2050 La Mise en Place Dune Strategie Bas Carbone Sous Contraintes
2050 La Mise en Place Dune Strategie Bas Carbone Sous Contraintes
TECHNIQUES DE L’INGÉNIEUR
2050 :
LA MISE EN PLACE D'UNE
STRATÉGIE BAS CARBONE SOUS
CONTRAINTES
juillet / 2022
SO
M
M
AI
SOMMAIRE
INTRODUCTION
RE
SNBC, ÉVALUATION DES RESSOURCES ET OUTILS DE MISE EN ŒUVRE
2
3
4
• IL EST URGENT DE PRENDRE EN COMPTE LA CRITICITÉ DES RESSOURCES DANS 4
LA STRATÉGIE NATIONALE BAS CARBONE
• UNE MÉTHODOLOGIE INNOVANTE POUR ÉVALUER LA CRITICITÉ DES 5
RESSOURCES
• SNBC SOUS CONTRAINTE DE RESSOURCES : L’ÉLECTRIFICATION, CETTE 6
FILIÈRE AU CŒUR DE LA DÉCARBONATION QUI REPOSE SUR L’UTILISATION DE
RESSOURCES CRITIQUES
• CINQ LEVIERS POUR FAIRE DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE UN MOTEUR DE 8
DÉCARBONATION
POUR ALLER PLUS LOIN 10
• NEUTRALITÉ CARBONE : LES CINQ SCÉNARIOS DE L'ADEME POUR LE MIX 10
ÉLECTRIQUE EN 2050
• L'ENTREPRISE FACE AUX TRANSITIONS À VENIR 12
• LES THÈSES DU MOIS : "MACRON II : RÉINDUSTRIALISATION ET 13
DÉCARBONATION, EN MÊME TEMPS"
• LE BILAN CARBONE PEINE À S’IMPOSER EN ENTREPRISE 15
• ECOMOBILITÉ : CE QUE L’EUROPE PRÉVOIT POUR DÉCARBONER LES 16
TRANSPORTS
• UN PRODUIT OU UN SERVICE « NEUTRE EN CARBONE » ? GARE AUX 18
ALLÉGATIONS !
• LE BILAN CARBONE PEINE À S’IMPOSER EN ENTREPRISE 20
INTRODUCTION
L’Institut National de l’Économie Circulaire (INEC) et Capgemini Invent ont participé à la
réalisation d'une étude, entre janvier et avril 2022. Elle interroge les moyens mis en place par
la France pour atteindre la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) en 2050. La question de la
criticité des ressources que cette transition nécessite s'accompagne d'une méthodologie pour
la quantifier. Elle fait aussi émerger des solutions en accord avec les principes de l’économie
circulaire.
Ce livre blanc commence par des entretiens avec deux auteurs de l'étude. Tout d'abord,
Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’INEC, pose les enjeux de cette étude. La SNBC
est mise en place dans l'objectif de permettre à la France d’atteindre la neutralité carbone en
2050. Les contraintes de ressources pesant sur sa mise en œuvre ne sont pas suffisamment
prises en compte. Au-delà du simple état des lieux, le rapport propose une méthodologie de
quantification de la criticité ainsi que des solutions en accord avec les principes de l’économie
circulaire.
En charge du volet méthodologique de l’étude, Alain Chardon est directeur en charge des
nouvelles plateformes durables chez Capgemini Invent, marque d’innovation digitale, de
design et de transformation du groupe. Il nous explique le fonctionnement de cette méthode
innovante d’évaluation de la criticité. Il expose la façon dont les différentes filières peuvent se
l'approprier, mais aussi ses limites.
Parmi les filières au cœur de la SNBC, l’électrification est un des piliers de la transition bas
carbone et circulaire. Vecteur d’énergie incontournable, l’électricité fait partie intégrante de tous
les scénarios publics de décarbonation. L’accroissement des besoins en électricité décarbonée
repose cependant sur l’utilisation de ressources critiques.
Enfin, le quatrième article présente les cinq leviers proposés par l'étude pour faire de l’économie
circulaire un moteur de décarbonation. Une transition bas carbone intégrant une politique de
circularité forte permettrait de limiter l’accroissement de la criticité des ressources.
