Ephemerides Carmeliticae 27 (1976/1) 144-211
L ’E X E R C IC E D E L A P R E S E N C E D E D IE U
C H E Z LE S E C R IV A IN S
A U D E B U T D E L A R E F O R M E C A R M E L IT A IN E
T H E R E S IE N N E *
Au début de la Réform e fleurissent des traités sur l’exercice de
la Présence de Dieu, qui sont peu ou même pas connus.
Tous ces écrivains sont unis entre eux et nous ramènent aux tou
tes premières traditions de la Réform e Thérésienne; leurs oeuvres
font vraiment partie de notre tradition prim itive et ont laissé une
influence profonde sur la Spiritualité Carmélitaine.
Cela vaut la peine d’étudier ces petits traités, parce qu'ils pré
* S O U R C E S
A lessand ro d i S. F r a n c e s c o , D e praesentia Dei. In « O pera spiritualia », Rom ae
1679, t. 2, pp. 4-56.
B e r n a r d in o d i S . A n g e l o , Albore della scienza, N a p oli 1756.
G i o v a n n i d i G e s ù ’ M a r i a , Scuola d ’orazione. In c u i si am m aestra ciascuno nella
Perfezione e Santità, con brevi trattati di sollevata, m a intelligibile dottrina,
ed. V i l i , Venezia, Dom enico Occhi, 1731.
Via vitae ex S. Scripturae verbis. In « O pera om nia », t. 2, Florentiae 1772,
t. 2, pp. 1-52.
Ars amandi Deum . Loc. cit., pp. 291-360.
Theologia mystica. Loc. cit., pp. 423-447.
Tractatus de Oratione. Loc. cit., pp. 568-579.
Ars bene moriendi. Loc. cit., pp. 587-650.
Disciplina claustralis. Loc. cit., t. 3, pp. 109-131.
Instructio novitiorum . Loc. cit., pp. 139-216.
G i u s e p p e d i G e s ù ' M a r i a , Salita dell’anima a Dio, che aspira alla divina unione,
trad. italiana del P. B aldassarre di S. Caterina di Siena, Venezia, 1681.
L a u r e n t de l a R e s u r r e c t i o n , La pratique de la présence de Dieu, ed. V a n den
Bossche, Desclée, B ruges, 1934.
S i m o n e d i S. P a o l o , R iform a dell’huom o, Com o 1662.
Scrutinio spirituale et esame di spirito, ibidem.
Sententiario, loc. cit., pp. 227-360.
T o m m a s o d i G e s ù ', Trattato della presenza di Dio, trad. Italiana del P. Giancri-
sostom o di S. Paolo, R om a 1743.
Expositio regulae carmelìtarum, In « O pera », t. I, Coloniae 1684, pp. 450-
577.
Via brevis et plana orationis mentalis, Loc. cit., t. 2, pp. 45-61.
D e contem platione divina, loc. cit., pp. 85-195.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 145
sentent cet exercice d’une manière qui leur est propre, qui émane de
et tend vers une vie réellement intense d’unian avec Dieu.
Une des marques les plus distinctives de oes écrivains est, qu’ils
sont très concrets et visent la pratique vécue, d'où d’ailleurs elles
émanent. Plusieurs de ces écrivains étaient des Maîtres des Novices
ou ils écrivaient pour ces jeunes personnes.
Il est nécessaire de faire la connaissance de ces Ecrivains et leur
Oeuvre.
1. J u a n d e J e s ú s M a r í a : naquit à Calahorra, en Espagne, en
1564, et il mourût, à Monte Compatri, en Italie, en 1615. Il entra au
Carmel, à Pastrana, en 1582, l’année m ême où mourût Thérèse d'A-
vila. Son Traité sur la Présence de Dieu se trouve dans son Oeuvre
Scuola d’Orazione, une Oeuvre qui a eu une très grande influence.
2. J o s é d e J e s ú s M a r í a ( Q u i r o g a ) : naquit en Espagne, en 1562,
où il mourût, en 1626. Dans deux chapitres de son Oeuvre posthume
subida del alma a Dios y entrada en el paraíso espiritual, il traite
de notre sujet.
3. T o m á s d e J e s ú s : naquit en Espagne, en 1564, et mourût à
Rome, en 1627. Parmi ses multiples Oeuvres, on trouve un traité de
13 chapitres sur la présence de Dieu.
4. S i m o n e d i S a n P a o l o : Italie, 1572-1622. Dans son Oeuvre r i f o r
ma dell'Uom o, en plusieurs endroits, il traite de la Présence de Dieu.
5. A l e s s a n d r o d i S a n F r a n c e s c o : Italie, 1588-1620. Il traite de la
Présence de Dieu dans une Oeuvre posthume, qui a été rassemblée
par le Père Philippus-Maria di san Paolo, dans Opera Spiritualia.
6. L a u r e n t d e l a R é s u r r e c t i o n : France, 1611-1691. Il a écrit un
tout petit traité, bien connu, L ’Expérience de la présence de Dieu.
7. B e r n a r d i n o d i S a n t ’A n g e l o : Italie, P-1722. Il traite ample
ment de notre sujet dans son livre Albero della scienza del bene e del
male.
Parmi ces Ecrivains de la Réform e Carmélitaine, il y a la Figure
centrale et l’Oeuvre de J e a n d e J é s u s - M a r i e .
146 GASTON DE KERPEL
I. LES D IVER SES M A N IÈ R E S DE PR ATIQ U E R
LA PRÉSEN CE DE DIEU
A r t ic l e 1. - E n général
Nos auteurs ne sont pas toujours d'accord, quand ils donnent
les manières de pratiquer la présence de Dieu. Jean de Jésus-Marie
donne deux manières: par la présence imaginaire et la présence in
tellectuelle >. Suivant son exemple, presque tous les autres qui ont
fait une distinction, la présentent ainsi. P. ex. Simon de S. Paul:
« U-sitata distinzione di presenza di Dio è il distinguerla in im
maginaria ed intellettuale, secondo che diversamente si applica l’a
nima, dalla quale applicatione si cavano tutti i diversi m odi di pre
senza di Dio » 2.
De même Alexandre de S. François:
« Ut communiter docent vitae spiritualis Magistri duplex datur
praesentia Dei : imaginaria et sensibilis, spiritualis altera et intellec-
tualis... » 3
Ainsi, de même, Joseph de J.-M. ne suppose-t-il que deux maniè
res, quand il dit, dans le titre de son chapitre X V II, que la présence
est imparfaite aussi longtemps qu'elle n’a pas atteint la présence
intellectuelle4, et Bernardin de S. Ange écrit:
« Tutti i santi Padri e i Maestri di spirito distinguono in due,
cioè intellettuale ed imaginaria » 5.
Au contraire, Thomas de Jésus se montre tout-à-fait indépendant
et donne une quadruple distinction:
« Si possono ridurre a quattro generi, le quali racchiudono tutte
Tal tre maniere di presenza di Dio. La prima è corporale la quale
immediatamente si acquista per i sensi esteriori... La seconda è ima
ginaria... La terza si chiama presenza intellettuale... Il quarto ed ul
timo modo lo chiamiamo presenza di Dio affettuosa...6.
Cette distinction ne diffère pas essentiellement de celle des au
tres. Cette distinction de la présence corporelle vient seulement de
ce que le P. Thomas a une conception plus étroite de la présence
imaginaire et intellectuelle, comme nous île verrons. Quant à la pré
sence affective, elle est signalée séparément, parce qu’elle indique
1 Scuola d ’orazione, p. 92; cfr. Laurent de la Résurrection, ed. Van den
Bossche, p. 159.
2 R iform a dell’uom o, 1. II, c. 2, p. 329.
3 D e praesentia Dei, c. 3, p. 13.
4 Salita dell’anima, p. 221.
5 Albero, 1. I l i , p. 151.
6 Trattato, c. 4, pp. 48-49.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 147
la manière de pratiquer la présence de Dieu par les âmes déjà avan
cées sur le chemin de la perfection; c.-à-d. elle n ’est pas un élément
nouveau supposé dans la distinction, dans la définition de la présen
ce, mais suppose seulement une application de cette présence à un
stade particulier de développement dans la vie de perfection. C’est
ce qui apparaît clairement dans la définition qu’a donnée Jean de
J.-M., où il dit, qu’elle est une application de l ’esprit et de l ’affection.
Ainsi Simon de S. P. dit aussi: « tratto della presenza di Dio in
quanto noi stiamo presenti a lui con un'amorosa applicazione di
memoria e di tutte l ’altre potenze dell'anima » 7.
Alors qu’Alexandre disait explicitement, dans la définition don
née plus haut, que la présence peut s’exercer ou avec l ’imagination
ou avec l ’intelligence ou avec la volonté. Tout s’explique en tant
que ceux qui ne distinguent que deux présences, bien que les élé
ments pour une troisième s’y trouvent, n’écrivent leurs traités que
pour ceux qui ne sont pas encore très avancés dans la vie spirituelle.
Simon de S. Paul et Alexandre de S. François en donnent la preuve
dans leur traité même:
« N é pretendo parlare d’alcuni m odi di presenza di Dio straor
dinari che suoi per special gratia communicare Dio ad anime, che
con il modo ordinario per m olto tempo se sono occupate in quel
divino esercizio » 8.
A cette manière de pratiquer la présence de Dieu personne ne
peut arriver de soi-même, mais on peut s'y disposer par la manière
ordinaire, dit le P. Simon. V oici comment s’exprime le P. Alexandre.
« Haec de prim o modo habendi Dei praesentiam, scilicet per
bonas cogitationes; esset nunc explicandus secundus et tertius mo
dus... quia ordinarie superai captum novitiorum et tyronum, qui-
bus instruendis praecipue huiusmodi nostri tractatus dirigitur, atti-
gisse sufficiat » 9.
Jean de J.-M. parle explicitement de cette manière affective,
lorsque, traitant de la théologie mystique, il dit, que chaque fois
qu’il y a une certaine présence imaginaire ou intellectuelle, l ’âme
doit avant tout élever son coeur vers Dieu par des actes anagogiques,
des aspirations et des prières, des oraisons jaculatoires de façon que
« ita ut modicam partem intellectui meditanti maximam vero volun-
tati ad Deum se erigendi, et m ultiplici affectu incalescenti tribuant » 10.
D’ailleurs, ils ne pouvaient faire autrement, et Joseph de J.-M.
7 Riform a, 1. II, c . 2, p . 328.
8 Riform a l. II;, c . 2, p . 328.
9 D e praes. Dei, c . 14, p . 56.
10 Theologia mystica, c. 9, i n Opera omnia, t . p . 44.
148 GASTON DE KERPEL
en donne la raison: « ...la presenza di Dio fra il giorno ha da essere
communemente al modo, che esercitano l’orazione ne’ tempi che va
cano a quella di proposito » u. Avec Thomas, frère Laurent aussi
traite explicitement de la présence affective. Bien sûr, il n’a pas écrit
un traité proprement dit de son expérience personnelle. Mais il ex
plique, comment il a développé l’exercice de la présence de Dieu,
dans sa vie intérieure, en parlant de cette manière qui se pratique,
au stade ultime de la vie spirituelle. Il dit, que cette pratique, diffi
cile au début, conduit : « à ce simple regard, à cette vue amoureuse
de Dieu présent partout, qui est ila plus sainte, la plus solide, la plus
facile et la plus efficace manière d’oraison » n.
En résumant, concluons, que parmi nos auteurs il existe une
différence dans la manière d ’en indiquer la distinction; la première,
qui sépare Thomas de Jésus de tous les autres, introduit la présen
ce de Dieu corporelle; l ’autre, qui ne touche pas immédiatement
la division en soi, mais qui est la conséquence du développement de
l’exercice, de son application qui s ’étend à la vie spirituelle.
Les plus explicites dans la division en présence imaginaire et in
tellectuelle, sont Jean de J.-M. et ses disciples italiens: ceux-ci écri
vent surtout pour ceux qui ne sont pas encore très avancés dans la
vie spirituelle; ils appliquent donc l’exercice selon le principe donné
par Joseph de J.-M., sur la manière de procéder dans l'oraison, où
c’est l’élément intellectuel ou l ’imagination qui prédomine.
Thomas de Jésus et Laurent de la Résurrection, au contraire, in
cluent tout le développement de la vie spirituelle dans l'exercice; est
donc requise une distinction qui réponde à l’état des avancés, pour
qui ila vie affective prend le dessus.
La valeur spéciale de leurs traités doit être recherchée ici. Ils
ont complètement expliqué le développement die la présence de Dieu,
donnant en même temps des normes précieuses et des conseils pra
tiques, si nécessaires pour vivre une vie d’intimité avec Dieu.
Ceci ne veut pas du tout dire, que les autres n’ont pas reconnu
l ’importance des affections au cours de la vie quotidienne. Jean de
J.-M. p. ex., dans son In s tru ctio novitiorum , après avoir donné dans
sa définition de la présence de Dieu la double distinction habituelle,
dans sa description ultérieure, mentionne explicitement la manière
de la présence affective:
« Bifariam vero mens applicari potest ad Deum, vel eo modo
quo quis amicum intuetur, cum nihil praeter aspectum efficit, vel
n Salita, c. 15, p. 217.
12 La pratique de la présence, ed. V an den Bossche, p. 166.
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 149
alio modo cum praeter intuitum ilium multis affectibus et virtutibus
se mens ad Deum excitât... » 13.
Explicitement, il admet aussi la présence affective pour les no
vices, comme nous le verrons par après. Il me paraît donc, qu’il a,
dans son traité, quelque chose d’illogique entre sa définition, qui
est complète, et sa distinction, où il ne mentionne pas la présence
affective; et ceci vaut pour tous ses disciples.
Vu le but auquel ils tendent, on en peut justifier le procédé,
puisqu’ils écrivent pour les commençants, pour lesquels il convient
moins d’insister sur l ’affectivité.
Cependant, du point de vue théorique, la distinction de Thomas
et du frère Laurent est plus complète et ils suffiront pour donner
un aperçu sur tout le développement de l ’exercice de la présence
de D ie u .
A r t ic le 2. - La présence corporelle
Parlons d’abord de la présence corporelle comme l ’a décrite
Thomas de Jésus, puisqu’il la présente en prem ier lieu, dans sa
distinction. Cela vaut bien la peine de s’intéresser à cette manière
de pratiquer la présence de Dieu, dont seul Thomas parle et que
l’on ne trouve pas chez d’autres. Voici comment il l ’explique:
« ...è corporale la quale immediatamente si acquista per i sensi
esteriori, come si è il vedere una imagine o devota pittura, il leggere
un libro spirituale, l’udire un sermone o ragionamento di spirito » 14.
La raison pour laquelle il rappelle présence corporelle est que
par les sens extérieurs l'esprit s’élève vers Dieu, c.-à-d. d’une manière
purement naturelle, et c ’est précisément là que réside sa manière
caractéristique d’agir. La présence corporelle unit à Dieu au moyen
de la ¡lumière naturelle de l’intelligence qui connaît Dieu en rem on
tant de la créature au Créateur, autrement que la présence im agi
naire ou intellectuelle qui sont basées sur la foi. En les comparant
l’une à l ’autre, il dit que la dernière a son fondement dans la foi:
« ...essendo fondata nella fede, attesocché con occhio di fede
miriamo Iddio che con la sua immensità riem pie l’universo e si tro
va intimamente in tutte le creature dandogli quell’essere che hanno.
Quella prima presenza si chiamò corporale, perocché si fonda ne’
sensi corporali, ed in qual modo di presenza ascendiamo dalla crea
tura a cercar Dio, come universal Benefattore di tutto quello che
Instr. novit., c. 3 in Opera omnia, t. 3, p. 14.
150 GASTON DE KERPEL
riceviamo dalle creature; ma nel modo di questa presenza di Dio,
non ascendiamo per la vista, né per gli effetti veduti nelle creature
a Dio, anzi fissando g l’occhi della fede immediatamente nell’immen-
sità di Dio discendiamo alla creatura, riconoscendo che Dio a ca
gione della sua immensità riempie, penetra e conserva tutte le crea
ture, e tutte loro sono come immerse e penetrate dal medesimo » ,s.
Il fonde l’existence de la présenoe corporelle sur deux textes de
la S. Ecriture, d’où il déduit les deux diverses manières de cette
présence. Ce sont les deux textes habituels qui servent à prouver la
possibilité de la connaissance naturelle de Dieu, celui de S. Paul,
dans son Epître aux Romains (1, 19-21) et celui du Livre de la
Sagesse (13, 1-2).
« La prima è per mezzo delle creature riconoscendo in tutte loro,
almeno in quelle dalle quali riceviamo utilità e servizio, Iddio come
benefattore ed autore de’ beni quali ci apportano le creature. Il se
condo è il fare come ima scala dalla bellezza, disposizione, varietà e
grandezza delle creature di tutto il mondo per innalzarci a Dio, una
carne fenestra per m irarlo ed averlo presente » 16.
Il expose la prem ière voie au chapitre IV et la seconde au
chapitre V. La première voie peut être pratiquée de deux manières.
La première consiste à faire tout pour l ’amour et la gloire de Dieu :
« ...non già al nostro diletto e propria stima, ma bensì a sua glo
ria » 17. N otre intention doit être d’être agréables à Dieu, nos actions
étant en soi purement naturelles. Et ici il donne un bel exemple:
« Quello che gioca alla pilotta se la retiene nella mano e doppo
la rigetta ancorché il tenerla sia per un brevissimo tempo, perde il
gioco... Somigliamente quello che riceve i beni di Dio non deve chiu
dere la mano per ritinerli eziandio per un salo instante, ma li fac
cia ritornare a chi glieli dette » 18.
Une autre manière est de penser à Dieu présent dans les créa
tures:
« Riflettere all’esser Dio presente in quelle creature, mediante
la quale vi fa m ille grazie e benefizi » 19. La raison se trouve dans le
concours que Dieu donne à toute opération créée:
« Così quando vedrem o alcuna creatura che opera e fa qualche
cosa, dobbiamo rim irare Dio come presente e da cui quella creatura
riceve la virtù » 20. Ceci s’entend et du bien et du mal qui arrive par
M Trattato, c. 4, p. 48.
15 ib., c. 7, p. 107.
16 ib., c. 5, pp. 68-69.
n ib., c. 4, pp. 53.
18 ib., pp. 55-56.
19 ib., p. 56.
20 ib., p. 59.
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 151
les créatures; le mal aussi est permis par Dieu et nous devons l’ac
cepter ainsi:
« ...altrimenti noi saressimo più sciocchi che i cani delle strade,
a’ quali quando si tira un sasso si rivolgono contro di esso e lo
m ordono e non mirano alla mano che lo tirò » 21.
Cet exemple ne veut pas du tout dire que Dieu est la cause du
mal; mais il le permet, et il veut, que nous l’acceptions pour notre
bien. La distinction est très belle:
« ...non concorre Iddio all’azione di chi perseguita, ma bensì
ch’egli concorra alla passione di chi patisce e vuole che patisca e
prenda que’ travagli come dalla sua mano e dalla sua santissima
volontà » 22.
A remarquer comment cette manière naturelle de pratiquer la
Présence de Dieu amène à d’autres actes externes, lesquels en raison
de leur contact avec les sens, conduisent à des actes qui sont im m é
diatement objet de fo i:
« A questa medesima presenza di Dio corporale si riduce il m i
rare ed aver presente qualche pittura o devota Imagine, le quali
senza dubbio giovano m olto ad aver presenti Christo Signor Nostro
e l ’altre cose divine e celestiali che representano » 23.
Cette étendue de la présence corporelle est une conséquence de
ce qui a été dit au début, à savoir, que la présence corporelle s’ac-
quiert immédiatement par les sens, comme p. ex. la vue d’une image,
la lecture d’un livre spirituel, l ’audition d’un serm on24.
De cette manière on pourrait réduire à cette présence la pen
sée de Jésus dans l ’Eucharistie: « Questa sacramentata presenza di
Cristo può in alcun senso chiamarsi corporale, avvegna che mirando
cogl'occhi del corpo le spezie sacramentali sopra l’altare, subito ci
facciamo a vedere Christo con quelli deH’anima... » 25.
La deuxième voie « è il fare come una scala della bellezza, di
sposizione, varietà e grandezza dèlie creature di tutto il mondo per
innalzarsi a Dio » 26.
Cette voie n’est pas comme la première. Car, dans celle-ci on
s’unissait à Dieu au moyen de la causalité, c.-à-d. en considérant
comment on peut atteindre Dieu par les créatures, et en tant qu’il
les conserve et coopère à l'activité des créatures pour leur bien-être;
2' ib., p. 61.
22 ib., p. 63.
23 ib., p. 64.
24 ib., p. 48.
23 ib., c. 9, p. 142.
26 ib., c. 5, p. 69.
152 GASTON DE KERPEL
dans cette dernière, au contraire, nous pouvons atteindre Dieu au
moyen de l'analogie, c.-à.-d. en faisant monter ll’âme de la perfec
tion participée à la perfection non-participée de son principe, les
créatures étant une image de leur Créateur: «s o n o le creature cor
porali a modo di colorite imagini, che vivamente rappresentano al
l ’anima le cose spirituali ed invisibili » 27.
Thomas de Jésus dit, qu’iil a une grande différence entre la pré
sence corporelle et la présence intellectuelle, parce que la première
commence par les sens pour m onter vers Dieu; elle est donc une
manière ascendante; quant à l’autre, elile est basée sur la foi, tout
en faisant em ploi des sens; la présence corporelle:
« ...si fonda ne’ sensi corporali, ed in quel modo di presenza
ascendiamo dalla creatura a cercar Dio, come universa! Benefattore
di tutto quello che riceviamo dalle creature... » 28.
Mais dans la présence intellectuelle, au contraire:
« Non ascendiamo per la vista ne per gl’effetti veduti nelle crea
ture a Dio, anzi fissando gl’occhi della fede immediatamente nella
immensità di Dio, discendiamo alla creatura, riconoscendo che Dio,
a cagione della sua immensità, riempie, penetra, e conserva tutte
le creature... » 29.
Voilà en quoi consiste précisément l ’originalité de Thomas et
en quoi il diffère des autres, qui ne parlent que de présence intel
lectuelle, l ’âme ne s'arrêtant pas aux choses qu’elle connaît sensi
blement, mais élève ¡la pensée vers le Dieu invisible et connu intel
lectuellement.
