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Les Notes de La Fabrique
Organisation responsabilisante :
de l’idée à la réalisation
Pierre Bocquet et François Pellerin
Préface de Jean-Dominique Senard
Un laboratoire d’idées pour l’industrie
La Fabrique de l’industrie est un laboratoire d’idées créé pour que la réflexion collective sur les enjeux
industriels gagne en ampleur et en qualité. Elle est co-présidée par Louis Gallois, ancien président du
conseil de surveillance du Groupe PSA, et Pierre-André de Chalendar, président de Saint-Gobain. Elle
a été fondée en octobre 2011 par des associations d’industriels (Union des industries et des métiers
de la métallurgie, France Industrie, rejoints en 2016 par le Groupe des industries métallurgiques)
partageant la conviction qu’il n’y a pas d’économie forte sans industrie forte. Lieu de réflexion et
de débat, La Fabrique travaille de façon approfondie et pluridisciplinaire sur les perspectives de
l’industrie en France et en Europe, sur l’attractivité de ses métiers, sur les opportunités et les défis
liés à la mondialisation.
Les notes de La Fabrique
La collection des notes de La Fabrique rassemble des contributions écrites aux principaux débats
en cours: emploi et dialogue social, compétitivité, comparaisons internationales... Rédigées par
des observateurs et des experts, et parfois avec le concours d’organisations partenaires, les notes
s’appuient soit sur une analyse collective préalable (typiquement, un groupe de travail), soit sur une
expérience individuelle incontestable. Les notes sont soumises au contrôle des membres du conseil
d’orientation de La Fabrique.
Chaire Futurs de l’industrie et du travail -
Formation, innovation, territoires (FIT²)
Afin de réfléchir à l’organisation du travail et à notre système de formation à la lumière des transformations
numériques, de la mondialisation des chaînes de valeur et des exigences sociétales, Kéa et La Fabrique
de l’industrie, rejoints par Orange, Renault, le Cetim et Michelin, ont fondé la chaire « Futurs de l’industrie
et du travail : formation, innovation, territoires » (FIT2
) à Mines Paris PSL. La chaire FIT2
produit, encourage
et valorise des études sur les futurs possibles de l’industrie et du travail, ainsi que sur les politiques
d’accompagnement de ces transformations. Elle analyse des pratiques d’innovation, de formation,
d’amélioration de la qualité du travail et d’organisation de l’action collective, et anime des groupes de
réflexion multidisciplinaires rassemblant praticiens et chercheurs.
Contact : thierry.weil@minesparis.psl.eu
https://www.chairefit2.org/
Les partenaires de la Chaire FIT2
:
@LFI_LaFabrique
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Organisation responsabilisante :
de l’idée à la réalisation
Pierre Bocquet et François Pellerin, Organisation responsabilisante : de l’idée à la
réalisation, Paris, Presses des Mines, 2024.
ISBN : 978-2-38542-587-6
ISSN : 2495-1706
© La Fabrique de l’industrie
81, boulevard Saint-Michel – 75005 Paris – France
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Direction artistique : Franck Blanchet
Couverture et mise en page : Gwendolyne Tikonoff
Dépôt légal : 2024
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Philadelphia Museum of Art
© The Philadelphia Museum of Art.
Dist. GrandPalaisRmn / image Philadelphia
Museum of Art
Organisation responsabilisante :
de l’idée à la réalisation
Pierre Bocquet et François Pellerin
Préface de Jean-Dominique Senard
Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
5
Préface
Ces dernières années, l’entreprise responsable a beaucoup progressé, et l’on ne peut que
se féliciter de la montée en puissance des politiques de RSE, qui ont atteint un stade de
maturité encourageant. Un nombre croissant d’entreprises ont compris la force qu’elles
peuvent puiser d’une RSE pensée comme une stratégie issue de leur Raison d’être, et pas
seulement comme un corpus de discours imposés par l’air du temps et la réglementation.
Si l’entreprise responsable a beaucoup progressé, il reste cependant du chemin à parcourir.
Et pour aller au bout de la recherche de performance soutenable, nous devons désormais
faire un pas de géant vers l’entreprise… responsabilisante. Cet ouvrage Organisation res-
ponsabilisante : de l’idée à la réalisation arrive à point nommé, et va contribuer à cet in-
dispensable pas de géant. Je suis heureux et honoré de le préfacer, afin de partager quelques
convictions sur l’urgente nécessité de conduire nos entreprises vers la responsabilisation.
S’il y a urgence, c’est que nous sommes aujourd’hui confrontés à une tension de plus
en plus vive entre l’entreprise et le travail. Alors que toutes les études montrent que nos
concitoyens croient en l’entreprise, des chiffres préoccupants indiquent qu’ils se détournent
du travail. Ainsi, une grande majorité sont convaincus que ce sont les entreprises – grâce
à leurs investissements, leurs innovations, leur capacité d’organisation – qui peuvent
répondre le plus efficacement aux grands défis de la planète – nourrir, soigner et loger huit
milliards d’habitants, lutter contre le dérèglement climatique, développer la mobilité ; mais
dans le même temps, seulement 24 % des Français disent que le travail est aujourd’hui
important dans leur vie (ils étaient 60 % à le penser dans les années 1980) et 54 % pensent
que le travail est plus une contrainte qu’un épanouissement (5 points de plus qu’en 2006).
Faut-il alors s’étonner de l’essor inquiétant du désengagement, voire de la souffrance au
travail, sous diverses formes – absentéisme, démissions, ennui, risques psychosociaux ?
Pour expliquer cette désaffection, différentes raisons peuvent être avancées : la dégradation
des conditions de travail dans certains environnements, le mauvais équilibre entre la vie
professionnelle et la vie personnelle, la fracture digitale, l’isolement dû au télétravail etc.
Mais il y a une explication plus importante : le sentiment d’une véritable perte de sens !
6 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
R. Gary rapporte ce mot de de Gaulle, qui illustre ce besoin de sens : « Il se peut bien que
nous allions sur la lune, et cela n’est pas très éloigné de nous. La plus grande distance qu’il
nous reste à couvrir gît cependant au fond de nous-mêmes. » Ce besoin de sens, il est à la
fois collectif et individuel – et l’un ne peut aller sans l’autre : ce qui produit du sens col-
lectif, c’est la Raison d’être, qui a fini par s’installer dans les entreprises. Ce qui produit du
sens individuel, c’est la responsabilisation.
Si l’on considère que les trois leviers du sens au travail sont la finalité du travail, le contenu
du travail et la qualité au travail, alors, on mesure mieux le rôle clé de la raison d’être et de
la responsabilisation : la raison d’être nourrit la finalité et le contenu du travail ; la responsa-
bilisation nourrit le contenu et les conditions d’exercice du travail. Dans une entreprise sans
raison d’être, mais où le management essaye de donner du sens individuel aux équipes, les
salariés avancent, mais ils ne savent pas où ils vont ! Dans une entreprise où il y a une raison
d’être, mais pas de sens individuel, l’entreprise avance, mais sans les salariés : l’équation
gagnante, c’est donc la raison d’être et la responsabilisation !
Alors, comment faire de nos entreprises des organisations responsabilisantes ? Pour y ré-
pondre, cet ouvrage explore avec finesse les différentes dimensions de ce qui est appelé fort
justement « la boussole de la responsabilisation ». Le mot est bien choisi. La responsabi-
lisation est bien une boussole, que les dirigeants et les managers doivent toujours avoir en
poche pour mieux surmonter les détours, les fausses pistes et les impasses qui ne manquent
pas de ralentir et parfois décourager la route vers la responsabilisation.
Pour avoir expérimenté le processus de responsabilisation chez Michelin, sous l’impulsion
de la direction industrielle, et avec des équipes exceptionnelles menées par Jean-Michel
Guillon (DRH) et Bertrand Ballarin (directeur d’usine, puis responsable des relations
sociales), je peux témoigner de la difficulté de la tâche. Nous avons plus d’une fois failli
perdre le nord ! Je me réjouis que le livre consacre un chapitre entier à cette magnifique
entreprise qui m’a tant appris, et qui résume bien la complexité d’une démarche de res-
ponsabilisation, au sein d’un leader industriel mondial à l’histoire emblématique et à la
culture extrêmement forte. Le processus de responsabilisation chez Michelin a pris près
de dix ans. Il nous a appris qu’il est bien plus difficile de conduire une transformation de
la manière d’être d’une entreprise que de modifier sa manière de faire, alors que les deux
sont nécessaires. Il nous a également appris que la nature humaine a de formidables ca-
pacités de résistance, reposant sur l’aversion au risque, sur la crainte, sur la paresse, sur
l’esprit d’inertie, ou sur l’incapacité… Enfin, mener Michelin vers la responsabilisation
7
Préface
nous a également enseigné qu’un tel processus repose sur deux conditions sine qua non :
l’exemplarité des dirigeants, et l’accent mis sur le management intermédiaire.
Car dans une entreprise, les opérateurs, les ouvriers, mesurent en général rapidement ce
qu’ils ont à gagner d’un processus de responsabilisation – autonomie accrue, plus grande
motivation, capacité de mieux progresser. Mais l’encadrement intermédiaire, les agents de
maîtrise doivent accepter de changer profondément de mission, de posture, de culture. Pour
eux, il s’agit de renoncer à un rôle simplifié d’autorité verticale – commander le matin,
superviser l’après-midi, contrôler le soir –, pour passer à un rôle plus incertain, mais beau-
coup plus noble et épanouissant, de développement horizontal – accompagner, soutenir,
motiver, développer les talents. C’est pourquoi aller vers une organisation responsabilisante
passe à mes yeux par une véritable révolution managériale, reposant sur l’écoute, la consi-
dération, l’éthique – conditions de succès du processus de responsabilisation.
Le chemin vers l’organisation responsabilisante est ardu, mais le jeu en vaut la chandelle,
car les fruits de la responsabilisation sont tout à fait exceptionnels, et se mesurent sur le
long terme en performance économique et financière, en capacité d’innovation, en fidélisa-
tion et motivation des équipes. Et la responsabilisation est déjà, en elle-même et à travers
la confiance qu’elle nécessite et manifeste, un geste fondamental de respect et de recon-
naissance. Je l’ai constaté chez Michelin, mais aussi chez Saint-Gobain, et je le mesure en
ce moment chez Renault Group, où notre réorganisation, menée par Luca de Meo, s’est
opérée autour d’entités plus autonomes et responsabilisantes, chacune étant tournée vers
une chaîne de valeur spécifique (la vente de véhicules électriques et de logiciels, la vente
de véhicules thermiques, l’économie circulaire ou les services de mobilité), les équipes
étant désormais plus agiles, spécialisés et responsabilisées…
Ce livre est une formidable source d’inspiration. La démarche de responsabilisation qui
s’y trouve explicitée, avec ses difficultés conceptuelles et managériales, ses principes, ses
points de passage obligés, est un extraordinaire amplificateur d’énergie et une intarissable
source d’espoir. Il s’adresse aux dirigeants et managers de tous les secteurs, qui savent
que l’entreprise responsable, c’est aussi l’entreprise qui responsabilise, car l’organisation
responsabilisante est le seul chemin possible de la performance durable.
Jean-Dominique Senard,
Président du conseil d’administration de Renault Group.
8
Résumé
Les entreprises contemporaines sont souvent attirées par les modèles d’organisation res-
ponsabilisante (OR), mais ceux-ci se révèlent complexes à mettre en place et parfois déce-
vants sur le plan de leurs résultats. C’est qu’en effet une transformation de ce type ne peut
pas être abordée avec des idées simples : elle suppose une acceptation de la complexité
et du temps long. Parce qu’elle agit en profondeur sur la culture d’entreprise, ses effets se
mesurent plutôt en une dizaine d’années qu’en résultats trimestriels.
Cet avertissement à nos lecteurs étant posé, cette étude cherche à répondre à deux questions
récurrentes chez les dirigeantes et les dirigeants : « Quand on parle d’organisation respon-
sabilisante, de quoi parle-t-on exactement ? » et « Par quoi dois-je commencer pour mettre
mon entreprise en mouvement ? ». Pour répondre à ces deux questions, l’ouvrage s’attache
à décrire les grands principes qui gouvernent une OR (de quoi on parle ?) et à proposer une
grille de conception et de mise en œuvre (sur quoi et comment agir ?) permettant de tendre
vers ce système en évitant les impasses les plus fréquentes.
L’étude s’intéresse particulièrement, mais sans exclusive, à l’extension du pouvoir d’agir
chez ceux qui en ont le moins. C’est cette population, notamment en production indus-
trielle et en logistique, qui subit un travail routinier, répétitif, souvent pénible et faiblement
reconnu, et c’est elle qui dispose de perspectives moindres en matière d’évolution profes-
sionnelle. Pour toutes ces personnes, travailler dans une OR peut représenter une avancée
personnelle, professionnelle et sociale. En dépit de ce tropisme industriel, la démarche
proposée est applicable à tout type d’organisation, moyennant adaptations.
L’OR, pourquoi ?
Du point de vue de l’entreprise, il ne manque pas de bonnes raisons pour enclencher une
telle évolution. L’OR soutient l’avènement d’une entreprise responsable (une option de
moins en moins optionnelle en raison, entre autres, du renforcement des contraintes régle-
mentaires) qui doit réussir à concilier dans le travail réel des objectifs multiples et rarement
alignés (personnes, planète, profit). L’OR répond à des objectifs d’agilité, de flexibilité et
9
Résumé
de rapidité, par la déconcentration du pouvoir de décision au plus près du niveau où les
problèmes apparaissent. Là où elle existait, elle a notamment permis de surmonter plus
aisément une pandémie comme celle du Covid-19, quand les équipes opérationnelles de
production se trouvaient sur le terrain et que le management était confiné et à distance. Elle
correspond aussi à une évolution des attentes des salariés qui aspirent depuis longtemps à
davantage de confiance de la part de leur hiérarchie et de marges de manœuvre dans leur
travail. Elle fournit des arguments d’attractivité à des secteurs où le travail est tradition-
nellement très prescrit et où les conditions de travail sont jugées difficiles, en développant
les compétences de ceux qui y travaillent, en rendant le travail moins répétitif et plus inté-
ressant et en leur ouvrant des perspectives accrues d’employabilité et d’ascension sociale
(à la condition que les systèmes RH s’adaptent). Elle agit sur l’engagement des personnes
pour juguler les difficultés de recrutement, le turn-over et l’absentéisme. Enfin, la respon-
sabilisation se révèle une ressource tant pour la santé des salariés que pour l’efficacité du
travail, quand les collaborateurs disposent de latitude pour proposer des améliorations et
participer à la régulation de leur activité. En définitive, l’organisation responsabilisante
paraît bien adaptée à notre monde complexe.
Ces arguments sont connus et reconnus, mais il y a loin de la coupe aux lèvres. La trans-
formation vers une organisation responsabilisante s’apparente davantage à une exploration
dirigée qu’à une ligne droite entre un pointAet un point B. Pour conduire cette exploration,
les organisations ont besoin d’une boussole.
L’OR, sur quoi agir ?
La boussole de la responsabilisation est constituée de cinq dimensions qui font système :
responsabilité, subsidiarité, solidarité, collégialité et activité. Ces dimensions forment un
système dans la mesure où agir sur l’une provoque une évolution des autres.
La responsabilité est le principe selon lequel chacun doit rendre des comptes à la mesure
de son pouvoir d’agir. L’objectif de la responsabilisation est d’élargir et d’enrichir pro-
gressivement le niveau de redevabilité de chacun (et donc d’accroître le pouvoir d’agir de
chacun). Le pouvoir d’agir suppose le droit d’agir et la compétence pour agir à son niveau,
au sein d’une chaîne de responsabilité.
La subsidiarité est le principe selon lequel les échelons supérieurs s’interdisent de s’appro-
prier les attributions dont les échelons inférieurs sont capables de s’acquitter à leur seule
initiative et par leurs propres moyens. Il tient son nom du latin subsidium (réserve, soutien),
10 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
marquant par là que le rôle des échelons supérieurs est d’apporter leur aide et leur soutien
si le besoin en est exprimé par un échelon subordonné, jamais de se substituer à lui.
La solidarité se traduit par l’assistance et la coopération qui se développent entre les
personnes d’un groupe ou d’une communauté, du fait du lien qui les unit au service d’un
objectif commun. Dans les organisations, elle s’exerce prioritairement au sein de la com-
munauté de travail.
La collégialité renvoie à la pratique de la délibération en groupe, dans un esprit d’intelli-
gence collective et d’enrichissement des décisions à prendre. Elle renvoie également au
principe de construction collective des solutions, ce qui évite de se retrouver seul face à
une décision difficile ou à une responsabilité potentiellement anxiogène, préservant ainsi
le bien-être et la santé mentale des salariés.
L’activité se concentre sur la différence entre le travail prescrit et le travail réel, et sur les
solutions que les personnes mettent en œuvre pour résoudre cette discontinuité. L’analyse
de l’activité a pour objectif de favoriser la contribution des travailleurs à la (re)conception
des règles qui leur permettront de faire du « bon travail », source de leur santé physique
et mentale.
Le but de cette boussole est de faire réfléchir l’équipe dirigeante, et par la suite toute l’or-
ganisation, sur ces cinq dimensions avant et pendant la transformation. Chacune va être
« dépliée » afin qu’en soient compris la portée, les interactions, les limites et les risques. Ce
cadre de pensée peut paraître théorique, mais son appropriation est en réalité indispensable
pour définir l’ambition qu’on veut se donner et les modes d’action concrets pour y parvenir.
Cette réflexion permet de bâtir une première vision du système cible que le dirigeant et sa
« coalition » cherchent à faire émerger, en s’appuyant sur les forces existantes de l’organi-
sation. Cette vision sera remise sur le métier et ajustée au fur et à mesure des enseignements
tirés des premières expérimentations. La boussole permet aussi de construire des échelles
de progrès sur les cinq dimensions, afin d’évaluer la maturation progressive de la transfor-
mation vers l’OR (le radar de la responsabilisation).
Guidée par les dimensions de la boussole, la conception de la nouvelle organisation devra
suivre quelques principes de construction : i) constituer des équipes de travail sur de nou-
veaux territoires, généralement plus petits que dans l’organisation précédente, pour favo-
riser la solidarité et la collégialité ; ii) répartir de nouvelles responsabilités (les « rôles »)
sur le plus grand nombre possible d’équipiers pour favoriser la responsabilisation et la
11
Résumé
subsidiarité ; iii) refonder le système de management, incluant : la réorientation des com-
portements et des priorités des managers et des fonctions support, le système de remontée
aux niveaux supérieurs des sujets qui ne peuvent pas être traités au niveau inférieur et de
redescente rapide des solutions, le système de reconnaissance et de gestion des carrières.
Cette conception va permettre d’aller beaucoup plus loin dans la responsabilisation et le
pouvoir d’agir des collaborateurs que ne le permet l’application des principes du lean ma-
nagement, en élargissant progressivement les champs de responsabilité des acteurs.
L’OR, comment agir ?
Trois exemples de transformation (deux PME et un grand groupe) vont nous permettre de
constater que les chemins vers l’OR peuvent être très divers. Pour autant, cette diversité
n’exclut pas de proposer un itinéraire conseillé pour conduire une telle transformation. Ce
vade-mecum comprend trois grandes phases : i) l’impulsion donnée par une équipe diri-
geante alignée et déterminée ; ii) l’embarquement du corps social ; iii) la refonte partici-
pative et progressive de l’organisation. Cette apparence séquentielle ne doit cependant pas
dissimuler qu’en pratique, ces phases se chevaucheront souvent, surtout si l’organisation
est grande. Elles devront en outre être répétées à chaque cycle de transformation.
La phase 3 doit permettre de faire évoluer les éléments tangibles de l’organisation selon
un enchaînement logique et un processus assez largement ouvert à la délibération avec les
salariés : i) définir initialement les missions et les responsabilités qui leur sont associées ;
ii) au sein d’un « territoire » donné (équipe) où s’exercera la responsabilité solidaire et le
sentiment d’appartenance ; iii) installer les communautés sur ces territoires en leur permet-
tant de définir leurs modes de fonctionnement ; iv) fournir les ressources nécessaires à l’au-
tonomisation des communautés (montée en compétences, information, équipements…) ;
v) mettre en place les instances de délibération et de décision qui permettront les interac-
tions et les coopérations ; vi) anticiper les changements RH que le nouveau système im-
plique (formation, coaching, système de reconnaissance…).
Pour que ce nouveau système émerge, l’exploration aura besoin de managers « jardiniers »
capables de défricher de nouveaux territoires, de développer les personnes et d’ouvrir pro-
gressivement de nouveaux champs de responsabilité aux équipes, sans prendre de risques
inconsidérés pour les personnes comme pour l’organisation. On constate cependant que,
trop souvent, l’accompagnement des managers se limite à des injonctions de changement
de posture sans prise en compte ni analyse de l’activité managériale elle-même, notamment
de la disponibilité du manager pour superviser activement son équipe.
12 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Enfin, la pérennisation du système fait partie des points les plus délicats. Parce que le
modèle responsabilisant s’inscrit dans un temps long, il va se heurter à de multiples fac-
teurs perturbateurs, parmi lesquels figurent les changements de gouvernance, l’instabilité
du management et du personnel, ou encore la volonté de standardisation maximale des
opérations. La persistance et la cohérence du soutien du Comex à l’OR demeurent donc une
condition sine qua non de sa pérennité, mais un tel soutien dans la durée est naturellement
impossible à garantir, faisant des OR un modèle hautement réversible.
Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
14
Sommaire
Préface  5
Résumé  8
Introduction  18
Chapitre 1
Qu’entend-on par organisation responsabilisante ?  25
Chapitre 2
Les trois « pourquoi » d’une transformation
responsabilisante  31
Le « pourquoi » de l’entreprise  31
Les « pourquoi » du dirigeant ou de l’équipe dirigeante  33
Le « pourquoi » des salariés  38
15
Sommaire
Chapitre 3
La boussole de la responsabilisation :
cinq dimensions qui font système  41
Les cinq points cardinaux de la boussole de la responsabilisation  41
Subsidiarité  48
Solidarité  52
Collégialité  55
Activité  62
Chapitre 4
La boussole de la responsabilisation en action  65
Construire une vision de la transformation  65
Déterminer sur quoi agir  66
Évaluer la maturité de la transformation  72
Chapitre 5
Deux exemples de transformation responsabilisante dans
des PME  75
Un peu d’histoire  75
Des points communs structurels  77
Des chemins différenciés avec des composantes communes  77
Bilan de l’organisation responsabilisante  82
16 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Chapitre 6
La transformation du groupe Michelin  85
Michelin et le taylorisme  85
Des High-Performance Teams aux organisations responsabilisantes du futur  86
I Care : transformer l’attitude des managers  90
VADE-MECUM – Itinéraire conseillé pour une transformation
responsabilisante  94
En préambule : diagnostic ou non ?  94
Trois séquences de transformation  95
Conclusion  123
Bibliographie  125
Annexe  131
17
« Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de
porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses
à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui
ne leur viendraient pas sans moi, mais qui ne seraient pas
ce qu’ils sont sans elles. »
Georges Canguilhem
18
INTRODUCTION
Les « organisations responsabilisantes » (OR) sont un serpent de mer de la théorie et de la
pratique des organisations. Un ouvrage récent (Canivenc, 2022) a décrit les origines histo-
riques et les formes diverses prises par cette aspiration toujours renouvelée à des modalités
de pilotage qui rompraient avec le modèle d’organisation pyramidal et hiérarchique, et
avec sa dérive bureaucratique. Il paraît de mieux en mieux admis que des équipes respon-
sabilisées sont adaptées à un monde complexe et instable, et devraient en principe obtenir
de meilleurs résultats que des individus ou des groupes à qui l’on demande d’exécuter
scrupuleusement des consignes. Cette idée ancienne a fait son chemin et été expérimentée
par un nombre significatif d’entreprises avec des niveaux variés d’ambition, d’objectifs et
surtout… de résultats. Thierry Weil et Anne-Sophie Dubey (2020) ont ainsi documenté et
comparé par questionnaire systématique une dizaine de cas de transformation responsabi-
lisante, constituant une plateforme de cas qui permet à chacun de comprendre les ressorts,
les contraintes et les difficultés que rencontre ce type de transformation.
Force est de constater qu’en dépit d’une littérature pléthorique, les entreprises tournent
en rond sur ces sujets. Elles bloquent, elles titubent, elles tâtonnent, elles freinent, elles
renoncent, elles recommencent. Une démarche de responsabilisation, selon la manière
dont elle aura été conçue et conduite mais aussi selon le moment où sera prise la « photo-
graphie » de cette évolution, peut donner à voir des effets très variables : amélioration des
résultats économiques et bonne ambiance de travail, agilité renforcée et meilleure attracti-
vité, ou désorganisation de la production et déstabilisation du corps social, assortie d’une
dégradation de l’ambiance de travail et de l’émergence de risques psychosociaux, à rebours
des effets qu’elle était censée soutenir (Picard, 2015 ; Weil et Dubey, 2020 ; Canivenc,
2022). Dans d’autres cas encore, les résultats seront cosmétiques et peu pérennes, soumis
aux aléas des changements de gouvernance.
Qu’est-ce qui rend les transformations responsabilisantes si difficiles ? Plusieurs raisons
expliquent les difficultés rencontrées.
19
D’abord, ces transformations sont systémiques. Si l’on tente de libérer les énergies hu-
maines tout en maintenant en place le reste du système que l’on cherche à transformer, on
aboutit à… l’homéostasie1
, et l’on blâmera alors la transformation de n’avoir pas réussi.
C’est plutôt le contraire qui serait étonnant ! Les collaborateurs, individus adultes qui as-
sument dans leur vie personnelle un grand nombre de responsabilités et ne s’en sortent pas
si mal (un foyer, une famille, une maison, un budget, des dépenses, des emprunts), entrent,
dès qu’ils franchissent la porte de l’entreprise, « dans un univers rempli de normes, modes
opératoires, procédures, KPI, tableaux de gestion, tableaux de reporting, entretiens annuels,
objectifs annuels, référentiels managériaux, plans d’action, manuels Qualité, SI, démarches
et déclaratifs de toutes sortes… qui les obligent à dire ce qu’ils font, comment ils le font,
avec qui ils le font, avec quel budget, ce qu’ils ont fait, les résultats obtenus, ce qu’ils vont
faire, les résultats attendus, les écarts aux résultats, les plans d’action correctifs, les projec-
tions, les prévisions, etc. » (Tonnelé, 2023). Face à cette « hyper-rationalisation » des orga-
nisations, comment les collaborateurs auraient-ils le temps et l’envie d’engager leur tête et
leur cœur dans le travail, d’avoir des idées, de la créativité, de prendre des initiatives et de
trouver du sens à leur travail ? La simplification des processus et du reporting sera donc sys-
tématiquement au menu de la transformation vers une organisation responsabilisante. Mais
selon un adage bien connu et ô combien pertinent, « faire simple, c’est très compliqué ».
Ce qui nous amène à une deuxième idée concernant la difficulté des transformations res-
ponsabilisantes : elles ne peuvent pas être abordées avec des idées simples. Elles reposent
tout au contraire sur la pensée complexe au sens d’Edgar Morin (1980) : « Le complexe
‒ ce qui est tressé ensemble − constitue un tissu étroitement uni bien que les fils qui le
constituent soient extrêmement divers. »Ainsi que l’explique Bertrand Ballarin, ancien di-
recteur des relations sociales chez Michelin, qui participa à une transformation de ce type :
« Pour être capable de porter une telle transformation dans la durée, il faut avoir beaucoup
de convictions et, pour avoir beaucoup de convictions, il faut avoir beaucoup de réflexion
et, pour avoir beaucoup de réflexion, il faut avoir beaucoup de culture, et une culture qui
plonge ses racines dans des registres différents et variés. »
On peut déduire de ces prémices trois grandes caractéristiques de la conduite de ces trans-
formations, qui ajoutent autant de difficultés au chemin.
1. Homéostasie (Larousse) : caractéristique d’un écosystème qui résiste aux changements et conserve son état d’équilibre
antérieur.
Introduction
20 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Premièrement, une transformation de ce type prend du temps. Parce qu’elle vise un chan-
gement profond de la culture et de la structure organisationnelles, il ne s’agit pas d’une
transformation « presse-bouton » dont les résultats seront visibles et mesurables immé-
diatement. Il y faut de la persévérance et de la tolérance à l’incertitude. Ces conditions
nécessitent à leur tour une stabilité de la gouvernance ou, du moins, une inscription dans
une vision de long terme incompatible avec des changements de direction fréquents ou la
focalisation sur des résultats trimestriels. C’est ce qui explique que ces transformations
soient plus « faciles » (mais ce n’est guère facile !) à réussir dans des entreprises à gou-
vernance familiale ou à actionnariat très stable. À la stabilité de la gouvernance doit aussi
répondre une certaine stabilité du corps social. En effet, devenir « responsable » requiert
un temps d’apprentissage assez long. L’organisation responsabilisante (OR) chemine en
capitalisant sur le développement de compétences professionnelles et comportementales.
Le turn-over subi (démissions) ou organisé (contrats temporaires) représente donc un frein
considérable à l’enracinement de l’OR.
Deuxièmement, ces transformations ont pour particularité de reposer, dans la durée, sur
l’adhésion et la participation de l’essentiel du corps social de l’entreprise. Même si l’ini-
tiative repose quasiment toujours sur la volonté et la conviction d’un dirigeant ou d’une
équipe dirigeante, la transformation vers l’OR ne peut pas être opérée de manière top-
down. Elle ne peut être ni décrétée, ni imposée, mais seulement impulsée et « organisée ».
Autrement dit, l’équipe dirigeante devra résister en permanence à la tentation de passer en
mode top-down pour accélérer le processus et obtenir des « résultats » – ce qui équivau-
drait à signer la fin et l’échec de la transformation. Et, en même temps, elle devra continuer
à soutenir et à communiquer les intentions, et rester une force d’impulsion. Ce n’est pas
le moindre des paradoxes que doit affronter un dirigeant qui entre dans un tel processus :
autolimiter son pouvoir d’intervention et continuer à impulser de l’énergie en continu.
Troisièmement, ces transformations relèvent de l’ordre de l’exploration-itération. Elles
n’obéissent pas à une planification rigoureuse, ni ne suivent un chemin balisé par des étapes
précises et successives. Une transformation consiste traditionnellement à aller d’un état A
connu vers un état B plus ou moins connu et défini, d’une manière qui tend à être rigoureu-
sement pilotée. Dans le changement vers une OR, en revanche, la cible et les moyens pour
l’atteindre restent mouvants et se précisent au fur et à mesure de l’avancement, en gardant
un esprit très ouvert aux opportunités et aux corrections.
21
Introduction
Au vu de l’indétermination qu’implique cette démarche, le projet même de cet ouvrage
peut sembler paradoxal. Peut-on enserrer dans une méthode de « transformation » ce qui
relève pour chaque entreprise d’une exploration particulière liée à un nombre important de
paramètres qui lui sont propres ? Peut-on enfermer dans un cadre séquentiel ce qui n’est
que boucles d’apprentissage et itérations ? Notre position, nourrie par les observations et
les témoignages, est que ce type de transformation s’apparente à une exploration dirigée :
pas vraiment linéaire, ouverte à la surprise et à l’inattendu, mais nécessitant un cadrage
solide. Ce livre, qui est lui-même une proposition exploratoire, vous propose donc une
randonnée en montagne avec une boussole, un itinéraire conseillé, et tout l’équipement
nécessaire à votre aventure.
Il tente ainsi de répondre à deux questions récurrentes chez les dirigeantes et les dirigeants :
« Quand on parle d’organisation responsabilisante, de quoi parle-t-on ? » et « Par quoi
dois-je commencer pour mettre mon entreprise en mouvement ? ». Son objectif est à la
fois de décrire les principes qui gouvernent une organisation responsabilisante (de quoi
parle-t-on ?) et de proposer une grille de conception permettant de commencer à avancer
vers ce système (par quoi dois-je commencer ? sur quoi dois-je agir ?). La finalité est d’en-
courager les dirigeants à passer de la conviction à l’action, en évitant les impasses les plus
fréquentes, en minimisant les conséquences les plus néfastes et en améliorant la cohérence
de l’action envisagée.
Nous avons constitué, dans ce but, un groupe de travail autour des mécènes2
de la chaire
Futurs de l’industrie et du travail - Formation, innovation, territoires (FIT²)3
qui s’inter-
rogeaient eux-mêmes sur ce sujet. Nous avons auditionné non seulement des chefs d’en-
treprise, mais aussi des consultants expérimentés sur ces questions. Nous avons beaucoup
échangé, sans tomber toujours parfaitement d’accord tant les entreprises sont diverses
(taille, secteur d’activité, enjeux, culture, gouvernance). En dépit de ces différences, nous
avons abouti à des éléments de convergence qui constituent les briques de la démarche que
nous vous présentons ici.
2. À la date de l’étude : Cetim, Kéa, La Fabrique de l’industrie, Michelin, Orange et Renault Group.
3. La chaire FIT² produit des études sur les futurs possibles de l’industrie et du travail, ainsi que sur les politiques
d’accompagnement de ces transformations. Elle analyse notamment des pratiques d’innovation, de formation, d’amélioration
de la qualité du travail et d’organisation de l’action collective.
22 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Vous constaterez que notre démarche révèle un certain tropisme industriel. Elle accorde
en effet une place importante à l’émancipation du travail en usine, notamment celui des
opérateurs et des opératrices de production. Il y a plusieurs raisons à cela.
D’abord, notre profil : nous sommes tous deux des enfants de l’industrie et de l’usine,
et nous parlons inévitablement de ce que nous connaissons le mieux. Ensuite, le travail
de production industrielle est traditionnellement fondé sur une extrême prescription des
tâches. C’est donc un terrain particulièrement fécond pour comprendre ce que peut repré-
senter l’extension du pouvoir d’agir des salariés dans des systèmes contraints. Enfin, alors
qu’on ne parle quasiment plus d’ouvriers, vestiges d’une ère industrielle perçue comme
révolue4
, ils sont encore 5 millions dans notre pays, soit 20 % de l’emploi total tous sec-
teurs confondus (Forment et Vidalenc, 2020). Si, selon l’Insee, leur part dans l’emploi est
passée pour la première fois en 2020 au-dessous de celle des cadres, les ouvriers sont loin
d’avoir disparu du paysage, même si leur répartition a changé : la part des ouvriers qua-
lifiés de type industriel (production et maintenance) n’a que faiblement reculé depuis les
années 1980 (ils représentent 20 % des ouvriers), alors que les ouvriers non qualifiés sont
en fort repli dans l’industrie, mais très présents dans les transports, la logistique ainsi que
dans le bâtiment et les travaux publics. Certaines catégories d’ouvriers (de type artisanal)
bénéficient d’une forte autonomie, quand d’autres continuent de travailler dans des sys-
tèmes extrêmement prescrits.
D’une manière générale, l’organisation responsabilisante devrait s’attacher prioritairement
à donner des marges de manœuvre à ceux qui en disposent le moins. C’est cette population
qui subit un travail routinier, répétitif, souvent pénible et faiblement reconnu, et c’est elle
qui dispose de perspectives moindres en matière d’évolution professionnelle. Pour toutes
ces personnes, travailler dans une OR peut représenter une avancée personnelle, profession-
nelle et sociale. En dépit de son tropisme industriel, la démarche proposée est applicable à
tout type d’organisation, moyennant adaptations.
4. Voir le documentaire Nous les ouvriers, france.tv (Béziat et Nancy, 2023).
23
Introduction
Méthode de l’étude
L’analyse et la démarche proposées dans cet ouvrage reposent sur les auditions et les
échanges menés au sein d’un groupe de travail qui s’est réuni une dizaine de fois au
cours de l’année 2023.
Animateurs du groupe de travail : François Pellerin et Pierre Bocquet (Chaire FIT2
).
Membres du groupe de travail : Pierre-Marie Gaillot (Cetim) ; François Maisonneuve
(Kéa) ; François Levert (Michelin) ; Valérie Duburcq et Christophe Roblin (Orange) ;
Frédéric d’Arrentières (Renault Group) ; Suzy Canivenc (Chaire FIT2
) ; Thierry Weil
(Chaire FIT2
).
Ont également participé : Laurence Thouveny (Orange), Bénédicte Ménard (Renault
Group).
Séances et auditions
• Réunion de lancement, 11 janvier 2023
• Témoignage Cetim, 26 janvier : Pierre-Marie Gaillot et Vincent Nourrisson
• Témoignage Michelin (Manufacturing), 27 février : Pierre Bocquet et François Levert
• Témoignage Kéa, 21 mars : Thibaut Cournarie et Claire de Colombel
• Témoignage Meliae Consulting/Groupe Citwell, 22 mars : Stéphane Lescure
• Témoignage Martin Technologies, 24 avril : Laurent Bizien
• Témoignage Renault Group (Ingénierie), 25 avril : Frédéric d’Arrentières, Olivier
Pareja et Sylvain Gelfi
• Témoignage Lippi, 26 mai : Frédéric Lippi
• Réunion de synthèse, 23 mai
• Réunion de synthèse, 14 juin
Rapporteur des synthèses : Élisabeth Bourguinat.
N.B. Les propos des participants ont été tenus à titre personnel et n’engagent pas leurs
organisations d’appartenance. Les verbatim figurant dans le présent ouvrage ont été
soumis à leurs émetteurs pour validation.
Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
25
CHAPITRE 1
Qu’entend-on par organisation
responsabilisante ?
La première idée que véhicule le concept
d’organisation responsabilisante (OR) est
de faire du fonctionnement de l’entreprise
un facteur de différenciation et de compé-
titivité, en s’intéressant aux aspects mana-
gériaux et humains de l’organisation, alors
que durant plusieurs décennies, du fait d’un
niveau de chômage élevé, ce facteur humain
a été relégué au rang de « commodité ».
Une OR considère l’élargissement et l’en-
richissement de la responsabilité de chacun
comme un moteur indispensable de l’en-
gagement de ses membres, qui condi-
tionne in fine la performance durable de
l’organisation. Elle vise à créer un envi-
ronnement de travail propice au renfor-
cement de la motivation intrinsèque des
employés (voir encadré en page suivante).
Stéphane Lescure du cabinet de conseil
Meliae Consulting/Groupe Citwell utilise
l’expression d’« environnement de travail
automotivant ». Une autre manière de la
définir serait de dire que l’OR accorde plus
d’importance (ou une importance au moins
égale) à la ressource que représentent les
hommes et les femmes (connaissance, in-
telligence, savoir-faire, expérience, intui-
tion, sensibilité) qu’aux systèmes (struc-
tures, process, technologies).
Une des principales caractéristiques de
l’OR est qu’elle transforme la manière de
conduire les opérations, en passant pro-
gressivement d’un modèle traditionnel de
commandement fondé sur l’obéissance et
la conformité, à un système dit responsabi-
lisant, fondé sur la capacité des personnes
à prendre des initiatives, à s’adapter rapi-
dement aux aléas, voire à faire preuve de
créativité, sans pour autant abandonner
l’idée de cadrage.
26 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
La satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux : à la
source de la motivation intrinsèque et du bien-être au travail
La théorie de l’autodétermination, associée aux travaux de Ryan et Deci (1996), est
un modèle de la motivation humaine qui met en lumière notre aspiration naturelle à
l’autodétermination et à l’épanouissement personnel. Elle suggère que les êtres humains
cherchent à satisfaire un certain nombre de besoins psychologiques fondamentaux qui,
lorsqu’ils sont comblés, peuvent conduire à une plus grande motivation intrinsèque et
à un bien-être psychologique accru.
La théorie de l’autodétermination distingue deux types de motivations : intrinsèque et
extrinsèque.
Dans le cadre de la motivation intrinsèque, l’action est conduite uniquement par
l’intérêt et le plaisir que l’individu y trouve, sans attente de récompense externe. Les
individus s’engagent dans des activités parce qu’ils les trouvent gratifiantes, plaisantes
et stimulantes en elles-mêmes. La motivation intrinsèque provient de la passion, du
désir de maîtrise et de la recherche de sens dans ce que nous faisons.
Dans le cadre de la motivation extrinsèque, l’action est provoquée par une circonstance
extérieure à l’individu (punition, récompense, pression sociale, obtention de l’approbation
d’une personne tierce, salaire, primes…). Les facteurs de motivation extrinsèque sont à
manier avec beaucoup de précaution, car ils peuvent venir affaiblir la motivation intrinsèque.
Les trois besoins psychologiques fondamentaux, piliers de la motivation intrinsèque,
sont : l’autonomie, la compétence et la relation.
L’autonomie concerne le sentiment de maîtriser ses propres actions et décisions,
sans forcément aspirer à une indépendance complète vis-à-vis d’autrui. Elle est liée
au sentiment d’être l’acteur principal de sa vie, de ses actions et de ses choix, plutôt
que de se sentir contraint par des facteurs externes. Dans un contexte de travail,
par exemple, un employé peut se sentir autonome s’il a la possibilité de prendre des
décisions sur la manière dont il accomplit ses tâches.
La compétence se réfère au besoin de maîtriser notre environnement et de nous
sentir efficace dans les interactions avec celui-ci. C’est le sentiment d’être « capable »
dans les activités que nous entreprenons. Pour satisfaire ce besoin, il faut avoir des
occasions de renforcer ses compétences et de surmonter des défis.
La relation (relatedness) renvoie au désir d’être connecté aux autres, d’appartenir à un
groupe et de se sentir apprécié et compris. Les relations positives avec les autres contribuent
à notre sentiment de sécurité, à notre estime de soi et à notre capacité à nous épanouir.
En comprenant ces besoins et en travaillant à leur satisfaction, il est possible de créer
des environnements de travail qui favorisent l’épanouissement personnel et le bien-être
psychologique.
27
Chapitre 1. Qu’entend-on par organisation responsabilisante ?
Le mode de management dit de comman-
dement et contrôle5
tente traditionnellement
de régler en détail les comportements et les
gestes des employés, de manière qu’ils ne
puissent pas s’écarter de la ligne fixée par
les managers et les services support. Les
managers sont choisis pour leur capacité à
faire « tourner » le système, à éteindre les
feux, à décider de tout et à faire appliquer
leurs décisions et méthodes. Et in fine à re-
connaître la loyauté de leurs équipiers dans
l’exécution.
Dans ce modèle, la responsabilité des em-
ployés qui exécutent le travail est limitée à
la conformité d’application de normes, de
règles et de modes opératoires. La perfor-
mance globale du collectif est exclusive-
ment du ressort des managers et de quelques
activités support, en capacité d’exercer une
supervision du travail de nature à enrayer
les dérives, à obtenir la performance sou-
haitée et à trouver des voies de progrès.
Ce modèle a évidemment évolué depuis
l’avènement du taylorisme. Les orga-
nisations contemporaines sont toujours
convaincues, à juste titre, que les règles, les
normes et les standards de qualité sont in-
dispensables pour faire du bon travail. Mais
elles se sont aussi rendu compte que la
5. Traduction de command and control. Notons que contrairement à la traduction courante qui fait de to control l’équivalent
de « contrôler » en français, to control signifie en réalité « maîtriser » (avoir la maîtrise d’une situation, de ses émotions, etc.),
c’est-à-dire « avoir une situation sous contrôle » plutôt qu’avoir un comportement de manager « contrôlant ». Dans son sens
originel, le mode command and control reste tout à fait d’actualité, car garder la maîtrise des situations est à l’évidence la
mission centrale des managers.
nature du travail s’est complexifiée, du fait
de la diversité et de la personnalisation des
produits et des services, mais aussi du fait
de la fragmentation des chaînes de valeur
et de leurs multiples interfaces. Les situa-
tions de travail présentent ainsi de plus en
plus de singularités, que les prescriptions,
aussi précises soient-elles, ne parviennent
plus à décrire de manière exhaustive. En
définitive, l’OR peut être vue comme une
réponse à la complexité. Les théoriciens
des organisations ont en effet identifié
depuis longtemps que l’organisation di-
rective et pyramidale est pertinente dans
des cas de relative simplicité des objectifs,
mais qu’elle l’est beaucoup moins dans des
situations complexes caractérisées par un
haut niveau d’incertitude et d’instabilité
(Burns et Stalker, 1961).
Comme l’expliquent respectivement Yves
Clot (2021) et Mathieu Detchessahar
(2019), la complexité entraîne le besoin
d’un recours accru à la délibération et
aux arbitrages sur la manière de faire un
« bon » travail, car il n’y a généralement
pas qu’une seule bonne manière d’opérer.
Ces auteurs recommandent de sortir du
« délire » techniciste consistant à vouloir
« capturer » la totalité du contenu du travail
par la multiplication des prescriptions et
28 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
des contrôles. Tout au contraire, dans ce
monde complexe de l’interdépendance
assumée, chacun doit pouvoir disposer
d’une latitude pour construire de manière
coopérative les normes auxquelles il sera
soumis, à travers un dialogue entre ceux
qui prescrivent le travail, ceux qui le gèrent
et ceux qui l’exécutent. En fait, chacune de
ces catégories doit faire bouger son rôle et
son cadre, en acceptant de se nourrir des
savoirs et des besoins des autres catégories.
Le « modèle » responsabilisant fait parta-
ger à tous les membres la vision de ce qui
est bon pour l’entité, puis il déplace pro-
gressivement les frontières des responsabi-
lités et des compétences, pose des principes
généraux de comportement et d’action, et
laisse les employés trouver par eux-mêmes
le chemin et la manière qui vont leur per-
mettre de contribuer efficacement aux ob-
jectifs définis par les niveaux hiérarchiques
supérieurs. On cherche alors des managers
servant leaders6
qui auront la capacité
d’orienter et de faire progresser leurs équi-
piers, de partager des défis et de développer
l’amélioration continue, de faire confiance
(lâcher prise) et d’encourager et de recon-
naître les initiatives et l’engagement.
L’OR est donc une organisation dans la-
quelle faire gagner l’entité n’est plus uni-
quement le souci de certains, mais devient
6. On doit cette expression à Robert K. Greenleaf (1904-1990), fondateur du Greenleaf Center for Servant Leadership
(initialement appelé Center for Applied Ethics).
celui de tous. C’est toute l’équipe qui se
sent maintenant responsable de la perfor-
mance du collectif, et qui va commencer
à voir comment sa propre performance
contribue aux résultats plus globaux de
l’entité… Prenons l’exemple d’une équipe
dans l’industrie qui fait face à un retard de
production qu’elle doit rattraper. Dans une
organisation traditionnelle, c’est au res-
ponsable de l’équipe de décider la mise en
œuvre des moyens pour rattraper le retard
(demande d’heures supplémentaires aux
équipiers ou sollicitation d’une ressource
externe), et aux services support d’organi-
ser ces moyens. Dans une organisation res-
ponsabilisée, c’est le collectif de travail qui
décide des moyens de rattraper son retard
et qui mobilise ses ressources pour le faire.
Mais pour cela, encore faut-il, d’une part,
que les individus comme les équipes aient
compris les enjeux dudit retard de produc-
tion et aient envie de s’engager à le rattra-
per et, d’autre part, qu’ils aient accès à des
ressources externes si elles s’avèrent né-
cessaires.
La démarche de responsabilisation parie
sur l’intelligence des acteurs, en mobili-
sant l’ensemble de leurs capacités, ce qui
permet d’insuffler aux méthodes de travail
un dynamisme dont elles manquent trop
souvent. Les processus s’accélèrent, l’orga-
nisation devient plus agile et les personnes
29
Chapitre 1. Qu’entend-on par organisation responsabilisante ?
s’investissent davantage pour résoudre les
problèmes qui correspondent à leur niveau
d’expertise.
Les gains attendus pour l’entreprise portent
en général sur l’amélioration de la santé et
du bien-être au travail, du time-to-market,
de la qualité des produits et des services, de
la flexibilité des opérations et de la réactivi-
té. S’y ajoute aussi une dimension d’attrac-
tivité, car disposer d’une certaine liberté
d’action répond à une attente des employés,
notamment des plus jeunes. En élargissant
et en enrichissant les tâches, en créant un
fort esprit d’équipe et un vrai sentiment
d’appartenance, en utilisant pleinement
les compétences de tous, l’OR permet aux
personnes de trouver davantage de sens à
ce qu’elles font quotidiennement. Le fonc-
tionnement en OR est donc un des leviers
qui permet de donner aux employés l’envie
de venir et de rester dans l’entreprise.
L’OR est une organisation dans
laquelle faire gagner l’entité n’est plus
uniquement le souci de certains, mais
devient celui de tous.
Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
31
CHAPITRE 2
Les trois « pourquoi » d’une transformation
responsabilisante
7. Fondateur de l’École de Chicago, Milton Friedman (1912-2006) est souvent considéré comme le père de la « valeur
actionnariale de l’entreprise ».
Si, comme nous l’avons évoqué en intro-
duction, les transformations responsabili-
santes sont complexes à mener, prennent
du temps et ne produisent pas forcément les
résultats escomptés, qu’est-ce qui peut bien
pousser les organisations à tenter encore et
toujours d’y revenir ? C’est qu’il existe évi-
demment une foule de bonnes raisons qui
se conjuguent pour inciter les entreprises
à entreprendre cette démarche. Nous les
avons rassemblées selon trois « pourquoi »
qui sont aussi autant de « pour quoi ».
Le « pourquoi » de l’entreprise
Pendant longtemps, le but de l’entreprise
a été peu questionné car il était considé-
ré comme évident. Le développement de
l’entreprise et la création de valeur pour
ses actionnaires représentaient les fina-
lités principales, voire uniques, de son
action. La richesse ainsi créée était sup-
posée « ruisseler » sur la société dans son
ensemble (salariés, territoires, sous-trai-
tants, État) via les salaires, la fiscalité, les
achats, etc. – ce qui pouvait justifier, même
au regard des autres parties prenantes, que
son existence et son rôle soient décrits en
des termes aussi étroits.
Mais la situation s’est progressivement
compliquée. La conception friedmanienne7
de l’entreprise (en particulier de la grande
entreprise multinationale) a été de plus en
plus mise en cause, notamment à partir de
la crise financière de 2008, en raison, entre
autres, de la montée en puissance des pré-
occupations climatiques. Les conséquences
32 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
de la focalisation de l’entreprise sur la seule
création de valeur pour les actionnaires ap-
paraissent désormais comme trop lourdes
à supporter sur un plan macroéconomique,
social et environnemental. L’entreprise va
devoir reconstruire l’acceptabilité sociétale
de son action et poser à nouveau les bases
de sa légitimité, dans l’intérêt même de
ses actionnaires. Quelques dirigeants com-
mencent alors à tenir compte de ces évo-
lutions et à entériner l’idée que les action-
naires ne sont pas les seuls détenteurs de
l’entreprise, ils sont seulement les proprié-
taires des actions (Baudoin et al., 2012). Il
paraît de plus en plus nécessaire de penser
ce corps organique qu’est l’entreprise en
articulant de manière plus pertinente et
juste les pouvoirs et les responsabilités qui
lui sont associés. La théorie des parties pre-
nantes (Freeman, 1984) (salariés, clients,
fournisseurs, territoires, environnement,
pouvoirs publics, etc.) ainsi que la voca-
tion de création-innovation de l’entreprise
pour résoudre les problèmes du monde (en-
treprise contributive) vont fournir un cadre
intellectuel à cette refondation (Segrestin et
8. Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises.
Hatchuel, 2012). S’ensuivra en France un
intense débat intellectuel et politique qui
débouchera en 2019 sur l’adoption de cer-
taines dispositions de la loi PACTE8
.
Cette dernière prévoit une progressivité
dans la responsabilité sociétale des entre-
prises. Elles ont désormais l’obligation de
prendre en considération les enjeux sociaux
et environnementaux de leurs activités
(clause « de considération »). Elles peuvent
en outre se doter d’une « raison d’être »
dans leurs statuts. Elles peuvent enfin
s’engager dans une démarche de « société
à mission », en se donnant des finalités so-
ciales ou environnementales précises, dont
la réalisation sera suivie par un comité de
mission et sera auditée par un organisme
tiers indépendant.
La raison d’être de l’entreprise fait réfé-
rence à sa mission fondamentale ou à la
vision qu’elle a de son rôle dans la société.
L’idée est qu’une assise solide permettra
d’inscrire l’action de l’entreprise dans une
vision de long terme partagée par toutes
les parties prenantes, capable de guider
ses choix stratégiques au-delà des aléas de
gouvernance et des exigences financières
des actionnaires. En allant au-delà de la
simple réalisation de profits (sans y renon-
cer), ce nouveau cap assigne généralement
à l’entreprise la poursuite d’une pluralité
d’objectifs (création de richesses, progrès
Quelques dirigeants commencent
à entériner l’idée que les actionnaires
ne sont pas les seuls détenteurs de l’en-
treprise, ils sont seulement les proprié-
taires des actions.
33
Chapitre 2. Les trois « pourquoi » d’une transformation responsabilisante
social, préservation de l’environnement),
souvent résumés par l’expression « People,
Planet, Profit ». Lors de son audition par
la commission sénatoriale sur la transfor-
mation des entreprises (25 octobre 2018),
Jean-Dominique Senard, alors président du
groupe Michelin, précisait ainsi : « Cette
raison d’être est un peu comme un fil direc-
teur [qui] relie le passé de l’entreprise à son
avenir, mais elle dit également à chacun la
raison pour laquelle il se lève le matin pour
aller travailler dans l’entreprise. […] C’est
un sujet extrêmement porteur, fédérateur,
créateur d’engagement et finalement de
compétitivité. Il n’y a pas de compétitivité
sans engagement. »
La raison d’être de l’entreprise a connu,
depuis 2019, un certain succès d’adop-
tion, notamment à travers des exercices
de consultation massive auprès des parties
prenantes. Mais quel est l’impact de cette
raison d’être sur les réalités du travail au
sein des équipes ? Selon le Baromètre 2023
de l’Institut de l’Entreprise sur la relation
des Français à l’entreprise9
, seuls 12 % des
sondés savent en définir le concept, et 63 %
d’entre eux considèrent que les entreprises
qui expriment leur raison d’être le font par
opportunisme, contre 36 % qui voient cette
démarche comme étant sincère. Pour que
la raison d’être ne reste pas une déclaration
9. Baromètre 2023 de l’Institut de l’Entreprise sur la relation des Français à l’entreprise (3e
vague), réalisé avec le cabinet
d’études et de conseil ELABE et en partenariat avec Malakoff Humanis et Veolia, auprès d’un échantillon de 1 320 Français
dont 769 salariés. L’enquête a été complétée par un volet qualitatif donnant la parole à 11 dirigeants de grandes entreprises issus
de secteurs et de modèles économiques diversifiés.
incantatoire déconnectée des pratiques, les
entreprises et leurs dirigeants vont devoir
mettre en musique des objectifs pluriels, qui
sont loin d’être spontanément alignés, et les
équilibrer. Bienvenus dans un monde com-
plexe ! Des débats et des arbitrages seront
nécessaires à chaque niveau de l’entreprise
pour s’approprier cette raison d’être et la
décliner en objectifs opérationnels. L’orga-
nisation responsabilisante (OR) apparaît,
dès lors, comme une voie pour donner de la
substance à la raison d’être et l’inscrire en
profondeur dans la réalité des pratiques de
travail. Comme le souligneValérie Duburcq
(Orange), « recourir à la co-construction
pour définir la vision ou le rêve, c’est bien,
mais si cela ne va pas de pair avec le déve-
loppement de l’autonomie et de la respon-
sabilité dans les actions du quotidien, cela
risque de ne convaincre personne ».
Les « pourquoi » du dirigeant
ou de l’équipe dirigeante
La décision d’engager une transformation
responsabilisante sera généralement le fait
d’un dirigeant d’entreprise ou d’une équipe
dirigeante.
34 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Conviction intime du dirigeant
Elle peut répondre à une conviction intime
du dirigeant fondée sur son histoire person-
nelle, sa sensibilité ou ses principes moraux.
Le repreneur de l’entreprise Fayolle, spé-
cialisée en chaudronnerie et tôlerie, dit
ainsi : « Je crois énormément aux vertus
du développement de l’autonomie et de la
responsabilité dans les équipes, pour être
capable de m’adapter au temps long et à
tout ce que je veux vivre dans ma boîte. »
Certains dirigeants n’aiment pas particu-
lièrement contrôler et rêvent d’une orga-
nisation où ils auraient le moins possible
à intervenir dans le fonctionnement quoti-
dien : « Je n’aime pas contrôler les autres,
dit Frédéric Lippi, et par conséquent, j’es-
saie de faire en sorte qu’ils se contrôlent
eux-mêmes » (Pellerin et Cahier, 2019).
Certains réagissent aussi à des expériences
professionnelles passées, comme Laurent
Bizien, directeur général de Martin Tech-
nologies : « J’ai vécu la différence entre ce
que c’était que de bénéficier de la confiance
de mes dirigeants ou de ne pas l’avoir. Si
je vis une période où on ne me fait pas
confiance et où je dois tout faire valider,
c’est une véritable descente aux enfers pour
moi. Je trouvais profondément injuste que
10. Audition de Jean-Dominique Senard à la Commission sénatoriale sur la transformation des entreprises. 25 octobre 2018.
11. Théorie décrite initialement dans l’ouvrage de Benoît Meyronin et Charles Ditandy (2007). Aujourd’hui, marque déposée
par l’Académie du Service.
12. Prendre soin.
l’ensemble des collaborateurs ne bénéficie
pas de la confiance, qui donne l’énergie et
l’envie de faire les choses. »
Ces trois exemples sont issus d’entreprises
assez petites et à gouvernance familiale, où
le dirigeant dispose d’une large autonomie
d’action, mais le même type de conviction
peut s’exprimer dans de très grandes struc-
tures. Citons notamment Jean-Dominique
Senard, alors président du groupe Miche-
lin (120 000 salariés) : « On n’avancera
pas dans les années qui viennent si nous
ne faisons pas attention au développement
des personnes, à leur devenir, leur bien-être
social autant qu’à l’innovation, à la compé-
titivité, dans un monde qui devient de plus
en plus difficile. […] Si nous ne faisons pas
attention aux deux en même temps, nous
allons dans un mur et à relativement brève
échéance. La prise en compte des questions
humaines est pour moi – et je ne suis pas le
seul à le penser – au cœur de l’avenir de nos
entreprises.10
» Cette approche ambidextre
(attention au client et au développement
des personnes) est parfois appelée symé-
trie des attentions©11
(Meyronin, Ditandy,
2007) ou encore éthique du care12
(Zie-
linski, 2010).
35
Chapitre 2. Les trois « pourquoi » d’une transformation responsabilisante
Considérations de croissance, de
résilience, de pérennité, d’agilité
La conviction intime des dirigeants est ce-
pendant rarement déconnectée de consi-
dérations stratégiques pour l’entreprise.
Considérations de survie parfois, de per-
formance le plus souvent.
« Le pourquoi, c’est la survie, la péren-
nité de l’entreprise, garantir des emplois
pour une centaine de personnes pour plu-
sieurs décennies », précise Laurent Bizien
(Martin Technologies). Et pour Florent
Menegaux, président de Michelin depuis
2019 : « Dans un monde qui se transforme
à une vitesse incroyable, l’entreprise doit
s’adapter, évoluer et agir. Et pour cela, il
faut d’abord que chacun comprenne pour-
quoi et pour quoi on est ensemble. Si votre
corps social, votre communauté humaine,
n’adhère pas et ne se mobilise pas, vous
n’arriverez à rien » (Chaire FIT2
, 2021).
Le dirigeant aura, par exemple, pu consta-
ter les limites d’un management vertical
en matière d’adaptabilité, de souplesse, de
rapidité, de capacité d’initiative et d’enga-
gement des salariés. Il souhaite donner da-
vantage d’agilité à l’organisation en décon-
centrant les capacités de décision au plus
près du niveau où elles peuvent être prises.
Ainsi, témoigne un dirigeant, « on recrute
des gens créatifs et, quelques années après,
13. Témoignage de Frédéric d’Arrentières, d’Olivier Pareja et de Sylvain Gelfi (Renault Group), 25 avril 2023.
ils ne le sont plus. On demande aux entités
d’être agiles, mais on demande aux per-
sonnes de passer la moitié de leur temps à
obtenir des décisions et des validations ».
Chez Renault Group (environ 105 000 sa-
lariés en 2022), par exemple, la respon-
sabilisation des équipes a été évoquée dès
2018 en lien avec un ambitieux plan de
transformation « agile » du groupe, pour
répondre à des enjeux assez génériques :
mieux aligner les objectifs, réduire le time-
to-market, accroître l’engagement des col-
laborateurs et mieux répondre aux attentes
du marché. Ce projet de transformation a
été mis en œuvre depuis quatre ans avec un
certain succès sur les plateaux de dévelop-
pement produit, mais, par suite de l’arrivée
de nouvelles équipes dirigeantes, il a pris
d’autres formes dans le reste du groupe13
.
Verticalement, la transformation vise
souvent à réduire le nombre de strates hié-
rarchiques pour gagner du temps et de la
pertinence dans les prises de décision (et
parfois pour réduire la masse salariale). Ho-
rizontalement, elle a pour but de réussir à
« désiloter » pour fluidifier les processus aux
interfaces et améliorer les collaborations in-
terservices. Les silos sont en effet de grands
« protecteurs » de l’autonomie organisation-
nelle, ce qui explique leur prégnance au sein
des organisations. Ils s’opposent toutefois à
l’agilité d’ensemble, qui passe par une meil-
leure coopération entre les entités. L’OR est
36 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
supposée agir sur les silos, mais les effets
réels de la responsabilisation sur les coopé-
rations transverses ont été jusqu’ici peu ana-
lysés. Dans la pratique, on observe souvent
que des équipes même responsabilisées
n’ont pas toujours la capacité de peser sur
les coopérations transversales, qui restent
dans l’immense majorité des cas l’apanage
des managers et continuent de passer par la
voie hiérarchique.
Enfin, selon Valérie Duburcq (Orange),
l’amélioration de la performance n’est pas
le premier objectif de ce type de transfor-
mation. Cette dernière vise avant tout à per-
mettre aux entreprises de s’adapter plus ra-
pidement à un environnement durablement
incertain (succession de crises de diverses
natures). Pendant la pandémie du Covid-
19, l’efficacité des opérations sur certains
sites industriels où tout l’encadrement était
confiné et les opérateurs se rendaient phy-
siquement à leur poste a pu être maintenue
grâce à ce travail préalable de responsabili-
sation. Pour Frédéric d’Arrentières (Renault
Group), « la transformation permet de fran-
chir un cap que l’on ne pourrait pas atteindre
en misant seulement sur le progrès continu.
L’enjeu pour l’entreprise est de franchir des
seuils de performance, en introduisant une
rupture dans l’efficience collective sur le
long terme et en activant les leviers de mo-
tivation associés. »
14. Terme désignant des personnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990. On parle aussi de génération Y.
Selon les types d’entreprises, de dirigeants,
de menaces pesant sur l’activité, la respon-
sabilisation des personnes pourra être vue
commeunbutensoiouseulementcommeun
levier, modulant ainsi l’ambition poursuivie.
Attractivité, difficultés de recrutement
et de fidélisation
Ces transformations répondent aussi au
constat que le niveau d’information et de
formation des salariés a considérablement
augmenté au fil du temps.Avec 80 % d’une
génération dotée du baccalauréat en 2021
contre 29 % en 1985, il devient quasiment
impossible de manager uniquement par
le commandement et le contrôle. Comme
l’indique encore Florent Menegaux (Mi-
chelin) : « Si vous vous adressez aux
jeunes générations sur un mode pyramidal,
elles vous regardent comme un OVNI. Les
jeunes vérifient tout ce que vous leur dites
sur leur téléphone et ils vous interpellent
en permanence avec ces arguments. Ils ne
veulent pas des instructions, ils veulent
comprendre le pourquoi des choses et par-
ticiper à les construire. Il y a un change-
ment très profond des mentalités. Chez
Michelin, nous avons plus de 50 % de nos
effectifs qui sont des millenials14 et, donc,
nous sommes confrontés à cette situation
en permanence » (Chaire FIT2
, 2021).
37
Chapitre 2. Les trois « pourquoi » d’une transformation responsabilisante
Une plus forte latitude d’action et de dé-
cision donnée aux salariés peut être consi-
dérée comme un facteur d’attractivité pour
l’entreprise, permettant de lutter contre
les difficultés de recrutement ou de fidé-
lisation (turn-over, absentéisme), notam-
ment dans des secteurs où les conditions
de travail sont déjà jugées difficiles ou for-
tement prescrites, tels que les ateliers de
production, le BTP, l’hôtellerie-restaura-
tion, la santé, etc. (Canivenc, 2024). Dans
le secteur industriel, par exemple, les dif-
ficultés de recrutement demeurent vives :
en avril 2023, 65 % des chefs d’entreprise
déclaraient en rencontrer, une proportion
légèrement plus élevée qu’en janvier 2023
et proche du niveau le plus élevé jamais
atteint, en juillet 2022 (67 %) (Insee, 2023).
Enfin, les enquêtes annuelles auprès des
salariés, lorsqu’elles révèlent un niveau de
désengagement en hausse, peuvent aussi
être un facteur amenant un dirigeant à s’in-
téresser au sujet de la responsabilisation.
Santé au travail et performance
Il existe une convergence entre l’analyse
psychosociologique du travail et la quête
de performance des organisations. La santé
des travailleurs et la performance se re-
joignent pour deux raisons.
Tout d’abord, préserver la santé des colla-
borateurs est une ressource pour la perfor-
mance durable des organisations. Si l’on
n’en tient pas compte, les problèmes de
santé reviennent en boomerang dans l’en-
treprise sous la forme de turn-over, d’ab-
sentéisme, de désengagement et de démo-
bilisation, affectant la performance. Quand
ces indicateurs se dégradent, la perspec-
tive d’une organisation responsabilisante
suscite soudain un nouvel intérêt.
Mais inversement – et cette seconde idée est
sans doute moins intuitive – la performance
du travail est aussi une ressource pour la
santé. Selon le psychologue du travail Yves
Clot, la majorité des individus aspire à faire
du bon travail, ce qui représente un facteur
de fierté et d’engagement : « L’homme
possède le goût du travail efficace et déteste
les efforts inutiles » (Clot, 2019). Pourtant,
dans une majorité d’organisations, le « bon
travail » est en réalité « empêché » par toutes
sortes d’objectifs irréalisables, de règles ab-
surdes, d’inefficiences et de gaspillages.
Comme en témoigne un salarié : « J’ai bien
envie d’atteindre les objectifs, mais j’aime-
rais surtout être un peu moins “emmerdé”
quand je fais mon boulot. » Les premiers
à en être conscients sont les travailleurs en
prise avec le travail réel, mais personne ne se
préoccupe de leur demander leur avis. Dans
le meilleur des cas, c’est seulement la pas-
sivité qui gagne ; dans le pire, le sentiment
d’inutilité et d’efforts gaspillés se retourne
contre la santé mentale du travailleur. L’un
des premiers moteurs de la santé au travail
consiste à réussir à bien faire dans de bonnes
conditions d’efficacité et de satisfaction le
travail qui est demandé, « un travail dans
lequel je puisse me contempler », nous dit
38 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Mathieu Detchessahar15
, citant la philosophe
Simone Weil.
Le double souci d’efficacité du travail et
de santé au travail appelle ainsi à appliquer
autant que possible le principe de subsidia-
rité, en transformant les instances de niveau
supérieur en instances supplétives. « Sans
se sentir, au moins de temps en temps,
peser dans les situations, celles et ceux
qui travaillent sont exposés à un sentiment
d’inutilité associée à cette irresponsabilité
subie », souligne encore Clot (2019).
Le « pourquoi » des salariés
La crise sanitaire du Covid-19 a joué un
rôle d’accélérateur de tendances pour ce qui
concerne les attentes des salariés. Les confi-
nements stricts qui ont conduit à une certaine
démocratisation du télétravail ont interrogé
le modèle de management qui reposait lar-
gement sur le contrôle et la présence phy-
sique. Avec le télétravail, il est devenu plus
difficile non seulement de surveiller la façon
dont les salariés s’organisent et occupent
leur temps, mais aussi de coordonner les
tâches et de faire valider les décisions. Ces
circonstances ont fait bouger les esprits à la
fois chez les salariés et chez certains mana-
gers, qui ont dû, dans l’urgence, accepter de
15. Conférence de Mathieu Detchessahar à la Carsat (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) Auvergne, 2016, en
replay sur YouTube.
faire confiance. Cette demande de confiance
était exprimée à bas bruit depuis longtemps
sans grands effets, suscitant une relative ré-
signation (Canivenc, 2024). Les directions
des ressources humaines avaient conscience
de cette attente qui se traduisait par un dé-
sengagement croissant, mais la jugeaient
suffisamment modérée pour ne pas avoir à
changer de modèle.
