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Résumé Histoire Du Droit Privé

L'évolution historique du droit privé est profondément liée aux transformations sociales et politiques, avec des racines romaines, des influences germaniques et chrétiennes, et des dynamiques de codification. Le droit romain a évolué d'un système sacré à un cadre laïque, tandis que l'Empire a centralisé le pouvoir juridique sous l'autorité de l'empereur, culminant avec le Corpus Iuris Civilis. La chute de l'Empire a ensuite donné lieu à un pluralisme juridique médiéval, intégrant diverses traditions juridiques.

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Résumé Histoire Du Droit Privé

L'évolution historique du droit privé est profondément liée aux transformations sociales et politiques, avec des racines romaines, des influences germaniques et chrétiennes, et des dynamiques de codification. Le droit romain a évolué d'un système sacré à un cadre laïque, tandis que l'Empire a centralisé le pouvoir juridique sous l'autorité de l'empereur, culminant avec le Corpus Iuris Civilis. La chute de l'Empire a ensuite donné lieu à un pluralisme juridique médiéval, intégrant diverses traditions juridiques.

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Évolution Historique du Droit Privé : Une

Synthèse Détaillée des Origines à Nos


Jours
Introduction
L'histoire du droit privé est une discipline riche et complexe, intrinsèquement liée à l'évolution
des sociétés et des relations interindividuelles. Elle témoigne des transformations des mœurs,
des structures sociales, économiques et politiques, ainsi que des avancées technologiques. Le
présent rapport explorera cette évolution à travers plusieurs traditions fondamentales : les
racines romaines, les apports germaniques et chrétiens du Moyen Âge, l'émergence et la
formalisation des coutumes, l'influence structurante des droits savants (romain et canonique), la
construction progressive d'un droit français national, et les dynamiques de codification. Une
attention particulière sera portée à l'exemple du droit congolais, illustrant la complexité de la
coexistence entre traditions locales et droit importé. L'analyse mettra en lumière les interactions
constantes entre les sources formelles du droit (lois, coutumes, jurisprudence, doctrine) et les
pouvoirs politiques en place, montrant comment le droit est à la fois un produit et un instrument
des transformations sociétales et étatiques.

I. Les Fondements Romains du Droit Privé


L'histoire du droit privé trouve ses racines profondes dans le droit romain, un système juridique
qui s'est formé et a évolué sur plus d'un millénaire, depuis les origines légendaires de Rome
jusqu'à la chute de l'Empire romain d'Occident. Ce parcours est marqué par une progressive
laïcisation, une diversification des sources et une centralisation du pouvoir normatif.

Le Droit Archaïque et la Laïcisation du Droit


Aux premiers temps de Rome, de sa fondation en 753 avant notre ère jusqu'au début du Vème
siècle av. J.-C., le droit romain était intrinsèquement lié à la religion. La distinction entre le ius et
le fas était floue. Le ius, étymologiquement ce qui est rituellement pur, en est venu à désigner
l'ensemble des règles permises par la Cité et s'imposant aux hommes pour organiser la justice.
Le fas, en revanche, représentait l'harmonie cosmique, ce qui était permis ou défendu par les
Dieux, échappant à l'action humaine.
Les lois royales, règles de comportement social attribuées fictivement aux sept rois de Rome,
illustrent cette ambiguïté. Elles sanctionnaient les violations des devoirs religieux (comme l'abus
de puissance paternelle ou le non-respect des récoltes protégées par Cérès) non pas par
l'autorité publique, mais par une sanction religieuse : la sacratio. Cette élimination rituelle du
coupable par lynchage, sans jugement, visait à apaiser la vengeance divine et à protéger le
groupe.
Le caractère sacré du droit était également manifeste dans le rôle du collège des pontifes. Ces
prêtres, dont le nom signifie "faiseurs de ponts" au sens liturgique, contrôlaient à la fois la vie
juridique et religieuse. Ils étaient chargés de conserver le fas et de définir le ius pontificum,
distinguant le sacré du profane. Le grand pontife, héritier des pouvoirs religieux du roi, était le
véritable chef de la religion. Leur intervention dans la sphère juridique découlait du caractère
sacré du sacramentum (le serment) qui formait le droit en prenant les dieux à témoins. Les
pontifes maîtrisaient le calendrier judiciaire et politique, fixant les jours fastes et néfastes, et
surtout, ils contrôlaient la procédure des "actions de la loi". Cette procédure formaliste exigeait
l'emploi de termes précis pour intenter une action en justice. La connaissance de ce droit restait
longtemps leur monopole, comme le déplorait Tite-Live, affirmant que le "droit civil était caché
dans le sanctuaire des pontifes" (ius civile reconditum in penetralibus pontificum). Ce pouvoir
considérable, où la moindre erreur formelle entraînait la perte du procès, fut probablement
utilisé par les pontifes, exclusivement patriciens jusqu'en 254 av. J.-C., pour entraver l'accès
des plébéiens à la justice.
La laïcisation du droit, une condition préalable essentielle à son autonomisation et à sa
complexification, s'est amorcée avec l'érosion progressive de ce monopole pontifical. En 304 av.
J.-C., les formules et le calendrier furent publiés, et en 254 av. J.-C., le premier grand pontife
plébéien, Tiberius Coruncanius, rendit ses consultations publiques. Cette évolution culmina
avec la "Loi des XII Tables" (451 av. J.-C.), qui marqua une rupture décisive en ne conservant
que de rares traces de sacralité. C'est à partir de cette loi que le ius civile commença
véritablement à se former.

La Formation du Ius Civile Républicain


La période de la République romaine, initiée en 509 av. J.-C. avec le renversement de la
royauté, fut marquée par des bouleversements profonds dans les institutions et le droit.
Initialement aux mains des patriciens, la plèbe, écartée des affaires publiques, ne cessa de
réclamer des droits et des garanties judiciaires, menant à un siècle et demi de conflits sociaux
qui aboutirent au compromis licino-sextien en 367 av. J.-C., partageant le pouvoir entre les
élites patricienne et plébéienne.
Dans ce contexte, de nouvelles sources de droit émergèrent rapidement. La "Loi des XII
Tables", issue des tensions sociales de 451 av. J.-C., fut une réponse à la puissance illimitée
des consuls. Elle constitua un véritable "code judiciaire" en énumérant les conditions
d'ouverture de procès, garantissant ainsi l'accès au tribunal. Cette loi, votée par une assemblée
populaire (les comices), marqua le début de l'intervention du peuple dans la législation et
l'ascension de la loi comme source primordiale du droit. Sa longévité fut exceptionnelle, restant
en vigueur dix siècles et devenant la "source de tout le droit privé et public". La dualité entre la
loi votée et la coutume comme reflet des tensions sociales et de la nécessité d'adaptation
juridique est ici manifeste. La loi, bien que prestigieuse, était relativement rare (environ 800 lois
en cinq siècles de République, dont seulement 26 pour le droit privé), tandis que l'essentiel du
droit privé, notamment les relations familiales, était régi par la coutume.
La coutume existait sous la forme du mos maiorum (mœurs des ancêtres), à l'origine des lois
royales, fixant les contours de la puissance paternelle et sanctionnant ses abus par des moyens
religieux. Avec l'expansion territoriale de Rome à partir du IIIème siècle av. J.-C., la notion de
coutume évolua vers la consuetudo, désignant les coutumes locales que les peuples conquis
étaient autorisés à conserver. Au IIIème siècle ap. J.-C., un "droit romain vulgaire" apparut,
constitué d'adaptations locales du droit romain aux besoins économiques et sociaux de
l'Empire. Le juriste Julien soulignait que la coutume ancienne devait être observée comme une
loi, car l'approbation du peuple, qu'elle soit écrite ou tacite, conférait force obligatoire.

Les Mutations Novatrices de la République Tardive


Entre le IIIème et le IIème siècle av. J.-C., le droit républicain connut des mutations profondes,
avec l'émergence de sources souples et novatrices : le droit prétorien et la iuris prudentia. Ces
innovations juridiques constituaient une réponse directe aux besoins sociaux et économiques
d'une société en pleine expansion.
La création de la préture en 367 av. J.-C. fut un tournant. Le préteur, magistrat élu pour un an,
devint le garant de la première phase du procès (in iure). Face au formalisme rigide et aux
injustices de la procédure des actions de la loi, une nouvelle "procédure formulaire" se mit en
place, sanctionnée par la loi Aebutia (avant 150 av. J.-C.). Le préteur délivrait une "formule"
écrite au juge, lui permettant d'étendre des actions existantes ou d'en créer de nouvelles
(actions prétoriennes), notamment des "actions fictives" pour étendre les bénéfices aux
pérégrins. Chaque préteur publiait un "édit perpétuel" listant les cas pour lesquels il accorderait
une action, devenant ainsi un créateur de droit. Le droit prétorien se révéla une source
particulièrement souple et adaptable aux évolutions économiques et juridiques.
Parallèlement, la iuris prudentia, la science du droit, se développa. Au IIIème siècle av. J.-C., les
premiers jurisconsultes laïcs émergèrent, brisant le monopole pontifical de l'interprétation. Des
commentaires doctrinaux sur la Loi des XII Tables et les formules apparurent. Au milieu du
IIème siècle av. J.-C., avec les Veteres et surtout Quintus Mucius Scævola, la science du droit
se structura. La jurisprudence romaine se caractérisait par son abstraction, faisant émerger des
règles générales à partir de cas concrets, et par son lien constant entre théorie et pratique. Les
jurisconsultes, souvent praticiens, délivraient des consultations juridiques (responsa) et
conseillaient les préteurs. Leur interprétation du droit civil et prétorien était axée sur la
recherche de solutions pratiques, "justes et équitables", comme le soulignait Ulpien, se
considérant comme les "prêtres" de la justice.

