Résumé Histoire Du Droit Privé
Résumé Histoire Du Droit Privé
L'évolution vers un système juridique où le droit était l'attribut du Prince fut progressive. Au
début du Principat, les apparences républicaines furent maintenues. Les assemblées populaires
conservèrent un temps leur pouvoir législatif, mais leur activité déclina, la dernière grande loi
étant votée en 96 ap. J.-C.. Le Sénat, dont les sénatus-consultes n'étaient initialement que des
avis, vit son activité normative s'élargir et acquérir force de loi à partir du IIème siècle,
notamment sous Hadrien. Cependant, le Sénat fut progressivement "domestiqué", son vote se
transformant en acclamation de la volonté impériale. L'édit du préteur, source souple de la
République, se figea également sous la méfiance impériale, sa forme et son contenu étant fixés
définitivement par le jurisconsulte Julien vers 130 ap. J.-C., plaçant le droit prétorien sous le
contrôle de l'empereur.
La jurisprudence subit également l'emprise impériale. Malgré une période faste au début de
l'Empire avec les écoles proculienne et sabinienne, Auguste instaura le ius respondendi ex
autoritate principis, soumettant le droit de donner des consultations juridiques à l'autorisation
impériale. Les jurisconsultes, tels Papinien, Paul et Ulpien, passèrent au service de l'empereur,
accédant même à de hautes fonctions. Au milieu du IIIème siècle, la doctrine déclina. En 426, la
"loi des citations" des empereurs Théodose II et Valentinien officialisa l'autorité des écrits des
grands jurisconsultes (Papinien, Paul, Ulpien, Gaius, Modestin), absorbant ainsi la iuris
prudentia dans un système juridique entièrement assujetti au Prince.
L'empereur, doté du ius edicendi (droit de promulguer des édits), vit son pouvoir d'édicter se
distinguer de celui des autres magistrats par son application sans limitation de durée. Une
théorie se développa selon laquelle l'empereur tenait du peuple la capacité de faire la loi par
délégation, via la lex regia ou lex de imperio. Ulpien synthétisa cette doctrine dans la formule
célèbre : "Ce qui a plu au prince a force de loi" (Quod principi placuit legis habet vigorem).
L'empereur légiférait par le biais de "constitutions impériales" : les édits (portée générale), les
décrets (jugements particuliers), les rescrits (réponses à des demandes sur des questions
judiciaires ou administratives) et les mandats (instructions administratives). Si les empereurs du
Principat légiféraient principalement par décrets et rescrits, c'est-à-dire des décisions
individuelles et contentieuses, le IIIème siècle vit l'empereur s'emparer pleinement du pouvoir
législatif, les rescrits devenant des règles générales réutilisables. L'empereur fut désigné
comme "loi vivante" (lex animata) et "seul interprète du droit", le principe étant posé par
Justinien en 529.
Les IVème et Vème siècles furent marqués par une inflation législative sans précédent. Pour
gérer cette masse de textes, la chancellerie impériale adopta le codex. Des compilations
juridiques virent le jour, d'abord privées (Code Grégorien 291, Code Hermogénien 295), puis
officielles. Le Code Théodosien, promulgué en 438, rassembla les constitutions depuis
Constantin, organisées par matière et adaptées aux besoins de l'époque. Il fut reçu dans les
deux parties de l'Empire et devint le principal vecteur du droit romain en Occident jusqu'au
XIème siècle.
L'apogée de cette maîtrise impériale fut atteinte avec les Compilations de Justinien. En 528,
l'empereur d'Orient, Justinien, lança un projet colossal de compilation de l'intégralité du droit,
dans l'ambition de restaurer la grandeur de l'Empire, "orné par les armes" et "armé par les lois".
La compilation des sources du droit romain, connue sous le nom de Corpus Iuris Civilis, fut
réalisée par une commission dirigée par Tribonien en six ans. Elle comprenait :
● Le Code (529-534) : Inspiré des codes précédents, il augmenta considérablement le
nombre de constitutions impériales, classées par ordre chronologique en douze livres.
● Le Digeste (ou Pandectes, 533) : Il rassembla près de 9000 fragments d'œuvres de 38
jurisconsultes, classés en 50 livres et 429 titres. Ces extraits de doctrine acquirent force
de loi.
● Les Institutes (533) : Manuel à l'usage des étudiants, résumant les matières du Code et
du Digeste, et ayant également force de loi.
● Les Novelles (565) : Constitutions de Justinien postérieures à la parution du Code.
La codification comme instrument de rationalisation, d'unification et d'affirmation du pouvoir
impérial, avec le Corpus Iuris Civilis comme apogée, fut un événement colossal qui rendit
possible la formation d'une tradition juridique en Occident, sous la double forme du droit civil et
du droit canonique, redécouverte en Italie à la fin du XIème siècle.