Désormais, il ne suffit plus à une entre-
prise d’afficher une raison d’être. C’est sa
manière d’agir envers les salariés qui sus-
citera leur envie de venir, de produire et de
rester (Serre, 2021). C’est pour des raisons
plus globales que l’obtention d’un revenu
ou l’exercice d’un métier que les salariés
décideront de rejoindre une organisation et
surtout d’y rester. Dans des univers comme
l’hôpital ou l’éducation, la raison d’être de
leur travail est évidente aux yeux de ceux
qui s’y engagent mais, pour autant, les
conditions de travail dégradées dans ces
secteurs ont conduit à une crise aiguë des
vocations et à une cascade de démissions.
Le sens du travail a souvent été évoqué
comme une nouvelle attente importante des
salariés, particulièrement des jeunes. Mais ce
sensn’estpasseulementliéàl’impactqu’une
organisationexercesurlemondeetlasociété.
Il repose certes sur l’utilité sociale perçue
du travail, mais tout autant sur les moyens
39
Chapitre 2. Les trois « pourquoi » d’une transformation responsabilisante
de bien travailler (conditions de travail, res-
sources, qualité de la relation avec la hié-
rarchie, ambiance de travail, reconnaissance)
et sur la possibilité de développer ses com-
pétences (Coutrot et Perez, 2022). Selon une
enquête récente conduite par OpinionWay
pour le cabinet de conseil Kéa (2023), les
moins de 45 ans citent parmi les trois pre-
miers critères de réussite professionnelle sur
onze, dans l’ordre : le salaire, l’équilibre vie
professionnelle-vie personnelle et la liberté
d’action et de décision. C’est désormais la
question de la qualité du travail lui-même
qui est posée aux organisations. À certaines
conditions, l’organisation responsabilisante
peut répondre à cette attente.
Enfin, il existe une catégorie de salariés
particulière, les managers, notamment les
managers de proximité. L’organisation res-
ponsabilisante a souvent été vue comme un
facteur de déstabilisation des managers, qui
ne savent plus s’ils doivent « commander »
pour faire respecter les règles et les objectifs
ou s’ils doivent être bienveillants et venir
en appui du développement des personnes,
ou encore faire les deux en même temps
au risque de devenir schizophrènes (Nivet,
2019). En réalité, l’organisation responsabi-
lisante peut représenter une bouffée d’oxy-
gène pour les managers. Ils disposent ainsi,
dans les équipes, de relais leur permettant
de ressentir moins de stress dans la marche
des affaires courantes, et peuvent s’appuyer
sur des équipes support qui soient réelle-
ment facilitantes, plutôt que d’être en per-
manence sollicités par elles ou de se sentir
redevables pour la moindre de leur interven-
tion. Ils peuvent aussi puiser énormément
d’énergie et de sens dans la transformation
de leur rôle, à travers les relations qu’ils
nouent avec les membres de leur équipe et
par le fait d’inspirer des personnes et de les
voir s’épanouir. Tout dépendra bien entendu
de l’accompagnement qu’ils recevront pour
parvenir à ce changement de posture, et de
la valorisation qui leur sera accordée tout au
long de la transformation.
Prendre le chemin de l’organisation respon-
sabilisante répond, par conséquent, à une
série de « pourquoi ». Il sera très important
declarifierdanschaqueentrepriselesattentes
qui président à la démarche, afin de valider
leur cohérence, et d’aligner ces différents
« pourquoi ». Cette clarification permettra
aussi de cerner ce qu’on attend de la transfor-
mation. Cela peut influencer l’ambition de la
démarche, le chemin qui sera suivi, ainsi que
les échéances qu’on se donne et les critères
à partir desquels elle sera évaluée. François
Levert, ancien responsable Manufacturing
Way  Empowerment pour les sites indus-
triels de Michelin, fait d’ailleurs remarquer
que, dans les expériences de transformation
qui échouent, la réflexion sur les objectifs
poursuivis a souvent été bâclée et que l’on a
donné plus d’importance à la méthode qu’à
la définition du but à atteindre. Un élément
ressort clairement de l’ensemble des témoi-
gnages : il faut que la transformation pro-
posée ait du sens pour chaque catégorie des
parties prenantes, dirigeants, actionnaires,
managers et salariés.
Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
41
CHAPITRE 3
La boussole de la responsabilisation :
cinq dimensions qui font système
16. Pierre-Yves Gomez est professeur à l’EM Lyon Business School et fondateur de l’Institut français de gouvernement des
entreprises (IFGE).
17. Rappelons que, selon Jacques Ellul (2012), un système est « un ensemble d’éléments en relation les uns avec les autres de
telle façon que toute évolution de l’un provoque une évolution de l’ensemble, toute modification de l’ensemble se répercutant
sur chaque élément ».
Nous appelons « boussole de la responsa-
bilisation » une grille d’analyse du système
que représente une organisation responsa-
bilisante (OR). Elle a été initialement ins-
pirée par un texte de Pierre-Yves Gomez16
publié sur son site, portant sur la mise en
place de la subsidiarité dans les organisa-
tions (Gomez, 2023).
Le but de la boussole est de faire réfléchir
l’équipe dirigeante et, par la suite, toute
l’organisation, sur chacune des cinq dimen-
sions qui la constituent avant et pendant la
transformation.
Les cinq points cardinaux
de la boussole de la
responsabilisation
Les cinq « points cardinaux » de cette
boussole forment un « système17
», et dé-
crivent ce qui est « juste nécessaire » au
développement d’une OR (voir figure 3.1).
Chacun constitue un repère pour une « in-
telligence » de la transformation à opérer,
dont nous avons dit en introduction qu’elle
nécessite beaucoup de réflexion en amont.
Le premier point, la responsabilité, est le
principe selon lequel chacun doit rendre
des comptes au prorata de son pouvoir
d’agir. L’objectif de la responsabilisation
42 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
est d’élargir et d’enrichir progressivement
le niveau de redevabilité de chacun (et donc
du pouvoir d’agir de chacun).
Le deuxième, la subsidiarité, est le prin-
cipe selon lequel les échelons supérieurs
s’interdisent de s’approprier les attribu-
tions dont les échelons inférieurs sont ca-
pables de s’acquitter à leur seule initiative
et par leurs propres moyens. Il tient son
nom du latin subsidium (réserve, soutien),
marquant par là que le rôle des échelons
supérieurs est d’apporter leur aide et leur
soutien si le besoin en est exprimé par un
échelon subordonné, jamais de se substi-
tuer à lui.
Le troisième, la solidarité, se traduit par
l’assistance et la coopération qui se déve-
loppent entre les personnes d’un groupe ou
d’une communauté, du fait du lien qui les
unit. Dans les organisations, elle s’exerce
prioritairement à l’intérieur de la commu-
nauté de travail.
Figure 3.1 - La boussole de la responsabilisation : les cinq dimensions
d’une organisation responsabilisante
Collégialité Solidarité
Responsabilité
Subsidiarité
Activité
43
Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système
Le quatrième, la collégialité, renvoie à
la pratique de la délibération en groupe,
dans un esprit d’intelligence collective et
d’enrichissement des décisions à prendre.
Elle peut également renvoyer au principe
de construction collective des solutions.
La collégialité implique le développement
de compétences spécifiques (capacité à
s’exprimer, communication non violente,
gestion des conflits, etc.) et l’installation
d’instances organisées pour délibérer.
Enfin, le cinquième, l’activité, se concentre
sur la différence entre le travail prescrit et
le travail réel, et sur les solutions que les
personnes mettent en œuvre pour résoudre
cette discontinuité. L’analyse de l’activité
a pour but de favoriser la contribution des
travailleurs à la conception des règles qui
leur permettront de faire du « bon travail »,
source de leur santé physique et mentale.
Chacun de ces principes devra être
« déplié » pour en comprendre la portée
et les interactions. Ce cadre de pensée
peut apparaître comme théorique, mais
son appropriation est en réalité indispen-
sable pour construire des modes d’action
concrets. « Rien n’est plus pratique qu’une
bonne théorie18
. »
La nature systémique de cette boussole sera
bien illustrée dans l’exposé qui suit par le
fait qu’il est très difficile d’expliquer l’une
18. Expression célèbre attribuée à Kurt Lewin, acteur majeur de l’école des relations humaines.
de ses dimensions sans faire immédiate-
ment référence aux autres.
Responsabilité
La notion de responsabilité est première
et fondamentale. Une personne devient
responsable lorsqu’il est possible de lui
imputer les effets de ses actes, que ces
effets soient positifs ou négatifs, au prorata
de son pouvoir d’agir. Autrement dit, on ne
peut être tenu pour responsable que de ce
dont on est la cause.
Responsabilité et pouvoir d’agir
Responsabilité et pouvoir d’agir (souvent
appelé « autonomie ») sont donc les deux
faces d’une même médaille. La responsa-
bilité implique de l’autonomie, c’est-à-dire
de disposer d’un pouvoir d’action. Dispo-
ser d’un pouvoir d’action signifie, d’une
part, de disposer du droit d’agir et, d’autre
part, d’avoir la compétence pour agir.
Disposer d’un pouvoir d’action
signifie, d’une part, de disposer du
droit d’agir et, d’autre part, d’avoir la
compétence pour agir.
44 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
L’exemple de la conduite automobile (voir
encadré) éclaire le fait qu’une organisation
responsabilisante s’assure du bon équilibre
entre la reddition des comptes (accountabi-
lity) et le pouvoir d’agir (empowerment). Si
je peux faire ce que je veux comme je veux,
sans jamais risquer de me voir imputer les
conséquences de mes actes, je suis ce qu’on
appelle un « irresponsable ». À l’inverse,
si je ne suis qu’un « instrument passif »
dans l’exécution, appliquant à la lettre des
instructions et des consignes qui me sont
données, je ne peux être réellement consi-
déré ni comme la cause de ce qui arrive de
bon, ni comme la cause de ce qui arrive de
fâcheux. Je ne peux donc pas être considéré
comme responsable.
Développer la responsabilité implique que
deux processus puissent se déployer : un
Responsabilité et pouvoir d’agir :
l’exemple de la conduite automobile
Prenons un exemple tiré de la vie courante, la conduite d’un véhicule automobile. À
l’issue d’un apprentissage théorique et pratique avec un moniteur certifié, l’examen
a permis de qualifier notre aptitude à la conduite d’un véhicule. Nous détenons un
« permis » de conduire. Ce permis nous donne une grande liberté grâce à la possibilité de
nous déplacer selon notre bon vouloir, en autonomie. Le permis de conduire augmente
notre « pouvoir d’agir », tout en garantissant que nous connaissons le code de la route,
que nous devons respecter. Nous pouvons alors agir en conducteur responsable.
Responsable, en premier lieu, parce que lorsqu’un conducteur provoque un accident, il
aura à en assumer les conséquences et sera tenu de réparer l’éventuel préjudice causé
à autrui. Responsable, également, parce que l’événement sur lequel le conducteur
aura à rendre des comptes est considéré comme la conséquence de ses décisions
et de ses actes. Le code de la route est le cadre dans lequel s’inscrit le pouvoir d’agir
mais également la responsabilité du conducteur. En principe, tout se passe bien à trois
conditions : i) respecter le code de la route (le cadre de la responsabilité) ; ii) avoir la
maîtrise de son véhicule (la compétence) ; iii) faire preuve d’anticipation et de prudence
(le comportement).
En tant que conducteurs, nous avons rarement été impliqués dans une réflexion sur la
définition de ce qu’est « un conducteur responsable », sauf peut-être pour quelques-
uns à l’occasion d’un stage forcé de rattrapage des points perdus et donc sous la
menace d’une suspension du permis. Faire réfléchir chaque membre du collectif sur
ce que veut dire être responsable apparaît ainsi comme un préalable nécessaire sur le
chemin de l’organisation responsabilisante.
45
Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système
premier ouvrant des droits pour agir et
un second permettant de développer des
compétences pour agir. La responsabilisa-
tion consistera à étendre progressivement
le domaine de redevabilité (et le pouvoir
d’agir qui y est associé) attribué à chacun
en fonction de sa montée en compétences.
La complémentarité entre reddition des
comptes et pouvoir d’agir n’est pas une
aspiration « naturelle » chez les tra-
vailleurs. Si nous sommes nombreux à
vouloir renforcer notre pouvoir d’agir,
il en va différemment dès lors que nous
devenons redevables de nos décisions et
actions. Certaines personnes ont envie de
prendre des responsabilités, d’autres beau-
coup moins. Ainsi, rapporte Pierre-Marie
Gaillot, du Cetim, les témoignages recueil-
lis lors d’une mission de transformation
responsabilisante dans une PME attestent
du passage difficile entre autonomie et res-
ponsabilité : « Les opérateurs ne voulaient
pas prendre de décision. En revanche, ils
voulaient que le patron prenne la décision
qu’ils proposaient. »
En réalité, la question pour une direction
n’est pas tant de savoir si les salariés ont
initialement « envie » ou « pas envie » de
prendre des responsabilités que de créer un
contexte et des conditions de sécurité psy-
chologique (Edmondson, 2018 ; Laborde,
2023) conduisant les personnes à prendre de
plus en plus de décisions, puis à les assumer.
Autrement dit, il s’agit de construire par la
pratique un nouveau cadre de travail. La res-
ponsabilisation se fait généralement sur la
base du volontariat, avec l’espoir que l’ex-
périence des premiers volontaires permet-
tra d’entraîner les autres. Tant qu’ils ne se
transforment pas en saboteurs, les réfrac-
taires doivent être respectés, car ils éclairent
sur les risques portés par la transformation.
Quelques dirigeants ont témoigné que les
réfractaires du début deviennent souvent
les meilleurs soutiens de l’OR quand ils
commencent à en voir les effets. Enfin, le
système de reconnaissance doit permettre
aux personnes hésitantes de franchir le cap
parce qu’elles y trouvent un intérêt.
La chaîne de responsabilité
La responsabilité de chacun s’inscrit dans
une chaîne de responsabilité, chaque niveau
de responsabilité correspondant à l’étendue
de son pouvoir d’agir. Toutefois, il importe
de souligner que, dans une organisation
responsabilisée, avoir demandé et obtenu
l’aval de sa hiérarchie dans le cadre de la
chaîne de responsabilité ne dédouane pas
de sa responsabilité propre. Par exemple, ce
La question pour une direction
n’est pas tant de savoir si les salariés
ont initialement « envie » ou « pas en-
vie » de prendre des responsabilités que
de créer un contexte et des conditions
de sécurité psychologique conduisant
les personnes à prendre de plus en plus
de décisions, puis à les assumer.
46 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
n’est pas parce qu’un comité de validation
a approuvé une solution technique que la
responsabilité de l’ingénieur qui l’a conçue
et proposée sera dédouanée si la solution
présente des failles ou donne de mauvais
résultats. La notion de chaîne de responsa-
bilité est souvent illustrée par l’exemple de
la grue de Toul concernant la responsabilité
juridique dans le champ des accidents du
travail (voir encadré ci-dessus).
Même dans des cas moins dramatiques, la
question de la chaîne de responsabilité est
souvent ambiguë, et bien des organisations
responsabilisantes achoppent sur ce point.
Prenons un exemple non imaginaire de ces
situations ambiguës.
Dans une usine, un responsable qualité
expérimenté a certifié un lot présentant
des non-conformités. Le directeur indus-
triel du groupe le découvre et licencie le
responsable. En réalité, l’enquête interne
montre que ce responsable subit régulière-
ment des pressions de la part du directeur
du site industriel (qui a aussi la charge de
l’avancement du responsable qualité) pour
livrer les lots dans les temps impartis au
reste de la chaîne de production. Le respon-
sable qualité est évidemment comptable de
La grue de Toul
Un grutier intérimaire refuse par trois fois de continuer son travail en raison de ce qu’il
considère comme un danger grave et imminent. Le vent est trop fort : l’anémomètre
(appareil permettant de mesurer la vitesse ou la pression du vent) indique un danger.
Le chef de chantier décide de lui faire continuer le travail, et l’oblige à remonter dans
sa grue en le menaçant de licenciement. Le chantier reprend. La grue tombe. Plusieurs
élèves du lycée voisin du chantier décèdent. Le grutier doit être amputé d’une jambe.
Le grutier a été condamné en appel, décision confirmée en cassation, pour n’avoir pas
utilisé son droit de retrait. Il a été condamné avec sursis à 10 000 francs d’amende
(à l’époque). Le chef de chantier a, lui, été condamné à 2 ans de prison ferme, le
conducteur de travaux à 18 mois de prison ferme, le chef d’établissement de l’entreprise
de bâtiment à 18 mois de prison ferme.
L’ensemble de la chaîne hiérarchique a ainsi été condamné. La condamnation du grutier
est symbolique mais réelle. Le fait d’être victime soi-même d’un accident du travail
n’exonère pas de sa responsabilité éventuelle envers les autres victimes.
Source : Légifrance, Cour de cassation, chambre criminelle, du 16 mars 1999, 98-
82.594, inédit.
47
Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système
sa décision. Mais est-il cependant le seul
responsable de la situation ? Le directeur
du site n’aurait-il pas dû être licencié éga-
lement au nom de la chaîne de responsabi-
lité ? Peut-être même le directeur industriel
aurait-il dû s’interroger sur les objectifs de
performance assignés aux directeurs de
site, pouvant les conduire à adopter des
comportements non éthiques19
– en l’occur-
rence faire pression sur un collaborateur ?
Que vous inspire cette histoire si vous l’ap-
pliquez à votre organisation ?
Cette histoire nous paraît nourrir l’idée
que des groupes de discussion transver-
saux entre pairs20
peuvent venir soutenir
l’éthique « métier » et la responsabilité in-
dividuelle, en amont de toute défaillance
de responsabilité. Dans un groupe de dis-
cussion, les responsables qualité entre eux
auraient probablement identifié que ce
type de configuration existait ailleurs dans
le groupe et ils auraient pu le faire savoir.
Ils auraient pu débattre des principes de
comportement à adopter dans de telles cir-
constances ; le soutien indirect du collectif
aurait renforcé la posture du responsable
qualité au moment d’être confronté à un
tel arbitrage. Il appartient donc à une or-
ganisation responsabilisante de favoriser
la constitution de ces groupes de pairs en
cohérence avec la responsabilité qu’elle
accorde à ses membres, afin de lutter contre
19. Voir aussi sur ces sujets, les films Corporate (Nicolas Silhol, 2017) et Ceux qui travaillent (Antoine Russbach, 2019).
20. Pour les désigner, on utilise des termes comme groupes de codéveloppement, groupes d’analyse des pratiques ou encore
groupes de coprofessionnalisation.
la solitude que génère la responsabilisation
(voir plus loin solidarité et collégialité). Le
franchissement des lignes éthiques mettant
en jeu la responsabilité individuelle ou la
chaîne de responsabilité est bien souvent
directement lié aux contradictions de l’or-
ganisation. L’OR doit viser à réduire ces
contradictions.
Dans le tertiaire industriel (ex. l’ingénierie
produit), où les organisations sont souvent
matricielles et le travail organisé en mode
projet, il peut exister une tension entre les
responsabilités individuelle et collective au
sein d’une équipe projet. Les orientations
prises par le collectif pour atteindre l’objec-
tif commun vont pouvoir s’appuyer sur le
pouvoir d’agir et la compétence de chaque
collaborateur qui le compose, chacun ap-
portant son « mandat » (ingénieur produit,
ingénieur process, acheteur, financier…).
Mais a contrario le collectif « projet » ne
peut s’arroger un pouvoir d’agir qui dé-
passerait le cadre de délégation de chaque
collaborateur qui le compose, sous peine
de mettre celui-ci en porte-à-faux vis-à-vis
du « mandat » qui lui a été attribué par sa
propre hiérarchie. Le pouvoir d’agir du col-
lectif peut ainsi être bridé par la responsabi-
lité individuelle de chacun de ses membres.
48 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Subsidiarité
Le Robert donne de la subsidiarité la dé-
finition suivante : principe « selon lequel
une autorité centrale ne peut effectuer que
les tâches qui ne peuvent pas être réalisées
à l’échelon inférieur ». La subsidiarité est
le principe qui permet au pouvoir d’agir de
s’exercer à chaque niveau.
Délégation et subsidiarité
La notion de délégation est bien connue des
entreprises : elle revient pour une autori-
té (un dirigeant, un manager) à transférer
à un collaborateur une partie bien délimi-
tée de ses responsabilités, et notamment
de ses capacités d’action et de décision.
Elle est, en règle générale, accompagnée
d’une limite (ex. le pouvoir de signer des
contrats jusqu’à un montant défini) et d’un
contrôle a posteriori. Notons qu’en droit
la délégation implique la conservation de
la responsabilité entre les mains de celui
qui délègue.
La subsidiarité part d’une prémisse diffé-
rente : elle consiste à considérer que, par
principe, la responsabilité de l’action ap-
partient au niveau directement capable de
s’en saisir, les échelons supérieurs n’in-
tervenant que si le niveau inférieur leur
demande de l’aide. Par exemple, un com-
mercial est celui qui a la meilleure connais-
sance de son client et qui sait ce qu’il faut
lui accorder pour le garder.
À l’inverse de la délégation, qui se conçoit
du haut vers le bas, la subsidiarité se conçoit
du bas vers le haut. Mais – et ce point est
capital – « comme les collaborateurs ne
peuvent pas détenir toutes les compétences
permettant de réaliser un “bon travail”,
ils concèdent une partie de leur pouvoir
d’agir à une instance ayant une vision plus
large des conséquences de leur activité, en
la chargeant de proposer des outils ou des
méthodes pour compléter et enrichir leur
propre travail » (Gomez, 2023). Poursui-
vons avec notre exemple du commercial :
le directeur commercial sait par expérience
que les concessions que pourrait faire son
vendeur pour fidéliser tel ou tel client enta-
ment la marge de l’entreprise ; pour que le
commercial acquière une autonomie en la
matière, c’est-à-dire un niveau de discer-
nement lui permettant d’agir dans l’inté-
rêt de l’entreprise, le directeur commercial
devra lui fournir des outils lui permettant
de calculer le niveau de remise possible en
fonction du contexte. C’est en enrichissant
le pouvoir d’agir du vendeur dans le cadre
fixé par l’entreprise que le directeur com-
mercial appliquera bien le principe de sub-
sidiarité. Dans le cas contraire, le vendeur
devrait systématiquement demander au di-
recteur commercial l’autorisation d’accor-
der une remise ; la prise de décision serait
ralentie et nous ne serions pas dans une OR.
Dans la pratique, délégation et subsidiari-
té coexistent dans certaines organisations.
Dans le premier cas, le manager décide ce
qu’il veut déléguer à son ou ses collabo-
49
Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système
rateurs ; dans le deuxième cas, le manager
annonce (ou négocie) ce qui appartient à son
domaine réservé, tout le reste revenant à ses
collaborateurs s’ils souhaitent s’en saisir.
Que devient le management avec la
subsidiarité ?
Le principe de subsidiarité construit ainsi
une logique de pyramide inversée dans
laquelle la hiérarchie, à chaque niveau,
vient en aide aux collaborateurs et aux
collaboratrices pour qu’ils réussissent leur
travail, mais sans faire ni décider à leur
place (posture dite du servant leader).
Cette philosophie du management a été jo-
liment résumée par des opérateurs d’un îlot
de Michelin à l’usine de Roanne : « Notre
manager s’occupe de nous et nous, on s’oc-
cupe du reste. »
Le principe de management par non-subs-
titution (corollaire de la subsidiarité)
consiste à ne pas faire ni décider à la place
de celui qui est responsable, mais à l’épau-
ler dans son action ou sa prise de décision.
Ce changement de posture est extraordi-
nairement difficile pour les managers qui
ont été formés à prendre des décisions et
qui pensent généralement savoir mieux
que leurs subordonnés ce qu’il convient de
faire. Même quand c’est effectivement le
cas, l’apprentissage de la responsabilisa-
tion nécessite de ne pas donner la réponse.
C’est la posture décrite par Frédéric Lippi
lorsqu’un collaborateur lui demande :
« Comment dois-je faire ? », il répond :
« Toi, tu ferais comment ? » Autrement
dit, le manager doit désapprendre à faire ce
qu’on lui a toujours appris et demandé de
faire, et évacuer le territoire de la décision.
On peut, en travaillant sur le contexte, créer
des opportunités pour que les équipiers
puissent faire l’apprentissage de décider en
autonomie. Dans l’univers de l’usine, par
exemple, cela peut consister à trouver un
nouvel équilibre dans le temps de présence
de l’encadrement et des services support,
et dans la posture qu’ils adopteront. Ainsi,
chez Michelin, les managers et les services
support ne sont présents que huit heures par
jour, cinq jours par semaine (c’est-à-dire
environ 25 % du temps sur la totalité de la
semaine de production 24 h/7 j), de manière
que des marges d’autonomie puissent être
testées et expérimentées par les équipiers,
construisant progressivement leur propre
confiance en leurs capacités.
En mesurant le flux des décisions qui re-
montent au niveau supérieur et en analysant
leur nature, le manager peut vérifier si la sub-
sidiarité fonctionne. Si trop de problèmes à
trancher remontent au niveau supérieur, par
exemple dans le cadre des animations à in-
tervalle court, c’est que le fonctionnement
en subsidiarité n’est pas encore parvenu à
maturité. Au manager alors de chercher ce
qu’il manque à l’équipe de terrain pour ré-
soudre ces problèmes et ce qui explique le
volume des remontées. Michelin avait no-
tamment mis au point un petit outil d’au-
toévaluation appelé « le carnet du leader ».
50 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Chaque semaine, le manager devait faire le
point, dans ce carnet, sur les décisions qu’il
avait prises, en se demandant si c’était bien
à lui de les prendre. Si tel n’était pas le cas,
il devait se demander pour quelle raison il
avait été amené à prendre ces décisions : par
exemple parce qu’il n’avait pas eu confiance
dans ses équipiers, ou parce que, faute de
certaines informations, ceux-ci n’avaient
pas été en mesure de les prendre. Ce travail
d’autoévaluation devait aider le manager à
faire en sorte que, la fois suivante, ses équi-
piers soient effectivement en mesure de
prendre le type de décision en question.
Le management par non-substitution
modifie du tout au tout la responsabilité du
manager. Il est toujours responsable du ré-
sultat de l’équipe, non plus au titre de sa
capacité à faire exécuter les ordres mais au
titre de sa capacité à créer les conditions et
à apporter son appui pour que les équipiers
Le changement de posture des managers :
l’exemple de la conduite accompagnée
Reprenons notre exemple de la conduite automobile.
Une partie d’entre nous a vécu l’expérience de la conduite accompagnée, c’est-à-dire
encadrer l’apprentissage à la conduite d’un proche. Contrairement à un moniteur d’auto-
école, un accompagnateur a peu de moyens pour intervenir directement sur l’action ;
il est mis en situation de devoir faire confiance a priori à l’apprenant, de laisser l’action
se dérouler, d’en évaluer les résultats et de s’en servir comme base de l’apprentissage.
L’accompagnateur sait qu’il y aura des erreurs commises par l’apprenant et que cela
fait partie de son apprentissage. L’accompagnateur doit donc lâcher prise, car il ne
peut se substituer à l’apprenti conducteur. Il sait cependant qu’en cas d’accident, il ne
pourra pas se dédouaner de sa responsabilité, alors même qu’il n’est pas au volant.
Si l’on attend donc de l’accompagnateur qu’il puisse conseiller en direct l’apprenti
et lui faire un retour pour qu’il progresse, on attend aussi et surtout de sa part qu’il
sache adapter la situation de conduite au niveau de l’apprenant pour éviter de mettre
le binôme en danger.
Le conflit intérieur pouvant résulter de la conjonction paradoxale entre lâcher-prise et
responsabilité est si inconfortable que certains parents ne se sentent pas capables de
s’engager dans la conduite accompagnée et préfèrent y renoncer. C’est exactement la
même chose pour les managers. On comprend, dès lors, que le sujet est un peu plus
compliqué pour eux que les simples injonctions qui leur sont faites de « faire confiance »
et de « lâcher prise ».
51
Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système
réussissent leur mission en autonomie (à la
manière de l’entraîneur d’une équipe spor-
tive). C’est le principe d’aide.
L’exemple de la conduite accompagnée
(voir encadré ci-contre) nous permet de
comprendre qu’il existe une condition indis-
pensable à la mise en place d’une OR : que
les managers osent faire confiance à leurs
équipiers et qu’aucune des deux parties pre-
nantes ne se sente mise en danger.
Dans les OR, on entend souvent parler de
« droit à l’erreur ». Mais faire des erreurs
n’est pas un droit. Il existe en effet des
erreurs bénignes aux faibles conséquences
et d’autres qui peuvent avoir des effets
considérables. Pour mieux comprendre la
différence, convoquons ici une image, celle
de la ligne de flottaison d’un bateau. De la
coque d’un bateau, il y a ce que l’on voit
et ce qui est sous l’eau. La séparation entre
ces deux zones, c’est la ligne de flottaison.
Si quelqu’un fait un trou dans la coque
au-dessus de cette ligne, c’est certes en-
nuyeux, mais le bateau ne coulera pas. En
revanche, un trou au-dessous de la ligne
de flottaison est inacceptable, car une telle
erreur met en péril tout l’équipage, et le
navire avec. La responsabilité du manager
est de gérer la ligne de flottaison. À mesure
que ses équipiers apprendront de nouvelles
choses, les mettront en pratique et démon-
21. Pour une analyse des trois formes possibles de la confiance (confiance calculée, confiance construite, confiance postulée),
voir Weil (2008).
treront qu’elles sont bien acquises, le chef
va atteindre un niveau de confiance suffisant
pour élargir leur domaine de responsabilité.
Quand certaines circonstances l’exigent, le
principe de subsidiarité peut céder la place au
principe de suppléance. Face à des circons-
tances sortant de l’ordinaire (risque majeur
ou urgence), le manager (ou une autorité su-
périeure) va reprendre la main et exercer un
pouvoir pour le compte des personnes ou des
groupes qui n’en ont pas la capacité. La diffi-
culté réside toujours dans le fait de savoir qui
appréciera les circonstances en question. On
connaîtlesrisquesdeceprincipedesuppléance
au niveau politique (coup d’État ou remise du
pouvoirparle«peuple»àunhomme«provi-
dentiel » qui devient un dictateur). L’autorité
se doit ensuite de rendre leur autonomie aux
acteurs,quandlescirconstancesquijustifiaient
ce transfert de pouvoir ont cessé d’exister.
Au terme de ce développement, on voit que
la subsidiarité n’implique pas une absence
de manager, mais suppose une façon de
manager qui change considérablement de
nature. Si le manager doit faire confiance
au salarié et encourager son pouvoir d’agir
(le pari de la confiance ou confiance pos-
tulée), il faut toutefois qu’il se soit d’abord
attaché à développer chez le salarié le niveau
de compétences qui viendra soutenir cette
confiance (confiance construite21
). Les com-
52 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
pétences représentent le filet de sécurité in-
dispensable autant pour le salarié lui-même
que pour le manager et pour l’organisation.
Comme le dit avec humour Thierry Weil, il
ne s’agit pas « de demander à quelqu’un de
peindre un Picasso, sans couleurs, ni toile,
ni la moindre connaissance en art pictural »
(Weil et Dubey, 2020). La responsabilisation
est donc un processus qui nécessite d’être
accompagné de manière soutenue, tant du
côté des managers (pour le changement de
posture) que du côté des employés (pour
l’acquisition de compétences).
Considéré par tous les experts comme l’un
des points les plus délicats des transforma-
tions responsabilisantes, le repositionne-
ment des managers est en fait souvent gêné
ou empêché par les strates supérieures de
l’organisation qui continuent à leur deman-
der des comptes, alors même que ceux-ci
ont accepté de mettre en œuvre le prin-
cipe de subsidiarité : « Comment ça, tu ne
sais pas ce qui a été décidé sur tel sujet ?
Tu ne suis pas tes affaires ou quoi ? ». La
réponse du manager du type « Non, il faut
maintenant que tu demandes à X » n’est
pas toujours bien acceptée par les strates
supérieures. La question de l’exemplarité
au plus haut niveau et de la cohérence des
messages tout au long de la chaîne hiérar-
chique est donc primordiale.
Quand les managers ont pu bénéficier
d’un véritable soutien et que l’intégration
des principes de la responsabilisation est
réussie, la conception qu’ils ont de leur rôle
peut devenir extrêmement valorisante. En
témoigne ce manager d’un atelier de 250
personnes ; quand on lui demande quel est
son métier, il répond : « Rendre 250 per-
sonnes heureuses à leur travail. » On note
cependant une dérive possible sur ce point :
des servant leaders convaincus peuvent finir
par s’occuper davantage du développement
de leur équipe que de la performance des
opérations. La juste combinaison de bien-
veillance et d’exigence du manager repré-
sente, par conséquent, un sentier particu-
lièrement étroit. D’où une idée à explorer,
qui a déjà été mise en œuvre dans certaines
entreprises, consistant à dissocier le rôle
de servant leader et celui de manager opé-
rationnel en les confiant à deux personnes
différentes.
Solidarité
La solidarité au sein du collectif de travail
est l’un des effets majeurs qui résulte
d’une transformation responsabilisante,
quand elle réussit. Par solidarité, nous
entendons ici que chacun se sente res-
ponsable du résultat collectif et veuille y
apporter son concours (responsabilité so-
La responsabilisation est un pro-
cessus qui nécessite d’être accompagné
de manière soutenue, tant pour les ma-
nagers que pour les employés.
53
Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système
lidaire). Nous nous référons aussi à l’en-
traide et à la coopération qui résultent de
cette responsabilité collective.
Dans l’archétype d’une hiérarchie classique,
chacun est comptable de ce qu’il a à réali-
ser à son poste, le reste étant l’affaire de ses
collègues et de son manager. Chacun accom-
plit donc son travail sans prendre en compte
l’effet que celui-ci produit sur ses collègues
ni, plus généralement, sur la chaîne de pro-
duction de l’entreprise.Autrement dit, la per-
sonne est responsabilisée sur la réalisation de
satâcheetnonsurl’ensembled’unprocessus,
sur lequel elle ne dispose pas toujours d’une
visibilitésuffisante.C’estundesrésultatsnon
seulement de la parcellisation du travail mais
aussi des systèmes d’incitation fondés uni-
quement sur des résultats individuels.
Dans une organisation responsabilisée en
revanche, tous les équipiers vont se sentir
comptables des résultats du groupe – à la
manière de ce qui se passe dans un sport
collectif. Ils seront donc incités à s’en-
traider et à coopérer pour atteindre les
objectifs. Un opérateur en difficulté sur
le critère « qualité » (savoir détecter des
non-conformités) verra ses collègues lui
venir en aide pour mieux maîtriser le mode
opératoire et comprendre l’origine de son
problème, dans la mesure où la qualité est
un des objectifs de l’équipe. Cela n’en-
lève rien à la responsabilité personnelle
de chacun (assumer les conséquences de
ses actes), mais ajoute de l’entraide et de
la coopération, en raison d’un sentiment
collectif partagé dans la réussite comme
dans l’échec.
Un tel résultat s’obtient si chaque membre
d’une équipe et chaque équipe comprend
le rôle qu’il ou elle joue dans le jeu col-
lectif et comment sa contribution concourt
aux résultats de l’équipe, du collectif
élargi, voire de l’entreprise dans son en-
semble. La compréhension par tout un
chacun des objectifs globaux de l’enti-
té est donc très importante. Mais ce qui
change radicalement dans l’organisation
responsabilisante, c’est le fait de donner
à chaque équipe des marges de manœuvre
pour définir comment elle peut, à son
niveau, contribuer à la réalisation des ob-
jectifs de l’entité. Par exemple, au lieu de
dire aux opérationnels : « Il faut faire pro-
gresser tel critère, voici donc ce que vous
allez faire… », on leur demande : « On a
un problème de time-to-market, sur quoi
pourriez-vous travailler, à votre niveau,
pour améliorer ce point ? » La codéter-
mination des objectifs intermédiaires qui
seront portés par l’équipe (et plus seu-
lement par le manager) crée ensuite une
responsabilité solidaire autour de l’obten-
tion des résultats que l’équipe a elle-même
définis. Le système de rémunération devra
bien entendu évoluer pour accompagner
la dimension collective de l’effort (prime
collective notamment), ce qui renforcera
la solidarité.
Arriver à cette situation « idéale » n’a rien
de spontané et ne se construit pas en un jour.
54 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Le processus suppose de passer d’un simple
collectif de travail à une communauté de
travail (voir encadré ci-dessous).
Une communauté de travail résulte d’une
construction. Dix individus qui travaillent
dans un même service, en ayant vaguement
conscience d’un objectif commun, ne forment
pas une communauté de travail. Pour n’en
donner qu’un exemple, pensons à dix ensei-
gnantsuniversitaires(uneprofessionquiseca-
ractérise par un haut niveau d’indépendance
individuelle) rassemblés dans un même dé-
partement d’enseignement et de recherche :
font-ils « communauté » ? L’existence d’une
communauté de travail implique l’émergence
d’un « nous » : des relations interpersonnelles
fondées sur la confiance, une intensité de la
collaboration entre les membres, le partage de
valeurs et d’objectifs communs. Autrement
dit, la communauté de travail va se construire
socialement via des routines, des événements,
des épreuves traversées ensemble, qui débou-
cheront sur un sentiment d’appartenance, de
confiance et de soutien entre les membres.
L’accent mis sur la communauté de travail
permet de comprendre que la responsabili-
sation n’est pas seulement un fait individuel
qu’il s’agirait de soutenir et de développer,
c’est une construction autour d’une aspiration
qui doit devenir collective et partagée. Sans
la conscience et la volonté de participer à ce
«devenircommun»,ilseratrèsdifficileàl’or-
ganisation responsabilisante de prendre corps
et de s’ancrer.
La responsabilité de chacun va s’exercer
dans le cadre de ce « territoire » qu’est
la communauté de travail, qui s’entend à
plusieurs échelles, depuis l’unité élémen-
taire de travail (l’équipe) jusqu’à l’entité
globale. La difficulté réside souvent dans le
passage de la communauté « équipe », dans
laquelle la solidarité peut être très forte, à
Communauté de travail
Comme l’explique Pierre-Yves Gomez dans son blog, « l’entreprise vue comme une
communauté suppose qu’il existe une culture, une histoire partagée et une solidarité
entre les collaborateurs telles que l’identité du travailleur est nourrie par le “collectif de
travail”. Celui-ci constitue pour lui une ressource essentielle pour définir sa place, ses
savoir-faire ou pour déployer son chemin d’apprentissage personnel dans la durée.
Dans l’entreprise-communauté, la division du travail se voit comme une hiérarchie de
compétences interconnectées (l’apprenti débutant, le compagnon expérimenté, le
maître confirmé) et elle nécessite des investissements de long terme pour acquérir les
exigences communes du “travail bien fait” propre à la communauté. »
55
Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système
la communauté « entreprise » qui, selon la
taille de cette dernière, peut rendre la soli-
darité et la coopération très abstraites.
En définitive, la solidarité est l’une des ré-
ponsesausentimentdesolitudequelarespon-
sabilitéfaitnaîtrechezunindividu,sentiment
qui peut s’avérer inhibant, voire délétère, et
peut aboutir à un rejet de la responsabilisa-
tion. Inversement, elle lui permet aussi de ne
pas tomber dans le travers de l’excès d’indé-
pendance(ouvertigedupouvoirdedécision).
L’existence même du collectif va rappeler à
l’individu qu’il n’est pas un atome flottant
dans l’éther, mais que son action est interdé-
pendante de celle des autres.
Collégialité
La pratique de la délibération collective est
l’une des caractéristiques essentielles des
OR. C’est un filet de sécurité face à la res-
ponsabilité de chaque membre du groupe,
et c’est aussi une manière de construire des
Co-construction des décisions
La co-construction désigne un processus délibératif encadré par un dispositif formel
et par l’intervention d’un tiers régulateur et médiateur. Dans une équipe de travail, ce
dernier est le plus souvent le manager. Pour lui, se référer à la co-construction consiste
à la fois à définir et à être garant d’un espace délibératif particulier qui introduit d’autres
formes d’interactions entre les subordonnés entre eux et entre ces derniers et lui-
même. La co-construction ouvre ainsi sur une option managériale nouvelle, en rupture
avec les autres pratiques traditionnellement utilisées (la consultation, la communication
d’une décision prise sans concertation avec les subordonnés).
La mise en œuvre de la co-construction doit chercher à équilibrer la participation et
l’efficacité décisionnelle pour éviter les délais et la paralysie d’analyse. Il est essentiel de
structurer cette participation et de clarifier les rôles dans la prise de décision elle-même.
Source : Foudriat M. (2014). La co-construction, Une option managériale pour les chefs
de service. In Le management des chefs de service dans le secteur social et médico-
social, Dunod, pp. 229-250.
La collégialité prend le plus
souvent la forme d’une réflexion col-
lective visant d’une part à enrichir
l’éventail des solutions à considérer, et
d’autre part à prendre en compte l’avis
des personnes qui seront affectées par
une décision.
56 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
apprentissages collectifs, permettant de
bâtir la communauté de travail via des rou-
tines et le partage progressif d’un langage
commun, d’objectifs et de réflexes parta-
gés. Nous appelons le développement de
ces capacités « la collégialité », qui peut
s’entendre de diverses manières.
Procédure collégiale et décision
collective
Lacollégialitéprendleplussouventlaforme
d’une réflexion collective visant d’une part
à enrichir l’éventail des solutions à considé-
rer (délibération), et d’autre part à prendre
en compte l’avis des personnes qui seront
affectées par une décision (concertation).
Il s’agit d’une procédure collégiale dont
la visée n’est pas nécessairement d’obtenir
une décision commune et partagée (même si
cela serait préférable), mais de prendre la dé-
cision la plus avisée possible. La procédure
collégiale va cependant plus loin qu’une
simple consultation (ou sollicitation d’avis)
dans la mesure où le processus de réflexion
est collectif et vise à construire ensemble
la décision à prendre (co-construction, voir
encadré en page précédente). La procédure
collégiale précède donc une décision mais
elle ne se confond pas systématiquement
avec une décision collective. Pour mieux
comprendreladifférence,prenonsl’exemple
très parlant de la procédure qui précède la
décision du médecin dans le contexte de la
fin de vie (voir encadré ci-dessus). Dans ce
cas, la procédure collégiale vise à éclairer
celui qui doit prendre une décision, sans
pour autant le dédouaner de sa responsabili-
té personnelle quant à cette décision.
La délibération collégiale peut cependant
aussi déboucher sur une décision prise
La procédure collégiale dans le contexte de la fin de vie
« La procédure collégiale est une modalité de concertation imposée par la loi dans
des situations spécifiques de fin de vie. Elle précède la prise de décision du médecin
responsable du patient. La procédure collégiale permet de mener une réflexion
collective, réunissant plusieurs professionnels de disciplines différentes […]. Elle
permet d’éviter toute décision médicale solitaire ou arbitraire, c’est-à-dire dépendante
du jugement d’un seul professionnel. […] La décision finale appartient au médecin qui
prend actuellement soin du patient : s’il se nourrit des différents avis émis, sa décision
ne s’y résume pas nécessairement. C’est le processus de réflexion qui est collectif, et
non la décision : le médecin référent reste l’unique décideur et responsable. »
Source : site parlons-fin-de-vie.fr
57
Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système
collectivement. Il existe différents types
de procédure de décision collective (vote,
consensus, consentement, veto, compro-
mis), présentant chacun des avantages et
des inconvénients (voir encadré ci-dessus).
Dans le contexte professionnel, la dé-
libération collective est soumise le plus
souvent à des contraintes de temps et
d’efficacité. Elle a pour objectif de par-
venir à des décisions aussi informées et
pertinentes que possible dans un laps
de temps donné. Collégialité n’est donc
pas forcément synonyme de consensus.
La plupart du temps, une personne a été
désignée par la hiérarchie ou par la base
pour prendre une décision dans un champ
de responsabilité donné. L’important est
que cette personne réunisse trois caracté-
ristiques : elle a reçu le pouvoir de décider,
elle a la compétence pour le faire, la com-
munauté de travail lui reconnaît la légiti-
mité de pouvoir décider sur ce champ de
responsabilité.
Différents types de décision collective
Le vote est un procédé rapide permettant l’expression de chacun. Les règles du vote
peuvent prévoir une décision à la majorité ou à l’unanimité. Quand la légitimité de la
décision repose sur le choix du plus grand nombre, rien ne prouve que la majorité soit
porteuse de la « bonne » décision.
Dans le consensus, le groupe construit et façonne progressivement des propositions
– en tenant compte des apports et des points de vue de chacun –, qui finissent par
converger et emporter l’adhésion, sans qu’il soit nécessaire à chacun de se prononcer.
Désavantage majeur : le consensus est un processus très consommateur de temps.
Assez proche du consensus, une décision par consentement est adoptée si personne
ne s’exprime pour s’y opposer. Dans le cas contraire, la discussion est réouverte.
Le droit de veto s’entend généralement dans le cadre d’un vote exprimé (à la différence
du consentement). Il implique le droit pour une personne de s’opposer à une décision,
même si tout le groupe vote en faveur de la décision. C’est le corollaire d’une procédure
de vote à l’unanimité (par exemple au Conseil de sécurité des Nations unies). Selon les
règles adoptées, le droit de veto peut appartenir à tous ou au contraire être réservé à
quelques personnes (par exemple, le manager, le dirigeant).
Enfin, avec le compromis, il s’agit de rechercher une position médiane entre des
divergences exprimées, en faisant des concessions réciproques (habituellement par la
négociation). Le compromis permet de rendre une décision acceptable, mais rarement
d’aboutir à la « meilleure » décision.
58 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Toutefois, rien n’empêche une organisation
responsabilisante d’instituer d’autres règles
en matière de prise de décision en fonction
de l’objet de la décision, du contexte, de
la culture, des spécificités du groupe, du
temps disponible, etc. L’important sera
d’être transparent sur les règles selon les-
quelles se prendront les différents types de
décision, voire d’en faire le sujet de la pre-
mière décision collective.
La clarification du qui décide quoi est une
condition fondamentale du bon fonction-
nement des OR. Elle nécessitera de définir
avec précision ce qui relève du « domaine
réservé » du manager (voir encadré
ci-dessus), ou encore les zones rouges
(celles qui ne sont pas ouvertes à la col-
légialité) et les zones bleues (celles qui le
sont) (Weil et Dubey, 2020).
Une dernière question se pose encore : une
décision quand elle est collective entraîne-
t-elle une responsabilité collective ? Sans
nous lancer dans une discussion philoso-
phique sur cette question complexe, rappe-
lons seulement qu’en droit (pénal ou civil)
la responsabilité est personnelle (Lebrun,
2015). On pourrait toutefois distinguer,
comme le propose Bertrand Ballarin, l’état
La notion de domaine réservé
En droit constitutionnel français, on désigne par « domaine réservé » certains secteurs
de la politique nationale (la défense nationale et la politique étrangère notamment)
dans lesquels la compétence particulière du président de la République, reconnue par
l’usage, s’exerce. Cette expression a été inventée par Jacques Chaban-Delmas en
1959.
Cela n’empêche pas qu’il y ait un ministre des Armées et un ministre des Affaires
étrangères, et que les administrations de la défense et des affaires étrangères dépendent
exclusivement de ces ministres. En bref, le domaine réservé ne doit pas être compris
comme un domaine exclusif.
Dans une équipe, c’est la même chose. Très rares sont les domaines qui ne relèvent
pas de la compétence d’au moins un des équipiers. Le domaine réservé du manager
est donc plutôt un ensemble de sujets qu’un domaine entier, et le mot « réservé »
n’implique pas qu’il soit seul à l’instruire. Ce qui caractérise ces sujets-là, c’est qu’il
existe de bonnes raisons pour que le manager s’implique en détail dans leur suivi parce
qu’in fine la décision lui reviendra. En fait, c’est la décision qu’il faut considérer comme
réservée. C’est pourquoi l’existence d’un domaine réservé n’exclut pas la délibération
sur les sujets qui le constituent.
59
Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système
et le sentiment de responsabilité. L’état de
responsabilité induit l’imputabilité person-
nelle des actions. Le sentiment de responsa-
bilité, conséquence de la solidarité et de la
collégialité, correspond davantage à l’idée
de « se sentir concerné » sans imputabilité.
Le dialogue professionnel collectif
s’exerce généralement dans des instances
organisées ayant, chacune, une finalité
distincte (opérationnelle, organisation-
nelle, stratégique) et des fréquences adap-
tées à leur but (journalière, hebdomadaire,
mensuelle, annuelle).
Mettre en place ces instances de délibé-
ration nécessite tout un apprentissage.
Le manager doit désapprendre à donner
des ordres, et apprendre à écouter, ques-
tionner, relancer, distribuer la parole à
chacun et respecter le timing ; les équi-
piers doivent apprendre à s’exprimer, ne
pas se couper la parole, s’écouter entre
eux, etc. Pour certaines populations, ces
situations nouvelles peuvent être désta-
bilisantes. Un agent de fabrication peut
mettre jusqu’à un an pour acquérir assez
de confiance en soi et réussir à expri-
mer les difficultés qu’il ressent dans son
travail. Cet apprentissage fait directe-
ment référence au concept de « sécurité
psychologique » d’une équipe (Edmond-
son, 2018) : il se définit comme la convic-
tion partagée par ses membres qu’il est
acceptable et reconnu d’exprimer ses
idées et ses préoccupations, de poser des
questions et d’admettre ses erreurs, le
tout sans craindre de conséquences né-
gatives. Comme le dit Amy Edmondson,
« c’est une permission de franchise » res-
sentie par chaque membre.
Décider si la délibération professionnelle
doit se faire avec le manager ou hors de
sa présence dépendra de la philosophie
de l’entreprise considérée. Il existe une
divergence académique sur ce plan entre
les professeurs Mathieu Detchessahar,
qui vient du courant de la gestion des res-
sources humaines (GRH) et des sciences
de gestion, et Yves Clot, qui représente le
courant de la psychologie du travail et de
l’ergonomie. Selon ce dernier, seule l’ab-
sence du manager à certaines étapes de la
délibération sur le travail peut permettre
une réelle liberté de parole chez les opé-
rationnels ; selon le premier en revanche,
la présence du manager permet de garan-
tir une rapidité dans la remontée des infor-
mations utiles vers les niveaux supérieurs.
Au-delà de cette raison pratique, l’idée est
que le manager de proximité fait partie de
l’équipe, et qu’il n’y a donc pas de raison
qu’il se considère (ou soit considéré)
comme extérieur à l’équipe au moment
d’une délibération.
Instances de délibération et de
décision dans le lean
En usine, le dialogue professionnel joue
un rôle essentiel dans les pratiques du lean
management. Le lean est une approche de
gestion axée sur l’efficacité opération-
60 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
nelle et la réduction des gaspillages via
l’amélioration continue. Dans ce contexte,
le processus de discussion et de prise de
décision au sein d’une équipe a pour but
d’identifier des problèmes et des écarts de
production, d’en cerner les causes, de pro-
duire des idées et de parvenir à des solu-
tions. Le lean multiplie ainsi les occasions
d’apprentissage pour développer les per-
sonnes, et la délibération est en elle-même
un puissant stimulant de l’apprentissage.
Deux types d’instances sont particulière-
ment importantes : les animations à inter-
valle court (AIC) et les chantiers Kaizen.
Animations à intervalle court (AIC)
La première brique de l’apprentissage du
dialogue et de la délibération se fait le plus
souvent à travers la mise en place de réu-
nions brèves à différents niveaux de l’en-
treprise : par exemple, point journalier de
cinq minutes au niveau de l’équipe, point
de quinze minutes à l’échelon intermé-
diaire, point de trente minutes au niveau
du site ou de l’entité. On y traite de la
situation de l’équipe en matière de sé-
curité, de qualité, de délais, de coût. Les
problèmes à traiter sont identifiés au plus
près du terrain et débattus en réunion dans
une escalade de subsidiarité. L’équipe
décide des actions qu’elle peut mener à
son niveau, et de remonter éventuellement
au niveau supérieur les sujets sur lesquels
elle ne dispose pas des compétences, ni
des ressources nécessaires, ou qui relèvent
du domaine réservé du manager. Les ins-
tances de niveau supérieur ont pour rôle
essentiel d’aider à résoudre les sujets
identifiés par la base. Elles doivent être
exemplaires, trouver les solutions, prendre
les décisions demandées et les faire redes-
cendre rapidement. Frédéric d’Arrentières
souligne d’ailleurs que ses observations au
sein de l’ingénierie véhicules de Renault
lui ont montré que les équipes ne reven-
diquent pas forcément de prendre direc-
tement les décisions, notamment lorsque
celles-ci sont liées à de fortes interdépen-
dances avec des tiers, mais que leur attente
est de disposer de mécanismes efficaces
de synchronisation entre équipes et de
s’assurer de la disponibilité des niveaux
supérieurs pour que les décisions soient
prises rapidement. La métamorphose vers
l’OR vise toutefois à changer cette dispo-
sition d’esprit un peu frileuse qui provient
souvent d’années d’absence de pratique de
la décision.
Amélioration continue (Kaizen)
La délibération est aussi un élément clé du
processus d’amélioration continue dans le
lean. Les équipes se réunissent régulière-
ment pour discuter des problèmes opéra-
tionnels, des obstacles et des opportunités
d’amélioration. Les membres de l’équipe,
le manager et les fonctions support par-
tagent leurs observations, échangent des
idées et travaillent ensemble pour trouver
des solutions innovantes.
61
Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système
Les pratiques de dialogue et de délibéra-
tion du lean sont une manière d’avancer
vers la responsabilisation non pas d’une
façon abstraite, mais au quotidien, autour
du travail réel. Elles permettent d’entraî-
ner les opérationnels à s’exprimer, puis à
participer à la prise de décision collective.
Elles sont le terrain de jeu sur lequel se
développe la compétence à savoir décider
en équipe, qui pourra progressivement
s’exercer dans des champs de responsabi-
lité de plus en plus larges.
Toutefois, la seule pratique des animations
à intervalle court et des réunions Kaizen,
qui ne représentent à elles deux qu’un pour-
centage très limité du temps de travail, ne
peut suffire à développer chez les opéra-
Trois boucles de rituels mis en œuvre
au sein du groupe Michelin
La boucle annuelle permet de codéterminer les ambitions et les objectifs à l’horizon
d’une année glissante. Elle permet aux équipes de définir leur quoi, c’est-à-dire la
contribution que chaque collectif pourra apporter à la réalisation des grands enjeux
définis par l’entité de tête qui fixe les objectifs globaux à atteindre. Il est nécessaire
que chaque collectif s’approprie ces grands enjeux (le pourquoi), et soit conscient de
ses forces et de ses faiblesses pour débattre et proposer sa meilleure contribution.
Les équipiers qui ont joué un rôle actif dans la définition du quoi seront beaucoup plus
pertinents dans la définition du comment et beaucoup plus motivés dans sa mise en
œuvre. Ce rituel mobilise les employés durant une journée chaque année.
La boucle mensuelle de pilotage et de priorisation permet de décider collégialement la
manière de progresser dans le cadre des ambitions définies lors de la boucle annuelle.
Chaque collectif fait un retour d’expérience (retex) sur la période qui vient de s’écouler
et, en fonction du progrès réalisé, décide de faire évoluer ses priorités d’action et de
planifier une nouvelle étape de progrès pour la période à venir. La périodicité mensuelle
permet de s’adapter aux évolutions du contexte à court terme. Cette boucle réunit
chaque collectif de travail entre une heure et une heure trente chaque mois.
La boucle quotidienne de management de la performance et de réponse rapide (MQP/
RR) permet de réagir aux dérives les plus importantes de la marche courante, et permet
également d’allouer des ressources à la résolution de problèmes concrets qui freinent
le progrès. Les équipes se doivent de réagir le plus rapidement possible aux dérives.
Pour autant, elles ne pourront pas traiter en profondeur et éradiquer l’ensemble des
problèmes qui peuvent se présenter au jour le jour. La boucle quotidienne comporte
donc des rituels qui mobilisent aussi les équipes de niveau supérieur.
62 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
tionnels la pratique de la délibération. Chez
Michelin (voir encadré en page précé-
dente), comme chez Lippi et Martin Tech-
nologies, plusieurs types de rituels ont été
installés avec différentes fréquences selon
leur finalité : annuelle, mensuelle, hebdo-
madaire et journalière.
Dans d’autres modèles organisationnels
comme l’holacratie22
, on trouvera les réu-
nions de triage et les réunions de gouver-
nance, deux instances distinctes dont le
rituel est adapté à la nature de la discussion.
La mise en place d’instances structurées et
régulières de délibération et de décision,
et la capacité des membres à y participer
au bon niveau, en comprenant la finalité de
chacune, sont des marqueurs distinctifs des
organisations responsabilisantes.
Activité
Au cœur des travaux de l’école française
d’ergonomie se trouve la question de l’ac-
tivité. La différence entre le travail prescrit
par l’organisation et le travail réel accompli
par le travailleur ouvre la voie à l’analyse
des compromis opératoires mis en œuvre
par les travailleurs pour réduire cet écart
(et, en fait, le révéler au grand jour). Ces
solutions actionnées par les travailleurs re-
22. Auto-organisation d’équipes interconnectées où les décisions se prennent au consentement et les managers sont choisis par
élection sans candidat.
présentent ce que les ergonomes appellent
« l’activité ».
Prenons l’exemple d’une règle de sécurité
jugée inefficace par les travailleurs. Trois
cas de figure sont possibles. Le premier est
le contournement de la règle (ex. ne pas
mettre hors tension une machine avant de
la réparer pour qu’elle démarre plus rapide-
ment), ce qui peut aboutir à des résultats ca-
tastrophiques (ex. accident grave). Le deu-
xième est qu’une discussion soit ouverte sur
l’utilité et le sens de la règle, permettant de
réaffirmer la raison pour laquelle elle doit
être effectivement respectée. Le troisième
est une discussion permettant de creuser
les raisons pour lesquelles la règle n’est pas
respectée (ex. la coexistence avec un objec-
tif de cadence contradictoire), conduisant
à faire émerger une meilleure règle que la
règle existante, tout en tenant compte de
l’ensemble des données du problème. Une
des premières étapes vers l’organisation
responsabilisante consiste précisément à
permettre à ceux qui effectuent le travail de
discuter des conditions de réalisation de ce
travail. Cette possibilité est ce qui permettra
d’éviter le contournement des règles. Tout
l’enjeu est de créer un espace dans lequel
les personnes se sentent habilitées à lever
la main pour s’exprimer, lorsqu’elles consi-
dèrent qu’elles font quelque chose d’inutile
ou d’inefficace, et où elles peuvent échanger
63
Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système
avec le détenteur de la règle pour décider s’il
faut continuer à l’appliquer ou la repenser.
Une des fonctions essentielles de l’ana-
lyse de l’activité, c’est de favoriser une
autre conception de la prescription, plus
favorable au respect de la personne mais
aussi à l’efficacité du travail. La définition
de la prescription ayant historiquement
été confiée presque exclusivement à des
experts, c’est notamment sur ce point que
se joue le défi de tempérer le taylorisme :
dans l’élaboration d’un nouveau modèle
d’activité qui donnerait aux collaborateurs
un rôle plus actif dans la construction de
la prescription de travail, du fait de leur
connaissance du travail réel – ce que nous
avons appelé dans d’autres ouvrages le
« design du travail » (Pellerin et Cahier,
2019, 2021).
Une transformation responsabilisante en-
tretient des liens étroits avec l’activité.
Généralement, elle affiche comme objec-
tif de donner davantage d’autonomie aux
collaborateurs, c’est-à-dire davantage de
marges de manœuvre dans la régulation
de leur activité. Cette absence de marges
de manœuvre est précisément dénoncée
depuis longtemps par les ergonomes, les
psychologues et les sociologues du travail
comme un facteur affectant négativement
la santé au travail (voir chapitre 2). Les
projets de responsabilisation qui visent en
principe l’articulation de la santé des tra-
vailleurs et de la performance du travail
(efficacité des processus de décision,
subsidiarité et coopération) devraient donc
être accueillis favorablement par les spé-
cialistes du travail.
Mais il existe deux pierres d’achoppement
majeures dans ces projets, selon ces pro-
fessionnels.
La première est que prescrire l’autonomie
peut paraître un projet paradoxal (« Sois
autonome » est une injonction paradoxale).
Cette objection ne nous paraît pas entière-
ment fondée. Certes, la décision de fonc-
tionner différemment viendra forcément
du dirigeant, mais cela ne signifie pas qu’il
devra en prescrire toutes les modalités.
Son rôle consistera précisément à créer les
conditions pour qu’émerge la responsabi-
lisation, c’est-à-dire poser des principes,
puis laisser les échelons subordonnés les
traduire en règles détaillées. Mais expli-
citer les principes est souvent beaucoup
plus difficile que de fabriquer de la règle
de détail.
La seconde pierre d’achoppement est que
la responsabilisation comporte des risques
importants d’atteinte à l’équilibre psy-
chique et physique des salariés, comme
cela a été souligné par plusieurs travaux
(Picard, 2015 ; Canivenc, 2022). En effet,
la responsabilisation est loin de n’entrete-
La responsabilisation est loin de
n’entretenir que des rapports positifs
avec la santé au travail.
64 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
nir que des rapports positifs avec la santé
au travail. Dans certains exemples d’entre-
prises cheminant vers l’OR, l’intensité et
le temps de travail s’accroissent, les coo-
pérations se révèlent souvent insuffisantes
et les opérationnels n’ont pas forcément la
capacité à peser sur la coopération interser-
vices (qui reste le plus souvent l’apanage
des managers), la qualité des relations est
susceptible de se dégrader, et tout s’accom-
plit souvent sans qu’aucune compensation
salariale pour ces efforts supplémentaires
ne soit mise en place.
Plus encore, la transition vers la responsa-
bilisation (la transformation elle-même) est
vécue par les personnes comme un accrois-
sement de la charge d’activité, parce qu’on
leur maintient le même objectif personnel de
production sans prendre en compte la charge
additionnelle induite par la transformation
et, demain, par le nouveau mode de fonc-
tionnement stabilisé (ex. les services rendus
à l’équipe, la participation aux délibéra-
tions). L’aggravation des risques psychoso-
ciaux (RPS) qui en découle est souvent le
révélateur d’un manque de ressources pour
répondre aux exigences de l’activité et pour
réaliser un travail de qualité.
Les critères définissant ce qu’est un « bon
travail » peuvent en outre être assez diffé-
rents entre la hiérarchie et les opération-
nels. Par exemple, un opérateur d’un centre
d’appels de service après-vente considé-
rera comme un travail de qualité le fait
d’avoir réussi à résoudre le problème du
client, alors que la hiérarchie retiendra le
nombre d’appels traités et le temps passé
sur chaque appel. Une infirmière considé-
rera comme du bon travail le temps passé
à échanger avec son patient, à le rassurer
et à lui procurer du bien-être, alors que la
hiérarchie prendra en compte le nombre
d’actes de soin et le temps passé auprès de
chaque patient.
Il existe donc des conflits de critères sur
ce qu’est un travail bien fait. Ces conflits
de critères peuvent d’ailleurs exister entre
opérationnels eux-mêmes. C’est ce qui
rend indispensable d’institutionnaliser des
espaces de délibération sur le travail pour
traiter ces conflits de critères et organiser
ce qu’Yves Clot (2021) appelle la « dispute
professionnelle ». L’organisation de ces
espaces de délibération sur les critères
d’un bon travail sera souvent un marqueur
de l’organisation responsabilisante.
L’organisation d’espaces de dé-
libération sur les critères d’un bon
travail sera souvent un marqueur de
l’organisation responsabilisante.
65
CHAPITRE 4
La boussole de la responsabilisation en action
Comprendre en profondeur les principes
essentiels de l’organisation responsabi-
lisante et leurs interactions systémiques,
s’accorder sur les définitions qu’on veut
leur donner collectivement (de façon
plus ou moins ambitieuse), rédiger le cas
échéant un livre blanc permettant d’objec-
tiver les intentions que l’on poursuit pour
pouvoir à tout moment revenir à ces fon-
damentaux, apparaissent comme des pré-
requis à la transformation. Ce n’est pas
encore de la mise en œuvre, mais c’est un
préalable indispensable à celle-ci.
La boussole de la responsabilisation ne se
résume donc pas à une approche concep-
tuelle. Elle permet de s’engager dans la
démarche de transformation en sachant de
quoi on parle, et elle est activable dès la
phase de réflexion amont. Elle sert de grille
de conception pour : i) élaborer une vision
du système cible que l’on souhaiterait faire
émerger (et qui n’est pas un simple référen-
tiel de bonnes pratiques) ; ii) déterminer sur
quoi agir prioritairement ; et iii) évaluer le
degré de maturité de l’organisation sur les
différentes dimensions.
Construire une vision de la
transformation
Pour s’approprier les cinq dimensions et se
référer à un langage commun, il sera utile
de commencer par construire une vision du
système cible tel qu’on se l’imagine.
La vision est souvent un exercice que l’on
peut qualifier de from → to appliqué à la
responsabilisation : que sommes-nous
aujourd’hui ? que voudrions-nous être
demain ? Cette vision peut elle-même être
construite avec une méthode d’exploration.
Le principe de ce type de méthode est de
poser une question principale et d’apporter
des éléments de réponse à cette question,
éléments qui vont eux-mêmes provoquer
d’autres questions auxquelles il faudra
continuer de répondre, et ainsi de suite.
66 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Chaque dimension de la boussole ouvre
donc un questionnement.
Responsabilité : Comment s’exerce la res-
ponsabilité aujourd’hui ? Qui est respon-
sable de quoi et devant qui ? → Quelle
chaîne de responsabilité voudrions-nous
demain dans notre entité responsabilisée ?
Quelles sont les responsabilités qui s’at-
tachent naturellement à tel ou tel niveau,
compte tenu des aptitudes qui s’y trouvent
par la connaissance et l’expérience ?
Subsidiarité : Par qui et comment les
problèmes et les aléas sont-ils traités au-
jourd’hui ? → Comment voudrions-nous
qu’ils le soient demain ? (par exemple, pro-
blèmes traités là où ils apparaissent).
Comment les opérations sont-elles gérées
aujourd’hui ? → Comment voudrions-nous
qu’elles le soient demain? (par exemple, prise
de décision par ceux qui font les opérations).
Comment sont définis les objectifs au-
jourd’hui ? → Comment voudrions-nous
qu’ils soient définis demain, et par qui ? (par
exemple, co-construction des objectifs).
Solidarité : Comment considérons-nous au-
jourd’hui le niveau de solidarité, d’entraide
et de coopération au sein des équipes ? →
Comment développer une culture de la
coopération et de la confiance dans la com-
munauté de travail demain ? Ce qui exige,
de s’interroger sur les pratiques propices à
la solidarité.
Collégialité : Comment et dans quelles
enceintes sont prises les décisions au-
jourd’hui ? → Comment voudrions-nous
qu’elles soient prises demain ?
Activité : Quelle est notre évaluation de
la qualité du travail tel qu’il est pratiqué
dans notre organisation ? Sur quels critères
nous appuyons-nous pour faire cette éva-
luation ? → Quel est notre objectif pour
demain dans ce domaine ?
Les dimensions de la boussole sont donc,
dans un premier temps, un moyen de provo-
quer un questionnement destiné à faire réflé-
chir ceux qui porteront la transformation, en
les aidant à se projeter.
Cette vision n’est pas figée, ce n’est pas un
point B à atteindre. C’est une esquisse, mais
une esquisse capable de donner une indica-
tionsuffisammentclairedesprincipesconsti-
tutifs du modèle visé. Elle devra ensuite être
remise sur le métier au fil de l’avancement de
la transformation et des remontées du corps
social.
Déterminer sur quoi agir
Pour que les cinq principes de la boussole
puissent prendre corps et se déployer, il va
falloir déterminer sur quels premiers élé-
ments tangibles de l’organisation agir, de
manière à faire bouger le système et créer
un nouveau « terrain de jeu ».
67
Chapitre 4. La boussole de la responsabilisation en action
Taille et stabilité des équipes sur des
« territoires »
Les finalités de responsabilisation, solidari-
té et collégialité nécessitent le plus souvent
de passer par une réflexion sur la taille des
équipes et leur stabilité relative sur un ter-
ritoire donné.
Divers travaux, notamment en psychologie
sociale, ont investigué le lien entre la per-
formance des équipes et leur taille. L’effet
Ringelmann explique la relation inverse
entre la taille d’une équipe et la contribu-
tion individuelle à la réalisation de ses ac-
tivités. Ringelmann (1913) a montré qu’à
mesure que des personnes sont ajoutées à
un groupe, le groupe devient de plus en plus
inefficace. Deux processus ont été identi-
fiés pour expliquer cette baisse de produc-
tivité. D’une part, la perte de motivation
individuelle, et d’autre part la diminution
de la coordination. Parmi les facteurs de
perte de motivation des grandes équipes,
Forsyth (2006) a identifié le phénomène
de « paresse sociale » : chaque personne
déploie moins d’efforts parce qu’elle pense
que sa contribution individuelle devient
moins identifiable et que d’autres pren-
dront le relais. Il a ensuite montré que cette
paresse sociale peut être contrée autrement
que par la pression d’un chef, à travers
la fixation d’objectifs clairs et ambitieux
(exigence), et également via la perception
23. Selon Jeff Bezos, une équipe a la bonne taille quand elle peut être nourrie par deux pizzas king size.
par chacun qu’il est indispensable au fonc-
tionnement et à la performance de l’équipe
(solidarité).