Nous ferons cependant noter, que la distinction qu’il fait, n’est
pas fondée sur une raison exclusive. Dans le même chapitre V I I il
distingue la présence intellectuelle de la corporelle, parce que basée
sur la foi par laquelle nous reconnaissons Dieu présent et conser
vateur en toutes choses, ajoutant néanmoins qu’avec la raison pure
aussi on arrive à la connaissance de Dieu, qui rem plit toute la créa
tion de son immensité, et la conserve sans interruption par sa force
créatrice continuelle30.
Il ne justifie pas non plus parfaitement pourquoi il réduit à
cette présence corporelle: « il vedere una devota pittura, la lettura
di un libro, o l ’ascoltare una p red ica 31. Oui, c’est vrai, que selon le
principe donné, la présence de Dieu obtenue par ces objets, est
obtenue directement au moyen des sens externes, et peut donc être
27 ib„ p. 69.
2« ib., c. 7, p. 107.
» ib.
30 ib., p. 105.
31 ib., c. 4, p. 48.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 153
considérée comme une présence corporelle: c’est ce que lui-même
explique : « ...awegnaché per mezo de que’ sensi corporali inalziamo
lo spirito a Dio » 32.
Cependant, il ne peut pas appliquer sans plus la présence cor
porelle à ces objets, parce qu’il a mis comme principe de distinction
que la présence corporelle m et en contact avec Dieu d’une manière
naturelle, alors que la présence intellectueile unit à Dieu par la
foi
Bien que la distinction de Thomas ne soit pas tout à fait logi
que et nettement formulée, elle a une grande valeur, étant la ma
nière la plus facile et la plus spontanée de monter vers Dieu;elle
a de ce chef toujours été employée avec beaucoup de succès.
Il existe donc une base pour distinguer une présence que nous
préférerions appeler présence externe, parce que l’une et l ’autre dé
nomination peuvent faire allusion aux sens extérieurs comme point
de départ immédiat, la seconde dénomination n’ayant pas l'incon
vénient d’exclure les choses externes qui enveloppent immédiatement
une vérité révélée.
L ’une et l’autre dénomination indiquent une méthode de valeur
indubitable et psychologique pour la vie spirituelle.
Il faut aussi ajouter, que la réalité de cette distinction est aussi
connue de nos autres auteurs, considérant, qu’ils les mettent toutes
sous le titre de présence intellectuelle. L ’étendue de la présence
intellectuelle chez Thomas de Jésus sera donc plus restreinte.
Quoique le contenu soit égal pour tous, la méthode de Thomas
est plus complète et plus didactique, et on doit en tenir compte
dans la suite.
En effet, les auteurs modernes persistent dans la divergence de
la division, les uns faisant usage de la triple distinction, les autres
de la quadruple.
De Guibert p. ex., qui donne une ample bibliographie où il fait
mention de Thomas de Jésus et de Jean de J.-M., choisit la qua
druple distinction, se référant pour la présence corporelle à S. Igna
c e 34. Il est difficile de dire où Thomas s’est inspiré pour sa distin
ction: ce qui est certain, c’est que dans son traité même, il se base
uniquement sur la S. Ecriture et sur les SS. Pères.
Brenninger, au contraire, reprend la distinction tripartite, selon
la tradition carm élitaine3S.
32 ib., c. 4, p. 49.
33 ib., c. 7, p. 107.
54 Theol. spir., p. 280, n. 309.
35 Directorium carm., p. 464, n. 199.
154 GASTON DE KERPEL
Nous avons voulu conserver cette distinction, parce que, comme
nous le verrons par la suite, elle est utile pour le développement de
l’exercice de la présence de Dieu.
A r t ic le 3. - La présence imaginaire
Ici nous entamons une matière extrêmement riche et commune à
tous nos auteurs; nous n’allons pas citer toutes les définitions, mais
seulement les plus caractéristiques. C.-à.-d. celle de Jean de J.-M.
et de ceux qui expliquent davantage, jettent plus de lumière ou pré
sentent quelques particularités.
« ...Imaginaria è quella, nella quale si formano immagini di cose
corporali » 3é, dit Jean de J. M.
Ce que Thomas de Jésus clarifie:
« Imaginaria, quando per mezzo dei sensi interni deH’imagina-
zione form iam o figure o imagini di quella cosa, qual più ci muove
a pensare in Dio per tenerlo presente; come quando senza vedere
imagine esteriore ci rappresentiamo la figura di Cristo dentro di
noi » 37. Deux autres définitions sont encore plus descriptives:
« Imaginaria è quella quando l ’uomo pensa a Dio sotto qualche
figuratione d’imagine o d’odore o di suono di parole..., ed in som
ma, quando si lavora con l’imaginatura rappresentando cose e figu
re corporali, fermandosi propriamente in quelle » M.
« Cuum potentias cognoscitivas vel appetitivas applicamus ad
aliquid, quod immediate a sensibus exterioribus potest cognosci et
per imagines seu species sensibiles interioribus potentiis repraesen-
tatur, quae utique imagines et objecta non sumuntur ut via et
instrumenta seu media ad aliud cognoscendum, sed in seipsis ter
minant cognitionem et amorem » 39. Tout ceci nous montre claire
ment, que dans la présence imaginaire la représentation est essen
tiellement un acte de l’imagination, mais l ’objet de cet acte est le
terme auquel s’arrête notre connaissance et notre amour. Nous vou
lons tout de suite dire qu’elle ne dépasse pas la lim ite sensitive de
l'homme.
On peut saisir l'objet, ou bien par un contact des sens extérieurs
avec la réalité externe pour ensuite la transmettre à la mémoire,
ou bien par une image prise de la m ém oire même. Il est utile
* Scuola d ’orazione, p . 92.
37 Trattato, c . 3, p . 49.
38 Riform a, 1. II, c. 2, P. 324. (S im o n e di S. Paolo).
39 A l e x a n d e r a S. F r a n c ., D e praesentia Dei, c . 12, p . 45.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 155
d’approfondir un peu l’analyse de ce complexe psychologique de la
connaissance que les anciens scholastiques expliquent et dont parlent
souvent nos auteurs.
Alexandre de S. François p. ex., suppose 'la division habituelle
de nos sens externes, qui sont au nombre de cinq, et de nos sens
internes, qui sont au nombre de quatre. Or, tout acte spécifique de
nos sens externes peut produire une présence imaginaire; Simon de
S. Paul écrit, que cela se vérifie : « quando uno s’imagina di veder
Christo alla colonna, o di sentir quel rumore delle martellate de’
chiodi, o di sentir parlar Christo, o d’abbracciarli i piedi » 40.
N on sans raison psychologique, quand il parle des sens, men
tionne-t-il en prem ier lieu ceux qui sont plus spirituels: la vue et
l’ouïe; On rencontre surtout la représentation visuelle, comme dans
Bernardin de Saint Ange:
« ...Quella che per recordarsi di Dio o di Giesù Cristo, se li fi
gura presenti o davanti a gli occhi sotto qualche imagine e figura...,
si figura l’Humanità di Giesù Cristo sotto qualche misterio... » 41.
Cela, parce qu’il sait bien, que tous les sens n’atteignent pas de
la même façon les choses spirituelles. Il suit l ’ordre donné par le
Docteur Angélique lorsqu’il dit que c’est la vue qui est la puissance
la plus spirituelle, suivie de l'ouïe, puis l’odorat; le 'toucher et le
goût sont les plus m atérielles42. Nous ferons donc bien de nous
occuper surtout des sens qui s’approchent le plus du spirituel: ils
se feront moins dépendants de la matière et seront plus aptes à
conduire aux choses purement spirituelles.
La différence avec la présence corporelle consiste en ce que la
présence imaginaire requiert une représentation des sens internes,
bien qu’elle puisse commencer dans un acte de présence corporelle.
Nos auteurs connaissent bien la division des sens internes: le
sens commun, la fantaisie ou imagination, l’estimative ou cogitatif,
et la mémoire, parce que c’est sur l ’objet propre des sens internes
que se fonde toute leur explication de la présence imaginaire. D’où
l ’on comprend, que ce sera surtout l ’imagination qui aura la place
principale, parce que, comme dit S. Thomas : « est quasi thesaurus
quidem formarum per sensum acceptarum » 43. En elle se renouvelle
d’une manière sensible les contacts que l ’on a eu par les sens ex
ternes avec la réalité externe.
Nous voulons aborder ces théories connues, pour mieux com
40 Riform a, 1. I I, c. I, p. 329.
il A lbero della scienza, I. I l i , p. 329.
42 la, q. 78, a. 3.
43 la., q. 57, a. I, ad 2.
156 GASTON DE KERPEL
prendre l ’ordre, conform e à la psychologie des diverses manières de
pratiquer la présence de Dieu, ainsi que pour les conséquences pra
tiques dans l’exercice lui-même de la présence de Dieu. Voici d’ail
leurs un texte de S. Thomas qui est central dans tout le traité sur
la présence de Dieu:
« In imaginai ione autem non solum sunt form ae rerum sensi-
bilium, secundum quod accipiuntur a sensu, sed transmutantur di-
versimode vel propter aliquam transformationem corporalem vel
secundum imperium rationis disponuntur phantasmata in ordine ad
id quod est intelligendum » 44.
Ce qui fait proprem ent la base de son office central dans l ’évo
lution de la connaissance humaine, c'est de savoir en quoi consiste
le bon usage de l’imagination, et d’abord de savoir comment em
ployer et mieux profiter de cette force humaine, qui est propre à
l'homme, les bêtes ne pouvant pas jou ir de cette disposition; en
suite, en quelle proportion en faire usage en relation avec le travail
de l ’intelligence. Le prem ier problèm e naît du fait que l'imagination
se trouve être le centre de la présence imaginaire, le second pro
blème naît du fait de savoir combien l ’imagination est condition
préalable de toute connaissance intellectuelle.
Si nos auteurs savent donner une application pratique de la
chose, c’est parce qu’ils comprennent bien la nature et la psycho
logie de ces puissances. Voici un exemple de Joseph de J.-M. :
« Tutto questo ha da essere fabricato a forza d’imaginazione
e così per form arlo come per ritinerlo ha da travagliare m olto la
virtù imaginativa e l’estimativa con tutti gli altri organi corporali
interiori » 45.
Il n’est donc pas inutile d’attirer l ’attention sur cette analyse,
parce que, alors seulement on peut apprécier la valeur de nos au
teurs quant à la présence imaginaire; voici comme exemple Joseph
de J.-M.:
« Sino che in questa guisa mirano Dio, si pongono in sua pre
senza m olto imperfettamente, perché, gli oggetti delTimaginativa
sono alcuni accidenti delle cose, de' quali si form a una figura...; e
così è m olto im perfetto e poco sostanziale la rappresentazione del-
l ’imaginazione per la presenza di Dio » 46.
Pour conclure, si nous voulons déterminer le champ d’action
pour le développement de la présence imaginaire, nous pouvons le
faire parfaitement bien par la description qu’en donne Alexandre de
S. François;
44 lia. Ilae, q. 175, a. é.
45 Salita dell’anima, 1. I l i , c. 17, p. 221.
« ib.
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 157
« Praesentia Dei imaginaria est illa, in quae nostris potentiis
sive cognoscitivis sive appetitivis offeruntur objecta quae cadunt sub
sensibus externis, v. g. visu, auditu, gustu, odoratu et tactu sive sub
interni« hoc est imaginativa et existimativa ac proindie sunt corpo
rea et per imagines sensibiles rapraesentata » 47.
On pourrait opposer la difficulté, que jusqu’à présent iil n ’existe
pas encore une distinction bien nette entre présence imaginaire et
présence intellectuelle, puisque cette dernière aussi peut se servir de
ces images, comme nous le verrons plus bas. Nos auteurs ont bien
noté la différence entre les deux: la différence se trouve dans le
fait que dans la présence imaginaire Jes choses qu’on se représente
servent comme ternie, alors que dans l’intellectuelle elles ne ser
vent que comme moyen. Alexandre de S. François dit:
« Aliud est autem id quod se habet per modum finis, et aliud
quod se habet per modum medii, atque ab ilio non ab isito discre-
tio praesentiae Dei imaginariae vel intellectualis desumenda est » 48.
Le père Simon ajoute, que dans la présence imaginaire « si
lavora con l’imaginativa, rappresentando cose e figure corporali,
fermandosi propriamente in quelle » et il l ’explique par un exemple :
« Non segue, quando io m ’imagino di vedere Christo e parlar
gli, o di sentirlo alla colonna, perché sebbene io cavo di qui l’amore,
che ci porta Dio e ci dicono con l’intelletto nondimeno e presenza
imaginaria, non intellettuale, perché quell’amore o compassione la
cavo da quelle imagini proprie e vere fermandomi a discorrere so
pra di esse come sopra a figure proprie e vere » 49.
Si maintenant nous nous demandons, quel est pour cette pré
sence l’objet le plus adapté, tous sont d’accord pour dire que c’est
la Sainte Humanité de N otre Seigneur qui en est le principal.
Jean de J.-M., après avoir donné la définition, donne de suite
un exemple: « verbi grazia, la figura di Cristo Signor nostro in qual
sivoglia atto o passo della sua vita e passione o resurrezione, ascen
sione » 50.
Son disciple Alexandre de S. François en explique le pourquoi:
« Cum igitur Dominus per humanitatem assumptam factus sit
etiam corporeis sensibus perceptibilis ac actus per humanitatem
exerciti sub eorum cognitionem cadant, hinc est ut Deus homo
ejusque vitae ac mortis actiones constituant principaile objectum... » 51.
47 D e praes. Dei, c. 3, p. 14.
48 Riform a, 1. I I, c. 2, p . 329.
49 Scuola d'orazione, p . 93. C f r . B e r n a r d in o Albero della scienza, 1. I l i ,
p . 153, T o m m a s o d i G e s ù ', Trattato, c . 6, p . 85-103 p a s s i m .
50 D e praesentia Dei, c. 13, p. 45.
si Albero, 1. I l i , p. 152.
158 GASTON DE KERPEL
Bernardin de S. Ange dit, que l’objet peut aussi être Dieu vu par
l'imagination sz.
Après avoir étudié cette présence et dans son sujet et dans son
objet, nous pouvons maintenant proposer le schéma des diverses
réalisations. Nous le ferons d’ailleurs très brièvement, esquissant
seulement cette division assez compliquée que nos auteurs ont don
née selon l’esprit et le goût de leur temps, parce qu’alle a une gran
de affinité, pour ne pas dire qu'elle est la même que pour l ’oraison
mentale.
Les maîtres de cette division sont Simon de S. Paul et Bernar
din de S. Ange: Je ne crois pas que l’on puisse trouver en cette
matière une influence de Jean de J.-M., qui ne traite de la chose
que brièvement, ne donnant que les principes essentiels.
Il ne serait pas sans fondement de supposer en cette matière
une certaine influence des traités des Jésuites; oeci est hors de doute
pour le père Bernardin, qui a fait valoir tous les auteurs précé
dents; ceci pourrait aussi être évident pour le père Alexandre qui
semble bien connaître la doctrine des Jésuites. Nous savons, en e f
fet, que voulant se faire Jésuite avant d’entrer dans la Réform e, il
a sûrement eu connaissance de la doctrine de la Compagnie. Quand
il décrit ainsi minutieusement comment nous devons marcher dans
la présence de Dieu en l’imaginant « quasi esset prope nos, vel a
dextris, vel a sinistris, vel ante faciem nostram... » 53, cela semble
très près de ce qu'écrivit Rodríguez : « Algunos hay que imaginan
delante de sí o a su lado Jesu Cristo Señor nuestro que anda con
ellos...M. Dans le passage suivant, nous voyons clairement l’influence
de S. Ignace, quand il parle des diverses manières de pratiquer la
présence de Dieu:
« Secundum modus est, cum nobis praesentamus locum ilium in
quo Christus operatus est mysterium illud, quod contemplare sta-
tuimus ut cum meditare cupimus nativitatem... imaginamur spelun-
cam illam et antrum terrae... » 55.
Voici le schéma selon lequel on peut distinguer les différentes
manières de présence imaginaire;
1) Presenza imaginaria propria,
a) reale,
b) non reale.
52 D e praesentia Dei, c. 12, p. 48.
53 Ejercicio de perfección, t. I, tr. D e la presencia de Dios, c. 2, p. 309.
54 D e praesentia Dei, c. 12, p. 46.
55 Albero, 1. I I I , p. 151.
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 159
2) Presenza imaginaria impropria.
La première distinction est de Bernardin de S. Ange.
Nous avons la présence imaginaire proprem ent dite, quand nous
nous représentons un fait réel : « Come quando si figura l ’Umanità
di Gesù Cristo sotto qualche m isterio o propria figura di Bambino,
di Ecce H om o...56. La non-propretment dite « quando risguarda Id
dio a sé presente sotto form a di un sole, o di una gran luce, o di
un vasto mare, o di un soprano re assiso sul suo trono... » 57.
La subdivision indiquée dans ile schéma, est de Simon de S. Paul,
et il insiste sur une petite nuance qu’il estime utile pour les consé
quences psychologiques. La présence proprem ent réelle place le
fait dans son moment historique: « è pensare a Cristo quando fu
flagellato alila colonna » 58. La présence proprement non-réelle est la
considération d’un fait réel, mais en dehors de son moment histo
rique, p. ex. s’imaginer le Christ : « corne se all’hora fusse battuto,
perché sebbene è vero che fu flagellato, non pero è vero che sia
quivi e che sia battuto all’hora... »
La présence imaginaire im propre est décrite par Bernardin de
S. Ange dans les termes que voici:
« Imagine impropria, come quando riguarda Iddio a se presente
sotto form a di un sole, o di una gran luce, o di un vasto mare, o
di un soprano re assiso sul suo trono, e simili, quali imaginazioni
non sono al proposito della verità ma finzioni verisim ili fabricate
dalla fantasia che conducono alla cognizione di essa verità » 60.
Sa distinction de la présence non réelle consiste en ce que cette
dernière est une image vraie et historique de la figure du Christ,
alors que la réelle consiste seulement dans la manière de se le re
présenter; il y a ici une métaphore comme base de la représenta
tion. Jean de J.-M. aussi a parlé de cette présence improprement
dite et cela explicitement, quand il s’est demandé, si les objets in
tellectuels peuvent être objets de la présence imaginaire. Il répond,
que cette manière n’est pas vraiment une présence imaginaire: « per
ché queste imagini non hanno cosa corporale esistente, alla quale
propriamente rispondano... » 61. Elle est donc une pure métaphore
fondée sur Ila ressemblance entre le concept présenté et la figure
employée; et Bernardin de S. Ange écrit très bien: « questa si dice
metaforicamente imaginaria » 62.
* ìb.
57 Riform a, 1. II, c. 2, p. 3330.
5« ib.
59 A lbero della scienza, 1. I l i , p. 151.
60 Scuola d'orazione, p. 99.
61 A lbero della scienza, 1. I l i , p. 152.
62 Scuola, p. 100.
16 0 GASTON DE KERPEL
Il est important de faire noter un certain élargissement de
l'objet dans l’exercice de la présence de Dieu. Après avoir traité de
la présence imaginaire et intellectuelle, Jean de J.-M. se demande,
si d'autres représentations internes relatives aux créatures pourraient
conduire à cette présence de Dieu, et ili dit que oui:
« Con imagini, come quando si tiene presente la beatissima V er
gine ed i Santi, o si pensa nella morte, nell’inferno, nel giudizio uni
versale, ecc.; delle quali cose si formano imagini... » 63.
Thomas de Jésus aussi, après avoir parlé de Jésus comme objet
principal de la présence de Dieu, dit de même : « acoade il medesimo
quando nella nostra imaginazione ci rappresentiamo un altro santo,
ovvero le pene dell’inferno » M.
Le père Bernardin l ’explique ainsi:
« Si può connumerare tal modo con la presenza di Dio, non solo
perché con essi pensieri si sveglia la memoria di Dio, ma ancora
perché terminino essi pensamenti a Dio con un certo risguardo a
suoi attributi » Mb.
On comprend donc comment tout doit être dirigé vers Dieu,
comme fin, tout en gardant encore la possibilité de traiter avec lui.
Il y a toujours une relation consciente avec Dieu, mais cela aussi
suffit, pour que l ’exercice comme il est considéré par nos auteurs,
soit vraiment un exercice de la présence de Dieu. Evidemment, on a
la présence dans le sens le plus étroit, lorsqu’on reste en contact avec
Dieu par une attention explicite; attention distincte de la matière
traitée avec lui; mais tout en faisant attention à elle, le contact
avec lui demeure, ce qui revient à dire: qu’en faisant des actes de
vertu et en appliquant la volonté à Dieu, même en ne le regardant
pas d’un regard explicite.
L'un et ¡l’autre sont vraiment exercice de la présence de Dieu,
comme l ’enseigne Simon de S. Paul:
« H o trovato utile il distinguere la presenza di Dio, che è quel
tratto con Dio ed applicatione di mente dalla materia di che con
l'istesso Dio si tratta. Sebbene e comunemente questo nome di pre
senza di Dio, non solo comprende quell’applicatione di memoria,
ma anco gli atti che si fanno con la volontà d’amore e d’altre
virtù 640.
« Scuola d ’Orazione p. 101.
64 Trattato c. 6, p. 88.
W> A lbero L. IIT, p. 140.
Riform a L. II, c. 2, p. 331.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 161
A r t ic l e 4. - La présence intellectuelle
Nous donnerons d’abord les diverses définitions pour arriver
ainsi à l'élém ent essentiel qui constitue cette présence.
La définition de Jean de J.-M. est très brève:
« La presenza intellectuale è quella, nella quale non si formano
tali immagini (come nella presenza immaginaria) ma l’intelletto at
tende all’esistenza di Dio in ogni luogo » 64d. Selon Thomas de Jésus
elle est : « il m irar Dio come intimamente presente in tutte le cose
dandogli l’essere che anno e conservandolo colla sua immensa virtù
e potere » 64e. Ici vient d’être décrit déjà plus en détail comment Dieu
peut être considéré existant en tout lieu.
Simon de S. Paul étend la définition aux autres attributs de
Dieu;
« L ’intellettuale (presenza) è quando uno si rappresenta Dio non
sotto qualche immagine, ma intellettualmente considerando la sua
bontà, l'assistenza in tutte le cose, la sua mirabile provvidenza, il
suo infinito amore » 65.
