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Traiter Agresseurs Sexuels - Criminologie

Le document présente une collection de textes destinée aux professionnels travaillant avec les familles, dans le cadre du programme de prévention de la maltraitance yapaka.be, en Belgique. Il aborde l'évolution de la représentation sociale des délinquants sexuels, les limites des dispositifs de soins actuels, et les enjeux de la transgression et du fantasme dans le contexte des agressions sexuelles. La réflexion critique les approches normatives et sécuritaires de la société moderne face à ces problématiques.

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DATINON MAHOUTIN ANGE
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Traiter Agresseurs Sexuels - Criminologie

Le document présente une collection de textes destinée aux professionnels travaillant avec les familles, dans le cadre du programme de prévention de la maltraitance yapaka.be, en Belgique. Il aborde l'évolution de la représentation sociale des délinquants sexuels, les limites des dispositifs de soins actuels, et les enjeux de la transgression et du fantasme dans le contexte des agressions sexuelles. La réflexion critique les approches normatives et sécuritaires de la société moderne face à ces problématiques.

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Temps d’Arrêt/Lectures

Une collection de textes courts destinés aux professionnels en lien direct avec les familles. Une
invitation à marquer une pause dans la course du quotidien, à partager des lectures en équipe, à
prolonger la réflexion par d’autres textes. – 8 parutions par an.
Directeur de collection: Vincent Magos assisté de Diane Huppert ainsi que de Delphine Cordier,
Sandrine Hennebert, Philippe Jadin, Christine Lhermitte et Claire-Anne Sevrin.

Le programme yapaka
Fruit de la collaboration entre plusieurs administrations de la Communauté française de Belgique
(Administration générale de l’enseignement et de la recherche scientifique, Direction générale de
l’aide à la jeunesse, Direction générale de la santé et ONE), la collection «Temps d’Arrêt/Lectures»
est un élément du programme de prévention de la maltraitance yapaka.be
Comité de pilotage: Nicole Bruhwyler, Deborah Dewulf, Nathalie Ferrard, Ingrid Godeau, Louis
Grippa, Françoise Guillaume, Gérard Hansen, Françoise Hoornaert, Perrine Humblet, Céline Morel,
Marie Thonon.
Une initiative de la Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique.
Éditeur responsable : Frédéric Delcor – Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique – 44, boulevard
Léopold II – 1080 Bruxelles. Novembre 2008.
Sommaire
Introduction
L’évolution de la représentation sociale du « délinquant » sexuel
De la normalisation aux impératifs sécuritaires
Les limites de l’interdit
La transgression
Le fantasme
Les réponses « psy » face à l’attente sociale en matière de « soins »
d’agresseurs sexuels
Obligation de soins ou libre démarche ? Quelle place pour le sujet de la
demande ?
Le recours à l’obligation de soins pour les agresseurs sexuels constitue une
mesure assez récente.
Limites des dispositifs de soins actuels
L’exemple carcéral
Y a-t-il une approche thérapeutique possible ?
La prévention
Quelle politique sociale adopter alors ?
Qu’est-ce qu’une récidive ?
Conclusion
Bibliographie
Temps d’Arrêt/Lectures – Déjà parus
Introduction
Depuis la thèse du « criminel né » de Lombroso jusqu’à celles, actuelles, du
« tous criminels » et de la « tolérance zéro », les sciences dites
« criminelles » voire de criminologie ont vu leur objet d’étude se
métamorphoser, passant du « crime » au « comportement criminel » avant,
de nos jours, de s’intéresser à la personnalité de « l’auteur du crime ».
Au fur et à mesure de son développement, la criminologie s’est servie des
« sciences du comportement » (par la mise en œuvre de techniques
d’investigation, d’évaluation, de « profilage », etc.), afin d’asseoir une
idéologie soutenue par une logique de contrôle social.
Si l’on admet la définition de Lagache, selon laquelle l’agressivité est une
tension qui met l’organisme en mouvement en même temps qu’une
disposition indispensable qui permet au sujet de trouver sa place dans son
milieu1, dans quelle mesure le rôle de « contrôle », de « canalisation »,
voire de « réorientation » que la société chercherait à exercer sur cette
agressivité – par l’établissement d’un système de valeurs avec des normes –
serait-il « légitime » ?
1 Lagache D. L’agressivité: structure de la personnalité et autres travaux. Paris: PUF, 1982.

Où se situerait la frontière si toute déviation ou tout écart par rapport à ces


normes aurait la même valeur qu’une transgression, à laquelle il faudrait
opposer une sanction, à l’instar de la réponse « pavlovienne » ?
Devenues un outil de normalisation par excellence, ainsi qu’un alibi
« sécuritaire », les sciences modernes se sont mises au service de cette
nouvelle idéologie, dont l’objectif serait de supprimer la moindre
manifestation « agressive », laquelle serait « détectable », dirions-nous, dès
la vie intra-utérine2.
2 LCf. Les troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent, rapport de l’INSERM, septembre
2005.

Cette régression épistémologique actuelle a été impulsée par le modèle


anglo-saxon de « redressement » de la jeunesse turbulente, agitée ou mal
adaptée au système scolaire, que l’on a entrepris de doper à la Ritaline© ou
d’enfermer dans des camps de « réhabilitation » censés la transformer en
une population docile, conforme au comportement « normal » en vigueur.
Or, lorsqu’une science se transforme en idéologie, les frontières entre les
règles normatives et les lois s’évanouissent, tandis qu’une pensée totalitaire
se dessine et s’affirme. Une récente loi en France sur la « rétention de
sûreté » en fournit un exemple éclatant !
Contre ces errements scientistes et comme la psychanalyse n’a cessé de le
démontrer, il nous faut réaffirmer que les pulsions agressives sont
inhérentes au fonctionnement psychique de chaque être humain3 et, à ce
titre, qu’elles sont irréductibles à tout déterminisme biologique ou
naturaliste.
3 Safouan M. (2006) «La personnalité du délinquant à la lumière des théories psychanalytiques»,
Psychologie clinique, nouvelle série, 20.

C’est là que se situe l’intérêt de notre réflexion, laquelle, prenant appui tant
sur une pratique psy-chothérapique d’inspiration psychanalytique que sur
une pratique d’expertise auprès d’une population d’agresseurs sexuels,
interroge les limites de la logique normative et sécuritaire de nos sociétés
modernes sur laquelle se basent les dispositifs actuels en matière de
« soins » à l’attention de cette population. Une telle logique ne fait
qu’entretenir la pathologie de cette dernière et, par là même, qu’augmenter
les probabilités d’échec de tels dispositifs ainsi que les risques de récidive.
L’évolution de la représentation
sociale du « délinquant » sexuel
Pour mieux comprendre les enjeux inhérents à la polémique actuelle en
matière de soins sous contrainte judiciaire qui visent les « délinquants »
sexuels, il est important de faire un retour historique vers le terme de
« perversion sexuelle », dont l’apparition fut en lien avec la fréquence des
abus sexuels sur enfants au cours du XIXe siècle. Ainsi, l’élaboration d’un
savoir médico-psychiatrique en matière de perversion sexuelle, en
particulier de pédophilie, fut très fortement déterminée non par une
demande de santé, mais par « une requête judiciaire et sociale » de
normalisation qui visait une « régulation » des conduites sexuelles
« déviantes ». Cette demande fut justifiée par le besoin d’une caution
extérieure scientifique, destinée à permettre au partenaire judiciaire de jouer
le rôle qui lui était assigné par le corps social. On assiste alors à un
paradoxe : la conduite devient la manifestation d’une organisation cérébrale
ou mentale seule reconnue comme décisive ; et là où le magistrat « gagne
du côté de la caution scientifique donnée à ses décisions, il perd du côté de
la légitimité à juger d’un acte dont la détermination ultime échappe à sa
connaissance et ne s’arrime plus à un libre arbitre de l’accusé »4.
4 Arveiller J. (1998) «Pédophilie et psychiatrie: repères historiques», L’évolution psychiatrique, 63,1-
2, 11-34.

