Littérature 2TI ETUDIANTS 2020 Du Baroque Au Surréalisme
Littérature 2TI ETUDIANTS 2020 Du Baroque Au Surréalisme
Bloc 2 en Traduction-Interprétation
Littérature
Du baroque au symbolisme
Théorie et textes
France Neven
2019-2020
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2 TI – Littérature – France Neven – 2019-2020 – Du baroque au surréalisme
4) Caractéristiques :
1. Un mélange des genres et des styles ;
2. Un foisonnement de personnages et une complication des intrigues ;
3. Une thématique de l’instabilité ;
4. Un goût du bizarre et de l’artifice, voire du merveilleux ;
5. Une recherche des extrêmes.
5) Auteurs et œuvres :
Pour la poésie : Agrippa d’Aubigné (1552-1630) : Les Tragiques ; Jean de Sponde (1557-
1595) : sonnets ; Mathurin Régnier (1573-1613) ; Théophile de Viau (1590-1626) ; Saint-
Amant (1594-1661).
Pour le théâtre : Jean Rotrou (1609-1650) ; Pierre Corneille (1606-1684) : L’Illusion comique.
Velazquez ( ?), Nain avec un chien ou Portrait de bouffon avec un chien (1645-1650)
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6) Textes :
Chapitre I
Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait, il n’y a pas
longtemps, un hidalgo, de ceux qui ont lance au râtelier, rondache antique, bidet maigre et lévrier de
chasse. Un pot-au-feu, plus souvent de mouton que de bœuf, une vinaigrette presque tous les soirs, des
abatis de bétail1 le samedi, le vendredi des lentilles, et le dimanche quelque pigeonneau outre
l’ordinaire, consumaient les trois quarts de son revenu. Le reste se dépensait en un pourpoint de drap
fin et des chausses de panne avec leurs pantoufles de même étoffe, pour les jours de fête, et un habit de
la meilleure serge du pays, dont il se faisait honneur les jours de la semaine. Il avait chez lui une
gouvernante qui passait les quarante ans, une nièce qui n’atteignait pas les vingt, et de plus un garçon
de ville et de campagne, qui sellait le bidet aussi bien qu’il maniait la serpette. L’âge de notre hidalgo
frisait la cinquantaine ; il était de complexion robuste, maigre de corps, sec de visage, fort matineux et
grand ami de la chasse. On a dit qu’il avait le surnom de Quixada ou Quesada, car il y a sur ce point
quelque divergence entre les auteurs qui en ont écrit, bien que les conjectures les plus vraisemblables
fassent entendre qu’il s’appelait Quijana. Mais cela importe peu à notre histoire ; il suffit que, dans le
récit des faits, on ne s’écarte pas d’un atome de la vérité.
Or, il faut savoir que cet hidalgo, dans les moments où il restait oisif, c’est-à-dire à peu près toute
l’année, s’adonnait à lire des livres de chevalerie, avec tant de goût et de plaisir, qu’il en oublia presque
entièrement l’exercice de la chasse et même l’administration de son bien. Sa curiosité et son
extravagance arrivèrent à ce point qu’il vendit plusieurs arpents de bonnes terres à labourer pour
acheter des livres de chevalerie à lire. Aussi en amassa-t-il dans sa maison autant qu’il put s’en
procurer. Mais, de tous ces livres, nul ne lui paraissait aussi parfait que ceux composés par le fameux
Feliciano de Silva2. En effet, l’extrême clarté de sa prose le ravissait, et ses propos si bien entortillés lui
semblaient d’or ; surtout quand il venait à lire ces lettres de galanterie et de défi, où il trouvait écrit en
plus d’un endroit : « La raison de la déraison qu’à ma raison vous faites, affaiblit tellement ma raison,
qu’avec raison je me plains de votre beauté ; » et de même quand il lisait : « Les hauts cieux qui de
votre divinité divinement par le secours des étoiles vous fortifient, et vous font méritante des mérites
que mérite votre grandeur. »
Avec ces propos et d’autres semblables, le pauvre gentilhomme perdait le jugement. Il passait les nuits
et se donnait la torture pour les comprendre, pour les approfondir, pour leur tirer le sens des
entrailles, ce qu’Aristote lui-même n’aurait pu faire, s’il fût ressuscité tout exprès pour cela. […]
Enfin, notre hidalgo s’acharna tellement à sa lecture, que ses nuits se passaient en lisant du soir au
matin, et ses jours, du matin au soir. Si bien qu’à force de dormir peu et de lire beaucoup, il se
dessécha le cerveau, de manière qu’il vint à perdre l’esprit. Son imagination se remplit de tout ce qu’il
avait lu dans les livres, enchantements, querelles, défis, batailles, blessures, galanteries, amours,
tempêtes et extravagances impossibles ; et il se fourra si bien dans la tête que tout ce magasin
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Il y a dans le texte duelos y quebrantos ; littéralement des deuils et des brisures. Les traducteurs, ne comprenant point ces mots,
ont tous mis, les uns après les autres, des œufs au lard à la manière d’Espagne. En voici l’explication : il était d’usage, dans les bourgs de la
Manche, que, chaque semaine, les bergers vinssent rendre compte à leurs maîtres de l’état de leurs troupeaux. Ils apportaient les pièces de
bétail qui étaient mortes dans l’intervalle, et dont la chair désossée était employée en salaisons. Des abatis et des os brisés se faisait le pot-
au-feu les samedis, car c’était alors la seule viande dont l’usage fût permis ce jour-là, par dispense, dans le royaume de Castille, depuis la
bataille de Las Navas (1212). On conçoit comment, de son origine et de sa forme, ce mets avait pris le nom de duelos y quebrantos.
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Voici le titre littéral de ces livres : La Chronique des très-vaillants chevaliers don Florisel de Niquéa, et le vigoureux Anaxartes,
corrigée du style antique, selon que l’écrivit Zirphéa, reine d’Agines, par le noble chevalier Feliciano de Silva. – Saragosse, 1584. Par une
rencontre singulière, cette Chronique était dédiée à un duc de Bejar, bisaïeul de celui à qui Cervantès dédia son Don Quichotte.
