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Soins Et Anthropologie Une Demarche Reflexive

Cet article analyse la relation entre soins infirmiers et anthropologie, en mettant l'accent sur la nécessité de reconnaître à la fois l'unité de l'humanité et la diversité culturelle. Il critique la théorie des soins infirmiers transculturels pour son relativisme culturel, qui néglige les implications éthiques et philosophiques de la pratique des soins. L'objectif est d'explorer différentes traditions de soins à travers une méthode réflexive, afin de mieux comprendre leur portée dans la pratique infirmière.

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Soins Et Anthropologie Une Demarche Reflexive

Cet article analyse la relation entre soins infirmiers et anthropologie, en mettant l'accent sur la nécessité de reconnaître à la fois l'unité de l'humanité et la diversité culturelle. Il critique la théorie des soins infirmiers transculturels pour son relativisme culturel, qui néglige les implications éthiques et philosophiques de la pratique des soins. L'objectif est d'explorer différentes traditions de soins à travers une méthode réflexive, afin de mieux comprendre leur portée dans la pratique infirmière.

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MÉTHODOLOGIE

SOINS ET ANTHROPOLOGIE
UNE DÉMARCHE RÉFLEXIVE

Cécilia ROHRBACH VIADAS,


Anthropologue infirmière

« toute réflexion importante,


loin de clore le débat,
au contraire commence
par l’ouvrir »

Yvonne Preiswerk

RÉSUMÉ A B S T R AC T
Soigner l’être humain en respectant l’égalité des Caring for human beings, calls for relating unity
cultures et en reconnaissant leurs différences and diversity in order to respect the equality of
culturelles, appelle à relier unité et diversité. Les cultures and to recognize their cultural diffe-
publications récentes dans le domaine des soins rences. Cultural difference is, however, privile-
culturels privilégient pourtant la différence cul- ged by recent publications within the culture
turelle, fondée sur le relativisme culturel délais- caring domain, based on cultural relativism and
sant le postulat de l’unité de l’humanité, comme disregarding the unity of humanity, transcultural
c’est le cas pour les soins infirmiers transcultu- nursing theory is the case. For this reason, some
rels. C’est ainsi que quelques éléments histo- historical elements related to the two original
riques relatifs aux théories fondatrices de l’an- anthropological theories are included in this
thropologie sont inclus dans ce texte, pour text to understand the philosophical and ethi-
comprendre les implications philosophiques et cal implications of transcultural nursing theory.
éthiques de la théorie de soins infirmiers trans- The objective of this article is to analyse six
culturels. L’objectif de cet article est d’analyser recent publications within the caring and
six publications récentes dans le domaine des anthropology field, through a reflexive method
soins et de l’anthropologie, à travers une identifying two different caring traditions and
méthode réflexive pour identifier deux tradi- demonstrating their philosophical and ethical
tions de soigner différentes en démontrant leur reach for caring practice.
portée philosophique et éthique dans la pra-
tique de soins infirmiers.

Mots clés: soigner, être humain, unité de l’humanité, Key words: caring, unity of humanity, equality of cul-
égalité des cultures, reconnaissance de leurs diffé- tures, recognition of their cultural differences, caring-
rences culturelles, soins infirmiers transculturels, anthropology, philosophical and ethical reach, reflexive
portée philosophique et éthique, méthode réflexive. method.

RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007 19


MÉTHODOLOGIE
SOINS ET ANTHROPOLOGIE
UNE DÉMARCHE RÉFLEXIVE

INTRODUCTION La théorie de soins infirmiers transculturels a été publiée


en 1978 (voir Leininger, 1995, pp. 3-54 pour le dévelop-
pement détaillé de sa conception théorique) en prenant
La recherche en soins infirmiers a été introduite en rapidement une ampleur internationale, donnée par son
France et en Suisse par Rosette Poletti autour de 1978- auteure.
1985. Poletti brosse le tableau de la situation de la
recherche dans la profession durant cette période. La théorie de Leininger a été analysée par plusieurs infir-
Comme elle aime le faire, elle illustre cette situation par mières (Marriner-Tomey, Julia B. George, S. Kérouac,
des citations ou des exemples identifiant autant les entre autres) et c’est l’étude de Julia B. George (1995), qui
aspects positifs des investigations déjà réalisées, que les apparaît comme la plus complète parce qu’elle identifie un
difficultés posées quand il s’agit de modifier des attitudes aspect décisif : «Leininger définit la santé, mais elle ne défi-
ancrées s’opposant à la recherche infirmière. Rosette nit pas spécifiquement les concepts majeurs d’être humain,
Poletti a introduit également des théories et des modèles société/environnement…» (George, 1995, p. 379, traduc-
de soins infirmiers, écrits pour la plupart par des infir- tion). Cette lacune est de conséquence, parce que sans
mières américaines. le concept d’être humain, l’unité de l’humanité, ce concept
cher aux philosophes universalistes du XVIIIème siècle et
Ces théories ont commencé à être utilisées dans divers aux premiers anthropologues européens, est mise en dan-
programmes de formation infirmière de base et de cadres, ger, car il risque de ne pas être repris dans les publica-
en ouvrant la voie à de nouvelles connaissances et à la tions francophones de soins infirmiers.
conscience d’un savoir professionnel propre. Pendant cette
période, peu d’attention a été consacrée aux postulats Leininger s’abstient également de situer l’anthropologie
philosophiques de ces modèles et à leurs conséquences du point de vue historique et son concept de culture est
éthiques, ce qui a affaibli la réflexion infirmière. Plusieurs fondé sur le relativisme culturel. La théorie anthropolo-
auteurs formulent ce manque de préparation de futurs gique du relativisme est très répandue en Amérique, ins-
professionnels de la santé à cet exercice indispensable pirant la majorité des travaux de ce continent.
consistant en une analyse étendue de connaissances de la
profession, afin de se convertir en une science autonome Ma formation européenne en anthropologie, m’a permis
Nadot, M. (1992) et Reverby, S. M. (1993). Ce manque de de reconnaître les différences entre les théories euro-
critique a ralentit, non pas le milieu infirmier plutôt sécu- péennes et les théories américaines, parce que j’ai eu
risé par des connaissances stables, mais les collègues uni- accès aux deux écoles anthropologiques, ayant fait des
versitaires des autres sciences humaines. études pendant un certain temps à l’Université de
Washington, Seattle.
Une exigence propre à toute discipline universitaire veut
que la critique fasse partie de toute science et qu’elle soit L’évolutionnisme et le relativisme requièrent d’être situés
continuellement présente pour infirmer ou confirmer les dans cet article, comme cela serait le cas pour toute autre
postulats théoriques, pour analyser les méthodologies, théorie infirmière à étudier. Il s’agit de présenter l’his-
pour guider la recherche et pour préserver l’autonomie toire de la science humaine et sociale qu’accompagne la
indispensable à chaque discipline. discipline des soins. Pourquoi avoir des théories de soins
si on méconnaît les théories qui les accompagnent et qui
Pour analyser le domaine soins-anthropologie dans cet influencent leurs philosophies et leur éthiques ?
article, je propose une méthode réflexive décrivant les
principales orientations théoriques et philosophiques Les soins infirmiers appellent nécessairement d’autres dis-
américaines enseignées en Europe et leurs conséquences ciplines, l’autonomie totale des disciplines est un leurre.
dans les textes étudiés dans cet article. Chaque théorie est composée d’une histoire qui la fonde
et qui détermine la trajectoire de ses multiples principes,
postulats, orientations, méthodes, philosophies, recherches,
contexte culturel, personnalité de l’auteur, etc. Il importe
UN SURVOL DES SOINS INFIR- de les connaître, si nous voulons réfléchir en profondeur
MIERS TRANSCULTURELS et apprendre à utiliser les connaissances des sciences
humaines et sociales avec une éthique professionnelle.

Un bref écho concernant la théorie de soins infirmiers Comme le dit Dumont : «L’image mentale que nous avons
transculturels de Madeleine Leininger introduisant une d’une culture ne dépend pas uniquement des faits accessibles
orientation anthropologique dans les soins, pour la obtenus, mais de notre façon d’interpréter les faits accessibles
première fois dans les soins infirmiers, ne fait pas de et de notre manière de penser en général» (1989, p. 13). C’est-
doute. Son doctorat en anthropologie à l’Université à-dire, la représentation intellectuelle indispensable pour
de Washington, Seattle, la prépare à développer construire une théorie, contient des caractéristiques sem-
son domaine. blables à l’image mentale que nous avons d’une culture.

