Histoire de Lartisanat en Algérie
Histoire de Lartisanat en Algérie
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Abdelkader GUENDOUZ
Chercheur Permanant en économie
Laboratoire GPES
Université de Tlemcen, Algérie
[email protected]
INTRODUCTION
Ordonnance n°96-01 du 10 janvier 1996 fixant les règles régissant l’artisanat et les
79
métiers. Journal officiel.
103
différentes politiques publiques mises en œuvre pour le soutenir depuis
l’indépendance.
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n’intervenaient que dans des limites précises, comme dans le cas des
activités qui nécessitaient une autorisation spécifique (les bains, la
fabrication des armes, la frappe de la monnaie, les médicaments) pour
des raisons liées à la sécurité et à l’intérêt public (Nafed, 1999).
Le développement et l’essor des métiers sont liés à l’émergence de la
ville (medina en arabe) dans le monde arabe. La ville était le siège du
pouvoir politique incarné dans la personne du sultan. Les villes
regroupaient un grand nombre d’artisans qui étaient liés sur les plans
économique, social, culturel, par des niveaux de vie proches, ainsi que
par l’interdépendance du savoir-faire (chacun selon sa spécialité) ce qui a
donné lieu à un système de métiers et de coopérations artisanales sous
différents noms comme : le « patronat des métiers » ou les « gens du métier »
(ness el herfa). Ces expressions font allusion à la notion de groupe
d’appartenance à une même filière ou à un même métier. Les artisans de
chaque métier sont unis par un sentiment commun et par la nécessité de
se solidariser afin de protéger leurs intérêts communs, de faire face à la
concurrence, et d’améliorer leur situation socioprofessionnelle. C’est
ainsi qu’est né un système de normes ou de règlements qui leur assura
une protection contre la concurrence illégale, une amélioration de leur
niveau de vie, avec le maintien d’un transfert du savoir-faire vers les
générations futures (Dris, 2002).
105
1.2.1. L’organisation des Djemaa
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l’autorité des Beys : Alger au centre, Constantine à l’Est, Médéa dans le
Titteri et Mazouna, puis Mascara et Oran à l’Ouest.
La gestion urbaine relevait en particulier de la mairie de la ville, des
agents de l’ordre public et des employés des services publics. Il existait
aussi l’autorité religieuse, le conseil scientifique, l’entreprise de la maison
de la finance (beyte el mel). Les pouvoirs publics urbains s’articulaient
autour d’un certain nombre de fonctions et de missions, allant de la
régulation des marchés, à l’annonce du contrôle du système des
corporations au maintien de l’ordre public et ses règles. De ce fait, la
relation entre les artisans et les autorités publiques était étroitement
structurée, car il existait un contrôle permanent de l’Etat à travers le
plafonnement des prix, la taxation, la fiscalité, la promulgation des règles
pour exercer le métier et pour déterminer les conditions
d’approvisionnement des artisans et des commerçants.
Un des aspects sociaux les plus importants des corporations était la
célébration de festivals au cours de périodes qui leur étaient propres.
Cette action révèle l’existence de très fortes relations entre les membres
de chaque métier, avec un soubassement théologique car les corporations
étaient influencées par les mouvements soufis. Chacune de ces filières
étaient protégées par un marabout (wali Saleh), cependant, elles n’avaient
pas de vocation religieuse (Ghettas, 2007), pour le cas algérien.
Afin d’organiser l’offre et la demande dans le marché, les autorités
ottomanes avaient adopté le système koudek qui limitait le nombre des
locaux et des maitres de chaque métier selon le besoin de la ville et selon
la conjoncture économique. Aussi, et afin de contrôler les prix, l’État
ottoman avait mis en place des restrictions et des conditions pour la
vente des matières premières (Lafi, 2001). Les organisations artisanales
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Cependant, en marge de cela, une minorité bourgeoise adopta un
nouveau mode de vie, qualifié de « francisation ».
L’entre-deux-guerres fut marqué en France métropolitaine par la
structuration du secteur de l’artisanat80 La création de la Confédération
générale de l’artisanat français (CGAF) en 1922 marque une étape
majeure de l’émergence en France de l’artisanat comme groupe
socioprofessionnel organisé. Les premières lois relatives à l’artisanat
contribuent aussi très largement à cette dynamique, avec notamment la
création du Crédit artisanal (1922), d’un statut d’artisan fiscal (1923), des
Chambres des métiers (1925), la création du Registre des métiers (1934)
ou encore l’organisation de l’apprentissage artisanal avec la loi Walter-
Paulin de 1937.