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d’inventions rêvées était la vérité pure, qu’il n’y eut pour lui nulle autre histoire plus certaine dans le
monde. […]
Finalement, ayant perdu l’esprit sans ressource, il vint à donner dans la plus étrange pensée dont
jamais fou se fût avisé dans le monde. Il lui parut convenable et nécessaire, aussi bien pour l’éclat de sa
gloire que pour le service de son pays, de se faire chevalier errant, de s’en aller par le monde, avec son
cheval et ses armes, chercher les aventures, et de pratiquer tout ce qu’il avait lu que pratiquaient les
chevaliers errants, redressant toutes sortes de torts, et s’exposant à tant de rencontres, à tant de périls,
qu’il acquît, en les surmontant, une éternelle renommée. Il s’imaginait déjà, le pauvre rêveur, voir
couronner la valeur de son bras au moins par l’empire de Trébizonde. Ainsi emporté par de si douces
pensées et par l’ineffable attrait qu’il y trouvait, il se hâta de mettre son désir en pratique. La première
chose qu’il fit fut de nettoyer les pièces d’une armure qui avait appartenu à ses bisaïeux, et qui, moisie
et rongée de rouille, gisait depuis des siècles oubliée dans un coin. Il les lava, les frotta, les
raccommoda du mieux qu’il put. Mais il s’aperçut qu’il manquait à cette armure une chose importante,
et qu’au lieu d’un heaume complet elle n’avait qu’un simple morion. Alors son industrie suppléa à ce
défaut : avec du carton, il fit une manière de demi-salade, qui, emboîtée avec le morion, formait une
apparence de salade entière. Il est vrai que, pour essayer si elle était forte et à l’épreuve d’estoc et de
taille, il tira son épée, et lui porta deux coups du tranchant, dont le premier détruisit en un instant
l’ouvrage d’une semaine. Cette facilité de la mettre en pièces ne laissa pas de lui déplaire, et, pour
s’assurer contre un tel péril il se mit à refaire son armet, le garnissant en dedans de légères bandes de
fer, de façon qu’il demeurât satisfait de sa solidité ; et, sans vouloir faire sur lui de nouvelles
expériences, il le tint pour un casque à visière de la plus fine trempe.
Cela fait, il alla visiter sa monture ; et quoique l’animal eût plus de tares que de membres, et plus triste
apparence que le cheval de Gonéla, qui tantum pellis et ossa fuit3, il lui sembla que ni le Bucéphale
d’Alexandre, ni le Babiéca du Cid, ne lui étaient comparables. Quatre jours se passèrent à ruminer
dans sa tête quel nom il lui donnerait : « Car, se disait-il, il n’est pas juste que cheval d’aussi fameux
chevalier, et si bon par lui-même, reste sans nom connu. » Aussi essayait-il de lui en accommoder un
qui désignât ce qu’il avait été avant d’entrer dans la chevalerie errante, et ce qu’il était alors. La raison
voulait d’ailleurs que son maître changeant d’état, il changeât aussi de nom, et qu’il en prît un
pompeux et éclatant, tel que l’exigeaient le nouvel ordre et la nouvelle profession qu’il embrassait.
Ainsi, après une quantité de noms qu’il composa, effaça, rogna, augmenta, défit et refit dans sa
mémoire et son imagination, à la fin il vint à l’appeler Rossinante4, nom, à son idée, majestueux et
sonore, qui signifiait ce qu’il avait été et ce qu’il était devenu, la première de toutes les rosses du
monde.
Ayant donné à son cheval un nom, et si à sa fantaisie, il voulut s’en donner un à lui-même ; et cette
pensée lui prit huit autres jours, au bout desquels il décida de s’appeler don Quichotte. C’est de là,
comme on l’a dit, que les auteurs de cette véridique histoire prirent occasion d’affirmer qu’il devait se
nommer Quixada, et non Quesada5 comme d’autres ont voulu le faire accroire. Se rappelant alors que
le valeureux Amadis ne s’était pas contenté de s’appeler Amadis tout court, mais qu’il avait ajouté à
son nom celui de sa patrie, pour la rendre fameuse, et s’était appelé Amadis de Gaule, il voulut aussi,
en bon chevalier, ajouter au sien le nom de la sienne, et s’appeler don Quichotte de la Manche,
s’imaginant qu’il désignait clairement par là sa race et sa patrie, et qu’il honorait celle-ci en prenant
d’elle son surnom.
3
Pietro Gonéla était le bouffon du duc Borso de Ferrare, qui vivait au quinzième siècle. Luigi Domenichi a fait un recueil de ses
pasquinades. Un jour, ayant gagé que son cheval, vieux et étique, sauterait plus haut que celui de son maître, il le fit jeter du haut d’un
balcon, et gagna le pari. – La citation latine est empruntée à Plaute (Aulularia, acte III, scène VI).
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Ce nom est un composé et un augmentatif de rocin, petit cheval, bidet, haridelle. Cervantès a voulu faire, en outre, un jeu de
mots. Le cheval qui était rosse auparavant (rocin-antes) est devenu la première rosse (ante-rocin).
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Quixote signifie cuissard, armure de la cuisse; quixada, mâchoire, et quesada, tarte au fromage. Cervantès a choisi pour le nom
de son héros cette pièce de l’armure, parce que la terminaison ote désigne ordinairement en espagnol des choses ridicules.
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Un père (Pridamant) cherche son fils qu'il n'a plus vu depuis 10 ans, il sera amené dans la
Grotte d'un magicien qui a le pouvoir de lui montrer la vie de son fils durant le temps où il ne
l'a plus vu.
Le premier acte commence à l’entrée d’une caverne qui ressemble à une grotte où se
présentent deux personnages : Pridamant, un père éploré par la disparition de son fils
(Clindor) et Dorante à qui il explique les causes possibles de cette disparition. Dorante veut
lui présenter un magicien qui serait capable de l’aider (sc. 1). Ce magicien, Alcandre, devine
tout de suite les raisons de la venue de Pridamant et lui annonce qu’il pourra lui faire voir la
vie de son fils grâce à des illusions. Avant cela, il demande à Dorante de partir (sc. 2). Une
fois seuls, Alcandre commence par raconter à Pridamant que son fils a connu une existence
de pícaro depuis son départ, qu’il s’est mis au service d’un « brave » dans la région de
Bordeaux et qu'il ne souhaite pas être retrouvé (sc. 3).
L’acte III débute sur les reproches de Géronte à sa fille qui refuse Adraste pour époux (sc. 1).
Seul, Géronte se persuade qu’il parviendra à ses fins avec sa fille (sc. 2). Puis il met dehors
Matamore venu fanfaronner devant lui (sc. 3). De loin, Matamore menace le vieil homme
puis il se laisse aller à sa mauvaise foi, changeant en honneur ce qui est couardise, avant de
s’enfuir en croyant entendre les valets de Géronte (sc. 4). Clindor fait mine de séduire Lyse, la
servante d’Isabelle et lui propose de devenir son amant quand il sera marié, elle refuse (sc. 5).