Défini comme une déviation par rapport à une norme ou à un comportement


normal, le terme de perversion vient du mot latin perversio, qui date de
1444, lequel vient du verbe pervertere, qui date de 1115 et a une
signification tantôt matérielle (renverser, retourner ou abattre), tantôt
économique (ruiner) et tantôt morale (corrompre, prendre le mauvais
chemin).
En 1875, Littré a déjà utilisé ce terme, dans une connotation morale, pour
désigner le changement du bien en mal. La perversion morale des instincts
était synonyme de folie héréditaire, à laquelle se sont ajoutées d’autres
formes de perversions, telles que celles de l’appétit et de la vue.
Contrairement au mot « perversité », qui se réfère davantage à un caractère
marqué par une cruauté ou une malignité particulière, le mot perversion fut
toujours réduit au comportement.
Toutefois, avant 1885, date à laquelle l’expression de « perversion
sexuelle » fut proposée par le psychiatre Magnan, le mot perversion n’avait
pas pour sens exclusif l’aspect sexuel.
En 1887, Krafft-Ebing classe l’abus des enfants dans deux registres : l’un
concerne celui du monstrueux et de l’incompréhensible où le viol, associé à
l’assassinat par volupté, est commis par un « idiot » ou un dément,
irresponsable sur le plan légal et susceptible d’être interné ; l’autre est le fait
de jeunes gens immatures et peu sûrs d’eux et, plus souvent, de « vieillards
débauchés », malades mentaux ou pas. Cet auteur distingue également le
« bon » pervers (l’homosexuel moral bien inséré) du « mauvais » pervers
(le marginal, monstrueux et violent).
Ainsi, le terme de perversion n’a cessé de solliciter des représentations
contradictoires, voire clivées, qui ont identifié le pervers comme un
criminel à sanctionner, un fou « bon pour l’asile », un être « déviant » à
normaliser ou encore un malade à soigner. Nous verrons en quoi cette
représentation clivée est un effet du clivage caractéristique du
fonctionnement psychique des auteurs d’agressions sexuelles.
Par ailleurs, ce n’est guère un hasard si la définition autour de laquelle
s’accorde l’ensemble des dictionnaires limite l’usage du terme
« perversion » au champ de la sexualité « agie » et désigne ainsi une
déviation pathologique du comportement sexuel normal, voire une
aberration de l’acte sexuel normal, avec une fixation à un objet et un but en
rupture avec les pratiques culturellement admises. C’est en particulier le
caractère exclusif, compulsif, contraignant, répétitif et partiel de ce
comportement qui lui confère un aspect déviant. Contrairement aux
pathologies névrotique et psychotique, ce qui est spécifique à la perversion,
c’est qu’elle échappe totalement au refoulement, car elle est fondée sur une
exigence d’accès à une jouissance immédiate qui brave tout interdit. D’où
l’impasse de la « curabilité » du pervers, qui est tributaire de l’impérative
normalisation de son comportement sexuel déviant.
De la normalisation aux impératifs
sécuritaires
à défaut de pouvoir normaliser à l’aide de soins les « criminels sexuels », la
société moderne adopte des positions radicales : elle multiplie des lois de
plus en plus coercitives.
Pour citer l’exemple français, une mesure de « rétention de sûreté » après la
sortie de prison des criminels dits dangereux fut instaurée en réaction à de
récents faits divers qui furent très médiatisés en raison de leur caractère
monstrueux et gravissime, parmi lesquels le meurtre de deux infirmières à
l’hôpital psychiatrique de Pau, perpétré en 2004 par un malade mental, le
viol d’un enfant de 5 ans par un pédophile fraîchement sorti de prison et la
tentative de viol et le meurtre d’une étudiante par un violeur récidiviste.
Le premier volet de cette mesure prévoit de remplacer le non-lieu pour
raisons psychiatriques par une ordonnance d’irresponsabilité pénale, lors
d’une audience publique où des arrêts de « culpabilité civile » peuvent être
rendus à l’encontre des auteurs de crimes et délits qui présentent des risques
de récidive et de dangerosité bien que déclarés pénalement irresponsables.
Ce volet témoigne d’une régression juridique, dans la mesure où, si
l’audition publique a toujours existé, la notion de culpabilité civile avait été
supprimée.
Le deuxième volet a pour objectif la rétention des auteurs de crimes (
meurtres, viols ou actes de torture), et en particulier les pédophiles qui
présentent des risques de dangerosité et de récidive, à leur sortie de prison,
dans des « centres socio-médico-judiciaires fermés », pour une durée d’un
an « renouvelable » et, dans certains cas, « à vie ».
Cette mesure de rétention de sûreté ne saurait être appliquée de façon
rétroactive, c’est-à-dire à des sujets qui ont fait l’objet d’une condamnation
avant la publication de la loi ou qui ont été condamnés pour des faits
commis antérieurement à cette publication. Il s’ensuit que les premières
rétentions de sûreté ne pourraient être prononcées que dans 15 ans,
puisqu’applicables aux détenus condamnés à plus de 15 ans.
Il est intéressant de rappeler que la première mesure de rétention de sûreté
fut introduite dans le Code pénal allemand et promulguée à Berlin le 27
novembre 1933, sous le régime nazi, par l’article 1. Cette loi s’exerçait à
l’encontre des récidivistes dangereux et définissait des mesures
disciplinaires pour améliorer la sécurisation : elle prévoyait la « rétention de
sûreté » après la fin de la peine, si « la sécurité publique l’exige »5.
5 Cf. «Une loi qui ne devrait pas faire Führer»…, Le canard enchaîné, 20 février 2008.
Les limites de l’interdit
Est-ce par l’agir ou par la pensée, voire les fantasmes, que se constitue la
transgression ? En principe, ce qui définit le terme d’agression sexuelle, pris
dans un contexte légal, est moins la mise en acte d’un fantasme sexuel
« déviant » que l’acte lui-même de transgression d’une loi sociale.
Dans l’hypothèse que l’acte soit structuré à partir d’un fantasme et que ce
dernier en constitue le moteur, on est en droit de comprendre la confusion
qui s’opère entre acte et fantasme dans la représentation de la perversion
sexuelle. Si le fait d’associer le fantasme à l’acte dans un souci de
compréhension de ce qui sous-tend l’acte d’agression sexuelle paraît
indispensable, confondre celui-ci avec l’acte au sens pénal du terme
constitue par contre une aberration.
Pour mieux comprendre les enjeux à l’origine d’un tel amalgame, nous
allons explorer les deux dimensions fondamentales sous-jacentes au
fonctionnement pervers, au sens large du terme : la transgression et le
fantasme dont elle se soutient.

La transgression
Toute jouissance, qui n’est pas à entendre dans le sens d’un plaisir mais
dans celui d’« au-delà du plaisir »6, implique l’idée d’une transgression de
la loi et participe ainsi de la perversion.
6 Ce terme désigne le fonctionnement d’un sujet contraint de répéter de façon inlassable un
comportement sans connaître les raisons qui l’y poussent. Cf. Melman Ch. (2003) L’homme sans
gravité. Jouir à tout prix. Paris: Denoël.

Freud affirme que ce qui fonde l’interdit de l’inceste n’est pas tant l’horreur
qu’il inspire que le désir qu’il suscite7. La problématique de la perversion se
situe donc au niveau d’un désaveu de la loi du père, d’un déni de la
différence des sexes et de la prohibition de l’inceste. L’impossibilité de se
référer au père comme agent de la castration pousse le pervers à rechercher
une autre loi, qui fait de la jouissance un devoir filial. Non seulement le
pervers remet en question la loi et la récuse dans son fondement, mais il lui
substitue celle de son désir.
7 Freud S. (1913) Totem et tabou. Paris: Payot 1965

L’observation de Monsieur Durand (50 ans) illustre ces considérations.


Reçu, dans le cadre d’un suivi en prison après son incarcération pour des
faits de viols commis sur ses quatre filles, âgées entre 15 et 25 ans, ce
patient est non seulement incapable de penser son comportement envers ses
filles comme étant incestueux, mais il revendique en outre un droit de
« cuissage » sur celles-ci. Pour lui, il s’agit d’un « amour filial » : « Ce que
j’ai fait à mes filles est un acte d’amour que je revendique. Ce n’est pas un
acte criminel. C’est même fondamental à leur épanouissement sexuel ». Ce
qui paraît intéressant, c’est que cet homme a attendu que ses filles aient
atteint l’âge de 8 ans pour commencer à en abuser, par des caresses qui ont
évolué en pénétrations sexuelles complètes lorsque les victimes ont atteint
la puberté.
L’anamnèse de M. Durand révèle un lien problématique au père, soutenu
par des idées de parricide. Ainsi, ayant reçu une éducation qu’il qualifie de
« très sévère » de la part de cet homme, le patient lui en veut à mort :
« C’était un homme froid, jamais câlin. J’étais jaloux de lui et je ne
supportais pas qu’il s’approche de ma mère. Lui aussi était jaloux de moi :
il interdisait à ma mère de me faire des câlins, alors que j’en raffolais.
Surtout, de ma mère, je me souviens de sa douceur. C’est pour ça que j’ai
voulu donner à mes filles ce qui me manquait : l’amour filial. C’est un
cadeau du ciel ».
à l’âge de 8 ans, M. Durand a perdu son père dans un accident de voiture et
s’en est rendu responsable. Il précise : « J’étais en voiture avec mes parents.
J’ai regardé mon père et j’ai pensé très fort dans ma tête que je voulais sa
mort. Peu de temps après, ça s’est produit ». à partir de cet événement, le
patient a commencé à développer une conviction délirante : il était persuadé
que son cœur s’était arrêté de battre. Cette idée l’a plongé dans une crise
d’angoisse sidérante, qui l’a poussé à commettre une première tentative de
suicide à l’approche de ses 15 ans. Des tentatives de suicide ultérieures, à
l’issue desquelles M. Durand fut hospitalisé en psychiatrie, ont toujours été
précédées de crises d’angoisse sur fond délirant : une conviction que « tout
le monde » entendait et devinait ses pensées. La médecine psychiatrique a
posé un diagnostic de psychose maniaco-dépressive. Il paraît évident que le
délire de « transparence » du patient n’est pas sans liens avec ses vœux de
mort à l’égard de son père, où sa pensée serait dotée d’un pouvoir magique
de destruction : le réel de la mort du père avait validé le fantasme parricide.
Le comportement de M. Durand envers ses filles allait dans le sens d’une
solution perverse contre la folie, à travers une attaque du lien filial, et
témoignait de son impossibilité à renoncer à son projet incestueux. Par le
surgissement dans la réalité de son fantasme parricide, cet homme a
expérimenté un triomphe de la loi de son désir incestueux sur celle de
l’interdit. Mais la confrontation à cet interdit, inscrit dans la loi sociale, l’a
fait basculer vers la psychose ; d’où son état d’effondrement suite à son
incarcération.

Le fantasme
Toute jouissance se soutient d’un scénario dans lequel le pervers se sert de
l’autre pour se protéger contre une « angoisse sidérante ». Le scénario
pervers, qui est une production psychique imaginaire, crée en outre, à l’aide
d’un fétiche8, une nouvelle réalité qui est censée remplacer celle de
l’interdit et de la différence des sexes.
8 Ce terme définit un artifice par le biais duquel une partie du corps ou un objet devient la condition
absolue du désir et le lieu exclusif de la jouissance.

