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Responsabilité Dans La Société en Contexte Africain

L'article explore le concept de responsabilité dans un contexte africain, en s'appuyant sur les théories de philosophes comme Hans Jonas, qui souligne l'importance de la responsabilité face aux crises écologiques et sociales. Il distingue différents niveaux de responsabilité, notamment parentale, contractuelle et celle des hommes d'État, tout en insistant sur la nécessité d'une prise de conscience collective pour un développement durable. La responsabilité est présentée comme une valeur fondamentale qui doit guider les actions individuelles et collectives pour le bien-être des générations présentes et futures.

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Responsabilité Dans La Société en Contexte Africain

L'article explore le concept de responsabilité dans un contexte africain, en s'appuyant sur les théories de philosophes comme Hans Jonas, qui souligne l'importance de la responsabilité face aux crises écologiques et sociales. Il distingue différents niveaux de responsabilité, notamment parentale, contractuelle et celle des hommes d'État, tout en insistant sur la nécessité d'une prise de conscience collective pour un développement durable. La responsabilité est présentée comme une valeur fondamentale qui doit guider les actions individuelles et collectives pour le bien-être des générations présentes et futures.

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Responsabilité dans la société en contexte africain.

Prof dr Mambuene yabu André Jacques

Introduction

La Responsabilité est un concept à la fois philosophique, juridique et moral. Elle est une catégorie
anthropologique qui envahit tout homme et sollicite à chacun sa mise en application. La responsabilité
n’est pas une attribution liée à une qualité ou à un don spécifique de l’être humain, comme le fait
d’être conscient ou la capacité d’auto-détermination. Il ne s’agit pas non plus d’une potentialité ou
d’un effet de la maturation de l’être humain. La responsabilité humaine et personnelle est déjà
radicalement inhérente dans chaque individu, comme facteur constitutif de sa condition humaine :
celle-ci est la matrice de toute qualité individuelle, de toute condition existentielle, de tout degré de
développement. Non seulement elle touche la dimension individuelle de la personne humaine, mais
aussi sa dimension sociale et éthique.

Dans cet article, nous allons recourir aux théories de certains philosophes dont Hans Jonas, le
philosophe par excellence de la responsabilité et le seul qui en a fait le fondement même de sa
philosophie1 ;Jacques Derrida2 ; Emmanuel Kant3 et Emmanuel Levinas 4.

Voici donc les questions qui nous préoccupent : « qui est appelé responsable » ? « Comment peut-on
assumer ses responsabilités dans la société » ? « Quels sont les degrés de responsabilité d’un chacun ;
à son niveau et l’impact dans la société » ?

Nous sommes appelés à développer un sens élevé de responsabilité comme expression


anthropologique de prise de conscience pour un développement adéquat dans les sociétés africaines,
devant la crise écologique, le sous-développement, la conscience émoussée, l’individualisme, la
fausse solidarité africaine, le tribalisme, etc…

1H. JONAS, Le Principe responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique, 1979, coll. : « Champs », France,
Flammarion, 199 p. ; Sophie Bérubé FANCHON, Le principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale
(Mémoire présenté comme exigence partielle de la maitrise en philosophie, en février 2007, à l’Université du Québec
à Montréal) ; Thierry VAISSIERE, « L’éthique de Responsabilité chez Hans Jonas à l’épreuve du droit international de
l’environnement », in Revue interdisciplinaire d’études juridiques, Volume 43, Bruxelles 1999, pp. 135-199
2Cfr. J. DERRIDA, Adieu à Levinas ; Ibid., Politiques de l’amitié
3Cfr. I. KANT, Fondazione della metafisica dei costumi; KANT, Ibid., Critica della ragion pratica

4Cfr. E. LEVINAS, Totalité et infini ; Ibid., Autrement qu’être


2

1.La responsabilité : concept philosophique, juridique et moral

Le constat d’un monde futur en danger pousse Hans Jonas à affronter le thème de responsabilité. En
effet, Hans Jonas5 part d’une constatation selon laquelle les futures générations risquent de ne pas
trouver un monde où il fait bon vivre par le fait que nous sommes en train de détruire tout (l’écologie,
l’environnement, etc.)6. Voilà pourquoi «Hans Jonas propose une sensibilisation à la responsabilité
et une brutale prise de conscience, par l’heuristique de la peur »7. Pour lui, le principe responsabilité
invite tout le monde à prendre ses responsabilités afin de sauver ce monde de sa ruine imminente.

