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Livre Les Deux Mamans Aux Milliers D'enfants

Le livre 'LES DEUX MAMANS AUX MILLIERS D’ENFANTS' est une œuvre autobiographique de Spès Nihangaza et Caritas Habonimana, relatant leur engagement de plus de 25 ans pour aider les orphelins et enfants vulnérables au Burundi. À travers leur association FVS-AMADE, elles illustrent la philosophie 'Umwana si uw’umwe', soulignant que la responsabilité de soutenir les enfants vulnérables incombe à toute la communauté. Ce témoignage met en lumière leur compassion et leur détermination à améliorer la vie des enfants touchés par la guerre et le VIH.

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Livre Les Deux Mamans Aux Milliers D'enfants

Le livre 'LES DEUX MAMANS AUX MILLIERS D’ENFANTS' est une œuvre autobiographique de Spès Nihangaza et Caritas Habonimana, relatant leur engagement de plus de 25 ans pour aider les orphelins et enfants vulnérables au Burundi. À travers leur association FVS-AMADE, elles illustrent la philosophie 'Umwana si uw’umwe', soulignant que la responsabilité de soutenir les enfants vulnérables incombe à toute la communauté. Ce témoignage met en lumière leur compassion et leur détermination à améliorer la vie des enfants touchés par la guerre et le VIH.

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Spès NIHANGAZA & Caritas HABONIMANA

LES DEUX MAMANS


AUX MILLIERS
D’ENFANTS

«UMWANA SI UW’UMWE »
« Le soutien des enfants vulnérables n’est pas l’apanage d’une
personne, mais relève de la responsabilité de toute la
communauté »

©Bandima Editions, 2019


ISBN 979-10-97298-11-1

3
4
Dédicace
Nous dédions ce livre aux « Amis des enfants », ces
fervents défenseurs des droits des enfants ; à nos
anciens bénéficiaires devenus maintenant des adultes
et qui, aujourd’hui, nous épaulent autant que faire se
peut ; à tous les enfants que nous assistons et à qui
nous souhaitons, du fond de nos cœurs, un avenir
meilleur ; sans oublier tous les jeunes, toutes les
femmes et tous les hommes de bonne volonté, qui
pensent enfin qu’au Burundi, et partout ailleurs, un
monde meilleur est possible pour les enfants.

Spès Nihangaza et Caritas Habonimana,

5
6
Tables des matières
Remerciements ....................................................................... 9
Préface .................................................................................. 11
Avant-propos......................................................................... 13
INTRODUCTION ..................................................................... 17
CHAPITRE I: UNE GENESE MACABRE ....................................... 23
CHAPITRE I: GESTATION D’UNE PHILOSOPHIE : « UMWANA SI
UW’UMWE » ......................................................................... 45
CHAPITRE III: NAISSANCE D’UNE PHILOSOPHIE :
« UMWANA SI UW’UMWE » ................................................ 69
CHAPITRE IV: UN REVE DEVENU UNE REALITE ...................... 87
CHAPITRE V: LE COURONNEMENT DES EFFORTS................. 121
CONCLUSION ....................................................................... 127
Postface ............................................................................... 135
ANNEXE 1 ............................................................................ 137
TEMOIGNAGES .................................................................... 137
ANNEXE 2 ............................................................................ 153
LES MODELES D’INTERVENTION CREES PAR FVS-AMADE
BURUNDI ............................................................................. 153
ANNEXE 3 ............................................................................ 183
GRAPHIQUE DE L’EVOLUTION DES ENFANTS BENEFICIAIRES DE
FVS-AMADE DEPUIS SA CREATION JUSQU’EN 2017 ................. 183

7
8
Remerciements
Il n‟est pas toujours facile de trouver des mots adéquats
pour exprimer les profonds sentiments de gratitude qui
jaillissent de nos cœurs envers toutes les personnes qui nous
ont tant aidées. Ne faudrait-il juste souligner ceux et celles qui
ont été on ne peut plus actifs afin que notre rêve soit
aujourd‟hui une réalité.
A S.A.R. La Princesse Caroline de Hanovre, Présidente
de l‟AMADE, nous vous remercions du fond du cœur d‟être
toujours à nos côtés dans notre quête d‟un meilleur avenir pour
les enfants au Burundi.
A Helen Fielding et Denise Caviesel de « Terre des
Hommes », à Sœur Agnès Charles de la Congrégation des
Dames de Marie, aujourd‟hui Filles de Marie et de Joseph,
ancienne Directrice du Lycée Clarté Notre Dame ; à son père
le Baron Raymond Charles et à Jean Marie Piret de l‟AMADE
Belgique ; à Andrée Jacquemard et Jacques Danois de
l‟AMADE, qui avez été si proche de nous durant les jeunes
années de la FVS et au Secours Catholique France pour son
soutien à l‟antenne de Gitega, nous vous en saurions
profondément gré.
A Jérôme Froissart, Ana-Maria Hahn et Allison Simian
de l‟AMADE, merci de votre soutien quotidien et de vos
encouragements.
A Bénédicte Schutz et Yordanos Pasquier et Candice
Manuello de la Coopération Internationale de Monaco, Hervé
Aeschbach de Fight Aids Monaco, recevez notre sincère
gratitude pour vos regards attentifs sur nos projets et votre
soutien indéfectible.
A Karsten Timmer de la Fondation Arcanum, nous vous
sommes reconnaissants pour l‟accompagnement dans la
9
réalisation de notre vision pour l‟épanouissement des enfants
vulnérables au Burundi.
Au regretté Monseigneur Bernard Bududira, au Père
Ludwig Peschen et à Sœur Meena Amalayothi, merci du fond
du cœur pour votre soutien et vos prières.
A Andy Bryant et Dedo Baranshamaje de Segal Family
Foundation, merci pour vos efforts visant à toujours nous
ouvrir à de nouveaux horizons.
A Arnold van Oel de Trócaire, merci d‟avoir confirmé
notre vision de passage de l‟urgence humanitaire vers le
développement communautaire au service des enfants.
Nos remerciements à CARE BURUNDI pour nous
avoir appris le précieux système « Nawe n‟uze ».
A Bakary Sogoba, Aissa Sow et Pedro Guerra de
l‟Unicef, nos sincères remerciements pour avoir reconnu et
soutenu le développement de notre système communautaire
de protection des enfants au Burundi.
A toutes les familles et à tous les collègues qui se sont
engagés dans la réinsertion familiale des enfants de nos centres
de transit.
Enfin, à Céline Baes de KIYO, qui nous a soutenues et
aidées à faire de ce projet de livre une réalité, nous disons
grandement merci.

Spès Nihangaza et Caritas Habonimana,


Co-fondatrices de la FVS-AMADE Burundi

10
Préface
L‟ouvrage « LES DEUX MAMANS AUX MILLIERS
D‟ENFANTS» est une œuvre autobiographique écrite par deux
sœurs Spès NIHANGAZA et Caritas HABONIMANA. Il relate
une période de plus de 25ans de leur engagement au service de
plusieurs milliers d‟orphelins et autres enfants vulnérables (OEV)
au Burundi. Quand au crépuscule du 20ème siècle, le sida et la
guerre s‟imposent comme de grandes fabriques d‟orphelins et
d‟enfants vulnérables au Burundi, Spès et Caritas décident de
s‟attaquer à ce phénomène pour ne pas laisser agir ces grands
maux en créant l‟Association FVS-AMADE BURUNDI.
Ce livre, écrit dans un style presque romanesque, pour ne
pas dire littéraire, montre comment ces deux dames prennent
plutôt le taureau par les cornes pour voler au secours des enfants
devenus, et par le sida et par la guerre, orphelins et enfants
vulnérables. Durant leur grande lutte, elles sont armées d‟une
philosophie : « Umwana si uw‟umwe » qu‟elles tirent de la
sagesse burundaise et qui veut dire « la prise en charge d‟un
enfant vulnérable n‟est pas l‟apanage d‟une personne, mais
relève de la responsabilité de toute la communauté ».
L‟ouvrage enfin, est un témoignage éloquent d‟une
humanité sans faille, et montre que les auteures ont une grande
affection pour les enfants si bien que rien ne peut leur faire plaisir
que l‟assurance du bonheur de ces êtres qui ne choisissent pas de
se retrouver, sinon que par les circonstances de la vie, dans une
situation de vulnérabilité. Les auteures ont su, par leurs actions,
montrer qu‟il est possible de redonner un sens à la vie pour un
enfant qui a perdu ses êtres chers, ses parents, malgré la brutalité
que représente cet arrachement. Ainsi, la lecture de ce livre ne
peut laisser personne indifférent face au courage, à l‟abnégation,
à la compassion des auteures, et donne aussi un sens plus aigu
au don de soi, au plaisir que procure l‟épanouissement de l‟autre,
bref, à la vrai vie.
Dr Vestine Ntakarutimana
Professeur à l’Université du Burundi
11
12
Avant-propos
L‟idée d‟écrire cet ouvrage n‟a pas été le fruit du
hasard. Elle a été le résultat d‟une grande réflexion et
d‟une grande observation après plus de 25ans passées à
œuvrer au service des orphelins et autres enfants
vulnérables. En effet, Caritas et moi, en tant que co-
fondatrices et promotrices de FVS-AMADE BURUNDI ;
nous voulons expliquer au monde, aux jeunes et surtout
à ceux qui nous rejoignent en tant que membres ou
employés de l‟organisation, la genèse de notre action,
comment nous avons travaillé pour surmonter les
nombreux obstacles qui étaient érigés sur notre passage
pour enfin en arriver là où nous sommes aujourd‟hui.
Notre vœu le plus absolu est qu‟ils puissent comprendre
que nous sommes parties de rien en terme d‟éléments
matériels et pécuniaires, mais que l‟élan de notre cœur
et la compassion pour les malades qui avaient faim à
l‟hôpital et les orphelins qui étaient abandonnés à eux-
mêmes restent la seule force incontournable qui nous a
mobilisées et l‟unique ressource qui était à notre
disposition. Nous n‟avions ni salaires ni financement des
bailleurs. Mais, malgré les maigres moyens personnels
auxquels se sont ajoutés ceux de notre famille élargie, de
nombreuses personnes ont pu retrouver l‟espoir de vivre
grâce à notre action. Mais, pourquoi insistons-nous sur
l‟amour et la compassion ?

13
Les lecteurs en général, et les jeunes en particuliers,
comprendront que la tâche à laquelle nous devrions faire
face n‟était pas du tout facile.
Elle était immense, ardue, fastidieuse. Elle était et
reste encore exigeante en termes d‟amour et de don-de-
soi pour l‟autre. Sans compassion, il était facile de battre
en retraite avant d‟avoir franchi ne fût-ce qu‟un pas de
tortue. C‟est alors cette compassion qui produisait en
nous une force irrésistible qui nous poussait toujours à
aller de l‟avant, à progresser, à arriver à notre destination.
C‟est grâce à elle que nous sommes parvenues à
mobiliser de nombreuses personnes pour nous rejoindre
dans cette aventure de soutien aux malades et aux
orphelins au moment où ces derniers s‟attendaient à leur
triste sort. Sans le savoir, et à notre agréable surprise,
notre engagement a forcé l‟admiration de bien de
personnes et des organisations qui disposaient les
moyens. A cœur ouvert, ils sont venus nous prêter main
forte en mettant à notre disposition les ressources
financières et matérielles nécessaires. Malgré leur bonne
volonté elles ne pouvaient pas nous donner cette
compassion et ce don de soi qui restent des qualités
indispensables.
Mais que dire des employés qui œuvrent avec nous
au quotidien ? Seraient-ils obligés de faire siennes ces
précieuses valeurs ? Certainement oui. Ce livre constitue
une fontaine dans laquelle ils devraient se ressourcer
pour comprendre profondément l‟éthique de la FVS-

14
AMADE et ainsi agir en conséquence. Certes, certains
d‟entre eux sont entrés dans la maison quand on avait
déjà atteint une étape où ils pouvaient percevoir un
salaire en contrepartie de leur travail. Mais cela ne suffit
pas. Le présent ouvrage leur montrera que personne ne
peut réussir la mission de prise en charge des orphelins et
autres enfants vulnérables sans faire preuve de don de soi
et de compassion pour les enfants. En effet, il ne s‟agit
nullement pas d‟un simple travail ou d‟un « job »comme
certains aiment le dire. Mais, il s‟agit d‟une mission
qu‟on accompli parce qu‟on y croit fermement. Sinon, on
est vite découragé, lassé et par conséquent, inefficace.
Ce livre est une occasion de partager notre
approche avec d‟autres intervenants dans le domaine de
la protection des droits de l‟enfance. Nous voulons leur
montrer la manière dont nous avons analysé les
problèmes auxquels font face les enfants vulnérables et
les solutions locales à y apporter. Des solutions inspirées
de notre culture burundaise de solidarité pour être plus
fort. Il s‟agit des solutions imaginées avec perspicacité
pour d‟une part, permettre l‟amélioration des conditions
de vie des familles tutrices des orphelins et d‟autre part,
insuffler l‟implication des communautés de base dans la
protection (les CPE) et la prise en charge de leurs besoins
à travers les groupes de solidarité. Notre souci majeur
étant d‟aboutir à l‟appropriation de la prise en charge
satisfaisante et durable des orphelins et d‟autres enfants
vulnérables par leurs propres communautés.

15
Enfin ce livre a aussi été écrit dans le but ultime de
montrer au public en général, et à ceux qui s‟intéressent à
la protection et la prise en charge des enfants vulnérables
en particulier, la valeur ajoutée qu‟apporte la FVS-
AMADE BURUNDI. En effet, au-delà de l‟aide apportée
à ces derniers, la FVS-AMADE BURUNDI organise les
parents ou les tuteurs de ces enfants, leurs voisins et leurs
communautés de vie en groupes de solidarité, afin qu‟ils
œuvrent conjointement dans le but ultime de les prendre
en charge de manière autonome sans devoir attendre la
manne qui vient du ciel.
De ce fait, la FVS-AMADE BURUNDI, d‟une
pierre elle en fait deux coups : La lutte contre la pauvreté
et l‟assistance aux enfants vulnérables.
En lisant le présent ouvrage, le lecteur comprendra
que, c‟est sans nul doute cette manière d‟agir qui est à
base de la pérennité des actions initiées avec son modèle
d‟intervention. C‟est cette capacité de mobiliser et
valoriser le potentiel local pour apporter des solutions
aux questions locales qui explique les progrès réalisés
jusqu‟aujourd‟hui. Après 25 ans d‟expérience,
permettons-nous d‟affirmer sans ambages que les
solutions locales inspirées de la culture locale, mises en
œuvre par les personnes locales et organisées avec
discernement, sont les mieux adaptées et les plus
durables.
Spès NIHANGAZA et Caritas HABONIMANA

16
INTRODUCTION
Le présent ouvrage écrit par ma sœur Caritas
Habonimana et moi-même, Spès Nihangaza, relate notre
vécu quotidien pendant une période de presque un demi-
siècle. Nous avons passé ensemble toute notre enfance,
puis une période d‟environ 15 ans, consacrée aux études
et au travail, nous a séparées. Nous nous sommes
retrouvées vers la fin des années 1980 à servir les
orphelins et autres enfants vulnérables victimes de la
guerre et du VIH au Burundi. Toutes ces actions se sont
déroulées au sein de l‟association « La Famille pour
Vaincre le Sida », FVS en sigle, dont nous sommes co-
fondatrices. Cette dernière s‟unira plus tard à
« l‟Association Burundaise des Amis de l‟Enfance »,
AMADE Burundi en sigle, qui est la section burundaise
de l‟Association Mondiale des Amis de l‟enfance
(AMADE), pour devenir FVS-AMADE Burundi. Depuis
octobre 2018, FVS-AMADE Burundi est devenue FVS-
Amis des Enfants « Abagenzi b‟abana ».
En lisant ce livre, le lecteur constatera que, par un
moment c‟est moi Spès qui parle en utilisant le « je », par
un autre c‟est nous deux, alors nous utilisons le
« nous ». En effet, nous avons décidé que la narratrice
principale soit moi-même Spès, mais que lorsqu‟il
s‟agissait de relater un événement qui nous impliquait en
même temps, il en allait de soi que nous devions utiliser
le « nous ».

17
Pour des raisons de confidentialité médicale, nous
avons changé les noms des patients et des
bénéficiaires dont on parle dans ce livre.
Ce livre que nous avons décidé, après mille et
une hésitations, d‟intituler « LES DEUX MAMANS
AUX MILLIERS D‟ENFANTS », car nous avons
manqué les mots qui traduisaient le mieux possible
l‟adage burundais «Umwana si uw‟umwe», présente
un double caractère au niveau du genre. D‟une part, il
présente le caractère d‟un essai, car sommes toutes,
une autobiographie diffère d‟une œuvre littéraire.
D‟autre part, il présente le caractère d‟un roman car,
certains passages, pour un lecteur non avisé,
ressemblent étrangement à une fiction, mais c‟est une
pure réalité. Ce sont des situations certes ahurissantes,
mais vécues, d‟où la tendance à dire qu‟il s‟agit d‟un
roman d‟une vie toute entière consacrée à travailler
pour que l‟enfant orphelin et /ou vulnérable puisse
grandir avec un minimum de dignité.
Enfin, ce livre est aussi un récit d‟une
démonstration ou une application d‟une philosophie
« Umwana si uw‟umwe » tirée de l‟immense océan des
valeurs de nos ancêtres et qui se traduit par le soutien
des enfants vulnérables n‟est pas l‟apanage d‟une
personne, mais relève de la responsabilité de toute la
communauté. Il n‟est pas souvent facile de démontrer
la véracité d‟une sagesse ou d‟une philosophie énoncée

18
comme telle par un auteur lointain et inconnu, qu‟on
finit par attribuer à une société ou aux ancêtres.
La philosophie « Umwana si uw‟umwe » est donc
l‟ossature du livre qui compte cinq Chapitres.
Le premier chapitre intitulé « UNE GENESE
MACABRE », décrit les tout premiers moments durs
de notre action d‟assistance aux malades du sida ainsi
qu‟à leurs progénitures. Il montre comment, au
quotidien, nous étions amenées à gérer des situations
horribles de malades en fin de vie ; des enfants
devenus, par la force des choses, garde-malades ; des
progénitures qui, après la mort de leurs parents ne
savaient plus à quel saint se vouer, etc. Bref, il
montre le déclic qui nous a poussées à prendre le
taureau par les cornes afin d‟affronter les problèmes
des orphelins et autres enfants vulnérables. C‟est
également dans ce chapitre que nous décrivons notre
enfance comblée d‟amour et d‟altruisme d‟où nous
tirons la force qui nous a poussées à surmonter les
obstacles qui s‟étaient érigés devant nous.
Le deuxième chapitre intitulé « GESTATION
D‟UNE PHILOSOPHIE»: «Umwana si uw‟umwe»,
montre comment, face à l‟intensification des demandes
d‟aides suite à l‟augmentation des cas de malades et
d‟orphelins à prendre en charge, nous avons dû
interpeller nos parentés, nos collègues, nos amis, etc ;
afin de constituer une force capable de faire face à ces
19
difficultés qui s‟imposaient à nous pour qu‟on puisse
les résoudre. Il s‟agit d‟une gestation de la
philosophie: « Umwana si uw‟umwe », même si on
ignore expressément qu‟elle est comme telle.
Ce chapitre montre également, les efforts
immenses qu‟on avait dû consentir pour héberger et
nourrir les enfants, mais également les premières
lueurs d‟un soutien intense des organisations
internationales.
Le troisième chapitre intitulé « NAISSANCE
D‟UNE PHILOSOPHIE : « Umwana si uw‟umwe »
montre les circonstances dans lesquelles est née, de
façon expressive, l‟approche communautaire de la
prise en charge de l‟enfant. Il est vrai que nous
l‟appliquions naturellement sans savoir réellement de
quoi il s‟agissait.
Le quatrième chapitre intitulé « UN REVE
DEVENU UNE REALITE » montre tout le
cheminement par lequel nous sommes passées pour
affiner notre philosophie au niveau de la communauté
de base, là où vivent l‟orphelin et l‟enfant vulnérable.
Le dernier chapitre « LE COURONNEMENT
DE NOS EFFORTS » est consacré aux réactions des
uns et des autres, c‟est-à-dire aux reconnaissances de
nos actes par le décernement des prix et la création
de forts partenariats, mais aussi et surtout à
20
l‟immense satisfaction que l‟on ressent quand on
œuvre pour sauver l‟enfant.
En fin l‟ouvrage se termine par une conclusion
qui est une sorte de synthèse de tout le processus par
lequel nous sommes passées pour arriver à mettre
en pratique notre philosophie : « Umwana si
uw‟umwe », c‟est-à-dire, le soutien des enfants
vulnérables n‟est pas l‟apanage d‟une personne, mais
relève de la responsabilité de toute la communauté.

21
22
CHAPITRE I

UNE GENESE MACABRE


Rien ne présageait qu‟un jour, ma sœur Caritas et
moi, serions amenées à livrer un dur combat contre la
mort. Rien du tout. La mort, ce terrible phénomène qui,
depuis la nuit des temps, avait défié ceux qui avaient
une force herculéenne pour l‟abattre, pour l‟anéantir afin
de mettre les vivants à l‟abri de ses malheurs. Mais voilà
que nous étions appelées à lui opposer une volonté pour
sauver des vies humaines. Ce qui nous paraitra une
guerre, comme nous le verrons, n‟implique que des
vainqueurs, certes des victimes mais surtout un choix
moral de défendre la valeur humaine de communauté de
destin et d‟entraide. Parvenir à sauver une vie, puis deux,
puis trois vaut mieux que rien. Aider une personne à
mener une fin de vie digne vaut mieux que le laisser
terminer ses jours dans un état d‟abjection, de détresse.
S‟occuper des progénitures d‟un couple décimé manu
militari par une épidémie afin qu‟ils aient un futur
radieux, voilà le bâton de pèlerin qui nous guidait au
cours de notre long voyage. Mais quel voyage ? Pourquoi
étions-nous appelées à livrer bataille, plutôt qu‟une
guerre contre la mort ? Quelle philosophie nous animait-
elle pour oser penser défier la mort ?
Au début des années 1980, une foudroyante
maladie apparut avec des symptômes insoupçonnés
jusque-là. Le malade toussait à chaque seconde, perdait
sa chair, maigrissait lamentablement, ou se grattait à
chaque seconde, puis à la fin, quand il était devenu
23
squelettique, avec des cheveux hérissés, il rendait son
âme. C‟était dur, c‟était horrible. Les morts se comptaient
par dizaines, puis par centaines, on ne voulait même plus
compter, tellement c‟était effrayant. Des familles entières
étaient décimées, des parents et leurs enfants enterrés
juste à quelques jours d‟intervalle.
Les hôpitaux devenaient des mouroirs dans lesquels
plus personne ne voulait se rendre, sauf celui ou celle
qui avait une parenté malade dont il fallait s‟occuper.
Certains laissaient même les leurs partir sans bruit, en les
abandonnant à leur sort, le découragement et la peur
remplaçant l‟antique solidarité burundaise.
A l‟Hôpital Prince Régent Charles, un
établissement populaire de Bujumbura, ma sœur Caritas
et moi, apportions tour à tour des repas à des parentés
hospitalisés. Parmi eux, notre oncle Jules hospitalisé
depuis plusieurs mois. C‟était un oncle beau et gentil.
Nous l‟aimions beaucoup. Depuis notre tendre enfance, il
nous chérissait. Dans la grande salle où il était alité, les
autres malades, aux visages émaciés, jetaient sur nous
des regards anxieux, des regards perdus, des regards
macabres. Nous avions l‟impression qu‟ils nous
interpellaient, qu‟ils nous imploraient, qu‟ils nous
suppliaient, qu‟ils avaient une soif de parler, de dire un
mot, etc. Mais ils restaient silencieux. Nous non plus,
n‟avions le courage de les aborder, de les approcher pour
les écouter. Quand nos regards croisaient celui d‟un
voisin de notre oncle, nous esquissions un sourire pour
essayer d‟égayer ses yeux tristes, mais en vain.

24
Aucune étincelle de joie ne jaillissait de leur cœur.
Plutôt, de notre côté, les larmes se précipitaient à tomber
de nos yeux et nous ne savions pas comment les freiner.
Parmi les hommes hospitalisés, nombreux étaient
affamés, certains mal nourris, d‟autres portaient des
haillons.
Le dernier espoir de dignité semblait s‟effriter dans
la solitude qui gagnait celui que le sort échouer à
l‟hôpital. Chacun méditait sur l‟inéluctable prochaine
rencontre : la mort.
A quelques mètres plus loin, dans la grande salle
d‟hospitalisation des femmes, nous étions frappées par
les cris des enfants. En approchant, nous constations
avec amertume que certaines femmes alitées, dans cet
endroit d‟inconfort, restaient accompagnées de leurs
progénitures, faute d‟avoir quelqu‟un à qui les confier.
Douloureux encore, et en tant que mères, c‟était de voir
des nourrissons téter le sein sec de leurs mères
moribondes, de leurs mères agonisantes. Dans ce lugubre
hôpital, les plus âgés des enfants se retrouvaient à jouer
les garde-malades de leurs parents abandonnés par les
leurs. Parmi eux, certains étaient eux-mêmes malades.
Plus loin, dans le bloc de pédiatrie, plusieurs enfants
souffraient d‟infections et n‟avaient pas d‟alimentation
adaptée à leur état.
Face à ces scènes de misère, à ce cortège de
malheurs, ma sœur Caritas et moi avions pris la
résolution de ne point croiser les bras, de ne point assister
impuissantes à cette situation, de ne point abandonner
nos concitoyens et concitoyennes à leur triste sort.

25
Verser les larmes chaque fois que nous entrions dans ce
lugubre hôpital, rentrer nos cœurs fortement chagrinés
étaient certes des attitudes de compassion, des signes
d‟humanité. Mais, ces attitudes, avions-nous finalement
et profondément réfléchi, suffisaient-elles pour changer
les choses, pour secourir ces corps en détresse, pour
donner de l‟espoir à ces âmes endeuillées ?
Non. Il fallait plutôt faire quelque chose. Il fallait
poser ne fût-ce qu‟un petit geste d‟humanité. Cependant,
les cas étaient nombreux pour nos maigres moyens. Ma
sœur Caritas et moi, n‟étions pas du tout nanties. Nous
n‟étions que de simples fonctionnaires qui n‟attendaient
que la fin du mois pour être momentanément riches, puis
voir les billets de banque déserter nos poches face aux
besoins intempestifs de nos familles.
Nous n‟avions pas de comptes garnis en banque. Nous
n‟étions pas non plus à la tête de grandes sociétés pour
signer des sponsors.
Aucune fondation, aucune ONG locale et/ou
internationale ne nous connaissait. Par ailleurs, à part
peut-être Caritas, nous ignorions totalement l‟existence
de telles organisations philanthropiques. Tout de même,
nous n‟étions pas du tout démunies. Nous étions en
quelque sorte nanties. Pas en billets de banque ou en
mine d‟or, mais en quelque chose. Sans le savoir, nous
détenions peut être en nous un trésor. Mais quel trésor ?

26
Une enfance comblée d’amour et d’altruisme

Ma sœur Caritas était née avant moi, en 1953, et


moi je vis le jour cinq ans plus tard, en 1958. C‟était à
Nyamugumya - la petite colline que chérissent les vaches
et les enfants - dans la province de Bururi, au sud du
Burundi. Nous étions nées dans une fratrie de sept frères
et sœurs au sein d‟un foyer très chaleureux et animé : une
école naturelle d‟amour et d‟altruisme.
Nous allions de temps en temps passer quelques
jours en ville, à Bujumbura où travaillait notre père. Que
ce soit à la campagne ou en ville, il y avait toujours des
« Abashitsi » - les visiteurs-, qui étaient soit des élèves
internes à Bujumbura faisant halte chez nous avant de
rentrer chez leurs parents, soit des jeunes diplômés en
quête d‟emploi. Cousins, oncles et tantes ou encore
voisins, tout le monde faisait partie intégrante de la
maison.
Papa et Maman inculquèrent très tôt en nous
l‟hospitalité et la solidarité. Des fois, nous devions céder
notre lit aux visiteurs pour dormir à même le sol.
Nous n‟en voulions pas du tout à eux car, nous
expliquaient nos parents, « c‟est une philosophie de vie
essentielle ». Ils étaient aussi chrétiens que les chrétiens
de Vatican. Ils avaient profondément intégré la
philosophie altruiste de Jésus. Il fallait accepter de se
faire violence pour autrui, penser à l‟autre avant soi, et
toujours partager ce qu‟on a la chance d‟avoir.
Notre grand-père leur emboîtait le pas, il
considérait la solidarité et le soutien aux orphelins
27
comme une marque de bravoure, de prouesse. Et cela
était une lègue de nos ancêtres. Quand notre grand-père
prenait la parole en public et, avant de dire quoi que ce
soit, il exprimait d‟abord sa fierté d‟avoir aidé les
orphelins. Ainsi disait-il :
«Ndi musigwa musangwa wa Rusengo
Yasigaranye impfuvyi
Ntizigware akabonge »

Ce qui veut dire :


«Je suis le fils adoré de Rusengo
A qui il a confié les orphelins
Et qui les a mis à l’abri de tout malheur».

Cet amour pour l‟autre, cet altruisme poussé que


nos parents et grands-parents avaient inculqué en nous
déterminèrent la suite de nos carrières ainsi que notre
volonté de le transmettre aux autres.
Dès son plus jeune âge, ma sœur Caritas était
intriguée par le travail des infirmiers et des infirmières et
elle désirait tant en faire le métier de sa vie. Elle aimait
servir l‟autre, lui montrer son amour, sa chaleur. Mais, en
ces années où les écoles secondaires pour filles étaient
encore rares, rien n‟était acquis.
Un premier août, elle avait réussi l‟examen
d‟entrée dans une école d‟infirmière. Son rêve
commençait à se réaliser.
A la fin de ses études en 1974, elle fut engagée à la
Clinique Prince Louis Rwagasore de Bujumbura.