Sur le plan administratif, l’Algérie était pour la France une colonie
particulière puisqu’elle était intégrée dans le découpage départemental.
Les mesures édictées à Paris avaient donc vocation à être appliquées
comme dans tous les départements. L’artisanat était concerné à travers,
par exemple, la loi Astier (1919) et l’apprentissage ou encore la mise en
place des chambres des métiers. Vers 1917, les statuts de l’enseignement
professionnel ont été appliqués en Algérie afin de fournir les moyens et
les instruments considérés comme fondamentaux, afin de remédier au
manque de main-d’œuvre qualifiée, indispensable pour assurer le
développement industriel du territoire algérien81. Ultérieurement, le
programme arrêté en 1918 prévoyait surtout de former des mécaniciens,
des électriciens, des spécialistes du bâtiment, des mineurs et des coupeurs
de vêtements (Meynier, 1981, p. 336). Au cours de cette même période,
des EPS (Ecoles Primaires Supérieures) furent créées, d’abord à Alger,
puis dans d’autres villes importantes comme Oran, Mascara, Tlemcen,
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80 PERRIN, C., 2007, Entre glorification et abandon. Les artisans et l’Etat en France (1938-
1970), CHEFF, Paris. DAVID, M., 1998, Brève histoire de l’artisanat, Cahiers de l’Institut
supérieur des métiers, Paris. BOUTILLIER, S., DAVID, M., FOURNIER, C., 2009
(dir.), Traité de l’artisanat et de la petite entreprise, Editions Educaweb.
81 Il faut souligner dans ce sens que la bourgeoisie coloniale en Algérie, à cette époque,
craignait une immigration de la main-d’œuvre locale vers la France métropolitaine. Ce
souci, à côté de celui du besoin local énorme en matière de la main-d’œuvre qualifiée, a
rendu impératif de lancer des programmes de formations (Meynier, 1981, p. 336).
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mise en œuvre de ce choix, plutôt politique qu’économique, ne fut pas
immédiate au moins pour les premières années qui suivirent
l’indépendance, jusqu’à 1966. C’est à partir des débuts des années 1970
que le socialisme devint le socle de l’économie algérienne, notamment
après l’adoption de la politique des industries industrialisantes (Lakehal,
1992, p. 25), et aussi suite aux grandes vagues de nationalisations des
entreprises privées. Cette orientation de la planification centralisée vers
les industries lourdes entrava l’édification d’un secteur privé face à un
secteur public prédominant. Ainsi, le Code des Investissements
N°66/284 qui fut promulgué le 15/09/1966 essaya de faire jouer au
secteur privé son rôle dans le développement économique tout en
prévoyant une place prédominante pour le secteur public sur les secteurs
stratégiques de l’économie. Ce code obligeait les entrepreneurs privés à
obtenir l’agrément de leurs projets auprès de la Commission Nationale
des Investissements (CNI). La complexité des procédures d’obtention
d’agrément a conduit à la dissolution de la CNI en 1981 (Marzouk,
2009).
Ce système s’est très rapidement effondré dès le début des années
1980 à cause notamment des mauvais résultats d’un secteur public
fortement endetté et de la chute des prix de baril. Face à l’inefficacité des
réformes économiques engagées par les pouvoirs publics (assainissement
de la dette des entreprises, autonomie de gestion…) le Fonds monétaire
international et la Banque Mondiale ont imposé à l’Algérie un
programme d’assainissement budgétaire, une ouverture économique et
une transition du dirigisme vers l’économie du marché, avec des mesures
draconiennes incarnées surtout dans les plans d’ajustement structurel dès
le début des années 1990, via les Programmes d’ajustement structurel
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vente de produits (Annaba, Oran, Ghardaïa), d’un musée et d’un bureau
des études, et de quelques centres de formation de l’artisanat traditionnel
et d’art. En mars 1963, le secteur de l’artisanat fut annexé au ministère de
la jeunesse, du sport et du tourisme, puis au ministère du tourisme en
mai 1964. La création de la Société Nationale de l’Industrie Artisanale
(SNAT) en 1971 remplaça le Bureau National de l’Industrie
Traditionnelle algérienne après sa dissolution. La SNAT avait pour
objectif de développer l’activité artisanale, et en 1973, sous la tutelle du
Ministère de l’industrie et de l’énergie, la direction de l’artisanat est
devenue la direction de l’artisanat et des métiers, afin d’unifier le registre
des métiers et le registre de l’artisanat.