Pour Hans Jonas, la responsabilité est engendrée par un sentiment, un état d’âme devant le mal. Il
place donc la responsabilité comme valeur centrale et incontournable, il en fait un concept fondateur.
Chez Hans Jonas, « la responsabilité n’est pas présentée comme une vertu, mais bel et bien comme
le fondement même d’une éthique »8. Selon lui, l’homme n’a pas bien compris sa mission de
soumettre la nature pour son bonheur, mais plutôt il se détruit lui-même9. Toutefois, cette prise de
conscience est différente des uns des autres à partir des intérêts d’un chacun. Par exemple, quelqu’un
n’achète que des produits biologiques pour la sensibilité à sa propre santé d’un côté mais ne réduit
pas la consommation de l’essence d’autre part. Et pourtant, le problème de l’air pollué devrait aussi
le préoccuper. Devant une telle situation, la solution est de reprendre le contrôle de la technologie qui
dirige nos vies, qui met en péril nos vies et celles futures, car cette technologie ne répond plus à
aucune moralité. Pourtant la vie est précieuse, elle a une valeur absolue et métaphysique, et doit
devenir un but en soi ; c’est pourquoi il faut agir ; non seulement l’être humain est-il appelé à « devoir-
être », comme chez Kant, mais surtout à « devoir-agir » pour protéger nos vies et celles futures10 .

La première chose de l’éthique de la responsabilité, contrairement aux éthiques rationnelles, est


qu’elle accorde une très grande place aux sentiments (affectivité). Pour Hans Jonas, ce qui nous
permet de nous sentir responsable des autres, c’est le sentiment et non pas la raison. Ce qui nous
pousse à agir moralement, c’est notre capacité d’être affecté par la détresse des autres 11. Nous avons
tous ce sentiment naturel, voilà pourquoi des gens apparemment insensibles peuvent pourtant agir
moralement. « Des brutes, par exemple, qui ne pleurent jamais et ne semblent pas sensibles à la

5 Juif allemand né à Mönchengladbach, il a eu comme professeur Husserl, Heidegger et Bultmann.


6 Catastrophes écologiques, contamination des animaux par la Dioxine présente dans les farines animales,
déforestation abusive, la fonte des glaciers du pôle nord, modifications génétiques, diminution de la couche d’ozone,
changement climatique, etc…. Le même constat pourrait être fait pour les sociétés africaines en général et celle
congolaise en particulier où le sauve qui peut devient le slogan le plus actuel et aussi la privation à la jeunesse
d’espérance de vie n’est plus à démontrer.
7 S. B. FANCHON, Le principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, p. 5
8Ibid., p. 5
9 J. HANS, Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, p. 15
10S. B. FANCHON, Le Principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, pp. 7-8
11Ibid., p. 9
3

douleur des autres, peuvent soudainement agir avec compassion »12. Donc la morale ne concerne pas
seulement la dimension objective (la raison) mais aussi celle subjective (les sentiments). Que faut-il
faire pour aider à l’agir ? Il faut donc travailler sur les détenteurs des décisions afin de les contraindre
et les pousser à être affectés devant la misère des autres et des vulnérables, mais aussi à avoir une
sensibilité pour le futur des jeunes générations. Bien qu’apparemment divergents concernant la raison
pour Kant comme fondement de l’éthique et le sentiment pour Hans Jonas, les deux sont d’accord sur
le fait que « l’homme doit nécessairement être libre de pouvoir accomplir ou non son devoir, pour
être considéré comme un être moral. Néanmoins, ce devoir, selon Hans Jonas, n’est pas dicté par la
raison, mais par un appel extérieur qui est celui de la détresse »13. Une détresse des autres êtres
vivants, cet appel nous touche et nous rend sensibles à tel point que manquer d’y répondre nous fait
sentir une obligation morale qui pèsera sur nos épaules. Ce qui doit nous décider d’agir est une
ontologie du bien qui ne vient pas de l’obligation de la part d’une autorité sociale, mais un appel qui
vient de la volonté de faire du bien.

N’oublions pas que l’exercice de la responsabilité est différent d’un niveau à l’autre, selon le niveau
social que nous occupons dans la même société : nous avons donc la responsabilité parentale et celle
de l’homme d’Etat, sans sous-estimer celle du simple individu.

