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Dictionnaire de La Civilisation Japonaise

Le 'Dictionnaire de la Civilisation Japonaise' présente une vue d'ensemble de la culture japonaise à travers des articles spécialisés et une chronologie historique. Il aborde la complexité et la diversité de la civilisation japonaise, tout en soulignant la coexistence des influences traditionnelles et modernes. L'ouvrage est le fruit d'une collaboration entre divers experts et offre des traductions de textes japonais et étrangers.

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Dictionnaire de La Civilisation Japonaise

Le 'Dictionnaire de la Civilisation Japonaise' présente une vue d'ensemble de la culture japonaise à travers des articles spécialisés et une chronologie historique. Il aborde la complexité et la diversité de la civilisation japonaise, tout en soulignant la coexistence des influences traditionnelles et modernes. L'ouvrage est le fruit d'une collaboration entre divers experts et offre des traductions de textes japonais et étrangers.

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DICTIONNAIRE

DE LA
CIVILISATION
JAPONAISE
Ouvrage publié avec le concours de la Fondation du Japon
et de la Fondation Tanaka
D I C T I O N N A I R E
DE LA

CIVILISATION

J A P O N A I S E
sous la direction
d'Augustin Berque

HAZAN
CALLIGRAPHIE DE LA COUVERTURE
MORI TOSHIKO

CONCEPTION GRAPHIQUE
ATALANTE

RÉALISATION
DOMINIQUE CHIEUX

ICONOGRAPHIE
FLORENCE HUET

COORDINATION
CHRISTOPHE BILLORET

RÉVISION DES ÉPREUVES


MARTINE ROUSSEAU

PHOTOCOMPOSITION
TRAITEXT, QUETIGNY-DIJON

PHOTOGRAVURE
COLOURSCAN, FRANCE

ACHEVÉ D'IMPRIMER EN SEPTEMBRE 1 9 9 4


PAR MILANOSTAMPA, FARIGLIANO ."v

PRINTED IN ITALY

e ÉDITIONS HAZAN, 1 9 9 4

ISBN 2 8 5 0 2 5 3 4 8 0
AVANT-PROPOS

Peu de pays sont affublés de clichés aussi éléments disparates en première appa-
tenaces que le Japon. U n m o t les résume rence, tout en les articulant à un fonds
tous : le « paradoxe » nippon. Mais le Japon implicite en un sens qui est proprement
n'est paradoxal que pour la doxa - japonais. Ainsi, des assemblages qui nous
l'opinion c o m m u n e - qui est la nôtre. Ce apparaîtront comme hétéroclites, voire
n'est un pays à deux visages (la « tradition » incohérents, seront goûtés au contraire
juxtaposée à la « modernité » ) que si l'on pour leur contingence. L'esthétique japo-
ne v e u t pas voir que les Japonais v i v e n t naise, depuis l'Antiquité, a trouvé là un de
leur présent et leur passé dans des termes ses ressorts les plus persistants.
qui sont les leurs, pas les nôtres. Si l'on veut bien accepter cette logique,
Certes, la réalité japonaise est multi- alors se dissiperont bien de ces prétendus
forme, et plus variée assurément que la paradoxes à travers lesquels nous perce-
nôtre. Il n'y a, par exemple, guère de pays vons le Japon. Cela, sans doute, ne nous est
où, dans un ménage moyen, l'on pourra au pas facile parce que la culture française
cours d ' u n e m ê m e j o u r n é e a l t e r n e r des affectionne au contraire les constructions
mets à l'européenne, d'autres à la chinoise, intégrées, répondant à un ordre évident
d'autres enfin à la manière nippone tradi- pour l'œil et pour l'esprit.
tionnelle - cet ensemble étant, du reste, Il n'est pas d'exemple plus fort de cette
perçu c o m m e u n ordinaire s i m p l e m e n t différence d'attitude que la langue. On sait
japonais. l'acuité des problèmes que pose en français
La variété c o n s t i t u t i v e du J a p o n l'emprunt de mots anglais. Les Japonais
d'aujourd'hui ne relève, pour autant, ni du semblent au contraire fort bien s'en
paradoxe ni du dualisme (et moins encore accommoder, à tel point que certains
de la schizophrénie, mot qui ne traduit que textes - publicitaires, par exemple -
l ' e t h n o c e n t r i s m e de ceux qui o n t pu paraissent écrits principalement en kata-
l'employer). C'est un fait de civilisation kana (le syllabaire employé pour transcrire
qui, très n o r m a l e m e n t , procède d ' u n e les mots étrangers). Il serait vain d'opposer
histoire et d ' u n e culture particulières. ces deux attitudes sur une échelle
Reconnaissons d'abord que si les emprunts commune, où les uns auraient tort et les
que le Japon a faits à l'étranger paraissent si autres raison ; c'est que, tout simplement,
évidents, c'est en partie - fait de conjonc- de tels emprunts n'ont ni le même sens ni
ture géo-historique - parce que son isole- les mêmes effets dans l'une et l'autre
m e n t au bout du m o n d e les a rendus plus langue. Pour diverses raisons inhérentes à
exceptionnels et plus soudains que dans les ses propres caractéristiques - entre autres,
pays comme la France, qui ont toujours été que la transcription en katakana japonise
facilement et régulièrement traversés par automatiquement les prononciations -, le
les courants d'échange entre les peuples. japonais emprunte plus facilement que le
C e p e n d a n t , sachons voir que c'est aussi - français. Ce faisant, il ne devient pas
fait de structure socio-anthropologique — moins japonais, au contraire ; témoin
parce que la culture japonaise a un l'aisance avec laquelle sont créés, par
p e n c h a n t pour la juxtaposition plutôt que simple contraction, ces néologismes
pour la composition intégrative, et qu'elle proprement nippons, qui pourtant décou-
peut ainsi accueillir et faire coexister des lent d'emprunts à la langue anglaise : paso-
kon (né de pasonaru konpyûtâ, transcrip- d'affinités vis-à-vis de la culture euro-
tion de personal computer), wâpuro (né de péenne. Bien qu'il fût aux antipodes du
wâdo purossessâ, transcription de word paradigme de la modernité occidentale -
processor), etc. en particulier parce qu'il n'a connu ni
Un mot tel que pasokon suffit à illustrer l'émergence du sujet individuel ni la révo-
l'inanité de ces « paradoxes » où la doxa lution scientifique -, le Japon d'avant
occidentale voudrait figer le Japon. Tant Meiji n'en possédait pas moins certains
du point de vue de la langue que de celui de autres attributs de la modernité, comme la
la technique, les pasokon ne sont ni plus ni diffusion de la lecture ou celle des cultures
moins qu'une réalité japonaise d'aujourd'hui ; industrielles. L'architectonique de sa maison
laquelle, tout comme les nôtres, ne relève traditionnelle a exercé une influence
ni seulement d'une tradition autochtone, complexe mais indéniable sur la naissance
ni seulement d'emprunts à l'étranger, mais du mouvement moderne en architecture.
d'une combinaison créatrice, à la croisée Ce singulier mélange de divergences et de
d'influences diverses. coïncidences explique à la fois la rapidité
Historiquement, certes, le Japon n'a été avec laquelle le Japon a pu assimiler la civi-
ni le foyer originel de la civilisation tech- lisation occidentale moderne, et le fait
nologique moderne, qui a sa source qu'il puisse aujourd'hui néanmoins se
première en Europe, ni même celui des poser en modèle différent, au-delà même
aspects dominants de sa civilisation tradi- de la modernité occidentale.
tionnelle, tels le confucianisme et le boud- Dans la mesure où la modernité se
dhisme, qui ont la leur en Chine et en trouve remise en question, l'exemple du
Inde. Toutefois, outre que cela tient pour Japon revêt donc un intérêt d'un autre
partie à son long isolement, l'originalité ordre que celui des autres cultures non
que sa civilisation a atteinte n'en est en occidentales. C'est en effet le premier, et
rien diminuée, non plus qu'aujourd'hui et jusqu'à présent le seul pays qui ait prouvé
demain son influence dans un monde que la modernité, voire la postmodernité,
ouvert désormais. Le Zen, par exemple, est peuvent se décliner autrement que dans la
bien japonais, quoiqu'il descende du chan grammaire occidentale. Nous ne médite-
chinois, lequel procède à son tour du boud- rons jamais assez cette singularité, prompts
dhisme indien ; et c'est à partir du Japon que nous sommes à ne voir le monde que
lui-même qu'il a influencé la pensée dans les termes de ce dualisme simpliste :
occidentale. tradition (non occidentale) vs modernité
À ce propos comme à d'autres, nous ne (occidentale). Le Japon nous montre que
devons ni mésestimer la japonité de ce qui la réalité, sans pour autant être paradoxale,
nous vient du Japon, ni, à l'inverse, est toujours plus complexe.
lorsqu'il prétend lui-même se poser en C'est en acceptant cette complexité du
paradigme, oublier ce qu'il doit à ses monde que nous pourrons y construire
voisins et à l'Occident. Gardons-nous, au notre propre avenir. Le Japon, dans son
demeurant, de verser dans un relativisme inclination et son aptitude à gérer la
pour lequel, après tout, la culture japonaise coexistence des influx les plus divers, ne
ne serait ni plus ni moins sui generis que les serait justement pas un mauvais maître ès
autres, tissée d'emprunts et de remanie- complexité. Reconnaissons-lui cette
ments créateurs, prise comme les autres vertu, et sachons apprécier toutes les
dans le mouvement universel de l'huma- facettes de sa civilisation.
nité. Car, si nous en restons à l'échelle
Augustin Berque
historique et non du point de vue de Sirius,
le fait est que la culture nippone présente
un troublant assemblage d'antithèses et
Ce dictionnaire présente une structure à deux étages. Des présentations géné-
rales survolent chaque grand domaine en quelques pages, tandis que des articles
plus spécialisés permettent d'en préciser les divers aspects.
En début de volume, l'histoire est condensée sous la forme d'une chronologie
synthétique, la géographie sous celle de cartes. En fin de volume, un index très
complet permet aux lecteurs, à partir d'un mot particulier, français ou japonais,
de se reporter à l'article qui le situera dans son contexte.
Les astérisques suivant un nom signifient que ce nom fait l'objet d'un article
dans le dictionnaire.
Les renvois, tel MANGA };>};>BANDEDESSINÉE, ont été créés pour des articles que le
lecteur pourrait rechercher aussi bien en japonais qu'en français.
Les anthroponymes japonais sont donnés dans l'ordre japonais : patronyme
avant le prénom. Ex. : Kurosawa (patronyme) Akira (prénom). Les transcrip-
tions suivent le système Hepburn, dans lequel les voyelles se prononcent à peu
près comme en italien, et les consonnes à peu près comme en anglais. Ex. : taue
(repiquage) = ta-ou-é.
Cette première édition comporte sûrement des omissions ou des erreurs, et nous
comptons sur les lecteurs pour nous aider à les rectifier.
Cet ouvrage a été réalisé à l'initiative et avec le concours de
Jean-Luc Gautier-Gentès

Les éditeurs remercient chaleureusement tous ceux qui les ont aidés à réunir l'illustration de
cet ouvrage, et plus particulièrement Yvonne Brunhammer ; Nelly Delay ; Fukagawa Masa-
fumi, Musée de la ville de Kawasaki ; Izosaki Arata ; Itô Toyo ; Iwasa Hiromi, Artec ; Kômoto
Shinji, Musée national d'art moderne, Kyôto ; Kuraishi Shino, Musée d'art, Yokohama ;
Masuda Rei, Musée national d'art moderne, Tôkyô ; Shinohara Kazuo ; Tada Tsuguo,
Iwanami shoten ; le Théâtre national de bunraku d'Ôsaka ; Yamaguchi Katsuhiro.
Les éditeurs remercient également Anke Breenkotter, Dominique Buisson, Juliette Charlot,
Brigitte Chimiez, Christine Cros et Tachikawa Motoko pour leur contribution à la réalisation
de cet ouvrage.

Les textes japonais ont été traduits par Augustin Berque, Camille Berque, Fukui Sumi,
Nadine Lucas et Dominique Palmé, les textes anglais par Patrick Beillevaire et Marie-Claude
Prouvesle, les textes allemands par JosefKKyburz.
LISTE DES COLLABORATEURS

ANNE BAYARD-SAKAI [ A. B.-S.] DOMINIQUE BUISSON [D. B.]


Professeur de japonais à l'université E n s e i g n a n t , p h o t o g r a p h e et écrivain,
Lille-III. spécialiste de l'art et de la civilisation japo-
naise (Paris).
HÉLÈNE BAYOU [H. B.]
Conservateur au Musée n a t i o n a l des arts LAURENCE CAILLET [L. C.]
asiatiques-Guimet, en charge de la section Ethnologue. Professeur à l'Université de
d'art japonais depuis 1991. Paris X-Nanterre.

PATRICK BEILLEVAIRE [P. B.] FRANÇOIS CHASLIN [F. c h . ]


Sociologue, chargé de recherche au CNRS Critique d'architecture, rédacteur en chef
et membre du Centre de recherches sur le de la revue Architecture d'aujourd'hui
Japon contemporain (EHESS, Paris). (Paris).

BERNARD BERNIER [B. B.] OLIVIER CHEGARAY [O. C.]


Professeur au département d'anthropolo- Prêtre, professeur à l'université S o p h i a
gie et au Centre d'études de l'Asie de l'Est (Tôkyô).
de l'université de Montréal.
SYLVIE CHIRAT[S.C.]
FRANÇOIS BERTHIER [F. B.] A r c h i t e c t e DPLG, membre du secrétariat
H i s t o r i e n de l'art japonais et d o c t e u r ès européen d'EUROPAN (Paris).
lettres, professeur à l'Institut national des
langues et civilisations orientales (Paris). JEAN CHOLLEY [j. C.]
Professeur de japonais à l'université
ANNE MARIE BOUCHY [ A. M. B.] Lyon-III.
Ethnologue et japonologue
(Buis-les-Baronnies). BERTRAND CHUNG [B. C.]
Maître de conférences à l'Ecole des hautes
JEAN-MARIE BOU ISSOU [J...M. B.] études en sciences sociales (Paris).
Agrégé d'histoire, chargé de recherche à la
F o n d a t i o n n a t i o n a l e des sciences poli- PETER N. DALE [P. N .D.]
tiques (Paris). Japonologue (Rome).

MARC BOURDIER [M. B.] ANDRÉ DELTEIL [ A. D.]


Architecte DPLG et docteur de l'université M a î t r e de conférences à l'université de
de Tokyo. Professeur à l'École d'architec- Provence Aix-Marseille-1 (Aix).
ture de Paris-La Villette (Paris).
PATRICK DE VOS [P. D. V.]
ALAIN BRIOT [ A. Br.] M a î t r e de conférences à l'université de
D o c t e u r e n m é d e c i n e , h i s t o r i e n de la Tôkyô.
médecine japonaise (Paris).
JEAN ESMEIN [J. E.] HORIE KÔ [H. K.]
S e n i o r Research Fellow de l'INSEAD Directeur général chargé de Metropolis,
et membre de l ' A c a d é m i e de m a r i n e gouvernement métropolitain de Tôkyô.
(Luzarches) .
ICHIKAWA HIROSHI [1. H.]
CATHERINE GARNIER [C. G.] Professeur de p h i l o s o p h i e à l'université
Maître de conférences à l'Institut national Meiji (Tôkyô).
des langues et civilisations orientales
(Paris). INOUE SHUN [1. S.]
Professeur de sociologie à l'université
GENJÔ MASAYOSHI [G. M.] d'Ôsaka.
Directeur du Musée historique de la ville
d'Uji. ISHIGE NAOMICHI [1. N.]
Professeur au Musée national d'ethnologie
FRÉDÉRIC GIRARD [F. G.] (Ôsaka).
Membre scientifique de l'Ecole française
d'Extrême-Orient (Paris). BERNARD JEANNEL [B. J.]
A r c h i t e c t e , a n t h r o p o l o g u e et h i s t o r i e n
EDWARD M. GOMEZ [E. M. G.] des jardins (Paris).
Journaliste et dessinateur. A n c i e n corres-
p o n d a n t du Times à N e w York, Tôkyô ÉRIC JOISEL [E. J.]
et Paris. Écrit r é g u l i è r e m e n t pour Art Professeur de pliage chez France Origami
News, Metropolis et autres p u b l i c a t i o n s (Soisy).
américaines (New York).
JACQUES JOLY [J. J.]
HAIJIMA YÔJI [H. YÔ.] Professeur à l'université Eichi ( A m a g a -
P e i n t r e et r é d a c t e u r e n c h e f de la revue saki).
Ikebana ryûsei-ha depuis 1960 (Tôkyô).
KIMURA USATARÔ [K. U.]
CLAUDE HAMON [C. H.] Musicien t r a d i t i o n n e l japonais (koto et
Économiste. Maître de conférences à shamisen) et professeur d'origami à l'Espace
l'université Paris-VII (Paris). Japon (Paris).

ROBERT HEINEMANN [R. H.] JOSEF KREINER [J. K.]


Professeur h o n o r a i r e à l'université de Directeur du Deutsches Institut für Japan
Genève. Studien (Tôkyô) et professeur à l'univer-
sité de Bonn.
JOY HENDRY [J. H.]
Professeur d ' a n t h r o p o l o g i e sociale à FRANÇOIS MACÉ [F. M.]
l'université Brookes (Oxford). Professeur à l'Institut national des langues
et civilisations orientales (Paris).
FRANCINE HÉRAIL [F. H.]
Directeur d'études à L'Ecole pratique des CHRISTOPHE MARQUET [C. M.]
hautes études, IVe section-Sciences histo- C h a r g é de cours à l'Institut n a t i o n a l des
riques et philosophiques (Paris). langues et civilisations orientales.

