LES PRÉFACES DU MISSEL ROMAIN
Nos lecteurs auront un souvenir dans le Seigneur
pour l'auteur de cet article, Dom Placide Bruylants,
moine du Mont-César à Louvain, que Dieu a rappelé
subitement à lui le 18 octobre. La haute compétence
de Dom Bruylants en matière d'euchologie latine lui
avait fait confier d'importantes responsabilités au sein
du Consilium liturgique dans la révision des formu-
laires du missel romain.
1 Ls'avère difficile, voire impossible, de porter un jugement
d'ensemble sur le caractère et la valeur des quelque
vingt préfaces qui figurent actuellement au missel ro-
main 1. On y distingue, en fait, au moins trois groupes, nette-
ment distincts.
1. Le noyau le plus ancien comprend celles qui, par le
canal de la tradition grégorienne, l'essai d'unification litur-
gique sous les Carolingiens, le faux décret de Burchard de
Worms et le missel de Pie V (1570), ont abouti à l'édition
typique, telle que nous la connaissons. Ce sont les préfaces
de Noël, de l'Epiphanie, de Pâques, de l'Ascension, du Saint-
Esprit, des Apôtres, et, bien entendu, la préface commune.
Mis à part la préface de la Sainte Trinité, qu'Alcuin a
empruntée à la tradition gélasienne, et celle de la sainte
Vierge, introduite au 11e siècle, ce petit noyau restera
inchangé jusqu'au 20e siècle.
Notepréliminaire
:
Liste des principales sources citées dans cette étude
L. C. MOHLBERC, Sacramentarium Veronense, Rome 1956.
1. On trouvera un excellent aperçu général sur l'histoire de la préface dans
A. J. JUNGMANN, op. cit., p. 21-37.
V. C. MOHLBERG, Liber sacramentarum Romande Ecclesiae ordinis anni
circuli, Rome, 1960 = Gélasien ancien.
A. P. CAGIN, Le Sacramentaire gélasien d'Angoulême, Mâcon, 1918.
COR. H. LIETZMANN, Das sacramentarium nach dem Aachener Urexemplar,
Münster, 1921.
COR Supplément d'Alcuin, dans
Londres, 1915.
: H. A. WILSON, The Gregorian Sacramentary,
J. A. JUNGMANN, Missarum Sollemnia, tome III, Paris, 1954.
Pour la facilité, nous nous servons des désignations communes, telles que :
tradition gélasienne ancienne, grégorienne et gélasienne du VIIIe siècle, Supplé-
,oent d'Alcuin, etc. Nous ne prétendons pas par là prendre position dans les
divers problèmes qu'elles soulèvent.
2. Tout près de nous, enun espace de dix ans, sont venus
s'y ajouter la préface des défunts (1919), celle de saint
Joseph (1919), celle du Christ-Roi (1925) et celle du Sacré-
Cœur (1928).
3. Enfin, un certain nombre de diocèses ont adopté, ces
derniers temps, les préfaces de l'Avent, du Saint-Sacrement,
de tous les saints et de la dédicace du missel parisien
de 1738.
Pour déterminer le caractère propre de la préface et sa
fonction au début du canon, nous devrons donc élargir notre
enquête.
Nous ferons d'abord brièvement l'historique de la préface
dans la tradition romaine. Nous essayerons ensuite de déga-
ger les lois qui ont présidé à son évolution. Enfin, à la
lumière des principes acquis au cours de cette étude, nous
examinerons, l'un après l'autre, les textes que le missel nous
a conservés.
LES PRÉFACES
DANS LA TRADITION ROMAINE
Si nous laissons provisoirement hors de considération les
deux derniers groupes, qui sont d'origine récente, on se
trouve devant un nombre réduit de textes, qui sont les reli-
ques d'une littérature jadis particulièrement abondante.
Au cours de la « période d'improvisation créatrice orale et
écrite », comme dit avec bonheur C. Vogel2, la préface sem-
ble bien avoir été un élément variable pour chaque célébra-
2. C. VOCEL, Introduction aux sources de l'histoire du culte chrétien ail
Moyen Age, Spoleto, [1965], p. 20.
tion. C'est l'image que nous a laissée la vénérable collection
de messes des Libelli de Vérone (sacramentaire Léonien).
En effet, bien qu'amputé d'un gros quart en son début, ce
document ne compte pas moins de 267 préfaces.
Cette grande variété doit avoir été très vite sensiblement
réduite, du moins à Rome. Nous n'avons aucun témoin
direct de l'état de la liturgie avant la période grégorienne.
On s'accorde cependant à voir dans le Gélasien ancien, en
sa partie proprement romaine, un témoin indirect de cette
époque. Or, ce document ne comporte déjà plus que 56 pré-
faces au total.
Dans la rédaction grégorienne, qui parvint en Gaule dans
la seconde moitié du 8e siècle, il n'en reste plus que 14, dont
8 pour le temporal, qui ont été retenues par le missel ro-
main actuel.
Burchard de Worms (965-1025) ajouta à ces 8 préfaces
celle de la Sainte Trinité, et voulut donner au nombre 9 un
fondement juridique, en insérant parmi ses Decreta une
pseudo-décrétale de Pélage II (579-590) 3. Vers le même
moment cependant, la préface de la sainte Vierge vint s'a-
jouter au groupe ainsi constitué. Cet état de choses fut sanc-
tionné par le missel de Pie V et il fallait attendre le début
de notre siècle pour voir l'Eglise soumettre à révision la
collection étriquée de ses préfaces.
Cependant, l'Eglise de Gaule ne s'était pas résignée à ce
mouvement d'appauvrissement, et dès l'époquemérovin-
gienne les documents attestent un retour à l'abondance pri-
mitive. Les Gélasiens du 8e siècle, dans leur rédaction la
plus ancienne, représentée par les manuscrits de Gellone et
d'Angoulême, ont fait remonter le nombre des préfaces au-
delà de 200, en puisant d'ailleurs largement dans les anciens
documents romains, telle la collection de Vérone et d'autres
peut-être, qui ne nous seraient pas parvenus.
Du vivant même de Charlemagne, l'unité liturgique qu'il
s'était proposé de réaliser sur la base des documents pure-
ment romains, s'avéra impraticable, et par le truchement du
Supplément d'Alcuin, une centaine de préfaces reprirent
leur place dans les sacramentaires4. Le sacramentaire de
Fulda, par exemple, qui remonte au 106 siècle, n'en compte
3. B. CAPELLE, Les Origines de la préface romaine de la Vierge, dans Revue
d'histoire ecclésiastique 38 (1942) pp. 46-47. — B. BOTTE, L'Ordinaire de la messe,
Paris-Louvain, 1953, p. 25. — A. G. MARTIMORT, L'Eglise en prière, Paris, 1961,
pp. 388-389.
