Aisthesis

Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico

Aesthetics & Ontology

in Étienne Souriau
edited by
Luigi Azzariti-Fumaroli
Lorenzo Bartalesi
Filippo Domenicali

15 • 2/2022
ISSN 2035-8466
www.fupress.net
 Aisthesis
Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico

Aesthetics & Ontology

in Étienne Souriau
Edited by
Luigi Azzariti-Fumaroli
Lorenzo Bartalesi
Filippo Domenicali

Vol 15, No 2 (2022)

Firenze University Press

Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

Foreword
Aesthetics and ontology in Etienne Souriau

Étienne Souriau was a refined and demand- appear to be its multifacetedness: the quality of
ing thinker, with an aristocratic demeanour, far lending itself to being applied even to spheres that
removed from the currents of ideas dominant are apparently very distant from reflection on art,
in his time. A difficult and erudite author, out of such as cultural anthropology, political philosophy
tune with the times he lived in, he would seem the or morality. It seemed to us that it largely owes its
least likely candidate to appeal to a hurried and relevance precisely to the intersections between
globalised public like that of the twenty-first cen- one field of knowledge and another.
tury. A sophisticated representative of a rational- The issue contains twelve contributions on
ist positivism, no stranger to the Husserlian canon Souriau that explore his main aspects in depth.
and not even insensitive to the motivations dear They range from analyses devoted to the archi-
to the gnoseological debate of Cartesian and Kan- tecture of Souriau’s thought (his general philoso-
tian matrix (as well as to the major themes of clas- phy) in the essays by Dominique Chateau and
sical metaphysics), Souriau pursues the ideal of a Filippo Domenicali, which can furnish a useful
constructive philosophy, capable of understanding overall picture of the man, to essays that attempt
– and at the same time favouring – the advance- to focus on the more properly ontological core
ment of the creative process conceived as a set of of this thought, such as those devoted to the ara-
poetic acts and progressive dynamic operations. besque motif (Luigi Azzariti-Fumaroli), the theory
In his texts, Souriau is attentive to grasping the of the soul (Sjoerd Van Tuinen) or the multiplicity
correspondences, exchanges and reciprocal transi- of worlds (Noëlie Plé) or on the correspondence
tions between one mode of existence and another, between the arts (Raffaele Milani). Interspersed
as well as the resonances between the various art between these are contributions that focus more
forms in the different fields of knowledge, testing on the comparison between Étienne Souriau’s
an original method that is epistemologically very thought and the philosophers of his time, such
fruitful. as Dufrenne (Maryvonne Saison), or with well-
The aim of this monographic issue of Aisthe- known later philosophers who explicitly referred
sis dedicated to Étienne Souriau is to explore his to him, prolonging his creative impetus, such as
thought in its multiple aspects, in order to meas- Gilles Deleuze (Casey Boyle) and Bruno Latour
ure its topicality in relation to the themes and (Aline Wiame), the true architect of the current
problems that characterise contemporary philo- Souriau “comeback”. Finally, in addition to essays
sophical debate, with particular reference to aes- of a more theoretical nature, there are contribu-
thetics and ontology as well as to the dense net- tions that attempt to re-evaluate certain aspects
work of connections between the two fields. One of Souriau’s aesthetics, such as the fruitfulness of
of the most interesting characteristics of Souriau’s the cues that can come from his thought for the
thought that has stood the test of time would debate on animal aesthetics (Maddalena Maz-

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 3-4, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-14243
4 Foreword

zocut-Mis and Andrea Scanziani), or the possible

topicality of his theory of forms (Isabelle Rieusset-
Lemarie).
In the “Miscellaneous” section, this issue
hosts a number of studies that aim to explore the
aesthetic implications of new technologies, the
themes of ecological aesthetics, as well as to offer
an unusual profile of Baumgarten.

Luigi Azzariti-Fumaroli
Lorenzo Bartalesi
Filippo Domenicali
Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

Étienne Souriau: dialogue de l’ontologie et de

l’esthétique
Citation: D. Chateau (2022). Étienne
Souriau: dialogue de l’ontologie et de
l’esthétique. Aisthesis 15(2): 5-13. doi: Etienne Souriau : a dialogue between ontology and aesthetics
10.36253/Aisthesis-13913

Copyright: © 2022 D. Chateau. This is an

open access, peer-reviewed article Dominique Chateau
published by Firenze University Press
(http://www.fupress.com/aisthesis) and Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne
distributed under the terms of the Cre- [email protected]
ative Commons Attribution License,
which permits unrestricted use, distri-
bution, and reproduction in any medi- Abstract. In addition to being a great aesthetician who established the teaching and
um, provided the original author and research of aesthetics in France, Étienne Souriau is an important philosopher, notably
source are credited. for his contribution to ontology. His aesthetics and his ontology are closely entangled.
The purpose of this article is to study the relationship between these two rings, in this
Data Availability Statement: All rel- case inseparable, but distinct, of philosophy. We will use a comparison with the phe-
evant data are within the paper and its
nomenology of Charles Peirce, relevant insofar as, by different ways, art for the first
Supporting Information files.
one, semiotics for the second one, the two philosophers participate in a theory of the
Competing Interests: The authors representation.
have declared that no competing inter-
ests exist. Keywords: Etienne Souriau, Ontology, Aesthetics, Charles Peirce.

On est fondé à tenir avant tout Étienne Souriau pour un grand

esthéticien. Il a participé activement à la plupart des institutions uni-
versitaires françaises qui ont instauré – un mot de son vocabulaire! –
l’enseignement et la recherche dans cette discipline, et qui, jusqu’à ce
jour, la gèrent encore. Par ailleurs, il a fourni un bon lot de textes et
de concepts qui ne cessent d’alimenter la réflexion de ceux ou celles
qui cherchent à comprendre et expliquer l’art.
Cette double posture, institutionnelle et intellectuelle, fait par-
tie de mon héritage. Qu’il s’agisse de cinéma ou d’art, de cerner les
médiums ou de naviguer dans l’intermédialité, la pensée esthétique
de ce philosophe atypique n’a jamais cessé de m’accompagner. Si je
ne peux pas en dire tout à fait autant de sa pensée ontologique, ce
n’est pas que j’entende faire maintenant à cet égard la réclame du
philosophe méconnu. Il est, certes, de bon ton de feindre sa (re)
découverte; et, de bonne guerre, mais plutôt naïf, d’espérer en tirer
quelque bénéfice. En réalité, tous ceux et toutes celles qui ont impli-
qué l’esthétique de Souriau dans leur recherche, la plupart du temps
impliqués également dans son héritage institutionnel, ont ipso facto

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 5-13, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13913
6 Dominique Chateau

pratiqué, en le sachant ou sans le savoir, son onto- monde en expansion qui irradie autour de l’œuvre
logie. C’est cela même dont j’entends témoigner d’art et qui, peu à peu, à un instant plus fort que lui,
maintenant. se substitue au monde réel.
Or, il se trouve que le discours de Souriau qui
déploie son ontologie, de fait et de droit, est étroi- Mais, ajoute le philosophe, «il y a encore à
tement enchevêtré avec le discours qui déploie signaler quelque chose de plus profond», à savoir
son esthétique. Dès lors, il est loisible de décrire que «le monde de l’œuvre d’art a un certain
cet enchevêtrement, d’en mettre en évidence l’ori- nombre de plans d’existence précis et extrême-
ginalité, la force, la fécondité, mais, faisant un pas ment variés», et, s’il convient de le souligner à gros
de plus, de porter aussi le débat sur le plan épisté- traits, c’est dans l’exacte mesure où «dans le cas de
mologique. On se demandera si l’esthétique, toute l’œuvre d’art cette multiplicité des plans d’existence
prééminente qu’elle soit dans cette philosophie, est d’une extrême importance».
n’y est qu’un prolongement de l’ontologie, ou si, En ce qui concerne ce trait de définition de
au contraire, elle joue un rôle fondamental, celui, l’art qui le différencie du réel, une nuance apparaît
littéralement, d’un fondement – ce qui serait alors toutefois au creux même de la thèse de la cosmi-
un renversement singulier, puisque l’esthétique cité; si l’œuvre est un monde, elle l’est, dit allusive-
fonderait ce qui, censément, à l’aune de la vulgate ment une parenthèse, «comme d’ailleurs le monde
(si l’on peut dire), la fonde… où nous vivons mais nous ne nous en doutons pas
L’une des thèses les plus insistantes d’Étienne toujours» … Souriau ne se contente pas d’affirmer
Souriau est ce qu’il nomme la «cosmicité de que le statut de l’existence comme monde complexe
l’œuvre d’art». La plénitude de sa compréhension, est plus remarquable, en quelque sorte, plus specta-
écrit-il dans Les Structures de l’œuvre d’art, exige culaire dans le cas de l’œuvre d’art que dans le reste
de tenir compte du fait que l’œuvre d’art «est un du réel. S’il insiste sur cette caractéristique, consta-
monde qui […] a une réelle profondeur métaphy- tant, dans La Correspondance des arts, que «l’œuvre
sique, une multiplicité de plans d’existence» (Sou- d’art existe plus intensément, peut-être, d’une sorte
riau [1956]: 5). Le fait en question comporte deux plus éclatante, plus complète, plus achevée», c’est
aspects principaux: d’une part, «toute œuvre d’art moins pour isoler radicalement sa définition de
est un monde»  (Souriau [1956]: 2); d’autre part, celle du réel que pour alimenter une analogie fon-
c’est un monde complexe, défini selon plusieurs damentale entre le monde et l’œuvre, en tant qu’elle
plans. «Défini», ici, a le sens à la fois de ce qu’on est un monde:
définit en cherchant à comprendre quelque chose
Une œuvre d’art, c’est un être unique – aussi unique
et de ce qui se définit en s’établissant dans le réel
que peut l’être une personne humaine, dans sa sin-
(comme chose, phénomène, etc.). L’œuvre d’art doit
gularité. Mais si complète, si essentielle que soit
être définie comme un monde si on entend com- l’unité d’un être humain, celui-ci ne s’en établit pas
prendre ce qu’elle est, mais, tout aussi bien, elle moins sur plusieurs plans ou modes d’existence. On
se définit elle-même comme telle: «Elle constitue rencontre l’homme dans la sphère de l’existence
un univers, et elle pose cet univers». Par cet acte physique, dans celle du psychisme, dans celle de
d’instauration (pour employer à nouveau cet autre la spiritualité; dans l’actuel et dans le virtuel. Une
grand concept de Souriau), l’œuvre prend place personne, c’est aussi bien le centre hypothétique, le
dans le réel, y établit spécifiquement son lieu: principe originel de mille actions diverses, que l’ac-
complissement idéal, et pour ainsi dire situé à l’infi-
elle pose un univers qu’elle apporte avec elle, qu’elle ni, d’une unité qui se cherche. À moitié route, d’ail-
constitue, et qui alors se substitue peu à peu à cet leurs, toujours entre l’existence plénière et l’ébauche
autre univers que nous appelons généralement l’uni- à demi tirée du néant. (Souriau [1949]: 67-68. Sou-
vers réel. […] l’oeuvre d’art est dans cet univers réel, ligné par moi)
mais elle lutte avec lui. Il y a comme une sorte de
Étienne Souriau: dialogue de l’ontologie et de l’esthétique 7

Parallèlement donc: nous nous sommes rendus compte que nos travaux
étaient fort gênés par le vague des termes en usage,
L’œuvre d’art existe plus intensément, peut-être, par l’impossibilité de désigner clairement, avec des
d’une sorte plus éclatante, plus complète, plus ache- mots précis et unanimement acceptés, certains faits
vée. Elle n’en est pas moins, avec ses présences indu- ou certaines notions de base, en particulier pour ce
bitables, établie sur une pluralité de plans existentiels, qui concerne les divers genres ou plutôt les divers
tous indispensables. Comptons-les. Évaluons cette plans de réalité sur lesquels se situent ces faits, et qui
épaisseur, ou cette profondeur perspective de son être. font comme l’épaisseur de l’univers filmique. (Sou-
riau [1953]: 6)
Le «pas moins» se distribue donc également
sur le plan du monde, de l’être-au-monde, de l’être Objecterait-on que, se tournant vers le ciné-
humain, et sur le plan de l’œuvre d’art (et, peut- ma, on lorgne une fois encore du côté de l’art
on même dire, de l’œuvre au sens de tout ce qui qu’on pourrait rappeler que le prétendu Septième
est ouvré). Malgré le statut d’«être unique», de art produit maintes œuvres qui n’ont rien d’artis-
«centre hypothétique», de «principe originel», de tique (il peut tout aussi bien représenter les objets
«présence indubitable» – l’être attesté comme éta- culturels, en leur mode possiblement véhiculaire :
bli, présent au monde en son unicité –, de chacun publicité, film d’entreprise, home-movie, etc.) ou,
de ces deux côtés de l’établissement ontologique, il plus crucialement, qu’on mettrait en avant l’in-
faut qu’il y ait «une pluralité de plans existentiels», téressante définition de ce que c’est que l’âme que
«plusieurs plans ou modes d’existence». Souriau propose dans Avoir une âme. Il ne vise
On remarquera, au passage, le concept d’épais- pas l’âme en son sens religieux d’entité en prin-
seur. Le monde n’est pas plat (n’en déplaise aux cipe séparable du corps, mais au sens d’un concept
flat-earthers!). Qu’il s’agisse du réel ou de l’art de l’ontologie humaine, à savoir ce qui de l’être
(étant toujours entendu que l’art n’existe qu’au plus humain constitue la caractéristique individuali-
profond du réel), le monde est épais de plusieurs sante. L’âme est une hypothèse représentationnelle
plans, ce dont Souriau ne se contente pas d’exa- dont la définition mobilise à nouveau les postu-
miner la configuration statique – à la manière de lats déjà rencontrés pour la définition d’un monde
l’empilement des abaisses du mille-feuilles –, mais, comme complexe: la supposition qu’on fait devant
on y viendra, considère dynamiquement en termes l’autre d’un «univers» constitué par l’ensemble
de modes. Certes, il faut bien commencer par dis- structuré et modifiable «de ses pensées, de ses
cerner les strates comme le montre didactique- idées, de ses comportements, de ses tendances»,
ment le fameux vocabulaire créé par Souriau dans un «microcosme, qu’il est possible de concevoir
L’Univers filmique, au fil des réunions de l’Insti- (à tort ou à raison, peu importe) sur le modèle
tut de filmologie. Certains des termes proposés d’un être et d’un monde»; or, si l’on parvient par
ont persisté (profilmique, diégétique et, dans une là à atteindre «l’espèce de vérité directe ou intrin-
moindre mesure, écranique), d’autres ont quasi- sèque qu’on lui a trouvée (je veux dire sa manière
ment disparu (tel filmophanique), mais l’essentiel, d’être à son maximum d’état de présence lucide)»,
à l’égard de la philosophie de Souriau, réside dans c’est d’avoir trouvé avec précision «sur quel plan
le fait que ce travail plus ou moins néologique d’existence on a pour ainsi dire, sonné son hallali ;
se fondait sur sa théorie de la pluralité des plans sur quel domaine on l’a atteint et forcé» (Souriau
de définition – et, sans surprise, c’est encore les [1938]: 13 et 23).
concepts de «plan de réalité» d’«épaisseur» qui s’y On retiendra ce mot d’«univers» pour définir
trouvent: l’âme (on pourrait parler de monde, d’un monde
possible incarné par un individu) et le lien analo-
Un des points que je crois particulièrement utiles gique qui pourrait le relier à «l’univers filmique».
parmi les acquisitions de ce travail d’équipe, c’est Il est, de fait, remarquable que quel que soit l’ob-
la mise au point d’un certain vocabulaire. Très vite jet de son propos le philosophe emploie inces-
8 Dominique Chateau

samment le même vocabulaire qu’il applique au plète, singulière, concrète, s’attestant en indubitable
domaine esthétique. On peut avancer la même présence. (Souriau [1949]: 45)
remarque en ce qui concerne le concept d’instau-
ration qui apparaît au cours de la définition de Rien moins que «l’activité instauratrice» – non
l’âme – où on remarque, là encore, que la défini- pas une activité instauratrice, mais l’activité ins-
tion est autant le processus même de constitution tauratrice –, l’art est ainsi nanti d’une caractéris-
de la chose que l’effort de le comprendre (celui-là tique foncièrement ontologique, la création, à tra-
faisant l’objet de celui-ci): vers un processus de mise en formes de l’informe
matériel, d’êtres qui viennent à paraître dans le
D’une façon générale, on peut dire que pour savoir monde, à y patere pour ainsi dire – comme je le
ce qu’est un être, il faut l’instaurer, le construire précise dans mon article de la Nouvelle Revue d’es-
même, soit directement (heureux à cet égard ceux thétique, «patere», d’où vient «patuité», veut dire
qui font des choses!) soit indirectement et par repré- être ouvert, praticable, accessible, à la disposition,
sentation, jusqu’au moment où, soulevé jusqu’à son être découvert, donner prise à, être devant les
plus haut point de présence réelle, et entièrement yeux, visible, être clair, évident, patent –, c’est-à-
déterminé pour ce qu’il devient alors, il se mani- dire à connaître «l’existence complète, singulière,
feste en son entier accomplissement, en sa vérité concrète, s’attestant en indubitable présence». Pre-
propre… (Souriau [1938]: 25) mier palier esthétique: l’art réalise l’instauration
concrète de l’être complet qui s’impose dans l’évi-
Le concept fait ensuite l’objet d’un traité spé-
dence de son être-là; deuxième palier, comme on
cial, L’Instauration philosophique – où la définition
l’a vu: «l’œuvre d’art existe plus intensément, peut-
inaugurale attire l’attention vers l’usage que se per-
être, d’une sorte plus éclatante, plus complète,
met Souriau de concepts raffinés, voire désuets,
plus achevée». L’art est «l’activité instauratrice» au
telle la «patuité» que j’ai particulièrement pointée
double sens où elle le fait et où elle en fournit le
dans Étienne Souriau: une ontologie singulière par-
modèle.
mi divers emprunts du philosophe à des confères
L’artiste instaure à tout va, ce qu’ordinaire-
obscurs et oubliés:
ment on fait avec beaucoup plus de parcimonie.
Qu’on nous permette d’indiquer brièvement à quel On pourrait, certes, objecter que l’artisan, l’ingé-
vocabulaire technique nous nous conformons dans nieur ou le bricoleur n’instaurent pas moins. C’est
ces études  : nous appelons instauration tout pro- vrai, mais ils produisent des objets du monde qui
cessus, abstrait ou concret, d’opérations créatrices, s’y intègrent immédiatement comme tels (pour
constructrices, ordonnatrices ou évolutives, qui finasser, on peut toutefois discerner de cette nor-
conduit à la position d’un être en sa patuité, c’est- malité les bricoleurs excentriques et les architectes
à-dire avec un éclat suffisant de réalité ; et instaura- à prétention artistique). Pour revenir à la cosmo-
tif tout ce qui convient à un tel processus. (Souriau ticité, ce qui caractérise en tout cas l’instauration
[1939]: 10, note 1) artistique, c’est qu’elle ajoute un monde au monde:
elle produit un monde, au sens où, on l’a vu, «elle
Il réintègre, enfin, avec beaucoup d’assurance pose un univers qu’elle apporte avec elle» (REFE-
le giron de l’esthétique, puisqu’il ne s’agit rien RENCE). L’art est création ontologique non seule-
moins que d’établir dans La Correspondance des ment parce qu’il fait être, mais parce qu’il fait être
arts ce qu’est l’art en général: autrement. À suivre Souriau, c’est cette spécificité
de l’œuvre comme création d’un monde pour soi,
Qu’est-ce que l’art  ? S’il faut en dire quelque chose
outre son intensité particulière, qui lui confère le
de général, l’art, c’est l’activité instauratrice. C’est l’en-
statut de modèle de l’instauration. Tout le reste
semble des démarches orientées et motivées, qui
peut être regardé pour une déclinaison de sa puis-
tendent expressément à conduire un être […] du
néant ou d’un chaos initial jusqu’à l’existence com-
sance.
Étienne Souriau: dialogue de l’ontologie et de l’esthétique 9

Revenons à l’épaisseur, à la pluralité des plans. Inutile de chercher là des connotations inter-
Outre l’épaisseur, Souriau, on l’a vu, parle de férentes. La profondeur des genres ou plans d’exis-
«profondeur perspective». La notion très intéres- tence situe bien Souriau du côté des philosophes
sante d’interférence connotationnelle désigne toute des modes de l’être plutôt que de l’ontologie géné-
connotation attachée à un mot qui vient interférer rale de l’être. Parmi eux, Charles Peirce, notam-
avec l’emploi de ce que ce mot dénote dans une ment, récuse l’extrapolation du verbe est (is) dans
définition argumentative. Un linguiste a analysé le nom de l’Être (Being), parce que «toutes les
avec beaucoup d’attention les interférences conno- choses auxquelles il nous est possible de penser
tationnelles produites par l’introduction dans cer- ont quelque chose en commun», alors qu’«il n’y
taines théories linguistiques du concept de «struc- a aucune chose de ce genre à observer»  (Peirce
ture profonde», étant donné qu’il comporte l’adjec- [1993]: 89) et propose lui aussi une ontologie des
tif «profond». Il écrit: modes d’être, avec, plus précisément, «trois modes
d’êtres» (Pierce [1931]: 1.23; [1978]: 69): le mode
La connotation de la «profondeur intellectuelle» d’être de la possibilité, celui de l’actualité et celui de
suggérée par profond dans structure profonde pour- la loi. Cette tripartition de la phénoménologie peir-
rait être considérée comme l’un des facteurs entraî- cienne permet de situer avec encore plus de préci-
nant la popularité du terme. [On trouve cette sion le lieu où s’établit la pensée de Souriau: il s’agit
connotation] dans des phrases comme pensée pro-
d’un approfondissement du second mode peircien,
fonde, connaissance approfondie ou la poétique
l’actualité ou l’existence, dans lequel on peut retrou-
«profondeur de l’âme» […] comme un exemple de
ver les deux autres modes discernés par le philo-
métaphore poétique modélisée par l’usage courant
de profond et débouchant sur une innovation lin-
sophe américain en tant que degrés d’existence.
guistique. (Kocourek [2001]: 301) Au début du chapitre IV des Différents Modes
d’existence qui concerne la «surexistence» (un
La profondeur comme perspective (ou épais- thème qui mériterait à lui seul tout un commen-
seur) échappe à l’idéologie de l’insondable pro- taire), Souriau écrit: «L’existence, c’est toutes les
fondeur où se perdent les élucubrations métaphy- existences ; c’est chaque mode d’exister. En tous, en
siques (mais, tout aussi bien, l’esthéticien trouvera chacun pris à part, intégralement l’existence réside
que le linguiste nage lui-même en pleine idéologie et s’accomplit» ([1943]: 164). Mais l’accomplisse-
par sa manière métaphorique d’épingler le poé- ment diffère suivant l’instauration, peu ou prou
tique  !) en établissant la pensée en un lieu bien aboutie, ou, plutôt, différemment aboutie, d’autant
précis où se définissent les «univers» qui com- que les modes interfèrent; il faut à la fois les sai-
posent le monde: entre la pluralité des êtres indivi- sir en eux-mêmes et entrer dans la complexité de
duels et l’abstraction de l’Être, c’est le lieu de la plu- leurs combinaisons. Soit le phénomène et l’événe-
ralité des plans, superposés ou en interpénétration: ment à titre d’exemples:

Si, lorsqu’on parle de l’être, l’espoir est de le voir sié- De même que le phénomène est, à certains égards,
ger numériquement seul, aussitôt la multitude des une présence suffisante et indubitable, avec laquelle
êtres que croyait distinguer le sens commun deve- on pourrait au besoin construire tout un univers,
nant fantomale, ces prétendus êtres, pour se réunir mais qu’il est naturel de reprendre et de comprendre
à l’être et se fondre à lui, s’assemblent par tribus, dans les constructions ou modes divers qu’on peut
qui suivent chacune la bannière d’un genre particu- rassembler dans une sorte d’ordre ou de règne géné-
lier d’existence. Ainsi s’assemblent entre eux tous les ral de l’ontique; de même l’événement est un absolu
corps, puis toutes les idées. Ou bien, les possibles, d’expérience, indubitable et sui generis, avec lequel
les contingents, les nécessaires. (Souriau [1956]: on pourrait faire aussi tout un univers, le même
79-80) peut-être que celui de l’ontique, mais avec une tout
autre assiette d’existence; et auquel on suspendrait
(comme l’ontique est suspendu au phénomène) un
10 Dominique Chateau

règne des transitions, des connexions – du synap- la suite du propos, tel qu’on l’observe dans Les Dif-
tique, si l’on voulait forger un mot d’ensemble, en férents Modes d’existence, c’est que, dès la transition
opposition avec l’ontique. (Souriau [1943]: 152)  vers le plan réique, le plan de la chose, le phéno-
mène se trouve relégué… au second plan. L’isola-
Voilà donc une pensée toute nuancée. Le tion de l’objet en train d’être pensé joue à nouveau
phénomène et l’événement sont comparables en – «c’est l’identité de la chose à travers ses appari-
ce qu’ils peuvent fonder l’un comme l’autre la tions diverses qui la définit et la constitue»  (Sou-
construction d’un univers, «le même peut-être», riau [1943]: 120) –, non point pour accréditer une
mais ils diffèrent par leur «assiette d’existence»: quelconque complaisance envers l’idéologie de la
«Ce qui fait la grandeur de l’événement, ce n’est pureté, mais pour s’assurer d’un exact discerne-
pas qu’il soit transitif ou dynamique, ni même ment qui prépare une future rencontre.
qu’il soit singulier et hic et nunc, c’est qu’il est Le recours à l’esthétique s’observe là encore.
le fait, c’est qu’il est ce qui a lieu.» En «sa pré- Dans La Correspondance des arts, le passage au
sence réelle et son immédiateté», le phénomène mode réique de l’œuvre d’art s’opère en faisant
est ce qui est comme tel, «une présence suffisante fond sur l’ontologie générale des relations de la
et indubitable», tandis que l’événement est ce qui chose et du phénomène:
advient.
Même nuancier en ce qui concerne le croise- L’organisation des phénomènes selon les cadres
ment des différents modes. Par exemple, celui du «réiques», de façon à représenter à l’esprit des
mode phénoménique et du mode réique. Après choses, est une opération de pensée bien connue, et
qu’il a défini le phénomène pour lui-même, après qui, certes, n’appartient pas en propre à l’art! Notre
qu’il a extrait cette définition des phénoméno- perception opère sans cesse ainsi. La notion de
logies qui, paradoxalement, la manquent – elles chose, d’objet organisé, contenu dans un système
mettent «entre parenthèses le phénomène lui- faisant partie de l’univers; objet persistant dans son
même, dans sa présence réelle et son immédiateté, identité à travers des apparences phénoménales
pour conserver et regarder seulement, en l’explici- changeantes et diverses, a été étudiée de près, par
tant et en l’accomplissant à part, en dehors, ce que cent philosophes (parmi lesquels Hume a un rôle
particulièrement important). (Souriau [1949]: 82)
le phénomène implique et exige d’allant vers autre
chose que lui-même» (Souriau [1943]: 116) –,
Or, un problème se pose immédiatement:
Souriau se demande, en quelque sorte à rebours,
ce que devient le phénomène quand il est replacé Ce qu’il semble y avoir de particulier ici, c’est seu-
dans la relation avec les autres modes: «Conserve- lement que les choses présentées sont illusoires: les
t-il alors son essence propre? Celle-ci reste-t-elle phénomènes de la couleur, de la luminosité, des dis-
inchangée lorsqu’il sert de terme de référence et positifs formels évoquent une chose absente, mais
d’attestation ultime à un être posé dans un autre dont ils m’obligent à former une idée, à mi-chemin
mode?» (Souriau [1943]: 119). La question se pose entre l’imagination pure et la présence concrète.
en proportion du fait que la quête de la définition C’est une fiction dans laquelle j’entre, une illusion
commence par isoler son objet, et ne le fait nulle- sollicitée et consentie, une hallucination douce et
ment par erreur («C’est sous cet aspect que nous collective. (Souriau [1949]: 83)
avons tâché de le montrer» insiste l’auteur): le phé-
nomène, «on ne le conçoit bien dans sa teneur Cette formulation lumineuse de l’«halluci-
proprement existentielle, que lorsqu’on le sent nation paradoxale» que suscite l’œuvre visuelle
comme soutenant et posant à soi seul ce qui peut (picturale ou cinématographique, puisque j’em-
s’appuyer et se consolider en lui, avec lui et par lui. prunte cette expression à Christian Metz ([1977]
Et c’est à ce titre qu’il apparaît comme un modèle qui l’emprunta à Freud [1915]), concerne une cer-
et un étalon d’existence». Mais ce qui frappe dans taine catégorie d’arts, dits représentatifs (en un
Étienne Souriau: dialogue de l’ontologie et de l’esthétique 11

sens, cette fois, plus resteint de «représentation»), dissiper en purs phénomènes, auxquels il emprunte
qui propose l’illusion d’êtres et de choses, donc toute sa réalité existentielle. (Souriau [1943]: 133)
l’ajout d’une ontologie seconde à l’ontologie pre-
mière de l’œuvre, non point la catégories des arts Considérant cette ambivalence qui caractérise
«présentatifs» (telle la musique) dont l’ontologie se les représentations d’êtres, à la fois abstraits de la
confond avec l’œuvre (Souriau [1949]: 87-89: voir phénoménalité et instaurés dans l’habillage phéno-
Chateau [2009]: chap. IX). Il s’agit de La Joconde ménal, l’auteur propose alors de «les ranger dans
qui nous met en présence d’une jeune femme sou- une classe existentielle beaucoup plus vaste: celle
riante dans un décor paysager, une réification qui, des êtres qui sont présents et existent pour nous
surtout, entre dans la catégorie ontologique plus d’une existence à base de désir, ou de souci, ou de
générale du tableau en sa cosmicité (création d’un crainte ou d’espérance, aussi bien que de fantaisie
monde par la collaboration d’une multiplicité de et de divertissement».
plans d’existence): On observe bien là le poids de l’esthétique
dans l’argumentation de Souriau. La positivité, on
Par le tableau tout un monde se propose à moi  ; l’a vu, sauve les chimères de l’inexistence. C’est une
monde qui peut reproduire le monde réel, ou se obsession qui fonde sa conception de l’esthétique
substituer à lui, et lui faire concurrence, n’importe. qu’il nomme aussi bien philosophie de l’art que
Il est, pour l’instant et en ce qui concerne seulement science de l’art parce qu’elle vise essentiellement
l’œuvre, la donnée offerte sur un nouveau plan exis- la positivité de l’art. Dans Clefs pour l’esthétique,
tentiel : celui de la chose ou des choses représentées, écartant d’autres définitions de la discipline (aux-
ou présentes seulement par la grâce de l’art. (Sou- quelles ces écrits contribuent pourtant), il privilé-
riau [1949]: 83) gie l’idée que l’art «est un fait positif», parce que
«l’ensemble de ses œuvres constitue un monde
On voit se dessiner là une sorte d’emboî-
dont il est […] aussi fécond d’étudier les lois, qu’il
tement à la manière des poupées russes  : telle
peut l’être d’étudier les lois de la nature» (Souriau
figure d’une personne est enclose en un tableau
[1970]: 63; voir Toboul [2017]).
sis en un coin du monde. Mais c’est une autre
Pour conclure à l’égard de ma question inau-
sorte d’emboîtement que propose Souriau dans
gurale, on a vu que la fécondité de l’esthétique,
Les Différents Modes d’existence. Il y part aussi du
par-delà l’espoir de comprendre l’art, s’étend à la
constat que les fictions sont «des entités fragiles et
philosophie et, tout particulièrement, à son cha-
inconsistantes, et, par cette inconsistance, si diffé-
pitre ontologique. Je suis parti de l’enchevêtrement
rentes des corps qu’on peut hésiter à leur accor-
de ces deux «anneaux» de la philosophie (pour
der une manière quelconque d’exister» (Souriau
parler comme Hegel) et j’ai constaté qu’il est attes-
[1943]: 130). Or, non seulement il leur accorde
té dans plusieurs textes dont la visée principale
l’existence, mais au contraire de leur apparente
est tantôt l’art, tantôt l’être. Au vrai, c’est une sorte
négativité, leur accorde– «même les monstres,
de balancement qui traverse tout l’œuvre de Sou-
même les chimères, même les êtres du rêve» –
riau, penchant d’un côté ou de l’autre, sans qu’on
de posséder «un positif exister» (Souriau [1943]:
puisse considérer qu’un côté domine l’autre, ni
132), ce qui permet de retrouver en eux, par la
que l’esthétique ne serait qu’une province de l’on-
relation du phénoménal et du réique, la balance
tologie (même si elle porte sur des objets spéciaux
entre l’inexistence qu’atteste la situation et l’exis-
qui ne représentent qu’un secteur de l’univers des
tence que soutient l’hallucination:
êtres) ni que l’ontologie ne serait qu’un appoint
Un chien imaginé est un chien, parce qu’il parti-
de l’esthétique, comme une sorte de réservoir de
cipe de l’ontique du chien. Mais en ce sens, il tend modes susceptible de la nourrir. Dans l’œuvre de
à échapper au phénomène pour devenir pure enti- Souriau, il semble plutôt que l’esthétique et l’onto-
té logique, être de raison. Et de l’autre, il tend à se logie se répondent réciproquement: la première, à
12 Dominique Chateau

travers l’analyse de l’art, fournit l’idée d’instaura- au beau et au laid» (Toboul [2017]: 14; Souriau
tion qui fonde la seconde dans toute sa dimension; [1970]: 54-55).
la seconde, à travers l’analyse des modes d’être (où En outre, l’admiration peircienne a trait à la
s’esquisse une logique), fournit les paramètres qui première catégorie de son système, la firstness,
permettent d’analyser l’art. Au fond, cette réci- c’est-à-dire le sentiment. Souriau, on l’a dit,
procité est déjà une manière d’élever l’esthétique situe l’essentiel de son ontologie sur le plan de
à hauteur de l’ontologie, à l’encontre des philoso- la seconde catégorie, la secondness, c’est-à-dire
phies qui ne lui accordent qu’une valeur subsi- l’existence. En un sens, on peut dire qu’il est plus
diaire. Épistémologiquement, c’est aussi une façon positiviste que Peirce (ce qui paraît un comble au
de sortir la science de l’art de la tour d’ivoire où, regard des idées reçues sur les postures philoso-
aimant peut-être à la voir briller à hauteur de son phiques). Il est positiviste essentiellement au sens
objet, on la confine théoriquement (à noter que où il entend se fonder sur les propriétés objec-
le philosophe y ajoute une autre manière d’éman- tives des œuvres. De même, on dirait qu’il parti-
cipation  : la prise en compte de l’exemplification cipe de la «naturalisation» de l’esthétique, lorsqu’il
concrète que l’art réel offre à sa définition). préconise d’étudier les lois de l’art comme on le
On ne peut que souligner la force d’une telle fait pour les lois de la nature, n’était son inspira-
hypothèse épistémologique en comparant à nou- tion métaphysique, à commencer par l’intérêt qu’il
veau cette position à celle qu’offre le philosophe porte à l’idée de création (voir Souriau [1955]),
américain Charles Peirce. On est déjà surpris de étant donnée la lourdeur des interférences connota-
constater que ce dernier intègre l’esthétique à sa tionnelles dont elle est le suppôt.
classification basique des «sciences normatives», Mais Souriau et Peirce se rencontrent sur un
celles qui disent ce qui devrait être («what ougth autre point crucial. L’un, partant surtout des formes
to be») (Peirce, [1931-1968]: 1.281, 5.36, 5.121, artistiques pour construire sa philosophie, l’autre,
etc.): logique (vrai/faux), morale (bien/mal) et introduisant dans la philosophie le projet sémio-
esthétique (bonne/mauvaise qualité). On ne l’est tique, participent censément d’une philosophie de
pas moins à réaliser que, dans la hiérarchie que la représentation – le terme, cette fois à nouveau,
fonde ce triadisme, il accorde aux catégories devant être pris en son sens général: Mona Lisa
esthétiques la position première, celle de fonde- dans La Joconde est une représentation au sens
ment vis-à-vis des catégories logiques, par l’in- restreint qui s’étend quand on prend en compte
termédiaire des catégories morales: la logique qui l’image mentale qu’on a de ce tableau ou de tout
s’occupe des inférences valides a besoin de s’ap- autre, et davantage encore lorsqu’on inclut dans le
puyer sur le critère de discernement que fournit concept toutes les sortes de «choses» qui tiennent
la dualité morale  ; celle-ci, à son tour, a besoin lieu d’autre chose (des signes dans la terminologie
de s’appuyer sur la dualité esthétique qui déter- sémiotique), à commencer par les mots, les phrases,
mine un idéal susceptible d’être admiré. L’esthé- les textes. Une philosophie de la représentation, si
tique en ce sens, écrit Martin Lefebvre, n’est «plus on postule, comme on l’a vu, qu’on ne peut dire ce
la science du beau artistique», mais «la science que c’est qu’être sans prendre en compte l’évidence
de l’admirable» (Lefebvre [2013]: 117)  ; pour qu’il y a une grande diversité d’êtres (ou d’étants,
Souriau, elle est avant tout la science de l’art. En pour s’embarrasser d’une néologie superfétatoire),
outre, à suivre Clefs pour l’esthétique, il s’écarte ne conçoit pas l’être sans ses modes, l’ontologie, sans
encore de Peirce en récusant la définition de la représentation des formes qui déterminent à être.
l’esthétique comme théorie du goût, «définition Vladimir Jankélévitch, à propos d’«une certaine
à ses yeux artificielle, fondée sur ce que André philosophie modale qui se désintéresse de l’être
Lalande appelait le “parallélisme des sciences pour considérer les seules manières d’être de ces
normatives”, où la logique aurait pour objets les êtres», écrit que «le philosophe réintègre la caverne
jugements vrai et faux, et l’esthétique ceux relatifs des ombres et des reflets» (Jankélévitch [1957]: 13).
Étienne Souriau: dialogue de l’ontologie et de l’esthétique 13