HIGUCHI YÔICHI [H. Y.]


Professeur de droit c o n s t i t u t i o n n e l à
l'université de Tôkyô.
GÉRARD MARTZEL [G. Ma.] PHILIPPE PELLETIER [Ph. P.]
Professeur de t h é â t r e et d ' e t h n o g r a p h i e Maître de conférences à l'université Lyon-
japonaise à l'Institut national des langues II, membre de l'Institut d'Asie orientale
et civilisations orientales (Paris). (Lyon).

JEAN-CLAUDE MARTZLOFF [j.-C. M.] MARY PICONE [M. P.]


Directeur de recherche en langues et civi- Maître de conférences à l'Ecole des hautes
lisations e x t r ê m e - o r i e n t a l e s au CNRS études en sciences sociales et membre du
(Paris). Centre de recherches sur le Japon contem-
porain (Paris).
MIKAMI YUTAKA [M. Y.]
Éditeur de la Contemporary Artists Review JACQUELINE PIGEOT [j. P.]
(Tôkyô). Docteur ès lettres, professeur de langue et
littérature japonaises à l'université Paris-
MORI TOSHIKO [M. T.] VII (Paris).
Spécialiste de calligraphie (Paris).
FRÉDÉRIC POCHET [F. P.]
NAKAMURA YÛJIRÔ [N. Y.] Ancien attaché pour la science et la tech-
Philosophe, professeur à l'université Meiji nologie à l'ambassade de France au Japon.
(Tôkyô).
PHILIPPE PONS [P. P.]
NAKANODÔ KAZUNOBU [N. K.] Journaliste, correspondant du Monde à
C o n s e r v a t e u r au Musée n a t i o n a l d 'art Tôkyô.
moderne (Tôkyô).
FRANK POPPER [Fr. P.]
OBINATA KIN.ICHI [ 0 . K.] Professeur émérite à l'université Paris-VIII
Professeur de photographie à l université (Paris). Auteur de l'Art à l'âge électronique,
d'art de Tama (Tôkyô). Hazan, 1993.

OKA ISABURÔ [O. 1.] JEAN-FRANÇOIS SABOURET [J...F. S.]


D i r e c t e u r du Musée préfectoral d 'art Sociologue, directeur de recherche au
moderne de G u m m a depuis 1986. Conser- CNRS et directeur du bureau du CNRS à
v a t e u r au Musée n a t i o n a l d 'art moderne Tôkyô.
(Tôkyô).
SATO TOYOZÔ [S. T.]
ÔKURA MOTOSUKE [O. M.] Conservateur au Musée d'art de Tokugawa
Historien de l'art japonais, conservateur (Nagoya).
au Musée Ôkura Shukô-Kan(Tôkyô).
SERGE SAUNIÈRE [S. S.]
JEAN-JACQUES ORIGAS [J...J. O.] Artiste, peintre-graveur, ancien pension-
Professeur à l'Institut national des langues naire de la Maison franco-japonaise.
et civilisations orientales (Paris).
ÉRIC SEIZELET [E. S.]
MARGUERITE-MARIE PARVULESCO Chargé de recherche au CNRS (Paris).
[M.-M. P.]
Professeur de littérature comparée à FRANÇOIS SIMARD [F. S.]
l'université de Saitama (Japon). Directeur adjoint de l'Institut océanogra-
phique de Monaco.
PIERRE-FRANÇOIS SOUYRI [P.-F. S.] JAMES VALENTINE [j. V.]
Maître de conférences à l'Institut national Professeur de sociologie au département de
des langues et civilisations orientales science sociale appliquée à l'université de
(Paris). Stirling ( Écosse).

TAKASHINA SHÛJI [T. S.] MICHEL VIÉ [M. V.]


Historien d'art. Directeur du Musée natio- Historien, professeur à l'Institut national
nal d'art occidental de Tôkyô. des langues et civilisations orientales.

TAMBA AKIRA [T. A.] WATANABE MORIAKI [W. M.]


Compositeur, directeur de recherche au Docteur ès lettres, professeur émérite de
CNRS (Paris). l'université de Tôkyô, metteur en scène.

TERADA SUMIE [T. Su.] YATABE KAZUHIKO [ Y. K.]


Prépare un doctorat sur la littérature clas- M a î t r e de c o n f é r e n c e s à l'université
sique japonaise à l'université Paris-VII. Lyon-II.

MAX TESSIER [M. Te.]


Critique et historien de cinéma, spécialiste
du cinéma japonais et asiatique (Paris).

TOKITSU KENJI [T. K.]


Maître d'arts martiaux japonais, chercheur
en anthropologie et directeur de l'Institut
européen de recherche sur le budô et les
pratiques corporelles orientales (Paris).

AUGUSTIN BERQUE [ A. B.]


Directeur scientifique de l'ouvrage, Augustin Berque est directeur d'études à l'Ecole des
hautes études e n sciences sociales, où il dirige le C e n t r e de r e c h e r c h e s sur le J a p o n
contemporain. A n c i e n directeur de la Maison franco-japonaise de Tôkyô, il est membre
de l'Academia europaea.

PASCAL GRIOLET [P. G.]


Pascal Griolet a assuré le suivi éditorial des textes. Il est maître de conférences à l'Institut
national des langues et civilisations orientales (Paris).
CHRONOLOGIE

I. LE JAPON PRÉHISTORIQUE II. LE JAPON ANCIEN


(DU VIle AU XIIe SIÈCLE)
Des traces existent d'un habitat paléo-
lithique il y a 300 000 ans. LA PÉRIODE ASUKA (v. VIle SIÈCLE) :
LEJAPON À L'ÉCOLE DELA CHINE
CIVILISATION JÔMON (v. 8000 AVJ. -C. -
v. 300 AV.J.-C.) 5 9 2 - 6 2 2 . Shôtoku Taishi régent impé-
rial. Introduction rapide de la culture
Chasse, pêche, cueillette. sino-coréenne à la cour.
^ P o t e r i e cordée (les poteries les plus 600. Création officielle d'une ambassade
anciennes du monde). japonaise en Chine.
660 av. J.-C., fondation mythique du 603-604. La cour adopte un système de
Japon par Jimmu. rangs et de fonctions imité du protocole
chinois et une « C o n s t i t u t i o n en 17
CIVILISATION YAYOI (v. 300 AV.J.'C., articles » d'inspiration confucianiste.
v. 300 APR. J.'C.)
L'État régi par les codes :
Riziculture inondée. 646. Grandes réformes de l'ère Taika :
>- Métallurgie (bronze, fer). - réformes inspirées du système chinois,
^ Poterie au tour aux motifs plus sobres. - codes réglementant la vie publique, le
Au Ier siècle, selon les Chinois, le pays est droit et le protocole.
divisé en une centaine de « royaumes ».
Fin IIe siècle, création d'un royaume du LA PÉRIODE DEN ARA (710-794)
Yamatai dirigé, vers 239, par une reine
(prêtresse chamane ?) Himiko. 710. Une capitale fixe à Nara, construite
sur le modèle des capitales chinoises.
CIVILISATION DES « TERTRES ANCIENS » Rédaction des mythes et des légendes
fondatrices.
(KOFUN) : DU IIIE AU VIE SIÈCLE
712. Kojiki ( « Récit du temps jadis » ).
Naissance d'un État en Yamato. 720. Nihon shoki ( « Annales du Japon » ).
^ Gigantisme des tombes royales. Le bouddhisme influence l'État : prospé-
^ Accélération des contacts avec la rité des grands monastères de Nara
culture sino-coréenne : le bouddhisme (Hôryû-ji,Tôdai-ji, Kôfuku-ji).
est introduit au Japon au début du vie Expansion économique et défrichements :
siècle et adopté comme religion officielle
en 587. 723. Loi d'encouragement pour la mise
en culture des terres.
743. Les terres défrichées seront définiti-
vement propriété de ceux qui les ont
mises en valeur.
Vers 760. Anthologie poétique du
Man.yô-shû (« Recueil des dix mille
feuilles »).
LA PÉRIODE DEHEIAN (794-1185 ) : gatari ( « le Dit du Genj i »), l'un des chefs-
LACIVILISATION DUJAPON ARISTOCRA- d'œuvre de la littérature mondiale.
TIQUE ÀSON APOGÉE 1086. L'empereur Shirakawa inau-
gure le système de gouvernement des
794. La capitale impériale est définitive- empereurs retirés : la Maison impériale
ment établie à Heian (Kyôto). s'empare du pouvoir réel au détriment de
Début IXe siècle. Période de renouvelle- la maison Fujiwara, toujours puissante.
ment du bouddhisme : Au cours du XIIE siècle, la Maison impé-
- le moine Saichô fonde la secte Tendai riale étend ses bases économiques en
et le monastère Enryaku-ji sur le mont prenant la tête de nombreux shôen
Hiei, qui domine Kyôto ; (domaines) dans les provinces.
- le moine Kûkai fonde la secte Shingon XIe et XIIe siècles. Périodes de défriche-
et un monastère sur le mont Kôya. ment dans les provinces orientales, et
À partir du IXe siècle. La famille Fuj iwara d'activité commerciale accrue dans le
ne cesse d'étendre son influence sur la Japon de l'Ouest.
cour impériale. Vers 1120. Konjaku monogatari (« His-
858. Le chef des Fujiwara inaugure le toires qui sont maintenant du passé ») : la
titre de régent impérial (sesshô). littérature révèle un nouvel univers,
901. Sugawara Michizane, lettré hostile celui d'un Japon plus prosaïque, trucu-
aux Fuj iwara, est envoyé en exil. lent et provincial.
Vers 1000. La cour est sous la domina- 1156*1159. Des luttes de faction déchi-
tion entière du clan Fuj iwara et de son rent la cour : le sang coule et les nobles
chef Michinaga : « Ce monde, il m'appar- font appel à des guerriers pour les dépar-
tient, semblable à la pleine lune éternelle. » tager. L'empereur Goshirakawa, allié aux
guerriers Taira menés par Kiyomori,
Lent réveil économique et politique des l'emporte. Les guerriers Minamoto sont
provinces : écartés.
935*941. Soulèvement de Taira Masa- 1160*1180. Installation du régime
kado à la tête de ses vassaux dans le Taira. Kiyomori se rend tout-puissant en
Kantô, alors que la piraterie est en plein s'appuyant sur les groupements guerriers
essor dans la mer Intérieure. C'est la de l'Ouest et en monopolisant les fonc-
première manifestation de l'existence tions importantes.
d'une classe nouvelle de guerriers dans 1180*1185. Guerres civiles entre les
les provinces. clans guerriers Taira et Minamoto.
1051..1087. Guerres dans les provinces Été 1180. Soulèvement des guerriers de
septentrionales. Le chef des guerriers du la vassalité Minamoto. Minamoto Yori-
Kantô, Minamoto Yoshiie, émerge de ces tomo installe un gouvernement illégal de
combats comme un puissant suzerain. nature féodale à Kamakura, dans le
Le nord-est du pays s'intègre à l'univers Kantô.
culturel japonais. 1183. Les Taira, vaincus, abandonnent
Fin X' siècle. Le moine Genshin Kyôto et se réfugient dans l'Ouest. Yori-
enseigne la foi dans le paradis de la Terre tomo obtient de l'empereur retiré le
pure du Buddha Amida. En 1053, monopole du maintien de l'ordre dans
construction du pavillon Amida au le Japon de l'Est et rentre ainsi dans la
Byôdô-in, l'un des chefs-d'œuvre de légalité.
l'architecture et de l'art des jardins du 1185. Victoire définitive des Minamoto,
Japon. qui détruisent le clan Taira. Yoritomo fait
Début XIe siècle. Murasaki Shikibu, nommer par tout le pays ses propres
dame de la cour, rédige le Genji mono- vassaux comme gouverneurs dans les
provinces et intendants dans les Aux XIIIe et XIVe siècles. Les moines zen,
domaines, afin d'y assurer l'ordre. Il est dont certains viennent de Chine, multi-
désormais le seul habilité à entretenir plient la construction de monastères
une force armée publique. avec l'appui des autorités shôgunales.
- Nichiren enseigne l'importance du
« Sûtra du Lotus » dans les années 1270.
III. LE JAPON MÉDIÉVAL (FIN XIIe- Essor de la littérature guerrière : vers
FIN XVIe SIÈCLE) 1215, mise au point du Heike monogatari
( « le Dit des Heike »), chef-d'œuvre de la
LA PÉRIODE DE KAMAKURA (1185-1333) littérature médiévale.
1232. Le régent shôgunal Hôjô Yasutoki
Éveil des provinces orientales : Kama- fait rédiger le Goseibai shikimoku, premier
kura rivalise avec Kyoto. texte juridique des guerriers.
1274 et 1281. Échec des débarquements
Le premier régime des guerriers (shôgunat de mongols à Kyûshû. Le shôgunat de
Kamakura) Kamakura étend sa domination dans
l'Ouest, mais l'impossibilité pour le
1192. Yoritomo obtient le titre de seii- régime de récompenser les vassaux est à
taishôgun ( « général en chef chargé de la l'origine de la crise du système.
lutte contre les Barbares » ) ; ce n'est là Essor d'un certain brigandage et des
que l'un de ses titres, mais c'est celui que actions illégales.
l'Histoire retient. La dynastie impériale est coupée en deux
1199. Mort du premier shôgun, Mina- branches qui prétendent chacune pouvoir
moto Yoritomo. Son épouse, Hôjô régner. Le shôgunat arbitre.
Masako, prend la tête du régime des guer- 1324..13 31. L'empereur Godaigo tente à
riers. plusieurs reprises de renverser le régime
1221. Guerre de l'ère Jôkyû. Forces de Kamakura.
impériales et partisans du shôgunat
s'affrontent. Ces derniers l'emportent. LARESTAURATIONDEKEMMU ( 1333-1336)
Le clan Hôjô triomphe à la tête du shôgu-
nat : les Hôjô, régents du shôgun, gouver- Une coalition hétéroclite met à bas le
nent le régime jusqu'à son effondrement régime shôgunal de Kamakura et favorise
en 1333. une restauration impériale : l'éphémère
régime de Kemmu, dirigé par l'empereur
Essor d'une nouvelle religiosité : Zen et Godaigo en personne.
amidisme
LA PÉRIODE NANBOKUCHÔ (1336-1392) :
1191. Le moine Eisai enseigne le Zen de LES GUERRES CIVILES DUXIVESIÈCLE ENTRE
l'école Rinzai. Vers 1240, Dôgen radica- LACOUR DUSUD ETLACOUR DUNORD
lise la pensée zen et crée la secte Sôtô.
- Hônen prêche la doctrine du Buddha Nouvelle étape dans la montée des classes
Amida avec un certain succès. Il est guerrières:
expulsé de Kyoto en 1207. Ses disciples
fondent la secte de la Terre pure (Jôdo-shû). 1336. Début d'une période de guerres
- Shinran radicalise la doctrine amidiste civiles pendant près d'un demi-siècle.
à partir de 1231 et prêche à travers le Ashikaga Takauji s'impose à Kyôto et
pays. Ses disciples seront à l'origine de la crée un nouveau régime shôgunal
Véritable Secte de la Terre pure (Jôdo- soutenu par l'empereur de Kyoto, dit de
shinshû). la cour du Nord. Mais les partisans de
l'empereur Godaigo (cour du Sud) conti- shôgunat ; pour plus d'un siècle, le Kantô
nuent la lutte. sombre dans l'anarchie féodale.
1338. Ashikaga Takauji officiellement 1428-29. La paysannerie autour de
shôgun. Kyôto se révolte pour l'abolition des
1358-1367. Le shôgun Ashikaga Yoshi- dettes. C'est la première grande révolte
akira rétablit progressivement la situa- populaire au Japon. D'autres soulève-
tion militaire. ments éclatent.
Essor économique dans les campagnes. 1441. N ouvelle crise ; le shôgun Ashi-
Piraterie dans l'ouest du pays, qui se kaga Yoshinori est assassiné par l'un de
tourne après 1350 vers la Corée puis la ses vassaux. La paysannerie se révolte, et
Chine : les pirates japonais (wakô) rava- le gouvernement est contraint de lui
gent les côtes coréennes et contribuent à donner satisfaction. Désormais, les
l'effondrement de la dynastie royale de révoltes se multiplient.
Koryô en 1392. 1462. Ré voltes paysannes autour de
Apogée du bouddhisme zen j aponais. Kyôto.
1378. Le troisième shôgun, Ashikaga Apogée de la civilisation du Japon médié-
Yoshimitsu, inaugure à Kyôto son « palais val : théâtre nô et notion de yûgen, le
des fleurs » de Muromachi et apprécie le « charme obscur du mystère », jardins zen
nouveau théâtre nô. Le dramaturge Zeami et esthétique nouvelle du dépouillement.
est le favori du shôgun. La paix est à peu près 1467-1477. Guerres d'Ônin. Les clans
rétablie et Yoshimitsu règne en maître. guerriers Hosokawa et Yamana s'affron-
1392. La cour du Sud, vaincue, fait sa tent dans les rues de la capitale : Kyôto
reddition. est dévastée.
1474. Les ligues amidistes Ikkô, disciples
LA PÉRIODE DE MUROMACHI du moine Rennyo, expulsent les seigneurs
(1392-FIN xve SIÈCLE) de la province de Kaga et créent une
commune religieuse autonome qui
Splendeur du régime shôgunal à la fin du subsiste pendant un siècle.
XIVEet au début du xve siècle. 1483. Le shôgun Ashikaga Yoshimasa
s'installe dans une villa qu'il s'est fait
1397. Yoshimitsu se retire dans sa villa aménager : le Pavillon d'argent.
près de Kyôto, le Pavillon d'or. 1485-93. Soulèvement au sud de Kyôto
1401. Envoi d'une ambassade officielle et naissance d'une commune régionale
en C h i n e à la cour des Ming. En 1403, autonome.
Yoshimitsu accepte le titre de « roi du 1491. Un guerrier d'origine obscure,
Japon » que lui confèrent les lettres de Hôjô Sô.un, attaque le vice-shogun
créance des ambassadeurs chinois. du Kantô et crée une seigneurie indé-
Développement commercial, début d'une pendante dans la péninsule d'Izu, où
économie monétaire, essor à Kyôto de il s'impose comme sengoku-daimyô
couches sociales nouvelles : marchands, ( « seigneur de la guerre »).
usuriers, manieurs d'argent... 1493. Le général Hosokawa Masamoto,
1403. Commerce officiel sino-japonais par un coup d'Etat à Kyôto, oblige le
dit « des étiquettes », qui dure malgré des shogun à abdiquer.
interruptions jusqu'en 1547.
Instabilité sociale croissante : c'est l'ère LA PÉRIODE SENGOKU (v. 1490-1573) :
des révoltes et du « monde à l'envers » L'ÉPOQUE DES « PAYSENGUERRE »
(gekokujô).
1416. Troubles dans l'Est. Les seigneurs Le mouvement d'autonomie rurale et
échappent peu à peu au contrôle du urbaine s'accentue. Villages et quartiers
des villes dans le Japon central organisent 1573. Nobunaga chasse de Kyôto le
l'autodéfense et l'auto-administration. dernier shôgun Ashikaga et abolit le
1532*36. Kyôto sous la domination des shôgunat.
organisations autonomes de citadins
(machishû), elles-mêmes sous l'influence
des ligues armées de la secte de la Fleur du IV. L'ANCIEN RÉGIME ( 15 73-1867 )
lotus (Nichiren). En 1536, les ligues de la
Fleur du lotus sont vaincues par les LA PÉRIODE D'AZUCHI MOMOYAMA
seigneurs et les moines guerriers, mais (1573-1603)
Kyôto reste sous la domination politico-
administrative de ces machishû. Une période de transition qui corres-
pond au processus de construction de
La culture de la fin du Moyen Âge atteint l'Etat prémoderne.
sa plénitude dans la première moitié du
XVIE siècle : notions esthétiques de sabi Les seigneurs de la guerre sont vaincus ou
(beauté triste, patine du temps), de wabi vassalisés.
(simplicité et solitude), de seijaku (séré- Les organismes religieux à caractère mili-
nité dans la simplicité), etc. taire sont mis au pas et les ligues
1537. Le maître Sen no Rikyû met au paysannes armées sont écrasées.
point la cérémonie du thé « classique ». En créant des marchés libres, Nobunaga
De nouveaux potentats indépendants et ses successeurs brisent le pouvoir des
s'imposent au niveau régional : les corporations de marchands et d'artisans,
seigneurs de la guerre. et renforcent la montée de nouvelles
Les échanges et la production s'accrois- couches bourgeoises.
sent. Le Japon devient une grande puis- En arpentant systématiquement les
sance commerciale en Extrême-Orient. terres (le cadastre de Hideyoshi), le
Le pays entre pour la première fois en nouvel État fait réajuster l'assiette de
contact avec les Européens, les armes à l'impôt et accroître la rentabilité fiscale
feu et le christianisme. des fiefs.
1543. Arrivée des Portugais dans l'île de En séparant les guerriers de la paysannerie
Tanegashima. et en les obligeant à venir vivre au pied
1549. Arrivée de François Xavier à des châteaux seigneuriaux, les daimyô
Kagoshima. accentuent la transformation de la classe
Après 1550. Des seigneurs à figure charis- guerrière : celle-ci prend la configuration
matique en lutte dans les provinces pour d'une couche de fonctionnaires coupés de
établir leurs suprématie : Takeda Shingen, leurs anciens liens avec la terre. La classe
Uesugi Kenshin, Môri Motonari, etc. des samurai devient une classe urbaine.
En 1560. Victoire surprise du jeune Oda E n r é a l i s a n t l a « c h a s s e a u x s a b r e s » ,

