L’expertise psychologique en
milieu judiciaire
Dr. Ismahan Soukeyna Diop
FLSH Ucad PSYCHOLOGIE APPLIQUÉE À LA JUSTICE
Cours 3
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Introduction
• Selon le dictionnaire du droit privé français (Braudo, n.d.), «
L’expertise est une mesure d’instruction qui entre dans les mesures de
la mise en état, et celui qui la conduit participe au fonctionnement du
service public de la Justice… » Dans un monde complexe, aux
connaissances diversifiées et exigeantes, l’expertise s’entend comme
un dispositif d’aide pour une juridiction civile ou pénale permettant de
répondre à une ou plusieurs questions qu’elle ne peut résoudre par elle-
même. De cette mise en état dépend l’établissement de la vérité des
faits qui a pour finalité la solution du procès. En cela, l’expertise est un
procédé d’instruction utilisé par une juridiction. En langage procédural,
l’expertise s’envisage plus précisément comme un acte délivrant un
avis d’ordre technique, ayant pour finalité d’éclairer une affaire, dès
lors qu’une juridiction l’estime nécessaire pour rendre sa décision.
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• Par l’application de connaissances théoriques spécifiques ayant trait à
un fonctionnement, l’expertise a donc pour objectif d’apporter une
illustration technique afin d’éclairer la manifestation de la vérité pour
un verdict juste et fondé. En se focalisant sur ce seul aspect technique,
l’expertise exclut toute autre question qui n’en relèverait pas. Ce
commentaire souligne l’une des premières règles expertales : le rapport
d’expertise n’est pas destiné à trancher une question de droit, à
instruire le dossier en lieu et place des parties, a fortiori à leur fournir
des preuves… S’écarter de cet objectif équivaudrait à bafouer l’un des
principes directeurs de l’éthique expertale.
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L’expert
• De la définition de l’expertise découle celle de l’expert. L’expert est un
connaisseur instruit dans son domaine de compétence. Du fait de son
expérience, il est rompu à percevoir ce qui n’est pas aisément
perceptible. L’expert se doit d’allier qualification, compétence et
expérience. Sans la possession et la maîtrise évidente de ces trois
qualités, le professionnel, notamment débutant, ne peut ni ne doit
envisager de s’engager dans cette pratique. Il en va de sa responsabilité
et du respect de l’éthique expertale.
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Principes fondateurs de la pratique expertale
• Les principes directeurs de la philosophie procédurale de l’expertise
fondent l’éthique judiciaire. Ils sont mis en application par le nouveau
Code de procédure civile et définis par la loi relative aux experts
judiciaires, loi n° 71-498 du 29 juin 1971, modifiée par la loi n°
2004-130 du 11 février 2004 (art. 46 JORF 12 février 2004),
consolidée le 19 juin 2008. L’article 1 stipule « Sous les seules
restrictions prévues par la loi ou les règlements, les juges peuvent
désigner pour procéder à des constatations, leur fournir une
consultation ou réaliser une expertise, une personne figurant sur l’une
des listes établies en application de l’article 2. Ils peuvent, le cas
échéant, désigner toute autre personne de leur choix… »
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• Cet article appelle différents commentaires. L’expertise judiciaire n’est
pas systématique, elle dépend des besoins du juge et de ses attentes.
Ceci confère à la pratique expertale un caractère facultatif, ponctuel et
contractuel, qui qualifie une prestation. En conséquence, l’expert
judiciaire, en tant que tel, n’exerce pas une profession mais une
fonction de collaboration confiée par une juridiction. De plus, le juge
est désigné comme seule autorité à apprécier l’utilité et la nécessité de
la mission ainsi que son étendue. Sa liberté s’étend au choix de la
spécialité à convoquer et, en son sein, la désignation nominative de
l’expert souhaité. Ces différents éléments mettent en avant le pouvoir
souverain du juge. Ils limitent en outre la place de l’expert judiciaire à
celle d’un auxiliaire entièrement assujetti à cette autorité. En
conséquence, la fréquence et la récurrence de la désignation d’un
expert dépendent de sa propension à satisfaire au mieux les attentes, au
pire les désirs, du magistrat.