4. Voir dans H. A WILSON, op. cit., pp. 233-247 et 255-302.
pas moins de 3205. Leur nombre est à peine moins élevé
dans les documents de l'époque anglo-normande6.
Le faux décret de Burchard de Worms et le missel de
Pie V enrayèrent définitivement ce mouvement de renais-
sance. Mais, une fois de plus, au 18e siècle, l'Eglise de France
fit retour à une plus grande variété7, et au siècle suivant,
plusieurs diocèses et ordres religieux obtinrent de Rome
l'usage d'une ou de plusieurs préfaces propres8.
Depuis la renaissance liturgique propre à notre époque,
des voix autorisées se sont élevées pour souhaiter le retour
à une plus grande diversité. A mesure que la connaissance
et l'édition des sources anciennes prenaient plus d'ampleur,
des efforts ont été faits, principalement par des auteurs de
langue allemande, pour faire connaître, fût-ce sous forme de
lecture spirituelle, les plus belles compositions de cette riche
tradition9.
Le concile œcuménique Vatican Il nous donne la certi-
tude que ce vœu unanime des liturgistes et des pasteurs a
été entendu. Pendant la quatrième session du Concile, deux
nouvelles préfaces furent prévues pour la célébration des
messes votives du Saint-Esprit10, et la messe pour le jubilé
extraordinaire de 1965 comporte également une préface
propre11.
II
CARACTÈRE DE LA PRÉFACE ROMAINE
Pour déterminer la place que la préface occupe dans le
canon romain et la lumière que peut apporter à ce sujet le
6. Voir, par exemple
Londres, 1896.
:
5. G. RICHTER et A. SCHONFELDER,
1912.
Sacramentarium Fuldense saeculi X., Fulda,
H. A. WILSON, The Missal of Robert de Jumièges,
7. Missale parisiense, Paris, 1738.
8. B. OPFERMANN, Die heutige liturgischen Sonderpräfationen, dans Theologie
und Glaube 46 (1956) 204-215.
9. A. DOLD, Sursum Corda. Hochgebete aus alten lateinischen Liturgien, Salz-
bourg, 1954. — J. STRANGFELD, Das Dankgebet der Kirche, Fribourg e. Br., 1952.
10. Missae in quarta periodo Concilii Œcumenici Vaticani II celebrandae,
Roma, [1965], pp. 20 et 35. — La première est un centon, composé à partir de
L 635 et 951. La seconde est empruntée à la tradition ambrosienne. Voir A.
PAREDI, Sacramentarium Bergomense, Bergame, 1962, n. 768.
sienne et mozarabe, on peut lire :
11. Cet article n'étudie que les préfaces romaines. Pour la tradition ambro-
A. PAREDI, I Prefazi Ambrosiani, Milan,
1937. — M. DIETZ, Präfationen des ambrosianischen Ritus als Gebetsschule,
Diilmen, 1940. — M. DIETZ, Gebetsklânge aus Altspanien. Illationen des altspa-
nisch-westgotisch-mozarabischen Ritus, Bonn, 1947. — J. JANINI, Sacramentorum
praefationes y liturgia visigotica, dans Hispania sacra, (1964) pp. 141-172.
titre même de praefatio, qu'elle porte actuellement dans le
missel, on voudra bien se reporter aux pages 97 à 105, ci-
dessus. Ce qui importe pour nous, c'est de déterminer, à la
lumière de cette fonction propre, le type de prière qu'elle
représente.
Le terme qui nous paraît le plus approprié pour désigner
le rôle que la préface joue au début du canon, est celui de
prologue, dans le sens où ce mot est employé pour l'évan-
gile de saint Jean. De même que celui-ci nous propose l'op-
tique sous laquelle l'apôtre va nous présenter la personne
du Christ, ainsi la préface détermine l'attitude d'âme dans
laquelle nous allons participer sacramentellement au sacri-
fice du Christ.
Cette attitude est sans conteste l'action de grâces. Est-il
besoin de rappeler que celle-ci est infiniment plus complexe
qu'un simple sentiment de reconnaissance ou de gratitude?
On pourrait dire que dans la préface l'Eglise évoque le
souvenir émerveillé de la rédemption, qui nous soulève en
un élan d'enthousiasme vers Dieu, au moment où nous nous
apprêtons à célébrer ce mystère, dans son intégralité ou
dans un de ses aspects particuliers, au cours de l'action
eucharistique, qui actualise pour nous la volonté rédemp-
trice de notre Dieu.
Il faut reconnaître toutefois que, tout en étant chose
acquise dans le renouveau liturgique contemporain, cette
optique ne se retrouve pas toujours avec une égale clarté
dans les sources anciennes. Elle est incontestablement celle
du canon d'Hippolyte12. Mais, dès les premiers essais de
rédaction de la prière liturgique, les déviations sont nom-
breuses.
— La tentation la plus forte et à laquelle bon nombre de
rédacteurs n'ont pu résister (et cela dès la collection de
Vérone) était de faire de la préface une prière de
demande, semblable aux oraisons. L'actuelle préface des
apôtres en est un exemple typique13. On pourrait les multi-
plier. Un rapide coup d'œil sur l'index des Incipit dans un
sacramentaire, où les préfaces sont relativement nombreuses,
suffit pour constater la fréquence de formules, telles que
maiestatem tuam suppliciter (supplices) deprecantes, exo-
:
rantes, implorantes, obsecrantes, et d'autres du même
genre14.
12. B. BOTTE, La Tradition apostolique de saint Hippolyte, Münster, 1963, pp. 12
et ss. — Voir également l'article du même auteur, ci-dessus, pp. 52-61.
13. L 316 et 376.
14. Voir A. STUIBER, Libelli Sacramentorum, Bonn, 1950, pp. 65-71.
— Le désir de l'Eglise d'affirmer sa foi dans toute sa
pureté, en face des hérésies sans cesse renaissantes, a donné
jour à plus d'une préface, où la minutie d'un exposé
doctrinal l'emporte sur le lyrisme d'une véritable action de
grâces. Ici également le missel romain nous a conservé un
exemplaire caractéristique, d'allure apparemment scolasti-
que, mais qui est en fait originaire du Gélasien ancien15. Il
s'agit de la préface de la Sainte Trinité, dont la composition,
d'après A. Chavasse, ne devrait pas être placée trop en deçà
de la fin du 5e siècle16.
