des Noirs ou du moins des Masarwa organisée par des Africains, on
remarque que la colonisation et ses dérivés contemporains paraissent être une réduction au
silence et une acculturation des peuples dominés. Comme dit Aimé Césaire :

Moi, je parle des sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions


minées, de terres confisquées, de magnificences artistiques anéantis, d’extraordinaires
possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, statistiques, des kilomètres de

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 149


L’apport de la littérature au développement de l’être et la société : une étude de Bessie Head
et Ngugi wa Thiong’o

routes, de canaux, de chemins de fer. […] Je parle de millions d’hommes, arrachés à


leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.
Césaire (2004)

Dans cette étude, il s’agit d’une acculturation qui a été intériorisée par ceux-là
mêmes qui en étaient l’objet, comme dit Frantz Fanon, celle d’une névrose laissée en
héritage par le colonialisme dans Peau noire, masque blancs (Fanon, 1971). Par
conséquent, il n’est pas surprenant que la majorité des penseurs postcoloniaux proviennent
des humanités. Il reste, selon eux, la nécessité de refonder les perspectives de ces
disciplines non pas pour défendre une posture de déficit de communication entre
l’Occident et les ex-colonies, mais de dépasser la colonisation en évacuant les préjugés qui
les fondent, en réfléchissant sur les liens entre la langue, la vérité et le pouvoir. Le
postcolonialisme, pour reprendre l’expression de Homi K. Bhabha dans les The Location of
Culture, témoignerait « des forces inégales et inégalitaires de la représentation culturelle
qui sont à l’œuvre dans la contestation de l’autorité politique et sociale au sein de l’ordre
mondial moderne » (1994 :171). La critique postcoloniale est donc une critique de la
modernité telle qu’elle a été pensée par Lyotard dans La Condition postmoderne (Lyotard,
1979) : l’idée de progrès comme moteur du monde occidental ne pouvant plus être
recevable. Il y a dès lors une crise du sujet et de ses discours. « She [Margaret] walked
over and sat down at their table, immediately lighting a cigarette with a quick, almost
hidden movement of her hands» (Head, 1971:16). Ici, le comportement de l’héroïne de
Maru peut être lu comme un comportement déviationniste parce qu’elle fume la cigarette
dans l’espace rural incarné par le village Dilepe. Mieux, elle dit plus fort ce que les
opprimés et les Marsarwa murmurent. La crise de l’être se perçoit également sur la
quatrième de couverture du roman où on aperçoit l’auteure Bessie Head fumant une
cigarette. Dans l’espace rural fictionnel, voir une femme qui fume la cigarette et viole les
règles établies, est inacceptable. Mais au-delà, de cette rébellion de la femme, on voit se
profiler à l’horizon le renversement de l’ordre établi. Le comportement des protagonistes du
roman de Head laisse transparaître l’image d’une société africaine en crise. Les écrivains,
précise J. Huret, « s’exercent à des jeux de rôles nouveaux pour eux comme ils découvrent
une pratique alors peu connue sous cette forme, leurs propos sont empreints de candeur ou
d’une maladresse qui en font le prix » (1999 :35). L’anomie sociale du village de Dilepe a
atteint son paroxysme. Aucun espoir de retour à la normalité n’est plus envisageable. Dans
cette société anomique, l’immoralité est érigée en mode de vie. Pour cette raison, le sexe
est représenté comme un excellent remède au traumatisme des exilés. Dans When Rain
Clouds Gather, les actions et les agissements du personnage principal Makhaya sont
comparables à ceux d’un transgenre tandis que dans A question of Power, le personnage
Sello se révèle comme un homosexuel, voire un bisexuel. La narratrice parle de l’instabilité
sexuelle de Sello quand elle soutient :

Sello was married to a large Motswana woman with strangely uncomprehensible eyes.
[…] It stood out as a deliberate gesture in a society where it was almost compulsory
for people to greet each other. Perhaps she was rather relieved. Sello said some
strange things about women. He said he ‘killed’ them. […] If I find a man in bed with
my wife, I’ll fight him. If you want to know some things about the people here, I’ll tell
you. She disliked the heavy suggestiveness in his eyes, but was later very astonished
when Sello referred to the matter himself: ‘It’s quite true. He found me in bed with his

150 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜143-152


Aminata KASSAMBARA & Bi Youan Mathurin TRA

wife. I felt sorry for the man but I had to kill his wife. […] Sello was never explicit
about this ‘killing business. He said he had Killed several women. He said it in an
aloof, detached way, as though it were simply part of a job he was on.
Head (1974:27-28)

L’examen de ce passage met en relief la crise de la société et de l’être. Ici, Sello


apparaît comme un héros problématique. C’est un personnage engagé dans une quête de
découverte de lui-même ou de son moi. Il loue des valeurs antinomiques à celles acceptées
et partagées par la société. La nature intériorisée de cette quête laisse apercevoir une
seconde caractéristique de cet individu : la solitude. Cependant, la solitude intérieure
qu’éprouve le type de héros considéré n’est pas forcément un acte de volonté, mais plutôt
de peur, au sens large du terme, puisque cette solitude ressort du sentiment qu’a le héros
de son état d’insécurité ontologique individuelle. « Pour ce héros problématique, toute
expérience de contact avec la réalité externe constituerait une menace grave contre ce qui
est son identité réelle ou supposée ». (Laing, 1965 :39-45) Dans la narration, les
personnages se servent de leur comportement peu orthodoxe ou subversif pour s’affirmer et
s’imposer à la société. Dans ce sens, Sello utilise son sexe comme un moyen de
revendication et d’intégration sociale. Derrière la déviance des personnages des romans
étudiés, on voit la déviance de la déesse-créatrice ou « le Dieu caché » de ces êtres de
papiers (Anozie, 1970 :43). Ainsi, Head est la créatrice des personnages de ses romans.
Par conséquent, les mouvements et les actions de chaque personnage reflète ceux ou celles
de Head. L’auteure a inventé des personnages transgenres, bisexuels, homosexuels et
hétérosexuels pour exprimer son dégoût et son rejet de l’Afrique du Sud de l’apartheid qui
poussent les hommes et les femmes faibles et vulnérables sur la voie de la perdition. Les
pratiques peu orthodoxes comme l’homosexualité, la bestialité, l’alcoolisme et la violence
sont de puissants symboles du microcosme des parias dans le macrocosme de la société
sud-africaine référentielle du texte. Dans la socialité du texte, les parias, les damnés de la
terre ou « les déchets humains » créent dans la société fictionnelle du Botswana leur
monde avec son propre fonctionnement pour signifier leur existence et s’affirmer
socialement.

Conclusion
Au terme de cette étude, nous n’avons aucunement pas la prétention d’avoir épuisé
le sujet. Le champ d’interprétation du thème littérature et développement est vaste et nous
sommes conscient qu’il laisse des points de réflexion en suspens. Dans cette étude, nous
avons montré la contribution de la littérature dans le développement de la société dans les
romans de Bessie Head et Ngugi wa Thiong’o. Ces deux auteurs bien qu’originaires de
différents pays ont trois points majeurs en commun à savoir le militantisme, l’humanisme et
l’exile. L’écrivain joue un rôle prépondérant dans le développement et l’amélioration des
conditions de vie de la société à travers ses productions littéraires. Pour Head le
changement suppose une conversion des mentalités, une métamorphose de l’être, donc un
bouleversement de l’ordre établi. Le changement est aussi la révolution politique et sociale
qui permettra à l’Afrique de se développer au même titre que les grandes puissances du
monde. Quant à Ngugi il plaide pour l’adoption d’une langue africaine universelle au même
titre que l’anglais ou le français. Ces deux écrivains sont les chancres de la tolérance, la
réconciliation, la justice, la paix, la diversité culturelle et religieuse. Il ne peut y avoir de
développement sans la paix, la justice et la tolérance.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 151


L’apport de la littérature au développement de l’être et la société : une étude de Bessie Head
et Ngugi wa Thiong’o

Références bibliographiques
Bhabha, H. K. (1994). The Location of Culture, Routledge, London /New York
Cesaire, A. (2004). Discours sur le colonialisme, Présence Africaine, Paris.
Duchet, C. (1979). Sociocritique, Paris, Fernand Nathan.
Eco, Ub (1988). Le signe, Bruxelles, Labor.
Head, B. (1990). A Woman Alone, London, Heinemann.
Head, B. (1969). When Rain Clouds Gather, London, Heinemann.
Ngugi, T. (1965), The River Between, London, Heinemann.
Ngugi, T. (1987), Matigari, London, Heinemann.
Rocher, Guy (1968), Le changement social, Paris, HMH.
Said, E. (1993), Cultural Imperialism, New York, Random House.
Said, E. (1983), A Critical Reading, Cambridge, Massachusetts, Blackwell Publishers.
Said, E. (1983). Maniche an Aesthetics: The politics of literature in colonial Africa,
Amherst, The university of Massachusetts Press.
Sartre, J. P.(1948), Qu’est-ce que la littérature ? Paris, Gallimard.
Todorov, T. (1987), La littérature en péril, Paris, Flammarion.

152 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜143-152


Vincent Innocents MBASSI

ESTHETIQUE, THEMATIQUE ET FONCTIONNALITE DE LA POESIE ORALE


CAMEROUNAISE : UNE ANALYSE DES CHANTS DE DANSES FEMININES
MANGUISSA

Vincent Innocents MBASSI


Université de Dschang, Cameroun
[email protected]

Résumé : Partant de cette problématique : qu’est-ce qui donne de la littérarité aux


chants de danses des femmes manguissa et quelles sont leurs fonctions ? il ressort qu’à
travers les techniques de versification déployées dans nos poèmes, les figures
rhétoriques et les registres poétiques ; que nos chants sont de véritables textes
poétiques ; qui présentent diverses thématiques. Ces textes remplissent plusieurs
fonctions dans la société manguissa ; parmi lesquelles ; la fonction culturelle,
esthétique et rythmique. Sur le plan méthodologique, nous avons procédé à la collecte
des données orales au moyen des outils de la nouvelle technologie ; qui nous ont permis
de procéder à l'enregistrement des chants dans leur état brut. L’ethnolinguistique
théorisé par Geneviève Calame Griaule nous a permis de mieux analyser nos textes.

Mots-clés : chants de danse, femmes manguissa, fonctions, poésie orale, thématique.

AESTHETICS, THEMES AND FUNCTIONALITY OF CAMEROONIAN ORAL


POETRY: AN ANALYSIS OF FEMALE MANGUISSA DANCE SONGS

Abstract: Referring to the following question: what gives literariness to the dance songs
of Manguissa women and what are their functions? it emerges that through the
techniques of versification deployed in our poems, the rhetorical figures and the poetic
registers; that our songs are true poetic texts; which present various themes. These texts
fulfill several functions in Manguissa society; among; cultural, aesthetic and rhythmic
function. On the methodological level, we collected oral data using new technology
tools; which allowed us to proceed to the recording of the songs in their raw state. The
ethnolinguistic theorized by Geneviève Calame Griaule allowed us to better analyze our
texts.

Keywords: dance songs, functions, Manguissa women, oral poetry, themes.

Introduction
La richesse de la littérature camerounaise, comme celle de tout le continent noir,
reste en grande partie dans l’oralité. Cet archipel dispose d’une diversité générique
composée de contes, de berceuses, de proverbes et des chants ; qui ont été pendant
longtemps et continuent de l’être des canaux privilégiés de la communication sociale, mais
qui perdent actuellement du terrain. Par conséquent, le recueil et la conservation de cette
littérature sont nécessaires. Nous entendons mettre en évidence l’idée que les textes oraux
convoqués suscitent un intérêt esthétique et fonctionnel. Fort de ce leitmotiv, nous faisons
suivre cette interrogation : qu’est ce qui donne de la littérarité aux chants de danses des
femmes manguissa1 et quelles sont leurs fonctions sociétales ? L’intérêt de cette étude repose
1
Le peuple manguissa est un sous-groupe de la grande tribu béti ; cette tribu est à cheval entre les arrondissements de Sa’a
et Ebebda dans le département de la Lekié qui est une division administrative de la région du centre Cameroun.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 153


Esthétique, thématique et fonctionnalité de la poésie orale camerounaise : une analyse des chants
de danses féminines manguissa

sur deux dimensions : premièrement l’exposition au grand public de cette forme de


littérature orale dans la société camerounaise en général et manguissa en particulier ; ensuite
la mise en évidence de l’utilité de cette littérature dans la société et sa participation dans le
renforcement de l’identité culturelle manguissa et la cohésion sociale. L’ethnolinguistique
qui se définie comme l'étude des relations entre la langue, la culture et la société nous servira
dans notre analyse. Elle considère, en effet, la littérature orale comme un champ privilégié
des manifestations langagières dans un contexte culturel précis. Après la présentation des
textes du corpus, nous allons ensuite ressortir l’esthétique et la thématique qu’ils revêtent.
Enfin, nous mettrons en évidence la fonctionnalité des chants de danses des femmes
manguissa dans la société.

1. Présentation du corpus
Notre corpus est constitué de textes recueillis dans le village Eyéné, lors d’une
cérémonie de mariage coutumier. La langue source de notre corpus est le manguissa, qui
est la langue dans laquelle nous avons recueilli et transcrit nos textes avant de les traduire.
Nous avons opté de ne retenir que la traduction littéraire, car c’est elle que nous allons
exploiter et manipuler. Les chants sont tous présentés comme des poèmes. Cette
réprésentation permet de mettre en exergue la versification qu’on retrouve dans nos textes.

1.1 statut de la chanteuse


Toute femme peut chanter chez les manguissa. Il n’y a ni une tranche d’âge exigée,
ni une condition à remplir ou une quelconque initiation pour qu’une femme ou une fille soit
à mesure d’exécuter ou d’animer une fête. La seule exigence est la capacité de la chanteuse
à maitriser et à mémoriser le maximum des chants et avoir le talent de danseuse compte
également. Elle doit alors faire preuve d’une vaillance avérée. Car la chanteuse, en entonnant
les chants généralement, c’est elle qui donne le rythme ou la cadence à suivre aux autres
danseurs ou participants.

Chant 1

1. Sé lé lé lé lé ! Sé lé lé lé lé !
2. Mon époux m’est toujours amoureux
3. Quoi que je fasse
4. Même si je suis coquette à d’autres
hommes
5. Même si je suis frivole
6. Mon époux m’est toujours amoureux
7. Quoi que je fasse
8. Sé lé lé lé lé ! Sé lé lé lé lé !
9. Mon époux m’est toujours amoureux
10. Quoi que je fasse
11. Même si je vole comme une souris
12. Même si je suis paresseuse
13. Mon époux m’est toujours amoureux
14. Quoi que je fasse
15. Sé lé lé lé lé ! Sé lé lé lé lé !
16. Mon époux m’est toujours amoureux
17. Quoi que je fasse

154 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜153-166


Vincent Innocents MBASSI

18. Même si je ne sais pas faire la cuisine


19. Même si je ne fais pas d’enfants
20. Mon époux m’est toujours amoureux
21. Quoi que je fasse
22. Sé lé lé lé lé ! Sé lé lé lé lé !
23. Mon époux m’est toujours amoureux
24. Quoi que je fasse
Chant 2

1. Lorsque tu es déjà mariée


2. Pourrais-tu encore savoir l’importance de
la famille ?
3. L’on ne sait jamais
4. Lorsque tu es déjà mariée
5. Pourrais-tu encore savoir l’importance de
la famille ?
6. L’on ne sait jamais
7. Au cas où ton époux te répudierait
8. C’est où, tu sauras son importance
9. Ton mariage fini
10. C’est où, tu sauras son importance
11. Face aux difficultés
12. Tu sauras l’utilité de la famille
13. C’est où, tu sauras son importance
Chant 3
1. Reste, reste, reste !
2. Reste, reste, reste !
3. Reste, reste, reste !
4. Je te demande de rester là, reste
5. Tu construis des maison, reste
6. Reste, reste, reste !
7. Reste, reste, reste !
8. Reste, reste, reste !
9. Tu accouches des enfants, reste
10. Reste, reste, reste !
11. Reste, reste là, reste !
12. Reste, reste, reste !
13. Tu t’occupes de tes travaux, reste
14. Reste, reste, reste !
15. Reste, reste, reste !
16. Reste, reste, reste !
17. Tu entretiens ton mari, reste !
18. Reste, reste, reste !
19. Reste, reste, reste !
20. Reste, reste, reste !
21. Tu organise ta vie et celle de tes enfants, reste
22. Reste, reste, reste !
23. Reste, reste, reste !
24. Reste, reste, reste !
25. Je te demande de rester là, reste !

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 155


Esthétique, thématique et fonctionnalité de la poésie orale camerounaise : une analyse des chants
de danses féminines manguissa

Chant 4

1- Tu seras contraint de m’aimer


2- Tu seras contraint de m’aimer
3- Tu seras contraint de m’aimer
4- Mes actes te séduiront
5- Tu seras contraint de m’aimer
6- L’okok que je te cuisinerai te
séduira
7- Tu seras contraint de m’aimer
8- Le mpem que je te cuisinerai te
séduira
9- Tu seras contraint de m’aimer
10- Les enfants que je te donnerai
te séduiront
11- Tu seras contraint de m’aimer
12- Tu seras contraint de m’aimer
13- Tu seras contraint de m’aimer
14- Mes actes te séduiront
Chant 5
1. Elle s’est mariée !
2. Elle s’est mariée
3. Elle s’est mariée ; la fille de Nkom s’est mariée
4. Elle s’est mariée !
5. Elle s’est mariée
6. Elle s’est mariée ; la fille de Bikogo s’est mariée
7. Elle s’est mariée !
8. Elle s’est mariée
9. Elle s’est mariée ; la fille de Mbenega s’est mariée
10. Elle s’est mariée !
11. Elle s’est mariée
12. Elle s’est mariée ; la fille de Melen Megam s’est mariée
13. Elle s’est mariée !
14. Elle s’est mariée
15. Elle s’est mariée ; la fille de Betsewa s’est mariée
16. Elle s’est mariée !
17. Elle s’est mariée
18. Elle s’est mariée ; la fille de Ndong-Elang s’est mariée

2. Analyse esthétique
L’esthétique est entendue ici comme un style, une façon particulière de mettre en
forme, selon des règles précises, cette matière-première que sont les mots, et par-delà, le son
des phonèmes. Il existe de nombreuses façons de mettre en ordre les mots pour qu'ils aident
par leur disposition même à l'expression de l'idée, de l'histoire ou du conte, enfin, de ce que
l'on a envie d’exprimer.

156 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜153-166


Vincent Innocents MBASSI

2.1 Les formes poétiques


La forme poétique étant la manière dont un poème est disposé. C’est-à-dire, sa
structure. Ainsi, nous nous referons à la longueur des vers et leurs strophes. Parmi la
multitude de formes que connait la poésie, celle qui nous intéresse ici, c’est la forme libre
car c’est elle qui apparait dans nos textes. Un poème en vers libre est un poème qui ne
présente aucune structure définie. Les vers sont de longueur variables et peuvent être rimés
ou non. Le poème en vers libre n’est pas nécessairement constitué de strophe et ne respecte
pas un rythme fixe, c’est dire que le nombre de pieds par vers est variable. C’est le cas dans
des textes du corpus, dans lesquels nous retrouvons des vers plus longs ou plus courts que
d’autres. Les strophes ne sont presque pas respectées et la longueur des poèmes varie l’un
de l’autre. Nous pouvons le voir dans cet extrait du chant 5

Elle s’est mariée ; la fille de Nkom s’est mariée


Elle s’est marié !
Elle s’est mariée
Elle s’est mariée ; la fille de Bikogo s’est mariée
Elle s’est marié !

2.2 Les techniques de versification


La versification est l’ensemble des règles de rime et de longueur qui accompagnent
une écriture en vers. Ils obéissent à des usages réglant la pratique du vers, le regroupement
en strophes, le jeu des rythmes et des sonorités comme les types formels de poèmes ou les
genres poétiques déterminés par leurs contenus. En l’absence des strophes dans les textes
du corpus, nous allons nous baser uniquement sur l’analyse du rythme et de la sonorité.

2.3 Le rythme poétique


Le rythme contribue avec les sonorités à la musicalité des poèmes. Ce sont les
accents, les pauses, les coupes et les mesures qui le créent. L’accent tonique ou rythmique
porte généralement sur la dernière syllabe ou l’avant dernière du mot ou du groupe de mot.

2.4 Les enjambements


L’enjambement est un procédé métrique fondé sur l’inadéquation entre la syntaxe et
le mètre d’un vers. C’est un procédé qui joue sur les coupes et le rythme des vers. En effet,
le débordement syntaxique d’un vers sur le vers suivant attenue la pause en fin de vers ou
même l’abolit presque totalement, créant un effet d’allongement ou de déstructuration. Ce
procédé est récurrent dans notre travail comme le présente cet extrait du chant 1

Même si je suis coquette à d’autres hommes


Même si je suis frivole
Mon époux m’est toujours amoureux
Quoi que je fasse
Sé lé lé lé lé ! Sé lé lé lé lé !
Mon époux m’est toujours amoureux
Quoi que je fasse

Nous observons, un effet de continuité et d’amplification que l’enjambement crée


dans nos textes. Il permet de mettre en relief le caractère et les aspirations de la femme

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 157


Esthétique, thématique et fonctionnalité de la poésie orale camerounaise : une analyse des chants
de danses féminines manguissa

manguissa. Elle se sert de ce procédé pour donner plus de détails, d’explication et aller au
bout dans ce qu’elle veut traduire dans son chant.

2.5 La qualité de la rime


Nous avons une alternance entre les différentes qualités de rime. Comme nous
l’avons évoqué plus haut, elles s’entremêlent tout au long des poèmes. Le type de rime le
plus employé ici c’est la rime imparfaite. Nous avons alors les rimes pauvres. Elles sont
caractérisées par le fait d’avoir un seul phonème qui est la voyelle finale des mots. Nous la
retrouvons par exemple dans le chant 3
Reste, reste, reste !
Reste, reste, reste !
Reste, reste là, reste !
Reste, reste, reste !
Je demande de rester là, reste
Cette rime donne l’impression d’une insistance sur le mot final du vers. Cette insistance qui
émane de la volonté de la chanteuse à montrer l’importance et le caractère de la femme à endurer
dans le foyer. La rime suffisante apparait dans nos textes. Elle désigne la reprise de deux sons
identiques à la fin d’un vers. Elle se matérialise dans le chant 5
Elle s’est mariée ; la fille de Nkom s’est mariée
Elle s’est marié !
Elle s’est mariée
Elle s’est mariée ; la fille de Bikogo s’est mariée

La rime riche est également visible dans nos textes. Elle est la reprise de trois phonèmes ou
plus à la fin du vers. Le chant 4 nous en présente
L’okok que je te cuisinerai te séduira
Tu seras contraint de m’aimer
Le mpem que je te cuisinerai te séduira
Tu seras contraint de m’aimer
Les enfants que je te donnerai te séduiront

2.6 La disposition de la rime


La disposition des rimes concerne la manière dont ces dernières sont placées dans
les strophes. En poésie, nous avons plusieurs dispositions des rimes. Nous retrouvons
quelques-unes dans nos textes. Premièrement, la rime croisée ou rime alternée ou
embrassée. C’est une rime construite dans une alternance soit de deux par deux ou un par
un. Elle est disposée selon le schéma (ABAB). On la retrouve dans tous nos textes comme le
présente cet extrait du chant 4
L’okok que je te cuisinerai te séduira (A)
Tu seras contraint de m’aimer (B)
Le mpem1 que je te cuisinerai te séduira (A)
Tu seras contraint de m’aimer (B)

Nous retrouvons également la rime plate ou suivie. C’est une rime dans laquelle les vers ont
tous le même son à la fin. Elle est disposée selon le schéma (AAAA). Cette rime apparait
dans le chant 5.
Elle s’est mariée ; la fille de Nkom s’est mariée (A)
1
Feuilles de manioc préparées avec la pulpe des noix de palmes. C’est un plat traditionnel prisé par les béti.

158 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜153-166


Vincent Innocents MBASSI

Elle s’est mariée ! (A)


Elle s’est mariée (A)
Elle s’est mariée ; la fille de Bikogo s’est mariée (A)
Elle s’est mariée ! (A)

-La métrique
La métrique est l’étude des unités qui se répètent régulièrement dans le temps à
travers des formes prosodiques ou musicales. Elle est réduite à l’étude des formes régulières
d’origine prosodiques. La métrique est à peu près synonyme de la notion de versification.

-Les types de vers


C’est le nombre de syllabes contenues dans un vers, qui détermine le type de vers
dont il est question. Dans notre corpus, nous avons pu identifier plusieurs types. Le vers le
plus répandu dans les textes étudiés est un vers paire l’hexasyllabe ; vers à six syllabes.
Observons le vers n°1 du chant 3. (Res/te/, res/te/, res/te/). Nous en trouvons d’autres types :
Le trisyllabe vers à trois syllabes. Il a douze occurrences. Nous le retrouvons dans les
vers n°8,10,13 du chant 2(tu/ sau/ras).
-Le quadrisyllabe c’est un vers à quatre syllabes. Nous avons pu relever trente-sept
apparences de ce vers dans nos textes. C’est le cas sur le vers n° 4 du chant 5(elle/ s’est/
ma/riée/).
-Le pentamètre vers de cinq syllabes. Sa matérialisation est perceptible dans les vers n°3,6
du chant 2 (L’on/ ne/ sait/ ja/mais).
-L’heptasyllabe vers comportant sept syllabes. Ce vers est visible deux fois ; et se matérialise
dans les vers n° 4 et 14 du chant 4 (mes/ ac/tes/ te/ sé/dui/ront/)
-L’octosyllabe c’est un vers qui contient huit syllabes. On le retrouve douze fois. Tel dans le
vers n°1 du chant 4 (Tu/ se/ras/ con/traint/ de/ m’ai/mer).
-L’énnéasyllabe est un vers qui a neuf syllabes comme c’est le cas dans le vers n ° 2 du chant
1 (Mon/ é/poux/ m’est/ tou/jours/ a/mou/reux).
-Le décasyllabe qui est un vers à dix syllabes apparait. Nous l’observons dans le vers n°13
du chant 3 (tu/ t’oc/cu/pes/ de/ tes/ tra/vaux/, res/te).
-L’hendécasyllabe vers à onze syllabes. On le retrouve dans le vers n°7 du chant 2 (Au/ cas/
où/ ton/ é/poux/ te/ ré/pu/die/rait).

A travers ces différents types de vers à valeur inégale, nous concluons des lors que notre
corpus contient des poèmes de longueur inégalement réparties. Ce qui donne l’allure de
la poésie moderne à notre corpus.

2.7 Les sonorités


La sonorité est l’harmonie des sons dans un ou plusieurs vers. Lorsque cette harmonie
repose sur des voyelles, on parle d’assonance ; et lorsqu’elle porte sur les consonnes on parle
d’allitération. Dans nos textes, nous avons pu relever les assonances. Nous désignons comme
assonance, la répétition d’un même timbre vocalique dans l’objectif de créer une harmonie
sonore. Cette notion a une forte proximité avec le domaine musical. Ce terme est utilisé en
musique pour signifier la consonance. Il vient du latin “d’assonare“, c’est-à-dire « s’accorder
en son ». L’assonance se distingue par la proximité sensible d’un même phonème vocalique

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 159


Esthétique, thématique et fonctionnalité de la poésie orale camerounaise : une analyse des chants
de danses féminines manguissa

à l’intérieur d’un vers ou d’une unité syntaxique. Dans notre corpus, nous trouvons plusieurs
assonances. L’assonance parcours ou est retrouvé tout au long du chant 1. C’est une
assonance vocalique sur le phonème (ou) (mon époux m’est toujours amoureux). On la
retrouve également tout au long du chant 3 (Reste, reste, reste). Ici, elle porte sur la
voyelle(e). Ces allitérations créent également un effet d’harmonie imitative ou suggestives.
Ces assonances produisent un effet harmonique d’insistance de la chanteuse qui exalte son
charme. Nous avons pu dénombrer sept assonances tout au long de notre corpus.
Nous avons aussi relevé les allitérations. C’est le cas du vers ci-après tiré du chant 3
(Reste, reste, reste !). Elle est faite sur la consonne (r). Nous la retrouvons encore dans les
vers n° 13, 17, et 21 du chant 3 (Tu t’occupes de tes travaux, reste, Tu entretiens ton mari,
reste ! Tu organise ta vie et celle de tes enfants, reste). Nous avons ici l’allitération qui se
fait sur la consone (t).

2.8 Les figures de styles


Les figures de styles sont des procédés d’écriture qui s’écartent de l’usage ordinaire
de la langue et donnent une impression particulière au propos. Ils sont également désignés
comme des figures de rhétoriques ou figures du discours. Les figures de style sont
considérées comme l’une des caractéristiques qui permettent de qualifier un texte de
littéraire. Ces procédés sont présents tant à l’écrit qu’à l’oral. C’est ce qui justifie leur
présence dans nos textes, et suscite par la suite notre intérêt.

-Les figures de répétitions ou d’insistance


La répétition consiste à employer plusieurs fois les mêmes termes dans plusieurs
phrases ou dans plusieurs vers. Dans le vocabulaire linguistique, elle est définie comme une
figure d’élocution consistant à employer plusieurs fois les mêmes termes. La répétition a
plusieurs fonctions dans le discours oral, donc la première est de retenir l’attention de
l’auditeur qui est le public. C’est aussi un facteur de cohérence pour un public qui ne peut
retenir la parole éphémère, et un moyen mnémotechnique. Nous en avons retrouvé quelques-
unes dans nos textes, que nous essayons de ressortir ici.

-L'anaphore
L'anaphore rhétorique est ici définie comme une répétition à l'initiale d'une unité
textuelle, qu'il s'agisse d'un segment de phrase ou d'une phrase entière. Figure de
construction de type microstrural et variété élémentaire de répétition, l'anaphore rhétorique
sert de base à des figures macrostructurales d'amplification. C’est une figure récurrente du
discours. Cette figure ; nous la retrouvons dans nos textes plusieurs fois, tel que l’illustre les
chants 4 et 5
Tu seras contraint de m’aimer
Tu seras contraint de m’aimer
Tu seras contraint de m’aimer

Cette anaphore a pour rôle ici d’insister et d’amplifier les propos de la chanteuse, qui se
passe pour une dictatrice qui impose à son conjoint de l’aimer malgré ses écarts de conduite
à l’endroit de ses consœurs.

160 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜153-166


Vincent Innocents MBASSI

-Réduplication
L’idée de rendre double est une caractéristique fondamentale de la réduplication. Ce
phénomène étant présent dans notre corpus, nous allons montrer comment, il se manifeste.
L’appellation et l’étendue de la réduplication font de nos textes un objet de beauté et
participe à leur richesse. Ainsi, pour rendre compte de ce procédé, nous trouvons aussi les
termes qui l’accompagne tels que : reprise, redoublement, duplication, répétition. Pour
illustration sur ce phénomène, nous retiendrons deux termes : reprise, redoublement ; qui se
rattachent parfaitement à lui. Nous définissons la réduplication comme étant un procédé de
redoublement consistant en une copie d’une syllabe ou d’une unité entière. L’élément copié
doit être identique et contiguë à la base. La réduplication en linguistique est un procédé
morphologique permettant d’exprimer, par la répétition complète ou partielle d’un mot ou
d’un morphème, un trait grammatical ou bien de créer un mot nouveau ; en vue d’une
insistance et d’une amplification des faits par la chanteuse. Ceci est fait pour attirer
l’attention de l’auditoire ou de son récepteur. Ce redoublement de propos joue un très grand
rôle dans le cas où la chanteuse sensibilise, conseille et enseigne la femme ou la jeune fille
de savoir endurer dans le mariage malgré ; les obstacles auxquels elle fait face. Cet exemple
est perceptible dans ce passage du chant 3.
1. Reste, reste, reste !
2. Reste, reste, reste !
3. Reste, reste, reste !

Ce chant est généralement exécuté par une femme âgée, une sexagénaire qui par son
expérience dans l’art matrimoniale ; enseigne les jeunes filles nouvellement mariées de
savoir que le mariage n’est pas donné, ou alors la vie conjugale n’est pas un endroit où l’on
mènera toujours une vie paisible.

-Les figures de substitution


Elles consistent à remplacer un terme par un autre ou par toute une expression. Elles
établissent un lien d’équivalence entre deux expressions ou mots. Dans nos différents textes,
nous avons pu en déceler quelques-unes.

-La périphrase
C’est le fait de remplacer un mot par une expression qui le définit. Un simple mot est
remplacé par des éléments de phrase plus complexes, jouant sur l'implicite. Elle consiste à
dire en plusieurs mots ce que l’on peut designer par un seul. C’est ce que nous observons
dans les vers 3,6,9,12,15 du chant 5 tel que le montre ce passage : « Elle s’est mariée ; la
fille de Ndong-Elang s’est mariée ». Ici, nous voyons la désignation du réfèrent qu’est la
mariée ; qui se fait au moyen de ses origines natales. Au lieu de la designer directement par
son nom, la chanteuse choisit délibérément de la nommer par le nom de son village natal. Et
ce procédé laisse voir en quelque sorte la valorisation des origines de la femme dont vente
la chanteuse.

-Les figures d’analogie


Elles permettent de créer des images. Elles créent des liens entre les idées pour faire
valoir leurs similitudes et leurs ressemblances. Nous avons retrouvé plus d’une dans nos
textes.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 161


Esthétique, thématique et fonctionnalité de la poésie orale camerounaise : une analyse des chants
de danses féminines manguissa

-La comparaison
Elle consiste à rapprocher deux éléments, deux termes ; en explicitant leur point
commun par l’utilisation d’un outil de comparaison. C’est le cas dans cet extrait du vers 11
du chant 1 : « Même si je vole comme une souris ». Le rapprochement est fait ici entre la
femme et la souris à l’aide de l’outil de comparaison « comme ». La souris qui est un rongeur
domestique est en effet considérée comme l’incarnation du vol dans les ménages.

2.9 Les registres poétiques


Le registre d’un texte est défini par l’effet que produit un texte sur le lecteur. Cet effet a
le plus souvent été recherché par l’auteur. Il est lié à certains types de procédés stylistiques
mais aussi à des thèmes privilégiés qui déterminent la réception du texte par le lecteur. Cette
réception peut susciter des réactions sentimentales telles que la joie, le rire et bien d’autres.
Pour déterminer les registres poétiques de nos textes, nous nous sommes basés sur la
thématique traitée par ces derniers. Ainsi nous avons trouvé que notre corpus comporte
plusieurs registres de langue.

-Le registre lyrique


Ce registre est défini par l’adhésion du lecteur qui fonctionne aussi par l’identification
avec le narrateur à travers les confidences de celui-ci. Il est propre à la poésie et est le plus
souvent associé à la musique car les sentiments qui y sont évoqués le sont de manière
chantée. C’est le cas du chant 1 ci-suivant
1. Sé lé lé lé lé ! Sé lé lé lé lé !
2. Mon époux m’est toujours amoureux
3. Quoi que je fasse
4. Même si je suis coquette à d’autres hommes
5. Même si je suis frivole
6. Mon époux m’est toujours amoureux
7. Quoi que je fasse
8. Sé lé lé lé lé ! Sé lé lé lé lé !

Ici, la chanteuse exalte son charme et son caractère séduisant qui captive son époux
et le retient à l’aimer.

-Le registre didactique


Il consiste à instaurer une relation d’enseignement, une relation de maître à élève.
Cette relation est créée entre l’auteur ou le narrateur et le lecteur, ou entre les deux
personnages. La femme manguissa se fait aussi passer pour une enseignante ou une
éducatrice dans ses chants. On la voit, comme l’indique le chant ci-dessus, en train de
donner les enseignements et les conseils pour la vie. Ce registre s’observe mieux dans le
chant 3.
1. Reste, reste, reste !
2. Reste, reste, reste !
3. Reste, reste, reste !
4. Je te demande de rester là, reste
5. Tu construis des maison, reste
6. Reste, reste, reste !
7. Reste, reste, reste !
8. Reste, reste, reste !

162 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜153-166


Vincent Innocents MBASSI

9. Tu accouches des enfants, reste

Dans ce chant, nous avons une femme qui prodigue les conseils et qui enseigne
également l’endurance aux siennes. Pour cette chanteuse, la femme doit braver les étapes et
les obstacles de la vie conjugale. Il n’ya point de raison à vouloir abandonner ou fuir son
foyer.

3. Analyse thématique
Nos textes livrent un foisonnement de thèmes qui sont entre autres les différents
désirs ou aspirations de la femme béti. En parlant d’aspiration, il s'agit de différents désirs
de la femme manguissa, ses souhaits ou mieux ses vœux, de voir se réaliser des choses qui
lui tiennent à cœur, qui peuvent améliorer sa condition de vie. La plupart des sociétés
traditionnelles africaines tout comme celle des manguissa, ont marginalisé la femme en la
condamnant à la loi du silence. Le seul moyen de vaincre ses frustrations s'exprime
généralement dans les espaces discursifs qui lui sont propres. Il s'agit des contextes spatiaux
importants et précis, tel lors des évènements festifs où la parole lui est donnée de s’exprimer
à travers le chant ; seul endroit ou espace où l'écart de langage est permis. Sa prise de parole
en public a pour principal but de refuser certaines frustrations. Exprimer ces injustices
qu’elle vit au quotidien en dehors de ce cadre qui lui est réservé, peut paraître comme un
manque de respect de la femme à l'endroit de l'homme et, comme le remarque Menanga
Marie Louise, « la honte est un facteur principal qui pousse la femme manguissa à utiliser le
cadre du chant pour mieux s’exprimer1 ». En dénonçant par le chant ce qui entrave son
bonheur, elle croit à un changement immanent ou immédiat. Dans les textes, plusieurs
aspirations sont évoquées. Il s'agit de la quête de la liberté de la femme, l’exhortation à
l’endurance ou à la persévérance de la femme dans son foyer, l’amour et bien d’autres.

3.1 La liberté de la femme


Dans nos chants, plusieurs visages de la femme sont présentés. De l’épouse qui est
libre de faire comme bon lui semble, à celle qui suscite de la convoitise et la séduction, à la
femme qui doit persévérer en bravant tête haute les obstacles à la vie conjugale, en passant
par le travail qui aménagera ses conditions socio-économiques et son milieu. Elle rejette la
soumission qui ne favorise pas sa quête de la liberté. Le chant n°1 nous présente une femme
assez libre, qu’on se croirait être dans un libertinage. Le chant n°3 est exécuté par une belle-
mère. Elle s'adresse à sa bru, pour lui prodiguer des conseils, concernant la vie conjugale.
Le ton qu'elle utilise peut-être qualifié de lyrique ; car elle exprime ses sentiments propres
à l’endroit de l’épouse de son fils. Elle lui recommande la persévérance et l’endurance dans
son foyer.

3.2 L'amour du conjoint envers son épouse


De l'exaltation de sa beauté à sa déclaration des sentiments, en passant par la mise
en évidence des qualités de l'être aimé, l'expression de l'amour se vit dans nos textes à travers
beaucoup d'images. Les chants qui parlent d'amour sont de "véritables poèmes" qui évoquent
des rapports amoureux, filiaux unissant, une femme à son mari ou une jeune fille à un jeune
homme. Ils appellent à une sensibilité individuelle, à un lyrisme personnel. Ce thème
apparait dans les chants 1 et 4.

1
Entretient eu avec Menanga Marie Louise, enseignante de Langue et Culture Nationale au lycée classique d’Obala

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 163


Esthétique, thématique et fonctionnalité de la poésie orale camerounaise : une analyse des chants
de danses féminines manguissa

4. Utilités des chants de danses des femmes manguissa.


Il nous revient ici, de montrer à quoi servent les chants de danses des femmes
manguissa dans la société. Ces chants précisons-le, dans l’ensemble remplissent plusieurs
fonctions tant au niveau pratique, sociale et cultuel, sans oublier l’aspect éducatif.

4.1 La fonction sociale


Chez les manguissa, le chant représente un moyen d’expression naturel, convivial et
privilégié. Il sert d’exutoire pour louer et célébrer, admonester et taquiner, railler et humilier,
bercer et éduquer, contester et vider les rancœurs. Les femmes s’adonnent aux chants de
danse sous le rythme du bikutsi, genre musical typiquement béti. La femme manguissa
utilise le chant comme le vecteur des messages acerbes destinés aux rivales, des mots doux
ou aigres adressés aux partenaires. Elle véhicule des louanges aux héros, des complaintes
conciliatrices aux amants, des conseils et des vœux aux enfants, des critiques pointues aux
aînés ou aux dignitaires. Les femmes manguissa, privées de pouvoir dans la gestion sociale,
hors du foyer, s’expriment préférentiellement au moyen de leurs chants qui allient créativité
ou poésie musicalement déclamée et gestuellement rythmée.

4.2 La fonction cathartique


Bien que louant leur mari, qui est perçu par ces dernières comme étant leur chef, les
femmes manguissa refusent l’idolâtrie et la torture. Comme code de la société, la chanson
libère les refoulements et vide les rancœurs que subi la femme manguissa au quotidien dans
sa société ; qui est essentiellement patriarcale. Ainsi lorsqu’il s’agit du mariage coutumier,
les belles-familles engagent des joutes, pour exalter les qualités de la mariée, comme on peut
l’apercevoir dans cet extrait du chant 5
1. Elle s’est mariée !
2. Elle s’est mariée
3. Elle s’est mariée ; la fille de Nkom s’est mariée
4. Elle s’est mariée !
5. Elle s’est mariée
6. Elle s’est mariée ; la fille de Bikogo s’est mariée
7. Elle s’est mariée !

Le mariage est considéré dans la société manguissa comme une instance suprême
qui consacre et hisse la femme dans la haute classe. La femme mariée est respectée et est
digne de considération. Ainsi elle ne peut plus faire l’objet de raillerie ou de commérage.
Etant donné la cherté de la dot dans la société béti ; se faire doter n’est donc pas donné à
n’importe quelle femme. C’est pourquoi la mariée, le jour de ses noces se fait célébrer et
acclamer.

4.3 La fonction ludique


La fonction ludique est imprégnée dans une bonne partie de nos textes. C'est ainsi
que nos chants ont pour fonction principale de satisfaire les besoins de la communauté
manguissa, qui se délecte à travers ces belles mélodies. Généralement, dans les villages
africains, le soir, autour d'un feu, des vieux, des jeunes, des femmes et des enfants, se
retrouvant pour partager le plaisir de la parole et de s’amuser lors des veillées. De fois ces
veillées se font entre femmes. Elles s’amusent entre elles, en ventant leur savoir-faire, qui

164 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜153-166


Vincent Innocents MBASSI

constitue leur véritable charme à l’endroit de leurs époux. L’illustration est faite dans ce
passage du chant 4
1- Tu seras contraint de m’aimer
2- Tu seras contraint de m’aimer
3- Tu seras contraint de m’aimer
4- Mes actes te séduiront
5- Tu seras contraint de m’aimer
6- L’okok que je te cuisinerai te séduira

Cependant, ce plaisir de raconter est consubstantiel à d'autres fonctions notamment


la fonction pédagogique.

4.4 La fonction pédagogique


La fonction pédagogique de nos textes sert à initier les jeunes femmes aux valeurs
cardinales de la société et de la vie conjugale qui sont parsemées d’obstacles. Une
édification morale est assignée au message de la chanteuse qui prend le soin de baliser les
bonnes conduites aux jeunes filles afin de contribuer à leur plein épanouissement, leur
croissance et leur maturité. Pour ce faire, il est demandé, sinon prôné, l'endurance. C'est
ainsi que nos chants mettent en scène une organisation sociale forte, basée sur la sacralité
du mariage. Nous pouvons le voir dans le chant 3 de notre corpus
Reste, reste, reste !
Reste, reste, reste !
Reste, reste là, reste !
Reste, reste, reste !
Je demande de rester là, reste
Tu construis des maison, reste

A partir de ce chant, nous pouvons dire que la société béti, est en partie régie par le
système de l'oralité, c'est à travers la parole que s'effectue une part importante de
l'éducation, notamment la transmission des valeurs et savoirs.