C’est tout le contraire: la philosophie de la repré- Peirce, Ch. S., 1993: À la recherche d’une méthode
sentation est une critique de l’illusion, celle que (RM), trad. Michel Balat et Janice Dele-
constitue le déni de représentation des idéologies dalle-Rhodes, Presses universitaires de Perpi-
réalistes. L’ontologie sans les modes participe de ce gnan, Coll. «Études», Perpignan.
déni. C’est l’oubli des modes sous prétexte de l’oubli Souriau, E., 1938: Avoir une âme. Essai sur les exis-
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Gérard Deledalle, Éditions du Seuil, Coll.
«L’ordre philosophique», Paris.
Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

Souriau’s Animal Aesthetics In Context: Nature,

Sensibility, and Form
Citation: M. Mazzocut-Mis, A. Scanzi-
ani (2022). Souriau’s Animal Aesthetics In
Context: Nature, Sensibility, and Form.
Aisthesis 15(2): 15-27. doi: 10.36253/Ais- Maddalena Mazzocut-Mis, Andrea Scanziani
thesis-13982
Università degli Studi di Milano
Copyright: © 2022 M. Mazzocut-Mis, A. [email protected], [email protected]
Scanziani. This is an open access,
peer-reviewed article published by
Firenze University Press (http://www. Abstract. The work defines three aspects of Souriau’s animal aesthetics by stressing
fupress.com/aisthesis) and distributed their relevance in the context of early and contemporary ethology: in (1), the concept
under the terms of the Creative Com- «biological nature» which is interpreted by Souriau as a realm of appearances and as
mons Attribution License, which per- intrinsically aesthetic; in (2), the concept of animal sensibility, which makes it possible
mits unrestricted use, distribution, and to reframe animals’ artistic behaviours and the sense by which such phenomena estab-
reproduction in any medium, provided lish a meaningful relationship with the environment; in (3), the concept of form, in the
the original author and source are
description of natural appearances, is presented as it enters into the process of insti-
credited.
tution that, accordingly to Souriau’s interpretation of biological nature, encompasses
Data Availability Statement: All rel- non-human animals and humans. All three definitions will allow us a), to present Sou-
evant data are within the paper and its riau’s critique of anthropomorphism and his proposal of an «healthy» zoomorphism;
Supporting Information files. b) to reformulate animals’ sensibility in a non-reductionistic fashion; and finally, c) to
address the issue with the supposedly sole communicative function of animal artistic
Competing Interests: The authors
behaviors.
have declared that no competing inter-
ests exist.
Keywords: Souriau, Animal Aesthetics, Nature, Form, Sensibility.

INTRODUCTION: SOURIAU’S ANIMAL AESTHETICS IN

CONTEXT

In recent years, animal aesthetics has gained a special place in

philosophical studies. In the last twenty years in particular, animal
and plant aesthetics have been studied as independent branches of
study within general «environmental aesthetics» (Brady [2014]: 289).
Of course, the study of nature as an exemplary object of aesthetic
experience was first conducted by Kant in the Critique of Judgment
(Kant [1790]: 141). But scholars in environmental aesthetics and
animal aesthetics have tried recently to overcome the purely philo-
sophical approach to natural aesthetics, while they have widened
the field of study beyond human aesthetic experience of nature. In
this sense, while analytical and experimental approaches have been
dominant in environmental aesthetics, animal aesthetics has taken a
similar path but in a more interdisciplinary way, with contributions

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 15-27, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13982
16 Maddalena Mazzocut-Mis, Andrea Scanziani

from ethology, animal psychology, behaviorism, also traced back to similar causes (Miller [2001]:
and animal cognitivism (Parsons, Daniel [2002]; 20-25). In this context, the study of the relation-
Gobster [2013]). This has also expanded the field ship between «purposiveness» (usefulness), the
of investigation of such sciences with issues tra- «necessity» for animals and plants to develop bio-
ditionally assigned to speculative approaches, logical features and behaviours, and the «aesthetic
e.g., natural teleology, animal value etc. (Carlson sense» that must be recognized in certain species,
[2014]: 14-15). Also, the growing work, from the shows a methodological bias. As soon as it intro-
‘70s onwards, on natural preservation and wildlife duces philosophical distinctions, animal aesthetics
conservation has promoted a renewed interest in struggles to develop an interdisciplinary approach
natural aesthetics. for it relies on different methodological assump-
In this very broad panorama, it may be inter- tions and does not overcome the «fundamental
esting to evaluate the contribution of Étienne Sou- contradiction between conventional philosophy
riau’s animal aesthetics. Souriau’s aesthetics was and a Darwinian approach to the aspect of useful-
always influenced by the results of positivism and ness of aesthetics» (Voland, Grammer [2003]: 5).
phenomenology (Franzini [1984]: 251; Domenicali In this way, Souriau’s animal aesthetics achieves
[2017]: 133). He was not an isolated figure with- something new even in terms of today’s standards.
in continental philosophy but his contributions He addresses classical ethological topics (anthro-
to animal aesthetics are less known1. This work pomorphism, animal sensibility and cognition)
aims to define three aspects of Souriau’s reflec- starting from empirical observation. But, in doing
tions on animal aesthetics: the concept of biologi- so, he assumes a broad interpretation of nature
cal nature; the concept of animal sensibility; and as a realm of «aesthetic appearance» that tries to
finally, the concept of form in the description of resolve the dichotomies, still preserving a plural-
natural appearances. In our opinion, all three con- istic ontology of aesthetic phenomena. Evolution-
cepts provide innovative insights into questions ary cognitivism, in particular, tends to assume in
of animal aesthetics which are still relevant today: animal aesthetics the dichotomy of «goal-directed
first, a critique of anthropomorphism implicitly action or stimulus-elicited behaviour» – already
outlined in Souriau’s animal aesthetics, and the present in the works of Darwin and Huxley
affirmation of a «healthy» zoomorphism; second, (Clayton et. al. [2003]; de Wit et al. [2009]). Sou-
a non-reductionistic interpretation of animal art- riau’s animal aesthetics does not reduce the artis-
istry and sensibility; third, the reinterpretation tic behaviour of animals to a mere useful perfor-
of artistic behavior in animals with respect to its mance (e.g., functional to reproduction), while
communicative function. animal cognition and sensibility are not squeezed
Souriau’s contribution is relevant to a debate into a mechanicistic framework. Instead, aesthetic
that recognizes some conceptual limitations. sensibility in the animal kingdom is the sensible
Arguably, one of the most relevant trends within intellection of a form which is instituted by the
the interdisciplinary approaches to animal aes- biological life in the sense of a collective, environ-
thetics is the evolutionary-Darwinist approach mentally-relevant relationship with other speci-
(e.g., Paden et. al. [2012]; Wolfgang [2004]; Vol- mens and kingdoms. Moreover, Souriau distin-
and [2003]). One of its main theorical thesis is guishes aesthetic phenomena that belong to differ-
that aesthetic phenomena in the human species ent kingdoms by highlighting the differences in the
are explained in accordance with the hypothesis application of aesthetic categories (plants, animals,
of the origin of such phenomena through envi- humans). Still, Souriau defines biological nature in
ronmental adaptation and sexual selection; in the particular as artistic and aesthetic in essencia:
same vein, «aesthetic behaviours» in animals are
By recognizing that a natural art exists, and that
there even exists a certain artistic activity in the
1 See, for instance, Hedwin Conrad-Martius (1916, 1934).
Souriau’s Animal Aesthetics In Context: Nature, Sensibility, and Form 17

spontaneous processes of nature, I must trace back ration, aesthetics brings together the «modes of
the various aesthetic facts, that can be observed by acting» and «the modes of being» and examines
the development of the animal life and cannot be «how and by what means they might be com-
immediately attributed to the very same animal, to bined». That is, philosophical aesthetics conceives
this natural art. (Souriau [1948]: 219) the mediative nature of instauration as a «unify-
ing synthesis» of the halves of «being (ontic)»
As we will see in what follows, starting from and «action» (Souriau [1943]: 184). The process
this definition it is possible to rethink the place of instauration does not erase the distinction
of animal aesthetics with respect to, on the one between artist and work. Instead, the aesthetics of
hand, nature and its aesthetic manifestations, and, instauration highlights how these latter are only
on the other, human art. Art has «cosmic» foun- different modes of existence, which encompass
dations for Souriau, that is, within nature we find a pluralistic ontology. That means, instauration
instaurating [instituting, maybe?] powers that, serves as suitable concept for interpreting the pro-
while they instaurate forms, manifest themselves cesses of concretization of forms in all ontological
in animals as an artistic instinct. Human art is domains (e.g., human art, the physical world, cul-
«cogenerated» by such powers (de Vitry-Maubrey ture, etc.) where we find categories that define the
[1974]: 199). This instinct is also in animals no aesthetic characters of phenomena (e.g., beauty in
simple reflex to external/internal stimula, being human art and the physical world). Art has a mor-
neither a volitionless pattern of behavior nor a phological function as instauration, while «with
guideless action (Lorenz [1977]: 211-212). Animal each of the artist’s actions, or rather as a result of
art «links nature and the Human» for it shows the each of the artist’s actions, «the work under con-
instaurating powers that are present in nature as struction» can live or die» (Souriau [1943]: 229).
a whole and in human art (Mazzocut-Mis [2003]: The artist’ actions, in a broad sense, instaur new
124). In this way, Souriau enters the debate on the entities in the process of fragile consolidation
anthropomorphisation of animal aesthetics and of the form, always susceptible to change, in the
zoomorphisation of human art. Here, the danger bound with matter and with the participation of
is of misinterpreting the idea of art itself: the true sensibility (Souriau [1939]: 314; cfr. Lapoujade
misconception is not to interpret animal artistic- [2021]: 51-55). So, aesthetics becomes the investi-
ity by adopting parameters and explanations bor- gation of the objective forms bounded to matter3.
rowed from reflection on human art, but on the For its part, in order to understand the artis-
contrary, by not recognizing artisticity in plants tic nature of animal and plants, animal aesthet-
and animals we understate human art in the first ics must avoid two mayor dangers. The first is
place (Souriau [1965]: 44). the «mechanicistic» reduction of animal life to a
pure stimula-reaction mechanism that excludes
1. THE INTRINSICALLY AESTHETIC any kind of conscious and intentional guidance
CHARACTER OF BIOLOGICAL NATURE over animal making. The second is the danger of
interpreting animals’ work by using the psycho-
The work Souriau has conducted in studying
the artistic and aesthetic dimensions of animals given without a necessary active participation of animal
represents a special part of his general definition craftsmanship, while artistic phenomena do preliminarily
of aesthetics as the «science of forms» (Souriau involve the distinction between agent and product.
3 Within this viewpoint, Souriau’s interpretation of aes-
[1929]: 388)2. In targeting the process of instau-
thetics as a science of forms with a realistic approach,
as well as the peculiar interpretation of the relationship
2 Inthe specific sense of animal aesthetics, we have to dis- between form and matter in artistic production, is closely
tinguish between aesthetic phenomena and artistic phe- related to Focillon’s presentation in Vie des formes (Focil-
nomena in the animal world. Aesthetic phenomena are lon [1934]: 33-34, 95f).
18 Maddalena Mazzocut-Mis, Andrea Scanziani

logical categories derived from the human mode But it would be erroneous to ignore the dif-
of existence, without clarifying why and how far ferences. The «gestures» and «movements» per-
such categories encompasses the realm of the formed by animals and plants are «performed»
Aesthetic as such (Souriau [1965]: 7-8). The rec- with different modalities of awareness. «The
ognition of the bias that belongs to the descrip- movements of the plants are performed in a deep
tion of animal activity in terms of response to sleep», and this excludes the possibility of defining
biological instincts, genetic programs, behavioral nature as a sort of undifferentiated kingdom with
mechanisms, environmental stimuli, etc. has been uniform forces and goals, i.e., «to affirm a global
labelled nowadays as «mechanomorphism» (Crist evolution of life towards sensibility and conscious-
[2000]: 203). What, then, is at stake in the descrip- ness» (Souriau [1965]: 29). What it is at stake in
tion of the psychic faculties of non-human ani- all such observations is Souriau’s attempt to avoid
mals and their artistic behaviours, is not the exclu- a naively unitary ontology of nature that uncriti-
sion of such psychic faculties from the animal cally erases the differences through the application
kingdom but the recognition of the specificity of of aesthetic categories or that irreconcilably sepa-
human self-reflection (awareness) on the psycho- rates nature and (human) art.
logical faculties involved in the aesthetic experi- To understand Souriau’s attempt, we are going
ence. To the second risk addressed, one may link to present more precisely in which sense the aes-
also the need to preserve the peculiarity of the thetic character is something that belongs to bio-
human experience of art production with respect logical nature as such. Souriau denies that the
to natural objects, i.e., to establish aesthetic cate- aesthetic features in animals (e.g., the colourful
gories for natural phenomena without making an pigmentations of the Chrysiridia rhipheus’ wings)
analogy with human production and vice versa4. may represent in nature a surplus in a biological
Now, Souriau’s approach to the mechanicis- substratum independent of such aesthetic charac-
tic/anthropomorphistic-zoomorphistic debates is ters. He starts by analyzing the idea that the ele-
defined by his definition of nature. The categories ments we found aesthetically appreciable in the
that we may apply to the human experience of natural phenomena are felt as some sort of «addi-
aesthetic and artistic phenomena are shared with tional elements» with respect to the purely «func-
other realms because the Human is encompassed tional» ones. For example, certain characteristics
in Souriau’s peculiar definition of nature. His defi- of animals must become functional, i.e., useful, to
nition is based on a double recognition that shows the needs of sending messages, establishing domi-
biological nature as artistic nature in itself. He nance, sexual attraction etc. Besides this «needs/
recognizes in the technical work and behaviour appropriate function» relationship, there is no
of animals the specific character of «artisticity». additional explanation for such tinsels and orna-
But, as a counterpart, it is exactly in the belong- ments that are the elements that vary the most
ing of the Human to the animal kingdom that we with respect to the biological system they are cou-
find the roots of «artisticity», that is, we recognize pled with (e.g., wings). Now, what is questioned by
artistic behavior in the animals because humans Souriau is precisely the idea of functionality and
are «artistic animals». In this sense, it seems that usefulness. In brief, the aesthetic phenomenon
we do not endanger art by «finding its roots in in nature is functional to nothing; rather, nature
animality» (Souriau [1965]: 7). is essentially aesthetic. The necessity connected
to the existence of appreciable characters in ani-
mals and plants is not the response to a need that
4For example, one may recognize aspects of the debate may have originated them. The existence of such
over the establishment of separate aesthetic categories for characters is not solely explicable in terms of their
the appreciation of human art and nature in the affirmed
necessity, starting from the work of Saito, of appreciating
nature on its own terms (See Saito [1998]: 135-149).
Souriau’s Animal Aesthetics In Context: Nature, Sensibility, and Form 19

function or purpose in terms of survival5. At the in the case of the colors in the plumage of birds)
same time, the beauty of the features of the Chry- (Souriau [1965]: 18). At the very base of this rec-
siridia rhipheus’ wings is not something added to ognition we find the idea, dominant within the
an ontologically independent substrate and there- Darwinistic approach to animal morphology,
fore evaluated aesthetically (by us or other spe- that some characteristics of the specimen in ani-
cies). But one ought to recognize that the beautiful mals and plants are functional to reproduction,
characters are in a sense inherent to the genesis of i.e. sexual selection, and, therefore, the perpetua-
the living Being. tion of the species (e.g., Zahavi [1975]: 205f; Prum
Souriau’s argumentation raises some issues. [2012])6. The topic is utterly complex and pre-
The argument cannot exclude that natural beauty sents many aspects, not always reconducible to
(or any other aesthetic category) may be the result an unique principle in the history of the species.
of a «fortunate coincidence». If one takes the But Souriau’s argumentation highlights an aspect
example of the astonishing rocky formations in of biological life, the analysis of which helps to
the Calchaquíes valley, one is inclined to recognize make it possible to avoid the reduction of the aes-
that all the formal elements that give rise to the thetic features to their (e.g., reproductive) func-
sense of beauty are not the ultimate purpose of the tion. Souriau recognizes, in the case of the mimet-
complex geological process involved in the valley’s ic and symbiotic relationship, the ability of plants
formation. But beauty is not inherent to the gen- and animals to «put on appearances» and even
esis of the process either. Therefore, the «aesthetic to «pretend» or «simulate» something (Souriau
parameter» is found in the natural phenomena as [1965]: 21). In this respect, the most interesting
long as the formal elements are felt as correspond- aspect of the aesthetic phenomena in plants and
ing to the «desiderata» of our aesthetic sensibil- animals, and their relationships (e.g., pollination),
ity (Souriau [1965]: 10). The situation is different is not the biological mechanism that explains the
when the active participation of an agent takes successful adaptation of the species but rather, the
part in the genesis or realization of the aesthetic fact that animals and plants are able to generate a
phenomenon. Examples of such participation are very specific aesthetical feeling in specimens belong-
the construction of webs, traps, backdoors holes ing to the same or other species. Therefore, the pur-
etc. A clear distinction appears with this kind of pose of the aesthetic manifestations is not imme-
example: it is aesthetically relevant to consider diately reproduction, dominance etc. but the gen-
the product of an activity by some agents; or, dif- eration of an aesthetic sense.
ferently, the aesthetically notable feature is part of In the case of plants (but also animals), the
the structure of a Being (the Chrysiridia rhipheus’ speaking of an «intention» or «awareness» in the
wings). Here, an aesthetic feeling must be sup- genesis and development of the «aesthetic strate-
posed in the genesis of the phenomena. gies» devoted to establishing the relation to other
Surely, Souriau stresses how «the arousal of lifeforms, must be correctly understood. The bio-
the reproductive functions represents a particu- logical mechanism is immediately and uniquely
larly fertile ground for the appearance of the aes- devoted to performing the artistic gesture. In this
thetic phenomena», for example, in the case of sense, artisticity belongs to biological nature as a
the sensible manifestations of the reproductive category that encompasses all artistic gestures (an
organs, directly involved in the reproductive pro- animal work or the showing of some features).
cess (as in the case of flowers in plants), or indi- The nature of this artistic gesture appears in all its
rectly involved but functional to reproduction (as significance in the cases where no sensible organs

5This is an idea that has seen a long-lasting debate even 6 «Darwin’s really dangerous idea is his own proposal that
within Darwinistic aesthetics (Wallace [1895]: 378; natural selection fails to explain the evolution of all form
Dawkins [2004]). and design in biotic nature» (Prum [2012]: 2264).
20 Maddalena Mazzocut-Mis, Andrea Scanziani

are apparently involved. The example here would survival (which is a result, anyway). At least, not
be the flowers (the Drakaea genus of orchids) that in the sense of the immediate outcome of a mech-
simulate the appearance and odorous features of anism responding to a need. The aesthetically rel-
a female specimen of the Thynnidae wasp fam- evant features are not a surplus either, because the
ily to attract the male. Even if we cannot immedi- biological is aesthetic per se.
ately speak about «intentions» or «sensible aware-
ness» in the plants, there is no doubt that flowers
(and animals) use their aesthetic appearance for 2. FROM NATURE TO SENSIBILITY
«setting up a show», or «creating great choreog-
At the end of the last section, an important
raphies». Souriau’s argument highlights here an
point was stressed. According to Souriau, biologi-
aspect little investigated by ethologists. If the phy-
cal life creates «aesthetic appearances» and «per-
logenetic structure of the species may explain in
formances» even where no conscious intention
deterministic terms the biological features, this
is apparently present. The intention guiding the
explanation would still miss an aspect of the phe-
artistic gesture, for example in the construction
nomenon: The animal must put into action the
of a web, is surely present in animals. Now, in the
appearance, the show, even the «artwork», and by
plant kingdom one finds the artistic gesture as an
that means it establishes the distinction between
intentional gesture because life establishes a conti-
artist and artwork (Souriau [1965]: 22). That
nuity that makes it possible to define a sensibility
means, the biological features must be placed in
in the Biological not reducible to mechanic reac-
relation with an aesthetically sensible «environ-
tion. A peculiar continuity between the biological
ment» – they are not sufficient in themselves to
basis – the «vegetative basis» of Les sens artistique
generate anything.
des animaux – and artistic activity is established:
Souriau borrows here an idea from the philo-
«We see that the animal individually exerts an
sophical tradition: the senses are in the Biologi-
organizing, creating, instaurating action; but in
cal «immediately aesthetic». That is, wherever we
doing so, the animal obeys excitements that come
find organically sensible apparatus, we also find
from the depths of life itself» (Souriau [1965]:
sensibility and, therefore, some kind of aesthet-
26). The sense of intentional gesture acquires a
ic relation to the environments. This theory was
renewed sense: It is not what actively guides a
present, for example, in Diderot’s theory of the
making as the result of a mechanism of stimula-
«sensibility of the organic components» (Diderot
control solely, but an activity that supposes a form
[1830]: 111). In this idea, that mutated into dif-
of environmental awareness and sensibility. The
ferent forms from the modern conception of mat-
excitements, a kind of instinct – comes, as we
ter as intrinsically capable of motion and action
shall see, from life itself. For their side, the ges-
(for example, in Leibniz’ monadology), all matter
tures are now «instaurating action[s]».
is also sensibility and continuous generation of
With this definition of the instaurating action,
forms7. Souriau seems to rethink what was already
Souriau shares common philosophical ground
implicit here: the Aesthetic is inherent to biologi-
with Valéry, who in his famous reflections of the
cal nature, because where we find sensible organs,
aesthetics of seashells affirms that «the making of
we necessarily find matter involved in an aesthetic
the shell is lived, not calculated» (Valéry [1936]:
relationship with the environment (other speci-
77). The instauration of forms is here a synthe-
mens within a certain ecosystem). The purpose
sis of action and being. A continuity establishes
of the establishment of this relationship cannot
the consistency of the biological life that attains
be immediately traced back to the sole purpose of
human life: «Between me and the original cell,
beyond which there would be nothing but biologi-
7An idea still relevant today (see Papapetros [2012]: 125- cal nothingness, a positive series of living beings
128).
Souriau’s Animal Aesthetics In Context: Nature, Sensibility, and Form 21

supports me and lends a plenitude and consist- would perform for avoiding the attack of a preda-
ency to the interval that separates me from noth- tor (short runs, sprints, changes of direction). That
ingness (the biological and evolutionist thesis)» brings light on the fundamental change of atti-
(Souriau [1943]: 119-120). Therefore, novelty and tude that makes us think about the movements
creativity gain a renewed sense and importance as embraced into an artistic operation. That is
within continuity. The whole of nature is the realm even more clear when the change of attitude by
of the variety of forms that do not only guarantee performing certain movement does create a play-
survival for the «best» by «preserving» or repro- ful situation or trickery to avoid some danger.
ducing life according to the changes in the envi- Here we have the «instinct for theatrality» (Evre-
ronment, but instead, it is «the best of all pos- inoff [1927]: 7f). This theatricality is expressed
sible worlds» for it is the space of the continuous «for the Being and towards the Being», that is, the
novelty, creativity, variety (Deleuze [1988]: 79). play that is performed by the animal, is meant to
It is in this sense that Souriau’s reflections on the generate a «show» and an aesthetic and affective
instauration of forms are important in the philo- reaction in the «audience» (Souriau [1965]: 102).
sophical inquiry into the relationship between It is the existence of the animals in itself that is
the variety of forms and the animal’s «biological aesthetic, because it is now lived as such by the
creativity» for evolution and perfection (Merleau- animals. Only, there is no self-affirmation of such
Ponty [1995]: 59-60). The problem with the form aestheticity – there is no lyricist for the Lemmings’
of organisms is interpreted in the continuities of tragedy – but a modality of awareness.
time and matter, but especially with respect to What kind of awareness this is, is now a com-
«the progress of beings towards perfection in their plex question. First of all, the artistic character of
infinite multiplicity» (Foucault [1966]: 165; Cfr. animal life is not traced back to the single exist-
Mazzocut-Mis [2003]: 104). ence of the specimen that performs the «show».
In the same vein, Souriau reinterprets the As has already been seen, what is artistic and aes-
artistic gesture of animals, i.e., the fact that cer- thetic is the biological life itself. The birds’ beau-
tain biological structures are used for the making ty is not the result of work or an action under-
of the artwork. In the case of spiders, we find this taken by the specimen but by biological life as a
sort of continuity between the spiderwebs and the whole. This interpretation holds also for higher
complex of silk gland and spinneret. The variety of levels of artistry, where sensibility becomes a
organs allows variety in the instauration of forms. form of environmental awareness of the species.
Still, it is not possible to exclude intention and will For instance, in the case of the construction of a
in the setting up of such appearances. It is impos- termite mound, the process must be adapted by
sible to ignore the fact that certain movements the termite according to climate, meteorological
and actions are explicitly performed, in the execu- changes, and astronomical conditions, something
tion of choreography and mime, in a manneristic cannot be explained in the terms of a mechanicis-
fashion to generate exemplarity. «One could not tic tropism, a «mere mechanicistic reproduction of
have any doubts», about «the gibbon’s intention instincts». The observation of the process shows
to perform a show, as well as the character volun- that the entire enterprise is conducted according
tary execution likely to arouse emulation, to serve to a form of «intelligence» that is «fossilized intel-
as a model, to awaken the [cubs’] desire for such a ligence» of the species. The fossilised intelligence
beautiful exercise» (Souriau [1965]: 32). characterizes the entire animal kingdom as such
The attention is drawn again from the sup- and it concerns the «fundamental traits of animal
posed goal of preserving the species by all the operating». This intelligence is no mere response
means to the actual gesture performed by the to external or internal stimuli. To support his
animal. Animals maintain the pure form of the argument, Souriau highlights how animals correct
movement in mimicking the movements they or even destroy their work if it does not combine
22 Maddalena Mazzocut-Mis, Andrea Scanziani

with a sense of perfection. Also the sequence of aesthetic «feeling» in the animal kingdom. Ethno-
gestures performed with absolute precision indi- logical studies have offered different insights into
cates the intellection of a model, a form. In other the evolutionary and adaptative role of an aes-
words, what is degraded to the simple execution thetic feeling (taste), especially beauty, in plants
of a «genetic program» of action, is, rather, the and animals as a psychological phenomenon that
legacy of a «natural intelligence» that was a true may span all species and the history of the Biolog-
form of inventiveness originally (Souriau [1965]: ical (Grammer et. al. [2003]: 387f; Etcoff [1999]).
72-74; see Crist [2000]: 180). In this way, Souriau But ethologists have often also excluded a spe-
avoids the danger of reducing creativity to instinct cific «aesthetic taste» from the animal kingdom
in a very Humean fashion, while this idea is still in stimulations, courtship rituals etc., saving it for
present nowadays (Cf. Hume [1739]: 118-120; humans alone (e.g. Hirn [1900]: 188). Souriau is
Hansell [2007]: 156f). But animal activity is not now more interested in the aesthetic sensibility of
the result of a natural, fossilized intelligence alone. animals in the processes of instauration of forms;
Souriau considers fundamental also the sensibility but he also takes on again two reductionistic ways
that underlines the gestures and work: of understanding animal sensibility: First, the
reduction of animal sensibility for aesthetic fea-
It is enough to say that the insect is sensitive to tures to a pure receptiveness functional to repro-
good form, the more or less good outcome of its duction and survival8; Second, the anthropomor-
work. We still do not know if such sensitivity is phisation of the animal sensibility or the zoomor-
carried out with the vision, the sense of touch and phisation of human taste.
movement, or with a little of all the senses togeth-
Souriau defines the aesthetic feeling very
er. But Plato’s Demiurge (such a reference is not
broadly as a form of sensibility towards the quali-
surprising: the Timaeus represents the metaphys-
tative evaluation of certain features characteristic
ics of the potter’s art), the Demiurge does not give
a spherical shape to his artwork «without imple-
of species as simple hints of fitness (e.g., the blue
menting a divine model». In our insect’s hereditary pigmentation of the Lophorina niedda’s plum-
program of action there is implicit, in one way or age), or constitutive of the production of animal
another, a model. (Souriau [1965]: 74) artifacts (e.g., the craftmanship of the Ptilono-
rhynchidae bird). The problem with this definition
Souriau defines this sensibility «aesthetic». The is, however, how to correctly establish the corre-
aesthetic sensibility is, on the one hand, an intui- lation between the form of sensibility involved in
tive appreciation of the «good/beautiful form» the aesthetic appreciation of animals and humans,
and, on the other, an evaluation of the outcome focusing on the way in which animals relate to
of the work, in accordance with a certain model their sensibility in such appreciations. The ques-
of perfection (Souriau [1974]: 76). According to tion addressed by Souriau is double: How we
what we have already seen, the aesthetic sensibil- understand animal sensibility without, on the one
ity is the «deepest aspect of life itself» that is pre- hand, falling back on an anthropomorphism that
sent in the whole of biological nature, while it is sees in animals the same sensibility of humans;
its participation in the form that is instaurated in and, on the other, establishing a form of zoomor-
an environmental awareness. phism that degrades also the aesthetic sensibility
in humans as functional to reproduction, adapt-
ability, etc.
3. AESTHETIC SENSIBILITY AND THE FORM IN Souriau’s answer to the first issue concentrates
THE BIOLOGICAL on the fact that sensibility has to be conceived in
The reference to an artistic sense immediately
8 Thistopic was already introduced – although only hypo-
gives question about the origins of a specifically
thetically – by Darwin (1871: 99).
Souriau’s Animal Aesthetics In Context: Nature, Sensibility, and Form 23