Malgré l'effondrement de l'Empire, la romanité survécut en Occident à travers son legs juridique,
politique et administratif. Les élites gallo-romaines, partiellement romanisées, continuèrent de
propager les pratiques de l'administration impériale romaine au sein des royaumes francs. Cela
se manifesta par le maintien de titres romains (Clovis reçut le titre de consul romain en 507) et
la conservation de pratiques centralisatrices impériales, comme le découpage du royaume en
pagi (circonscriptions) dirigés par des comtes, souvent gallo-romains.
Cependant, le legs juridique romain fut altéré. Les compilations de Justinien, rédigées au VIème
siècle à Constantinople, restèrent largement inconnues en Occident jusqu'au XIème siècle. La
principale source du droit romain dans le monde franc fut le Code Théodosien, mais sous forme
d'abrégés et de versions simplifiées. Cette version lacunaire servit de base à l'élaboration de
lois rédigées par les rois barbares pour leurs sujets gallo-romains. La "Loi romaine des
Burgondes" (Papien) et surtout le "Bréviaire d'Alaric" (506), promulgué par le roi wisigoth Alaric
II, en sont des exemples. Le Bréviaire, bien qu'hétérogène, devint presque l'unique droit romain
connu dans le royaume franc jusqu'au IXème siècle, une version "abâtardie et lacunaire" de la
technicité romaine.
La Tradition Barbare
Les populations barbares apportèrent avec elles un droit spécifique, très différent des traditions
romaines. L'idée d'État était étrangère aux Germains, organisés en tribus où l'autorité reposait
sur des liens personnels et des serments de fidélité (le leudesamio). Le pouvoir royal était
patrimonial, le royaume étant considéré comme la propriété privée du roi et soumis aux règles
de succession privées, entraînant des partages entre les fils.
La tradition juridique germanique se caractérisait par une conception ethnique des droits : la loi
applicable à chaque individu était déterminée par son ethnie ou sa "race", non par le territoire. À
la fin du Vème siècle, les tribus barbares entreprirent de mettre leurs lois par écrit en latin, sous
l'influence du modèle romain. Ces "lois barbares" (Loi salique, Code d'Euric, Loi Gombette, Loi
ripuaire) consistaient principalement en de longues énumérations de compositions pécuniaires
(wergeld) visant à remplacer la vengeance privée (faida) et à préserver la paix publique.
Le système de la personnalité des lois, où différentes lois coexistaient sur un même territoire en
fonction de l'origine ethnique des justiciables, fut la norme pendant plus de trois siècles. Lors
d'un procès, le juge demandait "Sous quelle loi vis-tu?", et l'individu déclarait sa loi par la
professio legis. Cependant, la "fusion des races" et l'acculturation rendirent ce système de plus
en plus difficile à appliquer. Les lois barbares tardives montrèrent une tendance à faire du lieu
de naissance le critère de détermination de la loi, amorçant un glissement vers la territorialité,
comme en témoigne l'Édit de Pîtres de Charles le Chauve en 864. La coexistence du droit
romain et des traditions germaniques, gérée par le principe de la personnalité des lois, révèle
une société en transition et la difficulté d'une unification juridique précoce.
La Tradition Chrétienne
L'Empire carolingien ne survécut pas à Louis le Pieux, et sa mort en 840 ouvrit une longue
période de crise et de guerres de succession, aboutissant au partage de l'Empire à Verdun en
843. La faiblesse de l'autorité royale, notamment celle de Charles le Chauve, entraîna un appui
sur une puissante aristocratie, à laquelle fut concédé l'exercice de charges publiques en
contrepartie d'un engagement de fidélité personnelle (système vassalique). Ces charges
publiques, souvent associées à un avantage matériel (le beneficium, souvent une terre),
devinrent progressivement héréditaires au IXème siècle.
Cette pratique conduisit à la formation de lignées aristocratiques très puissantes, dotées d'un
patrimoine foncier conséquent. La puissance de cette aristocratie, exerçant les prérogatives de
puissance publique au nom du roi, et la faiblesse parallèle de la royauté, entraînèrent une
pulvérisation du pouvoir central et un émiettement croissant des territoires. Ce processus
s'opéra en plusieurs phases : de la fin du IXème au début du Xème siècle, le pouvoir public
passa aux grandes principautés territoriales ; au milieu du Xème siècle, il se fragmenta encore,
passant aux comtes ; et à la fin du Xème et début du XIème siècle, par le phénomène de
l'enchâtellement, les petits seigneurs locaux s'emparèrent de l'autorité sur leurs territoires
environnants.
