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UE.1 - Histoire Médiévale

Le Haut Moyen Âge, s'étendant du Ve au VIe siècle, est marqué par la chute de l'Empire romain d'Occident et l'émergence de royaumes barbares. Cette période voit également la naissance et la diffusion du christianisme, qui évolue d'un courant juif à une religion universelle, avec une organisation ecclésiastique inspirée de l'Empire romain. Les Pères de l'Église et les conciles œcuméniques jouent un rôle crucial dans la définition de la doctrine chrétienne durant cette époque.

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UE.1 - Histoire Médiévale

Le Haut Moyen Âge, s'étendant du Ve au VIe siècle, est marqué par la chute de l'Empire romain d'Occident et l'émergence de royaumes barbares. Cette période voit également la naissance et la diffusion du christianisme, qui évolue d'un courant juif à une religion universelle, avec une organisation ecclésiastique inspirée de l'Empire romain. Les Pères de l'Église et les conciles œcuméniques jouent un rôle crucial dans la définition de la doctrine chrétienne durant cette époque.

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UE.

1 – Histoire Médiévale
Découverte du Haut Moyen-Âge
2
Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

Le Haut Moyen Age (Ve – VIe siècles)


Le Haut Moyen Âge correspond à la première période du Moyen Âge ; il s'étend théoriquement
jusqu’au Xe siècle. Toutefois, le présent cours s’arrêtera au VIe siècle. Par ailleurs, l’étude ne se
limitera pas au territoire de la France actuelle, mais portera plus largement sur l’Occident médiéval.

1. La chute de l’empire romain d’occident


La chute de l’Empire romain d’Occident constitue l’événement fondateur du Moyen Âge. Ce
processus, amorcé dès le IIᵉ siècle par les premières incursions dites « barbares » dans l’Empire
romain, s’est intensifié au fil des siècles. Le terme « incursion » est ici préféré à celui d’« invasion », ce
dernier impliquant des mouvements massifs et soudains, alors que les migrations furent en réalité
souvent progressives et limitées. Il convient également de rappeler que, pour les Romains, le mot «
barbare » désignait avant tout les peuples ne parlant ni le latin ni le grec, sans la connotation
péjorative moderne. Face à ces pressions croissantes, l’Empire romain fut officiellement divisé en
deux entités, occidentale et orientale, en 395. Le 31 décembre 406, plusieurs peuples germaniques —
Vandales, Wisigoths, Suèves, entre autres — franchirent le Rhin gelé, marquant la première grande
percée de ces groupes au sein du territoire romain. En 410, le sac de Rome par les Wisigoths
provoqua un immense traumatisme en Occident, la ville n’ayant pas été envahie depuis l’attaque
gauloise de 390 av. J.-C.

Au cours du Vᵉ siècle, une menace plus redoutable émergea avec l’arrivée des Huns, originaires
d’Asie centrale. Leur progression vers l’Ouest entraîna le déplacement de nombreuses populations
germaniques. Après 410, les Huns devinrent un péril majeur pour Rome. L’autorité impériale étant
alors affaiblie, d’autres figures prirent en charge la défense de l’Empire, comme le pape Léon Ier
(440–461), qui joua un rôle déterminant. En 451, les troupes d’Attila furent vaincues à la bataille des
Champs Catalauniques (située entre Châlons et Troyes) par une coalition romano-barbare. Attila,
repoussé, mourut peu après dans des circonstances non militaires. Finalement, en 476, le dernier
empereur d’Occident, Romulus Augustule, fut déposé par le chef germain Odoacre, acte symbolique
marquant traditionnellement la fin de l’Empire romain d’Occident. Les découvertes archéologiques
confirment l’impact de ces bouleversements : dépopulation urbaine, incendies, abandon des villae
(domaines agricoles), et même diminution notable de la taille des animaux d’élevage, révélant une
détérioration économique importante. Dans les territoires de l’ancien Empire, plusieurs royaumes
barbares émergèrent. Les Francs s’établirent entre la Loire et le Rhin, tandis que les Wisigoths
contrôlaient l’ensemble de la péninsule ibérique et une partie de la Gaule jusqu’à la Loire. Les
Ostrogoths, leur peuple frère, s’implantèrent en Italie. Les Burgondes, autre peuple germanique,
donnèrent leur nom à la future Bourgogne. Les Alamans occupaient une partie de la Suisse et du sud-
ouest de l’Allemagne. Les Vandales, quant à eux, établirent un royaume en Afrique du Nord, tandis
que les Saxons restèrent organisés en tribus, sauf en Bretagne insulaire, où ils formèrent avec les
Angles les royaumes anglo-saxons. Cette conquête provoqua une migration de populations bretonnes
vers l’Armorique (future Bretagne).

Malgré la chute de Rome, le prestige de l’Empire romain persista. Nombreux furent les rois
barbares à rechercher des titres honorifiques romains tels que « consul » ou « patrice », témoignant
d’une volonté de continuité culturelle. Le cas de Théodoric le Grand, roi ostrogoth, est
particulièrement représentatif. En 484, il reçut le titre de consul de l’empereur byzantin Zénon.
Installé en Italie dès 493, il prit Ravenne et tua Odoacre, fondant ainsi le royaume ostrogoth d’Italie.
Théodoric s’attacha à restaurer une forme de romanité. Il fit de Ravenne sa capitale, ville qu’il
embellit en restaurant aqueducs, routes, églises et édifices publics. Il s’entoura de conseillers romains
éminents, tels que le philosophe Boèce et l’écrivain Cassiodore. Son pouvoir fut reconnu par
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

Constantinople, et son règne, jusqu’à sa mort en 526, incarna l’un des derniers grands efforts de
préservation de l’héritage impérial romain en Occident.

2. L’expansion du Christianisme
a) Naissance et diffusion du Christianisme
Le christianisme trouve son origine dans la prédication de Jésus de Nazareth, reconnu par ses
disciples comme le Messie. Sa naissance est estimée entre 3 et 7 avant notre ère. Le terme « Messie
», issu du grec Christos, signifie « l’oint », en référence à l’onction, un rituel consistant à être consacré
par l’application d’huile sainte. Cette pratique symbolise une élection divine. Dans le contexte juif de
l’époque, le Messie était attendu comme un libérateur politique et spirituel, susceptible de délivrer le
peuple de la domination romaine. Toutefois, Jésus se révèle progressivement comme un chef
spirituel, et non militaire ou politique. Cette déception a conduit une partie des Juifs, initialement
séduits par son message, à se détourner de lui. La figure de Judas Iscariote serait, selon certains
historiens, l’incarnation symbolique de cette désillusion. Ceux qui, au contraire, sont restés fidèles à
Jésus sont appelés les apôtres, c’est-à-dire les « envoyés ». À ses débuts, le christianisme n’est qu’un
courant du judaïsme. La distinction majeure réside dans la foi chrétienne en la résurrection de Jésus,
événement fondateur pour ses adeptes. Progressivement, au cours du Ier siècle, les deux religions se
différencient, notamment autour de l’interprétation et de l’observance de la Loi mosaïque : Jésus l’a-
t-il accomplie ou abrogée ?

Un tournant majeur survient en 70 après J.-C., lorsque les Romains détruisent le Temple de
Jérusalem. Cet événement marque le début de la Diaspora juive (du grec diaspora, « dispersion »). En
réaction, émerge le judaïsme rabbinique, centré sur l’étude et l’observance rigoureuse de la Loi, afin
de préserver l’identité religieuse du peuple juif en exil. Le christianisme emprunte une voie opposée :
il se veut désormais une religion universelle, ouverte à l’ensemble de l’humanité, au-delà du peuple
d’Israël. Cette dimension universaliste s’affirme sous l’impulsion de Paul de Tarse (Saint Paul), né en 8
et mort entre 64 et 68. Bien qu’il n’ait pas connu Jésus, Paul est considéré comme un apôtre en raison
de son rôle fondateur dans l’organisation et la diffusion du message chrétien. De culture grecque et
citoyen romain, il incarne le pont entre les mondes juif, hellénistique et romain. Influencé par la
pensée platonicienne, Paul rompt avec plusieurs prescriptions de la Loi juive, notamment la
circoncision, et rejette l’idée d’un peuple élu. Son action, ainsi que celle de figures comme Saint
Pierre, conduit à de nombreuses conversions, notamment en milieu grec et romain. Cependant,
malgré cet essor, le christianisme demeure longtemps mal perçu par les autorités impériales.
L’Empire, bien que théoriquement tolérant sur le plan religieux, considère les chrétiens comme des
citoyens déloyaux, notamment en raison de leur refus de participer au culte impérial. Cette attitude
engendre des persécutions. Ceux qui meurent pour leur foi sont qualifiés de martyrs (du grec martus,
« témoin »), et deviennent des figures centrales du christianisme primitif. Ces martyrs sont perçus
comme des intercesseurs auprès de Dieu, ce qui marque l’origine du culte des saints.

Certains empereurs cherchent cependant à apaiser les tensions religieuses. En 313, l’édit de
Milan, promulgué par Constantin, accorde la liberté de culte aux chrétiens. En 380, sous l’empereur
Théodose Ier, le christianisme devient religion officielle de l’Empire romain. La diffusion du
christianisme s’effectue prioritairement dans les grandes villes, notamment en Grèce et en Italie.
Chaque région chrétienne possède une « primatie », c’est-à-dire une ville considérée comme le
premier centre de la foi locale. En Gaule, c’est l’archevêque de Lyon qui détient cette primatie, Lyon
étant traditionnellement considérée comme le point d’entrée du christianisme sur le territoire, dès
l’an 177.

b) L’organisation chrétienne
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

À ses débuts, le christianisme s’organise selon un modèle inspiré du judaïsme, notamment


autour des synagogues. Cependant, à mesure que la religion se développe, elle adopte
progressivement les structures administratives de l’Empire romain. L’Empire était divisé en civitates
(cités), qui comprenaient à la fois un centre urbain et son territoire environnant. Les chrétiens
reprennent ce découpage territorial et en font la base de l’organisation des diocèses. Pendant un
certain temps, les termes cité et diocèse sont utilisés de manière interchangeable. De la même
manière, les provinces romaines sont réutilisées comme unités ecclésiastiques, chacune étant placée
sous l’autorité d’un évêque principal appelé métropolitain, titre qui sera plus tard remplacé en
Occident par celui d’archevêque, à partir du VIIIᵉ ou IXᵉ siècle. Ainsi, l’évêché de Tours correspond
directement à l’ancienne cité romaine du même nom.

Au sommet de la hiérarchie, certaines grandes villes chrétiennes — celles qui ont accueilli les
premières communautés — voient leur évêque porter le titre de patriarche. Cinq patriarcats sont
reconnus dans l’Antiquité : Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. En Occident, le
titre de patriarche disparaît au profit de celui de pape (du grec pappas, « père »), initialement
attribué à tous les évêques, avant de désigner exclusivement l’évêque de Rome. L’ensemble de cette
hiérarchie est secondé par des clercs, c’est-à-dire des hommes ayant reçu le sacrement de l’ordre, les
intégrant ainsi dans le clergé. Ce clergé est structuré en deux grandes catégories de ministres, répartis
selon leur niveau d’ordination :

 Ordres mineurs :
- Portier
- Lecteur
- Exorciste
- Acolyte
 Ordres majeurs :
- Sous-diacre
- Diacre
- Prêtre (ou curé, car chargé d’une cure d’âmes)

Seuls ceux ayant reçu un ordre majeur sont habilités à célébrer la messe, rite central du culte
chrétien, commémorant la Cène — le dernier repas du Christ avec ses apôtres. À l’origine, le
christianisme est une religion urbaine. Il n’existe pas encore d’églises dans les campagnes. L’un des
grands processus du Moyen Âge consiste précisément en l’implantation du christianisme rural, à
travers la constitution progressive d’un réseau de paroisses. Ce processus, amorcé au Ve siècle, s’étale
jusqu’au XIIIᵉ siècle. En parallèle, se développent des formes de vie religieuse en marge de la
hiérarchie ecclésiale classique : l’érémitisme et le monachisme. Ces formes donnent naissance à ce
que l’on appellera plus tard le clergé régulier (par opposition au clergé séculier qui officie dans les
paroisses). Apparus à la fin du IIIᵉ siècle, les ermites vivent retirés du monde, seuls, dans une quête
de perfection spirituelle. Le monachisme (du grec monos, « seul ») naît dans la même logique, mais
évolue rapidement vers une forme communautaire : le cénobitisme, qui signifie « vie en commun ».
Les moines ne sont pas, à l’époque, considérés comme des clercs : ils ne reçoivent pas le sacrement
de l’ordre, mais prononcent des vœux, tels que celui de pauvreté, d’obéissance et parfois de chasteté.
Leur engagement repose sur un choix de vie ascétique et communautaire, distinct de l’office
sacerdotal.

c) Dogmes et divisions
o Les Pères de l’Église
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Les Pères de l’Église sont des auteurs chrétiens dont les écrits ont été considérés comme
suffisamment autoritatifs et théologiquement solides pour servir de fondement à la doctrine
chrétienne. Leurs œuvres ont joué un rôle central dans la définition et la transmission de la foi
chrétienne, notamment durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge. On distingue généralement
deux grandes traditions patristiques selon la langue dans laquelle ces auteurs ont écrit : les Pères
grecs et les Pères latins.

Les Pères grecs


Parmi les Pères de l'Église de langue grecque, on peut citer Jean Chrysostome (vers 344/349 – 407).
Archevêque de Constantinople, il est célèbre pour ses talents d’orateur – son surnom Chrysostome
signifie « bouche d’or » – et pour ses homélies d’une grande rigueur morale et doctrinale.

Les Pères latins


Plusieurs figures majeures se détachent parmi les auteurs de langue latine :
- Saint Ambroise de Milan (340 – 397) : évêque de Milan, il est connu pour son influence
politique, sa théologie et ses compositions liturgiques, notamment des hymnes qui ont
marqué la tradition chrétienne occidentale.
- Saint Jérôme de Stridon (347 – 420) : il est l’auteur de la Vulgate, traduction latine de la Bible
à partir des textes hébreux et grecs. Le terme Vulgate vient de vulgus, signifiant « le peuple »,
car cette version était conçue pour être accessible dans la langue vernaculaire de l’Empire
romain d’Occident. Elle fut la version de référence de la Bible tout au long du Moyen Âge.
- Saint Augustin d’Hippone (354 – 430) : évêque d’Hippone (dans l’actuelle Annaba, en
Algérie), il est l’un des plus grands penseurs chrétiens de l’Antiquité. Théologien et
philosophe, il a profondément marqué la pensée médiévale. Deux de ses œuvres majeures
sont :
 Les Confessions, considérées comme l’un des premiers exemples d’autobiographie
spirituelle de l’histoire.
 La Cité de Dieu, un traité théologico-politique qui développe une vision duale du
monde entre la cité terrestre et la cité céleste, et qui influencera durablement la
pensée politique chrétienne médiévale.

o Les conciles œcuméniques


Le terme œcuménique provient du grec οἰκουμένη (oikoumenē), signifiant « le monde habité
». Un concile œcuménique désigne ainsi une assemblée réunissant les évêques de l’ensemble du
monde chrétien connu, afin de statuer sur des questions fondamentales de foi et de doctrine.

Le concile de Nicée (325)


Le premier et l’un des plus importants conciles œcuméniques fut convoqué en 325 à Nicée, dans la
province romaine d’Anatolie (actuelle Turquie), sous l’impulsion de l’empereur Constantin. Ce concile
vise à définir les éléments essentiels de la foi chrétienne, en particulier le dogme de la Trinité, l’une
des premières sources de controverses majeures. La Trinité affirme que Dieu existe en trois «
personnes » : le Père, le Fils (Jésus-Christ) et le Saint-Esprit, tout en étant un seul et même Dieu. Ce
dogme repose sur le principe de la consubstantialité : les trois personnes ne sont pas créées les unes
par les autres, mais existent éternellement et ensemble. Cela implique également le dogme de
l’incarnation, selon lequel le Christ est Dieu fait homme, ce qui distingue les croyants « orthodoxes »
(dans le sens de « croyant correctement ») de ceux accusés d’hérésie.
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

L’arianisme

L’une des premières hérésies condamné à Nicée est l’arianisme, du nom du prêtre Arius (v. 250–336)
d’Alexandrie. Arius soutenait que le Fils (le Christ) n’était pas consubstantiel au Père, mais qu’il avait
été créé par Lui, et qu’il n’était donc pas véritablement Dieu. Cette vision rejette le principe de la
Trinité. L’arianisme s’est particulièrement répandu parmi les peuples germaniques.

Le nestorianisme
Une autre hérésie majeure est le nestorianisme, formulé par Nestorius, patriarche de Constantinople
(381–451). Il proposait que le Christ possédât deux personnes distinctes : une divine (le Verbe) et une
humaine. En conséquence, la Vierge Marie ne pouvait être qualifiée de « Mère de Dieu », mais
seulement de « Mère de Jésus ». Cette séparation radicale entre les deux natures du Christ fut
condamnée au concile d’Éphèse en 431. Toutefois, le nestorianisme se répandit durablement en
Orient, notamment en Perse, Inde et jusqu’en Chine.

Le monophysisme
Une hérésie inverse, le monophysisme, fut défendue par Eutychès, moine de Constantinople au Ve
siècle. Cette doctrine affirme que le Christ ne possède qu’une seule nature, la nature divine,
reléguant son humanité à une simple apparence. Le monophysisme fut condamné lors du concile de
Chalcédoine en 451. Cette hérésie donna néanmoins naissance à plusieurs Églises orientales non
chalcédoniennes encore existantes aujourd’hui, comme les Églises copte (Égypte), éthiopienne,
arménienne ou syriaque.

Distinction entre Orient et Occident


La lutte contre les hérésies fut plus efficace en Occident, où celles-ci disparurent progressivement au
cours du haut Moyen Âge. En revanche, en Orient, des Églises autocéphales (c’est-à-dire
indépendantes du patriarcat de Constantinople ou de Rome) continuèrent à perpétuer certaines
doctrines rejetées par les conciles œcuméniques.

d) La diffusion du christianisme en occident


À ses débuts, le christianisme en Occident est essentiellement une religion urbaine. Le terme
païen (du latin paganus) désigne ainsi les populations rurales, qui restent majoritairement non
chrétiennes. C’est donc dans les campagnes occidentales que l’évangélisation va représenter un défi
majeur.

Conversion des populations


- Les Gallo-Romains se convertissent progressivement au christianisme.
- Les peuples germaniques, quant à eux, adoptent majoritairement l’arianisme, une forme de
christianisme jugée hérétique par l’Église de Rome.
- Dans certains royaumes barbares, comme le royaume franc, se forment des Églises
nationales, organisées autour de figures ecclésiastiques importantes appelées primats.

L’évangélisation des campagnes


L’évangélisation rurale est menée par des évêques missionnaires, dont le plus célèbre est saint
Martin de Tours (316/317 – 397). Il est notamment à l’origine de la création des premières paroisses
rurales en Gaule, pour favoriser la conversion des paysans. Cette action missionnaire est appuyée par
le développement du monachisme occidental à partir du IVe siècle. Un exemple emblématique est le
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

monastère de Lérins, fondé sur une île par saint Honorat, qui a également contribué à l’évangélisation
de la ville d’Arles.

Saint Benoît de Nursie et la règle bénédictine


Le moine le plus influent de cette époque est saint Benoît de Nursie (vers 480/490 – 547),
fondateur du monastère du Mont Cassin vers 530. Il rédige la règle bénédictine, qui devient la base
du monachisme occidental. Cette règle repose sur trois vœux fondamentaux :
1. Pauvreté individuelle
2. Obéissance
3. Conversion des mœurs (notamment la chasteté)

La règle bénédictine prône un équilibre entre :


- Travail manuel
- Études et prière
- Repos, le tout sous l’autorité d’un abbé.

Autres formes de monachisme


Des formes de monachisme plus rigoureuses coexistent :
- Saint Patrick (385–461), actif en Irlande, qui convertit notamment les Scots et les Pictes.
- Saint Colomban (543–615), moine irlandais qui fonde plusieurs monastères sur le continent
(notamment à Luxeuil, Saint-Gall et Bobbio). Il incarne une tradition monastique irlandaise
marquée par une grande exigence spirituelle et physique (ascèse).

On observe donc deux grandes tendances dans le monachisme occidental :


- Une tradition irlandaise, ascétique et rigoureuse.
- Une tradition bénédictine, plus modérée et accessible.

La Gaule et le christianisme romain

En Gaule, la distinction devient claire entre paganisme rural et christianisme urbain. À une échelle
plus large, l’Occident chrétien se structure autour de l’opposition entre l’arianisme (chez les barbares)
et le christianisme romain. Les Francs jouent un rôle essentiel dans cette dynamique : avec le
baptême de Clovis (entre 496 et 507), ils deviennent le premier peuple barbare à se convertir
directement du paganisme au christianisme romain, sans passer par l’arianisme. Cela permet aux
Francs de se rapprocher du Pape, et donc de Rome.

Le rôle du pape Grégoire le Grand


Sous le pontificat de Grégoire Ier, dit le Grand (590–604), ancien moine bénédictin, le
christianisme occidental se structure davantage :
- Il réforme la liturgie (ensemble des rites religieux), donnant naissance au chant grégorien.
- Il contribue à la reconversion de l’Angleterre, en y envoyant des moines missionnaires.
- Au VIIe siècle, toute l’Europe occidentale adopte une liturgie commune, à l’exception de
l’Espagne wisigothique.

e) L’Église et la survie de la culture antique en occident


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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

Contrairement à l’idée reçue d’une rupture brutale avec l’Antiquité, c’est en réalité l’Église qui
a largement contribué à préserver la culture antique en Occident après la chute de l’Empire romain.

La transmission des savoirs

L’un des rôles fondamentaux de l’Église fut la copie des œuvres de l’Antiquité. Cette tâche
était assurée dans les scriptoria, les ateliers de copie installés au sein des monastères et des
cathédrales. Grâce à ces efforts, de nombreux textes antiques ont pu traverser les siècles.