Lyse restée seule, se laisse aller à son amertume et décide de se venger (sc. 6). Lyse partie,
Matamore entre en scène, épouvanté par des menaces imaginaires (sc. 7), se cache quand il
aperçoit Clindor et Isabelle. Il écoute, dissimulé, les propos d’amour des deux jeunes gens
puis sort de sa cachette, furieux (sc. 8). Clindor, lui fait croire que les valets de Géronte sont à
sa poursuite pour lui faire peur, lui soumet le choix « de fuir en diligence, ou d’être bien
battu », puis le menace. Matamore cède (sc. 9) en faisant mine de s’effacer vis-à-vis d’Isabelle
(sc. 10). Adraste surprend le baiser d’Isabelle et Clindor, ce dernier le tue d’un coup d’épée,
mais est arrêté par les domestiques de Géronte (sc. 11). Pridamant se désole du sort de son
fils (sc. 12).
Quatre jours plus tard. Isabelle, désespérée, se jure de mourir dès que son amant Clindor sera
exécuté (sc. 1). Lyse vient lui dire qu’elle va sauver Clindor en séduisant le geôlier de la
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prison, Isabelle est folle de joie (sc. 2). Restée seule, Lyse explique son revirement. (sc. 3).
Matamore surgit, ivre, il s’était caché dans le bûcher en se « nourrissant » de bouteilles
d’alcool, les femmes le font sortir (sc. 4). Isabelle et Lyse sont seules, la première explique
comment elle a trouvé Matamore (sc. 5). Le geôlier vient dire que tout est prêt pour l’évasion
de Clindor (sc. 6). Dans sa prison, Clindor se désole (sc. 7) quand le geôlier arrive pour lui
annoncer qu’on va l’exécuter (sc.8), les bourreaux ne sont autres que Isabelle et Lyse qui sont
là pour le faire évader (sc. 9). Pridamant est soulagé, Alcandre lui explique qu’il va
maintenant le voir deux ans plus tard (sc. 10).
Attentes, ô délices, attentes dès le matin et tout le long de la journée, attentes des heures du
soir, délices de tout le temps savoir qu'il arriverait ce soir à neuf heures, et c'était déjà du
bonheur. Aussitôt réveillée, elle courait ouvrir les volets et voir au ciel s'il ferait beau ce soir.
Oui, il ferait beau, et il y aurait une nuit chaude avec beaucoup d'étoiles qu'ils regarderaient
ensemble, et il y aurait du rossignol qu'ils écouteraient ensemble, elle tout près de lui, comme
la première nuit, et ensuite ils iraient, iraient se promener dans la forêt, se promener en se
donnant le bras. Alors, elle se promenait dans sa chambre, un bras arrondi, pour savourer
déjà. Ou bien, elle tournait le bouton de la radio, et si c'était une marche guerrière déversée
de bon matin, elle défilait avec le régiment, la main à la tempe, en raide salut militaire, parce
qu'il serait là ce soir, si grand, si svelte, ô son regard.
Parfois, elle refermait les volets, tirait les rideaux, fermait à clef la porte de sa chambre,
mettait des boules de cire dans ses oreilles pour n'être pas dérangée par les bruits du dehors,
bruits que cette belle pédante appelait des réducteurs antagonistes. Dans l'obscurité et le
silence, couchée, elle fermait les yeux pour se raconter, souriante, ce qui s'était passé hier
soir, tout ce qu'ils avaient dit et tout ce qu'ils avaient fait, se le raconter, blottie et ramassée,
avec des détails et des commentaires, s'offrir une fête de racontage à fond, comme elle disait,
et puis se raconter aussi ce qui se passerait ce soir, et il lui arrivait alors de toucher ses seins.
Parfois, avant de se lever, elle chantait tout bas, tout bas pour n'être pas entendue par la
domestique, chantait contre l'oreiller l'air de la Pentecôte de Bach, remplaçait le nom de
Jésus par le nom de l'aimé, ce qui la gênait, mais c'était si agréable. Ou encore elle parlait à
son père mort, lui disait son bonheur, lui demandait de bénir son amour. Ou encore elle
écrivait le nom de l'aimé sur l'air, avec son index, l'écrivait dix fois, vingt fois. Et si, n'ayant
pas encore pris son petit déjeuner, elle avait soudain un borborygme de faim, elle se fâchait
contre le borborygme. Assez! criait-elle au borborygme. C'est vilain! Tais-toi, je suis
amoureuse! Bien sûr, elle se savait idiote, mais c'était exquis d'être idiote, toute seule, en
liberté.
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Ou encore elle décidait de faire une séance de regardage à fond. Mais d'abord se purifier,
prendre un bain, indispensable pour le rite, mais attention, engagement d'honneur de ne pas
se raconter dans le bain comment ce serait ce soir, sinon on n'en finirait plus et ça retarderait
le rite. Vite le bain et puis vite avec lui, vite la séance de regardage ! A cloche-pied parce
qu'elle était heureuse, elle courait vers la salle de bains. Devant la baignoire lente à se
remplir, elle entonnait de toute âme l'air de la Pentecôte.
Mon âme croyante,
Sois fière et contente,
Voici venir ton divin roi.
Après le bain, c'était le même cérémonial que pour le racontage. Volets fermés, rideaux tirés,
lampe de chevet allumée, boules de cire dans les oreilles. Le dehors n'existait plus et le rite
pouvait être célébré. Les photographies étalées sur le lit, mais à l'envers pour ne pas risquer
de les voir d'avance, elle s'étendait, prenait la photographie préférée, lui sur le sable d'une
plage, la recouvrait tout entière de sa main, et c'était la fête de regarder. D'abord, rien que les
pieds nus. Beaux, bien sûr, mais pas follement intéressants. Sa main remontait un peu,
découvrait les jambes. C'était mieux, beaucoup mieux déjà. Aller plus haut? Non, pas tout de
suite, attendre jusqu'à n'en plus pouvoir. Enfin, par petits coups, sa main se déplaçait,
révélant progressivement, et elle se repaissant. C'était lui, lui de ce soir. Ô le visage, le visage
maintenant, lieu de bonheur, le visage, son beau tourment. Attention, ne pas regarder trop.
Lorsqu'on regardait trop, on ne sentait plus. Oui, le visage était tout de même le plus
important, quoique le reste aussi, tout le reste, même ce qui, enfin oui. Lui, tout lui, de tout
lui sa religieuse.
Elle se défaisait de son peignoir, regardait tour à tour son homme nu et la femme nue de son
homme. Ô Sol, sois ici, soupirait-elle, et elle éteignait, pensait à ce soir, dès qu'il arriverait,
leurs bouches. Mais elle n'oubliait pas, ne voulait pas oublier que c'était lui qu'elle aimait
avant tout, lui, son regard. Et ensuite il y aurait ce qu'il y aurait, l'homme et la femme, poids
béni, ô lui, son homme. Lèvres ouvertes, lèvres humides, elle fermait les yeux, et ses genoux
se rapprochaient.
