La Shoah et l’art
Le nazisme & l’art
- oui, il y a un discours (idéologique) et un usage (financier) et donc une valeur de
l’art chez les Nazi !
L’art « dégénéré »
L’exposition Entartete « Kunst » [« Art » dégénéré], inaugurée à Munich le
19 juillet 1937 constitue le point culminant de la campagne de dénigrement
et de bannissement de l’art moderne sous le nazisme. Plus de 700 œuvres
des artistes majeurs de la modernité sont exhibées comme autant de
symptômes de dégénérescence : « révélation de l’âme de la race juive » ou
« sabotage délibéré des forces armées » selon les slogans haineux que
scandent la scénographie. Durant quatre mois, deux millions de visiteurs
parcourent l’exposition. Pendant les quatre années suivantes, l’exposition
circule en Allemagne et en Autriche, même si elle perd progressivement de
son ampleur. Si nombre de visiteurs adhèrent probablement à cette
campagne de diffamation, l’exposition est aussi, pour d’autres, l’occasion
d’admirer, parfois pour la dernière fois avant leur destruction, certaines des
œuvres les plus importantes de la première moitié du XXe siècle. Dans ce
tableau, George Grosz présente une allégorie des grandes villes
occidentales, tentaculaires et chaotiques. Acquise par la Kunsthalle de
Mannheim en 1924, elle est l'une des premières œuvres de l’artiste à entrer
dans une collection publique allemande. Dès la prise du pouvoir par les
nazis, l’atelier de l’artiste est saccagé et Metropolis est présenté dans
l’exposition diffamatoire « Images du bolchévisme culturel ». Grosz fuit
l’Allemagne et s’exile à New York où il enseigne la peinture. Après son
exposition à Munich en 1937, l’œuvre est vendue en 1939 et rejoint les
Etats-Unis où elle sera rachetée ultérieurement par l’artiste. ’’ ’’ À présent,
quand on travaille, c’est comme si on travaillait pour une époque qui
n’existe pas encore ; pour tous les officiels d’aujourd’hui, on est un monstre
et une abomination.
Otto Dix, Lettre à Israël Ben Neumann, 20 juin 1934
L’art volé par les Nazi
KANDINSKY, Vue de Murnau
avec église II (1910)
Vendu pour 37 millions en
mars 2023
Tableau volé à un son
propriétaire mort en
déportation à Auschwitz
Est-il permis? Est-il possible?
1. De témoigner
2. De faire de l’art
L’indicible, l’impensable et l’irreprésentable?
• « [Les déportés] ont cheminé dans le fantastique décor de toutes les dignités ruinées. Ils sont séparés
des autres par une expérience impossible à transmettre ».
David ROUSSET, L’Univers concentrationnaire (éd. Minuit, 1946)
• « Je le répète, nous, les survivants, nous ne sommes pas les vrais témoins. […] Nous sommes ceux qui,
grâce à la prévarication, l’habileté ou la chance, n’ont pas touché le fond. Ceux qui l’ont fait, qui ont vu la
Gorgone, ne sont pas revenus pour raconter, ou sont devenus muets [….].»
Primo LEVI, Les Naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz, Gallimard 1989, p. 82)
• L’Holocauste est unique en ceci qu’il édifie autour de lui, en un cercle de flammes, la limite à ne pas
franchir parce qu’un certain absolu d’horreur est intransmissible ; prétendre le faire, c’est se rendre
coupable de la transgression la plus grave. La fiction est une transgression, je pense profondément qu’il
y a un interdit de la représentation.
Claude LANZMANN, « Holocauste, la représentation impossible », Le Monde du 3 mars 1994.
• « [le génocide] a été pensé, c’est donc qu’il était pensable».
Pierre VIDAL-NAQUET, préface à Geneviève DECROP, Des Camps au génocide, la politique de
l’impensable (Presses universitaires de Grenoble 1995, p. 7).
Problématisation : l’art après Auschwitz?
• Theodor ADORNO « Ecrire un poème après Auschwitz est barbare » (1949) & « « toute
culture consécutive à Auschwitz, y compris sa critique urgente, n’est qu’un tas
d’ordures. » (1966)
• André SCHWARTZ-BART: « Le thème d’Auschwitz ne se prête pas à la littérature
(création littéraire en général, roman ou théâtre). Ce qu’Auschwitz nous apprend sur
l’homme, sur nous, notre génération, les jeunes de demain préfèrent l’apprendre par
leur propre génération [quotidien ?]. Par ailleurs, la réalité d’Auschwitz ne se prête à
aucun arrangement esthétique traditionnel. Shakespeare n’est pas possible à Auschwitz.