C'est ainsi qu'apparut la "seigneurie banale", concentrant les prérogatives de puissance
publique (droit de rendre la justice, lever une armée, percevoir les impôts) entre les mains des
petits seigneurs, sans délégation ni contrôle. La vie juridique et politique se resserra localement
autour du château. C'est dans ce cadre que de nouvelles règles, orales, mouvantes et
fortement territorialisées, les coutumes, émergèrent à partir du XIème siècle. L'effondrement de
l'autorité centrale a ainsi directement conduit à une localisation et une diversification du droit,
avec la coutume comme source principale, reflétant les rapports de force locaux et la
segmentation sociale.
À partir du XIème siècle, des consuetudines (coutumes) apparurent dans chaque seigneurie,
transformant progressivement les rapports de force entre le seigneur et ses sujets, ou entre les
habitants d'un même territoire, en rapports de droit. Initialement, le terme "coutume" désignait
les prérogatives fiscales exercées par les seigneurs (impôts, corvées, droits de justice).
Cependant, la coutume servit aussi de limite aux abus seigneuriaux, les "mauvaises coutumes"
étant dénoncées par les sujets. Parallèlement, un autre type de coutume se développa,
régissant les relations entre les habitants (statut personnel, droit des biens, obligations,
successions), à l'exception du droit du mariage, qui relevait de la juridiction ecclésiastique. Ce
mouvement s'accéléra au XIIème siècle avec l'émergence des villes, qui obtinrent des
"franchises" (libertés) les protégeant des exactions seigneuriales.
Ce développement différencié entraîna une grande complexité coutumière et une fragmentation
juridique du territoire. Malgré cette diversité, des "ressemblances familiales" existaient, créant
des "aires coutumières". Une distinction majeure s'établit entre les "pays de coutumes" au Nord,
influencés par les traditions germaniques, et les "pays de droit écrit" au Sud, imprégnés du droit
romain, séparés par une ligne allant du lac Léman à La Rochelle.
L'idée de privilège devint indissociable de la coutume, reflétant la conception tripartite de la
société (ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent). Le clergé et la noblesse
bénéficiaient de privilèges collectifs (ex: privilège du for pour les clercs, droit d'être jugé par ses
pairs pour les nobles), réintroduisant une forme de personnalité du droit liée au statut social.
La seconde moitié du XIème siècle fut le théâtre d'un événement considérable : la réanimation
du droit romain en Occident par la redécouverte des compilations de Justinien, le Corpus Iuris
Civilis. Bien que le droit romain n'ait jamais complètement disparu, sa connaissance était restée
parcellaire et abâtardie pendant le Haut Moyen Âge. Le changement majeur fut la diffusion
considérable de ces textes justiniens, d'abord dans le Nord de l'Italie, puis dans toute l'Europe,
transformant la pensée juridique à partir des années 1070.
Cette "redécouverte" s'inscrivit dans le contexte de la réforme grégorienne (milieu XIème -
milieu XIIème siècle), un vaste mouvement de réforme de l'Église qui affirma l'autorité de la
papauté et suscita des revendications de l'Empereur et des rois. Ce conflit politique incita les
protagonistes à exhumer des textes juridiques oubliés pour appuyer leurs prétentions. Le
Digeste de Justinien fut étudié à partir de deux manuscrits principaux : la littera Bononiensia et
la littera Pisana-Florentina. Le Code, les Institutes et les Novelles (appelées Authentiques)
furent également redécouverts, l'ensemble étant désigné sous le nom générique de Corpus
Iuris Civilis.
Dès le XIIème siècle, la diffusion des concepts romains fut perceptible, notamment dans la
pratique notariée, qui adopta un vocabulaire romanisé. Le droit romain se répandit du Nord de
l'Italie vers le Midi, la vallée du Rhône, le Sud-Ouest et le Centre de la France. Son intrusion
provoqua de profondes modifications dans le fond du droit. Le droit des contrats, par exemple,
fut particulièrement touché, le droit romain supplantant rapidement les coutumes archaïques par
sa supériorité technique, mieux adaptée au renouveau économique et commercial des
XIIème-XIIIème siècles. De même, le droit pénal coutumier laissa place à une procédure
"romano-canonique" renouvelée. Cependant, d'autres domaines, comme le droit de la famille,
restèrent moins influencés. L'émergence du droit romain n'imposa que rarement des solutions
purement romaines, mais elle ne laissa presque nulle part subsister des solutions purement
coutumières, provoquant un "amalgame de solutions romaines et de solutions coutumières",
contribuant à transformer et rationaliser les coutumes. La redécouverte du droit romain n'est
pas une simple résurrection, mais une réappropriation dynamique qui transforme les pratiques
juridiques existantes, notamment par sa supériorité technique dans certains domaines.
