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Atelier1 Lanotiondeconjointlaloietlasocieteavancent Ellesaumemepas

Le document aborde le décalage entre le droit et la réalité de la vie conjugale, soulignant que le droit positif est souvent en retard par rapport aux évolutions sociologiques et psychologiques des relations conjugales. Il examine l'évolution du statut des conjoints non mariés et les récentes législations qui tendent à rapprocher leurs droits de ceux des couples mariés, tout en questionnant la pertinence du concept juridique de conjugalité. Enfin, il met en lumière le débat entre la liberté de choix des individus et la nécessité de protections juridiques pour les conjoints en situation de précarité financière.

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Le document aborde le décalage entre le droit et la réalité de la vie conjugale, soulignant que le droit positif est souvent en retard par rapport aux évolutions sociologiques et psychologiques des relations conjugales. Il examine l'évolution du statut des conjoints non mariés et les récentes législations qui tendent à rapprocher leurs droits de ceux des couples mariés, tout en questionnant la pertinence du concept juridique de conjugalité. Enfin, il met en lumière le débat entre la liberté de choix des individus et la nécessité de protections juridiques pour les conjoints en situation de précarité financière.

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La notion de conjoint: la loi et

la société avancent-elles
au même pas?

Dominique Goubau*

Introduction

Le thème du décalage entre le droit et la vie conjugale n’est pas


nouveau. Déjà en 1936, un sociologue du droit écrivait que la vie
conjugale, telle qu’elle se vit dans la réalité quotidienne, ne corres-
pond sans doute jamais exactement aux normes du droit positif1.
Cette affirmation recèle probablement un double constat: première-
ment, que le droit positif est généralement à la remorque des mœurs
lorsqu’il s’agit des relations personnelles et deuxièmement, que l’ins-
titution de la famille échappe, en partie du moins, à l’emprise du droit
positif. La famille répond, en effet, à des «régulations moins mécanis-
tes que les hommes ont toujours su se donner en dehors de l’autorité
publique»2. Dans ce domaine, plus que dans tout autre sans doute,
une bonne partie des relations humaines «ne transitent pas par le
droit»3. Pourtant, sans nier la part du non-droit dans la famille et

* M. Dominique Goubau, professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université


Laval.
1. Le sociologue allemand, E. Ehrlich, écrivait en 1936 dans son traité des principes
fondamentaux de la sociologie juridique: «I doubt whether there is a country in
Europe in which the relation between husband and wife, parents and children,
between the family and the outside world, as it actually takes form in life, corre-
sponds to the norms of the positive law», cité dans M.A. GLENDON, The Trans-
formation of Family Law, Chicago, The University of Chicago Press, 1989, p. 85.
2. J. CARBONNIER, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 6e
éd., Paris, LGDJ, 1988, p. 226.
3. P. NOREAU, «Le droit de la famille: perspectives sur l’amour, la contrainte et
l’engagement», dans Gouvernement du Québec, Conseil de la famille, Recueil de
réflexions sur la stabilité des couples-parents, Québec, 1996, p. 56.

39
40 XVIe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

dans le couple, force est de constater que depuis deux ou trois décen-
nies le juridique est de plus en plus présent dans les relations conju-
gales. La conjugalité ayant connu des transformations radicales au
cours des dernières années, tant sur le plan psychologique que socio-
logique et démographique, il est pertinent de se demander si les nor-
mes légales reflètent adéquatement cette évolution et de s’interroger,
plus fondamentalement encore, sur le rôle du droit dans la conjuga-
lité contemporaine.

Dans les années 1970 et 1980 cette réflexion tournait essentiel-


lement autour de la question du statut des couples non mariés et
visait, plus précisément, le thème de l’opportunité de reconnaître au
profit des conjoints non mariés un statut plus ou moins calqué sur
celui des couples mariés. Parallèlement à cela, l’augmentation consi-
dérable des ruptures conjugales, avec les conséquences économiques
que l’on sait, a poussé les gouvernements dans une logique législative
protectionniste et coercitive. Dans le courant des années 1990, se des-
sine un mouvement de plus en plus évident de rapprochement entre
le statut des conjoints mariés et celui des conjoints de fait, en même
temps que d’une reconnaissance plus effective des couples de même
sexe. Ce double mouvement, dominé par le discours des droits fonda-
mentaux et par la chasse à toute forme de discrimination, culmine
avec la création de l’union civile et avec les récents débats sur
l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Paradoxalement,
à une époque où l’on revendique la reconnaissance de tous les modes
de conjugalité, la pertinence même du concept juridique de conjuga-
lité est remise en question dans certains secteurs du droit. Sans pré-
tendre faire le tour complet de la vaste question du statut de la
conjugalité en droit, le présent texte propose de souligner quelques
aspects importants de cette problématique, tant dans le droit civil
(Partie I), que dans le droit social (Partie II).

Partie I– La conjugalité en droit civil4

Traditionnellement, le droit civil québécois ne s’intéresse à la


conjugalité qu’à travers le prisme du mariage. Malgré les demandes
récurrentes de certains organismes et intervenants en faveur de la
création d’un statut des conjoints de fait en droit civil5, le législateur

4. Cette partie s’inspire directement de notre étude publiée dans les Cahiers de
droit: D. GOUBAU, G. OTIS et D. ROBITAILLE, «La spécificité patrimoniale de
l’union de fait: le libre choix et ses dommages collatéraux», (2003) C. de D. 3-51.
5. Rappelons, par exemple, que dans les années 1970, l’Office de révision du Code
civil avait proposé d’introduire en droit civil, inter alia, le principe du secours
mutuel, de l’obligation alimentaire et de la vocation successorale entre concubins
LA NOTION DE CONJOINT 41

québécois est demeuré fidèle à sa position de non-intervention à


l’égard des conjoints de fait, au nom du respect de la liberté des indivi-
dus de vivre leur conjugalité comme ils l’entendent6. La récente légis-
lation sur l’union civile est révélatrice de cette approche qui est
fondée sur le principe du respect du libre choix, dans la mesure où
cette nouvelle institution permet aux couples, hétérosexuels comme
homosexuels, de se soumettre librement à un cadre normatif prédé-
terminé. En ce qui concerne les conjoints de fait, il est vrai que depuis
quelques années le Code civil les reconnaît à certains égards, mais il
ne le fait que lorsqu’il s’agit des relations qu’ont ces conjoints avec des
tiers (par exemple en matière de consentement aux soins ou de rela-
tions entre locateurs et locataires). Par contre, lorsqu’il s’agit des
relations mutuelles entre conjoints de fait, bref lorsqu’il s’agit des
relations conjugales proprement dites, le droit civil a jusqu’à ce jour
refusé de soumettre leur union à un cadre normatif contraignant
comme il le fait de plus en plus pour les époux mariés et, plus récem-
ment, pour les conjoints unis civilement. Il est clair qu’aujourd’hui
cette abstention législative n’empêche plus les conjoints de fait de se
doter de mesures de protection par la voie contractuelle. Ainsi, la
jurisprudence accepte désormais que des conjoints de fait puissent
valablement s’assujettir à une obligation alimentaire ou se soumettre
volontairement aux règles de partage du patrimoine familial7. De
même, il est incontestable qu’en cas de séparation, les conjoints de
fait disposent de la possibilité d’utiliser les recours de droit commun,
notamment la demande de compensation pour enrichissement injus-
tifié qui est, aujourd’hui, aux conjoints de fait ce que la prestation
compensatoire est aux époux mariés8. Par ailleurs, il convient de rap-
peler que depuis 1980, le droit reconnaît pleinement la dimension
parentale de l’union de fait. En affirmant le principe de l’égalité juri-
dique de tous les enfants, quelles que soient les conditions de leur
naissance9, le Code civil admet en quelque sorte que le mariage n’est
plus le cadre obligé de la vie familiale.