La conclusion générale que l’on peut tirer
de ces travaux est que la taille optimale
d’une équipe se situerait à peu près entre
sept et onze personnes (Katzenbach et
Smith, 1993), ce que Jeff Bezos a résumé
par l’expression « two-pizza team23
». Le
chiffre peut bien entendu être discuté,
mais l’idée fondamentale est de trouver
un juste équilibre entre une équipe avec
trop peu de personnes pour assurer la di-
versité des profils et des compétences, et
trop nombreuse pour obtenir une pleine
participation, une bonne communica-
tion et une coordination aisée. Lorsque
la taille des équipes dépasse un certain
seuil, il leur devient plus difficile de par-
venir à une compréhension commune
des problèmes et des situations ; les ré-
unions deviennent trop longues, et la
délibération ainsi que la prise de déci-
sion nettement plus compliquées. Dans
les grandes équipes, les personnes se
connaissent moins, la confiance mu-
tuelle est donc moins évidente. Elles ont
également moins conscience du travail
des autres membres et du niveau de
leur contribution au succès de l’équipe.
Katzenbach et Smith (1993) ont noté que
les équipes hautement performantes sont
constituées de membres ayant un fort
68 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
intérêt personnel pour les autres, ainsi
que pour le respect et la collaboration
professionnels.
On comprend aisément que ces conditions
de fonctionnement, et surtout les liens in-
terpersonnels, nécessitent une certaine
stabilité des équipes. D’un côté, le fonc-
tionnement peut être mis à mal par des
changements trop fréquents ou trop nom-
breux : les nouveaux mettent du temps à
intégrer les principes de fonctionnement,
ils n’ont pas exactement les mêmes com-
pétences que les personnes qu’ils rem-
placent, et certains « rôles » (voir plus
loin) doivent, en conséquence, être re-
pensés ou redistribués. Inversement, le
turn-over – qui fait partie de la vie des
organisations – ne présente pas que des
aspects négatifs. Il permet d’éviter à une
équipe de se scléroser, en la revivifiant.
Les nouveaux arrivants représentent une
opportunité « réflexive » d’apprentissage
pour le groupe, qui est obligé de réexpli-
citer ses modes de fonctionnement, voire
de les questionner.
D’ailleurs, pour maintenir la solidarité
dans l’équipe, celle-ci demandera souvent
à s’approprier le champ d’autonomie et de
responsabilité qui concerne l’intégration
des nouveaux membres, voire leur recru-
tement, et le fait de décider de les garder
ou non après une période d’essai. Une
équipe responsabilisée comprendra vite
qu’elle n’a pas intérêt à se laisser imposer
ses nouveaux membres.
Ces considérations sur la taille et le fonc-
tionnement des équipes conduiront souvent
à initier la transformation par un redécou-
page des activités et par un redesign orga-
nisationnel des équipes.
La définition et l’attribution d’un « terri-
toire » à une équipe permettent non seule-
ment d’ancrer le sentiment d’appartenance
de chacun au sein d’un champ d’activité
cohérent (par client, métier, technologie,
complexité, volumes, etc.), mais aussi de
définir le cadre initial dans lequel s’exer-
cera la responsabilité solidaire. Nombre
d’expériences se sont attaquées à ce design
organisationnel à travers une recomposi-
tion des territoires et des équipes qui y sont
affectées (Weil et Dubey, 2020). Qu’on
les nomme mini-usines, îlots, squads,
tribus…, il s’agit de créer des collectifs qui
savent pourquoi ils sont ensemble. Il peut
être nécessaire d’aller jusqu’à matérialiser
les nouveaux territoires par des aménage-
ments des espaces de travail.
Ces nouveaux territoires peuvent être
définis par la direction de l’entité ou au
contraire résulter d’une construction par
la base – par exemple chez Martin Tech-
nologies, l’équipe chargée du projet de
mini-usines a été constituée d’une large
variété de profils, et chaque membre a pu
choisir la mini-usine à laquelle il voulait
être rattaché. Le principe d’adhésion du
corps social à la transformation invite à
considérer plutôt cette deuxième voie
quand elle est possible.
69
Chapitre 4. La boussole de la responsabilisation en action
Répartition de responsabilités support
dans des « rôles »
Dans les entreprises, l’expertise est
souvent concentrée dans des fonctions que
l’on appelle communément les fonctions
support.
Les organisations classiques sont ralenties
par cette concentration de l’expertise. Des
experts en nombre limité doivent répondre
à des besoins multiples des équipes opé-
rationnelles. Ces fonctions expertes dis-
posent en outre de leurs propres règles
métier et d’enjeux qui leur sont spéci-
fiques, engendrant fréquemment une bu-
reaucratie paperassière. Elles finissent
par représenter un goulot d’étranglement
pour le fonctionnement de l’organisation.
Pensons aux techniciens de maintenance
dans l’industrie, et plus généralement aux
services informatiques et numériques, aux
ressources humaines ou encore aux achats
de prestations de service ou de fourni-
tures. Les fonctions support sont en outre
souvent sollicitées pour des interventions
récurrentes d’un niveau bien inférieur à
leur expertise, ce qui représente une forme
de gaspillage.
Le raisonnement est identique en ce qui
concerne le management. Les managers
peuvent être des goulots du processus de
décision dans le fonctionnement de l’or-
ganisation classique, alors que beaucoup
de décisions ne nécessiteraient pas d’être
prises à leur niveau.
L’organisation responsabilisante doit per-
mettre de sortir de ces situations à travers
la mise en place de la subsidiarité. Elle va
donc se donner pour objectif de déconcen-
trer certaines compétences, en créant de
nouveaux « rôles » et de nouvelles mis-
sions (et non des fonctions) en lien avec
les appétences et les possibilités des équi-
piers. Un équipier passionné de mécanique
qui démonte et remonte tous les week-ends
le moteur de sa BMW de collection pour-
rait devenir le référent en maintenance de
l’équipe. Un autre qui est dirigeant du club
de rugby ou conseiller municipal de sa
commune pourrait prendre un rôle « RH »
dans l’équipe, etc.
Toutes les équipes n’auront pas les mêmes
besoins compte tenu des procédés qu’elles
mettent en œuvre, des matériaux qu’elles
utilisent, des problèmes récurrents qu’elles
rencontrent, des interactions qu’elles ont
avec les autres services. Il s’agira, dans un
premier temps, de déterminer les domaines
dans lesquels il y a un intérêt à ce que les
services support transfèrent aux opéra-
tionnels des compétences nouvelles. Dans
cette phase, une coopération très forte doit
être installée entre les équipes opération-
nelles qui s’autonomisent et les équipes
support dans chacun des domaines d’ex-
pertise considérés, pour clarifier les degrés
de technicité à développer chez les opéra-
tionnels. S’ensuivra la mise en œuvre de
formations et de qualifications pour ces
nouveaux rôles, en tout point identiques
à ce qui se pratique pour les compétences
70 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
liées au poste. Pas de subsidiarité, ni de res-
ponsabilisation, sans élargissement et enri-
chissement des compétences. Cette dota-
tion de l’équipe en nouvelles compétences
« support » est nécessaire à l’élargissement
du pouvoir d’agir de chaque équipe. Cette
montée en compétences des opérationnels,
associée à leurs nouvelles responsabilités,
devra aussi être pensée en termes de recon-
naissance, et il conviendra d’impliquer les
RH pour adapter le système de reconnais-
sance (augmentation du fixe en fonction
du franchissement de niveaux de respon-
sabilité, prime collective…) à la nouvelle
organisation.
Un point de vigilance doit être gardé à l’es-
prit : il faudra éviter de récréer des « petits
chefs » en concentrant trop de responsabi-
lités nouvelles sur une même personne au
sein d’une équipe. En effet, ce type de si-
tuation risque de réduire la solidarité entre
les membres (« ça, c’est son problème »),
de rendre l’équipe trop dépendante d’un
individu particulier et de freiner le chemi-
nement des autres équipiers vers l’acquisi-
tion de plus de responsabilités. Pour contrer
ce risque, il est important que les rôles ne
soient pas figés : qu’ils soient tournants
dans le temps et que plusieurs personnes
soient préparées à endosser un même rôle.
Système de management
Unsystèmedemanagementdécritlamanière
dont les entreprises s’organisent afin d’agir
de manière standardisée, d’assurer le bon
déroulement des opérations et d’atteindre
les résultats prévus. Dans cette section,
nous nous limiterons à examiner les ques-
tions nouvelles que pose l’OR au système
de management et auxquelles celui-ci doit
chercher à répondre, dans le respect des
principes de subsidiarité et de collégialité.
Concrètement, le système de management
d’une OR doit permettre à l’équipe de di-
rection de répondre facilement aux ques-
tions qu’elle se pose : nos équipes sont-elles
en autocontrôle des principes d’action, des
règles et des procédures qui conditionnent
la qualité de leur travail ? Nos équipes
ont-elles bien intégré les enjeux globaux
de l’entité pour orienter leur action ? Nos
équipes sont-elles capables de maintenir le
bon niveau de réactivité face aux dérives de
performance et aux problèmes importants
dans le déroulement des opérations ? Les
problèmes sont-ils traités avec la profondeur
nécessaire ? Nos équipes appellent-elles à
l’aide lorsqu’elles n’ont pas la capacité de
traiter un problème, et cette aide leur est-elle
fournie sans délai ?
Pour les membres des équipes opération-
nelles, le système de management mis en
place devra leur apporter de nouveaux
éclairages propres à soutenir leur respon-
sabilisation pour les amener à : i) se sentir
solidaires des enjeux globaux de l’entité ;
71
Chapitre 4. La boussole de la responsabilisation en action
ii) comprendre la contribution que leur
équipe peut apporter au succès de l’entité ;
iii) participer aux décisions du collectif et
surmonter leur frustration quand le col-
lectif ne priorise pas les problèmes qui les
touchent directement.
Chaque équipier doit trouver dans le
système de management des réponses aux
questions qu’il se pose : qu’essaie-t-on de
réussir ensemble à moyen terme ? Quelles
sont les priorités sur lesquelles nous avons
décidé de travailler à court terme pour y
arriver ? En quoi le travail réalisé est-il
réussi ou non ? Faisons-nous avancer les
choses ? Quels sont les problèmes parti-
culiers sur lesquels nous sommes mobi-
lisés ? Comment sommes-nous organisés
pour faire face aux problèmes récurrents et
les résoudre ? De quelle aide avons-nous
besoin de la part du management et de la
part des fonctions support ?
Les rituels de délibération de même que le
management visuel (destiné à faciliter la
transmission d’informations par des supports
visuels) font partie intégrante d’un système
de management qui met en œuvre les prin-
cipes de subsidiarité et de collégialité.
Les indicateurs retenus pour piloter l’ac-
tivité en sont également une composante
importante. Ils doivent pouvoir être discu-
tés et compris par les équipiers, donner la
meilleure mesure possible de la notion de
travail bien fait et ouvrir l’opportunité aux
équipiers de réguler les standards de travail
et de réduire la variabilité de la production,
en coopération avec les fonctions support.
La troisième population concernée par la
réflexion sur le système de management,
ce sont les managers de proximité. Dans
les contextes responsabilisants, les direc-
tions parlent beaucoup de changement de
la posture managériale (aide, bienveil-
lance, exigence, art du feed-back, etc.)
sous la forme d’injonctions, mais elles ne
s’occupent guère de l’activité managériale
elle-même. Or c’est bien à travers l’ana-
lyse de l’activité des managers que de
vraies transformations pourront être obte-
nues : comment les mettre eux-mêmes en
condition de réussir leur nouvelle mission ?
De quelles ressources vont-ils disposer ?
Notamment, de quelle disponibilité per-
sonnelle le manager jouira-t-il pour exercer
une supervision active des opérations et
faire progresser le fonctionnement de son
équipe ? De quelle aide bénéficiera-t-il de
la part de son supérieur hiérarchique dont il
est lui-même un équipier ? Quel soutien lui
sera fourni par les services support ? Enfin,
comment les managers seront-ils évalués ?
Bien entendu, les éléments tangibles cités
ici à titre d’exemples ne prétendent pas
épuiser le sujet. Il reste parfaitement pos-
sible d’en imaginer d’autres. Dans la pra-
tique cependant, les témoignages indiquent
que les transformations se saisissent le plus
souvent de ces trois sujets (design organisa-
tionnel, création de rôles support, système
de management).
72 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
Évaluer la maturité de la
transformation
Enfin, les axes de la boussole permettent
de construire cinq échelles qualifiant les
progrès de la transformation dans la durée.
Les échelles sont adaptables à l’ambition que
l’entreprise s’est donnée et elles pourront en
outreévolueraucoursdutemps.Ellesdoivent
être considérées comme une illustration, et
non comme une prescription qui exigerait
de gravir tous les barreaux de l’échelle pour
devenir une organisation responsabilisante.
Il n’y a pas de référentiel de certification
pour devenir une OR, et heureusement ! Ce
serait une aberration conceptuelle.
Cette méthode de mesure est directement
inspirée du « radar de l’autonomie » (Chaire
FIT2
, 2022b) mais les sept dimensions du
radar d’origine ont été remplacées ici par
les cinq axes de la boussole de la respon-
sabilisation. On se reportera à ce document
cité en bibliographie pour comprendre les
différents usages que l’on peut faire du
radar individuellement et collectivement.
Figure 4.1 - Le radar de la responsabilisation
Collégialité Solidarité
Responsabilité
Subsidiarité
Activité
Entreprise B
Entreprise A
Mode de lecture : L’entreprise A a un niveau 4 sur l’axe Responsabilité, un niveau 4 sur l’axe Subsidiarité, un niveau
3 sur l’axe Collégialité, etc.
73
Chapitre 4. La boussole de la responsabilisation en action
0
Conscience personnelle de la
responsabilité
Conscience de l’impact de ses choix sur soi-même et les autres.
Acceptation des conséquences de ses actions.
1
Professionnalisme et
responsabilité individuelle
Engagement à assumer la responsabilité de ses propres tâches et
obligations.
Faire preuve de fiabilité dans l’accomplissement des tâches assignées
et dans l’application du travail prescrit et des règles de l’art.
Reconnaître ses erreurs avec la volonté de les corriger.
Agir en accord avec les valeurs fondamentales de l’organisation.
Organisation en autocontrôle sur les fondamentaux.
2
Conscience d’une
responsabilité de chacun
envers les autres
Prise en considération des besoins et des attentes des collègues de
travail dans le cadre d’un travail collectif.
Collaboration efficace avec des collègues de travail sans avoir besoin
d’une intervention du manager.
Soutien et entraide envers des collègues sans intervention du manager.
3
Conscience d’une responsabilité
solidaire vis-à-vis du
fonctionnement et du succès du
collectif de travail
Engagement envers les objectifs et les valeurs de l’organisation.
Participation à la prise de décision dans le cadre des AIC.
Implication dans des initiatives, des projets ou des activités (Kaizen,
résolution de problèmes...) qui contribuent à la vie et aux résultats de
l’entité, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance.
Prise de rôles au service de l’organisation, pour guider et influencer les
autres de manière positive. Démontrer un comportement exemplaire.
Développement de la polyvalence pour servir l’agilité de l’organisation.
4
Prise de nouvelles
responsabilités au service du
fonctionnement et du succès
de l’organisation
Pratique de la co-construction sur les sujets qui engagent l’organisation.
Dynamique d’évolution de la répartition des responsabilités en
respectant le domaine réservé des managers.
Respect de la chaîne de responsabilité par le management (respect des
rôles pris par les opérationnels).
Prise de responsabilité significative dans l’organisation de l’activité et
des ressources.
Prise de responsabilité dans le management de la performance.
Assumer les résultats.
Régulation des standards dans le souci du travail bien fait.
Polycompétence dans et hors du métier.
5
Co-construction du futur
(gouvernance)
Co-construction d’une vision claire et inspirante pour l’avenir de
l’organisation.
Co-construction d’ambitions à moyen-long terme sur les enjeux People,
Planet, Profit.
Co-construction des plans de progrès pour atteindre les ambitions.
Promouvoir la responsabilité sociale et environnementale de
l’organisation au sein du territoire.
Illustration de l’échelle sur l’axe Responsabilité
La prise de responsabilité peut être comprise comme un processus progressif qui se développe à
différents niveaux, du plus élémentaire au plus avancé (de 0 à 5) du radar de la responsabilisation
74 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
0 Absence de collégialité
Pas de délibération instituée.
Pas de prise de décision partagée.
1 Émergence de la collégialité
Des réunions ponctuelles se tiennent dans l’organisation. Elles ne sont pas
réellement organisées et codifiées.
Des consultations ponctuelles avant prise de décision peuvent avoir lieu.
Elles ne sont pas codifiées.
2
Construction des bases de la
collégialité
Prise en considération des besoins et des attentes de collègues de travail
dans le cadre d’un travail collectif.
Établissement des premières règles pour organiser les réunions (ordre du
jour, compte-rendu…).
Le collectif découvre les bases de la sécurité psychologique.
Des premières consignes sont établies pour favoriser le dialogue (écoute,
prise de parole).
3
Apprentissage de la
délibération. Découverte des
modes de prise de décision
Participation au dialogue et à la prise de décision dans le cadre des AIC.
Implication dans des initiatives, des projets ou des activités de travail en
groupe (Kaizen, résolution de problèmes...).
Approfondissement de la sensibilisation à la sécurité psychologique.
Extension des règles sur l’attitude en réunion (parler avec intention, être
bienveillant, se faire confiance, respecter le cadre).
Les différents modes de prise de décision sont partagés et mis en débat.
4
Maîtrise de la délibération et
pratique des modes de prise de
décision
Formation à la communication non violente.
Un gardien de la protection de la parole est coopté, pour guider et influencer
les autres de manière positive. Son rôle est de favoriser un comportement
exemplaire de chacun au cours des délibérations ou des prises de décision
en groupe.
Pratique de la dispute professionnelle sur différents sujets, dont la qualité du
travail, en combinant authenticité des prises de position et bienveillance.
Pratique de la co-construction sur les sujets qui engagent l’organisation.
5
Co-construction du futur
(gouvernance)
Co-construction d’une vision claire et inspirante pour l’avenir de
l’organisation.
Co-construction d’ambitions à moyen-long terme sur les enjeux People,
Planet, Profit,.
Examen critique postérieur aux réunions sur la qualité des débats et des
prises de décision.
Illustration de l’échelle sur l’axe Collégialité
Le développement de la collégialité peut être compris comme un processus progressif qui va du
niveau le plus élémentaire au plus avancé (de 0 à 5) du radar de la responsabilisation
75
CHAPITRE 5
Deux exemples de transformation
responsabilisante dans des PME
Nous l’avons dit, une transformation res-
ponsabilisante est une exploration qui prend
la forme d’une aventure et celle-ci se révèle
assez variée d’une entreprise à l’autre. Pour
prendre la mesure des différences et des
convergences qui peuvent exister dans ce
type de démarche, nous allons raconter ici
deux itinéraires de transformation à travers
l’histoire de deux PME industrielles fami-
liales : Lippi et Martin Technologies.
Plusieurs publications ont déjà rendu
compte du parcours de ces deux entre-
prises (Bourguinat, 2019 ; Weil et Dubey,
2020 ; Pellerin et Cahier, 2019, 2021).
Pour préparer cet ouvrage, nous avons
à nouveau recueilli les témoignages des
deux dirigeants, Frédéric Lippi et Laurent
Bizien, pour leur demander quelles leçons
ils avaient tirées de leur transformation,
respectivement quinze ans et dix ans après
son début.
Un peu d’histoire
Julien et Frédéric Lippi, deux frères,
prennent les rênes de l’entreprise familiale
spécialisée dans les clôtures en 2007. Ils
sont décidés à gérer l’entreprise différem-
ment de ce que faisaient leur père et leur
oncle, sans avoir pour autant des idées dé-
terminées sur la question. La crise de 2008
va avoir un impact majeur sur l’entreprise
avec une baisse du chiffre d’affaires de près
de 30 % mettant en péril sa survie. De 2008
à 2010, un énorme effort de formation des
salariés au numérique est entrepris. Il s’agit
d’abord d’une acculturation au numérique
avec des outils qui sont mis à la disposition
des salariés pour leurs besoins personnels :
modifier des images avec Photoshop, créer
un blog pour l’anniversaire de sa grand-
mère, etc. Cette phase de découverte
ouvrira la voie ensuite à des applications
professionnelles. Ainsi, par exemple, une
petite équipe a été formée à SketchUp, un
76 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
logiciel de modélisation 3D, d’animation et
de cartographie orienté vers l’architecture.
L’idée, au départ, était de permettre aux
salariés de représenter leur propre maison
ou leur projet de maison. Chemin faisant,
certains s’en sont saisi pour améliorer le
remplissage des camions de livraison de
l’entreprise.
Parallèlement, un chantier important autour
du lean est entamé dès 2008. Il durera six
ans. L’objectif est l’amélioration de la réac-
tivité de l’entreprise au service des clients,
ainsi que la maîtrise des coûts et des stocks.
Le début de la mise en place du lean a
été décevant. Il semble manquer quelque
chose. En 2011, les dirigeants de Lippi ini-
tient la construction de la vision de l’entre-
prise, qu’ils qualifient de construction du
« désir commun ». L’élaboration de cette
vision est réalisée par groupes de dix sala-
riés, impliquant la quasi-totalité de l’entre-
prise. Pour Frédéric Lippi, la construction
de ce désir commun a fortement contribué à
pérenniser le lean dans l’entreprise. Depuis
cette première expérience, la co-construc-
tion est pratiquée régulièrement et fait
partie de l’ADN de l’entreprise.
Les apprentissages à intervalle rapproché
sont mis en place dans le cadre du lean sur
quatre niveaux (AIR 1 à 4, de l’équipe de
travail jusqu’à la direction de l’entreprise)
dans une escalade de subsidiarité. L’en-
semble de la démarche lean est mise au
service du flux tiré. Elle est clairement vue
comme un système d’apprentissage pour
développer les personnes.
Progressivement, la cooptation des res-
ponsables par les équipes a remplacé leur
nomination par la direction de l’entreprise.
Enfin, le processus de recrutement im-
plique désormais l’équipe d’accueil de la
personne à recruter ainsi que les autres ser-
vices concernés, avec l’appui des RH mais
sans intervention directe de la direction
de l’entreprise. Sans jamais revendiquer
son appartenance au mouvement des en-
treprises libérées, Lippi en applique néan-
moins les principaux ressorts.
De son côté, Martin Technologies est une
entreprise familiale qui compte aujourd’hui
environ 100 salariés. Elle est spécialisée
dans la fabrication de plaques de métal,
d’étiquettes en plastique, de claviers à
membranes et de tôlerie fine décorée. L’en-
treprise a subi, elle aussi, de plein fouet la
crise de 2008. Elle a fait un certain nombre
de tentatives de déploiement du lean dans
les années 2009 à 2011, mais sans grand
succès. Laurent Bizien, l’actuel directeur
général de l’entreprise, est recruté par le
président en 2013.
Le premier tournant pour l’entreprise se
produit en 2015 avec le déploiement du ma-
nagement visuel de la performance, associé
à des rituels d’échange (AIC). Le projet
de management visuel est co-construit et
mené par une équipe de douze personnes,
sans représentant du comité de direction.
77
Chapitre 5. Deux exemples de transformation responsabilisante dans des PME
Après une révision en 2016 de ce mana-
gement visuel de la performance, un deu-
xième tournant survient en 2017 avec la
mise en place de mini-usines par typologie
de client, intégrant l’ensemble des fonc-
tions de l’entreprise – méthode inspirée de
Jean-François Zobrist (2020) chez Favi. Si
la dynamique collective a beaucoup pro-
gressé, elle ne concerne toutefois encore
qu’environ 50 % des effectifs. Un troisième
tournant est donc pris en 2018 consistant à
accompagner progressivement l’ensemble
des salariés de l’entreprise vers une meil-
leure connaissance de soi et des autres pour
favoriser la transformation collective.
Des points communs
structurels
Des entreprises patrimoniales
Nous avons affaire ici à deux PME patri-
moniales, avec respectivement 250 (Lippi)
et 100 salariés (Martin Technologies). Le
capital de l’entreprise est détenu dans les
deux cas par une famille, ce qui assure une
certaine stabilité dans la conduite des af-
faires, avec une vision de pérennité à long
terme de l’entreprise, et des bénéfices en-
tièrement réinvestis dans celle-ci.
Une transmission générationnelle a eu lieu
dans les deux cas, aboutissant à une re-
fondation de l’approche managériale, qui
passe d’une approche « commandement et
contrôle » initiale à une approche responsa-
bilisante développée sur une longue durée
(quinze ans pour Lippi, dix ans pour Martin
Technologies).
Une question de survie
Les deux entreprises ont pris le choc de
la crise de 2008 de plein fouet, avec une
baisse du chiffre d’affaires occasionnant
des plans sociaux. Cette crise a été fonda-
trice. Le « pourquoi » de la transformation
était, dans les deux cas, lié à la survie de
l’entreprise. Mais c’est l’appétence person-
nelle de ces dirigeants pour la construction
d’une entreprise plus humaine qui les a
conduits à choisir la voie de la responsabi-
lisation plutôt qu’une autre. Les deux en-
treprises étaient très fragiles au sortir de la
crise, et ce n’est que plusieurs années après
le début de leur transformation (entre cinq
et dix ans) qu’elles se sont considérées
comme tirées d’affaire.
Des chemins différenciés avec
des composantes communes
D’abord, le lean
S’agissant de deux entreprises industrielles,
la transformation a démarré par le lean, qui
est apparu comme un support indispen-
sable à un meilleur service rendu au client,
78 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
à la réduction des stocks, à la fiabilisation
des délais de livraison, et finalement à la
performance économique de l’entreprise.
Les débuts ont été difficiles. Des tentatives
de mise en place des 5S (une pratique d’op-
timisation des conditions et de l’environ-
nement de travail, en veillant notamment
à ce qu’il reste bien rangé, nettoyé, sécu-
risé), du SMED (single-minute exchange
of die24
), des chantiers Kaizen ont eu lieu.
Après quelques succès initiaux, le soufflé
est vite retombé, de même que la mobili-
sation autour du projet. Laurent Bizien le
résume d’une phrase : « À l’époque, on es-
pérait vraiment un sursaut, et ça avait fina-
lement du mal à prendre : le 5S mobilisait
énormément d’énergie, et, dès qu’on arrê-
tait le suivi, les chantiers s’arrêtaient. D’où
un fort questionnement. » Pour Frédéric
Lippi : « On a bien essayé de faire du lean
au départ, ça a été exceptionnel sur trois
mois mais ça n’a pas duré, c’est retombé ! »
Avec le recul, et dans les deux cas, c’est
la mise en place du management visuel et
des animations à intervalle court qui a dé-
clenché la transformation. Le management
visuel a servi de support commun de com-
préhension des enjeux de l’entreprise et des
équipes ; les animations à intervalle court
ont non seulement été la première instance
de dialogue professionnel, mais aussi un
puissant support pour la mise en place de
la subsidiarité. Lorsqu’ils sont bien mis
24. Temps de changement d’outillage entre deux séries de production.
en place, ces rituels de terrain permettent
en effet une escalade de subsidiarité. Fré-
déric Lippi le résume ainsi : « Nous utili-
sons du SIM [AIC], Short Interval Mana-
gement : nous sommes attentifs à ce que
ces routines soient appliquées à la bonne
fréquence et avec le bon objectif, pour que
toutes celles et ceux qui sont autour des
problèmes puissent les résoudre sans faire
appel à la hiérarchie. C’est une subsidiarité
complète. »
AIC et management visuel représentent
donc deux étapes essentielles pour une or-
ganisation industrielle souhaitant mettre
l’autonomie et la responsabilité au cœur de
son projet.
AIC et management visuel repré-
sentent deux étapes essentielles pour
une organisation industrielle souhai-
tant mettre l’autonomie et la responsa-
bilité au cœur de son projet.
79
Chapitre 5. Deux exemples de transformation responsabilisante dans des PME
Co-construction à tous les étages
L’implication des équipes a été, dans les
deux cas, un élément capital de la trans-
formation.
Chez Martin Technologies, dès le début,
le management visuel a été co-construit :
« Avec le recul, c’est le point de départ
de notre transformation culturelle, pour la
raison forte que l’équipe projet à qui on a
confié ce travail d’imagination du mana-
gement visuel était composée d’environ
douze personnes, et c’était la première
fois qu’il n’y avait, délibérément, aucun
membre du Codir dans l’équipe projet »,
explique Laurent Bizien. Par la suite, l’en-
treprise se mettra d’ailleurs à fabriquer des
outils de management visuel pour les tiers,
créant ainsi une nouvelle ligne de produits.
Puis, est intervenue la co-construction
du projet d’organisation en mini-usines :
« On a mené cette transformation entre
octobre 2016 et juillet-août 2017. On nous
avait dit qu’il fallait en moyenne 12 à
18 mois pour procéder à une transforma-
tion de ce type, on n’y croyait pas trop, on
pensait qu’il nous faudrait plutôt 24 mois ;
et en fait on l’a fait en moins de 10 mois.
L’enseignement qu’on en a tiré, c’est que
le projet avait du sens pour tout le monde.
Dès lors que le projet a eu du sens, et que
la première mini-usine s’est mise en mou-
vement, toutes les équipes ont suivi et ont
voulu accélérer le mouvement : c’est vrai-
ment devenu le projet de l’organisation
dans sa globalité, et pas seulement de la
direction ou du management. D’ailleurs,
pour mener cette réflexion-là, on a fait une
équipe projet de quatorze personnes avec
seulement quatre membres du comité de
direction : c’était plus que la dernière fois,
parce qu’on changeait vraiment l’organi-
sation dans sa globalité. Il y avait même
des opérateurs de production parmi les
membres. De toute façon, à partir de 2015,
tous nos projets incluent systématiquement
les équipes dans toutes les étapes, de la ré-
flexion à la mise en œuvre. »
Chez Lippi, la co-construction a commencé
par la définition d’un désir commun : « Le
lean est seulement une boîte à outils néces-
saire et utile mais pas suffisante, il faut y
adosser un désir commun. » La construc-
tion de ce désir commun est partie d’un
questionnement initial : « Vous pensez
quoi de l’entreprise, vous aimez quoi,
vous avez peur de quoi, qu’est-ce que vous
voulez pour l’entreprise dans cinq ans ?
Qu’est-ce qu’il faut pour y arriver, et vous
vous engagez comment pour y parvenir ? »
En deux ans, entre 2011 et 2013, dix-sept
« cercles de vision » ont permis à une
dizaine de salariés par cercle (soit presque
la totalité de l’effectif) de travailler sur les
« étoiles de Lippi ». Ce terme d’étoiles
faisait référence à la formule de Ralph
Waldo Emerson : « Les grands hommes,
les génies, les saints, n’ont fait de grandes
choses que parce qu’ils étaient inspirés par
un grand idéal. On a besoin d’accrocher
sa charrue aux étoiles. » Au terme de ce
80 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
processus, cinq étoiles ont été identifiées :
i) s’accomplir ensemble et être heureux ;
ii) une organisation qui libère et qui nous
rend autonomes grâce au partage de l’in-
formation ; iii) travailler en business unit
orientée vers les clients ; iv) développer
la vente multicanal : apporter une solution
adaptée à notre clientèle par tout mode de
diffusion ; v) liberté, innovation, participa-
tion, partage, intelligence.
Frédéric Lippi souligne toutefois les limites
de la co-construction. « Un des grands
avantages de la co-construction, c’est
d’emmener beaucoup de gens et de per-
mettre une appropriation plus rapide. Mais
elle entraîne un certain nombre de risques :
la médiocratie ou encore le refus de rentrer
dans les processus de deuil quand l’envi-
ronnement réel n’est pas conforme à celui
qui a présidé à l’élaboration du futur. On
avait, par exemple, coélaboré une stratégie
assez sophistiquée, qui descendait dans le
détail de l’exécution, et qui s’est heurtée
au Covid. On a réussi à traiter la période
Covid, mais le corps social a eu énormé-
ment de mal à accepter que le futur qu’on
avait coélaboré ensemble n’adviendrait
pas. […] C’est donc une des limites de la
coélaboration ou de la co-construction. On
en revient à se mordre la queue : pour aller
vers l’émancipation, il faut des gens déjà
émancipés qui aient de la distance avec leur
propre contribution. »
Frédéric Lippi pose également la nécessité
du principe de suppléance : « Les leaders
doivent bien comprendre que, dans la sub-
sidiarité, il y a aussi la suppléance, et que la
suppléance n’est pas un viol : à un moment
donné, le leader reprend les manettes pour
X ou Y raison, c’est explicite, temporaire
et limité dans le temps. […] C’est le job du
leader de reprendre la main à un moment
donné, et donc de forcer le chemin de deuil
que le corps social n’arrive pas à emprunter
de lui-même. »
Une transformation personnelle pour
une transformation collective
Chez Martin Technologies, en 2016, après
avoir mis en place le management visuel
puis les mini-usines, Laurent Bizien et Sté-
phane Cazoulat, coanimateurs de l’évolu-
tion culturelle et organisationnelle de l’en-
treprise, constatent que seulement 50 %
des effectifs de l’entreprise sont embar-
qués dans la transformation. « C’est à cette
occasion-là qu’on rencontre une personne
d’un cabinet d’accompagnement, spécia-
lisé en transformation individuelle et col-
lective, qui va nous faire comprendre les
différents territoires de communication qui
existent chez l’être humain. On peut com-
muniquer avec la tête, avec le cœur et avec
les tripes. Pour embarquer nos équipes, il
fallait qu’on aille de plus en plus communi-
quer avec le cœur et les tripes, faire rentrer
les émotions et le champ des ressentis dans
l’entreprise, et ainsi interagir avec nos
équipes autour des valeurs, des croyances,
des convictions, et même de la foi : qu’est-
ce qui nous touche vraiment, qu’est-ce qui
81
Chapitre 5. Deux exemples de transformation responsabilisante dans des PME
est important pour chacun, qu’est-ce qui
nous met en mouvement, individuellement
ou collectivement ? » Des promotions de
quinze à vingt-quatre personnes sont alors
accompagnées par un ou deux coaches,
suivant le nombre.
La première session porte sur « moi » : l’es-
time de soi, la confiance en soi, apprendre
à écouter, la notion de résonance, etc. La
deuxième session, sur « moi et l’autre » :
les formes d’interaction, la communica-
tion non violente, etc. La troisième session
porte sur « moi et les autres » : les méthodes
d’animation collective et les techniques de
codéveloppement. La quatrième session
permet de revenir sur soi et d’identifier le
style de leadership de chacun. « Le cabinet
n’avait jamais proposé ce type de par-
cours à tous les salariés d’une entreprise,
explique Laurent Bizien. Historiquement,
c’est une formule qui est conçue pour les
managers. » Cette formule standard, le di-
rigeant n’en voulait pas, il voulait pouvoir
toucher tout le personnel, quel que soit le
métier ou la fonction : « On a donc invité
le cabinet à nous proposer quelque chose
qui puisse toucher tout le monde. Finale-
ment, ils n’ont rien changé, ils ont tenté leur
parcours appelé “l’école du leadership” en
l’appliquant à tout le monde. On a donc
fait des promotions où tout le monde était
mélangé : dans la mienne, j’avais des opé-
rateurs de production, des chefs de projet,
des commerciaux ; dans la deuxième pro-
motion, il y avait notre président avec des
opérateurs aussi… »
Selon le cabinet d’accompagnement,
Martin Technologies aurait fait les choses à
l’envers : l’entreprise aurait dû commencer
par le coaching collectif, et, après, changer
l’organisation. Laurent Bizien ne voit pas
du tout les choses comme ça. Pour lui, il
n’y a pas un « bon ordre » pour faire les
choses : « On a suivi les étapes qui avaient
du sens pour nous, et qu’on se sentait en
capacité de porter pour engager les équipes
à nous suivre. Je pense que cette notion de
sens, elle est importante pour le collectif,
mais elle est aussi très importante pour les
porteurs de la transformation. Si on n’est
pas à 100 % convaincu que c’est une étape
qui a du sens, on ne sait pas le donner. »
Chez Martin Technologies, le travail sur
la vision n’a été fait que tout récemment :
« On a attendu que ça émerge du collectif
pour engager cette étape-là. »
Avec le recul, Laurent Bizien constate
que les deux premières étapes (manage-
ment visuel et mini-usines) étaient indis-
pensables pour préparer l’étape suivante
(coaching collectif). La mise en œuvre de
pratiques transformatrices a permis la ma-
turation collective du projet et lui a donné
sa crédibilité. La formation a alors eu du
sens pour tous. Commencer par de la for-
mation aux concepts n’aurait probablement
pas permis d’embarquer tout le monde :
personne n’aurait saisi la portée de ce qui
était enseigné.
Pour Frédéric Lippi, la transformation per-
sonnelle passe par une phase d’émancipa-
82 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
tion puis par une phase d’individuation.
L’émancipation consiste à renégocier ses
propres croyances, elle précède l’indivi-
duation, qui permet ensuite d’assumer plei-
nement qui on est, sans être sous le joug des
croyances, des peurs, et sans détruire les
autres dans la relation.
Ce double mouvement permet à l’individu
d’être juste dans sa communication. « Or,
explique Frédéric Lippi, la communication
est centrale dans un système complexe, où
il va falloir intensifier la communication
pour se faire une bonne idée du réel, s’assu-
rer qu’on a levé l’ensemble des malenten-
dus, que notre perception du réel n’entame
pas notre lucidité. L’organisation doit non
seulement accueillir mais permettre que les
émotions, qui vont être finalement le socle
du travail d’émancipation et de responsabi-
lisation, aient leur place. »
L’idée de système complexe est fondamen-
tale dans la responsabilisation selon Lippi :
« J’ai constaté à quel point les individus,
devant la complexité, ont tendance à vouloir
simplifier les choses. Or la simplification
amène la superstructure qui, elle-même,
génère de la bureaucratie. Donc, alors qu’on
a une volonté d’aller dans la complexité de
façon sereine, on finit par des complica-
tions. Je l’ai vu mille fois : c’est un tropisme
naturel des systèmes. Tant qu’on n’a pas
passé le gué de : “Je suis OK avec moi et
dans mes relations, je dis mes peurs et donc
mes peurs ne sont pas un obstacle à faire ce
qui est bien”, l’organisation connaît toujours
des retours en arrière, essaie de mettre de la
superstructure ici, essaie de simplifier le réel
là, essaie de faire rentrer des ronds dans des
carrés. Elle ne prend pas encore possession
de la complexité. »
Bilan de l’organisation
responsabilisante
Pour les deux organisations, le bilan de la
transformation a été positif en termes de
croissance de l’activité et d’engagement des
salariés, mais ces résultats sont loin d’avoir
été immédiats, et ils ne sont pas forcément
une garantie pour l’avenir. L’OR n’a ni la vo-
cation, ni la capacité à garantir l’entreprise
contre des changements fondamentaux, no-
tamment de ses conditions de marché.
Le bilan, c’est aussi et surtout celui d’une
aventure humaine personnelle pour le
dirigeant qui élève ainsi son niveau de
conscience. Car sur ce chemin d’éman-
cipation, le dirigeant lui-même n’est pas
exempt de craintes, de frustrations, de mé-
compréhensions, de malentendus. Ainsi
que le souligne Frédéric Lippi, le dirigeant
est naturellement porteur de tous les travers
des autres, mais exacerbés.
Selon lui, la question des organisations res-
ponsabilisantes a été très à la mode, il y a
une dizaine d’années. À cette époque, les
dirigeants étaient partagés entre une aspi-
ration éthérée pour les modèles de ce type
83
Chapitre 5. Deux exemples de transformation responsabilisante dans des PME
et un doute prononcé. Il constate avec le
recul que ceux qui étaient dans le doute
y sont restés et que ceux qui avaient une
aspiration éthérée ont rejoint le camp du
doute. Ce doute apparaît comme une ré-
action à l’emballement médiatique autour
de l’entreprise libérée, présentée abusive-
ment comme un processus simple, que le
dirigeant pouvait déclencher en se conten-
tant de lâcher prise. Ce doute est salutaire
s’il ne conduit pas à abandonner ce type
de transformation, mais à en affronter la
complexité. Or, celle-ci peut rebuter, ce
qui explique sans doute le haut degré de
réversibilité du côté des dirigeants : « Si
l’on n’accepte pas de partir pour dix ans,
on abandonnera. Comme c’est complexe,
ça n’est absolument pas déterministe : or
les dirigeants aiment le déterminisme. Il y
a une grosse aversion pour l’émergence,
et donc beaucoup de retours en arrière »,
conclut Frédéric Lippi.
L’OR n’a ni la vocation, ni
la capacité à garantir l’entreprise
contre des changements fondamen-
taux, notamment de ses conditions
de marché.
Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
85
CHAPITRE 6
La transformation du groupe Michelin
25. Témoignage de Pierre Bocquet et de François Levert (Michelin), 27 février 2023.
Nous passons à présent de la PME au grand
groupe, avec la transformation de Michelin25
,
illustrant l’idée d’exploration dirigée.
La logique suivie par Michelin repose
sur une prémisse : selon la conception du
travail industriel et de la performance dans
ce groupe, la responsabilisation (terme
qui est préféré à celui d’autonomisation)
ne saurait résulter spontanément ni d’une
« libération » désordonnée des énergies, ni
de la seule exemplarité du dirigeant, mais
d’une maturation dans le temps qui s’ob-
tient par un processus structuré d’explora-
tions successives.
L’idée d’une certaine autonomie de l’opé-
rateur dans sa tâche est inscrite dans l’his-
toire du groupe. Cofondateur de l’entreprise
en 1889 avec son frère André, Édouard
Michelin a été un dirigeant visionnaire sur
le plan du management. Il déclarait ainsi
dès 1928 : « Un de nos principes est de
donner la responsabilité à celui qui accom-
plit la tâche car il sait beaucoup de choses
sur la question et cela lui révèle souvent
des capacités dont il ne se doutait pas et
qui le font avancer. » Prononcée à l’époque
du taylorisme triomphant, une telle phrase
apparaît comme révolutionnaire.
Michelin et le taylorisme
Michelin a été une entreprise pionnière
dans l’introduction du taylorisme en France
(Tesi, 2008). Les raisons qui ont conduit
le groupe à modifier l’organisation de ses
ateliers sont de plusieurs ordres : accroître
la production, baisser les prix de revient
et garantir un haut niveau de qualité de
ses produits. La méthode est efficace, au
point qu’elle sera même utilisée dans la
construction des cités ouvrières de Cler-
mont-Ferrand. L’entreprise ira même
86 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
jusqu’à créer une école d’ingénieurs en or-
ganisation. Dans le même temps, elle in-
troduit la participation des ouvriers dans
les choix d’organisation du travail. L’ob-
jectif est de démontrer que l’adoption des
principes tayloriens permet d’attacher le
personnel au destin de l’entreprise et de le
convaincre de s’identifier à elle.
La manufacture organise un véritable
service de suggestions qui mène une double
activité : former des contremaîtres capables
d’encourager les suggestions des ouvriers,
et étudier l’application des idées émises
par le personnel. Ce service organise les
choses de façon que l’auteur de la sugges-
tion soit informé du résultat qui en est sorti.
Un aspect décisif du service des sugges-
tions réside dans sa fonction pédagogique :
les ingénieurs font prendre conscience aux
ouvriers de l’utilité des suggestions et des
économies qu’elles engendrent en élimi-
nant des gaspillages. Par exemple, les ingé-
nieurs indiquent aux opérationnels les prix
des matières premières qu’ils utilisent. Il
s’agit principalement de convaincre le per-
sonnel qu’il n’existe aucune barrière entre
les différents services de l’usine, ni aucune
opposition entre la création d’un esprit de
collaboration et les intérêts de l’entreprise
qui se réalisent par une recherche continue
d’économies. Afin d’augmenter le niveau
d’échange entre les cadres, Michelin orga-
nise chaque année deux semaines consa-
crées aux suggestions. Une semaine est
dédiée aux idées permettant de réaliser
des économies, l’autre permet de recher-
cher des solutions aux dysfonctionnements
au sein des ateliers. Les propositions sont
encouragées par des primes remises par le
contremaître lorsque le progrès préconisé
par l’idée de l’ouvrier a été mis en œuvre.
C’est l’ingénieur du service des sugges-
tions qui fixe le montant des gratifications,
mais c’est le contremaître qui les donne aux
ouvriers. Cette stratégie conduit à renforcer
les liens entre les niveaux hiérarchiques, et
la société pousse les employés à participer
aux réformes désirées.
Cependant, le pouvoir de décision demeure
entre les mains des contremaîtres et des
ingénieurs en organisation. On demande
certes à l’ouvrier d’émettre des sugges-
tions, mais il n’est pas autorisé à prendre
l’initiative de les appliquer seul ; elles
doivent être étudiées et la décision de les
mettre en œuvre appartient à la hiérarchie.
L’ouvrier ne doit pas pouvoir compro-
mettre l’efficacité du système.
Des High-Performance
Teams aux organisations
responsabilisantes du futur
Sautons quelques générations. Au milieu
des années 1990, les filiales américaine
et allemande du groupe décident d’oc-
troyer plus d’autonomie à leurs agents de
production. Des initiatives locales voient
le jour dans certaines usines de ces pays,
sans concertation entre elles. Aux États-
87
Chapitre 6. La transformation du groupe Michelin
Unis, l’inspiration de cette idée provient
des High-Performance Teams, alors qu’en
Allemagne elle naît du modèle des groupes
autonomes de production de Toyota. Mais
ces deux initiatives ne trouveront pas leur
voie.
Les organisations responsabilisantes
À partir de 2004, sous la direction de
Jean-Christophe Guérin, alors directeur
du manufacturing mondial de Michelin,
un ancien directeur industriel de Michelin
aux États-Unis, Gordon Huntington, bâtit
ce qui va devenir le Michelin Manufactu-
ring Way (MMW), un système de produc-
tion « maison » fondé sur des méthodes
de progrès propres au groupe et sur des
benchmarks externes, dont, évidemment,
le Toyota Production System. Le MMW
s’appuie sur la valeur de respect portée par
l’entreprise, et place l’opérateur au centre
du système. L’organisation responsabili-
sante (OR) en sera la colonne vertébrale.
Michelin a, cette fois, retenu les leçons
des initiatives précédentes avortées : l’OR
dispose d’un cadre bienveillant mais exi-
geant. Bienveillant, parce que l’OR permet
à tous les opérateurs d’apporter leur contri-
bution et d’être reconnus au sein de nou-
veaux collectifs de travail solidaires qui
traitent les problèmes et les irritants au
fil de leur apparition. Exigeant, parce que
l’OR se traduit par une prise de responsa-
bilité des collectifs de fabrication sur trois
enjeux majeurs : la performance des acti-
vités, le développement des personnes et le
bien-être au travail. Dès le début, Michelin
a choisi de miser sur une démarche qui ne
cantonnerait pas les opérateurs à la seule
maîtrise des savoir-faire techniques liés à
leur poste de travail, ni même à plusieurs
postes via la polyvalence. Le groupe entend
favoriser une répartition des responsabilités
et des compétences sur des opérateurs qui
prendront en charge des rôles additionnels
au service de leur équipe. Ils sont appelés
« correspondants ».
Pour créer l’organisation responsabili-
sante dans ses usines, Michelin définit
un nouveau territoire d’activité et de res-
ponsabilité appelé « îlot de fabrication » :
1 500 îlots de fabrication sont créés sur la
totalité du périmètre industriel du groupe.
La communauté de travail qui porte la
mission de l’îlot représente une population
de trente-cinq personnes environ, réparties
en quatre équipes de moins de dix per-
sonnes (rotation de 4 équipes sur l’îlot pour
un fonctionnement 24 h/24 et 7 j/7). Les
fonctions support sont parties prenantes des
réflexions de l’îlot et intègrent la commu-
nauté de travail sans avoir pour autant de
lien hiérarchique avec le manager, leader
de la communauté.
Cette organisation laisse beaucoup de place
à la responsabilisation des opérateurs,
puisque les deux tiers du temps d’ouver-
ture, ceux-ci fonctionnent sans manager et
sans support. Les correspondants peuvent
s’approprier le management de domaines
88 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
tels que la sécurité, la qualité, le pilotage
de l’activité, la gestion des ressources et
du budget, la gestion du présentéisme, la
gestion du plan de polyvalence et de la
formation… Les correspondants sont des
ouvriers comme les autres, travaillant aux
mêmes tâches, mais ils passent en moyenne
10 % de leur temps sur une mission « hors
poste ». La mission de correspondant n’est
pas rémunérée et elle est basée sur le vo-
lontariat. Michelin a opté pour une recon-
naissance principalement collective, en
introduisant la rémunération variable pour
les agents de fabrication, indexée sur les ré-
sultats trimestriels des collectifs de travail.
Si les sites industriels de Michelin sont
tenus de s’approprier le modèle OR, ils sont
en revanche libres de développer comme
ils l’entendent les rôles des correspondants.
Environ 30 % des opérateurs de site en-
dossent un rôle au service de l’équipe. Les
interventions de premier niveau sont effec-
tuées en autonomie, les services experts
traitant les demandes plus pointues.
L’OR a eu un effet très bénéfique sur le
désilotage de l’organisation et le dévelop-
pement de la solidarité sur tous les plans.
Au sein des équipes, les correspondants
connaissent la réalité du travail. Entre les
opérateurs et les fonctions support, les cor-
respondants sont des relais efficaces et de
nouvelles relations se sont ainsi créées.
26. Ce taux de fréquence correspond au nombre d’accidents par heure travaillée multiplié par 1 million.
Situés entre la base et le corps managérial,
les correspondants comprennent désormais
la difficulté d’être « chef ». Pour les cor-
respondants, le travail est plus varié, plus
valorisant, avec de réelles responsabilités.
La transformation OR, qui vient renforcer
le MMW, concrétise le professionnalisme
et la redevabilité, et se révèle, cette fois,
un succès, avec des effets visibles sur la
performance et l’engagement. Entre 2005
et 2012, le taux de fréquence des acci-
dents26
passe ainsi de 10 à 1 sur l’ensemble
du manufacturing Michelin (70 usines).
Le déploiement des OR a pris deux à
trois ans en moyenne pour un site de
1 000 personnes. À l’échelle du manufac-
turing monde, cela a pris environ huit ans :
d’abord avec des pilotes par métier (com-
plexité, spécificité organisationnelle), puis
par région (spécificité culturelle), enfin, par
un déploiement plus intense à l’échelle.
Élargissement de la responsabilité :
les OR du futur
Au début de 2012, la direction industrielle
du groupe et la direction du personnel
décident de concert de lancer une nouvelle
exploration sur les OR du futur. Les ob-
jectifs sont à la fois d’explorer le niveau
d’autonomie maximal que les agents de fa-
brication pourraient atteindre, de trouver
89
Chapitre 6. La transformation du groupe Michelin
des solutions aux limites de l’OR déjà ins-
tallée (en particulier en matière de recon-
naissance) et d’élargir la transformation
jusqu’à inclure les équipes de direction des
usines.
Une des explorations remarquables de cette
nouvelle phase a été de tester les limites
de trente-huit îlots de production volon-
taires répartis dans dix-huit usines de dix-
sept pays. Cette exploration a consisté à
consulter les ouvriers de ces îlots démons-
trateurs, en leur demandant de répondre à
une question : « De quoi seriez-vous ca-
pables en termes de décision sans inter-
vention des agents de maîtrise, en termes
de résolution de problèmes sans dépendre
des maintenanciers ni des régleurs, techni-
ciens et autres organisateurs industriels ?
Et à quelles conditions ?27
» Pendant deux
ans, 1500 personnes s’investissent dans
cette démarche, pour laquelle elles auront
carte blanche. Le but n’est pas de dresser
un catalogue de « bonnes pratiques »,
mais d’évaluer le niveau de pouvoir d’agir
auquel peut parvenir un îlot de fabrication
ordinaire. Cette phase produit des résultats
si convaincants que cinq usines deviennent
alors pilotes des OR du futur. Charge à elles
d’imaginer de nouveaux principes direc-
teurs, mais avec la consigne de ne pas en
faire un « projet » au déploiement jalonné
et piloté par un sentiment d’urgence. L’idée
27. Bertrand Ballarin, CR séminaire Vie des affaires de l’École de Paris du management, 3 février 2017, et « La responsabilisation
appliquée à Michelin », in Bourdu et al., Le travail en mouvement, Colloque de Cerisy, Presses des Mines, 2019, pp. 127-135.
est que, au regard de ce que ces cinq usines
auront réussi à obtenir, la transformation
se développera ensuite par propagation na-
turelle – ce qui ne s’est que partiellement
réalisé.
Que faut-il retenir de la démarche
Michelin ?
Le premier principe à retenir est que l’auto-
nomie est étroitement associée à la respon-
sabilité, ce qui se réfère directement à deux
termes, empowerment (développement du
pouvoir d’agir) et accountability (obliga-
tion de rendre des comptes sur la perfor-
mance).
Deuxième principe : pour libérer, il faut un
cadre compris et partagé. L’OR se construit
en faisant évoluer des éléments tangibles
de l’organisation, en créant de nouveaux
contextes de travail qui favorisent une nou-
velle répartition des responsabilités.
Enfin, troisième principe : il est primordial
de réimpulser périodiquement le processus,
en donnant aux équipes de plus en plus de
possibilités de décider des champs d’auto-
nomie dont elles veulent se saisir. En effet,
une fois installée, l’OR Michelin n’a pas
naturellement engendré une dynamique
d’élargissement continu de la responsabi-
lisation. Elle n’était pas autoporteuse, et ce
90 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
pour au moins trois raisons. La première est
liée au turn-over des directions de site et du
corps managérial. Ceux qui avaient vécu le
déploiement des OR ont fini avec le temps
par sortir des opérations ; ceux qui les ont
remplacés manquaient d’expérience pour
poursuivre la manœuvre. La deuxième
raison tient au manque de vision sur le po-
tentiel des OR. Enfin, la troisième raison
est une conséquence de la deuxième : l’OR
s’est avérée bridée par un principe limitant
qui consistait à attribuer par délégation des
rôles préalablement « dimensionnés » à une
frange d’opérateurs volontaires.
Deux points d’attention ont été identifiés
par Michelin en tant que freins. En premier
lieu, l’instabilité du modèle là où il a été
mis en œuvre. En France, l’une des usines
pilotes les plus avancées dans le dévelop-
pement de la démarche responsabilisante,
dans les années 2016-2017, a été confron-
tée au départ à la retraite de 60 à 70 % de
son personnel qui avait globalement été
recruté à la même époque. Cela a remis en
cause l’ensemble des progrès accomplis. Il
a fallu repartir de zéro. Le deuxième point
d’attention qui peut favoriser ou entraver
la démarche est le leadership des mana-
gers. Nous avons dit qu’au-delà des usines
pilotes l’hypothèse retenue était que la
transformation se propagerait par « conta-
gion » naturelle, ce qui ne s’est pas produit.
Il n’est en effet pas facile de trouver des
28. Attendus comportementaux des managers du groupe.
personnes talentueuses et motivées pour
porter cette démarche. Le manque de lea-
dership adapté s’est révélé un frein impor-
tant à la transformation dans le contexte
d’un grand groupe.
I Care : transformer l’attitude
des managers
En 2019, Florent Menegaux, le nouveau
président de Michelin, a décidé de promou-
voir un nouveau modèle de leadership28
au
sein du groupe. L’entreprise a lancé dans
ce but un processus de consultation ex-
trêmement large impliquant des dizaines
de milliers de salariés à travers le monde
autour des questions : quel est notre modèle
de leadership actuel ? Quel est celui que
voulons mettre en place ?
De cette co-construction est né le modèle I
Care (voir encadré ci-contre). L’impact de
I Care reste encore à évaluer.
La capacité à se remettre en cause
Jean-Michel Frixon (2021) a raconté dans
un livre sa longue expérience d’ouvrier
chez Michelin. L’expérience de l’homme
est douloureuse, et l’image du manage-
ment qui en ressort, très contrastée : parfois
bienveillante mais plus souvent brutale et
91
Chapitre 6. La transformation du groupe Michelin
toxique. Jean-Christophe Guérin, alors VP
Manufacturing du groupe Michelin, veut
nourrir la démarche I Care en cours de
déploiement et demande alors à Jean-Mi-
chel Frixon de venir témoigner, d’abord au
niveau du groupe puis dans les différents
sites français, de ce qu’a pu ressentir un
ouvrier au cours de sa vie professionnelle.
L’objectif est de faire prendre conscience
aux managers de l’impact de leurs com-
portements sur l’engagement des hommes
et des femmes de Michelin. De nombreux
managers ont exprimé le caractère boule-
versant qu’a eu pour eux ce témoignage29
.
Cette démarche donnera lieu à une nou-
velle publication de Jean-Michel Frixon
29. Compte-rendu du séminaire Autonomie et responsabilité dans les organisations de la chaire FIT2
: « Quand les managés
forment les managers : l’ouvrier qui murmurait à l’oreille des cadres ». Témoignages de Jean-Christophe Guérin et de Jean-
Michel Frixon, 31 mai 2023.
(2023). Ce tour de France a ouvert la voie
à une inflexion des formations au mana-
gement chez Michelin. Désormais, chaque
formation au leadership fera intervenir un
binôme de managés : une personne jeune
et une autre plus expérimentée. Tellement
simple mais il fallait y penser !
Un processus de nomination des
dirigeants qui assure la continuité de
l’action
La vie des grandes organisations est ponc-
tuée de changements de dirigeants. Mal-
heureusement, lorsqu’une transformation
vers la responsabilisation est en cours, elle
Le modèle de leadership de Michelin : I Care
I pour Inspiring. Être exemplaire et permettre à chacun de comprendre dans quel
chemin il s’inscrit.
C pour Create trust. Créer la confiance dans un monde volatile, incertain, en mutation
permanente.
A pour Awareness. Favoriser l’intelligence collective, c’est commencer par comprendre
que nous sommes tous reliés.
R pour Results. Une large part de l’impact positif de l’entreprise sur les personnes et sur
la société vient de sa capacité à générer des résultats.
E pour Empowerment. Comprendre que chacun a du talent et qu’il y a du talent dans
chacun.
92 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
figure rarement parmi les critères de recru-
tement du futur dirigeant. Cela entraîne des
ruptures, et très souvent un abandon de la
transformation.
Si la transformation vers la responsabilisa-
tion dans le groupe Michelin perdure depuis
plus de vingt ans maintenant, cela est pro-
bablement dû en grande partie à la façon
dont les dirigeants sont nommés. Chez Mi-
chelin, la sélection et la nomination des di-
rigeants sont à la main de la Sages (Société
auxiliaire de gestion), une instance com-
posée essentiellement d’anciens dirigeants
de l’entreprise, qui assure la continuité
de la vision, ainsi que la préservation de
la culture du groupe. Si, comme partout,
le nouveau dirigeant cherche à imprimer
sa marque, il le fait dans une ligne et une
continuité qu’on trouve assez rarement ail-
leurs. C’est ainsi qu’après une lignée de
dirigeants familiaux qui avaient hérité de
la philosophie d’Édouard Michelin, les di-
rigeants plus récents extérieurs à la dynas-
tie familiale, Jean-Dominique Senard puis
Florent Menegaux, ont poursuivi à leur tour
l’exploration vers la responsabilisation.
Avec le recul, la démarche de Miche-
lin apparaît bien comme une exploration
dirigée. Le terme « exploration » implique
un inconnu, des bifurcations, un retour
d’expérience, des remises en cause, mais
cette démarche reste active du fait d’im-
pulsions régulières données par la direction
du groupe (« dirigée »). La contradiction
entre exploration et direction n’est qu’ap-
parente. Elle est le signe de la complexité
de la transformation responsabilisante et du
système qui la soutient.
Si la transformation vers la res-
ponsabilisation dans le groupe Miche-
lin perdure depuis plus de vingt ans
maintenant, cela est probablement dû
en grande partie à la façon dont les di-
rigeants sont nommés.
Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
94
94
VADE-MECUM
Itinéraire conseillé pour une transformation
responsabilisante
30. Il s’agit des avis des membres du groupe de travail présentés en introduction.
Avec, en tête, les exemples de Lippi, de
Martin Technologies, de Michelin et la si-
nuosité de leurs transformations, il paraî-
trait bien présomptueux de prétendre avoir
découvert une méthode pour conduire une
transformation responsabilisante.
Il s’agit plutôt, grâce à ces éclairages,
de proposer un itinéraire conseillé avec
quelques balises et points de repère. À
chacun ensuite d’adapter cet itinéraire, de
prendre des chemins de traverse ou d’ex-
plorer de petites routes ne figurant pas sur
la carte.
En préambule : diagnostic ou
non ?
Les avis sont partagés30
quant à savoir s’il
faut recourir ou non à un diagnostic de la
culture d’entreprise avant de se lancer dans
une transformation vers une organisation
responsabilisante (OR).
Un diagnostic peut aider à prendre
conscience qu’il faut tirer parti de l’exis-
tant pour transformer une organisation.
Il permet de repérer les points d’appui
et les freins de la culture d’entreprise à
l’égard de la transformation (Jochem et
al., 2014). La culture d’entreprise n’est
pas un outil de gestion : on ne la gère
pas, on gère avec elle, mais certainement
pas contre elle. Ce diagnostic devrait
inclure l’analyse de l’écosystème et du
95
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 95
modèle économique de l’entreprise car
ils peuvent ou non favoriser la transfor-
mation. Si par exemple le modèle écono-
mique de l’entreprise est trop contraint
par des donneurs d’ordre qui fixent les
marges et les délais de production, le
dirigeant devra d’abord regagner des
marges de manœuvre au cœur même de
son modèle avant d’envisager la respon-
sabilisation de ses équipes.
De son côté, Pierre-Marie Gaillot, du
Cetim, n’est pas favorable à un diagnos-
tic de ce type, du moins dans les PME
où le temps et les ressources sont tou-
jours contraints. Selon lui, les enquêtes
menées sur le terrain auprès des diri-
geants font apparaître une demande ré-
currente : « S’il vous plaît, arrêtez avec
les diagnostics. » Les petites entreprises
ont été, pendant des années, abreuvées de
diagnostics dans le cadre de divers pro-
grammes de modernisation subvention-
nés par les pouvoirs publics. Désormais
le mot « diagnostic » constitue en lui-
même un repoussoir. Il vaudrait mieux
parler de « compréhension du contexte »
ou d’« écoute du terrain » afin de pouvoir
personnaliser la démarche. Cette écoute
du terrain peut prendre la forme d’entre-
tiens permettant à des opérateurs, des en-
cadrants, des dirigeants, des membres des
institutions représentatives du personnel,
d’exprimer leur ressenti sur l’organisa-
tion telle qu’elle fonctionne, sur les irri-
tants et sur les traits majeurs de la culture
d’entreprise. On pourra aussi s’appuyer
sur les enquêtes d’engagement et les ba-
romètres sociaux auprès des salariés.
Le diagnostic n’est pas forcément une
étape. Au fil du processus, les acteurs vont
en effet affiner en continu leur compréhen-
sion du système. Dans la plupart des cas,
ce diagnostic ne dira pas son nom, mais il
sera de facto inclus dans la préparation ou
la mise en condition du dirigeant.
Trois séquences de
transformation
Kéa et Melia Consulting, des cabinets de
conseil expérimentés ayant conduit plu-
sieurs dizaines de transformations de ce
type, ont témoigné qu’ils les abordent en
trois phases : une phase d’impulsion qui
concerne l’alignement de l’équipe diri-
geante, une phase d’embarquement du
corps social, et une phase de refonte par-
ticipative et progressive de l’organisation.
Cette manière de conduire la transformation
a également été mise en œuvre chez Miche-
lin. La concordance des approches invite à
la considérer empiriquement comme assez
solide. Toutefois, en dépit de son apparence
ordonnée en phases, il convient de souli-
gner que les éléments d’une transformation
responsabilisante sont rarement séquen-
tiels, et tendent souvent à se chevaucher.
Rappelons-le, il s’agit d’un processus qui
relève plutôt de l’exploration.
96 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
96
C’est pourquoi une transforma-
tion de ce type gagnera à être pré-
sentée sous la forme d’un cercle.
De plus, plusieurs cycles de transforma-
tion seront souvent nécessaires, au cours
desquels les trois phases devront être ré-
pétées.
Figure a - Les trois grandes étapes de la transformation
Source : Kéa, témoignage de Thibaut Cournarie et de Claire de Colombel, 21 mars 2023, et Meliae Consulting/Groupe
Citwell, témoignage de Stéphane Lescure, 22 mars 2023.
3
Une refonte participative
et progressive de
l’organisation
1
Une équipe
dirigeante alignée
et déterminée
2
Un corps social rassuré
sur les intentions et la
méthode
97
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 97
Phase 1 - Impulsion d’une équipe
dirigeante alignée et déterminée
La personne « source »
À l’origine de ce type de transformation,
nous l’avons dit, il y a le plus souvent un
dirigeant. Occasionnellement, ce peut être
aussi une personne qui murmure à l’oreille
du dirigeant et emporte sa conviction. Mais
ce dirigeant, quel que soit son niveau de
conviction et de courage personnel, ne peut
pas décréter une telle transformation, il ne
peut que l’impulser. Le dirigeant doit être
considéré ici comme la personne « source »
(voir encadré ci-dessous).
La coalition
Seule, la personne source ne pourra pas
grand-chose. La dynamique s’enclenche
à partir du moment où le dirigeant réunit
autour de lui un groupe de personnes à qui
il va demander si elles partagent sa convic-
tion et si elles ont envie de la mettre en
œuvre. La notion de coalition semble pré-
férable à celle d’équipe de direction, car la
coalition peut englober des personnes qui
n’en font pas partie. C’est au leader qu’il
appartient de construire sa coalition par af-
finités et expériences, en faisant appel à des
personnes qu’il connaît dans l’organisation
et dont il sait qu’elles pourront jouer un rôle
Devenir personne « source », un cadeau et une responsabilité
Le concept de « source » a été développé par Peter John Koenig* et a fait l’objet d’un
petit livre de Stefan Merckelbach (2020). La source désigne une personne qui initie un
projet sur la base d’une idée tout en prenant conscience, avec humilité, qu’elle n’en est
que dépositaire et que cette idée ne lui appartient pas – à l’image de la source qui jaillit
des entrailles de la Terre mais dont l’eau vient toujours de quelque part. Une personne
devient « source » en adhérant à une idée qu’elle n’a pas elle-même « fabriquée », mais
qu’elle prend l’initiative de faire exister dans le monde.
La personne source joue trois rôles. C’est un entrepreneur qui prend des risques et
engage des ressources pour réaliser son projet. C’est un guide pour organiser le projet,
motiver les autres et communiquer. C’est, enfin, un gardien qui s’assure que le projet ne
perd pas son âme et reste aligné sur les intentions initiales.
Être personne source est une responsabilité : une responsabilité vis-à-vis du projet
qu’elle porte et une responsabilité à l’égard des personnes qui ont été entraînées par
son champ d’énergie.
* Conférencier et formateur britannique, connu pour ses travaux empiriques sur la
relation à l’argent et son influence sur la vitalité des personnes et des organisations.
98 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
98
pour faire advenir la transformation. C’est
à partir de cette coalition que vont naître
les premiers éléments de diagnostic per-
mettant d’explorer le champ des possibles.
Plusieurs grands groupes comme Michelin
ou EDF ont ainsi créé un board « respon-
sabilisation » visant à bien comprendre le
mix organisationnel de départ pour éviter
de greffer des modes de fonctionnement
qui seraient incompatibles avec ce qui fait
la force initiale du système. La construction
d’une entité plus responsabilisante devra
au contraire s’appuyer sur ces forces pour
faire évoluer le système.
Ce temps de compréhension et de réflexion
peut être assez long ; il va permettre à ce
board de s’approprier les dimensions dé-
veloppées dans la boussole de la respon-
sabilisation et de s’aligner pour bâtir une
première vision de l’organisation cible.
Un outil d’alignement de l’équipe de direction dans les PME
Pour accompagner les équipes de direction dans les PME, le Cetim a mis au point
un outil simple et opérationnel, baptisé IMT pour indice de maturité Tech’Care*. Il
s’agit d’un court questionnaire que chacun peut s’auto-administrer en une dizaine de
minutes en mode asynchrone, par exemple sur son téléphone portable. Les questions
peuvent paraître étranges ou décalées, mais elles permettent in fine d’appréhender
les perceptions du chef d’entreprise et des principaux managers sur des sujets tels
que la délégation, l’autonomie, la responsabilité et la confiance. Comme l’explique
Pierre-Marie Gaillot, responsable du plateau Industrie du futur au Cetim, « on peut ainsi
découvrir que l’encadrement n’est pas aligné sur des questions aussi simples que :
“Lorsqu’il y a une décision technique à prendre, qui doit la prendre, le terrain ou le
chef ?” ». Nommer les éventuelles divergences, les débriefer collectivement, permet
des discussions très enrichissantes autour de la table. Cet outil de support au débat a
vocation à aider à l’alignement des points de vue avant d’engager une transformation.