28
Elle fit partie des premières infirmières
« autochtones » à être engagées dans ce qui fut une
prestigieuse clinique durant l‟époque coloniale.
Après dix ans en milieu hospitalier, elle vivait
toujours mal de voir des patients refoulés faute de
pouvoir se payer les soins. « Parfois, affirmait-elle l‟air
fière, je payais de ma propre poche et je tranquillisais les
patients qu‟ils n‟allaient pas partir sans être soignés. Ce
n‟est pas possible, continuait-elle de raconter, de rester
indifférente face aux patients en souffrance et qui allaient
être refoulés sans être soignés par manque d‟argent. Je
considérais toujours que se faire soigner devrait être un
des droits élémentaires d‟un citoyen. Pour moi, c‟était
horrible de voir des citoyens croupir sur le banc des
patients, attendre indéfiniment quelqu‟un pour les soigner
et rentrer souffrants comme ils étaient venus. C‟était
impensable, abominable, ignominieux », terminait-elle,
l‟air chagrinée.
Dix ans plus tard, elle décida de faire adieu aux
milieux hospitaliers pour travailler dans une pharmacie.
Là aussi, elle fit face à la même misère, aux mêmes
peines, aux mêmes désagréments : beaucoup de patients
n‟arrivaient pas à payer les médicaments que les
médecins leur avaient prescrits, d‟autres manquaient de
frais de consultation et désiraient les acheter librement
sans prescription médicale. Mais là aussi, ils ne
parvenaient pas à avoir les moyens. « Faute de pouvoir
supporter la peine de l‟autre, je me retrouvais en train de
toucher dans ma poche pour les assister et des fois, je
leur recommandais d‟autres médicaments moins chers :
les génériques », affirmait-elle l‟air courageuse.
29
En 1991, toujours guidée par le désir ardent de
soigner, elle ouvrit son propre centre de Santé à Gasenyi,
au Nord de Bujumbura.
Le centre de santé devint vite populaire parce que
Caritas et ses collègues avaient pris comme principe de
base d‟accueillir chaleureusement et humainement tous
les patients qui venaient s‟y faire soigner. « Je ne voulais
pas reproduire le schéma qui m‟avait tant traumatisée
lors de mes premières années d‟infirmière. Aucun patient
ne repartait sans être soigné », affirmait-elle l‟air
comblée de joie.
Faisant face à la vétusté du centre à ses débuts,
Caritas fit tout son possible pour le transformer en un lieu
moderne et confortable qui allait jusqu‟à attirer les
femmes aisées de la ville de Bujumbura. Ces dernières
affirmaient qu‟elles ne voulaient accoucher ou se faire
soigner que « Chez Caritas » comme elles appelaient
affectueusement ce centre.
Plus tard, quand notre association vit le jour, les
premiers enfants furent accueillis au centre.
Malheureusement, le centre ne survécut pas à la crise de
1993-1994 et Caritas ne put récupérer que quelques
meubles. Certes, la crise frappa fortement le centre mais
n‟atteignit pas du tout ce qu‟elle avait de plus précieux :
« Ubuntu », c‟est- à- dire l‟humanité, la solidarité,
l‟altruisme, l‟amour sans limite et surtout, envers les
enfants.

30
Quant à moi, je ne différais pas ni ne diffère
aujourd‟hui d‟elle. Seulement, nous n‟avons pas connu le
même parcours dans nos carrières. J‟ai grandi avec un
sens élevé du social. Chose que j‟avais bien sûr héritée
de mes parents. Dès mes premières années du lycée, je
rejoignis les mouvements d‟action catholique, puis plus
tard, plusieurs associations pour la promotion de la
femme.

Caritas HABONIMANA (à gauche) élève à l’Ecole Paramédicale


de Gitega et Spès NIHANGAZA (à droite) élève au Lycée Etoile
des Montagnes d’Ijenda

A l‟issu de mes études universitaires, j‟avais décroché


une Licence en Chimie, en Algérie. De retour dans mon
pays, j‟ai travaillé douze ans durant au sein d‟une
entreprise pharmaceutique au laboratoire de contrôle de
qualité. Ma sœur Caritas et moi, bien que nous n‟ayions
pas été nanties en billets de banque, avions donc un
trésor, une richesse inépuisable qui nous avait poussées à

31
affronter la mort, à sauver des âmes : l‟amour,
l‟altruisme, la solidarité, l‟humanité.
Comment alors allions-nous procéder pour livrer
une guerre sans merci contre ce mal qui emportait sans
répit des mères, des pères, des tantes, des oncles, etc.,
laissant leurs progénitures dans la détresse la plus totale?
Allions-nous parvenir à le vaincre ?

Gérer la mort
Plutôt que de nous consacrer à la prise en charge
unique de notre oncle, nous avions décidé de changer
notre manière d‟agir. Face à ces scènes quotidiennes de
misère, ma sœur Caritas et moi, avions pris la résolution
de toujours apporter un peu plus de nourriture aux autres
malades chaque fois que nous allions voir notre oncle
Jules car, quoique souffrants, leurs entrailles n‟arrêtaient
pas de solliciter quelque chose.
Avec nos modestes moyens, nous ramenions un
peu de lait, de bouillie, de céréales ou de potage pour
leurs enfants malades. Mais le manger ne suffisait pas. Il
fallait leur apporter autre chose en plus des soins : les
aider à gérer leurs derniers jours de vie, mais aussi et
surtout leur rassurer qu‟on s‟occupera de leurs
progénitures quand ils ne seraient plus de ce monde. Les
cas auxquels nous avions eu à faire face étaient
nombreux, il n‟est pas facile pour nous de les raconter
tous. Mais ceux qui suivent, par leur caractère inédit,
méritent d‟être racontés.
32
Le premier cas est celui d‟une certaine Minani. Ma
sœur Caritas allait souvent la voir en lui apportant un
panier comptant pour le repas du jour. Elle était arrivée à
l‟hôpital avec Digne, sa fillette de quatre ans. Très
affaiblie, la voix éteinte, elle avait de nombreuses plaies
infectées sur ses parties intimes. Elle était très
souffrante. Elle était désespérée et en tant que femme,
très affectée dans son amour propre car ces plaies
dégageaient une odeur fétide. Sa mine était morose et
aucune étincelle de joie ne jaillissait de son cœur. Cette
situation affectait à son tour ma sœur Caritas.
Elle ne supportait pas du tout de la voir aussi
souffrante, aussi malheureuse. Beaucoup de fois, elle
devait contenir ses larmes qui avaient tendance à se
précipiter de tomber. Comme elle avait longtemps exercé
en tant qu‟infirmière, elle décida de l‟aider à faire sa
toilette intime pour atténuer sa peine. Autour de sa taille,
Minani avait enroulé un ruban de tissu au bout duquel
elle avait un sachet d‟emballage de médicaments. Elle
cachait précieusement ce petit sachet entre ses cuisses
afin qu‟on ne le lui vole pas. Chaque fois que ma sœur
Caritas finissait de l‟aider à faire sa toilette, Minani, très
souffrante, incapable de prononcer ne fût-ce qu‟un mot,
demandait avec des gestes de replacer le sachet entre ses
cuisses. Mais que contenait-il ? Pourquoi le cachait-elle
si précieusement? Un jour, après l‟habituelle toilette,
Minani fit un geste pour demander à Caritas de détacher
le sachet et de le garder. Elle le reçut sans toutefois
savoir réellement ce qu‟il contenait.
33
Dans la même foulée, Minani prit la main de Digne
et fit un geste comme pour la remettre à Caritas. « Je ne
comprenais rien des gestes que Minani venait de poser »,
affirmait Caritas. Elle le conserva et attendit le moment
où Minani se sentirait mieux pour lui demander plus
d‟explications, pour savoir son vrai contenu, mais aussi
la signification de son geste. Malheureusement, quelques
jours plus tard, alors qu‟elle revenait la voir, ma sœur
Caritas apprit que Minani avait rendu l‟âme. Aucun
membre de sa famille ne se présenta pour récupérer sa
dépouille. Les obsèques furent organisées par la
municipalité de Bujumbura. Ma sœur Caritas ne retint
pas ses larmes. Elle se sentit profondément affectée. La
mort venait de lui arracher de ses aimables mains une
concitoyenne qu‟elle tentait absolument de sauver, à qui
elle avait apporté du réconfort, un peu plus d‟amour.
Caritas restait donc avec le sachet dont elle ignorait
encore le contenu et la signification.
Quand enfin elle décida de l‟ouvrir, elle y trouva
une somme de 17.000 Francs burundais qui équivaut
actuellement, à environs 10 dollars américains. Sûrement
que la modique somme allait aider à éduquer la petite
Digne, pensait sa mère. Cette dernière était restée à
l‟hôpital car personne n‟était venu la récupérer. Elle était
abandonnée à elle-même, à son triste sort.
Elle dormait à même le sol et mangeait les miettes
que les autres malades parvenaient à lui laisser.

34
Dès que les anciennes voisines de Minani
aperçurent Caritas, elles se précipitèrent pour lui remettre
Digne et lui précisèrent qu‟avant de rendre son âme,
Minani avait révélé qu‟elle était très confiante que
Caritas prendrait bien soin de sa fille. Caritas n‟en
revenait pas. Mais un double sentiment naquit en elle.
D‟une part, elle était très ravie de cette grande confiance
que Minani lui avait témoignée. D‟autre part, elle ne
voyait pas comment elle devait s‟occuper d‟elle car elle
ne s‟y était pas préparée. Elle se retrouvait donc avec une
petite fille dans ses bras et se demandait comment elle
allait pouvoir l‟aider. Elle ne savait pas non plus si son
mari allait être d‟accord sur la proposition de l‟élever
sous le toit familial. Voilà les questions qui taraudaient
son cœur. Voilà les questions qui la hantaient.
Sans longtemps réfléchir, ma sœur Caritas décida
de ramener Digne chez elle et d‟expliquer à son mari ce
qui s‟était passé. Ce dernier ne lui opposa aucune
résistance. Sans tarder, il acquiesça et tous deux
décidèrent d‟abriter la petite Digne sous leur toit jusqu‟à
ce qu‟ils lui aient trouvé une place à l‟Orphelinat Officiel
de Bujumbura.
Six mois plus tard, la famille de Minani qui habitait
au Nord du Burundi, à plus de 200 km de la capitale,
apprit qu‟elle était décédée. Sa sœur se présenta à
l‟hôpital. Les patientes, voisines de Minani - qui étaient
encore en vie – lui donnèrent les coordonnées de Caritas.
Ensemble, Caritas et la sœur de Minani se hâtèrent pour

35
retrouver la petite Digne à l‟orphelinat. Cette dernière
retrouvait enfin les siens, et repartit avec sa tante.
Rassurée de voir que l‟enfant allait enfin grandir en
famille, Caritas remit à sa tante « l‟héritage » que Minani
lui avait laissé et auquel elle a pris soins d‟ajouter 48.000
francs burundais.
Entre autres cas, que ma sœur Caritas et moi
assistions, était celui d‟une certaine Marguerite qui
habitait la zone Bwiza en Mairie de Bujumbura. C‟était
une très jolie dame au teint noir bien foncé dont les
enfants étaient presque tous de pères différents et de
nationalités différentes, curieusement leur cohabitation
était merveilleuse. C‟étaient Côme, Ernest, Paulin,
Jacques et Ariella. Côme avait un père burundais, Ernest
et Paulin un père congolais tandis qu‟Ariella et Jacques
avaient comme père un rwandais. Les plus petits étaient
Jacques et Ariella. Ariella était la seule fille de la famille
de Marguerite, mais aussi la plus jeune.
Pendant le long séjour de Marguerite à l‟hôpital,
Caritas avait pris la décision d‟y emmener Ariella et ses
frères afin de leur permettre de rendre visite à leur mère
les week-ends. Chaque fois que les enfants voyaient
Caritas, ils étaient remplis de joie car cela signifiait
qu‟ils allaient voir leur mère qui leur avait tant manqué.
Marguerite à son tour se sentait momentanément
heureuse car c‟était l‟occasion de revoir et d‟échanger
avec ses enfants.

36
Malheureusement, un matin, à l‟heure de
l‟habituelle visite, ce fut autre chose. Leur maman avait
déjà rendu l‟âme. Caritas eut alors la lourde tâche de leur
annoncer que leur mère venait de succomber à sa
maladie. Ce n‟était pas du tout facile car ses enfants
avaient déjà pris le samedi comme un jour de joie, un
jour d‟échanges, un jour d‟espoir.
Mais voilà, cette fois-ci Caritas, profondément
affectée, devrait leur apprendre que tout venait de
basculer du mauvais côté. Les larmes aux yeux, qu‟elle
essayait de contenir, elle s‟imaginait le sort de ses enfants
qui, désormais n‟avaient ni père ni mère. Ils n‟avaient
plus personne pour payer le loyer et la nourriture. Elle se
demandait ce qu‟ils allaient devenir.
Par manque d‟expérience, Caritas n‟avait jamais eu
la moindre idée de demander à Marguerite - de son
vivant- qu‟elles étaient ses origines. Certes, elle savait
qu‟avant d‟être hospitalisée, Marguerite habitait la zone
Bwiza. Elle pouvait s‟informer auprès de ses voisins.
Mais, avec les affres de la guerre qui sévissait encore à
Bujumbura, tout ce monde s‟était dispersé tous azimuts et
personne ne savait où s‟était réfugié son voisin ou sa
voisine. Et les réseaux sociaux – Facebook, Instagram,
WhatsApp par exemple – et le téléphone mobile n‟étaient
pas encore nés. Caritas, malgré son grand courage, se
sentait désorientée. Un grand mur infranchissable
semblait se dresser devant elle.

37
Malgré l‟expérience qu‟elle commençait à acquérir
en matière d‟assistance sociale, elle n‟était pas préparée à
faire une recherche parentale et personne ne se
manifestait pour continuer à s‟occuper des enfants.
Pendant ce temps, nous ignorions comment organiser les
obsèques de Marguerite et comment les financer. Après
quelques difficultés, ma sœur et moi parvînmes à
organiser des obsèques pour elle.
Mais, arrivées à la tombe, une pluie de bombes
tomba tout autour de nous. Nous décidâmes illico de
sauver nos vies et tout le monde courut en toutes
directions. Quelques instants après, la pluie de bombes
cessa. Nous décidâmes alors d‟y retourner afin
d‟ensevelir dignement Marguerite.
Les jeunes enfants, Ariella et ses frères, avaient pris
part aux obsèques, mais ils ne comprenaient pas grand-
chose de tout ce qui se passait autour d‟eux. Ils n‟en
revenaient pas du théâtre des adultes. Mais, qu‟allaient-
ils devenir en l‟absence de leur mère ?
Après la mort de sa mère, Ariella eut un accident.
En effet, comme elle aimait se joindre à sa maman - du
temps de son vivant- quand elle préparait de la pâte de
manioc, menu très prisée par les Congolais de l‟Est,
surtout quand il est associé à la viande, elle pensait avoir
maîtrisé comment préparer cette recette.

38
Alors qu‟elle s‟attelait à préparer la pâte de manioc
pour elle et pour ses frères, elle se brûla à l‟eau chaude et
nous la fîmes soigner.
Plus tard, Ariella et ses frères devinrent les
premiers occupants du Centre de transit pour enfants
vulnérables, l‟un des premiers projets de la F.V.S-Amade
Burundi. Ils s‟y épanouirent. Aujourd‟hui Ariella est
devenue une grande dame digne. Elle est mariée et a déjà
trois enfants avec un époux qui l‟aime bien.
Marguerite ensevelie, ses cinq enfants hébergés
dans le centre de transit de la FVS à Bujumbura, mais
alors, venions-nous réellement d‟en découdre avec les
cas malheureux ?
Non. Pas du tout. Car, malgré les efforts
incommensurables que les médecins de l‟Hôpital Prince
Régent Charles déployaient pour traiter les symptômes
de la maladie dont souffraient les patients, Jules, notre
oncle, témoignait depuis son lit d‟hôpital de
l‟accroissement en nombre de patients qui avaient fini
par mourir. Lui non plus n‟était jamais sûr que nous
allions le retrouver vivant lors de la suivante visite car,
son état empirait du jour au lendemain. Mais de quoi
souffrait-il, de quoi souffraient toutes ces personnes qui
se voyaient ôter la vie sans que les médecins aient pu leur
apporter du répit ? Que devions-nous faire pour stopper
ce mal qui « répandait la terreur » chez nos compatriotes.
S‟agissait-il de la peste sous une version nouvelle ?

39
Nous interrogions-nous, le cœur désemparé,
l‟amertume dans l‟âme. Caritas, forte de sa carrière
d‟infirmière, décida d‟en discuter avec les médecins pour
en avoir le cœur net. Les médecins lui révélèrent alors
que l‟oncle Jules souffrait du SIDA, une maladie sans
remède, une maladie incurable. La nouvelle, du moins, la
mauvaise nouvelle, frappa fort dans son cœur. C‟était
dur. C‟était dur d‟apprendre que l‟oncle Jules allait
rendre le dernier soupir et qu‟aucune solution possible
n‟existait au monde. Ce que la médecine pouvait faire, lui
avaient bien précisé les médecins, c‟était juste d‟atténuer
les symptômes pour un temps, en attendant la date
fatidique.
Dès que Caritas m‟eût révélé la triste nouvelle, je
me sentis envahie par un fort sentiment de révolte. Je ne
comprenais pas pourquoi le SIDA était incurable alors
qu‟il y avait tant de médecins brillants et dévoués qui
s‟occupaient de notre oncle. Je ne comprenais pas non
plus pourquoi cette maladie devait emporter les femmes
hospitalisées qui étaient entre-temps devenues nos amies
et dont les bébés étaient encore au sein. Cet état de
choses me chagrinait, m‟inquiétait, m‟angoissait. Je me
demandais ce qu‟allaient devenir ces petites filles
devenues, par la force des choses, des garde-malades une
fois que leurs mères mourraient. Pire encore, je
m'indignais du fait que, les enfants du bloc de pédiatrie
allaient mourir de cette effroyable maladie dont ils
ignoraient tout de sa provenance! Et qu‟allaient devenir
les enfants de l‟oncle Jules ?
40
La situation devenait de plus en plus
décourageante. Elle nous donnait du fil à retordre. La
mort, ou du moins le SIDA, ce mal sans nom nous défiait
du jour au lendemain. Ma sœur Caritas et moi, nous qui
avions été courageuses, avions du mal à croire que les
efforts déployés par nos familles, auxquels il fallait
ajouter ceux des médecins, n‟allaient donner aucun
résultat, aucune suite palpable. Nos efforts semblaient
vains, nuls.
Entre-temps, en 1989, l‟oncle Jules rendit son âme.
Il ne put, lui non plus échapper à ce « mal qui répandait
la terreur ». C‟était trop dur pour nous deux, pour tous les
membres de notre famille élargie, mais aussi et surtout,
pour ses enfants. Avec les autres membres de la famille,
nous organisâmes de funérailles dignes d‟un oncle
aimable et nous l‟accompagnâmes jusqu‟à sa dernière
demeure.
Après les funérailles, un problème profond se posa.
Comment les enfants de l‟oncle Jules allaient-ils
continuer à vivre ? Qui allait les prendre en charge et
ainsi garantir la poursuite de leurs études ? Entre-temps,
d‟autres membres de la famille succombèrent à la terrible
maladie. Le lot d‟enfants à prendre en charge n‟eut de
cesse d‟augmenter, rendant ainsi plus dur le problème à
résoudre. Fallait-il croiser les bras ? Fallait-il abandonner
ce lot d‟orphelins à leur triste sort ?
Ma sœur Caritas et moi avions donc décidé d‟aller
au-delà des lamentations, des pleurs, des gémissements.
41
Nous avions décidé de prendre le taureau par les cornes
et avions mobilisé la famille élargie de frères, de sœurs,
d‟oncles et de tantes afin de prendre en charge tous ces
enfants orphelins et ainsi garantir la poursuite de leurs
études. Les trois enfants de l‟oncle Jules purent survivre
et en même temps parvenir au bout de leurs études.
Ainsi, l‟aîné de la famille put obtenir son diplôme de
Licence en Sciences Economiques et Administratives en
2012 après maintes difficultés. En effet, il a redoublé
presque toutes les classes jusqu‟à nous faire croire qu‟il
était inapte pour de longues études, raison pour laquelle
nous le fîmes inscrire dans une école professionnelle.
Cependant, il refusa d‟y fréquenter et préféra lui-même
entrer dans un lycée ouvrant absolument sa voie aux
études universitaires.
Le deuxième frère obtint son bac en
électromécanique tandis que le troisième fit une
formation en mécanique automobile. Mais alors, étions-
nous encore sorties de l‟auberge?
Loin de là. En effet, pendant la longue
hospitalisation de notre oncle Jules, le nombre de patients
qui avaient besoin d‟un soutien alimentaire devenait de
plus en plus trop grand pour nos capacités. Nous avions
beau nous couper en deux pour répondre à leur demande,
mais ce mal, qui se comportait comme une fabrique de
patients et d‟orphelins, nous donnait du fil à retordre.
Malgré notre bonne volonté, nous n‟arrivions jamais à

42
satisfaire les besoins des patients dont les entrailles
n‟avaient de cesse que de réclamer quelque chose.
Entre-temps, le nombre d‟orphelins que ce mal
nous fabriquait, ceux qu‟on appellera plus tard les
orphelins du SIDA, prenait une allure vertigineuse et
nous inquiétait tant. A un certain moment, nous avions
l‟impression de baigner dans un océan de malheurs où
pleurs, morts, orphelins, patients candidats inévitables à
la mort, demandeurs d‟aides, se côtoyaient au quotidien.
C‟est ce que nous avions pu appeler « Gérer la mort ».
C‟était dur, c‟était effrayant, c‟était horrible. Il
fallait, à notre tour, avoir un cœur dur ou plutôt un cœur
comblé d‟humanité pour pouvoir y résister ne fût-ce que
quelques instants. Mais, que fallait-il faire ? Quelle
panacée fallait-il apporter ou inventer pour secourir tout
ce monde en détresse ?

43
44
CHAPITRE II

GESTATION D’UNE PHILOSOPHIE :


« UMWANA SI UW’UMWE »
A un certain moment, ma sœur Caritas et moi
avions constaté que nous ne pouvions rien faire pour
empêcher à nos amis malades de rendre leurs âmes. Car
le SIDA, « ce mal qui répandait la terreur », s‟était
finalement présenté comme une maladie sans remède.
Après avoir attaqué tous azimuts le corps (infection
cutanée, herpes, diarrhée chronique, vomissements, etc.),
après l‟avoir fait tousser tout le temps ; et durement
encore ; après l‟avoir quasiment dépouillé de sa chair et
de ses cheveux, le visage défiguré, il emportait le patient
tout droit vers la mort. Les efforts et le génie des
médecins avaient été battus en brèche et tous
ressemblaient aux soldats désarmés après avoir perdu la
bataille. La seule chose qui restait à faire n‟était que de
les aider à mourir dignement, à mourir humainement,
comme des Hommes, dirions-nous. Mais, que fallait-il
faire pour leurs progénitures ? Leurs enfants qui, à un
certain moment, n‟avaient plus ni père, ni mère, ni oncle,
ni tante, tous emportés par ce mal ?
Ma sœur Caritas et moi, n‟avions jamais voulu
désarmer. Nous ne voulions pas du tout perdre de tous
côtés. Nous étions animées d‟un esprit de solidarité sans
pareil. N‟ayant pas pu sauver les malades, nous avons
pris la résolution d‟au moins veiller sur leurs
progénitures. Nous voulions qu‟après la mort des leurs,
ils ne subissent pas un triste sort. Nous voulions qu‟ils
45
vivent dignement, qu‟ils reçoivent un amour, qu‟ils aient
une scolarité normale, bref qu‟ils mènent une vie saine.
Pendant la longue hospitalisation de notre oncle Jules,
nous avions constaté avec amertume que le nombre de
patients qui avaient besoin d‟un soutien alimentaire
n‟avait eu de cesse d‟augmenter, ce qui nous avait
inquiétées beaucoup, ce qui nous écœurait. Cette
situation nous angoissait à telle enseigne que si nous
n‟étions pas animées d‟un esprit fort de détermination,
nous aurions sans nul doute battu en retraite. Nous
aurions plié bagages et aller tout simplement s‟essayer
ailleurs. Nous avons alors demandé aux autres membres
de la famille avec lesquels on se relayait pour notre oncle
de toujours apporter en peu plus de nourriture à l‟hôpital.
Constat amer : malgré notre bonne volonté, malgré nos
inlassables efforts, nous n‟arrivions jamais à satisfaire les
besoins des patients et des enfants dont la demande de
leurs entrailles s‟avérait de plus en plus fort croissant.
Mais que fallait-il faire ?
En réfléchissant, nous avions constaté qu‟en
limitant notre action à nous seules, nous allions nous
perdre. Nous allions nous noyer dans un océan de
malheurs. Tant la tâche était immense. Elle nécessitait
donc des efforts tous azimuts. Mais, il ne fallait pas y
aller avec maladresse : c‟est-à-dire prendre un micro,
crier à tout vent, dans toute la ville de Bujumbura, qu‟on
avait besoin de gens de bonne volonté pour secourir nos
patients et leurs enfants en souffrance. Il ne fallait pas
non plus inviter la presse, tenir une conférence, crier à
cor et à cri, qu‟on avait besoin de bienfaiteurs pour aider

46
des personnes vulnérables. Mais pourquoi ? Comment
fallait-il alors procéder ?
Nulle n‟ignore qu‟à cette époque-là, les malades du
Sida de la première heure n‟étaient pas considérés
comme de simples malades. En plus d‟être des malades,
beaucoup les considéraient comme des pécheurs, des
gens ayant commis l‟adultère. Par conséquent, la maladie
qui les terrassait n‟était autre qu‟un châtiment tombé tout
verticalement du ciel et, leurs progénitures devant subir
l‟effet direct de cet état de fait. Voilà donc, comment ils
étaient stigmatisés. Il fallait donc agir avec minutie, avec
tact, bref, avec sagesse.
Ma sœur Caritas et moi avions commencé alors à
en parler autour de nous. De ma part, j‟ai tout fait pour
rallier à notre cause mes collègues de l‟Office National
Pharmaceutique et, de sa part, Caritas était parvenue à
faire adhérer à notre noble mission les infirmières de la
Clinique Prince Louis Rwagasore. Notre petite sœur
Françoise, quant à elle, alors jeune médecin, en parla à
ses collègues.
Bientôt, et à notre grande satisfaction, nous avions
pu parvenir à mobiliser assez de bénévoles pour apporter
régulièrement à manger aux malades démunis. Avions-
nous pour autant atteint notre objectif ?
Loin de là car, au fur et à mesure que des liens se
créaient entre bénévoles et les malades, ces derniers
commencèrent à nous confier leurs effets personnels.
D‟autres encore nous demandèrent de les aider à rédiger
leurs testaments et de veiller sur leurs enfants après qu‟ils
auraient rendu leur âme. Ceux qui avaient quelques biens
47
allaient jusqu‟à nous confier la gestion de leur patrimoine
tout en nous demandant de les garder jusqu‟à ce que leurs
enfants deviennent majeurs. D‟autres enfin, nous
révélaient de très lourds secrets personnels. Durant ces
débuts sombres de notre action, ma sœur Caritas et moi
parlions de « gérer une fin de vie ».
Par la suite, ils ont eu tellement confiance en nous
que certains d‟entre eux qui avaient un emploi nous
donnaient des chèques bancaires afin que nous allions
retirer leur salaire à la CADEBU, la seule caisse
d‟épargne du pays qui existait à l‟époque. Très fort
encore, ils allaient jusqu‟à nous confier les biens
immobiliers (parcelles, terrains, etc.) car leurs enfants
étaient encore trop jeune. En ce moment de fin vie, ils
nous avaient considérées comme les personnes de
confiance à qui il fallait responsabiliser la vie future de
leurs enfants.
Mais, cette confiance poussée à l‟extrême, nous
avait, à un certain moment, fait peur. Des fois, nous nous
demandions ce que nous allions faire, s‟il advenait que
quelqu‟un d‟entre nous n‟ait pas honoré correctement son
engagement. Qui allait être responsable ? Qui devait
assumer la responsabilité d‟une éventuelle fuite ?
En 1992, le Burundi promulgua une loi sur les
associations sans but lucratif. Sans tarder, nous avions
pris la décision de légaliser nos activités. L‟initiative
jusque-là informelle, portée uniquement par le cœur, ne
pouvait plus faire l‟économie d‟une formalisation.
Au mois de décembre de la même année,
bénévoles que nous étions, décidâmes de nous mettre en
48
association : La Famille pour Vaincre le SIDA, FVS en
sigle, vit le jour. L‟équipe des bénévoles que nous
étions m‟a confié la responsabilité d‟assurer le rôle de
Représentante Légale de FVS.
Avec la naissance d‟une organisation formelle,
nous étions cette fois-ci plus ou moins rassurées dans nos
actions. Nous pouvions aider les vulnérables sans se
soucier que s‟il advenait qu‟un incident surgisse, une
personne d‟entre-nous en serait juridiquement
responsable.
D‟un autre côté, les services étatiques ne tardèrent
pas à nous faire confiance. Ainsi le Ministère de la Santé
Publique qui avait introduit, en 1989, des cartes
d‟assistance maladie - les CAM - identifia la FVS comme
une association assistant les malades les plus vulnérables
et lui offrit cent cartes à distribuer aux malades à qui
l‟association portait une assistance alimentaire. Pourtant,
elle n‟était qu‟une officieuse « soupe populaire » à
l‟Hôpital Prince Régent Charles. Au-delà de son action
directe pour les malades, la carte d‟assistance médicale
permit à la jeune association d‟être visible. Ce qui nous a
fortement encouragées. Nos informelles actions de
bénévolat commençaient à porter des fruits. Cette
reconnaissance du Ministère de la Santé Publique, était-
elle un bon augure d‟une ouverture des horizons ?

