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1.
Malgré l’atmosphère feutrée qui régnait dans le bureau de Robert Ludlow,
l’avocat de la famille, Cristo Ravelli eut le sentiment qu’une bombe venait
d’exploser à ses oreilles. Abasourdi, il avait peine à reprendre ses esprits.
— Ecoutez, si c’est une plaisanterie, elle est de très mauvais goût, finit-il par
dire d’un ton sec.
Robert Ludlow — associé principal du cabinet Ludlow et Ludlow — le fixa
avec un air grave. Mais Cristo crut discerner une lueur d’amusement dans ses
yeux. Son sang ne fit qu’un tour : il était connu pour son génie de la finance et
pour son immense fortune — pas pour son sens de l’humour. Et il tenait à ce que
son avocat ne se méprenne pas sur son compte : il n’avait rien d’un plaisantin et
entendait qu’on le traite avec le même sérieux que celui qu’on accordait à son
père, feu Gaetano Rivelli.
— Je crains pourtant que ce ne soit la stricte vérité : votre père a eu cinq
enfants avec une femme en Irlande, répondit Robert sans ciller.
Cristo soutint son regard. Bon sang, il n’était donc pas en train de rêver !
— Vous voulez dire que… toutes ces années où il s’est rendu en Irlande, soi-
disant pour pêcher le saumon…
— J’en ai bien peur. Le plus âgé des enfants a quinze ans.
— Quinze ans ? Mais ça veut dire…
Cristo s’interrompit, tentant de ravaler sa colère. Pourquoi s’étonnait-il
encore, à son âge, des frasques de son père ? Gaetano avait laissé derrière lui une
ribambelle d’ex-femmes désespérées et furieuses ainsi que trois enfants
légitimes. Une maîtresse et quelques bâtards de plus ne déparaient pas ce tableau
tragi-comique.
Mais l’ampleur de cette révélation ébranlait Cristo. Que son père ait eu un
enfant illégitime avec cette femme, passe encore. Mais cinq ! C’était d’autant
moins compréhensible que son père ne lui avait jamais manifesté le moindre
intérêt, pas davantage qu’à ses deux frères. Nik et Zarif allaient tomber de haut
quand il leur annoncerait la nouvelle.
Il savait cependant qu’au bout du compte, c’était sur ses épaules que le
fardeau retomberait. Le mariage de Nik partait à vau-l’eau et Zarif, qui venait de
prendre la tête d’un Etat du Moyen-Orient, ne méritait pas qu’un tel scandale
vînt ternir ses premières années au pouvoir. Non, c’était à lui de régler cette
affaire, et vite.
— Quinze ans, répéta-t-il, songeur.
Un rapide calcul lui apprit que c’était la mère de Zarif qui avait fait les frais
des infidélités de Gaetano. Il était presque difficile à croire qu’une telle duplicité
ait pu passer inaperçue.
— Pardonnez ma réaction, Robert. Ce… développement est quelque peu
inattendu. La mère des enfants, que sait-on d’elle ?
L’avocat leva un sourcil grisonnant, esquissant une moue songeuse.
— J’ai contacté Daniel Petrie, le régisseur en charge de la propriété de feu
votre père en Irlande. Selon lui, Mary Brophy, la femme en question, est connue
pour ses mœurs légères… du moins c’est ce que pensent les habitants de son
village.
— La traînée du coin, en somme. C’est du Gaetano tout craché.
Cristo regretta presque aussitôt ce jugement expéditif sur quelqu’un qu’il ne
connaissait même pas. Mais son père avait manifesté toute sa vie une attirance
pour les femmes séductrices et volages. Cette Mary Brophy ne devait pas
échapper à la règle…
— Quelles dispositions a-t-il prises vis-à-vis des enfants ?
— C’est bien la raison de votre présence ici, fit Robert après s’être éclairci la
gorge. Il n’en a pris aucune.
— Aucune ?
Décidément, songea Cristo, cette journée était celle des mauvaises
surprises…
— Il a eu cinq enfants et il ne leur a rien laissé ?
— Pas un sou, pas même un bibelot, confirma Robert, mal à l’aise. J’ai reçu
une requête de leur mère concernant les frais de scolarité des enfants. Comme
vous le savez, votre père vivait dans le présent et s’imaginait sans doute qu’il
vivrait éternellement. Ou en tout cas assez vieux pour s’occuper de tout ça plus
tard.
— Sauf qu’il est mort à soixante-deux ans et que ça me retombe dessus,
gronda Cristo, dont la patience s’amenuisait d’instant en instant. Il va falloir que
je m’en occupe personnellement. Je ne veux pas que les journaux aient vent de
cette affaire.
— Bien sûr que non. Ils s’en donneraient à cœur joie sinon.
Cristo serra les poings, envahi d’une rage sourde à cette idée. Son père les
avait assez embarrassés de son vivant. Allait-il continuer une fois mort ?
— J’espère que les enfants pourront être placés dans des foyers d’adoption et
que cette histoire sera vite oubliée, déclara-t-il.
Cristo nota qu’à ces paroles, Robert ne put dissimuler une expression de
dépit. Mais il reprit bien vite son air habituel : impénétrable et professionnel.
— Vous pensez que la mère sera d’accord ?
— Si elle ressemble aux autres maîtresses de mon père, et si nous lui offrons
un dédommagement conséquent, elle sautera sur l’occasion.
Cristo, déjà stressé par un récent voyage d’affaires en Suisse, soupira et tira
son téléphone de sa poche. Il demanda à son assistante, Emily, de le mettre sur le
premier vol pour Dublin et raccrocha.
Plus vite il réglerait cette répugnante affaire, plus vite il pourrait reprendre le
cours de sa vie.
* * *
— Je les déteste ! s’écria Belle, son joli visage froissé par la colère. Je
déteste tous les Ravelli !
— Dans ce cas, il te faudrait haïr tes frères et sœurs, lui rappela sa grand-
mère. Et je sais que ce n’est pas le cas.
Non sans difficulté, Belle domina sa mauvaise humeur et dévisagea sa
grand-mère d’un air penaud. Isa Kelly était une femme menue aux cheveux gris
foncé et aux yeux vert profond — les mêmes que les siens.
— Ce maudit avocat n’a pas répondu à la lettre de maman concernant les
frais de scolarité, maugréa-t-elle. Je ne vois pas pourquoi nous devrions les
supplier pour ce qui nous revient de droit.
— C’est désagréable, concéda Isa avec un hochement de tête. Mais le seul
responsable de cette situation, c’est Gaetano Ravelli…
— Comme si je risquais de l’oublier !
Bouillonnant de rage, Belle bondit de son fauteuil et arpenta la pièce. Elle
s’arrêta enfin devant la fenêtre qui donnait sur le minuscule jardin à l’arrière de
la maison.
Non, elle n’oublierait jamais le nom de Gaetano Ravelli. C’était à cause de
lui que les autres enfants s’étaient moqués d’elle à l’école, ironisant sur la
relation illégitime de sa mère avec le célèbre milliardaire. La plupart des
habitants du village s’étaient offusqués d’une attitude aussi libérale. Mary avait
été mise au ban de la communauté, et Belle forcée de partager le fardeau de
celle-ci. Belle était née d’une précédente union, mais elle avait accepté le nouvel
amour de sa mère. Et elle s’était occupée avec dévouement de ses cinq demi-
frères et sœurs.
— Il est mort, maintenant, lui rappela Isa avec son équanimité habituelle. Et
malheureusement, ta mère aussi.
Un élancement douloureux perça le cœur de Belle. Cela ne faisait qu’un
mois que Mary avait succombé à une crise cardiaque mais elle ne s’était toujours
pas habituée à son absence. La chaleur et l’affection de sa mère lui manquaient.
Son médecin l’avait bien mise en garde après avoir détecté une faiblesse
cardiaque, mais qui pouvait s’imaginer qu’elle partirait si jeune, à quarante ans à
peine ?
Quoi qu’aient pu en dire les habitants du village — et nombreux étaient ceux
qui avaient, d’une façon ou d’une autre, jalousé Mary Brophy — sa mère avait
été une femme généreuse, travailleuse, toujours disponible quand on avait besoin
d’elle. Certains de ses détracteurs les plus virulents s’étaient même laissé séduire
par ses qualités et étaient devenus de bons amis.
Comme s’il avait perçu la tension qui régnait dans la pièce, Tag s’agita aux
pieds de Belle. La jeune femme se baissa machinalement pour gratter le ventre
du jack russel noir et blanc qui la fixait de ses grands yeux bruns. Lorsqu’elle se
redressa, elle repoussa avec impatience une boucle qui lui tombait dans les yeux.
Elle avait besoin d’aller chez le coiffeur mais quand trouverait-elle le temps ?
Sans parler de l’argent, une denrée de plus en plus rare ces derniers temps…
La loge de gardien de Mayhill House, au moins, leur appartenait. Gaetano
l’avait cédée à sa mère des années plus tôt pour lui donner une illusion de
sécurité. Même si Belle peinait à payer les factures, c’était mieux que de ne rien
avoir du tout. Mais il lui faudrait sans doute vendre la maisonnette et trouver un
logement plus petit et moins cher, une tâche qui s’annonçait ardue. Elle allait
devoir se battre bec et ongles pour protéger ses cinq demi-frères et sœurs, trop
jeunes pour revendiquer la part d’héritage qui leur revenait de droit.
— Il faut que tu me laisses m’occuper des enfants, reprit Isa. Mary était ma
fille, ce n’est pas à toi de payer le prix de ses erreurs.
— Non. Ce serait trop dur pour toi.
Sa grand-mère avait beau être en pleine santé et solide comme un chêne, elle
n’en avait pas moins soixante-dix ans. Belle se voyait mal lui abandonner une
telle responsabilité.
— Tu es délibérément partie faire des études loin d’ici pour fuir la situation
dans laquelle ta mère s’était mise, lui rappela Isa. Tu voulais aller à Londres sitôt
ton diplôme en poche…
— On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie. Les enfants ont perdu
leurs deux parents en l’espace de quelques mois, ils ont besoin de stabilité. Je ne
peux pas me permettre de disparaître.
— Bruno et Donetta sont en pension, ce n’est donc pas un problème hors
périodes de vacances, insista sa grand-mère. Les jumeaux sont en primaire. Il
n’y a que Franco à la maison, parce qu’il a deux ans, mais il partira lui aussi
bientôt à l’école. Ils peuvent se passer de toi.
Peu après la mort de sa mère, Belle s’était autorisé le même raisonnement.
Devoir s’occuper de cinq enfants était la dernière chose qu’elle voulait et dont
elle se sentait capable… Lorsque sa grand-mère avait généreusement proposé de
prendre les choses en main, Belle avait songé à accepter. Mais c’était avant de
constater par elle-même l’énergie que requéraient ses frères et sœurs. A vingt-
trois ans, Belle avait déjà du mal à s’en sortir. Sa grand-mère ne tiendrait pas six
mois ! Belle ne pouvait décemment pas se défiler. Elle se devait d’être présente
pour sa famille.
Les deux femmes sursautèrent en entendant frapper énergiquement à la
porte. Qui pouvait bien leur rendre visite ? Belle alla ouvrir et se détendit
immédiatement lorsqu’elle vit qu’il s’agissait de son vieil ami d’enfance Mark
Petrie.
— Oh ! c’est toi. Entre. Tu veux un café ?
— Avec plaisir.
— Comment vas-tu, Mark ? demanda Isa en embrassant le jeune homme.
— Très bien. C’est pour votre petite-fille que je m’inquiète, répondit
l’intéressé.
Il posa sur Belle un regard chaleureux, empreint d’une réelle admiration
pour elle, puis enchaîna :
— J’ai surpris une conversation téléphonique de mon père, ce matin.
D’après ce que j’ai compris, il parlait à quelqu’un de la famille de Gaetano
Ravelli. Son fils Cristo, sans doute.
Belle se crispa instinctivement à la mention de ces noms. Puis elle se
composa une mine aimable pour demander :
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Cristo est l’exécuteur testamentaire de Gaetano. Mon père répondait à des
questions sur ta mère. De manière erronée, puisqu’il n’est pas au courant de son
décès. Il rendait visite à mon oncle en Australie quand c’est arrivé, et personne
n’a pris la peine de lui annoncer la nouvelle depuis son retour.
— Ton père et ma mère n’étaient pas exactement amis, lui rappela Belle en
s’assombrissant. Pas étonnant que personne ne l’ait prévenu.
De fait, une franche hostilité avait toujours régné entre Daniel Petrie, le
régisseur de Mayhill House, et Mary Brophy, la gouvernante. Cela n’était un
mystère pour personne.
Belle se représenta Cristo, le célèbre et séduisant financier, l’homme qui ne
souriait jamais. Elle avait fait tant de recherches sur les Ravelli au fil des années,
dans l’espoir de répondre aux questions que sa mère n’osait pas poser à Gaetano,
qu’elle avait l’impression de les connaître intimement. Elle savait en tout cas que
Gaetano était un bourreau des cœurs, un séducteur impénitent qui enchaînait les
maîtresses et, surtout, qui n’épousait que des femmes richissimes. Mary n’avait
jamais eu la moindre chance de le voir officialiser leur liaison — ce qui ne
l’avait jamais empêchée de continuer à espérer.
— Bref, reprit Mark, ce que j’ai compris en entendant leur discussion, c’est
que Cristo veut faire adopter tes frères et sœurs.
Belle le dévisagea, muette de stupéfaction.
— Les faire adopter ? balbutia-t-elle d’une voix rauque.
— Il veut enterrer toute l’affaire, confirma Mark avec une grimace. C’est le
meilleur moyen pour lui de la faire disparaître.
— Mais ce sont des enfants ! Une famille ! Il ne peut pas les séparer juste
parce qu’il en a envie !
Mark s’agita sur son siège, visiblement mal à l’aise. Puis il se racla la gorge
et demanda :
— Es-tu le tuteur légal des enfants ?
— Qui d’autre pourrait l’être ? interrogea la jeune femme.
— Mais est-ce écrit noir sur blanc sur un document officiel ?
Belle resta silencieuse. Fallait-il un document officiel pour cela ? En ce cas,
elle n’en avait jamais pris connaissance.
— Non, c’est ce que je craignais, reprit Mark en réponse au regard dérouté
de Belle. Tu devrais aller voir un avocat et rassembler tous les moyens à ta
disposition pour réclamer la tutelle des enfants. Sans quoi ce sont les Ravelli qui
auront le dernier mot, que ça te plaise ou non.
— C’est complètement ridicule ! Gaetano ne s’est jamais occupé des enfants
même quand il était là !
— La loi est la loi. Il a payé leur scolarité et a donné la loge à ta mère,
énuméra Mark avec le bon sens d’un étudiant en droit. C’était peut-être un piètre
père mais il a pris soin de l’essentiel. Cristo a sans doute plus de droits sur eux
que tu n’en as toi-même.