Nobunaga sur son puissant voisin Hideyoshi fait désarmer la paysannerie et


Imagawa Yoshimoto. Début de l'ascen- réduit le danger que représentaient les
sion irrésistible de Nobunaga, qui entre révoltes.
dans Kyôto en 1568. 1575. Les armes à feu d'Oda Nobunaga
A partir de 1570. Nobunaga est allié à victorieuses de la cavalerie des seigneurs
Tokugawa leyasu : il détruit les uns après Takeda.
les autres les seigneurs hostiles à son 1581. Nobunaga reçoit en audience le
hégémonie dans le Japon central et fait Père Valignano, inspecteur de la Compa-
une guerre impitoyable aux monastères gnie de Jésus en visite au Japon.
bouddhistes qui se constituent des forces 1582. Nobunaga, trahi par un vassal, est
armées. contraint de se suicider. Son général,
Hideyoshi, recueille l'héritage de Nobu- 1624. Cessation des relations avec le
naga et continue l'oeuvre d'unification. régime espagnol.
1586. Hideyoshi prend le titre de dajô- 1629. Au kabuki, les rôles de femmes
daijin (ministre des affaires suprêmes à la seront désormais tenus par des hommes.
cour impériale). On oblige les chrétiens à apostasier en
1587. Hideyoshi soumet les seigneurs de foulant aux pieds des images pieuses.
Kyûshû. 1635. Obligation est faite aux daimyô de
1588. Hideyoshi fait confisquer les venir résider à Edo une année sur deux
domaines de l'Eglise à Nagasaki et (sankin-kôtai).
expulse les jésuites. 1637. Révolte de paysans chrétiens à
1590. Hideyoshi soumet l'est du pays. Shimabara.
1592 et 1596. À deux reprises, Hide- 1639. Les Portugais interdits au Japon.
yoshi lance ses armées en Corée (échec). 1641. Le comptoir de Hirado est fermé.
1598. Mort de Hideyoshi. Les destinées Il ne reste ouvert au commerce que le
de l'État sont confiées à un conseil au comptoir de Dejima, dans la rade de
sein duquel Tokugawa Ieyasu apparaît Nagasaki, pour les seuls Hollandais.
vite comme l'élément le plus puissant. C'est la fermeture complète du pays
1600. À la bataille de Sekigahara, Ieyasu (sakoku).
l'emporte sur ses adversaires et recueille Les règlements concernant la vie
l'héritage politique de Hideyoshi. publique, les relations entre le shôgun et
les autres seigneurs, le Japon et l'étran-
LA PÉRIODE D'EDO ( 1603 -1868 ) ger, sont à peu près en place vers 1641 et
ne se modifieront plus guère avant le
Une longue période de paix mais de milieu du XIX' siècle.
fermeture du pays. Un développement
économique rapide au XVIIe, puis relati- B. L'apogée du régime d'Edo (milieu du
vement stagnant aux XVIIIE et XIXEsiècles. XVIIe-début du XVIIIesiècle)
Une civilisation urbaine.
1649. Proclamation du shôgunat défi-
A. Les années de consolidation nissant pour deux siècles les droits et les
(1603-1641 ) devoirs du paysan et du seigneur.
1650. Hayashi Razan, lettré néoconfu-
1603. Tokugawa Ieyasu prend le titre de cianiste, penseur officiel du régime.
shôgun et fonde son shôgunat à Edo Vague populaire de pèlerinages au sanc-
(l'actuel Tôkyô). tuaire d'Ise : plusieurs millions de
1607. Premières représentations de personnes sur les routes.
théâtre kabuki à Edo. 1657. Incendie de l'ère Meireki. Edo
1609. L'archipel des Ryûkyû passe sous la brûle pendant plusieurs jours : le shôgu-
dépendance du fief de Satsuma. nat prend des mesures d'urbanisme pour
1612. Ieyasu interdit le christianisme. reconstruire laVville et mieux contrôler la
1614..15. Guerre contre le clan Toyo- population. A l'initiative de Tokugawa
tomi (les héritiers de Hideyoshi), retran- Mitsukuni, daimyô de Mito, compilation
ché dans la citadelle d'Osaka. de la Dai Nippon-shi ( « Histoire du Grand
1615. Proclamation des règles définis- Japon»).
sant les relations entre les guerriers, les 1669. Révolte générale des tribus ainues
nobles de cour, les moines et le shôgunat. de Hokkaidô.
1620. Construction de la villa impériale 1682. Ihara Saikaku, romancier d'Ôsaka :
Katsura à Kyoto, chef-d'œuvre de Kôshoku ichidai onna ( « Vie d'une amie de
l'architecture traditionnelle japonaise. la volupté »).
1688' 1703. Années de l'ère Genroku : Le premier recensement de la population
la culture de l'époque Tokugawa atteint de 1721 : 26 millions d'habitants. Les
l'un de ses sommets. Elle est surtout le historiens estiment le chiffre sous-évalué
fait des grands marchands d'Ôsaka, la (31 millions d'habitants ?). Edo compte
« cuisine de l'empire » au faîte de sa 1 million d'habitants, Ôsaka près de
splendeur. 400 000 et Kyoto presque autant.
1688. Ihara Saikaku publie le Nippon 1729. Dazai Shundai, lettré confucia-
eitaizô ( « le Magasin du Japon » ), dans niste, publie un traité de théorie politico-
lequel il décrit la vie du peuple urbain, ou économique, le Keizairoku. À Kyôto,
« comment faire fortune et comment la Ishida Baigan, moraliste et éducateur,
dilapider ». fonde l'école Shingaku, présentée
1689. Le poète Bashô voyage à travers le souvent comme une doctrine de morale
Japon et commence à écrire ses poèmes bourgeoise.
Oku no hosomichi ( « Par les sentiers du Famine en 1732. Manifestations et
bout du monde » ), qui seront publiés en émeutes. En 1733, flambée du prix du riz.
1702. A Edo, les émeutiers démolissent les
1690. Mode des ukiyo-zôshi, les maisons des commerçants de riz en gros.
nouvelles du « monde flottant » (les Seconde moitié du XVIIIe siècle : Essor
quartiers de plaisirs). des « études nationales » (kokugaku) :
1697. Miyazaki Yasusada publie son critique du néo-confucianisme officiel et
Nôgyôzensho ( « Traité d'agronomie géné- retour aux « sources de la tradition japo-
rale »), premier ouvrage « physiocratique » : naise ».
comment il faut innover pour accroître - Début des « études hollandaises »
les rendements agricoles. (rangaku) : étude des acquis de la science
1701'1703. Affaire des 47 rônin. occidentale par des traductions d'ou-
1703. Chikamatsu Monzaemon, le vrages scientifiques.
grand dramaturge, donne à Ôsaka Sone- - Durant les années Hôreki ( 17 51 -17 63 )
zaki shinjû ( « Double suicide amoureux à et Meiwa (1764-1771), une nouvelle
Sonezaki »). forme de culture urbaine prend son essor
à Edo dans une atmosphère de relative
liberté :
C. Le Japon au milieu de l'époque d'Edo : le
XVIIIesiècle >- mode des sharebon, ouvrages sati-
riques et licencieux ;
Des réformes sont entreprises, mais trop >" apparition des kibyôshi, ouvrages « à
timides pour remédier à la stagnation et à couverture jaune » diffusés à bas prix :
l'ossification des institutions. récits populaires comiques ou satiriques ;
i n a u g u r a t i o n des premiers ryôtei
1709-1716. Le grand intellectuel Arai (restaurants) à Edo, dans lesquels on
Hakuseki est nommé conseiller du peut rencontrer des femmes geisha.
shogun et dirige de fait le gouvernement. 1754. Première dissection d'un
1 716..1 735 . Tokugawa Yoshimune, cadavre.
shôgun réformiste et « éclairé ». Réformes 1 7 5 9 . Yamagata D a i n i publie u n
de l'ère Kyôhô : ouvrage de c r i t i q u e p o l i t i q u e du
- encourager la hausse de la production ; s h ô g u n a t et de v é n é r a t i o n pour la
- protéger les samurai contre l'endette- dynastie impériale.
ment ; 1763. Hiraga G e n n a i découvre les
- rationaliser les dépenses de l'Etat (le propriétés de l'amiante et parvient à
revenu officiel du shôgunat est à son plus confectionner des combinaisons anti-
haut niveau historique en 1730). feu.
De 1767 à 1786. Tanuma Okitsugu et 1802. Le shôgunat, inquiet devant les
son fils Okitomo dirigent le shôgunat. pressions des navires occidentaux,
renforce sa domination sur Hokkaidô.
La monétarisation de l'économie accom-
1806. Le shôgunat accepte de ravitailler
plit un bond en avant, mais l'impossibi- les navires étrangers qui viennent resti-
lité de réformer les structures politiques tuer des naufragés japonais. Les Russes
en profondeur aboutit à une aggravation attaquent des établissements japonais à
des mécontentements. Sakhaline et dans les Kouriles.
1767. Yamagata Daini, opposant extré- 1808. Un navire britannique entre par
miste au shôgunat, est exécuté. surprise dans le port de Nagasaki et exige
1768. Ueda Akinari publie VUgetsu- de s'y faire ravitailler.
monogatari ( « Contes de pluie et de lune »). 1811. Les Japonais font prisonnier le
1774. Publication du Kaitai-shinsho capitaine russe Golovnin dans les
(« Nouveau traité d'anatomie »), Kouriles. Il sera détenu à Hakodate
première traduction japonaise d'un jusqu'en 1813 puis libéré.
ouvrage de médecine occidentale. 1825. Édit shôgunal ordonnant d'éloi-
1778. Le grand philologue Motoori gner par la force tout navire étranger
Norinaga, chef de file du courant des s'approchant des côtes.
« études nationales », commence à publier
Kojikiden ( « Commentaires sur le Kojiki »). 1804-1830. L'époque Kasei, une
1783-87. Grande famine. On détruit les nouvelle étape dans l'épanouissement de
maisons des spéculateurs. Le mouvement la civilisation d'Edo.
d'émigration rurale s'amplifie. La grande Le peuple urbain participe à une culture
désolation des campagnes consacre rendue accessible par suite de la diffusion
l'échec de la politique libérale de de l'enseignement et des progrès de
Tanuma Okitsugu. l'édition : essor de la tradition comique,
1785-86. Expédition d'exploration des satirique et licencieuse. Grande époque
terres septentrionales de Hokkaidô et des de l'estampe de couleur (ukiyo-e). Mode
îles Kouriles. du « tourisme » vers les lieux d'excursion
1787-93. Réformes de l'ère Kansei sous célèbres, les centres de culte, les stations
l'impulsion du ministre Matsudaira thermales...
Sadanobu, réaction conservatrice et
isolationniste à l'échec de Tanuma. 1802. Jippensha Ikku, considéré comme
Sadanobu décrète l'austérité et réaffirme le premier écrivain professionnel japonais,
la prépondérance de l'idéologie confu- publie son Tôkaidôchû hizakurige ( « Voyage
cianiste orthodoxe. le long du Tôkaidô sur le destrier nommé
Les fiefs multiplient la création d'écoles Genou »). Le succès l'incite à y ajouter 21
seigneuriales pour éduquer les fils de épisodes jusqu'en 1822.
samurai. 1805. Kitagawa Utamaro, le maître de
1792. Le Russe Laksman est à Nemuro l'estampe, est emprisonné pour avoir
pour demander l'ouverture du Japon. réalisé des peintures non conformistes. Il
Refus japonais. meurt l'année suivante.
1814. Takizawa Bakin, auteur de littéra-
D. LeJapon à la fin de l'époque d'Edo : ture historico-fantastique, publie Nansô
la première moitié du XIXesiècle Satomi hakkenden (« Histoire des huit
chiens des Satomi de N ansô »).
Après l'échec des réformes, le shôgunat 1824. Von Siebold, médecin allemand,
se raidit face aux pressions étrangères et à fonde le premier « hôpital » à l'occiden-
la contestation intérieure. tale et enseigne la médecine.
1825. Tsuruya Nanboku donne ses L'autorité politique du shôgunat est
premières représentations de Tôkaidô Yo- remise en question, tandis que l'autono-
tsuya kaidan ( « les Spectres de Yotsuya »). mie des « principautés du Sud-Ouest »
1829. Von Siebold est expulsé et ses s'accentue. L'ouverture du pays au
disciples arrêtés. Les difficiles années de commerce international est à l'origine de
l'ère Tenpô (1830-1843) : famine et la désorganisation des circuits commer-
révoltes incitent les dirigeants à de ciaux, de l'inflation et d'un mécontente-
nouvelles réformes. Celle du ministre ment général.
Mizuno Tadakuni échoue, mais succès 1853. Une escadre conduite par Perry
des réformes plus radicales dans les fiefs entre dans le port d'Uraga, avec une lettre
du Sud-Ouest. du président des États-Unis demandant
1831. Le peintre Katsushika Hokusai l'ouverture du Japon. Le shôgunat décide
commence la publication des « Trente- de demander aux grands daimyô leur avis.
six vues du mont Fuj i ». 1854. Traité d'amitié nippo-américain.
1833. Le peintre Andô Hiroshige publie Fin de la fermeture du pays.
les estampes de la série des « 53 relais de 1858. Traité commercial nippo-améri-
la route du Tôkaidô ». cain. Des traités identiques sont signés
Grande famine de l'ère Tenpô. L'infla- peu après avec la Hollande, la Russie,
tion sur le prix du riz est à l'origine de l'Angleterre, puis la France. Ces traités
nombreux mouvements ruraux et seront par la suite qualifiés de « traités
urbains. inégaux » car ils accordent aux étrangers
1837. Oshio Heihachirô, / révolté 1par la
V des privilèges exorbitants. Ii Naosuke,
misère, complote à Osaka contre les ministre du shôgun, déclenche la répres-
fonctionnaires corrompus. Première sion contre les samurai hostiles aux
mise en cause frontale du régime : un concessions accordées.
navire américain est bombardé par les 1859. Kanagawa, Nagasaki et Hakodate
garde-côtes alors qu'il cherchait à débar- ouverts au libre commerce. Les Occiden-
quer des naufragés japonais. taux y installent des concessions. Yoshida
1838. Watanabe Kazan, spécialiste des Shôin, chef de file de l'opposition xéno-
« études hollandaises », critique l'atti- phobe et anti-shôgunale, est arrêté et
tude intransigeante du shôgunat. Arrêté, exécuté.
il se suicide. 1860. Des officiels japonais se rendent
1844. Les demandes occidentales d'ouver- aux États-Unis. Ii Naosuke est assassiné
ture du Japon se multiplient. par des samurai xénophobes.
1850. Construction d'un four à réfrac- 1862. Incident diplomatique : des samu-
tion à N iirayama, premier haut fourneau rai de Satsuma sabrent des officiels
