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Puis, se retournant vers celui des gardes qui s’était déclaré l’ami
de Bois-Tracy:
—D’ailleurs, continua-t-il, je réfléchis, mon cher intime de Bois-
Tracy, que je suis son ami non moins tendre que tu peux l’être toi-
même; de sorte qu’à la rigueur ce mouchoir peut aussi bien être
sorti de ta poche que de la mienne.
—Non, sur mon honneur! s’écria le garde de Sa Majesté.
—Tu vas jurer sur ton honneur et moi sur ma parole, et alors il y
aura évidemment un de nous deux qui mentira. Tiens, faisons
mieux, Montaran, prenons-en chacun la moitié.
—Du mouchoir?
—Oui.
—Parfaitement, s’écrièrent les deux autres gardes; le jugement
du roi Salomon. Décidément, Aramis, tu es plein de sagesse.
Les jeunes gens éclatèrent de rire, et, comme on le pense bien,
l’affaire n’eut pas d’autre suite. Au bout d’un instant, la conversation
cessa, et les trois gardes et le mousquetaire, après s’être
cordialement serré la main, tirèrent, les trois gardes de leur côté, et
Aramis du sien.
—Voilà le moment de faire ma paix avec ce galant homme, se dit
à part lui d’Artagnan, qui s’était tenu un peu à l’écart pendant toute
la dernière partie de cette conversation.
Et, sur ce bon sentiment, se rapprochant d’Aramis, qui s’éloignait
sans faire autrement attention à lui:
—Monsieur, lui dit-il, vous m’excuserez, je l’espère.
—Ah! monsieur, interrompit Aramis, permettez-moi de vous faire
observer que vous n’avez point agi en cette circonstance comme un
galant homme le devait faire.
—Quoi, monsieur! s’écria d’Artagnan, vous supposez...
—Je suppose, monsieur, que vous n’êtes pas un sot, et que vous
savez bien, quoique arrivant de Gascogne, qu’on ne marche pas
sans cause sur les mouchoirs de poche. Que diable, Paris n’est point
pavé de batiste!
—Monsieur, vous avez tort de chercher à m’humilier, dit
d’Artagnan, chez qui le naturel querelleur commençait à parler plus
haut que les résolutions pacifiques. Je suis de Gascogne, c’est vrai,
et, puisque vous le savez, je n’aurai pas besoin de vous dire que les
Gascons sont peu endurants; de sorte que lorsqu’ils se sont excusés
une fois, fût-ce d’une sottise, ils sont convaincus qu’ils ont déjà fait
moitié plus qu’ils ne devaient faire.
—Monsieur, ce que je vous en dis, répondit Aramis, n’est point
pour vous chercher une querelle. Dieu merci! je ne suis pas un
spadassin, et n’étant mousquetaire que par intérim, je ne me bats
que lorsque j’y suis forcé, et toujours avec une grande répugnance;
mais cette fois l’affaire est grave, car voici une dame compromise
par vous.
—Par nous, c’est-à-dire, s’écria d’Artagnan.
—Pourquoi avez-vous eu la maladresse de me rendre le
mouchoir?
—Pourquoi avez-vous eu celle de le laisser tomber?
—J’ai dit et je répète, monsieur, que ce mouchoir n’est point sorti
de ma poche.
—Eh bien! vous en avez menti deux fois, monsieur, car je l’en ai
vu sortir, moi!
—Ah! vous le prenez sur ce ton, monsieur le Gascon! eh bien! je
vous apprendrai à vivre.
—Et moi je vous renverrai à votre messe, monsieur l’abbé,
Dégainez, s’il vous plaît, à l’instant même.
—Non pas, s’il vous plaît, mon bel ami, non pas ici, du moins. Ne
voyez-vous pas que nous sommes en face de l’hôtel d’Aiguillon,
lequel est plein de créatures du cardinal? Qui me dit que ce n’est pas
Son Éminence qui vous a chargé de lui procurer ma tête? Or, j’y
tiens ridiculement, à ma tête, attendu qu’elle me semble aller assez
correctement à mes épaules. Je veux donc vous tuer, soyez
tranquille, mais vous tuer tout doucement, dans un endroit clos et
couvert, là où vous ne puissiez vous vanter de votre mort à
personne.
—Je le veux bien, mais ne vous y fiez pas, et emportez votre
mouchoir, qu’il vous appartienne ou non; peut-être aurez-vous
l’occasion de vous en servir.
—Monsieur est Gascon? demanda Aramis.
—Oui. Monsieur ne remet pas un rendez-vous par prudence.
—La prudence, monsieur, est une vertu assez inutile aux
mousquetaires, je le sais, mais indispensable aux gens d’Église; et
comme je ne suis mousquetaire que provisoirement, je tiens à rester
prudent. A deux heures j’aurai l’honneur de vous attendre à l’hôtel
de M. de Tréville. Là, je vous indiquerai les bons endroits.
Les deux jeunes gens se saluèrent, puis Aramis s’éloigna en
remontant la rue qui menait au Luxembourg, tandis que d’Artagnan,
voyant que l’heure s’avançait, prenait le chemin des Carmes-
Deschaux, tout en disant à part:
—Décidément, je n’en puis pas revenir; mais au moins, si je suis
tué, je serai tué par un mousquetaire.
