MP 2017 LAVIGNE Marion
MP 2017 LAVIGNE Marion
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LAVIGNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
UNIVERSITE CLAUDE-BERNARD LYON 1
Juin 2017
N° 1401
Mr Olivier BILLIOUD
LAVIGNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
1. Université Claude Bernard Lyon1
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SOMMAIRE :
Introduction ....................................................................................... 1
I/ L’enfant autiste............................................................................................................... 3
1) Exister à soi : Se sentir exister, sur quelles bases et par quels moyens ? ............ 4
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Partie clinique : Deux rencontres ..................................................... 32
I/ Présentation de la structure .......................................................................................... 32
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Partie théorico-clinique : Trouver sa place ...................................... 54
I/ L’enfant autiste, le psychomotricien et la psychomotricité ......................................... 54
Conclusion ....................................................................................... 70
Remerciements ................................................................................ 72
Bibliographie .......................................................................................
Résumé ................................................................................................
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INTRODUCTION :
C’est la question sur laquelle je vais me pencher et tenter d’apporter des pistes de
réflexion dans ce mémoire. Pour cela, j’ai choisi de diviser mon mémoire en trois parties.
Dans la première partie théorique, je m’intéresserai tout d’abord à l’enfant autiste dans sa
construction psychocorporelle et ses particularités, puis à sa rencontre avec le
psychomotricien. Dans la deuxième partie clinique, je vous présenterai deux enfants que je
rencontre à l’IME pour illustrer mes propos. Et enfin, dans la dernière partie théorico-
clinique je tenterai de compléter puis clore ma réflexion notamment sur la question de
l’ajustement dans la rencontre sensible à l’autre.
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PARTIE THEORIQUE : EXISTER
Introduction
Trouver et donner une définition de l’autisme n’est pas chose aisée. Il en existe de
multiples. Je m’appuierai ici sur celle du DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of
Mental Disorders, une classification américaine des troubles mentaux) selon laquelle un
trouble du spectre autistique (TSA) se caractérise par une dyade symptomatique : une
altération de la communication et des interactions sociales et la manifestation de
comportements stéréotypés et d’intérêts restreints.
En effet, dans la rencontre avec des enfants autistes, on peut parfois se demander
quelle est leur réalité et si elle a des points de convergence avec une réalité plus
ordinairement perçue. De même, pour le psychomotricien il est quelquefois difficile
d’exister face à ces enfants qui ne nous reconnaissent parfois pas comme autre, ne nous
font pas exister dans leur environnement.
Winnicott, lui, parle du sentiment continu d’existence que le bébé éprouve quand sa
mère, dans une préoccupation maternelle primaire, lui offre un fond suffisamment
sécurisant. Le bébé se sent alors exister, soutenu par le support maternel omniprésent.
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Dans le domaine de la phénoménologie, Heidegger parle de l’existence (ex-sistere :
avoir sa tenue hors de soi) comme la manière d’être au monde et d’habiter le monde par
son corps, rajoute M. Merleau-Ponty, introduisant ainsi la notion de corporéité à
l’existence. Le corps est un espace d’existence.
Cela amène alors la question des appuis : comment trouver des appuis corporels et
environnementaux pour être, pour se sentir exister ?
Cette notion d’existence est alors parlante dans la clinique de l’autisme. Comment
l’enfant autiste existe-t-il pour lui puis dans la rencontre à l’autre ? De même, comment le
psychomotricien peut-il avoir suffisamment d’appuis pour pouvoir s’affirmer et donc
exister dans sa fonction soignante pour ensuite rencontrer le patient autiste et co-exister
avec lui.
I/ L’enfant autiste
« Je ne peux croire que le sol sur lequel je me déplace est solide et ferme et j’imagine
tomber sans fin ; je ne peux supporter que sans cesse mon poids m’entraine vers le bas et je
m’accroche et me suspends toujours plus haut des mains ou du regard ; je ne peux croire
que mon corps renferme une armature, un squelette solide et dur et je me répands sans
cesse au sol jusqu'à y adhérer ; ou bien je me fabrique une carapace ; je ne peux croire que
j’aie un volume, un intérieur, un extérieur, un devant, un derrière ; je suis plat et le monde
est plat à l’infini… sinon le risque est grand qu’il soit percé d’un trou sans fond et sans
bord. » (Latour, 2002, p. 122)
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1) Exister à soi : se sentir exister, sur quelles bases et par quels
moyens ?
Pour aborder ce point et ainsi réussir à donner les grands axes de la construction
corporelle du sujet autiste, je m’appuierai sur l’approche sensorimotrice de Bullinger et la
construction des différents espaces corporels. Il faut néanmoins garder en tête que chaque
individu va avoir un développement singulier et subjectif. Référer ici de la construction
corporelle du jeune autiste me paraît judicieux dans la mesure où le corps sera un support
au sujet pour interagir avec son environnement.
Selon Piaget (cité par Meurin, 2016, p. 185), la période sensorimotrice est une
période où l’enfant se développe en appui sur ses sensations et sa motricité pour intégrer le
monde. Ces explorations alimentent également son activité psychique et la mise en route
de sa pensée (processus de symbolisation).
Selon Meurin (2016), c’est durant ces trois premières années de vie et donc pendant
le développement sensorimoteur que se situe le début de la pathologie autistique et donc
durant cette période que vont se fixer les particularités sensorielles et posturales de la
personne autiste. En effet, dès bébé, celui-ci va s’attacher à certains comportements et
certaines coordinations corporelles qui vont ainsi créer des mouvements parasites. De
même, les représentations vont rester bloquées au stade de proto-représentations
(représentation du corps en action) non transformées et non symbolisables.
L’espace utérin : dans lequel un premier dialogue tonique entre le fœtus et la mère (ou
plutôt l’enceinte utérine) se met en place.
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L’espace de pesanteur : le bébé face à la pesanteur va devoir adopter une posture et
organiser ses appuis sur ses sensations. Cela mènera ensuite à sa verticalisation, nécessaire
pour conquérir le monde. De plus, les variations toniques et émotionnelles vont prendre
sens dans l’interaction avec le milieu humain. Chez le bébé à risque autistique, la difficulté
de régulation tonique va amener une difficulté d’adaptation aux effets de la pesanteur. Le
bébé a ainsi du mal à trouver des appuis pour pouvoir se redresser de manière
harmonieuse. Il adoptera alors des postures plutôt asymétriques et pourra avoir la sensation
de s’effondrer sous cette pesanteur réveillant ainsi des angoisses de chute et de
liquéfaction. Ce sont alors souvent des bébés qui vont avoir des conduites d’agrippement
pour lutter contre ces angoisses.
L’espace du buste : c’est la capacité du bébé de pouvoir redresser le haut de son corps et
ainsi d’arriver à trouver un équilibre entre l’avant et l’arrière, entre la flexion et
l’extension. Deux prérequis sont nécessaires : un arrière-fond solide, notion développée par
Haag (1990), et une vision focale et périphérique coordonnées. L’arrière-plan est une base,
un socle suffisamment solide sur lequel l’enfant s’est construit et qui lui assure un
sentiment de sécurité et de continuité d’exister dans son environnement. Le jeune enfant
autiste va avoir des difficultés à créer cet espace. Souvent sa posture va rester en extension
dans un tonus très haut (dit pneumatique) ce qui entrainera une marche plutôt sur la pointe
des pieds. De plus, cette hyperextension posturale gênera les coordinations bimanuelles et
oculomanuelles de l’enfant. Cette impossibilité d’accéder à un redressement harmonieux
découle en partie du fait que la vision périphérique est gardée préférentiellement, ne
s’alliant pas à la vision focale. C’est ce qui amènera l’impression de regard fuyant et
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transperçant face à l’enfant autiste et altérera les capacités d’attention conjointe. De plus,
l’arrière-fond est souvent défaillant et n’est pas assez constitué et intégré pour ces enfants,
cela explique alors pour certains leur permanente conduite d’agrippement visuel ou la
recherche d’appuis.
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« La psychomotricité d’un individu constitue la manière dont un sujet habite son corps »
(Joly, s. d., p. 49)
Bullinger cité par Meurin (2016, p. 185) rappelle tout d’abord qu’il faut différencier
le corps de l’organisme. En effet, le corps est le fruit d’une construction et il faut donc
pouvoir habiter son organisme avant qu’il ne devienne corps. « Habiter son corps suppose
alors que l’on maîtrise les sensations qui arrivent aux frontières de l’organisme. Savoir cela
c’est, à travers les sensations, délimiter une zone habitable ». Ainsi, « l’enfant autiste a un
corps. Mais il semble ne pas pouvoir accéder à un savoir sur ce corps, qui lui permettrait
de s’y loger subjectivement. » (Grollier, 2014, p. 16)
Selon Brun (2008, p. 7), habiter son corps c’est « une manière de parvenir à garder
un espace où pouvoir dire moi-je. Habiter son corps est un acte psychique appuyé sur du
sensoriel qui participe à un processus de la construction identitaire ». Elle rajoute : « même
s’il est abimé, un corps peut s’habiter ». Lorsque le corps n’est pas habité, c’est que
certaines parties sont clivées, non reconnues et peuvent alors devenir la source d’une
inquiétante étrangeté au sens Freudien : « l’habitable devient inhabitable et le familier, non
familier, soit aussi étrangement inquiétant » (Brun, 2008, p. 9). On peut alors se demander
où en est l’enfant autiste dans son habitation corporelle et quelles stratégies met-il en
place ?
Cependant, malgré une grande immaturité dans de nombreux domaines, les enfants
autistes présentent un développement tellement hétérogène qu’ils peuvent avoir des
manipulations autistiques très fines contrariées par une quasi « débilité motrice » dans
d’autres secteurs. Grollier (2014, p. 12) utilise l’expression « se bricoler une sorte de
corps » en parlant de l’appropriation anarchique de son corps que le sujet autiste adopte.
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Une telle dysharmonie dans l’acquisition des fonctions psychomotrices peut vite venir
déstabiliser le soignant, ne pouvant alors plus se fier aux repères « habituels » du
développement de l’enfant. L’investissement de certains secteurs de manière très poussée
au détriment d’autres peut aussi amener une certaine fascination et surtout
incompréhension face à ces enfants.
- Les sujets dont le corps semble être déserté, figé dans tous les domaines (exploration,
gestualité, expression, temps, mouvement relationnel), comme s’ils ne ressentaient
rien, comme si leur vie pulsionnelle s’était éteinte.
- Les sujets dont l’investissement corporel est « parcellaire », centrés dans la recherche
répétitive d’une même sensation. Ils ne semblent « percevoir ni la globalité de leur
corps ni celle de ceux qui cherchent à se mettre en relation avec [eux] ».
- Les sujets « qui cherchent à éviter l’envahissement de stimulations venant de plusieurs
sources simultanées ». Ils se mettent alors dans un retrait défensif, une carapace
tonique ne sachant comment gérer la charge émotionnelle entrainée par l’entrée en
relation, pourtant enclins à celle-ci.
Pour finir, l’investissement que le sujet autiste a de son corps peut être particulier et
déroutant et j’aimerais pour cela me pencher sur l’organisation de la sensorialité chez ces
enfants qui elle aussi est insolite.
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sensoriel) dans certains domaines et hypersensibles dans d’autres. De plus, des conduites
de recherche de certaines sensations vont se mettre en place de manière restreinte.
- Au niveau sonore, l’enfant autiste se crée souvent une bulle hermétique (appelée
surdité sociale). Il ne réagit pas aux bruits de l’environnement parfois même pas à son
prénom. Cependant, il réagit à des sons inaudibles par l’entourage et peut manifester
une hypersensibilité très forte à certains bruits (par exemple, l’aspirateur). Parfois, tous
les sons semblent perçus de la même intensité, ce qui forme alors un brouhaha où il est
difficile de porter attention à une stimulation sonore plutôt qu’à une autre et ainsi de
trier les sons.
- Au niveau visuel, il sera souvent fasciné par les lignes et les objets ayant des
mouvements de rotations ainsi qu’un grand intérêt pour les détails au détriment d’une
vision globale. Puis, souvent une préférence pour la vision périphérique et non focale.
- Au niveau tactile, l’enfant autiste présente souvent une hyposensibilité à la douleur
mais une hypersensibilité au contact superficiel (cependant il apprécie grandement le
contact profond).
- Au niveau vestibulaire, ce sont des enfants qui aiment beaucoup ces sensations, ils
tournent souvent sur eux-mêmes ou se balancent sans perte d’équilibre.
- Au niveau gustatif, ils présentent souvent des troubles alimentaires dus à une
alimentation sélective (texture, couleur, saveurs, disposition dans l’assiette).
- Au niveau olfactif, les enfants autistes peuvent être très sensibles à certaines odeurs :
les odeurs corporelles, les odeurs de synthèse et les odeurs persistantes comme les
produits ménagers. On peut également retrouver des conduites de flairage.
Ainsi, toutes ces particularités sensorielles vont amener pour l’enfant autiste une
certaine manière de subir, d’intégrer, de moduler, d’organiser et de se représenter son
environnement. « Comme si ces apports sensoriels venant de lui-même et de l’extérieur ne
parvenaient pas à s’articuler entre eux pour permettre au sujet de se percevoir comme une
globalité agissant et de donner un sens généralisable aux multiples messages de son
environnement.» (Lemay, 2016, p. 72)
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De plus, cette sensorialité ne semble pas être utilisée à des fins exploratoires ni
comme une forme de lien à l’environnement. En effet, l’enfant autiste a tendance à
s’enfermer dans un univers uni-sensoriel en recherchant sans cesse une même sensation.
Cela paralyse alors le sujet et l’enferme dans ce que l’on peut appeler une « bulle
autistique ».
Cette attitude fait écho à la notion de démantèlement, c’est selon Boutinaud ( 2013,
p. 129) « une opération subie par l’enfant autiste et qui amène ses différents sens à errer et
à s’attacher aux objets les plus attractifs de la façon la plus dispersée qui soit et qui finit par
aboutir à la dissociation et à la dissolution des composantes sensorielles du soi ». Ainsi par
cet accrochage à un seul canal sensoriel, la vie mentale de l’enfant se retrouve suspendue et
ses perceptions de soi et du monde fragmentées. Le démantèlement peut être appréhendé
comme un système défensif face à des angoisses archaïques profondes qui envahissent le
sujet.
Il en est de même lorsque le sujet autiste se retrouve débordé par un trop plein de
stimuli externes ou internes. Il n’est alors plus capable de les maîtriser, ni de les
transformer. Il cherche alors à retourner dans un état où son corps, l’espace et le temps sont
figés par des routines gestuelles connues, comme pour chercher à contrôler les perceptions
et donc rendre l’environnement plus prévisible. C’est ce que l’on nomme les stéréotypies.
