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Article territoire et droit international

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TERRITOIRE ET DROIT INTERNATIONAL

Thibaut Fleury Graff

IRENEE / Université de Lorraine | « Civitas Europa »

2015/2 N° 35 | pages 41 à 53

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ISSN 1290-9653
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Pour citer cet article :


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Thibaut Fleury Graff, « Territoire et droit international », Civitas Europa 2015/2 (N°
35), p. 41-53.
DOI 10.3917/civit.035.0041
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Territoire et droit international

Thibaut FLEURY GRAFF


Professeur de droit public
Université Rennes 1
IDPSP

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Le territoire occupe dans la pratique et la doctrine internationalistes une place
de choix. Il est fréquemment admis que le droit international est né des questions
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soulevées par la conquête européenne du continent américain : il s’agissait alors


de définir les règles permettant de fonder et de répartir les compétences des
Etats conquérants sur ce vaste espace1. L’historiographie traditionnelle accorde
également beaucoup d’importance à la paix de Westphalie qui, en 1648, affirme
notamment la supériorité du pouvoir territorial temporel sur le pouvoir spirituel,
afin de mettre un terme aux guerres européennes2. Le « droit des gens », dont
les sujets étaient moins des Etats, personnes morales, que des Souverains,
personnes physiques, devient ainsi et petit à petit un droit international
« répartiteur d’espaces » : à partir du XVIIIe siècle, le droit international permet de
considérer que « toute terre sur le globe est soit territoire d’Etats européens ou
d’Etats mis sur le même pied, soit terre encore librement occupable, c’est-à-dire
territoire étatique potentiel ou colonie potentielle »3. Théorisé en Europe, le droit
international sera en cela l’adjuvent de la colonisation européenne au XIXe siècle4
– de même qu’il sera, après la Seconde guerre mondiale, l’instrument de la
décolonisation. Depuis quelques années toutefois, sont apparues de nombreuses
études sur la « déterritorialisation » du droit international, interrogeant les effets
de la multiplication des échanges mondiaux et immatériels sur la pertinence d’un
droit dépendant largement de la volonté d’Etats au pouvoir territorial5.
Territoire et droit international ont ainsi partie liée depuis fort longtemps,
mais l’on aurait tort d’y voir, à ce stade, une spécificité de cette branche du

1 V. par ex., A. BRETT, « Francisco de Vitoria and Francisco Suarez », Oxford Handbook of the History
of International Law, Oxford UP 2012, pp. 1086-1092.
2 Outre les introductions historiques dans les principaux manuels de droit international, v. not.
S. VEROSTA, « History of the Law of Nations : 1648 to 1815 », Encyclopedia of Public International
Law, Elsevier Science Publishers B. V., Amsterdam, New York, Oxford 1984, vol. 7, pp. 160-179.
3 C. SCHMITT, Le nomos de la terre dans le droit des gens du jus publicum europaeum, 1950,
Paris, Puf, 2001, p. 171.
4 V., A. ANGHIE, Imperialism, sovereignty and the making of international law, Cambridge UP, 2007.
5 V., B. BADIE, M.-C. SMOUTS, « L’international sans territoire », Cultures & Conflits, vol. 21-22
(1996), pp. 537-543 ; H. RUIZ-FABRI, « Immatériel, territorialité et Etat », Archives de philosophie
du droit, t. 43 (1999), pp. 187-212.
42 Thibault FLEURY-GRAFF

droit. En tant qu’il est l’un des concepts juridiques fondamentaux qui, aux
côtés de la personne, du temps ou de l’objet, permettent de définir le champ
d’application d’une norme et/ou d’une compétence, le territoire a en effet partie
liée avec le droit en général – et non avec le droit international en particulier. En
droit international, comme en droit interne, le territoire désigne le « domaine de
validité » d’une norme6 et l’« élément déterminateur d’une compétence »7. Ce qui
toutefois, spécifie la notion de territoire en droit international, c’est qu’elle ne
renvoie généralement pas à l’élément déterminateur d’ « une » compétence mais
d’une compétence spécifique – la compétence étatique souveraine – que fonde

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le titre territorial. Le droit international s’est en effet construit autour de cette
« représentation de l’espace »8 qu’est la « souveraineté territoriale » et qui lui est
propre. Loin de n’être que le champ d’application ratione loci d’une compétence
– comme l’est par exemple le territoire d’une collectivité décentralisée en droit
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français – le territoire est ici, aussi et surtout, le titre de compétence de l’Etat (I).
Cette construction stato-centrée de l’espace est fondée sur l’idée que la paix et la
sécurité internationales – finalités du droit international – seront d’autant mieux
assurées que chaque Etat assurera le gouvernement d’une partie définie du
globe terrestre (ce qui permet d’éviter les conflits civils) sans se préoccuper de la
façon dont ses pairs en gouvernent leur propre partie (ce qui permet d’éviter les
conflits internationaux). L’article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies retranscrit
explicitement cette conception, qui stipule que :
« les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales,
de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou
l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec
les buts des Nations Unies ».