20 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007


SOINS ET ANTHROPOLOGIE
UNE DÉMARCHE RÉFLEXIVE

P R É C I S I O N S H I S TO R I Q U E S Leininger confirme cette position relativiste consistant


à accepter toute pratique de soins comme approu-
CONCERNANT L’ANTHROPO- vable. Sans entrer, ici, dans cette discussion, je laisse le
LOGIE lecteur réfléchir aux pratiques culturelles telles que :
la circoncision féminine, se défaire d’un bébé parce
Les premières recherches systématiques en anthropolo- qu’il est jumeau et que cela est considéré malsain par
gie datent du XIXème et du début du XXe siècle en Europe, le groupe, etc. Ces pratiques relèvent de l’éthique pro-
quoique, les philosophes universalistes du XVIIIème (Kant, fessionnelle et il est indispensable de prêter attention
Rousseau, voir Hodgen, 1971) vont stimuler la pensée de à l’enjeu qu’elles représentent.
ces premiers anthropologues avec leur postulat relatif à
l’unité de l’humanité. Subséquemment, l’évolutionnisme, la Il s’agit d’une question délicate dans laquelle se mêlent
première théorie anthropologique, essaie de comprendre le respect de l’autre, le respect envers soi-même, le
l’humanité. Cette théorie contemple la société moderne code éthique, les implications morales, sociales et
comme étant le stade supérieur, le modèle à suivre pour politiques. Leininger préfère éviter ces questions en
les sociétés dites moins «civilisées». Cette position «eth- gardant sa position relativiste concernant l’accepta-
nocentriste* » est certainement critiquable, mais retenons tion de l’ensemble des pratiques « sans jugement » et,
que la majorité des évolutionnistes a conservé ce que les plus encore, elle propose de prendre comme base
philosophes universalistes leur ont légué d’inappréciable, de réflexion éthique, la culture : « La culture, pourvoit
le postulat philosophique de l’unité de l’humanité, la connaissance holistique la plus complète pour construire
Berthoud, G. (1992, pp. 77-89, 119-127, 241-268). une base de connaissance éthique des soins, fidèle et
L’évolutionnisme fut toutefois fortement contesté par digne de confiance, pour guider les décisions sur les soins
les anthropologues américains et ceci avec raison. Les humains, la santé la mort, les facteurs de vie quoti-
chercheurs américains vont souligner surtout le dienne », Leininger (1990, p. 64, traduction). La cul-
concept de culture en accentuant la diversité cultu- ture est, ici, une définition sans contenu significatif
relle, ce que l’on connaît comme théorie relativiste. qui sera donnée par les membres du groupe étudié
La théorie évolutionniste, en soulignant l’unité de l’hu- lors du travail de terrain.
manité, néglige la diversité culturelle alors que la théo-
rie du relativisme culturel, au contraire, souligne la Après avoir examiné cette position, le relativisme cultu-
diversité culturelle et décline l’unité de l’humanité. C’est rel qui guide la réflexion éthique des conceptions liées à
cependant la théorie relativiste, qui domine dans la la culture dans les soins infirmiers transculturels, je désap-
représentation de l’anthropologie américaine jusqu’à prouve cette posture parce qu’elle déloge un fondement
nos jours. La théorie relativiste considère que les us et déontologique. Ma position est de considérer comme
coutumes des peuples sont significatifs uniquement dans essentiel de se référer à une démarche comparative
la culture d’appartenance. Ainsi, chaque culture est réflexive (qui ne peut pas être explicitée dans l’espace
conçue comme une totalité sans communication pos- de cet article). Cette démarche doit servir de base et
sible entre elles, puisque ce qui est valable pour une de guide, car «S’il y a un fondement, il y a des éléments qui
société ne l’est pas pour une autre. Leininger emprunte permettent de relativiser ; mais s’il n’y a pas de fondement,
son concept de culture à Haviland, W. A. (1990) et s’ins- il n’y a pas de structure contre laquelle d’autres postures pour-
pire particulièrement de Melville Jean Herskovits (1955, raient être ‘objectivement’jugées», Holmes (1988, p. 185,
1973), deux auteurs relativistes, dont Leininger adopte commas inversées dans le texte, traduction).
les postulats philosophiques sans les questionner et nous
verrons que cela a des conséquences éthiques de taille.
Les connaissances n’aidant pas à réfléchir, elles semblent
conjurer plutôt la soumission. DÉMARCHE RÉFLEXIVE ET PUBLI-
Herskovits, M. (1895-1963) a été un de principaux CATIONS DES SOINS ASSOCIÉES
concepteurs du relativisme culturel, il a soutenu que toute À L’ANTHROPOLOGIE
culture est objectivement accessible à partir de ses
propres critères. Ce postulat philosophique remet en
cause la possibilité même de comparer les cultures, et Accueillir un être humain pour le soigner est une
par conséquent, d’apprendre de chacune d’entre elles. Le démarche professionnelle basée sur une relation, sur
relativisme culturel renforce donc la diversité culturelle, des principes philosophiques, sur des connaissances
où tout est admissible, «tout se vaut», puisque chaque cul- théoriques et soutenue par la personnalité du soignant
ture est étudiée dans ses propres termes et valeurs et pour guider cette expérience, même si ces principes
ses traditions se considèrent acceptables dans le contexte sont implicites et confus. Cet accueil est aussi influencé
même, sans jugement de critique, Herskovits, M. (1973). par les valeurs que la société du chercheur privilégie.

