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Etudes Traditionnelles v85 n486 Oct-Dec 1984

La Direction des Etudes Traditionnelles réaffirme son engagement envers la pensée de René Guénon, en maintenant l'orthodoxie doctrinale et en publiant des écrits originaux ou inédits de Guénon. Un intérêt croissant pour son œuvre se manifeste, notamment dans des institutions telles que l'Église catholique et la Franc-Maçonnerie, qui reconnaissent son importance dans l'intellectualité contemporaine. Malgré certaines critiques, la revue souligne que l'enseignement de Guénon reste fondamental et pertinent pour les traditions spirituelles modernes.

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Etudes Traditionnelles v85 n486 Oct-Dec 1984

La Direction des Etudes Traditionnelles réaffirme son engagement envers la pensée de René Guénon, en maintenant l'orthodoxie doctrinale et en publiant des écrits originaux ou inédits de Guénon. Un intérêt croissant pour son œuvre se manifeste, notamment dans des institutions telles que l'Église catholique et la Franc-Maçonnerie, qui reconnaissent son importance dans l'intellectualité contemporaine. Malgré certaines critiques, la revue souligne que l'enseignement de Guénon reste fondamental et pertinent pour les traditions spirituelles modernes.

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ETUDES TRADITIONNELLES

85* A N N É E O CTO BRE • N OV EM BRE - DÉCEM BRE N * 486

A NOS LECTEURS

Depuis près de cent ans qu'est paru le premier numé­


ro du Voile d’ïsis, devenu bientôt Etudes Traditionnel­
les sous l'impulsion de René Guénon, la Direction s'est
vue contrainte d’intervenir un certain nombre de fois
pour maintenir cette publication dans la voie tracée
par ses fondateurs. C'est ainsi qu'au travers de pério­
des parfois difficiles, les Etudes Traditionnelles ont pu
rester fidèles à la pensée qu'exprimait René Guénon
dans une lettre, à savoir qu'il fallait maintenir l'idée tra­
ditionnelle aussi longtemps que les circonstances ne
rendront pas absolument impossible un travail de cet
ordre, dont les Etudes Traditionnelles représentent une
modalité. Successivement, M. Chacornac puis M. Villain
se sont efforcés de le faire d'une façon strictement
conforme aux directives qui se dégagent de l'œuvre de
René Guénon, quant à l'orthodoxie doctrinale et quant
à l'universalité traditionnelle. Cet effort, la Direction
des Etudes Traditionnelles entend le poursuivre aujour­
d’hui, en réaffirmant son intention profonde de s’inspi­
rer de ceux à qui cette revue doit son nom et son
prestige.
Durant ces derniers mois, et à la suite de la parution
d'un « Dossier H » sur René Guénon dont nous pour­
rions du reste dire quelque bien, nombreux sont nos
lecteurs à s'être émus d’y voir figurer, sous la signa­
ture de l’un de nos collaborateurs habituels, un article
dont le ton polémique et les assertions sont en totale
opposition avec les orientations fondamentales de notre
revue. La Direction des Etudes Traditionnelles, tout en
reconnaissant à ses collaborateurs le droit d'exprimer
par ailleurs des opinions n’engageant que leur respon­
sabilité personnelle, ne peut cependant rester sans
réagir, et sans se désolidariser d'une attitude tendant
à discréditer une œuvre à laquelle cette revue se trouve
intimement attachée. Il nous est pénible de faire une

161

u
ÉTUDES TRADITIONNELLES

telle déclaration, mais le respect que nous devons aux


droits de la.vérité nous y oblige.
Conformément à leur vocation, qui implique notam­
ment le souci d’une expression intégralement ortho­
doxe de la doctrine exposée par René Guénon, les pa­
ges des Etudes Traditionnelles doivent être, et rester,
le support privilégié de tous ceux qui, ayant perçu l'im­
portance exceptionnelle du message que Guénon a
transmis au monde moderne, sont capables de donner
à. ,son oeuvre les prolongements traditionnels que lui-
même avait toujours souhaités, Dans cet esprit, il nous
apparaît correspondre à l'ordre des choses — René
Guénon n'étant plus là pour soutenir ses idées — de
demander à l'un de ceux qui collaborèrent à notre re­
vue aux époques ou., s'affirma le plus nettement notre
vocation, de reprendre sa place parmi nous. Nous consi­
dérons ce retour et nous avons le ferme espoir qu’il
sera suivi par beaucoup d'autres —- comme un symbole
de notre volonté de demeurer fidèles à l’enseignement
de celui qui fut l'interprète inspiré de la tradition per­
pétuelle et unanime, d’origine « non humaine » dont
Guénon lui-même a écrit qu'elle devait se remanifes­
ter avant la fin du cycle actuel.
C'est dans cet esprit également, écartant toute idée de
sectarisme, que nous nous proposons d'étudier avec
soin les articles qui pourraient nous être adressés.
D'autre part, nous ^comptons publier aussi souvent que
les; circonstances le permettront un certain nombre
d’écrits originaux ou inédits de René Guénon, ainsi
que des réimpressions d'articles ou numéros spéciaux
du Voile d'Isis et des Etudes T traditionnelles auxquels
il avait collaboré, cl dont la plupart de nos abonnés
actuels n'ont jamais pu prendre connaissance.
Enfin,, en /terminant’ 1984 et au seuil d'une nouvelle
année que nous entendons marquer d'un relief parti­
culier, nous vous: présentons nos meilleurs vœux pour
1985..
La Direction.
33 ANS APRÈS...

33 ans se sont écoulés depuis la mort de René


Guénon, et au terme de cette durée, que certains
auteurs ont appelée « la plénitude de l'âge du Christ »,
nous voyons soudainement se manifester un intérêt
grandissant pour l'œuvre du Maître disparu. Il y a
encore quelques années, on pouvait voir de temps à
autre paraître un ouvrage antiguénonien, souvent volu­
mineux et parfois « brillant », et se tenir quelque « collo­
que » où le pour et le contre étaient mélangés, mais
où, tout compte fait, l’impression qui se dégageait de
l'ensemble n'était pas précisément favorable à Guénon.
Et cependant, ces ouvrages et ces manifestations ora­
toires avaient du moins l'avantage de rompre la « cons­
piration du silence » dont Guénon avait pu se plaindre
déjà de son vivant, et qui après sa mort semblait s'être
imposée à tous les nîass media. Et voici qu'à partir de
1984 sont publiés des ouvrages et prononcées des confé­
rences qui rendent au sage du Caire la place qui lui
est due dans l’intellectualité contemporaine et qui, par­
fois même, reconnaissent le caractère tout à fait unique
de son enseignement dans le monde occidental.
Ce n’est pas ici le lieu de faire le compte rendu de ces
diverses manifestations, mais nous voudrions simple­
ment signaler l’impact que cette sorte de « résurrec­
tion » de la pensée guénonienne vient d'avoir sur cer­
tains courants des deux institutions traditionnelles vé­
ritablement importantes en Occident : l'Eglise catholi­
que et la Franc-Maçonnerie. Le « Dossier H » sur René
Guénon, publié en 1984 (1), a fait l'objet d'un compte
rendu de plusieurs pages dans les Etudes, revue de la
province française de la Compagnie de Jésus, dont les
membres, on le sait, prêtent, en plus des trois vœux
communs à tous les religieux, un vœu spécial de sou­
mission au Saint-Siège. Or la recension en question
reconnaît dans les ouvrages de Guénon « une œuvre

163
ÉTUDES TRADITIONNELLES

qui de toute façon ne peut laisser indifférent » et qui


malheureusement « ne tient pas la place qui lui re­
vient », L’auteur ne se prive pas de critiquer « ceux qui
mettent en doute son importance », et pour donner un
exemple du caractère convaincant des écrits guénoniens,
il reproduit l’« aveu » contenu dans le Journal d’André
Gide : « Que serait-il advenu de moi si j'avais rencontré
les livres de Guénon au temps de ma jeunesse ? Mais
à présent, il est trop tard ; les jeux sont faits, rien ne
va plus ». Il y a dans ces paroles une sorte de désespoir.
Gide parle ailleurs des « quatre M » qui se relayaient
pour essayer de le « convertir ». Peut-être y fussent-ils
parvenus si, alors que « les jeux n'étaient pas encore
faits », ces éminents hommes de lettres avaient utilisé
des arguments de la «valeur» de ceux employés par
Guénon (2).
■Nous signalerons cependant une erreur dans ce
compte rendu des. Etudes. Guénon ne s'est pas fait
musulman « parce, que l'Islam est la tradition la plus
proche de l'hindouisme ». Car l'Islam, tradition «abra­
hamique», est beaucoup plus proche du christianisme
et de la tradition juive que de toute,autre tradition. Il
est certes impossible de scruter les raisons profondes
de l’adhésion ■d’un homme à telle ou telle religion, car
de même que c'est le Christ qui avait choisi ses disci­
ples, c’est la Voie ;qui choisit ses fidèles. De plus, un
changement de tradition est par excellence un change­
ment-d'état et, comme tel, «ne peut s’accomplir que
dans l’obscurité ». On peut remarquer aussi que si
Guénon était resté au sein de la religion où il était né,
il n’aurait pas pu écrire son œuvre sans encourir les
plus graves sanctions ecclésiastiques et même, très vrai­
semblablement, l’excommunication, et cela d’autant
plus qu’il était Franc-Maçon. Guénon catholique, trai­
tant clans ses ouvrages des questions étroitement liés
aux dogmes de la foi, devait pour cela obtenir l'impri­
matur; Guénon musulman échappait à cette obligation
O ). :

Le compte rendu des Etudes sur le Dossier H a sou­


vent des formules très heureuses pour défendre Guénon
contre des accusations injustifiées, provenant parfois
de milieux catholiques. Il souligne par exemple que « ce
qu’on pourrait appeler l'intégrale de la pensée guéno-

164
33 ANS APRÈS...

nienne » n'a rien de commun avec Y« intégrisme » actuel,


de même que la synthèse traditionnelle n’est en aucune
façon un « syncrétisme » quelconque. Quand on se rap-
pelle combien Guénon fut souvent critiqué par des au­
teurs religieux qui l’accusaient de syncrétisme et de
panthéisme, on voit combien est grand le chemin par­
couru.
Nous citerons enfin l'essentiel de la conclusion de
ce compte rendu de la revue Etudes : « Reste que le
voyage, auquel nous invite Guénon, a des sources loin­
taines dans l’espace et dans le temps, non pour tarir
nos sources chrétiennes, mais pour les revivifier, n'est
pas à refuser ; reste qu'une meilleure connaissance de
cette œuvre sera profitable à quiconque regarde de bas
en haut ; reste que l'on ne peut ignorer une pensée
et une méthode qui touchent à l'essentiel de notre deve­
nir en ce monde et en l’autre ».

Le compte rendu des Etudes fait écho à certaines cri­


tiques contre Guénon, contenues dans le Dossier et
concernant quelques erreurs qu'on peut relever dans
certains de ses ouvrages, De ces erreurs, les deux qiii
aient vraiment de l'importance et dont on puisse tirer
quelque « enseignement » (car, chez Guénon, absolu­
ment rien ne saurait être sans signification, et même
sans une signification souvent très importante) concer­
nent le bouddhisme et les rapports entre l’autorité
spirituelle et le pouvoir temporel. Lui-même a expliqué
la raison qui lui avait fait méconnaître l'orthodoxie
de certaines branches du bouddhisme. Pour ce qui est
des rapports entre les deux pouvoirs, dès la publication
de l'ouvrage Autorité spirituelle et Pouvoir temporel,
plusieurs lecteurs remarquèrent bien vite une divergen­
ce entre la doctrine de Guénon, pour qui le pouvoir
temporel est subordonné à l'autorité spirituelle, et celle
de Dante qui, dans son traité De la Monarchie, affirme
l'indépendance réciproque des deux « puissances » qui
l’une et l'autre procéderaient immédiatement du Princi­
pe suprême.

165
ÉTUDES TRADITIONNELLES

Nous devons avouer que cette divergence, sur un


point cependant capital, entre deux esprits exception­
nels ne nous causa jamais beaucoup de soucis. Nous
pensons en effet que Guenon est supérieur à Dante,
parce que l'œuvre de ce dernier, selon Guénon, est
« le testament du moyen âge finissant », alors que celle
de Guénon nous paraît porter des « marques » qui en
font le testament de notre cycle tout entier, et cela tant
pour l'Orient que pour l'Occident. Ce n’est certes pas
pour rien que Guénon, dans presque tous ses ouvrages,
fait allusion à l'imminence de ce que Joseph de Maistre
avait appelé « un évènement immense dans l'ordre
divin »,
Arrêtons-nous cependant sur le « scandale » que
pourraient causer à certains l'erreur (réparée) de Gué­
non sur le bouddhisme et celle de Dante sur la primauté
du spirituel. Nous rappellerons à ce propos que l’auto­
rité des maîtres spirituels authentiques les plus émi­
nents est cependant inférieure à l'autorité des Livres
sacrés, La chose est d'aillèurs d'une évidence criante
quand on pense à l'illustre Shankaracharya, considéré
par les Hindous comme un avatara mineur de Shiva,
mais qui « déraillait » aussitôt qu'il se risquait à parler
d'une tradition autre que la sienne, au point d’assurer
tranquillement, dans ses admirables Commentaires sur
tes Brahma-sutras, que Shakya-muni avait inventé sa
pernicieuse doctrine du bouddhisme afin de nuire à
l'humanité pour laquelle il avait conçu une haine sans
merci.
Guénon, pensons-nous, était supérieur à Shankara
comme il l'était à Dante, parce que son horizon intellec­
tuel n’était pas limité à une seule tradition comme le
Maître hindou, ou même à deux ou trois traditions
comme l’Alighieri. De toute façon, ce qui pourrait nous
« troubler » dans l'enseignement guénonien, ce n'est pas
si cet enseignement contenait tel ou tel « défaut » de
grande ou de minime importance, mais bien s’il était
en contradiction avec les Livres sacrés des diverses
traditions, et avant tout avec ceux de la tradition parti­
culière du peuple dans la langue duquel il a formulé son
message. Cette tradition est le christianisme, dont le
Livre sacré est la Bible. Les adversaires de Guénon ont
fait assaut d'imagination pour le mettre en contradic­
33 ANS APRÈS...

tion avec le Livre des livres : ils n’y sont pas parvenus,
et il faut savoir gré à la recension de la revue Etudes
de ne faire aucune allusion à une divergence quelcon­
que entre les textes guénoniens et ceux inspirés par
l'Esprit aux auteurs qui s'éèhelonnent de Moïse à Saint
Jean.

