Les poëmes du sieur d'Expilly
à madame la marquise de
Monceaux
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Expilly, Claude (1561-1636). Auteur du texte. Les poëmes du sieur
d'Expilly à madame la marquise de Monceaux. 1596.
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Artisans des destins, la I front cornu,
une au
Et son object instable estoit de lui
cognu.
Sa memoire tenoit, ainsi qu'en une table,
Toutes les regions de la terre habitable,
Les plages & les mers, les fleuves & les monts,
Les fertiles terroirs, ceux qui sont infeconds,
Les plantes les metaux, & des fameuses villes
Les Magistrats, les loix & Polices civiles :
Et, sans avoir couru plus loin que de tes murs,
Paris, il cognoissoit, mieux qu'Ulysse, les moeurs
Des peuples estrangers ; il sçavoit leurs histoires,
Leurs grandeurs, leurs Estats, leurs pertes & victoires,
Leur naissance & leur fin. Des belliqueux Gaulois,
Depuis que Pharamond nous apporta ses Loix,
Il racontoit les noms, les progrez & les gestes,
Qui les ont, comme Hercule, assis aux rangs celestes :
Ces Charles, ces Louïs, terreur de l'Univers,
Dont le sceptre a battu tant d'ennemis divers,
Estoient tous ses discours ; & les palmes hautaines
De ces vieux champions, valeureux capitaines,
Qui, suivans de leurs Rois l'Oriflam redouté,
Ont maint & maint païs à la France adjouté ;
Qui pour la foi de Christ, mesprisans la fortune
Et le marbre inconstant des plaines de Neptune,
Delaisserent chez eux tout ce qu'on a de cher,
Et furent en Syrie un haut renom cercher.
Qu'il sçavoit bien ta vie, ô Y soard de Galles,
Qui passas des premiers les
mers
Orientales,
Et des premiers forças la bresche de Sion :
Dieu ! qu'il vantoit l'ardeur de ta devotion,
D'avoir quitté tes biens, tes enfans, & ta femme,
Prodigue de ton sang, avare de ton ame :
Qu'il s'estimoit heureux d'un fil bien tissu
que
Parla suite des ans, il se peut dire yssu
D'un si preux Chevalier, & de
ces autres Galles
Y vïën
& Gaubert,
cognus par les annales.
Il sçavoit tous les faicts de ceux de sa maison,
De Pierre, que l'Anglois fit mourir
en prison,
De Jean, qui recevant mainte playe honorable
A Monleri, s'acquit un renom perdurable ;
Et marquant par sa mort sa valeur & sa foi,
Tout espuisé de sang cheut
aux
pieds de son Roi ;
Comme fit Jean son fils sur les rives du Tare,
Quand des Italiens l'insolence barbare
Voulut fermer le pas à Charles invaincu ;
Là ce vaillant guerrier receut dans son escu
»»
Plus de traits,
plus de
coups que Sceue, qu'on renomme,
N'en receut, combattant pour le vainqueur de Romme.
Il sçavoit tout cela : dont un bouillant desir
D'ensuivre ces hauts faicts vint son ame saisir.
Quoi, donques, Apollon, les Muses & Mercure
Me retiendront, dit-il, tousjours à l'ombre obscures
Et les trompeurs appas de mes livres sorciers
Me feront forligner de mes devanciers ?
tous
Sera, donc, de ma
la racine coupee
main
De tant de verds Lauriers acquis par leur espee
Je vois encor chez moi les brands & les harnois
Dont deux de ayeux combattans autresfois
mes
L'un aux champs de Ravenne, & l'autre à Serizoles,
Se firent admirer aux bandes Espagnoles.
Je garde encor l'Idee entiere en mes erprits
De grand Olivier de qui l'estre j'ai pris,
ce
Qui insqu'au dernier jour endossa la cuirace,
Sage, heureux, & vaillant : Et donc, fuyant leur trace,
Je cacherai ma vie, estonné des combats ?