L'Empereur et la Maîtrise des Sources du Droit


L'avènement de l'Empire en 27 av. J.-C. marqua une transformation considérable des sources
du droit, avec une centralisation administrative et une concentration des pouvoirs entre les
mains de l'empereur. La centralisation du pouvoir politique se traduisait par une mainmise
systématique sur les sources du droit, transformant leur nature et leur autonomie.

L'Affirmation du Droit comme Attribut du Prince

L'évolution vers un système juridique où le droit était l'attribut du Prince fut progressive. Au
début du Principat, les apparences républicaines furent maintenues. Les assemblées populaires
conservèrent un temps leur pouvoir législatif, mais leur activité déclina, la dernière grande loi
étant votée en 96 ap. J.-C.. Le Sénat, dont les sénatus-consultes n'étaient initialement que des
avis, vit son activité normative s'élargir et acquérir force de loi à partir du IIème siècle,
notamment sous Hadrien. Cependant, le Sénat fut progressivement "domestiqué", son vote se
transformant en acclamation de la volonté impériale. L'édit du préteur, source souple de la
République, se figea également sous la méfiance impériale, sa forme et son contenu étant fixés
définitivement par le jurisconsulte Julien vers 130 ap. J.-C., plaçant le droit prétorien sous le
contrôle de l'empereur.
La jurisprudence subit également l'emprise impériale. Malgré une période faste au début de
l'Empire avec les écoles proculienne et sabinienne, Auguste instaura le ius respondendi ex
autoritate principis, soumettant le droit de donner des consultations juridiques à l'autorisation
impériale. Les jurisconsultes, tels Papinien, Paul et Ulpien, passèrent au service de l'empereur,
accédant même à de hautes fonctions. Au milieu du IIIème siècle, la doctrine déclina. En 426, la
"loi des citations" des empereurs Théodose II et Valentinien officialisa l'autorité des écrits des
grands jurisconsultes (Papinien, Paul, Ulpien, Gaius, Modestin), absorbant ainsi la iuris
prudentia dans un système juridique entièrement assujetti au Prince.

Le Développement du Pouvoir Normatif de l'Empereur

L'empereur, doté du ius edicendi (droit de promulguer des édits), vit son pouvoir d'édicter se
distinguer de celui des autres magistrats par son application sans limitation de durée. Une
théorie se développa selon laquelle l'empereur tenait du peuple la capacité de faire la loi par
délégation, via la lex regia ou lex de imperio. Ulpien synthétisa cette doctrine dans la formule
célèbre : "Ce qui a plu au prince a force de loi" (Quod principi placuit legis habet vigorem).
L'empereur légiférait par le biais de "constitutions impériales" : les édits (portée générale), les
décrets (jugements particuliers), les rescrits (réponses à des demandes sur des questions
judiciaires ou administratives) et les mandats (instructions administratives). Si les empereurs du
Principat légiféraient principalement par décrets et rescrits, c'est-à-dire des décisions
individuelles et contentieuses, le IIIème siècle vit l'empereur s'emparer pleinement du pouvoir
législatif, les rescrits devenant des règles générales réutilisables. L'empereur fut désigné
comme "loi vivante" (lex animata) et "seul interprète du droit", le principe étant posé par
Justinien en 529.
Les IVème et Vème siècles furent marqués par une inflation législative sans précédent. Pour
gérer cette masse de textes, la chancellerie impériale adopta le codex. Des compilations
juridiques virent le jour, d'abord privées (Code Grégorien 291, Code Hermogénien 295), puis
officielles. Le Code Théodosien, promulgué en 438, rassembla les constitutions depuis
Constantin, organisées par matière et adaptées aux besoins de l'époque. Il fut reçu dans les
deux parties de l'Empire et devint le principal vecteur du droit romain en Occident jusqu'au
XIème siècle.
L'apogée de cette maîtrise impériale fut atteinte avec les Compilations de Justinien. En 528,
l'empereur d'Orient, Justinien, lança un projet colossal de compilation de l'intégralité du droit,
dans l'ambition de restaurer la grandeur de l'Empire, "orné par les armes" et "armé par les lois".
La compilation des sources du droit romain, connue sous le nom de Corpus Iuris Civilis, fut
réalisée par une commission dirigée par Tribonien en six ans. Elle comprenait :
●​ Le Code (529-534) : Inspiré des codes précédents, il augmenta considérablement le
nombre de constitutions impériales, classées par ordre chronologique en douze livres.
●​ Le Digeste (ou Pandectes, 533) : Il rassembla près de 9000 fragments d'œuvres de 38
jurisconsultes, classés en 50 livres et 429 titres. Ces extraits de doctrine acquirent force
de loi.
●​ Les Institutes (533) : Manuel à l'usage des étudiants, résumant les matières du Code et
du Digeste, et ayant également force de loi.
●​ Les Novelles (565) : Constitutions de Justinien postérieures à la parution du Code.
La codification comme instrument de rationalisation, d'unification et d'affirmation du pouvoir
impérial, avec le Corpus Iuris Civilis comme apogée, fut un événement colossal qui rendit
possible la formation d'une tradition juridique en Occident, sous la double forme du droit civil et
du droit canonique, redécouverte en Italie à la fin du XIème siècle.

II. La Formation du Pluralisme Juridique Médiéval


À la chute de l'Empire romain d'Occident en 476, les royaumes émergents sur le territoire de
l'ancienne Gaule héritèrent d'un mélange de traditions juridiques : romaine, germanique et
chrétienne. Ce métissage initial évolua vers un pluralisme juridique marqué par la dislocation
territoriale et l'émergence des coutumes.

Aux Confluences de Trois Traditions Juridiques (Vème-IXème siècle)


La Tradition Romaine

Malgré l'effondrement de l'Empire, la romanité survécut en Occident à travers son legs juridique,
politique et administratif. Les élites gallo-romaines, partiellement romanisées, continuèrent de
propager les pratiques de l'administration impériale romaine au sein des royaumes francs. Cela
se manifesta par le maintien de titres romains (Clovis reçut le titre de consul romain en 507) et
la conservation de pratiques centralisatrices impériales, comme le découpage du royaume en
pagi (circonscriptions) dirigés par des comtes, souvent gallo-romains.
Cependant, le legs juridique romain fut altéré. Les compilations de Justinien, rédigées au VIème
siècle à Constantinople, restèrent largement inconnues en Occident jusqu'au XIème siècle. La
principale source du droit romain dans le monde franc fut le Code Théodosien, mais sous forme
d'abrégés et de versions simplifiées. Cette version lacunaire servit de base à l'élaboration de
lois rédigées par les rois barbares pour leurs sujets gallo-romains. La "Loi romaine des
Burgondes" (Papien) et surtout le "Bréviaire d'Alaric" (506), promulgué par le roi wisigoth Alaric
II, en sont des exemples. Le Bréviaire, bien qu'hétérogène, devint presque l'unique droit romain
connu dans le royaume franc jusqu'au IXème siècle, une version "abâtardie et lacunaire" de la
technicité romaine.

La Tradition Barbare

Les populations barbares apportèrent avec elles un droit spécifique, très différent des traditions
romaines. L'idée d'État était étrangère aux Germains, organisés en tribus où l'autorité reposait
sur des liens personnels et des serments de fidélité (le leudesamio). Le pouvoir royal était
patrimonial, le royaume étant considéré comme la propriété privée du roi et soumis aux règles
de succession privées, entraînant des partages entre les fils.
La tradition juridique germanique se caractérisait par une conception ethnique des droits : la loi
applicable à chaque individu était déterminée par son ethnie ou sa "race", non par le territoire. À
la fin du Vème siècle, les tribus barbares entreprirent de mettre leurs lois par écrit en latin, sous
l'influence du modèle romain. Ces "lois barbares" (Loi salique, Code d'Euric, Loi Gombette, Loi
ripuaire) consistaient principalement en de longues énumérations de compositions pécuniaires
(wergeld) visant à remplacer la vengeance privée (faida) et à préserver la paix publique.
Le système de la personnalité des lois, où différentes lois coexistaient sur un même territoire en
fonction de l'origine ethnique des justiciables, fut la norme pendant plus de trois siècles. Lors
d'un procès, le juge demandait "Sous quelle loi vis-tu?", et l'individu déclarait sa loi par la
professio legis. Cependant, la "fusion des races" et l'acculturation rendirent ce système de plus
en plus difficile à appliquer. Les lois barbares tardives montrèrent une tendance à faire du lieu
de naissance le critère de détermination de la loi, amorçant un glissement vers la territorialité,
comme en témoigne l'Édit de Pîtres de Charles le Chauve en 864. La coexistence du droit
romain et des traditions germaniques, gérée par le principe de la personnalité des lois, révèle
une société en transition et la difficulté d'une unification juridique précoce.
La Tradition Chrétienne