*
Terme qui suggère de considérer ses propres valeurs culturelles comme étant supérieures aux autres

RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007 21


Je distingue dans la littérature des soins infirmiers fran- Son apport précieux (p. 12) est tombé pratiquement dans
cophone, une démarche professionnelle fondée sur un l’oubli par la suite, sans avoir eu l’écho requis.
héritage universaliste regardant chaque individu, Il s’agit pourtant d’un principe essentiel pour soigner
comme un membre à part entière de l’humanité. parce que toute personne soignée fait préalablement
La réticence envers l’enseignement de l’anthropologie partie de l’humanité. Évident ? Nous verrons que cela
s’adresse plutôt aux principes transculturels évoqués, n’est pas toujours le cas.
qu’à l’anthropologie elle-même, discipline peu connue,
d’ailleurs, dans certains pays francophones. Quoique 2) Collière, M.-F. (1996). Soigner… Le premier art de la vie.
cela doive encore se vérifier à cause de l’influence amé- Paris, InterÉditions. «De l’utilisation de l’anthropologie
ricaine dans ce domaine actuellement, comme nous le pour aborder les situations des soins», pp. 137-187.
verrons plus loin. Collière s’inspire entièrement du travail de terrain de
Tandis qu’aux USA, la démarche professionnelle propo- l’anthropologue et l’accommode au soignant. Elle pré-
sée par diverses publications dans le domaine des soins pare ainsi une méthodologie pour les soins commu-
culturels, attribue initialement un statut d’appartenance nautaires applicable dans d’autres contextes infirmiers.
au «client» comme nos collègues les dénomment, c’est- L’approche de Collière est considérée universaliste
à-dire des : tamouls, musulmans, japonais, etc. parce qu’elle reconnaît les êtres humains, sans les cata-
loguer, c’est une attitude positive et confirmée de sa
Ces deux démarches révèlent schématiquement deux démarche.
traditions de soins différentes. La tradition profes-
sionnelle américaine liée aux soins infirmiers transcul- Collière met en évidence le fait que toute situation de
turels, montre un intérêt pour une approche dirigée soins est une situation anthropologique et à partir de ce
vers le groupe culturel et fondée sur les principes du postulat, elle introduit un processus adapté aux deux dis-
relativisme culturel adoptés par sa principale leader, la ciplines : les soins et l’anthropologie, ce qui va, par la
Professeure Madeleine Leininger. suite, soutenir le développement de son enseignement.
Ce qui précède démontre qu’en considérant l’histoire,
on prend un engagement pour comprendre le témoi- 3) Rohrbach, C. (1999). Soigner, c’est l’expérience de
gnage du passé et pouvoir justement nous distancer se comprendre soi-même par le détour de l’autre.
de celui-ci en devenant académiquement plus libres. Revue Recherche en Soins Infirmiers, No. 56, pp. 81-87.
C’est l’analyse de six publications choisies pour identi- Une expérience pédagogique pour sensibiliser les étu-
fier le savoir, non pas d’anthropologie si peu connu, mais diants de la 1re année d’études en soins infirmiers, à
le savoir qui se publie dans le domaine soins-anthropo- l’École de Thonon-les-Bains, est décrite en apportant
logie, qui va suivre en montrant l’influence américaine. quelques exemples.