La responsabilité parentale est naturelle, elle est inscrite dans la nature des choses, car elle existe sans
la force de l’instinct ou des sentiments ; elle est donc ontologique à tout homme 14; elle est innée15 ;
elle est l’« l’archétype intemporel de toute responsabilité »16. La responsabilité par exemple d’un
parent vis-à-vis d’un nourrisson est un devoir « irrésistible » car il apparaît évident pour tous que sans
autrui, le nourrisson n’a pas la possibilité de vivre 17. Ici, on n’a pas besoin de recevoir un cri de
détresse pour être interpellé, mais elle s’impose d’elle-même, car c’est sa raison d’être, son ultime
fin. Cette responsabilité parentale a un caractère absolu, car elle apparaît automatiquement sans que
personne n’ait à la sous-entendre ou à la justifier. En effet, les parents sont entièrement responsables
de leur enfant jusqu’à l’âge de la puberté qui varie des uns aux autres ; ils forgent dans l’enfance
l’avenir de leur progéniture ; l’enfant est donc « irréfutablement »18 sous la responsabilité de ses
parents qui en déterminent la survie. En fait, les parents ne choisissent pas de prendre cette
responsabilité vis-à-vis des enfants, mais c’est la responsabilité qui les choisit. Le caractère inné de

12S. B. FANCHON, Le Principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, p.9


13Ibid., p.9
14Ibid., p.12
15Ibid., p. 193
16 J. HANS, Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, p. 250
17Ibid., pp. 250-253
18Ibid., p. 251
4

la responsabilité existe quand bien même cet enfant est abandonné 19 ; Mais la responsabilité parentale
s’étend également à ceux qui ne sont pas encore nés, car les parents sont aussi, comme nous tous,
responsables de « la chose qui revendique notre agir »20, que cette chose nous soit personnellement
connue ou non, l’important est que nous l’ayons 21. C’est bien donc le sentiment « qu’une chose est à
protéger » qui nous rend responsable, comme le cas de nos enfants par le fait que nous les aimons.
Notons que le souci des autres vient d’un sentiment, mais tous les sentiments ne sont pas égaux ; voilà
pourquoi il y a la différence de responsabilité envers nos enfants et envers des inconnus 22. Il y a donc
différence dans les responsabilités car il y a des responsabilités « moins inconditionnelles » que les
autres (responsabilités naturelles et contractuelles).

A côté de la responsabilité naturelle qui est celle des parents, il y a la responsabilité contractuelle qui
est une responsabilité « artificielle »23. Cette responsabilité « suppose une entente de base, un
consentement au préalable »24. Prenons par exemple un médecin qui consent à prendre un patient à
charge à un moment spécifique de sa vie et prend la responsabilité de ses propres décisions, de ses
actes, et de leurs conséquences ; ce médecin est responsable de l’état de santé de son patient, dans un
laps de temps précis, mais ne l’est pas dans les autres domaines de sa vie. Il n’est pas responsable des
actes de son patient, si ceux-ci ne mettent pas en cause son état de santé 25.

Mais nous avons également un autre niveau de responsabilité, celle de l’homme d’Etat. La
responsabilité de l’homme d’Etat est contractuelle comme celle du médecin vis-à-vis de son patient,
mais en même temps elle est très proche de la responsabilité naturelle comme celle des parents. En
effet, « à partir du moment où l’homme d’Etat décide de prendre le pouvoir, sa responsabilité est
entière, comme dans le cas des parents »26. En fait, « ces responsabilités (parents et homme d’état)
enveloppent l’être total de leurs objets, c’est-à-dire tous les aspects de ceux-ci, allant de la simple
existence, jusqu’aux intérêts les plus élevés »27 ; dans les deux cas, la responsabilité est totale et
continue. Pour l’homme d’Etat, « dans l’officium artificiellement créé , dès lors que, se détachant de
la communauté des frères et des citoyens, il assume pour eux tous un rôle dont les responsabilités
ressemblent à celle d’un père (de famille) »28, sa responsabilité devient donc totale et continue. Ceci,
parce que l’homme d’Etat, comme un père de famille, est responsable de tous ses citoyens et de leurs