Les royaumes post-romains héritèrent également d'une forte tradition chrétienne. Le


christianisme, reconnu en 313 et religion d'État en 380 (Édit de Thessalonique), permit à l'Église
romaine de conserver ses structures hiérarchiques. Elle devint un "réservoir de la romanité",
diffusant la culture impériale et fournissant des cadres compétents aux royautés barbares, les
évêques remplaçant progressivement les fonctionnaires impériaux.
La conversion de Clovis au christianisme romain vers 499 fut un événement majeur. Ce
baptême entraîna le ralliement des populations méridionales et un soutien politique total de
l'épiscopat et de la papauté, faisant de Clovis le protecteur de l'Église. Ce fut le début d'une
alliance durable entre le pouvoir laïc et l'Église, qui fournit les cadres conceptuels et
idéologiques d'une conception politique romanisée. Les rois francs furent perçus comme les
successeurs des empereurs chrétiens romains, exerçant des prérogatives religieuses (comme
la convocation du Concile d'Orléans en 511).
La collaboration entre la royauté et l'Église s'affirma avec les Carolingiens. Le double sacre de
Pépin le Bref (751, 754) fit du roi un "Oint du Seigneur", doté d'une mission d'inspiration divine.
La royauté fut dès lors perçue comme un "ministère", le pouvoir devant être exercé selon la
volonté divine et non plus comme une autorité patrimonialisée. L'épiscopat propagea cette
vision d'une fonction publique, une respublica, à l'échelle de la Chrétienté. Cette alliance
atteignit son apogée avec la restauration de l'Empire d'Occident sous Charlemagne en 800. Le
christianisme, en tant que force unificatrice et légitimante, a fourni des cadres conceptuels et
administratifs cruciaux pour la construction d'un État.
La législation canonique connut un développement considérable à l'époque carolingienne,
marquée par l'influence de la collaboration politique et du renouveau intellectuel. Les synodes
carolingiens se multiplièrent, et les évêques devinrent législateurs dans leurs diocèses par des
statuts épiscopaux ou diocésains, régissant la vie des clercs et des laïcs. Cette législation, au
plus près des préoccupations quotidiennes, fut largement diffusée par des "collections
canoniques".

Aux Origines du Pluralisme Juridique (Xème-XIème siècle)


La renaissance carolingienne et son embellie juridique prirent fin brusquement à la fin du IXème
siècle, plongeant l'Occident dans une période de crise qui affecta profondément les structures
juridiques.

Dislocation Territoriale et Seigneuries

L'Empire carolingien ne survécut pas à Louis le Pieux, et sa mort en 840 ouvrit une longue
période de crise et de guerres de succession, aboutissant au partage de l'Empire à Verdun en
843. La faiblesse de l'autorité royale, notamment celle de Charles le Chauve, entraîna un appui
sur une puissante aristocratie, à laquelle fut concédé l'exercice de charges publiques en
contrepartie d'un engagement de fidélité personnelle (système vassalique). Ces charges
publiques, souvent associées à un avantage matériel (le beneficium, souvent une terre),
devinrent progressivement héréditaires au IXème siècle.
Cette pratique conduisit à la formation de lignées aristocratiques très puissantes, dotées d'un
patrimoine foncier conséquent. La puissance de cette aristocratie, exerçant les prérogatives de
puissance publique au nom du roi, et la faiblesse parallèle de la royauté, entraînèrent une
pulvérisation du pouvoir central et un émiettement croissant des territoires. Ce processus
s'opéra en plusieurs phases : de la fin du IXème au début du Xème siècle, le pouvoir public
passa aux grandes principautés territoriales ; au milieu du Xème siècle, il se fragmenta encore,
passant aux comtes ; et à la fin du Xème et début du XIème siècle, par le phénomène de
l'enchâtellement, les petits seigneurs locaux s'emparèrent de l'autorité sur leurs territoires
environnants.
C'est ainsi qu'apparut la "seigneurie banale", concentrant les prérogatives de puissance
publique (droit de rendre la justice, lever une armée, percevoir les impôts) entre les mains des
petits seigneurs, sans délégation ni contrôle. La vie juridique et politique se resserra localement
autour du château. C'est dans ce cadre que de nouvelles règles, orales, mouvantes et
fortement territorialisées, les coutumes, émergèrent à partir du XIème siècle. L'effondrement de
l'autorité centrale a ainsi directement conduit à une localisation et une diversification du droit,
avec la coutume comme source principale, reflétant les rapports de force locaux et la
segmentation sociale.

Coutumes Locales et Privilèges

À partir du XIème siècle, des consuetudines (coutumes) apparurent dans chaque seigneurie,
transformant progressivement les rapports de force entre le seigneur et ses sujets, ou entre les
habitants d'un même territoire, en rapports de droit. Initialement, le terme "coutume" désignait
les prérogatives fiscales exercées par les seigneurs (impôts, corvées, droits de justice).
Cependant, la coutume servit aussi de limite aux abus seigneuriaux, les "mauvaises coutumes"
étant dénoncées par les sujets. Parallèlement, un autre type de coutume se développa,
régissant les relations entre les habitants (statut personnel, droit des biens, obligations,
successions), à l'exception du droit du mariage, qui relevait de la juridiction ecclésiastique. Ce
mouvement s'accéléra au XIIème siècle avec l'émergence des villes, qui obtinrent des
"franchises" (libertés) les protégeant des exactions seigneuriales.
Ce développement différencié entraîna une grande complexité coutumière et une fragmentation
juridique du territoire. Malgré cette diversité, des "ressemblances familiales" existaient, créant
des "aires coutumières". Une distinction majeure s'établit entre les "pays de coutumes" au Nord,
influencés par les traditions germaniques, et les "pays de droit écrit" au Sud, imprégnés du droit
romain, séparés par une ligne allant du lac Léman à La Rochelle.
L'idée de privilège devint indissociable de la coutume, reflétant la conception tripartite de la
société (ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent). Le clergé et la noblesse
bénéficiaient de privilèges collectifs (ex: privilège du for pour les clercs, droit d'être jugé par ses
pairs pour les nobles), réintroduisant une forme de personnalité du droit liée au statut social.

Féodalité et Droit Féodal

La désagrégation de la monarchie carolingienne et la dislocation territoriale donnèrent


naissance à la féodalité, une nouvelle forme d'organisation politique basée sur un lien
contractuel. Aux Xème et XIème siècles, les institutions féodales (fief et vassalité) étaient régies
par des règles mouvantes. Les obligations des seigneurs et des vassaux, les donations et
aliénations des fiefs, donnèrent lieu à des pratiques diverses, bien que le principe d'hérédité
s'instaurât rapidement. Fulbert de Chartres, au début du XIème siècle, fut consulté sur le
contenu du contrat féodo-vassalique, produisant les premiers textes théoriques sur le droit
féodal.
Cependant, ce furent principalement les usages locaux et la jurisprudence des cours de justice
qui fixèrent les contours du droit féodal, avec d'innombrables variantes temporelles et spatiales
(par exemple, les règles de succession aux fiefs différaient considérablement entre le Nord et le
Sud du royaume). Le droit féodal, bien que contractuel et personnel, contribua au pluralisme
juridique en créant des règles spécifiques à une classe sociale et à des biens particuliers,
complexifiant le paysage normatif. Les rapports juridiques des individus liés par les liens
féodo-vassaliques étaient ainsi régis par ces usages féodaux, notamment en matière de droit
des biens et de droit des successions, et étaient pris en charge par des justices particulières :
les cours féodales.
Le système juridique de la fin du XIème siècle était ainsi complexe et pluraliste. La disparition
progressive des lois personnelles et de la législation royale fut comblée par de nouvelles
pratiques normatives : coutumes spécifiques à chaque seigneurie, privilèges individuels ou
collectifs, conventions familiales et lignagères, et contrats féodo-vassaliques. Cette diversité
reflétait le poids des évolutions sociales et l'importance des solidarités de proximité ou d'autorité
dans la structuration des nouveaux rapports juridiques.

III. L'Émancipation et l'Influence des Droits Savants


À partir du XIIème siècle, l'Occident connut un renouveau intellectuel sans précédent, qui
bouleversa le champ du droit. La redécouverte des textes romains et la systématisation des
textes canoniques donnèrent naissance à une véritable science du droit, enseignée dans les
écoles puis les universités. L'influence de cette doctrine savante transforma profondément la
hiérarchie des sources du droit.

La Naissance de la Science du Droit


La fin du XIème et le début du XIIème siècle marquèrent une transformation de l'Occident, avec
l'émergence d'une culture profane fondée sur l'écrit et une exigence accrue de rationalité. Le
droit, réveillé et étudié scientifiquement, donna naissance à une véritable science juridique.