(O.R.C.C., Rapport sur le Code civil du Québec, vol. I, Montréal, 1977, p. 119 et
135). Autre exemple: à l’occasion des travaux en commission parlementaire dans
le cadre de l’adoption de la législation sur le partage du patrimoine familial, en
1989, certains avaient mis de l’avant l’idée d’étendre les effets du patrimoine
familial à la famille hors mariage.
6. D. GOUBAU, «Le Code civil du Québec et les concubins: un mariage discret»,
(1995) 74 R. du B. can. 474.
7. S.C. c. P.G., [2001] R.J.Q. 2047, [2001] R.D.F. (C.A.).
8. Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980; Dion c. Kopersiewich (Succession de), [2002]
R.R.A. 991 (C.S.); Droit de la famille – 2235, [1995] R.D.F. 494 (C.S.); Droit de la
famille – 2648, [1997] R.D.F. 246 (C.S.); Meunier c. Thibault, [2002] R.D.F. 260
(C.S.); G.A c. V.B., [2001] R.D.F. 786 (C.S.); Barette c. Imbault, [2000] R.D.F. 813
(C.Q.); Péladeau c. Savard, [2000] R.D.F. 692 (C.S.).
9. Art. 522 C.c.Q.
42 XVIe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

Dans le contexte d’une diminution importante du nombre de


mariages et d’une montée en flèche du nombre de couples vivant en
dehors du mariage ou de l’union civile (rappelons qu’avec 30 % des
couples vivant en union de fait, le Québec est de loin la province cana-
dienne ayant le plus haut taux de conjugalité hors mariage), une des
questions de l’heure en droit familial est celle de l’opportunité d’éten-
dre aux conjoints de fait certains effets obligatoires du mariage, parti-
culièrement en ce qui concerne les mesures dites «protectionnelles»
comme celles relatives à la résidence familiale, à l’obligation alimen-
taire ou même au partage de biens à caractère familial. Toutes les
provinces canadiennes, à l’exception notoire du Québec, prévoient
d’ailleurs une obligation alimentaire entre conjoints de fait et recon-
naissent ainsi que les attentes et le degré d’interdépendance finan-
cière des conjoints de fait ne sont pas différents de ceux des conjoints
mariés dès lors que la relation conjugale a duré un certain temps ou
que des enfants sont issus de celle-ci. Certaines provinces vont même
jusqu’à imposer aux conjoints de fait les règles de partage qui sont
traditionnellement réservées aux époux mariés10. Dans la foulée d’un
important mouvement jurisprudentiel émanant des autres provinces
canadiennes et prenant lourdement appui sur certains arrêts récents
de la Cour suprême, la question du statut civil des conjoints de fait
n’est plus formulée exclusivement en termes d’opportunité sociale
mais aussi, et peut-être davantage, en termes de conformité avec le
droit constitutionnel à l’égalité des individus sans égard à leur état
matrimonial11. La Cour suprême ayant énoncé que l’état matrimo-
nial constitue un motif analogue de discrimination au sens du para-
graphe 15(1) de la Charte, ce constat fut rapidement transposé au
domaine du droit conjugal privé, plusieurs tribunaux dans les provin-
ces anglophones ayant résolument trouvé dans les arrêts Miron c.
Trudel et M. c. H., la caution juridique pour entamer le processus
d’élimination des principales différences entre conjoints mariés et
conjoints de fait en droit patrimonial de la famille12, que ce soit au

10. Miscellaneous Statutes (Domestic Relations) Amendment Act, 2001, S.S. 2001,
c. 50 et c. 51 (Saskatchewan).
11. La «constitutionnalisation» du débat social à propos de l’extension des droits et
obligations du mariage à l’union de fait a pris un tournant décisif avec l’affaire
Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418.
12. B. COSSMAN et B. RYDER, «M. v. H.: Time to Clean Up Your Acts», (1999) 3
Forum constitutionnel 59, 63: «[...] the combination of the Court’s ruling in M. v.
H. and Miron v. Trudel means that the constitutionality of any distinctive legal
status for married spouses must be demonstrated by governments. [...] If Miron
leans strongly towards merging the legal status of married and common law
couples, and M. v. H. does the same for common law couples and same-sex cou-
ples, then the end result is momentum towards conferring the entire package of
marital rights and responsibilities on same-sex couples.»
LA NOTION DE CONJOINT 43

chapitre de l’obligation alimentaire13, du droit successoral14 et,


ultime étape, au chapitre du partage des biens familiaux15. La ques-
tion de savoir si ce mouvement d’uniformisation du statut patrimo-
nial des conjoints correspond effectivement à une exigence égalitaire
d’ordre constitutionnel a été posée à la Cour suprême dans l’affaire
Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Walsh16. Allant à contre-
courant d’une solide doctrine dans les provinces anglophones, la plus
haute juridiction a répondu par la négative, estimant au contraire
que la différenciation patrimoniale de l’union de fait traduit le res-
pect de la liberté personnelle comme valeur fondamentale sous-
jacente à la Charte canadienne. Appliquant les principes de l’arrêt
Law17 en matière de discrimination, la Cour confirme la validité cons-
titutionnelle de la Matrimonial Property Act (MPA) de la Nouvelle-
Écosse qui exclut les conjoints de fait de son champ d’application.

Au-delà de la question technique (c.-à-d. celle de la validité de


l’article 2g) de la Matrimonial Property Act de la Nouvelle-Écosse)
cette décision soulève bel et bien le débat à propos de l’opportunité
sociale d’étendre ou non les règles du droit patrimonial de la famille
aux couples qui ont fait le choix de ne pas inscrire leur projet conjugal
dans le cadre normatif formel d’une institution légale (que ce soit le
mariage, l’union civile ou une quelconque forme d’enregistrement
public). Et plus largement encore, il s’agit du débat concernant le dif-
ficile équilibre entre, d’une part, la liberté de choix, l’autonomie de la
volonté et, d’autre part, la solidarité et la protection du conjoint en
situation de précarité financière et matérielle. Il s’agit d’un débat
bien connu puisqu’il était déjà au cœur des discussions lors de la créa-
tion de la prestation compensatoire (1980) et du patrimoine familial
(1989). La Cour suprême opte résolument pour le respect de la liberté
de choix. Mais dans le débat sur l’équilibre entre le principe de
l’autonomie de la volonté et celui de la protection, l’approche de la
Cour suprême semble tout de même proposer le triomphe un peu
excessif du libre choix et ne pas tenir compte suffisamment du
contexte social qui en est un de précarité économique des familles
monoparentales. Dans un premier temps, on peut sans doute affir-
mer qu’aujourd’hui, même si certaines provinces font le choix législa-
tif d’assimiler les conjoints de fait et les époux mariés au chapitre du
partage des biens familiaux, les législations provinciales qui conti-

13. Taylor c. Rossu, (1998) 161 D.L.R. (4th) 266 (Alta. C.A.).
14. Grigg c. Berg Estate, (2000) 186 D.L.R. (4th) 160 (B.C.S.C.); Armbrust c. Fergu-
son, [2001] S.J. Quicklaw no 703 (C.A. Sask.).
15. Watch c. Watch, (2000) 182 Sask. R. 237 (Sask. Q.B.).
16. Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Walsh, 2002 CSC 83.
17. Law c. Canada (Ministère de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497.
44 XVIe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

nuent à faire le choix de distinguer les conjoints mariés des conjoints


de fait pour la question du partage, comme c’est le cas au Québec, sont
pour un temps à l’abri d’une contestation constitutionnelle.