19J. HANS, Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, p. 25


20Ibid., p. 182
21Ibid., p. 194
22Ibid., p.183
23J. HANS, Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, p.186
24S. B. FANCHON, Le Principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, p. 16
25Ibid., p. 16
26Ibid., p. 18
27 J. HANS, Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, p.200
28Ibid., p.205
5

besoins matériels ou culturels (leur protection, leur environnement, et leur survie). Ainsi donc, tout
comme le père de famille, l’homme d’Etat possède le savoir et le pouvoir qui lui permettent de faire
des choix positifs au nom et au profit de ses citoyens, car il est supposé connaître mieux la situation
du pays et il a plus de pouvoir pour agir pour le bien de tous, pour les intérêts de tous. Mais notons
que malgré les ressemblances, la responsabilité de l’homme d’Etat (responsabilité politique) se
distingue de celle parentale, d’une part l’homme d’Etat décide de prendre à sa charge tous les citoyens
à tout moment sans interruption, et d’autre part, il doit prendre sous son aile tous les problèmes passés,
présents et futurs, mais uniquement durant son mandat, et encore il n’est pas le géniteur de ses
citoyens 29. Durant tout le temps de son pouvoir, l’homme d’Etat est responsable de ses propres choix
pour le présent et pour l’avenir de ses citoyens, mais il est aussi responsable des anciennes erreurs du
passé, qu’il doit parfois tenter de réparer, et des générations futures, qui ne l’ont même pas élu »30.
Parmi les domaines de la responsabilité de l’homme d’Etat vis-à-vis de ses citoyens, il y a l’éducation,
car le citoyen est un but immanent de l’éducation ; donc, l’Etat doit prendre en charge l’éducation des
citoyens en assurant leur formation 31.

Ces degrés de responsabilité énumérés, à savoir la responsabilité parentale ou naturelle, la


responsabilité contractuelle comme celle d’un médecin vis-à-vis de ses patients, la responsabilité
contractuelle d’homme d’Etat vis-à-vis de ses citoyens, n’excluent pas la responsabilité du citoyen
parce qu’elle est « la seule à pouvoir entraver la corruption possible du pouvoir »32, mais aussi parce
que c’est sur le citoyen que se joue l’auto-conscience pour une prise en charge du propre destin au-
delà des facteurs externes (Etat et professionnels, etc.). Certainement que nos sentiments en tant que
citoyens nous poussent à agir, mais l’agir est conditionné par notre savoir (avoir tous les éléments
pour comprendre la situation) et notre pouvoir d’action (nos possibilités d’action). En effet, « sans
savoir et sans pouvoir, le sujet n’est pas responsable d’autrui, mais il est plutôt sous la responsabilité
des autres, de ceux qui savent et qui peuvent »33. Sans enlever à la personne humaine ce sentiment
naturel de responsabilité, il faut noter que ne peut être responsable du vulnérable que celui qui sait et
qui peut (l’homme d’Etat, le médecin, le chauffeur, le parent, etc…), tandis que le fou n’assume pas
la responsabilité ; donc il faut le mettre hors d’état de nuire fraternellement en prenant soin de lui et
en le tenant loin de toute responsabilité.

29J. HANS, Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, p.207
30S. B. FANCHON, Le principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, p. 20. Il cite Jonas Hans, op. cit.,
page 69
31 J. HANS, Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, pp. 202-203
32S. B. FANCHON, Le principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, p. 21
33Ibid., p. 24
6

Il n’est pas question de limiter la responsabilité à une dimension individuelle mais l’ouvrir à
l’universel puisque les conséquences de l’agir des uns et des autres affectent tout l’univers. C’est ici
qu’intervient l'impératif catégorique d’Emmanuel Kant que l’on peut résumer en ces termes: « Agis
de telle sorte que tu puisses également vouloir que ta maxime devienne une loi universelle, c’est-à-
dire la nécessité d’assurer la survie de l’humanité en tant que telle »34. Pour Kant, « chaque action
doit être précédée de la question suivante : que deviendrait l'humanité si nous agissions tous comme
je m'apprête à le faire ? Si je pense voler : qu’arriverait-il si l’humanité entière se mettait à voler ?
Plus personne ne se ferait confiance et la société, idéalement basée sur les relations de confiance,
n’aurait plus de raison d’être. Poser un geste qui pourrait briser l'idée même de société, est un non-
sens. Pour cela, cette action serait immorale »35. Mais il ne faut pas oublier d’aller au-delà de la raison
et de la logique, mais dans le cas actuel, nous avons besoin des gestes et un agir responsable 36. Ainsi
donc, « l’être humain peut bien mentir si cela ne concerne que lui-même, mais si son mensonge peut
avoir des conséquences négatives sur la vie des autres, il ne doit pas mentir »37. Emmanuel Kant
affirme que ce qui nous rend responsable est la loi morale qui agit selon le maximum de la raison
humaine (voir Critique de la raison pratique). Par exemple, je ne vole pas parce que je ne veux pas
que les autres me volent ou volent mes biens. Ainsi, si la loi devient un devoir, alors la suivre et la
mettre en pratique devient éthique. Par exemple, le feu rouge dans la circulation routière me demande
de ne pas traverser, non pas parce que j’ai peur qu’un policier pourrait m’infliger une amende, mais
parce que je ne dois pas le faire. Cette loi morale me pousse à la rendre universelle, par le fait que
c’est elle qui règle mon action. C’est donc par pur devoir et raison que j’agis. Ainsi, selon Emmanuel
Kant, la responsabilité est de l’ordre universel, parce que la loi morale est celle qui rend universel
l’action humaine (son agir) ; tandis que la loi juridique est celle qui a seulement peur de la punition,
de la prison, etc… Elle n’est pas universelle mais particulière. En effet, pour Emmanuel Kant, l’ordre
juridique n’est pas éthique mais motif empirique, et donc il n’est pas responsable.