L’enseignement : trivium et quadrivium


Les savoirs transmis par l’Église s’organisent autour de deux grands ensembles de disciplines, appelés
les arts libéraux :
- Le trivium (matières littéraires) : Grammaire ; Rhétorique ; Dialectique (art de raisonner,
logique).
- Le quadrivium (matières scientifiques) : Arithmétique ; Musique ; Géométrie ; Astronomie.
Ces sept disciplines sont unifiées dans l’enseignement chrétien, le chiffre sept étant sacré dans la
symbolique chrétienne.

Les penseurs et savants chrétiens


Plusieurs intellectuels chrétiens ont joué un rôle déterminant dans la sauvegarde et la transmission
du savoir antique :
- Boèce (470–524) : philosophe romain qui a traduit de nombreux textes grecs (notamment
Aristote) en latin, permettant leur conservation en Occident.
- Cassiodore (v. 485 – v. 580) : homme politique et moine qui a conçu une véritable
encyclopédie du savoir, introduisant le trivium et le quadrivium dans la formation
monastique.
- Isidore de Séville (560/570 – 636) : auteur des célèbres Étymologies, une œuvre
encyclopédique qui résume l’ensemble du savoir antique et chrétien de son temps.
- Bède le Vénérable (672/673 – 735) : moine anglais, savant et historien, auteur de traités de
grammaire, de musique, de mathématiques, mais aussi de l’Histoire ecclésiastique du peuple
anglais, qui fait de lui l’un des pères de l’histoire anglaise.
- Grégoire de Tours (538–594) : évêque et historien, célèbre pour son œuvre Histoire des
Francs, précieuse pour la connaissance de la Gaule mérovingienne.

L’exégèse biblique
En parallèle de l’enseignement des arts libéraux, l’Église développe une discipline proprement
chrétienne : l’exégèse, c’est-à-dire l’interprétation et le commentaire des textes bibliques. C’est une
activité intellectuelle majeure du haut Moyen Âge. Parmi les œuvres célèbres, on peut citer les
Moralia in Job de saint Grégoire le Grand, commentaire spirituel et moral du Livre de Job.

3. Regards sur le Moyen Age


Le Moyen-Âge est une période « artificielle », dans le sens où elle a été définie après coup : les
personnes vivant entre le Ve et le XVe siècle n’avaient pas conscience de vivre une époque
particulière. Cette notion n’a réellement de sens que dans le cadre de l’histoire occidentale, même si
le terme est parfois utilisé pour désigner des périodes équivalentes dans d’autres civilisations.
Un découpage a posteriori
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

La chronologie classique situe le Moyen Âge entre la fin de l’Empire romain d’Occident (476) et la
prise de Constantinople (1453). Pourtant, en France, ces dates n’ont pas de résonance immédiate :
- En 475, Clovis n’est pas encore roi (il le devient en 481), et son peuple, les Francs, n’a encore
qu’une importance secondaire dans l’histoire.
L’idée même de Moyen-Âge naît à la Renaissance, au XVe siècle, chez des érudits italiens. Ils
parlent de "medias tempestas", qui signifie à la fois : (1) Période intermédiaire (2) Temps de trouble.
Ils critiquent l’art médiéval, qu’ils jugent barbare, d’où le terme péjoratif de « gothique » donné aux
cathédrales. À leurs yeux, l’Antiquité représente le seul véritable idéal artistique. C’est Christoph
Keller dit Cellarius (1638–1707), qui emploie pour la première fois le terme "Moyen-Âge", en
opposition à la Renaissance. Il contribue à diffuser l’idée d’une période barbare, de régression, entre
deux âges d’or : l’Antiquité et la Renaissance. Au XVIIIe siècle, les philosophes des
Lumières reprennent cette vision critique. Le Moyen Âge devient pour eux un
symbole d’obscurantisme, d’autorité religieuse oppressive, opposé à la raison et au progrès.
Le XIXe siècle : entre rejet et réhabilitation
Le courant romantique le réhabilite, le voyant comme une période poétique, spirituelle et
inspirante. Le précurseur en France est Chateaubriand avec son œuvre Le Génie du
christianisme (1802). Dans le grand public, l’image du Moyen-Âge reste globalement négative,
associée à la féodalité, à l’ignorance, voire à la violence. Ces débats sont aussi liés aux questions de
laïcité et de libertés publiques. C’est en 1838 que les premières dates précises sont proposées pour
encadrer le Moyen Âge, avec les bornes :
- 395 (mort de Théodose Ier, division définitive de l’Empire romain)
- 1453 (prise de Constantinople)

Cette périodisation donne lieu à une division en trois phases :


1. Le Haut Moyen-Âge (Ve – Xe siècle)
2. Le Moyen-Âge central ou classique (XIe – XIIIe siècle)
3. Le Bas Moyen-Âge (XIVe – XVe siècle)

La survie de l’Empire : Byzance du Ve au VIIIe siècles


L’Empire romain d’Orient a survécu en repoussant les invasions barbares. Il couvrait ce qui
correspond aujourd’hui à la Grèce, l’Asie Mineure, la Haute Mésopotamie, la Syrie, la Palestine et
l’Égypte. Cet empire, loin de se résigner à la perte de l’Occident, nourrit l’espoir de le reconquérir. En
493, Théodoric conquiert entièrement l’Italie après avoir tué Odoacre, marquant ainsi la fin du règne
de ce dernier et l’essor du royaume ostrogoth en Italie.

1. Justinien et l’éphémère reconquête de la Méditerranée occidentale


Justinien fut un empereur romain d'Orient, régnant de 527 à 567. Issu d'une culture latine, il
ambitionnait de reconquérir l'ancien Empire romain. En 533, il écrase rapidement le royaume des
Vandales en Afrique du Nord. Entre 534 et 535, il reprend les îles de la Méditerranée, telles que la
Sicile et la Sardaigne. En 540, il récupère la ville de Rome puis la capitale des Ostrogoths, Ravenne. À
ce moment-là, en 540, il est maître de toute l'Italie, mais les Ostrogoths se révoltent à plusieurs
reprises. Justinien ne s'attaque aux Wisigoths qu'en 554, réussissant à reconquérir l'Andalousie
(actuelle Espagne du Sud), mais il ne parvient pas à en reprendre davantage. Cependant, en 555, il
devient maître de tout le pourtour méditerranéen, bien que cela l'ait conduit à la ruine économique.
À Ravenne, il entreprend de reconstruire la ville, mais ne néglige pas Constantinople, où il fait rénover
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

la basilique Sainte-Sophie. Loin de se limiter à des actions militaires, Justinien entreprend de grandes
réformes législatives, notamment en 529 avec la rédaction du Corpus Iuris Civilis (ou Code Justinien),
qui compile les lois de l'ancien Empire et constitue les bases de notre code civil moderne.
Cependant, pour financer ses campagnes et ses projets, il impose des impôts lourds, ce qui lui
vaut une grande impopularité. À l'est, il doit également verser des tributs aux Perses pour qu'ils
cessent leurs incursions dans l'Empire. De plus, des aléas extérieurs, comme la peste qui frappe les
campagnes occidentales entre 542 et 543, viennent affaiblir son règne. À la fin de sa vie, Justinien
devient encore plus impopulaire, notamment après s'être rapproché des monophysites, ce qui
complique ses relations avec l’Église. En 664, les Wisigoths, sous le règne de Léovigild, font face aux
Byzantins à Cordoue et à Malaga et parviennent à reprendre le sud de l'Espagne. Concernant l'Italie,
les Lombards, un peuple germanique venu de la Baltique, lancent la dernière grande invasion
germanique en Occident. En 568, ils envahissent l'Italie, s'attaquent d'abord aux possessions
méridionales et constituent deux duchés : Spolète et Bénévent, en 570-571. En 572, ils reprennent la
ville de Pavie, qu'ils font capitale en 626.
Les Byzantins conservent quelques possessions, notamment le sud de l'Italie et les îles (Sicile,
Sardaigne, Corse). Ils gardent également le contrôle de Rome, où réside le Pape. Les Lombards,
toujours fidèles à la religion germanique ancienne, sont païens. La plus puissante principauté
byzantine en Italie reste Ravenne, qui abrite un exarchat à sa tête, un "exarque", une sorte de prince,
qui administre la région, parfois appelée Romania. La situation en Italie est complexe, divisée entre
plusieurs pouvoirs rivaux, ce qui contribue à l'importance croissante du Pape, qui prend un rôle plus
influent que celui du patriarche de Constantinople. Cela est particulièrement visible sous le pontificat
de Grégoire le Grand (590-604), un pape dont l'impact est considérable.

2. Rétrécissement et défense de l’empire


Au début du VIIe siècle, l’Empire romain d’Orient fait face à de nombreuses menaces, à
commencer par les Perses sassanides. Ces derniers prennent la Mésopotamie, l’Asie Mineure et
assiègent Constantinople en 626. L’empereur Héraclius (610-641), qui devient le défenseur de
l'Empire, réussit à repousser les Perses et, en 629, parvient à restaurer les anciennes frontières de
l’Empire. Sous son règne, l’Empire romain d’Orient subit une transformation culturelle importante.
Alors que Justinien était encore ancré dans une tradition romaine, c’est sous Héraclius que la culture
grecque devient prédominante. C’est lui qui prend également le titre de Basileus, soulignant cette
évolution vers un pouvoir davantage hellénisé. En plus des Perses, l’Empire doit faire face aux Slaves,
qui s’installent au nord, notamment sur le Danube. Ils forment de petites communautés appelées
Sclavinies (ou Sklavinies). Ces Slaves sont rejoints par les Avars, une tribu apparentée aux Huns, qui
mènent des raids contre l’Empire et assiègent Constantinople en 626, aux côtés des Perses. Bien que
les envahisseurs soient repoussés, ils parviennent à prendre le contrôle de la côte ouest de la Grèce.
Ce n’est qu’à la fin du VIIIe siècle que les Byzantins parviennent à reconquérir cette région.
Une autre menace sérieuse pour l'Empire provient des Bulgares, qui, au cours du VIe siècle,
s'installent dans la région qui correspond à l’actuelle Roumanie. En 570, ils forment un royaume
puissant. Ils assiègent Constantinople en 811, mais leur tentative échoue également. L’alliance entre
l’Empire byzantin et les Bulgares se forme avec leur conversion au christianisme orthodoxe en 864,
grâce aux missionnaires Cyrille et Méthode. Finalement, le roi Basile II (976-1025) écrase le royaume
bulgare en 1018, étendant ainsi l’influence byzantine. Cependant, la menace la plus grave pour
l'Empire byzantin au VIIe siècle est l’arrivée des Arabes, qui adoptent rapidement une religion
conquérante après la naissance de l’Islam au VIIe siècle. Entre 630 et 640, les Arabes repoussent les
Byzantins de Mésopotamie, d’Égypte, de Syrie, de Palestine, d’Arménie et, au cours des années 650-
670, d’Afrique du Nord. Malgré ces défaites, il existe aussi des alliances. Par exemple, l’île de Chypre
11
Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

ne tombe sous contrôle arabe qu'en 688. Cette occupation est particulière car l’empereur Justinien II
et le calife Abdal-Malik signent un accord qui durera 300 ans. Cet accord stipule que Chypre serait
administrée conjointement par les Arabes et les Byzantins : les Arabes gérant les aspects politiques,
fiscaux et militaires, tandis que les Byzantins contrôlent la religion et l’administration, permettant à
l’île de rester chrétienne, mais sous une politique arabe.

Le grand siège de Constantinople par les Arabes en 717-718 constitue un moment décisif pour
l’Empire byzantin. Ce siège échoue, en grande partie grâce à l’utilisation du feu grégeois, une arme
secrète byzantine, qui pouvait enflammer l’eau. Cette victoire est cruciale pour la survie de l’Empire,
car elle détruit les ambitions arabes de conquête totale de l’Empire romain d’Orient. Elle marque
également la fin de l'expansion musulmane en Europe, faisant de ce siège l’une des batailles les plus
importantes de l’histoire. Au Xe siècle, sous le règne de l’empereur Nicéphore Phocas (963-969),
l’Empire byzantin connaît un nouvel apogée territorial. Nicéphore reprend Chypre en 965, une partie
de l’Arménie en 966, et l’île de Crète. Cependant, l’Empire se heurte aux Normands, qui occupent
alors le sud de l’Italie. Ces confrontations avec les Normands marquent la fin de la période
d’expansion byzantine et le début de nouvelles menaces.

3. L’État Byzantin
L'Empire byzantin, sous la direction de ses empereurs, se considère comme le continuateur de
l'Empire romain. Cela entraîne une certaine conservation des institutions, bien que, de facto, ces
institutions perdent de leur signification au fil du temps. L’empereur conserve les titres traditionnels
romains, mais ceux-ci n’ont plus le même sens. De nouvelles fonctions sont créées, mais les
anciennes ne sont jamais supprimées, ce qui mène à une dilution progressive de leur valeur. En outre,
l’empereur byzantin se veut aussi l’héritier des monarchies orientales, en particulier des dynasties
grecques, successeurs d'Alexandre le Grand. Cela se manifeste par des coutumes telles que la
proskynèse, un rituel où l’empereur est adoré en se prosternant jusqu’au sol devant lui, signe de
soumission et d’adoration. Dans ce cadre, l’empereur byzantin n’est pas seulement le premier
magistrat de l’Empire ; il est aussi perçu comme une personne morale éternelle, le représentant de
Dieu sur Terre. Le principe héréditaire de la succession impériale en Orient est plus flexible qu’en
Occident. En effet, bien que des tentatives de transmission dynastique existent, l’Empire byzantin
conserve cette tradition romaine de coups d’État, dans lesquels des généraux victorieux renversent
l’empereur en place. Les Byzantins maintiennent également un protocole romain, notamment celui
de l’acclamation populaire de l’empereur. Ce rituel commence dans l’hippodrome de Constantinople,
où l’empereur est porté sur le pavois (le bouclier, un symbole romain) par la foule. Ce n'est qu'après
cette acclamation publique qu'il est couronné par le patriarche à la Sainte-Sophie, un geste qui
symbolise le lien entre l’empereur et l'Église. En somme, l’empereur byzantin n'est pas simplement
choisi par l’aristocratie ou la famille impériale, mais aussi par la volonté populaire.
L’administration centrale de l’Empire est, bien entendu, dirigée par l’empereur. Toutefois, elle se
distingue par une structure plus complexe que celle de l’Empire romain d’Occident. L’Empire est
divisé en Sekreta, des services administratifs qui supervisent différentes fonctions de l’État. L’un des
services les plus remarquables est celui de la poste impériale, qui est particulièrement performant
pour son époque. L’économie de l'Empire repose sur un impôt foncier, ainsi que sur les biens
impériaux, tandis que les provinces sont gérées par des gouverneurs appelés stratèges. Les Thèmes,
subdivisions territoriales de l’Empire, sont sous la direction de ces stratèges, qui combinent des
fonctions de gouvernance, de direction militaire et parfois de judiciaire. Ce système rend les stratèges
particulièrement puissants et, comme il est souvent observé, ce sont ces stratèges qui sont à l'origine
des coups d’État. Les Thèmes sont peuplés en grande partie de cavaliers soldats, qui reçoivent des
terres en récompense de leur service militaire. Cependant, au fil du temps, le nombre de ces cavaliers
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

diminue, ce qui pousse l’Empire à recourir de plus en plus aux mercenaires (souvent des Slaves, des
Bulgares, etc.).

4. L’Église et l’État
La première idée qui émerge du régime byzantin est celle du césaro-papisme, un modèle
politique où le souverain cumule des fonctions religieuses. L'empereur byzantin se considère comme
le chef de la religion orthodoxe, un élu de Dieu et un médiateur entre le clergé et les laïcs. Bien qu'il
n’ait pas reçu l'ordination et qu'il reste un laïque, il bénéficie de privilèges qui le rapprochent des
clercs. En effet, l’empereur est le seul laïque autorisé à pénétrer le sanctuaire lors de la messe et à
communiquer sous les deux espèces (le pain et le vin). Il incarne donc une figure à mi-chemin entre
l'autorité religieuse et laïque, jouissant de droits normalement réservés aux membres du clergé, mais
sans être lui-même un prêtre. Son pouvoir religieux lui permet également de jouer un rôle majeur
dans l'élection et la destitution des patriarches. Toutefois, certains groupes résistent à cette
concentration de pouvoir entre les mains de l'empereur, notamment les moines, qui, en plus de leur
indépendance spirituelle, sont souvent de riches propriétaires fonciers. Le plus important des
monastères de l'Empire byzantin est celui du Mont Athos en Macédoine, un centre religieux majeur
où l'autorité impériale peine à s'imposer. En revanche, l’empereur joue un rôle clé dans la conversion
des peuples voisins, notamment les Slaves et les Bulgares, et est même à l’origine de la conversion
des Russes en 989, un événement qui influencera profondément les relations entre l'Orient et
l'Occident.
Un point de divergence majeur entre l'Église byzantine et l’Église romaine concerne le Filioque
("et du Fils"), une expression latine qui affirmait que le Saint-Esprit procédait non seulement du Père
mais aussi du Fils. Ce concept a été introduit par les Wisigoths d'Espagne et les Francs de
Charlemagne, mais il ne faisait pas partie du Credo défini lors du Concile de Nicée en 325. L'Église
byzantine, de son côté, rejette cette interprétation et continue de soutenir que le Saint-Esprit procède
uniquement du Père. En plus de cette divergence théologique, l'Empire byzantin a traversé une
grande crise religieuse au VIIIème siècle, le controverse iconoclaste. Ce mouvement, qui s’oppose à la
vénération des icônes (représentations religieuses peintes et dorées), soulève une question
fondamentale : doit-on adorer l'image elle-même, ou ce qu'elle représente ? L'iconoclasme est lancé
par l’empereur Léon III l’Isaurien en 730, lorsqu'il ordonne la destruction des icônes du Christ, de la
Vierge et des saints. Cette décision provoque un vif mécontentement au sein de l’Empire, notamment
parmi les moines et la population, qui considèrent les images comme des moyens essentiels de
connexion spirituelle. Cette crise dépasse les frontières de l'Empire, divisant non seulement les
classes sociales, mais aussi les peuples de l’Empire byzantin. Les armées et certaines régions
orientales soutiennent l'iconoclasme, tandis que les moines et une partie de la société urbaine
défendent l'iconodulie (le culte des icônes). Certains historiens voient dans cette crise une tentative
des forces militaires de s’emparer des propriétés foncières des monastères. La crise prend fin en 787,
lorsque l'impératrice Irène convoque le Concile de Nicée II, qui rétablit la pratique de l'iconodulie.
Toutefois, en Occident, Charlemagne rejette la légitimité du concile de Nicée II, affirmant que la
vénération des images était absurde, bien qu'il n'aille pas jusqu’à les détruire. Une seconde crise
iconoclaste éclate entre 813 et 843, mais elle est moins violente que la première.

La société occidentale au très haut Moyen-Âge (Ve – VIIIe siècles)


La société de l’époque repose sur une fusion entre les populations germaniques et les
populations romaines, cette dernière étant majoritaire dans les royaumes d'Occident. Les peuples
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

germaniques représentent entre 5 et 10% de la population, ce qui montre leur faible proportion en
comparaison avec les Romains. Ces peuples ont été initialement intégrés dans l'Empire par des
foederati (au singulier foedus), un système dans lequel ces groupes n’étaient pas uniquement des
conquérants, mais aussi des alliés engagés à défendre le territoire au nom de Rome. Cependant, à
partir de 455, avec la mort de l'empereur Valentinien III, l'autorité romaine décline progressivement,
et Rome perd peu à peu son emprise sur l'Empire. Les Francs se divisent alors en deux groupes
principaux : les Francs Rhénans (ou Ripuaires) établis autour du Rhin, qui étaient un peuple fédéré, et
les Francs Saliens, qui sont associés à Clovis. À cette époque, les peuples anglo-saxons traversent la
mer du Nord pour s'installer en Bretagne (l'île romaine de Bretagne), où ils fondent des royaumes
anglo-saxons. Cette migration entraîne un déplacement des Bretons vers l'Armorique, un contexte qui
correspond à la période où aurait vécu Arthur, si ce personnage a bien existé.
Tout s'accélère à partir de 476, avec la chute de l'Empire romain d'Occident, marquée par la
déposition de Romulus Augustule, mais bien avant cette date, Rome avait déjà perdu toute véritable
autorité. En 488, le royaume ostrogoth voit le jour, à la suite de la disparition de l'Empire romain
d'Occident. Aux alentours du Ve et du VIe siècle, une redistribution rapide des pouvoirs s’opère dans
le monde romano-germanique, dominé par les Francs. Cela fait suite à la victoire de Clovis sur le
royaume wisigoth en 507, repoussant les Wisigoths en Espagne. Le royaume franc atteint ainsi les
Pyrénées. En 534, les fils de Clovis éliminent les Burgondes, consolidant ainsi l’hégémonie des Francs
sur la région. Le troisième grand peuple de cette période est celui des Lombards, qui s’établissent en
Italie. En Europe continentale, un véritable « jeu à trois » se met en place entre les Francs, les
Wisigoths et les Lombards. Cependant, ce jeu de pouvoir se stabilise au cours de la seconde moitié du
VIe siècle, avec des rois germaniques désormais totalement émancipés de la tutelle de Rome et de
Byzance. Ces rois gouvernent désormais leurs propres territoires, avec des frontières relativement
stables et des systèmes politiques de plus en plus indépendants.

