Articles originaux
Psychologie de liaison auprès des patients atteints de cancer
dans un HIA : spécificités, enjeux et limites.
C. Gault a, B. Lahutte b.
a Service de psychiatrie, HIA Bégin, 69 avenue de Paris – 94160 Saint Mandé.
b Service de psychiatrie, HIA du Val-de-Grâce, 74 boulevard de Port-Royal – 75230 Paris Cedex 05.
Article reçu le 19 juin 2009, accepté le 18 janvier 2010.
Résumé
Le renforcement de l’activité de psychiatrie et de psychologie de liaison autour de la prise en charge des patients atteints
de cancer à l’hôpital du Val-de-Grâce s’inscrit dans l’orientation donnée par le plan cancer depuis 2003. Cette activité
s’organise de façon précise à partir de ses spécificités, psychiatres et psychologues cherchant au mieux à répondre à la
nécessité de la prise en charge psychologique des patients atteints de cancer, tout en prenant en compte et en interrogeant
la demande. Les enjeux qui en découlent sont multiples et sont à envisager à partir de la singularité de chaque patient.
Notre clinique nourrit notre réflexion à l’égard de cette prise en charge spécifique, qui s’inscrit entre le temps médical et
le temps du sujet.
Mots-clés : Cancer. Psychiatrie de liaison. Psychologie de liaison.
Abstract
ABOUT SPECIFICITIES, STAKES AND LIMITS OF CONSULTATION- LIAISON PSYCHIATRY AND CONSULTATION-
LIAISON PSYCHOLOGY WITH PATIENTS AFFECTED BY CANCER IN A MILITARY INSTRUCTION HOSPITAL.
The activity of consultation-liaison psychiatry and consultation-liaison psychology with patients affected by cancer has
been reinforced in the hospital of the Val-de-Grâce since 2003, as aimed in the plan cancer. The development of this
activity has been organized and thought according to its specificities. In that way, psychiatrists and psychologists are
trying to understand and to answer the needs and demand of psychological support. What is at stake in each demand is
different and has to be considered regarding the singularity of each patient. Our practice is specific, particularly as it
settles between medical time and individual time.
Keywords: Cancer. Consultation-liaison psychiatry. Consultation-liaison psychology.
Introduction. amène à penser les retentissements psychologiques
du cancer à l’hôpital.
La présence d’un psychologue dans un service Nous présenterons ici l’organisation de cette activité et
d’oncologie est devenue nécessaire en France depuis comment envisager la prise en charge de ces patients à
l’instauration du plan cancer (1) en 2003. La création partir de ses spécificités et de ses enjeux.
d’un poste de psychologue à cet effet à l’Hôpital Il convient également de situer cette activité dans ses
d’instruction des armées du Val-de-Grâce en juin 2006 rapports avec les différents acteurs de la demande :
a marqué la volonté du Service de santé des armées demande médicale, demande des patients et demande
de répondre à cette orientation. sociale. Cette remarque nous invite à mettre en question
Un nouvel axe est ainsi venu s’adjoindre à l’activité ces interventions dans un registre plus étendu que celui de
de psychologie de liaison déjà existante au sein du la nécessité, ou de l’indication médicale.
service de psychiatrie : la prise en charge des patients
atteints de cancer. De façon plus globale, cet axe nous
L’activité de psychologie de liaison.
C. GAULT, lieutenant, psychologue clinicienne. B. LAHUTTE, médecin principal,
L’activité de psychologie de liaison auprès des patients
praticien certifié. atteints de cancer s’organise de la façon suivante :
Correspondance : C. GAULT, service de psychiatrie, HIA Bégin, 69 avenue de – la prise en charge des patients hospitalisés en
Paris – 94160 Saint Mandé. oncologie et dans les différents services de médecine
médecine et armées, 2010, 38, 3, 263-265 263
(Médecine interne, Néphrologie, ORL, Urologie, et l’appareillage qui peut y être associé, comme la pose de
Neurologie…) à la demande des équipes et des médecins « stomies », conduisent à de violentes dégradations du
qui repèrent chez un patient la nécessité d’un soutien, corps. Ses dégradations corporelles qui viennent ébranler
ou d’une aide extérieure, ou à la demande du patient l’image du corps sont souvent bouleversantes pour le
lui-même. Le travail du psychologue est ensuite d’évaluer sujet et elles peuvent être déroutantes pour les soignants.