LES FOCUS
TECHNIQUES DE L’INGÉNIEUR
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moyen terme, alors que le Parlement européen a voté en vue du décideur en entreprise, comme chez les particu-
faveur de l'interdiction, à partir de 2035, de la vente de liers, se poser la question des objectifs et de la sobriété,
véhicules neufs à moteur essence ou diesel ! c’est faire de la stratégie : qu’est-ce qui est vital, qu’est-ce
qui est superflu, voire contreproductif ou nocif ? »
Ne vaudrait-il pas mieux mixer les solutions, plutôt que de
passer au 100 % électrique ? [1] Concernant l’aspect méthodologique, nous vous invi-
tons à lire l’interview d’Alain CHARDON, de Capgemini
C’est en tout cas l’avis d’Alain Chardon (Capgemini Invent),
co-auteur de l’étude : « Si on additionne les ressources uti- [2] 100% hydrogène « vert »
lisées à la fois pour la construction du véhicule et le carbu-
rant en lui-même, on se rend compte qu’il est préférable de
mixer les solutions, plutôt que de passer au 100 % élec- 07/07/2022
trique. »
Par ailleurs, concernant la mobilité hydrogène, l’étude fait
un constat intéressant. Du point de vue des ressources, la
voiture électrique est plus critique que la voiture à hydro-
gène[2] ! En effet, par rapport aux véhicules électriques, les
véhicules à hydrogène ont un avantage : « Leur réservoir et
leur pile à combustible leur permettent d’avoir une batterie
beaucoup plus petite. »
Puis il ajoute : « Avant, nous avions des solutions, one fit for
all (universelles). Le pétrole servait à tout. Quand on avait
une solution, on l’appliquait partout, c’était pratique. Quand
on prend en compte l’ensemble des contraintes (climat, cri-
ticité, biodiversité, coût, impact social, etc.), on comprend
bien que désormais aucune solution ne peut résoudre tous
les problèmes.
Alors que la plupart des grandes entreprises sont en train
de passer à des flottes de véhicules électriques, cette étude
vient démontrer que du point de vue des ressources, ce
n’est pas une solution idéale, chaque véhicule embarquant
300 à 400 kg de batterie. En revanche, pour les dépla-
cements périurbains, de quelques kilomètres, nous mon-
trons que l’utilisation de petits véhicules électriques (Vélo
à assistance électrique, trottinette électrique, véhicules de
type Citroën AMI) est une bonne alternative.
En France, le terme “sobriété” est mal vu, car mal com-
pris. N’oublions pas que la traduction du mot sobriété, en
Anglais, est sufficiency, ce qui veut dire “utiliser uniquement
ce qui suffit à nos besoins ou à nos objectifs”. Du point de
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chains en cas de crise et la guerre en Ukraine en apporte novation doit aussi être d’ordre économique, juridique et
une seconde confirmation. C’est comme la Formule 1 ver- fonctionnel.
sus les camions tout terrain. Pendant les vingt dernières
[1] Pages 89 à 101
années, les entreprises ont réglé leur supply chain comme
des Formules 1, avec un pur objectif de performance, sur [2] Consommation énergétique lors du recyclage, trans-
les pistes parfaitement lisses de la globalisation, avec des port, etc.
ressources peu chères et abondantes. Mais les crises suc-
cessives vont rendre les pistes plus cahotantes. Le réglage
08/07/2022
des supply chains va devoir se rééquilibrer en partie vers le
mode camion tout terrain, avec plus d’importance donnée
à la robustesse et à la résilience. »
Les stratégies d’économie circulaire sont un moyen de
construire des chaînes d’approvisionnement résilientes,
basées en partie sur une économie du PIB local. Cette
transition vers l’économie circulaire implique une mise en
mouvement de l’ensemble des acteurs des territoires : col-
lectivités, citoyens consommateurs, filières industrielles et
commerciales, etc.
En outre, il faut systématiser l’écologie industrielle et ter-
ritoriale et chercher des synergies entre acteurs afin du
mutualiser les ressources (exemple : récupération de cha-
leur fatale pour alimenter les réseaux de chaleur).