Le Réveil du Droit Romain

La seconde moitié du XIème siècle fut le théâtre d'un événement considérable : la réanimation
du droit romain en Occident par la redécouverte des compilations de Justinien, le Corpus Iuris
Civilis. Bien que le droit romain n'ait jamais complètement disparu, sa connaissance était restée
parcellaire et abâtardie pendant le Haut Moyen Âge. Le changement majeur fut la diffusion
considérable de ces textes justiniens, d'abord dans le Nord de l'Italie, puis dans toute l'Europe,
transformant la pensée juridique à partir des années 1070.
Cette "redécouverte" s'inscrivit dans le contexte de la réforme grégorienne (milieu XIème -
milieu XIIème siècle), un vaste mouvement de réforme de l'Église qui affirma l'autorité de la
papauté et suscita des revendications de l'Empereur et des rois. Ce conflit politique incita les
protagonistes à exhumer des textes juridiques oubliés pour appuyer leurs prétentions. Le
Digeste de Justinien fut étudié à partir de deux manuscrits principaux : la littera Bononiensia et
la littera Pisana-Florentina. Le Code, les Institutes et les Novelles (appelées Authentiques)
furent également redécouverts, l'ensemble étant désigné sous le nom générique de Corpus
Iuris Civilis.
Dès le XIIème siècle, la diffusion des concepts romains fut perceptible, notamment dans la
pratique notariée, qui adopta un vocabulaire romanisé. Le droit romain se répandit du Nord de
l'Italie vers le Midi, la vallée du Rhône, le Sud-Ouest et le Centre de la France. Son intrusion
provoqua de profondes modifications dans le fond du droit. Le droit des contrats, par exemple,
fut particulièrement touché, le droit romain supplantant rapidement les coutumes archaïques par
sa supériorité technique, mieux adaptée au renouveau économique et commercial des
XIIème-XIIIème siècles. De même, le droit pénal coutumier laissa place à une procédure
"romano-canonique" renouvelée. Cependant, d'autres domaines, comme le droit de la famille,
restèrent moins influencés. L'émergence du droit romain n'imposa que rarement des solutions
purement romaines, mais elle ne laissa presque nulle part subsister des solutions purement
coutumières, provoquant un "amalgame de solutions romaines et de solutions coutumières",
contribuant à transformer et rationaliser les coutumes. La redécouverte du droit romain n'est
pas une simple résurrection, mais une réappropriation dynamique qui transforme les pratiques
juridiques existantes, notamment par sa supériorité technique dans certains domaines.

L'Essor du Droit Canonique

Très tôt, l'Église entreprit de légiférer sur tous les aspects de la vie courante touchant à la
morale et à la religion, élaborant ainsi un droit propre diffusé par des compilations canoniques.
Les règles étaient fixées par diverses autorités normatives, principalement le pape et les
conciles. Entre le IIème et le XIème siècle, l'Église produisit des milliers de textes juridiques,
constituant un corpus d'une richesse et d'une technicité considérables.
Dès le Vème siècle, des "collections canoniques" apparurent, des recueils d'ampleur variée,
souvent d'initiatives privées et à vocation pratique, rassemblant des textes de diverses portées
et origines. Ces compilations étaient subjectives, le compilateur choisissant les textes qu'il
jugeait les plus efficaces et dignes de diffusion. Certains compilateurs n'hésitaient pas à créer
de toutes pièces des textes "officiels" pour appuyer leurs prétentions juridiques ou politiques.
Jusqu'au XIème siècle, les collections privilégiaient un regroupement par nature des textes
(décrétales, canons conciliaires), mais au début du XIème siècle, le regroupement par matières
devint la norme, rendant les collections plus méthodiques.
Le XIIème siècle marqua un renouveau spectaculaire de la science canonique, sous l'impulsion
de la réforme grégorienne. Vers 1140, le Décret de Gratien fut composé à Bologne. Son
originalité résidait dans sa volonté de résoudre les contradictions entre les canons (Concordia
discordantium canonum). Gratien s'efforça de trouver une harmonie par un plan méthodique
(trois parties) et l'instauration d'une hiérarchie des sources. Il intégra également les apports de
la "logique parisienne" développée par Abélard, utilisant la méthode dialectique du Sic et Non et
du Pro et Contra pour distinguer les situations d'application des textes contraires. Le Décret de
Gratien fut novateur en alliant compilation et apport doctrinal, interposant ses propres opinions
interprétatives. Son succès fut immédiat et il fut rapidement reconnu par la papauté.
Le bouillonnement intellectuel de la réforme grégorienne stimula également la législation
ecclésiastique, avec une activité normative pontificale sans précédent entre 1140 et 1230.
Plusieurs collections privées (les Compilationes prima, secunda, tertia, quarta et quinta)
tentèrent de réunir ces nouvelles sources. En 1234, le pape Grégoire IX chargea Raymond de
Peñafort de compiler les textes pontificaux depuis Gratien, donnant naissance aux "Décrétales
de Grégoire IX" (ou Liber extra), première compilation officielle voulue par la papauté. D'autres
papes complétèrent cet ensemble avec le "Sexte" (Boniface VIII, 1298), les "Clémentines"
(Clément V, 1317), les "Extravagantes de Jean XXII" (1324), et enfin les "Extravagantes
communes" (fin XIVème siècle, collection privée assimilée aux officielles). Cet ensemble fut
collectivement désigné à la fin du Moyen Âge sous le nom de Corpus Iuris Canonici. Le droit
canonique, par sa systématisation et son influence sur la morale et la vie quotidienne, devint
une source majeure du droit médiéval, rivalisant avec le droit romain en technicité et en portée.

L'Enseignement du Droit Savant


Le réveil du droit romain et du droit canonique, couplé à la renaissance intellectuelle du XIIème
siècle, permit l'élaboration d'un nouveau savoir : le droit savant. Pour la première fois depuis
l'époque romaine, le droit devint l'objet d'une réflexion globale, systématique et scientifique,
enseignée dans le cadre scolaire, puis universitaire. L'émergence des universités et des écoles
de droit, avec Bologne comme épicentre, institutionnalisa la science juridique, permettant une
systématisation et une diffusion sans précédent des droits savants.

Les Premiers Pas du Droit dans les Écoles (XIIème siècle)

Dès la fin du XIème et le début du XIIème siècle, Bologne s'imposa comme le lieu d'excellence
de l'enseignement juridique, tant en droit romain qu'en droit canonique. Bien que les
circonstances exactes de cette émergence soient mal connues, l'enseignement du romaniste
Irnérius (vers 1120) et de ses élèves, les "Quatre docteurs", est bien établi.
Les enseignants de Bologne, appelés glossateurs, dispensaient leur enseignement par la
méthode exégétique de la "glose". Ils lisaient chaque loi du Corpus Iuris Civilis ou Canonici
dans l'ordre, expliquant le vocabulaire, résumant le sens, et ajoutant parfois leur opinion
personnelle. Ces "gloses" s'accumulaient de génération en génération. Les glossateurs
cherchaient également à poser des questions au texte, dégageant des casus (cas pratiques) à
partir de fragments apparemment contradictoires, qu'ils s'efforçaient de concilier par un
raisonnement logique, souvent sous la forme du pro et contra. Leur méthode était axée sur les
définitions et les distinctions entre les textes. Leurs écrits circulaient sous forme d'"apparats"
(gloses adossées au texte) ou de "sommes" (recueils de gloses suivant l'ordre du texte).
En droit romain, l'école de Bologne se divisa en deux courants doctrinaux : Bulgarus défendait
une interprétation stricte et littérale, tandis que Martinus Gosia était sensible à la notion d'équité
et acceptait l'interprétation du droit romain par d'autres sources. Ce débat complexe influença
durablement la doctrine médiévale. En droit canonique, l'influence bolonaise fut également
majeure. Paucapalea composa la première Somme sur le Décret de Gratien, suivi par d'autres
grands décrétistes comme Maître Roland, Rufin, Étienne de Tournai, Jean de Faenza, Simon
de Bisignano et Huggucio. Les canonistes bolonais innovèrent également en produisant des
monographies sur des matières spécifiques (procédure, mariage, élection) et en commentant
les nouvelles sources du droit canonique (décrétales).
La méthode des glossateurs se diffusa rapidement dans toute l'Europe, donnant naissance à de
multiples centres d'enseignement : l'aire anglo-normande (Vacarius à Oxford), l'aire parisienne
et franco-rhénane (Étienne de Tournai à Paris, mélange de droit romain et canonique), et l'aire
méridionale (vallée du Rhône, avec des œuvres comme la Summa Trecensis ou Lo Codi). Des
maîtres bolonais, comme Placentin, vinrent même enseigner dans le Midi de la France.