— Les anciennes préfaces des saints (en l'occurrence, des
martyrs) glorifiaient en eux le renouvellement de la victoire
du Christ17. Très vite, en de nombreux cas, l'élément hagio-
graphique prit le pas et la préface tourna résolument au
panégyrique. Oncite souvent, à ce propos, les interminables
compositions mozarabes. Mais le phénomène n'est pas
réservé aux liturgies non romaines, et ici également, nous
en trouvons des exemples dès la collection de Vérone18.
En sens inverse, il n'y a pas 'jusqu'à la satire ou la dia-
tribe qui n'ait réussi à se glisser dans la préface. On connaît,
à ce sujet, le portrait, haut en couleur, des « faux frères »,
qu'on trouve dans une préface célèbre de la même col-
lection 19.
— Certaines préfaces se présentent tout simplement
comme une catéchèse. L'exemple le plus frappant est celui
de la plupart des préfaces du Carême, qui ne sont guère plus
qu'une apologie du jeûne. Celle que nous avons conservée
dans le missel romain est malheureusement du nombre et
ne laisse absolument rien soupçonner du grand mystère
pascal qui se déroule à ce moment capital de l'année litur-
gique 20.
- Enfin, il était un danger plus subtil, qui n'a guère été
relevé jusqu'à présent, du moins à notre connaissance, et
que nous ne dénonçons qu'avec une certaine appréhension
c'est celui d'une spiritualisation excessive.
:
Alors que la préface primitive était avant tout scriptu-
raire, non pas nécessairement par des citations littérales,
15. V 680.
16. A. CHAVASSE, Le Sacramentaire gélasien, Strasbourg, 1958, pp. 254-260.
17. L 159.
18. L 1190.
19. L 530 — A. CHAVASSE, op. cit., p. 147, note 22, attribue ce texte au pape
Gélase.
20. A.J. JUNGMANN, op. cit., pp. 26-27, présume que ce sont des abus comme
ceux que nous venons de signaler qui ont dû provoquer la réforme rigoureuse,
dont nous avons le résultat dans le sacramentaire grégorien. — Voir du même
auteur, l'Introduction à G, STn.\NGf¡;;,.n, op. cit.,pp.7.8.
mais par le rappel des divers éléments de l'histoire du salut,
certains textes, comme ceux de Noël et de l'Epiphanie, rap-
pellent le mystère qu'ils veulent célébrer, sous un angle
spéculatif ou spirituel, qui n'a plus guère d'attache avec les
données scripturaires. Dans les deux exemples cités, on
glisse directement, après l'évocation du mystère célébré
(quia per Incarnati Verbi mysterium, ou bien, quia cum
Unigenitus tuus in substantia nostrae mortalitatis apparuit),
vers le thème de la lumière.
Le nombre des préfaces étant extrêmement réduit dans la
tradition grégorienne, il est difficile de pousser notre enquête
sur ce plan. Dans les oraisons, le phénomène est courant.
:
On lira ci-après, à titre d'exemple, la rédaction de la collecte
de Pâques du Gélasien ancien et du Grégorien
Deus qui per Unigenitum Deus qui hodierna die per
tuum aeternitatis nobis adi- Unigenitum tuum aeternita-
tum devicta morte reserasti, tis nobis aditum reserasti,
da nobis, quaesumus, ut qui vota nostra quae praeve-
resurrectionis sollemnia co- niendo aspiras, etiam adiu-
limus, per innovationem tui vando prosequere.
spiritus a morte animae re-
snrgamus.
Il serait aisé de multiplier les exemples. En viendrait-on
?avoir la certitude, faire un examen appro-
à la conclusion que c'est là un phénomène propre à la tra-
dition grégorienne Nous sommes portés à le croire. Mais il
faudrait, pour en
fondi de tous les textes que cette tradition a repris aux
sources antérieures.
Il nous reste à examiner les préfaces du missel romain
du point de vue purement rédactionnel. On y reconnaît aisé-
menttrois schémas, comme en témoigne le tableau suivant :
1°quia per Incarnati Verbi mysterium : Noël
quia cum Unigenitus tuus : Epiphanie
Te quidem Domine omni tempore : Pâques
qui llnigenitum tuum in cruce : Sacré-Cœur
qui Unigenitum Filium tuum : Christ-Roi
Conclusion:
qui hanc orationis domum :
Et ideo cum angelis.
Dédicace
2° PerChr. Dom. Nostrum : quem perdito
qui post resurrectionem
Avent
Ascension
::
qui ascendens :
qui remotis : Saint-Esprit
Saint-Sacrement
Conclusion :
in quo nobis : Défunts
Et ideo cum angelis.
3° qui corporali ieiunio.. perChr.Dom.nostrum Carême
qui salutem humani.. idem Croix
qui glorificaris..idem
suppliciter obsecrantes. idem
Saints
Chrême
et te in beatae Mariae. Dominum nostrum Marie
et in beati Ioseph
Conclusion : Dominum nostrum
Per quem. cum quibus.
Joseph
:
Seule la préface de la Sainte Trinité ne se laisse pas
ranger dans ce schéma
qui cum Unigenito tuo.
aequalitas. Quam laudant.
La structure qui, pastoralement comme idéologiquement,
semble le plus favorable à une compréhension exacte
du rôle de la préface dans la grande prière eucharistique
semble être celle où nous adressons notre action de grâces
directement au Père, par le Christ, et en nous unissant à la
louange des anges21.
Un des éléments qui ont certainement contribué à leur
élégance est l'usage habituel du cursus dans la rédaction
des préfaces22. C'est à lui en partie qu'on doit ces belles
formules lapidaires où, longtemps, nous avons admiré le
génie propre de la prière romaine. Ce cursus peut même
nous aider à reconnaître la version authentique parmi les
variantes qui ont parfois altéré certains textes. Ainsi, la
finale resurgendo restituit est certainement à préférer à la
leçon actuelle resurgendo reparavit, dans la préface de
Pâques.
Il faut reconnaître, par ailleurs, que les essais de traduc-
tion dans les diverses langues nationales, en dépouillant
21. Voir A.J. JUNGMANN, op. cit., pp. 157 et 159-160. — K. AMON, Gratias agere.
Zur Reform des Messkanons, dans Liturgisches Jahrbuch 15 (1965) p. 84.