Attentes, ô délices. Après le bain et le petit déjeuner, merveille de rêvasser à lui, étendue sur
le gazon et roulée dans des couvertures, ou à plat ventre, les joues dans l'herbe et le nez
contre de la terre, merveille de se rappeler sa voix et ses yeux et ses dents, merveille de
chantonner, les yeux arrondis, en exagérant l'idiotie pour mieux se sentir végéter dans l'odeur
d'herbe, merveille de se raconter l'arrivée de l'aimé ce soir, de se la raconter comme une pièce
de théâtre, de se raconter ce qu'il lui dirait, ce qu'elle lui dirait. En somme, se disait-elle, le
plus exquis c'est quand il n'est pas là, c'est quand il va venir et que je l'attends, et aussi c'est
quand il est parti et que je me rappelle. Soudain, elle se levait, courait dans le jardin avec une
terreur de joie, lançait un long cri de bonheur. Ou encore elle sautait par-dessus la haie de
roses. Solal! criait cette folle à chaque bond.
7) Peinture :
Diego Velázquez, Las Meninas (Les Ménines), 1656 : une des toiles les plus
commentées de la peinture occidentale. Elle est exposée au musée du Prado, à Madrid. Ce
tableau une grande pièce du palais de l'Alcázar de Madrid, à l’époque du roi Philippe IV
d'Espagne. Dans cette pièce se tiennent plusieurs personnages de la Cour autour de l’infante
Marguerite-Thérèse. En quoi ce tableau est-il représentatif de l’esthétique baroque ?
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Le Classicisme (1661-1715)
1) Dates : début du XVIIe siècle (Malherbe), 1636, Le Cid de Corneille, apogée : de 1660
à 1685.
3) Représentants : La Fontaine, Pascal, Boileau, Racine, Molière (et, plus tard, Voltaire
et Marivaux)
4) Caractéristiques :
5) Auteurs et œuvres :
Pour la tragédie : Pierre Corneille (1606-1684) : Le Cid, Horace, Cinna,… ; Jean Racine
(1639-1699) : Andromaque, Phèdre, Bérénice, Britannicus, Iphigénie,…
Pour la poésie : Malherbe (1555-1628) : Elégies, Odes, Stances ; Nicolas Boileau (1636-1771) :
L’Art poétique ; Jean de La Fontaine (1621-1695) : Fables, Contes.
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6) Textes :
Chant I
[…]
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[…]
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d’une folle vitesse ;
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d’esprit que peu de jugement.
J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
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– Le Petit Chaperon rouge, La Barbe bleue, Les Souhaits ridicules vs le Chat botté, Peau
d’âne vs Cendrillon, La Belle au Bois dormant
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5) Auteurs et œuvres :
- L’Encyclopédie (vingt volumes de texte et onze volumes de planches), soit l’Encyclopédie ou
Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, dirigée par Diderot et d’Alembert.
L’Encyclopédie, qui reprend toutes les connaissances dans bon nombre de domaines (sciences,
techniques, philosophie, etc.), a demandé trente ans de travail et la collaboration de cent
cinquante spécialistes éminents, dont Montesquieu, Voltaire, Rousseau.
- Charles de Montesquieu (1689-1755) : Les Lettres persanes, De l’Esprit des lois.
- François Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778) a pratiqué tous les genres littéraires (tragédie,
comédie, poésie, essai,…). Le plus célèbre des philosophes a combattu l’intolérance religieuse
et le fanatisme, notamment dans ses contes (Candide ou l’optimisme, Zadig ou la destinée).
- Denis Diderot (1713-1784), dramaturge, poète et fondateur de l’Encyclopédie. Auteur de La
Religieuse (dénonciation de l’oppression dans les couvents), du Neveu de Rameau et de
Jacques le Fataliste et son maître (sorte d’antiroman qui préfigure les audaces du Nouveau
Roman du XXe siècle).
- Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), philosophe, moraliste, musicien. Auteur de Emile ou de
l’Education, Du Contrat social, La Nouvelle Héloïse, Confessions et rêveries du promeneur
solitaire (qui ouvre la voie à l’autobiographie et annonce déjà le romantisme).
- Marivaux (1688-1763) : Le Jeu de l’amour et du hasard, La Double inconstance).
- Beaumarchais (1732-1799) : Le Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro.
- Choderlos de Laclos (1741-1803) : Les Liaisons dangereuses (roman épistolaire montrant les
facettes d’une société amorale et libertine).
6) Textes :
C’est en 1759 que Voltaire rédige Candide, conte philosophique qui contredit la théorie de
l'optimisme de Leibniz, théorie selon laquelle tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes
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possibles. Aux réflexions métaphysiques et à l’illusion d’un paradis sur terre, Voltaire préfère le travail
de la terre permettant d’assurer indépendance financière et bonheur. Il faut cultiver son jardin.
Dans l’extrait ci-dessous, Candide et Pangloss se trouvent dans la capitale portugaise aux lendemains
du tremblement de terre, survenu en 1755.
Chapitre sixième : Comment on fit un bel auto-da-fé pour empêcher les tremblements de terre, et
comment candide fut fessé
Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n'avaient
pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-
da-fé ; il était décidé par l'université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit
feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler.
On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d'avoir épousé sa commère, et deux Portugais
qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et
son disciple Candide, l'un pour avoir parlé, et l'autre pour avoir écouté avec un air d'approbation : tous
deux furent menés séparément dans des appartements d'une extrême fraîcheur, dans lesquels on
n'était jamais incommodé du soleil ; huit jours après ils furent tous deux revêtus d'un san-benito, et on
orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et le san-benito de Candide étaient peints de flammes
renversées et de diables qui n'avaient ni queues ni griffes ; mais les diables de Pangloss portaient
griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et
entendirent un sermon très pathétique, suivi d'une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé
en cadence, pendant qu'on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui n'avaient point voulu manger
de lard furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le même jour la terre
trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.
Sédécias, furent esclaves. Vous savez comment périrent Crésus, Astyage, Darius, Denys de Syracuse,
Pyrrhus, Persée, Annibal, Jugurtha, Arioviste, César, Pompée, Néron, Othon, Vitellius, Domitien,
Richard II d'Angleterre, Édouard II, Henri VI, Richard III, Marie Stuart, Charles Ier, les trois Henri de
France, l'empereur Henri IV ? Vous savez... – Je sais aussi, dit Candide, qu'il faut cultiver notre jardin.