Alexandre de S. François l ’étend encore davantage, en incluant
dans l'objet toutes les choses spirituelles:
« Praesentia Dei spiritualis (intallectualis) est illa, qua nostris
potentiis repraesentantur objecta, quae superent cognitionem sensi-
bilem et a solo intellectu percipi possunt, ut sunt omnia spiritualia,
angeli et maxime Deus ejusque divina attributa et perfectiones » 66.
Dans cette détermination graduelle de ¡la présence intellectuelle,
nous voyons que l’élément stable doit être que l ’on traite toujours
de l’intelligence et non de l ’imagination;
« Questa è puramente spirituale ed atto del solo intelletto » 67.
Cette exclusion n'est pas du tout absolue, car, Alexandre de
S. François, se basant sur la philosophie, dit que dans toute pré
sence intellectuelle, il y aura toujours une participation minime de
l ’imagination, puisqu’il est question d’une connaissance naturelle:
« ...Non est nobis viatoribus naturaliter possibilis cognitio depurata
ab omni involucro corporeo, sed in quacumque licei sit rebus maxi
me spirituailibus, imo de Deo ipso, aliqua ex parte modi cognoscendi
admiscetur impuritas sensibilium phantasmatum » 68. Ce ne sera
donc pas la plus ou moins grande imagination qui déterminera la
64<J Scuola d ’Orazione p. 93.
646 Trattato c. 7, p. 106.
65 Riform a, II, c. 2, p. 329.
66 D e praesentia Dei, c. 3, pp. 13-14.
et B e r n a r d in o d i S. A n g e l o , A lbero della scienza, 1. I l i , p. 151.
,68 D e praes. Dei, c. 3, p. 14.
162 GASTON DE KERPEL
présence intellectuelle, mais bien l’objet dans lequel se termine ou
se fixe l ’acte de la connaissance. Si l ’objet n'est pas un fantasme
de l ’imagination, mais au contraire un objet purement spiritual,
nous aurons alors comme l’appelle Alexandre de S. François, une
présence intellectuelle ou spirituelle, et la représentation imagina
tive ne sera qu’un moyen et non une fin.
Jean de J.-M. n'est donc pas illogique, quand il réduit à cette
représentation ce mode de présence où l ’âme garde quelque image
impropre, et, comme nous l ’avons expliqué plus haut, employant
une métaphore, à condition que l ’intelligence ne s'y arrête pas, mais
en fasse usage pour atteindre les choses purement spirituelles69.
Alexandre de S. François, sans doute sous l ’influence de Jean de
J.-M., s’explique de la manière suivante: « ...haec tamen imago so-
lum respicitur et admittitur per modum viae et medii, Deus autem
ejusque perfectio est res cognita et finis in qua sistitur » 70. Ici nous
devons noter une différence de position entre les auteurs. Nous
voyons comment Thomas de Jésus, en opposition à la présence cor
porelle, indiquait la présence intellectuelle comme fondée sur la
fo i;
« ...quello però di cui ora prendiamo a trattare è presenza di
Dio intellettuale essendo fondato nella fede, attesocché con occhio
di fede m iriam o Iddio » 71.
Bernardin de S. Ange aussi donne une définition semblable de
la présence de Dieu intellectuelle:
« ...(è) quella, che nel ricordarsi di Dio non form a di lui im agi
ne alcuna ma semplicemente il riguarda secondo la fede, con opera
zione sola deH’intelletto... » 72. Cependant, la présence de Dieu en
tout lieu est aussi objet de la connaissance purement naturelle. A le
xandre de S. François dit: « Dei autem intellectualis praesentia tota
innititur non solum fidei, sed et naturali lumine noto principio... » 73.
Notons que, quoique cette manière soit possible même sans la
foi, pour le chrétien, elle l ’accompagnera toujours. Si nos auteurs
se sont permis une attention aussi particulière à cette présence,
qu'on peut trouver et atteindre m êm e avec la puissance naturelle
de l’intelligence, c’est par pure raison psychologique, comme nous
le verrons par la suite. Quant à l’objet, nous pouvons faire une ex
tension comme calle faite plus haut pour la présence imaginaire.
Nous avons remarqué comment Alexandre de S. François étend
69 Scuola dell’orazione, p. 93.
70 D e praesentia Dei, c. 3, p. 14.
71 Trattato, c. 7, p. 107; cf. p. 110.
72 Albero della scienza, 1. I l i , p. 151.
73 De praesentia Dei, c. 4, p. 18.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 163
l ’objet à toutes les choses spirituelles, et cela conformément à ce
que dit Jean de J.-M., qu’à cette présence se réduit la représenta
tion de toutes les choses:
« Senza imagini, corne quando si pensa la nobiltà délia natura
angelica o perfezioni délia divina grazia e l’eccellenza délia carità
ed altre cose simili, con un modo intailettuale » 74.
Avant d’étudier les diverses relations de cette présence, nous
voulons insister un peu sur l'importance d'un mode de présence
laquelle se réduit a celle-ci; c.-à-d. celle où l ’on considère le pro
chain et soi-même comme étant île Corps du Christ ou la considé
ration du Corps Mystique du Christ. Nous trouvons très important
d’en parler, pour mieux comprendre tant d’autres choses que nous
dirons ci-après sur le concept de la pratique de la présence de Dieu
chez nos auteurs.
La réalité de cette conception, qui repose sur le texte de
S. Paul ( I Cor. 12, 12-31) où l’Apôtre enseigne, dans sa doctrine sur le
Corps Mystique, que nous sommes vraiment les membres de ce
Corps Mystique de Jésus et que Lui est notre Tête, a été explicité
par Alexandre de S. François dans toute sa réalité.
Sachons, que c’est le devoir de la tête de gouverner les m em
bres, et Alexandre écrit: « ...proprium enim est capitis aliorum
membrorum indigentiae consulere...; utique nulla nos detinere debet
nostri sollicitudo, sed remaneat penes caput nostrum » 76. Nous
connaissons aussi la priorité et la dignité de la Tête, et Alexandre
conclut: « ...pro honore capitiis nostri gloria libentissime manus la-
boret, pes deambulet, lingua loquatur vel taceat, oculi vigilent,
membra incessanter operentur omnisque pariculo se exponant... » 77.
Nous ne sommes pas seulement membres du Christ par l’âme,
mais aussi par île corps, comme l’affirme explicitement S. Thom as78,
et de même, dans notre corps, nous voyons le Chrisit et le servons.
Alexandre de S. François dit:
« Igitur cum urget nécessitas famulandi corpori nostro, ut v. g.
cum accipiendus est cibus vel potus, capienda quies... tune debemus
nos respicere ut membrum Christi » 79.
Et non seulement l’âme et le corps, mais tous les hommes ap
partiennent au Christ *°; et Alexandre de conclure encore : « quibus
74 Scuola d'orazione, p. 100.
« Cfr. IIla , q. 8, a. I.
76 D e praesentia Dei, c. 6, p. 27.
77 ib.
7* Ilia , q. 8, a. 2.
79 D e praesentia Dei, c. 6; p. 27.
«o Cfr. Ilia , q. 8, a. 3.
164 GASTON DE KERPEL
ut mambris Christi inserviendum est... » 81. Et il termine en disant,
que tout cela est très utile pour nous unir à Dieu et pour acquérir
beaucoup de mérites; il suffit de faire attention à la pureté de l ’in
tention. Ici, nous voulons encore faire remarquer, comment ceci
lui a été suggéré par Jean de J.-M., dans son Instruction des N o vi
ces, où il dit que nous devons étendre notre présence de Dieu au
service de nos frères, qui sont îles frères de Jésus, et aux Supérieurs;
ainsi, nous devons considérer toute chose en relation avec Dieu:
« ...nulla prorsus creatura sine respeotu Dei intueantur » 82.
Retenons donc que tout ce que nous faisons peut être mis en
présence de Dieu, il suffit d'avoir une intention droite et pure ou de
la purifier: il s’agit de considérer toute chose en relation avec
Dieu.
Nous diviserons la Présence intellectuelle en présence intellec
tuelle naturelle, pour autant qu'elle peut être connue par la seule
raison, et en présence intellectuelle surnaturelle, laquelle ne peut
être connue que par la foi. Nous n’entrerons pas dans toutes les
modalités possibles, mais seulement dans celles que l ’on décrit
d’habitude et qui sont plus utiles, tout en montrant la manière de
s’en servir.
A. La PRESENCE in t e l l e c t u e l l e naturelle
Quand nos auteurs en ont traité, ils ont évidemment suivi
S. Thomas dans sa Summa Theologica, la, q. 8. Nous considérerons
plus longuement la présence par essence, parce qu’elle est le fonde
ment des deux autres et fournit réellement une très bonne pratique
pour l’exercice de la présence de Dieu.
Cette présence s’affirme contre ceux qui nient que Dieu est la
cause première et immédiate de toutes les créatures, et montre
comment Dieu est intimement présent en toute chose par son es
sence, lui donnant et lui conservant son être p ro p re 83.
Voici ce que dit Bernardin de S. A n ge84 contre Avicenna qui nie
que Dieu soit le Créateur immédiat des choses, et c’est proprement
ici, qu’Alexandre de S. François répète ce que dit Thomas de Jésus
sur la présence corporelle:
« ...omnia mihi praestat in omnibus, pascit in cibo, récréât in
81 D e praesentia Dei, c. 6, p. 27.
*2 Instructio novitiorum , c. 3, in Opera omnia, t. 3, p. 215.
83 Cfr. A l e x a n d r e de S. F r a n c o i s , D e praesentia Dei, c. 4, p. 18.
84 Albero della scienza, 1. I l i , p. 144.
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 165
odoribus, delectat in corporis puilchritudine, calefacit in igne..., ser-
vitque quasi dixerim in omni loco quod aninio vel corpori vel oblec-
tamento fit vel utilitati » 85.
Quant à Alexandre de S. François, il voit ainsi Dieu présent en
toute chose, sans faire de distinction entre connaissance par la foi
ou la raison, et il donne plusieurs exemples pour expliquer cette
présence, l’exemple de l’âme et du corps, s’inspirant en cela de
S. Thomas; l ’exempJe de la lumière et du soleil qui inondent le
monde entier et l’exemple de l ’ép on ge87, exemple qui plaît aussi à
Thomas de Jésus et qui illustre bien cette vérité : « Iddio sta tutto
dentro di ilei, Iddio tutto puramente fuori di lei, tutto Iddio nel suo
alto, tutto Iddio nel suo basso, tutto Dio nel suo ambito » 88. Mais
comme, en effet, l’éponge se corrom pt dans l’eau, Alexandre préfère
l ’exemple du poisson dans l'eau, et ici il donne un très bel exemple
tout à fait original qui donne une idée dlaire de l ’exercice continuel
de cette présence. Citons le texte dans son entier:
« ...sicut piscis ex eo quod careat pulmone proprie non respirât,
sed loco ipsius donatus fuit a natura duabus alunculis quibus utitur
ad conservationem propriae vitae easque perpetuo movet, ita debet
et homo perpetuis motibus in Deo aspirare et continuis actibus vir-
tutum et aspirationibus quasi quibusdam alis in Deum tendere, ad
ipsum recurrere et in eius finem incessanter advolare, ac per num-
quam intermissum ejusdem praesentiam in eo et ad eum m overi » 89.
Il ajoute comme dernier exemple, de nous représenter Dieu
comme étant la demeure dans laquelle nous vivons, puisqu’il est
pour nous comme la demeure, où nous trouvons sûreté et abri.
Nous avons fait remarquer ici tous ces exemples, non pas parce
qu’ils est difficile d’expliquer la chose et de la comprendre, mais
pour m ontrer la psychologie de nos auteurs, qui ont recherché les
méthodes les plus concrètes possibles. Quelle saine psychologie que
celle qui dit préférer l’exemple du poisson à celui de l’éponge, l ’e
xemple du poisson étant beaucoup plus prenant et correspondant
mieux à la réalité de l’image, et aidant mieux à la représenter con
crètement. Vu que, sélon les psychologues, toute image vivante pousse
à l ’imiter: « tout état de conscience v if tend à l’actualiser » 90, et
une idée capitale vaut mieux et touche et émeut plus profondément
le coeur que beaucoup d’idées superflues.
ss D e praesentia Dei, c . 4, p . 19; T h o m a s d e J é s u s , Trattato, c . 4, p . 59.
86Cfr. Trattato, c . 7, p . 107.
87D e praesentia Dei, c . 5, p p . 20-22. C f r . l a , q . 8, A ; I , a d 2.
88Trattato, c . 7, p . 109.
89D e praesentia Dei, c . 6, p . 24.
w R i b o t , Psychologie de l’attention, p . 122.
16 6 GASTON DE KERPEL
La connaissance de Dieu omniprésent n’épuise pas toute la r i
chesse contenue dans l'immensité de Dieu; nous devons surtout
considérer cette divine présence en nous-mêmes. Notons comment
nos auteurs ont su utiliser cette connaissance métaphysique natu
relle qui dévoile notre union intime avec Dieu: la conscience de la
réalité, si convaincante pour l’esprit humain, de la relation d’effet
et de cause, d’où apparaît naturellement la dépendance qu’il y a
entre la créature et le Créateur:
« Elementum ut ita dicam cujuscumque creaturae et praecipue
animae rationalis est Deus O. M. in eo unice vivitur, et bene est
nobis; extra ipsum non invenitur nisi miseria, mors, nihil » 91.
« ...anima délia nostra anima, spirito del nostro spirito, essere e vita
délia nostra propria vita » n .
Après avoir parlé en détail, Alexandre donne cinq manières pour
rester en contact avec Dieu omniprésent et il les donne avec une
certaine graduation psychologique:
« Primus modus est per elevationem mentis in caelum... Secun-
dus modus est considerare Deum in omnibus illis rebus quas vide-
mus, gustamus... Dupliciter Deus in omnibus consideran potest p ri
mo ratione creationis..., secundo ratione participationis... Tertius
modus est considerare Deum ante nos semper nobis praesentem,
nobiscum manentem, et conversantem... Quartus modus est consi
derare nos totas et totaliter intra Deum immersos... Quintus tan
dem et ultimus modus est concipere Deum intra nos... » 93. Il se peut,
et c’est important, que selon lui, toute relation avec Dieu et toute
orientation de l’esprit vers il’Etre Suprême constitue un vrai acte de
présence de Dieu, présence qui doit tendre à une continuité qui
envahit toute la vie.
Maintenant, pour être complet, nous voulons parler brièvement
de deux autres manières de présence naturelle, c.-à.-d. par présence
et par puissance; nous pourrons être brefs, ces manières ayant leur
principe et leur cause dans ce que nous avons dit jusqu’ici. Cette
présence, selon Alexandre, signifie, que tout est ouvert au regard
pénétrant de Dieu : « nec quidquam dari quod ejus cognitionem et
visionem subterfugiat » 94. ce qui, selon Bernardin, est affirmé con
tre ceux qui nient que Dieu intervient dans les choses de ce m on d e95.
Il n’est pas question d’expliquer un concept bien connu, mais il
A l e x a n d r e d e S. F r a n ç o i s , D e praesentia Dei, c . 6, p. 24.
52 T h o m a s d e J é s u s , Trattato, c . 8 ,p. 118.
53 De praes. Dei, c. I I , pp. 42-43.
54 ib„ p. 37.
55 A lbero della scienza, 1. I I I , p. 114.
L ’ EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 167
convient de le citer, parce que cette présence a une valeur psycho
logique spéciale, comme le dit Thomas de J. M. « Per questo modo
di presenza di Dio, oltre il mirarlo, come si è detto, in tutte le cose,
si richiede acciocché sia perfetto e come cosa più principale... al-
l’esser noi rim irati del medesimo Dio » %.
La valeur de cette présence se trouve donc dans la conviction
du regard scrutateur de Dieu qui pénètre tout; ainsi Bernardin de
S. Ange, convaincu de cette efficacité, se plaît à fixer cette réalité
en toute chose particulière: « non solo le creature tutte..., ma anche
le opere loro..., i pensieri..., i moti, i desideri ed i più secreti occulti
dell'uomo » " .
Pour ce qui concerne la seconde manière, Alexandre de S. Fran
çois la décrit théologiquement et dit, que le pouvoir absolu de Dieu
sur tout ce qui est créé est tel, que ce Seigneur Suprême peut
disposer contre le vouloir de ce c ré é 973. Cette affirmation est contre
les Manichéens, dit Bernardin, qui se plaît à décrire en détail cette
puissance, pour bien en souligner la v é r ité 98. A cette vérité Alexan
dre relie spécialement l’obéissance aux Supérieurs: « Quandam
hujus dominii et modi essendi per potentiam imaginem dignatus est
et apud nos in principibus seu Superioribus omnipotens adumbra
r e 99. La conscience de cette suprématie de Dieu a donc son utilité
pour la pratique de la présence de Dieu.
B. P R E S E N C E IN T E L L E C T U E L L E SUR NATURELLE
Il ne s’agit pas ici de considérer tous les modes surnaturels
par lesquels Dieu se présente aux créatures, mais seulement de
considérer les différentes manières, dont Dieu étant présent, peut
devenir l’objet de notre considération actuelle, dans l ’exercice de la
présence. Celle-ci se réduit principalement à la considération du
Dieu Trine et Un, comme la traite Thomas de Jésus dans son Chap.
X. C'est la manière la plus sublime de présence 10°.
En suivant S. Bernard, il est dit que dans cette présence, il faut
surtout s’occuper de quatre choses : adm irer l ’infinie majesté, pen
ser aux jugements de Dieu, se rappeler ses bienfaits, et enfin penser
à la récompense éternelle 101. Ceci, est la considération de Dieu, vue
96 Trattato, c. 7, p. 118.
97 Albero, 1. I l i , p. 143.
973 D e praes. Dei, c. 10, p. 39.
98 Albero, 1. I l i , p.
99 D e praes. Dèi, c. 10, P. 39.
100 Trattato, p. 158.
101 ib., p. 167.
168 GASTON DE KERPEL
dans sa relation surnaturelle avec nous; on peut enfin encore consi
dérer Dieu, dans la perfection de sa vie trinitaire. Mais la manière
la plus utile de considérer Dieu Un et Trine, en ultime analyse, est
de le considérer dans l ’âme, où il demeure au moyen de la grâce:
« Sino che un’anima non giunge a discoprire questa presenza
di Dio in se stessa, può dire di non esser giunta a gustare Iddio
nella sua sorgente, o per meglio dire in sé medesima » 1<E.
Puisque cette présence peut se développer à la manière d’une
présence expérimentale où l ’âme embrasse Dieu dans un lien étroit
de charité:
« Quivi è ove Dio si manifesta all’anima non già chiaramente
come nella gloria, ma bensì esperimentalmente, avvegnacché cui
Punisce e strigne seco con un tanto stretto abbraciamento d’amore,
che quantunque non vegga chiaramente Dio, nondimeno non può
dobitare essere questo abbracci di Dio, quale a dentro di sé pre
sente » 103.
Le fondement de cette présence est la grâce, mais de telle façon
que;
« ...quando anche Dio non fosse a noi medesimi per la ragione
della sua immensità, come si è detto trovarsi intutte l ’altre crea
ture, nondimeno per ragione della grazia verrebbe di nuovo tutta la
Santissima Trinità non solo per l ’effetto della medesima grazia ma
secondo ch’è in sé stessa, e dimorare ed abitare nell’anima del giu
sto » 104. En raison de cette présence de Dieu en elle, l’âme est com
me le temple de Dieu, dit Thomas de Jésus105. Quand nous avons
traité de la présence imaginaire, nous avons fait remarquer, que
cette manière de présence est comprise dans l’intellectuelle, comme
l ’explique Joseph de J.-M. :
« Ed in quelli che stanno in grazia riluce in questo cielo il sole
divino e risplendono le stelle fulgentissime delle virtù e doni infu
si... Ed in questa guisa si deve considerare questo tempio e Dio in
quello » 106.
Nous ne voulons pas nous arrêter davantage à cette présence
surnaturelle en lia vérifiant en toute vérité révélée et en toute ma
nière précédemment décrite, à savoir avec l ’imagination et avec
l’intelligence; Il suffit que notre connaissance soit basée sur la foi.
Quoique l’âme puisse connaître Dieu présent en toute chose par
la raison naturelle, de fait elle le contemple avec la raison et avec
102 ib., c. 8, pp. 121-122.
103 ib., p. 125.
104 ib., p. 127.
los ib., p. 129.
106 Salita dell’anima, 1. I l i , c. 14, p. 219.
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 169
la foi; faisons cependant cette distinction, tout en insistant surtout
sur cette présence intellectuelle naturelle, parce qu’elle rend plus
facile l’ascension de l ’âme vers Dieu. Le fait que l’âme contemple
par sa propre force intellectuelle, la rend peut-être plus accessible
que la vérité connue seulement par la foi; et aussi parce que, au
début de la vie spirituelle, la vie de la fo i est encore faible, c’est
proprement l ’exercice de la présence de Dieu qui aidera à le con
tem pler ensuite avec l ’aide de la lumière de la fo i révélée.
A r t ic le 5. - La présence affective
De la présence affective Thomas de Jésus parle très distincte
ment, du chap. X I jusqu’au chap. X III. La raison de cette distinction
spéciale, que nous ne trouvons pas chez nos autres auteurs, est la
suivante: Thomas s’est fait de la présence de Dieu une définition,
où l’élément affectif est moins clairement ébauché: « Una elevazio-
ne délia mente a Dio » 107; il a donc raison d’insister tout particuliè
rement sur l’élément affectif, en opposant la présence affective à la
présence corporelle, imaginaire et intellectuelle, qu’il réduit à l ’in
telligence 108. Entre elles il n’y a pas de vraie opposition, la diffé
rence se trouve plutôt dans la priorité de l'un ou l ’autre élément, de
telle façon que dans la présence affective la volonté vient le plus
souvent la première : « Presenza di Dio congiunita agli atti e affetti
délia volontà » 109.
Une seconde raison pour laquelle il traite de cette présence af
fective est qu’elle sert au but de son oeuvre: il veut expliquer l ’e
xercice dans tout son développement spirituel, en y incluant aussi
la vie des parfaits, c.-à.-d. la vie contemplative, où l'amour prévaut
sur la connaissance, comme nous le verrons plus tard.