« moderne ». britanniques.
1863. Les batteries côtières de Chôshû
font tirer sur des navires occidentaux.
E. La période « bakumatsu » : les dernières
années du shôgunat d'Edo, de l'arrivée Représailles franco-américaines. À
de Perry (1853) à la restauration de Chôshû, création des premiers corps de
Meiji( 1868) soldats équipés à l'occidentale.
1864. Les éléments radicaux de Chôshû
Une période charnière au cours de se heurtent aux troupes shogunales dans
laquelle le Japon passe des « temps Kyoto.
modernes » (kindai) à l'« époque contem- 1867. Des rumeurs se répandent annon-
poraine » (gendai). L'arrivée des canon- çant la promesse de jours meilleurs ; les
nières américaines sonne la fin de la foules dansent et c h a n t e n t depuis Edo
période de fermeture. jusque dans le Kansai « Eejanaika ! »
(Ah ! ça ira, ça ira !) ; face à la montée des 1880. L'État rétrocède au secteur privé et
oppositions, le shogun décide de lui- à bas prix de nombreuses entreprises
même de restituer ses pouvoirs. Le 3 publiques.
janvier 1868, la cour proclame la restau- 1881. Itagaki Taisuke fonde le Jiyûtô
ration du pouvoir impérial. Ces événe- (Parti de la liberté) ; Ueki Emori propose
ments mettent un terme au système une constitution inspirée du modèle
shôgunal créé par les Tokugawa au début jacobin français.
du XVIIEsiècle. 1882. Incidents violents dans le nord du
Kantô entre libéraux et policiers ; poli-
tique déflationniste de Matsukata
V. LE JAPON MODERNE Masayoshi ; Kanô J igorô « invente » le
(DEPUIS 1868) jûdô.
1883. Ouverture du Rokumeikan,
L'ÈREMEIJI (1868-1912) bâtiment officiel à Tôkyô où ont lieu les
cérémonies « à l'occidentale », symbole
Le Japon se modernise et devient une de l'occidentalisation superficielle du
puissance internationale. Dislocation de Japon.
l'Ancien Régime. L'ouverture devient la
politique officielle du nouveau régime. 1884. Révolte de Chichibu : les mili-
tants libéraux, s'appuyant sur la paysan-
1868. Le jeune empereur Meiji prête un nerie endettée du nord du Kantô,
serment définissant les nouvelles orien- fomentent une agitation révolution-
tations du régime. naire. Le gouvernement envoie l'armée.
1869. Les daimyô restituent leurs fiefs à 1885. Datsua-ron, de Fukuzawa Yukichi :
l'État. le Japon doit « quitter » l'Asie et s'inté-
1871. Suppression des fiefs et création grer au plus vite à l'univers occidental.
des départements (préfectures), aboli- 1887. Tokutomi Sohô fonde la Société
tion officielle des anciens ordres sociaux. des amis du peuple, club démocratique
1872. Fukuzawa Yukichi, penseur libéral socialisant ; Futabatei Shimei, le traduc-
et moderniste, publie Gakumon no teur de Tourgueniev, publie Ukigumo
susume ( « Encouragement à l'étude »), (« Nuage flottant »), premier roman
critique contre la morale traditionnelle ; japonais moderne.
mise en place d'un système scolaire obli- 1889. Promulgation de la « Constitu-
gatoire ; liaison ferroviaire Yokohama- tion impériale du Grand Japon » ; achè-
Tôkyô. vement de la liaison ferroviaire
1873. Système de conscription militaire Tôkyô-Kôbe.
et réforme fiscale du régime de la terre. 1890. Première réunion du nouveau
1876. Les anciens samurai se voient Parlement ; « Rescrit impérial sur
interdire le port du sabre. Révoltes l'éducation ».
paysannes contre la réforme foncière. 1891. Affaire de la pollution des mines
1877. Début de la « guerre du Sud- de cuivre d'Ashio : conflit entre les
Ouest » : les samurai déçus par le nouveau mineurs et la police ; Uchimura Kanzô
régime se soulèvent à Kyûshû. critique l'esprit rétrograde du « Rescrit
On assiste à la montée puis à l'échec de sur l'éducation ».
l'agitation du « mouvement pour la
liberté et les droits du peuple » (jiyûmin- En deux guerres victorieuses contre ses
ken-undô), favorable à un régime voisins, le Japon s'impose comme puis-
parlementaire constitutionnel démo- sance internationale. Engagé dans
cratique. la révolution industrielle, il met en
place une industrie lourde. Premiers tions de militants anarcho-syndica-
conflits sociaux et débuts du mouvement listes, dont Kôtoku Shûsui ; ils seront
ouvrier. exécutés en 1911. Shiga Naoya fonde
la revue littéraire Shirakaba (« le
1894-95. Guerre sino-japonaise. Au Bouleau »).
traité de Shimonoseki, le Japon obtient 1912. Mort de l'empereur Meiji ; le
d'importantes concessions de la part des général Nogi, le vainqueur de Port-
Chinois, mais l'intervention de la Russie, Arthur, se suicide avec son épouse à
de la France et de l'Allemagne l'oblige à y l'annonce de la mort de son souverain.
renoncer partiellement.
1897. Premier syndicat ouvrier. L'ÈRETAISHÔ (1912-1926)
1898. Réforme du code civil.
1899. Nouveau traité d'amitié et de Démocratisation relative de la vie poli-
commerce entre le Japon et la Grande- tique et intellectuelle après la répression
Bretagne : début de l'abrogation des idéologique et policière de la fin du règne
« traités inégaux ». Première projection précédent. Bond en avant de l'industria-
de cinéma. lisation pendant la première guerre
1900. Nouvelles lois sur le maintien de mondiale.
l'ordre visant à réprimer l'agitation
ouvrière ; l'état-major impose ses vues au 1913. Le folkloriste Yanagita Kunio
gouvernement : les ministres de l'armée lance la revue d'ethnographie Kyôdo-
devront être des officiers d'activé. kenkyû.
1901. Fondation du Parti social-démo- 1914. Le Japon déclare la guerre à l'Alle-
crate, immédiatement interdit ; création magne.
des aciéries Yawata. 1915. Le Japon adresse ses 21 conditions
1902. Alliance anglo-japonaise. à la Chine ; Akutagawa Ryûnosuke
1903. L'anarchiste Kôtoku Shûsui fonde publie Rashômon.
le Heimin shinbun (« Journal du 1918. « Émeutes du riz » partout dans le
peuple » ) ; le ministère de l'éducation pays ; le Japon envoie un corps expédi-
impose le système du manuel scolaire tionnaire en Sibérie.
unique dans les écoles primaires. 1919. Le Japon participe aux côtés des
1904-05. Guerre russo-japonaise : siège vainqueurs à la conférence de Versailles
de Port-Arthur par les Japonais ; victoire et adhère à la SDN ; émeutes nationa-
navale de Tsushima ; traité de paix russo- listes anti-japonaises à Séoul.
japonais à Portsmouth (États-Unis) ; 1922. Conférence de Washington : le
émeutes nationalistes de Hibiya ; créa- Japon est contraint de réduire sa flotte de
tion de la résidence générale japonaise guerre ; création de la Suiheisha, société
en Corée. de défense des discriminés ; fondation
1906. Shimazaki Tôson, écrivain illégale du Parti communiste.
naturaliste, publie Hakai (« Transgres- 1923. Le grand tremblement de terre du
sion ») ; Natsume Sôseki, Kusa-makura Kantô fait plus de 100 000 victimes ;
( « Oreiller d'herbes ») ; création du Parti pogroms anti-coréens à Tôkyô ; la police
socialiste. torture à mort dans ses locaux plusieurs
1909. Itô Hirobumi, résident général en militants d'extrême-gauche.
Corée, est assassiné par un patriote 1924. Tanizaki Jun. ichirô publie Chijin
coréen à Harbin. no ai ( « Un amour insensé »).
1910. Le Japon annexe la Corée. Un 1925. Nouvel arsenal de lois policières
complot contre l'empereur est décou- répressives ; le suffrage universel mascu-
vert (inventé ?) par la police : arresta, lin est accordé.
L'ÈRE SHÔWA ( 1926-1989) Le Japon attaque en Asie du Sud-Est et
dans le Pacifique.
1927. Un krach bancaire sonne le glas de 1941. Les occupants japonais interdi-
la prospérité : le Japon entre dans la dépres- sent l'enseignement de la langue
sion deux ans avant le reste du monde ; coréenne dans les écoles en Corée. En
Akutagawa Ryûnosuke se suicide : « une décembre, le Japon agresse les Etats-Unis
vague inquiétude » l'étreignait. à Pearl Harbor.
1928. Création de la NAP, la Fédération Début 1942. Les Japonais prennent
des écrivains prolétariens. Manille et Singapour et envahissent la
1929. Kobayashi Takiji : Kanikôsen Birmanie ; en juin 1942, bataille navale
(« le Bateau-Usine »), immédiatement de Midway : la progression japonaise est
censuré. stoppée dans le Pacifique.
Juin 1944. Débarquement américain à
La marche à la guerre : l'armée joue un
Saipan.
rôle de plus en plus déterminant dans les 1945. Bombardements aériens sur
décisions de l'Etat.
Tôkyô en mars ; en avril, débarquement
1931. L'armée du Guandong provoque américain à Okinawa ; 6 août : bombar-
« l'incident de Mandchourie » et le dement nucléaire sur Hiroshima et le 9
gouvernement laisse faire. sur Nagasaki ; le 14, le gouvernement
1932. Le Japon met en place l'Etat- accepte la déclaration de Potsdam ; le 15,
fantoche du Mandchoukouo ; le premier allocution radiodiffusée de l'empereur
ministre Inukai est assassiné par des annonçant la capitulation.
officiers. C'est la défaite du Japon militariste et
1933. Le Japon quitte la SDN ; l'écrivain impérialiste, qui n'est plus qu'un pays en
prolétarien Kobayashi Takiji est assas- ruine au milieu d'une Asie ravagée.
siné dans les locaux de la police. Le Japon est occupé par des forces armées
1936. Échec d'un coup d'Etat fomenté par étrangères pour la première fois de son
des officiers ultra-nationalistes ; alliance histoire.
entre le Japon et l'Allemagne de Hitler.
A. L'occupation ( 1945-1952)
Le Japon en guerre : après des victoires
faciles, les armées nipponnes s'embour- 1945. Le général MacArthur dirige les
bent en Chine. forces d'occupation américaines ; le droit
1937. Début à Shanghai des opérations de vote est accordé aux femmes ; les liber-
militaires japonaises en Chine : rapide tés syndicales sont reconnues.
progression des troupes japonaises, qui 1946. L'empereur renonce à son carac-
atteignent Nankin, mise à sac par l'armée tère d'être divin ; ouverture du tribunal
impériale. Le ministère de l'éducation de Tôkyô jugeant les crimes de guerre :
publie Kokutai no hongi ( « les Principes de l'empereur ne sera ni jugé ni cité comme
l'essence nationale ») ; Kawabata Yasu- témoin ; réforme agraire ; promulgation
nari publie Yukiguni ( « Pays de neige »). d'une nouvelle Constitution.
1939. Les occupants japonais obligent 1947. Échec de la grève générale envisa-
les Coréens à « japoniser » leurs noms de gée par les syndicats ; loi économique
famille ; enseignement militaire obliga- anti-monopoles.
toire dans les universités japonaises. 1948. Le tribunal de Tôkyô fait exécuter
1940. Création d'un axe Berlin-Rome- par pendaison plusieurs responsables de
Tôkyô ; Tsuda Sôkichi, spécialiste de la période militariste.
l'étude des mythes, voit ses travaux 1949. Yukawa Hideki prix Nobel de
censurés ; occupation de l'Indochine. physique.
V
1951. Par le traité de paix de San Fran- 1974. Ala suite du « choc pétrolier », la
cisco, le Japon recouvre son indépen- croissance du PNB japonais est négative ;
dance : traité de sécurité avec les Etats- flambée inflationniste.
Unis ; Kurosawa Akira obtient avec Rashô- 1976. Affaire Lockheed : de hauts
mon le Lion d'or du Festival de Venise. responsables, dont l'ancien premier
ministre Tanaka, sont convaincus de
B. La reconstruction ( 1952-1 960) corruption.
1978. Traité d'amitié et de paix avec
1954. Loi sur les forces d'autodéfense : Pékin.
reconstruction d'une force armée mini- 1979. Sony lance le « Walkman ».
mum. Succès international du film
les Sept Samurai. E. Les années quatre-vingt : l'ère des
1955. Formation du Parti libéral-démo-
crate. frictions commerciales ; le japon « qui fait
peur »
1956. Le Japon adhère à l'ONU.
1960. Violentes manifestations de masse 1982. Polémique concernant le contenu
contre la signature du traité de sécurité des manuels d'histoire japonais entre le
nippo-américain. Japon d'une part, la Chine et les deux
régimes coréens, d'autre part.
C. La haute croissance ( 1960-1973) : 1983. Rencontre Nakasone-Reagan :
le « miracle »japonais Reagan évoque « la communauté de destin
entre les États-Unis et le JaPon » ; Naka-
1964. Ouverture de la ligne à grande sone compare le Japon à « un porte-avions
vitesse Tôkyô-Ôsaka ; Jeux olympiques insubmersible ». Ouverture du Musée
de Tôkyô ; formation du parti bouddhiste ethno-historique de Sakura.
Kômeitô. 1986. Flambée des prix des terrains ; le
1965. Traité avec la Corée du Sud. yen monnaie forte (endaka) ; pour la
1968. Manifestations contre la guerre du première fois depuis 1945, le budget mili-
Vietnam ; le PNB du Japon dépasse celui taire dépasse 1% du PNB.
de la RFA ; Kawabata Yasunari prix Nobel 1987. Privatisation des chemins de fer ;
de littérature. en octobre, la Bourse de Tôkyô freine le
1969. Affrontements entre la police et krach mondial.
les étudiants à l'université de Tôkyô.
1970. Renouvellement du traité de sécu- L'ÈRE HEISEI (depuis 1989)
rité nippo-américain ; succès de l'Exposi-
tion internationale d'Ôsaka ; suicide 1989. Scandale Recruit ; démission du
spectaculaire de l'écrivain Mishima. premier ministre Takeshita ; méconten-
1972. Les Américains restituent tement dû à l'introduction d'une taxe à la
Okinawa au Japon ; entretiens Tanaka- consommation.
Chou En Lai à Pékin. 1990. Baisse régulière de la Bourse de
Tôkyô, aggravée à partir d'août par le
« Saddam shock ». Emeutes de travail-
D. Les années soixante-dix : le Japon
« Troisième Grand » surmonte la crise ; le leurs précaires dans les quartiers dé-
Japon « médaille d'or » favorisés d'Ôsaka.