Certains commentateurs, qui avaient prédit (ou à tout le moins


espéré) une décision totalement différente, estiment que l’arrêt
Walsh représente un virage jurisprudentiel à 180o lorsqu’on fait la
comparaison avec la position antérieure de la Cour, notamment dans
les arrêts Miron et M. c. H. Il est vrai que l’argument de la similitude
entre les couples mariés et non mariés est au cœur de l’arrêt Miron et
de la jurisprudence des tribunaux inférieurs subséquente qui ont dès
lors donné la priorité à l’objectif de protection des conjoints les plus
démunis quel que soit leur statut matrimonial. Il est vrai aussi que
l’arrêt Walsh vient faire échec à cette thèse de façon retentissante en
préférant l’argument du libre choix à celui de la similitude fonction-
nelle, comme cela ressort clairement de cet extrait de l’opinion du
juge Bastarache:

[...] l’aspect le plus important de la question n’est pas de savoir si Mme


Walsh et M. Bona se trouvaient, au moment du procès, dans une situa-
tion semblable à celle des personnes mariées, mais plutôt de se deman-
der si les personnes qui décident de former une union conjugale sans se
marier s’engagent dans cette union aux mêmes conditions que les per-
sonnes qui se marient. D’une part, nous sommes en présence de person-
nes qui choisissent de se marier et manifestent ainsi leur intention
d’assumer les responsabilités et d’acquérir les droits légaux que la
MPA attribue aux personnes ayant ce statut. Nous sommes d’autre
part en présence de personnes dont on ne peut présumer qu’elles ont
accepté toutes les obligations découlant du mariage.

Il est exact aussi de dire qu’avec l’arrêt Walsh la Cour suprême


prend nettement distance de sa position antérieure sur la question du
caractère libre ou non de la décision de se marier ou de ne pas se
marier. Dans Miron, par exemple, elle avait affirmé sans équivoque
que l’union de fait ne procède souvent pas d’un choix libre mais plutôt
de contraintes sociales, religieuses ou financières. On a vu, par la
suite, l’effet extraordinaire qu’a eu cette affirmation sur la jurispru-
dence de nombreux tribunaux à travers le pays. Or voici que dans
Walsh les juges majoritaires viennent au contraire souligner l’impor-
tance de respecter précisément cette liberté, allant jusqu’à en faire la
pierre angulaire de leur raisonnement.

Malgré cela, il est possible de soutenir que, sur le fond, la posi-


tion de la Cour dans l’arrêt Walsh n’est pas contradictoire avec sa
jurisprudence antérieure concernant le statut des conjoints de fait.
LA NOTION DE CONJOINT 45

En réalité la Cour opère une distinction fondamentale dans le statut


des conjoints de fait lorsqu’il s’agit, d’une part, de leurs rapports avec
les tiers (notamment avec l’État) et d’autre part, lorsqu’il s’agit de
leurs rapports mutuels. Accepter qu’un couple non marié puisse, par
exemple, bénéficier, au même titre que les gens mariés, des avanta-
ges d’un régime de rente publique ou qu’il puisse subir les mêmes
inconvénients sur le plan fiscal, c’est en réalité reconnaître que les
choix privés des individus n’ont rien à voir avec leur statut dans la
cité. Ouvrir en droit social et public le statut de conjoints à tous les
couples, quelle que soit la forme juridique de leur union, constitue
donc une authentique façon de reconnaître la diversité réelle de la
conjugalité dans la société contemporaine. Avec Walsh la Cour
indique que le choix des personnes touchant à leurs relations privées
doit être respecté. On reconnaît ainsi que la notion de dignité
implique que les conjoints de fait soient assimilés aux conjoints
mariés en droit public et social mais que lorsqu’il s’agit des relations
privées, leur différence doit être reconnue, en ce sens que les obliga-
tions du mariage ne devraient pas leur être imposées au nom du droit
constitutionnel à l’égalité.

Par contre, l’arrêt Walsh représente un véritable revirement


dans la façon dont les juges majoritaires traitent des recours de droit
commun (particulièrement du contrat ainsi que de la fiducie par
interprétation ou de la théorie de l’enrichissement sans cause) dont
disposent les conjoints de fait en droit actuel. On sait que les contrats
de vie commune offrent désormais des possibilités de protection évi-
dentes pour les conjoints de fait. On sait aussi que depuis des arrêts
comme Peter c. Beblow18, les recours de droit commun constituent, en
principe, des outils intéressants pour le conjoint de fait qui se retrou-
verait démuni au moment de la rupture du couple. Jusqu’à présent, la
Cour suprême avait pourtant souligné le caractère plutôt aléatoire et
coûteux des recours de droit commun, considérant ceux-ci comme des
mécanismes de protection de second ordre qui ne font pas le poids par
rapport aux protections automatiques du mariage. Dans Walsh, les
juges majoritaires soulignent pourtant le caractère adéquat des
mesures de droit commun, allant jusqu’à dire que «la meilleure façon
de remédier aux situations où une interdépendance économique s’est
établie au fil du temps dans le couple est de recourir à une réparation
comme la fiducie par interprétation, qui est adaptée à la situation et
aux revendications particulières des parties». La Cour rétablit ainsi
la validité de l’argument qui consiste à dire que les conjoints de fait
jouissent déjà de la protection des mécanismes de droit commun et

18. Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980.


46 XVIe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

que par conséquent leur exclusion du bénéfice des effets patrimo-


niaux automatiques du mariage ne constitue pas une atteinte à leur
dignité19.

L’apologie que font les juges majoritaires du principe du libre


choix s’explique en partie par l’existence des recours de droit com-
mun, dont l’obligation alimentaire, qui agissent en toile de fond
comme contrepoids, comme mécanismes de protection qui permet-
tent de pallier l’absence de socle normatif obligatoire en faveur des
conjoints de fait. Les juges majoritaires s’appuient en bonne partie
sur l’existence du recours alimentaire pour justifier leur décision de
nier aux conjoints de fait le bénéfice de la loi en matière de partage
des biens dits «familiaux». Il semble donc que la validité – ou du moins
l’opportunité – de l’abstention du législateur québécois en la matière,
devrait être sérieusement remise en question. À cet égard, on peut
avancer que le raisonnement de la majorité dans l’arrêt Walsh ne
devrait pas s’appliquer en cas de contestation éventuelle de la consti-
tutionnalité des dispositions québécoises en matière d’obligation ali-
mentaire, puisque contrairement aux règles en matière de partage
automatique des biens familiaux, le droit aux aliments dépend par
définition de la situation particulière des parties et ne peut
s’appliquer de façon automatique. Étendre l’obligation alimentaire
aux conjoints de fait ne signifie donc pas que l’on imposerait automa-
tiquement cette mesure de protection à tous les conjoints de fait. N’en
bénéficieraient que ceux (surtout celles) qui en ont besoin. À l’heure
où les statistiques démographiques démontrent que le Québec est le
champion incontestable de l’union libre, le temps est sans doute venu
de refaire ce débat et de se demander si l’obligation alimentaire ne
devrait pas être étendue aux conjoints de fait lorsque la vie commune
est d’une certaine durée.

Ce qui frappe également, à la lecture de l’arrêt Walsh, c’est que


la majorité de la Cour suprême fait l’impasse sur le sort des enfants et
qu’elle ne s’est pas posé la question de savoir si la loi pouvait être dis-
criminatoire à l’égard des conjoints de fait ayant charge d’enfants. Ce
faisant, la Cour a raté l’occasion d’établir un juste équilibre entre la
valorisation de l’autonomie des individus et la protection des person-
nes vulnérables, c’est-à-dire les enfants. L’arrêt Walsh laisse donc
intact le débat sur l’opportunité sociale d’arrimer, du moins en partie,
le statut des conjoints de fait à celui des conjoints mariés. Il est sans

19. Walsh: «lorsqu’il existe de multiples bénéfices et protections adaptés à la situa-


tion et aux besoins particuliers de chacun, il n’y a pas atteinte à la dignité
humaine essentielle des personnes qui ne sont pas mariées» (par. 61).
LA NOTION DE CONJOINT 47

doute permis d’affirmer, à la lumière des débats publics des vingt der-
nières années et de l’évolution du portrait sociologique de la conjuga-
lité au Québec pendant cette période, que l’objectif traditionnel du
droit patrimonial de la famille (c.-à-d. la régulation de la conjugalité
dans son ensemble) a changé et qu’il consiste désormais à fournir un
cadre protectionnel aux seuls couples qui en ont fait le choix. Il faut en
effet prendre acte, au Québec, de l’expression continue de l’attache-
ment collectif au principe du libre choix en matière de relations conju-
gales.