– Vous avez raison, dit Pangloss : car, quand l'homme fut mis dans le jardin d'Éden, il y fut mis ut
operaretur eum, pour qu'il travaillât, ce qui prouve que l'homme n'est pas né pour le repos. –
Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c'est le seul moyen de rendre la vie supportable. »
Toute la petite société entra dans ce louable dessein ; chacun se mit à exercer ses talents. La petite
terre rapporta beaucoup. Cunégonde était à la vérité bien laide ; mais elle devint une excellente
pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n'y eut pas jusqu'à frère Giroflée qui ne rendît
service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme ; et Pangloss disait quelquefois à
Candide : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin, si
vous n'aviez pas été chassé d'un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l'amour de
Mlle Cunégonde, si vous n'aviez pas été mis à l'Inquisition, si vous n'aviez pas couru l'Amérique à pied,
si vous n'aviez pas donné un bon coup d'épée au baron, si vous n'aviez pas perdu tous vos moutons du
bon pays d'Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. – Cela est bien dit,
répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin. »
Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je
veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme ce sera moi.
Moi seul. Je sens mon cœur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai
vus; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis
autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne
peut juger qu'après m'avoir lu.
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Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra; je viendrai, ce livre à la main, me
présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement: voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je
fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et
s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide
occasionné par mon défaut de mémoire; j'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce
que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus, méprisable et vil quand je l'ai été, bon,
généreux, sublime, quand je l'ai été: j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même. Être éternel,
rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables; qu'ils écoutent mes confessions,
qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères. Que chacun d'eux découvre à son
tour son cœur au pied de ton trône avec la même sincérité; et puis qu'un seul te dise, s'il l'ose: Je fus
meilleur que cet homme-là. […]
Mon oncle Bernard était ingénieur: il alla servir dans l'Empire et en Hongrie sous le prince Eugène. Il
se distingua au siège et à la bataille de Belgrade. Mon père, après la naissance de mon frère unique,
partit pour Constantinople, où il était appelé, et devint horloger du sérail. Durant son absence, la
beauté de ma mère, son esprit, ses talents, lui attirèrent des hommages. M. de la Closure, résident de
France, fut des plus empressés à lui en offrir. Il fallait que sa passion fût vive, puisqu'au bout de trente
ans je l'ai vu s'attendrir en me parlant d'elle. Ma mère avait plus que de la vertu pour s'en défendre,
elle aimait tendrement son mari, elle le pressa de revenir: il quitta tout et revint. Je fus le triste fruit de
ce retour. Dix mois après, je naquis infirme et malade; je coûtai la vie à ma mère, et ma naissance fut le
premier de mes malheurs.
Je n'ai pas su comment mon père supporta cette perte, mais je sais qu'il ne s'en consola jamais. Il
croyait la revoir en moi, sans pouvoir oublier que je la lui avais ôtée; jamais il ne m'embrassa que je ne
sentisse à ses soupirs, à ses convulsives étreintes, qu'un regret amer se mêlait à ses caresses; elles n'en
étaient que plus tendres. Quand il me disait: Jean-Jacques, parlons de ta mère. je lui disais: hé bien!
mon père, nous allons donc pleurer; et ce mot seul lui tirait déjà des larmes. Ah! disait-il en gémissant,
rends-la-moi, console-moi d'elle, remplis le vide qu'elle a laissé dans mon âme. T'aimerais-je ainsi si tu
n'étais que mon fils? Quarante ans après l'avoir perdue, il est mort dans les bras d'une seconde femme,
mais le nom de la première à la bouche, et son image au fond du cœur.
Tels furent les auteurs de mes jours. De tous les dons que le ciel leur avait départis, un cœur sensible
est le seul qu'ils me laissèrent; mais il avait fait leur bonheur, et fit tous les malheurs de ma vie. […]
Je sentis avant de penser: c'est le sort commun de l'humanité. Je l'éprouvai plus qu'un autre. J'ignore
ce que je fis jusqu'à cinq ou six ans; je ne sais comment j'appris à lire; je ne me souviens que de mes
premières lectures et de leur effet sur moi: c'est le temps d'où je date sans interruption la conscience de
moi-même. Ma mère avait laissé des romans. Nous nous mîmes à les lire après souper mon père et
moi. Il n'était question d'abord que de m'exercer à la lecture par des livres amusants; mais bientôt
l'intérêt devint si vif, que nous lisions tour à tour sans relâche et passions les nuits à cette occupation.
Nous ne pouvions jamais quitter qu'à la fin du volume.
Quelquefois mon père, entendant le matin les hirondelles, disait tout honteux: allons nous coucher; je
suis plus enfant que toi.
Comment serais-je devenu méchant, quand je n'avais sous les yeux que des exemples de douceur, et
autour de moi que les meilleures gens du monde? Mon père, ma tante, ma mie, mes parents, nos amis,
nos voisins, tout ce qui m'environnait ne m'obéissait pas à la vérité, mais m'aimait, et moi je les aimais
de même. Mes volontés étaient si peu excitées et si peu contrariées, qu'il ne me venait pas dans l'esprit
d'en avoir. Je puis jurer que jusqu'à mon asservissement sous un maître, je n'ai pas su ce que c'était
qu'une fantaisie. Hors le temps que je passais à lire ou écrire auprès de mon père, et celui où ma mie
me menait promener, j'étais toujours avec ma tante, à la voir broder, à l'entendre chanter, assis ou
debout à côté d'elle, et j'étais content. Son enjouement, sa douceur, sa figure agréable, m'ont laissé de
si fortes impressions. que je vois encore son air, son regard, son attitude: je me souviens de ses petits
propos caressants; je dirais comment elle était vêtue et coiffée, sans oublier les deux crochets que ses
cheveux noirs faisaient sur ses tempes, selon la mode de ce temps-là.
[…]
Comme Mlle Lambercier avait pour nous l'affection d'une mère, elle en avait aussi l'autorité, et la
portait quelquefois jusqu'à nous infliger la punition des enfants quand nous l'avions méritée. Assez
longtemps elle s'en tint à la menace, et cette menace d'un châtiment tout nouveau pour moi me
semblait très effrayante; mais après l'exécution, je la trouvai moins terrible à l'épreuve que l'attente ne
l'avait été, et ce qu'il y a de plus bizarre est que ce châtiment m'affectionna davantage encore à celle qui
me l'avait imposé.
Il fallait même toute la vérité de cette affection et toute ma douceur naturelle pour m'empêcher de
chercher le retour du même traitement en le méritant; car j'avais trouvé dans la douleur, dans la honte
même, un mélange de sensualité qui m'avait laissé plus de désir que de crainte de l'éprouver derechef
par la même main. Il est vrai que, comme il se mêlait sans doute à cela quelque instinct précoce du
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sexe, le même châtiment reçu de son frère ne m'eût point du tout paru plaisant. Mais, de l'humeur
dont il était, cette substitution n'était guère à craindre, et si je m'abstenais de mériter la correction,
c'était uniquement de peur de fâcher Mlle Lambercier; car tel est en moi l'empire de la bienveillance, et
même de celle que les sens ont fait naître, qu'elle leur donna toujours la loi dans mon cœur.