Les étudiants sont introduits à l’anthropologie et au tra-


vail de terrain pendant trois journées. Ensuite, ils parta-
PUBLICATIONS CHOISIES DANS gent trois journées avec un groupe ou une personne de
LE DOMAINE SOINS-ANTHRO- leur choix, différent d’eux. Ils élaborent un rapport écrit
POLOGIE de ces trois journées, et ensuite, en fonction de leur
expérience et de leurs connaissances acquises auprès
des groupes étudiés, ils décrivent comment ils soigne-
Les six textes seront étudiés et considérés selon la raient cette personne, si il/elle arrivait à l’hôpital. Ces
méthode réflexive mentionnée dans le résumé et mise données sont présentées oralement par chaque étudiant
en pratique tout au long de cet article. au groupe (42 étudiants) et par écrit au professeur.

1) Veysset, B. (1988). Anthropologie et recherche en Cette approche, qui consiste à partager, pendant trois
soins infirmiers, Revue Recherche en Soins Infirmiers, journées, la vie quotidienne avec des personnes
No. 14, pp. 9-14 (conférence). inconnues de l’étudiant, a stimulé leur créativité
Cette conférence est une des premières publications concernant la manière dont ils soigneraient ces per-
dans le domaine de l’anthropologie, donnée par une sonnes à l’hôpital. De plus, le mode de vie de
Docteure en Anthropologie, qui décrit avec des citations, pêcheurs, de sourds-muets, de personnes vivant au
en quoi consiste la discipline, abordant la recherche en couvent, d’une famille chilienne réfugiée, d’une fille
soins infirmiers de manière abrégée. Cette conférence de anorexique, d’un étudiant zaïrois, de deux agricul-
Bernadette Veysset introduit la dimension historique et teurs retraités, d’une personne transsexuelle et bien
philosophique de l’anthropologie de manière remar- d’autres personnes et groupes, a fait comprendre que
quable, car elle est la seule auteure, dans la littérature chaque groupe possède une connaissance sur les
étudiée, à avoir exposé les fondements de l’anthropolo- soins que les étudiants ont dû apprendre, pour ter-
gie. Veysset fait une communication d’envergure en pré- miner avec l’entendement que soigner est une expé-
cisant le principe philosophique de l’unité de l’humanité. rience de réciprocité.