22. On lira une des dernières contributions à l'étude du cursus dans F. STUM-
MER, « Von Satzrhythmus in der Bibel und in der Liturgie der Lateinischen
Christenheit », dans Archiv für Liturgiewissenschft 3 (1954) pp. 233-283.
certaines formules de leurs artifices rédactionnels, ont plus
d'une fois fait apparaître la pauvreté de leur contenu.
En outre, le cursus présente incontestablement le danger
de provoquer l'abus de mots passe-partout, tel que merea-
mur, qu'on retrouve à la fin de plus de quatre-vingts orai-
sons, la plupart du temps sans autre utilité que de rendre la
clausule plus harmonieuse23.
Mentionnons, pour terminer, un problème qui est égale-
ment d'ordre littéraire, mais dont l'incidence pastorale n'est
pas négligeable, celui de l'immutabilité de la formule ini-
tiale : Vere dignum. aeterne Deus, et de la finale de la
préface, qui, malgré une certaine élasticité (voir plus haut),
ne présentent pas une très grande variété 24. Il est hors de
doute que, chantées ou lues en langue vivante, ces formules
stéréotypées risquent de devenir rapidement une ritournelle,
à laquelle personne ne prêtera plus guère attention.
III
EXAMEN DES PRÉFACES DU MISSEL ROMAIN
A lalumière des principes qui se sont dégagés de l'étude
de la préface dans la tradition romaine, examinons briève-
ment, une à une, les préfaces actuellesdu missel romain.
1. La préface de Noël25
Nous avons vu plus haut que son origine remonte à la
tradition grégorienne et nous avons déploré le fait qu'elle
23. A. CHAVASSE, « Messes du pape Vigile (537-555) dans le Sacramentaire
Léonien », dans Ephemerides Liturgicae 66 (1952) pp. 204-205, met en garde
contre le danger qu'il y aurait à chercher sous tel mot inhabituel une nuance
doctrinale particulière. alors que ce mot a été artificiellement introduit pour
satisfaire aux « règles de l'art ».
24. P. Cagin, Te Deum ou lllatio, Solesmes, 1906, pp. 73-103, 356-371, 440-487,
a rassemblé une documentation intéressante à ce sujet.
Les limites de cet article nous interdisent de reprendre ici la question de la
ponctuation, tant au début qu'à la fin de la préface. On en trouvera un résumé
récent dans A. Ferrua, « Consensi e dissensi sulla punteggiatura del prefazio »,
dans La Scuola Cattolica 94 (1966) pp. 143.145.
25. B. CAPELLE, « La préface de Noël. Origine et commentaire », dans Les
Questions liturgiques et paroissiales 18 (1933) pp. 273-283. — H. ASHWORTH,
« The Liturgical Prayers of St. Gregory the Great », dans Traditio 15 (1959) p.
121.
n'exprime pas de façon plus concrète le mystère de la
Nativité qu'elle célèbre26.
On peut le regretter d'autant plus que nous disposons
d'un choix de textes anciens très varié, dont l'un ou l'autre
pourrait heureusement être remis en usage27.
Arrêtons-nous un instant aux emplois de ce texte en
:
nommer :
dehors du temps de Noël. Il est assigné à la fête du 2 février
In Purificatione B.M. V., qu'il serait d'ailleurs plus exact de
In Praesentatione Domini28. C'est précisément à
cette date qu'apparaît notre préface, dans la tradition
gélasienne du 8e siècle. La tradition grégorienne n'assigne
pas de préface propre à la fête du 2 février, et il faut atten-
dre le Supplément d'Alcuin pour la voir apparaître29. Cette
intervention n'a cependant pas réalisé l'uniformité. Ainsi,
le missel de Robert de Jumièges, au 11e siècle, a toujours
une préface propre30.
Jusqu'à la première simplification des rubriques, en 1955,
la préface de Noël était également assignée à la Fête-Dieu.
Il semble en avoir été ainsi dès l'institution de la fête. En
tout cas, cet emploi est déjà attesté dans le premier missel
imprimé de 1474.
2. La préface de l'Epiphanie
L'usage dece texte représente, lui aussi, du moins d'après
les documents liturgiques connus, la tradition grégorienne31.
Dans la tradition gélasienne ancienne, il était assigné à la
propre :
vigile de l'Epiphanie32. Le jour même, on utilisait un texte
VD. te laudare mirabilem Deum33. Les gélasiens
la fête, ils insèrent un nouveau texte :
du 8e siècle emploient ce dernier à la vigile. Pour le jour de
V D. qui notam
fecisti in populis misericordiam tuam34. Au premier diman-
che après l'Epiphanie, ils se servent de la préface actuelle.
Cette dernière disposition se retrouve encore dans le Sup-
plément d'Alcuin.
(=
26. COR 6, 3.
27. L 1241, 1245, 1247, 1250, 1255, 1260, 1262, 1266,
L 1250).
-V
1270, 8, 14, et 20
28. A 206.
29. R p. 233 ; O p. 259.
30. H. A. WILSON, op. cit., p. 160.
31. A. P. LANG, « Leo der Grosse und die liturgischen Texte des Oktavtages
von Epiphanie », dans Sacris Erudiri 11 (1959) p. 62-84, l'attribue à saint Léon.
32. V 59 — A 116.
33. V 65 — A 99.
34. A 106.
En fait, notre texte ne présente que très imparfaitement
la richesse du mystère que l'Eglise célèbre en ce jour. Seul,
le mot apparuit y évoque l'idée d'épiphanie. Après cela, nous
retournons au thème de la lumière, que nous avons déjà
rencontré à Noël. La triple manifestation du Seigneur, que
nous trouvons au Bréviaire, est autrement riche et sugges-
tive, tant du point de vue pastoral que du point de vue théo-
logique.
3. La préface du Carême
Il convient de remarquer tout d'abord que la tradition
manuscrite présente, pour cette période de l'année litur-
gique, en ce qui concerne les préfaces, une extrême diver-
sité, à vrai dire quelque peu déconcertante.
1. Le Gélasien ancien et le Grégorien ne font aucune men-
tion d'une préface pour le Carême.
2. Le Sacramentaire de Prague ignore encore la préface
actuelle, mais assigne une préface propre au 1er dimanche
du Carême et au dimanche des Rameaux 35.
3. Le Sacramentaire de Padoue prévoit une série de pré-
faces propres pour le 1er dimanche, le vendredi suivant (l'ac-
tuelle : qui corporali ieiunio), le samedi de la même se-
maine et les vendredis de la 2e et de la 3e semaine 36.