Levier 5 : S’appuyer sur l’innovation et le digital
L’innovation technologique et la R&D doivent être soute-
nues activement, en priorité dans les domaines utilisant
des ressources critiques. Voici quelques pistes prioritaires :
• travailler à la recyclabilité du lithium et du graphite ;
• approfondir les technologies permettant de se passer de
ces ressources (panneaux photovoltaïques pérovskite
développés en France…) ;
• intégrer plus de matières recyclées ;
• soutenir l’écoconception.
Par ailleurs, les technologies digitales et l’intelligence arti-
ficielle constituent des outils essentiels pour relier des uni-
vers linéaires et mettre en place une économie circulaire
(traçabilité des produits et déchets, plates-formes de mise
en relation, maintenance prédictive, etc.).
L’innovation technologique ne peut pas, à elle seule,
répondre à tous les enjeux de l’économie circulaire. L’in-
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LES FOCUS
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lisant pour créer du méthane de synthèse et le deuxième trique ou du captage du carbone par exemple).
aussi pour le transport. S3 a une demande élevée d’hydro-
gène dans tous les secteurs mais utilise l’électrolyse de
manière modérée en ayant plutôt recours à des importa- En toute logique, les scénarios les moins consomma-
tions d’H2. S4 a une faible demande en hydrogène. teurs d’électricité sont les moins coûteux pour la collecti-
vité, puisque nécessitant moins de moyens de production
Tous les scénarios incluent un développement des inter-
(cf. figure ci-dessus). Alors que S1 et S2 sont autour de
connexions avec les pays voisins ainsi qu’un renforcement
1 200 Md€, S4 cumule à plus de 1 600 Md€. Entre les deux,
du réseau interrégional. La flexibilité de la demande joue
à un peu plus de 1 400 Md€, il est intéressant de voir que
aussi un rôle pour le maintien de l’équilibre offre/demande,
les deux options S3 ont un coût équivalent alors que l’une
en particulier dans S3 où il faut piloter certains usages
privilégie les EnR (notamment avec plus d’éolien en mer)
(chauffage, eau chaude, climatisation et surtout véhicules
et l’autre le nucléaire. Il semblerait donc, comme cela a
électriques) pour déplacer les pointes de consommation du
été montré par Philippe Quirion, directeur de recherche au
soir vers le midi. Des centrales gaz sont aussi nécessaires
CNRS, que la dimension économique ne soit pas celle per-
au système électrique, principalement dans S3 (où ce scé-
mettant de justifier un nouveau programme nucléaire.
nario prévoit 80 % de gaz décarboné) et dans S4 (où la part
du gaz vert n’est que de 50 %) : ainsi, c’est dans le scéna- Les résultats montrent par ailleurs que les coûts de l’électri-
rio comportant le plus de nucléaire (S4) que les réductions cité pourraient rester maîtrisés puisqu’il y a peu d’écart (en
d’émissions de CO2 du système électrique sont les plus euros/MWh) dans S1 et S3 par rapport à 2020, et qu’il est
faibles, à 6 Mt au lieu de 13 Mt dans les trois autres scéna- de -12 % pour S2 et de +4 % pour S4. En particulier S2, qui
rios ! Un résultat qui bat en brèche les habituels discours a un niveau de consommation d’électricité similaire au scé-
de la filière nucléaire vantant la décarbonation par l’atome. nario Sobriété de RTE, peut bénéficier des ENR les plus
compétitives et de la pilotabilité des électrolyseurs pour
L’étude économique ne justifie pas le nouveau nucléaire
réduire les coûts de flexibilité des autres solutions (imports,
Même avec une vision optimiste, le coût du nouveau batteries, centrales gaz). La raison nous orienterait donc
nucléaire n’atteindra que 91 €/MWh selon l’Ademe, alors plutôt vers ce scénario de coopération territoriale ?
que la baisse des coûts des énergies renouvelables (EnR)
d’ici 2050 va encore être d’un facteur 1,5 à 2 : on passe de
60 à 32 €/MWh pour le photovoltaïque au sol, de 82 à 43 €/ 21/04/2022
MWh pour le photovoltaïque en toiture, de 60 à 47 €/MWh
pour l’éolien terrestre et de 118 à 73-81 €/MWh pour l’éolien
en mer. La modélisation des scénarios de mix électrique
prévoyant que les solutions les plus compétitives soient
privilégiées, ce sont donc les EnR qui prennent le dessus.