Les extraits que nous avons cités de la revue Etudes


montrent que le Dossier H, et aussi-—ce qui importe sur­
tout pour nous — l'œuvre même de Guénon ont trouvé
un accueil favorable auprès d’une voix — une voie très
écoutée — du monde catholique. Nous voudrions dire
au moins quelques mots sur l’accueil qui, pensons-nous,
devrait être fait à cette œuvre par les milieux les plus
authentiquement traditionnels du monde maçonnique.
Personne n'a parlé de la Maçonnerie, telle du moins
qu'elle devrait être et qu'elle est dans ses virtualités, en
des termes aussi élogieux que ceux employés par Gué-
non. Pour lui, la Maçonnerie « avait recueilli, et cela
dès le moyen âge, l’héritage de nombreuses organisa­
tions antérieures », au nombre, desquelles on doit citer
le pythagorisme et l’Ordre du Temple, écoles initiati­
ques illustres entre toutes. La Maçonnerie, d’ailleurs,
est la seule fraternité qui ait recueilli de tels héritages,
et cela semble bien indiquer qu’un destin très particu­
lier, un destin vraiment « providentiel », lui est réservé,
symbolisé par la promesse faite à Jean de « demeurer »
jusqu’au retour du Christ, Guénon assure qu’« il y aurait
beaucoup de choses à dire sur ce pouvoir conservateur
de la Maçonnerie, et sur la possibilité qu’il lui donne
de suppléer dans une certaine mesure à l’absence d’ini­
tiations d'un autre ordre dans le monde occidental
actuel » (4). La plume est tombée de la main de Guénon
avant qu’il ait eu le temps de répondre aux nombreuses
questions que des lignes aussi énigmatiques ne durent
pas manquer de susciter chez un certain nombre de
lecteurs ; mais elles suffisent à justifier l'attachement
sans réserve que bien des fidèles du Maître ont voué à
un Ordre que n ’ont pas réussi à disqualifier les aber-

167
ÉTUDES TRADITIONNELLES

rations inspirées par le prestige, aujourd'hui en déca­


dence, de l'esprit moderne (5).

Tl va paraître incessamment un autre ouvrage collec­


tif, publié par les « Editions de l'Herne », et dû à
l’initiative de M. Jean-Pierre Laurant. Dans ce Cahier
de VHerne, comme dans le Dossier H, on trouvera des
extraits de la correspondance de Guénon, et ces extraits
donnent une grande envie de connaître le reste. Celui qui
fut sans doute le dernier correspondant de Guénon (à
qui il écrivait chaque jour), le « fidèle entre les fidè­
les », Roger Maridort, un des trois premiers initiés à
la Loge « La Grande Triade », nous confia, au lendemain
de la mort du Maître, qu'il venait de faire l'acquisition
d’une partie très importante de cette correspondance,
s'étendant sur une vingtaine d'années. Nous avons tou­
jours pensé qu’il avait reçu de Guénon Ta mission de
réunir la totalité de ces missives, tâche à laquelle il
devait consacrer toute sa vie. Tâche couronnée de
succès, puisque les lettres ainsi recueillies, si elles de­
vaient être publiées, formeraient un ensemble quatre
fois plus volumineux que l'œuvre actuellement en vente
de Guénon.
M. Jean-Pierre Laurant, universitaire occupant des
charges à l'Ecole des Hautes Etudes et aussi au C.N.R.S.,
a prononcé en mars 1984 sous les auspices de la Loge
de recherches « Villard de Honnecourt », une confé­
rence à laquelle assistèrent des Maçons de plusieurs
Obédiences et aussi des non-Maçons. Il a terminé en
disant que l’époque ou certains se permettaient de rica­
ner au seul nom de René Guénon est désormais révo­
lue. Aujourd'hui, conclut-il, « il serait bien désuet de se
proclamer bergsonien ; mais je me sentirai très honoré
chaque fois qu'on pourra me qualifier de « guénonien ».

168
33 ANS APRÈS...

Depuis assez longtemps certains auteurs relevant de


discipline en rapport avec les sciences historiques se
sont beaucoup intéressés aux phénomènes « longue du­
rée ». Ces phénomènes se reproduiraient selon des
rythmes réguliers qui détermineraient des cycles plus
ou moins longs. Particulièrement intéressantes sont les
découvertes faites par des spécialistes de l'économie et
de la démographie, tel que le Français Simiand et sur­
tout le Russe Kondratieff. Ce dernier a remarqué que
les phénomènes qu’il étudie sont soumis à certains
rythmes qu’il appelle « mouvements trentenaires ».
Il est curieux de voir ainsi des sciences ultra-moder­
nes reconnaître que tout dans le monde est disposé
« en poids, nombre et mesure ». Quant aux sciences
traditionnelles, universelles par définition et donc éter­
nelles, il est bien connu que le rythme y joue un rôle
constant et capital. Le nombre 33 a une place privilé­
giée à la fois dans la cosmologie et l'histoire sacrée.
La colonne vertébrale du microcosme, dont on sait les
« liens » avec les « centres subtils », compte 33 vertè­
bres ; et le Christ avait atteint l'âge de 33 ans quand il
fut mis à mort et ressuscita le troisième jour. Il n'est
pas pour nous sans signification que la « résurrection »
actuelle de l'intérêt porté à Guénon s'effectue après
33 ans d'oubli apparent. Il est écrit que « le Christ res­
suscité ne meurt plus ». Fasse le ciel que cette attention
renouvelée pour une œuvre dont la mission providen­
tielle ne saurait se limiter à quelques nations où elle
a déjà exercé une influence avec laquelle les forces hos­
tiles doivent désormais compter, se propage de proche
en proche. Car cette œuvre, fondée sur les principes
éternels de la métaphysique, a en conséquence vocation
à l'universalité « Il n'y a de science que du général », a
dit Platon ; ce à quoi Guénon ajoutait : « U n’y a de mé­
taphysique que de l’universel »,

D enys R O M A N

169
ÉTUDES TRADITIONNELLES

NOTES

(1) D ossier H sur R ené Guénon, aux E d ition s de l'Age d’Hom-


m e, Paris.
(2) Gide écrit aussi à un autre endroit de son journal : « Je
n ’ai rien, absolum ent rien à opposer à ce qu'écrit Guénon : c ’est
irréfutable ».
(3) Le passage de certains guénoniens à l'Islam a sans doute
des raisons m u ltip les. N ous voudrions attirer l'attention sur une
sorte de « con stan te » dans les épisodes les plus m arquants de
!'« h istoire sa c r é e » . G uénon a rappelé qu'après la destruction
de l'Ordre du T em ple, les in itiés ch rétiens se concertèrent avec
les in itiés m u su lm an s pour form er ce qu'on appela le « collège
des In visib les » de la Rose-Croix. E t dans beaucoup d ’ouvrages
des herm é listes chrétiens on trouve une allu sion à des voyages
qu’ils auraient fait en terre d 'Islam , C’e st m êm e u n voyage de
ce genre, effectué, selon ses dires, par C agliostro qui perm ettait
à G uénon d'assurer que regarder le Grand Cophte com m e un
sim ple im p osteu r « éta it in su ffisa n t pour tout expliquer ». Gué­
non p en sait aussi que les C roisades, si vilip en d ées de n os jou rs,
avaient, en p lus de leurs raison s proclam ées dans l'ordre exoté-
rique, d'autres raisons cach ées relevant de l ’ord re initiatique.
Il est presque in u tile de rappeler com m ent, après le « coup
d ’a rrêt» d onné par les F rancs à l'expansion arabe en Europe,
des relation s très cord iales s'établirent en tre le restaurateur de
l'E m pire d’O ccident et les califes de B agdad. N ou s avons tou­
jou rs p ensé que Guénon voyait b ien des avantages à des contacts
presque perm anents entre in itiés chrétiens et in itiés m u su lm an s,
et, n aturellem ent, le m ilieu id éal pour de telles rencontres ne
peut être qu’une Loge m açonnique. E nfin, com m e tout ce qui
touche à l ’« h istoire sacrée » com porte u n e « leçon » dans l ’ordre
spirituel, on peut dire que « rassem bler » des in itiés « épars »
en des traditions d ifféren tes est u n e œ uvre « con stru ctive », et
que contribuer à les séparer n e peut être que l ’œ u vre du « S atel­
lite so m b re» dont Guénon à parlé, et dont la tactique a toujours
con sisté à d iviser pour régner.
(4) Cf, E t u d e s s u r la F r a n c -M a ç o n n e r ie e t le C o m p a g n o n n a g e ,
t. I l, p. 40.
(5) Ici une q uestion se pose tou t natu rellem ent : com m en t se
fait-il que la M açonnerie, qui avait d e telles prédispositions pour
« a ssim ile r » d es organ isation s parfois très étrangères à sa pro­
pre n ature, n ’ait pas songé sérieu sem en t à s ’incorporer les diver­
ses in itiation s fém in in es qui existaien t certain em en t dans l ’anti­
quité et qui durent très probablem ent p ersister au début du
m oi'en âge ? C'est là u n e q u estio n très com plexe, que n ou s ne
saurions aborder ici. M ais le fa it que G uénon recon n aissait à un
F rançois M énard, m em bre du « D roit H u m ain » la qualité m açon ­
n ique m on tre la d ifficu lté d'un tel problèm e. D ans le N ouveau
T estam ent, c ’est lors de la P assion du Christ et de sa résurrec­
tion qu'on v o it les fem m es jou er un rôle pour ain si d ire inter­
m éd iaire entre le rôle de Jean et celu i des Apôtres exotériques.
P eut-être faut-il voir là u n e in d ication que cette q uestion si sou­
vent débattue de l'in itiation fém in in e dans le m onde occidental
n e trouvera sa solu tion qu'à la faveu r des évèn em en ts qui doivent
préparer l'irruption du « siècle à venir ».

170
F ac-sim ilé de Varticle de R.G. p a ru dans le « V o ile d ’Isis,
n u m é ro 115 de ju ille t 1929.

Quelques aspects
du symbolisme de Janus

Nous avons fait à diverses reprises, dans nos ou-


vrages, des allusions au symbolisme de Janus-; pour
développer complètement ce symbolisme, à signifi­
cations complexes et multiples, et pour signaler tous
ses liens avec un grand nombre de figurations ana­
logues qui se rencontrent dans d'autres traditions, il
faudrait tout un volume, que nous écrirons peut-être
quelque jour. En attendant, il nous a paru intéres­
sant de réunir quelques données concernant certains
aspects du symbolisme en question, et de reprendre
notamment, plus complètement que nous n'avions pu
le faire jusqu’ici, les considérations qui expliquent le
rapprochement établi parfois entre Janus et le Christ,
d’une façon qui peut sembler étrange à première
vue, mais qui n’en est pas moins parfaitement jus­
tifiée.
En effet, un curieux document représentant expres­
sément le Christ sous les traits de Janus a été publié,
il y a quelques années, par M. Charbonneau-Lassay
dans Regnabit (x), et nous l’avons nous-même com­
menté ensuite dans la même revue (2 ), C’est un
cartouche peint sur une page détachée d'un livre
manuscrit d'église, datant du xve siècle et trouvée à
Luchon, et terminant le feuillet du mois de janvier
sur le calendrier liminaire de ce livre. Au sommet
1. Un ancien emblème du m ois de janvier (mai 1926),
2. A propos de quelques sym boles herm ético-reUgieuxjdéccmbTe 1925).

171
446 LE VOILE D’iSIS

du médaillon intérieur figure le monogramme 1HS


surmonté d'un cœur-, le reste de ce médaillon est
occupé par un buste de Janus Bifrons, avec un
visage masculin et un visage féminin, ainsi que cela
se voit assez fréquemment ; il porte une couronne sur
la tête, et tient d’une main un sceptre et de l'autre
une clef.
« Sur les monuments romains, écrivait M. Charbon-
neau~Lassay en reproduisant ce document, Janus
se montre, comme sur le cartouche de Luchon, la
couronne en tête et le spectre en la main droite, parce
qu’il est roi ; il tient de l’autre main une clef qui ouvre
et ferme les époques; c'est pourquoi, par extension
d'idée, les Romains lui consacraient les portes des
maisons et des villes... Le Christ aussi, comme le
Janus antique, porte le sceptre royal auquel il a droit
de par son Père du Ciel et de par ses ancêtres d'ici-
bas ; et son autre main tient la clef des secrets éter­
nels, 3a clef teinte de son sang qui ouvrit à l’humanité
perdue la porte de la Vie. C’est pourquoi, dans la
quatrième des grandes antiennes d'avant Noël, la
liturgie sacrée l’acclame ainsi : «O Clavis David, et
Sceplrum domus Israël !... Vous êtes, 6 Christ attendu,
3a Clef de David et îe Sceptre de la maison d'Israël.
Vous ouvrez, et personne ne peut fermer ; et quand
vous fermez, nul ne saurait plus ouvrir... » (1 ).
L'interprétation la plus habituelle des deux visages
de Janus est celle qui les considère comme représen­
tant respectivement le passé et l’avenir ; cette inter-1

1. B réviaire rom ain, office du 20 décembre.

172
LE SYMBOLISME DE JANUS 447
prétation, tout en étant très incomplète, n'en est pas
moins exacte à un certain point de vue. C'est pour­
quoi, dans un assez grand nombre de figurations, les
deux visages sont ceux d'un homme âgé et d'un
homme jeune ; tel n'est d'ailleurs pas le cas dans
l'emblème de Luchon, dont un examen attentif ne
permet pas de douter qu'il s'agit du Janus androgyne,
ou Janus~Jana (i) ; et il est à peine besoin de faire
remarquer le rapport étroit de cette forme de Janus
avec certains symboles hermétiques tels que le Re­
bis (2).
Au point de vue où le symbolisme de Janus est
rapporté au temps, il y a lieu de faire une remarque
très importante : entre le passé qui n'est plus et
l'avenir qui n'est pas encore, le véritable visage de
Janus, celui qui regarde le présent, n'est, dit-on,
ni l'un ni l'autre de ceux que l'on peut voir. Ce troi­
sième visage, en effet, est invisible parce que le pré­
sent, dans la manifestation temporelle, n'est qu'un
instant insaisissable (3 ) ; mais, lorsqu'on s'élève au-
dessus des conditions de cette manifestation transi­
toire et contingente, le présent contient au contraire
toute réalité. Le troisième visage de Janus correspond,
dans un autre symbolisme, celui de la tradition hin­
doue, à l'oeil frontal de Shiva, invisible aussi, puisqu'il
n'est représenté par aucun organe corporel, et qui
1. Le nom de Diana, la déesse lunaire, n’est qu’une autre forme dd
Jana, l'aspect féminin de Janus.
2. La seule différence est que ces symboles aont généralement Sol-
L una, sousdes formes diverses, tandis qu’il semble que Ja n u s Ja n a
soit plutôt JLunus-Luna, sa tête étant souvent surmontée du croissant.
3. C'est aussi pour cette raison que certaines langues, comme l’hé-
breu et l’arabe, n’ont pas de forme verbale correspondant au présent.