Conclusion
Ce travail, nous a permis d’avoir un aperçu de la richesse littéraire et culturelle du
peuple manguissa. Ce qui nous a permis de voir que ces chansons participent également à
la formation de l’identité culturelle des manguissa. Nous pensons que la littérature peut alors
nous aider à comprendre les faits socioculturels. Ainsi, déceler l’identité culturelle d’un
peuple à travers la littérature orale, est pour nous un acte de lecture qui vise à souligner
d’abord l’utilité de la littérature dans notre quotidien. L’étude des chants de danse que nous
avons fait, avait pour ambition de montrer le lien étroit qui unit la littérature orale à l’identité
culturelle.

Références bibliographiques
Dili Palai, c. & Pangop Kameni, A. C. (2013). Littérature orale africaine, Décryptage,
Reconstruction, Canonisation, Paris, Harmattan
Mbarga, M. (1994). La chanson féminine béti dans la mouvance sociale actuelle, Mémoire
de fin d’études, Université de Yaoundé I.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 165


Esthétique, thématique et fonctionnalité de la poésie orale camerounaise : une analyse des chants
de danses féminines manguissa

Mbassi, V. I. (2021). Esthétique, thématique et fonctionnalité de la poésie orale béti. Cas


des chants de danses féminines Manguissa, mémoire de Master II Recherche,
Université de Dschang.
Mbia E (1992). Le Bikutsi : danse de la forêt, maîtrise de sociologie de la culture et de la
communication, Études africaines, Université Paris V, Sorbonne.
Ngoumou, P-C. (1989). Poésie chantée béti, Notre Librairie, 99 :12
Nguessan, K. D (1975), Fonctions sociales de la musique traditionnelle, Présence africaine,
Nouv. Série 93 :80-91
Nkomo, O. (1990), La chanson paillarde Béti : une approche thématique et fonctionnelle,
mémoire de fin d’études, Université de Yaoundé.
Onguene essono, L-M. (2016). La démocratie en chansons : les bikut-si du Cameroun,
mémoire de D.I.P.E.S II, E.N.S Yaoundé.

166 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜153-166


Akpassou Isabelle ABOUTOU

LA SOCIOLOGIE DU VIEILLISSEMENT À L’ÉPREUVE DU MODÈLE


DU DÉVELOPPEMENT DURABLE EN CÔTE D’IVOIRE :
ACQUIS, DÉFIS ET PERSPECTIVES

Akpassou Isabelle ABOUTOU


Sociologue, Enseignant-Chercheur
Université Pelefero Gon Coulibaly, Côte d’Ivoire
[email protected]

Résumé : Branche spécialisée de la sociologie, la sociologie du vieillissement s’intéresse à


la construction sociale de la vieillesse sous divers angles. Selon le dernier rapport de
l’Enquête Démographique et de Santé réalisée en 2021 en Côte d’Ivoire (EDS-CI,
2021 :13), des progrès ont été obtenus en terme de morbidité, mortalité (8,4 cas de décès
pour 1000 habitants) et de longévité (l’espérance de vie est supérieure ou égale à 57ans).
Fort de ce constat, les enjeux du développement durable constituent des déterminants
incontournables qui éprouvent la sociologie du vieillissement. Cet article interroge la
construction des rapports au développement durable et à la sociologie du vieillissement en
termes d’acquis, de défis et de perspectives en Côte d’Ivoire. Méthodologiquement notre
travail s’appuie exclusivement sur la recherche documentaire composée d’articles,
mémoires, thèses, périodiques, conclusions, synthèses et rapports des séminaires et
colloques. Les résultats reposent sur trois principes fondamentaux du développement
durable : le social, l’économique, et l’environnement. Les acquis se traduisent par les
actions de prise en charge sanitaire et médicale d’environ (2.000) personnes âgées ; le volet
nutritionnel et alimentaire a couvert (80.000) aînés ; l’aspect financier a concerné
(100.000) et (1.500) sont suivis et pris en charge socialement. Les défis se résument en
l’absence d’intégration (rejet, abandon, isolement) l’inaccessibilité à la qualité de soins
généraux et spécifiques, la dégradation de l’environnement ; la persistance et la chronicité
des pathologies, et les contraintes liées au changement climatique. Les perspectives sont
celles de l’élaboration d’un projet de politique sur la protection et la promotion des droits
des séniors en intégrant leurs besoins spécifiques face aux défis du développement durable.
Cette réflexion se veut une contribution pour déterminer un éventail des stratégies ou
interventions favorisant la dynamique de la sociologie du vieillissement en Côte d’Ivoire.

Mots-clés : sociologie du vieillissement, gérontologie, développement durable, Côte d’Ivoire

THE SOCIOLOGY OF AGING PUT TO THE TEST OF THE MODEL OF SUSTAINABLE


DEVELOPMENT IN IVORY COAST

Abstract: A specialized branch of sociology, the sociology of aging is interested in the social
construction of old age from various angles. According to the latest report of the
demographic and health survey carried out in 2021 in Ivory Coast, progress has been made
in terms of morbidity, mortality (8.4cases of death per 1000in habitants) and longevity
(expectation of life is greater than or equal to 57 years). On the strength of this observation,
the challenges of sustainable development constitute unavoidable determinants that test the
sociology of aging. This article questions the building of the relationship to sustainable
development and to the sociology of aging in terms of acquired challenges and perspectives.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 167


La sociologie du vieillissement à l’épreuve du modèle du développement durable en Côte d’Ivoire :
acquis, défis et perspectives

Methodologically, our work is based exclusively on documentary research consisting of


articles, dissertations, theses, periodicals, conclusions, summaries and reports of seminars
and colloquia. The results are based on three fundamental principles of sustainable
development: social, economic and environmental. The achievements are reflected in health
and medical care actions for approximately (2,000) elderly people; the nutrition and food
component covered (80,000) seniors. The financial aspect concerned (100,000) and (1,500)
are monitored and taken onto social care. The challenges are summarized in the absence of
integration (rejection, abandonment,) the inaccessibility to the quality of general and
specific care, the degradation of the environment; the persistence and incurability of
pathologies and the constraints linked to climate change. The perspectives are those of the
development of a draft policy on the protection and promotion of the rights of seniors by
integrating their specific needs in the face of the challenges of sustainable development.
This reflection is intended as a contribution to determining a range of strategies or
interventions promoting the dynamics of the sociology of aging in Ivory Coast.

Keywords: sociology of aging, gerontology, sustainable development, Ivory Coast

Introduction
La sociologie du vieillissement peut se définir comme la discipline spécialisée de la
sociologie qui s’apparente aux rapports à la construction sociale de la vieillesse sous l’angle du
social, de l’économique et de l’environnement. Sous ce regard, la sociologie du vieillissement
implique le vieillissement des populations qui se présente comme un phénomène mondial, qui
touche aussi bien des pays développés comme le Canada que des pays émergents comme la
Chine et les pays sous-développés tels que ceux de l’Afrique (De Lapasse B, 2018). Tous les
pays occidentaux font face donc à des degrés divers au vieillissement de leur population. Pour
exemple en Europe, il a d’abord concerné les pays du Nord avant de s’étendre à ceux du Sud.
L’augmentation de la part des personnes âgées dans la population européenne (20,3 % des
personnes avaient 65 ans et plus en 2019, dans l’Union Européenne) est la dernière
conséquence de la transition démographique, qui se traduit par la baisse de la fécondité et
l’augmentation de l’espérance de vie. En 2021, l’espérance de vie en Espagne :81,2 ans pour
les hommes et 86,7ans pour les femmes. En Amérique du Nord, l’effet combiné de la baisse
rapide des naissances et de la prolongation de la vie humaine a pour effet d’accélérer le
vieillissement de la population. C’est le cas du Canada, qui a la croissance la plus vieille au
monde en 2021 avec 861. 000 personnes âgées de 85 ans ou plus, soit plus du double observé.1
Le constat est le même pour le continent Africain qui n’est pas en marge de cet allongement de
vie des individus même si les données prélevées ne sont pas identiques à celles de l’occident.
L’on note toutefois un prolongement de vie. En Afrique du Sud, en 2021, l’espérance de vie pour
les hommes est de 62,7 ans et 65,6ans pour les femmes2. De même, en Côte d’Ivoire en
2021 ;16,2 % des ivoiriens ont plus de 65 ans, et ce chiffre va augmenter selon l’Institut National
des Statistiques (INS), cette tranche d’âge représentera environ 20 % de la population en 2040.
La Côte d’Ivoire connaît donc une très forte augmentation de la population des personnes âgées :

1
https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/, consulté le 04/10/2022
2
https://www.votresante-magazine.com/vieillissement,consulté le 04/10/2022

168 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜167-178


Akpassou Isabelle ABOUTOU

379.234 en 1998 à 202.003 en 2021, (Davin B, et Paraponaris A, 2012)soit (63,4%) en l’espace


de deux décennies 379.234 en 1998 à 202.003 en 2021, soit (63,4%) en l’espace de deux
décennies pour une augmentation de plus de (5%) par an.3 En effet, dans une perspective de
santé publique, les personnes âgées apparaissent comme une population prioritaire du fait de la
prévalence accrue avec l’âge des maladies chroniques, des limitations fonctionnelles et des
accidents de santé fortement invalidants, d’une consommation plus importante des soins de
santé (consultations médicales, hospitalisations) et d’un risque plus élevé d’isolement,
d’institutionnalisation et de décès(Fried,2000). L’augmentation de la durée de vie rime avec la
prolifération des pathologies et avec tous les enjeux économiques, sociaux et environnementaux
qui en découlent. Dans un contexte de vieillissement de la population et d’allongement de la vie
active, la plupart des pays sont confrontés au défi du vieillissement en bonne santé; des
problèmes de santé non négligeables apparaissent dès 50 ans selon Lenormand M. C., et al.,
(2010). Comme le disent Davin, B. et Paraponaris, A. (2012), « le vieillissement de la
population est communément présenté comme un facteur majeur de l'augmentation des dépenses
de santé. La concomitance des deux phénomènes ne vaut toutefois pas la causalité. En effet, les
habitudes de consommation de soins de plus en plus coûteux et la médicalisation croissante de
la santé chez toutes les générations, y compris les plus âgées, semblent avoir un impact plus
important dans la hausse des dépenses de soins et de biens médicaux. Pour autant, aux côtés
des frais médicaux, l'avancée dans l'âge révèle des besoins croissants en aide humaine destinée
à compenser la perte d'autonomie, éventuellement complétée par des dispositifs techniques.
Cette aide humaine est en grande partie assumée par l'entourage proche, sur lequel elle fait
peser des coûts dont l'évaluation économique dépasse largement ceux tirés des comptes officiels
de la dépendance ». Face aux défis de la démographie et de la santé, l’État Ivoirien a défini la
mise en place d’une politique sociale, dont l’objectif est d’assister, ou soutenir les personnes
âgées incapables de couvrir leurs besoins prioritaires. 4Afin de s’associer aux priorités du
développement durable, la politique gouvernementale accorde une large place à l’amélioration
de la prise en charge des personnes âgées dans son programme depuis 2008. Selon le dernier
rapport de l’Enquête Démographique et de Santé réalisée en 2021 en Côte d’Ivoire (EDS-
CI,2021, p.16-17), des progrès ont été obtenus pour cette catégorie sociale. Les résultats de
cette étude mettent en évidence la baisse drastique du taux de morbidité, (Paludisme, diabète,
Sida, Covid-19) et de mortalité (8,4 cas de décès pour 1000 habitants) et une hausse de la
longévité. L’espérance de vie est supérieure ou égale à 57ans pour les femmes et 54 ans pour
les hommes. Ces chiffres traduisent indubitablement le nombre de personnes âgées en Côte
d’Ivoire. Ce vieillissement rapide de la population soulève des enjeux tant sociaux(sanitaires),
économiques, qu’environnementaux.
Renaut, S. (2011). Vieillir est un processus de longueur et de vitesse inégales. La qualité
du vieillissement est constitutive des différentes dimensions qui structurent le parcours de vie :
l'environnement, l'habitat et le logement, l'organisation économique et sociale du ménage et de
la famille, les ressources individuelles de santé et les modes de prise en charge. L’analyse de
ces précédents constats soulèvent l’interrogation centrale : Comment se construisent les rapports
entre le développement durable et la sociologie du vieillissement en Côte d’Ivoire? Ce

3
Population âgée de plus de 65 ans, total - Cote d'Ivoire | Data (banquemondiale.org)
4
https://ivoirehandicaptv.net/cote-divoire-la,du 04/10/2022.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 169


La sociologie du vieillissement à l’épreuve du modèle du développement durable en Côte d’Ivoire :
acquis, défis et perspectives

questionnement dévoile précisément les préoccupations suivantes. Quels sont les acquis de la
sociologie du vieillissement en Côte d’Ivoire? Quels sont les défis existants entre la sociologie
du vieillissement et le développement durable? Quelles sont les perspectives de la sociologie du
vieillissement en Côte d’Ivoire au plan social, économique et environnemental ? En somme,
quels constats et quelles perspectives pour la sociologie du vieillissement en Côte d’Ivoire à
l’épreuve du développement durable ? Il s’agit de faire ressortir respectivement les acquis, les
défis et les perspectives. La structuration de cet article se construit autour de trois dimensions
explorées, elles-mêmes étant reliées aux objectifs particuliers du développement durable. Les
deux premiers chapitres sont consacrés à la mise en contexte des acquis et des défis de la
sociologie du vieillissement. Le dernier chapitre met l’accent sur les perspectives de la
sociologie du vieillissement calqué sur le schéma du développement durable.

1. Méthodologie
1.1. Cadre de l’étude
La Côte d’Ivoire est un pays d’Afrique de l’Ouest de 322.462Km2 avec une démographie
de 29.389.150 habitants dont 22. 003 personnes âgées (de 57 ans et plus) selon (EDS-CI,2021,
p.1). Elle ne dispose pas de politique en matière d’équité et de promotion des personnes âgées.
La Côte d’Ivoire ne possède ni de textes, ni de lois spécifiques à la personne âgée dépendante
ou handicapée. Cependant, les personnes âgées en général, se plaignent de la pension de retraite
très insuffisante due en grande partie, au faible niveau d’instructions, du manque ou de
l’insuffisance de prise en charge de soins adaptés et de soutien de l’Etat ou de la famille.5
(Ministère de l’emploi et de la protection sociale, direction générale de la protection sociale).

1.2. Les techniques


-L’observation
Cette technique d’enquête nous a permis d’examiner avec objectivité les actions sociales
à l’endroit de la catégorie sociale spécifique des personnes âgées. L’observation met en relief
avec exactitude les réactions manifestes des personnes âgées. Elle facilite la comparaison entre
les discours produits du politique et la réalité sociale étudiée à travers les attitudes et
comportements des séniors dans leur trajectoire de vie. Elle dévoile les motivations des actions
socio-politiques dans le respect de l’égalité des droits à la citoyenneté. C’est donc l’action des
acteurs par référence au modèle du développement durable.

-La recherché documentaire


Cette étape de travail à réaliser permet de collecter les données informatives grâce à
l’examen des thèses, mémoires, articles, périodiques, résumés des colloques et séminaires en
lien avec la thématique du vieillissement à l’épreuve du développement durable. Elle facilite
l’approche du sujet d’étude dans sa globalité et sa complexité. Elle évalue la qualité et la
pertinence des sources d’informations relatives à la sociologie du vieillissement en Côte d’Ivoire.
Enfin, cette étape nous a permis d’alimenter le contenu de cette étude novatrice dont le champ
d’exploration a fait l’objet de quelques sociologues ivoiriens.

5
https://ivoirehandicaptv.net/cote-divoire-la, consulté le 04/10/2022

170 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜167-178


Akpassou Isabelle ABOUTOU

1.3. La méthode d’analyse


Cette étude s’appuie sur le déterminisme selon lequel la place de la sociologie du
vieillissement est déterminée dans le rapport à la société. Elle se mesure à l’activité sociale des
acteurs. Elle est influencée par le contexte socio-culturel qui se présente à elle. Elle se
positionne comme un ensemble d’actions à l’égard des personnes âgées. Cette science s’étend
comme une conception selon laquelle les actions étant connues, les faits qui s’en suivront sont
prévisibles. Elle place les actions sociales au cœur de son champ considéré comme l’objet même
de la sociologie. Ainsi elle se caractérise par son extériorité ; fait ressortir les actions
antécédentes réalisées par le politique et par son action coercitive imposée par les défis du
développement durable. Cette théorie questionne les rapports entre les personnes âgées et la
société. Dans ce contexte, celles-ci ne sont pas libres, mais leur survie est déterminée par des
forces et mécanismes sociaux composants du développement durable qui échappent à son
contrôle et dont elles ne sont pas conscientes.

2.Résultats
Le rapport met ainsi en exergue les atouts et handicaps de la situation en Côte d’Ivoire
en indiquant des pistes possibles d'amélioration. Cette section fournit un premier bilan
comparatif des situations sanitaires et médico-sociales des personnes âgées sur une période qui
précède le lancement des expérimentations. Au moyen d’indicateurs communs et à partir des
données disponibles en 2021 au niveau national, ce bilan initial révèle la grande diversité des
actions en termes de population vulnérable concernée. Le fait social étant donc toute manière
de faire, de penser, d’agir, la sociologie du vieillissement dans notre contexte d’analyse s’oriente
vers toutes les actions sociales des acteurs qui interagissent dans ce milieu. Cette définition
nous donne d’analyser les acquis.

2.1. Les acquis de la sociologie du vieillissement en Côte d’Ivoire


Au regard de la sociologie du vieillissement en Côte d’Ivoire, les acquis rassemblent des
actions qui présentent les avancées récentes et des pratiques dans le domaine du médical, du
social et de l’assistance financière. La Côte d’Ivoire connaît un engouement pour les politiques
qui tiennent compte de la vulnérabilité des personnes âgées. Tandis que les maladies chroniques
et incurables sont diagnostiquées tardivement et mettent en péril la fragilité physique, l’action
humanitaire permettrait d’intervenir chez les personnes âgées pour éviter l’incapacité, en freiner
ou en diminuer les conséquences néfastes. Les récentes spéculations en sociologie en général
et en sociologie du vieillissement en particulier placent le débat autour du vieillissement vers la
prise en compte de la vulnérabilité des personnes âgées dans leur ensemble. Ce faisant, la
compréhension du vieillissement s’élargit aux aspects économiques, sociaux et
environnementaux qui s’adaptent au modèle du développement durable. Par ailleurs, les actions
de prévention dépassent désormais le cadre théorique et s’inscrivent dans le champ des
interventions socio-économiques de protection sociale. Quelles actions sont menées et pour quel
rapport au développement durable ?. Les acquis se traduisent par les actions de prise en charge
sanitaire et médicale d’environ (2000) personnes âgées. La prise en charge sanitaire et médicale
est ici l’expression des traitements médicaux et l’accès aux soins en rapport avec les affections
chroniques développées par les personnes âgées. Quant au volet nutritionnel et alimentaire qui

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 171


La sociologie du vieillissement à l’épreuve du modèle du développement durable en Côte d’Ivoire :
acquis, défis et perspectives

a couvert (80.000) personnes âgées ; il vise à renforcer les capacités physiques et biologiques
aux couches vulnérables dans leur intégration tout en respectant les principes thérapeutiques
qui s’imposent à eux durant leurs parcours de vie. La sécurité alimentaire, volet important de la
stratégie de réduction de la pauvreté est l’un des objectifs prioritaires de l’OMD (Objectifs du
Millénaire pour le Développement); la diversité alimentaire, la qualité alimentaire et des
habitudes alimentaires constituent un volet essentiel de toute stratégie visant à assurer la santé.
L’aspect financier a concerné (100.000) séniors structure les rapports d’insertion sociale et
professionnelle. Enfin (1500) sont suivis et pris en charge socialement. Toutes ces actions créent
et consolident les liens sociaux légitimes qui s’inscrivent dans un processus de restructuration
des catégories socialement faibles.6 Dans la dynamique de la société qui valorise principalement
la population active, les aînés constituent la tranche d’âge inapte et de ce fait, méritent plus
attention. Leurs besoins se localisent aussi en des actions multiples. C’est pourquoi, cette
population est confrontée à des obstacles qui dépassent souvent le cadre familial. Quelles sont
les limites fixées à la sociologie du vieillissement par rapport aux dimensions sociales,
économiques et environnementales ?

2.2. Les défis


La sociologie du vieillissement se heurte à des contraintes dans l’atteinte des objectifs
du développement durable en Côte d’Ivoire sont ici appréhendées à partir des trois piliers
structurels du développement durable. Pour chacun de ses piliers, une série de variables
renseignent sur les défis à des actions socio-médicales, économiques et environnementales. Les
données recueillies au plan social mettent en évidence une forte différence des conditions de
vie des personnes âgées vivant en zone rurale et celles en milieu urbain. Une absence de qualité
des soins généraux et spécifiques est également observée. 7L’absence d’intégration sociale
implique une action irréversible de la participation sociale des personnes âgées au
développement durable. « Les personnes âgées, détentrices des valeurs culturelles, occupent
une place de choix, dans la société traditionnelle africaine. Elles sont les dépositaires de tous
les us et coutumes et font figure d'autorité morale et de sagesse en ce sens que, la culture
traditionnelle africaine repose essentiellement sur l'expression orale. Possesseurs de capitaux,
de savoir, de savoir être, de savoir-faire, elles ont été des références, dans le règlement des
conflits, dans l'application des règles et des sanctions ; d'où leur utilité sociale et culturelle.
Cette utilité s'observe dans plusieurs sociétés et ceci à différents niveaux. » affirme (Tanoh C,
2007). Néanmoins, l’effet de la santé sur l’inaccessibilité aux soins spécifiques. La participation
sociale apparaît plus importante que l’effet inverse. Par conséquent, les individus âgés exclus
ou marginalisés par la sphère familiale ou en bonne santé ont d’autant plus de chances de
préserver leur santé grâce à l’effet bénéfique du capital social. « La participation sociale des
personnes âgées en Europe (Sirven, N. et Debrand, T., 2013), de même, ceux en moins bonne
santé ont moins de chances de participer à des activités sociales » et ont donc une probabilité
plus forte de voir leur état de santé se dégrader plus vite. En somme, malgré ses effets individuels
bénéfiques, le capital social est un vecteur potentiel d’accroissement des inégalités de santé

6
https://www.unccas.org/actions-sociales-en-faveur des séniors, consulté le 04/12/22.
7
La Côte d'Ivoire, vers une meilleure prise en charge des personnes âgées ? - (silvereco.fr),consulté le 31/08/22

172 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜167-178


Akpassou Isabelle ABOUTOU

parmi les personnes âgées. Au plan économique ; c’est la présence d’une faible retraite à la
caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) et à la Caisse Générale de Retraite des Agents
de l’Etat(CGRAE) sans toutefois notifier une absence de retraite pour les travailleurs du secteur
informel.8 Au plan environnemental, se perçoit l’épuisement de la biodiversité dû à la
dégradation du milieu. La mauvaise gestion des déchets et les changements climatiques sont
visibles et s’imposent à tout individu. Quelles stratégies par rapport aux politiques sociales,
économiques et environnementales existantes ?

2.3. Les perspectives


Selon (Dayoro Z,2014) et (Dayoro Z,2015) « la sociologie du vieillissement analyse le
rapport au vieillissement à des échelles macro, méso et micro. Mais, c’est la possibilité
d’envisager le vieillissement comme un processus inscrivant les acteurs sociaux dans des
temporalités sociales, collectives et individuelles qui fonde cette analyse. Sous cet angle, la
sociologie du vieillissement qui est également une sociologie des temporalités sociales et des
parcours de vie, se légitime en dehors des transitions démographiques ». Cette assertion du
sociologue nous introduit dans un vaste champ d’applications de la sociologie du vieillissement
au prisme des priorités du développement durable dans une perspective de bien vieillir. Le
récent développement des travaux sur la fragilité des personnes âgées présente un potentiel de
recherche important, permettant notamment une meilleure compréhension des mécanismes
conduisant à la dépendance. Les perspectives sont celles de l’élaboration d’un projet de
politique sur la protection et la promotion des droits des séniors en intégrant leurs besoins
spécifiques. L’adoption et la mise en application des lois et textes en vigueur induisent la prise
en compte leurs besoins spécifiques face aux défis du développement durable. Lesquels défis
au plan environnemental se dessinent dans le renforcement de la biodiversité (qualité de l’air) ;
l’amélioration du cadre de vie tant urbain que rural ; la prise de conscience sanitaire face aux
crises sanitaires ; l’adoption des nouveaux comportements face aux changements climatiques.

3.Discussion
Cette section ouvre le débat sur la dynamique de la sociologie du vieillissement face au
modèle du développement durable en Côte d’Ivoire. Elle définit les différentes approches
possibles de la sociologie du vieillissement, recense les idéologies et les théories qui ont été
proposées ou expérimentées pour relever spécifiquement la sociologie du vieillissement. En
l'absence d’un système d'informations ou de données uniques pour la Côte d’Ivoire, elle
rassemble en grande partie les données disponibles concernant les résumés d'auteurs qui
traduisent les réalités sociales diverses. Le débat est respectivement axé autour de la place de
la gestion de la santé ; la vulnérabilité des personnes âgées ; une politique d’adaptation des
structures sociales spécifiques aux besoins des personnes âgées.

3.1. La gestion de la santé au cœur de la sociologie du vieillissement


La sociologie du vieillissement est un champ d'observation et de publication
relativement récent en Côte d’Ivoire. Pourtant, son apparition est lointaine dans diverses sociétés
occidentales. Les modes de vieillir sont le reflet d'une multiplicité de relations d'aides et de
8
https://www.unccas.org/actions-sociales-en-faveur des séniors, consulté le 04/10/22.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 173


La sociologie du vieillissement à l’épreuve du modèle du développement durable en Côte d’Ivoire :
acquis, défis et perspectives

solidarités en fonction de l’organisation sociale du milieu dans lequel réside la personne âgée.
(Gucher, C.2013). La plupart des travaux sur la sociologie du vieillissement montre qu’elle est
centrée sur la santé des séniors. L'offre de services particulièrement ceux de la santé s'adapte
au nouveau contexte sociodémographique et culturel. La politique gouvernementale en Côte
d’Ivoire se positionne comme le seul acteur incontournable, mais d'autres acteurs viennent
également à ses côtés dans une perspective de développer, de valoriser et de favoriser la
construction sociale de ses aînés. Demeure un aspect non reluisant, l'accès aux soins, qui pose
avec acuité la question de l'égalité des droits des citoyens d’une manière générale. Pour certains
auteurs comme Blanchet, D. et Le Gallo, F. (2013), il faudrait structurer la sociologie du
vieillissement en vue de la comprendre. Ils l’affirment clairement en ces termes : « Identifier
les composantes de la sociologie du vieillissement aide à mieux saisir les conséquences et les
façons de s’y adapter ». Ainsi d’autres auteurs, Barnay, T. et Debrand, T. (2007) placent la santé
cœur de toute activité sociale. Ils décrivent pour cette population cible les liens existants entre
la santé, les caractéristiques socio-économiques et la participation à l'emploi. Ils soulignent
notamment l'impact plus fort de certaines maladies, mais aussi le rôle joué par le niveau d'étude
et la situation familiale. Ils analysent plus précisément les interactions entre santé et travail chez
les seniors et montrent ainsi que si l'impact de l'état de santé sur la participation à l'emploi est
fort, il existe des différences entre les hommes et les femmes. De même, Sirven, N. et Debrand,
T. (2011) soutiennent fermement cette assertion dans leur analyse. « Ils suggèrent que la
construction sociale de ces derniers favorise une meilleure santé, et vice-versa. Néanmoins,
l’effet de la santé sur la participation sociale apparaît plus important. Par conséquent, les
individus âgés en bonne santé ont d’autant plus de chances de préserver leur santé grâce à l’effet
bénéfique du capital social. De même, ceux en moins bonne santé ont moins de chances de
participer à des activités sociales et ont donc une probabilité plus forte de voir leur état de santé
se dégrader plus vite. En somme, ils soutiennent que malgré ses effets individuels bénéfiques,
le capital social est un vecteur potentiel d’accroissement des inégalités de santé parmi les
personnes âgées. Les auteurs Cambois, E. et al., (2010) s’inscrivent dans cette dynamique. Ils
présentent un regard croisé sur l'ampleur et la nature des différences d'espérances de vie et
d'espérances de vie en santé selon la profession ainsi que sur le rôle socialement différencié de
la santé dans les décisions de cessation d'activité. En résumé, la synthèse de leurs résultats vise
à souligner le caractère indissociable de ces deux champs de recherche. A cela, s’ajoute un
aspect important selon ces sociologues ivoiriens. Doukoure, D. et al., (2020) démontrent dans
leur étude la place prépondérante de la nutrition chez les personnes âgées de la commune
d’Abobo. Ils mettent l’accent sur la nutrition satisfaisante, un facteur de protection de la santé.
L’amélioration de l’état nutritionnel de la population constitue un enjeu majeur pour les
politiques de santé publique en Côte d’Ivoire.

3.2. La vulnérabilité des personnes âgées : un frein à la sociologie du vieillissement


Robine, J. M. et Jeandel, C. (2011) renchérissent « l’idée selon laquelle la vulnérabilité
des personnes âgées est perçu immédiatement comme un frein à la sociologie du vieillissement.
Ils constatent le flou concernant la connaissance de l'état de santé des très âgés en passant par
les rapports entre les générations, l'augmentation du nombre des très âgés, les travailleurs dans
le secteur de la dépendance et l'incertitude des projections ».

174 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜167-178


Akpassou Isabelle ABOUTOU

Quant à Sirven, N. (2013) leurs études sur la demande de soins de long terme ont mis
en évidence « le rôle de la fragilité en tant que précurseur de la perte d’autonomie,
indépendamment des maladies chroniques. Ils soutiennent dans leur analyse le rôle des
politiques sociales dans la prévention de la perte d’autonomie et le maintien de la qualité de vie
des personnes en perte d’autonomie ». Nous pensons qu’au-delà de l’état de santé, l'âge avancé
est directement influencé par le statut socioéconomique des ascendants ayant au contraire une
influence indirecte passant par la détermination du statut socioéconomique de l’individu
concerné. C’est ce que Devaux, M., et al., (2008) expliquent dans leurs études. Pour eux, « une
transmission intergénérationnelle de la santé est également observée : la longévité relative du
père et en particulier son statut vital influence la santé à l'âge adulte. La santé est donc
héréditaire selon leur conception ». En introduction, l'auteur précise les spécificités de la notion
de santé pour ce groupe d'âge, les effets du vieillissement physiologique (les pathologies et
incapacités fonctionnelles qui lui sont associées), n'en constituant pas le seul critère. C’est
pourquoi Henrard, J.-C. (1997) définit « la santé sur le plan opérationnel comme l'adaptation à
son environnement et la capacité à garder des fonctions sociales ». Les critères d'attribution
d'aides sont appliqués dans le cadre des schémas gérontologiques. L'auteur présente les
déterminants sociaux de la santé : niveau de revenus, environnement physique et social,
activités et sociabilité, soulignant le manque d'études dans ce domaine. Le document de travail
rappelle d'abord les grands facteurs de croissance des dépenses de santé, en s'appuyant sur une
somme de travaux réalisés sur cette question. Il discute ensuite les principales projections de
long terme des dépenses de santé réalisées en présentant leur méthodologie, leurs résultats et
leurs limites.

3.3. Vers une politique d’adaptation des structures sociales aux besoins des personnes âgées : une
stratégie à la dynamique de la sociologie du vieillissement
Selon Léon, C. et Beck, F. (2014), les projections de l'Institut national de la statistique
envisagent une double proportion des séniors en France. « Dans ce même contexte, les plus de
57 ans représenteront en 2040 plus de 26% de la population ivoirienne, contre 17,5%
actuellement. L'espérance de vie à 57 ans sera par ailleurs sans doute plus longue
qu'aujourd'hui ». Dans un contexte de forte prévalence des maladies chroniques et endémiques
ce double phénomène pose un certain nombre de défis au politique : la prévention du risque de
perte d'autonomie et le maintien de la qualité de vie des personnes âgées, afin de permettre à
chacun de vieillir en bonne santé. « Dans cette perspective, actualiser et préciser notre
connaissance des populations âgées et de leurs comportements de santé apparaît
indispensable ». C’est pourquoi, l'objectif de cet article analyse les données pour faire le point
sur les comportements, attitudes et connaissances en santé des 57ans, en explorant divers volets.
Les résultats, analyses et propositions de cet article visent à affiner ou à faire évoluer les
stratégies de prévention et « de promotion de l'ensemble des acteurs en lien avec les populations
âgées : élus, décideurs, professionnels de santé, proches, aidants bénévoles ou professionnels ».
Cette idéologie est la même que celle émise par Kerjosse, R., et al. (2003). Ceux-ci consacrent
essentiellement leurs travaux au secteur de l'aide aux personnes âgées. Ils mettent l’accent sur
les perspectives à venir en matière d'autonomie et « de prise en charge des personnes âgées
notamment le dénombrement », la projection et la prise en charge ; l'assurance privée face à la

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 175


La sociologie du vieillissement à l’épreuve du modèle du développement durable en Côte d’Ivoire :
acquis, défis et perspectives

dépendance, les concepts et mesures de l'incapacité, la santé auto-estimée des hommes et des
femmes à l'époque de la retraite, l'enjeu de la professionnalisation du secteur d'aide à domicile
en faveur des personnes âgées. Pour maintenir et accroître la longévité, il faudrait associer tous
les facteurs existentiels et relationnels du capital humain. C’est ce que confirment (Doukoure,
D et al.,2020) qui analysent les facteurs de longévité chez les ivoiriens. Il s’agit en clair de
déceler les secrets susceptibles d’accroitre l’espérance de vie. Leurs résultats ont permis de
déceler les facteurs religieux, spirituels, alimentaires, culturels et physiques comme fondateurs
de la longévité chez les ivoiriens. Tout comme ses auteurs, De Rodat, O. (2008) dans ce domaine,
il existe dans de nombreux autres domaines de l'observation sociale et sanitaire, des
particularismes qui persistent à travers divers espaces sociaux. Cependant pour nous, les
situations observées ne sont pas statiques, et ce rapport nous invite à revisiter les réalités socio-
culturelles avec un regard plus transversal.

Conclusion
Cette analyse documentaire examine les rapports au développement durable à la
sociologie du vieillissement en Côte d’Ivoire. Elle met en exergue les acquis, les défis et les
perspectives de la sociologie du vieillissement en Côte d’Ivoire. Elle trace les sillons qui
s’inscrivent dans le domaine de la participation sociale des aînés et suscite également des
questionnements susceptibles d’alimenter de futurs projets de recherche. Ainsi la Côte d’Ivoire
foisonne d’interventions orientées vers la construction sociale des aînés, mais très peu ont été
étudiées ou évaluées. Or, une meilleure connaissance de ces initiatives aiderait à cerner
comment améliorer ou renforcer des projets en vue. De plus, l’évaluation d’interventions
permettrait de recueillir de l’information sur les trois autres dimensions traitées ici. La
proportion toujours croissante des personnes de 57 ans en Côte d’Ivoire ou plus, conjuguée aux
changements démographiques, culturels, climatiques, sanitaires et économiques, invite à
repenser la sociologie du vieillissement, une science dédiée à la construction sociale des
personnes âgées. Face aux calamités naturelles, les risques pandémiques et aux mutations socio-
économiques qui échappent à l’activité humaine, quel sera donc le devenir de la sociologie du
vieillissement ?.

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Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 177


La sociologie du vieillissement à l’épreuve du modèle du développement durable en Côte d’Ivoire :
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personnes âgées en Cote d'Ivoire: Regard sur la maltraitance à Adjamé Village - Ahou
Clémentine TANOH Ã épse SAY

178 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜167-178


Mimboabe BAKPA & Ouwienfala KOMBARO

VARIATION DIALECTALE ET ENSEIGNEMENT BILINGUE : LE CAS DU


MIGANGAM, LANGUE GUR DANS LE NORD DU TOGO

Mimboabe BAKPA
Université de Kara, Togo
[email protected]
&
Ouwienfala KOMBARO
Université de Kara, Togo
[email protected]

Résumé : Le migangam est une langue gur appartenant au sous-groupe Gurma de la


famille Oti-Volta et est parlé dans l’aire géographique de l’Oti et de l’Oti-sud (Togo). Il
présente plusieurs variantes dialectales dont l’intercompréhension existe à des degrés
divers et pose un problème de choix linguistique par rapport à la conduite des
programmes d’enseignement bilingue. Le présent article vient répondre à ce problème à
travers une étude dialectologique-dialectométrique basée sur la théorie de Hans Goebl
dans les calculs dialectométriques. En effet, l’approche dialectométrique permet de partir
de cent notions recueillies dans chaque localité pour effectuer un processus de calculs
dialectométriques. Ainsi, à l’issue de ce processus de calculs, un arbre hiérarchique est
établi, permettant de dégager une hiérarchie des parlers gangam sur la base des degrés de
proximité linguistique. La méthode d’enquête adoptée est empirico-inductive : elle part
d’un questionnaire élaboré pour collecter des données auprès des locuteurs natifs et
bilingues (gangam/français) qui ne présentent pas de défaut d’élocution apparent. Les
résultats obtenus permettent d’identifier le parler le mieux approprié, en vue de le rendre
fonctionnel et utile à toute la communauté linguistique gangam en termes d’élaboration
des outils d’apprentissage dans le contexte d’un enseignement bilingue.

Mots-clés : dialectologie, dialectométrie, hiérarchie, variante dialectale, proximité


linguistique.

DIALECTAL VARIATION AND BILINGUAL EDUCATION: THE CASE OF


MIGANGAM, A GUR LANGUAGE IN NORTHERN TOGO

Abstract: Migangam is a Gur language belonging to the Gurma subgroup of the Oti-Volta
family. It is spoken in the geographical area of Oti and Oti-sud (Togo). It has several
dialectal variaties, the inter-understanding of which exists to varying degrees, and poses a
problem of linguistic choice regarding the conduct of bilingual literacy programs. This
article answers this problem through a dialectological-dialectometric study based on Hans
Goebl’s theory in dialectometric calculations. The dialectometric approach allows to start
from a hundred notions collected in each locality to carry out a process of dialectometric
calculations. Thus, at the end of this calculation process, a hierarchical tree is
established, making it possible to establish a hierarchy of gangam variaties on the basis of
the linguistic proximity degrees. The survey method adopted is empirically inductive: it
starts from a questionnaire in order to collect data from native and bilingual speakers
(Gangam/French) who do not show any apparent speech defects. The results obtained
make it possible to identify the most appropriate variety that can be useful for the entire
Gangam linguistic community in terms of learning tools in a bilingual education context.

Keywords: dialectology, dialectometry, hierarchy, dialectal variant, linguistic proximity

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 179


Variation dialectale et enseignement bilingue : le cas du migangam, langue gur dans le nord du Togo

Introduction
Les langues évoluent et se transforment sous la pression des besoins nouveaux qui
apparaissent dans les groupes ethniques qui les parlent. Cette évolution peut s’accentuer
par la dialectalisation due aux divers régionalismes ou au contact de langues. Selon
Martinet (2005 : 30), « les langues, on le sait, ne sont pas nécessairement identiques à
elles-mêmes sur tout le territoire où elles se parlent. Les différences peuvent aller jusqu’à
rendre aléatoires les tentatives de communication ». Ces changements linguistiques, selon
E. H. Wolf (2004, p.353), pourraient être liés à des systèmes complexes de facteurs
interdépendants, essentiellement historiques, géographiques. Cela est sans doute le cas du
migangam dont la variation se fait sentir lorsqu’on passe d’une aire géographique à une
autre. Le migangam est une langue gur appartenant au sous-groupe Gurma de la famille
Oti-Volta (Manessy 1975). Il est parlé dans la région des Savanes, plus précisément dans
la préfecture de l’Oti et de l’Oti-sud. Une simple observation du continuum des parlers du
migangam ne permet pas de déterminer le nombre de variétés de cette langue, car la
situation linguistique que présente l’ensemble de ces parlers est très complexe. Elle fait
état de plusieurs variantes dialectales dont l’intercompréhension existe à des degrés divers.
Cela pose sans doute un problème de choix linguistique par rapport à la conduite des
programmes d’alphabétisation ou d’enseignement bilingue. C’est pour cette raison qu’il
convient de partir d’une démarche dialectologique et de procédés de calculs
dialectométriques pour parvenir à une hiérarchisation des parlers de cette langue, en vue
de choisir le parler le mieux approprié, afin de le rendre fonctionnel en termes
d’élaboration des outils d’apprentissage dans le contexte d’un enseignement bilingue. Pour
y parvenir les questions de recherche suivantes méritent d’être posées : quels sont les
dialectes gangam et à quel degré les locuteurs de ces dialectes se comprennent-ils ? Quels
sont les traits communs ou traits de différence entre les parlers gangam ? S’agit-t-il de
dialectes, de sous-dialectes, de parlers ou de langues différentes ? De ces questions, nous
pouvons dire que le migangam présente plusieurs variantes dialectales et les locuteurs de
ces dialectes se comprennent à des degrés divers. Ainsi, un essai dialectométrique pourra
permettre de déterminer le statut des parlers concernés.
L’objectif du présent travail est d’identifier le statut des différents parlers du migangam à
travers des calculs dialectométriques. À l’issue d’un processus de calculs, nous pouvons établir
l’arbre hiérarchique qui permet de dégager une hiérarchie des parlers gangam sur la base des
degrés de proximité linguistique. Le but visé est d’ordre pratique. Il est question de choisir,
sur la base du statut des variantes ainsi identifiées, le parler le mieux approprié en vue de
le rendre fonctionnel à toute la communauté gangam, à des fins
d’enseignement/apprentissage bilingue. Le présent travail comporte quatre points
fondamentaux. Le premier point énonce le cadre théorique de l’étude. Le deuxième évoque
la méthodologie de la recherche, tandis que le troisième présente les données
dialectométriques des différents parlers. Quant au quatrième, il aborde la question de la
variante appropriée pour des fins didactiques, dans le sens de la promotion des langues
locales.

1. Cadre théorique
La présente étude se base sur la théorie de H. Goebl (1983) dans les calculs
dialectométriques. À ce titre, il s’agit de partir des écarts établis entre les parlers étudiés
pour ensuite déterminer la proximité linguistique entre ces parlers gangam. De plus, la
distinction préfixe /suffixe repose théoriquement sur leur seule position par rapport au

180 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜179-190


Mimboabe BAKPA & Ouwienfala KOMBARO

terme de base. Selon J.L. Chiss et al., (1978, p. 25), la base « est une unité à la laquelle on
ne peut rien enlever par commutation ». Ainsi, dans les calculs, il est nécessaire, selon
Gangue (2008), d’appliquer simultanément le principe d’alignement et la règle de
structure morphologique du mot en vue d’obtenir des résultats fiables. Pour la
hiérarchisation des divers dialectes gangam par proximité ou par distance linguistique,
nous nous inspirons de F. Manzano & V. Yé. (1983), tout en nous laissant guider par le
fonctionnement de la langue elle-même.