— Mais Gaetano ne les a pas inclus dans son testament ! fit valoir Belle,
désespérée.
— Ça ne change rien. Pas aux yeux de la loi.
La jeune femme se laissa tomber dans le fauteuil le plus proche, atterrée.
— L’adoption… C’est complètement dément. Ils n’auraient pas osé faire une
chose pareille du vivant de ma mère.
— Malheureusement, Mary n’avait pris aucune disposition pour éviter cela,
murmura Isa. Mais en tant que grand-mère des enfants, n’ai-je pas mon mot à
dire ?
Mark secoua la tête, la mine grave.
— J’en doute. Les enfants n’avaient jamais vécu avec vous avant le décès de
votre fille.
— Je pourrais peut-être me faire passer pour ma mère ? suggéra soudain
Belle.
Isa se tourna vers elle, éberluée.
— Ne sois pas ridicule, Belle.
— Pourquoi pas ? Cristo Ravelli ne sait pas qu’elle est morte. Il réfléchira à
deux fois avant de faire adopter les enfants s’il s’imagine qu’ils ont une mère.
— Tu n’as pas l’air d’une femme de quarante ans, fit valoir Mark.
Belle le dévisagea, songeuse. Son esprit tournait à cent à l’heure.
— Je n’ai pas besoin de ressembler à une femme de quarante ans. Ravelli ne
connaît sûrement pas l’âge exact de maman. Je dois juste le persuader que je
pourrais avoir un fils de quinze ans.
— Non, c’est perdu d’avance, intervint Isa. Ravelli va te démasquer.
— Comment ? Qui va le lui dire ? Il n’aura aucune raison de douter de mon
identité. Et je suis sûre qu’un type tel que lui a mieux à faire que d’aller poser
des questions aux gens du village. Je me maquillerai un peu plus et je mettrai les
vêtements de Mary.
Mais sa détermination ne parut pas convaincre Mark. Le regard qu’il posait
sur elle, en cet instant, était bienveillant, mais sans illusions.
— Belle, je sais que tu n’as peur de rien… Mais réfléchis à ce que tu
suggères.
La porte de la cuisine s’ouvrit au même instant sur un bambin de deux ans à
l’épaisse tignasse noire. Il tituba vers Belle en suçant son pouce et prit appui de
tout son poids contre sa jambe. Puis il grimpa sur les genoux de sa sœur et
marmonna :
— Sommeil… Câlin…
Attendrie, Belle serra Franco dans ses bras. Il se blottit contre elle avec un
soupir d’aise, les yeux mi-clos.
— Je vais le monter dans sa chambre, murmura-t-elle. C’est l’heure de sa
sieste.
Après avoir mis Franco au lit, Belle s’attarda quelques instants pour étudier
la vue depuis la fenêtre de la chambre qu’ils partageaient. Non loin de là,
Mayhill House dressait sa silhouette élégante sur une colline dominant des
hectares de bois et de prairies. Belle avait huit ans quand sa mère, veuve depuis
peu, avait commencé à travailler comme gouvernante pour Gaetano Ravelli.
Belle n’avait jamais pleuré la disparition de son père, un homme aussi
violent physiquement que verbalement et porté sur la boisson. Il avait été
renversé par une voiture un soir de beuverie. Mère et fille avaient cru qu’une
nouvelle vie s’offrait à elles quand Mary avait été embauchée à Mayhill.
Malheureusement, Mary était presque aussitôt tombée amoureuse de son
employeur. La naissance de leur premier fils, Bruno, avait fait d’elle une paria
dans le village.
Cristo Ravelli ignorait sans doute tout de la vie des gens normaux — de
leurs peurs, de leurs rêves, de leurs combats. Belle le savait à force de s’être
secrètement renseignée sur lui. La nature l’avait fait beau comme un dieu, le
destin l’avait fait riche à milliards. Il avait grandi avec une cuillère d’argent dans
la bouche, fils d’une princesse italienne, élevé par son beau-père — un banquier
hongrois — dans un palais vénitien. Il était sorti des écoles qu’il avait
fréquentées, les plus prestigieuses bien sûr, avec les honneurs. La vie lui avait
toujours souri. Il ne savait pas ce que c’était que d’être humilié, rabaissé, et
n’avait jamais eu à rougir de ses parents.
Bruno, pour sa part, n’avait pas eu cette chance. Gaetano l’avait suspecté
d’être homosexuel lorsque, à l’âge de treize ans, il avait manifesté ses premières
inclinations artistiques. Le petit frère de Belle, alors si désireux d’impressionner
le monstre qui lui servait de père, avait été profondément ébranlé. A tel point
qu’il avait fait une tentative de suicide. Belle avait mal au ventre chaque fois
qu’elle y pensait. Oui, Bruno et les autres avaient besoin d’elle. Elle ne les
laisserait pas tomber.
Mark prenait congé lorsqu’elle redescendit enfin, quelques minutes plus
tard.
— Tu ne songes pas sérieusement à te faire passer pour ta mère, n’est-ce
pas ? lui demanda-t-il depuis le seuil.
Belle redressa le menton, déterminée.
— Si c’est le seul moyen de protéger ma famille, je le ferai sans hésiter.
* * *
La lumière du soir déclinait rapidement lorsque Cristo remonta l’allée qui
conduisait à Mayhill. Il voyait la demeure irlandaise de Gaetano pour la
première fois, puisque ce dernier ne l’y avait jamais invité. Son père, d’ailleurs,
ne l’avait jamais invité nulle part.
Il aperçut une femme qui traversait la pelouse principale, suivie d’un petit
chien. Un accès de mauvaise humeur crispa les traits de son visage — il n’aimait
pas les intrus. Mais le soleil couchant enflamma la chevelure de l’inconnue et il
se surprit à admirer sa jolie silhouette. De loin, il put distinguer son visage en
forme de cœur et ses jambes interminables. La jeune femme portait un short en
jean, qui révélait le galbe de ses fesses, et sa poitrine ronde tendait doucement le
tissu de son T-shirt. Elle était terriblement séduisante. Cristo ne parvint pas à
détacher ses yeux d’elle — et son sexe se gonfla de manière incontrôlable.
Surpris par ce brusque désir, Cristo essaya de se rappeler la dernière fois qu’il
avait fait l’amour à une femme — en vain. Cela faisait bien longtemps que cette
activité n’entrait plus dans son agenda. Cette trop longue abstinence expliquait
sans doute sa réaction inattendue à la vue d’une inconnue. Voilà ce que c’était
que de se consacrer exclusivement à son travail.
La voiture se gara devant le perron de l’imposante demeure géorgienne. Son
père avait toujours fait les choses en grand, pensa Cristo en descendant du
véhicule — bien vite rejoint par ses gardes du corps, Rafe et John. Ensemble, ils
entreprirent de faire le tour de la propriété. Cristo déverrouilla la porte d’entrée
massive, enjamba un tas de courrier et pénétra dans un hall caverneux, dallé de
marbre noir et blanc. Il regarda curieusement autour de lui, tandis que ses
compagnons inspectaient les alentours. Une fine pellicule de poussière
recouvrait tous les meubles et il ne fut guère surpris lorsque Rafe vint lui
annoncer que la maison était déserte. Au moins, Mary Brophy et ses cinq enfants
ne squattaient pas Mayhill.
Il traversa plusieurs pièces désertes et termina sa visite par la cuisine. Le
réfrigérateur, ouvert, était vide. Quelque part, un robinet gouttait. Stupéfait, il
aperçut un combiné téléphonique mural, orné d’une plaque en métal annonçant :
« Gouvernante ». Il décrocha et appuya sur l’unique bouton du téléphone avec
plus de force que nécessaire.
— Oui ? fit une voix désincarnée, après un temps si long qu’il était sur le
point de raccrocher.
— Ici Cristo Ravelli. Je suis à la maison. Pourquoi n’a-t-elle pas été préparée
pour mon arrivée ?
— Sans doute parce que la gouvernante n’a plus reçu de salaire depuis le
jour où M. Ravelli s’est tué dans un accident d’hélicoptère, lui répondit une voix
pleine de colère contenue.
Cristo resta silencieux quelques secondes — il n’était pas habitué à ce qu’on
lui réponde sur ce ton.
— Je n’ai jamais donné l’ordre de stopper les versements.
— Peu importe qui l’a donné. Le fait est que l’argent n’arrive plus.
Cristo réprima un soupir agacé. Il était fatigué, il était affamé, et il n’avait
pas la moindre envie de se lancer dans une joute verbale. C’était sans doute une
mauvaise idée de réembaucher une gouvernante aussi insolente. Mais il n’aurait
à la supporter que deux jours, songea-t-il pour se rassurer. Et cette femme
s’avérerait peut-être une source d’information précieuse.
— J’en déduis que vous êtes la gouvernante ?
* * *
C’était le moment de vérité, songea Belle. L’espace d’une seconde, elle
hésita. Puis elle imagina ses frères et sœurs à l’orphelinat, dans l’attente d’une
famille d’adoption, et murmura :
— Euh… oui.
— Dans ce cas, venez tout de suite et faites votre travail. Je peux vous
assurer que vous allez être payée tout ce qui vous est dû. J’ai besoin de
provisions et de draps propres.
— Il y a des magasins dans le village. Vous avez dû passer devant en
chemin, rétorqua Belle, hérissée par le ton impérieux et plein d’arrogance que
Cristo employait.
— Je serai ravi de vous verser un supplément pour que vous vous en
occupiez vous-même, répondit-il avant de raccrocher.
Belle était prise de vertige. Elle devait agir pour le mieux et au plus vite.
C’était maintenant ou jamais. Elle ne pouvait pas se présenter comme la fille de
Mary et changer d’avis après coup. Soit elle annonçait à Cristo Ravelli que la
maîtresse de son père était décédée, soit elle se faisait passer pour sa mère.
Elle songea alors au pouvoir que cette mascarade lui donnerait dans les
négociations à venir. Si Cristo apprenait que Mary était décédée, cela
renforcerait sa volonté de confier les enfants à une famille d’accueil. Il évincerait
sans difficulté Belle et Isa. Mais les choses seraient beaucoup moins simples
pour lui s’il pensait avoir affaire à la mère de cinq enfants ! La décision
s’imposait d’elle-même. Belle se ferait passer pour Mary. Restait à trouver la
meilleure façon de prendre dix ans en quelques minutes. Rien de plus simple, se
dit-elle avec ironie.
La première chose qu’elle fit fut de retirer son short et son T-shirt, qu’elle
remplaça par l’unique jupe qu’elle trouva dans ses affaires. Elle prit ensuite un
haut à manches longues et une paire d’escarpins dans le placard de sa mère avant
de se rendre dans la salle de bains pour inspecter son visage.
L’image que lui renvoya le miroir lui arracha une grimace de dépit. Sa peau
lisse et son teint de porcelaine la faisaient paraître plus jeune que son âge réel —
elle n’aurait jamais cru s’en plaindre un jour !
Après quelques instants de réflexion, elle appliqua une dose généreuse de
fard à paupières et de mascara, fit de même avec le fond de teint et souligna ses
lèvres de brillant rose vif. De nouveau, elle interrogea son miroir — il y avait du
progrès. Elle paracheva sa transformation en remontant ses cheveux en un
chignon un peu brouillon et sourit, surprise de sa ressemblance avec sa mère.
Elle paraissait plus sensuelle, plus féminine. Restait à savoir si Cristo Ravelli se
laisserait abuser par cette transformation.
— Je m’apprêtais à t’appeler pour le dîner, déclara Isa quand elle entra dans
la cuisine. Mon Dieu, qu’est-ce qui t’arrive ?
Belle se raidit, alarmée.
— Pourquoi ? J’ai l’air bizarre ?
— Bizarre ? Non. Différente. Qu’est-ce que c’est que cet accoutrement ?
Un silence gêné s’installa, bientôt interrompu par le claquement de la porte
qui donnait sur le jardin. Des éclats de voix se firent entendre, précédant de peu
l’apparition d’un garçon et d’une fillette de huit ans qui s’insultaient
copieusement.
— Si vous n’arrêtez pas tout de suite de vous disputer, intervint Belle, je
vous envoie tout droit au lit sans passer par la case dîner.
Les jumeaux, Pietro et Lucia, se turent aussitôt. Ils dépassèrent leur sœur,
penauds, et montèrent l’escalier quatre à quatre.
— Tu vas me dire pourquoi tu t’es habillée et maquillée de la sorte ? s’enquit
Isa.
— Cristo Ravelli a appelé. Il est à Mayhill et il a besoin de la gouvernante.
J’essaie de paraître plus âgée.
Sa grand-mère, tandis qu’elle parlait, l’étudia avec consternation.
— Tu n’envisages pas vraiment de te faire passer pour Mary ? C’est une idée
complètement folle. Ça ne marchera jamais. Cette jupe et ce maquillage te
rendent plus féminine, mais tu n’as pas l’air plus âgée.
Belle redressa le menton, décidée à ne pas se laisser intimider.
— Qui ne risque rien n’a rien. Cristo Ravelli ignore tout de maman. Il n’a
même pas l’air de savoir qu’elle était la gouvernante de Gaetano.
— Es-tu sûre de cela ? C’est peut-être une manœuvre de sa part. Et je ne
veux pas que tu ailles là-haut faire son lit et préparer ses repas, surtout habillée
comme ça.
— Pourquoi pas ? demanda Belle, baissant les yeux sur sa tenue.
— Il pourrait se faire des idées.
— Ça m’étonnerait. D’après ce que je sais de lui, ce n’est pas un obsédé
sexuel comme ce satyre de Gaetano.
— Ce que tu dis là est très irrespectueux.
— Mais c’est la vérité.
— Malgré tous ses défauts, Gaetano était le père des enfants. Tu ne devrais
pas parler de lui de cette façon, surtout là où on pourrait t’entendre.
Belle reconnut à contrecœur que sa grand-mère avait raison. Embarrassée,
elle sentit le feu lui monter aux joues.
— Je peux emprunter ta voiture ? marmonna-t-elle pour changer de sujet.
— Bien sûr, répondit machinalement Isa.
Puis, comme si elle se rappelait soudain leur discussion, elle plaqua sa main
sur la porte au moment où Belle s’apprêtait à l’ouvrir.
— Attends, Belle ! Réfléchis à ce que tu vas faire… Si tu mens à Cristo
Ravelli, il sera furieux quand il apprendra la vérité. Et que tu le veuilles ou non,
c’est ce qui finira par se passer.
— Cristo est un Ravelli — un monstre impitoyable. Et mon seul espoir de
lui tenir tête, c’est de me faire passer pour ma mère. Je ne vois pas d’autre
solution.
2.