Mais cette orientation ne devrait pas pour autant faire oublier


l’ampleur du dénuement dans lequel une séparation peut jeter les
enfants et les parents gardiens. Dans la mesure où les mères conti-
nuent à assumer la garde exclusive des enfants dans près de 80 % des
ruptures conjugales et qu’un grand nombre d’entre elles se retrou-
vent effectivement en situation de précarité financière, la possibilité
qu’elles ont ou non d’améliorer leur sort grâce aux règles protection-
nelles du droit patrimonial de la famille, a un impact considérable sur
la situation des enfants. Or les statistiques démographiques les plus
récentes démontrent que la majorité des enfants québécois naissent
désormais hors mariage. De plus, les études mettent clairement en
lumière le fait que la charge d’enfants constitue un facteur détermi-
nant de précarité financière et qu’il y a un lien incontestable entre la
maternité et la pauvreté chez les femmes. Il y a là des arguments non
négligeables en faveur, bien entendu, d’un recentrage des priorités
budgétaires en matière de politiques familiales, mais aussi d’une
réforme du droit patrimonial de la famille qui devrait être plus sen-
sible aux besoins des parents gardiens et des enfants, sans égard au
statut matrimonial.

Un certain nombre de protections pourraient ainsi être ratta-


chées à la présence d’enfants plutôt qu’au statut matrimonial. On
peut songer en particulier au partage de certains biens à caractère
familial, comme c’est le cas pour la protection de la résidence fami-
liale.

La proposition de faire dépendre certains effets de droit patri-


monial de la famille de la présence d’enfants plutôt que du seul statut
matrimonial des conjoints n’est pas nouvelle. Elle fut déjà formulée
par différents intervenants lors des grandes réformes québécoises en
droit de la famille au cours des 20 dernières années. C’est ainsi, par
exemple, qu’en 1989 la Fédération des associations de familles mono-
parentales du Québec était d’avis que les conjoints de fait avec
enfants devaient pouvoir bénéficier de la protection des règles sur le
48 XVIe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

partage du patrimoine familial. Cette proposition, on le sait, est


restée lettre morte (la raison étant que le gouvernement de l’époque
estimait ne pas disposer des études suffisantes sur la situation réelle
des familles hors mariage). À ce sujet, il est intéressant de noter que
la création d’une obligation alimentaire entre conjoints de fait dans
les autres provinces, en Ontario par exemple, était en réalité motivée
avant tout par la volonté de venir en aide aux mères ayant la garde
des enfants. Cette obligation alimentaire, qui est aujourd’hui pré-
sentée comme une mesure générale de protection des conjoints de
fait, fut donc en réalité conçue au départ comme un mécanisme de
protection de la famille, visant spécifiquement la situation des con-
jointes de fait qui, à l’issue de leur séparation, étaient appelées à
assumer seules la garde des enfants. Les législateurs des autres pro-
vinces reconnaissaient ainsi que pour répondre adéquatement aux
besoins des enfants au sein des familles désunies, il convenait de pré-
voir aussi des mesures de protection à l’égard des parents gardiens,
leur situation matérielle étant inextricablement liée à celle des
enfants, indépendamment de leur statut matrimonial.

Un autre argument semble militer en faveur d’une atténuation


du principe du libre choix en matière de droit patrimonial de la
famille et donc d’une approche plus protectionniste dès lors que
l’intérêt des enfants est en jeu, soit le fait que par définition les
enfants n’ont pas participé aux choix conjugaux des parents. Pour
eux, l’argument du libre choix, qui est l’argument central de l’arrêt
Walsh, ne peut donc tenir.

Pour conclure cette partie sur le statut des conjoints de fait en


droit civil, arrêtons-nous un instant sur cette nouvelle création qu’est
l’union civile. On sait que l’objectif premier de cette législation était
de répondre aux revendications visant la création d’un statut conju-
gal égal réclamé par les groupes de gais et de lesbiennes et que n’eût
été du partage constitutionnel des compétences, le gouvernement du
Parti québécois aurait résolument ouvert le mariage aux couples de
même sexe plutôt que de mettre en place l’union civile. Rappelons
que, mis à part quelques différences mineures, l’union civile est, tant
dans sa forme que dans ses effets, une copie conforme du mariage. Il
faut donc bien constater que l’union civile ne constitue pas une véri-
table solution de rechange pour les couples hétérosexuels qui vou-
draient bénéficier d’une certaine reconnaissance en droit civil sans
être pour autant disposés à se soumettre au cadre contraignant du
mariage. Les effets de l’union civile étant à peu près identiques à ceux
rattachés au mariage, il y a donc quelque chose d’un peu artificiel à
présenter le mariage et l’union civile comme deux avenues distinctes.
LA NOTION DE CONJOINT 49

En réalité, l’union civile risque bien de devenir une parenthèse dans


l’histoire de la famille si, comme c’est possible, le gouvernement fédé-
ral va de l’avant avec son projet de redéfinition du mariage pour y
inclure les couples de même sexe. Que l’union civile soit également
ouverte aux couples hétérosexuels s’explique par le fait que le gouver-
nement québécois voulait être à l’abri des critiques qui n’auraient pas
manqué de voir dans cette nouvelle institution une autre façon de
marginaliser les homosexuels. Par conséquent, l’avènement éventuel
du mariage entre conjoints de même sexe relèguera très certaine-
ment l’union civile aux oubliettes, à moins que l’on fasse de l’union
civile quelque chose de vraiment différent. Si l’on fait abstraction du
problème du mariage entre couples de même sexe (ou en supposant
que le gouvernement fédéral décide de redéfinir le mariage en ce
sens), il pourrait, en effet, être intéressant de redéfinir le cadre juri-
dique de l’union civile afin d’en faire une véritable solution de
rechange au mariage ou à l’union de fait. Pour y arriver, le législateur
pourrait utilement s’inspirer des législations qui, en Europe comme
en Amérique du Nord, ont mis sur pied des systèmes d’enregis-
trement public des couples non mariés (Registered Domestic Part-
nerships) donnant à ces couples un statut juridique se rapprochant
plus ou moins du mariage, à des degrés qui peuvent varier d’un pays à
l’autre20. L’union civile, nouvelle version, pourrait alors représenter
une intéressante avenue pour ceux et celles qui désirent échapper
soit à certains effets trop contraignants du mariage, soit à l’absence
quasi totale de protection de l’union de fait. On arriverait ainsi à
reconnaître réellement, en droit civil, l’existence de modèles conju-
gaux variés, plutôt que de n’offrir que le choix du tout ou (presque)
rien.