Très tôt, l'Église entreprit de légiférer sur tous les aspects de la vie courante touchant à la
morale et à la religion, élaborant ainsi un droit propre diffusé par des compilations canoniques.
Les règles étaient fixées par diverses autorités normatives, principalement le pape et les
conciles. Entre le IIème et le XIème siècle, l'Église produisit des milliers de textes juridiques,
constituant un corpus d'une richesse et d'une technicité considérables.
Dès le Vème siècle, des "collections canoniques" apparurent, des recueils d'ampleur variée,
souvent d'initiatives privées et à vocation pratique, rassemblant des textes de diverses portées
et origines. Ces compilations étaient subjectives, le compilateur choisissant les textes qu'il
jugeait les plus efficaces et dignes de diffusion. Certains compilateurs n'hésitaient pas à créer
de toutes pièces des textes "officiels" pour appuyer leurs prétentions juridiques ou politiques.
Jusqu'au XIème siècle, les collections privilégiaient un regroupement par nature des textes
(décrétales, canons conciliaires), mais au début du XIème siècle, le regroupement par matières
devint la norme, rendant les collections plus méthodiques.
Le XIIème siècle marqua un renouveau spectaculaire de la science canonique, sous l'impulsion
de la réforme grégorienne. Vers 1140, le Décret de Gratien fut composé à Bologne. Son
originalité résidait dans sa volonté de résoudre les contradictions entre les canons (Concordia
discordantium canonum). Gratien s'efforça de trouver une harmonie par un plan méthodique
(trois parties) et l'instauration d'une hiérarchie des sources. Il intégra également les apports de
la "logique parisienne" développée par Abélard, utilisant la méthode dialectique du Sic et Non et
du Pro et Contra pour distinguer les situations d'application des textes contraires. Le Décret de
Gratien fut novateur en alliant compilation et apport doctrinal, interposant ses propres opinions
interprétatives. Son succès fut immédiat et il fut rapidement reconnu par la papauté.
Le bouillonnement intellectuel de la réforme grégorienne stimula également la législation
ecclésiastique, avec une activité normative pontificale sans précédent entre 1140 et 1230.
Plusieurs collections privées (les Compilationes prima, secunda, tertia, quarta et quinta)
tentèrent de réunir ces nouvelles sources. En 1234, le pape Grégoire IX chargea Raymond de
Peñafort de compiler les textes pontificaux depuis Gratien, donnant naissance aux "Décrétales
de Grégoire IX" (ou Liber extra), première compilation officielle voulue par la papauté. D'autres
papes complétèrent cet ensemble avec le "Sexte" (Boniface VIII, 1298), les "Clémentines"
(Clément V, 1317), les "Extravagantes de Jean XXII" (1324), et enfin les "Extravagantes
communes" (fin XIVème siècle, collection privée assimilée aux officielles). Cet ensemble fut
collectivement désigné à la fin du Moyen Âge sous le nom de Corpus Iuris Canonici. Le droit
canonique, par sa systématisation et son influence sur la morale et la vie quotidienne, devint
une source majeure du droit médiéval, rivalisant avec le droit romain en technicité et en portée.
Dès la fin du XIème et le début du XIIème siècle, Bologne s'imposa comme le lieu d'excellence
de l'enseignement juridique, tant en droit romain qu'en droit canonique. Bien que les
circonstances exactes de cette émergence soient mal connues, l'enseignement du romaniste
Irnérius (vers 1120) et de ses élèves, les "Quatre docteurs", est bien établi.
Les enseignants de Bologne, appelés glossateurs, dispensaient leur enseignement par la
méthode exégétique de la "glose". Ils lisaient chaque loi du Corpus Iuris Civilis ou Canonici
dans l'ordre, expliquant le vocabulaire, résumant le sens, et ajoutant parfois leur opinion
personnelle. Ces "gloses" s'accumulaient de génération en génération. Les glossateurs
cherchaient également à poser des questions au texte, dégageant des casus (cas pratiques) à
partir de fragments apparemment contradictoires, qu'ils s'efforçaient de concilier par un
raisonnement logique, souvent sous la forme du pro et contra. Leur méthode était axée sur les
définitions et les distinctions entre les textes. Leurs écrits circulaient sous forme d'"apparats"
(gloses adossées au texte) ou de "sommes" (recueils de gloses suivant l'ordre du texte).