Belle fit quelques courses à la station-service à l’entrée du village, le seul
commerce encore ouvert à cette heure de la journée. Le montant de la facture la
fit frémir mais l’argent, pour une fois, n’était pas le premier de ses soucis.
Si Cristo Ravelli s’attendait à ce qu’elle lui prépare de bons petits plats, il
allait tomber de haut. Ses talents de cuisinière se limitaient à l’utilisation de
l’ouvre-boîtes et du four à micro-ondes. Qu’allait-elle lui préparer ? se demanda-
t-elle en étudiant les ingrédients qu’elle transportait. Une omelette, une salade et
du pain à l’ail, décida-t-elle enfin. Elle était tout de même capable de mélanger
quelques œufs, non ? Elle avait vu sa mère et sa grand-mère le faire à de
nombreuses reprises.
Tremblant presque de nervosité, elle se gara derrière la maison et remarqua
avec étonnement que les lumières étaient éteintes. La porte de service n’avait pas
été déverrouillée. Titubant sous le poids de ses courses, elle contourna le vieux
manoir pour aller sonner à la porte principale.
* * *
Cristo était au téléphone quand le carillon résonna dans les pièces vides de
Mayhill. Il alla ouvrir, prêt à congédier l’importun, lorsqu’une rousse perchée sur
des hauts talons le dépassa en coup de vent. La gouvernante ? Si c’était le cas,
elle ne ressemblait pas du tout à l’idée qu’il s’en était faite !
Il mit fin à son appel et observa la visiteuse. Sa silhouette longiligne et ses
courbes parfaites lui rappelèrent quelque chose. Etait-ce elle qu’il avait vue un
peu plus tôt sur la pelouse ?
Il étudia son visage. Elle avait des yeux d’un vert étonnant, presque perdus
sous une couche de maquillage appliqué à la truelle. Ses lèvres étaient d’un rose
vif et vulgaire — mais étonnamment, ce détail ne le rebuta pas. Au contraire, il
fut soudain tenté d’y mordre comme dans un fruit mûr. Cette fille n’était
pourtant pas son genre. Jolie, certes, mais trop rousse, trop sensuelle… sans
distinction. Cristo avait appris à ses dépens qu’il n’était attiré que par les blondes
glaciales et sophistiquées.
Aussitôt son cœur se serra lorsqu’il pensa à sa précédente maîtresse. Il se
l’était depuis longtemps interdit et délibérément il reporta son regard sur les
seins voluptueux de la nouvelle venue.
Belle supporta cet examen sans tressaillir, tristement habituée à l’effet que sa
poitrine généreuse provoquait sur les hommes. A la différence des autres,
pourtant, Cristo paraissait la regarder sans vraiment la voir, comme s’il était
ailleurs, et elle en profita pour le détailler à son tour. Selon les standards en
vigueur, il avait un physique proche de la perfection. Ses cheveux et ses yeux —
du même noir de jais — lui donnaient l’allure d’un ange déchu. Il émanait de son
visage une douceur envoûtante, malgré ses traits anguleux et l’éclat déterminé de
son regard. Mal rasé, la mâchoire puissante, il paraissait incroyablement viril —
même si sa bouche pleine lui apportait une touche de sensualité. Enfin, il était
très grand, carré d’épaules. Du haut de son mètre soixante-dix, Belle n’avait
jamais eu l’impression d’être une petite chose fragile — jusqu’à aujourd’hui.
Elle détourna les yeux, soudain troublée par Cristo. Le fait de le regarder
provoquait d’étranges frissons au creux de son estomac. Simple effet de la
nervosité, songea-t-elle. Après tout, elle s’apprêtait à relever un énorme défi. Il
était normal qu’elle se sente intimidée.
— Je vais porter tout ça dans la cuisine et commencer à préparer le dîner,
marmonna-t-elle, désignant les sacs qu’elle tenait.
Cristo eut du mal à ne pas laisser son regard dériver de nouveau vers les
seins de la jeune femme, qui semblaient palpiter sous le tissu de son chemisier.
— Vous êtes la gouvernante de mon père ? demanda-t-il, médusé par cette
femme qui ressemblait si peu à la matrone gironde qu’il avait imaginée.
Avec un soupir, Belle déposa ses courses.
— Oui, confirma-t-elle en redressant le menton. Je suis Mary Brophy.
Un mélange de stupeur et d’incrédulité envahit Cristo Ravelli. Il eut grand-
peine à conserver son expression impassible, et parvint tout juste à articuler :
— Vous êtes… la maîtresse de mon père ?
Belle se mordit la lèvre, hésitante. Elle voyait mal comment décrire
autrement le rôle pour le moins controversé que sa mère avait occupé dans la vie
de Gaetano Ravelli. Elle acquiesça, les joues en feu.
— Oui.
Cristo, occupé à la déshabiller du regard quelques secondes plus tôt, eut un
mouvement de recul. L’idée d’avoir désiré la même femme que son père le
révoltait. C’était… inapproprié.
Une chose était sûre, il comprenait à présent comment elle était parvenue à
conserver l’intérêt de Gaetano, un homme connu pour son caractère volage. Il
était évident que Mary Brophy prenait grand soin d’elle-même. Même après
avoir donné naissance à cinq enfants, elle avait une silhouette de jeune fille. Et
sous le maquillage qu’elle avait appliqué sans discernement, il devinait une peau
diaphane et sans rides. Non, elle ne ressemblait pas du tout à l’image qu’il s’était
faite d’elle.
— Vous étiez aussi sa gouvernante ?
— Oui.
L’air déterminé, Belle se pencha pour ramasser ses sacs.
— Si l’interrogatoire est terminé, est-ce qu’une omelette et une salade vous
conviennent ?
Elle se dirigea vers la cuisine sans attendre sa réponse. Cristo lui emboîta le
pas, se demandant toujours comment elle avait pu avoir cinq enfants. Cinq !
— Vous avez dû rencontrer mon père très jeune, observa-t-il depuis le seuil.
Belle, occupée à ranger les denrées périssables dans le réfrigérateur, se
raidit.
— Pas tant que ça, répondit-elle évasivement.
Elle aurait voulu lui dire de se mêler de ses affaires mais elle redoutait de le
vexer. Après tout, elle n’avait pas intérêt à s’en faire un ennemi si elle voulait
protéger sa fratrie.
— Je pensais que vous habiteriez dans la maison, reprit-il au même moment.
— Je… j’y vivais quand Gaetano était là, improvisa Belle.
— Et le reste du temps ? Je sais que mon père ne venait que trois ou quatre
fois par an, et qu’il ne restait jamais plus de quinze jours.
— J’habite la loge à l’entrée du domaine, lui apprit la jeune femme,
déposant une laitue et des œufs sur le plan de travail.
La nouvelle déplut à Cristo. Elle allait devoir déménager, car il ne pouvait
pas vendre Mayhill tant que la loge était habitée. Mais le moment était peut-être
mal choisi pour le lui annoncer.
Elle avait entrepris de casser des œufs avec une concentration presque
comique, et il en profita pour la détailler. Ses cheveux passaient du roux à l’or en
fonction de l’éclairage et des mouvements de sa tête. Leurs boucles formaient un
halo autour de son visage, qui était d’une incroyable beauté. Cristo se demanda
pourquoi elle éprouvait le besoin de le tartiner d’une telle couche de maquillage.
Elle devait être plus vieille qu’elle n’en avait l’air, supposa-t-il, pour être la mère
d’un adolescent. Peut-être Gaetano lui avait-il offert quelques séances de
chirurgie esthétique ?
Belle, pendant ce temps-là, sortit le pain à l’ail de son emballage et le mit au
four. Pourquoi ce type ne la laissait-il pas travailler en paix ? Sa présence la
troublait et la rendait gauche et hésitante.
Elle se mit à fouiller dans les placards, à la recherche des ustensiles dont elle
avait besoin. Elle était rarement venue dans la demeure de Mayhill et connaissait
mal l’endroit. Lorsque Gaetano venait en visite, Mary emmenait ses enfants chez
leur grand-mère, au village, afin de se préparer à sa guise à la venue de l’homme
qu’elle adulait !
Avec un pincement au cœur, Belle se remémora l’excitation qui précédait les
séjours du milliardaire — la façon dont sa mère se mettait à faire de l’exercice,
ses rendez-vous chez l’esthéticienne et chez le coiffeur. Témoin de ce spectacle
avilissant, Belle s’était juré que jamais elle ne dépendrait d’un homme. Mary
avait fait preuve d’une dévotion aveugle envers Gaetano — mais qu’avait-elle
gagné en échange ?
Elle lava rapidement la salade, toujours plongée dans ses souvenirs, puis
prépara la vinaigrette préférée de sa mère, tentant de se rappeler les proportions
de chaque ingrédient. Cristo avait disparu et ce fut avec un soupir de
soulagement qu’elle entreprit de mettre la table dans le salon.
Dieu merci, il avait accepté sans sourciller sa fausse identité. Daniel Petrie,
le régisseur, finirait bien par apprendre que Mary Brophy était morte mais Belle
était sûre qu’il garderait le secret. Il aurait l’air ridicule de dévoiler à Cristo son
ignorance de la situation — et serait trop honteux d’avouer qu’il l’avait mal
informé !
Rassurée par ces considérations, elle se pencha sur le fourneau à gaz et tenta
d’en comprendre le fonctionnement — un mystère pour une étudiante habituée à
cuisiner sur une unique plaque électrique.
* * *
Lorsqu’il avisa le dîner disposé devant lui, Cristo sentit son appétit
s’envoler. Avec une moue dubitative, il piqua dans son omelette du bout de sa
fourchette. Elle avait la consistance d’un vieux matelas, la souplesse en moins.
La salade qui l’accompagnait nageait dans l’huile et le pain à l’ail était
carbonisé, même si la cuisinière avait fait un effort louable pour en ôter les
morceaux les plus calcinés. Elle n’était pas douée, c’était sûr, mais il supposait
que ce n’était pas le genre de talent que son père avait recherché chez ses
maîtresses.
Il repoussa son assiette avec un soupir et se leva. Il n’avait aucune envie
d’être là, à devoir gérer les conséquences des frasques de son père. Mais il savait
qu’il n’avait pas le choix. Il devait cependant gérer le problème que
représentaient Mary Brophy et sa marmaille. Si ce n’était pas lui, qui s’en
occuperait ?
Belle fouillait dans un placard à linge du premier étage lorsqu’elle entendit
du bruit derrière elle. Elle se retourna et fixa avec étonnement un homme appuyé
contre la rambarde de l’escalier. Il semblait assez jeune, et pourtant, il avait une
carrure si massive que Belle en fut presque effrayée.
— Voilà donc où vous cachez les draps, observa-t-il.
— Qui… qui êtes-vous ?
— Rafe est l’un de mes gardes du corps, expliqua Cristo, émergeant à son
tour de l’escalier. John et lui veillent à ma sécurité. Ils vont résider ici.
— Rassurez-vous, intervint le dénommé Rafe en s’approchant pour regarder
dans le placard, nous allons nous débrouiller.
Avec un haussement d’épaules, Belle prit les draps qu’elle destinait à Cristo
Ravelli et se dirigea vers la chambre principale. Alors qu’elle s’éloignait, elle
sentit le regard du propriétaire des lieux lui brûler le dos. Pourquoi diable la
fixait-il ainsi ? Et pourquoi ne lui avait-il pas dit qu’il était accompagné ? Elle
n’avait pas acheté de quoi manger pour trois. Ce qui lui faisait penser que leur
visiteur lui devait de l’argent.
Elle déposa les draps sur le lit et tira le ticket de caisse de sa poche. Elle ne
fut pas surprise, en se retournant, de voir que Cristo l’avait suivie.
— Voici ce que vous me devez, annonça-t-elle.
Tout en regardant autour de lui d’un air réprobateur, il prit son portefeuille
dans sa veste et en sortit un billet qu’il lui tendit.
— C’est la chambre de mon père ? demanda-t-il avec un froncement de nez.
— Oui.
— Je dormirai dans une autre pièce si vous voulez bien. Cette décoration de
bordel victorien n’est pas trop mon genre.
Belle était la première à reconnaître que le décor, avec ses épaisses draperies
et ses couleurs sombres, avait quelque chose de vulgaire… et de sinistre. Elle
récupéra les draps et conduisit Cristo dans l’une des nombreuses chambres de la
maison. La décoration n’était pas beaucoup plus sobre, et commençait à se
défraîchir — la propriété tout entière avait bien besoin d’être rénovée.
— Quand j’ai parlé de bordel victorien, fit son compagnon depuis la fenêtre
où il s’était posté, j’espère que je ne vous ai pas insultée.
— Pas le moins du monde. Je ne suis pas responsable des choix esthétiques
de Mayhill. Gaetano a engagé un décorateur il y a dix ans, avec le résultat que
vous voyez.
Belle se rappelait encore à quel point sa mère avait été blessée de ne pas se
voir confier cette tâche. Le résultat aurait sans doute été pire encore — Mary
Brophy adorait le rose dans toutes les déclinaisons possibles.
Cristo étudia Belle à la dérobée pendant qu’elle faisait le lit. Elle avait des
fesses parfaites, des seins magnifiques, un visage d’une délicatesse étonnante.
De nouveau, son propre corps réagit de manière embarrassante. Aussitôt, il
détourna le regard en tentant de dissiper les marques de son désir. Il refusait de
se laisser charmer par la même femme que son père mais était-ce sa faute si elle
était si séduisante ? Il n’était pas fait de pierre.
Tout en s’affairant, Belle jeta un regard discret en direction de Cristo. Son
détachement et son air de supériorité méprisante n’auguraient rien de bon. Elle
regretta soudain d’avoir accepté ce rôle de gouvernante, qui la mettait par
définition en position d’infériorité.
Elle secoua la couette avec plus de force que nécessaire, puis se rendit dans
la salle de bains pour y disposer des serviettes fraîches. Malgré sa mine
dédaigneuse, Cristo était un très bel homme — elle devait en convenir. Elle
n’était pas insensible au magnétisme de ses yeux noirs comme l’onyx, et à la
sensualité de ses lèvres pleines… Elle aimait également la manière dont il
bougeait — avec virilité et distinction. Sans s’en rendre compte, Belle imagina le
torse nu de Cristo et tenta de se rappeler le détail de ses mains. Au creux de ses
cuisses, elle sentit son sexe palpiter, et ses seins se tendirent, comme sous l’effet
de caresses. Il était impossible de se méprendre sur la nature de cette réaction :
elle le désirait. Pas consciemment, pas intentionnellement, mais de façon
instinctive. Devait-elle en déduire qu’elle ne valait guère mieux que sa mère ?
Etait-ce l’effet que Gaetano avait produit sur Mary ?
— J’aimerais vous voir demain matin pour discuter de certains détails,
déclara Cristo quand elle ressortit de la salle de bains. 10 heures, cela vous
conviendrait ?