Entièrement phagocytée par l’institution étatique, cette conception de


l’espace continue toutefois de montrer ses limites en tant que facteur de stabilité
internationale : la répartition de l’espace en territoires clos est aussi, et toujours,
facteur de jalousie9 et d’opacité10. Les Etats et les organisations qu’ils ont créées
ont donc également adopté, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, des
règles et institutions dont l’objet est de désolidariser l’espace de l’Etat (II).

6 H. KELSEN, Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 1962, p. 381 et Ch. ROUSSEAU, « Principes du
droit international public », RCADI, vol. 93 (1958-1), p. 403.
7 L. DELBEZ, « Du territoire dans ses rapports avec l’Etat », RGDIP, vol. 39, (1932-4), p. 712.
8 D. ALLAND, « Les représentations de l’espace en droit international public », Archives de Philoso-
phie du Droit, vol. 32 (1987), pp. 163-178.
9 L’annexion, en 2014, de la Crimée par la Russie et le conflit qui continue d’opposer cette dernière
à la Géorgie à propos de l’Ossétie le prouvent. V. not. concernant la Crimée, L. IMBERT, « Crimée :
récit d’une annexion éclair », Le Monde du 15 mars 2014 et concernant la Géorgie « La Géorgie
accuse la Russie de grignoter son territoire », Le Monde du 12 août 2015. Plus juridiquement, à
propos du conflit russo-ukrainien : C. SANTULLI, « La crise ukrainienne : position du problème »,
RGDIP, n° 2014-4, t. 118, pp. 799-820.
10 Le problème de la licéité d’interventions internationales en cas de guerre civile découle directe-
ment de cette « opacité ». V., concernant l’intervention en Libye, « L’ingérence. Le problème (I) »,
et « Après la Libye, Avant la Syrie ? L’ingérence, le problème (II) », Droits, n° 56 et 57.
Territoire et droit international 43

I. Le territoire, titre de compétence

Le territoire de l’Etat est le titre « primordial » de compétence de celui-ci, car


il prime les autres titres de compétence que lui offre le droit international (A).
La formation et la délimitation de ce titre sont dès lors l’objet de nombreuses
règles internationales – et d’un contentieux foisonnant – qui font de la « question
territoriale » une question centrale de la pratique internationale (B).

A. Nature et valeur du titre territorial étatique international

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Seul sujet du droit international dont le pouvoir est territorialisé, l’Etat demeure
néanmoins compétent pour connaître de faits survenant hors de ses frontières (1).
Pour autant, le titre territorial prime ces autres titres, car il est le seul à fonder une
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compétence absolue de l’Etat (2).

1. Diversité des titres de compétences étatique en droit international

Au regard du droit international, dont les règles concernées ici sont pour la
plupart coutumières11, l’Etat jouit de quatre titres de compétences : la compétence
territoriale, la compétence personnelle, la compétence réelle et la compétence
universelle12. Outre le territoire, plusieurs « éléments de rattachement » d’un fait
à un Etat sont ainsi susceptibles de fonder la compétence de celui-ci : l’oublier,
c’est se priver d’une définition par la négative de la notion de territoire en droit
international, qui permet seule pourtant de la saisir dans toute sa spécificité13.

La compétence territoriale se distingue, tout d’abord, de la compétence


personnelle en cela que le titre personnel fonde la compétence de l’Etat pour
connaître de faits commis par – c’est la compétence personnelle « active » – ou
subis par – c’est la compétence personnelle « passive » – ses nationaux, et ce
indépendamment de la localisation des faits concernés. Tirant profit de ce titre
international de compétence, le droit pénal français dispose ainsi, par exemple,
que la loi pénale française est applicable « à tout crime commis par un Français
hors du territoire de la République »14, ou « à tout crime, ainsi qu’à tout délit puni
d’emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire

11 V. not. B. STERN, « Les règles coutumières internationales générales relatives à l’application


extraterritoriale du droit » in Quelques observations sur les règles internationales relatives à
l’application extraterritoriale du droit, AFDI, 1986, vol. 32, pp. 12-26.
12 Pour un exposé détaillé de ces titres de compétences, v. not. A. HUET, R. KOERING-JOULIN,
« Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale française. – Infractions com-
mises à l’étranger », JCl. « Droit international », Fasc. 403-20, mars 2013.
13 Comme c’est souvent le cas dans la doctrine qui s’est consacrée au territoire. V. en ce sens,
P. DAILLIER, A. PELLET, M. FORTEAU, Droit international public, Paris, LGDJ, Lextenso, 2009,
n° 229, p. 440 qui relèvent que le territoire est généralement présenté comme le chef tradition-
nel de compétence et parfois même l’unique chef de compétence.
14 Article 113-6 du Code Pénal.
44 Thibault FLEURY-GRAFF

de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de


l’infraction »15.

La compétence territoriale de l’Etat se distingue, encore, de la compétence


réelle, fondée pour sa part sur « les intérêts supérieurs » de l’Etat. Cette
compétence découle en effet de l’idée d’après laquelle « on ne saurait laisser
à d’autres Etats » que l’Etat concerné « le soin de définir et de protéger les
représentations essentielles de sa res publica »16. L’Etat est ainsi fondé à réprimer
les crimes et délits commis à l’étranger contre ses agents ou locaux diplomatique

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ou consistant, par exemple, à la falsification de son sceau, de ses pièces de
monnaie ou billet de banques17.