la pertinence de cette demande af in de proposer un C’est autour des effets qu’entraînent les thérapeutiques
suivi, ponctuel ou plus régulier, et dans certains cas la et des questions spécifiques qu’elles soulèvent parfois,
consultation avec un psychiatre si un traitement que s’élabore une part de la demande des médecins,
psychotrope s’avère nécessaire (2, 3) ; des équipes et des patients : de cette façon, une patiente
– la prise en charge en consultation extérieure des traitée pour un cancer du sein est adressée par son
patients suivant un traitement et en faisant la demande, oncologue au psychologue et demande au premier
et parfois de leur famille, le cas échéant l’orientation vers entretien : « dois-je faire une chirurgie reconstructrice ? ».
un suivi en ville, dans un Centre Médico-Psychologique, L’offre de parole auprès des patients peut intervenir
ou auprès d’un confrère ; lors de l’annonce du cancer, du déroulement de ses
– la réflexion avec les équipes soignantes autour de traitements, ou dans l’après-coup lors de la rémission,
situations cliniques précises qui les mettent en difficulté d’une récidive.
ou les interrogent au cours des réunions institutionnelles ; La temporalité posée par le discours médical ne
– le travail institutionnel, qui, au-delà des temps coïncide pas avec la temporalité du sujet, ni avec celle où
formels et informels de discussions et d’écoute avec les la nécessité d’une rencontre avec un autre extérieur se fait
équipes soignantes, se concrétise au travers de réunions jour. Il ne s’agit pas d’imposer au patient la nécessité
de discussions animées par le psychologue, autour de d’une rencontre avec le psychologue en s’appuyant sur
thèmes ayant trait à l’accompagnement des personnes les diff icultés psychologiques qu’il serait supposé
malades ou en fin de vie. Ses réunions ont lieu chaque rencontrer au regard de son état somatique, mais plutôt de
mois en oncologie, de façon plus ponctuelle dans les laisser émerger et de percevoir la singularité d’une
autres services ; demande. Ainsi, une patiente demande à l’oncologue qui
– la participation aux réunions de concertation l’a suivie de rencontrer un psychologue alors qu’elle est
pluri-disciplinaire (4) qui sont l’occasion d’évaluer la en rémission, après un traitement lourd, par chirurgie,
pertinence de la proposition d’un suivi et parfois chimiothérapie et radiothérapie, qui s’est déroulé sur près
d’émettre un avis sur une question thérapeutique ; d’un an. Elle exprime lors de notre première rencontre :
– l’élaboration des cas des patients au cours de la « je ne me sens pas guérie ». L’offre de parole lui permet de
réunion hebdomadaire du service de psychiatrie, au cours préciser ce qui se joue pour elle derrière cette formulation
de laquelle psychologues et psychiatres tentent de paradoxale au regard de son état somatique.
répondre ensemble aux problématiques et questions La psychologie de liaison consiste à proposer un
que soulèvent la prise en charge de ces patients et le espace de parole spécifique qui se distingue des paroles
déploiement de cette activité au sein de l’hôpital. échangées avec le médecin, les soignants, les bénévoles.
Le psychologue tient une place spécifique, extérieure,
face aux autres acteurs du soin et personnels de santé
Spécificités. qui accompagnent le patient dans le quotidien de la
La demande de prise en charge psychologique des maladie. Il ne se situe pas du côté du médical ou du
patients atteints de cancer est particulière car elle est soin, mais tient une place « autre ». L’affectation du
indissociable de la spécificité du cancer, de son diagnostic psychologue au sein du service de psychiatrie a en ce sens
à ses traitements (5). La démarche diagnostique qui vient toute sa pertinence et son importance. Elle permet de
déceler une atteinte organique souvent restée jusque-là préserver cette extériorité, fondamentale tant pour le
asymptomatique et le caractère mortifère des soins praticien que pour le patient. Les entretiens peuvent se
prodigués pour combattre la maladie (chimiothérapie, dérouler dans les services ou dans le bureau du
radiothérapie, chirurgie…) nouent de façon singulière les psychologue au sein du service de psychiatrie.
relations entre médecins, soignants et patients.