Ainsi, l’enfant autiste peut parfois se sentir assailli de stimuli sensoriels qu’il
n’arrive pas à traiter et à transformer. Ce trop-plein d’excitation prendrait alors la forme
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d’angoisses et le seul recours de l’enfant pour contenir celles-ci serait alors de s’appuyer
sur des comportements restreints. Ainsi, sans l’établissement d’un lien pulsionnel (une
représentation) face à ces situations de débordement sensoriel (ou autre), « l’enfant reste
plongé dans un univers sans repère, bombardé d’excitation énigmatique qui ne lui laissent
pas d’autres choix qu’au recours à des mécanismes de survie très archaïques ». Cela
semblerait alors à mettre en lien avec le fait que l’objet n’est pas investi comme un
véritable objet faisant partie de l’espace et donc différencié du corps mais comme un objet
partiel considéré comme une partie de lui par l’enfant autiste. En cela, on comprend que
leur enlever cet objet peut être vécu comme un véritable arrachement.
De plus, les stéréotypies peuvent aussi se penser comme un moyen de maîtriser son
environnement et dans une recherche d’immuabilité repère, rassurante et réunifiante.
De même, cette « activité à l’allure d’une coquille vide » (Boutinaud, 2013, p. 139)
pourrait alors aussi être entendue comme un agrippement, une façon de se tenir à son corps
en maintenant ainsi une certaine sécurité et unité corporelle qui permettrait d’approcher le
monde extérieur.
Ainsi, Bullinger (cité par Joly, s. d., p. 56) parlera plutôt de « prothèse de
rassemblement ». En effet, pour lui « l’image du corps est maintenue présente par les
sensations elles-mêmes ; mais dès que les sensations cessent, l’image du corps s’estompe »
car l’enfant autiste a du mal à accéder à une représentation détachée de l’action. « Il faut
qu’il touche pour que l’objet existe, il faut qu’il bouge pour que son corps reste présent à
défaut de pouvoir construire des représentations plus mentalisées .» (Chadzynski, 2016, p.
125)
Pour finir, Joly (2016) note le fait que la répétition d’une même action est un
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moyen de figer le temps en le rendant circulaire et donc ainsi d’exercer une maîtrise sur un
paramètre de son environnement.
« Notre organisme est constitué de telle sorte qu’il puisse « comprendre » son milieu de
vie. L’enfant autiste semble « mal équipé » pour effectuer ce travail. » (Chadzynski, 2016,
p. 121)
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Tout d’abord, sa manière d’investir l’espace est particulière : l’enfant autiste est
souvent peu curieux, son exploration est pauvre, voire inexistante, et il peut s’enfermer
dans une exploration immuable de certaines activités. Et paradoxalement, il repère le
moindre détail ou changement dans cet environnement qu’il ne semble pourtant ni investir,
ni connaître, ni même parfois reconnaître. Dans ses conduites motrices, il peut rester figé
comme suspendu en apesanteur, sur la pointe des pieds ou les bras en porte-manteau, ou
alors il déambule en errant, sans but. De même, en lien avec cette recherche d’immuabilité,
l’environnement semble parfois devoir rester immuable et inchangé et ainsi lui aussi figé
dans une certaine disposition. Cette appropriation particulière de l’espace peut amener à se
questionner sur la construction topographique qu’il arrive à se faire de celui-ci (haut/bas,
dedans/dehors…) car celle-ci, subjective, dépend de l’exploration et de l’investissement
propre à chacun de l’environnement.
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prendre place dans l’espace. On peut penser alors que par celle-ci, l’enfant fait fi de
l’environnement.
Par ailleurs, Houzel, (cité par Boutinaud, 2013) postule que l’enfant autiste est très,
voire trop, sensible aux désirs et aux attentes de l’autre. Il paraît très sensible aux
mouvements émotionnels et aux états affectifs des personnes l’entourant mais il ne peut les
identifier ce qui peut être une source d’angoisse et le désorganiser. Pour s’en prémunir, il
adoptera alors un évitement (par exemple en se replongeant dans ses stéréotypies).
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Ainsi l’enfant autiste se retrouve vulnérable face à son environnement et va adopter
des stratégies pour s’en défendre et ainsi essayer de maintenir un sentiment continu
d’exister à minima.
Le regard :
Au niveau visuel, ce sont des enfants dont il est difficile de capter leurs regards. Le
bébé à risque autistique présente une absence de contact visuel spontané, car il se trouve
dans une contemplation étrange de certains éléments de l’environnement, dite errance
visuelle, puis petit à petit cela devient un véritable évitement du regard. En effet, l’enfant
peut faire un net mouvement de la tête et/ou du corps pour se détourner lorsque l’on tente
de l’accrocher du regard. Par ailleurs, ce regard va souvent venir se fixer sur des objets dits
de fascination. Ainsi, « des parcelles d’éléments sont captées mais toute rencontre avec une
globalité (un corps, un jouet) provoque un évitement comme si la charge visuelle non
choisie n’était pas intégrable » (Lemay, 2004, p. 103).
C’est également dans le regard que l’on se reconnaît soi et que l’on reconnaît
l’autre, tout comme la voix (singulière et unique à chacun). De plus, l’échange visuel est
également une des premières modalités d’accroche et de reconnaissance entre le bébé et sa
mère. On dit que « les yeux sont le miroir de l’âme », ne pas arriver à capter et trouver le
regard de ces enfants peut être assez déstabilisant, voire déshumanisant.
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échange complice avec autrui permet entre autre de pouvoir faire des associations mot-
situation et de développer la curiosité.
Le dialogue tonique :
Au niveau tonique, ce sont des enfants qui vont avoir des difficultés à adopter des
réactions toniques adaptées aux situations. Ainsi, dès le plus jeune âge, le dialogue tonique
établi avec la mère va avoir du mal à se mettre en place. Ce sont des enfants qui vont être
tendus, rigides dans une hypertonie défensive, et dans une incapacité à s’ajuster
toniquement dans les bras. Lemay (2004, p. 103) parle d’une impossibilité de se mouler au
corps de l’autre. De plus, la régulation tonique et donc le recrutement tonique ou la détente
ne vont pas être des signaux représentatifs de l’état interne et émotionnel de l’enfant autiste
et apporteront donc des informations erronées à l’environnement qui pourra par ailleurs
avoir du mal à comprendre et répondre à cet enfant.
Les émotions :
Le toucher :
Au niveau de l’entrée en contact avec l’autre, ce sont des enfants qui vont souvent
être dans le tout ou rien. En effet, celle-ci peut se faire dans un corps à corps brutal et
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fusionnel qu’ils semblent parfois rechercher (en lien à l’identification adhésive décrite plus
haut). Ces comportements nous amènent alors à interagir avec eux sur des modalités plus
archaïques qu’ils réclament activement ; les jeux de chatouilles, de coucou/caché…tout
cela dans un corps à corps et un portage qui éveillent en nous les images d’un nourrisson
dans une interaction avec ces enfants qui sont pourtant parfois beaucoup plus vieux.
D’autres semblent éviter tout contact avec l’autre, notamment le contact peau à peau.
Par ailleurs, ce sont souvent des enfants qui se débrouillent seuls et ne viennent
solliciter l’adulte que lorsqu’ils s’y trouvent contraints. « Il n’appelle pas, ne tente pas de
faire comprendre ce qu’il désire par des vocalises. Il s’empare du corps du partenaire et
l’entraine vers l’objet souhaité, se sert de sa main comme d’un outil destiné à réaliser son
action. » (Lemay, 2004, p. 132). Ce phénomène est qualifié d’instrumentalisation.
« L’enfant vise à nous faire réaliser le schème moteur à sa place sans être impliqué comme
sujet de dialogue répondant à la demande d’un autre sujet de dialogue ».(Lemay, 2004, p.
132) Dans ce contact, on se retrouve alors chosifié, utilisé comme un prolongement et non
reconnu comme autre.
Utilisation de la voix :
Au niveau du langage préverbal, les bébés à risque autistique, surtout dans les cas
d’une atteinte profonde, vont peu développer des jeux sonores propres au tout petit car la
cavité buccale et le larynx ne semblent pas suffisamment investis pour provoquer le babil,
la lallation puis la prosodie. De plus, s’ils émettent des sons ce ne sera pas pour rechercher
une réponse de l’adulte ou dans une exploration des différentes modulations des sons qu’ils
peuvent produire, mais dans « une sorte de mélopée où les sons frappent par la répétition
d’une même tonalité » (Lemay, 2004, p. 131) et non dans une tentative d’échange avec
l’autre.
Quand ils grandissent pour la plupart, ce sont des enfants silencieux ne poussant
que de petits cris traduisant un contentement ou une insatisfaction face à des stimulations.
D’autres produisent des bruits réguliers ayant une tonalité ascendante et plaintive. Ceux-ci
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semblent avoir valeur d’autostimulation. Les variations sonores sont rares et ils semblent
enfermés vocalement dans un processus circulaire semblable à celui gestuel. D’autres
encore sont capables d’effectuer des sons plus diversifiés en fonction des stimulations. Les
modulations du ton semblent permettre d’exprimer différents états. Cela peut faire penser à
un babil qui se situe entre les cris stériles et le signifiant. C’est un « usage de la voix
comme un objet de satisfaction » selon Grollier (2014, p. 15), une manière de manifester
une présence au monde.
Au niveau du langage verbal, l’enfant autiste peut l’acquérir avec un grand retard.
Celui-ci n’aura pas forcément une valeur communicative. « Il est difficile d’établir une
réciprocité, l’enfant semblant préférer demeurer dans son monde plutôt que d’entrer en
relation avec autrui » (Lemay, 2004, p. 136). Le langage va alors pouvoir être utilisé dans
un discours très plaqué en « récitant » des bouts d’émissions télévisées par exemple. Ainsi,
la parole n’est pas adressée à l’autre, mais reste dans un flux de mots qui semblent
entretenir une auto-sensorialité. En effet, l’expression verbale est souvent en appui sur des
stimulations sensorielles : prosodie particulière, rythme particulier, tonalité, niveau
sonore…
Une autre difficulté se pose alors quant à leur compréhension du langage. Mais tout
d’abord, prêtent-ils attention au langage ? Y mettent-ils du sens et le perçoivent-ils comme
quelque chose qui leur est adressé ou seulement comme un bruit de l’environnement ? Cela
est très difficile à apprécier. Les parents s’interrogent régulièrement sur l’acuité auditive de
leur enfant et pourtant celui-ci perçoit des sons infimes. Parfois, la seule preuve que
l’enfant a capté quelque chose de notre parole semble les écholalies immédiates : répétition
en imitation de la sonorité produite. Cet échange vient alors comme un jeu sensoriel mais
pas forcément comme une preuve de compréhension, plus dans une forme d’agrippement
sensoriel. Cependant, malgré parfois une surdité sélective face à nos propos, l’enfant
autiste peut tout à coup sembler comprendre un bout de phrase, un mot et ainsi pouvoir
répondre à une demande. M.Battut (2016, Chapitre Annexe), parle alors de connecteurs
merveilleux pour définir ces mots qui font liens et semblent permettre au sujet d’anticiper.
Cependant, on peut penser que l’enfant va tout de même être plus ou moins sensible à une
parole répétée et adressée à son égard même s’il n’en saisit pas toujours le sens. De plus, la
parole peut permettre d’amener un contenant, un bain sonore qui pourra étayer la
rencontre.
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Pour finir, les modalités d’interactions comme les sens de l’enfant autiste, semblent
ne pas forcément pouvoir « fonctionner » ensemble, c’est-à-dire par exemple que le regard
accompagne rarement le langage ou le geste. L’intention et l’adresse de ceux-ci s’en
trouvent alors floues. Les signes pouvant indiquer une intention de communication peuvent
parfois être minimes et nous amener à prêter une valeur communicative aux attitudes de
l’enfant.
Le mot de la fin :
Dans cette partie je parlerai de rencontre plutôt que de relation. Rencontrer, c’est se
trouver en présence de quelqu’un. Lorsqu’être en relation désigne le fait qu’il y a un
rapport, une interaction, entre ces deux personnes. Dans la rencontre du psychomotricien
avec l’enfant autiste comme avec tout patient, présupposer du commun en parlant de
relation me paraît un peu trop rapide car une relation ne se crée que petit à petit dans un
ajustement réciproque.
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1) Exister face à lui : Mouvements et vécus
a- Premiers vécus
Dans la rencontre avec l’enfant autiste, plusieurs mouvements émotionnels et
relationnels vont naître chez le psychomotricien. Celui-ci peut être surpris, abasourdi et
parfois même se sentir très seul face à cet enfant déstabilisant dans son comportement et sa
façon d’être.
Je vais donc vous décrire quelques-uns de ces vécus qui me semblent prégnants
dans cette rencontre.
La fascination peut aussi être vécue auprès de ces enfants quand leurs gestes ou
leurs bruits deviennent quasi hypnotiques et figent le thérapeute dans une attirance mêlée
d’étrangeté. Emporté dans ce mouvement le thérapeute est souvent pris, comme le décrit
Lemay (2016, p. 67), d’une fantaisie de vouloir habiter quelques instants (pas plus) le
corps de l’enfant autiste pour pouvoir l’appréhender et le comprendre un peu mieux.
Par ailleurs, dans la rencontre avec les enfants autistes, un sentiment de bizarrerie et
d’étrangeté va pouvoir affecter le thérapeute. En effet, face aux comportements et manières
d’habiter leur corps et le monde de façon tout à fait singulière, ceux-ci nous amènent à
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côtoyer l’étrange et même à nous y habituer de telle sorte que nous ne relevons plus le
bizarre et le décalage des situations que nous vivons avec ces enfants. Ainsi, par leurs
agissements et les façons dont nous allons pouvoir les interpeller, ils vont nous ramener
vers des éprouvés qui nous semblent familiers mais d’un familier lointain qui fait appel à
une période révolue et refoulée.
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Le thérapeute se retrouve ainsi pris entre un évitement défensif de la pathologie et
le risque de s’y trouver absorbé. Porter une réflexion et analyser nos propres mouvements
émotionnels est nécessaire pour nous permettre « d’approcher ce véritable brasier sans s’y
trouver consumé » (Boutinaud & Delion, 2013, p. 47). En effet, nous pouvons faire
l’hypothèse que ce que l’enfant nous fait vivre dans notre corps est en lien avec son propre
vécu interne, dans une forme particulière de contre-transfert. Celui-ci peut se définir
comme la réaction psychique et physique du thérapeute suite au contact avec le patient. Il
nous faut alors mettre notre capacité à symboliser et à penser au service d’une pathologie
où celle-ci même fait défaut et dans laquelle c’est ce manque de représentations et ces
sensations brutes qui sont projetés sur le psychomotricien.