V
LES MOUSQUETAIRES DU ROI ET LES GARDES DE M. LE CARDINAL
D’Artagnan ne connaissait personne à Paris. Il alla donc au
rendez-vous d’Athos sans amener de second, résolu de se contenter
de ceux qu’aurait choisis son adversaire. D’ailleurs son intention était
formelle de faire au brave mousquetaire toutes les excuses
convenables, mais sans faiblesse, craignant qu’il ne résultât de ce
duel ce qui résulte toujours de fâcheux dans une affaire de ce genre,
quand un homme jeune et vigoureux se bat contre un adversaire
blessé et affaibli: vaincu il double le triomphe de son antagoniste;
vainqueur, il est accusé de forfaiture et de facile audace.
Au reste, ou nous avons mal exposé le caractère de notre
chercheur d’aventures, ou notre lecteur a déjà dû remarquer que
d’Artagnan n’était point un homme ordinaire. Aussi, tout en se
répétant à lui-même que sa mort était inévitable, il ne se résigna
point à mourir tout doucettement comme un autre moins courageux
et moins modéré que lui eût fait à sa place. Il réfléchit aux différents
caractères de ceux avec lesquels il allait se battre et commença à
voir plus clair dans sa situation. Il espérait, grâce aux excuses
loyales qu’il lui réservait, se faire un ami d’Athos, dont l’air grand
seigneur et la mine austère lui agréaient fort. Il se flattait de faire
peur à Porthos avec l’aventure du baudrier, qu’il pouvait, s’il n’était
pas tué sur le coup, raconter à tout le monde, récit qui, poussé
adroitement à l’effet, devait couvrir Porthos de ridicule; enfin quant
au sournois Aramis, il n’en avait pas très grand’peur, et en supposant
qu’il arrivât jusqu’à lui, il se chargeait de l’expédier bel et bien, ou du
moins, en frappant au visage, comme César avait recommandé de
faire aux soldats de Pompée, d’endommager à tout jamais cette
beauté dont il était si fier.
Ensuite il y avait chez d’Artagnan ce fonds inébranlable de
résolution qu’avaient déposé dans son cœur les conseils de son père,
conseils dont la substance était: «Ne rien souffrir de personne que
du roi, du cardinal et de M. de Tréville.» Il vola donc plutôt qu’il ne
marcha vers le couvent des Carmes déchaussés, ou plutôt Deschaux,
comme on disait à cette époque, sorte de bâtiment sans fenêtres,
bordé de prés arides, succursale du Pré-aux-Clercs, et qui servait
d’ordinaire aux rencontres des gens qui n’avaient pas de temps à
perdre.
Lorsque d’Artagnan arriva en vue du petit terrain vague qui
s’étendait au pied de ce monastère, Athos attendait depuis cinq
minutes seulement, et midi sonnait. Il était donc ponctuel comme la
Samaritaine, et le plus rigoureux casuiste à l’égard des duels n’avait
rien à dire.
Athos, qui souffrait toujours cruellement de sa blessure,
quoiqu’elle eut été pansée à neuf par le chirurgien de M. de Tréville,
s’était assis sur une borne et attendait son adversaire avec cette
contenance paisible et cet air digne qui ne l’abandonnaient jamais. A
l’aspect de d’Artagnan, il se leva et fit poliment quelques pas au-
devant de lui. Celui-ci, de son côté, n’aborda son adversaire que le
chapeau à la main et sa plume traînant jusqu’à terre.
—Monsieur, dit Athos, j’ai fait prévenir deux de mes amis qui me
serviront de seconds, mais ces deux amis ne sont point encore
arrivés. Je m’étonne qu’ils tardent: ce n’est pas leur habitude.
—Je n’ai pas de seconds, moi, monsieur, dit d’Artagnan, car,
arrivé d’hier seulement à Paris, je n’y connais encore personne que
M. de Tréville, auquel j’ai été recommandé par mon père, qui a
l’honneur d’être quelque peu de ses amis.
Athos réfléchit un instant.
—Vous ne connaissez que M. de Tréville? demanda-t-il.
—Oui, monsieur, je ne connais que lui.
—Ah çà mais, continua Athos, parlant moitié à lui-même et moitié
à d’Artagnan, ah çà mais, si je vous tue, j’aurai l’air d’un mangeur
d’enfants, moi!
—Pas trop, monsieur,
répondit d’Artagnan avec
un salut qui ne manquait
pas de dignité; pas trop,
puisque vous me faites
l’honneur de tirer l’épée
contre moi avec une
blessure dont vous devez
être fort incommodé.
—Très incommodé, sur
ma parole et vous m’avez
fait un mal du diable, je
dois le dire; mais je
prendrai la main gauche,
c’est mon habitude en
pareille circonstance. Ne
croyez donc pas que je
vous fasse une grâce, je
tire proprement des deux
mains; et il y aura même désavantage pour vous: un gaucher est
très gênant pour les gens qui ne sont pas prévenus. Je regrette de
ne pas vous avoir fait part plus tôt de cette circonstance.
—Vous êtes vraiment, monsieur, dit d’Artagnan en s’inclinant de
nouveau, d’une courtoisie dont je vous suis on ne peut plus
reconnaissant.
—Vous me rendez confus, répondit Athos avec son air de
gentilhomme; causons donc d’autre chose, je vous prie, à moins que
cela ne vous soit désagréable. Ah! sangbleu! que vous m’avez fait
mal! l’épaule me brûle.
—Si vous vouliez permettre... dit d’Artagnan avec timidité.
—Quoi, monsieur?
—J’ai un baume miraculeux pour les blessures, un baume qui me
vient de ma mère, et dont j’ai fait l’épreuve sur moi-même.
—Eh bien?