L’observation de Monsieur Frédéric (30 ans) en est une excellente


illustration clinique. En situation de récidive pénale, ayant fait auparavant
l’objet d’information judiciaire pour agressions sexuelles commises sur sa
jeune belle-sœur, mineure de moins de 15 ans, ce patient a été reçu dans le
cadre d’un suivi en maison d’arrêt, après sa mise en examen pour le viol de
sa fille, âgée de 13 mois : « C’est grave, ce que j’ai fait. Je ne sais pas ce qui
m’a pris. C’est ma femme qui m’a poussé à bout. Elle a refusé de me faire
une fellation. Alors je lui ai dis : “ Si tu ne me la fais pas, c’est ta fille qui va
me la faire ”. C’est là que j’ai cherché la petite et que je lui ai mis mon sexe
dans la bouche ».
Au cours de son suivi, qui a duré près de sept mois, M. Frédéric est parvenu
à nous faire part du scénario pervers qui fut sous-jacent à son comportement
incestueux envers sa fille. Il y voyait son sexe disparaître dans une
« pompeuse de lait ». Les associations du patient ont articulé ce fantasme
avec un fait divers, où un homme s’était fait arrêter en flagrant délit de vol
dans une usine de fabrication de lait. Une semaine plus tard, Mr Frédéric a
rapporté un rêve où un gendarme le surprenait en train de se masturber.
Nous mesurons ici la complexité de la tâche qui consiste tant à dissocier
l’acte du fantasme qui le soutient qu’à les confondre ; d’autant plus que
dans ce type de fantasme, l’autre n’est guère perçu dans son statut d’objet
« réel », puisqu’il n’est que la surface sur laquelle les projections du pervers
viennent se greffer. L’autre disparait dans la perception du pervers, pour
devenir une représentation de « quelque chose d’autre ». Cette perception
partielle imaginaire de l’autre engage le pervers dans une relation avec une
image et non avec un objet réel ; d’où l’importance d’identifier le fantasme
qui sous-tend la structure de l’acte pervers, pour en comprendre la
signification.
Les réponses « psy » face à l’attente
sociale en matière de « soins »
d’agresseurs sexuels
Le paradoxe du soin sous contrainte est à rattacher, comme nous l’avons
souligné, à l’existence d’une requête socio-judiciaire de type sécuritaire.
L’opposition, au cours de la première moitié du XIXe siècle, entre le champ
de la psychiatrie (garant du soin) à celui du judiciaire (garant de la
répression et de la sanction), fut à l’origine d’une réglementation juridique
de la responsabilité pénale en cas de folie, d’une part, et du placement
d’office d’autre part.
Rappelons à ce titre que l’introduction de la psychiatrie dans les prisons au
début du XXe siècle, au même titre d’ailleurs que l’élaboration d’un savoir
psychiatrique en matière de perversion sexuelle, s’est précisément faite en
fonction de cette même requête. Foucault explique bien, dans La volonté de
savoir, que le concept de sexualité fut construit au XIXe siècle par le
discours médical, afin d’instaurer un nouveau partage entre la norme et la
déviance et en lien avec l’effondrement de l’idéal du patriarcat.
L’évolution des rôles de la psychiatrie et du judiciaire, qui est allée d’une
délimitation à une confusion, puis à une inversion (le magistrat prescrit le
soin comme peine et le médecin soignant applique la peine de soin), s’est
effectuée en parallèle avec l’évolution de l’image du sujet placé à
l’intersection de ces deux champs : l’image d’un coupable criminel et
délinquant marginal a cédé la place à celle d’un malade qu’il convient tant
de soigner que de normaliser.
Par ailleurs, cette double évolution a été rendue possible par l’évolution de
la prison, laquelle, après n’avoir été qu’un lieu d’expiation de fautes, de
sanction, de neutralisation et de contrôle social, a intégré une vocation
thérapeutique et préventive.
Obligation de soins ou libre démarche ?
Quelle place pour le sujet de la demande ?

Le recours à l’obligation de soins pour les


agresseurs sexuels constitue une mesure
assez récente.
Pour citer, entre autres, l’exemple français, le nombre de suivis socio-
judiciaires prononcés chaque année à l’encontre des agresseurs sexuels
(dont la durée va de cinq ans et trois mois pour les délits à sept ans pour les
crimes et à vie dans certains cas) ne fait que s’accroître : « 400 par les cours
d’assises (près du quart des affaires) et 600 par les tribunaux correctionnels
(à peine 6%) »9. En cas de non-observance ou de violation de l’obligation
de soins, la personne placée sous suivi socio-judiciaire encourt une peine
supplémentaire, pour une durée fixée au préalable lors du jugement où la
mesure a été prononcée.
9 Portelli S. (2008) Récidivistes. Chroniques de l’humanité ordinaire. Paris : Grasset, p.146.

Ces mesures d’obligation de soins ne constituent-elles pas un excellent


moyen d’instrumentalisation du « corps soignant », qui se trouve réduit à un
alibi « humanitaire et normatif » garant d’un « bon » traitement qui se doit
de guérir ?

Limites des dispositifs de soins actuels


Si nous faisons le bilan des pratiques psychothérapiques actuelles destinées
aux agresseurs sexuels, nous sommes d’emblée confrontés au même type de
paradoxe où le soin et la normalisation sont confondus. Ainsi, envisager une
stratégie thérapeutique à choix multiples, par l’association de plusieurs
approches même lorsqu’elles sont totalement opposées – par exemple
« administrer » une psychothérapie de soutien en parallèle à une thérapie
cognitive ou à une thérapie hormonale –, revient à réduire à l’identique ce
qui le contredit ! Au lieu d’une approche authentiquement pluridisciplinaire,
nous nous trouvons aujourd’hui face à un amalgame de « techniques »
improvisées qui, de la sorte, perdent tant leur crédibilité que leur pertinence
et où l’essence même du sujet singulier est engloutie dans un pluriel flou.
Ce phénomène témoigne-t-il d’un processus de refoulement à échelle
socioculturelle, qui viserait à annuler la perversion en la normalisant ?
Témoigne-t-il à l’inverse d’une levée du refoulement qui ferait de la
perversion une « norme sociale » ?
Comment sortir de l’impasse si l’on persiste à vouloir contourner la
demande, seule garante d’engagement authentique de la part du sujet dans
un projet thérapeutique ? Comment mettre en lumière le caractère
fondamentalement contradictoire d’une thérapie « imposée », aux effets
trompeurs de laquelle les agresseurs sexuels se soumettent volontiers
puisqu’elle leur permet de duper et manipuler les représentants d’une loi qui
prêche une normalisation à tout prix ?
L’observation d’un pédophile reçu en pratique psychothérapique privée,
Monsieur Soulé (25 ans), illustre les limites de ce type de projet
thérapeutique imposé. Ce jeune homme a été condamné à trois ans de
prison (un an ferme plus deux ans avec sursis) pour attouchements sexuels
sur mineur de 15 ans. Lors de sa condamnation, il venait d’effectuer un an
de détention préventive. Il a donc été libéré et placé sous mesure de suivi
socio-judicaire avec obligation de soins. Il a été aussitôt adressé à un centre
de soins dédié aux pédophiles, où il a été reçu par un psychiatre avant d’être
intégré dans un groupe de parole, composé exclusivement d’auteurs
d’agressions sexuelles, animé par deux psychologues et auquel le psychiatre
participe de façon ponctuelle. Si M. Soulé observe de façon rigoureuse
l’ordonnance de soin (il se rend régulièrement aux rendez-vous fixés par le
médecin et participe au groupe de parole, qui a lieu tous les 15 jours), il ne
se sent pas pour autant impliqué. C’est dans ce contexte qu’il s’est adressé
de son libre chef à mon cabinet pour un suivi « personnel » et m’a expliqué
qu’il ne se sentait pas concerné par la mesure de suivi socio-judiciaire qui
lui a été imposé : « Je suis obligé de le faire. J’y vais juste pour avoir
l’attestation de suivi que demande mon agent de probation. Si mon sursis
tombe, je me retrouverai en taule pour deux ans ». M. Soulé considère que
le fait de s’impliquer de façon active dans une démarche de soin qu’il
choisit lui redonne confiance en son « humanité » et augmente ses chances
de guérison : « Je veux avoir au moins la liberté de choisir moi-même mon
psy. Je ne suis pas un chien qu’on déplace comme ça. Je veux comprendre
ce qui m’arrive pour moi et non pour faire semblant ». Il préfère de loin son
suivi en cabinet privé, pour des raisons d’ordre pratique (la proximité de
mon cabinet par rapport à son domicile, alors que se rendre au centre de
soins nécessite près de deux heures de trajet) et d’ordre « thérapeutique »,
telles que la facilité de s’investir dans un suivi individualisé et l’absence de
risque de tentation : « Comme le groupe de parole a lieu vers 17 h, je me
retrouve dans les transports en plein milieu de la sortie des écoles. Alors,
vous imaginez, un bus bondé de collégiennes qui se collent à vous. Je ne
parle même pas d’être excité, mais j’ai la trouille que ma main se balade
malgré moi là où il ne faut pas et qu’on porte plainte contre moi pour
attouchements ».
Malgré ma réticence, je finis par accepter de suivre ce patient, à condition
de ne lui délivrer aucune attestation de prise en charge. Cette condition a été
totalement acceptée par M. Soulé, qui a maintenu par ailleurs son suivi au
centre. Son suivi avec moi a duré près d’un an.
Le premier temps du suivi fut surtout consacré à « ce qui se passait » au
centre de soins, telles que les difficultés du patient à s’intégrer au groupe de
parole et ses « fantasmes érotiques » en direction de la psychologue qui
animait le groupe et dont la tenue vestimentaire était, selon lui,
« provocante ». M. Soulé n’a abordé qu’en un deuxième temps l’affaire
judiciaire dans le cadre de laquelle il a été inculpé. Pour commencer, il a
récusé la qualification des faits : il aurait été surpris par un prêtre en train de
faire des attouchements sexuels à une fillette de 9 ans, dans une paroisse où
il se rendait régulièrement avec sa femme pour rendre service : « Il a mal
compris. C’est elle qui m’a demandé de lui toucher le ventre, car elle avait
mal. C’est une mythomane. Elle a raconté n’importe quoi ».
Le deuxième temps du suivi de M. Soulé fut davantage consacré à son
histoire, dont le récit est devenu de plus en plus confus et où ses fantasmes
se sont mêlés à la réalité. En dehors de sa situation maritale, aucun élément
de l’histoire livrée par le patient n’a pu être validé de manière objective. M.
Soulé est le père de deux filles (âgées de 3 ans et de 10 mois). Il est marié
avec une femme de dix ans son aînée. Il aurait été confié à la DASS jeune et
abandonné, ainsi que sa nombreuse fratrie, par sa mère, une femme
« alcoolique » qui se prostituait. Il n’aurait jamais connu son père géniteur
et aurait été élevé par un oncle (le grand frère de sa mère). Il aurait été
abusé sexuellement par sa mère, qui aurait pris l’habitude de « coucher »
avec ses enfants, et il aurait eu une liaison incestueuse avec l’une de ses
sœurs : « C’était un viol plutôt, car elle ne le voulait pas. Elle le faisait
pourtant avec mon frère. Alors, je l’ai obligée à le faire avec moi. J’étais
adolescent à l’époque et très excité. Une fois, on se l’est faite à deux avec
mon frère ».
C’est autour de son lien avec ce frère cadet (de deux ans) que les scénarios
pervers de transgression et d’inceste du patient ont été (longuement)
évoqués en séance. Il l’aurait même fait participer au « viol » de sa propre
femme, qu’il m’a décrite au début comme une « prostituée » qu’il aurait
sauvée d’un « mac » par le mariage à condition de coucher avec ses amis et
son frère ! En réalité, la femme du patient, que j’ai eu l’occasion de
rencontrer suite à sa demande – qui était « effondrée » après avoir découvert
l’infidélité de son mari avec une « jeune » voisine – s’était présentée
comme une femme très conservatrice, chrétienne et très pratiquante. C’est
elle qui poussa d’ailleurs M. Soulé à fréquenter la paroisse.
Au début de chaque séance, le patient prenait plaisir à me choquer avec ce
type de récit. Il avait besoin de mettre ses fantasmes pervers à ma
disposition, d’une part pour me rendre complice de sa perversion (en
cherchant à m’exciter et en m’enfermant dans un pacte pervers avec lui),
d’autre part en laissant tomber le masque qu’il portait lorsqu’il se rendait à
son centre de soins : « Avec vous, je peux parler de choses que je n’oserais
jamais dire en groupe de parole ou aux psys du centre. D’ailleurs, je ne dis
pas grand-chose là-bas. On parle de nos affaires à tour de rôle et ils nous
demandent de parler de nos fantasmes ; mais moi, je n’ose pas. Je me sens
jugé par les psys et les pédophiles du groupe. Je leur dit ce qu’ils veulent
entendre : “Je regrette ce que j’ai fait et je ne recommencerai plus”. Mais à
vous, ce n’est pas pareil. Vous n’êtes pas en contact avec mon juge et vous
n’avez pas de comptes à lui rendre comme dans le centre ». M. Soulé a
utilisé son double suivi (il se servait de l’un pour annuler l’autre) non
seulement pour soutenir son clivage10 psychique (au centre, où il se
conforme à l’attente sociale et judiciaire de normalisation, c’est la part
« adaptée » de sa personnalité qui entre en scène et à mon cabinet, il expose
sa véritable pathologie), mais aussi pour instrumentaliser ses soignants et en
faire un « alibi thérapeutique ».
10 Ce terme définit la coexistence au sein de la personnalité (du Moi) d’un sujet de deux attitudes
psychiques contradictoires à l’égard de la réalité extérieure: l’une tient compte et se conforme aux
exigences de la réalité et l’autre la dénie au profit d’une exigence pulsionnelle qui demande une
gratification immédiate. Ces attitudes défensives persistent côte à côte sans s’influencer
réciproquement.