De plus, l’Ademe est réaliste sur le coût d’accès au capital
pour les investissements, avec un taux de 5,25 % pour les
EnR et les interconnexions, et de 7,5 % pour les autres. Sur
cette base, le coût complet pour le système électrique a
été évalué en cumulé sur la période 2020-2060. Il inclut les
investissements de production, de réseaux et les importa-
tions/exportations mais pas d’autres coûts liés au reste de
la transition énergétique (développement du véhicule élec-
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TECHNIQUES DE L’INGÉNIEUR
Méthodes de modélisation et d’optimisation technico- Prospective analysis in the forest sector when facing
économique pour la planification de systèmes mul- environmental challenges : insights from large-scale
ti-énergiesEtienne CuisinierDoctorat en Génie Industriel bioeconomic modellingMiguel RiviereDoctorat en
conception et production, soutenu le 14/12/2021Sciences Sciences économiques, soutenu le 22/02/2021Bureau
pour la conception, l'optimisation et la production d'économie théorique et appliquée
Green Connections : A Network Economics Approach L’économie circulaire, une innovation au service du
to the Energy TransitionCôme BillardDoctorat en développement territorial ? Amadou NiangDoctorat en
Sciences Economiques, soutenu le 3/12/2020Laboratoire Sciences économiques, soutenu le 2/12/2021Sciences
d’Économie de Dauphine pour l'Action et le Développement : Activités, Produits, Ter-
ritoires
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19/05/2022
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la relance du train ne peut pas tout résoudre à elle seule. tructures dédiées suivent le même rythme, offre et demande
devant se rencontrer sous peine de foncer dans le mur. « Il
Viennent ensuite le vélo pour les citadins, mais surtout les
va être nécessaire de faire évoluer nos infrastructures, en
véhicules électriques et les transports collectifs et routiers.
particulier pour accueillir les véhicules électriques qui seront
Tous nos modes de transports individuels vont devoir faire
de plus en plus nombreux à effectuer des trajets interurbains,
leur révolution. Un mot non galvaudé tant le changement
a déclaré Arnaud Quémard, président de l’Association des
doit être rapide. Il faut, en effet, baisser de plus de 50 % les
sociétés françaises d’autoroutes (ASFA), devant le Sénat en
émissions de gaz à effet de serre au d’ici à 2030. Dans sa
juin 2020. Les véhicules utilisant de l’hydrogène nécessite-
dernière étude sur les transports bas carbone, l’Institut Mon-
ront également des investissements considérables puisque
taigne soulignait deux choses importantes : 74% des Fran-
le coût d’une borne de recharge est estimé à deux millions
çais utilisent leur voiture quotidiennement pour se rendre au
d’euros. » Partout en France, de nombreux projets sont sur
travail, ce qui sous-tend un accompagnement de l’évolution
la table. Au nord de Paris par exemple, de nouveaux amé-
des usages des citoyens. Et ce, sans provoquer de troubles
nagements sur l’autoroute A1 pourraient bientôt voir le jour,
sociaux comme cela a été le cas lors du mouvement des
avec une voie réservée au covoiturage et les bus express
Bonnets rouges en 2013 et de celui des Gilets jaunes en
comme cela se fait déjà depuis 2019 dans le sud-est de la
2018. Les pouvoirs publics en ont conscience : les trans-
France, grâce au partenariat entre la région PACA et Vinci
ports durables vont devoir être inclusifs.
Autoroute, avec l’aménagement de pôles multimodaux (réu-
La route, le grand chantier de demain commence nissant gares routière et ferroviaire) et d’aires de services
aujourd’hui pour la recharge électrique.