Cette récidive, que j'éloignais sans la craindre, arriva sans qu'il y eût de ma faute, c'est-à-dire de ma
volonté, et j'en profitai, je puis dire, en sûreté de conscience. Mais cette seconde fois fut aussi la
dernière, car Mlle Lambercier, s'étant sans doute aperçue à quelque signe que ce châtiment n'allait pas
à son but, déclara qu'elle y renonçait et qu'il la fatiguait trop. Nous avions jusque-là couché dans sa
chambre, et même en hiver quelquefois dans son lit. Deux jours après on nous fit coucher dans une
autre chambre, j'eus désormais l'honneur, dont je me serais bien passé d'être traité par elle en grand
garçon.
Qui croirait que ce châtiment d'enfant, reçu à huit ans par la main d'une fille de trente, a décidé de mes
goûts, de mes désirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie, et cela précisément dans le sens
contraire à ce qui devait s'ensuivre naturellement? En même temps que mes sens furent allumés, mes
désirs prirent si bien le change, que, bornés à ce que j'avais éprouvé, ils ne s'avisèrent point de
chercher autre chose. Avec un sang brûlant de sensualité presque dès ma naissance, je me conservai
pur de toute souillure jusqu'à l'âge où les tempéraments les plus froids et les plus tardifs se
développent. Tourmenté longtemps sans savoir de quoi, je dévorais d'un œil ardent les belles
personnes; mon imagination me les rappelait sans cesse, uniquement pour les mettre en œuvre à ma
mode, et en faire autant de demoiselles Lambercier.
Même après l'âge nubile, ce goût bizarre, toujours persistant, et porté jusqu'à la dépravation, jusqu'à la
folie, m'a conservé les mœurs honnêtes qu'il semblerait avoir dû m'ôter. Si jamais éducation fut
modeste et chaste, c'est assurément celle que j'ai reçue. […]
J'ai fait le premier pas et le plus pénible dans le labyrinthe obscur et fangeux de mes confessions. Ce
n'est pas ce qui est criminel qui coûte le plus à dire, c'est ce qui est ridicule et honteux. Dès à présent je
suis sûr de moi: après ce que je viens d'oser dire, rien ne peut plus m'arrêter. On peut juger de ce
qu'ont pu me coûter de semblables aveux, sur ce que, dans tout le cours de ma vie, emporté
quelquefois près de celles que j'aimais par les fureurs d'une passion qui m'ôtait la faculté de voir,
d'entendre, hors de sens et saisi d'un tremblement convulsif dans tout mon corps, jamais je n'ai pu
prendre sur moi de leur déclarer ma folie, et d'implorer d'elles, dans la plus intime familiarité, la seule
faveur qui manquait aux autres. Cela ne m'est jamais arrivé qu'une fois dans l'enfance, avec une enfant
de mon âge; encore fut-ce elle qui en fit la première proposition.
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3) Caractéristiques :
1. Une exaltation du moi, qui se fonde sur l’affirmation de la subjectivité. Le poète est vu
comme un génie ; la création artistique est sacralisée.
2. Une sensibilité exacerbée, qui conduit à des effusions lyriques (Lamartine, Hugo).
3. Une affection pour la nature : la nature fait naître les sentiments du poète, et elle les
reflète. Poète et nature sont en parfaite communion (Julie ou la nouvelle Héloïse,
1761).
4) Auteurs et œuvres :
Victor Hugo (1802-1885) : romantique pleinement engagé dans son temps, comme
Lamartine, chef du gouvernement provisoire de l’éphémère IIe république. Au théâtre :
Cromwell, Hernani ; en poésie : Odes, Ballades, Feuilles d’automne, Les Contemplations, La
Légende des siècles. En prose : Notre-Dame de Paris, Quatrevingt-Treize, Les Misérables.
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5) Textes
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PERDICAN : Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont
empoisonnée, réponds ce que je vais te dire: Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux,
bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides,
artificieuses, vaniteuses curieuses et dépravées; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques
les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange; mais il y a au monde une chose
sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux.
On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux; mais on aime, et quand
on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière; et on se dit: "J'ai souffert
souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice
créé par mon orgueil et mon ennui."
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3) Caractéristiques :
1. Une volonté de décrire la réalité sociale contemporaine, en particulier dans les
milieux les moins favorisés.
2. Une attention aux questions individuelles et sociales du temps plutôt qu’à l’histoire
passée et aux grandes figures mythiques.
3. Un privilège accordé au roman et à la nouvelle qui deviennent les genres dominants.
4. Une recherche de la vraisemblance : les personnages romanesques sont des êtres
ordinaires voire des anti-héros (le couple Bovary, par exemple). Les sujets
romanesques sont souvent issus de faits divers.
5. Une description précise du réel, des lieux, des personnages, des situations qui n’évite
pas les détails jugés inconvenants ou graveleux (suicide de Mme Bovary).
6. Une volonté d’objectivité, opposée à tout épanchement lyrique : récits en il, refus de
l’emphase et du lyrisme, recours à des explications scientifiques (surtout dans le
naturalisme, pour montrer les déterminismes biologiques et sociaux qui pèsent sur
l’homme).
4) Auteurs et œuvres :
- Gustave Flaubert (1821-1880) : L’Education sentimentale, Madame Bovary.
- Les frères Goncourt (Edmond, 1822-1896 ; Jules : 1830-1870) : ils ouvrent la voie au
naturalisme, avec leurs personnages souvent pathologique (Germaine Lacerteux
étudie un cas d’hystérie).
- Emile Zola (1840-1902) : s’inscrit dans la lignée de Balzac avec Les Rougon-
Macquart. Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire. Il s’agit
d’en ensemble de vingt romans, tous fondés sur un travail de documentation
considérable où il suit les destinées des membres d’une famille marquée par une
lourde hérédité. Rêvant de méthode expérimentale, il y soumet des tempéraments
physiologiques (nerveux, sanguins, etc.) à des conditions sociales variées (l’univers de
la mine dans Germinal, celui des affaires dans La Curée, celui des halles dans Le
Ventre de Paris…) pour découvrir les déterminismes qui régissent les comportements
individuels. Sa lutte pour Dreyfus (J’accuse, 1898) et son intérêt pour la condition
ouvrière feront de Zola l’une des figures majeures des écrivains engagés.
- Jules Vallès (1832-1885) : L’Enfant, Le Bachelier, l’Insurgé, etc.
- Alphonse Daudet (1840-1897) : Le Petit Chose, Jack, etc.