* Tech’Care est le nom donné par le Cetim à son programme d’accompagnement des PME
vers une organisation faisant place à l’autonomie (Care), généralement en lien ou autour
de l’introduction d’un projet de modernisation technologique (Tech’). Ce programme a été
inspiré en partie par les travaux de la chaire FIT2
sur le design du travail.
La notion de coalition semble
préférable à celle d’équipe de direction,
car la coalition peut englober des per-
sonnes qui n’en font pas partie.
99
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 99
Cette première étape est déterminante : elle
permet à la coalition de renforcer (ou non)
sa conviction et de s’armer pour passer à
la deuxième phase consistant à embarquer
le corps social. La phase d’embarquement
conduira presque systématiquement à
réviser et à adapter la vision d’origine.
Il faut noter que, dans le cas d’un grand
groupe avec de multiples sites ou entités,
cette phase d’impulsion devra être repro-
duite avec le dirigeant de chaque site (le
leader). Ce dernier doit s’approprier le
changement et constituer à son tour son
équipe de tête. Des accompagnateurs
peuvent être formés pour aider le dirigeant
à se questionner, par exemple pour l’aider
à prendre conscience qu’il peut constituer
un frein à la responsabilisation des sala-
riés. Est-ce qu’il est capable d’exprimer
pourquoi la responsabilité est importante
dans son contexte et de faire le lien avec
ses enjeux business ? Est-ce qu’il a une
conscience des limites actuelles de son
entité, et sinon, est-il prêt à aller chercher
des exemples concrets sur le terrain ? L’ac-
compagnateur devra faire émerger par le
questionnement les paradoxes entre les at-
titudes du quotidien et les intentions.
Phase 2 - Embarquement du corps
social
Cette phase a pour but de mobiliser le corps
social, et aussi de le rassurer sur les inten-
tions et la méthode. Elle va laisser une
grande place à la notion de co-construction,
afin de favoriser l’appropriation. C’est aussi
une phase itérative : on pose des questions,
le corps social y apporte des réponses, on
rebondit sur les réponses trouvées, on en
teste certaines, puis on se requestionne et
ainsi de suite. L’erreur magistrale serait de
considérer l’embarquement uniquement
comme une question de communication
de la direction vers les équipes. L’embar-
quement est déjà une phase d’action sur
les pratiques, et ce sont les changements de
pratiques qui « embarquent ». « Le concret
est la matière première de la transforma-
tion », souligne Frédéric d’Arrentières
(Renault Group).
Décliner une vision « entreprise » ou
« entité » imaginée par un board risque de
ne pas parler aux opérateurs, parce que trop
théorique, abstraite, lointaine. L’embarque-
ment est une cascade du haut vers le bas de
la pyramide, qui s’accompagne à chaque
fois d’une reformulation plus concrète de
la vision afin que le niveau inférieur puisse
se l’approprier. Par exemple, les directions
industrielles construisent avec les direc-
tions de site la vision d’un site responsa-
bilisé. Les directions de site construisent
avec les équipes d’atelier la vision d’un
atelier responsabilisé. Les équipes d’atelier
construisent avec les opérateurs la vision
de leurs nouvelles responsabilités et activi-
tés. Pour chaque niveau, l’embarquement
sera généralement organisé en deux temps
forts : une réflexion collective et un débat
autour de la vision proposée ; une pre-
mière mise en mouvement très concrète
100 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
100
au niveau de l’équipe. Le point clé est que
ces deux temps soient enchaînés dans un
espace-temps le plus rapide possible.
Équipe support centrale d’appui à la
responsabilisation
C’est en vue de cette phase d’embarque-
ment qu’est souvent constituée dans les
grandes organisations une équipe support
centrale. Mais attention ! Celle-ci n’est pas
une équipe de pilotage du projet de transfor-
mation puisque, comme nous l’avons souli-
gné à maintes reprises, une transformation
responsabilisante n’est pas un projet mais
une exploration. Il s’agit d’une équipe qui
va consacrer du temps et de l’énergie à la
création puis au soutien de la dynamique
de transformation. Son rôle est d’aider et
d’accompagner – tout à fait à l’image de ce
qui sera attendu des fonctions support dans
le cadre de la future organisation cible.Au-
trement dit, elle ne se présente pas comme
le porte-voix de la direction, elle n’a pas de
calendrier précis, elle propose mais n’im-
pose rien.
Cette cellule support fournit une biblio-
thèque de ressources (documentation,
vidéos) et produit tout au long du chemi-
nement des outils d’autoformation et de
formation destinés aux différentes cibles,
particulièrement aux managers d’entité et
aux managers de proximité pour les aider à
s’en approprier les principes.
Elle a aussi un rôle de capteur des idées du
terrain : elle peut mettre en place un réseau
d’ambassadeurs « responsabilisation »
pour prendre le pouls du corps social, ou
encore recueillir des idées.
Elle va également identifier les terrains fa-
vorables pour mettre en place des expéri-
mentations sur de petits périmètres, et en
tirer des enseignements.
Travailler sur les irritants
Une des façons les plus courantes de sus-
citer l’embarquement consiste à faire tra-
vailler les équipes sur les irritants qu’elles
rencontrent au quotidien. Ces irritants
peuvent concerner des symboles (places
de parking réservées à la hiérarchie, taille
statutaire des bureaux, restaurant réservé
aux cadres supérieurs…), des manques
de coopération entre services, des ca-
rences répétées de moyens pour effectuer
un travail de qualité, la lourdeur des va-
lidations et la lenteur des décisions, etc.
Si les irritants les plus faciles à résoudre
sont rapidement pris en compte par la direc-
tion, les équipes, voyant que la démarche
produit des effets concrets qui améliorent
leur situation, auront davantage tendance à
y croire et à s’y impliquer.
101
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 101
L’embarquement chez Michelin
Nous avons vu au chapitre 6 que la transformation chez Michelin a connu deux grands
cycles. Pour chacun d’eux, le mode d’embarquement n’a pas été le même.
Lors du premier cycle de transformation, qui consistait à construire l’organisation
responsabilisante (OR) dans les usines, la cascade d’embarquement jusqu’au niveau
des opérateurs s’est appuyée sur un préalable qui était la conception des nouveaux
territoires de responsabilité : les îlots de fabrication.
La première mise en mouvement concrète s’est focalisée sur les dimensions de
responsabilité et de solidarité. Elle a consisté à donner aux agents des ressources (le temps)
pour les aider à identifier leur nouvelle mission d’équipe associée à des valeurs, à engager
des discussions sur des ambitions partagées, à clarifier la relation de client et de fournisseur
en interne, et à décrire la manière dont l’équipe fonctionnait, avec ses propres mots, dans
un livret d’équipe. Ce livret d’équipe est devenu la référence de la situation de départ.
C’est sur cette base que les équipiers ont pu commencer à identifier puis à supprimer
des irritants qui existaient entre eux, avec leur hiérarchie, avec les supports, à évacuer
des frustrations et à installer un début de dialogue professionnel pour améliorer leur
fonctionnement collectif. Ce temps a représenté un premier signal fort, orientant les
équipes vers le développement d’une capacité à s’autoréguler.
Dans le même temps, un deuxième signal fort leur a été donné par les équipes d’atelier
qui ont mis en place des rituels au cours desquels les fonctions support sont devenues
solidaires du collectif de travail dans chaque territoire et se sont mises à écouter les
opérateurs en vue de traiter véritablement leurs problèmes.
Lors du deuxième cycle de transformation, les bénéfices de la responsabilisation, issus
des OR, étaient déjà tangibles au sein des équipes. Cette fois, l’embarquement s’est
fait en se focalisant sur les dimensions de subsidiarité et de collégialité. Ces principes
ont été formulés et articulés avec clarté et simplicité.
Les décisions sont prises par les équipes qui
conduiront les actions dans un cadre défini.
Les problèmes sont résolus par les
équipes, là où ils apparaissent, dès qu’ils
apparraissent.
La structure managériale et technique vient en soutien aux équipes.
Les objectifs sont décidés collégialement
avec ceux qui auront à les atteindre, et
contribuent aux ambitions de l’entité.
Étendre le domaine d’imputabilité Étendre le pouvoir d’agir
102 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
102
Chaque leader (directeur de site) a été chargé d’animer l’embarquement de ses
équipiers. Dans ce but, il a été coaché afin de se préparer à présenter à son équipe
la vision de son « domaine réservé ». Le domaine réservé représente les décisions du
leader qui échappent au principe de subsidiarité. A contrario, tout ce qui n’appartient
pas au domaine réservé est un champ d’opportunité ouvert à l’élargissement du
pouvoir d’agir des équipiers. Pendant le chantier d’embarquement, le leader devait
présenter les raisons pour lesquelles il voulait conserver certaines décisions, puis
une « dispute professionnelle » s’engageait pour que ses N-1 puissent le challenger.
À l’issue de la discussion, le leader révisait son domaine réservé en fonction des
éventuelles concessions qu’il avait accordées à son équipe. Ces « négociations » sur le
domaine réservé du leader ont été souvent très intenses, preuve que la mayonnaise de
la responsabilisation avait pris.
Charge ensuite aux équipiers de se saisir des champs libérés en définissant comment
ils pourront devenir responsables et autonomes sur chaque sujet. Encore faut-il qu’ils le
veuillent ! « Ce n’est pas parce que le cadre est clair que les gens prennent le pouvoir »,
souligne François Levert (Michelin). Cette discussion sur le domaine réservé pouvait
ensuite être déclinée tout le long de la ligne hiérarchique au titre de l’embarquement
progressif de toute l’organisation.
Notons que l’embarquement est une phase
qui n’est jamais achevée. Quand l’organi-
sation est grande, il doit être régulièrement
recommencé, du fait du turn-over des ma-
nagers et des personnels. En outre, dans
les grandes organisations, l’embarquement
n’est jamais général. À chaque élargisse-
ment de la responsabilisation à un nouveau
périmètre organisationnel, la phase d’embar-
quement devra être recommencée et adaptée
au type de métier, de population, etc.
Quels que soient les efforts mis en œuvre
dans la phase d’embarquement, il convient
de souligner que les équipes ne suivront le
mouvement que si elles y trouvent un sens
pour elles-mêmes, si elles voient ce qu’elles
ont à y gagner. En particulier, il faudra tenir
compte de l’histoire et du contexte de l’en-
treprise, c’est-à-dire de tout ce qui a pu se
passer avant la présente transformation.
En effet, des changements permanents, des
annonces de transformation à répétition,
notamment à chaque changement de direc-
tion générale, auront pu miner la crédibilité
même de l’idée de transformation et créer
un climat de méfiance ou de lassitude peu
propice à l’embarquement.
Phase 3 - Refonte participative et
progressive de l’organisation
Cette phase nous met au cœur de l’action.
Nous proposons ici les grandes lignes
d’une carte de transformation vers la res-
ponsabilisation selon trois axes : i) l’in-
103
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 103
génierie de mise en œuvre de l’OR ; ii) la
transformation des styles et des pratiques
de management ; et iii) les conditions de
pérennisation du modèle responsabilisant.
Premier axe : l’ingénierie de mise en
œuvre de l’OR
Il s’agit d’une ingénierie progressive et
participative qui s’appuiera sur de l’expé-
rimentation. L’idée est d’être pragmatique
pour réussir à trouver des solutions organi-
sationnelles accessibles, probablement im-
parfaites, mais qui permettront de concré-
tiser les premiers pas vers le changement.
La grille de mise en œuvre que nous pro-
posons s’inspire de la rosace du cabinet de
conseil Meliae Consulting/Groupe Citwell,
légèrement adaptée. Le cœur de la rosace
(voir figure b) – « Définir les missions et les
responsabilités » – est à traiter en premier
car il va conditionner la mise en œuvre des
éléments situés en périphérie. Puis il y a une
logique d’enchaînement des réflexions qui
démarre du « territoire » et s’opère en tour-
nant dans le sens des aiguilles d’une montre.
Figure b - La rosace de mise en œuvre de la transformation responsabilisante
Définir un territoire
Définir
les ressources
pour développer
l’autonomie du
collectif sur ses
missions
Définir les
instances de
délibération et de
prise de décision
Installer
un collectif
solidaire et
responsable des
misisions sur le
territoire
Adapter
la politique
RH au modèle
organisationnel
Définir les
missions et les
responsabilités
104 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
104
Cas d’application
Au lancement des OR, Michelin a voulu que les équipes de fabrication prennent la
responsabilité de : i) piloter le progrès de la performance des activités ; ii) faire évoluer
l’environnement de travail sous l’angle du bien-être ; iii) prendre en charge leur propre
développement. Charge à elles de décider sur quoi il fallait agir pour y parvenir.
L’intention était claire, mais pas suffisamment explicite et concrète pour que les équipes
puissent se mettre en mouvement. Dans un guide de l’OR destiné à aider les équipes
à construire leur OR et à s’approprier de nouveaux champs de responsabilité, Michelin
a explicité ce qu’il convenait de comprendre par « performance des activités » et ce
qu’impliquait devenir responsable de cette performance en termes d’activités.
La performance des activités a donc été définie par des indicateurs dans cinq domaines :
santé-machine-qualité-délai-coûts (SMQDC). L’ordre dans lequel sont positionnés les
domaines SMQDC délivre un message. Pour faire du bon travail, la priorité absolue est
de protéger la santé des personnes et la qualité de l’environnement de travail (S), puis
de disposer d’un outil de travail performant, ergonomique, flexible et entretenu (M), de
maîtriser la variabilité des procédés pour faire bien du premier coup et satisfaire les
clients (Q), moyennant quoi les équipes sauront s’adapter à la demande et respecter
les engagements vis-à-vis des clients (D), en réduisant continuellement les gaspillages
et en atteignant la performance économique du produit livré (C).
Confier la responsabilité aux opérateurs de manager au quotidien la performance
SMQDC, c’est leur faire passer le message que l’entreprise leur fait confiance pour
déterminer ce dont ils ont besoin pour y arriver et ce qui les empêche d’y arriver.
Appliquons la grille à un environnement de
production (usine).
1. Définir et expliciter sans ambiguïté les
nouvelles missions et responsabilités
C’est la première clé de la conception d’un
environnement de travail responsabilisant
et donc automotivant. Cette transformation
est fondamentalement centrée sur la symé-
trie des attentions. Les nouvelles missions
et les nouvelles responsabilités devront
clairement concrétiser cette intention. Elles
doivent permettre la prise en main des ac-
tivités quotidiennes par ceux qui créent la
valeur. Mais elles doivent également ouvrir
de nouveaux champs de responsabilité à un
horizon moyen-long terme pour permettre
aux équipes de s’engager dans un projet qui
les concerne directement.
105
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 105
2. Définir les territoires
Le redécoupage de l’organisation en mi-
ni-territoires est fréquemment l’une des
grandes étapes de la transformation. Rap-
pelons brièvement (voir chapitre 4) que
ces territoires devront faire sens en termes
d’activités. Il conviendra de veiller à limiter
la diversité des clients, des technologies ou
la complexité des activités. Le dimension-
nement tiendra compte d’une certaine sta-
bilité des effectifs et de la proximité entre
les membres. Il est souhaitable de pouvoir
reconnaître facilement ces territoires, en
leur donnant un nom, voire un logo, ou en
les matérialisant physiquement.
L’exercice est loin d’être facile. Il y a beau-
coup de bonnes raisons opérationnelles dans
une organisation industrielle classique pour
avoir des territoires assez grands : la taille
des installations, la rationalisation des res-
sources par la mutualisation, des arbitrages
plus faciles dans l’allocation de ressources.
Déconstruire pour reconstruire en territoires
plus petits peut susciter des résistances,
quand ça n’est pas physiquement très com-
pliqué. La co-construction est absolument
nécessaire pour trouver des compromis ac-
ceptables et ne pas susciter le rejet.
La division en plus petits territoires a des
incidences qui peuvent rendre plus difficile
leur gestion : il faudra par exemple modi-
31. Mot japonais signifiant « grande salle ».
fier l’architecture du système de gestion en
créant de nouvelles sections budgétaires.
Les nouveaux territoires risquent aussi,
dans un premier temps, de ne pas dispo-
ser de tous les outils informatiques dont ils
auront besoin pour devenir autonomes.
Dans le cas d’un redesign organisationnel
sous forme de mini-usine, on aura besoin de
disposer d’un lieu de vie dédié à l’équipe
– l’obeya31
pour reprendre le vocabulaire
du lean, qui permettra de s’isoler de l’en-
vironnement de fabrication sans trop s’en
éloigner, afin de se réunir, d’installer le ma-
nagement visuel (et de disposer des moyens
collaboratifs digitaux permettant l’accès et
la transmission d’information) et d’utiliser
des outils performants de gestion (dès qu’on
les aura adaptés). Mais, dans de nombreux
cas, ceux qui ont implanté les ateliers ne vi-
saient qu’à optimiser la surface occupée et
il n’est donc pas toujours facile d’aménager
cette obeya, pourtant indispensable.
Une autre difficulté peut provenir également
de la méthode qu’utilise l’entreprise pour
« peser » les postes. En effet, du niveau de
responsabilité reconnu d’un poste découle
sa rémunération. Or la taille du territoire
est souvent l’un des critères de la rémuné-
ration des managers. En réduisant le terri-
toire, on peut réduire l’attractivité du poste
de manager. Si les critères de gestion des
carrières demeurent les mêmes qu’antérieu-
106 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
106
rement, les meilleurs managers vont se re-
trouver tiraillés entre l’envie de franchir des
étapes personnelles dans leur parcours pro-
fessionnel et l’envie de rester au service de la
responsabilisation de leur équipe – sujet qui
valeurréclamerbeaucoupd’énergieetquine
serapasforcémentreconnu.D’oùlanécessité
d’associer les équipes RH en tant que partie
prenante de la transformation pour tenter de
résoudre ce type de contradiction.
3. Installer un collectif solidaire sur son territoire
Une communauté de travail n’est pas un
donné mais un construit (voir chapitre 3).
Cette construction demande un accompa-
gnement de qualité – ce que le manager n’a
souvent pas appris à faire. Elle nécessite
aussi du temps : d’une part, elle s’inscrit
dans la durée, et d’autre part, elle demande
d’investir du temps, notamment sous forme
de séminaires suffisamment longs pour qu’il
en ressorte quelque chose de significatif.
Non seulement il faut budgéter ce temps,
mais il faut aussi réussir à l’organiser. En
production, par exemple, ce temps est très
difficile à trouver, surtout quand on fonc-
tionne 24 heures sur 24. Il est encore plus
difficile de libérer les opérateurs de leur
tâche première, qui est de produire, lorsque
la configuration physique du travail est « la
chaîne » comme dans l’automobile. Cette
étape est ainsi souvent survolée, parce que
difficile à organiser. Sans compter qu’il faut
créer des supports qui permettront à la com-
munauté de pouvoir s’y référer facilement.
Cas d’application
Dans une usine de Michelin, un chef d’atelier a fait travailler ses équipiers pendant
plusieurs mois à raison de trois séminaires d’une demi-journée, sur la question « Que
fait une personne responsable et solidaire dans notre communauté de travail ? ».
Ils ont cherché des cas de figure concrets et se sont mis à s’autoévaluer. Le manager
s’est d’abord appuyé sur ces autoévaluations pour conduire des feed-back individuels
fréquents. Par la suite, les équipiers sont passés au feed-back collégial sans le manager.
Cette démarche les a conduits sur le chemin de l’autonomie pour intégrer les nouveaux
équipiers (décider de garder ou non un nouvel équipier dans la communauté après une
période probante d’intégration). Désormais, lorsque cette communauté décide de créer
un nouveau rôle au service de l’équipe, la décision relative à la personne qui tiendra ce
rôle est collégiale. Enfin, les équipiers sont devenus capables de décider en autonomie
la répartition de leurs augmentations de salaire en fonction de ce que chacun apporte
à la communauté. Dans cette communauté de travail, il y a deux slogans affichés en
grand sur les murs de l’atelier : « Le chef s’occupe de nous et nous, on s’occupe du
reste », et « Ici on se parle ».
107
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 107
4. Définir les ressources pour développer
l’autonomie dans les missions
Quatre ensembles de ressources seront né-
cessaires à une transformation responsabi-
lisante.
La première ressource est celle des com-
pétences. La montée en compétences au
service de la transformation a déjà été
largement évoquée aux chapitres 3 et 4 :
pour les managers, formation et coaching,
groupes de codéveloppement ou d’analyse
des pratiques ; pour les opérationnels, dé-
tection des appétences et des compétences
pour les nouveaux rôles, puis apprentissage
des compétences techniques nécessaires à
l’exercice de ces nouveaux rôles, etc.
La deuxième est la reconnaissance de ceux
qui œuvrent à la transformation. Elle peut
s’exprimer de plusieurs manières. L’ex-
pression orale ou écrite de la reconnais-
sance par la direction et les managers à
l’égard des efforts engagés et des avancées
obtenues a une forte valeur symbolique,
mais, seule, elle sera insuffisante. Elle
devrait s’accompagner d’une forme ou une
autre de partage de la valeur (primes, aug-
mentations, intéressement et participation,
actionnariat salarié). La reconnaissance
des compétences additionnelles acquises
par les opérationnels devrait aussi pouvoir
ouvrir la voie à une évolution de carrière en
matière de statut et de rétribution. À défaut
de pouvoir assurer les évolutions internes à
tous, l’entreprise qui a investi dans la for-
mation de ses personnels pourra attester
des compétences acquises et ainsi favoriser
leur employabilité externe. Sans système
de reconnaissance institué, l’OR, après une
période d’enthousiasme, risque de perdre
de son attractivité.
La troisième ressource concerne les effec-
tifs. Au-delà des méthodes de calcul de
charge/capacité qui permettent de déter-
miner le niveau adéquat d’équipiers pour
ce qui concerne l’exploitation courante, il
faudra prendre en compte le temps dont
auront besoin les équipes pour développer
le projet de responsabilisation et assumer
leurs nouvelles responsabilités dans le
mode d’exploitation future. Cela peut né-
cessiter des ajustements d’effectifs à la
hausse, sachant cependant que les équipes
autonomes devront être capables de se
réguler elles-mêmes pour ce qui concerne
la variation de la charge d’exploitation, les
absences liées aux formations, aux congés
ou autres imprévus.
Enfin, la quatrième est l’information. C’est
une ressource immatérielle à laquelle on ne
pense pas suffisamment dans les démarches
de responsabilisation. Quand on passe d’un
mode directif à un mode responsabilisant,
on oublie souvent de se poser une ques-
tion toute simple : quand un équipier ou
une équipe doit décider quelque chose, sur
quelles informations peut-il ou peut-elle
s’appuyer?oùlestrouver?Commentmettre
à la disposition des équipiers une informa-
tion compréhensible pour qu’ils puissent
108 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
108
décider par eux-mêmes avec un niveau
d’information homogène ? Généralement,
la réponse n’est pas compliquée à mettre en
œuvre, mais parfois elle peut conduire à re-
penser la structure et les outils de communi-
cation à disposition des équipes. Un partici-
pant au groupe de travail faisait remarquer,
à titre d’exemple, que le fonctionnement en
autonomie des équipes les amenait à utili-
ser WhatsApp, un outil numérique proscrit
par l’entreprise, parce que l’outil proposé en
interne pour le même usage était jugé insa-
tisfaisant et était donc peu adopté.
In fine, l’entreprise doit avoir conscience
que toutes les dimensions évoquées
(montée en compétences, formations, ac-
quisition des nouvelles pratiques, aména-
gement des espaces, nouveaux systèmes
d’information) requièrent soit du temps,
soit des investissements financiers, et
souvent les deux simultanément. Il est
donc important d’anticiper ces moyens
et de les budgéter.
5. Définir les instances de délibération et de
décision
Ces dispositifs doivent être cohérents avec
les missions et les responsabilités, impli-
quant par là même plusieurs fréquences de
rituels. Il sera très important de définir un
dispositif particulier permettant la remon-
tée des problèmes journaliers vers le niveau
supérieur dans le respect de la subsidiarité,
et la redescente rapide des décisions prises
(voir encadré ci-contre).
6. Impliquer les RH dans la transformation
En ce qui concerne la plupart des aspects
évoqués de la transformation, les RH ont
un rôle fondamental à jouer. Toutefois, la
conception que cette fonction aura de son
rôle pourra varier selon les organisations :
simple rôle d’accompagnement (niveau 1) ;
veilleetstimulationduprocessus(niveau2);
pilotage et inspiration (niveau 3).
Au niveau 1, les RH s’occuperont principa-
lement des types de formations à dispenser,
de l’ingénierie pédagogique et du choix des
prestataires. Elles pourront aider à identi-
fier les compétences et les appétences des
collaborateurs pour proposer les nouveaux
« rôles ». Elles apporteront aux managers
et aux équipes l’appui nécessaire pour re-
cruter progressivement en autonomie. Elles
mèneront les enquêtes d’engagement et de
satisfaction des collaborateurs, et veilleront
au climat social via les indicateurs agrégés
de démissions et d’absences pour maladie.
Si elles s’engagent sur les niveaux 2 et
3, les RH travailleront en étroite liaison
avec la cellule support centrale d’appui à
la transformation responsabilisante (quand
elle existe) à la fois dans la conception et
dans la production des outils de la trans-
formation. Elles conseilleront la direction
pour éviter les changements trop brutaux et
perturbateurs, en fonction de leur connais-
sance de l’historique de l’entreprise. Elles
seront aussi gardiennes de la cohérence des
pratiques. Par ailleurs, elles auront à s’atta-
109
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 109
quer, à un moment ou un autre, à la refonte
du système RH en matière d’adaptation
éventuelle des statuts, de la gestion des
carrières, des systèmes d’évaluation et de
rémunération ou d’ajustement des effectifs.
Certaines de ces questions devront passer
par le dialogue social. Une partie du travail
des RH consistera donc à réussir à embar-
quer les instances représentatives du per-
sonnel (IRP). Valérie Duburcq chez Orange
témoigne : « Lorsque j’étais DRH d’enti-
té, j’ai pu mesurer que consulter les par-
tenaires sociaux et associer un groupe de
prévention pluridisciplinaire dès le début
d’un projet, au lieu de le leur soumettre une
fois qu’il était ficelé, se révélait facilitant
pour la phase de mise en œuvre. »
Toutefois, la démarche de responsabilisa-
tion aura souvent intérêt à se développer
d’abord en mode protégé pour ne pas être
déstabilisée dès le départ par des revendi-
cations multiples et pour valider qu’elle
produit de l’engagement sans détériorer
les résultats économiques. Sous réserve
d’un climat social initial très dégradé dans
l’entreprise, la transformation responsabi-
Cas d’application
Michelin a développé un processus très simple pour la remontée d’information au
niveau supérieur à fréquence journalière. Un support visuel appelé carte WIN (What is
Important Now) est rempli par le collectif de niveau N à l’issue de sa réunion journalière.
Ce document résume les principaux problèmes du jour à traiter. Si la carte WIN est
verte, le collectif N se déclare en capacité de traiter les sujets qui posent un problème
et cette information remonte en N+1. Si la carte WIN est rouge, le collectif N demande
explicitement qu’un ou plusieurs des sujets soient pris en compte au niveau N+1. Le
niveau N+1 se mobilisera alors sur ce sujet.
Mais le processus ne s’arrête pas là. Le collectif N+1 devra s’interroger sur ce qui
manque au collectif N pour être autonome dans le traitement du sujet. Les problèmes
qui remontent deviennent ainsi une occasion de réfléchir à la manière d’élargir le pouvoir
d’agir des équipes opérationnelles.
Pour que cela fonctionne, deux conditions sont à respecter. Premièrement, le temps
des rituels collectifs doit être sanctuarisé pour que tous les membres soient disponibles
et présents. Deuxièmement, la planification du rituel quotidien de l’équipe la plus
élevée dans la hiérarchie (équipe de direction du site) ne doit pas arriver trop tôt dans la
journée. Il faut laisser le temps aux équipes de niveau inférieur d’effectuer leur travail et
de prendre leurs responsabilités (principe d’escalade de la subsidiarité).
110 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
110
lisante fera rarement l’objet d’une oppo-
sition de principe de la part des IRP, parce
qu’elle est souvent considérée comme un
« bon combat » qui porte sur la qualité
du travail. Elle sera donc accueillie de
façon neutre, parfois même avec intérêt
par les instances de type CHSCT (comité
d’hygiène, de sécurité et des conditions de
travail), qui suivront de près ses effets sur
la santé des personnes. Le directeur des re-
lations sociales d’un grand groupe indique
même que la démarche de responsabilisa-
tion a pu représenter l’occasion de relancer
un dialogue social en panne dans certains
pays. La démarche pourra en revanche
être critiquée sur certains de ses aspects,
au fur et à mesure de son avancement. Ces
critiques porteront le plus souvent sur la
non-reconnaissance (ou une reconnais-
sance jugée insuffisante) en termes de ré-
munération du travail additionnel fourni
par les équipes, ainsi que sur l’absence
Le Référentiel d’Orientation, un outil pour prendre des
décisions dans l’incertain
Le concept de Référentiel d’Orientation (RFO) a été créé par Joseph Lusteau,
dirigeant de Diagonart Conseil, et expliqué dans son ouvrage Donnez du sens à vos
décisions (Mardaga, 2021). Il s’agit d’un outil pour gagner en cohérence dans les choix
stratégiques, dans un univers caractérisé par l’incertitude, les mutations et les ruptures.
La démarche de mise en œuvre du RFO a été adaptée par le Cetim pour les PME/PMI
au travers de son produit Strat’eMove®.
Le RFO propose un processus décisionnel stable qui permet d’aborder la prise de décision
de la même manière partout dans l’entreprise. Il est constitué de quatre cadrans :
Les éléments fondateurs, le cœur de l’entité, sa raison d’exister, définissent les
missions, la vocation, ainsi que les principes et les valeurs communes à partir desquels
l’essence même de l’entité peut être comprise.
Les dynamiques d’évolution, les axes de développement prioritaires, font référence
aux logiques principales de développement et aux leviers privilégiés qui vont caractériser
globalement son parcours dans le temps et ses manœuvres stratégiques.
Les modes de gouvernance, le style de management, décrivent le type de
fonctionnement des acteurs en interne ainsi que les relations et les comportements de
l’entité vis-à-vis de ses partenaires extérieurs et de ses écosystèmes.
Les impératifs ou perspectives majeurs sont les quelques axes et positionnements
politiques clés précisés par les ancrages à préserver et les défis à relever à moyen terme.
111
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 111
Les principaux usages du RFO sont :
• exprimer et communiquer simplement ce qu’est l’entreprise et ce qu’elle souhaite
devenir ;
• être en mesure de décider rapidement sur les alternatives stratégiques les plus
en conformité et en cohérence avec l’ADN et les ambitions de l’entreprise dans
un environnement bousculé par l’incertitude (investissement, acquisition externe,
changement du système de management, etc.). Chaque alternative est alors cotée
à l’aide de cette grille ;
• pouvoir communiquer facilement pourquoi et comment la décision a été prise ;
• être en mesure de tracer et de justifier dans le temps les raisons des décisions
précédentes et des éventuelles prises de risque associées.
Une fois construit et validé, le RFO est un puissant outil de prise de décision, à tous
les niveaux de l’entreprise, individuellement ou en groupe. À ce titre, il permet de
développer la responsabilisation dans toute l’entreprise.
Histoire, dates clés, valeurs
Les principes d’action,
rapport au risque
Les éléments fondateurs
Délégation,mode de communication,
mode de management
Alliances et partenariats, relations
fournisseurs
Les modes de gouvernance
Logique de développement : clients,
concurrents, marchés (quoi)
Déclinaison du développement
(comment)
Les dynamiques d’évolution
Ancrages de l’entreprise
à préserver
Impératifs et défis futurs à relever
Les impératifs majeurs
112 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
112
de compensation pécuniaire directe pour
ceux qui assument des « rôles » supplé-
mentaires. Les organisations syndicales
pourront aussi interpeller l’entreprise sur
la traduction qu’elle entend donner à la
polyvalence et aux compétences ainsi ac-
quises dans les grilles de qualification et
de rémunération. Enfin, les méfiances ex-
primées pourront porter sur l’absence de
formations adaptées et de perspectives de
carrière pour les opérateurs ou encore sur
la réduction des effectifs de managers par
suite de la responsabilisation des équipes.
L’une des conditions de réussite du dia-
logue social sur ce sujet est la sincérité du
projet : les IRP doivent être convaincues
qu’il n’y a pas d’agenda caché de la direc-
tion derrière ce projet (de type allègement
de la structure, par exemple).
Comme le souligne Frédéric d’Arren-
tières (Renault Group), il serait vain
d’espérer transformer une grande struc-
ture sans le soutien de la fonction RH. Il
est indispensable que celle-ci s’engage
au côté de l’équipe d’accompagnement
pour donner à l’entreprise toutes les
chances de réussir. Toutefois, il faudra
tenir compte du fait que la fonction
RH n’aime pas trop être bousculée : sa
mission s’inscrit dans la durée, elle gère
des pyramides des âges qu’elle cherche
à équilibrer, elle est encadrée par de très
nombreuses règles contraignantes qu’elle
a vocation à rappeler à toutes les parties
prenantes.
Deuxième axe : transformer les styles et les
pratiques de management
La démarche de responsabilisation trans-
forme le rôle du manager. Le cabinet de
conseil Kéa nous propose une métaphore :
« Faire de ses managers des jardiniers ».
Beaucoup d’entreprises, en particulier
les grands groupes, travaillent à faire
évoluer leurs managers. Elles définissent
un profil type qu’elles associent à des
compétences comportementales et à des
postures, et tentent de les développer en
créant, par exemple, des « universités »
ou des « académies ».
Pourtant, même quand les managers sont
accompagnés sur le thème du changement
de styles et de pratiques managériales, un
point clé reste à interroger : le temps réel
qu’ils peuvent effectivement consacrer à
la supervision active de leur équipe. Or
ce temps est souvent réduit à la portion
congrue. Il y a au moins trois raisons pour
que ce temps soit aussi limité : l’étendue
de la responsabilité du manager (span of
control) ; les autres tâches que son N+1
ou les supports lui demandent d’effec-
tuer (reporting, réunions diverses, tâches
administratives) et qui le détournent de
L’une des conditions de réussite
du dialogue social sur ce sujet est la
sincérité du projet.
113
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 113
sa mission principale ; la compréhension
que le manager a de son propre rôle.
Avec un accompagnement approprié, le
temps de présence des managers auprès
de leur équipe peut considérablement
augmenter. Cet accompagnement peut
prendre la forme d’un coaching sur le
terrain en situation réelle d’encadrement
afin d’éviter de consommer un temps
additionnel du manager par une forma-
tion hors terrain. Qualité et fréquence de
l’accompagnement sont les points déter-
minants de l’efficacité de ce type d’ap-
prentissage. Pour y parvenir, il faut un
ratio de l’ordre de un coach pour quinze
managers en processus d’apprentissage.
Chaque accompagnement se termine par
un feed-back, à l’issue duquel le manager
prend un engagement sur l’évolution de
son style de management, un petit pas
qu’il devra mettre en œuvre immédiate-
ment et qui fera l’objet d’un débrief lors
du prochain accompagnement.
Par ailleurs, la pratique du « domaine
réservé » est très utile pour ouvrir la voie
à de nouvelles répartitions des responsa-
bilités entre un manager et ses équipiers.
Le manager commence par se livrer à
une réflexion personnelle de manière à
clarifier ce qu’il considère comme son
pré carré en matière de prise de déci-
sion. Lorsque cet exercice de réflexion
est terminé, le manager présente son
domaine réservé à son équipe et en justi-
fie les raisons, tout en acceptant le prin-
cipe d’une « dispute professionnelle » à
ce sujet. En creux, il affiche clairement
qu’il est prêt à lâcher prise sur ce qui ne
figure pas dans son domaine réservé. Si
les équipes revendiquent l’accès à une
dimension supplémentaire du domaine
réservé, le manager peut décider d’étu-
dier cette requête, en la partageant le
cas échéant avec d’autres services :
dans quelles conditions serait-ce fai-
sable (ressources) ? À quel horizon
(délai) ? Comment pourrons-nous sécu-
riser le résultat (efficacité) ? La pratique
du domaine réservé permet au manager
d’apprendre à gérer le cadre de l’auto-
nomie de son équipe et à lâcher progres-
sivement du lest de manière dynamique,
comme dans l’encadré en page suivante.
Enfin, pour libérer les énergies, il faut un
cadre. C’est au manager de gérer le cadre
de son équipe en concertation avec elle.
La finalité du cadre est de sécuriser la
dynamique continue d’élargissement des
espaces de responsabilité, alimentée par
la dispute professionnelle sur le domaine
réservé du manager. Le cadre est consti-
tué de points de repère et de ressources.
La pratique du domaine réser-
vé permet au manager d’apprendre à
gérer le cadre de l’autonomie de son
équipe et à lâcher progressivement du
lest de manière dynamique.
114 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
114
Imaginons un joueur de foot qui devrait
demander à son entraîneur s’il a le droit
de tirer au but. C’est une situation aber-
rante pourtant rencontrée fréquemment
en entreprise. Au foot comme ailleurs,
celui qui a la responsabilité à l’instant
t est celui qui détient le ballon, pour
autant qu’il agisse en coopération avec
les autres. Parce que les équipiers ont
une ambition à l’égard de laquelle ils
sont solidairement responsables, qu’ils
connaissent les règles du jeu, ainsi que
les qualités et les faiblesses de chacun et
leur rôle sur le terrain, parce qu’ils sont
solidaires dans l’effort, qu’ils ont des
aptitudes personnelles, qu’ils ont défini
collégialement des plans de jeu, qu’ils
reconnaissent un des plans de jeu pos-
sibles à partir de la position des équipiers
et des adversaires, ils vont décider de dé-
Le domaine réservé du manager et son extension
Imaginons un manager qui s’interroge sur son domaine réservé et sa justification.
Décider de l’embauche en CDI d’un nouvel équipier : je garde cette décision dans
mon domaine réservé, parce que je pense que mes équipiers risqueraient de recruter
quelqu’un uniquement en jugeant de l’adéquation de son expertise au regard de leurs
besoins actuels. Ils ne prendraient pas en compte d’autres critères permettant de juger
de la capacité de cette personne à développer une carrière dans l’entreprise. Du reste,
je ne suis pas moi-même en position de décider seul, c’est une décision concertée avec
un membre du service RH.
Décider de l’embauche d’un intérimaire en renfort ponctuel de l’équipe :
actuellement, c’est moi qui décide, mais je considère que cela n’appartient pas
forcément à mon domaine réservé. Mes équipiers sont capables de juger de la nécessité
d’avoir un renfort et sont maîtres de leur budget sur ce plan. En outre, il n’y a pas de
forte prise de risque au cas où la personne recrutée ne correspondrait pas au profil
recherché. Je suis donc prêt à lâcher prise sur cette décision. Mes équipiers pourraient
être autonomes et ne plus me solliciter pour cette décision.
Étendre le champ d’autonomie de l’équipe : mes équipiers recrutent désormais les
intérimaires. Cela fonctionne très bien. Nous pourrions maintenant envisager de les faire
participer au recrutement des CDI, ce que d’ailleurs ils réclament. Je vais consulter les
RH pour voir à quelles conditions et dans quelles limites cela pourrait devenir possible
et avec quelles ressources.
115
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 115
rouler tel plan de jeu qui leur permettra
de marquer un but sans aucune interven-
tion du coach.
Quand les managers ne sont plus en per-
manence sur le terrain de jeu, comment
l’équipe va-t-elle décider ce qu’elle doit
faire, sans se mettre en danger ni faire
courir des risques inacceptables à l’en-
treprise (rappelez-vous la ligne de flot-
taison du chapitre 3) ? Réponse : comme
au foot !
Les équipiers disposent de points de
repère mis en place lors de la création
du territoire de responsabilité et de la
construction de la communauté de travail,
qui peuvent aussi provenir directement
du système de production. On trouve-
ra des repères qui orientent l’action (la
mission de l’équipe et l’ambition qu’elle
s’est construite), des repères qui assurent
la prévisibilité de l’action (les règles du
métier, les séquences de production, les
indicateurs) et des règles sur la manière
de faire ensemble du bon travail (les
règles que la communauté se donne).
Les équipiers disposent aussi de res-
sources, notamment de formation et d’in-
formation, comme nous l’avons indiqué
sur l’axe ingénierie de l’OR. La commu-
nauté est déjà dotée de ressources pour
exercer son autonomie dans ses mis-
sions et responsabilités établies. Mais le
manager a gardé le contrôle de certaines
situations de jeu. Lorsque l’équipe décide
d’explorer un nouveau champ d’auto-
nomie, la responsabilité du manager
est d’instruire avec les équipiers et les
fonctions support associées l’évolution
des points de repère et des ressources du
cadre d’autonomie pour réussir à lâcher
prise effectivement.
Lorsque l’équipe décide d’ex-
plorer un nouveau champ d’autono-
mie, la responsabilité du manager est
d’instruire avec les équipiers et les
fonctions support l’évolution du cadre
d’autonomie pour réussir à lâcher
prise effectivement.
116 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
116
Un outil pour l’élargissement progressif des zones
de responsabilité : l’éventail de délégation concertée
d’ISEOR Cetim
D
é
c
i
s
i
o
n
d
e
B
s
a
n
s
i
n
f
o
r
m
e
r
A
Décision de B avec information aposteriorideA
D
é
c
i
s
i
o
n
d
e
A
DécisiondeBavec information en amont deA
Modifi-
cation des
horaires
Sanction
disciplinaire
Rémunéra-
tion
Choix
et suivi de
formation
Choix du
fournisseur
Réception des
équipements
Calcul ROI
Validation
CdC pour inves-
tissement
Choix d’un
nouveau colla-
borateur
Pilotage de le
maintenance
Achat matériel
 5000 €
Modifica-
tion implanta-
tion atelier
Congés et
absences
Choix des
indicateurs de
performance
Demande de
renfort interne
ou intérim
Négocier les
délais avec les
ateliers avals
Remontée
des problèmes
de terrain
Source : ISEOR, 1994, revu par le CETIM 2022.
Concertation Autonomie
Animateur atelier
A B
Compagnons atelier
A Directeur de site B
Animateur atelier
Décision prise
par le manager
Décision subordonnée à une
autorisation hiérarchique
Décision prise
en autonomie
117
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 117
Troisième axe : créer les conditions de pé-
rennisation du modèle responsabilisant
La pérennisation de ce type de transforma-
tion est sans doute l’une des plus grandes
difficultés que rencontrent les organisa-
tions. Parce que le modèle responsabilisant
s’inscrit dans un temps long, il va se heurter
à de multiples facteurs perturbateurs. Parce
que le modèle responsabilisant repose sur
des hommes et des femmes réels (et non
sur une modélisation théorique), il est très
dépendant des personnes qui le font vivre
et se révèle souvent peu résilient quand ces
hommes et ces femmes viennent à manquer.
Parmi les effets perturbateurs fréquents, on
relève les changements de gouvernance. À
l’occasion d’une acquisition, d’une fusion,
de l’entrée d’un nouvel actionnaire (fonds
d’investissement par exemple) ou de
changements dans la structure du marché,
les priorités de l’entreprise se modifient,
pouvant influer sur les choix de la direc-
tion générale. Plus couramment encore, une
nouvelle direction générale pourra vouloir
marquer son « ère » en décrétant un nouveau
type de transformation qui sera moins
orienté vers la responsabilisation et davan-
tage tourné vers l’obtention de résultats
rapides, visibles, voire spectaculaires, ou
Note : l’éventail de délégation concertée a été créé par l’Institut de socio-économie
des entreprises et des organisations (ISEOR), dirigé par Henri Savall de l’IAE de Lyon
(université Jean-Moulin). Cet outil, utilisé par le Cetim pour l’accompagnement de
PME vers une organisation plus responsabilisante dans le cadre de son programme
Tech’Care, permet de discuter des zones d’autonomie d’une personne, et par extension
d’une équipe (B), avec son manager (A).
L’analyse est réalisée entre deux niveaux hiérarchiques. Les types de décisions à
prendre sont inscrits sur des post-it. Une couleur est affectée à chacun des post-
it. Elle définit par qui doit être prise la décision. Bleu : décision prise en autonomie.
Jaune : décision subordonnée à une autorisation hiérarchique. Gris : décision prise par
le manager. Les personnes placent ensuite ces post-it sur un éventail qui reprend les
types de décisions. On peut ainsi observer aisément non seulement le décalage entre
l’intention de départ et la prise de décision effective, mais aussi le décalage entre les
croyances des uns et des autres sur qui prend effectivement tel ou tel type de décision.
Dans la figure ci-dessus, un certain nombre de post-it jaunes qui devraient être dans
le deuxième cadran « Décision de B avec information en amont de A » se retrouvent
en fait dans l’éventail de gauche « Décision de A ». Dans les faits, la décision est donc
prise par A, malgré l’intention initiale qui était que B prenne la décision en informant A
en amont. Un débat est alors lancé pour résoudre le problème. La dynamique consiste
ensuite à refaire l’exercice régulièrement pour voir si les zones d’autonomie théoriques
se sont effectivement concrétisées.
118 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
118
obéissant à un nouvel effet de mode. Cette
nouvelle orientation pourra peut-être se su-
perposer aux acquis de la responsabilisation,
mais le plus probable est qu’elle la mette en
péril en modifiant la hiérarchie des priori-
tés du management et des équipes. Frédéric
d’Arrentières souligne cependant que chez
Renault Group, même si les changements de
gouvernance et la nécessaire adaptation à de
nouveaux contextes ont modifié les priori-
tés de transformation du groupe, la poursuite
d’une démarche responsabilisante est restée
un levier actif et mobilisateur dans le cadre
des développements véhicules.
Les organisations dans lesquelles l’actionna-
riat est stable, les successions sont préparées
très à l’avance, et où le nouveau dirigeant
est choisi au sein du sérail de l’entreprise,
présentent une meilleure continuité et sont
moins exposées à ce type de risque, sans
pouvoir totalement s’en prémunir.
L’instabilité du personnel est également un
facteur de discontinuité. Dans certains cas,
la stabilité peut être contrée par des facteurs
générationnels, comme des départs à la re-
traite massifs. Dans d’autres, c’est la mo-
bilité des cadres (système de gestion des
carrières) qui représente un facteur struc-
turel d’instabilité. Ainsi, un bon directeur
de site industriel sera inévitablement aspiré
par le siège, et les bons managers seront
mutés tous les trois ou quatre ans environ.
Les « nouveaux » n’auront peut-être ni la
même sensibilité, ni le même goût pour la
complexité, et tout sera à recommencer.
Il est cependant possible de contrer ces effets
perturbateurs, en réunissant certaines condi-
tions de pérennisation. D’abord, parce que la
transformation vers une OR est une transfor-
mation complexe qui nécessite beaucoup de
leadership, de connaissances et de réflexion,
il sera bon que la cellule support, que nous
avons évoquée au lancement de la trans-
formation, soit pérennisée dans son rôle de
réflexion et de stimulation sur une longue
durée. Ce ne sera pas obligatoirement une
équipe dédiée, mais plutôt une coalition de
personnes sources qui assureront la conti-
nuité des intentions et des réalisations. Cette
cellule pourra également créer des passe-
relles avec d’autres entreprises ou avec des
centres de recherche sur l’innovation ma-
nagériale, de manière à essaimer autant que
possible le modèle responsabilisant.
Maislapérennisationseraavanttoutstimulée
par un Comex exemplaire sur ce sujet. Si le
Comex n’est pas lui-même en mouvement, il
devra au moins assurer un sponsoring à haut
niveau, et en continu, de la responsabilisa-
tion. Sans ce soutien, les avancées obtenues
àpartird’initiativeslocalesrisquentfortdene
jamais passer à l’échelle. Sans soutien et en
considérant le taux de rotation des managers
et des équipes, la tendance globale dans la
durée risque d’être plutôt une régression vers
un modèle plus classique. Cela peut s’expli-
quer par la contradiction inhérente existant
entre standardisation et subsidiarité (voir
encadré ci-contre).
119
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 119
Subsidiarité versus standardisation : une contradiction
difficile à gérer
Beaucoup d’entreprises manufacturières construisent leur avantage compétitif sur
l’excellence opérationnelle de leurs processus et la supériorité de leurs produits. Cet
avantage s’entretient grâce aux capacités des services de RD et du bureau d’étude
d’une part, de leur bureau des méthodes industrielles d’autre part, ce qui explique en
partie les avantages liés à la taille et le mouvement de consolidation (mutualisation de
coûts de développement et d’industrialisation croissants). Les entreprises qui pratiquent
le lean améliorent encore leurs standards, grâce à l’implication des opérateurs. Lorsque
ceux-ci surmontent une difficulté et inventent une manière plus efficace de produire,
cette amélioration est intégrée aux standards de l’entreprise et chaque unité en
bénéficie. L’efficacité globale provient donc essentiellement de la standardisation de
leur Manufacturing Way.
La subsidiarité, en revanche, consiste à laisser les opérateurs adapter le système à leur
contexte. Ils peuvent alors s’éloigner du standard pour mettre en œuvre une méthode
qui leur convient mieux, compte tenu des caractéristiques locales, mais qui n’est pas
forcément adaptée à d’autres contextes. La subsidiarité valorise les personnes qui font,
mais oblige à renoncer à certains avantages de la standardisation. Un ingénieur muté
d’un site à un autre ne pourra pas appliquer à l’aveugle les méthodes et les procédures
qui ont fonctionné dans son poste précédent.
Il y a donc une tension au sein des directions industrielles entre les objectifs de
subsidiarité et les objectifs de standardisation. Cette tension rend difficile la diffusion et
la généralisation d’initiatives qui se sont avérées très satisfaisantes dans un contexte
donné. Par exemple, telle unité de fabrication est fière de gérer elle-même la répartition
des primes accordées par la direction, mais une autre unité du même site qui n’a
pas construit le même niveau de confiance entre ses membres préférera laisser à
la hiérarchie ou aux RH cette décision. Telle direction de site souhaitant motiver sa
main-d’œuvre ne fera pas les mêmes choix qu’une autre plus soucieuse d’atteindre
rapidement une meilleure performance en intégrant les meilleurs standards du groupe.
Si la direction accorde une attention intermittente aux objectifs de subsidiarité et aux
bénéfices de la standardisation, ou ne pondère pas ces objectifs de la même façon selon
les usines et les pays, la diffusion des démarches de responsabilisation et d’autonomie
sera compliquée. Le management intermédiaire subira des injonctions contradictoires
(laissez-leur la main, mais veillez à ce qu’ils appliquent les processus optimaux).
120 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
120
Par ailleurs, le risque pour un Comex est
de retomber dans la facilité des injonctions
managériales, c’est-à-dire des prescrip-
tions de comportement faites aux managers
sans aucune dimension de redevabilité. La
responsabilisation sera progressivement
noyée dans le millefeuille des compé-
tences dont le manager est supposé témoi-
gner à titre personnel, à rebours complet
de son caractère structurant et systémique.
L’entreprise « choisit la voie individuelle
et occulte la part collective du travail »
(Leonard, 2023), part qui était tout l’enjeu
de la démarche de responsabilisation.
La pérennisation de l’OR demande aussi
de récompenser la responsabilisation et
de sanctionner la passivité. Or, les direc-
tions gèrent souvent la responsabilisation
comme un plus, un nice to have, qui n’entre
pas explicitement en ligne de compte dans
les systèmes de reconnaissance des acteurs.
La passivité de certains sur le sujet ne porte
pas à conséquence sur leur carrière et leur
rémunération. Le système de reconnais-
sance reste alors uniquement basé sur les
résultats de performance à court terme (le
must have). La nature à moyen-long terme
du projet de responsabilisation nécessite
de construire des indicateurs qui valorisent
cette dimension.
Il est enfin primordial de s’assurer que les
managers de proximité ont compris leur
nouveau rôle, qu’ils sont réellement accom-
pagnés dans la durée, qu’ils sont disponibles
pour accompagner leurs équipes et qu’ils ne
sont pas en souffrance. Les managers de
proximité se trouvent souvent face à un pro-
blème de carrière insidieux : ils doivent tenir
suffisamment longtemps pour valider cette
étape de leur carrière, puis partir ailleurs
pour progresser. Ce système de carrière est
en contradiction évidente avec l’objectif de
maintenir une certaine stabilité du corps ma-
nagérial pour pérenniser la responsabilisa-
tion. Il y a donc un contrat à passer avec les
managers sur la durée de leur engagement
au service de la responsabilisation. Gérer les
plans de succession avec le plus d’anticipa-
tion possible permettrait en outre d’assurer
un passage de témoin en binôme et un re-
couvrement des savoirs et des savoir-faire
nécessaires à la responsabilisation. Les
effets des méthodes d’accompagnement sur
les comportements des managers peuvent
être mesurés par des KBI (Key Behavior
Indicators). Ces indicateurs très simples
sont basés sur des données observables (des
faits). Ils jouent un rôle de miroir pour les
bénéficiaires du coaching, leur permettant
de mesurer leur propre évolution : au fait,
pendant ma tournée de terrain, combien de
signes de reconnaissance positifs ou négatifs
ai-je donnés ? Combien d’engagements ai-je
obtenus sans substitution ? Intégrer ces KBI
dans l’évaluation qualitative des managers
devient un facteur de leur engagement dans
le processus de responsabilisation.
121
Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 121
En résumé
Facteurs de succès Facteurs d’échec
Primauté d’une vision long terme de la performance durable.
Se tromper sur la finalité (confondre liberté et responsabilité,
autonomie et indépendance…).
Une direction convaincue (« source ») et exemplaire qui
stimulera la transformation dans la durée.
Une direction non alignée ou pas vraiment convaincue, tentée
par un effet de mode.
Stabilité de la gouvernance. Une ambition sans moyens pour transformer.
Mobiliser une grande capacité de réflexion avant et pendant la
transformation.
Incompatibilité entre les forces du système de départ et les
nouveaux modes de fonctionnement souhaités (actionnaires
focalisés sur le court terme, business model sans latitude,
fonctions corporate immobilistes, culture de l’indépendance…).
Former sur la compréhension systémique des cinq dimensions
de la boussole.
Une culture et des comportements contraires aux valeurs de
confiance, de subsidiarité, de respect.
Se doter de ressources pour maintenir le sens de la
transformation (board, cellule experte, coalition, vision,
boussole, radar) et surmonter les blocages.
Un manque d’exemplarité et de remise en cause à haut niveau.
Des valeurs exprimées mais non incarnées.
Ne pas faire d’impasse sur l’itinéraire conseillé : impulsion,
embarquement, refonte de l’organisation.
Une direction qui n’agit pas en cohérence avec les attentes
qu’elle exprime, qui n’offre pas de reconnaissance à la
responsabilité et ne réagit pas à la passivité.
Utiliser la grille de mise en œuvre pour mettre les équipes en
mouvement dans de bonnes conditions : taille des territoires et des
équipes, construction des communautés de travail, mise en place
des instances de délibération et de décision…
Une refonte non systémique du fonctionnement.
Manager la co-construction progressive en fonction de la
maturité.
Une volonté d’aller trop vite, de déployer un modèle standard,
ou de copier-coller.
Se donner du temps pour explorer, tester, roder. Tirer les
enseignements et apporter les ajustements.
La généralisation d’une expérience pilote réussie sans repasser
par un processus global d’apprentissage.
Maintenir un haut niveau d’exigence. Ne jamais perdre les
points d’ancrage de l’efficacité opérationnelle.
L’instabilité à tous les niveaux de l’organisation.
Manager le cadre de l’élargissement des responsabilités et
du pouvoir d’agir pour ne pas mettre l’organisation en danger
(ligne de flottaison).
La mobilité des managers convaincus et en place, remplacés
par d’autres n’ayant pas les mêmes repères.
Manager du mieux possible la stabilité du corps social.
Anticiper.
Un repositionnement de la hiérarchie et des fonctions support
refusé par les populations concernées.
Travailler à fond le sujet de la reconnaissance pour ne pas être pris
au dépourvu. Cela signifie : reconnaître la compétence au-delà des
statuts (système d’évaluation et système de rémunération) et faire
évoluer le système de gestion de carrière des cadres.
Une fonction RH qui n’a pas pris la pleine mesure du rôle majeur
qu’elle a à jouer dans la transformation (accompagnement,
reconnaissance,rétention des talents,recrutement).
Manager rigoureusement le développement des compétences
par l’apprentissage.
Ne pas être à l’écoute du terrain, ne pas capter les signaux ou les
ignorer et laisser des problèmes insidieux se développer.
Faire des feed-back fréquents sur l’adaptation des
comportements. Installer l’autoévaluation.
Prendre soin des managers.
Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
123
CONCLUSION
Au terme de ce voyage en responsabilisa-
tion, qu’avons-nous appris ?
D’abord, pour conduire une exploration de
ce type, une boussole est bien utile. Celle-ci
peut être construite sur cinq principes qui
font système : responsabilité, subsidiarité,
solidarité, collégialité et activité. En s’ap-
propriant chacun de ces principes, l’entre-
prise peut construire une vision et suivre la
maturation de sa transformation. En effet,
une transformation équilibrée doit assurer
une évolution de chacun de ces cinq piliers.
Les exemples de Lippi, de Martin Tech-
nologies et de Michelin nous ont ensuite
enseigné plusieurs fondamentaux sur le
« comment » conduire le changement.
Les transformations de ces entreprises se
caractérisent par leur longue durée (entre
dix et vingt ans). Il faut donc considérer le
temps long comme un allié indispensable
de ce type de démarche. Nous avons tenté,
à partir de ces exemples, de dégager un
vade-mecum sous la forme d’un itinéraire
conseillé qui suit une séquence de trans-
formation en trois phases : impulsion du
dirigeant et de son équipe de tête, embar-
quement du corps social, puis refonte par-
ticipative et progressive de l’organisation.
En réalité, les exemples montrent qu’une
transformation globale est constituée de
plusieurs cycles répétés de ces trois phases.
Le retour d’expérience d’un cycle prépare-
ra l’impulsion du cycle suivant. La phase
d’embarquement doit être répétée lors de
chaque élargissement de la transformation
à un nouveau périmètre de l’organisation
et, bien entendu, à chaque nouveau cycle
de transformation. Et cet embarquement
ne doit pas se résumer à une communica-
tion descendante, mais doit déjà intégrer
la construction collective de la phase de
refonte qui le suivra. C’est à cette condition
que l’on pourra concrètement embarquer
les équipes.
La transformation globale vers une organisa-
tion responsabilisante n’est jamais un projet
balisé, elle est une émergence progressive
dont le résultat « final » reste en partie in-
déterminé. Chaque exploration est propre à
l’entreprise qui l’a initiée. Elle va dépendre
de sa culture, de son histoire, de son secteur
d’activité, de sa population, de ses action-
naires, du tempérament de son dirigeant. Si
le résultat du voyage et les étapes restent en
partie indéterminés, il ne faut cependant pas
renoncer à le préparer.Vous avez la voiture et
la carte du territoire ; vous n’avez pas entière-
124 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
ment fixé les étapes du voyage et, comme la
carten’estpasleterritoire,laconfigurationdu
terrain va vous surprendre, vous allez parfois
vous perdre, parfois décider de vous attarder
un peu plus dans ce joli village ou encore fuir
rapidement un lieu que vous aviez pourtant
imaginé comme idyllique. C’est pourquoi,
nous avons parlé à propos de cette transfor-
mation d’exploration dirigée. Elle naît de
la volonté d’une ou de plusieurs personnes
« source », elle obéit à des principes qu’il
faut connaître et elle suit un chemin, même
si celui-ci est rarement une ligne droite. C’est
certes un saut dans l’inconnu mais nous es-
pérons vous avoir fourni un bon parachute.
Aujourd’hui, l’entreprise responsable est
au cœur de l’actualité. Il s’agit d’une en-
treprise consciente de l’impact environne-
mental et social de son activité, qui décide
de se mettre en mouvement pour maîtri-
ser ses impacts et contribuer positivement
aux objectifs du développement durable.
Cette orientation est de moins en moins
optionnelle, car la pression réglementaire
qui s’exerce sur les entreprises augmente
fortement dans ce domaine32
. Comment
devenir une entreprise responsable ? Nous
sommes convaincus – et ne sommes pas
seuls à l’être – qu’elle s’appuiera de plus en
plus sur la responsabilisation des salariés.
Le temps où la RSE était l’apanage de la
32. Voir par exemple la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui fixe de nouvelles normes et
obligations de reporting extrafinancier fondé sur les données ESG. Elle concerne les grandes entreprises et les PME cotées
en bourse. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2024 pour une application entre 2025 et 2027 selon le type d’entreprise
considéré.
seule direction du développement durable
est révolu. C’est toute l’organisation qui
doit être mobilisée (Bobin et al., 2023), et
la meilleure manière d’y parvenir est de
responsabiliser les salariés à ce sujet (Cour-
narie et Guenyveau, 2020). Une démarche
de responsabilisation n’est donc pas seule-
ment porteuse d’engagement des salariés et
d’efficacité de leur mission principale, elle
est aussi un support important pour mobi-
liser progressivement tout le corps social
autour de l’impact social et environnemen-
tal de l’entreprise.
125
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Zobrist, J.-F. (2020). L’entreprise libérée par le petit patron naïf et paresseux. Le cherche
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Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
131
Annexe
La recette de la transformation responsabilisante
Testez la recette de la « mayonnaise de la transformation responsabilisante », créée en ex-
clusivité par Frédéric d’Arrentières (Renault Group), et faites-nous part de vos impressions.
Les ingrédients
• Des compétences collectives
• Une vision partagée/alignée (le client pouvant jouer ce rôle…)
• Une volonté de changement/de l’exemplarité
• De la co-construction
• Du sponsorship et de l’accompagnement
• De la méthode et du temps
• Un socle de valeurs communes
• Un terrain de jeu
La recette
« Installez-vous sur le socle des valeurs communes de votre organisation, et dans un sala-
dier organisationnel, constituez des équipes suffisamment compétentes et d’origine contrô-
lée, ajoutez une bonne dose de sponsorship, intégrez le sel de la vision partagée, embarquez
les équipiers et les parties prenantes et dotez-vous d’une équipe d’accompagnement.
Mélangez l’ensemble en continu jusqu’à établir une émulsion coconstruite avec les équipes.
Montrez l’exemple et testez régulièrement le résultat en modifiant si besoin les dosages,
entretenez régulièrement la mayonnaise une fois montée en l’adaptant le cas échéant aux
goûts des équipes, aux difficultés du terrain et aux retours des clients et en mobilisant
le management intermédiaire, sachez passer le relais en cuisine auprès des équipes de
progrès permanent sur le long terme. »
132
133
Déjà parus
Sur la même thématique, dans la collection des
Notes de La Fabrique, aux Presses des Mines
F. Pellerin et M.-L. Cahier, Organisation et compétences dans l’usine du futur. Vers un
design du travail ? 2019.
T. Weil et A-S. Dubey, Au-delà de l’entreprise libérée. Enquête sur l’autonomie et ses
contraintes, , 2020.
F. Pellerin et M.-L. Cahier, Le design du travail en action. Transformation des usines et
implication des travailleurs, 2021.
S. Canivenc, Les nouveaux modes de management et d’organisation. Innovation ou effet
de mode ? 2022.
S. Canivenc et M.-L. Cahier, Numérique collaboratif et organisation du travail. Au-delà
des promesses, 2023.
Dans la même collection, aux Presses des Mines
A. Diop et D. Lolo, Les grandes entreprises sur la voie de la sobriété énergétique, 2023.
S. Bellit et V. Charlet, L’innovation de rupture, terrain de jeu exclusif des start-up ? L’in-
dustrie française face aux technologies clés, 2023.
P. Duarte, S. Duvillard, N. Gillio, T. Petit, Foncier industriel et stratégies publiques
locales : une articulation imparfaite, 2024.
F. Ferchaud, A. Blein, J. Idt, D. Lecointre, F. Trautmann, H. Beraud, Aménager la ville
productive, 2024.
134
135
Les membres du conseil d’orientation de La Fabrique
La Fabrique de l’industrie est dotée d’un Conseil d’orientation, organe consultatif, qui veille à la
qualité scientifique, à la pertinence et à l’originalité des travaux menés, à la diversité et à l’équilibre
des points de vue. Les membres du Conseil y participent à titre personnel et n’engagent pas les
entreprises ou institutions auxquels ils appartiennent. Leur participation n’implique pas adhésion à
l’ensemble des messages, résultats ou conclusions, portés par La Fabrique de l’industrie.
À la date du 1er
novembre 2023, il est composé de :
Gabriel ARTERO, président d’honneur de la Fédération
de la métallurgie CFE-CGC,
Vincent AUSSILLOUX, chef du département économie-
finances de France Stratégie,
Hervé BAUDUIN, président de l’UIMM Lorraine,
Michel BERRY, fondateur et directeur de l’école de Paris
du management,
Jean Michel BEZAT, journaliste au quotidien Le Monde,
Augustin BOURGUIGNAT, chargé de mission au Crédit
Mutuel Alliance Fédérale,
Serge CATOIRE, directeur industrie à l’UIMM,
Pierre-André de CHALENDAR, président du groupe
Saint-Gobain, co-président de La Fabrique de
l’industrie,
Marc CHEVALLIER, rédacteur en chef d’Alternatives
Économiques,
Carole CHRÉTIEN, directrice des relations entreprises
au CNRS,
Patricia CRIFO, professeure à l’École Polytechnique et
chercheuse au CREST (CNRS),
Jean-Marie DANJOU, directeur général de l’Alliance
Industrie du Futur (AIF),
Philippe DARMAYAN, ancien président d’ArcelorMittal
France,
Stéphane DISTINGUIN, fondateur et président de
Fabernovel, président du pôle de compétitivité Cap
Digital,
Flora DONSIMONI, directrice générale de l’Institut de
l’Entreprise,
Elizabeth DUCOTTET, PDG de Thuasne,
Pierre DUQUESNE, ancien ambassadeur, chargé de la
coordination du soutien international au Liban,
Olivier FAVEREAU, professeur émérite en sciences
économiques à l’université Paris X,
Denis FERRAND, directeur général de Rexecode,
Jean-Pierre FINE, secrétaire général de l’UIMM,
Louis GALLOIS, ancien président du conseil de
surveillance de PSA Groupe, co-président de La
Fabrique de l’industrie,
François GEEROLF, économiste à l’OFCE et professeur
d’économie à Sciences Po,
Frédéric GONAND, conseiller économique de l’UIMM,
professeur associé de sciences économiques à
l’université Paris-Dauphine,
Guillaume de GOYS, président d’Aluminium France,
Bruno JAQUEMIN, délégué général d’A3M,
Sébastien JEAN, professeur au Conservatoire national
des arts et métiers (CNAM),
Éric KELLER, secrétaire fédéral de la fédération FO
Métaux,
Élisabeth KLEIN, dirigeante de CFT Industrie,
Dorothée KOHLER, directeur général de KOHLER CC,
Éric LABAYE, président d’IDEL Partners,
Isabelle LAUDIER, responsable de l’Institut pour la
recherche de la Caisse des Dépôts
Emmanuel LECHYPRE, éditorialiste à BFM TV et BFM
Business,
Xavier LECOQ, président du syndicat CFE-CGC
sidérurgie,
Olivier LLUANSI, associé à StrategyPWC,
Victoire de MARGERIE, président exécutif de Rondol,
Philippe MUTRICY, directeur de l’évaluation, des études
et de la prospective de Bpifrance,
Hélène PESKINE, secrétaire permanente au Plan
d’Urbanisme construction architecture au ministère de
la Transition écologique,
Philippe PORTIER, secrétaire national de la CFDT,
Grégoire POSTEL-VINAY, ancien directeur de la
stratégie à la Direction générale des entreprises, et
rédacteur en chef des Annales des Mines,
Joseph PUZO, président d’AXON’CABLE SAS et du
pôle de compétitivité Matéralia,
Xavier RAGOT, président de l’OFCE,
Daniel RICHET, directeur général du CETIM,
Robin RIVATON, investment director – Venture Smart
City chez Eurazeo,
Alexandra ROULET, professeure d’économie à l’Insead,
Frédéric SAINT-GEOURS, vice-président du conseil
d’administration de la SNCF,
Ulrike STEINHORST, présidente de Nuria Conseil,
Michaël VALENTIN, associé fondateur d’OPEO,
Pierre VELTZ, ancien PDG de l’établissement public de
Paris-Saclay,
Alain VERNA, directeur général de Toshiba Tec Europe,
Dominique VERNAY, président du pôle industrie de
l’Académie des technologies,
Jean-Marc VITTORI, éditorialiste au quotidien Les
Echos.