173
44S LE VOILE D'ISIS

figure le «sens de l’éternité ». Il est dit qu’un regard


de ce troisième œil réduit tout en cendres, c'est-à-dire
qu’il détruit toute manifestation ; mais, lorsque la
succession est transmuée en simultanéité, toutes
choses demeurent dans 1’ « éternel présent », de sorte
que la destruction apparente n'est véritablement
qu’une « transformation », au sens le plus rigoureu­
sement étymologique de ce mot.
Par ces quelques considérations, il est facile de
comprendre déjà que Janus représente vraiment Celui
qui est, non seulement le « Maître du triple temps »
(désignation qui est également appliquée à Shiva
dans la doctrine hindoue) (i), mais aussi, et avant tout,
le «Seigneur de l’Eternité». « Le Christ, écrivait en­
core à ce propos M. Charbonneau-Lassay, domine
le passé et l'avenir ; coéternel avec son Père, il est
comme lui l’«Ancien des Jours » : « au commencement
était le Verbe », dit saint Jean. Il est aussi le père et
le maître des siècles à venir : Jesu fiater futuri sæculi,
répète chaque jour l’Eglise romaine, et Lui-même
s’est proclamé le commencement et l'aboutissement
de tout : « Je suis Yalpha et 1’oméça, le principe et la
fin ». « C'est le « Seigneur de l’Eternité. »
Il est bien évident, en effet, que le «Maître des
temps » ne peut être lui-même soumis au temps, qui
a en lui son principe, de même que, suivant l'ensei­
gnement d'Aristote, le premier moteur de toutes
choses, ou le principe du mouvement universel, est
nécessairement immobile. C'est bien le Verbe Eter-
l. Le trident (trishûla), attribut de Shiva, est le symbole du triple
temps [trihâla].

174
LE SYMBOLISME DE JANUS 449
nel que ies textes bibliques désignent souvent comme
i' «Ancien des Jours », le Père des âges ou des cycles
d’existence (c’est là le sens propre et primitif du mot
latin sæculum, aussi bien que du grec aiôn et de
l’hébreu ôlam qu'il sert à traduire) ; et il convient de
noter que la tradition hindoue lui donne aussi le
titre de Purâna-Pumsha, dont la signification est
strictement équivalente.
Revenons maintenant à la figuration que nous avons
prise comme point de départ de ces remarques : on
y voit, disions-nous, le sceptre et la clef dans les
mains de Janus ; de même que la couronne (qui peut
cependant être regardée aussi comme symbole de
puissance et d'élévation au sens le plus général, dans
l'ordre spirituel aussi bien que dans l'ordre temporel,
et qui, ici, nous semble plutôt avoir cette acception),
le sceptre est l'emblème du pouvoir royal, et la clef,
de son côté, est alors plus spécialement celui du
pouvoir sacerdotal. Il faut remarquer que le sceptre
est à gauche de la figure, du côté du visage masculin,
et la clef à droite, du côté du visage féminin ; or,
suivant le symbolisme employé par la Kabbale hé­
braïque, à la droite et à la gauche correspondent
respectivement deux attributs divins : la Miséri­
corde (Hesed) et la Justice (Din) (i), qui conviennent
1. Dans le symbole de l’arbre séphirothiquc, qui représente l’en­
semble des attributs divins, les deux * colonnes » latérales sont res­
pectivement celles de la Miséricorde et de la Justice ; au sommet de
la * colonne du milieu et dominant ces deux “ colonnes „ latérales,
est la “ Couronne „ (Kether) ; la position analogue de la couronne de
Janus, dans notre figuration, par rapport à la clef et au sceptre, nous
paraît donner lieu à un rapprochement justifiant ce que nouB venons
de dire quant à sa signification :ce Ber&it le pouvoir princlpai,unique

175
450 LE VOILE l/lS IS

aussi manifestement au Christ, et plus spécialement


lorsqu’on l’envisage dans son rôle de Juge des vivants
et des morts. Les Arabes, faisant une distinction
.V; analogue dans les attributs divins et dans les noms
qui y correspondent, disent «Beauté » (Djemdl) et
«Majesté » (Djelâl) ; et l’on pourrait comprendre encore,
avec ces dernières désignations, que ces deux aspects
aient été représentés par un visage féminin et un
visage masculin (i). En somme, la clef et le sceptre,
se substituant ici à l’ensemble de deux clefs qui est
peut-être un emblème plus habituel de Janus, ne
font que rendre plus clair encore un des sens de cet
emblème, qui est celui d'un double pouvoir procé­
dant d’un principe unique : pouvoir sacerdotal et
pouvoir royal, réunis, selon la tradition judéo-chré­
tienne, dans la personne de Melchissédec, qui est,
comme ie dit saint Paul, «fait semblable au F ils de
A Dieu » (2).
Nous venons de dire que Janus, le plus fréquemment,
porte deux clefs ; ces clefs sont celles des deux portes
solsticiales, Janua Cœli et Janua Inferni, correspond
A dant respectivement au solstice d'hiver et au solstice
d’été, c'est-à-dire aux deux points extrêmes de la
course du soleil dans le cycle annuel, car Janus, en
tant que « Maître des temps », est le Janüov qui ouvre
et ferme ce cycle. D’autre part, il était aussi le dieu
et total, dont procèdent les deux aspects désignés par les deux autres
emblèmes.
1, Dans L e R oi du M ende, nous avons expliqué plus complètement
le symbolisme de la droite et de la gauche, de la a main de justice „
s et de la “ main bénissante qui est également indiqué chez plusieurs
Pères de l'Eglise, et notamment ch e z saint Augustin.
2. EpUre a u x Hébreux, VII, 3.

176
LE SYMBOLISME DE-JANUS 451
de l'initiation aux mystères : initiatio dérive de in-ire,
« entrer » {ce qui se rattache également au symbolisme
de la «porte »), et, suivant Cicéron, le nom de Janus
a la même racine que le verbe ire, « aller » ; cette
racine i se trouve d’ailleurs en sanscrit avec le même
sens qu'en latin, et, dans cette langue, elle a parmi
ses dérivés le mot yana, « voie», dont la forme se
rapproche singulièrement du nom même de Janus.
« Je suis la Voie », a dit le Christ (1 ) ; faut-il voir là
la possibilité d’un autre rapprochement ? Ce que
nous dirons tout à l’heure semble être de nature à le
justifier ; et on aurait le plus grand tort, lorsqu'il
s'agit de symbolisme, de ne.pas prendre en considé­
ration certaines similitudes verbales, dont les raisons
sont souvent très profondes, bien qu'elles échappent
malheureusement aux philologues modernes, qui igno­
rent tout ce qui peut légitimement porter le nom de
« science sacrée ».
Quoi qu’il en soit, en tant que Janus était considéré
comme le dieu de l’initiation, ses deux clefs, l'une
d'or et l'autre d’argent, étaient celles des «grands
mystères » et des « petits mystères » ; pour employer
un autre langage équivalent, la clef d’argent est
celle du «Paradis terrestre», et la clef d’or est celle
du « Paradis céleste». Ces memes clefs étaient un
des attributs du Souverain Pontificat, auquel la
fonction-d'« hiérophante » était essentiellement atta-1

1. Dans la tradition extrême-orientale, le mot Tao, dont le sens lit­


téral est aussi " Voie *, sert de désignation au Principe suprême ; et
le caractère idéographique qui le représente est formé des signes de
la tête et des pieds, équivalant à l'alpha et à l'oméga.

177

12
452 LE VOILE D'ISIS

c h é e ; c o m m e l a b a r q u e q u i é t a i t a u s s i u n sy m b o le
d e J a n u s ( i) , e lle s s o n t d e m e u ré e s p a r m i le s p r in c i­
p a u x e m b lè m e s d e l a P a p a u t é ; e t le s p a ro le s é v a n g é ­
liq u e s r e la tiv e s a u « p o u v o ir d e s clefs » s o n t e n p a r f a i t
a c c o rd a v e c le s t r a d i tio n s a n tiq u e s , to u te s iss u e s d e
la g r a n d e T r a d iti o n p rim o rd ia le . D ’a u t r e p a r t, il y
a u n r a p p o r t a s se z d ir e c t e n tr e le se n s q u e n o u s v e n o n s
d ’in d iq u e r e t c e lu i s u iv a n t le q u e l la clef d ’o r r e p r é ­
s e n te le p o u v o ir s p ir itu e l e t la clef d ’a r g e n t le p o u ­
v o ir te m p o r e l ( c e tte d e r n iè re é t a n t p a r f o is r e m p la c é e
a lo rs p a r le s c e p tr e c o m m e n o u s l ’a v o n s v u ) (2 ) :
D a n te , e n effet, a s sig n e p o u r fo n c tio n s à l 'E m p e r e u r
e t a u P a p e d e c o n d u ire l ’h u m a n ité r e s p e c tiv e m e n t
a u « P a r a d i s t e r r e s t r e » e t a u « P a r a d is c é le s te » (3 ),
E n o u tr e , e n v e r t u d ’u n c e r ta in s y m b o lis m e a s t r o ­
n o m iq u e q u i s e m b le a v o i r é té c o m m u n à to u s les
p e u p le s a n c ie n s , il y a u s s i d e s lie n s f o r t é t r o i ts e n tr e
le s d e u x se n s s u iv a n t le s q u e ls le s c lefs d e J a n u s
é ta ie n t, s o it c e lle s d e s d e u x p o r te s so ls tic ia le s, s o it
c e lle s d e s « g r a n d s m y s tè r e s » e t d e s « p e t i t s m y s ­
tè r e s » (4 ). C e s y m b o lis m e a u q u e l n o u s fa is o n s a llu -

1, Cette barque de Janus était une barque pouvant aller dans les
deux sens, soit en avant, soiten arrière, ce qui correspond aux deux
visages de Janus lui-même.
2. Le sceptre et la clef sont d'ailleurs l’un et l’autre en relation sym­
bolique avec l,u Axe du Monde „.
3. De Monarehla, III, IC.—Noua donnons l’explication de ce passage
de Dante dans notre dernier ouvrage, A utorité spirituelle et P ouvoir
temporel.
4, Nous devons rappeler en passant, quoique nous l’ayons déjà
signalé enplusieurs occasions,que Janus avait encore une autre fonc­
tion : il était le dieu des corporations d’artisans ou Cotlegia fabrorum ,
qui célébraient en son honneur les deux fêtes solsticiales d’hiver et
d’été. Parla suite, cette coutume sé maintint toujours dans les cor­
porations de constructeurs ; mais, avec le Christianisme, ces fêtes
solsticiales s'identifièrent aux deux Saint-Jean d’hiver et d’été (d’où
l'expression de " Loge de Saint-Jean* qui s’est conservée jusque dans

178
LE SYMBOLISME DE jfANUS 453
sio n e s t c e lu i d u c y c le z o d ia c a l, e t ce n 'e s t p a s sa n s
ra is o n q u e ce lu i-ci, a v e c ses d e u x m o itié s a s c e n d a n te
e t d e s c e n d a n te q u i o n t le u rs p o in ts d e d é p a r t r e s p e c ­
tif s a u x d e u x s o ls tic e s d ’h iv e r e t d 'é té , s e tr o u v e
fig u ré a u p o r ta i l d e t a n t d 'é g lis e s d u m o y e n â g e ( i) .
O n v o it a p p a r a îtr e ic i u n e a u tre s ig n ific a tio n d e s
d e u x v isa g e s d e J a n u s : il e s t le v M a ître d e s deux-
v o ie s » a u x q u e lle s d o n n e n t a c c è s les d e u x p o r t e s s o l­
s tic ia le s , ce s d e u x v o ie s d e d r o ite e t d e g a u c h e (c a r o n
r e tr o u v e là c e t a u t r e s y m b o lis m e q u e n o u s s ig n a lio n s
p lu s h a u t ) q u e le s P y th a g o r ic ie n s r e p r é s e n ta i e n t p a r
la l e t t r e Y (2 ), e t q u e f ig u r a it a u s s i, so u s u n e fo rm e
e x o té r iq u e , le m y th e d 'H e r c u le e n t r e la V e r tu e t le
V ice. Ce s o n t ces d e u x m e m e s v o ie s q u e la tr a d i tio n
h in d o u e , d e so n c ô té ) d é s ig n e c o m m e la « v o ie d e s
d ie u x » (dêva-yâna) e t la « v o ie d e s a n c ê tr e s » {pitri-
yâna) ; et Gcmêsha, d o n t le s y m b o lis m e a d e n o m ­
b reu x p o in ts d e c o n t a c t a v e c c e lu i d e J a n u s , est
é g a le m e n t le « M a ître d e s d e u x v o ie s », p a r u n e c o n s é ­
q u e n c e im m é d ia te d e s o n c a r a c t è r e d e « S e ig n e u r d e
la C o n n a is s a n c e », c e q u i n o u s ra m è n e à l'id é e d e l 'i n i ­
t i a t i o n a u x m y s tè r e s . E n fin , c e s d e u x v o ie s s o n t a u ssi,
e n u n se n s, c o m m e le s p o r te s par le s q u e lle s o n y
la Maçonnerie moderne) ; il y a là un exemple de l'adaptation des
symboles préchrétiens, trop souvent méconnue ou mal interprét 6e par
les modernes.-
1. Ceci se rattache manifestement à eeque nous Indiquions dans la
note précédente en ce qui concerne les tradftionsconservées par leis
corporations de constructeurs.
2. Cet antique symbole s’est maintenu jusqu’à une époque assez
récente : nous l’avons retrouvé notamment dans lamarque de l'impri­
meur Nicolas du Chemin.dessinée par Jean Cousin, dans t e C h am p
fle u ri de Geoffroy Tory (Paris, 1529), où il est désigné sous le nom de
" lettre pythagorique „> et aussi, au musée du Louvre,sur divers meu­
bles de la Renaissance.