Parlons chiffres à présent. Selon le Rapport sur l’état de Mais tout cela a un coût : rien que pour le territoire tricolore,
l’environnement du ministère de la Transition écologique la facture des nouveaux aménagements routiers s’élèvera à
(1), les transports seraient responsables de 31% des émis- 60 milliards d’euros dans les dix prochaines années, selon
sions de GES en France, 97% étant directement imputables une récente étude d’Altermind, qui souligne que nous allons
à la combustion des carburants (essence et diesel). Sur « devoir désormais transformer l’infrastructure construite au
ce total, 54% sont dus aux voitures particulières, 24% au XXe siècle pour l’adapter aux mutations du XXIe. Le prix
transport routier. Le calcul est donc rapide à faire : le chan- de l’inaction serait bien plus élevé que celui de la décarbo-
gement systémique attendu viendra principalement de la nation ». Reste donc l’épineuse question du financement
révolution de la route, de la généralisation des bornes de d’une telle révolution. En France comme partout en Europe,
recharge électrique haut débit (plus de 150kW) et du déve- les Etats seuls ne pourront pas mettre la main à la poche du
loppement d’autres énergies vertes pour les poids lourds. contribuable pour financer des travaux d’une telle ampleur.
Avec – et c’est important de le souligner – un accompagne- Ils devront nécessairement avoir recours à la capacité de
ment en faveur des ménages les plus modestes grâce au financement et d’investissement des acteurs du secteur
Fonds social pour le climat de l’Union européenne, destiné privé pour relever le défi d’ici 2030. De Paris à Bruxelles en
à financer l’efficacité énergétique des bâtiments mais aussi passant par Berlin, tous les décideurs le savent : il n’est plus
destiné à rendre accessible les modes de mobilité durable à temps de tergiverser.
l’ensemble de la population européenne.
Par Aurélie Simon
Si l’impulsion vient de Bruxelles, chaque Etat membre va
(1) L'article a été écrit avant les élections législatives, en
devoir mettre en place ses propres solutions. En France,
juin 2022
les pouvoirs publics se penchent sur la question depuis dix
ans et l’apparition des premières voitures électriques. Les
ventes de véhicule propre sont en train de décoller en France
20/06/2022
(+46,2% entre 2021 et 2020), il va donc falloir que les infras-
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LES FOCUS
TECHNIQUES DE L’INGÉNIEUR
UN PRODUIT OU UN SERVICE «
NEUTRE EN CARBONE » ? GARE AUX
ALLÉGATIONS !
Un nouveau décret encadre l’utilisation de plusieurs Techniques de l’Ingénieur : L’article 12 de la loi Climat
allégations de neutralité carbone dans la publicité et Résilience visait à interdire dans la plupart des cas
pour les produits et les services. Fanny Fleuriot, les allégations de neutralité carbone pour un produit
animatrice comptabilité carbone à l’Ademe, explique ou un service. Elles seront néanmoins toujours pos-
cette avancée pour une communication plus sibles sous certaines conditions ; est-ce suffisant et
responsable. conforme aux recommandations de l’Ademe ?
À partir du 1er janvier 2023, les allégations « neutre en Fanny Fleuriot : Ce décret n’interdit pas totalement l’allé-
carbone », « zéro carbone », « climatiquement neutre », gation de neutralité carbone d’un produit ou d’un service,
« 100 % compensé » ou toute formulation de signification mais les modalités sont très contraignantes. Pour l’utili-
ou de portée équivalente seront encadrées par un décret ser, une entreprise devra calculer l’empreinte carbone de
paru le 13 avril dernier. Elles ne pourront être utilisées qu’à son produit selon les normes ISO en vigueur et la rendre
la seule condition que l'entreprise rende aisément acces- publique. On est bien sur l’ensemble des étapes du cycle
sible au public un bilan carbone complet du produit ou de vie du produit, de l’extraction des matières premières
service, assorti d’explications détaillées sur la façon dont pour sa fabrication jusqu’à son utilisation et la fin de vie.