—Eh bien, je suis sûr qu’en moins de trois jours ce baume vous
guérirait, et au bout de trois jours, quand vous seriez guéri, eh bien!
monsieur, ce me serait toujours un grand honneur d’être votre
homme.
D’Artagnan dit ces mots avec une simplicité qui faisait honneur à
sa courtoisie, sans porter aucunement atteinte à son courage.
—Pardieu, monsieur, dit Athos, voici une proposition qui me plaît,
non pas que je l’accepte, mais elle sent son gentilhomme d’une
lieue. C’est ainsi que parlaient et faisaient ces preux du temps de
Charlemagne, sur lesquels tout cavalier doit chercher à se modeler.
Malheureusement nous ne sommes plus au temps du grand
empereur. Nous sommes au temps de M. le cardinal, et d’ici à trois
jours on saurait, si bien gardé que soit le secret, on saurait, dis-je,
que nous devons nous battre, et l’on s’opposerait à notre combat.
Ah çà mais, ces flâneurs ne viendront donc pas?
—Si vous êtes pressé, monsieur, dit d’Artagnan à Athos avec la
même simplicité qu’un instant auparavant il lui avait proposé de
remettre le duel à trois jours, si vous êtes pressé et qu’il vous plaise
de m’expédier tout de suite, ne vous gênez pas, je vous en prie.
—Voilà encore un mot qui me plaît, dit Athos en faisant un
gracieux signe de tête à d’Artagnan, il n’est point d’un homme sans
cervelle, et il est à coup sûr d’un homme de cœur. Monsieur, j’aime
les hommes de votre trempe et je vois que si nous ne nous tuons
pas l’un l’autre, j’aurai plus tard un vrai plaisir dans votre
conversation. Attendons ces messieurs, je vous prie, j’ai tout le
temps, et cela sera plus correct. Ah! en voici un, je crois.
En effet, au bout de la rue de Vaugirard, commençait à
apparaître le gigantesque Porthos.
—Quoi! s’écria d’Artagnan, votre premier témoin est M. Porthos.
—Oui, cela vous contrarie-t-il?
—Non, aucunement.
—Et voici le second.
D’Artagnan se retourna du côté indiqué par Athos et reconnut
Aramis.
—Quoi! s’écria-t-il d’un accent plus étonné que la première fois,
votre second témoin est M. Aramis?
—Sans doute, ne savez-vous pas qu’on ne nous voit jamais l’un
sans l’autre et qu’on nous appelle dans les mousquetaires et dans
les gardes, à la cour et à la ville: Athos, Porthos et Aramis ou les
trois inséparables? Après cela, comme vous arrivez de Dax ou de
Pau...
—De Tarbes, dit d’Artagnan.
—Il vous est permis d’ignorer ce détail, dit Athos.
—Ma foi, dit d’Artagnan, vous êtes bien nommés, messieurs, et
mon aventure, si elle fait quelque bruit, prouvera du moins que votre
union n’est point fondée sur les contrastes.
Pendant ce temps, Porthos s’était rapproché, avait salué de la
main Athos; puis se retournant vers d’Artagnan, il était resté tout
étonné.
Disons en passant qu’il avait changé de baudrier et quitté son
manteau.
—Ah! ah! fit-il, qu’est-ce que cela?
—C’est avec monsieur que je me bats, dit Athos en montrant de
la main d’Artagnan, et en le saluant du même geste.
—C’est avec lui que je me bats aussi, dit Porthos.
—Mais à une heure seulement, répondit d’Artagnan.
—Et moi aussi, c’est avec monsieur que je me bats, dit Aramis en
arrivant à son tour sur le terrain.
—Mais à deux heures seulement, fit d’Artagnan avec le même
calme.
—Mais à propos de quoi te bats-tu, toi, Athos? demanda Aramis.
—Ma foi, je ne sais pas trop, il m’a fait mal à l’épaule; et toi,
Porthos?
—Ma foi, je me bats parce que je me bats, répondit Porthos en
rougissant.
Athos, qui ne perdait rien, vit passer un fin sourire sur les lèvres
du Gascon.
—Nous avons eu une discussion sur la toilette, dit le jeune
homme.
—Et toi, Aramis? demanda Athos.
—Moi, je me bats pour cause de théologie, répondit Aramis tout
en faisant signe à d’Artagnan qu’il le priait de tenir secrète la cause
de son duel.
Athos vit passer un second sourire sur les lèvres de d’Artagnan.
—Vraiment, dit Athos.
—Oui, un point de saint Augustin sur lequel nous ne sommes pas
d’accord, dit le Gascon.
—Décidément, c’est un homme d’esprit, murmura Athos.
—Et maintenant que vous êtes rassemblés, messieurs, dit
d’Artagnan, permettez-moi de vous faire mes excuses.
A ce mot d’excuses, un nuage passa sur le front d’Athos, un
sourire hautain glissa sur les lèvres de Porthos, et un signe négatif
fut la réponse d’Aramis.
—Vous ne me comprenez pas, messieurs, dit d’Artagnan en
relevant sa tête, sur laquelle jouait en ce moment un rayon de soleil
qui en dorait les lignes fines et hardies, je vous demande excuse
dans le cas où je ne pourrais vous payer ma dette à tous trois, car
M. Athos a le droit de me tuer le premier, ce qui ôte beaucoup de sa
valeur à votre créance, monsieur Porthos, et ce qui rend la vôtre à
peu près nulle, monsieur Aramis. Et maintenant, messieurs, je vous
le répète, excusez-moi, mais de cela seulement, et en garde!