L'Épanouissement de la Science Juridique dans le Cadre Universitaire


(XIIIème-XVème siècle)

Au début du XIIIème siècle, la prédominance de l'École de Bologne fut incarnée par la Grande
Glose (ou Glose ordinaire) d'Accurse, un commentaire exégétique exhaustif du droit romain qui
devint la référence unique en Europe. Cependant, à partir de la seconde moitié du XIIIème
siècle, la Glose d'Accurse fut critiquée pour son immobilisme et son incapacité à s'adapter aux
nouvelles réalités juridiques.
Une nouvelle méthode d'enseignement émergea à l'École d'Orléans, probablement dans les
années 1230, à la suite de l'interdiction pontificale d'enseigner le droit romain à Paris (bulle
Super Specula d'Honorius III en 1219). Cette méthode orléanaise reposait sur plusieurs
éléments : une utilisation novatrice de la logique et de la linguistique, une approche critique des
textes romains et de la doctrine (valorisant la vérification systématique des sources), une
conception poreuse des barrières disciplinaires (intégrant le droit canonique et la coutume), et
une orientation pratique (enseignants praticiens, formation de cadres pour l'administration
royale et ecclésiale). L'importance de l'École d'Orléans dans la formation des élites fut telle
qu'elle obtint le statut d'université en 1306 et une protection royale en 1312.
Cette nouvelle méthode donna naissance au "commentaire", une étude synthétique et ordonnée
des textes romains dépassant l'exégèse. Ceux qui la pratiquaient furent appelés
"commentateurs" ou "post-glossateurs". Le changement méthodologique entamé par les
Orléanais, et perfectionné par les bartolistes, marqua une rupture en adaptant le droit romain
aux réalités contemporaines et en intégrant d'autres sources, posant les bases d'un droit plus
unifié et pratique. La méthode se répandit dans toutes les universités européennes, y compris
Bologne.
La doctrine savante de la fin du Moyen Âge fut dominée par les juristes italiens : Cinus de
Pistole, Bartole (dont les disciples furent appelés "bartolistes"), et Balde. Les bartolistes des
XIVème et XVème siècles s'éloignèrent considérablement du texte romain pour développer un
véritable droit doctrinal, adapté aux usages et institutions de leur époque, diffusé sous forme de
traités spécialisés. Leur pédagogie, fondée sur l'argumentation et la controverse, fit surgir des
interprétations novatrices. Le droit canonique ne fut pas en reste, avec des figures comme
Henri de Suse (Hostiensis), Guillaume Durand (Speculator), Johannes Andreae et Nicolas de
Tudeschis (Panormitain), qui produisirent une doctrine brillante et originale. Leurs réflexions sur
le pouvoir pontifical eurent des répercussions sur la conception moderne de la souveraineté, et
en droit privé, ils développèrent considérablement le consensualisme. L'influence de cette
doctrine canonique fut telle qu'elle fut qualifiée de "plus gigantesque tentative d'unification du
droit qui ait jamais été tentée".

Ius Commune et Jura Propria


Au début du XIIIème siècle, Accurse affirmait dans sa Grande Glose que "tout se trouve dans le
Corpus iuris", postulant l'autosuffisance et l'hégémonie du droit romain. Cependant, l'école
d'Orléans, située en pays de coutumes et soucieuse de former des cadres pour l'administration
royale et ecclésiale, apporta des nuances. Elle refusa de rejeter ce qui ne se trouvait pas dans
le Corpus Iuris Civilis, choisissant au contraire de l'amalgamer dans le système juridique
romain. Le droit canonique, la coutume, la jurisprudence et les pratiques locales furent ainsi
incorporés dans la conception orléanaise du savoir civiliste, construisant un système cohérent
et unitaire sous l'égide du droit romain.
Reprenant ces idées, Bartole et ses successeurs développèrent au XIVème siècle la théorie du
ius commune. Ils distinguèrent le ius commune, un droit commun général constitué par les
principes savants romains, des jura propria, des droits locaux ou particuliers. Ces deux
catégories faisaient partie du même système unitaire, les dispositions locales n'étant que des
exceptions ou des dispositions spéciales dérogeant aux principes généraux. Par l'opposition
général/spécial et le concept de dérogation, les bartolistes intégrèrent les droits locaux à
l'architecture romaniste : quand ils étaient conformes aux dispositions romaines, ils n'en étaient
qu'une application ; quand ils y dérogeaient, ils constituaient une exception à un principe romain
immuable, limitant ainsi leur portée.
Cette distinction, bien que théorique, était révélatrice de la prégnance du droit savant à la fin du
Moyen Âge. Elle montrait à quel point les principes savants romains, élaborés par une doctrine
se nourrissant de toutes les sources du droit, constituaient un droit supérieur universel. Le droit
romain savant, auquel certains auteurs associaient le droit canonique, formait la ratio scripta (la
raison écrite). C'est à ce titre, parce qu'il était la raison juridique, qu'il avait vocation à s'étendre
universellement, à s'imposer par-dessus les droits particuliers ou locaux, et à suppléer en cas
de silence de la norme. En France, la théorie bartoliste fut amputée de ses fondements
politiques liés à l'autorité universelle de l'Empereur, incompatibles avec la pleine souveraineté
du roi de France. Elle s'imposa par la seule considération de la supériorité intrinsèque du droit
romain, qualifié de "raison écrite" (ratio scripta). Selon Balde, les Français observaient les lois
romaines non par obligation impériale, mais "sous l'empire de la raison" (non ratione imperii sed
imperio rationis), contribuant ainsi à la formation du droit français. La conceptualisation du ius
commune et des jura propria par les bartolistes a permis d'intégrer la diversité juridique sous
l'égide d'un droit savant universel, préparant le terrain pour une unification juridique future.

IV. Construction Juridique et Politique de l'État au


Moyen Âge
L'affirmation de l'institution royale en France, du XIIIème au XVème siècle, s'est déroulée dans
un contexte de concurrence des pouvoirs et de pluralisme des droits. Le roi de France a
progressivement reconquis ses prérogatives de puissance publique, s'affirmant comme le
souverain au sommet de la pyramide féodale et construisant un État distinct de la personne
royale.

L'Institution Royale
Du XIIème au XVème siècle, le roi capétien s'est affirmé en utilisant les règles du droit féodal
pour devenir le suzerain au sommet de la pyramide féodale. Cette suzeraineté, illustrant
initialement des rapports personnels, a évolué vers le concept de droit public de souveraineté,
s'exerçant sur un territoire.

La Reconnaissance d'un Roi Féodal

Avec la période féodale, l'autorité publique s'était émiettée, passant du niveau royal à celui des
princes territoriaux, puis des seigneurs. Des liens personnels féodo-vassaliques, générateurs
de droits et d'obligations réciproques (aide financière, service armé, conseil du vassal contre la
concession d'un fief), s'étaient développés. L'exercice de la justice, par exemple, était concédé
dans le cadre du contrat de fief.
Le roi s'est positionné comme le "grand fieffeux du royaume", ne tenant son royaume de
personne "fors de Dieu et de soi" (Établissements de saint Louis, II, 14). Il s'est imposé au
sommet de la pyramide féodale, exigeant l'hommage-lige des princes territoriaux. Pour
reconquérir ses droits, il a utilisé les règles du droit féodal, notamment la sanction de la
commise (confiscation du fief), appliquée avec succès dès le début du XIIIème siècle, comme
dans le conflit entre Philippe Auguste et Jean sans Terre. Les rois de France ont également
accru leur domaine en utilisant les règles du droit privé (patrimonialité des fiefs, succession,
mariage, donation).
Le roi a cherché à renverser l'adage "le vassal de mon vassal n'est pas mon vassal" pour
affermir sa suzeraineté sur les arrières-vassaux. Les juristes ont contribué à cette évolution, et
en 1260, le Livre de Jostice et de Plet affirmait que tous les membres de la hiérarchie féodale
étaient soumis à l'emprise royale. La monarchie capétienne a ainsi utilisé et subverti les règles
féodales pour affirmer sa suzeraineté, puis sa souveraineté, transformant les liens personnels
en une autorité publique abstraite et territoriale.

L'Affirmation d'un Roi Souverain

La supériorité féodale du roi s'est étendue à tous les habitants du royaume, affirmant que "tous
sont sous la main du roi" (Livre de Jostice et de Plet). Cette idée de souveraineté a été édifiée à
partir du droit romain (distinction autoritas et potestas) et du droit canonique. Les légistes,
juristes au service du roi, ont affirmé la souveraineté du roi de France, le qualifiant d'"empereur
en son royaume", sans supérieur au temporel. Philippe Auguste a obtenu l'appui du pape
Innocent III en 1202 par la décrétale Per venerabilem, qui affirmait que "le roi de France n'a pas
de supérieur au temporel".
Le conflit entre Philippe le Bel et Boniface VIII (1294-1303) a été un paroxysme de cette lutte,
confortant l'indépendance du roi de France et affirmant le gallicanisme royal, doctrine de
défense des libertés de l'Église de France, illustrée par le Songe du vergier (1376-1378).
La fonction royale s'est affirmée en lien avec le caractère religieux et divin du sacre. Le sacre,
qui faisait du roi "l'Oint du Seigneur", est devenu une étape essentielle dans l'accession à la
fonction royale, symbolisant un équilibre entre le pouvoir royal et ecclésiastique, et exprimant
l'indépendance et la supériorité de la monarchie française sur les autres rois chrétiens.
Insigne du Pouvoir Origine Symbole Signification
L'épée Chevaleresque Force militaire Le roi protège l'Église
Le manteau du sacre Ancien Testament Service envers l'Église Le roi appartient à
l'Église
L'anneau d'Or Anneau sacerdotal Union Le roi relie Dieu et le
peuple
Le sceptre Ancien Testament Origine divine Le roi exerce l'autorité
politique et militaire
La main de justice Ancien Testament Paix, biens Le roi exerce l'autorité
judiciaire
La couronne Rite byzantin Autorité suprême Le roi est souverain
Les légistes ont affirmé que "toute justice émane du roi en fief ou en arrière-fief", et que le roi
était "souverain pardessus tous et a de son droit la générale garde de tout son royaume"
(Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, § 33). Jean de Blanot affirmait que "le roi a
l'imperium sur tous les hommes de son royaume".