4. C'est dans la tradition gélasienne du 8e siècle que nous
trouvons enfin l'actuelle préface du Carême assignée au
mercredi des Cendres. En outre, les Gélasiens du 8e siècle
comportent un texte propre pour tous les jours de la pre-
mière semaine et pour tous les dimanches37. Le Sacramen-
taire d'Angoulême y ajoute encore une préface pour le mer-
credi de la semaine sainte38.
5. Enfin, dans le Supplément d'Alcuin (ms. Ottobonia-
35. A. DOLD, Das Prager Sakramentur, Beuron, 1949, n. 45, 3 et 86, 3.
36. K. MOHLBERG, A. BAMSTARK, Das älteste erreichbare Gestalt der Liber
Sacramentorum anni circuli der romischen Kirche (Cod. Pad. D 47), Münster,
1927. n. 138, 161, 172, 195, 223.
37. A 279, 289, 301, 311, 320, 326, 333, 340, 360, 367, 414, 461, 506, 561, 583. —
La même série, à l'exception des préfaces pour le vendredi après les Cendres el
le mercredi saint, se retrouve dans K. MOHLBERG, Das fränhische Sacramenta-
rium Gelasianum (Codex Sangali, n. 348), Münster, 1939.
38. A 583.
nus), chaque jour du Carême, du mercredi des Cendres au
mercredi de la semaine sainte, a sa préface propre39.
Le texte conservé dans le missel romain est d'une pau-
vreté désolante. On y cherche en vain une allusion au grand
mystère pascal que l'Eglise commémore en ce moment de
l'année liturgique. Le caractère baptismal, que la Constitu-
tion sur la liturgie désire voir souligné, en est également
absent40.
Bien plus, depuis que le jeûne, comme pratique spécifique
du Carême, a été réduit à sa plus simple expression, pour
faire place à une pratique de la pénitence plus spontanée et
adaptée davantage aux conditions de vie de chaque fidèle,
ce texte présente un contresens, qui n'est guère favorable à
une catéchèse authentique du Carême.
A vrai dire, à part les préfaces que propose le Supplément
d'Alcuin en concordance avec les évangiles des dimanches,
tous les textes conservés dans les sacramentaires, et nous
venons de voir qu'ils sont nombreux, sont à peu près de la
même veine, et se contentent de décrire les avantages spi-
rituels du jeûne41.
Comme nous l'avons déjà noté pour le caractère propre-
ment eucharistique de la préface en général, il faut répéter
ici que la vue clairedu mystère pascal, sur lequel le renou-
veau liturgique a tant insisté et qui s'est trouvé confirmé par
la Constitution, est la redécouverte d'une vérité qui n'a sans
doute pas cessé d'être affirmée dans la littérature patris-
tique, mais qui ne se retrouve pas toujours avec la même
évidence dans les documents liturgiques.
C'est incontestablement en cet endroit du missel que la
nécessité d'un véritable ressourcement s'impose avec le plus
d'évidence.
4. La préface de la Croix
La préface de la Croix est la dernière venue parmi celles
du Temporal. On la rencontre pour la première fois dans le
39.Opp.261-270.
::: n.
40. Constitutio desacra liturgia 109.
41. 1er Dimanche Le Christ au désert. — O p. 274.
:::
2' Dimanche
3' Dimanche
4e Dimanche
Dimanche
La
La
Transfiguration. — Op. 267.
Samaritaine. — Op. 265.
L'aveugle-né. — Op. 267.
Lazare. — Op. 267
5P
6' Dimanche La Passion. -
Op. 270.
Sacramentaire de Prague (fin du 8e siècle) 42. Elle y fut
insérée par une main légèrement plus tardive. Son usage
restera longtemps limité aux messes votives de la Croix. Le
missel de 1474 l'assigne, sous forme de rubrique, au diman-
che des Rameaux, quoique, parmi les préfaces qu'il insère
dans le canon, elle figure toujours sous la rubrique In
sollemnitatibus sanctae Crucis43. Il faut attendre le missel
de Pie V pour la voir assignée au 1er dimanche de la Passion
et la trouver à sa place actuelle dans le corps des préfaces.
Alors que la tradition manuscrite est unanime pour lire
qui (Christus) in ligno vincebat, la comparaison avec cer-
tains textes patristiques semblerait plaider en faveur de la
leçon quae (mors), qui s'accorderait d'ailleurs mieux avec la
conclusion : Per Christum Dominum nostrum u.
5. Préface de la messe chrismale
Ce texte, originaire de la Gaule, d'après A. Chavasse, de
Ravenne, d'après K. Gamber 45, avait jadis sa place régulière
dans le sacramentaire46. Lorsque la bénédiction du chrême
passa dans le pontifical, elle fut incorporée à la préface
consécratoire. Lors de la récente réforme de la semaine
sainte, l'ordre primitif fut restauré, en distinguant la pré-
face eucharistique de la messe et celle de la consécration des
saintes huiles.
Le texte en est resté inchangé. Il suffirait d'une légère
modification au début pour lui enlever son caractère dépré-
catoire et en faire une véritable action de grâces.
42. A. DOLD, Das Prager Sakramentar, Beuron, 1949, p. 123 *.
43. R. LIPPE, Missale - Romanum Mediolani, 1474, Londres, 1899, pp. 141 et
202-206.
:
44. Voir A 1580 : ut unde mortem peccatum contraxerat, inde vitam pietas
repararet. — Dom H. Ashwort m'a aimablement communiqué les référencespatris-
tiques suivantes, tirées des sermons de Pierre Chrysologue
;
et ibi videas pendere
45. A. CHAVASSE,
- -
credentium vita, ubi mors pependerat perfidorum, P. L. 52, 359 ut quia per
lignum mors venerat, rediret vita per lignum, Ibid. 364 ; sntias caritatis mortem-
que, quae per lignum venit, Ibid. 367.
« La bénédiction du chrême
- en Gaule
- - avant l'adoption
- inté-
grale de la liturgie romaine », dans Revue du Moyen Age latin 1 (1945) pp. 109-
128. — K. GAMBER, Sakramentartypen, Beuron, 1958, pp. 54-55. — Voir égale-
ment J. ROGUES, « La préface consécratoire du chrême », dans La Maison-Dieu 49
(1957) pp. 35-49.
46. V. 378. — A 626. — COR 77, 7.11.
6. Préface de Pâques
La préface de Pâques est probablement celle qui répond le
mieux aux exigences que nous avons énoncées plus haut.
Elle évite la monotonie de la formule d'introduction. Elle
exprime d'une façon parfaite la plénitude du mystère pascal
qu'elle entend célébrer.
finale :
Cependant, on serait heureux de lui voir restituer la
Propterea (quapropter) profusis (paschalibus) gau-
diis, que nous retrouvons dans le missel actuel à la fin de
la préface du Saint-Esprit.