Partie II– La conjugalité en dehors du droit civil

En dehors du droit privé conjugal, l’union de fait est de nos jours


reconnue au même titre que l’union en mariage. Mais il n’en fut pas
toujours ainsi. Ce mouvement a commencé dans le courant des
années 1960. La première loi québécoise à reconnaître les conjoints
de fait est la Loi sur le régime de rentes du Québec qui, en 1965, ouvre

20. C. FORDER, «European Models of Domestic Partnership Laws: The Field of


Choice», (2000) 2 Canadian Journal of Family Law 371-454; M. BAILEY,
«Registered Partnerships in Common Law Canada», dans P.-C. LAFOND et
B. LEFEBVRE (dir.), L’union civile. Nouveaux modèles de conjugalité et de
parentalité au 21e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, 275-290;
M. GRIMALDI, «Le pacte civil de solidarité du droit français: bref aperçu», dans
L’union civile. Nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité au 21e siècle,
op. cit., 291-303; A. ROY, «Partenariat civil et couples de même sexe: la réponse
du Québec», (2001) 35 R.J.T. 663.
50 XVIe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

la porte à l’octroi d’une rente viagère à la conjointe survivante (on exi-


geait alors une période de vie commune d’au moins 7 années). La
reconnaissance de la conjugalité hors mariage en droit public et en
droit social a culminé en 1999 au Québec21 et en 2000 au fédéral22,
avec l’élargissement de la définition du terme «conjoints» pour y
inclure les conjoints de même sexe. Dès lors qu’une union répond aux
conditions particulières d’une loi, l’assimilation de la situation des
conjoints de fait à celle des conjoints mariés ou unis civilement est
complète en droit québécois pour l’application de cette loi et cette assi-
milation inclut désormais les conjoints de même sexe. Aujourd’hui, le
droit social québécois met donc sur un pied d’égalité le couple marié,
le couple uni civilement hétérosexuel ou homosexuel et le couple de
fait hétérosexuel ou homosexuel. La reconnaissance généralisée des
conjoints de fait en droit public23 semble d’ailleurs créer, auprès de
nombreux couples, la fausse impression qu’ils sont protégés exacte-
ment comme s’ils étaient mariés, même au chapitre de l’obligation
alimentaire ou du partage des biens en cas de séparation24.

21. Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les conjoints, L.Q.
1999, c. 14. Cette loi omnibus modifie trente-neuf lois et règlements pour y
inclure les conjoints de même sexe.
22. Loi visant à moderniser les régimes d’avantages et d’obligations dans les lois du
Canada, L.C. 2000, c. 12. Cette loi omnibus modifie soixante-huit lois fédérales
pour y inclure les conjoints de même sexe.
23. Voir les lois suivantes: Loi sur les accidents du travail, L.R.Q., c. A-3; Loi sur les
accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001; Loi sur
l’aide financière aux études, L.R.Q., c. A-13.3; Loi sur l’aide juridique, L.R.Q., c.
A-14; Loi sur l’assurance automobile, L.R.Q., c. A-25; Loi sur les assurances,
L.R.Q., c. A-32; Loi sur les caisses d’épargne et de crédit, L.R.Q., c. C-4.1; Code de
procédure civile, L.R.Q., c. C-25; Loi sur les conditions de travail et le régime de
retraite des membres de l’Assemblée nationale, L.R.Q., c. C-52.1; Loi sur les coo-
pératives, L.R.Q., c. C-67.2; Loi concernant les droits sur les mutations immobi-
lières, L.R.Q., c. D-15.1; Loi sur les élections scolaires, L.R.Q., c. E-2.3; Loi sur
les impôts, L.R.Q., c. I-3; Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1; Loi sur le
régime de rentes du Québec, L.R.Q., c. R-9; Loi sur le régime de retraite de cer-
tains enseignants, L.R.Q., c. R-9.1; Loi sur le régime de retraite des agents de la
paix en services correctionnels, L.R.Q., c. R-9.2; Loi sur le régime de retraite des
élus municipaux, L.R.Q., c. R-9.3; Loi sur le régime de retraite des employés du
gouvernement et des organismes publics, L.R.Q., c. R-10; Loi sur le régime de
retraite des fonctionnaires, L.R.Q., c. R-12; Loi sur les régimes complémentaires
de retraite, L.R.Q., c. R-15.1; Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés
d’épargne, L.R.Q., c. S-29.01; Loi sur la taxe de vente du Québec, L.R.Q., c. T-0.1;
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q., c. T-16; Loi sur l’assurance automo-
bile, 1977, c. 68; Loi sur l’aide et l’indemnisation des victimes d’actes criminels,
1993, c. 54; Loi sur le soutien du revenu et favorisant l’emploi et la solidarité
sociale, 1998, c. 36.
24. En ce sens, M. TÉTRAULT, «L’union civile: j’me marie, j’me marie pas», dans
P.-C. LAFOND et B. LEFEBVRE (dir.), L’union civile. Nouveaux modèles de
conjugalité et de parentalité au 21e siècle, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2003, 101-149.
LA NOTION DE CONJOINT 51

L’absence de mécanisme d’officialisation de l’union de fait (par


un système d’enregistrement public ou, à tout le moins, d’obligation
de déclaration expresse par les personnes qu’elles sont effectivement
des conjoints pour l’application d’une loi particulière) en fait une réa-
lité qui est parfois difficile à démontrer. Cela pose inévitablement la
question de la définition du mot «conjoint». Qu’est-ce qu’un conjoint
de fait? À partir de quand et à quelles conditions une relation entre
deux personnes devient-elle «conjugale»?

Contrairement à la législation fédérale, la législation québé-


coise contient plusieurs définitions du terme «conjoints» et celles-ci
varient selon le contexte législatif. En voici quelques exemples: en
vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies profession-
nelles25, la notion de conjoint inclut la personne qui vit maritalement
avec le travailleur et qui (a) réside avec lui depuis au moins trois ans
ou depuis un an si un enfant est né ou à naître de leur union et (b) est
publiquement représentée comme son conjoint. La Loi sur l’assu-
rance automobile26 retient également l’exigence de cohabitation sur
une période de trois ans, alors que cette période est réduite à un an
dans certains scénarios impliquant la présence d’enfants27. La Loi
sur les régimes complémentaires de retraite28 retient une définition
sensiblement pareille lorsqu’il s’agit de déterminer les bénéficiaires
des prestations après décès. La Loi sur l’aide juridique29 se contente
de l’exigence de «vie maritale» et d’une cohabitation d’un an. La légis-
lation en matière d’aide sociale, on ne s’en surprendra pas, est encore
plus large dans sa définition des conjoints de fait30, puisqu’il s’agit
cette fois d’utiliser la conjugalité comme facteur de réduction des
prestations. Certains auteurs ont, en effet, suggéré que la définition
de l’union de fait pouvait bien être tributaire de l’impact budgétaire
des lois31. Quoi qu’il en soit, on peut certainement affirmer que
l’absence d’uniformité est créatrice de confusion et possiblement
d’injustice. Malgré les différentes déclarations gouvernementales en
faveur d’une uniformisation de la définition des conjoints de fait dans
les législations sociales, force est de constater que cet objectif n’est

25. L.R.Q., c. A-3.001.


26. L.R.Q., c. A-25.
27. Il s’agit de cas suivants: (1) un enfant est né ou à naître de leur union; (2) elles
ont conjointement adopté un enfant; (3) l’une d’elles a adopté un enfant de
l’autre.
28. L.R.Q., c. R-15.1
29. L.R.Q., c. A-14.
30. Loi sur le soutien du revenu et favorisant l’emploi et la sécurité sociale, L.R.Q., c.
S-32, art. 19.
31. Michelle GIROUX et Anouk LAURENT, «Portrait critique de l’union de fait en
droit québécois», (1989) 20 R.G.D. 129, 134.
52 XVIe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

pas encore atteint32. La tendance générale est cependant à l’élargis-


sement de la définition et donc à la reconnaissance de plus en plus
effective de l’union libre. C’est ainsi que la Loi instituant l’union civile
et établissant de nouvelles règles de filiation33 a modifié la Loi
d’interprétation34 dont le nouvel article 61.1 dispose:

Sont des conjoints de fait deux personnes, de sexe différent ou de même


sexe, qui font vie commune et se présentent publiquement comme un
couple, sans égard, sauf disposition contraire, à la durée de leur vie
commune. Si, en l’absence de critère légal de reconnaissance de l’union
de fait, une controverse survient relativement à l’existence de la com-
munauté de vie, celle-ci est présumée dès lors que les personnes cohabi-
tent depuis au moins un an ou dès le moment où elles deviennent
parents d’un même enfant35.