179
454 LE V O IL E D ’i S I S

a c c è d e , c e l l e d e s d e u x e t c e l l e d e s e n f e r s ( i ) ; e t l 'o n
r e m a r q u e r a q u e le s d e u x c ô té s a u x q u e ls e lle s c o r r e s ­
p o n d e n t, l a d r o ite e t la g a u c h e , s o n t c e u x o ù se r é p a r ­
t i s s e n t le s é lu s e t le s d a m n é s d a n s le s r e p r é s e n ta tio n s
d u J u g e m e n t d e r n ie r , q u i, e lle s a u s s i, p a r u n e c o ïn c i­
d e n c e b ie n sig n ific a tiv e , se r e n c o n tre n t si fré q u e m m e n t
au p o rta il des é g lis e s , et non en une a u tre p a rtie
q u e lc o n q u e de l 'é d i f i c e ( 2 ). C es re p ré s e n ta tio n s , de
m êm e que c e lle s d u Z o d ia q u e , e x p rim e n t, p en so n s-
n o u s, q u e lq u e ch o se d e to u t à f a it fo n d a m e n ta l d a n s
la c o n c e p tio n d e s c o n s tru c te u rs d e c a th é d ra le s , qui
se p ro p o s a ie n t d e d o n n e r à le u rs œ u v re s u n c a ra c ­
tè re « p a n t a c u l a i r e », au v rai sens de ce m ot {3 ),
c 'e s t - à - d i r e d ’e n f a i r e c o m m e u n e s o r t e d 'a b r é g é s y n ­
th é tiq u e de l ’U n i v e r s ( 4 ).

‘R e n é G uénon .

1. Dans les symboles de la Renaissance que nous venons de men­


tionner, les deux voies sont, sous ce rapport, désignées respective­
ment comme via arcta.e t via lata, H voie étroite „ et " voie large
2, Il semble parfois que ce qui est rapporté à la droite dans certains
cas le soit à la-gauche dans d'autres, et inversement; il arrive d'ail­
leurs que cette contradiction n'est qu'apparente, car il faut toujours
chercher par rapport à quoi on prend ia droite et la gauche ; lors­
qu'elle est ré elle, elle s’explique par certaines conceptions "cycliques,,
assez complexes, qui influent sur, les correspondances envisagées.
Nous signalons ceci uniquement afin de ne pas dissimuler une diffi­
culté dont U y alieu de tenir compte pour interpréter correctement
un assez grand nombre de symboles.
3. On doit écrire “ pantacle„ ipaniacuhim , littéralement « petit
tout „), et non " pentacle „ comme on le fait trop souvent ; cette er­
reurorthographique a fait croire à certains que ce mot avait un rap­
port avec le nombre 5 et devait être pris comme un synonyme de
“ pentagramme
4, Cette conception estd’ailleurs impliquée en quelque sorte dans le
plan meme delà cathédrale ; mais nous ne pouvons, pour le moment
du moins, entreprendre de justifier cette affirmation, ce qui nous
entraînerait beaucoup trop loin.

180
Fac-similé de l'article de R.G. paru dans le « Voile d'Isis »
numéro 116-117 de août-septembre 1929.

Les Gardiens de la Terre Sainte

armi le s a ttr ib u tio n s des O rd re s d e c h e v a le rie ,

P e t p lu s p a r tic u liè r e m e n t d e s T e m p lie rs , u n e d e s


p lu s c o n n u e s , m a is n o n d e s m ie u x c o m p ris e s e n g é n é ­
r a l , e s t c e l l e d e « g a r d i e n s d e l a T e r r e S a i n t e ». A s s u ­
r é m e n t , s i l ’o n s ’e n tie n t a u s e n s le p lu s e x té r ie u r ,
o n tro u v e u n e e x p lic a tio n im m é d ia te d e c e f a it d a n s
l a c o n n e x i o n q u i e x i s t e e n t r e l 'o r i g i n e d e c e s O r d r e s
e t le s C ro is a d e s , c a r , p o u r le s C h r é tie n s c o m m e p o u r
le s J u i f s , il s e m b le b ie n que la « T e rre S a in te » n e
d é s ig n e rie n d ’a u t r e que la P a le s tin e . P o u rta n t, la
q u e s tio n d e v i e n t p l u s c o m p l e x e l o r s q u ’o n s ’a p e r ç o i t
q u e d iv e rs e s o r g a n is a tio n s o rie n ta le s , d o n t le c a r a c ­
t è r e i n i t i a t i q u e n ’e s t p a s d o u t e u x , c o m m e l e s A s s a c i s
e t le s D r u s e s , o n t p r is é g a le m e n t c e m ê m e t i t r e de
« g a rd ie n s de la T e rre S a i n t e ». Ic i, en e f fe t, il ne
p e u t p lu s s 'a g i r d e l a P a l e s t i n e ; e t il e s t d ’a i l l e u r s
r e m a rq u a b le que ces o rg a n is a tio n s p ré s e n te n t un
assez g ran d n o m b re de tr a its com m uns avec le s
O rd re s de c h e v a le rie o c c id e n ta u x , que m êm e c er­
t a i n e s d ’e n t r e e l l e s a i e n t é t é h i s t o r i q u e m e n t e n r e l a ­
tio n s avec c e u x -c i. Q ue fa u t-il donc e n te n d re en
ré a lité p a r la « T e rre S a i n t e », e t à q u o i c o r r e s p o n d
e x a c t e m e n t c e rô le d e « g a r d ie n s » q u i s e m b le a t t a c h é
à un g en re d ’i n i t i a t i o n d é te rm in é , que l ’o n peut
a p p e le r l ’i n i t i a t i o n « c h e v a le re s q u e » , en donnant
à ce te rm e une e x te n s io n p lu s g r a n d e q u ’o n ne le
f a i t d ’o r d i n a i r e , m a i s q u e l e s a n a l o g i e s e x i s t a n t e n t r e

181
5X 0 LE VOILE D'ISIS

le s d iffé re n te s fo rm e s d e c e d o n t il s 'a g it su ffira ie n t


a m p le m e n t à lé g itim e r ?
N o u s a v o n s d é jà m o n tr é a ille u rs , e t n o ta m m e n t
d a n s n o tre é tu d e su r Le Roi du Monde, q u e l 'e x p r e s ­
s io n d e « T e r r e S a in te » a u n c e r ta in n o m b re de
synonym es : « T erre P u r e », « T erre des S a in ts »,
« T erre des B ie n h e u re u x », « T erre des V iv a n ts »,
« T e r r e d ’i m m o r t a l i t é », q u e ces d é s ig n a tio n s é q u iv a ­
le n te s se r e n c o n tr e n t d a n s le s t r a d i t i o n s d e to u s le s
p e u p le s , e t q u ’e lle s s ’a p p liq u e n t to u jo u r s e s s e n tie l­
le m e n t à u n c e n tr e s p ir itu e l d o n t la lo c a lis a tio n d a n s
u n e ré g io n d é te r m in é e p e u t d ’a ille u rs , s u iv a n t le s
c a s , ê t r e e n t e n d u e lit té r a l e m e n t o u s y m b o liq u e m e n t,
o u à la fo is d a n s l ’u n e t l ’a u t r e se n s. T o u te « T e rre
S a in te » e s t e n c o re d é s ig n é e par des e x p re s s io n s
c o m m e c e lle s d e « C e n tr e d u M o n d e » o u d e « C œ u r
d u M o n d e », e t ce ci d e m a n d e q u e lq u e s e x p lic a tio n s ,
c a r c e s d é s ig n a tio n s u n ifo rm e s , q u o iq u e d iv e rs e m e n t
a p p liq u é e s , p o u r r a ie n t f a c ile m e n t e n t r a în e r à ce r­
t a in e s c o n fu s io n s .
Si nous c o n s id é r o n s par e x e m p le la tr a d i tio n
h é b r a ïq u e , n o u s v o y o n s q u ’il e s t p a rlé , d a n s le Sepher
letsimh, du « S a in t P a la is » o u « P a la is in té r ie u r »,
q u i e s t le v é r it a b le « C e n tre d u M o n d e », a u se n s
c o s m o g o n iq u e d e ce te r m e ; e t n o u s v o y o n s a u s s i q u e
c e « S a in t P a la is » a so n im a g e d a n s le m o n d e h u m a in ,
p a r l a ré s id e n c e e n u n c e r ta in lie u d e l a Shekinah, qui
e s t l a « p r é s e n c e r é e lle » d e la D iv in ité ( i) . P o u r le 1

(1) Voir nos articles sur L e C œ u r d u M onde d a n s la K a b b a le h é b r a ï­


que et L a T erre S a in te e t le C œ u r d u M o n d e, dans la revue R e g n a b it,
juillet-août et septembre-octobre 1926,

182
LES GARDIENS DE LA TERRE SAINTE 511

p e u p l e - d ’Is ra ë l, c e t t e ré s id e n c e d e l a Shekinah é ta it
le T a b e r n a c le (Mishkan), q u i, pour c e tte r a is o n ,
é t a i t c o n s id é r é p a r lu i c o m m e le « C œ u r d u M o n d e »,
p a r c e q u ’il é t a i t e f fe c tiv e m e n t le c e n tr e s p ir itu e l d e
s a p r o p r e tr a d i t i o n . C e c e n tr e , d ’a ille u rs , n e f u t p a s
t o u t d ’a b o r d u n lie u fix e ; q u a n d il s 'a g i t d 'u n p e u p le
n o m a d e , c o m m e c ’é t a i t le c a s, s o n c e n t r e s p ir itu e l
d o i t s e d é p la c e r a v e c lu i, t o u t e n d e m e u r a n t c e p e n ­
d a n t t o u jo u r s le m ê m e a u c o u r s d e c e d é p la c e m e n t.
« L a r é s id e n c e d e la Shekinah, d i t M. V u llia u d , n ’e u t
d e f ix ité q u e le jo u r o ù le T e m p le f u t c o n s tr u i t, p o u r
le q u e l D a v id a v a i t p r é p a r é l ’o r, l ’a r g e n t, e t t o u t ce
qui é ta it n é c e s s a ire à S a lo m o n pour p ara ch ev e r
l ’o u v r a g e ( i ) . L e T a b e r n a c le d e la S a in te té d e Jéhovah,
l a ré s id e n c e d e l a Shekinah, est le S a in t d e s S a in ts q u ï
e s t le c œ u r d u T e m p le , q u i e s t lu i-m ê m e le c e n tr e d e
S io n ( J é r u s a le m ) , c o m m e la s a in te S io n e s t le c e n tr e
d e la T e r r e d ’I s r a ë l , c o m m e l a T e r r e d ’I s r a ë l e s t le
c e n tr e d u m o n d e » (2). O n p e u t r e m a r q u e r q u ’il y
a ic i c o m m e u n e s é rie d ’e x te n s io n s d o n n é e g r a d u e lle ­
m e n t à l ’id é e d u c e n tr e d a n s le s a p p lic a tio n s q u i e n
s o n t f a ite s s u c c e s s iv e m e n t, d e s o r te q u e l'a p p e lla tio n
d e « C e n tr e d u M o n d e » o u d e « C œ u r d u M o n d e » e s t
f in a le m e n t é t e n d u e à l a T e r r e d ’I s r a ë l t o u t e n tiè r e ,
e n t a n t q u e c e lle -c i e s t c o n s id é ré e c o m m e la « T e r r e
S a in te » ; e t il f a u t a j o u t e r q u e , s o u s le m ê m e r a p p o r t,
e lle r e ç o it a u s s i, e n t r e a u t r e s d é n o m in a tio n s , c e lle d e

(X) Il est bon de noter que les expressions qui sont employées ici
évoquent l’assimilation quia-été fréquemment établie entre la con­
struction du Temple, envisagée dans sa signification idéale, et le
* Grand Œuvre „ des hermétistes,
(2) La K abbale juive, t- I, p. 509.