Sans vouloir faire d'une façon exhaustive l'historique de
ce texte47, il faut remarquer cependant qu'à l'origine, le
Gélasien ancien présente une double rédaction48 :
actuelle (à la suite de la préface
optatissimum tempus) ;
:
1) à la messe de la nuit pascale, et sous sa forme
VD. adest enim nobis
2) sous une forme plus développée, avec cependant le
même début, à la messe du jour de Pâques :
Vere dignum : te quidem omni tempore, sed in hoc
praecipue die laudare, benedicere et praedicare, quod
pascha nostrum immolatus est Christus. Per quem in
aeternam vitam filii lucis oriuntur, fidelibus regni caeles-
tis atria reserantur et beati lege commercii divinis hu-
mana mutantur. Quia nostrorum omnium mors cruce
Christi redempta est et in resurrectione eius omnium
vita resurrexit. Quem in susceptione mortalitatis Deum
maiestatis agnoscimus et in divinitatis gloriam Deum et
hominem confitemur. Qui mortem nostram moriendo
destruxit et vitam resurgendo restituit, Iesus Christus
Dominus noster.
Le choix entre ces deux rédactions s'avère difficile. On
admirera certainement dans la version actuelle l'extrême
concision d'une formule élégamment balancée. Par contre,
la version plus longue, en explicitant le thème pascal, nous
donne peut-être davantage le temps d'en assimiler toute
la richesse.
47. G. MERCIER, La préface de Pâques, dans Liturgie et Vie chrétienne, 53
(1966) pp. 13-20, rappelle les principaux éléments de cette histoire et propose
d'attribuer le texte, sinon il saint Léon lui-même, du moins à son époque.
48.V47,8et166.
La tradition grégorienne ne connaît que cette seule pré-
face pascale. La tradition gélasienne, elle, assigne une pré-
face propre à chaque jour de l'octave et à tous les diman-
ches du temps pascal. Au Gélasien ancien, vingt-trois
préfaces sur les cinquante-six que compte ce document
sont affectées à ce temps. Certains de ces textes mériteraient
d'être réintégrés au missel, sinon comme préfaces pascales,
du moins aux dimanches per annum, pour répondre au
vœu émis par la Constitution (n° 106) de voir accentuer
le caractère pascal de la célébration dominicale.
7. La préface de l'Ascension49
Ce texte, qui apparaît pour la première fois dans la
tradition grégorienne, a été composé à partir de deux pré-
faces de la collection de Vérone50. Il est en fait assez pro-
saïque.
la dernière incise :
Après le rappel du récit évangélique de l'Ascension, seule
ut nos divinitatis suae tribueret esse
participes, évoque la portée salvifique de ce mystère.
Le Sacramentaire de Vérone ne présente pas moins de
six préfaces pour cette fête. Le Gélasien ancien a repris
la dernière de la série et y a ajouté une septième51. On
peut se demander dans quelle mesure il ne serait pas
souhaitable de choisir pour cette fête un nouveau texte, qui
expliciterait davantage la place de ce mystère dans l'éco-
nomie du salut.
8. La préface du Sacré-Coeur52
Dans l'appréciation de cette préface, introduite dans le
missel romain en 1928, contentons-nous de constater que,
en accord avec les autres textes de la messe, l'objet du
culte rendu au Sacré-Cœur est de rendreun hommage répa-
rateur à l'amour méconnu et bafoué du Christ. 0
49. B. CAPELLE, « La préface de l'Ascension. Origine et Commentaire » dans
-
Les Questions liturgiques et paroissiales 21 (1936) pp. 73-83.
50. L 175 et 176. COR 108, 3.
-V
51. L 175, 176, 177, 179, 182, 184. 575, 583.
--
52. Dans un supplément au missel de Lyon, daté de 1844, se trouve insérée une
nouvelle préface du Sacré-Cœur, dont notre texte actuel s'est manifestement
inspiré.
On a souligné à plusieurs reprises la difficulté d'intégrer
pareil objectif dans les structures traditionnelles d'une
célébration liturgique. Personne ne s'étonnera donc que
la préface, par les thèmes auxquels elle fait appel et le
vocabulaire dont elle se sert, tranche très nettement sur
l'ensemble des autres préfaces. Pour s'en convaincre, il
suffit de comparer l'emploi du mot requies, tel qu'il est
utilisé ici, et la signification traditionnelle qu'il a dans le
vocabulaire euchologique latin.
9. La préface du Christ-Roi
Bien que l'objet de cette fête appelle les mêmes réserves
que celles formulées pour la précédente, il faut reconnaître
que cette préface, introduite au missel en 1925, est une
composition qui ne manque pas de grandeur ni de noblesse.
10. La préface du Saint-Esprit
Le choix de textes que nous offrent les sacramentaires
pour célébrer le mystère du Saint-Esprit ou, plus exacte-
ment, celui de la Pentecôte est extrêmement réduit. Deux
préfaces dans la collection de Vérone, dont l'actuelle53;
deux autres textes, en plus de l'actuel, dans le Gélasien
ancien54.
L'insertion du per Christum., immédiatement après la
formule d'introduction, est plutôt malheureuse. Elle fait
du Christ le sujet de tout le développement, et la mention
de l'Esprit n'y occupe qu'une place de complément. On
lira, par ailleurs, les remarques de A. Chavasse, à propos
de l'expression in filios adoptionis effudit, appliquée au
Christ55.
La préface : VD. qui sacramentum paschale consummans,
que le Gélasien ancien assigne à la messe de la vigile et
qui développe le thème de l'achèvement du temps pascal,
présente d'unefaçon autrement suggestive les divers aspects
du mystère de l'envoi de l'Esprit56.
53. L 200 et 217.
54.V627.634 et 641.
55. Voir A. CHAVASSE. Le Sacramcntaire gélasien, p. 64, note 13, et p. 634.
56. V 634.
11. La préface de la Sainte-Trinité
Son allure scolastique est trompeuse. Elle est bel et bien
originaire du Gélasien ancien, qui l'assigne déjà au diman-
che après la Pentecôte. La tradition grégorienne l'ignore.
Certains lui ont supposé une origine espagnole57. Une
analyse attentive amène A. Chavasse à la conviction «qu'elle
est une œuvre romaine, née dans le milieu même dont le
pape saint Léon exprime la foi en termes si voisins58 ».