Ha ! non, plustost qu'un glorieux trespas,
je veux
Pour l'honneur de mon Roi, m'emporte entre les armes,
Que croupir, cazanier, enyuré de vos charmes :
Adieu, muses, adieu, j'abandonne vos arts,
Vos ne sont point si beaux ceux de Mars :
Lauriers que
Je quitte de bon coeur l'isle de Lycomede,
Et ne veux imiter celui que Palamede
Sagement descouvrit n'estre privé de sens,
Quand pour n'aller à Troye il labouroit les champs,
Et, feignant n'estre propre aux ruses de la guerre,
Semoit, en lieu de grain, du sel dessus la terre.
Plustost j'irai cercher aux païs estrangers
L'honneur, qui ne s'acquiert qu'au milieu des dangers :
Plustost j'irai trouver les occasions belles
Sur les bords du Danube, où les Turcs infideles,
Eslevans leur Croissant, ont brisé les Autels,
Et banni le sainct Nom du Sauveur des mortels :
Plustost le Rhin fuyant dans le sein d'Amphitrite
Me verra sur sa rive, où l'Espagnol irrite
Les Bataves vaillans, que jadis les Romains
N'ont sceu du tout ranger sous l'essort de leurs mains.
Mais, ô France fertile en guerres intestines,
Qui contre ton repos si fierement t'obstines,
Tu ne fournis que trop de sujet aux soudars,
Tes champs ne sont que trop les theatres de Mars ;
les divisions, la peste des Empires,
Tant
Font que contre ton bien toi-mesme tu conspires.
Je veux, donc, pour mon Roi, le plus grand des Humains,
Armer mon coeur d'audace, & de glaive mes mains.
O, bien-heureux esprits, chers esprits de
mes peres,
Favorisez mes voeux & les rendez prosperes ;
Au travers des torrens, des feux, & des rochers
Ie suivrai vostre trace : Et vous, mes freres chers,
Que je
devance en âge &
non pas en courage,
Allons-nous opposer tous trois à cest orage :
Et, suivans ce grand Prince
aux armes si cognu,
Que le droict de Rois soit par maintenu :
nos nous
Tousjours, en toutes parts soient augustes,
nos Rois nous
Tousjours souffrons leurs loix, soient justes ;
iniques ou
Et pour loix recevons leurs hautes volontez ;
C'est pour l'espee est ceinte à nos costez
eux que :
La seurté de leur sceptre & garde de l'Empire,
C'est tout l'heur & l honneur où mon desir aspire,
De mourir en leur nom, les
armes dans le
poingt ;
Du sang pour eux versé la gloire
ne meurt point.
De ces masles propos son ame il aiguillonne,
Son esprit s'en esmeut, tout son sang
en bouillonne,
Plus il n'aimeplus rien que les glaives trenchans,
Il part, & laisse a part les Muses & leurs chants,
Vient au camp de la Mure, assise en Matezine,
Que le Drac mugissant de son onde voisine,
Que le pont de Cognet & celui de Pontaut
Enferment dans les monts & de Serre & de Haut.
Là Mars est en fureur, là maint bruyant
tonnerre
Bat la foible muraille & fait trembler la terre ;
Rend les flancs aveuglez, les remparts descouverts,
Et les chemins d'honneur aux guerriers tous ouverts :
La place est toute en feu, l'air tout autour resonne ;
La Mort, non jamais soule, en mille endroits moissonne
Assiegeans, assegez ; sa faux par tout paroist,
Et plus elle
en
abbat, plus sa fureur accroist :
Les uns d'un plomb fatal achevent leur journee
Les autres, foudroyez, ainsi que Capanee,
Restent dans le fossé qui leur sert de tombeau :
En peut-on desirer un plus digne ou plus beau ?
L'un court à la tranchee, où sans cesse lon tire,
L'autre, chargé de coups & d'honneur, s'en retire :
L'un recognoit la bresche, &,la jugeant de pres,
La trouve raisonnable : on dresse les apprests,
Le soldat assiegé, courageux, la rempare,
Le soldat assiegeant à l'assaut se prepare.