2. Méthodologique de la recherche
Pour le compte du présent travail, la méthode d’enquête directe a été choisie. Elle
consiste pour le chercheur, à se rendre dans la localité où la langue est parlée pour
effectuer une collecte fiable de données dialectales. Pour atteindre l’objectif de la
recherche, un questionnaire d’enquête a été élaboré ; questionnaire « défini avec un
minimum de moyens » (Möhlig 1986 :17) et arrangé par thèmes et sujets (concrets et
accessibles) en fonction de l’analyse que nous voulons faire. Dans cette perspective, étant
donné que le nombre de mots et leur arrangement dépendent essentiellement des buts
scientifiques poursuivis, nous avons élaboré un questionnaire donnant de meilleures
informations sur l’usage de la langue. Ces questions préparées à l’avance sont posées aux
informateurs natifs de la langue. Selon Möhlig (1986 :18) « le nombre des mots et leur
arrangement dépend essentiellement des buts scientifiques poursuivis. En outre, nous
avons choisi une série de questions fermées, formée d’une liste de mots en français, suivie
d’une colonne réservée où serra transcrite la traduction en parler local donnée par les
informateurs choisis. Par ailleurs, nous avons élaboré un questionnaire de 130 items
utilisés pour les calculs dialectométriques. Il s’agit d’un échantillon représentatif qui nous
a permis d’obtenir des informations et à partir duquel nous pouvons observer les
différences ou les ressemblances. Selon Malgoubri (2011 :11) « Le problème du choix du
type de questionnaire est très important parce qu'il détermine ce que l'on se donne à
étudier». De plus, pour chaque entrée lexicale, nous avons la forme du singulier et celle du
pluriel dans l’intention de relever des variations affixales de classes, lorsqu’on passe d’un
parler à un autre.

3. Données dialectométriques des différents parlers


Les calculs dialectométriques reposent sur les cents notions fondamentales
représentatives de chaque parler, recueillies et transformées en données numériques. Cette
liste de notions fondamentales résulte de légères modifications de la liste établie par
Möhlig (1986). Elle est réadaptée en fonction des réalités socioculturelles et économiques
de notre zone d’étude. Par ailleurs, ces données numériques s’obtiennent en procédant aux
divers calculs en vue de préciser en quoi ces parlers s’écartent ou se rapprochent les uns
des autres. Pour obtenir des résultats sur la base des données collectées et transcrites selon
l’alphabet phonétique international (API) version 2005, il est nécessaire de procéder à un
classement de ces données en ayant recours au principe de la mesure qualitative pour
faciliter leur traitement afin de pouvoir distinguer les degrés de distance et de proximité
interdialectale des localités a priori confrontées entre elles deux à deux. Les données
collectées sont hétérogènes quant à leur dispersion sur l’aire géographique gangam. Ainsi,
pour ramener chaque parler à un cadre commun de comparabilité, nous avons jugé utile de
nous pencher, dans un premier temps, sur l’élaboration des fiches de comparaison : il
s’agit d’examiner les données recueillies dans une première localité pour établir une

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 181


Variation dialectale et enseignement bilingue : le cas du migangam, langue gur dans le nord du Togo

comparaison de forme par rapport aux données collectées dans les autres localités pour les
mêmes mots. En ce sens, chaque entrée du parler X sera comparée à sa correspondante du
parler Y. Ensuite, nous appliquons la formule de pourcentage de divergence linguistique
(PDL =100 x NRL/NRL+NDL), en vue d’opérer sur chacun des parlers, une
transformation ramenant les données linguistiques de terrain en valeurs numériques pour
obtenir des données chiffrées. Aussi, ces calculs comportent des étapes entre lesquelles
l’on cherche à établir une hiérarchie des localités étudiées. En effet, nous calculons les
pourcentages de différences par paire de localités et par paire de mots dont nous faisons la
sommation pour obtenir par paire de localités, les coefficients de distances linguistiques.
En outre, le pourcentage de ressemblance peut s’obtenir de deux manières : soit en
appliquant la formule (PRL = NRL x 100/NDL+NRL), soit en partant du principe selon
lequel, la différence et la ressemblance sont complémentaires d’où la relation (PDL+PRL
=100). Ainsi, de cette relation, nous pouvons tirer que (PRL=100-PDL). Une fois que,
nous achevons le calcul des pourcentages de Distance et de Proximité linguistique (PDL et
PPL), suivi du calcul des Coefficients de Distance et Proximité Linguistique (CDL et CPL),
nous passons au calcul des moyennes de distance et de proximité Linguistique (MDL et
MPL). Enfin, le calcul des indices de partition (IP) qui permettront la hiérarchisation
(opérations permettant la saturation avec un reste de deux localités dont la moyenne de
distance linguistique permet de décider de l’ordre hiérarchique linguistique) de l’aire
gangam. Ainsi, suivant la relation de complémentarité, nous obtiendrons une
hiérarchisation contraire selon qu’elle est construite à partir des pourcentages de
différences ou les pourcentages de ressemblances linguistiques. Ce processus ainsi achevé
permet de séparer le mieux possible les parlers gangam. Autrement dit, il cherche à
évaluer leur ressemblance et leur dissemblance, à mettre en relief des groupes de parlers.
C’est de la sorte que sera effectuée notre analyse dialectométrique.

3.1. Calcul des pourcentages de distance et de proximité linguistique


Les recherches sur les distances et sur les proximités entre les langues ou entre les
parlers d’une langue ont toujours suscité la curiosité de certains chercheurs. En effet, en
partant des mots sur le plan synchronique, c’est-à-dire tels qu’ils existent aujourd’hui et en
observant leurs formes (singulier et pluriel) on essaie d’établir les pourcentages de
distance entre les parlers étudiés selon la formule suivante :
PDL=1OOX NDL/NRL+NDL
PDL : Pourcentage de Distance Linguistique
NDL : Nombre de Différence Linguistique
NRL : Nombre de Ressemblance Linguistique

Tout au plus, comme au niveau des langues à classe, les différences peuvent se
trouver aussi bien au niveau des bases qu’au niveau des affixes, nous établissons les
pourcentages de différences linguistiques pour le singulier et pour le pluriel en faisant la
somme des deux/ 2. De la sorte, dans le mode de calcul, nous appliquons aussi le principe
d’alignement et la règle portant sur la structure du mot proposé par (Malgoubri 2011) et
(Gangue 2008).

182 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜179-190


Mimboabe BAKPA & Ouwienfala KOMBARO

3.2. Calcul du coefficient de distance et de la proximité linguistiques (CDL et CPL) des


parlers
Après avoir défini les manières de calculer les pourcentages de distance et de
proximité linguistiques, nous pouvons passer au calcul des coefficients de distance et de
proximité linguistiques. En effet, on entend par coefficient de distance ou de proximité
linguistique, la valeur relative numérique qui caractérise les localités d’enquête par paire
de localité. Cela dit, par exemple, la distance ou la proximité entre les localités Gan/ Mog
est cette valeur relative comparée par paire de localités. En ce sens, les coefficients sont
obtenus par la moyenne arithmétique de tous les pourcentages de distance ou de proximité
des mots par paire de localités. Ensuite, nous calculons la moyenne de distance ou de
proximité linguistique (MDL ou MPL).

-Coefficient de distance linguistique


La distance entre les parlers étudiés signifiera une différence qui les distingue.
Pour le coefficient de distance linguistique, nous obtenons les résultats à partir de la
formule suivante :

soit X, le coefficient de distance linguistique entre deux parlers (Gan/Mog)


n
Ʃpdi
i =1
X = --------
N
Ʃ = Somme de
i : indique une succession de 1 à n
n = nombre de coefficients
N = nombre de pourcentage de distance
N = 100 en fonction des 100 mots choisis pour le calcul.

Pour calculer les coefficients de distance, il convient, en appliquant la règle précédente,


d’effectuer le calcul du coefficient de distance par paire de localités.

-Coefficient de proximité linguistique (CPL)


Connaissant les coefficients de distance linguistique, sachant aussi que, la distance
linguistique et la proximité linguistique sont complémentaires, il est possible d’écrire la
relation suivante : PPL +PDL= 100. En ce sens, nous partons de cette formule pour
obtenir le coefficient de proximité linguistique. Cela dit, le coefficient de proximité
s’obtient en faisant : PPL= 100 –PDL.

3.3. Calcul des moyennes de distance et de proximité linguistiques


La notion de moyenne est un ensemble fini de nombres. La moyenne de distance ou
de proximité linguistiques est la moyenne arithmétique, pour chaque localité, de tous les
coefficients de distance qui les lient aux autres localités par bipoint. Les moyennes
arithmétiques des distances entre les couples de parlers permettent de calculer les indices
de partition (IP). Les moyennes s’obtiennent en faisant la sommation des coefficients de
distance ou de proximité linguistiques par paire de localités ou de langues divisée par le
nombre des coefficients suivant la formule ci-dessous :

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 183


Variation dialectale et enseignement bilingue : le cas du migangam, langue gur dans le nord du Togo

∑ CDL
MDL = --------
N

∑ CDL = somme ou ensemble des coefficients de distance linguistique


CDL (ou encore X) = coefficient de distance linguistique
N = nombre de CDL

Par exemple pour obtenir la moyenne de distance linguistique de Far, nous trions d’abord,
les coefficients de distance Far/Gan=43,45, Far/kan=32,19, Far/Koun=26,25,
Far/Koum=18,83, Far/kouk=24,58, Far/Mog=42,45, Far/ton=41,72, Far/Takp=45,29,
Far/Tcha=53,09, que nous organisons dans une colonne de la matrice des coefficients de
distance linguistique. Ensuite, nous faisons la sommation de ces coefficients obtenus par
bipoint. Enfin, nous divisons le résultat obtenu de l’addition des différents coefficients par
09 (neuf). Ce chiffre neuf est le nombre de coefficients de distance. Nous obtenons donc
36,42 % comme moyenne de distance de Far. Faisons de même avec le calcul des
moyennes de proximité linguistique, c’est-à-dire l’ensemble des coefficients de proximité
linguistique par paire de localités divisé par le nombre de coefficients qui est égal à 09
(neuf) en respectant la formule ci-dessous :

∑ CPL
MPL = --------
N
∑ CPL = somme ou ensemble des coefficients de proximité linguistique
CPL (ou encore X) = coefficient de proximité linguistique
N = nombre de CPL

Ainsi, nous faisons la sommation des coefficients de proximité linguistique


suivants : Far/Gan=56,55, Far/kan=67,81, Far/Koun=73,75, Far/Koum=81,17,
Far/kouk=75,42, Far/Mog=57,55, Far/ton=58,28, Far/Takp=46,91, Far/Tcha=54,71.
Donc, le résultat obtenu est divisé par 09 (neuf). Ce qui donne 63,58 %.
Les moyennes de distance ou de proximité de chaque localité se déterminent à partir d’une
matrice des coefficients de distance ou de proximité linguistiques où elles sont inscrites en
bas de ladite matrice.

3.3. Matrice des coefficients de distance ou de proximité linguistiques


Nous partons d’une matrice qui regroupe les coefficients de distance ou de
proximité linguistiques pour poursuivre le processus de calculs. Cette matrice est à double
entrée, en vue de favoriser une lecture simple des coefficients consignés dans un tableau
de matrice. Selon Malgoubri (2011, p.25) « la matrice est à double entrée de sorte que la
lecture est horizontale jusqu’au croisement de la localité puis la lecture devient verticale. ».
Dans cette perspective, la lecture des coefficients qui lient Far et les autres localités se fait
verticalement et horizontalement, puis verticalement quand il est question de la lecture des
coefficients de la localité de Gando (Gan). Par ailleurs, nous obtenons une matrice de
distance et une de proximité qui représente les coefficients obtenus entre chaque couple de
localités.

184 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜179-190


Mimboabe BAKPA & Ouwienfala KOMBARO

Nous faisons une sommation des codes obtenus à chaque forme comparée et nous calculons
les moyennes de distance ou de proximité. L’application de la formule donne les moyennes
de distance ou de proximité linguistiques, au bas du tableau des coefficients de distance ou
de proximité linguistiques pour chaque localité. Les matrices ci-dessous indiquent
comment les calculs des coefficients de distance ou de proximité sont opérés, en vue
d’obtenir les moyennes de distance ou de proximité linguistiques.

-Matrice des coefficients de distance linguistique


Dans l’objectif de rendre les noms des localités étudiées exploitables et commodes
dans la matrice des coefficients de distance ou de proximité linguistiques, il est nécessaire
de réduire la forme desdites localités. Ainsi, lira-t-on : Far, Gan, Kan, Mog, Ton, Tcha,
Takp, Koun, Kou et Kouk respectivement pour Faré, Gando, Kangni, Mogou, Tontondi,
Tchamonga, Takpapiéni, kountoiré, Koumongou et Koumongou kan. L’ensemble des
opérations donne la matrice des coefficients ci-dessous qui reproduit les coefficients de
distances entre les parlers comparés.

Tableau 4: matrice des coefficients de distance linguistique


Far
Gan 43,45 Gan
Kan 32,19 42,28 Kan
Koun 26,25 36,84 10,19 Koun
Kou 18,83 44,25 34,08 27,93 Kou

Kouk 24,58 35,48 30,78 26,00 26,16 Kouk

Mog 42,45 15,36 38,67 32,92 41,48 31,90 Mog

Ton 41,72 21,52 38,78 33,98 41,63 31,82 13,38 Ton

Tcha 53,09 33,96 49,31 45,30 54,03 43,81 30,01 31,70 Tcha

Takp 45,29 39,38 37,71 37,24 44,89 39,54 40,82 43,89 44,70 Takp

MDL 36,42 34,73 34,89 30,74 37,03 32,23 31,89 33,15 42,88 41,49

-Matrice des coefficients de proximité linguistique


Les opérations effectuées permettent d’obtenir ci-dessous la matrice de coefficient
de proximité linguistique entre les localités de zone d’étude.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 185


Variation dialectale et enseignement bilingue : le cas du migangam, langue gur dans le nord du Togo

Tableau 5: matrice des coefficients de proximité linguistique


Far
Gan 56,55 Gan
Kan 67,81 57,72 Kan
Koun 73,75 63,16 89,81 Koun
Kou 81,17 55,75 65,92 72,07 Kou

Kouk 75,42 64,52 69,22 74,00 73,84 Kouk

Mog 57,55 84,64 61,33 67,08 58,52 68,10 Mog

Ton 58,28 78,48 61,22 66,02 58,37 68,18 86,62 Ton

Tcha 46,91 66,04 50,69 54,70 45,97 56,19 69,99 68,30 Tcha

Takp 54,71 60,62 62,29 62,76 55,11 60,46 59,18 56,11 55,30 Takp

MPL 63,58 65,27 65,11 69,26 62,97 67,77 68,11 66,85 57,12 58,51
4.4. Calcul des Indices de Partition (IP)
A partir des coefficients de distance, nous calculons la moyenne arithmétique de
l’ensemble des coefficients caractérisant chaque bipoint. Pour obtenir l’indice de partition,
nous faisons la sommation de toutes les moyennes de distance ou de proximité
linguistiques que nous divisons par le total de localité ou de parlers étudiés. Aussi, cet
indice de partition peut être calculé à partir des différents coefficients de proximité ou de
distance linguistiques de l’ensemble du domaine observé. Et cela, la formule ci-dessous est
appliquée.

∑ MDL ou ∑ MPL x1+ x2 + x3+ ……xn


IP = ----------------------- ou --------------------------
N N
A partir du premier indice de partition nous obtenons l’éclatement de l’espace en
deux ensembles différents : les localités dont les moyennes de distance linguistique sont
supérieures à l’indice de partition ; les localités dont les moyennes de distance linguistique
sont inférieures à l’indice de partition. Au sein de chaque groupe à réorganiser, nous
appliquons en premier lieu, la procédure de réorganisation de la matrice des coefficients
qui le caractérise, en deuxième lieu, nous calculons la moyenne de distance ou de
proximité, puis le calcul de l’indice de partition jusqu’à obtenir une partition définitive
formée de deux localités ou dialectes. Selon Gangue (2008 :77) « ces opérations sont
successives jusqu’à ce que l’on obtienne une partition complète (deux à deux) du groupe
ou sous-groupe de localités soumises aux calculs. » L’homogénéité des groupes ou du
sous-groupe de dialectes favorise un classement approprié de ces dialectes deux à deux.
Ainsi, nous obtiendront, grâce à ces partitions successives, une branche hiérarchique

186 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜179-190


Mimboabe BAKPA & Ouwienfala KOMBARO

subdivisée en branches plus fines. Cette hiérarchisation organise les dialectes étudiés sur
la base de la distance et la proximité linguistiques.

3.5. Hiérarchisation des parlers de l’aire gangam par rapport à leur proximité linguistique
La hiérarchisation d’une aire dialectale est une action qui permet d’organiser les
parlers étudiés selon une hiérarchie. Elle implique l’utilisation d’une méthode
hiérarchisation qui permet de scinder et d’analyser précisément les dialectes. Son but est
d’organiser les parlers étudiés en groupes ou sous -groupes sur la base de la distance ou de
la proximité. C’est dans cette direction que nous tâcherons, à partir d’une formule de calcul
des indices de partition, de disposer des différents groupes ou sous-groupes de parlers
étudiés par ordre de proximité.

3.6. Présentation des résultats


La hiérarchisation est une sorte d’organisation des parlers sur la base de deux types
de données : la distance linguistique et la proximité linguistiques. En outre, la
hiérarchisation qui a été faite s’inspire de la méthode de saturation développée par F.
Manzano et V. Ye (1983). À cet effet, l’indice de partition, permet de repartir les localités
concernées par cette étude en deux groupes distincts en observant la moyenne de chaque
localité pour décider de l’ordre hiérarchique. À la fin des opérations de calcul effectuées,
nous avons obtenu, sur la base des distances linguistiques, un IP1 qui est égale à 35,54%.
Cela dit, cette valeur chiffrée se traduit du point de vue linguistique, par un degré
d’intercompréhension élevé entre les locuteurs de notre champ linguistique circonscrit, car
selon P. Malgoubri (2011), si l’indice de partition basé sur la distance linguistique est bas,
l’intercompréhension est élevée et s’il est élevé l’intercompréhension est basse, entre les
locuteurs. De ce fait, l’indice de partition (IP1) divise l’ensemble des localités en deux
groupes, comportant d’un côté six (06) localités et de l’autre côté quatre localités. La
valeur chiffrée de l’indice de partition est basée sur la proximité linguistique que nous
avons également désigné (IP1). En observant cet indice de partition qui est égale à
64,55%, nous pouvons, à partir de cette valeur chiffrée, déduire du point de vue
linguistique que, compte tenu de la valeur chiffrée élevée de proximité, les locuteurs de
notre zone d’étude se comprennent à degré élevé. Après avoir mis en exergue de façon
chiffrée les dissemblances et les ressemblances, nous passons à la hiérarchisation des
dialectes au sein du groupe. L’arbre hiérarchique permet de dégager une hiérarchie des
parlers. De là, dans la mesure où l’arbre hiérarchique ci-dessous, assigne une explication
à chaque niveau concernant le degré de proximité des dialectes concernés par cette étude,
il est possible dans cette perspective de dire que, la hiérarchisation des localités est
fonction de la proximité linguistique. Nous présentons ici, la construction de l’arbre
hiérarchique basé sur la proximité linguistique.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 187


Variation dialectale et enseignement bilingue : le cas du migangam, langue gur dans le nord du Togo

Schéma hiérarchique sur la base de la proximité linguistique

LANGUE MIGANGAM

G1 G2

SG1G1 SG2 G1 SG1 G2 SG2 G2

Tcha Takp Kou Far Gan Kan Kouk Koun Ton Mog

Sachant que l’arbre hiérarchique permet de dégager une hiérarchie des parlers
étudiés sur la base de la distance ou de la proximité linguistique, la lecture de cet arbre
hiérarchique de la gauche vers la droite expose la hiérarchie des parlers du plus distant au
plus proche. Selon P. Malgoubri (2011, p.36), le parler qui, après hiérarchisation, se
retrouve en cette position est le « plus compris des locuteurs des autres dialectes ». Cela dit,
le parler de Mogou (mimͻtiem) est le dialecte le plus compris de l’ensemble des locuteurs
de notre zone d’étude avec une moyenne de proximité linguistique élevée qui est égale à
76, 85% par rapport aux moyennes de proximité linguistique des autres localités.
Le point suivant évoque la question de la politique linguistique qui constitue un des
principes directeurs de la promotion des langues locales.

4. Choix de la variante qui convient


Le migangam est caractérisé par l’existence de différents dialectes. Cette situation
évoquée ci-dessus, pose le problème de savoir comment rendre ces dialectes fonctionnels
au côté du français dans un contexte d’enseignement/apprentissage bilingue, vu qu’une
grande partie de population gangam ne pratique pas la langue officielle du pays. Ainsi, la
dialectométrie peut permettre de choisir le dialecte de référence à travers lequel tous les
locuteurs du migangam se reconnaissent. La dialectométrie permet la hiérarchisation des
parlers d’une zone d’étude en vue de choisir le parler de référence dans le cadre d’un
programme adéquat d’alphabétisation. Pour Möhlig :

188 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜179-190


Mimboabe BAKPA & Ouwienfala KOMBARO

La classification synchronique dialectométrique n’est pas un but en soi, […] elle a


une importance immédiate pour la linguistique appliquée, c’est-à-dire dans le
domaine de la politique linguistique, la standardisation et l’unification des langues
apparentées, pour l’élaboration de programme d’alphabétisation
Möhlig (1980 :44)

Ainsi, à l’issue de cette hiérarchisation, le parler de Mogou a été choisi et


considéré comme compris par l’ensemble des locuteurs du migangam. Notre proposition
tient compte des résultats dialectométriques qui confèrent à ce parler de la localité de
Mogou, le statut de « dialecte de référence ». La promotion de ce dialecte nommé «
mimɔtiémi » et son instrumentalisation pourra sans doute faciliter la mise en œuvre d’un
enseignement/apprentissage bilingue, vu que les locuteurs du migangam, surtout du sud-
est préfèrent un autre dialecte dans le cadre de l’enseignement non formel, que celui
utilisé actuellement (le parler « miɉiɛm » de la localité de Gando). Dans cette perspective,
pour la réussite des programmes d’alphabétisation, nous suggérons une utilisation efficace
de ce dialecte dans les programmes d’alphabétisation, les publicités, les médias. Il faudra
par ailleurs approfondir sa description grammaticale et initier des études terminologiques
durables pour ainsi enrichir son lexique et proposer un éventuel dictionnaire bilingue
migangam-français.

Conclusion
Basée sur la méthode de calculs de Hans Goebl, l’étude nous a permis de calculer
les pourcentages de distances et de proximités linguistiques en appliquant à la fois le
principe d’alignement et la règle de structure morphologique des mots, en vue de dégager
parmi l’ensemble des parlers gangam, le dialecte de référence. Ainsi, cette hiérarchisation
a permis d’obtenir un schéma hiérarchique qui témoigne que le parler de Mogou est le plus
compris par l’ensemble des locuteurs de notre zone d’étude. C’est à ce titre que nous
proposons l’instrumentalisation de ce dialecte pour son utilisation dans les programmes
d’alphabétisation ou dans d’autres projets d’enseignement/apprentissage bilingue. Eu
égard à ce qui précède, nous aboutissons à la conclusion selon laquelle les dix parlers
étudiés, bien que diversifiés, sont des dialectales du migangam. Bien entendu, il est
impossible, dans la présente étude, de révéler tous les phénomènes liés à l’étude
dialectologique et dialectométrique de la langue migangam. De plus, même si l’on a pu
identifier le parler de référence de la zone d’étude, il conviendra aussi de réunir les
moyens nécessaires, en vue de former les formateurs ou les animateurs pédagogiques pour
le déroulement d’un enseignement de qualité.

Références Bibliographiques
Bakpa, M. (2012). Étude du ngbem, parler gangam de Koumongou. Description et analyse
comparative, Thèse de Doctorat (PhD), Universität Bayreuth
Comrie B. & Wolff, H. E. (2004, Journal of West African Languages 30:2
Gangue, M. M. (2005). Étude dialectologique du moba, Mémoire de DEA, Université de
Lomé
Gangue, M. M. (2008). Étude dialectologique du moba, thèse de Doctorat Unique,
Université de Lomé.
Goebl, H. (1983). Éléments d’analyse dialectologique à partir de l’AIS, Revue de de
linguistique romane, Strasbourg, SLP, 42 : 349-420

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 189


Variation dialectale et enseignement bilingue : le cas du migangam, langue gur dans le nord du Togo

Guiter, H. (1973). Atlas et frontières linguistiques, A la lumière des atlas régionaux,


Dialectes romans de France, Paris, CNRS : 62-107
Malgoubri, P. (2011). Recherches dialectologique et dialectométriques nuni (une langue
gurunsi du Burkina Faso), PHD, Universiteit Leiden
Manzano, F. & Yé, V. (1983). Une méthode de saturation de l’espace dialectal, Lange,
Espace et Société, Annales no 06 de l’ESLS, Ouagadougou :48-58.
Martinet, A. (1980). Éléments de linguistique générale, Paris, Armand Colin
Möhlig, J. G. W. (1986). Introduction à la dialectométrie synchronique : la méthode
dialectométrique appliquée aux langues africaines, Dietrich Reimer Verlag,
Berlin :15-26
Wolff, E. H. (2004). West African Language Typology, Guest Editors: COMRIE Bernard
and WOLFF H. Ekkehard. Journal of West African Languages 30:2

190 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜179-190


Venance TOKPA

LES DÉFIS DE L'ÉDUCATION BILINGUE EN LANGUE MATERNELLE DANS LES


ÉCOLES AFRICAINES : LE CAS DU TOURA ET DU DAN (YACOUBA)

Venance TOKPA
Université Félix Houphouët Boigny
Département des Sciences du Langage
Option : Linguistique Descriptive
[email protected]

Résumé : Cette recherche présente une étude de cas des programmes d'enseignement
primaire bilingue en Français/Toura et Français/Dan (Yacouba), langues mandé-Sud.
Elle illustre les difficultés auxquelles sont confrontées les nombreuses langues tonales
en Afrique dans l'éducation bilingue. Nos hypothèses sont qu'il est plus avantageux
d'enseigner et de transmettre des connaissances aux enfants dans leur langue
maternelle plutôt que dans une langue étrangère ; l'enseignement dans les langues
maternelles permet l'acquisition de nouvelles techniques et l'implication effective des
populations dans le développement des pays. La recherche explorera les défis d'une
bonne articulation entre les langues maternelles des élèves et la langue de scolarisation
; les stratégies pour stimuler l'éducation bilingue ; et les cadres méthodologiques pour
une transition vers l'éducation bilingue. En particulier, l'étude examinera dans quelle
mesure le succès de l'éducation bilingue dépend de la résolution du statut des langues
; les compétences spécifiques dont les enseignants ont besoin pour être des éducateurs
bilingues efficaces dans les langues africaines. Les données qualitatives et quantitatives
seront collectées par le biais d'observations de cours dans des écoles du Projet Ecole
Intégrée ayant un programme bilingue Français/Toura et Français/Dan ; d'entretiens
avec des acteurs pertinents du système éducatif ; d'une analyse documentaire de textes
administratifs ; et d'une analyse des manuels didactiques. Cette recherche a le potentiel
d'informer le développement d'unités d'enseignement/apprentissage, de politiques, de
dispositions administratives et de programmes de formation des enseignants nécessaires
à l'intégration efficace de l'enseignement en langue maternelle dans les systèmes
scolaires africains.

Mots-clés : Langues tonales ; langues africaines ; éducation bilingue ; éducation en


langue maternelle ; Côte d'Ivoire

THE CHALLENGES OF MOTHER TONGUE BILINGUAL EDUCATION IN


AFRICAN SCHOOLS: THE CASE OF TOURA AND DAN (YACOUBA)

Abstract: This research presents a case study of bilingual primary education programs
in French/Toura and French/Dan (Yacouba), South Mande languages. It illustrates the
difficulties faced by the many tonal languages in Africa in bilingual education. Our
hypotheses are that it is more advantageous to teach and transmit knowledge to children
in their mother tongue rather than in a foreign language; teaching in mother tongues
allows for the acquisition of new skills and the effective involvement of populations in
the development of countries. The research will explore the challenges of articulating
students' mother tongues and the language of schooling; strategies for stimulating
bilingual education; and methodological frameworks for a transition to bilingual
education. In particular, the study will examine the extent to which the success of
bilingual education depends on resolving language status; the specific skills teachers
need to be effective bilingual educators in African languages. Qualitative and

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 191


Les défis de l'éducation bilingue en langue maternelle dans les écoles africaines : le cas du toura
et du dan (yacouba)

quantitative data will be collected through classroom observations in Integrated School


Project schools with bilingual French/Toura and French/Dan programs; interviews with
relevant actors in the education system; a literature review of administrative texts; and
an analysis of teaching manuals. This research has the potential to inform the
development of teaching/learning units, policies, administrative arrangements, and
teacher training programs necessary for the effective integration of mother tongue
instruction into African school systems.

Keywords : Tonal languages; African languages; bilingual education; mother tongue


education; Côte d'Ivoire

Introduction
Soucieux du bien-être de ses populations et s’inscrivant dans les OMD et l’ODD, le
gouvernement ivoirien a entrepris un certain nombre de réformes de son système éducatif et
le renforcement des infrastructures avec comme objectif principal « un enseignement de
masse et de qualité ». Nous pouvons citer entre autres, l’école obligatoire pour tous les
enfants de 6 à 16 ans. Car l’éducation de base (l’école primaire et le 1er cycle de l’école
secondaire) et le développement des compétences professionnelles : c’est, en effet, un bien
commun faisant partie des droits de l’homme de la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme du 10 décembre 1948 (Article 26). Tous ces efforts consentis par le gouvernement,
ont fait accroitre le taux de scolarisation et de couverture scolaire. En effet, ces deux
dernières décennies ont vu le nombre d’enfants scolarisés accroitre et maintenu contre vents
et marrées. Selon PASEC :

Depuis les années 2000, la Communauté Internationale a enclenché une


dynamique axée sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD)
pour une Éducation Pour Tous ayant permis de faire progresser le taux de
scolarisation primaire, avec un accent moins prononcé sur la qualité.
Pasec (2019 :45)

Cependant, malgré cette dynamique, le taux d’échec, de renvois et d’abandon


scolaire reste encore très élevé et caractérisé par le fait que les élèves des écoles primaires
publiques et des écoles secondaires publiques de Côte d’Ivoire n’ont pas dans la grande
majorité ‘’les fondamentaux en lecture-écriture’’(ils ne savent ni lire, ni écrire (littératie)) et
en mathématiques (numératie) (PASEC 2014 et 2019, les études de la Banque Mondiale,
Jasinska et al. 2017, etc.). Une des raisons de l’insuffisance des résultats des élèves relevées
dans ces rapports est qu’ils ne saisissent pas le texte qui leur est soumis. C’est-à-dire, ces
élèves ne comprennent pas les consignes des tests d’évaluation en lecture et en
mathématiques prescrites. Ces mauvaises performances en littératie et en numératie des
élèves des écoles primaires publiques de Côte d’Ivoire seraient dues en partie à la barrière
linguistique entre la langue maternelle (L1) et le français, langue d'enseignement (L2) en ce
qui concerne les élèves des zones rurales qui n’ont pas de contact régulier avec le français.
La langue française est utilisée comme seule langue d’enseignement pour l’éducation de
base, le lycée et l’université. En effet, « le français peut, en tant que langue d’apprentissage
scolaire, constituer un facteur inhibiteur pour les enfants des zones rurales qui n’ont pas de
contact régulier avec celle-ci quand ils accèdent à l’école ». À cause des difficultés que
rencontrent les élèves dans l’acquisition du français, l’accès à l’école y est réduit à 66%

192 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜191-198


Venance TOKPA

contre 83% en milieu urbain, et varie d’une région à l’autre ; la couverture scolaire étant
beaucoup plus réduite au nord du pays (Rapport d’Etat du Système Educatif Ivoirien).
Au vu de ce constat, les autorités nationales décident alors l’expérimentation de
l’utilisation des langues nationales dans l’enseignement, suivant en cela les préconisations
de l’UNESCO qui, dès 1953, déclarait solennellement que « la meilleure langue
d’instruction est la langue maternelle de l’apprenant ». L’Etat de Côte d’Ivoire a par arrêté
ministériel en août 2000, introduit l’enseignement des langues de Côte d’Ivoire dans
l’enseignement primaire publique avec dix (10) langues en phase pilote à travers le
Programme Ecole Intégrée (PEI) (PEI élaboré par les linguistes de l’Institut de Linguistique
Appliquée de l’Université d’Abidjan - Cocody à la demande du Ministère de l’Education
Nationale). Les langues concernées sont : l’Agni, l’Akyé, le Senoufo, le Bété, le Yacouba, le
Baoulé, le Koulango, l’Abidji, et le guéré. Par la suite, trois langues à savoir : le Toura,
l’Abron et le N’zima vont intégrer le projet en 2009. Cette volonté du gouvernement va être
confirmée à l’ouverture du Symposium sur l’enseignement bilingue en Côte d’Ivoire par la
ministre de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation (MENA) en avril 2022 en déclarant
: « Nous sommes engagés et nous sommes déterminés pour l’initiative de l’introduction des
langues nationales » car « il serait inopérant de construire une stratégie pédagogique qui ne
s’appuie pas sur les acquis de l’environnement socio-culturel à travers l’utilisation du
médium qu’est la langue » poursuit-elle. Il s’agit du maintien de dix langues représentatives
(abidji, agni, attié, baoulé, bété, dioula (malinké), koulango, sénoufo, toura et yacouba
(dan)). L’introduction des langues nationales se produit en rupture avec le modèle colonial
hérité, assorti d’un double souci, de meilleure réussite scolaire et de meilleure intégration
des enfants des campagnes dans le milieu scolaire. Partant du fait que les enfants en milieu
urbain, parlant le français, abordent plus aisément l’école que ceux du milieu rural qui sont
locuteurs des langues ivoiriennes. Ce programme vise à améliorer la formation des enfants
des milieux ruraux et s’inscrit également dans la volonté de développement tenant de toutes
les couches sociales du gouvernement.
Plus de deux décennies après le lancement du PEI, la nécessité de de faire un état
des lieux s’impose de nos jours. Aussi, la principale question que soulève cette étude est de
savoir, quelles difficultés entravent le bon fonctionnement des écoles bilingues en Côte
d’Ivoire ? Spécifiquement, quels obstacles empêchent la mise en œuvre efficace du PEI dans
la région du Tonkpi ? Quelles stratégies peuvent booster l’éducation bilingue pour sa
généralisation en Côte d’Ivoire ? Le postulat de base de cette étude est : la réussite de
l’éducation bilingue et sa généralisation dépendent de la résolution des problèmes auxquels
sont confrontées les écoles pilotes. Aussi, l’objectif principal visé par ce travail est de déceler
les difficultés qui entravent la prospérité des écoles PEI. Autrement, celui-ci vise à évaluer
l’ampleur et la nature des difficultés auxquelles le PEI est confronté dans la réalisation de
ses objectifs dans la région du Tonkpi.

1. Cadre, matériel et méthodologie de travail


1.1. Cadre de travail
Nos enquêtes de terrains ont nécessité plusieurs voyages dans les Départements de
Biankouma et de Danané, plus précisément dans les villages de Kanta-Bossè et de
Yenggbéyalé qui abritent des écoles bilingues inscrites au Projet Ecole Intégrée (PEI). Nous
avons choisi ces deux Départements principalement pour des raisons financières. Vu les
moyens financiers à notre disposition, il nous fallait trouver une ou deux départements
abritant des écoles qui sont inscrites au PEI. Et dans les départements ci-dessus cités, nous

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 193


Les défis de l'éducation bilingue en langue maternelle dans les écoles africaines : le cas du toura
et du dan (yacouba)

pouvions mener nos investigations. Nous avons donc organisé six voyages pour recueillir les
données nécessaires à l’exécution de notre mission.

(1) Sites PEI visités et langues d’enseignement


Sites PEI Langue d’enseignement
Kanta-blossé (Danané) yacouba (Dan)
Yenggbéyalé (Biankooma) toura

1.2. Techniques de recherche


Dans le cadre de cette étude, les techniques de recherche qualitative utilisées sont
l’entretien, l’observation participative des sessions de classe et l’analyse documentaire.
S’agissant de l’entretien, c’est le type semi-dirigé qui a été retenu, étant donné qu’il permet
une certaine flexibilité lors de la collecte des données. Il est en effet possible d’ajouter des
questions supplémentaires, si cela permet de recueillir des données encore plus riches. En
ce qui concerne l’observation participative des sessions de classe, elle s’est déroulée durant
les années scolaires 2020/2021 et 2021/2022. Il s’agissait pour nous de mieux appréhender
les réalités quotidiennes de travail des enseignants et élèves dans ces écoles bilingues et de
tenter de mieux saisir la complexité des pratiques didactiques et sociales qui y ont cours,
que ce soit entre les enseignants et les élèves, entre les élèves eux-mêmes, ou entre les
enseignants et les parents d’élèves. Enfin, l’analyse documentaire a consisté à l’analyse des
écrits administratifs, des documents scientifiques, des documents pédagogiques et des
rapports de bilan produits par les directeurs en fin d’année scolaire pour comprendre le
contexte de travail.

1.3. Matériel d’analyse


Une analyse qualitative de type interprétatif a été privilégiée dans cette étude. En
effet, le sujet traité, celui de la place de la langue maternelle dans l’enseignement en Côte
d’Ivoire, se prête davantage à une analyse qualitative, étant donné que ces notions ne
peuvent être examinées que dans un contexte qui donne la parole aux partenaires de
l’enseignement dans le primaire et où il est possible de voir ces derniers en situation de
classe.

1.4. Méthodologie de travail


La méthodologie employée, pendant nos enquêtes, a consisté à l’observation des
séances de classes dans des écoles inscrites au Projet Ecole Intégrée (PEI) et dans des
centres d’alphabétisation, à l’examen des manuels didactiques et des interviews avec des
décideurs et des acteurs de terrains. Cette méthodologie nous a permis de récolter des
données écrites et orales constituées d’enregistrements vidéo et audio et de photographies.
Nous avons utilisé des dictaphones et des appareils photos et des caméras pour le recueil de
ces différentes données. Les réponses des participants à l’entretien ont été catégorisées par
unités de sens. Nous avons regroupé les réponses qui convergent dans le sens de l’impact de
l’usage de la langue maternelle sur l’implication généralisée du corps social dans le suivi de
l’éducation scolaire des enfants et également les conséquences de cet impact sur les
apprentissages scolaires de l’enfant.

194 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜191-198


Venance TOKPA

- Les données écrites


La collecte des données écrites s’est faite à partir des écrits administratifs (textes de
lois, décrets, extraits de communication de conseil de ministre, arrêtés, circulaires, et notes
de service), des documents scientifiques (livres, articles, extraites de conférences, fiches
d’enquêtes extensive, etc. en version papier ou en fichier numérique) et des documents
pédagogiques (manuels scolaires, guide-maîtres, fiches de cours, etc.).

- Les données orales


Les données orales sont constituées, d’une part, des interviews réalisées auprès des
autorités administratives locales. Il s’agit du secrétaire général et du chargé des projets de
la Direction Régionale de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation (DRENA) de Man
et de l’inspecteur de l’enseignement primaire de Biankouma. Aussi, avons-nous interviewés
les enseignants des écoles PEI de Kanta-Blossé et de Yenggbéyalé (les deux directeurs, trois
instituteurs et une enseignante préscolaire) et de deux formateurs alphabétiseurs. D’autre
part, des témoignages et impressions recueillis auprès des bénéficiaires que sont les
élèves/apprenants, les parents d’élèves et la chefferie des deux villages. Ces entretiens nous
ont permis, dans un premier temps, de découvrir l’organigramme, le fonctionnement, le mode
de financement et les perspectives du projet école intégrée. Ensuite, les séances
d’observation participative et l’analyse des documents pédagogiques nous ont permis de
relever la progression et les unités soumises à l’enseignement/apprentissage et d’identifier
les faits linguistiques enseignés.

2. État des lieux


Généralement, la motivation des enseignants et populations (yacouba et toura) reste
inchangée en faveur de l’école bilingue depuis le lancement du projet dans les localités
concernées et un réel intérêt des élèves durant les cours. Cependant, la mise en œuvre de
tout projet nouveau ne va pas sans difficultés.

2.1. Les difficultés au niveau administratif


L’une des difficultés majeures que rencontre le PEI est la trop grande dépendance
des écoles inscrites au projet, de la direction centrale à Abidjan. En cas de besoin, il faut se
référer à la direction centrale du fait de l’inexistence de personnels dans les directions
régionales (DRENA), départementales (DDENA) et inspections dédiées au PEI. Ce qui
conduit à l’incapacité des directeurs régionaux, départementaux et inspecteurs à résoudre
les problèmes de ces écoles, l’arrivée tardive de certaines informations et le manque de
communication entre la direction du PEI et les instituteurs. Aussi, les autorités politiques et
administratives n’accordent pas un réel intérêt au Projet Ecole Intégrée. Ainsi, les volontés
exprimées dans les discours ne sont toujours pas traduites en actes sur le terrain pour une
mise en œuvre effective des différents modules du programme. Les différentes nominations
à la tête du projet sont politiques. Cela empêche la redynamisation du projet et la mise sur
pied d’une expertise nationale en vue du passage du stade de projet à un programme
nationale pour la généralisation de l’éducation bilingue en Côte d’Ivoire.

2.2. Les difficultés au niveau infrastructurel


Nous avons constaté une insuffisance de salles de classe. En effet, les écoles PEI
aussi bien pour l’école yacouba que toura ne disposent que de trois salles. Ainsi, à Kanta-
blossè (yacouba), les élèves sont appelés à aller continuer leurs cursus à l’école "classique"

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 195


Les défis de l'éducation bilingue en langue maternelle dans les écoles africaines : le cas du toura
et du dan (yacouba)

après la classe de CE1. En ce qui concerne l’école de Yenggbéyalé (toura), les classes sont
jumelées. C’est-à-dire, les classes de CP1/CP2 dans la même salle, CE1/CE2 dans la même
salle et CM1/CM2 dans la même salle. Egalement, les écoles PEI de ces localités ne
disposent pas de classe maternelle et de toilettes car il n’y a pas de bâtiment pour les abriter.
Seule l’école de Kanta-blossè dispose d’un bureau pour le directeur.

2.3. Les difficultés au niveau de la formation et le suivi des enseignants


Les formations permettant d’initier les enseignants dédiés au PEI à l’Alphabet
Phonétique International et à l’orthographe pratique des langues ivoiriennes ne sont plus
organisées depuis le lancement du projet. Dans le cadre de la formation continue, les ateliers
de formations, de mise à niveau et de renforcement des capacités ne sont pas organisés.
Ainsi, les instituteurs, nouvellement affectés dans les écoles PEI, ne disposent d’aucun
élément pour l’élaboration et l’enseignement d’un programme bilingue. De plus, nous
pouvons relever le manque de visite des responsables du PEI, des inspecteurs et conseillers
pédagogiques. La dernière visite d'une délégation du PEl a eu lieu en 2013 à Kanta-Blossé
(yacouba), et la même année à Yenggbéyalé (toura).