En droit romain, l'école de Bologne se divisa en deux courants doctrinaux : Bulgarus défendait
une interprétation stricte et littérale, tandis que Martinus Gosia était sensible à la notion d'équité
et acceptait l'interprétation du droit romain par d'autres sources. Ce débat complexe influença
durablement la doctrine médiévale. En droit canonique, l'influence bolonaise fut également
majeure. Paucapalea composa la première Somme sur le Décret de Gratien, suivi par d'autres
grands décrétistes comme Maître Roland, Rufin, Étienne de Tournai, Jean de Faenza, Simon
de Bisignano et Huggucio. Les canonistes bolonais innovèrent également en produisant des
monographies sur des matières spécifiques (procédure, mariage, élection) et en commentant
les nouvelles sources du droit canonique (décrétales).
La méthode des glossateurs se diffusa rapidement dans toute l'Europe, donnant naissance à de
multiples centres d'enseignement : l'aire anglo-normande (Vacarius à Oxford), l'aire parisienne
et franco-rhénane (Étienne de Tournai à Paris, mélange de droit romain et canonique), et l'aire
méridionale (vallée du Rhône, avec des œuvres comme la Summa Trecensis ou Lo Codi). Des
maîtres bolonais, comme Placentin, vinrent même enseigner dans le Midi de la France.
Au début du XIIIème siècle, la prédominance de l'École de Bologne fut incarnée par la Grande
Glose (ou Glose ordinaire) d'Accurse, un commentaire exégétique exhaustif du droit romain qui
devint la référence unique en Europe. Cependant, à partir de la seconde moitié du XIIIème
siècle, la Glose d'Accurse fut critiquée pour son immobilisme et son incapacité à s'adapter aux
nouvelles réalités juridiques.
Une nouvelle méthode d'enseignement émergea à l'École d'Orléans, probablement dans les
années 1230, à la suite de l'interdiction pontificale d'enseigner le droit romain à Paris (bulle
Super Specula d'Honorius III en 1219). Cette méthode orléanaise reposait sur plusieurs
éléments : une utilisation novatrice de la logique et de la linguistique, une approche critique des
textes romains et de la doctrine (valorisant la vérification systématique des sources), une
conception poreuse des barrières disciplinaires (intégrant le droit canonique et la coutume), et
une orientation pratique (enseignants praticiens, formation de cadres pour l'administration
royale et ecclésiale). L'importance de l'École d'Orléans dans la formation des élites fut telle
qu'elle obtint le statut d'université en 1306 et une protection royale en 1312.
Cette nouvelle méthode donna naissance au "commentaire", une étude synthétique et ordonnée
des textes romains dépassant l'exégèse. Ceux qui la pratiquaient furent appelés
"commentateurs" ou "post-glossateurs". Le changement méthodologique entamé par les
Orléanais, et perfectionné par les bartolistes, marqua une rupture en adaptant le droit romain
aux réalités contemporaines et en intégrant d'autres sources, posant les bases d'un droit plus
unifié et pratique. La méthode se répandit dans toutes les universités européennes, y compris
Bologne.
La doctrine savante de la fin du Moyen Âge fut dominée par les juristes italiens : Cinus de
Pistole, Bartole (dont les disciples furent appelés "bartolistes"), et Balde. Les bartolistes des
XIVème et XVème siècles s'éloignèrent considérablement du texte romain pour développer un
véritable droit doctrinal, adapté aux usages et institutions de leur époque, diffusé sous forme de
traités spécialisés. Leur pédagogie, fondée sur l'argumentation et la controverse, fit surgir des
interprétations novatrices. Le droit canonique ne fut pas en reste, avec des figures comme
Henri de Suse (Hostiensis), Guillaume Durand (Speculator), Johannes Andreae et Nicolas de
Tudeschis (Panormitain), qui produisirent une doctrine brillante et originale. Leurs réflexions sur
le pouvoir pontifical eurent des répercussions sur la conception moderne de la souveraineté, et
en droit privé, ils développèrent considérablement le consensualisme. L'influence de cette
doctrine canonique fut telle qu'elle fut qualifiée de "plus gigantesque tentative d'unification du
droit qui ait jamais été tentée".
L'Institution Royale
Du XIIème au XVème siècle, le roi capétien s'est affirmé en utilisant les règles du droit féodal
pour devenir le suzerain au sommet de la pyramide féodale. Cette suzeraineté, illustrant
initialement des rapports personnels, a évolué vers le concept de droit public de souveraineté,
s'exerçant sur un territoire.
Avec la période féodale, l'autorité publique s'était émiettée, passant du niveau royal à celui des
princes territoriaux, puis des seigneurs. Des liens personnels féodo-vassaliques, générateurs
de droits et d'obligations réciproques (aide financière, service armé, conseil du vassal contre la
concession d'un fief), s'étaient développés. L'exercice de la justice, par exemple, était concédé
dans le cadre du contrat de fief.