1973. L'opposant coréen Kim Dae Jung Pierre-François Souyri


est enlevé par les services secrets coréens
dans un hôtel de Tôkyô ; les victimes de la
pollution à Minamata obtiennent justice.
CARTOGRAPHIE
Régions,préfectures(ken)etchefs-lieux.
Vilesprincipales.
Relief (d'après Atlas of Japan, Tôkyô, International Society for Educational Information, 1970).
Courants marins.
Températures.
Précipitations.
Zones de végétation.
A

« Palais détaché » de Katsura, 1616-1641, département de Kyôto. Vue depuis la véranda du nouveau shoin.
Shôeki femmes (chokkô/choku-i) (le chemin de l'école étant
ANDÔ interdit aux enfants).
Andô nous invite ainsi à cultiver notre propre
(1703-1762) authenticité (ware to suru) en nous débarrassant de
On connaît peu de chose de la vie de ce médecin, tous les produits culturels qui nous triturent l'esprit et
inconnu de ses contemporains et peu étudié jusqu'à ces le corps. Comme Ogyû Sorai [v. KOGAKU], il recon-
dernières années. Il naît en 1703 dans la région du naît le caractère artificiel du monde présent, mais
Tôhoku (nord-est), mais nous ne disposons d'aucune c'est pour le nier aussitôt en nous exhortant à un
trace de lui jusqu'à ce que le seigneur de Hachinohe retour à la vie naturelle (shizen no yo), où toutes les
l'engage en 1742. En 1757, après le décès de son frère, il différences se trouvent abolies. Il fut sur ce point
part diriger sa lignée, près d'Ôdate, où il s'éteindra en souvent mis en parallèle avec son contemporain
1762, après avoir formé quelques disciples, qui seront Jean-Jacques Rousseau.
persécutés plus tard par les autorités religieuses du lieu. Les recherches sur Andô ont été en majorité
Il fit publier un Shizenshin.eidô (« Des opérations menées par des penseurs socialistes ou marxistes,
spontanées du principe de vie » ) en trois volumes, séduits par la virulence de sa critique du système
mais ses œuvres maîtresses sont le Manuscrit du féodal. Son recours intensif au mot shizen (servant
Shizenshin. eidô (en 101 tomes dont seuls 15 échappè- depuis la fin de Meiji [1868-1912] de traduction au
rent au désastre du grand tremblement de terre de terme occidental « nature ») a récemment orienté
1923 ) et un résumé de celui-ci : le Tôdôshinden ( « Du certains milieux écologistes japonais vers ce penseur.
principe de vie où la Voie entière est contenue »). Son discours moralisateur, tenu à une croisée des
Toutes deux sont restées à l'état de manuscrits, et chemins de l'histoire intellectuelle de l'époque d'Edo
pour cause, car il s'agit d'un discours de philosophie ( 1603-1868), peut aussi être analysé comme une
naturelle puisant à profusion dans le fonds des classi- tentative désespérée de sauvegarder un ordre social
fications et des catégories de la pensée chinoise. alors déliquescent, en faisant appel à l'utopie de la vie
Chaque page offre aussi une véhémente dénoncia- naturelle. De quelque façon qu'on le lise, son message
tion de toutes les institutions sociales, intellectuelles ne peut, en tout cas, laisser quiconque indifférent.
et religieuses de son temps, bref, de tout ce que nous JOLY,J., Shizenet sakuichezAndôShôeki in ActesduIVecongrèsde
rangerions aujourd'hui sous le vocable de civilisa- l'EAJS, Paris, 1988.
tion. De plus, gouvernants, guerriers, artisans,
NORMAN,E. H., AndôShôekiand theAnatomy ofjapanese Feuda-
lism, Washington, 1979.
marchands, moines et médecins, tous ceux qui exer-
J. J.
cent une autorité quelconque, sont copieusement
injuriés pour avoir corrompu le monde tel qu'il était
(shizen) en vivant en parasites des malheureux
paysans (la seule classe légitime), dont ils « dévorent ANGURA ➢➢
avidement le riz » qu'ils produisent. THÉÂTRE UNDERGROUND
L'écriture* et les livres*, qui véhiculent les idées
pernicieuses des penseurs chinois, du Buddha et de
leurs émules, ne sont que l'alibi idéologique de cette
domination ; la mystification consiste à faire croire que
la réalité recèle en soi des différences (betsu) justifiant
ARCHITECTURE
celles observées de facto dans le monde social : yin/yang,
supérieur/inférieur, bien/mal..., et instaurant le monde
artificiel (saku-i) de la loi (hôsei) : selon Andô, tout A R C H I T E C T U R E TRADITIONNELLE ET
cela est mensonge car aucun être n'a d'existence CLASSIQUE
propre, mais trouve sa nature dans son contraire
(gosei). Ainsi la nature du bois* est-elle le feu, celle du Traiter de l'architecture classique japonaise, soit
bien, le mal, et réciproquement. Toute la réalité tient des origines jusqu'à 1868, impose de porter son atten-
dans le mouvement du souffle unique (ikki) d'un prin- tion aussi bien sur l'histoire de l'évolution de certains
cipe de vie, le kasshin, et les êtres perçus ne sont que la styles que sur l'apparition puis la disparition pure et
trace que laisse celui-ci à telle ou telle phase de son simple de certains types de bâtiments. Il importe
parcours. Attribuer telle qualité à un être revient donc donc d'insister tout autant sur une succession de
à le figer, à lui faire perdre l'unité essentielle et dyna- types de bâtiments que sur l'histoire des styles spéci-
mique qui le fait être tel qu'il est (shizen) et participer fiques à chacun de ces types de bâtiments.
au mouvement ordonné et bienfaiteur du kasshin.
Il est donc urgent de pratiquer un gigantesque auto- L'architecture funéraire
dafé et de retrouver la voie oubliée du cours naturel
des choses (shizen), en cultivant son lopin de terre Bien que se distinguant radicalement des autres
pour les hommes, ou en tissant les vêtements pour les types de constructions traditionnelles en ce qu'ils ont
été réalisés avec des matériaux minéraux et non pas duisant à une porte de pierre. Ces nouveaux types de
avec des matériaux d'origine végétale, les bâtiments tumuli (yokoana-shiki), de forme carrée ou ronde,
relevant de l'architecture funéraire peuvent être rappellent certains tombeaux chinois.
considérés comme des éléments à part entière de L'évolution de cette architecture funéraire est
l'architecture classique japonaise. l'expression d'une évolution parallèle du rapport à la
Les kofun, ou « tertres anciens », construits dans mort et à l'au-delà dans la société* japonaise d'alors,
l'archipel japonais entre le IIIe et le VIIe siècle, sont la croyance dans un accès à un monde céleste après
d'ailleurs tellement représentatifs, de par leur la mort se transformant progressivement en une
nombre mais aussi sur le plan architectural, qu'ils ont croyance dans un accès à un monde souterrain.
fini par donner leur nom à l'époque de l'histoire japo- L'introduction du bouddhisme*, au milieu du
naise (la période Kofun, iii'-vi' siècle) qui les a vu VIesiècle, et des rites de crémation liés à cette religion*
naître. Les plus anciens de ces tertres funéraires (III" et sonne progressivement le glas de la construction des
IVesiècles) ont un plan circulaire et ont été construits tertres funéraires et aboutit à l'interdiction totale de
pour ressembler à des montagnes : la relation symbo- leur construction en l'an 645. Après avoir cru pendant
lique entre un kofun et une montagne est à ce point très longtemps que ces sépultures étaient toutes liées
importante qu'à l'origine on désignait ces tumuli sous à des membres de la famille impériale, on sait
aujourd'hui qu'elles abritent pour la plupart les
dépouilles de membres de l'élite au pouvoir à l'époque.

Les temples bouddhiques


L'introduction du bouddhisme au Japon date offi-
ciellement de 552, mais il faut attendre 588 pour que
soit décidée, à l'initiative de la famille des Soga, la
construction de ce qui est reconnu comme le plus
ancien temple érigé au Japon : l'Asuka-dera, ou
Hôkô-ji. Les techniques de construction des temples
bouddhiques sont introduites par des artisans immi-
grés chinois et coréens, ces derniers originaires
du royaume de Paekche. Le Hôkô-ji n'existe plus
aujourd'hui, mais l'architecture de l'actuel Hôryû-ji,
à Nara, rappelle certaines formes de cette période.
Kofun (tertre ancien) de l'empereur Nintoku, fin du Iv'-début du Dédié au culte du Buddha, chaque temple comprend
V' siècle, époque Kofun. Sakai, département d'Ôsaka. de multiples espaces destinés à la résidence des
moines, à l'étude des sûtra, aux pratiques d'ascétisme,
à l'accueil des fidèles, etc. Dès la fin du VIe siècle,
le n o m de yama (« montagne », en japonais). Ces d'importants monastères sont construits sur le
premiers tertres, de type tateana^shiki, sont devancés modèle continental et, vers le milieu du VIlle siècle,
par une plate-forme rectangulaire. Au centre du un système de temples de provinces est mis en place,
tertre, au niveau de la plate-forme, le cercueil, taillé en avec une organisation spécifique pour en assurer le
forme de pirogue dans un tronc dont la longueur
fonctionnement.
variait entre 5 et 6 mètres, est déposé au fond d'un L'époque de Heian (794-1185) est le théâtre du
caveau, sur le sol en terre battue. développement de nouvelles sectes bouddhiques.
Au Vcsiècle, la taille et l'emplacement des tumuli se Parmi elles, on peut compter, bien sûr, le Tendai, mais
modifient. Certains atteignent des proportions aussi la secte de la « Terre pure » (Jôdo), à l'influence
gigantesques et, alors que les premiers avaient été de laquelle on doit la construction du Byôdô-in d'Uji
édifiés sur des bas plateaux, les suivants sont installés (près de Kyôto) et, en particulier, le Hôôdô, encore
dans les plaines alluviales. Ainsi en est-il du tombeau nommé pavillon du Phénix. La construction du
de l'empereur Nintoku, encore visible aujourd'hui à Byôdô-in illustre un changement important dans
Sakai, près d'Ôsaka. De rectangulaire, le plan de la l'histoire de la construction des temples car elle est
plate-forme devint trapézoïdal, ce qui donne à financée non par l'État* mais par des membres de la
l 'ensemble, vu d'avion, la forme d'un trou de serrure. famille Fujiwara. Pour des raisons plus liées à leur
Le cercueil, quant à lui, est d'abord recouvert simple- habile politique matrimoniale (mariage des filles Fuji-
ment de terre, puis construit en pierre, enfin élaboré wara aux jeunes empereurs) qu'à leur pouvoir finan-
comme un véritable sarcophage simulant une maison cier (non négligeable toutefois comme en atteste
et à nouveau enfermé dans un caveau. l'étendue des domaines dont ils assurent le contrôle),
Aux vr et VIT siècles, l'accès au caveau se modifie les Fujiwara tiennent le devant de la scène politique
et prend la forme d'un passage en pente légère con- et culturelle pendant les Xeet XIesiècles. Suivis bientôt
1. Pagode à cinq étages, h. 32 m., fin du VU' siècle, fin de
l'époque d'Asuka-début de l'époque de Nara. HôryÜ-ji,
Nara. L'un des plus anciens bâtiments en bois du monde.

2. Hôôdô, ou pavillon du Phénix du Byôdô-in, 1052-1053,


époque de Heian. Uji, près de Kyôto.

3. Kinkaku-ji ou Pavillon d'or, 1397, époque de Muromachi.


Kyôto. Ce bâtiment, incendié en 1950, fut reconstruit en
1955.
par d'autres familles influentes, ils inaugurent une
pratique de soutien à de brillantes productions litté-
raires et artistiques et commandent la construction
de nombreux temples privés dont le pavillon du
Phénix est un exemple significatif.Le rôle joué par
ces familles privées dans la construction d'édifices en
partie religieux donnera ainsi naissance à des bâti-
ments aussi célèbres que celui du Pavillon d'or
(Kinkaku-ji), à Kyôto, en 1397.
On peut classer l'architecture bouddhique en quatre
grands groupes distincts. Jusqu'à l'époque de Kama-
kura (1185-1333), le style japonais (wayô) est le style
officiel. Dérivé de celui de l'époque de Nara (710-
794), lui-même inspiré de l'architecture de la Chine Grande porte sud (Nandaimon) du Tôdai-ji, par Chôgen Shunjôbô, fin du
des Tang, il est remarquable par sa simplicité dans les XIIe siècle, époque de Kamakura, Nara. Style du Grand Buddha.
éléments décoratifs et par ses larges proportions,
comme dans le bâtiment principal du Saimyô-j i.
Importé au début de l'époque de Kamakura par le
prêtre Chôgen Shunjôbô ( 1121-1206), le style du
Grand Buddha (Daibutsu-yô), encore appelé style
indien (tenjiku-yô), vient, quant à lui, du sud de la
Chine. Il s'exprime pleinement lors de la reconstruc-
tion du TôdaHi, à Nara, en particulier pour sa porte
sud (Nandaimon), bâtiment qui impose sa masse
puissante, aux fortes lignes horizontales.
Le style zen (zenshû-yô), aussi nommé style chinois
(kara-yô), est une imitation du style architectural de
la Chine des Song et est introduit en même temps
que le bouddhisme zen, durant l'époque de Kama-
kura. Le Shariden de l'Engaku-ji (à Kamakura, sud de
Tôkyô*) est le meilleur exemple de ce style dont les
éléments de structure plus petits et plus légers que
ceux des bâtiments de style japonais sont aussi plus
complexes dans les détails. Enfin, le style éclectique
(setchû-yô) se développe après l'époque de Kamakura.
Il est considéré comme un mélange des deux styles
précédents. La meilleure expression de ce style éclec- Shariden, ou pavillon des Reliques, de l'Enkaku-ji. Kamakura,
tique se retrouve dans les bâtiments du Kanshin-ji département de Kanagawa. Le bâtiment, dans sa forme actuelle, est bien
de style Kara-yô (époque de Kamakura).
(Ôsaka) et du Kakurin-j i.
Nombre de concepts de base introduits lors de la
construction des temples bouddhiques sont appliqués tout phénomène. En tant que demeure des dieux, le
Par la suite à d'autres types de bâtiments. Le temple, santuaire shintô, dans son architecture, inclut aussi
construit en bois*, est de structure poteau-poutre, et bien les bâtiments que l'environnement naturel qui
les remplissages entre les poteaux sont de simples les entoure. L'architecture du bâtiment principal du
écrans mobiles ou fixes, l'édifice étant généralement sanctuaire (honden) est le produit de deux influences.
placé sur une espèce de podium. L'ensemble est coiffé La première, datant probablement de 300 av. j.-c., est
d un important toit, couvert de tuiles le plus souvent. celle des bâtiments temporaires construits pour les
Le corps principal de l'édifice, ou moya, est flanqué kami lors de fêtes* particulières. O n retrouve cette
Partiellement, ou ourlé totalement, d'un péristyle première influence dans le sanctuaire de Sumiyoshi
nommé hisashi. Ce type d'organisation spatiale et le (Ôsaka). La seconde influence est celle de l'architec-
système constructif qui lui est lié se retrouveront par ture domestique (habitations et granges) antérieure à
a suite dans l'architecture domestique. l'introduction du bouddhisme. L'exemple le plus
caractéristique se trouve sur le site du grand sanc-
Les sanctuaires « shintô » tuaire d'Ise (Ise-jingû), d é p a r t e m e n t de Mie, qui
abrite le miroir sacré, l'un des trois regalia symboles de
Le shintô* (la « voie des dieux ») est une religion la famille impériale.
Panthéiste fondée sur la croyance en l'existence de Après l'introduction du bouddhisme, le shintô et
leux (ktfmi) dans pratiquement tout objet naturel ou son architecture évoluent. Les périodes de Nara et de
1. Bâtiment principal (shôden) du grand sanctuaire d'Ise
(Ise-jingû), V siècle, époque Kofun. Ise, département de Mie.
Style shinmei, unique à ce sanctuaire.

2. Château de Himeji, 1601-1610, début de l'époque d'Edo.


Himeji, département de Hyôgo.

3. Bâtiment principal du Kamo-jinja. Style nagare. Kyôto.


Le bâtiment actuel date de 1863.

4. Bâtiment principal du grand sanctuaire du Kasuga


(Kasuga-taisha), milieu de l'époque de Nara. Nara. Chaque
corps de bâtiment accueille une divinité particulière.

5. Bâtiment principal du grand sanctuaire du Sumiyoshi


(Sumiyoshi-taisha), fondé au IV siècle. Ôsaka. Reconstruit
tous les vingt ans entre le début de l'époque de Heian et le
milieu de l'époque de Muromachi.

Heian voient la naissance de quatre styles architectu-


raux distincts pour le honden, dont le nagare-zukuri
(Kamo-jinja, à Kyôto) et le Kasuga zukuri, du nom du
sanctuaire situé à Nara. Bien que leur construction
initiale remonte pour certains à plus d'un millénaire,
la forme des bâtiments actuels des plus anciens sanc-
tuaires* liés à la religion du shintô date des XI' ou
XIIe siècles. Certains sanctuaires ont fait l'objet de
reconstructions périodiques dans le but d'en purifier
le site, pratique qui fut suivie dans presque tous les
grands sanctuaires jusqu'à l'époque d'Edo (1603-
1868). Lorsque les sanctuaires étaient reconstruits, on
exécutait les travaux dans le respect des techniques et
de:, styles traditionnels, ce qui fait dire au plus grand
nombre de fidèles de ces lieux sacrés que la forme de ces
nombreux bâtiments n'a pas varié depuis des siècles et
qu'ainsi le style architectural a pu en être préservé.
En fait, si les grands principes de l'architecture du
shintô sont bien fixés depuis l'époque de Heian,
l'ornementation des sanctuaires n'a cessé d'évoluer
depuis, en matière de coloration et de sculpture*.
Les variations de la forme des poutres, des consoles,
des contre-fiches et des galbes des toitures, si elles
ont contribué à magnifier le style architectural, ont
eu aussi pour conséquence la construction de bâti-
ments aussi différents que ceux d'Ise et ceux de
N ikkô (nord de Tôkyô ).
1- Site du grand sanctuaire d'Ise (Ise-jingû), V siècle, époque
Kofun. Ise, département de Mie. Sanctuaire fondé en 481 et
reconstruit officiellement tous les vingt ans depuis 690
jusqu'à l'époque actuelle.

2. Porte Yômei (Yômei-mon)du Tôshôgû, sanctuaire


construit à la mémoire de Tokugawa Ieyasu. 1636, époque
d 'Edo. Nikkô, département de Tochigi.

