Surveillance Des Anticoagulants Oraux Directs
Surveillance Des Anticoagulants Oraux Directs
Résumé
Les anticoagulants oraux directs (AOD), anti-IIa ou anti-Xa directs, sont destinés à être
largement utilisés dans le traitement de la maladie thromboembolique veineuse ou dans la
fibrillation atriale en remplacement des antagonistes de vitamine K. Malgré des propriétés
pharmacologiques prévisibles, le risque hémorragique spontané ou provoqué des AOD
demeure une préoccupation majeure. Ainsi, après quelques années de flou concernant le rôle
du bilan biologique dans le suivi des AOD, l’apport de la biologie et plus particulièrement du
bilan d’hémostase est maintenant établi et primordial pour appréhender le risque hémorragique
avant chirurgie, en cas d’hémorragies ou dans la gestion de certains antidotes.
Mots clés : Anticoagulants oraux directs ; rivaroxaban ; dabigatran ; apixaban ; suivi biologique
Abstract
Direct oral anticoagulants (DOACs), anti-IIa or anti-Xa, are now widely used for the treatment
and prevention of thombotic events in venous thromboembolic disease and atrial fibrillation
as an alternative of vitamin K antagonists. Despite predictable pharmacological properties,
spontaneous or provoked bleeding risks related to DOACs are still an issue. Thus, after
few years of inconsistence concerning laboratory monitoring involvement and in particular
coagulation tests, it is now established that we need biology to evaluate bleeding risk
before surgery, hemorrhagic cases and in case of reversal with specific antidotes.
*Auteur correspondant :
David M. SMADJA
E-mail : [email protected]
Cible Xa Xa IIa
Biodisponibilité >90 %* 50 % 3-7 %
(pro-drogue)
Cmax 2h 3-4h 2h
Demi-vie 9-15h 10-14h 14-17h
Tableau III : Adaptation posologique des AOD en fonction de la fonction rénale du patient dans la prévention des AVC et embolies
systémiques chez patient atteints de FANV
Réduction du dosage Clcr 15-49 mL/min Si Clcr 19-29 mL/min Si Clcr 30-49 mL/min
Si 2 des critères suivants : Si âge ≥ 80 ans
créatinine sérique ≥ 133 μmol, Si administration concomitante de vérapamil
âge > 80 ans ou poids < 60 kg
IR Légère (50-80mL/min) _ _ _
Contre-Indication Si Clcr < 15 ml/min Si Clcr < 15 ml/min Si Clcr < 30 ml/min
chirurgical urgent 3) avant thrombolyse en cas d’accident contre-indiqués en cas d'insuffisance rénale sévère
vasculaire cérébral, 4) lors de récidives d'épisodes (Tableau III). Le dabigatran est lui contre-indiqué en cas
thrombotiques pour évaluer l’observance 5) avant d'insuffisance rénale avec un seuil à 30 ml/min. L’évaluation
antagonisation en urgence du traitement par AOD. de la fonction rénale des patients traités par AOD doit
Pour les AOD de type anti-Xa, la mesure de l’activité anti- être estimée par la formule de Cockcroft et Gault, même
Xa spécifique, est réalisée en utilisant les mêmes trousses si d’autres formules telles que, MDRD ou CKD-EPI sont
de dosages que les anti-Xa indirects (HNF ou HBPM) recommandées pour l’évaluation du débit de filtration
mais avec des calibrants et contrôles adaptés à chaque glomérulaire. Pour le rivaroxaban, il a été démontré que
molécule d’AOD. Pour les AOD de type anti-IIa, tel que le l’estimation de la fonction rénale selon le score MDRD
dabigatran, le test utilisé est un dosage de l’activité anti-IIa multiplie par 10 le risque de recevoir une posologie trop
spécifique : soit par mesure d'un temps d'écarine (ECAT), élevée chez les patients de plus de 80 ans [12]. Avant la mise
ou soit par mesure d'un TT dilué (dTT) avec lecture sur en route puis et si besoin en cas d'évènement intercurrent,
une droite de calibration (plasma chargé en dabigatran). l’évaluation de la fonction rénale et de la fonction hépatique,
Après mesure de l’activité spécifique IIa ou anti-Xa des ainsi qu'un dosage de l'hémoglobine est recommandée.