Là
ce tyron de Mars, d'un coeur bouillant & prompt,
Comme il fallut donner, se range au premier front,
Marche, & bien d'abbord il ait la main percee,
que
Se fait voir des premiers sur la bresche forcee :
Les feux, les cris, les bruits, les meurtres, ni l'horreur
Des morts &
des blessez, ni l'aveugle fureur
De la fiere Ennyon n'empeschent qu'il ne perse
Le assaillis portez à la renverse
gros des ;
Se faisant faire jour par la force & le fer,
Tout martelé de coups il sort de cest Enfer,
Non autrement qu'Hercule yssit de la caverne
Et des feux ensoulfrez du tenebreux Averne,
En despit de Pluton arbitre de la mort ;
Ce guerrier genereux, surmontant tout effort,
Donne, suit, & poursuit, gagne une large ruë,
Pousse, &
tant qu'il en reste il chasse, & tuë, tuë :
La ; Et le los publié
place, en fin, est prise
Du brave du Mestral n'est de nul oublié.
O, primices de Mars, douce trop douce amorce
&
D'une nouvelle gloire, ô que grande est ta force
Dedans un jeune
coeur, que la victoire espoind !
Ce guerrier ne sent plus en l'ame d'autre soing
Que l'amour de Bellonne & le choc des vacarmes,
Et n'estime autre part l'honneur que dans les armes.
Mais, un rayon de Paix ici bas abordant,
Alla de ses desseins les effects retardant :
On te veid, belle Vierge ; on te veid, soeur d'Astree,
Ainsi comme un esclair, luire en nostre contree :
Comme une fleur d'Avril à peine t'apperceut,
on
Que la France mal sage, en mainte part conceut
La discorde à cent chefs, & bientost
avortee,
Cent Monstres parturit d'une seule portee :
Ton beau jour disparut, la nuict pleine d'erreur,
La guerre, le tonnerre allumé de fureur,
Les vents s'entrebattans, & la tempeste horrible
orage terrible :
Font eslever soudain un
Les François se desfont, & de malheur comblez,
Tournent le fer contre eux, tant leurs cerveaux troublez
D'ambition, de haine, & d'esperance fole,
De leur sain jugement ont perdu la boussole.
Le feu que l'ire souffle, esteindre ne se peut,
Tout se croule
en
desordre, ou se pille, ou se pert,
Ou se brusle, gaste ; de rien plus ne
ou se sert
La majesté des Loix, qui du glaive menace
Des rebelles mutins la temeraire audace : .
Nulle posterité jamais n'approuvera
Tant de maux qu'ils ont faits, ni jamais les taira.
Le desbord forcené, la rage transportee
Jusques au flanc du Roi sa fureur a portee.
Quoi, donc ? l'Oingt du Seigneur ne sera garanti ?
Sera le sainct respect du sceptre aneanti ?
O, Ciel ! quelle inconstance aux fortunes humaines !
Donc, les Rois de leur throne ont des cheutes soudaines ?
Comme les hauts sont aux vents exposez
sommets
Comme on void les rochers à la mer opposez
Estre minez, creusez & rebattus de l'onde,
Ainsi fait la Fortune aux Empires du monde ?
Et tout dessous sa rouë est en fin abismé ?
Durant ce fortunal du Mestral animé
D'un genereux desdein, pour l'honneur de son Prince
S'arme, court, & s'oppose à ceux qui la Province
Du fertil Dauphiné pensent faire perir :
Il veut par ses travaux la louange acquerir
De vaillant &
fidele,
veut perdre la vie
&
Pour accroistre sa gloire & sauver sa patrie.
Polydamas, qui l'aime à l'esgal de ses yeux,
Qui void que tout ce mal vient du conseil des Dieux
Contre nous irritez d'une juste colere,
Le retient, l'admoneste, & sa fougue tempere ;
Cesse, ô second Hector, de
te precipiter
Dedans tant de hasards : la main de Jupiter,
Qui les maux & les biens sur les hommes deploye,
Les feux de
ces malheurs rendra des feux de joye :
Mais garde le sort t'en oste le loisir,
que
Te desrobant la vie à nous tout plaisir.