A ces mots, du geste le plus cavalier qui se puisse voir,
d’Artagnan tira son épée.
Le sang lui était monté à la tête, et dans ce moment il eût tiré
son épée contre tous les mousquetaires du royaume, comme il
venait de faire contre Athos, Porthos et Aramis.
Il était midi et un quart. Le soleil était à son zénith, et
l’emplacement choisi pour être le théâtre du duel se trouvait exposé
à toute son ardeur.
—Il fait très chaud, dit Athos en tirant son épée à son tour, et
cependant je ne saurais ôter mon pourpoint; car, tout à l’heure
encore, j’ai senti que ma blessure saignait, et je craindrais de gêner
monsieur en lui montrant du sang qu’il ne m’aurait pas tiré lui-
même.
—C’est vrai, monsieur, dit d’Artagnan, et tiré par un autre ou par
moi, je vous assure que je verrai toujours avec bien du regret le
sang d’un aussi brave gentilhomme; je me battrai donc en pourpoint
comme vous.
—Voyons, voyons, dit Porthos, assez de compliments comme cela
et songez que nous attendons notre tour.
—Parlez pour vous seul, Porthos, quand vous aurez à dire de
pareilles incongruités, interrompit Aramis. Quant à moi, je trouve les
choses que ces messieurs se disent fort bien dites et tout à fait
dignes de deux gentilshommes.
—Quand vous voudrez, monsieur, dit Athos en se mettant en
garde.
—J’attendais vos ordres, dit d’Artagnan en croisant le fer.
Mais les deux rapières avaient à peine résonné en se touchant,
qu’une escouade des gardes de Son Éminence, commandée par M.
de Jussac, se montra à l’angle du couvent.
—Les gardes du cardinal! s’écrièrent à la fois Porthos et Aramis.
L’épée au fourreau, messieurs! l’épée au fourreau!
Mais il était trop tard. Les deux combattants avaient été vus dans
une pose qui ne permettait pas de douter de leurs intentions.
—Holà! cria Jussac en s’avançant vers eux et en faisant signe à
ses hommes d’en faire autant, holà! mousquetaires, on se bat donc
ici? Et les édits, qu’en faisons-nous?
—Vous êtes bien généreux, messieurs les gardes, dit Athos plein
de rancune, car Jussac était l’un des agresseurs de l’avant-veille. Si
nous vous voyions battre, je vous réponds, moi, que nous nous
garderions bien de vous en empêcher. Laissez-nous donc faire, et
vous allez avoir du plaisir sans prendre aucune peine.
—Messieurs, dit Jussac, c’est avec grand regret que je vous
déclare que la chose est impossible. Notre devoir avant tout.
Rengainez donc, s’il vous plaît, et nous suivez.
—Monsieur, dit Aramis parodiant Jussac, ce serait avec un grand
plaisir que nous obéirions à votre gracieuse invitation si cela
dépendait de nous; mais malheureusement la chose est impossible:
M. de Tréville nous l’a défendu. Passez donc votre chemin, c’est ce
que vous avez de mieux à faire.
Cette raillerie exaspéra Jussac.
—Nous vous chargerons donc, dit-il, si vous désobéissez.
—Ils sont cinq, dit Athos à demi-voix, et nous ne sommes que
trois; nous serons encore battus, et il nous faudra mourir ici, car, je
le déclare, je ne reparais pas vaincu devant le capitaine.
Athos, Porthos et Aramis se rapprochèrent à l’instant les uns des
autres pendant que Jussac alignait ses soldats.
Ce seul moment suffit à d’Artagnan pour prendre son parti:
c’était là un de ces événements qui décident de la vie d’un homme,
c’était un choix à faire entre le roi et le cardinal; ce choix fait, il
fallait y persévérer. Se battre, c’est-à-dire désobéir à la loi, c’est-à-
dire risquer sa tête, c’est-à-dire se faire d’un seul coup l’ennemi d’un
ministre plus puissant que le roi lui-même; voilà ce qu’entrevit le
jeune homme, et, disons-le à sa louange, il n’hésita point une
seconde. Se tournant donc vers Athos et ses amis:
—Messieurs, dit-il, je reprendrai, s’il vous plaît, quelque chose à
vos paroles. Vous avez dit que vous n’étiez que trois, mais il me
semble, à moi, que nous sommes quatre.
—Mais vous n’êtes pas des nôtres, dit Porthos.
—C’est vrai, répondit d’Artagnan; je n’ai pas l’habit mais j’ai
l’âme. Mon cœur est mousquetaire, je le sens bien, monsieur, et cela
m’entraîne.
—Écartez-vous, jeune homme! cria Jussac, qui sans doute à ses
gestes et à l’expression de son visage avait deviné le dessein de
d’Artagnan. Vous pouvez vous retirer, nous y consentons. Sauvez
votre peau; allez vite.
D’Artagnan ne bougea point.
—Décidément, vous êtes un joli garçon, dit Athos, en serrant la
main du jeune homme.
—Allons, allons! prenons un parti, reprit Jussac.
—Voyons, dirent Porthos et Aramis, faisons quelque chose.
—Monsieur est plein de générosité, dit Athos.
Mais tous trois pensaient à la jeunesse de d’Artagnan, et
redoutaient son inexpérience.
—Nous ne serions que trois, dont un blessé, plus un enfant,
reprit Athos, et l’on n’en dira pas moins que nous étions quatre
hommes.
—Oui, mais reculer! dit Porthos.
—C’est difficile, reprit Athos.
D’Artagnan comprit leur irrésolution.