De plus il est important de repérer les défenses inconscientes que l’on met en place
dans la rencontre avec ces patients. Cela nous permet de repérer les angoisses : celles que
le patient projette sur nous et nos propres angoisses se déclenchant au contact du patient.
Puis, grâce à la solidité de notre cadre interne, nous pourrons alors ne pas les laisser nous
désorganiser et sortir de la confusion dans laquelle nous pouvons être plongés.
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Par ailleurs, au contact de ces enfants, si peu en lien et prêtant parfois si peu
attention à notre présence et existence, les moments de relation sont précieux et très
renarcissisants. Dans cette clinique ainsi que dans celle du tout petit, un simple regard, un
geste adressé ou un sourire peuvent être précieux. Ils nous ramènent à l’essentiel et à la
base de toute rencontre. Ces enfants peuvent faire naître en nous tellement de frustration
qu’un rien peut nous émerveiller. De même, les prises en charge des enfants autistes
peuvent être lourdes et très couteuses en énergie alors que d’autres peuvent paraître
magiques quand l’enfant se saisit pleinement de l’espace thérapeutique proposé.
Dans un dernier temps, j’aimerais alors parler des images, celles que le patient nous
envoie et celles que nous lui renvoyons. Ce n’est pas seulement un échange d’images mais
aussi d’émotions, de tonus, de sensations, etc. qui se propagent et contaminent les
individus impliqués dans la rencontre. Pour cela, le terme de transfert est utilisé dans le
champ de la psychanalyse. Moyano (1994) nous explique que ce terme a tout à fait sa place
en psychomotricité. Néanmoins, gardons en tête que tous les auteurs ne sont pas d’accord.
C’est pour cela que Moyano va plutôt parler de « relation à caractère transférentiel ». Pour
Freud, le transfert est avant tout névrotique et consiste en un déplacement de conflits
concernant les contenus psychiques (les contenants psychiques n’étant alors pas mis en
cause). Cependant, le soin psychomoteur accueille souvent des patients ayant à la base des
contenants psychiques défaillants. La relation transférentielle est donc à réfléchir
autrement que dans la définition de Freud. Moyano, conclut sa réflexion sur le fait
qu’Anzieu situe dans le transfert le thérapeute en tant que Moi-auxiliaire permettant,
comme dans la dyade mère-enfant, de soutenir un contenant psychique défaillant. Chez
l’enfant autiste cette défaillance de contenant psychique provient tout d’abord d’une
défaillance d’un contenant corps et d’une symbolisation peu accessible. Pour Boutinaud
(2013, p. 163), « cette thématique du transfert appelle à appréhender la façon dont des
émotions, représentations rattachées aux figures parentales sont susceptibles d’être
réactualisées dans la relation au thérapeute ». Cela m’amène alors à la notion de projection
aussi décrite par Freud comme « un mécanisme de défense qui consiste à attribuer à autrui
un sentiment éprouvé par soi-même mais que l'on refuse », ou plus vulgairement le « fait
de projeter ses sentiments sur autrui ». Je reprendrai ainsi pour conclure le terme de
« résonnance émotionnelle » utilisé par Lemay. Ainsi, ce partage émotionnel qui affect le
thérapeute doit aussi pouvoir se penser dans son retour, et en effet sous forme de va-et-
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vient émotionnel. Appelé contre-transfert par Freud, le retour qui est ainsi fait
inconsciemment au patient se doit d’être pensé et conscientisé.
Je me questionne alors sur ce que l’on peut renvoyer à nos patients, par nos
attitudes, nos mimiques, notre posture mais aussi le regard que l’on porte sur eux. Cela me
fait penser au rôle miroir de la mère, décrit par Winnicott (2002, Chapitre IX). En effet,
pendant les premiers temps de sa vie, c’est par le visage de sa mère que le bébé va pouvoir
découvrir le monde extérieur et son reflet dans les expressions du visage maternel. Ce
processus continue bien après cette période infantile. C’est en effet dans le regard de
l’autre et de la société renvoyé sur nous que nous nous construisons et reconnaissons en
tant qu’autre. « L'autre nous renvoie sans cesse à nous-mêmes ». En effet, l’image qui est
renvoyée au bébé par sa mère est celle anticipée d’un corps unifié, porté et désiré par sa
mère. C’est ce qui va permettre au bébé de peu à peu se différencier de sa mère en
construisant son « Soi ». Dans la relation thérapeutique, c’est alors le désir et la rêverie du
thérapeute pour le patient qui vont lui permettre de le porter dans son regard. « C’est de
donner à long terme en retour au patient ce que le patient apporte » (Winnicott, 2002, p.
213).
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abandonner la thérapie face à ces enfants peu gratifiants. C’est souvent à ce moment que
l’enfant autiste semble capter le découragement et vient comme en réponse donner un
signe au psychomotricien. En effet, la question du narcissisme professionnel et de la
reconnaissance peut parfois s’avérer en faillite auprès de ces patients. Il faut donc avoir
une posture soignante avec un cadre et une assurance interne suffisamment solide pour
survivre à cette inexistence dans laquelle peuvent nous plonger nos patients.
C’est ainsi, que, perdus parfois face à l’enfant autiste, nous pouvons ressentir le
besoin de comprendre, de faire des liens, de nous raccrocher à de la théorie ou autre, un
peu comme un moyen de ne pas se laisser submerger en voulant garder une maîtrise
illusoire du soin. Bion développe le concept de « capacité négative », que je reprendrai ici
décrit par Blanchard-Laville (2013), selon lequel le thérapeute doit apprendre à ne pas
comprendre. C’est la capacité à rester dans le doute, le confus, le non-savoir et ainsi à
s’abstenir de faire et de trop penser, car la connaissance et l’interprétation peuvent être
utilisées comme une barrière pour brider nos frustrations dans une défense face à
l’inconnu. De plus, cela rétrécit également souvent notre observation du patient sous un
seul angle. Mais ce n’est pas pour autant que le thérapeute se trouvera dans une position de
passivité, en effet il sera dans une disposition psychique qui lui permettra de rester en
contact avec de l’incompréhensible et de ne pas tout de suite lui donner une forme. Bion
parle ainsi « de capturer l’informulable du patient afin qu’il puisse être pensé ».
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De plus se sont des prises en charge qui s’avèrent souvent longues et finissent par
devenir intemporelles suite à plusieurs facteurs. Tout d’abord, le fonctionnement autistique
s’ancrant principalement sur la répétition et l’immuabilité, le soin va en être empreint et
conditionné. C’est alors que cette répétition, si elle n’est pas accompagnée, médiatisée et
partagée dans l’expérience avec le psychomotricien, peut vite devenir mortifère et figée. Il
est alors nécessaire de raconter le soin pour l’ancrer dans une continuité et une temporalité.
C’est aussi par sa capacité de rêverie que le soignant arrivera à se représenter une sorte
d’idéal du soin avec le patient qui permettra de maintenir la dynamique active et l’avancée
du soin.
Une médiation est avant tout un intermédiaire entre soi et l’autre. Cet objet
commun, dit objet médiateur, qui va être créé et partagé par les deux protagonistes va alors
être témoin de leur rencontre. Cet objet médiateur n’a pas de qualité thérapeutique en lui-
même, « il opère que parce qu’il inscrit le processus de symbolisation qui le constitue au
sein même d’une relation avec autrui comme objet transférentiel » (Joly, 2013, p. 41). La
mise en place d’une médiation va donner un axe de travail spécifique et proposer des
expériences favorisant le jeu du corps en relation et ainsi venir soutenir le processus de
transformation des éprouvés en représentations. La médiation a donc une valeur
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symboligène. Chez les enfants autistes, ce processus de symbolisation semble mis à mal, et
ils se trouvent ainsi enrayés à devoir répéter une même expérience qui ne fait jamais trace.
Proposer une médiation à ces enfants pourrait alors être une manière d’ouvrir cette
expérience unique et répétée en leur offrant un support commun et en essayant peut-être
tout d’abord de la partager avant de pouvoir la transformer. On peut alors se demander
pour qui la médiation fait-elle support ? N’est-ce pas en partie le soignant qui cherche à
établir une base commune pour étayer le soin et ne pas s’y perdre ? De plus, le choix du
médiateur va alors se faire selon des qualités sensorielles qu’il présente pour attirer la
sensorialité de l’enfant autiste. Ce médiat va alors reconvoquer chez le patient des
expériences antérieures et parfois même permettre une identification au médiateur. La
médiation va également donner lieu à mettre en place un cadre contenant qui pourra
accueillir « ce qui est resté anarchique, à l’état d’excitation et non lié dans le langage »
(Potel & Marcelli, 2015, p. 29). Elle permet également pour le thérapeute de guider son
observation.
Mais parfois la médiation ne peut être investie que dans un second temps, après être
passée par un corps à corps. Ainsi, ces enfants peuvent être dans une recherche active de
contact dans un mouvement très adhésif et souvent peau à peau, soit lors de manœuvres
autistiques (collage, instrumentalisation, identification adhésive), soit lors d’explorations
où ils demandent à se faire porter, toucher, etc. « Cette quête peut dans le meilleur des cas
aboutir sur la substitution des procédés défensifs par de puissants mouvements fusionnels
où l’enfant sollicite de façon très active le toucher » (Boutinaud & Delion, 2013, p. 156).
Il va alors falloir médiatiser la rencontre symboliquement par des jeux et non par un objet
concret que l’enfant refuse souvent vivement en préférant un contact direct. Lors de ces
temps, on peut parfois se sentir comme aspiré par l’enfant dans un mouvement de fusion et
d’indifférenciation qui met à l’épreuve la capacité d’accueil du psychomotricien. En effet,
dans ces situations, celui-ci se retrouve bien plus sensible et fragilisé donc plus défensif :
des mouvements peuvent se mettre en place comme l’envie de ramener un tiers tel un objet
pour marquer une altérité. Il est alors important de pouvoir proposer une certaine
réciprocité en devenant nous aussi acteur et en proposant également des contacts à l’enfant.
Potel (2010, p. 331) parle de « ne pas se laisser séduire au point d’entrer en connivence
avec un corps « totalitaire » et dictateur dont l’expression se suffirait à elle-même ». De
plus, dans ces rapprochés corporels se pose alors la question de l’excitation et du
débordement. En effet, « le caractère profondément direct de cette démarche nous situe sur
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une véritable ligne de crête, entre d’un côté l’étayage et de l’autre le risque de débordement
lié à l’excitation pulsionnelle mobilisée. Ce risque génère l’appropriation de puissants
fantasmes autour de la séduction, qui amènent souvent les acteurs extérieurs à ce type de
soin à considérer ces médiations d’un œil méfiant. » (Boutinaud & Delion, 2013, p. 156). Il
faut certes rester vigilant mais ne pas oublier que de nombreuses autres situations peuvent
aussi amener à ce type de débordement. De plus, au contact des enfants autistes, les
modalités relationnelles de notre existence sociale d’adulte sont balayées et la sphère
archaïque dans laquelle ils nous emmènent vient réveiller des affects, peurs, attentes et
autres émotions et ainsi vient nous toucher dans notre intimité.
C’est ainsi qu’il va se créer ce que Munoz (2003) développe et appelle une « aire
d’échanges archaïques commune » car c’est dans un espace plus intime, prés du corps et
ainsi de l’archaïque que la rencontre va pouvoir se faire. L’« aire » représente l’espace réel
de la rencontre mais aussi un espace psychique mobilisé par celle-ci. Les mots
« échanges » et « commune » impliquent qu’il y ait un mouvement de l’un vers l’autre
entre les deux dans la rencontre, dans un temps et un espace partagé, dans une « tentative
de réunir à la fois l’ « être-avec », l’ « éprouvé » et « la pensée » ». Enfin, « archaïque »,
signifie bien que c’est par le corps et dans ses fonctions les plus archaïques que va
s’effectuer la rencontre, donc par le toucher, le peau à peau, le regard… L’une des
difficultés reste que ces modalités d’échanges ne sont plus celles que nous privilégions
maintenant. De plus, elle « nous renvoi[e] soit à notre propre petite enfance, soit à notre
propre parentalité, soit à notre propre sexualité ». Cette rencontre nous touche de manière
intime, il faut donc accepter de venir effleurer nos propres traces d’archaïques, fragiles et
lointaines. Par ailleurs, ce n’est pas parce que la dimension corporelle de la rencontre est
très prégnante qu’il faut en oublier la parole, elle aura juste une place moins centrale.
La médiation et/ou le contact corporel proposé vont donc être adaptés au patient et
construits avec lui. Potel (2015, p. 99) rajoute également qu’avec ces pathologies
déroutantes, il faut supporter « les frottements avec le bizarre et l’étrange ». Le sens,
l’intention et les paroles qui accompagnent ces corps à corps et le toucher doivent être
pensés, mais il ne faut pas oublier que la perception du toucher et ce qu’on en reçoit sont
subjectifs. De plus, le psychomotricien dans sa posture de thérapeute est garant du cadre et
a ainsi plusieurs rôles à assurer.
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b- Rôle étayant du psychomotricien
Selon Potel (2015), la relation thérapeutique établie entre le psychomotricien et le
patient va s’articuler autour de deux composantes : les corps et la parole. Tout d’abord, le
corps du patient qui est écouté, mobilisé, touché, et le corps du thérapeute, également actif,
s’ajustant en résonance à la mobilisation corporelle du patient et réceptif à celui-ci ainsi
qu’à son propre corps. Tout cela demande au thérapeute un engagement corporel et
psychique au côté de son patient. Le psychomotricien développe ainsi une qualité de
présence corporelle que ce soit dans son positionnement dans l’espace, sa voix, sa tonicité
qui lui permettra d’accueillir les expressions corporelles primitives de son patient. Ainsi, la
capacité du psychomotricien « à contenir ce qui déborde, ce qui n’est pas organisé, ce qui
est en menace d’inexistence ou de déconstruction » est particulièrement convoquée dans la
clinique de l’autisme. Le thérapeute par son attitude offre alors une présence apaisante et
sécurisante pour aider le patient à intérioriser et contenir les mouvements qui le traversent
en se les appropriant pour ne plus qu’ils soient désorganisateurs (morcellement,
démantèlement…). Ainsi, le psychomotricien dans son écoute sensible va proposer son
corps comme réceptacle aux mouvements émotionnels de l’enfant qui vont pouvoir nous
renseigner sur l’état psychique de celui-ci en résonnance à notre propre état psychique.
C’est ce qu’on appelle le rôle pare-excitant et contenant du psychomotricien. Le premier
contenant pare-excitant restant le cadre spatial et temporel (le lieu et l’heure immuable, les
limites et interdits…). C’est par ailleurs souvent ce cadre matériel qui sera investi par
l’enfant autiste avant le clinicien lui-même.