183
5 12 I,E VOILE d 'i s i s

« T e rre d e s V iv a n ts » . Il e s t p a rlé d e « la T e rre d es


V iv a n ts c o m p re n a n t sept t e r r e s », et M. V u llia u d
o b se rv e que « c e tte T e rre est C hanaan d a n s le q u e l
il y a v a i t s e p t p e u p le s » ( i ) , c e q u i e s t e x a c t a u s e n s
litté ra l, b ie n q u 'u n e in te rp ré ta tio n s y m b o liq u e s o it
é g a le m e n t p o s s ib le . C e tte e x p re s s io n de « T e rre des
V iv a n ts » est e x a c te m e n t sy n o n y m e de s é jo u r
d 'i m m o r t a l i t é » , et la litu rg ie c a th o liq u e l 'a p p l i q u e
a u s é jo u r c é le s te d e s é lu s , q u i é t a i t e n e f fe t fig u ré p a r
l a T e r r e p r o m is e , p u is q u e I s r a ë l , e n p é n é t r a n t d a n s
c e lle -c i, d e v a i t v o ir la fin d e se s tr ib u la tio n s . A un
a u t r e p o i n t d e v u e e n c o r e , l a T e r r e d 'I s r a ë l , e n t a n t
que c e n tre s p iritu e l, é ta it une im a g e du C ie l, c a r,
s e lo n la tr a d itio n ju d a ïq u e , « to u t ce q u e f o n t le s
I s r a é l i t e s s u r t e r r e e s t a c c o m p l i d 'a p r è s l e s t y p e s d e
c e q u i s e p a s s e d a n s l e m o n d e c é l e s t e » ( 2 ).
C e q u i e s t d i t ic i d e s I s r a é l i t e s p e u t ê tr e d i t p a r e il­
l e m e n t d e t o u s l e s p e u p l e s p o s s e s s e u r s d 'u n e t r a d i t i o n
v é rita b le m e n t o rth o d o x e ; e t, en fa it, le p e u p le
d ' I s r a ë l n ’e s t p a s le seu l q u i a it a s s im ilé s o n pays
a u « C œ u r d u M o n d e » e t q u i l 'a i t r e g a r d é c o m m e u n e
im a g e d u C ie l, d e u x id é e s q u i, du re s te , n ’e n fo n t
q u ’u n e e n ré a lité . L ’u s a g e d u m êm e s y m b o lis m e se
re tro u v e c h e z d 'a u t r e s p e u p le s q u i p o s s é d a ie n t é g a ­
le m e n t u n e « T e rre S a i n t e », c 'e s t - à - d i r e u n pays où
é ta it é ta b li un c e n tre s p iritu e l ayant pour eux un
rô le c o m p a ra b le à c e lu i du T e m p le de. J é ru s a le m
p o u r l e s H é b r e u x . A c e t é g a r d , il e n e s t d e l a « T e r r e
S a in te » c o m m e .d e l’Omphalos, qui é ta it to u jo u rs

(1) Ibid., t. Il, p. 118.


(2) Ib id ., t. I, p. 501,
LES GARDIENS DE LA lERRE SAINTE 5I 3
l 'i m a g e v i s i b l e d u « C e n t r e d u M o n d e » p o u r l e p e u p l e
h a b ita n t la ré g io n o ù il é t a i t p la c é (i).
L e s y m b o lis m e d o n t il s 'a g i t s e r e n c o n t r e n o t a m ­
m e n t c h e z le s a n c ie n s E g y p tie n s ; e n e f fe t, s u iv a n t
P lu ta rq u e , « le s E g y p tie n s : d o n n e n t à le u r c o n tré e
le n o m d e Chémia ( 2 ), e t l a c o m p a r e n t à u n c t e u r « ( 3 ).
L a r a i s o n q u 'e n d o n n e c e t a u t e u r e s t a s s e z é t r a n g e :
« C e tt e c o n t r é e e s t c h a u d e e n e f fe t, h u m i d e , c o n t e n u e
dans le s p a rtie s m é rid io n a le s de îa te rre h a b ité e ,
é te n d u e a u M i d i , c o m m e d a n s l e c o r p s d e l 'h o m m e
le c œ u r s 'é t e n d à g a u c h e », c a r « l e s E g y p t i e n s c o n ­
s i d è r e n t l 'O r i e n t c o m m e l e v i s a g e d u m o n d e , l e N o r d
c o m m e e n é t a n t l a d r o i t e , e t l e M i d i , l a g a u c h e » ( 4 ),
C e n e s o n t là q u e d e s s im ilitu d e s a s se z s u p e rfic ie lle s ,
e t la v ra ie ra is o n d o it ê tre to u t a u tre , p u is q u e la
m êm e c o m p a ra is o n avec le cœ ur a é té a p p liq u é e
é g a le m e n t à to u te te rre à la q u e lle é ta it a ttr ib u é
un c a ra c tè re sa c ré et « c e n tra l» , au sens s p iritu e l,
q u e l l e q u e s o i t s a s i t u a t i o n g é o g r a p h i q u e . D 'a i l l e u r s ,
a u r a p p o r t d e P lu ta r q u e lu i-m ê m e , le c œ u r, q u i r e p r é ­
s e n ta it l ’E g y p t e , re p ré s e n ta it en m êm e te m p s le

(U Voir notre article sur Les Pierres de fo u d re t dans le Voile d'Isis


de mai 1929,
(2) Këmi, en langue égyptienne, signifie “ terre noire désignation
dont l’équivalent se retrouve aussi chez d'autres peuples ; de ce mot
est venu celui d’atchimie (at n’étant que l’article en arabe), qui dési­
gnait originairement la science hermétique, c’est-à-dire la science
sacerdotale de l’Egypte.
(3) îsts et Osiris, 33 , traduction Mario Meunier, p. 116.
(4) Ibid., 32, p 112. —Dans l’Inde, c’est au contraire le Midi qui est
désigné comme le “ côté de la droite „ (dakshina) ; mais, en dépit des
apparences, cela revient au meme, car il faut entendre par là le côté
qu'on a à sa droite quand on se tourne vers l'Orient, et il est facile
de se représenter le côté gauche du monde comme s’étendant vers la
droite.de celui qui le contemple, et inversement, ainsi que cela a lieu
pour deux personnes placées l'une en face de l’autre.

185
5I4 LE VorLE ü'iSIS

C i e l : <t L e s E g y p t i e n s , d i t - i l , f i g u r e n t l e C ie l, q u i n e
s a u r a i t v i e i l l i r p u i s q u 'i l e s t é t e r n e l , p a r u n c œ u r p o s é
s u r u n b r a s i e r d o n t l a f l a m m e e n t r e t i e n t l 'a r d e u r » ( i ) .
A in s i, ta n d is q u e le c œ u r e s t lu i-m ê m e fig u ré par
u n v a s e q u i n 'e s t a u t r e q u e c e l u i q u e l e s l é g e n d e s d u
m oyen âge o c c id e n ta l d e v a ie n t d é s ig n e r com m e le
« S a i n t G r a a i », i l e s t à s o n to u r, e t s im u lta n é m e n t,
l ’h i é r o g l y p h e d e l ’E g y p t e e t c e l u i d u C ie l.
La c o n c lu s io n à t i r e r d e c e s c o n s i d é r a t i o n s , c 'e s t
q u ’i l y a a u ta n t de « T e rre s S a in te s » p a r tic u liè re s
q u 'i l e x is te de fo rm e s tra d itio n n e lle s ré g u liè re s ,
p u i s q u ’e l l e s re p ré s e n te n t le s c e n tre s sp iritu e ls qui
c o r re s p o n d e n t re s p e c tiv e m e n t à c e s d iffé re n te s fo rm e s ;
m a is , si le . m ê m e s y m b o lis m e s 'a p p l i q u e u n ifo rm é ­
m ent à to u te s ces « T e rre s S a in te s » , c ’e s t q u e ces
c e n tr e s s p ir itu e ls o n t to u s u n e c o n s titu tio n a n a lo g u e ,
e t s o u v e n t ju s q u e d a n s d e s d é ta ils tr è s p ré c is , p a r c e
q u ’i l s s o n t a u t a n t d ’i m a g e s d ’u n m ê m e c e n t r e u n i q u e
et su p rêm e, qui seu l est v ra im e n t le « C e n tr e du
M o n d e », m a i s d o n t i l s p r e n n e n t l e s a t t r i b u t s c o m m e
p a rtic ip a n t de sa n a tu re par une c o m m u n ic a tio n
d i r e c t e , e n l a q u e l l e r é s i d e l ’o r t h o d o x i e t r a d i t i o n n e l l e ,
e t c o m m e l e r e p r é s e n t a n t e f f e c t i v e m e n t , d ’u n e f a ç o n
p lu s ou m o in s e x té rie u re , pour d e s . te m p s et des
lie u x d é te rm in é s . En d ’a u t r e s te rm e s, il e x i s t e une
« T e rre S a in te » p a r e x c e lle n c e , p r o to ty p e d e to u te s
le s a u tre s , c e n tre s p iritu e l auquel to u s le s a u tre s
c e n t r e s s o n t s u b o r d o n n é s , s iè g e d e l a T r a d i t i o n p r i -

(11 Ibid., 10, p. 49 —On remarquera que ce symbole, aveclasifiml-


flcaUon qui lui est donnée ici, semble pouvoir être .rapproché de celui
riu'phénix.

186
LES GARDIENS D E L A T E R R E SAIN TE g ig

m o r d ia îe d o n t t o u te s le s t r a d i tio n s p a r ti c u liè r e s s o n t
d é r iv é e s p a r a d a p t a t i o n à te lle s o u te lle s c o n d i tio n s
d é fin ie s q u i s o n t c e lle s d 'u n p e u p le o u d ’u n e é p o q u e .
C e tte « T e r r e S a in te » p a r e x c e lle n c e , c 'e s t l a « c o n tré e
s u p r ê m e », s u iv a n t le s e n s -d u te r m e s a n s c r it Paradêsha,
d o n t le s C h a ld é e n s o n t f a i t Fardes e t le s O c c id e n ta u x
Paradis ; c 'e s t e n e ffe t le « P a r a d is t e r r e s t r e », q u i e s t
b ie n le p o in t d e d é p a r t d e t o u te t r a d i tio n , a y a n t e n
s o n c e n tr e la s o u rc e u n iq u e d 'o ù p a r t e n t le s q u a t r e
fle u v e s c o u la n t v e r s le s q u a t r e p o in ts c a r d i n a u x ( i) ,
e t q u i e s t a u s s i le « s é jo u r d 'im m o r ta lité », c o m m e il
e s t fa c ile d e s ’e n r e n d r e c o m p te e n se r e p o r t a n t a u x
p r e m ie r s c h a p itr e s d e la Genèse (2 ).
N o u s n e p o u v o n s s o n g e r à r e v e n ir ic i s u r t o u t e s
le s q u e s tio n s c o n c e r n a n t le C e n tre s u p r ê m e e t q u e
n o u s a v o n s d é jà t r a i t é e s a ille u rs p lu s o u m o in s c o m ­
p lè te m e n t : s a c o n s e r v a tio n , d 'u n e f a ç o n p lu s o u
m o in s cachée s u iv a n t le s p é rio d e s , d u c o m m e n c e ­
m e n t à la fin d u cy c le , c ’e s t- à - d ir e d e p u is le « P a r a d is
t e r r e s t r e » j u s q u ’à la « J é r u s a le m c é le s te » , q u i* e n
r e p r é s e n te n t le s deux p h a s e s e x tr ê m e s ; le s n o m s
m u ltip le s s o u s le s q u e ls il e s t d é s ig n é , c o m m e c e u x
de Tula, de Luz, de Salem, d ’Âgartha ; le s d if fé r e n ts

<l) Cette source est identique à la “ fontaine d enseignement „ à


laquelle nous avons eu précédemment l'occasion de faire ici même
différentes allusions.
(2) C’est pourquoi la “fontaine d’en3cignement „ est en même temps
la « fontaine de jouvence „ (forts juventutis), parce que celui qui y
boit est affranchi de la condition temporelle ; elle est d’ailleurs située
au pied de 1' « Arbre de Vie » (voir notre étude sur Le L a ngage secret
d e D ante et des “ Fidèles t f A m our *, dans le Voile d'Jsis de février
1929) et ses eaux s'identifient évidemment à 1’ “ élixir de longue vie „
des hermétistee (l'idée de " longévité * ayant ici la même signification
que dans les traditions orientales! ou au “ breuvage d’immortalité,
dont il est partout question sons des noms divers.

187
516 LE VOILE D'iSIS

s y m b o le s q u i le f ig u re n t, c o m m e la m o n ta g n e , la
c a v e rn e , n ie e t b ie n d ’a u t r e s e n c o re , en r e la tio n
im m é d ia te , p o u r l a p lu p a r t , a v e c le s y m b o lis m e d u
a P ô le » o u d e I '« A x e d u M o n d e » , A ce s fig u ra tio n s ,
n o u s p o u v o n s jo in d r e a u s s i c e lle s q u i e n f o n t u n e
v ille , u n e c ita d e lle , u n te m p le o u u n p a la is , s u iv a n t
l ’a s p e c t so u s le q u e l o n l'e n v is a g e p lu s s p é c ia le m e n t ;
e t c 'e s t ici l'o c c a s io n d e r a p p e le r , e n m ê m e te m p s
q u e le T e m p le d e S a lo m o n q u i se r a t t a c h e p lu s d ir e c ­
te m e n t à n o t r e s u je t, la tr ip le e n c e in te d o n t n o u s
a v o n s p a r lé ré c e m m e n t c o m m e r e p r é s e n ta n t la h ié ­
r a r c h ie in it i a t i q u e de c e r ta in s c e n tr e s tr a d i t i o n ­
n e ls (1), e t a u s s i le m y s té r ie u x la b y r i n th e , q u i, so u s
une fo rm e p lu s c o m p le x e , se r a t t a c h e à u n e con­
c e p tio n s im ila ire , a v e c c e t t e d iffé re n c e q u e ce q u i y
e s t m is s u r t o u t en é v id e n c e est l ’id é e d ’u n « c h e ­
m in e m e n t » v e r s le c e n tr e c a c h é (2 ).
N o u s d e v o n s m a i n t e n a n t a j o u t e r q u e le s y m b o ­
lis m e d e la « T e r r e S a in te » a u n d o u b le se n s : q u 'il
s o it r a p p o r t é a u C e n tre s u p r ê m e o u à u n c e n tr e s u b o r ­
d o n n é , il r e p r é s e n te n o n s e u le m e n t c e c e n tr e lu i-m ê m e ,
m a is a u s s i, p a r une a s s o c ia tio n q u i e s t d ’a ille u rs