Enfin, la compétence territoriale d’un Etat se distingue de sa compétence


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universelle, qui lui permet de connaître de certains crimes dont la gravité exige
une répression indépendante des éléments classiques – territoire, nationalité,
intérêts supérieurs – de rattachement à la compétence étatique. Conventionnelle
plutôt que coutumière, cette compétence est ainsi fondée, d’un point de vue
théorique, sur l’idée que « les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la
communauté internationale ne sauraient rester impunis »18. Plusieurs conventions
internationales prévoient ainsi la possibilité, et parfois même l’obligation,
d’étendre la législation étatique aux infractions commises à l’étranger par des
étrangers contre des étrangers. En application de l’article 146 de la Quatrième
Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la Protection des personnes
civiles en temps de guerre, l’Etat a, par exemple, l’obligation de déférer à ses
tribunaux les personnes « prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de
commettre » une infraction aux droits reconnus par la Convention. Il en est de
même de l’article 5 § 2 de la Convention de New York du 10 décembre 1984 qui
vise la répression des actes de torture.

Le territoire est ainsi loin d’être le seul titre de compétence étatique en


droit international : de nombreuses autres hypothèses, dont l’importance va
grandissante au fur et à mesure que les activités humaines se dématérialisent et
de se déterritorialisent19, fondent, au regard du droit international, la compétence
étatique. Il y a là une relativité de la notion de territoire en droit international que

15 Article 113-7 du Code Pénal.


16 A. HUET, R. KOERING-JOULIN, « Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale
française. – Infractions commises à l’étranger », op. cit., § 65.
17 L’article 113-10 du Code Pénal français dispose ainsi que « la loi pénale française s’applique aux
crimes et délits qualifiés d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et réprimés par le
titre 1er du livre IV, à la falsification et à la contrefaçon du Sceau de l’Etat, de pièces de monnaie,
de billets de banque ou d’effets publics […] et à tout crime ou délit contre les agents ou locaux
diplomatiques ou consulaires français, commis hors du territoire de la République ».
18 Préambule du Statut de la Cour Pénale Internationale, signé à Rome le 17 juillet 1998.
19 V., T. FLEURY GRAFF, « La territorialité à l’épreuve des activités transnationales. Problématique
générale », in G. CAHIN, F. POIRAT, S. SZUREK (dir.), La France et la condition internationale des
personnes et des biens, Paris, éd. Pedone, 2016 (à paraître).
Territoire et droit international 45

masque trop souvent l’ « obsession » dont elle fait l’objet20 – relativité qui ne doit
cependant pas masquer l’importance qu’elle continue de conserver.

2. Singularité de la compétence territoriale étatique


en droit international

La multiplicité des chefs de compétences étatiques conduit à des conflits


de compétences : en présence d’un fait survenant sur le territoire d’un Etat,
impliquant un national de cet Etat et un étranger, la compétence territoriale et
la compétence personnelle relèvent ainsi, par exemple, de deux Etats différents.

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Le conflit est cependant évité par une règle élémentaire – à la fois simple et
indispensable – du droit international : la compétence territoriale, qui est la seule
à s’exercer souverainement, l’emporte, sauf règle contraire.
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Le territoire est en effet, et tout d’abord, le lieu d’une compétence exclusive et


absolue que l’Etat local est seul fondé à exercer. L’article 2 § 4 de la Charte des
Nations Unies constitue aujourd’hui la règle de droit positif écrit la plus affirmative
– et probablement la plus connue – en ce sens. Mais la règle est d’abord
coutumière, et trouve notamment une expression dans la fameuse sentence
arbitrale du juge Huber prononcée dans l’affaire de l’Île de Palmas, qui rappelle
qu’« appliquée au territoire, la souveraineté est […] appelée ‘’souveraineté
territoriale’’ » et qu’elle « implique le droit exclusif d’exercer les prérogatives
étatiques »21. En outre, dans les limites de ses frontières « l’État jouit d’une
compétence discrétionnaire, ne connaissant ni de limitation rationae personae ni
de limitation ratione materiae » : l’État y est compétent « pour accomplir en toute
matière toute espèce d’acte juridique à l’égard de toutes personnes »22. Ainsi
l’Etat est-il non seulement seul compétent sur son territoire (exclusivité) mais il
l’est encore en toute matière (plénitude). En outre, et cette spécificité achève
le dessin de la singularité de la notion de territoire en droit international, cette
compétence exclusive et absolue est primordiale.