the form of an intentional taking part in every light the symbolic relevance of this relationship10.
step of the aesthetic performance. Does the animal «Here, the aesthetic character is devoured, so to
experience the movements involved in an «artistic speak, by the intelligible value of the symbol it
performance» (e.g., a reproductive ritual) in the is carried with. The meaning dominates over the
same way as humans experience the intentionally movement’s formal qualities» (Souriau [1965]:
artistic movements of an athlete or actor? Souriau 46-48). Souriau, then, refers to artistic sensibility
underscores that, in the animal which executes the in these symbolic terms to avoid an error com-
movements as well as in the case of similar move- mon to ethology and animal cognitivism. Both
ments by humans, we find an «affective control» tend to attribute all animal behavior to pure
or guidance over such gestures, and therefore, communicative functions. It is correct to affirm
there is a control that «is rooted in feelings». Sou- that the birds’ song has a specific function in
riau’s distinction between an emissive and a recep- the life of these animals: it signals the territory
tive sensibility is crucial here. The emissive sensi- that belongs to a certain community, communi-
bility is dominant in the execution of the move- cates sexual attraction, danger, etc. But his com-
ments of the artistic performance9. By contrast, munity of birds that lives in a certain portion of
the receptive sensibility is involved in the sensible the environment, is not only performing a com-
reception of the movement and, more importantly, municative behavior, but is rather «listening to
its aesthetic impact. The two aspects of sensibil- itself» and, by that means, it «acquires a sort of
ity work in conjunction. Even when the animal is collective awareness of itself as a community in
performing a movement, the receptive sensibility a situation» (Souriau [1965]: 56). The individual
is present, guiding the execution according to the bird is listening to her own performance and, at
aesthetic desired impact not only on other speci- the same time, she brings together the collec-
mens, but also on the very same specimen per- tive performance that acquires an artistic sense
forming the gesture (Souriau [1965]: 49f; see Maz- in the choral participation. Human rituals imply
zocut-Mis [2003]: 122f). a similar collective sharing. The collective per-
By defining the sensibility in such terms, Sou- formance is in both cases not a pure mechanical
riau calls attention to the fact that, if aesthetic sen- repetition of sounds. Nor is it mere communica-
sibility in animals implies feelings, it also requires tion: as a symbolic behaviour, the performance
a controlled/controlling intentionality of move- fully uses its aesthetic features for elevating the
ments, but even more, a form of collective expe- community in a ritual. The individual birds
rience of the whole performance. And that is in put into action their own «aesthetic potentiali-
addition to its sexual character, the scope of show- ties» that are now connected to corresponding
ing dominance, etc. In other words, he stresses «feeling movements»: first, the «free impulse»
animal expressivity in addition to the expression bounded to «bodily enthusiasms»; second, the
of genetic characters (Souriau [1965]: 40). Moreo- feeling of rivalry experienced by the specimen
ver, expressivity in animal aesthetics is central to in the sharing of the performance with her com-
understanding aesthetic sensibility as such. petitors or the past generations (both pushing
In the first place, the description of the rela- towards an aesthetic ideal and the search of vari-
tionship between animal movements and arti- ations); finally, we find the excitement that the
facts (see the case of the multi-celled mud nests single bird receives from listening to her own
created by the hymenoptera Sceliphron spirifex singing with the others. In this sense, «the ener-
species) in terms of expressivity, hallows to high- getic persistence in singing may be sustained by
a feeling, however primitive, for the beauty (i.e.
9Souriau is not explicit on this point but we could think
of an emissive sensibility also in the case of the develop- 10For the hypothesis of an interspecific community based
ment and use of certain bodily features in animals. on similar conditions, see Skonieczny (2014: 101-102).
24 Maddalena Mazzocut-Mis, Andrea Scanziani

the unity in contrast of the sounds they are mak- of an environmental consciousness that is surely
ing)» (Hartshorne [1973]: 10; see Davies [2012]: transmitted genetically by becoming the collective
12-15). intelligence that comes from the deepest aspect of
All these aspects of animal sensibility show also their biological nature (Souriau [1965]: 83). The
that the aesthetic feeling is present where a spirit reference to the animal’s situated experience as the
of ostentation is present. The recognition of such horizon of possible interaction with the Others,
a feeling of ostentation is needed to make sense shows how the relationship between the organ-
of the natural phenomena. In fact, this feeling is a isms and their environments is more than merely
privileged form of aesthetic sensibility as explained «causal or mechanistic» (Toadvine [2007]: 42).
above. Ostentation in the animal kingdom presup- Rather, it is the recognition that the relationship
poses the specimen’s self-awareness of its own aes- between animals and creations is the establish-
thetic appearance (for example, the disposition of ment of a «relationship which generates mean-
the plumage for a peacock) and the awareness, in ing» with the piece of environment they share
the form of an as-if, of the foreseen effect it will with other animals (Souriau [1965]: 96; Toadvine
exert over the other birds. Here, aesthetic sensi- [2007]: 41). By means of the reference to the insti-
bility shows a double aspect: the specimen is not tution of the meaning relationship, the symbolic
insensitive towards her own aesthetic appearance – aspect of the instauration of forms is indicated.
all other specimens are also not insensitive to the The animal sends a message with the construction
latter – and through such sensibility there emerges of a furnished «garden» that calls for other birds
a form of affective discernment that is called by to join in with the collective ritual; but the mes-
Souriau «a certain picturesque consciousness of sage has a symbolic aspect also in the response by
herself» (Souriau [1965]: 65). the female to the «call». The message is not imme-
In its very nature, we can now affirm, animal diately the communication of a biological necessi-
sensibility is essentially about how things are done ty, but is an invitation to a performance they must
and must be done (Souriau [1965]: 74). The wasp put in action. The latter is not the necessity of the
doesn’t know anything about why the nest has to survival of the species which, for itself, would not
be made in a certain way; still, she follows certain need any show, any performance, any artifact, but
criteria that are implicit in the materials she uses, a different type of necessity.
the environmental rules that force her to do things
in a certain way and in accordance with to her
own organs. Hence, the animal work shows a sen- CONCLUSION
sibility for the materiality with its implicit «affor-
To sum up, from Souriau’s reflections on animal
dances», that are assumed by the animal – similar-
aesthetics, an important topic emerges: in biologi-
ly to the work of the artisan – as suggestion which
cal life we find the necessity of aesthetic manifesta-
force paths for the realization of the cells (Forma-
tions that are, at every level, implicit in the exist-
ggio [1953]: 346f).
ence itself of the Biological as a realm of sensible
In light of what has been said, it is now clear
Beings. However, Souriau’s thesis does not simply
how animal artistry is an instauration of forms.
affirm the intrinsically aesthetic essence of biologi-
The latter are more than external design. The form
cal nature. By stressing how the artistic and aes-
is interpreted by Souriau as the «universal idea»
thetic characters of biological life cannot represent
which every animal (and also plant) is always
some sort of «surprising» and «astonishing» opera-
part of and virtually aware of. In this case, every
tions performed by nature, but rather that «they are
termite is immersed in the situation, i.e., in that
essentially rooted in organic life, in which the aes-
special environment which represents the piece
thetic fact was already present», Souriau is criticiz-
of the whole mound that is a fragile instauration
ing the idea that everything artistic and aesthetic is
of a form. Every termite is aware of it in the form
Souriau’s Animal Aesthetics In Context: Nature, Sensibility, and Form 25

a surplus in life, something which is added purpo- process of art learning in the human. If we do not
sively (Souriau [1965]: 26). Arguably, the idea that reduce art to genius art alone, we find the elevating
the aesthetic sense (e.g., the sense of beauty) arises value of artistic behaviour and aesthetic sensibility
in a context of utility wasn’t even present in Dar- that is not simple communication and reception of
win’s theory11. In this sense, Souriau’s aesthetics is a genetic message but a symbolic relationship with
independent of any uncritical positivism, a need an environment and a community.
that is felt even nowadays (Cfr. Lestel et. al. [2014]:
141-143; Welsch [2004], O’Hear [1997]).
In his own fashion, Souriau implicitly address- AUTHORS’ CONTRIBUTIONS
es different debates. But a question remains unan-
The authors confirm contribution to the paper
swered: How do we show the existence of the
as follows: study and conception: Mazzocut- Mis,
necessity of aesthetic manifestation in Human
Scanziani; draft manuscript preparation for Intro-
art without reducing it to pure «animal instinct»?
duction and Section 1: Mazzocut-Mis; draft manu-
Human Beings can understand «how “nature”
script preparation for Section 2, 3, and Conclusion:
works», especially when they «take the place» of
Scanziani. All authors reviewed the results and
nature to translate its mechanisms into art: not only
approved the final version of the manuscript.
when the artist imitates the style of nature, but even
more when humans understand the natural mecha-
nisms that are represented in art (e.g., the dynamic REFERENCES
of movements) and the biological laws determining
certain behaviours (Caillois [1960]: 14). But Sou- Brady, E., 2014: Aesthetic Value and Wild Animals,
riau stresses an even more striking point: «From a in Drenthen, M., Keulartz, J. (ed.), Environ-
certain viewpoint, man does not create anything. mental Aesthetics: Crossing Divides and Break-
Not even nature creates anything. The blossom- ing Ground, Fordham University Press, New
ing of the bud does not create the rose. All of its York, pp. 188-200. https://doi.org/10.3197/096
material and causal conditions were already there. 327119X15576762300703.
The form alone is new» (Souriau [1939]: 73-74). Caillois, R., 1964: The Mask of Medusa, C.N. Pot-
The concept of instauration reformulates the sense ter, New York.
of «creation» that encompasses life itself and the Carlson, A., 2003: Ten Steps in the Develop-
creativity and novelty reach, in continuum of time ment of Western Environmental Aesthetics, in
and matter, human art. In this way, we may accept Drenthen, M., Clayton, N., Bussey, T., Dick-
a «healthy» zoomorphism that makes it possible inson, A. (ed.), Can animals recall the past
to trace humans’ artistic inclinations back to the and plan for the future?, “Nature Reviews
original animal characters of humans. But that does Neuroscience” 4, pp. 685–691. https://doi.
not mean recognizing common features between org/10.1515/9780823254521-003.
humans and non-human animals. Rather, it means Conrad-Martius, E., 1916: Zur Ontologie und
recognizing behavioral features of biological life Erscheinungslehre der realen Außenwelt. Ver-
which are not excluded from certain realms in bunden mit einer Kritik positivistischer Theo-
favour of others, because such behavioral features rien, “Jahrbuch für Philosophie und phänome-
are common to all expressions of biological life that nologische Forschung” 3, pp. 345-542.
implies an artistic action functional to the emer- Conrad-Martius, E., 1934: Die „Seele” der Pflanze.
gence of «appearances». In this sense, looking at Biologisch-ontologische Betrachtungen, Frankes
the seagull’s movements helps us understanding the Verlag Otto Borgmeyer, Breslau.
Crist, E., 2000: Images of animals: Anthropomor-
Attention has already been drawn to this point by
11 phism and animal mind, Temple University
Welsch (2004). Press, Philadelphia.
26 Maddalena Mazzocut-Mis, Andrea Scanziani

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Étienne Souriau. La promozione anaforica e la

corrispondenza delle arti
Citation: R. Milani (2022). Étienne Sou-
riau. La promozione anaforica e la
corrispondenza delle arti. Aisthe- The prioritization of anaphora and the affinities among the arts
sis 15(2): 29-35. doi: 10.36253/Aisthe-
sis-13927

Copyright: © 2022 R. Milani. This is an Raffaele Milani

open access, peer-reviewed article
published by Firenze University Press University of Bologna
(http://www.fupress.com/aisthesis) and [email protected]
distributed under the terms of the Cre-
ative Commons Attribution License,
which permits unrestricted use, distri- Abstract. In the face of the most recent developments in digital and visual art, the
bution, and reproduction in any medi- Internet, the latest frontiers and currents, the new languages and technologies, Sou-
um, provided the original author and riau’s schema does not work, but his reflections on the aesthetic notions of instauration
source are credited. and skeuopoetics do, and they pertain both to classical painting and to future perspec-
tives. In fact, we note strong connections with research that the philosopher had had
Data Availability Statement: All rel-
conducted on feelings, relations, forms, and processes, in terms of synaesthesia and
evant data are within the paper and its
Supporting Information files.
structural correspondences. On the basis of his thinking, we can still argue the impor-
tance of these concepts and these relations as they relate to physical and phenomenal
Competing Interests: The authors existence, to materiality and transcendence: a conceptual and imaginative universal
have declared that no competing inter- that is considered to be eternal. Art is seen as the producer of things capable of per-
ests exist. forming actions that are purely physical. He makes this claim because these actions
expressly and intentionally create things whose existence is their sole purpose.

Keywords: Aesthetics, Comparativistics, Philosophy, Poetics, Form.

“Non è qui, dopo tutto, il destino del sen-

sibile quando si riduce al solo visibile?”
(Mikel Dufrenne, Le Cap Ferrat)

Come evidenziato da Maryvonne Saison nello scritto qui pre-

sente, l’estetica e il pensiero di Étienne Souriau vanno collocati tra le
posizioni di Charles Lalo e Raymond Bayer1, da un lato, e le osser-
vazioni di Mikel Dufrenne dall’altro, ovvero tra coloro che possono
essere considerati i maestri di Souriau e colui che, in un certo senso,
ne è l’allievo più famoso.

1 I quali, tra l’altro, nel 1948 recensirono La Correspondance des arts sul
Journal de Psychologie e sulla Revue d’Esthétique.

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 29-35, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13927
30 Raffaele Milani

Nella formazione di Souriau scorgiamo un’in- ritrovarla nel principio di divisione delle arti, tra
teressante messa in scena filosofica, ispirata alle immanenza e trascendenza, che verrà definito,
teorie di E. Hennequin, Felix Ravaisson, Jean- negli anni novanta del secolo scorso, da Gérard
Marie Guyau, Eugéne Veron, Gabriel Séailles, Vic- Genette (1994). Senza dimenticare che la sua
tor Basch, Matila Ghika, Alain (Émile Auguste influenza traspare in critici d’eccezione come Oli-
Chartier), Gaston Bachelard, senza dimenticare lo vier Revault d’Allonnes e Gilbert Lascault. Paral-
studio sulla «bellezza razionale» nelle opere di suo lelamente a Souriau, studioso coltissimo nei vari
padre Paul. E questo fa Maryvonne Saison, muo- campi del sapere compreso quello matematico,
vendo attorno a un tema fondamentale dell’esteti- si pone la teoria estetica di Pierre Guastalla con
ca e della filosofia, la contemplazione, analizzando la sua attenzione alle tecniche. Aspetti di questo
proprio un testo di Souriau del 1961. Il fatto poi insegnamento, dove l’estetica vuole configurar-
che Bruno Latour abbia rivisitato, anni fa, con Isa- si come una scienza, non saranno dimenticati,
belle Stengers, la nozione di instaurazione (Latour in Italia, da Dino Formaggio, Guido Morpurgo
[2009]) e che vi ritorni anche in anni successivi, Tagliabue, Gillo Dorfles; un primo ritratto, defi-
accentua l’interesse per la visione del mondo uma- nito e pieno, lo farà Elio Franzini nel suo Estetica
no posto da Souriau. Nella prospettiva del filoso- francese del Novecento (1984). Interesse che prose-
fo francese possiamo osservare il rapporto tra l’e- gue in Italia con varie traduzioni e commenti3. Lo
sistenza di un’opera dell’arte e quella di un essere spirito che anima i processi instaurativi arpeggia
vivente, tra il valore di un atomo e quello della lumi diversi sui linguaggi del teatro e del cinema,
solidarietà, partendo da un brano di musica, da del disegno industriale e delle improvvisazioni
un atto d’amore, da un segno espressivo-rappre- artistiche, della pittura e della grafica ornamenta-
sentativo, da un atto della vita comune. In questo le, della musica, fino a quella atonale, e dell’archi-
senso Souriau viene visto difendere, come Wil- tettura, della scultura e della scrittura creativa con
liam James o Gilles Deleuze, la tesi del pluralismo testi incrociati sulle forme e sui materiali. Singo-
esistenziale, fornendo l’immagine di un’esistenza lare la sua riflessione sulla rete sensoriale, dalla
polifonica di cui è appunto pregno il mondo intero vista all’udito, dal tatto all’odorato: su quest’ultimo
per intrecciate risonanze, dall’ordinario al virtuale. troviamo ancora spunti di grande interesse nella
Stati di vita fugace, transitoria, reale o immagina- prefazione a Edmond Roudnistka, L’esthétique en
ria modellano, in questa prospettiva, «intermondi» question: introduction à une esthétique de l’odorat
di una grammatica di presenze, là dove ci doman- (1977), e già a metà degli anni Trenta Souriau ave-
diamo: quali gamme d’esistenza siamo capaci di va evidenziato l’importanza del caso e dell’azione
attivare? Un’attenzione estetica originale che ritro- nell’arte. Le osservazioni sull’estetica sperimentale,
viamo recentemente esposta nella rilettura fatta da insieme all’attenzione verso la specificità, cioè ai
Dominique Chateau (2017) in un numero mono- qualia, elementi caratterizzanti di ogni arte nello
grafico della Nouvelle Revue d’Esthétique, ricco di spettro totalmente innovativo che Souriau ha ela-
contributi su varie prospettive2. borato nella Correspondance des arts, forniscono
La teoria cosmologica di Souriau, estranea ulteriori strumenti di comprensione della com-
all’antropocentrismo come al logocentrismo, vici- plessa struttura del suo pensiero. Nell’elogio che
na apparentemente alla fenomenologia, ma radi- Dufrenne fa di Souriau nel 1980, compendian-
cata nell’ultimo razionalismo post-cartesiano, è un
punto nodale dell’estetica francese del Novecento 3 E. Souriau, La corrispondenza delle arti, a cura di R.
e sarà ripresa da René Passeron con l’elaborazio- Milani, Alinea, Firenze 1988; Id., Il senso artistico degli
ne del significato di poietica, ma possiamo anche animali, Mimesis, Milano-Udine 2002; Id., I grandi pro-
blemi dell’estetica teatrale, a cura di C. Cappelletto Mime-
sis, Milano-Udine 2015; Id., I differenti modi d’esistenza e
2Questo numero è stato preceduto dalla fondamentale altri testi sull’ontologia dell’arte, a cura di F. Domenicali,
raccolta di testi di Souriau (1980). Mimesis, Milano-Udine 2017.
Étienne Souriau. La promozione anaforica e la corrispondenza delle arti 31

do il suo pensiero alla luce soprattutto degli ulti- razione e promozione anaforica, là dove notava
mi libri, si sostiene la validità di una fondazione che il filosofo francese, sin da L’Avenir de l’esthéti-
estetica della prospettiva morale enunciata dal que (1929), stava teorizzando la nascita simulta-
filosofo francese. Facendo ruotare, in questo ten- nea dell’oggetto appreso cosmologicamente e allo
tativo di lettura, la formula della natura naturans stesso tempo del soggetto che riflette sulla propria
natura naturata al fine di promuovere la vita arti- esperienza (Franzini [1984]: 259-260). Franzini
stica, la vita che da estetica si fa artistica, notan- palesa tutta la forza e l’enigmaticità dell’arte come
do come lo spirito dell’arte si diffonde nella vita, fare e del fare come arte al cui centro si trova la
ci troviamo davanti a un modo di rivedere la ragione della forma come processo, movimento,
nozione di instaurazione sul piano dell’esperienza, causa-effetto: essa si fa promozione d’esistenza,
di un costruirsi della natura stessa in un proget- costruzione di forme in passi successivi di per-
to appunto poietico. L’instaurazione, infatti, con- fezionamento e compimento, percorso sensibi-
cerne quei processi che concorrono a porre un le d’atti conoscitivi, lungo stadi d’esistenza cosale
essere in un’incontestabile presenza, consistenza e in continuo accrescimento conoscitivo. In L’ave-
autonomia d’esistenza, non per un’autorità o idea nir de l’esthétique (1929), come in Les différents
superiore. L’instaurazione prende così il posto del- modes d’existence (1945), Souriau ricerca la verità
la creazione e dell’invenzione, ma nel senso che del pensiero che non si astrae dalla vita, ma vi si
le ingloba per un’interna coerenza operativa, atti- immerge, secondo le procedure del patefit, cioè
vando i materiali che contengono anche le espe- secondo un’evidenza che costituisce originaria-
rienze vissute, le percezioni, i sentimenti, i sogni. mente l’esperienza modellando sensibilità, forme e
In base a ciò è necessario prendere in esame un materie. Patefit è una parola latina che significa «è
punto di capitale importanza, un punto, se con- manifesto», espressione utile alla critica del cogito,
giunto al momento skeuopoietico, non veramen- sta per «vi è del pensiero», a condizione appun-
te messo in luce dagli interpreti di Souriau, come to di non includervi una concezione del pensiero
Lucie de Vitry Maubrey o Ngo Tieng-Hien: il fatto distinto da ogni altro genere di realtà. «C’è qualche
che l’instaurazione, pur differenziandosi dall’ana- cosa» esprimerebbe poi l’essenziale dell’esperienza
fora, comporti di fatto una promozione anaforica, aggiungendo la possibilità di discernere secondo
cioè una promozione di atti originariamente rei- un’ampia gradualità di presenza. Si può aggiungere
terativi che si esercitano per sé, autonomamente, che con l’espressione «c’è del fenomeno» si mani-
intrinsecamente, facendosi agenti dell’opera stessa, festi la forma come promozione anaforica, stru-
esistenza via via distinta da quella del suo instau- mento e atto per mezzo del quale il dato riceve un
ratore. L’instaurazione prende vita, infatti, con la grado superiore di chiarezza. Ogni forma, seppur
promozione anaforica, in un ricorso continuo di concettualmente identificata è, dice in sintesi Sou-
atti estetico creativi e operativi che s’avvolgono riau, singolare in quanto «legge» di un atto singo-
e si evolvono nel corso del tempo e della storia, lare, e allo stesso tempo universale e vera nell’arte
perché in sostanza «non c’è arte senza arte» (Sou- attraverso il lavoro, l’operare, mirando a rivelare,
riau [1988]: 348). L’instaurazione e la promozione sperimentandola, la verità intrinseca prodotta dal-
anaforica sono evocate frequentemente nei testi la dialettica dell’azione instaurativa. In un passag-
di Souriau e fanno sistema costituendo la trama gio perpetuo dal virtuale al cosale e al reale l’arte
dell’arte in generale, prima e dopo le sue dirama- si fa realizzazione non di un essere indistinto, ma
zioni e specializzazioni, le sue espressioni spiri- dell’essere che diviene opera concreta, immergen-
tuali, materiali e sensibili. In vista di un’ontologia dosi, l’instaurazione, nel suo stesso darsi forma.
dell’esistenza, come del tonus affectif delle catego- Ma dicevamo della relazione tra promozione
rie estetiche coinvolte così si muove la potenza anaforica e azione skeoupoietica, relazione poco
della forma nell’interpretazione di Souriau. Elio messa in luce dai critici; l’elemento skeuopoietico
Franzini aveva già individuato il ponte tra instau- viene visto in tutta l’operatività estesa delle arti.
32 Raffaele Milani

Nell’antichità, con skeué Tucidide (2005: 559) vuo- osservando come varie componenti della natura
le indicare “equipaggiamento”, “armatura”. Con comunichino tra loro secondo un pleroma (come
skeuopoiòs, Aristotele, nella Poetica (2010: 26), avrebbe detto Souriau) di narrazioni, un insieme
indica il fabbricante di maschere. Con skeuastòs strutturato di viventi che recitano la loro parte,
Platone, Repubblica (1971) e Aristotele, Metafisi- in corrispondenza del pleroma delle opere d’ar-
ca (1973: 125), si riferiscono al preparato, al fab- te o delle filosofie. Entità non umane in relazione
bricato. L’arte del vasaio, da vari riferimenti, è poi reciproca tra loro erano dunque già analizzate dal
chiamata skeuoplasìa, e skeuopoiéo vuole indica- filosofo francese nel quadro di un’arte biologica e
re, in Plutarco (1996: 262), il fabbricare ad arte. viste anche indipendentemente dall’umano rappre-
Tutto ciò è legato anche all’architektonikòs, all’ar- sentare sviluppando diverse ontologie, al di fuo-
chitettonico. Platone nel Politico (1975: 270), fa ri delle categorie culturali nella caratterizzazione
riferimento in particolare al lavoro dell’architetto. antropologica. Annotiamo dunque una condivisio-
L’elemento skeoupoietico viene esteso a tutte le atti- ne del mondo comune a tutti gli esseri, un proce-
vità e s’innesta con la promozione anaforica. È un dere in accordo o in disaccordo con gli altri in un
modellare che fa trascendere il dato. continuo divenire. Suoni, colori, volumi, parole,
Come ripete nell’ultimo capitolo della Cor- movimenti, emozioni, contenuti psicologici o idee
rispondenza delle arti, intitolato Trascendenze astratte, timbri e toni, l’impiego del basso o della
(Souriau [1988]: 341-348), (la qual cosa fa capire sommità nella musica come nella poesia, espo-
l’opportunità di precisare il senso della contem- nendosi in opere presentative o rappresentative,
plazione nella filosofia del filosofo francese), Sou- offrono un panorama sinestetico atto a compren-
riau dichiara che l’arte, nelle azioni che attiva qua- dere sia le arti e le tecniche tradizionali che le pro-
le complesso insieme di compiti dell’umanità in duzioni dell’avanguardia e del design industriale,
cammino, mira sempre a favorire un mondo, sia meditando la scala d’interpretazioni possibili nel-
che abbia la durata di un istante o sia compresa la trama esecutiva. L’arte in genere si fa arte della
nel disegno di una vasta cosmologia non importa, vita permanente nella sua aseità, affinchè la realtà
perché essa pone fondamentalmente una natura conviva con la verità. Noi coscientemente esistia-
nuova che si autolegittima nell’immaginare e pro- mo in presenza e allo stesso tempo testimonia-
durre varie creature, manifestando appunto, in tale mo come perenni artefici di un’autolegittimazione
manifestazione, lo sforzo per condurre il dato ver- del corso dell’arte indipendentemente da chi l’ha
so il compimento di una presenza piena, verso la costruito: da un lato le opere dell’arte hanno un
concretezza della cosiddetta «patuité», (dal latino corpo unico e definitivo (come l’architettura, la
patere, essere disponibile) nella quale si esplicita pittura e la scultura) mentre altre hanno invece un
appunto l’arte, vale a dire un essere empaticamen- corpo multiplo e provvisorio (come la musica o la
te aperto, accessibile, operoso4. L’interesse cosmo- scrittura creativa). Perché nell’arte c’è un segreto
logico si muove verso tutti i domini della natura, della realtà al suo culmine: «non c’è instaurazione
dal regno animale a quello vegetale, in un accogli- estetica senza una condiscendenza ispirata a nor-
mento di ciò che oggi si chiamerebbe un’estetica me universali di armonia, nobiltà e pienezza. Non
di tutti gli esseri viventi. Si pensi, a questo propo- c’è accesso all’esistenza sublime senza una giusta
sito, ai natural writers o ai natural thinkers, all’E- risposta alle domande e senza un compimento
voluzione della bellezza di Richard Prum (2020) o totale delle sue condizioni» (Souriau [1988]: 348).
all’Assemblea degli animali di Filelfo (2021), fino Avvertiamo cenni importanti dell’arte-fabbrica-
alle Corrispondenze di Tim Ingold (2022) dove zione in L’avenir de l’esthétique ritrovandoli piena-
le pietre «pietreggiano» e gli alberi «alberano», mente rielaborati, e definitivamente riassunti, in
Clef de l’esthétique (1970). Quindi l’arte è filosofia
in atto, e la filosofia, senza distinzione tra theo-
4Su questo si vedano Souriau (1938): 13; Id. (1939): 6 e
10; Id. (1955): 97.
rein, poiein e prattein, un’arte, come si evince chia-
Étienne Souriau. La promozione anaforica e la corrispondenza delle arti 33

ramente in L’instauration philosophique (Souriau goritmo musicale, (revisione aggiornata del nume-
[1939]: 67). In sostanza, come sempre sostiene ro aureo che fa pensare a una vicinanza con le
Souriau, ogni filosofia, come ogni arte, deve esse- posizioni recenti dei neuroscienziati che vogliono
re instaurativa per giochi d’interne corrispondenze trovare una notazione cerebrale nel valore del-
strutturali. Ciò che pare interessante, rileva Alessia la bellezza) che risulterebbe congeniale a questo
Bodini (Bodini [2002]: 9-10), è il fatto che le arti, approccio. Ma anche qui sarebbe una teoria trop-
nel loro processo di perfezionamento-realizzazio- po assertiva e poco problematica. Davanti a que-
ne, vengono registrate e valorizzate rispetto ai loro sti due punti della contemplazione e della scienza,
qualia e al loro grado di difettosità o incompletez- dobbiamo elevare Souriau alla dignità del mino-
za. Oggetti o sistemi di rappresentazione non si re. Georges Bataille, Jean- Paul Sartre. Emmanuel
trasformano in macchine, o copie delle cose, ma Lévinas, Maurice Merleau Ponty, Roger Caillois,
sono corpo estesissimo dell’arte vivente in un’am- Paul Ricoeur, Roland Barthes, Gilles Deleuze,
pia gamma di possibilità. Michel Foucault, Jacques Derrida, Gérard Genet-
Qual’è la posizione del soggetto rispetto all’og- te, e lo stesso Mikel Dufrenne erano i miti degli
getto? Souriau critica Dufrenne per aver dato anni Sessanta e Settanta e oltre per gli studiosi,
priorità all’estetica dello spettatore e non invece soprattutto per i giovani. Dignità del minore, per-
alla creazione artistica, cioè all’attività instaura- ché sebbene l’estetica comparata sia un piano inte-
tiva, privilegiando la posizione del guardare, non ressantissimo di fronte agli sconfinamenti creativi
del fare, non della facoltà inventiva. Sembrereb- delle arti nei confronti dei sistemi che vogliono
be in tal senso non dare nemmeno valore all’in- contenerle da più di un secolo e sia congeniale
terprete nell’esecuzione, mirando a una specie di anche al parallelismo tra le arti tradizionali e le
assolutismo, ma non è proprio così, come sappia- avanguardie, ci è difficile partecipare alla sua tesi
mo: il senso della ricezione e della percezione ha circa «l’enigma dell’arte» là dove Souriau sostie-
uno spettro di comprensione molto complesso in ne che la sola risposta è quella dei capolavori, «di
Dufrenne. Comunque sia, la discussione tra con- tutto ciò che ha saputo vincere, di tutto ciò che
templazione passiva e contemplazione attiva è abita autenticamente questi luoghi sacri dove nes-
ben presente nei discorsi di Rosario Assunto ed suno accederà mai senza il profetico desiderio di
io stesso ho trattato della contemplazione in sen- giungervi» (Souriau [1988]: 348). Perché, così si
so sperimentale, attivo, volto alla cura e alla par- prospetta un ritorno metafisico, e allora cosa ne
tecipazione raccogliendo istanze provenienti dalla facciamo della promozione anaforica, dell’instau-
fenomenologia. La Saison ha colto il punto crucia- razione, della skeuopoietica che riuscivano a riflet-
le al di là del sistema delle arti diviso da Souriau tere l’universo instabile delle arti nelle loro inquie-
in base ai qualia e alle arti presentative (arabe- tudini evolutive? E allo stesso tempo perché, con
sco, pittura pura, architettura, giochi di luce dan- queste letture proporre un nuovo sistema delle arti
za prosodia e musica) e rappresentative (disegno a pianta circolare, racchiuso imbrigliando l’arte
scultura pittura cinema pantomima, letteratura tutta e non restituendola alla libertà e infine per-
poesia, musica descrittiva), un aggiornamento ché ancora riprendere come formula scientifica
dell’antico sistema delle arti della fine degli anni l’algoritmo musicale per un approccio scientifico
Quaranta del Novecento, come tale già supera- sistematico? Rimane questo dubbio nonostante l’e-
to dagli eventi dell’arte, come tale fuori tempo e logio che certamente possiamo fare al suo immen-
necessità. L’idea di un transfert del Rinascimento so sforzo teoretico. L’aveva avanzato, questo dub-
è importante, sostanziale, come quella di una teo- bio, lo stesso Lalo quando diceva che l’ispirazione
logia laica che vi si può applicare, come distingue instaurativa dell’artista è il tipo della rivelazione
la Saison. metafisica delle realtà assolute (Lalo [1952]: 19).
Inoltre, accanto alla critica della contempla- Di fronte ai risultati più recenti dell’arte digi-
zione, c’è la posizione scientifica. Il lavoro sull’al- tale e virtuale, del NET, delle più recenti frontiere
34 Raffaele Milani

e correnti, dei nuovi linguaggi e delle nuove tec- Chateau, D., 2017: Étienne Souriau : une ontologie
nologie, lo schema di Souriau non funziona, ma singulière, “Nouvelle revue d’esthétique”, 19 (1),
la riflessione instaurativa e skeoupoietica invece pp. 33-41.
sì, sia retrospettivamente rispetto ai classici della Domenicali, F., (ed.), 2017: I differenti modi di
pittura, che prospetticamente. Vi notiamo infatti esistenza e altri testi sull’ontologia dell’arte,
fortissime vicinanze con la ricerca che il filosofo Mimesis, Milano-Udine.
aveva messo in campo nell’ambito delle emozioni, Filelfo, 2021: Assemblea degli animali, Einaudi,
delle risonanze, delle forme, dei procedimenti tra Torino.
l’ambito sinestetico e quello delle corrisponden- Franzini, E., 1984: Estetica francese del Novecento.
ze strutturali. Proprio muovendo dal suo pensie- Analisi delle teorie, Unicopli, Milano.
ro possiamo ancora dire della centralità di queste Genette, G. 1994: L’Oeuvre d’art. Immanence et
figure e di queste relazioni passando dall’esistenza trascendance, Seuil, Paris.
fisica a quella fenomenica, poi cosale e trascen- Ingold, T., 2022: Corrispondenze, Cortina, Milano.
dente: un universale del progetto e dell’imma- Lalo, C., 1952: Avant propos, in AA.VV, Mélanges
ginario giudicato eterno. L’arte viene vista come d’esthétique et de science de l’art offerts a Éti-
fabbricatrice di esseri suscettibili di esercitare enne Souriau, Librairie Nizet, Paris.
un’azione per il solo aspetto sensibile. Lo afferma Latour, B., 2009: Du mode de l’existence de l’oeuvre
perché queste attività sono espressamente e inten- d’art, in E. Souriau, Les différents modes de
zionalmente creatrici di cose la cui esistenza è il l’existence, Puf, Paris.
loro fine. Il vasaio vuole l’esistenza di una dozzina Platone 1973: Repubblica, in Id., Opere complete, a
di vasi comuni, il ceramista greco quella dell’an- cura di F. Sartori, Laterza, Roma-Bari.
fora di Canosa, Dante quella della Divina Com- Platone 1975: Politico, in Id., Opere complete, vol.
media, Wagner della Tetralogia. E così via fino ad 2, a cura di A. Zadro, Laterza, Roma-Bari.
oggi, alle proiezioni di un cambiamento naturale Plutarco 1996: Marcello, in Id., Vite, vol. 4, a cura
nel Metaverso prodotto dall’intelligenza artificia- di D. Magnino, UTET, Torino.
le. Con la riserva però, di indicare la giusta strada Prum, R.O., 2020: L’evoluzione della bellezza, Adel-
tra le non cose al fine di non cadere in un mon- phi, Milano.
do postumano. Infine, possiamo dire che proprio Roudnistka, E., 1977: L’esthétique en question: intro-
qui ritroviamo l’insegnamento di Souriau e la sua duction à une esthétique de l’odorat, PUF, Paris.
aspirazione alla verità, per non annullarci nella Souriau, E., 1929: L’avenir de l’esthétique, PUF, Par-
società dell’informazione e nei giochi del «like» is.
con la conseguente perdita dell’empatia, fonda- Souriau, E., 1938: Avoir une âme. Essais sur les
mentale nella dimensione estetico-artistica. existences virtuelles, Société d’Édition Les
Belles Lettres, Paris.
Souriau, E., 1939: L’Instauration philosophique,
BIBLIOGRAFIA Alcan, Paris.
Souriau, E., 1945: Les différents modes d’existence,
Aristotele 1973: Metafisica, in Id., Opere, vol. 6, a
PUF, Paris.
cura di A. Russo, Laterza, Roma-Bari.
Souriau, E., 1955: L’ombre de Dieu, PUF, Paris.
Aristotele 2010: Dell’arte poetica, a cura di C. Gal-
Souriau, E., 1970: Clefs pour l’esthétique, PUF, Par-
lavotti, Fondazione Lorenzo Valla, Mondadori,
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Bodini, A., 2002: Étienne Souriau: un percorso tra
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Étienne Souriau. La promozione anaforica e la corrispondenza delle arti 35

Souriau, E., 2002, Il senso artistico degli animali, a

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Souriau, E., 2015, I grandi problemi dell’estetica
teatrale, a cura di C. Cappelletto, Mimesis,
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Tucidide 2005: Le storie, vol. 1, a cura di G. Doni-
ni, UTET, Torino.
Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

Souriau, Dufrenne et la notion de contemplation

Citation: M. Saison (2022). Souriau, Souriau, Dufrenne and the notion of contemplation
Dufrenne et la notion de contem-
plation. Aisthesis 15(2): 37-48. doi:
10.36253/Aisthesis-13922
Maryvonne Saison
Copyright: © 2022 M. Saison. This is an
open access, peer-reviewed article University Paris Nanterre
published by Firenze University Press [email protected]
(http://www.fupress.com/aisthesis) and
distributed under the terms of the Cre-
ative Commons Attribution License, Abstract. En 1961, un article de Souriau relevant une difficulté signalée en 1953
which permits unrestricted use, distri- par Dufrenne porte sur la juste part à accorder à la contemplation dans la relation à
bution, and reproduction in any medi- l’art. La zone d’ombre concernant la relation humaine et intellectuelle entre les deux
um, provided the original author and hommes fera l’objet d’un premier examen. L’hypothèse souralienne d’une transmuta-
source are credited. tion de conceptions théologiques dans le domaine de l’art sera ensuite examinée par
rapport à Dufrenne sans évacuer la question de sa pertinence par rapport aux études
Data Availability Statement: All rel-
evant data are within the paper and its
phénoménologiques ultérieures. La question de la relation à l’art, telle que Souriau l’en-
Supporting Information files. visage ressurgira dans sa pleine actualité jusque dans le face à face avec les œuvres.