En droit social, il est clair que l’élargissement de la définition de


conjoint pour y inclure les conjoints de fait hétérosexuels d’abord,
puis les conjoints de fait de même sexe ensuite, fut essentiellement
motivé par le souci de donner à tous les couples un traitement égal.
Mais on constate aujourd’hui que la vérification du statut de conjoint
en dehors de la conjugalité «officielle» oblige à déterminer ce qui dif-
férencie la vie maritale des autres formes d’associations, ce qui
implique un certain contrôle du modus vivendi des personnes. La
référence à la notion de conjugalité en droit social pose donc inévita-
blement la question du respect de la vie privée. Nous aborderons cette
problématique avec l’exemple de l’aide sociale (A). Par ailleurs, on ne
peut plus passer sous silence non plus, le fait que l’évolution des
mœurs et la volatilité de la conjugalité contemporaine, de même que
la difficulté à définir la conjugalité, entraînent d’importants obsta-
cles dans l’application de plusieurs législations; à un point tel que cer-
tains observateurs remettent en cause la pertinence de la notion
même de conjugalité comme facteur de détermination de droits et
d’obligations. Le domaine des régimes de retraite permettra de mieux
comprendre cette critique nouvelle (B).

32. En 1998, le ministre de la Justice du Québec annonçait son intention d’uni-


formiser la définition de «conjoints de fait» (GOUVERNEMENT DU QUÉBEC,
Déclaration ministérielle sur l’intention gouvernementale d’harmoniser les
concepts de conjoints de fait de sexe différent et de même sexe, Québec, le 18 juin
1998) mais jusqu’à ce jour ce projet ne s’est pas réalisé.
33. L.Q. 2002, c. 6, art. 143.
34. L.R.Q., c. I-16.
35. D’ici au 30 juin 2005, le gouvernement devra évaluer l’impact de cette définition
(art. 244 de la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de
filiation).
LA NOTION DE CONJOINT 53

A. La conjugalité comme facteur pénalisant: l’exemple de


l’aide sociale

Le droit aux prestations d’aide sociale est tributaire, entre


autres, de la situation conjugale du prestataire, l’idée étant que la
solidarité privée doit avoir priorité sur la solidarité sociale lorsque le
prestataire vit en couple. La loi définit, dès lors, ce qu’il faut com-
prendre par le terme «conjoints»:

Sont des conjoints:

1o les personnes liées par un mariage ou une union civile qui cohabi-
tent;

2o les personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui cohabitent et


qui sont les père et mère d’un même enfant, sauf si elles démontrent
que leur cohabitation est temporaire et résulte de circonstances excep-
tionnelles liées à un problème grave de santé de l’une d’elles ou d’un de
leurs enfants;

3o les personnes majeures, de sexe différent ou de même sexe, qui


vivent maritalement et qui, à un moment donné, ont cohabité pendant
une période d’au moins un an.36

Le paragraphe trois tend à cerner la situation des conjoints dont


le statut ne fait pas l’objet d’une reconnaissance officielle, que ce soit
dans le cadre du mariage, de l’union civile ou de la filiation. Selon la
jurisprudence à peu près constante de la Commission des affaires
sociales, du Tribunal administratif et de la Cour supérieure, la «vie
maritale» implique nécessairement la cohabitation et le secours
mutuel et, accessoirement, la commune renommée37. Si la question
de la cohabitation n’est guère problématique, celle du secours mutuel
est plus délicate. En effet, au-delà de la dimension clairement écono-
mique du secours mutuel, la jurisprudence exige que soit démontrée
une relation affective durable. Cette exigence oblige le décideur à dis-
tinguer la relation affective de nature maritale et les autres types de
relations affectives. On pourrait être tenté de dire, comme le faisait
une certaine jurisprudence, que la dimension «relations sexuelles»
permet de distinguer utilement les deux situations. Cette façon de
voir est maintenant dépassée et il est clair qu’en jurisprudence la

36. Loi sur le soutien du revenu et favorisant l’emploi et la sécurité sociale, L.R.Q., c.
S-32, art. 19.
37. Voir la jurisprudence abondante citée dans Brunette c. Tribunal administratif
du Québec, [2000] R.J.Q. 2664 (C.S.).
54 XVIe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

notion de vie maritale est désormais désarrimée du facteur «sexua-


lité», en ce sens que les relations sexuelles ne constituent plus un fac-
teur déterminant pour démontrer qu’il y a vie maritale en matière de
sécurité du revenu. Comme l’exprimait récemment un juge de la Cour
supérieure:

Un homme et une femme ou deux homosexuels peuvent avoir des rela-


tions sexuelles, même sur une base régulière, sans avoir une vie mari-
tale ou ne pas avoir de relations sexuelles et avoir une vie maritale. Il
ne s’agissait pas pour les membres du premier banc de décider si cet
homme et cette femme vivaient parfaitement ou quasi-parfaitement,
selon le modèle usuel des gens mariés ou des conjoints de fait hétéro-
sexuels ou homosexuels qui vivent comme des gens mariés, une «vie
maritale» et ont habituellement des relations sexuelles ou une intimité
assimilable.38

Cette approche rejoint clairement la position de la Cour


suprême, exprimée dans l’arrêt M. c. H.39. Alors qu’il s’agissait en
l’espèce de déterminer la notion de conjoint au sens de la Loi sur le
droit de la famille de l’Ontario40, la question étant de savoir si les cou-
ples de même sexe pouvaient prétendre au bénéfice de la loi, le juge
Cory n’hésite pas à aborder la question plus large du concept de conju-
galité:

Pour être visés par la définition, ni les couples de sexe différent ni les
couples de même sexe n’ont besoin de se conformer parfaitement au
modèle matrimonial traditionnel afin de prouver que leur union est
conjugale. Un couple de sexe différent peut certainement, après de
nombreuses années de vie commune, être considéré comme formant
une union conjugale, même sans enfants ni relations sexuelles. Évi-
demment, le poids à accorder aux divers éléments ou facteurs qui doi-
vent être pris en considération pour déterminer si un couple de sexe
différent forme une union conjugale variera grandement, presque à
l’infini. [...] Les tribunaux ont eu la sagesse d’adopter une méthode
souple pour déterminer si une union est conjugale. Il doit en être ainsi
parce que les rapports dans les couples varient beaucoup.41

L’analyse de la jurisprudence, tant celle de la Cour supérieure


que celle du Tribunal administratif du Québec, démontre cependant
qu’il existe encore une ambiguïté à l’égard de la pertinence de la
sexualité comme facteur de détermination de la nature conjugale