Pouvons-nous donc dire, que Thomas s’oppose à tous nos autres
auteurs? !r:
Pas du tout. La raison pour laquelle Jean de J.-M. et ses disci
ples les plus immédiats ont divisé la présence de Dieu en imaginaire
et intellectuelle seulement, est qu'iils n’avaient pas Tintention d’écri
re tout le déroulement de la vie spirituelle, mais d’écrire spécifique
ment pour les novices; ils ont donc seulement expliqué ce que doi
vent faire les commençants. Simon de S. Paul et Alexandre de
S. François p. ex., renoncent explicitement à traiter de la présence
H» Trattato, c. 1.
108 ib„ c. 4, p. 49.
i<» ib„ c. 4, p. 49.
170 GASTON DE KERPEL
chez les parfaits. Jean de J.-M., même si dans sa définition, ayant
clairement distingué l ’acte de l’intelligence de celui de la volonté, il
insiste sur l’affection, donne, lui seul, une double distinction. Ceci
s’explique par le but pratique qui est d’enseigner des novices, car,
de fait, il connaît très bien cette troisième sorte de présence,
puisqu’il en panie explicitement, dans sa Théologie Mystique. Nous
y trouvons le m otif pour lequel il l’exclut de son Traité, reconnais
sant bien dans cette oeuvre que ce n’est pas une voie possible pour
des débutants:
« Meminisse opus est doctrinam hanc non omnibus congruere...,
sed iis qui aliquamdiu in oratione mentali jam descripta passioni-
busque subjugandis et parandis virtutibus opera posuerunt... l i ergo
sive Ei praesentiam imaginariam sive inteilectualem mente versent...
simpiicissimis sed fervidis cordis motibus anagogici«... quas et aspi-
rationes et jaculatorias orationes apellamus..., ita ut modioam par-
tem intellectui meditantis, maximam vero voluntati et Deum se
erigendum et multiplici affectu incalescendi tribuant » 110. Frère Lau
rent aussi suit cette double division dans l'explication de la prati
que; nous rencontrons plutôt la troisième manière chez lui comme
une réalité vécue.
Comme cette présence chez les débutants et chez ceux qui pro
gressent ne se distingue pas notablement des précédentes, sinon
dans l’usage plus ou moins grand de l’une ou de l’autre puissance,
nous n’en dirons pas davantage.
Chez les parfaits, ou plutôt dans la vie mystique, la présence
affective pose une question spéciale que Thomas de Jésus touche
dans son Traité, et à laquelle nous nous arrêterons brièvement. Il
s’agit de la relation entre la connaissance et l’amour dans l ’union
mystique. Cet acte est décrit ainsi:
« ...senza veruna notizia particolare, ma solo con un conosci
mento generale e confuso o della incomprensibilità di Dio in gene
rale s’innalza l’anima con questi atti d’amore e spicca come un salto,
quasi senza pensar nulla in particolare di Dio, si unisce ed abbrac
cia seco per amore. Questo terzo m odo di notizia è m olto perfetto
e più vicino aU’intima unione con Dio ed è da’ dottori chiamata
teologia mystiea » 111.
Dans cette description, Thomas ne parie pas de la passivité,
mais laisse plutôt comprendre que l’âme peut y arriver d’elle même.
Cette présence affective active n’est pas encore le terme auquel tend
l ’exercice de la présence de Dieu; nous devons élim iner toujours da
110 Theologia mystica, c. 9, in Opera omnia, t. 2, p. 446.
m Trattato, c. 11, pp. 179-180.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 171
vantage l’acte de l’intelligence pour arriver à cette connaissance né
gative où l'âme s’unit à Dieu passivement; « ...dee lasciare tutte que
ste notizie particolari, ed entrare in questo esercizio di orazioni
jaculatorie ed atti d’amore » 112; alors on arrivera à la parfaite union
avec Dieu, « chiamata da’ spirituali fruitiva » m.
Cette union fruitive est pour lui synonyme d’union passive;
voici comment il la décrit dans son De oratione divina:
« In hac autem motione se habet voluntas veluti passive, non
tamen coacte sed potius ingenti cum sapore, spontanee et saepe
etiam libere ad divina elevatam, nihilominus tamen a Deo efficacis
sime im pellitur » 114.
Mais dans cette union, quoiqu’elle soit passive, il y a toujours
une action de la puissance:
« ...nam cum unio ista supernaturalis sit quidam vitalis sensus
et gustus sive experimentalis perceptio Dei, necessario debet in ac-
tione sive operatione vitali sive intellectus sive voluntatis consistere
aut in utriusque oum Deo perfecta conjunctione...U5. Au chap. XI
de son Traité, Thomas de Jésus se demande : « In qual modo con
corra l ’intelletto ed in qual modo la volontà a questa maniera di
presenza di Dio » 116.
Il y en a un, dit-il, qui a cru, que dans cette présence, il n’y a
pas d’acte précédent de l’intelligence, interprétant mal ainsi une
explication de Denys l’A réopagite117, mais en lisant Denys attenti
vement on constate que, d’après lui, « non omnem intellectum actio-
nem videtur exdludere sed forsan vel meditationem discursive
alios » U8.
Ceci irait à l’encontre de toute bonne philosophie, contre S. Tho
mas et la sentence commune des théologiens119. Ainsi pense aussi
Jean de J.-M., et Thomas de Jésus se réfère à lui en utilisant les
mêmes exemples; « ...intellectus ab opere quasi desistit, et conatus
prope omnis in unam voluntatem incumbit... » 12°.
L ’explication donnée par Thomas a un fondement psychologique
et se base sur l’habitude; l ’acte intellectuel, qui au début requiert
encore un effort et un discours dont l’âme se rend compte, et, par
» 2 ib., p. 184.
in ib., c. 12, p. 189.
in L . I V , c. 5, in O p e ra om n ia , t. 2, p. 288.
HS ib., c. 2, p. 287.
né trattato, c. 11, p. 176.
in ib., p. 177.
U8 Cf. D e ora tio n e divina, 1. IV , c. 20, in O p e ra om n ia , t. 2, p. 357.
117 T ra tta to, c. 11, p. 177.
ito Theol. m ystica, c. 5, in O p e ra om n ia , t. 2, p. 434.
172 GASTON DE KERPEL
après, s’en passe; non pas que l’acte n’y soit plus, mais l’âme n’y
fait pas attention.
« ...ritrovandosi già l’anima m olto assuefatta a sollevarsi a Dio
per mezzo dell’amore senza che vi rifletta ne avverta ad alcuna noti
zia di Dio, si ritrova posta in questo amore. Laonde non deve ripu
tarsi che non vi sia alcun riconoscimento, ma come atto momen
taneo non si avverte » m.
Quoiqu’elle soit nécessaire, cette connaissance peut être très
simple :
« Semper aliquem, saltem simplicem, intellectus conceptum
praeire, antequam voluntas illis motibus amoris incalescat et sa-
pientiae unitivae nexu Deo advinciatur, tametsi necessarium non sit
cogitationem meditationemve praeire » m.
Il peut aussi arriver que l’âme soit tellement amoureuse que sa
volonté « amore divino affecta, aliquando in hac unione altius caput
efferat quam intelllectus » I23. Ge qui ne veut pas du tout dire que
l’intelligence n'y soit pour rien, il faut distinguer; « inter hoc quod
est voluntatem amare cessante omni intellectus operatione et hoc
quod est voluntatem suo acumine intrare quo intellectus non intrat;
quia primum pertinet absolute ad actum voluntatis, quem constat
sive intentionem actus refertur, qui in eo consistit quod voluntas
plus amat, ardentius amet et intimius uniatur cum suo objecto, quam
intellectus hoc ipsum cognoscat aut pénétrât » 124.
II. LA PRESEN CE DE DIEU
DANS LE D E V E LO PPE M E N T DE LA V IE S P IR IT U E L L E
Après avoir donné les diverses manières de pratiquer la présence
de Dieu, nous pouvons maintenant étudier le développement de cet
exercice dans toute la vie spirituelle. Quoique nous trouvons tous les
éléments dans Jean de J.-M. et les autres, ill semble que Thomas de
Jésus et Joseph de J.-M. les aient mis davantage en lumière et en
évidence. Un mérite tout spécial doit être attribué à Thomas de Jé
sus, parce qu’il a très bien mis en valeur la part de l’intelligence et
la part de la volonté, faisant ressortir leurs exigences, déterminant
le moment de la vie spirituelle auquel ces éléments appartiennent,
ui Trattato, c . 11, p. 178.
122 J e a n d e J .- M ., Theol. mystica, c. 5, i n Opera omnia, t . 2, p. 434.
123 T h o m a s d e J é s u s , D e oratione divina, 1. IV , c. 10, p. 212.
124 I b .
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 173
et dans quelle mesure ils doivent être appliqués.
Tout ceci paraît assez important, et perm ettra d’éviter beaucoup
d’erreurs, que l’on commet ordinairement dans la vie spirituelle, à
cause d’une connaissance fausse et erronée, en ne sachant pas distin
guer les différentes manières de s'exprimer des auteurs.
A r t ic l e 1. - Norm es générales
Il semble nécessaire de traiter dans un article préliminaire de
deux considérations qui fournissent une norme dogmatique qui sera
le fondement et la justification de la doctrine de nos auteurs, fai
sant ainsi ressortir davantage la profondeur de leur enseignement.
Oui, toute la vie spirituelle tend à une lim ite à atteindre, lim ite qui
sera le point d'arrivée; mais cette vie en évolution a aussi à tout
moment ses caractéristiques concrètes, réelles, dans lesquelles elle
doit se dérouler, et qui seront autant de points de départ. Tout cet
exercice sera donc un intermède entre le terme « a quo » et le ter
me « ad quem », et il faudra continuellement tenir compte des deux,
si l ’on ne veut pas risquer de se tromper.
En d’autres termes, il s'agit en prem ier lieu de déterminer
exactement la place et la valeur de la présence de Dieu dans l’éco
nomie surnaturelle actuelle.
Il est certain, que l’exercice de ila présence de Dieu n’est pas une
fin en soi, mais seulement un moyen pour arriver à la perfection,
qui consiste dans la charité:
« Unumquodque dicitur esse perfectum in quantum attingit
proprium finem, qui est ultima rei perfectio. Charitas autem est
quae unit nos Deo, qui est ultimis finis humanae mentis... Et ideo
secundum charitatem specialiter attenditur perfectio christianae
vitae » h
Ainsi la charité parfaite consiste dans l ’union parfaite de notre
volonté avec la volonté de Dieu, qui destine l ’homme à sa fin der
nière: la gloire éternelle, gloire que l’homme procure non seulement
en manifestant les perfections divines dans Tordre naturel, mais sur
tout en le glorifiant dans ila vision béatifique où il connaîtra et aime
ra Dieu comme il est en lui-même.
La perfection de cette gloire que nous rendrons à Dieu, dépen
dra d’abord de la perfection de la connaissance que nous en au
rons, qui est le fondement de la glorification, par conséquent des
i li a Ila e, 2. 184, a. 1.
174 GASTON DE KERPEL
sentiments d’admiration et d’amour que cette connaissance pro
voquera.
Ce terme, fin dernière de l'homme, constitue aussi sa béatitude,
laquelle, il convient de le noter, consiste dans un acte de son in
telligence et de sa volonté, c.-à-d. dans la connaissance et l'amour
de Dieu dans sa Déité. Il y a donc correspondance parfaite entre la
gloire que l ’homme donne à Dieu et sa propre béatitude, ce qui
revient à dire que la fin de Dieu est aussi parfaitement celle de
l’homme.
Voilà donc le terme ultime et absolu, qui est fin en soi et ne se
substitue à aucun autre; tout le reste au contraire se trouve en re
lation et en dépendance de celui-ci, et donc, toute la vie terrestre,
glorification initiale de Dieu dans la connaissance de la fo i et dans
l'exercice de la charité théologale, prend un aspect relatif, elle n’est
pas du tout une fin, mais seulement un moyen, bien qu’elle soit une
fin intermédiaire pour rejoindre la fin essentielle et ultime de la vie
éternelle.
D'où, pour ajouter tout de suite une application concrète à
notre argument, dans tout acte de la présence de Dieu, est à con
sidérer un double aspect, qui aura une influence décisive pour son
développement. Il y a l’aspect immédiat et l ’aspect médiat et ultime.
L ’aspect immédiat est la gloire de Dieu, c.-à-d. en tant que par
l’acte de foi et de charité on rend à Dieu l ’honneur extérieur qui lui
• est dû. L ’aspect médiat est la valeur de l’acte pour autant qu'il con
tribue efficacement et de la manière la plus adaptée à cette gloire
ultime que l’on doit rendre à Dieu dans la gloire béatifique. La va
leur de l'acte, pour autant qu’il signifie une « finis intermedium »,
est à estimer pour autant qu'il nous unit mieux à la fin ultime dans
la vision de Dieu. Par conséquent, cet acte intermédiaire est d’au
tant plus conforme et utile à la fin essentielle, que plus profondes,
sont la foi et la charité surnaturelles, vu que dans la même pro
portion l’âme reçoit une augmentation de la grâce sanctifiante, et
par conséquent un plus haut degré de vision béatifique ainsi qu'une
gloire plus grande de Dieu, comme fin ultime.
D’où une conclusion très importante : dans la vie spirituelle, ce
n’est jamais la valeur objective d'une vertu qui peut être la norme
unique pour déterminer l ’âme à l’exercer, mais bien la valeur d’un
acte de vertu en tant qu’il l’aide à développer et augmenter sa foi
et son amour. En d’autres termes: premièrement, la hiérarchie des
vertus a une valeur objective, mais elle ne répond pas toujours à la
valeur subjective des actes de ces vertus dans la pratique de la
vie; deuxièmement, l ’augmentation de la fréquence des actes d’une
vertu n’a pas nécessairement une correspondance parfaite dans l’âme,
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 175
comme si l’augmentation mathématique d'un acte dans sa valeur
obective pouvait être le critère de l ’augmentation de la valeur subjec
tive correspondante dans l'âme.
Ayant donc considéré, non ce qui est abstraitement mieux pour
l ’âme, mais ce qui est meilleur pour elle en toute circonstance con
crète, il reste maintenant à étudier de près comment l'âme devra en
réalité pratiquer cet acte de la présence de Dieu.
Les conditions concrètes de cet exercice dépendent de la nature
humaine déchue, mais en même temps élevée par la vie de la
grâce. Car, le développement de cette dernière est conditionnée et
modifiée par la nature déchue, puisque, comme dit la théologie, la
grâce suppose la nature et ne la détruit pas. On doit donc tenir
compte de la faiblesse de l ’intelligence et de la malice de la volonté,
les deux puissances spirituelles qui collaborent avec l ’action sancti
ficatrice de Dieu.
Par conséquent, dans la collaboration de l ’âme avec Dieu de cet
te âme humaine déchue et affaiblie, il faut que l ’âme fasse attention
à deux grandes réalités dans son ascension vers Dieu; et la première
réalité est que ce développement ne doit pas s’effectuer avec une
logique abstraite, mais en tenant compte de la réelle faiblesse de
l ’âme déchue; la seconde réalité est que l'âme ne doit pas tendre
vers Dieu comme si elle était déjà un esprit, mais bien comme con
ditionnée par une psychologie inhérente à son union intime avec le
corps.
Expliquons ces deux points.
Précisément parce que l ’âme est déchue dans ses puissances spi
rituelles, aile ne tend plus avec tout son être vers sa fin dernière,
c.-à-d. la connaissance et l ’amour de Dieu; mais par suite du péché
originel elle porte en elle des forces désordonnées et une conversion
vers les choses créées matérielles, et de toutes ces choses elle ne
sait plus faire usage comme elle le devrait, c.-à-d. en parfaite dépen
dance de la fin ultime, et c’est justement à cause de cela que sa tendan
ce vers Dieu n est plus assez forte et parfaite pour pouvoir effica
cement dominer et diriger ses tendances vers les fins intermédiaires.
A cause de ces tendances désordonnées, l ’âme se sent attirée
dans des directions diverses qui finissent par faire d ’elle une rebelle,
non plus subordonnée à sa fin dernière : d’où l ’impossibilité de pen
ser et d’aimer facilement et continuellement Dieu; c.-à-d. de tendre
sans interruption à sa fin dernière.
De façon que, en conséquence, l’âme, se trouvant placée entre
deux termes opposés, en tendant vers l'un, elle ne pourra pas tendre
actuellement vers l'autre. L ’attachement de l ’âme aux choses créées
est donc le vrai empêchement à sa conversion à Dieu.
176 GASTON DE KERPEL
Vu que ce sont proprement les vertus théologales qui dirigent
l ’âme vers Dieu, et que les vertus morales sont les moyens pour
atteindre le but, l ’âme doit s'exercer dans les deux, si elle désire
s’orienter parfaitement vers Dieu. Il est vrai que l'âme peut porter
ses efforts sur la pratique des vertus théologales se dirigeant ainsi
directement vers Dieu, mais elle sera bientôt troublée par les affec
tions désordonnées, au point de rendre impossible cette conversion
continuelle à Dieu.
En bon psychologue, Simon de S. Paul dit bien à propos:
« Chi tratta di presenza di Dio giorno e notte, come secondo la
Regola siamo obbligati a fare, deve star'occupato in fare continue
aspirationi, deve avvertire quando spuntano li prim o m oti delle
passioni per tagliarli subito, poiché malamente possono stare insie
me sottisfare agl’app etiti propri senza m ortificarli a tratto interno
con Dio » 2. En ceci la théologie et la psychologie suivent la même
ligne.
A ce sujet, Thomas de Jésus dit donc très bien, que l ’aversion
des choses créées
« Nasce eziandio dall’amore ed è uno dei mezzi vieppiù per in
ternarsi colla conversione amorosa in Dio; il’aw ersione si assomiglia
a chi si ritira in dietro per spiccar un maggior salto, e la conver
sione è il medesimo salto che spicchiamo per internarsi in Dio » \
D’où la conclusion très importante, que l’exercice de la présence
de Dieu doit se composer d’un double élément, une conversion et
une aversion, c.-à-d. de la pratique des vertus théologales et de la
pratique des vertus morales. Les premières s’occupent directement
de Dieu et augmentent ainsi directement et la connaissance et l ’a
mour, les autres font marcher sur la voie qui conduit à Dieu notre
fin, écartent les déviations et augmentent ainsi indirectement et la
connaissance et l’amour. Par la pratique des actes internes de la
vertu morale, l’âme se prépare efficacement à mieux résister aux
futures occasions de tentation. Par ila pratique des vertus l ’âme se
prépare effectivement, pour autant qu'elle évite l ’accès des affections
désordonnées, à se donner aux affections ordonnées, ce qui signifie
la subordination à sa fin dernière qui est Dieu. La conversion à
Dieu, c.-à-d. l'amour, se pratique donc utilement et nécessairement
d’une manière directe et d’une manière indirecte. Que cette manière
indirecte soit vraiment une véritable présence de Dieu cela appa
raîtra clairement au cours du développement ultérieur de cette
dissertation.
2 Sentenziarlo, p. 341.
3 Trattato della presenza, c. 13, p. 237.
L ’ EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 177
Reste maintenant une dernière question: de ces deux modes,
manières, directe et indirecte, laquelle sera la plus convenable et la
plus utile pour mettre en pratique l’exercice de l ’amour?
La réponse à cette question nous amène justement au second
point, qui, comme nous l’avons dit, doit être pris en considération
dans le développement de la présence de Dieu, et qui consiste à
étudier toute la psychologie qui conditionne et tant de fois entrave
l’âme dans son progrès dans la vie de la grâce.
Ici, il ne s'agit pas de déterminer la pratique concrète de la
présence de Dieu comme chaque âme l’exerce, car alors il faudrait
bien spécifier l’influence de la grâce et la manière de coopérer de
l’âme à un moment donné. Il s'agit au contraire de donner un prin
cipe général dont dépend ce développement de la présence, qui en
fin de compte n’est rien d’autre que le développement de la vie de
la grâce.
Vu que le déroulement de cette vie dépend des puissances de
l’âme, il ne s’agira jamais de déterminer cette action des puissances
et de leurs mobiles en proportion seulement de leur valeur sur le
plan purement intellectuel et abstrait; mais il faut aussi tenir compte
des éléments affectifs, qui accompagnent toute pensée, et de la ma
nière de voir de chaque âme à un moment donné; éléments qui
influent profondément et souvent d’une manière décisive sur sa façon
de faire. Alors seulement elle pourra s’orienter continuellement et
exactement vers Dieu, quand aucun amour désordonné ne viendra
obscurcir son intelligence: chose absolument nécessaire pour pou
voir aimer Dieu parfaitement, la volonté étant une puissance aveugle
qui suit l’intelligenoe.
Jean de J.-M. dit:
« Est apta quaedam actuum orationis simul et mortificationis
compositio ac continuatio qua motus homo et vitiis evelilendis et
virtutibus comparandis et bonis operibus insistit ut per haec tandem
Deo sese uniat » 4.
C’est avec une connaissance très profonde de la psychologie hu
maine que Simon de S. Paul dit: arrache les affections désordon
nées et l’amour de Dieu croîtra de soi:
« Il nostro continuo esercitio ha da essere di purificare il cuo
re, prim o con il zappare delle considerationi e meditationi, poi con
il letamare dall’humiltà, purificando il nostro cuore di ogni amore di
superbia, humiliandosi a tutti, poi potarla deM’amore di tutte l’altre
cose, lasciando solo il palmite fruttifero del desiderio di Dio. Tutto
4 Ars vivendi spiritualiter, P. I I, c. 5, in Opera omnia, t. 2, p. 152.
178 GASTON DE KERPEL
questo non è altro che fare, se non mantenerla così potata, perché
Dio caverà lui fuori questo frutto... » 5.
Ailleurs, laconiquement, il cite ce proverbe; « Attendi ad odiare,
che l'am or di Dio s’accenderà nel cuore, senza che te ne avvedi » 6.
Ceci est vrai non seulement pour la volonté, mais aussi pour
l'intelligence, pour autant que celle-ci n’est pas capable de contem
pler vraiment Dieu d’une manière qui aide à aimer et à réform er
la vie sans un travail qui prépare la pureté du regard intellectuel.