- Au XXe siècle, on trouve de nombreux héritiers du courant réaliste, au nombre
desquels on trouve Marcel Proust (1871-1922), François Mauriac (1885-1970), Louis-
Ferdinand Céline (1894-1961), Georges Simenon (1903-1989).
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5) Textes
Il nous faut demander pardon au public de lui donner ce livre, et l'avertir de ce qu'il y trouvera.
Le public aime les romans faux : ce roman est un roman vrai.
Il aime les livres qui font semblant d'aller dans le monde : ce livre vient de la rue.
Il aime les petites œuvres polissonnes, les mémoires de filles, les confessions d'alcôves, les saletés
érotiques, le scandale qui se retrousse dans une image aux devantures des libraires : ce qu'il va lire est
sévère et pur. Qu'il ne s'attende point à la photographie décolletée du Plaisir : l'étude qui suit est la
clinique de l'Amour.
Le public aime encore les lectures anodines et consolantes, les aventures qui finissent bien, les
imaginations qui ne dérangent ni sa digestion ni sa sérénité : ce livre, avec sa triste et violente
distraction, est fait pour contrarier ses habitudes et nuire à son hygiène.
Pourquoi donc l'avons-nous écrit ? Est-ce simplement pour choquer le public et scandaliser ses goûts ?
Non.
Vivant au dix-neuvième siècle, dans un temps de suffrage universel, de démocratie, de libéralisme,
nous nous sommes demandé si ce qu'on appelle «les basses classes» n'avait pas droit au Roman; si ce
monde sous un monde, le peuple, devait rester sous le coup de l'interdit littéraire et des dédains
d'auteurs qui ont fait jusqu'ici le silence sur l'âme et le cour qu'il peut avoir. Nous nous sommes
demandé s'il y avait encore, pour l'écrivain et pour le lecteur, en ces années d'égalité où nous sommes,
des classes indignes, des malheurs trop bas, des drames trop mal embouchés, des catastrophes d'une
terreur trop peu noble. Il nous est venu la curiosité de savoir si cette forme conventionnelle d'une
littérature oubliée et d'une société disparue, la Tragédie, était définitivement morte; si, dans un pays
sans caste et sans aristocratie légale, les misères des petits et des pauvres parleraient à l'intérêt,
l'émotion, à la pitié, aussi haut que les misères des grands et des riches; si, en un mot, les larmes qu'on
pleure en bas pourraient faire pleurer comme celles qu'on pleure en haut.
Ces pensées nous avaient fait oser l'humble roman de Sour Philomène, en 1861; elles nous font publier
aujourd'hui Germinie Lacerteux.
Maintenant, que ce livre soit calomnié : peu lui importe. Aujourd'hui que le Roman s'élargit et grandit,
qu'il commence à être la grande forme sérieuse, passionnée, vivante, de l'étude littéraire et de l'enquête
sociale, qu'il devient, par l'analyse et par la recherche psychologique, l'Histoire morale contemporaine,
aujourd'hui que le Roman s'est imposé les études et les devoirs de la science, il peut en revendiquer les
libertés et les franchises. Et qu'il cherche l'Art et la Vérité; qu'il montre des misères bonnes à ne pas
laisser oublier aux heureux de Paris; qu'il fasse voir aux gens du monde ce que les dames de charité ont
le courage de voir, ce que les reines autrefois faisaient toucher de l'oil à leurs enfants dans les
hospices : la souffrance humaine, présente et toute vive, qui apprend la charité; que le Roman ait cette
religion que le siècle passé appelait de ce large et vaste nom : Humanité;--il lui suffit de cette
conscience : son droit est là.
Et la discussion continua.
On déshabillait Bismarck ; chacune lui allongeait un coup de pied, dans son zèle bonapartiste ;
pendant que Tatan Néné répétait d’un air vexé :
- Bismarck ! m’a-t-on fait enrager avec celui-là ! Oh ! je lui en veux !... Moi, je ne le connaissais pas, ce
Bismarck ! On ne peut pas connaître tout le monde.
- N’importe, dit Léa de Horn pour conclure, ce Bismarck va nous flanquer une jolie tripotée...
Elle ne put continuer. Ces dames se jetaient sur elle. Hein ? quoi ? une tripotée ! C’était Bismarck
qu’on allait reconduire chez lui, à coups de crosse dans le dos. Avait-elle fini, cette mauvaise
Française !
- Chut ! souffla Rose Mignon, blessée d’un tel tapage.
Le froid du cadavre les reprit, elles s’arrêtèrent toutes à la fois, gênées, remises en face de la mort, avec
la peur sourde du mal. Sur le boulevard, le cri passait, enroué, déchiré :
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Le symbolisme (1870-1890)
1) Date : à partir de 1870. Apogée entre 1880 et 1890.
2) Mots-clés : monde réel et monde invisible (univers caché), poète interprète des
correspondances qui existent entre les deux mondes, refus du réalisme, hermétisme.
3) Représentants :
- 1886 – Manifeste du symbolisme écrit par Jean Moréas
- Emile Verhaeren (1855-1916)
- Georges Rodenbach (1855-1898)
- Maurice Maeterlinck (1862-1949)
- Jean Moréas, Albert Samain, René Ghil, Henri de Régnier et Jules Laforgue.
- Paul Verlaine (1844-1896)
- Stéphane Mallarmé (1842-1898)
- Charles Baudelaire (1821-1867)
- Arthur Rimbaud (1854-1891)
5)Textes :
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1857)
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La Musique
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La vie antérieure
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Correspondances
Hugues Viane, fuyant une ville « cosmopolite », probablement Paris, s'est fixé au Quai
du Rosaire à Bruges. Il y mène, avec sa pieuse servante flamande, Barbe, une vie calme
et retirée, cultivant sa douleur dans le souvenir de son épouse disparue. De celle-ci, il a
conservé dans un coffret de cristal une tresse blonde qu’il vénère chaque jour. Ce n'est
pas par hasard qu'il a choisi Bruges : la ville, par sa mélancolie et son caractère triste
(canaux, port ensablé), s'associe à son chagrin et s'assimile même à la morte. La ville, à
travers les yeux du veuf inconsolable, est un personnage à part entière. Un soir, à la
sortie de Notre-Dame, Hugues rencontre une jeune inconnue dont la ressemblance avec
la défunte le remplit de stupeur. Il la prend en filature jusqu'au Théâtre. Là, il découvre
que Jane Scott joue le rôle d’une danseuse dans Robert le Diable de Meyerbeer. En
devenant son amant, il espère retrouver le bonheur qu'il a connu avec sa compagne.