2.4. Les difficultés au niveau didactique


Vingt ans après le lancement du PEI, les seuls manuels didactiques disponibles en
langues ivoiriennes dans ces écoles sont les livres de langage des Cours Préparatoires (CP).
Les autres livres (mathématique et autres…) sont les livres en français utilisés dans le
primaire classique. Et chaque instituteur est invité, à l’occasion d’une leçon, à proposer une
traduction en langue locale du contenu de l’enseignement. Par ailleurs, il n’y a pas de guide
maître pour l’utilisation des langues nationales comme medium d’enseignement. Ensuite, il
n’y a pas de coordination au plan national pour l’élaboration des manuels. Chaque groupe
est appelé à élaborer son manuel sans tenir compte d’un quelconque canevas national. En
ce qui concerne éléments didactiques enseignés, la plus part des manuels scolaires destinés
à l’enseignement en langues locales ne présentent pas les tons que les tons lexicaux. Pourtant
dans ces langues, le rendement fonctionnel des tons est penché vers la grammaire plutôt que
vers le lexique. Il y a donc besoin de mettre l’accent sur l’enseignement du ton grammatical,
en plus du ton lexical, notamment pendant les leçons de grammaire.

3. Recommandations
Pour corriger les faiblesses enregistrées et permettre un bon fonctionnement du PEI,
il convient de :

3.1. Au niveau administratif


Les responsables du PEI doivent planifier des visites fréquentes, échanges réguliers
avec les instances compétentes du MENA et l’implication des Conseillers pédagogiques et
la création de sous-directions chargées du PEI dans les directions régionales,
départementales et inspections. A terme, cette démarche va permettre la sensibilisation des
populations sur le bien-fondé de l’école bilingue par les autorités, un meilleur suivi du projet
et sa redynamisation. Aussi, les décideurs doivent œuvrer à l’implémentation des volets agro-
pastoral, alphabétisation et préscolaire du projet comme conçu pour une meilleure
articulation programme.

196 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜191-198


Venance TOKPA

3.2. Au niveau des ressources


Mettre en place des directives claires pour l'élaboration de manuels didactiques de
tous les niveaux et dans toutes les matières en langues ; accompagner et aider à la production
des ouvrages scolaires de qualité et en quantité utilisables en classe destinés aux écoles PEI
pour les ressources matérielles. Pour les ressources humaines, relancer la formation et
l’affectation de nouveaux instituteurs dans l’école et la mise en œuvre effective de la
formation continue de ces enseignants. Mettre à disposition des enseignants des évaluations
formatives bilingues et en bilittératie : pour atteindre les objectifs du programme, les
enseignants doivent disposer d'outils d'évaluation bilingues à visée formative, et doivent être
formés à leur utilisation et leur exploitation, afin de leur permettre d'identifier les difficultés
des élèves, d'analyser leurs erreurs en langue première et en langue seconde tant à l'oral qu'à
l'écrit, et ce faisant, de proposer des activités facilitant le transfert de langue première vers
la langue seconde, tant à l'oral qu'à l'écrit.

3.3. Au niveau pédagogique


Nous recommandons également que les tons (lexicaux et grammaticaux) soient pris
en compte comme contenus didactique dans des manuels. En effet, la pertinence et
l’importance des tons dans la compréhension des langues ivoiriennes sont connues et
reconnues par tous. Pour se faire, l’un des premiers challenges à relever est le besoin
d’élaborer un système standard assez simple de notation des tons qui tiendrait compte de
l’état des connaissances du système tonal des langues, permettant de désigner toutes les
oppositions tonales pertinents. Cette notation serait utilisée dans les dictionnaires, les
grammaires, les manuels de langue, les publications académiques de textes.

3.4. Au niveau des infrastructures


L’Etat doit construire des salles de classe et des toilettes pour permettre aux élèves
la poursuivent tout leur cursus primaire dans le PEI ainsi que la construction des toilettes
dans ces écoles. Aussi, l’Etat doit-il construire ou dédier des Centres d’Animation et de
Formation Pédagogique (CAFOP). Cela, en vue d’initier et former les instituteurs à
l’Alphabet Phonétique International (API), à l’orthographe pratique des langues ivoiriennes,
à la didactique et pédagogie des langues.

Conclusion
En somme, il était question dans cette étude de faire un diagnostic du fonctionnement
PEI à l’ouest de la Côte d’Ivoire dans une perspective de proposition pour la bonne marche
dudit projet et sa généralisation au plan national. Nous sommes conscients des enjeux et des
intérêts convergents sur le plan international que représente le PEI dans sa conception
ivoirienne originale et actuelle, autant sur le plan institutionnel que pédagogique. Il serait
dommageable aux intérêts communs et constituerait une entrave à une vision partagée entre
plusieurs pays de l’OIF, si une belle initiative comme celle du PEI, d’envergure nationale
mais d’intérêt dépassant ce cadre, se verrait asphyxier par les effets d’un goulot
d’étranglement temporaire occasionné par un manque de suivi ou de moyens. Cela serait
d’autant plus regrettable que l’enseignement bilingue est inscrit au premier rang des activités
à appuyer sur le plan mondial dans le cadre de la Coopération Internationale pour le
Développement Durable et constitue un des « avantages comparatifs » de l’engagement des
pays développés dans le domaine éducatif.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 197


Les défis de l'éducation bilingue en langue maternelle dans les écoles africaines : le cas du toura
et du dan (yacouba)

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198 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜191-198


Damanan Joachim N’DRE & Kouassi Raoul Bienvenue KOUASSI

EXPRESSIONS IDIOMATIQUES EN ZOUGLOU ET EN COUPÉ DECALÉ :


UNE APPROCHE PARTICIPATIVE POUR LES OBJECTIFS
DU DÉVELOPPEMENT DURABLE (ODD4)

Damanan Joachim N’DRE


Enseignant-chercheur
Département des Sciences du Langage et de la Communication
Université Alassane Ouattara
[email protected]
&
Kouassi Raoul Bienvenue KOUASSI
Doctorant en Sociolinguistique
Département des Sciences du Langage et de la Communication
Université Alassane Ouattara
[email protected]

Résumé : Cet article a pour but de mettre en corrélation les différentes expressions
idiomatiques qui existent dans la musique zouglou et coupé décalé afin de répondre
aux Objectifs du Développement Durable (ODD). Il sera question de favoriser son
utilisation et mettre en évidence l’impact que le zouglou et coupé décalé ont sur la
manière de parler de la population. Cet article permettra aussi de mémoriser aussi car
il s’infiltre aisément dans la langue et s’avère subséquemment difficiles à employer
activement, surtout pour les locuteurs non-natifs sans réflexe inné de percevoir une
maladresse venant des artistes zouglou et coupé décalé. L’éducation est centrée sur les
résultats d’apprentissage des enfants, des jeunes et des adultes. C’est un changement
par rapport aux cibles mondiales antérieures, comme les OMD, qui visaient seulement
à assurer l’accès, la participation, et l’achèvement dans l’enseignement formel et
l’égalité des genres dans les enseignements. Tout d’abord, nous allons relever les
différents items provenant des expressions idiomatiques en zouglou et en coupé décalé.
Ensuite, classer les différentes expressions idiomatiques selon le degré d’impact sur la
population. Enfin, les analyser en tenant compte de leur sens et utilisation dans le parler
de la population. Cet article est une contribution à l’analyse lexicale et l’évolution de
la musique zouglou et du coupé décalé en Côte d’Ivoire dans le monde entier surtout
répondant aux indicateurs de l’ODD 4.

Mots-clés : Expressions idiomatiques, zouglou, coupé décalé, approche participative et


ODD4

IDIOMATIC EXPRESSIONS IN ZOUGLOU AND COUPE DÉCALÉ: A


PARTICIPATORY APPROACH TO THE SUSTAINABLE DEVELOPMENT GOALS
(SDG4)

Abstract: This article aims to correlate the different idioms that exist in zouglou and
coupé décalé music in order to address the Sustainable Development Goals (SDGs). It
will be a question of encouraging its use and highlighting the impact that zouglou and
coupé décalé have on the way people speak. This article will also help to memorise it
as it easily infiltrates the language and subsequently proves difficult to use actively,
especially for non-native speakers without an innate reflex to perceive awkwardness
coming from zouglou and coupé décalé artists. Education focuses on learning outcomes
for children, youth and adults. Education focuses on the learning outcomes of children,

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 199


Expressions idiomatiques en zouglou et en coupé décalé : une approche participative pour
les Objectifs du Développement Durable (ODD4)

youth and adults. This is a change from previous global targets, such as the MDGs,
which only aimed to ensure access, participation, and completion in formal education
and gender equality in education. First, we will note the different items from the Zouglou
and coupé décalé idioms. Secondly, to classify the different idioms according to the
degree of impact on the population. Finally, to analyse them by taking into account their
meaning and use in the speech of the population. This article is a contribution to the
lexical analysis and the evolution of Zouglou music and coupé décalé in Côte d'Ivoire
worldwide, especially in response to the indicators of MDG 4.

Keywords: Idioms, zouglou, coupé décalé, participatory approach and SDG4

Introduction
Une expression est dite idiomatique lorsqu’elle renvoie à une construction
linguistique toute faite et dont l’emploi porte sur un sens précis. Un tel sens ne se réduit pas
à l’addition mot-à-mot des unités qui la composent, mais bien de la somme des valeurs
syntaxiques, sémantiques et cognitives de ces mots pris dans leur entièreté. Ainsi, les
paramètres principaux qui permettent d’évaluer le degré de telles expressions tournent
autour des axes syntaxiques, sémantiques et psychologiques. Les expressions idiomatiques
appartiennent à un socle sociolinguistique commun. C’est-à-dire qu’elles sont mémorisées
et connues par un groupe de locuteurs partageant les mêmes valeurs socioculturelles. Les
musiques zouglou et coupé décalé utilisent des expressions idiomatiques fixes. Les critères
syntaxiques qui président à la construction de telles expressions font prévaloir l’impossibilité
ou la restriction des modifications syntaxiques de ces séquences. Gross (1996) parle du
blocage des propriétés transformationnelles (passivation, relativisation, clivage etc.), et des
paradigmes synonymiques. Plus une expression est figée, moins elle sera compositionnelle
et plus son opacité augmentera. Ces quelques défis de classification des expressions
idiomatiques tiennent compte des paramètres sémantiques. Lesquels paramètres sont
indispensables à la compréhension des sens dénotés et connotés de ces expressions
idiomatiques. Les expressions idiomatiques des musiques zouglou et coupé décalé posent la
problématique de l’autonomie des unités poly-lexicales dont les formes figées ne se prêtent
pas à la transformation et dont les constituants n’admettent ni l’actualisation, ni la
substitution par le jeu de la synonymie. Bref, cet article entend examiner et analyser les
valeurs sémantiques que véhiculent les expressions idiomatiques des musiques zouglou et
coupé décalé. Il s’articule en trois points essentiels. Le premier point concerne les
expressions idiomatiques de la musique zouglou. Le deuxième point concerne celle de la
musique coupée décalé. Le troisième point établit un rapport de convergence entre les
différentes expressions idiomatiques des deux musiques. Mais en attendant de revenir sur
ces différents points, il est important de situer le cadre théorique et la méthode de recueils
des données de notre article.

1. Cadre théorique et méthode de recueil des données


1.1 Cadre théorique
Nous nous intéressons maintenant de plus près à ce qu’il y a de transculturel dans
ces différences conceptuelles. La question qui nous occupe ici est la suivante : les différentes
conceptualisations linguistiques jouent-elles un rôle central dans la pensée, ou sont-elles
plutôt marginales pour la cognition ? Les deux conceptions ont donné lieu à des théories
opposées. La première théorie défend l’idée de la relativité linguistique. Elle fait valoir que

200 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜199-206


Damanan Joachim N’DRE & Kouassi Raoul Bienvenue KOUASSI

les catégories conceptuelles propres à la communauté linguistique où l’on vit influencent


notre façon de voir et de penser. Selon cette théorie de la relativité linguistique, le rapport
que l’on entretient avec le monde serait modulé par la langue et la culture. Dans sa version
extrême, cette théorie débouche sur le déterminisme linguistique. À ses antipodes, l’on
trouve la théorie de l’universalisme qui postule que, l’esprit humain étant inné, la pensée
humaine est foncièrement la même, et ce quelle que soit la langue et la culture. Dans cette
optique, les langues et cultures du monde puisent dans le fonds commun de l’unité
“psychique” de l’humanité. Poussant ce raisonnement jusqu’au bout, on ne verra pas
seulement dans les nombreuses langues du monde le reflet des mêmes catégories
conceptuelles, mais on ira jusqu’à dire que la conceptualisation linguistique ne peut qu’être
identique d’une langue à l’autre. Irréconciliables dans leurs positions extrêmes, les deux
points de vue recèlent cependant chacun une part de vérité. C’est pourquoi la solution que
nous prônons dans ce chapitre consiste à chercher une voie intermédiaire : si la plupart des
catégories conceptuelles paraissent effectivement inscrites dans une langue et une culture
bien spécifique, il y a néanmoins un petit nombre de catégories conceptuelles qui se
retrouvent dans toutes les langues et dans toutes les cultures. Ces catégories universelles
constituent une base “neutre” à laquelle l’on peut faire appel pour paraphraser les
innombrables concepts propres à une langue et à une culture donnée. C’est ce que nous nous
attacherons à montrer, tout d’abord pour des concepts utilisés dans le domaine de la
lexicologie, ensuite pour des catégories plus abstraites de la grammaire, et finalement pour
des normes culturelles plus générales qui régissent les règles de conduite ayant cours dans
les différentes cultures.

1.2 Méthode de recueil des données


La recherche en sociolinguistique est à la fois quantitative et qualitative. La méthode
quantitative vise à expliquer les phénomènes par une investigation empirique systématique
des phénomènes observables par la collecte des données numériques analysées à travers des
méthodes mathématiques, statistiques ou informatiques. La méthode qualitative, elle, fait
référence à une série de techniques de collecte de données. Elle vise à comprendre les
expériences personnelles et à expliquer certains aspects linguistiques. Le recueil des
données s’est fait par des entretiens directs et par le biais de l’internet et de corpus de
chansons zouglou et coupé décalé. La recherche bibliographique nous a également permis
d’entrer en possession d’informations sur les techniques employées par les écrivains, des
éminents chercheurs et les spécialistes qui interviennent dans la musique zouglou et coupé
décalé.

2. Les expressions idiomatiques du zouglou


Les expressions idiomatiques du zouglou sont relevées à partir d’un corpus de
chansons. Il s’agit de montrer ici l’effet que produisent ces expressions sur les auditeurs et
le grand public. Ci-dessous, nous donnons quelques expressions idiomatiques issues de cette
musique.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 201


Expressions idiomatiques en zouglou et en coupé décalé : une approche participative pour
les Objectifs du Développement Durable (ODD4)

Tableau 1 : tableau des expressions idiomatiques du zouglou


Les expressions idiomatiques en zouglou
1 « Ça réussit toujours »
2 « Derrière village y a village »
3 « Qui veut être la risée de son époque. »
4 « Arrêté de parler mal »
5 « Ça va tuer »
6 « Faut marquer le pas »

Nous relevons dans ce tableau six (6) expressions idiomatiques. Ces expressions sont
utilisées dans des contextes précis et revêtent des significations spécifiques.

2.1. Contextes d’utilisation des expressions idiomatiques du zouglou


L’utilisation de ces expressions idiomatiques en zouglou ajoute à la vérité et au
métissage linguistique. Elle donne à l’apprenant un pouvoir d’action en se penchant sur une
autre façon de transmettre un message. C’est une façon de s’exprimer à la fois populaire,
familière, amusante, innovante et qui donne une couleur particulière à la langue. Les mots
et les constructions grammaticales culturellement spécifiques d’une langue sont des outils
conceptuels qui reflètent l’acquis d’une culture dans l’action, et dans la réflexion sur l’action.
Au fur et à mesure qu’une société change, ces outils sont susceptibles d’être modifiés
graduellement pour être finalement rejetés. Dès lors, ces outils conceptuels influencent la
perspective d’une culture, sans jamais la déterminer complètement. De même, si les
conceptions de l’individu paraissent largement tributaires de sa langue maternelle, elles n’en
dépendent jamais totalement puisqu’il existe toujours des façons alternatives de s’exprimer.

2.2. Significations des expressions idiomatiques du zouglou


Comme toute expression linguistique, les expressions idiomatiques véhiculent des
valeurs sémantiques en lien avec la tradition et la culture du peuple. L’expression « ça réussit
toujours » invite à ne pas désespérer de la vie. Elle invite à lutter pour assurer sa survie. Les
occasions de gagner pleinement sa vie existent et elles sont nombreuses quitte à ne pas
tomber dans les travers. « Ça réussit toujours » peut signifier que le bon Dieu n’oublie
personne et qu’il pourvoie permanemment à nos besoins. L’expression « Derrière village y a
village » revêt plusieurs significations. Elle signifie littéralement, qu’il y a plus grand que
soi. Nul ne peut s’enorgueillir de ses relations et les faire prévaloir comme si les autres n’en
avaient pas. L’expression peut également signifier qu’il ne faut compter que sur ses propres
forces et savoir taire son égo. Autant que nous sommes, nous avons des personnes pour nous
défendre et savoir nous venir en aide quand le besoin se fait sentir. L’expression « Qui veut
être la risée de son époque. » invite à se prendre en charge et ne pas être à la traine. Comme
tous ceux qui se battent pour gagner leur vie honnêtement, cette expression appelle à la
responsabilité. Il faut s’assurer et faire la fierté de soi-même mais également celle des
proches. Elle signifie par ailleurs que la vie est lutte et rien n’est donné gratuitement. Seule
la lutte paie. Autrement dit, l’expression invite à la concurrence saine et loyale dans le
respect et le bien-être quotidien de chacun. L’expression « Arrêté de parler mal », quant à
elle, invite à s’éloigner de la délation, des ragots et de toute conduite déshonorante. Il est
répugnant et avilissant de ne dire que ce qui va mal chez les autres. Comme dit les écritures
saintes ; « avant de voir la paille dans l’œil de son voisin, il faut enlever soi-même la poutre

202 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜199-206


Damanan Joachim N’DRE & Kouassi Raoul Bienvenue KOUASSI

qui est dans le sien ». Autrement dit, quiconque se prête à ce jeu s’attire des ennuis et
personne ne voudrait l’avoir comme compagnon. « Ça va tuer » est une expression argotique
renvoyant à la jouissance, à la gaité. Elle est souvent employée pour manifester un sentiment
d’approbation face à un événement. L’expression « Faut marquer le pas » invite à la
prudence et à la vigilance. Il faut savoir se protéger des vicissitudes de la vie. Elle invite à
avoir une bonne hygiène de vie et à savoir se conduire en toute circonstance est une qualité
de vie.

3. Les différentes expressions idiomatiques du coupé décalé


Comme précédemment, les expressions idiomatiques du coupé décalé sont issues
d’un corpus de chansons. Il est également question de montrer l’effet que produisent ces
expressions sur les auditeurs et le grand public. Dans le tableau ci-dessous, sont consignées
quelques expressions idiomatiques relevant de la musique coupée décalé.

Tableau 2 : tableau des expressions idiomatiques du coupé décalé


Items Les expressions idiomatiques en coupé décalé
1 « Abidjan puissance »
2 « Abidjan il y a les vrais bosseurs »
3 « On va faroter, on va équilibrer »
4 « On va sagacité, on va équilibrer »

Nous relevons dans ce tableau quatre (4) expressions idiomatiques. Ces expressions sont
utilisées dans des contextes précis et revêtent des significations spécifiques.

3.1. Contextes d’utilisation des expressions idiomatiques du coupé décalé


Les expressions idiomatiques en coupé décalé sont utilisées et valorisées à profit en
contexte de communication. Un apprentissage pour une application dynamique et pertinente
passe avant tout par une utilisation appropriée en contexte et au quotidien de la part de
l’enseignement lors de ses interventions et conversations avec les apprenants. En théorie, il
n’y a aucun concept culturellement spécifique qui ne puisse être rendu accessible aux non-
initiés : il suffit de le décomposer à l’aide de primitifs sémantiques universels pour en faire
une configuration traduisible. La technique de la paraphrase réductrice devient ainsi un outil
pratique non négligeable dans la communication interculturelle. Il n’empêche que toute
langue fonctionne comme un système intégré d’une énorme complexité. C’est pourquoi rien
ne vaudra jamais l’immersion dans la langue et dans la culture d’un peuple pour bien en
comprendre le fonctionnement interne.

3.2. Significations des expressions idiomatiques du coupé décalé


Les expressions idiomatiques en coupé décalé véhiculent aussi des valeurs sémantiques
en lien avec la culture et la tradition du peuple. L’expression « Abidjan puissance » est une
construction déterminative à valeur de qualification épenthétique. Le terme « puissance »,
en sa qualité de déterminant, assure cette valeur-là. « Abidjan » est le terme déterminé et
toute la charge sémantique que dénote le terme « puissance » lui est dévolue. L’expression
invite à comprendre qu’Abidjan est une ville mythique : une ville rayonnante, attirante. C’est
la ville-lumières où la nuit et le jour sont confondus. C’est à croire que dans cette ville, tout
le monde est au travail et que personne ne dort. L’expression invite à comprendre également

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 203


Expressions idiomatiques en zouglou et en coupé décalé : une approche participative pour
les Objectifs du Développement Durable (ODD4)

le degré de liberté et d’hospitalité qu’offre Abidjan à ces citoyens et à toute personne vivant
dans cette ville. La puissance qu’incarne la ville d’Abidjan n’inspire que du bonheur.
Quant à l’expression « Abidjan il y a les vrais bosseurs », elle revêt plusieurs
significations. Le terme « bosseur » est un terme du registre familier qui qualifie une
personne déterminée à travailler avec ardeur. L’expression invite donc à comprendre
qu’Abidjan, il y a des personnes de cette dimensions et elles sont nombreuses. Il s’agit de
personnes qui gagnent honnêtement leur vie. Ils ne lésinent sur aucun moyen noble de
parvenir à leur fin. Elles sont à distinguer de celles qui usent de la tromperie et la duperie
et de toute supercherie pour parvenir à leur fin. Cette catégorie de personnes n’est pas
qualifiée « de vrais bosseurs ». L’expression fait bien la part des choses. Elle parle des
« vrais bosseurs » : ceux qui savent aller de l’avant en ne comptant que sur leur propre force.
Pour l’expression « On va faroter, on va équilibrer », l’accent est mis sur « le paraître », « le
m’as-tu vu ». Elle fait à allusion aux personnes insouciantes ; aux personnes pour qui la vie
n’est qu’amusements. Ces personnes ne se soucient de rien. Tout ce qui compte pour elles,
c’est l’habillement et les événements festifs. Elles déambulent de festivités en festivités. Il
en est également de l’expression « On va sagacité, on va équilibrer ». Les deux expressions
véhiculent les mêmes valeurs sémantiques, à quelques exceptions près. La seule différence
réside dans le fait que, le terme « faroter » invite à l’amusement sans limite, alors que le
terme « sagacité » invite à la prudence et à la sagesse dans les jeux de la jouissance.

4. Valeur éducative des expressions idiomatiques zouglou et coupé décalé


Ces points de correspondances des expressions idiomatiques en zouglou et en coupé
décalé s’accompagnent de modifications substantielles dans la prononciation des sons
élémentaires. Les correspondances sont dues aux processus de coarticulation, d’assimilation
et d’élision. Pour les expressions idiomatiques, ces divers processus d’intégration ont un
grand avantage. Ils permettent en effet de rendre la production de la parole des artistes
zouglou et coupé décalé plus rapide et plus efficiente. Tout en étant universels, ces
correspondances adoptent cependant les modalités spécifiques en fonction de la langue.
Dans ce cas, ce qui importe n’est pas ce qui est dit, mais le fait de se parler. Or, la plupart
du temps, les mots servent à “faire” quelque chose : ils nous permettent de poser des “actes
de langage”. Ceux-ci correspondent à des intentions communicatives qui relèvent
essentiellement de nos deux principales facultés cognitives : la connaissance et la volonté.
Dans le domaine de la connaissance, nous échangeons et demandons toutes sortes
d’informations au moyen de ce que l’on nomme les actes de langage informatifs. Nous ne
faisons pas qu’affirmer, déclarer ou décrire. Il nous arrive aussi de donner des ordres, de
faire des requêtes, des promesses, des propositions ou d’imposer des exigences, tant aux
autres qu’à nous-mêmes : nous le faisons par des actes de langage volitifs. Il existe encore
un troisième type d’actes de langage. Lorsque nous saluons quelqu’un, les paroles adéquates
prononcées au bon moment ont un effet immédiat sur la situation.

4.1. Valeur éducative des expressions idiomatiques en zouglou


Le zouglou est un outil destiné à enseigner. Il est mis à la disposition de
l’enseignement et lui propose un modèle : un modèle où aucun jeune ne « veut être la risée
de son époque ». Il va s’en dire qu’il n’existe pas de vérité absolue. Il faut donc tout
relativiser. L’idée que personne ne « veut être la risée de son époque » n’est que subjective
et appelle à une prise de conscience individuelle. Cette expression idiomatique est une

204 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜199-206


Damanan Joachim N’DRE & Kouassi Raoul Bienvenue KOUASSI

construction langagière qui semble bien fonctionner et de façon systématique dans notre
langue. La valeur éducative de telles expressions appelle à une nouvelle vision du système
de pensée. Cette nouvelle vision du système est à reconstruite. Elle invite à l’enseignant à
être capable de sélectionner les informations nécessaires et à même d’apporter une plus-
value dans son enseignement et ce, à n’importe quelle étape voulue. Il intervient tout en
étant capable d’inscrire son enseignement dans le sens global du modèle proposé. Il pourra
ainsi transposer didactiquement ces informations de la manière la plus appropriée, en
fonction du public qu’il a devant lui. Le système proposé est celui qui puisse être exploité
durant toute la scolarité, sans qu’il soit établi des variantes didactiques en fonction de la
diversité des publics. Le travail de transposition didactique reste celui de
l’enseignant/apprenant surtout en zouglou.

4.2. Valeur éducative des expressions idiomatiques en coupé décalé


Puisque notre langue est notre premier outil de communication, il est utile de se rendre
compte que la production d’un énoncé n’est que le pendant verbal concret du vouloir-dire
déjà présent dans la pensée. Le modèle proposé dans les expressions idiomatiques vise à
réinstaurer du sens dans la description des mécanismes, à construire des ponts, à rétablir le
lien entre cette pensée et la chaine de sons ou de graphèmes qui la matérialisent. En coupé
décalé, comprendre ce lien est la pierre angulaire de tout apprentissage en langue ou dans
quelque variété de français que ce soit. Constatant que leur intuition de natifs, souvent plus
proche de celle des artistes du coupé décalé, se reflète dans la théorie que nous proposons
de leur enseigner, les enfants et les adolescents pourront progressivement, âge par âge,
chacun à la mesure de ses capacités d’abstraction, retrouver la confiance nécessaire à l’abord
d’un acte de parole ou d’écriture.

Conclusion
Les expressions idiomatiques en zouglou et en coupé décalé constituent un champ
d'analyse linguistique bien vaste et assez hétérogène. Dans cet article, nous avons essayé
d’analyser les expressions idiomatiques en zouglou et en coupé décalé. L’intervention de
facteurs de nature reste divergente qui sont tels que la sémantique, la syntaxique, la
pragmatique, voire la psycholinguistique sont des champs linguistiques que les artistes des
chansons zouglou et coupé décalé peuvent bien exploiter à leur guise. C’est bien dans ce
contexte que nous avons proposé d'opposer cette étude analysant les combinaisons
syntagmatiques libres qui tiennent compte des expressions idiomatiques dans les deux styles
musicaux, à savoir le zouglou et le coupé décalé. Pour tout dire, les différentes expressions
idiomatiques analysées se prêtent le mieux au décodage et permettent ainsi une recherche «
plus rapide », sur une solution participative des ODD4. Les critères qui décideraient sous
quel constituant d’expression seront traités qui devrait être formels et cohérents pour
l’éducation musicale. Notre recours aux expressions idiomatiques a pour but de faire prendre
conscience aux autres de notre état mental. Ce que nous voulons transmettre et l’effet que
nous voulons obtenir chez l’interlocuteur constitue notre intention communicative.
L’informer, le persuader, l’encourager, le prier ou lui ordonner de faire quelque chose sont
autant de types d’intentions communicatives. En prononçant les mots servant à réaliser l’une
ou l’autre de ces intentions communicatives, nous posons un acte de langage. Autrement dit,
l’acte de langage est la réalisation d’une intention communicative. La solution idéale serait
de mentionner les expressions sous tous les constituants (sauf sous les mots grammaticaux)
et de mettre en place un système de renvois qui orienterait l'utilisateur vers l'article. Il

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 205


Expressions idiomatiques en zouglou et en coupé décalé : une approche participative pour
les Objectifs du Développement Durable (ODD4)

trouverait une description complète des expressions idiomatiques en zouglou et en coupé


décalé cherche la définition, l’exemple d'emploi, la marque d'usage, et la prononciation. A
l'intérieur des expressions idiomatiques nettement détachées du reste de l’article, le
classement de celles-ci regroupés devrait obéir à l'ordre alphabétique. On pourrait envisager
même deux sortes d’annexes : l'une serait destinée à la description les noms composés et
l'autre aux autres types d’expressions idiomatiques.

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DJ Léo, « Je suis fâché », Je suis fâché, 2020.
DJ Léo, « Donne-lui », Donne-lui, 2019.
DJ Léo, « Dieu Merci », Dieu Merci, 2019.
Esaïe l’Original, « Pardon il faut circuler », 2019.
« On les reconnait », 2020.
Kerozen DJ, « Ça dépend de toi » en Featuring Serge Beynaud, Ça dépend de toi, 2018.
Kerozen DJ, « Tu seras élevé », Tu seras élevé, 2019.
Kerozen DJ, « La victoire », Victoire, 2018.
Molière, « Chemin d'or », Chargeur Universel, 2017.
Molière, « Conseilles-toi », Chargeur Universel, 2017.
Molière, « Le bon choix », Chargeur Universel, 2017.
Molière, « Délivre-moi », Chargeur Universel, 2017.

206 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜199-206


Pierre Adou Kouakou KOUADIO

LES SCIENCES DU LANGAGE ET LA PROBLÉMATIQUE DE L’EMPLOYABILITÉ EN


CÔTE D’IVOIRE : DE LA NÉCESSITÉ D’UN PASSAGE DE LA LINGUISTIQUE
APPLIQUÉE AUX SERVICES LINGUISTIQUES

Pierre Adou Kouakou KOUADIO


Département des Sciences du Langage
Université Félix Houphouët-Boigny
[email protected]

Résumé : La question de l’emploi se veut de plus en plus préoccupante dans les projets de
société des gouvernants. Elle a donc amené plusieurs dirigeants à procéder à diverses
mutations en tenant compte des réalités de l’écosystème de l’emploi et des besoins du
marché. C’est ainsi que les universités publiques, principales pourvoyeuses de main
d’œuvre sur le marché de l’emploi procèdent de façon périodique à de réformes afin de
satisfaire ce besoin. En Côte d’Ivoire, la formation en sciences du langage semble avoir pris
du retard sur cette problématique. Dans cette communication, il sera donc question de faire
un état des lieux de cette question et surtout faire des propositions à partir des existants
que sont la linguistique descriptive et la linguistique appliquée pour des services
linguistiques adaptés aux réalités de l’employabilité en Côte d’Ivoire.

Mots-clés : sciences du langage, linguistique appliquée, services linguistiques,


employabilité

LANGUAGE SCIENCES AND THE PROBLEM OF EMPLOYABILITY IN CÔTE


D'IVOIRE: THE NEED FOR A SHIFT FROM APPLIED LINGUISTICS TO LANGUAGE
SERVICES

Abstract: The question of employment is increasingly preoccupying in the social projects of


those in power. It has therefore led several leaders to make various changes taking into
account the realities of the employment ecosystem and market needs. This is how public
universities, the main providers of labor on the job market, periodically carry out reforms
in order to meet this need. In Côte d'Ivoire, language science training seems to have lagged
behind on this issue. In this communication, it will therefore be a question of making an
inventory of this question and above all of making proposals from the existing ones which
are descriptive linguistics and applied linguistics for linguistic services adapted to the
realities of employability in Côte d' Ivoire.

Keywords: language sciences, applied linguistics, language services, employability

Introduction
De plus en plus en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire, la question de
l’employabilité est au centre de toutes les préoccupations. Décideurs étatiques ou privés,
communautés universitaires, sociétés civiles, patronats, faitières d’entreprises, etc., tous s’y
mettent, tant les formations académiques et scolaires en vigueurs ne sont pas adaptées à
l’écosystème local de l’emploi. D’aucuns diront que « l’école ivoirienne forme des chômeurs ».

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 207


Les sciences du langage et la problématique de l’employabilité en Côte d’Ivoire : de la nécessité
d’un passage de la linguistique appliquée aux services linguistiques

C’est ce que semble confirmer cette presse numérique Connection Ivoire du 21novembre 2022 :
« Plus de 3000 Docteurs ivoiriens maintenus au chômage, faute de planification, dénoncent
depuis l’année 2021 leur situation. Réunis au sein d’un Collectif, ils ont parcouru, plusieurs
institutions nationales, plusieurs chancelleries et partis politiques, pour expliquer leur situation ».
Dans cet article, objet de notre réflexion et qui s’inscrit dans le cadre théorique de la didactique
des langues, il sera donc question de procéder à une étude de cas qui prendra appui sur les
curricula de la filière des Sciences du Langage de l’Université Félix Houphouët-Boigny
d’Abidjan. Ainsi, parlant de la question de l’employabilité en lien avec ladite filière, nous allons
essayer de mettre en lumière la nécessité d’un passage de la linguistique appliquée aux services
linguistiques. Autrement dit, cet article se proposera de mettre en évidence des méthodes et
stratégies pour un meilleur agencement de la linguistique descriptive et de la linguistique
appliquée pour des services linguistiques plus adaptés à l’écosystème de l’emploi en Côte
d’Ivoire. Pour y arriver les questions suivantes se posent : quel est l’état des lieux de la formation
actuelle en sciences du langage en lien avec l’écosystème de l’emploi en Côte d’Ivoire ?
Quelle(s) disposition(s) faut-il prendre pour mise en place de curricula et formations plus
adaptés à écosystème de l’emploi en Côte d’Ivoire ? Pour répondre à ces questions nous émettons
les hypothèses selon lesquelles les maquettes pédagogiques et curricula actuels en Sciences du
Langage ne sont pas adaptés à écosystème de l’emploi en Côte d’Ivoire et il existe un mécanisme
pour la création d’un écosystème approprié aux formations en sciences linguistique.

1. Cadre théorique et méthodologique


Cette réflexion s’inscrit dans le cadre théorique de la didactique des langues. Mais avant
de parler de la didactique des langues proprement dit, nous allons définir ce que c’est la
didactique de façon générale. Selon Legendre, (2005 : 403) : « La définition de la didactique
semble la plus appropriée serait : une « discipline éducationnelle dont l’objet est la
planification, le contrôle et la régulation de la situation pédagogique ». En tenant compte de
cette définition donnée par Legendre, nous pouvons qu’en didactique, il y a de la planification
des stratégies d’enseignement-apprentissage ; une mise en place de ces stratégies selon les
objectifs poursuivis (c’est-à-dire ce que l’élève doit apprendre dans le programme d’études) et
un retour sur ce qui a fonctionné et ce qui a moins bien fonctionné dans le but de réviser ou de
réguler sa pratique, ses stratégies, ses méthodes, ses procédés, etc. Ainsi les fondements (ou les
bases) de la didactique s’appuient sur des concepts et des méthodes existant déjà en
linguistique, en sciences de l’éducation, en psychologie cognitive et en sociologie (pour ne
nommer que ceux-là). Pour ce qui est de la définition de la didactique des langues et selon J.
Dubois (2001 :147), dans sa définition la plus simple, on dira que la didactique des langues
« est la science qui étudie les méthodes d’apprentissage des langues ». L’enquête est faite à partir
d’une recension critique des maquettes pédagogiques et différentes réformes adoptées jusqu’ici.

2. Contexte général et historique du problème de l’emploi en Côte d’Ivoire


Houphouët-Boigny, premier Président de la Côte d’Ivoire moderne, rêvait grand et
présageait un avenir radieux pour son pays. Pour réaliser ce rêve, il a très vite compris que le
secteur éducation-formation doit être une des priorités en investissement. Pour cela, il n’a pas
résigné sur les moyens. Ainsi, aux lendemains de l’accession de la Côte d’Ivoire à

208 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜207-216


Pierre Adou Kouakou KOUADIO

l’indépendance (le 7 août 1960), on assistera la construction d’infrastructures gigantesques et


ultramodernes (en son temps) dédiées à la formation de cadres subalternes, moyens et supérieurs
afin d’amorcer et booster le développement économique et social du pays. Ce sont entre autres
infrastructures, les lycées et collèges dont des lycées d’excellence comme le « Classique
d’Abidjan-Cocody », le « Scientifique de Yamoussoukro », le « Sainte Marie d’Abidjan-
Cocody », « l’Ecole Militaire Préparatoire Technique (EMPT) Bingerville », des lycées
Techniques (Abidjan, Bouaké), les Centres de Formation Professionnel dans les quatre coins du
pays (Abidjan, Aboisso, Bouaké, Abengourou, Bondoukou, Man, San-Pedro, Grand-Laou,
Odienné, Korhogo, etc.), des Universités dont celui d’Abidjan-Cocody construite sur une
superficie de plus de 50 hectares, des Centres Hospitalier et Universitaires (CHU), l’Ecole
Normale Supérieure (ENS) d’Abidjan, les grandes écoles de Yamoussoukro (l’École Nationale
Supérieure d’Agronomie (ENSA), l’École Nationale Supérieure des Travaux Publics (ENSTP),
l’Institut Agricole de Bouaké (IAB), et l’Institut National Supérieur de l’Enseignement
Technique (INSET)). Mieux, des bourses d’étude, dans diverses filières professionnelles et
universitaires, sont octroyées à certains étudiants afin qu’ils aillent étudier à l’étranger et qu’ils
reviennent pour renforcer les ressources humaines déjà existantes. Cette politique managériale
du système éducatif d’Houphouët-Boigny a permis d’engendrer l’éclosion de nombreux cadres
nationaux et internationaux qui ont occupé ou qui occupent des hauts postes stratégiques aussi
bien en Côte d’Ivoire comme à l’extérieur. Parmi eux, on peut citer pêlemêle :
- Aimé Henry Konan Bédié, (École normale de Dabou), Docteur en économie, université
de Poitiers, France qui a été Ministre, Président de l’Assemblée Nationale et Président
de la République ;
- Laurent Gbagbo, (Licence d'histoire à l'université d'Abidjan, Professeur d'histoire au
lycée Classique d'Abidjan, Titulaire d'une maîtrise d'histoire de la Sorbonne, thèse de «
docteur d'université », Chercheur à l'Institut d'histoire, d'art et d'archéologie africaine
(IHAAA) et qui a été Président de la République ;
- Henriette Dagri Diabaté, Professeure Titulaire des Universités très respectée et très
influente en Afrique Francophone, qui a été Ministre et actuelle Grande Chancelière ;
- Francis Vanga Wodié, Professeur Titulaire des Universités très respecté et très influant
en Afrique Francophone, qui a été Ministre et Président du Conseil Constitutionnel ;
- Patrick Achi, (Ingénieur ENSTP, Yamoussoukro) qui a été Ministre, et actuellement
Ministre d’Etat, Secrétaire Général du Gouvernement ;
- Thiery Tanoh, (Ancien du Lycée Scientifique et Ingénieur ENSTP, Yamoussoukro), Ex-
Directeur Afrique SFI-Banque Mondiale, Ex-Secrétaire Général du Gouvernement, Ex-
Ministre, aujourd’hui Chef d’entreprise ;
- Tidjane Thiam, (Ancien du lycée classique d'Abidjan) et Diplômé de l'École
polytechnique et de l'École des mines de Paris), ex-consultant en management chez
McKinsey & Company ; ex-Directeur Général du Bureau National d'Études Techniques
et de Développement (BNETD) et Ministre du Plan et du Développement, Ex-membre
de l’équipe dirigeante d’Aviva de Prudential ; ex-Directeur Général de Crédit suisse,
aujourd’hui chef d’entreprise et un des hommes d’affaire les plus influents au monde.
- Etc.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 209


Les sciences du langage et la problématique de l’employabilité en Côte d’Ivoire : de la nécessité
d’un passage de la linguistique appliquée aux services linguistiques

Pour ne citer que ceux-là, le système éducatif d’alors a permis l’éclosion de nombreux cadres
supérieurs et non des moindres. Mais à partir des années 1980, avec l’explosion démographique,
la conjoncture économique mondiale, la crise de la sècheresse, la trop dépendance du binôme
café-cacao et la chute des coûts de ceux-ci, etc., la Côte d’Ivoire va commencer à connaitre ses
premières crises de « l’emploi » des diplômés et les prémices de la défaillance de son secteur
éducation-formation, du fait du ralentissement des investissements par rapport à l’évolution
démographique. On assiste impuissamment à la vétusté et à une dégradation des infrastructures
scolaires et universitaires. Cette défaillance va s’accentuer avec la réinstauration du
multipartisme et la fin du parti unique au début des années 1990. Chômage, crises sociales,
grèves à répétition, surtout en milieux scolaires et universitaires, etc. vont meubler le début de
cette décennie. C’est alors que le Président Félix Houphouët-Boigny va appel à Monsieur
Alassane Dramane Ouattara, actuel Président de la République de Côte d’Ivoire, comme Premier
Ministre. Ce dernier va essayer d’apporter du sang neuf au système éducatif ivoirien en
procédant à de multiples réformes avec la libéralisation du secteur éducation formation, surtout
au niveau de l’enseignement supérieur. Ainsi assistons-nous à l’avènement de nombreux
diplômes dont des Brevets de Technicien Supérieur (BTS) qui, très souvent, ne sont pas adaptés
l’écosystème de l’emploi en Côte d’Ivoire. En outre, après le décès du Président Félix
Houphouët-Boigny le 7 décembre 1993 et l’arrivée au pouvoir de monsieur Président Aimé
Henry Konan Bédié, cette politique éducative ne connaitra véritablement pas de changements
majeurs. Le premier coup d’état de 1999, l’arrivée de Monsieur Laurent GBAGBO au pouvoir
en 2000 et la rébellion et partition de la Côte d’Ivoire en 2002, la crise post-électorale de 2010
(fermeture des universités publiques pendant deux années académiques), finiront par affaiblir
complètement le système éducatif ivoirien. Cette « crise » du système éducatif ivoirien peut être
résumée en plusieurs points. Il s’agit entre autre de la défaillance du secteur éducation-
formation depuis le début des années 1990 du fait des crises économique, politique, de
multipartisme et de démocratie mal négociés et exacerbées depuis le premier coup d’état de
1999, en passant par 2002 et 2010. Il faut aussi noter le faible budget national consacré aux
investissements et équipements des laboratoires d’enseignement et de recherche et surtout les
différentes réformes scolaires et universitaires expéditives et inadaptées à l’écosystème de
l’emploi en Côte d’Ivoire (FPC, FPO, BTS, UV, LMD qui ne sont rien d’autres que des
transpositions de maquettes et de curricula venus d’ailleurs). L’enquête de terrain a également
montré qu’il y a un déficit criard de filières professionnalisées pour les étudiant(e)s qui ne
souhaitent pas faire de la recherche. A cela s’ajoute l’instrumentalisation et la politisation de
certains mouvements syndicaux estudiantins, du corps enseignant, du personnel administratif et
technique. Le constat d’un « complexe ivoirien » de la bureaucratie au détriment de l’esprit
d’initiative privée est également à noter. Ce décor tel que présenté, peut laisser entrevoir des
lendemains peu reluisants et inquiétants pour la jeunesse ivoirienne. C’est en cela que Gnapia
Edi, lors d’une conférence, le 02 février 2021, au centre culturel américain « American Space »
d’Abidjan Cocody, parlera de la « crise des diplômés en Côte d’Ivoire » si on y prend garde.
Mais en réalité, nous avons dépassé la « crise des diplômés » depuis belle lurette. Nous sommes
maintenant à la « crise des surdiplômés ». En effet, le concours de recrutement des chercheurs
et enseignants chercheurs dans les universités publiques ivoiriennes, pour l’année de 2020 en
est la parfaite illustration. Ce sont près de 3 000 candidats docteurs et ingénieurs postulants et

210 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜207-216


Pierre Adou Kouakou KOUADIO

c’est seulement moins de 300 qui ont été retenus ; ce qui ne représente qu’environ 10% des
postulants. A côté de ces deux catégories de personnes (diplômés et surdiplômés), nous avons
aussi ceux que nous appelons « les surqualifiés ». Cette dernière catégorie de personnes vient,
pour la plupart, de la diaspora ou de l’étranger. Selon un article de Radio France Internationale
(RFI) Publié le 04/01/2021 (- 11:18 en ligne), la Côte d’Ivoire est principale terre d’accueil des
surqualifiés libanais du fait de la unième crise socio-économique qu’il traverse en ce moment :

La Côte d’Ivoire est l’une destination d’Afrique subsaharienne les plus prisées par les candidats
à l’exil. Pour Michel Rustom, directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie
libanaise de Côte d’Ivoire, « depuis janvier 2020, il y a eu entre 800 et 1000 Libanais qui sont
venus pour travailler en Côte d’Ivoire. Soit une augmentation très significative de 30% par
rapport aux périodes précédentes. (...) Comme l’explique Michel Rustom, « ce qu’on constate
c’est qu’on reçoit de plus en plus de CV (curriculum vitae) de Libanais qui veulent venir
s’installer en Côte d’Ivoire. Des personnes qui ont un haut degré de qualification, principalement
des ingénieurs qui cherchent à s’expatrier parce qu’il n’y a plus de débouchés au Liban. Avant
il y avait beaucoup d’investisseurs, des gens qui avaient de l’argent et qui venaient créer des
sociétés et de l’emploi. Il y en a toujours, mais ce qu’on constate aujourd’hui, ce sont davantage
des personnes qui viennent chercher du travail. C’est un phénomène qu’on avait assez peu les
années précédentes », fait-il remarquer. Avant 2020, de nombreux chefs d’entreprises
investissaient en Côte d’Ivoire, car ils avaient, entre autres, des liens avec la diaspora locale qui
les attirait dans le pays et qui souvent s’associait avec eux pour créer de nouvelles affaires. «
Désormais, explique Michel Rustom, on reçoit beaucoup de CV spontanés de gens qui ont
entendu parler du miracle ivoirien et qui n’ont pas d’attaches ni de lien avec des gens en Côte
d’Ivoire. La plupart viennent pour passer des entretiens sur des postes souvent très en dessous
de leurs compétences et sont parfois obligés de repartir au bout de quelques semaines faute
d’argent s’ils n’ont pas obtenu un contrat d’embauche.