ISBN
:
978-2-38542-587-6
ISSN
:
2495-1706
www.la-fabrique.fr
22€
Organisation responsabilisante :
de l’idée à la réalisation
Pour faire face aux difficultés de recrutement et de fidélisation des salariés,
notamment dans l’industrie, les entreprises sont souvent attirées par les mo-
dèles d’organisation responsabilisante (OR). Une telle organisation, qui rompt
avec le modèle hiérarchique et pyramidal, se révèle néanmoins difficile à mettre
en place et à rendre pérenne.
C’est pourquoi les auteurs de cet ouvrage ont souhaité accompagner les
entreprises en quête de transformation. En s’appuyant sur les témoignages
de chefs d’entreprises et de consultants spécialisés sur ces questions, cet
ouvrage décrit les grands principes qui gouvernent une OR et propose une
grille de conception et de mise en œuvre permettant de conduire une telle
transformation, tout en évitant les impasses les plus fréquentes.
« Ce livre est une formidable source d’inspiration. La démarche de responsa-
bilisation qui s’y trouve explicitée, avec ses difficultés conceptuelles et mana-
gériales, ses principes, ses points de passage obligés, est un extraordinaire
amplificateur d’énergie et une intarissable source d’espoir. Il s’adresse aux
dirigeants et managers de tous les secteurs, qui savent que l’entreprise res-
ponsable, c’est aussi l’entreprise qui responsabilise. » Jean-Dominique Senard,
président du conseil d’administration de Renault Group.
Pierre Bocquet, ancien directeur de site industriel, puis directeur de l’Excellence
opérationnelle du Manufacturing de Michelin, chercheur associé à la Chaire
FIT2
, accompagne les entreprises sur le thème de l’innovation managériale
et de la transformation des organisations du travail par la responsabilisation.
François Pellerin, ancien directeur de site industriel chez Turbomeca, ancien
animateur du projet Usine du futur en Nouvelle-Aquitaine, est chercheur as-
socié à la Chaire FIT2
, conférencier et auteur de deux ouvrages consacrés aux
nouvelles organisations du travail en usine.

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Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation

  • 1. Les Notes de La Fabrique Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Pierre Bocquet et François Pellerin Préface de Jean-Dominique Senard
  • 2. Un laboratoire d’idées pour l’industrie La Fabrique de l’industrie est un laboratoire d’idées créé pour que la réflexion collective sur les enjeux industriels gagne en ampleur et en qualité. Elle est co-présidée par Louis Gallois, ancien président du conseil de surveillance du Groupe PSA, et Pierre-André de Chalendar, président de Saint-Gobain. Elle a été fondée en octobre 2011 par des associations d’industriels (Union des industries et des métiers de la métallurgie, France Industrie, rejoints en 2016 par le Groupe des industries métallurgiques) partageant la conviction qu’il n’y a pas d’économie forte sans industrie forte. Lieu de réflexion et de débat, La Fabrique travaille de façon approfondie et pluridisciplinaire sur les perspectives de l’industrie en France et en Europe, sur l’attractivité de ses métiers, sur les opportunités et les défis liés à la mondialisation. Les notes de La Fabrique La collection des notes de La Fabrique rassemble des contributions écrites aux principaux débats en cours: emploi et dialogue social, compétitivité, comparaisons internationales... Rédigées par des observateurs et des experts, et parfois avec le concours d’organisations partenaires, les notes s’appuient soit sur une analyse collective préalable (typiquement, un groupe de travail), soit sur une expérience individuelle incontestable. Les notes sont soumises au contrôle des membres du conseil d’orientation de La Fabrique. Chaire Futurs de l’industrie et du travail - Formation, innovation, territoires (FIT²) Afin de réfléchir à l’organisation du travail et à notre système de formation à la lumière des transformations numériques, de la mondialisation des chaînes de valeur et des exigences sociétales, Kéa et La Fabrique de l’industrie, rejoints par Orange, Renault, le Cetim et Michelin, ont fondé la chaire « Futurs de l’industrie et du travail : formation, innovation, territoires » (FIT2 ) à Mines Paris PSL. La chaire FIT2 produit, encourage et valorise des études sur les futurs possibles de l’industrie et du travail, ainsi que sur les politiques d’accompagnement de ces transformations. Elle analyse des pratiques d’innovation, de formation, d’amélioration de la qualité du travail et d’organisation de l’action collective, et anime des groupes de réflexion multidisciplinaires rassemblant praticiens et chercheurs. Contact : [email protected] https://www.chairefit2.org/ Les partenaires de la Chaire FIT2 : @LFI_LaFabrique www.linkedin.com/company/la-fabrique-de-l’industrie/ www.la-fabrique.fr
  • 3. Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation
  • 4. Pierre Bocquet et François Pellerin, Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation, Paris, Presses des Mines, 2024. ISBN : 978-2-38542-587-6 ISSN : 2495-1706 © La Fabrique de l’industrie 81, boulevard Saint-Michel – 75005 Paris – France [email protected] www.la-fabrique.fr Direction artistique : Franck Blanchet Couverture et mise en page : Gwendolyne Tikonoff Dépôt légal : 2024 Achevé d’imprimer en 2024 – Imprimerie Chirat Cet ouvrage est imprimé avec des encres végétales sur papiers issus de forêts gérées durablement. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour tous les pays. Image de couverture : Sextant, Hartley Marsden (1877-1943) Localisation : États-Unis, Philadelphie (Pa.), Philadelphia Museum of Art © The Philadelphia Museum of Art. Dist. GrandPalaisRmn / image Philadelphia Museum of Art
  • 5. Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Pierre Bocquet et François Pellerin Préface de Jean-Dominique Senard
  • 7. 5 Préface Ces dernières années, l’entreprise responsable a beaucoup progressé, et l’on ne peut que se féliciter de la montée en puissance des politiques de RSE, qui ont atteint un stade de maturité encourageant. Un nombre croissant d’entreprises ont compris la force qu’elles peuvent puiser d’une RSE pensée comme une stratégie issue de leur Raison d’être, et pas seulement comme un corpus de discours imposés par l’air du temps et la réglementation. Si l’entreprise responsable a beaucoup progressé, il reste cependant du chemin à parcourir. Et pour aller au bout de la recherche de performance soutenable, nous devons désormais faire un pas de géant vers l’entreprise… responsabilisante. Cet ouvrage Organisation res- ponsabilisante : de l’idée à la réalisation arrive à point nommé, et va contribuer à cet in- dispensable pas de géant. Je suis heureux et honoré de le préfacer, afin de partager quelques convictions sur l’urgente nécessité de conduire nos entreprises vers la responsabilisation. S’il y a urgence, c’est que nous sommes aujourd’hui confrontés à une tension de plus en plus vive entre l’entreprise et le travail. Alors que toutes les études montrent que nos concitoyens croient en l’entreprise, des chiffres préoccupants indiquent qu’ils se détournent du travail. Ainsi, une grande majorité sont convaincus que ce sont les entreprises – grâce à leurs investissements, leurs innovations, leur capacité d’organisation – qui peuvent répondre le plus efficacement aux grands défis de la planète – nourrir, soigner et loger huit milliards d’habitants, lutter contre le dérèglement climatique, développer la mobilité ; mais dans le même temps, seulement 24 % des Français disent que le travail est aujourd’hui important dans leur vie (ils étaient 60 % à le penser dans les années 1980) et 54 % pensent que le travail est plus une contrainte qu’un épanouissement (5 points de plus qu’en 2006). Faut-il alors s’étonner de l’essor inquiétant du désengagement, voire de la souffrance au travail, sous diverses formes – absentéisme, démissions, ennui, risques psychosociaux ? Pour expliquer cette désaffection, différentes raisons peuvent être avancées : la dégradation des conditions de travail dans certains environnements, le mauvais équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, la fracture digitale, l’isolement dû au télétravail etc. Mais il y a une explication plus importante : le sentiment d’une véritable perte de sens !
  • 8. 6 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation R. Gary rapporte ce mot de de Gaulle, qui illustre ce besoin de sens : « Il se peut bien que nous allions sur la lune, et cela n’est pas très éloigné de nous. La plus grande distance qu’il nous reste à couvrir gît cependant au fond de nous-mêmes. » Ce besoin de sens, il est à la fois collectif et individuel – et l’un ne peut aller sans l’autre : ce qui produit du sens col- lectif, c’est la Raison d’être, qui a fini par s’installer dans les entreprises. Ce qui produit du sens individuel, c’est la responsabilisation. Si l’on considère que les trois leviers du sens au travail sont la finalité du travail, le contenu du travail et la qualité au travail, alors, on mesure mieux le rôle clé de la raison d’être et de la responsabilisation : la raison d’être nourrit la finalité et le contenu du travail ; la responsa- bilisation nourrit le contenu et les conditions d’exercice du travail. Dans une entreprise sans raison d’être, mais où le management essaye de donner du sens individuel aux équipes, les salariés avancent, mais ils ne savent pas où ils vont ! Dans une entreprise où il y a une raison d’être, mais pas de sens individuel, l’entreprise avance, mais sans les salariés : l’équation gagnante, c’est donc la raison d’être et la responsabilisation ! Alors, comment faire de nos entreprises des organisations responsabilisantes ? Pour y ré- pondre, cet ouvrage explore avec finesse les différentes dimensions de ce qui est appelé fort justement « la boussole de la responsabilisation ». Le mot est bien choisi. La responsabi- lisation est bien une boussole, que les dirigeants et les managers doivent toujours avoir en poche pour mieux surmonter les détours, les fausses pistes et les impasses qui ne manquent pas de ralentir et parfois décourager la route vers la responsabilisation. Pour avoir expérimenté le processus de responsabilisation chez Michelin, sous l’impulsion de la direction industrielle, et avec des équipes exceptionnelles menées par Jean-Michel Guillon (DRH) et Bertrand Ballarin (directeur d’usine, puis responsable des relations sociales), je peux témoigner de la difficulté de la tâche. Nous avons plus d’une fois failli perdre le nord ! Je me réjouis que le livre consacre un chapitre entier à cette magnifique entreprise qui m’a tant appris, et qui résume bien la complexité d’une démarche de res- ponsabilisation, au sein d’un leader industriel mondial à l’histoire emblématique et à la culture extrêmement forte. Le processus de responsabilisation chez Michelin a pris près de dix ans. Il nous a appris qu’il est bien plus difficile de conduire une transformation de la manière d’être d’une entreprise que de modifier sa manière de faire, alors que les deux sont nécessaires. Il nous a également appris que la nature humaine a de formidables ca- pacités de résistance, reposant sur l’aversion au risque, sur la crainte, sur la paresse, sur l’esprit d’inertie, ou sur l’incapacité… Enfin, mener Michelin vers la responsabilisation
  • 9. 7 Préface nous a également enseigné qu’un tel processus repose sur deux conditions sine qua non : l’exemplarité des dirigeants, et l’accent mis sur le management intermédiaire. Car dans une entreprise, les opérateurs, les ouvriers, mesurent en général rapidement ce qu’ils ont à gagner d’un processus de responsabilisation – autonomie accrue, plus grande motivation, capacité de mieux progresser. Mais l’encadrement intermédiaire, les agents de maîtrise doivent accepter de changer profondément de mission, de posture, de culture. Pour eux, il s’agit de renoncer à un rôle simplifié d’autorité verticale – commander le matin, superviser l’après-midi, contrôler le soir –, pour passer à un rôle plus incertain, mais beau- coup plus noble et épanouissant, de développement horizontal – accompagner, soutenir, motiver, développer les talents. C’est pourquoi aller vers une organisation responsabilisante passe à mes yeux par une véritable révolution managériale, reposant sur l’écoute, la consi- dération, l’éthique – conditions de succès du processus de responsabilisation. Le chemin vers l’organisation responsabilisante est ardu, mais le jeu en vaut la chandelle, car les fruits de la responsabilisation sont tout à fait exceptionnels, et se mesurent sur le long terme en performance économique et financière, en capacité d’innovation, en fidélisa- tion et motivation des équipes. Et la responsabilisation est déjà, en elle-même et à travers la confiance qu’elle nécessite et manifeste, un geste fondamental de respect et de recon- naissance. Je l’ai constaté chez Michelin, mais aussi chez Saint-Gobain, et je le mesure en ce moment chez Renault Group, où notre réorganisation, menée par Luca de Meo, s’est opérée autour d’entités plus autonomes et responsabilisantes, chacune étant tournée vers une chaîne de valeur spécifique (la vente de véhicules électriques et de logiciels, la vente de véhicules thermiques, l’économie circulaire ou les services de mobilité), les équipes étant désormais plus agiles, spécialisés et responsabilisées… Ce livre est une formidable source d’inspiration. La démarche de responsabilisation qui s’y trouve explicitée, avec ses difficultés conceptuelles et managériales, ses principes, ses points de passage obligés, est un extraordinaire amplificateur d’énergie et une intarissable source d’espoir. Il s’adresse aux dirigeants et managers de tous les secteurs, qui savent que l’entreprise responsable, c’est aussi l’entreprise qui responsabilise, car l’organisation responsabilisante est le seul chemin possible de la performance durable. Jean-Dominique Senard, Président du conseil d’administration de Renault Group.
  • 10. 8 Résumé Les entreprises contemporaines sont souvent attirées par les modèles d’organisation res- ponsabilisante (OR), mais ceux-ci se révèlent complexes à mettre en place et parfois déce- vants sur le plan de leurs résultats. C’est qu’en effet une transformation de ce type ne peut pas être abordée avec des idées simples : elle suppose une acceptation de la complexité et du temps long. Parce qu’elle agit en profondeur sur la culture d’entreprise, ses effets se mesurent plutôt en une dizaine d’années qu’en résultats trimestriels. Cet avertissement à nos lecteurs étant posé, cette étude cherche à répondre à deux questions récurrentes chez les dirigeantes et les dirigeants : « Quand on parle d’organisation respon- sabilisante, de quoi parle-t-on exactement ? » et « Par quoi dois-je commencer pour mettre mon entreprise en mouvement ? ». Pour répondre à ces deux questions, l’ouvrage s’attache à décrire les grands principes qui gouvernent une OR (de quoi on parle ?) et à proposer une grille de conception et de mise en œuvre (sur quoi et comment agir ?) permettant de tendre vers ce système en évitant les impasses les plus fréquentes. L’étude s’intéresse particulièrement, mais sans exclusive, à l’extension du pouvoir d’agir chez ceux qui en ont le moins. C’est cette population, notamment en production indus- trielle et en logistique, qui subit un travail routinier, répétitif, souvent pénible et faiblement reconnu, et c’est elle qui dispose de perspectives moindres en matière d’évolution profes- sionnelle. Pour toutes ces personnes, travailler dans une OR peut représenter une avancée personnelle, professionnelle et sociale. En dépit de ce tropisme industriel, la démarche proposée est applicable à tout type d’organisation, moyennant adaptations. L’OR, pourquoi ? Du point de vue de l’entreprise, il ne manque pas de bonnes raisons pour enclencher une telle évolution. L’OR soutient l’avènement d’une entreprise responsable (une option de moins en moins optionnelle en raison, entre autres, du renforcement des contraintes régle- mentaires) qui doit réussir à concilier dans le travail réel des objectifs multiples et rarement alignés (personnes, planète, profit). L’OR répond à des objectifs d’agilité, de flexibilité et
  • 11. 9 Résumé de rapidité, par la déconcentration du pouvoir de décision au plus près du niveau où les problèmes apparaissent. Là où elle existait, elle a notamment permis de surmonter plus aisément une pandémie comme celle du Covid-19, quand les équipes opérationnelles de production se trouvaient sur le terrain et que le management était confiné et à distance. Elle correspond aussi à une évolution des attentes des salariés qui aspirent depuis longtemps à davantage de confiance de la part de leur hiérarchie et de marges de manœuvre dans leur travail. Elle fournit des arguments d’attractivité à des secteurs où le travail est tradition- nellement très prescrit et où les conditions de travail sont jugées difficiles, en développant les compétences de ceux qui y travaillent, en rendant le travail moins répétitif et plus inté- ressant et en leur ouvrant des perspectives accrues d’employabilité et d’ascension sociale (à la condition que les systèmes RH s’adaptent). Elle agit sur l’engagement des personnes pour juguler les difficultés de recrutement, le turn-over et l’absentéisme. Enfin, la respon- sabilisation se révèle une ressource tant pour la santé des salariés que pour l’efficacité du travail, quand les collaborateurs disposent de latitude pour proposer des améliorations et participer à la régulation de leur activité. En définitive, l’organisation responsabilisante paraît bien adaptée à notre monde complexe. Ces arguments sont connus et reconnus, mais il y a loin de la coupe aux lèvres. La trans- formation vers une organisation responsabilisante s’apparente davantage à une exploration dirigée qu’à une ligne droite entre un pointAet un point B. Pour conduire cette exploration, les organisations ont besoin d’une boussole. L’OR, sur quoi agir ? La boussole de la responsabilisation est constituée de cinq dimensions qui font système : responsabilité, subsidiarité, solidarité, collégialité et activité. Ces dimensions forment un système dans la mesure où agir sur l’une provoque une évolution des autres. La responsabilité est le principe selon lequel chacun doit rendre des comptes à la mesure de son pouvoir d’agir. L’objectif de la responsabilisation est d’élargir et d’enrichir pro- gressivement le niveau de redevabilité de chacun (et donc d’accroître le pouvoir d’agir de chacun). Le pouvoir d’agir suppose le droit d’agir et la compétence pour agir à son niveau, au sein d’une chaîne de responsabilité. La subsidiarité est le principe selon lequel les échelons supérieurs s’interdisent de s’appro- prier les attributions dont les échelons inférieurs sont capables de s’acquitter à leur seule initiative et par leurs propres moyens. Il tient son nom du latin subsidium (réserve, soutien),
  • 12. 10 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation marquant par là que le rôle des échelons supérieurs est d’apporter leur aide et leur soutien si le besoin en est exprimé par un échelon subordonné, jamais de se substituer à lui. La solidarité se traduit par l’assistance et la coopération qui se développent entre les personnes d’un groupe ou d’une communauté, du fait du lien qui les unit au service d’un objectif commun. Dans les organisations, elle s’exerce prioritairement au sein de la com- munauté de travail. La collégialité renvoie à la pratique de la délibération en groupe, dans un esprit d’intelli- gence collective et d’enrichissement des décisions à prendre. Elle renvoie également au principe de construction collective des solutions, ce qui évite de se retrouver seul face à une décision difficile ou à une responsabilité potentiellement anxiogène, préservant ainsi le bien-être et la santé mentale des salariés. L’activité se concentre sur la différence entre le travail prescrit et le travail réel, et sur les solutions que les personnes mettent en œuvre pour résoudre cette discontinuité. L’analyse de l’activité a pour objectif de favoriser la contribution des travailleurs à la (re)conception des règles qui leur permettront de faire du « bon travail », source de leur santé physique et mentale. Le but de cette boussole est de faire réfléchir l’équipe dirigeante, et par la suite toute l’or- ganisation, sur ces cinq dimensions avant et pendant la transformation. Chacune va être « dépliée » afin qu’en soient compris la portée, les interactions, les limites et les risques. Ce cadre de pensée peut paraître théorique, mais son appropriation est en réalité indispensable pour définir l’ambition qu’on veut se donner et les modes d’action concrets pour y parvenir. Cette réflexion permet de bâtir une première vision du système cible que le dirigeant et sa « coalition » cherchent à faire émerger, en s’appuyant sur les forces existantes de l’organi- sation. Cette vision sera remise sur le métier et ajustée au fur et à mesure des enseignements tirés des premières expérimentations. La boussole permet aussi de construire des échelles de progrès sur les cinq dimensions, afin d’évaluer la maturation progressive de la transfor- mation vers l’OR (le radar de la responsabilisation). Guidée par les dimensions de la boussole, la conception de la nouvelle organisation devra suivre quelques principes de construction : i) constituer des équipes de travail sur de nou- veaux territoires, généralement plus petits que dans l’organisation précédente, pour favo- riser la solidarité et la collégialité ; ii) répartir de nouvelles responsabilités (les « rôles ») sur le plus grand nombre possible d’équipiers pour favoriser la responsabilisation et la
  • 13. 11 Résumé subsidiarité ; iii) refonder le système de management, incluant : la réorientation des com- portements et des priorités des managers et des fonctions support, le système de remontée aux niveaux supérieurs des sujets qui ne peuvent pas être traités au niveau inférieur et de redescente rapide des solutions, le système de reconnaissance et de gestion des carrières. Cette conception va permettre d’aller beaucoup plus loin dans la responsabilisation et le pouvoir d’agir des collaborateurs que ne le permet l’application des principes du lean ma- nagement, en élargissant progressivement les champs de responsabilité des acteurs. L’OR, comment agir ? Trois exemples de transformation (deux PME et un grand groupe) vont nous permettre de constater que les chemins vers l’OR peuvent être très divers. Pour autant, cette diversité n’exclut pas de proposer un itinéraire conseillé pour conduire une telle transformation. Ce vade-mecum comprend trois grandes phases : i) l’impulsion donnée par une équipe diri- geante alignée et déterminée ; ii) l’embarquement du corps social ; iii) la refonte partici- pative et progressive de l’organisation. Cette apparence séquentielle ne doit cependant pas dissimuler qu’en pratique, ces phases se chevaucheront souvent, surtout si l’organisation est grande. Elles devront en outre être répétées à chaque cycle de transformation. La phase 3 doit permettre de faire évoluer les éléments tangibles de l’organisation selon un enchaînement logique et un processus assez largement ouvert à la délibération avec les salariés : i) définir initialement les missions et les responsabilités qui leur sont associées ; ii) au sein d’un « territoire » donné (équipe) où s’exercera la responsabilité solidaire et le sentiment d’appartenance ; iii) installer les communautés sur ces territoires en leur permet- tant de définir leurs modes de fonctionnement ; iv) fournir les ressources nécessaires à l’au- tonomisation des communautés (montée en compétences, information, équipements…) ; v) mettre en place les instances de délibération et de décision qui permettront les interac- tions et les coopérations ; vi) anticiper les changements RH que le nouveau système im- plique (formation, coaching, système de reconnaissance…). Pour que ce nouveau système émerge, l’exploration aura besoin de managers « jardiniers » capables de défricher de nouveaux territoires, de développer les personnes et d’ouvrir pro- gressivement de nouveaux champs de responsabilité aux équipes, sans prendre de risques inconsidérés pour les personnes comme pour l’organisation. On constate cependant que, trop souvent, l’accompagnement des managers se limite à des injonctions de changement de posture sans prise en compte ni analyse de l’activité managériale elle-même, notamment de la disponibilité du manager pour superviser activement son équipe.
  • 14. 12 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Enfin, la pérennisation du système fait partie des points les plus délicats. Parce que le modèle responsabilisant s’inscrit dans un temps long, il va se heurter à de multiples fac- teurs perturbateurs, parmi lesquels figurent les changements de gouvernance, l’instabilité du management et du personnel, ou encore la volonté de standardisation maximale des opérations. La persistance et la cohérence du soutien du Comex à l’OR demeurent donc une condition sine qua non de sa pérennité, mais un tel soutien dans la durée est naturellement impossible à garantir, faisant des OR un modèle hautement réversible.
  • 16. 14 Sommaire Préface  5 Résumé  8 Introduction  18 Chapitre 1 Qu’entend-on par organisation responsabilisante ?  25 Chapitre 2 Les trois « pourquoi » d’une transformation responsabilisante  31 Le « pourquoi » de l’entreprise  31 Les « pourquoi » du dirigeant ou de l’équipe dirigeante  33 Le « pourquoi » des salariés  38
  • 17. 15 Sommaire Chapitre 3 La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système  41 Les cinq points cardinaux de la boussole de la responsabilisation  41 Subsidiarité  48 Solidarité  52 Collégialité  55 Activité  62 Chapitre 4 La boussole de la responsabilisation en action  65 Construire une vision de la transformation  65 Déterminer sur quoi agir  66 Évaluer la maturité de la transformation  72 Chapitre 5 Deux exemples de transformation responsabilisante dans des PME  75 Un peu d’histoire  75 Des points communs structurels  77 Des chemins différenciés avec des composantes communes  77 Bilan de l’organisation responsabilisante  82
  • 18. 16 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Chapitre 6 La transformation du groupe Michelin  85 Michelin et le taylorisme  85 Des High-Performance Teams aux organisations responsabilisantes du futur  86 I Care : transformer l’attitude des managers  90 VADE-MECUM – Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante  94 En préambule : diagnostic ou non ?  94 Trois séquences de transformation  95 Conclusion  123 Bibliographie  125 Annexe  131
  • 19. 17 « Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi, mais qui ne seraient pas ce qu’ils sont sans elles. » Georges Canguilhem
  • 20. 18 INTRODUCTION Les « organisations responsabilisantes » (OR) sont un serpent de mer de la théorie et de la pratique des organisations. Un ouvrage récent (Canivenc, 2022) a décrit les origines histo- riques et les formes diverses prises par cette aspiration toujours renouvelée à des modalités de pilotage qui rompraient avec le modèle d’organisation pyramidal et hiérarchique, et avec sa dérive bureaucratique. Il paraît de mieux en mieux admis que des équipes respon- sabilisées sont adaptées à un monde complexe et instable, et devraient en principe obtenir de meilleurs résultats que des individus ou des groupes à qui l’on demande d’exécuter scrupuleusement des consignes. Cette idée ancienne a fait son chemin et été expérimentée par un nombre significatif d’entreprises avec des niveaux variés d’ambition, d’objectifs et surtout… de résultats. Thierry Weil et Anne-Sophie Dubey (2020) ont ainsi documenté et comparé par questionnaire systématique une dizaine de cas de transformation responsabi- lisante, constituant une plateforme de cas qui permet à chacun de comprendre les ressorts, les contraintes et les difficultés que rencontre ce type de transformation. Force est de constater qu’en dépit d’une littérature pléthorique, les entreprises tournent en rond sur ces sujets. Elles bloquent, elles titubent, elles tâtonnent, elles freinent, elles renoncent, elles recommencent. Une démarche de responsabilisation, selon la manière dont elle aura été conçue et conduite mais aussi selon le moment où sera prise la « photo- graphie » de cette évolution, peut donner à voir des effets très variables : amélioration des résultats économiques et bonne ambiance de travail, agilité renforcée et meilleure attracti- vité, ou désorganisation de la production et déstabilisation du corps social, assortie d’une dégradation de l’ambiance de travail et de l’émergence de risques psychosociaux, à rebours des effets qu’elle était censée soutenir (Picard, 2015 ; Weil et Dubey, 2020 ; Canivenc, 2022). Dans d’autres cas encore, les résultats seront cosmétiques et peu pérennes, soumis aux aléas des changements de gouvernance. Qu’est-ce qui rend les transformations responsabilisantes si difficiles ? Plusieurs raisons expliquent les difficultés rencontrées.
  • 21. 19 D’abord, ces transformations sont systémiques. Si l’on tente de libérer les énergies hu- maines tout en maintenant en place le reste du système que l’on cherche à transformer, on aboutit à… l’homéostasie1 , et l’on blâmera alors la transformation de n’avoir pas réussi. C’est plutôt le contraire qui serait étonnant ! Les collaborateurs, individus adultes qui as- sument dans leur vie personnelle un grand nombre de responsabilités et ne s’en sortent pas si mal (un foyer, une famille, une maison, un budget, des dépenses, des emprunts), entrent, dès qu’ils franchissent la porte de l’entreprise, « dans un univers rempli de normes, modes opératoires, procédures, KPI, tableaux de gestion, tableaux de reporting, entretiens annuels, objectifs annuels, référentiels managériaux, plans d’action, manuels Qualité, SI, démarches et déclaratifs de toutes sortes… qui les obligent à dire ce qu’ils font, comment ils le font, avec qui ils le font, avec quel budget, ce qu’ils ont fait, les résultats obtenus, ce qu’ils vont faire, les résultats attendus, les écarts aux résultats, les plans d’action correctifs, les projec- tions, les prévisions, etc. » (Tonnelé, 2023). Face à cette « hyper-rationalisation » des orga- nisations, comment les collaborateurs auraient-ils le temps et l’envie d’engager leur tête et leur cœur dans le travail, d’avoir des idées, de la créativité, de prendre des initiatives et de trouver du sens à leur travail ? La simplification des processus et du reporting sera donc sys- tématiquement au menu de la transformation vers une organisation responsabilisante. Mais selon un adage bien connu et ô combien pertinent, « faire simple, c’est très compliqué ». Ce qui nous amène à une deuxième idée concernant la difficulté des transformations res- ponsabilisantes : elles ne peuvent pas être abordées avec des idées simples. Elles reposent tout au contraire sur la pensée complexe au sens d’Edgar Morin (1980) : « Le complexe ‒ ce qui est tressé ensemble − constitue un tissu étroitement uni bien que les fils qui le constituent soient extrêmement divers. »Ainsi que l’explique Bertrand Ballarin, ancien di- recteur des relations sociales chez Michelin, qui participa à une transformation de ce type : « Pour être capable de porter une telle transformation dans la durée, il faut avoir beaucoup de convictions et, pour avoir beaucoup de convictions, il faut avoir beaucoup de réflexion et, pour avoir beaucoup de réflexion, il faut avoir beaucoup de culture, et une culture qui plonge ses racines dans des registres différents et variés. » On peut déduire de ces prémices trois grandes caractéristiques de la conduite de ces trans- formations, qui ajoutent autant de difficultés au chemin. 1. Homéostasie (Larousse) : caractéristique d’un écosystème qui résiste aux changements et conserve son état d’équilibre antérieur. Introduction
  • 22. 20 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Premièrement, une transformation de ce type prend du temps. Parce qu’elle vise un chan- gement profond de la culture et de la structure organisationnelles, il ne s’agit pas d’une transformation « presse-bouton » dont les résultats seront visibles et mesurables immé- diatement. Il y faut de la persévérance et de la tolérance à l’incertitude. Ces conditions nécessitent à leur tour une stabilité de la gouvernance ou, du moins, une inscription dans une vision de long terme incompatible avec des changements de direction fréquents ou la focalisation sur des résultats trimestriels. C’est ce qui explique que ces transformations soient plus « faciles » (mais ce n’est guère facile !) à réussir dans des entreprises à gou- vernance familiale ou à actionnariat très stable. À la stabilité de la gouvernance doit aussi répondre une certaine stabilité du corps social. En effet, devenir « responsable » requiert un temps d’apprentissage assez long. L’organisation responsabilisante (OR) chemine en capitalisant sur le développement de compétences professionnelles et comportementales. Le turn-over subi (démissions) ou organisé (contrats temporaires) représente donc un frein considérable à l’enracinement de l’OR. Deuxièmement, ces transformations ont pour particularité de reposer, dans la durée, sur l’adhésion et la participation de l’essentiel du corps social de l’entreprise. Même si l’ini- tiative repose quasiment toujours sur la volonté et la conviction d’un dirigeant ou d’une équipe dirigeante, la transformation vers l’OR ne peut pas être opérée de manière top- down. Elle ne peut être ni décrétée, ni imposée, mais seulement impulsée et « organisée ». Autrement dit, l’équipe dirigeante devra résister en permanence à la tentation de passer en mode top-down pour accélérer le processus et obtenir des « résultats » – ce qui équivau- drait à signer la fin et l’échec de la transformation. Et, en même temps, elle devra continuer à soutenir et à communiquer les intentions, et rester une force d’impulsion. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que doit affronter un dirigeant qui entre dans un tel processus : autolimiter son pouvoir d’intervention et continuer à impulser de l’énergie en continu. Troisièmement, ces transformations relèvent de l’ordre de l’exploration-itération. Elles n’obéissent pas à une planification rigoureuse, ni ne suivent un chemin balisé par des étapes précises et successives. Une transformation consiste traditionnellement à aller d’un état A connu vers un état B plus ou moins connu et défini, d’une manière qui tend à être rigoureu- sement pilotée. Dans le changement vers une OR, en revanche, la cible et les moyens pour l’atteindre restent mouvants et se précisent au fur et à mesure de l’avancement, en gardant un esprit très ouvert aux opportunités et aux corrections.
  • 23. 21 Introduction Au vu de l’indétermination qu’implique cette démarche, le projet même de cet ouvrage peut sembler paradoxal. Peut-on enserrer dans une méthode de « transformation » ce qui relève pour chaque entreprise d’une exploration particulière liée à un nombre important de paramètres qui lui sont propres ? Peut-on enfermer dans un cadre séquentiel ce qui n’est que boucles d’apprentissage et itérations ? Notre position, nourrie par les observations et les témoignages, est que ce type de transformation s’apparente à une exploration dirigée : pas vraiment linéaire, ouverte à la surprise et à l’inattendu, mais nécessitant un cadrage solide. Ce livre, qui est lui-même une proposition exploratoire, vous propose donc une randonnée en montagne avec une boussole, un itinéraire conseillé, et tout l’équipement nécessaire à votre aventure. Il tente ainsi de répondre à deux questions récurrentes chez les dirigeantes et les dirigeants : « Quand on parle d’organisation responsabilisante, de quoi parle-t-on ? » et « Par quoi dois-je commencer pour mettre mon entreprise en mouvement ? ». Son objectif est à la fois de décrire les principes qui gouvernent une organisation responsabilisante (de quoi parle-t-on ?) et de proposer une grille de conception permettant de commencer à avancer vers ce système (par quoi dois-je commencer ? sur quoi dois-je agir ?). La finalité est d’en- courager les dirigeants à passer de la conviction à l’action, en évitant les impasses les plus fréquentes, en minimisant les conséquences les plus néfastes et en améliorant la cohérence de l’action envisagée. Nous avons constitué, dans ce but, un groupe de travail autour des mécènes2 de la chaire Futurs de l’industrie et du travail - Formation, innovation, territoires (FIT²)3 qui s’inter- rogeaient eux-mêmes sur ce sujet. Nous avons auditionné non seulement des chefs d’en- treprise, mais aussi des consultants expérimentés sur ces questions. Nous avons beaucoup échangé, sans tomber toujours parfaitement d’accord tant les entreprises sont diverses (taille, secteur d’activité, enjeux, culture, gouvernance). En dépit de ces différences, nous avons abouti à des éléments de convergence qui constituent les briques de la démarche que nous vous présentons ici. 2. À la date de l’étude : Cetim, Kéa, La Fabrique de l’industrie, Michelin, Orange et Renault Group. 3. La chaire FIT² produit des études sur les futurs possibles de l’industrie et du travail, ainsi que sur les politiques d’accompagnement de ces transformations. Elle analyse notamment des pratiques d’innovation, de formation, d’amélioration de la qualité du travail et d’organisation de l’action collective.
  • 24. 22 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Vous constaterez que notre démarche révèle un certain tropisme industriel. Elle accorde en effet une place importante à l’émancipation du travail en usine, notamment celui des opérateurs et des opératrices de production. Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, notre profil : nous sommes tous deux des enfants de l’industrie et de l’usine, et nous parlons inévitablement de ce que nous connaissons le mieux. Ensuite, le travail de production industrielle est traditionnellement fondé sur une extrême prescription des tâches. C’est donc un terrain particulièrement fécond pour comprendre ce que peut repré- senter l’extension du pouvoir d’agir des salariés dans des systèmes contraints. Enfin, alors qu’on ne parle quasiment plus d’ouvriers, vestiges d’une ère industrielle perçue comme révolue4 , ils sont encore 5 millions dans notre pays, soit 20 % de l’emploi total tous sec- teurs confondus (Forment et Vidalenc, 2020). Si, selon l’Insee, leur part dans l’emploi est passée pour la première fois en 2020 au-dessous de celle des cadres, les ouvriers sont loin d’avoir disparu du paysage, même si leur répartition a changé : la part des ouvriers qua- lifiés de type industriel (production et maintenance) n’a que faiblement reculé depuis les années 1980 (ils représentent 20 % des ouvriers), alors que les ouvriers non qualifiés sont en fort repli dans l’industrie, mais très présents dans les transports, la logistique ainsi que dans le bâtiment et les travaux publics. Certaines catégories d’ouvriers (de type artisanal) bénéficient d’une forte autonomie, quand d’autres continuent de travailler dans des sys- tèmes extrêmement prescrits. D’une manière générale, l’organisation responsabilisante devrait s’attacher prioritairement à donner des marges de manœuvre à ceux qui en disposent le moins. C’est cette population qui subit un travail routinier, répétitif, souvent pénible et faiblement reconnu, et c’est elle qui dispose de perspectives moindres en matière d’évolution professionnelle. Pour toutes ces personnes, travailler dans une OR peut représenter une avancée personnelle, profession- nelle et sociale. En dépit de son tropisme industriel, la démarche proposée est applicable à tout type d’organisation, moyennant adaptations. 4. Voir le documentaire Nous les ouvriers, france.tv (Béziat et Nancy, 2023).
  • 25. 23 Introduction Méthode de l’étude L’analyse et la démarche proposées dans cet ouvrage reposent sur les auditions et les échanges menés au sein d’un groupe de travail qui s’est réuni une dizaine de fois au cours de l’année 2023. Animateurs du groupe de travail : François Pellerin et Pierre Bocquet (Chaire FIT2 ). Membres du groupe de travail : Pierre-Marie Gaillot (Cetim) ; François Maisonneuve (Kéa) ; François Levert (Michelin) ; Valérie Duburcq et Christophe Roblin (Orange) ; Frédéric d’Arrentières (Renault Group) ; Suzy Canivenc (Chaire FIT2 ) ; Thierry Weil (Chaire FIT2 ). Ont également participé : Laurence Thouveny (Orange), Bénédicte Ménard (Renault Group). Séances et auditions • Réunion de lancement, 11 janvier 2023 • Témoignage Cetim, 26 janvier : Pierre-Marie Gaillot et Vincent Nourrisson • Témoignage Michelin (Manufacturing), 27 février : Pierre Bocquet et François Levert • Témoignage Kéa, 21 mars : Thibaut Cournarie et Claire de Colombel • Témoignage Meliae Consulting/Groupe Citwell, 22 mars : Stéphane Lescure • Témoignage Martin Technologies, 24 avril : Laurent Bizien • Témoignage Renault Group (Ingénierie), 25 avril : Frédéric d’Arrentières, Olivier Pareja et Sylvain Gelfi • Témoignage Lippi, 26 mai : Frédéric Lippi • Réunion de synthèse, 23 mai • Réunion de synthèse, 14 juin Rapporteur des synthèses : Élisabeth Bourguinat. N.B. Les propos des participants ont été tenus à titre personnel et n’engagent pas leurs organisations d’appartenance. Les verbatim figurant dans le présent ouvrage ont été soumis à leurs émetteurs pour validation.
  • 27. 25 CHAPITRE 1 Qu’entend-on par organisation responsabilisante ? La première idée que véhicule le concept d’organisation responsabilisante (OR) est de faire du fonctionnement de l’entreprise un facteur de différenciation et de compé- titivité, en s’intéressant aux aspects mana- gériaux et humains de l’organisation, alors que durant plusieurs décennies, du fait d’un niveau de chômage élevé, ce facteur humain a été relégué au rang de « commodité ». Une OR considère l’élargissement et l’en- richissement de la responsabilité de chacun comme un moteur indispensable de l’en- gagement de ses membres, qui condi- tionne in fine la performance durable de l’organisation. Elle vise à créer un envi- ronnement de travail propice au renfor- cement de la motivation intrinsèque des employés (voir encadré en page suivante). Stéphane Lescure du cabinet de conseil Meliae Consulting/Groupe Citwell utilise l’expression d’« environnement de travail automotivant ». Une autre manière de la définir serait de dire que l’OR accorde plus d’importance (ou une importance au moins égale) à la ressource que représentent les hommes et les femmes (connaissance, in- telligence, savoir-faire, expérience, intui- tion, sensibilité) qu’aux systèmes (struc- tures, process, technologies). Une des principales caractéristiques de l’OR est qu’elle transforme la manière de conduire les opérations, en passant pro- gressivement d’un modèle traditionnel de commandement fondé sur l’obéissance et la conformité, à un système dit responsabi- lisant, fondé sur la capacité des personnes à prendre des initiatives, à s’adapter rapi- dement aux aléas, voire à faire preuve de créativité, sans pour autant abandonner l’idée de cadrage.
  • 28. 26 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation La satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux : à la source de la motivation intrinsèque et du bien-être au travail La théorie de l’autodétermination, associée aux travaux de Ryan et Deci (1996), est un modèle de la motivation humaine qui met en lumière notre aspiration naturelle à l’autodétermination et à l’épanouissement personnel. Elle suggère que les êtres humains cherchent à satisfaire un certain nombre de besoins psychologiques fondamentaux qui, lorsqu’ils sont comblés, peuvent conduire à une plus grande motivation intrinsèque et à un bien-être psychologique accru. La théorie de l’autodétermination distingue deux types de motivations : intrinsèque et extrinsèque. Dans le cadre de la motivation intrinsèque, l’action est conduite uniquement par l’intérêt et le plaisir que l’individu y trouve, sans attente de récompense externe. Les individus s’engagent dans des activités parce qu’ils les trouvent gratifiantes, plaisantes et stimulantes en elles-mêmes. La motivation intrinsèque provient de la passion, du désir de maîtrise et de la recherche de sens dans ce que nous faisons. Dans le cadre de la motivation extrinsèque, l’action est provoquée par une circonstance extérieure à l’individu (punition, récompense, pression sociale, obtention de l’approbation d’une personne tierce, salaire, primes…). Les facteurs de motivation extrinsèque sont à manier avec beaucoup de précaution, car ils peuvent venir affaiblir la motivation intrinsèque. Les trois besoins psychologiques fondamentaux, piliers de la motivation intrinsèque, sont : l’autonomie, la compétence et la relation. L’autonomie concerne le sentiment de maîtriser ses propres actions et décisions, sans forcément aspirer à une indépendance complète vis-à-vis d’autrui. Elle est liée au sentiment d’être l’acteur principal de sa vie, de ses actions et de ses choix, plutôt que de se sentir contraint par des facteurs externes. Dans un contexte de travail, par exemple, un employé peut se sentir autonome s’il a la possibilité de prendre des décisions sur la manière dont il accomplit ses tâches. La compétence se réfère au besoin de maîtriser notre environnement et de nous sentir efficace dans les interactions avec celui-ci. C’est le sentiment d’être « capable » dans les activités que nous entreprenons. Pour satisfaire ce besoin, il faut avoir des occasions de renforcer ses compétences et de surmonter des défis. La relation (relatedness) renvoie au désir d’être connecté aux autres, d’appartenir à un groupe et de se sentir apprécié et compris. Les relations positives avec les autres contribuent à notre sentiment de sécurité, à notre estime de soi et à notre capacité à nous épanouir. En comprenant ces besoins et en travaillant à leur satisfaction, il est possible de créer des environnements de travail qui favorisent l’épanouissement personnel et le bien-être psychologique.
  • 29. 27 Chapitre 1. Qu’entend-on par organisation responsabilisante ? Le mode de management dit de comman- dement et contrôle5 tente traditionnellement de régler en détail les comportements et les gestes des employés, de manière qu’ils ne puissent pas s’écarter de la ligne fixée par les managers et les services support. Les managers sont choisis pour leur capacité à faire « tourner » le système, à éteindre les feux, à décider de tout et à faire appliquer leurs décisions et méthodes. Et in fine à re- connaître la loyauté de leurs équipiers dans l’exécution. Dans ce modèle, la responsabilité des em- ployés qui exécutent le travail est limitée à la conformité d’application de normes, de règles et de modes opératoires. La perfor- mance globale du collectif est exclusive- ment du ressort des managers et de quelques activités support, en capacité d’exercer une supervision du travail de nature à enrayer les dérives, à obtenir la performance sou- haitée et à trouver des voies de progrès. Ce modèle a évidemment évolué depuis l’avènement du taylorisme. Les orga- nisations contemporaines sont toujours convaincues, à juste titre, que les règles, les normes et les standards de qualité sont in- dispensables pour faire du bon travail. Mais elles se sont aussi rendu compte que la 5. Traduction de command and control. Notons que contrairement à la traduction courante qui fait de to control l’équivalent de « contrôler » en français, to control signifie en réalité « maîtriser » (avoir la maîtrise d’une situation, de ses émotions, etc.), c’est-à-dire « avoir une situation sous contrôle » plutôt qu’avoir un comportement de manager « contrôlant ». Dans son sens originel, le mode command and control reste tout à fait d’actualité, car garder la maîtrise des situations est à l’évidence la mission centrale des managers. nature du travail s’est complexifiée, du fait de la diversité et de la personnalisation des produits et des services, mais aussi du fait de la fragmentation des chaînes de valeur et de leurs multiples interfaces. Les situa- tions de travail présentent ainsi de plus en plus de singularités, que les prescriptions, aussi précises soient-elles, ne parviennent plus à décrire de manière exhaustive. En définitive, l’OR peut être vue comme une réponse à la complexité. Les théoriciens des organisations ont en effet identifié depuis longtemps que l’organisation di- rective et pyramidale est pertinente dans des cas de relative simplicité des objectifs, mais qu’elle l’est beaucoup moins dans des situations complexes caractérisées par un haut niveau d’incertitude et d’instabilité (Burns et Stalker, 1961). Comme l’expliquent respectivement Yves Clot (2021) et Mathieu Detchessahar (2019), la complexité entraîne le besoin d’un recours accru à la délibération et aux arbitrages sur la manière de faire un « bon » travail, car il n’y a généralement pas qu’une seule bonne manière d’opérer. Ces auteurs recommandent de sortir du « délire » techniciste consistant à vouloir « capturer » la totalité du contenu du travail par la multiplication des prescriptions et
  • 30. 28 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation des contrôles. Tout au contraire, dans ce monde complexe de l’interdépendance assumée, chacun doit pouvoir disposer d’une latitude pour construire de manière coopérative les normes auxquelles il sera soumis, à travers un dialogue entre ceux qui prescrivent le travail, ceux qui le gèrent et ceux qui l’exécutent. En fait, chacune de ces catégories doit faire bouger son rôle et son cadre, en acceptant de se nourrir des savoirs et des besoins des autres catégories. Le « modèle » responsabilisant fait parta- ger à tous les membres la vision de ce qui est bon pour l’entité, puis il déplace pro- gressivement les frontières des responsabi- lités et des compétences, pose des principes généraux de comportement et d’action, et laisse les employés trouver par eux-mêmes le chemin et la manière qui vont leur per- mettre de contribuer efficacement aux ob- jectifs définis par les niveaux hiérarchiques supérieurs. On cherche alors des managers servant leaders6 qui auront la capacité d’orienter et de faire progresser leurs équi- piers, de partager des défis et de développer l’amélioration continue, de faire confiance (lâcher prise) et d’encourager et de recon- naître les initiatives et l’engagement. L’OR est donc une organisation dans la- quelle faire gagner l’entité n’est plus uni- quement le souci de certains, mais devient 6. On doit cette expression à Robert K. Greenleaf (1904-1990), fondateur du Greenleaf Center for Servant Leadership (initialement appelé Center for Applied Ethics). celui de tous. C’est toute l’équipe qui se sent maintenant responsable de la perfor- mance du collectif, et qui va commencer à voir comment sa propre performance contribue aux résultats plus globaux de l’entité… Prenons l’exemple d’une équipe dans l’industrie qui fait face à un retard de production qu’elle doit rattraper. Dans une organisation traditionnelle, c’est au res- ponsable de l’équipe de décider la mise en œuvre des moyens pour rattraper le retard (demande d’heures supplémentaires aux équipiers ou sollicitation d’une ressource externe), et aux services support d’organi- ser ces moyens. Dans une organisation res- ponsabilisée, c’est le collectif de travail qui décide des moyens de rattraper son retard et qui mobilise ses ressources pour le faire. Mais pour cela, encore faut-il, d’une part, que les individus comme les équipes aient compris les enjeux dudit retard de produc- tion et aient envie de s’engager à le rattra- per et, d’autre part, qu’ils aient accès à des ressources externes si elles s’avèrent né- cessaires. La démarche de responsabilisation parie sur l’intelligence des acteurs, en mobili- sant l’ensemble de leurs capacités, ce qui permet d’insuffler aux méthodes de travail un dynamisme dont elles manquent trop souvent. Les processus s’accélèrent, l’orga- nisation devient plus agile et les personnes
  • 31. 29 Chapitre 1. Qu’entend-on par organisation responsabilisante ? s’investissent davantage pour résoudre les problèmes qui correspondent à leur niveau d’expertise. Les gains attendus pour l’entreprise portent en général sur l’amélioration de la santé et du bien-être au travail, du time-to-market, de la qualité des produits et des services, de la flexibilité des opérations et de la réactivi- té. S’y ajoute aussi une dimension d’attrac- tivité, car disposer d’une certaine liberté d’action répond à une attente des employés, notamment des plus jeunes. En élargissant et en enrichissant les tâches, en créant un fort esprit d’équipe et un vrai sentiment d’appartenance, en utilisant pleinement les compétences de tous, l’OR permet aux personnes de trouver davantage de sens à ce qu’elles font quotidiennement. Le fonc- tionnement en OR est donc un des leviers qui permet de donner aux employés l’envie de venir et de rester dans l’entreprise. L’OR est une organisation dans laquelle faire gagner l’entité n’est plus uniquement le souci de certains, mais devient celui de tous.
  • 33. 31 CHAPITRE 2 Les trois « pourquoi » d’une transformation responsabilisante 7. Fondateur de l’École de Chicago, Milton Friedman (1912-2006) est souvent considéré comme le père de la « valeur actionnariale de l’entreprise ». Si, comme nous l’avons évoqué en intro- duction, les transformations responsabili- santes sont complexes à mener, prennent du temps et ne produisent pas forcément les résultats escomptés, qu’est-ce qui peut bien pousser les organisations à tenter encore et toujours d’y revenir ? C’est qu’il existe évi- demment une foule de bonnes raisons qui se conjuguent pour inciter les entreprises à entreprendre cette démarche. Nous les avons rassemblées selon trois « pourquoi » qui sont aussi autant de « pour quoi ». Le « pourquoi » de l’entreprise Pendant longtemps, le but de l’entreprise a été peu questionné car il était considé- ré comme évident. Le développement de l’entreprise et la création de valeur pour ses actionnaires représentaient les fina- lités principales, voire uniques, de son action. La richesse ainsi créée était sup- posée « ruisseler » sur la société dans son ensemble (salariés, territoires, sous-trai- tants, État) via les salaires, la fiscalité, les achats, etc. – ce qui pouvait justifier, même au regard des autres parties prenantes, que son existence et son rôle soient décrits en des termes aussi étroits. Mais la situation s’est progressivement compliquée. La conception friedmanienne7 de l’entreprise (en particulier de la grande entreprise multinationale) a été de plus en plus mise en cause, notamment à partir de la crise financière de 2008, en raison, entre autres, de la montée en puissance des pré- occupations climatiques. Les conséquences
  • 34. 32 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation de la focalisation de l’entreprise sur la seule création de valeur pour les actionnaires ap- paraissent désormais comme trop lourdes à supporter sur un plan macroéconomique, social et environnemental. L’entreprise va devoir reconstruire l’acceptabilité sociétale de son action et poser à nouveau les bases de sa légitimité, dans l’intérêt même de ses actionnaires. Quelques dirigeants com- mencent alors à tenir compte de ces évo- lutions et à entériner l’idée que les action- naires ne sont pas les seuls détenteurs de l’entreprise, ils sont seulement les proprié- taires des actions (Baudoin et al., 2012). Il paraît de plus en plus nécessaire de penser ce corps organique qu’est l’entreprise en articulant de manière plus pertinente et juste les pouvoirs et les responsabilités qui lui sont associés. La théorie des parties pre- nantes (Freeman, 1984) (salariés, clients, fournisseurs, territoires, environnement, pouvoirs publics, etc.) ainsi que la voca- tion de création-innovation de l’entreprise pour résoudre les problèmes du monde (en- treprise contributive) vont fournir un cadre intellectuel à cette refondation (Segrestin et 8. Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises. Hatchuel, 2012). S’ensuivra en France un intense débat intellectuel et politique qui débouchera en 2019 sur l’adoption de cer- taines dispositions de la loi PACTE8 . Cette dernière prévoit une progressivité dans la responsabilité sociétale des entre- prises. Elles ont désormais l’obligation de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leurs activités (clause « de considération »). Elles peuvent en outre se doter d’une « raison d’être » dans leurs statuts. Elles peuvent enfin s’engager dans une démarche de « société à mission », en se donnant des finalités so- ciales ou environnementales précises, dont la réalisation sera suivie par un comité de mission et sera auditée par un organisme tiers indépendant. La raison d’être de l’entreprise fait réfé- rence à sa mission fondamentale ou à la vision qu’elle a de son rôle dans la société. L’idée est qu’une assise solide permettra d’inscrire l’action de l’entreprise dans une vision de long terme partagée par toutes les parties prenantes, capable de guider ses choix stratégiques au-delà des aléas de gouvernance et des exigences financières des actionnaires. En allant au-delà de la simple réalisation de profits (sans y renon- cer), ce nouveau cap assigne généralement à l’entreprise la poursuite d’une pluralité d’objectifs (création de richesses, progrès Quelques dirigeants commencent à entériner l’idée que les actionnaires ne sont pas les seuls détenteurs de l’en- treprise, ils sont seulement les proprié- taires des actions.
  • 35. 33 Chapitre 2. Les trois « pourquoi » d’une transformation responsabilisante social, préservation de l’environnement), souvent résumés par l’expression « People, Planet, Profit ». Lors de son audition par la commission sénatoriale sur la transfor- mation des entreprises (25 octobre 2018), Jean-Dominique Senard, alors président du groupe Michelin, précisait ainsi : « Cette raison d’être est un peu comme un fil direc- teur [qui] relie le passé de l’entreprise à son avenir, mais elle dit également à chacun la raison pour laquelle il se lève le matin pour aller travailler dans l’entreprise. […] C’est un sujet extrêmement porteur, fédérateur, créateur d’engagement et finalement de compétitivité. Il n’y a pas de compétitivité sans engagement. » La raison d’être de l’entreprise a connu, depuis 2019, un certain succès d’adop- tion, notamment à travers des exercices de consultation massive auprès des parties prenantes. Mais quel est l’impact de cette raison d’être sur les réalités du travail au sein des équipes ? Selon le Baromètre 2023 de l’Institut de l’Entreprise sur la relation des Français à l’entreprise9 , seuls 12 % des sondés savent en définir le concept, et 63 % d’entre eux considèrent que les entreprises qui expriment leur raison d’être le font par opportunisme, contre 36 % qui voient cette démarche comme étant sincère. Pour que la raison d’être ne reste pas une déclaration 9. Baromètre 2023 de l’Institut de l’Entreprise sur la relation des Français à l’entreprise (3e vague), réalisé avec le cabinet d’études et de conseil ELABE et en partenariat avec Malakoff Humanis et Veolia, auprès d’un échantillon de 1 320 Français dont 769 salariés. L’enquête a été complétée par un volet qualitatif donnant la parole à 11 dirigeants de grandes entreprises issus de secteurs et de modèles économiques diversifiés. incantatoire déconnectée des pratiques, les entreprises et leurs dirigeants vont devoir mettre en musique des objectifs pluriels, qui sont loin d’être spontanément alignés, et les équilibrer. Bienvenus dans un monde com- plexe ! Des débats et des arbitrages seront nécessaires à chaque niveau de l’entreprise pour s’approprier cette raison d’être et la décliner en objectifs opérationnels. L’orga- nisation responsabilisante (OR) apparaît, dès lors, comme une voie pour donner de la substance à la raison d’être et l’inscrire en profondeur dans la réalité des pratiques de travail. Comme le souligneValérie Duburcq (Orange), « recourir à la co-construction pour définir la vision ou le rêve, c’est bien, mais si cela ne va pas de pair avec le déve- loppement de l’autonomie et de la respon- sabilité dans les actions du quotidien, cela risque de ne convaincre personne ». Les « pourquoi » du dirigeant ou de l’équipe dirigeante La décision d’engager une transformation responsabilisante sera généralement le fait d’un dirigeant d’entreprise ou d’une équipe dirigeante.
  • 36. 34 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Conviction intime du dirigeant Elle peut répondre à une conviction intime du dirigeant fondée sur son histoire person- nelle, sa sensibilité ou ses principes moraux. Le repreneur de l’entreprise Fayolle, spé- cialisée en chaudronnerie et tôlerie, dit ainsi : « Je crois énormément aux vertus du développement de l’autonomie et de la responsabilité dans les équipes, pour être capable de m’adapter au temps long et à tout ce que je veux vivre dans ma boîte. » Certains dirigeants n’aiment pas particu- lièrement contrôler et rêvent d’une orga- nisation où ils auraient le moins possible à intervenir dans le fonctionnement quoti- dien : « Je n’aime pas contrôler les autres, dit Frédéric Lippi, et par conséquent, j’es- saie de faire en sorte qu’ils se contrôlent eux-mêmes » (Pellerin et Cahier, 2019). Certains réagissent aussi à des expériences professionnelles passées, comme Laurent Bizien, directeur général de Martin Tech- nologies : « J’ai vécu la différence entre ce que c’était que de bénéficier de la confiance de mes dirigeants ou de ne pas l’avoir. Si je vis une période où on ne me fait pas confiance et où je dois tout faire valider, c’est une véritable descente aux enfers pour moi. Je trouvais profondément injuste que 10. Audition de Jean-Dominique Senard à la Commission sénatoriale sur la transformation des entreprises. 25 octobre 2018. 11. Théorie décrite initialement dans l’ouvrage de Benoît Meyronin et Charles Ditandy (2007). Aujourd’hui, marque déposée par l’Académie du Service. 12. Prendre soin. l’ensemble des collaborateurs ne bénéficie pas de la confiance, qui donne l’énergie et l’envie de faire les choses. » Ces trois exemples sont issus d’entreprises assez petites et à gouvernance familiale, où le dirigeant dispose d’une large autonomie d’action, mais le même type de conviction peut s’exprimer dans de très grandes struc- tures. Citons notamment Jean-Dominique Senard, alors président du groupe Miche- lin (120 000 salariés) : « On n’avancera pas dans les années qui viennent si nous ne faisons pas attention au développement des personnes, à leur devenir, leur bien-être social autant qu’à l’innovation, à la compé- titivité, dans un monde qui devient de plus en plus difficile. […] Si nous ne faisons pas attention aux deux en même temps, nous allons dans un mur et à relativement brève échéance. La prise en compte des questions humaines est pour moi – et je ne suis pas le seul à le penser – au cœur de l’avenir de nos entreprises.10 » Cette approche ambidextre (attention au client et au développement des personnes) est parfois appelée symé- trie des attentions©11 (Meyronin, Ditandy, 2007) ou encore éthique du care12 (Zie- linski, 2010).
  • 37. 35 Chapitre 2. Les trois « pourquoi » d’une transformation responsabilisante Considérations de croissance, de résilience, de pérennité, d’agilité La conviction intime des dirigeants est ce- pendant rarement déconnectée de consi- dérations stratégiques pour l’entreprise. Considérations de survie parfois, de per- formance le plus souvent. « Le pourquoi, c’est la survie, la péren- nité de l’entreprise, garantir des emplois pour une centaine de personnes pour plu- sieurs décennies », précise Laurent Bizien (Martin Technologies). Et pour Florent Menegaux, président de Michelin depuis 2019 : « Dans un monde qui se transforme à une vitesse incroyable, l’entreprise doit s’adapter, évoluer et agir. Et pour cela, il faut d’abord que chacun comprenne pour- quoi et pour quoi on est ensemble. Si votre corps social, votre communauté humaine, n’adhère pas et ne se mobilise pas, vous n’arriverez à rien » (Chaire FIT2 , 2021). Le dirigeant aura, par exemple, pu consta- ter les limites d’un management vertical en matière d’adaptabilité, de souplesse, de rapidité, de capacité d’initiative et d’enga- gement des salariés. Il souhaite donner da- vantage d’agilité à l’organisation en décon- centrant les capacités de décision au plus près du niveau où elles peuvent être prises. Ainsi, témoigne un dirigeant, « on recrute des gens créatifs et, quelques années après, 13. Témoignage de Frédéric d’Arrentières, d’Olivier Pareja et de Sylvain Gelfi (Renault Group), 25 avril 2023. ils ne le sont plus. On demande aux entités d’être agiles, mais on demande aux per- sonnes de passer la moitié de leur temps à obtenir des décisions et des validations ». Chez Renault Group (environ 105 000 sa- lariés en 2022), par exemple, la respon- sabilisation des équipes a été évoquée dès 2018 en lien avec un ambitieux plan de transformation « agile » du groupe, pour répondre à des enjeux assez génériques : mieux aligner les objectifs, réduire le time- to-market, accroître l’engagement des col- laborateurs et mieux répondre aux attentes du marché. Ce projet de transformation a été mis en œuvre depuis quatre ans avec un certain succès sur les plateaux de dévelop- pement produit, mais, par suite de l’arrivée de nouvelles équipes dirigeantes, il a pris d’autres formes dans le reste du groupe13 . Verticalement, la transformation vise souvent à réduire le nombre de strates hié- rarchiques pour gagner du temps et de la pertinence dans les prises de décision (et parfois pour réduire la masse salariale). Ho- rizontalement, elle a pour but de réussir à « désiloter » pour fluidifier les processus aux interfaces et améliorer les collaborations in- terservices. Les silos sont en effet de grands « protecteurs » de l’autonomie organisation- nelle, ce qui explique leur prégnance au sein des organisations. Ils s’opposent toutefois à l’agilité d’ensemble, qui passe par une meil- leure coopération entre les entités. L’OR est
  • 38. 36 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation supposée agir sur les silos, mais les effets réels de la responsabilisation sur les coopé- rations transverses ont été jusqu’ici peu ana- lysés. Dans la pratique, on observe souvent que des équipes même responsabilisées n’ont pas toujours la capacité de peser sur les coopérations transversales, qui restent dans l’immense majorité des cas l’apanage des managers et continuent de passer par la voie hiérarchique. Enfin, selon Valérie Duburcq (Orange), l’amélioration de la performance n’est pas le premier objectif de ce type de transfor- mation. Cette dernière vise avant tout à per- mettre aux entreprises de s’adapter plus ra- pidement à un environnement durablement incertain (succession de crises de diverses natures). Pendant la pandémie du Covid- 19, l’efficacité des opérations sur certains sites industriels où tout l’encadrement était confiné et les opérateurs se rendaient phy- siquement à leur poste a pu être maintenue grâce à ce travail préalable de responsabili- sation. Pour Frédéric d’Arrentières (Renault Group), « la transformation permet de fran- chir un cap que l’on ne pourrait pas atteindre en misant seulement sur le progrès continu. L’enjeu pour l’entreprise est de franchir des seuils de performance, en introduisant une rupture dans l’efficience collective sur le long terme et en activant les leviers de mo- tivation associés. » 14. Terme désignant des personnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990. On parle aussi de génération Y. Selon les types d’entreprises, de dirigeants, de menaces pesant sur l’activité, la respon- sabilisation des personnes pourra être vue commeunbutensoiouseulementcommeun levier, modulant ainsi l’ambition poursuivie. Attractivité, difficultés de recrutement et de fidélisation Ces transformations répondent aussi au constat que le niveau d’information et de formation des salariés a considérablement augmenté au fil du temps.Avec 80 % d’une génération dotée du baccalauréat en 2021 contre 29 % en 1985, il devient quasiment impossible de manager uniquement par le commandement et le contrôle. Comme l’indique encore Florent Menegaux (Mi- chelin) : « Si vous vous adressez aux jeunes générations sur un mode pyramidal, elles vous regardent comme un OVNI. Les jeunes vérifient tout ce que vous leur dites sur leur téléphone et ils vous interpellent en permanence avec ces arguments. Ils ne veulent pas des instructions, ils veulent comprendre le pourquoi des choses et par- ticiper à les construire. Il y a un change- ment très profond des mentalités. Chez Michelin, nous avons plus de 50 % de nos effectifs qui sont des millenials14 et, donc, nous sommes confrontés à cette situation en permanence » (Chaire FIT2 , 2021).
  • 39. 37 Chapitre 2. Les trois « pourquoi » d’une transformation responsabilisante Une plus forte latitude d’action et de dé- cision donnée aux salariés peut être consi- dérée comme un facteur d’attractivité pour l’entreprise, permettant de lutter contre les difficultés de recrutement ou de fidé- lisation (turn-over, absentéisme), notam- ment dans des secteurs où les conditions de travail sont déjà jugées difficiles ou for- tement prescrites, tels que les ateliers de production, le BTP, l’hôtellerie-restaura- tion, la santé, etc. (Canivenc, 2024). Dans le secteur industriel, par exemple, les dif- ficultés de recrutement demeurent vives : en avril 2023, 65 % des chefs d’entreprise déclaraient en rencontrer, une proportion légèrement plus élevée qu’en janvier 2023 et proche du niveau le plus élevé jamais atteint, en juillet 2022 (67 %) (Insee, 2023). Enfin, les enquêtes annuelles auprès des salariés, lorsqu’elles révèlent un niveau de désengagement en hausse, peuvent aussi être un facteur amenant un dirigeant à s’in- téresser au sujet de la responsabilisation. Santé au travail et performance Il existe une convergence entre l’analyse psychosociologique du travail et la quête de performance des organisations. La santé des travailleurs et la performance se re- joignent pour deux raisons. Tout d’abord, préserver la santé des colla- borateurs est une ressource pour la perfor- mance durable des organisations. Si l’on n’en tient pas compte, les problèmes de santé reviennent en boomerang dans l’en- treprise sous la forme de turn-over, d’ab- sentéisme, de désengagement et de démo- bilisation, affectant la performance. Quand ces indicateurs se dégradent, la perspec- tive d’une organisation responsabilisante suscite soudain un nouvel intérêt. Mais inversement – et cette seconde idée est sans doute moins intuitive – la performance du travail est aussi une ressource pour la santé. Selon le psychologue du travail Yves Clot, la majorité des individus aspire à faire du bon travail, ce qui représente un facteur de fierté et d’engagement : « L’homme possède le goût du travail efficace et déteste les efforts inutiles » (Clot, 2019). Pourtant, dans une majorité d’organisations, le « bon travail » est en réalité « empêché » par toutes sortes d’objectifs irréalisables, de règles ab- surdes, d’inefficiences et de gaspillages. Comme en témoigne un salarié : « J’ai bien envie d’atteindre les objectifs, mais j’aime- rais surtout être un peu moins “emmerdé” quand je fais mon boulot. » Les premiers à en être conscients sont les travailleurs en prise avec le travail réel, mais personne ne se préoccupe de leur demander leur avis. Dans le meilleur des cas, c’est seulement la pas- sivité qui gagne ; dans le pire, le sentiment d’inutilité et d’efforts gaspillés se retourne contre la santé mentale du travailleur. L’un des premiers moteurs de la santé au travail consiste à réussir à bien faire dans de bonnes conditions d’efficacité et de satisfaction le travail qui est demandé, « un travail dans lequel je puisse me contempler », nous dit
  • 40. 38 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Mathieu Detchessahar15 , citant la philosophe Simone Weil. Le double souci d’efficacité du travail et de santé au travail appelle ainsi à appliquer autant que possible le principe de subsidia- rité, en transformant les instances de niveau supérieur en instances supplétives. « Sans se sentir, au moins de temps en temps, peser dans les situations, celles et ceux qui travaillent sont exposés à un sentiment d’inutilité associée à cette irresponsabilité subie », souligne encore Clot (2019). Le « pourquoi » des salariés La crise sanitaire du Covid-19 a joué un rôle d’accélérateur de tendances pour ce qui concerne les attentes des salariés. Les confi- nements stricts qui ont conduit à une certaine démocratisation du télétravail ont interrogé le modèle de management qui reposait lar- gement sur le contrôle et la présence phy- sique. Avec le télétravail, il est devenu plus difficile non seulement de surveiller la façon dont les salariés s’organisent et occupent leur temps, mais aussi de coordonner les tâches et de faire valider les décisions. Ces circonstances ont fait bouger les esprits à la fois chez les salariés et chez certains mana- gers, qui ont dû, dans l’urgence, accepter de 15. Conférence de Mathieu Detchessahar à la Carsat (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) Auvergne, 2016, en replay sur YouTube. faire confiance. Cette demande de confiance était exprimée à bas bruit depuis longtemps sans grands effets, suscitant une relative ré- signation (Canivenc, 2024). Les directions des ressources humaines avaient conscience de cette attente qui se traduisait par un dé- sengagement croissant, mais la jugeaient suffisamment modérée pour ne pas avoir à changer de modèle. Désormais, il ne suffit plus à une entre- prise d’afficher une raison d’être. C’est sa manière d’agir envers les salariés qui sus- citera leur envie de venir, de produire et de rester (Serre, 2021). C’est pour des raisons plus globales que l’obtention d’un revenu ou l’exercice d’un métier que les salariés décideront de rejoindre une organisation et surtout d’y rester. Dans des univers comme l’hôpital ou l’éducation, la raison d’être de leur travail est évidente aux yeux de ceux qui s’y engagent mais, pour autant, les conditions de travail dégradées dans ces secteurs ont conduit à une crise aiguë des vocations et à une cascade de démissions. Le sens du travail a souvent été évoqué comme une nouvelle attente importante des salariés, particulièrement des jeunes. Mais ce sensn’estpasseulementliéàl’impactqu’une organisationexercesurlemondeetlasociété. Il repose certes sur l’utilité sociale perçue du travail, mais tout autant sur les moyens
  • 41. 39 Chapitre 2. Les trois « pourquoi » d’une transformation responsabilisante de bien travailler (conditions de travail, res- sources, qualité de la relation avec la hié- rarchie, ambiance de travail, reconnaissance) et sur la possibilité de développer ses com- pétences (Coutrot et Perez, 2022). Selon une enquête récente conduite par OpinionWay pour le cabinet de conseil Kéa (2023), les moins de 45 ans citent parmi les trois pre- miers critères de réussite professionnelle sur onze, dans l’ordre : le salaire, l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle et la liberté d’action et de décision. C’est désormais la question de la qualité du travail lui-même qui est posée aux organisations. À certaines conditions, l’organisation responsabilisante peut répondre à cette attente. Enfin, il existe une catégorie de salariés particulière, les managers, notamment les managers de proximité. L’organisation res- ponsabilisante a souvent été vue comme un facteur de déstabilisation des managers, qui ne savent plus s’ils doivent « commander » pour faire respecter les règles et les objectifs ou s’ils doivent être bienveillants et venir en appui du développement des personnes, ou encore faire les deux en même temps au risque de devenir schizophrènes (Nivet, 2019). En réalité, l’organisation responsabi- lisante peut représenter une bouffée d’oxy- gène pour les managers. Ils disposent ainsi, dans les équipes, de relais leur permettant de ressentir moins de stress dans la marche des affaires courantes, et peuvent s’appuyer sur des équipes support qui soient réelle- ment facilitantes, plutôt que d’être en per- manence sollicités par elles ou de se sentir redevables pour la moindre de leur interven- tion. Ils peuvent aussi puiser énormément d’énergie et de sens dans la transformation de leur rôle, à travers les relations qu’ils nouent avec les membres de leur équipe et par le fait d’inspirer des personnes et de les voir s’épanouir. Tout dépendra bien entendu de l’accompagnement qu’ils recevront pour parvenir à ce changement de posture, et de la valorisation qui leur sera accordée tout au long de la transformation. Prendre le chemin de l’organisation respon- sabilisante répond, par conséquent, à une série de « pourquoi ». Il sera très important declarifierdanschaqueentrepriselesattentes qui président à la démarche, afin de valider leur cohérence, et d’aligner ces différents « pourquoi ». Cette clarification permettra aussi de cerner ce qu’on attend de la transfor- mation. Cela peut influencer l’ambition de la démarche, le chemin qui sera suivi, ainsi que les échéances qu’on se donne et les critères à partir desquels elle sera évaluée. François Levert, ancien responsable Manufacturing Way Empowerment pour les sites indus- triels de Michelin, fait d’ailleurs remarquer que, dans les expériences de transformation qui échouent, la réflexion sur les objectifs poursuivis a souvent été bâclée et que l’on a donné plus d’importance à la méthode qu’à la définition du but à atteindre. Un élément ressort clairement de l’ensemble des témoi- gnages : il faut que la transformation pro- posée ait du sens pour chaque catégorie des parties prenantes, dirigeants, actionnaires, managers et salariés.