Competing Interests: The authors Keywords: Souriau, Dufrenne, Contemplation, Activité, Passivité.
have declared that no competing inter-
ests exist.

1. UN ÉTONNEMENT INITIAL

En 1961, Etienne Souriau a déjà publié une grande partie de ses

œuvres majeures. Sa position institutionnelle est indiscutable : à un
an de la retraite, il détient depuis 1945 la chaire d’esthétique de la
Sorbonne. On s’est souvent interrogé sur une éventuelle partition de
ses préoccupations entre la philosophie et l’esthétique  : la question
est discutée, même si la réponse s’oriente souvent vers la conclusion
d’une continuité entre les deux versants de l’œuvre. Sans donner des
éléments suffisants pour alimenter une réflexion nouvelle sur cette
question, un texte de 1961 semble montrer à quel point les préoccu-
pations philosophiques et esthétiques sont liées dans sa pensée: sous
la rubrique «Esthétique», il intitule «La part de la contemplation»
une réflexion initiée par la lecture de La phénoménologie de l’expé-
rience esthétique de Mikel Dufrenne, et assied une critique des esthé-
tiques centrées sur la contemplation sur une importation de «l’idée
philosophique de contemplation» comme mode de connaissance et
d’existence (Souriau [1961]: 180).
Ce texte témoigne de traits souvent signalés de sa personnali-
té: sa culture, sa curiosité et ses capacités d’intérêt bienveillant mais

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 37-48, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13922
38 Maryvonne Saison

perspicace envers les publications de la généra- encore préoccuper Souriau qui considérait simple-
tion de ceux qui lui succèderont1. On y retrouve ment que Dufrenne se trouvait «en opposition par
d’emblée les préoccupations majeures de son rapport à l’évolution la plus récente de l’esthétique»
auteur, puisque ce qui se présente comme un dia- lorsqu’il réactualisait une position platonicienne
logue avec Dufrenne est centré sur le fait que l’art et traditionnelle en se centrant sur l’expérience du
implique une attitude active, l’un des thèmes phi- spectateur (Souriau [1953]: 432-433).
losophiques qui a caractérisé toute sa vie depuis Huit ans après, sa position semble avoir évo-
L’instauration philosophique en 1939. Selon l’au- lué, le texte de 1961 se focalise sur la contem-
teur de La phénoménologie de l’expérience esthé- plation et on peut se demander s’il ne craint pas
tique, rappelle Souriau, l’expérience esthétique a que Dufrenne soit en phase avec l’esthétique
pour objet l’œuvre d’art en tant qu’elle est perçue contemporaine, voire en dessine l’orientation
esthétiquement; une difficulté surgit, poursuit-il, future: le succès de La phénoménologie de l’ex-
signalée par Dufrenne lui-même, puisque celui-ci périence esthétique et le possible développement
lui accorde que «l’art est action» mais maintient de réflexions esthétiques dérivées de ce nouveau
qu’une théorie de l’objet esthétique «doit bien faire départ retiennent son attention plus que le travail
sa part à la contemplation» (Dufrenne [1953]: de Dufrenne.  C’est une orientation de l’esthétique
179). La question de «la part de la contemplation», qu’il entend contrer à partir d’un relevé des princi-
titre de l’article, est donc introduite à partir d’une paux sens philosophiques du terme contemplation
opposition entre l’activité (de l’artiste) et la passivi- à l’origine de la définition qui s’est imposée notam-
té (du récepteur qui contemple). ment dans le champ de l’art. L’examen philoso-
Depuis la publication de La phénoménologie phique de l’histoire de la notion de contemplation
de l’expérience esthétique en 1953, huit ans se sont vise à retrouver l’évolution ayant abouti à opposer
écoulés. Dans le rapport de soutenance de la thèse les états contemplatifs aux états actifs (Souriau
soutenue le 6 juin 19532, Souriau avait déjà esti- [1961]: 199-200).
mé que le point «le plus fragile» du «parti-pris» de Souriau rassemble en une première étape
Dufrenne était «de traiter le problème esthétique Anaxagore et les post-socratiques; malgré le signa-
avant tout au point de vue de l’expérience du spec- lement d’une conception acroamatique développée
tateur» alors que les contemporains avaient «mis, par le pythagorisme, ce premier moment se carac-
au contraire, l’accent sur la création artistique», térise par le privilège accordé à la vue. La seconde
mais il centrait ensuite sa critique sur le fait que étape «se passe pour l’essentiel dans la latinité» :
son jeune collègue inféodait la perception esthé- le mot se «dépouille peu à peu de tout son dyna-
tique à l’art en esquivant le problème du beau misme perceptif originel» (Souriau [1961]: 182)
naturel sans parler, par exemple de «la contempla- et la passivité de la pensée est mise en avant. La
tion du paysage, de l’objet esthétique naturel». La troisième étape est celle de la Renaissance : c’est
question de la contemplation ne semblait donc pas celle «du re-transfert à l’ordre de la contempla-
tion visuelle et sensible de ce qui concernait la
contemplation intérieure et mystique» (Souriau
1 Mikel Dufrenne, dans le journal Le Monde du 22
[1961]: 183). Une conséquence «bien fâcheuse» de
novembre 1979 sous le titre «Etienne Souriau est mort»,
commençait sa notice nécrologique en ces termes : «Cette
cette tradition philosophique, ajoute-t-il, subsiste
mort nous touche profondément: d’abord parce que encore et fait croire «qu’il faut opter entre l’amour
l’homme ne pouvait laisser indifférent; puissant, calme, de l’art et l’action». L’évolution du sens du concept
secret, mais toujours attentif aux autres et généreux, il de contemplation permet de comprendre la diffi-
forçait le respect, et son étrange pudeur, cette réserve où culté de la théorisation esthétique  dont a hérité
il se tenait n’empêchaient point que ce respect fût amical.» Dufrenne et qui risque d’empêcher tous les esthé-
2 Le rapport dans son intégralité a été publié dans le
ticiens de saisir que, loin de détourner de l’action,
numéro d’octobre-décembre 1953 de la « Revue de méta-
physique et de morale », pp. 432-436
aimer l’art c’est développer les forces de vie.
Souriau, Dufrenne et la notion de contemplation 39

Les conclusions du texte sont claires: il s’agit 2. UNE VOLONTÉ DE PART ET D’AUTRE DE NE
en premier lieu de relativiser la part accordée à la PAS CREUSER LES DIFFÉRENCES
contemplation dans la réception des œuvres d’art  :
2.1 La bienveillance de Souriau à l’égard de Dufrenne
«La contemplation est une des attitudes, nom-
breuses et variées, un des divers régimes d’activi- Considérons le détail du texte de 1961 qui
té de l’âme, où peut s’accomplir et se manifester alterne louanges et réserves et laisse peut-être
la richesse de nos rapport intérieurs, sincères et percer une certaine ambivalence à l’égard de
vitaux, avec l’objet esthétique» (Souriau [1961]: Dufrenne.
198). Dès que la réception de l’art n’est plus définie D’emblée, le Maître est positif envers son jeune
exclusivement et prioritairement par la contempla- collègue, qualifiant son livre «d’excellent», mais
tion, le propos de Souriau se recentre sur la relation néanmoins, dans la même première phrase, il se
optimale avec cet objet : «les plus hauts états esthé- focalise sur une page de ce gros volume qui ren-
tiques» des récepteurs de l’art se caractérisent par contre «une importante question», ou, ajoute-
le fait que «l’âme engage le plus dynamiquement t-il, ce qu’il faut peut-être considérer comme
son existence profonde et son intériorité la plus «une imposante difficulté». La référence conve-
intime» (Souriau [1961]: 199). C’est bien l’attitude nue à la contemplation pose problème au sein
dynamique de notre relation à l’œuvre qui carac- de la réflexion esthétique, et cela n’a pas échap-
térise l’expérience esthétique la plus profonde et la pé à Dufrenne: Souriau lui sait gré de faire réfé-
plus intense3: «Plus nous avons une relation vivante, rence à lui pour stigmatiser «ceux qui mettent le
profonde, intime et personnelle, donc active, avec fait esthétique uniquement du côté de la contem-
l’art, c’est-à-dire avec telle ou telle œuvre artistique plation» au risque de produire «une esthétique
singulière, et plus est authentique et pur en cette où l’art est oublié»5 (Dufrenne [1953]: 287). La
relation le fait esthétique.» (Souriau [1961]: 199) concession de Souriau consistant à se contenter
Faut-il considérer que Souriau prend le de poser la question de la «juste part» à accorder
contrepied de la position de Dufrenne  ? Le fait à la contemplation (Souriau [1961]: 179) évite un
que Dufrenne, comme nous l’avons relevé, lui conflit ouvert et laisse possible une conception
ait accordé que l’art est action laisse espérer une commune de l’esthétique.
issue possible de ce désaccord qui ne mette pas Souriau se focalise en effet sur l’ampleur de la
en crise la théorisation esthétique et la référence concession nécessaire sans véritablement s’intéres-
à Dufrenne semble un prétexte à partir duquel ser à la conception dufrennienne de la contempla-
Souriau s’inscrit en faux contre une orientation tion; il ne prend pas en considération le tout début
de l’esthétique à laquelle celui-ci n’aurait que par- de l’introduction de La phénoménologie de l’expé-
tiellement souscrit. Nourrit-il même l’espoir de rience esthétique, où, mettant en balance les périls à
garder un allié en la personne du jeune collègue, valoriser la pratique de l’artiste, et ceux à se placer
membre de la Société française d’esthétique4, qui du côté du spectateur, Dufrenne précise que la pre-
co-dirige à ses côtés la Revue d’esthétique depuis mière risque «d’exalter une sorte de volonté de puis-
1960? Si c’est le cas, à quel prix? Minimise-t-il ce sance aux dépens du recueillement que suggère au
qui peut les opposer ou discerne-t-il la difficulté contraire la contemplation esthétique» (Dufrenne
de Dufrenne à produire une esthétique qui trans- [1953]: 2), centrant le fait esthétique sur le spec-
forme radicalement les problématiques de l’esthé- tateur et vouant celui-ci à une passivité réceptrice.
tique des siècles passés? Souriau fonde toute son argumentation sur une
page qui reprend la même opposition et la même
3 Pour désigner la relation esthétique à l’objet esthétique,
Souriau emploie le terme «esthéticité» (Souriau [1961]: 5 Dufrenne précise en note qu’il cite un article de Souriau
198). tiré d‘un numéro d’avril 1948 de la Revue d’esthétique,
4 Il lui succèdera en tant que président en 1971. p.205
40 Maryvonne Saison

réponse, mais se trouve en fin de la première par- trois degrés de l’existence phénoménale, réique et
tie du livre, dédiée à la «Phénoménologie de l’objet transcendante». La note se clôt par la reconnais-
esthétique»  ; or, à cet endroit, ce que relève Sou- sance d’une dette à l’égard de son aîné  : «nous ne
riau succède à un développement qui retenait un pouvons trouver à la phénoménologie de l’objet
choix fondamental dans sa propre réflexion. Dans esthétique meilleure recommandation que cette
la page précédente, en effet, Dufrenne, venait de rencontre avec l’analyse existentielle de M. Sou-
se référer à l’activité instauratrice et concédait sans riau; et nous aurons encore l’occasion de nous en
difficulté que ce qu’il nomme objet esthétique «est prévaloir».
l’œuvre même, l’œuvre en tant que produit d’un Le rapprochement effectué dans la note de
faire et justiciable d’une analyse objective». Ce que Dufrenne entre l’analyse existentielle des œuvres
Souriau omet de rappeler, c’est la distinction qui et l’orientation nouvelle inspirée de la phénomé-
vient immédiatement après, entre l’analyse objec- nologie autorise Souriau à développer sa réflexion
tive et la perception esthétique à proprement parler. sur la contemplation sans s’appesantir sur le
Lui-même avait pourtant, dans son introduction, renouveau introduit par la phénoménologie qui ne
signalé que, selon Dufrenne, l’expérience esthétique peut être considéré comme un motif de désaccord
a pour objet l’œuvre d’art en tant que perçue esthé- entre Dufrenne et lui. A la question: «qu’est-ce que
tiquement. percevoir esthétiquement  ?», il répond, comme
Nous interprétons ce point de départ de Sou- nous l’avons dit, en valorisant l’implication per-
riau comme un indice de sa volonté de minimi- sonnelle considérée comme active dans la relation
ser ce qui pourrait faire ressortir une grave dis- aux œuvres, mais sans autre prise en considéra-
cordance entre Dufrenne et lui. On peut soup- tion immédiate de l’œuvre dufrennienne. Après
çonner que, lorsqu’il considère que la différence avoir qualifié d’imposante la difficulté rencontrée
entre œuvre d’art et objet esthétique ne le sépare par Dufrenne lorsqu’il centre son travail sur la
pas de son collègue, il garde en mémoire le pas- contemplation, il minimise l’importance de ce qui
sage où celui-ci décrit l’objet esthétique à partir pourrait les opposer en ajoutant que «la difficul-
de l’œuvre d’art: après avoir montré que Souriau té rencontrée par l’auteur cité n’était peut-être pas
et lui se comprennent, Dufrenne annonce que ses foncière», et s’apprête à continuer sa réflexion sur
descriptions, qui «concernent à la fois l’œuvre d’art l’origine philosophique du lien entre contempla-
et l’objet esthétique», «portent sur l’œuvre en tant tion et passivité. 
qu’elle a sa fin dans l’objet esthétique et se com-
prend par lui» (Dufrenne [1953]: 47). Une longue 2.2 La volonté de Dufrenne de ne pas rompre avec le passé
note suggère alors un rapprochement entre l’ana-
lyse phénoménologique et les pages 45-72 de La Souriau, qui conciliait le souci d’objectivi-
correspondance des arts : «la distinction que nous té prôné par les historiens d’art et la volonté de
venons de faire entre l’œuvre d’art et l’objet esthé- compléter cette approche par une réflexion philo-
tique, bien qu’elle soit commandée par l’analyse sophique lié à l’esthétique comme discipline issue
phénoménologique de la relation au sujet et à sa de la philosophie, avait des raisons de penser que
visée, recoupe à bien des égards celle que, dans sa Dufrenne partageait sa volonté d’inscrire ses tra-
pénétrante “analyse existentielle de l’œuvre d’art”, vaux dans la continuité des études esthétiques
M.E. Souriau fait entre “l’existence physique”, selon et de promouvoir une esthétique philosophique
laquelle l’œuvre a un corps, et “l’existence phéno- attentive à tous les apports sur l’art.
ménale” selon laquelle elle apparaît aux sens». Les Le lecteur de la Phénoménologie de l’expérience
deux autres modes d’existence, «réique» et «trans- esthétique peut être frappé par les nombreuses
cendante» lui semblent pouvoir être rattachés à références à Souriau qui semblent moins propo-
l’existence phénoménale, «de sorte que l’étude de ser une interprétation que relever du désir de faire
l’objet esthétique proprement dit doit suivre les ressortir l’absence de rupture dans le renouvel-
Souriau, Dufrenne et la notion de contemplation 41

lement. Souriau est loin d’être le seul auteur cité, appelle «l’existence réique ou chosale» de l’œuvre
mais s’il est difficile d’évaluer comparativement la d’art, et Dufrenne conclut  : «la distinction que
place qui lui revient, le fait qu’il soit cité comme nous allons faire entre signification et expression,
«M. E. Souriau» fait de lui l’interlocuteur vivant et qui traverse tout notre travail, fait écho à celle
par rapport auquel il est essentiel de se situer, avec que fait M. Souriau entre existence réique et exis-
respect et sans marquer d’opposition. Comme le tence transcendante» (Dufrenne [1953] : 162).
stipulait la notice nécrologique qui a déjà rete- Le même parallélisme revient encore lorsque
nu notre attention, «cet homme a été un maître». Dufrenne distingue trois aspects de l’objet esthé-
D’emblée, au tout début de son introduction, sans tique  : «par sa matière, écrit-il, en tant qu’elle
citer nommément Souriau, Dufrenne avait pré- s’offre à la perception, il a l’être du sensible  ; par
venu qu’il n’y avait pas lieu d’opposer les «esthé- son sens, lorsqu’il représente, il a l’être d’une idée ;
tiques opératoires» et celles qui s’intéressent à la et lorsqu’il exprime, il a l’être d’un sentiment»6.
réception des œuvres  : l’expérience de l’artiste et Lorsqu’il passe de la «phénoménologie de l’objet
celle du spectateur sont compatibles et complé- esthétique» à la «phénoménologie de la percep-
mentaires. Peu après (Dufrenne 1953 : 14), lorsque tion esthétique», dans le second volume de son
le positionnement adopté ne permet pas d’appor- livre, il précise à nouveau qu’il considérera trois
ter à un problème la solution trouvée par Sou- moments : «présence, représentation et réflexion»,
riau, celle-ci est toutefois qualifiée d’ingénieuse. La ce qui recoupe sensiblement, ajoute-t-il, les trois
volonté d’assurer une passation sans rupture pour aspects distingués dans l’objet esthétique  : «le
la poursuite des études esthétique (notamment à sensible, l’objet représenté, le monde exprimé»
travers la Société française d’esthétique et la Revue (Dufrenne [1953]: 419). Selon qu’il s’intéresse à
d’esthétique) que nous avons trouvée chez Souriau l’objet esthétique ou au sujet-spectateur qui le per-
se retrouve symétriquement du côté de Dufrenne çoit, le vocabulaire peut légèrement varier, mais
qui développe un propos nouveau en l’inscrivant la structure de la réflexion reste identique  ; ain-
dans une histoire continue. si, lorsqu’il introduit l’idée d’un a priori affectif7,
Et force est de constater qu’il reste un grand transformant la question kantienne de la possi-
classique dans sa manière d’importer la phéno- bilité de l’expérience à l’aune de la phénoménolo-
ménologie dans les études esthétiques comme gie, il écrit : «on pourra le déceler aux trois paliers
en témoigne la reprise des topoï traditionnels de que nous avons discernés, de la présence, de la
l’esthétique et les discussions avec ses principaux représentation et du sentiment, où chaque fois un
représentants -dont Souriau- qu’il s’agisse, par
exemple, de la question des catégories esthétiques 6 Dufrenne [1953]: 188. Une note évoque la possible dis-
(Dufrenne [1953]: 575) ou de celle de la classifi- tinction d’un quatrième aspect qu’il faudrait mention-
cation des arts (Dufennne [1953]: 388). A plu- ner en premier, correspondant «à ce que M. E. Souriau
sieurs reprises, il insiste sur une sorte de trans- appelle “l’existence physique”, c’est-à-dire “le corps de
position et de reprise du point de vue de Souriau l’œuvre d’art”, […] mais ce corps appartient à l’œuvre d’art
à l’aune de la phénoménologie. C’est le cas dans en tant que connue et non à l’objet esthétique en tant que
perçu».
la note que nous avons citée qui associe l’analyse 7 Après avoir établi que «l’expérience esthétique culmine
existentielle de Souriau et la phénoménologie de dans le sentiment comme lecture de l’expression»,
l’objet (Dufrenne [1953]: 47-48), et c’est encore le Dufrenne entend montrer «qu’elle met en jeu de véri-
cas lorsque Dufrenne se demande si l’objet esthé- tables a priori de l’affectivité» (Dufrenne [1953]  : 539).
tique n’est pas en premier lieu signifiant, «pro- Ces a priori sont eux-mêmes de nature affective et,
blème capital pour la réflexion esthétique»  ; une parce qu’ils permettent de connaître une qualité affective
note signale alors de nouveau que le problème de comme structure d’un objet, le sentiment a une fonction
«l’univers du discours» de l’œuvre a été «fort pré- noétique (Dufrenne [1953]  : 543-544). L’a priori affec-
tif est la notion clef permettant de saisir la corrélation
cisément abordé par Souriau» à propos de ce qu’il sujet-objet et d’envisager une esthétique pure.
42 Maryvonne Saison

aspect de l’objet, vécu, représenté ou senti répond 3. UN DIALOGUE EVITÉ ET DES LEÇONS NON
à une attitude du sujet, vivant, pensant, ou sen- ENTENDUES
tant» (Dufrenne [1953]: 546-547).
Dufrenne peut ainsi se réclamer de Souriau Pour relancer l’esthétique sur des bases saines
parce qu’il concilie des moments de nature diffé- et lui redonner un avenir, Souriau esquisse donc
rente dans l’expérience esthétique: il ne renonce un retour sur l’évolution des sens philosophiques
pas à l’idée que «la perception esthétique solli- du terme contemplation montrant que l’esthé-
cite aussi l’entendement» (Dufrenne [1953]: 461) tique est «encombrée de fantômes, des mots sou-
bien que son apport se révèle toujours déceptif8. tenant debout des concepts vidés de contenu,
Au sein des moments où il retient les leçons de restes d’anciennes constructions spéculatives, et
la phénoménologie et développe ses analyses de toujours employées, comme s’ils désignaient des
l’expression et du sentiment, il rappelle son atta- faits observables» (Souriau [1961]: 180). Le corps
chement à la rationalité, maintenant que «l’objet du long article, qui rencontre et développe des
esthétique n’est pas que pour le corps» ou qu’il se thèmes qui lui sont chers, ne mentionne plus l’au-
défie de «l’excès d’éloquence corporelle» (Dufrenne teur de la Phénoménologie de l’expérience esthé-
[1953]: 429). La Phénoménologie de l’expérience tique qui avait introduit sa réflexion.
esthétique révèle un auteur pris entre deux orien- Nous n’avons trouvé que peu de textes de Sou-
tations, un auteur charnière entre l’esthétique clas- riau commentant les publications de Dufrenne
sique et une esthétique phénoménologique. Les alors que des philosophes de premier plan comme
variations dans la lecture de son œuvre dépendent Lévinas ou Ricœur ont proposé des lectures cri-
du moment, des préoccupations, de la position et tiques de La notion d’a priori et du Poétique10.
de l’attente des lecteurs plutôt que d’une exégèse Certes, l’article «L’idée de nature de La Fontaine
scrupuleuse des textes9. à Baudelaire» dans les «Mélanges offerts à Mikel
Dufrenne, comme Souriau sont des auteurs Dufrenne» en 1975 commence par citer Le poé-
difficiles à situer dans les grands mouvements de tique mais le corps du texte ne commente pas plus
pensée  : parce qu’ils sont inclassables, ils restent l’ouvrage de son collègue que l’article de 1961, il
solitaires et sans disciples, mais ces caractéris- reste «en marge», comme il l’annonce : «En marge
tiques partagées ne les rapprochent pas pour du beau livre de Mikel Dufrenne sur Le poétique,
autant l’un de l’autre. où est montré un rapport foncier et, dirai-je, onto-
logique entre nature et poésie, il peut être intéres-
sant de chercher dans telle époque et littérature à
choisir, quelle conscience les poètes ont pu avoir
de leurs rapports avec la nature, et quelle attitude
8 Souriau retient l’idée d’une «oscillation perpétuelle»
entre «l’attitude critique et l’attitude sentimentale» poétique cette conscience a pu leur inspirer» (Sou-
(Dufrenne [1953]: 514)  plutôt que celle d’un «progrès riau [1975]: 291-309). Tout se passe comme si
dialectique» menant à une compréhension de plus en Souriau proposait une «illustration» complémen-
plus pleine de l’objet esthétique selon la rectification opé- taire et un approfondissement du terme nature à
rée par l’auteur dix pages plus loin (Dufrenne [1953]: partir de son emploi littéraire. On retrouve l’im-
524). mense culture, très diversifiée, de Souriau, et son
9 Lorsque la phénoménologie prit son essor et occupa
attention particulière pour l’intériorisation et le
une position dominante, les phénoménologues ignorèrent
Dufrenne, cessant même discuter ses positions, alors
qu’une nouvelle génération de phénoménologues à l’in- 10Emmanuel Lévinas, «A priori et subjectivité», Revue de
verse, depuis les premières décades du XXIème siècle, le métaphysique et de morale, 4, 1962, repris dans Lévinas
revendique comme phénoménologue et ne retient que ce [1994]. Paul Ricœur «Philosophie, sentiment et poésie.
qui va dans le sens de cette interprétation. Ce point a été La notion d’a priori selon Mikel Dufrenne», Esprit, mars
développé dans La Nature artiste. Mikel Dufrenne de l’es- 1961 et Le Poétique, Esprit, février 1966 (articles repris
thétique au politique (Saison [2018]). dans Ricœur [1992]).
Souriau, Dufrenne et la notion de contemplation 43

souci de la transcendance. Comme en 1961, les bases purement esthétiques”» (Dufrenne [1980]  :
préoccupations des deux hommes se rencontrent 96). La présentation ne génère pourtant aucun
et se croisent: ainsi, commentant Baudelaire, Sou- véritable dialogue: après avoir résumé son propos
riau retrouve les thèmes de la nature primordiale en concluant que «cette morale esthétique est l’en-
dont nous gardons la nostalgie et l’opposition treprise inimitable d’un homme solitaire, secret,
entre nature naturée et nature naturante fonda- fidèle à sa propre pensée» (Dufrenne [1980]: 103),
mentale chez Dufrenne. Dufrenne, pour montrer que cette morale corres-
Après 1961, les deux hommes poursuivent leur pond à un souci actuel, fait un détour par Mar-
travail collectif au sein de la Revue d’esthétique et cuse et l’école de Francfort. Le livre de Souriau est
de la Société française d’esthétique, mais, dans les donc un point de départ pour le développement
œuvres ultérieures à 1953, Dufrenne de son côté d’une reprise personnelle, reprise explicite lorsque
ne fait référence à Souriau que pour tenir ses ana- le thème de l’individu lui permet de défendre
lyses comme acquises et sans plus les commenter: en son nom l’idée d’une morale personnelle
le travail de l’autre ne relance pas de dialogue. Un (Dufrenne [1980]: 109 sq), puis à la toute fin du
exemple typique est par exemple la façon dont il texte, de plaider pour un élargissement du champ
renvoie à La correspondance des arts, en 1959, de l’art, suggérant que le déficit de morale serait lié
affirmant que «les arts traditionnels eux-mêmes à un déficit de fête.
posent déjà la question de leurs “correspondance” Soutenir que le dialogue est évité, c’est aussi
puis, sans développer, retient les questions qui lui faire le constat que les suggestions de l’autre n’ont
tiennent personnellement à cœur sur les rapports pas véritablement porté leurs fruits. La princi-
entre les régions ontologiques des différents arts pale mise en garde de Souriau en 1961 n’a en effet
dégagées par Souriau»11. pas amené Dufrenne à se défier du vocabulaire
Plus étonnant encore est l’article de Dufrenne théologique dans les descriptions de l’expérience
publié en 1980, dont l’intitulé reprend le titre du esthétique. Il est légitime de considérer que Sou-
dernier ouvrage de Souriau La Couronne d’herbes riau avait vu juste  et pointé une ambivalence de
de 1975. On y trouve une lecture attentive du livre Dufrenne qui juxtapose une position classique et
et plusieurs formules justes et efficaces pour en rationaliste et le recours à un vocabulaire théo-
rendre compte: La Couronne d’herbes, peut-on lire, logique susceptible de faire saisir l’impact affectif
«propose un programme de vie, ou plutôt suggère immédiat des œuvres12.
d’inventer son programme, en se fondant sur le
jugement de goût» (Dufrenne [1980]: 111), l’au- 12 La «captation de l’âme» déplorée par Souriau est indé-
teur attend de l’art «une sensibilisation à la beauté niablement présente  à travers les termes d’envoûtement,
qui incite à instaurer un art de vivre» (Dufrenne de possession (Dufrenne [1953]: 93), de fascination,
[1980]: 111). Au tout début de son hommage, et même d’aliénation  : «je suis comme aliéné: le sen-
Dufrenne note que, dans la morale formulée, s’ex- sible retentit en moi sans que je puisse être autre chose
prime «la philosophie d’un esthéticien qui mise que le lieu de sa manifestation et l’écho de sa puissance.»
tout sur l’esthétique, qui fonde la morale “sur des (Dufrenne [1953]: 290). L’objet esthétique a l’initiative:
«… c’est l’objet qui commande. C’est pourquoi la per-
ception esthétique, pour autant qu’elle est sentiment, est
11 Mikel Dufrenne, «Phénoménologie et ontologie de aliénation  ; et cette aliénation même est une tâche pour
l’art», in Teyssèdre et al., [1959]: 152 : «le texte, la figure, moi, car il faut que j’accepte de céder à l’enchantement…»
le volume, le son habitent-ils des régions ontologiques (Dufrenne [1953]: 296).
propres? Quels rapports peuvent-ils s’instaurer entre ces Pour exprimer cette impérieuse présence du sensible ou
régions, non seulement lorsque la figure illustre le texte, l’empire de l’affectif dans le sentiment, Dufrenne a recours
mais lorsqu’elle pénètre dans le texte, comme dans une à un vocabulaire directement emprunté au registre du
enluminure ou un calligramme? Ou lorsque le texte n’est religieux: «c’est le sensible dans sa gloire» qui m’est pré-
pas seulement mis en musique, mais devient musique senté et l’œuvre d’art attend «son épiphanie» lors de sa
comme dans le Sprachgesang?» perception comme objet esthétique (Dufrenne [1953]:
44 Maryvonne Saison

L’évolution ultérieure de Dufrenne incite à cite l’institution et inspire la pensée théologique.»