A ce propos Antoine du Saint Esprit écrit merveilleusement:
« Qui alios in via instruunt ad perfectum spiritualem, notent et
diligenter effìciant ut prius in via activa exerceri faciant quos edo-
cent seu instruunt quam contemplationis fastigium suadeant. Opor-
tet siquidem prius passiones domare et habitibus mansuetudinis
patientiae, liberailitatis et humilitatis etc., antequam ad contempla-
tivam ascendant; et ob defectum hujus multi non ambulantes, sed
saltantes in via Dei, postquam multum temporis vitae suae contem-
plationi dederunt, vacui virtutibus inveniuntur..., et propterea taies
nec activant nec contemplativam neque ex utroque compositam ha-
buerunt, sed super arenam fabricarunt. Et utinam non sit frequens
iste! » 7.
A cette relation de la présence de Dieu avec la réform e de soi,
Joseph de J.-M. consacre le dernier chapitre de son traité sur cet
exercice8; et il considère la présence de Dieu, comme étant propre
ment l’acte qui unit la vie contemplative et la vie active, « di sorte
che l ’occupationi di Marta non impediscano la vista ed attentione di
M a ria 9, entendant la vie active non seulement comme un acte ex
terne, mais encore comme réform e de la vie personnelle.
Nous voulons encore citer ici, ce qu'il dit très à propos au sujet
de la présence de Dieu, parce que cela nous aidera à bien compren
dre le déroulement des autres articles et fera aussi la synthèse de
ce qui a été dit jusqu’ici.
« La intentione è atto della volontà e m ira al fine, che nell'ope-
re poniamo; e quando l’anima non è per anco riform ata dal disor
dine deH’amor proprio, non pone l’intentione puramento nell'ultimo
fine che è Dio, ma in altri a quali ella sta vivissivamente inclinata,
e di quello stesso veste ¡l’intelletto; perché come l’intelletto è atto
della volontà, tira dietro a sé tutte Ile altre facoltà dell’anima, e cosi
5 Riform a, 1. II„ c. 8, p. 384.
« ib., c. 9, p. 389.
7 Directorium m ysticum , tract. I l i , disp. II, sect. 17, n. 201.
8 Salita dell'anima, 1. I l i , c. 18, p. 222-225.
9 ib., p. 222.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 179
imbarazzata e intricata l’anima con gli oggetti creati, quali mira, non
può occuparsi in Dio! » 10.
La tâche de la réform e morale appartient proprem ent aux vertus
morales; en proportion de l ’acquisition des habitudes solides dans
les vertus morales, l ’âme peut plus facilement vaquer à l ’exercice
immédiat des vertus théologales; ces habitudes doivent être sans
cesse exercées, parce que comme tout acte vertueux en engendre un
autre ainsi aussi la cessasion des actes vertueux corrom pt ou dimi
nue les habitudes mêmes. C’est ce que dit Thomas ; « ex inclinatione
appetitus sensitivi et aliorum quae exterius movent » u. Ceci, évidem
ment, ne vaut pas pour les habitudes infuses qui accompagnent la
charité infuse, car alors ils ne dépendent pas directement de nos ac
tes quant à leur augmentation ou diminution, mais de l ’influence de
Dieu; et puis, en même temps que nos actes moraux diminuent, di
minuent aussi dans leur racine ces habitudes, c.-à-d. dans le lien
de charité entre l’âme et Dieu.
L'attitude d’unir des actes de vertu à la présence de Dieu est
donc parfaitement justifiée, comme aussi de faire de cet exercice un
mouvement d’aversion et un mouvement de conversion; c’est ce qui
fait le mérite du chapitre X III de Thomas de Jésus.
Joseph de Jésus-Marie donne une prem ière distinction des divers états
de la vie spirituelle auxquéls on applique les différentes manières de
pratiquer la présence de Dieu. I l distingue trois catégories: celle des
commençants, celle de ceux qui progressent et celle des âmes déjà
engagées sur la voie de la contemplation:
« Che quelli che si hanno da servire più delle rappresentationi
imaginarie e quelli del conoscimento intellettuale separato dalle
conditioni materiali... perché la presenza di Dio fra il giorno ha da
essere communemente al m odo che esercitano l’oratione, ne’ tempi
che vacano a quella di proposito » 12.
Voici déjà les normes pour le développement de l ’élément intel
lectuel dans l'exercice de la présence de Dieu.
Au contraire, Thomas de Jésus donne les normes pour l’élément
affectif, distinguant lui aussi le développement des trois stades tra
ditionnels :
« Il prim o si chiama via purgativa ed è propria di quella che
incominciano; il secondo illuminativa, la qualle appartiene a quelli
che si vanno approffittando nella carità; il terzo a nome di via uni
tiva, quel è di quelli che sono multo perfezionati nell’amore ed unio-
10 ib„ p. 223.
u la Ilae, q. 53, a. 3.
12 Salita, c. 15, p. 217.
180 GASTON DE KERPEL
ne con Dio. In ciascheduno de questi cammini si danno tre maniere
d’esercisi e presenza di Dio » 13.
Ailleurs encore dans ses oeuvres il a traité de cette division,
p. ex. dans la « Via brevis et piena orationis mentalis », et il y dit,
que ces degrés indiquent vraiment le développement de la vie spi
rituelle vers la perfection, laquelle consiste dans l ’union avec Dieu
par la charité; et en fonction de cette charité les commençants pas
sent par la voie purgative, se purifiant de leurs péchés, ceux qui
progressent se trouvent dans la voie illuminative où ils acquièrent
la vertu, et les parfaits avancent dans la voie unitive où ils s’unissent
par de fervents actes d’a m ou r14. Ce développement selon la charité
est parfaitement justifié, parce que par elle « attenditur simpliciter
perfectio vitae cbristianae » 15.
Si donc le développement de la présenae de Dieu, comme pour
l ’oraison, accompagne celui de la charité, il est logique que la divi
sion de l ’oraison soit appliquée à celle de la présence, et aussi selon
l'ordre qui se vérifie dans tout mouvement:
« sicut videmus in m oto corporaili quod primum est recessus a
moto secundum autem est appropinquatio ad alium terminum, ter-
tium est quies in termino » 16.
Notons que S. Thomas dit, que cette division en trois degrés
n'est pas exclusive, mais elle indique plutôt la priorité d’un élément
dans chaque degré à part sans pourtant exclure totalement les au
tres; en sorte que les commençants devront s’appliquer avant tout
à fuir le péché, îles progressants à pratiquer la vertu et les parfaits
devront surtout s’occuper de la ch arité17.
Thomas de Jésus, dans le développement de son exercice de la
présence de Dieu, applique parfaitement ce principe:
« In ciascheduno di questi cammini si danno tre maniere d’exer-
cizi e presenza di Dio. La prima di queste è la purgazione che si
acquista cogl’atti di contrizione, la seconda è quella luce che si a per
rnezo della meditazione e contemplazione di Dio, la terza è l ’amore
qual’è proprio esercizio della volontà... Or sebbene in tutti i gradi
sono i medesimi exercisi di perfezione, sono tuttavia differenti, at-
tesocché ne’ principianti sono multo diversi neU’esecuzione della
purgazione, luce ed amore, di quello che sia già ne’ m olto perfetti » l8.
13 Trattato, c. 13, p. 206.
u Via brevis, c. 8, in Opera omnia, t. 2, p. 52.
15 la Ilae, q. 184, a. 1, ad 2.
16 Ila Ilae, q. 24, a. 9.
n ib., ad 3.
18 Trattato, c. 13, p. 207.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 181
Logiquement, il devrait maintenant étudier le développement de
chacun de ces trois éléments, mais il laisse de côté le deuxième élé
ment « luce », qui signifie la partie intellectuelle, et il se préoccupe
exclusivement du prem ier et du dernier élément c.-à-d. de la purga
tion et de l ’amour; la raison de l’union de ces deux éléments est
très im portante:
« ...ancorcché di presente solamente siamo per trattare dell’amo
re, nel quale si fonda la presenza di Dio affettiva, tratterassi con-
tuttocio insieme della purgazione imperocché, come doppo diremo,
sono questi duo exercizi come inseparabilmente congiunti ed amen-
due risiedono nella medesima volontà » 19.
Il considère l’élément positif et l ’élément négatif très connexes,
dérivant de la même volonté d’union à Dieu, vu que cette purgation
ne consiste pas dans un pur exercice de gymnastique fait abstraite
ment comme s’il s’agissait uniquement de la perfection personnelle
sans aller plus loin; au contraire, elle tend plus ou moins explicite
ment mais réellement, au but final, la pleine union avec Dieu dont
ces vertus sont la condition nécessaire. Cela signifie donc une véri
table réalisation, mais conduite psychologiquement et pratiquement,
de la fin dernière.
Garrigou-Lagrange dit très à propos:
« Beaucoup d’erreurs pratiques dans la vie spirituelle provien
nent de ce que l'on oublie de considérer que, si en toutes choses il
faut d’abord vouloir la fin, elle n’est réalisée et obtenue qu’en der
nier lieu » 20.
Les deux exercices procèdent de la même volonté, c.-à-d. de l’in
tention qui précède, pure, droite, efficace, quoique l’exécution com
mence par des moyens minimes, guidée par l'intention, qui s’occupe
continuellement du choix des fins intermédiaires les plus adaptées.
Etudions maintenant, dans les deux articles suivants et plus con
crètement, le développement de l’élément intellectuel et affectif.
Voyons d’abord la volonté, parce que le développement de l ’élément
intellectuel est, dans la pratique, considéré et modéré d'après les exi
gences de l’amour: d’où vient qu’il faut tout d’abord étudier celui-ci.
A r t ic l e 2. - L'élém ent affectif
Le choix des normes, Thomas de Jésus Ta fait, dans le but qu’il
explique en ces termes:
is ib„ p. 208.
20 Perfection chrétienne, II, p. 787.
182 GASTON DE KERPEL
« Il nostro intento è piantare qui una come colonna spirituale,
sopra la quale debba fondarsi e perfezionarsi questo edifìzio spiri
tuale di aspirazioni ed amorosi affetti verso Dio » a .
Il fonde toute la structure de l’édifìce sur la nature même de
l'homme et la perfection à atteindre, deux fondements que nous
avons expliqués dans le prem ier article.
Aucun auteur ne l’a expliqué plus explicitement et plus claire
ment que Thomas de Jésus. Tous nos auteurs insistent beaucoup
sur la liberté et la spontanéité avec lesquelles toute âme doit entre
prendre cet exercice de 'la présence de Dieu; mais ils n ’excluent pas
pour autant ces principes qui règlent et conduisent cette liberté : li
berté qui ne veut pas dire faire ce que l ’on veut et par caprice, mais
bien de pouvoir diriger son développement au moyen de normes
externes sans m ettre de côté les principes intrinsèques qui nécessai
rement guident ce développement et qui sont les expressions de la
nature même qu’il faut perfectionner.
L ’âme, toujours en mouvement avec ses puissances, avance en
avant entre Dieu et les créatures; sa conscience est de réaliser con
tinuellement quelque chose, ce qui constitue un choix continuel de
la volonté : elle renonce à ceci, pour choisir autre chose. C’est la déci
sion qui constitue l’acte moral, et donc le seul qui achemine l ’âme
vers le terme ultime à atteindre; l ’important ne consiste donc pas
dans Ile faire, mais dans le faire le plus humainement possible,
d’après un choix propre et décisif. « Principaliter actus virtutis est
interior electio » 23.
Ce sera proprement l’exercice de la présence de Dieu qui devra
illuminer et diriger la continuelle décision à prendre; c’est sur ceci
que Thomas de Jésus fonde justement toute l'essence de son exer
cice:
« Consiste il prim o nell’exercizio dall’affetto, incominciando dal-
l ’abborimento da tutto il temporale e visibile, e finalmente da tutto
quello che non è Dio. Il secondo polo è una costante conversione in
Dio per mezzo delle aspirazioni ed affetti della volontà. Dee dunque
l’anima impiegarsi sempre in questi due esercizi d’aversione e con
versione. L ’avversione si esercita con atti di contrizione, di m ortifi
cazione, di astrazione e separazione da tutte le cose create, e questo
exercizio è il principale mezzo per acquistare la purità di cuore. La
conversione si esercita con atti d’aspirazione cioè di vivi accesi de-
Trattato, c. 13, p. 209-210.
22 ib„ p. 213.
25 Il a Ilae, q. 34, a. 3, ad 4.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 183
sideri di Dio e di qualsivogl’altro affetto amoroso e u n it iv o » 24.
Je veux insister sur ces deux éléments d’un exercice qui tend à
une seule et même fin, la constante union de lia volonté avec Dieu;
Thomas lui-même dit, que seul celui qui l ’a éprouvé peut croire com
bien ces deux exercices aident. Avec l’exercice de l ’aversion, « si ac
quista una perfettissima purità di cuore, qual’è l'ultima disposizione
ad unirsi e trasformarsi in Dio per amore » 25.
Alexandre de S. François l’appelle la fuite du mal et la consé
quence du bien; le mal étant tout ce qui empêche l ’union avec Dieu,
l ’autre tout ce qui l ’aide:
« Fuga mali est ne scilicet cor nostrum distrahatur inutilibus
cogitationibus et affectibus, sed per depurationem a phantasmatibus
rerum inutiiium et secularium aptetur et disponatur ad divinam
unionem; prosequutio boni ut mediis iis actibus cor nostrum in Deo
excitetur exsurgatque ad Dei unionem desiderandam et comparan-
dam » 76.
C’est en fin de compte l’explication de ce qu’a brièvement dit
Jean de J.-M.:
« Serve per non ricevere danno dalla comunicazione delle crea
ture, e per mantenere il cuore abile e ben disposto per l’orazione
e m olti altri beni spirituali » 27.
Nous croyons que l'exercice pourrait se réduire à une pratique
alternée des vertus théologales et morales, union et séparation; c’est
le meilleur moyen, pour éviter la superficialité parce que tout con
siste dans le renforcement de sa décision pour qui l ’affection de l’un
et la force de l’autre sont une garantie de réussite.
Nous voudrions maintenant attirer l ’attention sur un avertisse
ment important qui porte immédiatement à une considération plus
détaillée des divers degrés de la vie spirituelle.
Nous avons vu comment l’essence de cette pratique consiste en
une décision de la volonté, un choix. Maintenant celui-ci se retrou
vera partout ou l’on traite de la présence de Dieu affective, donc,
qu'il s’agisse du prem ier degré de la vie spirituelle ou du dernier,
celui de l’union. Mais ce choix, élément essentiel, peut s’expliquer
de plusieurs façons: non seulement de la priorité de l’un sur l’autre
élément constitutif de tel choix (aversion ou conversion), mais en
core dans la manière psychologique que se décide ce choix ou cette
décision de la volonté, le prem ier étant un pur moyen, l’autre la fin
24 Trattato, c. 13, p. 214.
25 ib„ p. 218.
26 D e praes. Dei, c. 3, p. 15.
22 Scuola d ’orazione, p. 108.
184 GASTON DE KERPEL
que le prem ier devra en conséquence choisir aussi longtemps que le
second n’a pas été rejoint.
Il conviendra de répéter les actes explicites, quand on ne se
trouvera plus en union avec Dieu, c.-à-d. lorsque l ’impureté de l ’in
tention aura interrompu l’union. Dans l’union au contraire seuls
sont opportuns les actes explicites pour autant qu’ils aident à l’u
nion plus parfaite avec Dieu, à mieux se détacher des choses ter
restres. De manière que l ’union une fois atteinte, les actes explicites
devront cesser, vu que l ’union actuelle, c.-à-d. ila fin de l ’exercice n’a
plus rien à acquérir par le moyen. C’est ce que veut dire Alexandre
de S. François, quand il écrit:
« Itaque sicut in naturalibus acquisito termino cessât motus, ita
in spiritualibus habito fine debet cessare exequutio medii, alioquin
impediet fructum quem ex fine consequuto consequendus erat. Cum
igi'tur, ut diximus, finis noster tam in oratione quam in exercitiis
praesentiae Dei sit unio cum Deo, quando anima mediis actibus et
factis aspirationibus se senserit Deo unitam, ab illis interim utiliter
cesset et in fruitione et unione Dei quiete et pacifice perseverat » M.
A côté de cet exercice essentiel, Thomas de Jésus en donne un
autre qui semble une application déjà mieux déterminée du premier,
mais, selon lui, de la plus grande importance. Nous le citons:
« ...è l’exercizio di rendimento di grazie e lodi divine, col quale
s’innalza il cuore a render grazie a Dio de’ benefizi e grazie; quali
abbiamo ricevute dalla sua mano. L ’altro è di descendere ed abbas
sarsi al conoscimento della nostra propria viltà e miseria » w.
Ces additions ont leur importance et leur raison d’être psycholo
gique qui seront utiles plus loin; de fait, Thomas de Jésus dit, qu’il
indiquera encore deux autres manières, moins fortes, mais, utiles,
pour ceux qui ne pourront pas toujours pratiquer la prem ière ma
nière, vu que la prem ière manière sera meilleure au moment plus
recueilli, dans l’oraison, l ’autre s’adaptera mieux au moment de
l ’u nion30.
Et ici une conclusion pratique: Quand nos auteurs parient de la
présence de Dieu, il faut faire attention à qui ils s’adressent pour
pouvoir apprécier toute la portée de ce qu’ils affirment, car tout ne
doit pas être appliqué également à tous. De même, il faut faire at
tention à la manière dont ils proposent l’exercice et à la manière de
l’exercer, et faire attention aux exemples qu’ils donnent, car ce qui
est bon pour l’un ne l’est pas forcément pour un autre et pourrait
2« D e praesentia Dei, c. 3, p. 16.
29 Trattato, c. 13, p. 218.
» ib.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 185
même être un mal; de là, à l’exoeption du concept de la présence
de Dieu, que l ’on peut appliquer à tout le monde, l ’utilisation en sera
toujours accommodée aux divers catégories de personnes qui suivent
la voie spirituelle.
D ’après ce que nous avons vu jusqu’ici, on voit que l'application
spécifique aux divers stades de la vie spirituelle est de s’occuper de
deux points principaux qui dérivent de la nature même de ce déve
loppement, qui est essentiellement un mouvement à porter d'un ter
me initial vers un terme final. Le prem ier regarde la relation qui doit
exister entre le renoncement ou l ’aversion et la conversion ou l ’acte
d’union; le second en ce qui concerne la manière de les appliquer
aux divers états, selon les différents degrés de possession du terme
auquel on tend.
Examinons donc ces deux points à chaque degré de cette voie
de la présence de Dieu.
Pour ila voie purgative, voici comment Thomas de Jésus l ’énonce:
« Nella via purgativa proprio dei principianti l ’avversione ha da
essere dei peccati, da’ gusti e diletti de’ sensi; e ciò per mezzo della
contrizione e dispiaoezza di loro e con grande aborrimento de se
medesimo. La conversione dee essere verso Dio tutto misericordioso
e buono, con una gran speranza del perdono de’ suoi peccati e con
un ferm o proponimento di perpetuamente servirlo » 31.
Ce principe correspond à ce qu’il a écrit sur les commençants,
dans son « Via brevis et plana orationis mentalis » 32. Nous le notons
pour faire mieux vo ir comment il considère cet exercice au même
niveau que l’oraison.
L ’âme doit donc se détacher du péché et de tout ce qui attire
encore ses sens; la raison en est claire, c’est parce que le com
mençant y est encore tout à fait plongé. Cela, Simon de S. Paul le
dit aussi, quand il nous demande de dépouiller continuellement notre
coeur de toute affection et de tout attachement qui n’est pas pour
la plus grande gloire de Dieu: « questo sia l ’essercitio nostro prin
cipale, che con questo solo crescerà in noi l ’amore di Dio con gran
perfetione » 33.
I l ne faut cependant pas faire seulement un travail négatif, c.-à-d.
de renoncement, mais on doit aussi positivement tendre vers Dieu,
ce qui est la raison d'être du renoncement. Cette tendance vers Dieu
doit s’adapter à l ’im perfection de l ’âme, pas encore assez pure pour
voir la beauté de Dieu en soi et aller vers lui avec un amour pur;
M Trattato, c. 13, p. 221.
32 Via brevis, c. 8, i n Opera omnia, t. 2, p . 52.
33 Riform a dell’uom o, 1. II, c. 8, p . 383.
186 GASTON DE KERPEL
elle tend, au contraire, vers lui avec un amour imparfait, c.-à-d. avec
l’amour d'espérance. Ceci s’adapte assez bien à la psychologie hu
maine; en effet, Thomas de Jésus dit, que dans l ’ordre de la généra
tion, l ’espérance devance la charité et en est la voie:
« Per hoc autem quod homo ab aliquo sperat se bonum consequi
posse, reputat ipsum in quo spem habet quoddam bonum suum.
Unde ex hoc ipsum quod homo sperat de aliquo procedit ad aman-
dum ipsum » 34.
Nous croyons que la norme donnée par Thomas est d’une im
portance capitale, vu que le concept de la bonté de Dieu pour nous
n’est pas seulement la voie, mais la condition qui fait aimer Dieu
avec un amour de bienveillance, et c’est tellement vrai, que Saint
Thomas affirma : « dato enim per impossible quod Deus non esset ho-
minis bonum, non esset ei ratio diligendi » 3S.
A remarquer l ’insistance des auteurs sur le renoncement au
péché, ce qui est profondém ent théologique, parce que le prem ier
mouvement de la charité inclue le renoncement à ce qui la détruit;
la charité est donc le point de départ de l ’ascèse de il’âme, tout re
noncement prenant son inspiration immédiate de la volonté d’éviter
le péché, et en nous tout exercice d’ascèse est parallèle à la volonté
positive d’obéissance. Il est vraiment remarquable aussi que nos au
teurs dans lia pratique de cet exercice aient su exploiter les mouve
ments psychologiques de la nature; si l’amour est encore peu déve
loppé, en conséquence, comme nous le verrons, l’âme pourra difici-
îement tendre vers Dieu directement et faire attention à lui, ce qui
est très spirituel et parfait; elle fera donc appel aux moyens natu
rels, c.-à-d. aux diverses occupations qui demandent une nouvelle
application et considération, et développent, ce faisant, l ’attention
naturelle pour les faire bien.