38. Poulin c. Tribunal administratif du Québec, [2002] R.J.Q. 691 (C.S.).


39. M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3.
40. L.R.O. 1990, c. F.3, art. 29.
41. M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, par. 59 et 60.
LA NOTION DE CONJOINT 55

d’une union42. On constate que la question des relations sexuelles


demeure encore souvent un enjeu important lorsqu’il s’agit d’appré-
cier la nature maritale d’une relation. Même dépouillée de la dimen-
sion sexuelle, la relation affective ne semble pouvoir être retenue
comme facteur de détermination des droits qu’au prix d’une impor-
tante intrusion dans la vie privée des justiciables, en l’occurrence les
prestataires de l’aide sociale. Mais au-delà de cette importante ques-
tion de respect de la vie privée, il faut bien constater qu’en abandon-
nant la dimension sexuelle de la définition de la vie maritale, on
risque bien d’aboutir à une impasse. En effet, il devient à peu près
impossible de définir ce qui constitue réellement une union conju-
gale. Les éléments de cohabitation, de secours mutuels, de liens
d’affection, d’interdépendance financière, etc. ne sont pas l’apanage
des relations conjugales. On les retrouve dans bien d’autres relations
entre adultes. Dans une intéressante décision, la Cour d’appel de
l’Ontario arrive également à la conclusion que de tels éléments sont
trop vagues pour permettre de distinguer adéquatement les unions
maritales des relations non maritales43. La Cour d’appel ne fournit
malheureusement aucune indication sur ce que serait, selon elle, une
relation de type conjugal («a truly marriage like relationship»). Mais
faut-il vraiment se surprendre de ce silence? N’est-ce pas, au fond, la
reconnaissance implicite que, du moins dans certains cas, la conjuga-
lité n’est plus un concept juridique efficace? C’est en tout cas la con-
clusion à laquelle en arrivent Cossman et Ryder:

The effect of using conjugality in any form as a proxy for reduced need is
to deny low-income persons the choice of forming economically inde-

42. Ainsi, dans Faucher c. Tribunal administratif du Québec, C.S., 8 juillet, no 2003
200-05-017342-028, le juge s’appuie sur l’affaire Brunette (voir supra) et cite
avec approbation les propos de l’expert qui, après avoir constaté le caractère
beaucoup trop large des trois critères usuels (cohabitation, secours mutuel et
commune renommée) insiste sur l’importance de la dimension sexuelle de la vie
affective maritale.
43. Falkiner c. Ontario (Ministry of Community and Social Services), [2002] O.J.
No. 1771 (Q.L.); l’autorisation de pourvoi en Cour suprême a été accordée le 20
mars 2003 (C.S.C., no 29294). La Cour d’appel conclut, dans cette affaire, que la
législation ontarienne, en étant trop large dans sa définition de conjoints au
point d’inclure la mère célibataire impliquée dans une relation «à l’essai»
[«try-on relationship»], risque de forcer celle-ci à devenir financièrement
dépendante de l’homme avec lequel elle cohabite; une telle conséquence cons-
titue, selon la Cour d’appel, une atteinte à la dignité de la prestataire. La Cour
conclut au caractère discriminatoire de la définition et elle innove en précisant
que le bénéfice de l’aide sociale constitue un motif analogue au sens de l’article
15 de la Charte canadienne. La Cour reproche à la législation de supposer que
les mères célibataires bénéficiaires de l’aide sociale qui font un essai de vie en
couple sont nécessairement dans une relation de solidarité et d’interdépen-
dance financière. Rappelons que la Cour suprême est saisie de la question.
56 XVIe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

pendent relationships. [...] Since financial independence should be a


choice that is not only tolerated but encouraged, since the formation of
interdependent family units should also be encouraged, and since
coerced dependence is wrong, the existence of a conjugal relationship
should not, in itself, make any difference to welfare entitlement.44

Sans apporter de réponse à cette difficile question, mentionnons


qu’elle rejoint les préoccupations de la Commission du droit du
Canada qui, dans un récent document45, émet l’hypothèse selon
laquelle il serait plus judicieux, dans bien des cas, de reconnaître le
concept de «relations personnelles étroites» plutôt que de «conjuga-
lité» lorsqu’une législation concernée vise, à travers la conjugalité, à
souligner en réalité l’importance sociale des rapports de solidarité
ainsi que le résultat économique de tels rapports. En d’autres mots, la
notion de conjugalité n’aurait, dans bien des cas, plus de lien ration-
nel avec les objectifs de la loi46. Cette approche rejoint la position de la
Cour suprême qui, dans l’arrêt Miron, souligne que les gouverne-
ments devraient fonder leurs législations non pas sur le statut conju-
gal ou quasi conjugal, mais plutôt sur les caractéristiques des rela-
tions personnelles qui ont un lien, une pertinence, avec les objectifs
particuliers de chaque législation. Par exemple, s’il est évident que la
notion de conjugalité garde toute sa raison d’être dans le cadre du
droit familial, elle mérite d’être remise en question dans un domaine
comme celui de l’aide sociale dont l’objet est de venir en aide aux per-
sonnes économiquement défavorisées. À l’égard d’un tel objectif, il est
raisonnable de tenir compte d’une situation d’interdépendance éco-
nomique et matérielle. Par contre, il est douteux que la vie affective
des bénéficiaires ait un lien rationnel avec l’objet de la loi.

44. B. COSSMAN et B. RYDER, «What Is Marriage-like Like? The Irrelevance of


Conjugality», (2001) 2 Canadian Journal of Family Law 227, 309-310.
45. La reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle entre adultes,
disponible sur le site Internet de la Commission: http://www.lcc.gc.ca/fr/the-
mes/pr/cpra/cpra_main.asp
46. «[...] la notion de vie privée exige que l’État reste «en dehors des chambres à cou-
cher de la nation». Elle nécessite également que l’État évite, chaque fois que
cela est possible, d’établir des règles juridiques qui ne peuvent être adminis-
trées efficacement sans examen envahissant ou divulgation forcée des détails
intimes des rapports personnels entre adultes. Plus particulièrement, excep-
tion faite des cas de violence et d’exploitation, les rapports sexuels entre les
adultes consentants ne devraient pas être soumis aux enquêtes de l’État. La
sexualité est l’une des facettes les plus intimes de bon nombre de rapports per-
sonnels. La présence ou l’absence d’une relation sexuelle adulte consensuelle,
ou la nature des actes sexuels consensuels des adultes, sont des sujets qui n’ont
rien à voir avec la promotion des objectifs légitimes de l’État» (ibid.).
LA NOTION DE CONJOINT 57

B. La conjugalité comme facteur d’attribution de droits:


l’exemple des régimes de retraite

La justification traditionnelle du paiement de prestations de


survivant dans le cadre des régimes de retraite, se trouvait dans le
souci de venir en aide au conjoint survivant qui était généralement
l’épouse, qui n’avait que très peu de liens avec le marché du travail et
qui avait généralement connu une situation de dépendance finan-
cière à l’égard de l’époux décédé. Or il est indéniable que ce modèle du
couple qui dure jusqu’au décès et qui fonctionne selon une distribu-
tion traditionnelle des rôles – l’homme au travail et la femme au foyer
– correspond de moins en moins à la réalité. Non seulement le
mariage ne représente plus la forme quasi obligatoire de la conjuga-
lité, mais biens souvent les deux conjoints ont un travail rémunéré.
Au surplus, un nombre croissant de couples connaît une séparation
ou un divorce. Bien sûr, la législation québécoise reconnaît depuis
longtemps, au chapitre des régimes de retraite, la réalité de la conju-
galité hors mariage. Mais aujourd’hui, cette reconnaissance engen-
dre plusieurs difficultés. La première est celle du choix entre les
différents bénéficiaires potentiels des prestations de survivant.
Ainsi, la Loi sur les régimes complémentaires de retraite47 fait le choix
de donner la priorité au conjoint marié séparé de fait, même si le coti-
sant vivait depuis de nombreuses années avec un conjoint de fait. La
Loi sur le régime de rentes du Québec48 adopte la même solution. Ce
choix, on en conviendra, mérite au moins d’être discuté. Par ailleurs,
on peut légitimement se demander si le concept de conjoint permet
encore de répondre efficacement aux objectifs de la législation en
matière de régime de rentes. Cette question est au cœur des
réflexions actuelles concernant la réforme du Régime de rentes au
Québec49. La deuxième difficulté résulte du fait qu’il faut définir la
notion de conjugalité et vérifier s’il y a eu «vie maritale» au sens, par
exemple, de la Loi sur le régime de rentes du Québec. Cela peut con-
traindre les administrateurs de régimes de retraite à effectuer une
série de vérifications qui touchent intimement la vie privée des parti-
cipants.