  • 43. 41 CHAPITRE 3 La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système 16. Pierre-Yves Gomez est professeur à l’EM Lyon Business School et fondateur de l’Institut français de gouvernement des entreprises (IFGE). 17. Rappelons que, selon Jacques Ellul (2012), un système est « un ensemble d’éléments en relation les uns avec les autres de telle façon que toute évolution de l’un provoque une évolution de l’ensemble, toute modification de l’ensemble se répercutant sur chaque élément ». Nous appelons « boussole de la responsa- bilisation » une grille d’analyse du système que représente une organisation responsa- bilisante (OR). Elle a été initialement ins- pirée par un texte de Pierre-Yves Gomez16 publié sur son site, portant sur la mise en place de la subsidiarité dans les organisa- tions (Gomez, 2023). Le but de la boussole est de faire réfléchir l’équipe dirigeante et, par la suite, toute l’organisation, sur chacune des cinq dimen- sions qui la constituent avant et pendant la transformation. Les cinq points cardinaux de la boussole de la responsabilisation Les cinq « points cardinaux » de cette boussole forment un « système17 », et dé- crivent ce qui est « juste nécessaire » au développement d’une OR (voir figure 3.1). Chacun constitue un repère pour une « in- telligence » de la transformation à opérer, dont nous avons dit en introduction qu’elle nécessite beaucoup de réflexion en amont. Le premier point, la responsabilité, est le principe selon lequel chacun doit rendre des comptes au prorata de son pouvoir d’agir. L’objectif de la responsabilisation
  • 44. 42 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation est d’élargir et d’enrichir progressivement le niveau de redevabilité de chacun (et donc du pouvoir d’agir de chacun). Le deuxième, la subsidiarité, est le prin- cipe selon lequel les échelons supérieurs s’interdisent de s’approprier les attribu- tions dont les échelons inférieurs sont ca- pables de s’acquitter à leur seule initiative et par leurs propres moyens. Il tient son nom du latin subsidium (réserve, soutien), marquant par là que le rôle des échelons supérieurs est d’apporter leur aide et leur soutien si le besoin en est exprimé par un échelon subordonné, jamais de se substi- tuer à lui. Le troisième, la solidarité, se traduit par l’assistance et la coopération qui se déve- loppent entre les personnes d’un groupe ou d’une communauté, du fait du lien qui les unit. Dans les organisations, elle s’exerce prioritairement à l’intérieur de la commu- nauté de travail. Figure 3.1 - La boussole de la responsabilisation : les cinq dimensions d’une organisation responsabilisante Collégialité Solidarité Responsabilité Subsidiarité Activité
  • 45. 43 Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système Le quatrième, la collégialité, renvoie à la pratique de la délibération en groupe, dans un esprit d’intelligence collective et d’enrichissement des décisions à prendre. Elle peut également renvoyer au principe de construction collective des solutions. La collégialité implique le développement de compétences spécifiques (capacité à s’exprimer, communication non violente, gestion des conflits, etc.) et l’installation d’instances organisées pour délibérer. Enfin, le cinquième, l’activité, se concentre sur la différence entre le travail prescrit et le travail réel, et sur les solutions que les personnes mettent en œuvre pour résoudre cette discontinuité. L’analyse de l’activité a pour but de favoriser la contribution des travailleurs à la conception des règles qui leur permettront de faire du « bon travail », source de leur santé physique et mentale. Chacun de ces principes devra être « déplié » pour en comprendre la portée et les interactions. Ce cadre de pensée peut apparaître comme théorique, mais son appropriation est en réalité indispen- sable pour construire des modes d’action concrets. « Rien n’est plus pratique qu’une bonne théorie18 . » La nature systémique de cette boussole sera bien illustrée dans l’exposé qui suit par le fait qu’il est très difficile d’expliquer l’une 18. Expression célèbre attribuée à Kurt Lewin, acteur majeur de l’école des relations humaines. de ses dimensions sans faire immédiate- ment référence aux autres. Responsabilité La notion de responsabilité est première et fondamentale. Une personne devient responsable lorsqu’il est possible de lui imputer les effets de ses actes, que ces effets soient positifs ou négatifs, au prorata de son pouvoir d’agir. Autrement dit, on ne peut être tenu pour responsable que de ce dont on est la cause. Responsabilité et pouvoir d’agir Responsabilité et pouvoir d’agir (souvent appelé « autonomie ») sont donc les deux faces d’une même médaille. La responsa- bilité implique de l’autonomie, c’est-à-dire de disposer d’un pouvoir d’action. Dispo- ser d’un pouvoir d’action signifie, d’une part, de disposer du droit d’agir et, d’autre part, d’avoir la compétence pour agir. Disposer d’un pouvoir d’action signifie, d’une part, de disposer du droit d’agir et, d’autre part, d’avoir la compétence pour agir.
  • 46. 44 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation L’exemple de la conduite automobile (voir encadré) éclaire le fait qu’une organisation responsabilisante s’assure du bon équilibre entre la reddition des comptes (accountabi- lity) et le pouvoir d’agir (empowerment). Si je peux faire ce que je veux comme je veux, sans jamais risquer de me voir imputer les conséquences de mes actes, je suis ce qu’on appelle un « irresponsable ». À l’inverse, si je ne suis qu’un « instrument passif » dans l’exécution, appliquant à la lettre des instructions et des consignes qui me sont données, je ne peux être réellement consi- déré ni comme la cause de ce qui arrive de bon, ni comme la cause de ce qui arrive de fâcheux. Je ne peux donc pas être considéré comme responsable. Développer la responsabilité implique que deux processus puissent se déployer : un Responsabilité et pouvoir d’agir : l’exemple de la conduite automobile Prenons un exemple tiré de la vie courante, la conduite d’un véhicule automobile. À l’issue d’un apprentissage théorique et pratique avec un moniteur certifié, l’examen a permis de qualifier notre aptitude à la conduite d’un véhicule. Nous détenons un « permis » de conduire. Ce permis nous donne une grande liberté grâce à la possibilité de nous déplacer selon notre bon vouloir, en autonomie. Le permis de conduire augmente notre « pouvoir d’agir », tout en garantissant que nous connaissons le code de la route, que nous devons respecter. Nous pouvons alors agir en conducteur responsable. Responsable, en premier lieu, parce que lorsqu’un conducteur provoque un accident, il aura à en assumer les conséquences et sera tenu de réparer l’éventuel préjudice causé à autrui. Responsable, également, parce que l’événement sur lequel le conducteur aura à rendre des comptes est considéré comme la conséquence de ses décisions et de ses actes. Le code de la route est le cadre dans lequel s’inscrit le pouvoir d’agir mais également la responsabilité du conducteur. En principe, tout se passe bien à trois conditions : i) respecter le code de la route (le cadre de la responsabilité) ; ii) avoir la maîtrise de son véhicule (la compétence) ; iii) faire preuve d’anticipation et de prudence (le comportement). En tant que conducteurs, nous avons rarement été impliqués dans une réflexion sur la définition de ce qu’est « un conducteur responsable », sauf peut-être pour quelques- uns à l’occasion d’un stage forcé de rattrapage des points perdus et donc sous la menace d’une suspension du permis. Faire réfléchir chaque membre du collectif sur ce que veut dire être responsable apparaît ainsi comme un préalable nécessaire sur le chemin de l’organisation responsabilisante.
  • 47. 45 Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système premier ouvrant des droits pour agir et un second permettant de développer des compétences pour agir. La responsabilisa- tion consistera à étendre progressivement le domaine de redevabilité (et le pouvoir d’agir qui y est associé) attribué à chacun en fonction de sa montée en compétences. La complémentarité entre reddition des comptes et pouvoir d’agir n’est pas une aspiration « naturelle » chez les tra- vailleurs. Si nous sommes nombreux à vouloir renforcer notre pouvoir d’agir, il en va différemment dès lors que nous devenons redevables de nos décisions et actions. Certaines personnes ont envie de prendre des responsabilités, d’autres beau- coup moins. Ainsi, rapporte Pierre-Marie Gaillot, du Cetim, les témoignages recueil- lis lors d’une mission de transformation responsabilisante dans une PME attestent du passage difficile entre autonomie et res- ponsabilité : « Les opérateurs ne voulaient pas prendre de décision. En revanche, ils voulaient que le patron prenne la décision qu’ils proposaient. » En réalité, la question pour une direction n’est pas tant de savoir si les salariés ont initialement « envie » ou « pas envie » de prendre des responsabilités que de créer un contexte et des conditions de sécurité psy- chologique (Edmondson, 2018 ; Laborde, 2023) conduisant les personnes à prendre de plus en plus de décisions, puis à les assumer. Autrement dit, il s’agit de construire par la pratique un nouveau cadre de travail. La res- ponsabilisation se fait généralement sur la base du volontariat, avec l’espoir que l’ex- périence des premiers volontaires permet- tra d’entraîner les autres. Tant qu’ils ne se transforment pas en saboteurs, les réfrac- taires doivent être respectés, car ils éclairent sur les risques portés par la transformation. Quelques dirigeants ont témoigné que les réfractaires du début deviennent souvent les meilleurs soutiens de l’OR quand ils commencent à en voir les effets. Enfin, le système de reconnaissance doit permettre aux personnes hésitantes de franchir le cap parce qu’elles y trouvent un intérêt. La chaîne de responsabilité La responsabilité de chacun s’inscrit dans une chaîne de responsabilité, chaque niveau de responsabilité correspondant à l’étendue de son pouvoir d’agir. Toutefois, il importe de souligner que, dans une organisation responsabilisée, avoir demandé et obtenu l’aval de sa hiérarchie dans le cadre de la chaîne de responsabilité ne dédouane pas de sa responsabilité propre. Par exemple, ce La question pour une direction n’est pas tant de savoir si les salariés ont initialement « envie » ou « pas en- vie » de prendre des responsabilités que de créer un contexte et des conditions de sécurité psychologique conduisant les personnes à prendre de plus en plus de décisions, puis à les assumer.
  • 48. 46 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation n’est pas parce qu’un comité de validation a approuvé une solution technique que la responsabilité de l’ingénieur qui l’a conçue et proposée sera dédouanée si la solution présente des failles ou donne de mauvais résultats. La notion de chaîne de responsa- bilité est souvent illustrée par l’exemple de la grue de Toul concernant la responsabilité juridique dans le champ des accidents du travail (voir encadré ci-dessus). Même dans des cas moins dramatiques, la question de la chaîne de responsabilité est souvent ambiguë, et bien des organisations responsabilisantes achoppent sur ce point. Prenons un exemple non imaginaire de ces situations ambiguës. Dans une usine, un responsable qualité expérimenté a certifié un lot présentant des non-conformités. Le directeur indus- triel du groupe le découvre et licencie le responsable. En réalité, l’enquête interne montre que ce responsable subit régulière- ment des pressions de la part du directeur du site industriel (qui a aussi la charge de l’avancement du responsable qualité) pour livrer les lots dans les temps impartis au reste de la chaîne de production. Le respon- sable qualité est évidemment comptable de La grue de Toul Un grutier intérimaire refuse par trois fois de continuer son travail en raison de ce qu’il considère comme un danger grave et imminent. Le vent est trop fort : l’anémomètre (appareil permettant de mesurer la vitesse ou la pression du vent) indique un danger. Le chef de chantier décide de lui faire continuer le travail, et l’oblige à remonter dans sa grue en le menaçant de licenciement. Le chantier reprend. La grue tombe. Plusieurs élèves du lycée voisin du chantier décèdent. Le grutier doit être amputé d’une jambe. Le grutier a été condamné en appel, décision confirmée en cassation, pour n’avoir pas utilisé son droit de retrait. Il a été condamné avec sursis à 10 000 francs d’amende (à l’époque). Le chef de chantier a, lui, été condamné à 2 ans de prison ferme, le conducteur de travaux à 18 mois de prison ferme, le chef d’établissement de l’entreprise de bâtiment à 18 mois de prison ferme. L’ensemble de la chaîne hiérarchique a ainsi été condamné. La condamnation du grutier est symbolique mais réelle. Le fait d’être victime soi-même d’un accident du travail n’exonère pas de sa responsabilité éventuelle envers les autres victimes. Source : Légifrance, Cour de cassation, chambre criminelle, du 16 mars 1999, 98- 82.594, inédit.
  • 49. 47 Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système sa décision. Mais est-il cependant le seul responsable de la situation ? Le directeur du site n’aurait-il pas dû être licencié éga- lement au nom de la chaîne de responsabi- lité ? Peut-être même le directeur industriel aurait-il dû s’interroger sur les objectifs de performance assignés aux directeurs de site, pouvant les conduire à adopter des comportements non éthiques19 – en l’occur- rence faire pression sur un collaborateur ? Que vous inspire cette histoire si vous l’ap- pliquez à votre organisation ? Cette histoire nous paraît nourrir l’idée que des groupes de discussion transver- saux entre pairs20 peuvent venir soutenir l’éthique « métier » et la responsabilité in- dividuelle, en amont de toute défaillance de responsabilité. Dans un groupe de dis- cussion, les responsables qualité entre eux auraient probablement identifié que ce type de configuration existait ailleurs dans le groupe et ils auraient pu le faire savoir. Ils auraient pu débattre des principes de comportement à adopter dans de telles cir- constances ; le soutien indirect du collectif aurait renforcé la posture du responsable qualité au moment d’être confronté à un tel arbitrage. Il appartient donc à une or- ganisation responsabilisante de favoriser la constitution de ces groupes de pairs en cohérence avec la responsabilité qu’elle accorde à ses membres, afin de lutter contre 19. Voir aussi sur ces sujets, les films Corporate (Nicolas Silhol, 2017) et Ceux qui travaillent (Antoine Russbach, 2019). 20. Pour les désigner, on utilise des termes comme groupes de codéveloppement, groupes d’analyse des pratiques ou encore groupes de coprofessionnalisation. la solitude que génère la responsabilisation (voir plus loin solidarité et collégialité). Le franchissement des lignes éthiques mettant en jeu la responsabilité individuelle ou la chaîne de responsabilité est bien souvent directement lié aux contradictions de l’or- ganisation. L’OR doit viser à réduire ces contradictions. Dans le tertiaire industriel (ex. l’ingénierie produit), où les organisations sont souvent matricielles et le travail organisé en mode projet, il peut exister une tension entre les responsabilités individuelle et collective au sein d’une équipe projet. Les orientations prises par le collectif pour atteindre l’objec- tif commun vont pouvoir s’appuyer sur le pouvoir d’agir et la compétence de chaque collaborateur qui le compose, chacun ap- portant son « mandat » (ingénieur produit, ingénieur process, acheteur, financier…). Mais a contrario le collectif « projet » ne peut s’arroger un pouvoir d’agir qui dé- passerait le cadre de délégation de chaque collaborateur qui le compose, sous peine de mettre celui-ci en porte-à-faux vis-à-vis du « mandat » qui lui a été attribué par sa propre hiérarchie. Le pouvoir d’agir du col- lectif peut ainsi être bridé par la responsabi- lité individuelle de chacun de ses membres.
  • 50. 48 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Subsidiarité Le Robert donne de la subsidiarité la dé- finition suivante : principe « selon lequel une autorité centrale ne peut effectuer que les tâches qui ne peuvent pas être réalisées à l’échelon inférieur ». La subsidiarité est le principe qui permet au pouvoir d’agir de s’exercer à chaque niveau. Délégation et subsidiarité La notion de délégation est bien connue des entreprises : elle revient pour une autori- té (un dirigeant, un manager) à transférer à un collaborateur une partie bien délimi- tée de ses responsabilités, et notamment de ses capacités d’action et de décision. Elle est, en règle générale, accompagnée d’une limite (ex. le pouvoir de signer des contrats jusqu’à un montant défini) et d’un contrôle a posteriori. Notons qu’en droit la délégation implique la conservation de la responsabilité entre les mains de celui qui délègue. La subsidiarité part d’une prémisse diffé- rente : elle consiste à considérer que, par principe, la responsabilité de l’action ap- partient au niveau directement capable de s’en saisir, les échelons supérieurs n’in- tervenant que si le niveau inférieur leur demande de l’aide. Par exemple, un com- mercial est celui qui a la meilleure connais- sance de son client et qui sait ce qu’il faut lui accorder pour le garder. À l’inverse de la délégation, qui se conçoit du haut vers le bas, la subsidiarité se conçoit du bas vers le haut. Mais – et ce point est capital – « comme les collaborateurs ne peuvent pas détenir toutes les compétences permettant de réaliser un “bon travail”, ils concèdent une partie de leur pouvoir d’agir à une instance ayant une vision plus large des conséquences de leur activité, en la chargeant de proposer des outils ou des méthodes pour compléter et enrichir leur propre travail » (Gomez, 2023). Poursui- vons avec notre exemple du commercial : le directeur commercial sait par expérience que les concessions que pourrait faire son vendeur pour fidéliser tel ou tel client enta- ment la marge de l’entreprise ; pour que le commercial acquière une autonomie en la matière, c’est-à-dire un niveau de discer- nement lui permettant d’agir dans l’inté- rêt de l’entreprise, le directeur commercial devra lui fournir des outils lui permettant de calculer le niveau de remise possible en fonction du contexte. C’est en enrichissant le pouvoir d’agir du vendeur dans le cadre fixé par l’entreprise que le directeur com- mercial appliquera bien le principe de sub- sidiarité. Dans le cas contraire, le vendeur devrait systématiquement demander au di- recteur commercial l’autorisation d’accor- der une remise ; la prise de décision serait ralentie et nous ne serions pas dans une OR. Dans la pratique, délégation et subsidiari- té coexistent dans certaines organisations. Dans le premier cas, le manager décide ce qu’il veut déléguer à son ou ses collabo-
  • 51. 49 Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système rateurs ; dans le deuxième cas, le manager annonce (ou négocie) ce qui appartient à son domaine réservé, tout le reste revenant à ses collaborateurs s’ils souhaitent s’en saisir. Que devient le management avec la subsidiarité ? Le principe de subsidiarité construit ainsi une logique de pyramide inversée dans laquelle la hiérarchie, à chaque niveau, vient en aide aux collaborateurs et aux collaboratrices pour qu’ils réussissent leur travail, mais sans faire ni décider à leur place (posture dite du servant leader). Cette philosophie du management a été jo- liment résumée par des opérateurs d’un îlot de Michelin à l’usine de Roanne : « Notre manager s’occupe de nous et nous, on s’oc- cupe du reste. » Le principe de management par non-subs- titution (corollaire de la subsidiarité) consiste à ne pas faire ni décider à la place de celui qui est responsable, mais à l’épau- ler dans son action ou sa prise de décision. Ce changement de posture est extraordi- nairement difficile pour les managers qui ont été formés à prendre des décisions et qui pensent généralement savoir mieux que leurs subordonnés ce qu’il convient de faire. Même quand c’est effectivement le cas, l’apprentissage de la responsabilisa- tion nécessite de ne pas donner la réponse. C’est la posture décrite par Frédéric Lippi lorsqu’un collaborateur lui demande : « Comment dois-je faire ? », il répond : « Toi, tu ferais comment ? » Autrement dit, le manager doit désapprendre à faire ce qu’on lui a toujours appris et demandé de faire, et évacuer le territoire de la décision. On peut, en travaillant sur le contexte, créer des opportunités pour que les équipiers puissent faire l’apprentissage de décider en autonomie. Dans l’univers de l’usine, par exemple, cela peut consister à trouver un nouvel équilibre dans le temps de présence de l’encadrement et des services support, et dans la posture qu’ils adopteront. Ainsi, chez Michelin, les managers et les services support ne sont présents que huit heures par jour, cinq jours par semaine (c’est-à-dire environ 25 % du temps sur la totalité de la semaine de production 24 h/7 j), de manière que des marges d’autonomie puissent être testées et expérimentées par les équipiers, construisant progressivement leur propre confiance en leurs capacités. En mesurant le flux des décisions qui re- montent au niveau supérieur et en analysant leur nature, le manager peut vérifier si la sub- sidiarité fonctionne. Si trop de problèmes à trancher remontent au niveau supérieur, par exemple dans le cadre des animations à in- tervalle court, c’est que le fonctionnement en subsidiarité n’est pas encore parvenu à maturité. Au manager alors de chercher ce qu’il manque à l’équipe de terrain pour ré- soudre ces problèmes et ce qui explique le volume des remontées. Michelin avait no- tamment mis au point un petit outil d’au- toévaluation appelé « le carnet du leader ».
  • 52. 50 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Chaque semaine, le manager devait faire le point, dans ce carnet, sur les décisions qu’il avait prises, en se demandant si c’était bien à lui de les prendre. Si tel n’était pas le cas, il devait se demander pour quelle raison il avait été amené à prendre ces décisions : par exemple parce qu’il n’avait pas eu confiance dans ses équipiers, ou parce que, faute de certaines informations, ceux-ci n’avaient pas été en mesure de les prendre. Ce travail d’autoévaluation devait aider le manager à faire en sorte que, la fois suivante, ses équi- piers soient effectivement en mesure de prendre le type de décision en question. Le management par non-substitution modifie du tout au tout la responsabilité du manager. Il est toujours responsable du ré- sultat de l’équipe, non plus au titre de sa capacité à faire exécuter les ordres mais au titre de sa capacité à créer les conditions et à apporter son appui pour que les équipiers Le changement de posture des managers : l’exemple de la conduite accompagnée Reprenons notre exemple de la conduite automobile. Une partie d’entre nous a vécu l’expérience de la conduite accompagnée, c’est-à-dire encadrer l’apprentissage à la conduite d’un proche. Contrairement à un moniteur d’auto- école, un accompagnateur a peu de moyens pour intervenir directement sur l’action ; il est mis en situation de devoir faire confiance a priori à l’apprenant, de laisser l’action se dérouler, d’en évaluer les résultats et de s’en servir comme base de l’apprentissage. L’accompagnateur sait qu’il y aura des erreurs commises par l’apprenant et que cela fait partie de son apprentissage. L’accompagnateur doit donc lâcher prise, car il ne peut se substituer à l’apprenti conducteur. Il sait cependant qu’en cas d’accident, il ne pourra pas se dédouaner de sa responsabilité, alors même qu’il n’est pas au volant. Si l’on attend donc de l’accompagnateur qu’il puisse conseiller en direct l’apprenti et lui faire un retour pour qu’il progresse, on attend aussi et surtout de sa part qu’il sache adapter la situation de conduite au niveau de l’apprenant pour éviter de mettre le binôme en danger. Le conflit intérieur pouvant résulter de la conjonction paradoxale entre lâcher-prise et responsabilité est si inconfortable que certains parents ne se sentent pas capables de s’engager dans la conduite accompagnée et préfèrent y renoncer. C’est exactement la même chose pour les managers. On comprend, dès lors, que le sujet est un peu plus compliqué pour eux que les simples injonctions qui leur sont faites de « faire confiance » et de « lâcher prise ».
  • 53. 51 Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système réussissent leur mission en autonomie (à la manière de l’entraîneur d’une équipe spor- tive). C’est le principe d’aide. L’exemple de la conduite accompagnée (voir encadré ci-contre) nous permet de comprendre qu’il existe une condition indis- pensable à la mise en place d’une OR : que les managers osent faire confiance à leurs équipiers et qu’aucune des deux parties pre- nantes ne se sente mise en danger. Dans les OR, on entend souvent parler de « droit à l’erreur ». Mais faire des erreurs n’est pas un droit. Il existe en effet des erreurs bénignes aux faibles conséquences et d’autres qui peuvent avoir des effets considérables. Pour mieux comprendre la différence, convoquons ici une image, celle de la ligne de flottaison d’un bateau. De la coque d’un bateau, il y a ce que l’on voit et ce qui est sous l’eau. La séparation entre ces deux zones, c’est la ligne de flottaison. Si quelqu’un fait un trou dans la coque au-dessus de cette ligne, c’est certes en- nuyeux, mais le bateau ne coulera pas. En revanche, un trou au-dessous de la ligne de flottaison est inacceptable, car une telle erreur met en péril tout l’équipage, et le navire avec. La responsabilité du manager est de gérer la ligne de flottaison. À mesure que ses équipiers apprendront de nouvelles choses, les mettront en pratique et démon- 21. Pour une analyse des trois formes possibles de la confiance (confiance calculée, confiance construite, confiance postulée), voir Weil (2008). treront qu’elles sont bien acquises, le chef va atteindre un niveau de confiance suffisant pour élargir leur domaine de responsabilité. Quand certaines circonstances l’exigent, le principe de subsidiarité peut céder la place au principe de suppléance. Face à des circons- tances sortant de l’ordinaire (risque majeur ou urgence), le manager (ou une autorité su- périeure) va reprendre la main et exercer un pouvoir pour le compte des personnes ou des groupes qui n’en ont pas la capacité. La diffi- culté réside toujours dans le fait de savoir qui appréciera les circonstances en question. On connaîtlesrisquesdeceprincipedesuppléance au niveau politique (coup d’État ou remise du pouvoirparle«peuple»àunhomme«provi- dentiel » qui devient un dictateur). L’autorité se doit ensuite de rendre leur autonomie aux acteurs,quandlescirconstancesquijustifiaient ce transfert de pouvoir ont cessé d’exister. Au terme de ce développement, on voit que la subsidiarité n’implique pas une absence de manager, mais suppose une façon de manager qui change considérablement de nature. Si le manager doit faire confiance au salarié et encourager son pouvoir d’agir (le pari de la confiance ou confiance pos- tulée), il faut toutefois qu’il se soit d’abord attaché à développer chez le salarié le niveau de compétences qui viendra soutenir cette confiance (confiance construite21 ). Les com-
  • 54. 52 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation pétences représentent le filet de sécurité in- dispensable autant pour le salarié lui-même que pour le manager et pour l’organisation. Comme le dit avec humour Thierry Weil, il ne s’agit pas « de demander à quelqu’un de peindre un Picasso, sans couleurs, ni toile, ni la moindre connaissance en art pictural » (Weil et Dubey, 2020). La responsabilisation est donc un processus qui nécessite d’être accompagné de manière soutenue, tant du côté des managers (pour le changement de posture) que du côté des employés (pour l’acquisition de compétences). Considéré par tous les experts comme l’un des points les plus délicats des transforma- tions responsabilisantes, le repositionne- ment des managers est en fait souvent gêné ou empêché par les strates supérieures de l’organisation qui continuent à leur deman- der des comptes, alors même que ceux-ci ont accepté de mettre en œuvre le prin- cipe de subsidiarité : « Comment ça, tu ne sais pas ce qui a été décidé sur tel sujet ? Tu ne suis pas tes affaires ou quoi ? ». La réponse du manager du type « Non, il faut maintenant que tu demandes à X » n’est pas toujours bien acceptée par les strates supérieures. La question de l’exemplarité au plus haut niveau et de la cohérence des messages tout au long de la chaîne hiérar- chique est donc primordiale. Quand les managers ont pu bénéficier d’un véritable soutien et que l’intégration des principes de la responsabilisation est réussie, la conception qu’ils ont de leur rôle peut devenir extrêmement valorisante. En témoigne ce manager d’un atelier de 250 personnes ; quand on lui demande quel est son métier, il répond : « Rendre 250 per- sonnes heureuses à leur travail. » On note cependant une dérive possible sur ce point : des servant leaders convaincus peuvent finir par s’occuper davantage du développement de leur équipe que de la performance des opérations. La juste combinaison de bien- veillance et d’exigence du manager repré- sente, par conséquent, un sentier particu- lièrement étroit. D’où une idée à explorer, qui a déjà été mise en œuvre dans certaines entreprises, consistant à dissocier le rôle de servant leader et celui de manager opé- rationnel en les confiant à deux personnes différentes. Solidarité La solidarité au sein du collectif de travail est l’un des effets majeurs qui résulte d’une transformation responsabilisante, quand elle réussit. Par solidarité, nous entendons ici que chacun se sente res- ponsable du résultat collectif et veuille y apporter son concours (responsabilité so- La responsabilisation est un pro- cessus qui nécessite d’être accompagné de manière soutenue, tant pour les ma- nagers que pour les employés.
  • 55. 53 Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système lidaire). Nous nous référons aussi à l’en- traide et à la coopération qui résultent de cette responsabilité collective. Dans l’archétype d’une hiérarchie classique, chacun est comptable de ce qu’il a à réali- ser à son poste, le reste étant l’affaire de ses collègues et de son manager. Chacun accom- plit donc son travail sans prendre en compte l’effet que celui-ci produit sur ses collègues ni, plus généralement, sur la chaîne de pro- duction de l’entreprise.Autrement dit, la per- sonne est responsabilisée sur la réalisation de satâcheetnonsurl’ensembled’unprocessus, sur lequel elle ne dispose pas toujours d’une visibilitésuffisante.C’estundesrésultatsnon seulement de la parcellisation du travail mais aussi des systèmes d’incitation fondés uni- quement sur des résultats individuels. Dans une organisation responsabilisée en revanche, tous les équipiers vont se sentir comptables des résultats du groupe – à la manière de ce qui se passe dans un sport collectif. Ils seront donc incités à s’en- traider et à coopérer pour atteindre les objectifs. Un opérateur en difficulté sur le critère « qualité » (savoir détecter des non-conformités) verra ses collègues lui venir en aide pour mieux maîtriser le mode opératoire et comprendre l’origine de son problème, dans la mesure où la qualité est un des objectifs de l’équipe. Cela n’en- lève rien à la responsabilité personnelle de chacun (assumer les conséquences de ses actes), mais ajoute de l’entraide et de la coopération, en raison d’un sentiment collectif partagé dans la réussite comme dans l’échec. Un tel résultat s’obtient si chaque membre d’une équipe et chaque équipe comprend le rôle qu’il ou elle joue dans le jeu col- lectif et comment sa contribution concourt aux résultats de l’équipe, du collectif élargi, voire de l’entreprise dans son en- semble. La compréhension par tout un chacun des objectifs globaux de l’enti- té est donc très importante. Mais ce qui change radicalement dans l’organisation responsabilisante, c’est le fait de donner à chaque équipe des marges de manœuvre pour définir comment elle peut, à son niveau, contribuer à la réalisation des ob- jectifs de l’entité. Par exemple, au lieu de dire aux opérationnels : « Il faut faire pro- gresser tel critère, voici donc ce que vous allez faire… », on leur demande : « On a un problème de time-to-market, sur quoi pourriez-vous travailler, à votre niveau, pour améliorer ce point ? » La codéter- mination des objectifs intermédiaires qui seront portés par l’équipe (et plus seu- lement par le manager) crée ensuite une responsabilité solidaire autour de l’obten- tion des résultats que l’équipe a elle-même définis. Le système de rémunération devra bien entendu évoluer pour accompagner la dimension collective de l’effort (prime collective notamment), ce qui renforcera la solidarité. Arriver à cette situation « idéale » n’a rien de spontané et ne se construit pas en un jour.
  • 56. 54 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Le processus suppose de passer d’un simple collectif de travail à une communauté de travail (voir encadré ci-dessous). Une communauté de travail résulte d’une construction. Dix individus qui travaillent dans un même service, en ayant vaguement conscience d’un objectif commun, ne forment pas une communauté de travail. Pour n’en donner qu’un exemple, pensons à dix ensei- gnantsuniversitaires(uneprofessionquiseca- ractérise par un haut niveau d’indépendance individuelle) rassemblés dans un même dé- partement d’enseignement et de recherche : font-ils « communauté » ? L’existence d’une communauté de travail implique l’émergence d’un « nous » : des relations interpersonnelles fondées sur la confiance, une intensité de la collaboration entre les membres, le partage de valeurs et d’objectifs communs. Autrement dit, la communauté de travail va se construire socialement via des routines, des événements, des épreuves traversées ensemble, qui débou- cheront sur un sentiment d’appartenance, de confiance et de soutien entre les membres. L’accent mis sur la communauté de travail permet de comprendre que la responsabili- sation n’est pas seulement un fait individuel qu’il s’agirait de soutenir et de développer, c’est une construction autour d’une aspiration qui doit devenir collective et partagée. Sans la conscience et la volonté de participer à ce «devenircommun»,ilseratrèsdifficileàl’or- ganisation responsabilisante de prendre corps et de s’ancrer. La responsabilité de chacun va s’exercer dans le cadre de ce « territoire » qu’est la communauté de travail, qui s’entend à plusieurs échelles, depuis l’unité élémen- taire de travail (l’équipe) jusqu’à l’entité globale. La difficulté réside souvent dans le passage de la communauté « équipe », dans laquelle la solidarité peut être très forte, à Communauté de travail Comme l’explique Pierre-Yves Gomez dans son blog, « l’entreprise vue comme une communauté suppose qu’il existe une culture, une histoire partagée et une solidarité entre les collaborateurs telles que l’identité du travailleur est nourrie par le “collectif de travail”. Celui-ci constitue pour lui une ressource essentielle pour définir sa place, ses savoir-faire ou pour déployer son chemin d’apprentissage personnel dans la durée. Dans l’entreprise-communauté, la division du travail se voit comme une hiérarchie de compétences interconnectées (l’apprenti débutant, le compagnon expérimenté, le maître confirmé) et elle nécessite des investissements de long terme pour acquérir les exigences communes du “travail bien fait” propre à la communauté. »
  • 57. 55 Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système la communauté « entreprise » qui, selon la taille de cette dernière, peut rendre la soli- darité et la coopération très abstraites. En définitive, la solidarité est l’une des ré- ponsesausentimentdesolitudequelarespon- sabilitéfaitnaîtrechezunindividu,sentiment qui peut s’avérer inhibant, voire délétère, et peut aboutir à un rejet de la responsabilisa- tion. Inversement, elle lui permet aussi de ne pas tomber dans le travers de l’excès d’indé- pendance(ouvertigedupouvoirdedécision). L’existence même du collectif va rappeler à l’individu qu’il n’est pas un atome flottant dans l’éther, mais que son action est interdé- pendante de celle des autres. Collégialité La pratique de la délibération collective est l’une des caractéristiques essentielles des OR. C’est un filet de sécurité face à la res- ponsabilité de chaque membre du groupe, et c’est aussi une manière de construire des Co-construction des décisions La co-construction désigne un processus délibératif encadré par un dispositif formel et par l’intervention d’un tiers régulateur et médiateur. Dans une équipe de travail, ce dernier est le plus souvent le manager. Pour lui, se référer à la co-construction consiste à la fois à définir et à être garant d’un espace délibératif particulier qui introduit d’autres formes d’interactions entre les subordonnés entre eux et entre ces derniers et lui- même. La co-construction ouvre ainsi sur une option managériale nouvelle, en rupture avec les autres pratiques traditionnellement utilisées (la consultation, la communication d’une décision prise sans concertation avec les subordonnés). La mise en œuvre de la co-construction doit chercher à équilibrer la participation et l’efficacité décisionnelle pour éviter les délais et la paralysie d’analyse. Il est essentiel de structurer cette participation et de clarifier les rôles dans la prise de décision elle-même. Source : Foudriat M. (2014). La co-construction, Une option managériale pour les chefs de service. In Le management des chefs de service dans le secteur social et médico- social, Dunod, pp. 229-250. La collégialité prend le plus souvent la forme d’une réflexion col- lective visant d’une part à enrichir l’éventail des solutions à considérer, et d’autre part à prendre en compte l’avis des personnes qui seront affectées par une décision.
  • 58. 56 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation apprentissages collectifs, permettant de bâtir la communauté de travail via des rou- tines et le partage progressif d’un langage commun, d’objectifs et de réflexes parta- gés. Nous appelons le développement de ces capacités « la collégialité », qui peut s’entendre de diverses manières. Procédure collégiale et décision collective Lacollégialitéprendleplussouventlaforme d’une réflexion collective visant d’une part à enrichir l’éventail des solutions à considé- rer (délibération), et d’autre part à prendre en compte l’avis des personnes qui seront affectées par une décision (concertation). Il s’agit d’une procédure collégiale dont la visée n’est pas nécessairement d’obtenir une décision commune et partagée (même si cela serait préférable), mais de prendre la dé- cision la plus avisée possible. La procédure collégiale va cependant plus loin qu’une simple consultation (ou sollicitation d’avis) dans la mesure où le processus de réflexion est collectif et vise à construire ensemble la décision à prendre (co-construction, voir encadré en page précédente). La procédure collégiale précède donc une décision mais elle ne se confond pas systématiquement avec une décision collective. Pour mieux comprendreladifférence,prenonsl’exemple très parlant de la procédure qui précède la décision du médecin dans le contexte de la fin de vie (voir encadré ci-dessus). Dans ce cas, la procédure collégiale vise à éclairer celui qui doit prendre une décision, sans pour autant le dédouaner de sa responsabili- té personnelle quant à cette décision. La délibération collégiale peut cependant aussi déboucher sur une décision prise La procédure collégiale dans le contexte de la fin de vie « La procédure collégiale est une modalité de concertation imposée par la loi dans des situations spécifiques de fin de vie. Elle précède la prise de décision du médecin responsable du patient. La procédure collégiale permet de mener une réflexion collective, réunissant plusieurs professionnels de disciplines différentes […]. Elle permet d’éviter toute décision médicale solitaire ou arbitraire, c’est-à-dire dépendante du jugement d’un seul professionnel. […] La décision finale appartient au médecin qui prend actuellement soin du patient : s’il se nourrit des différents avis émis, sa décision ne s’y résume pas nécessairement. C’est le processus de réflexion qui est collectif, et non la décision : le médecin référent reste l’unique décideur et responsable. » Source : site parlons-fin-de-vie.fr
  • 59. 57 Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système collectivement. Il existe différents types de procédure de décision collective (vote, consensus, consentement, veto, compro- mis), présentant chacun des avantages et des inconvénients (voir encadré ci-dessus). Dans le contexte professionnel, la dé- libération collective est soumise le plus souvent à des contraintes de temps et d’efficacité. Elle a pour objectif de par- venir à des décisions aussi informées et pertinentes que possible dans un laps de temps donné. Collégialité n’est donc pas forcément synonyme de consensus. La plupart du temps, une personne a été désignée par la hiérarchie ou par la base pour prendre une décision dans un champ de responsabilité donné. L’important est que cette personne réunisse trois caracté- ristiques : elle a reçu le pouvoir de décider, elle a la compétence pour le faire, la com- munauté de travail lui reconnaît la légiti- mité de pouvoir décider sur ce champ de responsabilité. Différents types de décision collective Le vote est un procédé rapide permettant l’expression de chacun. Les règles du vote peuvent prévoir une décision à la majorité ou à l’unanimité. Quand la légitimité de la décision repose sur le choix du plus grand nombre, rien ne prouve que la majorité soit porteuse de la « bonne » décision. Dans le consensus, le groupe construit et façonne progressivement des propositions – en tenant compte des apports et des points de vue de chacun –, qui finissent par converger et emporter l’adhésion, sans qu’il soit nécessaire à chacun de se prononcer. Désavantage majeur : le consensus est un processus très consommateur de temps. Assez proche du consensus, une décision par consentement est adoptée si personne ne s’exprime pour s’y opposer. Dans le cas contraire, la discussion est réouverte. Le droit de veto s’entend généralement dans le cadre d’un vote exprimé (à la différence du consentement). Il implique le droit pour une personne de s’opposer à une décision, même si tout le groupe vote en faveur de la décision. C’est le corollaire d’une procédure de vote à l’unanimité (par exemple au Conseil de sécurité des Nations unies). Selon les règles adoptées, le droit de veto peut appartenir à tous ou au contraire être réservé à quelques personnes (par exemple, le manager, le dirigeant). Enfin, avec le compromis, il s’agit de rechercher une position médiane entre des divergences exprimées, en faisant des concessions réciproques (habituellement par la négociation). Le compromis permet de rendre une décision acceptable, mais rarement d’aboutir à la « meilleure » décision.
  • 60. 58 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Toutefois, rien n’empêche une organisation responsabilisante d’instituer d’autres règles en matière de prise de décision en fonction de l’objet de la décision, du contexte, de la culture, des spécificités du groupe, du temps disponible, etc. L’important sera d’être transparent sur les règles selon les- quelles se prendront les différents types de décision, voire d’en faire le sujet de la pre- mière décision collective. La clarification du qui décide quoi est une condition fondamentale du bon fonction- nement des OR. Elle nécessitera de définir avec précision ce qui relève du « domaine réservé » du manager (voir encadré ci-dessus), ou encore les zones rouges (celles qui ne sont pas ouvertes à la col- légialité) et les zones bleues (celles qui le sont) (Weil et Dubey, 2020). Une dernière question se pose encore : une décision quand elle est collective entraîne- t-elle une responsabilité collective ? Sans nous lancer dans une discussion philoso- phique sur cette question complexe, rappe- lons seulement qu’en droit (pénal ou civil) la responsabilité est personnelle (Lebrun, 2015). On pourrait toutefois distinguer, comme le propose Bertrand Ballarin, l’état La notion de domaine réservé En droit constitutionnel français, on désigne par « domaine réservé » certains secteurs de la politique nationale (la défense nationale et la politique étrangère notamment) dans lesquels la compétence particulière du président de la République, reconnue par l’usage, s’exerce. Cette expression a été inventée par Jacques Chaban-Delmas en 1959. Cela n’empêche pas qu’il y ait un ministre des Armées et un ministre des Affaires étrangères, et que les administrations de la défense et des affaires étrangères dépendent exclusivement de ces ministres. En bref, le domaine réservé ne doit pas être compris comme un domaine exclusif. Dans une équipe, c’est la même chose. Très rares sont les domaines qui ne relèvent pas de la compétence d’au moins un des équipiers. Le domaine réservé du manager est donc plutôt un ensemble de sujets qu’un domaine entier, et le mot « réservé » n’implique pas qu’il soit seul à l’instruire. Ce qui caractérise ces sujets-là, c’est qu’il existe de bonnes raisons pour que le manager s’implique en détail dans leur suivi parce qu’in fine la décision lui reviendra. En fait, c’est la décision qu’il faut considérer comme réservée. C’est pourquoi l’existence d’un domaine réservé n’exclut pas la délibération sur les sujets qui le constituent.
  • 61. 59 Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système et le sentiment de responsabilité. L’état de responsabilité induit l’imputabilité person- nelle des actions. Le sentiment de responsa- bilité, conséquence de la solidarité et de la collégialité, correspond davantage à l’idée de « se sentir concerné » sans imputabilité. Le dialogue professionnel collectif s’exerce généralement dans des instances organisées ayant, chacune, une finalité distincte (opérationnelle, organisation- nelle, stratégique) et des fréquences adap- tées à leur but (journalière, hebdomadaire, mensuelle, annuelle). Mettre en place ces instances de délibé- ration nécessite tout un apprentissage. Le manager doit désapprendre à donner des ordres, et apprendre à écouter, ques- tionner, relancer, distribuer la parole à chacun et respecter le timing ; les équi- piers doivent apprendre à s’exprimer, ne pas se couper la parole, s’écouter entre eux, etc. Pour certaines populations, ces situations nouvelles peuvent être désta- bilisantes. Un agent de fabrication peut mettre jusqu’à un an pour acquérir assez de confiance en soi et réussir à expri- mer les difficultés qu’il ressent dans son travail. Cet apprentissage fait directe- ment référence au concept de « sécurité psychologique » d’une équipe (Edmond- son, 2018) : il se définit comme la convic- tion partagée par ses membres qu’il est acceptable et reconnu d’exprimer ses idées et ses préoccupations, de poser des questions et d’admettre ses erreurs, le tout sans craindre de conséquences né- gatives. Comme le dit Amy Edmondson, « c’est une permission de franchise » res- sentie par chaque membre. Décider si la délibération professionnelle doit se faire avec le manager ou hors de sa présence dépendra de la philosophie de l’entreprise considérée. Il existe une divergence académique sur ce plan entre les professeurs Mathieu Detchessahar, qui vient du courant de la gestion des res- sources humaines (GRH) et des sciences de gestion, et Yves Clot, qui représente le courant de la psychologie du travail et de l’ergonomie. Selon ce dernier, seule l’ab- sence du manager à certaines étapes de la délibération sur le travail peut permettre une réelle liberté de parole chez les opé- rationnels ; selon le premier en revanche, la présence du manager permet de garan- tir une rapidité dans la remontée des infor- mations utiles vers les niveaux supérieurs. Au-delà de cette raison pratique, l’idée est que le manager de proximité fait partie de l’équipe, et qu’il n’y a donc pas de raison qu’il se considère (ou soit considéré) comme extérieur à l’équipe au moment d’une délibération. Instances de délibération et de décision dans le lean En usine, le dialogue professionnel joue un rôle essentiel dans les pratiques du lean management. Le lean est une approche de gestion axée sur l’efficacité opération-
  • 62. 60 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation nelle et la réduction des gaspillages via l’amélioration continue. Dans ce contexte, le processus de discussion et de prise de décision au sein d’une équipe a pour but d’identifier des problèmes et des écarts de production, d’en cerner les causes, de pro- duire des idées et de parvenir à des solu- tions. Le lean multiplie ainsi les occasions d’apprentissage pour développer les per- sonnes, et la délibération est en elle-même un puissant stimulant de l’apprentissage. Deux types d’instances sont particulière- ment importantes : les animations à inter- valle court (AIC) et les chantiers Kaizen. Animations à intervalle court (AIC) La première brique de l’apprentissage du dialogue et de la délibération se fait le plus souvent à travers la mise en place de réu- nions brèves à différents niveaux de l’en- treprise : par exemple, point journalier de cinq minutes au niveau de l’équipe, point de quinze minutes à l’échelon intermé- diaire, point de trente minutes au niveau du site ou de l’entité. On y traite de la situation de l’équipe en matière de sé- curité, de qualité, de délais, de coût. Les problèmes à traiter sont identifiés au plus près du terrain et débattus en réunion dans une escalade de subsidiarité. L’équipe décide des actions qu’elle peut mener à son niveau, et de remonter éventuellement au niveau supérieur les sujets sur lesquels elle ne dispose pas des compétences, ni des ressources nécessaires, ou qui relèvent du domaine réservé du manager. Les ins- tances de niveau supérieur ont pour rôle essentiel d’aider à résoudre les sujets identifiés par la base. Elles doivent être exemplaires, trouver les solutions, prendre les décisions demandées et les faire redes- cendre rapidement. Frédéric d’Arrentières souligne d’ailleurs que ses observations au sein de l’ingénierie véhicules de Renault lui ont montré que les équipes ne reven- diquent pas forcément de prendre direc- tement les décisions, notamment lorsque celles-ci sont liées à de fortes interdépen- dances avec des tiers, mais que leur attente est de disposer de mécanismes efficaces de synchronisation entre équipes et de s’assurer de la disponibilité des niveaux supérieurs pour que les décisions soient prises rapidement. La métamorphose vers l’OR vise toutefois à changer cette dispo- sition d’esprit un peu frileuse qui provient souvent d’années d’absence de pratique de la décision. Amélioration continue (Kaizen) La délibération est aussi un élément clé du processus d’amélioration continue dans le lean. Les équipes se réunissent régulière- ment pour discuter des problèmes opéra- tionnels, des obstacles et des opportunités d’amélioration. Les membres de l’équipe, le manager et les fonctions support par- tagent leurs observations, échangent des idées et travaillent ensemble pour trouver des solutions innovantes.
  • 63. 61 Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système Les pratiques de dialogue et de délibéra- tion du lean sont une manière d’avancer vers la responsabilisation non pas d’une façon abstraite, mais au quotidien, autour du travail réel. Elles permettent d’entraî- ner les opérationnels à s’exprimer, puis à participer à la prise de décision collective. Elles sont le terrain de jeu sur lequel se développe la compétence à savoir décider en équipe, qui pourra progressivement s’exercer dans des champs de responsabi- lité de plus en plus larges. Toutefois, la seule pratique des animations à intervalle court et des réunions Kaizen, qui ne représentent à elles deux qu’un pour- centage très limité du temps de travail, ne peut suffire à développer chez les opéra- Trois boucles de rituels mis en œuvre au sein du groupe Michelin La boucle annuelle permet de codéterminer les ambitions et les objectifs à l’horizon d’une année glissante. Elle permet aux équipes de définir leur quoi, c’est-à-dire la contribution que chaque collectif pourra apporter à la réalisation des grands enjeux définis par l’entité de tête qui fixe les objectifs globaux à atteindre. Il est nécessaire que chaque collectif s’approprie ces grands enjeux (le pourquoi), et soit conscient de ses forces et de ses faiblesses pour débattre et proposer sa meilleure contribution. Les équipiers qui ont joué un rôle actif dans la définition du quoi seront beaucoup plus pertinents dans la définition du comment et beaucoup plus motivés dans sa mise en œuvre. Ce rituel mobilise les employés durant une journée chaque année. La boucle mensuelle de pilotage et de priorisation permet de décider collégialement la manière de progresser dans le cadre des ambitions définies lors de la boucle annuelle. Chaque collectif fait un retour d’expérience (retex) sur la période qui vient de s’écouler et, en fonction du progrès réalisé, décide de faire évoluer ses priorités d’action et de planifier une nouvelle étape de progrès pour la période à venir. La périodicité mensuelle permet de s’adapter aux évolutions du contexte à court terme. Cette boucle réunit chaque collectif de travail entre une heure et une heure trente chaque mois. La boucle quotidienne de management de la performance et de réponse rapide (MQP/ RR) permet de réagir aux dérives les plus importantes de la marche courante, et permet également d’allouer des ressources à la résolution de problèmes concrets qui freinent le progrès. Les équipes se doivent de réagir le plus rapidement possible aux dérives. Pour autant, elles ne pourront pas traiter en profondeur et éradiquer l’ensemble des problèmes qui peuvent se présenter au jour le jour. La boucle quotidienne comporte donc des rituels qui mobilisent aussi les équipes de niveau supérieur.
  • 64. 62 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation tionnels la pratique de la délibération. Chez Michelin (voir encadré en page précé- dente), comme chez Lippi et Martin Tech- nologies, plusieurs types de rituels ont été installés avec différentes fréquences selon leur finalité : annuelle, mensuelle, hebdo- madaire et journalière. Dans d’autres modèles organisationnels comme l’holacratie22 , on trouvera les réu- nions de triage et les réunions de gouver- nance, deux instances distinctes dont le rituel est adapté à la nature de la discussion. La mise en place d’instances structurées et régulières de délibération et de décision, et la capacité des membres à y participer au bon niveau, en comprenant la finalité de chacune, sont des marqueurs distinctifs des organisations responsabilisantes. Activité Au cœur des travaux de l’école française d’ergonomie se trouve la question de l’ac- tivité. La différence entre le travail prescrit par l’organisation et le travail réel accompli par le travailleur ouvre la voie à l’analyse des compromis opératoires mis en œuvre par les travailleurs pour réduire cet écart (et, en fait, le révéler au grand jour). Ces solutions actionnées par les travailleurs re- 22. Auto-organisation d’équipes interconnectées où les décisions se prennent au consentement et les managers sont choisis par élection sans candidat. présentent ce que les ergonomes appellent « l’activité ». Prenons l’exemple d’une règle de sécurité jugée inefficace par les travailleurs. Trois cas de figure sont possibles. Le premier est le contournement de la règle (ex. ne pas mettre hors tension une machine avant de la réparer pour qu’elle démarre plus rapide- ment), ce qui peut aboutir à des résultats ca- tastrophiques (ex. accident grave). Le deu- xième est qu’une discussion soit ouverte sur l’utilité et le sens de la règle, permettant de réaffirmer la raison pour laquelle elle doit être effectivement respectée. Le troisième est une discussion permettant de creuser les raisons pour lesquelles la règle n’est pas respectée (ex. la coexistence avec un objec- tif de cadence contradictoire), conduisant à faire émerger une meilleure règle que la règle existante, tout en tenant compte de l’ensemble des données du problème. Une des premières étapes vers l’organisation responsabilisante consiste précisément à permettre à ceux qui effectuent le travail de discuter des conditions de réalisation de ce travail. Cette possibilité est ce qui permettra d’éviter le contournement des règles. Tout l’enjeu est de créer un espace dans lequel les personnes se sentent habilitées à lever la main pour s’exprimer, lorsqu’elles consi- dèrent qu’elles font quelque chose d’inutile ou d’inefficace, et où elles peuvent échanger
  • 65. 63 Chapitre 3. La boussole de la responsabilisation : cinq dimensions qui font système avec le détenteur de la règle pour décider s’il faut continuer à l’appliquer ou la repenser. Une des fonctions essentielles de l’ana- lyse de l’activité, c’est de favoriser une autre conception de la prescription, plus favorable au respect de la personne mais aussi à l’efficacité du travail. La définition de la prescription ayant historiquement été confiée presque exclusivement à des experts, c’est notamment sur ce point que se joue le défi de tempérer le taylorisme : dans l’élaboration d’un nouveau modèle d’activité qui donnerait aux collaborateurs un rôle plus actif dans la construction de la prescription de travail, du fait de leur connaissance du travail réel – ce que nous avons appelé dans d’autres ouvrages le « design du travail » (Pellerin et Cahier, 2019, 2021). Une transformation responsabilisante en- tretient des liens étroits avec l’activité. Généralement, elle affiche comme objec- tif de donner davantage d’autonomie aux collaborateurs, c’est-à-dire davantage de marges de manœuvre dans la régulation de leur activité. Cette absence de marges de manœuvre est précisément dénoncée depuis longtemps par les ergonomes, les psychologues et les sociologues du travail comme un facteur affectant négativement la santé au travail (voir chapitre 2). Les projets de responsabilisation qui visent en principe l’articulation de la santé des tra- vailleurs et de la performance du travail (efficacité des processus de décision, subsidiarité et coopération) devraient donc être accueillis favorablement par les spé- cialistes du travail. Mais il existe deux pierres d’achoppement majeures dans ces projets, selon ces pro- fessionnels. La première est que prescrire l’autonomie peut paraître un projet paradoxal (« Sois autonome » est une injonction paradoxale). Cette objection ne nous paraît pas entière- ment fondée. Certes, la décision de fonc- tionner différemment viendra forcément du dirigeant, mais cela ne signifie pas qu’il devra en prescrire toutes les modalités. Son rôle consistera précisément à créer les conditions pour qu’émerge la responsabi- lisation, c’est-à-dire poser des principes, puis laisser les échelons subordonnés les traduire en règles détaillées. Mais expli- citer les principes est souvent beaucoup plus difficile que de fabriquer de la règle de détail. La seconde pierre d’achoppement est que la responsabilisation comporte des risques importants d’atteinte à l’équilibre psy- chique et physique des salariés, comme cela a été souligné par plusieurs travaux (Picard, 2015 ; Canivenc, 2022). En effet, la responsabilisation est loin de n’entrete- La responsabilisation est loin de n’entretenir que des rapports positifs avec la santé au travail.
  • 66. 64 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation nir que des rapports positifs avec la santé au travail. Dans certains exemples d’entre- prises cheminant vers l’OR, l’intensité et le temps de travail s’accroissent, les coo- pérations se révèlent souvent insuffisantes et les opérationnels n’ont pas forcément la capacité à peser sur la coopération interser- vices (qui reste le plus souvent l’apanage des managers), la qualité des relations est susceptible de se dégrader, et tout s’accom- plit souvent sans qu’aucune compensation salariale pour ces efforts supplémentaires ne soit mise en place. Plus encore, la transition vers la responsa- bilisation (la transformation elle-même) est vécue par les personnes comme un accrois- sement de la charge d’activité, parce qu’on leur maintient le même objectif personnel de production sans prendre en compte la charge additionnelle induite par la transformation et, demain, par le nouveau mode de fonc- tionnement stabilisé (ex. les services rendus à l’équipe, la participation aux délibéra- tions). L’aggravation des risques psychoso- ciaux (RPS) qui en découle est souvent le révélateur d’un manque de ressources pour répondre aux exigences de l’activité et pour réaliser un travail de qualité. Les critères définissant ce qu’est un « bon travail » peuvent en outre être assez diffé- rents entre la hiérarchie et les opération- nels. Par exemple, un opérateur d’un centre d’appels de service après-vente considé- rera comme un travail de qualité le fait d’avoir réussi à résoudre le problème du client, alors que la hiérarchie retiendra le nombre d’appels traités et le temps passé sur chaque appel. Une infirmière considé- rera comme du bon travail le temps passé à échanger avec son patient, à le rassurer et à lui procurer du bien-être, alors que la hiérarchie prendra en compte le nombre d’actes de soin et le temps passé auprès de chaque patient. Il existe donc des conflits de critères sur ce qu’est un travail bien fait. Ces conflits de critères peuvent d’ailleurs exister entre opérationnels eux-mêmes. C’est ce qui rend indispensable d’institutionnaliser des espaces de délibération sur le travail pour traiter ces conflits de critères et organiser ce qu’Yves Clot (2021) appelle la « dispute professionnelle ». L’organisation de ces espaces de délibération sur les critères d’un bon travail sera souvent un marqueur de l’organisation responsabilisante. L’organisation d’espaces de dé- libération sur les critères d’un bon travail sera souvent un marqueur de l’organisation responsabilisante.
  • 67. 65 CHAPITRE 4 La boussole de la responsabilisation en action Comprendre en profondeur les principes essentiels de l’organisation responsabi- lisante et leurs interactions systémiques, s’accorder sur les définitions qu’on veut leur donner collectivement (de façon plus ou moins ambitieuse), rédiger le cas échéant un livre blanc permettant d’objec- tiver les intentions que l’on poursuit pour pouvoir à tout moment revenir à ces fon- damentaux, apparaissent comme des pré- requis à la transformation. Ce n’est pas encore de la mise en œuvre, mais c’est un préalable indispensable à celle-ci. La boussole de la responsabilisation ne se résume donc pas à une approche concep- tuelle. Elle permet de s’engager dans la démarche de transformation en sachant de quoi on parle, et elle est activable dès la phase de réflexion amont. Elle sert de grille de conception pour : i) élaborer une vision du système cible que l’on souhaiterait faire émerger (et qui n’est pas un simple référen- tiel de bonnes pratiques) ; ii) déterminer sur quoi agir prioritairement ; et iii) évaluer le degré de maturité de l’organisation sur les différentes dimensions. Construire une vision de la transformation Pour s’approprier les cinq dimensions et se référer à un langage commun, il sera utile de commencer par construire une vision du système cible tel qu’on se l’imagine. La vision est souvent un exercice que l’on peut qualifier de from → to appliqué à la responsabilisation : que sommes-nous aujourd’hui ? que voudrions-nous être demain ? Cette vision peut elle-même être construite avec une méthode d’exploration. Le principe de ce type de méthode est de poser une question principale et d’apporter des éléments de réponse à cette question, éléments qui vont eux-mêmes provoquer d’autres questions auxquelles il faudra continuer de répondre, et ainsi de suite.
  • 68. 66 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Chaque dimension de la boussole ouvre donc un questionnement. Responsabilité : Comment s’exerce la res- ponsabilité aujourd’hui ? Qui est respon- sable de quoi et devant qui ? → Quelle chaîne de responsabilité voudrions-nous demain dans notre entité responsabilisée ? Quelles sont les responsabilités qui s’at- tachent naturellement à tel ou tel niveau, compte tenu des aptitudes qui s’y trouvent par la connaissance et l’expérience ? Subsidiarité : Par qui et comment les problèmes et les aléas sont-ils traités au- jourd’hui ? → Comment voudrions-nous qu’ils le soient demain ? (par exemple, pro- blèmes traités là où ils apparaissent). Comment les opérations sont-elles gérées aujourd’hui ? → Comment voudrions-nous qu’elles le soient demain? (par exemple, prise de décision par ceux qui font les opérations). Comment sont définis les objectifs au- jourd’hui ? → Comment voudrions-nous qu’ils soient définis demain, et par qui ? (par exemple, co-construction des objectifs). Solidarité : Comment considérons-nous au- jourd’hui le niveau de solidarité, d’entraide et de coopération au sein des équipes ? → Comment développer une culture de la coopération et de la confiance dans la com- munauté de travail demain ? Ce qui exige, de s’interroger sur les pratiques propices à la solidarité. Collégialité : Comment et dans quelles enceintes sont prises les décisions au- jourd’hui ? → Comment voudrions-nous qu’elles soient prises demain ? Activité : Quelle est notre évaluation de la qualité du travail tel qu’il est pratiqué dans notre organisation ? Sur quels critères nous appuyons-nous pour faire cette éva- luation ? → Quel est notre objectif pour demain dans ce domaine ? Les dimensions de la boussole sont donc, dans un premier temps, un moyen de provo- quer un questionnement destiné à faire réflé- chir ceux qui porteront la transformation, en les aidant à se projeter. Cette vision n’est pas figée, ce n’est pas un point B à atteindre. C’est une esquisse, mais une esquisse capable de donner une indica- tionsuffisammentclairedesprincipesconsti- tutifs du modèle visé. Elle devra ensuite être remise sur le métier au fil de l’avancement de la transformation et des remontées du corps social. Déterminer sur quoi agir Pour que les cinq principes de la boussole puissent prendre corps et se déployer, il va falloir déterminer sur quels premiers élé- ments tangibles de l’organisation agir, de manière à faire bouger le système et créer un nouveau « terrain de jeu ».
  • 69. 67 Chapitre 4. La boussole de la responsabilisation en action Taille et stabilité des équipes sur des « territoires » Les finalités de responsabilisation, solidari- té et collégialité nécessitent le plus souvent de passer par une réflexion sur la taille des équipes et leur stabilité relative sur un ter- ritoire donné. Divers travaux, notamment en psychologie sociale, ont investigué le lien entre la per- formance des équipes et leur taille. L’effet Ringelmann explique la relation inverse entre la taille d’une équipe et la contribu- tion individuelle à la réalisation de ses ac- tivités. Ringelmann (1913) a montré qu’à mesure que des personnes sont ajoutées à un groupe, le groupe devient de plus en plus inefficace. Deux processus ont été identi- fiés pour expliquer cette baisse de produc- tivité. D’une part, la perte de motivation individuelle, et d’autre part la diminution de la coordination. Parmi les facteurs de perte de motivation des grandes équipes, Forsyth (2006) a identifié le phénomène de « paresse sociale » : chaque personne déploie moins d’efforts parce qu’elle pense que sa contribution individuelle devient moins identifiable et que d’autres pren- dront le relais. Il a ensuite montré que cette paresse sociale peut être contrée autrement que par la pression d’un chef, à travers la fixation d’objectifs clairs et ambitieux (exigence), et également via la perception 23. Selon Jeff Bezos, une équipe a la bonne taille quand elle peut être nourrie par deux pizzas king size. par chacun qu’il est indispensable au fonc- tionnement et à la performance de l’équipe (solidarité). La conclusion générale que l’on peut tirer de ces travaux est que la taille optimale d’une équipe se situerait à peu près entre sept et onze personnes (Katzenbach et Smith, 1993), ce que Jeff Bezos a résumé par l’expression « two-pizza team23 ». Le chiffre peut bien entendu être discuté, mais l’idée fondamentale est de trouver un juste équilibre entre une équipe avec trop peu de personnes pour assurer la di- versité des profils et des compétences, et trop nombreuse pour obtenir une pleine participation, une bonne communica- tion et une coordination aisée. Lorsque la taille des équipes dépasse un certain seuil, il leur devient plus difficile de par- venir à une compréhension commune des problèmes et des situations ; les ré- unions deviennent trop longues, et la délibération ainsi que la prise de déci- sion nettement plus compliquées. Dans les grandes équipes, les personnes se connaissent moins, la confiance mu- tuelle est donc moins évidente. Elles ont également moins conscience du travail des autres membres et du niveau de leur contribution au succès de l’équipe. Katzenbach et Smith (1993) ont noté que les équipes hautement performantes sont constituées de membres ayant un fort
  • 70. 68 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation intérêt personnel pour les autres, ainsi que pour le respect et la collaboration professionnels. On comprend aisément que ces conditions de fonctionnement, et surtout les liens in- terpersonnels, nécessitent une certaine stabilité des équipes. D’un côté, le fonc- tionnement peut être mis à mal par des changements trop fréquents ou trop nom- breux : les nouveaux mettent du temps à intégrer les principes de fonctionnement, ils n’ont pas exactement les mêmes com- pétences que les personnes qu’ils rem- placent, et certains « rôles » (voir plus loin) doivent, en conséquence, être re- pensés ou redistribués. Inversement, le turn-over – qui fait partie de la vie des organisations – ne présente pas que des aspects négatifs. Il permet d’éviter à une équipe de se scléroser, en la revivifiant. Les nouveaux arrivants représentent une opportunité « réflexive » d’apprentissage pour le groupe, qui est obligé de réexpli- citer ses modes de fonctionnement, voire de les questionner. D’ailleurs, pour maintenir la solidarité dans l’équipe, celle-ci demandera souvent à s’approprier le champ d’autonomie et de responsabilité qui concerne l’intégration des nouveaux membres, voire leur recru- tement, et le fait de décider de les garder ou non après une période d’essai. Une équipe responsabilisée comprendra vite qu’elle n’a pas intérêt à se laisser imposer ses nouveaux membres. Ces considérations sur la taille et le fonc- tionnement des équipes conduiront souvent à initier la transformation par un redécou- page des activités et par un redesign orga- nisationnel des équipes. La définition et l’attribution d’un « terri- toire » à une équipe permettent non seule- ment d’ancrer le sentiment d’appartenance de chacun au sein d’un champ d’activité cohérent (par client, métier, technologie, complexité, volumes, etc.), mais aussi de définir le cadre initial dans lequel s’exer- cera la responsabilité solidaire. Nombre d’expériences se sont attaquées à ce design organisationnel à travers une recomposi- tion des territoires et des équipes qui y sont affectées (Weil et Dubey, 2020). Qu’on les nomme mini-usines, îlots, squads, tribus…, il s’agit de créer des collectifs qui savent pourquoi ils sont ensemble. Il peut être nécessaire d’aller jusqu’à matérialiser les nouveaux territoires par des aménage- ments des espaces de travail. Ces nouveaux territoires peuvent être définis par la direction de l’entité ou au contraire résulter d’une construction par la base – par exemple chez Martin Tech- nologies, l’équipe chargée du projet de mini-usines a été constituée d’une large variété de profils, et chaque membre a pu choisir la mini-usine à laquelle il voulait être rattaché. Le principe d’adhésion du corps social à la transformation invite à considérer plutôt cette deuxième voie quand elle est possible.