Comme l’a affirmé en effet la Cour Permanente de Justice Internationale


dans un arrêt demeuré célèbre pour cela, « la limitation primordiale qu’impose le
droit international à l’Etat est celle d’exclure – sauf règle permissive contraire –
tout exercice de sa puissance sur le territoire d’un autre Etat »23. Limitation
« primordiale », c’est-à-dire « qui sert d’origine au reste »24 : délimiter des espaces

20 G. SCELLE, « Obsession du territoire. Essai d’étude réaliste de droit international », in Symbolae


Verzijl présentées au professeur J.-H.-W. Verzijl à l’occasion de son LXXe anniversaire, La Haye,
Nijhoff, 1958, not. p. 361.
21 Cour Permanente d’Arbitrage (CPA), Affaire de l’Île de Palmas (Etats-Unis d’Amérique c/ Pays-
Bas), sentence du 4 avril 1928, RIAA, vol. II, pp. 838-839.
22 Nous empruntons pour sa clarté cette définition à L. DELBEZ, « Le territoire dans ses rapports
avec l’Etat », RGDIP, 1932-4, vol. 39, p. 713.
23 CPJI, Affaire du Lotus, arrêt du 7 septembre 1927, série A, n° 10, p. 18.
24 Selon la définition usuelle du terme « primordial » que proposent les dictionnaires de langue
46 Thibault FLEURY-GRAFF

au sein desquels s’exercent des compétences étatiques souveraines est « la


mission et le but du droit international classique »25 et constitue dès lors « le point
de départ du règlement de la plupart des questions qui touchent aux rapports
internationaux »26. Souveraine puisque fondée sur son seul titre territorial, la
compétence de l’Etat au sein de ses frontières est ainsi également « de principe »
et prime les autres chefs de compétences exposés plus haut. La notion de territoire
a donc ceci de singulier en droit international qu’avant d’être l’expression d’un
cadre de compétence, elle désigne le titre de celle-ci. On comprend dès lors que
la formation et la délimitation du titre territorial aient en droit international une

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importance toute particulière.

B. Formation et délimitation du titre territorial étatique

« Définir un territoire, c’est définir ses frontières »27 : l’affirmation, que l’on doit
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à la Cour Internationale de Justice, est d’une simplicité qui masque la complexité


des règles internationales dont l’objet est d’encadrer juridiquement l’opération
de définition des limites spatiales de la souveraineté étatique. Ces règles, que
l’on peut dire constitutives d’un « droit international du territoire », sont de deux
ordres : les unes sont relatives à la formation du titre territorial (1), les autres à la
délimitation géographique de ce titre (2).

1. Formation du titre

La survenance de certains faits, auxquels le droit international attache


certaines conséquences juridiques, ou la conclusion de traités internationaux,
permettent la formation ou le transfert d’un titre territorial au bénéfice d’un Etat.

Comme le disait déjà Vattel, en une formulation surannée qui n’enlève


pourtant rien à son actualité : « le pays qu’une Nation habite, soit qu’elle s’y soit
transportée, soit que les familles qui la composent [...] s’y soient formées en corps
de société politique [...] est l’Etablissement de la Nation ; elle y a un droit propre et
exclusif »28. Le territoire d’un Etat est en effet, tout d’abord, constitué par l’espace
sur lequel un pouvoir politique parvient à s’imposer de manière effective : la
création d’une entité étatique, soit sur un espace encore inoccupé (hypothèse

française.
25 R.-Y. JENNINGS, The acquisition of territory in international law, Manchester, Manchester UP
1963, p. 2. V. également les références citées dans notre ouvrage Etat et territoire en droit inter-
national. L’exemple de la construction du territoire des Etats-Unis (1789-1914), Paris, Pedone
2013, p. 4, note 11.
26 CPA, Affaire de l’Île de Palmas (Etats-Unis d’Amérique c/ Pays-Bas), sentence du 4 avril 1928,
RIAA, vol. II, p. 838.
27 CIJ, Différend territorial (Lybie c/ Tchad), arrêt du 3 février 1994, CIJ Rec. 1994, p. 20.
28 E. de VATTEL, Le droit des gens, ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux
affaires des Nations et des Souverains, Londres 1758, vol. 1, § 203. La référence actuelle sur
cette question est néanmoins J. CRAWFORD, The creation of States in international law, Oxford,
Oxford UP 2010.
Territoire et droit international 47

aujourd’hui improbable) soit par éclatement ou regroupement d’Etats, est l’un des
faits juridiques constitutifs du titre territorial de l’entité ainsi créée – le Kosovo29
ou le Soudan du Sud30 en offrent des exemples topiques et récents. Quant à l’Etat
existant, il peut également, par l’occupation effective, publique et pacifique d’un
espace31, y acquérir un titre, dès lors que cet espace n’est occupé par aucun autre
Etat ou que l’Etat qui l’occupe ne s’oppose pas à cette occupation étrangère32.

Ces hypothèses de formation du titre territorial par la survenance d’un fait


juridique sont toutefois relativement rares (encore que les nombreuses velléités

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d’indépendance actuelles, sur le continent européen notamment, puissent
la remettre rapidement au goût du jour). Aujourd’hui, les titres territoriaux
étatiques sont surtout l’objet de transactions conventionnelles, par lesquels ils
sont transférés ou dont les limites sont précisées33. Cette hypothèse n’appelle
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cependant guère d’autres développements que ceux relatifs au droit international


général des traités34 : un traité territorial est, formellement, un traité international
comme un autre, dont, matériellement, l’objet est de transférer le titre territorial
détenu par un Etat à un autre Etat – ou, par exemple, de créer certains droits
territoriaux particuliers (v. infra, II.A).