1. L’ethnogenèse dans les royaumes « barbares »


Ethnogenèse : Il s'agit de la naissance d'un nouveau peuple, doté d'une culture propre. Ce terme a
été introduit par les historiens pour décrire l'apparition de peuples dits barbares sur le territoire de
l'Empire romain, qui a créé un sentiment d'appartenance à un royaume barbare distinct. Par exemple,
le peuple franc du Ve siècle n'est pas le même que celui du VIIIe siècle. Cette transformation
progressive est ce qu'on appelle l'ethnogenèse. Ce phénomène est particulièrement lié à la
christianisation des peuples barbares, qui joue un rôle clé dans leur identité collective. La stabilisation
des royaumes barbares, au milieu du VIe siècle, permet à cette ethnogenèse de se concrétiser, bien
que son achèvement varie en fonction des régions et des époques. Cette évolution concerne tous les
royaumes barbares, marquée par l'émergence d'identités nationales. À cette époque, le terme nation
existe en latin, mais son sens n'est pas le même qu'aujourd'hui. La construction de cette nouvelle
identité résulte principalement de l'unification juridique et politique au sein de chaque royaume. Cela
permet à ces peuples de se définir comme des entités distinctes, souvent renforcées par des
éléments culturels, religieux et sociaux.

a) L’unification juridique et politique


L’unification juridique et politique des royaumes barbares passe principalement par la mise
par écrit des lois barbares. Les peuples germaniques, qui étaient originellement des peuples fédérés,
adoptent progressivement des valeurs latines. Ces lois sont rédigées en latin et sont un reflet de
l'influence romaine sur les sociétés barbares. La première loi importante à mentionner est la loi
salique, celle des Francs saliens, le peuple de Clovis. Cette loi a été mise par écrit à la fin du règne de
Clovis, entre 507 et 511. Elle fixe les droits des populations germaniques, bien qu'elle ne soit pas la
seule loi rédigée à cette époque. On peut également citer la loi gombette, destinée aux Burgondes,
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

qui s'applique à l’ancienne Gaule. Les populations romaines continuent de se soumettre au droit
romain, qui reste exclusif à leurs citoyens et est beaucoup plus complexe que les lois germaniques.
Durant cette période, on observe un système juridique appelé la "personnalité des lois". Cela signifie
que chaque individu est jugé selon la loi du peuple auquel il appartient. Par exemple, dans le
royaume des Francs, à partir de 534, on appliquait la loi salique, la loi gombette pour les Burgondes,
et le droit romain pour les populations gallo-romaines. Une catégorie particulière de population est
soumise à un autre système juridique : les hommes d’Église. Ces derniers sont jugés selon le droit
canon, qui existe encore aujourd'hui. Cette période de "personnalité des lois" est surtout présente en
Europe occidentale. En revanche, dans le monde anglo-saxon, les lois sont rédigées en langues
germaniques et sont appliquées de manière uniforme à l'ensemble de la population, à partir de la
seconde moitié du VIe siècle. Dans ce contexte, chaque royaume avait sa propre législation. Par
exemple, le royaume du Kent est le premier à rédiger ses lois en langue germanique.
Dans le monde franc, le droit romain est celui qui est le plus pratiqué, car la population gallo-
romaine est majoritaire. Cependant, les autres lois barbares continuent à être utilisées, notamment
avec les conquêtes de Charlemagne, qui voit l’introduction de la loi des Saxons par écrit. La loi
gothique apparaît également après les conquêtes carolingiennes, notamment lors de la reprise des
territoires de la Gaule. Quant à l'unité politique des Lombards, elle reste incertaine. L'unité juridique
la plus accomplie de cette période se trouve dans le royaume Wisigothique de Tolède, où, à partir de
la seconde moitié du VIe siècle, les rois mettent en place une monarchie centralisée. Cette monarchie
repose sur un droit inspiré du droit romain, codifié dans un ouvrage majeur, le Livre des Juges, daté
de 654.

b) L’unification culturelle et religieuse


L’unification culturelle et religieuse se déroule de manière plus rapide et plus complète que
l’unification politique et juridique, car, même si la personnalité des lois persiste assez longtemps, le
processus de conversion religieuse est plus homogène. Ce processus implique, dans un premier
temps, la conversion du paganisme au christianisme et, dans un second temps, la conversion de
l’arianisme au christianisme. L’arianisme, considéré par les catholiques comme une hérésie grave, est
largement répandu parmi les peuples germaniques, en particulier chez les Wisigoths. Pour eux,
l’arianisme devient un élément constitutif de leur identité, à tel point que la langue germanique
devient la langue officielle de l'Église arienne. Dans le royaume wisigoth de Toulouse, des lois sont
même établies pour interdire les mariages entre catholiques et ariens, ce qui marque une forte
ségrégation religieuse. Cette situation suscite des moqueries de la part des lettrés gallo-romains, et
l’arianisme est intégré à un système de gouvernement qui permet aux Wisigoths de maintenir
l’exercice du pouvoir civil et militaire, tout en excluant les catholiques de ces fonctions. Cette
situation devient un prétexte pour Clovis de déclarer la guerre aux Wisigoths. La conversion de Clovis
au catholicisme fait de lui un allié stratégique de la noblesse sénatoriale gallo-romaine, qui fournit de
nombreux évêques. Cette alliance conduit à la bataille de Vouillé en 507, où les Wisigoths perdent
l'ancienne province gallo-romaine d’Aquitaine. Cependant, les Wisigoths d’Espagne continuent à
adhérer à l'arianisme, ce qui engendre une crise religieuse et sociale dans le royaume, accentuée par
la séparation entre la minorité germanique arienne et la majorité catholique hispano-romaine.
Finalement, le catholicisme est proclamé religion officielle en Espagne en 589, ce qui permet à la
société espagnole de retrouver une certaine paix et facilite la fusion des populations. Le processus
d’unification religieuse est rapide, au point que, dès le VIIe siècle, les édits royaux ne mentionnent
même plus la nationalité des individus devant accomplir leurs obligations militaires. En Espagne
wisigothique au VIIe siècle, bien que la culture et les mœurs demeurent fortement influencées par
Rome, l’unification religieuse et sociale semble achevée. Isidore de Séville, par exemple, continue à
écrire en latin, et des archéologues ont retrouvé des ardoises wisigothiques couvertes de graffitis
latins, indiquant que le latin reste une langue de communication courante, même en milieu rural.
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

o En Italie, la situation est différente. L’invasion lombarde à partir de 568 transforme


profondément la situation. Les Lombards, qui avaient initialement été employés
comme mercenaires par les Byzantins, envahissent l’Italie après la mort de Justinien.
Leur arrivée est marquée par des actes de barbarie, et ils sont en grande majorité
païens. Ils maintiennent les Romains dans un état d'infériorité et persécutent les
catholiques. Pendant un certain temps, les Lombards vivent séparés des autres
populations, conservant leurs propres coutumes et leur religion païenne. Cependant,
au fil du temps, surtout après le VIIe siècle, les Lombards commencent à adopter
progressivement des traditions politiques romaines et se convertissent au
christianisme. À partir des années 670, les rois lombards deviennent catholiques,
marquant un tournant dans l’intégration religieuse de ces populations. En parallèle,
les Lombards commencent à adopter la langue latine et le droit romain pour les cas
non couverts par leur propre loi. Cela entraîne une lente fusion avec les populations
romaines.

Chez les Francs


La conversion des Francs au catholicisme commence avec le baptême de Clovis à Reims, bien
que cette conversion ne soit pas immédiate et totale. Ce baptême marque toutefois un tournant dans
leur histoire, car il accélère leur fusion avec les Gallo-romains. Cependant, les découvertes
archéologiques montrent que les pratiques funéraires varient encore en fonction des régions. Par
exemple, au nord de la Loire, les morts sont enterrés dans des sarcophages, en contradiction avec les
pratiques chrétiennes, mais en conformité avec les traditions païennes. Ces sépultures contiennent
souvent des armes et des poteries, un signe de survie du paganisme. Au sud de la Loire, les traditions
funéraires demeurent beaucoup plus romaines et chrétiennes. Cela reflète une différenciation
géographique des pratiques culturelles et religieuses, qui persistera pendant un certain temps. Les
Francs adoptent également le latin, mais une forme de latin vulgaire influencée par la langue
germanique. Cette langue évoluera au fil des siècles pour donner naissance, plus tard, aux langues
romanes, notamment la langue d’oïl au XIIe siècle et la langue d’oc au XIe siècle. Au VIIe siècle,
l’unification des aristocraties gallo-romaine et franque est largement achevée, et les noms
germaniques deviennent de plus en plus courants dans la population. Cette évolution rend difficile la
distinction des origines des individus sur la base de leurs noms, car la fusion des cultures est bien
avancée.

c) Les identités des peuples


Chaque population germanique tend, à terme, à donner son nom aux habitants de son
royaume. Cependant, cette revendication d'une identité commune varie selon les lieux et les
époques, et progresse au fur et à mesure que l’unité juridique se renforce et que la fusion des
populations s’opère. Les mœurs s’uniformisent, particulièrement en Espagne, où cette évolution est
très marquée. Dès la première moitié du VIIe siècle, dans le royaume wisigoth de Tolède, le mot «
Goths » en vient à désigner l’ensemble des habitants du royaume, quelles que soient leurs origines.
Chez les Francs, ce phénomène est plus localisé. Le nom de « Franc » s’applique, dès la seconde
moitié du VIe siècle, essentiellement aux habitants du nord de la Loire. En revanche, dans les mêmes
sources, les populations d’Aquitaine, de Provence, de Bavière ou encore les Alamans ne sont jamais
désignées comme "francs". Cela montre que l’ethnogenèse franque — c’est-à-dire la construction
d’une identité commune autour des Francs — reste alors limitée à la Neustrie et à l’Austrasie.
L’ethnogenèse repose également sur le souvenir d’un passé légendaire ou mythifié, parfois plus que
sur la réalité historique. Par exemple, Paul Diacre, auteur de l’Histoire des Lombards, raconte que ce
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

peuple viendrait de Scandinavie et qu’il aurait pris le nom de « Lombards » (qui signifierait « longues
barbes ») après avoir reçu la victoire d’Odin contre les Vandales. Les chrétiens interprétaient souvent
les anciens dieux païens comme de simples hommes divinisés au fil du temps. Ces mythes fondateurs
permettent aux peuples barbares de revendiquer des origines prestigieuses, dignes de celles des
peuples de l’Antiquité. C’est dans cette optique que naît, chez les Francs, la légende troyenne : à
partir des VIIe-VIIIe siècles, ils commencent à affirmer qu’ils descendent des Troyens, à l’image de la
Rome de Virgile dans l’Énéide. Cette légende permet aux Francs, fortement romanisés, de se
présenter comme les « cousins » des Romains, et de justifier ainsi leur place dans l’héritage de
l’empire.
Dans le monde anglo-saxon, Bède le Vénérable (vers 672 – 735) contribue à cette
construction identitaire. Il écrit une histoire de la conversion des Anglais, en soulignant leur salut
chrétien face à leurs voisins celtes restés païens. Il présente ainsi les Anglais comme un « peuple élu
», ayant une légitimité spirituelle et historique particulière. Le cas anglais se distingue en effet du
continent : l'installation des Angles et des Saxons a largement effacé l’héritage romain, notamment
l’usage du latin, dans un premier temps. On observe également un changement de nom, puisque le
nom de « Bretagne » est remplacé par celui d’Angleterre, ce qui reflète clairement un changement
d’identité culturelle.
Ce phénomène de renommage du territoire n’est pas aussi fréquent sur le continent. En
Italie, par exemple, le nom « romain » demeure. Les Lombards n’ont laissé leur nom qu’à une seule
région : la Lombardie, ce qui pourrait s’expliquer par le fait qu’ils se présentent très tôt, dès la fin du
VIe siècle, comme « rois de toute l’Italie », contribuant ainsi à effacer leur propre nom ethnique. Chez
les Wisigoths, la référence au territoire est encore plus nette : le nom d’Hispania est utilisé pour
désigner leur royaume, et parfois même pour désigner officiellement les habitants du royaume,
quelle que soit leur origine. Enfin, chez les Francs, la situation est plus floue. Le nom de Francia (ou
Francie) existe, mais il est encore trop tôt pour parler d’une France unifiée. L’ethnogenèse franque
reste donc, à cette époque, géographiquement et culturellement limitée, bien qu’en progression.

2. Les conceptions de la société


La chute de l’Empire romain d’Occident en 476, suivie de l’émancipation progressive des
royaumes germaniques vis-à-vis de la tutelle de Constantinople, a souvent été interprétée comme
marquant la disparition de l’État en Occident. Face à un empire désormais morcelé en plusieurs
royaumes, et avec la disparition progressive des hauts fonctionnaires romains, cette impression s’est
renforcée. La pratique franque consistant à diviser le royaume entre les fils du roi a également nourri
cette idée d’un pouvoir sans continuité étatique. Pourtant, la notion d’État, bien présente à l’époque
romaine, ne disparaît pas complètement : elle se transforme, se fragmente, mais continue d’exister
sous d’autres formes dans les nouveaux royaumes.

a) Res Publica et royaume


Le concept de res publica survit à la période que nous étudions. Dans les territoires
anciennement romains, les royautés germaniques héritent largement des traditions administratives
et juridiques de Rome. Après la chute de l’Empire romain d’Occident, les rois barbares sont, en
théorie, placés sous la tutelle symbolique de l’Empire byzantin. Ils sont donc censés gouverner dans
le respect des règles romaines, notamment en promulguant des édits. C’est le cas, par exemple, de
l’édit de Clotaire II en 614, qui réorganise le pouvoir royal en s’appuyant sur le droit romain. Isidore de
Séville résume cette continuité en affirmant que « le pouvoir royal prolonge le pouvoir impérial
romain, mais dans un cadre plus restreint ». Le regnum devient alors la structure politique de base
des sociétés barbares entre le VIIᵉ et le IXᵉ siècle. Dans ce cadre, la chose publique — res publica —
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

trouve sa place au sein du royaume. Grégoire de Tours, quant à lui, conçoit le royaume comme une
communauté de destin, au sein de laquelle le roi doit agir dans l’intérêt de tous, et non dans son
intérêt personnel. Par ailleurs, une autre structure englobante joue un rôle central à cette époque :
l’ecclesia, c’est-à-dire l’Église institutionnelle, qui tend à inclure l’ensemble de la société.

b) Le partage du royaume francs


Contrairement aux royaumes wisigoth et lombard où le roi est élu, le royaume mérovingien
suit une logique dynastique héréditaire : à la mort du roi, le royaume est partagé entre ses fils. Cette
pratique commence dès la dynastie mérovingienne et se poursuit jusqu'à la fin du VIIe siècle. Ce
partage n’est pas une remise en cause de l’unité du royaume : il s’inscrit dans une logique politique et
rationnelle qui respecte l’organisation fiscale et administrative existante. À partir du VIIe siècle, le
royaume est divisé en trois sous-royaumes : la Neustrie, l’Austrasie et la Burgondie. Même si les
territoires ne sont pas toujours contigus, l’appareil administratif reste le même dans tout l’espace
franc, et un sentiment d’unité nationale persiste.

Exemple: les fils de Clovis


À la mort de Clovis, ses quatre fils se partagent le royaume. Malgré cette division, une
politique de concorde permet l’expansion du royaume franc avec la soumission des Alamans, des
Bavarois, des Thuringiens et de la Provence (ancien territoire ostrogoth). L’indépendance du royaume
par rapport à Constantinople est affirmée par l’émission de monnaies à l’effigie des fils de Clovis.
Clotaire Ier, le dernier fils survivant, parvient à réunifier temporairement le royaume. À sa mort en
561, un nouveau partage a lieu entre ses quatre fils, déclenchant une guerre civile (561-613).

La guerre civile et la rivalité entre les frères


Les principaux adversaires sont Childéric, roi de Neustrie, et Sigebert, roi d’Austrasie. Leur frère
Gontran, roi de Burgondie, joue un rôle d’arbitre. L’élément déclencheur du conflit est l’assassinat de
la sœur de Brunehaut (épouse de Sigebert) par Frédégonde, maîtresse et alliée de Childéric. Cet acte
déclenche une faide, une vengeance sanglante entre familles nobles, qui plonge le royaume dans une
guerre civile durable. Brunehaut, princesse wisigothe, survit à son mari et gouverne en régente au
nom de ses descendants. Elle poursuit la guerre jusqu’à sa capture en 613. Trahie par la noblesse
austrasienne, elle est livrée à Clotaire II, roi de Neustrie, qui la fait exécuter violemment. Il devient
alors le seul roi du royaume franc, rétablissant l’unité.

Clotaire II et l’édit de 614


Après la réunification du royaume, Clotaire II met fin à la guerre civile en promulguant l’édit de 614,
un texte fondamental qui réforme l’administration et renforce le pouvoir royal, tout en reconnaissant
le rôle croissant de l’aristocratie et de l’Église dans la gouvernance.

Dagobert Ier (629-639), dernier grand roi mérovingien


Fils de Clotaire II, Dagobert Ier est considéré comme le dernier roi mérovingien puissant. Il soumet les
Vascons et le prince breton Judicaël. À sa cour se trouvent des figures importantes comme saint Éloi,
saint Ouen et saint Didier de Cahors. Il développe également la pratique du nutritus : de jeunes
aristocrates sont envoyés à la cour pour y recevoir une éducation prestigieuse. Beaucoup deviennent
comtes ou évêques.

Montée en puissance des Pippinides


Originaire d’Austrasie, la famille des Pippinides (dont beaucoup portent le nom de Pépin)
prend progressivement le contrôle du pouvoir. Le premier connu est Pépin de Landen, maire du palais
d’Austrasie entre 623 et 629. À la mort de Dagobert Ier, ses deux fils se partagent le royaume : Clovis
18
Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

II pour la Neustrie et la Burgondie, Sigebert III pour l’Austrasie. Cette division alimente les luttes entre
royaumes et affaiblit l’autorité royale. Les maires du palais deviennent les véritables détenteurs du
pouvoir, bien que leur fonction ne soit pas censée être héréditaire. À la mort de Sigebert III, son
maire du palais Grimoald tente de faire monter son propre fils, Childebert l’Adopté, sur le trône (vers
656). Cette tentative échoue rapidement : les Neustriens réagissent violemment, tuent Grimoald et
Childebert. L’aristocratie refuse encore de reconnaître une autre dynastie que les Mérovingiens.

Les conflits entre Neustrie et Austrasie : Ebroïn et saint Léger


Ebroïn, maire du palais de Neustrie (658-673 puis 675-680), cherche à réaffirmer l’autorité
royale au détriment des aristocraties régionales. Il s’oppose à saint Léger, évêque d’Autun, qui appelle
à la révolte et fait appel à Childéric II, roi d’Austrasie, et à Wulfoad, maire du palais des trois
royaumes.
Ebroïn reprend le pouvoir en 675 et se venge : saint Léger est exécuté en 678, devenant un martyr. En
680, Pépin II de Herstal (Pippinide) est battu par Ebroïn, mais celui-ci est assassiné la même année. À
partir de là, l’Austrasie domine. En 687, Pépin II bat le roi Thierry III de Neustrie-Burgondie à la
bataille de Tertry, et installe son autorité sur l’ensemble du royaume. Il place son fils Grimoald comme
maire du palais de Neustrie, consolidant l’emprise des Pippinides. Depuis Herstal (région de la
Meuse), Pépin II gouverne un royaume affaibli, où des régions comme l’Aquitaine, la Bretagne, la
Provence ou l’Alémanie ont retrouvé une certaine autonomie sous des ducs puissants. En parallèle, il
reçoit le soutien du pape pour l’évangélisation des Saxons, confiée à saint Willibrord, missionnaire
anglo-saxon. L’idée est de convertir pacifiquement les Saxons pour les intégrer au royaume franc.

Pépin II incarne un tournant décisif : même si les Mérovingiens conservent la couronne, le


pouvoir réel est désormais entre les mains des maires du palais, et les Pippinides s’imposent comme
les futurs maîtres du royaume.