—Messieurs, essayez-moi toujours, dit-il, et je vous jure sur
l’honneur que je ne veux pas m’en aller d’ici si nous sommes
vaincus.
—Comment vous appelle-t-on, mon brave? dit Athos.
—D’Artagnan, monsieur.
—Eh bien! Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan, en avant! cria
Athos.
—Eh bien! voyons, messieurs, vous décidez-vous à vous décider?
cria pour la troisième fois Jussac.
—C’est fait, messieurs, dit Athos.
—Et quel parti prenez-vous? demanda Jussac.
—Nous allons avoir l’honneur de vous charger, répondit Aramis
en levant son chapeau d’une main et tirant son épée de l’autre.
—Ah! vous résistez! s’écria Jussac.
—Sangdieu! cela vous étonne?
Et les neuf combattants se précipitèrent les uns sur les autres
avec une furie qui n’excluait pas une certaine méthode.
Athos prit un certain Cahusac, favori du cardinal; Porthos eut
Bicarat, et Aramis se vit en face de deux adversaires.
Quant à d’Artagnan, il se trouva lancé contre Jussac lui-même.
Le cœur du jeune Gascon battait à lui briser la poitrine, non pas
de peur, Dieu merci, il n’en avait pas l’ombre, mais d’émulation; il se
battait comme un tigre en fureur, tournant dix fois autour de son
adversaire, changeant vingt fois ses gardes et son terrain. Jussac
était, comme on le disait alors, friand de la lame, et avait fort
pratiqué, cependant il avait toutes les peines du monde à se
défendre contre un adversaire qui, agile et bondissant s’écartait à
tout moment des règles reçues, attaquant de tous côtés à la fois, et
tout cela en parant en homme qui a le plus grand respect pour son
épiderme.
Enfin cette lutte finit par faire perdre patience à Jussac. Furieux
d’être tenu en échec par celui qu’il avait regardé comme un enfant, il
s’échauffa et commença à faire des fautes. D’Artagnan, qui, à défaut
de la pratique, avait une profonde théorie, redoubla d’agilité. Jussac,
voulant en finir, porta un coup terrible à son adversaire en se
fendant à fond; mais celui-ci para prime, et tandis que Jussac se
relevait, se glissant comme un serpent sous son fer, il lui passa son
épée au travers du corps, Jussac tomba comme une masse.
D’Artagnan jeta alors un coup d’œil inquiet et rapide sur le
champ de bataille.
Aramis avait déjà tué un de ses adversaires; mais l’autre le
pressait vivement. Cependant, Aramis était en bonne condition et
pouvait encore se défendre.
Bicarat et Porthos venaient de faire coup fourré. Porthos avait
reçu un coup d’épée au travers du bras, et Bicarat au travers de la
cuisse. Mais comme ni l’une ni l’autre des deux blessures n’était
grave, ils ne s’en escrimaient qu’avec plus d’acharnement.
Athos, blessé de nouveau par Cahusac, pâlissait à vue d’œil, mais
il ne reculait pas d’une semelle: il avait seulement changé son épée
de main, et se battait de la main gauche.
D’Artagnan, selon les lois du duel de cette époque, pouvait
secourir quelqu’un; pendant qu’il cherchait du regard celui de ses
compagnons qui avait besoin de son aide, il surprit un coup d’œil
d’Athos. Ce coup d’œil était d’une éloquence sublime. Athos serait
mort plutôt que d’appeler au secours; mais il pouvait regarder, et du
regard demander un appui.
D’Artagnan le devina, fit un bond terrible, et tomba sur le flanc
de Cahusac en criant:
—A moi, monsieur le garde, je vous tue!
Cahusac se retourna; il était temps. Athos, que son extrême
courage soutenait seul, tomba sur un genou.
—Sangdieu! criait-il à d’Artagnan, ne le tuez pas, jeune homme,
je vous en prie; j’ai une vieille affaire à terminer avec lui, quand je
serai guéri et bien portant. Désarmez-le seulement, liez-lui l’épée.
C’est cela. Bien! très bien!
Cette exclamation était arrachée à Athos par l’épée de Cahusac,
qui sautait à vingt pas de lui. D’Artagnan et Cahusac s’élancèrent
ensemble, l’un pour la ressaisir, l’autre pour s’en emparer; mais
d’Artagnan, plus leste, arriva le premier et mit le pied dessus.
Cahusac courut à celui des gardes qu’avait tué Aramis, s’empara
de sa rapière, et voulut revenir à d’Artagnan; mais sur son chemin il
rencontra Athos, qui, pendant cette halte d’un instant que lui avait
procurée d’Artagnan, avait repris haleine, et qui, de crainte que
d’Artagnan ne lui tuât son ennemi, voulait recommencer le combat.
D’Artagnan comprit que ce serait désobliger Athos que de ne pas
le laisser faire. En effet, quelques secondes après, Cahusac tomba la
gorge traversée d’un coup d’épée.
Au même instant Aramis appuyait son épée contre la poitrine de
son adversaire renversé, et le forçait à demander merci.
Restaient Porthos et Bicarat. Porthos faisait mille fanfaronnades,
demandant à Bicarat quelle heure il pouvait bien être, et lui faisait
ses compliments sur la compagnie que venait d’obtenir son frère
dans le régiment de Navarre; mais, tout en raillant, il ne gagnait
rien. Bicarat était un de ces hommes de fer qui ne tombent que
morts.
Cependant il fallait en finir. Le guet pouvait arriver et prendre
tous les combattants blessés ou non, royalistes ou cardinalistes.