  • 71. 69 Chapitre 4. La boussole de la responsabilisation en action Répartition de responsabilités support dans des « rôles » Dans les entreprises, l’expertise est souvent concentrée dans des fonctions que l’on appelle communément les fonctions support. Les organisations classiques sont ralenties par cette concentration de l’expertise. Des experts en nombre limité doivent répondre à des besoins multiples des équipes opé- rationnelles. Ces fonctions expertes dis- posent en outre de leurs propres règles métier et d’enjeux qui leur sont spéci- fiques, engendrant fréquemment une bu- reaucratie paperassière. Elles finissent par représenter un goulot d’étranglement pour le fonctionnement de l’organisation. Pensons aux techniciens de maintenance dans l’industrie, et plus généralement aux services informatiques et numériques, aux ressources humaines ou encore aux achats de prestations de service ou de fourni- tures. Les fonctions support sont en outre souvent sollicitées pour des interventions récurrentes d’un niveau bien inférieur à leur expertise, ce qui représente une forme de gaspillage. Le raisonnement est identique en ce qui concerne le management. Les managers peuvent être des goulots du processus de décision dans le fonctionnement de l’or- ganisation classique, alors que beaucoup de décisions ne nécessiteraient pas d’être prises à leur niveau. L’organisation responsabilisante doit per- mettre de sortir de ces situations à travers la mise en place de la subsidiarité. Elle va donc se donner pour objectif de déconcen- trer certaines compétences, en créant de nouveaux « rôles » et de nouvelles mis- sions (et non des fonctions) en lien avec les appétences et les possibilités des équi- piers. Un équipier passionné de mécanique qui démonte et remonte tous les week-ends le moteur de sa BMW de collection pour- rait devenir le référent en maintenance de l’équipe. Un autre qui est dirigeant du club de rugby ou conseiller municipal de sa commune pourrait prendre un rôle « RH » dans l’équipe, etc. Toutes les équipes n’auront pas les mêmes besoins compte tenu des procédés qu’elles mettent en œuvre, des matériaux qu’elles utilisent, des problèmes récurrents qu’elles rencontrent, des interactions qu’elles ont avec les autres services. Il s’agira, dans un premier temps, de déterminer les domaines dans lesquels il y a un intérêt à ce que les services support transfèrent aux opéra- tionnels des compétences nouvelles. Dans cette phase, une coopération très forte doit être installée entre les équipes opération- nelles qui s’autonomisent et les équipes support dans chacun des domaines d’ex- pertise considérés, pour clarifier les degrés de technicité à développer chez les opéra- tionnels. S’ensuivra la mise en œuvre de formations et de qualifications pour ces nouveaux rôles, en tout point identiques à ce qui se pratique pour les compétences
  • 72. 70 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation liées au poste. Pas de subsidiarité, ni de res- ponsabilisation, sans élargissement et enri- chissement des compétences. Cette dota- tion de l’équipe en nouvelles compétences « support » est nécessaire à l’élargissement du pouvoir d’agir de chaque équipe. Cette montée en compétences des opérationnels, associée à leurs nouvelles responsabilités, devra aussi être pensée en termes de recon- naissance, et il conviendra d’impliquer les RH pour adapter le système de reconnais- sance (augmentation du fixe en fonction du franchissement de niveaux de respon- sabilité, prime collective…) à la nouvelle organisation. Un point de vigilance doit être gardé à l’es- prit : il faudra éviter de récréer des « petits chefs » en concentrant trop de responsabi- lités nouvelles sur une même personne au sein d’une équipe. En effet, ce type de si- tuation risque de réduire la solidarité entre les membres (« ça, c’est son problème »), de rendre l’équipe trop dépendante d’un individu particulier et de freiner le chemi- nement des autres équipiers vers l’acquisi- tion de plus de responsabilités. Pour contrer ce risque, il est important que les rôles ne soient pas figés : qu’ils soient tournants dans le temps et que plusieurs personnes soient préparées à endosser un même rôle. Système de management Unsystèmedemanagementdécritlamanière dont les entreprises s’organisent afin d’agir de manière standardisée, d’assurer le bon déroulement des opérations et d’atteindre les résultats prévus. Dans cette section, nous nous limiterons à examiner les ques- tions nouvelles que pose l’OR au système de management et auxquelles celui-ci doit chercher à répondre, dans le respect des principes de subsidiarité et de collégialité. Concrètement, le système de management d’une OR doit permettre à l’équipe de di- rection de répondre facilement aux ques- tions qu’elle se pose : nos équipes sont-elles en autocontrôle des principes d’action, des règles et des procédures qui conditionnent la qualité de leur travail ? Nos équipes ont-elles bien intégré les enjeux globaux de l’entité pour orienter leur action ? Nos équipes sont-elles capables de maintenir le bon niveau de réactivité face aux dérives de performance et aux problèmes importants dans le déroulement des opérations ? Les problèmes sont-ils traités avec la profondeur nécessaire ? Nos équipes appellent-elles à l’aide lorsqu’elles n’ont pas la capacité de traiter un problème, et cette aide leur est-elle fournie sans délai ? Pour les membres des équipes opération- nelles, le système de management mis en place devra leur apporter de nouveaux éclairages propres à soutenir leur respon- sabilisation pour les amener à : i) se sentir solidaires des enjeux globaux de l’entité ;
  • 73. 71 Chapitre 4. La boussole de la responsabilisation en action ii) comprendre la contribution que leur équipe peut apporter au succès de l’entité ; iii) participer aux décisions du collectif et surmonter leur frustration quand le col- lectif ne priorise pas les problèmes qui les touchent directement. Chaque équipier doit trouver dans le système de management des réponses aux questions qu’il se pose : qu’essaie-t-on de réussir ensemble à moyen terme ? Quelles sont les priorités sur lesquelles nous avons décidé de travailler à court terme pour y arriver ? En quoi le travail réalisé est-il réussi ou non ? Faisons-nous avancer les choses ? Quels sont les problèmes parti- culiers sur lesquels nous sommes mobi- lisés ? Comment sommes-nous organisés pour faire face aux problèmes récurrents et les résoudre ? De quelle aide avons-nous besoin de la part du management et de la part des fonctions support ? Les rituels de délibération de même que le management visuel (destiné à faciliter la transmission d’informations par des supports visuels) font partie intégrante d’un système de management qui met en œuvre les prin- cipes de subsidiarité et de collégialité. Les indicateurs retenus pour piloter l’ac- tivité en sont également une composante importante. Ils doivent pouvoir être discu- tés et compris par les équipiers, donner la meilleure mesure possible de la notion de travail bien fait et ouvrir l’opportunité aux équipiers de réguler les standards de travail et de réduire la variabilité de la production, en coopération avec les fonctions support. La troisième population concernée par la réflexion sur le système de management, ce sont les managers de proximité. Dans les contextes responsabilisants, les direc- tions parlent beaucoup de changement de la posture managériale (aide, bienveil- lance, exigence, art du feed-back, etc.) sous la forme d’injonctions, mais elles ne s’occupent guère de l’activité managériale elle-même. Or c’est bien à travers l’ana- lyse de l’activité des managers que de vraies transformations pourront être obte- nues : comment les mettre eux-mêmes en condition de réussir leur nouvelle mission ? De quelles ressources vont-ils disposer ? Notamment, de quelle disponibilité per- sonnelle le manager jouira-t-il pour exercer une supervision active des opérations et faire progresser le fonctionnement de son équipe ? De quelle aide bénéficiera-t-il de la part de son supérieur hiérarchique dont il est lui-même un équipier ? Quel soutien lui sera fourni par les services support ? Enfin, comment les managers seront-ils évalués ? Bien entendu, les éléments tangibles cités ici à titre d’exemples ne prétendent pas épuiser le sujet. Il reste parfaitement pos- sible d’en imaginer d’autres. Dans la pra- tique cependant, les témoignages indiquent que les transformations se saisissent le plus souvent de ces trois sujets (design organisa- tionnel, création de rôles support, système de management).
  • 74. 72 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Évaluer la maturité de la transformation Enfin, les axes de la boussole permettent de construire cinq échelles qualifiant les progrès de la transformation dans la durée. Les échelles sont adaptables à l’ambition que l’entreprise s’est donnée et elles pourront en outreévolueraucoursdutemps.Ellesdoivent être considérées comme une illustration, et non comme une prescription qui exigerait de gravir tous les barreaux de l’échelle pour devenir une organisation responsabilisante. Il n’y a pas de référentiel de certification pour devenir une OR, et heureusement ! Ce serait une aberration conceptuelle. Cette méthode de mesure est directement inspirée du « radar de l’autonomie » (Chaire FIT2 , 2022b) mais les sept dimensions du radar d’origine ont été remplacées ici par les cinq axes de la boussole de la respon- sabilisation. On se reportera à ce document cité en bibliographie pour comprendre les différents usages que l’on peut faire du radar individuellement et collectivement. Figure 4.1 - Le radar de la responsabilisation Collégialité Solidarité Responsabilité Subsidiarité Activité Entreprise B Entreprise A Mode de lecture : L’entreprise A a un niveau 4 sur l’axe Responsabilité, un niveau 4 sur l’axe Subsidiarité, un niveau 3 sur l’axe Collégialité, etc.
  • 75. 73 Chapitre 4. La boussole de la responsabilisation en action 0 Conscience personnelle de la responsabilité Conscience de l’impact de ses choix sur soi-même et les autres. Acceptation des conséquences de ses actions. 1 Professionnalisme et responsabilité individuelle Engagement à assumer la responsabilité de ses propres tâches et obligations. Faire preuve de fiabilité dans l’accomplissement des tâches assignées et dans l’application du travail prescrit et des règles de l’art. Reconnaître ses erreurs avec la volonté de les corriger. Agir en accord avec les valeurs fondamentales de l’organisation. Organisation en autocontrôle sur les fondamentaux. 2 Conscience d’une responsabilité de chacun envers les autres Prise en considération des besoins et des attentes des collègues de travail dans le cadre d’un travail collectif. Collaboration efficace avec des collègues de travail sans avoir besoin d’une intervention du manager. Soutien et entraide envers des collègues sans intervention du manager. 3 Conscience d’une responsabilité solidaire vis-à-vis du fonctionnement et du succès du collectif de travail Engagement envers les objectifs et les valeurs de l’organisation. Participation à la prise de décision dans le cadre des AIC. Implication dans des initiatives, des projets ou des activités (Kaizen, résolution de problèmes...) qui contribuent à la vie et aux résultats de l’entité, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance. Prise de rôles au service de l’organisation, pour guider et influencer les autres de manière positive. Démontrer un comportement exemplaire. Développement de la polyvalence pour servir l’agilité de l’organisation. 4 Prise de nouvelles responsabilités au service du fonctionnement et du succès de l’organisation Pratique de la co-construction sur les sujets qui engagent l’organisation. Dynamique d’évolution de la répartition des responsabilités en respectant le domaine réservé des managers. Respect de la chaîne de responsabilité par le management (respect des rôles pris par les opérationnels). Prise de responsabilité significative dans l’organisation de l’activité et des ressources. Prise de responsabilité dans le management de la performance. Assumer les résultats. Régulation des standards dans le souci du travail bien fait. Polycompétence dans et hors du métier. 5 Co-construction du futur (gouvernance) Co-construction d’une vision claire et inspirante pour l’avenir de l’organisation. Co-construction d’ambitions à moyen-long terme sur les enjeux People, Planet, Profit. Co-construction des plans de progrès pour atteindre les ambitions. Promouvoir la responsabilité sociale et environnementale de l’organisation au sein du territoire. Illustration de l’échelle sur l’axe Responsabilité La prise de responsabilité peut être comprise comme un processus progressif qui se développe à différents niveaux, du plus élémentaire au plus avancé (de 0 à 5) du radar de la responsabilisation
  • 76. 74 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 0 Absence de collégialité Pas de délibération instituée. Pas de prise de décision partagée. 1 Émergence de la collégialité Des réunions ponctuelles se tiennent dans l’organisation. Elles ne sont pas réellement organisées et codifiées. Des consultations ponctuelles avant prise de décision peuvent avoir lieu. Elles ne sont pas codifiées. 2 Construction des bases de la collégialité Prise en considération des besoins et des attentes de collègues de travail dans le cadre d’un travail collectif. Établissement des premières règles pour organiser les réunions (ordre du jour, compte-rendu…). Le collectif découvre les bases de la sécurité psychologique. Des premières consignes sont établies pour favoriser le dialogue (écoute, prise de parole). 3 Apprentissage de la délibération. Découverte des modes de prise de décision Participation au dialogue et à la prise de décision dans le cadre des AIC. Implication dans des initiatives, des projets ou des activités de travail en groupe (Kaizen, résolution de problèmes...). Approfondissement de la sensibilisation à la sécurité psychologique. Extension des règles sur l’attitude en réunion (parler avec intention, être bienveillant, se faire confiance, respecter le cadre). Les différents modes de prise de décision sont partagés et mis en débat. 4 Maîtrise de la délibération et pratique des modes de prise de décision Formation à la communication non violente. Un gardien de la protection de la parole est coopté, pour guider et influencer les autres de manière positive. Son rôle est de favoriser un comportement exemplaire de chacun au cours des délibérations ou des prises de décision en groupe. Pratique de la dispute professionnelle sur différents sujets, dont la qualité du travail, en combinant authenticité des prises de position et bienveillance. Pratique de la co-construction sur les sujets qui engagent l’organisation. 5 Co-construction du futur (gouvernance) Co-construction d’une vision claire et inspirante pour l’avenir de l’organisation. Co-construction d’ambitions à moyen-long terme sur les enjeux People, Planet, Profit,. Examen critique postérieur aux réunions sur la qualité des débats et des prises de décision. Illustration de l’échelle sur l’axe Collégialité Le développement de la collégialité peut être compris comme un processus progressif qui va du niveau le plus élémentaire au plus avancé (de 0 à 5) du radar de la responsabilisation
  • 77. 75 CHAPITRE 5 Deux exemples de transformation responsabilisante dans des PME Nous l’avons dit, une transformation res- ponsabilisante est une exploration qui prend la forme d’une aventure et celle-ci se révèle assez variée d’une entreprise à l’autre. Pour prendre la mesure des différences et des convergences qui peuvent exister dans ce type de démarche, nous allons raconter ici deux itinéraires de transformation à travers l’histoire de deux PME industrielles fami- liales : Lippi et Martin Technologies. Plusieurs publications ont déjà rendu compte du parcours de ces deux entre- prises (Bourguinat, 2019 ; Weil et Dubey, 2020 ; Pellerin et Cahier, 2019, 2021). Pour préparer cet ouvrage, nous avons à nouveau recueilli les témoignages des deux dirigeants, Frédéric Lippi et Laurent Bizien, pour leur demander quelles leçons ils avaient tirées de leur transformation, respectivement quinze ans et dix ans après son début. Un peu d’histoire Julien et Frédéric Lippi, deux frères, prennent les rênes de l’entreprise familiale spécialisée dans les clôtures en 2007. Ils sont décidés à gérer l’entreprise différem- ment de ce que faisaient leur père et leur oncle, sans avoir pour autant des idées dé- terminées sur la question. La crise de 2008 va avoir un impact majeur sur l’entreprise avec une baisse du chiffre d’affaires de près de 30 % mettant en péril sa survie. De 2008 à 2010, un énorme effort de formation des salariés au numérique est entrepris. Il s’agit d’abord d’une acculturation au numérique avec des outils qui sont mis à la disposition des salariés pour leurs besoins personnels : modifier des images avec Photoshop, créer un blog pour l’anniversaire de sa grand- mère, etc. Cette phase de découverte ouvrira la voie ensuite à des applications professionnelles. Ainsi, par exemple, une petite équipe a été formée à SketchUp, un
  • 78. 76 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation logiciel de modélisation 3D, d’animation et de cartographie orienté vers l’architecture. L’idée, au départ, était de permettre aux salariés de représenter leur propre maison ou leur projet de maison. Chemin faisant, certains s’en sont saisi pour améliorer le remplissage des camions de livraison de l’entreprise. Parallèlement, un chantier important autour du lean est entamé dès 2008. Il durera six ans. L’objectif est l’amélioration de la réac- tivité de l’entreprise au service des clients, ainsi que la maîtrise des coûts et des stocks. Le début de la mise en place du lean a été décevant. Il semble manquer quelque chose. En 2011, les dirigeants de Lippi ini- tient la construction de la vision de l’entre- prise, qu’ils qualifient de construction du « désir commun ». L’élaboration de cette vision est réalisée par groupes de dix sala- riés, impliquant la quasi-totalité de l’entre- prise. Pour Frédéric Lippi, la construction de ce désir commun a fortement contribué à pérenniser le lean dans l’entreprise. Depuis cette première expérience, la co-construc- tion est pratiquée régulièrement et fait partie de l’ADN de l’entreprise. Les apprentissages à intervalle rapproché sont mis en place dans le cadre du lean sur quatre niveaux (AIR 1 à 4, de l’équipe de travail jusqu’à la direction de l’entreprise) dans une escalade de subsidiarité. L’en- semble de la démarche lean est mise au service du flux tiré. Elle est clairement vue comme un système d’apprentissage pour développer les personnes. Progressivement, la cooptation des res- ponsables par les équipes a remplacé leur nomination par la direction de l’entreprise. Enfin, le processus de recrutement im- plique désormais l’équipe d’accueil de la personne à recruter ainsi que les autres ser- vices concernés, avec l’appui des RH mais sans intervention directe de la direction de l’entreprise. Sans jamais revendiquer son appartenance au mouvement des en- treprises libérées, Lippi en applique néan- moins les principaux ressorts. De son côté, Martin Technologies est une entreprise familiale qui compte aujourd’hui environ 100 salariés. Elle est spécialisée dans la fabrication de plaques de métal, d’étiquettes en plastique, de claviers à membranes et de tôlerie fine décorée. L’en- treprise a subi, elle aussi, de plein fouet la crise de 2008. Elle a fait un certain nombre de tentatives de déploiement du lean dans les années 2009 à 2011, mais sans grand succès. Laurent Bizien, l’actuel directeur général de l’entreprise, est recruté par le président en 2013. Le premier tournant pour l’entreprise se produit en 2015 avec le déploiement du ma- nagement visuel de la performance, associé à des rituels d’échange (AIC). Le projet de management visuel est co-construit et mené par une équipe de douze personnes, sans représentant du comité de direction.
  • 79. 77 Chapitre 5. Deux exemples de transformation responsabilisante dans des PME Après une révision en 2016 de ce mana- gement visuel de la performance, un deu- xième tournant survient en 2017 avec la mise en place de mini-usines par typologie de client, intégrant l’ensemble des fonc- tions de l’entreprise – méthode inspirée de Jean-François Zobrist (2020) chez Favi. Si la dynamique collective a beaucoup pro- gressé, elle ne concerne toutefois encore qu’environ 50 % des effectifs. Un troisième tournant est donc pris en 2018 consistant à accompagner progressivement l’ensemble des salariés de l’entreprise vers une meil- leure connaissance de soi et des autres pour favoriser la transformation collective. Des points communs structurels Des entreprises patrimoniales Nous avons affaire ici à deux PME patri- moniales, avec respectivement 250 (Lippi) et 100 salariés (Martin Technologies). Le capital de l’entreprise est détenu dans les deux cas par une famille, ce qui assure une certaine stabilité dans la conduite des af- faires, avec une vision de pérennité à long terme de l’entreprise, et des bénéfices en- tièrement réinvestis dans celle-ci. Une transmission générationnelle a eu lieu dans les deux cas, aboutissant à une re- fondation de l’approche managériale, qui passe d’une approche « commandement et contrôle » initiale à une approche responsa- bilisante développée sur une longue durée (quinze ans pour Lippi, dix ans pour Martin Technologies). Une question de survie Les deux entreprises ont pris le choc de la crise de 2008 de plein fouet, avec une baisse du chiffre d’affaires occasionnant des plans sociaux. Cette crise a été fonda- trice. Le « pourquoi » de la transformation était, dans les deux cas, lié à la survie de l’entreprise. Mais c’est l’appétence person- nelle de ces dirigeants pour la construction d’une entreprise plus humaine qui les a conduits à choisir la voie de la responsabi- lisation plutôt qu’une autre. Les deux en- treprises étaient très fragiles au sortir de la crise, et ce n’est que plusieurs années après le début de leur transformation (entre cinq et dix ans) qu’elles se sont considérées comme tirées d’affaire. Des chemins différenciés avec des composantes communes D’abord, le lean S’agissant de deux entreprises industrielles, la transformation a démarré par le lean, qui est apparu comme un support indispen- sable à un meilleur service rendu au client,
  • 80. 78 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation à la réduction des stocks, à la fiabilisation des délais de livraison, et finalement à la performance économique de l’entreprise. Les débuts ont été difficiles. Des tentatives de mise en place des 5S (une pratique d’op- timisation des conditions et de l’environ- nement de travail, en veillant notamment à ce qu’il reste bien rangé, nettoyé, sécu- risé), du SMED (single-minute exchange of die24 ), des chantiers Kaizen ont eu lieu. Après quelques succès initiaux, le soufflé est vite retombé, de même que la mobili- sation autour du projet. Laurent Bizien le résume d’une phrase : « À l’époque, on es- pérait vraiment un sursaut, et ça avait fina- lement du mal à prendre : le 5S mobilisait énormément d’énergie, et, dès qu’on arrê- tait le suivi, les chantiers s’arrêtaient. D’où un fort questionnement. » Pour Frédéric Lippi : « On a bien essayé de faire du lean au départ, ça a été exceptionnel sur trois mois mais ça n’a pas duré, c’est retombé ! » Avec le recul, et dans les deux cas, c’est la mise en place du management visuel et des animations à intervalle court qui a dé- clenché la transformation. Le management visuel a servi de support commun de com- préhension des enjeux de l’entreprise et des équipes ; les animations à intervalle court ont non seulement été la première instance de dialogue professionnel, mais aussi un puissant support pour la mise en place de la subsidiarité. Lorsqu’ils sont bien mis 24. Temps de changement d’outillage entre deux séries de production. en place, ces rituels de terrain permettent en effet une escalade de subsidiarité. Fré- déric Lippi le résume ainsi : « Nous utili- sons du SIM [AIC], Short Interval Mana- gement : nous sommes attentifs à ce que ces routines soient appliquées à la bonne fréquence et avec le bon objectif, pour que toutes celles et ceux qui sont autour des problèmes puissent les résoudre sans faire appel à la hiérarchie. C’est une subsidiarité complète. » AIC et management visuel représentent donc deux étapes essentielles pour une or- ganisation industrielle souhaitant mettre l’autonomie et la responsabilité au cœur de son projet. AIC et management visuel repré- sentent deux étapes essentielles pour une organisation industrielle souhai- tant mettre l’autonomie et la responsa- bilité au cœur de son projet.
  • 81. 79 Chapitre 5. Deux exemples de transformation responsabilisante dans des PME Co-construction à tous les étages L’implication des équipes a été, dans les deux cas, un élément capital de la trans- formation. Chez Martin Technologies, dès le début, le management visuel a été co-construit : « Avec le recul, c’est le point de départ de notre transformation culturelle, pour la raison forte que l’équipe projet à qui on a confié ce travail d’imagination du mana- gement visuel était composée d’environ douze personnes, et c’était la première fois qu’il n’y avait, délibérément, aucun membre du Codir dans l’équipe projet », explique Laurent Bizien. Par la suite, l’en- treprise se mettra d’ailleurs à fabriquer des outils de management visuel pour les tiers, créant ainsi une nouvelle ligne de produits. Puis, est intervenue la co-construction du projet d’organisation en mini-usines : « On a mené cette transformation entre octobre 2016 et juillet-août 2017. On nous avait dit qu’il fallait en moyenne 12 à 18 mois pour procéder à une transforma- tion de ce type, on n’y croyait pas trop, on pensait qu’il nous faudrait plutôt 24 mois ; et en fait on l’a fait en moins de 10 mois. L’enseignement qu’on en a tiré, c’est que le projet avait du sens pour tout le monde. Dès lors que le projet a eu du sens, et que la première mini-usine s’est mise en mou- vement, toutes les équipes ont suivi et ont voulu accélérer le mouvement : c’est vrai- ment devenu le projet de l’organisation dans sa globalité, et pas seulement de la direction ou du management. D’ailleurs, pour mener cette réflexion-là, on a fait une équipe projet de quatorze personnes avec seulement quatre membres du comité de direction : c’était plus que la dernière fois, parce qu’on changeait vraiment l’organi- sation dans sa globalité. Il y avait même des opérateurs de production parmi les membres. De toute façon, à partir de 2015, tous nos projets incluent systématiquement les équipes dans toutes les étapes, de la ré- flexion à la mise en œuvre. » Chez Lippi, la co-construction a commencé par la définition d’un désir commun : « Le lean est seulement une boîte à outils néces- saire et utile mais pas suffisante, il faut y adosser un désir commun. » La construc- tion de ce désir commun est partie d’un questionnement initial : « Vous pensez quoi de l’entreprise, vous aimez quoi, vous avez peur de quoi, qu’est-ce que vous voulez pour l’entreprise dans cinq ans ? Qu’est-ce qu’il faut pour y arriver, et vous vous engagez comment pour y parvenir ? » En deux ans, entre 2011 et 2013, dix-sept « cercles de vision » ont permis à une dizaine de salariés par cercle (soit presque la totalité de l’effectif) de travailler sur les « étoiles de Lippi ». Ce terme d’étoiles faisait référence à la formule de Ralph Waldo Emerson : « Les grands hommes, les génies, les saints, n’ont fait de grandes choses que parce qu’ils étaient inspirés par un grand idéal. On a besoin d’accrocher sa charrue aux étoiles. » Au terme de ce
  • 82. 80 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation processus, cinq étoiles ont été identifiées : i) s’accomplir ensemble et être heureux ; ii) une organisation qui libère et qui nous rend autonomes grâce au partage de l’in- formation ; iii) travailler en business unit orientée vers les clients ; iv) développer la vente multicanal : apporter une solution adaptée à notre clientèle par tout mode de diffusion ; v) liberté, innovation, participa- tion, partage, intelligence. Frédéric Lippi souligne toutefois les limites de la co-construction. « Un des grands avantages de la co-construction, c’est d’emmener beaucoup de gens et de per- mettre une appropriation plus rapide. Mais elle entraîne un certain nombre de risques : la médiocratie ou encore le refus de rentrer dans les processus de deuil quand l’envi- ronnement réel n’est pas conforme à celui qui a présidé à l’élaboration du futur. On avait, par exemple, coélaboré une stratégie assez sophistiquée, qui descendait dans le détail de l’exécution, et qui s’est heurtée au Covid. On a réussi à traiter la période Covid, mais le corps social a eu énormé- ment de mal à accepter que le futur qu’on avait coélaboré ensemble n’adviendrait pas. […] C’est donc une des limites de la coélaboration ou de la co-construction. On en revient à se mordre la queue : pour aller vers l’émancipation, il faut des gens déjà émancipés qui aient de la distance avec leur propre contribution. » Frédéric Lippi pose également la nécessité du principe de suppléance : « Les leaders doivent bien comprendre que, dans la sub- sidiarité, il y a aussi la suppléance, et que la suppléance n’est pas un viol : à un moment donné, le leader reprend les manettes pour X ou Y raison, c’est explicite, temporaire et limité dans le temps. […] C’est le job du leader de reprendre la main à un moment donné, et donc de forcer le chemin de deuil que le corps social n’arrive pas à emprunter de lui-même. » Une transformation personnelle pour une transformation collective Chez Martin Technologies, en 2016, après avoir mis en place le management visuel puis les mini-usines, Laurent Bizien et Sté- phane Cazoulat, coanimateurs de l’évolu- tion culturelle et organisationnelle de l’en- treprise, constatent que seulement 50 % des effectifs de l’entreprise sont embar- qués dans la transformation. « C’est à cette occasion-là qu’on rencontre une personne d’un cabinet d’accompagnement, spécia- lisé en transformation individuelle et col- lective, qui va nous faire comprendre les différents territoires de communication qui existent chez l’être humain. On peut com- muniquer avec la tête, avec le cœur et avec les tripes. Pour embarquer nos équipes, il fallait qu’on aille de plus en plus communi- quer avec le cœur et les tripes, faire rentrer les émotions et le champ des ressentis dans l’entreprise, et ainsi interagir avec nos équipes autour des valeurs, des croyances, des convictions, et même de la foi : qu’est- ce qui nous touche vraiment, qu’est-ce qui
  • 83. 81 Chapitre 5. Deux exemples de transformation responsabilisante dans des PME est important pour chacun, qu’est-ce qui nous met en mouvement, individuellement ou collectivement ? » Des promotions de quinze à vingt-quatre personnes sont alors accompagnées par un ou deux coaches, suivant le nombre. La première session porte sur « moi » : l’es- time de soi, la confiance en soi, apprendre à écouter, la notion de résonance, etc. La deuxième session, sur « moi et l’autre » : les formes d’interaction, la communica- tion non violente, etc. La troisième session porte sur « moi et les autres » : les méthodes d’animation collective et les techniques de codéveloppement. La quatrième session permet de revenir sur soi et d’identifier le style de leadership de chacun. « Le cabinet n’avait jamais proposé ce type de par- cours à tous les salariés d’une entreprise, explique Laurent Bizien. Historiquement, c’est une formule qui est conçue pour les managers. » Cette formule standard, le di- rigeant n’en voulait pas, il voulait pouvoir toucher tout le personnel, quel que soit le métier ou la fonction : « On a donc invité le cabinet à nous proposer quelque chose qui puisse toucher tout le monde. Finale- ment, ils n’ont rien changé, ils ont tenté leur parcours appelé “l’école du leadership” en l’appliquant à tout le monde. On a donc fait des promotions où tout le monde était mélangé : dans la mienne, j’avais des opé- rateurs de production, des chefs de projet, des commerciaux ; dans la deuxième pro- motion, il y avait notre président avec des opérateurs aussi… » Selon le cabinet d’accompagnement, Martin Technologies aurait fait les choses à l’envers : l’entreprise aurait dû commencer par le coaching collectif, et, après, changer l’organisation. Laurent Bizien ne voit pas du tout les choses comme ça. Pour lui, il n’y a pas un « bon ordre » pour faire les choses : « On a suivi les étapes qui avaient du sens pour nous, et qu’on se sentait en capacité de porter pour engager les équipes à nous suivre. Je pense que cette notion de sens, elle est importante pour le collectif, mais elle est aussi très importante pour les porteurs de la transformation. Si on n’est pas à 100 % convaincu que c’est une étape qui a du sens, on ne sait pas le donner. » Chez Martin Technologies, le travail sur la vision n’a été fait que tout récemment : « On a attendu que ça émerge du collectif pour engager cette étape-là. » Avec le recul, Laurent Bizien constate que les deux premières étapes (manage- ment visuel et mini-usines) étaient indis- pensables pour préparer l’étape suivante (coaching collectif). La mise en œuvre de pratiques transformatrices a permis la ma- turation collective du projet et lui a donné sa crédibilité. La formation a alors eu du sens pour tous. Commencer par de la for- mation aux concepts n’aurait probablement pas permis d’embarquer tout le monde : personne n’aurait saisi la portée de ce qui était enseigné. Pour Frédéric Lippi, la transformation per- sonnelle passe par une phase d’émancipa-
  • 84. 82 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation tion puis par une phase d’individuation. L’émancipation consiste à renégocier ses propres croyances, elle précède l’indivi- duation, qui permet ensuite d’assumer plei- nement qui on est, sans être sous le joug des croyances, des peurs, et sans détruire les autres dans la relation. Ce double mouvement permet à l’individu d’être juste dans sa communication. « Or, explique Frédéric Lippi, la communication est centrale dans un système complexe, où il va falloir intensifier la communication pour se faire une bonne idée du réel, s’assu- rer qu’on a levé l’ensemble des malenten- dus, que notre perception du réel n’entame pas notre lucidité. L’organisation doit non seulement accueillir mais permettre que les émotions, qui vont être finalement le socle du travail d’émancipation et de responsabi- lisation, aient leur place. » L’idée de système complexe est fondamen- tale dans la responsabilisation selon Lippi : « J’ai constaté à quel point les individus, devant la complexité, ont tendance à vouloir simplifier les choses. Or la simplification amène la superstructure qui, elle-même, génère de la bureaucratie. Donc, alors qu’on a une volonté d’aller dans la complexité de façon sereine, on finit par des complica- tions. Je l’ai vu mille fois : c’est un tropisme naturel des systèmes. Tant qu’on n’a pas passé le gué de : “Je suis OK avec moi et dans mes relations, je dis mes peurs et donc mes peurs ne sont pas un obstacle à faire ce qui est bien”, l’organisation connaît toujours des retours en arrière, essaie de mettre de la superstructure ici, essaie de simplifier le réel là, essaie de faire rentrer des ronds dans des carrés. Elle ne prend pas encore possession de la complexité. » Bilan de l’organisation responsabilisante Pour les deux organisations, le bilan de la transformation a été positif en termes de croissance de l’activité et d’engagement des salariés, mais ces résultats sont loin d’avoir été immédiats, et ils ne sont pas forcément une garantie pour l’avenir. L’OR n’a ni la vo- cation, ni la capacité à garantir l’entreprise contre des changements fondamentaux, no- tamment de ses conditions de marché. Le bilan, c’est aussi et surtout celui d’une aventure humaine personnelle pour le dirigeant qui élève ainsi son niveau de conscience. Car sur ce chemin d’éman- cipation, le dirigeant lui-même n’est pas exempt de craintes, de frustrations, de mé- compréhensions, de malentendus. Ainsi que le souligne Frédéric Lippi, le dirigeant est naturellement porteur de tous les travers des autres, mais exacerbés. Selon lui, la question des organisations res- ponsabilisantes a été très à la mode, il y a une dizaine d’années. À cette époque, les dirigeants étaient partagés entre une aspi- ration éthérée pour les modèles de ce type
  • 85. 83 Chapitre 5. Deux exemples de transformation responsabilisante dans des PME et un doute prononcé. Il constate avec le recul que ceux qui étaient dans le doute y sont restés et que ceux qui avaient une aspiration éthérée ont rejoint le camp du doute. Ce doute apparaît comme une ré- action à l’emballement médiatique autour de l’entreprise libérée, présentée abusive- ment comme un processus simple, que le dirigeant pouvait déclencher en se conten- tant de lâcher prise. Ce doute est salutaire s’il ne conduit pas à abandonner ce type de transformation, mais à en affronter la complexité. Or, celle-ci peut rebuter, ce qui explique sans doute le haut degré de réversibilité du côté des dirigeants : « Si l’on n’accepte pas de partir pour dix ans, on abandonnera. Comme c’est complexe, ça n’est absolument pas déterministe : or les dirigeants aiment le déterminisme. Il y a une grosse aversion pour l’émergence, et donc beaucoup de retours en arrière », conclut Frédéric Lippi. L’OR n’a ni la vocation, ni la capacité à garantir l’entreprise contre des changements fondamen- taux, notamment de ses conditions de marché.
  • 87. 85 CHAPITRE 6 La transformation du groupe Michelin 25. Témoignage de Pierre Bocquet et de François Levert (Michelin), 27 février 2023. Nous passons à présent de la PME au grand groupe, avec la transformation de Michelin25 , illustrant l’idée d’exploration dirigée. La logique suivie par Michelin repose sur une prémisse : selon la conception du travail industriel et de la performance dans ce groupe, la responsabilisation (terme qui est préféré à celui d’autonomisation) ne saurait résulter spontanément ni d’une « libération » désordonnée des énergies, ni de la seule exemplarité du dirigeant, mais d’une maturation dans le temps qui s’ob- tient par un processus structuré d’explora- tions successives. L’idée d’une certaine autonomie de l’opé- rateur dans sa tâche est inscrite dans l’his- toire du groupe. Cofondateur de l’entreprise en 1889 avec son frère André, Édouard Michelin a été un dirigeant visionnaire sur le plan du management. Il déclarait ainsi dès 1928 : « Un de nos principes est de donner la responsabilité à celui qui accom- plit la tâche car il sait beaucoup de choses sur la question et cela lui révèle souvent des capacités dont il ne se doutait pas et qui le font avancer. » Prononcée à l’époque du taylorisme triomphant, une telle phrase apparaît comme révolutionnaire. Michelin et le taylorisme Michelin a été une entreprise pionnière dans l’introduction du taylorisme en France (Tesi, 2008). Les raisons qui ont conduit le groupe à modifier l’organisation de ses ateliers sont de plusieurs ordres : accroître la production, baisser les prix de revient et garantir un haut niveau de qualité de ses produits. La méthode est efficace, au point qu’elle sera même utilisée dans la construction des cités ouvrières de Cler- mont-Ferrand. L’entreprise ira même
  • 88. 86 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation jusqu’à créer une école d’ingénieurs en or- ganisation. Dans le même temps, elle in- troduit la participation des ouvriers dans les choix d’organisation du travail. L’ob- jectif est de démontrer que l’adoption des principes tayloriens permet d’attacher le personnel au destin de l’entreprise et de le convaincre de s’identifier à elle. La manufacture organise un véritable service de suggestions qui mène une double activité : former des contremaîtres capables d’encourager les suggestions des ouvriers, et étudier l’application des idées émises par le personnel. Ce service organise les choses de façon que l’auteur de la sugges- tion soit informé du résultat qui en est sorti. Un aspect décisif du service des sugges- tions réside dans sa fonction pédagogique : les ingénieurs font prendre conscience aux ouvriers de l’utilité des suggestions et des économies qu’elles engendrent en élimi- nant des gaspillages. Par exemple, les ingé- nieurs indiquent aux opérationnels les prix des matières premières qu’ils utilisent. Il s’agit principalement de convaincre le per- sonnel qu’il n’existe aucune barrière entre les différents services de l’usine, ni aucune opposition entre la création d’un esprit de collaboration et les intérêts de l’entreprise qui se réalisent par une recherche continue d’économies. Afin d’augmenter le niveau d’échange entre les cadres, Michelin orga- nise chaque année deux semaines consa- crées aux suggestions. Une semaine est dédiée aux idées permettant de réaliser des économies, l’autre permet de recher- cher des solutions aux dysfonctionnements au sein des ateliers. Les propositions sont encouragées par des primes remises par le contremaître lorsque le progrès préconisé par l’idée de l’ouvrier a été mis en œuvre. C’est l’ingénieur du service des sugges- tions qui fixe le montant des gratifications, mais c’est le contremaître qui les donne aux ouvriers. Cette stratégie conduit à renforcer les liens entre les niveaux hiérarchiques, et la société pousse les employés à participer aux réformes désirées. Cependant, le pouvoir de décision demeure entre les mains des contremaîtres et des ingénieurs en organisation. On demande certes à l’ouvrier d’émettre des sugges- tions, mais il n’est pas autorisé à prendre l’initiative de les appliquer seul ; elles doivent être étudiées et la décision de les mettre en œuvre appartient à la hiérarchie. L’ouvrier ne doit pas pouvoir compro- mettre l’efficacité du système. Des High-Performance Teams aux organisations responsabilisantes du futur Sautons quelques générations. Au milieu des années 1990, les filiales américaine et allemande du groupe décident d’oc- troyer plus d’autonomie à leurs agents de production. Des initiatives locales voient le jour dans certaines usines de ces pays, sans concertation entre elles. Aux États-
  • 89. 87 Chapitre 6. La transformation du groupe Michelin Unis, l’inspiration de cette idée provient des High-Performance Teams, alors qu’en Allemagne elle naît du modèle des groupes autonomes de production de Toyota. Mais ces deux initiatives ne trouveront pas leur voie. Les organisations responsabilisantes À partir de 2004, sous la direction de Jean-Christophe Guérin, alors directeur du manufacturing mondial de Michelin, un ancien directeur industriel de Michelin aux États-Unis, Gordon Huntington, bâtit ce qui va devenir le Michelin Manufactu- ring Way (MMW), un système de produc- tion « maison » fondé sur des méthodes de progrès propres au groupe et sur des benchmarks externes, dont, évidemment, le Toyota Production System. Le MMW s’appuie sur la valeur de respect portée par l’entreprise, et place l’opérateur au centre du système. L’organisation responsabili- sante (OR) en sera la colonne vertébrale. Michelin a, cette fois, retenu les leçons des initiatives précédentes avortées : l’OR dispose d’un cadre bienveillant mais exi- geant. Bienveillant, parce que l’OR permet à tous les opérateurs d’apporter leur contri- bution et d’être reconnus au sein de nou- veaux collectifs de travail solidaires qui traitent les problèmes et les irritants au fil de leur apparition. Exigeant, parce que l’OR se traduit par une prise de responsa- bilité des collectifs de fabrication sur trois enjeux majeurs : la performance des acti- vités, le développement des personnes et le bien-être au travail. Dès le début, Michelin a choisi de miser sur une démarche qui ne cantonnerait pas les opérateurs à la seule maîtrise des savoir-faire techniques liés à leur poste de travail, ni même à plusieurs postes via la polyvalence. Le groupe entend favoriser une répartition des responsabilités et des compétences sur des opérateurs qui prendront en charge des rôles additionnels au service de leur équipe. Ils sont appelés « correspondants ». Pour créer l’organisation responsabili- sante dans ses usines, Michelin définit un nouveau territoire d’activité et de res- ponsabilité appelé « îlot de fabrication » : 1 500 îlots de fabrication sont créés sur la totalité du périmètre industriel du groupe. La communauté de travail qui porte la mission de l’îlot représente une population de trente-cinq personnes environ, réparties en quatre équipes de moins de dix per- sonnes (rotation de 4 équipes sur l’îlot pour un fonctionnement 24 h/24 et 7 j/7). Les fonctions support sont parties prenantes des réflexions de l’îlot et intègrent la commu- nauté de travail sans avoir pour autant de lien hiérarchique avec le manager, leader de la communauté. Cette organisation laisse beaucoup de place à la responsabilisation des opérateurs, puisque les deux tiers du temps d’ouver- ture, ceux-ci fonctionnent sans manager et sans support. Les correspondants peuvent s’approprier le management de domaines
  • 90. 88 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation tels que la sécurité, la qualité, le pilotage de l’activité, la gestion des ressources et du budget, la gestion du présentéisme, la gestion du plan de polyvalence et de la formation… Les correspondants sont des ouvriers comme les autres, travaillant aux mêmes tâches, mais ils passent en moyenne 10 % de leur temps sur une mission « hors poste ». La mission de correspondant n’est pas rémunérée et elle est basée sur le vo- lontariat. Michelin a opté pour une recon- naissance principalement collective, en introduisant la rémunération variable pour les agents de fabrication, indexée sur les ré- sultats trimestriels des collectifs de travail. Si les sites industriels de Michelin sont tenus de s’approprier le modèle OR, ils sont en revanche libres de développer comme ils l’entendent les rôles des correspondants. Environ 30 % des opérateurs de site en- dossent un rôle au service de l’équipe. Les interventions de premier niveau sont effec- tuées en autonomie, les services experts traitant les demandes plus pointues. L’OR a eu un effet très bénéfique sur le désilotage de l’organisation et le dévelop- pement de la solidarité sur tous les plans. Au sein des équipes, les correspondants connaissent la réalité du travail. Entre les opérateurs et les fonctions support, les cor- respondants sont des relais efficaces et de nouvelles relations se sont ainsi créées. 26. Ce taux de fréquence correspond au nombre d’accidents par heure travaillée multiplié par 1 million. Situés entre la base et le corps managérial, les correspondants comprennent désormais la difficulté d’être « chef ». Pour les cor- respondants, le travail est plus varié, plus valorisant, avec de réelles responsabilités. La transformation OR, qui vient renforcer le MMW, concrétise le professionnalisme et la redevabilité, et se révèle, cette fois, un succès, avec des effets visibles sur la performance et l’engagement. Entre 2005 et 2012, le taux de fréquence des acci- dents26 passe ainsi de 10 à 1 sur l’ensemble du manufacturing Michelin (70 usines). Le déploiement des OR a pris deux à trois ans en moyenne pour un site de 1 000 personnes. À l’échelle du manufac- turing monde, cela a pris environ huit ans : d’abord avec des pilotes par métier (com- plexité, spécificité organisationnelle), puis par région (spécificité culturelle), enfin, par un déploiement plus intense à l’échelle. Élargissement de la responsabilité : les OR du futur Au début de 2012, la direction industrielle du groupe et la direction du personnel décident de concert de lancer une nouvelle exploration sur les OR du futur. Les ob- jectifs sont à la fois d’explorer le niveau d’autonomie maximal que les agents de fa- brication pourraient atteindre, de trouver
  • 91. 89 Chapitre 6. La transformation du groupe Michelin des solutions aux limites de l’OR déjà ins- tallée (en particulier en matière de recon- naissance) et d’élargir la transformation jusqu’à inclure les équipes de direction des usines. Une des explorations remarquables de cette nouvelle phase a été de tester les limites de trente-huit îlots de production volon- taires répartis dans dix-huit usines de dix- sept pays. Cette exploration a consisté à consulter les ouvriers de ces îlots démons- trateurs, en leur demandant de répondre à une question : « De quoi seriez-vous ca- pables en termes de décision sans inter- vention des agents de maîtrise, en termes de résolution de problèmes sans dépendre des maintenanciers ni des régleurs, techni- ciens et autres organisateurs industriels ? Et à quelles conditions ?27 » Pendant deux ans, 1500 personnes s’investissent dans cette démarche, pour laquelle elles auront carte blanche. Le but n’est pas de dresser un catalogue de « bonnes pratiques », mais d’évaluer le niveau de pouvoir d’agir auquel peut parvenir un îlot de fabrication ordinaire. Cette phase produit des résultats si convaincants que cinq usines deviennent alors pilotes des OR du futur. Charge à elles d’imaginer de nouveaux principes direc- teurs, mais avec la consigne de ne pas en faire un « projet » au déploiement jalonné et piloté par un sentiment d’urgence. L’idée 27. Bertrand Ballarin, CR séminaire Vie des affaires de l’École de Paris du management, 3 février 2017, et « La responsabilisation appliquée à Michelin », in Bourdu et al., Le travail en mouvement, Colloque de Cerisy, Presses des Mines, 2019, pp. 127-135. est que, au regard de ce que ces cinq usines auront réussi à obtenir, la transformation se développera ensuite par propagation na- turelle – ce qui ne s’est que partiellement réalisé. Que faut-il retenir de la démarche Michelin ? Le premier principe à retenir est que l’auto- nomie est étroitement associée à la respon- sabilité, ce qui se réfère directement à deux termes, empowerment (développement du pouvoir d’agir) et accountability (obliga- tion de rendre des comptes sur la perfor- mance). Deuxième principe : pour libérer, il faut un cadre compris et partagé. L’OR se construit en faisant évoluer des éléments tangibles de l’organisation, en créant de nouveaux contextes de travail qui favorisent une nou- velle répartition des responsabilités. Enfin, troisième principe : il est primordial de réimpulser périodiquement le processus, en donnant aux équipes de plus en plus de possibilités de décider des champs d’auto- nomie dont elles veulent se saisir. En effet, une fois installée, l’OR Michelin n’a pas naturellement engendré une dynamique d’élargissement continu de la responsabi- lisation. Elle n’était pas autoporteuse, et ce
  • 92. 90 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation pour au moins trois raisons. La première est liée au turn-over des directions de site et du corps managérial. Ceux qui avaient vécu le déploiement des OR ont fini avec le temps par sortir des opérations ; ceux qui les ont remplacés manquaient d’expérience pour poursuivre la manœuvre. La deuxième raison tient au manque de vision sur le po- tentiel des OR. Enfin, la troisième raison est une conséquence de la deuxième : l’OR s’est avérée bridée par un principe limitant qui consistait à attribuer par délégation des rôles préalablement « dimensionnés » à une frange d’opérateurs volontaires. Deux points d’attention ont été identifiés par Michelin en tant que freins. En premier lieu, l’instabilité du modèle là où il a été mis en œuvre. En France, l’une des usines pilotes les plus avancées dans le dévelop- pement de la démarche responsabilisante, dans les années 2016-2017, a été confron- tée au départ à la retraite de 60 à 70 % de son personnel qui avait globalement été recruté à la même époque. Cela a remis en cause l’ensemble des progrès accomplis. Il a fallu repartir de zéro. Le deuxième point d’attention qui peut favoriser ou entraver la démarche est le leadership des mana- gers. Nous avons dit qu’au-delà des usines pilotes l’hypothèse retenue était que la transformation se propagerait par « conta- gion » naturelle, ce qui ne s’est pas produit. Il n’est en effet pas facile de trouver des 28. Attendus comportementaux des managers du groupe. personnes talentueuses et motivées pour porter cette démarche. Le manque de lea- dership adapté s’est révélé un frein impor- tant à la transformation dans le contexte d’un grand groupe. I Care : transformer l’attitude des managers En 2019, Florent Menegaux, le nouveau président de Michelin, a décidé de promou- voir un nouveau modèle de leadership28 au sein du groupe. L’entreprise a lancé dans ce but un processus de consultation ex- trêmement large impliquant des dizaines de milliers de salariés à travers le monde autour des questions : quel est notre modèle de leadership actuel ? Quel est celui que voulons mettre en place ? De cette co-construction est né le modèle I Care (voir encadré ci-contre). L’impact de I Care reste encore à évaluer. La capacité à se remettre en cause Jean-Michel Frixon (2021) a raconté dans un livre sa longue expérience d’ouvrier chez Michelin. L’expérience de l’homme est douloureuse, et l’image du manage- ment qui en ressort, très contrastée : parfois bienveillante mais plus souvent brutale et
  • 93. 91 Chapitre 6. La transformation du groupe Michelin toxique. Jean-Christophe Guérin, alors VP Manufacturing du groupe Michelin, veut nourrir la démarche I Care en cours de déploiement et demande alors à Jean-Mi- chel Frixon de venir témoigner, d’abord au niveau du groupe puis dans les différents sites français, de ce qu’a pu ressentir un ouvrier au cours de sa vie professionnelle. L’objectif est de faire prendre conscience aux managers de l’impact de leurs com- portements sur l’engagement des hommes et des femmes de Michelin. De nombreux managers ont exprimé le caractère boule- versant qu’a eu pour eux ce témoignage29 . Cette démarche donnera lieu à une nou- velle publication de Jean-Michel Frixon 29. Compte-rendu du séminaire Autonomie et responsabilité dans les organisations de la chaire FIT2 : « Quand les managés forment les managers : l’ouvrier qui murmurait à l’oreille des cadres ». Témoignages de Jean-Christophe Guérin et de Jean- Michel Frixon, 31 mai 2023. (2023). Ce tour de France a ouvert la voie à une inflexion des formations au mana- gement chez Michelin. Désormais, chaque formation au leadership fera intervenir un binôme de managés : une personne jeune et une autre plus expérimentée. Tellement simple mais il fallait y penser ! Un processus de nomination des dirigeants qui assure la continuité de l’action La vie des grandes organisations est ponc- tuée de changements de dirigeants. Mal- heureusement, lorsqu’une transformation vers la responsabilisation est en cours, elle Le modèle de leadership de Michelin : I Care I pour Inspiring. Être exemplaire et permettre à chacun de comprendre dans quel chemin il s’inscrit. C pour Create trust. Créer la confiance dans un monde volatile, incertain, en mutation permanente. A pour Awareness. Favoriser l’intelligence collective, c’est commencer par comprendre que nous sommes tous reliés. R pour Results. Une large part de l’impact positif de l’entreprise sur les personnes et sur la société vient de sa capacité à générer des résultats. E pour Empowerment. Comprendre que chacun a du talent et qu’il y a du talent dans chacun.
  • 94. 92 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation figure rarement parmi les critères de recru- tement du futur dirigeant. Cela entraîne des ruptures, et très souvent un abandon de la transformation. Si la transformation vers la responsabilisa- tion dans le groupe Michelin perdure depuis plus de vingt ans maintenant, cela est pro- bablement dû en grande partie à la façon dont les dirigeants sont nommés. Chez Mi- chelin, la sélection et la nomination des di- rigeants sont à la main de la Sages (Société auxiliaire de gestion), une instance com- posée essentiellement d’anciens dirigeants de l’entreprise, qui assure la continuité de la vision, ainsi que la préservation de la culture du groupe. Si, comme partout, le nouveau dirigeant cherche à imprimer sa marque, il le fait dans une ligne et une continuité qu’on trouve assez rarement ail- leurs. C’est ainsi qu’après une lignée de dirigeants familiaux qui avaient hérité de la philosophie d’Édouard Michelin, les di- rigeants plus récents extérieurs à la dynas- tie familiale, Jean-Dominique Senard puis Florent Menegaux, ont poursuivi à leur tour l’exploration vers la responsabilisation. Avec le recul, la démarche de Miche- lin apparaît bien comme une exploration dirigée. Le terme « exploration » implique un inconnu, des bifurcations, un retour d’expérience, des remises en cause, mais cette démarche reste active du fait d’im- pulsions régulières données par la direction du groupe (« dirigée »). La contradiction entre exploration et direction n’est qu’ap- parente. Elle est le signe de la complexité de la transformation responsabilisante et du système qui la soutient. Si la transformation vers la res- ponsabilisation dans le groupe Miche- lin perdure depuis plus de vingt ans maintenant, cela est probablement dû en grande partie à la façon dont les di- rigeants sont nommés.
  • 96. 94 94 VADE-MECUM Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 30. Il s’agit des avis des membres du groupe de travail présentés en introduction. Avec, en tête, les exemples de Lippi, de Martin Technologies, de Michelin et la si- nuosité de leurs transformations, il paraî- trait bien présomptueux de prétendre avoir découvert une méthode pour conduire une transformation responsabilisante. Il s’agit plutôt, grâce à ces éclairages, de proposer un itinéraire conseillé avec quelques balises et points de repère. À chacun ensuite d’adapter cet itinéraire, de prendre des chemins de traverse ou d’ex- plorer de petites routes ne figurant pas sur la carte. En préambule : diagnostic ou non ? Les avis sont partagés30 quant à savoir s’il faut recourir ou non à un diagnostic de la culture d’entreprise avant de se lancer dans une transformation vers une organisation responsabilisante (OR). Un diagnostic peut aider à prendre conscience qu’il faut tirer parti de l’exis- tant pour transformer une organisation. Il permet de repérer les points d’appui et les freins de la culture d’entreprise à l’égard de la transformation (Jochem et al., 2014). La culture d’entreprise n’est pas un outil de gestion : on ne la gère pas, on gère avec elle, mais certainement pas contre elle. Ce diagnostic devrait inclure l’analyse de l’écosystème et du
  • 97. 95 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 95 modèle économique de l’entreprise car ils peuvent ou non favoriser la transfor- mation. Si par exemple le modèle écono- mique de l’entreprise est trop contraint par des donneurs d’ordre qui fixent les marges et les délais de production, le dirigeant devra d’abord regagner des marges de manœuvre au cœur même de son modèle avant d’envisager la respon- sabilisation de ses équipes. De son côté, Pierre-Marie Gaillot, du Cetim, n’est pas favorable à un diagnos- tic de ce type, du moins dans les PME où le temps et les ressources sont tou- jours contraints. Selon lui, les enquêtes menées sur le terrain auprès des diri- geants font apparaître une demande ré- currente : « S’il vous plaît, arrêtez avec les diagnostics. » Les petites entreprises ont été, pendant des années, abreuvées de diagnostics dans le cadre de divers pro- grammes de modernisation subvention- nés par les pouvoirs publics. Désormais le mot « diagnostic » constitue en lui- même un repoussoir. Il vaudrait mieux parler de « compréhension du contexte » ou d’« écoute du terrain » afin de pouvoir personnaliser la démarche. Cette écoute du terrain peut prendre la forme d’entre- tiens permettant à des opérateurs, des en- cadrants, des dirigeants, des membres des institutions représentatives du personnel, d’exprimer leur ressenti sur l’organisa- tion telle qu’elle fonctionne, sur les irri- tants et sur les traits majeurs de la culture d’entreprise. On pourra aussi s’appuyer sur les enquêtes d’engagement et les ba- romètres sociaux auprès des salariés. Le diagnostic n’est pas forcément une étape. Au fil du processus, les acteurs vont en effet affiner en continu leur compréhen- sion du système. Dans la plupart des cas, ce diagnostic ne dira pas son nom, mais il sera de facto inclus dans la préparation ou la mise en condition du dirigeant. Trois séquences de transformation Kéa et Melia Consulting, des cabinets de conseil expérimentés ayant conduit plu- sieurs dizaines de transformations de ce type, ont témoigné qu’ils les abordent en trois phases : une phase d’impulsion qui concerne l’alignement de l’équipe diri- geante, une phase d’embarquement du corps social, et une phase de refonte par- ticipative et progressive de l’organisation. Cette manière de conduire la transformation a également été mise en œuvre chez Miche- lin. La concordance des approches invite à la considérer empiriquement comme assez solide. Toutefois, en dépit de son apparence ordonnée en phases, il convient de souli- gner que les éléments d’une transformation responsabilisante sont rarement séquen- tiels, et tendent souvent à se chevaucher. Rappelons-le, il s’agit d’un processus qui relève plutôt de l’exploration.
  • 98. 96 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 96 C’est pourquoi une transforma- tion de ce type gagnera à être pré- sentée sous la forme d’un cercle. De plus, plusieurs cycles de transforma- tion seront souvent nécessaires, au cours desquels les trois phases devront être ré- pétées. Figure a - Les trois grandes étapes de la transformation Source : Kéa, témoignage de Thibaut Cournarie et de Claire de Colombel, 21 mars 2023, et Meliae Consulting/Groupe Citwell, témoignage de Stéphane Lescure, 22 mars 2023. 3 Une refonte participative et progressive de l’organisation 1 Une équipe dirigeante alignée et déterminée 2 Un corps social rassuré sur les intentions et la méthode
  • 99. 97 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 97 Phase 1 - Impulsion d’une équipe dirigeante alignée et déterminée La personne « source » À l’origine de ce type de transformation, nous l’avons dit, il y a le plus souvent un dirigeant. Occasionnellement, ce peut être aussi une personne qui murmure à l’oreille du dirigeant et emporte sa conviction. Mais ce dirigeant, quel que soit son niveau de conviction et de courage personnel, ne peut pas décréter une telle transformation, il ne peut que l’impulser. Le dirigeant doit être considéré ici comme la personne « source » (voir encadré ci-dessous). La coalition Seule, la personne source ne pourra pas grand-chose. La dynamique s’enclenche à partir du moment où le dirigeant réunit autour de lui un groupe de personnes à qui il va demander si elles partagent sa convic- tion et si elles ont envie de la mettre en œuvre. La notion de coalition semble pré- férable à celle d’équipe de direction, car la coalition peut englober des personnes qui n’en font pas partie. C’est au leader qu’il appartient de construire sa coalition par af- finités et expériences, en faisant appel à des personnes qu’il connaît dans l’organisation et dont il sait qu’elles pourront jouer un rôle Devenir personne « source », un cadeau et une responsabilité Le concept de « source » a été développé par Peter John Koenig* et a fait l’objet d’un petit livre de Stefan Merckelbach (2020). La source désigne une personne qui initie un projet sur la base d’une idée tout en prenant conscience, avec humilité, qu’elle n’en est que dépositaire et que cette idée ne lui appartient pas – à l’image de la source qui jaillit des entrailles de la Terre mais dont l’eau vient toujours de quelque part. Une personne devient « source » en adhérant à une idée qu’elle n’a pas elle-même « fabriquée », mais qu’elle prend l’initiative de faire exister dans le monde. La personne source joue trois rôles. C’est un entrepreneur qui prend des risques et engage des ressources pour réaliser son projet. C’est un guide pour organiser le projet, motiver les autres et communiquer. C’est, enfin, un gardien qui s’assure que le projet ne perd pas son âme et reste aligné sur les intentions initiales. Être personne source est une responsabilité : une responsabilité vis-à-vis du projet qu’elle porte et une responsabilité à l’égard des personnes qui ont été entraînées par son champ d’énergie. * Conférencier et formateur britannique, connu pour ses travaux empiriques sur la relation à l’argent et son influence sur la vitalité des personnes et des organisations.
  • 100. 98 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 98 pour faire advenir la transformation. C’est à partir de cette coalition que vont naître les premiers éléments de diagnostic per- mettant d’explorer le champ des possibles. Plusieurs grands groupes comme Michelin ou EDF ont ainsi créé un board « respon- sabilisation » visant à bien comprendre le mix organisationnel de départ pour éviter de greffer des modes de fonctionnement qui seraient incompatibles avec ce qui fait la force initiale du système. La construction d’une entité plus responsabilisante devra au contraire s’appuyer sur ces forces pour faire évoluer le système. Ce temps de compréhension et de réflexion peut être assez long ; il va permettre à ce board de s’approprier les dimensions dé- veloppées dans la boussole de la respon- sabilisation et de s’aligner pour bâtir une première vision de l’organisation cible. Un outil d’alignement de l’équipe de direction dans les PME Pour accompagner les équipes de direction dans les PME, le Cetim a mis au point un outil simple et opérationnel, baptisé IMT pour indice de maturité Tech’Care*. Il s’agit d’un court questionnaire que chacun peut s’auto-administrer en une dizaine de minutes en mode asynchrone, par exemple sur son téléphone portable. Les questions peuvent paraître étranges ou décalées, mais elles permettent in fine d’appréhender les perceptions du chef d’entreprise et des principaux managers sur des sujets tels que la délégation, l’autonomie, la responsabilité et la confiance. Comme l’explique Pierre-Marie Gaillot, responsable du plateau Industrie du futur au Cetim, « on peut ainsi découvrir que l’encadrement n’est pas aligné sur des questions aussi simples que : “Lorsqu’il y a une décision technique à prendre, qui doit la prendre, le terrain ou le chef ?” ». Nommer les éventuelles divergences, les débriefer collectivement, permet des discussions très enrichissantes autour de la table. Cet outil de support au débat a vocation à aider à l’alignement des points de vue avant d’engager une transformation. * Tech’Care est le nom donné par le Cetim à son programme d’accompagnement des PME vers une organisation faisant place à l’autonomie (Care), généralement en lien ou autour de l’introduction d’un projet de modernisation technologique (Tech’). Ce programme a été inspiré en partie par les travaux de la chaire FIT2 sur le design du travail. La notion de coalition semble préférable à celle d’équipe de direction, car la coalition peut englober des per- sonnes qui n’en font pas partie.
  • 101. 99 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 99 Cette première étape est déterminante : elle permet à la coalition de renforcer (ou non) sa conviction et de s’armer pour passer à la deuxième phase consistant à embarquer le corps social. La phase d’embarquement conduira presque systématiquement à réviser et à adapter la vision d’origine. Il faut noter que, dans le cas d’un grand groupe avec de multiples sites ou entités, cette phase d’impulsion devra être repro- duite avec le dirigeant de chaque site (le leader). Ce dernier doit s’approprier le changement et constituer à son tour son équipe de tête. Des accompagnateurs peuvent être formés pour aider le dirigeant à se questionner, par exemple pour l’aider à prendre conscience qu’il peut constituer un frein à la responsabilisation des sala- riés. Est-ce qu’il est capable d’exprimer pourquoi la responsabilité est importante dans son contexte et de faire le lien avec ses enjeux business ? Est-ce qu’il a une conscience des limites actuelles de son entité, et sinon, est-il prêt à aller chercher des exemples concrets sur le terrain ? L’ac- compagnateur devra faire émerger par le questionnement les paradoxes entre les at- titudes du quotidien et les intentions. Phase 2 - Embarquement du corps social Cette phase a pour but de mobiliser le corps social, et aussi de le rassurer sur les inten- tions et la méthode. Elle va laisser une grande place à la notion de co-construction, afin de favoriser l’appropriation. C’est aussi une phase itérative : on pose des questions, le corps social y apporte des réponses, on rebondit sur les réponses trouvées, on en teste certaines, puis on se requestionne et ainsi de suite. L’erreur magistrale serait de considérer l’embarquement uniquement comme une question de communication de la direction vers les équipes. L’embar- quement est déjà une phase d’action sur les pratiques, et ce sont les changements de pratiques qui « embarquent ». « Le concret est la matière première de la transforma- tion », souligne Frédéric d’Arrentières (Renault Group). Décliner une vision « entreprise » ou « entité » imaginée par un board risque de ne pas parler aux opérateurs, parce que trop théorique, abstraite, lointaine. L’embarque- ment est une cascade du haut vers le bas de la pyramide, qui s’accompagne à chaque fois d’une reformulation plus concrète de la vision afin que le niveau inférieur puisse se l’approprier. Par exemple, les directions industrielles construisent avec les direc- tions de site la vision d’un site responsa- bilisé. Les directions de site construisent avec les équipes d’atelier la vision d’un atelier responsabilisé. Les équipes d’atelier construisent avec les opérateurs la vision de leurs nouvelles responsabilités et activi- tés. Pour chaque niveau, l’embarquement sera généralement organisé en deux temps forts : une réflexion collective et un débat autour de la vision proposée ; une pre- mière mise en mouvement très concrète
  • 102. 100 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 100 au niveau de l’équipe. Le point clé est que ces deux temps soient enchaînés dans un espace-temps le plus rapide possible. Équipe support centrale d’appui à la responsabilisation C’est en vue de cette phase d’embarque- ment qu’est souvent constituée dans les grandes organisations une équipe support centrale. Mais attention ! Celle-ci n’est pas une équipe de pilotage du projet de transfor- mation puisque, comme nous l’avons souli- gné à maintes reprises, une transformation responsabilisante n’est pas un projet mais une exploration. Il s’agit d’une équipe qui va consacrer du temps et de l’énergie à la création puis au soutien de la dynamique de transformation. Son rôle est d’aider et d’accompagner – tout à fait à l’image de ce qui sera attendu des fonctions support dans le cadre de la future organisation cible.Au- trement dit, elle ne se présente pas comme le porte-voix de la direction, elle n’a pas de calendrier précis, elle propose mais n’im- pose rien. Cette cellule support fournit une biblio- thèque de ressources (documentation, vidéos) et produit tout au long du chemi- nement des outils d’autoformation et de formation destinés aux différentes cibles, particulièrement aux managers d’entité et aux managers de proximité pour les aider à s’en approprier les principes. Elle a aussi un rôle de capteur des idées du terrain : elle peut mettre en place un réseau d’ambassadeurs « responsabilisation » pour prendre le pouls du corps social, ou encore recueillir des idées. Elle va également identifier les terrains fa- vorables pour mettre en place des expéri- mentations sur de petits périmètres, et en tirer des enseignements. Travailler sur les irritants Une des façons les plus courantes de sus- citer l’embarquement consiste à faire tra- vailler les équipes sur les irritants qu’elles rencontrent au quotidien. Ces irritants peuvent concerner des symboles (places de parking réservées à la hiérarchie, taille statutaire des bureaux, restaurant réservé aux cadres supérieurs…), des manques de coopération entre services, des ca- rences répétées de moyens pour effectuer un travail de qualité, la lourdeur des va- lidations et la lenteur des décisions, etc. Si les irritants les plus faciles à résoudre sont rapidement pris en compte par la direc- tion, les équipes, voyant que la démarche produit des effets concrets qui améliorent leur situation, auront davantage tendance à y croire et à s’y impliquer.