47. Loi sur les régimes complémentaires de retraite, L.R.Q., c. R-15.1, art. 85.
48. Loi sur le régime de rentes du Québec, L.R.Q., c. R-9, art. 91.
49. RÉGIE DES RENTES DU QUÉBEC, Adapter le Régime de rentes aux nouvelles
réalités du Québec, Québec, novembre 2003. Ce document de consultation est
disponible sur le site de la Régie des rentes: www.rrq.gouv.qc.ca. Il propose de
diluer les droits du conjoint survivant au profit d’un renforcement de la protec-
tion des orphelins.
58 XVIe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

Ce double obstacle, celui de la définition de la conjugalité et


celui du choix du survivant qui mérite le plus d’être protégé, amène
certains observateurs à se demander si la conjugalité est encore un
facteur pertinent et s’il n’est pas déconnecté des fondements des pres-
tations de survie. Ainsi, comme le souligne Mireille Deschênes dans
un article très fouillé sur la question de la discrimination dans les
régimes de rentes et d’assurances:

La rente au conjoint survivant est maintenant vue comme une assu-


rance de moyens de subsistance plutôt qu’un prolongement de l’obliga-
tion alimentaire. Le droit social, contrairement au droit civil, reflète un
souci d’assurer au survivant certaines ressources financières, souci
fondé sur la reconnaissance d’une certaine solidarité économique des
partenaires d’un couple même en l’absence d’obligations réciproques de
secours et d’assistance. L’évolution du fondement de la prestation de
survie amène à s’interroger sur la justification de l’exclusion des ména-
ges «non conjoints» formés, par exemple, de deux sœurs qui cohabitent
et mettent en commun leurs ressources. Objectivement, rien ne semble
justifier que ces personnes soient considérées moins vulnérables ou
moins dignes de protection face aux aléas de la vie. Un débat de société
devra éventuellement être engagé sur les fondements de la garantie
d’un revenu en cas de décès, sur la vocation universelle d’un tel droit et
la responsabilité de la collectivité d’en assumer le financement.50

Cette auteure soutient que puisque les désavantages qui décou-


lent du décès ne touchent pas exclusivement les conjoints, la législa-
tion devrait être neutre, en ce sens que «tout comme dans le cas de
l’assurance vie, ce sont les participants aux régimes de retraite, et
non l’État ou le répondant du régime, qui devraient désigner le béné-
ficiaire des prestations de décès»51. Une telle proposition, qui revient
à mettre de côté la conjugalité comme facteur nécessaire d’attribution
de droits, rejoint les préoccupations récentes de la Commission du
droit du Canada qui, dans son rapport La reconnaissance et le soutien
des rapports de nature personnelle entre adultes52, préconise le prin-
cipe de neutralité de l’État quant à la nature des relations personnel-
les, afin de mieux servir les objectifs législatifs qui peuvent varier

50. M. DESCHÊNES, «Droit à l’égalité dans le régimes de rentes et d’assurances»,


dans Association Henri Capitant, J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS
(dir.), Droit à l’égalité et discrimination: aspects nouveaux, Cowansville, Édi-
tions Yvon Blais, 2002, p. 25-26.
51. M. DESCHÊNES, «Les prestations de conjoints sont-elles encore pertinen-
tes?», Commentaires Mercer, printemps 2001, Montréal (note: il s’agit du bulle-
tin d’information publié par la Société Conseil Mercer Ltée).
52. La reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle entre adultes,
disponible sur le site Internet de la Commission: http://www.lcc.gc.ca/fr/the-
mes/pr/cpra/cpra_main.asp
LA NOTION DE CONJOINT 59

d’une législation à l’autre. En d’autres mots, soulignant que le con-


cept de «rapports personnels étroits» est plus adéquat que le concept
de conjugalité53, la Commission avance l’idée selon laquelle la perti-
nence même de la notion de relations personnelles devrait être
remise en question en regard des objectifs légitimes des différentes
législations. Et là où cela s’avère possible, il conviendrait, selon la
Commission, de vérifier si les individus ne devraient pas pouvoir
choisir eux-mêmes lesquels de leurs rapports personnels étroits
devraient être assujettis à la législation concernée. C’est ainsi qu’en
matière de prestations de survivant, la Commission recommande
expressément de laisser aux participants le droit de désigner
eux-mêmes le bénéficiaire54.

Conclusion

En guise de brève conclusion de ce survol, on peut sans doute


affirmer qu’en ce qui concerne la problématique du statut juridique
des conjoints, le droit traverse actuellement une période de remise en
question importante, cherchant à s’adapter aux réalités changeantes
des relations familiales et conjugales. Cette adaptation implique,
particulièrement en droit privé, la recherche d’un équilibre délicat
entre le respect de l’autonomie des individus et l’impératif de protec-

53. Par ailleurs, la Commission du droit du Canada soutient que la définition de


l’union de fait devrait varier selon l’objectif spécifique des lois mais que
l’existence de rapports sexuels ne devrait en tout cas jamais être retenue
comme élément pertinent: «Toute nouvelle définition devrait se concentrer sur
les attributs fonctionnels d’une relation. Il pourrait être possible de rédiger une
définition qui met l’accent sur les attributs fonctionnels les plus importants des
rapports personnels, c’est-à-dire ceux qui suscitent le besoin de reconnaissance
et de protection par la loi. Ainsi, l’existence de relations sexuelles au sein d’une
relation n’est pas pertinente dans l’atteinte des objectifs légitimes de l’État. La
définition actuelle de conjoints de fait, qui intègre la notion de conjugalité, fait
de l’existence de relations sexuelles un facteur dont il faut tenir compte dans
l’administration des politiques de l’État. La protection de la vie privée et
l’atteinte des objectifs gouvernementaux seraient mieux réalisées si les défini-
tions des rapports étaient rédigées de façon à supprimer l’importance accordée
à l’existence d’une dimension sexuelle comme facteur relationnel. La nouvelle
définition pourrait plutôt porter sur les deux attributs fonctionnels qui sem-
blent particulièrement importants dans un grand nombre de contextes: l’inti-
mité affective et l’interdépendance économique. Un troisième attribut qui
pourrait également être pertinent est celui d’une résidence partagée.»
54. Ibid., recommandation 30: «Les gouvernements devraient modifier le Régime
de pensions du Canada et les lois sur les régimes de retraite d’employeurs et les
régimes de pensions d’anciens combattants, pour permettre à un cotisant, un
employé ou un ancien combattant de désigner comme bénéficiaire de la presta-
tion de survivant une personne avec laquelle il vit dans un rapport assorti
d’interdépendance économique.»
60 XVIe CONFÉRENCE DES JURISTES DE L'ÉTAT

tion des membres les plus vulnérables de la famille. Dans certains


secteurs du droit social, cet effort d’adaptation oblige à se demander
si la notion de conjugalité répond encore efficacement aux objectifs
législatifs ou si, au contraire, d’autres formes de relations personnel-
les ne devraient pas parfois prendre le dessus. La question est loin
d’être théorique. Au contraire, elle pourrait bien engendrer dans un
proche avenir un mouvement de réformes législatives bien concrètes.
À cet égard, soulignons la toute première initiative en ce sens, avec la
récente législation de l’Alberta, la Adult Interdependent Relations-
hips Act, qui reconnaît l’utilité juridique du concept de relations étroi-
tes entre adultes55. Parions qu’il ne s’agit que d’une première...

55. Adult Interdependent Relationships Act, S.A., c. A-4.5; Adult Interdependent


Partner Agreement Regulation, Al. Reg. 141/2003.

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