Athos, Aramis et d’Artagnan entourèrent Bicarat et le sommèrent de
se rendre. Quoique seul contre tous, et avec un coup d’épée qui lui
traversait la cuisse, Bicarat voulait tenir; mais Jussac, qui s’était
relevé sur son coude, lui cria de se rendre. Bicarat était un Gascon
comme d’Artagnan; il fit la sourde oreille et se contenta de rire, et
entre deux parades, trouvant le temps de désigner, du bout de son
épée, une place à terre:
—Ici, dit-il, parodiant un verset de la Bible, ici mourra Bicarat,
seul de ceux qui sont avec lui.
—Mais ils sont quatre contre toi; finis-en, je te l’ordonne.
—Ah! si tu l’ordonnes,
c’est autre chose, dit
Bicarat; comme tu es mon
brigadier, je dois obéir.
Et, en faisant un bond
en arrière, il cassa son
épée sur son genou pour
ne pas la rendre, en jeta
les morceaux par-dessus le
mur du couvent et se
croisa les bras en sifflant
un air cardinaliste.
La bravoure est
toujours respectée, même
chez un ennemi. Les
mousquetaires saluèrent
Bicarat de leurs épées et
les remirent au fourreau. D’Artagnan en fit autant, puis aidé de
Bicarat, le seul qui fût resté debout, il porta sous le porche du
couvent Jussac, Cahusac et celui des adversaires d’Aramis qui n’était
que blessé. Le quatrième, comme nous l’avons dit, était mort. Puis
ils sonnèrent la cloche, et, emportant quatre épées sur cinq, ils
s’acheminèrent ivres de joie vers l’hôtel de M. de Tréville.
On les voyait entrelacés, tenant toute la largeur de la rue, et
accostant chaque mousquetaire qu’ils rencontraient, si bien qu’à la
fin ce fut une marche triomphale. Le cœur de d’Artagnan nageait
dans l’ivresse, il marchait entre Athos et Porthos en les étreignant
tendrement.
—Si je ne suis pas encore mousquetaire, dit-il à ses nouveaux
amis en franchissant la porte de l’hôtel de M. de Tréville, au moins
me voilà reçu apprenti, n’est-ce pas?
VI
SA MAJESTÉ LE ROI LOUIS TREIZIÈME
L’affaire fit grand bruit. M. de Tréville gronda beaucoup tout haut
contre ses mousquetaires et les félicita tout bas; mais comme il n’y
avait pas de temps à perdre pour prévenir le roi, M. de Tréville
s’empressa de se rendre au Louvre. Il était déjà trop tard, le roi était
enfermé avec le cardinal, et l’on dit à M. de Tréville que le roi
travaillait et ne pouvait recevoir en ce moment. Le soir M. de Tréville
revint au jeu du roi. Le roi gagnait, et, comme Sa Majesté était fort
avare, elle était d’excellente humeur; aussi, du plus loin que le roi
aperçut Tréville:
—Venez ici, monsieur le capitaine, dit-il, venez, que je vous
gronde; savez-vous que Son Éminence est venue me faire des
plaintes sur vos mousquetaires, et cela avec une telle émotion, que
ce soir Son Éminence en est malade. Ah çà mais, ce sont des gens à
pendre, que vos mousquetaires.
—Non, sire, répondit Tréville, qui vit du premier coup d’œil
comment la chose allait tourner; non, tout au contraire, ce sont de
bonnes créatures, douces comme des agneaux, et qui n’ont qu’un
désir, je m’en ferai garant: c’est que leur épée ne sorte du fourreau
que pour le service de Votre Majesté. Mais, que voulez-vous, les
gardes de M. le cardinal sont sans cesse à leur chercher querelle, et,
pour l’honneur même du corps, les pauvres jeunes gens sont obligés
de se défendre.
—Écoutez monsieur de Tréville! dit le roi, écoutez! ne dirait-on
pas qu’il parle d’une communauté religieuse! En vérité, mon cher
capitaine, j’ai envie de vous ôter votre brevet, et de le donner à
mademoiselle de Chemerault, à laquelle j’ai promis une abbaye. Mais
ne pensez pas que je vous croirai ainsi sur parole. On m’appelle
Louis le Juste, monsieur de Tréville, et tout à l’heure, tout à l’heure
nous verrons.
—Ah! c’est parce que je me fie à cette justice, sire, que
j’attendrai patiemment et tranquillement le bon plaisir de Votre
Majesté.
—Attendez donc, monsieur, attendez donc, dit le roi, je ne vous
ferai pas longtemps attendre.
En effet la chance tournait, et, comme le roi commençait à
perdre ce qu’il avait gagné, il n’était pas fâché de trouver un
prétexte pour faire,—qu’on nous passe cette expression de joueur,
dont, nous l’avouons, nous ne connaissons pas l’origine,—pour faire
charlemagne. Le roi se leva donc au bout d’un instant, et mettant
dans sa poche l’argent qui était devant lui et dont la majeure partie
venait de son gain:
—La Vieuville, dit-il, prenez ma place, il faut que je parle à M. de
Tréville pour affaire d’importance. Ah!... j’avais quatre-vingts louis
devant moi; mettez la même somme, afin que ceux qui ont perdu
n’aient point à se plaindre. La justice avant tout.
Puis, se retournant vers M. de Tréville et marchant avec lui vers
l’embrasure d’une fenêtre:
—Eh bien, monsieur, continua-t-il, vous dites que ce sont les
gardes de l’Éminentissime qui ont été chercher querelle à vos
mousquetaires?