(i} Voir notre article sur L a trip le e n c e in te d r u id iq u e , dans le V oile


d’/sis de juin 1929; nous y avons signalé précisément îe rapport de
cette figure, sous ses deux formes circulaire et carrée, avec le sym­
bolisme du MParadis terrestre „ et de la “ Jérusalem céleste
(21 Le labyrinthe crétois était le palais de M inos, nom identique à
celui de Manu, donc désignant le Législateur primordial. D'autre
part, on peut comprendre, par ce que nous disons ici, la raison pour
laquellele parcours du labyrinthe tracé sur le dallage de certaines
églises, au moyen âge, était regardé comme remplaçant le pèleri­
nage en Terre Sainte pour ceux qui ne pouvaient l’accomplir ; il faut
se souvenir que le pèlerinage est précisément une des figures de l’ini­
tiation, de sorte que le “ pèlerinage en Terre Sainte » est, au sens
ésotérique, la même chose que la “ recherche de la Parole perdue »
ou la " queste du Saint Graal

188
LES GARDIENS DE LA TERRE SAINTE 517
to u te n a tu re lle , la tr a d itio n q u i e n é m a n e o u q u i y
e s t c o n s e r v é e , c 'e s t - à - d i r e , d a n s le p re m ie r c a s, la
T ra d itio n p rim o rd ia le , e t, d a n s le se co n d , une c e r­
t a i n e f o r m e t r a d i t i o n n e l l e p a r t i c u l i è r e ( 1 ). C e d o u b l e
sens se re tro u v e p a re ille m e n t, et d 'u n e faço n trè s
n e t t e , d a n s l e s y m b o l i s m e d u « S a i n t G r a a l », q u i e s t
à la fo is u n vase (grasale) et un liv re (gradule ou
graduelle) ; ce d e r n ie r a s p e c t d é s ig n e m a n if e s te m e n t
la t r a d i ti o n , t a n d i s q u e l 'a u t r e c o n c e rn e p lu s d ire c ­
t e m e n t l 'é t a t c o r r e s p o n d a n t à l a p o s s e s s io n e f fe c tiv e
d e c e t t e t r a d i t i o n , c 'e s t - à - d i r e l'« é t a t é d é n i q u e » s 'i l
s ’a g i t d e la T ra d itio n p rim o rd ia le ; e t c e lu i q u i e s t
p a r v e n u à c e t é t a t e s t, p a r là m ê m e , r é in té g r é d a n s le
Fardes, d e t e l l e s o r t e q u 'o n p e u t d i r e q u e s a d e m e u r e
e s t d é s o rm a is dans le « C e n tr e du M onde» ( 2 ). Ce
n 'e s t pas s a n s m o tif q u e nous ra p p ro c h o n s ic i c e s
d e u x s y m b o lis m e s , c a r le u r é tr o ite s im ilitu d e m o n tr e
que, l o r s q u ’o n p a rle de la « c h e v a le rie du S a in t
G ra a l » o u d e s « g a rd ie n s de la T e rre S a i n t e », ce
q u 'o n d o it e n te n d re par ces deux e x p re s s io n s est
e x a c t e m e n t l a m ê m e c h o s e ; il n o u s r e s t e à e x p l i q u e r ,
d a n s la m e s u re d u p o s s ib le , e n q u o i c o n s is te p r o p re -

(1) Analogiquement, au point de vue cosmogonique, le “ Centre du


Monde ’*est le point originel d’où est proféré le Verbe créateur, et
il est aussi le Verbe lui-même.
(2) U importe de se rappeler, à ce propos, que, dans toutes les tra­
ditions, les lieux symbolisent essentiellement des états. D’autre part,
nous ferons remarquer quMya une parenté évidente entre le sym­
bole du vase ou de la coupe et celui de la fontaine dont il a été
question plus haut ; on a vu aussi que, chez les Egyptiens, le vase était
l’hiéroglyphe du cœur, centre vital de l'être. Rappelons enfin ce que
nous avons déjà dit en d’autres occasions au sujet du vin comme
substitut du som a védique et comme symbole de la doctrine cachée.;
en tout cela, sous une forme ou sous une autre, il s’agit toujours du
“ breuvage d’immortalité „ et de la restauration de 1' *l état primor-
liai
35

189
5i8 LE VOILE D’iSIS

m e n t îa f o n c tio n d e ce s « g a rd ie n s », f o n c tio n q u i f u t
e n p a r ti c u lie r ce lle d e s T e m p lie rs (x).
P o u r b ie n c o m p re n d re ce q u 'il e n e s t, il f a u t d is ­
tin g u e r e n t r e le s d é t e n te u r s d e la tr a d i tio n , d o n t la
fo n c tio n e s t d e la c o n s e rv e r e t d e la tr a n s m e tt r e , e t
ceux: q u i e n r e ç o iv e n t se u le m e n t, à u n d e g ré o u à u n
a u tr e , u n e c o m m u n ic a tio n e t, p o u r rio n s -n o u s d ire ,
une p a r tic ip a tio n . L es p re m ie rs , d é p o s ita ire s et
d is p e n s a te u r s d e la d o c trin e , se t ie n n e n t à la so u rc e ,
q u i e s t p r o p r e m e n t le c e n tr e m ê m e ; d e là , la d o c tr in e
se c o m m u n iq u e e t se r é p a r t i t h ié ra rc h iq u e m e n t a u x
d iv e rs d e g ré s in itia tiq u e s , s u iv a n t le s c o u r a n ts r e p r é ­
s e n té s p a r le s fle u v e s d u Pardes, o u , si l ’o n v e u t
r e p r e n d r e la f ig u ra tio n q u e n o u s a v o n s é tu d ié e ic i
r é c e m m e n t, p a r le s c a n a u x q u i, a l l a n t d e l'in té r i e u r
v e rs l'e x té r ie u r , r e lie n t e n t r e elles le s e n c e in te s su c c e s­
s iv e s q u i c o r r e s p o n d e n t à ce s d iv e r s d e g ré s. T o u s
c e u x q u i p a r ti c ip e n t à la tr a d i t i o n n e s o n t d o n c p a s
p a r v e n u s a u m ê m e d e g ré e t n e r e m p lis s e n t p a s la
m ê m e fo n c tio n ; il f a u d r a it m ê m e fa ire u n e d is tin c ­
tio n e n t r e c e s d e u x c h o ses, q u i, b ie n q u e se c o rre s ­
p o n d a n t g é n é r a le m e n t d 'u n e c e r ta in e fa ç o n , n e s o n t
p o u r t a n t p a s s tr ic te m e n t so lid a ire s , c a r il p e u t se
f a ire q u 'u n hom m e s o it in te lle c tu e lle m e n t q u a lifié
p o u r a t t e i n d r e le s d e g ré s le s p lu s élev é s, m a is n e s o it
p a s a p t e p a r l à m ê m e à r e m p lir to u te s le s f o n c tio n s
d a n s l'o r g a n is a tio n in itia tiq u e . ïc i, ce s o n t s e u le m e n t

(1) Saint-Yves d’Alveydre emploie, pour désigner les " gardiens ”


du Centre suprême, l’expression de 11 Templiers de V A g a r tth a " ; les
considérations que nous exposons ici feront voir la justesse de ce
term e, dont lui-même n'avait peut-être pas saisi pleinement toute la
lignification.
LES GARDIENS D E L A T E E B E SAINTE 519
les fo n c tio n s q u e n o u s a v o n s à e n v i s a g e r ; e t , à c e
p o in t d e v u e , n o u s d ir o n s q u e le s « g a r d i e n s » se
tie n n e n t à l a lim ite d u c e n tr e s p ir itu e l, p r is d a n s s o n
se n s le p lu s é te n d u , o u à la d e r n iè re e n c e in te , c e lle
p a r la q u e lle ce c e n tr e e s t à la fo is s é p a r é d u « m o n d e
e x t é r ie u r » e t m is e n r a p p o r t a v e c c e lu i-c i. P a r c o n s é ­
q u e n t , c e s « g a rd ie n s » o n t u n e d o u b le f o n c tio n : d ’u n e
p a r t , ils s o n t p r o p r e m e n t le s d é f e n s e u r s d e l a « T e r r e
S a in te » , e n ce se n s q u ’i l s - e n in te rd is e n t l ’a c c è s à
c e u x q u i n e p o s s è d e n t p a s le s q u a l if ic a tio n s r e q u is e s
p o u r y p é n é tr e r , e t ils c o n s t i t u e n t c e q u e n o u s a v o n s
a p p e lé s a « c o u v e r tu r e e x t é r ie u r e » , c ’e s t- à - d ir e q u ’ils
l a c a c h e n t a u x r e g a rd s p r o fa n e s ; d 'a u t r e p a r t , ils
a s s u r e n t p o u r t a n t a u s s i c e r ta in e s r e la tio n s ré g u liè r e s
a v e c le d e h o rs , a in s i q u e n o u s l'e x p l iq u e r o n s p a r l a
s u ite .
I l e s t é v id e n t q u e le rô le d e d é f e n s e u r s e s t, p o u r
p a r le r le la n g a g e d e la t r a d i t i o n h in d o u e , u n e f o n c ­
tio n d e K s h a i r iy a s ; e t , p r é c is é m e n t, t o u t e i n i t i a t i o n
« c h e v a le re sq u e » est e s s e n tie lle m e n t a d a p té e à la
n a tu re p ro p re d es h o m m es q u i a p p a rtie n n e n t à la
c a s te g u e rriè re , c ’e s t- à - d ir e des K s h a t r iy a s . De
là v ie n n e n t le s c a r a c tè r e s s p é c ia u x d e c e t t e in it ia t io n ,
le s y m b o lis m e p a r ti c u lie r d o n t e lle f a i t u s a g e , e t n o r
ta m m e n t l'i n t e r v e n t i o n d ’u n é lé m e n t a ffe c tif, d é s i­
gné tr è s e x p l ic i te m e n t p a r le te r m e d ' « A m o u r » ;
n o u s nous so m m es d é jà s u f f is a m m e n t, e x p l iq u é là -
d e s s u s p o u r n 'a v o i r p a s à n o u s y a r r ê t e r d a v a n t a g e ( i ) .
M ais, d a n s le c a s d e s T e m p lie rs , il y a q u e l q u e c h o s e d e 1

(1) Voir Le L a n g a g e se cret d e D a n te e t d e s " F id è le s (TAmour ”,


Uans L e V o ile d ’Jsis d e -février IB29,

191
$20 LE VOILE P'ISIS

p lu s à c o n s id é re r : b ie n q u e le u r i n it ia t io n a i t é té
e s s e n tie lle m e n t « c h e v a le r e s q u e », a in s i q u 'i l c o n v e ­
n a i t à le u r n a t u r e e t à le u r fo n c tio n , ils a v a ie n t u n
d o u b le c a r a c tè r e , à l a fo is m ilita ir e e t r e lig ie u x ; e t
il d e v a it e n ê t r e a in s i s 'ils é t a ie n t, c o m m e n o u s a v o n s
b ie n d e s r a is o n s d e le p e n s e r, p a r m i le s « g a r d ie n s »
du C e n tr e s u p r ê m e , o ù 3'a u t o r i t é s p ir itu e lle e t le
p o u v o ir te m p o r e l sont ré u n is dans le u r p rin c ip e
com m un, e t q u i c o m m u n iq u e l a m a r q u e d e c e t t e
r é u n io n à t o u t c e q u i lu i e s t r a t t a c h é d ir e c te m e n t.
D a n s le m o n d e o c c id e n ta l, o ù le s p ir itu e l p r e n d la
f o rm e s p é c ifiq u e m e n t re lig ie u se , le s v é r ita b le s « g ar­
d ie n s d e la T e r r e S a in te », t a n t q u 'ils y e u r e n t u n e
e x is te n c e e n q u e lq u e s o r te « o fficielle », d e v a ie n t ê t r e
d e s c h e v a lie rs , m a is d e s c h e v a lie r s q u i fu s s e n t d e s
m o in e s e n m ê m e te m p s ; e t, e ffe c tiv e m e n t, c 'e s t b ie n
là ce q u e f u r e n t le s T e m p lie r s ,
C eci n o u s a m è n e d ir e c te m e n t à p a r l e r d u se c o n d
rô le d e s « g a r d ie n s » du C e n tre s u p rê m e , rô le q u i
c o n s is te ,; d is io n s -n o u s t o u t à l'h e u r e , à ; a s s u re r c e r­
ta in e s r e la tio n s e x té r ie u r e s , e t s u r to u t, a jo u te r o n s -
n o u s , à m a in te n ir le l i e n ; e n t r e l a T r a d iti o n p r im o r ­
d ia le e t l e s - t r a d i t i o n s s e c o n d a ire s e t d é riv é e s. P o u r
q u 'il p u is s e e n ê t r e a in s i, il f a u t q u ’il y a it, p o u r
c h a q u e fo rm e tr a d i tio n n e l le , u n e o u p lu s ie u r s o rg a­
n is a tio n s c o n s titu é e s d a n s c e t t e d o r m e : m ê m e , se lo n
to u te s le s ap p a ren ce s, m a is com posées d 'h o m m e s
a y a n t l a c o n s c ie n c e d e c e q u i e s t a u d e l à d e t o u te s
le s fo rm e s, c 'e s t- à - d ir e de là d o c tr in e u n iq u e q u i
est la s o u rc e et l ’e s se n c e d e to u te s le s a u tr e s ,
et qui n 'e s t pas a u tre chose q u e la T r a d iti o n

Ù92
LES GARDIENS DE LA TERRE SAINTE 5^1
primordiale. Dans un monde de tradition judéo-
chrétienne, une telle organisation devait assez natu
Tellement prendre pour symbole le Temple de
Salomon ; celui-ci, d'ailleurs, ayant depuis longtemps
cessé d’exister matériellement, ne pouvait avoir alors
qu'une signification tout idéale, comme étant une
image du Centre suprême, ainsi que l'est tout centre
spirituel subordonné ; et l'étymologie même du nom
de Jérusalem indique assez clairement qu’elle n'est
qu'une image visible de la mystérieuse Salem de
Melchissédec. Si tel fut le caractère des Templiers,
ils devaient, pour remplir le rôle qui leur était assi­
gné et qui concernait une certaine tradition déter­
minée, celle de l’Occident, demeurer attachés exté­
rieurement à la forme de cette tradition ; mais, en
même temps, la conscience intérieure de la véritable
unité doctrinale devait les rendre capables de com­
muniquer avec les représentants des autres tradi­
tions (i) : c'est ce qui explique leurs relations avec
certaines organisations orientales, et surtout, comme
il est naturel, avec celles qui jouaient par ailleurs
un rôle similaire au leur.
D’autre part, on peut comprendre, dans ces con­
ditions, que la destruction de l'Ordre du Temple ait
entraîné pour l'Occident la rupture des relations
régulières avec le « Centre du Monde » ; et c’est bien
au xiv€ siècle qu'il faut faire remonter la déviation
qui devait inévitablement résulter de cette rupture,

(i) Ceci se rapporte à ce qu’on a appelé symboliquement le " don


des langues “ ; sur ce sujet,nous renverrons à notre article contenu
dans le numéro spécial du V oile d ’îsis consacré aux Rose-Croix.