Cette manœuvre, ainsi que son transfert érotique massif à mon égard et son
manquement au cadre face à mon refus d’être manipulée, m’ont poussée à
mettre fin à son suivi.
Cette observation montre les limites d’un soin subordonné au judiciaire, car
même si M. Soulé avait choisi de s’adresser à une « psy » qui n’était en lien
ni en contact avec la justice, c’était dans le seul but de mieux la manipuler.

L’exemple carcéral
Nous avons pu en outre explorer, à travers l’analyse d’une pratique
psychothérapique effectuée en milieu carcéral auprès d’auteurs d’agressions
sexuelles, les enjeux du paradoxe qu’il y a à inscrire une logique de soin
sous contrainte, sans objet, ni sujet ni demande, dans le lieu spécifique
qu’est la prison : une institution avant tout totalitaire et répressive et dont
l’équivalence avec la faute dans les représentations sociales s’accorde
difficilement avec l’idée d’un lieu de réhabilitation. S’il est vrai que la
mesure de suivi socio-judiciaire institue une obligation de soins qui prend
effet dès la mise en liberté de l’auteur d’agressions sexuelles, ce paradoxe
est implicitement encouragé dès l’incarcération.
Les principaux résultats de notre recherche menée sur le terrain nous
confrontent à deux obstacles pour l’accomplissement d’un tel suivi en
milieu carcéral.
Le premier obstacle est en lien avec le fonctionnement psychique spécifique
des agresseurs sexuels, caractérisé par un aménagement défensif limite à
caractère pervers dominé par le clivage (dont les effets se manifestent aux
niveaux tant de l’affect que du comportement « conformiste ») et le déni
(dont les effets se manifestent au niveau de l’accès à la symbolisation, qui
reste problématique). La pathologie des agresseurs sexuels se situe dans des
zones archaïques du psychisme, avec une fixation à une sexualité
prégénitale fétichiste et incestueuse. Chez eux, le conflit intrapsychique est
joué sur la scène extra-psychique, notamment corporelle, constituée par le
quotidien judiciaire et carcéral. Le surinvestissement de ce dernier sert à
contre-investir la pensée et traduit une résistance à la thérapie.
L’observation de Monsieur Martin en est une bonne illustration. Reçu en
détention pendant cinq mois, cet homme d’une cinquantaine d’années a
sollicité de façon spontanée un suivi pour « discuter » et sortir de sa cellule.
Il avait un comportement exemplaire et se conformait parfaitement aux
règles de conduite dictées par la prison, en dépit du fait qu’il s’agissait de sa
première incarcération. Parallèlement à cette adaptation de surface, qui
constituait un indice de clivage, sont apparus de multiples troubles d’ordre
psychosomatique : un trouble du rythme cardiaque, de l’hypertension
artérielle, des maux de tête, des troubles gastro-entériques et de l’eczéma.
Ce tableau clinique, suffisamment alarmant pour susciter la mise en place
d’un contrôle médical régulier, montre que le corps de M. Martin était
l’unique scène sur laquelle pouvait se jouer son conflit intrapsychique.
Accusé de faire partie d’un réseau pédophile, ce qu’il a contesté même s’il a
reconnu ses penchants pédophiles, M. Martin a confié son incapacité à
s’intéresser « sexuellement » aux femmes, dont le corps suscite chez lui un
sentiment de dégoût : « C’est surtout les rondeurs et les poils. J’ai horreur
des femmes qui ont une grosse poitrine. Je trouve ça vulgaire. Il y a quelque
chose de sale là dedans, comparé au corps d’un petit garçon qui est plus
beau et plus propre ».
M. Martin n’a connu son père qu’à l’adolescence et n’a été élevé que par
des femmes (sa mère et sa grand-mère maternelle). Il porte donc le nom de
sa mère, qui porte elle aussi celui de sa propre mère ! La naissance du
patient n’aurait pas été souhaitée par sa mère, laquelle voulait une fille et
non un garçon. C’est dans ce désir paradoxal, qui signe la négation de la
différence des sexes, que s’est inscrit son penchant pédophile : son désir se
porte sur le corps, érigé en fétiche, d’enfants pré-pubères, ce qui le protège
d’une proximité incestueuse avec la mère, rendue inévitable par l’absence
du père (ou d’un tiers qui en aurait tenu lieu) dans le paysage œdipien.
Malgré un bon investissement de l’espace et de la relation thérapeutiques,
M. Martin s’est progressivement laissé envahir par le présent du quotidien
carcéral et judiciaire, ce qui s’est traduit par une multiplication des activités
(dont sa participation à un atelier d’expression théâtrale…). Se réfugiant
ainsi dans la fuite et l’évitement, en particulier de penser son acte, il a
adopté une attitude d’opposition passive. Le suivi de ce patient a été
brutalement interrompu par une mise en liberté provisoire, qu’il a
facilement réussi à obtenir compte tenu de sa bonne conduite et de sa
coopération avec la justice (qui avait permis d’interpeller le chef présumé
du réseau pédophile).
Par ailleurs, le déni caractéristique du fonctionnement psychique des
agresseurs sexuels a ceci de spécifique qu’il se situe au niveau du traitement
de la perte de l’objet, dans le sens d’une élaboration possible du deuil à
faire de sa pérennité voire de sa présence. Il ne s’agit pas ici de rendre
présent l’objet maternel absent, mais plutôt l’expérience de jouissance qui
est attachée à cet objet. De ce fait, il ne s’agit pas de penser la perte de
l’objet en termes d’élaboration possible, mais de compenser l’impossibilité
d’en jouir. C’est la jouissance de cet objet partiel dans le réel qui le fait
exister, et non le fait qu’il puisse manquer.
L’observation de Monsieur Roland, âgé d’une quarantaine d’années, illustre
nos propos. Accusé de viols sur mineurs de 15 ans, parmi lesquels ses
propres enfants (un garçonnet de 5 ans et une fillette de 8 ans), ce père de
famille, qui était en instance de divorce, a demandé à s’entretenir avec un
psychologue dès sa mise en détention préventive. Son suivi a duré près de 2
ans et a été marqué par un rituel oral précis. à chaque début de séance, il
prétextait une sécheresse de la gorge et prenait l’habitude de sucer un
bonbon, sans omettre de m’en proposer un malgré mon refus systématique
et la gêne que je manifestais face à ce passage à l’acte. C’était presque une
condition implicite pour investir son suivi. Une fois le bonbon avalé, il
m’annonçait : « Je n’ai plus rien à dire. Même si c’était le cas, je ne pourrais
pas continuer. Je n’aurais plus de voix ».
Ce rituel constituait pour M. Roland une façon de maîtriser le cadre et le
temps des entretiens. Il lui procurait non seulement une jouissance orale,
mais surtout un sentiment d’emprise vis-à-vis de moi où il m’assignait à la
place d’une « mère » qui assiste de façon passive au besoin compulsif de
satisfaction auto-érotique de « son fils ». Contrairement au jeu de la
bobine11, grâce auquel l’enfant parvint à maîtriser l’absence, synonyme de
perte, de l’objet maternel en recréant sa présence à un niveau fantasmatique,
le rituel instauré par M. Roland était destiné à recréer dans et par le réel non
pas l’objet maternel, mais l’expérience même de satisfaction qui s’y
attachait, en se passant purement et simplement de la présence de cet objet.
Ainsi, la mère se trouvait réduite à un « sein » dont on jouit. Au delà de
l’impossibilité à élaborer l’absence ou la perte de l’objet, la spécificité de
l’activité auto-érotique instaurée par M. Roland réside dans le fait qu’elle
constitue l’indice d’un déni de la possibilité même que l’objet puisse
manquer, entrave majeure au processus de symbolisation. Par ailleurs, le
caractère répétitif de ce rituel atteste la présence d’une temporalité
circulaire en guise de contre-investissement du travail thérapeutique, au
même titre qu’une résistance contre la résurgence de l’inconscient.
11 Dans Au-delà du principe de plaisir, Freud (1920) interprète un jeu auquel s’est livré son petit-fils
lorsque sa mère s’est absentée: l’enfant lança une bobine en bois attachée à une ficelle puis la
ramena vers lui. Freud vit dans ce jeu une tentative d’élaboration psychique du manque et de la
détresse ressentis face à la séparation d’avec la mère, en la faisant symboliquement s’éloigner puis
revenir.