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• L’éthique de l’expert doit endiguer toute tentation d’utiliser des procédés pour
obtenir des missions. Pour cela, elle se fonde sur les principes de neutralité et
d’indépendance. Par ailleurs, les juridictions possèdent des listes officielles
d’experts afin d’aider le juge à désigner le spécialiste le plus adapté au dossier à
instruire. Pour la justice est donc expert judiciaire celui qui figure sur l’une des
deux listes officielles : la liste nationale établie par le bureau de la Cour de
cassation, ou la liste des experts judiciaires dressée par chaque Cour d’appel.
L’expert judiciaire participe ainsi au service public de la justice dans sa fonction
de réguler les rapports des citoyens entre eux. Entre défense de la société et
défense de l’individu l’expert, par son exercice, est engagé au cœur même de la
vie sociétale (Duflot 1999). Le pouvoir dont il est investi lui donne une
considérable responsabilité dont il doit avoir connaissance afin d’accomplir sa
mission avec conscience, objectivité et impartialité. Le respect rigoureux de ces
trois grands principes constitue un autre pan important de l’éthique expertale.
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• Enfin, une juridiction peut désigner comme expert toute personne (physique ou
morale) de son choix, y compris hors de ses listes d’experts. En cela l’intitulé
d’« expert judiciaire » spécifie uniquement une fonction et non un titre au sens
strict du terme. Ce label ne correspond à aucun grade dans la fonction
judiciaire, n’est assujetti à aucun diplôme spécifique et donc n’établit aucun
droit, notamment de publicité. Le décret français n° 2004-1463 du 23 décembre
2004 fixe les conditions générales d’inscription sur l’une des listes d’experts : «
N’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux
bonnes mœurs ; … Exercer ou avoir exercé pendant un temps suffisant une
profession ou une activité en rapport avec sa spécialité ; … Exercer ou avoir
exercé cette profession ou cette activité dans des conditions conférant une
qualification suffisante ; … N’exercer aucune activité incompatible avec
l’indépendance nécessaire à l’exercice de missions judiciaires d’expertise ; …
Être âgé de moins de soixante-dix ans… » Ces conditions générales ont trait
d’une manière générale à l’honneur et la probité de la personne, elles insistent
sur sa nécessaire expérience et sa qualification professionnelle.
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• De plus, l’expert conserve une indépendance absolue, ne cédant à aucune
pression ou influence de quelque nature qu’elle soit. Ce principe directeur de
l’éthique expertale interdit à l’expert judiciaire d’accepter toute activité privée
de conseil ou d’arbitre au nom et pour le compte d’une institution autre que
judiciaire, afin d’en défendre les intérêts. Par ailleurs, lors de son inscription,
l’expert prête « serment d’apporter son concours à la justice, d’accomplir sa
mission, de faire son rapport et de donner son avis en son honneur et en sa
conscience… ». Ce principe insiste sur la responsabilité de l’expert. Lorsqu’il
accepte une mission, il est tenu de la remplir jusqu’à complète exécution
L’expert procède lui-même aux opérations d’expertise. Cependant, en
s’engageant personnellement, il s’ouvre l’espace de refuser toutes missions ou
questions qui échapperaient à sa compétence. Il doit dans ce cas suggérer au
juge de désigner un co-expert, ou de lui adjoindre une personne plus qualifiée
pour avis sapiteur. Ces deux types de collaborateurs qui assistent l’expert,
opèrent toujours sous son contrôle mais jamais dans la sous-traitance. Puis il
rédige un rapport clair, précis et complet dont il est le seul responsable et qu’il
assume totalement en le signant.