3. Une société d’ordre


La société d’ordre, caractéristique majeure de la période médiévale, ne se limite pas au royaume
franc, mais s’étend à l’ensemble des royaumes germaniques. Elle se distingue fondamentalement
d’une société de classes, au sens marxiste du terme, dans laquelle la position sociale des individus est
déterminée par leur richesse. Or, Karl Marx a projeté cette lecture anachronique sur des sociétés du
passé. En réalité, la société médiévale ne peut être qualifiée de société de classes : elle s’inscrit dans
une logique d’ordre, dans laquelle la hiérarchie sociale repose sur des critères d’honneur et de
fonction plus que de richesse. Ainsi, un noble dépourvu de fortune conserve un statut supérieur à
celui d’un bourgeois, même fortuné. Il serait également erroné de considérer cette société comme
une société de castes, dans laquelle l’ordre social serait figé et intégralement déterminé par la
naissance. La position dominante, dans la hiérarchie médiévale, revient à l’Église, considérée comme
l’ordre le plus digne – or, nul ne naît prêtre, on le devient. Ce simple fait témoigne d’une certaine
forme de mobilité sociale, incompatible avec une société de castes. Le concept d’ordre dans la société
médiévale puise ses fondements dans la pensée antique et chrétienne. Cicéron définissait l’ordre
comme « l’art de mettre à sa place ce que l’on fait et ce que l’on dit », tandis que saint Augustin
affirmait que « l’ordre est la condition de la paix ». Sur cette base philosophique, la société médiévale
s’organise selon une structure hiérarchique dans laquelle les rapports sociaux sont régulés en
fonction des fonctions exercées par chacun. Puisqu’il s’agit d’une société chrétienne, elle s’inspire
d’un ordre divin dont le but est de garantir le bien-être de l’homme, à la fois sur le plan matériel et
spirituel. Cette organisation repose sur une conception organique de la société, fréquemment
illustrée par la métaphore du corps humain. La pensée chrétienne assimile en effet l’Église au corps
mystique du Christ, lequel englobe l’ensemble de la communauté chrétienne. Dans cette perspective,
19
Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

les ecclésiastiques incarnent la tête du corps social, la noblesse en représente les bras armés, tandis
que les travailleurs constituent les organes inférieurs, assurant la production et la subsistance.

o Saint Boniface (v. 680-754) offre une représentation complémentaire de cette société,
qu’il conçoit comme une pluralité d’ordres fonctionnels : les dominants et les
dominés, les riches et les pauvres, les jeunes et les anciens. Chacun y détient une
fonction spécifique et un comportement attendu. Cette lecture permet de légitimer
les inégalités sociales non en vertu d’une hiérarchie naturelle, mais au nom de l’ordre
social voulu par Dieu. Dès lors, ces inégalités ne relèvent pas de la nature humaine,
mais d’un ordre socialement et théologiquement institué.

a) La hiérarchie chrétienne
Dans la vision chrétienne du monde médiéval, une inégalité fondamentale de statut s’établit
entre les clercs et les laïcs. Ce statut ne repose pas sur la naissance, mais sur un processus rituel :
pour devenir clerc, il faut recevoir l’ordination, c’est-à-dire un sacrement qui confère une dignité
supérieure à celle des laïcs. En tant que ministres du culte, les clercs peuvent à leur tour transmettre
les sacrements, devenant ainsi les vecteurs de la grâce divine. Selon les Pères de l’Église, cette
supériorité spirituelle se manifeste également dans la valorisation de certains états de vie. Par
exemple, la virginité est considérée comme supérieure au mariage, dans une logique de détachement
du monde et d’imitation du Christ. Cette hiérarchie religieuse n’est cependant pas héréditaire : on ne
naît pas clerc ou moine, on le devient par vocation et par consécration. L’exigence du célibat
ecclésiastique répond à deux objectifs : d’une part, respecter l’idéal spirituel du Nouveau Testament ;
d’autre part, protéger les biens de l’Église. En effet, si un clerc avait une descendance, ses enfants
pourraient prétendre hériter de ses possessions. Or, l'Église souhaite éviter la transmission de ses
terres comme s’il s’agissait d’un patrimoine familial. Le célibat permet donc d’éviter ce risque : même
si un clerc a un enfant, ce dernier n’a légalement aucun droit sur les biens ecclésiastiques. Il convient
également de distinguer les moines des clercs. Devenir moine ne passe pas par l’ordination, mais par
la prononciation de vœux (pauvreté, chasteté, obéissance). Ainsi, dans la hiérarchie chrétienne, on
identifie trois ordres distincts : les clercs, les moines et les laïcs. Ce qui est certain, c’est que clercs et
moines sont considérés comme supérieurs aux laïcs. En revanche, la relation hiérarchique entre
moines et clercs reste plus ambiguë. Cette structuration de la société chrétienne se retrouve
notamment chez saint Césaire d’Arles (470-542), figure majeure de l’Église du VIe siècle, qui souligne
la complémentarité mais aussi l’asymétrie des fonctions spirituelles entre les différents ordres.

b) L’idéologie tripartite des Indo-Européens


L'historien Georges Dumézil a proposé une théorie marquante, bien que controversée, sur
l’idéologie tripartite des sociétés indo-européennes. Formulée au XIXe siècle, cette hypothèse
s’appuie sur l’analyse comparative des langues et des mythologies de peuples indo-européens
(celtiques, romains, scandinaves, etc.). Selon Dumézil, ces sociétés, issues d’un même peuple
migrateur hypothétique à l’âge du fer, partageraient une structure sociale commune fondée sur trois
fonctions principales : le pouvoir sacré ou souverain, la force militaire, et la fécondité ou productivité.
Cette division se reflèterait dans les panthéons religieux. Chez les Scandinaves, par exemple, Odin
incarne la souveraineté, Thor la force guerrière, et Freyja la fertilité. De cette trinité divine découle
une organisation sociale en trois ordres complémentaires : les prêtres (fonction religieuse), les
guerriers (fonction militaire) et les producteurs (fonction économique), chacun étant indispensable
au bon fonctionnement de l’ensemble. On retrouve ce modèle chez les Celtes, avec une hiérarchie
dominée par les druides (prêtres), suivis d'une aristocratie militaire, puis des hommes libres, souvent
désignés comme « possesseurs de vaches ». Dans ces sociétés très militarisées, le pouvoir militaire
est fondamental : les hommes libres élisent leurs chefs en brandissant leurs armes, selon des textes
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

anciens. À Rome, cette tripartition se retrouve dans les catégories sociales : l'ordre sénatorial, l'ordre
équestre (cavalier) et la plèbe. Lorsque l’Empire devient chrétien, Dumézil identifie une transposition
de cette structure avec les clercs, les nobles et les plébéiens.
Cette structuration se retrouve également dans les sociétés médiévales chrétiennes, où trois
ordres coexistent : les clercs, médiateurs entre Dieu et les hommes ; les nobles, dépositaires de la
puissance politique et militaire ; et le peuple, chargé de la production. Les deux premiers ordres
bénéficient d’un statut juridique distinct, défini par leurs privilèges : les nobles sont soumis
exclusivement au tribunal impérial et échappent aux peines corporelles, tandis que les clercs relèvent
du « for ecclésiastique », c’est-à-dire uniquement des juridictions ecclésiastiques. Cependant, ces
privilèges s’accompagnent d’incapacités juridiques : les nobles et les clercs ne peuvent exercer
d’activités artisanales ou commerciales. Les clercs sont en outre interdits de porter les armes ou de
verser le sang. Cette organisation sociale, héritée en partie de l’Empire romain, perdure tout au long
du haut Moyen Âge.
Dans le droit germanique, les nobles bénéficient d’une valeur de Wergeld (compensation
pécuniaire en cas de meurtre) supérieure, dans le but de réduire la faide (vengeance privée). L’Église,
quant à elle, renforce sa position dès le VIe siècle par l’obtention de privilèges comme l’immunité,
empêchant les agents de l’État de prélever des impôts ou d’exercer la justice sur ses terres. L’édit de
Clotaire II (614) visait à généraliser cette immunité, sans qu’il soit pleinement appliqué. Au VIIe siècle,
alors que le pouvoir mérovingien s'affaiblit, l’Église gagne en autonomie. Certaines institutions
ecclésiastiques sont exemptées d’héberger les troupes royales (exemption du gîte) et obtiennent
parfois une immunité judiciaire complète. Le clergé administre alors ses terres en toute
indépendance.
Dans le royaume wisigoth de Tolède, cette division tripartite de la société est également
valorisée. Isidore de Séville la rattache aux origines mythiques de Rome, affirmant que Romulus aurait
divisé la population en trois tribus : les sénateurs (autorité politique et religieuse), les chevaliers
(force armée) et les plébéiens. Ce modèle à trois ordres est repris à l’époque carolingienne,
notamment dans le poème d’Ergoul le Noir dédié à Louis le Pieux (828), qui décrit une société
composée du clergé, de la noblesse et du peuple. Cette organisation affirme qu’il n’existe qu’une
seule communauté chrétienne, mais que l’État repose sur une hiérarchie en trois ordres distincts.

La civilisation musulmane (VIIe – VIIIe siècle)


1. La naissance de l’Islam
a) Le prophète Mahomet (570 – 632)
Un prophète est une personne qui, selon la tradition religieuse, reçoit par inspiration divine
une révélation portant sur des vérités spirituelles ou morales. L’Islam, religion monothéiste, naît au
VIIe siècle dans la péninsule Arabique, une région à la croisée de plusieurs routes commerciales
reliant la mer Rouge, l’océan Indien et le golfe Persique. À cette époque, le nord de l’Arabie joue un
rôle de zone tampon entre les deux grandes puissances de l’époque : l’Empire byzantin à l’ouest et
l’Empire sassanide à l’est. Le Hedjaz, notamment, constitue un axe majeur pour les caravanes
traversant le désert. Deux localités s’y distinguent : La Mecque, importante cité commerciale, et
Yathrib, future Médine. La Mecque se démarque par son statut de centre religieux, en particulier
grâce à la Kaaba, édifice cubique en pierre noire que la tradition islamique fait remonter au prophète
Abraham. À l’époque préislamique, la Kaaba abrite non seulement la célèbre pierre noire, mais aussi
de nombreuses idoles représentant les divinités du panthéon arabe. Elle est sous la garde de la tribu
des Qurayshites, des marchands influents, dont est issu le futur prophète de l’islam. C’est dans la
21
Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

branche des Hachémites, une des sous-familles des Qurayshites, que naît Mahomet vers 570.
Orphelin dès son jeune âge, il est pris en charge par sa famille et entre au service de Khadîdja, une
riche veuve qu’il épouse par la suite. Le couple aura plusieurs enfants, dont Fatima, qui jouera un rôle
central dans l’histoire de l’islam, notamment par son mariage avec Ali, cousin de Mahomet et figure
majeure de l’islam chiite. Vers l’âge de quarante ans, Mahomet connaît une série d’expériences
spirituelles. Il se retire régulièrement dans la grotte de Hira, située à proximité de La Mecque. C’est là,
selon la tradition islamique, qu’il reçoit en 612 sa première révélation de l’archange Gabriel. Celui-ci
lui transmet le message divin, qui constituera le contenu du Coran — terme signifiant « récitation »
en arabe. Le message insiste d’emblée sur l’unicité de Dieu (tawhid), rejetant toute forme de
polythéisme. Mahomet ne consigne pas immédiatement par écrit ces révélations : celles-ci sont
d’abord transmises oralement à son entourage. Le message du prophète suscite rapidement l’hostilité
des Qurayshites, soucieux de préserver leur autorité religieuse et les revenus générés par le
pèlerinage païen à la Kaaba. La prédication de Mahomet, perçue comme une menace, pousse ce
dernier à quitter La Mecque pour Yathrib en 622. Cet événement fondateur est connu sous le nom
d’Hégire (hijra), qui marque le début du calendrier musulman.
À Médine, Mahomet cherche à établir une communauté fondée sur la foi. Dans un premier
temps, il entretient des relations étroites avec les communautés juives locales, mais se détache
progressivement d’elles après leur refus de reconnaître son autorité prophétique. Il décide alors
d’orienter la prière vers La Mecque et non plus vers Jérusalem, affirmant ainsi l’autonomie spirituelle
de la nouvelle religion. Peu à peu, Mahomet acquiert une autorité politique et militaire. En 629, il
obtient le droit de revenir à La Mecque pour accomplir un pèlerinage. L’année suivante, il s’empare de
la ville, pénètre dans la Kaaba et détruit les idoles qu’elle renferme, tout en conservant la pierre
noire. Il purifie ainsi le sanctuaire pour en faire le centre spirituel de l’islam. L’année 632 est
particulièrement dense : Mahomet organise des expéditions en direction des territoires byzantins,
établit officiellement le calendrier lunaire islamique, et poursuit la structuration de la communauté
musulmane. Il meurt cette même année à Médine, laissant derrière lui une communauté unifiée
autour du message du Coran, mais sans avoir désigné clairement de successeur, ce qui entraînera
plus tard des divisions au sein de l’islam.

b) La foi musulmane
L’islam est un monothéisme strict qui affirme l’unicité absolue de Dieu, ce qui le distingue du
christianisme, notamment en raison de la doctrine trinitaire de ce dernier. Il se rapproche davantage
du judaïsme par la rigueur de ses prescriptions. L’islam reconnaît le judaïsme et le christianisme
comme issus de révélations antérieures, mais considérées comme déformées. C’est une religion
tolérante, dans la mesure où elle intègre les juifs et les chrétiens dans son système, en les protégeant
sous certaines conditions. Ce statut passe par le paiement d’un impôt spécifique, la djizîa, par les
non-musulmans, appelés dhimmi. L’islam repose sur cinq piliers fondamentaux : la profession de foi
(affirmation de l’unicité de Dieu et de la prophétie de Mahomet, révélée par l’ange Gabriel ; la
prononcer une fois en arabe suffit pour devenir musulman) ; la prière (récitée en arabe, langue sacrée
; elle peut être individuelle ou collective, cinq fois par jour, tournée vers la Mecque, précédée
d’ablutions et ponctuée de prosternations ; le vendredi, elle est collective, dirigée par un imam, un
fidèle reconnu par la communauté, l’islam ne disposant pas de clergé) ; l’aumône obligatoire (zakat),
impôt représentant entre un vingtième et un cinquième des revenus ; le jeûne du mois de Ramadan ;
enfin, le pèlerinage à La Mecque, obligatoire pour tout musulman en ayant les moyens physiques et
matériels.

c) Le Coran
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

Le Coran est un texte relativement court, composé de 144 sourates et de 6 211 versets. Il est
considéré comme unique, sacré et incréé, c’est-à-dire existant de toute éternité selon le dogme
islamique. Mahomet ne l’a pas lui-même rédigé : il s’est contenté d’en transmettre le contenu à son
entourage. Ce n’est qu’en 653, sous le califat d’Othmân, qu’une commission est chargée de fixer un
texte unique. En raison de sa brièveté, le Coran ne permettait pas à lui seul de structurer l’ensemble
de la vie sociale. C’est pourquoi ont été rédigés les hadiths, récits des actes et paroles du prophète,
qui servent de fondement à la pratique quotidienne.

2. L’expansion de l’Islam
a) Les conquêtes
L’Islam distingue le Dār al-Islām (territoire de l’Islam) du Dār al-Ḥarb (territoire de la guerre),
peuplé d’infidèles. Dès les premières décennies, les conquêtes musulmanes se montrent rapides : la
Syrie, la Palestine et la Mésopotamie tombent, provoquant l’effondrement de l’Empire perse.
L’expansion s’étend à l’Afrique du Nord, puis à l’Espagne en 711. La majeure partie de cet ensemble se
situe à l’est, autour de l’Irak, de l’Iran et de la Transoxiane (actuels Ouzbékistan et sud-ouest du
Kazakhstan). Cette progression s’accompagne de la fondation de nombreuses villes : la civilisation
islamique est avant tout urbaine. Bagdad, fondée au VIIIe siècle, atteint rapidement plus d’un million
d’habitants ; Cordoue, capitale d’al-Andalus, en compte plusieurs centaines de milliers. Cette
conquête est facilitée par l’épuisement des empires perse et byzantin, mais aussi par la tolérance
relative accordée aux dhimmis. Toutefois, une forte résistance est opposée par les Berbères d’Afrique
du Nord. Cet empire islamique s’étend de l’est à l’ouest, autour du bassin méditerranéen et centré sur
les plateaux iraniens. Il est marqué par des climats aride, tropical sec et méditerranéen, rendant
l’accès à l’eau crucial : les Arabes maîtrisent ainsi rapidement les techniques hydrauliques. Les
premiers califes, dits rāshidūn (« bien guidés par Dieu »), règnent de 632 à 661. Successeurs du
Prophète à la tête de la communauté et de l’État, ils sont confrontés à des tensions successorales. Le
système agnatique, commun au monde arabe et à Rome, pose problème : les fils de Mahomet étant
morts, il faut choisir entre Ali et Abbas. C’est finalement Abū Bakr qui est désigné, suivi d’Omar,
d’Othmān, puis d’Ali, assassiné en 661. Cette mort provoque la première grande division : le
sunnisme, qui valorise l’unité des musulmans et admet qu’un calife peut être issu de n’importe quelle
branche tribale ; le chiisme, qui considère qu’il doit être un imam, choisi parmi les descendants d’Ali,
et infaillible ; et les kharidjites, qui rejettent toute hérédité, estimant que le calife doit être le meilleur
des musulmans, sans considération d’origine.

b) Le califat omeyyade
La dynastie sunnite des Omeyyades s’installe à Damas, quittant ainsi l’Arabie. À partir de 680,
l’Empire s’organise en neuf provinces autour de sept villes principales : Médine, Kairouan, Koufa,
Fostat, Mossoul, entre autres. L’administration s’inspire largement du modèle byzantin, avec
notamment un service postal efficace. Le dīwān, système fiscal fondé sur l’impôt foncier, reflète
également l’héritage byzantin. Le grec reste utilisé dans les chancelleries jusqu’au VIIe siècle. Les
fonctions administratives sont souvent occupées par des chrétiens, tout comme certaines concubines
des califes. L’unification de l’empire passe aussi par la mise en circulation d’une monnaie forte : le
dinar d’or et le dirham d’argent, qui visent à renforcer la cohésion économique. L’opposition chiite,
latente sous les Omeyyades, atteint son apogée avec la révolution abbasside, lancée en Iran, foyer de
nombreux partisans d’Ali. Cette révolution éclate en 747 et aboutit en 750 à la chute de la dynastie
omeyyade, presque entièrement massacrée. Un seul survivant, ʿAbd al-Raḥmān, parvient à
s’échapper et fonde en Espagne l’émirat de Cordoue. L’émir y exerce un double pouvoir : militaire, en
tant que commandant des troupes, et religieux, en dirigeant la prière.

c) Le Califat abbasside
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

Les Abbassides instaurent une nouvelle dynastie sunnite, issue d'une coalition entre Arabes
et convertis au sunnisme. Ils renforcent considérablement le rôle religieux du calife, désormais revêtu
du manteau du Prophète, la Burda. Les califes gouvernent à distance, rarement accessibles, déléguant
l’exercice du pouvoir à un vizir, sorte de premier ministre, d’abord recruté parmi les Iraniens, puis les
Turcs. L’administration s’étoffe, intégrant notamment des chrétiens, en particulier des nestoriens. Les
Abbassides fondent une nouvelle capitale : Bagdad, en 762. Ville de plan circulaire, elle atteint
rapidement 500 000 habitants, soit quatre fois la superficie de Constantinople. Toutefois, en raison de
difficultés de contrôle, la capitale est transférée à Samarra au IXe siècle, avant de revenir à Bagdad en
892. Le centre de gravité de l’empire se déplace progressivement vers l’Iran. C’est une période d’essor
économique et de domination maritime. L’astrolabe, instrument permettant de mesurer la hauteur
des astres et de déterminer l’heure, est perfectionné. Les grands centres commerciaux sont Bagdad,
Fustat et Cordoue. Le commerce méditerranéen atteint un niveau supérieur à celui de l’époque
romaine : or et ivoire d’Afrique, soie d’Inde, esclaves slaves, armes franques.
La culture musulmane connaît un âge d’or. Trois sources alimentent le savoir : des
productions internes (traités de droit, d’histoire, de linguistique en arabe), la tradition grecque et les
sciences indiennes. Le calife Al-Ma’mūn (813–833) fonde à Bagdad la Maison de la Sagesse, où il fait
traduire des manuscrits grecs. Cette époque voit fleurir la philosophie (notamment avec Avicenne,
980–1038), la géographie, l’astronomie (Ptolémée, Euclide), et les mathématiques (chiffres arabes,
zéro). Des observatoires sont fondés au Caire et ailleurs. Cependant, le califat abbasside traverse une
crise profonde. Dernier califat unifié, il est confronté à des tensions ethniques, politiques et
religieuses. Les vizirs, souvent d’origine turque, prennent une place croissante, notamment au sein de
la garde du calife, qui finit par contrôler les nominations et les ressources fiscales. Les campagnes
connaissent des troubles, alimentés par le mécontentement des esclaves noirs. Les tensions
confessionnelles s’aggravent, le chiisme s’opposant au sunnisme, et ce dernier se divisant en plusieurs
écoles juridiques. Les débats sur la place de la raison dans la foi, notamment sur la conciliation entre
Aristote et le Coran, exacerbent les conflits : les Abbassides affirment même que le Coran a été créé.
Cette crise culmine entre 945 et 1062, lorsque les Bouyides, dynastie chiite, prennent Bagdad et
dominent l’Irak et l’ouest iranien. L’émiettement du califat se poursuit, avec la naissance de l’émirat
maghraoui à Fès (980–1069) et du califat fatimide, proclamé à Kairouan et transféré au Caire en 973
après la conquête de l’Égypte (969). Malgré cet éclatement, le califat abbasside subsiste jusqu’en
1258.

3. La conquête de l’Espagne Wisigothique


Au moment de la conquête musulmane, la péninsule ibérique et la Septimanie sont sous le règne
des Wisigoths. Cette monarchie wisigothique se caractérise par une crise.

a) La crise de la monarchie wisigothique


Cette crise revêt plusieurs dimensions : sociale, économique et surtout politique, et elle
trouve son origine dans la figure du roi. Initialement, le roi wisigoth est perçu comme le premier
parmi les aristocrates, le "Primus inter pares" (premier entre les pairs), et est élu par ses pairs.
Aucune division territoriale spécifique n'est prévue. Cependant, la nature du pouvoir royal évolue
après la conversion au catholicisme, amorcée par le roi Récarède Ier, qui régna de 586 à 601 et se
convertit en 587. Ce changement marque une rupture dans l’histoire du royaume et renforce
l'autorité royale. Sous le règne du roi Egica (687-702), une transformation notable se produit : il
déclare que dorénavant, aucun homme ne pourra être sujet d’un aristocrate, mais uniquement du
roi. Cependant, cette centralisation du pouvoir suscite rapidement des mécontentements. En 693,
Egica associe son fils au trône, contre les traditions wisigothiques. Son fils, le roi Witiza (702-710), ne
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

parvient pas à se faire acclamer par l’aristocratie, ce qui engendre des tensions. À la mort de Witiza,
un conflit de succession éclate. Le duc de Bétique (actuelle Andalousie), Rodéric, se proclame roi des
Wisigoths et est couronné par l’aristocratie, régnant de 710 à 711. Ce schisme politique conduit à une
situation où deux rois des Wisigoths coexistent au moment de l’invasion musulmane : Agila II (710-
714), roi légitime, et Rodéric, autoproclamé. Parallèlement, la crise revêt également une dimension
sociale. Le nombre d'esclaves dans l'Espagne wisigothique est considérable, et leur condition se
détériore à la fin du VIIe siècle, particulièrement sous le règne du roi Ervige (680-687), qui autorise les
maîtres à infliger à nouveau la peine capitale aux esclaves. Cela entraîne de nombreuses fugues
d'esclaves, et les citoyens sont contraints de les dénoncer. La situation des Juifs se dégrade
également, marquée par un durcissement de la législation antisémite. Les Wisigoths, conscients des
dangers de la division religieuse, considèrent les Juifs comme les principaux obstacles à l’unité du
royaume. En conséquence, les Juifs sont progressivement soumis à diverses interdictions : ils ne
peuvent épouser de chrétiens, posséder des esclaves ou des domestiques non juifs, exercer des
fonctions publiques, ni fréquenter les convertis au christianisme. Le prosélytisme juif est puni de
mort. En 681, le roi Ervige impose également le baptême obligatoire pour tous les Juifs dans un délai
d'un an, sous peine de sanctions sévères.

b) Le gouvernement musulman en Europe


Au début de la période andalouse, le territoire est divisé en 12 provinces, chacune gouvernée
par un Wali (pluriel : Wulât). Parmi les villes les plus importantes figurent Cordoue, mais aussi Tolède,
Saragosse et Narbonne, en Septimanie. Cette dernière reste sous domination musulmane pendant
seulement 40 ans, de 719 à 749, avant d’être reprise par Pépin le Bref. Le reste de l'Espagne, en
revanche, demeure sous domination musulmane plus longtemps, les Wulât étant nommés par le
calife Omeyade de Damas jusqu'en 754. Toutefois, ces gouverneurs jouissent d'une grande
indépendance, et les nominations se succèdent fréquemment sans assurer une stabilité réelle. Par
exemple, entre 711 et 726, 21 Wulât sont nommés en Espagne, soit des mandats de moins d'un an en
moyenne, ce qui engendre une instabilité politique et des luttes internes. Les califes de Damas
peinent à intervenir, et leur manque d'intérêt pour l’Espagne accentue l'autonomie d'Al-Andalus. De
plus, les événements se déroulant à Damas influent directement sur la situation en Espagne. Les
gouverneurs deviennent progressivement plus autonomes, prenant des décisions importantes sans
consulter le calife et rétentionnant de plus en plus les impôts et tributs pour leur propre compte.
Cette prise d'indépendance est facilitée par les difficultés rencontrées par le califat omeyade lui-
même. En 754, lors de la révolution abbasside, la dynastie omeyade est renversée. Le dernier
membre survivant de cette dynastie, Abdal Rahman Ier, petit-fils du dernier calife omeyade, se
réfugie en Espagne et fonde l'émirat de Cordoue en 756.