Mais devant la loi juridique et éthique, Jacques Derrida38, un philosophe d’origine juive, objecte parce
que l’obéissance à la loi est un pur conformisme qui donne la possibilité du sujet à agir de la même
façon devant la loi. Pour lui, si la loi morale est universelle, alors elle devient seulement un plan que
tous doivent suivre sans être un point de sollicitation de notre propre personne, il n’est donc pas un
lieu où se joue notre liberté. Puisque la loi (morale et juridique) ne peut être la condition du sujet
responsable dans sa liberté, le sujet responsable est celui qui agit en auto conscience ; celui qui devient

34S. B. FANCHON, Le principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, p.27


35Ibid., p. 27
36J. HANS, Le Principe responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique, p. 40
37S. B. FANCHON, Le principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, p. 28
38Cfr. J. DERRIDA, Adieu à Levinas, Jaca Book, Milano ; J. DERRIDA, Politiques de l’amitié, Cortina, Milano
7

capable de juger, de choisir, de décider de choisir devant une double situation. Dans le même ordre
d’idée, un autre philosophe juif d’origine de la Lituanie, Emmanuel Levinas 39 affirme que ce qui est
juste dépasse la loi, ainsi notre responsabilité ou notre être sujet se joue sur le lieu de la différence de
niveau entre la loi et la justice. Le responsable est celui qui a la capacité de donner une réponse devant
une situation particulière où il est interrogé et sollicité. La responsabilité devient donc un critère
d’organisation de la société ; donc, le responsable est également celui qui tient compte non seulement
du présent à soigner mais aussi du futur à programmer.

2. La responsabilité comme réalité sociale : profil de l’africain responsable

Il est impérieux avant tout de revisiter deux concepts de base de la société africaine pour tracer un
profil tant soit peu de ce que doit ou peut être l’homme africain responsable en général. Nous
soulignons le concept de solidarité africaine et celui tribal. Ce concept de solidarité africaine favorise
d’une part la cohésion familiale et d’autre part la détruit s’il est mal compris et interprété. Bien
qu’élément fondamental de cette culture, le concept de solidarité africaine est souvent ou parfois
utilisé pour justifier la paresse, la dépendance, la mendicité, la « clochardise », l’infantilisation, et
n’aide pas certains africains à se faire responsables de leur propre vie, de la vie des autres et aussi de
la survie du monde. Au nom de la solidarité africaine, plusieurs africains mettent leur sort entre les
mains d’un individu afin qu’il prenne en charge toute une famille ; l’on se plait à vivre dans la paresse,
l’infantilisation et la « clochardise » pour profiter au maximum de celui qui démontre un sens de
responsabilité. Combien de fois on trouve des enfants confiés à l’oncle paternel ou maternel pour leur
prise en charge matérielle et toute leur survie, pendant que les parents géniteurs se croisent les mains
et observent ?

Le tribalisme est une autre pratique en vogue dans les sociétés africaines où l’homme d’Etat ne se
rend plus souvent responsable de ses citoyens, mais devient l’ennemi de son propre peuple, utilisant
à son profit et au profit de ses proches les richesses d’un pays. Mais cela vaut également dans plusieurs
domaines en Afrique, non seulement des hommes d’Etat. Cette attitude est qualifiée par Hans Jonas
d’inconscient et d’irresponsable, puisque seul celui qui a des responsabilités peut agir de façon
irresponsable40. L’irresponsabilité est cette attitude égoïste et individualiste qui ne se fait pas
interpeller par le cri des vulnérables à qui l’on prive leurs droits et pour qui on détruit leur propre
avenir et celui de leurs progénitures.