Il faudra attendre le 18e siècle pour la voir assigner aux
dimanches per annum59. Par là, elle occupe dans la liturgie
dominicale une place qui, malgré sa valeur doctrinale, est
manifestement exagérée et risque d'engendrer l'accoutu-
mance, voire l'ennui, lorsque les fidèles l'entendront dans
la langue du pays.
En plus, il faut rappeler encore ici le vœu de la Consti-
tution, auquel nous avons déjà fait allusion plus haut, et
qui semble justifier l'insertion dans le missel d'une série
de préfaces dominicales, à caractère proprement pascal.
12. La préface de la Sainte Vierge60
Rappelons que cette préface est venue s'ajouter, au
11e siècle, au groupe des neuf préfaces, constitué à la suite
du faux décret de Bruchard de Worms.
Avec sa minutie coutumière, B. Capelle a décrit l'élabo-
ration progressive de ce texte, dont on trouve les tout
premiers éléments dans les Gélasiens du 8e siècle, pour
aboutir à la rédaction définitive d'Urbain II, lors du concile
de Plaisance, en 1095 61.
57. A. KLAUS, Ursprung und Verbreitung der Dreifaltigkeitsmesse, Werl, 1938,
pp. 17 et ss, 81 et ss. (Cité d'après J. A. JUNGMANN, op. cit. p. 27).
58. A. CHAVASSE, Le Sacramentaire gélasien, p. 257.
59. On trouvera d'autres informations concernant l'emploi de cette préface pour
la célébration dominicale dans J. A. JUNGMANN, op. cit., p. 32.
60. G. MESSINI, De auctore et loco compositionis praefationis B.M.V., dans
Antonianum 10 (1935) pp. 59-72. — B. CAPELLE, Les origines de la préface de la
Vierge, voir plus haut, p. 00, note 3. — G. DE LIBERATO « Prefazio della B.V.
Maria », dans Rivista liturgica 28 (1951) 135-138.
61. A 1227 et Saint Gall — voir plus haut, p. 121, note 37 — n. 1095.
trouve la version actuelle dans O p. 283.
- On
Dans toutes ces sources, le texte est assigné au 15 août, pour la fête de l'Assomp-
tion de la Vierge.
Elle est d'excellente facture. En mettant au centre de
notre action de grâces la conception virginale du Christ
et la maternité divine de Marie, elle évoque d'une façon
fort heureuse le rôle essentiel que Dieu assigna à la sainte
Vierge dans le mystère du salut.
On pourrait toutefois se demander dans quelle mesure
les principales fêtes de la Vierge ne mériteraient pas une
préface propre.
13. La préface de saint Joseph
Ce texte,introduit dans le missel en 1919, est manifes-
tement, dans sa forme littéraire, une sorte de décalque de
la préface de la sainte Vierge.
On ne peut se défendre d'un certain malaise devant ce
parallélisme. Il constitue incontestablement une faiblesse
littéraire. Au point de vue théologique, on aimerait à voir
mieux marquée la distance infinie qu'il y a entre les rôles
respectifs joués par la Sainte Vierge et saint Joseph dans
le mystère auguste de l'Incarnation du Fils de Dieu.
14. La préface des apôtres62
Par son ton déprécatif, cette préface est celle qui détonne
le plus parmi toutes celles qui ont trouvé une place dans
le missel romain. En effet, elle n'est pas une action de
grâces, mais tout simplement une oraison, qui se retrouve
d'ailleurs sous cette forme dans la collection de Vérone,
et qu'on a fait précéder de l'introduction habituelle Vere
dignum.
Que parmi les très nombreuses préfaces d'apôtres — la
collection de Vérone en compte plus de vingt à elle seule —
elle ait été retenue pour le commun des apôtres, est impu-
table au choix grégorien, qui l'avait retenue pour la fête
de saint Pierre, le 29 juin. De là, elle est passée au com-
mun, d'après le processus bien connu qui a fait généra-
62. P. Bruylants, « Le sens de la préface des Apôtres, » dans Les Questions
liturgiques et paroissiales 25 (1940) pp. 115-119.
liser, pour toute une catégorie de saints, les pièces propres
d'une figure caractéristique du même ordre.
Il ne serait vraiment pas difficile de trouver, dans le
grand choix que nous venons de signaler, une belle action
de grâces pour honorer ceux que Dieu a choisis pour porter
au monde le message de salut du Christ.
15. La préface commune
Nous trouvons ce texte en tête du Canon, tant dans la
tradition grégorienne que dans la gélasienne. Il n'est en fait
que l'ossature d'une préface, puisqu'il ne propose aucun
objet précis à notre action de grâces.
Il serait souhaitable que soient introduites dans le mis-
sel une ou plusieurs préfaces, qui évoqueraient d'une façon
générale l'œuvre de notre salut. Même si un plus grand
nombre de préfaces propres étaient prévues, il restera tou-
jours un nombre respectable de féries, où ces préfaces com-
munes contribueraient heureusement à donner du cachet
à la célébration.
16. La préface des défunts63
Ce texte fit son entrée au missel romain en 1919, au
lendemain de la Première Guerre mondiale. Il est repris
au missel néo-gallican du 18e siècle, à quelques menues
dans la préface :
variantes près. On en trouve cependant la première ébauche
VD. quoniam quamvis humano generi
mortis inlata conditio pectora nostra contristat., qui, à
partir du Supplément d'Alcuin, a passé dans les sacramen-
taires postérieurs64.
Après avoir fondé notre foi en l'immortalité sur la résur-
rection du Christ, le texte tourne malheureusement à la
catéchèse et est manifestement destiné davantage à consoler
les assistants qu'à souligner le sens chrétien de la mort.
Indépendamment de la valeur de ce texte, se pose un
problème d'ordre pastoral, surtout dans les grandes pa-
63. J. BRINKTRINE, Die neue Präfation in den Totenmessen », dans Theologie
«
und Glaube 11 (1919) pp. 242-245.
64. O p. 301. — Voir également Missale Mixtum, P.L. 35, 1019.
roisses, où les services funèbres sont très fréquents, pour
ne pas dire quotidiens. La répétition inlassable d'un même
texte risque de créer l'accoutumance chez le célébrant. Par
ailleurs, de telles assemblées sont souvent très disparates.
Il semblerait donc hautement souhaitable d'avoir une
certaine variété, qui permettrait au célébrant d'adapter les
textes au degré de vie chrétienne des assistants.
*
Il nous reste à examiner les quatre préfaces du Missel
parisien de Charles de Vintimille (1738), qui ont été adop-
tées ces dernières années non seulement par la France,
mais par de nombreux autres diocèses65.