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• L’expert s’expose à des poursuites disciplinaires pour toutes
contraventions aux lois et règlements relatifs à sa profession/à sa
mission, pour tout manquement à la probité ou à l’honneur, même se
rapportant à des faits étrangers aux missions qui lui ont été confiées.
Ces dernières vont du simple avertissement à sa radiation avec
privation définitive du droit d’être inscrit sur une des listes d’experts.
Enfin, le principe du contradictoire est l’une des clés de voûte de
l’éthique expertale. Selon l’article 14 du nouveau Code de procédure
civile « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou
appelée ». Dans le langage procédural, cela signifie que chacune des
parties a été mise en mesure de discuter l’énoncé des faits et les
moyens juridiques que ses adversaires lui ont opposés. L’expert
judiciaire est soumis au respect du principe du contradictoire ; il est
tenu de soumettre aux différentes parties ses documents, les résultats de
ses investigations et ses conclusions, afin qu’elles puissent en débattre
avec lui.
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• L’expert prend en considération toutes observations ou réclamations ; il
notifie dans son rapport la suite qu’il leur a donnée. Le non-respect de
ce principe peut annuler les opérations d’expertise et représente une
violation d’une des règles princeps de l’éthique judiciaire.
• Ces textes de lois définissent les grands principes du cadre de l’éthique
judiciaire : expérience, conscience, objectivité, impartialité,
indépendance. L’expert les connaît et s’y soumet sans faille du fait de
l’importance de ses responsabilités.
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Les principes de l’expertise psychologique en
milieu judiciaire
• La demande d’inscription en qualité d’expert judiciaire fait suite à une
requête personnelle adressée par le candidat au procureur de la
République. Le candidat effectue ainsi une démarche volontaire qui
l’engage à participer en toute connaissance de cause au fonctionnement
du service public de la Justice, mais également à en respecter les
règles. Le psychologue s’engage à traiter l’affaire d’un client et non à
traiter un patient ; à rester indépendant ; à rechercher la formation
adéquate. Le psychologue expert, comme tout expert, s’engage à
respecter le cadre et les différents principes exposés précédemment. Il
ne peut les ignorer ou les obérer, sous peine d’hypothéquer fortement
la validité et la légitimité de sa pratique en milieu judiciaire.
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• Responsabilité d’autant plus importante qu’elle est contemporaine de
sollicitations accrues par les juridictions. Ceci peut s’expliquer par un
intérêt manifeste pour notre compréhension du psychisme humain
(dans ses acceptions de soubassement d’une structure subjective et
d’opérations cognitives) : notre compétence permettrait alors au juge
de comprendre la dynamique psychique ou la conséquence de faits.
Mais également par une aspiration latente à introduire davantage
l’humain dans le fonctionnement et les actions de la justice : en
personnalisant les faits nous les rendons moins déshumanisants. Ces
préoccupations récurrentes animèrent les grandes réformes du système
judiciaire (1960-1990) pour une justice plus équitable et surtout plus
humaine.
• L’expertise judiciaire pose la question de la neutralité et de
l’indépendance de l’expert vis-à-vis du juge qui le désigne. Pour
rappel, la fréquence et la récurrence de nos désignations dépendent du
juge, implicitement de notre propension à le « satisfaire ».
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• Ce phénomène attentatoire si facilement repérable ne saurait être utilisé
par l’expert. De surcroît, afin de maintenir son indépendance vis-à-vis
du monde judiciaire, le psychologue expert ne peut envisager son
activité dans le cadre d’un emploi régulier lui offrant salaire, c’est-à-
dire en tant que profession. Rester à distance pendant le temps et
l’espace d’un contrat qui définit la prestation de service neutralise cette
tentation. Par ailleurs, l’éthique expertale reconnaît au psychologue
expert la liberté de choisir « librement les investigations à mener, les
méthodes et les procédés à appliquer… », puisque, par hypothèse, il est
un technicien qualifié. En ce sens, « le juge ne saurait lui imposer
aucune contrainte sur ce plan… » Si une juridiction ne peut dicter à
l’expert ses choix ou ses actes, en retour elle lui donne l’obligation de
les assumer pleinement. L’indépendance technique liée à une
compétence entre ainsi en résonance avec la responsabilité.