Le royaume franc aux VIIe et VIIIe siècles


Cette période est principalement marquée par l'ascension de la puissante famille
austrasienne des Pippinides, qui détient de vastes domaines, notamment dans la région de la Meuse.
Cette ascension débute sous le règne de Clotaire II, qui nomme Pépin Ier maire du palais d'Austrasie
(623-629). Entre 613 et 639, à la suite de la chute de Brunehault et jusqu'à la mort de Dagobert, le
royaume franc connaît une période de paix et d'unité. Clotaire II met en place un édit de réforme du
royaume, et sous les règnes de Clotaire et de Dagobert, les frontières sont pacifiées. Ce dernier
parvient à soumettre les Vascons ainsi que la Bretagne continentale. Les rois bénéficient du soutien
de l’épiscopat et s'entourent d'un personnel compétent et dévoué, parmi lesquels figurent Saint Éloi,
Saint Ouen et Saint Didier de Cahors. Cependant, à la mort de Dagobert, le royaume est encore divisé
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entre ses fils : Clovis II (639-657), roi de Neustrie et de Bourgogne, et Sigebert III (633-656). Cela
ravive les luttes entre la Neustrie et l'Austrasie, des conflits qui favorisent l'ascension des maires du
palais et des grandes familles aristocratiques, entraînant l'augmentation de la frappe de monnaies
régionales et un déclin du pouvoir royal. Dès lors, il convient dès lors de s’interroger sur le système
politique dans lequel ces bouleversements s'insèrent.

1. Le pouvoir franc sous les derniers mérovingiens


c) Le souverain
Depuis Clovis, les rois mérovingiens conservent un certain pouvoir personnel, fondé sur leur
charisme, acquis par leur lignée et symbolisé par leurs longues chevelures. Toutefois, leur autorité
repose également sur leur capacité à être reconnus comme rois. En période de guerre, leur pouvoir
est consolidé par des victoires au combat, tandis qu'en période de paix, il se maintient par la
possession d’un trésor, qui fige en partie les richesses accumulées. Ce trésor, qu’ils acquièrent par le
butin ou par l’augmentation des revenus, reste un bien personnel du roi. Cependant, ce statut du
trésor est contradictoire : d'une part, le roi ne doit pas dépenser entièrement cette richesse, mais en
garder une partie pour rétribuer ses fidèles ; d'autre part, il doit faire preuve de générosité, en
récompensant ses vassaux. Les dons du roi assurent le maintien de ces fidélités. Les bénéficiaires de
ces dons, appelés Leudes, sont des aristocrates liés au roi par un serment personnel de fidélité. Cette
fidélité est renforcée par des dons royaux, qui peuvent prendre différentes formes : des charges
laïques ou ecclésiastiques, des biens, en particulier des terres, ou encore des récompenses
honorifiques, comme le partage du repas royal. Le palais du roi représente un lieu essentiel du
pouvoir. Le roi possède plusieurs domaines, principalement des centres de grands domaines
agricoles, des villae. Ces derniers ne sont pas exclusifs au roi, car d’autres aristocrates possèdent
également de telles villae, généralement situées à proximité de forêts riches en gibier. Résider au
palais permet de devenir convive du roi, ou nutriti. Les nutriti sont des jeunes aristocrates, souvent
arrivant au palais dès l’adolescence, pour apprendre un métier d’administrateur, de soldat, ou parfois
de prêtre, pour les plus méritants.
Le pouvoir des rois mérovingiens repose ainsi sur des liens personnels et dépend largement
de ce qu'ils peuvent offrir. Le roi vit de ses domaines, c'est-à-dire de ses biens personnels, issus
d'anciens fisc romains, que les rois mérovingiens considèrent comme leurs propriétés. Le fisc, un
terme romain désignant les terres, domaines et revenus appartenant au souverain, est également
considéré comme relevant du trésor public. Une villa peut ainsi être qualifiée de fisc. Les rois
mérovingiens ont la possibilité d'agrandir ce fisc par la conquête. À cela s'ajoutent des impôts hérités
de l’Empire romain, comme le Tonlieu, un droit de péage. Les revenus du roi mélangent ainsi des
sources privées et publiques. Ces revenus servent à nourrir le roi et ses fidèles, ainsi qu’à
récompenser leurs services. Le risque, cependant, réside dans la régression de ces richesses, car la
capacité à maintenir des dons en fonction de ces ressources peut affecter le pouvoir royal. Si les
conquêtes cessent, la question qui se pose est celle des limites des dons royaux : comment rétribuer
les fidélités sans dilapider le pouvoir royal ? Quelles précautions le roi peut-il prendre pour maintenir
la fidélité des Leudes, si la source principale de richesse, à savoir la conquête, s’épuise ?

d) L’administration royale
Pour exercer son pouvoir, le roi mérovingien s’appuie sur des institutions qui agissent comme
un contrepoids aux liens personnels qu’il entretient avec l’aristocratie. Cette administration, en partie
héritée de l’Empire romain, conserve un caractère public et centralisé. Au palais, divers officiers
remplissent des fonctions administratives, à la manière des fonctionnaires impériaux. Parmi ces
officiers, on trouve le connétable, qui, étymologiquement "comte des étables", est responsable de
l’écurie et plus spécifiquement de la cavalerie, bien que l’armée franque de l’époque soit peu
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développée dans ce domaine. Le maréchal, quant à lui, s’occupe de l’approvisionnement et des


affaires judiciaires, tandis que le maire du palais contrôle l’ensemble des officiers laïques de la cour et
supervise les intendants des domaines royaux. Cette dernière fonction deviendra une source de
pouvoir redoutable pour le roi, car ces charges publiques, confiées aux Leudes (les aristocrates
proches du roi), tendent à se transformer en récompenses privées, renforçant ainsi l’influence des
grands vassaux. Les Leudes, occupant ces charges, suivent un parcours similaire au Cursus honorum
de l’Antiquité, qui les mène de leurs provinces d'origine à la cour du roi, puis à d'autres
responsabilités, tant administratives que religieuses, comme l'évêché. Cependant, l'édit de Clotaire II
pose problème, car il instaure la nomination des aristocrates dans leurs provinces d'origine,
renforçant ainsi le pouvoir local au détriment du contrôle direct du roi. Le pouvoir local, incarné par le
comte, constitue un autre élément clé de l’administration. Bien que le titre de comte ne soit pas une
noblesse héréditaire, il représente une fonction publique de premier plan. Le comte est nommé par
le roi et gouverne un territoire, souvent désigné dans les sources comme civitas (la cité, au sens
romain) ou pagus (une entité territoriale plus petite qu’une cité). Le comte détient tous les pouvoirs,
à l’exception des fonctions religieuses, et préside le mallus (ou mall), l'assemblée des hommes libres
de sa civitas ou pagus, qui fait également office de tribunal public. Ces hommes libres, en majorité
des guerriers, peuvent être convoqués chaque année lors du champ de Mars. L’administration
mérovingienne fonctionne relativement bien jusqu’au milieu du VIIe siècle, avec des échanges
fréquents entre la cour et les autorités locales. Des brefs, rédigés initialement sur papyrus puis sur
parchemin, témoignent de l’exercice du pouvoir législatif par les rois mérovingiens.
Parallèlement à ce pouvoir législatif, le roi exerce un pouvoir judiciaire, qu’il délègue en partie
aux comtes. Toutefois, il demeure, en théorie, le juge suprême. En tant que tel, le roi doit également
gérer la vieille pratique germanique de la faide, ou vengeance privée, interdite par la loi salique, mais
toujours pratiquée et entretenue par un climat de violence. Les souverains eux-mêmes, en ayant
donné l'exemple par des guerres civiles, contribuent à la persistance de cette coutume. Le roi, dans ce
contexte, se positionne en garant de la paix et doit intervenir en tant que justicier pour apaiser les
tensions entre grandes familles rivales. La justice est ainsi un élément fondamental du pouvoir royal,
et le roi affirme son autorité notamment à travers ses édits. Un autre problème majeur réside dans
l’absence de liens directs entre le roi et le peuple. Si la petite et moyenne propriété paysanne existe
toujours, sa proportion exacte reste inconnue. Quant aux esclaves, leur nombre tend à se réduire, en
grande partie en raison de l’absence de conquêtes. Les esclaves, désormais chrétiens, sont placés
sous la dépendance de leurs maîtres, et bien que leur situation se soit améliorée par rapport à
l’époque romaine, ils demeurent dans une position subordonnée. L’absence de contact direct entre le
roi et le peuple est accentuée par le fait que les hommes libres prêtent serment de fidélité
directement aux comtes, renforçant l’importance croissante de ces derniers dans l’organisation et la
gestion du royaume.

e) La puissance de l’aristocratie
Au VIIe siècle, l’aristocratie franque est en pleine expansion et trouve sa base dans des liens
personnels avec le roi, mais aussi dans les charges publiques que ce dernier leur confie, et dans la
puissance matérielle qui découle de ces fonctions. Ces liens personnels entre le roi et l’aristocratie
sont essentiels à la fidélité des grands vassaux, qui reçoivent en échange des biens et des terres. Les
charges publiques, telles que celles des comtes et des évêques, permettent à ces aristocrates déjà
riches d’acquérir encore plus de richesse et de pouvoir. En effet, les comtes, par exemple, sont des
membres privilégiés de l’aristocratie, et les évêques, souvent nommés par le roi et souvent issus de
leurs régions d’origine, bénéficient également de privilèges matériels. Ces fonctions leur procurent
non seulement une autorité publique, mais aussi des revenus privés liés à l'exercice de leurs charges,
un phénomène connu sous le terme de Honor. L’aristocratie doit en grande partie sa puissance au roi,
mais cette même puissance finit par se retourner contre lui. L’évolution au cours du VIIe siècle voit
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cette aristocratie devenir de plus en plus indépendante. Elle échappe progressivement au contrôle
royal, car elle possède des biens à titre privé et établit des réseaux de fidélité qui lui confèrent une
autonomie considérable. L’ascension des comtes et des évêques dans leurs territoires d’origine,
notamment après l’édit de Clotaire II en 614, qui leur permet d’être nommés dans leurs régions
natales, accentue cette tendance. Ce système de pouvoir local renforce les aristocrates, qui voient
leur autorité privée se conjuguer avec l’autorité publique conférée par leurs charges. Les revenus
publics perçus par les comtes, qui devraient en principe être des impôts, se mêlent de plus en plus à
leurs biens privés, rendant leur pouvoir encore plus difficile à contester. L’aristocratie, notamment les
comtes, commence ainsi à s’implanter profondément dans les pays qu’ils administrent. Ils acquièrent
non seulement des fortunes considérables, mais aussi une certaine indépendance renforcée par leurs
réseaux familiaux et de clientèles. Ces comtes deviennent de plus en plus difficiles à révoquer, ce qui
crée un déséquilibre entre leur fidélité au roi et leur pouvoir personnel. Ce phénomène génère aussi
la formation de coalitions aristocratiques, qui deviennent de véritables germes de désunion au sein
du royaume. La famille des Pippinides, qui devient la plus puissante au milieu du VIIe siècle, incarne
cette évolution. Cette famille représente un danger grandissant pour l’autorité royale, car elle
combine à la fois des alliances solides, un pouvoir militaire et des liens étroits avec l’aristocratie
locale. La montée en puissance des Pippinides précède l’effondrement de la dynastie mérovingienne
et le début de la période carolingienne.

2. L’ascension des Pippinides


b) Une famille austrasienne
L'Austrasie, située au nord-est du royaume des Francs, a longtemps joué un rôle clé dans la
politique franque. Définie par Grégoire de Tours à la fin du VIe siècle, cette région s'étend de la
Champagne au Rhin et du nord de la Bourgogne à l'estuaire du Rhin, avec pour capitale la ville de
Metz. L'Austrasie se distingue de la Neustrie, au nord-ouest du royaume, et se retrouve fréquemment
associée à la Burgondie lors des partages du royaume franc. Ces trois entités forment ce que l'on
appelle les Tria regna ou les "trois royaumes". Les Pippinides, qui apparaissent dans les sources
historiques au début du VIIe siècle, connaissent une ascension marquée par des fortunes fluctuantes
avant d'atteindre le pouvoir suprême grâce à la fonction de maire du palais. Pépin de Landen, par
exemple, reçoit cette fonction de Clotaire II en 623, et il devient un acteur clé du pouvoir en
Austrasie. Après la mort de Clotaire II, Pépin continue d’exercer ses fonctions sous son fils, Dagobert
Ier, mais son influence diminue à partir de 629, surtout lorsque Dagobert s’entoure de conseillers
neustriens.
En 633, Pépin perd son poste de maire du palais au profit de Sigebert III, le fils de Dagobert,
mais il revient brièvement à la mairie en 639 après la mort de Dagobert. Cependant, Pépin meurt en
640. Arnould, l’évêque de Metz et un autre grand artisan du succès de Clotaire II, fait aussi partie de
cette période d'ascension. Avant de devenir évêque, Arnould avait fait une carrière importante à la
cour du roi d’Austrasie, et il joue un rôle crucial dans les intrigues politiques, en particulier pendant la
guerre fratricide qui suit la mort de Théodobert II. Arnould, bien qu'il ne soit pas directement lié à
Pépin de Landen par le sang, devient une figure essentielle dans la dynastie des Pippinides grâce à
son alliance avec la famille de Pépin. Le fils d'Arnould, Ansegisel, épouse la fille de Pépin, Begga,
renforçant ainsi les liens entre ces deux grandes familles aristocratiques. Leur fils, Pépin de Herstal,
est destiné à devenir une figure incontournable. L'influence de cette famille ne se limite pas à ses
alliances et à ses pouvoirs politiques. Arnould, après sa carrière à la cour, devient évêque de Metz en
614, avant de se retirer comme ermite à Remiremont où il vit près d’un monastère, au service des
malades. Il meurt à Remiremont en 641, mais son corps est ensuite transféré à Metz, où il sera
vénéré comme Saint Arnould de Metz. Ce culte, promu particulièrement par les Carolingiens au VIIIe
siècle, confère à Metz et à la famille Pippinide une aura de sainteté. Les Pippinides se servent de la
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fonction de maire du palais, major palatii ou major domus, pour s'emparer progressivement des
prérogatives royales. Bien que cette fonction ait des racines romaines et ait été initialement utilisée
pour gérer les biens fonciers, elle évolue au fil du temps pour englober des pouvoirs bien plus
étendus. Les maires du palais, d’abord responsables des domaines du roi, deviennent de plus en plus
influents, supervisant l’administration de la cour, conseillant le roi sur le choix de ses officiers, et
prenant en charge le trésor royal et l’armée. Peu après la mort de Dagobert Ier, Pépin de Landen
parvient à transmettre la fonction de maire du palais à son fils Grimoald, lorsque Sigebert III est
encore enfant. Ce changement marque un tournant dans l’histoire des Pippinides. La famille cherche
à prendre le contrôle du royaume en modifiant les équilibres de pouvoir. C’est ainsi que Grimoald,
après avoir agi en tant que régent, orchestre un coup d'État pour faire monter son propre protégé,
Childebert, sur le trône en 665, au détriment de Dagobert II, qui est exilé en Irlande. Grimoald, bien
que son coup d’État échoue après la mort de Childebert en 662 et son assassinat par les hommes
d’Ebroïn, le maire du palais de Neustrie, ne tarde pas à reprendre le contrôle. Le neveu de Grimoald,
Pépin de Herstal, devient maire du palais en 679, et bien que la famille Pippinide ait connu des revers,
elle demeure au cœur du pouvoir. Pépin de Herstal, après plusieurs mariages stratégiques, épouse
Plectrude, issue d’une grande famille aristocratique, et il fait un second mariage avec une autre
alliance, de laquelle naîtra Charles Martel, le futur grand homme d'État et père de Pépin le Bref.
L'ascension des Pippinides, marquée par la ruse, les alliances et une gestion habile du pouvoir, pave la
voie aux Carolingiens et à l'établissement d'une nouvelle dynastie franque.

c) La fonction de maire du palais et l’accaparement des prérogatives royales


Pépin de Herstal, en tant que maire du palais, marque un tournant décisif dans l’histoire des
Pippinides en adoptant le titre de Princeps Francorum, signifiant « le premier des Francs » ou « le
prince des Francs ». Cette appellation, qui était traditionnellement utilisée pour désigner l’empereur
à Rome, est attribuée à Pépin après sa victoire décisive à la bataille de Tertry en 687. Lors de cette
bataille, Pépin affronte et défait le roi Thierry III, tout en éliminant son maire du palais, Berchaire.
Bien que Pépin écarte Berchaire, il garde Thierry III sous sa protection et le maintient sur le trône.
Cette victoire est un moment crucial pour les Pippinides, car elle confirme leur position dominante
parmi les grandes familles aristocratiques franques. Pépin de Herstal ne se contente pas de cette
victoire militaire et de l’élargissement de son pouvoir en Austrasie. Il cherche également à étendre
son influence au-delà des frontières traditionnelles du royaume franc, en se tournant vers le nord, où
réside le peuple des Frisons. Ces derniers, toujours païens à l'époque, étaient un peuple de
marchands et de navigateurs, et la région qu'ils occupaient devenait progressivement un axe
commercial majeur du Haut Moyen Âge. Malgré son pouvoir croissant, Pépin choisit de ne pas
revendiquer le titre royal, préférant maintenir l'illusion d'une continuité monarchique sous des rois
mérovingiens sous sa tutelle. Lorsque Thierry III meurt en 690 (ou 691), Pépin de Herstal décide de ne
pas diviser le royaume entre ses héritiers, mais impose un seul roi, Clovis IV. À la mort de ce dernier
en 695 (ou 696), Pépin choisit un autre roi, Childebert III, et, après la mort de ce dernier, il nomme
Dagobert III en 711. Cette politique peut être vue comme une démonstration de loyalisme, Pépin se
présentant comme le garant de l'unité du royaume en refusant la division du pouvoir royal. Toutefois,
il est évident que sous cette façade de loyauté, Pépin et la fonction de maire du palais ont
progressivement dépouillé les rois mérovingiens de leurs prérogatives. La perception des derniers rois
mérovingiens comme des « rois fainéants », popularisée par Eginhard, a contribué à légitimer
l’accroissement du pouvoir des Pippinides. Cependant, cette image est avant tout une propagande,
car les rois mérovingiens n'étaient pas simplement inactifs par paresse ou incapacité. Ils étaient en
réalité des souverains appauvris, privés de leur capacité d'action réelle par les maires du palais qui
avaient accaparé leurs prérogatives. Ces derniers, grâce à leurs possessions territoriales et à l’appui
de l’Église, ont peu à peu affaibli l’autorité royale. Les Pippinides avaient en effet accumulé des
richesses considérables, notamment dans la région Mosane (autour de la Meuse), et bénéficiaient de
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l’appui du clergé. La fonction de maire du palais, qui à l'origine servait à gérer les domaines du roi,
leur permettait de contrôler les terres du fisc royal et de s'enrichir davantage. En concentrant à la fois
les ressources économiques et l’influence politique, ils ont progressivement dépouillé les rois
mérovingiens de leur pouvoir, marquant ainsi le début de la domination des Pippinides. L’Église, de
son côté, soutenait cette dynamique, renforçant encore l’emprise des Pippinides sur le royaume. Ce
phénomène constitue un aspect fondamental de l'ascension des Pippinides et de l’effacement
progressif des rois mérovingiens.