49
Naissance d’un restaurant-cantine :
« Chez les Amis des Enfants »
Bien évidemment, et à notre grande satisfaction, la
reconnaissance du Ministère de la Santé Publique nous a
encouragé. Quand à cœur ouvert, sans recherche d‟aucun
intérêt pécuniaire, nous agissions, nous ne savions pas
que nos actions attiraient l‟attention de bien de
personnes autres que celles que nous aidions. Pourtant,
les unes à la dérobée peut-être, beaucoup nous
observaient, nous scrutaient et nous admiraient. Ainsi,
quand le Ministère de la Santé Publique organisa, en
1993, une table ronde des bailleurs et y convia quelques
organisations de la Société Civile, la FVS eut l‟honneur
de faire partie des rares organisations invitées. Ce fut une
grande surprise pour nous.
Des agents du Ministère de la Santé Publique, nous
avaient repérées, appréciées et avaient décidé de nous
inviter à la cour des grands alors que nos actions
n‟étaient qu‟à l‟état embryonnaire.
Au cours des échanges, quand ce fut le tour de la
FVS de s‟exprimer, j‟ai parlé simplement de nos activités
à l‟hôpital qui consistaient à apporter à manger aux
malades démunis, ainsi que la dernière activité de
distribution des cartes d‟assistance médicale fournies par
le Ministère de la Santé Publique.
Déclarant être impressionnée par le travail de la
jeune association, Helen Filding, déléguée de l‟ONG
« Terre des Hommes Lausanne » prit aussitôt la parole et

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affirma officiellement qu‟elle était prête à soutenir
financièrement la FVS. Elle me demanda alors de lui
présenter un projet à financer. Mais je ne savais rien d‟un
projet. Je n‟avais jamais été confrontée à une telle
activité. Je lui avouais sincèrement que je ne savais pas
comment rédiger un projet. A l‟époque, le mouvement
associatif n‟était pas encore développé dans notre pays.
Peu de Burundais étaient organisés en associations
et par conséquent, rares étaient ceux qui savaient élaborer
des projets. Je faisais partie de ce monde de profanes. La
déléguée de « Terre des Hommes » promit alors de me
former sur l‟élaboration et la conduite des projets et
Caritas, à son tour, allait être formée en comptabilité et
logistique.
Quelques jours après, la déléguée de Terre des
Hommes joignit l‟acte à la parole. Nous subîmes alors,
moi et Caritas, une formation. Nanties du nouveau
savoir-faire qui nous manquait, nous conçûmes alors
notre premier projet : un restaurant-cantine pour
accueillir, le temps d‟un repas, les enfants vulnérables.
Après analyse du projet, « Terre des Hommes »
l‟homologua. Sans tarder, elle tint parole et elle nous
apporta son appui financier. Le restaurant-cantine
« Chez les Amis des Enfants » vit le jour le 1 avril 1993.
Ses premiers bénéficiaires furent les enfants dont les
mamans agonisaient encore à l‟hôpital et ceux dont les
parents avaient déjà rendu leur âme. Son financement
procura une bouffée d‟oxygène aux bénévoles de la FVS.
Et pourquoi ? Auparavant, la FVS offrait des repas que
ses bénévoles avaient eux-mêmes préparés chez eux.

51
Ce n‟était que des bénévoles offrant à leur prochain
le peu qu‟ils avaient. Dès fois, ça pouvait donc manquer.
De plus, il n‟y avait aucune administration, aucune
comptabilité, même rudimentaires. Avec la nouvelle
donne, les choses changèrent. Le restaurant-cantine
vendait des repas au public et utilisait les bénéfices pour
offrir des repas aux enfants vulnérables avant et à la
sortie de l‟école. Il devait également servir de source de
revenus pour continuer à offrir de la nourriture aux
malades. Mais alors, le restaurant-cantine « Chez les
Amis des Enfants », était-il une panacée pour tous les
maux que la FVS devait affronter? Pas du tout. En effet,
avec les autres volontaires de la FVS, nous cotisions de
petites sommes d‟argent pour pouvoir payer le matériel
scolaire des enfants dont les parents étaient décédés ou
étaient encore alités à l‟Hôpital Prince Régent Charles.
En septembre 1992, l‟association put offrir à 17 enfants
vulnérables des kits scolaires entièrement financés par
ses volontaires. Quand la FVS fut agréée par le Ministère
de l‟Intérieur, la cotisation de chaque membre au sein de
l‟association fut fixée sur base du coût d‟un kit scolaire.
En cotisant deux cent francs burundais par mois, un
membre pouvait acheter des cahiers, des stylos et une
tenue d‟uniforme scolaire pour un enfant de l‟école
primaire. Avec cette manière de faire, il nous semblait
que nous avions résolu le problème de ces enfants
démunis, de ces enfants sans défense, de ces enfants
vulnérables. Cependant, au cours de nos activités
quotidiennes, et sans qu‟on s‟y attendait, une exception
surgit ? Laquelle ? Lors de notre combat d‟amour pour
les enfants, nous avions constaté que les enfants que la

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FVS assistait ne pouvaient pas tous retourner à l‟école.
Certains avaient déserté les cours depuis fort longtemps
pour jouer le rôle de garde-malade de leurs parents
abandonnés par les leurs ou peut-être fatigués par leurs
longs séjours à l‟hôpital, ou par encore le désespoir de les
voir un jour guérir. Une autre catégorie d‟enfants étaient
ceux qui devaient rester à la maison pour cultiver les
champs ou bien encore pour faire de petits boulots afin
de faire vivre, ou plutôt faire survivre, les autres
membres de la fratrie. Les aînés de la famille, et surtout
les filles, étaient souvent les plus sacrifiés.
Encore à la fleur de l‟âge, au moment de s‟occuper
des études, ils devaient réfléchir, travailler, trouver des
solutions à l‟instar d‟un adulte. Des fois, ils étaient
stressés comme une mère ou un père adulte inquiet de ne
pas pouvoir nourrir correctement ses ouailles. Ma sœur
Caritas et moi, qui les suivions au quotidien, avions
souvent les larmes aux yeux, et des fois on se retrouvait
chagrinées de voir une petite fille jouer dans la vraie vie,
et malgré elle, le rôle d‟une mère. Que fallait-il faire pour
eux ? Comment pouvions-nous les sauver ? Après mille
et une réflexions, notre constat fut qu‟il n‟était pas
possible de les soustraire du rôle des parents car, à part
qu‟ils étaient orphelins de père et de mère, ils n‟avaient
plus ni tante, ni oncle. Pour dire qu‟ils étaient de fait
« parents ». Pour ces « parents de circonstances»,
l‟association eut l‟idée d‟organiser des formations
professionnelles de courte durée qui les aideraient à
démarrer une activité économique pour pouvoir se
prendre en charge et ainsi aider leurs petits frères et
sœurs.

53
Des opportunités et des péripéties
La FVS, bien que son Restaurant-cantine « Chez
les Amis des Enfants » ait été financé par « Terre des
Hommes », ne se suffisait pas en elle-même. Certains
matériels lui manquaient. Ainsi par exemple, la petite
Peugeot 204 de Caritas servait de véhicule de service à la
FVS. Mais elle n‟était pas en bon état. Un jour, au plus
fort de la guerre de 1993, alors que nous partions avec le
délégué de « Terre des Hommes » distribuer du matériel
scolaire aux enfants dans un camp de déplacés de
Musaga, au Sud de Bujumbura, la voiture tomba en
panne.
De jeunes gens, l‟air menaçants, s‟attroupèrent
autour du véhicule. Il y eut quelques frictions. Mais au
final, il y eut plus de peur que de mal, mais le délégué de
« Terre des Hommes » fut impressionné par notre
abnégation au service des autres et, au risque de notre
vie. Il appela directement son siège en Suisse. Il fut
décidé d‟acheter une camionnette neuve à la FVS pour
éviter de revivre les mêmes frayeurs. L‟incident se solda
donc par une fin heureuse, la FVS obtint, par le concours
de circonstances, sa première voiture de service. La
situation, allait-elle rester la même par la suite ?
Pas du tout. En effet, en 1995, lors d‟une journée,
un après-midi, les enfants se présentèrent comme
d‟habitude au restaurant-cantine « Chez les Amis des
Enfants ». Ils savourèrent le repas, ils s‟amusèrent un
petit moment avant de retourner dans leurs familles
d‟accueil respectives. Le restaurant-cantine avait son
siège à l‟Avenue de l‟Amitié, en plein centre-ville de
54
Bujumbura. Vers seize heures, des coups de feu
retentirent et des grenades explosèrent. De la fumée
montait au-dessus des quartiers Bwiza et Buyenzi à
moins d‟un kilomètre du Restaurant-Cantine. Caritas y
était encore restée pour faire le rapport de la journée.
Tout d‟un coup, elle vit tous les enfants, l‟air effrayés,
revenir en courant accompagnés d‟autres jeunes surpris
par les détonations de grenades. Caritas leur ouvrit le
portail et le referma immédiatement. Elle resta aux aguets
pour voir s‟il y avait de nouveaux arrivants.
Le restaurant-cantine était constitué d‟une grande
salle et d‟une petite pièce servant de bureau, mais il n‟y
avait rien pour héberger les enfants. Personne n‟avait osé
penser qu‟un tel événement nous arriverait. Par ailleurs,
« Chez les Amis des Enfants » n‟était qu‟un simple
restaurant. Il n‟était pas un dortoir, encore moins une
auberge. Nous étions donc prises au dépourvu. De même,
toute la nourriture préparée ce jour-là avait été
consommée et il n‟y a avait plus de provisions. Aucune
miette de nourriture ne restait pour nourrir ces enfants
désemparés, fuyant la folie des adultes.
Tandis que les coups de feu retentissaient toujours,
nous décidâmes d‟entrer dans la danse. Nous décidâmes
d‟agir. Nous décidâmes de ne pas assister impuissantes à
la situation. Nous mîmes en marche une grande
opération. Caritas ramena les lits et les matelas de son
ancien centre de santé. De mon côté, j‟apportai du lait de
la ferme de mon mari. Caritas m‟emboîta le pas et amena
tout ce qui pouvait, dans la petite boutique qu‟elle tenait
chez elle, être mangé. Elle installa ensuite les filles dans
son bureau et les garçons dans le réfectoire.
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Pendant la nuit, les enfants firent pipi dans le
lavabo car ils avaient peur de sortir pour utiliser les
toilettes communes avec les locataires des maisons
voisines. Au cours de cette première nuit, la cantine
hébergea quarante-deux enfants. En quelques jours, tout
le capital du restaurant-cantine fut consommé. Nous nous
retrouvions démunies comme au départ. Le don de
« Terre des Hommes » venait de s‟envoler. C‟était dur
pour nous. C‟était très décourageant. Nous avions
l‟impression de patauger dans la boue, de monter puis
descendre, de vivre en vraie vie du « Mythe de Sisyphe ».
Fallait-il retourner chez « Terre des Hommes » pour lui
raconter le malheur qui venait de s‟abattre sur nous ?
Fallait-il renvoyer ces enfants chez eux ?
Retourner chez « Terre des Hommes », renvoyer
les enfants chez eux, aucune des deux options ne
constituait une solution viable pour nous. Car, avions-
nous considéré, que retourner chez « Terre des
Hommes » était trop demander. Pour nous, cette dernière
avait fait de son mieux, et nous en étions fort
reconnaissantes. Non plus, renvoyer ces enfants n‟était
pas une solution sage car ces derniers n‟avaient plus un
« chez-soi », un toit pour s‟abriter. Pour beaucoup, leurs
maisons avaient été détruites et leurs parents avaient fui
vers un lieu inconnu ; ou tout simplement avaient perdu
leur vie. C‟était dur pour eux. C‟était horrible.
Au final, notre décision fut de toquer aux portes
d‟autres organisations. On n‟avait pas de choix, au
risque de voir nos « enfants » mourir de faim entre nos
mains. Ce qui aurait été un manquement, un acte de
lâcheté, surtout pour nous, qui étions et restons mères.
56
Ce qui était inacceptable. Les organisations
caritatives répondirent favorablement à notre requête et
nous fournirent un peu de vivres et de meubles.
Le centre de transit se transforma, du jour au
lendemain en un « orphelinat ». Et les orphelins ne
manquaient pas de le peupler. En effet, la guerre civile
burundaise de 1993 avait produit des milliers d‟orphelins.
Sa pérennité et son embranchement avec celles du
Rwanda en 1994 et du Congo 1998, avait ajouté le mal
au mal, et en avait créé d‟autres milliers encore. Les
enfants, l‟air désemparés, l‟air traumatisés, arrivaient de
tous côtés de Bujumbura : de l‟intérieur du pays, de l‟Est
du Congo et du Rwanda. Ils avaient été témoins
d‟atrocités, de déchirement, de tueries, bref, de la
barbarie des adultes. Certains avaient survécu en
mangeant des animaux ou des vers de terre pendant
plusieurs semaines. D‟autres avaient perdu la trace de
leurs parents en traversant les frontières. D‟autres encore,
ignoraient totalement leur identité. Ils étaient incapables
de dire leur nationalité. Etaient-ils Burundais, Rwandais
ou Congolais ? Personne ne savait. Ils étaient juste-là
désespérés, désemparés, perdus, en attente d‟une main
charitable pour les secourir. Ainsi, au temps fort de la
guerre, la cantine était devenue non seulement un lieu
d‟assouvir leur faim et leur soif, mais aussi un refuge des
enfants d‟origines diverses que des organisations non
gouvernementales référaient à la FVS.

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Responsabilités
En confiant des enfants à la FVS, certaines
organisations non gouvernementales internationales
faisaient fi de toute dimension humaine. Elles baladaient
les enfants d‟un centre à un autre et ne fournissaient
aucune information sur l‟identité, les origines et le
parcours des enfants. Quand alors une organisation non
gouvernementale quittait le pays, toutes les chances de
retrouver les origines des enfants s‟évanouissaient.
Certains enfants s‟attachaient aux membres du personnel
des organisations non gouvernementales qui les avaient
amenés à la FVS et souhaitaient les revoir alors que ces
derniers étaient occupés à convoyer d‟autres enfants et
ne revenaient jamais.
Certains des enfants confiés à la FVS par des
organisations non gouvernementales ne purent jamais
retrouver ni leurs familles d‟origine ni connaître leur
vraie nationalité. C‟était dur pour eux, c‟était horrible
pour nous. Des enfants sans trace de père, de mère, de
tantes, d‟oncles, etc. Des enfants sans racine aucune.
Chaque jour, ils venaient nous voir, puis nous
approcher pour nous confier leurs soucis, leurs profonds
souhaits dans l‟espoir que nous allions leur trouver une
solution. Pour certains, nous pouvions retrouver des
traces et, ainsi après un travail fastidieux, nous pouvions
exhausser leur vœu le plus absolu. Ce qui procurait en
eux et en nous une joie immense, un état d‟exaltation, un
état d‟extase. Par contre, pour d‟autres, nous manquions
totalement de trace, totalement de racines.

58
Ainsi Floris, un très jeune enfant fut déposé à la
FVS après avoir vécu plusieurs mois dans la forêt. Pour
survivre, il dut se nourrir d‟herbes, d‟insectes et de vers
de terre. Même après son intégration dans le Centre de
Transit, il continuait à manger des herbes et ne voulait
pas jouer avec les autres. Il parlait une langue étrange
pour laquelle, on ne comprenait aucun mot. C‟était pour
nous du véritable charabia. Avec de la boue et des
morceaux de métal, il s‟amusait à fabriquer des jouets
ayant la forme d‟un couteau ou d‟une grenade. Malgré
nos inlassables efforts, nous ne pûmes jamais retrouver
ses origines. Nos efforts furent également vains lorsqu‟il
s‟agissait de l‟encadrer afin qu‟il suive normalement ses
cours en classe. Heureusement, plus tard, Floris fut
inscrit dans une formation professionnelle en art culinaire
et il a obtenu un certificat qui lui a permis de trouver du
travail. Plus tard, il put même fonder une famille. Il vit
paisiblement avec sa femme et ses enfants à Kanyosha,
un quartier se trouvant au sud de Bujumbura. Etait-il le
seul à nous donner du fil à retordre ?
Pas du tout. En 1998, la FVS avait accueilli
Immaculée, une petite fille de teint foncée. Aucune
information n‟avait été trouvée sur sa famille et elle passa
de longues années dans le centre de transit de
Bujumbura. Plus elle grandissait, plus son cœur était
empli de tristesse. Malgré de multiples échecs, malgré de
multiples disconvenus, Caritas ne lâchait jamais. Elle
continuait à chercher sa famille, ses racines. Des fois, elle
avait l‟impression d‟attraper le vent du désert. Mais, elle
ne désespérait pas. Elle gardait l‟espoir.

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Retrouver la famille d‟Immaculée s‟était imposé en
elle comme un défi de vie. Parvint-elle à obtenir gain de
cause ?
Si. Un jour, une piste sérieuse l‟amena dans la
province de Cibitoke. Arrivée sur place, on lui dit d‟aller
à pied rencontrer une connaissance des parents
d‟Immaculée qui habitait non loin de là. Quelques
centaines de mètres plus loin, des soldats firent irruption
et lui demandèrent de les suivre jusqu‟à leur poste
d‟attache. Elle avait, sans le savoir, traversé la frontière
burundaise vers Cyangugu, au Rwanda sans titre de
voyage.
Après avoir longtemps expliqué comment elle
s‟était retrouvée là, elle fut enfin relâchée. Il commençait
à faire tard et elle n‟avait nulle part où passer la nuit. Elle
dut rejoindre Bujumbura. Quelques jours après,
accompagnée d‟un collègue et d‟Immaculée, elles
retournèrent à Cibitoke avec cette fois-ci un laissez-
passer. A Cyangugu, une dame lui confia avoir gardé en
mémoire un directeur de banque qui avait été assassiné
en 1994. Il était originaire de Kibungo, plus au nord du
Rwanda. La dame mit Caritas en contact avec une de ses
parentés qui confirma qu‟Immaculée était bel et bien
l‟enfant du banquier.
Après avoir vécu onze ans au centre de transit de la
FVS, Immaculée put enfin être réinsérée en 2009 chez
une tante à Kibungo. Le jour de sa réinsertion, sa tante
avait organisé une fête grandiose afin de manifester son
immense joie de retrouver Immaculée supposée
longtemps déjà morte.

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Un grand buffet avait été offert pour nous
accueillir, malheureusement nous n‟étions parties qu‟à
deux, en provenance de Bujumbura, pour accompagner la
jeune fille. Ce jour-là, Immaculée était aux anges. Son
grand rêve venait de se transformer en réalité. En effet,
en 2007, quand la Princesse de Monaco, alors en visite au
Burundi, lui avait demandé ce qu‟elle désirait le plus au
monde durant sa vie, elle avait répondu sans réfléchir
« Je désire retrouver ma famille ». Ce qui avait
profondément touché le cœur de la Princesse de Monaco.
Après la fête, Caritas et une de ses collègues retournèrent
à Bujumbura après avoir passé une nuit à Kigali. Malgré
tous nos efforts, nos activités de recherches familiales ne
permirent pas toujours de retrouver les familles
biologiques des enfants hébergés dans les centres de
transit de Bujumbura et de Gitega.
Cette situation nous rendait inquiètes, tristes
même. Nous ne pouvions pas trouver de solutions
appropriées. De ma part, j‟avais toujours envie de
récupérer tous les enfants pour les amener dans ma
famille, mais je n‟en avais pas les moyens. Tout de
même, j‟essayais de trouver des solutions intermédiaires,
disons provisoires en attendant des solutions définitives.
C‟est ainsi que je les invitais à la maison afin qu‟ils
puissent passer d‟agréables moments ensemble avec mes
enfants pour les ramener, vers le soir, au Centre de
Transit de Bujumbura. Ce n‟était pas tout. Pendant leurs
vacances, je les faisais, en compagnie de Caritas,
découvrir la vie de la campagne en les invitant à
séjourner à Nyamugumya, chez notre mère, qui les

61
accueillait chaleureusement comme ses petites-filles et
petits-fils.
Cependant, malgré mes modestes moyens, je pus
finalement oser décider de m‟engager personnellement
dans la prise en charge de l‟un d‟eux. C‟était une fille.
Elle avait quatre ans à l‟époque. Quand elle arriva à la
maison, elle rendit heureux tous mes fils qui avaient
désormais une sœur à leur côté, mais également à toute
ma famille. Tout le monde la chérissait, la choyait, la
cajolait. Le jour de son baptême, une fête grandiose fut
organisée en famille. Elle fut baptisée par Monseigneur
Evariste Ngoyagoye, alors Archevêque du diocèse de
Bujumbura. C‟est ce jour-là même que je pris la décision
de déclarer officiel son accueil dans ma famille. Par la
suite, je procédai à son adoption légale. Ma plus grande
joie est de lui avoir donné la chance de grandir dans une
famille qui l‟aime.
La FVS n‟avait pas de limites dans son action de
bien faire en faveur des enfants. A part les enfants qui
avaient perdu les traces de leurs parents, elle assistait des
enfants vivant avec le Sida. En effet, à part que souvent
ils perdaient leurs parents et n‟avaient pas de moyens de
survie, ils étaient stigmatisés par les voisins comme étant
des enfants dangereux, pouvant contaminer les leurs. Ce
qui rendait donc difficile leur vie.
Que fallait-il faire ? Comment fallait-il procéder
pour sauver ces âmes en détresse ?
La FVS n‟avait pas du tout baissé les bras. C‟est
ainsi qu‟elle avait dépêché des personnes dont une
certaine Euphrasie.
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C‟était une dame séropositive mais très dynamique.
Elle sillonnait les collines de sa région naturelle pour
récupérer les enfants séropositifs et les amenait chercher
des médicaments à la FVS. Un jour, elle amena sur son
dos Eric, un petit garçon qui ne pouvait ni marcher, ni
s‟asseoir. Eric avait des infections cutanées sur tout le
corps. Pour se sentir soulagé, il passait ses journées
entières allongé sur le balcon du pavillon des enfants. Les
mouches suçaient tout le temps ses plaies. Mais, il
semblait ne pas se soucier d‟elles. Je n‟avais aucun espoir
de le voir un jour se rétablir, mais Caritas elle, ne
désarmait pas. Elle était animée d‟un courage sans pareil
et n‟arrêtait jamais de présenter Eric à tous les médecins
qu‟elle connaissait. Son vœu fut exaucé. Elle finit par
trouver des produits qui le soulagèrent. Quelques mois
plus tard, le petit Eric put se remettre. Euphrasie le
récupéra. Il put ainsi retourner à l‟école. Aujourd‟hui, 14
ans plus tard, Eric fait sa deuxième année d‟Université.
Mais ce n‟était pas tout.
Entre autres cas, il y avait celui d‟Espérance, une
petite fille dont la mère était malade du Sida. Cette
dernière ressemblait à une certaine Madeleine qui
semblait être une camarade d‟école primaire de Caritas.
Mais, suite à la maladie, elle était devenue presque
méconnaissable. Cependant elle, avait reconnu Caritas et
s‟intéressait à elle. Elle était hospitalisée dans le bloc des
femmes de l‟hôpital Prince Régent Charles.
Elle avait toujours souhaité aller rendre visite à sa
fille hospitalisée dans le bloc des enfants (Pédiatrie),
mais elle avait manqué de force pour le faire alors que le
bloc se trouvait juste à moins de vingt mètres du lieu.
63
Le comble du mal, son mari n‟existait plus, lui
aussi ayant été emporté par le Sida. C‟était dramatique,
horrible pour la famille.
Elle ne manqua pas alors de lui révéler qu‟elle avait
un enfant, elle est aussi malade du Sida, dans l‟Hôpital
Prince Régent Charles, du côté pavillon pédiatrie.
Caritas, avait été touchée par la situation de Madeleine et
accepta d‟amener régulièrement Espérance pour rendre
visite à sa mère dans le même hôpital. Toutes les deux
étaient hospitalisées dans le même hôpital mais dans des
blocs différents et aucune d‟entre elle n‟avait la force de
se déplacer pour aller voir l‟autre.
Espérance quant à elle, elle n‟a pas tardé à
récupérer ses forces. Plus tard, elle a été accueillie au
centre de transit de Bujumbura. A l‟âge requis, on décida
de la faire inscrire à l‟école. Ce qu‟elle n‟accepta pas
facilement. Mais pourquoi ? Elle avait une grande
réticence d‟aller à l‟école. Elle ne voulait pas du tout
étudier car elle pensait qu‟elle allait bientôt mourir du
SIDA. Elle était trop hantée par la maladie. Elle en était
même traumatisée. Chaque fois qu‟il y avait à la télé une
émission sur le Sida, elle tombait malade. Son état de
santé dégringolait, puis s‟empirait. Ce qui compliquait
encore sa situation, elle était réticente à prendre des
médicaments. Heureusement, plus tard, elle accepta
d‟étudier et son état de santé s‟était totalement
amélioré. Aujourd‟hui, elle est une grande fille, belle,
diplômée d‟université et prête à démarrer sa carrière
professionnelle.

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Contrairement à Espérance qui avait eu la chance
d‟évoluer plus tard en famille, au centre de transit, il y
avait beaucoup d‟autres enfants dont les origines nous
échappaient totalement. C‟est le cas d‟Ange. Un jour
était venue une dame qui affirmait mordicus qu‟elle allait
l‟héberger et qu‟elle était aussi sa tante. Elle disait
qu‟elle habitait le quartier Bwiza. Quand le temps était
venu pour aller la chercher afin de la réinsérer dans sa
famille, malgré nos inlassables efforts, nous n‟avions pas
pu retrouver la dame, la soi-disante tante. Mais nous
n‟avons pas du tout baissé les bras.
En effet, plus tard, quand Ange atteignit l‟âge de la
maturité, elle nous affirma qu‟elle provenait de la
province de Bubanza située vers le Nord-Ouest du
Burundi.
Nous avions été là-bas. Nous avions visité tous les
coins qu‟elle nous avait indiqués, nous avions rencontré
toutes les personnes dont elle pensait être ses parentés,
main en vain. Désolées, la mine morne, nous étions
rentrées bredouilles à Bujumbura. Mais, fallait-il la
laisser comme telle, sans père ni mère, sans frères, sans
sœurs, sans tante ni oncle ?

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La fratrie : une solution de rechange
Le travail de réinsertion des enfants était et reste un
travail compliqué, mais aussi et surtout frustrant. Il
demande qu‟on ait un cœur dur, du courage et de la
sagesse. Alors que dans notre philosophie, ou plutôt la
philosophie de la FVS, nous n‟avions pas l‟objectif de
créer un orphelinat classique où les enfants logeraient et
grandiraient en étant séparés des membres de leurs
familles, nous avions été acculées à les garder chez nous.
Mais cela nous rendait tristes, nous angoissait
même. Car pour nous, un enfant qui ne grandit pas au
milieu des parents ou mieux encore, au milieu des sœurs
et des frères, reste peu équilibré. Il grandit sans
affectivité effective, sans altruisme, sans un sens
d‟humanité dans son cœur. Il fallait donc inventer,
s‟imaginer une solution de rechange pour Ange et pour
tant d‟autres enfants qu‟hébergeait la FVS. La fratrie :
voilà ce qui ressortit de nos méninges après tant d‟efforts.
Ange reçut donc une fratrie avec comme frère Yvan.
Le cas d‟Yvan est atypique. Il semble que sa mère
était morte à l‟Hôpital Prince Régent Charles. L‟enfant
n‟eut personne pour le récupérer. Il passait toute la
journée à errer dans l‟hôpital à la recherche de quoi
mettre sous la dent. Un jour, comme il n‟avait rien à
mettre sous la dent, il s‟est brulé le bras droit en essayant
de chiper du thé. C‟est le père Ludwig Peschen, un prêtre
Allemand de la Congrégation des Pères Blancs qui nous
amena l‟enfant par simple esprit de charité même s‟il ne
connaissait rien de lui.

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On ne connaissait ni son père et ni sa mère. Malgré
nos intenses efforts, nous n‟avions jamais retrouvé ses
parents. Jusqu‟aujourd‟hui, sur son identité, il est
marqué père et mère inconnus. Des policiers, par
ignorance ou par méchanceté, ne manquent souvent de le
traquer et de l‟embarquer au commissariat de la police
du fait que son identité est incomplète. En effet il est
marqué « Inconnu » pour le nom du père et aussi
« Inconnu » pour le nom de la mère et les policiers qui ne
savent pas lire le français pensent qu‟il s‟agit d‟une
fausse pièce d‟identité. Caritas doit souvent intervenir
pour le faire libérer.
Aujourd‟hui, du fait qu‟on a fermé le Centre de
Transit, Ivan est à la charge de Caritas. C‟est elle qui
paye sa ration alimentaire, son logement et ses études,
précise Caritas. Bientôt, il pourra terminer ses études
secondaires. Est-il heureux pour autant ?
Pas du tout. Certes, bien qu‟il soit séropositif du
VIH/Sida, il reste vigoureux et dynamique. Mais, il n‟a
de cesse de nous demander de l‟aider à trouver sa
paternité. C‟est cela qui le hante. Tant qu‟il n‟a pas
retrouvé les traces de ses parents, rien ne peut le rendre
heureux. Des fois, il pense que le père Ludwig peut lui
apporter une réponse à son ultime problème.
C‟est ainsi qu‟il nous demande de l‟inviter à
Bujumbura afin qu‟ils partent ensemble à l‟Hôpital
Prince Régent Charles pour retrouver les traces de ses
parents. Et si le Père Ludwig venait, pourrait-il vraiment
lui apporter une solution qui puisse enfin soulager son
cœur tant endeuillé ?