193

n
532 LE VOILE D'iSiS

et qui est allée en s'accentuant graduellement jus­


qu'à notre époque. Ce n'est pas à dire pourtant que
tout lien ait été ainsi brisé d'un seul coup ; pendant
assez longtemps, des relations purent être maintenues
dans une certaine mesure, mais seulement d'une
façon cachée, par l'intermédiaire d'organisations
comme celle de la Fede Santa ou des «Fidèles d'A-
mour », comme la « Massenie du Saint Graal », et
sans doute bien d'autres encore, toutes héritières de
l'esprit de l'Ordre du Temple, et pour la plupart rat­
tachées à lui par une filiation plus ou moins directe.
Ceux qui conservèrent cet esprit vivant et qui inspi­
rèrent ces organisations, sans jamais se constituer
eux-mêmes en aucun groupement défini, ce furent
ceux qu'on appela, d’un nom essentiellement symbo­
lique, les Rose-Croix ; mais un jour vint où ces Rose-
Croix eux-mêmes durent quitter l'Occident, dont
les conditions étaient devenues telles que leur action
ne pouvait plus s'y exercer, et, dit-on, ils se reti­
rèrent alors en Asie, résorbés en quelque sorte vers
le Centre suprême dont ils étaient comme une éma­
nation. Pour le monde occidental, il n*y a plus de
« Terre Sainte » à garder, puisque le chemin qui y con­
duit est entièrement perdu désormais ; combien de
temps cette situation durera-t-elle encore, et faut-il
même espérer que la communication pourra être
rétablie tôt ou tard ? C’est là une question à laquelle
il ne nous appartient pas d’apporter une réponse ;
outre que nous ne voulons risquer aucune prédic­
tion, la solution ne dépend que de l’Occident lui-même,
car c’est en revenant à des conditions normales et
L E S G A R D IE N S D E L A T E R R E S A IN T E 523
en retrouvant l'esprit de sa propre tradition, s'il en
a encore en lui la possibilité, qu'il pourra voir
s'ouvrir de nouveau la voie qui mène au « Centre du
Monde ».
Re n é G u é n o n .

Emblème guerrier, trouvé en 1863, à Florence


sur remplacement de l'ancienne Eglise des Templiers
dédiée à Saint-Paul,

195
Fac-similé de Varticle de R.G. paru dans le « Voile d ’Isis»
numéro 119 de novembre 1929 ,

A propos des Constructeurs


du moyen âge

Un article de M. Armand Bédarride, paru dans le


Sym bolism e de mai dernier, et auquel nous avons déjà
fait allusion dans notre chronique des revues, nous
paraît susceptible de donner lieu à quelques réflexions
utiles. Cet article, intitulé Les Idées de nos Précurseurs,
concerne les corporations constructives du moyen âge
considérées comme ayant transmis quelque chose
de leur esprit et de leurs traditions à la Maçonnerie
moderne.
Notons tout d'abord, à ce propos, que la distinction
entre « Maçonnerie opérative » et « Maçonnerie spé­
culative » nous paraît devoir être prise en un tout
autre sens que celui qu'on lui attribue d’ordinaire.
En effet, on s’imagine le plus souvent que les Maçons
«opératifs» n'étaient qtue de simples ouvriers ou
artisans, et rien de plus ni d’autre, et que le symbo­
lisme aux significations plus ou moins profondes ne
serait venu qu'assez tardivement, par suite de l'in­
troduction, dans les organisations corporatives, de
personnes étrangères à l'art de construire. Tel n'est
d'ailleurs pas l'avis de M. Bédarride, qui cite un
assez grand nombre d'exemples, notamment dans les
monuments religieux, de figures dont le caractère
symbolique est incontestable ; il parle en particulier
des deux colonnes de la cathédrale de Würtzbourg,
« qui prouvent, dit-il, que les Maçons constructeurs

196
694 L E V O IL E D 'I S I S

du XIVe siècle pratiquaient un symbolisme philo­


sophique », ce qui est exact, à la condition, cela va
de soi, de l'entendre au sens de «philosophie hermé­
tique », et non pas dans l’acception courante où il ne
s'agirait que de la philosophie profane, laquelle, du
reste, n’a jamais fait le moindre usage d'un symbo­
lisme quelconque. On pourrait multiplier les exemples
indéfiniment ; le plan même des cathédrales est émi­
nemment symbolique, comme nous l'avons déjà 'fait
remarquer en d'autres occasions ; et il faut ajouter
aussi que, parmi les symboles usités au moyen âge.
outre ceux dont les Maçons modernes ont conservé
le souvenir tout en n'en comprenant plus guère
la signification, il y en a bien d’autres dont ils n’ont
pas la moindre idée (1 ).
Il faut à notre avis, prendre en quelque sorte le
contrepied de l'opinion courante, et considérer la
« Maçonnerie spéculative » comme n étant, à bien des
points de vue, qu'une dégénérescence de la « Maçon­
nerie opérative ». Cette dernière, en effet, était vrai -
ment complète dans son ordre, possédant à la fois
la théorie et la pratique correspondante, et sa désigna­
tion peut, sous ce rapport, être entendue comme une
allusion aux «opérations» de IVart sacré», dont la
construction selon les règles traditionnelles était
une des applications. Quant à la « Maçonnerie spécu-1
(1) Nous avons eu dernièrem ent l'occasion de relever, à la cathé­
drale de Strasbourg et sur d'autres édifices d'Alsace, un assez grand
nombre de m arques de tailleurs de pierres, datant d'époques
diverses, depuis le xu* siècle jusqu’au début du XVII*; parmi ces m ar­
ques, il en est de fort curieuses, et nous avons notamment trouvé le
s v a s t i k a , auquel M. B édarridefait allusion, dans une des tourelles de
la flèche de Strasbourg.

197
A PRO PO S D S S C O N STRU C TEU RS D J M O YEN A G E t- 9 5

native », qui a d'ailleurs pris naissance à un moment


où les corporations constructives étaient en pleine
décadence, son nom indique assez clairement qu'elle
est confinée dans la «spéculation» pure et simple,
c'est-à-dire dans une théorie sans réalisation; assu­
rément, ce serait se méprendre de la plus étrange façon
que de regarder cela comme un «progrès». Si encore
il n'y avait eu là qu'un amoindrissement, le mal ne
serait pas si grand qu'il l'est en réalité ; mais, comme
nous l'avons dit déjà à diverses reprises, il y a eu en
outre une véritable déviation au début du xvme siècle,
lors de la constitution de la Grande Loge d’Angleterre,
qui fut le point de départ de toute la Maçonnerie
moderne. Nous n’y insisterons pas davantage pour
le moment, mais nous tenons à faire remarquer que,
si l'on veut comprendre vraiment l'esprit des con­
structeurs du moyen âge, ces observations sont tout
à fait essentielles ; autrement, on ne s’en ferait
qu'une idée fausse ou tout au moins fort incomplète.
Une autre idée qu'il n'importe pas moins de recti­
fier, c'est celle d'après laquelle l'emploi de formes
symboliques aurait été simplement imposé par des
raisons de prudence. Que ces raisons aient existé
parfois, nous ne le contestons pas, mais ce n’est là
que le côté le plus extérieur et le moins intéressant
de la question ; nous l'avons dit à propos de Dante
et des «Fidèles d'Amour » (i), et nous pouvons le
redire en ce qui concerne les corporations de con­
structeurs, d'autant plus qu'il a dû y avoir des liens

(t) Voirie Voile d’Isisde février 1929,

198
696 L E V O IL E D ’I S I S

assez étroits entre toutes ces organisations, de carac­


tère en apparence si différent, mais qui toutes part ici-
paient aux mêmes connaissances traditionnelles (1 ).
Or le symbolisme est précisément le mode d’expres­
sion normal des connaissances de cet ordre ; c’est là
sa véritable raison d'être, et cela dans tous les temps
et dans tous les pays, même dans les cas où il n’y
avait nullement lieu de dissimuler quoi que ce soit,
et tout simplement parce qu’il y a des choses qui,
par leur nature même, ne peuvent s’exprimer autre­
ment que sous cette forme.
La méprise qu’on commet trop souvent à cet égard,
et dont noüs trouvons jusqu’à un certain point l’écho
dans l'article de M, Bédarride, nous paraît avoir
deux motifs principaux, dont le premier est que,
généralement, on conçoit assez mal ce qu’était le
catholicisme au moyen âge. Il ne faudrait pas oublier
que, comme il y a un ésotérisme musulman, il y avait
aussi à cette époque un ésotérisme catholique, nous
voulons dire un ésotérisme prenant sa base et son
point d’appui dans les symboles et les rites de la reli­
gion catholique, et se superposant à celle-ci sans s'y
opposer en aucune façon ; et il n'est pas douteux que
certains Ordres religieux furent fort loin d ’être étran­
gers à cet ésotérisme. Si la tendance de la plupart des
catholiques actuels est de nier l’existence de ces
choses, cela prouve seulement qu'ils ne sont pas mieux
informés à cet égard que le reste de nos contemporains,
Le second motif de l’erreur que nous signalons, c’est
(I) Les Compagnons du " Rite de Salomon „ ont conservé jusqu’à
nos j'ours le souvenir de leur connexion avec l’Ordre du Tem ple.

199
A PR O PO S D E S C O N STRU C TEU RS D U M O Y EN A G E C 97

qu'on s’imagine que ce qui se cache sous les symboles,


ce sont presque uniquement des conceptions sociales
ou politiques (1 ) ; Ü s'agit de bien autre chose que
cela en réalité. Les conceptions de cet ordre ne pou­
vaient avoir, aux yeux de ceux qui possédaient cer­
taines connaissances, qu'une importance somme toute
très secondaire, celle d'une application possible
parmi beaucoup d'autres ; nous ajouterons même que,
partout où elles en sont arrivées à prendre une trop
grande place et à devenir prédominantes, elles ont
été invariablement une cause de dégénérescence et
de déviation {2), N'est-ce pas là, précisément, ce qui
a fait perdre à la Maçonnerie moderne la compréhen­
sion de ce qu’elle conserve encore de l'ancien symbo­
lisme et des traditions dont, malgré toutes ses insuf­
fisances, elle semble être, il faut bien le dire, l'unique
héritière dans le monde occidental actuel ? Si l'on
nous objecte, comme preuve des préoccupations
sociales des constructeurs, les figures satiriques et
plus ou moins licencieuses qu’on rencontre parfois
dans leurs œuvres, la réponse est bien simple : ces
figures sont surtout destinées à dérouter les profanes,
qui s'arrêtent à l’apparence extérieure et ne voient
pas ce qu’elle dissimule de plus profond. Il y a là
quelque chose qui est d’ailleurs loin d'être particulier
aux constructeurs ; certains écrivains, comme Boc-
(U Cette façon de voir est en grande partie celie d’Aroux et de
Roseettf, en ce qui concerne l'interprétation de Dante, et on la ren.
contre aussi en bien des passages de Y H isto ire de la M agie d’Eli*
phas Lévi.
(2)L’exemple de certaines organisations musulmanes, dans lesquel­
les des préoccupations politiques ont en quelque sorte étouffé la spi­
ritualité originelle, est très net à cet égard.

200
698 L E “V O IL E D ’IS IS

cace, Rabelais surtout et bien d'autres encore, ont


pris le même masque et usé du même procédé. Il
faut croire que ce stratagème a bien réussi, puisque,
de nos jours encore, et sans doute, plus que jamais,
les profanes s'y laissent prendre.
Si l’on veut aller au fond des choses, il faut voir
dans le symbolisme des constructeurs l’expression de
certaines sciences traditionnelles, se rattachant à
ce qu’on peut, d’une façon générale, désigner par le
nom d' « hermétisme ». Seulement, il ne faudrait
pas croire, parce que nous pavions ici de «sciences »,
qu’il s'agit de quelque chose de comparable à la
science profane, seule connue de presque tous les
modernes ; il semble qu’une assimilation de ce genre
se soit faite dans l'esprit de M. Bédarride, qui parle
de dla forme changeante des connaissances positives
de la science », ce qui s’applique proprement et exclu­
sivement à la science profane, et qui, prenant à la
lettre des images purement symboliques, croit y
découvrir des idées «évolutionnistes » et même
« transformistes », idées qui sont en contradiction
absolue avec toute donnée traditionnelle. Nous avons
développé longuement, dans plusieurs de nos ouvrages,
la distinction essentielle de la science sacrée ou
traditionnelle et de la science profane ; nous ne
pouvons songer à reproduire ici toutes ces considé­
rations, mais du moins avons-nous jugé bon d’attirer
l'attention une fois de plus sur ce point capital.
Nous n’ajouterons que quelques mots pour con­
clure : ce n'est pas sans raison que Janus, chez les
Romains, était à la fois le dieu de l'initiation aux

201
A PRO PO S D ES CO N STRU C TEU RS DU M O Y EN A G E 699
mystères et le dieu des corporations d'artisans ; ce
n’est pas sans raison non plus que les constructeurs
du moyen âge conservèrent les deux fêtes solsti­
ciales de ce même Janus, devenues, avec le Christia­
nisme, les deux Saint-Jean d’hiver et d'été ; et, quand
on connaît la connexion de saint Jean avec le côté
ésotérique du Christianisme, ne voit-on pas immédia­
tement par là que. sous une autre adaptation re­
quise par les circonstances et par les « lois cycliques »,
cest bien toujours de la même initiation aux mystères
qu’il ^’attii eft^r.rivempnt