AOD, les résultats doivent être exprimés en ng/ml [10]. Il
faut savoir que les valeurs "attendues" au pic ou résiduelles
proviennent des essais de phase III évaluant les AOD
dans la FA et la MTEV dans une population de patient
Chirurgie et actes invasifs
sur-sélectionnés [6]. Ainsi, il ne faut pas sur-interpréter programmés
un résultat qui serait juste en dehors des concentrations
plasmatiques "attendues" notamment celles du dabigatran Dans le cadre de la gestion péri-opératoire des patients
exprimée du 25ème au 75ème percentile. De plus, il existe sous AOD, le Groupe d'Intérêt en Hémostase Périopératoire
de grandes variations inter- et intra-individuelles de ces (GIHP) a réactualisé ses propositions [13] avec l’arrivée
concentrations en fonction de la molécule dosée [11]. Les de l’apixaban sur le marché, une meilleure expérience
tests actuellement commercialisés sont actuellement peu d’utilisation des AOD, l’acquisition de nouvelles données
répandus en France, et majoritairement dans le milieu [14] ainsi que la disponibilité croissante des dosages
hospitalier car ne sont pas inscrits pour l’instant à la spécifiques des AOD dans les laboratoires. Les propositions
nomenclature des actes de biologie médicale (NABM) et du GIHP s’adaptent en fonction du risque hémorragique
donc remboursés par l’assurance maladie. de l'intervention ou de l'acte invasif (Tableau V) [13, 15]
Le rivaroxaban est contre-indiqué en cas d’insuffisance définis en 2008 pour la gestion périopératoire des AVK [16].
hépatique. L’apixaban est contre indiqué en cas d’atteinte Pour les actes programmés à risque hémorragique faible,
hépatique associée à une coagulopathie et à un risque il est proposé de ne pas prendre l’AOD la veille au soir ni
de saignement, et non recommandé en cas d’insuffisance le matin de l’intervention, de reprendre le traitement 6h
hépatique sévère. Le rivaroxaban et l'apixaban sont après la fin du geste invasif. En revanche, pour les actes
Tableau V : Gestion périopératoire des AOD en fonction du risque hémorragique, d’après proposition du GIHP [15]
Avant le geste pas de prise la veille au soir ni le Rivaroxaban Apixaban Dernière prise à J-3
matin de l'acte invasif Dabigatran Clcr ≥ 50 ml/min Dernière prise à J-4
Clcr < 50 ml/min Dernière prise à J-5
Pas de relais
Pas de dosage
AOD : Anticoagulant oraux directs ; Clcr : Clairance de la créatinine selon la formule de Cockcroft et Gault
Figure 1 : Prise en charge d’une hémorragie chez un patient traité par dabigatran,
d’après propositions du GIHP [13]
Clcr : Clairance de la créatinine selon la formule de Cockcroft et Gault ; CCP : Concentrés du
complexe prothrombinique
Figure 2 : Prise en charge d’une hémorragie chez un patient traité par AOD anti-Xa
(rivaroxaban ou apixaban), d’après propositions du GIHP [17]
AOD : Anticoagulant oraux directs ; Clcr : Clairance de la créatinine selon la formule de Cockcroft et
Gault ; CCP : Concentrés du complexe prothrombinique
En cas de geste invasif urgent et à haut risque (Tableau V) [19] . Ainsi la prise en charge des hémorragies
hémorragique, il faut essayer de différer de plus de graves ou des actes chirurgicaux en urgences peut
8 heures la procédure afin de permettre d’obtenir apparaitre comme délicate par l’absence actuelle d’antidote
des concentrations résiduelles inférieures à 50 ng/ml spécifique des AOD anti-Xa. Parmi ces derniers, le plus
(risque élevé) ou à 30 ng/ml (risque très élevé comme avancé, est l’andexanet alfa, une molécule leurre du
en neurochirurgie) [13]. S’il n’est pas possible de facteur Xa sensée être dépourvue d’activité
différer l’intervention, il faudra procéder à l’injection anticoagulante, qui a obtenu l’autorisation de la FDA
prophylactique de l’antidote ou l’administration curative et très récemment celle de l’Europe mais n’est encore
en cas de saignements par des CCP, activés ou non [17] prévu d’être accepté en France. Les résultats de l’essai
(Figures 3 et 4). Le dabigatran est dialysable mais la place évaluant son efficacité antagoniser les effets anticoagulant
de la dialyse en cas d’hémorragie ou de geste invasif du rivaroxaban, de l’apixaban, de l’edoxaban et de
urgent reste à définir notamment avec la mise sur le marché de l’enoxaparine en cas de saignement viennent de paraître
son antidote. Nous rappelons qu’un TCA et/ou un TP normaux [20]. A ce jour, les freins à son autorisation et son
sous AOD ne permet pas de prédire une hémostase normale utilisation en Europe, sont son efficacité à antagoniser les
permettant un geste invasif sans risque hémorragique [9]. effets anticoagulants de ces molécules anti-Xa de l’ordre
de 82 % seulement, son évaluation sans bras contrôle
(comme l’idarucizumab) et son coût très élevé autour de
Développement d'antidotes 50000 dollars par antagonisation [21]. De plus, l’andexanet
alfa n’a pas été évalué dans le cadre de la prise en
spécifiques charge d’une chirurgie ou d’un geste invasif en urgence.