  • 103. 101 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 101 L’embarquement chez Michelin Nous avons vu au chapitre 6 que la transformation chez Michelin a connu deux grands cycles. Pour chacun d’eux, le mode d’embarquement n’a pas été le même. Lors du premier cycle de transformation, qui consistait à construire l’organisation responsabilisante (OR) dans les usines, la cascade d’embarquement jusqu’au niveau des opérateurs s’est appuyée sur un préalable qui était la conception des nouveaux territoires de responsabilité : les îlots de fabrication. La première mise en mouvement concrète s’est focalisée sur les dimensions de responsabilité et de solidarité. Elle a consisté à donner aux agents des ressources (le temps) pour les aider à identifier leur nouvelle mission d’équipe associée à des valeurs, à engager des discussions sur des ambitions partagées, à clarifier la relation de client et de fournisseur en interne, et à décrire la manière dont l’équipe fonctionnait, avec ses propres mots, dans un livret d’équipe. Ce livret d’équipe est devenu la référence de la situation de départ. C’est sur cette base que les équipiers ont pu commencer à identifier puis à supprimer des irritants qui existaient entre eux, avec leur hiérarchie, avec les supports, à évacuer des frustrations et à installer un début de dialogue professionnel pour améliorer leur fonctionnement collectif. Ce temps a représenté un premier signal fort, orientant les équipes vers le développement d’une capacité à s’autoréguler. Dans le même temps, un deuxième signal fort leur a été donné par les équipes d’atelier qui ont mis en place des rituels au cours desquels les fonctions support sont devenues solidaires du collectif de travail dans chaque territoire et se sont mises à écouter les opérateurs en vue de traiter véritablement leurs problèmes. Lors du deuxième cycle de transformation, les bénéfices de la responsabilisation, issus des OR, étaient déjà tangibles au sein des équipes. Cette fois, l’embarquement s’est fait en se focalisant sur les dimensions de subsidiarité et de collégialité. Ces principes ont été formulés et articulés avec clarté et simplicité. Les décisions sont prises par les équipes qui conduiront les actions dans un cadre défini. Les problèmes sont résolus par les équipes, là où ils apparaissent, dès qu’ils apparraissent. La structure managériale et technique vient en soutien aux équipes. Les objectifs sont décidés collégialement avec ceux qui auront à les atteindre, et contribuent aux ambitions de l’entité. Étendre le domaine d’imputabilité Étendre le pouvoir d’agir
  • 104. 102 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 102 Chaque leader (directeur de site) a été chargé d’animer l’embarquement de ses équipiers. Dans ce but, il a été coaché afin de se préparer à présenter à son équipe la vision de son « domaine réservé ». Le domaine réservé représente les décisions du leader qui échappent au principe de subsidiarité. A contrario, tout ce qui n’appartient pas au domaine réservé est un champ d’opportunité ouvert à l’élargissement du pouvoir d’agir des équipiers. Pendant le chantier d’embarquement, le leader devait présenter les raisons pour lesquelles il voulait conserver certaines décisions, puis une « dispute professionnelle » s’engageait pour que ses N-1 puissent le challenger. À l’issue de la discussion, le leader révisait son domaine réservé en fonction des éventuelles concessions qu’il avait accordées à son équipe. Ces « négociations » sur le domaine réservé du leader ont été souvent très intenses, preuve que la mayonnaise de la responsabilisation avait pris. Charge ensuite aux équipiers de se saisir des champs libérés en définissant comment ils pourront devenir responsables et autonomes sur chaque sujet. Encore faut-il qu’ils le veuillent ! « Ce n’est pas parce que le cadre est clair que les gens prennent le pouvoir », souligne François Levert (Michelin). Cette discussion sur le domaine réservé pouvait ensuite être déclinée tout le long de la ligne hiérarchique au titre de l’embarquement progressif de toute l’organisation. Notons que l’embarquement est une phase qui n’est jamais achevée. Quand l’organi- sation est grande, il doit être régulièrement recommencé, du fait du turn-over des ma- nagers et des personnels. En outre, dans les grandes organisations, l’embarquement n’est jamais général. À chaque élargisse- ment de la responsabilisation à un nouveau périmètre organisationnel, la phase d’embar- quement devra être recommencée et adaptée au type de métier, de population, etc. Quels que soient les efforts mis en œuvre dans la phase d’embarquement, il convient de souligner que les équipes ne suivront le mouvement que si elles y trouvent un sens pour elles-mêmes, si elles voient ce qu’elles ont à y gagner. En particulier, il faudra tenir compte de l’histoire et du contexte de l’en- treprise, c’est-à-dire de tout ce qui a pu se passer avant la présente transformation. En effet, des changements permanents, des annonces de transformation à répétition, notamment à chaque changement de direc- tion générale, auront pu miner la crédibilité même de l’idée de transformation et créer un climat de méfiance ou de lassitude peu propice à l’embarquement. Phase 3 - Refonte participative et progressive de l’organisation Cette phase nous met au cœur de l’action. Nous proposons ici les grandes lignes d’une carte de transformation vers la res- ponsabilisation selon trois axes : i) l’in-
  • 105. 103 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 103 génierie de mise en œuvre de l’OR ; ii) la transformation des styles et des pratiques de management ; et iii) les conditions de pérennisation du modèle responsabilisant. Premier axe : l’ingénierie de mise en œuvre de l’OR Il s’agit d’une ingénierie progressive et participative qui s’appuiera sur de l’expé- rimentation. L’idée est d’être pragmatique pour réussir à trouver des solutions organi- sationnelles accessibles, probablement im- parfaites, mais qui permettront de concré- tiser les premiers pas vers le changement. La grille de mise en œuvre que nous pro- posons s’inspire de la rosace du cabinet de conseil Meliae Consulting/Groupe Citwell, légèrement adaptée. Le cœur de la rosace (voir figure b) – « Définir les missions et les responsabilités » – est à traiter en premier car il va conditionner la mise en œuvre des éléments situés en périphérie. Puis il y a une logique d’enchaînement des réflexions qui démarre du « territoire » et s’opère en tour- nant dans le sens des aiguilles d’une montre. Figure b - La rosace de mise en œuvre de la transformation responsabilisante Définir un territoire Définir les ressources pour développer l’autonomie du collectif sur ses missions Définir les instances de délibération et de prise de décision Installer un collectif solidaire et responsable des misisions sur le territoire Adapter la politique RH au modèle organisationnel Définir les missions et les responsabilités
  • 106. 104 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 104 Cas d’application Au lancement des OR, Michelin a voulu que les équipes de fabrication prennent la responsabilité de : i) piloter le progrès de la performance des activités ; ii) faire évoluer l’environnement de travail sous l’angle du bien-être ; iii) prendre en charge leur propre développement. Charge à elles de décider sur quoi il fallait agir pour y parvenir. L’intention était claire, mais pas suffisamment explicite et concrète pour que les équipes puissent se mettre en mouvement. Dans un guide de l’OR destiné à aider les équipes à construire leur OR et à s’approprier de nouveaux champs de responsabilité, Michelin a explicité ce qu’il convenait de comprendre par « performance des activités » et ce qu’impliquait devenir responsable de cette performance en termes d’activités. La performance des activités a donc été définie par des indicateurs dans cinq domaines : santé-machine-qualité-délai-coûts (SMQDC). L’ordre dans lequel sont positionnés les domaines SMQDC délivre un message. Pour faire du bon travail, la priorité absolue est de protéger la santé des personnes et la qualité de l’environnement de travail (S), puis de disposer d’un outil de travail performant, ergonomique, flexible et entretenu (M), de maîtriser la variabilité des procédés pour faire bien du premier coup et satisfaire les clients (Q), moyennant quoi les équipes sauront s’adapter à la demande et respecter les engagements vis-à-vis des clients (D), en réduisant continuellement les gaspillages et en atteignant la performance économique du produit livré (C). Confier la responsabilité aux opérateurs de manager au quotidien la performance SMQDC, c’est leur faire passer le message que l’entreprise leur fait confiance pour déterminer ce dont ils ont besoin pour y arriver et ce qui les empêche d’y arriver. Appliquons la grille à un environnement de production (usine). 1. Définir et expliciter sans ambiguïté les nouvelles missions et responsabilités C’est la première clé de la conception d’un environnement de travail responsabilisant et donc automotivant. Cette transformation est fondamentalement centrée sur la symé- trie des attentions. Les nouvelles missions et les nouvelles responsabilités devront clairement concrétiser cette intention. Elles doivent permettre la prise en main des ac- tivités quotidiennes par ceux qui créent la valeur. Mais elles doivent également ouvrir de nouveaux champs de responsabilité à un horizon moyen-long terme pour permettre aux équipes de s’engager dans un projet qui les concerne directement.
  • 107. 105 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 105 2. Définir les territoires Le redécoupage de l’organisation en mi- ni-territoires est fréquemment l’une des grandes étapes de la transformation. Rap- pelons brièvement (voir chapitre 4) que ces territoires devront faire sens en termes d’activités. Il conviendra de veiller à limiter la diversité des clients, des technologies ou la complexité des activités. Le dimension- nement tiendra compte d’une certaine sta- bilité des effectifs et de la proximité entre les membres. Il est souhaitable de pouvoir reconnaître facilement ces territoires, en leur donnant un nom, voire un logo, ou en les matérialisant physiquement. L’exercice est loin d’être facile. Il y a beau- coup de bonnes raisons opérationnelles dans une organisation industrielle classique pour avoir des territoires assez grands : la taille des installations, la rationalisation des res- sources par la mutualisation, des arbitrages plus faciles dans l’allocation de ressources. Déconstruire pour reconstruire en territoires plus petits peut susciter des résistances, quand ça n’est pas physiquement très com- pliqué. La co-construction est absolument nécessaire pour trouver des compromis ac- ceptables et ne pas susciter le rejet. La division en plus petits territoires a des incidences qui peuvent rendre plus difficile leur gestion : il faudra par exemple modi- 31. Mot japonais signifiant « grande salle ». fier l’architecture du système de gestion en créant de nouvelles sections budgétaires. Les nouveaux territoires risquent aussi, dans un premier temps, de ne pas dispo- ser de tous les outils informatiques dont ils auront besoin pour devenir autonomes. Dans le cas d’un redesign organisationnel sous forme de mini-usine, on aura besoin de disposer d’un lieu de vie dédié à l’équipe – l’obeya31 pour reprendre le vocabulaire du lean, qui permettra de s’isoler de l’en- vironnement de fabrication sans trop s’en éloigner, afin de se réunir, d’installer le ma- nagement visuel (et de disposer des moyens collaboratifs digitaux permettant l’accès et la transmission d’information) et d’utiliser des outils performants de gestion (dès qu’on les aura adaptés). Mais, dans de nombreux cas, ceux qui ont implanté les ateliers ne vi- saient qu’à optimiser la surface occupée et il n’est donc pas toujours facile d’aménager cette obeya, pourtant indispensable. Une autre difficulté peut provenir également de la méthode qu’utilise l’entreprise pour « peser » les postes. En effet, du niveau de responsabilité reconnu d’un poste découle sa rémunération. Or la taille du territoire est souvent l’un des critères de la rémuné- ration des managers. En réduisant le terri- toire, on peut réduire l’attractivité du poste de manager. Si les critères de gestion des carrières demeurent les mêmes qu’antérieu-
  • 108. 106 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 106 rement, les meilleurs managers vont se re- trouver tiraillés entre l’envie de franchir des étapes personnelles dans leur parcours pro- fessionnel et l’envie de rester au service de la responsabilisation de leur équipe – sujet qui valeurréclamerbeaucoupd’énergieetquine serapasforcémentreconnu.D’oùlanécessité d’associer les équipes RH en tant que partie prenante de la transformation pour tenter de résoudre ce type de contradiction. 3. Installer un collectif solidaire sur son territoire Une communauté de travail n’est pas un donné mais un construit (voir chapitre 3). Cette construction demande un accompa- gnement de qualité – ce que le manager n’a souvent pas appris à faire. Elle nécessite aussi du temps : d’une part, elle s’inscrit dans la durée, et d’autre part, elle demande d’investir du temps, notamment sous forme de séminaires suffisamment longs pour qu’il en ressorte quelque chose de significatif. Non seulement il faut budgéter ce temps, mais il faut aussi réussir à l’organiser. En production, par exemple, ce temps est très difficile à trouver, surtout quand on fonc- tionne 24 heures sur 24. Il est encore plus difficile de libérer les opérateurs de leur tâche première, qui est de produire, lorsque la configuration physique du travail est « la chaîne » comme dans l’automobile. Cette étape est ainsi souvent survolée, parce que difficile à organiser. Sans compter qu’il faut créer des supports qui permettront à la com- munauté de pouvoir s’y référer facilement. Cas d’application Dans une usine de Michelin, un chef d’atelier a fait travailler ses équipiers pendant plusieurs mois à raison de trois séminaires d’une demi-journée, sur la question « Que fait une personne responsable et solidaire dans notre communauté de travail ? ». Ils ont cherché des cas de figure concrets et se sont mis à s’autoévaluer. Le manager s’est d’abord appuyé sur ces autoévaluations pour conduire des feed-back individuels fréquents. Par la suite, les équipiers sont passés au feed-back collégial sans le manager. Cette démarche les a conduits sur le chemin de l’autonomie pour intégrer les nouveaux équipiers (décider de garder ou non un nouvel équipier dans la communauté après une période probante d’intégration). Désormais, lorsque cette communauté décide de créer un nouveau rôle au service de l’équipe, la décision relative à la personne qui tiendra ce rôle est collégiale. Enfin, les équipiers sont devenus capables de décider en autonomie la répartition de leurs augmentations de salaire en fonction de ce que chacun apporte à la communauté. Dans cette communauté de travail, il y a deux slogans affichés en grand sur les murs de l’atelier : « Le chef s’occupe de nous et nous, on s’occupe du reste », et « Ici on se parle ».
  • 109. 107 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 107 4. Définir les ressources pour développer l’autonomie dans les missions Quatre ensembles de ressources seront né- cessaires à une transformation responsabi- lisante. La première ressource est celle des com- pétences. La montée en compétences au service de la transformation a déjà été largement évoquée aux chapitres 3 et 4 : pour les managers, formation et coaching, groupes de codéveloppement ou d’analyse des pratiques ; pour les opérationnels, dé- tection des appétences et des compétences pour les nouveaux rôles, puis apprentissage des compétences techniques nécessaires à l’exercice de ces nouveaux rôles, etc. La deuxième est la reconnaissance de ceux qui œuvrent à la transformation. Elle peut s’exprimer de plusieurs manières. L’ex- pression orale ou écrite de la reconnais- sance par la direction et les managers à l’égard des efforts engagés et des avancées obtenues a une forte valeur symbolique, mais, seule, elle sera insuffisante. Elle devrait s’accompagner d’une forme ou une autre de partage de la valeur (primes, aug- mentations, intéressement et participation, actionnariat salarié). La reconnaissance des compétences additionnelles acquises par les opérationnels devrait aussi pouvoir ouvrir la voie à une évolution de carrière en matière de statut et de rétribution. À défaut de pouvoir assurer les évolutions internes à tous, l’entreprise qui a investi dans la for- mation de ses personnels pourra attester des compétences acquises et ainsi favoriser leur employabilité externe. Sans système de reconnaissance institué, l’OR, après une période d’enthousiasme, risque de perdre de son attractivité. La troisième ressource concerne les effec- tifs. Au-delà des méthodes de calcul de charge/capacité qui permettent de déter- miner le niveau adéquat d’équipiers pour ce qui concerne l’exploitation courante, il faudra prendre en compte le temps dont auront besoin les équipes pour développer le projet de responsabilisation et assumer leurs nouvelles responsabilités dans le mode d’exploitation future. Cela peut né- cessiter des ajustements d’effectifs à la hausse, sachant cependant que les équipes autonomes devront être capables de se réguler elles-mêmes pour ce qui concerne la variation de la charge d’exploitation, les absences liées aux formations, aux congés ou autres imprévus. Enfin, la quatrième est l’information. C’est une ressource immatérielle à laquelle on ne pense pas suffisamment dans les démarches de responsabilisation. Quand on passe d’un mode directif à un mode responsabilisant, on oublie souvent de se poser une ques- tion toute simple : quand un équipier ou une équipe doit décider quelque chose, sur quelles informations peut-il ou peut-elle s’appuyer?oùlestrouver?Commentmettre à la disposition des équipiers une informa- tion compréhensible pour qu’ils puissent
  • 110. 108 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 108 décider par eux-mêmes avec un niveau d’information homogène ? Généralement, la réponse n’est pas compliquée à mettre en œuvre, mais parfois elle peut conduire à re- penser la structure et les outils de communi- cation à disposition des équipes. Un partici- pant au groupe de travail faisait remarquer, à titre d’exemple, que le fonctionnement en autonomie des équipes les amenait à utili- ser WhatsApp, un outil numérique proscrit par l’entreprise, parce que l’outil proposé en interne pour le même usage était jugé insa- tisfaisant et était donc peu adopté. In fine, l’entreprise doit avoir conscience que toutes les dimensions évoquées (montée en compétences, formations, ac- quisition des nouvelles pratiques, aména- gement des espaces, nouveaux systèmes d’information) requièrent soit du temps, soit des investissements financiers, et souvent les deux simultanément. Il est donc important d’anticiper ces moyens et de les budgéter. 5. Définir les instances de délibération et de décision Ces dispositifs doivent être cohérents avec les missions et les responsabilités, impli- quant par là même plusieurs fréquences de rituels. Il sera très important de définir un dispositif particulier permettant la remon- tée des problèmes journaliers vers le niveau supérieur dans le respect de la subsidiarité, et la redescente rapide des décisions prises (voir encadré ci-contre). 6. Impliquer les RH dans la transformation En ce qui concerne la plupart des aspects évoqués de la transformation, les RH ont un rôle fondamental à jouer. Toutefois, la conception que cette fonction aura de son rôle pourra varier selon les organisations : simple rôle d’accompagnement (niveau 1) ; veilleetstimulationduprocessus(niveau2); pilotage et inspiration (niveau 3). Au niveau 1, les RH s’occuperont principa- lement des types de formations à dispenser, de l’ingénierie pédagogique et du choix des prestataires. Elles pourront aider à identi- fier les compétences et les appétences des collaborateurs pour proposer les nouveaux « rôles ». Elles apporteront aux managers et aux équipes l’appui nécessaire pour re- cruter progressivement en autonomie. Elles mèneront les enquêtes d’engagement et de satisfaction des collaborateurs, et veilleront au climat social via les indicateurs agrégés de démissions et d’absences pour maladie. Si elles s’engagent sur les niveaux 2 et 3, les RH travailleront en étroite liaison avec la cellule support centrale d’appui à la transformation responsabilisante (quand elle existe) à la fois dans la conception et dans la production des outils de la trans- formation. Elles conseilleront la direction pour éviter les changements trop brutaux et perturbateurs, en fonction de leur connais- sance de l’historique de l’entreprise. Elles seront aussi gardiennes de la cohérence des pratiques. Par ailleurs, elles auront à s’atta-
  • 111. 109 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 109 quer, à un moment ou un autre, à la refonte du système RH en matière d’adaptation éventuelle des statuts, de la gestion des carrières, des systèmes d’évaluation et de rémunération ou d’ajustement des effectifs. Certaines de ces questions devront passer par le dialogue social. Une partie du travail des RH consistera donc à réussir à embar- quer les instances représentatives du per- sonnel (IRP). Valérie Duburcq chez Orange témoigne : « Lorsque j’étais DRH d’enti- té, j’ai pu mesurer que consulter les par- tenaires sociaux et associer un groupe de prévention pluridisciplinaire dès le début d’un projet, au lieu de le leur soumettre une fois qu’il était ficelé, se révélait facilitant pour la phase de mise en œuvre. » Toutefois, la démarche de responsabilisa- tion aura souvent intérêt à se développer d’abord en mode protégé pour ne pas être déstabilisée dès le départ par des revendi- cations multiples et pour valider qu’elle produit de l’engagement sans détériorer les résultats économiques. Sous réserve d’un climat social initial très dégradé dans l’entreprise, la transformation responsabi- Cas d’application Michelin a développé un processus très simple pour la remontée d’information au niveau supérieur à fréquence journalière. Un support visuel appelé carte WIN (What is Important Now) est rempli par le collectif de niveau N à l’issue de sa réunion journalière. Ce document résume les principaux problèmes du jour à traiter. Si la carte WIN est verte, le collectif N se déclare en capacité de traiter les sujets qui posent un problème et cette information remonte en N+1. Si la carte WIN est rouge, le collectif N demande explicitement qu’un ou plusieurs des sujets soient pris en compte au niveau N+1. Le niveau N+1 se mobilisera alors sur ce sujet. Mais le processus ne s’arrête pas là. Le collectif N+1 devra s’interroger sur ce qui manque au collectif N pour être autonome dans le traitement du sujet. Les problèmes qui remontent deviennent ainsi une occasion de réfléchir à la manière d’élargir le pouvoir d’agir des équipes opérationnelles. Pour que cela fonctionne, deux conditions sont à respecter. Premièrement, le temps des rituels collectifs doit être sanctuarisé pour que tous les membres soient disponibles et présents. Deuxièmement, la planification du rituel quotidien de l’équipe la plus élevée dans la hiérarchie (équipe de direction du site) ne doit pas arriver trop tôt dans la journée. Il faut laisser le temps aux équipes de niveau inférieur d’effectuer leur travail et de prendre leurs responsabilités (principe d’escalade de la subsidiarité).
  • 112. 110 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 110 lisante fera rarement l’objet d’une oppo- sition de principe de la part des IRP, parce qu’elle est souvent considérée comme un « bon combat » qui porte sur la qualité du travail. Elle sera donc accueillie de façon neutre, parfois même avec intérêt par les instances de type CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), qui suivront de près ses effets sur la santé des personnes. Le directeur des re- lations sociales d’un grand groupe indique même que la démarche de responsabilisa- tion a pu représenter l’occasion de relancer un dialogue social en panne dans certains pays. La démarche pourra en revanche être critiquée sur certains de ses aspects, au fur et à mesure de son avancement. Ces critiques porteront le plus souvent sur la non-reconnaissance (ou une reconnais- sance jugée insuffisante) en termes de ré- munération du travail additionnel fourni par les équipes, ainsi que sur l’absence Le Référentiel d’Orientation, un outil pour prendre des décisions dans l’incertain Le concept de Référentiel d’Orientation (RFO) a été créé par Joseph Lusteau, dirigeant de Diagonart Conseil, et expliqué dans son ouvrage Donnez du sens à vos décisions (Mardaga, 2021). Il s’agit d’un outil pour gagner en cohérence dans les choix stratégiques, dans un univers caractérisé par l’incertitude, les mutations et les ruptures. La démarche de mise en œuvre du RFO a été adaptée par le Cetim pour les PME/PMI au travers de son produit Strat’eMove®. Le RFO propose un processus décisionnel stable qui permet d’aborder la prise de décision de la même manière partout dans l’entreprise. Il est constitué de quatre cadrans : Les éléments fondateurs, le cœur de l’entité, sa raison d’exister, définissent les missions, la vocation, ainsi que les principes et les valeurs communes à partir desquels l’essence même de l’entité peut être comprise. Les dynamiques d’évolution, les axes de développement prioritaires, font référence aux logiques principales de développement et aux leviers privilégiés qui vont caractériser globalement son parcours dans le temps et ses manœuvres stratégiques. Les modes de gouvernance, le style de management, décrivent le type de fonctionnement des acteurs en interne ainsi que les relations et les comportements de l’entité vis-à-vis de ses partenaires extérieurs et de ses écosystèmes. Les impératifs ou perspectives majeurs sont les quelques axes et positionnements politiques clés précisés par les ancrages à préserver et les défis à relever à moyen terme.
  • 113. 111 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 111 Les principaux usages du RFO sont : • exprimer et communiquer simplement ce qu’est l’entreprise et ce qu’elle souhaite devenir ; • être en mesure de décider rapidement sur les alternatives stratégiques les plus en conformité et en cohérence avec l’ADN et les ambitions de l’entreprise dans un environnement bousculé par l’incertitude (investissement, acquisition externe, changement du système de management, etc.). Chaque alternative est alors cotée à l’aide de cette grille ; • pouvoir communiquer facilement pourquoi et comment la décision a été prise ; • être en mesure de tracer et de justifier dans le temps les raisons des décisions précédentes et des éventuelles prises de risque associées. Une fois construit et validé, le RFO est un puissant outil de prise de décision, à tous les niveaux de l’entreprise, individuellement ou en groupe. À ce titre, il permet de développer la responsabilisation dans toute l’entreprise. Histoire, dates clés, valeurs Les principes d’action, rapport au risque Les éléments fondateurs Délégation,mode de communication, mode de management Alliances et partenariats, relations fournisseurs Les modes de gouvernance Logique de développement : clients, concurrents, marchés (quoi) Déclinaison du développement (comment) Les dynamiques d’évolution Ancrages de l’entreprise à préserver Impératifs et défis futurs à relever Les impératifs majeurs
  • 114. 112 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 112 de compensation pécuniaire directe pour ceux qui assument des « rôles » supplé- mentaires. Les organisations syndicales pourront aussi interpeller l’entreprise sur la traduction qu’elle entend donner à la polyvalence et aux compétences ainsi ac- quises dans les grilles de qualification et de rémunération. Enfin, les méfiances ex- primées pourront porter sur l’absence de formations adaptées et de perspectives de carrière pour les opérateurs ou encore sur la réduction des effectifs de managers par suite de la responsabilisation des équipes. L’une des conditions de réussite du dia- logue social sur ce sujet est la sincérité du projet : les IRP doivent être convaincues qu’il n’y a pas d’agenda caché de la direc- tion derrière ce projet (de type allègement de la structure, par exemple). Comme le souligne Frédéric d’Arren- tières (Renault Group), il serait vain d’espérer transformer une grande struc- ture sans le soutien de la fonction RH. Il est indispensable que celle-ci s’engage au côté de l’équipe d’accompagnement pour donner à l’entreprise toutes les chances de réussir. Toutefois, il faudra tenir compte du fait que la fonction RH n’aime pas trop être bousculée : sa mission s’inscrit dans la durée, elle gère des pyramides des âges qu’elle cherche à équilibrer, elle est encadrée par de très nombreuses règles contraignantes qu’elle a vocation à rappeler à toutes les parties prenantes. Deuxième axe : transformer les styles et les pratiques de management La démarche de responsabilisation trans- forme le rôle du manager. Le cabinet de conseil Kéa nous propose une métaphore : « Faire de ses managers des jardiniers ». Beaucoup d’entreprises, en particulier les grands groupes, travaillent à faire évoluer leurs managers. Elles définissent un profil type qu’elles associent à des compétences comportementales et à des postures, et tentent de les développer en créant, par exemple, des « universités » ou des « académies ». Pourtant, même quand les managers sont accompagnés sur le thème du changement de styles et de pratiques managériales, un point clé reste à interroger : le temps réel qu’ils peuvent effectivement consacrer à la supervision active de leur équipe. Or ce temps est souvent réduit à la portion congrue. Il y a au moins trois raisons pour que ce temps soit aussi limité : l’étendue de la responsabilité du manager (span of control) ; les autres tâches que son N+1 ou les supports lui demandent d’effec- tuer (reporting, réunions diverses, tâches administratives) et qui le détournent de L’une des conditions de réussite du dialogue social sur ce sujet est la sincérité du projet.
  • 115. 113 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 113 sa mission principale ; la compréhension que le manager a de son propre rôle. Avec un accompagnement approprié, le temps de présence des managers auprès de leur équipe peut considérablement augmenter. Cet accompagnement peut prendre la forme d’un coaching sur le terrain en situation réelle d’encadrement afin d’éviter de consommer un temps additionnel du manager par une forma- tion hors terrain. Qualité et fréquence de l’accompagnement sont les points déter- minants de l’efficacité de ce type d’ap- prentissage. Pour y parvenir, il faut un ratio de l’ordre de un coach pour quinze managers en processus d’apprentissage. Chaque accompagnement se termine par un feed-back, à l’issue duquel le manager prend un engagement sur l’évolution de son style de management, un petit pas qu’il devra mettre en œuvre immédiate- ment et qui fera l’objet d’un débrief lors du prochain accompagnement. Par ailleurs, la pratique du « domaine réservé » est très utile pour ouvrir la voie à de nouvelles répartitions des responsa- bilités entre un manager et ses équipiers. Le manager commence par se livrer à une réflexion personnelle de manière à clarifier ce qu’il considère comme son pré carré en matière de prise de déci- sion. Lorsque cet exercice de réflexion est terminé, le manager présente son domaine réservé à son équipe et en justi- fie les raisons, tout en acceptant le prin- cipe d’une « dispute professionnelle » à ce sujet. En creux, il affiche clairement qu’il est prêt à lâcher prise sur ce qui ne figure pas dans son domaine réservé. Si les équipes revendiquent l’accès à une dimension supplémentaire du domaine réservé, le manager peut décider d’étu- dier cette requête, en la partageant le cas échéant avec d’autres services : dans quelles conditions serait-ce fai- sable (ressources) ? À quel horizon (délai) ? Comment pourrons-nous sécu- riser le résultat (efficacité) ? La pratique du domaine réservé permet au manager d’apprendre à gérer le cadre de l’auto- nomie de son équipe et à lâcher progres- sivement du lest de manière dynamique, comme dans l’encadré en page suivante. Enfin, pour libérer les énergies, il faut un cadre. C’est au manager de gérer le cadre de son équipe en concertation avec elle. La finalité du cadre est de sécuriser la dynamique continue d’élargissement des espaces de responsabilité, alimentée par la dispute professionnelle sur le domaine réservé du manager. Le cadre est consti- tué de points de repère et de ressources. La pratique du domaine réser- vé permet au manager d’apprendre à gérer le cadre de l’autonomie de son équipe et à lâcher progressivement du lest de manière dynamique.
  • 116. 114 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 114 Imaginons un joueur de foot qui devrait demander à son entraîneur s’il a le droit de tirer au but. C’est une situation aber- rante pourtant rencontrée fréquemment en entreprise. Au foot comme ailleurs, celui qui a la responsabilité à l’instant t est celui qui détient le ballon, pour autant qu’il agisse en coopération avec les autres. Parce que les équipiers ont une ambition à l’égard de laquelle ils sont solidairement responsables, qu’ils connaissent les règles du jeu, ainsi que les qualités et les faiblesses de chacun et leur rôle sur le terrain, parce qu’ils sont solidaires dans l’effort, qu’ils ont des aptitudes personnelles, qu’ils ont défini collégialement des plans de jeu, qu’ils reconnaissent un des plans de jeu pos- sibles à partir de la position des équipiers et des adversaires, ils vont décider de dé- Le domaine réservé du manager et son extension Imaginons un manager qui s’interroge sur son domaine réservé et sa justification. Décider de l’embauche en CDI d’un nouvel équipier : je garde cette décision dans mon domaine réservé, parce que je pense que mes équipiers risqueraient de recruter quelqu’un uniquement en jugeant de l’adéquation de son expertise au regard de leurs besoins actuels. Ils ne prendraient pas en compte d’autres critères permettant de juger de la capacité de cette personne à développer une carrière dans l’entreprise. Du reste, je ne suis pas moi-même en position de décider seul, c’est une décision concertée avec un membre du service RH. Décider de l’embauche d’un intérimaire en renfort ponctuel de l’équipe : actuellement, c’est moi qui décide, mais je considère que cela n’appartient pas forcément à mon domaine réservé. Mes équipiers sont capables de juger de la nécessité d’avoir un renfort et sont maîtres de leur budget sur ce plan. En outre, il n’y a pas de forte prise de risque au cas où la personne recrutée ne correspondrait pas au profil recherché. Je suis donc prêt à lâcher prise sur cette décision. Mes équipiers pourraient être autonomes et ne plus me solliciter pour cette décision. Étendre le champ d’autonomie de l’équipe : mes équipiers recrutent désormais les intérimaires. Cela fonctionne très bien. Nous pourrions maintenant envisager de les faire participer au recrutement des CDI, ce que d’ailleurs ils réclament. Je vais consulter les RH pour voir à quelles conditions et dans quelles limites cela pourrait devenir possible et avec quelles ressources.
  • 117. 115 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 115 rouler tel plan de jeu qui leur permettra de marquer un but sans aucune interven- tion du coach. Quand les managers ne sont plus en per- manence sur le terrain de jeu, comment l’équipe va-t-elle décider ce qu’elle doit faire, sans se mettre en danger ni faire courir des risques inacceptables à l’en- treprise (rappelez-vous la ligne de flot- taison du chapitre 3) ? Réponse : comme au foot ! Les équipiers disposent de points de repère mis en place lors de la création du territoire de responsabilité et de la construction de la communauté de travail, qui peuvent aussi provenir directement du système de production. On trouve- ra des repères qui orientent l’action (la mission de l’équipe et l’ambition qu’elle s’est construite), des repères qui assurent la prévisibilité de l’action (les règles du métier, les séquences de production, les indicateurs) et des règles sur la manière de faire ensemble du bon travail (les règles que la communauté se donne). Les équipiers disposent aussi de res- sources, notamment de formation et d’in- formation, comme nous l’avons indiqué sur l’axe ingénierie de l’OR. La commu- nauté est déjà dotée de ressources pour exercer son autonomie dans ses mis- sions et responsabilités établies. Mais le manager a gardé le contrôle de certaines situations de jeu. Lorsque l’équipe décide d’explorer un nouveau champ d’auto- nomie, la responsabilité du manager est d’instruire avec les équipiers et les fonctions support associées l’évolution des points de repère et des ressources du cadre d’autonomie pour réussir à lâcher prise effectivement. Lorsque l’équipe décide d’ex- plorer un nouveau champ d’autono- mie, la responsabilité du manager est d’instruire avec les équipiers et les fonctions support l’évolution du cadre d’autonomie pour réussir à lâcher prise effectivement.
  • 118. 116 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 116 Un outil pour l’élargissement progressif des zones de responsabilité : l’éventail de délégation concertée d’ISEOR Cetim D é c i s i o n d e B s a n s i n f o r m e r A Décision de B avec information aposteriorideA D é c i s i o n d e A DécisiondeBavec information en amont deA Modifi- cation des horaires Sanction disciplinaire Rémunéra- tion Choix et suivi de formation Choix du fournisseur Réception des équipements Calcul ROI Validation CdC pour inves- tissement Choix d’un nouveau colla- borateur Pilotage de le maintenance Achat matériel 5000 € Modifica- tion implanta- tion atelier Congés et absences Choix des indicateurs de performance Demande de renfort interne ou intérim Négocier les délais avec les ateliers avals Remontée des problèmes de terrain Source : ISEOR, 1994, revu par le CETIM 2022. Concertation Autonomie Animateur atelier A B Compagnons atelier A Directeur de site B Animateur atelier Décision prise par le manager Décision subordonnée à une autorisation hiérarchique Décision prise en autonomie
  • 119. 117 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 117 Troisième axe : créer les conditions de pé- rennisation du modèle responsabilisant La pérennisation de ce type de transforma- tion est sans doute l’une des plus grandes difficultés que rencontrent les organisa- tions. Parce que le modèle responsabilisant s’inscrit dans un temps long, il va se heurter à de multiples facteurs perturbateurs. Parce que le modèle responsabilisant repose sur des hommes et des femmes réels (et non sur une modélisation théorique), il est très dépendant des personnes qui le font vivre et se révèle souvent peu résilient quand ces hommes et ces femmes viennent à manquer. Parmi les effets perturbateurs fréquents, on relève les changements de gouvernance. À l’occasion d’une acquisition, d’une fusion, de l’entrée d’un nouvel actionnaire (fonds d’investissement par exemple) ou de changements dans la structure du marché, les priorités de l’entreprise se modifient, pouvant influer sur les choix de la direc- tion générale. Plus couramment encore, une nouvelle direction générale pourra vouloir marquer son « ère » en décrétant un nouveau type de transformation qui sera moins orienté vers la responsabilisation et davan- tage tourné vers l’obtention de résultats rapides, visibles, voire spectaculaires, ou Note : l’éventail de délégation concertée a été créé par l’Institut de socio-économie des entreprises et des organisations (ISEOR), dirigé par Henri Savall de l’IAE de Lyon (université Jean-Moulin). Cet outil, utilisé par le Cetim pour l’accompagnement de PME vers une organisation plus responsabilisante dans le cadre de son programme Tech’Care, permet de discuter des zones d’autonomie d’une personne, et par extension d’une équipe (B), avec son manager (A). L’analyse est réalisée entre deux niveaux hiérarchiques. Les types de décisions à prendre sont inscrits sur des post-it. Une couleur est affectée à chacun des post- it. Elle définit par qui doit être prise la décision. Bleu : décision prise en autonomie. Jaune : décision subordonnée à une autorisation hiérarchique. Gris : décision prise par le manager. Les personnes placent ensuite ces post-it sur un éventail qui reprend les types de décisions. On peut ainsi observer aisément non seulement le décalage entre l’intention de départ et la prise de décision effective, mais aussi le décalage entre les croyances des uns et des autres sur qui prend effectivement tel ou tel type de décision. Dans la figure ci-dessus, un certain nombre de post-it jaunes qui devraient être dans le deuxième cadran « Décision de B avec information en amont de A » se retrouvent en fait dans l’éventail de gauche « Décision de A ». Dans les faits, la décision est donc prise par A, malgré l’intention initiale qui était que B prenne la décision en informant A en amont. Un débat est alors lancé pour résoudre le problème. La dynamique consiste ensuite à refaire l’exercice régulièrement pour voir si les zones d’autonomie théoriques se sont effectivement concrétisées.
  • 120. 118 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 118 obéissant à un nouvel effet de mode. Cette nouvelle orientation pourra peut-être se su- perposer aux acquis de la responsabilisation, mais le plus probable est qu’elle la mette en péril en modifiant la hiérarchie des priori- tés du management et des équipes. Frédéric d’Arrentières souligne cependant que chez Renault Group, même si les changements de gouvernance et la nécessaire adaptation à de nouveaux contextes ont modifié les priori- tés de transformation du groupe, la poursuite d’une démarche responsabilisante est restée un levier actif et mobilisateur dans le cadre des développements véhicules. Les organisations dans lesquelles l’actionna- riat est stable, les successions sont préparées très à l’avance, et où le nouveau dirigeant est choisi au sein du sérail de l’entreprise, présentent une meilleure continuité et sont moins exposées à ce type de risque, sans pouvoir totalement s’en prémunir. L’instabilité du personnel est également un facteur de discontinuité. Dans certains cas, la stabilité peut être contrée par des facteurs générationnels, comme des départs à la re- traite massifs. Dans d’autres, c’est la mo- bilité des cadres (système de gestion des carrières) qui représente un facteur struc- turel d’instabilité. Ainsi, un bon directeur de site industriel sera inévitablement aspiré par le siège, et les bons managers seront mutés tous les trois ou quatre ans environ. Les « nouveaux » n’auront peut-être ni la même sensibilité, ni le même goût pour la complexité, et tout sera à recommencer. Il est cependant possible de contrer ces effets perturbateurs, en réunissant certaines condi- tions de pérennisation. D’abord, parce que la transformation vers une OR est une transfor- mation complexe qui nécessite beaucoup de leadership, de connaissances et de réflexion, il sera bon que la cellule support, que nous avons évoquée au lancement de la trans- formation, soit pérennisée dans son rôle de réflexion et de stimulation sur une longue durée. Ce ne sera pas obligatoirement une équipe dédiée, mais plutôt une coalition de personnes sources qui assureront la conti- nuité des intentions et des réalisations. Cette cellule pourra également créer des passe- relles avec d’autres entreprises ou avec des centres de recherche sur l’innovation ma- nagériale, de manière à essaimer autant que possible le modèle responsabilisant. Maislapérennisationseraavanttoutstimulée par un Comex exemplaire sur ce sujet. Si le Comex n’est pas lui-même en mouvement, il devra au moins assurer un sponsoring à haut niveau, et en continu, de la responsabilisa- tion. Sans ce soutien, les avancées obtenues àpartird’initiativeslocalesrisquentfortdene jamais passer à l’échelle. Sans soutien et en considérant le taux de rotation des managers et des équipes, la tendance globale dans la durée risque d’être plutôt une régression vers un modèle plus classique. Cela peut s’expli- quer par la contradiction inhérente existant entre standardisation et subsidiarité (voir encadré ci-contre).
  • 121. 119 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 119 Subsidiarité versus standardisation : une contradiction difficile à gérer Beaucoup d’entreprises manufacturières construisent leur avantage compétitif sur l’excellence opérationnelle de leurs processus et la supériorité de leurs produits. Cet avantage s’entretient grâce aux capacités des services de RD et du bureau d’étude d’une part, de leur bureau des méthodes industrielles d’autre part, ce qui explique en partie les avantages liés à la taille et le mouvement de consolidation (mutualisation de coûts de développement et d’industrialisation croissants). Les entreprises qui pratiquent le lean améliorent encore leurs standards, grâce à l’implication des opérateurs. Lorsque ceux-ci surmontent une difficulté et inventent une manière plus efficace de produire, cette amélioration est intégrée aux standards de l’entreprise et chaque unité en bénéficie. L’efficacité globale provient donc essentiellement de la standardisation de leur Manufacturing Way. La subsidiarité, en revanche, consiste à laisser les opérateurs adapter le système à leur contexte. Ils peuvent alors s’éloigner du standard pour mettre en œuvre une méthode qui leur convient mieux, compte tenu des caractéristiques locales, mais qui n’est pas forcément adaptée à d’autres contextes. La subsidiarité valorise les personnes qui font, mais oblige à renoncer à certains avantages de la standardisation. Un ingénieur muté d’un site à un autre ne pourra pas appliquer à l’aveugle les méthodes et les procédures qui ont fonctionné dans son poste précédent. Il y a donc une tension au sein des directions industrielles entre les objectifs de subsidiarité et les objectifs de standardisation. Cette tension rend difficile la diffusion et la généralisation d’initiatives qui se sont avérées très satisfaisantes dans un contexte donné. Par exemple, telle unité de fabrication est fière de gérer elle-même la répartition des primes accordées par la direction, mais une autre unité du même site qui n’a pas construit le même niveau de confiance entre ses membres préférera laisser à la hiérarchie ou aux RH cette décision. Telle direction de site souhaitant motiver sa main-d’œuvre ne fera pas les mêmes choix qu’une autre plus soucieuse d’atteindre rapidement une meilleure performance en intégrant les meilleurs standards du groupe. Si la direction accorde une attention intermittente aux objectifs de subsidiarité et aux bénéfices de la standardisation, ou ne pondère pas ces objectifs de la même façon selon les usines et les pays, la diffusion des démarches de responsabilisation et d’autonomie sera compliquée. Le management intermédiaire subira des injonctions contradictoires (laissez-leur la main, mais veillez à ce qu’ils appliquent les processus optimaux).
  • 122. 120 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation 120 Par ailleurs, le risque pour un Comex est de retomber dans la facilité des injonctions managériales, c’est-à-dire des prescrip- tions de comportement faites aux managers sans aucune dimension de redevabilité. La responsabilisation sera progressivement noyée dans le millefeuille des compé- tences dont le manager est supposé témoi- gner à titre personnel, à rebours complet de son caractère structurant et systémique. L’entreprise « choisit la voie individuelle et occulte la part collective du travail » (Leonard, 2023), part qui était tout l’enjeu de la démarche de responsabilisation. La pérennisation de l’OR demande aussi de récompenser la responsabilisation et de sanctionner la passivité. Or, les direc- tions gèrent souvent la responsabilisation comme un plus, un nice to have, qui n’entre pas explicitement en ligne de compte dans les systèmes de reconnaissance des acteurs. La passivité de certains sur le sujet ne porte pas à conséquence sur leur carrière et leur rémunération. Le système de reconnais- sance reste alors uniquement basé sur les résultats de performance à court terme (le must have). La nature à moyen-long terme du projet de responsabilisation nécessite de construire des indicateurs qui valorisent cette dimension. Il est enfin primordial de s’assurer que les managers de proximité ont compris leur nouveau rôle, qu’ils sont réellement accom- pagnés dans la durée, qu’ils sont disponibles pour accompagner leurs équipes et qu’ils ne sont pas en souffrance. Les managers de proximité se trouvent souvent face à un pro- blème de carrière insidieux : ils doivent tenir suffisamment longtemps pour valider cette étape de leur carrière, puis partir ailleurs pour progresser. Ce système de carrière est en contradiction évidente avec l’objectif de maintenir une certaine stabilité du corps ma- nagérial pour pérenniser la responsabilisa- tion. Il y a donc un contrat à passer avec les managers sur la durée de leur engagement au service de la responsabilisation. Gérer les plans de succession avec le plus d’anticipa- tion possible permettrait en outre d’assurer un passage de témoin en binôme et un re- couvrement des savoirs et des savoir-faire nécessaires à la responsabilisation. Les effets des méthodes d’accompagnement sur les comportements des managers peuvent être mesurés par des KBI (Key Behavior Indicators). Ces indicateurs très simples sont basés sur des données observables (des faits). Ils jouent un rôle de miroir pour les bénéficiaires du coaching, leur permettant de mesurer leur propre évolution : au fait, pendant ma tournée de terrain, combien de signes de reconnaissance positifs ou négatifs ai-je donnés ? Combien d’engagements ai-je obtenus sans substitution ? Intégrer ces KBI dans l’évaluation qualitative des managers devient un facteur de leur engagement dans le processus de responsabilisation.
  • 123. 121 Vade-mecum. Itinéraire conseillé pour une transformation responsabilisante 121 En résumé Facteurs de succès Facteurs d’échec Primauté d’une vision long terme de la performance durable. Se tromper sur la finalité (confondre liberté et responsabilité, autonomie et indépendance…). Une direction convaincue (« source ») et exemplaire qui stimulera la transformation dans la durée. Une direction non alignée ou pas vraiment convaincue, tentée par un effet de mode. Stabilité de la gouvernance. Une ambition sans moyens pour transformer. Mobiliser une grande capacité de réflexion avant et pendant la transformation. Incompatibilité entre les forces du système de départ et les nouveaux modes de fonctionnement souhaités (actionnaires focalisés sur le court terme, business model sans latitude, fonctions corporate immobilistes, culture de l’indépendance…). Former sur la compréhension systémique des cinq dimensions de la boussole. Une culture et des comportements contraires aux valeurs de confiance, de subsidiarité, de respect. Se doter de ressources pour maintenir le sens de la transformation (board, cellule experte, coalition, vision, boussole, radar) et surmonter les blocages. Un manque d’exemplarité et de remise en cause à haut niveau. Des valeurs exprimées mais non incarnées. Ne pas faire d’impasse sur l’itinéraire conseillé : impulsion, embarquement, refonte de l’organisation. Une direction qui n’agit pas en cohérence avec les attentes qu’elle exprime, qui n’offre pas de reconnaissance à la responsabilité et ne réagit pas à la passivité. Utiliser la grille de mise en œuvre pour mettre les équipes en mouvement dans de bonnes conditions : taille des territoires et des équipes, construction des communautés de travail, mise en place des instances de délibération et de décision… Une refonte non systémique du fonctionnement. Manager la co-construction progressive en fonction de la maturité. Une volonté d’aller trop vite, de déployer un modèle standard, ou de copier-coller. Se donner du temps pour explorer, tester, roder. Tirer les enseignements et apporter les ajustements. La généralisation d’une expérience pilote réussie sans repasser par un processus global d’apprentissage. Maintenir un haut niveau d’exigence. Ne jamais perdre les points d’ancrage de l’efficacité opérationnelle. L’instabilité à tous les niveaux de l’organisation. Manager le cadre de l’élargissement des responsabilités et du pouvoir d’agir pour ne pas mettre l’organisation en danger (ligne de flottaison). La mobilité des managers convaincus et en place, remplacés par d’autres n’ayant pas les mêmes repères. Manager du mieux possible la stabilité du corps social. Anticiper. Un repositionnement de la hiérarchie et des fonctions support refusé par les populations concernées. Travailler à fond le sujet de la reconnaissance pour ne pas être pris au dépourvu. Cela signifie : reconnaître la compétence au-delà des statuts (système d’évaluation et système de rémunération) et faire évoluer le système de gestion de carrière des cadres. Une fonction RH qui n’a pas pris la pleine mesure du rôle majeur qu’elle a à jouer dans la transformation (accompagnement, reconnaissance,rétention des talents,recrutement). Manager rigoureusement le développement des compétences par l’apprentissage. Ne pas être à l’écoute du terrain, ne pas capter les signaux ou les ignorer et laisser des problèmes insidieux se développer. Faire des feed-back fréquents sur l’adaptation des comportements. Installer l’autoévaluation. Prendre soin des managers.
  • 125. 123 CONCLUSION Au terme de ce voyage en responsabilisa- tion, qu’avons-nous appris ? D’abord, pour conduire une exploration de ce type, une boussole est bien utile. Celle-ci peut être construite sur cinq principes qui font système : responsabilité, subsidiarité, solidarité, collégialité et activité. En s’ap- propriant chacun de ces principes, l’entre- prise peut construire une vision et suivre la maturation de sa transformation. En effet, une transformation équilibrée doit assurer une évolution de chacun de ces cinq piliers. Les exemples de Lippi, de Martin Tech- nologies et de Michelin nous ont ensuite enseigné plusieurs fondamentaux sur le « comment » conduire le changement. Les transformations de ces entreprises se caractérisent par leur longue durée (entre dix et vingt ans). Il faut donc considérer le temps long comme un allié indispensable de ce type de démarche. Nous avons tenté, à partir de ces exemples, de dégager un vade-mecum sous la forme d’un itinéraire conseillé qui suit une séquence de trans- formation en trois phases : impulsion du dirigeant et de son équipe de tête, embar- quement du corps social, puis refonte par- ticipative et progressive de l’organisation. En réalité, les exemples montrent qu’une transformation globale est constituée de plusieurs cycles répétés de ces trois phases. Le retour d’expérience d’un cycle prépare- ra l’impulsion du cycle suivant. La phase d’embarquement doit être répétée lors de chaque élargissement de la transformation à un nouveau périmètre de l’organisation et, bien entendu, à chaque nouveau cycle de transformation. Et cet embarquement ne doit pas se résumer à une communica- tion descendante, mais doit déjà intégrer la construction collective de la phase de refonte qui le suivra. C’est à cette condition que l’on pourra concrètement embarquer les équipes. La transformation globale vers une organisa- tion responsabilisante n’est jamais un projet balisé, elle est une émergence progressive dont le résultat « final » reste en partie in- déterminé. Chaque exploration est propre à l’entreprise qui l’a initiée. Elle va dépendre de sa culture, de son histoire, de son secteur d’activité, de sa population, de ses action- naires, du tempérament de son dirigeant. Si le résultat du voyage et les étapes restent en partie indéterminés, il ne faut cependant pas renoncer à le préparer.Vous avez la voiture et la carte du territoire ; vous n’avez pas entière-
  • 126. 124 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation ment fixé les étapes du voyage et, comme la carten’estpasleterritoire,laconfigurationdu terrain va vous surprendre, vous allez parfois vous perdre, parfois décider de vous attarder un peu plus dans ce joli village ou encore fuir rapidement un lieu que vous aviez pourtant imaginé comme idyllique. C’est pourquoi, nous avons parlé à propos de cette transfor- mation d’exploration dirigée. Elle naît de la volonté d’une ou de plusieurs personnes « source », elle obéit à des principes qu’il faut connaître et elle suit un chemin, même si celui-ci est rarement une ligne droite. C’est certes un saut dans l’inconnu mais nous es- pérons vous avoir fourni un bon parachute. Aujourd’hui, l’entreprise responsable est au cœur de l’actualité. Il s’agit d’une en- treprise consciente de l’impact environne- mental et social de son activité, qui décide de se mettre en mouvement pour maîtri- ser ses impacts et contribuer positivement aux objectifs du développement durable. Cette orientation est de moins en moins optionnelle, car la pression réglementaire qui s’exerce sur les entreprises augmente fortement dans ce domaine32 . Comment devenir une entreprise responsable ? Nous sommes convaincus – et ne sommes pas seuls à l’être – qu’elle s’appuiera de plus en plus sur la responsabilisation des salariés. Le temps où la RSE était l’apanage de la 32. Voir par exemple la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui fixe de nouvelles normes et obligations de reporting extrafinancier fondé sur les données ESG. Elle concerne les grandes entreprises et les PME cotées en bourse. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2024 pour une application entre 2025 et 2027 selon le type d’entreprise considéré. seule direction du développement durable est révolu. C’est toute l’organisation qui doit être mobilisée (Bobin et al., 2023), et la meilleure manière d’y parvenir est de responsabiliser les salariés à ce sujet (Cour- narie et Guenyveau, 2020). Une démarche de responsabilisation n’est donc pas seule- ment porteuse d’engagement des salariés et d’efficacité de leur mission principale, elle est aussi un support important pour mobi- liser progressivement tout le corps social autour de l’impact social et environnemen- tal de l’entreprise.
  • 127. 125 Bibliographie Ballarin, B. (2017). À la recherche d’un nouveau modèle d’organisation et de management chez Michelin. Le journal de l’École de Paris du management, n° 126, pp. 38-44. https:// doi.org/10.3917/jepam.126.0038 Ballarin, B. (2019). La responsabilisation appliquée à Michelin. In Bourdu, É., Lalle- ment, M., Veltz, P., Weil, T. (dir.) (2019). Le travail en mouvement (Colloque de Cerisy). Presses des Mines, pp. 127-135. Baudoin, R. (éd.) (2012). L’entreprise, formes de la propriété et responsabilités sociales. Collège des Bernardins. Réédité en 2019. Béziat, F., Nancy, H. (2023). Nous les ouvriers [Documentaire]. https://www.france.tv/ france-2/nous-les-ouvriers/ Bobin, É., Lambert, S., Petitbon, F. (2023). Il n’y a pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd. Au-delà de la RSE. Vuibert. Bourguinat, É. (2019). De la clôture à l’esprit libre. La transformation de l’entreprise Lippi. Presses des Mines. Burns, T., Stalker, G. M. (1961). The Management of Innovation. Tavistock Publications. Canguilhem, G. (2002). Écrits sur la médecine. Seuil. Canivenc, S. (2022). Les nouveaux modes de management et d’organisation. Innovation ou effet de mode ? Les Notes de La Fabrique, Chaire FIT2 , Presses des Mines. Canivenc, S. (2024). Les jeunes, des travailleurs comme les autres. Comment les entreprises peuvent-elles mieux répondre aux attentes des salariés ? Chaire FIT2 , Presses des Mines.
  • 128. 126 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Chaire FIT2 (2022a). Renforcer l’autonomie du terrain dans les PME : le programme Tech’Care du Cetim. Repère Futurs du travail, n° 7, mai 2022. Chaire FIT2 (2022b). Le radar de l’autonomie. Working Paper n° 1, 20 février 2022. Chaire FIT2 (2021). Entretien avec F. Menegaux : « Être un leader, c’est donner le pouvoir à ses équipes ». Repère Futurs du travail, n° 3, Chaire FIT2 , décembre 2021. Clot, Y. (2019). Les conflits de la responsabilité. In Bourdu, É., Lallement, M., Veltz, P., Weil, T. (dir.) (2019). Le travail en mouvement (Colloque de Cerisy). Presses des Mines, pp. 112-121. Clot, Y. avec Bonnefond J.-Y., BonnemainA., Zittoun M. (2021). Le prix du travail bien fait. La Découverte. Cournarie, T., Guenyveau, F.-R. (2020). La responsabilisation des salariés est la pierre angulaire de la responsabilité de leur entreprise. In Weil, T., Dubey,AS (2020), Au-delà de l’entreprise libérée. Enquête sur l’autonomie et ses contraintes. Presses des Mines, pp. 143-146. Coutrot, T., Perez, C. (2022). Redonner du sens au travail. Une aspiration révolution- naire. coll. La République des idées, Seuil. Deci, E. L., Ryan, R. M. (1996), Intrinsic motivation and self-determination in human be- havior, coll. « Perspectives in social psychology », Plenum Press. Detchessahar, M. (coord.) (2019). L’entreprise délibérée. Refonder le management par le dialogue. Coll. Racines, Nouvelle Cité. Edmondson, A. C. (2018). The fearless organization: Creating psychological safety in the workplace for learning, innovation, and growth. Wiley. Traduit en langue française : L’entreprise sereine. La sécurité psychologique, levier d’une organisation performante, apprenante et innovante. Pearson, 2022. Ellul, J. (2012). Le système technicien. Coll. Documents, Le cherche midi.
  • 129. 127 Bibliographie Forment, V., Vidalenc, J. (2020). Les ouvriers : des professions toujours largement mas- culines. Insee Focus, n° 199, 24 juillet 2020. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4634325 Forsyth, D. R. (2006). Group Dynamics (4e ed.). Belmont CA: Thomson Wadsworth Pu- blishing. Freeman, R. E. (1984). Strategic management: A stakeholder approach. Boston: Pitman. Frixon, J.-M. (2021). Michelin, matricule F276710. Nombre 7 éditions. Frixon, J.-M. (2023). L’ouvrier qui murmurait à l’oreille des cadres. Nombre 7 éditions. Gomez, P.-Y. (2023). La subsidiarité, retour vers le futur (La sociétalisation, épisode 6) [Blog], 28 avril 2023. https://pierre-yves-gomez.fr/la-subsidiarite-retour-vers-le-fu- tur-la-societalisation-episode-6/ Insee (2023). Enquête trimestrielle de conjoncture dans l’industrie - avril 2023. Informa- tions rapides, n° 99. https://www.insee.fr/fr/statistiques/7456565 Institut de l’Entreprise (2023). Baromètre de la relation des Français à l’entreprise (3e vague), réalisé avec le cabinet d’études et de conseil ELABE en partenariat avec Malakoff Humanis et Veolia. Jochem, J., Lefèvre, H., Kéa Partners (2014). Le mix organisation. Et si l’entreprise mobilisait enfin l’énergie naturelle de l’autonomie ? Eyrolles. Katzenbach, J. R., Smith, D. K. (1993). The wisdom of teams : Creating the high-per- formance organization. Harvard Business School Press. Traduction : Les équipes haute performance. Imagination et discipline. Dunod, 1994. Laborde, O. (2023). Quand sécurité psychologique rime avec performance. Harvard Bu- siness Review France, 27 novembre 2023. Lebrun, P.-B. (2015). La responsabilité. Empan, 2015/3, n° 99, pp. 105-109. https://www. cairn.info/revue-empan-2015-3-page-105.htm?contenu=article
  • 130. 128 Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Leonard, D. (2023). Accompagner la responsabilisation : l’intervention ergonomique comme mise en dialogue des aspirations et prescriptions d’autonomie. Activités [En ligne], vol. 20, n° 1. https://journals.openedition.org/activites/8250 Lusteau, J. (2021). Donnez du sens à vos décisions. La clé de d’agilité stratégique des entreprises. Mardaga. Merckelbach, S. (2020). Un petit livre rouge sur la source. Un regard inspirant et libérateur sur le management et la vie grâce aux « principes source ». Éditions Aquilae. Meyronin, B., Ditandy, C. (2007). Du management au marketing des services. Redonner du sens aux métiers de services. Dunod. Morin, E. (1980). La Méthode 2. La vie de la vie. Seuil. Nivet, B. (2019). Malaise dans le management. In Bourdu, É., Lallement, M., Veltz, P., Weil, T. (dir.). (2019). Le travail en mouvement (Colloque de Cerisy). Presses des Mines, pp. 160-167. OpinionWay pour Kéa (2023). Les jeunes Français, la valeur du travail et l’entreprise. Décembre 2023. Pellerin, F., Cahier, M.-L. (2019). Organisation et compétences dans l’usine du futur. Vers un design du travail ? Les Notes de La Fabrique, Chaire FIT2 , Presses des Mines. Pellerin, F., Cahier, M.-L. (2021). Le design du travail en action. Transformation des usines et implication des travailleurs. Les Notes de La Fabrique, Chaire FIT2 , Presses des Mines. Picard, H. (2015). « Entreprises libérées », parole libérée ? Lectures critiques de la par- ticipation comme projet managérial émancipateur [Thèse]. Université Paris-Dauphine. Ringelmann, M. (1913). Recherches sur les moteurs animés. Travail de l’homme. Annales de l’Institut national agronomique, vol. 12, pp. 1-40. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/ bpt6k54409695.image.f14.langEN
  • 131. 129 Bibliographie Segrestin, B., Hatchuel,A. (2012). Refonder l’entreprise. Coll. La République des idées, Seuil. Serre, B. (2021). Après la raison d’être, la raison de venir ? [Séminaire]. École de Paris du management, 10 décembre 2021. https://www.ecole.org/fr/seance/1485-apres-la-raison- detre-la-raison-de-venir Tesi, F. (2008). Michelin et le taylorisme. Histoire, économie société 2008/3, pp. 111-126 https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2008-3-page-111.htm Tonnelé, A. (2023). Rendre les collaborateurs plus autonomes : pourquoi les entreprises tournent en rond. LinkedIn, 12 septembre 2023. Weil, T., Dubey, A-S. (2020). Au-delà de l’entreprise libérée. Enquête sur l’autonomie et ses contraintes. Les Notes de La Fabrique, Chaire FIT2 , Presses des Mines. Weil, T. (2008). Stratégie d’entreprise. Presses des Mines. Zielinski, A. (2010). L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin. Études, 2010/12, tome 413, pp. 631-641. Zobrist, J.-F. (2020). L’entreprise libérée par le petit patron naïf et paresseux. Le cherche midi.
  • 133. 131 Annexe La recette de la transformation responsabilisante Testez la recette de la « mayonnaise de la transformation responsabilisante », créée en ex- clusivité par Frédéric d’Arrentières (Renault Group), et faites-nous part de vos impressions. Les ingrédients • Des compétences collectives • Une vision partagée/alignée (le client pouvant jouer ce rôle…) • Une volonté de changement/de l’exemplarité • De la co-construction • Du sponsorship et de l’accompagnement • De la méthode et du temps • Un socle de valeurs communes • Un terrain de jeu La recette « Installez-vous sur le socle des valeurs communes de votre organisation, et dans un sala- dier organisationnel, constituez des équipes suffisamment compétentes et d’origine contrô- lée, ajoutez une bonne dose de sponsorship, intégrez le sel de la vision partagée, embarquez les équipiers et les parties prenantes et dotez-vous d’une équipe d’accompagnement. Mélangez l’ensemble en continu jusqu’à établir une émulsion coconstruite avec les équipes. Montrez l’exemple et testez régulièrement le résultat en modifiant si besoin les dosages, entretenez régulièrement la mayonnaise une fois montée en l’adaptant le cas échéant aux goûts des équipes, aux difficultés du terrain et aux retours des clients et en mobilisant le management intermédiaire, sachez passer le relais en cuisine auprès des équipes de progrès permanent sur le long terme. »
  • 134. 132
  • 135. 133 Déjà parus Sur la même thématique, dans la collection des Notes de La Fabrique, aux Presses des Mines F. Pellerin et M.-L. Cahier, Organisation et compétences dans l’usine du futur. Vers un design du travail ? 2019. T. Weil et A-S. Dubey, Au-delà de l’entreprise libérée. Enquête sur l’autonomie et ses contraintes, , 2020. F. Pellerin et M.-L. Cahier, Le design du travail en action. Transformation des usines et implication des travailleurs, 2021. S. Canivenc, Les nouveaux modes de management et d’organisation. Innovation ou effet de mode ? 2022. S. Canivenc et M.-L. Cahier, Numérique collaboratif et organisation du travail. Au-delà des promesses, 2023. Dans la même collection, aux Presses des Mines A. Diop et D. Lolo, Les grandes entreprises sur la voie de la sobriété énergétique, 2023. S. Bellit et V. Charlet, L’innovation de rupture, terrain de jeu exclusif des start-up ? L’in- dustrie française face aux technologies clés, 2023. P. Duarte, S. Duvillard, N. Gillio, T. Petit, Foncier industriel et stratégies publiques locales : une articulation imparfaite, 2024. F. Ferchaud, A. Blein, J. Idt, D. Lecointre, F. Trautmann, H. Beraud, Aménager la ville productive, 2024.
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  • 137. 135 Les membres du conseil d’orientation de La Fabrique La Fabrique de l’industrie est dotée d’un Conseil d’orientation, organe consultatif, qui veille à la qualité scientifique, à la pertinence et à l’originalité des travaux menés, à la diversité et à l’équilibre des points de vue. Les membres du Conseil y participent à titre personnel et n’engagent pas les entreprises ou institutions auxquels ils appartiennent. Leur participation n’implique pas adhésion à l’ensemble des messages, résultats ou conclusions, portés par La Fabrique de l’industrie. À la date du 1er novembre 2023, il est composé de : Gabriel ARTERO, président d’honneur de la Fédération de la métallurgie CFE-CGC, Vincent AUSSILLOUX, chef du département économie- finances de France Stratégie, Hervé BAUDUIN, président de l’UIMM Lorraine, Michel BERRY, fondateur et directeur de l’école de Paris du management, Jean Michel BEZAT, journaliste au quotidien Le Monde, Augustin BOURGUIGNAT, chargé de mission au Crédit Mutuel Alliance Fédérale, Serge CATOIRE, directeur industrie à l’UIMM, Pierre-André de CHALENDAR, président du groupe Saint-Gobain, co-président de La Fabrique de l’industrie, Marc CHEVALLIER, rédacteur en chef d’Alternatives Économiques, Carole CHRÉTIEN, directrice des relations entreprises au CNRS, Patricia CRIFO, professeure à l’École Polytechnique et chercheuse au CREST (CNRS), Jean-Marie DANJOU, directeur général de l’Alliance Industrie du Futur (AIF), Philippe DARMAYAN, ancien président d’ArcelorMittal France, Stéphane DISTINGUIN, fondateur et président de Fabernovel, président du pôle de compétitivité Cap Digital, Flora DONSIMONI, directrice générale de l’Institut de l’Entreprise, Elizabeth DUCOTTET, PDG de Thuasne, Pierre DUQUESNE, ancien ambassadeur, chargé de la coordination du soutien international au Liban, Olivier FAVEREAU, professeur émérite en sciences économiques à l’université Paris X, Denis FERRAND, directeur général de Rexecode, Jean-Pierre FINE, secrétaire général de l’UIMM, Louis GALLOIS, ancien président du conseil de surveillance de PSA Groupe, co-président de La Fabrique de l’industrie, François GEEROLF, économiste à l’OFCE et professeur d’économie à Sciences Po, Frédéric GONAND, conseiller économique de l’UIMM, professeur associé de sciences économiques à l’université Paris-Dauphine, Guillaume de GOYS, président d’Aluminium France, Bruno JAQUEMIN, délégué général d’A3M, Sébastien JEAN, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Éric KELLER, secrétaire fédéral de la fédération FO Métaux, Élisabeth KLEIN, dirigeante de CFT Industrie, Dorothée KOHLER, directeur général de KOHLER CC, Éric LABAYE, président d’IDEL Partners, Isabelle LAUDIER, responsable de l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts Emmanuel LECHYPRE, éditorialiste à BFM TV et BFM Business, Xavier LECOQ, président du syndicat CFE-CGC sidérurgie, Olivier LLUANSI, associé à StrategyPWC, Victoire de MARGERIE, président exécutif de Rondol, Philippe MUTRICY, directeur de l’évaluation, des études et de la prospective de Bpifrance, Hélène PESKINE, secrétaire permanente au Plan d’Urbanisme construction architecture au ministère de la Transition écologique, Philippe PORTIER, secrétaire national de la CFDT, Grégoire POSTEL-VINAY, ancien directeur de la stratégie à la Direction générale des entreprises, et rédacteur en chef des Annales des Mines, Joseph PUZO, président d’AXON’CABLE SAS et du pôle de compétitivité Matéralia, Xavier RAGOT, président de l’OFCE, Daniel RICHET, directeur général du CETIM, Robin RIVATON, investment director – Venture Smart City chez Eurazeo, Alexandra ROULET, professeure d’économie à l’Insead, Frédéric SAINT-GEOURS, vice-président du conseil d’administration de la SNCF, Ulrike STEINHORST, présidente de Nuria Conseil, Michaël VALENTIN, associé fondateur d’OPEO, Pierre VELTZ, ancien PDG de l’établissement public de Paris-Saclay, Alain VERNA, directeur général de Toshiba Tec Europe, Dominique VERNAY, président du pôle industrie de l’Académie des technologies, Jean-Marc VITTORI, éditorialiste au quotidien Les Echos.
  • 138. ISBN : 978-2-38542-587-6 ISSN : 2495-1706 www.la-fabrique.fr 22€ Organisation responsabilisante : de l’idée à la réalisation Pour faire face aux difficultés de recrutement et de fidélisation des salariés, notamment dans l’industrie, les entreprises sont souvent attirées par les mo- dèles d’organisation responsabilisante (OR). Une telle organisation, qui rompt avec le modèle hiérarchique et pyramidal, se révèle néanmoins difficile à mettre en place et à rendre pérenne. C’est pourquoi les auteurs de cet ouvrage ont souhaité accompagner les entreprises en quête de transformation. En s’appuyant sur les témoignages de chefs d’entreprises et de consultants spécialisés sur ces questions, cet ouvrage décrit les grands principes qui gouvernent une OR et propose une grille de conception et de mise en œuvre permettant de conduire une telle transformation, tout en évitant les impasses les plus fréquentes. « Ce livre est une formidable source d’inspiration. La démarche de responsa- bilisation qui s’y trouve explicitée, avec ses difficultés conceptuelles et mana- gériales, ses principes, ses points de passage obligés, est un extraordinaire amplificateur d’énergie et une intarissable source d’espoir. Il s’adresse aux dirigeants et managers de tous les secteurs, qui savent que l’entreprise res- ponsable, c’est aussi l’entreprise qui responsabilise. » Jean-Dominique Senard, président du conseil d’administration de Renault Group. Pierre Bocquet, ancien directeur de site industriel, puis directeur de l’Excellence opérationnelle du Manufacturing de Michelin, chercheur associé à la Chaire FIT2 , accompagne les entreprises sur le thème de l’innovation managériale et de la transformation des organisations du travail par la responsabilisation. François Pellerin, ancien directeur de site industriel chez Turbomeca, ancien animateur du projet Usine du futur en Nouvelle-Aquitaine, est chercheur as- socié à la Chaire FIT2 , conférencier et auteur de deux ouvrages consacrés aux nouvelles organisations du travail en usine.