Si cette situation semble toucher toutes les filières de formation existante, qu’en est-il de
celle des Sciences du Langage, objet de cette étude ?

3. La formation en Sciences du Langage


En Côte d’Ivoire la formation en Sciences du Langage issue (au départ) des missions
assignées à l’Institut de Linguistique Appliquée (ILA). L'Institut de Linguistique Appliquée
d'Abidjan (ILA) a été créé comme bon nombre d'instituts de recherche de l'Université Félix
Houphouët-Boigny (anciennement Université Nationale de Côte d'Ivoire), le 08 septembre 1966
par décret no 66-372 (cf. J.O.R.C.I., 1966). Selon N.J. Kouadio (1977 : 225) :

Les responsables de cet Institut, en collaboration avec le ministère de la recherche scientifique,


ont établi un programme de recherche […] comportant les thèmes suivants : l’enseignement du
français ; la description des langues ivoiriennes et leur enseignement ; l’alphabétisation en
français aussi bien qu’en langues nationales ; la recherche en tradition orale ; la situation
sociolinguistique de la Côte d’Ivoire ».

La formation actuelle en sciences du langage prend appui sur la linguistique générale dont
les principales branches sont la phonétique, la phonologie, la morphologie, la syntaxe et

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 211


Les sciences du langage et la problématique de l’employabilité en Côte d’Ivoire : de la nécessité
d’un passage de la linguistique appliquée aux services linguistiques

sémantique. Ces différentes branches de la linguistique se font à partir d’une approche


descriptive et/ou appliquée ; laquelle approche pouvant s’inscrire dans les cadres théoriques
et/ou courants de la linguistique fonctionnelle, du structuralisme (F. Saussure, (1857-1913)),
de la sociolinguistique (W. Labov 1976), la psycholinguistique, la documentation des langues
et l’alphabétisation. La formation se fait en tronc commun de la licence 1 à la licence 3. C’est à
partir du master que se font les parcours de spécialisation. Ce sont les parcours linguistique
descriptive et documentation des langues, sociolinguistique et didactique des langues,
psycholinguistique et neurolinguistique et alphabétisation. L’essentiel des enseignements se fait
dans des amphithéâtres et de salles de travaux dirigés. A l’exception de quelques étudiants
inscrits dans le parcours psycholinguistique et neurolinguistique qui effectuent des stages dans
des centres médicaux ou paramédicaux, dans le cadre de la rédaction du mémoire de master,
tous les autres ne le font qu’à partir des connaissances acquises lors de leurs formations
académiques. Il s’agit ici d’une formation essentiellement axée sur la recherche fondamentale
dont les différentes options en Sciences du Langages sont la linguistique descriptive et la
linguistique appliquée. Cette remarque est aussi valable pour les thèses de doctorat. Mais qu’est-
ce c’est la linguistique descriptive et la linguistique appliquée ?

3.1 La linguistique descriptive


Selon J. Dubois (1994: 139) : « On donne le nom de linguistique descriptive à la théorie
linguistique dont le but est d’induire des corpus des règles. Leurs applications doit pouvoir
rendre compte d’une manière complète de tous les énoncés de ce corpus ». Lorsqu’on parle de
Science linguistique, on s’accorde à dire que Ferdinand de Saussure (1857- 1913) en est le père
fondateur. On dit aussi qu’il est le père du structuralisme dont il posa les principes fondateurs
dans ses cours de linguistique générale professés de 1906 à 1911 à Genève et publiés en 1916
par deux de ses disciples (Ch. Bally et A. Sechehaye). Le double rejet de la réalité sociale et de
l’histoire a été très productif. Il a permis une série d’études systématiques et formelles des
langues les plus variées. Grâce à la commutation, la linguistique structurale a su mener avec
rigueur ses investigations à tous les niveaux de la langue, bien que ce soit en phonologie que sa
réussite ait été la plus éclatante. Au département des sciences du langage cette formation en
linguistique descriptive concerne principalement le tronc commun de la licence 1 à 3 et le
parcours en master de linguistique descriptive. Ceci dit, cette linguistique descriptive faite à
partir de recherches fondamentales devrait être appliquée selon les prescriptions et
recommandations de l’Etat ivoirien à travers les missions assignées à l’Institut de Linguistique
Appliquée (ILA). Mais selon P.A.K. Kouadio :

On assiste à une description linguistique sans application et sans bénéfice véritable pour
les différentes communautés qu’elle concerne […] Si nous jetons un regard critique sur
l’histoire de l’évolution des langues, on peut constater que toutes les nations du monde dites
« modernes » et « puissantes » ne se sont développées qu’à partir de l’usage de leurs langues
maternelles.
P.A.K. Kouadio (2013 : 37-38)

212 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜207-216


Pierre Adou Kouakou KOUADIO

Au regard des écrits de P.A.K. Kouadio (2013), nous pouvons déjà dire que
l’instrumentalisation de la recherche linguistique telle que faite au département des sciences du
langage souffre d’un déficit que devait corriger la linguistique appliquée.

3.2 La linguistique appliquée


Selon J. Dubois et al. (2001 : 45) : « Par linguistique appliquée, on désigne l’ensemble
des recherches qui utilisent les démarches de la linguistique proprement dite pour aborder
certains problèmes de la vie courante et professionnelle mettant en jeu le langage, et certaines
questions que posent d’autres disciplines ». Autrement dit, la linguistique appliquée est issue
de la linguistique descriptive. Elle s’adapte à une situation donnée pour résoudre un problème
précis. Une des branches de cette théorie est la linguistique constrastive. La branche
constrastive procède par comparaison terme à terme de façon rigoureuse et systématique de
deux langues données. Dans la formation en sciences du langage, c’est en didactique du français
langue seconde que la linguistique appliquée est plus mise en évidence. Ici, il s’agit de la mise
en comparaison du français et des langues maternelles ivoiriennes. Cette comparaison se fait à
plusieurs niveaux linguistiques. Elle peut se faire au niveau phonologique, morphologique,
syntaxique, morphosyntaxique ou encore au niveau sémantique. Cette démarche consiste à
mettre en évidence leurs différences linguistiques et permettre ainsi l’élaboration de méthodes
d’enseignement mieux appropriées aux difficultés d’apprentissage d’une langue seconde et/ou
étrangère. En complétant aussi les résultats de comparaison par un examen des ‘‘fautes’’ et de
décider des moyens qui permettront soit de les prévenir, soit de les éliminer. L’étude constrastive
peut également jouer un rôle déterminant dans l’établissement des progressions, le mode de
présentation des contenus à enseigner, la construction des exercices précorrecteurs des
interférences. Les enseignements en linguistique appliquée concernent les parcours
sociolinguistique et didactique des langues, psycholinguistique et neurolinguistique et
alphabétisation.

3.3 Les débouchés actuels après la formation en sciences du langage


L’enquête de terrain menée auprès des étudiants en fin de cycle ou ayant déjà reçu leurs
parchemins en licence, master et doctorat en sciences du langage a révélé que ces derniers
s’orientent vers les métiers de l’enseignement (secondaire privé en français ; enseignant-
chercheur d’universités ou grandes écoles), les concours de la fonction publique (ENA,
administration,…), la consultance et l’expertise sur des projets d’alphabétisation et la
consultance et l’expertise dans des cabinets paramédicaux d’orthophonie. Tel que présenté ici,
l’écosystème de l’employabilité en sciences du Langage, nous semble très restrictif. Cette
restriction du marché de l’emploi après les études en sciences du langage peut expliquer en
partie la « crise » des trois milles docteurs non recrutés. Parmi ces derniers, on dénombre au
mois de décembre 2022, plus d’une soixantaine de docteurs en sciences du langage.

4. De la nécessité d’un passage de la linguistique appliquée aux services linguistiques


Les services linguistiques englobent un très grand nombre de services linguistiques.
Mais nous referons à définition de J. Dubois et al. (2001 : 45) précédemment cité, nous pouvons
affirmer que les services linguistiques découlent de la linguistique appliquée. Sa particularité,

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 213


Les sciences du langage et la problématique de l’employabilité en Côte d’Ivoire : de la nécessité
d’un passage de la linguistique appliquée aux services linguistiques

c’est l’identification, au sens propre du terme, de certains corps de métier où la linguistique


appliquée constitue la principale matière de sa réalisation pratique. En tenant compte de
l’écosystème de l’emploi en Côte d’Ivoire, nous avons identifié certains de métiers découlant des
services linguistiques.

4.1 Les métiers du numérique


Les industries de la langue et les bureaux d’étude s’ouvrent aux étudiants formés en
sciences du langage qui ont su diversifier leur formation en la complétant par des formations
spécialisée en langage informatique. Il peut s’agir par exemples d’analyste de discours par usage
informatique, concepteur de document multimédia pédagogique, d’ingénieur des sons à partir
de phonétique acoustique, de rédacteur d’articles de blog et scripts vidéo, artistes voix-off de
cinéma, etc.

4.2 Les métiers de la rédaction et du discours administratif


La rédaction administrative ne diffère de la rédaction en général que par l’emploi de
certaines expressions, de certaines formules, de certaines règles de présentation. Ainsi pour
rédiger correctement les documents administratifs, il faut donc acquérir d’abord une bonne
habitude d’exprimer par écrit sa pensée, de développer ou de résumer celle des autres, de narrer
un événement, d’analyser une situation, de transmettre un message. Certes, cet apprentissage,
déjà assumé par les enseignements reçu aux cycles primaire, secondaire, et universitaire, mais
il devra être poursuivi régulièrement au département des sciences du langage selon des
méthodes particulières en collaboration avec les acteurs des administrations publique et privées.
Sachant que pour s’exprimer à l’écrit, il est indispensable d’avoir une connaissance suffisante
de la langue que l’on emploie, c’est-à-dire de son orthographe, de sa syntaxe et de son
vocabulaire. Cependant, ces notions de base ne suffisent pas. Elles ne sont que de matériaux
mis au service du style. Le style c’est la manière dont on s’exprime avec plus ou moins de clarté,
d’élégance, de rigueur et de concision. Il s’acquiert et s’améliore par l’exercice et par la lecture.
Or une des carences auxquelles sont confrontés les étudiants nouvellement diplômés qui sortent
des universités et grandes écoles, quels que soient leurs niveaux (doctorat, master ou licence),
c’est la question de la rédaction professionnelle et administrative ; car les documents
administratifs produits par les administrations publiques ou privées répondent à des normes et
permettent la fourniture de services de qualité aussi bien à leurs correspondants professionnels
qu’aux populations. La langue française bien qu’étant la seule langue officielle de
l’administration en Côte d’Ivoire, elle connait diverses variétés dans son usage. Selon les
spécialistes de la question du français en Côte d'Ivoire, on note l’existence au moins trois (3)
principales variétés de français. C’est en tout cas ce qu’on peut lire dans J.N. Kouadio quand il
écrit :

On distingue habituellement trois variétés de français en Côte d'Ivoire : la variété


supérieure ou acrolectale (parlée par les membres de l’élite ivoirienne), la variété moyenne
ou mésolectale (parlée par les lettrés de l’enseignement secondaire, les cadres subalternes
de l’administration, etc.) et la variété basilectale (des peu ou non lettrés).
J.N Kouadio (199: 301)

214 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜207-216


Pierre Adou Kouakou KOUADIO

A ceux-ci, on peut ajouter la dernière variété de français qui est le nouchi, l’argot
ivoirien. Ces variétés locales impactent par moment certains écrits administratifs. Ainsi, dans le
cadre de formation aux services linguistiques en sciences du langage, l’opportunité sera donnée
aux apprenants de faire la différence entre ces différentes variétés et leurs contextes d’usage. A
partir de ces enseignements, l’apprenant peut disposer de compétences en tant que rédacteur
administratif (courriers, rapport, compte rendu, relevé de conclusion, note de service,
circulaire), traducteur spécialisé, rédacteur de contenus avec un savoir-faire en matière de
référencement, traducteur juridique en langue locale, traducteur médicale en langue locale,
etc. Aussi, la publicité, l’assistanat de direction, le journalisme, la communication d’entreprise,
l’édition, […] sont des débouchés potentiels pour un(e) étudiant(e) formé en du sciences du
langage à condition qu’il/elle soit bien former à ces techniques en situation de classe ou par un
stage professionnel pour valoriser ses acquis. C’est en cela que certains modules de formation
en la matière doivent y être institués. Mais tout cela ne peut être exécuté que les parties
prenantes œuvrent en synergie pour la mise la formalisation d’un écosystème des services
linguistiques.

5. La formalisation de l’écosystème des services linguistiques


Cette formalisation de l’écosystème des services linguistiques passe nécessairement par
l’introduction dans les maquettes pédagogiques de la formation en sciences du langage de
certains modules tels qu’énuméré au point 5 de cette communication (5.1. et 5.2). Ainsi, avec
l’accord et d’appui institutionnel du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
Scientifique. Les universités publiques et privées pourront se les approprier par un
renforcement de capacité des enseignants chercheurs afin qu’ils puissent, à leur tour,
transmettre ces connaissances aux apprenants. En outre, des formations certifiantes aux services
linguistiques peuvent être initiées en complément à la formation de base existante. Aussi
certains métiers des services linguistiques doivent intégrer la fonction publique (orthophonie,
traducteur, interprétariat, etc.).
S’agissant du cas particulier du métier d’orthophonie et de thérapeute du langage, les
autorités compétentes doivent œuvrer à son intégration dans le système éducatif, notamment aux
cycles préscolaire et primaire. Cette mesure devrait permettre de remédier aux difficultés liées
aux troubles du langage (dysphonie, dyspraxie, dyscalculie, dysarthrie, aphasie, bégaiement,
apraxie, dyslalie, etc.) chez l’enfant en âge de scolarisation aussi bien zone rurale qu’en zone
urbaine ; cars ces « maladies silencieuses » sont responsables de diverses formes d’échecs
scolaires chez l’enfant. C’est également l’occasion à la formalisation et à l’organisation en
faitières d’entreprises de services linguistiques existants sur le marché. Aussi, l’étudiant qui
dispose d’une telle formation en plus de quelques connaissances en entrepreneuriat, peut se
reconvertir et s’installer à son propre. Selon Patrick Achi, Chef du Gouvernement ivoirien, dans
Afrik Soir du 22/11/2022, parlant des 3000 docteurs non recrutés, affirme « […] N’y a-t-il pas
possibilité autre que la fonction publique ? Est-ce que vous ne pouvez pas faire une reconversion
? Je crois qu’il y a des opportunités innombrables qui sont là. C’est beaucoup plus facile de vous
convertir quand vous avez fait des études avancées. Mais cette reconversion dont parle le Chef
du Gouvernement ne peut être possible que si, en amont, des dispositions sont prises dans ce

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 215


Les sciences du langage et la problématique de l’employabilité en Côte d’Ivoire : de la nécessité
d’un passage de la linguistique appliquée aux services linguistiques

sens dans leur formation académique ; car pendant longtemps les diplômes et les différents
parchemins qui ont sanctionnés les fins de formation ont été axés sur la recherche fondamentale.
Ce qui pourrait justifier la ruée de la plupart des diplômés qui sortent des universités vers les
métiers de la fonction publique. Or comme on le sait, quelle que soit la puissance d’un Etat, il
ne peut pas absorber à lui seul tous les apprenants nouvellement diplômés. C’est en cela que le
Gouvernement doit encourager toutes les parties prenantes à la création de l’écosystème des
services Linguistiques.

Conclusion
A l’image de nombreuses filières d’universités africaines, les formations en sciences du
langage ont pendant longtemps axés les réflexions à partir de la recherche fondamentale. Ainsi,
de nombreux travaux en linguistique descriptive e appliquée ont fait les beaux jours de cette
discipline et lui ont permis de se hisser au rang des sciences universitaires les plus respectées.
En outre, si les premiers diplômés sortis de cette formation ont pu s’insérer professionnellement,
ce n’est pas le cas avec les nouveaux diplômés. C’est à ce juste titre que la somme des travaux
de recherche fondamentale aussi bien en linguistique descriptive qu’en linguistique appliquée
doit être instrumentalisée dans le but de créer un écosystème de services linguistiques plus
proches et plus utiles pour les populations. Toute chose qui devrait permettre aux nouvelles
générations d’apprenants en sciences du langage d’être plus opérationnelles et compétitives sur
le marché assez complexe du travail. Mais cela n’est possible que si la volonté politique y est.

Références bibliographiques
Afrik Soir du 22 novembre 2022
Boyer, H. (1991). Éléments de sociolinguistique. Langue, communication et société, Dunod, Paris.
Dubois, J (1994). Dictionnaire de Linguistique et de Langue, Larousse, Paris.
Dubois, J. & al. (2002). Dictionnaire de Linguistique, Larousse-Bordas/ VUEF, 2ème édition, Paris
Infodrome.ci du 03 du novembre 2023
Kouadio, N. J. (1999). Quelques traits morphosyntaxiques du français écrit en Côte d’Ivoire, Cahiers
d’études et de recherches francophones, langues, Paris, AUPELF-UREF, (II)4301-314
Kouadio, P. A. K. & N’zi, Y. J. D. (2017). La francophonie ivoirienne: variété ou continuum
linguistique(s) ?, ANADIS, Centre de Recherche Analyse du Discours (CADISS), Université
‘ŞtefanCel Mare’ de Suceava, (Roumanie), 23 :89-106
Kouadio, P. A. K. (2013a). De la linguistique descriptive à la linguistique appliquée en Côte d’Ivoire :
analyse et propositions, Revue des Études de la Langue Française, Cinquième année, Université
d’Ispahan, Iran, 8 : 37-46. [En ligne], consultable sur URL : www.uijs.ui.ac.ir/relf
Kouadio, P. A. K. (2013b). Le LMD et l’exemple de la FPC, Revue Nodus Sciendi : Ecrits N’ZASSA,
Université Félix Houphouët-Boigny Abidjan-Cocody, (3). [En ligne], consultable sur URL :
http://www.nodusciendi.net.
Labov, W. (1976). Sociolinguistique, Éditions de Minuit, Paris
Martinet, A. (1974). Éléments de linguistique générale, Armand Colin, Paris
Saussure, F. (1974), Cours de linguistique générale, Payot, Paris

216 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜207-216


N’Goran Jacques KOUACOU

DE L’IMPACT DE LA LANGUE : QUAND LE NOUCHI DEVIENT


UN OUTIL DE DÉVELOPPEMENT

N’Goran Jacques KOUACOU


Université Félix Houphouët-Boigny
[email protected]

Résumé : Objet de recherches sociolinguistiques, le nouchi est une création


linguistique originale, née du contact du français et des langues locales ivoiriennes.
Le nouchi est un parler urbain dynamique qui assure une fonction véhiculaire. Son
utilité en tant que moyen d’échange et d’information lui vaut d’investir divers
domaines d’activités en Côte d’Ivoire. Ainsi, en dehors d’être un vecteur de promotion
des faits socioculturels, identitaires et artistiques ivoiriens, ce parler est très présent
sur les marchés, dans le transport, dans les petits métiers. Axé sur des observations et
données de terrain, le présent article entend questionner l’impact de cette variété de
français en milieu professionnel et montrer en quoi il constitue un outil de
développement.

Mots-clés : impact, langue, nouchi, outil, développement.

THE IMPACT OF LANGUAGE: WHEN NOUCHI BECOMES A DEVELOPMENT


TOOL

Abstract: Nouchi is an original linguistic creation, born from the contact between
French and local Ivorian languages. Nouchi is a dynamic urban language that has a
vehicular function. Its usefulness as a means of exchange and information has led it to
invest in various fields of activity in Côte d'Ivoire. Thus, apart from being a vector of
promotion of the socio-cultural, identity and artistic facts of Côte d'Ivoire, this
language is very present on the markets, in the transport, in the small trades. Based on
field observations and data, this article aims to question the impact of this variety of
French in the workplace and show how it constitutes a development tool.

Keywords: impact, language, nouchi, tool, development.

Introduction
Toute langue qui répond à une fonction véhiculaire et marque son dynamisme dans
les activités sociétales aura visiblement un impact dans le vécu quotidien des membres de
cette communauté. En Côte d’Ivoire, des langues locales tels que le dioula, le baoulé, le
bété et le sénoufo, respectivement langues dominantes des aires ethnolinguistiques kwa,
kru, gur et mandé, sont certes les repères identitaires et culturels des Ivoiriens mais leur
impact en tant que langue de travail, outil de développement, à côté du français, reste
encore mitigé. Dans ce pays, le français jouit d’un statut de langue officielle. Il est
omniprésent dans tous les secteurs d’activité alors qu’on assiste à la minoration des
langues autochtones ou locales qui peuvent pourtant jouer un rôle déterminant en termes
de développement. Abondant dans le même sens, M. L. Sanogo, (2008) relève que :

De nombreuses études ont démontré que ce sont les langues véhiculaires (africaines)
qui sont les moyens les plus efficaces et les plus utilisés dans les rapports de
production. […] Les cas de l’hausa, du kiswahili, du lingala, du manding, du sango,

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 217


De l’impact de la langue : quand le nouchi devient un outil de développement

du wolof, etc., en sont de bons exemples. De plus, ces langues ont permis des
mutations sociologiques importantes et favorables à l'ajustement de leur statut. Nos
études sur les langues véhiculaires du Burkina Faso nous ont permis de constater
qu'elles sont aussi devenues les langues africaines premières et même souvent
uniques des jeunes générations, et la référence culturelle des citadins […]
L. Sanogo, (2008 : 30)

Les travaux de Sanogo montrent bien que les langues véhiculaires africaines ne
sont pas de simples outils de communication ; elles sont aussi indispensables aux activités
socioculturelles et socioéconomiques de nos pays. En Côte d’Ivoire, même si les langues
locales peinent à recouvrir pleinement cette fonction, leur cohabitation avec le français a
suscité des variétés endogènes de français1, toutes aussi utiles pour l’intercompréhension
entre les Ivoiriens, et se présentant comme alternatives de langues véhiculaires. Leurs
usages sont observés au quotidien sur les marchés, dans le transport, dans les petits
métiers, même au sein des établissements scolaires et universitaires. Parmi ces variétés de
français, le nouchi se démarque par son dynamisme. Il est le fruit du brassage du français,
des langues locales ivoiriennes, des langues étrangères européennes (français, anglais,
etc.) et de nombreux mots d’origine encore inconnue ou mots fabriqués (N. J. Kouacou
2015).
Survenu au cours de la période 75-80, le nouchi fut longtemps l’apanage des
délinquants, membres de la pègre ivoirienne (N. J. Kouadio 1990) si bien que ce parler
était voué aux gémonies. Mais tel un phénomène insaisissable le nouchi va sortir de ce
carcan pour se parer d’une nouvelle image quant à son emploi comme outil de
communication décomplexée et surtout son apport pour la promotion des faits
socioculturels et identitaires ainsi que sa grande utilité dans les activités socioéconomiques
en Côte d’Ivoire (G. L. Brice 2014). Aujourd’hui, le nouchi est revendiqué par les jeunes
ivoiriens comme la manifestation de leur esprit créateur (A. Aboa 2011), propre à rendre
compte des réalités locales. Quand on sait que la Côte d’Ivoire a une population jeune,
estimée à environ 60%, ce parler jeune ne mérite-il pas une attention particulière ?
Comment se perçoit l’impact du nouchi dans la vie quotidienne des Ivoiriens ? Le
nouchi peut-il être perçu comme un instrument de travail, mieux un outil de
développement ? Si oui, comment expliquer concrètement ce statut ? Ce travail vise à
questionner la place du nouchi dans le quotidien des Ivoiriens et à voir en quoi ce parler
participe à l’épanouissement de ses locuteurs. Il s’agit en d’autres termes de montrer en
quoi ce dernier apporte une plus-value à tous ceux qui en font usage, donc de voir
comment il sert d’outil de développement. En s’appuyant sur l’approche sociolinguistique
que l’on définira, il conviendra de montrer les indicateurs de l’impact du nouchi à travers
les différents domaines d’activité dans lesquels il intègre, après quoi, l’on discutera du
statut actuel du nouchi en Côte d’Ivoire.

1. Base théorique, méthodologie et hypothèses de recherche


Il est question ici de situer le cadre théorique dans lequel s’inscrit ce travail, la
méthodologie, ainsi que les hypothèses de recherche.

1
L’on distingue en Côte d’Ivoire le français populaire ivoirien, le français ivoirien et le nouchi à côte du français standard
(N. J. Kouadio 2008, C. Abolou 2010, K. Kouamé 2012, N. J. Kouakou 2015, etc.).

218 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜217-236


N’Goran Jacques KOUACOU

1.1. Base théorique


Ce travail se fonde sur les concepts de la linguistique variationiste et du contact
des langues, tous deux objets de la sociolinguistique. LABOV 1966, fondateur de cette
théorie pose que l’étude de la langue ne peut se faire sans la prise en compte du contexte
social, élément qu’avait occulté la linguistique saussurienne. LABOV décide ainsi
d’introduire aux acquis du structuralisme, l’étude des incidences des facteurs sociaux sur
le système de la langue. Dans cette perspective, la sociolinguistique va se donner pour
finalité d’examiner l'évolution de la langue en contexte social, en prenant en charge les
attitudes et représentations sociales des locuteurs vis-à-vis de cette dernière. C’est cette
corrélation entre langue et société qui débouche sur les changements linguistiques dont
traite la linguistique variationiste, concept clé de la sociolinguistique, introduite
principalement par William Labov, Marvin Herzog et Uriel Wienrich dans leur article
« Fondements empiriques d’une théorie du changement linguistique » (1966), pour
désigner les écarts observables dans une langue donnée, notamment entre différentes
manières de s’exprimer2. La variation linguistique est perçue comme un phénomène
collectif contigu à la notion de communauté linguistique et qui renvoie à un groupe de
locuteurs ayant en commun un ensemble d’attitudes sociales envers la langue (à un
moment donné et pouvant communiquer entre eux (W. Labov 1976) dans différents
contextes, espaces ou milieux. Ainsi, en répondant au besoin de communication, la langue
finit par se plier aux exigences du locuteur et à son environnement. En ce sens, elle
apparaitra sous diverses formes comme on l’observe dans la pratique du français en Côte
d’Ivoire avec ses variétés locales dont le nouchi (A. B. Boutin, 2003). Code oral et
hybride, le nouchi est un parler né principalement du brassage du français et des langues
locales ivoiriennes en Côte d’Ivoire. En tant que variété de français, par ailleurs parler
identitaire, le nouchi connaît un essor sans précèdent tant il montre sa vitalité dans le vécu
quotidien des Ivoiriens, infiltrant aujourd’hui presque tous les domaines de la vie publique
en Côte d’Ivoire.
1.2. Méthodologie et hypothèses de recherche
Les données de référence sur lesquelles s’appuie ce travail résultent de la
recherche documentaire portant sur des travaux scientifiques (articles, ouvrages,
dictionnaire), d’extraits de journaux satiriques3, de supports médiatiques4, d’extrait
d’émissions télévisées et/ou radiodiffusées, d’extraits de discours officiels et de sites
Internet5). Les données d’analyse ont été aussi collectées grâce aux entretiens semi-
directifs conduits auprès de locuteurs informateurs du nouchi. Cette technique
d’investigation a été utile pour rassembler un nombre diversifié d’éléments nouchi pour
l’étude. L’ensemble des données collectées a fait l’objet d’un traitement minutieux qui a
permis de retenir des informations importantes, des images, des vidéos sur le nouchi, ainsi
que des productions verbales et écrites en nouchi. Nous avons ensuite procédé à la
transcription de toutes les données orales afin d’avoir un corpus clos et malléable pour
mener à bien cette réflexion.

2
http://file.upi.edu/Direktori/FPBS/JUR._PEND._BAHASA_PERANCIS/197301282005012-
IIS_SOPIAWATI/PENULISAN_MAKALAH/Variation_linguistique....pdf
3
Gbich !, Go Magazine.
4
Supports médiatiques issus de la musique ivoirienne.
5
www.nouchi.com, scamaga.over-blog.com/pages/Le_creole.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 219


De l’impact de la langue : quand le nouchi devient un outil de développement

En hypothèse de recherche, l’on admet que le nouchi, de par son hétérogénéité


linguistique et sa vitalité, contribue au développement socioculturel, artistique,
économique ainsi que de la recherche linguistique en Côte d’Ivoire. De cette conjecture
centrale, se dégagent les suppositions ci-après :
- le nouchi contribue à faire la promotion de la culture et l’identité ivoiriennes ;
- le nouchi a est un parler véhiculaire servant d’outil de travail ;
- il est présent dans les médias ivoiriens et sert de moyen de communication aux
entreprises pour atteindre certaines cibles ;
- Ce parler est utile pour la sensibilisation des populations jeunes sur le changement de
comportement.

2. Présentation et analyse des résultats


Ce point présente les résultats des investigations effectuées, les analyses et
interprétations des données.

2.1. Le nouchi dans les activités socioéconomiques en Côte d’Ivoire


Le nouchi est un parler dynamique et présent dans les secteurs d’activité en Côte
d’Ivoire. Il est employé dans le secteur informel, dans les messages publicitaires
d’entreprises ivoiriennes et dans les médias (télévisions, radio et presses écrites) pour
véhiculer certains messages.

-Le nouchi, langue de travail dans le secteur informel


Le nouchi est un outil de travail pour ses locuteurs issus généralement du secteur
informel. Au nombre des usagers du nouchi, une grande partie est issue de classes sociales
“moyennes“ souvent défavorisées. En dehors des élèves et étudiants, la majorité d’entre
eux exercent de petits métiers pour assurer leur survie. Ces métiers sont entre autres la
mécanique, la ferronnerie, la maçonnerie, le cirage de chaussures, etc. Dans le domaine
des petits commerces, le nouchi est aussi très prisé avec des activités telles que la vente
d’articles divers : chaussures, pantalons jeans, mouchoirs jetables, téléphones portables,
montres, CD vidéo et audio, etc. De même, au niveau du transport urbain, le nouchi est
présent. A ce niveau, l’on peut identifier les conducteurs de taxis communaux, les
convoyeurs de “gbaka“ ou mini-car, communément appelés “apprenti-chauffeurs“, les
“djosseurs de nama“ (ou surveillants de parc de stationnement automobile), etc. (N. J.
Kouacou, 2015 : 52). Dans ces différents domaines d’activité informelle, le français normé
n’a pas sa place. Le seul parler qui connaît l’adhésion de tous et qui sert de véhiculaire est
le nouchi. Dans les milieux d’activités où se concentrent les ‘’nouchiphones’’, l’on peut
également identifier les gares routières qui sont des lieux très prisés par les jeunes voyous.
En effet, la gare routière est un espace urbain de socialisation. E. N’diaye (2011 : 27) la
décrit comme « un ensemble d’installation où s’effectue le transbordement des
marchandises, l’embarquement ou le débarquement des voyageurs […]. Autrement dit, la
gare routière est une structure tout comme un marché drainant des femmes et des hommes
venant d’horizons divers ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les jeunes nouchi
fréquentent beaucoup ce milieu où ils vont ‘’se chercher’’, sinon ‘’se démerder’’ pour
gagner leur vie. Les gares routières sont aussi pour plusieurs jeunes habitués à la rue, des
milieux d’activités et de débrouillardise diverses puisque ces gares sont « des pôles
d’activités socio-économiques multiples et variées. D’où (leurs) fonctions d’accueil, de
restauration, d’hébergement, de transaction, de transit, du donner et du recevoir. »

220 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜217-236


N’Goran Jacques KOUACOU

(Ibidem). Cela dit, en dehors du fait que ces lieux regorgent d’individus qui y viennent
pour commettre des actes répréhensibles, on y rencontre surtout de nombreux jeunes
déscolarisés ou illettrés qui s’y retrouvent pour leurs activités lucratives. Ces jeunes gens
issus de langues maternelles et d’horizons divers investissent ces milieux pour leurs
activités commerciales, et la langue qu’ils utilisent pour communiquer entre eux c’est bien
le nouchi, se présentant ici comme langue de transaction commerciale, langue d’affaire ou
de travail.

-L’usage du nouchi par les entreprises


La langue, tout comme la devise ou l’argent, est indispensable dans les transactions
commerciales. Une fois qu’un parler remplit cette fonction, il peut être l’objet d’emploi par
des entreprises pour atteindre certains objectifs commerciaux visant la croissance, le
développement de leurs activités. L’emploi du nouchi répond sans doute à ce besoin
comme c’est le cas, de plus en plus, dans les messages publicitaires de nombre de
structures de la place. Parmi tant d’autres, il importe de se référer aux entreprises de
consommation et de téléphonie à travers les panneaux d’affichage.

Exemples de publicités d’entreprises de consommation


De nombreuses entreprises de consommation, spécialisées dans la fabrication de
boissons sucrées et de la bière, utilisent constamment le nouchi dans leur publicité. Il
s’agit par exemple de sociétés telles que Number one, Ivoire, Coca-cola, Les brasseries
ivoiriennes, en témoignent les images ci-après :

(1) MON MOGO, j’ai soif dèh, position ?


« Mon gars, je meurs d’envie de boire la
bière ; donne-moi ta position ? »

Image 1 : publicité Number one

(2) Ici, on ne s’amuse pas, on


S’ENJAILLE « Ici, on ne s’amuse pas,
on s’éclate de joie. »

Image 2 : publicité Ivoire


La grande marque Coca Cola n’est pas en marge de l’usage du nouchi dans ses publicités.
Ainsi, pour inciter sa cible à consommer davantage ses boissons, elle emploie
l’expression :

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 221


De l’impact de la langue : quand le nouchi devient un outil de développement

(3) Soif d’enjaillement ! « Soif de


rafraichissement, de joie. »

Image 3 : publicité Coca-cola

Ces affiches publicitaires transmis avec des mots nouchi augurent que les messages mis en
relief sont apparemment bien perçus par la population cible, et ce, au grand bénéfice des
brasseries qui les ont employés.

-Secteur de la téléphonie mobile et de la monnaie numérique


L’usage du nouchi dans les slogans et messages publicitaires des sociétés de
téléphonie est devenu aujourd’hui une tendance commerciale. A titre illustratif, on a :

- ORANGE
(4) Orange, le réseau qui rend la vie ZO « Orange, le réseau internet qui rend la
vie Chique /joyeuse. »
(5) Profil jeune togo-togo ; gagner en temps « Profil jeune à 100 F Cfa, ne
perd plus de temps pour souscrire à l’offre. »
(6) Quand y’a drap, #170# te soutra « Quand il n’y a plus de crédits d’appel, la
souscription au #170# de Orange vous aide à vous recharger (dépanner). »

- MTN

(7) Télécharge MTN Music+ et enjaille-toi


MTN, ça ment pas !
« Télécharge MTN Music+ et amuse/égaille-
toi, ce n’est pas de la blague ! »

Image 4 : publicité MTN

(8) Cause et surf à gogo avec tes gazas toute la nuit « Echange et navigue
abondamment sur internet avec tes amis toute la nuit »
(9) Entre nous le réseau passe plus vite, MTN ça ne ment pas ! « Entre nous, le réseau
passe plus vite, MTN, ce n’est pas de la blague, c’est de la réalité ! »
(10) Quel est le réseau qui ne ment pas ? Hannnnn c’est lui-là ! « Quel est le réseau qui
ne blague pas ? C’est celui-là (MTN) !

- MOOV
(11) Haan ! Tout ça avec 3 Togo « Ah bon ! Tout cela avec 300 F Cfa ? »
(12) Bonus à gogo ce dimanche « Une abondance de bonus de rechargement ce
Dimanche. »
(13) Ici à Duekoué internet moov est chap chap « Ici à Duekoué la connexion au réseau
internet moov est rapide. »

222 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜217-236


N’Goran Jacques KOUACOU

- WAVE
Les entreprises de transfert d’argent ne sont pas en marge dans l’usage du nouchi
dans pour appâter la clientèle. Exemple :

(14) WAVE
Ton djê est calé « Wave, ton argent est
positionné. »
Image 5 : publicité Wave

Le nouchi est un langage urbain et de tendance jeune. Cela dit, son usage dans les
messages publicitaires des entreprises est, de toute évidence, fait à dessein. En effet, en
utilisant des termes nouchi dans leur publicité, ces entreprises arrivent certainement à se
faire comprendre de leurs cibles et à l’amener à répondre à leurs attentes : souscrire au
produit présenté ou proposé.

-L’usage du nouchi dans les médias


Les médias ivoiriens : radios, télévisions et presses écrites, utilisent le nouchi en
dehors du français standard pour des besoins de communication.

-La radio
Concernant les émissions radiophoniques, on peut citer des émissions telles que
‘’koumanlidjali’’ de la radio Fréquence 2 où les nouvelles et informations sont
essentiellement données en nouchi. Ci-après une image de l’émission en cabine :

Image 6 : publicité Fréquence

-La télévision
De nombreuses chaînes de télévisions font usage du nouchi pour atteindre la
jeunesse ivoirienne et parvenir ainsi à faire suivre certains de leurs programmes. Parmi ces
dernières, figure la RTI, première chaîne de télévision en Côte d’Ivoire. M. Cissé (2000 :
198), dans un mémoire intitulé : Le nouchi et le FPI dans les médias d’État : le cas de la
RTI, a montré que les variétés de français comme le nouchi et le français populaire ivoirien
(FPI) sont tout à fait présents dans les médias ivoiriens. Le nouchi qui a pratiquement
surpassé le FPI de par son expansion, s’illustre actuellement comme l’un des modes
d’expression de jeunes employés dans les grands médias en Côte d’Ivoire. La RTI6 qui est
le média national n’est pas en marge de cette utilisation du nouchi. Cette structure
audiovisuelle a pour mission d’informer, d’éduquer et de distraire le public. Si les missions

6
Radio Télévision Ivoirienne. La RTI est une structure publique créée le 26 Octobre 1962 mais la télévision.
ivoirienne a vu le jour en 1963, trois années après l’Indépendance de la Côte d’Ivoire (C. Moustapha, 2000).

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 223


De l’impact de la langue : quand le nouchi devient un outil de développement

d’information et d’éducation de la RTI sont réglementées et d’office réalisées en français


standard, relevons toutefois que la mission de distraction s’ouvre à des modes d’expression
comme le nouchi. En effet, dans le domaine de l’humour, le nouchi est utilisé dans les
spectacles humoristiques (tels que Bonjour 2010, Bonjour 2013, Bonjour 2018, 2019, etc.)
réalisés et diffusés chaque fin d’année par la RTI.
Bien d’autres émissions ou programmes faisant usage du nouchi sont aussi diffusés
par cet organe. En dehors de la RTI, des chaînes de télévision ivoirienne comme
A+Ivoire ; LifeTV ne sont pas en reste quant à l’emploie du nouchi. A titre illustratif, on
peut relever les émissions ci-après :

On se dit les Gbê et puis ya rien


« On se dit la vérité crue, sans être
inquiété. »

Image 7 : publicité A+Ivoire

On se djô sur A+Ivoire


« On se rencontre sur A+Ivoire/On prend
rendez-vous sur A+Ivoire. »

Image 8 : publicité A+Ivoire

On se dit les Gbê et puis ya rien est une émission jeune qui traite de multiples sujets où des
personnes de différentes opinions sont mises en confrontation en présence d’un public pour
déterminer les opinions justes ou logiques du point de vue du droit, des principes
intellectuels ou des valeurs sociales. On se djô sur A+Ivoire est une publicité phare sur la
chaîne de télévision A+Ivoire qui invite les téléspectateurs à suivre cet organe audiovisuel.
Egalement, dans la chaîne LifeTV, certains programmes sont présentés avec des titres en
nouchi :

Je suis petite et de ‘’DJA’’ !


« Je suis petite de taille mais séduisante,
je ne passe inaperçue. »

Image 9 : publicité Lifetv

Qui va Taper Poto ?