Ce sera un moyen mnémotechnique, auquel se joint en même
temps une direction explicite vers Dieu et la Sainte Vierge, évitant
ainsi le péril de produire un acte de la volonté par pur délice naturel
ou stoïque, ce qui arrive surtout chez les commançants
En unissant ainsi dans un acte unique, le développement indirect
et direct, la charité affective et effective, l’ascèse et la contemplation,
il se fait avec une cadence qui force la nature, elle y m et toutes
ses forces naturelles et psychologiques de façon à ce que cette na
ture elle-même la conduit à la fin désirée, évitant opportunément ce
qui est mal, et utilisant et retenant ce qui est bon.
** la Ila e, q. 62, a. 4.
« lia llae, q. 26, a. 4.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 187
Simon de S. Paul écrit profondément à ce sujet: « L ’opera ch’a
noi è più naturale, quella è più gustosa e più utile » 36.
Le but est certainement d’arriver à l’amour, à la pureté d’inten
tion, mais, psychologiquement:
« Se dunque questa resoluzione non si può fare, quando ci si
propone in un modo difficilissimo e contrario alla nostra natura,
massime che all’hora non siamo ancora mortificati, ne segue che bi
sogna attendere m olto a questo concetto, massime essendo verissi
m o ch’anco n e l ’exercitio besogna vedere di lasciar viva l’inclinazione
intrinseca nostra, e facilitare il negotio più che sia possibile » 37.
V oici comment Thomas de Jésus form ule le principe pour la voie
illuminative :
« Nella via illuminativa ¡l’avversione deb’essere da peccati veniali
ed imperfezioni, che sono l'origine de’ disordini, e delle passioni non
mortificate e principalmente dell’amor proprio, qual’è l'origine di
tutti... La conversione deb’essere puramente verso Dio e perch'egli
è Dio »
C’est la voie dans laquelle l’âme fait surtout attention acquérir
des vertus. Détachée de ce qui peut lui enlever la charité, elle déve
loppe en elle tout ce qui peut la disposer à rejoindre la fin à laquelle
elle aspire; elle pratique les vertus qui dirigent normalement et har
monieusement ses puissances à se concentrer sur cette unique ten
dance qui est l’amour de Dieu.
Pour l’application du principe mentionné plus haut, il est utile
de citer ce que dit Thomas, alors qu’il considère les conditions psy
chologiques et concrètes dans lesquelles l’âme vit:
« Con questa diversità parimenti di materia d’affetti, si da pasto
a tutti e potrà ciascheduno esercitarsi in quella cosa, che gli apporta
m aggior devozione e della quale o la sua persona, o il suo ufficio ha
maggior bisogno » 39.
Et encore:
« Quello che più importa è ch’esercitandosi ne’ punti più sustan-
ziali della perfezione e cominciando e perseguendo e terminando in
una medesima cosa, ancorché con differenti esercizi, necessariamente
farà in brieve tempo gran profitto » 40.
Il donne donc deux normes, la première subjective, et l ’autre
objective; il s’agit de pratiquer la chose objectivem ent la meilleure,
mais avec une variante adaptée à la condition interne et externe de
36 Riform a dell’uom o, 1. I, c. 7, p. 60.
37 ib.
3* Trattato, c. 13, p. 222.
39 ib.
« ib.
188 GASTON DE KERPEL
chaque âme. Comment donc appliquer ces normes au principe posé
pour la voie illuminative? C’est-à-dire, commer aller contre l ’amour
propre et tendre à l ’amour de Dieu?
Nous croyons que la solution de ce double mouvement, fournie
à ¡la lumière des normes psychologiques est très importante, puisque
facilement on s’occupe de la norme objective, oubliant la subjective,
c.-à-d. la prudente application à la psychologie humaine. La question
se réduit à la considération du rapport entre ¡l’amour propre et l'a
mour pur de Dieu.
Il faut tout d’abord remarquer que l’amour propre peut avoir
deux sens, dont le prem ier consiste dans un amour désordonné, où
l’âme ordonne les choses à soi-même, selon son goût, sans la sou
mission due à Dieu, qui est sa fin propre, faisant fi de toute mesure
intermédiaire qui la porterait à sa fin dernière. Puis il y a l’autre
amour propre qui est parfaitement ordonné, qui veut son bien pro
pre et dirige les choses vers soi, mais, selon ¡l’ordre désiré et voulu,
c.-à-d. en le subordonnant au terme ultime, qui est la gloire de
Dieu.
Est-il possible de rattacher ce dernier au pur amour de Dieu?
Nos auteurs, en parlant du pur amour de Dieu qui exclut tout
amour propre, nie voulurent pas prétendre séparer par cette exclu
sion le juste amour de l ’espérance de celui de la bienveillance;
parce que de fait, ils ne sont pas séparés et leu r division, dans la
psychologie de l’âme, dans laquelle ils sont naturellement et inti
mement entrelacés, ne pourrait porter du fruit, mais arrêterait l’élan
spontané de l’âme.
Il est certain, que Thomas de Jésus ne pensa pas les séparer
l’un de l ’autre quand il formula son principe, puisqu’il ajoute:
« L ’innalzamento del cuore a Dio è il rendimento di grazia per
tutti i benefizi generali e particolari ricevuti dall’anima; l ’abbassa
mento ha da essere con cercare ed acquistare con perfezione la vertù
dell'umiltà » 41.
Evidemment, il s’agit uniquement d’exclure l ’amour propre
désordonné.
Après les théories condamnées de Fénélon et ses disputes avec
Bossuet, nous comprenons mieux l’erreur de cette opposition entre
l’amour de l ’espérance et l’amour de la bienveillance. Je ne dis pas
qu’il y ait une différence entre les deux concepts et que, théorique
ment, on ne puisse pas les séparer utilement, mais, l ’insistance sur
l’un avec le désir d’exclure l’autre, est nuisible à la vie spirituelle.
4i ib., p. 223.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 189
Sur l’origine de cette nette opposition entre les deux concepts
de G u ibert42 a très bien écrit, synthétisant tout dans une exagération
de l’élément psychologique de la part de Fénélon, qui rapproche
trop la psychologie de 'la charité de l ’amour humain, alors que Bos-
suet néglige trop la partie psychologique, insistant sur l’aspect on
tologique de la charité. Pour conclure, voici ce que dit de Guibert:
« Reste cependant que, si une doctrine complète de la charité
doit tenir compte des deux points de vue ontologique et psycholo
gique, il est possible, légitime, bienfaisant même, que dans la pra
tique de la vie spirituelle, ce soit suivant les auteurs et les écoles,
tantôt l ’un, tantôt l’autre qui domine » 43.
Nous croyons que si une école insiste plus sur un de ces deux
éléments que sur l’autre, c’est parce qu’al'le s’adresse à une catégorie
précise de personnes spirituelles. Et si besoin est d’en parler d’une
manière exclusive, il faut toujours le faire d’une manière relative,
employant un langage psychologique, s’exprimant selon l ’état d’une
âme qui progresse, et qui sait bien que Dieu est pour elle un bien,
et qu’elle le considère désormais comme un « alter ego ».
De telle façon que sa psychologie se transpose dans l ’aimé,
s’oubliant elle même, ce qui veut dire qu’il s’agit de la fin à laquelle
cette âme doit tendre, et où elle lui sera unie par un amour parfait;
fondée c.-à-d. dans le plein développement de la grâce: en un mot,
l’âme sera devenue psychologiquement l’autre.
Honoré de Sainte Marie dit:
« In questa disposizione può dire in verità di amar Doi sola
mente per sé medesimo e di amarlo senza interesse e senza rifles
so a sé stessa, quantunque il m otivo della beatitudine e questo amor
di Dio come beatificante sia virtualmente e abitualmente nel fondo
del suo cuore, senza pero che vi refletta lo spirito. Cosi parimenti,
quando una persona ama Dio come suo bene e sua felicità senza
averlo attualmente allo spirito, in quanto buono... e perfetto in sé
stesso, non lascii di amarlo puramente, perché... è sempre il fine al
quale si riferisce questo amor di Dio come unico bene » 44.
Au contraire, les auteurs qui écrivent sur tout le développement
de la vie spirituelle, insistent sur les deux aspects, selon la catégorie
des âmes auxquelles ils s’adressent et suivant leurs besoins. L ’aspect
ontologique accentue le concept physique de l ’amour et regarde par
ticulièrement les commançants, quant au concept extatique, qui met
42 Charité parfaite et désir de Dieu, in « Revue d ’ascétique et m ystique » 7
(1926), pp. 225-250.
« ib., p. 239.
44 M o tiv i e pratiche delVam or di Dio, c. 4, p. 97.
190 GASTON DE KERPEL
l’accent sur l ’aspect psychologique, il sera plus utile pour ceux qui
sont déjà avancés dans ¿’amour.
Et que feront ceux qui se trouvent entre 'les.deux? V oici la règle
psychologique de Thomas de Jésus: « Potrà ciascheduno esercitarsi
in quella cosa, che li apporta m aggior divozione e della quale ha più
bisogno praticamente ».
C’est donc là la règle subjective: celui qui trouve plus de fruit
en désirant, ne doit pas s’efforcer de chercher un amour de pure
bienveillance; et la norme pratique pour savoir où trouver le plus
grand bien est de voir ce qui porte à une plus grande dévotion et
ce dont on a le plus besoin au moment donné.
Cette règle psychologique qui se fonde aussi sur une vérité
objective-théologique, revient à dire que deux choses peuvent arri
ver, l’une n’excluant pas l ’autre. Donc, qui espère n’exclue pas l’a
mour pur, et qui aime d’un amour de bienveillancene ne cesse pas
pour autant d’espérer, vu que l ’inséparabilité des deux m otifs est
fondée sur la nature même de notre bien, Dieu. En aimant Dieu tel
qu’il est en soi, nécessairement nous L ’aimons aussi comme notre
bien, l’essence de la bonté étant de se communiquer. I l est donc im
possible de concevoir Dieu comme Bien Suprême infiniment aimable
en soi, sans le concevoir aussi dans l’effusion de cette bonté: en
excluant cette bonté, on aurait de Dieu une idée erronée, celle d’un
pur phantasme.
Nous avons attiré l’attention sur le principe de la voie illum i
native comme l ’a donné Thomas, et cela parce que dans beaucoup
de livres de spiritualité on remarque une tendance à m ettre l ’accent
sur cet amour pur. On oublie que ces écrits s’occupent d’âmes déjà
avancées et non de commençants.
Pour la voie unitive Thomas donne le principe que voici:
« Nella via unitiva deb’essere l’avversione da tutti i pensieri e
memoria di qualsivoglia gusto e attaccamento alle creature, e ciò
per mezzo della purità e limpidezza del cuore, la qual consiste in
tenere il medesimo cuore occupato in Dio e vuoto di tutti le crea
ture, in modo tale che sia chiusa la porta non solamente alle cose
che possono macchiarla, ma eziandio a tutte quelle che la possono
occupare e colla memoria e rappresentazione colorirgli nell’anima
le proprie imagini. La conversione deb’essere per mezzo dell’unione
e trasformazione in Dio, o bramando di divenir seco per amore un
bisogno praticamente » 4S.
Cette description va de pair avec ce qu’il dit sur l’oraison, dans
45 Loc. cit., p. 224.
46 ib., c., p. 223.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 191
sa « Via brevis », à savoir, que la voie unitive est celle où l’âme
s'unit à Dieu au moyen de fervents actes d’amour, d'où elle arrive
à 1union parfaite. Comme le dit l’auteur, il y a donc une parfaite
harmonie entre les appétits de l'homme tout entier et sa volonté,
puisque c’est seulement quand tout l'être est orienté vers Dieu, que
l ’âme sera capable de pénétrer en Dieu par un regard contemplatif,
auquel répondra une effusion d’affection. Il affirme explicitement
qu’avant l'union l'âme doit passer par la voie purgative et illumi
n ative47. Il reconnaît dans cet état une double voie: l’une « p e r in-
tellectus operationem, Dei attributa et perfectiones contemplando »,
et l ’autre « per amoris affectum » 48. C’est proprement de ce dernier
état qu’il a l’intention de traiter dans le chap. X III sur la présence,
et que nous cherchons à expliquer.
L ’aversion de tout ce qui est créé doit désormais être parfaite,
il ne peut plus exister aucun amour désordonné aussi petit soit-il,
aucun attachement, parce que seulement alors dans sa totale con
version vers Dieu, l’âme peut effectuer la transformation en actes de
parfaite conform ité de sa volonté avec la volonté divine.
Et c.-à-d., « oculo intellectus olauso, per continuas et fe r
ventes aspirationes actusque anagogicos et ignita desideria Deo
se uniendi » 49.
Mais on ne doit pas rechercher cette continuité dans le sens que
l’âme doive chercher à faire des actes explicites sans interruption.
A ce propos, voici ce que dit Honoré de Sainte Marie, avec les au
teurs qui parlent de cette continuité:
« ...Tutte le similitudini delle quali si servono, non sono che iper
bole ed una specie di esagarazione per dinotare che se fosse possi
bile converrebbe aver sempre Dio presente nelle memoria, e tanto
continuamente quanto ci tiene la mano supra di noi; far risuonare
nel nostro cuore il santo nome di Gesù tanto spesso quanto noi re
spiriamo... Tutto questo in una parola esprime piuttosto quel che
sarebbe espediente e ciò che desiderano i Santi ardentemente, anzi
che quello che ottennero infatti » 50.
Du fait dit encore Thomas de Jésus que les actes affectifs doi
vent s’interrompre souvent, la nature ne pouvant résister, et aussi
parce que l’âme doit aussi s’exercer dans la vertu: « atque etiam ne
forte quis omisso virtutum moralium exercitatio, se omnino vacuum
47 Via brevis, c. 8, in Opera omnia, t. 2, p. 52.
48 ib., c . 14, p . 58.
49 ib.
50 Traduzione de’ Padri sopra la contemplazione, t. I l i , diss. 7 , p . 162.
192 GASTON DE KERPEL
et a fine suo longe reperiat rem oto et alieno » 51. Ce qui est possible,
c’est la continuité du désir et de l’intention52.
Thomas ajoute ainsi à son orientation la pratique de la vertu,
pour autant que l'âme doit pénétrer dans l’abîme de l ’humilité, se
sentir sous les pieds de tous, et d’un autre côté, vivre dans une
profonde soumission à la grâce de D ieu 53.
* * *
En terminant cet article, faisons encore allusion au rapport qui
existe entre les divers éléments qui constituent la pratique de la
présence de Dieu.
Tout d’abord, il n’est pas nécessaire que la relation entre l ’aver
sion et la conversion traite toujours les deux ensemble; nous en avons
vu la raison, quand nous avons parlé du fondement théologique,
parce que l’un peut toujours inclure l ’autre, plus ou moins explici
tement, mais toujours réellement. L'âme donc pourra s’exercer ou
bien à l ’une ou bien à l ’autre, en tant qu’elle y réussira plus utile
ment et plus facilement : « non dee contuttocio, se brama approffi-
tarsi, esercitarsi continuamente in una, ma è mestieri il farlo or in
una ed ora nell’altre » 54.
Une autre observation est également à remarquer, à savoir, que
quoique dans ces trois degrés de perfection l ’on doive s’exercer à ces
trois éléments d’aversion, de lumière et de conversion, il y en a
toujours un qui prédomine, et les autres doivent être ordonnés à ce
premier. Donc, dans la voie purgative, tout sera subordonné à l’aver
sion, dans la voie illuminative à l ’acquisition de la lumière, dans la
voie unitive à la conversion, à l’amour et cela directement; et Th o
mas ajoute « sicque in singulis statibus reperiatur quoddam prin-
cipium medium et finis, seu gradus minoris et maioris perfectio-
nis » 55. Voici en quoi consiste l’importance de cette orientation vers
la subordination : l’âme a ici une règle de contrôle, qui lui perm et de
mesurer la pratique de chacun de ces éléments. Ce qui revient à
dire, que l’opportunité et la fréquence des deux éléments subordon
nés seront jugées en relation avec leur efficacité, afin d’acquérir ce
qui constitue l’élément qui est la fin de tel ou tel grade. P. ex., si
dans la voie illuminative la fin de l'âm e est l’acquisition de la vertu,
51 Via brevis, c. 14, i n Opera omnia, t. 2, p . 59.
52 C f r . O n o r a t o , ib., i n n o t . 50.
53 Trattato, c. 13, p . 224.
M ib., p . 217.
55 Via brevis, c. 9, in Opera omnia, t. 2, p. 53.
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 193
c.-à-d. l'élément lumière, telle sera sa tâche primordiale, et les exer
cices de l ’aversion et de la conversion se feront pour autant qu’ils
1aideront à se perfectionner dans la vertu. Et elle se rendra compte
de ses progrès dans la vertu dans la pratique de sa vie. Et si l'âme
constate, que son progrès dans la vertu ne correspond pas à la fré
quence de ses actes de vertu, de conversion, c'est un signe que ces
actes ne sont pas bien faits, puisqu’ils n ’atteignent pas le but; si au
contraire la fréquence empêche la pratique paisible de la vertu, il
faudra la diminuer, et s’appliquer plus directement à l ’acquisition de
la fin en soi.
La détermination de la fin parmi les trois éléments, ne dépend
donc pas de notre vouloir, et ce serait vouloir déterminer le degré
de vie spirituelle où nous avons il’intention de nous trouver; Il ne
s’agit pas ici de forcer la volonté, mais bien de seconder la progres
sive inclination de la nature et le mouvement de la grâce.
Rien ne peut mieux illustrer tout ceci que le jugement de Si
mon de S. Paul, qui croit que c’est une des erreurs les plus communes
que celle de se fatiguer le coeur en le forçant à aimer Dieu, au lieu
de faire attention au détachement et à la pureté d’intention. Attitude
très nocive. Agir ainsi, c’est comme vouloir pousser une pierre au
centre de la terre, sans d’abord enlever celle qui lui fait obstacle.
« Perché sebbene questi m otivi si considerano anco da quelli che
non hanno il cuore ed intenzione tanto purgata, non di meno fanno
quell’effetto, perché non vi vedono con quella chiarezza, ed il cuo
re per l’impedimento, non può cosi facilmente muoversi, e quello che
più importa, non hanno quell’attratto di Dio »
Sur cette dépendance de la grâce de Dieu et le respect de l'in
clination qu’elle donne, Jean de Jésus-Marie insiste encore plus
quand il dit:
« Hactenus de quodam observationis legis divinae per amoris af-
fectum abreviandae modo egimus. At quoniam sunt quibus his ope
randi modus bene non succedit quique per quoddam timoris et re-
verentia ad Deum in quaecumque occasione obtemperandum moti-
vum melius extimulantur, videant illi qui huiusmodi sunt, ne errent
violenter spiritum ad id quo non inclinât pertrahendo; sed quo
suam gratiam communicare placuerit modo, eo eamdem in suum
commodum convertant » 57.
Ce rapport entre les divers éléments doit enfin être pratiqué
avec une certaine constance, spécialement après avoir trouvé une
méthode bien adaptée à ¡l’individu, ensuite il s'agira d’y persévérer:
56 Riform a dell'uom o, 1. I„ c. 4, pp. 35-36.
Ars vivendi spiritualiter, P. I I , c. 3, in Opera omnia, t. 2, p. 157.
194 GASTON DE KERPEL
« Una delle principali ragioni per le quaili poco ci approffittiamo
nel communio spirituale, suol essere il non perseverare in un m e
desimo esercizio, ma andare (com e dicono), mutando passe ed in-
commiinciando oggi un exercizio e domani un altro... Nasce da que
sta loro instabilità, che non possono acquistare verun buon'abito di
virtù, ne di buoni costumi..., e al fine m olti anni ritrovano con m ol
ti principi senza aver principiato » 58.
De cet article nous pouvons conclure, que l'exercice de la pré
sence de Dieu n’est pas une question de caprice, mais que pour
qu’elle réussisse il faut suivre le développement conditionné par la
grâce, mais aussi par la psychologie humaine de chaque personne.
Développement qui va aussi de pair avec le progrès dans la voie
de l ’oraison, c.-à-d. de la vie contemplative; d’où l’on conclut, que
tout degré distinct dans la vie spirituelle a sa manière propre de
pratiquer la présence de Dieu, qui respecte toujours les exigences de
la nature.
A r t ic l e 3. - L ’élément intellectuel
Si nous traitons séparément de l ’élément intellectuel, ce n’est
pas pour opposer cette manière de pratiquer la présence de Dieu
à l ’élément affectif, mais c’est parce que, comme nous le dirons plus
explicitement dans un autre article, un élément appelle nécessaire
ment l’autre.
Vu que l ’exercice de la présence de Dieu doit, en dernière ana
lyse, être estimé théologiquement selon la charité, la charité ayant
la primauté ici-bas; vu que psychologiquement aussi il dépend
de la volonté, nous observerons son développement en stricte rela
tion avec celui de l'amour; et c’est pour ceila que nous l’étudions
après avoir traité de l’amour, alors que l'on devrait logiquement
l’étudier d’abord, quand on songe qu’il n’y a pas d’amour sans
connaissance.
Cet article ne veut pas répéter ce que nous avons déjà dit dans
le chapitre précédent, quand nous avons étudié les différentes sortes
de présence; là, nous avons plutôt considéré la réalité objective en
correspondance avec les puissances, c.-à-d. le fondement de la pré
sence; ici, nous voulons étudier son développement du point de vue
subjectif, en jugeant la valeur des diverses manières en relation
avec la pratique progressive de cet exercice dans la vie spirituelle.
Les deux grands moyens employés par l ’intelligence pour pro-
58 Trattato, c. 13, pp .208-209.
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 195
gres se r dans la présence de Dieu, sont la présence imaginaire et la
présence intellectuelle. Nous en parlerons séparément, selon leur
utilité respective.
Jean de J.-M. se demandant laquelle des deux est la meilleure,
répond quie c ’est sans aucun doute la présence intellectuelle, comme
étant la plus noble et la plus élevée: « perché m ira oggetto più alto
ch’è la natura divina ed è come il fine dell’imaginaria » 59. Mais si
par « m igliore » on veut dire « di m aggiore utilità », il explique que
l ’on ne peut donner aucune règle, car, dans la pratique, les résul
tats de la présence imaginaire peuvent être plus utiles. Cette doctrine
a été fidèlement suivie par ses disciples60. Ceci, d’autre part,
correspond à ce que dit S. Thomas de la prophétie:
« Prophetia, qua veritas aliqua supernaturalis conspicitur secun-
dum intellectualem veritatem est dignior quam illa, in qua veritas
supernaturalis manifestatur per similitudinem corporalium rerum
secundum imaginariam visionem » 61.