17. La préface de l'Avent
:
Nous trouvons dans les sacramentaires deux séries de
préfaces pour l'Avent celles des Gélasiens du 8e siècle et
celles du Supplément d'Alcuin. Les deux ont repris l'unique
texte que le compilateur du Gélasien ancien avait inséré
dans la première des cinq messes de l'Avent, à la fin du
IIe livre. La tradition ambrosienne s'est inspirée des deux
séries.
Devant cette littérature relativement abondante, il est,
à première vue, surprenant de voir les auteurs des missels
néo-gallicans du 18e siècle se mettre à composer un texte
entièrement nouveau. Il est plus étonnant encore que ce
texte ait été repris par le missel romain actuel. En effet,
il n'exprime que très imparfaitement ce que nous appel-
lerions « la thématique actuelle »
de l'Avent.
:
Le reproche le plus fondamental qu'on a fait à la pré-
face quem perdito, est qu'elle n'évoque pas, du moins avec
la clarté désirée, l'idée de la parousie. En fait, nous nous
trouvons ici, encore une fois, devant un de ces concepts
liturgiques, qui se sont clarifiés à la suite des études et
des recherches suscitées par le renouveau liturgique contem-
porain, et la découverte des divers aspects de la célébration
de l'Avent est un acquis relativement récent.
65. P. JOUNEL, « Le nouveau propre de France », dans La Maison-Dieu 72
— A. LENTINI, « Rilievi su alcuni prefazi recentemente appro-
(1962) pp. 154-164.
vati », dans Ephemerides liturgicae 78 (1964) pp. 15-32, qui étudie surtout le
point de vue littéraire. — W. DÜRIG, « Die neue Adventspräfation », dans
LiturgischesJahrbuch 15 (1965) pp. 155.163.
Il ne faut donc pas s'étonner que la préface de l'Avent,
telle que nous la souhaiterions, n'existe pas. L'étude de
W. Düirg, que nous venons de citer, n'a fait que nous
confirmer dans cette conviction.
18. La préface du Saint-Sacrement
:
Il s'agit ici de la préface qui remolis, qui porte le n° 9
dans le fascicule des préfaces, édité comme supplément au
missel latin-français. Elle est utilisée en Belgique, tandis
que la France a retenu comme préface du Saint-Sacrement
la préface donnée pour le jeudi saint par le missel de
Vintimille.
Tout en se défendant de faire un jeu de mots trop facile,
on peut légitimement se demander dans quelle mesure ce
texte est vraiment « eucharistique », comme on l'attend
d'une véritable préface. Il fait plus figure de synthèse spi-
rituelle, catéchétique ou homélitique du mystère de l'eu-
charistie.
Il est vrai que le choix est loin d'être abondant dans les
anciens sacramentaires. Nous retrouvons ici, au fond, les
mêmes difficultés que celles rencontrées plus haut à propos
des fêtes du Sacré-Cœur et du Christ-Roi. L'optique de
l'Eglise ancienne sur l'eucharistie est manifestement très
différente de la nôtre sur le culte du Saint-Sacrement.
Pour avoir un texte qui réponde vraiment à notre sensi-
bilité religieuse actuelle, il faudrait recourir une fois de
plus au procédé du centon, et composer un texte qui, dans
le style propre aux préfaces, soit une véritable action de
grâces pour le mystère de l'eucharistie.
19. Préface de tous les saints
et des saints Patrons
Ce texte est un centon de citations bibliques débutant par
le Psaume 88, 8, qui est développé dans l'incise et eorum
coronando merita jusqu'à intercessione subsidium, pour
s'achever par une citation de Hébr 12, 1 et 1 Pierre 5, 4.
L'explication de la finale, cujus sanguine ministratur.,
est absolument étrangère au type romain. Par ailleurs,
le style et le vocabulaire choisis par les deux incises, qui
ne sont pas des citations scripturaires, ainsi que la mécon-
naissance caractérisée des lois du cursus, trahissent l'ori-
gine récente de ce texte.
20. Préface de la dédicace66
A comparer les différentes préfaces pour la dédicace,
que nous a léguées la tradition, il est certain que le texte
proposé ici, à part les réserves que nous venons de
formuler pour la préface des saints, est une de celles
qui répondent le mieux à notre sensibilité religieuse actuelle.
CONCLUSION
Le bilan que nous venons de dresser peut paraître plutôt
négatif. Les principales déviations que nous avons relevées
dans l'histoire de la préface, ont malheureusement réussi
à se glisser jusque dans le missel actuel, malgré le nombre
extrêmement réduit de textes que celui-ci a conservés.
La restauration décrétée par le concile Vatican II et
par la Constitution sur la sainte Liturgie devra donc se
proposer, dans le domaine qui nous occupe ici, un double
objectif.
Il faudra d'abord revoir les textes qui ont subi l'injure
des temps (Constitution, n. 50) et, au besoin, retrancher
ceux qui ne reflètent pas, dans toute sa pureté, la tradition
authentique de l'Eglise. En outre, au moment où les textes
liturgiques sortent de leur immobilisme séculaire et où
les fidèles peuvent à nouveau les prier dans leur propre
langue, un renouvellement et un enrichissement s'avèrent
absolument indispensables.
Pour ce faire, on dispose d'un choix abondant et varié.
Le nombre de préfaces que nous ont transmis les docu-
ments liturgiques dépasse de loin le millier. Plusieurs
d'entre elles sont remarquables, et on ne peut que s'étonner
de ce qu'elles soient restées si longtemps inemployées. De
plus, le procédé du centon, qui rassemble en une compo-
sition nouvelle les éléments de valeur éparpillés et, il faut
bien l'avouer, noyés parfois dans des compositions plus que
banales, ouvre des perspectives presque illimitées. Le pro-
cédé n'est d'ailleurs pas nouveau, et nous avons vu que
la préface de l'Ascension avait déjà été composée de cette
manière.
66. Th. VISMANS, « Op zoek naar een eigen prefatie voor de mis van de
Kerkwijding, dans Tijdschrift voor Liturgie 46 (1962) pp. 432-442.
A ceux qui voudront s'en inspirer maintenant, il offre la
garantie d'une continuité parfaite avec la tradition, et par
là, une base objective pour les traductions dans les diverses
langues nationales. De plus, il permettra à celui qui sait
le manier avec souplesse de transposer dans notre optique
religieuse actuelle les valeurs permanentes et immuables
de la prière chrétienne.
Mont-César, Louvain.
Dom PLACIDE BRUYLANTS.