d) Le soutien aux activités missionnaires


Pépin de Herstal adopte une politique religieuse ambitieuse et stratégique pendant son règne
de 27 ans, utilisant l'Église comme un outil pour renforcer son pouvoir, mais toujours dans l'optique
de servir ses propres intérêts. Un seul synode reste documenté pendant cette période, au cours
duquel il décide de restaurer les biens ecclésiastiques pour le soutien aux pauvres, aux orphelins et
aux veuves. Un synode, bien qu'il soit comparable à un concile, se distingue par son caractère local.
En cela, Pépin de Herstal s'inscrit dans la tradition de sa famille, une tradition où les femmes avaient
joué un rôle important en parrainant la fondation de monastères en Austrasie. Toutefois, ce qui
intéresse véritablement Pépin, c'est la question des missions chrétiennes, particulièrement celles qui
se déroulent au-delà des frontières du royaume franc. La Germanie, restée majoritairement païenne
à cette époque, devient un objectif central de la politique missionnaire de Pépin. Pépin de Herstal
adopte une stratégie selon laquelle la christianisation devrait précéder l'annexion. L’extension du
christianisme en Germanie était déjà en préparation depuis les années 630, grâce à des missions
prises en charge par des ecclésiastiques originaires du sud de la Gaule, souvent des Aquitains. Parmi
ces missionnaires, Saint Amand est particulièrement remarquable. À partir des années 680,
l’évangélisation de la région septentrionale devient l’œuvre d'évêques anglo-saxons, dont Wilfrid
(futur Saint Wilfrid) et Saint Willibrord, qui arrive à la cour d’Austrasie avec ses compagnons anglo-
saxons. Pépin de Herstal décide de soutenir activement leur action, notamment celle de Willibrord.
Bien que Pepin fournisse à Willibrord des moyens considérables, ce dernier éprouve le besoin de
s'affranchir de la tutelle de Pépin et se rend à Rome pour faire confirmer sa mission par le pape. En
retour, il revient avec des reliques et le titre d’archevêque des Frisons, un titre honorifique,
accompagné du pallium, symbole de son autorité religieuse. En soutenant Willibrord, Pépin de
Herstal renforce son rôle de protecteur de l'Église et des missions chrétiennes, et attribue à Willibrord
le siège d'Utrecht, qui n'appartient pas à ce moment au royaume des Francs. Ce geste confère ainsi
une dimension plus politique à l'Église, car Pépin crée un lien direct entre le royaume des Francs et
Rome. Pépin continue d’organiser et de soutenir de nouvelles missions chrétiennes à l'extérieur du
royaume, notamment en envoyant Saint Corbinien en Alémanie, qui deviendra le premier évêque de
Freising en Bavière. Bien que ces régions aient fait partie du royaume des Francs, elles étaient
largement non christianisées à l'époque.
Cependant, malgré son dynamisme dans la promotion des activités missionnaires, l’action
religieuse de Pépin de Herstal est limitée dans certaines régions du royaume, notamment en Neustrie
et en Burgondie. En effet, à l'intérieur du royaume, Pépin laisse une grande liberté à l'aristocratie
locale, ne souhaitant pas se mettre à dos ces puissants seigneurs. Il ne prend des mesures
d’interventions que lorsque la situation devient trop problématique, comme à Rouen, Auxerre ou
Soissons. Il cherche à maintenir l’équilibre et éviter tout affrontement direct avec les grandes familles
aristocratiques. Vers la fin de son gouvernement, un changement notable se produit : Pépin, qui
jusque-là avait évité d’impliquer l’Église trop profondément dans les affaires intérieures, se retrouve
confronté à une tragédie familiale. Son fils aîné, qui était appelé à succéder à ses responsabilités,
devient un facteur décisif dans l’évolution de la relation entre l’Église et l’État sous l'impulsion de la
dynastie Pippinide.
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3. Charles Martel, un roi sans couronne


Les sources principales pour retracer l'ascension des Pippinides sont la Chronique de Frédégaire
et ses continuations, qui constituent l'équivalent de la Chronique de Grégoire de Tours pour le VIIe
siècle. L’attribution de cette chronique à un auteur nommé Frédégaire et sa date de rédaction ont été
longtemps sujettes à débat. En réalité, le nom de Frédégaire n’apparaît qu’au XVIIe siècle, lors de la
publication du texte. Selon l’opinion dominante, la chronique est l’œuvre d’un seul auteur burgonde,
probablement rédigée vers 660. Cette œuvre offre un récit centré sur les royaumes francs tout en
fournissant des informations sur l'Italie, l'Espagne et le monde byzantin. Elle se compose de quatre
livres, dont trois sont des listes chronologiques et des extraits de la Chronique d’Isidore de Séville et
de celle de Saint Jérôme, suivis d’un résumé de la Chronique de Grégoire de Tours. Le quatrième livre
est original et couvre la période de la fin du VIe au milieu du VIIe siècle. Il existe également des
continuations de cette chronique, écrites par trois auteurs différents entre 736 et 768. La première
continuation est datée de 736, la deuxième de 751 et la troisième de 768. Dans un des manuscrits de
ces continuations (celui du Vatican), il est mentionné que la dernière continuation pourrait être
l’œuvre du comte austrasien Nibelung, qui serait le frère ou demi-frère de Charles Martel. Ce
manuscrit du Vatican semble être une compilation dédiée à Pépin le Bref, réalisée sous le patronage
de membres de sa famille, ce qui laisse supposer un parti pris dans la rédaction de ces continuations.
Une autre source essentielle est le Liber Historiae Francorum, écrit au VIIIe siècle. Cette chronique
retrace l’histoire des Francs, depuis leur origine mythique et leur installation en Gaule, jusqu’au règne
de Thierry IV (721-737). La chronique emprunte également à Grégoire de Tours, mais se distingue par
son originalité. Elle est plus largement diffusée que les œuvres de Grégoire ou la Chronique de
Frédégaire. Le contexte de rédaction de cette œuvre se situe durant le règne de Thierry IV, né vers
713, à la fin de la dynastie mérovingienne. À la mort de son père Dagobert III, Thierry IV est placé à
l’abbaye de Chelles. Lorsque Chilpéric II meurt sans héritier, Charles Martel fait monter Thierry IV sur
le trône. L’auteur du Liber est inconnu, mais il est supposé être originaire de Neustrie, et certains
chercheurs suggèrent que ce pourrait être un moine, bien que des théories récentes le désignent
comme un laïque, voire une femme. L’opinion dominante reste que l’auteur était un laïque ayant
dicté son texte à un clerc.
Dans ce contexte, Charles Martel se révèle être la véritable figure de pouvoir, bien qu’il n’ait
jamais porté le titre de roi. Le Liber témoigne de l’ascension des Pippinides et des derniers moments
de la dynastie mérovingienne. Ce document illustre la réécriture de l’histoire qui s’opère à cette
époque. Un événement majeur se produit après la mort de Pépin le Bref, lorsqu'une querelle de
succession éclate au sein de la famille Pippinide. Plectrude, la première épouse de Pépin le Bref,
refuse que l’héritage aille aux enfants de sa seconde épouse, et son fils, Charles Martel, se voit privé
de ses droits d’héritage peu avant la mort de son père. Plectrude emprisonne Charles, mais il parvient
à s’échapper et entre dans une guerre de famille pour revendiquer son héritage. Cette guerre de
succession l’oppose à sa belle-mère et à Ragenfroi, le maire du palais de Neustrie. Charles Martel
remporte plusieurs batailles cruciales, notamment à Amblève (716), à Vinchy (717) et surtout à
Soissons (718), où il défait une coalition composée des troupes de Ragenfroi, de Plectrude et du duc
d’Aquitaine. À la suite de cette victoire, il devient maire du palais de l’ensemble du royaume des
Francs, unifiant ainsi l'Austrasie, la Neustrie et la Bourgogne sous son autorité. Cette victoire ne
signifie pas pour autant qu'il n'a pas d'opposition, notamment de la part des Ducs qui, eux aussi,
exercent une influence considérable dans le royaume.

a) Charles Martel face aux Ducs


Au début du VIIIe siècle, les maires du palais n'exercent leur pouvoir qu'en Neustrie et en
Austrasie, tandis que dans d'autres régions (de la Loire aux Alpes et aux Pyrénées), les aristocrates
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locaux jouissent d'une certaine autonomie, qu'ils doivent initialement à la légitimité conférée par le
roi. Les plus puissants parmi ces aristocrates sont les ducs, qui prennent souvent leur titre des
comtes, ces derniers ayant étendu leur pouvoir sur plusieurs comtés. Ces duchés sont gouvernés par
des dynasties non royales. Certains évêques jouent également un rôle crucial en servant de relais
pour le pouvoir royal et, dans certains cas, en créant des principautés épiscopales, comme à Auxerre.
Les trois duchés les plus importants à cette époque sont ceux d’Aquitaine, de Bavière et d'Alémanie.
Les leaders de ces duchés, appelés Ducs, portent également le titre de "prince", un terme qui
rappelle les titres impériaux romains que les rois mérovingiens avaient récupérés. Ces chefs militaires
tirent leur légitimité de leurs compétences au combat et cherchent à préserver leur indépendance
face au pouvoir croissant des maires du palais. Charles Martel, en tant que maire du palais, mène
plusieurs campagnes contre ces ducs, non pas pour les renverser mais pour leur imposer de
reconnaître son autorité. Par exemple, il intervient à deux reprises en Bavière pour imposer son
candidat au duché, Théodon, qui meurt en 725. Son successeur, Odilon, est également soutenu par
Charles Martel. Pour renforcer son influence, Charles Martel se lie à la famille ducale de Bavière en
épousant Swanahilde, la seconde épouse du duc. L’un des duchés les plus difficiles à soumettre reste
l’Aquitaine. Ce territoire, qui devient une principauté indépendante au dernier tiers du VIIe siècle,
pose un véritable défi à l’autorité de Charles Martel. La première mention d’un duc d’Aquitaine, Loup,
date des années 673-676, période durant laquelle il se révolte contre le pouvoir mérovingien. Sa
révolte est supposée avoir été arrêtée à Limoges, apparemment par les miracles liés aux reliques de
Saint Martial. Bien que Loup disparaisse des documents historiques, l'Aquitaine perdure et, vers 700,
un nouveau duc, Eudes d’Aquitaine, apparaît.

Sous Eudes, l’Aquitaine s'étend considérablement, en particulier sous son contrôle de la cité
de Limoges. Les textes simplifient souvent la situation en établissant une frontière au nord à la Loire
et au sud jusqu'aux Pyrénées. Le duc d’Aquitaine devient alors une figure presque royale, bénéficiant
d’une indépendance rendue possible par l’effondrement du pouvoir central des derniers rois
mérovingiens. Politiquement, Eudes profite de la décadence du pouvoir central en se présentant
comme un légitimiste, un partisan des mérovingiens, ce qui lui permet de se poser comme un rival
légitime face à Charles Martel, qu'il accuse d’usurpation. Eudes et Charles Martel s’affrontent à
plusieurs reprises. Bien qu'Eudes subisse des défaites, notamment à Soissons en 719, il montre sa
capacité à opérer loin de ses bases. Après cette défaite, il emmène le roi mérovingien Chilpéric II avec
lui à Toulouse, non pas comme prisonnier, mais comme allié. Cette situation symbolise
l’affaiblissement de l'autorité de Charles Martel sur le roi légitime. Ce dernier, bien que sous la tutelle
de Charles Martel, devient un moyen pour Eudes de contester son pouvoir. Eudes conserve le roi
pendant un an, jusqu'à ce qu’un traité avec Charles Martel le contraigne à le livrer. Il ne faut pas
réduire cette époque à un simple conflit entre les Pippinides et les Mérovingiens, car elle est
marquée par de nombreuses dynamiques locales, dont l'une des plus importantes est la menace
musulmane venant d'Espagne. C'est notamment en raison de cette menace que Charles Martel et
Eudes, malgré leurs différends, finissent par conclure une trêve. La bataille de Poitiers en 732, dans
laquelle Charles Martel est célèbre pour sa victoire, est également un événement où Eudes joue un
rôle important, car l’Aquitaine se trouve en première ligne face à l’invasion musulmane.

b) Les affrontements des Francs, des Aquitains et des Musulmans


Le premier véritable adversaire des cavaliers musulmans en Occident fut le duc d’Aquitaine,
Eudes. C’est en grande partie pour mobiliser des forces contre les Sarrasins qu’il fut contraint de
rendre le roi mérovingien. En 721, il inflige une défaite importante aux musulmans devant Toulouse,
un événement majeur dans l’histoire des conflits en Occident. Cette victoire représente la première
défaite des musulmans en Occident et est sans doute plus significative que la bataille de Poitiers.
Cependant, les sources de l’époque ne mentionnent pas cette victoire du côté franc. La bataille de
32
Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

Toulouse est principalement relatée dans le Liber Pontificalis, un texte biographique compilé par des
clercs romains, qui, bien qu'écrit par des auteurs anonymes, devient fiable à partir du VIe siècle. Le
Liber Pontificalis raconte que le pape, Édward II, envoie des reliques à Eudes avant la bataille pour lui
porter chance, soulignant ainsi la reconnaissance papale de son autorité et son rôle en tant que
rempart contre les musulmans. Cependant, cette victoire à Toulouse semble avoir été plus
importante aux yeux de l’Église que la bataille de Poitiers, qui, curieusement, n’est même pas
mentionnée dans les sources contemporaines. Après cette défaite, les musulmans cherchent à
contourner l'Aquitaine en passant par la Septimanie, et en 735, ils sont à Nîmes, puis à Autun.
Cependant, l’historiographie franque de l’époque tente de ternir l'image d'Eudes, l’accusant même de
s’être allié aux musulmans. Cette accusation repose sur le mariage entre la fille d’Eudes et Munnuz,
un chef berbère en rébellion contre le gouverneur musulman d’Espagne. Eudes aurait voulu garantir
la loyauté de Munnuz, qui contrôlait la Cerdagne, une porte d’entrée stratégique vers l’Aquitaine.
Toutefois, cette alliance s'avère inefficace.
En 731, Charles Martel attaque l’Aquitaine, et une nouvelle offensive musulmane a lieu en
732. Cette fois, les assaillants évitent Toulouse et traversent les Pyrénées occidentales, une
manœuvre inattendue qui empêche Eudes de faire appel aux Vascons, occupés ailleurs. Les
musulmans attaquent Bordeaux, qu'ils incendièrent, et Eudes se voit obligé de demander l’aide de
Charles Martel. Ensemble, ils se battent contre les musulmans près de Poitiers le 25 octobre 732,
vraisemblablement près de Moussais, sur la voie romaine reliant Poitiers à Tours. Bien que la défaite
musulmane à Poitiers ait été moins importante à l'époque qu'elle ne le sera plus tard dans
l'historiographie, elle marque un tournant pour l’Aquitaine. Cette victoire, bien qu'ayant eu des effets
mitigés sur le plan militaire, semble avoir scellé le sort de l'Aquitaine, car la puissance d'Eudes décline
face à celle de Charles Martel. Les Carolingiens, ainsi que les Pippinides, ont fait de cette bataille un
point de référence majeur dans l'histoire de France, bien qu'elle ne soit pas même mentionnée dans
le Liber Pontificalis. Les historiens modernes relativisent de plus en plus l'importance de la bataille de
Poitiers, soulignant que l'armée battue ne représentait pas une invasion imminente. Il est faux de dire
que la bataille n'eut aucun retentissement à l’époque, mais au VIIIe siècle, son impact fut limité. Ce
n’est qu’au IXe siècle que les historiens carolingiens cherchent à renforcer le prestige de Charles
Martel. L’impact immédiat de la bataille de Poitiers est en réalité l’affaiblissement de l’Aquitaine.
Eudes d’Aquitaine meurt en 735, trois ans après la bataille, et son fils Hunald lui succède. Charles
Martel tente de tirer profit de cette situation en attaquant l'Aquitaine en 736, mais sans grand succès.
Certaines sources affirment même que Charles Martel aurait donné le duché à Hunald, mais celui-ci
s'impose finalement seul. Il refuse la division de l’Aquitaine et cherche à maintenir son unité, ce qui
démontre la persistance de la résistance aquitaine face à l’autorité franque.
Charles Martel poursuit ensuite ses combats contre les Sarrasins, notamment dans la vallée
du Rhône et en Provence, contribuant à améliorer ses relations avec l’Église, malgré des tensions
antérieures.

c) Charles Martel et l’Église


Dans l’analyse de l’action de Charles Martel, il convient de distinguer les dimensions internes
et externes de sa politique, notamment en ce qui concerne ses relations avec l’Église. À l’instar de son
prédécesseur Pépin de Herstal, Charles Martel soutient l’action évangélisatrice, notamment en
appuyant les missions de Willibrord, tout en reconnaissant l’importance capitale de Saint Boniface
(Winfrid), né vers 675. Formé au monachisme, Boniface envisage son activité missionnaire en étroite
collaboration avec le pape. À partir de 719, il obtient une délégation papale, devenant légat du Saint-
Siège, pour mener une mission d’évangélisation en Germanie, où le paganisme persiste. C’est en 722
que le pape le consacre évêque sans siège fixe, une particularité des évêques missionnaires. La même
année, il reçoit le pallium, symbole de son statut d’évêque métropolitain, avec lequel il organise
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

l’Église en Germanie, notamment en fondant plusieurs diocèses en Bavière, en Hesse et en Thuringe.


Toutefois, il se heurte à la difficulté d’administrer ces territoires en raison de l’absence de structures
urbaines adéquates. Charles Martel soutient les initiatives de Boniface, mais sa politique
ecclésiastique intérieure diffère de son action missionnaire. En effet, à l’intérieur du royaume franc,
sa politique vis-à-vis de l’Église est moins favorable. Son objectif principal reste la consolidation d’une
armée fidèle, pour laquelle il lie la possession de terres à un service militaire. Ces concessions de
terres, accordées à ses fidèles en échange de leur loyauté et de leur service militaire, sont en réalité
des bénéfices temporaires. Bien que non encore féodaux, ces bénéfices annoncent l’émergence du
système féodal, en ce qu’ils marquent l’instauration d’une relation de vassalité. Charles Martel utilise
ainsi les biens ecclésiastiques pour asseoir son pouvoir, distribuant des terres prélevées sur les
possessions de l’Église, parfois dans un contexte de spoliation. Cette stratégie présente un double
avantage pour lui : elle lui permet de ne pas toucher à son propre patrimoine et de limiter
l’autonomie de l’Église, notamment en restreignant le privilège d’immunité qui protège les terres
ecclésiastiques des interventions royales.
Ainsi, l’Église, dont les biens sont redistribués à ses vassaux en précaire, se voit dépossédée,
réduisant son pouvoir tout en renforçant la fidélité de ses soldats. Le système de vassalité qui émerge
sous Charles Martel repose sur des liens renforcés par un serment de fidélité à caractère religieux, un
juramentum qui engage l’âme du vassal. Cette évolution des relations féodo-vassaliques trouve son
expression dans l’institution de la cavalerie franque, qui devient un élément central de l’armée de
Charles Martel, perfectionnée par son petit-fils Charlemagne. L’armée franque, jusque-là dominée par
des fantassins, se transforme ainsi en une armée de cavaliers, avec pour objectif la consolidation du
royaume. Bien que Charles Martel ne devienne jamais roi, il réussit à s’imposer comme le seul
interlocuteur du royaume franc auprès du pape, en particulier auprès de Grégoire III (731-741), qui lui
envoie même les clés du tombeau de Saint Pierre, marquant son allégeance au Maire du Palais. Ce
soutien papal s’inscrit dans un contexte de division de l’Italie, notamment en raison des luttes
internes entre les Lombards et les Byzantins. À la suite de l’apogée de la royauté lombarde sous
Liutprand (712-744), qui cherche à unifier l’Italie, le pape se voit progressivement reconnu comme
une puissance politique. Toutefois, les relations entre Charles Martel et les Lombards sont marquées
par des alliances militaires, notamment contre les musulmans, mais Charles Martel refuse de
s’impliquer dans les affaires italiennes lorsque le pape sollicite son aide contre Liutprand. En 741,
après la mort de Grégoire III, c’est le pape Zacharie qui prend les devants et conclut un accord avec
Liutprand. Cet accord, connu sous le nom de pax Terni (742), marque la reconnaissance du pape
comme un acteur politique en Italie, capable d’imposer des négociations entre les Lombards et
Rome. Ce pacte permet au pape de récupérer les territoires qu’il avait perdus au profit des Lombards,
renforçant ainsi son autorité sur la région. À la mort de Charles Martel, en 741, son testament divise
son royaume entre ses fils, Carloman et Pépin le Bref, confirmant l’instabilité dynastique. Toutefois, la
réalité du pouvoir reste entre les mains des maires du palais, et Charles Martel, bien qu’il n’ait jamais
porté la couronne, a pu gouverner comme s’il était roi. En divisant ses terres entre ses fils, il consolide
le pouvoir des Carolingiens, jetant ainsi les bases d’un futur royaume dont l’unité politique n’a pas
encore été réalisée, mais qui s’annonce avec l’ascension de son fils Pépin le Bref.

L’Europe Carolingienne aux VIIIe et IXe siècles


L’Europe carolingienne aux VIIIe et IXe siècles correspond à une période de profonde
transformation politique, religieuse et culturelle en Occident. Sous l’impulsion de la dynastie
carolingienne, notamment avec Charlemagne, un vaste empire unifié voit le jour, mêlant
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

héritage romain, traditions germaniques et christianisme. Le couronnement impérial de 800


marque la tentative de restauration d’un empire d’Occident. Cette époque est aussi marquée
par une renaissance intellectuelle et une réorganisation de l’administration. Toutefois, après
l’apogée, l’unité de l’Empire se fragmente progressivement à partir de 843.