Le roi s'est positionné comme le "grand fieffeux du royaume", ne tenant son royaume de
personne "fors de Dieu et de soi" (Établissements de saint Louis, II, 14). Il s'est imposé au
sommet de la pyramide féodale, exigeant l'hommage-lige des princes territoriaux. Pour
reconquérir ses droits, il a utilisé les règles du droit féodal, notamment la sanction de la
commise (confiscation du fief), appliquée avec succès dès le début du XIIIème siècle, comme
dans le conflit entre Philippe Auguste et Jean sans Terre. Les rois de France ont également
accru leur domaine en utilisant les règles du droit privé (patrimonialité des fiefs, succession,
mariage, donation).
Le roi a cherché à renverser l'adage "le vassal de mon vassal n'est pas mon vassal" pour
affermir sa suzeraineté sur les arrières-vassaux. Les juristes ont contribué à cette évolution, et
en 1260, le Livre de Jostice et de Plet affirmait que tous les membres de la hiérarchie féodale
étaient soumis à l'emprise royale. La monarchie capétienne a ainsi utilisé et subverti les règles
féodales pour affirmer sa suzeraineté, puis sa souveraineté, transformant les liens personnels
en une autorité publique abstraite et territoriale.
La supériorité féodale du roi s'est étendue à tous les habitants du royaume, affirmant que "tous
sont sous la main du roi" (Livre de Jostice et de Plet). Cette idée de souveraineté a été édifiée à
partir du droit romain (distinction autoritas et potestas) et du droit canonique. Les légistes,
juristes au service du roi, ont affirmé la souveraineté du roi de France, le qualifiant d'"empereur
en son royaume", sans supérieur au temporel. Philippe Auguste a obtenu l'appui du pape
Innocent III en 1202 par la décrétale Per venerabilem, qui affirmait que "le roi de France n'a pas
de supérieur au temporel".
Le conflit entre Philippe le Bel et Boniface VIII (1294-1303) a été un paroxysme de cette lutte,
confortant l'indépendance du roi de France et affirmant le gallicanisme royal, doctrine de
défense des libertés de l'Église de France, illustrée par le Songe du vergier (1376-1378).
La fonction royale s'est affirmée en lien avec le caractère religieux et divin du sacre. Le sacre,
qui faisait du roi "l'Oint du Seigneur", est devenu une étape essentielle dans l'accession à la
fonction royale, symbolisant un équilibre entre le pouvoir royal et ecclésiastique, et exprimant
l'indépendance et la supériorité de la monarchie française sur les autres rois chrétiens.
Insigne du Pouvoir Origine Symbole Signification
L'épée Chevaleresque Force militaire Le roi protège l'Église
Le manteau du sacre Ancien Testament Service envers l'Église Le roi appartient à
l'Église
L'anneau d'Or Anneau sacerdotal Union Le roi relie Dieu et le
peuple
Le sceptre Ancien Testament Origine divine Le roi exerce l'autorité
politique et militaire
La main de justice Ancien Testament Paix, biens Le roi exerce l'autorité
judiciaire
La couronne Rite byzantin Autorité suprême Le roi est souverain
Les légistes ont affirmé que "toute justice émane du roi en fief ou en arrière-fief", et que le roi
était "souverain pardessus tous et a de son droit la générale garde de tout son royaume"
(Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, § 33). Jean de Blanot affirmait que "le roi a
l'imperium sur tous les hommes de son royaume".
Dignité Royale
L'Administration du Royaume
Le roi capétien, s'appuyant initialement sur la cour féodale, a progressivement développé une
administration royale centralisée et professionnalisée, essentielle à l'exercice effectif de sa
souveraineté.
Organiser
À partir de l'élément féodal, une administration centrale royale s'est organisée. Initialement
itinérante, elle fut fixée à Paris, au Palais de la Cité, à partir de la fin du XIIIème siècle. Un
personnel technique et spécialisé, distinct de l'ancien personnel féodal, fut progressivement
substitué, favorisant la continuité des fonctions.
Parmi les fonctions héritées du Palais carolingien, de grands officiers (chambrier, bouteiller,
sénéchal) virent leur importance décliner, tandis que d'autres (connétable, chancelier) devinrent
essentiels dans les domaines de la justice, de l'administration des biens et de l'armée. Des
spécialistes du droit romain et canonique, comme les maîtres des requêtes de l'hôtel et les
notaires-secrétaires du roi, devinrent plus présents, contribuant à l'affirmation de l'État royal.
La curia regis bénéficia de l'apparition de charges plus spécialisées et stables, permettant une
continuité dans la gestion des affaires. Sous Louis IX, des démembrements de cette cour
donnèrent naissance à des organes de gouvernement spécialisés : le Parlement (curia in
parlamento), la Chambre des comptes (curia in compoto) et le Conseil du roi (curia in consilio).