R e n é G uénon

202
m

LES REVUES

Vers la Tradition est une revue bimestrielle, publiée


depuis 3 ans à Châlons-sur-Marne et dirigée par M. Ro­
land Goffin. La doctrine de René Guénon y est à l’hon­
neur. De plus, les idées de Julius Evola semblent y être
très souvent prises en considération. On sait que cer­
tains ouvrages de cet auteur, et surtout Rivolta coniro
il mondo rnoderno est Maschero e Volto dello Spiritua-
lismo contemporaneo, ont été loués par Guénon, mais
que certains aspects de la pensée évolienne sont incon­
ciliables avec l’enseignement guénonien.
Dans un article du numéro de mars 1984 intitulé
« Satan et ses frères », M. Daniel Cologne fait une très
juste critique de certains mouvements politiques
« extrémistes » et aussi de ce qu’on appelle l’« intégris­
me » catholique. Il termine en disant : « L’intégrisme
authentique consiste à intégrer, démarche synthétique
qui jusqu’à nouvel ordre et n’en déplaise à certains,
est l’exclusif apanage des guénoniens ». On ne saurait
Wl mieux dire, et cela nous rappelle que Guénon remar­
Wi: quait que ceux qui s'imaginent combattre le diable se
comportent parfois comme s’ils étaient ses plus pré­
|g§ cieux serviteurs.
1 1
Sips Un autre article, de M, Roland Goffin et intitulé « Le
temps des Shudras », montre bien que les caractères
cette 4e caste se retrouvent aujourd'hui chez tous les !
Occidentaux, quelle que soit la caste à laquelle on pour­
rait penser qu’ils appartiennent, étant donné leur nais­
sance ou la fonction qu’ils exercent. L’auteur est sé­
vère, très sévère même dans ses jugements, mais il
faut bien reconnaître que s’ils ne s'appliquent pas
encore à l’ensemble de notre société, ils dépeignent ri­ >
goureusement la société vers laquelle nous nous préci­ ï
Spï pitons à une folle allure qui est bien, dit l’auteur, « une
i■ I
203

Si;
fil
ÉTUDES TRADITIONNELLES

des marques de cette basse époque qui n'aura pour


elle qu'un avantage : la brièveté de sa durée ».
Dans ce même numéro de mars-mai 1984, une très
intéressante « Histoire de la Sainte-Ampouïe », par M.
l'abbé Goy, rédigée d'après les documents historiques,
semble bien jeter une lumière définitive sur un problè­
me qui a provoqué tant de discussions. A cette ques­
tion de la Sainte-Ampoule se joint naturellement celle
du pouvoir des guérisons des rois de France dont Gué-
non a parlé et que certains ont appelé « le seul miracle
permanent du christianisme». Ce pouvoir est attesté
jusqu’à Louis XVI, et l’on sait que Charles X tenta
de le recouvrer, mais en modifiant la formule rituelle
« Le roi te touche, Dieu te guérit », qui devint dans sa
bouche : « Le roi te touche, Dieu te guérisse ! » Peut-
être le dernier roi sacré doutait-il de sa légitimité, trou­
blé qu'il était par les vaticinations de Martin de Gallar-
don. Et d'ailleurs, même dans le cas où Charles eût été
persuadé de détenir une parcelle de ce «droit divin»
auquel pourtant, bien des siècles auparavant, Philippe
le Bel avait déjà fait subir une atteinte dangereuse, est-
il sûr que le « miracle permanent » se serait produit ?
La Restauration était en somme à la monarchie d’avant
1789 exactement ce que la Sainte Alliance, à la même
époque, était au Saint Empire. Restauration et Sainte
Alliance sont deux exemples particulièrement éloquents
de ces tentatives dont René Guénon a dénoncé le carac­
tère illusoire, car elles sont inspirées par un «tradi­
tionnalisme » qui n'a rien à voir avec le véritable esprit
traditionnel. Toujours, en de telles circonstances, on
voit se profiler des personnages assez inquiétants. Tal-
leyrand, qui joua un grand rôle au congrès de Vienne,
avait été l’initiateur de l'accession au trône de
Louis XVIII.
Mais la guérison des écrouelles soulève encore un
autre problème. Comment se fait-il que les rois d'Angle­
terre, qui avaient pris, en vertu du traité: de Troyes, le
titre de rois de France et qui portèrent longtemps, dans
leurs armoiries, « écartelé de France, d’Angleterre,
d’Ecosse et d’Irlande », aient exercé, au moins jus­
qu’aux derniers Stuart/le pouvoir de guérir les écrouel­
les ? Après la révolution de 1688, Guillaume d’Orange,
qu'un homme du peuple priait de le toucher pour le

204
LES REVUES

guérir, le renvoya en lui disant : « Que Dieu te donne la


santé, et aussi la sagesse ! »
Selon la tradition, Clovis avait reçu le don des guéri­
sons le jour où, sur le conseil de saint Rémi, « il brûla
ce qu'il avait adoré pour adorer ce qu'il avait brûlé ».
Il y a dans la vie du souverain franc un autre fait singu­
lier, mais d'un ordre tout différent, A la fin de sa vie,
il reçut de l'empereur d'Orient Anastase les attributs des
dignités romaines de consul et de patrice. Le Mérovin­
gien semble avoir attaché un haut prix à cette promo­
tion car, s'étant revêtu de la pourpre consulaire, il dis­
tribua des pièces d'or et d'argent aux habitants de
Tours, ville où il avait reçu les émissaires impériaux.
Les descendants dégénérés de Clovis ne se préoccupè­
rent aucunement de faire fructifier ce qui aurait pu être
le « germe » d'une restauration possible de l'empire
d'Occident, disparu avec la déposition de Romulus Au-
gustule. Cette restauration devra attendre trois siècles
encore, et l'avènement d'une nouvelle dynastie.

*
**

Au moment où nous terminons cette chronique, nous


recevons le dernier numéro (novembre-décembre 1984)
de Vers la Tradition. Nous y lisons avec plaisir que
cette revue entend accentuer l'intérêt qu'elle attache
aux enseignements de Guénon.

Denys Roman

205
LES LIVRES

REN E SENEVE
« LA PAIX U N IV E R SE L L E »
d 'a p rè s la G nose de C o n stan t CH EV ILLO N
Éditions Traditionnelles - 432 pages - 120 Francs

PREFA CE PAR LE DOCTEUR E R IC BRUNESSAUX

Voici rédigé p a r R ené Senève u n livre trè s rich e d o n t le


th è m e ne p e u t la isse r in d ifféren t p u isq u 'il s'a g it de la
PAIX U N IV E R SE LL E .
P o u r tr a ite r c e tte v a s te q u estio n , l'a u te u r s'e st p é n é tré
de la G nose de C o n stan t C hevilîon q u i se p ré se n te com m e
une e x tra o rd in a ire sy n th è se de la T ra d itio n dédiée à l'h is­
to ire sp iritu e lle du g en re h u m ain . G râce à u n e étu d e en
p ro fo n d e u r des é c rits de ce g ran d p e n se u r occid en tal,
R ené S enève a su dég ag er u n sch ém a cap ab le de m e ttre
bien des ch e rc h e u rs s u r la voie d e la co m p ré h en sio n des
r a p p o r ts ex ista n t e n tre Dieu, l'H o m m e e t l'U nivers.
D 'une le c tu re a tta c h a n te il co n sac re su ccessiv em en t q u a tre
g ra n d s c h a p itre s à des s u je ts au ssi fo n d am e n tau x q ue le
p ro b lèm e d o u lo u reu x d u m al ; e t de la p u re té divine, le
long p èlerin ag e de l'h o m m e d a n s le tem p s, la co n n aissan ce
de D ieu et les d ifficu ltés in h é re n te s à la vie d an s la cité
des hom m es.
Clair, précis, allia n t u n sa v o ir v é rita b le à u n solide bon
sens, h a u te u r m a îtris e les co g itatio n s, les in tu itio n s et les
d é m o n stra tio n s sa isissa n te s de C o n stan t Chevilîon.
A p a r tir d ’un m a n u sc rit in é d it su r J a q u estio n du m al, il
ne m a n q u e p as de re te n ir l'a tte n tio n d u lecteu r. N ous
ép ro u v o n s q u o tid ie n n e m e n t le m ai to u t en rec o n n aissan t
u n D ieu d 'a m o u r et il n ’y a rie n de p lu s difficile q ue de
m e ttre en re la tio n ces d eux vocables, D ieu e t M al. S on
exposé a p p o rte in d é n iab lem e n t u ne c o n trib u tio n im p o r­
ta n te et ra s s u r a n te à la co n v ictio n de l'in n o cen ce de Dieu.
R a ssu ra n t, il l ’est a u ssi q u a n d il a b o rd e ce s u je t si c o n tro ­
versé e t tro p fré q u e m m m e n t m a l tr a ité de la T ra n sm ig ra ­
tio n des âm es. N ’iso lan t p as c e tte h y p o th èse, il te n te au
c o n tra ire de 3a s itu e r p a r ra p p o rt aux p ersp e ctiv es de
l'esch ato lo g ie ch ré tien n e , la d o c trin e de la ré su rre c tio n et
le ra c h a t des péch és o p é ré p a r le sacrifice d u C h rist. Ce
c h a p itre p a s sio n n a n t se clô t sa n s b le sse r les d iffé ren te s

206
LES LIVRES

confessions religieuses sur îa conciliation de ces différents


concepts dans le schéma traditionnel de l'évolution spiri­
tuelle de l'humanité. Evolution cpri, du reste, s’oriente de­
puis la nuit des temps vers celui que _la foi sait ETRE et
que la raison s’efforce selon les consciences de démontrer
qu’il peut ou ne peut pas ETRE. Pour mieux cerner cette
connaissance de Dieu, René Senëve offre un ensemble de
réflexions d’une très haute portée, éclairé par la vision de
l’esprit de Chevillon, l’esprit qui comme l'affirmait Saint-
Paul peut sonder îa profondeur de Dieu.
Enrichis de ce savoir métaphysique progressivement
acquis à travers des pages convaincantes et souvent émou­
vantes, René Senève n'hésite pas à nous ramener dans le
climat actuel, celui de la société humaine au quotidien qui
après des milliers d'années d'existence cherche toujours
l’idéal politique, économique et sociologique. Dénonçant
les faillites propres au genre humain oublieux de ses origi­
nes, René Senève s'adresse à nos générations et confie ses
méditations, ses observations ayant trait au développement
du Beau, du Bien, du Vrai en nous comme autour de nous
et aux moyens de parfaire toujours plus l'assemblée des
hommes.
Charmer les érudits, intéresser les chercheurs, telle est
la vocation en définitive de ce livre précieux qui apporte
avec une clarté remarquable le résultat de la rencontre
d’un prodigieux penseur Constant Chevillon avec un admi­
rateur éclairé René Senève.
La lecture de cette œuvre imposante fait naître sur l'hori­
zon de nos consciences mises à l’épreuve par une informa
tion journellement angoissante un minuscule petit point
contenant ce mot sublime et lumineux, d’une syllabe et de
quatre lettres, PAIX. -
Dr Eric BRUNESSAUX

207
m n u U Ja J\E 3 A Y 54

Pages
BONNET (Jacques)
- E n tr e lu m iè re et ténèbres . 148

.
- C h ro n iq u e s. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
BOREL (Jean) (H om m age à T itu s B u rc k h a rd t)
- L ' h o m m e . ..................... . . . . . . . . . . . . . 81
BORELLA (Jean) (H o m m a g e à T itu s B u rc k h a rd t)
- R encontre d 'u n m é ta p h y sic ie n . . . . ......................... 76
BRUNESSAUX (D octeur Éric)
- Les L ivres .................................................................. 206
BURCKHARDT (Titus)
- Fès, u n e ville h u m a i n e ............................................. 124
CANTEINS (Jean)
- D e l'a u te u r e t de son œ u vre . . . . . . . . . 63
(H o m m a g e à T itu s B u rc k h a rd t)
DU PASQUIER (Roger) (H om m age à T itu s B u /c k h a r d t)
r~ U n p o rte .p a ro le de la T ra d itio n u n iverselle . . . 59
GRISON (Pierre)
- D u Tao e t de sa v e n u ................................. 13
GUENON (René)
F ac-sim ilé des Voile d 'I s is N 05 115, 1161117 e t 119
- Q uelques aspects d u sy m b o lism e d e Ja n u s . . . . 171
- Les gardiens de la T e rre S a in te . . . . . . . . 181
~ A p ro p o s des constructeurs du m o y e n -â g e . . . 196
KURY (Ernst)
- L e s L ivres .................................................................. .. 55
- L e P rince de l ' e r r e u r ............................ .... 130
M IC H O N (Jean-Louis) (H om m age à T itu s B u rc k h a rd t)
- T itu s B u rc k h a rd t à Fès, 1972-1977 .................... 69
PET1PIERRF "rançois)
- L e paysage sy m b o liq u e des M u h c a s . . . . . . . 22
RESTANQJJE (Emile)
- L e S y m b o lism e du blason e t ses origines . . . . 138
ROGER (Marie-claire)
- L e s L i v r e s ...................................................................... 154
ROMAN (Denys)
- 33 ans après ........................................... 163
- L es R evues ...................................................................... 203
SAFVATE (Dariouche)
~ M u s iq u e ir a n ie n n e e t m y s tiq u e ................................. 43, 94
SCHAYA (Léo) (H om m age à T itu s B u rc k h a rd t)
- S o u v e n ir d 'u n e a m itié .................................................. 79
SCHUON (Frithjof)
- F ailles da n s le m onde de la f o i ................................. 3
- L e m y s tè r e d u Visage h y p o s ta tiq u e .......................... 84
- N o te s su r le v ê te m e n t des In d ie n s P eaux-rouges . 113

Le D ire c te u r : A. André VILLAIN

Im prim erie Saint . Michel 5. Rue de 3a H arpe - Pari» 5* 4 • Trim ertrc 1984
Çommiwion Paritaire N um éro 62 461
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DES OEUVRES COMPLÈTES
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T ra d u ites e t p r
ri/iïTnT
par G ni G IV R Y
R I I t O T l)B

354 fran cs

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