L'architecture militaire

Bien que l'on puisse faire remonter au VIIe siècle la


construction des premières palissades (ki), fortifica-
tions et forteresses (yamajiro), il faut attendre les
réactions locales aux deux tentatives d'invasion
mongole de 1274 et 1281 pour que l'architecture
militaire fasse ses débuts officiels dans l'archipel.
Elle prend tout d'abord la forme de longs murs de
fortifications dans le but unique de se protéger des
attaques extérieures. Certaines traces de ce type de
défenses subsistent encore aujourd'hui sur les rivages
près de Hakata. Bien vite, toutefois, les luttes intes-
tines entre les différents seigneurs du Moyen Age,
particulièrement pendant les périodes Nanboku
(1336-1392) et Sengoku (v. 1490-1573), donnent
naissance à travers tout le pays à une première archi- L'architecture résidentielle
tecture de forteresses de montagne, utilisées essen-
tiellement en cas de conflits. Les origines de l'architecture résidentielle japo-
Durant la période d'Azuchi-Momoyama (1573- naise se perdent dans la nuit des relations avec le
1603), un rapide et soudain développement de cette continent chinois. L'un des premiers objets significa-
architecture transforme les châteaux en de com- tifs mis au jour et qui puisse nous éclairer sur le mode
plexes séries de bâtiments. Contrairement aux d'habiter des ancêtres japonais est un miroir en
exemples des époques précédentes, la nouvelle géné- bronze de fabrication locale, au revers duquel figure
ration de châteaux qui voit le jour, et qui couvre le le dessin de quatre constructions. Cet objet, daté du
territoire, est plus couramment construite en plaine IVe siècle de notre ère, a été découvert dans un tertre
(hirajiro), comme à Edo (futur Tôkyô) ou sur des funéraire à Samida, près de Nara.
collines surplombant ces plaines (hirayamajiro), La courbure du toit et l'ossature du premier bâti-
comme la majeure partie des constructions visibles ment représenté rappellent le type reproduit sur une
encore aujourd'hui. cloche en bronze, découverte dans le département de
Ce qui caractérise tout d'abord ce type de château Kanagawa (sud de Tôkyô), ou sous la forme de pote-
est le soin extrême avec lequel le plan d'ensemble est ries haniwa, mises au jour dans le département de
composé (nawabari) afin d'en faire un véritable Gunma (nord-ouest de Tôkyô). À la vue de son plan-
ouvrage d'art à vocation défensive. Au centre, une cher particulièrement surélevé, cet édifice s'appa-
cour principale (honmaru) accueille le donjon (tenshu, rente plus à un grenier ( takakura) qu'à une maison, si
kaku). Elle est entourée de cours secondaires (nino- ce n'est que les matériaux et le mode de construction
maru et sannomaru) et de diverses lignes de remparts (planches épaisses empilées) ne rappellent aucun
(kuruwa) avec leurs constructions attenantes bâtiment de stockage édifié jusqu'alors. Cela étant,
(yagura). Les enceintes sont percées d'accès solide- de tels édifices seront construits dans le Japon de l'est
ment défendus dont les plus importants sont la porte jusqu'à l'époque des « tertres anciens » (Kofun).
principale (ôte) et la porte arrière (karamate). En cas On convient généralement que le deuxième dessin
d'agression, cette dernière est réservée à la fuite. Des représente une habitation. Le plancher surélevé, la
douves (hori) complètent ce dispositif d'ensemble taille importante, le tout entouré d'une véranda équi-
entièrement consacré à empêcher ou à freiner la pée de stores (kinugasa) et d'une main courante
progression de l'ennemi. Pour s'emparer du château et ( tesuri) donnent à cette construction nommée taka-
donc atteindre le donjon, ce dernier doit en effet dono un aspect qui indique son occupation par les
emprunter un parcours en dédale parsemé d'obstacles classes dominantes du Japon de l'Ouest, à l'époque
à franchir sous les balles et les flèches tirées depuis les des tumuli. L'espace libre situé sous le plancher (dans
meurtrières (sama et hazama) et sous les pierres lancées ce cas comme dans le cas précédent) est considéré,
depuis les machicoulis (ishiotoshi) par les assiégés. suivant les ouvrages qui en parlent, tantôt ouvert,
La construction des châteaux fait appel à deux tantôt clos, ce qui indique que l'on ne saisit pas
types de matériaux ; la pierre et le bois. D'imposants encore très précisément quelle en était l'utilisation
blocs de pierre assemblés à sec (ishigaki) entrent dans exacte.
la composition du socle du donjon et des murs de Le troisième dessin représente sans aucun doute
rempart et de soutènement. Certains d'entre-eux ce que les historiens nomment l'habitation semi-
peuvent atteindre près de 20 mètres de haut. La struc- enterrée (tateana-jûkyo), habitat* traditionnel depuis
ture du donjon proprement-dit est de type poteau- l'époque Jômon (v. 8000 av. J.-C.-v. 300 av. J.-C.).
poutre en bois. Les murs et les faces extérieures des Cette construction, qui ressemble à un simple toit,
poteaux sont revêtus d'une épaisse couche d uiuuu possède aussi une véranda avec un store descendant
qui les protègent contre les armes à feu. L'ensemble sur l'un des côtés de l'auvent surmontant la porte.
supporte une vaste toiture au galbe prononcé et LI, dernier dessin, enfin, laisse les spécialistes
recouverte de tuiles. Le sommet est généralement perplexes. S'agit-il de la représentation d'une habi-
décoré de sculptures représentant des animaux. tation avec ses poteaux extérieurs supplémentaires,
Dans un esprit de concurrence entre daimyô (les ses fenêtres, sa porte, et ce qui semble apparaître
seigneurs), chacun des édifices dépasse en taille et en comme de la fumée provenant d'un éventuel four ?
magnificence celui du voisin, à tel point que le Couverte de chaume elle aussi, cette construction
château d'Azuchi (près du lac Biwa) aurait pu tenir majestueuse élevée sur une sorte de plate-forme ne
place dans le seul donjon de celui de Himej i (ouest serait-elle pas plutôt un édifice abritant quelque
d'Ôsaka), construit en 1606. Afin d'assurer un fonction religieuse ?Quoi qu'il en roit, sa structure
contrôle politique plus strict sur l'ensemble du pays, caractéristique laisse à penser qu'il s'agit d'une
le shôgunat des Tokugawa ordonne, en 1615, le construction dont la forme serait originaire du conti-
maintien d'un seul château par domaine. De cette nent. Les plus nombreuses traces qu'on en retrouve
décision date le début du déclin de l'architecture sur l'archipel datent de la seconde moitié de la
militaire traditionnelle japonaise. période des « tertres anciens ».
l'amenant progressivement à se séparer du niveau du
sol. Deux évènements d'importance jouent un rôle
déterminant dans ce processus d'évolution de l'archi-
tecture résidentielle : l'introduction du bouddhisme
et des techniques de constructions des temples
(deuxième moitié du VIe siècle), et la réalisation, sur
le modèle chinois, des premières capitales fixes japo-
naises (fin VIIe début VIlle siècles). O n doit aux
temples la généralisation du système constructif
poteau-poutre et aux capitales la naissance d'une
véritable architecture urbaine.
Certains documents d a t a n t du VIlle siècle nous
m o n t r e n t quelques maisons de N a r a dotées d ' u n
plancher et d'un toit recouvert d'écorces de cyprès, et
d'autres au sol en terre battue et à la toiture en
chaume ou en planches. Le corps principal (moya)
des constructions se voit bientôt adjoindre sur deux
côtés un appentis couvert de planches (hisashi).Ce
phénomène touche indistinctement les habitations
populaires et les demeures aristocratiques urbaines.
Dans les premières, cela s'accompagne d'une
nouvelle organisation de l'espace intérieur : le sol est
laissé pour moitié tel quel en terre battue ( tôri-niwa)
p e r m e t t a n t le passage direct depuis la rue jusqu'au
jardin en fond de parcelle, l'autre moitié est recou-
verte d'une petite estrade sur laquelle s'organise la vie
de la famille. L'ensemble délimite un espace étroit et
profond, non cloisonné, de plus en plus privatif au fur
et à mesure que l'on pénètre vers le fond de la maison.
Les habitations traditionnelles urbaines (machiya)
sont nées.
Dans les secondes, les appentis sont supportés par
de fins poteaux de section carrée. Graduellement, ils
finissent par entourer complètement le corps central
formant une espèce de péristyle. Ainsi apparaît le
Constructions représentées au revers d'un miroir provenant du tumulus de style shinden (shinden-zukuri), propre aux résidences
Samida, à Nara, bronze, diam. 23 cm, i\,, siècle, époque Kofun. Collection aristocratiques de l'époque de H e i a n . Ce style se
impériale, Tôkyô.
caractérise, en outre, par la multiplicité de bâtiments
i n d é p e n d a n t s , disposés de manière r e l a t i v e m e n t
C o m m e le suggèrent les dessins du miroir de symétrique autour d'une pièce d'eau et reliés entre
Samida, la variété des formes architecturales est aussi eux par des galeries d o n t la plupart sont couvertes.
évidente que l'unité, très forte, des matériaux de Chaque bâtiment est conçu selon un même principe
construction (éléments essentiellement végétaux : d'organisation interne : de vastes espaces libres que
bois et chaume). viennent, seuls, troubler les poteaux ronds de moya
Les techniques de construction peuvent être clas- et carrés de hisashi ; une progression s a v a m m e n t
sées en deux groupes : poteau-poutre ou mur porteur organisée depuis le dehors vers le dedans, depuis le
par empilage de pièces de bois ; et les caractéristiques public vers le privé, juste ponctuée par de nombreux
qui expriment les modes de vie quotidienne dans ces et divers écrans (portes épaisses suspendues :
maisons p e u v e n t se résumer en deux familles de hajitomi ; stores de bois filé : sudare ; porte-rideaux :
choix : sol en terre battue ou plancher surélevé. kichô ; écran en plan vertical : tsuitate ; p a r a v e n t :
L'observation de l'évolution de ces divers éléments byôbu ; etc.). Le style shinden consacre l'idée fonda-
dans l'histoire de l'architecture résidentielle japo- mentale dans l'architecture japonaise de pouvoir
naise indique que la technique de murs porteurs fait isoler ou réunir des espaces suivant l ' h u m e u r du
de troncs superposés (azekura-zukuri) utilisée essen- moment ou l'impératif de l'instant.
tiellement pour les greniers surélevés ( takakura) va La décadence de l'époque de H e i a n met fin aux
disparaître et que le principe poteau-poutre devien- cérémonies raffinées que donnaient les aristocrates
dra dominant. Parallèlement l'élévation du niveau de cour. En ce Moyen Age troublé, les seigneurs de la
du plancher des habitations apparaît très clairement, guerre se satisfont d'un mode de vie différent. Le style
shuden (shuden-zukuri) est une forme qui gagnera étant situé sur la route des typhons, l'auvent extérieur
leurs faveurs et qui, influencée par le style shoin est fermé à son extrémité par des planches amovibles
(shoin-zukuri), intègre divers éléments architecturaux que l'on glisse entre les poteaux pour pallier les effets
empruntés aussi bien aux fermes paysannes qu'aux d'arrachement du toit, alors qu'à Okinawa, pour les
résidences du clergé ou de la noblesse. Le style shoin mêmes raisons, on a tendance à entourer la maison
doit son nom à la présence dans la pièce principale de d ' u n muret de roches volcaniques qui détournera
l'habitation d'une fenêtre en avancée et à tablette fixe les vents violents au-dessus du toit de l'habitation.
qui semble rajoutée à la structure du bâtiment (d'où Dans le « pays de neige » (yuki-guni, soit le Hokuriku,
son nom initial de tsuke-shoin, « shoin ajouté »). dans le nord-ouest), les principaux éléments horizon-
Là n'est pas la seule innovation de ce style qui taux de la structure en bois de certaines maisons sont
atteindra, aux XVIe et XVII" siècles, sa plus parfaite disposés de manière à mieux travailler face à la
expression dans les résidences des seigneurs féodaux. surcharge due à la neige sur le toit. A v a n t l'hiver o n
Si la filiation est évidente entre style shinden et style entoure celles-ci d'une véritable deuxième peau pour
shoin, ils se distinguent en de nombreux points : les les protéger contre la pression exercée par la neige qui
lourds poteaux du corps principal dans l'un ont une va s'entasser jusqu'au dégel. C o m m e n t caractériser
section plus petite dans l'autre ; les tatami jusqu'alors ces diverses précautions prises sinon en parlant d'une
parsemés çà et là dans certaines pièces les recouvrent certaine forme d'adaptation au climat.
maintenant plus complètement ; des cloisons coulis- Et l'on peut ajouter, pêle-mêle, les toits et leurs
santes séparent les pièces, tandis que d'autres rempla- variétés : couvertures de chaume (Ibaraki, est de
cent les lourdes portes extérieures ; enfin, la pièce Tôkyô), de tuiles (Hyôgo, ouest d'Ôsaka) ou de bois
principale est maintenant dotée d'une alcôve (toko- (Gifu) ; les murs de terre, dont les qualités en matière
noma) et d'étagères de différentes hauteurs (tana). de transfert d'humidité n'ont, jusqu'à aujourd'hui,
La succession historique des différents styles archi- jamais été égalées ; les planchers nus (Nagano,
tecturaux des habitations s'accompagne d'un certain centre), recouverts de bambou* filé (sunoko ; Kana-
nombre de recommandations du gouvernement pour gawa, sud de Tôkyô) ou de tatami (Kyôto) suivant la
ses propres constructions (encouragement, en 724, nécessité ou non d'offrir un revêtement isolant contre
des constructions de style continental aux toits de le froid ; la longue portée des toitures qui protège
tuiles, aux colonnes et poutres peintes). Mais il faut des rayons ardents en été, les laissant pénétrer l'habi-
attendre l'époque d'Edo pour que des règlements tation en hiver au travers d'espaces-tampons appro-
somptuaires, de sécurité contre la propagation des priés : les engawa ( Aichi, région de Nagoya ; Akita,
incendies et aussi de contrôle social imposent à nord ; Gifu, Kôchi, dans le Shikoku Kagawa, nord de
chacun une habitation en fonction de son rang. Tout Shikoku ; Kanagawa) ; les nombreuses ouvertures de
élément extérieur de richesse est prohibé, et chacun sections variées qui d o n n e n t à l'espace intérieur sa
est tenu, suivant ses revenus, de respecter telle largeur juste dose d'humidité, de ventilation, de chaleur et de
de façade sur rue et telle profondeur de bâtiment. lumière (Aichi, Gifu, Kyôto).
Cette stricte classification des habitations en milieu
urbain ne cache pas, cependant, de grandes variétés. Le style « sukiya » et les pavillons de thé
Ces nombreux facteurs apparaissent encore plus
clairement lors de l'observation des habitations en Le style de pavillons (sukiya-zukuri) repose sur
milieu rural. D'un point de vue architectural et l'idée d'associer l'architecture et l'art des jardins afin
constructif au sens strict, il faut bien admettre qu'il de créer un cadre propice à diverses formes de distrac-
n'y a en effet guère d'éléments communs entre la tions. Le développement de ce style est contempo-
maison en équerre (magariya) des départements rain de celui du style shoin, tous deux s'influençant
d'Iwate (nord-est) et de Chiba (est de Tôkyô), la m u t u e l l e m e n t . Le « Palais d é t a c h é » de Katsura
maison en U (chûmon-zukuri) du département (Katsura-rikyû), près de Kyôto, exemple archéty-
d'Akita (nord-ouest), la maison de style gasshô- pique de l'architecture de style sukiya, a souvent été
zukuri du département de Gifu (nord de Nagoya), les présenté par les spécialistes occidentaux et japonais
maisons aux murs de chaume (kayakabe), de styles comme la quintessence en matière de goût artistique
sugoya et honmune-zukuri, du département de nippon. Construits à Kyôto en plusieurs étapes entre
Nagano (centre), la maison de type tsumairi du 1616 et 1641, les bâtiments de Katsura expriment en
département de Shiga (nord-est de Kyôto), celle de effet la simplicité rustique que l'on retrouve dans les
style takabei de la région d'Ôsaka, celle de type buntô pavillons de thé. O n est à même de mieux
de la région de Chiba et celle de style kudo du dépar- comprendre la qualité de cette architecture quand on
tement de Saga (nord-ouest de Kyûshû). la compare à celle du Tôshôgû de Nikkô (nord de
La protection contre les catastrophes et les éléments Tôkyô), qui date pourtant de la même époque.
naturels fait aussi, suivant les régions, l'objet d'inven- En fait, le mot sukiya peut s'appliquer tout autant à
tions particulières. Dans le département de Waka- une architecture qu'à un mode de penser. La cérémo-
yama (sud d'Ôsaka), statistiquement reconnu comme nie du thé n'est d'ailleurs pas la seule distraction des
classes supérieures japonaises à la fin de l'époque de
Muromachi ( 1392-fin XV' siècle) et pendant celles de
Momoyama et d'Edo. Le théâtre* nô* et son archi-
tecture particulière (par exemple, la scène de nô
d'Itsukushima, ou Miyajima au sud de Hiroshima)
attiraient déjà l'attention bien avant que la « voie du
thé » (sadô) ne soit considérée comme un art.
Le style du pavillon de thé évoluera suivant les
mêmes principes que le style sukiya. Cependant,
la seule vue du Taian, pavillon de thé situé dans
l'enceinte du temple Myôkian, dans la ville de Yama-
zaki, au sud de Kyôto, et construit sous la direction du
grand maître de la cérémonie du thé Sen no Rikyû
( 1522-1591 ), autorise à penser que dans ce qui est l'une
des architectures les plus petites au monde sont concen-
trés tous les principes spécifiques de l'architecture clas-
sique japonaise. On retrouve, en effet, dans ce type
d'édifice, les éléments-clés qui ont fait rêver et conti-
nuent de faire rêver tant d'architectes, à savoir l'utilisa-
tion quasi exclusive de matériaux d'origine végétale
pour la construction, la simplicité des formes poussée à
l'extrême, les rapports sophistiqués entre l'ensemble et
le détail, le choix d'un système constructif poteaux-
poutres avec remplissage par simples écrans fixes ou
mobiles, le système modulaire qui règle l'espacement
des poteaux, la variété des composants qu'autorise la
logique de ce système, la lisibilité délibérée d'une struc-
ture que des artisans réalisent avec un soin extrême en
tirant le meilleur parti possible de leurs outils.