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68
CHAPITRE III

NAISSANCE D’UNE PHILOSOPHIE :


« UMWANA SI UW’UMWE »
Tout au début de nos actions de bonne volonté,
nous étions guidées par le souci d‟aider les patients
démunis, ou plutôt abandonnés par les leurs, afin qu‟ils
aient une fin de vie supportable. Que pouvions-nous
faire d‟autre face à cette redoutable maladie pour laquelle
médecins et laboratoires pharmaceutiques de renommée
mondiale avaient battu en retraite ? Ce « mal qui
répandait la terreur », s‟il faut emprunter encore
l‟expression de Jean de la Fontaine, avait défié tous les
cerveaux les plus clairvoyants de ce monde!
Par après, pendant que nous prêtions main-forte à
ces malades du sida afin qu‟ils rendent leurs âmes dans
la dignité, des orphelins du SIDA naissaient et devenaient
de plus en plus nombreux. Il fallait eux aussi les assister
car, certains d‟entre eux n‟avaient plus ni père ni mère, ni
oncle ni tante. Pas même de parentés proches. Nous
avions créé des centres de transit, beaucoup pensaient
qu‟ils étaient des orphelinats, mais notre souci n‟était pas
que les enfants grandissent dans les orphelinats, nous
voulions plutôt les intégrer, les insérer dans leurs familles
afin qu‟ils grandissent comblés d‟affectivité, de joie,
bref, d‟amour tirés du cercle familial.
Durant toutes nos activités de bonne volonté, nous
ignorions que nous étions observées, scrutées, peut-être
de près, peut-être de loin et par la société et par le monde.
Nous ignorions que nos actions et notre détermination à
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aider attiraient l‟attention de nos compatriotes, mais aussi
de celle des étrangers qui nous observaient de près ou de
loin. Certes, beaucoup parmi nos compatriotes avaient
déjà manifesté leur intérêt pour nous ; mais après « Terre
des hommes » qui travaillait sur place, nous ignorions
que d‟autres horizons pouvaient s‟ouvrir. Nous ne
savions pas qu‟enfin, notre rêve de démontrer aux yeux
du monde que l‟enfant appartient à nous tous, à toute la
communauté, voire au monde entier, allait devenir une
réalité. Des fois, quand nous agissions et que des
obstacles nous mettaient les bâtons dans les roues, nous
avions l‟impression d‟être abandonnées, de nous perdre
dans le désert du Sahara. Mais, grâce à notre courage,
notre détermination, nous avions tenu. Et bientôt les
portes allaient s‟ouvrir. Mais comment ?
Après mes études au Lycée Clarté Notre Dame de
Vugizo, j‟étais restée en contact avec sœur Agnès
Charles, la directrice de l‟établissement. De nationalité
Belge, elle faisait partie de la Congrégation des Filles de
Marie et de Joseph. Elle suivait de près notre travail qui,
malgré notre bonne volonté, avait du mal à apporter une
assistance complète aux enfants vulnérables. Sœur Agnès
décida, en juillet 1995, en guise de soutien pour le travail
de son ancienne élève, de m‟offrir un billet d‟avion pour
la Belgique afin que je rencontre son père, le Baron
Raymond Charles, un fervent défenseur des droits des
enfants et ancien Président de l‟AMADE Belgique.
J‟étais aux anges. J‟avais l‟impression de rêver, j‟étais
agréablement surprise par cette belle action de Sœur
Agnès. Sans tarder, je me rendis en Belgique. J‟étais très

70
enthousiasmée. J‟étais folle de joie, d‟envie ardente de
réaliser notre rêve.
Arrivée en Belgique, le Baron Raymond Charles
m‟accueillit chaleureusement dans un des chics
restaurants de l‟Aéroport de Bruxelles. C‟était vers midi.
C‟était l‟hiver. Il faisait très froid. On prit le déjeuner
ensemble. C‟était un homme chaleureux et attentionné. Il
était de bon cœur et avait une forte envie de m‟aider.
Après que je lui eus exposé la situation désastreuse de
beaucoup d‟enfants burundais, orphelins et enfants
vulnérables et leur besoin criant d‟assistance, le Baron
Raymond Charles compatit profondément. C‟était un
homme comblé d‟humanité, d‟ « ubuntu », dirais-je. Il
aimait profondément les enfants et les défendait à tout
prix. Il était avec monsieur Jean-Marie Pirret alors
Président en exercice de l‟AMADE Belgique. Le mandat
de Raymond avait expiré.
Sans tarder, il m‟avoua que l‟AMADE Belgique
pouvait aider la FVS à condition que l‟AMADE, la
maison mère basée à Monaco, donne son accord. Mais je
ne savais pas comment m‟introduire auprès de cette
prestigieuse institution. Je n‟étais qu‟une simple
représentante légale d‟une petite association locale.
Heureusement, Jean-Marie Pirret s‟engagea à m‟y
introduire. Quelques jours après, il me présenta à André
Jacquemard, la secrétaire générale de l‟AMADE. Après
un échange de correspondance, juste un mois après, je fus
invitée au siège de l‟AMADE à Monaco.
En décembre 1995, je m‟y rendis pour répondre à
l‟invitation de la Secrétaire Générale de l‟AMADE afin

71
de conclure l‟ouverture de l‟antenne de l‟AMADE au
Burundi.
Une fois partagée l‟idée de la secrétaire avec les
membres de la FVS, sans hésiter, tout le monde fut
d‟accord et AMADE Burundi fut créée en 1996. Ce fut
une joie immense pour Caritas et moi, mais aussi pour
tous ceux qui nous prêtaient main-forte régulièrement de
savoir qu‟on allait désormais avoir un soutien de la part
de l‟AMADE.

Bîbi et un nouveau foyer pour les enfants


Depuis la journée fatidique de 1995, les enfants
étaient toujours hébergés dans la cantine humanitaire qui
s‟était, par la force des choses, provisoirement
transformé en « orphelinat ». Mais il était pauvre,
rudimentaire. Il manquait le minimum acceptable pour
être réellement dénommé orphelinat. Les enfants
logeaient dans des conditions inacceptables. Leur
promiscuité nous inquiétait. Voilà pourquoi le premier
projet pour lequel la FVS fit une demande de
financement à l‟AMADE fut l‟achat d‟un pavillon pour
héberger les enfants dans des conditions acceptables. Elle
l‟obtint sans aucune difficulté et en 1997, elle put acheter
un pavillon familial à Rohero I, tout près de la Librairie
Saint Paul et de l‟école Athénée Primaire. Ainsi les
enfants reçurent un toit acceptable. Ce fut un grand
soulagement pour nous. Egalement, notre ami le Père
Ludwig Peschen mobilisa ses pairs afin que nous
puissions acheter un bâtiment qui allait servir de siège

72
pour la FVS. Ce qui fut fait et ce qui nous enchanta
également.
Dans le centre de transit, les repas étaient préparés
par une certaine Illuminée, une dame que les enfants
appelaient affectueusement Bîbi. C'est-à-dire une vieille
dame aimable, très gentille. Elle avait perdu son mari
pendant la guerre et avait vécu avec six enfants dans un
camp de déplacés. Elle avait eu d‟énormes difficultés
pour les faire vivre. Ils survivaient plutôt. Heureusement,
une parenté l‟aida à venir s‟installer à Bujumbura afin de
pouvoir commencer une nouvelle vie. Elle vint chercher
une assistance à la FVS pour ses enfants. Au lieu de lui
donner une aide directe, nous décidâmes de lui proposer
de travailler au centre.
Ce qui allait l‟aider dignement plutôt que de tendre, tous
les jours, les mains devant un bienfaiteur. Elle devint
alors cuisinière. Les enfants l‟aimaient beaucoup car elle
les servait généreusement. Elle avait un cœur plein
d‟amour, plein d‟affection pour les enfants. Bref, elle
était tout simplement une vraie mère. Certains orphelins
la considéraient comme leur propre mère. Quelques
années plus tard, lors d‟une évaluation du centre de
transit un enfant bénéficiaire surprit les évaluateurs
quand il déclara que son meilleur souvenir du centre était
« une assiette pleine de riz servie avec amour par Bibi ».

73
Des bienfaiteurs emboîtent le pas à l’AMADE
Aux premières heures de notre action, nous
semblions naviguer à vue, sans savoir où l‟on allait car le
nombre d‟orphelins ne cessait de grandir. Mais quand
l‟idée d‟agir en conjugaison avec la communauté, quand
notre philosophie « Umwana si uw‟umwe » fut mûrie, les
horizons commencèrent à s‟ouvrir. D‟abord avec nos
parentés, puis nos collègues et nos connaissances. Il
s‟ajouta Terres des Hommes et plus tard, AMADE. Avec
cette dernière, nous pensions avoir atteint l‟apogée. Mais
d‟autres bienfaiteurs l‟emboîtèrent le pas, confirmant
notre philosophie : l‟enfant appartient à nous tous, à la
communauté, au monde entier.
Ainsi, Monseigneur Bernard Bududira, un éminent
évêque de l‟Eglise Catholique du Burundi, avait bien
accepté de se joindre à nous au moment de la création de
FVS-AMADE Burundi. C‟est lui qui nous a présentées
au Père Ludwig Peschen, un père blanc allemand qui
était également médecin et qui est devenu notre grand
ami et compagnon de lutte pour la prise en charge des
orphelins et l‟assistance aux malades du SIDA. Il
dirigeait le centre « Nouvelle Espérance », une œuvre du
Diocèse Catholique de Bujumbura chargé de la lutte
contre le sida et la prise en charge des personnes
séropositives. Il forma la FVS-AMADE Burundi sur les
méthodes de prévention du VIH/SIDA à travers le
concept de « La flottille de l‟espoir ». Ce procédé de
pédagogie-sociale consistait à apprendre aux
bénéficiaires de l‟organisation le choix d‟un bateau sur

74
lequel embarquer pour ne pas se noyer, parmi trois
embarcations. Les trois bateaux avaient pour noms
« Abstinence », « Fidélité » et « Préservatif », et la
noyade qui équivalait à attraper le virus du Sida. Cette
pédagogie était également utilisée pour sensibiliser des
catégories socio-professionnelles à risque.
Le père Ludwig Peschen s‟impliquait énormément
pour aider les orphelins abandonnés. C‟est ainsi qu‟il
aidait les enfants de la FVS-AMADE et les malades de la
« Nouvelle Espérance » à fabriquer des cartes postales et
il en faisait la vente quand il partait en Allemagne,
comme moyen de mobilisation des ressources. Il récoltait
les recettes de vente ainsi que d‟autres fonds mobilisés
dans leurs réseaux, puis il reversait l‟argent à la FVS-
AMADE Burundi. Et ce n‟était pas tout.
Lorsque nous achetions le pavillon pour enfants
grâce à l‟appui de l‟AMADE, nous pensions pouvoir
dégager une pièce qui aurait servi de bureau. Mais à notre
surprise, le pavillon fut vite rempli, tellement le nombre
d‟enfants à assister avait vertigineusement augmenté. Le
père Ludwig Peschen fut inquiété. C‟était un homme
d‟une bonté hors pair. C‟est ainsi qu‟il prit la situation
en main. Il alla jusqu‟à négocier auprès de sa
congrégation un financement pour que la FVS-AMADE
Burundi puisse acheter d‟autres locaux dans la parcelle se
trouvant dans le « Centre de transit pour enfants » de
Bujumbura. Dès lors, les enfants purent avoir des
chambres et des sanitaires confortables, un réfectoire et
un petit espace de jeu.

75
Enfin, lorsqu‟en 1998, s‟approchant de la retraite,
sœur Jeanne Channelle, une religieuse de la congrégation
des Sœurs Missionnaires Notre Dame d‟Afrique, se mit
à chercher une organisation qui allait continuer son
œuvre de gestion d‟un centre de transit pour orphelins à
Gitega, le père Peschen avait recommandé la FVS-
AMADE Burundi comme une organisation de confiance
qui pouvait correctement gérer ce centre. Malgré son
manque de ressources, la FVS-AMADE Burundi accepta
volontiers la mission. Le Centre de Transit de Gitega lui
fut cédé en 1998.

Mme Caritas Habonimana, co-fondatrice de FVS-AMADE


BURUNDI avec les enfants au Centre de Transit de Bujumbura

Beaucoup s‟interrogeaient pour savoir pourquoi ma


sœur Caritas et moi refusions de parler d‟orphelinat et
l‟appelions plutôt « centre de transit ». Pour nous, et
malgré les urgences, les deux centres de transit de la
FVS-AMADE Burundi (celui de Bujumbura et celui de

76
Gitega) ne pouvaient être que des structures temporelles.
Tennis Arnold van Oel, alors Représentant Légal de
Trocaire au Burundi, nous emboîta le pas dans notre
manière de penser. Il aimait nous rappeler que faire de
l‟assistance humanitaire revenait à essayer de vider l‟eau
dans un bateau troué qui risque de couler. Et cela nous
enchantait beaucoup car, depuis fort longtemps, notre
objectif n‟était pas du tout de garder éternellement les
enfants, dans un orphelinat. Nous n‟avions jamais pensé
au modèle classique, mais plutôt à un modèle
temporaire, le temps de trouver pour les enfants leurs
familles respectives, mais aussi des familles qui
accepteraient de les héberger ou plutôt de les insérer dans
le groupe que formaient leurs progénitures.
Mais cela s‟était révélé compliqué. Et pour cause :
à part qu‟il y avait des enfants pour lesquels on ne
trouvait pas de familles, il y avait d‟autres pour lesquels
les familles qui avaient accepté de les héberger étaient
très pauvres. L‟idée était donc d‟aider les parents encore
en vie à générer des revenus afin qu‟ils puissent
s‟occuper dignement de leurs enfants. Ce n‟était pas
facile. Mais nous avions un courage fou de le faire.
Mais d‟où tirions-nous cette force ?
L‟énergie d‟agir tous les jours malgré les difficultés
multiples, nous la tirions de notre vie au quotidien. Nous
étions fort impressionnées par le courage de survivre ou
plutôt du vivre de beaucoup de nos patients alors que
d‟un moment à l‟autre, la mort pouvait les emporter.
Citons, entre autres cas, celui de Sylvane, notre tante.
Sylvane faisait partie des patients qui venaient au centre.

77
Elle avait perdu son mari et élevait toute seule ses quatre
enfants.
Elle était au bord du supplice quand, en 2001,
l‟OMS introduisit le traitement anti-rétroviral au
Burundi. Jusque-là, les personnes séropositives n‟avaient
accès qu‟à un traitement prophylactique par cotrimoxale
pour prévenir les infections opportunistes. La FVS-
AMADE Burundi, déjà partenaire du Ministère de la
Santé Publique, fut identifiée parmi les premières
associations qui pouvaient administrer le traitement aux
patients des provinces du Sud du pays. Un centre
médico-social fut ainsi érigé à Bururi avec le soutien
financier de l‟AMADE.
Nous ne manquâmes pas de pousser un ouf de
soulagement. Nous étions très ravies de pouvoir enfin
offrir à nos bénéficiaires un traitement qui pouvait les
aider à survivre. C‟est là où Sylvane venait se faire
soigner. Mais comment avait-elle réagi à la nouvelle
donne que venait d‟apporter l‟OMS ?
Sylvane nous étonna beaucoup. Quoique trop
souffrante, et malgré la rudesse de la maladie, elle refusa
de mourir. Elle décida de défier la mort. Elle prit la
décision de s‟accrocher à la vie pour voir ses quatre
enfants grandir. Même si elle ne savait ni lire ni écrire,
même si encore elle ne possédait pas de montre, elle
décida de suivre le traitement ARV conformément aux
indications médicales. Elle fit tout pour faire respecter les
heures de prises de médicaments. Impressionnée par son
courage, je lui offris une montre à aiguille et je lui appris

78
à la lire. Les heures qui furent plus simples à retenir
étaient neuf heures, puis vingt et une heure.
Sylvane guettait la montre jusqu‟à ce que les
aiguilles aient atteint la position convenue « pour faire
un angle droit ». Elle ne ratait jamais son rendez-vous de
prise de médicaments antirétroviraux. Elle ne voulait pas
du tout mourir avant que son ultime rêve ait pu se
transformer en réalité. Elle ne voulait pas mourir avant de
voir ses enfants atteindre l‟âge de la maturité.
Pacifique, l„aîné de ses enfants avait huit ans et il
était en deuxième année primaire. Dans ses prières,
Sylvane implorait Dieu de la garder en vie jusqu‟à ce
qu‟elle voie son enfant aîné terminer ses études
secondaires. Quand ce dernier eut fini le collège, il
s‟orienta dans un lycée pédagogique.
Et pour cause : sa mère lui avait supplié
d‟embrasser une filière courte afin qu‟il puisse, dans une
période courte, l‟aider à subvenir aux besoins de la
famille. Ce que Pacifique exécuta à la lettre. C‟était un
garçon dynamique et intelligent. Il fit de brillantes études
et termina les humanités pédagogiques conformément au
vœu de sa mère. Il obtint alors son premier emploi
comme enseignant tout près de la maison familiale.
Comme pour tous les enseignants qui débutent leur
carrière à l‟époque, le salaire de la première année lui fut
remis en un seul bloc après une année de travail. C‟est ce
qu‟on appelait le « cumulé », pour dire le salaire cumulé.
Avec cette somme, il put construire une maison en
matériaux durables pour sa mère qui habitait toujours
dans une maison couverte de paille. C‟était une première

79
victoire pour notre tante Sylvane. Ce qui lui donnait du
courage de résister contre la redoutable maladie.
La mère, voyant que son vœu venait d‟être exaucé,
elle me confia que si elle voyait Dominique, son
troisième fils, terminer ses études secondaires, elle aurait
tout vu de ce monde et que rien ne pourrait l‟empêcher de
partir, dans l‟au-delà, l‟âme en paix. Mais pourquoi
parlait-elle de Dominique le troisième enfant et non du
deuxième enfant ?
La raison était simple. Non seulement Dominique
était un garçon sympathique et qui lui ressemblait
beaucoup, mais aussi et surtout, il était particulièrement
attaché à sa mère. Chaque fois qu‟il avait un temps libre,
minime soit-il, il venait voir sa mère, s‟asseyait à côté
d‟elle, faisait tout pour s‟enquérir de son état réel de
santé, puis lui lançait de petites blagues pour réanimer
son cœur. C‟était un garçon hors pair. Il lui procurait de
l‟espoir, des raisons de ne pas mourir.
A son tour, Sylvane s‟accrochait farouchement à la
vie et continuait de respecter scrupuleusement les
horaires de prise de médicaments et les rendez-vous
médicaux. Plus d‟une décennie durant, elle se pliait à une
telle discipline. Une discipline de fer, une discipline
papale, dirais-je. Ainsi, put-elle assister à la réception du
diplôme de Dominique de niveau A2 dans un des Lycées
Techniques de Bujumbura. Sylvane, sa mère, revigorée
par cette nouvelle victoire, se mit ensuite à espérer voir
son fils terminer ses études universitaires. Mais la
maladie commençait à prendre le pas sur ses forces et
elle s‟affaiblissait de jour en jour.

80
Cependant, cet état ne découragea pas Dominique.
Dominique était un garçon courageux. Bien que sa mère
qu‟il aimait tant fût agonisante, il continuait à lutter, à
travailler sans relâche. C‟est ainsi qu‟il put faire des
études supérieures et chaque fois que sa mère venait en
consultation, il quittait le campus universitaire pour venir
faire la queue à la place de sa mère. Il faisait tout son
possible pour que la consultation se fasse avant l‟heure
de la prise des médicaments. En sortant du cabinet du
médecin, Dominique allait lui offrir un petit déjeuner sur
ses maigres ressources pour qu‟elle ne soit pas obligée de
prendre les médicaments le ventre creux. Non seulement
put-il terminer ses études, mais aussi Sylvane assista aux
Noces de Dominique. Mais en 2015, la redoutable
maladie l‟importa après 32 ans de dur combat.
C‟est ce courage, cette détermination qui nous
animait tout au long de notre engagement en nous
insufflant la force de continuer notre travail malgré les
difficultés, malgré le manque de ressources pour aider
nos patients et leurs progénitures qui, sauf exception,
étaient de futurs candidats orphelins. Nous étions fort
surprises par cette envie ardente de continuer à lutter,
mais plutôt à vivre, quand autour de soi, la mort rôdait.
Quand elle guettait pour emporter dans l‟au-delà un
malade sans le consulter. Cette attitude hors norme nous
inspirait du courage, de l‟enthousiasme, de l‟entêtement
pour réussir. C‟est ainsi que nous faisions tout pour la
partager avec tout le monde. Nous aidions ainsi les
malades à se fixer des objectifs d‟abord à court terme,
puis à moyen terme, et chaque fois que nos patients les
atteignaient, ils disaient avoir « rechargé leur batterie ».

81
Ils étaient fort enthousiasmés par cette petite victoire.
Elle leur procurait la force de lutter pour continuer à
vivre malgré les ennuis de la redoutable maladie. Ils
étaient prêts à partir avec de nouveaux objectifs.
Depuis le début de nos actions de bonne volonté,
vers la fin des années 1980, à deux, puis avec nos
parentés, puis encore avec nos collègues, et plus tard
avec l‟appui des ONGs internationales comme « Terre
des Hommes », AMADE, etc., notre bâton de pèlerin
était toujours la philosophie que véhiculaient les valeurs
de nos ancêtres à travers l‟adage: « Umwana si
uw‟umwe ». Mais nous l‟appliquions au quotidien sans
le savoir. Nous agissions naturellement. Nous étions
juste guidées par l‟amour, par l‟altruisme, la solidarité
qui sont des valeurs que nos parents avaient inculquées
en nous tout au long de notre enfance. Nous avions
essayé de sauver des milliers d‟enfants qui n‟étaient pas
le fruit de nos entrailles. Enfin nous avions créé, puis
revigoré la FVS-Amade Burundi dont l‟audience et l‟aura
ont dépassé et dépassent encore les limites nationales
pour faire entendre sa voix dans les contrées les plus
lointaines du monde. Mais dans mon cœur, et également
dans celui de ma sœur Caritas, une étincelle
d‟insatisfaction jaillit. Nous avions l‟impression qu‟il y
avait dans nos actions quelque chose d‟inachevé,
quelque chose de mal affiné, un objectif non atteint. Mais
c‟était quoi ? La FVS AMADE Burundi avait deux
centres de transit : celui de Bujumbura et celui de Gitega.
Avec ces deux centres, elle ne pouvait pas prétendre
satisfaire tous les besoins des enfants vulnérables. Elle ne
voulait pas non plus se substituer éternellement à la

82
famille car, au fond d‟elle-même, elle prônait et prône
encore que l‟enfant grandisse en fratrie familiale, source
de grande affection. Faute de trouver des parents,
l‟association faisait appel à des familles volontaires pour
l‟accueil de certains orphelins en vue de désengorger les
centres de transit. En contre partie, la famille tutrice
pouvait bénéficier, d‟un soutien alimentaire quand cela
était nécessaire. Malheureusement au bout du compte, il
s‟avérait que ces familles d‟hébergement avaient adopté
un comportement mercantile et donc s‟intéressaient peu à
l‟enfant. Elles s‟intéressaient beaucoup plus à la manne
provenant des mains de la FVS -AMADE Burundi qu‟à
l‟enfant lui-même. C‟était de notre part très gênant, très
décevant, très écœurant même. Mais alors, que fallait-il
faire pour sortir de cette impasse ?
L‟association avait accueilli, en 1994, un certain
Gordien Iradukunda pour un stage académique. C‟était
un jeune étudiant en psychologie clinique à l‟Université
du Burundi. Il était dynamique et curieux. Il s‟intéressait
beaucoup à l‟enfant, mais aussi et surtout à l‟aspect
affectif de sa vie. A l‟époque, l‟approche de placement
familial de l‟enfant était en vogue à la FVS. Mais, à
notre grande surprise, Gordien la remit en cause. En
effet, nous avait-il fait remarquer, les familles qui
cherchaient à prendre les enfants en charge le faisaient
généralement beaucoup plus par intérêt, en visant les
avantages y relatifs à travers le soutien matériel que la
FVS apportait que par amour pour l‟enfant. A la place, il
proposa une approche basée sur l‟identification de
l‟enfant, la recherche familiale et la réinsertion.

83
Avec cette approche, Gordien proposait de
retourner au système traditionnel de récupération de
l‟enfant par sa famille proche. Mais, là aussi, le problème
n‟était pas définitivement résolu. Toutes les familles
d‟accueil étaient-elles financièrement capables
d‟héberger les enfants qui leur étaient confiés ? Certes,
elles pouvaient avoir un cœur tendre pour les enfants,
mais, le manque de ressources, ne pouvait-il pas être un
obstacle majeur pour la satisfaction des besoins
élémentaires des enfants tels que l‟alimentation, les soins
de santé et la scolarisation ?
En effet, la plupart des familles menaient une vie
précaire. Elles avaient donc du mal à tenir face aux
demandes criantes des enfants. C‟est ainsi que la
FVS réfléchit afin de trouver un modèle qui allait faire
en sorte que les familles soient soutenues par la
communauté pour faire revivre le célèbre adage
Burundais « Umwana si uw‟umwe », qui signifie que
l‟enfant n‟appartient pas à une seule personne, mais à
toute la communauté.
En effet, dans le Burundi ancien, le cercle familial
jouait un rôle primordial dans la prise en charge des
orphelins. A part que tout le monde avait l‟obligation de
veiller sur lui afin qu‟il ne manque jamais de quoi mettre
sous la dent, le cercle familial lui assurait
l‟épanouissement équilibré de sa personnalité et, par
conséquent, déterminait ses relations sociales une fois
devenu adulte. Depuis la première heure de notre action
de bonne volonté, sans le savoir expressément, nous
avions longtemps agi à l‟image du principe « Umwana si
uw‟umwe ».
84
Nous avions mobilisé nos parentés, puis nos amis et nos
collègues. Enfin, des ONGs aussi bien locales
qu‟internationales nous avaient, eux aussi, prêté main-
forte. Avec la naissance de FVS-AMADE Burundi et les
appuis qui avaient suivi, nous avions l‟impression d‟avoir
atteint le summum de notre action. Nous pensions
pouvoir tout maîtriser. Mais, voilà que Gordien venait de
nous faire un clin d‟œil. Il venait de nous faire
remarquer qu‟il restait quelque chose à faire, quelque
chose à affiner afin que l‟enfant soit effectivement
intégré dans la famille, ou plutôt dans la communauté.
Qu‟avions nous alors fait ?
Sans tarder, la FVS-AMADE Burundi adopta
l‟approche de prise en charge communautaire des
orphelins et autres enfants vulnérables. Les orphelins
pouvaient ainsi grandir dans la famille élargie, avec une
éducation individualisée, des références identitaires, près
des biens laissés par leurs parents. Aussi, avec l‟aide
matérielle des voisins, ses enfants ne représentaient plus
une lourde charge pour les familles d‟accueil.
La communauté pouvait intervenir et ainsi prêter
main-forte à la famille d‟accueil, ou plutôt, à l‟enfant.
Les membres de la communauté s‟apprêtaient volontiers
à l‟action et étaient fiers d‟avoir fait revivre une aussi
belle valeur de nos ancêtres. Ils étaient fort
enthousiasmés à aider l‟enfant. Dans un premier temps,
ma sœur Caritas et moi semblions être rassurées. Nous
avions l‟impression d‟avoir mené notre objectif jusqu‟au
bout, d‟avoir atteint l‟apogée. Cependant, quelques temps
après, au sein même de la communauté où était intégré
l‟enfant, un problème majeur se posa. Lequel ?
85
86
CHAPITRE IV

UN REVE DEVENU UNE REALITE


Avec la crise de 1993, en plus des orphelins du
SIDA, la FVS-AMADE Burundi était de plus en plus
sollicitée pour assister des enfants séparés de leurs
parents ou devenus orphelins suite à la guerre civile. Pour
faire face à cette criante sollicitation, elle lança une vaste
campagne de sensibilisation dans ses zones
d‟intervention pour redynamiser la solidarité
communautaire en faveur des personnes vulnérables, en
particulier les orphelins. Mais, il s‟avérait que des fois
les biens laissés par les parents des orphelins étaient
spoliés, que leurs droits n‟étaient pas du tout protégés.
Que fallait-il faire alors ?
Pour faire face à ce nouvel obstacle à
l‟épanouissement de l‟enfant, des bénévoles choisis par
leurs pairs pour leur intégrité morale et leur esprit
altruiste formèrent des Comités de Protection des Droits
des Orphelins, les CPDO en sigle. Ce qui fut pour nous
une nouvelle innovation, un ajout, une pierre de plus dans
notre but d‟affiner notre philosophie : « Umwana si
uw‟umwe ». Les CPDO furent donc le fruit de notre
innovation. Avant nous, personne d‟autre n‟avait pensé
agir ainsi. Comment alors avions- nous agi pour protéger
les droits des enfants ?
Sur toutes les collines de Gitega, Bururi, Makamba
et trois zones de Bujumbura Mairie, les membres des
87
CPDO identifiaient autour d‟eux des enfants en
difficultés, puis mobilisaient les membres de la
communauté pour leur apporter le soutien nécessaire. Ils
puisaient leur force dans les valeurs anciennes du
Burundi. Ainsi avec la tradition de « Uguhinda Ikibiri »
(activités champêtres communautaires exécutées au
rythme d‟un chant et visant à aider le voisin en
difficultés) la communauté aidait ces enfants vulnérables
à labourer leurs champs afin qu‟ils ne soient pas en
retard sur la saison culturale. Ils leur offraient au besoin,
des semences et leur apprenaient comment les conserver
pour les saisons suivantes. Les membres de CPDO
étaient non seulement très dynamiques, mais aussi très
efficaces pour les enfants vulnérables. Ils allaient jusqu‟à
aider les orphelins à construire leurs toits. La FVS-
AMADE Burundi, à son tour, les appuyait en leur
octroyant des tôles, des portes et des fenêtres. En un laps
de temps, les enfants vulnérables qui, auparavant
logeaient à la belle étoile, se retrouvaient possesseurs
d‟un logement plus ou moins descent. Ainsi, étaient-ils
protégés et contre le froid et contre les bandits, sans
oublier les fauves. Cela nous enchantait éperdument. Le
jour de la remise officielle de ce genre d‟aide, nous nous
retrouvions dans un état d‟allégresse sans pareil. Les
enfants vulnérables, à leur tour, ne manquaient pas du
tout de manifester leur grande joie. Ils chantaient,
dansaient, s‟exhibaient et avaient l‟impression d‟avoir
retrouvé leurs parents.