penser que Souriau avait perçu une attirance vers (Dufrenne [1973]: 56)
le religieux dont l’auteur de La phénoménologie La rupture avec la théologie est-elle définitive ?
de l’expérience esthétique a senti la nécessité de se En 1981, dans L’inventaire des a priori, lorsqu’il
défendre sans pour autant parvenir à s’en libérer. signale les apories auxquelles se heurte toute pen-
En 1959, par exemple, dans La notion d’a prio- sée de l’origine,  il reconnaît que la pensée théo-
ri, il persiste à penser que «l’expérience religieuse logique reste une tentation  dont il doit encore se
et l’expérience poétique sont voisines» (Dufrenne défendre : «si [la pensée de l’origine] saute à l’Eter-
[1959]: 286), et il avoue comprendre que la phi- nel, elle est acculée à penser un Dieu en devenir.
losophie puisse se tourner vers la poésie qui «se Mais précisément, il faut résister à la tentation
meut dans l’élément du sentiment» et donne de glisser de l’originaire à l’origine.» (Dufrenne
accès à ce «qui n’est communicable que par-là»13 [1981]: 225).
(Dufrenne [1959]: 288). A l’inverse, dans l’im- On ne peut pas dire que l’ambivalence de
portant essai ajouté en 1973 à la première édition Dufrenne ne touche qu’accessoirement l’esthé-
du Poétique, «Pour une philosophie non théo- tique: c’est au contraire l’expérience esthétique qui
logique», il se défend de tout lien avec la théolo- provoque le retour du religieux et ravive la force
gie, et prenant le contrepied des «philosophies de de la pensée mystique. Pour Dufrenne, l’esthé-
l’absence» (Dufrenne [1973]: 7), il veut une pen- tique est philosophique et c’est à partir de l’expé-
sée qui se nourrisse de l’expérience originaire de rience de l’art que la pensée philosophique devient
la présence  : «le ressort de l’ontologie» est à cher- plus radicale, comme en atteste sa conception du
cher dans une phénoménologie de la perception» matérialisme exprimée en 1973: «on ne peut être
(Dufrenne [1973]: 39). L’orientation définitive de matérialiste que poétiquement  : en cherchant le
Dufrenne vers une philosophie de la Nature est commencement dans un poiein de la Nature dont
liée à la volonté d’élaborer une «philosophie non l’art seul – et peut-être aujourd’hui une certaine
théologique»: «pas d’origine absolue aux fron- pratique politique qui s’amorce – donne une idée
tières du néant, mais seulement de l’originaire: la en l’imitant» (Dufrenne [1973]: 37-38).
puissance de la Nature.» (Dufrenne [1973]: 56) Si Il est difficile de dire si la portée de la
«l’origine est toujours là dans ce pacte que scelle remarque de Souriau sur la collusion de l’esthé-
ma naissance», «c’est l’art aujourd’hui qui nous le tique et de la théologie a été perçue par Dufrenne
révèle, – et qui nous guérit de la religion; non seu- et si elle a été consciemment ou inconsciemment
lement de la théologie, mais du sentiment et du à l’origine de ses hésitations et revirements. Ces
comportement religieux, de l’expérience qui sus- deux solitaires n’ont pas associé leurs solitudes et
n’ont pas développé une position de maître et de
44). Le terme de «communion» est omniprésent et l’ana- disciple. Mais il est très étonnant de constater que
logie avec le service religieux est utilisée pour faire com- Souriau n’a pas été plus entendu par les autres
prendre l’accomplissement de l’œuvre cherchée par un phénoménologues: n’annonçait-il pas le «tournant
public (Dufrenne [1953]: 85). L’objet esthétique devient théologique» magistralement décrit par Janicaud
l’instrument d’une véritable «révélation» immanente à
en 1991?14 L’article de 1961 est centré sur l’évolu-
l’œuvre à laquelle le spectateur doit se prêter (Dufrenne
[1953]: 289). Citant Jaspers pour qui l’existence «est
toujours devant sa transcendance», Dufrenne conclut 14Dominique Janicaud, dans Le tournant théologique de
qu’une existence «atteste en se dépassant un plus qu’elle- la phénoménologie française, distingue les premiers phé-
même, qui est peut-être illusoire, mais qui n’en donne pas noménologues, fidèles au projet de Husserl  d’une phéno-
moins  à toute grande œuvre une signification religieuse, ménologie comme science rigoureuse, (Janicaud [1991]:
comme on pourrait le montrer sur l’objet esthétique  » 25) des phénoménologues qui, à la suite de Heidegger et
(Dufrenne [1953] : 400). Lévinas ont effectué un tournant à partir duquel «La phé-
13 Précisons que ce qui vaut pour la poésie vaut pour tout noménologie a été prise en otage par une théologie qui ne
art en tant qu’il est poétique. veut pas dire son nom» (Janicaud [1991]: 31). Il faut noter
Souriau, Dufrenne et la notion de contemplation 45

tion de l’esthétique et l’analyse de la contemplation biliste (Souriau [1961]: 192) et «l’anti-contempla-

vise à prévenir un tournant théologique de l’es- tionniste» peut à bon droit soutenir que «le seul
thétique, mais celui-ci n’est-il pas advenu sans que usage authentique» d’un monument ou d’une sta-
personne n’ait repris l’analyse de Souriau ? tue «est, marchant autour d’elle, d’en faire défiler
Souriau n’a sans doute pas reçu l’écoute qu’il mélodiquement les divers profils comme défilent
méritait et la crise de l’esthétique s’est vraisembla- en musique des accords s’enchaînant et se fondant
blement renforcée de cette surdité. les uns dans les autres». Les inhibitions que les
contemplationnistes imposent à l’attitude esthé-
tique et qui, selon eux, en font la pureté, sont liées
4. FACE A L’ŒUVRE à la tradition que Souriau a dénoncée: les aboli-
tions des impulsions naturelles ou les inappétences
Dans l’article de 1961, après avoir interrom-
caractérisent une attitude appollinienne refusant
pu l’histoire de l’emploi philosophique du terme
toutes les formes participatives mineures propices
contemplation à la Renaissance responsable du
à une jouissance dionysiaque (Souriau [1961]:
re-transfert «à l’ordre de la contemplation visuelle
193). Il refuse de séparer l’art de la vie comme le
et sensible de ce qui concernait la contemplation
font les contemplationnistes qui font du désinté-
intérieure et mystique» (Souriau [1961]: 183), Sou-
ressement le critère de l’esthéticité d’une attitude.
riau résume la description traditionnelle fondée
A cette première attitude «où toutes les activités
sur l’analogie mystique  : «dans la contemplation
du sujet sont suspendues, sauf celles, toutes psy-
esthétique il y a comme une captation de l’âme par
chiques bien entendu, qui peuvent s’exercer dou-
l’objet – paysage, spectacle, tableau, statue, monu-
cement, dans les cadres limitatifs qu’implique un
ment – en face duquel elle se trouve» (Souriau
tête-à-tête spirituel tranquille avec l’objet consi-
[1961]: 184). Il insiste alors sur une des caractéris-
déré» (Souriau [1961]: 194), il oppose «celle où
tiques, importante dans son combat pour défendre
l’âme exerce, sinon tumultueusement, du moins
une esthétique acroamatique: le fait que toute la
avec élan une sorte de somme de toutes ses activi-
construction de cette théorie «repose sur la pri-
tés, même celles qui meuvent le corps dans le tra-
mauté donnée au sens de la vue, à la fois comme
jet aventureux où l’objet l’entraîne avec lui»). Mais
sens esthétique et comme paradigme de l’intuition
plutôt que de durcir encore une opposition née
spirituelle» (Souriau [1961]: 185), contribuant ain-
de sa propre construction, il préfère «aller au plus
si à soutenir, comme Léonard de Vinci, «la supé-
profond» en se demandant à partir de sa lecture
riorité spirituelle de la peinture, cosa mentale, sur
de Hegel «de quelle nature doit être l’intériorité
la musique» (Souriau [1961]: 186). Nous ne nous
pour se montrer adéquate aux données offertes à
attarderons pas sur les nuances esquissées par Sou-
la perception esthétique […]».
riau et attirerons seulement l’attention sur l’épisode
La réponse nous permet de saisir la position
romantique et notamment sur les pages consacrées
de Souriau face à une œuvre  : «sans assurer que
à Hegel (Souriau [1961]: 188-191).
ce soit là “la tâche principale” de l’art, nous pou-
C’est alors en effet que la question de la
vons fort bien accepter qu’au moins la percep-
contemplation ressurgit, mais dans des situations
tion esthétique (le point de vue non de l’artiste
concrètes de face à face avec l’œuvre. Souriau a
mais de l’usager) soit caractérisée par une réso-
construit son article autour du refus de considérer
nance du moi le plus intime et de la subjectivité
que la réception d’une œuvre implique la passivité:
la plus profonde en présence de l’œuvre d’art…».
l’objet esthétique n’exige pas une attitude immo-
Il ne s’agit pas pour autant de prétendre que c’est
au niveau de la présence sensible «que s’établit ou
que Janicaud sans faire aucune autre référence à Dufrenne que se détermine l’engagement en profondeur de
dans le corps de son essai, avait noté que l’on avait pu l’intériorité» (Souriau [1961]: 195): «la vie inté-
parler «avec Sartre, Merleau-Ponty, ou même Dufrenne»
d’une phénoménologie athée (Janicaud [1991]: 7).
rieure personnelle» doit être d’une qualité telle
46 Maryvonne Saison

qu’une œuvre particulière entre «en résonance ment la participation active du spectateur. Et en
intime avec elle et qu’entre cette œuvre et ma sub- fait c’est cette participation qui fait le prix de l’ex-
jectivité profonde s’établisse réellement un rapport périence esthétique.» (Dufrenne [1968]: 249) Il
vécu et senti». Si un choc se produit face à une ne s’agit pas d’une revendication hors sol  : «cet
œuvre, «le choc était préparé en nous. C’est que appel à la coopération du récepteur, ajoute-t-il
l’œuvre répondait à des besoins profonds qui, en peu après, me semble un des traits majeurs de l’art
nous, attendaient leur assouvissement sans ren- contemporain.» Si les positions des deux hommes
contrer l’être qui nous comblerait par sa présence, évoluent lorsqu’il s’agit d’évoquer le face à face
non seulement parce c’est lui, mais parce que c’est avec une œuvre, c’est sans doute sous l’influence
nous, que c’est moi.» L’hypothèse de «besoins de l’évolution de l’art, même si tous deux, pour
esthétiques» (Souriau [1961]: 196) est nécessaire des raisons différentes, gardent l’idée que cer-
pour comprendre «l’intensité et le caractère réci- taines œuvres sont plus susceptibles que d’autres
proquement actif de mon dialogue avec l’œuvre». de prendre leur place dans la relation d’esthéticité.
Ces grands états esthétiques qui revitalisent ma vie Outre ce rapprochement sur le critère de l’acti-
spirituelle engagent avec les œuvres des relations vité, qui invite à ne plus se focaliser sur l’opposition
«analogues à celles qu’on a de personne à per- activité/passivité, le texte de Souriau permettrait de
sonne; et comparables à celles qu’on engage dans comparer les deux réflexions sur plusieurs points.
l’amour ou dans l’amitié» (Souriau [1961]: 197). Ainsi l’importance attribuée à la musique et l’atti-
On peut constater que Dufrenne, au fil des tude critique par rapport à la primauté donnée au
ans, rejoint Souriau pour insister sur la valeur sens de la vue les réunit16. En revanche la question
d’une relation active aux œuvres, notamment du «mode de présence» de l’œuvre d’art amène des
dans le cas des œuvres contemporaines. En 1968, réponses différentes: alors que Souriau se méfie de
dans Pour l’homme, un livre qui a contribué à la présence sensible et demande un «engagement
l’isoler mais peut être relu avec un nouvel intérêt en profondeur  de l’intériorité» (Souriau [1961]:
aujourd’hui, à partir d’une critique de l’attitude 195), Dufrenne, à partir du renouveau apporté par
technocratique, il prend l’exemple de l’art pour la phénoménologie, reste fidèle à un mode de pré-
montrer quelle relation de réciprocité doit s’ins- sence sensible à travers l’importance qu’il accorde
taurer entre les hommes et les œuvres. Il évoque au sentiment et à l’affectivité. Il reste que chacun
de nouveau la critique de certaines théories de poursuit sa propre route sans ébauche de dialogue.
la contemplation faite par Souriau,  allant jusqu’à C’est encore plus flagrant si l’on s’interroge
reconnaître qu’il y souscrit15. Loin d’être nécessai- sur «le coup de foudre» produit par une œuvre:
rement passive, la relation à l’art s’enrichit d’une pour Souriau, ce «choc» fait écho à «des besoins
attitude active, «la distance n’exclut […] pas vrai- esthétiques» (Souriau [1961]: 196), des besoins
profonds «qui attendaient leur assouvissement».
Dufrenne, lui, a consacré deux livres, à vingt-deux
15«… ceux-là mêmes qui ont accès aux œuvres sont sou- années de distance17, à une théorie des a priori:
vent tenus par elles à distance  : dont certaines théories la corrélation entre le sujet et l’objet structure le
de la contemplation, justement critiquées par E. Souriau,
travail de Dufrenne. Que Souriau, comme nous
donnent une illustration» (Dufrenne [1968]: 249). Dans
un autre article, de 1969, «Phénoménologie et ontologie
l’avons déjà signalé, n’ait pas réagi à la Notion d’a
de l’art», il va jusqu’à écrire que l’art contemporain «nous priori, et qu’il n’y songe pas qu’il parle de «besoins
interdit de penser que la contemplation soit l’attitude esthétiques», rend intrigant une fois encore une
esthétique par excellence. Il en appelle plus délibérément telle absence de dialogue entre deux philosophes
que jamais à la collaboration du spectateur. Il l’invite à
une fête, à une cérémonie sans cérémonial, où il soit en
même temps acteur, où la perception de l’œuvre soit en 16 Mikel
Dufrenne [1987-1991-2020]: 200-203.
même temps exécution et appropriation» (Dufrenne Mikel Dufrenne [1959] La Notion d’a priori et Mikel
17

[1969]: 152). Dufrenne [1981-2001] L’Inventaire des a priori.

Souriau, Dufrenne et la notion de contemplation 47

qui ont enrichit systématiquement leurs réflexions étude objective aurait-il préféré le couple observa-
par des lectures critiques d’autres travaux. Faut-il tion/observateur?
émettre l’hypothèse que l’un comme l’autre, à leur Mais ces termes sont-ils adéquats pour oublier
manière, à la charnière entre deux époques, à la le dualisme et nommer l’expérience du face-à-
fois trop proches et trop différents, se sont conten- face  en faisant place à la réalité des œuvres et à
tés de s’épauler pour approfondir leur réflexion l’historicité des lectures? Un nouveau type d’expé-
chacun dans son propre sens? rience contemporaine qui se caractérise par une
immersion dans les œuvres ou par une impli-
cation des individus et publics dans la réalisa-
5. LES DISCIPLINES ET LEURS MOTS tion même des œuvres appelle une reprise de la
réflexion sur la définition de l’art, sur les disci-
Nous ne pouvons conclure cette ébauche de
plines qui en rendent compte, sur l’ontologie des
réflexion qu’en faisant écho à Souriau pour noter
œuvres, sur la description des expériences. Le
la pauvreté des mots à notre disposition si l’on
texte de Souriau qui en 1961 attire l’attention sur
veut éviter le terme de contemplation, à la fois
la pauvreté et l’inadéquation des mots à notre dis-
trop connoté et décalé par rapport à la réalité
position et qui a fort peu été entendu doit être relu
contemporaine, même si la contemporanéité n’est
aujourd’hui comme un rappel de l’urgence à refor-
pas une boussole absolue. De quels termes dis-
muler les questions sur de nouvelles bases.
posent les spécialistes issus de disciplines comme
l’histoire de l’art, la critiques d’art, la philoso-
phie de l’art ou les esthéticiens aujourd’hui? Quel BIBLIOGRAPHIE
terme emploie le simple amateur pour qualifier
son attitude face aux œuvres? Et comment l’artiste, Dufrenne, M., 1953  : Phénoménologie de l’expé-
qui tout à la fois crée, regarde et écoute,  rend-il rience esthétique, PUF, Paris.
compte de son expérience? Dufrenne, M., 1959  : La notion d’a priori, PUF,
Souriau choque le lecteur contemporain Paris.
lorsque, dans l’optique d’une opposition avec l’ar- Dufrenne, M., 1968 : Pour l’homme, Seuil, Paris.
tiste qui créé, il qualifie d’«usagers» de l’art (Sou- Dufrenne, M., 1969 : «Phénoménologie et ontolo-
riau [1961]: 180, 195) les individus ou les publics gie de l’art», in Teyssèdre, B. et al., Les sciences
qui trouvent  une satisfaction esthétique dans une humaines et l’œuvre d’art, Editions de la
œuvre à leur disposition. La contemplation, avec connaissance, Bruxelles.
toutes ses caractéristiques issues de la philosophie Dufrenne, M., 1973  : «Pour une philosophie non
peut apparaître comme une manière d’utiliser ce théologique», in Le Poétique.
qui est donné. Au substantif «contemplation» qui Dufrenne, M., Etienne Souriau est mort, “Le
qualifie l’acte de réception supposé adéquat, cor- Monde” 22 novembre 1979.
respond le substantif qui nomme «l’homme en Dufrenne, M., 1980: La Couronne d’herbes, “Revue
attitude esthétique devant l’œuvre d’art» (Souriau d’esthétique”  3-4 (en hommage à E. Souriau
[1961]: 185): le «contemplateur» dit Souriau citant décédé le 19 novembre 1979).
Basch, responsable selon lui du changement d’op- Dufrenne, M., 1981: L’Inventaire des a priori,
tique des études esthétiques centrées désormais Bourgeois, Paris (réédité en 2021 aux Presses
sur la réception des œuvres. Si l’on reste dans le universitaires de Caen).
cadre de la corrélation et du dualisme on peut, Dufrenne, M., 1987: L’œil et l’oreille, L’Hexagone,
comme Dufrenne employer aussi les termes de Montréal (repris aux Editions Jean-Michel
réception et de récepteur pour qualifier l’expé- place en 1991 et réédité en 2020 aux Nouvelles
rience esthétique du «spectateur». Souriau, plus éditions Jean-Michel Place, augmenté d’une
proche de l’histoire de l’art et revendiquant une postface de M. Saison sur ce thème).
48 Maryvonne Saison

Janicaud, D., 1991: Le tournant théologique de la

phénoménologie française, L’éclat, Combas.
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Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

« …Mais, au contraire, seulement une – arabesque ».

Autour d’un motif d’Étienne Souriau
Citation: L. Azzariti Fumaroli (2022).
« …Mais, au contraire, seulement
une – arabesque ». Autour d’un motif « “...But only an arabesque”. On a motif in Étienne Souriau
d’Étienne Souriau. Aisthesis 15(2):
49-60. doi: 10.36253/Aisthesis-13896

Copyright: © 2022 L. Azzariti Fumaroli. Luigi Azzariti Fumaroli

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License, which permits unrestricted Abstract. Taking the arabesque as referent, the article proposes to investigate its
use, distribution, and reproduction meaning in its various meanings, starting with the musical and then continuing with
in any medium, provided the original the artistic and literary, in order to highlight how, especially in the literary sphere, Sou-
author and source are credited. riau proposes, through this figure, to examine the conditions of possibility of the inter-
weaving of phonetic, semantic and morphological inventions that sustantiate language,
Data Availability Statement: All rel-
but that nevertheless can never reach the threshold of saying. And which indeed seems
evant data are within the paper and its
Supporting Information files.
to testify to how there is always something that remains hidden in language: an intui-
tive presence, an image that arrives suddenly.
Competing Interests: The authors
have declared that no competing inter- Keywords: Souriau, Arabesque, Music, Language, Poetry.
ests exist.

1. Le non-reconnu du référent devient souvent, dans le cadre de

l’exégèse, une lecture métaphorique qui dissimule l’aporie hermé-
neutique. Ne pas se contenter des premiers aperçus de concordance a
conduit la critique stylistique du XX siècle à disséquer les mots dans
leurs «racines les plus lontaines», et à conférer au référent le rôle de
«centre reconnaissable d’une œuvre» (Beccaria [2001]: 9; cf. Ossola
[2014]). Appliquer ce principe à une philosophie1, notamment à une
philosophie comme celle d’Étienne Souriau, qui tout en se prévalant du
«décalage d’une terminologie parfois perturbante» (de Vitry-Maubrey
[1974]: 10), tendrait à ne pas sortir de la dimension dénotative, de la
«fonction primaire» (Baudrillard [1968]: 241-242; Eco [1968]: 202-205)
de la forme énonciative, suggère de se focaliser sur l’objectivité littérale

1 Comme le rappelle P.V. Mengaldo (Mengaldo [1998]: 14), tout grand critique
ne peut être qu’un philosophe: «En dernière analyse, la critique qui compte
et a toujours compté est une, la critique philosophique»; et ceci du fait que –
selon Mengaldo (Mengaldo [2003]: 1) – «critique philologique et critique phi-
losophique doivent nécessairement s’enchevêtrer».

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 49-60, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13896
50 Luigi Azzariti Fumaroli

de son écriture, à travers l’examen de certains détails un système de notation non plus basé sur le pen-
à laquelle celle-ci fait allusion. Grâce aux agrandisse- tacorde, mais sur des désignations numériques et
ments permis par le «jeu d’échelles» (Revel [1996]), littérales qui prennent en considération l’ensemble
l’analyse de ces détails permettrait de les considérer des caractères du son, y compris sa hauteur. Cela
comme des «seuils informationnels» (Piette [1998]: donne lieu à une transcription graphique du mor-
113), des indices ou, encore mieux, comme des ceau de musique, créant ainsi une arabesque sem-
«anomalies affleurantes» (Ginzburg [2006]: 374). blable à une arabesque figurative.
C’est le cas de la notion d’arabesque que Souriau Même si la notation musicale peut montrer
emploie plusieurs fois dans son œuvre, l’identifiant une certaine homogénéité et un certain rythme
à une «construction conceptuelle» (Souriau [1928]: spatial, il ne faut pas oublier que la musique ne
115) en suspension, en fermentation, en cours de peut se réaliser qu’à travers la perception sonore,
métamorphose continuelle. et que celle-ci ne pourra jamais être transpo-
sée en aucune perception graphique au point de
2. Voulant illustrer l’acception spécifique qu’il s’identifier avec elle (cf. Dorfles [2003]: 88-94)4.
donne au terme arabesque, Souriau mentionne, Le caractère purement rythmico-sonore, typique
dans le Vocabulaire d’esthétique (Souriau [1990]: de la musique, ne permet aucune afférence à un
153) et dans La Correspondance des arts, la com- domaine extra musical, et prive de sens la trans-
position pour piano de Robert Schumann op. 18, position spatiale de la ligne d’une mélodie afin de
Arabeske. Il y voit une pure courbe mélodique fournir «une courbe ayant une valeur décorative
qu’il utilise dans la tentative de vérifier la possibi- et un galbe satisfaisant du point de vue des exi-
lité d’une transposition spatiale de la mélodie, et gences essentielles de l’esthétique de l’arabesque»
aussi dans le but d’établir une comparaison entre (Souriau [1969]: 224; cf. Souriau [1929]: 171-172;
musique et peinture2. Toutefois, ce parallélisme Souriau [1927]: 214-224). Néanmoins, il semble
semble particulièrement ingénu, comme l’a obser- possible d’élargir le spectre sémantique du terme
vé Dollo (Dollo [2004]: 86-92)3. En effet, dans le arabesque, en approfondissant ultérieurement l’oc-
sillage de Jules Combarieu (Combarieu [1907]), currence schumannienne, comme indication cri-
Souriau a cherché à proposer une méthode de tique qui se prête à être «lue entre les lignes»5 – et
transcription rationnelle de la musique. Il a créé comme «par hasard»6.

2 Pour illustrer les caractéristiques de l’arabesque, Souriau 4 Dorfles reprend ici l’opinion d’ E. Hanslick (Hanslick
(Souriau [1969]: 224, note 1) rappelle, entre autres, un [1891]: 63-77), selon laquelle «toutes les descriptions fan-
passage de L’Enfant maudit de Balzac (Balzac [1837]: 211), tastiques et toutes les illustrations d’une composition musi-
où l’arabesque est définie comme ce qui, ne parlant ni aux cale sont métaphoriques ou erronées. Ce qui, pour toute
sens ni à l’âme, s’adresse uniquement à l’esprit, en tant que autre forme d’art n’est que description, est métaphore pour
création de la simple fantaisie. Observons que le passage la musique. En somme, la musique veut être comprise en
– selon M. Butor (Butor [1998]: 199) – doit être comparé tant que musique et ne peut être comprise et appréciée
avec la page du roman bref, Massimilla Doni (qui remonte, qu’en référence à elle-même». De ce point de vue, les affi-
lui aussi, dans sa première version à 1837), où Balzac sou- nités entre musique et peinture, suggérées par Kandinsky,
ligne les analogies entre peinture et musique, analogies seraient différentes; ces affinités concerneraient, selon lui,
particulièrement évidentes quand la peinture figurative la composante temporelle insérée dans la ligne; il s’agi-
cède la place à une «peinture d’arabesques», c’est-à-dire rait des différences entre instruments musicaux linéaires
à une «peinture abstraite», expression d’un «art pur» qui comme le violon, le piccolo, la flûte, etc., et des instru-
contient tout (Cf. Balzac [1839]: 146). ments qui produisent des notes ponctuelles comme l’orgue
3 Plus en général, T. Munro (Munro [1951]: 206) a obser- ou le piano (cf. Kandinsky [1926]: 119-121).
vé que le système de Souriau présuppose une équivalence 5 Selon la signification que lui a donnée L. Strauss

entre les arts, fondée sur la conviction erronée que deux (Strauss [1952]: 20-34), en codifiant «une herméneutique
choses semblables physiquement sont aussi semblables originale des textes» (cf. Momigliano [2016]).
sur le plan artistique. 6 Telle est l’expression que Proust utilise à plusieurs
« …Mais, au contraire, seulement une – arabesque ». Autour d’un motif d’Étienne Souriau 51

L’op. 18 – Souriau ne l’ignorait sans doute (Schumann [1904]: 167, 169), il nous est possible
pas – représente probablement l’exemple le plus de reconnaître l’habileté avec laquelle le matériel
évident de l’influence de Jean Paul sur Schu- thématique des deux épisodes est mis en relation
mann. Bien qu’il n’y ait aucune preuve certaine avec le thème principal, et découvrir, ainsi, au sein
d’un lien direct entre cette composition et une du chaos, des principes d’ordre, des sources de
œuvre quelconque du poète de Wunsiedel, c’est symmétrie, assimilables à l’acception d’arabesque
son titre lui-même qui en rend manifeste la source que donne Schlegel en se référant aux romans de
d’inspiration (Reiman [2004]: 164). Jean Paul, Jean Paul. La tendance de Jean Paul à privilégier
en suivant aussi les observations que Friedrich la parabase, les phrases tortueuses et les longues
Schlegel a faites, notamment dans Der Brief über parenthèses, imprègnerait l’écriture de Schumann
den Roman, représenterait le principal interprète dans d’autres œuvres, notamment dans la Fantasie,
de cet art de l’arabesque, en tant qu’«infinie plé- op. 17, où l’épisode Im Legendenton se détache en
nitude dans l’infinie unité» (Polheim [1966]: 24; insertion narrative qui découpe les contours musi-
Muzelle [2000]: 28), dont la composition pour caux environnants en guise de miroir textuel, de
piano de Schumann semblerait, à son tour, vou- récapitulation microscopique ou de commentaire
loir transposer l’idée sur le plan musical. Dans la de la narration environnante (cf. Daverio [1997]:
poésie romantique, et notamment chez Jean Paul, 154; Daverio [1993]: 35)9. Plus en général, la ten-
l’arabesque est la forme députée à «suspendre le dance à l’imitation musicale que Schumann fait
cours et les lois de l’intellect raisonnant en nous de la «fantaisie bizzarre et extravagante» (Schle-
transférant dans la belle confusion de la fantaisie» gel [1958]: 331) de Jean Paul, et donc de son goût
(Schlegel [1958]: 319), sans renoncer pour autant tout particulier pour l’arabesque comme raison
au principe d’ordre, rendu possible par une trame autre, appartiendrait à leur conception partagée de
de relations mnémoniques entre les moindres l’arabesque comme une «fantaisie sur rien» (Men-
détails et le tout 7. Or, d’un point de vue formel, ninghaus [1995]: 111; cf. Nonnenmann [2001]:
il est loisible d’observer que Schumann, dans l’op. 247): comme une «allégorie» (Schlegel [1958]:
18, recourt à un procédé comparable, lorsqu’il 331; Schlegel [1963]: 249) qui présente entière-
s’éloigne de la matière à l’aide d’un bref ajout lit- ment les caractères d’une symbolique en déliques-
téralement identique à l’apostrophe finale des cence; et dans cette décomposition du symbole se
Kinderszenen (Kranefeld [2000]: 16; Fava [2014]: libère une immense puissance, où toute chose peut
222)8. Et – comme l’a observé Daverio ([1987]: remplacer tout autre chose. Il s’agit d’une allégo-
162, nota) – malgré la dévalorisation de l’op. 18, rie irréfrénable, qui, soustraite à l’ordre du sens,
exprimée par Schumann dans sa correspondance «représente, invente, modifie et conserve le monde
et ses éternelles figures dans une continuelle suc-
reprises dans La Recherche, pour désigner – comme l’a cession de nouvelles séparations et connexions»
remarqué F. Orlando (Orlando [1971]: XXXVI- XXXVII) (Schlegel [1962]: 20). En raison de sa structure
– la «non-recherche dans la bonne direction». extrêmement complexe, dialectique et progres-
7 R. Haym (Haym [1914]: 559 ss.] et W. Dilthey (Dilthey
sive, seule l’arabesque serait donc en mesure de
[1870]: 492) ont estimé à juste titre que la Lucinde de F.
Schlegel est «la plus absolue monstruosité esthétique», en
ce qu’elle obéit au principe formel d’«un chaos bien mis 9 R.Schumann (Schumann [1984]: 100) écrit dans la lettre
en ordre». à Clara du 11 février 1838 : «Je t’implore de jeter de temps
8 Il faut rappeler que l’op. 18 est structuré comme un en temps un coup d’oeil aux œuvres de Jean Paul, surtout
petit rondeau subdivisé en six parties, selon le schéma à ses Flegeljahre; au début, tu devras te frayer un passage
A-B-A-C-A-coda. De subtiles correspondances se tissent dans une broussaille plutôt dense – mais ensuite, quels
entre les différentes sections: A et C commencent par une divins effluves de chant se dévoileront devant toi!». Sur
même incise, alors que l’épisode de transition entre B et A Schumann lecteur de Jean Paul, outre les pages du Tage-
fournit le matériel de base pour la coda pleine d’expressi- buch schumannien de 1838 (Schumann [1971]: 82-83,
vité. 242-243; cf. Otto [1984]; Abbatino [2016]: 155-161).
52 Luigi Azzariti Fumaroli

lui donner une expression achevée. Son «fourmil- exclut les Lautdictungen dadaïstes, les expériences
lement de concepts» (Gockel [1981]: 289) lui per- de la langue zaúm, ou bien celles qui sont chères
met de ramasser des images et, au fur et à mesure, au lettrisme (cf. Keith [2005]), son rôle apparaît
d’en constituer la signification à l’aide de lacéra- assez marginal. Et ceci s’explique – selon Souriau
tions combinatoires qui transforment l’élément (Ibid.: 159 ss.) – par la pauvreté des sons linguis-
linguistique, tout en le maintenant ouvert, allusif, tiques par rapport à la musique proprement dite;
hautement signifiant (cf. Cottone [1987]: 75). mais surtout, ce qui fait de la littérature un art
C’est précisément cette acception du terme qui essentiellement représentatif11 dériverait du fait
se reflète dans les pages de Souriau, qui, se réfé- qu’elle emprunte l’ensemble de ses signes à un
rant au domaine littéraire, confère à l’arabesque système entièrement constitué en dehors d’elle-
le sens de forme «sans aucune intention de signi- même: le langage (Ibid.: 154). Il en découlerait
fication» (Souriau [1969]: 132). Dans La Corres- que la forme primaire propre à la littérature ne
pondance des arts, lorsqu’il pose la question de serait pas celle, pour ainsi dire, d’une organisation
la représentation de l’art comme trait distinctif et musicale des syllabes, mais devrait, au contraire,
typologique, il observe qu’à côté des arts représen- être comprise comme caractérisée par une série
tatifs, dans lesquels il y a une sorte de «dédouble- de mots et de phrases, déjà dotés d’un signifiant
ment» (Ibid.: 89) de l’œuvre et des objets représen- et d’un signifié. Si l’on devait s’en tenir à une défi-
tés, il y a les arts présentatifs, dans lesquels «œuvre nition rigoureuse de la littérature présentative, il
et objet se confondent» (Ibid.: 89). Il en résulte faudrait donc prendre en considération l’éventua-
une subdivistion des arts en deux groupes: «le lité que, si le signifiant cesse d’être transparent et
groupe des arts où l’univers de l’œuvre pose des transitif, le signifié aussi, avec pour conséquence
êtres ontologiquement distincts de l’œuvre même; le fait que, comme dans le langage schizophré-
et celui des arts où l’interprétation chosale des nique, «le non sens […] absorbe et engloutit tout
données interprète l’œuvre sans y supposer autre sens, aussi bien du côté du signifiant que du côté
chose qu’elle-même» (Ibid.: 90). du signifié» (Deleuze [1968]: 744). Pour éviter
que la dichotomie présentation/représentation
3. Force est de constater, toutefois, qu’il y appliquée à la littérature apparaisse stérile, il s’agi-
a une assymétrie dans cette division, proposée rait donc de vérifier les possibilités de repenser
par Souriau en référence à la littérature, dans la la conception de la forme primaire, c’est-à-dire de
mesure où il apparaît difficile d’envisager une vraie l’arabesque dans le domaine littéraire; il s’agirait
littérature présentative. En effet, celle-ci coïncide- de mettre en cause l’enchainement selon lequel ce
rait seulement avec «l’arabesque de consonnes et qui est privé de toute intention de signification est
de voyelles, leur “mélodie” […], leur rythme, et par la même privé d’évocation représentative, afin
plus amplement le geste général de la phrase, de la de tenter de parvenir à une forme d’écriture dans
période, de la succession des périodes, etc» (Ibid.: laquelle existe seulement la signification, mais non
154). Ce qui détermine que la littérature présenta- la représentation.
tive est, en réalité, une case vide, à l’exception du Dans cette perspective, la littérature présen-
cas de figure d’une prosodie pure, qui n’existe pas tative serait magistralement illustrée par les Illu-
en tant qu’art autonome, puisqu’elle est «seulement minations de Rimbaud – où l’«impossibilité d’
impliquée dans la poésie à titre de forme primaire identifier le référent et de comprendre le sens»,
d’un art réellement du second degré» (Ibid.: 132).
Une telle pertinence du signifiant permettrait 11 Selon G. Genette (Genette [1997]: 28), admettre que,
d’opposer la poésie à la prose10; néanmoins, si l’on dans la perspective de Souriau, la littérature est essen-
tiellement un art représentatif la rendrait comparable à
l’idée de R. Ingarden (Ingarden [1931]: 26) d’une «strati-
10«La poésie, c’est le verbe stylisé, c’est-à-dire informé en fication» de l’œuvre littéraire. Sur cette question, voir Poli
une arabesque absolue» (Souriau [1969]: 158). (1998).
« …Mais, au contraire, seulement une – arabesque ». Autour d’un motif d’Étienne Souriau 53