Les patients sont atteints dans le corps, au travers Enjeux et limites.
des effets iatrogènes, davantage que par la maladie elle-
même, qui garde ce caractère troublant, car invisible, L’action du psychologue n’est pas orientée par une
mais nommée et donnée à voir par les médecins au travers visée normalisante, ou réconfortante, mais cherche à
des outils d’investigation diagnostique (radiographies, donner toute son importance à la parole du sujet, à la
scanners, etc...). Les effets induits et les questions qui réalité psychique de chaque sujet. La réalité organique
en découlent sont spécifiques et fonction de chaque du corps, l’état des marqueurs, l’avancée de la maladie
cancer et de ses traitements (traitement du cancer chez sont cependant au premier plan auprès des patients. La
des sujets jeunes, cancer du sein, cancers ORL, cancers difficulté de la prise en charge des patients atteints de
gastriques…). cancer en psychologie de liaison tient en ce qu’elle
On soulignera la thématique de la perte dans le cancer s’inscrit dans cet entre-deux : le discours médical et le
du sein, notamment lorsque le sujet est confronté à discours du sujet, le temps de la médecine et le temps du
l’ablation de la glande. De la même façon, les traitements sujet. Interlocuteur différent, en partie étranger au
de cancer ORL conduisent parfois à des bouleversements discours médical tout en y étant rattaché, le psychologue
majeurs tels que la perte de la voix. Les cancers gastriques ne se place pas en série avec les procédés qui visent les
264 c. gault
enjeux vitaux, de survie, ni avec les soins délabrants donc de prendre une certaine distance avec l’exclusivité
ou ceux dont la iatrogénie peut parfois se confondre des considérations de nécessité vitale. Un autre serait
avec les signes de la maladie. Il est la personne avec qui de « détacher » les soignants d’une partie de leurs
il est possible d’évoquer ces questions, sans pour autant préoccupations – des plus légitimes, par ailleurs – vis-
se confronter (imaginairement) au désir de soigner à-vis de la bonne marche des soins, ouvrant donc un
des médecins. champ pour une réflexion médicale qui ne serait pas
Le psychologue, dans ce cadre particulier d’exercice, aveuglée ou assourdie par la gravité d’un pronostic,
se positionne comme interlocuteur, comme adresse mais permettant aussi d’atténuer, de pacifier les effets –
possible pour une plainte qui excède ou diverge des parfois insoutenables – d’adresse, de plainte, de
enjeux somatiques dans leur plus stricte nécessité (6). revendication, fréquemment mobilisés dans une relation
Même si c’est sur l’invitation, ou la sollicitation des où président les projections les plus funestes quant au
médecins que le patient consulte la plupart du temps, cette devenir des patients.
opération procède d’une offre de parole qui lui est faite, à L’annonce, les décisions thérapeutiques, la prise en
laquelle il est libre de consentir ou non, et à partir de charge des familles, la fin de vie, suscitent souvent une
laquelle peut s’opérer quelque chose. demande de la part des équipes. Pour autant, il importe de
Une dimension particulière lors de la prise en charge de ne pas venir générer un clivage entre ce qui serait « la
ces patients réside dans le fait qu’une demande médicale maladie» et «son vécu», par une mise en place opératoire,
– le plus souvent informulée – est présente dans chaque systématique ou procédurière des interventions de
consultation de psychologie ou de psychiatrie de liaison. liaison. Il en ressort de la responsabilité de tout un chacun
Elle oriente tant le déroulement des soins que le de considérer cette dérive potentielle, qui considérerait
consentement éventuel du patient à ceux-ci. Il est que la réduction des souffrances du sujet irait de pair avec
fréquent que les sujets reçus en entretien s’en fassent les la normalisation des désordres d’un organe défaillant.
porteurs, les formulant sous les espèces d’une demande
d’aide « pour accepter la maladie » par exemple, au risque
de venir majorer un vécu dépréciatif en lien avec des
Conclusion.
possibilités de projection dans l’avenir très limitées, ou L’enjeu de la psychologie de liaison, au-delà de
avec la dépendance des soins médicaux. Le recours au l’offre de parole proposée au patient, réside aussi dans
registre de l’ajustement, de l’adaptatif (le « faire face à ») le travail institutionnel à effectuer avec les médecins
est une autre modalité clinique faisant fréquemment et les équipes, parfois en situation d’épuisement, face à
écran au positionnement le plus singulier des patients. l’angoisse que vient susciter le réel de la prise en charge
Cette stratégie en soutient certains, mais pour d’autres, des patients. Cette perspective comporte des limites,
elle redouble le regard moralisant ou réprobateur porté car si elle requiert souplesse et flexibilité du cadre, elle
sur leur détresse ou leurs incapacités supposées. demanderait aussi de pouvoir saisir les enjeux du
Saisir qu’une demande implicite est adressée au transfert (7), dans la relation aux patients, et aux équipes.