Dignité Royale

Un processus politique et juridique a favorisé le détachement de l'institution royale de la


personne physique du roi et des règles régissant les choses privées, concernant la Couronne et
le Domaine.
La Couronne est devenue une entité abstraite, distincte de la chose matérielle, assimilée à
l'État. Elle représentait un ensemble de biens et de droits, immatériel et invisible, comme l'établit
le juriste Balde. Dès 1150, les grands du royaume prêtaient serment non pas au roi, mais au
regno et coronae (royaume et couronne), reconnaissant une notion supérieure à la personne
physique du roi. Le roi est devenu le gestionnaire des biens, droits et prérogatives rattachés à la
Couronne, qui étaient placés hors de sa volonté et inaliénables. Jean de Terre Vermeille, en
1419, affirma l'interdiction au roi de disposer de la Couronne, et la succession à la couronne de
France fut soustraite aux règles de droit privé, distinguant "les deux corps du roi". La
conceptualisation de la Couronne et la dépatrimonialisation du Domaine royal sont des
mécanismes juridiques clés pour institutionnaliser l'État, assurant sa continuité et sa pérennité
au-delà de la personne du monarque.
Le Domaine royal a également connu une dépatrimonialisation, n'étant plus considéré comme
une composante privée du patrimoine du roi, mais comme le "patrimoine de la couronne de
France". Malgré la pratique des apanages (dotation des fils puînés), les rois, à partir du XIVème
siècle, ont révoqué les aliénations pour protéger le domaine. L'Assemblée de Vincennes (1329)
et une ordonnance de 1357 ont affirmé le caractère inaliénable du domaine. Les juristes ont
dégagé trois principes : le domaine de la couronne est inaliénable, indisponible et
imprescriptible, une nouvelle clause étant insérée dans le serment du sacre de Charles V.

L'Administration du Royaume
Le roi capétien, s'appuyant initialement sur la cour féodale, a progressivement développé une
administration royale centralisée et professionnalisée, essentielle à l'exercice effectif de sa
souveraineté.

Organiser

À partir de l'élément féodal, une administration centrale royale s'est organisée. Initialement
itinérante, elle fut fixée à Paris, au Palais de la Cité, à partir de la fin du XIIIème siècle. Un
personnel technique et spécialisé, distinct de l'ancien personnel féodal, fut progressivement
substitué, favorisant la continuité des fonctions.
Parmi les fonctions héritées du Palais carolingien, de grands officiers (chambrier, bouteiller,
sénéchal) virent leur importance décliner, tandis que d'autres (connétable, chancelier) devinrent
essentiels dans les domaines de la justice, de l'administration des biens et de l'armée. Des
spécialistes du droit romain et canonique, comme les maîtres des requêtes de l'hôtel et les
notaires-secrétaires du roi, devinrent plus présents, contribuant à l'affirmation de l'État royal.
La curia regis bénéficia de l'apparition de charges plus spécialisées et stables, permettant une
continuité dans la gestion des affaires. Sous Louis IX, des démembrements de cette cour
donnèrent naissance à des organes de gouvernement spécialisés : le Parlement (curia in
parlamento), la Chambre des comptes (curia in compoto) et le Conseil du roi (curia in consilio).
Le Parlement, dont les termes parlamentum et curia in parlamento apparurent en 1239 pour
désigner une session judiciaire, s'imposa progressivement face aux justices seigneuriales et
ecclésiastiques. Il attira un contentieux croissant, notamment grâce à l'évolution de la procédure
(ordonnance de 1258, interdiction du duel judiciaire). Il se structura avec la Grand Chambre, la
Chambre des requêtes, la Chambre des enquêtes et la Tournelle. Le Parlement acquit une
compétence judiciaire et normative (arrêts de règlement, enregistrement des ordonnances
royales). Des parlements provinciaux apparurent également.
La Chambre des comptes, autre démembrement de la Curia regis, se spécialisa dans la
connaissance et la vérification des comptes royaux. Son organisation fut précisée par
l'ordonnance de janvier 1320. Ses compétences s'accrurent pour inclure les revenus ordinaires
et extraordinaires, et de nouvelles institutions spécialisées (Chambre des Monnaies, Chambre
du Trésor) furent créées en province.
Le Conseil du roi, ou curia in consilio, devint un organe permanent dont la composition et les
attributions relevaient du roi. Il était consulté pour les affaires générales du royaume (paix,
guerre, législation) et la justice retenue. Les légistes y occupèrent une place prééminente. Le roi
consultait également les "bonnes villes" et convoquait les États généraux (à partir de 1302) pour
obtenir aide et conseil, et leur consentement à l'impôt. La spécialisation et la sédentarisation
des organes de la Curia Regis marquèrent la professionnalisation de l'administration royale,
essentielle à l'exercice effectif de la souveraineté sur un territoire étendu.

Gérer

L'organisation de l'administration locale accompagna le mouvement général d'affirmation du


pouvoir royal et de l'État.
L'administration locale reposait sur des prévôts (à la tête des châtellenies royales, fonctions
judiciaires et gestion des revenus), contrôlés par les baillis et sénéchaux aux XIIIème et
XIVème siècles. Ces derniers, désignés par le roi, étaient le prolongement de sa personne,
assurant la défense de ses droits, la représentation auprès de la population, des compétences
militaires et financières. Ils agissaient avec des collaborateurs (lieutenant, procureur, avocat du
roi). Les agents royaux se distinguaient entre officiers (désignés par impétration ou élection) et
commissaires (choisis librement par le roi pour une mission déterminée et révocables).
Les pouvoirs des baillis et sénéchaux étaient contrôlés par des enquêteurs-réformateurs dès le
milieu du XIIIème siècle, effectuant des tournées d'inspection pour rechercher les abus. Le
recours aux enquêtes se développa sous différentes formes : les enquêtes de "réparation"
(visant à réparer les injustices, comme sous Saint Louis, ordonnance de 1254), les enquêtes de
"correction" (punir les méfaits des officiers et corriger le "droit du prince"), et les enquêtes
d'"inventaire des droits" (connaître, récupérer et accroître les droits d'un prince). La réformation
reposait sur la notion de "bien commun", influencée par Aristote et Thomas d'Aquin. Les
ordonnances de réformation, comme celle de 1303, visaient à réformer l'organisation
administrative et à mieux asseoir l'État, souvent liées à des moments de contestation politique.
Le développement d'une administration locale structurée, avec des agents royaux contrôlés par
des enquêtes de réformation, a permis au roi d'étendre son autorité et d'assurer une meilleure
gouvernance du royaume.

Le Gouvernement du Royaume
La souveraineté royale et son exercice se sont exprimés de manière croissante dans les
domaines de la justice, de la capacité normative et de la fiscalité.

Une Justice Reconquise

C'est par la justice que le roi a accru son emprise dans le royaume, engageant une lutte contre
les justices concurrentes et perfectionnant l'organisation de la justice royale.
Pour affirmer sa justice, le roi a combattu les juridictions laïques (seigneuriales, urbaines) et
ecclésiastiques. La justice royale s'est imposée face aux justices seigneuriales archaïques dès
le XIIIème siècle. Le roi ne les a pas supprimées, mais les a vidées de leur compétence en les
insérant dans l'organisation de la justice royale par trois voies : la subordination par l'appel, la
concurrence par la prévention (les juges royaux se saisissant d'affaires relevant normalement
des seigneurs), et la réservation des procès intéressant le roi par les "cas royaux". La théorie de
l'abus de justice a permis au roi de retirer à un seigneur sa justice s'il jugeait mal, affirmant le
droit du souverain justicier d'interdire les "mauvaises justices".
L'opposition à la justice ecclésiastique, plus perfectionnée, s'est intensifiée aux XIVème et
XVème siècles. Les justices ecclésiastiques reposaient sur les officialités, caractérisées par leur
organisation, spécialisation et procédure romano-canonique. La justice royale a cherché à
réduire leur compétence par la théorie des "cas privilégiés" (crimes commis par les clercs) et
par l'"appel comme d'abus", permettant de déférer au Conseil du roi ou au Parlement un acte
abusif de l'autorité ecclésiastique pour le faire annuler. La reconquête de la justice par le roi est
un pilier de la construction de l'État, centralisant le pouvoir judiciaire et imposant une procédure
plus rationnelle et hiérarchisée.
Les progrès de la justice royale se sont également manifestés par le perfectionnement de ses
juridictions. Le Parlement a connu une spécialisation croissante dans les affaires civiles et
criminelles. L'évolution de la procédure, passant de l'accusatoire à l'inquisitoire sous l'influence
de l'Église, a distingué les justices royales des seigneuriales. La procédure d'enquête s'est
développée avec la mise en place du ministère public au XIVème siècle. Le régime des preuves
a évolué, le duel judiciaire étant remplacé par la preuve testimoniale et écrite (ordonnances de
1254 et 1258 de Saint Louis). De nouvelles voies de recours ont renforcé la hiérarchisation :
l'appel devant le Parlement des affaires jugées par les juridictions royales inférieures, et la
"proposition d'erreur" au roi pour casser un arrêt du Parlement, à l'origine de la cassation.