Si tel est l’ordre de la dignité, on doit normalement le trouver
aussi dans l’ordre psychologique:
« Ex hoc habetur quasi primum praeceptum pro exercentibus
praesentiam Dei, ut sicut naturaliter per corpora et phantasmata
ad intelligentias spirituales ascendimus, ita a praesentia Dei ima-
ginaria fieri debet transitas ad Dei praesentiam intellectualem » 62.
C’est pourquoi nous considérons d’abord la présence imaginaire et
ensuite la présence intellectuelle, puisque la seconde « è come il fine
delTimaginaria » 63.
La présence imaginaire est ordinairement la plus indiquée pour
ceux qui débutent dans la vie spirituelle:
« Se si parla regolarmente, m eglio è l ’andare con la presenza di
Dio intellettuale; nondimeno alli principianti quasi sempre è meglio
cominciare con l’imaginaria » M.
La raison profondément psychologique qui fait conseiller cette
présence aux commençants est parce que ceux-ci, se trouvant encore
très près des choses externes et corporelles, y trouveront plus de
similitude et de facilité pour s’élever vers Dieu en les employant:
« Omnia agentia naturalia operantur cum m ajori vi et efficacia cum
59 S cu ola d 'o ra zio n e , p. 66.
60 Cfr. S i m o n e d i S. P a o l o , R ifo rm a , 1. II, c. 2, p. 330; et aussi B e r n a r d i n o
d i S . A n g e l o , A lb e r o , 1. I l i , p. 153.
« I l a l la e , q. 174, a. 2.
^ A l e x a n d r e d e S . F r a n ç o i s , D e praes. D ei, c . 3, p . 14.
63J e a n de J.-M., S cu o la d ’ora zion e, p. 10.
« S im o n de S . P a u l , R ifo rm a , 1. II, c. 2, p. 331; cfr. B ern ard in de S. Ange
A lb e r o , 1. I l i , p. 154.
196 GASTON DE KERPEL
rebus, quae sunt sibi magis connaturales et cum quibus habent
m ajorem similitudinem » 65.
A cette raison psychologique s’ajoute immédiatement une raison
pratique, à savoir, celle d’occuper l'imagination au moyen d'une
image bonne, l ’imagination devant toujours s’occuper de quelque
chose, il vaut mieux lui offrir une image, tout en évitant celles qui
seraient nocives; « accio tolgano daU’imaginativa i cattivi fan
tasmi » 66.
Nous voudrions attirer l’attention sur deux méthodes spéciales
données par Alexandre de S. François, qui sont, dit-il, les plus
adaptées à la vie religieuse: voir dans nos confrères des frères de
Jésus, et nous-mêmes, parmi eux, comme les moindres et les servi
teurs de tous; et vo ir dans nos Supérieurs Jésus lui-même, recourant
à eux en toute circonstance; ce sont deux méthodes très utiles « ad
levandum laborem et ad acuendum diligentiam in operibus vitae
activae » 67.
Il convient de rem arquer comment Alexandre sait choisir un
mode de présence qui ne divise pas l'attention, mais sait unir en une
saine subordination la pensée de Dieu avec ce que l ’on fait, ce qui
permet de sanctifier ainsi ce que l’on fait; c’est également un stimu
lant pour bien faire ce que l ’on fait: nous y reviendrons.
Comme il ne s'agit pas d’arriver à un développement parfait de
l ’acte imaginatif, qui est nécessairement subordonné à un but plus
parfait, les normes pratiques pour le faire seront déterminées par
cette fin. Ce qui est donc requis, ce n’est pas la perfection, mais,
l’utilité. Et Bernardin de S. Ange avertit: « perciò non deve scorag
giarsi il principiante se non riesce a farlo, ma si contenta con
un’imagine im perfetta » 68. Et même, selon Jean de J.-M., se forcer
trop pourrait être nuisible, et en arriver à l’illusion ou à une fatigue
inutile ou à l’épuisem ent69.
Et oui, puisque dans cette présence on fait usage seulement des
organes corporels, une certaine fatigue est inévitable, et ce sont les
paroles de Jean de J.-M. : « dovrà per forza causare lezione di capo
se m olto continuerà » 70.
Tous ces périls constatés par nos auteurs sont encore mieux mis
en lumière par la psychologie moderne. Lindworsky a écrit un ar
65 A n t o i n e du S. E s p r it , Directoriutn mysticum, tr. II, disp. V i l i , n. 379,
p. 195.
66 B e r n a r d i n
d e S. A n g e , Albero, 1. I l i , p. 155.
w D e praes. Dei, c. 12, p. 48.
« Albero, 1. I l i , p. 155.
69 Scuola d'orazione, p. 102.
70 Salita dell’anima, 1. I l i , c. 16, p. 201.
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 197
ticle très im portant71, où il réagit contre l ’usage abusif de la pré
sence de Dieu. Il y en a qui insistent sur l ’endroit où Dieu se trou
verait, une place bien déterminée, à un mètre de nous, ou plus ou
moins loin, et Lindworsky se demande quelle est l’utilité de ces
minuties. Il est certain que pour notre utilité, il est bien indifférent
de déterminer la distance qu’il y a entre nous et Jésus, mais ce qui
est très important, c ’est d’arriver par ce moyen à une conviction plus
grande et concrète de la présence de Dieu, au lieu de se distraire
par le calcul de la distance. Lindworsky donne la raison d’exclure
purement et simplement ces minuties:
« Wenn ich einen Gegenstand energisch lokalisiere, so stellen sich,
auch wenn dieses Lokalisieren nur « in Gedanken » geschieht, unbe-
wuszt mancherlei Spannungsempfindungen u. dlg. ein. Denke ich
das object vor mir, so entstehen etwa Spannungen in den Muskeln
der Augen, wien sie Blickrichtung auf das so lokalisierte object ent
sprechen... Wa die Überzeugung von der Gegenwart eines fremden
Wesens eine so grosze Lebendigkeit verschafft, das sind jene vom
Erlebenden als solche nicht erkannten Spannungsempfindungen usw.
Sie tragen natürlich den Charakter des Realen w eil sie in der Tad
etwas ganz Reales sind... Genau so Kan es bei der zweiten A rt der
Vergegenwärtigung Gottes geschehen » 72. C’est proprem ent cette
« sensation réelle » qui fait que l’on arrive facilement aux illusions,
contre lesquelles Jean de J.-M. met en garde; et le péril est
grand surtout pour ceux qui ont l’imagination vive, parce que, dit
Lindworsky, on juge souvent d’un ensemble de choses selon le m o
ment le plus caractéristique de la chose, et de là le sujet a donc
une réelle contraction des muscles, et il juge la représentation com
me étant réelle.
Mais une représentation modérée conduit à une pondération plus
vraie et plus réelle; aussi la représentation symbolique des dogmes
de la foi peut-elle beaucoup aider à parvenir à une conviction plus
forte de la réalité crue, et aider aussi l ’esprit à la vo ir sous une
autre lumière. Cette représentation ayant laissé une empreinte sur les
sens internes, et sa vivacité stimulant la sensibilité, stimule aussi
puissamment la volonté. Au contraire, l ’abus de l ’imagination consti
tue toujours un obstacle pour la vie spirituelle, qui se perd facile
ment dans des fantasmagories. Un tel travail n’est plus immédia
tement au service de Dieu, mais devient un moyen de se satisfaire
soi-même, et une curiosité exagérée et inutile. Ce sont des acrobaties
de l ’imagination, qui rendent l ’âme superficielle et dissipée.
71 V o m Wandel in Gottesgegenwart, dans « Stim m en der Zeit », 98, 40-56.
72 ib., p. 44.
198 GASTON DE KERPEL
Comme le note Bernardin de S. Ange, pour la présence affective
aussi, une certaine stabilité de l’exercice sera avantageuse et d’une
profonde efficacité.
« Bisogna non essere tanto facile nel mutare un m isterio per
l ’altro che dia nell'instabile o nel curioso, come di un uccello che
vada beccanda di qua e di là, oppure di chi vuol gustare di più cibi,
prendendo un poco di multi » 73.
Et ceci est vraiment justifié car son but est d’arriver à une
connaissance intellectuelle et de pouvoir finalement aboutir à un
jugement qui détermine la volonté, selon ce que dit S. Thomas:
« judicium est completivum cognitionis » 74. Ce jugement dépend de
la richesse et de l ’exactitude de la connaissance, qui d a n s ce cas
poura beaucoup profiter de la représentation bonne et maintes fois
pratiquée.
I l est opportun de noter ici comment tous nos auteurs ont une
prédilection pour l’Humanité de Jésus, avec qui il faut traiter très
confidentiellement. Et cela pour plusieurs raisons. D’abord, parce
qu’un tel souvenir a une valeur vraiment psychologique, l ’homme
étant un être so cia l75; on pourra difficilement trouver un meilleur
moyen de venir à la rencontre de cette exigence, que par cette com
pagnie assidue de Jésus, d’une façon si humaine et adaptée à notre
manière de penser et de concevoir les choses. Il est donc tout à fait
indiqué que cette inclination naturelle soit mise aussi au service de
la vie spirituelle, comme l ’écrit Heller;
« Alles urwücksige, naïve Beten das des prim itiven Menschen w ie
das des gröszten Heiligen... ist ein trauter Umgang met Gott, ein
persönliches Verhältnis zu ihm, in dem sich ich stets ein irdisches,
Gesellschaftverhältnis widerspiegelt » 76.
Le souvenir de l’Humanité de Jésus a de plus ce grand avantage
en raison de son influence immédiate et puissante sur nos puissances
intimes, de s’opposer à l’attraction que les choses externes exercent
sur notre psychologie.
En second lieu, ce souvenir a un sens typiquement éducatif, un
des principe de l ’éducation étant de mettre continuellement des
exemples sous les yeux. Or, dans la vie spirituelle, le commençant
est comme un enfant qui doit encore tout apprendre, et c’est pour
quoi nos auteurs mettent sous ses yeux la vie de Jésus, pour la
contempler.
w Albero, 1. I I I , p. 154.
74 lia Ila e, q. 173; a. 2.
75 lia Ilae, q. 110, a. 6, ad 1.
76 Das Gebet, p. 212.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 199
En troisième lieu, il a une grande valeur théologique, parce que
plus on approche du principe, plus on ressent l ’effet de la cause:
« Quanto magis aliquid appropinquat principio in quolibet ge
nere, tanto magis participât effectum illius principii...; ergo, qui
magis accedat ad primum principium nostrae salutis, quae est pas-
sio Christi..., recipit m ajorem fructum, m ajorem perfectionem et
m ajorem abundantiam bonorum spiritualium » 71.
L ’insistance de nos auteurs sur la représentation de Jésus souf
frant, sur la croix, à la colonne etc., est donc opportune et ici nous
sentons d ’une manière très spéciale l ’influence thérésienne. Du reste
Joseph de J.-M. et Bernardin de S. Ange citent explicitement Sainte
Th érèse78.
Nous ajoutons ici quelques mots sur la présence extérieure, par
ce qu’elle fait partie des avantages de la présence imaginaire, et a
le même but: conduire l’âme à une présence plus parfaite et plus
spirituelle.
Elle s’applique tout spécialement à l ’Eucharistie à laquelle l ’âme
reste unie:
« Pensano trovarsi sempre davanti a lui, anzi s’imaginano che
il loro cuore stia non dentro il loro petto, ma dentro il tabernacolo
o custodia del Sacramento... Cosa nobilissima, devotissima o di
grandissimo m erito per Tessercizio della fede, della carità che di
continuo tengono in prattica » 79.
Thomas de Jésus, citant les divers modes de rester en présence
de l’Eucharistie, dit : « Che è sopra m odo giovevole ed ajuta quelli che
in essa sì esercitano a camminar a gran passi all’unione e trasforma
zione in Cristo » 80.
Se servir d’images extérieures est une tradition universelle, au
Carmel. L ’utilité d’une telle présence est grande: elle évite le dan
ger des illusions, comme avec l'imaginaire, et a le grand avantage
de ne pas faire travailler l ’âme avec les sens intérieurs, l ’objet étant
présenté aux sens externes sans difficulté aucune et d’une façon
tout à fait attrayante. Son but est profondém ent psychologique et
exerce une influence vraiment continue et appropriée; elle suggère
d’une manière très facile à quoi penser et sur quoi attacher son
coeur, à tel point que petit à petit Tempreinte reste virtuellement
sans cesse présente dans l’esprit et produit de bons effets dans la
volonté et dans la conduite. Après avoir considéré les dangers et les
77 A n t o n i u s a S p i r i t o S ., D i r e c t o r i w n m y s t ic u m , t r . II , d i s p . V I I I , n . 404, p .
204.
78 C f r . r e s p . S a lit a d e ll ’a n im a , 1. I l i , c . 16, p . 2 2 0 ; A lb e r o , 1. I l i , p . 153.
79 B e r n a r d i n o d i S . A n g e l o , A lb e r o , 1. I l i , p . 160.
80 T r a t t a t o , c . 9, p . 143.
200 GASTON DE KERPEL
avantages de la présence imaginaire, après avoir mis au clair sa to
tale relativité quant à son m érite au service de la présence intel
lectuelle, aussi bien qu’affective, nous pouvons maintenant indiquer
son rôle pour aider la vie spirituelle à se développer.
Nos auteurs placent cette présence au début de la vie spirituel
le, pour suppléer à l’absence d’une foi vive. V oici l ’explication:
L ’expérience leur a montré, que le mouvement de notre affectivité
rationnelle, ne correspond pas aux seuls m otifs intellectuels, mais
qu’il est l ’effet d’un ensemble complexe de mouvements intellectuels
et affectifs; ils estiment en somme, que la détermination de la v o
lonté est l’effet de tout l ’homme, c ’est à dire, non pas d’une simple
idée, mais d’une idée teintée d’affectivité. A ce propos, de Guibert
dit, que ce serait une très grande erreur de penser que dans la vie
spirituelle on puisse avancer avec un intellectualisme abstrait, c.-à-d.
non comme un homme mais comme un ange, indépendamment de
toute passion et de tout sentiment;
« L ’unione intima in noi degli elementi intellettuali ed affettivi
della nostra vita interiora, importante in ogni campo lo è ancor più
in quel carattere soprannaturale dei beni verso i quali tendiamo » 81.
Un mode de présence, qui utilise aussi l ’affection, sera donc
souvent préférable à une présence intellectuelle, selon ce que dit
Lindworsky:
« W o im m er sich nur ein Ansatz einer derartigen Erlebnisses
einstellt, da w ird es seinerseits beträchtlich auf das Gefülh einwirken:
erschütternd, erhebend, beglückend. Es ist darum auch diese zweite
Art der Vergegenwärtigung ein für den Augenblick wirksameres
M otiv als die rein begriffliche » 82.
Toutes les petites industries opportunément employées servent à
vérifier cette réalité qu’est Dieu, la présence devant tendre à une re
lation vécue avec un Etre vivant, et nous voulons la pratiquer d’une
manière très amicale, qui tend à rendre la réalité toujours plus
palpable :
« perché il considera Cristo, come si fusse all’hora battuto e qui
vi presente, è più efficace che considerarlo lontano..., ed anco quel
le fintioni, che Cristo ti parli, ti mostri il suo Costato aperto per te,
è efficacissimo m odo più che il considerare che Cristo fu trapassato
dalla lancia per te » 82a.
Nous devons bien y penser, la présence de Dieu vécue, celle de
Jésus, n’est pas une réalité que nous expérimentons, mais seulement
81 P s ic o lo g i a e s p ir it u a lit à , in « V ita cristiana » , 14 (1 9 4 2 ) p . 393.
82 A r t . c it . in « Stim m en der Zeit » , p . 45.
82» S i m o n d e S. P a u l , R i f o r m a , 1. I I, c . 2, p . 330.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 201
une réalisation psychologique; par conséquent, il s’agit d’augmenter
le caractère réaliste de cette vérité que nous croyons. Ce sens de la
réalité est un signe de l’augmentation de l’amour, vu que seul ce que
nous expérimentons comme quelque chose d’intimement connexe à
notre entière existence, captive tout notre intérêt et stimule davan
tage l’amour.
Or « Dio creduto » resterait facilement une vérité abstraite si
elle n’exerçait pas en même temps son influence sur 'la sensibilité;
ce sera bien différent, si nous expérimentons la présence de cette
Personne avec nos sens, même intérieurs, car alors ce n’est plus
la sagesse, la bonté, la beauté abstraites, mais une réalité concrète
et vécue de ce contact sensible. Tel est le rôle de cette présence,
suppléer le mieux possible à notre infériorité psychologique dans
le surnaturel, en stimulant nos passions et nos sentiments, en les ar
rachant aux choses purement sensibles, et en les élevant vers les
réalités révélées.
Voici ce que dit brièvement Antoine du S. Esprit à propos de
la méditation imaginaire: « Ilia meditatio est m elior incipientibus quae
est magis clara et notiora et magis manifesta..., quia tanto res magis
amantur quanto magis cognoscuntur et repraesentantur praesens...
Magis amamus res temporales quam spirituales, tum quia res spi-
rituales considerentur absentes, temporales vero praesentes » 83.
Ce mode de présence ne sert pas seulement à suppléer à ce qui
manque à une foi déjà vive, mais il sert aussi de remède à l ’ab
sence pour un amour déjà ardent. Dans l ’amour ardent en effet
Pâme est spontanément attirée à s’occuper du bien aimé et à cher
cher à s’unir à lui au moyen d'actes affectueux. Pour les commençants
au contraire, l ’amour stimule bien peu l ’attention et l ’affection, et
l ’âme tombe facilement dans les distractions, parce qu’aucune ma
tière ne lui est offerte; c’est pourquoi elle doit occuper l’imagina
tion, pour conserver la présence de Dieu, ou alors, si elle l ’a perdue,
pour la remener à sa mémoire et ceci sans effort.
« Per questo rammento qui una cosa importantissima nella pre
senza di Dio, ed è che nelTesercitarsi in essa cominciamo sempre
con questa semplice applicazione di memoria..., perché cosi in tutti
i tempi, in tutte le turbolenze, in tutte le aridità lo potiamo fare,
non essendo altro che una semplice applicazione di memoria, che
Dio sta quivi presente..., e che Cristo fu flagellato per noi, e simili.
Dal farsi facilmente segue che più frequentemente si possa eserci
tare..., che non ci saremo entrati con un altro m odo difficile » 84.
83 Directorium mysticum, tr. I I, disp. V i l i , n. 375, pp. 193-194.
w S i m o n d e S. P a u l , Riform a, 1. I I , c. I , p. 324.
202 GASTON DE KERPEL
Comme cette première doit tendre à la présence intellectuelle,
il convient maintenant de nous occuper aussi de ce second mode
de présence.
L ’exercice de la présence intellectuelle est le dernier pas à faire
pour l’homme spirituel qui veut s’unir parfaitement à Dieu. Parce
que seule cette connaissance plus spirituelle est une lumière adap
tée pour que l'amour puisse se développer avec plus de ferveur.
Car le développement de cette présence est considéré relativement
à son utilité pour l ’augmentation de l’amour.
Nous avons déjà noté la supériorité de cet exercice sur le pré
cédent, mais Bernardin de S. Ange en pairie plus explicitement:
« Perché avondo l’intelettuale per proprio oggetto la Divinità o
altra cosa o verità incorporea e nuda da specie corporale, certo è
che è nobilissima, come più prossima e proporzionata per il tratto
e unione dell'uomo spirito con lo spirito di D i o » 85. Le prem ier de
voir de l’intelligence envers la volonté sera donc de lui présenter la
matière la plus apte pour le développement de l’amour, ce qu’elle
fera en analysant le contenu de la vérité connue.
Mais sa tâche ne s'arrête pas là, car sa grande valeur consistera
à se dépouiller de la lim itation des figures et des espèces corpo
relles, dépouillement nécessaire pour s’unir à Dieu « revelatamen-
te » * ; c’est ce qui constitue sa fin propre, unifiant sa connaissance
en une synthèse, objet de l’acte contemplatif. C’est nécessaire, pour
que l ’âme puisse aimer Dieu et attendre une parfaite union d’amour.
Etudions donc les deux mouvements à suivre dans le développe
ment de la présence intellectuelle; le mouvement d'analyse et le
mouvement de synthèse.
La raison d’être de l’analyse se fonde sur la relation qui existe
entre la volonté et l ’intelligence, pour autant que la volonté se
tourne vers ce qui est bon ou s’éloigne de ce qui est mauvais, selon
le jugement de l’intelligence vis-à-vis de l’objet. Il faut donc, pour
bien juger, un acte de l ’intelligence qui observe avec soin la réalité
de la chose, comme dit S. Thomas « consideratio im portât actum
intellectus veritatem intuentis » 87, et un jugement faux provient
justement « ex hoc quod contemnit vel negligit attendere ea ex qui-
bus rectum judicium procedit » 88.
Mais l’amour ne dépend pas seulement de la juste contempla
tion de la chose, mais encore de la profondeur de sa connaissance,
85 Albero, I. I l i , p . 153.
® J o s e p h de J .- M ., Salita dell’anima, 1. I l i , c .17, p . 293.