88
L‟action des CPDO nous avait tellement épatées
que nous avions décidé de renforcer, par différentes
formations, leurs connaissances et leurs savoir-faire en
matière des droits de l‟enfant. Pour populariser leur noble
action, des textes de lois et les bonnes pratiques de
protection des enfants furent largement diffusés.
Comme une traînée de poudre, la nouvelle en
rapport avec leur efficacité se répandit dans tout le pays.
Par la suite, elle s‟imposa comme un cas d‟école dans
laquelle, toute acteur en matière de protection des droits
des enfants vulnérables, devait et doit encore se
ressourcer. Ce qui procura dans nos cœurs une grande
fierté.
Ainsi, et assez vite qu‟on ne pouvait l‟imaginer,
l‟UNICEF qui avait effectué plusieurs visites et réunions
avec la FVS-AMADE Burundi, plaida-t-elle auprès du
Ministère de l‟Action Sociale, des Droits de l‟Homme et
du Genre afin que ce modèle communautaire de
protection soit intégré dans la politique nationale de
protection des droits de l‟enfance. C‟est ainsi que le
modèle CPDO initié par FVS-AMADE BURUNDI en
2002, rebaptisé CPE en 2007, a influencé la PNPE
(Politique Nationale de Protection des droits de
l‟Enfance) adoptée en 2012.
Finalement les comités de protection des enfants,
CPE en sigle, furent harmonisés et mis sous la
supervision des Centres de Développement Familial et
Communautaire, des entités décentralisées du ministère
89
en charge des droits de l‟homme. Nous étions ravies de
cette action. Nous étions fières d‟avoir inspiré l‟Etat et la
société burundaise en général. Plus que tout, nous avions
une joie folle d‟avoir réussi à rendre sensibles les
membres de la communauté sur la nécessité de protéger
l‟enfant orphelin. Que devinrent alors les membres des
anciens CPDO ? Ils furent intégrés dans les CPE
collinaires et quelques uns devinrent membres des CPE
communaux.
Avec les CPE, la réinsertion familiale des orphelins
et autres enfants non accompagnés fut accélérée et les
enfants vulnérables retrouvèrent leur dignité. Il n‟était
plus question de voir des enfants errer comme des chiens
sans patrons, sur des collines à ne rien faire. Mais alors,
l‟action bénévole des CPE, était-elle sans risque ? Pas du
tout. Les CPE qui assistaient les enfants en justice
subissaient parfois des menaces, et des fois, ils risquaient
la mort. Ainsi, un certain Melchiade, le président d‟un
CPE à Ryansoro qui, depuis fort longtemps se battait bec
et ongles afin que les biens des enfants ne soient pas
spoliés, échappa-t-il de justesse à la mort. Il avait pu
rétablir dans leurs droits neuf orphelins, mais son
engagement lui avait coûté bien des inimitiés au sein de
sa communauté. Cependant, le grincement des dents de
ceux qui ne voulaient pas voir les enfants se rétablir dans
leurs droits ne le découragea pas. Il luttait sans
ménagement contre toute personne qui voulait usurper les
droits des enfants. Mais voilà qu‟un jour, dans une
affaire qui opposait une petite fille lésée à ses demi-sœurs
90
dans le partage de l‟héritage familial, il fut empoisonné
avec de l‟acide. Heureusement, il eut la vie sauve. Il
échappa à la mort. Loin de battre en retraite, il reprit son
combat avec détermination pour le respect des droits des
orphelins et autres enfants vulnérables.
L‟engagement extraordinaire pour les enfants au
sein des CPE feront que des enfants non accompagnés
furent accueillis dans les familles des membres de ces
comités, perçus aux yeux de la communauté, comme de
véritables modèles en termes d‟humanité (ubuntu) et du
vivre ensemble. Mais, pouvions-nous considérer les
CPE comme une panacée à tous les maux dont
souffraient les enfants vulnérables en général, et les
orphelins en particulier ?
Loin de là. Certes, les CPE faisaient de leur mieux
pour protéger les droits des orphelins. Mais, d‟autres
problèmes non moins importants sortaient leurs griffes et
s‟imposaient à nous pour qu‟on les résolve, qu‟il neigeât
ou qu‟il ventât. Il s‟agissait des besoins vitaux des
enfants. Malgré la bonne volonté des CPE, la pauvreté
qui frôlait parfois la misère dans les familles, empêchait
ces dernières d‟assurer les besoins vitaux des orphelins
qu‟elles accueillaient pour les assister.
Au sein de la FVS-AMADE Burundi, cette situation
n‟avait eu de cesse de nous inquiéter, de nous tarauder le
cœur. Des fois, elle nous empêchait de dormir. C‟était un
défi à défier. De quelle manière ?

91
Entre-temps les enfants vulnérables continuaient à
souffrir. Les cris de leurs entrailles n‟arrêtaient pas de
nous interpeller. Les familles qui les hébergeaient avaient
les yeux braqués sur nous, sur la FVS-Amade Burundi.
Certes, elles savaient que d‟un moment à l‟autre, nous
allions trouver des solutions. Elles plaçaient une totale
confiance en nous. Elles nous considéraient par ailleurs
comme « les deux sœurs aux solutions magiques ». Mais
la solution à ces problèmes tardaient à jaillir de nos
cerveaux.
Au bout du compte, quand nous pataugions ici et là
à la recherche d‟une solution, nous comprenions que
notre philosophie « umwana si uw‟umwe » s‟imposait
comme une solution magique. Il fallait donc conjuguer
nos efforts avec ceux d‟autres pour qu‟enfin l‟enfant
vulnérable soit sauvé. Ainsi pour relever le défi, la FVS-
AMADE Burundi conjugua-t-elle ses efforts avec
d‟autres organisations non gouvernementales. Elle
démarra avec le soutien financier de Care Internationale
et Catholic Relief Services « le programme Nzokira »,
un programme de prise en charge communautaire des
orphelins et autres enfants vulnérables. CARE
Internationale offrit généreusement à la FVS-AMADE
Burudi une formation sur « Nawe n‟uze », un système
d‟épargne et de crédit dans le cadre du renforcement
économique des femmes. Chaque semaine, un groupe de
femmes se réunissait, non pas pour s‟évertuer à raconter
des ragots, mais plutôt pour réfléchir sur comment sortir
de leur misère. Désormais, elles devaient refuser d‟être
92
pauvres comme Job de la Bible. Elles ne devaient plus
considérer la pauvreté comme une fatalité, un destin,
mais plutôt comme un état passager dont on peut sortir
par un travail acharné.
« Nawe n‟uze » leur apprit à épargner, à collecter
les miettes qu‟elles avaient, afin d‟en faire de grosses
sommes. Ainsi, elles purent constituer deux caisses : la
caisse des « actions » et la caisse d‟entraide mutuelle. La
caisse des actions était la plus importante ; elle constituait
le fond de prêt rotatif du groupe pour financer des
activités génératrices des revenus. L‟autre caisse était un
fond d‟entraide mutuelle entre les membres du
groupement.
L‟épargne hebdomadaire minimale était décidée en
fonction des capacités financières de la personne la plus
pauvre du groupe. Minimes soient-elles, une fois
collectées, ces épargnes permettaient de constituer un
fond. Ainsi, lors de chaque réunion, des prêts étaient
accordés aux membres qui le souhaitaient en fonction de
l‟état de santé financière de la trésorerie.
Le principe qui les guidait était que l‟argent circule
le plus possible pour générer des intérêts qui, à leur tour,
revigoraient la caisse.
A la fin du 12ème mois d‟activités, une grande fête
était organisée par chaque groupe pour célébrer le
remboursement de l‟épargne ainsi que le partage des
intérêts générés pendant l‟année. Beaucoup d‟entre elles

93
étaient agréablement surprises par l‟immensité de la
somme qu‟elles recevaient. Elles avaient du mal à y
croire. Ainsi, une fois à Kanyosha, une vieille dame,
refusa d‟empocher une somme de 400.000 Fbu, soit
environ 200 dollars USA. Elle la trouva si faramineuse
qu‟elle pensait qu‟on avait commis une erreur de la lui
attribuer. Elle argua mordicus que, toute sa vie durant,
elle n‟avait jamais volé et qu‟elle n‟allait pas du tout
commencer à le faire au crépuscule de sa vie. En réalité,
ses doigts n‟avaient jamais palpé une aussi importante
somme. C‟était donc, pour elle, un fait hallucinant,
éblouissant. N‟eût-été son petit-fils qui, stylo à la main,
lui expliqua, avec le carnet des cotisations, que la somme
de 400.000 Fbu lui revenait de droit car elle l‟avait
épargnée petit à petit, elle aurait déjoué tous les conseils
qu‟on était en train de lui prodiguer. Elle aurait sans nul
doute refusé de prendre la totalité et rentrer avec une
somme minime. La danse de joie qu‟elle fit ce jour là
reste inoubliable pour ses voisins.
Ce qui, à notre tour, nous procurait un sentiment de
satisfaction sans pareil. C‟était pour nous un grand pas
vers la victoire contre la misère qui minait ces femmes
dont la plupart étaient des veuves. « Nawe n‟uze »
s‟imposa donc comme une réponse à la pauvreté des
familles tutrices d‟orphelins. Il leur donna de l‟espoir,
une ouverture vers de nouveaux horizons. Mais alors,
parvint-il à résoudre effectivement les problèmes des
orphelins et autres enfants vulnérables ?

94
Pas du tout. Après analyse, il s‟avéra que
l‟approche apprise auprès de CARE n‟apportait pas de
solution directe pour les enfants. Elle nécessitait qu‟on
l‟affine ou qu‟on innove purement et simplement. Le
travail des méninges recommençait encore. Alors qu‟on
croyait atteindre le bout du tunnel, voilà qu‟il nous était
donné de recommencer la recherche. Mais cela ne nous
découragea pas du tout. Nous étions animées d‟une
grande détermination, celle de Mandela quand il luttait
pour la libération de son peuple, dirais-je. Chaque fois
qu‟un besoin vital d‟un orphelin ou d‟un enfant
vulnérable n‟était pas satisfait, nous sentions de
l‟amertume dans nos cœurs. Nous passions des nuits
entières à chercher, à creuser au fin fond de nous-mêmes
une solution magique. Au bout du compte, qu‟elle fut la
solution à ce problème qui s‟imposait ?
Après mille et une réflexions, je trouvai qu‟il fallait
innover le concept de CARE en incluant une troisième
caisse : « la caisse des orphelins et autres enfants
vulnérables ». Ce que je proposai à mes collègues qui,
sans hésiter, la trouvèrent originale. Sans tarder, la
caisse fut créée. Ainsi, venaient de naître les groupes de
solidarité réunis dans le réseau «Umwana si Uw‟umwe»
créé depuis fort longtemps par FVS-AMADE Burundi.
Ce qui confirma encore une fois la pertinence de notre
philosophie.

95
Ces groupes de solidarité se choisissaient des
appellations qui traduisaient le mieux possible leur noble
mission de soutien aux enfants vulnérables.
Ainsi des noms comme « Dufashe impfuvyi » (Aidons
les orphelins), « Sangwe Kibondo » (Bienvenu cher
enfant), « Turerere Uburundi » (Eduquons les enfants du
Burundi), « Umwana si uw‟umwe » (un enfant
n‟appartient pas à ses seuls parents), « Ni abacu » (ce
sont les nôtres), « Ndi mu bandi » (Je suis parmi les
autres), fleurirent comme des champignons les uns après
les autres. Mais, quels changements apportèrent-ils ?
Parvinrent-ils à alléger la charge que supportait la FVS-

Supervision de la distribution du matériel scolaire à Bujumbura,


Ecole Stella Matutina, juillet 2018
AMADE Burundi?
Jusqu‟en 2010, la FVS-AMADE Burundi avait
l‟obligation de mobiliser des fonds étrangers pour
96
financer intégralement l‟achat de kits scolaires pour les
orphelins et autres enfants vulnérables. Comme beaucoup
auraient tendance à le croire, ce n‟était pas une affaire
d‟enfants. Mais grâce à notre abnégation à aider les
orphelins, nous y parvenions. Cependant, quand la crise
économique mondiale sonna le glas, la manne étrangère
se raréfia sensiblement. Aussi, ceux qui, parmi les
bailleurs, parvenaient à mettre la main à la poche,
commencèrent à nous imposer des restrictions. Ils
souhaitaient que leurs fonds permettent d‟obtenir
l‟impact escompté sur une période de trois ans
maximum. Cependant, ceci s‟accommodait mal avec
certains services jugés essentiels tels que la scolarisation
des enfants. Que fallait-il faire alors ?
Au fur et à mesure que le nombre de groupes de
solidarité réalisant le système d‟épargne et de crédit
« Nawe n‟uze » prenait de l‟ampleur et que ces derniers
se structuraient et s‟enracinaient dans la communauté, la
FVS-AMADE Burundi constata qu‟ils pouvaient l‟aider
à alléger le poids de la charge qu‟elle supportait. Elle
décida de leur céder progressivement la responsabilité
d‟achats de kits scolaires aux orphelins et autres enfants
vulnérables de leurs localités. Auparavant, nous pensions
qu‟ils n‟allaient pas y parvenir. Qu‟ils nous surprirent
agréablement ! Dans un premier temps, ces groupements
contribuèrent à hauteur de 25% en 2011, pour
entièrement prendre en main l‟achat de kits scolaires des
orphelins et autres enfants vulnérables à partir de 2014.
Nous étions fortement ravies. D‟un jour à l‟autre, nous
97
assistions à une scène de transformation de notre rêve en
réalité.
Notre thèse, « Umwana si uw‟umwe» se confirmait de
plus en plus. Parmi les familles que la FVS-AMADE
Burundi encadrait, celles qui disposaient de quelques
revenus prenaient en charge des parentés et amis moins
nantis. Mais pour nous, ce qui était important n‟était pas
seulement d‟avoir des billets de banque ou des dons à
distribuer, c‟était beaucoup plus l‟esprit d‟aider, de
solidarité.
Il n‟était pas rare de voir un petit revenu alimenter une
chaîne de plusieurs personnes. La paysanne qui, jadis, ne

Distribution du matériel scolaire aux enfants


vulnérables, une des activités des groupes de
solidarités (Vyuya, Mugamba, août 2018).
savait à quel saint se vouer quand la récolte tardait à
donner ses fruits, avait cette fois-ci quelqu‟un à qui se
confier. Elle se faisait aider par une parenté commerçante

98
ou demandait un crédit à la petite boutique du coin qui,
cette fois-ci, la classait parmi les clients crédibles. Mais
alors, pouvions-nous considérer que nous avions atteint
l‟ultime objectif de notre philosophie ?
Pas du tout. Après avoir pallié les problèmes de
ration alimentaire et des frais scolaires, nous pensions
avoir atteint l‟apogée de notre projet. Mais, nous ne
savions qu‟un autre mal nous guettait : l‟extrême
pauvreté. Trop souvent, la maladie ou l‟envoi d‟un enfant
à l‟école bouleversait ce qui était déjà un exercice
d‟équilibre économique précaire.
Lorsqu‟une urgence survenait dans ces familles,
nombreux se laissaient séduire par les prêts informels.
Véritables requins, ces usuriers chargeaient des taux
d‟intérêts colossaux. A la fin, le montant à rembourser
dépassait de très loin le montant initial et plongeait la
famille emprunteuse dans un cercle vicieux de dettes.
Mais que fallait-il faire pour pouvoir les tirer de cet
engrenage sans nom ? Que fallait-il encore faire pour
assurer en permanence la santé des orphelins et d‟autres
enfants vulnérables ? Ce n‟était pas du tout facile. Tout
d‟abord, chaque fois que nous semblions atteindre notre
but, un autre obstacle surgissait tout neuf et de nulle part.
On avait l‟impression de vivre, dans le monde réel, le
mythe de Sisyphe. N‟eut été l‟amour irrésistible qu‟on
avait pour les enfants qui nous animait, il était facile
d‟abandonner la lutte. Il était facile de battre en retraite

99
pour aller s‟essayer ailleurs, dans le monde des affaires
peut-être, là où les résultats sont facilement visibles.
Mais nous avions tenu bon, nous nous sommes
accrochées à notre objectif. Au lieu de lâcher-prise, nous
avions toujours puisé en nous-mêmes des idées magiques
pour affiner notre philosophie : « Umwana si
uw‟umwe ». Qu‟avions-nous imaginé alors pour remettre
sur les rails ces familles, ou plutôt ces petites économies,
menacées par ces usuriers téméraires ?
Tout d‟abord, en 2009, nous avions constaté qu‟au
fur et à mesure que le nombre de groupes de solidarité
augmentait rapidement, l‟épargne n‟arrivait plus à
satisfaire la croissance des activités génératrices des
revenues initiées par les membres des groupes. De plus,
nous savions pertinemment, que la quasi-totalité des
bénéficiaires de la FVS et les membres de son réseau de
bénévoles n‟avaient pas le droit de poser leurs pieds aux
banques qui ne prêtent pas aux « pauvres » sans garantie.
Voilà un autre défi qu‟il fallait relever. De quelle
manière ?
Pendant que nous creusions dans nos méninges une
solution, Jérôme Froissant, alors Directeur de la
Coopération Internationale de Monaco, nous fit
remarquer une chose : les activités de « Nawe n‟uze »
devraient aboutir à la création d‟une institution de micro-
finance pour mieux soutenir la croissance économique
des membres.

100
Au cas contraire, elles allaient s‟arrêter quelque part. En
fait, il avait scrupuleusement suivi l‟évolution du système
de prise en charge communautaire des orphelins et autres
enfants vulnérables qu‟on avait mis en place et était
écœuré par son arrêt qui se pointait à l‟horizon. C‟était
un homme doué d‟un pragmatisme hors pair et aimait
trouver des solutions aux problèmes avant qu‟ils ne
s‟empirent.
Au sein de la FVS- AMADE Burundi, notre staff
ne tarda pas à mettre la machine en marche en menant
une enquête interne pour confirmer la pertinence de
l‟idée.
Ce qui fut fait : très vite, la direction de la Coopération
Internationale de Monaco soutint la création d‟une
institution de Microfinance que j‟ai baptisée « DUKUZE
IBIBONDO » Micro-finance qui veut dire : Faisons
grandir nos enfants. Ce fut un jour joyeux pour nous.
C‟était un petit pas pour la FVS-AMADE Burundi, mais
un grand pas pour tous ceux qu‟elle prenait en charge,
s‟il faut emprunter l‟expression de Neil Armstrong, le
jour où il posa son premier pied sur la lune. Son siège fut
installé à Bujumbura et deux agences furent construites à
Matana et à Mabanda. L‟idée ne manqua pas de séduire
d‟autres organisations de renommée mondiale.
Ainsi la fondation ARCANUM, une fondation
suisse ; ONU FEMME et ICCO TERRAFINA, une ONG
Néerlandaise vinrent-elles soutenir généreusement les
efforts de DUKUZE-Microfinance. Ce qui nous plongea
101
dans une immense allégresse car, notre thèse venait
encore une fois de s‟affirmer, l‟enfant appartient à nous
tous. Pour dire que, si moi, toi, nous et les autres
conjuguions nos efforts pour aider l‟enfant en difficultés,
sans nul doute qu‟il échapperait à la noyade. Mais alors,
peut-on considérer que la création d‟une micro-finance
était une fin en soi ? Non. En effet, malgré le dynamisme
des membres des groupes de solidarité réalisant le
système « Nawe n‟uze », il arrivait que leurs activités
génératrices de revenus stagnaient, faute d‟être
innovatrices ou compétitives. Certains membres
n‟avaient pas de notions approximatives de calcul, et
étaient donc profanes en la matière.

Agence de Dukuze Ibibondo micro-finance ouverte par la


FVS-AMADE BURUNDI à Matana

Au bout du compte, ils géraient à l‟aveuglette leur capital


de commerce. Il fallait donc leur procurer un savoir-faire
en la matière.

102
Pour faire face à cet inconvénient, la FVS-AMADE
Burundi créa, en 2012, le centre de promotion de
l‟entrepreneuriat solidaire, CPES en sigle.
Désormais, les membres de DUKUZE Micro-finance
n‟étaient plus des laisser pour compte. Ils étaient
accompagnés par CPES, un guide non moins important.
Sur un modèle d‟entreprise sociale, le CPES fut chargé
d‟accompagner les membres des groupes de solidarité
dans leur épanouissement. Il ne s‟agissait pas de leur
offrir des baguettes magiques, des sortes de passeports
dirait-on, pour devenir nantis d‟un seul coup. Il s‟agissait
plutôt de leur proposer des projets innovants qui
permettraient, au bout du compte, de prendre en charge
les enfants vulnérables.
En guise d‟exemple, en 2013, le CPES démarra
avec l‟appui de l‟UNICEF, et plus tard, avec l‟appui de la
Fondation « ARCANUM », le projet « Lumière ». Ce
dernier avait pour finalité d‟éviter les sources d‟éclairage
nocives pour la santé et l‟environnement. En facilitant
l‟acquisition des lampes rechargeables par l‟énergie d‟un
power cycle et plus tard, avec l‟énergie solaire, ce projet
permit aux enfants vulnérables de se procurer de la
lumière pour les moments d‟études. Il mit à la disposition
des enfants la lampe « Murikira Nige », ce qui veut dire
« éclaire-moi afin que je puisse étudier ».
Ce qui soulagea l‟enfant qui devait étudier sous
l‟éclairage du foyer traditionnel « Iziko », où il devrait
souffler puis provoquer une flamme, etc.
103
Avec le CPES, nous pensions les avoir entraînés à
faire face aux problèmes économiques quotidiens qui se
posaient aux enfants vulnérables. Mais, nous ne pensions
pas que d‟autres défis nous guettaient quelque part. Nous
ne savions pas que les familles avec lesquelles la FVS-
AMADE travaillait étaient souvent mises en mal quand
survenait la maladie. La santé, voilà un autre défi à
relever. Mais, de quelle manière avions-nous constaté
que sans y faire face, notre travail semblait être
inachevé ?
Entre autres cas, trois nous ont beaucoup
bouleversées et nous ont poussées à affronter le problème
avec notre dernière énergie. Le premier cas fut celui de
Céléus, un jeune garçon né d‟un viol. Sa mère avait été
prise de force par un forcené pendant la guerre civile et
elle était tombée enceinte. Quand elle trouva un homme
prêt à l‟épouser, elle se débarrassa de lui. Elle laissa
Céléus chez sa grand-mère.
La vieille mère était pourtant pauvre comme Job.
Elle n‟avait rien pour vivre, plutôt pour survivre et pour
pourvoir aux besoins de Céléus. Les membres d‟un CPE
eurent vent de ce cas. Ils ne tardèrent pas à nous alerter.
Nous décidâmes alors de conduire une équipe de la FVS-
AMADE Burundi chez la vielle dame à Mungwa, dans la
province de Gitega.
Nous avons trouvé le petit Céléus couché devant la
hutte de sa grand-mère. Il s‟était abandonné à lui-même.
Il n‟avait aucun espoir.
104
L‟air perdu, il s‟était recroquevillé sur lui-même et
s‟était abandonné à son triste sort. Et ce n‟était pas tout.
Tout son corps était infecté et était couvert de boutons.
Sur un côté, ils étaient purulents et sur un autre, ils
commençaient à sécher. Il était très faible et une odeur
très forte se dégageait de son corps. Il était si
malheureux, si souffrant qu‟il nous fut impossible de
retenir nos larmes. C‟était horrible à observer. C‟était
inimaginable qu‟un enfant pouvait se retrouver dans un
tel état comme si aucun adulte n‟existait plus pour le
secourir.
Pendant que l‟équipe et moi étions encore sous le
choc, sa grand-mère nous révéla qu‟au mois de
décembre, elle avait vendu une partie de sa récolte de
haricots et avait pu emmener Céléus à l‟hôpital de
Gitega. Grâce à des médicaments qu‟on lui avait
prescrits, ajouta-t-elle, les boutons de Céleus avaient
commencé à sécher. Malheureusement, nous révéla-t-elle
encore, cet argent fit le temps de la rosée. Et faute de
moyens, elle nous précisa qu‟elle n‟avait pas pu acheter
toute la dose prescrite et s‟était résolue à attendre la
récolte suivante, au mois de juin pour acheter le reste des
médicaments. Nous étions au mois de mars et il fallait
attendre encore trois longs mois pour faire soigner
Céléus.
C‟était dur pour nous, c‟était inconcevable. A voir
comment le petit Céléus se grattait tout le temps,
comment une partie de son corps était purulente, voir

105
puante, il était impossible de rester sereins dans nos
cœurs. Passer encore trois mois de souffrance à cause de
la pauvreté, était vraiment trop pour le petit Céléus.
Jamais auparavant nous n‟avions assisté à une telle
précarité, à une telle misère.
Mon cœur me dit que le petit garçon ne devrait pas
encore continuer à souffrir durant de longs mois. J‟étais
trop anxieuse, trop angoissée. Mon cœur m‟ordonna de
tirer de ma poche une petite somme d‟argent pour la
donner à la grand-mère afin qu‟elle puisse retourner, dès
le lendemain, au centre de santé. Cette fois-ci, des
examens médicaux révélèrent que Céléus avait le virus
du SIDA. Sans tarder, il fut référé à la SWAA-Burundi
(Society for Women Against AIDS) à Gitega pour une
prise en charge médicale de longue durée. Le cas de
Céléus, était-il le seul ?
Non. A Rutovu, au sud du pays, un jeune père de
famille avait fait un long séjour à l‟hôpital pour finir par
rendre son âme. Sa femme, n‟avait pas pu payer la
facture de l‟hospitalisation. L‟hôpital avait alors retenu
le corps du défunt pour exiger le payement de la facture.
Pour se tirer d‟affaire, sa femme avait été obligée de
vendre son lopin de terre pour pouvoir se défaire du
fardeau de la facture et pour pouvoir ensevelir son mari
dans la dignité. Ainsi, suite à la maladie, elle perdit son
mari et son lopin de terre qui l‟aidait à survivre.
Le troisième cas fut celui de Frédiane, une jeune
orpheline qui avait été formée par la FVS-AMADE
106
Burundi en coupe et couture pendant six mois. C‟était
une fille très appliquée, mais aussi très ambitieuse.
Une fois son certificat de formation en poche, elle eut,
sans longtemps attendre, la chance de trouver une place
devant les magasins de tissus de la Rue de la Mission,
lieu stratégique pour les tailleurs.
Dès ses débuts de couturière, Frédiane pris la
résolution de réunir ses frères et sœurs dispersés ici et là
dans différentes familles d‟accueil. Pour cela, elle eut
l‟idée d‟acheter une parcelle et d‟y ériger une maison où
seraient abrités ses frères et sœurs. Elle put alors, après
un travail fastidieux, mais aussi fructueux, économiser
1.500.000 Fbu, soit environ 800 dollars USA. Elle
désirait acheter une parcelle de trois ares dans un quartier
périphérique de la capitale. Une fois qu‟elle eut fini de
négocier l‟achat de la parcelle et qu‟elle s‟apprêtait à
payer la somme exigée, son plus jeune frère tomba
subitement malade et fut admis à l‟Hôpital Prince Régent
Charles. N‟ayant aucune autre ressource, Frédiane dut,
malgré elle, renoncer à son ultime projet. Elle dut utiliser
toutes ses économies, réalisées après tant de peines, à
faire soigner son frère.
Cette situation ne nous laissa pas tranquille. Elle
nous ouvrit les yeux. Elle nous réveilla. Nous constations
que des enfants pouvaient tomber malades et que leurs
parents, faute de moyens, pouvaient s‟en remettre à la
providence. Pour nous, c‟était inadmissible. C‟était
révoltant quand surtout, des familles perdaient leurs biens
107
immobiliers - pourtant vitaux pour elles - pour avoir été
vendus aux enchères en vue de payer les soins de santé.
Pour faire face à cette impasse dans laquelle étaient
plongées les familles qui hébergeaient les enfants
orphelins, j‟ai eu l‟idée de créer une mutuelle
communautaire de santé où les gens cotiseraient pendant
la récolte afin de se faire soigner toute l‟année, y compris
les périodes de disette. C‟était pour moi, plus apaisant,
plus rassurant que de les abandonner à leur triste sort.
Certes, il fallait beaucoup d‟efforts, du courage, de
l‟abnégation, de l‟enthousiasme. Fort heureusement pour
nous, ces qualités s‟étaient longtemps ancrées en nous.
Nous avions longtemps surmonté bien d‟obstacles érigés
devant nous. Et cela nous avait chaque fois procuré une
fierté sans pareil. Nous étions donc prêtes à affronter le
nouveau défi.

108
Une mutuelle de santé pour les groupes de
solidarité
Le nouveau programme allait donc être adressé aux
membres des groupes de solidarité prenant en charge les
orphelins et autres enfants vulnérables. Quand l‟équipe
de la FVS-AMADE Burundi commença à diffuser l‟idée
de création des mutuelles communautaires de santé au
sein des membres de groupes de solidarité, ces derniers
l‟accueillirent avec enthousiasme. Ils considérèrent que la
création de telles mutuelles était non seulement un
impératif, mais aussi une bouffée d‟oxygène pour eux.
De commun accord avec les groupes de solidarité,
je baptisai la mutuelle en création : « Mutuelle Tuzokira
Twese », c‟est-à-dire « Nous guérirons tous ». Ce nom
n‟était pas neutre. Il était riche de sens. Il donnait de
l‟espoir face à l‟état désastreux dans lequel étaient
plongés les membres de groupes de solidarité quand il
fallait se faire soigner. D‟autre part, ce nom rappelait la
salutation de membres des groupes de solidarité :
« Tugire Nawe n‟uze » ! Tuzokira twese !
Il devint par ailleurs la salutation du personnel et
des membres de FVS-AMADE Burundi.

109
Aussitôt pensée, aussitôt réalisée. La FVS
AMADE-Burundi créa vite la mutuelle de santé
« TUZOKIRA TWESE » à Bujumbura, et des mutuelles
de santé provinciales furent créées à Makamba, Bururi, et
Gitega avec la perspective de créer une fédération de
mutuelles.

Un membre de la Mutuelle Communautaire faisant


soigner son enfant

La collaboration entre elles n‟était seulement pas


nécessaire, mais elle s‟imposait pour qu‟un membre qui
tombait malade en dehors de sa province de résidence
puisse être pris en charge par la mutuelle sœur d‟une
autre province. Mais alors, les mutuelles se suffisaient-
elles seules ?
110
Une fois les quatre mutuelles communautaires de
santé créées, l‟équipe de la FVS-AMADE Burundi se
rendit vite compte que les membres des groupes de
solidarité ne pouvaient pas marcher sans tituber, qu‟ils
avaient besoin d‟une canne pour ne pas vaciller, voire
tomber. Elle constata donc qu‟ils avaient besoin d‟être
appuyés, surtout en matière de gestion. Mais, la gestion
de ces mutuelles n‟était pas simple. Elle se révéla plutôt
complexe. Surtout au niveau technique.
Cette complexité de la gestion technique obligea
notre organisation à créer « Santé Assurée », une
entreprise sociale qui assurerait la gestion et
l‟accompagnement technique des mutuelles. Pour
garantir sa pérennité financière, « Santé Assurée » fut
inventive. Elle mit en place une autre carte d‟assurance
maladie destinée aux employés des organisations et
entreprises privées. Ce qui nous procura encore une fois
une joie immense. Ce qui nous plongea dans un état
d‟allégresse. C‟était éblouissant.
Pour la première fois, nous avions la garantie que
nos orphelins et autres enfants vulnérables pouvaient
manger, pouvaient aller à l‟école et enfin, pouvaient se
faire soigner en cas de maladie. Quoi de plus normal
que de nous en réjouir. Mais ce n‟était qu‟un moment
car, pendant qu‟on pensait avoir tout fait pour l‟enfant
vulnérable, un autre défi surgit de nulle part avec des
griffes non moins importantes.