Parallèlement, le clivage caractéristique du fonctionnement des agresseurs


sexuels a ceci de spécifique qu’il s’articule autour d’un projet incestueux,
que ces sujets réalisent quand ils le peuvent et que l’on peut déceler dans
leur histoire. Simultanément, cette réalisation comporte une attente d’être
contenue par le social, à défaut d’avoir pu l’être par le père. Un tel projet a
fréquemment été rendu possible par une identification à un père qui
fonctionnait lui-même dans la transgression et le désaveu de la loi ou par
une mère qui laissa croire à l’enfant qu’elle pouvait se passer du père et de
tous ceux qui pourraient le remplacer. Ce projet incestueux se répète dans le
transfert, lequel se trouve désinvesti puisqu’il ne rend pas possible un tel
projet, en n’offrant pas d’espace de transgression.
L’observation de Monsieur Marcel (48 ans environ) en est une éloquente
illustration. Cet homme a été reçu suite à sa mise en détention préventive en
chef d’accusation de viols par ascendant légitime sur mineures de 15 ans,
parmi lesquelles sa fille et deux nièces par alliance. Conseillé par son
médecin psychiatre, qui le suit pour « un état dépressif », M. Marcel s’est
présenté lui-même au commissariat pour se dénoncer, alors qu’une plainte
venait d’être déposée par les victimes à son encontre. Il n’a reconnu que les
faits qui concernaient sa fille, âgée de 18 ans, qu’il avait obligée, sous la
menace d’un fusil et entre l’âge de 8 à 10 ans, à lui faire des fellations. Il a
justifié son comportement par « l’indisponibilité sexuelle » de sa femme, du
fait d’une profession nocturne : « C’était normal que sa fille prenne sa
place ». Cet homme bénéficiait d’une bonne image auprès de son
entourage : bon mari en apparence, bon père (de deux garçons et d’une fille)
et employé idéal. Il avait su garder secret son passé d’abuseur sexuel et de
père incestueux tant à sa femme qu’à son médecin psychiatre, lequel ne fut
mis au courant des faits qu’après le dépôt de plaintes.
Le comportement de M. Marcel lors de son séjour carcéral fut tout autant
exemplaire en apparence. Le patient s’est parfaitement intégré au projet
adaptatif carcéral et a respecté de façon scrupuleuse le protocole de bonne
conduite. Appréciant son caractère calme et discret, l’administration
pénitentiaire lui a proposé plusieurs « petits boulots » ainsi que des
vacations saisonnières, ce qui lui a d’autant plus convenu qu’il redoutait de
se retrouver seul, livré à lui-même, en cellule. Ce besoin de rester actif fit
en effet écho à un vécu d’abandon, dont il souffrait enfant de la part de sa
mère, très froide et autoritaire, qui n’avait pas désiré sa venue au monde et
l’accusait d’avoir « abîmé son corps », et d’un père « tendre » mais peu
présent, voire effacé et, surtout, soumis à l’autorité de sa femme.
Fils unique, M. Marcel a gardé de son enfance, carencée sur les plans
affectif et éducatif, le souvenir « d’un gosse devenu adulte très tôt » et
« livré à lui-même ». Désinvesti par ses parents, il fut installé à l’âge de 9
ans dans le grenier, transformé en chambre, à l’instigation de sa mère, de
façon à l’isoler de sa famille. Il fut en outre contraint d’assumer, en plus de
sa scolarité, l’ensemble des tâches ménagères à la place de sa mère, qui
craignait de « s’abîmer les mains ». Lorsqu’il venait à manquer à l’un de ses
devoirs, sa mère le rappelait à l’ordre en lui donnant des gifles. Le rejet
maternel coexista néanmoins avec quelques moments de tendresse, dont le
patient se souvient : « Elle me laissait aller dans son lit pour me faire des
câlins. Mais cela ne durait pas longtemps. Elle redevenait aussitôt froide,
comme si elle luttait contre son instinct maternel ».
M. Marcel a gardé un excellent souvenir de son père. Cet homme effacé et
« coureur » faisait venir ses maîtresses au domicile conjugal en l’absence de
son épouse et sous le regard de son fils, qu’il rendit complice de son
infidélité en payant son silence et en lui demandant de « faire le guet ». Ce
père immature était parvenu à corrompre son fils en faisant de lui un
complice pervers et en le gagnant à sa cause. Le patient se dit solidaire de
l’infidélité de son père, qu’il qualifie de « légitime » compte tenu de la
froideur de sa mère.
C’est dans ce lien paradoxal entretenu, d’une part, avec une mère à la fois
idéalisée et haïe – que M. Marcel trouvait « merveilleuse » en dépit de sa
froideur et de son attitude rejetante à son égard – et, d’autre part, avec un
père défaillant au comportement menteur et pervers, qu’il convient de
chercher l’origine du projet incestueux de l’intéressé.
Le patient a reproduit au sein de son couple le modèle parental
pathologique, fait de confusion, d’indifférenciation et de renversement des
rôles et des fonctions de ses membres. Ainsi, du fait de l’emploi nocturne de
son épouse, M. Marcel a dû troquer son rôle de père contre celui d’une mère
et, parfois, assumer un double rôle auprès de ses enfants : « Quand ma
femme rentrait du travail le matin, elle dormait. C’était à moi de tout faire :
le ménage, la cuisine, en plus de m’occuper des enfants. J’étais leur père et
leur mère ».
L’émoussement de la vie sexuelle dans son couple l’a poussé, comme ce fut
autrefois le cas de son père, à prendre une maîtresse, avant de se servir de sa
fille de 8 ans en guise d’objet sexuel de remplacement « disponible ».
Si le suivi de M. Marcel, qui a duré près de deux ans et demi, a permis de
comprendre ce qui a pu rendre possible le projet incestueux de cet homme –
pris dans une répétition familiale pathologique construite autour du projet
pervers de son père – envers sa fille (perçue comme un objet sexuel
possible), qu’il obligea à remplacer sa femme (indisponible) dans le lit
conjugal, il n’a pas pour autant abouti à ce qu’il puisse y renoncer.
Au contraire, M. Marcel a cherché à répéter activement son projet
incestueux dans le transfert. En ont témoigné un état d’excitabilité sexuelle
– après une longue période d’impuissance sexuelle, survenue suite à
l’interdit posé par sa fille pour mettre fin à son comportement incestueux –
et des rêves érotiques dans lesquels il me faisait jouer le rôle d’une
partenaire sexuelle et d’une complice (comme s’il ne pouvait être
sexuellement puissant qu’en étant incestueux et comme s’il ne pouvait y
avoir pour lui de désir que pour un objet frappé d’interdit). Mon refus de
cautionner son projet incestueux a provoqué chez lui une forte résistance,
marquée par un désinvestissement du travail thérapeutique engagé : il a
sollicité des entretiens écourtés et espacés dans le temps, sous prétexte
d’être pris par ses « tâches carcérales ».
De façon progressive, le discours de M. Marcel est devenu vindicatif. Il
rejetait ses fautes sur les autres, en particulier sa femme, estimait avoir payé
sa dette avec son incarcération et proférait des menaces envers sa famille si
sa peine venait à dépasser 7 ans : « C’est simple, je prends mon fusil et je
descends tout le monde ». Or, c’est bien avec un fusil que M. Marcel
menaçait sa fille pour lui faire subir ses désirs incestueux !
Le deuxième obstacle à l’accomplissement d’un suivi psychothérapique en
milieu carcéral est d’ordre institutionnel. Il est dû aux exigences sécuritaires
et normo-adaptatives qui régissent le projet carcéral, lequel ne tolère aucune
manifestation pathologique bruyante de sa population et y répond par trois
moyens : étouffer, sanctionner ou neutraliser par le transfert du détenu vers
d’autres établissements pénitentiaires plus sécurisés.
L’observation clinique de Monsieur Hervé (48 ans) peut illustrer ce propos.
Incarcéré pour des faits d’agressions sexuelles sur une fillette de 3 ans,
l’enfant d’une amie qu’il avait pris l’habitude de garder, cet homme a
sollicité un suivi pour « comprendre le pourquoi » de son geste, qu’il a
reconnu pleinement. Il n’avait pas d’antécédent judiciaire ni de penchant à
caractère pédophile et s’est montré choqué et intrigué par son
comportement, qu’il a mis sur le compte d’une « pulsion soudaine » lorsque
l’enfant l’avait sollicité pour jouer dans sa chambre. M. Hervé se serait mis
alors à lui faire des « câlins » sous forme de caresses qui se seraient assez
vite transformées en attouchements au niveau du sexe de la fillette. Les cris
de celle-ci auraient conduit M. Hervé à stopper son geste et à prendre
brutalement conscience de la gravité de ce qu’il était en train de faire. Il se
serait spontanément dénoncé suite aux interrogations de son amie au sujet
de l’état physique dans lequel elle trouva sa fille à son retour.
Le suivi de cet homme, bien que régulier, a été assez court. Cette prise en
charge a comporté trois épisodes, qui ont couvert une durée totale de trois
mois, entrecoupée d’un séjour de près d’un trimestre dans une unité
psychiatrique carcérale.
Au cours du premier épisode, consécutif à son incarcération, M. Hervé a
paru sincère dans sa démarche. Toutefois sa forte émotivité, doublée d’une
attitude masochiste et passive, ont rendu son suivi difficile. Dès l’évocation
des faits, il éclatait en sanglot et s’agitait. Il se giflait violemment le visage
et se traitait de tous les noms. Il cherchait délibérément à se faire mal. Il
donnait l’impression de vouloir expier sa faute pour avoir osé porter la main
sur une « si jolie petite fille avec son si petit corps fragile » et d’exprimer
des regrets : « Qu’est-ce qui m’a pris de toucher cette pauvre petite ? J’avais
perdu la tête. Faites de moi ce que vous voulez. Punissez-moi, je le mérite.
Enfermez-moi et ne me laissez jamais sortir d’ici sans me guérir ».
Le discours du patient est révélateur de l’attitude passive dont il a fait
preuve tout au long de son suivi. Ainsi, le fait qu’il se soit senti étranger à
son acte, qu’il aurait commis sous l’effet d’une pulsion soudaine, ne le
rendait donc pas « responsable » de celui-ci, en corrélation avec son souhait
de déléguer au thérapeute la tâche d’en comprendre l’origine et d’y apporter
la solution en termes de soin et de guérison…
Sur le plan transférentiel, la passivité de M. Hervé a pris une dimension
érotisée, du fait de son attente masochiste d’être puni. à défaut d’une
punition physique ou d’une humiliation verbale infligée par l’autre, le
patient se charge lui-même de se punir, par des actes auto-clastiques et de
mutilation. Dans sa cellule, il se levait au milieu de la nuit et hurlait en
demandant pardon à la victime, il se giflait et se cognait la tête contre le
mur, ce qui ne tarda pas d’irriter les surveillants et ses codétenus.
Il fit en outre une crise proche de la bouffée délirante au cours d’une séance
où il entra dans un état d’absence, alors qu’il n’a jamais souffert d’épilepsie.
Devant la fréquence de ses crises, il fut transféré de la maison d’arrêt et
hospitalisé d’office dans une unité psychiatrique qui dépendait d’un autre
établissement pénitentiaire. Au cours de cette hospitalisation, il fut intégré
dans une thérapie de groupe spécifiquement destinée aux agresseurs
sexuels.
Une fois la crise passée, M. Hervé a regagné la maison d’arrêt et repris son
suivi, ce qui correspond au deuxième épisode. Il m’a relaté son expérience
de thérapie groupale, dont il avait gardé un bon souvenir : « On était
nombreux. Chacun parlait de ce qu’il a fait et on essayait de comprendre le
pourquoi du comment. On nous a aussi montré des films pour comprendre
le mal qu’on fait aux enfants. J’ai promis à la « psy » de ne plus jamais
recommencer et de revenir vous voir pour me guérir et m’aider à ne plus
recommencer ».
à peine repris, le suivi du patient fut de nouveau interrompu par des crises
d’agitation, qui ont nécessité l’intervention physique des surveillants et
l’administration d’une camisole chimique. En dernier lieu, alors que M.
Hervé, une fois calmé, sollicitait une reprise de son suivi, il a été peu de
temps transféré vers un établissement pénitentiaire plus grand, ce qui a mis
définitivement et brutalement fin à son suivi. Cette décision de transfert fut
motivée par des questions sécuritaires et par la crainte d’un passage à l’acte
suicidaire. Contrairement aux autres pédophiles, connus pour leur apparente
adaptabilité, le comportement agité de M. Hervé avait mis à l’épreuve le
projet carcéral adaptatif, fondé sur la soumission et la normalisation.
De façon curieuse, M. Hervé avait fait preuve d’un comportement plus
adapté au sein de l’établissement pénitentiaire qui l’avait accueilli dans son
unité psychiatrique, ce qui expliqua son renvoi à la maison d’arrêt au bout
de trois mois, justifié par le fait qu’il n’avait aucune difficulté à s’adapter à
l’incarcération et à garder son calme.
Cette attitude a témoigné des capacités de manipulation du patient. Elle
peut, en outre, s’expliquer par le fait que son hospitalisation validait en
quelque sorte son statut de « malade psychiatrique », offrant la possibilité
que son comportement sexuel déviant ait été commis sous l’effet d’un
trouble psychique ayant entravé ses capacités de contrôle et/ou de
discernement ce qui le rend pénalement non responsable de son acte. Cette
validation institutionnelle d’un état de « folie » chez lui a concouru à
renforcer son fonctionnement pervers, fait de clivage et de déni. En
revanche, le statut judiciaire de « prévenu pédophile » qu’il avait au sein de
la maison d’arrêt le confrontait d’emblée et sans cesse à sa responsabilité
pénale.