—Oui, sire, comme toujours.
—Et comment la chose est-elle venue, voyons? car, vous le savez,
mon cher capitaine, il faut qu’un juge écoute les deux parties.
—Ah! mon Dieu! de la façon la plus simple et la plus naturelle.
Trois de mes meilleurs soldats, que Votre Majesté connaît de nom, et
dont elle a plus d’une fois apprécié le dévouement, et qui ont, je
puis l’affirmer au roi, son service fort à cœur; trois de mes meilleurs
soldats, dis-je, MM. Athos, Porthos et Aramis, avaient fait une partie
de plaisir avec un jeune cadet de Gascogne que je leur avais
recommandé le matin même. La partie allait avoir lieu à Saint-
Germain, je crois, et ils s’étaient donné rendez-vous aux Carmes-
Deschaux, lorsqu’elle fut troublée par M. de Jussac et MM. Cahusac,
Bicarat, et deux autres gardes qui ne venaient certes pas là en si
nombreuse compagnie sans mauvaise intention contre les édits.
—Ah! ah! vous m’y faites penser, dit le roi: sans doute ils
venaient pour se battre eux-mêmes.
—Je ne les accuse pas, sire, mais je laisse Votre Majesté
apprécier ce que peuvent aller faire cinq hommes armés dans un lieu
aussi désert que le sont les environs du couvent des Carmes.
—Oui, vous avez raison, Tréville, vous avez raison.
—Alors quand ils ont vu mes mousquetaires, ils ont changé d’idée
et ils ont oublié leur haine particulière pour la haine de corps; car
Votre Majesté n’ignore pas que les mousquetaires, qui sont au roi, et
rien qu’au roi, sont les ennemis naturels des gardes qui sont à M. le
Cardinal.
—Oui, Tréville, oui, dit le roi mélancoliquement, et c’est bien
triste, croyez-moi, de voir ainsi deux partis en France, deux têtes à la
royauté; mais tout cela finira, Tréville, tout cela finira. Vous dites
donc que les gardes ont cherché querelle aux mousquetaires.
—Je dis qu’il est probable que les choses se sont passées ainsi,
mais je n’en jure pas, sire. Vous savez combien la vérité est difficile
à connaître, et à moins d’être doué de cet instinct admirable qui a
fait nommer Louis XIII le Juste...
—Et vous avez raison, Tréville; mais ils n’étaient pas seuls, vos
mousquetaires, il y avait avec eux un enfant.
—Oui, sire, et un homme blessé, de sorte que trois
mousquetaires du roi, dont un blessé, et un enfant, non seulement
ont tenu tête à cinq des plus terribles gardes de M. le cardinal, mais
encore en ont porté quatre à terre.
—Mais c’est une victoire, cela! s’écria le roi tout rayonnant; une
victoire complète!
—Oui, sire, aussi
complète que celle du Pont
de Cé.
—Quatre hommes dont
un blessé, et un enfant,
dites-vous?
—Un jeune homme à
peine; lequel s’est même si
parfaitement conduit en
cette occasion, que je
prendrai la liberté de le
recommander à Votre
Majesté.
—Comment s’appelle-t-
il?
—D’Artagnan, sire.
C’est le fils d’un de mes
plus anciens amis; le fils
d’un homme qui a fait avec
le roi votre père, de
glorieuse mémoire, la
guerre de partisan.
—Et vous dites qu’il
s’est bien conduit, ce jeune homme? Racontez-moi cela, Tréville;
vous savez que j’aime les récits de guerre et de combat.
Et le roi Louis XIII releva fièrement sa moustache en se posant
sur la hanche.
—Sire, reprit Tréville, comme je vous l’ai dit, M. d’Artagnan est
presque un enfant, et, comme il n’a pas l’honneur d’être
mousquetaire, il était en habit bourgeois; les gardes de M. le
cardinal, reconnaissant sa grande jeunesse, et de plus qu’il était
étranger au corps, l’invitèrent donc à se retirer avant qu’ils
attaquassent.
—Alors, vous voyez bien, Tréville, interrompit le roi, que ce sont
eux qui ont attaqué.
—C’est juste, sire: ainsi plus de doute; ils le sommèrent donc de
se retirer; mais il répondit qu’il était mousquetaire de cœur et tout à
Sa Majesté, qu’ainsi donc il resterait avec messieurs les
mousquetaires.
—Brave jeune homme! murmura le roi.
—En effet, il demeura avec eux; et Votre Majesté a là un si ferme
champion, que ce fut lui qui donna à Jussac ce terrible coup d’épée
qui met si fort en colère M. le cardinal.
—C’est lui qui a blessé Jussac? s’écria le roi; lui, un enfant! Ceci,
Tréville, c’est impossible.
—C’est comme j’ai l’honneur de le dire à Votre Majesté.
—Jussac, une des premières lames du royaume!
—Eh bien, sire! il a trouvé son maître.
—Je veux voir ce jeune homme, Tréville, je veux le voir, et si l’on
peut faire quelque chose, eh bien! nous nous en occuperons.
—Quand Votre Majesté daignera-t-elle le recevoir?
—Demain à midi, Tréville.
—L’amènerai-je seul?
—Non, amenez-les-moi tous les quatre ensemble. Je veux les
remercier tous à la fois; les hommes dévoués sont rares, Tréville, et
il faut récompenser le dévouement.
—A midi, sire, nous serons au Louvre.
—Ah! par le petit escalier, Tréville, par le petit escalier. Il est
inutile que le cardinal sache.
—Oui, sire.