111
Une école d’excellence pour orphelins et autres
enfants vulnérables
En effet, dès la première heure de notre action de
bonne volonté, du moment de l‟ouverture du restaurant-
cantine « Chez les Amis des Enfants », Caritas et moi
avions la pleine conviction que le plus beau cadeau que
l‟on pouvait offrir à l‟enfant était une formation de
qualité. Une éducation qui procurerait à l‟enfant un
savoir, un savoir-faire et un savoir-être en vue de le
préparer à devenir un adulte autonome et responsable.
Après avoir longtemps lutté bec et ongles pour que
l‟enfant orphelin et l‟enfant vulnérable aient un toit
familial, aient de quoi mettre sous la dent, aient un kit
scolaire et enfin, pour qu‟ils puissent accéder aux soins
de santé en cas de maladie, nous pensions avoir atteint
l‟apogée de notre projet. Nous pensions que rien ne
manquait à nos ouailles. Nous nous disions que nous
n‟avions plus à creuser dans nos méninges pour inventer
de nouvelles recettes pour leurs problèmes. Nous
pensions que, cette fois-ci, nous avions le droit de nous
reposer et d‟assurer juste la pérennité du projet. Mais
nous n‟avions pas pu constater que quelque chose de très
important manquait pour nos enfants : une formation de
qualité.
Mais, comment l‟avions-nous constaté? Qu‟avions-
nous fait pour faire face à ce majeur défi ? Longtemps
auparavant, plusieurs centaines de milliers d‟enfants
avaient été scolarisés et avaient reçu des kits scolaires des
112
mains de la FVS-AMADE Burundi. Pour un observateur
non avisé, cela suffisait pour leur assurer un avenir
meilleur. Loin de là. En effet, malgré leurs capacités de
continuer leur scolarité, nous avions constaté à notre
dépend que, bon nombre d‟entre eux étaient bloqués en
6ème année primaire pour n‟avoir pas réussi au concours
national qui était organisé à l‟époque. Mais à quoi servait
ce concours ? Pourquoi bloquait-il les enfants ?
Depuis plusieurs décennies, le Ministère de
l‟Education Nationale était en mal de trouver des places
suffisantes pour les élèves voulant entrer au secondaire. Il
avait imaginé, puis mis en place un concours national.
Véritable filet aux mailles très fines, ce concours ne
laissait qu‟un tiers des élèves accéder au secondaire.
Les deux tiers restants n‟avaient que deux choix :
s‟inscrire dans une école privée ou abandonner l‟école et
retourner à la maison pour mener une vie de misère.
Mais l‟école privée, souvent très chère, était
inaccessible aux nombreux orphelins et enfants
vulnérables dont la FVS-AMADE Burundi s‟occupait, ce
qui nous agaçait, ce qui nous rendait mal au cœur. Pour
Caritas et moi, c‟était inacceptable qu‟à la fin du
primaire, à la fleur de l‟âge, un enfant sans maturité ni
physique, ni intellectuelle, pour pouvoir se prendre en
charge, soit abandonné à son triste sort.
Pourtant, dans les familles nanties, des enfants
ayant le même rendement scolaire, et parfois même plus

113
faibles que les nôtres, avaient la bénédiction de continuer
leurs études dans les écoles secondaires privées qu‟ils
réussissaient brillamment. Et à la fin des humanités, rien
ne les empêchait de passer l‟Examen d‟Etat et d‟obtenir
le Diplôme d‟Etat au même titre que les lauréats des
écoles publiques. Mais, que fallait-il faire pour sortir de
cette impasse ? Quelle recette magique fallait-il inventer
pour avoir un enfant bien logé, bien nourri, bien soigné
et enfin, bien éduqué ? Voilà ce qui taraudait nos cœurs.
Voilà ce qui nous empêchait de trouver sommeil. Voilà
le dernier défi à relever afin d‟avoir un enfant au
complet, dirais-je.
Après avoir longtemps creusé au fin fond de mon
cerveau, exercice devenu une habitude par la force des
choses, j‟eus l‟idée de créer une école secondaire
d‟excellence à régime d‟internat. L‟école prendrait en
charge la scolarité des orphelins et autres enfants
vulnérables doués. Le cas d‟Eric devenu un Mozart
assassiné de notre FVS-AMADE alors qu‟il brillait en
6ème ne devrait plus se répéter.
Pour couvrir les frais de fonctionnement, l‟école
n‟allait pas se recroqueviller sur elle-même. Elle devrait
plutôt ouvrir les portes aux autres élèves dont les parents
pourraient payer les frais scolaires. Quand je partageai
mon idée avec Caritas, elle la trouva géniale, plutôt
originale. Elle fut séduite par le projet. L‟enthousiasme
pour le réaliser envahit son corps. Nous deux,
imaginions déjà, avant d‟avoir construit l‟école, comment

114
elle serait dirigée, qui assurerait la gestion de l‟internat
afin que les enfants soient non seulement bien enseignés
et bien nourris, mais aussi et surtout bien éduqués.
Pour avoir gardé de bons souvenirs de nos
dernières années dans les écoles de bonnes sœurs, Caritas
proposa de confier la gestion de l‟internat à une
congrégation religieuse tandis que la direction de l‟école
devrait être prise par un professionnel dans l‟éducation et
qui partagerait la vision et les valeurs de FVS-AMADE
Burundi. Notre rêve était idéal. Mais, comment fallait-il
faire pour le transformer en réalité ?
Alors que nous commencions à nous dire que nous
avions été utopiques, que nous n‟avions été que de
bonnes rêveuses, un espoir se pointa à l‟horizon.
En décembre 2011, l‟AMADE m‟invita à faire
partie de la délégation qui allait accompagner en
Allemagne la Princesse Caroline de Hanovre, Présidente
de l‟AMADE afin qu‟elle reçût le Prix Menchen in
Europe. La cérémonie était organisée par Verlagsgruppe
Passau, un groupe de presse allemand et une grande
mobilisation de fonds était en cours autour de
l‟événement. Avant la remise du prix, un groupe de
journalistes du quotidien New Passau avait été dépêché
pour visiter les œuvres déjà réalisées par FVS-AMADE
Burundi. Nous lui avons alors montré les grandes
réalisations de FVS-AMADE Burundi, mais aussi les
grands défis à surmonter, entre autres le cas de Tonny qui
avait une bosse sur sa tête et qui n‟arrêtait pas de croître.
115
Ils publièrent le cas dans leur journal et des fonds furent
collectés en Allemagne par des personnes
compatissantes. Les fonds ainsi collectés furent confiés à
l‟AMADE. En quelques jours, le petit Tonny fut dépêché
à Marseille et fut accueilli par la Famille Michèle.
Michèle était membre de l‟organisation la « Chaîne de
l‟Espoir ». Elle prit soin de lui jusqu‟à ce qu‟il soit guéri.
La famille de Tonny et celle de Michèle gardent
jusqu‟aujourd‟hui d‟étroites relations. Celle de Michèle
lui offrit un don d‟une vache et un peu d‟argent pour
réhabiliter le toit familial. Le cas de Tonny nous donna
l‟occasion d‟entrer dans le circuit familial de « La Chaîne
de l‟Espoir » dont l‟objectif était de faire soigner à
l‟étranger des enfants atteints de maladies graves telles
que les malformations cardiaques, les bosses et autres
dont le traitement était impossible chez nous.
Le journal New Passau avait alors produit
soigneusement une série d‟articles positifs sur l‟action et
le courage dont avait fait preuve la FVS-AMADE
Burundi. Durant la cérémonie, après que la Princesse
Caroline de Hanovre eut gracieusement pris la parole et
prononcé un discours exquis, je fus, également invitée à
prendre la parole. C‟était pour moi un honneur sans
pareil. « Mon Dieu, me disais-je intérieurement, qu‟est-
ce que je vais raconter devant ces illustres
personnalités » ? Je me résolus d‟être moi-même, de
parler le plus naturellement et le plus simplement

116
possible des œuvres que la FVS-AMADE Burundi avait
déjà réalisées.
L‟air serein, je montai au podium, je pris le micro
et je témoignai des actions de l‟AMADE en faveur des
orphelins et autres enfants vulnérables par le biais de
FVS-AMADE Burundi. Calmement, je parlai
succinctement des grandes réalisations de la FVS-
AMADE Burundi et j‟exprimai ensuite toute ma grande
gratitude envers l‟AMADE qui nous avait fortement
soutenues. Mon discours, modeste fût-il, fut sanctionné
par une pluie d‟acclamations. Je déposai le micro
doucement, l‟air souriante, je quittai le podium et je
retournai m‟asseoir à ma place.
Quelques jours après, je fus surprise par une
correspondance venue de l‟AMADE avec un mot de
remerciement écrit par Son Altesse la Princesse Caroline
de Hanovre, alors présidente de l‟AMADE, pour
m‟annoncer que Verdagsgruppe Passau avait collecté,
lors de la cérémonie qui lui était dédiée, une somme de
plus ou moins 450.000 Euros. Elle ajouta que l‟AMADE
avait bel et bien décidé que cette somme serait
entièrement versée sur le compte de l‟AMADE Burundi
afin de réaliser un projet qui lui tenait à cœur. « Qu‟elle
est magnanime » ! déclarai-je seule dans mon bureau,
folle de joie, d‟allégresse. Quand j‟annonçai la bonne
nouvelle à ma sœur Caritas, elle en fut éperdument
contente. La nouvelle était trop belle pour être vraie. Tant
elle faisait rêver.

117
La correspondance termina par nous demander de
soumettre un projet pour lequel seraient utilisés ces
fonds. Sans une once d‟hésitation, je décidai que c‟était
bel et bien le projet de construction d‟une école
d‟excellence. Dans notre vision, cette école devrait
accueillir les orphelins et autres enfants vulnérables
identifiés parmi les plus brillants. Afin de couvrir une
partie des frais de fonctionnement de l‟école, nous
envisageâmes d‟y ajouter d‟autres élèves dont les parents
étaient capables de payer les frais scolaires exigés.
Quelques temps après, le projet attirait l‟attention
de bien d‟autres organisations qui le soutinrent
également. Ainsi, la Direction de la Coopération
Internationale de Monaco, l‟organisation Digital Aid, le
Crédit Foncier de Monaco, l‟organisation américaine
Forgetten Song, l‟Hôtel Belair Résidence et la Banque
Commerciale du Burundi, emboîtèrent-elles le pas de
l‟AMADE, confirmant pour la nième fois notre thèse
« Umwana si uw‟umwe ». Pour dire que les membres de
la communauté aussi bien locale qu‟internationale
doivent conjuguer leurs efforts pour que l‟enfant en
général et l‟enfant vulnérable en particulier puisse
s‟épanouir sous tous les angles fondamentaux de la vie :
un toit, de l‟amour, de la nourriture, des soins de santé et
éducation de qualité.
En septembre 2014, l‟Ecole Secondaire de
Référence de Matana «Amis des Enfants » ouvrit ses
portes et accueillit ses soixante premiers élèves.

118
En septembre 2018, l‟école comptait 362 élèves en
provenance de tous les coins du pays. Ses succès ne se
firent pas attendre. En effet, en juin 2017, la première
promotion de l‟école, appelée « Les Aînés » passa le Test
National de fin de collège. Tous les élèves de la
promotion réussirent avec une moyenne de 75,1% et
l‟école fut classée 2ème au niveau national. Ces résultats
me procurèrent une joie immense. Ce fut pour moi une
stimulation pour agir davantage afin qu‟il n‟y ait plus de
Mozart assassiné parmi les enfants vulnérables. Il en fut
de même pour Caritas et pour toute l‟équipe de la FVS-
AMADE Burundi qui suivaient et suivent encore de
près les activités de l‟école.
Aujourd‟hui, l‟Ecole de Référence de MATANA
est devenue aussi célèbre que les écoles d‟excellence du
pays, voire de l‟East African Community. Ce qui est une
grande fierté pour nous.

119
120
CHAPITRE V

LE COURONNEMENT DES EFFORTS


Durant les trois dernières décennies d‟actions de
bonne volonté, nous n‟avions pas connu que des
problèmes pour lesquels il fallait à tout prix trouver
des solutions, que des difficultés à surmonter, que des
peines à endurer. Nous n‟avions pas non plus assisté
qu‟à des scènes de pleurs, de larmes, de désespoir, de
souffrances de personnes en fin de vie gisant moribondes
dans les lits des hôpitaux. Encore moins, nous n‟avions
pas fait qu‟à assister à des scènes d‟orphelins humiliés,
désespérés, larmoyant, gémissants pour avoir totalement
manqué les racines de leurs parents. Nous avons
également connus des succès. Nous avons, pas mal de
fois, eu droit à des scènes de joie, de liesses lors des
cérémonies de remise des prix sanctionnant notre action
de bonne volonté.
Depuis la première heure de notre action, nous
n‟avions jamais eu la moindre idée d‟aider les enfants
pour recevoir des prix, des récompenses ou pour être
célèbres. Nous avions toujours été interpellées par nos
cœurs, par notre esprit d‟humanité, par notre « ubuntu ».
Nous avions toujours agi par amour, par compassion,
comme sur les traces de Mère Théresa de Calcutta
parcourant inlassablement rues et ruelles, villes et
villages du sous-continent indien pour secourir les
personnes en état de détresse sans jamais compter le
121
nombre d‟heures de travail, sans compter qu‟elle
recevrait ne fût-ce qu‟une once de rémunération. Mais,
nous ne savions pas que nos actions attireraient
finalement l‟attention d‟autres cœurs généreux aussi bien
nationaux qu‟internationaux. Sans le savoir, ils les
appréciaient positivement. C‟est ainsi que certains,
chacun à sa manière, nous ont couronnées et continuent
encore à nous encourager.
La première sorte de couronnement fut les prix et
les certificats de mérite. Ainsi, en 2010, je reçus le Prix
International de la Femme décerné par La Valée
d‟Aosta en Italie en tant que vice-lauréate pour avoir
contribué à la dignité des pauvres en les aidant à vivre de
leur travail au lieu de compter sur la manne des
bienfaiteurs.. La même année, je reçus le Prix de la
Reconciliation Award en Allemagne. En 2011 et en
2013, le journal IWACU classa la représentante de FVS
parmi les 50 personnalités qui font avancer le Burundi.
La même année le Forum pour le Renforcement de la
Société Civile, FORSC m‟offrit le Prix du Meilleur
Acteur de la Société Civile burundaise pour l‟année
2013. En 2014, à l‟occasion de l‟inauguration officielle
de l‟Ecole de Référence « Amie des enfants », la
Commune de Matana nous offrit un Certificat de Mérite.
Tandis que l‟Assemblée Générale de la FVS-AMADE
offrit à Caritas et moi un Certificat d‟Honneur et de
Mérite avec une signification profonde : « Vu votre
implication dans la création et le développement de
l‟organisation FVS-AMADE Burundi–ABAGENZI
122
B‟ABANA asbl - Vu votre dynamisme et votre
engagement dans la protection des droits des enfants,
vous reconnaissons gardiennes des valeurs et de la vision
de notre organisation, hier, aujourd‟hui comme demain. »
En 2015, je reçus également le prix GASSROOTS
CHAMPION AWARDS décerné à New Jersey par Segal
Family Foundation en 2015 pour avoir contribué au
développement des communautés de base.
En Afrique du Sud, on me décerna, le Prix PAN-
AFRICAIN AWARDS FOR ENTREPRENEURSHIP IN
EDUCATION 2016, 1st Prize, octroyé par l‟organisation
« Teach a man to fish ».
Enfin, le 20 novembre 2018, au moment où j‟étais
en train d‟écrire cet ouvrage, la Fédération Nationale des
Associations engagées dans le Domaine de l‟Enfance au
Burundi « FENADEB » décerna un certificat de mérite à
la FVS-AMADE pour son implication exceptionnelle
dans la mise en œuvre de la convention internationale des
droits de l‟enfant.

123
Caritas HABONIMANA à ma droite, Gordien IRADUKUNDA à
gauche et moi-même Spès NIHANGAZA au milieu à mon retour
de Durban pour recevoir le prix Panafricain de
l’entrepreneuriat en éducation, 2016

Tous ces prix me procuraient une joie immense


que je partageai bien sûr avec ma sœur Caritas et toute
la communauté de la FVS-AMADE car, après tout, les
œuvres pour lesquelles l‟on primait n‟avaient pas été le
fruit de mes seuls efforts, mais des efforts conjugués
de nous tous qui s‟échinaient au travail pour que les
orphelins et autres enfants vulnérables soient sauvés.
La deuxième sorte de couronnement était la
reconnaissance des organisations aussi bien locales
qu‟internationales. Aujourd‟hui, nous sommes devenus
une référence au niveau national, en matière de prise en
charge et de protection des orphelins et autres enfants
vulnérables.
124
Nous avons imaginé et créé des modèles qui sont
d‟une nécessité indéniable. Ils seront développés dans la
partie annexe de ce livre. A travers ce livre, les
organisations qui utilisent ou utiliseront ces modèles
auront l‟opportunité d‟en connaître l‟historique ainsi que
les motivations majeures qui avaient poussé la FVS-
AMADE Burundi à les innover.
Nos interventions se situent dans les priorités
nationales. C‟est à ce titre que nous avons signé
conjointement des conventions avec le ministère des
droits de la personne humaine, des affaires sociales et du
genre, le ministère de l‟Education, de la formation
technique et professionnelle, le ministère de la Santé et la
lutte contre le VIH/SIDA.
L‟UNICEF, cette agence onusienne qui s‟occupe
des enfants, n‟a eu de cesse de nous inviter à partager
notre approche, mais aussi de nous financer et de nous
confier des projets.
Cependant, le plus grand couronnement fut et reste
la joie que nous éprouvons de voir et de rencontrer un
ancien orphelin qui n‟avait ni père ni mère, ni oncle ni
tante, devenir adulte et terminer ses études, assumer des
responsabilités au niveau du pays ou à l‟échelle
internationale, puis fonder son foyer. C‟est cela qui
représente pour nous le plus grand prix. Assister à une
joie immense que manifeste un enfant qui retrouve les
siens après tant d‟efforts acharnés de recherches, voilà
la plus grande joie.

125
Ecouter des témoignages comme ceux de Gordien
Hayimana, de Jacqueline, d‟Olivier, de Félicité,
d‟Annick, d‟Emmanuel, de Floride, de Léonidas, etc,
procure un état d‟extase indescriptible. Tant on sent
une joie pour laquelle on n‟a pas de mots pour la décrire.
Voilà pour moi, et pour ma sœur Caritas, le plus grand
prix.
Assister encore à une scène de récupération des
biens spoliés d‟un orphelin après une lutte acharnée
auprès des tribunaux, voilà ce qui procure une grande
récompense. Enfin, croiser dans la rue, dans un
supermarché, dans un bus, des jeunes gens et des jeunes
femmes, parfois en couples, et qui vous disent « bonjour
maman, sans toi ma vie n‟aurait eu aucun sens », voilà la
plus grande récompense. Croiser encore un cadre dans
un bureau et qui vous dit : « bonjour maman, qu‟est-ce
que je peux faire pour toi » et que, quand on lui précise
ce qu‟on cherche, il ajoute : « prends cette chaise
maman, soit tranquille, je vais tout faire pour vous »,
c‟est grâce à vous que je suis ici. Voilà le plus grand
couronnement. Des fois, ma sœur Caritas et moi, nous
nous demandons si, finalement nous sommes les
mamans, et de combien d‟enfants ! Cent, mille, dix
mille, cent mille ?

126
CONCLUSION
Nous voici, ma sœur Caritas et moi, arrivées au
terme de notre ouvrage autobiographique. Des fois,
nous nous interrogeons s‟il y a, après tant de pages
écrites précédemment, quelque chose de plus à dire.
Mais, tout au long de notre ouvrage, nous n‟avons fait
que défendre une idée, un principe, une philosophie :
« Umwana si uw‟umwe ». C‟est-à-dire que la prise en
charge d‟un enfant vulnérable relève de la responsabilité
de toute la communauté.
Cette valeur tirée d‟un vaste ensemble de valeurs
ancestrales burundaises, nous en avons fait notre
principe d‟actions depuis l‟aube de notre aventure. Mais
nous ne savions pas que nous agissions en conformité
dudit principe. Nous l‟appliquions dans toutes nos
actions quotidiennes envers l‟enfant orphelin et autre
enfant vulnérable sans le savoir. Nous étions guidées par
l‟amour et l‟altruisme qui sont des valeurs héritées de
nos parents dès notre enfance. Nous avions donc grandi
dans une grande fratrie. Nous baignions dans un océan
d‟amour. Toutes petites, depuis la prime enfance, nous
avions appris à partager avec l‟autre. Nos parents nous
avaient appris à servir l‟autre, à se sacrifier pour lui.
Ainsi, juste à la fleur de l‟âge, ils nous apprirent à
céder nos lits aux visiteurs pour dormir à même le sol.
Sans user trop de mots pour nous expliquer à quoi cela
servait, ils nous disaient que se sacrifier pour l‟autre
était un principe essentiel de la vie. Nous agissions donc
naturellement, nous nous rivalisions pour accueillir et

127
servir les visiteurs les premières, puis pour leur céder
nos lits quand ils devaient passer la nuit chez nous.
Plus tard, quand le sida et la guerre, les deux
grandes fabriques de morts, d‟orphelins et autres
enfants vulnérables sortirent leurs griffes à la fin des
années 1980, et tout au début des années 1990, ces deux
valeurs, l‟amour et l‟altruisme, nous furent d‟une
importance capitale. Tout d‟abord, en apportant des
soins et de la nourriture à notre oncle Jules hospitalisé
durant un long séjour à cause du sida, nous avons, par
la suite, été interpellées par les yeux de femmes et
d‟hommes qui sollicitaient notre aide. Nos moyens
étaient certes rudimentaires pour répondre à un nombre
important de demandeurs. Etant de simples employés de
l‟Etat, nous nous disions que cela était une illusion, une
aventure parmi tant d‟autres. Mais nos cœurs eux
n‟avaient point peur. Ils nous y ont poussées et nous
avons agi.
Dans un premier temps, nous agissions seules.
Mais, nous avions été vite dépassées par un si grand
nombre d‟âmes nécessiteuses. Au lieu de continuer
d‟agir en duo, nous avons alors interpellé nos parentés,
puis nos amis et enfin nos collègues. A leur tour, ils ont
alerté leurs amis. Au bout d‟un certain temps, nous
nous sommes retrouvés nombreux pour faire face aux
nombreuses sollicitations des malades et des orphelins
et autres enfants vulnérables. Après tout, nous formions
la communauté de Bujumbura. Ce fut alors le début de
la mise en application, ou plutôt d‟expérimentation de
la valeur ancestrale « Umwana si uw‟umwe ». Nous
l‟avions alors appliqué avec amour et grande énergie et
128
nous avions fondé, en 1992, la Famille pour Vaincre
le Sida, FVS en sigle.
Quelques années après, sans savoir que, de près
ou de loin, des yeux nous scrutaient, nous observaient
et appréciaient positivement notre action. C‟est ainsi
qu‟ils ont soutenu les tous premiers pas de notre jeune
association. Il s‟agissait de « Terre des Hommes »,
l‟AMADE MONDIALE, l‟UNICEF, la Coopération de
Monaco, CARE Internationale, la Fondation
ARCANUM, de Fight Aids Monaco, de Ségal Family
Fondation, l‟ONG KIYO, etc. Avec eux, nous avons
pu monter et exécuter pas mal de projets comme le
Restaurant Cantine « Chez les Amis des Enfants »,
l‟ouverture de deux Centres de transit, celui de
Bujumbura et de Gitega, puis le projet Réinsertion des
enfants dans les familles, l‟école de référence « Amie des
enfants », la Microfinance Dukuze Ibibondo, les
Mutuelles communautaires de santé »Tuzokira Twesse »,
etc.
A ce niveau, nous avions l‟impression d‟avoir tout
réussi, d‟avoir tout fait pour appliquer notre principe.
Mais, chaque fois que tout semblait être correct, nous
nous heurtions à quelque chose d‟imparfait, d‟inachevé.
Il fallait donc creuser au fin fond de nos cerveaux pour
innover dans notre manière de faire afin que l‟enfant
et/ou vulnérable accède à une vie descente. Cela
demandait de l‟audace, une détermination sans pareil,
une patience, une abnégation. Sans l‟amour irrésistible
pour les enfants qui nous animait, il était facile
d‟abandonner, de battre en retraite pour aller faire autre
chose plus facile.
129
Car, nous avions l‟impression d‟être des Sisyphes, pas
en mythe, mais en vraie vie. Par exemple, après avoir
inséré les enfants dans les familles, nous pensions que
ces dernières les aimaient ou les prenaient en charge
comme nous le souhaiterions. Mais, nous avions été
surprises que beaucoup, pour cause de pauvreté, les
accueillaient chez elles, afin de bénéficier des
provisions alimentaires que la FVS offrait aux enfants
en guise d‟appui à ces familles. Nous avions été alors
profondément choquées et nous avions dû chercher
encore comment rectifier le tir. Il s‟agissait en réalité
d‟affiner notre principe sur terrain et non dans les
mots. Mais cela nous avait donné du fil à retordre.
En effet, depuis sa gestation, puis sa création et
enfin, son état actuel, la FVS-AMADE Burundi n‟a
jamais voulu créer un orphelinat classique pour les
enfants. Nous avions toujours voulu et nous voulons
encore que l‟enfant grandisse en famille, au milieu
d‟une fratrie car c‟est là où il s‟épanouit affectivement et
socialement. C‟est là où nous voulions qu‟il
s‟épanouisse. Et c‟est là où l‟enfant devrait finir son
enfance. Voilà que là où nous voulions qu‟il
s‟épanouisse était mis en mal.
Pour affiner la mise en application de notre
philosophie « Umwana si uw‟umwe », nous avons dû
faire de la communauté notre centre d‟action. Nous
avons organisé les membres de la communauté en
groupes de solidarité capables de monter des projets
pour générer des revenus. Nous les avions, à notre tour,
appuyés. Ainsi l‟enfant était assisté à tous les points
de vue : il pouvait manger mais aussi aller à l‟ école
130
car son kit scolaire était acheté par ces derniers. Mais
cela n‟était pas suffisant. Tour à tour, nous avions créé
des Comités de Protection des Droits des Orphelins
(CPDO), transformés en Comités de Protection des
Enfants (CPE) qui furent adoptés et généralisés sur
toutes les collines du pays par l‟Etat burundais, puis les
mutuelles de santé « Tuzokira Twese » et enfin, une
école secondaire de référence, pour les enfants
vulnérables doués, vit le jour. Ainsi, les besoins vitaux
des enfants étaient donc satisfaits : un toit, une ration
alimentaire, de l‟amour, un kit scolaire, une mutuelle de
santé et une éducation de qualité.
Mais, si aujourd‟hui quelqu‟un nous demandait de
lui dire expressément ce qui nous a permis d‟aboutir à un
tel résultat, que répondrions-nous ?
C‟est une question à laquelle on ne trouve pas
facilement de réponse. Nous n‟avons pas de recettes à
donner, ni de passeport pour réussir, encore moins de
baguette magique pour mener un projet jusqu‟à son
apogée. Steve Jobs, un des grands savants de téléphonie
mobile disait : « The only way to do a great work is to
love what you do» c‟est-à-dire « le plus grand secret pour
réussir, c‟est d‟aimer ce que l‟on fait ». C‟est cela qui
nous a guidées nous aussi. L‟amour de l‟enfant, l‟amour
de servir l‟autre. Plusieurs fois, nous versions des
larmes quand un enfant manquait les traces de ses
parents, quand il n‟arrivait pas à trouver de quoi mettre
sous la dent, ou encore quand un orphelin voyait ses
biens spoliés ou quand il devait abandonner l‟école par
manque de matériel scolaire.

131
A part l‟amour, la persévérance est aussi l‟une
des exceptionnelles valeurs qui mènent vers la réussite.
Plusieurs fois, nous avons été à la recherche des parents
d‟un enfant sans succès. Nous avions été au Nord du
pays, au Congo, au Rwanda, mais en vain. Chaque
fois que nous nous butions à un échec cuisant, l‟enfant
pleurait, puis nous l‟emboîtions le pas. Mais le
lendemain, après avoir essuyé nos larmes, nous
continuions notre recherche. Beaucoup de fois, nous
finissions par retrouver les traces des parents de ces
enfants. Ce même principe était appliqué sur l‟ensemble
du projet.
L‟altruisme est aussi une qualité sans pareil. Si en
chaque personne vous y voyez une opportunité et non
une menace, cela vous ouvre d‟énormes horizons vers la
victoire. Quand nous servions les malades et les enfants
vulnérables, nous ne savions pas que nous nous rendions
sympathiques auprès des personnes et des organisations
qui nous observaient. Chaque fois qu‟un problème
surgissait, avant-même de toquer à leurs portes, ces
organisations ouvraient leurs portes et continuent à les
ouvrir pour nous appuyer.
Nous pensons que l‟enthousiasme, couplé de la
patience, est l‟une des valeurs qui nous ont aidées et
nous aident toujours. Il faut, malgré les échecs et les
difficultés, s‟encourager soi-même, se donner des raisons
de réussir même si tout semble faire marche sur place :
c‟est cela l‟enthousiasme. Beaucoup de fois, nous
semblions être bloquées. Nous avions l‟impression de
marcher dans un désert, d‟aller nulle part. Mais grâce à
l‟enthousiasme, nous avions tenu, nous avions patienté,
132
nous avions espéré, puis tout d‟un coup, les horizons se
sont ouverts.
Enfin, la clé de notre réussite - comme bon nombre
de membres d‟autres organisations n‟ont eu de cesse de
s‟en enquérir - réside tout simplement en ceci : croire
fermement en ce que l‟on fait, sans aucune once de
doute, voilà la clé de réussite. En effet, quand on croit
profondément en ce que l‟on fait, on a de la force pour y
travailler, de l‟inspiration pour le développer et du
courage pour surmonter les obstacles érigés sur notre
parcours. Pour clore nos propos, nous dirions qu‟environ
trois décennies d‟expérimentation de notre philosophie
tirée de la sagesse de nos ancêtres, « Umwana si
uw‟umwe » nous ont effectivement permis de confirmer
sa véracité.

133
134
Postface
Après 25 ans de travail, la FVS-AMADE
BURUNDI a bien évolué. Le nombre d‟enfants
bénéficiaires est passé de 17 en 1992 à plus de 75.000.
Les deux bénévoles qu‟on était à parcourir les pavillons
de l‟hôpital Prince Régent Charles pour apporter des
repas aux malades sont maintenant épaulés par 92
employés œuvrant dans 8 provinces du pays et
collaborant avec plus de 64.000 membres des groupes de
solidarité. Même dans nos rêves les plus fous, nous ne
pouvions pas nous imaginer toucher la vie d‟autant de
gens.
S‟il n‟y a plus d‟enfants hébergés au Centre de
Transit de Bujumbura, la FVS-AMADE Burundi
accueille et assiste régulièrement des enfants en situation
de rue, malades ou abusés. Certains des anciens
bénéficiaires font partie du personnel de l‟organisation et
assument leur responsabilité avec beaucoup
d‟engagement. Ils sont devenus des professionnels et des
personnalités importantes qui gardent un regard
bienveillant sur leur « maison ».
Depuis 2010, quatre prix internationaux et trois
prix burundais ont récompensé la FVS-AMADE Burundi
pour ses programmes de réinsertion familiale, d‟accès à
l‟éducation et de prise en charge communautaire des
orphelins et autres enfants vulnérables.
La Principauté de Monaco m‟a également fait
confiance en me nommant depuis 2012 Consul Honoraire
de l‟État de Monaco au Burundi.