Les charpentiers

Cette architecture classique japonaise n'aurait


évidemment pas vu le jour sans le concours des
métiers de la forêt : les bûcherons (kikori) et les scieurs
(kobiki) ; et sans les nombreux artisans qui ont parti-
cipé à sa mise en oeuvre : les terrassiers (dokata ou
dokô), les monteurs (tobi-shoku-ya), les couvreurs
(yane-ya), les fabricants d'ouvrants (tategu-ya), les
fabricants de tatami (tatami-ya), les serruriers (kana-
mono-ya), les laqueurs (urushi-ya), les jardiniers
(niuiashi), etc.
Mais le personnage central de cette chaîne d'arti-
sans reste le charpentier (daiku). Omniprésent sur
les chantiers, mais aussi dans la société japonaise,
le charpentier cumule tout d'abord les tâches de
concepteur et de constructeur. C'est, en fait, une
sorte d'architecte qui exécuterait ses propres plans.
En ville comme à la campagne*, tout ce qui touche à
la construction en bois est de son domaine. On fait
appel à lui non seulement pour un nouveau bâtiment
mais aussi pour agrandir, entretenir ou réparer une
vieille construction.
1. Maison de style honmune, département de Nagano.
La création de véritables métiers du bâtiment ne
2. Maison de style tsumairi, département de Shiga. prend son essor qu'au XIIIe siècle, à la faveur d'un
accroissement progressif de la différence entre les
3. Maison de style bundô, département de Chiba.
nombreux types d'édifices construits. Les paysans,
4. Maison de style kudo, département de Saga. qui, jusqu'alors, construisaient les bâtiments (une
1. Palais détaché de Katsura, 1620-1648, époque d'Edo,
Katsura, département de Kyôto. Vue générale des façades
sud-est du bâtiment principal, de l'ancien shoin, le shoin
central et le nouveau shoin.

2. Vue axonométrique du pavillon de thé Taian situé dans


l'enceinte du temple Myôkian, construit sous la direction de
Sen no Rikyû, 1582, époque de Momoyama. Yamazaki,
département de Kyôto.

3. Palais détaché de Katsura, angle du shoin central.

4. Sanctuaire d'ltsukushima, fondé au XII' siècle, époque de


Heian. Itsukushima, baie de Hiroshima.
près (le niveau d'eau : mizuhakari, et certains rabots
de type yariganna), les outils figurant en situation
réelle sur un rouleau illustré, le Kasuga gongen-henki-e
(document de la fin de la période de Kamakura, soit
du milieu du XIVesiècle), sont toujours présents sur les
chantiers aujourd'hui : les ciseaux à bois (nomi), les
vrilles (kiri), les scies (nokogiri et oga), les équerres
(kaneshaku ou sashigane), les traceurs en bambou
(sumisashi), les cordeaux encreurs avec leurs boîtiers
(sumitsubo), les marteaux (kanazuchi) et masses
(kakeya), ainsi que les herminettes (chôna).
Depuis la fin des années soixante et dans un esprit
d'amélioration de la productivité sur les chantiers,
des outils électriques : scies circulaires (maru-noko) et
rabots (denki-kanna), sont venus compléter les outils
traditionnels, sans toutefois les remplacer.
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dantes de la tutelle de l'aristocratie. M. B.
Le rôle prédominant du charpentier perdurera
jusqu'au milieu du XXesiècle et, aujourd'hui encore,
ce dernier reste maître d'œuvre et constructeur d'une
ARCHITECTURE MODERNE
part importante des nouvelles constructions mises en
chantier chaque année. Peu de pièces écrites lui sont Peut-être plus que dans tout autre domaine, la date-
nécessaires pour mener à bien sa tâche : un simple clé de la restauration de Meiji (1868) est un véritable
dessin sur une planchette de bois (itazu) suffit pour tournant dans l'histoire de l'architecture japonaise.
savoir quel type de tenon ou de mortaise sera néces- En ce dernier quart du XIXesiècle, la manière spéci-
saire à telle pièce de bois, ou quels poteaux et quelles fiquement japonaise d'acquérir et d'adopter les idées
poutres devront être placés à tel endroit. Cette occidentales s'applique aussi à l'architecture.
absence de traces écrites a une incidence sur la trans- Comme dans d'autres disciplines, de nombreux
mission du savoir aux jeunes recrues, dont la forma- spécialistes et techniciens sont appelés d'Europe et
tion est directement prise en charge par le maître des États-Unis pour dispenser leur savoir aussi bien
charpentier (tôryô) sur le chantier ou dans l'atelier, sur le plan pratique que sur le plan théorique. Ainsi
par la pratique et le bouche à oreille. en est-il de l'architecte anglais Josiah Conder (1852-
Bien que préférant travailler de manière indépen- 1920), venu au Japon en 1877, qui concevra de
dante, le charpentier a su, à travers les âges, s'allier à nombreux bâtiments dans des styles plus divers les
des confrères pour la construction de grands édifices uns que les autres : le musée d'Ueno (1881 ) fait réfé-
comme les châteaux. Certains groupes de charpen- rence à des lignes et des motifs moyen-orientaux et
tiers furent d'ailleurs parfois attachés à la personne le Rokumei-kan ( 1883 ), sorte de club où se réunis-
d un seigneur, travaillant exclusivement pour lui. saient les représentants de la haute société* japo-
Un tel degré de responsabilité dans l'exécution des naise ainsi que les membres du gouvernement, est,
bâtiments et une telle sophistication du travail du quant à lui, d'inspiration de type néo-Renaissance
bois obligèrent bien vite les charpentiers à se doter à la française. On retiendra surtout le nom de cet
d outils extrêmement précis. À quelques exceptions architecte comme celui du premier professeur
d'architecture au Collège technique de Tôkyô*,
future section de génie civil de l'Université impé-
riale de la capitale.

Un éclectisme formel

En 1879, la première promotion d'architectes


diplômés va rapidement prendre la place des archi-
tectes occidentaux aussi bien dans l'enseignement
que pour la conception des bâtiments. Ils ambition-
nent de maîtriser le plus grand nombre possible de
connaissances, et la production architecturale qui en
découle se caractérise par un vaste éclectisme formel.
En l'espace de quelques décennies, les architectes
vont s'inspirer tour à tour de l'architecture de la révo-
lution industrielle occidentale, du style colonial, du
style victorien, du rationalisme américain, de la
tradition nippone et de l'art nouveau. La tendance
générale est en fait d'emprunter en priorité les
aspects techniques de la culture architecturale occi-
dentale bien plus que de s'approprier un style parti-
culier. La parfaite maîtrise de ces techniques autorise
certains architectes à mener des réflexions dans le
champ de la théorie. Au nombre des figures célèbres
qui apparaissent alors, et dont l'Histoire retiendra le
nom, on doit compter Tatsuno Kingo (1854-1919),
dont le rêve profond est de créer un style architectu-
ral authentiquement japonais. Les préoccupations
de ce dernier rejoignent celles d'Itô Chûta ( 1867-
1954), considéré unanimement comme le premier
historien japonais de l'architecture. Itô écrira de
nombreux ouvrages sur l'architecture traditionnelle
nippone mais aussi sur l'architecture occidentale, et
plaidera pour changer le vocable utilisé jusqu'alors
(zôka, « construction de maison » ) pour désigner
l'architecture par celui utilisé encore aujourd'hui :
kenchiku. Dans les années dix, Tatsuno et Itô partici-
pent activement au débat autour du projet de
construction d'un bâtiment pour la Diète. Pour eux,
ce bâtiment doit être le symbole du pays et il serait
donc scandaleux de vouloir s'inspirer d'un modèle
étranger pour le construire. Aussi plaident-ils tous
deux pour l'organisation d'un concours national
d'architecture pour la conception de l'édifice. Pour
des raisons budgétaires, le projet est différé mais leur
initiative permet aux idées nouvelles d'être expri-
mées, et la position sociale des architectes en sort
raffermie. Néanmoins, l'ingénieur occupe encore
souvent dans le système architectural nippon un rôle
de première importance, laissant à l'architecte le

1. Kamahara Shigeo, prison de Kosuge, 1930.

2. Yoshida Tetsurô, poste centrale, 1933, Tôkyô.

3. Horiguchi Sutemi, maison Wakasa, 1931.

4. Yamaguchi Bunzô, centrale électrique du barrage de la rivière


Kurobe, 1936.
soin de décorer. A p r è s q u ' o n eût utilisé successive- Groupes de réflexion
m e n t la b r i q u e puis le m é t a l * p o u r la c o n s t r u c t i o n ,
les p r e m i e r s e s s a i s d e s t r u c t u r e s e n b é t o n a r m é s o n t Ces architectes participent de plus, directement
t e n t é s . L e t r e m b l e m e n t d e t e r r e d e 1 9 2 3 d a n s la
ou indirectement, à la naissance de deux groupes de
région de T ô k y ô , qui sert de test e n vraie g r a n d e u r réflexion sur l'architecture. Le premier groupe,
p o u r v é r i f i e r les t h é o r i e s d e s i n g é n i e u r s , m o n t r e q u e Bunri-ha (Groupe « sécession »), s'inspire formelle-
la p l u p a r t des c o n s t r u c t i o n s d u e s a u x a r c h i t e c t e s m e n t des mouvements artistiques sécessionnistes
r é s i s t e n t m o i n s b i e n q u e c e l l e s é d i f i é e s p a r les i n g é - européens et revendique p u b l i q u e m e n t une posi-
n i e u r s . D e t e c h n i q u e , le d é b a t d e v i e n t b i e n v i t e tion résolument distante à l'égard de l'architecture
i d é o l o g i q u e , d u m o i n s c h e z les t h é o r i c i e n s , e n t r e , du passé. Yamada Mamoru y participe activement
d ' u n c ô t é , les i n g é n i e u r s , c o n v a i n c u s q u e « l ' a r c h i - avec d'autres, tel Horiguchi Sutemi (né en 1895), à
t e c t u r e n ' e s t p a s u n a r t » e t , d e l ' a u t r e , les a r c h i t e c t e s qui l'on doit les maisons Kitsukawa (1930) et
p a r t i s a n s d e « l ' a r t p o u r l ' a r t ». Wakasa (1931), résidences de luxe aux lignes

Murano Tôgo,
salle municipale, 1931, Ube.

Dans le milieu des architectes officiellement atta- sobres, au plan fonctionnel et au mobilier moderne
chés aux différents ministères du gouvernement, on européen. Le second groupe, Sôusha (Groupe des
tente de tirer aussi les leçons du séisme de 1923. Pour- créateurs), fondé en 1924, est nettement plus radi-
tant, ceux qui savent habilement se battre contre leur cal que le Bunri-ha. Il s'oppose à sa manière aux
bureaucratie de tutelle et contre les ingénieurs afin partisans de « l'art pour l'art » dans la construction
d imposer de nouvelles idées sont très peu nombreux. publique, admettant parmi ses membres aussi bien
Un Kamahara (ou Kambara) Shigeo (1898-1932) des architectes que des employés ou des étudiants. Il
n hésite pas à donner à son architecture une théâtra- centre ses efforts sur une réflexion dont l'applica-
lité teintée d'expressionnisme quelque peu décadent, tion aura des effets jusque dans les domaines du
comme pour les bâtiments de la prison de Kosuge mobilier*, de l'éclairage ou même de l'acoustique.
(1930). D'autres, conscients de l'opportunité qui leur Yamaguchi Bunzô (1900-1978), cofondateur du
est offerte d'exprimer leur art dans la conception Sôusha, fut l'un des artisans d'une certaine forme de
d édifices complexes, inscrivent quelques œuvres rationalisation et de standardisation de la construc-
originales dans le paysage des grandes villes* japo- tion. On peut encore en voir aujourd'hui la trace sur
naises. La plus dynamique de ces équipes d'architectes maints bâtiments publics comme par exemple la
est sans nul doute celle du ministère des communica- centrale électrique n° 2 du barrage sur la rivière
tions, avec des réalisations comme le bureau de poste Kurobe (centre du J a p o n ) (1936), réalisation aux
central de Tôkyô (1933), bâtiment considéré comme lignes pures et marquées qui se détachent sur fond
la première grande œuvre appartenant au courant de paysage naturel montagneux.
moderne japonais et dont la conception fut confiée à Aux activités innovantes de ces architectes offi-
Yoshida Tetsurô (1894-1956), ou encore l'hôpital du ciels succèdent celles d'architectes indépendants qui,
ministère des communications à Tôkyô (1938), dans un véritable esprit de construction moderne,
construction signée Yamada Mamoru (1894-1966) et ont réellement assimilé l'architecture occidentale.
fortement influencée par les théories du Bauhaus. L'une des œuvres les plus marquantes de cette
période est sans doute la grande salle municipale
d'Ube (sud-ouest), dessinée en 1937 par Murano
Tôgo ( 1891 -1980). Imposant par sa masse extérieure
monumentale et symétrique encadrée par deux séries
des trois colonnes, ce bâtiment public révèle, à l'inté-
rieur, un soin extrême porté au traitement des détails
dans leurs formes, leurs matériaux et leurs couleurs.
De près ou de loin, chacun de ces architectes, deve-
nus célèbres depuis, a fréquenté un des grands noms de
l'architecture moderne occidentale. Certains ont
travaillé avec Frank Lloyd Wright (1867-1959) lors
de la venue de ce dernier au Japon, en 1922, pour la
construction de l'Hôtel impérial de Tôkyô. D'autres
ont été les élèves de Walter Gropius (1883-1969) au
Bauhaus. D'autres, enfin, comme Maekawa Kunio
(1905-1986) ou Sakakura junzô (1904-1972), ont fait
leurs classes chez Le Corbusier, à Paris. Tous ces fins
connaisseurs de l'architecture moderne occidentale
interviennent dans les revues spécialisées ou par le
biais de manifestes pour diffuser leur savoir. En
réponse à une demande formulée par Gropius en
1925, certains participent même à la création, en
1927, de l'Association japonaise d'architecture inter-
nationale (Nihon intânashonaru kenchiku- kai).