Y a-t-il une approche thérapeutique


possible ?
Elle est possible à conditions d’abord, de dissocier le soin du judiciaire.
L’objet et le sujet de soin doivent être resitués dans la singularité et la
spécificité d’une rencontre thérapeutique, laquelle ne saurait se réduire à
une pratique administrée sous la contrainte et soutenue par une logique de
normalisation qui fait l’impasse sur la réalité clinique.
Ensuite, à condition d’adapter la stratégie thérapeutique à la spécificité du
fonctionnement psychopathologique des agresseurs sexuels (projet
incestueux, effets du clivage et du déni), avec pour indications de :

faire céder le clivage au lieu de se contenter de le réduire, de façon à


provoquer une crise psychique dont les effets peuvent amener une
prise de conscience de sa pathologie chez le patient;
faire resurgir, grâce à la remémoration, l’état d’« effondrement »
psychique (au sens utilisé par Winnicott12) généré par l’événement
traumatique qui fut à l’origine du clivage;

12 Winnicott D.W. (1989) La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques. Paris:


Gallimard, 2000, 380p.

enrayer la répétition grâce à la remémoration.

à titre d’exemple, nous allons exposer brièvement l’observation clinique de


Monsieur Frank (30 ans environ), au fonctionnement pervers et reçu en
pratique psychothérapique privée. Ce jeune homme n’avait pas
d’antécédent judiciaire. Il s’est adressé à moi pour faire une analyse. Son
suivi a duré près de trois ans. Sa demande était motivée par une phobie
sociale (difficulté à s’exprimer en public avec l’impression d’avoir quelque
chose dans la bouche) et un état dépressif, déclenché par une rupture
amoureuse, ainsi que par des difficultés à se dégager de rapports sexuels
sadomasochistes auxquels il s’adonnait avec ses partenaires. Il a besoin
d’humilier sa partenaire en lui étant infidèle, et il n’atteint l’orgasme qu’à
condition d’être humilié par elle : il lui demande d’uriner dans sa bouche et,
parfois, de déféquer sur lui au cours de leurs rapports sexuels. Son analyse a
permis la résurgence des souvenirs rattachés à des expériences infantiles
traumatisantes, dont notamment des expériences d’humiliation que sa mère
lui infligea. Il relata ainsi une scène où sa mère l’obligea à manger ses
excréments pour le punir d’une encoprésie dont il souffrit jusqu’à l’âge de
11 ans. Les pratiques sadomasochistes de M. Frank constituaient une
répétition de sa relation pathologique avec sa mère. Cette remémoration a
ciblé non seulement l’événement lui-même, mais surtout les affects
traumatiques associés. Il a été nécessaire d’accompagner de façon solide ce
patient lors de la résurgence de la détresse et de l’effondrement psychiques
jadis vécus puis oubliés. Rendue possible par l’analyse du transfert, cette
remémoration a permis à M. Frank de se dégager de son fonctionnement
pathologique et d’établir un lien plus « sain » avec les femmes. Au même
titre, sa phobie de parler en public a disparu une fois qu’il a été capable
d’identifier grâce à ce souvenir le lien entre son symptôme « avoir quelque
chose dans la bouche qui l’empêche de parler » et l’événement traumatique
où il fut obligé d’avaler ses excréments.
Ce qui distingue cette observation, bien qu’elle relève d’un fonctionnement
sur un mode pervers, des précédentes, c’est que le patient n’était pas en état
de transgression de la loi sociale et qu’il était porteur d’une demande
authentique, liée à une véritable souffrance psychique. Cette souffrance, qui
le maintenait dans une position de sujet, a été à l’origine de sa démarche, et
non le jugement porté par « les autres » à son égard ou une quelconque
attente sociale. C’est justement parce que sa pathologie ne sollicitait pas le
social, dans le sens de convoquer la loi, qu’elle fut davantage accessible à
une cure analytique.
En revanche, chez les agresseurs sexuels, du fait de leur délit, la première
demande implicite est d’être contenus par le social à travers la sanction :
cette réponse judiciaire en elle-même a une valeur thérapeutique à condition
qu’elle ne se confonde pas avec le soin. Il faut attendre, voire accompagner
au moment de l’incarcération, l’émergence d’une souffrance subjective chez
cette population, en lien avec sa pathologie et non sa situation judiciaire,
pour rendre possible une thérapie issue d’une démarche libre et authentique,
qui ne soit pas une monnaie d’échange contre la sanction. Il s’agit de deux
choses différentes, même si complémentaires, dans la mesure où la réponse
judiciaire met le sujet face à l’épreuve de la réalité et déclenche une prise de
conscience et une souffrance qui peuvent être à l’origine d’une demande de
soin. Plus ce soin sera dissocié de la peine, plus grande sera sa chance
d’aboutir.
La prévention
Au niveau des agresseurs sexuels, la question de la prévention est rendue
cruciale face aux risques réels de récidive. Il reste à définir par quel moyen
parvenir à une évaluation « scientifiquement crédible » de ces risques.
Toutefois, il est indispensable de ne pas se laisser berner par les capacités
adaptatives apparentes de cette population, qui lui garantissent une insertion
exemplaire au sein de la société (et qui se répète indépendamment du
cadre). Cette adaptation de surface n’est qu’un leurre, un des effet des
clivages où une partie de la personnalité du pédophile (de son Moi),
normalement adaptée aux exigences de la réalité, répond de manière
positive aux attentes sociales qui visent à le normaliser, alors qu’au fond
aucun véritable changement n’advient au niveau de la pathologie. Pire, faire
l’impasse sur la partie perverse de la personnalité du pédophile a pour
conséquence l’entretien de ce clivage.
Il est par ailleurs inutile de sur-victimiser les agresseurs sexuels en faisant
d’eux de parfaits boucs émissaires, au risque de renforcer leur déni de la
transgression dont ils furent les auteurs.
Au niveau des jeunes victimes, la meilleure prévention réside avant tout
dans le crédit accordé à la révélation des faits, ensuite validés par la
sanction et par la loi. De ce point de vue, un accompagnement
psychothérapique spécifique est une indication indispensable pour éviter la
transformation de l’abusé en abuseur via le phénomène d’identification à
l’agresseur. Même si les capacités de résilience varient d’une victime à
l’autre, il convient de leur offrir un espace de parole pour verbaliser la
souffrance liée au traumatisme sexuel subi, en particulier pour les aider à se
dégager de la culpabilité que ressentent fréquemment les jeunes victimes.
Au niveau de la famille, enrayer la répétition des projets incestueux, parfois
présente sur plusieurs générations, nécessite de restaurer la place et
l’autorité du père. Or, nous assistons à un éclatement de la cellule familiale
classique (père, mère, enfant) et à l’émergence de nouvelles formes de
parentalité (mono ou homoparentalité). Au même titre, la facilité du recours
aux techniques de procréation assistée ou in vitro par donneur anonyme
chez des femmes qui font le choix de devenir mère sans s’encombrer de la
présence d’un homme dans leur vie comporte le piège de contourner
purement et simplement la place du père.
Cette révolution qui touche l’organisation familiale risque d’induire un
bouleversement des repères identificatoires chez les membres de la jeune
génération, exposée à une triple confusion, au niveau des rôles parentaux,
du lien filial et des sexes, ce qui rappelle étrangement le fonctionnement des
pédophiles.
Au niveau de la société, il s’agit de déclencher une prise de conscience du
rôle complaisant et ambigu que jouent les valeurs culturelles propres à la
mondialisation dans l’entretien de ce type de projet incestueux, ainsi que
d’éviter de faire des agresseurs sexuels des boucs émissaires soumis à une
justice régressive et radicale.
Il serait naïf de réduire le phénomène de la pédophilie à un simple fait
clinique ou pathologique individuel puisqu’il advient dans un contexte
socioculturel spécifique – dont il est le produit, qui le tolère de manière
implicite et l’alimente parfois.