Mais il se trompe : Jane Scott n’est qu’une intrigante vénale et vulgaire. Hugues Viane
s’aperçoit de sa méprise, mais trop tard : la ville austère lui reproche cette liaison
scandaleuse... Le récit se termine en tragédie. Lors de la procession du Saint-Sang,
Hugues Viane étrangle la comédienne avec la tresse de cheveux blonds de la Morte. C’est
le prix à payer pour avoir profané le sanctuaire de l’épouse adorée.
Hugues recommençait chaque soir le même itinéraire, suivant la ligne des quais, d'une
marche indécise, un peu voûté déjà, quoiqu'il eût seulement quarante ans. Mais le
veuvage avait été pour lui un automne précoce. Les tempes étaient dégarnies, les
cheveux pleins de cendre grise. Ses yeux fanés regardaient loin, très loin, au delà de la
vie. Et comme Bruges aussi était triste en ces fins d'après-midi ! Il l'aimait ainsi ! C'est
pour sa tristesse même qu'il l'avait choisie et y était venu vivre après le grand désastre.
Jadis, dans les temps de bonheur, quand il voyageait avec sa femme, vivant à sa
fantaisie, d'une existence un peu cosmopolite, à Paris, en pays étranger, au bord de la
mer, il y était venu avec elle, en passant, sans que la grande mélancolie d'ici pût
influencer leur joie. Mais plus tard, resté seul, il s'était ressouvenu de Bruges et avait eu
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l'intuition instantanée qu'il fallait s'y fixer désormais. Une équation mystérieuse
s'établissait. À l'épouse morte devait correspondre une ville morte. Son grand deuil
exigeait un tel décor. La vie ne lui serait supportable qu'ici. Il y était venu d'instinct. Que
le monde, ailleurs, s'agite, bruisse, allume ses fêtes, tresse ses mille rumeurs. Il avait
besoin de silence infini et d'une existence si monotone qu'elle ne lui donnerait presque
plus la sensation de vivre. Autour des douleurs physiques, pourquoi faut-il se taire,
étouffer les pas dans une chambre de malade ?
Pourquoi les bruits, pourquoi les voix semblent-ils déranger la charpie et rouvrir la
plaie ?
Aux souffrances morales, le bruit aussi fait mal. Dans l'atmosphère muette des eaux et
des rues inanimées, Hugues avait moins senti la souffrance de son cœur, il avait pensé
plus doucement à la morte. Il l'avait mieux revue, mieux entendue, retrouvant au fil des
canaux son visage d'Ophélie en allée, écoutant sa voix dans la chanson grêle et lointaine
des carillons.
La ville, elle aussi, aimée et belle jadis, incarnait de la sorte ses regrets. Bruges était sa
morte. Et sa morte était Bruges. Tout s'unifiait en une destinée pareille. C'était Bruges-
la-Morte, elle-même mise au tombeau de ses quais de pierre, avec les artères froidies de
ses canaux, quand avait cessé d'y battre la grande pulsation de la mer. Ce soir-là, plus
que jamais, tandis qu'il cheminait au hasard, le noir souvenir le hanta, émergea de
dessous les ponts où pleurent les visages de sources invisibles. Une impression
mortuaire émanait des logis clos, des vitres comme des yeux brouillés d'agonie, des
pignons décalquant dans l'eau des escaliers de crêpe. Il longea le Quai Vert, le Quai du
Miroir, s'éloigna vers le Pont du Moulin, les banlieues tristes bordées de peupliers. Et
partout, sur sa tête, l'égouttement froid, les petites notes salées des cloches de paroisse,
projetées comme d'un goupillon pour quelque absoute. Dans cette solitude du soir et de
l'automne, où le vent balayait les dernières feuilles, il éprouva plus que jamais le désir
d'avoir fini sa vie et l'impatience du tombeau. Il semblait qu'une ombre s'allongeât des
tours sur son âme ; qu'un conseil vînt des vieux murs jusqu'à lui ; qu'une voix
chuchotante montât de l'eau — l'eau s'en venant au-devant de lui, comme elle vint au-
devant d'Ophélie, ainsi que le racontent les fossoyeurs de Shakespeare. Plus d'une fois
déjà il s'était senti circonvenu ainsi. Il avait entendu la lente persuasion des pierres ; il
avait vraiment surpris l'ordre des choses de ne pas survivre à la mort d'alentour.
Et il avait songé à se tuer, sérieusement et longtemps. Ah ! cette femme, comme il l'avait
adorée ! Ses yeux encore sur lui ! Et sa voix qu'il poursuivait toujours, enfouie au bout de
l'horizon, si loin ! Qu'avait-elle donc, cette femme, pour se l'être attaché tout, et l'avoir
dépris du monde entier, depuis qu'elle était disparue. Il y a donc des amours pareils à ces
fruits de la Mer Morte qui ne vous laissent à la bouche qu'un goût de cendre
impérissable ! S'il avait résisté à ses idées fixes de suicide, c'est encore pour elle. Son
fond d'enfance religieuse lui était remonté avec la lie de sa douleur. Mystique, il espérait
que le néant n'était pas l'aboutissement de la vie et qu'il la reverrait un jour. La religion
lui défendait la mort volontaire. C'eût été s'exiler du sein de Dieu et s'ôter la vague
possibilité de la revoir.
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FANTAISIE
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LA CIGARETTE
(Sonnet)
MÉTEMPSYCHOSE
Ici ténèbres et silence ! les mares de sang ont la forme des nuages. Les sept femmes de
Barbe-Bleue ne sont plus dans le placard. D’elles il ne reste que cette cornette en
organdi ! Mais là-bas ! là-bas ! sur l’Océan, voilà sept galères, sept galères dont les
cordages pendent des huniers dans la mer comme des nattes aux épaules des femmes.
Elles approchent ! elles approchent ! elles sont là !
MA BOHÈME (FANTAISIE)
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Le hareng saur
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PRINCES DE LA CHINE
a. Les trois princes Pou, Lou et You,
Ornement de la Chine,
Voyagent. Deux vont à machine,
Mais You, c’est en youyou.
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LE CANCRE
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CONVERSATION
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12) Dans Paris de Paul Eluard in Les sentiers et les routes de la poésie (1954)
DANS PARIS...
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ANAGRAMMES
Me croiras-tu si je m’écrie
Que toute neige a du génie ?
Me traiteras-tu de vantard
Si une harpe devient phare ?
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ALORS COMMENÇONS
Alors commençons :
Je t’aime comme si
Et comme ça
Salsifis
Et rutabaga
Salé poivré
Très épicé
Grillé doré
Ou crudité
Salade de fruits
Pizza raviolis
Ananas et poule au riz
Sans oublier
Trois cuillérées
De crème fouettée
Ah oui L’amour me donne
De l’appétit
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