Le Parlement, dont les termes parlamentum et curia in parlamento apparurent en 1239 pour
désigner une session judiciaire, s'imposa progressivement face aux justices seigneuriales et
ecclésiastiques. Il attira un contentieux croissant, notamment grâce à l'évolution de la procédure
(ordonnance de 1258, interdiction du duel judiciaire). Il se structura avec la Grand Chambre, la
Chambre des requêtes, la Chambre des enquêtes et la Tournelle. Le Parlement acquit une
compétence judiciaire et normative (arrêts de règlement, enregistrement des ordonnances
royales). Des parlements provinciaux apparurent également.
La Chambre des comptes, autre démembrement de la Curia regis, se spécialisa dans la
connaissance et la vérification des comptes royaux. Son organisation fut précisée par
l'ordonnance de janvier 1320. Ses compétences s'accrurent pour inclure les revenus ordinaires
et extraordinaires, et de nouvelles institutions spécialisées (Chambre des Monnaies, Chambre
du Trésor) furent créées en province.
Le Conseil du roi, ou curia in consilio, devint un organe permanent dont la composition et les
attributions relevaient du roi. Il était consulté pour les affaires générales du royaume (paix,
guerre, législation) et la justice retenue. Les légistes y occupèrent une place prééminente. Le roi
consultait également les "bonnes villes" et convoquait les États généraux (à partir de 1302) pour
obtenir aide et conseil, et leur consentement à l'impôt. La spécialisation et la sédentarisation
des organes de la Curia Regis marquèrent la professionnalisation de l'administration royale,
essentielle à l'exercice effectif de la souveraineté sur un territoire étendu.
Gérer
Le Gouvernement du Royaume
La souveraineté royale et son exercice se sont exprimés de manière croissante dans les
domaines de la justice, de la capacité normative et de la fiscalité.
C'est par la justice que le roi a accru son emprise dans le royaume, engageant une lutte contre
les justices concurrentes et perfectionnant l'organisation de la justice royale.
Pour affirmer sa justice, le roi a combattu les juridictions laïques (seigneuriales, urbaines) et
ecclésiastiques. La justice royale s'est imposée face aux justices seigneuriales archaïques dès
le XIIIème siècle. Le roi ne les a pas supprimées, mais les a vidées de leur compétence en les
insérant dans l'organisation de la justice royale par trois voies : la subordination par l'appel, la
concurrence par la prévention (les juges royaux se saisissant d'affaires relevant normalement
des seigneurs), et la réservation des procès intéressant le roi par les "cas royaux". La théorie de
l'abus de justice a permis au roi de retirer à un seigneur sa justice s'il jugeait mal, affirmant le
droit du souverain justicier d'interdire les "mauvaises justices".
L'opposition à la justice ecclésiastique, plus perfectionnée, s'est intensifiée aux XIVème et
XVème siècles. Les justices ecclésiastiques reposaient sur les officialités, caractérisées par leur
organisation, spécialisation et procédure romano-canonique. La justice royale a cherché à
réduire leur compétence par la théorie des "cas privilégiés" (crimes commis par les clercs) et
par l'"appel comme d'abus", permettant de déférer au Conseil du roi ou au Parlement un acte
abusif de l'autorité ecclésiastique pour le faire annuler. La reconquête de la justice par le roi est
un pilier de la construction de l'État, centralisant le pouvoir judiciaire et imposant une procédure
plus rationnelle et hiérarchisée.
Les progrès de la justice royale se sont également manifestés par le perfectionnement de ses
juridictions. Le Parlement a connu une spécialisation croissante dans les affaires civiles et
criminelles. L'évolution de la procédure, passant de l'accusatoire à l'inquisitoire sous l'influence
de l'Église, a distingué les justices royales des seigneuriales. La procédure d'enquête s'est
développée avec la mise en place du ministère public au XIVème siècle. Le régime des preuves
a évolué, le duel judiciaire étant remplacé par la preuve testimoniale et écrite (ordonnances de
1254 et 1258 de Saint Louis). De nouvelles voies de recours ont renforcé la hiérarchisation :
l'appel devant le Parlement des affaires jugées par les juridictions royales inférieures, et la
"proposition d'erreur" au roi pour casser un arrêt du Parlement, à l'origine de la cassation.
Le principe médiéval "Le roi doit vivre du sien" cantonnait le roi à financer ses dépenses par les
seules ressources de son domaine.
Les ressources royales jusqu'au XIVème siècle reposaient essentiellement sur le domaine
(taxes foncières, redevances, droits de justice, péages) et les aides féodales des vassaux.