&
Quand la Parque une fois nostre trame coupee
a
Plus jamais plus pour nous sa main n'est occupee.
Je vei n'a pas long temps sur le haut de ta tour
Un Gerfaut, recognu des chasseurs d'alentour,
Qui mainte & mainte proye avoit desia ravie ;
Je le veis eslever pour combattre la vie
D'un Heron passager, le Heron se haussant
Gagnoit lair & le vent, & Gerfaut puissant,
Remontant
au dessus dans le seinla nuë,
de
Comme un trait, comme un feu fit sur lui sa fonduë :
Mais, ô pauvre Gerfaut ! je te veis attaché
Dans le bec du Heron sous son aisle caché :
Le vainqueur & vaincu cheurent morts sur la terre.
Telles sont bien souvent les fortunes de guerre :
J'aprehende l'augure, il ne faut mespriser
Jupiter, qui nous veut du futur aviser.
Alenti donc ta course, oi de crainte
ma voix, &
Delivre ton Voiron & tes amis de plainte ;
Ton Voiron qui t'adore, où tes premiers ayeux
Furent jadis auteurs de
tant de demi Dieux
Et la Morge qui lave en passant ses murailles
T'adjurent d'eviter le peril des batailles.
Desia Montelimart t'a veu dans ses fossez,
Desia Monteleger aveu par toi poussez
Et rompus cent chevaux commandez par Vachere :
la le chasteau d'Estoile, où ceste teste chere
Ton beau-frere Charpeil se trouvoit assiegé,
S'est veu par ton secours bravement degagé,
Et l'Estranger par toi de Mirabel exclurre :
Ja le camp de la Mure, & de Chorges, & d'Eurre
T'ont veu sur les rempars des premiers assaillans :
Et l'antique Vienne, où les Romains vaillans
Dressoient leurs appareils pour subjuguer la Gaule,
A fuyant, tourner l'espaule
veu sa garnison
A ton bras foudroyant, dont ton nom redouté
Hautement fut loüé d'un & d'autre costé,
C'est assez pour l'honneur. Qui si souvent retente
Fortune & ses faveurs, void tromper son attente.
Lui, d'un front sourcilleux & d'un oeil offencé,
Plein d'un noble desdein : Es-tu donc insensé,
Respond-il, de vouloir rompre entreprise,
mon
Que le Ciel, que le Droict, que
l'honneur favorise ?
Qu'aux oiseaux : j'obeïsse ? Et de quoi me chaut-il
S'ils droitte ou gauche annonçant le peril ?
vont à
Or' que l'autorité de Prince occupee
mon
Demande à sa defence & nous & nostre espee,
Que les peuples armez de flammes & de fer
Veulent, sujets felons, de leur Roi triompher,
Faut-il cesser de peur du mal qu'on se figure ?
Combattre pour son Prince tres bon augure :
est un
Heureux qui peut finir ses jours en le servant.
Pourquoi m'iroi-je ici des combats preservant ?
Pour vivre plus long temps ? Assez vit qui sa gloire
Grave de son espee au marbre de memoire.
Recercher les perils & se jetter dedans,
C'est ce qui nous fait vivre & reviure mille ans :
Ainsi le preux Hector, ainsi le preux Achille
Se feirent immortels, l'un defendant sa ville,
L'autre la combattant : ainsi doit un guerrier
Desirer le cypres pour l'amour du Laurier.
Voila contre les ans, voila le seul remede ;
Fuyons donc ce douxmal qui les Mortels possede
L'aspre amour de la vie, & mesprisons le sort ;
La vertu tend au Ciel, & la peur à la mort.
Ainsi tout embrazé d'une ame prompte & vive,
Aux portes de Cremieu le chevalier arrive :
Cremieu, riche d'honneur, pour avoir quelques fois
Dedans ses murs receuz nos Dauphins &
nos Rois,
Et de qui la belle isle en ses champs loge & compte
Mainte brave Noblesse aux armes tousjours prompte.