—Vous comprenez, Tréville, un édit est toujours un édit; il est
défendu de se battre, au bout du compte.
—Mais cette rencontre, sire, sort tout à fait des conditions
ordinaires d’un duel, c’est une rixe, et la preuve, c’est qu’ils étaient
cinq gardes du cardinal contre mes trois mousquetaires et M.
d’Artagnan.
—C’est juste, dit le roi; mais n’importe, Tréville, venez toujours
par le petit escalier.
Tréville sourit. Mais comme c’était déjà beaucoup pour lui d’avoir
obtenu de cet enfant qu’il se révoltât contre son maître, il salua
respectueusement le roi, et, avec son agrément, prit congé de lui.
Dès le soir même les trois mousquetaires furent prévenus de
l’honneur qui leur était accordé. Comme ils connaissaient depuis
longtemps le roi, ils n’en furent pas trop échauffés; mais d’Artagnan,
avec son imagination gasconne, y vit sa fortune à venir, et passa la
nuit à faire des rêves d’or. Aussi, dès huit heures du matin, était-il
chez Athos.
D’Artagnan trouva le mousquetaire tout habillé et prêt à sortir.
Comme on n’avait rendez-vous chez le roi qu’à midi, il avait formé le
projet, avec Porthos et Aramis, d’aller faire une partie de paume
dans un tripot situé tout près des écuries du Luxembourg. Athos
invita d’Artagnan à les suivre, et, malgré son ignorance de ce jeu,
auquel il n’avait jamais joué, celui-ci accepta, ne sachant que faire
de son temps, depuis neuf heures du matin jusqu’à midi.
Les deux mousquetaires étaient déjà arrivés et pelotaient
ensemble. Athos, qui était très fort à tous les exercices du corps,
passa avec d’Artagnan du côté opposé, et leur fit défi. Mais au
premier mouvement qu’il essaya, quoiqu’il jouât de la main gauche,
il comprit que sa blessure était encore trop récente pour lui
permettre un pareil exercice. D’Artagnan resta donc seul, et comme
il déclara qu’il était encore trop maladroit pour soutenir une partie en
règle, on continua seulement de s’envoyer des balles sans compter
le jeu. Mais une de ces balles, lancée par le poignet herculéen de
Porthos, passa si près du visage de d’Artagnan, qu’il pensa que si, au
lieu de passer à côté, elle eût donné dedans, son audience était
probablement perdue, attendu qu’il lui eût été de toute impossibilité
de se présenter chez le roi. Or, comme de cette audience, dans son
imagination gasconne, dépendait tout son avenir, il salua poliment
Porthos et Aramis, déclarant qu’il ne reprendrait la partie que
lorsqu’il serait en état de leur tenir tête, et il s’en revint prendre
place près de la corde et dans la galerie.
Malheureusement pour d’Artagnan, parmi les spectateurs se
trouvait un garde de Son Éminence, lequel, tout échauffé encore de
la défaite de ses compagnons, arrivée la veille seulement, s’était
promis de saisir la première occasion de la venger. Il crut donc que
cette occasion était venue, et, s’adressant à son voisin:
—Il n’est pas étonnant, dit-il, que ce jeune homme ait eu peur
d’une balle, c’est sans doute un apprenti mousquetaire.
D’Artagnan se retourna comme si un serpent l’eût mordu et
regarda fixement le garde qui venait de tenir cet insolent propos.
—Pardieu! reprit celui-ci en frisant insolemment sa moustache,
regardez-moi tant que vous voudrez, mon petit monsieur, j’ai dit ce
que j’ai dit.
—Et comme ce que vous avez dit est trop clair pour que vos
paroles aient besoin d’explication, répondit d’Artagnan à voix basse,
je vous prierai de me suivre.
—Et quand cela? demanda le garde avec le même air railleur.
—Tout de suite, s’il vous plaît.
—Et vous savez qui je suis sans doute?
—Moi, je l’ignore complètement, et je ne m’en inquiète guère.
—Et vous avez tort, car, si vous saviez mon nom, peut-être
seriez-vous moins pressé.
—Comment vous appelez-vous?
—Bernajoux, pour vous servir.
—Eh bien! monsieur
Bernajoux, dit
tranquillement d’Artagnan,
je vais vous attendre sur la
porte.
—Allez, monsieur, je
vous suis.
—Ne vous pressez pas
trop, monsieur, qu’on ne
s’aperçoive pas que nous
sortons ensemble; vous
comprenez que, pour ce
que nous allons faire, trop
de monde nous gênerait.
—C’est bien, répondit
le garde, étonné que son
nom n’eût pas produit plus
d’effet sur le jeune
homme.
En effet, le nom de Bernajoux était connu de tout le monde, de
d’Artagnan seul excepté, peut-être; car c’était un de ceux qui
figuraient le plus souvent dans les rixes journalières que tous les
édits du roi et du cardinal n’avaient pu réprimer.
Porthos et Aramis étaient si occupés de leur partie, et Athos les
regardait avec tant d’attention, qu’ils ne virent pas même sortir leur
jeune compagnon, lequel, ainsi qu’il l’avait dit au garde de Son
Éminence, s’arrêta sur la porte; un instant après celui-ci descendit à
son tour. Comme d’Artagnan n’avait pas de temps à perdre, vu
l’audience du roi, qui était fixée à midi, il jeta les yeux autour de lui,
et voyant que la rue était déserte:
—Ma foi, dit-il à son adversaire, il est bien heureux pour vous,
quoique vous vous appeliez Bernajoux, de n’avoir affaire qu’à un