Un style national

Lorsque la politique du gouvernement japonais


prend une coloration de plus en plus militariste,
chaque « courant » architectural est tenu de prendre
position ; les membres du Sôusha doivent se résigner
à abandonner progressivement leurs travaux.
C'est au début de cette période trouble que, fuyant
le nazisme, l'architecte et théoricien allemand Bruno
Taut (1880-1938) arrive au Japon. Grâce à sa plume
habile, il prend la défense des architectes novateurs
japonais en n'hésitant pas à les comparer aux plus
célèbres architectes occidentaux du moment.
Conscient du manque de crédibilité de tels propos
dans un semblable contexte politique, il décide de
s'intéresser à l'architecture traditionnelle locale et fait
connaître au monde entier des bâtiments tels que le
« palais détaché » de Katsura (Katsura-rikyû), à Kyôto,
ou le sanctuaire d'Ise (Ise-jingû). Dans ses écrits,
publiés en japonais, Taut oppose l'« art shôgunal »
artificiel et décoré du Tôshôgû de Nikkô (nord de
Tôkyô) à un « art de l'empereur* » dont le « palais
détaché » de Katsura serait l'illustration. Pour qui sait
1. Tange Kenzô, projet de monument commémorant la Grande
Asie orientale, 1949.
lire entre les lignes, il énonce une critique du style
d'inspiration militariste et académique du moment, et
2. Sakakura Junzô, pavillon du Japon à l'Exposition universelle soutient les positions courageuses de Yoshida Tetsurô.
de Paris, 1937.
Sakakura Junzô, lui, tente de redonner vie au style
3. Frank Lloyd Wright, Hôtel Impérial, 1922, Tôkyô. du palais de Katsura lors de la conception de la
Maison du Japon de l'Exposition universelle de Paris,
en 1937. Malgré de nombreux rappels à l'ordre de la
part des autorités nippones, Sakakura fait la sourde
oreille et réussit à mener à bien la tâche qu'il s'était
fixée. Il livre un bâtiment qui conjugue habilement
esprit moderne et principes fondamentaux de l'archi- la fusion du dedans et du dehors à laquelle il parvient,
tecture traditionnelle japonaise. Au risque de perdre de la netteté de ses ossatures et de la légèreté de ses
pied sur la scène du débat architectural, certains, parois, toutes qualités qui ne pouvaient que marquer
dont le célèbre historien Itô Chûta, n'hésitent pas à ceux qui, à la suite de Mies van der Rohe, ont recher-
se faire les défenseurs d'un style national puis « asia- ché une écriture minimale et précise. Qu'il s'agît de sa
tico-japonais », à la plus grande joie des autorités standardisation, de la flexibilité des constructions à
Politiques du pays. Les règlements de tous les charpente de bois* que rythme le module standard du
concours publics d'architecture imposent systémati- tatami, système qui inspira les théoriciens de l'indus-
quement un tel style, ce qui donne naissance à bon trialisation* dans les années soixante. Qu'il s'agît de
nombre de bâtiments en béton armé coiffés de toits Tange Kenzô et de la réinterprétation qu'il donna de
de tuiles de forme traditionnelle. l'esthétique brutaliste de Le Corbusier. Qu'il s'agît
Maekawa Kunio tente de résister en soumettant, encore du remarquable déferlement de talents et
en réponse à chaque concours, un projet de style d'inventivité qui marqua les années quatre-vingt, en
purement fonctionnel et d'esprit international. Mais une époque partout adonnée à l'individualisme et au
lorsque la guerre du Pacifique éclate, il se met lui- star-system, époque qui mène les architectes à adop-
même à réfléchir à un nouveau style national japo- ter des attitudes aux frontières de l'art. Qu'il s'agît
nais. À la fin de l'année 1942, il accepte de siéger enfin de la m o n t é e de l'idée de « métropole » -
dans le jury du concours pour la construction d'un empreinte d'inquiétude et de fascination - qui a
bâtiment commémorant la « Grande Asie orientale » conduit nombre d'Européens à être captivés par le
et, dans un article publié dans la revue Kenchiku- modèle de développement urbain japonais jusqu'à en
zasshi de l'Institut japonais d'architecture, félicite le célébrer la spontanéité et à théoriser le chaos fertile
lauréat dudit concours : un jeune architecte de vingt qu'ils pensaient y déceler.
ans nommé Tange Kenzô.
Moins de dix années plus tard, ces deux protago- M odernismes
nistes se retrouveront dans la même situation (l'un,
membre du jury, l'autre, lauréat), mais cette fois-ci à Le modernisme a r c h i t e c t u r a l est i n t r o d u i t par
1occasion du concours pour la construction, à Hiro- certains émigrés, comme Antonin Raymond, Améri-
shima, du Mémorial de la paix, qui abrite aujourd'hui cain d'origine tchèque établi à Tôkyô* en 1921 après
le musée de la bombe « A ». avoir assisté Frank Lloyd Wright pour la réalisation
La mise en relation de ces deux faits divers de de l'Impérial Hotel, et qui construit deux ans plus
1actualité architecturale japonaise aide assez bien à tard l'un des premiers édifices de béton armé du pays,
dresser un bilan des acquis théoriques et pratiques ou comme nombre d'autres, parfois chassés par les
depuis la restauration de Meiji. À la veille de la convulsions politiques de l'Europe centrale, profes-
seconde guerre mondiale, les architectes japonais sionnels porteurs des nouveaux principes du rationa-
maîtrisent parfaitement les connaissances tech- lisme international. Inversement, quelques jeunes
niques et conceptuelles nécessaires à l'avenir de leur architectes japonais v o n t travailler à l'étranger,
art. Ils sont toutefois à la recherche de lieux et de n o t a m m e n t à Paris, dans l'atelier de Le Corbusier.
temps pour les mettre en œuvre de manière libre et Ainsi, de 1928 à 1930, Maekawa Kunio, figure dans
indépendante d'une trop forte contrainte politique. laquelle on se plaira à trouver le m a i l l o n d'une
1> recherche d'une identité au travers du débat sur
La longue chaîne puisqu'il devient à son retour le colla-
existence, ou non, d'une architecture moderne borateur d ' A n t o n i n Raymond, puis plus tard le
spécifiquement japonaise n'a certes pas encore maître de T ange Kenzô. Chez Le Corbusier v i e n t
abouti ; mais le peut-elle ? encore, de 1931 à 1936, Sakakura Junzô, qui réalise
N., l'Architecture japonaise d'aujourd'hui, Tôkyô, le pavillon japonais de l'Exposition de Paris en 1937,
et plus tard Yoshizaka Takamasa. Ces élèves exécu-
Mailing o/a ModemJapanese Architecture-
lo68 to the Present, Tôkyô-New York, 1987. t e r o n t le Musée d'art o c c i d e n t a l du parc d ' U e n o
M. B. (1959), d o n t leur maître n'assumera d'ailleurs pas
totalement la paternité.
C'est dans les années cinquante, après la seconde
guerre mondiale et le redressement économique du
ARCHITECTURE CONTEMPORAINE Japon, que l'architecture contemporaine de l'archi-
pel acquiert sa réputation sur la scène internationale.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le Japon D'abord avec les œuvres de Maekawa (1905-1986),
joue un rôle essentiel dans l'architecture internatio- dont il faut retenir la salle de concerts et la biblio-
nale. Et il n'est pas de pays qui n'ait, à un titre ou un thèque de Yokohama (1954), le pavillon japonais de
autre, été influencé par les courants qui le traversent. l'Exposition de Bruxelles (1958), le grand immeuble
Qu 'il s agît de l'art traditionnel de l'archipel, de ses de logements de Harumi à Tôkyô (1958), l'université
qualités de fluidité et d'élégance, de transparence, de Gakushûin ( 1960) et surtout le centre culturel du
1. Tange Kenzô, Installations olympiques, 1964, Tôkyô.

2. Maekawa Kunio, Centre culturel du parc d'Ueno, 1961,


Tôkyô.

3. Tange Kenzô, Centre de presse Yamanashi, 1966, Kôfu.

4. Tange Kenzô, Hôtel de ville de Tôkyô, 1991.

5. Tange Kenzô, Tour de radio Shizuoka, 1967, Tôkyô.


1. Kurokawa Kishô, Immeuble-capsule, 1972, Tôkyô-
Nakagiin.

2. Isozaki Arata, The Museum of Contemporary Art, 1987,


Los Angeles.

3. Maki Fumihiko, Stade de Tôkyô-Shibuya, 1990.

4. Isozaki Arata, Bureaux de Disney, 1991, Orlando,


Floride.

5. Maki Fumihiko, Immeuble Spiral, 1985, Tôkyô-Minato.


parc d'Ueno, à Tôkyô ( 1961 ), bâtisse aux lourdes nationale d'une moindre a m b i t i o n artistique,
toitures horizontales très épaisses, projetant en saillie construit de grands édifices dans le monde entier et
leurs fortes masses de béton armé. Créateur en 1955 vient d'achever dans le quartier de S h i n j u k u
du groupe Mido, Maekawa développe une réflexion l'énorme et assez médiocre hôtel de ville de Tôkyô
sur les rapports de l'architecture moderne et de la (1991), auquel deux tours jumelles d o n n e n t un
démocratie qui, à la fin de sa vie, semblera le conduire vague air de cathédrale.
à un certain désabusement, et à envisager un éven- Au sein du groupe métaboliste, la génération de ses
tuel retour aux traditions. élèves directs développe, à la fin des années cinquante,
Son élève Tange Kenzô (né en 1913) se fait une réflexion sur le caractère foisonnant, provisoire
connaître par le parc de la Paix à Hiroshima (1956), et quasi biologique de la croissance des villes, et
édifice de béton très ajouré, levé sur pilotis. Il sait se lance dans des spéculations futuristes où il est
ensuite porter le vocabulaire de Le Corbusier à une question de mégastructures urbaines et de cellules
plasticité brute et à une expressivité presque drama- agglutinées, qui seraient sans cesse modifiées et
tique en construisant des structures en béton armé déplacées (tours hélicoïdales de Kurokawa, « corps
fortement charpentées, auxquelles les nécessités de la groupés » d ' O t a k a et Maki, villes dans l'espace
construction antisismique et une aspiration roman- d'Isozaki, cités marines de Kikutake).
tique et primitiviste, passablement antirationaliste Kikutake Kiyonori (né en 1928) c o n n a î t une
(qu'il nomme Jômon) confèrent une sculpturalité certaine renommée avec sa « Sky House », juchée sur
inédite. Cette manière caractérise le compact hôtel quatre hauts piliers plats (1958, transformée en
de ville de Kurashiki (est de Hiroshima) (1960), qui 1980). Kurokawa Kishô (né en 1934) mène d'abord,
évoque quelque énorme ossature de bois, les fameuses au n o m du « métabolisme », diverses recherches
installations olympiques de Tôkyô (1964), dans d ' a r c h i t e c t u r e s f u t u r i s t e s à b a s e d e « c a p s u l e s » ,

lesquelles il déploie de splendides volumes aux éléments légers qui seraient préfabriqués comme des
toitures hélicoïdales, le stade de Takamatsu (nord de caravanes et ensuite assemblés dans des structures
Shikoku), qui paraît une sorte de grandiose nef d'accueil (ainsi les pavillons Toshiba et Takara, et la
échouée (1964), le centre de presse Yamanashi, à maison expérimentale nichée dans les superstruc-
Kôfu (ouest de Tôkyô) (1966), monumentale cons- tures de la plazza de l'Exposition internationale de
truction très close, articulée autour des forts cylindres 1970, à Ôsaka). Les expressions les plus curieuses en
de ses circulations verticales, et le violent signal restent l'immeuble-capsules de T ô k y ô - N a k a g i n
vertical de la tour de radio Shizuoka à Tôkyô ( 1967 ), (1972) et, du moins au niveau de l'imagerie, l'édifice
édifice dans lequel des groupes d'étages sont accro- commercial de la firme Sony à Ôsaka (1976). Ayant
chés comme des sortes de boîtes à un fût cylindrique réorganisé sa doctrine autour de la n o t i o n attrape-
de 5 7 mètres de hauteur. tout de « symbiose », qui lui permet d'intégrer
Il mène diverses études urbaines pour l'aménage- nombre de signes traditionnels dans une esthétique*
ment de la baie de Tôkyô (la première, spectaculaire assez laquée, souvent proche du design* industriel, et
avec ses grands réseaux d'infrastructures croisés, en ainsi d'assumer tranquillement tant les années post-
1960, une nouvelle en 1986), pour la capitale de la modernes que les goûts divers de sa clientèle, il pour-
Macédoine, Skopje, détruite par un tremblement de suit aujourd'hui une carrière d'architecte d'affaires
terre ( 1965 ), ou pour les quartiers d'affaires de Bologne international, sur le modèle de celle de Tange Kenzô.
(1967 ; réalisation dans les années quatre-vingt), de Le plus célèbre parmi les anciens collaborateurs de
Naples et de Milan, pour Abuja, nouvelle capitale du Tange est sans conteste Isozaki Arata (né en 1931),
Nigeria (1979), et la place d'Italie à Paris (1984- architecte essentiellement formaliste, artiste à la
1991 ), et conçoit de vastes plans directeurs d'univer- manière changeante. Il est longtemps considéré
sités pour l'Arabie saoudite, la Jordanie, l'émirat de comme un moderne, avant que, dans les années
Bahrein ou la ville algérienne d'Oran. On lui doit quatre-vingt, le mot même semble perdre une partie
nombre d'hôtels de ville, préfectures, musées, de son sens. Il se risque d'abord à de nets effets plas-
ensembles religieux comme la cathédrale Sainte- tiques, inspirés de la géométrie dépouillée pratiquée
Marie de Tôkyô (1964), avec ses envols de structures par certains architectes de l'époque néo-classique.
paraboloïdes-hyperboliques qui convergent en croix, Grilles orthogonales, formes cubiques et voûtes
des immeubles administratifs, des centres touris- demi-cylindriques m a r q u e n t ainsi ses premières
tiques et hôtels géants comme celui d'Akasaka Prince œuvres, le centre de loisirs Fujimi à O i t a (est de
à Tôkyô (1982), des aéroports comme celui de Kyûshû) (1974), la bibliothèque et le Musée de Kita-
Koweït (1979), plusieurs gratte-ciel à Singapour, le kyûshû (nord de Kyûshû) (1974 et 1975). Sa
palais royal de Djedda (1984). démarche s'est faite plus maniériste et provocante
Aujourd'hui âgé, moins créatif, puissant et sus- ensuite, depuis l'achèvement du centre civique de
pecté d'être plus ou moins lié à des scandales politico- Tsukuba ( 1982), curieux collage de motifs stricte-
financiers, celui qui compta parmi les plus importants m e n t démarqués de Ledoux, de Michel-Ange et de
architectes de l'après-guerre dirige une agence multi- Borromini. Devenu dès lors l'archétype de l'artiste
1. Isozaki Arata, Centre civique de Tsukuba, 1982.

2. Shinohara Kazuo, vue intérieure de la maison dans un


tournant, 1978, Tôkyô.

3. Andô Tadao, Maison Kidosaki, 1986, Tôkyô.

4. Itô Toyô, Musée municipal de Yatsushiro, 1992.

5. Shinohara Kazuo, Musée du centenaire de l'Institut de


technologie, 1987, Tôkyô.

6. AndC1 Tadao, Résidence Koshino, 1981-1984.


postmoderne, figure de rhétoricien éclectique, joueur Si Maki conçoit la ville japonaise comme un
et déroutant, versatile, a-t-on pu dire, Isozaki a collage, mais dans l'idée d'enrichir la création
récemment achevé le splendide musée du Moca de contemporaine des leçons de la tradition, c'est dans
Los Angeles (1987), la haute tour d'inox du Musée de une optique très différente que Shinohara Kazuo (né
Mito* (nord de Tôkyô), capricieuse et techniciste en 1925) se fait le théoricien du chaos, en rupture
( 1991 ), les bureaux de Disney à Orlando, en Floride avec l'« esthétique du quartier et de la rue ». Lui qui,
( 1991 ), curieux agencement de volumes à l'audace dans ses spectaculaires maisons à thème - la maison
colorée, criarde et presque comique, et le plus déce- en blanc (1966), la maison inachevée (1970), celle à
vant stade olympique de Barcelone (1992). fente répétitrice ( 1971 ) ou la maison dans un tour-
nant ( 1978) -, s'impose comme un brillant inven-
La ville, si diverse teur de dispositifs spatiaux souvent chargés
d'intentions métaphysiques, est devenu le chantre
Depuis qu'au cours des années soixante-dix se sont, de l'irrationalité et de cette « anarchie progressive »,
parmi les architectes, presque totalement éteintes les bref de cet aléatoire dans lequel il voit la promesse
préoccupations à caractère technique ou industria- d'un nouveau dynamisme. Valeurs qu'il a tenté
liste, c'est dans un double mouvement de recherche d'exprimer dans ses œuvres plus récentes, notam-
esthétique et de prise en compte des phénomènes ment le musée du centenaire de l'Institut de tech-
urbains contemporains que l'architecture nipponne nologie de Tôkyô (1987), œuvre irruptive d'une
a retrouvé son identité et sa capacité à fasciner composition extrêmement violente et contrastée,
l'étranger. La ville japonaise, active et foisonnante, qui se veut une réponse au désordre de la métropole
anarchique, frénétique, en proie à une intense spécu- contemporaine.
lation, gouvernée par des règles de développement Andô Tadao (né en 1941 ) est de ceux qui auront le
très différentes de celles de l'espace occidental, mue plus profondément impressionné leur époque par son
par une vitalité, un sens de l'impermanence qui lui est art qu'on a pu dire minimaliste, par sa capacité à
propre, confuse, labyrinthique et difficile de lecture, porter la géométrie moderne à un grand dépouille-
est souvent interprétée comme la préfiguration de la ment, par la sobriété remarquable de ses bétons et la
mégalopole du siècle à venir. La féerie colorée de ses manière attentive dont il travaille les lumières. Il
paysages nocturnes, le contraste entre la quiétude commence par construire dans la région d'Ôsaka de
pittoresque de certains de ses quartiers et l'étonnant petites maisons assez closes, au parti très affirmé, dont
déploiement de réseaux de circulation qui auraient la maison Azuma (1975), disposée des deux côtés
hier encore passé pour futuristes ont façonné un d'une cour, avec un simple pan de béton fruste pour
nouvel imaginaire urbain. Par son incohérence et la façade, diverses maisons masquées par des écrans de
difficulté qu'il y a à en maîtriser la croissance, elle a pavés de verre, et la fameuse résidence de la styliste
conduit les nouvelles générations d'architectes à des Koshino (1981, puis 1984), enfin les ensembles de
attitudes contrastées : exacerbation du chaos chez logements Rokkô à Kôbe, près d'Ôsaka (1983, puis
certains d'entre eux, recherche, au contraire, de la 1992), avant de multiplier ses activités et de bâtir des
profondeur spatiale et du calme chez quelques autres. cafés, des ensembles commerciaux, plusieurs
Maki Fumihiko (né en 1928) est l'un des excellents chapelles et de grands équipements publics ou indus-
théoriciens de l'espace japonais traditionnel, de son triels, l'admirable maison familiale Kidosaki, à Tôkyô
intériorité et de cette profondeur poétique qu'il appelle (1986), enfin le haut pavillon de bois aux allures de
oku. Il s'agit là d'un concepteur particulièrement précis cénotaphe qui représente le Japon à l'Exposition
et réfléchi, formé aux États-Unis, où il passa plus de dix universelle de Séville, en 1992. Cet architecte
ans. Il est l'auteur d'édifices subtils d'une urbanité important sait enrichir ses compositions (puristes et
attentive, comme l'ensemble de petits immeubles de d'esprit néo-corbuséen) d'un mystère spirituel inac-
Hillside Terrace, dans le quartier de Shibuya, à Tôkyô coutumé, parfois chargé de discrètes réminiscences
(en trois phases, de 1967 à 1978), de constructions très de la poétique traditionnelle de l'espace japonais.
élégantes comme le Musée Iwasaki à Ibusuki (sud de Mais le Japon est surtout devenu le pays de l'éclec-
Kyûshû) ( 1979) et d'un bâtiment d'acier et de pavés de tisme ; il faudrait alors citer d'autres noms encore,
verre dans l'université de Tsukuba (nord de Tôkyô) tant ce qui distingue aujourd'hui son architecture,
(1980), puis d'immeubles aux surfaces blanches et à la c'est moins la cohérence de ses écoles et de ses
géométrie délicate, avec des effets de transparence et tendances, la vigueur de ses doctrines, que la singula-
de translucidité, dont l'immeuble Spiral dans l'arron- rité de multiples démarches individuelles dont les
dissement de Minato, à Tôkyô (1985), ou le Musée registres de séduction sont des plus divers. Cela tient
d'art moderne de Kyôto (1986), enfin de vastes halls à l'organisation professionnelle du pays, qui compte
d'acier aux structures plus agressives, sortes de cara- des entreprises de construction peu créatives, riches
paces d'insectes, comme le centre de conventions de milliers d'employés dont des centaines d'archi-
Makuhari Messe (1989) et les stades de Fujisawa tectes, mais aussi, parallèlement, un véritable pullu-
( 1984) au nord de Tôkyô, et Shibuya ( 1990). lement de concepteurs travaillant pour une clientèle

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