2. Délimitation du territoire

La délimitation est « le processus » consistant à « décrire le tracé d’une


frontière », et ce « au moyen de mots ou de cartes dans un instrument juridique »35.
Ce processus est d’une grande importance dans une société internationale
où la souveraineté territoriale « sert d’origine » aux rapports internationaux :

29 O. CORTEN, « Déclarations unilatérales d’indépendance et reconnaissances prématurées : du


Kosovo à l’Ossétie du Sud et à l’Abkhasie », RGDIP, 2008-4, t. 112, pp. 721-759 et P. WECKEL,
« Plaidoyer pour le processus d’indépendance du Kosovo », RGDIP, 2009-2, t. 113, pp. 257-271.
30 G. GIRAUDEAU, « La naissance du Soudan du Sud ; la paix impossible ? », AFDI, vol. 58, 2012,
pp. 61-82.
31 On notera que l’occupation militaire ne peut aboutir à la création d’un Etat dès lors que l’opéra-
tion serait contraire tant à l’interdiction du recours à la force (art. 2 § 4 de la Charte des Nations
Unies) qu’au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En ce sens, il n’y a pas par exemple de
« territoire » de l’ « Etat » islamique (Daech) au sens du droit international public.
32 Très discutée, cette forme de prescription acquisitive a été implicitement reconnue par la CIJ
dans l’Affaire de l’Île de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt du 13 décembre 1999, CIJ
Rec, 1999, p. 1103, § 94 et p. 1105, § 97. L’occupation belligène aboutissant à une conquête
est illicite en conséquence de l’illicéité du recours à la force en droit international. En ce sens,
l’annexion récente de la Crimée par la Russie est nulle car illicite au regard du droit international.
33 Pour les derniers exemples en date concernant la France, v. not. le « Traité de cession du terri-
toire de la Ville libre de Chandernagor entre l’Inde et la France », signé à Paris le 2 février 1951,
Recueil des Traités des Nations Unies, vol. 203, p. 157 ou la « Convention entre le Gouvernement
de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg portant recti-
fication de la frontière franco-luxembourgeoise », signée à Senningen le 20 janvier 2006, JORF,
n° 139, 17 juin 2007, p. 10472.
34 Pour un aperçu couvrant l’ensemble des questions importantes, v. D. ALLAND, Manuel de droit
international public, Paris, Puf, 2014, pp. 109-144.
35 CIJ, Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée
équatoriale (intervenant)), arrêt du 10 octobre 2002, CIJ Rec., 2002, § 80, p. 303.
48 Thibault FLEURY-GRAFF

la délimitation du territoire apparaît comme une opération essentielle « à


l’existence et à la sécurité de l’Etat-Nation »36 et elle alimente avec une constance
jamais démentie le rôle de la Cour internationale de Justice37.

Cette opération de délimitation est contrainte par des règles et principes


internationaux qu’il est impossible de résumer ici38. On peut néanmoins noter que
si l’espace terrestre ne fait l’objet d’aucune règle générale précisant l’étendue
de cet espace – cette précision étant soit l’œuvre de l’effectivité, soit celle
d’accords internationaux, les seconds venant souvent entériner la première39 –

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il en va différemment pour les espaces maritimes et aériens, dont l’étendue
est, elle, définie par le droit international : c’est ainsi par exemple que la « mer
territoriale » s’étend, en vertu d’une norme coutumière, des côtes de l’Etat jusqu’à
12 miles marins40. En outre, certains principes internationaux généraux valent
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pour la délimitation du territoire, qu’il soit terrestre, maritime ou aérien : c’est le


cas notamment du principe de l’ « uti possidetis », d’après lequel les limites des
Etats nouvellement constitués sont les mêmes que celles qui délimitaient leur
territoire lorsqu’ils n’étaient que de simples collectivités territoriales de l’Etat dont
ils se séparent. Il s’agit là, selon la CIJ, d’un « principe général, logiquement lié au
phénomène de l’accession à l’indépendance où qu’il se manifeste », principe qui
permet « d’éviter que l’indépendance et la stabilité des nouveaux Etats ne soient
mises en danger »41.

Défini comme titre de compétence, le territoire est ainsi indissociable de


la notion d’Etat, seul sujet du droit international à pouvoir détenir un tel titre.
La notion de territoire ne s’épuise pourtant pas dans cette définition : elle
désigne également, plus classiquement, le champ d’application des certaines
compétences – en une définition qui tend à gagner de l’importance tant elle
permet d’ouvrir certains espaces à un contrôle international que ne permet pas
la souveraineté territoriale.