Une Capacité Normative Affirmée

L'affirmation de la capacité normative royale s'est faite au détriment d'autres pouvoirs, se


développant dans le cadre du pluralisme juridique médiéval.
Le roi était investi de la tuitio regni (garde générale du royaume) depuis les temps carolingiens,
l'obligeant à protéger ses sujets par de bonnes lois. Deux conceptions ont prévalu : d'abord la
conservation de l'ordre juridique préexistant, puis la reconnaissance au roi du pouvoir de créer
un nouvel ordre juridique, marquant la "primauté de l'État sur le droit". Les auteurs médiévaux
ont affirmé que le roi pouvait "faire loys ou constitucions toutes nouvelles entre ses subjés"
(Songe du Vergier) ou "ordonner et constituer toutes constitutions" (Jean Boutiller).
Le pouvoir normatif royal reposait sur le droit féodal (chaque seigneur pouvant édicter des
normes), les droits savants et la souveraineté. Le roi a cherché à imposer ses décisions à
l'ensemble du royaume, associant les seigneurs à la norme (leur consentement étant requis
hors du domaine royal). Les auteurs médiévaux ont reconnu au roi une capacité normative
pleine lorsque le "commun profit" et l'"utilité publique" l'exigeaient (Philippe de Beaumanoir,
Coutumes de Beauvaisis, ch. 49). Ces notions s'inspiraient de la philosophie d'Aristote et de
Saint Thomas d'Aquin.
Les droits savants ont contribué à asseoir la capacité normative du souverain. Au XIIIème
siècle, le roi fut reconnu comme héritier des prérogatives impériales. Investi de la potestas, il
s'affirma autonome et indépendant dans le domaine édictal. Les légistes royaux ont utilisé les
notions d'imperium, autoritas et potestas pour conclure que le roi, à l'image des empereurs
romains, devait être le seul détenteur de la capacité normative dans son royaume. Il fut qualifié
de lex animata (loi vivante), et les formules Princeps legibus solutus est (le prince est délié des
lois) ou la clause ex certa sciencia furent employées. Pierre de Fontaines et le Livre de Jostice
et de Plet affirmèrent que "ce qui plest au prince a force de loi". L'affirmation du pouvoir normatif
royal, fondé sur la souveraineté et les droits savants, a transformé le roi en législateur principal,
bien que son exercice ait été modulé par les réalités politiques et la nécessité de composer
avec les coutumes existantes.
L'exercice de cette capacité édictale fut nuancé au Moyen Âge. L'essentiel de la législation
royale fut consacré au droit public (justice, procédure, administration, police, armée, finances),
les interventions en droit privé étant exceptionnelles, bien qu'elles aient eu lieu en matière
matrimoniale dans le silence des coutumes. Le roi intervenait pour confirmer les coutumes,
veiller à leur application, et pouvait modifier les "mauvaises coutumes". Il ordonna leur rédaction
à partir de la seconde moitié du XVème siècle (ordonnance de Montils-lès-Tours en 1454).
L'activité normative royale progressa significativement à partir du règne de Louis VII et devint
importante sous Philippe IV le Bel. La prise de décision évolua : initialement, le roi devait
convoquer les grands vassaux pour obtenir leur consentement exprès aux mesures de portée
générale. Sous Saint Louis, l'assentiment de la majorité des grands réunis en curia regis fut
recherché. Philippe le Bel affirma davantage l'exercice du pouvoir normatif, Beaumanoir
précisant les modalités de la procédure (Conseil, "commun profit", "raisonnable cause",
exceptions pour circonstances urgentes). La chancellerie royale se développa, produisant des
lettres royaux (portée individuelle) et des normes plus générales (edictum, constitutio,
établissement, ordonnance). L'enregistrement des lettres patentes par les cours souveraines,
initialement une formalité technique, devint un moyen de contrôle, conduisant la monarchie à
privilégier les arrêts du conseil du roi pour contourner cette procédure.

Une Fiscalité en Construction

Le principe médiéval "Le roi doit vivre du sien" cantonnait le roi à financer ses dépenses par les
seules ressources de son domaine.
Les ressources royales jusqu'au XIVème siècle reposaient essentiellement sur le domaine
(taxes foncières, redevances, droits de justice, péages) et les aides féodales des vassaux.
L'aide féodale était une obligation personnelle, limitée à quatre cas spécifiques (chevalerie du
fils aîné, mariage de la fille aînée, capture du seigneur, croisade) et ne s'appliquait qu'aux
vassaux directs. Philippe le Bel tenta d'étendre cette obligation à l'ensemble du territoire et aux
arrières-vassaux. Des droits tirés de l'exercice de la souveraineté royale (lettres royaux, justice,
monnaie) se développèrent également. Cependant, ces ressources ordinaires se révélèrent
insuffisantes face aux dépenses croissantes, la part des revenus du domaine diminuant
drastiquement (de 80% au début du XIIIème siècle à 2% à la fin du XVème siècle).
La monarchie dut alors recourir à l'impôt extraordinaire, cherchant à justifier son prélèvement.
Les auteurs médiévaux débattirent du pouvoir d'imposer, l'attribuant à l'Empereur (summa
potestas) et, par délégation, à d'autres autorités. Les rois de France développèrent des
justifications fondées sur la necessitas publica, l'utilitas publica ou la defensio regni (nécessité
publique, utilité publique, défense du royaume), déplaçant le focus de l'intérêt du roi vers le
bénéfice de l'État. Le passage d'une fiscalité domaniale à une fiscalité d'État, justifiée par le
"bien commun" et la "nécessité publique", est un indicateur majeur de la transformation de la
monarchie en une entité étatique centralisée et interventionniste.

V. L'Évolution de la Coutume en France


La coutume, en France, a connu une évolution complexe, passant d'une source de droit orale et
locale à une forme écrite et progressivement unifiée, sous l'influence croissante du pouvoir
royal.
L'Émergence de la Coutume (XIème siècle et au-delà)
La coutume, définie comme une règle de droit non écrite issue d'une pratique constante et
reconnue au sein d'une communauté, a émergé spontanément des groupes sociaux, comblant
le vide normatif laissé par le déclin du pouvoir central post-carolingien. Son apparition au XIème
siècle est étroitement liée aux relations féodo-vassaliques et féodo-seigneuriales. Initialement,
le terme "consuetudo" désignait les prérogatives fiscales exercées par les seigneurs (taxes,
corvées, droits de justice). Cependant, la coutume servait également de rempart contre les
abus seigneuriaux, les nouvelles exigences non fondées étant dénoncées comme de
"mauvaises coutumes". Parallèlement, la coutume commença à régir les relations entre les
habitants d'une seigneurie, couvrant le statut personnel, le droit des biens, les obligations et les
successions, à l'exception notable du droit du mariage, qui relevait de la juridiction
ecclésiastique. Ce mouvement s'accéléra au XIIème siècle avec les transformations
socio-économiques, notamment l'essor des villes qui obtenaient des "franchises" (libertés) les
protégeant des exactions seigneuriales. La coutume, née de la spontanéité sociale et du vide
normatif post-carolingien, est devenue une source de droit fondamentale, reflétant la
fragmentation du pouvoir et l'autonomie des communautés locales.

La Diffusion et la Formalisation des Coutumes en France


La coutume, en tant que règle de droit non écrite, a émergé spontanément des pratiques
sociales, comblant le vide normatif laissé par le déclin du pouvoir central post-carolingien. Son
processus de formation fut lent et varié, chaque communauté puisant dans des sources
différentes, ce qui entraîna une fragmentation juridique considérable du territoire.

1. La Diversité des Aires Coutumières Malgré cette diversité, des "ressemblances familiales"
existaient, créant des "aires coutumières" où les pratiques partageaient des traits communs en
raison de la proximité géographique ou de traditions juridiques similaires. Une distinction
fondamentale s'établit entre les "pays de coutumes" au Nord, fortement influencés par les
traditions germaniques, et les "pays de droit écrit" au Sud, profondément imprégnés du droit
romain, séparés par une ligne allant du lac Léman à La Rochelle. Les coutumes de l'Ouest
(Anjou, Maine, Touraine, Poitou, Bretagne, Normandie) furent particulièrement marquées par
l'influence du droit féodal, privilégiant par exemple le lignage dans la transmission des
patrimoines. Ce système juridique coutumier, développé entre le XIe et le XIIIe siècle, a
profondément transformé le droit applicable, notamment en influençant le droit de la famille
dans le Nord par un fort communautarisme.