135
136
ANNEXE 1

TEMOIGNAGES

Les récits croisés des enfants de la FVS-


AMADE Burundi
Gordien Hayimana
J‟ai perdu mes deux parents pendant
la guerre de 1993. Par manque de
soutien, je courais le risque
d‟abandonner l‟école. Alors qu‟en
7ème, j‟étais 3ème de classe, j‟ai
échoué la 8ème année. Je ne pouvais
faire autrement. Une fois, un ami de
ma famille m‟a fait inscrire pour être soutenu par la FVS-
AMADE Burundi. Je bénéficiais des repas à la cantine et
je rentrais à Cibitoke (7 Km), je recevais aussi le matériel
scolaire. Cependant, comme j‟étais maladif, mes études
n‟avançaient pas. Après quelques mois, j‟ai été alors
admis pour résider au Centre de Transit de Bujumbura. Je
suis alors devenu stable et mes résultats scolaires se sont
bien améliorés. C‟est ainsi que j‟ai pu terminer mes
études secondaires.
En 2007, j‟ai eu la chance d‟être recruté par la
FVS qui m‟a offert un poste d‟animateur social. Comme
j‟avais un peu de revenu, je me suis fait inscrire à
l‟université où j‟étudiais le soir après le travail. Plus tard,
137
après la présentation de mon diplôme de licence en
sciences économiques, j‟ai été promu au poste de
coordinateur de l‟antenne de Bujumbura en 2014 et
aujourd‟hui, la FVS m‟a confié la responsabilité d‟aller
ouvrir une nouvelle antenne dans la province de
Bubanza. J‟ai pu fonder mon foyer et je suis père de deux
enfants.
La première des choses que j‟ai apprises à la FVS-
AMADE Burundi, c‟est la réconciliation. Dans le Centre
de Transit de Bujumbura, nous étions de diverses
origines ethniques et nous avions des histoires différentes
et même parfois conflictuelles. Il y avait des orphelins
burundais, des orphelins rwandais et congolais que les
organisations non gouvernementales amenaient au centre
de transit. Comme les autres enfants accueillis dans le
centre, j‟avais mes peurs et mes craintes parfois
différentes des autres, mais le personnel du centre a su
nous montrer que nous étions tous pareils. Non seulement
nos besoins fondamentaux étaient satisfaits mais il y
avait autre chose, on jouait, on avait des rencontres
sportives avec des enfants d‟autres quartiers. On chantait,
on avait une chorale.
Un jour, on a gagné un tournoi de chant à Noël. Les
jours de baptême, on avait droit à une fête. On pouvait se
faire des amis en dehors du centre de transit de la FVS-
AMADE Burundi, ils venaient nous rendre visite, on
allait les voir aussi chez eux. En un mot, on était traité
comme des enfants qui évoluent dans leurs propres

138
familles. A l‟école, il m‟arrivait même de donner mes
cahiers à des enfants ayant des parents, mais qui n‟en
avaient pas assez. Je portais des chaussures généralement
plus belles que celles de mes camarades.
Aujourd‟hui, je me sens très heureux. Je suis
membre fondateur de l‟association « Conseil des Aînés
de la FVS-AMADE Burundi », une association des
anciens bénéficiaires. Je considère les enfants avec qui
j‟ai grandi comme mes frères et sœurs. Nous sommes une
famille même si l‟on n‟a pas de liens de sang.
Dans ma vie professionnelle, j‟ai dirigé la cantine
un temps et j‟ai aussi beaucoup contribué à la réinsertion
des enfants. Ces derniers avaient confiance en moi car ils
me considéraient comme leur grand-frère.
Même les parents avaient confiance en moi.
Grandir ici dans ce milieu m‟a permis de développer une
capacité à l‟écoute. Nous avons connu beaucoup de
difficultés. Nous avons travaillé à l‟époque de la guerre
où tout le monde était méfiant. On nous prenait pour des
fous mais nous avons persévéré et les résultats sont
visibles aujourd‟hui.
J‟essaie de donner le meilleur de moi-même et
d‟exceller dans mon travail. Les communes que j‟ai
encadrées ont toujours eu d‟excellents résultats. Je crois
que cela a contribué à mon ascension professionnelle.

139
Jacqueline Ndayishimiye
Ma mère avait beaucoup de peines
parce qu‟elle n‟avait pas grand-chose
pour nous faire vivre. Elle a ensuite
appris que la FVS-AMADE Burundi
prenait en charge les enfants
vulnérables et elle est venue
demander de l‟aide. Elle a rencontré Mme Caritas. J‟étais
en cinquième primaire à l‟époque.
La FVS-AMADE Burundi n‟aidait pas uniquement
les enfants orphelins. Moi et mes trois autres frères et
sœurs avons été pris en charge. Ma mère a, par la suite,
eu un problème médical au ventre qui nécessitait une
opération chirurgicale. La FVS s‟est occupée de tout pour
son hospitalisation et son opération. L‟opération s‟est
mal passée et une deuxième a été nécessaire. Encore une
fois, la FVS-AMADE Burundi a tout fait.
Malheureusement, elle n‟a pas survécu. J‟avais 16 ans
lorsqu‟elle est partie.
Par la suite, mes frères, mes sœurs et moi avons
été admis parmi les bénéficiaires de FVS-AMADE
Burundi. Nos conditions de vie se sont fort améliorées.
Mes frères, mes sœurs et moi avons eu de la stabilité
dans notre vie. J‟étais brillante à l‟école. Le fait de
m‟aider à poursuivre mes études fut pour moi un cadeau
inestimable que la FVS m‟a donné.

140
J‟y allais sans complexe. Nous étions même les
mieux vêtus en classe. La FVS nous prenait en charge et
ne nous abandonnait sous aucun prétexte. Nous avions
tous les avantages des enfants qui ont des parents. On
avait droit à des fêtes. On a rencontré beaucoup d‟autres
enfants à la FVS et on avait tous les mêmes problèmes.
On s‟aimait beaucoup. On se comprenait et on se
soutenait mutuellement.
Lorsque j‟ai terminé l‟école secondaire, j‟ai parlé à
Mme Caritas et elle m‟a octroyé un stage au siège de la
FVS-AMADE Burundi. Mes prestations ont été
appréciées et on m‟a fait signer un contrat de travail.
Aujourd‟hui, je suis secrétaire caissière et je m‟y sens
bien. Lorsqu‟on n‟a pas d‟emploi, c‟est dur. Mais
lorsqu‟on en a un, on devient responsable dans tout ce
qu‟on fait. On prend conscience que la vie n‟est pas un
jeu. Lorsqu‟on ne travaille pas bien, il y a de fâcheuses
conséquences. Même à la maison, on devient
responsable. Travailler à la FVS m‟a permis d‟aller dans
des endroits où je ne serais jamais arrivée et de
rencontrer des gens que je n‟aurais pas pu connaître.
Je ne me suis pas arrêtée à mon diplôme A2.
Aujourd‟hui j‟étudie la comptabilité le soir à l‟université.
Et je paie moi-même mes propres études.

141
Olivier Gahungu
Je vis avec un handicap et dès
mon plus jeune âge, j‟ai été
soutenu par la FVS-AMADE
Burundi. L‟association m‟aidait
quand ma mère était encore
vivante et lorsqu‟elle est
décédée, j‟ai été admise dans le
Centre de Transit de Bujumbura.
J‟ai fait l‟école primaire à l‟Institut Saint Kizito, un
établissement spécialisé pour jeunes vivant avec un
handicap. Je m‟y sentais épanoui et je pouvais me
déplacer sans difficultés. Au secondaire, j‟ai eu beaucoup
de mal à m‟adapter aux infrastructures de mon école.
Tout ce que les autres faisaient sans trop réfléchir
semblait être une montagne pour moi. N‟eut été les
encouragements de Spès et Caritas, j‟aurais déjà
abandonné mes études. J‟ai persévéré et j‟ai poursuivi
mes études supérieures en sociologie. Malheureusement,
les bâtiments de mon université étaient en étage et mes
camarades de faculté devaient nous porter, moi et mon
fauteuil roulant jusqu‟au deuxième étage.
Mon parcours personnel m‟a rendu très sensible à
la cause des personnes vivant avec un handicap, et plus
particulièrement leur accès à l‟éducation. Pour mon
mémoire de licence présenté en 2017, j‟ai écrit sur les
problématiques liées aux établissements scolaires
accueillant des enfants vivant avec un handicap, un

142
travail qui a reçu une très bonne note. La FVS-AMADE
Burundi a continué de m‟héberger et m‟a aidé à trouver
un stage professionnel. Je suis maintenant à la recherche
d‟un emploi.
Annick Kabatesi
Je suis née d‟une brève
liaison et mon père
biologique est mort peu
de temps après ma
naissance. Ma mère, elle,
ne m‟a jamais vraiment
acceptée. J‟ai longtemps
cherché en vain sa
reconnaissance et celle de
la famille de mon père.
Par contre, le mari officiel
de ma mère m‟a
chaleureusement accueillie et mes premières années avec
eux ont été relativement bonnes. Malheureusement, lui
aussi est mort et c‟est ma grand-mère maternelle qui m‟a
prise sous son aile. C‟est avec elle que j‟ai passé les plus
belles années de ma vie.
A la mort de ma grand-mère, je me suis de nouveau
retrouvée toute seule et j‟ai dû retourner vivre avec ma
mère dans un camp de déplacés à Muyinga. Mes demi-
frères me haïssaient ; ils me battaient et me harcelaient.

143
Même si je souffrais, je souhaitais en moi que la
guerre civile ne s‟arrête jamais. J‟avais peur qu‟une fois
de retour dans notre maison familiale, mes frères et ma
mère me battent à mort. Au moins au camp, les militaires
et les autres déplacés venaient à mon secours quand
j‟étais rouée de coups.
Je ne désarmais pas pour trouver d‟autres membres
de la famille de mon père. J‟ai pu enfin rencontrer un des
cousins de mon père et il m‟a présentée à la femme de
mon père et à mes autres demi-frères. L‟accueil n‟a pas
été des plus chaleureux mais qu‟importe, je pouvais enfin
mettre un visage et un nom sur ce père que je n‟ai jamais
connu. On m‟a dit que je lui ressemblais trait pour trait.
Le cousin de mon père m‟a prise sous son aile et m‟a
inscrite dans une école à internat de Bujumbura. J‟y ai
connu un passage à vide et j‟ai fait une dépression
nerveuse. J‟ai fait une psychanalyse qui m‟a fait
découvrir que j‟avais une relation difficile avec les
femmes. Pour apprendre à mieux connaître les femmes et
changer le regard que j‟avais sur elles, mon thérapeute
m‟a conseillé d‟intégrer des groupes ou associations
féminines.
C‟est en adhérant à une association que j‟ai fait la
connaissance de Spès. Elle est devenue ma confidente,
mon amie et ma mère de substitution. Elle m„a proposé
d‟aller à la FVS-AMADE Burundi pour suivre une
formation en art culinaire afin de pouvoir trouver un

144
emploi. J‟y allais pendant mon temps libre et j‟habitais
chez une famille amie.
Après la formation, j‟ai décidé de reprendre mes
études dans une autre école. Je gagnais de l‟argent en
faisant la cuisine pour des particuliers.
Plus tard, j‟ai trouvé un emploi de serveuse dans un
restaurant et grâce à ça, j‟ai pu me louer une petite
maison. Juste après mes derniers examens au secondaire,
je me suis creusé les méninges pour décider de ce que
j‟allais porter pour la cérémonie de remise des diplômes.
Là, une idée originale me vient en tête, un tailleur en
écorce de ficus. Sur le moment, je ne savais pas où
j‟allais trouver le matériel mais j‟ai découvert des
artisans qui en vendaient. Le jour de notre remise de
diplôme, je portais un costume que j‟avais moi-même
créé. Encore une fois, Spès était à la place de mes parents
pour la remise du diplôme.
Parallèlement à mes études en communication, je
suis devenue une créatrice de mode reconnue au Burundi.
J‟ai créé tout un concept autour de l‟écorce de ficus. J‟ai
déjà créé des tenues pour de hautes personnalités du pays
et lors de la fête du travail, le 1er mai 2014, j‟ai reçu une
récompense des mains du Président de la République. La
même année, le Ministre de la Jeunesse, des Sports et de
la Culture ainsi que les hauts cadres du ministère ont
défilé habillés de mes vestes en ficus pour la fête de
l‟indépendance. J‟ai déjà fait partie de délégations
officielles lors d‟expositions internationales.
145
En 2017, je faisais partie de l‟équipe burundaise
aux Jeux de la Francophonie en Côte d‟Ivoire. J‟ai
aujourd‟hui, au Musée Vivant de Bujumbura, une
boutique de vêtements en ficus qui marche bien. A part la
mode, je suis auteure-compositrice-interprète et j‟ai déjà
collaboré avec des chanteurs burundais.
Ma grande fierté est d‟être capable aujourd‟hui de
dire d‟où je viens. Je ne sais pas quand je suis née mais je
me suis choisi une date d‟anniversaire. Désormais, je fête
mes anniversaires comme tout le monde.
Mon plus cher souhait est de fonder une famille
mais avant cela, je voudrais pouvoir me réconcilier avec
ma mère et mes demi-frères. Quand j‟aurai des enfants, je
vais leur transmettre une histoire d‟amour et non de
haine.
Emmanuel, le miraculeux
Pendant neuf ans, j‟ai souffert d‟un handicap qui m‟a
beaucoup affecté psychologiquement. En 2005, j‟étais
encore un petit garçon et en jouant avec les autres
enfants, je suis monté dans un arbre et j‟ai fait une chute
très violente. A l‟hôpital de Makamba, les médecins ont
fait ce qu‟ils pouvaient mais ma vessie avait pris un sacré
coup. On m‟a ensuite transféré à l‟Hôpital Prince Régent
Charles et on m‟a mis une sonde urinaire. Sur mon lit
d‟hôpital, je me rappelais des autres enfants avec qui je
jouais chez moi à Kabonga et je me disais que je
n‟aurais plus une vie normale.

146
La FVS-AMADE Burundi m‟assistait depuis mon
accident et en 2014, elle m‟a fait opérer par un chirurgien
indien de passage au Burundi. L‟opération a réussi et je
vis aujourd‟hui sans sonde urinaire. Avant mon
opération, j‟ai vécu au centre de transit de la FVS-
AMADE Burundi et j‟en ai profité pour suivre une
formation en couture.
Gordien Iradukunda
J‟ai connu la FVS en 1994
lorsque j‟étais encore étudiant en
psychologie clinique à
l‟Université du Burundi. J‟y ai
effectué un stage de fin de mon
cursus en 1998.
J‟ai effectué une étude qui a
inspiré FVS par la suite. A
l‟époque, l‟approche de placement des orphelins dans des
familles volontaires était la plus en vogue. En tant que
psychologue, ce qui m‟intéressait c‟était l‟aspect affectif
de la vie de l‟enfant. Mon analyse critique de l‟approche
adoptée par FVS a révélé que les familles qui cherchaient
à prendre les enfants le faisaient généralement par intérêt,
en visant les avantages y relatifs liés notamment au
soutien alimentaire que FVS apportait. J‟ai alors
recommandé une approche basée sur l‟identification de
l‟enfant, la recherche familiale et la réinsertion dans une
famille avec des liens de parenté.

147
Le passage à FVS a, à mon tour, inspiré mon sujet
de mémoire. J‟ai décidé de prolonger ma recherche en
travaillant sur les motivations des familles de placement.
Les résultats ont dégagé 3 catégories générales. La 1ère
était constituée des spéculateurs pour qui les enfants
étaient une façon de capter des aides. La 2e était faite de
gens qui voulaient satisfaire un intérêt affectif propre à
eux. Et la 3e, enfin, était formée de personnes
sincèrement altruistes. La 3e catégorie était la moins
nombreuse. Par contre, les spéculateurs faisaient légion.
Après mes études, j‟ai travaillé pour une autre
ONG avant de venir travailler à la FVS. Je suis arrivé à
un moment important où la FVS était en quête d‟une
approche susceptible de lui permettre d‟assurer aux
ORPHELINS ET AUTRES ENFANTS
VULNÉRABLES une prise en charge satisfaisante et
durable. C‟était l‟approche de « prise en charge
communautaire », proposée auparavant dans mon travail
de fin d‟études. Toutefois un défi se posa. Les orphelins
du VIH/SIDA étaient frappés d‟un stigmate social, du fait
de leur histoire. Les gens pensaient que leur prise en
charge leur coûterait très cher étant donné qu‟il fallait
toute une logistique pour éviter que les autres ne soient
contaminés. Nous avons mené une étude qui a montré par
où il fallait commencer. Il fallait, en effet, procéder en
premier lieu à une sensibilisation sur le VIH/SIDA.
J‟ai été très heureux d‟avoir pu continuer à
travailler dans mon domaine d‟études et dans ma vision.

148
Je me suis épanoui intellectuellement en travaillant à la
FVS. Je suis arrivé comme chef de service pour l‟aide à
l‟enfance et je suis devenu conseiller technique éducation
et appui psychosociale par la suite. Depuis 2011, je suis
chargé de programme en même temps que je garde le
programme éducation et appui psychosocial.
Floride Ikizakubuntu
J‟ai connu bien des galères avant d‟arriver à l‟Ecole de
Référence de Matana « Amie des Enfants ». Après avoir
été plusieurs fois renvoyée pour non payement de frais
scolaires, je ne pus passer le Concours National que
grâce au plaidoyer de mon maître d‟école. A ma grande
surprise, je réussis haut la main et je fus admise à l‟école
secondaire publique. Malheureusement, ma mère me fit
bien comprendre qu‟elle n‟avait pas les moyens de payer
mes études et qu‟il fallait que j‟aille plutôt chercher du
travail. Profondément chagrinée, je partis à Bujumbura
pour rejoindre ma grande sœur qui travaillait comme
« bonne » afin qu‟elle m‟aide à trouver un emploi. Je fus
embauchée pour un maigre salaire pour garder les
enfants dans une famille, à Buyenzi, un quartier
populaire de Bujumbura. Entre-temps, l‟antenne FVS-
AMADE Burundi à Gitega fut informée que j‟avais été
la meilleure élève de la commune de Gishubi. Des
personnes de l‟antenne vinrent me chercher à la maison
pour m‟annoncer que je venais d‟obtenir l‟occasion de
pouvoir aller étudier dans une école privée à Matana.

149
Elles trouvèrent ma mère toujours réticente car elle
avait peur de devoir payer à un moment ou à un autre et
elle préféra ne pas m‟en informer. C‟est finalement grâce
à l‟insistance de Monsieur Léonidas, coordonnateur de
l‟antenne de FVS-AMADE de Gitega que l‟on me
contacta deux semaines plus tard. Emerveillée, je lui fis
confiance et je rejoignis les « Aînés », la première
promotion de l‟école. Après un bref moment
d‟adaptation, je connus des progrès sensibles en classe.
Je fus la première de ma classe. Même si je passai la
majeure partie de mon temps à réviser, je parvenais à
réserver un moment pour encadrer les autres élèves qui
étaient parrainés comme moi. La direction de l‟‟école
m‟encourage et dit être fière de mes résultats scolaires.
Mon rêve est de devenir médecin afin que je puisse
soigner même les personnes pauvres qui ne peuvent pas
payer leurs soins médicaux.
Léonidas Nzojibwami
Je suis orphelin de père et de mère depuis mon jeune âge.
J‟ai perdu beaucoup de membres de ma famille en 1993.
J‟étais à l‟université de Bujumbura lorsque je me suis
retrouvé en charge d‟une famille de trois frères, trois
sœurs et une petite nièce âgée seulement de trois ans.
J‟étais, dès lors, orphelin chef de ménage. J‟ai quand
même pu poursuivre mes études et par après, je suis
devenu professeur dans une école secondaire mais,
comme le salaire était très maigre, je ne pouvais pas
subvenir aux besoins de ma famille. J‟ai ouï dire de

150
l‟existence de FVS-AMADE, une organisation qui
œuvrait pour les orphelins du SIDA et autres Enfants
vulnérables. C‟est ainsi que je suis entré en contact avec
Caritas, la Représentante Légale. Elle comprit
directement ma préoccupation et décida d‟assurer la prise
en charge de mes frères et sœurs.
Par après, la FVS me demandait régulièrement de
venir donner un coup de main pendant la période de
distribution des kits scolaires aux orphelins et autres
enfants bénéficiaires. C‟était une activité fatigante, mais
je le faisais de bon cœur. Plein d‟admiration pour les
actions de FVS-AMADE BURUNDI ; en 1997, j‟écris
une lettre de demande d‟adhésion et mon vœu fut illico
exaucé.
Devenu membre, j‟ai pu bénéficier plusieurs
formations professionnelles et participer à plusieurs
activités socioculturelles de la FVS-AMADE Burundi :
Noël pour les enfants, Pâques, etc. Par après je participais
bénévolement aux activités de recherche et de réinsertion
familiales des enfants des centres de transit. Armé de
cette expérience, j‟ai pu nouer des relations morales très
fortes avec la FVS-AMADE Burundi qui m‟a fortement
soutenu de diverses manières. La FVS-AMADE Burundi
devenait pratiquement, pour moi, ma nouvelle famille.
Les fondatrices de l‟association FVS devinrent désormais
mes meilleures conseillères.
En novembre 2005, la FVS-AMADE Burundi a
mis sur pied le journal « Umwana si uw‟umwe » dont le
151
rédacteur en chef était le chef d‟antenne de Gitega.
Comme il était muté à Bujumbura, un appel d‟offre
d‟emploi à ce poste fut lancé. Ayant une grande
expérience, grâce au bénévolat dans cette organisation,
j‟ai postulé à ce poste et je fus retenu.
Dès lors, le 25 Décembre 2005, je fus nommé
Coordonnateur d‟Antenne de Gitega de FVS-AMADE
Burundi et, depuis le 17 Novembre 2017, je suis à
l‟Antenne Régionale de Rutana et Makamba.
Aujourd‟hui, je suis père de deux enfants et bien
épanoui en famille. Comme on ne peut rien changer du
passé, on ne peut se réjouir que du présent aussi
longtemps qu‟il demeure merveilleux. Malgré toutes les
vicissitudes de ma vie ; l‟une de mes plus grandes joie est
d‟aider les nécessiteux et plus particulièrement les
enfants.

152
ANNEXE 2

LES MODELES D’INTERVENTION


CREES PAR FVS-AMADE BURUNDI

Brève présentation de FVS-AMADE


BURUNDI
L‟organisation connue sous le nom de : «La Famille pour
Vaincre le SIDA », FVS en sigle, a été enregistrée en
1992 avec le but de soutenir les orphelins et autres
enfants vulnérables qui étaient affectés par le VIH/SIDA.
En 1996, l‟"Association Burundaise des Amis de
l'enfance”, AMADE Burundi, a été enregistrée.
En 2013, les deux organisations se sont unifiées
légalement pour créer FVS-AMADE Burundi.
La première antenne de FVS-AMADE Burundi a été
établie dans la capitale Bujumbura en 1992, et elle a été
suivie par l‟antenne de Gitega en 1998, celle de Bururi en
2002, celle de Rumonge en 2003, celle de Makamba en
2006, celle de Mwaro en 2016, celle de Bubanza en 2016
et celle de Rutana en 2017. Actuellement, FVS-AMADE
travaille dans neuf provinces du Burundi, avec plus
75,000 Orphelins et autres enfants vulnérables
bénéficiaires en 2018.

153
Vision
La vision de FVS-AMADE BURUNDI est de devenir
leader des acteurs du développement intégral des familles
au Burundi pour le bien-être des enfants tout en bâtissant
une société solidaire pour le soutien des personnes
vulnérables.
Missions
La FVS-AMADE «ABAGENZI B‟ABANA» a les
missions suivantes : (1) Promouvoir la Protection et la
défense des droits de l‟enfant au Burundi; (2) Améliorer
l‟accès à l‟éducation et l‟appui psychosocial des
orphelins et autres enfants vulnérables; (3) Renforcer les
capacités économiques des ménages pour une prise en
charge satisfaisante et durable des orphelins et autres
enfants vulnérables; (4) Améliorer l‟accès aux soins de
santé des orphelins et autres enfants vulnérables ainsi que
leurs familles et contribuer à la lutte contre le VIH/SIDA.
Valeurs
Les valeurs partagées au sein de FVS-AMADE sont les
suivantes: (1) l‟intégrité, la non-discrimination ; (2) le
respect de la dignité humaine ; (3) l‟intérêt supérieur de
l‟enfant; (4) la compassion; (5) la solidarité; (6)
l‟indépendance politique et religieuse ; (7) la
redevabilité.
Dans le but de réaliser sa mission, la FVS-AMADE
BURUNDI a dû innover et créer des modèles
d‟intervention spécifiques. Certains de ces modèles ont
par la suite influencé la politique nationale de protection
154
de l‟enfance au Burundi et servent maintenant de
référence pour les autres intervenants dans le domaine de
l‟enfance. Il s‟agit principalement du modèle des comités
de protection de l‟enfant « CPE », du modèle des groupes
de solidarité pour la prise en charge des orphelins et
autres enfants vulnérables pratiquant le système
d‟épargne et de crédit « Nawe n‟uze» ainsi que les
Mutuelles Communautaires de Santé « Tuzokira
Twese ».
LES MODELES D’INTERVENTIION CREES
PAR FVS- MADE BURUNDI
Le modèle CPE (Comité de protection de l‟enfant) pour
la protection des droits fondamentaux des enfants au
Burundi "Protéger un enfant, c‟est préparer l‟avenir"

L’assistant juridique de FVS-AMADE à Makamba lors


de la réinsertion familiale d’un enfant
Depuis 1996, FVS-AMADE s‟est engagée dans la
protection des droits des orphelins et autres enfants
vulnérables. Cette activité a été réalisée en collaboration
avec des comités basés sur les collines en milieu rural et
dans les cellules en milieu urbain. La FVS-AMADE
BURUNDI les avait dénommés « CPDO » ; ce qui veut

155
dire « Comités de Protection des Droits des Orphelins »
et ce sont ces CPDO qui deviendront plus tard les
« CPE » ; ce qui veut dire Comité de Protection de
l‟Enfant ».
Le CPDO mis en place par FVS-AMADE
BURUNDI était composé de cinq personnes dont deux
hommes, deux femmes et le Chef de colline. La FVS-
AMADE n‟avait pas intégré les enfants dans le CPDO
car selon sa philosophie, l‟enfant devait aller à l‟école et
le rôle de protéger ses droits revenait aux adultes. C‟était
le système de protection des enfants à base
communautaire que la FVS-AMADE avait mis en place.
Les CPDO bénéficiaient différentes formations en
rapport avec les droits des enfants telles que la
convention relative aux droits de l‟enfant, le code des
personnes et de la famille, le code foncier, le code pénal,
les procédures judiciaires et bien d‟autres.
Leur mission était de prévenir, faire le plaidoyer et
dénoncer les cas de violation des droits des enfants. Vu
l‟ampleur des cas de violation des droits de l‟enfant
observés ; la FVS-AMADE BURUNDI les avait formé et
leur avait même confié la mission de défendre les enfants
lésés en justice en cas de besoin. Seuls les cas
compliqués étaient référés aux Assistants juridiques de
l‟organisation.
Les CPDO mis en place par FVS-AMADE
BURUNDI étaient très engagés et ils ont eu beaucoup de
réalisations à leur actif. Leur efficacité n‟a pas tardé à
attirer l‟attention des intervenants dans le domaine de

156
l‟enfance comme l‟Unicef et le Ministère en charge de
l‟Action sociale.
L‟Unicef dont le Chef du Programme Protection
était Monsieur Bakary SOGOBA nous a alors invités
dans plusieurs séances de travail pour expliquer notre
modèle des CPDO. Les représentants du Ministère en
charge de l‟Action Sociale et d‟autres intervenants dans
le domaine de la protection de l‟enfance participaient
également à ces séances. Ils ont beaucoup apprécié le
modèle et ont décidé que ce soit ce modèle qu‟il fallait
implanter partout dans le pays afin d‟assurer une
protection de proximité de tous les enfants vulnérables au
Burundi. Ils ont trouvé qu‟il s‟agissait d‟un modèle qui
portait en lui-même les éléments de pérennité car il est
porté par les membres des communautés dans lesquelles
vivent les enfants. Le modèle des CPDO a bénéficié de
plusieurs améliorations et il est devenu le modèle CPE.
La FVS-AMADE BURUNDI a désormais cessé
d‟utiliser son ancienne dénomination « CPDO » pour
utiliser le terme CPE qui devenait une structure nationale.
Les améliorations ont concerné d‟abord sa
structure, sa composition en y intégrant les représentants
des enfants. Il a été décidé que le modèle CPE soit
étendu de la colline à la province en passant par la
commune. Après avoir enrichi les thèmes de formation,
un module harmonisé de formation étendu sur cinq jours
a été élaboré. Ensuite, le Ministère a précisé
officiellement les termes de référence pour les CPE qui
devraient ainsi être intégrés dans la politique nationale de
protection de l‟enfance adoptée en 2012.