L’idarucizumab est commercialisé pour permettre la prise
Il n'existe à ce jour, qu’un seul antidote disponible pour les en charge en urgence des hémorragies graves ou des
AOD mais spécifique du dabigatran (l’idarucizumab) mais actes chirurgicaux des patients sous dabigatran. Nous
4 autres sont actuellement en cours de développement avons montré rétrospectivement, que malgré son efficacité
Figure 4 : Prise en charge d’une chirurgie ou d’un geste invasif en urgence chez un pa-
tient traité par AOD anti-Xa (rivaroxaban ou apixaban), d’après propositions du GIHP [17]
AOD : Anticoagulant oraux directs ; Clcr : Clairance de la créatinine selon la formule de Cockcroft et
Gault ; CCP : Concentrés du complexe prothrombinique
Tableau VI : Développement actuel de différents antidotes des AOD et anticoagulant anti-Xa indirects
Caractéristiques Thrombine modifiée Complexe FXa-α2- Ciraparantag (aripazine, Andexanet alfa Idarucizumab
pharmacologiques (gT-S195A-IIa) Macroglobuline PER977)
Structure Thrombine FXa recombinant sans Molécule cationique FXa recombinant sans Fragment F(ab)
recombinante modifiée activité catalytique lié activité catalytique anticorps monoclonal
et digéré α 2-macroglobuline
Cible Dabigatran Anti-Xa et anti-IIa Anti-Xa et Anti-IIa Anti-Xa Dabigatran
Administration IV IV IV IV IV
Demi-vie - - - 1h 47 min
Surveillance X Anti-Xa si rivaroxaban ou Temps de coagulation sur Anti-Xa spécifique dTT ou ECAT
biologique de l’effet apixaban ; dTT ou ECAT si sang total
de l’antidote dabigatran
Essais/étude en cours Phase préclinique Phase préclinique Phase III en cours Phase III ANNEXA-4 Phase III RE VERSE-AD
Autorisation - - - FDA, EMA FDA, EMA, AMM en
France
Elimination - - - - Rénale
IV : intraveineux ; dTT : Temps de thrombine dilué ; ECAT : Temps d’écarine ; FDA : Food and drugs administration ; EMA : European medecine agency ;
AMM : autorisation de mise sur le marché
dans les 4 premières heures, il pouvait être observé un au cas par cas, notamment en situation d’urgence, et
rebond en concentration de dabigatran provenant d’un nécessite donc un dialogue clinico-biologique fort. Le
relargage tissulaire de dabigatran après son antagonisation dosage de l'activité spécifique des AOD n'a pas d'intérêt à
[22]. De plus, nous avons pu mettre en évidence que la l'instauration et dans le suivi du traitement. La surveillance
concentration initiale en dabigatran influence l’efficacité étroite de la fonction rénale des patients sous AOD se fera
de l’antagonisation. En effet, si le taux de dabigatran est par la formule de Cockcroft et Gault. Le dosage de l'activité
supérieur à 200 ng/ml avant antagonisation, un rebond spécifique anti-IIa pour le dabigatran ou anti-Xa pour le
en concentration de dabigatran pourra être observé, et rivaroxaban et l'apixaban doit être réalisé dans le cas
il faudra donc envisager un suivi plus approfondi ou une d'un geste invasif ou d'une prise en charge chirurgical
seconde injection pour les patients dont le saignement urgente ou d'un syndrome hémorragique.
ne se serait pas arrêté dans les premières heures suivant
l’antagonisation [18].
Conflit d’intérêt