36 L. CAFLISCH, « Essai d’une typologie des frontières », Relations internationales n° 63, 1990,
p. 291 et pour un aperçu récent de la question, du même auteur, « Les frontières, limites et déli-
mitations internationales – quelle importance aujourd’hui ? », RCADI, 2013, pp. 9-46.
37 Ainsi, sur les dix dernières années, dix arrêts au moins ont concerné, plus ou moins directement,
cette question sur un total de moins de trente arrêts, si l’on regroupe en une seule affaire celles
relatives à la licéité de l’emploi de la force engagées par la Serbie-Monténégro contre les membres
de l’OTAN et jugées en 2004.
38 V. pour un aperçu général J.-P. PANCRACIO, Droit international des espaces, Paris, Armand Colin,
1997.
39 Sur cette question, F. COUVEINHES-MATSUMOTO, L’effectivité en droit international public,
Bruxelles, Bruylant, 2014.
40 Article 3 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay, le 10
décembre 1982.
41 CIJ, Affaire du différend frontalier (Burkina Faso c/ République du Mali), arrêt du 22 décembre
1986, CIJ Rec. 1986, p. 565.
Territoire et droit international 49

II. Le territoire, champ d’application de compétences

En tant que titre de compétence, le territoire a les inconvénients de ses


avantages : s’il permet une répartition spatiale des souverainetés étatiques, et
assure ainsi leur coexistence, il favorise également l’absence de contrôle extérieur
sur ce qu’il advient au sein des frontières étatiques. Car, comme l’a affirmé la CIJ
à plusieurs reprises, exposant ce faisant l’un des principes les plus reconnus du
droit international, « aucune règle de droit international n’exige que l’Etat ait une
structure déterminée »42, ni qu’il adopte une structure politique, économique ou

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culturelle déterminée, sans quoi « le principe fondamental de la souveraineté des
Etats » serait « privé de sens »43.

Propice aux abus, cette absence de contrôle peut cependant être extrêmement
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déstabilisatrice pour les relations interétatiques : la situation actuelle en Syrie,


où sévit un conflit dans lequel les Etats de la société internationale n’ont pas
voulu s’engager au motif de sa nature interne, mais qui provoque des tensions
et des afflux massifs de réfugiés au-delà même des seuls Etats voisins, en
témoigne avec une particulière acuité44. C’est la raison pour laquelle les Etats et
les organisations qu’ils ont créées sont à l’origine de règles dont l’objet n’est pas
tant de déterritorialiser l’Etat, comme on le lit souvent45, que de « désétatiser »
le territoire46 : au-delà des hypothèses classiques mais limitées dans lesquelles
le territoire désigne le champ d’application d’une compétence étatique non-
souveraine (A), qui ne nous retiendront pas longtemps, se sont développés des
espaces dont la fonction est d’encadrer l’exercice de compétences internationales
non-étatiques (B).

A. Champ d’application de compétences étatiques non-souveraines

Dans certaines hypothèses relativement bien connues, le droit international


confère à l’Etat des compétences dont le territoire constitue non un fondement,
mais un simple élément de définition : en ce sens, l’action extraterritoriale (parce

42 CIJ, Sahara occidental, avis consultatif du 16 octobre 1975, CIJ Rec., 1975, pp. 43-44, § 94.
43 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c/ Etats-Unis
d’Amérique), arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec., 1986, p. 133.
44 V. not. « Conseil de sécurité des Nations Unies (7394e réunion). Séance d’information publique sur
la situation humanitaire en Syrie. Allocution de A. Guterres, Haut-commissaire des Nations Unies
pour les réfugiés, New York, 26 février 2015 ». L’allocution rappelle notamment que « la guerre en
Syrie non seulement [a] engendré la pire crise humanitaire de notre époque, mais [fait] également
planer une grave menace sur la stabilité régionale ainsi que la paix et la sécurité mondiales ».
45 V. par ex. M. FLORY, « Le couple Etat-territoire en droit international contemporain », Cultures &
Conflits, n° 21-22, 1996, pp. 251-288.
46 En un mouvement qui peut également appeler la critique : car s’il peut permettre de stabiliser
certaines zones, il peut également favoriser un ultralibéralisme déstabilisateur. V. en ce sens
D. ALLAND, « Le droit international de Terminus ? Réflexions sur la délimitation » (not. la conclu-
sion), in Droit des frontières internationales, actes du colloque SFDI/DGIR organisé à la Louvain-
la-Neuve, 14 et 15 novembre 2014, à paraître.
50 Thibault FLEURY-GRAFF

que se déroulant hors du territoire national) mais néanmoins territorialisée (parce


que se déroulant à raison d’un espace défini), de l’Etat demeure encadrée par le
droit international, soit qu’il s’agisse d’assurer l’administration d’un espace dont
la population est réputée ne pouvoir se gouverner elle-même, soit qu’il s’agisse
d’encadrer l’action belligène d’un Etat en territoire étranger.

Si la première hypothèse est aujourd’hui révolue – elle renvoie au système


des mandats existant à l’époque de la Société des Nations47 – la seconde
demeure d’une actualité rarement démentie. Elle désigne en effet tous les cas

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dans lesquels le territoire d’un Etat est concerné par une occupation militaire
étrangère. Généralement qualifié de « territoire occupé », cet espace désigne le
lieu à raison duquel un Etat exerce les droits et répond des devoirs énumérés
par le droit international humanitaire, coutumier et conventionnel. En vertu de
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celui-ci, la puissance occupante ne peut ainsi, par exemple, ni modifier le droit


existant dans l’Etat occupé, ni modifier la structure politique et institutionnelle
de celui-ci48 : cette obligation vaut pour toutes les parties du territoire faisant
l’objet de l’occupation. S’il y a bien ici un « territoire », dans la mesure où les
compétences de l’Etat s’exercent à raison de la zone qu’il contrôle grâce à son
armée – et non, par exemple, à raison des personnes qui s’y trouvent – il n’y a
pas de souveraineté, dans la mesure où ces compétences sont limitées ratione
materiae. L’institution de l’occupation militaire repose ainsi sur la création d’un
espace doté d’un statut particulier, destiné notamment à protéger la population
civile et, autant que faire se peut, la souveraineté de l’Etat détenteur du titre
territorial. Si elle manifeste ainsi l’ambivalence de la notion de territoire en droit
international, elle n’a aucunement pour finalité, à l’inverse d’évolutions plus
récentes, de « désétatiser » le territoire.

