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Changement climatique :
réfléchir à une nouvelle conduite de
la vigne ?
Le 11/04/2023 à 12:09
À la vigne Techniques culturales
Pergolas sur les terrasses du Val d'Aoste, en Italie (crédit Caves de
Donnas).
Le mode de conduite le plus répandu en raisin de cuve
est le plan vertical palissé. Avec l'avènement de la
mécanisation, ce dernier a supplanté les autres
pratiques. Mais les enjeux liés au changement
climatique amènent à revisiter d'autres méthodes.
Dans certaines régions viticoles, des modes de conduites
sont mis en place afin de valoriser au mieux l'espace au sein
d'une culture diversifiée. Ainsi Grecs, Romains, ont cultivé la
vigne mariée à un autre arbre, servant de support. La vigne,
restée liane, se développait en hauteur. La taille de l'arbre
favorisait des cultures au sol comme des céréales et ou des
légumes. Ce système, la joualle, multipliait la production
pour une même unité de surface, comme en agroforesterie.
Arbres et pergolas
On retrouve ce principe dans les
vignobles de montagne, comme à
Marin en Haute-Savoie. Les
agriculteurs cultivaient la vigne en
crosse, ou hautains, sur des troncs
morts de châtaigniers. Le potager
familial se développant sous la vigne.
En Italie, à Settimo Vittone dans le
Piémont ou à Donnas dans la basse
Vallée d'Aoste, le paysage est façonné
Vignes de Chasselas en crosse
par la vigne depuis de longues
générations. Les terrasses des coteaux sur le vignoble de Marin en
accueillent un rang de vigne, montant Haute-Savoie (crédit Laurent
Madelon / CIVS).
sur une pergola. Cette dernière
recouvre à l'horizontal toute la largeur
de la terrasse. « Le tronc monte à 2
mètres grâce au sol profond au pied du talus soutenant la
terrasse supérieure. Puis les rameaux se répartissent sur la
pergola, dont la structure est en châtaignier local, décrit Jans
Allessandro, président de la cave de Donnas. Les feuilles sont
toutes exposées au soleil pour une activité photosynthétique
maximale. À l'opposé, les grappes pendent dessous et sont
protégées des coups de chauds. »
Adaptation selon le climat
Dans le Val d'Aoste en Italie, on constate une étonnante
diversité de modes de conduite, bien réparties par secteur
géographique. « Le vignoble va de Donnas, à l'est à 300
mètres d'altitude, jusqu'à Morgex à l'ouest, avec des vignes à
plus de 1 000 m d'altitude, sous le Mont Blanc, décrit Mauro
Bassignana directeur de recherche à l'Institut Agricole
Régional. À Morgex, on trouve des pergolas basses, d'environ
1 mètre de hauteur, imposant de travailler à genoux en
dessous. » Tandis qu'à l'opposé, à Pont-Saint-Martin et
Donnas, les pergolas sont hautes, à deux mètres. « Et on y
travaille les bras tendus. Entre les deux, autour d'Aoste, la
conduite se fait en lignes palissées en plan vertical. » Les
raisons de cette répartition peuvent être liées à des
différences de climat. En altitude, avec la pergola basse, la
vigne profite de la réverbération du sol pour une bonne
maturité des raisins. En bas de vallée, au contraire, les
pergolas hautes assurent un rafraîchissement des baies et
facilitent leur aération. En zone intermédiaire, un mode de
conduite plus fréquent est privilégié, favorisant la
mécanisation. « L'université de Turin a étudié nos techniques.
Il y a 20 ans, notre système ancestral semblait d'une efficacité
moindre pour la maturité des raisins. Mais ces dernières
années, avec le changement climatique, il ressort que c'est
une conduite qui absorbe mieux les chocs de forte chaleur et
une faible pluviométrie. C'est une bonne nouvelle pour nous
qui avons maintenu cette méthode, s'enthousiasme Jans
Allessandro. Je vois bien la pergola s'offrir une seconde
jeunesse. »
Optimiser la moindre rosée
Dans l'île de Pantelleria, en Sicile, les vignes sont cultivées
de manière ancestrale. La technique est d'ailleurs inscrite au
patrimoine immatériel de l'Unesco. Avec cette conduite ad
alberello en nid d'oiseau la plante est installée dans un
trou creusé dans le sol volcanique, qui sera en permanence
entretenu. La vigne est taillée en gobelet de telle sorte que
le feuillage capte la moindre humidité de l'air. Les feuilles
concentrent l'eau en gouttelettes qui alimenteront les
racines dans le réceptacle formé au pied du cep. Kees van
Leeuwen professeur de viticulture et d'oenologie à
Bordeaux Sciences Agro et chercheur à l'ISVV enfonce le
clou. Pour lui la conduite en gobelet est le système le plus
résilient face au changement climatique, avec la meilleure
résistance à la sécheresse et aux températures élevées. « Il
faut s'inspirer des techniques en zones chaudes et sèches,
comme dans l'appellation Cariñena en Espagne. » Avec le
gobelet, le feuillage protège les grappes de la chaleur sans
toutefois les enfouir dans une végétation dense. De plus les
systèmes en gobelet méridionaux sont souvent plantés à
une densité moindre. La surface foliaire à l'hectare est donc
aussi diminuée, limitant la transpiration et donc la
contrainte en eau sur la réserve utile du sol.