Ce rôle peut faire penser à celui de la mère dans les premières années de vie de
l’enfant. En effet, la façon de faire et d’être en relation avec le corps de l’enfant autiste
(dans des grands rapprochés corporels par exemple), peut faire penser à la « contenance
maternelle » décrite par Potel (2010, p. 330). Le psychomotricien accueille ainsi les
expressions corporelles de l’enfant et l’accompagne dans le processus d’appropriation et de
représentation de celles-ci, tout en sollicitant l’enfant pour maintenir une excitation plaisir
mesurée qui ne débordera pas et n’amènera pas au démantèlement. Mais le
psychomotricien doit aussi jouer le rôle du tiers paternel, qui va ainsi aider l’enfant à se
séparer, se différencier et se dégager d’une fusion trop prégnante. La posture
psychomotrice s’organise alors sur ces deux imagos là. Cette position laisse la place à une
tiercéité dans la relation de soin qui peut être : l’institution, le prescripteur, l’aménagement,
l’objet médiateur, etc. Le recours à la parole permettant dans le même temps de jouer ce
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rôle pour remettre de la distance en racontant la rencontre. Elle va par ailleurs permettre de
commenter et donner un sens aux expériences de l’enfant et donc de pouvoir lui en faire un
retour.
Ce concept est ainsi repris par Roussillon qui définit cinq caractéristiques
interdépendantes à ce médium malléable : indestructibilité, extrême sensibilité, indéfinie
transformation, inconditionnelle disponibilité et une vie propre. Il le définit également
comme un objet externe qui serait l’objet transitionnel de la représentation chose, c'est-à-
dire qui matérialiserait les premières représentations sous forme d’images mnésiques
sensorielles que le sujet se fait suite à ces expériences. De plus, par sa qualité malléable, le
médium pourra devenir une surface d’inscription où le sujet viendra y laisser son
empreinte. Pour revenir sur la caractéristique d’indestructibilité de l’objet, celui-ci doit en
effet pouvoir être détruit dans sa forme première mais survivre en se transformant sans
cesse. Cet objet, par sa qualité malléable, va aussi participer au système de pare-excitation,
se plaçant comme une substance d’interposition entre le patient et l’environnement.
« Cela signifie un engagement, une disponibilité […] une grande patience tout en sachant
devenir impatient, une acceptation inconditionnelle tout en osant bousculer des habitudes
qui paralysent totalement le sujet, un effort continuel pour donner sens à ce qui paraît
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insignifiant tout en reconnaissant que les significations apportées peuvent être parfaitement
erronées » (Lemay, 2004, p. 333)
Le mot de la fin :
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PARTIE CLINIQUE : DEUX RENCONTRES
Dans cette seconde partie, je vais m’intéresser à pouvoir lier et illustrer cette
approche théorique de la rencontre avec l’enfant autiste en vous présentant deux enfants
que je rencontre en IME. Le premier que j’appellerai Ethanaël et le deuxième Eliot. Tout
d’abord, je commencerai par présenter la structure dans laquelle je rencontre ces jeunes.
I/ Présentation de la structure
Mon stage de troisième année se déroule en Institut Médico-Educatif (IME)
associatif, accueillant des enfants et adolescents de 6 à 20 ans (parfois même plus si
l’orientation post IME tarde à se mettre en place). Ils sont tous atteints et diagnostiqués
ayant des TSA (Troubles du Spectre Autistique), autisme infantile.
L’IME est dirigé par une chef de service et l’équipe est composée en trois pôles
intervenant auprès des enfants :
- Un pôle éducatif qui est le plus représenté avec des éducateurs spécialisés, des
moniteurs éducateurs et des AMP (Aide Médico-Psychologique).
- Un pôle pédagogique avec deux institutrices spécialisées
- Un pôle médical et paramédical composé d’un médecin psychiatre, présent
uniquement lors des temps de réunion clinique et de Projet Personnalisé
d’Accompagnement, et d’une psychomotricienne qui intervient auprès des enfants
lors de temps spécifiques : prises en charge individuelles, temps médiatisés ou lors
des repas thérapeutiques. Une psychologue est en cours de recrutement.
Une secrétaire et une technicienne de surface sont également présentes.
C’est un IME en externat, c'est-à-dire que tous les enfants arrivent le matin à 9h et
repartent le soir à 16h en taxi, en bus pour les plus autonomes ou avec leurs parents. Ils
sont accueillis à l’IME les lundis, mardis, mercredis matin, jeudis, et vendredis.
Les enfants intègrent l’IME suite à une période d’observation leur permettant de
s’adapter au lieu et permettant également aux accompagnants et soignants d’établir un
bilan d’observation pour pouvoir ensuite élaborer un PPA (Projet Personnalisé
d’Accompagnement) du jeune avec les parents.
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Les enfants sont répartis en quatre groupes à l’IME selon leurs « compétences » et
non selon leur âge.
Au niveau du bâtiment, l’IME est composé de quatre vestiaires (un pour chaque
groupe), quatre salles de groupes, deux salles de classe, une salle « doudou » (noir, murs
matelassés, sans matériel), un espace bien-être (pataugeoire, table de massage, douche),
une salle « d’aptitude domestique » (machine à laver, table de repassage, lit), une cuisine,
une salle à manger (aussi salle de réunion), une salle de psychomotricité, deux salles de
loisirs structurés, et une cour.
Le matin, les enfants passent au vestiaire de leur groupe poser leurs manteaux, leurs
sacs et pour certain leurs chaussures. Puis, ils se dirigent vers leur salle de groupe. Pour
commencer, ils ont un premier temps dit « d’accueil » où ils vont travailler autour de la
date, les présents et absents du jour.
Le matin est plutôt composé des temps éducatifs (habilités sociales, aptitudes
domestiques, loisirs structurés…), des temps de classes (mais aussi des temps d’intégration
scolaire en milieu ordinaire, de stages, d’ESAT…), et des temps de prises en charge
spécifiques (psychomotricité). Ce sont des temps assez courts de 30 à 45 minutes environ
en individuel ou en petits groupes (2 à 3).
Il n’y a pas de cantine à l’IME, les jeunes vont manger à l‘extérieur dans différentes
écoles qui se trouvent autour de l’IME. Seuls quelques jeunes (3 à 4 par midi) restent
manger à l’IME pour un repas thérapeutique accompagné par une monitrice éducatrice et
la psychomotricienne (et moi- même les lundis).
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Temps d’élaboration clinique :
1) Présentation d’Ethanaël
Ethanaël est né le 19/04/2004, il donc a 13 ans actuellement. Il est brun aux
cheveux courts. Il se présente plutôt souriant et avenant. Il manipule des crayons qu’il
transporte dans un seau rouge. Il est assez grand et se présente sous un corps pubère.
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d’autisme avec troubles du neuro-développement a été posé par le CEDA en juin 2009 (il a
alors 5 ans).
Puis, à ses 6 ans (en 2010), il va être pris en charge en Hôpital de Jour deux
matinées par semaine.
De 2009 à 2011 (de 5 à 7 ans), il va être scolarisé en CLIS (Classe pour L’Inclusion
Scolaire) maternelle deux matinées par semaines avec une AVS (Auxiliaire de Vie
Scolaire).
c- Présentation psychomotrice
Ethanaël est curieux et enclin à la relation. Il a une sensibilité et une attention
particulières au monde qui l’entoure. Il s’installe par ailleurs dans des endroits stratégiques
de l’IME pour effectuer ses manipulations de crayons. Il se place par exemple dans l’entrée
ou au croisement de deux couloirs comme pour garder un œil sur l’environnement et les
allées venues des autres jeunes et des professionnels.
Son regard est bien présent et Ethanaël peut nous interpeller du regard ou exercer
un contrôle visuel sur ses actions. Il peut également avoir une attention conjointe.
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Au niveau de ses expressions faciales, elles sont variées et adaptées. Parfois dans
des pics d’excitation, il se met à déambuler, courir, faire des allers-retours, se balancer très
fort, faire plus de bruits en mettant sa main devant sa bouche. Quand il est en colère, il peut
être violent et venir frapper ou mordre l’adulte. Mais il peut de plus en plus maîtriser ses
crises et les différer. Il tolère de mieux en mieux la frustration. Cependant, Ethanaël est
grand et a beaucoup de force qu’il ne maîtrise pas forcément. Lorsqu’il est en colère, cette
réalité physique est à prendre en compte. Face à Ethanaël, on peut avoir peur qu’il nous
fasse mal si on le contrarie trop. Il peut donc y avoir une certaine appréhension et retenue
face à lui exprimée par l’équipe.
Son centre d’intérêt est un seau rouge avec des crayons de bois à l’intérieur. Il les
sort par petits tas en les attrapant un par un dans sa main, les fait tomber en pluie sur le sol,
puis les ramasse selon un ordre pour les remettre dans son seau et recommence
inlassablement. On dirait qu’il les trie, qu’il joue au mikado. La manipulation est très
précise et méticuleuse. Apparemment, avant il avait ces mêmes manipulations avec des
cailloux. Il présente également des stéréotypies de mains (les agite) et touche les objets
autres que ses crayons surtout avec le dos de sa main, de même quand il instrumentalise
notre main il voudrait aussi que l’on touche avec le dos de notre main.
Sa marche est particulière, il a la tête toujours penchée sur le côté et il regarde les
jambes de la personne qui marche à côté de lui ou du moins en direction du sol. Quelque
chose dans le déplacement de l’autre semble le captiver. Il tient son seau dans une main.
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En psychomotricité, Ethanaël bénéficie d’une prise en charge individuelle par
semaine à laquelle je participe.
a- Première rencontre
Nous allons chercher Ethanaël pour la séance de psychomotricité, il se trouve en
salle « doudou » à jouer avec ses crayons et son seau. Après lui avoir présenté la photo qui
permet de faire lien entre la psychomotricienne et lui, celle-ci me nomme et me présente à
Ethanaël qui me regarde alors. Il nous suit en psychomotricité. Je m’assois par terre pas
très loin de lui en diagonale (ni en face, ni sur le côté). Ma maître de stage s’assoit à côté
de lui. Il joue avec ses crayons, les transvase, les trie, les empile, les range. Puis à un
moment, il les délaisse, il regarde alors ma maître de stage et en grognant montre la porte
en agitant sa main, dans une attention conjointe. La psychomotricienne lui indique qu’il
vient juste d’arriver et que ce n’est pas encore l’heure de finir la séance. Ethanaël sourit, se
replonge dans ses crayons un petit moment, puis me fixe. Je soutiens son regard. Pendant
ces manipulations, il a dû se tourner un peu car il se trouve maintenant face à moi. Il met
ses mains sur le sol près de mes jambes toujours en me regardant et tape sur le sol. Je place
mes mains à côté des siennes et reprends ses percussions. Il prend alors mes mains pour les
mettre sur son visage. Je comprends ce contact comme une façon de me dire bonjour, de
me reconnaître comme nouvelle dans ce cadre. Je mets alors quelques mots pour lui dire
bonjour à mon tour. Après un moment, il se détourne, reprend ses crayons un instant avant
que ma maître de stage ne lui propose des percussions corporelles avec un tube. Ethanaël
ne reviendra pas vers moi lors de cette séance et je n’irai pas non plus rechercher son
contact et à interagir. Il me regarde de temps à autre. Puis, la fin de la séance arrive.
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Ethanaël a fait le premier pas, je l’ai laissé venir vers moi, on s’est regardé, touché comme
s’il vérifiait ma présence réelle et matérielle.
Aujourd’hui, nous trouvons Ethanaël assis dans l’entrée de l’IME. Il n’a pas besoin
de la photo qu’on lui présente habituellement pour nous suivre et venir en psychomotricité
ce jour-ci.
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fasse. Je passe ma main sur son visage en tapotant, glissant, me promenant avec mes
doigts. Je suis alors à ce moment très près de lui car penchée sur lui. Il a sa main posée sur
ma jambe. Puis, je m’écarte pour reprendre un objet qui faisait intermédiaire dans ce
contact peau. Il me sollicite alors de nouveau en m’invitant à placer ma main dans le bas de
son dos sur sa peau, en soulevant son sweat. Je frotte son dos. Puis, je comprends
qu’Ethanaël me propose de venir gratter sa fesse avec lui. Je lui explique que ce n’est pas
possible. Tout à coup, je ne suis plus à l’aise si proche d’Ethanaël. Je me redresse et le
regarde. Allongé ainsi sur le ventre, je crois percevoir des petits mouvements de bassin
sous ce bout de couverture qui cache toujours son bassin, est-ce des mouvements
masturbatoires ou simplement ma projection d’adulte ? Je me questionne alors sur l’utilité
de la couverture initialement proposée par ma maître de stage : est-ce pour nous protéger
ou pour lui garantir une bulle d’intimité ? Et pourquoi ? Je suis gênée par ce contact
corporel peau à peau avec Ethanaël, avec ce corps qui n’est plus celui d’un enfant mais
d’un adulte en devenir, et de ce qu’il pourrait déclencher/réveiller chez Ethanaël. J’ai
alors besoin de repasser par les objets pour aborder Ethanaël. Je me questionne sur la
qualité du contact que je lui ai offert, il n’était peut-être pas assez ajusté. Malgré ce
moment de retrait, Ethanaël reste bien en lien avec moi par le regard et il continue de
pouvoir me solliciter en attrapant les objets entre nous. Je le comprends comme une façon
de me dire qu’il veut encore un contact peau à peau et comme si les objets le gênaient pour
faire ma connaissance. En effet, c’est la première fois que nous partageons un aussi long
moment tous les deux. Il est avide de cette rencontre et ne semble pas offusqué du fait que
je ne comprenne pas toutes ses demandes et que l’on doive s’ajuster l’un à l’autre. Cette
nouvelle rencontre ne le met pas dans de l’inconfort comme on aurait pu le supposer, elle
le stimule.
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fragile et flou? En effet, face à ces enfants pour lesquels la maturation corporelle est allée
bien plus vite que celle psychique, sur quel registre les attendre ? Mais l’on peut aussi se
demander comment ils perçoivent ces changements corporels et de quelle manière ceux-ci
peuvent venir remobiliser une construction corporelle déjà fragile chez l’enfant autiste.
Puis, c’est la fin de la séance, Ethanaël se lève et range le matériel que nous avons
déballées pendant la séance, c’est une manière qu’il a de nous signifier que : c’est l’heure
pour lui. Nous respectons ce rythme. Il met du temps à partir et fait du zèle sur le
rangement aujourd’hui. Avant d’ouvrir la porte, il regarde la psychomotricienne puis vient
me caresser la joue du revers de la main, comme s’il venait me remercier du moment passé
avec lui. C’est en tout cas comme cela que je reçois ce geste.