39Cfr. E. LEVINAS, Totalité et infini, Jaca Book, Milano ; E. LEVINAS, Autrement qu’être, Jaca Book, Milano
40J. HANS, Le Principe responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique, pp. 183-184
8

La question que l’on peut se poser est celle de savoir comment aider chacun à être responsable ?

La première réponse vient de Hans Jonas qui parle du sentiment comme fondement de la
responsabilité, c’est-à-dire seul celui qui est capable d’écouter l’appel de celui qui souffre est capable
d’agir en responsable ; Il faut donc être sensible au cri du vulnérable, comme l’enfant, l’autre et le
citoyen. Cette sensibilité qui est un niveau subjectif est une prise de conscience de ce que nous avons
devant nous qui nous interpelle. Malheureusement, cette sensibilité manque aujourd’hui dans nos
sociétés africaines. C’est justement l’exemple d’un taureau qui piétine un poussin et qui reste fixé sur
le poussin malgré les cris de la poule. Toutefois, ces sentiments moraux qui sont l’expression
spontanée et parfois non réfléchie des positions morales, présentés par Hans Jonas, doivent s’appuyer
sur des motifs rationnellement fondés et que la réflexion permet d’énoncer avec clarté. Ceci rejoint
la pensée de Kant pour qui l’une des questions fondamentales est par exemple : que deviendrait
l'humanité si nous agissions tous comme je m'apprête à le faire ? Donc, la raison d’être de quelque
chose qui nous pousse à bien agir ; (on rejoindrait la parole de l’Evangile qui dit : « Tout ce que vous
voulez que les autres fassent pour vous, faites-le de même pour eux, c’est la loi et les prophètes »
(Matthieu 7, 12 ; Luc 6,31)). Par exemple, nous avons une réaction d’indignation lorsqu’un fort abuse
d’un faible. Nous pourrions certainement expliquer cette réaction en notant que le plus fort déroge à
une règle rationnelle de réversibilité, comme le fort ne voudrait pas que nous abusions de lui s’il était
à la place du faible. Ainsi, le sentiment et la raison sont deux composants qui nous poussent à agir ;
« quand nous intervenons pour aider quelqu’un, nous le faisons peut-être sous l’influence des
sentiments, mais aussi peut être pour défendre des valeurs qui sont la liberté ou l’égalité. Et si nous
ne ressentons pas le sentiment de responsabilité face à un être dans une situation d’injustice, notre
raison est là pour nous rappeler ce devoir que nous avons d’intervenir »41. En effet, « c’est par cet
aspect rationnel que nous pouvons nous permettre d’établir des lois. Malgré nos sentiments, la loi
peut nous demander de prendre nos responsabilités, même si cela ne nous convient pas. Nous
pouvons, par exemple, être obligé légalement à sauver la vie d’un homme qui se noie, même s’il est
le meurtrier de notre enfant »42 ; Emmanuel Kant appelle cette attitude : « un devoir légal, tout autant
que moral »43.

D’autre part, le sentiment universel est encadré par les lois qui peuvent obliger la responsabilité : la
peur de la loi et de l’autorité qui peut imposer dans certaines circonstances la responsabilité. La
liberté, pense Charles Taylor, philosophe communicateur, ne peut être prise comme une valeur
suprême et universelle pour qu’elle n’emmène pas, comme dans plusieurs cas, la société à une éthique

41S. B. FANCHON, Le principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, p. 43


42S. B. FANCHON, Le principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, p. 43
43 I. KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, section 1.
9