L'aide féodale était une obligation personnelle, limitée à quatre cas spécifiques (chevalerie du
fils aîné, mariage de la fille aînée, capture du seigneur, croisade) et ne s'appliquait qu'aux
vassaux directs. Philippe le Bel tenta d'étendre cette obligation à l'ensemble du territoire et aux
arrières-vassaux. Des droits tirés de l'exercice de la souveraineté royale (lettres royaux, justice,
monnaie) se développèrent également. Cependant, ces ressources ordinaires se révélèrent
insuffisantes face aux dépenses croissantes, la part des revenus du domaine diminuant
drastiquement (de 80% au début du XIIIème siècle à 2% à la fin du XVème siècle).
La monarchie dut alors recourir à l'impôt extraordinaire, cherchant à justifier son prélèvement.
Les auteurs médiévaux débattirent du pouvoir d'imposer, l'attribuant à l'Empereur (summa
potestas) et, par délégation, à d'autres autorités. Les rois de France développèrent des
justifications fondées sur la necessitas publica, l'utilitas publica ou la defensio regni (nécessité
publique, utilité publique, défense du royaume), déplaçant le focus de l'intérêt du roi vers le
bénéfice de l'État. Le passage d'une fiscalité domaniale à une fiscalité d'État, justifiée par le
"bien commun" et la "nécessité publique", est un indicateur majeur de la transformation de la
monarchie en une entité étatique centralisée et interventionniste.
1. La Diversité des Aires Coutumières Malgré cette diversité, des "ressemblances familiales"
existaient, créant des "aires coutumières" où les pratiques partageaient des traits communs en
raison de la proximité géographique ou de traditions juridiques similaires. Une distinction
fondamentale s'établit entre les "pays de coutumes" au Nord, fortement influencés par les
traditions germaniques, et les "pays de droit écrit" au Sud, profondément imprégnés du droit
romain, séparés par une ligne allant du lac Léman à La Rochelle. Les coutumes de l'Ouest
(Anjou, Maine, Touraine, Poitou, Bretagne, Normandie) furent particulièrement marquées par
l'influence du droit féodal, privilégiant par exemple le lignage dans la transmission des
patrimoines. Ce système juridique coutumier, développé entre le XIe et le XIIIe siècle, a
profondément transformé le droit applicable, notamment en influençant le droit de la famille
dans le Nord par un fort communautarisme.
2. Les Premières Mises par Écrit et la Preuve Avec la renaissance de la culture écrite au
milieu du XIIe siècle, les coutumes commencèrent à être couchées sur papier, sous des formes
différentes selon les régions.
● Dans le Midi, la rédaction fut souvent initiée ou contrôlée par les seigneurs ou les
autorités municipales, donnant naissance à des "statuts urbains" qui modernisaient et
officialisaient les coutumes existantes, les rendant directement applicables en justice.
● Dans le Nord, apparurent des "coutumiers" à la fin du XIIe siècle. Ces ouvrages, souvent
d'initiative privée (comme les Coutumes de Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir),
compilaient et commentaient les coutumes, les éclairant à la lumière du droit savant et de
la pratique judiciaire.
La preuve de la coutume, initialement orale (témoignages d'anciens ou "boni homines"), évolua.
Certaines coutumes devinrent "notoires", c'est-à-dire si connues qu'elles n'avaient plus besoin
d'être prouvées. Pour les autres, la procédure d'"enquête par turbe" (ordonnance de Saint Louis
en 1270) permettait à un groupe d'hommes expérimentés de rendre un avis collectif sur
l'existence de la coutume, avis qui, s'il était unanime, la rendait notoire pour l'avenir.
4. Les Droits Successoraux des Époux en Droit Congolais Pendant la période coloniale, le
Code Civil Livre 1er ne contenait aucune disposition sur les successions, laissant cette matière
entièrement régie par les coutumes locales, que l'on savait d'essence inégalitaire. La
succession coutumière était principalement une transmission d'actifs, de fonctions et de
dépendants, plutôt qu'une transmission universelle du patrimoine (actifs et passifs) comme dans
le droit moderne. La dévolution variait considérablement selon les systèmes de parenté :
● Systèmes patrilinéaires (Luba-Katanga, Mongo) : La femme n'héritait généralement
pas de son mari, la succession étant dévolue aux membres du lignage du défunt. Les
enfants n'héritaient pas directement de leur père, sauf exceptions. Les testaments oraux
étaient reconnus, permettant de favoriser certains membres du lignage.
● Systèmes matrilinéaires (Kongo, Tshokwé) : Il n'y avait pas de droits successoraux
entre époux, car ils appartenaient à des clans différents. La succession était strictement
limitée au lignage maternel.