1. Un monde rural
La connaissance du monde rural carolingien repose sur plusieurs types de sources écrites et
archéologiques. Parmi les documents administratifs les plus importants figurent les capitulaires,
notamment le Capitulaire de Villis, une instruction émanant du palais royal et organisée en courts
paragraphes. Ce texte prescrit la gestion des grands domaines royaux à l’époque de Charlemagne. À
cela s’ajoutent les brefs, véritables inventaires détaillant la superficie, les terres cultivées, la
population, le cheptel ou encore les rendements agricoles de ces domaines. Les terres
ecclésiastiques, notamment celles appartenant aux grandes abbayes, sont également bien
documentées grâce aux polyptyques, comme celui d’Irminon, qui offre une description précise de 25
villas situées dans une même région. Enfin, les données issues de l’archéologie complètent ces
sources écrites en éclairant les habitats, les structures rurales et les modes de vie des populations
paysannes carolingiennes.

a) La population rurale
Après le fort recul démographique des VIe et VIIe siècles, les campagnes carolingiennes
connaissent une légère reprise de la population. Cette dynamique est perceptible dans les données
issues des domaines monastiques : les terres de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, par exemple,
regroupaient environ 4 100 habitants sous l'époque carolingienne. En comparaison, ces mêmes
domaines comptaient près de 5 700 personnes au XVIIIe siècle, ce qui suggère que les deux tiers de la
population dite « moderne » y étaient déjà présents à l'époque médiévale. Cette densité, bien que
localement élevée, contraste avec d'autres régions rurales où la population tombait à moins de cinq
habitants au kilomètre carré. La vie de ces communautés était fortement tributaire des conditions
climatiques et agricoles. Les crises de subsistance étaient fréquentes dans un contexte d’alimentation
déséquilibrée : les paysans consommaient essentiellement du pain, des légumineuses, des herbes
sauvages, avec très peu de viande — réservée aux élites — et un accès limité aux fruits et légumes
frais. Leur quotidien demeurait étroitement lié aux aléas de la production agricole.

b) Les techniques
La production agricole carolingienne repose sur des techniques rudimentaires et des outils
peu perfectionnés. Les instruments utilisés sont en grande majorité fabriqués en bois et sont
généralement tractés par des bœufs de faible constitution, eux-mêmes affaiblis par une alimentation
carencée. L’attelage reste archaïque : l’absence de collier d’épaule — qui ne sera introduit que plus
tard — réduit considérablement la capacité de traction des animaux, limitant leur efficacité au
champ. De plus, la métallurgie étant peu développée, les outils en fer demeurent rares. Les
inventaires (ou "brefs") mentionnent quelques instruments métalliques tels que des faux ou des
pelles, mais ils sont l’exception plutôt que la norme. Cette situation technique empêche un labour
profond, ce qui accélère l’épuisement des sols. Par conséquent, les terres doivent reposer de longues
années pour se régénérer, rendant impossible l’introduction d’une rotation triennale des cultures.
Dans les cas les plus extrêmes, les paysans pratiquent la culture sur brûlis jusqu’à l’appauvrissement
total des terres. L’utilisation d’engrais est elle aussi très limitée, en raison de la rareté du bétail et de
l’absence d’espaces dédiés au pâturage. Ce manque d’animaux, combiné à l’absence de fumure
organique, empêche toute amélioration durable de la fertilité des sols. Ainsi, les rendements
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

agricoles restent faibles, et l’essentiel de l’espace disponible est consacré à la culture céréalière, au
détriment des productions animales ou végétales complémentaires.

c) Les rendements

L’agriculture carolingienne se caractérise par une extrême faiblesse des rendements. Le


rapport entre les grains semés et ceux récoltés reste très bas : une partie significative de la récolte
doit être conservée pour les semis de l’année suivante, ce qui limite encore davantage la part
destinée à la consommation. Cette situation engendre régulièrement des périodes de disette, durant
lesquelles la population se voit contrainte de recourir à la cueillette pour compléter son alimentation
— une ressource bien souvent insuffisante pour couvrir les besoins. L'économie rurale repose
presque exclusivement sur les cultures céréalières, si bien qu’une mauvaise récolte de grains
provoque une crise alimentaire généralisée. Le froment, c’est-à-dire le blé de qualité permettant la
fabrication du pain blanc, représente une infime part des cultures — environ 10 %. Ce type de pain
reste donc rare, réservé essentiellement aux clercs et aux malades. La majorité de la population
consomme des céréales moins nobles, telles que le seigle, l’orge ou l’épeautre. En dépit de ces
conditions précaires, les prélèvements seigneuriaux demeurent constants, même en cas de mauvaise
récolte, à l’exception des situations extrêmes de famine ou de disette, où certaines exemptions
peuvent temporairement être accordées.

d) Les structures
Le domaine carolingien repose sur une organisation fondée sur la villa, unité économique et
sociale centrale du monde rural. À son cœur se trouve une cour où réside le maître du domaine,
accompagnée de bâtiments annexes servant au stockage, à l’entretien, ainsi qu’à la production
artisanale, notamment textile, souvent assurée par les femmes. Ce centre tend également à inclure
un oratoire chrétien, lieu de culte où le maître et les dépendants assistent à la messe dominicale —
préfiguration des futures églises paroissiales. Autour du noyau central s’organisent les terres cultivées
selon une structure bipartite. D’une part, la réserve, exploitation directe du maître, dont les récoltes
lui reviennent intégralement ; elle est travaillée par les paysans du domaine. D’autre part, les manses,
unités d’exploitation concédées à des familles paysannes, regroupent une maison d’habitation, ses
annexes, un jardin et les terres cultivées à des fins de subsistance. La superficie de ces manses varie,
généralement entre deux et quinze hectares, mais tend à diminuer au IXe siècle en raison de la
pression démographique : apparaissent alors des demi-manses, voire des quarts de manse. Les
manses restent la propriété du maître et sont donc soumises à divers prélèvements : en nature
(grains, vin, bétail), mais aussi en travail, sous forme de corvées. La situation juridique y est complexe,
mêlant hommes libres et non libres, terres libres et non libres, sans correspondance systématique
entre statut social et nature juridique de la terre. La redevance exigée varie selon ces statuts. Enfin, il
convient de mentionner l’alleu, terre détenue en pleine propriété par de petits paysans libres, qui
n’ont d’obligations envers aucun seigneur. Ces propriétaires ne sont cependant que rarement visibles
dans les documents d’époque, ce qui rend leur étude difficile.

e) La modestie des villes et du commerce


Si les villes n’ont pas disparu au cours de l’époque carolingienne, leur rôle reste cependant
très limité. Nombre d’entre elles sont les héritières des cités antiques, maintenues notamment grâce
à la présence épiscopale : chaque diocèse a pour centre une ville qui conserve ainsi une fonction
religieuse et administrative. Toutefois, la population urbaine demeure faible. Des exceptions existent,
comme Metz — capitale de Pépin le Bref puis de Charlemagne — qui couvre 70 hectares et compte
jusqu’à 23 églises intra-muros, mais il s’agit là d’un cas isolé. La création de nouvelles villes reste
marginale, essentiellement motivée par des besoins économiques ponctuels (ports, zones
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

d’échange). Le commerce, bien qu’existant, reste modeste et très localisé. Le réseau commercial en
Europe du Nord est dominé par les Frisons, qui s’occupent de la revente de produits. Un commerce
plus vaste nécessiterait des infrastructures viables : or, les anciennes voies romaines sont mal
entretenues et leur accessibilité varie fortement selon les régions. La traversée des cours d’eau est
difficile, les ponts étant extrêmement rares — celui d’Avignon sur le Rhône fait figure d’exception. La
circulation est lente, les déplacements ne dépassant guère 30 à 40 kilomètres par jour, que ce soit à
cheval ou en chariot. Les trajets prennent donc des semaines, voire des mois. Par ailleurs, les
échanges sont limités par la faible quantité de marchandises à faire circuler. L’artisanat est
essentiellement local et répond aux besoins de consommation immédiats, dans un système quasi
autarcique. Les produits qui circulent à plus longue distance sont rares et relèvent principalement du
luxe ou du demi-luxe : étoffes, fourrures, condiments, épices provenant souvent de l’Orient ou des
pays nordiques. Les marchands sont peu nombreux, parmi eux beaucoup de juifs, dont le statut social
est ambigu : s’ils suscitent la méfiance des évêques, ils sont néanmoins protégés par les souverains
qui apprécient leur rôle potentiel d’intermédiaires et d’ambassadeurs. En définitive, le monde
carolingien est profondément sédentaire, fondé sur la stabilité, l’enracinement et l’autosuffisance
locale.

2. La tentative impériale
a) L’expansion du territoire franc
À la mort de Pépin le Bref en 768, ses deux fils, Charlemagne et Carloman, se partagent le
royaume franc, conformément à la tradition franque qui impose une division du territoire entre les
héritiers mâles. Cette co-régence engendre une rivalité marquée, rendant difficile la gouvernance
unifiée du royaume. Toutefois, la mort prématurée de Carloman en 771 laisse à Charlemagne les
mains libres pour exercer seul le pouvoir. Il règnera plus de quarante ans, période durant laquelle il
procède à une importante expansion territoriale. Le royaume franc initial s’articule autour de trois
grands ensembles : la Neustrie, l’Austrasie et la Bourgogne. À cela s’ajoute le royaume d’Aquitaine, au
sud-ouest, qui constitue une zone instable, porteuse de velléités autonomistes, contre lesquelles
Charlemagne lutte pour renforcer l’unité de l’ensemble franc. À l’ouest, la Bretagne échappe à son
autorité : les armées carolingiennes, malgré plusieurs expéditions, ne parviennent pas à vaincre
durablement les Bretons, dirigés notamment par le chef Nominoë. Charlemagne élargit
considérablement le noyau primitif de l’empire. À partir de l’Austrasie, il étend ses territoires vers le
nord jusqu’en Saxe, à l’est vers la Bavière et la Bohême, au sud jusqu’au royaume lombard (conquis en
774), et même jusqu’aux confins de l’Empire byzantin dans le sud de l’Italie. Il instaure des "marches",
territoires-frontières moins contrôlés directement, mais jouant un rôle de tampon, notamment la
marche d’Espagne, issue de l’ancien royaume wisigothique. La péninsule Ibérique et les îles
Britanniques échappent toutefois à sa domination : malgré quelques tentatives militaires dans la
marche d’Espagne, ces régions demeurent en dehors de l’autorité carolingienne. Avec les royaumes
britanniques, Charlemagne entretient des relations diplomatiques et commerciales pacifiées,
favorisant les échanges maritimes. En l’espace d’une trentaine d’années — entre les années 770 et
790 —, Charlemagne parvient ainsi à édifier un empire aux dimensions continentales, couvrant une
grande partie de l’Europe occidentale.

b) L’administration centrale : le palais


Le palais impérial, installé à Aix-la-Chapelle, bénéficie de la renommée de ses sources
chaudes et de ses thermes impériaux, héritages de l’époque antique. Charlemagne, principal
administrateur de l’Empire, choisit ce site pour y installer son gouvernement, faisant de la ville un
centre politique et administratif majeur. Il se veut un imitateur des modèles antiques, cherchant à
réactualiser les principes d’organisation de l'Empire romain. Le palais de Charlemagne, construit selon
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

des principes romains, comprend plusieurs espaces symboliques. L'aula, à gauche du palais, sert de
lieu de réunion pour l’empereur et ses comtes, reprenant ainsi la tradition de l’aula regia romaine. Ce
lieu, conçu comme une basilique, souligne la majesté du trône impérial. La chapelle du palais, quant à
elle, se distingue par sa construction en pierre et son design octogonal, inspiré par la symbolique des
nombres : le chiffre 4 représentant la terre, le 3 le ciel, le 7 les jours de la création et le 8 la plénitude.
Cette forme évoque l’harmonie cosmique, représentant la perfection divine. Charlemagne, dans une
démarche symbolique, assistait aux offices religieux depuis les galeries hautes de la chapelle,
occupant ainsi une position d’intermédiaire entre le ciel et la terre, soulignant son rôle sacré dans la
liturgie royale. Ce geste se voulait un manifeste politique, renforçant sa vénération et son image de
souverain quasi-divin. Avec le temps, Charlemagne sera même vénéré comme un saint, et des
pèlerinages seront organisés en son honneur. L’administration centrale du palais repose également
sur deux services essentiels : la chancellerie et le conseil royal. La chancellerie, dirigée par
l’archichancelier, assure la diffusion des actes impériaux à travers l'Empire. Des copistes s’occupent de
la reproduction des documents souverains, garantissant ainsi leur circulation. Les décisions de
l’empereur sont prises en concertation avec le conseil royal, composé de lettrés et de conseillers
choisis par Charlemagne lui-même. Ce dernier, soucieux de l’importance de la culture, attire de
nombreux intellectuels, faisant de son conseil un lieu d’influence majeure. Enfin, Charlemagne
conserve un système de hauts dignitaires, tels que le comte du palais, qui dirige l’administration et
préside les tribunaux royaux, assurant une gouvernance efficace à l’échelle de l’empire.

c) L’administration locale
L'Empire carolingien était divisé en pagi (singulier : pagus), correspondant approximativement
aux régions et pays actuels. Chaque pagus était administré par un comte (comes en latin, désignant le
compagnon de l’empereur), qui exerçait des fonctions étendues, représentant l’empereur au niveau
local. Le comte jouissait de prérogatives larges, supervisant la gestion des territoires qu'il
administrait. Il était chargé de l'application des capitulaires, de l'organisation des assemblées
judiciaires, et de la conduite de l'armée royale en temps de guerre. Il avait également pour
responsabilité de percevoir les impôts et de recevoir le serment de fidélité des hommes libres de son
comté. Les comtes étaient souvent issus de grandes familles franques, et leur fidélité à l’empereur
était essentielle à leur maintien en fonction. Leur pouvoir était directement lié à leur relation avec
l’empereur, et il suffisait parfois d’un simple soupçon pour qu’ils soient déposés. Le revenu des
comtes était constitué de deux formes principales. La première, et la plus significative, consistait en
des bénéfices issus de terres fiscales, que l’empereur concédait aux comtes pour la durée de leur
mandat. Ces terres généraient des revenus qu'ils pouvaient percevoir, leur offrant ainsi un système de
rémunération indirect, en remplacement d’un salaire en argent. Cependant, en raison de la faible
monétarisation de l’Empire carolingien, ce système d’allocation foncière était crucial. Lorsque les
terres fiscales venaient à manquer, les empereurs pouvaient concéder les revenus d'abbayes, ce qui
entraînait la suppression de la fonction d'abbé, et ces revenus étaient alors attribués aux comtes. Ce
système créait un risque de privatisation progressive des ressources publiques, car certains comtes en
venaient à considérer ces terres et leurs revenus comme leur propre propriété. La deuxième forme de
paiement pour les comtes était fonction judiciaire. Lorsqu'une amende était prononcée contre un
individu, une partie de l’amende était allouée à la famille de la victime, tandis qu’un tiers de l’amende
revenait au comte, et l'autre tiers à l’empereur. Ce système permettait aux comtes d’accroître leurs
revenus, en multipliant les amendes, parfois de manière abusive.
Pour garantir la bonne administration et la justice dans l’Empire, Charlemagne mettait en place
un système de missi dominici, ou envoyés du maître, responsables de l’inspection des comtes. Ces
envoyés, souvent deux par missaticum (district administratif composé de plusieurs comtés), étaient
choisis parmi les élites laïques et ecclésiastiques, chaque binôme étant composé d’un comte et d’un
évêque ou d’un abbé. Leur rôle était de vérifier que les comtes respectaient les règles établies, et de
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

recevoir les plaintes des populations locales, assurant ainsi un contrôle supplémentaire sur
l’administration de l’Empire. Toutefois, ce système souffrait de conflits d’intérêts, car les missi
dominici étaient souvent liés par des liens de parenté avec les comtes qu'ils étaient censés inspecter.
Ce système, bien qu'efficace pendant une certaine période, commença à perdre de sa force au IXe
siècle, après la mort de Charlemagne.

3. Empire chrétien ou Église impériale ?


Charlemagne maître de l’Église franque
Il est impossible de séparer l’étude de l’administration impériale de celle de l’Église sous le
règne de Charlemagne. L'empereur utilisa systématiquement les structures ecclésiastiques dans la
gestion de son Empire. Il délégua notamment certaines fonctions administratives aux clercs, mais en
respectant une règle importante : ces derniers n'avaient pas le droit de verser le sang, conformément
au droit canon. Les évêques, quant à eux, étaient sous la dépendance directe du souverain. Lorsqu'un
siège épiscopal devenait vacant, il n'appartenait pas au clergé local de choisir son successeur avant
d'obtenir l'aval de la cour impériale. Si l'empereur avait un candidat en tête, il s'assurait que son choix
était respecté par le clergé. En outre, Charlemagne pratiquait également la confirmation, ce qui
signifiait que les évêques ne pouvaient exercer leurs fonctions religieuses sans l'accord impérial
préalable. Les capitulaires impériaux traitaient aussi du remplacement des comtes par des évêques,
qui, en plus de leurs fonctions administratives, avaient des devoirs religieux, tels que la visite
régulière de leurs diocèses. Ces obligations étaient formalisées par des capitulaires spécifiques. Bien
que ces responsabilités soient d'ordre religieux, Charlemagne s'attribuait le droit de remontrance à
l'encontre des évêques, voire même du Pape, expliquant ainsi les conflits fréquents entre la papauté
et l'empereur. Il ne se contentait pas de surveiller la vie ecclésiastique ; il s'impliquait également dans
le contenu même de la foi chrétienne. Un exemple marquant de cette intervention impériale est la
querelle des images. La question de l’iconoclasme, issue du Concile de Nicée, suscitait des
répercussions en Occident. Ce concile avait légitimé la conservation des images à condition qu’elles
ne soient pas adorées comme des idoles. Cependant, la langue et la compréhension de ce texte
engendrèrent des malentendus en Occident. Charlemagne, en interprétant ce texte comme un
soutien à l'adoration des objets, publia des textes s’opposant à l’usage des images dans le culte,
notamment lors du Concile de Francfort. Cette opposition n’était pas issue de l’Église franque dans
son ensemble, mais de l’empereur lui-même, fondée sur une interprétation canonique du texte.
Un autre conflit théologique majeur sous Charlemagne fut la querelle de l'adoptianisme, qui
concernait la nature du Christ. Ce débat, qui remonta au VIIIe siècle, se concentra sur la question de
savoir si Jésus était véritablement le Fils de Dieu ou s'il avait été adopté par Dieu. Charlemagne
intervint directement dans cette dispute théologique en convoquant plusieurs conciles impériaux afin
de condamner l'adoptianisme et de réaffirmer la doctrine chrétienne orthodoxe. Concernant
l’unification liturgique, il existait dans l’Empire carolingien une grande variété de pratiques liturgiques
locales. Cette diversité représentait un problème pour l'unité religieuse du royaume. Ainsi,
Charlemagne demanda au Pape la copie du Sacramentaire grégorien, un recueil de textes liturgiques,
dans l'objectif d’harmoniser la pratique religieuse à travers tout l'Empire. Cette initiative visait à créer
une cohésion culturelle et religieuse, centralisée autour des textes et des rituels liturgiques.
L'unification de la liturgie devint un moyen puissant d’acculturation, permettant d'uniformiser les
pratiques et d'imposer une forme de culture commune au sein de l’Empire. À la suite de la mort de
Charlemagne et face à la faiblesse des successeurs de ce dernier, les évêques purent progressivement
regagner certaines prérogatives qu'ils avaient perdues sous l'autorité impériale. Cela se manifesta
notamment dans les années 850, période durant laquelle l'Église chercha à réaffirmer son
indépendance vis-à-vis de la monarchie franque.
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

4. Y a-t-il eu une « renaissance carolingienne » ?


a) Un projet politique
Sous Charlemagne, l’essor des lettres et des arts fut avant tout un projet politique, visant à
renforcer l'unité de l'Empire. Cet intérêt pour la culture s'inscrivait dans une volonté d'unification
impériale. Charlemagne et la cour carolingienne cherchaient à fédérer le royaume autour de la
culture, et plus spécifiquement autour de la culture latine, considérée comme un vecteur
universellement partagé, héritée de l'Antiquité classique. L’objectif était de donner à l’Empire un
fondement culturel solide et cohérent, et de revitaliser les études classiques. Cette dynamique se
manifesta par un effort multidirectionnel, notamment en matière de langue et d'écriture. Une des
premières initiatives fut la purification du latin, qui avait accumulé de nombreuses scories depuis
l'époque mérovingienne. Un exemple significatif de cet effort linguistique est la minuscule caroline,
une nouvelle forme d'écriture visant à clarifier et simplifier le latin post-classique. Cette écriture,
caractérisée par des lettres larges et rondes, fut adoptée dans les écoles et les ateliers de manuscrits.
L’objectif était de rendre les textes plus lisibles et de faciliter leur transmission. Ce renouveau
linguistique s’accompagna également d’une révision des grands textes classiques, dans le but de
corriger les erreurs grammaticales et de rendre la langue plus pure et plus proche de ses origines.
Cette attention à la langue et à l'écriture fut aussi un signe de la rigueur culturelle imposée par les
Carolingiens. L'écriture elle-même devint un symbole de cette recherche de clarté et de
transparence. Le projet carolingien s’étendait également à la dimension stylistique. L’objectif était de
créer une poésie sobre et raffinée, marquée par la recherche d’une versification classique. Cette
volonté de rigueur et de perfectionnement s'étendait à tous les domaines de la culture, et la cour
carolingienne se percevait elle-même comme l'héritière de la grandeur des civilisations antiques,
notamment de Rome et d'Athènes. Alcuin, un des intellectuels proches de Charlemagne, écrivit à ce
dernier qu'Aix-la-Chapelle était devenue la "nouvelle Athènes", soulignant ainsi l'importance
culturelle du lieu. Ce renouveau culturel fut vécu par les contemporains comme une véritable
renaissance, qui allait au-delà de la simple préservation des traditions antiques : il s'agissait d’une
revitalisation active de la culture, en particulier dans les domaines de la langue, de l’écriture et de la
poésie. Charlemagne et ses conseillers avaient ainsi pour ambition de faire de l’Empire carolingien un
centre de culture comparable à ceux de l'Antiquité, tout en le propulsant vers une nouvelle ère de
prospérité intellectuelle.

b) Quel rôle personnel pour Charlemagne ?