157
La FVS-AMADE a eu l‟honneur d‟être parmi les acteurs
principaux durant tout le processus.
L‟Unicef qui avait soutenu tout le processus s‟est
engagé à financer l‟extension du modèle CPE au
Burundi. C‟est ainsi que la FVS-AMADE a été la
première organisation à mettre en place les CPE
harmonisés dans la province de Gitega en 2013.
L‟opération s‟est étendue dans les autres provinces
d‟intervention de l‟organisation. D‟autres partenaires
comme la Fondation Arcanum, l‟ONG KIYO ont rejoint
l‟Unicef pour aider la FVS-AMADE BURUNDI dans ce
processus. Le taux de couverture n‟était encore qu‟à 63%
dans nos zones d‟intervention au mois de novembre
2013.
Conformément à la politique nationale de
l‟enfance, les Comités de Protection de l‟Enfant (CPE)
sont des entités communautaires qui sont établies pour
assurer la protection des enfants et la promotion de leurs
droits au niveau provincial, communal et collinaire. Les
principales tâches des CPE sont les suivantes : (1)
Prévention d‟abus, d‟exploitation, de violence et de
négligence ; (2) Assistance et réponse aux violations ; (3)
information, plaidoyer, promotion des droits de l‟enfant
et sensibilisation. Les CPE peuvent faire appel à des
représentants de l‟administration, des représentants de la
communauté, comités de gestion de l‟école et des
représentants des organisations œuvrant en faveur de la
protection des enfants dont les représentants des
confessions religieuses. Ceci en fonction des cas
présentés nécessitant une réponse, ou en fonction des
problématiques traitées.
158
Impact du modèle CPE
Le modèle CPE s‟est révélé comme une stratégie
efficace de protection de proximité des droits des enfants.
Ils interviennent pour prévenir les cas d‟abus à l‟endroit
des enfants mais aussi pour agir en cas de violation de
leurs droits. Ils sont les premiers à connaître la situation
de l‟enfant de leur localité et ils constituent une chaîne
d‟alerte en cas de violation des droits de l‟enfant.
Leurs interventions sont multiples. Ils organisent
des visites dans les familles des enfants vulnérables pour
s‟assurer qu‟ils ne sont pas maltraités, ils font également
le suivi de ces enfants à l‟école.
Ils accompagnent les tuteurs des enfants
vulnérables non déclarés à la naissance pour les faire
enregistrer afin d‟obtenir leurs extraits d‟acte de
naissance, ils contribuent à combattre le phénomène du
travail des enfants et celui-ci a sensiblement diminué
grâce à leurs interventions, ils organisent diverses
actions de plaidoyer en faveur des enfants.
Ils dénoncent les cas de détournement des lopins de terre
des orphelins. Ils sont reconnus et écoutés par
l‟Administration. Ils prennent la parole dans les réunions
de sécurité organisées chaque semaine par les
responsables administratifs et ils présentent la situation
des droits des enfants comme un problème prioritaires
que les responsables Administratifs doivent traiter et ceci
a déjà produit un impact significatif.
Les actions des CPE contribuent à la cohabitation
harmonieuse entre les rapatriés et les résidents.
159
En effet, sur les collines où il y a des rapatriés, la
composition des CPE tient également compte de la
représentativité des rapatriés et des résidents.
Au niveau communautaire, les CPE ayant été
formés sur les techniques de médiation, jouent le rôle de
médiateur en cas de conflits fonciers .Ils réconcilient les
parties en conflit et contribuent à la paix sociale dans la
localité. Beaucoup de conflits sont résolus par voie
amiable et le recours au tribunal ne se fait qu‟à titre
exceptionnel.
Dans le cas où le recours à la justice devient
incontournable, les CPE documentent les cas et les
réfèrent aux assistants juridiques de FVS-AMADE
BURUNDI ou d‟autres intervenants.
Les interventions des CPE ont déjà produit un
impact très important dans la communauté car selon les
rapports de l‟Unicef, le taux de violation des droits de
l‟enfant a diminué de 95% dans les zones où les CPE
sont mis en place.

160
Modèle « Groupes de Solidarité » initié par FVS-
AMADE BURUNDI
"Umwana si uw'umwe »
"Un enfant n‟appartient pas à une seule personne,
mais il appartient à toute la communauté"
Introduction
Les groupes de solidarité sont devenus un outil de
pérennisation de l‟approche de prise en charge
communautaire des orphelins et autres enfants
vulnérables qui avait été adoptée par la FVS-AMADE
BURUNDI depuis 2002.
C‟est auprès de Care International au Burundi que
la FVS-AMADE BURUNDI a appris l‟approche « Nawe
n‟uze en 2007 dans le cadre du Programme dénommé
« Nzokira » qui était initié par Care et CRS et dont la
FVS-AMADE BURUNDI a bénéficié en tant que agence
d‟exécution. Alors que Care l‟utilisait comme approche
de promotion et de développement de la femme, la FVS-
AMADE l‟a alors innové pour l‟adapter à sa mission
principale qui consiste à soutenir les orphelins et autres
enfants vulnérables.
Le modèle des groupes de solidarité rappelle les
valeurs traditionnelles burundaises de solidarité pour
soutenir les plus pauvres dans les communautés
burundaises et c‟est cela qui fait son grand succès.
Le terme « Nawe n‟uze » contient lui-même le
principe de solidarité et d‟inclusivité. Il se traduit du
Kirundi par « Tu peux venir toi aussi ».
161
Structure
Les groupes de solidarités partenaires de FVS-
AMADE sont constitués par 30 à 45 membres d‟une
même colline (ou même cellule en milieu urbain) qui se
connaissent bien. La majorité d‟entre eux sont des tuteurs
des orphelins et autres enfants vulnérables, mais il y a
aussi des voisins qui les rejoignent avec l‟engagement de
soutenir les enfants vulnérables de leur localité.
Les membres se conviennent sur le nom du groupe
de solidarité, le jour, l‟heure et le lieu de rencontre pour
leurs réunions hebdomadaires. Ils mettent en place des
textes qui les régissent ; il s‟agit des statuts et du
règlement d‟ordre intérieur. Chaque groupe de solidarité
élit un comité exécutif composé par le président, le vice-
président, le secrétaire et deux trésoriers.
Le comité a la responsabilité de préparer et
superviser les opérations réalisées dans les réunions
hebdomadaires « Nawe n‟uze ». Il s‟agit de tenir les
registres d‟épargne, d‟octroyer les crédits et de faire le
recouvrement des prêts antérieurs et de décider des
actions de soutien aux orphelins et autres enfants
vulnérables bénéficiaires.
Une fois structuré, le groupe de solidarité cherche
la reconnaissance administrative auprès de
l‟Administrateur communal. Il signe ensuite une
convention de partenariat avec la FVS-AMADE
BURUNDI.

162
Les principes de base d’un groupe de solidarité
« Nawe n’uze »
Un Groupe de solidarité « Nawe n‟uze » est une
entité de petite taille autonome et autogérée ;
Le fonds du groupement augmente par des
cotisations régulières, les intérêts payés sur les emprunts,
et d‟autres activités génératrices de revenus collectifs s‟il
y en a ;
Dans le but de faire respecter l‟ordre et la
discipline ; les membres fautifs sont sanctionnés et paient
des amendes versées dans la caisse du groupe de
solidarité (cas d‟absence ou retard non justifiés dans les
réunions, non remboursement des prêts, divulgation des
informations financières du groupe, etc….).Les amendes
sont versées dans la caisse d„entraide sociale et
permettent de couvrir les dépenses imprévues.
Toutes les opérations de la caisse se font pendant
les réunions d‟assemblée générale hebdomadaires où
chacun annonce à haute voix sa contribution (principe de
la comptabilité orale qui est très important pour assurer
la transparence et la responsabilité) ;
Pour éviter qu‟il y ait des transactions hors des
réunions, on utilise une caisse qui est fermée à trois clés,
dont les clés sont distribuées discrètement à trois
personnes différentes. La gestion de la caisse est attribuée
à un comité de gestion d‟au moins 5 personnes, mais tous
les membres ont une responsabilité pour la bonne marche
des opérations.

163
Le groupe de solidarité contribue à l‟éducation
financière des membres ;
Le cycle d'épargne et de prêt au niveau des groupes
est limité dans le temps. A la fin du cycle de 12 mois ;
l'épargne accumulée et les intérêts produits sont restitués
aux membres. Les intérêts sont partagés
proportionnellement au montant épargné par chacun
pendant le cycle. C‟est un aspect crucial pour la
transparence et la confiance de tous les membres.

Les membres du groupement « Dukomeze Ibikorwa » en pleine


séance de « Nawe n’uze »

164
Séance « Nawe n’uze » dans un groupe de solidarité
Les étapes d‟une séance ordinaire de « Nawe n‟uze »sont
les suivantes : (1) Appel des membres. Cet appel se fait
par numéro et non par nom.

Chaque membre a en effet un numéro propre à lui et il


s‟assoit toujours suivant cet ordre ; (2) Vérification du
contenu des caisses. Les membres interrogés au hasard
doivent rappeler le montant laissé dans chaque caisse
avant qu‟elles ne soient ouvertes ; (2) Ouverture des
caisses et vérification du contenu ; (3) Cotisation dans les
trois caisses l‟une après l‟autre. Chacun annonce sa
cotisation à haute voix ; (4) Comptage des cotisations du
jour ; (5) Remboursement des crédits ; (6) Demande et
Octroi de nouveaux crédits ; (7) Comptage des montants
qui restant dans chaque compartiment de la caisse et
communication de ces montants à tous les membres ; (8)
Fermeture de la caisse ; (9) Partage d‟informations sur la
situation des enfants pris en charge et décision d‟actions
à mener pour les soutenir en cas de nécessité ; (10)
Divers (restitution des formations reçues, décision des
membres à soutenir, etc…) ; (11) Clôture de la réunion et
remise de la caissette et des clés à trois personnes
différentes dans la grande discrétion.
L’épargne et le crédit
L‟épargne et le crédit font partie des principales
activités des groupes de solidarité. Les membres se
conviennent sur le montant d‟une action ainsi que le
montant de la caisse de soutien aux Orphelins et autres
enfants vulnérables et celle d‟entraide. Pour fixer le

165
montant d‟une action, on tient compte de l‟avis du plus
pauvre du groupe pour être inclusif.
Après avoir appris l‟approche « Nawe n‟uze » de
CARE, la FVS-AMADE a apporté les innovations
suivantes pour adapter l‟approche à sa mission de soutien
aux orphelins et autres enfants vulnérables :
(1) Création d‟une troisième caisse d‟épargne pour
le soutien aux orphelins et autres enfants vulnérables à
côté de la caisse dite des « actions » et celle de l‟entraide
mutuelle qui existaient déjà dans le modèle appris de
Care.
(2) Possibilité d‟épargner jusqu‟à cinq fois la
valeur d‟une « action » dans le but d‟augmenter le fond
de crédit rotatif. Cependant, aucun membre n‟est
autorisé à épargner plus de cinq actions par semaine.
Ceci permet d‟éviter qu‟il y ait un grand fossé entre le
plus grand et le plus petit épargnant en vue de préserver
le principe d‟égalité des membres dans le pouvoir des
décisions
Ainsi, la caisse dans laquelle épargnent les
membres des groupes de solidarité promus par FVS-
AMADE BURUNDI se présente avec trois
compartiments qui sont représentés comme suit :
Caisse 1 : Caisse2 : « Caisse OEV »,
Les « actions » ou soutien aux orphelins et
Fonds de crédit rotatif autres enfants vulnérables
Caisse 3 : « d‟entraide »
mutuelle.

166
La caisse dite des « actions » est la plus grande : en
général, les nouveaux groupements fixent la valeur d‟une
action à 500 FBU (soit 0,3 USD par semaine avec la
possibilité d‟aller jusqu‟à 2500 FBU, soit 1,5 USD
d‟épargne).
La caisse de soutien aux orphelins et autres enfants
vulnérables, « Caisse des OEV » est la 2ème en termes
de dimension. En générale, chaque membre cotise 200
FBU par semaine (soit 0,15 USD)
La caisse d‟entraide mutuelle entre les membres est la
plus petite. Chaque membre cotise 100 FBU par
semaine ; soit 0,1 USD.
Utilisation des fonds épargnés dans chaque caisse
Le montant épargné dans la caisse dite des
« Actions » constitue le fond de crédit rotatif des
membres pour financer leurs activités génératrices de
revenu. Les prêts contractés sont remboursés avec intérêt.
Ces intérêts viennent augmenter le fond de crédit.
A la fin d‟un cycle de douze mois, le montant
épargné par chaque membre dans la caisse des
« actions » lui est restitué et les intérêts sont partagés
proportionnellement au nombre d‟action épargnés par
chacun.
Une grande fête est organisée par le groupement à
cette occasion. Après ce partage, les membres des
groupes de solidarité réalisent généralement des projets
familiaux qu‟ils n‟auraient jamais pu réaliser avant

167
(achats des parcelles ou lopins de terre pour cultiver,
amélioration de l‟habitat, achat de bétails, etc…)
La caisse de soutien aux orphelins et autres enfants
sert principalement pour l‟achat des kits scolaires qui
sont distribués pendant le mois de juillet et août de
chaque année. Les groupes de solidarité d‟une même
zone se mettent généralement ensemble sous la
supervision du réseau communal « Umwana si
uw‟umwe » pour effectuer des achats groupés afin
d‟avoir les meilleurs prix. Des actions de visibilité des
groupes de solidarité sont organisées le jour de la
distribution des kits scolaires. Les enfants bénéficiaires y
contribuent en organisant des activités d‟animation de
plusieurs sortes et les autorités administratives de la
localité sont invitées.
En plus de l‟achat des kits scolaires pour lesquels
80% du budget est affecté, la « caisse OEV » sert
également pour l‟achat des cartes de mutuelles de santé
pour les enfants vulnérables sans tuteurs ou dont les
tuteurs n‟ont pas encore la capacité d‟adhérer à un groupe
de solidarité. La caisse sert également pour le payement
des frais exigés pour retirer les extraits d‟acte de
naissance pour les enfants déclarés tardivement, elle peut
servir à d‟autres besoins comme l‟achat de nourriture en
période de disette, de savons et bien d‟autres.
La caisse d‟entraide mutuelle sert pour le soutien
social et les gestes de sympathie pour les membres. Elle
permet de donner une contribution en cas d‟événement
heureux comme les naissances et les mariages mais aussi
en cas d‟événements malheureux comme le décès ou la
168
maladie prolongée. Les Outils de gestion disponibles
dans le groupe de solidarité « Nawe n‟uze.»
Les outils nécessaires pour un groupe de solidarité sont :
(1) Une caissette à 3 compartiments et avec 3 cadenas ;
(2) Un registre pour enregistrer tous les membres ainsi
que toutes les transactions ; (3) Les carnets d‟épargne
individuelle complétés chaque semaine ;(4)Trois cuvettes
ou trois corbeilles pour collecter les cotisations avant de
les mettre dans la caisse après comptage ; (5) Un cachet.
L‟accompagnement des groupes de solidarité apporté par
FVS-AMADE: (1)Accompagnement dans l‟élaboration
des textes réglementaires;(2) Formations (vie associative,
entrepreneuriat, les droits de l‟enfant, nutrition, planning
familial, santé maternelle et infantile,etc..(3) Connections
aux institutions de Microfinance ; (5) Organisation des
groupes de solidarité en réseaux dénommés « Umwana si
uw‟umwe » pour faciliter le travail en synergie.
Encadrement et formations pour l’organisation des
groupes de solidarité en coopératives.
Système d‟autonomisation et catégorisation des Groupes
de solidarité encadrés :
GS nouveau : C‟est un groupe de solidarité qui a un âge
inférieur à 12 mois. Il doit être appuyé dans sa
structuration et bénéficier de toutes les formations
nécessaires.
GS avancé : C‟est un groupe de solidarité qui a un âge
compris entre 12 et 24 mois. Il doit être visité une fois
par mois. Il est normalement éligible pour être connecté à

169
une institution de microfinance. Il est invité à adhérer au
réseau « Umwana si uw‟umwe de sa localité.
GS mûr : C‟est un groupe de solidarité qui a un âge
compris entre 36 et 60 mois. La fréquence des visites est
d‟une fois les deux mois. Il doit avoir déjà initié une
activité génératrice de revenus collective et remplir toutes
les conditions pour adhérer à la coopérative de sa
commune.
GS autonome : C‟est un groupe de solidarité qui a un âge
Supérieur à 5ans.Il est déjà mature et membre de la
coopérative communale. Il peut être visité une fois par
trimestre.
Impact de « Nawe n’uze » sur les groupes cibles
Les études réalisées par des experts indépendants ont
déjà prouvé les éléments d‟impact suivants :
Augmentation des revenus des ménages : Le revenu est
doublé après avoir été membre d‟un groupe de solidarité
pendant trois années.
Augmentation du taux de scolarité des orphelins et autres
enfants vulnérables et des enfants en général. Les enfants
des membres des groupes de solidarité en âge scolaire,
sont tous scolarisés ainsi que les orphelins et autres
enfants vulnérables de leurs localités.
Renforcement de la cohésion sociale entre les membres
et résolution pacifique des conflits : les personnes qui se
retrouvent dans le même groupe de solidarité se sentent
très unis.

170
Nombreux sont ceux qui ont retiré les litiges qui les
opposaient dans les tribunaux pour les régler à l‟amiable.
Amélioration du statut de la femme et du leadership
féminin: La femme est davantage consultée pour les
projets du ménage car elle n‟est plus considérée comme
« une charge » mais plutôt comme un partenaire qui peut
aussi apporter une contribution financière. Les membres
des groupes de solidarité étant à majorité des femmes se
retrouvent également majoritaires dans les organes de
gouvernance.
Changement de mentalité d’assistanat: diminution de
l’esprit d’assistanat au profit de de l’esprit
entrepreneuriat.
Situation des groupes de solidarité partenaires de FVS-
AMADE BURUNDI en octobre 2018
Au mois d‟octobre 2018, la FVS-AMADE
BURUNDI encadre 1937 groupes de solidarité « Nawe
n‟uze », composés de 63 978 membres et qui prennent en
charge 75 222 orphelins et autres enfants vulnérables. Ils
sont répartis dans les provinces dans Bujumbura Mairie,
les provinces de Gitega, Bururi, Rumonge, Makamba,
Mwaro, Bubanza, Rutana et la Commune de Kabezi.
Grâce aux groupes de solidarité, la FVS-AMADE a
transféré aux communautés et de manière durable, son
activité traditionnelle d‟octroi des kits scolaires aux
orphelins et autres enfants vulnérables pour laquelle elle
avait l‟obligation de mobiliser des ressources extérieures
chaque année.

171
Le processus a été organisé progressivement sur
une période de 4 ans (de 2011 à 2014).

THEORIE DE CHANGEMENT DES GROUPES DE


SOLIDARITE « NAWE N’UZE » PROMUS PAR
FVS-AMADE BURUNDI
Mission : Promouvoir la solidarité communautaire pour
une prise en charge satisfaisante et durable des
orphelins et autres enfants vulnérables;
Outcome (Résultat) : Tous les OEV bénéficient d‟une
prise en charge satisfaisante et durable par leurs
communautés de base à travers les GS et les réseaux
(Coopératives) « Umwana si uw‟umwe ».
Jiiuiuiuldqjlfdqlsjfdsf*

Les Mutuelle communautaire de santé


« Tuzokira Twese »
"Nous allons tous guérir"

Résumé
Pendant plus de dix années, FVS-AMADE
Burundi a pris en charge les soins médicaux des
orphelins et autres enfants vulnérables qui sont
bénéficiaires de l‟organisation, grâce au soutien
financier des bailleurs de fonds. Toutefois, ce système
ne pouvait pas être pérenne. Au moment où la FVS-
AMADE BURUNDI a décidé de changer sa politique

172
d‟intervention en 2010, en passant du système
d‟assistance d‟urgence au système de développement
intégral des familles des enfants bénéficiaires en vue de
leur autonomisation, le système de payer directement les
dépenses médicales des OEV est devenu inadéquat.
La FVS-AMADE avait donc la nécessité d‟innover pour
trouver un moyen durable pour que les familles
d‟accueil puissent payer leurs propres dépenses
médicales ainsi que celles des OEV sous leur charge.
Après une étude de faisabilité en 2011, la Mutualité
« Tuzokira Twese » a été créée, et les premiers
membres ont reçu une couverture médicale le 1er
Décembre 2012.

Agent de la mutuelle «Tuzokira Twese »


accueillant un membre

173
Valeurs
Solidarité
Les services médicaux offerts par la Mutuelle ne sont
pas divisés. Ceci veut dire qu‟à travers la cotisation
annuelle, il existe des membres eux-mêmes qui payent
tous les frais pour les soins de santé qu‟ils reçoivent. Le
système donne accès aux soins médicaux pour les
familles vulnérables avec une solidarité mutuelle: tous
les membres ne sont pas malades en même temps; tous
les membres partagent les frais et les risques pour
chaque membre. Ceci veut dire que si un membre est
malade, il y a toujours assez d‟argent pour payer ses
soins de santé.
Structure

Chaque province d‟intervention a son propre programme


de Mutuelle de santé indépendante connu comme
“Tuzokira Twese”. Chacun a ses propres documents et
règles fondateurs, mais chacun suit un système dirigé par
le centre de micro-assurance santé “ Santé Assurée”, qui
est situé au siège de la FVS-AMADE à Bujumbura.

Chaque programme de Mutuelle de Santé a son propre


système de gouvernance, composé, du sommet jusqu‟en
bas, par: une assemblé générale provinciale composée de

174
sections déléguées, et cellules, qui sont équivalentes aux
groupes de solidarité.
La structure est comme suit: (1) Un comité de trois
membres de chaque groupe de solidarité (ou cellules) qui
représente la Mutuelle dans le groupe. Ils sont
responsables de transmettre l‟information de la Mutuelle
aux membres du groupe, de collecter les frais d‟adhésion
et de les déposer au compte bancaire, et d‟élire les
représentants zonaux pour l‟assemblée générale.
(2) Un comité de cinq membres au niveau de la section
qui organisent les consultations publiques pour tous les
membres de cette section. Ce comité est aussi
responsable de l‟éducation et de la sensibilisation de la
Mutuelle et de collecter les problèmes importants de la
section pour les amener à l‟assemblée générale
provinciale. (3) L‟assemblée générale est l‟organe de
décision de la Mutuelle. L‟assemblée générale représente
les membres de base, puisqu‟elle est composée par des
représentants de chaque section ou zone de la province.
L‟assemblée générale tient des réunions régulières une
fois l‟année pour discuter des problèmes comme les frais
d‟adhésion et les services couverts par la Mutuelle.
(4) Le conseil d‟administration est responsable de
l‟exécution des décisions prises par l‟assemblée générale
et de la guider. Ce corps est composé par un représentant
de la FVS-AMADE, un représentant de l‟administration
(le cabinet du Gouverneur), un représentant de la santé au
175
niveau provincial et un représentant de chaque section de
la Mutuelle.
Le conseil d‟administration est composé comme suit:
Président, Vice-Président, Secrétaire, Vice-secrétaire,
Trésorier, et les Conseillers. Le conseil d‟administration
se réunit ordinairement une fois par trimestre, mais des
réunions extraordinaires peuvent se tenir. (5) Le comité
de suivi est responsable du suivi des actions réalisées par
l‟assemblée générale. Les trois membres du comité
vérifient et contrôlent les actifs financiers de la
Mutuelle. (6) Chaque mutuelle provinciale a aussi une
équipe de 3 à 4 personnes qui doivent gérer les finances
et les dossiers des membres, payer les factures aux
institutions partenaires et s‟assurer que les services sont
bien délivrés.

Membres
La majorité des membres de « Tuzokira Twese » sont
des membres des groupes de solidarité qui prennent en
charge les ORPHELINS ET AUTRES ENFANTS
VULNÉRABLES et bénéficiaires de la FVS-AMADE.
Toutefois, être membre d‟un groupe de solidarité n‟est
pas une nécessité pour adhérer à la Mutuelle. Un
nouveau membre peut s‟enregistrer à travers son groupe
de solidarité, ou il y a aussi une autre option de
s‟enregistrer comme un membre de n‟importe quelle
association qui se réunit régulièrement, comme un
176
groupe d‟étudiants de l‟association des personnes
handicapées. Un nouveau membre doit payer 1,000
francs burundais (Fbu) pour sa carte d‟adhésion qui a les
photos et les détails sur chaque membre de la famille.
Avec les frais annuels, les dépenses médicales d‟un
membre sont couvertes, avec celles de son conjoint(e),
ses enfants et EOV à sa charge.
Pouvoir des membres
Les membres élisent leurs représentants au cours d‟une
assemblée générale, qui écoutent leurs apports quand
des décisions importantes sont prises comme les frais
d‟adhésion et les services offerts. Si un membre reçoit
de mauvais soins de santé dans l‟une des institutions
partenaires, il a le pouvoir de faire des changements.
Chaque membre a un vote, et ils partagent le pouvoir
équitablement.
Cotisations
Le montant des cotisations annuelles dépend de la
province : (1) La cotisation annuelle pour une famille à
l‟intérieur du pays est de 22 500fbu (Avec un ajout d‟un
forfait de 2 500 fbu pour une famille de plus de 6
personnes, et de 37 200fbu pour une famille à
Bujumbura. (2) La cotisation unipersonnelle (sans
personnes à charge) est de 15 000fbu à l‟intérieur du
pays, 20.000fbu à Bujumbura parce qu‟il ya beaucoup
de services offerts.
177
Le paquet de service à offrir aux bénéficiaires
(1) Au niveau des centres de santé publics,
confessionnels et privés:
La consultation ambulatoire, les médicaments, les
tests au laboratoire, les observations, la petite
chirurgi, donc tous les services offerts, à l‟exception
des pathologies chroniques connues.
(2) Au niveau des hôpitaux publics, confessionnels et
privés: La consultation médicale, les médicaments,
les tests de laboratoire, d‟hospitalisation, la chirurgie
non programmé. Donc tous les services offerts
excepté les pathologies chroniques connues.

Modalités d’accès aux soins de santé et mécanismes de


prise en charge
Le mode d‟octroi des prestations aux bénéficiaires est le
tiers payant: la mutuelle paie directement la formation
sanitaire. A Bujumbura, comme il existe plus de services
disponibles et une contribution annuelle élevée, les
services couverts comprennent aussi les opérations
chirurgicales non programmées et les consultations chez
les spécialistes.

178
Il existe aussi des exceptions- des services qui sont
offerts par les partenaires institution
+nels qui ne sont pas couverts par la Mutuelle - par
exemple, l‟accouchement ou les soins des enfants en
dessous de 5 ans - ces exceptions sont toujours couverts
par le gouvernement gratuitement.

Des enfants recevant des cartes de la MTT de la part de la


Mutuelle de Bujumbura Mairie

Impacts
Inclusion : Comme l‟indique le nom « Tuzokira
Twese », le but de « Santé Assurée » est de faire accéder
aux soins de santé n‟importe quelle personne qui en a
besoin, et qui a choisi de rejoindre la Mutuelle

179
volontairement. Ceci veut dire que non seulement les
OEV sont soignés, mais aussi les tuteurs et leurs
familles. Toutefois, « Tuzokira Twese » est ouvert à
chaque personne, pas seulement aux membres des
groupes de solidarités bénéficiaires de la FVS-AMADE.
Le système fonctionne le mieux avec beaucoup plus de
membres, et les efforts sont faits pour recruter de
nouveaux membres dans chaque province où la Mutuelle
« Tuzokira Twese » existe.

Sans-but-lucratif: La Mutuelle ne réalise aucun profit ;


son objectif est d‟offrir les meilleurs services à ses
membres, au coût le plus bas possible. L‟institution ne
distribue pas de dividendes à ses membres, mais utilisent
les excédents comme réserve, pour améliorer la qualité
des services ou pour réduire les frais annuels.

Gestion efficace et rigoureuse: Les membres du conseil


d‟administration participent activement à la gestion de la
Mutuelle. Ils sont signataires du compte bancaire de
« Tuzokira Twese ». L‟assemblée générale, qui se réunit
régulièrement une fois par an, a un pouvoir de décision
sur les budgets, les comptes, les affectations des
excédents, et la stratégie en général.
L’accès: Pour ceux qui ne sont pas membres des
programmes d‟assurance mutuelle de santé au Burundi,
il peut être difficile de se faire soigner dans les hôpitaux
ou des cliniques car ils doivent payer le coût total au
180
départ. Avant de rejoindre « Tuzokira Twese », certains
membres ne demandaient pas de traitement s‟ils
tombaient malades, ou attendaient de voir si leur santé
s‟améliorerait sans soins médicaux. La carte de membre
« Tuzokira Twese » donne accès aux soins médicaux
aux personnes ayant des moyens financiers limités, et
pas seulement aux institutions publiques: là où il n‟y a
pas de services publics disponibles, les membres ont
également accès aux soins dans des institutions privées.

Rapidité: La carte de membre « Tuzokira Twese »


permet aux membres de se faire soigner dès qu‟ils
tombent malades. Avant l‟assurance maladie mutuelle,
même si une personne était gravement malade, elle ne
pouvait pas être traitée si elle n‟avait pas assez d‟argent
pour payer la facture à ce moment-là. Cela signifiait que
les personnes malades étaient souvent obligées de
vendre un objet de valeur, une chèvre, par exemple,
avant de se faire soigner. La Mutuelle permet aux
membres de rester en meilleure santé car ils peuvent
immédiatement se faire soigner.
Fiabilité: Avant l‟existence de la mutuelle « Tuzokira
Twese », il était parfois difficile pour les cliniques et
autres établissements de santé de conserver un stock
fiable de médicaments, car rien ne garantissait que les
établissements étaient remboursés à temps pour les
médicaments distribués. La Mutuelle « Tuzokira
Twese » a établi une relation de confiance positive avec
181
les partenaires, lesquels ont à leur tour rendu les soins
médicaux nécessaires, médicaments disponibles de
manière fiable, les factures sont toujours remboursées à
la fin du mois.
Durabilité: Un programme d‟assurance maladie est une
approche beaucoup plus durable des soins médicaux que
le soutien fourni auparavant par FVS-AMADE aux
OEV. Etant donné que les membres paient eux-mêmes
tous les coûts de leurs services médicaux, ils peuvent
être assurés qu‟ils continueront à recevoir les soins dont
ils auront besoin tant qu‟ils vont continuer de payer leurs
frais annuels. En d‟autres termes, « Tuzokira Twese »
permet aux membres d‟être indépendants car ils ne
dépendent plus du support externe.

182
ANNEXE 3

GRAPHIQUE DE L’EVOLUTION DES


ENFANTS BENEFICIAIRES DE FVS-
AMADE DEPUIS SA CREATION
JUSQU’EN 2017

Nombre d‟orphelins et autres enfants bénéficiaires de


kits scolaires distribués chaque année par FVS-AMADE
Burundi depuis sa création en 1992 jusqu‟en 2017

Depuis son agrément officiel en 1992 ; la FVS-AMADE


BURUNDI a toujours cherché les moyens pour donner
des kits scolaires aux orphelins et autres enfants
vulnérables pour leur permettre de continuer à
poursuivre leur scolarité. En effet, la FVS-AMADE
Burundi estime que le meilleur service qu‟on peut rendre
à un enfant en général et un orphelin en particulier ; c‟est
183
de l‟aider à se préparer à une vie d‟adulte autonome et
responsable.
Plusieurs milliers d‟enfants ont bénéficié de ce service et
chaque fois qu‟on rencontre l‟un d‟entre eux, nous
sommes heureuses de l‟entendre dire « Merci Maman » ;
c‟est grâce à toi que je suis médecin, juriste, économiste,
etc…
Ce sont les Milliers d‟enfants dont on parle dans ce livre.

184

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