Belle se contenta d’acquiescer, puis demanda :
— Quand voulez-vous rencontrer les enfants ?
A cette question, les traits du milliardaire se durcirent.
— Je ne veux pas les rencontrer, déclara-t-il d’une voix glaciale.
Belle pâlit, se demandant comment interpréter sa réponse. Son absence totale
d’intérêt pour sa famille était-elle inquiétante ou au contraire encourageante ?
Elle pouvait signifier que cette histoire d’adoption n’était qu’une rumeur
infondée. Ou, au contraire, qu’il l’envisageait sérieusement…
Belle scruta son visage, atterrée par la réserve glaciale et le manque
d’humanité de son regard. Comment pouvait-il à ce point se moquer de ses
demi-frères et sœurs ? La plupart des gens auraient accepté de les rencontrer, ne
serait-ce que par politesse. Apparemment, Cristo Ravelli ne se sentait pas tenu
par ce genre d’obligation.
Le vague mépris qu’elle éprouvait pour lui se transforma en animosité,
soudaine et brutale. Les enfants de Mary Brophy, c’était évident, n’étaient pas
dignes de la famille Ravelli. Pourquoi s’en étonner, quand Mary elle-même
n’avait jamais été considérée autrement que comme la maîtresse de Gaetano ? Sa
gorge se serra et elle prit congé abruptement, prétextant son ménage à terminer.
Elle descendit l’escalier quatre à quatre et s’activa à débarrasser les restes du
repas de Cristo. Elle espérait que celui-ci ne lui demanderait pas de revenir
cuisiner pour lui. Mais elle eut bientôt la certitude qu’il n’en ferait rien quand
elle ouvrit la poubelle et y trouva son dîner. Son visage s’enflamma sous le coup
de l’humiliation. Elle se reprit pourtant bien vite. Quel goujat ! Tant pis si
l’omelette ne lui avait pas plu. Il ne méritait pas mieux. Et il était temps pour elle
de rentrer, de fuir ce lieu détestable !
Tremblant sous l’effet de ses émotions conflictuelles, elle enfila son
manteau, monta en voiture et reprit le chemin de la loge. Quel gâchis…
Comment sa mère avait-elle pu consacrer sa vie à un mufle tel que Gaetano ? Il
lui avait confié à plusieurs reprises qu’il était malheureux avec sa femme et
Mary s’était imaginé qu’il finirait par divorcer pour l’épouser. Non seulement il
n’avait jamais divorcé, mais il était de notoriété publique qu’il avait une
maîtresse dans chaque port. Belle avait eu beau montrer divers articles dénichés
sur internet à sa mère, cette dernière avait toujours trouvé des excuses à son
amant.
— Tu ne comprends pas, Belle. Il ne peut pas quitter sa femme, j’ai fini par
l’accepter. D’abord, c’est une princesse de je ne sais quel pays du Moyen-Orient,
et ce serait très mal vu pour elle. Et je sais que si Gaetano n’est pas amoureux
d’elle, ils sont quand même amis. Il ne l’a épousée que parce qu’il avait besoin
de quelqu’un à son bras, d’une hôtesse pour recevoir ses amis de la haute
société. Je ne pourrais jamais la remplacer, je me suis fait une raison. Mais c’est
moi qu’il aime.
Mary était tombée amoureuse de Gaetano dès l’instant où elle avait posé les
yeux sur lui et, depuis ce jour, n’avait jamais prêté l’oreille à la moindre critique
le concernant. Sa mort, de manière bien compréhensible, lui avait brisé le cœur.
— Il n’était pas parfait, j’en ai bien conscience, avait-elle confié à sa fille.
Mais quand tu aimes quelqu’un, Belle, tu l’aimes tel qu’il est, avec ses qualités
et ses défauts. J’ai déjà eu de la chance qu’un tel homme s’intéresse à une
femme comme moi.
Une femme comme moi… Mariée précipitamment à dix-sept ans, veuve
moins de dix ans plus tard, Mary était presque aussitôt devenue la maîtresse d’un
homme marié — l’une de ses maîtresses, plus exactement. La vie n’avait pas été
tendre avec elle. Mais comme ne manquait pas de le rappeler Isa, Mary avait fait
les mauvais choix. Personne ne lui avait forcé la main.
Lorsqu’elle ouvrit la porte de la loge, sa grand-mère l’attendait.
— Alors ? Il a gobé que tu avais quarante ans ?
— Je n’ai pas essayé de lui faire croire que j’avais quarante ans, juste que
j’avais un fils de quinze ans. Apparemment, il ne l’a pas mis en doute. Il m’a
demandé de revenir demain à 10 heures. Je suppose qu’il veut parler de l’avenir
des enfants.
Isa laissa échapper un soupir de dépit.
— J’ai un mauvais pressentiment, Belle. L’honnêteté est toujours la
meilleure stratégie.
— A ceci près que Cristo Ravelli n’est pas un homme bon et honnête.
— Tu détestais Gaetano, mais il est inutile de faire payer son fils.
Belle pinça les lèvres, irritée par ces conseils qu’elle n’avait pas sollicités.
— Il ne veut même pas rencontrer les enfants !
— La faute en incombe à ta mère. Si seulement elle avait réfléchi aux
conséquences de ses actions, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
* * *
Cristo dormit mal. Il rêva qu’il poursuivait une femme aux jambes
interminables sur la lande embrumée. Chaque fois qu’il allait la rattraper, elle lui
échappait avec un éclat de rire cristallin. Sa résistance ne faisait qu’exciter son
ardeur, un désir explosif lui emplissait le corps. Il parvint enfin à la saisir mais,
lorsqu’elle se retourna, il s’agissait d’une autre — une blonde aux grands yeux
bleus inquisiteurs. Il la relâcha dans un mouvement de dégoût.
Il se réveilla en sueur, le cœur lourd de culpabilité. La femme blonde, c’était
Betsy, la femme de Nik. Même en rêve, elle le narguait. Le ventre noué, Cristo
bondit de son lit et alla prendre une douche.
Il resta un long moment immobile sous le jet d’eau, assailli par un flot de
souvenirs. Il n’avait jamais eu l’intention de briser le mariage de son frère. Betsy
était simplement venue se confier à lui, bouleversée par des révélations que Zarif
lui avait faites. Le hic, c’était que Zarif tenait ces révélations de Cristo lui-même.
Il avait beau tourner et retourner le problème dans sa tête, il savait qu’il était
responsable de l’échec de la relation de Nik et de sa femme. Cristo avait trahi la
confiance de son frère. Mais tout cela résultait d’un enchevêtrement de
quiproquos et de maladresses. Il n’avait jamais eu l’intention de séduire Betsy.
Comme chaque fois qu’il se sentait coupable, Cristo ne put s’empêcher de
dresser la liste de ses erreurs. Oui, il avait pensé que Nik ne méritait pas une
femme telle que Betsy. Et oui, il avait assisté à la lente dissolution de son
mariage sans lever le petit doigt. Pour couronner le tout, sa loyauté était allée à
Betsy, pas à son frère.
Voilà pourquoi il lui incombait de régler le problème que leur avait légué
leur père. Nik avait déjà bien assez à faire et Zarif, quant à lui, souffrait toujours
des retombées de son indiscrétion. Comment s’étonner, après cela, que les trois
frères ne se fussent pas parlé depuis une éternité ?
* * *
— Ça fait très mémère, observa Isa le lendemain matin, quand elle découvrit
la tenue de Belle. Ce sont les affaires de ta mère ?
— Oui. J’en ai gardé quelques-unes en souvenir. La jupe est un peu grande
mais avec la ceinture, ça passe.
— On ne peut pas en dire autant de ce vieux gilet, de ce collier de perles et
de cette chemise, maugréa Isa. Tu ressembles à une jeune femme déguisée en
vieille dame.
— C’est parce que tu connais mon âge. Cristo va me voir en plein jour et je
dois faire attention à ce genre de détail si je ne veux pas me trahir.
— Rassure-toi, même la lumière du jour ne pourrait pas pénétrer une telle
couche de maquillage ! Mais tu as raison sur un point : ça te vieillit.
— Je sais bien que Cristo s’apercevra tôt ou tard de la supercherie.
L’essentiel, c’est que je parvienne à le faire renoncer à cette idée d’adoption
avant que ça n’arrive.
— S’il est comme son père, il sera très en colère quand il s’apercevra que tu
lui as menti.
— Tant pis. Je survivrai.
— Justement, j’en doute. Tu ne pèses pas lourd face à son pouvoir et à sa
fortune.
Belle quitta la loge d’humeur massacrante pour se diriger vers sa voiture,
titubant sur ses hauts talons. Elle n’était pas si vulnérable que sa grand-mère le
croyait. D’accord, elle n’avait pas le sou. Mais elle était sans doute aussi rusée
que Cristo Ravelli — n’avait-elle pas un doctorat en économie ? Et puis, elle
bénéficiait de l’effet de surprise. Cristo pensait qu’elle était Mary Brophy, ce qui
lui donnerait un avantage dans leur duel à venir. Car c’était bien d’un combat
qu’il s’agissait. Contrairement à sa mère, Belle n’avait pas l’intention de faire le
dos rond avec les Ravelli.
Cristo la vit approcher de Mayhill depuis une fenêtre du salon. Elle était
vêtue de manière moins provocante que la veille mais, même à distance, il
ressentit de nouveau le désir insensé de la veille. Il le réprima aussitôt, serrant les
poings dans ses poches — comme s’il était prêt à batailler avec lui-même.
D’accord, elle était attirante. Et alors ? Les maîtresses de son père l’avaient
toujours été, à l’inverse de ses épouses, plus communes. Gaetano avait fait
passer la classe sociale et la richesse avant l’apparence toutes les fois qu’il s’était
agi de se marier.
Cristo soupira, se demandant combien il lui faudrait dépenser pour
convaincre Mary Brophy d’accepter son plan. Tout le monde avait un prix, il le
savait. De plus, Gaetano n’avait pas été généreux avec sa maîtresse puisqu’il
n’avait pris aucune disposition à son égard. Et puis, elle ne devait pas être
particulièrement maligne pour avoir laissé un homme lui faire cinq enfants sans
rien exiger en retour. Non, il n’attendait pas vraiment de résistance de sa part.
Un sentiment de miséricorde dont il n’était pas coutumier l’envahit. Nul
besoin de sortir tout son arsenal de guerre pour vaincre Mary Brophy. Il résolut
de lui imposer son plan avec le plus de douceur et de diplomatie possible.
Avec un peu de chance, elle reconnaîtrait bien vite que sa solution était dans
l’intérêt de tout le monde.
3.
— M. Ravelli vous attend dans le salon, l’informa Rafe en lui ouvrant la
porte.
Belle prit une profonde inspiration et pénétra dans une pièce sombre, à la
décoration chargée. Lorsque Cristo se retourna pour la regarder approcher, elle
se sentit électrisée de la tête aux pieds. Si seulement cet homme n’était pas aussi
séduisant ! Elle redressa le buste, releva le menton et s’approcha de lui avec le
plus d’assurance et de détachement possible.
Cristo réprima une moue moqueuse en la voyant. Elle portait une robe
plissée et un gilet de laine qui n’auraient pas détonné sur une vieille dame.
Pourtant, en parfait contraste avec ses choix vestimentaires, elle arborait un
maquillage outrancier, presque caricatural…
Il se rendit soudain compte que quelque chose ne collait pas. La liaison de
cette femme avec son père n’avait aucun sens. Quels qu’eussent été les défauts
de Gaetano, il avait été amateur de beauté féminine et de sophistication. La
personne qui se tenait devant lui ne pouvait être la raison de ses fréquents
voyages en Irlande.
— Monsieur Ravelli…, murmura-t-elle.
A ce moment, le soleil accrocha sa chevelure rousse et la fit flamboyer,
soulignant la délicatesse de son visage de poupée, ses lèvres pleines et ses yeux
verts comme les landes irlandaises.
Un désir brutal lui meurtrit le bas-ventre. Il devait admettre qu’elle possédait
cette qualité inexplicable qui faisait perdre la tête aux hommes. Durant une
fraction de seconde, il fut presque tenté de la prendre dans ses bras et de plaquer
le corps divin qu’elle cachait sous ces oripeaux contre le sien. Cette image,
même fugitive, faillit lui faire perdre la tête. Il fut obligé de se mordre les joues
pour reprendre le contrôle de lui-même. Cette femme produisait sur lui un effet
incroyable, qu’il ne parvenait pas à comprendre. Tandis qu’il tentait de
rassembler ses pensées, il s’aperçut qu’il continuait de la regarder intensément
— ses yeux semblaient aimantés à cette femme.
Belle, qui faisait de son mieux pour éviter son regard, sentit le feu lui monter
aux joues de manière inexplicable. Elle eut soudain très chaud, comme si
quelqu’un avait subitement monté le thermostat de la pièce. Elle ne put
s’empêcher d’accrocher son regard et de détailler la façon dont ses pommettes
saillantes soulignaient ses yeux, le profil arrogant et aquilin de son nez, la force
de sa mâchoire.
L’atmosphère parut se charger de tension, et Belle se demanda si elle n’allait
pas se mettre à crier. De rage, d’impuissance, ou de frustration sexuelle… elle
n’aurait su le dire. Elle eut cependant la sensation qu’ils entraient dans une
forme de duel. Seuls au monde, dans une arène sèche et aride. L’image de leurs
corps brûlants lui traversa l’esprit. Comme la veille, elle sentit la pointe de ses
seins durcir et son sexe frémir.
Au prix d’un effort incroyable, Cristo détacha ses yeux d’elle et s’éclaircit la
gorge. Il cessa de se demander quel goût, quel parfum avait la peau de cette
femme. Il ne comprenait pas comment elle pouvait l’attirer contre sa propre
volonté, et contre toute logique.
— Mademoiselle Brophy…
— Mme Brophy, corrigea-t-elle aussitôt.
Cristo fronça les sourcils, intrigué.
— Vous êtes mariée ?
— Je suis veuve depuis de nombreuses années, répliqua Belle.
Puis elle se dirigea vers la fenêtre pour s’éloigner de lui et calmer ses sens.
La supercherie requérait toute sa concentration. Elle était Mary Brophy, ex-
maîtresse de Gaetano Ravelli et mère de ses cinq enfants, se répéta-t-elle tel un
mantra.
— Si je vous ai fait venir aujourd’hui, reprit Cristo d’une voix suave, c’est
pour discuter de l’avenir des enfants.
Belle acquiesça, s’efforçant d’arborer une mine impassible.
— Oui. Gaetano nous a laissés dans une position délicate.
— Vous faites allusion à votre situation financière, je suppose. Mon père a
fait preuve d’un manque évident de clairvoyance en ne prenant pas la moindre
disposition pour vous protéger.