Ce jour ci, Ethanaël est dans le hall d’entrée de l’IME en pleine manipulation de
crayons. Mais cette fois, il a beaucoup de crayons autour de lui, répartis en trois tas, et un
seul contenant, son seau rouge.
Il accepte de nous suivre pour aller en séance, mais se retrouve bien embêté pour
transporter tous ses crayons car les trois tas semblent devoir rester distincts et séparés, seul
un tas peut se loger dans le seau. Il porte donc tant bien que mal son seau avec un doigt et
un tas de crayons dans chaque main. Mais ces tas sont trop gros et des crayons tombent
pendant le trajet. Ethanaël les ramasse. Ma maître de stage lui propose alors de l’aide pour
porter son seau, il ne lui donne pas mais accepte seulement que celle-ci place ses mains
sous le seau pour le soutenir. Arrivé dans la salle de psychomotricité, Ethanaël s’assoit sur
le tapis comme à son habitude, puis il installe ses tas de crayons autour de lui. Nous lui
faisons remarquer en verbalisant qu’ils sont encombrants aujourd’hui et prennent beaucoup
de place au niveau spatial. Ils débordent, à l’image de l’institution qui en ce moment est
chamboulée à tous les niveaux suite à de nombreux arrêts maladie. Nous proposons
d’autres contenants à Ethanaël pour que les deux tas de crayons sans contenant puissent en
trouver un. Il accepte une bassine mais refusera ensuite tout ce qu’on pourra lui proposer
pour mettre, disposer ou encercler son troisième tas. Puis, il se met à les manipuler, les
trier, tas par tas, veillant à ne pas les mélanger, échangeant les contenants de sorte que ce
ne soit pas toujours le même tas qui soit sans contenant. Je n’arrive pas trop à déterminer
en fonction de quels critères sont triés les crayons. Sa manipulation est rapide et il semble
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emmuré derrière cette nécessité et ce véritable travail de tri et de manipulation des crayons.
En effet, la psychomotricienne lui propose plusieurs choses pour le « sortir » de ses
crayons : percussions, jeu de chatouille, l’enveloppe de son corps en se plaçant derrière lui,
lui frotte le dos, essaie de capter son regard, l’interpelle. Mais rien ne marche, Ethanaël est
absorbé par sa tâche, une impression bizarre se dégage même ; il ne réagit absolument pas
aux sollicitations de ma maître de stage même quand celle-ci vient dans du corps à corps,
c’est comme s’il ne sentait pas, ne sentait plus l’environnement autour de lui.
Les crayons forment une véritable barrière entre Ethanaël et nous. Ces crayons qui
débordent, envahissent tout l’espace physique et psychique et même les contenants ne
semblent plus les contenir. Les mouvements rapides et l’agitation interne d’Ethanaël
finissent par me gagner, ces manipulations deviennent stressantes, angoissantes, elles
m’oppressent et prennent aussi tout mon espace. Ma respiration se fait haute et je me sens
plus tendue. Le regarder ainsi manipuler de façon frénétique ses crayons devient étouffant.
Ethanaël ne semble pas enclin à l’échange et à la relation, trop prit dans ses crayons. Ma
maître de stage et moi prenons donc le parti de ne pas le forcer ni d’imposer notre
présence. Nous nous retirons au bureau pour ne pas non plus avoir un regard pesant sur lui
ainsi que pour nous détacher de l’atmosphère angoissante et oppressante qu’il peut nous
faire vivre.
Durant cette séance, Ethanaël nous regarde peu par rapport à d’habitude, ne nous
sollicite pas et ne vient pas nous chercher comme il vient pourtant le faire d’autres fois.
Nous lui annonçons la fin de la séance, ses manipulations semblent plus calmes et moins
rapides. Est-ce nous qui sommes arrivées à nous apaiser ou lui ? Peut-être les deux ? En
quittant la séance, il peut nous demander de l’aide pour porter ses crayons en venant mettre
un tas de crayon dans mes mains et un tas dans celles de ma maître de stage. Il porte le
seau qui contient le troisième tas. À ce moment-là, c’est comme si les trois tas trouvaient
une place, un contenant.
Nous en venons ensuite à nous demander si l’état de stress que nous a fait vivre
Ethanaël inconsciemment pouvait être à l’image et en résonnance émotionnelle de ce qu’il
vivait lui aujourd’hui dans un contre-transfert fort. Et dans ce cas, une émotion et un
débordement très forts qu’il fallait ordonner, ranger, classer continuellement comme les
crayons.
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Dans cette vignette clinique, les stéréotypies d’Ethanaël autour de cette
manipulation sans fin et sans but intelligible sont très envahissantes, elles coupent
Ethanaël de la relation l’enfermant dans son mouvement et surement ses sensations. C’est
pourtant un objet qu’il arrive à lâcher en séance même s’il reste un point d’ancrage
essentiel pour Ethanaël. On peut se demander si cette stéréotypie avait pour but de se
couper de son environnement à ce moment-là, ou si certaines angoisses étaient trop fortes
pour Ethanaël pour qu’il puisse lâcher ses crayons les investissant ainsi comme moyen de
réassurance. Le terme de « prothèse de rassemblement » développé par Bullinger me
paraît alors être approprié pour la situation. En effet, c’est comme si Ethanaël cherchait à
maintenir une unité corporelle en réunissant ses deux hémicorps autour du seau pouvant
alors être apparenté à la l’axe vertébral, l’axe autour duquel le corps se tient dans une
unité. Ainsi, en s’agrippant par ces stéréotypies, Ethanaël arrive alors peut-être à
maintenir une image de lui-même suffisamment rassurante par la sensation malgré un état
de fragilité ce jour-ci. Toute son énergie semble donc déployée pour se maintenir ce que
l’on pourrait appeler un sentiment d’exister et il ne peut alors être disponible à l’autre,
trop fragile en lui-même ce jour ci.
Nous retrouvons Ethanaël dans le hall d’entrée de l’IME. Il lève la tête lorsque nous
nous approchons. Nous le saluons puis l’invitons à nous suivre pour aller en séance.
Aujourd’hui, son seau de crayons contient beaucoup de crayons mais de façon raisonnable,
ils ne débordent pas, forment un seul tas, et cohabitent tous dans le seau. Nous faisons
remarquer à Ethanaël qu’ils sont alors moins envahissants et surtout moins handicapants ne
serait-ce que pour le transport.
Arrivé dans la salle, Ethanaël s’assoit en tailleur sur le bord du tapis et commence à
manipuler ses crayons, comme à son habitude. Ma maître de stage sort plusieurs objets : de
la peinture, un seau, des tubes en plastiques. Ethanaël se détourne vite de ses crayons, il
invite la psychomotricienne à venir s’installer à côté de lui par le regard et en lui tendant
les mains. Comme nous travaillons avec Ethanaël au plus près du corps et notamment sur
sa conscience corporelle (limites, enveloppe), elle commence par lui faire des percussions
corporelles sur le corps avec un tube. À ce moment-là, Ethanaël est allongé sur le dos. En
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effet, il se tient assis en tailleur, ses crayons devant lui quand il manipule et souvent il n’est
pas très disponible à la relation dans cette posture. Puis il bascule en arrière, et vient
s’allonger sur le dos lorsqu’il est enclin à la relation. Ethanaël ce jour-ci, ne semble pas très
réceptif aux percussions corporelles, ma maître de stage essaie plusieurs choses : faire
glisser le tube sur les limites de son corps, un massage de la tête avec une petite brosse, elle
vient frotter ses mains, etc. Bref, elle teste les choses habituelles que nous proposons
régulièrement à Ethanaël en séance et qu’il semble apprécier cherchant lui-même souvent
dans son attitude ce toucher corporel. Mais aujourd’hui Ethanaël met beaucoup la main
dans son pantalon, il la ressort ensuite et vient placer ses doigts au-dessus de sa bouche,
sous son nez. Vient-il la sentir ? La gouter ? Touche-t-il son pénis ou son anus ? Je ne sais
pas, mais cela me rebute et ne donne pas envie de venir auprès d’Ethanaël. Ma maître de
stage semble prise du même sentiment et peut lui formuler. Ethanaël pendant ce moment
nous regarde, cela ne le coupe pas de la relation. Ma maître de stage le reprend au début de
façon calme presque sur un ton joueur. Souvent Ethanaël met sa main dans son pantalon en
séance en attendant notre réaction, dans une recherche du rappel du cadre. Ainsi,
simplement lui dire un « non » joueur le fait arrêter ce comportement. Mais aujourd’hui,
ce comportement se répète plusieurs fois de suite, au début la psychomotricienne continue
d’interagir avec lui tout en lui faisant remarquer jusqu'à ce qu’elle se relève et se
positionne dans un face à face pour lui expliquer avec un ton plus ferme, que ce n’est pas
possible de poursuivre la séance s’il continue de mettre sa main dans son pantalon pour la
sentir car ce n’est pas le lieu et qu’on ne peut pas faire ça en présence d’autres. En
psychomotricité, on peut jouer à faire « comme son corps » donc avec de faux trous mais
on ne peut pas jouer avec ses vrais trous, ça on le fait quand on est tout seul. Ethanaël est
attentif au moment où elle durcit sa voix, il la regarde puis reprend la manipulation de ses
crayons. Cela ne l’empêche pas de remettre sa main dans son pantalon.
Pour finir la séance, ma maître de stage propose à Ethanaël la peinture, ce sont des
petits pots avec pour embout une pièce de mousse, ils s’utilisent donc un peu comme des
stylos de peinture, des paint pens. Il regarde, s’arrête dans la manipulation de ses crayons,
puis finit par prendre le paint pens marron des mains de la psychomotricienne. Il se
l’applique sur les mains, s’essuie ensuite sur son visage, lèche ses mains, les met à la
bouche, frotte sur ses vêtements comme pour faire partir les taches de peintures. Il réitère
ce comportement plusieurs fois. Ethanaël est très calme, il ne s’agite pas comme il peut le
faire quand il s’excite et ces traces ne semblent pas l’angoisser plus que cela, il les étale
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seulement. Puis il se met à faire des traces sur différents supports, et plus seulement sur son
corps : le sol, le tapis, dans la bassine. A un moment, il appuie très fort sur le pot et une
grosse dose de peinture sort par cet embout en éponge, ce qui lui donne un aspect bizarre.
Se retrouvant avec une grosse dose de peinture sur les mains, il relève la tête de ses
explorations comme en quête d’aide, il ne semble plus savoir quoi faire de toute cette
matière. Puis, il se dirige vers le lavabo pour se laver les mains, aidé de la
psychomotricienne. Il vient aussi mettre ses mains à sa bouche pour gouter la peinture et
ensuite la recracher dans le lavabo en vérifiant la couleur de son crachat. De retour sur le
tapis, il débouche toutes les autres couleurs de peintures et accepte de les tester plutôt sur
des feuilles qui recouvrent le sol cette fois. L’expérimentation des couleurs dure moins
longtemps, il ne les met pas à la bouche et ne cherche pas à les étaler de la même manière
sur lui et le sol. Ethanaël demande ensuite à partir de séance en agitant la main vers la
porte. Nous rangeons d’abord tous ensemble et nettoyons toutes les traces de peinture
avant de sortir, Ethanaël nous aide et prend des initiatives. Puis il reprend son seau et quitte
la salle en courant pour aller se rasseoir dans le hall de l’IME.
Cette deuxième partie de séance est riche, Ethanaël est en pleine exploration de la
peinture. Cette manipulation évoque chez nous un déjà vu. En effet, il semble qu’Ethanaël
joue beaucoup avec sa matière fécale. Mais sous cette forme (avec de la peinture), cela lui
permet de le jouer et amener cette exploration en psychomotricité en le détachant de son
corps (en utilisant une autre matière non corporelle).
Suite à cette séance, je me sens alors démunie devant Ethanaël. Comment faire ?
Comment l’accompagner dans cette exploration ? Je me demande alors s’il ne faudrait pas
trouver un support, une médiation pour rencontrer Ethanaël plus sereinement en lui
offrant un espace plus adapté aux contenus qu’il dépose en séance. (Je reprendrai cette
réflexion dans la partie théorico-clinique.)
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III/ Prise en charge psychomotrice d’Eliot
1) Présentation d’Eliot
Eliot est né le 18/06/2006, il a actuellement 10 ans et 10 mois. Il est brun avec de
grands yeux marron. Il a les dents en avant et sa langue dépasse souvent de sa bouche et
repose sur sa lèvre inférieure. Il porte toujours plusieurs épaisseurs d’habits (tee-shirt
manche longue et 1 à 2 sweats) mais ne porte jamais de manteau (il ne les supporterait
pas). C’est un garçon souriant et joyeux qui me donne envie d’aller à sa rencontre.
En 2008, à ses 2 ans, le diagnostic d’autisme est posé. Les parents d’Eliot se
forment alors à la méthode 3i qu’ils mettent rapidement en place à la maison. C’est une
méthode de stimulation intensive par le jeu, cinq jours et demi par semaine, où près de
quarante bénévoles vont s’occuper d’Eliot pendant trois ans.
En septembre 2010, Eliot a 4 ans, et est scolarisé tous les matins en petite section de
maternelle. Dans la même année, les parents vont se former à la méthode ABA et former
une personne qui s’occupera d’Eliot lorsqu’il n’est pas à l’école.
En 2012, l’école s’arrête pour Eliot. Il reste à la maison et travaille des exercices
ABA avec sa mère jusqu’à l’annonce de sa grossesse. Il n’y a alors « plus de solutions pour
accueillir Eliot » et la famille se tourne vers l’IME qu’Eliot intègre en mars 2013 âgé de 6
ans et demi.
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- L’accompagner dans la perception, l’appréhension, le vécu de son corps par
diverses expériences du quotidien et au cours de prises en charge spécifiques.
c- Présentation psychomotrice
Eliot marche à petits pas souvent sur la pointe des pieds. Il n’est jamais immobile
car quand il doit être statique, il fait passer son poids du corps sur un pied puis l’autre,
comme s’il marchait sur place. Assis, Eliot se tient en hypercyphose, cela me donne
l’impression qu’il est dans un tel enroulement, qu’il n’a pas trois courbures dorsales mais
une seule. Eliot sautille souvent sur lui-même en rebondissant, assis ou debout, et en
poussant de petits cris de joie. Il semble alors éprouver son axe pendant ces temps-là car
sa colonne se tend et s’enroule successivement.