minimale, qui reconnait un minimum de valeurs souvent vidées de tout leur sens 44. Pour lui, l’éthique
doit être appuyée d’un ordre juridique composé des lois capables d’obliger à agir et aussi capables de
limiter la liberté ouverte seulement à la conscience personnelle. L’ouverture à une éthique universelle
a donné la possibilité à chacun de régler ses conflits moraux par des procédures formelles appelées
lois. Ceci veut dire que à un certain niveau, « la force devient l’unique moyen de faire agir les citoyens
de la même manière ; autrement, leur individualité les conduit sur des chemins trop souvent
différents »45, ce qui ne permettra pas à certains d’être responsables du sort des autres et d’agir en
conséquence. Pour répondre à ce principe, nous avons l’heuristique de la peur et l’idée d’autorité
responsable et équilibrée tant dans le milieu familial que dans le milieu politique. Ainsi donc, « si le
citoyen ne ressent pas, par lui-même, le sentiment de responsabilité, il faut lui faire prendre
conscience »46, voilà l’heuristique de la peur. Ici, l’on fait intervenir l’autorité et l’on interpelle
l’autorité afin qu’il prenne ses responsabilités sociales et puisse créer un climat juridique qui oblige
les citoyens autant que elle-même à se préoccuper de la survie des autres et de l’humanité entière.
L’homme d’Etat ne doit pas seulement agir, comme un père de famille, en protégeant ses pauvres
citoyens ignorants de certaines choses et sans pouvoir d’action sur les grandes questions, mais il doit
être aussi et surtout celui qui les interpelle par la loi à agir rapidement pour le bien-être d’eux-mêmes
et des autres. Bien sûr que « la personne qui utilise l’autorité hiérarchique pour se délier de toute
responsabilité manque de maturité (…) d’autant plus que cette attitude peut devenir extrêmement
dangereuse, car cela peut l’amener à participer directement ou indirectement à des actions immorales
en se disant qu’elle ne fait qu’obéir aux ordres (…). Dans ce cas, l’autorité peut facilement devenir
une béquille pour celui qui ne veut pas prendre de responsabilités» 47. On pourra parler d’un genre de
paternalisme de la part de l’autorité, sans pourtant sous-estimer le concept dictatorial.

Conclusion

De ce qui précède dans l’analyse que nous venons de mener, nous pouvons tirer trois possibilités
conclusives :

D’une part, il nous faut rappeler que l’espérance africaine doit aboutir à une transformation globale,
partant d’une « reconversion des mentalités » aux exigences de la modernité et du développement.
C’est en réponse à cette exigence que la camerounaise Axelle Kabou, dans son livre « Et si l’Afrique

44 C. TAYLOR, Grandeur et misère de la modernité, 1991, cité par S. B. FANCHON, Le principe Responsabilité de Hans
Jonas et la responsabilité sociale, p. 45
45Ibid., p. 45
46S. B. FANCHON, Le principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, p. 45
47Ibid., p. 49
10

refusait le développement ? »48, affirme que le sous-développement en Afrique n’est pas dû au


manque de capitaux mais à la question des mentalités. « L’Afrique, affirme Philippe Lavigne
Delville, n’a pas su dépasser son ‘sanglot de l’homme noir’. Elle s’est construite une image d’elle-
même en éternelle victime, où la traite, la colonisation, puis les termes de l’échange sont les seules
causes des difficultés…L’Afrique moderne paraît avoir autant de mal à revendiquer une modernité
associée à la traite négrière et à la colonisation qu’à assumer la totalité d’un système ante-colonial à
qui elle reproche deux défaites retentissantes…. ‘. Les africains restent largement persuadés que leur
destin doit être pris en charge par des étrangers’, que ‘les prétentions civilisatrices de l’Occident ne
s’arrêtent pas avec les indépendances’ »49. L’on comprend donc que dans une société telle que décrite,
la prise de responsabilité au sens propre et également le terme responsabilité sont quasi inexistants
sinon mal compris ou difficilement mis en œuvre ;

D’autre part, notons, après ce parcours, que toutes les responsabilités convergent en une seule, à
savoir : la responsabilité des hommes envers leurs semblables, qui est en fait la responsabilité
naturelle. La responsabilité existe dans chaque homme, mais elle n’est pas toujours en éveil, mais si
elle est attisée, elle ne l’est toujours pas de la même manière, selon le degré et le niveau d’un chacun.
Si la responsabilité naturelle est innée, celle contractuelle doit être éveillée et parfois suggérée.
Autrement dit, le principe responsabilité serait bel et bien présent en chacun de nous, prêt à intervenir
à tout moment, tandis que la vertu de responsabilité serait à apprendre et à pratiquer pour une
meilleure application. Cette disposition naturelle appelée responsabilité demanderait d’être exercée ;
c’est donc avec l’habitude que nous pourrons améliorer la mise en pratique de notre responsabilité ;
c’est donc en pratiquant la responsabilité que nous deviendrons de meilleurs responsables 50 ;