les émissions de CO2 sont « prioritairement évitées, puis L’entreprise devra mettre en place une stratégie de réduc-
réduites et enfin compensées. » tion compatible avec une stratégie de décarbonation ambi-
tieuse, compatible avec l’accord de Paris et se tenir à cette
Ces éléments devront être publiés sur le site internet de
stratégie. Si l’empreinte carbone du projet augmente d’une
l’entreprise et un lien ou code QR devra être apposé sur
année sur l’autre, l’entreprise n’aura plus le droit d’utiliser
la publicité ou l’emballage portant l’allégation de neutralité
l’allégation.
carbone. Le bilan carbone devra être mis à jour annuelle-
ment pour prouver que les réductions attendues ont bien Certes, cela autorise l’allégation mais avec des modalités
lieu, et toute mention devra être retirée si l’empreinte car- contraignantes pour décourager les acteurs qui voudraient
bone absolue du produit ou service augmente entre deux utiliser ces allégations pour faire du greenwashing. Cela
années. donne un cadre sur l’utilisation de telles allégations qui
aujourd’hui se trouvent partout sans gage d’investissement
Ce décret concrétise une recommandation de la Conven-
et de réduction concrète d’émissions.
tion Citoyenne pour le Climat qui recommandait d’interdire
l’usage des allégations de neutralité carbone. Un amende- Même s’il n’y a pas beaucoup de consommateurs lambda
ment de dernière minute avait remplacé l’interdiction stricte qui scanneront les codes QR, les associations de consom-
par un encadrement. Fanny Fleuriot, animatrice compta- mateurs veilleront au grain. Les entreprises qui utiliseraient
bilité carbone à l’Ademe et co-autrice de l’avis "Utilisation cette allégation sans démarche sérieuse de réduction des
de l’argument de neutralité carbone dans les communica- émissions de gaz à effet de serre se mettraient en porte-
tions", nous explique les changements à venir. à-faux d’un point de vue juridique. Les associations de
consommateurs ne vont pas se gêner pour faire monter centage de réduction d’émissions plutôt qu’une neutralité
les mauvaises pratiques auprès de la DGCCRF. Il ne faut potentielle.
pas non plus négliger l’impact des réseaux sociaux sur ces
sujets.
07/06/2022
Pourquoi l’Ademe ne recommande-t-elle pas l’utilisa-
tion de la mention « neutre en carbone » ?
Cette mention ne va tout simplement pas dans le bon sens
pour changer les comportements des consommateurs. On
ne doit pas promettre un produit « neutre en carbone », car
les consommateurs doivent comprendre l’impact des pro-
duits qu’ils achètent. Et l’utilisation des mentions de ce type
fragilise encore la confiance du consommateur envers la
communication des organisations.
Dans la langue française, le « neutre » veut bien dire qu’il
n’y a pas d’impact. Il y a donc un imaginaire trompeur pour
le consommateur qui a l’impression que son produit n’a pas
d’impact. En plus, même si l’Ademe est totalement favo-
rable au principe de compensation carbone qui permet de
la solidarité climatique pour financer des projets, il y a bien
différentes réalités. Il y a en effet une difficulté à faire le tri
entre les acteurs qui ont une démarche sincère et ceux qui
basent toute leur stratégie sur l’achat de crédit carbone à
bas coût.
Enfin, parler de neutralité carbone contribue à mettre le
carbone comme l’ennemi public n°1. Il ne faut pas oublier
qu’il y a une panoplie d’autres impacts environnementaux,
mais aussi des enjeux de changements de comportement,
des enjeux de qualité de vie et des enjeux sociaux pour
aller vers une société plus résiliente, plus juste, plus res-
pectueuse du vivant.
Qu’est-ce qu’une communication responsable pour
dire qu’un produit ou un service limite son impact ?
Il faut partir sur l’affichage environnemental du produit et
non pas se limiter à son empreinte carbone. Car un produit
peut avoir une faible empreinte carbone mais par exemple
épuiser les ressources ou être toxique pour l’eau. Si l’entre-
prise veut communiquer sur sa stratégie de réduction côté
carbone, à l’Ademe, on l’invite à communiquer sur un pour-
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LES FOCUS
TECHNIQUES DE L’INGÉNIEUR
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