révèle ainsi le langage dans son (dis)fonctionne- leur principe dynamique vers une verticalisation
ment autonome, libéré des contraintes expres- (cf. Guyaux [1986]: 565). L’arabesque baudelai-
sives et représentatives (cf. Todorov [1978]: 214- rienne, qui tirerait «sa valeur spirituelle et esthé-
231)12 – et par la «prose poétique, musicale, sans tique de sa sécheresse volontaire, de sa précision
rythme et sans rime» (Baudelaire [1975]: 275) de décorative, de son pouvoir d’abstraire et de bri-
Baudelaire. C’est Souriau lui-même qui rappelle ser» (Richard [2015]: 180), représenterait l’«ex-
la traduction des Tales of the Grotesque and the pression calligraphique de l’aspiration spirituelle
Arabesque de Poe faite et introduite par Baudelaire à l’extraordinaire» (Pietromarchi [2013]: 84). Le
sous le titre d’Histoires extraordinaires13. La prose poème en prose Le Thyrse (Baudelaire [1975]: 335-
de l’auteur américain, capable de conjuguer paro- 336) en serait la preuve, compendium de l’«exta-
die et terreur, serait transformée en un français tique ambiguïté» de l’artiste et, plus en général,
souple et luminescent, qui restitue «le ton général des possibilités virtuellement contenues dans les
de ces récits» avec le même type d’«étrangeté, de conditions mêmes de l’art, puisque celles-ci sont
fantaisie et toutefois de rigueur des compositions traditionnellement condensées dans l’arabesque15.
d’arabesques» (Souriau [1990]: 153). Ces mêmes14 Celle-ci, en effet, contrairement à la ligne droite,
arabesques que Baudelaire, dans Fusées, définira se caractérise par son imprévisible mutabilité, son
comme «le plus spiritualiste des dessins», c’est- impermanence infinie, qui la prédispose à assu-
à-dire comme «le dessin le plus idéal de tous» mer des formes toujours nouvelles et différentes,
(Baudelaire [1975]: 652), voulant souligner ainsi au point d’en faire l’ emblème de l’expansion illi-
l’élément non seulement immatériel, mais sur- mitée de l’aisthesis: «son développement au-delà
tout idéal qui les caractériserait et qui projetterait des limites de ce qui est conceptuellement définis-
sable et analytiquement déterminable» (Valentini
[2017]: 473).
12 T. Todorov (Todorov [1978]: 132-134; voir aussi Rieus-
set-Lemarié [2017]: 118-120) fait, par ailleurs, explici-
tement référence à E. Souriau et à sa division entre arts 4. Selon Souriau (Souriau [1969]: 224, note
présentatifs et arts représentatifs quand il examine la 1), l’indocilité logico-esthétique inhérente à
question de la poésie sans vers. Il faut d’ailleurs remarquer l’arabesque serait, précisément, critiquée par ceux
que l’arabesque serait aussi la figure la plus caractéristique qui considèrent, tel l’auteur du Dictionnaire des
de l’écriture de Mallarmé. En effet, l’arabesque y apparait sciences philosophiques, Adolphe Franck (Franck
dans une trame de relations denses et imprévisibles, au [1844]: XVII), que lui accorder une entrée dans
niveau sémantique et syntaxique, selon un principe d’as-
un lexique philosophique (comme, par exemple,
symétrie et de dissonance constantes (cf. Richard [1961]:
549-550; Bevilacqua [2002]. dans l’Enzyklopädisch-philosophisches Wörterbuch
13 Dans la traduction du titre de l’œuvre de Poe, Baude- de Wilhelm Traugott Krug), constitue une «digres-
laire choisit un seul terme, d’ailleurs plus long. Il sou- sion inconvenante» pour une œuvre de ce genre.
ligne ainsi le caractère antinaturel de l’arabesque tel Une semblable marginalisation de l’arabesque,
qu’il l’entend: «titre remarquable et intentionnel, car les qui se présente comme épicentre d’un procédé
ornements grotesques et arabesques repoussent la figure ininterrompu de désorganisation-réorganisation
humaine, et l’on verra qu’à beaucoup d’égards la littérature
de l’aisthesis, qui n’a pas encore reçu de carac-
de Poe est extra ou suprahumaine» (Baudelaire [1976]:
304).
tère intentionnel, semblerait caractériser aussi
14 Il faut rappeler à ce propos la confession qu’il fait dans

la lettre à T. Thoré du 20 juin 1864: «Savez-vous pourquoi 15 Dans le bref essai Von Arabesken (Goethe [1998]: 230-
j’ai si patiemment traduit Poe? Parce qu’il me ressem- 234), J.W. Goethe avait déjà observé que «l’origine de
blait. La première fois que j’ai ouvert un livre de lui, j’ai l’arabesque se trouvait dans l’origine spirituelle propre
vu, avec épouvante et ravissement, des sujets rêvés par à toute forme d’art, c’est-à-dire, d’un côté, dans une
moi, mais des phrases, pensées par moi, et écrites par lui, légèreté festive et sans préoccupation, et de l’autre, dans
vingt ans auparavant» (Baudelaire [1973]: 386; cf. Prete la disposition à jouir de la décoration en tant que telle»
[1997]; Macchia [1988]: 209-232). (Pareyson [2000]: 184). Il faut voir aussi Cometa (2004).
54 Luigi Azzariti Fumaroli

la réflexion phénoménologique. Cette dernière (Cf. Buongiorno [2014]). L’impression purement

– comme le souligne Souriau de façon critique – esthétique que produirait l’arabesque la transfor-
tendrait à considérer que le moi doit être présup- merait donc en un pur support-supplément hylé-
posé par rapport à la réalité des phénomènes, de tique d’une appréhension objectuelle empirique, ce
manière que ce qui se manifeste soit uniquement qui la rapprocherait du jugement esthétique empi-
«phénomème de quelque chose ou pour quelqu’un» rique kantien. Mais, comme le précise explicite-
(Souriau [2009a]: 119) 16. Ce qui serait confirmé ment Husserl, il s’agirait là d’une sensation fugace,
dans l’usage récurrent de la figure de l’arabesque parce qu’elle serait bien vite destinée à se trans-
chez Husserl, et dans ce qui est dit dans les Psy- former en une représentation, c’est-à-dire dans la
chologischen Studien zur elementaren Logik. On «conscience de la représentation et du signe» (Hus-
y observe que si l’on regarde les lignes qui com- serl [1984]: 385, note). L’arabesque accéderait ainsi
posent une arabesque, on en a une intuition au statut de figuralité que la logique discursive et
directe; mais «dans un regard où les arabesques conceptuelle husserlienne identifie à l’image ico-
deviennent des signes, c’est-à-dire quand elles nique. Sans remplissage intentionnel de sens – en
revêtent le caractère d’un contenu représenté, la sachant que sens dans la sphère du visible signifie,
disposition psychique en est complètement modi- pour Husserl, représentation objectuelle-iconique,
fiée» (Husserl [1979a]: 116). La représentation figurative17 – l’arabesque resterait en effet inerte et
ainsi obtenue se fonderait sur les intuitions de à la marge de la catégorie fondamentale de l’inten-
l’arabesque précédemment données, mais ne serait tionalité (cf. Carboni [2020]: 35-52).
pas elle-même intuition, elle serait au contraire Au contraire, pour Souriau, «se placer du
une représentation symbolique (impropre). La point de vue du phénomène» de l’arabesque signi-
distinction entre ces deux types de représentation fierait mettre en œuvre une forme de «glissement»
– explique ailleurs Husserl (Husserl [1979b]: 287) (Souriau [2009a]: 119) qui ne se place pas dans les
– est due au fait que les arabesques, «qui nous ont termes propres de l’epoché phénoménologique, qui
frappés de façon purement esthétique, nous appa- fait éclore la conscience intentionnelle, mais dans
raissent tout de suite sous une tout autre lumière, les termes d’une purification de tout ce qui reste
s’il nous est possible de les appréhender comme extérieur à un pur exister, à un exister qui soit
des symboles présomptifs ou des signes linguis- «une manière spéciale, singulière, neuve et ori-
tiques, même si d’abord, à travers eux, nous ne ginale d’exister» : un «exister à sa manière» (Sou-
pensons absolument rien et si n’apparaissent en riau [1939]: 367). Il s’agirait donc de considérer
aucun cas à la conscience des exemples intui- l’arabesque en dehors de tout présupposé logiciste,
tifs de la relation entre signes, contenus indiqués, c’est-à-dire de toute connexion sémantique qui
symboles et contenus symbolisés». Ce passage, lui garantisse une valeur gnoséologique, pour la
repris presque textuellement dans la Cinquième reconnaître comme siège d’un ars inveniendi dont
des Logische Untersuchungen (Husserl [1984]: nous «ne pourrions rien dire qui ait quelque chose
384), induit à interpréter l’arabesque comme l’in- à dire» (Delfini [2020]: 297).
forme être là de la sensation, et à le rapprocher des
«contenus immanents» qui, tout en appartenant 17 R. Sokolowski (Sokolowski [2002]: 171) écrit ceci:
à la catégorie des vécus intentionels, «ne sont pas «nous sommes en train de regarder certaines arabesques
eux-mêmes intentionnels» (Ibid.: 374). Et celles-ci et d’en admirer la complexité. Tout d’un coup, nous nous
– selon le lexique des Ideen (Husserl [1976]: 210) – apercevons que ces signes élégants sont en réalité des
jouent le rôle de simples «data hylétiques», néces- mots; ils écrivent les noms de quelqu’un ou déclarent
saires, bien que non essentiels, à l’acte intentionnel quelque chose». Pour qu’advienne ce changement, pour
faire émerger une figure, pour faire apparaître un mot,
nous devons commencer par entendre différemment, car
16Sur le rapport complexe de Souriau avec la phénomé- «la nouvelle intention va au-delà de ce qui est immédiate-
nologie, voir Dondi (2019). ment présent».
« …Mais, au contraire, seulement une – arabesque ». Autour d’un motif d’Étienne Souriau 55

5. Selon la taxinomie ontologique établie par libre cours à un authentique hédonisme phonique
Souriau, l’arabesque appartient à ce que l’on appelle (cf. Jakobson, Waugh [1979]: 181-234). L’arabesque
les «virtuels», aux modes d’existence pour lesquels ne semblerait pas non plus, en tant qu’«hésitation
«n’est ni nécessaire ni présent aucun accomplis- prolongée entre le son et le sens» (Valéry [1960]:
sement en représentation ou en vision» (Souriau 637), proche de l’«ineffable» qui indique «notre
[2009a]: 136). Ceux-ci sont intrinsèquement ina- impuissance à exprimer» (Valéry [1960]: 183; cf.
chevés: «ils apparaissent, disparaissent, se transfor- Dragonetti [1961]: 149-156, notamment 152).
ment au fur et à mesure que la réalité elle-même Quand on cherche à déterminer la forme pre-
change; ils n’ont aucune solidité, aucune assise, mière du fait littéraire, il ne faudrait pas penser
aucune consistance» (Lapoujade [2017]: 32). Leur au «domaine des amusettes, des fantaisies», aux
façon de subsister est perpétuellement in fieri. Si vocalisations arbitraires et aux glossolalies, au sou-
cela est devenu évident depuis que Souriau a sou- venir atavique d’un quelconque langage primor-
ligné «le galbe inchoatif» de l’arabesque, c’est-à- dial supposé; il faudrait plutôt fouiller au milieu
dire ce qui place l’arabesque tout entière (Souriau des «menus copeaux plaisants dans la menuiserie
[2009a]: 136) dans son acception d’ornement, au littéraire» (cf. Souriau [1969]: 217-219): chercher
caractère algébrisant, abstrait, dans son accep- parmi les mots et les langages créés par des auteurs
tion de composition musicale qui semble «tra- tels Henri Michaud, Marcel Duchamp, Raymond
cer des lignes sonores capricieuses et à certains Queneau, Jean-Pierre Brisset19.
égards purement décoratives» (Souriau [1990]: À ce propos, dans le «séminal» (Lecercle
153), il reste à comprendre comment la virtualité [1994]: 31), Sur l’esthétique des mots et des langages
de l’arabesque peut se concrétiser dans le domaine forgés, Souriau observe que dans l’éloignement
littéraire. En effet, si l’on ne réduit pas l’arabesque des normes lexicales pour donner vie à une néo-
à un pur motif symboliste, à l’esquisse de la nais- langue littéraire, ce qui est à l’œuvre n’est pas une
sance d’un objet, comme semblerait l’avoir fait sorte d’hérésie, subversive dans la mesure où elle
Edgar Poe (cf. Weber [1966]: 33)18, et si on l’en- s’oppose à une norme contingente20, mais bien une
visage, au contraire, comme le simple ensemble véritable «transgression», qui se place aux limites
mélodique des consonnes et des voyelles, conte- du «hors langage» (Souriau [1965]: 34), de façon
nant en soi une pure réaffirmation du noyau asé- à garantir à l’artiste des «ressources, efficaces et
mantique de la parole, il faut observer les œuvres variées» (Ibid.: 44).
qui utilisent le langage sans aucun égard aux êtres Souriau rappelle (Souriau [1969]: 151) que
et aux choses évoquées selon les conventions habi- Shelley, avant même la théorie baudelairienne des
tuelles de la signification et des mots. Toutefois, ce correspondances21, avait reconnu dans l’«imagi-
qu’il faudrait prendre en considération, ce ne sont nation» (imagination, Bildungskraft) la faculté de
ni les hiéroglyphes sonores de Vico (cf. Vico [2012]: percevoir la «similitude entre les choses», avait
947 ss.), dans lesquelles, dans une parfaite unité de affirmé que les «poètes, au sens le plus univer-
son, de figure et de couleur, serait synthétisée la sel du terme» se servent d’un langage capable de
langue originelle de l’homme (cf. Vitiello [2008]: révéler des relations pas encore perçues entre les
90 ss.), ni certains artifices rhétoriques qui se choses, en en prolongeant la perception, «jusqu’à
trouvent en deça du silence, tels ceux des Elegien ce que les mots qui les traduisent deviennent, avec
de Rilke (cf. Jesi [1971]: 103), ou bien qui donnent le temps, des signes de parties ou de catégories de

19 Cf. Bausani (1974); pour Brisset, il faut voir Foucault

18 J.-P.
Weber (Weber [1966): 33) rappelle notamment que (1970); plus en général, cf. Klein (2016).
Souriau, rapporteur de son mémoire de maîtrise, l’avait 20 Comme cela a été soutenu, au contraire, par Riffaterre

invité à relire les Tales of the Grotesque and Arabesque de (1973); cf. Corbin (1987).
Poe, parce qu’il allait y trouver quelque chose pour soute- 21 Cf. Charpentier (1921); voir aussi Benjamin (1982):

nir ses opinions sur la naissance de l’objet. 468.

56 Luigi Azzariti Fumaroli

pensées, au lieu d’être des images de pensées inté- à laisser les mots se combiner entre eux, faisant
grales» (Shelley [1890]: 2-4). Et c’est ainsi que ces naître une arabesque d’inventions phonétiques,
signes révèlent – comme le rappelle Edgar Poe sémantiques et morphologiques, qui jaillissent
(Poe [1884]: 170) à la suite du poète anglais22 – l’une de l’autre comme dans le dessin d’un «tapis»
un lien intrinsèque avec l’élément musical, indéfini (Souriau [1969]: 245).
en soi, en se plaçant au delà de la logique, de la Avec la transposition de la forme de
similitude et de la comparaison. Mais si l’on peut l’arabesque sous la forme du tapis, et donc dans
– comme l’observe Souriau (Souriau [1969]: 154) une perspective à laquelle correspondrait une gno-
– affirmer que la poétique de Shelley est la quin- seologia inferior, dans la mesure où elle est cen-
tessence de ce qui, pour l’analyse esthétique, peut trée sur un élément ornamental24, la forme pri-
être qualifié d’authentique forme primaire littéraire, maire linguistico-littéraire revêt le caractère d’une
il est tout aussi vrai que, «dans leur forme secon- absoluité décorative sans représentation. Dans le
daire», les pages du poète anglais sont entièrement tapis, l’espace et le temps sont le tapis lui-même
dominées par la forme secondaire, c’est-à-dire par (cf. Bettini [1996]: 169). Celui-ci se fait texte, un
tout ce que requièrent les exigences du sens. De ce texte chatoyant et brillant de multiples styles,
point de vue, la référence de Souriau à une dimen- un clair-obscur de langages, qui tout en finesse
sion hors langage semblerait suggérer un rappro- change d’aspect, si ce n’est de sens, selon la façon
chement avec ce que Maurice Blanchot définit dont il est parcouru par le regard, par l’écriture,
comme une écriture hors langage (Blanchot [1969]: par le discours ou même simplement par le sou-
319-321)23, entendant définir par là un langage venir. Parce que «l’essence de la prose est de périr
qui n’a plus aucun lien ni avec le discours parlé ni – c’est-à-dire d’être comprise – c’est-à-dire dis-
avec le discours écrit, dans la mesure où tous deux soute, détruite sans retour, entièrement rempla-
prétendent exprimer un langage «qui représente», cée par l’image» (Valéry [1957]: 1501) – ou par
c’est-à-dire «qui reçoit et donne le sens». Il s’agit l’arabesque.
d’une «écriture […] que tout discours, y compris
celui de la philosophie, recouvre, récuse, offusque»
(Ibid.: 41). Cette écriture est toujours et seulement REFERENCES
«“pas encore”» (Blanchot [1959]: 154) à l’œuvre,
Abbatino, L., 2016: Robert Schumann filosofo. L’arte
parce qu’elle est porteuse d’une signification qui
poetica romantica, Mimesis, Milano-Udine.
n’est ni claire ni distincte ni pensée expressément,
Allen, W.S., 2019: Blanchot and the Outside of Lit-
mais reflétée sur un plan spéculaire où elle brille
erature, Bloombsbury, New York.
un instant pour tout de suite s’évaporer (cf. Allen
Balzac, H. de, 1869: Œuvres complètes. L’Enfant
[2019]).
maudit Gambara Massimilla Doni, Calmann-
Cependant, cette phosphorylation (cf. Barthes
Lévy, Paris.
[1972]: 32) du langage ne semblerait pas, chez
Barthes, R., 1972: Le Degré zéro de l’écriture, Seuil,
Souriau, coïncider avec un retour à «un silence
Paris.
enfin reconquis et plus pur» (Gracq [1960]: 860);
Baudelaire, C., 1973: Correspondance, éd. par C.
Souriau tendrait plutôt à placer le langage sous le
Pichois, Vol. I, Gallimard, Paris.
signe d’un «inachèvement» (Souriau [2009b]: 195-
Baudelaire, C., 1975: Œuvres complètes, éd. par C.
196), qui le soustrait à toute signification, de façon
Pichois, Vol. I, Gallimard, Paris.

22 Pour une analyse de l’influence de P.B. Shelley sur E.A. 24E. De Vito (De Vito [2015]: 117-123) a soutenu que
Poe, voir Power (1964): 99-120, notamment, 115 ss. ceci serait spécifique à la conception de la décoration de
23 Si les convergences de vue entre Souriau et Blanchot W. Benjamin, qui constituerait la forme gnoséologique
sont évidentes, en ce qui concerne les questions de nature par excellence, la configuration idéale. Cf. Benjamin
théologique, voir Brémondy (2010): 73-76. (2009): 38.
« …Mais, au contraire, seulement une – arabesque ». Autour d’un motif d’Étienne Souriau 57

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doi: 10.36253/Aisthesis-13970
Aline Wiame
Copyright: © 2022 A. Wiame. This is an
open access, peer-reviewed article Université Toulouse - Jean Jaurès; ERRAPHIS research team
published by Firenze University Press [email protected]
(http://www.fupress.com/aisthesis) and
distributed under the terms of the Cre-
ative Commons Attribution License, Abstract. This article examines the particular way Souriau’s concepts of instauration
which permits unrestricted use, distri- and modes of existence have been inherited by Bruno Latour in his Inquiry into Modes
bution, and reproduction in any medi- of Existence. It suggests that Bruno Latour has hacked some key-aspects of Souriau’s
um, provided the original author and general ontology in order to regionalize it and, by doing so, to give the Moderns an
source are credited. accurate depiction of the plurality of beings they hold dear. It then shows how Sou-
riau’s concept of instauration is crucial to Latour’s project of rethinking and repopulat-
Data Availability Statement: All rel-
evant data are within the paper and its
ing modern institutions, in a gesture aimed at making metaphysics a vital practice that
Supporting Information files. has the power to make the world worth of worrying and caring for.

Competing Interests: The authors Keywords: Souriau, Latour, Ontology, Modernity, Modes of existence.
have declared that no competing inter-
ests exist.

SOURIAU’S COMEBACK, THE HISTORY OF A

MISUNDERSTANDING?

Since his death in 1979, Étienne Souriau has never been totally
forgotten in French Academia. Most philosophy and arts students
and professors know at least the Vocabulaire d’esthétique he codi-
rected with his daughter (Souriau, Souriau [1990]) and academics
working in the field of aesthetics may know his work, both insti-
tutional and philosophical, regarding aesthetics as a distinguished
philosophical field, in itself and in its comparative endeavors. How-
ever, Bruno Latour and Isabelle Stengers were right when, in their
presentation of the reedition of The Different Modes of Existence,
they underlined that Souriau’s «name and his work have disap-
peared from memory» (Latour, Stengers [2009]: 11-12; 1)1. What
they meant was that, while Souriau’s name may still be quoted by

1Through this whole article, when a text has first been published in French,
the first page number refers to the English translation and the second to the
French original version.

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 61-70, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13970
62 Aline Wiame

aestheticians, his metaphysical work had fallen religion, and economy as they exist today amongst
into oblivion. the Moderns.
If the 2009 French reedition of Souriau’s Dif- Maybe the relatively modest comeback of Sou-
ferent Modes of Existence, first published in 1943, riau as a metaphysician can be explained by this
has allowed for a comeback of Souriau-as-a-met- confusing editorial context, which can lead to the
aphysician, one can only wonder about the extent conclusion that Souriau’s concept of modes of
and the nature of this comeback. Since the French existence was simply an impetus for Latour’s phil-
reedition and its subsequent translation into Eng- osophical project – and, as Latour’s project wants
lish in 2015, no other metaphysical book written to address the pressing problem of global warm-
by Souriau has been reedited – even L’Instauration ing and the reorganization of the coordinates of
philosophique (1939), whose title promises an in- Modern thought it imposes, his situated ontology
depth exploration of Souriau’s key-concept of seems to be more urgent to understand than the
instauration, only exists as an old book in univer- metaphysics that “only” served as its lexical back-
sities’ libraries or as a scanned PDF emailed spo- ground. The history of Souriau’s contemporary
radically to a small community of Souriau enthu- reception through Latour’s work is, truly, the his-
siasts. tory of a vast misunderstanding, a term I do not
The modesty of Souriau’s comeback can be use lightly. There is obviously a misunderstand-
partly explained by a misunderstanding relative- ing regarding the different and sometimes oppo-
ly to the context of The Different Modes of Exist- site meanings that Souriau and Latour respectively
ence’s reedition. Not only does the 2009 book give to the concept of modes of existence. But, in
come with a long introduction by Latour and addition to this evident misinterpretation, I intend
Stengers (two names largely more preeminent to demonstrate that there is a deeper and sub-
today than Souriau’s name) but, in addition, Sou- tler misunderstanding: even when Latour’s writ-
riau’s reedition has been quickly followed by the ing seems to be directly influenced by Souriau
French publishing of one of Latour’s most impor- (through the concepts of pluralistic ontology or
tant books: An Inquiry into Modes of Existence. instauration, for instance), there is always a twist
An Anthropology of the Moderns (2012). The reso- if not an abrupt reversal. Latour, I want to argue,
nance between Latour’s title and Souriau’s one is inherits Souriau’s thought in the manner of a
voluntary: Latour explicitly states that his work hacker: he dives deeply into the system but to bet-
has been influenced by Souriau’s own inquiry ter crack the code and do something completely
(see Latour [2006]). And yet the apparent con- different with it.
gruence between Souriau’s and Latour’s respective There is nothing wrong with misunderstand-
approaches can only lead to misunderstandings: ings: historians, politicians, scientists, or psycho-
Souriau’s theses are strictly metaphysical and lean analysts could all convincingly make the case that
towards a general (although quite idiosyncratic) they are the very fabric of this world. Consequent-
ontology, while Latour’s book, as its subtitle indi- ly, in this article, I will neither aim at setting the
cates, ambitions to be anthropological and, by record straight by clearly assessing what belongs
focusing on an anthropology of the Moderns (this to Souriau and what belongs to Latour nor try to
strange, elusive collectivity of Western and west- explain Souriau through Latour or the converse. I
ernized people), claims that ontology is always will rather consider that misunderstandings can be
regional (see Debaise [2022]). A reader wanting fruitful and creative once they are distinguished
to understand Souriau through Latour, or Latour from confusion and I will thus focus on the con-
through Souriau, can only be confused: the first tact zone between Souriau and Latour: what does
one writes about classical, metaphysical concepts Souriau’s thought produce on Latour’s inquir-
such as phenomena, ontic beings, the virtual, and ies? Which misunderstandings become points of
transcendence; the second about sciences, politics, convergence or divergence, allowing for Latou-
About a Fruitful Misunderstanding: From Souriau’s Modes of Existence to Latour’s Ecologizing Inquiries 63

rian, contemporary reinstitutions of Souriau’s time [Ibid.: 203; 182]). Faced with the risk of los-
ideas? And how does the metaphysics of someone ing the unifying power of reality grasped as one
who called for the «Accomplished Man, who has world, it seems, Souriau argues, that most philoso-
reached his sublime stage and become the mas- phers have opted for the radical and yet common
ter of the destinies of all the other beings in the solution of positing only one mode of existence.
world» (Souriau [1956]: 239; 216) become, once Beings then only exist in one and the same way –
hacked by Latour, a tool for ecologizing thought? real, ontological pluralism be damned. The appar-
ent existential pluralism we encounter in many
Western philosophy treatises, Souriau suggests, is
DE-FLATTENING THE WORLD WITH THE not modal but only categorial and, worse, limited
TONES OF EXISTENCE to the categories of knowledge. In other words,
most forms of pluralistic ontology in classical phi-
Before both Souriau and Latour begin to count
losophy refer to different ways of talking about
and to describe the specific modes of existence
beings rather than to different ways of being,
encountered in their respective inquiries, they
which include knowledge without being limited
open their books with a similar concern: phi-
to it (Latour, Stengers [2009]: 33-34; 22-23) – a
losophy – or, in Latour’s case, modern thought
critique that extends from Aristotle to Kant and
­– could very well contribute to a flattening of the
beyond (Souriau [1943]: 103-105; 85-87).
world and of the irreducible plurality of beings
Or, rather, it is Latour who sees in Souriau’s
that inhabit it. In Souriau’s words, those who
metaphysics something Souriau only suggests by
manipulate concepts and shape knowledge are
evoking «intensive modulations» (Ibid.: 114; 93)
always faced with the questions: «Which beings
and «polyphonic voices of existence, which are its
will we take charge of in our minds? Will knowl-
various modes» (Ibid.: 214; 193): modes of exist-
edge have to sacrifice entire populations of beings
ence are not to be understood as ways of saying
to Truth, stripping them of all their existential
and knowing but must be construed in the musi-
positivity; or, in order to admit them, will it have
cal sense of the term. They give the tone, or the
to divide the world into two, into three?» (Sou-
clef, of specific ways of being with their irreduc-
riau [1943]: 103; 84). Those are key questions as
ible voices (Latour [2006]: 309; 22). A phenom-
they oblige us to seriously consider the possibility
enon that manifests existence (through the green
that a given ontology both sacrifices real beings
of the grass in the morning sun or a work of art)
into oblivion and is at risk of dividing one world
cannot be listen to and addressed in the same way
of live hypotheses2 into several worlds unable
we understand the persistence of the identity of
to communicate with one another and thus los-
a thing through time, or in the manner we assess
ing their live hypotheses or existential strengths
that Jean Valjean is a believable fictional character
(as Souriau underlines, if a young man has the
(Souriau [1943]: 133-162; 113-142). Latour’s musi-
making in himself to be either a Don Juan or a
cal interpretation of Souriau’s inquiry has for tac-
saint, it would be absurd to suggest the reality of
tical consequence to make the two thinkers come
a unification where he becomes both at the same
closer around the aim they pursue: de-flattening
the world by affirming it is a polyphony made of
2 I borrow the concept of live hypothesis from William distinct beings with their own music, their own
James, who claims the importance of distinguishing voice, their own tone. If, for Souriau, this thick-
dead hypotheses (which are trivial and do not appeal to ening of the world has mainly an ontological and
our existential beliefs) from live, important, and existen- existential purpose that remains confined to the
tial ones. For instance, believing in the Mahdi is a dead field of philosophy (even if, as he underlines, «phi-
hypothesis for Christians or atheist people but can be a losophy would not be worth one hour’s exertion
live hypothesis of the uttermost importance for a Muslim
(James [1897]: 2-3).
if it failed to equip us for life» [Ibid.: 212; 190]),
64 Aline Wiame

Latour quickly understands the ethical and politi- of the modernist parenthesis» (Ibid.: 8; 20). With
cal consequences of such a gesture. Souriau, he the Anthropocene, the «increased intermixing of
writes, is a philosopher of manners – manners of humans and nonhumans» it brings forth (Ibid.: 9;
being and good manners to co-exist with other 23), and the decaying modern institutions that will
beings – who invents «the polite respectfulness need to be thought and build anew if we want a
of good manners in one’s conduct with others» chance of facing forthcoming ecological catastro-
(Latour [2006]: 308; 22). phes with a modicum of dignity, everything indi-
The importance of articulating good manners cates that we should place the process of moderni-
with the polyphonic tones of beings proves itself zation behind us and learn how to compose with
central to the Inquiry into Modes of Existence’s pro- a diversity of hybrid beings, mixes of facts and
ject. The book begins with a diagnosis central to values, with each its own tune that the Moderniza-
the whole of Latour’s work: the Moderns do not tion front had silenced. Composing with a diver-
know how to properly talk about themselves or, in sity of beings and practices instead of modernizing
Latour’s own words, they have «forked tongues» through dualisms is what Latour calls ecologizing:
(Latour [1991]: 37; 57) – they do not say what they «between modernizing and ecologizing, we have to
believe and they do not believe what they say. The choose» (Ibid.: 8; 20).
Moderns are the ones – wherever they stand on I use composing and ecologizing as synonymous
the globe – who claim that they have discovered in an echo both to Latour’s Compositionist Mani-
pure objectivity (Nature or Facts), distinct from festo (2010) and to his musical interpretation of
any system of beliefs or social constructs (Society Souriau’s ontology. It is, indeed, Souriau’s concept
or Values). However, in practice, outside of phi- of numerous modes of existence that allows the
losophy treaties, the Moderns never cease to tres- vast attempt at an ecological composition in the
pass the supposedly sealed boundary they have Inquiry into Modes of Existence: once you state, as
established between facts and values – two years Souriau did, that there is more than one or two
of an ongoing pandemic are more than enough ways of being, you escape not only the dualism of
to attest we cannot talk about and (try to) adapt the Modernization Front (facts and values, objec-
to a virus without strange amalgams of medicine, tivity and subjectivity) but also the temptation to
biology, politics, hygiene and mental health poli- reduce all ecological questions to the meta-dual-
cies, economy, ethics, and a whole array of societal ism, introduced into modern philosophy by the
reactions ranging from life-and-death fears to con- linguistic turn, between the things of the world
spiracy theories. The dualism between (objective) and their signs. As Latour writes:
facts and (subjective) values that the Moderns say
they hold dear while practically always transgress- It is precisely in order to give up the sign/thing dis-
ing it results from what Latour calls, in his Inquiry, tinction completely that I have chosen to speak of
a «Modernization front» that seemed to inexora- «mode of existence», a term introduced into philos-
bly advance from an archaic past of irrationality ophy in a masterful way by Étienne Souriau. We are
going to be able to speak of commerce, crossings,
(confusion between facts and values) to a radiant
misunderstandings, amalgams, hybrids, compromis-
future of progress with its crystal-clear clear dis-
es between modes of existence [. . .], but we shall no
tinction between objective Science and subjective
longer have to use the trope of a distinction between
values (Latour [2012]: 8; 20). Modernized were world and language. What counts in this argument,
the ones who called themselves rational and said moreover, is not so much the choice of terms we use
their Knowledge was expurgated from beliefs, val- on either side of the distinction as the fact of man-
ues and subjectivity; archaic those who persisted in aging at last to count beyond two. Are we going to
believing in diverse amalgams of facts and values. be able, in the course of the inquiry, to push ontol-
It is Latour who uses the past tense when writing ogy to take into account more than two genres, two
about the Modernization front, recording the «end modes of reality? (Latour [2012]: 146; 153)
About a Fruitful Misunderstanding: From Souriau’s Modes of Existence to Latour’s Ecologizing Inquiries 65