Shakespeare : des sentiments forts, une exaltation pressante de la Vie. Il n’y a, à
Auschwitz, aucune des situations dramatiques de l’art occidental. Hamlet ne médite pas
sur les derniers [sur les charniers de conjurés ???] qu’il a lui-même entassés sous
menace de mort. Roméo a atteint son degré de [illisible ??? ses cervelles sont vides], etc.
etc. La survie comme but unique pourrait seulement convenir à un théâtre de bêtes plus
ou moins sourdes, aveugles et muettes : taupes, insectes, herbivores et carnivores.
L’art rend-il l’« inimaginable » imaginable?
• Il y a deux ans, durant les premiers jours qui ont suivi notre retour, nous avons
été, tous je pense, en proie à un véritable délire. Nous voulions parler, être
entendus enfin. On nous dit que notre apparence physique était assez éloquente
à elle seule. Mais nous revenions juste, nous ramenions avec nous notre
mémoire, notre expérience toute vivante et nous éprouvions un désir frénétique
de la dire telle [quelle]. Et dès les premiers jours cependant, il nous paraissait
impossible de combler la distance que nous découvrions entre le langage dont
nous disposions et cette expérience que, pour la plupart, nous étions encore en
train de poursuivre dans notre corps. Comment nous résigner à ne pas tenter
d’expliquer comment nous en étions venus là ? Nous y étions encore. Et
cependant c’était impossible. À peine commencions-nous à raconter, que nous
suffoquions. À nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous
paraître inimaginable.
• […] Nous avions donc bien affaire à l’une de ces réalités qui font dire qu’elles
dépassent l’imagination. Il était clair désormais que c’était seulement par le
choix, c’est-à-dire encore par l’imagination, que nous pouvions essayer d’en dire
quelque chose ».
Robert ANTELME, avant–propos à L’espèce humaine, 1947.
L’art des exilés et des persécutés
Felix NUSSBAUM, La grande
destruction, Bruxelles, c. 1939
(dessin à l’encre de chine, 54.5 x
67.5 cm).
Collection of the Yad Vashem Art
Museum, Jerusalem.
(en haut, autoportrait de 1943)
L’art des déportés
et des rescapés
Yehuda BACON
Ci-contre
recollection from
Auschwitz.
Coll. Yad Vashem.
L’art testimonial
Ci-contre
(gauche) Art SPIEGELMAN, Maus
(1980)
(droite). Enki BILAL, dessin réalisé
pour l’exposition du Mémorial de la
Shoah, Paris: “la Shoah en BD”
(2017)
L’art mémoriel
“Nous creusons dans le
ciel une tombe où nous ne
sommes pas serrés…”
(Paul CELAN, Todesfuge)
Anselm KIEFER,
(à droite)
Des Herbstes
Runengespinst, 2006
Que peut l’image après la Shoah?
• « La question des images est au cœur de ce grand trouble du temps,
notre “malaise dans la culture”. Il faudrait savoir regarder dans les
images ce dont elles sont les survivantes. Pour que l'histoire, libérée
du pur passé (cet absolu, cette abstraction), nous aide à ouvrir le
présent du temps. »
Georges DIDI-HUBERMAN, Images malgré tout,
Éditions de Minuit, 2003.
L’art contemporain sans
tabou? Le cas de l’expo
« regards d’artistes » au
Mémorial de la Shoah (Paris,
2018-29)
Telle l’installation d’Arnaud Cohen, Dansez sur moi, qui, sous les projections rose fluo d’une boule à
facettes de boîte de nuit, invite les gens à danser sur les (fausses) tombes de trois nazis ou
collaborateurs nazis (personnages historiques, eux), et les amène ainsi à réfléchir à ce que peut être
un monument commémoratif.
“De fait – à l’exception d’un Christian Boltanski qui travaille ce terrain-là de longue date , le sujet du
génocide juif a été peu abordé jusqu’à présent par les artistes contemporains. Comme s’il était encore
tabou, trop brûlant.
A fortiori lorsqu’ils n’avaient pas de lien direct avec cette histoire – ni juifs ni descendants de
déportés. Le fait que les choses évoluent imperceptiblement sur ce point est peut-être le signe d’une
bascule… Le signe que la distance est désormais suffisante pour approcher la Shoah avec les moyens
de l’art. « Le sujet est inépuisable, témoigne Natacha Nisic, qui elle-même eut beaucoup de mal à
assumer que sa légitimité d’artiste, pour traiter de ce thème, reposait précisément sur la subjectivité
de son regard. Et il n’est plus un domaine réservé ou inaccessible, dans le milieu de l’art. L’évolution est
nette, et les possibilités sont infinies. »