Jà l'alarme est dedans, & jà de toutes parts
Trompettes & tambours ouvrent le champ de Mars,
La courtine est bordee, & la campagne larg
Se couvre de guerriers qui sortent à la charge :
Le jeune Iphidamas eschauffé d'un beau sang,
Devance de six pas le front du premier rang :
On void le champ decroistre, & les troupes guerrieres
S'affronter & s'ouvrir de leurs lances meurtrieres :
On se rompt, on se tuë, & la gresle de coups
Hommes, armes, chevaux met s'en-dessus dessous :
Du Mestral, invaincu, maint guerrier de sarçonne :
Ainsi qu'un fier Lion que la faim espoinçonne
Ses jubes herissant, court dans les prez herbeus,
Et se lance beant sur un troupeau de boeufs,
Qu'il escarte & deschire : ainsi dedans la
troupe
De ceux qui sont sortis il donne, frappe, couppe ;
Nul ne l'ose aborder, qui ne sente soudain
Que le foudre est mortel qui despart de sa main,
Mesmes son regard tuë, & bien que sur la face
il porte d'Apollon &
les traits &
la grace ;
Toutesfois, aux combats redoublant sa vigueur,
Il a les yeux de Mars aussi bien que le coeur,
Sa contenance est brave, & menassante, & fiere,
Et comme Merion est tout noir de poussiere.
Celui des ennemis, qui l'ose voir, est seur
De recevoir la mort, s'il ne reçoit la peur ;
Et gaignant le rempart n'evite son espee,
Qui d'occire jamais jamais ne s'est trompee :
Ses coups, tant soient legers, sont tout autant de morts,
Il les pousse & recongne, & jusques sur les bords
Des fossez les abat : sa valeur est gravee
Au sein d'Iphidamas : la campagne pavee
De morts & de mourans, & d'armes & de sang,
Tesmoigne la desfaite & l'effort de son brand.
Mais, las ! du haut du le feu d'une scopette
mur
D'un plomb fatal dur lui poussa la tempeste
&
Dans le front descouvert. De ses armes vestu
Il broncha, comme un pin quand il est abattu
Par les vents ou l'acier d'une dure congnee :
Sa cheute feit un bruit, & sa troupe estonnee
Un long gemissement qui le Ciel estourdit :
Jamais plus pour un jour la France ne perdit.
La Buisse son cher frere, à son secoursavance,
Las ! plus au secours, mais bien à la vengeance,
non
De fureur agité, d'ire, & de desespoir,
Il se porte à la porte, & tuant il fait voir
Que des freres l'amour toute autre amour excede.
Le tourment & le dueil qui son ame possede
Ne se peut commander, il court, & tourne, & vient,
N'a plus souci de rien, de rien se souvient
Que de venger l'injure, ou mourir sur la place,
Tant ceste passion toutes autres efface.
Levant l'espee en haut, d'une esclattante voix,
Qui jette l'espouvante, il cria par trois fois ;
Je vous occirai tous ; & vos murailles fortes,
Vos picques, vos mosquets, vos armes, & vos portes
Ne vous garantiront : Je vous occirai tous,
Et vous ferai tomber victime à courroux :
mon
On veid sacrifier par le fier Eacide
Douze jeunes Troyens à l'ombre Menoecide,
Mais je veux à mon frere offrir plus d'ennemis
Que sous un soleil d'Aoust ne void de formis :
on
Tant que Clothon d'un seul tournera la fuzes,
Jamais on ne verra ma cholere appaisee :
Non, vous en mourrez tous. Ces propos achevant
Il void ses chers amis le defunct enlevant,
Il les suit, la playe en son ame profonde
Fait qu'un torrent de pleurs de ses yeux se debonde.