psychologue (ou lui supposer cette fonction), produit Il s’agit avant tout de leur apporter notre aide face aux
ainsi des effets. Le premier serait celui de « décompléter » questions singulières et uniques qui viennent se poser
une relation « duelle » entre le patient et ses soignants, et au cas par cas au cours des prises en charge.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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pour la mise en œuvre du dispositif d’annonce du cancer dans les 4. RCP- Circulaire N° DHOS/SDO/2005/101 du 22 février 2005
établissements de santé : « Définir les conditions d’annonce du relative à l’organisation des soins en cancérologie.
diagnostic au patient, incluant le recours possible à un soutien 5. Dauchy S, Bendrichen N. La psycho-oncologie, une clinique à
psychologique et à des informations complémentaires ». découvrir. Abstract Psychiatrie 2008;32:12-5;33:13-5.
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dans un hôpital des armées. Médecine et Armées 2009;37,2:153-5. corps. Paris : Masson ; 2008.
3. Fidelle G, Coulot D et al. La place du psychiatre de liaison dans un 7. Lacan J. Psychanalyse et Médecine. Lettres de l’école freudienne de
service de médecine physique et réadaptation. Médecine et Armées Paris 1966;(1):34-61.
psychologie de liaison auprès des patients atteints de cancer dans un HIA : spécificités, enjeux et limites. 265
VIENT DE PARAÎTRE
RISQUES ET MENACES BIOLOGIQUES
Cahier du CEREM n° 12
octobre 2009
Le présent cahier est le fruit d’un atelier de recherche ayant regroupé
plusieurs spécialistes des risques, d’une part et des questions
biologiques d’autre part.
Sommaire
Introduction (F. Ramel).
Risques et menaces en matière biologique : rapport collectif (F.
Ramel, J. Guillaume, W. Marty) :
- clarifications terminologiques,
- penser les interconnexions entre risques et menaces,
- reduire les vulnérabilités face aux risques et menaces biologiques,
- conclusion.
Quels transferts notionnels entre les cindyniques, la sociologie des risques et les études de
sécurité ? (T. Bourgou) :
- introduction,
- le risque et les processus accidentogènes : objets centraux des sciences du danger. Transferts
notionnels vers les sciences sociales et les études de la sécurité,
- le transfert des outils et des raisonnements cindyniques vers les études de la sécurité,
- l’intégration de la sécurité globale aux sciences du danger,
- conclusion.
Les concepts de « risque » et de « menace » biologiques ou bactériologiques à l’épreuve de la
Première Guerre mondiale (S. Delaporte) :
- sur le front occidental, quels risques sanitaires à l’entrée en guerre ?
- quels risques sanitaires sur le front de l’armée d’Orient ?
Conclusion.
Émergence des risques et menaces biologiques (D. Vidal, P. Binder) :
- la défense biologique : une nécessaire approche globale de la prévention des risques et des menaces,
- les maladies infectieuses aujourd’hui : des épidémies naturelles aux « épidémies » provoquées,
- prise en compte de la menace biologique dans le Livre blanc de la défense et sécurité nationale et
prolongement européen,
- conclusion.
Annexe
Le Centre d’études et de recherches de l’École militaire (CEREM), placé sous l’autorité du directeur de
l’enseignement militaire supérieur, a pour mission de développer et de promouvoir la pensée stratégique
de sécurité et de défense française en contribuant à la diffusion de nouvelles idées avec pour objectifs :
– d’effectuer des études en stratégie militaire et de favoriser et animer les débats sur ce sujet ;
– de contribuer à la fonction enseignement de l’enseignement militaire supérieur ;
– de susciter et soutenir les initiatives des officiers de toutes les armées qui souhaitent s’investir dans
le débat stratégique et de valoriser leurs travaux par la publication.
À cet effet, le centre s’intéresse en priorité aux thèmes suivants :
– le monde conflictuel contemporain ;
– le traitement des conflits et des crises ;
– les aspects diplomatiques et juridiques (les armées dans les crises contemporaines).
Les études réalisées par le centre peuvent être consultées dans le site : http://www.cerem-biblio.fr/
ISSN : 1963-1995 – Format : 16x24cm – Pages : 124 – CEREM École militaire, 21 place Joffre – 75007 Paris –
http://www.cerems.defense.gouv.fr
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