Eliot arrive à se faire comprendre par des gestes et ses mimiques. Il ne parle pas,
mais fait des sons qui ressemblent à du babillage. Ceux-ci ont une structure bien
particulière et semblent avoir une signification pour Eliot. Il utilise ses constructions
sonores comme des mots ou phrases qu’il répète plusieurs fois à la suite :
« soubebabitou », « isapapa ». Il dit quelques « vrais » mots et des onomatopées et sait les
utiliser dans des situations appropriées par exemple : bonjour, lève-toi, va-t’en, au revoir
(systématique lorsque l’on agite la main), prêt partez, youpi, wouhou. En séance, souvent
nous reprenons les sons d’Eliot en écho, cela amène à un échange sonore: il dit des sons et
nous les reprenons en faisant varier la prosodie. Ce sont des moments où Eliot est bien en
lien avec le regard. Il peut maintenant répéter à son tour des mots que nous lui disons.
Il a un doudou, qui est une serviette, il l’emmène partout avec lui, mais peut le
poser pour les activités.
Eliot est un enfant assez solitaire. Il aime s’isoler dans le noir dans certains temps
(après le repas par exemple). Il ne vient pas vers l’autre (l’adulte) et ne lui prête pas
attention sauf s’il a besoin de quelque chose. Pour faire une demande, il instrumentalise la
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main de l’autre pour lui faire faire l’action ou montre ce que l’on doit faire en le faisant lui-
même puis tend l’objet. Lorsqu’on ne comprend pas l’une de ses demandes, Eliot se met à
sautiller en émettant de petits cris aigus.
Au niveau du regard, il est assez observateur et peut avoir une attention conjointe.
On peut venir le solliciter, il sait nous repousser lorsqu’il n’en a pas envie (par un son et
nous repousse de la main). Mais il est souvent assez disponible et porte un intérêt dans la
relation car peut venir y être acteur si l’on ne s’arrête pas à son premier refus.
Il semblerait qu’il soit plutôt sur une composante visuelle, en effet il joue beaucoup
avec les reflets et la lumière. Eliot apprécie les choses qui tournent et roulent (comme la
chaise du bureau par exemple). Il aime les portes automatiques, les roues de voiture et les
lumières. Eliot peut regarder dans les yeux. Il est cependant très sensible au toucher et le
supporte peu quand il n’est pas prévisible. Pendant les séances il peut se saisir de ce temps
de découverte corporelle pour venir nous demander de toucher certaines parties de son
corps (son dos le plus souvent).
Au niveau du quotidien, Eliot n’est pas propre, il ne maîtrise pas ses sphincters et
porte donc une protection jour et nuit. De plus, il mange mixé.
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effet, le bord du bassin marque une séparation physique entre nous et Eliot, et délimite
ainsi deux espaces : le milieu aquatique dans lequel il se trouve et le milieu aérien dans
lequel nous nous trouvons. Cette configuration met une limite dans notre positon d’actrice
et dans le partage d’expérimentation avec Eliot. De plus, il se saisit bien de ce cadre en
nous plaçant de lui-même comme observatrices et témoins de ses expérimentations : il fait
ses expériences seul et peut venir chercher la main de ma maître de stage, la chercher des
yeux ou même la solliciter en faisant des vocalises qu’elle doit reprendre en écho. Pour ma
part, j’ai vraiment une position d’observatrice pendant ces séances, Eliot peut me regarder
mais ne me sollicite pas. C’est étrange car il vient vers moi durant les autres moments de la
journée. C’est comme si ce temps « appartenait » à la psychomotricienne. Je qualifiais
donc cette prise en charge de magique car Eliot sous notre regard se saisit bien de cet
espace, est acteur de sa prise en charge et semble se « construire » sous nos yeux. Eliot
semble ainsi pouvoir jouer seul en présence de l’autre, jouer sous un regard étayant et
sécurisant. La question serait alors, est il en capacité de jouer avec l’autre ?
On pourrait croire que nous avons une position assez passive du fait de la
séparation du bord du bassin et de cette position de témoin bienveillant qu’Eliot nous
donne. De plus, les séances sont assez similaires et Eliot répète beaucoup les mêmes
expériences en changeant seulement des détails. On pourrait penser que de l’ennui et de la
lassitude pourraient s’emparer de moi. Mais non, je reste éveillée et émerveillée à chaque
séance de voir Eliot se saisir d’une telle manière du cadre qui lui est proposé. Il arrive à me
faire exister par des regards et sa simple présence qui est habitée dans ces moments de
pataugeoire. Joly parle de la psychomotricité comme « une thérapie de la présence » avant
tout, et je trouve que ce terme est bien illustré par l’accompagnement d’Eliot.
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Avant d’entrer dans la pataugeoire : le déshabillage
Quand Eliot arrive dans la salle où nous faisons la séance, il règle d’abord les
lumières en éteignant tout sauf celle éclairant la pataugeoire. Puis, il pose son classeur de
communication, son doudou et s’assoit dans un fauteuil à côté de la pataugeoire. Au bout
d’un temps, souvent court, il vient alors vers l’adulte en levant les bras pour que celui-ci lui
enlève son sweat. Il se laisse ensuite déshabiller, aidant au minimum voire pas du tout, puis
il rentre ensuite dans la pataugeoire vide.
Pendant ce premier moment, Eliot semble absent. Il ne nous adresse pas de regard,
ne chantonne pas de mots. Cela semble être un moment qui doit se passer vite et où il
s’échappe, il n’est pas là, comme s’il se retirait de son corps pour le laisser aux mains de
l’autre. Aucune interaction de mots ou de regard n’est possible.
Plusieurs thématiques et activités vont tourner autour de ce gros jet qui vient ainsi
se placer comme point de repère et point d’ancrage pour Eliot. Tout d’abord, il y a les
enjeux liés à la maîtrise de celui-ci. Quand Eliot entre dans la pataugeoire, il allume tout de
suite l’eau, et ne peut commencer ses explorations seulement quand l’eau est venue toucher
tous les bords au fond du bac et recouvre entièrement celui-ci. De la même façon, il ne
semble pouvoir l’éteindre que lorsque c’est l’heure de sortir et que nous enlevons le
bouchon. De plus, depuis peu, Eliot peut faire pipi, lorsque le bouchon est enlevé et que
l’eau s’écoule dans le trou. Ce trou qui l’a tant intrigué en début d’année, il mettait ses
doigts dedans en répétant « soubebabitou » à l’adresse de ma maître de stage qui le
reprenait en accentuant le mot « trou » à la fin. Il attend également que toute l’eau soit
sortie par le trou pour sortir du bassin.
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Puis Eliot, s’assoit ensuite comme à genou mais avec les pieds écartés sur les côtés
et le bassin qui touche par terre près de ce gros jet qui projette l’eau fort et vient y placer
différentes parties de son corps alternativement. Au début, les jambes, le bas du ventre,
puis les bras, les épaules, l’oreille et enfin le dos, la bouche et le sexe. Ma maître de stage
vient soutenir cette exploration en commentant et nommant les parties du corps. Eliot
semble s’intéresser et étendre de plus en plus sa découverte corporelle en prêtant au jet
peut-être une fonction de mise en lumière de ses différents segments corporels par la forte
pression de celui-ci sur son corps.
Dans un troisième temps, Eliot toujours assis près de ce gros jet va pouvoir se saisir
de différents contenants mis à sa disposition (souvent une carafe, un seau ou un petit pot)
comme des intermédiaires entre son corps et le monde (ici aquatique). Il les place un par
un sous le jet et la force mise en jeu pour tenir ce pot face à la force du jet amène Eliot à se
redresser dans son axe. Il semble alors prendre appui sur un élément extérieur pour se
redresser dans son corps. De plus, la tenue du pot à deux mains le rassemble autour de cet
axe. Il joue ensuite à les remplir puis les vider sur ses différents segments corporels et de
chaque côté de son corps. Dans ses jeux de transvasement, il va alors venir envelopper son
corps d’eau. La psychomotricienne soutient ce processus en venant verser de l’eau sur
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Eliot sur les parties de son corps auxquelles il ne pense pas forcément comme par exemple
son dos. Eliot va alors pouvoir par la suite se rapprocher du bord du bassin et de ma maître
de stage comme pour lui demander de lui verser de l’eau dessus.
De plus, depuis peu, Eliot se met à renverser la grande bassine, contenant tous les
jouets d’eau, dans la pataugeoire et vient alors se la mettre sur le dos. Il se cache dessous.
Eliot se met souvent à chantonner sous cette bassine, il se regarde dans le miroir de temps à
autre en la relevant. Comme si celle-ci lui faisait une carapace dans laquelle il pouvait être
contenu corporellement et en sentir les limites en écho à son propre contenant corporel qui
se trouve peut-être défaillant. Il cherchera aussi brièvement à se mettre à l’intérieur de la
bassine comme si celle-ci était un bateau mais sans succès.
Eliot est, comme je l’ai décrit plus haut, très sensible au toucher. Il refuse le contact
de l’autre et touche aussi très peu les objets et les différentes choses non connues de son
environnement. Il semblerait dans une hypersensibilité tactile surtout au contact de surface.
Dans un second temps de séance, Eliot va s’allonger de lui-même sur le dos dans la
pataugeoire. C’est alors un moment où il semble apaisé. Il vient alors toucher du bout des
doigts ses flancs dans un mouvement symétrique des deux côtés. Il effleure cette partie du
corps où la surface de l’eau vient surement délimiter l’air de l’eau et le chatouille peut-être
à cet endroit. Il vient également jouer avec cette surface en tapotant avec la paume de ses
mains pour éclabousser. Il semble ainsi éprouver la limite, la surface qui renvoie aussi à la
limite de son corps qui est enveloppé et contenu dans l’eau, sans pour autant s’y confondre.
Petit à petit, au fil des séances Eliot a un toucher plus franc de son corps. Il peut
maintenant venir poser ses paumes de main à plat, les doigts bien écartés sur ses flancs et
son ventre. Puis sur ses cuisses et ses pieds, tout cela sans contrôle visuel. Il peut par la
suite venir attraper son ventre. Ses mains qui étaient alors au début passives et craintives de
toucher son corps peuvent maintenant venir le saisir. Eliot semble ainsi petit à petit venir
s’approprier et découvrir son corps. De plus, il vient croiser les bras sur son torse pour
toucher l’épaule opposée. Alors, en plus, d’être enveloppé par l’eau à ce moment-là il
s’enveloppe aussi de ses bras et se rassemble dans ce croisement de l’axe. Il y a également
la notion de volume du corps qu’Eliot semble appréhender ici.
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Par ailleurs, Eliot peut venir me solliciter dans la journée en soulevant son tee-shirt
et me tendant son dos ou son ventre pour que je puisse lui toucher par des massages
pression. Cela me semble alors faire écho à ces moments dans l’eau où il peut de plus en
plus venir toucher lui-même son corps. En dehors, il semble ne pas pouvoir toucher de lui-
même son corps mais peut maintenant en faire la demande.
Eliot en séance joue beaucoup avec le grand miroir qui borde le bain, il s’y regarde
en détail et nous regarde à travers. Il semble s’en servir pour contrôler les actions et
mouvements qu’il peut avoir dans et sur son corps. Je me questionne : le regard direct sur
son corps est-il impossible à l’image du toucher direct qui semble également délicat pour
Eliot ? En effet, lorsque ma maître de stage vient, par exemple, vider un pot d’eau dans le
haut de son dos, Eliot est tout d’abord surpris et s’écarte. Puis, lorsqu’elle recommence, il
vient se regarder dans le grand miroir pour exercer un contrôle visuel sur ce qu’il se passe
derrière lui. Enfin, il pourra venir passer sa main sur le haut de son dos et regarder
directement comme pour vérifier la sensation de l’eau qui coule qu’il peut ressentir. Je me
demande alors si c’est de voir la main tenant un pot d’eau qui passe dans son dos et donc
hors de son champ de vision qui l’amène à se retourner ou réellement la sensation ? Par
ailleurs, je peux aussi faire l’hypothèse qu’Eliot dispose de représentations corporelles
fragiles, assimilées à des proto-représentations. Son image dans le miroir pourrait alors
lui permettre de renforcer cette représentation corporelle. Il va aussi beaucoup grimacer et
se regarder longuement dans le miroir : la bouche, les dents, les sourcils froncés. Mais il ne
touche pas son visage. Par ailleurs un jeu s’instaure dans lequel Eliot demande à ma maître
de stage de jeter de l’eau sur le miroir. Celui-ci est accompagné de sons anticipatoires
« 1,2,3,» qu’Eliot a instaurés. L’image du miroir est ainsi troublée, floue. Est-ce les effets
de lumière qui intéressent Eliot ou la permanence de l’image qui réapparait ensuite dans
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le miroir en écho à la permanence de soi ? Ou bien alors utilise-t-il ce stratagème pour ne
plus nous voir dans le reflet que le miroir lui offre pendant quelques instants ?
Pour se rhabiller, Eliot est beaucoup plus en lien par le regard et des sons. Il peut
s’instaurer des petits jeux de coucou/caché par exemple. Il ne participe et n’aide toujours
pas dans l’habillage mais j’ai l’impression que c’est plus dans un confort de se laisser
rhabiller que pour s’en échapper. Il paraît beaucoup moins absent et plus en lien qu’avant
le temps de pataugeoire.
Pour conclure brièvement, Eliot semble dans cet espace aquatique accéder petit à
petit à une conscience corporelle plus développée et complète en se réappropriant son
corps par l’eau. Les notions de contenant/contenu et donc de dedans/dehors semblent se
travailler en lien à la sphinctérisation et à son alimentation. Le psychomotricien à ses côtés
se porte donc témoin et soutient ce processus.
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PARTIE THEORICO-CLINIQUE : TROUVER SA PLACE
« Nous n’avons pas un sens à donner à ce monde de l’autisme mais un sens à trouver et à
construire avec l’enfant » (Latour, 2002, p. 122)
Dans les deux cas cliniques présentés, Ethanaël et Eliot semblent en effet mettre en
jeu leur corps et s’en saisir dans ce temps psychomoteur. Mais tous deux viennent le faire
de façon différente selon l’espace proposé et leur personnalité. Et pourtant, malgré les
accompagnements différents, c’est bien leur construction psychocorporelle qu’ils viennent
mettre au travail en psychomotricité.
Tous les deux, en séances, viennent éprouver leur corps en relation, l’un dans une
relation de corps à corps et l’autre dans une relation plus visuelle et distanciée.
Je vais ici m’appuyer sur les différents espaces décrits par Bullinger. Tout d’abord,
« l’espace oral », avec la bouche, est très présent en séance pour tous les deux. Eliot vient
beaucoup explorer cet espace en le mobilisant et venant jouer avec le fluide de l’eau. Une
bouche qui n’est habituellement que peu investie, avec la langue tombante et toujours
sortie. Une bouche qui ne semble pouvoir se fermer que lors du réflexe de déglutition pour
avaler, mais qui ne peut capturer pour explorer l’objet et s’en saisir. C’est ce qui se passe
dans les repas où Eliot ne peut pas mordre l’aliment. Cependant, dans son langage, il peut
faire des sons impliquant les lèvres, la langue et mobilisant toute la bouche pour ainsi
transformer l’air en sons.