Et enfin, retenons que l’appel à une responsabilité sociale du citoyen, du parent, de l’homme d’Etat,
etc. doit être soumis aux principes suivants : l’éthique et la raison qui ouvre le chemin au pouvoir des
lois, aidant à agir. Le sentiment, l’affectivité, l’appel à l’écoute de la vulnérabilité et la raison motivée
de l’agir, la capacité de juger et de répondre, de choisir devant une double situation, fondent donc le
principe de responsabilité de l’homme. Toutefois, l’on tiendra compte de ces deux éléments pour
toute responsabilité, à savoir le savoir et le pouvoir, considérant leurs limites puisque le citoyen ne
peut « connaître que ce qui lui est présenté, et ne peut avoir la possibilité d’agir que sur ce qui est à
sa portée. Dans ce cas, il appartient à celui qui a le plus de savoir et de pouvoir à se faire le responsable
des autres, comme c’est le cas de l’homme d’Etat et du parent. Encore faut-il éviter le risque de laisser
ces derniers, surtout l’homme d’Etat, tout simplement de décider d’assumer les responsabilités des

48 Voir le livre d’Axelle KABOU, Et si l’Afrique refusait le développement ? Harmattan, Paris 1991, 208 pages
49Ibid.
50Cfr. ARISTOTE, Morale et politique, textes choisis, coll « SUP », France, Presses universitaires de France, 1970, p. 71
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citoyens à leur place ; l’on tomberait tout simplement dans l’infantilisme qui ne serait qu’une
possibilité individuelle de nous laisser prendre en charge par d’autres, ne nous donnant aucune
possibilité d’être responsables ni de nous préoccuper devant l’agir. Ce qui est à retenir est que la
responsabilité est effectivement un sentiment inné, sollicité par l’appel du vulnérable : Ce qui vaut
pour le père de famille vis-à-vis de ses enfants, vaut pour le citoyen vis-à-vis des autres, et vaut
également pour l’homme d’Etat vis-à-vis des citoyens et de la nation entière, tenant compte que
l’homme d’Etat est obligé à confronter les choix qu’il fait pour la nation avec les citoyens qui ne sont
pas privés totalement du savoir et du pouvoir, car la responsabilité de l’homme d’Etat ne doit pas
prendre la place de celle des individus. Le cas contraire serait du pur paternalisme et de la dictature.
La responsabilité sociale se base surtout sur l’éducation à toutes les échelles. En effet, « tous les
hommes peuvent être à la fois responsables de certaines personnes et sous la responsabilité d’autres,
puisque si la responsabilité est unilatérale, elle est aussi (…) réciproque dans une certaine mesure.
Ainsi, même s’il n’existe pas de réciprocité dans la responsabilité, il existe une réciprocité générale
entre les humains, du fait que chacun peut, selon les situations, être le sujet de la responsabilité ou
son objet »51.

51S. B. FANCHON, Le principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale, pp. 48-49
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Bibliographie

-ARISTOTE, Morale et politique, textes choisis, coll. « SUP », France, Presses universitaires de
France, 1970

-DERRIDA, Jacques, Adieu à Emmanuel Levinas, Ed. Galilée, Paris, 1997, 210 p.

-DERRIDA, Jacques, Politiques de l’amitié suivie de l’orielle de Heidegger,Ed. Galilée, Paris, 1994

-FANCHON, Sophie Bérubé, Le principe Responsabilité de Hans Jonas et la responsabilité sociale,


Mémoire présenté comme exigence partielle de la maitrise en philosophie, en février 2007, à
l’Université du Québec à Montréal

-JONAS, Hans, Le Principe responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique, 1979,

coll. : « Champs », France, Flammarion, 199 p.

-KABOU, Axelle, Et si l’Afrique refusait le développement ? Harmattan, Paris 1991, 208 p.

-KANT, Emmanuel, Fondazione della metafisica dei costumi, Ed. Laterza, 11è édition, 23 Octobre
1997, 208 p.

-KANT, Emmanuel, Critica della ragion pratica, a cura di Pietro CHIODI, UTET (unione
Tipografico-Editrice Torinese, Novara 2013

-LEVINAS, Emmanuel, Totalité et infini, Ed. Jaca Book, 12 maggio 2023, 384 p.

-LEVINAS, Emmanuel, Autrement qu’être, Ed., 4è édition, 25 février 2004, 288 p.

-VAISSIERE, Thierry, « L’éthique de Responsabilité chez Hans Jonas à l’épreuve du droit


international de l’environnement », in Revue interdisciplinaire d’études juridiques, Volume 43,
Bruxelles 1999, pp. 135-199)

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