22 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007


SOINS ET ANTHROPOLOGIE
UNE DÉMARCHE RÉFLEXIVE

4) Coutu – Wakulczyk, G. (2003). Pour des soins cul- nombre de connaissances théoriques qui leur sont
turellement compétents : Le modèle transculturel de transmises (voir projet clinique, p. 12 et suivantes). Peu
Purnell. Revue Recherche en Soins Infirmiers, No. 72, de place semble être laissée aux apprenants et au
pp. 34-47. patient, car «tout» ou presque, est déjà prévu. C’est
L’auteur de cet article décrit les éléments organisa- une approche issue du relativisme culturel américain,
tionnels et techniques du modèle Purnell. C’est une même si l’auteur peut l’ignorer, cependant, cette
description avec la traduction complète dudit modèle. approche «catalogue» les patients et il paraît conve-
Coutu – Wakulczyk, traduit le schéma conceptuel de nir plutôt à la mentalité américaine.
l’auteur de manière très complète, introduisant Pour conclure, le risque existe avec ce type d’approche
quelques modifications organisationnelles avec l’auto- de retomber dans les soins en série : les noirs sont
risation de Larry Purnell. Il est dommage qu’aucun soignés ainsi, les turcs autrement, les japonais comme
objectif n’ait été précisé pour connaître le choix de ce le dit tel livre. Cela ne serait pas trop différent de : l’ap-
modèle culturel par rapport à d’autres. La description pendicite, on procède ainsi, le cancer du colon selon
est uniquement théorique sans faire référence à des telle approche, un travail mécanique, automatisé. Cette
situations de la pratique. Le modèle Purnell relève de démarche néglige autant le patient que l’infirmière
l’approche relativiste, décrite précédemment. comme êtres humains. Les soignants de «patients dif-
férents » peuvent se spécialiser dans une culture et
5) Lepain, C. (2003). L’approche culturelle en soins apprendre à regarder leur patient avec un regard
infirmiers pour les patients musulmans maghrébins « musulman maghrébins », mais comment regarde-t-
relevant des soins palliatifs. Revue Recherche en Soins on un maghrébin comme être humain ?
Infirmiers, No. 72, pp. 4-33. L’article de Catherine Lepain est le résultat d’une forte
Dans ce travail d’un investissement personnel sérieux, influence de l’anthropologie américaine dans sa pra-
il est toutefois difficile de comprendre le cadre concep- tique de soins.
tuel de l’auteure, car elle se réfère à Watson et à
Leininger, dont elle sélectionne des éléments sans les 6) Racine, L. (2003). Les potentialités de l’approche
justifier et en les appliquant de manière superficielle théorique post-coloniale en recherche infirmière cul-
dans son projet pratique. turelle sur l’adaptation du soin infirmier aux popula-
Lepain a ainsi cité de nombreuses conceptions théo- tions non occidentales. Revue Recherche en Soins
riques, les unes à côté des autres, par rapport à son Infirmiers, No. 75, pp. 7-14.
projet, telles : Leininger et Watson, Giger – Davidhizar, Dans cet article, il y a un effort de décentration, c’est-
Gordon avec ses diagnostiques et Kérouac, S. (1994). à-dire, cette capacité complexe de pouvoir quitter un
Ces auteurs, leurs théories et leurs connaissances sont point de vue en le questionnant de loin et de près.
de qualité variée sans être justifiées par Lepain, ce qui Racine propose une réflexion qui justifie son parcours
diminue la cohérence théorique et pratique de son et la raison de ses choix théoriques, elle décrit claire-
article. Pourquoi ? ment la voie novatrice qu’elle entreprend. Racine fait
Julia B. George (1995, pp. 373-389), en analysant la une critique du multiculturalisme occidental en démon-
théorie de Leininger, a conclu que l’auteure de la théo- trant ses lacunes et elle avance des références qui sou-
rie de soins infirmiers transculturels n’a pas définit les tiennent ses critiques. L’auteur introduit ensuite sa
quatre concepts de base de soins infirmiers : personne, propre perspective, où elle propose «une négociation
santé, environnement, soins infirmiers. Pourtant, ces des différences culturelles entre la clientèle non-occi-
quatre concepts sont définis par Lepain, comme s’ils dentale et le personnel infirmier », un « troisième
appartenaient à Leininger ? Mais, c’est à Kérouac que espace» (p. 11) qui mène à une compréhension des
Lepain emprunte ces définitions qui ne correspondent différences culturelles. L’auteure est consciente du che-
pas à Leininger comme déjà indiqué. Elles se trouvent minement requis des soignants pour arriver à ce type
chez Kérouac, qui a abordé la théorie de Leininger de de compréhension et elle propose à ce sujet, un pro-
manière plutôt simplificatrice en réduisant ses expli- cessus de conscientisation. La démarche de l’auteure
cations à quelques termes (voir, « La pensée infir- est novatrice, comme elle l’indique au départ de son
mière», 1994, pp. 43-45). article, car elle introduit un concept, la «sécurité cul-
turelle», souhaitant que la recherche infirmière cultu-
L’article de Lepain termine par un «projet clinique» relle devienne un progrès d’action sociale, qui consiste
pour apprendre à soigner les patients maghrébins. La à développer des programmes d’éducation basés sur
question qui émerge avec cette approche se réfère à la notion de sécurité culturelle. L’auteure s’est inspirée
la manière déductive de procéder, il y a peu de spon- d’Antonio Gramsci, théoricien et écrivain italien, dont
tanéité et d’initiative pour les soignants introduits dans les idées ont eu du succès par son authenticité et par
autant de connaissances hétérogènes. son intérêt pour les classes défavorisées. L’orientation
Cet accès aux soins, catégorise les patients en les sépa- choisie est donc politique, avec des connaissances
rant des autres patients non musulmans maghrébins concernant les classes défavorisées et la théorie sou-
et peut estomper la curiosité des soignants par le tenue par cette perspective.

RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007 23


La critique de Racine relative à la théorie de Leininger Soigner est une pratique culturelle réciproque entre
est pertinente et subtile, car elle a su identifier le soignant et soigné, entre soignant et groupe culturel.
fondamental : « Les approches culturalistes et de la Soigner est universel et culturel parce que les soins
diversité du soin culturel de Leininger et le modèle sont étroitement liés à l’humanité et à ses différences.
explicatif de la maladie de Kleinman, constituent des Les soins sont source de vie et requièrent, pour leur
approches où la culture, bien que soi-disant étudiée investigation, obligatoirement la rencontre avec un
de manière holistique, se trouve réduite à une groupe inconnu du chercheur. Le travail de terrain
expression simplifiée, qui fixe les différences cultu- devient ainsi comme l’affirme Merleau-Ponty : « une
relles de l’Autre en entités essentialistes » (p. 9). source de connaissance pour comprendre les manières de
Racine fait preuve de valeur en examinant les théo- vivre des êtres humains inconnus spontanément philoso-
ries infirmières et en montrant les discordances phique» (1960, p. 138).
entre théorie et pratique. Les soins sont un savoir contenu dans les êtres
humains, car ce sont eux qui pensent les soins et les
En conclusion, la littérature étrangère relative aux soins pratiquent dans leur vie quotidienne. Ce sont les
et à l’anthropologie, fait continuellement appel à la cul- patients, ou les groupes étudiés, qui nous font décou-
ture de l’autre, comme si notre propre culture était vrir ce qui est inconnu pour nous, même si nous pen-
inexistante, cachée, inopérante et ne jouait aucun rôle sons être des experts du soin.
dans notre relation au patient. Les diverses théories
transculturelles et culturelles analysées séparent les
êtres humains, les étiquettent comme étant «Gadsups,
Polonais, Amishs», comme si leur différence était prio-
ritaire au fait d’être un être humain.

Le premier droit de tout être humain pourtant, y com- RÉFÉRENCES


pris chacun de nous, est d’appartenir à l’humanité.

Berthoud, G. (1992). Vers une anthropologie


générale. Genève, Librairie Droz.
COMMENCEMENT
Collière, M. F. (1996). Soigner… Le premier art
de la vie. Paris, InterEditions, pp. 137-187 et
Si il a été question de deux théories fondatrices de l’an- 146.
thropologie, l’universalisme et le relativisme, il importe
maintenant de les concevoir en relation l’une avec Coutu – Wakulczyk, G. (2003). Pour des soins
l’autre. Chaque postulat, c’est-à-dire, l’unité de l’hu- culturellement compétents : Le modèle trans-
manité et les différences culturelles, est indispensable culturel de Purnell. Revue Recherche en Soins
pour étudier et comprendre les soins. Infirmiers, No. 72, pp. 34-47.

Chaque perspective à elle seule, que ce soit l’uni- Dumont, L. (1989). La civilisation indienne et
versalisme ou le relativisme, est insuffisante pour nous. Madrid, Alianza editorial.
comprendre l’humanité et les êtres humains que
nous soignons. Il conviendrait d’aller dans le sens du George, J. B. (1995) Nursing Theories. The Base
dialogue entre les cultures, à la place de contribuer for Professional Nursing Practice. Norwalk,
à le détourner. Connecticut, Appleton & Lange, pp. 373-389.

Étudier les soins et l’anthropologie, peut participer, Giger, J. & Davidhizar, R. R. (1991) Transcultural
comme dit Jean-Jacques Rousseau, à «porter sa vue au Nursing. St. Louis, C. V. Mosby.
loin». Quitter temporairement l’hôpital, peut être salu-
taire, car au retour d’un voyage, on apprécie son pays Haviland, W. A. (1990). Cultural Anthropology.
autrement. En conséquence, «En comparant la vision du Forth Worth, Holt, Rinehart, and Winston, 6 th
monde dans laquelle on a grandit avec n’importe quelle edition.
autre, on se dote d’un potentiel énorme pour une meilleure
compréhension des deux», Horton (1990, p. 74). Herskovits, M. (1955). Cultural Anthropology.
New York, Alfred A. Knopf.
En étant loin de l’hôpital, les conceptions actuelles de
la santé et de la maladie peuvent s’égarer pendant un Herskovits, M. (1973). Cultural Relativism.
certain temps, parce qu’elles sont devenues aujour- Perspectives in Cultural Pluralism. New York,
d’hui, une véritable tour de Babel. Vintage Books.

24 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007


SOINS ET ANTHROPOLOGIE
UNE DÉMARCHE RÉFLEXIVE

Hodgen, M. T. (1971). Early Anthropology in Merleau-Ponty, M. (1960). Signes. Paris, p. 138.


the sixteenth and seventeenth centuries.
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RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007 25

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