— Il a tout de même mis la maison à mon nom, fit valoir Belle, soucieuse de
feindre la même loyauté que sa mère envers le défunt.
A ces mots, Cristo se figea. Il fronça les sourcils.
— Quelle maison ?
— La loge du gardien. Il me l’a donnée il y a quelques années, afin que nous
ayons un toit quoi qu’il arrive.
Cristo parut contrarié et une vague inquiétude s’empara de Belle. En tant
qu’exécuteur testamentaire de son père, comment pouvait-il ignorer un fait aussi
important ?
— Mais avec les coûts d’entretien et les frais de scolarité des enfants, se
força-t-elle à reprendre, je vais sans doute être obligée de vendre.
— Veuillez m’excuser un instant.
Sans lui laisser le loisir de répondre, Cristo sortit de la pièce et composa le
numéro de Robert Ludlow. L’avocat répondit aussitôt et Cristo lui demanda sans
aménité pourquoi personne ne l’avait informé du fait que Mary Brophy était
propriétaire de la loge.
Robert, aussi déconcerté que lui par la nouvelle, alla fouiller dans un dossier
et finit par trouver un accord hâtivement rédigé quinze ans plus tôt par son frère
aîné juste avant qu’il ne prenne sa retraite. Il s’excusa platement de cette
omission et rassura Cristo après avoir pris connaissance des termes exacts de
l’accord.
Belle, pendant ce temps, arpentait le salon en se rongeant les ongles. Elle se
rappela non sans angoisse que le notaire qui s’était occupé de la succession de sa
mère n’avait pas trouvé de document relatif à la cession de la loge. Pourtant,
Mary Brophy n’était pas une affabulatrice. Sur le moment, Belle avait supposé
que le papier se trouvait quelque part dans les affaires de sa mère. Elle s’était
promis de le chercher plus tard mais n’avait pas eu le temps de le faire, débordée
par les besoins des enfants.
Cristo revint dans la pièce de la démarche assurée d’un homme qui se savait
en position de force.
— J’ai bien peur que vous ne soyez pas propriétaire de la loge, annonça-t-il
sans chercher à adoucir la brutalité de la nouvelle.
— C’est impossible, riposta Belle. Votre père m’a dit qu’elle m’appartenait.
— Vous en avez l’usufruit jusqu’à votre mort. Mais j’en ai la nue-propriété.
Belle eut l’impression que le sol venait de s’ouvrir sous ses pieds. Malgré
tous ses efforts pour ne pas trahir son désarroi, elle pâlit et bredouilla :
— Ce… ce n’est pas ce que Gaetano m’a laissée croire.
— Mon père était un beau parleur. Il vous a peut-être dit que vous possédiez
la maison mais ce n’est pas le cas. Vous pouvez simplement l’utiliser à votre
guise jusqu’à votre décès. Notez que c’est déjà beaucoup.
La stupeur passée, une bouffée de colère s’empara de Belle. Vraiment,
Gaetano s’était moqué de sa mère sur toute la ligne. Comment avait-il pu la
tromper sur un sujet aussi important ? Un frisson de rage lui parcourut l’échine.
— Et ce droit d’usufruit, s’étend-il aux… à mes enfants ? interrogea-t-elle,
nauséeuse.
— J’ai bien peur que non.
Cristo lui adressa un sourire de sympathie qui, même si elle avait été de
bonne humeur, ne l’aurait pas trompée un seul instant. Dans l’état où elle était,
cette marque d’hypocrisie ne fit qu’enflammer son courroux.
— Mais le fait est que pour le moment, la loge vous appartient, reprit le
milliardaire. Bien sûr, vous ne pouvez pas la vendre, l’hypothéquer ou procéder
à des travaux qui en modifieraient l’apparence.
Belle avait perdu le peu de forces qu’il lui restait lorsqu’il se tut enfin.
C’était la pire nouvelle qu’elle avait reçue depuis longtemps. Mary Brophy était
morte, l’usufruit de la loge était donc terminé. Techniquement, ses frères et
sœurs étaient sans domicile fixe. L’idée de se faire passer pour sa mère risquait
de prendre une tournure pénale, avec des conséquences qu’elle préférait ne pas
explorer pour le moment.
— Mon père était très doué pour les affaires, murmura Cristo. Mais je suis
prêt à vous reloger et à vous offrir une propriété à votre nom.
Belle tressaillit, puis fronça les sourcils.
— Pourquoi feriez-vous ça ?
— Je vais être honnête avec vous : il me sera plus facile de vendre Mayhill si
la maison de gardien est inoccupée.
Mais Belle l’écoutait à peine. La colère qui bouillonnait en elle tel du
magma menaçait d’exploser à tout instant.
— Ce salopard… Comment a-t-il pu faire une chose pareille à ses propres
enfants ?
— Mon père n’était pas du genre sentimental. Il nous a légué à tous une
situation particulièrement délicate. Mais j’ai une proposition à vous faire, qui je
crois nous apportera mutuellement satisfaction.
Belle s’en voulait d’avoir insulté Gaetano devant son fils, mais elle n’avait
pu se retenir… Elle était soufflée par le manque de scrupules, de sens de
responsabilités et d’humanité qui caractérisait Gaetano… et sans doute toute la
famille Ravelli !
Cristo la vit prendre une inspiration sifflante, ses yeux couleur émeraude
embrasés par une violente colère. Elle semblait être ce genre de femme
impétueuse, bouillonnante, incapable de contenir ses émotions… tout ce qu’il
détestait ! Mais sa fierté blessée la rendait aussi terriblement séduisante. Et ce,
malgré son gilet de grand-mère.
— Une… une proposition ? répéta-t-elle d’une voix tremblante.
Belle fixa Cristo sans ciller, déterminée à ne pas se laisser intimider par cet
homme au regard supérieur.
— J’aimerais que vous considériez la possibilité de faire adopter les enfants,
reprit-il enfin. Je pense qu’il est préférable pour eux d’abandonner un héritage
pesant et de refaire leur vie dans un cadre plus stable.
— Je n’arrive pas à croire que vous osiez me faire une telle proposition,
murmura Belle en secouant la tête.
— Bien sûr, je ferai en sorte que vous receviez une compensation pour ce
sacrifice, poursuivit Cristo du ton qu’il aurait employé pour discuter de la vente
d’une voiture. Mon père aurait dû veiller à vous offrir un toit et un revenu. Je
m’engage à vous fournir les deux.
— Quelle mère abandonnerait ses enfants contre de l’argent ? Quel genre de
femme fréquentez-vous habituellement ?
— Cela ne vous regarde pas. Sachez juste que je ne suis pas comme mon
père et que, contrairement à lui, je ne laisse pas d’enfants dans mon sillage.
— Dieu merci, parce que vous n’en méritez pas ! Vous vous rendez compte
que c’est de vos frères et sœurs que nous parlons ? Que vous voulez faire
adopter ?
— Je ne les reconnaîtrai jamais comme tels, riposta Cristo d’un ton glacial.
— Pourquoi ? Ils ne sont pas dignes des Ravelli, c’est ça ? Les enfants de la
gouvernante, ça fait mauvais effet ? Pas assez chic pour vous, je suppose ? Eh
bien laissez-moi vous dire une chose…
— Non. Je n’ai pas l’intention d’écouter des élucubrations dictées par la
colère.
— C’est vrai, vous êtes un véritable iceberg, reprit Belle avec un rictus de
mépris. Pour ma part, je n’ai pas honte de montrer mes émotions. Et je suis prête
à me battre pour que justice soit faite !
— Par pitié, si vraiment vous avez quelque chose à dire, allez droit au but au
lieu de faire des déclarations grandiloquentes, répondit Cristo avec un soupir las.
Belle serra les poings, hors d’elle. Jamais de sa vie elle n’avait éprouvé une
telle envie de frapper quelqu’un. Comment pouvait-il considérer des êtres
vivants, sa propre chair, comme un problème à régler ? Comment osait-il
suggérer de faire adopter ses frères et sœurs ? Ne se rendait-il pas compte qu’ils
avaient besoin, plus que jamais, de stabilité et d’amour après la perte de leurs
parents ?
— Ce que j’essaie de vous dire, fit-elle d’une voix rageuse, c’est que ma
mère était peut-être la maîtresse de votre père, mais qu’elle était aussi une
femme généreuse, une mère aimante, et que pour rien au monde elle n’aurait
abandonné ses enfants !
— Votre mère ? répéta Cristo d’une voix coupante. Vous êtes la fille de Mary
Brophy ?
Belle se figea, en nage et pourtant comme refroidie par un vent glacial. Dans
l’emportement, elle avait complètement oublié son rôle.
— Si vous n’êtes pas Mary Brophy… où est-elle ? Et qu’est-ce que vous
faites là ? s’enquit Cristo, furieux d’avoir été abusé.
Belle sut que le moment était venu de jouer franc jeu. Trahie par ses
émotions, elle n’avait plus le moindre espoir de rattraper une telle gaffe.
— Je suis Belle Brophy. Ma mère est morte environ un mois après votre
père, d’une attaque cardiaque.
— Je vois. Vous avez voulu dissimuler la mort de votre mère dans l’espoir
de conserver la loge.
— Non ! protesta-t-elle, d’autant plus désespérée qu’elle comprenait
comment il en était parvenu à une telle conclusion. J’ignorais complètement que
la loge ne nous appartenait pas. Ma mère m’avait dit que Gaetano la lui avait
cédée. Si je vous ai caché sa mort, c’était parce que je redoutais que vous ne
m’écoutiez pas en apprenant que j’étais la sœur des enfants.
Cristo eut un rictus narquois — il n’avait pas la moindre patience vis-à-vis
des gens qui essayaient de le tromper. Il repensa à la rousse qu’il avait vue
traverser la pelouse, le premier soir, et en déduisit qu’il s’agissait de Belle
Brophy.
Un mélange de rage et de désir lui traversa le corps. Il fixa la jeune femme
d’un air si menaçant qu’elle fit un pas en arrière.
— Vous avez essayé de vous faire passer pour votre mère, répéta-t-il
lentement. Vous êtes folle ? Ou juste stupide ?
A la vue de la fureur qui déformait les traits de Cristo, Belle n’hésita pas une
seconde — elle partit en courant vers la sortie. Si son père lui avait appris une
chose, c’était qu’il valait mieux ne pas s’attarder trop longtemps à proximité
d’un homme en colère.
Vif comme l’éclair, Cristo la saisit par le bras au moment où elle ouvrait la
porte.
— Cette discussion n’est pas terminée !
— Lâchez-moi ! cria Belle en le repoussant de toutes ses forces. J’ai fait une
erreur mais ça ne vous donne pas le droit de me brutaliser !
— Je n’ai aucune intention de vous brutaliser, riposta Cristo avec agacement.
Mais j’ai droit à des explications.
Le regard brûlant, la jeune femme s’arracha d’un mouvement brusque à son
étreinte.
— Vous êtes un Ravelli ! Je vous devrai des explications quand les poules
auront des dents !
Cristo la regarda s’éloigner comme une furie, le menton relevé, les talons
martelant le sol de marbre. Quelques boucles rousses tombaient de son chignon
et caressaient sa nuque pâle.
— Revenez ici ! rugit-il, à bout de patience.
Belle se retourna, comme si elle avait une armée à ses trousses. En le voyant
fondre sur elle, elle agrippa un vase posé près de la porte d’entrée sur une
console et le brandit telle une arme.
— N’approchez pas !
— Vous vous rendez compte que vous vous comportez comme une cinglée ?
demanda Cristo, contenant avec effort son exaspération.
— Je vais vous traîner en justice ! Je vais vous forcer à reconnaître les
enfants ! cria Belle, incapable de contrôler sa colère. Ils ont droit à leur part
d’héritage et je ferai tout pour qu’ils la reçoivent !
Le sang de Cristo se glaça dans ses veines à cette menace. La perspective
d’un procès où les sordides secrets des Ravelli ne manqueraient pas d’être étalés
en public n’était pas pour le réjouir.
— Calmez-vous, conseilla-t-il. Après quoi nous parlerons.
— Je n’ai pas envie de vous parler ! Si vous faites un pas de plus, je vous
lance ce vase à la figure.
Cristo soutint son regard. Il était évident que Belle Brophy était dans un état
de nervosité extrême, et que tout espoir de la raisonner était vain tant qu’elle ne
se serait pas calmée. Cependant, il n’écouta pas ses menaces.
Belle lança le vase de toutes ses forces quand il continua d’avancer — et
manqua largement sa cible. Elle hoqueta en avisant la mine furieuse de Cristo,
ouvrit la porte en grand, dévala les marches du perron et prit ses jambes à son
cou.
— Techniquement, c’était un attentat contre votre personne, remarqua Rafe
depuis l’escalier, pendant que Cristo chassait les éclats de porcelaine qui avaient
atterri sur ses chaussures.
— Vu la façon dont elle vise, je ne risquais pas grand-chose, maugréa-t-il.
La prochaine fois, je ne prendrai même pas la peine de me baisser.
Par la porte ouverte, il vit la jeune femme monter dans sa voiture et démarrer
en trombe. Elle était folle à lier, c’était certain. Comment pouvait-il négocier
avec une telle furie ? Il lui faudrait pourtant trouver un moyen de le faire s’il
voulait éviter un procès embarrassant.
— Parce qu’il y aura une prochaine fois ? s’enquit Rafe sans chercher à
cacher sa surprise.
Cristo se tourna vers lui, un sourire carnassier aux lèvres.
— Oh oui. Et plus tôt que cette fille ne l’imagine.
4.
— Au moins, il n’y a plus de cachotteries ni de mensonges, commenta Isa
avec satisfaction. Les cartes sont sur la table.
Belle repoussa une mèche rebelle d’un revers de la main. Depuis son retour
du manoir, elle s’était lancée dans un nettoyage frénétique qui avait servi
d’exutoire à la pression accumulée en elle. Avec un soupir, elle reposa le torchon
avec lequel elle venait d’essuyer le plan de travail de la cuisine.
Comme elle enviait l’humeur égale de sa grand-mère ! Cette dernière
accueillait toujours les mauvaises nouvelles avec un calme impressionnant.
Quand Belle lui avait expliqué que la maison ne leur appartenait pas, elle s’était
contentée de hausser les épaules et de lui rappeler que Bruno et Donetta ne
reviendraient pas de l’école avant plusieurs semaines, ce qui leur laissait
amplement le temps de trouver un nouveau logement. Belle avait ravalé la
question qui lui brûlait les lèvres : qui allait payer ? Car ni Isa ni elle ne
pouvaient assumer une telle charge financière.
Tag se mit soudain à aboyer, avant même que le carillon ne retentisse. Belle
se dirigea vers la porte, le jack russell sur ses talons.