Quelle politique sociale adopter alors ?


Envisager (à l’instar de l’exemple français) des mesures d’enfermement à
vie à l’égard des criminels sexuels réputés dangereux ne constitue pas une
véritable solution, car la réclusion à vie ne s’attaquera pas au problème de
fond : elle ne fait que neutraliser, voire contenir un danger potentiel, mais
en aucun cas n’en traite les causes.
Ce qui pousse un délinquant à transgresser la loi est bien un besoin de
limite, qui fait défaut. La confrontation à la loi et la sanction pénale
constituent à cet effet des réponses adéquates à ce besoin, à condition
qu’elles ne deviennent pas exclusives, au risque de perdre leur valeur
structurante. S’adresser à la loi sociale, c’est quelque part reconnaître sa
fonction, qui va au delà de la punition et qui vise la défense et la protection
de ses sujets.
L’excès de contrôle et le radicalisme, au même titre que le totalitarisme et le
laxisme, véhiculent une violence et exercent une forme de contrainte alors
que la loi est censée véhiculer une autorité qui sert tant à structurer le sujet
dans son rapport à ses propres limites qu’à structurer son rapport avec une
communauté dans le sens du lien social. La perte de cette valeur de
l’autorité fait penser à la rupture sociale anthropologique décrite par Louis
Roussel13 au sujet de la mutation de la famille moderne, au sein de laquelle
le rapport intergénérationnel, réduit à un simple partenariat, devient de plus
en plus égalitaire et contractuel.
13 Roussel L. « La transmission intergénérationnelle », intervention lors d’une journée de formation
de l’association Rénovation, le 18 octobre 2002, à Bordeaux.

Rappelons par ailleurs qu’à l’origine, l’emprisonnement d’un sujet ne


constituait qu’un moyen de s’assurer de sa présence lors de son procès et
qu’elle fut ensuite une alternative aux sanctions économiques lorsqu’un
sujet ne pouvait s’acquitter de ses dettes. Ce n’est que très progressivement
que la privation de liberté a acquis le statut de peine en soi, où l’isolement
total du sujet s’est inscrit dans une logique de rédemption.
Lieu de pénitence – d’où l’appellation d’établissement pénitencier –, la
prison a toujours été associée à la notion de faute dans la conscience
populaire. Malgré toutes les réformes dont elle fit l’objet, voyant sa
fonction évoluer pour devenir un lieu de rééducation puis de réhabilitation,
voire de soins, la prison retrouve sa fonction archaïque et redevient à notre
époque un lieu de neutralisation et de réclusion à vie.
Serions-nous en état de régression sociale ou est-ce le signe de l’échec
desdites réformes ? Y a-t-il une alternative à la prison ? Comment faire
entendre une loi basée sur l’autorité et non sur la contrainte ?
L’exemple canadien, avec la nouvelle thérapie virtuelle pratiquée dans un
centre de soin spécialisé, l’institut Philippe Pinel, à Montréal, pour le
traitement des délinquants sexuels, fournit un modèle qui se veut
innovateur, inspiré de techni-ques futuristes. Cet établissement
psychiatrique sécuritaire, qui ne ressemble vraiment ni à l’hôpital ni à la
prison, héberge près de 280 patients considérés dangereux. Parmi sa
population figurent des pédophiles et des violeurs qui purgent des peines de
deux à vingt-cinq ans de réclusion et qui sont accueillis pour bénéficier de
soins pendant une durée de 12 mois avant de réintégrer leur prison
d’origine.
Durant leur séjour, ces patients participent à des techniques de « soin »
variées, en particulier des thérapies comportementales, des groupes de
parole, des thérapies hormonales, etc., et ils suivent des cours d’éducation
sexuelle. L’objectif annoncé n’est pas de guérir les patients, mais de
prévenir la récidive par le renforcement de leurs capacités d’autocontrôle :
« Faute de savoir guérir leurs déviances, les thérapeutes tentent d’apprendre
aux patients à les contrôler »14 en décortiquant « l’engrenage ayant conduit
à l’agression ».
14 Estelle Saget, « Délinquants sexuels. Québec: l’hôpital pilote », article publié le 8 janvier 2007 et
mis à jour le 8 janvier 2008, site L’Express.fr.

Quant aux résultats, bien qu’il existe selon les experts de ces techniques des
cas de « rémission extraordinaire », ce n’est pas le cas de l’immense
majorité des patients, qui nécessitent une surveillance à vie.
Une compilation de 43 études, réalisée par un psychologue canadien, Karl
Hanson, montre une diminution du taux de récidive, estimé à 12% dans un
délai de cinq ans, chez les agresseurs sexuels qui ont bénéficié de soins au
cours de leur détention, contre 17% en l’absence de soins.
Pour augmenter les chances de réussite des soins, une nouvelle technique,
dite « virtuelle »15, est proposée à titre expérimental par l’équipe
thérapeutique de l’institut Pinel pour le traitement des délinquants sexuels.
Ces derniers plongent dans un univers virtuel à l’aide de lunettes à écran
intégré. Ils y rencontrent un personnage virtuel conçu en 3D et entièrement
nu, dont les gestes et la voix sont contrôlés par un membre de l’équipe
soignante. Ce personnage se métamorphose sur un simple clic : il change de
sexe, d’âge, de physique, etc. Les réactions suscitées, en particulier les
érections, par cette rencontre virtuelle, qui place les patients face à une
situation à risque – dont le contexte s’inspire des faits réels qui figurent
dans leur dossier pénal – sont mesurées à l’aide d’un « pléthysmographe ».
Cet appareil fonctionne grâce à un anneau en caoutchouc placé autour du
pénis. Cette première phase est suivie d’une phase « d’apprentissage » des
techniques de contrôle mental de l’excitation. L’efficacité de ces techniques
se trouve ensuite vérifiée en laboratoire. Les patients peuvent, une fois
libérés, poursuivre leur suivi, de leur plein gré, dans un centre annexe de
l’institut Pinel.
15 Ibid. Il s’agit d’un outil élaboré par Patrice Renaud, Professeur en psychologie à l’université du
Québec, à Hull, en collaboration avec l’Institut de Recherche en Arts et Technologie médiatique
«Hexagram».

Seule ombre au tableau : le coût plutôt élevé de cette technique, qui s’élève
à 120000 euros par an par patient accueilli à l’institut, contre 55000 euros
par détenu placé dans un pénitencier fédéral.
Inspirée de l’exemple canadien, la France lance une expérience pilote à
l’attention des délinquants sexuels sortant de prison. Cette expérience est
encadrée par le personnel des Services Pénitentiaires d’Insertion et de
Probation (SPIP). Elle a donné lieu, au niveau national, à la mise en place
d’une trentaine de groupes de parole mensuels, animés par des travailleurs
sociaux et dont l’objectif est de prévenir la récidive chez cette population
plutôt que de la guérir, en améliorant ses capacités de contrôle de
l’excitation16.
16 Ibid. Pourtant, selon de récentes théories, développées notamment en Amérique du Nord, la
criminalité sexuelle ne serait pas le produit d’un excès de libido, mais plutôt d’une accumulation de
conflits avec l’entourage.

Qu’est-ce qu’une récidive ?


Si l’on s’en tient à la définition élargie donnée par le Petit Robert, le mot
récidive indique le fait de recommencer ou de retomber dans la même faute,
les mêmes erreurs ou crimes. Cependant, la forme de récidive qui intéresse
notre débat est celle qui est inscrite au niveau légal. Ainsi, un délinquant
sexuel ne peut être considéré en état de récidive pénale qu’à partir du
moment où il fait l’objet d’une nouvelle condamnation pour des faits
similaires à ceux qui furent à l’origine d’une première condamnation,
laquelle a valeur d’avertissement. Il ne s’agit donc pas d’une simple
répétition de délits ou de crimes. C’est moins le fait de réitérer le crime qui
attire la sanction que le fait de ne pas avoir entendu le premier
avertissement de la loi. Cette appréciation est proche, dans un registre cette
fois-ci symbolique, de celle qui était en vigueur sous l’Ancien Régime en
France : on coupait l’oreille du voleur récidiviste pour le punir de n’avoir
pas écouté l’avertissement du juge17.
17 Op.cit., p.11.