B. Champ d’application de compétences internationales


non-souveraines

Cette dissociation de l’Etat et du territoire résulte principalement de la création


de deux organisations internationales – l’ONU et l’UE – dont la territorialisation
de certaines compétences permet sinon d’outrepasser tout à fait, du moins de
mettre de côté, la souveraineté de l’Etat territorial. Sans doute faut-il rappeler,

47 Traité de Versailles du 28 Juin 1919, « Pacte de la société des Nations », article 22. L’article
stipule notamment que « [l]es principes suivants s’appliquent aux colonies et territoires qui, à
la suite de la guerre, ont cessé d’être sous la souveraineté des États qui les gouvernaient pré-
cédemment et qui sont habités par des peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes
dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne. Le bien-être et le développe-
ment de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation, et il convient d’incorporer dans
le présent pacte des garanties pour l’accomplissement de cette mission » et que « [l]a meilleure
méthode de réaliser pratiquement ce principe est de confier la tutelle de ces peuples aux nations
développées qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géogra-
phique, sont le mieux à même d’assumer cette responsabilité et qui consentent à l’accepter :
elles exerceraient cette tutelle en qualité de mandataires et au nom de la Société ».
48 V., J. D’ASPREMONT, J. DE HEMPTINNE, Droit international humanitaire, Paris, Pedone, 2012.
Territoire et droit international 51

à titre liminaire, d’une part que les organisations internationales sont régies par
un principe de spécialité qui limite ratione materiae leurs compétences – elles ne
sont donc pas souveraines – et que la plupart des compétences des organisations
internationales ne sont pas territorialisées : elles ont pour sujet les Etats qui en
sont membres, voire les individus qui se trouvent sous la juridiction de ceux-ci,
leur champ d’application étant ainsi limité ratione personae et non ratione loci.
Pourtant, dans deux hypothèses au moins, et sans que ne soit remis en cause le
principe de spécialité, il est possible de parler de « territoire internationalisés »,
parce que des organisations internationales exercent à raison d’un espace

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des compétences définies : c’est le cas des « territoires sous administrations
internationales » (1) et des « territoires communautaires » (2).

1. Territoires sous administration internationale


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Sur le fondement du Chapitre VII de sa Charte, l’Organisation des Nations


Unies a en effet développé depuis plusieurs années des missions de maintien
de la paix dont l’objet est d’administrer temporairement certains espaces afin
d’assurer la sécurité de la région concernée et, dans certains cas, d’y favoriser
la création d’un Etat démocratique49 : c’est sans doute l’exemple le plus frappant
de création par le droit international d’espaces défaits de souveraineté étatique
dans le but d’assurer la stabilité de la société internationale. Qualifiés de
« collectivités territoriales » administrées internationalement50 ou de « territoires
sous administration internationale », ces espaces sont bien le champ d’application
de compétences internationales non-souveraines : il suffit pour s’en convaincre
de se référer aux résolutions du Conseil de Sécurité (normes internationales)
qui créent ces espaces en conférant aux représentants de l’ONU sur place des
compétences définies (non-souveraines) en matière civile, politique et militaire,
valant pour une zone délimitée (compétence territorialisée). La résolution mettant
en place une administration provisoire du Kosovo après l’éclatement de l’ex-
Yougoslavie est illustrative en ce sens, qui « décide du déploiement au Kosovo,
sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, de présences internationales
civile et de sécurité dotées du matériel et du personnel appropriés, en tant que
de besoin […] » ajoutant ensuite une liste des « responsabilités de la présence
internationale de sécurité qui sera déployée et agira au Kosovo »51. Dans cette
hypothèse, comme le notait un auteur à propos des territoires sous mandats dans

49 V., J. D’ASPREMONT, « Les administrations internationales de territoire et la création internatio-


nale d’Etats démocratiques », European Society of International Law, (www.esil-sedi.eu/sites/
default/files/D’Aspremont.PDF), consultée le 14 août 2015.
50 I. PREZAS, L’administration de collectivités territoriales par les Nations Unies. Etude de la subs-
titution de l’organisation internationale à l’Etat dans l’exercice des pouvoirs de gouvernement,
Paris, Limal, LGDJ / Anthémis, 2012, 552 p.
51 Résolution 1244 (1999) du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 10 juin 1999 relative au
déploiement d’une présence internationale civile et de sécurité au Kosovo (www.un.org/fr/docu-
ments/view_doc.asp?symbol=S/RES/1244(1999), consultée le 14 août 2015).
52 Thibault FLEURY-GRAFF

le cadre de la Société des Nations dont s’inspirent ces missions de maintien de


la paix, la « vieille notion de la souveraineté » est « étrangère »52 à la définition de
l’espace : c’est bien l’analyse des compétences en présence, de leur fondement
et de leur nature, qui permet de définir le droit applicable à cet endroit. Il en va de
même concernant certaines compétences de l’Union européenne.