87 Ila Ila e, q . 53, a . 4.
88 ib.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 203
c’est pourquoi l ’intelligence doit se perfectionner dans la connais
sance de l ’objet en le considérant en lui-même et dans ses divers
aspects: « ad perfectionem cognitionis requiritur quod homo co-
gnoscat singillatim quidquid in re est » 89. C'est l ’amour même qui
stimule l ’intelligence à une connaissance toujours meilleure de
l ’objet, comme dit S. Thomas:
« Vita contemplativa, licet essentialiter consistât in intellectu,
principium tamen habet in afïectu, in quantum videlicet aliquis ex
cantate ad Dei contemplationem incitatur »
Quant à la synthèse, elle est le développement de la connaissan
ce elle-même; par elle, après l ’analyse, l’intelligence revient spon
tanément à la simplification de la connaissance: ayant considéré
les divers aspects de la vérité, elle obtient ainsi le pouvoir de la
contempler en un regard synthétique dans toute sa richesse. Il n’est
d’ailleurs même pas nécessaire que l ’intelligence connaisse tout ce
que contient l'objet pour pouvoir l’aimer tout à fait; il suffit qu'elle
conaisse l ’amabilité qui lui permettra de s’orienter avec toute sa
volonté : « Am or est in vis appetitiva, quae respicit rem secundum
quod in se est; unde ad perfectionis amòris sufficit quod res prout
in se apprehenditur, ametur » 91. Aussi l ’âme pourrait-elle empêcher,
par une trop grande diligence de l ’intelligence, le progrès de l ’u
nion; elle doit donc sim plifier son travail en considérant Dieu dans
l’obscurité de la foi, comme l’assure Joseph de J.-M. :
« Perché Dio ci ha ordinato, che a quelle cose, che sono sopra
il nostro intendimento e cognizione, quali sono le divine, ci abbia
mo da unire per mezzo della luce di fede e non del proprio discorso
o ragione » 91.
Cette « inesprimibilità » de l ’aimé, sera justement le plus grand
stimulant de l ’amour: « iliud quod plus latet, plus etiam desiderai
voluntas, illique unitur affectus, quod nescit proponere intellectus » 93.
Dans ce sens Sertillanges dit, que le mystère de la présence de
Dieu est un élément d’attraction et non d’éloignement, si ce n’était
pas à cause de notre négligence94.
Frère Laurent appelle ce regard obscur et général : « simple re
gard... vue amoureuse de Dieu présent p a r to u t »95. Nous n’hésitons
pas à décrire ce progrès mental sous cet aspect, car cela entre plutôt
s? l a I la e , q. 27, ad 2.
» l i a Ila e , q. 180, a. 7, ad I.
si l a Ila e , q. 27, a. 2.
® Salita d ell’anim a, 1. I l i , c. 17, p. 222.
93 J e a n d a S. T h o m a s , C u rs u s theol., in la I.Iae, q. 70, disp. 18, a. 4, n. 9.
99 L a p rés en ce m ystérieu se, in « V ie spirituelle » (1935) p. 227.
95 L a pra tiq u e, ed. V an den Bossche, p. 166.
204 GASTON DE KERPEL
dans une étude sur l ’oraison mentale, et aussi parce que nous
devrons en parler plus loin.
Après avoir seulement ébauché ce développement de l ’acte in
tellectuel, qui, ensuite, se simplifie et se synthétise, nous voulons,
dans cet article, insister davantage sur les diverses modalités sui
vant lesquelles l’intel'ligence considère la divine présence, pour mon
trer comment nos auteurs ont su diriger toute cette présence intel
lectuelle selon les exigences du développement de l’amour, dans les
divers états de la vie spirituelle. Nous considérerons aussi ce progrès
intellectuel, selon la division de la vie spirituelle en commençants,
progressants et parfaits.
Le prem ier pas sera une prise de conscience de la présence
d’immensité de Dieu. De fait, Alexandre de S. François l’appelle
« Basis et fundamentum totius exercitii praesentiae ipsius intellec-
tualis » 96, et c’est exact, car, psychologiquement, elle est le prem ier
pas vers l ’amour. C’est-à-dire que l ’âme doit se rendre compte de la
divine présence et de l ’omniscience de Dieu, qui a son regard tou
jours fixé sur nous: «e s s e r noi rim irati dal medesimo D i o » 97, pour
pouvoir trouver les forces nécessaires à l’accomplissement de ses
devoirs; cette conscience fait encore que: « poniamo mente alla
rettitudine ed all’intenzione quale esercitiamo i motivi, e radice del
la quale nascono...98.
L ’âme est donc encore très imparfaite dans l ’amour, cet amour
n’étant pas encore d’aimer Dieu pour lui-même, mais plutôt une
crainte qui stimule l’âme: elle considère très opportunément Dieu
comme juge et comme scrutateur de la conscience. Elle ne doit
donc pas s’attacher à ce qui pourrait la porter à offenser Dieu, et
elle doit donc considérer toutes choses comme appartenant à Dieu,
et tout utiliser pour élever son coeur vers lui, qui a répandu sa
bonté et sa beauté sur les choses créées. La valeur psychologique
d ’un tel procédé est grande, parce que, comme le dit Bernardin de
S. Ange : « Con tale vista spirituale si raccoglie alle invisibili ed in
teriori... soavemente e con artificiosa sagacità scansa ed allontana
l’affetto dei medesimi oggetti » L ’utilité de cette présence est
particulièrement grande dans la vie active, pour autant que l'on doit
s’occuper de choses extérieures et d’apostolat « ut in eis non se di-
vertant et diffundant, sed conservent mentis recollectionem et con
96 D e praesentia Dei, c . 5, p . 20.
99 T h o m a s d e J é s u s , Trattato, c . 7, p . 118.
98 ib„ p . 119.
99 Albero, 1. I l i , p . 187; A l e x a n d r e d e S. F r a n c o i s , De praesentia Dei, c . 7,
p . 30.
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 205
tinuent praesentiam Dei » 10°. Mais l’âme ne doit pas s’arrêter facile
ment à cette présence, et nos auteurs conseillent de commencer à
traiter avec Dieu et Jésus avec une certaine familiarité, comme avec
un ami. Alexandre de S. François, plus que les autres, sait utiliser
la force psychologique qui ceci comporte. De fait, à présent, l’exer
cice pourrait devenir lourd pour l’âme, en raison du grand détache
ment qu’exige le dégagement de soi-même et des choses terrestres,
pour arriver à un plus grand amour. Assez opportunément, elle cherche
donc dans cet exercice une compensation; une intim ité amicale
avec Dieu, pour pouvoir abandonner tout attachement aux choses
créées.
Alexandre conseille donc de considérer Dieu comme tout près
de nous, parlant avec nous: « Agere enim debemus cum Deo nostro
tamquam cum amico, qui numquam a latere nostro discedit..., ita
eum fam iliariter alloqui possumus » 101.
C’est une vraie éducation positive, et c’est bien exact ce que
dit Simon de S. Paul ; « Non c ’è più efficace m odo di mortificare
un'anima arnica de’ gusti e levarla da gusti minori, che m ettergli
avanti e fargli provare gusti maggiori » 102.
Nos auteurs ne croient pas devoir faire m ourir aucune tendance
constructive de l ’âme, mais avec discrétion ils cherchent dûment à
l ’intégrer et à la soumettre à la fin, qui est la parfaite union avec
Dieu. C’est là un principe très important, dont l'âm e doit se souve
nir spécialement pendant le développement intellectuel au cours du
quel il s’agit de passer des considérations qui pourraient être plus
agréables à l’amour propre, à celles qui sont plus désintéressées;
car il arrive souvent que l’âme arrive ici à un conflit interne entre
ce qu’elle voit intellectuellement comme plus parfait et ce qui la
fait tendre vers ce qui lui paraît utile et bon. Il est nécessaire pour
cela que l ’âme ait des principes clairs et sache distinguer nettement.
Que l'on sache tout d’abord, que toute inclination vers le bien
et l’utile n’est pas un mal, mais un vrai bien, donné par Dieu lui-
même. Et donc, loin de la mortifier, nous devons vérifier cette incli
nation et en faire usage; tout effort pour vouloir l’éteindre est con-
danné à rester stérile et à causer un grand dommage. Cette im
prudence deviendrait la cause d ’une division interne, dans laquelle la
volonté, mal éclairée par un faux concept arriverait à vouloir même
contre son inclination la plus intime. Comme si Dieu ne voulait pas
notre bien le plus essentiel! Et cela la conduirait à l’impossibilité
‘oo ib., c. I I, p. 43.
‘oí ib.
i® Riform a, 1. I,, c. 8, p. 66.
I 206 GASTON DE KERPEL
de considérer Dieu comme étant la bonté même, puisqu’il semble
empêcher son bien personnel intime.
En second lieu, il faut distinguer entre le désir du bien person
nel et l ’amour propre; le prem ier est une inclination ordonnée par
ce que soumise à Dieu, l ’autre est une manière de voir, tendant à
soi-même comme à une fin. Or, il arrive parfois, que l ’âme croit de
voir l’éteindre, comme un mal. Simon de S. Paul écrit concernant
cet amour propre:
« questa è quella che c’imaginiamo d'havere ad estinguere e non
sentire, quando si tratta di mortificare l’amor proprio, e perciò ci
sentiamo come impossibilitati non solo ad estinguerlo, ma anche
a risolverci di trattarne » 103.
C'est le rôle de l ’intelligence d’aider notre inclination naturelle
vers notre bien, en considérant, pendant la journée, Dieu comme
notre bien, comme ami, bienfaiteur et père. Nous avons déjà traité
de la relation qui existe entre l’amour de Dieu et l ’amour de soi,
quand nous avons parlé du développement de l’élément affectif; mais
nous considérions alors cette relation en nous basant sur la nature
même de l ’objet de l ’amour, dans notre cas, Dieu. Il convient main
tenant de considérer la question du point de vue intellectuel, c.-à-d.
en tant que l'intelligence doit illuminer notre volonté, pour que le
jugement la conduise et la pousse vers ce développement amoureux
qui aide, selon ses possibilités, la tendance spontanée qui cherche le
plus grand bien de son être.
Il existe un vrai fondement théologique sur 'lequel l'intelligence
peut se baser pour raviver la tendance naturelle vers Dieu en tant
que notre Bien. L ’intelligence doit se rendre compte, que notre féli
cité s’identifie avec la plus grande gloire possible à rendre à Dieu.
De fait, notre plus grande félicité, celle qui constitue l ’amour de
nous-mêmes le plus sain et le plus fondamental, est la plus grande
connaissance, l ’amour de notre bien suprême: Dieu. Ici se trouve
précisément la plus grande gloire que Dieu attend de nous. Dieu
nous a créés pour sa gloire accidentelle et externe; d’où, aimer vrai
ment Dieu c'est vouloir atteindre ce degré de gloire qu’il attend de
nous. Et cette gloire consistant dans la connaissance et l'amour de
Dieu, nous sommes vraiment tendus vers l'amour de Dieu, en cher
chant notre vraie et profonde félicité.
Tout le devoir de l ’intelligence consiste donc à examiner sa p ro
pre volonté, pour voir si elle tend vraiment, dans les cas concrets,
vers son vrai bien, ou au contraire vers un bien faux, si e i e est
stimulée par les appétits inférieurs. Profitant de son désir du
ira ib., c. 7, p. 58.
L'EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 207
vrai bien il lui sera indiqué où le trouver en lui proposant la beauté
et la bonté de Dieu, en lui montrant que ce que ¡les appétits inférieurs
lui proposent comme étant son vrai bien, ne l ’est pas.
Voici comment l’explique Simon de S. Paul:
« L ’amor proprio non è quella inclinatione o desiderio del no
stro comodo e bene, ma nasce da quello non come da cosa, ma
come da occasione; amor proprio è voler per sé un bene che Dio
non vuole che l ’abbiamo, e perciò è volere un bene che non è vero
bene, perché Dio c ’ha dato la natura a tutte le cose g l’ha dato ancora
il suo bene, dove deve farsi felice » 104.
Le développement de l’amour en vue de la félicité devra se fon
der sur l’identité de ce qui constitue la gloire de Dieu avec notre
bonheur, en appliquant dûment ce principe dans la pratique de la
vie. D'où, en s’exerçant dans l ’aversion et la conversion effectives,
on devra tâcher de m ettre en lumière la vérité, de telle façon que
dans les deux mouvements, la volonté tende vers Dieu tout en m or
tifiant l’amour propre. Sans supprimer l’inclination naturelle, il
faudra toujours tâcher d’aller vers Dieu de la manière voulue par
lui. Par exem ple: dans le mouvement de l ’aversion, quand l ’âme se
mortifie, ellle doit penser que le dégoût qu’elle ressent est son vrai
bien, qui la conduit vers la possession de son vrai bonheur, Dieu,
dont elle accomplit la Volonté.
L ’âme pourra aussi faire des actes de conversion, en désirant
Dieu comme étant sa béatitude, et comme celui qui peut combler
tous ses désirs et ses besoins. L ’âme donc, convaincue que son vrai
bien consiste à faire la volonté de Dieu, fait déjà la volonté de Dieu,
« conformatur... voluntas hominis voluntati divinae, qui vult hoc
quod vult Deus eum velie » 105, elle doit donc commencer par purifier
son intention, se m ortifier et en désirant Dieu, tendre vers sa pro
pre béatitude, pour arriver finalement à ce terme de pure intention,
dans un acte form el et explicite de parfaite charité.
Saint Thomas, traitant de ces deux modes de conformité, traite
de ce dernier en second lieu, le considérant comme le plus par
fait 106.
Que cette application intellectuelle progressive convienne vrai
ment au développement normal de l ’amour, Thomas de Jésus le con
firme; après avoir décrit dans son application affective de l'amour
form el de Dieu, il dit qu’il existe un autre mode, mais moins vigou
reux et moins véhément que celui qui consiste à faire des actes d ’a-
1« ib.
105 la Ilae, q. 19, a. 10.
106 ib.
208 GASTON DE KERPEL
mour de Dieu; « Uno di questi exersizi è il rendimento di grazie e
lodi divine col quale s’innalza il cuore a rendere grazie a Dio de’ be-
nefizi e grazie quali abbiamo ricevute dalla sua mano » ,07. Nous pou
vons maintenant term iner cette considération concernant ceux qui
progressent dans la vie spirituelle en donnant quelques applications
pratiques:
Prim o- il faut tenir compte de sa propre faiblesse et de l ’at
trait qu’ont encore les vices, qui font que l ’âme n ’est pas encore
capable de m ouvoir la volonté uniquement par la considération de
la fin plus noble et parfaite, qui est l ’amour de Dieu.
Secondo: il faut suivre le développement naturel de l ’amour,
en facilitant le plus possible le progrès naturel.
Tertio: il faut élever, par la pureté d’intention, ce développe
ment jusqu’à la subordination de l ’amour propre à l’amour divin.
Quarto: il faut faciliter autant que possible le progrès de l’a
mour im parfait vers l ’amour parfait, en mettant bien en lumière la
distinction entre la tendance naturelle de notre vrai bien et l'amour
propre.
Quinto: on ne peut arrêter aucune tendance naturelle, mais on
doit la développer même dans la mortification, en lui proposant
l’aspect positif et constructif des sacrifices.
L ’âme plus avancée est aussi plus fatiguée des choses terrestres
et déjà apte à comprendre la beauté et l'amabilité de Dieu. Etant
spirituelle, elle recherchera une intim ité encore plus grande avec lui
et elle trouvera en lui tout le développement normal d'une riche
amitié.
Et voilà que nous auteurs viennent à la rencontre de cette exi
gence, en proposant le développement intellectuel de la présence.
Proposition vraiment psychologique, vu que l’âme ne renonce pas
à la créature et à soi-même pour diminuer sa personnalité et se
trouver dans une solitude com plète: ce qui serait contraire à l’exi
gence intrinsèque de notre être; l ’homme étant essentiellement im
parfait, il cherche nécessairement sa perfection dans le contact et
l ’union avec d'autres êtres. C’est pourquoi nos auteurs, loin d’em
pêcher l’affection, offrent à l ’intelligence les moyens de transposer
l ’intim ité avec les choses terrestres en intimité avec Dieu.
L ’âme étant déjà plus parfaite, ne doit plus considérer en pre
m ier lieu Dieu comme un observateur externe, mais elle peut main
tenant le considérer comme un ami et l ’hôte de sa demeure; elle
peut aussi se considérer comme enveloppée elle-même par Dieu.
107 Trattato, c. 13, p. 218.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 209
N ’importe quel mode sera bon, pourvu qu’elle soit l ’expression de
l’union intime à laquelle aspire l’amour.
C'est ainsi que Thomas de Jésus, après avoir parlé au chapitre
V II, de Dieu présent dans toutes les choses, traite dans son chapitre
V I I I, de la considération de Dieu présent en nous, et il dit que c’est
« più perfetto, utile e giovevole del già riferito, benché non sia cosi
facile l ’acquistarlo » 108.
Alexandre de S. François parle de « considerare nos totos et to-
taliter intra Deum immersos » 109, et il considère ce m ode plus par
fait que les précédents. I l le propose comme le plus apte pour l’in
tim ité de l’amitié, comme il l ’est pour l’oraison et le recueillement:
« ...concipere Deum intra nos; est enim intimus in ipsa substantia
animae nostrae... ut Creator, Conservator..., Pater amantissimus
noster, ut mirandus sit supervacuus labor multorum, qui sedulo
Deum extra se quaerunt, cum non longe absit ab eis, nec alibi dul-
cius, promptius et facilius eo frui valeant quam in se ipsis » 110.
Mais il faut noter, que cette grande fam iliarité avec Dieu ne peut
pas supprimer le sentiment d’une sainte crainte révérentielle et
même filiale, car elle ne peut venir de Dieu si elle n’inspire un senti
ment profond de notre petitesse et de l’infinie majesté divine : « ac
cio questo rieschi, bisogna esercitarla con una lega stretta d’amicitia
con Dio, ma m olto riverente » U1. Car cette grande estime de Dieu
nous attire à lui dans une délectable compagnie, cette estime étant le
fondement de l’amour. Ce qui fait dire à Frère Laurent:
« Qu’il fallait nourrir son âme d’une haute idée de Dieu, et que
de là nous tirions une grande joie d’être à lui » m ... « que le fonde
ment de la vie spirituelle en lui avait été une haute idée et estime
de Dieu en fo i » U3.
Cette humilité devant Dieu est un des quatre mouvements nom
més par Thomas de Jésus comme étant «les quatre exercices princi
paux de la présence affective: « Il quarto abbassarsi al proprio co
noscimento » 114; en ceci: « racchiudasi tutta la perfezione della vita
spirituale » 11S.
La considération de Dieu présent en nous est vraim ent le pro
grès psychologique requis par la nature même de l ’amour; l’âme sent
'os ib., c . 8, p . 121.
109 D e praesentia Dei, c . I I , p . 43.
n ° ib., p . 44.
i n S i m o n de S . P a u l , Riform a, 1. I I , c . 2, p . 354.
i 12 La pratique, ed. V a n den B ossche, p. 118.
m ib., p . 133.
114 Trattato, c . 8, p . 133.
H5 ib., c . 13, p . 220.
210 GASTON DE KERPEL
que la présence extérieure ne réalise pas la plus grande présence
possible, et la moindre distance est ressentie comme une absence.
A. Tenneson écrit:
« C’est sans paradoxe qu’on ose assurer qu’un être qui nous est
présent, tant que ‘l a moindre distance le sépare encore de nous, nous
est encore, par le fait même absent » ...« il nous semble cependant
que cette présence décrite encore comme extérieure à nous, ne
réalise pas la présence la plus intime possible » m.
Ce progrès est donc la réalisation d’un penchant de l’amour, qui
non seulement cherche l ’union affective, mais encore l ’union réelle,
pour autant qu’il recherche l’aimé pour être vraiment uni à lui.
L ’importance donnée par nos auteurs à l’union intime avec Dieu
dans notre âme, n’est pas du tout étrangère à l ’influence de Sainte
Thérèse; et de fait, Joseph de J.-M., quand il parle de la chose, se
réfère explicitement à la Sainte M è r e 117.
Nos auteurs ont insisté avec prédilection sur cette intim ité de
l’amour, qui en fait une réalité vivante, ils ne la considèrent pas seu
lement comme une union avec Dieu, principe vital de notre être,
mais encore comme une réalité surnaturelle, dans laquelle ne se réa
lise pas seulement l'ordre de cause à effet, mais de Père à fils.
Nous avons donc décrit, comment doit se dérouler objective
ment le développement intellectuel, d ’après nos auteurs. Ceci ne
veut pas du tout dire, qu’il n’existe pas de variantes dans la ma
tière: tant de fois on a répété, que la liberté de l’âme doit être
respectée, et que l ’âme peut varier la présence imaginaire et intel
lectuelle et les diverses représentations intellectuelles. Bernardin de
S. Ange dit :
« E ’ contro le regole dello spirito lo star ligata l’anima talmente
ad una cosa che non possa occuparsi in un’altra quando il bisogno
o la convenienza il richiede » t18.
Les pensées qui nous occupent n ’ont pas d'importance, continue-
t-il, pourvu qu’elles servent leur lin, c.-à-d. la récollection, la paix
et la satisfaction intérieure. Cette absence de liberté apparait sur
tout chez les débutants, qui « si legano spesso troppo ad un modo
di praticare, anche si Dio vuol condurre ad un altro, non senza gra
ve perdita del proprio profitto » m.
Nous avons décrit le développement intellectuel, selon son dé
roulement naturel, à savoir, de l’imagination à la représentation plus
Présence de Dieu, venues de Dieu, in « R A M » 26, p. 356.
117 Salita dell'anima, 1. I H , c. 16, p. 220.
us Albero, 1. I I I , p. 154.
H» ib.
L ’EXERCICE DE LA PRESENCE DE DIEU 211
spirituelle, et puis selon la nature de l ’amour qui cherche à s'oc
cuper de l’aimé de la manière la plus intime possible et la plus
favorable en vue d’une union étroite; pour terminer, nous avons insisté
sur le fait, qu’il y a toujours une certaine liberté d'application pra
tique. Comme il est juste, en tout ceci, nous nous sommes inspirés
des règles de la connaissance et de l'am itié naturelles;
« Ha da essere nel modo, che trattasemo il nostri negozi con
un amico carissimo e amorosissimo padre, solo ha da essere la dif
ferenza nella m aggior riverenza e nel m aggior amore, nella m aggior
confidenza e nelle cose che si trattano, ma il m odo di operare con
la mente ha da essere il nostro usitato e naturale. In questo modo
di andare faranno particolare scrutinio » 12°.
Et pour terminer, voici encore un texte d’un auteur moderne,
Heiler, qui dit bien à propos de l’oraison:
« Alles urwücksige, naive Beten... ist ein trauter Umgang mit
Gott, in dem sich stets ein irdisches Gesellschaftsverhältnis w ider
spiegelt, das Untertanen-, Freundes- oder Brautverhältnis » 121.
P. G asto n D e K erpel
no S im o n de S . P a u l , Scrutinio spirituale, c. I , p . 7.
n i Das Gebet, p . 212.