Ethanaël, lui, n’émet que des grognements venant de la gorge et mange de façon
avide. En séance, récemment, il lui arrive de venir avec une couverture qu’il vient mordre
très fort de temps à autre. Cette couverture ne semble avoir que ce rôle-là pour Ethanaël. Il
vient alors ici capturer l’objet dans un agrippement. Cependant, en séance il porte aussi
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beaucoup la peinture à la bouche pour ensuite la recracher. Dans ces moments-là, j’ai
l’impression que c’est la couleur de son crachat dans le lavabo qui l’intéresse.
Dans ce que l’on peut comprendre comme une recherche de sphinctérisation pour
Eliot et une sphinctérisation toute récente pour Ethanaël qui semble maintenant
appréhender ses matières corporelles, rentre alors en jeu la notion du dedans et dehors
faisant référence à la construction de « l’espace du corps ». En effet, on peut penser que
l’investissement du bas du corps et notamment la coordination bas et haut du corps ne sont
pas évidente pour Ethanaël et Eliot, en témoignent leur marche peu harmonieuse et
l’acquisition de la propreté difficile.
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pas identique ou faisant partie du corps de l’enfant mais qu’il est comme le corps sans être
le corps pour autant.
Pour finir, la construction de cet axe tout d’abord digestif mais qui est également
l’axe corporel de la colonne vertébrale, de « l’espace du torse », va petit à petit prendre
corps en volume avec la distinction d’un dedans et d’un dehors. Toute cette construction
corporelle est alors étroitement en lien avec la formation d’une enveloppe corporelle qui
pourra alors être une interface avec le monde.
Par ce fait et pour faire le lien à leur habitation corporelle, si l’on reprend la
distinction que Bullinger fait à propos du corps et de l’organisme, je pense pouvoir dire
que Ethanaël et Eliot ont un corps mais qu’ils ne l’habitent pas car ils n’en maîtrisent pas
encore sa frontière et les sensations qui peuvent les traverser. De plus, si l’on se réfère aux
trois groupes d’habitation corporelle décrit par Lemay, je dirais qu’Ethanaël investit son
corps de manière parcellaire, quant à Eliot je ne sais où le placer, il investit également son
corps de manière parcellaire mais semble aussi se couper de la relation non par désintérêt
mais pour ne pas être envahi de stimulations.
Pour faire le lien à ma clinique, je vais alors m’attarder ici à décrire et repenser ce
que j’ai pu vivre auprès d’Eliot et Ethanaël.
Eliot est un garçon que je décris dès le début comme attirant de par sa façon d’être
un peu nonchalante, ses nombreux regards et sourires et une joie permanente. Lorsque je le
rencontre dans le cadre des séances de psychomotricité, Eliot m’émerveille. En effet, il se
saisit pleinement de cet espace proposé pour expérimenter, déployer ses capacités et
s’ouvrir à l’autre. Lorsque je croise Eliot dans l’IME, celui-ci est plutôt solitaire, ne
s’intéressant pas à l’autre et venant juste « l’utiliser » quand il ne peut pas faire autrement.
En séance, il peut petit à petit faire de lui-même et nous faire exister par des regards et des
mots tout en gardant une certaine distance corporelle entre nous. Je parlais dans ma
présentation d’Eliot de prise en charge « magique », une prise en charge qui se fait comme
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toute seule. Tout d’abord par cette distance imposée par la pataugeoire mais aussi la
distance qu’il met en nous positionnant comme observatrice témoin de ces expériences. De
plus, Eliot, qui peut paraître fermé à l’autre et à la nouveauté, vient dans les séances
provoquer de la surprise et oser faire de nouvelles expérimentations.
Cette notion de prise en charge magique vient aussi, je pense, en écho à d’autres
prises en charges plus lourdes à porter et où je me sens plus engluée, comme par exemple
dans la prise en charge d’Ethanaël.
Ethanaël par ses comportements me dégoute. Il touche ses parties intimes et ensuite
nous demande de rentrer en contact avec lui, de le toucher, il nous prend les mains, etc.
Que faire dans l’accompagnement face à ce sentiment ? Comment lui dire et qu’en
comprend-il ? Je me retrouve alors un peu perdue, je ne sais pas ce qu’il faut en faire,
comment accueillir ces questionnements et cette exploration corporelle d’Ethanaël tout en
arrivant à la détourner et à la médiatiser suffisamment de façon à ce qu’il puisse
s’approprier son corps et ses fluides sans passer par une exploration directe en
psychomotricité. De plus, ces comportements semblent plus ressembler à une exploration
des orifices dans une exploration corporelle et non de la masturbation, ce qui rentre au final
dans la thématique du travail que nous effectuons avec Ethanaël en psychomotricité. Une
exploration comme le font les enfants quand ils découvrent leur corps vers 3 ans mais
Ethanaël en a 13. Peut-on accepter cela en séance ? Je me sens démunie face à Ethanaël et
ne sais comment l’accompagner. Je me demande aussi ce que je lui renvoie en miroir par
mon attitude, ma mimique, ma posture. Que perçoit-il de moi face à lui ? Et comment
garder une attitude soignante, une attitude contenante et pare-excitante ?
C’est alors dans ces rencontres déstabilisantes avec ces enfants autistes que je ne
peux les saisir au premier abord, l’un dans une mise à l’écart du soignant qui lui laisse au
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final peu de champ d’action et l’autre dans une bizarrerie et une recherche de contact qui
me pousse pour autant à me tenir à l’écart.
C’est aussi dans ces mêmes mouvements que le temps peut justement paraître
intemporel dans la rencontre avec ces enfants. En effet, ils peuvent vite se fixer dans une
activité immuable et répétitive tout en venant nous figer et sidérer par une relation à
caractère transférentiel riche. Ainsi, prendre du recul et pouvoir regarder la situation d’un
œil neuf peut parfois prendre du temps, comme s’ils nous « aveuglaient » dans un premier
temps. Alors, comment arriver à trouver du commun, à trouver un support pour se
rencontrer ?
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La médiation va également permettre certaines fois de véhiculer et entretenir une
rêverie autour du patient. Dans cet espace et surtout dans le deuxième temps de la séance
où Eliot se trouve allongé dans l’eau sur le dos : les oreilles dans l’eau, ses bras flottant sur
le côté et ses jambes le plus souvent écartées en grenouille (comme un nourrisson), j’ai
alors la vision d’un retour à la case utérine, d’un bébé qui découvre son corps en le
touchant pour les premières fois, qui goutte l’eau avec ses lèvres. Ainsi apaisé et flottant
dans l’eau, Eliot donne l’impression d’un bébé dans le milieu utérin que l’on va devoir
forcer à sortir en débouchant la pataugeoire et alors en l’évacuant de ce monde si paisible.
Si l’on étire cette rêverie, on peut alors faire une analogie avec le milieu utérin car dans la
salle de la pataugeoire il fait chaud, il n’y a que le bruit de l’eau et le calme règne alors
qu’à l’extérieur on entend des cris, de l’agitation et il va falloir qu’Eliot se rhabille et
remette ses « couches » afin d’être assez contenu lui-même dans son corps pour aller
affronter l’extérieur beaucoup plus excitant.
La rencontre avec Ethanaël, elle, n’est pas soutenue par une médiation ou un
support particulier, la rencontre corporelle dans un contact direct semble en effet être
recherchée par Ethanaël. Dans ces corps à corps, il est difficile de ramener du tiers par
l’objet et ces conduites peuvent alors paraître défensives de la part du psychomotricien.
Cela se rapproche de la notion que Munoz développe au sujet d’une « aire d’échanges
archaïque commune ». Cependant, dans la rencontre corporelle avec Ethanaël ce corps à
corps parfois m’envahit corporellement mais aussi d’images et de projections. Ainsi je me
demande parfois s’il ne nous faut pas repenser le soin en psychomotricité pour Ethanaël.
Doit-on réfléchir à une médiation qui pourrait ainsi faire support autant pour nous que pour
Ethanaël en venant également remettre de la distance et un cadre pare-excitant ? Cette
démarche n’est-elle pas seulement l’expression de nos propres défenses par rapport à ce
patient, en réaction face à un vide soignant et une difficulté dans l’accompagnement ?
Même si d’une part penser une médiation pour Ethanaël serait pour soutenir
l’approche soignante, d’autre part je fais l’hypothèse que cela l’aiderait à mieux pouvoir
jouer et explorer son corps en détournant l’exploration première de sa matière (fécale,
salivaire…) dans une exploration d’un médium ayant des qualités similaires et en pouvant
ainsi s’approprier ces expériences et par ce biais s’approprier son corps. Je pense par
exemple à la médiation terre avec Ethanaël qui pourrait lui permettre d’appréhender la
trace d’une manière où l’on pourrait non seulement l’accompagner mais aussi partager
cette expérience avec lui.
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De même, je rapproche aussi mon expérience de celle du médium malléable. Peut-
être que je me sens face à Ethanaël trop « manipulée» et que les contenus qu’il projette sur
moi sont tels, que l’envie de mettre du tiers et un objet médiateur entre nous serait alors
pour me décharger en partie de cette malléabilité et pouvoir trouver un objet malléable
dont Ethanaël pourrait également se saisir. En faisant l‘hypothèse que je pourrai alors
reprendre une place soignante plus incarnée à ses côtés.
Ainsi, tous deux explorent et manient des fluides, on peut alors penser qu’une
médiation pensée avec un médiat ayant des qualités sensorielles bien spécifiques pourrait
aider l’enfant à médiatiser la rencontre avec son corps en le décentrant un tant soit peu de
son corps et ainsi rendre l’expérience partageable.
Par ailleurs, trouver des supports c’est par extension trouver des contenants.
L’espace et la médiation feront office de contenant corporel pour permettre à l’enfant de
s’approprier cette notion et de la retranscrire dans son corps. Quant au thérapeute, il jouera
le rôle de « Moi-auxiliaire » décrit par Anzieu en venant soutenir le contenant psychique
défaillant de l’enfant et ainsi en venant porter l’expérimentation pour la rendre intégrable
et qu’elle laisse trace chez l’enfant.
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Le côte à côte peut sembler plus approprié, moins direct et plus dans une position
de semblable. Le regard est moins présent du moins le notre sur lui, l’enfant autiste
utilisant préférentiellement son regard périphérique.
Puis à quelle distance se placer ? Être près de lui presque collé corporellement
comme ils peuvent parfois venir le chercher (distance intime), ou alors plus loin à une
distance où ils peuvent venir nous solliciter, nous toucher en tendant le bras (distance
personnelle), ou peut-être encore plus loin, en retrait presque, pour ne pas faire partie de
leur environnement immédiat (distance sociale). On peut rapporter cette question de
distances aux canaux sensoriels d’un individu. Il y en a en effet deux sortes : ceux à
distance (la vue, l’odorat, l’ouïe) et ceux immédiats, de proximité (le gout, le toucher). On
peut alors repenser aux particularités propres à chaque enfant autiste dans ces domaines
sensoriels pour nous donner des indications sur leur façon d’appréhender leur
environnement et donc les distances interpersonnelles. Est-ce que ce trop loin pour moi est
déjà trop près pour lui ?
Pour donner un exemple clinique, je prendrai appui sur les deux cas présentés plus
haut. Avec Eliot cette question ne se pose que peu en psychomotricité car c’est le bord du
bassin qui marquera cette distance et donc celle-ci sera fixée par rapport à un référentiel
fixe et matériel.
Avec Ethanaël par contre, cette distance et ce positionnement me sont un peu plus
difficiles à trouver et sont très subjectifs : en fonction d’Ethanaël et de sa disponibilité du
jour, et dépendant également de mon état du jour. C’est donc dans un réajustement
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permanent que je rencontre Ethanaël. Mais en général, on se retrouve très proche
corporellement ce qui vient parfois jusqu’à m’envahir, c’est dans un « trop corporel »
qu’Ethanaël vient me rencontrer.
Freud cité par Boutinaud (2013, p. 158) compare le thérapeute à un chimiste qui
manipule des matières explosives. Il ne lui est pas interdit de les manipuler malgré le
danger possible car ces matières ont une efficacité indispensable. Ainsi, le psychomotricien
auprès du patient va tester des approches et proposer des situations dans l’espoir de trouver
une accroche entre lui et son patient, un point d’entrée dans la relation, quelque chose « qui
marche ». Mais il prend également le risque que la proposition soit insupportable pour
l’enfant et que celui-ci réagisse vivement et parfois violemment, l’agitant ou le renfermant,
coupant tout lien avec le psychomotricien.
Ainsi, face à l’enfant autiste très sensible à son environnement et avec lequel la
communication peut être compliquée et entravée, comment « agir » le plus justement
possible ? Comment penser une intentionnalité et un choix qu’il ne peut parfois pas mettre
en mot, en geste ou en scène ?
De plus, il ne faut pas non plus perdre à l’esprit qu’une rencontre, une relation se
fait à deux. On peut donc initier et guider le patient mais ne pas prendre trop de place dans
cette relation et ainsi risquer de faire à la place. Être attentif et observer les réactions et
comportements de l’enfant peuvent également être des indices et relancer la créativité et
les propositions du professionnel. Pour d’autres enfants, où le vide et la solitude du
soignant dans ces moments se font très prégnants, il faut rester également vigilant à ne pas
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tomber dans un « faire pour faire », pour combler ce vide, cette immobilité ou le silence
par l’action ou la parole.
Parfois, l’attente et le rien sont des moments importants et précieux pour arriver à
poser son attention et remettre l’enfant au centre du soin. Quelquefois, c’est pendant ce
temps de latence que l’enfant va venir amener subtilement une piste, une situation qui
pourra se dérouler par la suite.
Ainsi, la question du trop ou du pas assez est très présente face à l’enfant autiste.
L’engagement du psychomotricien doit donc rester dans une juste mesure tout en gardant
un questionnement et en pouvant rajuster cette posture pour pouvoir être présent sans
envahir le patient. C’est dans cet ajustement permanent que le psychomotricien et l’enfant
pourront alors se rencontrer. De même, il faut également garder à l’esprit que cet
ajustement implique le duo et donc pas seulement le psychomotricien mais aussi le patient
qui va s’adapter à la relation.