Elle ne put cacher son mécontentement quand elle ouvrit et vit Cristo Ravelli
sur le perron. Il la dominait de deux bonnes têtes et elle se sentit écrasée par
l’autorité et la force qui émanaient de lui.
— Mademoiselle Brophy.
— Belle, corrigea-t-elle machinalement.
Cristo marqua une pause et admira une fois de plus la chevelure rousse de la
jeune femme, son visage de porcelaine et ses yeux émeraude. C’était la première
fois qu’il la voyait dans ses vêtements à elle, un jean et un T-shirt qui lui
donnaient l’air gracile et ingénu d’une très jeune fille. Ses courbes, en revanche,
étaient bien celles d’une femme.
Belle devint cramoisie — de colère ou d’embarras, il n’aurait su dire — et
recula d’un pas, laissant le champ libre à un petit jack russell, qui sortit en
aboyant et s’en prit avec hargne à ses chevilles.
— Tag ! s’exclama-t-elle. Non !
Elle s’agenouilla aussitôt pour le tirer en arrière. Cristo secoua la jambe dans
l’espoir de se débarrasser du roquet qui mordait le bas de son pantalon — en
vain. Après quelques instants de lutte, Belle parvint à lui faire lâcher prise. Elle
se redressa, le chien dans les bras, échevelée et la mine confuse.
— Je suis désolée. Il n’aime pas les hommes.
Une femme plus âgée apparut soudain derrière elle et sourit.
— Monsieur Ravelli ? Je suis Isa Kelly, la grand-mère de Belle. Entrez.
Belle se tourna vers elle, sourcils froncés.
— Je ne comptais pas proposer…
— M. Ravelli est notre invité, coupa la vieille dame d’un ton péremptoire.
Nous allons lui offrir un café et vous allez discuter comme deux personnes
civilisées.
Malgré la politesse d’Isa Kelly, Cristo crut deviner une certaine hostilité
dans son regard. Depuis les bras de Belle, Tag lui confirma la sienne d’un
grognement menaçant.
— Mon père lui donnait des coups de pied, expliqua Belle. Le vôtre aussi
d’ailleurs. Ça ne lui a pas laissé une très bonne image des hommes. Suivez-moi.
Cristo remercia les deux femmes d’un signe de tête et pénétra dans le salon
le plus hideux qu’il eût jamais vu. Les murs étaient roses, à l’instar du canapé et
des coussins brodés qui le recouvraient. De faux arrangements floraux
achevaient de prêter à l’endroit l’apparence d’une maison de poupée grandeur
nature.
— Je n’ai jamais aimé les chiens…, commença Cristo.
Un bambin aux cheveux bouclés déboula soudain dans la pièce et lui
enveloppa la jambe de ses petits bras.
— Non, Franco ! le gronda Belle.
— … ni les enfants, acheva-t-il.
Il étudia le petit garçon, dont les yeux ressemblaient tant à ceux de Gaetano
qu’il en eut le souffle coupé. Cristo se laissa tomber sur le canapé, l’enfant
toujours accroché à sa jambe.
— Monsieur ! prononça Franco d’un air de profonde satisfaction.
— Il est en manque d’affection masculine, déclara Belle, déposant le chien
dans un coin. Franco, viens ici.
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CHAPTER XXII.
EXPEDITION TO KINBURN—THE VOYAGE—ODESSA—LANDING—CUTTING TRENCHES—
BOMBARDMENT—THE WHITE FLAG—CAPITULATION—THE PRISONERS—
RECONNAISSANCE—THE MARCH—VILLAGE—BIVOUAC—MARCH—A VILLAGE—PIGS
AND GEESE—DEPARTURE—THE FLEET—RETURN—SIR W. CODRINGTON—RUSSIAN
SPY.
N expedition to Kinburn having been decided upon by the
allies, on the 6th of October a squadron of H. M. fleet were
in readiness at Kamiesch Bay to convey the 17th, 20th, 21st,
57th, and 63rd Regiments, together with marines, artillery and
engineers under the command of General Spencer. As we marched
to Kamiesch Bay the morning was close and sultry. When we got a
third of the way private Hanratty fell out of the ranks and reported
himself sick, when Captain Smith calls out, "Corporal Faughnan, take
Hanratty back to hospital." "Yes, sir," says I, we were then marching
down a very steep hill. I marched back to the hospital, although I
was badly able, for I was bad with dysentery myself at the time, and
for upwards of two weeks previously, and was so weak that I could
scarcely march; but I did not wish to give in and be left behind. After
I gave over the sick man, I saw the regiment a long way off in the
valley. I marched as fast as I was able with a full kit. In the
afternoon rain commenced to drizzle, and the regiment halted to
cloak. I then gained on them and soon overtook them. When we
halted at the beach I could have fallen down from weakness and
exhaustion, but I kept up my pluck and never gave in. The troops
were embarked on board the fleet by small steam-tenders; the 17th
Regiment had the honour of being conveyed to Kinburn by the flag-
ship "Royal Albert."
On the 7th October, the troops having been on board, and
everything ready, we set sail, accompanied by several line-of-battle
ships, small steamers, gun-boats, mortar-vessels, and three French
floating batteries, constituting an armament of great magnitude. The
English squadron comprised six steam line-of-battle ships, seventeen
steam frigates, ten gun-boats, six mortar vessels, three steam
tenders and ten transports. The Russians north of Sebastopol were
in wild excitement when this large squadron appeared; but the ships
soon disappeared from the Crimea.
The admirals signalled to the several captains to rendezvous off
Odessa. As we got out to sea the band discoursed music while the
officers were at dinner; before dinner they played as usual the
"Roast Beef of Old England," which we had not heard for many
months before.
We had no hammocks, so we were obliged to lie all round the
decks in groups during the night. At eight o'clock next morning we
cast anchor off Odessa, three miles from the town. It was then the
turn for the citizens to be alarmed by this display of force.
The Russians on the heights, in barrack square and all round the
city became incessantly active in making observations. We could see
the old fashioned telegraph on the towers along the coast working,
and clouds of Cossacks, infantry and artillery, formed up along the
cliffs, ready to defend the place if attacked. All day on the 9th the
fleet remained at anchor, about 80 French and English vessels
forming a line six miles in length, eagerly watched from the cliffs by
large masses of troops. The rocket-boats, gun-boats, mortar-vessels,
and floating batteries might have gone nearer and crumbled the city
to ruins; but such was not our orders, and not a shot was fired, and
thus was Odessa spared for the third time during the war.
The object of the admirals in making this feint on Odessa, was to
draw the Russian troops away from Kinburn, thereby reducing the
number of troops in that garrison.
The 10th and 11th we were still at anchor, dense fogs giving the
seamen a foretaste of the dangers of that coast; and as the 12th
and 13th were very stormy, the admirals would not risk leaving until
the weather moderated; thus it happened that the citizens had the
threatening fleet in view for six days. The squadrons weighed anchor
on the morning of the 14th, and cast anchor off Kinburn that
afternoon; in the evening some of the French and English gun-boats
entered the estuary of the Dneiper, passing the Fort of Kinburn
under a heavy fire from the enemy.
On the morning of the 15th the troops were landed along the
beach out of range of the fort, by the launches of the ships, each
being filled with soldiers, and made fast to each other by means of
the painter. After the troops were all got into the launches, they
formed several long lines of red coats in little boats—each boat was
steered by a naval officer.
The front boat of the line being made fast to a small steamer, the
whole were then towed in front of the beach where we were to land.
As the steamer ran in towards the shore, she cast off the line of
boats, and while they were under way each let go the painter, and
headed towards the beach running in close on a sandy bottom,
when the troops jumped ashore and deployed from where we
landed to the River Dneiper, while the gun-boats went up the river.
By this double manœuvre the Russians were prevented from
receiving reinforcements by sea, while the garrison were cut off by
land. In the evening the mortar vessels began to try their range on
the forts.
The troops brought no tents, and only three days' rations. After
posting outlying pickets, we were set to work cutting a trench from
the sea where we landed to the river Dneiper, a distance of five
miles. While we were digging the trench during the day, the outlying
pickets had a skirmish with a small force of Cossacks; but the chief
labour was the landing of stores and artillery, tedious and dangerous
work over the rough surf, occasioning the swamping of some of the
boats. A camp was formed, but without tents. At two o'clock in the
morning we had the trench cut and manned ready to receive the
Russian reinforcements for the garrison, which were expected from
Odessa, but which did not come. However, a large force of Cossacks
came along at three o'clock in the morning, when we opened a
heavy fire upon them from our new trench, forcing them to retire
quicker than they came, we then kept a good look-out till morning.
Generals Spencer and Bazaine made a cavalry reconnaissance at
day-break, when the Cossacks retired altogether.
About four companies of the French and English marksmen were
placed under cover at a distance of four hundred yards in rear of the
fort, and kept up a fusilade on the Russian gunners; while at the
same time the artillery opened a strong fire on the fort; at nine
o'clock the ships opened fire on the garrison.
The "Royal Albert," "Algiers," "Agamemnon," and "Princess Royal,"
and four ships of the line, approached abreast of the principal fort;
the "Tribune" and "Sphinx" attacked the earth-work battery. The
"Hannibal," "Dauntless," and "Terrible," took position opposite the
battery near the end of the fort, while the smaller vessels directed
their attack on the east and centre of the fort. Thus the Russians,
from the shape and position of the fort, were attacked on all sides at
once. Each ship poured its broadside upon the port and the strand
batteries as it passed, and received the enemy's fire in return. From
nine o'clock until noon these powerful vessels maintained their
terrible fire against the forts, crashing the parapets and disabling the
guns, while the mortar vessels set fire to the buildings within the
fort. The "Arrow" and "Lynx," with others, were exposed to much
danger. Having taken up a position close to the batteries to
discharge their shell upon the fort, they received in return an iron
torrent which tried the resolution of the crew.
At twelve o'clock the Russians hoisted a white flag, when an
English and a French officer met the Governor at the entrance of the
fort, when he tendered his surrender in military form by giving up
his sword, but not without bitter tears and a passionate exclamation
expressive of wounded national and professional honour. The officers
bore the scene with dignity, but with deep mortification, and many
of them were on the verge of mutiny against the Governor, so strong
did they resist any proposals of surrender. The garrison laid down
their arms, and were marched outside the town and placed close to
our camp, with a chain of sentries and the French around them. The
number of prisoners taken was 1,500, besides 500 killed and
wounded; several of our doctors were sent to attend their wounded
in the fort.
The prisoners were divided, the English half were taken on board
the "Vulcan," while the other half were taken on board the French
ships. The prisoners having been sent off to Constantinople, the
captors proceeded to garrison Kinburn, repairing and increasing the
defences, clearing away the ruins, repairing the walls and
embrasures, replacing the damaged cannon by large ship guns,
deepening the ditch, reforming the palisades, strengthening the
parapets, restoring the casemates, completing efficient barracks and
magazines, in the interior of the fort, and depositing a large amount
of military stores of all kinds.
When the small garrison, the other side of the estuary, opposite
Kinburn, Aczakoff, found that their guns could effect little against the
invaders, and that Kinburn was forced to yield, they blew up the St.
Nicholas battery, on the morning of the 18th, and retired a few
hours afterwards. On the 20th Generals Spencer and Bazaine set out
on a reconnaissance with several regiments of both forces, about
five thousand strong. After marching on a sandy plain, like a desert,
ten miles, we halted close to a village, piled arms, and were allowed
to go foraging into the village, which we found deserted by the
inhabitants; but they left abundance of pigs, geese, fowls and
provisions, bread baking in the ovens, pails of milk and several other
most useful articles, besides in the gardens we found abundance of
potatoes, cabbage, tomatoes, pumpkins, and almost all sorts of
vegetables. We divided the town with the French; after tearing down
several houses for fuel and making camp fires, we commenced
cooking fowls, turkeys, geese, potatoes, cabbages and vegetables;
while others were off through the village killing pigs, geese, turkeys,
and chickens, others cutting down branches of trees from a wood
hard by, for the purpose of making huts to protect us for the night,
as we had no tents, and covering them with hay from the hay yards,
and shaking plenty of hay inside to lie on; every mess erected one of
these huts. After indulging in the good things, which I can assure
you we enjoyed, we lay down very comfortably for the night in the
hay, and slept most soundly. Next day at two o'clock General
Spencer reviewed the troops under his command, with the French
General and his soldiers looking on. We were to have the pleasure of
another night in this camp. After enjoying boiled fowls, roast turkeys
and plenty of fresh vegetables, we lay down among the hay and
slept well, thanks be to God. Next morning, after breakfast, we
marched to another village named Roosker, ten miles off. We halted
outside the village, and sent in foraging parties from each regiment,
dividing the town with the French and placing line of sentries in the
centre. As we approached the village, the people fled, leaving
everything behind, pigs, geese, ducks, fowls, bread, milk and butter.
As we killed the live stock, we placed them on the commissariat
waggons and brought the spoils back to camp. It was a most
amusing scene, the French and English officers and soldiers shooting
geese, ducks and hens, with their revolvers, and the men chasing
the pigs and stabbing them with their bayonets. A soldier catches a
pig by the hind leg, the animal drags him into the French lines, when
a French soldier claims the animal, and a kind of a good natured
quarrel ensues about the ownership of the pig. The geese rose in
flocks, and the officers had the greatest sport shooting them. These
were jolly times. After ransacking the town, we set fire to it, and
marched back to our old bivouac, ten miles distant.
After arriving at our old camp ground, lo and behold! our huts
were all demolished, and not a thing left on the ground. The
Cossacks had been there during our absence, and burned and
destroyed everything. We could see them away in the distance,
about 400 strong, watching our movements; however, we
bivouacked there as best we could that night. As we marched back,
we passed several windmills which we set fire to. Next morning we
marched to Kinburn with the commissariat waggons loaded with
pigs, geese, fowls, turkeys, potatoes, and cabbage, which were
served out as rations in the usual manner.
On the 28th October, Generals Spencer and Bazaine began their
arrangements for our departure, first shipping all the stores, guns,
and horses, and selecting a sufficient number of troops to garrison
and guard Kinburn during the winter; but to bring away all the other
forces. Sir Edmund Lyons and the French Admiral selected the
vessels which were to be left to protect the place from any Russian
attack across the estuary. On the morning of the 29th, troops
embarked on board the fleet from the wharf at Kinburn.
The 17th Regiment was conveyed to the Crimea, by the "Terrible."
It was a most imposing spectacle, this magnificent fleet sailing in
line with the two flag ships leading, and signalling their orders to the
captains of the other ships; the line extended over ten miles. What
must the Russians along the coast think of this immense armament?
The fleet cast anchor in Kamiesch Bay, on the 1st November; and
the troops disembarked at once and marched to our old camp on
Cathcart's hill.