« Qui va échouer / Qui va faire échec ? »

224 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜217-236


N’Goran Jacques KOUACOU

Image 10 : publicité Lifetv

Le Club sur LifeTV est une émission animée par trois jeunes animatrices au cours
de laquelle des personnes vues comme des exemples ou qui excellent dans des domaines
d’activités (mode, showbiz, entrepreneuriat, etc.) sont invitées pour partager leurs
expériences. La saison intitulée Je suis petite et de ‘’DJA’’ ! (image 9) a donné l’occasion à
une jeune fille de très petite taille, et qui en était complexée, eu égard aux railleries qu’elle
subissait, d’expliquer comment elle est parvenue à se surpasser en s’appuyant sur ses
qualités intellectuelles et ses talents pour se faire remarquer positivement malgré sa toute
petite taille, etc. Le terme dja employé dans l’énoncé en question est un terme polysémique
en nouchi qui traduit une chose qui ne laisse personne indifférent. Ainsi, un homme/ une
femme qui dja c’est une personne qui gagne en popularité, en notoriété.
Taper poto est une expression figée nouchi qui traduit le fait d’échouer dans
quelque chose. Dans l’émission Qui va Taper Poto (image 10), il est question de mettre en
compétition soit deux hommes pour conquérir une jeune fille en quête d’une âme sœur, soit
deux filles jeunes pour conquérir un homme éprouvant le même besoin. Les candidats(es)
sont donc soumis à un certain nombre de tests visant à charmer, séduire l’être désiré. A
bout des différents tests, c’est la personne à conquérir qui désignera le/la canditat(e) qui
répond à ses critères. L’emploi du nouchi par ces chaînes de télévisions leur permettent
d’entrer plus facilement en contact avec la jeunesse ivoirienne voire africaine, de créer un
lien avec elle afin de l’intéresser aux activités qu’elles diffusent. On peut donc remarquer
que l’usage du nouchi dans ces médias devient très utile pour toucher les jeunes qui
constituent la frange la plus importante de la population, l’avenir du pays, la relève de
demain.

-La presse écrite


L’usage du nouchi est également présent dans la presse écrite à travers surtout des
hebdomadaires satiriques tels que Gbich, Go magazine, Ya fohi. De ces organes de presse,
Gbich ! est le premier du genre à employer le nouchi dans ses publications. Observons
quelques illustrations ci-après :

On a tous été gaou un jour « On a tous


été ignorant un jour. »

Image 11 : Gbich !

Les politiciens Bipent gbangan encore !


« Les hommes politiques provoquent
encore une crise. »

Image 12 : Gbich !

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 225


De l’impact de la langue : quand le nouchi devient un outil de développement

C’est bien chérie. Faut djah foule … A


l’heure-là, je suis trop tchass !
« C’est bien chérie. Il faut le
réprimander. En ce moment, je suis
vraiment fauché. »

Image 13 : Gbich !

Comme il est donné de voir, Gbich ! est un journal d’humour et de bandes dessinées
écrivant en nouchi. L’appellation ‘’Gbich !’’ est l’expression d’une onomatopée qui traduit
le bruit d’un coup de poing, d’une frappe. Les journalistes de Gbich ! emploient le nouchi
dans l’optique de rapprocher leur organe des jeunes de toutes catégories et d’instaurer une
communication entre eux (W. Gogoua, 2006). Aussi arrivent-ils par ce langage à accrocher
un nombre important de jeunes, ce qui contribue à faire vendre leurs journaux donc à leur
permettre de se faire des grands bénéfices.

-L’Internet
Sut la Toile, plusieurs faisant usage du nouchi existent. On peut entre autres se référer
à:
- www.nouchi.com ;
- www.youtube.com ;
- Le journal gbayé ;
- scamaga.over-blog.com/pages/Le_creole_abidjanais_le_nouchi-3115944.html, etc.
L’intérêt de ces liens c’est qu’ils présentent l’actualité de la Côte d’Ivoire en nouchi et
concentrent un nombre important de données écrites, audio et vidéo mettant en lumière la
diversité linguistique ivoirienne et les réalités socioculturelles locales. Les données écrites
notamment sont composés de glossaires de mots et d’expressions (renforcés d’exemples
montrant leur emploi dans la phrase), des proverbes et des anecdotes portant sur divers
sujets (l’argent, la drague, la bagarre, etc.).

2.2. Le nouchi dans la promotion des faits culturels et artistiques ivoiriens


Dans le cadre de la promotion, le rayonnement de la culture ivoirienne et de
l’identité nationale, le nouchi est en train de jouer un rôle déterminant qu’il va s’agir de
ressortir dans cette section du travail.

-Le nouchi dans l’essor de la musique moderne ivoirienne


La place du nouchi dans le domaine culturel ivoirien est d’autant réelle qu’il fait
aujourd’hui partie des modes d’expressions utilisés dans la plupart des genres musicaux
modernes prisés en Côte d’Ivoire. A ce propos, A. P. Kouadio (2016 : 62-63) souligne :
[…] la musique ivoirienne est depuis la naissance du nouchi un véritable canal de
son expression. Ainsi, à travers divers genres musicaux, incarnés par des artistes
chanteurs dont la renommée dépasse les frontières ivoiriennes, le nouchi s’est vu «
adopté » dans de nombreux pays de l’Afrique de l’ouest et même en occident.
A. P. Kouadio (2016 : 62-63)

226 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜217-236


N’Goran Jacques KOUACOU

Relativement à la musique, le nouchi marque sa présence dans certains genres


musicaux comme le zouglou, le rap, le reggae et le coupé décalé.
- Dans le zouglou, le nouchi est employé comme langage pour chanter des
anecdotes, des faits se rapportant à des thèmes divers : l’insécurité, la rue et ses misères,
la vie estudiantine, les méfaits de la politique, le SIDA, etc. « dans un langage terre à terre,
ludique […], avec ce sens poussé de la dérision qui [définit] le caractère ivoirien. » (Krol
cité par Kouadio, 2006 : 179). On peut rappeler des titres comme Zio pin (1992) du groupe
“Les potes de la rue“ ; Asec-kôtôkô (1994) du groupe “Poussins chocs“ (aujourd’hui “Yodé
et Siro“) ; Zigbo gbôlô, Papa polo, L’insécurité, Débaloussaire de “Petit Dénis“, Premier
gaou de “Magic System“, etc. Tout cela donne raison à D. Okomba (2009 : 88) de dire que
« le zouglou et le nouchi se nourrissent mutuellement et constituent sûrement le meilleur
indicateur de la création musicale authentiquement ivoirienne depuis 1990 ».
- A propos du RAP, des chansons de référence comme ‘’kitaki’’ du groupe RAS ;
“Première djandjou, Ziés dédjas“ de Nash ; “Wolosso“ du groupe Sans soi ; Ma seule petite
(2018) de Suspect 95 ; ‘’Ya pas l'argent dedans’’, ‘’Game De Djai’’ de Didi B ; ‘’Ce n’est
pas bon’’, ‘’La vie de Loupah’’ de Kiff no beat, etc. chantées en français local (notamment
un mélange de français ivoirien et de nouchi) ont permis de révéler de grands talents à la
Côte d’Ivoire et de donner une coloration ivoirienne au Rap qui est un « mouvement de
conscience sociale universelle. » (Farahidi, 2004 : 65) d’origine américaine et né de l’argot
des ghettos noirs de New York dans les années 70.
- le reggae également est un genre musical dans lequel les mots nouchi se
retrouvent. L’on peut citer entre autres feu Tangara speed Goda : (Grahou-débaloussaire) ;
“Alpha Blondy“ (Gbangban) ; mais surtout, “Ismaël Isaac“ dans (Djo Bleck, Baramago ou
encore Kôrô Djo). Ce dernier a pratiquement fait du nouchi son langage privilégié pour
véhiculer ses messages dans le style musical reggae.
- le coupé décalé, nouvelle tendance musicale ivoirienne, n’est pas en marge quant
à l’emploi du nouchi. Ces dernières années, grâce au coupé décalé, devenu pratiquement
un style musical africain, le nouchi a trouvé un autre vecteur dynamique pour son
rayonnement. (N. J. Kouacou, 2020 : 112). L’on se souvient des titres comme
‘’Commandant zabra, Freestyle atalakou, ‘’Qui est khoro’’, etc. de feu Houon Ange Didier.
Connu sous les pseudonymes de DJ Arafat, Yôrôbô, Daïchi, il avait conquis le cœur des
jeunes ivoiriens, en particulier, les jeunes du ghetto qui sont les principaux locuteurs du
nouchi ; Serge Beynaud (Guy Serge Beynaud Gnolou) : ‘’babathai’’ 2018, etc. ; Safarel
Obiang : ‘’Tchintchin 2018’’, ‘’woyo woyo 2019’’, ‘’Débordement 2022’’ ; On peut aussi
citer Sré Jean Ariel dit Ariel Cheney : Ghetto 2017, ‘’Tchoko tchoka’’ 2019, etc. Cette
présence marquée du nouchi dans la musique ivoirienne amène P. Barbier (2011 : 59) à
relever que : « […] du fait de l’influence des chanteurs à la mode, le nouchi fait désormais
partie du patrimoine linguistique et culturel de chaque Ivoirien, et n’est plus seulement
l’apanage des voyous et des étudiants, mais est dorénavant utilisé par toutes les couches de
la population […] ».

-Le nouchi dans le domaine de l’humour


La dimension ludique du nouchi transparaît aussi dans les journaux satiriques de la
presse écrite ivoirienne qui écrivent dans ce parler et l’utilisent à des fins tant comiques
que lucratives. On peut faire référence à des magazines comme Go Magazine !, Ya fohi, et
principalement Gbich ! Actuellement, le nouchi est de plus en plus prisé comme moyen
d’expression lors des spectacles humoristiques, sortes de théâtres comiques en vogue en

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 227


De l’impact de la langue : quand le nouchi devient un outil de développement

Côte d’Ivoire. L’on peut, à cet effet, se référer au spectacle comique du réveillon (tous les
31 décembre) devenu une tradition depuis 2006 en Côte d’Ivoire et dont la première
édition fut dénommée « Bonjour 2006 ». Ce grand spectacle de l’humour est le lieu
d’expression de plusieurs artistes comédiens qui viennent déballer leur savoir-faire
satirique pour égailler au maximum les spectateurs à travers un langage relâché, familier,
populaire voire argotique d’où l’usage imbriqué des variétés locales de français (français
ordinaire, FPI, nouchi) dans les différentes comédies. Le nouchi qui est un parler
d’actualité est très employé par les comédiens et fort apprécié par les spectateurs pour ce
qu’il favorise le rire. Comme exemple, apprécions le texte ci-dessous, extrait de Bonjour
2010 (2ème édition à Yamoussoukro), de la comédie de Le Magnifique : “Prière d’un
loubard en Christ“ :
- Dieu a touché le cœur d’un loubard et mainan il dit il est en Christ, quand il veut
manger mainan faut voir sa prière. Trois cent qu’il avait, il a payé poisson deux cent
(200 F CFA) attiéké 100 F, il ferme ses yeux, i(il) veut prier mainan, il est là
Seigneur, faut le voir :
« Éh Sèhin (Seigneur), c’est mou sur moi dèh, yè kètèkètè yè i trois toro (togo), j’ai payé
zégen toro ahè dé pouésse viens onhon gbor. Sèhin, c’est ça qui est là oh »
-Il ouvre ses yeux, ses deux poisons ont disparu, il a refermé ses ziés (yeux), il dit :
« Sèhin, à chaque fois que j’ai lanhan je t’invite tu viens pas hein mais quand c’est mou
là tu prends mes poissons. Au nom é Dueux(Dieu) si yé vois pas mes poissons là, Satan
va prendre mon contrôle dèh, épi moi é décline toute responsabilité dans garbadrome là
ce qui va se passer dèh ! »
- Mais le garbaman (vendeur de garba) a visé le scénario de loin, il a mis 8 poissons
chauds, quand le loubard a ouvert ses ziés, i(il) voit les 8 poissons, il a refermé
encore :
« Toi sèhin même, à chaque fois que tu veux me donner poissons chaud, tu chauffes mon
kèr, amen ! »

Le magnifique doit sa popularité de son excellent maniement du nouchi dans ses


productions satiriques comme c’est le cas de bien d’autres. Sachant que le rire est
thérapeutique et source de paix intérieure, il est possible aujourd’hui de déduire que le
nouchi contribue au bien-être des populations ivoiriennes.

-Les téléfilms et le cinéma ivoirien


Les téléfilms et le cinéma ivoirien ne sont pas en reste relativement à l’emploi du
nouchi qui vient justement révolutionner ce secteur des arts. En effet, dans les programmes
projetés par la RTI, le nouchi est bien représenté à travers les productions scéniques et/ou
art de la représentation, avec entre autres les téléfilms, les dialogues de sketches tels que “
Faut pas fâcher“ ; “Qui fait ça“ et des séries télévisées comme “Ma famille“, “Dr Boris“.
Dans le cinéma, on peut citer le titre « Le Djassa a pris feu » du réalisateur Lonesome Solo.
Un film en nouchi qui est une production cinématographique ivoirienne produite et
diffusée depuis Décembre 2009. La trame de ce film qui se déroule dans le ghetto de
Wassakara dans la commune de Yopougon se présente comme suit : Tony, un jeune
vendeur de cigarette à la rue princesse, fait tout pour s’en sortir. Mais progressivement, il
va basculer dans le ghetto et la délinquance. Il va devoir affronter son grand frère, Mike,
qui a choisi un autre chemin en devenant policier7. Le producteur du film, le franco-

7
T. R. Gbei, L’inter, N°3480 du jeudi 17 Décembre 2009.

228 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜217-236


N’Goran Jacques KOUACOU

ivoirien Alain Philippe Lacôte soutient : « Je suis fatigué de voir des acteurs qui font du
théâtre filmé. Nous avons envie de voir de nouveaux acteurs (…) »8 avec surtout de
nouvelles formes d’expressions comme le nouchi. Pour ainsi révolutionner le cinéma
ivoirien, ce producteur fait recours au nouchi qui est un phénomène sociolinguistique
d’actualité. À titre illustratif, on a le monologue introductif du narrateur dans le film qui est
produit en nouchi. Il s’agit d’une stratégie diégétique pour informer le spectateur sur
l’orientation linguistique du film (J. D. N’Zi, 2021 : 166) : Extrait : (Le djassa a pris feu, 00
min 48 – 2 min 00). Cadre : extérieur/jour, dans la rue. Monologue du narrateur face à la caméra.
Narrateur : Dans le ghetto ça djô, ça sort […] Chaque fois les petits eux i viennent eux i
rentrent ! Les vieux môgô eux i décallent, les petits viennent eux i rentrent, les vieux
môgô eux i décallent. […] Tu es en famille, le vieux môgô i science pas en pro, la
vieille science pas en pro, galère est trop. Tu djô dans le djassa. Tu peux les soutra. […]
Ouais t’as les soutra, les gens vont pas prendre drap, tu’as les soutra, même sur tous les
plans. Ce que toi là, tu es prêt pour les soutra. […] Le vieux môgô à douf, la vieille est
seule, elle est dans sêguê. Tu peux la soutra si tu veux.

L’incursion du nouchi dans ce domaine, assure sa promotion hors de la Côte


d’Ivoire9, mais en même temps, témoigne de sa capacité à impulser le développement dans
le domaine des arts en général et de l’industrie cinématographique en particulier.
-Le nouchi comme manifestation de l’identité linguistique ivoirienne
Le nouchi est un sociolecte populaire, la ‘’langue’’ des jeunes ivoiriens. R. Abolou
(2010 : 21) laisse savoir que « La niche des argots prend source dans les réseaux sociaux
pris en charge par les locuteurs en quête d’une identité linguistique dans un univers urbain
africain […] ». En tant que phénomène sociolinguistique, le nouchi est perçu par plusieurs
spécialistes de la langue (S. Lafage 1991, Kouadio 2006, R. Abolou 2010, A. L. Aboa
2011, K. Kouamé 2012, N. J. Kouacou 2020, etc.) comme la manifestation de l’identité
linguistique ivoirienne. Selon B. Ahua et A. Coulibaly 1986 cités par Lafage (2002 :
LVIII), le nouchi est emblématique pour les jeunes parce qu’ils le réclament comme
l’affirmation de leur génie créateur et leur volonté de liberté. Dès lors, le nouchi devient
leur moyen de communication privilégiée qu’ils revendiquent et dont ils en sont fiers. Dans
une interview réalisée par Kipré Alex, Nguessan Jérémie Kouadio, répondant à la question
suivante : « il y a deux langages qui ont conquis l’espace éburnéen. À l’oral c’est le nouchi,
à l’écrit, c’est le langage artificiel électronique des tics utilisé en Sms ou ailleurs. Doit-on
compter sérieusement avec elles ? » (Fraternité Matin du samedi 20 au dimanche 21 août
2016), stipule que :

Le nouchi est l’expression achevée de l’esprit de créativité des Ivoiriens. On peut


l’aimer ou pas, mais il fait désormais partie, et pour longtemps encore, du paysage
linguistico-culturel de notre pays. Nous l’avons même exporté dans la sous-région ;
mieux, de nos jours, des mots nouchi s’entendent dans les provinces françaises. C’est
notre marque de fabrique au sein de la famille francophone qui se veut multiculturelle
et multilingue.
Fraternité Matin du samedi 20 au dimanche 21 août 2016

8
Idem
9
L’extension du nouchi est d’autant remarquable que même la chaîne de télévision française France 24 consacrait le 19
Décembre 2009 quelques minutes de reportage à ce parler.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 229


De l’impact de la langue : quand le nouchi devient un outil de développement

Le nouchi ne s’est pas que popularisé en Côte d’Ivoire, il a aussi franchi les frontières
ivoiriennes pour devenir la marque de fabrique linguistique des Ivoiriens dans la
francophonie. Chose normale puisque parmi la soixantaine de langues que compte le
paysage linguistique ivoirien, aucune d’entre elles ne peut permettre aux Ivoiriens, une fois
hors du pays, de pouvoir s’affirmer linguistiquement. Seul le français jusque-là sert, tant
bien que mal, à remplir cette fonction identitaire. Or, le français, malgré tout, est une
langue importée donc étrangère. Cela dit, elle ne peut rendre fidèlement compte des
réalités culturelles et identitaires locales et traduire la vision du monde des Ivoiriens.
C’est donc à juste titre que Kube (2005) citée par L. Aboa (2011) souligne ceci :

Pour de nombreux jeunes ivoiriens, la langue officielle, le français, est celle qui
permet l’accès à la vie publique et à des postes importants. Cependant, cette langue
ne peut pas, selon eux, répondre aux besoins identitaires des Ivoiriens qui voient leur
identité mieux représentée par les langues ivoiriennes.
L. Aboa (2011 : 52)

Le français est certes la langue qui favorise l’insertion socioprofessionnelle mais


cette dernière est de loin celle qui est à même de répondre à la question de l’identité
ivoirienne (N. J. Kouacou 2020). Devant ce tableau, le nouchi semble être une alternative
à saisir, le temps de permettre à une langue locale ivoirienne d’émerger à l’échelle
nationale comme langue véhiculaire. Si le nouchi peut jouer ce rôle alors l’on doit
reconnaître qu’il est un vecteur de développement socioculturel.
2.3. Le nouchi, objet de recherche
Dans sa préface de l’ouvrage Cheminements Linguistiques : mélanges en hommage à
N’Guessan Jérémie Kouadio (2016), Adama Coulibaly, relève ceci :
L’Université est une citée codifiée, normée […] Elle a aussi ses pratiques dont l’une
des plus importantes est son rapport au savoir. L’universitaire, le chercheur, a
vocation à faire de tout, objet de savoir, non par souci de démontrer qu’il sait, qu’il
connait mais parce que, du questionnement des évidences, naissent les questions qui
questionnent.
Préface

La portée de la recherche universitaire, scientifique suppose qu’aucun domaine du savoir


ne soit laissé pour compte ; bien au contraire elle consiste à prendre en considération tous
les sujets et phénomènes d’intérêt national ou international qui touchent directement à
l’humanité et à en faire de potentiels champs de recherche qui, en impulsant le
développement scientifique, puisse générer des retombées à exploiter aux bénéfices des
populations. Si, comme le dit Adama Coulibaly, la vocation du chercheur est de faire de
tout, objet de savoir, le choix du nouchi comme champ d’étude à explorer s’avère
nécessaire et prometteur pour la recherche linguistique. C’est justement dans ce sens que
travaillent des structures comme l’Institut de Linguistique Appliquée (ILA) en Côte
d’Ivoire, chargée de la description des langues locales ivoiriennes. En effet, les chercheurs
en langues et en lettres ne cessent de produire des travaux scientifiques (mémoires, thèses,
articles et ouvrages) sur le nouchi pour confirmer son intérêt en tant qu’objet de recherche.
À titre illustratif, l’on peut faire référence à des :

230 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜217-236


N’Goran Jacques KOUACOU

Mémoires et thèses
N. J. Kouacou, 2015, Le nouchi en Côte d’loire : description d’une variété de français en pleine
évolution, Thèse de doctorat, Université Félix Houphouët-Boigny ; J.-C. Dodo, 2015, Le nouchi :
étude linguistique et sociolinguistique d’un parler urbain dynamique, Thèse de doctorat,
Université Félix Houphouët-Boigny ; L. B. Grah, 2014, Le nouchi : une langue en devenir ?
Norvège, Mémoire de Master, Université des Sciences et Techniques de Norvège ; W. G.
Gogoua, 2006, Etude du lexique de « Ghich », journal humoristique de Côte d’lvoire, Mémoire de
maîtrise, Université de Cocody ; N. J. Kouacou, 2008, Analyse lexico-sémantique du nouchi, une
variété de français en Côte d’Ivoire, Mémoire de DEA, Université de Cocody ; F. Kouakou, 2002,
La description systématique de l’argot des jeunes de Côte d’Ivoire : le nouchi et ses variantes,
Mémoire de DEA, Université de Cocody.

Articles scientifiques
N. J. Kouacou, 2016, « Le nouchi en Côte d’Ivoire : regard sur un parler jeune ivoirien, trois
décennies après sa naissance », in Cheminements Linguistiques, EUE ; K. J.-M. Kouamé, 2012,
« Le nouchi : creuset de la diversité culturelle et linguistique de la Côte d’Ivoire », in
Francopolyphonie ; A. A. Aboa, 2011, « Le nouchi a-t-il un avenir ? », in Sudlangues, n° 16 ;
M. B. Ahua, 2010, « Lexique illustré du nouchi ivoirien : quelle méthodologie ? », in Le français
en Afrique, n° 25 ; M. B. Ahua, 2006, « La motivation dans les créations lexicales en nouchi », in
Le français en Afrique, n° 21 ; N. J. Kouadio, 2006, « Le nouchi et les rapports dioula-français
», in Le français en Afrique, n° 19 ; N. J. Kouadio, 1990, « Le nouchi abidjanais, naissance d’un
argot ou mode linguistique passagère ? », in Gouaini/Thiam (éds.), Des langues et des villes.

Ouvrages
G.-A. Kadi, 2017, Le nouchi de Côte d’Ivoire : dictionnaire et anthologie (Plus de 1000 mots et
expressions usuels), L’Harmattan ; Ministère de la culture et de la francophonie de Côte d’Ivoire,
2009, « Le nouchi, mal de vivre de la jeunesse ou alternative possible d’une identité ivoirienne
en construction », in Actes du séminaire de réflexion sur le nouchi.
Ces travaux, parmi tant d’autres, montrent que le nouchi est un champ d’étude productif.
Les études existant sur le nouchi se sont effectuées dans divers aspects de la langue et
dans la progression du temps. Cependant, il s’agit d’un parler encore instable dont la
caractérisation tant linguistique que sociolinguistique reste complexe à définir.
Il est vrai qu’au niveau de la description linguistique, plusieurs aspects ont été
abordés ou ébauchés, néanmoins des domaines comme l’énonciation et la
pragmatique demeurent encore inexplorés dans l’étude du nouchi. Par rapport à la
syntaxe, la morphosyntaxe et la phonétique, des travaux ont émergé (N. J. Kouacou
2015, J. C. Dodo 2015) mais il y a encore matière à réflexion sur ce champ. Le lexique
du nouchi, bien qu’étant riche et ayant été abondamment décrit ne suffit pas pour
rendre compte de tous les contours du fonctionnement du nouchi. Cela dit, l’étude du
nouchi est une quête à poursuivre.
N. J. Kouacou, 2016 : 487)

Ces divers travaux donnent la preuve que l’impact du nouchi ne passe plus
inaperçu, même les politiques ivoiriennes mesurent de plus en plus la portée du nouchi en
Côte d’Ivoire. C’est ainsi qu’il se tiendra à Grand-Bassam, du 17 au 19 Juin 2009, sous
l’égide du Ministère de la culture et de la francophonie ivoirienne, un séminaire
scientifique sur le nouchi avec le thème : « Le nouchi, mal de vivre de la jeunesse ou
alternance d’une identité ivoirienne en construction ». Ce séminaire de réflexion qui a
réuni linguistes, ethnologues, littéraires, sociologues et spécialistes des arts avait pour

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 231


De l’impact de la langue : quand le nouchi devient un outil de développement

objectif :
D’esquisser un profil de grammaire de code ; de proposer un mécanisme de
sauvegarde et de vulgarisation du nouchi et d’arrêter une stratégie susceptible de faire
du nouchi, à terme, une alternative crédible pour la construction d’un label ivoirien
dans un contexte de diversité culturelle et spécifiquement, de multilinguisme.
Actes du séminaire de réflexion sur le nouchi à Grand-Bassam (2009 : 10)

La mise en œuvre d’un tel projet laisse comprendre que le nouchi est en passe de devenir
une alternative nécessaire pour la construction d’un label linguistique ivoirien qui soit
profitable aux Ivoiriens ainsi qu’à toute la francophonie une fois en terre ivoirienne. C’est
justement cette vision qui a inspiré Germain-Arsène Kadi pour la réalisation son œuvre Le
nouchi de Côte d’Ivoire : dictionnaire et anthologie susmentionnée. Dans l’épilogue de
l’ouvrage, l’auteur note ceci :
L’importance du nouchi dans les créations artistiques actuelles rendait nécessaire
l’élaboration d’un dictionnaire et d’une anthologie en vue de facilité la réception de
ces œuvres par des locuteurs étrangers. À travers cet ouvrage, nous espérons
également familiariser les autres lecteurs francophones et les futurs visiteurs de la
Côte d’Ivoire avec ce créole ivoirien, l’une des principales attractions touristiques
d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne.

Avec ces différentes investigations et trouvailles sur le nouchi, il est possible de soutenir
que ce parler contribue au développement de la recherche linguistique mais également à la
promotion de la diversité culturelle ivoirienne.

3. Discussion : le nouchi comme outil de travail, de développement


Après avoir situé le dynamisme du nouchi dans les secteurs d’activité en Côte
d’Ivoire, il importe de discuter de son impact réel aujourd’hui, principalement de sa
capacité à se positionner comme outil de travail, vecteur de développement.

3.1. Le nouchi, une alternative linguistique pour les travailleurs illettrés


La langue est un système de signes qui permet à une communauté d’individus de
communiquer entre eux et de se comprendre. La force de la langue réside donc en premier
lieu dans sa fonction véhiculaire. C’est dans la langue qu’on communique, qu’on donne
l’information, qu’on instruit. C’est également dans la langue qu’on vend, qu’on achète,
qu’on dicte la loi, qu’on juge, etc. En Côte d’Ivoire, la langue qui remplit toute cette
fonction c’est le français qui, malheureusement, n’est compris et parlé que par une partie
de la population. De nombreux Ivoiriens non scolarisés ne peuvent maîtriser le français
standard qui est la langue officielle, celle des institutions et de l’insertion sociale. Sachant
que l’usage des langues maternelles ne donne pas accès à l’emploi, ces derniers sont
obligés de s’approprier le français pour pouvoir mener une activité. Mais étant illettrés, ils
sont amenés à l’apprendre sur le tas, entre nécessité et insécurité linguistique. À ce niveau,
plusieurs d’entre eux recourent au nouchi qui admet l’hybridation linguistique (français -
langues locales ivoiriennes - mots fabriqués). Le nouchi devient là une alternative
linguistique dans l’exercice de leurs métiers, de leurs activités. Ce parler sera pour ceux-ci
un outil de travail puisque c’est à partir de ce code qu’ils pourront interagir avec les autres.
Cela sous-entend que pour s’adresser officiellement à cette classe sociale, il faut aussi
recourir au nouchi. Par exemple, s’il y a des messages gouvernementaux à adresser à tous

232 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜217-236


N’Goran Jacques KOUACOU

les citoyens, relatifs aux devoirs civiques, à la santé, à l’hygiène public ou aux attitudes à
proscrire (excès de vitesse, banditisme, drogue, etc.), et qu’ils ne sont transmis qu’en
français standard, les non scolarisés ne pourront pas les comprendre ; par conséquent,
l’objectif général visé ne sera pas atteint. A contrario, si, à côté du français normé, ces
messages de sensibilisation sont aussi transmis en nouchi, cela permettra aux locuteurs
dudit parler de saisir les consignes édictées, ce qui peut déboucher sur le changement de
comportement. C’est à ce niveau que le nouchi devient nécessaire.

3.2. Le nouchi, facteur de promotion de la diversité linguistique et des faits socioculturels


Au plan culturel, le nouchi est en train de jouer un rôle important étant donné qu’il
transpose en lui les réalités locales ivoiriennes ; raison pour laquelle ce parler est prisé
dans les activités socioculturelles, artistiques et dans le show-biz. Son emploi dans la
musique moderne ivoirienne, les médias, le cinéma et dans le domaine de l’humour
démontre en effet que les messages produits dans ce parler sont bien cernés par le public ;
mais surtout que les stéréotypes dont on le taxait au départ sont aujourd’hui de l’ordre du
passé. Fort de cela, l’on peut affirmer que l’usage du nouchi crée une plus-value
économique pour tous les acteurs (Actes du séminaire de réflexion sur le nouchi à Grand-
Bassam (2009 : 41).) (artistes, producteurs, rédacteurs de journaux satiriques, etc.) qui
s’en servent. Actuellement, des artistes musiciens et humoristiques comme Asalfo (groupe
Magic Systèm), Nach, Le Magnifique, etc. connaissent une percée pour avoir associé le
nouchi dans leur art. C’est bien en connaissance de cette réalité que le journaliste Germain
DJA dira que le nouchi est un langage qui réussit bien aux artistes (L’inter N°3334 du
jeudi 25 Juin 2009).

3.3. Le nouchi comme levier de rentabilité


Tout code remplissant une fonction véhiculaire peut servir à des fins
communicatives précises pouvant impacter des activités socioprofessionnelles ou
socioéconomiques. Un tel code peut, à tout moment, être objet d’emploi par des organismes
dans l’exercice de leurs activités pour l’atteinte de certains objectifs de rentabilité.
Certains annonceurs l’ont compris, c’est pourquoi ils utilisent souvent les parlers urbains
dans leurs panneaux et spots publicitaires, l’objectif étant de gagner de la clientèle et faire
vendre leur produit plus facilement. L’usage du nouchi par les entreprises et médias
ivoiriens répond sans doute à ce besoin. Selon O. E. Dogny (2019 : 280), l’intensité de
l’affichage des panneaux publicitaires est révélatrice d’une réalité économique dynamique
qui met en concurrences les entreprises. Celles-ci, voulant s’imposer comme leader dans
leur domaine d’activité, opte pour diverses stratégies commerciales impliquant aussi bien
les outils des NTIC, les faits d’actualité que l’usage de parlures urbains. À ce propos, le
nouchi est très sollicité car permettant à ces entreprises d’y trouver des termes et
expressions originaux pour capter l’attention de leur cible, les jeunes en l’occurrence, qui
constitue la partie la plus sensible et importante de la population ivoirienne. C’est par
exemple le cas des sociétés de consommation et des compagnies de téléphonie comme il a
été dit plus haut.L’usage du nouchi par ces dernières peut répondre à plusieurs raisons.
L’on en retiendra ici deux principales : la stratégie commerciale et l’efficacité de la
communication :
- La stratégie commerciale : l’usage du nouchi aujourd’hui par les entreprises
s’inscrit dans le contexte de la stratégie commerciale. Il s’agit d’utiliser ce que les jeunes
aiment, ce qu’ils font habituellement, pour construire un message publicitaire à même de

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 233


De l’impact de la langue : quand le nouchi devient un outil de développement

les atteindre, de les intéresser pour les amener à avoir un penchant pour les produits de
l’entreprise annonceuse.
- L’efficacité de la communication : cette raison est liée à la précédente et vise
l’impact de la communication, du message diffusé. La communication est efficace lorsque
le message publicitaire s’adapte à la manière de pensée et de parler de la cible (ici les
jeunes citadins ivoiriens). Cette quête amène l’entreprise annonceuse à épouser, adopter le
langage de la cible pour se faire aussi adopter par elle. De la sorte, ladite cible sera
amenée à préférer ses produits et prestations par rapport à ceux d’autres entreprises
concurrentes. Sachant, en effet, que la Côte d’Ivoire a une population jeune, ces
annonceurs sont de plus en plus portés à recourir aux formes langagières qu’emploie cette
frange de la population pour faire passer leurs messages. Ils le font justement pour toucher,
gagner le plus grand nombre avec pour finalité d’élargir leur clientèle et ainsi de réaliser
des gains. Dans ce contexte, le nouchi devient utile car permettant aux entreprises
commerciales de remplir ces deux critères pour développer leurs activités, leurs
productions. La société de transfert monétique Wave, ayant parfaitement saisi l’impact du
nouchi sur la jeunesse ivoirienne, s’en est servir pour composer son slogan publicitaire :
(14) WAVE Ton djê est calé « Wave, ton argent est positionné ». Ce message publicitaire a
été pratiquement bien reçu par les Ivoiriens et le résultat a été sans appel. Ainsi,
récemment implanté en Côte d’Ivoire, Wave a connu un boom pour avoir su employer le
nouchi pour lancer son produit, en plus d’avoir adapté les coûts de ses prestations à la
bourse des jeunes. Cet essor a même eu un impact sur les compagnies de téléphonie
mobile exerçant depuis dans le même domaine qui ont dû, elles-aussi, baisser les coûts de
leurs prestations au grand bénéfice de la population. Bien d’autres structures mesurent la
portée du nouchi et en font usage au quotidien pour appâter la clientèle et ainsi rentabiliser
leurs activités. Il n’est donc pas prétentieux de dire actuellement que le nouchi est facteur
de développement.

Conclusion
Le nouchi constitue ces dernières années l’un des phénomènes ivoiriens les plus
marquants. Taxé jadis de langage de déchirement social (Z. Grékou 1987), apanage des
délinquants, ce parler est parvenu à se libérer de ce carcan pour revêtir une image
appréciable en devenant le moyen de communication privilégié des jeunes citadins en Côte
d’Ivoire. En tant que parler mixte, le nouchi se présente comme le creuset de la diversité
culturelle et linguistique ivoiriennes (K. Kouamé, 2012). La place du nouchi dans le
domaine culturel ivoirien est d’autant réelle qu’il fait désormais partie des modes
d’expressions beaucoup utilisés dans l’humour ainsi que dans la plupart des genres
musicaux modernes en Côte d’Ivoire. On peut ainsi le retrouver dans le rap, le reggae, le
coupé décalé et surtout le zouglou. Son impact est également observable au quotidien dans
la vie des Ivoiriens à travers les téléfilms, les médias (radio, télévision, presse écrite,
panneaux publicitaires, internet), le transport urbain, les petits métiers, le commerce
informel, en plus d’être objet d’étude dans de nombreux travaux de recherche. Tout cela
témoigne visiblement de sa fonction véhiculaire et de son dynamisme dans les secteurs
d’activités en Côte d’Ivoire. Comme le dit W. F. Mackey :
L’importance d’une langue n’est pas due à sa valeur linguistique internationale, à la
forme de ses mots ou aux structures de sa grammaire. C’’est plutôt sa fonction comme
véhicule qui permet de communiquer qui est important […]. Toutefois, une langue
possède en elle-même une importance qui provient des peuples qui l’utilisent, de leur

234 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜217-236


N’Goran Jacques KOUACOU

nombre, de leur richesse, de leur mobilité, de leur production culturelle et


économique, facteurs dont la somme constitue ce que nous appelons la puissance
innée de cette langue.
W. F. Mackey (1976 : 201)

De ce point de vue, le nouchi a toute sa place au sein de la société ivoirienne


dès lors qu’il est d’une utilité pour la promotion des faits socioculturels, identitaires et
artistiques ivoiriens. Cet emploi utilitaire du nouchi permet effectivement d’apprécier son
impact comme moyen d’échange et d’information. Même si ce parler demeure encore dans
l’informel, et qu’il n’a aucun statut officiel ou prestigieux, ses fonctions véhiculaire et
utilitaire sont apparentes. Avec ce statut, il est possible de dire que le nouchi est un
instrument de travail qui sert d’outil de développement (socioprofessionnel et/ou
socioéconomique) à ses usagers. Faisant désormais partie du paysage linguistico-culturel
de la Côte d’Ivoire, il semble déjà en cohabitation concurrentielle avec le français standard
et les langues locales ivoiriennes.

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Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 235


De l’impact de la langue : quand le nouchi devient un outil de développement

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Articles de journaux consultés


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Fraternité Matin, samedi 20 au dimanche 21 août 2016, interview accordée à
Kouadio N’guessan Jérémie.
Dja, G. Le nouchi, une langue qui réussit bien aux artistes, L’inter, N°3334 du Jeudi 25
Juin 2009.
Gbei, T. Un Film 100% nouchi, L’inter, N°3480 du jeudi 17 Décembre 2009.

236 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜217-236


Kanni Florence TROH & Fiéglo Lopez GNONSIAN

ANALYSE SOCIOLINGUISTIQUE DES PROVERBES WÊ :


FORMES ET VALEURS

Kanni Florence TROH


Doctorante, Sciences du Langage
Université Félix Houphouët-Boigny
[email protected]
&
Fiéglo Lopez GNONSIAN
Doctorant, Sciences du Langage
Université Félix Houphouët-Boigny
[email protected]

Résumé : Cet article propose une analyse sur la structure formelle des énoncés
proverbiaux wê (guéré-wobé) tout en définissant leurs différentes valeurs. Les
Wê en effet, bien qu’étant dissociés dans leurs appellations telles que Guéré et
Wobé depuis l'époque coloniale, forment un même continuum ethnolinguistique
wê (L. Marchese : 1983). Car, partageant des points communs au niveau
culturel, social, politique, économique, en plus de cohabiter sur le même espace
géographique. On les retrouve aussi bien à l’Ouest de la Côte d’Ivoire dans les
régions du Guémon et du Cavally, et au Liberia sous l'appellation de Krahn.
L'ensemble Wê se compose en Côte d'Ivoire des Wobé (kwéá̰ɷ̰̀) au nord et des
Guéré (zɔ̰̀bà̰ɷ̰̀) au sud (Gnonsian : 2019). C’est au niveau linguistique que l'on
pourrait observer des variétés entre le parler guéré et le parler wobé. C’est donc
une manière pour nous de montrer que les guéré et les wobé étant un même
peuple, partagent les mêmes valeurs. Cela, à travers une analyse
sociolinguistique des proverbes wê. Il sera question pour nous de montrer d’une
part, les caractéristiques syntaxiques des énoncés proverbiaux wê ; qui
pourraient être soit des énoncés simples, soit des énoncés complexes. Et d’autre
part, il s’agira pour nous de distinguer les valeurs dites générales de premier
niveau d’interprétation et des valeurs dites secondaires. On pourrait identifier
au premier niveau, les valeurs éthiques et didactiques. Au second niveau, il peut
s’agir de plusieurs valeurs : sociales, économique, psychologique historiques,
etc.

Mots-clés : proverbes, wè (guéré-wobé), formes, valeurs, Côte d’ivoire

SOCIO-LINGUISTIC ANALYSIS OF WE PROVERBS: FORMS AND VALUES

Abstract: This article proposes an analysis of the formal structure of Wê


proverbial statements (Guéré-Wobé) while defining their different values.
Although the Wê have been dissociated in their names such as Guéré and Wobé
since colonial times, they form the same Wê ethnolinguistic continuum (L.
Marchese: 1983). This is because they share common cultural, social, political
and economic characteristics, as well as cohabiting in the same geographical
area. They can be found in the west of Côte d'Ivoire in the Guémon and Cavally
regions, and in Liberia under the name of Krahn. The Wê group in Côte d'Ivoire

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 237


Analyse sociolinguistique des proverbes wê : formes et valeurs

is composed of the Wobé (kwéá̰ɷ̰̀) in the north and the Guéré (zɔ̰̀bà̰ɷ̰̀) in the
south (Gnonsian: 2019). It is at the linguistic level that we could observe
varieties between Guéré and Wobé speech. It is therefore a way for us to show
that the Guéré and the Wobe, being the same people, share the same values.
This is done through a sociolinguistic analysis of Wê proverbs. On the one hand,
we will show the syntactic characteristics of Wê proverbial statements, which
could be either simple or complex statements. On the other hand, we shall
distinguish between the so-called general values of the first level of
interpretation and the so-called secondary values. At the first level, we could
identify ethical and didactic values. At the second level, it can be several values:
social, economic, historical psychological, etc.

Keywords: proverbs, wè (guéré-wobé), forms, values, Ivory Coast.

Introduction
En pays Wè, tout comme plusieurs peuples, il y a divers moyens pour véhiculer sa
pensée ou un message, soit pour interpeller, soit pour critiquer ou décrier un fait, soit pour
éduquer, enseigner, faire prendre conscience ou instaurer des ‘’interdits’’ . Les proverbes
sont le moyen le plus approprié, car ils renferment dans leur majorité, une profondeur
sémantique qui laisse transparaitre le locuteur dans toute sa dimension existentielle à travers
ce qu’il énonce comme le disait Jacques Fedry : 2014) en ces termes : « l’Homme, c’est la
parole ». La parole, c’est ce qui détermine l’Homme. Car, c’est à travers ce qu’il dit et la
manière dont il s’y prend qui en fait sa particularité parmi les siens. C’est cet art de parole
implicite qui ramène à l’usage la parole, même quand les sages arrivent à perdre le fil du
discours. Ahmadou Kourouma (2011 :143), en renchérit par cette expression : « le proverbe
est le cheval de la parole. Quand la parole se perd, c’est grâce aux proverbes qu’on la retrouve ».
A travers donc cette ironie proverbiale, le Wè exprime et partage sa vision du monde relevant
des tas de sociétés d’où il tire constamment son expérience. Derrière ces simples énoncés,
le Wê révèle des vertus de conseils, de prescriptions, de respect, etc. L’objectif est donc de
montrer que les Wê (wobé-guéré) partagent les mêmes valeurs culturelles par le biais de
leurs proverbes. Les proverbes bien que gage de la sagesse des ancêtres sont avant tout, des
énoncés linguistiques. Alors, sous quelles formes se présent-ils ?, et quelles sont les valeurs
qu’ils véhiculent ? Dans ce travail, il sera question de montrer d’une part, les formes
syntaxiques des énoncés proverbiaux qui pourraient être, soit des énoncés simples, soit des
énoncés complexes. Et d’autre part, de déterminer les différentes valeurs que peuvent
véhiculer les proverbes wê. On peut identifier dans ces proverbes, plusieurs valeurs en plus
des valeurs sociale, éthique, didactique et rhétorique.

1. Cadre théorique
Pour mener cette réflexion, nous nous sommes appuyés sur la syntaxe fonctionnelle
et la théorie des actes du langage. La pensée fonctionnaliste d’André Martinet (1908-1999)
se situe dans la droite ligne du structuralisme européen élaboré par Saussure. Le principe
théorique de base de la linguistique de Martinet est sa définition de la langue comme
instrument de communication doublement articulé et de la manifestation vocale (1991:20).
Le cadre théorique utilisé dans ce travail est celui des actes du langage développé par John
L. Austin, John R. Searle et Paul H. Grice (1911-1960). Cette théorie postule que

238 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜237-250


Kanni Florence TROH & Fiéglo Lopez GNONSIAN

l’interprétation d’un énoncé est selon son contexte d’emploi; elle relève donc de la
pragmatique.