Belliers son autre frere, ignorant ce malheur,
N'avoit encor receu ce dur trait de douleur ;
Jusqu aux portes d'Anton il estoit allé courre,
Et (sçachant que Lion venoit pour le secourre)
Courageux aux desseins & vaillant aux effects,
Avoit pres de Charuis deux cens Maistres defaits
Et suivi jusqu'au bord du Rone sa victoire :
Il retournoit tout plein d'allegresse & de gloire,
Ce beau jour benissant, quand jà voisin de l'Ost
Il void un grand silence, & n'entend presque mot,
De ses pasles amis void les yeux cheuts à terre,
Juge tout aussi tost que le sort de la guerre
A produit quelque esclandre, & de plus pres apprend
La cause de ce dueil : Mais son courage grand,
Invincible aux malheurs, ne tombe ni ne ploye,
Ains les fruicts genereux de sa vertu desploye,
Qui jamais ne relasche & jamais ne defaut :
Tant plus la palme on charge & plus s'esleve en haut ;
Ainsi fait de Belliers, bien qu'au fonds de son
ame
Ce cruel accident de cent pointes l'entame ;
Pourtant il ne se rend, ains d'un oeil asseuré,
Coupant les vains regrets d'un dueil demesuré,
S'aproche, se resoult, & les autres console,
D'une voix magnanime, ouvrant ceste parole :
Il faut donner des pleurs à ceux que le trespas
Sans nul honneur envoye aux ombres de là bas,
Et, qui, cachans leur vie au coin de leur village,
Inutiles vaisseaux ont consumé leur âge :
Mais à toi, frere cher, qui tant & tant de fois
As respandu le sang des haineux de nos Rois,
Qui viens d'en faire un lac ; qui n'eus jamais emprainte
De l'effroyable mort ni l'horreur ni la crainte ;
Il te faut des lauriers, des palmes, & le los
Dont la haute vertu recognoit les Heros.
Toi, qui l'amour du Cieleuz au coeur imprimee
Toi, qui as plus ta foi que ta vie estimee,
Toi, qui, hors des combats, gracieux & courtois,
;
La pitié, la douceur en ton ame portois
Toi, qui en tes propos constant & veritable,
Tel qu'Aiax Telamon, n'inventas jamais fable :
Toi, la fleur des amis, qui à donner conseil,
La parole,
ou
l'espee oncques n'euz de pareil :
Toi, qui sçavois domter l'une & l'autre
Fortune,
Qui ne cognuz jamais l'avarice importune,
Dont l'esprit relevé n'avoit rien
que de grand,
Qui estois tout ensemble & vaillant & prudent ;
Bien que tu meures jeune, & qu'à peine cinq lustres
Fournissent de carriere à tes vertus illustres :
Toutesfois le renom de ton los nompareil
Doit aller & durer autant que le Soleil.
Plustost les bleds naistront sous les vagues profondes,
Et le pere Ocean douces verra ses ondes ;
Plustost dedans son sein l'une & l'autre Ourse
ira,
Que la
race à venir ta gloire ne dira.
Ce n'est rien que la mort, tout ce qui prend naissance
A la loi des destins doit ceste redevance ;
Le fort Alcide mesme à la fin la paya,
Et le fils de Thetis
au combat essaya
(Quand il occit Memnon) que les fils des Deesses
N'evitent la rigueur des Parques dompteresses :
Les hauts Dieux ont voulu nostre âge limiter ;
Quand le terme est venu nul ne peut l'eviter,
Rien n'est dessous le Ciel exempt de cest outrage,
Tout passe, tout perit, & tout mortel ouvrage
Qui semble defier le passage des
ans,
A nos injures cede ou à celles du temps,
Mais d'estendre & de rendre
en toutes parts semee
Par actes immortels, sa vive renommee,
Et dessous renverser le silence abattu,
Cest oeuvre n'appartient qu'à la seule vertu.
Puisse-je, ô seul espoir jadis de
pensees,
mes
Suivre comme un crayon tes actions passees :
Puisse-je mourir jeune, en vivant à jamais,
Et toi jouïr au ciel d'une eternelle paix.