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Les missions du psychologue expert
• Ce phénomène attentatoire si facilement repérable ne saurait être utilisé par
l’expert. De surcroît, afin de maintenir son indépendance vis-à-vis du monde
judiciaire, le psychologue expert ne peut envisager son activité dans le cadre
d’un emploi régulier lui offrant salaire, c’est-à-dire en tant que profession.
Rester à distance pendant le temps et l’espace d’un contrat qui définit la
prestation de service neutralise cette tentation. Par ailleurs, l’éthique expertale
reconnaît au psychologue expert la liberté de choisir « librement les
investigations à mener, les méthodes et les procédés à appliquer… », puisque,
par hypothèse, il est un technicien qualifié. En ce sens, « le juge ne saurait lui
imposer aucune contrainte sur ce plan… » Si une juridiction ne peut dicter à
l’expert ses choix ou ses actes, en retour elle lui donne l’obligation de les
assumer pleinement. L’indépendance technique liée à une compétence entre
ainsi en résonance avec la responsabilité.
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Moyen théoriques et méthodologiques
• Du fait de la diversité des missions, les attentes de la justice procèdent donc de
niveaux d’analyse différents (éclairer un arbitrage, rendre intelligible un
acte…), mais l’on peut toutefois les schématiser ainsi : décrire et évaluer (un
fonctionnement psychique, la stabilité d’une structure, ses lignes de cassures ;
une efficience cognitive, ses avatars neuropsychologiques…) ; éclairer (livrer
une hypothèse explicative du comportement déviant, de la décompensation, de
la déficience…) ; étayer une prise de décision (livrer toute information utile à la
manifestation de la vérité). La méthode en psychologie repose précisément sur
ces trois temps : conceptualiser le problème posé, c’est-à-dire le supposer
rationnellement sous forme d’hypothèses ; le comprendre en l’intégrant dans un
concept théorique intelligible ; en déduire une conséquence vérifiable.
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Conclusion
• Le psychologue ne s’intéresse pas aux raisons qui justifient, mais aux causes
qui expliquent, qui donnent du sens à l’acte. Il n’établit pas la vérité des faits,
mais dessine une vérité psychologique afin de comprendre le fonctionnement
psychique de l’individu et en proposer une signification. Le psychologue
possède les outils théoriques, méthodologiques, déontologiques, afin de réaliser
une analyse clinique approfondie qui allie une vision objective des différents
éléments constitutifs et leur mise en rapport en un tout cohérent explicatif. Ceci
permet au psychologue expert d’opérer un changement de registre qui va de
l’acte inimaginable à la restitution d’un sujet pensable pour son auteur. Ceci,
n’est pas synonyme d’indulgence, mais s’inscrit dans les règles des droits
fondamentaux de la personne. En retour la pratique expertale interroge l’éthique
du psychologue.
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• Ces questions éthiques illustrent la richesse et la diversité des
questionnements possibles par le cadre judiciaire. Ils ne sauraient se
limiter à ceux exposés. Assurément la dialectique « psychologie et
justice » doit être encore approfondie.
• La pratique du psychologue est chargée de sens : elle souhaite
connaître pour comprendre, sans juger, mais en éclairant les jugements
chargés d’apprécier des actes. En rendant le sujet intelligible, elle
participe au respect de la personne humaine et en reconnaît la dignité.
Elle peut être un lieu où s’accomplit l’humanisation.
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Bibliographie
• Gély-Nargeot, M. (2009). L'expertise psychologique en milieu
judiciaire. Dans : Odile Bourguignon éd., La pratique du
psychologue et l’éthique (pp. 127-141). Wavre: Mardaga.
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