2. Cadre théorique
Notre corpus s’est formé à partir d’enregistrement écologique d’une part, et d’autre
part, d’entretien semi-directif, lors d’une cérémonie dédiée à notre accueil pendant une
enquête de terrain dans la région du Guémon. Certains jeunes du village ne pouvant prendre
la parole en présence des chefs nous ont rejoint après ladite cérémonie et ont permis
d’enrichir notre corpus. Car, à l’instar de la majeure partie des cultures africaines, en pays
wê, le moins âgé ne profère pas de proverbe en présence des plus âgés.

3. Formes des proverbes wê (wobé-guéré)


Les proverbes wê se présentent sous deux formes notamment les formes simples et
les formes complexes.

3.1 Proverbes à formes simples


Pour Andrédou et N’gou : 2019, le proverbe à syntaxe simple est construit en une
seule proposition. Dans les proverbes wê ci-dessous, on remarque essentiellement une seule
proposition.
1) wobé : [blǔ ɛ̌ pō ɲɔ̰́ srɛ́ j ī
Guéré : - ɓlōà ̌
ɛ pǒ ɲɔ̰́ srɛ́ ì]
N 3Sg.Nég V N N Inst
Terre elle-Nég pouvoir homme mensonge Inst
« La terre, elle ne peut mentir à l’homme. »
« La terre ne trahit pas. »

L’énoncé (1) présente une forme syntaxique SVO1O2. C’est-à-dire Sujet + Verbe+ Objet1+
Objet 2. La construction syllabique donne le schème suivant :
N + Pron.Nég + V + N + N.

2) wobé : [tɔ́ ɔ̌ blè ɲɔ̰́


Guéré : - tɔ́ ɔ̌ ɓlè ɲɔ̰́]
N 3Sg V N
Sagesse il avoir homme
« L’homme sage gouverne. »

3) wobé : [ā̰ sʋ̰̄ nɩ̰ ́ ā̰ ɲɔ̰́


Guéré : - ma̰ sʋ̰̄ nɩ̰ ́ ma̰ ɲɔ̰́]
Poss-1Sg N Cop-Etre Poss-1Sg homme
« C’est ma main qui est mon parent. »
« On est jamais si bien servi que par soi-même. »

Les énoncés (2) et (3) ci-dessus montrent les structures SVO à caractère copulatif. Autrement
dit, les verbes de ces énoncés proverbiaux sont les auxiliaires /ɓlè/ « avoir » et /nɩ̰ ́/ « être ».
Les schèmes sont de structures suivantes :

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 239


Analyse sociolinguistique des proverbes wê : formes et valeurs

- N + Pron + Cop + N
- Poss + N + Cop + Poss + N.

4) Wobé: [ɲɔ̰́ blè í ɔ̌ ɗɓà mʋ́


Guéré : - ɲɔ̰́ ɓlè í ̌
ɔ ɗɓà mɷ̰́ ı̰ ̀
N V Ag 3Sg-Nég V N Inst]
Homme avoir Ag il tuer corps Inst
« Celui qui conduit un groupe ne fait pas de différence »
« Le leader ne fait pas de discrimination. »

5) wobé : [sé bɛ̄ɛ ɩ̰ ́ kɛ̰̄ blé wı̰̍ ō wı̰̍


Guéré : - sé ɓɛ̌ jè gɩ̰ ́ ɓlé zɔ̰̀ ō zɔ̰̀]
Nég pouvoir Fut-2Sg raison avoir jour Inst jour
« Tu ne peux pas toujours avoir raison. »
« Un sage trouve toujours un autre sage. »

A travers les énoncés (4) et (5), l’on voudrait mettre en exergue la négation dans le
dire proverbial wê. En effet, les wê utilisent aussi bien la forme affirmative que la forme
négative dans la formulation des proverbes. Et la négation peut être marquée ou tonale,
comme c’est le cas en (4) où la négation est tonale et assurée par le ton bas-haut sur le
pronom /ɔ̌/. Ce pronom qui est la reprise du sujet est antéposé au verbe. En (5), la marque
de la négation est perçue par le morphème /sé/ en début d’énoncé. Voici respectivement les
structures et schèmes en (4) et (5) :

SVO = N + Pron.Nég + V + Compl + N


VSO = Nég + V + Pron + N + Cop + Compl.

Les énoncés proverbiaux wê de formes simples sont en général verbaux et se


construisent en une proposition. Ce sont : SVO1O2 ; SVO, VSO. On observe trois spécificités
dont la pronominalisation fréquente du sujet, l’utilisation de copule et l’usage de la forme
négative. En plus des proverbes simples, notre corpus présente les énoncés proverbiaux
complexes.

2.2 Proverbes à formes complexes


Cette partie décrit les proverbes complexes dont l’expression se fait en deux ou
plusieurs propositions. D’après Brouth : 2015, On appelle phrase complexe un énoncé qui
s’exprime en deux ou plusieurs propositions diversement agencées et comporte deux ou
plusieurs verbes exerçant la fonction verbale.

-Proverbes complexes temporels


La proposition temporelle est une proposition introduite par une conjonction de
subordination qui exprime la simultanéité dans le temps.

240 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜237-250


Kanni Florence TROH & Fiéglo Lopez GNONSIAN

6) wobé : [pò jú flǔ ɔ́ sjɛ̌ ɔ́ ɗé a pɛ̰́ nà


Guéré : -ɓò ɟú vlù ɛ̀ ɔ̌ sjɛ̀ ō ɔ̌ ɗōù wa pɛ̰́ɩ̰̀
Locut N V Inter. 3Sg V Insist Poss-3Sg N Poss-3Sg N Loc]
Quand enfant murir Interjec il rester Insist sa mère sa place
« Quelle qu’elle soit la grosseur de l’enfant, il y a toujours de la place pour sa mère sur la
couchette »

7) wobé : [pò blaó jē mā̰ wɛ̀ ɛ́ mā̰ jē blǔ mù]


Guéré : -ɓó tílè jé mǎ̰ ɛ̌ mǎ̰ ɗé ɓlṵ́ mɷ̰̀ Loc
Locut N Fut V Insit. 3Sg V Loc N Loc]
Quand termitière Fut sécher elle sécher Loc sable Loc
« Quand la termitière sèche elle devient la terre »

Les énoncés (6) et (7) présentent des constructions complexes temporelles introduites par la
conjonction de subordination /pò/ et /ɓó/ « quand ». Dans leurs constructions temporelles,
ces énoncés complexes ont la proposition subordonnée temporelle en position initiale suivie
de la proposition principale. Prenons l’exemple de l’énoncé (7) ci-dessus. On a :

7. a) [pò blaó jē mā̰wɛ̀] (proposition temporelle subordonnée)


/pò/ quand + /blaó/ termitière + /jē/ Insist. + /ma w
̄ ɛ̀/ secher.là
« Quand la termitière sèche »

7.b) [ɛ́ mā̰ jē blǔ mù] (proposition principale)


/ɛ́/ 3e Sg + /mā̰/ sécher /jē/ Acc. + /blǔ/ terre + /mù/ dedans
« Elle sèche dans la terre et devient la terre. »

-Proverbes complexes parataxes


Pour Adou : 2018, les énoncés proverbiaux en forme de parataxe juxtaposent deux
propositions sans toutefois relier par une particule de subordination ou de coordination, mais
le rapport de dépendance existant entre elles.

8) wobé : [ cɩ́ ɛ̌ wlɛ́ cɩ́ ɛ̌ wlú kɔ̀ kpà


Guéré : - ɟì ɛ̌ wlúɛ̀ ɟì ɛ̌ wlṵ́ kɔ̌ kpà]
N 3Sg V N 3Sg-Nég V N N
Panthère elle ne pas accoucher panthère elle accoucher cochon os
« La panthère engendre la panthère, elle n’engendre pas la biche. »
« La pérennisation des valeurs est assurée par celui qui est digne du précurseur»

9) wobé : [ɲɔ̰́ sē bòá blé ɔ̌ dí klɔ́a dìnmí


Guéré : -ɲɔ̰́ sé à ɓó ɓlé ɔ̌ ɗı̀ ̀ kwlá nmíí]
Homme Nég Inst papa avoir 3Sg. Nég manger brousse manger viande
« Celui qui n’a pas de père ne mange pas la viande de brousse. »
« L’orphelin se contente de ce qu’on lui donne. »

Les énoncés (8) et (9) présentent des énoncés complexes en forme de parataxe. Ils
comportent chacun deux propositions juxtaposées. Observons les exemples (9.a) et (9.b).
9.a) [ɲɔ̰́ sē bòá blé] (première proposition)

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 241


Analyse sociolinguistique des proverbes wê : formes et valeurs

/ ɲɔ̰́/homme + /sē/Nég + /bòá/papa + /blé/avoir


« Celui qui n’a pas de père. »

9.b) [ɔ̌ dí klɔ́a dìnmí] (deuxième proposition juxtaposés)


/ɔ̌/3.Sg + /dí/manger + /dì/de + /nmí/viande
« Il ne mange pas la viande de brousse. »

-Proverbes complexes clivés


Pour Vahoua : 2015, la proposition clivée est une proposition introduite par un morphème
clivé ou un morphème présentatif qui sert à désigner ou à présenter une chose ou une
personne.
10) wobé : [nàwɛ́ bléa srɛ̌ ɛ́mɛ̄ pō jrɷ̌ jé wā wɛ̰í]
Guéré : - nɛ̰́mɛ̰́ ɓléá srɛ̌ ɛ́mɛ̰̄ pō ɗrǒ ɓo ɟè wɛ̰́ı̰̄]
N V N Présent V N Loct N N
Oiseau avoir ruse c’est lui mettre nid Loc. route en bordure
« Un oiseau rusé fait son nid en bordure de route. »
« La chance sourit aux audacieux. »

11) wobé : [ɲɔ̰́ ɟùá sɛ̰̍ ɔ́mɔ̰̀ ɲɔ̰́ tó sɛ̰̍ jī]


Guéré : - ɲɔ̰́ ɟìɓá sānū ɔ́mɔ̰̀ ɲɔ̰́ tɔ̰̌ sānū Inst
N V N Présent N V N Inst.
Homme connaitre or Insist C’est lui montrer or envers
« C’est à celui qui connait de l’or que l’on montre de l’or. »
« On ne présente de l’or qu’à celui qui en connaît la valeur. »

Dans l’énoncé (10), la proposition clivée est introduite par le morphème présentatif
/ɛ́mɛ̄/ « c’est lui» spécifique à la classe non humaine, car ici il renvoie à /nàwɛ́/ ou
/nɛ̰́mɛ̰́/« oiseau ». Dans l’énoncé (11), la proposition clivée est introduite par le morphème
présentatif /ɔ́mɔ̰̀/ « c’est lui » de la classe humaine car elle renvoie à un être humain /ɲɔ̰́/
« homme ». On remarque en général que l’ensemble des énoncés proverbiaux complexes se
construisent en deux propositions. Dans les énoncés complexes temporels, la première est la
proposition subordonnée et la deuxième qui la suit en est la principale. La proposition
temporelle est toujours en position initiale introduite par la conjonction de subordination /pò/
ou /ɓó/ « quand ». Les complexes parataxes, elles sont composées de deux propositions
juxtaposées. Et les complexes clivés se formulent également en deux propositions avec les
morphèmes clivés /ɛ́mɛ̄/ « c’est lui » et /ɔ́mɔ̰̀/ « c’est lui ». Lorsqu’on utilise /ɛ́mɛ̄/, c’est pour
désigner une classe non humaine. Et lorsqu’on utilise /ɔ́mɔ̰̀/, c’est pour désigner une classe
humaine.

3.Valeurs des proverbes wê


Il est question faire une interprétation pragmatico-culturelle des proverbes
wê. Ces proverbes renferment plusieurs valeurs dont nous relèverons quelques-unes
selon les conditions d’emploi. Mais, il convient de rappeler que dans la pratique, un
proverbe peut être évoqué dans plusieurs contextes en fonction des situations. De
façon générale, tous les proverbes sont éthiques. Mais, pour une analyse structurée,
on peut observer les valeurs de premier et de second niveau d’interprétation.

242 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜237-250


Kanni Florence TROH & Fiéglo Lopez GNONSIAN

3.1. Valeurs de premier niveau


Les valeurs de premier niveau sont d’ordre expressif, rhétorique, didactique et
éthique.

-Valeur expressive
Dans leurs expressions, les proverbes wê utilisent des images tels que le rat, le singe,
le chien, l’oiseau, l’hyène, la panthère, la biche, l’eau, le soleil, la terre, la termitière etc.
Ces images s’adaptent à diverses situations auxquelles participent les membres de la
communauté. Le proverbe ci-dessous en est une illustration par l’image de la panthère.

12) wobé : [cɩ́ ɛ̌ wlɛ́ cɩ́ ɛ̌ wlú kɔ̀ kpà


̌
Guéré : - ɟì ɛ wlúɛ̀ ɟì ɛ̌ wlṵ́ kɔ ̌ kpà]
N 3Sg V N 3Sg-Nég V N N
Panthère elle ne pas accoucher panthère elle accoucher cochon os
« La panthère engendre la panthère, elle n’engendre pas la biche. »
« La pérennisation des valeurs est assurée par celui qui est digne du précurseur»
La panthère est considérée en pays wê comme étant le roi de la forêt. Alors Ainsi, l’usage de
son image transmet un signal fort et cette image incarne la force, l’autorité, ce qui est le plus
redouté, le cerveau.

-Valeur rhétorique
La valeur rhétorique est en usage, car s’exprimer avec le proverbe, c’est
raisonner, développer son esprit critique, c’est faire appel à son intelligence, c’est
parler dans un cadre de discussion, de conversation. Connaître les proverbes,
augmente la compétence du locuteur wê, son efficacité en communication dans la
langue ainsi que son éloquence. Le proverbe ci-dessous permet de convaincre un
orphelin à ne pas se comparer aux autres ou permet de le consoler. Il sert également
à convaincre une personne d’avoir de la compassion pour l’orphelin. On le voit par
l’image de l’orphelin.

13) wobé : [ɲɔ̰́ sē bòá blé ɔ̌ dí klɔ́a dì nmí


Guéré : -ɲɔ̰́ sé à ɓó ɓlé ɔ̌ ɗı̀ ̀ kwlá nmíí]
Homme Nég Inst papa avoir 3Sg. Nég manger brousse manger viande
« Celui qui n’a pas de père ne mange pas de la viande de brousse. »
« L’orphelin se contente de ce qu’on lui donne. »

Un orphelin, c’est un enfant qui a perdu soit, son père, soit sa mère ou les deux à la
fois. Un tel enfant dont le souci premier est de se trouver de quoi à manger, ne peut
prétendre à un besoin de premier choix. Mais, celui-ci devra se contenter de ce qu’il aura
trouvé sur son chemin. L’image de l’orphelin renvoie ici, à un pauvre. En effet, un pauvre
n’a ni droit à la parole, ni droit à un choix de préférence, mais apparait comme un être
méprisé, vulgaire, donc intitule à la société.

-Valeurs didactique
L’enseignement et l’éducation caractérisent les proverbes à valeur didactique.
14) wobé : [ɲrɔ̰́ ɡbàú páɛ̀nɩ̰ ́ ɡbu̍ ɡbàú pêe
Guéré : - ɲrɔ̰́ sá̰ɷ̰̀ pǎ ṵ jè gbú gbáù zǐ]

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 243


Analyse sociolinguistique des proverbes wê : formes et valeurs

N Adj Adv 3Sg Relat N Adj Adv


Epoux mauvais mieux elle que maison gâté plus
« Une mauvaise épouse est mieux qu’une maison gâtée. »
« La mauvaise épouse est mieux qu’une maison en ruine. »

Il y a des personnes qui ont tendance à donner une valeur dépréciative à ce qu’elles
ont. Celles-ci éprouvent bien des fois un sentiment d’insatisfaction, voire de regret
comparativement à ce que leur entourage pourrait en disposer. Un sage wê qui énonce un
tel proverbe en ces termes : « La mauvaise épouse est mieux qu’une maison en ruine. », veut
inciter et encourager à la considération de ce que l’on a, aussi minime soit-il. Car, avoir peu
est mieux que de n’avoir rien du tout. Dans d’autre cas, ce proverbe est également proféré à
l’endroit d’un couple lors de la dot en pays wê. Car, le wê ne prend pas partie du divorce,
mais plutôt celle de la consolidation familiale.

15) wobé : [tɔ́ ɔ̌ blè ɲɔ̰́


Guéré : - tɔ́ ɔ̌ ɓlè ɲɔ̰́]
N 3Sg V N
Sagesse il avoir homme
« L’homme sage gouverne. »

Il n’existe pas en pays wê de système monarchique, la chance est donnée à chacun


d’être chef, mais sur la base de critères bien définis. Le chef, c’est celui qui possède de la
richesse, qui est imposant par sa corpulence. Mais au-delà de toutes ces vertus, le chef, c’est
celui qui sait discerner, cerner et solutionner. Le chef doit pousser plus loin, son intelligence
pour aiguiser son esprit critique. Autrement dit, le chef doit être doté de sagesse ; un homme
qui sait manier la parole avec éthique et esthétique, qui sait identifier les besoins de son
peuple, qui sait veiller sur sa langue, qui ne parle pas n’importe comment, n’importe où et
n’importe quand.
16) wobé : [nmɛ́ɛ à̰ wlú
Guéré : -gǎ̰ mà̰ wlú]
V Poss-1Sg N
Ranger ta parole
« Parle avec réserve, car tout n’est pas à dire. »
« Il faut réfléchir avant de parler. »

La parole étant sacrée, l’on ne doit pas en faire usage comme bon lui semble, mais
doit avoir de la réserve quand il parle. Le bon usage de la parole est l’une des caractéristiques
de la sagesse en pays wê. La parole détermine et engage celui qui l’énonce, c’est pourquoi,
il est important, voire très important pour un homme de soigner sa parole avant de l’énoncer
au risque de blesser ou frustrer son interlocuteur. Car, l’on ne ramasse pas de l’eau qui est
déjà versée, dit-on dans le jargon ivoirien.

-Valeur éthique
Le proverbe à valeur éthique renvoie à la moralité liée aux principes de la conduite
humaine. En effet, ce genre de proverbe rappelle le mode de vie, les attitudes à adopter
(Troh : 2021).

244 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜237-250


Kanni Florence TROH & Fiéglo Lopez GNONSIAN

16) wobé : [ɲɔ̰́ blè í ɔ̌ ɗɓà mʋ́


Guéré : - ɲɔ̰́ ɓlè í ɔ̌ ɗɓà mɷ̰́ ı̰ ̀]
N V Ag 3Sg-Nég V N
Homme avoir Ag il tuer corps Inst
« Celui qui conduit un groupe ne fait pas de différence »
« Le leader ne fait pas de discrimination. »

Un leader, c’est celui qui s’érige en père et mère de ses subordonnés. Il doit à cet effet, traiter
tous avec égalité et sagesse au risque de générer de la jalousie qui pourrait susciter des
émeutes mutuelles.

17) wobé : [sé bɛ̄ɛ ɩ̰ ́ kɛ̰̄ blé wı̰̍ ō wı̰̍


Guéré : - sé ɓɛ̌ jè gɩ̰ ́ ɓlé zɔ̰̀ ō zɔ̰̀]
Nég pouvoir Fut-2Sg raison avoir jour Inst jour
« Tu ne peux pas toujours avoir raison. »
« Un sage trouve toujours un autre sage. »

L’homme, aussi intelligent soit-il, commet des fois des erreurs. Ce type de proverbe est
énoncé à l’endroit de celui qui se croit au-dessus de la norme et qui n’a aucune tendance à
reconnaitre un jour ses fautes.

18) Wobé : [ɲɔ̰́ ɟùá sɛ̰̍ ɔ́mɔ̰̀ ɲɔ̰́ tó sɛ̰̍ jī


Guéré : - ɲɔ̰́ ɟìɓá sānū ɔ́mɔ̰̀ ɲɔ̰́ tɔ̰̌ sānū]
N V N Présent N V Adv
Homme connaitre or C’est lui homme montrer or envers
« C’est à celui qui connait de l’or que l’on montre de l’or. »
« On ne présente de l’or qu’à celui qui en connaît la valeur. »

L’on vient en aide à celui qui est conscient de son état de précarité et qui décide de saisir
l’opportunité qui lui est offerte. Aussi, faut-il toujours avoir recours à une personne
expérimentée dans un domaine où l’on veut s’engager. On le comprend par l’image de
l’homme qui sait reconnaître la valeur de l’or.

3.2 Les valeur de second niveau


Les valeurs de second niveau sont d’ordre social, économique, psychologique, et
historique.

-Valeur sociale
Le proverbe à valeur sociale appelle à l’unité, à la solidarité, à l’insertion sociale, à
la médiation et à l’équité. Ce genre de proverbe invite des groupes à défendre leurs intérêts
communs, à avoir des liens affectifs et des relations d’entente et de confiance (Yéboué :
2016).

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 245


Analyse sociolinguistique des proverbes wê : formes et valeurs

19) wobé : [pò blaó jē mā̰ wɛ̀ ɛ́ mā̰ jē blǔ mù


Guéré : -ɓó tílè jé mǎ̰ ɛ̌ mǎ̰ ɗé ɓlṵ́ mɷ̰̀]
Locut N Fut V Insit. 3Sg V Loc N Loc
Quand termitière Fut sécher elle sécher Loc sable Loc
« Quand la termitière sèche, elle devient la terre »
« Si la termitière veut vivre, qu’elle ajoute de la terre à la terre».

L’une des particularités des proverbes wê, c’est l’usage d’images utilisées pour
représenter une réalité ou révéler une vérité. Lorsqu’un wê dit ceci « Si la termitière veut
vivre, qu’elle ajoute de la terre à la terre» à quelqu’un, c’est pour l’inviter à une prise de
conscience à la considération de ses origines. La « termitière » représente ici un individu,
et la « terre », à la communauté à laquelle il appartient. Ce proverbe renvoie à l’idée d’unité,
d’union. Celui qui a l’intention de se réaliser doit s’appuyer sur les siens, car c’est dans
l’unité que réside la force. C’est dire également que quelle qu’elle soit sa situation sociale,
l’homme aura toujours recours à ses origines qui ne sauront jamais l’abandonner.
20) Wobé : [nàwɛ́ bléa srɛ̌ ɛ́mɛ̄ pō jrɷ̌ jé wā wɛ̰í

Guéré : - nɛ̰́mɛ̰́ ɓléá srɛ̌ ɛ́mɛ̰̄ pō ɗrǒ ɓo ɟè wɛ̰́ı̰̄]


N V N Présent V N Loct N N
Oiseau avoir ruse c’est lui mettre nid Loc. route bordure
« Un oiseau rusé fait son nid en bordure de route. »
« La chance sourit aux audacieux. »

Celui qui a la conviction de réussir, doit bien évidemment accepter d’essuyer toutes
formes d’échec et de frustrations sociales. La bordure de route est symbole ici du public, de
la masse, d’un endroit de personnes de divers horizons, de diverses mentalités qui peuvent
être source d’échec ou de motivation.

-Valeur économique
Les proverbes ci-dessous ont des valeurs économiques, car ils encouragent au travail
et à l’autonomie. En effet, lorsque ce genre de proverbe est proféré, l’on voit toute suite un
impact psychologique sur la personne. Mais, lorsque cette personne se met au travail et arrive
à se réaliser, le proverbe devient en ce moment un moteur d’encouragement au travail.
21) wobé : [blǔ ɛ̌ pō ɲɔ̰́ srɛ́ j ī
Guéré : - ɓlōà ɛ̌ pǒ ɲɔ̰́ srɛ́ ì]
N 3Sg.Nég V N N Inst
Terre elle-Nég pouvoir homme mensonge Inst
« La terre, elle ne peut mentir à l’homme. »
« La terre ne trahit pas. »

La terre, en pays wê, représente l’origine, l’ancêtre, la source nourricière qui ne


saurait laisser affamés ses enfants qui lui font recours. Ce proverbe voudrait renvoyer
également au courage, à la persévérance, à la détermination. Ainsi donc, quiconque renonce
à la paresse et se met au travail ne sera pas bredouille, mais tirera profit de ses efforts.

246 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜237-250


Kanni Florence TROH & Fiéglo Lopez GNONSIAN

22) wobé : [ā̰ sʋ̰̄ nɩ̰ ́ ā̰ ɲɔ̰́]


Guéré : - ma̰ sʋ̰̄ nɩ̰ ́ ma̰ ɲɔ̰́
Poss-1Sg N Cop-Etre Poss-1Sg homme
« C’est ma main qui est mon parent. »
« On est jamais si bien servi que par soi-même. »

Comme les écritures saintes le disent si bien, c’est à la sueur de son front que
l’homme gagnera son pain, donc sa nourriture. Par « C’est ma main qui est mon parent. »,
l’énonciateur de ce proverbe invite à ne pas seulement se borner à compter sur l’aide
extérieure, mais à compter d’abord sur soi-même. Car, ce n’est pas toujours que l’autre à la
capacité pour répondre à nos attentes.

-Valeur psychologique
Le proverbe à valeur psychologique vise à agir sur le mental et à modifier le
comportement de celui à l’endroit de qui il est proféré. En effet, on trouve souvent des
personnes désespérées par les coups de la vie dont le comportement laisse à désirer. C’est
pour amener ce genre de personnes à changer que l’on fait usage de proverbe à valeur
psychologique.
23) wobé : [à̰ nɛ̰̌ ɛ̰ ɟià nɩ́
Guéré : - mà̰ nɛ̰̀ ɛ njɛ̰ ɟíà ]
Poss.2Sg N 3Sg Cop-Etre venir.Fut Cop-Etre
« Pour toi viendra»
« Chacun a son tour »

Nombreuses sont les personnes qui croupissant sous le poids des difficultés,
recourent à des voies indécentes, parfois sans issue. Cette mésaventure développe souvent
en elles, un sentiment de haine, de jalousie, de désespoir, voire de sorcellerie à l’égard de
leur prochain qui eux prospèrent et réussissent. Ce proverbe enseigne une valeur de patience
et l’art de savoir attendre son tour.

24) wobé : [sé ā̰ cɛ̄ jé


Guéré : - sé ma̰ ɟɛ́ ɟě ]
Nég 2Sg Inst-Pronom V
Ne…pas tu soi-même voir
« Tu ne te vois pas toi-même ? »
« L’homme est taupe avec lui-même mais lynx envers les autres. »

L’homme a très souvent tendance à porter un jugement contre son prochain. Il contrôle ses
faits et gestes et est prêt à le sermonner directement ou indirectement pour chaque erreur
commise. Exacerbé par une telle attitude, le concerné dira à son tortionnaire « Tu ne te vois
pas toi-même ? » afin de lui rappeler que nul n’est parfait, car tous commettons des erreurs.

-Valeur historique
Le proverbe à une valeur historique parce qu’on peut avoir les traces de l’histoire du
peuple. Ce proverbe ci-dessous tire sa source de la colonisation, car au temps colonial
lorsque des personnes étaient en conflits, elles étaient toutes sanctionnées par
l’emprisonnement. Lequel se trouvait à Bangolo qui était désigné comme un village lointain.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 247


Analyse sociolinguistique des proverbes wê : formes et valeurs

25) [tɔ…́tɔ́…u nìa…́ pá jé pa…́klɔ́ múa…̀ sí]


bête être mieux loc. loin-village aller plus-que
« Être bête est plus mieux qu’aller dans un village lointain (Bangolo) »

Il fallait donc accepter de se faire du tort afin d’éviter la prison.

4. Discussion
Il s’agit ici de confronter nos résultats aux travaux antérieurs sur les formes et valeurs
des proverbes dans les langues du monde. Pour Anscombre (1994), certains éléments dans
la construction syntaxique d’un énoncé signalent un proverbe. Il y a le proverbe débutant
par une proposition temporelle introduite par quant dont la principale qui suit montre la
conséquence fâcheuse qui en résulte. Et, différents procédés sont utilisés dans l’énoncé
proverbial. Il cite que le futur est rare, et que l’on a un emploi fréquent à l’initiale du pronom
« qui », l’emploi du pronom indéfini « on », l’emploi d’une proposition négative écartant
toute affirmation contraire, et l’emploi d’une expression négative. Pour notre part, nous avons
observé ces quelques procédés dans les proverbes wê tel que /pò/ et /ɓó/ « quand » dans le
proverbe complexe temporel. On a également l’utilisation de la forme négative qui écarte
toute affirmation possible. De cette remarque, il en est ressorti que la négation peut être
tonale, notamment le ton modulé bas-haut qui est généralement porté par des pronoms. Par
exemple /ɔ̌/ « 3.Sg. Nég. » en vrai, il renvoie le plus souvent à une personne indéfinie « on »
de même que /ɲɔ́/ « homme ». C’est dans cet élan que Kouakou : 2017, à propos de la
syntaxe des proverbes Baoulé a montré que dans leur structure, ces proverbes sont bien des
phrases simples et phrases complexes. En effet, l’on rencontre les phrases nominales et les
phrases simples dont les sujets peuvent renvoyer à la forme personnelle, c'est-à-dire qu’ils
renvoient à un être ou à une chose bien spécifiée ou à la forme impersonnelle, selon que le
sujet exprime une généralité. Les prédicats eux, peuvent assurer les fonctions primaires avec
leurs sujets et leurs objets. Les arguments sont quant à eux, en fonction d’objet ou de sujet.
Cela signifie que l’énoncé proverbial nominal en baoulé peut être hypothétique suivi d’une
relative. Ce qui n’est pas le cas dans les énoncés proverbiaux wê. Par contre, on peut voir la
phrase simple non verbale avec l’utilisation de la comparaison et l’utilisation de copule. A
côté de cela, l’on constate que les proverbes baoulé et wobé partagent quelques
caractéristiques syntaxiques. Notamment les complexes à proposition parataxe et
temporelle. A propos des valeurs, Tapé : 2015 dans son étude sur l’emploi de l’énoncé
proverbial dans le Zouglou, pour justifier que l’interprétation des valeurs de l’énoncé
proverbial peut différer d’une personne à une autre, il cite Rodegem qui soutient que le
même proverbe est susceptible de plusieurs interprétations parfois contradictoires, selon les
lieux, les individus, les prononciations ou les accents. Pour lui, les proverbes permettent de
se prémunir des dangers de la société. En effet, ils mettent en évidence différents champs
notionnels comme la vérité, l’équité, l’égalité, l’identité, la prévention, la prudence, le
travail, l’espoir, les relations hommes et femmes, la duperie.
Nous constatons également certaines notions en rapport avec les valeurs étudiées
plus haut. Notamment, les notions de travail, d’équité, de résolution de conflit.
Yéboué :2016, montre au sujet des valeurs que dans l’énoncé proverbial, l'utilisation des
images et toutes les ressources esthétiques en font un langage poétique au volume réduit.
Cet avis est partagé car bon nombre d’images illustrées dans les proverbes wobé montrent

248 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜237-250


Kanni Florence TROH & Fiéglo Lopez GNONSIAN

qu’ils ont une valeur esthétique ; ce nous avons appelé valeur expressive. Il affirme que
« le proverbe tient à demeurer une œuvre facilement mémorisable. Il en va ainsi parce que
l'on en a besoin à tout moment». Pour lui, l’usage du proverbe est quotidien, il n'y a pas de
circonstances particulières pour dire un proverbe, mais une raison sociale qui fait mouvoir
l'individu et c’est précisément celle-là qui appelle le proverbe. Il continue en affirmant que
le proverbe a pour ambition de rappeler la tradition et de clore un débat. Le proverbe est le
résultat d'une longue et patiente observation du milieu, à tel point que la vérité qu'il professe
prend la forme de l'évidence. Même si la source du proverbe est individuelle, sa transmission
et son usage continuels sont collectifs, c’est en cela que le proverbe est sagesse. De même,
nous avons pu constater que les proverbes font usages d’images animale, humaine et
naturelle pour formuler leurs expériences à travers ceux-ci. Le besoin du proverbe est donc
une chose incontournable vu qu’il est si bien utilisé dans les conversations que dans les
cérémonies culturelles, voire même dans les audiences et débats. Car le proverbe incarne
les valeurs de vérité et de sagesse.

Conclusion
De cet travail, il en ressort que les formes des proverbes wê sont de formes simples
et de formes complexes. Les énoncés proverbiaux wê de formes simples sont en générale
verbales et se construisent en une proposition. Ce sont : SVO1O2 ; SVO, VSO. On observe
trois spécificités dont la pronominalisation fréquente du sujet, l’utilisation de copule et
l’usage de la forme négative. Quant aux énoncés proverbiaux complexes, ils se construisent
en deux propositions. La première est la proposition subordonnée et la deuxième qui la suit
est la proposition principale. La proposition temporelle est toujours en position initiale
introduite par la conjonction de subordination /pò/ ou /ɓó/ « quand ». Les complexes
parataxes, elles sont composées de deux propositions juxtaposées. Et les complexes clivés
se formulent également en deux propositions avec les morphèmes clivés /ɛ́mɛ̄/ « c’est lui »
et /ɔ́mɔ̰̀/ « c’est lui ». Lorsqu’on utilise /ɛ́mɛ̄/, c’est pour désigner une classe non humaine.
Et lorsqu’on utilise /ɔ́mɔ̰̀/, c’est pour désigner une classe humaine. Concernant les valeurs
des proverbes wê, il en ressort que d’un premier niveau d’interprétation, on observe les
valeurs expressives, rhétoriques, didactiques et éthiques. Et d’un deuxième niveau, on
observe les valeurs sociale, économique, psychologique et historique. Les hypothèses émises
dans cet article ont été confirmées. Il faut retenir que pour tout wê, les proverbes analysés
incarnent des valeurs éthiques. On note aussi que les proverbes wê sont des formules
d’images propres au peuple que le wê emploie à diverses situations. Et leurs valeurs sont
dans l’ensemble des principes de bonne conduite et morale, de fraternité, de vivre ensemble
et d’amour. Car il est question de savoir vivre tout en ayant des références relatives à
l’expérience de la vie qui permettent à l’homme d’avoir une référence inouïe pour toujours
se ressourcer face aux situations de la vie. En somme, le proverbe wê est d’une vérité
incontestable et une sagesse des ancêtres Wê (wobé-guéré).

Références bibliographiques
Adou, K. L. (2018). La grammaire de la phrase complexe en N’zima avec les éléments de
comparaison au Baoulé Thèse de doctorat unique, Université Félix Houphouët-
Boigny.
Anscombre, J-C. (1994). Proverbe et formes proverbiales : valeur évidentielle et
argumentative, Langue Française, 102 :95-107
Ahmadhou, K. (2011), En entendant le vote des bêtes sauvages, Editions du Seuil

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 249


Analyse sociolinguistique des proverbes wê : formes et valeurs

Assouan, P. A. & Kessi, M. N. (2019). Analyse des proverbes du français ivoirien », dans les
actes du colloque parlers urbains africains Tome I, 247-258
Brouh, A. P. (2015). Etude des phrases complexes de l’Akye Bodin, Thèse de doctorat unique,
Université Félix Houphouët-Boigny.
Fedry, J. (2014). L’homme, c’est la parole. Yaoundé : Presse de l’UCAC.
Gnonsian, F. L., (2019). Morphologie et sémantisme des anthroponymes dans les parlers
guéré de la région du Guémon, Mémoire de Master, Université Félix Houphouet-
Boigny
Kouakou, K. J. (2017). Syntaxe des proverbes baoulé, Paremia 26 :211-227
Martinet, A. (1960, 1967). Eléménts de Linguistique générale, Paris : Armand Colin.
Schwartz, A. (1969). La mise en place des populations Guéré et Wobé, Essai d’interprétation
historique des données à tradition orale, (1)1 :13
Tape, J-M. (2015). L’emploi proverbial dans la chanson Zouglou, Cheminements
Linguistiques, Editions Universitaires Européennes : 497-513
Troh, K. F. (2021). Étude de la structure et de la valeur des proverbes wobé » Mémoire de
Master, Université Félix Houphouët-Boigny.
Vahoua, K. A. (2015). La distribution du démonstratif en bété, Cheminements Linguistiques,
Éditions Universitaires Européennes : 252-274
Yeboue, J. (2016). Portee et valeur du bestiaire dans les proverbes Baoulé, Volume II, Thèse
de doctorat unique, Université Félix Houphouët Boigny.

250 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜237-250


Mahamat Hassaballah ABAKAR, Yallah Waïdou ESAÏE & Abdourhaman IBRAHIM

LA DOUBLE CORRECTION COMME SOLUTION À L’ÉVALUATION


DU BACCALAURÉAT TCHADIEN

Mahamat Hassaballah ABAKAR


Université de N’Djaména
[email protected]

Yallah Waïdou ESAÏE


Université de N’Djaména
[email protected]
&
Abdourhaman IBRAHIM
ENS de l’Université de Maroua
[email protected]

Résumé : Cet article vise à analyser la portée et la fonction de la double correction


qui est une réforme pour la crédibilité, la réputation, la transparence et la justice dans
l’évaluation des candidats au baccalauréat tchadien. L’analyse de cette réforme est
faite grâce aux données statistiques des trois années consécutives à savoir 2019,2020
et 2021. Les théories sur les évaluations et celles de la méritocratie nous ont servi de
cadre théorique. De nature quantitative, cette recherche s’est basée sur les
statistiques de l’Office National des Examens et Concours du Supérieur (ONECS) et
complétées par nos propres observations en tant que responsables impliqués dans
cette structure en charge de l’organisation du baccalauréat. Les résultats font état de
ce que la double correction a apporté une amélioration considérable en termes de
succès au baccalauréat. Après comparaison des prestations des titulaires de la licence
à celles des titulaires du CAPEL (Certificat d’Aptitude Professionnelle pour
l’Enseignement aux Lycées), les résultats sont profondément édifiants : il ressort de
notre analyse que les enseignants certifiés commettent plus de maladresses que ceux
issus des universités avec une Licence. Cette conclusion est due au fait que les
licenciés n’aient pas bénéficié de formation professionnelle au cours de leur parcours.
En revanche, les enseignants certifiés, eux, ont suivi une formation professionnelle
dans les écoles de formation. Dès lors, une formation supplémentaire, notamment un
recyclage serait important et bénéfique pour tous les enseignants licenciés. Il serait
également intéressant pour notre pays de continuer à professionnaliser les
enseignements dispensés dans les institutions académiques.

Mots-clés : Baccalauréat tchadien, double correction, docimologie, évaluation,


ONECS

THE DOUBLE CORRECTION AS A SOLUTION TOTHE EVALUATION OF


CHADIAN BACCALAUREATE

Abstract: This article aims to analyze the scope and function of the double grading of
Chadian Senior High Certificate examination papers, which is a reform, meant for
credibility, reputation, transparency and justice in the evaluation of the candidates.
This quantitative research analysis is based on the statistical data gathered over three
consecutive years in 2019, 2020 and 2021, and the theoretical frameworks on
evaluation and meritocracy theories were used, based on statistics collected by

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 251


La double correction comme solution à l’évaluation du baccalauréat tchadien

ONECS and supplemented by our own observations as officials involved in this state-
owned structure in charge of organizing the High School Certificate examination. The
results show that double grading does bring considerable improvement in terms of
success in the High School Certificate Examination. Two groups of graders have been
identified as Bachelor’s Degree holding teachers and certified Bachelor’s Degree
holding teachers; the latter having been trained in teacher training schools. The study
shows that Certified Bachelor’s Degree holding teachers make fewer errors than their
counterparts; and that this state of affairs is due to the lack of professional training to
the other group. In order to solve this issue, in-service retraining efforts would be of
great benefit.

Keywords: Chadian baccalaureate, double grading, docimology, evaluation, ONECS.

Introduction
Le système éducatif tchadien, tel qu’il se présente aujourd’hui, est le résultat de
plusieurs réformes. Les états généraux de 1994 et le forum de l’éducation de 2012 en sont
les plus récentes et, peut-être, les plus significatives. Ces réformes ont jeté les jalons du
système éducatif actuel. Cependant, l’inaccessibilité, la rareté et la faiblesse de structures
d’accueil sont les raisons principales qui ont conduit les autorités politiques à réformer le
système éducatif tchadien. C’est ainsi que tous les moyens humains, matériels et financiers
ont été mobilisés par le gouvernement de la république du Tchad et les partenaires
financiers et techniques. Le point d’orgue est, non seulement la tenue des états généraux
de l’éducation pour diagnostiquer les maux qui handicapent son fonctionnement, mais
aussi l’adoption de la loi n°16/PR/2006 portant organisation du Système éducatif tchadien.
Cette loi a pour but d’assoir une politique publique efficace du système éducatif. Elle
oriente la politique éducative en développant les capacités ou les niveaux de la population
à enseigner : « L’école doit cultiver l’excellence et conduire vers les cimes de la
connaissance du savoir-faire et du savoir-être. Aussi veillera-t-elle à la qualité de
l’enseignement » (République du Tchad, 1995). La qualité est ainsi au cœur du système
éducatif tchadien et constitue même sa raison d’être. En d’autres termes, il n’existe pas
d’école qui ne puisse mettre l’accent sur la qualité et le rendement efficace. Cependant,
force est de constater que l’on rencontre des lycées et collèges, en ville comme dans les
villages, dépourvus de personnel enseignant et/ou de ressources matérielles. Pire, il existe
des lycées, qui sont créés dans les zones où la population à enseigner est inexistante ou
faible. Dans tous les cas, il existe un déséquilibre certain entre les infrastructures
d’accueil, les lieux d’implantation, et le personnel enseignant. La création des
établissements scolaires au Tchad, à travers quelques échantillons, que nous avons relevés,
n’est pas sans conséquence sur le plan de rendement, de qualité et de fonctionnalité de
ceux-ci. On rencontre des établissements fonctionnant avec un corps enseignant
uniquement pris en charge par l’Association des Parents d’Élèves (APÉ). Certains n’ont
pas de moyens financiers adéquats pour payer la vacation des enseignants ou des
bénévoles, dont le niveau et la capacité d’enseigner laissent à désirer. Certains
établissements fonctionnent avec un seul professeur de mathématiques, de philosophie ou
de français, en dépit du volume horaire élevé accordé à ces disciplines. Dans certaines
localités, il manque d’enseignants, d’élèves ou de matériel didactique. Ces observations
suscitent un certain nombre d’interrogations relatives à la création, au fonctionnement et

252 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜251-260


Mahamat Hassaballah ABAKAR, Yallah Waïdou ESAÏE & Abdourhaman IBRAHIM

au rendement de ces infrastructures scolaires. De façon claire, nous voulons analyser la


fonction et la portée de la double correction sur le succès au baccalauréat tchadien.