L’organisation du métier d’artisan a été détaillée dans la loi (82/12),
avec la définition de l’artisan, ses devoirs et ses droits. Cette loi met
également clairement en lumière la volonté de l’État de protéger,
d’encourager, de soutenir, de promouvoir et de développer l’entreprise
artisanale. En 1983, l’organisation du registre de l’artisanat et des métiers
a été détaillée dans le décret n°83-550, dans le cadre de la loi N°82-12. La
qualification statistique de l’artisanat est précisée par le décret N°83-551
du 4 octobre 1983 qui prévoit la façon de préparer un répertoire national
des activités artisanales, dans le but de recueillir des informations sur les
artisans et les coopératives. Ces instructions ont été annulées en 1988 par
le décret N°88-230 du 9 novembre, portant sur l’organisation des
registres de l’artisanat et des métiers. Ce sont désormais les autorités
municipales qui ont la charge de tenir ces registres et de les mettre à jour,
les artisans ont l’obligation de leur transmettre les informations les
concernant.
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Depuis le deuxième trimestre 2010, les activités artisanales sont sous
la tutelle du Ministère du tourisme et de l’artisanat82. Elles relevaient
auparavant de celui des PME et de l’artisanat créé en 2002 pour favoriser
la création, aider et suivre les entreprises dont l’activité se déploie dans
des secteurs à forte valeur ajoutée : le bâtiment, l’agroalimentaire et, plus
généralement l’artisanat. Pour permettre à ce dernier de jouer un rôle de
levier du développement économique et social, une nouvelle loi en
faveur de l’artisanat a été adoptée en 1996.
111
2.2. Les nouvelles Chambres des métiers
112
mais aussi de : 1) défendre les intérêts généraux des artisans, 2)
promouvoir le développement des entreprises artisanales, et
accompagner professionnellement l’artisan par le biais de l’apprentissage
et de la formation, de la création et du développement d’entreprise, etc.,
3) offrir un dispositif cohérent d’information, de conseil,
d’accompagnement et de formation, et 4) développer des compétences et
des moyens techniques de qualité, et travailler en étroite concertation
avec les organisations professionnelles de l’artisanat et avec les différents
acteurs locaux : collectivités territoriales, services de l’Etat, acteurs socio-
économiques86.
113
En Algérie, l’artisanat est en train de se positionner comme une base
majeure du développement économique, en raison de sa contribution
croissante à l’économie nationale et de la diversité de ses activités. En
effet, le poids des entreprises de ce secteur a fortement augmenté par
rapport à l’ensemble du tissu industriel national : les entreprises
artisanales représentent 28 % du total des PME algériennes, et comptent
162 085 artisans sur un total de 570 838 PME89, sans compter le secteur
informel qui, selon les estimations officielles, emploierait 100 000
artisans. En 2010, l’effectif total des emplois dans le secteur a atteint
510000 artisans selon les sources officielles90.
Depuis le rattachement en 2002 de l’artisanat au Ministère des PME,
la direction de l’artisanat a impulsé plusieurs programmes dans le but de
promouvoir l’artisanat et les métiers au niveau national, régional et local,
à savoir : la promotion de la formation à travers des programmes de
formation tels que CREE et GERME (le célèbre programme : « Start and
Improve your Business »), le perfectionnement au profit des artisans, la
formation des formateurs (Bellach, 2010), car selon l’ordonnance N°96-
01, la formation est l’une des missions principales de la Chambre
d’artisanat et des métiers (CAM) avec celles : 1) de développer et
d’améliorer la commercialisation de la production artisanale à travers
l’organisation des festivals annuels et occasionnels, ainsi que l’association
de l’exposition du produit artisanal aux célébrations de différents
événements culturels, afin d’assurer une promotion de ces produits sur
leurs marchés locaux, nationaux, et internationaux, 2) de renforcer les
capacités opérationnelles des CAM en facilitant l’accès des entreprises
artisanales aux services et aides ouverts aux PME, notamment les
programmes de mise à niveau des entreprises, l’accès au crédit, et surtout
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2.4. La coopération allemande
115
élaborer une politique et une stratégie pour le développement de ce
secteur important de l’économie nationale, par l’instauration du SPL au
niveau des chambres de l’artisanat et des métiers dans plusieurs wilayas
(Adel et Bendiabdellah, 2013). Chaque SPL est organisé autour d’une
activité dominante. Les SPL sont composés de plusieurs acteurs : une
structure d’animation, des entreprises artisanales, des chambres de
l’artisanat et des métiers, des entreprises étatiques locales, des
établissements de formation, la direction des impôts, des entreprises
d’appui (l’Agence Nationale pour la Gestion du Microcrédit, l’agence
Nationale de soutien à l’emploi des jeunes et l’Agence nationale
d’assurance chômage, etc.), des établissements bancaires et la Caisse
Nationale de Sécurité Sociale des Non-Salariés (CASNOS). Parmi les 21
SPL installés, seuls 14 sont opérationnels et spécialisés dans des activités
très variées (tableau 1).