2. Les Premières Mises par Écrit et la Preuve Avec la renaissance de la culture écrite au
milieu du XIIe siècle, les coutumes commencèrent à être couchées sur papier, sous des formes
différentes selon les régions.
●​ Dans le Midi, la rédaction fut souvent initiée ou contrôlée par les seigneurs ou les
autorités municipales, donnant naissance à des "statuts urbains" qui modernisaient et
officialisaient les coutumes existantes, les rendant directement applicables en justice.
●​ Dans le Nord, apparurent des "coutumiers" à la fin du XIIe siècle. Ces ouvrages, souvent
d'initiative privée (comme les Coutumes de Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir),
compilaient et commentaient les coutumes, les éclairant à la lumière du droit savant et de
la pratique judiciaire.
La preuve de la coutume, initialement orale (témoignages d'anciens ou "boni homines"), évolua.
Certaines coutumes devinrent "notoires", c'est-à-dire si connues qu'elles n'avaient plus besoin
d'être prouvées. Pour les autres, la procédure d'"enquête par turbe" (ordonnance de Saint Louis
en 1270) permettait à un groupe d'hommes expérimentés de rendre un avis collectif sur
l'existence de la coutume, avis qui, s'il était unanime, la rendait notoire pour l'avenir.

3. La Rédaction Officielle et la Réforme par la Monarchie À partir du XVe siècle, la


monarchie chercha à contrôler et moderniser le droit coutumier. Le roi, initialement "gardien des
coutumes" (garant de leur respect), évolua vers le rôle de "gardien des bonnes coutumes", lui
permettant de censurer celles jugées contraires à l'équité ou à la morale.
L'ordonnance de Montils-lès-Tours (1454) de Charles VII ordonna la compilation officielle de
toutes les coutumes du royaume, dans le but de raccourcir les procès et d'apporter de la
certitude juridique. La procédure impliquait la rédaction locale sous la direction du bailli, puis
l'envoi au Grand Conseil et au Parlement de Paris pour examen et promulgation royale. Face
au succès limité de cette première tentative, la procédure fut réformée à la fin du XVe et au
XVIe siècle (Charles VIII en 1497, Louis XII en 1506), donnant un rôle prépondérant à la
Couronne et à ses agents. Des commissaires royaux examinaient et modifiaient les projets, qui
étaient ensuite débattus article par article devant les États provinciaux avant d'être promulgués
par le roi.
Ce vaste mouvement de rédaction et de réforme clarifia le droit coutumier, le rendant plus fixe
et lui conférant une valeur proche de la loi écrite. Il contribua à une modernisation et une
homogénéisation du droit, favorisant l'émergence d'un "droit commun coutumier" et préparant le
terrain pour une unification juridique nationale.

VI. L'Héritage et l'Évolution du Droit Privé en République


Démocratique du Congo
L'histoire du droit privé en République Démocratique du Congo est intrinsèquement liée à celle
du droit français, notamment au Code Napoléon, introduit par le colonisateur belge. Cette
influence a créé un paysage juridique complexe, marqué par la coexistence et la confrontation
entre les traditions locales et le droit écrit importé.

1. La Coexistence des Coutumes Locales et du Droit Écrit (Période Coloniale) Avant


l'arrivée du colonisateur, les populations indigènes du Congo étaient régies par leur droit
traditionnel. La politique législative coloniale belge, en particulier en matière de droit de la
famille, a initialement respecté ces institutions locales, estimant vain et injuste d'imposer un
droit étranger que les Congolais ne comprendraient pas. Ainsi, la majorité des indigènes est
restée soumise à son propre droit privé, en harmonie avec son organisation politique et sociale.
Cependant, ce respect n'était pas absolu. La loi coloniale pouvait restreindre ou interdire
l'application de coutumes jugées contraires à l'ordre public, une notion interprétée largement
pour exclure les pratiques considérées comme inhumaines. Le décret de 1926 sur les
juridictions congolaises stipulait que les tribunaux devaient appliquer les dispositions légales ou
réglementaires visant à substituer d'autres règles à la coutume indigène. L'ordonnance du 14
mai 1886 fut le premier texte à organiser explicitement cette coexistence, prévoyant que les
litiges non couverts par le droit écrit seraient jugés selon les coutumes locales, les principes
généraux du droit et l'équité.
2. L'Institution de l'Immatriculation Le décret du 4 mai 1895 créa l'institution de
l'"immatriculation", visant à assimiler certains Congolais aux non-indigènes en matière de droits
civils, les soumettant ainsi au droit civil européen. La Charte Coloniale de 1908 réitéra cette
distinction, reconnaissant aux Belges, aux Congolais immatriculés et aux étrangers la
jouissance des droits civils du droit écrit, tandis que les indigènes non immatriculés restaient
sous le régime de leurs coutumes, sauf contrariété à la législation ou à l'ordre public. Pour être
immatriculé, un Congolais devait démontrer un niveau de civilisation et d'assimilation de la
culture occidentale, souvent par une décision judiciaire. Après l'indépendance en 1960, cette
institution fut abandonnée, jugée incompatible avec le principe d'égalité.

3. L'Avènement du Code de la Famille (Post-Indépendance) Malgré l'indépendance en 1960,


le Code de la Famille ne fut adopté qu'en 1987, un délai de vingt-sept ans qui témoigne de la
complexité de concilier les traditions avec les exigences de la modernité. Le législateur
congolais a constaté l'échec des tentatives d'imposer un droit moderne qui heurtait les
conceptions familiales profondément enracinées dans la culture africaine.
Deux options se présentaient : copier une législation étrangère ou s'inspirer des systèmes
juridiques traditionnels. La première fut rejetée, car il semblait paradoxal pour un Congo
indépendant de continuer à être régi par des textes étrangers à sa réalité. La seconde, la
codification des coutumes, était tentante pour aligner le droit sur les aspirations populaires.
Cependant, cette voie fut également écartée comme base unique, en raison des inconvénients
de la coutume traditionnelle : son origine tribale et ses divisions ethniques (chaque ethnie ayant
sa propre coutume, rendant l'unification difficile), sa résistance au changement, et son manque
de certitude dû à des interprétations déformantes.
La Commission chargée de l'élaboration du Code de la Famille a opté pour une "véritable
réforme de structure", visant à maintenir et aménager certaines règles coutumières tout en
créant un code moderne de droit écrit, adapté aux mœurs et à la mentalité congolaise. L'objectif
était de concilier "l'authenticité congolaise" avec les "exigences d'une société moderne". Cela a
conduit à des ruptures significatives avec la tradition, telles que l'abolition de la polygamie, le
remplacement de la répudiation par le divorce judiciaire, et la suppression du sororat et du
lévirat. Néanmoins, un "fossé" persiste souvent entre la loi et son application effective, en raison
de la résistance coutumière sur le terrain.

4. Les Droits Successoraux des Époux en Droit Congolais Pendant la période coloniale, le
Code Civil Livre 1er ne contenait aucune disposition sur les successions, laissant cette matière
entièrement régie par les coutumes locales, que l'on savait d'essence inégalitaire. La
succession coutumière était principalement une transmission d'actifs, de fonctions et de
dépendants, plutôt qu'une transmission universelle du patrimoine (actifs et passifs) comme dans
le droit moderne. La dévolution variait considérablement selon les systèmes de parenté :
●​ Systèmes patrilinéaires (Luba-Katanga, Mongo) : La femme n'héritait généralement
pas de son mari, la succession étant dévolue aux membres du lignage du défunt. Les
enfants n'héritaient pas directement de leur père, sauf exceptions. Les testaments oraux
étaient reconnus, permettant de favoriser certains membres du lignage.
●​ Systèmes matrilinéaires (Kongo, Tshokwé) : Il n'y avait pas de droits successoraux
entre époux, car ils appartenaient à des clans différents. La succession était strictement
limitée au lignage maternel.

La législation coloniale a tenté de modifier ces inégalités. La Circulaire du Gouverneur Général


du 10 avril 1923 visait à simplifier les règles de liquidation des successions indigènes, mais elle
maintenait l'inégalité coutumière pour les époux. Le Décret du 10 février 1953 sur l'accession
des Congolais à la propriété immobilière a eu une incidence plus significative. Bien que son
objectif principal fût la propriété immobilière, il a introduit des restrictions au droit coutumier en
matière de succession immobilière, accordant la priorité à la progéniture et au conjoint
survivant, et instaurant une égalité entre les époux pour ces biens. Cependant, les biens
mobiliers restaient soumis aux règles coutumières inégalitaires.
Le Code de la Famille de 1987 a comblé le vide législatif en matière de successions,
reconnaissant l'inadaptation des coutumes à la vie moderne, surtout en milieu urbain. Il a
introduit une "rupture totale" sur plusieurs points avec le droit coutumier, notamment en
organisant la succession légale (ab intestat) et testamentaire. Malgré ces innovations, la
résistance des coutumes locales reste un défi majeur dans l'application effective du droit
successoral en RDC.

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