This expedition did the troops more good than all the medicine in
the hospital could have done. I was a new man when I got back. If
Hanratty had braved it out as I did, and had come on with the
expedition, he might have been well by this time, instead of which
he is yet in hospital. The change of air and fresh vegetables worked
wonders in restoring and invigorating the men's health. On our
return to camp we found that a quantity of rum which was left
behind, with other regimental stores, in charge of a sergeant and
twelve men was all gone; for which the sergeant was tried and
reduced, and the privates were severely punished.
During the month of November we had another change in the
command of the army, the appointment of General Sir W. J.
Codrington, vice General Simpson. The appointment of Sir William
was very popular with the army, and brought increased activity
among the troops.
Among other improvements, which were made to meet the wants
of the army, was a large reservoir in the ravine between the 2nd
light, and the 4th divisions, in the construction of which the French
took a prominent part. This reservoir is capable of supplying three
divisions of the British and three of the French with abundance of
good spring water during winter and summer. Everything seems to
have been done now to protect and meet the wants of the army
during the coming winter. Almost every kind of supplies is in
abundance, and the army in the best of health and spirits.
I was in command of a divisional guard, near Tchernaya valley,
when a Russian spy was given in my charge by a cavalry
reconnaissance party. I immediately posted a sentry to take charge
of this prisoner; but he watched his opportunity and slipped out
under the fly of the tent. The sentry gave the alarm, when I rushed
out after him, calling a file of the guard to follow me. As I gave him
chase, I threw off my accoutrements, in order to give me more
freedom; he had then about one hundred and fifty yards start of me,
and was barefooted, whilst I had heavy boots on; however, I gave
him chase. We had run about two miles when I saw that I was
gaining on him, and I kept gaining, little by little, for about five
miles, when I came up behind him. I was then nearly out of breath;
I kept close behind him a good while till I got my wind, then I threw
my foot before him with the Connaught touch, and pitched him on
his face; then I jumped on him and held him, keeping him down,
lest he might overpower me if he got up, as he was a most powerful
man, and the file of the guard had not come up to us yet. While I
gave him an odd kick, he begged for mercy, which I granted, and
marched the Tartar back, meeting the file of the guard as I was
returning. If I had let that spy escape, I would have been tried by a
court-martial; but my Irish experience in running, before I joined the
service, stood to me then; I would have run after him into the
Russian camp before I would have lost him. When I got back to the
tent, I tied him to the pole with a guy rope, at the same time tying
his hands behind his back. I was determined he should not get away
again.
The camp followers and speculators have got so numerous that
they have a large bazaar formed in the rear of the 4th division.
Large shops of almost every description, saloons, billiard tables,
restaurants, hotels, groceries, tobacconists, wholesale and retail
liquor stores, and in fact almost everything that can be got in any
town, can be had here for cash. There is another large bazaar in the
French camp. As we assemble in Smith & Co.'s liquor store of an
evening, drinking "Guiness's bottled stout," smoking our pipe or
cigar with the greatest of comfort, we could but contrast our position
with that of this time last year, when the inclement weather
commenced. The want of food, forage, huts, clothing, fuel,
medicine, roads, vehicles and horses, proved its tragic results. Men
lay down in the mire to die of despair, and no commanding officer
could tell how many of his poor soldiers would be available for duty
next day. But now, towards the close of 1855, we have every kind of
supply in abundance, thanks to the people of England! The army is
well fed and well clothed, and we are looking out for some active
operations against the enemy. The Russians continue to fortify the
northern heights without firing a shot, and we occupy the south
quietly, without disturbing them. How long this will last will be seen
in the next chapter.
CHAPTER XXIII.
ARMISTICE—CESSATION OF HOSTILITIES—EXCHANGE OF COINS—HEIR TO FRENCH
IMPERIAL THRONE—TREATY OF PEACE—INVITATIONS—GRAND REVIEW—REMOVAL
OF THE ARMY—EMBARKATION—THE VOYAGE—SHIP ON FIRE—ARRIVAL AT MALTA—
JOIN THE RESERVE BATTALION—PROCEED TO ALEXANDRIA—THE VOYAGE—ARRIVAL
—VISIT PLACES OF RENOWN—VISIT CAIRO—THE NILE—ARRIVAL—THE CITY—
BAZAARS.
T the end of February, 1856, the diplomatists at Paris agreed
upon an armistice during the discussion of a treaty of peace.
The immediate effect was observable in the Crimea, as soon
as the several commanders had received information. On the
morning of the 1st March, a white flag was hoisted on the Tchernaya
bridge, and near it assembled the Russian commander, a staff of
officers, and a troop of Cossacks. The English commander with his
staff, accompanied by others from the French and Sardinians,
descended across the valley to the bridge where they met the
Russians with whom they discussed the details of an armistice. The
cessation of hostilities was to last one month, during the
consideration of the treaty. Through the aid of their interpreters they
decided that the Tchernaya river was to be the boundary between
the opposing armies. The quietest month spent by the allied armies
in the Crimea was the month of March, 1856. Hostilities were
entirely stopped, and yet none could say whether they might not
commence again with all their horrors. The diplomatists at Paris had
one month to decide the question of peace or war.
The commanders, while maintaining their boundary arrangement,
did not prohibit friendly meetings of the opposing armies on their
respective banks of the boundary line, where the officers and
soldiers frequently assembled to look at each other in peace and try
to converse in a friendly manner across the stream, when the
exchange of coins and other small articles or mementoes took place,
and an interchange of civilities such as "bono Johnny," "bono
Francais," "bono Roos," besides other complimentary expressions.
This intercourse was kept up during the month of the armistice. For
the rest, the operations of the month differed little from those of the
camp at Aldershot, all the divisions being exercised and reviewed in
the open spots all round the camp. Sometimes the Russians held
their reviews on the same day that we did, with the glittering
bayonets of each full in view of the other, and both alike safe in the
conviction that no unfriendly shot would disturb the pageant.
On the 23rd of this month, festivities in the French camp
celebrated the birth of an heir to the French imperial throne;
bonfires were kindled, guns fired, reviews held, horse-racing on the
banks of the Tchernaya, healths drank by the French and their allies,
even the Russians participated in the rejoicings, for they lighted fires
all along their lines.
April brought with it the treaty of peace. Before the hour had
arrived when the armistice would have expired, news was received
that the treaty had been signed at Paris. When peace was
proclaimed, an interchange of invitations took place between the
Russian army and the allies. The Russian soldiers came over to our
camp, in small parties at a time, and we did the same to their camp,
each party in charge of a non-commissioned officer. I and twelve
privates visited the Russian camp and their bazaar, which we found
much the same as our own. All sorts of English goods were sold
there, even "Bass's bottled ale," and "Guiness's porter," at a dollar a
bottle. Their bread was as black as your boot; the coffee-houses
were crowded with English, French and Russian soldiers, drinking,
singing, and dancing; and the interchange of any amount of "bono
Johnnys," "bono Roos," and "bono Francais," trying to make each
other believe that they were great friends.
On the 17th April, the British and French troops had a grand
review on the heights near St. George's Monastery (at which General
Luders, the Russian commander, with his brilliant staff, was present).
They were formed up in line of continuous quarter distance columns
of battalions, when the commanders of the different armies with
their gorgeous retinue of staff and cavalry officers rode along the
line, with the bands of each regiment playing in succession; after
which they marched past the grand assemblage of commanders and
staff, in quick time, each regiment marching past in grand division
style, with its band playing in front. General Luders returned deeply
impressed with the appearance of the allied armies, and expressed
himself much gratified at the attention shown him by the allied
forces. Duties of a more serious character, however, now demanded
the attention of the Generals. Large armies were to be removed
from the Crimea, and vast stores of provisions and ammunition;
besides all the round shot the Russians had fired at us during the
siege, which we had gathered and carried on our back to the railway
depôt for shipment to England with all the commissariat stores
brought down from each divisional depôt at the front where they
had been collected in such immense quantities. Day after day, during
the summer months, did the various regiments leave the Crimea,
some for Malta, others for the Ionian Islands, the West Indies, or
Canada, but the greater part for England. All the camp equipage and
stores for each regiment had to be brought into transport order, and
everything brought to Balaklava for shipment.
About the 10th of May the 17th Regiment marched from their old
camp on Cathcart's Hill, and embarked at Balaklava at two o'clock in
the afternoon, on board the steam transport "Sir Robert Low." At 3
p.m. we moved slowly out between the rocks which overhang the
narrow entrance to the harbour. We were all on deck with tears in
our eyes, taking a last sad look towards "Cathcart's Hill" where we
had left so many noble comrades behind in that cold desolate
plateau, so far away from friends and relatives; these thoughts filled
us with sadness. As our ship glided through the beautiful calm, blue
waters of the Euxine, the land faded from our view. We then turned
our thoughts homewards after giving thanks to God for the great
mercy he had shown in bringing us safely through all the death
struggles and hardships which our brave troops had suffered; and
now that we were returning alive we had every reason to be
thankful.
The weather being fine, we made the passage across the Black
Sea in 48 hours. The second day at two p.m., we passed the old
fortress of Riva which commands the entrance to the Bosphorus,
passing Constantinople at 3 o'clock, taking a last look at that strange
old city, with its picturesque sights, the tall minarets and the blue
waters of the Bosphorus catching the golden light as the sun dipped
behind the distant hills. We rounded Seraglio point and steamed
down the Marmora, passing the Seven Towers on our right, and
slowly the beautiful city faded from our view forever. We had a
smooth passage across the Sea of Marmora. Next morning at ten
o'clock we passed Gallipoli. On the 14th May, at 9 o'clock in the
evening, as our ship was running at the rate of ten knots an hour, an
alarm of fire came from the cook's galley. The troops were
immediately formed up along the decks, and the pumps manned.
After a quarter of an hour's hard work we mastered the fire, and put
it out, but not before it had burned a large hole in the ship's deck,
and destroyed the galley. We had in truth a narrow escape, the fire
nearly getting the better of us. On the morning of the 17th May we
arrived at Malta, where we received orders to proceed to Quebec.
The Regiment being over the strength of non-commissioned officers,
those who had families at home got the preference of remaining
behind, and joining the reserve battalion at Malta. I was one of the
latter; after bidding good-bye to the old regiment, with tears in my
eyes, I disembarked with twelve others and joined the reserve
battalion. The regiment proceeding to Canada next morning at 8
o'clock, we after landing, were quartered in Strada Reale Barracks.
The garrison was at this time filled with the soldiers of more than
one nation, and the medley of tongues was rather bewildering to the
ears, as was the diversity of costume to the eyes. There were the
Italian and German Legions promenading the streets in their gay
uniforms, Malta fencibles, English artillery and infantry. The large
number of soldiers in such a small place made it a perfect military
hot-house.
The Strada Reale, with its lazy moving crowds and singular
architecture, was soon entered. Lights were beginning to brighten
the shop-windows and streets; occasionally sparkling from the
numerous bay-windows above; but though the night was
approaching, the air, deeply impregnated with the fumes of tobacco
and odour of garlic, was close and suffocating, more especially from
the intense heat exhaled from the arid rock, which had all day
blazed under a fierce sun. The barracks were so crowded, and the
weather so hot, that the doctor ordered the 17th under canvas at St.
Frances' Camp. An order detailed your humble servant, Corporal
Faughnan, to proceed on June 6th, by one of the Peninsular and
Oriental Company's steamers, to Alexandria, there to take over some
marine invalids according to written instructions, and take charge of
them to Malta.
June 6th. At nine o'clock, a.m., I embarked on board the steamer
for Alexandria. As we passed out of the harbour at 9.30, the sky was
blue and pleasant, the air balmy and clear. The Island, like a blue
cloud in the distance, faded away, and again the trackless waste of
waters stretched like a boundless expanse around us.
June 9th. It is now three days since we left Malta. We should have
been in harbour to-day, but have been retarded somewhat by head
winds.
June 10th. Expecting to enter port this morning, I was early on
deck. We were already in sight of land. As we neared the coast, one
of the first things that caught my attention was the number of
windmills, standing upon an eminence along the shore; at first they
reminded me of a line of soldiers in skirmishing order, but as we
neared them they lifted their tall, circular forms, and stretched out
their sheeted arms, like huge sentinels keeping watch along the
coast. The entrance to the harbour is a tortuous and difficult one;
vessels cannot get in by night or by day without a very experienced
pilot. We were straining our eyes to catch the first glimpse of the
strange land, and there, just upon that projecting point of land we
are now passing, where you see an insignificant lighthouse, stood a
famous and costly tower, bearing upon its top, as it lifted its colossal
form above the waves, a beacon-light to guide the mariner to his
haven. It is said to have been so lofty it could be seen one hundred
miles at sea—which of course, is a mistake. The gigantic tower of
white marble was erected by the old Egyptian kings three hundred
years before the birth of Christ. It was one of the "seven wonders of
the world." But here we are safe at our moorings. How strange
everything looks. There are the hulks of a number of great old ships,
rotting away and falling to pieces into the water. They were once the
Viceroy's fleet. The flags of many nations float from the masts
around us. There is a boat approaching with a Union Jack flying, and
manned with blue jackets.
After landing the passengers, we had to pass through the Custom
House. A liveried servant in Turkish costume, guarding the door,
politely bowed us through, and we stood before the receiver of
customs. He wore a rich Turkish costume, a magnificent turban on
his head, a gold-hilted sword by his side; he addressed us in English
and called all our names from a list; as we answered we passed on.
No other questions were asked; personal baggage is seldom
examined at this port. We had scarcely passed the door before we
were surrounded by a crowd of donkey boys in blue shirts and red
fez caps. They began pulling and snatching at our baggage for the
privilege of taking it to a hotel. Luckily, an omnibus,—a European
innovation,—from the very hotel we had selected, stood at the
entrance, and we made a sudden dash into it. A crack of the driver's
whip, and we were whirling through the dirty, narrow streets of the
Turkish quarter of the city. We soon emerged into the English part of
the town, and a magical change came over the scene; a fine open
square ornamented with fountains and surrounded with beautiful
stone houses presented a most inviting appearance. A runner from
the hotel conducted me to the Marine Hospital, when I presented
the order for the invalids to return with me to Malta, when the
surgeon informed me that two of the men had had a relapse and
could not be removed for some time. This gave me a good
opportunity to visit several of the renowned localities, places of
antiquity, and monumental records, that the ravages of war and the
wreck of time have failed to obliterate. During the voyage I had
made the acquaintance of two Frenchmen, and after I got back to
the hotel they were pleased when I told them that I would have to
stop at Alexandria for some time, and did not know how long; they
could speak English pretty well and we got quite familiar. The hotel
was kept by a Frenchman, and the business of the hotel was
conducted on the European plan, but the floors and walls were
constantly crumbling, scattering sand and lime upon clothes and
furniture, and affording plenty of hiding places for bugs and fleas. Of
the presence of the latter we had too strong demonstration, but
fleas in Egypt are as common as sand on the sea shore, and we
made up our mind to pay the tribute of blood demanded by those
pests, with the resignation of martyrs.