2. Territoires communautaires

L’expression de « territoire communautaire » ou de « territoire de l’Union »


est fréquente en droit de l’UE. Si elle n’est guère employée dans les traités –

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à l’exception notable de l’article 153 § 1 g) du TFUE d’après lequel « l’Union
soutient et complète l’action des Etats membres […], [concernant], les conditions
d’emplois des ressortissants des pays tiers se trouvant en en séjour régulier
sur le territoire de l’Union » – elle l’est régulièrement dans le droit dérivé et la
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jurisprudence de la Cour de Luxembourg53. Assez récemment, la Cour de Justice


de l’Union européenne a ainsi jugé que la seule présence d’une personne sur
le « territoire de l’Union » pouvait lui conférer certains droits en matière de
séjour54. On connaît, en outre et en toute hypothèse, les expressions de « territoire
douanier », d’ « espace Schengen » ou d’ « espace de sécurité, de liberté et de
justice ». Ces expressions désignent, selon la définition bien connue du Pr. Reuter,
« le champ d’application spatial de règles déterminées »55. Il existe, autrement
dit, un « territoire communautaire » – plutôt : des territoires communautaires –
partout où le droit de l’Union s’applique de manière uniforme. Les « territoires de
l’Union » sont ainsi multiples et ne sauraient constituer un titre de compétence –
auquel cas l’Union se transformerait en Etat – mais ils sont bien des « territoires »
dès lors qu’ils constituent le champ d’application de compétences internationales
non-souveraines ayant une « assise spatiale localisée »56. Ces espaces, création
d’un droit international dont les traités fondateurs sont constitutifs, assurent,
en écartant la souveraineté territoriale des Etats membres, l’unité juridique de
l’Union : c’est particulièrement frappant pour « l’espace Schengen », qui permet à
toute personne – citoyenne ou non de l’Union – y ayant pénétré de ne plus subir
de contrôle à l’occasion du passage des frontières des Etats qui le constituent.
Le droit international est ainsi « créateur d’espaces » dont la diversité ne doit
pas être masquée par l’apparente univocité de la notion de territoire. Il en va

52 Opinion individuelle du juge McNAIR (à propos des territoires sous mandats dans le cadre de la
S.D.N.), CIJ, Statut international du Sud-Ouest africain, avis consultatif du 11 juillet 1950, CIJ
Rec., 1950, p. 150.
53 V. pour des exemples nombreux A. RIGAUX, « Territoire communautaire », Répertoire de droit
européen, Dalloz, 2014.
54 L’interprétation de l’arrêt est cependant sujette à controverses. V., S. PLATON, « Le champ d’appli-
cation des droits du citoyen européen après les arrêts Zambrano, McCarthy et Dereci », RTD Eur.,
2012, p. 23.
55 P. REUTER, « Quatrième rapport sur la question des traités conclus entre Etats et organisations inter-
nationales ou entre deux ou plusieurs organisations internationales », Annuaire de la Commission
de droit international 1975, vol. II, (http://legal.un.org/ilc/documentation/french/a_cn4_285.pdf).
56 A. RIGAUX, « Territoire communautaire », op. cit., § 4.
Territoire et droit international 53

du « territoire » comme de la « personne » ou du « temps » : notions juridiques


dont la fonction est d’encadrer formellement l’exercice des compétences, elles
varient selon les acceptions que leur confèrent les normes institutrices de ces
compétences. La variation la plus importante en droit international est celle qui
tend, peu à peu mais selon un mouvement constant, à défaire l’espace mondial
de la souveraineté étatique, afin d’y substituer des espaces dont le statut varie
en fonction des compétences qui s’y exercent : à l’unité classique du territoire
étatique répond ainsi la diversité des statuts territoriaux contemporains.

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Résumé
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Le territoire est l’une des « grandes notions » du droit international, né de


la nécessité pour les Etats de répartir leurs compétences sur les continents
européens et américains entre les XVe et XVIIe siècles. Le droit international est
ainsi, d’abord, un ensemble de règles dont l’objet est de permettre la définition
et la délimitation des souverainetés territoriales étatiques. Son rôle a cependant
évolué : le droit international est aussi, aujourd’hui, l’instrument de création de
multiples statuts territoriaux, qui, en se départissant de la souveraineté, espèrent
favoriser par de nouvelles voies la paix et la sécurité internationales.

Abstract

International law and territory are two intertwined notions, at least since
European States’ need of rules to allocate their respective jurisdictions on both
the European and American continents created International law between the
16th and 18th centuries. As of today, International law still is a set of rules that
governed the definition and delimitation of States’ territorial sovereignties. But its
role has evolved: International law is also a tool to create territorial status with no
sovereignty at all, and thus to achieve by new means the two main goals of the
International community: peace and security.

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