We now better understand why Latour had to erns have consciously depopulated their world;
give a musical interpretation of Souriau’s modes of «they have become expert exterminators» (Latour
existence. This gesture puts language games out of [2012]: 176; 181). As Debaise (2022) notices, the
the picture once and for all to insist that we have Moderns (a term that includes the forcibly or
to compose with beings and networks of beings willingly modernized) are characterized by a spe-
and not with mere discourses about them. But, in cific way of (not) inhabiting the Earth: while they
addition, we begin to comprehend that, for each pretend to have the one and only right, univer-
mode of existence we encounter, we will have to sal categories to know the world, those categories
push ontology in order to attune to the specific are in fact so broadly misconstrued and abstract
requirements and conditions of felicity of each that they depopulate the world of the beings oth-
mode, outside of the too broad categories of object er than modern and, even, of the practices and
and subject, and amongst polyphonic networks beliefs the Moderns themselves are attached to
of intermixed modes of existence, since count- without being able to address them in the right
ing beyond two implies successful convergences manner. Consequently, the Earth of the Moderns,
as well as risky reductions. At this point, a read- which is originally historically and geographically
er familiar with both Souriau and Latour realizes situated, has become an uninhabitable, off-ground,
that there is more to Latour’s gesture than a musi- abstract place where a variety of modes of exist-
cal (re)interpretation of Souriau’s metaphysics; ence have been denied. Hence, Debaise contin-
there is also a hacking trick at stake. If both think- ues, the political charge at the core of the Inquiry
ers try to count beyond two and identify an arbi- into Modes of Existence: learning at last how to
trary number of modes of existence that could still count beyond two and attuning to different modes
grow3, Souriau’s system draws the lines of a gener- of existence is resisting the modern denegation,
al ontology that seems to be aiming at perfecting and making exist what had been denied. Latour
the modern project with a lexicon of conquest and writes that the aim of his Inquiry is to propose to
development (see Souriau [1943]: 181; 160-161, the Moderns «a more sustainable habitat» (Latour
for instance), while Latour’s tonal push refutes any [2012]: 22; 34).
pretention to a general ontology and insists on It is at this level that Latour’s hacking trick
the situated character of every mode of existence, intervenes. If Souriau’s undefine number of modes
intricated with other modes of existence the Mod- of existence is the pretext for conquering yet
erns actually believed in but silenced at the same unknown domains of existence in general, Latour’s
time. In other words, Latour radicalizes Souriau’s pluralistic ontology is, on the contrary, a tool for
pluralism to make patent that the general ontol- humbling the Moderns, as this plurality of modes
ogy the Moderns pretended to possess has always of existence situates and regionalizes their broad
been, actually, a regional one. It is only by region- ideas from the inside. The different modes of
alizing ontology that a true ecologizing is possible. existence are not to be searched for beyond what
we think we already know, but in the very fabrica-
tion of the too-broad abstractions we take for uni-
HOW MODES OF EXISTENCE BECOME vocal, granted institutions. I shall demonstrate this
ECOLOGIZING TOOLS with two examples, which concentrate both the
originality of Latour’s thought and many criticisms
If Souriau writes about conquering new modes
it encounters: Science, and Capitalism.
of existence, Latour’s inquiry, on the other hand,
If Latour is firstly known as a philosopher (or
is born from a more terrible statement: the Mod-
a sociologist) of sciences, readers of the Inquiry
into Modes of Existence do not find in its pages a
3About the arbitrary character of the number of modes depiction of Science as a mode of existence – it
of existence they classify, see Souriau (1943): 181; 160-
161 and Latour (2012): 479; 477.
is a too abstract, too broad, too off-ground con-
66 Aline Wiame

cept which does not contribute to the build- of its repetition, thus defining from stage to stage
ing of a more sustainable habitat. Scientists, on a particular trajectory, with the whole obeying
a daily basis, do not work with Science, Latour particularly demanding felicity conditions: to be
argues, but with a variety of practices that should or no longer to be!» (Ibid.: 91-92; 101). As Latour
be understood through the connections of two underlined during the Où atterrir? Summer school
modes of existence erased in statements such in July 2022, being attuned to the REP tone goes
as «Science says» or «Science has established». far beyond a disinterested knowledge of an entity,
Those modes of existence have the «musical» clefs since wanting to persist in one’s own being can
«REF» and «REP»4, respectively for «reference» be full of pathos and harshness for someone who,
and «reproduction». The REF mode of exist- like he was himself, is fighting cancer, for instance.
ence is already analyzed in depth in Pandora’s Defining sciences at the crossing of the REF
Hope (Latour [1999]: 24-79): it escapes the dual- and REP modes of existence, stating that scien-
istic conception of knowledge as a mimetic corre- tific knowledges are produced when the diffi-
spondence between the knowing subject and the cult attunement of these two tones is maintained,
known thing to show us that what scientists prac- draws a more complicated picture of sciences than
tically do is constantly translating the item they the reductionist understanding of Science as the
study (a mountain to be mapped, for instance) objective mirror or reality. But only this difficult,
into various documents (data tables, photographs, ontological pluralism gives space to the Modern
GPS coordinates, a map, and so far) along a chain to honor what they truly value on a repopulated
of references in which what matters is not to lose Earth: situated and successful translations only
the precise and situated connection between the possible through a composition of various skills,
different links (see Latour [2012]: 74-85; 84-95). celebration of the power of beings that persist in
The REF mode of existence has the capacity to their beings despite perilous hiatuses… Those
describe the materiality of scientific practices and are modes of existence worth fighting for, that
their strengths at establishing successful transla- Latour’s hacking of Souriau’s ontology can fore-
tions between various supports without mystifying ground.
knowledge as a monolithic, theoretical function In a reverse way, this pluralization from within
that would simply copy the one and true inner of the Modern’s modes of existence can also allow
essence of a thing. This means that scientists, in to situate and humble an enemy that would oth-
their practices, deal with other tones of beings, erwise seem too powerful, too big to fail, if it was
other modes of existence than objects that would only defined as a monolithic abstraction and not
let themselves be reduced to a knowable thing. as a complicated crossing of different modes. I am
Actually, what scientists work with alongside a thinking here of Capitalism, and of the numerous
chain of references are beings whose first purpose criticisms a part of the leftwing fringe of French
is not to be known but to, crucially, continue to academia has been addressing to Latour regard-
exist – a mode of existence Latour calls REP, for ing the supposedly absent status of capitalism in
reproduction: «Let us thus use [REP], for repro- his ecological thought. In an opinion column that
duction (stressing the “re” of re-production), as circulated widely in the Fall of 2021, French phi-
the name for the mode of existence through which losopher Frédéric Lordon writes: «[Latour] has
any entity whatsoever crosses through the hiatus found an infallible method: capitalism does not
exist. It is only a word. You can of course desig-
4 What I call the clefs or tones of modes of existence thor- nate things with this word but they are so numer-
ough this article are also named «prepositions» by Latour, ous and compose such a profuse and complex
a coining he draws from William James on the basis of assemblage that in the end, you do not understand
a brief allusion Souriau makes to the pragmatist phi- what you are saying. It is better not to talk about
losopher (see Souriau [1943]: 174; 153-154 and Latour
[2006]: 306; 20).
it» (Lordon [2021]; my translation). The attack is
About a Fruitful Misunderstanding: From Souriau’s Modes of Existence to Latour’s Ecologizing Inquiries 67

such a misconstruction of Latour’s thinking and ralistic ontology to make it a regionalized and
writing that it would not deserve a line of com- political, ecological tool, humbling the Moderns
ment if it was not a perfect example of the exact from within while trying to give them a more
opposite of the ecologizing gesture Latour deploys sustainable habitat. However, the questions raised
in his Inquiry5. Latour, indeed, refuses to recog- in the introduction to this article seem to remain
nize capitalism as one of the modes of existence exactly the same: if Latour analyzes modern econ-
characterizing the modern way of inhabiting the omy, politics, and sciences while Souriau writes
Earth; according to him, we can only understand about phenomena, things, souls, and transcend-
capitalism at the crossing of three modes of exist- ence, shouldn’t we conclude that the latter has
ence ([ATT]achment; [ORG]anization, [MOR] only nominally influenced the former’s pluralistic
ality). Stating that, for Latour, it is better not to ontology? This conclusion would be totally justi-
talk about capitalism sounds as a bad joke as he fied if we did not pay attention to the necessary
devotes almost a hundred pages of the Inquiry to connection between Souriau’s concept of modes of
the intricated way these three modes and their existence and what he calls instauration – a con-
crossings define what the Moderns call economy nection that is also vital to the way Latour inherits
(see Latour [2012]: 381-474; 381-471). This plu- from Souriau, although in his hacker way.
ralization of the modes of existence characterizing
modern economy does not aim at an overcom-
plication that would inhibit any kind of action; THE INSTAURATION OF A WORLD AT LAST
on the contrary, this ontological pluralism wagers WORTH OF WORRY
that it is because we give ourselves too massive
There is, actually, one mode of existence
and ill-described enemies that we make ourselves
Latour’s Inquiry borrows directly as it is: the one
unable to even begin grasping how they could be
of fictional characters. Fictional beings, Sou-
fought (even the most suborned communist can
riau writes, exist in their own particular, fragile
acknowledge that the mere slogan Let’s abolish
way. Jean Valjean or Captain Ahab do not exist
capitalism has no power to change anything to our
as things or bodies do, independently of whether
current conditions of life in a foreseeable future).
we think of them or not; they need their creator
Patiently describing the different, material instan-
and then their readers to care about them in order
tiations through which we encounter capitalism in
to deploy their full existence. They are «beings
our daily lives; giving voices to modes of existence
that are present and exist for us with an exist-
that are silenced by the magic word capitalism;
ence based in desire, concern, fear, or hope, or
weighting the conflicts of values we face when
even fancy and diversion. We could say of those
analyzing the complex ways in which modern
beings that they exist in proportion to the impor-
economy works – all of these approaches brought
tance they hold for us» (Souriau [1943]: 153; 133).
forth by Latour’s pluralistic ontology can give us
Fictional beings thus have what Latour, follow-
a chance to distinguish precise and situated forms
ing Souriau, calls a solicitudinary existence – they
of modern institutions where our acts and choices
need our solicitude, our care, our worries to exist,
can make a difference.
and they «come to us and require that we prolong
At this stage, hopefully, one can more clearly
them, but in their own way, which is never stated
understand how Latour has hacked Souriau’s plu-
but simply indicated» (Latour [2012]: 242; 246).
It should not surprise us that the solicitu-
5 In 2021, Latour simply answered to Lordon’s post by dinary mode is the only mode of existence that
tweeting the link to the text of a 2014 conference he gave Latour borrows from Souriau as it is. As Latour
about the affects of capitalism: http://www.bruno-latour. underlines, there are no guidelines, no fixed
fr/sites/default/files/136-AFFECTS-OF-K-COPENHA- methods to establish the consistency of a fiction-
GUE.pdf.
68 Aline Wiame

al being, which makes their condition of felicity a concept that escapes the traps of constructivism
and veridiction particularly difficult. Sometimes, or criticism to acknowledge that we live on a dam-
a fiction works out, sometimes not, according to aged planet where modes of existence and beings
the way a creator is able to let himself be acted have been silenced or misunderstood and where
by the characters developing through his writing. a continued sustainability requires that we attune
Through the making of fictions, we meet worlds to those beings, damaged as they are, rather than
that could fail and that need a specific attention dreaming of a tabula rasa which always comes
to exist. This specific attention, this state of con- with too-abstract utopias. Latour writes as much
cern for beings and for a world whose accom- in the first part of his Inquiry, which deals with
plishment is not a given but could very well fail, the method his conceptual journey calls for: «the
is at the core of Souriau’s whole philosophy and act of instauration has to provide the opportunity
makes the originality of his key-concept of instau- to encounter beings capable of worrying you. Beings
ration. Instauration is akin to the more traditional whose ontological status is still open but that are
concept of creation, but with a twist: while crea- nevertheless capable of making you do something,
tion can be accomplished ex nihilo by an almighty of unsettling you, insisting, obliging you to speak
maker who would generate existence by following well of them» (Ibid.: 161; 167). The worry for a
a (teleological) project, instauration is what Sou- world that we depend on as much as it depends
riau calls a «drama of three characters» (Souriau on us is thus common to Souriau and Latour, and
[1956]: 229; 205) that follows an uncertain jour- it obliges us to consider metaphysics not as a gra-
ney implying the Man who creates, the still virtual tuitous exercise but as a practice having the power
work-to-be-done, and the concrete, material pres- of silencing or respecting modes of existence in
ence of the work as it is realized. If the work of art their equal dignity. «Yet mind which reality you
is Souriau’s favorite example, everything that does bear witness for [...], whether it be rich or poor,
not yet exist in its full potential can be the object leading to the most real or to nothingness. For if
of this instaurative journey, be it a philosophy you bear witness for that reality, it is judging you»,
book, a life, or even the world. What matters is Souriau writes (Souriau [1943]: 212).
the tension between the virtual work-to-be-done Paradoxically, Latour’s original «hacking trick»
and its material realization, which could fail. Sou- of regionalizing ontology while Souriau writes
riau’s world is a world of worries, where nothing is about «the Man» deepens and enlightens a cru-
granted, where we cannot create from nothing but cial flexion that already inhabited Souriau’s con-
are always called by more or less virtual existences cept of instauration. As Lawlor (2011) notices,
that preexist and oblige us – hence Souriau’s enig- the word instauration is semantically close to the
matic formula of what he calls the sphinx of the ideas of institution and instituting and, from its
work: «Guess, or thou shall be devoured»6 (Ibid.: Latin roots, carries at the same time the idea of a
229). This formula is often quoted by Stengers and recommencement of what had not been able to be
Latour, and Latour repeats it in his Inquiry (Latour (Instaurativi ludi were games celebrated in place of
[2012]: 245). those that were interrupted – see Souriau [1939]:
The risky and worried search for a pluralis- 73). Recommencement and institutions are crucial
tic world that needs us to care for its variety of to Latour’s reading of Souriau – Souriau, Latour
tones and that makes us dependent on its diver- writes with Stengers, «recognized that institutions
sity of beings is probably the one trait of Souriau’s are as fragile as a work of art» (Latour, Stengers
thought Latour directly inherits – without a mas- [2009]: 86; 74). But the idea that institutions are
sive hack. Latour’s regionalizing of ontology needs fragile and need to be re-made, recommenced,
is most importantly the crux of the Inquiry into
Modes of Existence. Regionalizing a pluralistic
6 Translation modified to better suit the French devine
(guess and not work it out).
ontology is vital to us who have been modern-
About a Fruitful Misunderstanding: From Souriau’s Modes of Existence to Latour’s Ecologizing Inquiries 69

ized in order to instaurate the beings we value Le Sphinx de l’œuvre, introduction à Souriau,
«in institutions that might finally be designed for É., Les Différents Modes d’existence suivi de
them» (Latour [2012]: 7; 19). The aim of Latour’s De l’œuvre à faire, Presses Universitaires de
Inquiry is to give the Moderns institutions at last France, Paris, pp. 1-75].
pluralized, at last situated, at last ecologized, at last Latour, B., 1991: We Have Never Been Mod-
worth worrying and valuing, so that the Moderns erns, transl. by C. Porter, Harvard University
have a sustainable way of inhabiting the Earth Press, Cambridge (Mass.) 1993 [Latour, B.,
thanks to an instaurative process. 1991: Nous n’avons jamais été modernes. Essai
Latour’s hacking of Souriau’s thought thus d’anthropologie symétrique, La Découverte,
proves itself to be very Sourialian: one can argue Paris, 1997].
that Latour has instaurated Souriau, has recom- Latour, B., 1999: Pandora’s Hope. Essays on the
menced his conceptual gesture but for the con- Reality of Science Studies, Harvard University
temporary institutions the Moderns need in order Press, Cambridge (Mass.)-London.
to be able to inhabit a de-flattened world that is Latour, B., 2006: Reflections on Étienne Souriau’s
worthy of their care. In that sense, Latour’s hack Les Différents Modes d’existence, transl. by S.
is nothing else than an inheritance, for «to inherit Muecke, in Bryant, L., Srnicek, N., Harman,
is to re-make» (Latour, Stengers [2009]: 87; 74). G. (eds.), The Speculative Turn: Continental
Since the question how to inherit? (from moder- Materialism and Realism, re.press, Melbourne,
nity, from Souriau) is now redoubled by Latour’s 2011, pp. 304-333 [Latour, B., 2006: Sur un
death, I would like to end this article by suggest- livre d’Étienne Souriau: Les différents modes
ing there are still more hacking tricks, still more d’existence, in Courtois-l’Heureux, F., Wiame,
hiatuses to be found in the agitated contact zone A. (eds.), Étienne Souriau. Une ontologie de
between Souriau and Latour. Those hacks should l’instauration, Vrin, Paris, 2015, pp. 17-53].
not afraid us: they are the conditions of a gen- Latour, B., 2010: An Attempt at a “Composition-
erative imagination that worries and cares for the ist Manifesto”, “New Literary History” 41, pp.
practical impacts it has on the (un)inhabitability 471-490.
of the Earth. Latour, B., 2012: An Inquiry into Modes of Exist-
ence. An Anthropology of the Moderns, transl.
by C. Porter, Harvard University Press, Cam-
REFERENCES bridge (Mass.)-London, 2013 [Latour, B., 2012:
Enquête sur les modes d’existence. Une anthro-
Debaise, D., 2022: Reprise de l’enquête sur les
pologie des Modernes, La Découverte, Paris].
modes d’existence. Cours 5, recording of the
Lawlor, L., 2011: A Note on the Relation between
conference given at the Collège des Bernardins
Étienne Souriau’s L’instauration philosophique
in Paris, May 30, 2022; online:  https://vimeo.
and Deleuze and Guattari’s What is Philoso-
com/722133474 (last accessed on September
phy?, “Deleuze Studies” 5 (3), pp. 400-406.
29, 2022).
Lordon, F., 2021: Pleurnicher le vivant, blog post
James, W., 1897: The Will to Believe and Other
on “Le Monde diplomatique”, September 29,
Essays in Popular Philosophy, Longman, Green,
2021; online: https://blog.mondediplo.net/
and Co, New York-London, 1912.
pleurnicher-le-vivant (last accessed on Octo-
Latour, B., Stengers, I., 2009: The Sphinx of the
ber 2, 2022).
Work, transl. by T. Howles, Introduction to
Souriau, A., Souriau, É. (eds.), 1990: Vocabulaire
Souriau, É., The Different Modes of Existence
d’esthétique, Presses Universitaires de France,
followed by On the Work to-be-made, Min-
Paris.
neapolis, Univocal Publishing, Minneapolis,
Souriau, É., 1939: L’Instauration philosophique,
2015, pp. 11-90 [Latour, B., Stengers, I. 2009:
Alcan, Paris.
70 Aline Wiame

Souriau, É., 1943: The Different Modes of Existence

followed by On the Work to-be-made, Univo-
cal Publishing, Minneapolis, 2015 [Souriau,
É., 1943: Les Différents Modes d’existence suivi
de De l’œuvre à faire, Presses Universitaires de
France, Paris, 2009].
Souriau, É., 1956: On the Mode of Existence of
the Work to-Be-Made, in The Different Modes
of Existence followed by On the Work to-be-
made, Univocal Publishing, Minneapolis,
2015, pp. 219-240 [Souriau, É., 1956: Du mode
d’existence de l’œuvre à faire, in Les Différents
Modes d’existence suivi de De l’œuvre à faire,
Presses Universitaires de France, Paris, 2009,
pp. 195-217].
Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

L’«étrange monadologie» du plérôme.

Remarques sur L’instauration philosophique
Citation: C. D’Aurizio (2022). L’«étrange
monadologie» du plérôme. d’Étienne Souriau
Remarques sur L’instauration philo-
sophique d’Étienne Souriau. Aisthe-
sis 15(2): 71-81. doi: 10.36253/Aisthe- The «strange Monadology» of the Pleroma. Notes on Étienne
sis-13969
Souriau’s L’instauration philosophique
Copyright: © 2022 C. D’Aurizio. This is
an open access, peer-reviewed article
published by Firenze University Press
(http://www.fupress.com/aisthesis) and Claudio D’Aurizio
distributed under the terms of the Cre- Università della Calabria
ative Commons Attribution License, [email protected]
which permits unrestricted use, distri-
bution, and reproduction in any medi-
um, provided the original author and Abstract. L’Instauration philosophique (1939) is one of the most relevant philosophi-
source are credited. cal works by Étienne Souriau. In this book, the French philosopher tries to out-
Data Availability Statement: All rel-
line the main laws which define the instauration of a philosophical theory, in order
evant data are within the paper and its to construct a philosophy of philosophies. Pleroma is one of the key-concepts of this
Supporting Information files. work, and it refers to the dimension that includes all the well-established philosophi-
cal perspectives. The aim of this paper is to reconstruct some issues connected to this
Competing Interests: The authors work, regarding specifically the notion of pleroma. The paper underlines the connec-
have declared that no competing inter- tion between L’instauration philosophique and the philosophical milieu in which it was
ests exist. written, and then stresses the relevance of artworks and aesthetics for Souriau’s idea
of instauration. The paper deals with the architecture of pleroma, and finally examines
some similarities and some differences between the pleroma and Leibniz’s Monadology.

Keywords: Souriau, History of philosophy, Aesthetics, Monadology, Metaphilosophy.

L’un des enjeux majeurs de L’instauration philosophique (1939)

d’Étienne Souriau consiste à déterminer les coordonnées princi-
pales d’une « philosophie des philosophies » (Souriau [1939]: 237),
selon une perspective centrée sur les notions de forme et d’œuvre.
En étudiant les lois et les règles générales que toute philosophie doit
suivre, même dans des modalités fort divergentes entre elles, pour
la construction d’une œuvre, le texte se propose de dégager, et de
construire à son tour, les lois qui déterminent «l’art de la pensée phi-
losophique» (Ibid.: 314).
Le vocabulaire institué par Souriau et les concepts qu’il mobilise
dans cette entreprise, sont tirés de différentes traditions de la philo-
sophie occidentale, comme le platonisme, la métaphysique médié-
vale, le cartésianisme, le kantisme, ou la phénoménologie, et de dif-

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 71-81, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13969
72 Claudio D’Aurizio

férents domaines, comme l’ontologie, l’esthétique, L’instauration, qui consiste, d’un côté, à conqué-
la psychologie, ou l’épistémologie, constituant un rir et réaliser un point de vue sur l’ensemble des
heureux « éclectisme » (de Vitry-Maubrey [1974]: œuvres philosophiques, et, de l’autre, à s’instaurer
200; Chateau [2017]: 11). Mais dans le texte ces elle-même à l’intérieur de cet ensemble, exige et
concepts subissent une torsion qui leur confère réclame un travail de répétition différentielle.
une nouvelle signification. L’expression citée dans le titre de cet article
Ainsi, le mot éponyme du livre est utilisé en est tirée du livre de David Lapoujade (Lapoujade
accord avec « l’origine latine du mot » (instaura- [2017]: 17), qui l’utilise pour se référer au cos-
tio), qui implique « l’idée d’une restauration, d’un mos des philosophèmes dans L’instauration, à la
recommencement, d’un renouvellement […] de « constellation de mondes qui s’éloignent de plus
la reprise, définitive cette fois, de ce qui n’avait en plus les uns des autres en raison des explora-
pu être d’abord mené à bien », plutôt que dans le tions même de la pensée ». Dans les pages qui
sens contemporain d’une institution temporelle- suivent, nous allons aborder deux questions soule-
ment première, d’une création ex nihilo (Souriau vées par cette œuvre: d’une part, les implications
[1939]: 73); la notion de forme, qui est fondamen- contenues dans la relation entre L’instauration et le
tale non seulement dans ce texte, mais dans toute champ de l’art (et donc le rapport entre une phi-
sa démarche philosophique1, résulte d’une réélabo- losophie des philosophies et l’art); de l’autre, la
ration intense, dans laquelle la conceptualité pla- construction du concept de « plérôme », son pers-
tonicienne et le jargon des débats métaphysiques pectivisme et ses relations avec la monadologie
médiévaux et modernes sont entremêlés à la phé- leibnizienne.
noménologie et à la biologie (cf. Houssay [1900]);
ou encore, le concept de patuité, emprunté à Jules
de Strada (de Strada [1865]: 285), qui l’emploie 1. DE L’HISTOIRE A L’INSTAURATION
pour indiquer « la qualité qu’a l’être d’être patent
Il faut tout d’abord considérer jusqu’à quel
par cela qu’il est », devient le terme qui représente
point L’instauration philosophique se situe en
l’« éclat suffisant de réalité » (Souriau [1939]: 10)
continuité avec d’autres travaux conduits en
que l’on peut attribuer à un être2.
France dans la première partie du vingtième
Conformément à l’idée-clé du texte, Souriau
siècle. L’ambition de dégager et de construire les
instaure son œuvre à travers une reprise anapho-
lois, si l’on peut dire, structurelles de toute philo-
rique de termes et de notions appartenant à diffé-
sophie concorde avec une configuration de pen-
rents philosophèmes, plutôt que par une création
sée assez répandue dans plusieurs études et posi-
sauvage de nouveaux concepts3: la double tâche de
tions dans le milieu culturel où Souriau se forme
et travaille. Il s’agit notamment des recherches
1 Elle est développée à partir de ses premiers travaux, à
savoir la thèse principale, intitulée Pensée vivante et per-
conduites par une génération d’historiens de
fection formelle (1925), et L’Avenir de l’esthétique (1929). la philosophie qui a marqué profondément les
Mais, plus en général, la notion de forme joue un rôle-clé méthodes et les styles de la pensée française
dans toutes ses enquêtes ontologiques et esthétiques – par contemporaine.
exemple dans les recherches sur «l’esthétique de l’exis-
tence» (cf. Domenicali [2017]: 25-27).
2 Souriau fait aussi référence à l’expression latine pate- position d’un concept déjà existant implique « un nou-
fit et à l’« expérience du patefit » (Souriau [1955]:  98) veau découpage » et des « nouveaux contours » (Deleuze,
pour désigner «l’événement d’être patent» (cf. Lapoujade Guattari [1991]: 23). D’ailleurs, il y a plusieurs points de
[2017]: 17). contact entre la philosophie de Souriau et celle de Deleuze
3 À la manière de Gilles Deleuze, par exemple. Mais, à – et ce n’est pas un hasard si L’instauration philosophique
bien y regarder, dans Qu’est-ce que la philosophie ? (1991) est citée dans Qu’est-ce que la philosophie ? à propos de
Deleuze et Guattari insistent sur le fait que chaque l’instauration d’un «plan d’immanence» (Ibid.: 44). Sur la
concept a une histoire, et que donc chaque nouvelle relation entre les deux textes cf. aussi Lawlor (2011).
L’«étrange monadologie» du plérôme. Remarques sur L’instauration philosophique d’Étienne Souriau 73

L’un des maîtres qui ont inspiré la rédaction de profond et plus complexe », qui ne soit pas lié seu-
cet ouvrage est Émile Bréhier, auquel L’instaura- lement à « un point de vue grossièrement chrono-
tion est dédiée (Souriau [1939]: 3; cf. Domenicali, logique » (Souriau [1939]: 380).
Le Tinnier [2017]), et qui est indiqué par Souriau Enfin, il y a des relations évidentes entre la
comme le premier lecteur de son livre suivant, méthode dressée dans L’instauration et l’approche
Les différents modes d’existence (Souriau [1943]: de Martial Gueroult (1979; 1984; 1988) sur la ques-
138). Les deux tomes de son Histoire de la philo- tion des conditions de possibilité d’une histoire
sophie (1928-1932) représentent pour Souriau un de la philosophie et des systèmes philosophiques.
« monument » capable de fournir « in concreto » Au point que ce dernier est l’auteur d’un article
une «représentation totale» de la réalité de ce que qui, même en reconnaissant certains mérites de la
L’instauration tente d’observer in vitro, à savoir «la perspective de Souriau, en critique par ailleurs le
structure d’ensemble du monde philosophique» postulat qui la guide, à savoir « l’assimilation des
(Souriau [1939]: 377-378). D’ailleurs, la consul- philosophies et des œuvres d’art », coupable de
tation de l’index de l’Histoire de Bréhier donne « réduire littéralement le plan de la philosophie au
l’occasion à Souriau de réfléchir sur les raisons plan de l’art » et, donc, d’aliéner les philosophies
qui permettent à certains auteurs liminaires d’être de leur « véritable essence » (Gueroult [1952]: 103;
inclus ou non dans l’ensemble des philosophes cf. aussi Fruteau de Laclos [2016]: 185-186; pour
– en précisant que c’est la présence ou l’absence un approfondissement de ces rapports et ces rela-
« des études techniques du philosophe » ce qui tions dans la biographie intellectuelle de Souriau,
sert de critère pour les accepter ou moins dans le cf. Domenicali, Le Tinnier [2017]). En d’autres
cosmos philosophique (Ibid.: 218-222)4. termes, Gueroult estime que certaines difficultés
D’un autre point de vue, les travaux de Léon soulevées par l’entreprise de Souriau sont détermi-
Brunschvicg représentent un point de référence nées par une assimilation excessive de la méthode
important pour le développement de la perspective philosophique à celle de l’art. Parmi ces difficul-
esquissée dans L’instauration. En effet, Brunschvicg tés, on peut citer le détachement de la philoso-
présente au lecteur une véritable « philosophie des phie de ses origines scientifiques – « l’histoire […]
philosophies ». Notamment, dans Le progrès de la nous montre la philosophie sortant, non de l’effort
conscience dans la philosophie occidentale (1929), artistique, mais de l’effort scientifique » (Gueroult
il dresse une « légende des siècles », une «épopée [1952]: 108); et, conséquemment, l’éloignement du
de la pensée repensée», qui donne l’exemple d’une processus philosophique par rapport aux « pro-
philosophie qui « travaille à représenter les philo- cessus relatifs à l’établissement des vérités du juge-
sophies en tant qu’elles sont esprit toutes, et selon ment », et donc du choix de « chercher ailleurs que
ce paramètre de spiritualité » (Souriau [1939]: 378- dans les appareils de découvertes, de vérification
379)  ; pendant que les remarques préliminaires et de démonstration […] les lois fondamentales
contenues dans l’avant-propos de L’expérience qui conditionnent l’instauration des philosophies »
humaine et la causalité physique (1922) lui donnent (Ibid.: 109).
l’occasion de réfléchir sur la nécessité d’accompa-
gner l’étude de la « succession théorétique des phi-
losophies » par la reconstruction d’un « ordre plus 2. L’ART DE LA PHILOSOPHIE DES
PHILOSOPHIES
4 Il est vrai que Souriau conteste quelques positions de
Au-delà tout jugement sur l’efficacité de la
Bréhier afin d’en adoucir certains jugements. C’est surtout
le cas de Raymond Lulle, dont Bréhier soutient que son méthode de L’instauration, Gueroult reconnaît
« prétendu art d’invention n’est qu’un art de classer et de bien l’élément et la particularité qui confèrent
combiner des concepts donnés » (Bréhier [1928]: 703), une spécificité à l’œuvre de Souriau: la construc-
alors que Souriau veut partiellement le réhabiliter (cf. tion d’une philosophie des philosophies qui s’ins-
Souriau [1939]: 90).
74 Claudio D’Aurizio

pire, en quelque sorte, des modalités de construc- tions connotées par un ton presque littéraire, ce
tion des œuvres d’art. Elle est fort significative, qui concourt à la grande hétérogénéité et versati-
car ce sont bien les œuvres d’art, et les logiques lité du texte. Celui-ci se présente, à la fois, comme
qui déterminent leur réalisation, qui joue le rôle un traité de cosmologie, comme un essai d’ontolo-
de guide et de modèle pour l’enquête menée dans gie, comme une étude d’histoire de la philosophie
ce livre. Par exemple, le processus d’instauration, centrée sur le thème de la «dialectique instaura-
c’est-à-dire l’ensemble «d’opérations créatrices, tive» et du «discours thétique» (notamment dans
constructrices, ordonnatrices ou évolutives, qui le deuxième chapitre), comme l’esquisse d’une
conduit à la position d’un être en sa patuité» (Sou- esthétique de la forme philosophique, et comme
riau [1939]: 10), trouve d’ailleurs l’un de ses cri- une réflexion que l’on peut appeler «métaphilo-
tères d’évaluation dans la dimension de la réussite, sophique», selon une catégorie de plus en plus
de l’accomplissement. répandue dans la pensée contemporaine.
En particulier, l’instauration philosophique Bien sûr, l’importance de l’art pour le concept
nécessite cette dimension qui mesure «pour d’instauration a souvent été soulignée et promue
chaque philosophie sa promotion anaphorique, par les lecteurs de Souriau. Par exemple, Bru-
sur la ligne qui va de l’ombre à la lumière» (Ibid.: no Latour et Isabelle Stengers (Latour, Stengers
384). Toute instauration est, d’un certain point de [2009]: 4-5) affirment que l’image –  «à la limite
vue, une aventure, parce qu’elle consiste dans un du cliché», disent-ils – du sculpteur face à un tas
processus qui peut parvenir à son but, ou bien de glaise représente «la pierre philosophale de son
échouer. L’importance de la dimension de réussite grand œuvre»5. Aline Wiame a posé la question
est si puissante que, selon Souriau, on peut parler suivante: la philosophie de l’instauration est-elle
«d’un véritable parasitisme de l’œuvre par rapport une esthétique? Son article part de la constatation
à l’homme», comme si les œuvres (non seulement que la progression de son œuvre est marquée par
de l’art, mais aussi de la philosophie ou d’une exis- l’obtention de la chair d’esthétique à la Sorbonne
tence singulière) exploitaient les êtres humains en en 1945 : tous les livres qui suivent cet évènement
raison de leur «droit à l’existence» (Souriau [1955]: sont centrés sur des questions d’esthétique et de
211-212). philosophie de l’art, alors que les textes publiés
On peut remarquer en outre que la perspective auparavant (à l’exception de L’ombre de Dieu)
adoptée par Souriau dans le repérage des lois défi- s’adressent plutôt à des questions de «philosophie
nissant les philosophèmes est définie plusieurs fois générale». Mais, au-delà de cette donnée biogra-
comme «architectonique». Souriau précise qu’il phique, c’est la conclusion de l’article qui nous inté-
utilise ce mot dans un sens structural, plutôt que resse ici. Wiame suggère que le point de contact
par stricte référence à l’architecture en tant que entre la philosophie de Souriau, prise dans un sens
discipline artistique: «nous insistons particulière- général, et son intérêt pour l’esthétique, est à retra-
ment pour qu’on ne pense pas qu’on s’inféode ici cer dans l’expérimentation, qui est exemplaire du
à une comparaison privilégiée de la pensée phi- mode d’instauration des œuvres d’art: «la philoso-
losophique avec l’architecture. On aurait pu aussi phie, pour Souriau doit être expérimentale […], et
bien s’inspirer de comparaisons avec l’histoire de c’est parce que l’esthétique importe par ses aspects
la musique» (Souriau [1939]: 55). Mais il faut bien expérimentaux qu’elle fait partie intégrante d’une
remarquer que l’exemple alternatif provient quand philosophie de l’instauration» (Wiame [2017]: 83).
même de la sphère des arts. D’une autre perspective, Lapoujade a beau-
Plus généralement, on peut dire que le rap- coup insisté sur le fait que, dans l’œuvre de Sou-
prochement de la philosophie et de l’art donne
à L’instauration une allure particulière, que l’on
retrouve, par exemple, dans les nombreuses pages
5 Cette image apparaît soit dans Les différents modes
d’existence, soit dans la conférence Du mode d’existence de
où Souriau emploie des images et des descrip- l’œuvre à faire (1956).
L’«étrange monadologie» du plérôme. Remarques sur L’instauration philosophique d’Étienne Souriau 75