Mais avant tout, une rencontre, ça prend du temps. Il faut donc se laisser le temps
de l’approche pour pouvoir s’apprivoiser et apprendre à se connaître. Cela sollicite le
thérapeute du côté de sa capacité à pouvoir suspendre l'action, à pouvoir se détacher du
« faire », pour aller du côté de l’« être avec ». Sans doute pourrions-nous repérer la
précipitation à parler, à toucher, à agir... comme un mouvement défensif. Dans un premier
temps, l'inactivité du thérapeute prendrait son sens dans la valeur qu'elle donnerait à sa
présence, à sa disponibilité et à sa réceptivité. Sans doute y aurait-il d'abord à prendre le
temps de s'installer pour soi-même, avant de chercher à s'installer avec l'autre, laisser
s'installer le silence, se laisser éprouver... et ainsi accueillir.
Pour illustrer mon propos, je reprendrais les deux cas cliniques abordés plus haut.
Dans la rencontre avec Ethanaël, c’est ce juste milieu entre : proposer alors qu’il est encore
occupé à trier ses crayons et attendre qu’il nous invite de lui-même à le rejoindre qui est en
jeu. Ainsi, il semble falloir attendre qu’Ethanaël soit prêt et nous invite à la relation pour
ensuite venir proposer quelque chose dont il se saisira ou pas. Mais alors quand il ne lève
pas la tête de son seau et ne s’ouvre pas de lui même à l’interaction, il est difficile de savoir
que faire. Attendre, jouer seul à côté, et comment, ou proposer au risque de s’acharner dans
sa proposition. C’est alors que l’on va beaucoup se baser sur ce que l’on ressent et pressent
de la situation pour arriver à s’ajuster dans ces moments-là.
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Quant à Eliot, lui, il semble nous tenir à distance de lui ce qui nous place alors dans
une situation assez passive dans notre champ d’action. Cependant, même sans contact
physique direct ni interaction dans le jeu entre nous, la rencontre avec Eliot se fait. Ces
deux composantes ne sont pas des prérequis essentiels à la rencontre.
Mais au contraire, lorsque l’enfant ne se saisit de rien et peut parfois même paraître
nous éviter, qu’en penser ? Comment faire ? Je me permets alors de vous parler de Simon
que je rencontre également en prise en charge individuelle en psychomotricité à l’IME.
Il a 11 ans et 10 mois et c’est un enfant autiste. Lorsqu’il arrive en séance, Simon vient
se placer dans le hamac qui se trouve dans le fond de la salle. Il a toujours dans les
mains une revue, son regard est plongé dedans, il tourne les pages frénétiquement. Il a
également une tétine à la bouche. Il s’installe alors dans le hamac tout en restant plongé
dans sa revue. Il ne nous regarde pas et si nous n’allons pas vers lui, il reste ainsi dans le
hamac, parfois se détournant de sa revue pour attraper des objets à proximité pour les
regarder puis souvent ensuite les mettre à la bouche. Mais il ne nous interpelle pas.
Lorsque ma maître de stage vient lui proposer un objet, une stimulation ou quelque
chose qui matérialise sa présence Simon peut soit rejeter la proposition, en se
détournant, grognant ou parfois même en s’éloignant physiquement, soit en
consommant cette nouvelle stimulation un petit moment puis tout d’un coup, il coupe, il
s’en va, et se replonge dans sa revue.
Auprès de cet enfant, ma maître de stage et moi-même nous essoufflons parfois. Toujours
proposer de nouvelles choses et aller vers lui sans aucun retour peut-être pesant. Il est
difficile d’apprivoiser Simon au sens de l’approcher, de le rencontrer. Il semble parfois
nous fuir : physiquement, par le regard… et dans un rejet important de notre présence et
nos tentatives de partage. Est-ce un refus de la rencontre ? Peut-on croire à un choix de sa
part, une prise de position de rester ainsi « dans sa bulle » ? Lacan (cité par Grollier, 2014,
p. 14) dans ces processus y voit une prise de position du sujet autiste et un « non » à la
relation dans les comportements de rejet et d’évitement. « L’autisme est une objection
redoublée d’un non à l’autre. » décrit Lacan (cité par Grollier, 2014, p. 14). Ainsi, par cette
vision, on peut penser que l’autre serait donc reconnu par le sujet autiste mais dans un
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refus actif de celui-ci. Est-ce vraiment cela que Simon joue en psychomotricité ou bien est-
ce simplement que nous n’avons pas encore trouvé comment l’accrocher et créer une
rencontre entre nous ?
Ainsi, dans cette question de l’ajustement dans la rencontre, une dernière subtilité
reste à aborder, qui être pour eux ?
En effet, la question qui se pose serait alors : veut-on rentrer en interaction avec eux
pour les faire quitter leur bulle autistique ou alors « rentrer » dans leur bulle autistique pour
« l’élargir » ? On peut avoir ces deux visions de l’entrée en contact avec l’enfant autiste.
Pour donner un exemple, je vais m’appuyer sur une vignette clinique d’Ethanaël :
C’est une des premières fois où nous nous voyons, Ethanaël manipule ses crayons. Ma
maître de stage me donne moi aussi un tas de crayon devant moi. Je suis alors face à lui.
On manipule chacun de notre côté, parfois lorsque je fais quelque chose de nouveau
avec mes crayons, il peut suspendre son activité pour me regarder. Puis, je lui propose
un de mes crayons en lui tendant, il semble surpris, me regarde et se met à rire. Il
repousse le crayon me faisant comprendre qu’il n’en veut pas. Quand je lui propose une
deuxième fois, il prend tous mes crayons, les mets dans son seau avec les siens, il en
prend une poignée qu’il met par terre puis les ramasse en séparant mes crayons de ses
crayons. Il me rend les miens en les replaçant devant moi. Je viens alors utiliser les
crayons différemment, je les fais tenir en équilibre sur mes doigts, mes jambes, etc.
Puis, le voyant intéressé ou du moins interpellé, je viens les placer sur lui, ses mains
puis ses pieds, etc. Il les enlève d’abord puis s’instaure ensuite un jeu où il approche son
pied de moi et quand je viens pour y poser le crayon il l’enlève et ainsi de suite. C’est
un moment de plaisir partagé pour tous les deux, nous rions.
Ainsi, face à Ethanaël, agir en écho, comme une sorte de miroir, semble permettre de faire
lien et de créer du jeu par la suite. C’est par ce biais-là et en faisant moi aussi l’expérience
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des crayons que j’ai pu ensuite avoir d’autres types d’interactions avec Ethanaël, il m’a
invitée à le rejoindre sur le tapis. De plus, l’altérité se trouve présente grâce à la position en
face à face mais il peut retrouver du même chez-moi.
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pourrait alors parler de « miroir soignant ». Reprenons l’exemple d’Eliot : par notre
positionnement de témoin bienveillant, notre regard est fixé sur lui et ses expérimentations.
Ainsi, le miroir spéculaire renvoie à Eliot une image que nous lui renvoyons aussi dans
notre regard et par notre posture soignante. C’est dans ce sens-là que nous pourrions parler
de « miroir soignant ». En effet, dans cette attention active et entière au patient, le
psychomotricien vient alors renvoyer et partager avec le patient ce qu’il vit de la situation
dans son contre-transfert et donc l’image renvoyée et aussi empreinte de la rêverie que
nous pouvons porter pour Eliot. C’est le « rôle miroir » décrit par Winnicott, initialement
maternel, ici thérapeutique qui est convoqué auprès d’Eliot.
Suite à cette réflexion à propos de l’enfant autiste, sa place et sa façon d’être dans
la rencontre en psychomotricité qui est aussi une réflexion sur être psychomotricien auprès
de ces enfants cela m’amène à conclure ce mémoire sur la notion de boucle relationnelle,
d’un va-et-vient et d’un partage à trouver dans la rencontre et l’ajustement à l’autre. Cette
notion et idée est sous-jacente tout au long de mon mémoire et il est maintenant tant d’y
mettre des mots. Je reprendrai pour cela le concept de « fonction alpha » développé par
Bion.
Ainsi, par cette fonction, également appelée fonction contenante, qui est une
fonction maternelle, le bébé va pouvoir mettre du sens sur ses ressentis et ses vécus et ainsi
les assimiler pour se les approprier. En effet, le bébé se trouve en prise avec des « éléments
béta », c'est-à-dire des éléments bruts d’origine sensorimotrice et émotionnelle qui ne sont
pas pensables ni interprétables pour lui. Ces éprouvés corporels archaïques le mettent à mal
et lui font vivre des angoisses primitives. Ces éléments désorganisateurs vont alors être
projetés sur l’extérieur et plus particulièrement sur le psychisme maternel. Le bébé ne
pouvant y donner un sens seul, la mère va alors se saisir de ces éléments et les traiter, les
détoxiquer, notamment grâce à sa capacité de rêverie (décrite plus haut). Elle transforme
alors les « éléments béta » en « éléments alpha » qui pourront être assimilables et intégrés
par l’enfant. C’est cette capacité mentale de transformation que Bion nomme « fonction
alpha ». C’est alors à travers l’appareil de pensée de la mère que le bébé peut penser, puis
petit à petit il se créera son propre appareil de pensée. La mère joue alors un rôle de
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contenant en accueillant et transformant les expériences du bébé. Passer par ce système
permet alors au bébé d’éprouver le monde sans en être débordé. Ce retour de la mère c’est
aussi une manière pour le bébé de se sentir exister. Cela rejoint alors le rôle de pare-
excitation que la mère joue dans l’interface entre le monde et son bébé, comme un filtre
qui lui assurerait un sentiment continu d’exister et un sentiment de sécurité avant qu’il ne
puisse jouer ce rôle de lui-même.
Pour illustrer mon propos, je m’appuierai une dernière fois sur mes cas cliniques. Il
m’a été difficile de trouver des exemples cliniques tant ce processus est inconscient et peu
matérialisable.
Pour ce qui est d’Ethanaël, c’est dans la séance où ses crayons débordent du seau et
mettent une réelle barrière entre nous que je retrouve cette notion. En effet, sans non plus
pouvoir l’expliquer, Ethanaël s’apaise et je le sens moins agité en fin de séance alors que si
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l’on prend les faits nous n’avons pas réussi à agir directement sur ce débordement. Et
pourtant, Ethanaël a réussi à puiser en nous et nous avons réussi à lui renvoyer quelque
chose qui lui a permis de retrouver une contenance et d’être moins envahi par les angoisses
qu’il vivait à ce moment-là. C’est très difficile à décrire et concrétiser tant cela se fait
inconsciemment. Ethanaël nous envoie par la manipulation de ses crayons un contenu brut
qui dans l’immédiat nous envahit et résonne en nous, puis nous arrivons à en faire quelque
chose, à y donner du sens et c’est alors que nous pouvons renvoyer à Ethanaël dans notre
posture soignante, dans notre regard, dans notre façon d’être, ces mêmes éléments
transformés et détoxiqués de leur contenu désorganisant et non pensable pour Ethanaël.
C’est alors grâce en partie à cette « fonction alpha » du psychomotricien mais aussi
dans la spécificité avec laquelle le soin et l’enfant sont pensés et accompagnés que cet
espace psychomoteur devient thérapeutique.
Pour conclure, dans la rencontre avec ces deux jeunes, c’est toute la question du
positionnement et de l’ajustement à l’autre qui va venir se travailler pour pouvoir
accompagner l’enfant autiste dans sa construction psychocorporelle.
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CONCLUSION :
Ce travail de mémoire touche à sa fin et conclure n’est pas chose aisée. Tout
d’abord cet exercice universitaire a été fort intéressant et très enrichissant d’un point de
vue professionnel et personnel. Il m’a permis de développer une curiosité théorique et une
réflexion théorico-clinique plus poussée qui a su me servir d’appui dans ma clinique.
Dans la rencontre avec Ethanaël et Eliot, deux rencontres très différentes, je me suis
beaucoup remise en question sur mon positionnement, la spécificité psychomotrice et son
apport auprès d’eux. C’est alors en développant tous mes « radars » sensoriels, moteurs,
etc. et dans une grande disponibilité que j’ai pu partager et les accompagner dans cet
espace psychomoteur.
C’est alors dans la rencontre avec les enfants autistes, une rencontre sensible avec
une coloration transférentielle forte, une rencontre bien différente de tout ce à quoi l’on
pourrait s’attendre, que la question de l’ajustement et du lien se pose et surtout se travaille.
En effet, celui-ci n’est pas inné et c’est alors dans un tâtonnement certain et une juste place
à trouver dans cette boucle relationnelle, recevoir et redonner, que la rencontre opère.
Celle-ci devra parfois trouver un médiat pour penser la dualité et ainsi pour partager
l’expérience et la rendre pensable et intégrable pour l’enfant. De plus, c’est en impliquant
sa propre corporéité et sa pensée que l’on pourra trouver et devenir un appui pour le jeune
et sa problématique.
Pour finir, je pense n’avoir traité qu’une toute petite partie de ce que peut bien
signifier « la rencontre », celle-ci étant subjective et appartenant à chacun. De même, la
question du positionnement psychomoteur est beaucoup mise à mal parfois dans ces
cliniques de l’archaïque mais la question de l’ajustement et le fait de trouver sa juste place
auprès du patient est un travail qui se réinvente auprès de chaque patient.
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Pour clore ce mémoire mes derniers mots seront alors ceux de Boutinaud :
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REMERCIEMENTS :
Je tiens à remercier mes parents qui ont relu mon mémoire avec attention et envie et
qui ont toujours cru en moi malgré mes doutes et mon entêtement parfois.
Pour finir, je remercie mes amies notamment Anne-Lise, Claire, Sarah et bien
d’autres avec qui j’ai partagé ces trois dernières années et sans qui je n’en serais pas là !
Marion DEPELCHIN
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BIBLIOGRAPHIE :
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Potel, C., & Marcelli, D. (2015). Corps brûlant, corps adolescent: des thérapies à
médiations corporelles pour les adolescents. Toulouse, France: Érès éd., DL 2015.
LAVIGNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Thèse Lyon 2. (s. d.). 1.2.3 Médium malléable. Consulté 25 mars 2017, à l’adresse
http://theses.univ-
lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2010.rey_b&part=368267
Winnicott, D. W., Monod, C., & Pontalis, J.-B. (2002). Jeu et réalité: l’espace potentiel.
Paris: Gallimard.
LAVIGNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
RESUME :
La rencontre avec un enfant autiste peut être déroutante. Face à cette faillite dans la
construction psychocorporelle et l’archaïsme troublant qui marque cette rencontre, le
psychomotricien doit rapidement réussir à prendre du recul pour analyser ce que cette
rencontre lui fait vivre et ainsi réajuster son positionnement pour entrer en relation avec le
patient. En trouvant du commun par un support médiateur, le psychomotricien va alors
pouvoir soutenir l’enfant autiste dans son appropriation corporelle, en s’engageant
corporellement, psychiquement et verbalement auprès de lui.
Mots Clés :
LAVIGNE
(CC BY-NC-ND 2.0)