0.1 Problématique
La formation des enseignants du secondaire obéit à un principe dont l’artisan et le
bénéficiaire est l’État. Aucun établissement public ne peut fonctionner normalement sans
le soutien de l’État. De même, l’État ne peut supporter seul les charges allouées à la
formation des enseignants. La majorité des enseignants sont des professeurs licenciés et
n’ont reçu aucune formation en pédagogie et en docimologie. Aussi éprouvent-ils souvent
des difficultés d’enseigner. Le système éducatif du Tchad éprouve donc des difficultés
liées aux évaluations de ses produits. Ces difficultés sont fonction des crises que le pays a
connues, selon Adoum Mbaïsso : « La crise du système éducatif tchadien actuel est le
symptôme d’une crise structurelle profonde ; elle est une remise en question des valeurs
qui fondent la vie d’un peuple, donc d’une politique » (Mbaïsso, 1990 : 189). La formation
des enseignants a donc pour but de donner une éducation de qualité sur l’étendue du
territoire. Elle est une exigence du gouvernement vu qu’elle est inhérente à la nature du
processus d’apprentissage. Les enseignants, les principaux acteurs de l'école, ont un rôle
très important à jouer dans la construction des élèves, notamment les candidats au
baccalauréat. Ce diplôme n’est pas un concours, qui donne accès à un emploi. Il est, au
contraire, un parchemin qui ouvre les portes de l’enseignement supérieur. Cela suppose
que le candidat soit bien outillé, bien formé. Mais, en pratique, les candidats à cet examen
ne sont pas préparés, du moins pour certains d’entre eux. On constate aussi que ceux qui
sont censés assurer la formation ne sont guère aptes à une telle activité.
Professionnellement, ils cumulent des lacunes, des incompétences notoires dans l’exercice
de leur noble et exaltante mission. L’enseignement, qui est un sacerdoce, est en voie de
perdre sa sacralité, tant ceux qui y accèdent ne sont pas motivés, outillés ou qualifiés pour
le métier. Il en est donc des candidats mais aussi bien des enseignants. Il y a donc hiatus
entre la formation et les fruits de la formation, entre l’évaluation et le contrôle, le cadre
social qu’est l’école et ceux qui la fréquentent, l’animent. En d’autres termes, la réforme,
qui retient notre attention dans ce travail, est la création de l’ONECS qui s’occupe de
l’organisation du baccalauréat. Les effectifs des candidats augmentent d’année en année,
un laisser-aller est observé dans l’organisation. Cet état de choses discrédite la réputation
et la crédibilité du baccalauréat. La transparence et la justice sont loin d’être réunies. Tout
ceci fait suite à la manière dont les enseignants évaluent et la manière dont la formation est
dispensée par les enseignants et reçue par les élèves. En effet, la qualité des enseignants
du secondaire, c’est-à-dire ceux qui préparent et évaluent les candidats au baccalauréat,
pose problème.
Pour plus de pertinence, nous nous focaliserons sur les correcteurs, qui sont tous
des enseignants des classes de terminale. Un tel choix, arbitraire, a pour but d’évaluer une
politique éducative mise en place par le gouvernement avec la participation des bailleurs
de fonds, des Associations des Parents d’Élèves (APÉ) et les bénéficiaires qu’est la
population à scolariser. En effet, le but d’une politique éducative n’est pas d’enseigner et
d’évaluer, tous azimuts, mais de s’assurer de sa qualité, de sa pertinence et de son
efficacité. Aussi doit-elle rendre compte aux usagers mais aussi à l’État, le pourvoyeur et le
grand bénéficiaire. En principe, comme tout autre service public, le système éducatif est
tenu de rendre compte à ses usagers et aux citoyens de l’atteinte des objectifs qui lui sont
fixés. Ses responsables ont besoin d’apprécier ses points forts et ses points faibles. Ils ont

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 253


La double correction comme solution à l’évaluation du baccalauréat tchadien

besoin d’outils leur permettant d’envisager des mesures et d’améliorer leurs résultats. On
ne doit pas enseigner en classe de terminale parce qu’on est enseignant, ni dans n’importe
quelle classe. Ce constat nous amène à quelques interrogations : quel est l’impact la
double correction sur le baccalauréat tchadien ? En quoi la double correction permet-elle
de corriger les anomalies et de favoriser la méritocratie ? Quelle est la fonction et la portée
de la double correction ?

0.2 Méthodologie
Cet article s’inscrit dans le domaine des politiques éducatives, précisément en
docimologie. Elle impose une cible d’enquête constituée des enseignants sélectionnés
comme correcteurs au baccalauréat. Ces enseignants sont pour la plupart ceux qui
interviennent en classe de terminale. Parmi ces correcteurs, nous avons des professeurs
certifiés et professeurs licenciés. Un échantillon de 126 000 copies des candidats au
baccalauréat a été retenu pour les trois dernières années à savoir les 2019-2020-
2021.Neuf (9) matière sont été retenues ; 42 000 copies des différentes épreuves par année
pendant les trois dernières années. Le choix découle de nos observations sur le terrain. En
effet, au regard de nos activités professionnelles, nous sillonnons quasiment toutes les
provinces et tous les lycées du Tchad. Ces observations portent sur plusieurs rubriques
entre autres la formation de base des enseignants, les contenus des enseignements et les
évaluations. À ces données pédagogiques factuelles s’ajoutent les résultats finals, qui sont
le but d’un établissement secondaire. Cette recherche est de nature quantitative
puisqu’elle se base sur les statistiques de l’Office National des Examens et Concours du
Supérieur.

0.3 Théoriessur les évaluations


Les études docimologiques se sont développées dans l’entre-deux guerre (Merle,
1998) et se sont poursuivies jusqu’aux années 1960 et 1970. Deux ouvrages sont
emblématiques de ce courant de recherches : Examens et docimologie de Piéron (1963) et
Précis de docimologie de de Landsheere (1972). Dans cet ouvrage réédité à six reprises
(c’est-à-dire jusqu’en 1980), de Landsheere définit la docimologie comme la « science qui
a pour objet l’étude systématique des examens, en particulier des systèmes de notation, et
du comportement des examinateurs et des examinés » (1980 : 13). Cette définition
souligne le rôle central occupé dans cette discipline par les examens avec leur corollaire
de systèmes de notation. Elle mentionne, en même temps, le comportement des
examinateurs et des examinés. Cependant, la lecture de l’ouvrage indique que cette
dimension n’est pas réellement investiguée. Le projet qui anime de Landsheere, mais aussi
Piéron (1963) et Bonboir (1972) notamment est noble. Il s’agit de réduire, autant que faire
se peut, les biais multiples qui introduisent l’inégalité dans les notations scolaires des
enseignants. L’approche est normative ou prescriptive dans l’esprit pédagogique de
l’époque. En fait, il semble que, pour ces pionniers, il va de soi d’assimiler évaluation et
mesure. L’objectif de la double correction consiste à réduire l’inégalité de chance des
candidats au baccalauréat à ce que tous bénéficient de la même chance. Nous considérons
aussi les théories de la justice sociale et de la méritocratie à l’école dans la même lancée.

1. Historique de la double correction à l’ONECS


L’idée de la double correction est intervenue au cours de l’année 2014 après un
constat amer. Par le passé, les correcteurs proposés par les chefs d’établissements étaient,

254 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜251-260


Mahamat Hassaballah ABAKAR, Yallah Waïdou ESAÏE & Abdourhaman IBRAHIM

pour la plupart des enseignants n’intervenant pas en classe de terminale, d’une part, et
ceux qui ne sont pas des nécessairement des enseignants, c’est-a-dire non formés à ce
métier, d’autre part. l’Office National des Examens et Concours du Supérieur a pris un
échantillon des copies dans les différentes matières déjà corrigés et les ont soumises à
l’appréciation d’autres correcteurs. Il s’est avéré que la plupart des candidats ont été lésés,
c’est-à-dire des notes attribuées par les correcteurs sont en défaveur des candidats. Un
grand écart en termes de notation a été constaté. C’est pourquoi l’ONECS a pris l’initiative
d’instaurer la double correction. Un regard était porté sur le choix des correcteurs. Une
ferme instruction était donnée aux responsables d’identifier rien que les enseignants
intervenant en classe de terminale. À la période d’enrôlement des candidats, la mission de
l’ONECS avait aussi consisté à enrôler les enseignants choisis au vu de leur emploi du
temps. L’objectif de cet enrôlement consistait à réduire le risque d’enseignants qui sont
choisis par affinité et qui ne sont pas véritablement des professionnels. La double
correction a été ainsi instaurée en 2015pour diverses raisons. D’abord, les copies sont
déchargées par les correcteurs, une fois la correction achevée. Les mêmes copies corrigées
sont transmises aux seconds correcteurs appelés les vérificateurs. Si des écarts se
dégagent, les copies sont soumises à l’appréciation des présidents des commissions pour
trancher. Les correcteurs défaillants sont systématiquement disqualifiés l’année suivante.
Ensuite, les vérificateurs sont des enseignants expérimentés et des inspecteurs. Ceux-là
sont chargés de bien vérifier si les copies sont bien corrigées ou non. Les anomalies
constatées ressortiront dans la partie suivante dite « présentation des anomalies ».

2. Présentation des anomalies relevées à travers la double correction pour trois années
consécutives.
Cette partie est consacrée à la présentation des différentes copies par deux types de
correcteurs à savoir des enseignants licenciés et des enseignants certifiés.

Tableau 1 : présentation des anomalies dans la correction des copies d’examens du Bac
2019 par les professeurs certifiés et licenciés.

Copies corrigées par des enseignants Copies corrigées par des enseignants
certifiés licenciés
Copies Anomalies Copies Anomalies
Commission Nombre Nombre % Nombre Nombre %
Français 5 000 100 2,00 5 000 1 500 30,00
Arabe 5 000 65 1,30 5 000 948 18,96
Anglais 5 000 46 0,92 5 000 867 17,34
histoire-géographie 5 000 54 1,08 5 000 1 254 25,08
Philosophie 5 000 31 0,62 5 000 1 651 33,02
Mathématiques 5 000 62 1,24 5 000 798 15,96
physique-chimie 5 000 26 0,52 5 000 684 13,68
SVT 5 000 57 1,14 5 000 1 145 22,90
Techniques 2 000 38 1,90 2 000 458 22,90
Total 42 000 479 1,14 42 000 9 305 22,15

Source : ONECS 2019

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 255


La double correction comme solution à l’évaluation du baccalauréat tchadien

Au regard du tableau ci-dessus, nous constatons que sur 100 anomalies, en


moyenne, 95% sont commises par les professeurs licenciés. La correction est acceptable
chez les enseignants certifiés de Philosophie qui ont commis que 2 anomalies sur 100
commises par tous les correcteurs de philosophie en 2019.Elles sont beaucoup accentuées
en Français et Philosophie chez les licenciés et en Français et Techniques chez les
certifiés. Les anomalies sont moindres chez les physiciens, suivis des mathématiciens.
Nous constatons que le pourcentage est très élevé en série littéraire par rapport aux
sciences. C’est grâce à la double correction que ces anomalies susceptibles de faire
échouer les candidats au baccalauréat ont été contournées.

Tableau 2 : Comparaison des anomalies dans la correction des copies d’examens du Bac
2020 par les enseignants certifiés et licenciés

Copies corrigées par des enseignants Copies corrigées par des enseignants
certifiés licenciés
Copies Anomalies Copies Anomalies
Commission Nombre Nombre % Nombre Nombre %
Français 5 000 95 1,90 5 000 1 154 23,08
Arabe 5 000 24 0,48 5 000 854 17,08
Anglais 5 000 37 0,74 5 000 815 16,30
histoire-géographie 5 000 46 0,92 5 000 1 210 24,20
Philosophie 5 000 28 0,56 5 000 1 457 29,14
Mathématiques 5 000 51 1,02 5 000 651 13,02
physique-chimie 5 000 16 0,32 5 000 684 13,68
SVT 5 000 43 0,86 5 000 1 005 20,10
Techniques 2 000 22 1,10 2 000 254 12,70
Total 42 000 362 0,86 42 000 8 084 19,25

Source : ONECS 2020

Après une année d’expérience, l’on constate que le sérieux a été installé dans l’esprit des
correcteurs puisque ceux qui commettent plus d’erreurs ont été sanctionnés. C’est pourquoi
les corrections ont été améliorées en 2020 en comparaison à celles de l’année 2019. Les
professeurs licenciés en Français ont fourni un effort remarquable en 2020. De 30%
d’anomalies dans les 5000 copies corrigées, ils n’ont commis que 23% en 2020. C’est une
réduction considérable. Cependant, elles n’ont presque pas varié chez les certifiés. Les
techniciens ont réduit de 10 points, c’est-à-dire de 23,8% en 2019, ils ont enregistré que
13,8% d’anomalies. Cela est dû à l’effort considérable des professeurs licenciés.

256 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜251-260


Mahamat Hassaballah ABAKAR, Yallah Waïdou ESAÏE & Abdourhaman IBRAHIM

Tableau 3 : présentation des anomalies dans la correction des copies d’examens du Bac
2021 par les enseignants certifiés et licenciés
Copies corrigées par des enseignants Copies corrigées par des enseignants
certifiés licenciés
Copies Anomalies Copies Anomalies
Commission Nombre Nombre % Nombre Nombre %
Français 5 000 71 1,42 5 000 957 19,14
Arabe 5 000 43 0,86 5 000 651 13,02
Anglais 5 000 34 0,68 5 000 602 12,04
histoire-
géographie 5 000 31 0,62 5 000 958 19,16
Philosophie 5 000 31 0,62 5 000 1 154 23,08
Mathématiques 5 000 46 0,92 5 000 589 11,78
physique-
chimie 5 000 17 0,34 5 000 499 9,98
SVT 5 000 32 0,64 5 000 1 008 20,16
Techniques 2 000 11 0,55 2 000 214 10,70
Total 42 000 316 0,75 42 000 6 632 15,79

Source: ONECS2021

Le tableau ci-dessus présente le pourcentage d’anomalies dans 9 matières au


baccalauréat. Un échantillon de 5000 copies par matières corrigées et vérifiées a fait
l’objet de l’étude. Il ressort donc de ce tableau que pour l’épreuve de Français, sur 5000
copies, 19,14% d’anomalies constatées chez les enseignants licenciés alors que les
certifiés dégagent un pourcentage de 1.42% d’anomalies. Pour les enseignants d’Histoire-
géographie, 19,16% pour les licenciés et 0,62 pour les certifiés. La borne la plus élevée est
de 23,08 d’anomalies concerne l’épreuve de Philosophie corrigée par les professeurs
licenciés et 0,62% d’anomalies pour les professeurs certifiés. Et les professeurs licenciés
en SVT ressortent 20,16% d’anomalies alors que les certifiés se retrouvent avec 0,64%
d’anomalies. Les Mathématiques, Physiques-chimie et les techniques dégagent de la part
des professeurs licenciés respectivement les pourcentages de : 11,78%, 9,98% et 10,70%.
Les correcteurs certifiés ont à leur tour dégagé respectivement : 0,9%, 0,34% et 0,55%.
Une nette amélioration est visible par rapport aux deux dernières années. La figure ci-
dessous fait ressortir le récapitulatif des anomalies de trois années.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 257


La double correction comme solution à l’évaluation du baccalauréat tchadien

Figure 4 : Évolution des anomalies dans la correction des copies d’examens des
enseignants certifiés au cours des années 2019, 2020 et 2021

Français
2
1,8
Techniques 1,6 Arabe
1,4
1,2
1
0,8
0,6
SVT 0,4 Anglais
0,2 2019
0
2020
2021
Phys-Chimie Hist-Géo

Mathématiques Philosophie

Il ressort de cette figure que les anomalies ont continuellement diminué. Elle est très
remarquable chez les enseignants des filières techniques, les enseignants de SVT et ceux
d’Histoire-Géographie. Une faible amélioration est constatée en Mathématiques et en
Philosophie. On note aussi une amélioration moyenne en Anglais, en Arabe et en
mathématiques. Bien qu’il y ait amélioration, il reste encore beaucoup à faire en
Philosophie et en Français.

3. Résultats
Les résultats de notre étude sur la double correction et succès au baccalauréat
tchadien dégagent deux tendances suivant la synthèse du tableau ci-dessous.

TABLEAU RÉCAPITULATIF DES RÉSULTATS DE TROIS ANNÉES

Copies corrigées par des enseignants Copies corrigées par des enseignants
certifiés licenciés
Copies Anomalies Copies Anomalies

ANNEE Nombre Nombre % Nombre Nombre %

2019 42 000 479 1,14 42 000 9 305 22,15

2020 42 000 362 0,86 42 000 8 084 19,25


2021 42 000 316 0,75 42 000 6 632 15,79
TOTAL 126 000 1 157 0,92 126 000 24 021 19,06

Source: ONECS 2022

La première tendance concerne le premier groupe de correcteurs qui sont les


professeurs licenciés. Il résulte de cette analyse un taux d’anomalies de 22,15% en 2019,

258 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜251-260


Mahamat Hassaballah ABAKAR, Yallah Waïdou ESAÏE & Abdourhaman IBRAHIM

19,25% en 2020 et 15,79% en 2021. Ce qui donne un taux global de 19,06% pour les trois
années. Et le second groupe fait référence aux professeurs certifiés. Il en résulte un taux
global pour les trois années de 1,14% en 2019, 0,86% en 2020 et 0,75% en 2021. Ce qui
donne un taux global de 0,92% pour les trois années. C’est qui explique que les
enseignants licenciés ont un sérieux problème en évaluation du fait de leur formation. Ce
sont des licenciés des différentes universités et instituts qui sont directement intégrés
comme enseignants sans formation professionnelle aucune dans les écoles de formation.
Concernant le deuxième groupe qui est celui des enseignants certifiés. Ceux-ci sont des
professionnels, ceux qui ont suivi les formations professionnelles comme des enseignants
dans les grandes écoles de formation comme des Écoles Normales Supérieure. Ils ont une
bonne connaissance de la docimologie. Raison pour laquelle, ils se sont démarqués par
leur prestation dans l’organisation du baccalauréat dans le domaine de l’évaluation. Dans
tout le cas, la double correction, au vu des différentes statistiques dégagées, a pu faire sa
preuve. Les différents taux d’anomalies font suite à l’œuvre de la double correction. Elle a
permis de donner la chance aux candidats d’être évalués objectivement. Elle a permis
aussi de réduire les risques d’injustice et de négligence des évaluateurs. C’est grâce à elle
que le sérieux est instauré puisque les correcteurs sont tenus d’évaluer objectivement sous
peine d’être interpellés par les vérificateurs si jamais l’écart est de taille.

4. Discussion
À la lecture de ce tableau, le taux d’anomalies dans la correction en 2019 était de
1.14% pour les enseignants certifiés et 22.15% pour les licenciés (Tableau 1). En 2020, ce
taux était de 0.86% pour les professeurs certifiés et 19.25% pour les enseignants licenciés
(voir le tableau 2). En 2021, le taux d’anomalies, dans la correction, était de 0.75% pour
les enseignants certifiés et 15.79 % pour des professeurs licenciés (Tableau N°3).Nous
remarquons, à première vue, la baisse continuelle d’anomalies. De 1,14% en 2019 et
0,86% en 2020, nous n’avons enregistré que 0,75% en 2021. Cette même amélioration de
correction est également constatée chez les correcteurs licenciés. De 22,15% en 2019,
nous sommes passés à 19,25% en 2020, puis à 15,79% en 2021. Ce progrès dans la
qualité de correction résulte de la mise en place de la commission des vérificateurs, avec
pour rôle de veiller à la transparence des activités de correction des copies des candidats
au baccalauréat, en s’assurant que toutes les copies ont été convenablement corrigées pour
éviter des erreurs préjudiciables aux candidats. La présence des vérificateurs a amené les
correcteurs à être objectifs et sérieux dans la correction des copies.
En notre qualité d’observateurs directs, puisque nous sommes directement
impliqués dans l’organisation de cet examens, les types d’anomalies constatés sont entre
autres : copies non signées, schéma mal apprécié, correction partielle, omission des notes,
non-respect des barèmes, calcul erroné des notes, correction partielle, pas de correction de
la forme, non appréciation, notes arbitraires, non correction des fautes, non report des
notes, non maîtrise de méthodologie ou du barème, intercalaires parfois non corrigés, non-
respect des barèmes, mauvaise appréciation des terminologies.

Conclusion
Nous tenons à rappeler les grandes articulations de la démarche et les analyses
effectuées. Nous voulions analyser la fonction et la portée de l’instauration de la double
correction sur le succès au baccalauréat. Au regard de cette analyse, il se trouve que la
politique de formation des enseignants n’est pas sans conséquence sur le succès au

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 259


La double correction comme solution à l’évaluation du baccalauréat tchadien

baccalauréat. Le taux d’admission est faible pour certains, très faible et nul pour d’autres
encore. Ce faible pourcentage est dû à la non-qualification du personnel enseignant, à
l’administration quasi-défaillante ou partisane du système éducatif. Cette enquête, qui s’est
déroulée lors du déroulement de la correction du baccalauréat au Tchad pour les trois
années consécutives, s’est portée essentiellement sur les données statistiques de ces trois
différentes sessions. La raison est que les enseignants des classes de terminale ne
disposent pas de qualité requise pour enseigner en terminale. La plupart de ces
enseignants sont sortis des universités et ne disposent pas de connaissances en pédagogie
et en docimologie. Les données recueillies nous ont permis de vérifier nos hypothèses selon
lesquelles la double correction est une pratique efficace dans les évaluations des
apprentissages notamment le baccalauréat. La formation des enseignants, surtout ceux des
classes de Terminale, est une nécessité pour le système éducatif tchadien. Négligée, elle
constitue un obstacle majeur pour le rendement aux examens finaux, tels que nous l’avons
observé.

Références bibliographiques

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Crahay, M. (2007).Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? De Boeck
Chevillard, Y.(1991) La Transposition didactique, d’un savoir savant au savoir enseigné.
Grenoble : la pensée sauvage
De VecchI, G.(2011). Évaluer sans dévaluer, Paris, Hachette Éducation.
De Landsheere, G.(1972). Experimental comparative education, Presse universitaire de
Paris.
Georges, F. & Joëlle, P. (2007). Repenser les effets d’établissement : marchés
scolaires et mobilisation, Revue française de pédagogie, 159.[En ligne], consultable sur
DOI : 10.4000/ rfp.1133
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africains, Versailles, CEDEX, France.
Mager, F. R.(2001, Comment définir des objectifs pédagogiques, DUNOD, Paris
Pottiez, J.(2017).L’Évaluation de la formation, pilotez et maximisez l’efficacité de vos
formations, Paris, DUNOD
Merle, P.(1998). Sociologie de l’évaluation scolaire, revue française de pédagogie
Perrenoud, Ph.(1998).L’évaluation des élèves, Bruxelles, Paris
Rapport
Rapport des États généraux pour l’éducation du Tchad, 1995.
Données statistiques de l’ONECS, 2023

260 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜251-260


Aminata KEBE

LE CONCEPT DE L’ÉDUCATION CHEZ


LES MANDINGS

Aminata KEBE
Université Félix Houphouët-Boigny
[email protected]

Résumé : Les chansons jouent un grand rôle dans la culture mandingue. Le but visé,
c’est d’apporter des enseignements, des savoirs. Les chansons éduquent sur les
différents aspects de la vie. Elles sont d’un grand apport dans l’éducation. Le
chanteur vise à capter l’attention de l’écouteur et à susciter chez ce dernier des
sentiments. Pour transmettre son message éducatif, le chanteur joue sur les mots afin
d’éveiller des sentiments.

Mots-clés : Éducation ; chanson ; formation ; culture ; identité ; société


traditionnelle ; société moderne

THE MANDING CONCEPT OF EDUCATION

Abstract: The songs are important rules in the mandinguo culture. The objective is to
teach people how to know the different things of the life. The songs contribute to
education of people. The singer can attract somebody attention. To transmit a
message, he uses the words which waken feeling.

Keywords: Education; sing; formation; culture; identity; traditional society;


modern society

Introduction
L’Education, c’est la formation globale d’un individu à divers niveaux (au niveau
religieux, moral, social, technique, scientifique, médical, etc.). L’éducation est de ce fait
l’action de développer chez l’individu un ensemble de connaissances et de valeurs morale,
physique, intellectuelle et scientifique afin qu’il atteigne le niveau de culture souhaitée.
Elle permet de transmettre d’une génération à l’autre la culture nécessaire au
développement de la personnalité et à l’intégration sociale de l’individu. Eduquer n’est pas
une chose facile. L’on doit trouver des moyens efficaces pour faciliter le processus
d’éducation. Chez le peuple mandingue, l’éducation s’inscrit dans un processus. L’un des
moyens auxquels ce peuple a recours est la chanson. La chanson n’est pas seulement
utilisée comme moyen ludique mais aussi et surtout comme un canal de transmission de
savoirs. Le processus dans lequel s’inscrit l’éducation est long et se fait au moyen de la
langue. Tout ceci confère à l’individu une identité. Au regard de cela, nous nous posons la
question qui est de savoir la place ou le rôle de la chanson dans la vie des mandingues.
Que véhiculent ces chansons pour que ce peuple s’y intéresse ? Que représente réellement
la chanson pour les mandingues ? D’abord, nous allons établir une approche sur le concept
de l’éducation. Ensuite, nous nous attellerons à faire une brève présentation du milieu
mandingue. Et enfin, nous présenterons des textes et messages de quelques chansons
mandingues qui prônent des savoirs pour la bonne marche des individus.

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 261


Le concept de l’éducation chez les Manding

1. Approche conceptuelle
L’enjeu de l’éducation réside dans sa capacité en tant que véhicule de transmission
de savoirs aux générations futures. En tant que telle, l’éducation constitue un moyen de
défense pour cette catégorie sociale en lui permettant de faire face aux difficultés de la vie.
Nous avons pu identifier trois catégories de savoirs. Ce sont :
Le savoir correspond aux connaissances acquises par apprentissage ou par
expérience. Les moyens qui sont mis à la disposition des apprenants pour acquérir aux
mieux les connaissances que sont la lecture, l’écriture, les mathématiques, etc.
Le savoir-faire quant à lui correspond à des compétences pratiques. Ce sont les
expériences acquises dans l’exercice d’une activité artisanale, artistique ou intellectuelle.
Le but visé ici est de trouver tous les moyens pouvant permettre aux individus d’acquérir
au mieux des compétences et des habilités pratiques. Les compétences acquises aux cours
des différentes formations doivent leurs permettent de subvenir aux besoins et aux
difficultés auxquels ils seront amenés à faire face.
Le savoir-être, lui, s’acquiert en partie par la connaissance de savoirs spécifiques.
C'est le reflet de notre personnalité (qualités, défauts). C'est aussi la capacité à s'adapter à
des situations variées, un mode de fonctionnement. Il a également pour objectif de
permettre aux apprenants d’acquérir au mieux la maitrise d’actions et de réactions
adaptées à leur organisme et à leur environnement : préservation de l’environnement,
hygiène, contrôle émotionnel, contrôle comportemental, responsabilisation, actions pro
sociales, coopération, gestion des conflits…

2. Brève présentation du milieu mandingue


Précisons ici que nous distinguons deux types de sociétés chez les mandingues : la
société traditionnelle et la société moderne.

2.1 Dans la société traditionnelle


Cette société mandingue a ses propres valeurs. Les normes qui régissent la société
traditionnelle mandingue sont liées à plusieurs facteurs qui sont :
L’âge. L’éducation du jeune mandingue se fait en trois principales périodes : de la
naissance à l'âge de sept ans ; de sept ans à quatorze ans pour le garçon et sept à la venue
de ses premières menstrues pour la fille ; de quatorze ans à vingt ans.
Le sexe. Dans la société mandingue tout comme dans les autres sociétés,
l’éducation se donne en fonction du type de citoyen à former, voulu par la société.
L’éducation du garçon est différente de celui de la fille.
La caste. La société traditionnelle mandingue tout comme beaucoup de sociétés est
une société à caste. L’empire mandingue s'organisait en castes, chaque caste correspondait
à une profession ou une activité artisanale, participant à la cohésion et à l'unité de la
société. Les principales castes de la société mandingue sont : la caste des forgerons ; la
caste des cultivateurs ; la caste des cordonniers ; la caste des tisserands ; la caste des
chasseurs ; la caste des griots.
La religion. Aujourd’hui nous pouvons affirmer que parmi le peuple manding, il y a
des musulmans, des chrétiens et des animistes ou fétichistes.

2.2 Dans la société moderne


Dans la société moderne mandingue, nous constatons qu’il y a eu beaucoup de
changements. Ici le processus éducatif n’est pas tout à fait identique à celui que l’on

262 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜261-270


Aminata KEBE

rencontre dans la société traditionnelle. On tient compte dans cette société des facteurs
comme : l’âge, le sexe, la caste, la religion. Mais l’école a pris le relais. La majeure partie
du processus d’éducation se fait à l’école car elle est reconnue par l’Etat. Il ne faut oublier
de préciser que les apprentissages se font toujours auprès des parents. L’un des moyens
auxquels ce peuple a recours pour inculquer ses savoirs est la chanson.

3. Quelques savoirs prônés à travers les chansons mandingues


Drissa Diakité (1988) définit le chant en ces termes : « le chant est probablement
la forme de parole la plus apte à dire les sentiments de l’homme, à traduire ses aspirations
et ses états d’âme, ses joies, ses peines, l’homme les chante volontiers. Toutes les
circonstances de la vie sont propres à exploiter ce mode d’expression, surtout en Afrique,
ou pratiquement toute manifestation collective s’accompagne de chants ». La chanson est
un fait social commun à toutes les sociétés. Nous pouvons par conséquent l’appréhender
comme un phénomène universel. Dans beaucoup de sociétés, la chanson est liée aux
événements ou circonstances de la vie. C’est en ce sens qu’elle développe une thématique
propre. La chanson permet d’acquérir de nombreuses connaissances et valeurs telles que le
savoir, le savoir-faire et le savoir-être que nous mentionnerons ici.

3.1 Le respect
C’est l’une des principales vertus que l’on apprend aux individus. Les hommes et
les femmes sont tous deux concernés Et cela à toutes les étapes de leur vie. Nous pouvons
citer entre autres le respect des parents, des autres, du mari, de la femme, des beaux-
parents, de l’environnement, etc.

-Le respect des personnes


Certaines chansons enseignent comment respecter et réagir face à l’autre. Dans le
mariage, la mariée doit du respect à son mari. Elle peut être confrontée à plusieurs
difficultés entre autres les injures de ses beaux-parents, de sa rivale, etc. La chanson 13
intitulée « sigi kuruni » (Kébé, 2008) l’atteste bien à travers les vers 8-10, 14-16, 22-28.
Ces vers montrent la manière dont l’épouse doit se comporter avec son époux c’est-à-dire
répondre lorsqu’il la sollicite, ne pas manquer de respect à son mari et à ses beaux-parents.
Elle ne doit pas non plus répondre aux provocations de sa coépouse si elle en a. Son
comportement dans le foyer doit refléter l’éducation qu’elle a reçue de ses parents. Des
chansons nous incitent vivement au respect des êtres humains. Pour les mandings, les
enfants doivent à autrui le même respect qu’ils ont pour leurs parents et proches. Ainsi ils
récoltent leurs bénédictions. Cela assure le succès dans la plupart de leurs entreprises et
leur permet de faire face à toutes les difficultés auxquelles ils seront confrontés et
d’accéder aussi au plus long échelon dans leur vie. Nous le constatons aussi à travers les
vers 32-35 de la même chanson 13.

(8) ni i furucɛ man’ i wele


Si-ton- époux-conditionnel –toi-appeler
Si ton époux t’appelle

(9) i bori ka t’o lamɛn


Tu-courir-préd(prédicatif)-aller-lui-écouter
Presses- toi d’aller l’écouter

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 263


Le concept de l’éducation chez les Manding

(10) kan’o surundu


Proh(prohibitif)-lui-adresser des sifflements de mépris
Ne lui adresse pas des sifflements de mépris

(14) ni i cɛ woloba man’i nɛnni


Si-tu-homme-mère-conditionnel-insulter
Si ta belle-mère t’insulte

(15) kan’o nɛnni ala


Proh-elle-insulter-ala (interjection)
Ne réplique pas

(16) kan’o dɔgɔya


Proh-elle-manquer de respect
Ne lui manque pas de respect

(22) ni i sinanmuso man’i bugo


Si-tu-coépouse-conditionnel-tu-frapper
Si ta coépouse te frappe

(23) kan’o nɛnni ala


Proh-elle-insulter-ala
Ne l’insulte pas

(24) ale ni ala to


Elle-avec-Allah-laisser
Confie là à Dieu

(25) ni i burancɛ man’ i wele


Si-tu-beau-père-conditionnel-tu-appeler
Si ton beau-père t’appelle

(26) i bori ka t’o lamɛn


Tu-courir- préd -aller-cela-écouter
Empresses- toi pour répondre

(27)-kan’ o surundu
Proh-lui-adresser un sifflement de mépris
Ne lui adresse pas un sifflement de mépris

(28) o y’i wolofa bɛrɛ dɔ ye


Il-préd-tu-père-vrai-certain-préd
Considère- le comme ton cher père

264 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜261-270


Aminata KEBE

(32) Ni muso min ye furu bonya, ka furu bato


Si-femme-qui-préd-mariage-respect, préd-mariage-adorer/ respecter
La femme qui respect e les règles du mariage, et qui s’y conforme

(33) O den bɛ barika


Son-enfant (générique)-préd bénir
Ses enfants seront bénis
(34) Ni muso min ye furu bonya, ka furu bato
Si-femme-qui-préd-mariage-respecter, préd-mariage-adorer-se conformer
La femme qui respecte les règles du mariage et qui s’y conforme

(35) O den tɛ to kɔ
Son-enfant-nég-rester-derrière
Verra tous ses enfants réussir

- Le respect de l'environnement
Les chansons mandingues nous incitent aussi à la préservation et au respect de
notre environnement. Elles nous enseignent les bienfaits des choses qui nous entourent.
Voir chanson 4 « farafina danbe » 1
(5) Kana tolon kɛ sɛnɛ la
Proh-amusement-faire-culture de la terre-post
Ne joue pas avec la terre

(6) sɛnɛ y’an danbe nyuman ye


Cultiver-préd-nous-valeur (richesse)-bonne-prédicatif
La culture est une richesse pour nous

(7) Kana tolon kɛ yiriw la


Proh-amusement-faire-arbres-post
Ne t’amuses pas avec les arbres

(8) yiri y’an danbe nyuman ye


Arbres-préd-nous-valeur(richesse)-bonne-préd
Les arbres sont une richesse pour nous

(9) Kana tolon kɛ bajiw la


Proh-amusement-faire-fleuves-post
Ne t’amuse pas avec l’eau du fleuve

(10) Bajiw y’an danbe nyuman ye


Les fleuves-préd-nous-valeur (richesse)-bonne préd
Les fleuves sont une richesse pour nous

1
A. kébé,op.cit , chanson 4 « farafina danbe » ,en annexe

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 265


Le concept de l’éducation chez les Manding

(11) Kana tolon kɛ tasuman la


Proh-amusement-faire-feu
Ne t’amuse pas avec le feu

(12) Tasuman y’an danbe jugu ye


Feux-préd-nous-valeur-mauvais-préd
Le feu est un ennemi pour nous

Cette chanson nous enseigne les comportements à adopter et à éviter pour la protection de
l’environnement qui nous entoure c’est-à-dire la faune, la flore, l’air et l’eau. Environnement sain
équilibré. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un grave problème : celui du réchauffement
climatique, des feux de brousse, désertification et de la pollution. Nous pouvons mettre à profit
cette chanson en vue de sensibiliser les populations sur les dangers des actions qu’elles posent et
qui détruisent l’environnement. La chanson « farafina danbe » de Nahawa doumbia suscite l’envie
de lutter en faveur de la préservation de l’environnement. Cette chanson est en rapport avec la
convention des droits de l’enfant (article 29), dont l’un des alinéas stipule qu’il faut inculquer à
l’enfant le respect du milieu naturel.

3.2 Le pardon
Le pardon est l’une des valeurs que chaque être humain doit cultiver. Pardonner,
c’est avancer, ce n’est ne pas regarder derrière soi.
(11) yafa o bamuso ma2
Pardonner-leur-mère-post
Pardonne à la mère

(27) e cɛw ka akɛ to3


Hé-hommes-préd-péché-laisser
Que les hommes pardonnent

(28) ne bademancɛw ka akɛ to


Moi- frères- préd-péché-laisser
Que mes chers frères nous pardonnent

(1) sabari4
Pardon
Pardon

(2) sabari
Pardon
Pardon

(3) sabari kanyi


Pardon-bon
Le pardon est bon

2
A. kébé, op.cit chanson 3 en annexe
3
A. kébé, op.cit chanson 9 en annexe
4
A .kébé, op.cit chanson11 en annexe

266 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜261-270


Aminata KEBE

(4) ni i ki sabari
Si-tu-préd-pardonner
Si tu pardonnes

(5) sabari tɔnɔn ka bon


Pardon-bénéfice-préd-grand
On gagne beaucoup quand on pardonne

Dans les chansons 3, 9,11, monèmes qui renvoient au pardon sont nombreux d’où
l’importance de ce mot yafa, akɛ to, sabari. Ces différents vers que l’on retrouve dans ces
chansons insistent beaucoup sur le pardon qui est une valeur que l’on acquiert avec
beaucoup de sacrifices. Ce thème est d’actualité en Côte d’Ivoire parce qu’une cérémonie
officielle a été organisée à l’endroit des victimes de la crise post-électorale afin qu’elles
puissent pardonner tout le mal qui leur a été fait car rien ni personne ne pourra réparer le
préjudice qui leur a été causé. Dans ce cas précis, c’est akɛ to (réfléchir et pardonner sans
aucune envie de vengeance) qui est approprié dans ce type de circonstance. Lorsqu’on
arrive à franchir cette étape, l’on est libéré du lourd fardeau qui pesait sur soi. Accepter
de pardonner malgré toutes les frustrations, permet de récolter de nombreux bienfaits
comme l’affirme la chanteuse Mame miss dans le vers 5 de la chanson 11.

3.3 Le travail
C’est ce par quoi se définit l’homme. Le travail permet à l’homme de subvenir à ses
besoins. C’est l’un des objectifs que doit se fixer un homme. Il est un moyen
d’affranchissement pour ce dernier. Les chansons mandingues également encouragent au
travail ; elles montrent que le travail paie et que la récompense au bout de l’effort. Les vers
3 et 4 de la chanson 7 le montrent clairement. 5 Le travail permet à l’individu de se faire
une place dans la société. Selon les mandings, un homme qui ne travaille pas sa place
parmi eux. Nous constatons qu’il y a répétition du lexème baara d’où son importance dans
la vie. Le travail permet à l’homme d’affirmer son autonomie, d’être indépendant et libre.
(3) Sunguru min ma baara kɛ ka jugu sɔn pɛrɛn do
Jeune fille-qui-nég-travail-faire-préd-ennemi-cœur-briser-porter
La jeune fille qui n’a pas travaillé pour porter ce pagne

(7) Kamele min ma baara kɛ ka sebago do


Jeune homme-qui-nég-travailler-faire-préd-sebago-porter (se chausser)
Le jeune homme qui n’a pas travaillé pour porter cette chaussure (sebago)

3.4 Les devoir s de la femme


La femme dans la société mandingue doit avoir beaucoup de qualités, ce qui
lui servira à chaque étape de sa vie. Ces qualités sont entre autres : être bonne
cuisinière, travailleuse, respectueuse, elle doit pouvoir entretenir un foyer, etc. La
chanson de l’artiste Oumou Sangaré interpelle les mères en vue d’enseigner les bases
du foyer à leurs enfants. A travers les vers 35 à 39 de la chanson 96, la chanteuse
cite certaines qualités que doit avoir une femme : tobili, dji ta, fani ko sont quelques

5
A. Kébé, op.cit chanson 7 en annexe
6
A. kébé, op.cit chanson 9 en annexe

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 267


Le concept de l’éducation chez les Manding

composantes du baara (travail). L’homme peut se vanter des qualités de son épouse
devant ses amis. Chez les mandings, le travail pour l’homme et pour la femme ne se
situe pas au même niveau. Cette différence est due en partie au fait qu’ils n’occupent
pas la même place dans la société. Dans cette société, l’homme et la femme ont tous
deux des droits comme des devoirs. Pour revendiquer ses droits, il faut Que l’un ou
l’autre accomplisse ses devoirs. Chez les mandings comme chez beaucoup de
peuples surtout africains, certains devoirs sont propres aux femmes entre autres
l’éducation des enfants, les travaux ménagers, etc. Oumou sangaré incitent les mères
ainsi que leurs filles à l’endurance, au respect et à la maîtrise de soi, etc. Ces
qualités constituent des armes pour les femmes. Munies de ses armes, elles pourront
donnés conseil aux plus jeunes tout en se servant des expériences vécues. Cela est
perçu dans la chanson 5 à travers les vers 3 à 7 ; 10 à 177 .
(35) ne ba ma n degi tobili la
Moi-mère-nég-moi-apprendre-cuisiner-post
Ma mère ne m'a pas apprise à faire la cuisine

(36) ne ba ma n degi dji ta la


Moi-mère-nég-moi-apprendre-eau-porter-post
Ma mère ne m'a pas apprise les corvées d’eau

(37) ne ba ma n degi fini ko la


Moi-mère-nég-moi-apprendre-habits-laver-post
Ma mère ne m'a pas apprise à faire la lessive

(38) e yi yo bi denbaw yo n'aw m' aw denw degi baara la


Hé-yi-yo-aujourd'hui-mères-yo-si-vous-nég-vous-enfants-apprendre-travail-post
Mère d'aujourd'hui, si vous n’enseignez pas le travail à vos enfants…

(39) muso danbe du ye baara ye


Femme-valeur-post-préd-travail-préd
La valeur de la femme se mesure à son travail

(3) Fa nɛni b’a la


Père-insulte –préd-dans-post
Dans le mariage, on insulte ton père

(4) Ba nɛni b’a la


Mère-insulte- préd -dans-post
Dans le mariage, on insulte ta mère

(5) Nyɛgoya b’a la


Egoïsme-préd-dans-post
Il y a l’égoïsme dans le mariage

7
A. kébé, op, cit chanson 5 en annexe

268 Actes du 4ème Colloque 2022 ⎜261-270


Aminata KEBE

(6) kɔrɔmatigɛli b’a la


Sous-entendus provocateurs-préd- dans-post
Il y a des sous-entendus provocateurs

(7) bugɔli b’a la


Le fait de battre-préd-dans-post
On te bat dans le mariage

(10) Sigi nyɔgɔn jugu b’a la


Voisin-mauvais/méchant-préd-dans-post
On y trouve le méchant entourage

(11) Blan muso jugu b’a la


Belle-mèree-méchante- préd –dans-post
On y trouve la méchante belle-mère

(12) Blan cɛ jugu b’a la


Beau-père-méchant- préd –dans-post
On y trouve le méchant beau-père

(13) sɔn ja b’a la


Exaspération- préd –dans-post
On y rencontre les frustrations

(14) dusukasi b’a la


Meurtrissure du cœur- préd-dans-post
On y rencontre le désespoir

(15) nyɛji bɔ b’a la


Larme-sortir-- préd-dans-post
On y pleure

(16) nɛni b’a la


Les injures-préd –dans- post
Il y a aussi les injures

(17) sinan muso jugu b’a la


Rivale-femme-méchante- préd-dans-post
Il y a /on y trouve la méchante coépouse (rivale)

Conclusion
Au terme de notre analyse, nous constatons que loin d’être un moyen de distraction,
les chansons mandingues sont des sources inespérées et inestimables de richesses. A
travers elles, nous connaissons l’histoire et bien d’autres choses nous concernant et
concernant les autres. Pour notre part, c’est le moyen le plus accessible et le plus ludique
pour transmettre des savoirs. Les chansons s’adressent à toutes les classes et catégories

Akofena ⎜Hors-série n°02, Vol.2 269


Le concept de l’éducation chez les Manding

d’âges. Elles permettent d’acquérir de nombreux savoirs tels que le respect, le pardon, le
travail, etc. dont se servira l’homme pour mener à bien sa vie.

Références bibliographiques
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Mandinka of Western Africa, Chicago, The university of Chicago Press
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Kébé, A. (2008). Aspects éducatif, linguistique et stylistique de chansons mandingues,
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les langues nationales du 21 au 24 Mars 2008 au Conseil économique et social,
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Discographie
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Doumbia , nahawa (1993), « farafina danbe » dans Mangoni ,Syllart productions.
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Sangare, oumou (1993), «bi furu » dans ko sira , World circuit records.
Sangare, oumou (1993), «sigi kuruni » dans ko sira , World circuit records.
Chanson populaire, « kɔmɛsi ».
Chanson populaire, « sigi ».

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