We next visited Cleopatra's Needle, since removed to London. Of
these remarkable obelisks there are two, just within the walls and
near the sea shore at the northeast angle of the city—one is
standing, the other has fallen down and is now nearly buried in the
ground. They are of the same material as Pompey's Pillar, red
granite, from the quarries of upper Egypt. These two obelisks stood
about seventy paces apart; the fallen one lies close to the pedestal;
its length, in its mutilated state, is sixty-six feet, and was given,
many years ago, by Mohammed Ali to the British Government, who
have lately brought it home. The standing one is about seventy feet
high, seven feet seven inches in diameter at the base, and tapering
towards the top about five feet.
Next day we visited the Catacombs, which are about three miles
outside the city; the Frenchmen hired a guide and we all rode on
donkeys. The grounds near the entrance were once covered with
costly habitations and beautiful gardens. The vast extent of these
underground tenements, their architecture, symmetry, and beauty;
the more wonderful from the fact that they are all chiselled out of
the solid rock, must excite the greatest wonder and admiration. In
these tombs, generation after generation have laid their dead;
Egyptians, Persians, Greeks, Romans and Saracens have, no doubt,
in turn used them, and different nations have here blended in the
common dust, at least such is the common opinion. Ancient
Alexandria, with all her magnificence and splendour, is now nothing
but heaps of ruins. The modern city stands upon the ruins of the
past—well may we say the great, immortal past. An Egyptian city at
night is a gloomy place—business suspended, shops all closed, no
amusements, no meetings, no windows next the street to shed even
a little light upon the gloomy alleys; all is involved in Egyptian
darkness, but silence is not there, for dogs are among the wondrous
speakers of this land. They howl about in packs like wolves, owning
no master, making night hideous with their row and fights; in
addition to this, the watchman's yell rang through the city every
quarter of an hour; it woke me more than the guns before
Sebastopol; a calm of fifteen minutes succeeds, and again the
lengthened shout assures the citizen "all is well." Being disturbed by
the watchman's call, howling of dogs, bugs and fleas, we could not
sleep, so we were up early and had breakfast at seven o'clock, after
which we all agreed to visit Cairo, and at once proceeded to the
railway station, which, by the way, has only been lately constructed.
The present facilities for reaching Cairo can only be appreciated by
those who have been familiar with the former slow locomotion of
canal and river. Then it was by the toilsome process of wind and
oars. Now a first-class railroad of about one hundred miles connects
the cities. At ten a.m., the signal was given, and we struck out into
the great delta of the Nile; away to the left is the harbour of Aboukir,
where the immortal Nelson with his fleet met the French in 1798. His
victory was complete; all the French ships except two, were
captured, and the victor was rewarded with the title, "Baron Nelson
of the Nile."
The immense green plain stretched out each side of us as far as
the eye could reach. Crops of some kind are raised all the year
round, except while the soil is covered with water from the
inundation of the Nile. There is no cold weather to prevent the
growth of vegetables. Look out of the carriage window: do you see
that long line of water just by the side of us? It is the Nile. The Nile!
The famous Nile, that has a place in history with the Euphrates and
the Jordan;—for thousands of years sending out a living flood from
its mysterious and hidden sources, rolling onward through this great
valley, and emptying itself, by its seven mouths, into the blue sea; a
river which the Egyptians worshipped, and whose waters, by the rod
of Moses, were turned into blood.
About 5 p.m., our train came to a halt in the station of Grand
Cairo. We landed on the platform amid the strangest crowd of
human beings I had ever seen congregated. There was the Turkish
official, with his great loose sleeves and flowing robes, gold hilted
sword and turbaned head, loathsome looking beggars, wretched
women and squalid children. As we emerged from the station, a
hotel porter, in English costume, addressed us in English,
"Shepherd's hotel, sir? Omnibus just here, all right!" and in fifteen
minutes we were in a good European hotel, built in the oriental
style, with a large open court and pleasure-grounds; terms only two
dollars a day. After tea, which was ready on our arrival at the hotel,
we took a walk through the city. The streets are numerous, narrow
and crooked, there being but one in the business part of the town
wide enough for a carriage; this public thoroughfare being only
about 35 feet wide, many of the others are not more than ten feet.
The upper stories of the houses projecting over the lower ones, and
the large prominent windows projecting still beyond the houses, the
windows of the upper stories are brought so near together, you
could easily step from one to the other. The bazaars are very busy
places, and are thronged by a mixed and motley multitude of
people, camels, horses, donkeys, men, women, and children,
mingled together in strange confusion, while the noise and bustle
present a wild and striking scene that can be nowhere witnessed but
in an Arabic city. Amid this wild confusion may be seen a great
variety of oriental costumes. But the turbaned heads predominate,
the black of the Copt, the blue-black of the Jew, the green and white
of the Moslem are mingled in strange variety. There moves a lordly
Turk with loose sleeves and flowing robes, with all the solemn
dignity of his nation; the grandee, with his rich flowing robes of silk
and lace, loose breeches, white stockings and yellow slippers; the
swarthy skinned, half naked fellah, the bare-faced, half-dressed, toil-
worn country woman with tatooed lips and eyebrows, and by her
side the dignified lady with long, close veil, red trowsers, long yellow
boots, and dress of richly-embroidered cloth. These ladies ride
astride of donkeys; the ample folds of their long veils and loose
robes almost hide the little animal from view.
CHAPTER XXIV.
THE PYRAMIDS—CROSSING THE NILE—ISLAND OF RODA—ARK OF BULRUSHES—VISIT
CHEOPS—HELIOPOLIS—PALACE OF SHOOBRA—PALM GROVES—THE CITADEL—
JOSEPH'S WELL—DERVISHES—RETURN.
FTER hiring three donkeys to take us to the Pyramids next
morning at eight o'clock, we retired to rest and slept much
better than we did the night before; the live stock were not
quite so numerous as they were in the last hotel. We were up bright
and early, had breakfast at seven o'clock, after which we mounted
our donkeys and were soon outside Cairo, an old town on the banks
of the Nile, founded upon the site of the old Egyptian Babylon; it is
much older than Grand Cairo. Here are the ruins of the old Roman
fortress, besieged and taken by the Turks. The solid walls and high
towers are yet standing, on the front of which may still be seen the
Roman eagle. This fortress has now become a Christian town and is
dedicated to St. George, the patron saint of the Copts. There are
also three convents here, one is occupied by the Roman, Armenian,
and Syrian Maronites, another by the Copts, a third by the Greeks.
In this Greek convent it is said that the Virgin and the Blessed Child,
Jesus, had their abode during their sojourn in Egypt; here, too, are
ancient structures said to have been built by Joseph, and used for
treasure houses, in which corn was stored for the days of famine. In
an upper chamber over one of the towers is an ancient Christian
record sculptured on wood in the time of Diocletian. It is well
preserved and of curious device; below is a representation of the
Deity sitting on a globe supported by two angels, on either side of
which is a procession of six figures representing the twelve apostles.
Just on the opposite bank lies Gizeh, from which the Pyramids are
named, with a ferry at the upper end of the town. As we approached
the ferry, we were surprised at the number of people who thronged
the landing place; numerous boats of all sizes were waiting for
freight; donkeys and their riders, camels with their huge burdens,
ragged men and women, were mingled together—antique-looking
boats in strange confusion. After securing a ferry boat we gave the
boatman an extra sixpence each to land us for a short time upon the
beautiful little island of Roda whose grassy banks and shady groves
have long been the resort of pleasure parties from Cairo. On this
island stands the celebrated Nilometer; this is a square chamber
built of stone, in the centre of which is a graduated stone pillar. By a
scale on this pillar the daily rise of the Nile is ascertained; this is
proclaimed every day during the inundation in the streets of Cairo.
By this island, also, tradition fixes the place where a daughter of
Levi, under the pressure of that cruel decree, took an ark of
bulrushes, daubing it with slime and pitch and put the child therein
and laid it in the flags by the river's brink. At this island, the faithful
sister, Miriam, half concealed among the banks, watched with
anxious solicitude the fate of her infant brother. Are these the waters
that went rippling by the ark of the infant Moses, and over which he
afterwards stretched his miraculous rod, transforming them into a
torrent of blood? Oh Scripture, how wonderful thou art in thy story.
Landing from the boat, we were in Gizeh, an old town, the miserable
wreck of what it once was in the days of the Mamelukes. Passing
along these streets, large quantities of oranges, dates and other
fruits with bread and vegetables were exposed for sale. We bought
some of these things and had some lunch; after a half hour's rest we
started again, we had now about four miles to make across the open
plain, the huge pyramids all the time in sight; we passed three Arab
villages on our way. The appearance of indolence and poverty is
everywhere apparent. A dozen ferocious dogs with bristling hair and
savage howl, were sure to herald our approach. As we emerged
from the last village the gray forms of those great sepulchral
monuments lay just before us; their huge proportions seemed
rapidly to increase as we neared them. They stand upon a rocky
eminence, their base elevated one hundred and fifty feet above the
plain just at the foot of the range of hills, behind which lies the vast
ocean of sands constituting the great Lybian desert.
The ride was over, and we stood in amazement at the base of
Cheops. There are five groups of these pyramids, numbering in all
about 40. They extend up and down the valley for ten or twelve
miles: most of them have such gigantic proportions as to justly
entitle them to a place among the wonders of the world. They all
stand upon the brow of the hills opening back into the great Lybian
desert. As we stood in deep contemplation, gazing in wonder on this
mighty structure we had come to examine, what huge proportions;
what an immense labour; what years of human toil! But they were
built for all that, and here they stand, and have stood for thousands
of years, defying the storms of the desert, and the lightnings of the
firmament; how wonderful are the works of men! About a dozen
Arabs, with loose trowsers, short jackets, and red fez caps, came up
and spoke to us. "Want to go up de top sah?" said the leader of the
gang, "me take you up, take you inside, all round." "How much you
ask?" said one of the Frenchmen. "He's the sheik," pointing to the
best looking, who stood erect, holding the folds of his striped gown
about him with all the dignity of a Turk, "he's the sheik, he make de
bargains." We agreed with the sheik, for a guide to show us up and
down, inside, and all round, for a dollar. We started with our guide,
—we soon got up half way, and there we stopped to draw breath;
the steps are from two to three feet, high, corresponding to the
thickness of the layers of stone; of these layers or tiers of stone,
there are two hundred and sixty-five, the ascent is quite fatiguing
especially if one attempts to hurry; it took us twenty minutes to
reach the top. A few moments' rest and I began to look about me,
pondering on the magnitude of the stones, and the numerous names
in many languages carved upon them. Forty feet of its top has been
torn away, and what from the ground looked like a point too small to
stand on, is a broad platform, thirty feet wide. I was surprised at the
magnitude of the stones even at this height, two or three feet thick,
and several feet long, what wondrous labour it must have been to
elevate such masses of stone to such a height from the ground, and
yet men now say such nations were ignorant and uncivilized.
I looked upon the broad plain that stretched away before me;
there was much charming in the air, at this height. I took a survey of
the great panorama, which lay in its variety and beauty at our feet.
There was the green valley of the Nile, stretching away as far as the
eye could reach, welcoming the golden sunlight that came down
from the cloudless sky; with the majestic and wonderful river, as it
rolled in dignity onward to its ocean home. Yonder in the distance
were the Arabian hills skirting the vast expanse of the Lybian desert,
that lay in bleak sterility beyond; nearer by, a spot upon the
landscape, was the great city "Grand Cairo," its great gray, towering
citadel, its mosques and minarets. Then I turned and looked down
upon the battle field where Bonaparte, with thirty thousand men,
met Murad Bey; where the memorable battle of the Pyramids was
fought, and Abercrombie fell; where Bonaparte tried to inspire his
men with valour by pointing to these monuments, exclaiming: "forty
centuries are looking down upon you from these mighty structures."
The thunder of the battle ceased, the smoke cleared away,
thousands were left dead upon the field, and the triumphant
Bonaparte camped within the walls of Grand Cairo. Cheops is a
travellers' register, and many a visitor has inscribed his name upon
the summit. After adding our names (an English barbarism I believe
it to be; but it began in our school-days) to the many already there,
we descended in safety. As we approached the base our guide led
the way to the opening that conducts to the interior. This entrance is
on the north side, and about fifty feet from the base. It is a low
doorway for so magnificent a structure; but who expects anything
but a dark and dreary passage to the tomb? for such is the place to
where this opening leads, a tomb hidden in the most stupendous
pile of stones the skill and labour of man ever erected. The entrance
is a low one, and we had to stoop nearly double; we had entered
but a few feet when we found ourselves involved in darkness.
Luckily we had brought a couple of wax candles with us from Cairo;
having lighted the candles we continued to descend the narrow,
dismal passage. Our guide conducted us to the King's chamber; this
is the great sepulchre chamber of this astonishing structure. Its
length is thirty-four feet four inches; breadth, seventeen feet seven
inches, and height nineteen feet two inches. The only piece of
furniture this chamber contains is a chest of red granite, chiselled
from a solid block; its size is larger than the passage leading to the
chamber, so that it must have been placed there when the room was
built. Was it for this sarcophagus this stupendous pile of stones was
erected? What has become of the lordly occupant? When, and by
whom was it filled and when did it give up its treasure? There it
stands in mute and mock defiance of every effort to ascertain the
history of its owner. Like the tomb of Jesus after the morning of the
resurrection, it was empty; the stone had been rolled away from the
door, but no angel sat upon it to give the anxious visitor any tidings
of its occupant. We now turned our attention to a few other
interesting objects in close proximity. I had often heard and read of
the Sphinx, but now I had the gratification of looking at this great
monster. We are first struck with its peculiar formation, and its
immense proportions. It is one hundred and twenty-eight feet long;
from the rock on which it rests its lion-like breast to the top of the
head is fifty-five feet nine inches. It is in a crouching posture, and it
stretches out its enormous paws fifty feet in front of its capacious
breast. This unwieldy monster is a monolith, cut from the native rock
of the limestone of which it forms a part. This imposing head was
adorned with a covering much resembling a wig, the flowing hair of
which can still be seen projecting from each side. Time, the driving
sands of the desert, and the hand of violence, have left their wasting
influence on this noble piece of Art. The horns that adorned the
head have been broken off, but there it stands without them, still
grand, noble, and majestic.
The whole western bank in this vicinity of the green valley of the
Nile, for miles and miles, has been consecrated to the repose of the
dead. Here are the sepulchres of kings, mummy pits, ibis tombs and
rock-hewn chambers, for the magnificent sarcophagi of Apis bulls.
Here countless thousands have been gathered unto their fathers,
and the sands of the desert are every year covering them deeper
and deeper. In the centre of one of these pits was a large granite