L'expérience de Moissac
Sur l'AOP Chasselas de
Moissac, en raisin de
table, un nouveau
mode de conduite est
expérimenté depuis
plusieurs années : le T-
Bord, sorte de pergola à
port retombant. « De
plus en plus de
producteurs mettent en
place cette technique qui
s'est bien modifiée après
une dizaine d'années
d'expérience », précise
Stéphane Lucas, Culture du raisin de table de Moissac en T-bord avec
technicien du syndicat.
possibilité de protection contre la grêle (crédit Marc
Le schéma initial se Miette, Bio82 )
composait d'une barre
fixée sur les poteaux,
constituant ainsi un T, et portant les fils guidant les
sarments de l'année, tel un étendoir à linge. Le nouveau
système repart en haut du poteau, et est penché à 45
degrés telle une petite lyre surélevée. Les fils releveurs, en
fonction du moment, plaquent les sarments à la verticale
puis sur les plans inclinés. Le feuillage forme ensuite une
vague en tube sous laquelle il est possible de passer pour
travailler. « On travaille à hauteur d'homme, les grappes
pendent et la végétation est plus facile à mettre en place que
sur de la lyre ou du plan vertical, poursuit le technicien. Avec
l'actuel surcoût des matériaux, ce système est toutefois un
peu plus onéreux que du plan vertical classique. « Avoir des
vignes plus en hauteur apporte une légère protection contre
les gelées blanche. Mais en cas de gelée noire, comme en
2022, cela n'a pas apporté de plus-value. »
Favoriser l'aération
Au niveau pression maladie, il est difficile de dire si
l'éloignement du sol diminue la pression. « Certes, cela doit
baisser les inoculums primaires mais une fois que le mildiou
est installé dans le feuillage, c'est comme toute vigne »,
signale Stéphane Lucas. Marc Miette, technicien à Bio
Occitanie, estime néanmoins que ce mode de conduite
favorise un meilleur travail sur le feuillage, une mise en
place des grappes bien aérée avec des entrecoeurs
enlevés. « Ce qui contribue à baisser la pression maladie ». Si
pour l'instant, la technique est surtout cantonnée au raisin
de table, Stéphane Lucas pense qu'il peut être tout à fait
pertinent de l'appliquer au raisin de cuve conduit en bio
avec récolte manuelle. Pour résister aux contraintes
climatiques, de nombreux techniciens sont persuadés de
l'intérêt d'explorer de nouvelles conduites, ou d'en
réadapter d'anciennes. Mais les contraintes des AOC font
que les vignerons tentant l'expérience ne sont pas très
nombreux. Au niveau de l'IFV, l'expertise est en train de se
construire. À suivre pour les prochaines années.
Arnaud Furet
Des vignerons pionniers
Le Domaine Pignier dans le Jura, expérimente une conduite
haute et retombante pour un cépage hybride résistant, le
pinotin. « Ainsi après la taille, une fois les bois bien
positionnés, nous n'avons quasiment plus à toucher à la
parcelle, témoigne Antoine Pignier. Nous pouvons aussi
envisager la gestion de l'herbe par des moutons car les vignes
ne seront pas traitées et les feuilles et grappes sont en
hauteur hors de portée des animaux. »
Miser sur la pergola
En Savoie, Adrien Berlioz (lire Vitisbio 14) lance un projet de
vigne expérimentale dans lequel il désire renouer avec des
techniques de conduite en pergola. « Je n'ai pas encore de
recul car la plantation ne date que de 2021, précise le
vigneron. Mais j'y vois de nombreux avantages. » Le
débourrement devrait être plus tardif du fait de la hauteur.
Une meilleure aération du feuillage entraînera certainement
moins d'attaques de maladies, l'ombrage des feuilles
protégera de l'échaudage. Avec moins de travail sur le
végétal, ou plus facile, le vigneron espère faire baisser les
charges de main-d'oeuvre. La structure pourra supporter un
filet paragrêle à dérouler ou enrouler selon le besoin. «
Ayant payé un lourd tribut à la grêle ses dernières années sur
Chignin, c'est un atout majeur pour moi, souligne le
vigneron. Et avec des fils porteurs à 1,80 m de haut, je pense
m'affranchir du travail du sol et déléguer la gestion de l'herbe
à des moutons. » La technique a cependant un revers
qu'Adrien Berlioz identifie plutôt à l'installation : « Il faut
installer une infrastructure solide avec de gros piquets. Et ce,
dans la pente car nous sommes en montagne. Cela nécessite
une charge de main-d'oeuvre assez lourde, en plus du coût de
structure proprement dit. Je minimise avec une structure
métallique faite maison. »
Parcelle expérimentale d'Adrien Berlioz, avec une conduite de la vigne en hauteur, sur une structure
type pergola (crédit Marielle Sindt Domaine Adrien Berlioz)
Remonter et adosser au chaud
Dans la partie septentrionale de l’Amérique du Nord, la
sélection des vignes s’est faite par le froid grâce à des
hybrides résistants. En outre, pour s’affranchir des
températures basses du
printemps, la vigne est menée en cordon haut, avec une
partie en taille courte et une autre en taille longue. Comme
en témoigne Manon Rousseau et Kevin Shufelt, du Domaine
Pigeon Hill au Québec (lire Vitisbio 15) : « Le travail de
récolte est facilité car nous sommes
à hauteur d’homme et l’herbe peut
être maintenue longtemps au pied
des vignes sans venir jusqu’aux
grappes. Cela facilite l’entretien du
rang par des moutons. » Une autre
idée est de rapprocher la haie
foliaire d’un plan restituant la
chaleur la nuit pour avancer la
maturité dans des conditions plus
Conduite en cordon haut, typique
extrêmes. C’est le cas par exemple
des treilles montées contre les murs d'Amérique du Nord au Domaine
Pigeon Hill au Québec (crédit Pigeon
des maisons dans certaines régions.
Hill).
Article paru dans Vitisbio 18 - janv.-fév.-mars 2023