L'historiographie a toujours été particulièrement généreuse envers Charlemagne, notamment
à travers la biographie rédigée par son conseiller, Eginhard. Dans le chapitre 25 de cette œuvre, qui
traite du rapport de Charlemagne au savoir, Eginhard dépeint son souverain de manière très
favorable. Cependant, certains aspects de son portrait méritent d’être nuancés. Eginhard insiste sur
les qualités intellectuelles de Charlemagne, prétendant même qu’il maîtrisait le grec à l’écrit et à
l’oral. Toutefois, cette affirmation semble exagérée, car il est peu probable que Charlemagne ait
réellement eu une telle maîtrise de la langue grecque, même si certains érudits de l'époque avaient
des difficultés à comprendre cette langue. En revanche, pour le latin, bien que Charlemagne en fût
moins expert que ses conseillers, il était capable de le parler suffisamment pour communiquer avec
ses proches collaborateurs, qui étaient eux-mêmes formés dans cette langue. Un autre point
important concerne son rapport à l’écriture. Charlemagne, bien qu'érudit en matière de gouvernance
et de culture, était illettré. Il n’apprit à lire et à écrire que tardivement, ce qui explique pourquoi ses
signatures étaient réalisées par les scribes de la chancellerie. Cette absence de formation écrite n’est
pas un signe d’ignorance mais plutôt une manifestation de son désir de promouvoir l’éducation dans
son empire. En effet, Charlemagne comprenait l’importance de l’enseignement pour la stabilité et la
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

pérennité de son empire, et c’est en ce sens qu’il initia un projet éducatif ambitieux. Ce rôle de
mécène de la culture se manifesta par le recrutement de nombreux lettrés à sa cour, tels qu’Alcuin,
Pierre de Pise, Paul Diacre et Théodulfe. Ces érudits, venus de divers horizons européens, furent
chargés d’enseigner à l’école du palais et de diffuser la culture classique. L’un des exemples
marquants de cette initiative est l’oratoire de Germigny, œuvre d’une grande richesse intellectuelle et
culturelle, qui témoigne de l’engagement de Charlemagne en faveur de l’éducation et de la
transmission du savoir. Ainsi, même si Charlemagne lui-même n'était pas un homme de lettres, son
action en faveur de la culture et de l'éducation dans son empire est incontestable. Il s’entoura des
plus grands intellectuels de son époque, leur permettant de jouer un rôle crucial dans l’essor de la «
renaissance carolingienne ». Ce soutien à la culture intellectuelle et éducative est sans doute l'une de
ses plus grandes contributions à la civilisation occidentale.

c) Les foyers monastiques


Les monastères jouent un rôle essentiel dans la préservation et la transmission du savoir au
cours de la période carolingienne. Parmi les centres monastiques les plus influents, on trouve Saint-
Martin de Tours, un lieu où l’érudit Alcuin, un des principaux conseillers de Charlemagne, conseillait
le souverain, enseignait, et, à la fin de sa vie en 796, retourna dans ce monastère. Ce dernier devint
un véritable conservatoire du patrimoine classique, conservant non seulement les copies des
manuscrits mais aussi leurs décorations. Cela témoigne de l’engagement des monastères dans la
conservation des savoirs antiques, notamment ceux de l’Antiquité romaine et chrétienne. Un autre
exemple notable est la Bible de Charles le Chauve (vers 845), un manuscrit réalisé sous l'impulsion du
souverain carolingien, qui illustre à la fois la ferveur religieuse et la culture savante de l'époque. De
même, le monastère de Fulda, situé en Germanie, joue un rôle clé dans l’essor de l’intellectualité
carolingienne. Fondé au 8e siècle, il devient rapidement la capitale monastique de toute la région
germanique, grâce à l'abbé Raban Maur (†756), une figure emblématique de l'époque, connu pour
ses talents de théologien, poète, et maître des écoles. D’autres foyers monastiques, tels que
Reichenau (avec l’abbé Walafrid Strabon) et Ferrières, contribuent également à l’enracinement de la
tradition romaine. Ces monastères deviennent de véritables centres de production savante, formant
des érudits et produisant des manuscrits d'une grande valeur intellectuelle et religieuse. Ainsi, les
monastères, par leur rôle de conservateurs et de producteurs de savoir, sont au cœur de la «
renaissance carolingienne », permettant la transmission des connaissances et la préservation des
savoirs antiques pour les générations futures.

5. La dissolution des cadres carolingiens


a) La seconde vague d’invasions
L'Empire carolingien, essentiellement rural, cherchait à implanter un pouvoir politique et
gestionnaire ambitieux, soutenu par l’Église. Cette ambition s’accompagnait d’une certaine
renaissance culturelle, qui visait à enraciner un système durable. Cependant, dès le milieu du IXe
siècle, des signes de fragilité apparaissent dans la structure de l'Empire carolingien. La première
vague d'invasions s’est produite au cours des IVe, Ve et VIe siècles. La seconde vague, cependant,
débute à partir de l'année 800, avec des peuples venus de leurs zones d'habitat traditionnelles dans
le but exclusif de récolter des richesses. Parmi ces envahisseurs se trouvent les Normands, ou Vikings,
qui commencent leurs incursions dans les premières années du IXe siècle. Ces raids se caractérisent
par l'excellence de leurs compétences de navigation et leur capacité à se déplacer sur mer et
remonter les fleuves, ce qui leur permet d’atteindre des régions intérieures tout en transportant des
troupes et leurs chevaux. Les principales cibles de ces incursions sont les établissements religieux, et
particulièrement les monastères, qui sont souvent pillés. La violence de ces raids est utilisée pour
instaurer un climat de peur et d’intimidation, poussant les populations locales à verser des taxes ou
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

impôts afin de prévenir de nouvelles attaques. Cependant, l'ampleur de ces raids n'est peut-être pas
aussi dévastatrice qu'on pourrait le penser : les Vikings ne pillent pas seulement les côtes mais
remontent parfois les fleuves, ce qui est souvent exagéré dans les récits tardifs, souvent écrits par des
auteurs éloignés des zones touchées.
En 911, un tournant important survient lorsque les armées royales franques dirigées par le roi
Charles le Simple battent les forces normandes menées par Rollon près de Chartres. Un traité est
signé, attribuant aux Normands une région délimitée, la future Normandie, sous forme de duché, en
échange d’un engagement à cesser leurs incursions au-delà de cette zone. Cette accord marque ainsi
la sédentarisation des Normands. Les Hongrois, un autre groupe d’envahisseurs, sont repoussés au
VIIIe siècle dans les grandes plaines hongroises. Cavaliers d’exception, ils ne cherchent pas à assiéger
des villes, mais se livrent à des raids ponctuels contre des monastères. Les raids hongrois touchent
particulièrement le royaume de Germanie au début du Xe siècle. Cependant, après leur défaite à la
bataille de Lechfeld en 955, sous le roi de Germanie Otton Ier, ils cessent leurs incursions. Leur
sédentarisation et leur conversion au christianisme marquent la fin de ces raids. Les Sarrasins
représentent un autre type de menace, principalement maritime. À partir des années 820, ils
s’installent sur les îles méditerranéennes occidentales, telles que la Sicile, la Corse et la Sardaigne, où
ils se livrent à des actes de piraterie et de pillage, ciblant particulièrement les régions riches proches
des côtes, telles que le Mont Cassin. En 846, ils parviennent jusqu’à Rome, où ils saccagent la
basilique Saint-Pierre. Ils établissent également une base à Fraxinetum, en Provence, autour de 840,
d’où ils lancent des expéditions, organisent des captures contre rançon, et affaiblissent ainsi la région
pendant presque un siècle. Ce système de rançon est mis à mal par la capture de Maïeul, abbé de
Cluny, en 972, mais la reprise de Fraxinetum en 976 marque la fin de la domination sarrasine en
Provence, bien que la menace maritime persiste. Les Normands, à partir du XIe siècle, parviennent
finalement à chasser les Sarrasins de Sicile, et un royaume normand se forme sur les ruines de la
domination sarrasine. Cependant, il est important de noter qu’il n’y a pas de coïncidence d’actions
entre les Normands, les Hongrois et les Sarrasins, qui étaient des menaces distinctes à différents
moments et dans différentes régions. L'impact de ces invasions, combiné aux défis internes du
pouvoir carolingien, contribue progressivement à l’affaiblissement des structures de l'Empire et à la
dissolution des cadres carolingiens.
b) La crise de l’autorité souveraine
La crise de l’autorité souveraine s’intensifie au fur et à mesure que les successeurs de
Charlemagne manquent de la même solidité et de la même autorité. Charlemagne avait su maintenir
son empire par le biais de ses administrateurs locaux, mais ses successeurs, moins capables, se
trouvent confrontés à une contestation croissante, tant de la part de l’aristocratie laïque que
religieuse. Sous le règne de Louis le Pieux, l’empire semble relativement unifié, bien que des tensions
commencent à apparaître dès les années 840. À la mort de Louis le Pieux en 840, une lutte éclate
entre ses trois fils survivants : Lothaire, Charles et Louis. Lothaire, l'aîné, est favorisé par son père,
tandis que ses frères, Charles et Louis, s’allient pour contester cette position. Cette lutte fratricide
culmine dans la bataille de Fontenoy (ou Fontenoy-sur-Marne) au IXe siècle, suivie d’une série de
défaites pour Lothaire. Les négociations qui s’ensuivent aboutissent à la signature du traité de Verdun
en août 843. Lothaire, en tant qu’aîné et empereur en titre, obtient une vaste zone médiane, appelée
la Lotharingie, qui s'étend de la mer du Nord à la Méditerranée et comprend Aix-la-Chapelle et la
Lombardie. Ce royaume médian, bien que relativement large, est paradoxalement un ensemble
étrange, puisque traversant l’Europe d’ouest en est. De leur côté, ses deux frères reçoivent des
royaumes plus compacts : Charles obtient la Francie occidentale (l’actuelle France), tandis que Louis
reçoit la Germanie (l'actuelle Allemagne). Cette division marque l’apparition des deux grands blocs de
l’histoire européenne, qui finiront par se consolider sous la forme des futures entités politiques de la
France et de l’Allemagne. Le royaume médian, ou Lotharingie, se distingue par sa nature trans-
européenne et s’inscrit dans un schéma géopolitique qui aura une grande influence sur l’organisation
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

future du continent. Au fil des siècles, cette division se perpétue et se transforme, notamment avec
l'émergence de la Lorraine, qui deviendra un enjeu politique important au Moyen-Âge. Le rêve de
reconstituer cet ancien royaume médian ressurgit notamment au XIVe et XVe siècles, avec des figures
comme Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, qui tente de relier ses États bourguignons à ceux du
nord de l’Europe, passant par la Lorraine, pour créer un axe politique unifié. Ce projet fait écho à une
tentative de restauration de la Lotharingie et reflète un fantasme politique récurrent dans
l’imaginaire européen

Le grand Xe siècle : ferments de renouveau


1. Retour à l’empire en Germanie
Vers l’an 1000, le monde germanique est marqué par une distinction territoriale claire. La Francie
orientale, qui n’est pas encore désignée sous le nom d’Allemagne, présente une autorité royale
essentiellement nominale. Le pouvoir est fragmenté entre de grandes principautés et duchés,
constituant le cadre principal de la vie publique. Ce système se limite à quatre grands duchés : la Saxe
au nord, la Franconie au sud, la Bavière au sud-est et la Souabe au sud-ouest. Les grands ducs élisent
l’un d’entre eux comme roi de Germanie, mais cette élection est souvent éphémère, et le duc de
Franconie, bien que désigné, peine à s’imposer face à ses rivaux, notamment le duché de Saxe. Le
royaume fait face à des menaces multiples, notamment les incursions scandinaves et hongroises. En
919, le duc de Saxe, Henri Ier, accède à la royauté de Germanie. Il se distingue par sa défense du
royaume contre les incursions hongroises, ce qui renforce l’autorité royale et permet la fortification
du royaume. À sa mort en 936, son fils, Otton Ier, dit « Le Grand », lui succède. Couronné à Aix-la-
Chapelle, il cherche à restaurer le prestige des Carolingiens. Cette période marque également le
retour de l’Église dans les affaires politiques, les évêques jouissant de droits publics étendus dans un
système ecclésiastique impérial. L’influence de l’Église permet à l’Empire de rayonner au sein du
royaume et au-delà de ses frontières. L’alliance d’Otton Ier avec les puissances italiennes se renforce
grâce au mariage de ses sœurs avec les chefs de deux clans rivaux. Après sa victoire contre les
Hongrois en 955, Otton acquiert un prestige comparable à celui de Charles Martel, et sa position de «
sauveur » du royaume est consolidée. Le 2 février 962, lors de sa deuxième campagne en Italie, Otton
Ier est couronné empereur par le pape, marquant ainsi la restauration de l’Empire romain en
Germanie. Le dernier titulaire de l’Empire avant cette restauration fut Charles le Gros, mort en 888,
marquant un écart de presque un siècle. L’Empire ottonien, bien que centré sur l’Allemagne, constitue
une entité à l’échelle de la chrétienté. À la mort d’Otton Ier en 973, son fils, Otton II, lui succède. Ce
dernier, sacré durant la vie de son père pour assurer la continuité de la dynastie, épouse Théophano,
une princesse du palais impérial de Constantinople en 972. Le contrat de mariage, signé sur un
parchemin somptueux, témoigne de la réussite de l’alliance avec Byzance. Comme son père, Otton II
mène des actions en Italie, notamment contre les Sarrasins, et se présente comme un défenseur de la
chrétienté.

2. Otton III : un empereur visionnaire


Otton III, né en 980, devient empereur à l’âge de trois ans après la mort prématurée de son père
en 983. Son éducation, raffinée par sa mère byzantine, l’imprègne de la culture grecque et des usages
de la cour impériale de Byzance, ce qui le distingue de ses contemporains germaniques. Gerbert,
moine d’Auvergne et érudit éminent, joue un rôle clé dans sa formation intellectuelle. Gerbert, qui
maîtrise de nombreuses disciplines telles que les sciences, la mathématique et la littérature, devient
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

archevêque de Reims et de Ravenne, avant d’être nommé par Otton III en 999. En 995, à l’âge de 15
ans, Otton III quitte la Germanie pour Rome, où il restaure le palais impérial du Palatin, abandonné
depuis plusieurs siècles, et y installe une cour brillante. Il nourrit la vision d’un empire chrétien, une
fédération de royaumes unis sous l’autorité de l’empereur et du pape. Cette vision se concrétise dans
l’« Évangéliaire d’Otton III », décoré à l’abbaye de la Reichenau vers 1000, dans lequel il est
représenté comme une figure universelle. Son projet inclut également la conversion des peuples
païens au nord de l’Europe. Otton III, considéré comme une figure intellectuelle de son époque,
interroge son rôle divin dans cette entreprise. À la fin du premier millénaire, l’empereur se concentre
sur sa mission sacrée, mais fait face à une révolte de l’aristocratie romaine en 1002. Cette révolte
l’oblige à fuir Rome, et il contracte la malaria, décédant prématurément. Sa mort laisse l’Empire sans
héritier direct et son cousin, Henri II, lui succède. Le manteau bleu brodé d’or porté par Henri II lors
de son couronnement à Rome symbolise la continuité du lien entre le pouvoir impérial et la divinité.
Ce manteau, décoré de symboles célestes, représente l’aspect politique de la rénovation de l’Empire.

3. Les réformes monastiques et l’influence de l’Église


À cette époque, la papauté reste relativement faible, mais l’Église exerce une influence immense
à travers les monastères. Ces derniers constituent un pôle majeur du pouvoir spirituel et politique, et
le monachisme médiéval joue un rôle central dans la vie religieuse et intellectuelle. Le rôle des
monastères, particulièrement dans les régions bourguignonnes, devient fondamental dans le
développement du christianisme et dans l’affirmation de l’autorité religieuse sur la société médiévale.

4. Cluny
Le monastère de Cluny, fondé en 910 en Bourgogne du Sud par le duc d'Aquitaine, connaît un
essor considérable à partir de la fin du Xe siècle, notamment grâce à trois facteurs déterminants. Ce
monastère bénéficie d’un statut particulier, celui d’être exempt, ce qui signifie qu’il n’est pas soumis à
l’autorité de l’évêque local de Mâcon, mais directement au pape. Cette exemption confère aux abbés
une grande liberté, puisqu’ils ne sont soumis ni à l’évêque, ni à l’autorité papale dans la pratique
quotidienne. Le succès de Cluny repose sur un modèle monastique basé sur la splendeur du culte
divin et la magnificence de ses édifices. Ces derniers sont luxueux et très développés, illustrant
l’importance de la liturgie dans la vie monastique. Les moines de Cluny ne travaillaient pas la terre,
leurs obligations étant telles qu’ils étaient entièrement consacrés à la prière et à la liturgie. L’abbaye
bénéficie d’une stabilité exceptionnelle, en grande partie grâce à la longévité de certains abbés, ce
qui permet à l'institution de se développer sur le long terme. Parmi les abbés les plus influents,
Maïeul, abbé de 964 à 994, et Odilon, qui lui succède en 994 et dirige l’abbaye pendant 55 ans,
marquent profondément l’histoire de Cluny. Le système monastique de Cluny se distingue par son
autonomie et sa stabilité, proposant un modèle particulier de vie religieuse. La prospérité de l’abbaye
se manifeste également par la multiplication de ses dépendances, ce qui permet de diffuser son
modèle monastique et ses richesses à travers l’Europe. Cluny devient ainsi un centre majeur du
renouveau religieux et culturel de l’époque.

5. Les réformes lotharingiennes


Dans la région de Lotharingie, plusieurs réformes monastiques prennent place, notamment à
Brogne, Gorze et Saint-Vanne de Verdun. Ces réformes visent à revitaliser la vie monastique en
Lotharingie, en apportant de nouvelles pratiques et une discipline renforcée.

6. Les réformes méditerranéennes


En Méditerranée, plusieurs réformes monastiques se développent également. À Saint-Victor de
Marseille, Isarn soutient la réforme monastique locale et est honoré par un épitaphe à sa gloire. En
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

Catalogne, le monastère de Ripoll, fondé au IXe siècle, devient un centre culturel majeur, avec une
bibliothèque riche et une grande école d’enseignement. L’abbé-évêque Oliba, qui dirige également
plusieurs autres abbayes, exerce une grande influence sur la région. Oliba introduit également la «
Trêve de Dieu », une interdiction des combats armés pendant les jours de fêtes religieuses, inscrite
dans la liturgie de l’époque. Le monastère de Saint-Michel de Cuxa, dépendance de Ripoll, est
également fondé par Oliba.

7. Les réformes bourguignonnes, clunisiennes et bénédictines


a) La Réforme Bourguignonne
La réforme bourguignonne est une réponse aux abus qui sévissent dans certains monastères
de l’époque, notamment à cause de la proximité entre l’Église et les puissances féodales. Cette
réforme cherche à restaurer la règle bénédictine dans les monastères en mettant l’accent sur la
discipline religieuse stricte, la pauvreté et la prière quotidienne. Elle se distingue par son ancrage
territorial en Bourgogne, une région qui devient un foyer majeur de renouveau monastique à cette
époque. Les moines bourguignons cherchent à affirmer leur indépendance vis-à-vis des autorités
locales et des seigneurs laïcs. Leur objectif est de revenir à une vie monastique plus pure, moins
influencée par les contraintes politiques et économiques. Cette réforme prend une ampleur
particulière au sein de l'abbaye de Cluny, où la règle bénédictine est appliquée de manière
rigoureuse, mais aussi dans d’autres communautés bourguignonnes où elle inspire une
transformation dans les pratiques religieuses et la gestion des monastères.

b) La Réforme Clunisienne
La réforme clunisienne est souvent considérée comme un prolongement de la réforme
bourguignonne, mais elle se distingue par son modèle de centralisation. Cluny, fondée en 910 par
Guillaume d’Aquitaine, devient un centre spirituel et monastique d’une immense influence. L'abbaye
bénéficie d’un statut d'exemption, ce qui signifie qu’elle est directement placée sous l'autorité
papale, sans être soumise à l'évêque local. Cette organisation permet à Cluny de se développer de
manière autonome et d'établir des liens avec d'autres monastères à travers l'Europe. La réforme
clunisienne se distingue par son accent sur la légitimité papale et la pèlerinage liturgique, ainsi que
par son organisation de réseaux de monastères reliés entre eux par des liens spirituels et
administratifs. Cette organisation garantit une unité et une stabilité exceptionnelles, et elle permet
aux abbés de Cluny d'imposer leur modèle dans toute l'Europe occidentale. L’abbaye de Cluny devient
ainsi un véritable modèle monastique qui rayonne dans la chrétienté, avec des réformes portant sur
la discipline, l'architecture des édifices religieux et la liturgie.

c) La Réforme Bénédictine
La réforme bénédictine, qui trouve ses racines dans la règle de saint Benoît (VIe siècle),
connaît également un renouveau à cette époque. Ce renouveau est incarné par des figures telles que
Guillaume de Dijon, également appelé Guillaume de Volpiano (962-1031), qui apporte une
contribution significative à l’évolution de la vie monastique et à la musique liturgique. Abbé de Dijon,
Guillaume de Volpiano a profondément influencé les pratiques religieuses dans plusieurs monastères
en Bourgogne, en Italie et en Lotharingie (région située entre la France, l’Allemagne et la Belgique).
Guillaume de Volpiano est particulièrement reconnu pour ses réformes musicales, qui visent à
structurer et à uniformiser le chant liturgique dans les monastères bénédictins. Il a réformé la liturgie
en introduisant des éléments musicaux plus complexes et plus harmonieux, qui ont renforcé le
caractère sacré des offices religieux. Il est aussi connu pour sa capacité à organiser les communautés
monastiques de manière plus efficace, favorisant ainsi un retour à la régularité bénédictine. L'abbaye
de Fruttuari, fondée au début du XIe siècle, devient un centre majeur de cette réforme bénédictine.
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Cours Découverte du Haut Moyen-Âge

Elle sert de pôle de diffusion pour les idées réformistes et attire de nombreux moines en quête d’une
vie monastique plus disciplinée et plus austère. Fruttuari illustre parfaitement l’extension du
renouveau bénédictin à travers l’Europe, avec une influence qui se fait sentir aussi bien en Bourgogne
qu’en Italie et dans les régions voisines.

Les réformes bourguignonnes, clunisiennes et bénédictines, bien qu’elles aient pris des
formes variées, ont toutes contribué à transformer la vie monastique en Europe au tournant du
premier millénaire. Elles ont permis de renforcer l’autorité de l’Église et du pape, d’uniformiser la
liturgie et les pratiques religieuses et d’assurer la prospérité et la stabilité des communautés
monastiques à travers l’Occident chrétien. Leurs effets se sont fait sentir longtemps après leur
époque, influençant la structure de l’Église médiévale et la manière dont la spiritualité chrétienne se
déploie au sein des monastères.

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