116
3. Contribution de l’artisanat à l’économie algérienne
117
Tableau 2 : Les entreprises algériennes, répartition par statut
Années Entreprises privées (hors Entreprises Entreprises Total
artisanat) artisanales publiques
2001 179 893 (73,32)% 64 677 (28, 02%) 778 245 348
2002 189 552 (72, 38%) 71 523 (27, 31%) 778 261 853
2003 207 949 (72, 05%) 79 850 (27, 68 %) 788 288 587
2004 225 449 (72, 04%) 86 732 (27, 71%) 778 312 959
2005 245 842 (71, 71%) 96 072 (28,05%) 874 342 788
2006 269 806 (71, 62%) 106 222(28, 19 %) 739 376 767
2007 293 946 (71, 52%) 116 347 (28, 31%) 666 410 959
2008 392 013 (75, 45%) 126 887 (24, 42%) 626 519 526
2009 408 155 (71, 50%) 162 085 (28, 39%) 598 570 838
375000
250000
125000
118
Tableau°3: Evolution du nombre de PME en 2011-2012
Nature des PME 2011 2012 Evolution
En nombre En %
1. PME privées
Personnes morales 391 761 420 117 28 356 7,24
Personnes 120 095 130 394 10 299 8,58
physiques
Activités artisanales 146 881 160 764 13 883 9,45
119
Tableau°4 : Evolution des créations d’emplois entre 2004 et 2010 selon
le type d’entreprise
Année Privées Publiques Artisanales Total
2004 225449 778 86732 312959
2005 245842 874 96072 342788
2006 269806 739 106222 376767
120
Tableau 5 : Projets financés par l’ANSEJ par secteur d’activité.
Secteurs 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Total
général
121
2025. Par le montant des investissements et l’importance de la
production, le secteur de l’artisanat contribue considérablement dans la
formation du PIB, qui n’a pas cessé de s’améliorer d’une année à l’autre
pour la période en question. Dans le tableau suivant, une progression
continue des investissements est remarquable.
Depuis 2005, les exportations en volume ont été multipliées par huit.
En valeur les exportations ont augmenté de 187,5%. Ce taux a connu
une croissance durant l’année 2006 de 386.5% par rapport à 2005, ce qui
a été accompagné aussi d’une hausse des volumes du revenu en devises
122
de 665,2%, par rapport à 2005. Durant l’année 2007, le volume des
exportations a augmenté de 36,5% causant ainsi une augmentation de
121,2% du volume des revenus, par rapport à 2006. Cette augmentation
de la valeur des exportations montre l’importance des mesures de
soutien qui ont été mises en place (avantages fiscaux, accompagnement
technique et financier, commercialisation...etc.).
De ce qui précède, il ressort que l’artisanat constitue un secteur
économique important par sa capacité à créer des emplois, générateurs
de revenus, de devises, stimulateur des exportations hors hydrocarbures,
permettant de contribuer activement au développement économique.
CONCLUSION
123
La situation actuelle des artisans et de l’artisanat reflète cependant les
faiblesses des politiques publiques mises en œuvre jusque-là. Malgré leur
diversité, ces politiques doivent encore être largement améliorées en
matière d’accompagnement, de suivi et d’évaluation des entreprises
artisanales.
BIBLIOGRAPHIE
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algérienne (CAM), Colloque international, Vulnérabilité, Equité et
Créativité en Méditerranée, Maison Méditerranéenne des Sciences de
l’Homme, 2-3 décembre, Aix en Provence.
PROGRAMME D’APPUI A LA MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD
D’ASSOCIATION, 2010, (P3A Algérie – UE, renforcement de l’agence
nationale de l’artisanat traditionnel Et des institutions publiques et
professionnelles chargées de promouvoir l’artisanat traditionnel, Fiche de
Projet de Jumelage classique, Mars.
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