Dans quelle mesure peut-on tenir un discours scientifique qui ne soit pas
empreint de préjugés au sujet de la récidive ? Est-ce en humanisant, voire
dé-diabolisant, le débat, comme le propose Serge Portelli dans son
remarquable ouvrage sur les récidivistes, ces personnes qui sont
« infiniment plus que la somme de leurs actes »18 ? Ce magistrat rappelle à
juste titre que la récidive a souvent lieu dans un moment spécifique du
parcours d’un sujet en situation de crise psychique et de rupture sociale.
Ceci soulève un paradoxe, dans la mesure où la majorité des
multirécidivistes réputés dangereux présentent des troubles mentaux qui les
situent davantage dans un registre psychiatrique (ce qui pose la question de
leur accessibilité à la peine) que dans un registre pénal. Pourtant, ces
personnes finissent par se retrouver en prison. La question de dangerosité,
souvent associée à tort au risque de récidive, est souvent l’alibi des lois les
plus coercitives, sans parler de l’amalgame fréquent qui est fait entre la
dangerosité psychiatrique et la dangerosité pénale.
18 Ibid., p.112.

En attendant de résoudre, par des moyens scientifiquement fiables, le


problème éthique que pose tant le diagnostic de dangerosité que le pronostic
de récidive, auxquels il faudra ajouter les réponses à fournir (prescription de
soin ou prolongation de la peine), il nous paraît indispensable de repenser
autrement, voire entièrement, la logique de la peine. D’autant plus qu’il
existe de nos jours des mesures alternatives à la privation de la liberté,
parmi lesquelles le Sursis avec Mise à l’Epreuve (SME), le Placement sous
Surveillance électronique mobile (PSEM) et le Travail d’Intérêt général
(TIG).
Le TIG peut s’inscrire dans une dimension réparatrice19, grâce à une
confrontation de l’agresseur à la souffrance de l’autre. Il s’agit de
l’impliquer dans des situations extrêmes, telles un contexte de crise ou de
souffrance humaine, où il sera amené à accompagner une personne en
souffrance (par exemple dans un service de soins palliatifs ou en
gérontologie ou en se rendant avec des soignants sur le lieu d’une
catastrophe). L’objectif est de déclencher chez l’agresseur sexuel une
identification empathique au semblable qui souffre. Ceci reste l’une des
actions prioritairement et directement ciblées dans les stratégies des soins
proposées aux agresseurs sexuels.
19 Cette mesure de réparation a été adoptée, il y a près de dix ans, en France pour faire face à la
montée de la délinquance des jeunes. Elle constitue toujours une solution alternative à la peine
d’emprisonnement.

Cette mesure d’implication-réparation pourrait en outre constituer un


moyen efficace de recréer une forme d’attachement social chez ces sujets
qui se trouvent, dans la grande majorités des cas20, dans une situation de
perte de repère, de rupture sociale ou de marginalité, notamment après une
longue période d’emprisonnement. C’est davantage par la réintégration
encadrée de ces sujets dans une vie sociale que par leur exclusion (au
moyen de l’enfermement) qu’il faudra s’orienter si l’on veut amorcer de
véritables changements et réduire les risques de récidive chez cette
population21.
20 Cf. les récents travaux sur la théorie de l’attachement, en particulier le dossier-débat «
L’attachement à la croisée de l’éthologie et de la psychanalyse », Psycho-média, n°18, septembre
2008, pp.15-22.
21 Il a été établi que « la libération conditionnelle réduit substantiellement le risque de récidive ».
Voir Portelli S, Op.cit., p.35.

Maintenir un discours scientifique sur des questions aussi cruciales que la


récidive, la dangerosité nous oblige à nous défaire des préjugés. C’est
d’ailleurs ce qui constitue la première étape de la démarche scientifique
selon Gaston Bachelard, pour lequel un fait scientifique se doit d’abord
d’être conquis sur les préjugés.
Il faudra réinjecter de la subjectivité et de l’humain dans la vision du
monstrueux que représente l’image d’un délinquant sexuel. Sortir de cette
perception faussée par le clivage du « monstrueux versus humain » en
acceptant le fait que l’agressivité est partie intégrante du fonctionnement
psychique de tout un chacun22, constitue en soi une première ouverture vers
le changement.
22 Safouan M. (2006), op.cit.
Conclusion
Nous avons vu le véritable défi que représente la prise en charge
psychothérapique des auteurs d’agressions sexuelles, que ce soit en
institution ou en pratique privée. Ce défi est rendu encore plus ardu par la
confusion des genres induite par la mesure socio-judiciaire instituant une
« peine de soin ».
En outre, la multiplication actuelle des lois coercitives à l’encontre des
agresseurs sexuels constitue en soi la preuve de l’échec de notre société à
appréhender d’une façon adéquate la véritable problématique que présente
cette population.
La seule sortie possible de cette double impasse sociale et thérapeutique
nécessite dans un premier temps de saisir la complexité de la personnalité
des auteurs d’agressions sexuelles et dans un deuxième temps de dissocier
le soin du judiciaire, condition sine qua non, pour optimaliser les chances
d’instaurer une bonne alliance thérapeutique basée sur l’authenticité avec le
patient.
Notre recherche montre bien que la confrontation à la loi, qu’elle se traduise
par une incarcération ou une simple mise en examen, a en soi une valeur
thérapeutique à condition qu’elle ne devienne pas exclusive ou radicale au
risque de perdre sa valeur structurante. C’est grâce à la confrontation à la
fonction d’autorité – et non de contrainte – que véhicule la loi qu’une prise
de conscience devienne possible chez l’auteur d’agression sexuelle. C’est ce
moment de prise de conscience relative à sa pathologie qui permet
l’émergence chez celui-ci d’une demande d’aide et lui offre du coup
l’occasion par excellence d’entamer une thérapie. Il suffit de repérer ce
moment et de reconnaître ses signes avant-coureurs – lesquels se traduisent
sur le plan clinique par un état d’effondrement ou de crise psychique- pour
pouvoir l’exploiter à bon escient.
Ce qui nécessite d’une part plus de souplesse institutionnelle notamment
lorsque l’auteur d’agression sexuelle se trouve incarcéré, et d’autre part un
encadrement post-carcéral permettant la poursuite d’un projet thérapeutique
efficace.

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Handicap et maltraitance. Nadine Clerebaut, Véronique Poncelet et Violaine Van Cutsem.*
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Maltraitance et cultures. Ali Aouattah, Georges Devereux, Christian Dubois, Kouakou
Kouassi, Patrick Lurquin, Vincent Magos, Marie-Rose Moro.*
Le délinquant sexuel – enjeux cliniques et sociétaux. Francis Martens, André Ciavaldini,
Roland Coutanceau, Loïc Wacqant.*
Ces désirs qui nous font honte. Désirer, souhaiter, agir: le risque de la confusion. Serge
Tisseron.
Engagement, décision et acte dans le travail avec les familles. Yves Cartuyvels, Françoise
Collin, Jean-Pierre Lebrun, Jean De Munck, Jean-Paul Mugnier, Marie-Jean Sauret.*
Le professionnel, les parents et l’enfant face au remue-ménage de la séparation conjugale.
Geneviève Monnoye avec la participation de Bénédicte Gennart, Philippe Kinoo, Patricia
Laloire, Françoise Mulkay, Gaëlle Renault.*
L’enfant face aux médias. Quelle responsabilité sociale et familiale? Dominique Ottavi, Dany-
Robert Dufour.
Voyage à travers la honte. Serge Tisseron.*
L’avenir de la haine. Jean-Pierre Lebrun.*
Des dinosaures au pays du Net. Pascale Gustin.
L’enfant hyperactif, son développement et la prédiction de la délinquance: qu’en penser
aujourd’hui? Pierre Delion.
Choux, cigognes, «zizi sexuel», sexe des anges… Parler sexe avec les enfants? Martine Gayda,
Monique Meyfrœt, Reine Vander Linden, Francis Martens – avant-propos de Catherine
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Le traumatisme psychique. François Lebigot.
Pour une éthique clinique dans le cadre judiciaire. Danièle Epstein.
À l’écoute des fantômes. Claude Nachin.
La protection de l’enfance. Maurice Berger, Emmanuelle Bonneville.*
Les violences des adolescents sont les symptômes de la logique du monde actuel. Jean-Marie
Forget.
Le déni de grossesse.
Sophie Marinopoulos.*
La fonction parentale. Pierre Delion.*
L’impossible entrée dans la vie.
Marcel Gauchet.*
L’enfant n’est pas une «personne». Jean-Claude Quentel.*
L’éducation est-elle possible sans le concours de la famille? Marie-Claude Blais. *
Les dangers de la télé pour les bébés. Serge Tisseron.*
La clinique de l’enfant: un regard psychiatrique sur la condition enfantine actuelle. Michèle
Brian.*
Qu’est-ce qu’apprendre? Le rapport au savoir et la crise de la transmission. Dominique
Ottavi.*
Points de repère pour prévenir la maltraitance. Collectif.*
Traiter les agresseurs sexuels? Amal Hachet. *
Adolescence et insécurité. Didier Robin.*
Le deuil périnatal. Marie-José Soubieux.
Loyautés et familles. L. Couloubaritsis, E. de Becker, C. Ducommun-Nagy, N. Stryckman.*
Paradoxes et dépendance à l’adolescence. Philippe Jeammet.*
L’enfant et la séparation parentale. Diane Drory.*
L’expérience quotidienne de l’enfant. Dominique Ottavi.*
Adolescence et risques. Pascal Hachet.*
La souffrance des marâtres. Susann Heenen-Wolff.
Grandir en situation transculturelle. Marie-Rose Moro.
Qu’est-ce que la distinction de sexe? Irène Théry.*
L’observation du bébé. Annette Watillon.*
Parents défaillants, professionnels en souffrance. Martine Lamour.*
Infanticides et néonaticides. Sophie Marinopoulos.
Le Jeu des Trois Figures en classes maternelles. Serge Tisseron.
Cyberdépendance et autres croquemitaines. Pascal Minotte.
L’attachement, un lien vital. Nicole Guedeney.
Homoparentalités. Susann Heenen-Wolff.
Les premiers liens. Marie Couvert.
Fonction maternelle, fonction paternelle. Jean-Pierre Lebrun.
Ces familles qui ne demandent rien. Jean-Paul Mugnier.
Événement traumatique en institution. Delphine Pennewaert et Thibaut Lorent.
La grossesse psychique: l’aube des liens. Geneviève Bruwier.
Qui a peur du grand méchant Web?. Pascal Minotte.
Accompagnement et alliance en cours de grossesse. Françoise Molénat.
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