riau, «avant toute ontologie de l’art, il y a un art de existences qui peuplent les mondes de l’art, pour
l’ontologie puisqu’il n’y a pas d’Être sans manière envisager les expériences et les existences qui se
d’être», et que, donc, chaque acte philosophique manifestent dans le processus de construction des
présuppose un «art de la philosophie par lequel philosophèmes. Ainsi, la question concernant le
chaque philosophie se pose ou s’instaure elle- lien entre le côté esthétique de la recherche sou-
même» (Lapoujade [2017]: 12). Mais, à bien y ralienne et L’instauration philosophique pourrait
regarder, en dessous des thématiques esthétiques être exprimée de cette manière: en quoi les proces-
qui sans doute peuplent l’œuvre de Souriau, Lapou- sus d’instauration de l’art peuvent-ils expliquer les
jade a su détecter une inspiration, une exigence moyens de la pensée philosophique?
plus profonde liée au champ juridique. L’accent mis La réponse à cette question se trouve dans
par Souriau sur les différentes manières d’existence, les plis de cette œuvre, dans la construction des
notamment vers les «existences  moindres», révèle images et des concepts que l’on rencontre dans ses
une urgence, une préoccupation pour leur droit à pages. S’il est vrai, comme le dit Gueroult, qu’une
exister qui peut même dépasser  les considérations stricte association entre la philosophie et l’art risque
exclusivement esthétiques: de cacher, soit sur le plan historique, soit dans la
dimension architectonique, la relation entre la phi-
On pourrait s’attendre à ce que, chez Souriau, les losophie et les sciences, ou le lien entre la recherche
traits juridiques s’effacent au profit de traits «esthé- philosophique et la notion de vérité, envisager les
tiques» ou existentiels, mais c’est l’inverse qui se pro- échos entre l’instauration philosophique et l’ins-
duit le plus souvent. Derrière les figures esthétiques, tauration artistique dévoile en revanche tout un
on voit se profiler des personnages qui relèvent de
univers peuplé par des mondes virtuels et des
la sphère juridique […]. Les artistes, les philosophes
existences moindres. La richesse de cet univers
[…] sont […] des avocats dont les divers systèmes
donne vigueur à la pensée de Souriau, et consti-
plaident en faveur des entités nouvelles qu’ils ins-
taurent et dont ils veulent asseoir la légitimité.
tue l’un des points de départ de certaines de ses
(Lapoujade [2017]: 19-20) recherches ultérieures – mais il faut souligner qu’il
«ne soutient pas toujours les mêmes thèses» dans
Au-delà de toute classification et de toute répar- tous ses livres (Fruteau de Laclos [2011]: 937). Par
tition rigide, ce genre de remarques permet de sou- la suite, on observera de plus près la construction
ligner l’appartenance de Souriau à un «courant» de du concept de plérôme, ainsi que les pages où ce
penseurs qui ont pratiqué l’esthétique comme une concept transforme le modèle monadologique leib-
«philosophie non spéciale», pour utiliser la défini- nizien à travers une image fortement littéraire. Mais
tion d’Emilio Garroni (Garroni [1992]: VI). Parmi on peut aisément affirmer dès maintenant que la
ces auteurs figurent Benjamin et Adorno, ainsi que philosophie des philosophies instaurée dans ce livre
Blanchot et Deleuze, ou même Heidegger et Wit- se configure elle-même comme un art, comme un
tgenstein. Ce qui marque la position de ces philo- essai de composition, problématique mais fécond,
sophes par rapport à l’esthétique c’est qu’ils n’ont pas des mondes infinis de la philosophie. L’éclectisme
fossilisé leurs recherches sur les objets de l’art en les de Souriau se manifeste donc en ceci: en assem-
séparant du reste du réel afin de produire une «phi- blant les mondes des philosophèmes, il cherche
losophie de l’art». Au contraire, ils ont détecté dans la pierre angulaire qui permet de construire une
la réflexion esthétique les conditions de possibilité architecture de l’univers philosophique.
de toute existence, de toute expérience et, donc, de
toute philosophie.
3. L’ARCHITECTURE DU PLEROME
Dans cette direction, l’instauration de Sou-
riau ne représente pas un concept issu de façon Le mot plérôme, qui signifie «plénitude», pro-
mimétique des méthodes de création de l’art; mais, vient du grec ancien (πλήρωμα). Il est présent
au contraire, elle incorpore les expériences et les
76 Claudio D’Aurizio

dans certaines lettres de Saint Paul (Eph. 1, 10; nombre limité de places. Au contraire, l’enrichis-
Col. 2,9), mais surtout il est employé par les gnos- sement progressif du plérôme est ce qui assure au
tiques, qui indiquent avec ce terme le «monde spi- discours philosophique sa consistance à travers les
rituel des “ Éons ” qui entourent la divinité et en siècles: « la solidité de la philosophie et son progrès
expriment l’abondance intérieure dans des aspects continuel, c’est un accroissement de l’Assemblée, du
particularisés au moyen de figures personnelle» plérôme des philosophèmes » (Ibid.: 14).
(Jonas [1958]: 233; voir aussi Dillon [1992]). Sou- La richesse de l’assemblée philosophique repré-
riau utilise ce mot pour désigner l’ensemble des sente un point fondamental de l’argumentation
philosophèmes qui peuplent le cosmos de la phi- de Souriau. Tout d’abord, elle explique le choix
losophie: « le corpus de toutes les œuvres philoso- du terme plérôme, qui, comme on l’a vu, signifie
phiques apparaîtra comme une sorte de cosmos, « plénitude ». Ensuite, elle montre en quel sens il
d’univers ou de plérôme; comme un ensemble est possible de parler d’un progrès en philosophie.
dont on peut concevoir qu’il ait sa nature et ses Cette dernière ne progresse pas par « évolution
lois » (Souriau [1939]: 30)6. Or, il faut observer » au sens « darwinien », ni en « amplitude » au
de plus près quelques caractéristiques de cette sens d’une « augmentation » de son « degré  d’in-
« nature » dont parle Souriau. telligence ». Elle progresse « par enrichissement
Tout d’abord, le plérôme se présente comme régulier; par accession sans cesse de nouvelles
un univers où chaque philosophème constitue un œuvres au plérôme des œuvres, où celles du pas-
monde, comme un macrocosme dont chaque phi- sé subsistent selon le droit qu’elles ont au carac-
losophie représente un microcosme. Le plérôme est tère du définitif » (Ibid.: 61). En troisième lieu, s’il
la « grande assemblée » des philosophies, une sorte est vrai que, malgré « toutes les différences » qui
de parlement de la pensée que tout philosophe existent entre les philosophèmes, on peut « légiti-
aspire à rejoindre à travers ses œuvres  : « c’est ce mement faire l’hypothèse d’une Nature du monde
qui lui assure l’accomplissement de son œuvre, la philosophique, et en chercher les lois ou les grands
consolidation personnelle et la vie définitive qu’il a, faits généraux » (Ibid.: 61), la richesse du plérôme
lui, gagnée du fait d’avoir pu être représenté, dans est donc ce qui permet à Souriau de développer
la grande assemblée d’en haut, par une œuvre plus une philosophie des philosophies capable de ne
grande que lui-même, et qui témoigne pour lui pas s’ancrer à un seul point de vue. « Considérer
là-haut » (Ibid.: 376). D’ailleurs, il est important de la philosophie comme plérôme des œuvres, non
souligner que cette assemblée ne dispose pas d’un seulement c’est lui donner richesse et plénitude
substantielle, mais […] c’est se prémunir contre
6 À y regarder de plus près, la provenance de ce terme le risque d’appauvrir pour la simplifier la pensée
signale une petite oscillation à l’intérieur du texte, car humaine en son histoire, afin de la faire passer
parmi les tâches principales de L’instauration il y a la dis- de force dans la filière de telle ou telle dialectique
tinction entre la méthode philosophique et celle d’autres linéaire acceptée a priori » (Ibid.: 52).
formes de connaissance. En effet, « la méthode du mys- Bien sûr, les philosophèmes doivent aussi payer
tique […] subvertit le point de vue philosophique » un prix pour la gloire éternelle, pour la consécration
puisqu’elle renonce «à Ia partie substantielle […] du
théorique de l’accès au plérôme, car toute instaura-
labeur», voire à accomplir « une élucidation philoso-
phique du genre divin, parfaitement conforme aux exi-
tion comporte un « péché originel ». Ce péché est
gences de la dialectique thétique » (Souriau [1939]: 323- l’abandon de l’indétermination en faveur d’un point
324). Souriau est bien conscient de l’arrière-goût mys- de vue singulier. En d’autres termes, l’instauration de
tique de ce choix: « nous avons même (déférant peut-être toute philosophie (ou mieux, toute instauration) se
en cela à quelque mysticisme dans le choix des termes) fait par moyen de la répétition anaphorique d’une
employé pour désigner leur ensemble le mot qui chez « arabesque » singulière, ce qui veut dire l’aban-
les gnostiques désignait l’ensemble accompli des êtres du don, pour le philosophème, de la possibilité de
monde supérieur: Le Plérôme des philosophies, avons-
nous dit » (Ibid.: 372).
tout embrasser, et le « choix » (souvent inconscient,
L’«étrange monadologie» du plérôme. Remarques sur L’instauration philosophique d’Étienne Souriau 77

même quand le philosophème se donne la tâche de tion souralienne du plérôme et la Monadologie

rejoindre l’absolu, comme chez Hegel) d’une posi- leibnizienne. Il s’agit maintenant de les rapprocher
tion bien déterminée. Cette « limitation essentielle » davantage, car l’observation de l’usage de la philo-
n’est pas relative au contenu, mais à la forme. C’est sophie leibnizienne jette une lumière supplémen-
une loi structurelle, architectonique: pour instaurer taire sur le choix souralien du terme « plérôme »
une philosophie, il faut d’abord avoir un point de et sur le perspectivisme que ce dernier réclame.
vue formel ou une arabesque à partir de laquelle un Tout d’abord, on peut en effet constater que le
monde se dessine et prend forme. nom de Leibniz est l’un des plus récurrents dans
Parmi celles détectées par Souriau, la première les pages de L’instauration. Il apparaît dans le deu-
et la plus importante des lois qui règlent l’instaura- xième chapitre du livre, le plus « historique » de
tion philosophique est donc la loi du point de vue7: tous, où Souriau établit une reconstruction qui va
il n’y a pas de philosophème sans un point de vue de la dialectique thétique de Platon à la contem-
qui dirige et dessine son cheminement sur la voie poranéité. Il apparaît également dans le cha-
de l’instauration. Cette loi comporte une relation pitre suivant où la structure de la Monadologie
dissymétrique entre la singularité de chaque phi- est confrontée à celle de la Philosophia moysaÏca
losophie et la généralité du plérôme, car si chaque (1638) de Robert Fludd, afin de motiver pour-
philosophie exprime un point de vue, le plérôme quoi la première accède au plérôme, tandis que
ne peut jamais coïncider avec un point de vue la deuxième en est exclue – en dépit des nom-
déterminé. Au contraire, il doit les accepter et les breuses correspondances qui existent entre ces
accueillir tous en son sein. D’ailleurs, la tâche de deux œuvres. Ainsi, dans les pages finales de ce
Souriau est précisément de détecter des lois qui chapitre, Souriau lui-même propose un premier –
peuvent assurer la coexistence de tous les points de et tout à fait provisoire – rapprochement entre les
vue possibles en philosophie. Il ne s’agit donc pas monades leibniziennes et les philosophèmes, entre
de l’affirmation d’un relativisme, selon lequel toute la Monadologie et le plérôme. Dans le domaine
philosophie exprimerait sa vérité ou un monde
entier à partir de sa perspective – pour Souriau, de l’étude philosophique des philosophies, on peut
même le relativisme peut donner forme à un phi- provisoirement […] assimiler l’idée d’esprit à celle
losophème, comme dans le cas de Montaigne ou d’une sorte de monadologie, mettant en cause l’unité
de Renan (cf. Ibid.: 252-253). Au contraire, il s’agit de ce Plérôme philosophique dont nous avons sou-
vent parlé […]. Or, pour une philosophie des phi-
plutôt d’un pluralisme, qui à son tour fait allu-
losophies, les monades […] ce ne sont ni les phi-
sion à une «anaphore d’ensemble», obtenue par la
losophes ni les pensées des philosophes, ce sont les
convergence de tous les points de vue des instaura-
philosophèmes. Ils sont les êtres de ce monde des
tions philosophiques et concernant donc la totalité mondes. Et chacun d’eux, en soi, est un aboutisse-
du discours philosophique. ment. (Souriau [1939]: 237)

Néanmoins, la Monadologie leibnizienne n’est

4. LE PLEROME ENTRE LA MONADOLOGIE ET
pas entièrement satisfaisante. Déjà dans l’Intro-
LE BILLARD
duction, Souriau pose la question suivante: « si les
À travers les mots de Lapoujade, on a déjà philosophèmes sont comme des monades, n’en est-
suggéré une certaine similitude entre la concep- il pas une monadologie ? »; et il répond:  « parler
ainsi, c’est abattre tout ce qu’on a fait, c’est mécon-
naitre ce caractère essentiellement anaphorique
7 Les autres sept lois détectées par Souriau sont: la loi et instaurateur sur lequel reposait la solidité des
d’opposition significative, de médiation, d’évasion dyna-
mique, de redoublement, de destruction philosophique,
philosophies » (Ibid.: 15). Et, dans le deuxième
des visions crépusculaires, du dernier détail (à ce sujet, cf. chapitre, Souriau soutient que la philosophie leib-
Courtois-l’Heureux [2015]). nizienne est trop liée au discours analytique (par
78 Claudio D’Aurizio

opposition au discours thétique) et n’arrive pas à logique du plérôme serait « unidimensionnelle »,

penser jusqu’au bout les conséquences du modèle car elle surmonterait «la diversité des points de
architectonique qu’il a, d’autre part, employé si vue» à travers « la seule supposition d’un être,
habilement (cf. Ibid.: 107-109). objet commun postulé des intentions de toutes ces
L’échec de la Monadologie est relevé dans les §§ pensées » (Ibid.: 382). Ainsi, se dévoile le « danger
57-58, où Leibniz, à travers la métaphore de la ville inhérent à toute monadologie », c’est-à-dire celui
qui «regardée de différents côtés  […] est comme de « postuler un univers qui au fond est vide: des
multipliée perspectivement», soutient que pour miroirs se reflétant les uns les autres ne reflètent,
la « la multitude infinie des substances simples au total, qu’une inanité parfaite, indéfiniment
» il y aurait « autant de différents Univers, qui ne multipliée » (Ibid.: 383). En effet, Souriau consi-
sont pourtant que  les perspectives d’un seul selon dère que pour échapper à ce vide il faudrait sup-
les différents points de vue de chaque Monade ». poser que c’est « l’originalité de chaque monade »,
Ce serait le moyen, selon Leibniz, « d’obtenir et donc de « chaque singularité », qui soutient « la
autant de variété qu’il est possible, mais avec le réalité totale du monde ». Mais, de cette manière,
plus grand ordre qui se puisse » (Leibniz [1714]: Leibniz affirme, par voie d’anaphore, « une dilata-
234). Souriau détecte dans ce passage un « symp- tion » et « une promotion » de l’objet commun aux
tôme métaphysique » manifestant une vacillation singularités « jusqu’à l’aboutissement à ces divers
de la pensée qui « se dissout faute de point de vue points originaux, sur Ia ligne desquels il prend
assignable » (Souriau [1939]: 264-265). En effet, enfin réalité et consistance » – et l’objet commun
il est « formellement impossible », ici, de distin- été impossible à reconnaître « tant qu’il n’avait pas
guer le « sujet philosophique des idées d’obtenir abouti sur ces termes d’anaphore » (Ibid.: 383-384).
et de pouvoir » (s’il coïncide avec « Dieu, l’univers En résumant, ce qui conduit Souriau à refu-
ou l’hypothèse »): le contexte suggère que « c’est ser le modèle monadologique leibnizien est le
tout cela à la fois, mais dans un rapport indéfini » risque d’une théorisation de l’ensemble des phi-
(Ibid.: 265). De cette manière, la loi du point de vue losophèmes habitée à son centre par un vide. Ce
générale, qu’on a déjà observée, serait en quelque modèle comporterait aussi le risque d’aplatir les
sorte brisée. La plénitude du plérôme, « sa vision trois dimensions du plérôme sur une position
sous mille points de vue divers domptés et assem- unidimensionnelle. D’ailleurs, le choix du mot
blés en gerbe unique », risque ici d’être confondue n’est pas un hasard: Souriau parle de plérôme, et
avec « un “ défaire ” de tout point de vue unique, donc  de plénitude, pour se différencier du vide
pour la libération des mille points de vue divers » qui gît au fond de la monadologie leibnizienne.
(Ibid.: 264). La dernière question que l’on souhaiterait poser
Un deuxième passage éclaire plus profondé- est alors la suivante: est-il possible d’esquisser une
ment cette remarque. Dans le dernier chapitre autre image du plérôme que celle de la monado-
du texte, Souriau affirme que le plérôme possède logie, une image qui peut exprimer sa richesse et
trois dimensions. La première (déjà mentionnée), sa plénitude, ses dimensions – notamment celle
est celle de la réussite, qui concerne l’accomplis- de cosmicité ? Avec une allure fortement littéraire,
sement anaphorique des philosophèmes; la deu- Souriau « corrige » la monadologie en proposant
xième est celle d’ordination ou de sériation, qui l’image d’un « billiard métaphysique ». « Imagi-
manifeste les relations entre les philosophèmes et nons », écrit-il,
qui fait « l’âme de toute histoire philosophique de
la philosophie »; la troisième est la dimension de une bille de billard frappée, qui reste immobile tan-
cosmicité, « qui exprime la promotion » des points dis qu’une autre bille, chassée d’elle merveilleuse-
de vue « vers une réalisation commune, vers une ment, va prendre place dans un coin: tel ce monde
existence non faite, mais [toujours] à faire » (Ibid.: chassé du premier, mais tout différent, va se placer
sur un certain point d’une circonférence. Un autre
384-385). En revanche, une conception monado-
L’«étrange monadologie» du plérôme. Remarques sur L’instauration philosophique d’Étienne Souriau 79

coup […] chasse un autre monde différent, et l’en- philosophème. L’ensemble des coups et des sphères
voie sur un autre point de la circonférence. Chacun qu’il produit dessine exactement une image du
de ces coups chassera et posera un monde autre- plérôme.
ment divisé, et rempli d’autres êtres […]. Chaque Quelle est donc sa forme ? Si l’on considère
bille chassée, à mesure qu’elle roule […] devient les trois dimensions qui appartiennent au plé-
plus riche, plus variée, plus ouvragée, plus architec- rôme, nous dit Souriau, il devient évident que sa
turée et […] plus lumineuse et […] solide. (Ibid.:
forme peut changer en fonction de la dimension
387-388)
envisagée à chaque fois. Les formes de la dimen-
sion ordinale et celle de la réussite ne soulèvent
Par cette métaphore, Souriau décrit d’abord les
pas de grandes difficultés dans leur détermination
déterminations initiales du monde saisies par les
– la première étant une arabesque, une « courbe
«coups» de la pensée pratique. En d’autres termes,
à réaliser en parcourant du regard […] tous ces
chaque coup décrit métaphorise la production
mondes »; la deuxième s’exprimant « par une sorte
d’un monde selon des angles différents: religieux,
de primat de réalité donné au trajet de chaque
biologiques, géographiques, et ainsi de suite. Pour
sphère roulant vers sa position d’achèvement, à
l’instant, il faut placer au centre du billard « une
partir du centre » (Ibid.: 390-391).
sorte de monde vague, sphère grisâtre, opaline,
C’est la forme de la «dimension de cosmicité»,
[…] comme une bulle de savon pleine de fumée
au contraire, qui est « le point véritablement diffi-
de tabac » (Ibid.: 388) duquel d’autres bulles
cile » (Ibid.: 392), du fait qu’elle requiert une nou-
sortent tout en se plaçant tour à tour, coup après
velle opération. On ne peut pas « réimpliquer » au
coup, dans un cercle.
centre de chaque « billard métaphysique toutes les
C’est à ce moment-là que la pensée philoso-
sphères du grand cercle extérieur ». Il faut s’ima-
phique intervient, rassemblant toutes ces bulles
giner un centre idéal du billard, peuplé par « des
(et donc ces déterminations) comme une main
trois-quarts d’existence, des demi-existences, des
qui les rafle et les pose à nouveau au milieu de la
quarts d’existence » qui ne constitue pas le véritable
table: « ce n’est plus la bulle grisâtre initiale; on y
point d’unité de toutes les sphères, de tous les phi-
a rapporté toutes ces nouvelles déterminations;
losophèmes. Car l’unité, selon la dimension de cos-
mais elles y sont mélangées, interpénétrées et en
micité, ne se fait pas à partir du centre, mais dans
désordre » (Ibid.: 388). Le nouveau coup qui va
le sens inverse, au-delà de la « sphère des singula-
chasser les bulles sera le premier coup philoso-
rités séparées » et en direction d’une « grande sin-
phique, celui du platonisme, par exemple. Ain-
gularité cosmique universelle » (Ibid.:  393). Cette
si, du « monde central » va sortir « une nouvelle
dernière est toujours à conquérir, toujours provi-
bille » qui franchit  « le premier cercle », tout en
soire et hypothétique, parce qu’elle représente la  «
se dirigeant « vers un autre cercle concentrique »
solution idéale des problèmes que rencontre l’ac-
bien plus distant et vaste. À son arrêt, il y aura
tion même d’instaurer cette singularité » (Ibid.).
maintenant un « cosmos », qui « contient tout
Suivant encore l’image du billard, on peut imaginer
ce que contenaient les billes du premier cercle »
mais d’une manière beaucoup plus riche (Ibid.: de rafler toutes les sphères d’instauration cosmologique
388-389). Notamment, ce cosmos s’enrichit d’une sur le cercle extérieur, de les réimpliquer en pensée
architectonique. Les données et les détermina- au centre, en état d’interpénétration ; puis de dilater
tions initiales ont acquis maintenant une structure à nouveau tout cela jusqu’aux limites où siège la réali-
ordonnée: « cette architectonique dessine dans ce té plénière. Mais cette fois instaurées toutes ensemble
monde bien d’autres richesses qui n ’y étaient pas dans une architectonique commune, qui pourtant
initialement » (Ibid.: 389). Il va de soi que chaque anaphorise à la fois toutes les singularités. (Ibid.)
coup suivant représentera un nouvel acte philo-
sophique, une nouvelle instauration, un nouveau Par le biais de cette image vertigineuse, qui
tente d’exprimer une architecture conceptuelle très
80 Claudio D’Aurizio

complexe (celle du plérôme avec ses trois dimen- Domenicali, F., Le Tinnier, F., 2017: Étienne Sou-
sion), Souriau s’achemine vers la conclusion de riau: Fragments pour une biographie intellec-
son œuvre. Il serait intéressant de repérer les tuelle, “Nouvelle Revue d’Esthétique” 19 (1),
modèles et les œuvres artistiques dont il a tiré ce pp. 151-196.
billard métaphysique, ce jeu cosmologique d’une Fruteau de Laclos, F., 2011: Les voies de l’instaura-
philosophie des philosophies, car il est certain que tion: Souriau chez les contemporains, “Critique”
l’apport des modèles de l’art a été fondamental 775, pp. 931-948.
pour la construction cosmique qu’il vise dans cette Fruteau de Laclos, F., 2016: Pour une Epistemo-
œuvre. En mêlant la monadologie leibnizienne logy française. Souriau et la connaissance du
au jargon gnostique, les grandes recherches d’his- sens commun, “Revue de Métaphysique et de
toire de la philosophie de ses maîtres et collègues Morale” 90 (2), pp. 177-192.
avec certains des courants les plus influents de la Garroni, E., 1992: Senso e paradosso. L’estetica, filo-
pensée contemporaines, Souriau a esquissé un « sofia non speciale, Laterza, Roma-Bari.
art de la philosophie de la philosophie » qui ne Gueroult, M., 1952: La voie de l’objectivité esthé-
se contente pas de résumer l’histoire de la pensée tique, in AA.VV., Mélanges d’esthétique et de
philosophique à travers des concepts particuliers science de l’art offerts à Étienne Souriau profes-
ou à partir d’un point de vue privilégié, mais qui seur à la Sorbonne par ses collègues, ses amis et
tente de rendre compte des toutes les existences ses disciples, Nizet, Paris, pp. 95-124.
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Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

L’Acte poétique: genèse, problématisation,

ontologie
Citation: F. Domenicali (2022). L’Acte
poétique: genèse, problématisation,
ontologie. Aisthesis 15(2): 83-92. doi: The Poetic Act
10.36253/Aisthesis-13968

Copyright: © 2022 F. Domenicali. This is

an open access, peer-reviewed article Filippo Domenicali
published by Firenze University Press
(http://www.fupress.com/aisthesis) and Università di Ferrara
distributed under the terms of the Cre- [email protected]
ative Commons Attribution License,
which permits unrestricted use, distri-
bution, and reproduction in any medi- Abstract. One of the dominant themes of Souriau’s research is the problematization of
um, provided the original author and the poetic act, the creative gesture through which man becomes demiurge, founder of
source are credited. being. Through his opposition to the Bergsonian aesthetic of the creative élan, as well
as through his critique of dynamical schema theory, Souriau attempted to define the
Data Availability Statement: All rel- creative act – the poetic act – as an ordered, ascending process which leads to posi-
evant data are within the paper and its
tion of a being (the artwork) in its patuity, ie with an objective degree of reality. In
Supporting Information files.
doing so, Souriau redefines the ontology of the creation, coming to elaborate an ori-
Competing Interests: The authors ginal theory of the virtual and its actualization, which leads towards an enigmatic and
have declared that no competing inter- superior existential level which he defines as supra-existential.
ests exist.
Keywords : Instauration, Artwork, Creation, Virtual, Supra-existential.

1. BERGSON ET SES CRITIQUES

À la fin de sa vie Étienne Souriau était en train d’achever son

œuvre définitive: L’Acte poétique, malheureusement perdue1. Cette
préoccupation, l’argument même de l’ouvrage, est symptomatique,
et témoigne de la nature de sa philosophie: en fait, toute la pensée
de Souriau, toute sa philosophie est une philosophie de la créa-
tion2. Rien de surprenant dès que, comme l’on sait, le problème de
la création – ou mieux, de «l’instauration» – constitue évidemment

1 Comme l’a souligné Anne Souriau, outre un ouvrage sur L’Art total, dont ont

été publiés deux chapitres dans le numéro spécial de la “Revue d’esthétique”

dédié à Étienne Souriau (L’Art instaurateur), «il avait en chantier deux autres
ouvrages, l’un sur l’Avenir de la philosophie, l’autre sur l’Acte poétique. Il tenait
à achever en priorité ces deux livres […] Il n’en eut pas le temps» (Souriau
[1980]: 30). L’avenir de la philosophie a paru posthume en 1982.
2 «Toute la pensée de Souriau est une philosophie de l’art, et ne veut être rien

d’autre» (Lapoujade [2011]: 167).

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 83-92, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13968
84 Filippo Domenicali

le thème central et le fil conducteur de la totali- des contributions majeures dédiées notamment à
té de sa production, philosophique et esthétique. l’imagination créatrice et à la psychologie de l’in-
Donc, Étienne Souriau a été, pour ses contempo- vention (Théodule Ribot et Frédéric Paulhan).
rains, incontestablement, le «philosophe de l’ins- Du point de vue philosophique, le paradigme
tauration». D’autre part il s’est reconnu pleinement de la théorie de l’invention avait été défini par
dans cette définition. Dans l’une de ses dernières Henri Bergson dans le essai sur L’effort intellec-
interviews il a déclaré que son problème central a tuel, paru dans la “Revue Philosophique” de jan-
été toujours celui de la définition d’une «logique vier 1902, et qui se rapporte à tout ce débat. Selon
thétique», c’est-à-dire d’une logique de l’inven- Bergson, l’effort d’invention constitue la forme la
tion (Souriau [1972]: 155) capable d’expliquer plus élevée de l’effort intellectuel et consiste essen-
le processus matériel de la création/instauration tiellement à convertir un «schéma dynamique»
dans tous les domaines (philosophie, esthétique, en images. Créer signifie «convertir» un schéma
morale). Dans cette contribution il s’agira donc dynamique en le conduisant de l’imaginaire au
d’expliquer la genèse – selon une certaine succes- réel. Le schéma au début est une forme abstraite,
sion d’étapes dynamiques et un précis ordre de une représentation fluide qui opère comme une
problématisation – de l’ontologie de l’instauration espèce d’indicateur de direction. Incorporel, il
d’Étienne Souriau, à partir de ses sources jusqu’à oriente et dirige l’activité créatrice, qui en consti-
la définition originelle de «l’acte poétique» pensé tue donc l’achèvement, la matérialisation à travers
comme action transcendentalisante, capable de les images, selon une direction qui va du tout aux
mettre en contact l’homme instaurateur avec une parties, du général au particulier. Entre schéma et
réalité supérieure, «surexistentielle». images s’institue ainsi une sorte de dialectique, la
Or, pour ce qui concerne les sources d’inspi- dialectique de l’art. Bergson écrit que:
ration d’Étienne Souriau, il faut considérer avant
tout que, dès sa jeunesse, il s’est engagé dans une Nulle part ce jeu n’est aussi visible que dans l’ef-
problématique – la problématique de la création et fort d’invention. Ici nous avons le sentiment net
de la définition de l’acte poétique – qui était très d’une forme d’organisation, variable sans doute,
bien représentée dans les débats (surtout psycho- mais antérieure aux éléments qui doivent s’organi-
ser, puis d’une concurrence entre les éléments eux-
logiques) en cours à l’époque. Comme il l’a recon-
mêmes, enfin, si l’invention aboutit, d’un équilibre
nu, outre à Léon Brunschvicg, Étienne Souriau
qui est une adaptation réciproque de la forme et de
s’est toujours considéré l’élève de son père Paul, lui
la matière. Le schéma varie de période à période;
aussi esthéticien, ainsi comme du psychologue de mais dans chacune des périodes il reste relative-
l’art Henri Delacroix, qui avait été son professeur ment fixe, et c’est aux images de s’y ajuster. (Berg-
dans sa période d’apprentissage philosophique à la son [1902]: 182)
Sorbonne (1912-1914).
Pour ce qui concerne, notamment, Paul Sou- Donc, dans la description bergsonienne de l’acte
riau, soulignons que le problème de l’invention poétique nous reconnaissons trois moments indis-
était au cœur de ses intérêts philosophiques dès pensables à l’achèvement de l’œuvre: forme virtuelle,
la rédaction de sa thèse de doctorat, La Théorie de concurrence entre éléments matériels et équilibre
l’invention, discutée en 1881; ensuite, il a poursuivi final (aboutissement). Comme l’on sait, la théorie
sa recherche à travers l’exploration des domaines bergsonienne du schéma dynamique constituait à
de l’imagination de l’artiste, ainsi comme de la l’époque le fondement des esthétiques de l’intuition
rêverie esthétique (il s’agit de thèmes qui ont ins- (dont le chef de file était Victor Basch) dominantes
piré la bachelardienne «psychologie du poète»). en France jusqu’aux années 19203.
Mais, en 1900, le problème d’une théorie de l’in-
vention était aussi au cœur des intérêts da la nais- 3 Pourune présentation de l’esthétique «du sentiment» (de
sante psychologie expérimentale, et il avait connu Bergson à Basch), cf. Franzini (1984): 125-163.
L’Acte poétique: genèse, problématisation, ontologie 85

À partir de ces coordonnées théoriques, il en ce qui concerne la formation et le rôle des

n’est pas surprenant qu’Henri Delacroix – l’autre idées générales» (Souriau [1925]: 95). Au concept
«maître» du jeune Souriau – ait été l’un des pre- de «schéma» le jeune Souriau montre préférer
miers critiques de Bergson. Dans ses études sur la celui (platonisant) de «forme essentielle», «cellule
psychologie de l’art, notamment, Delacroix soumet génératrice», ou même celui (cartésien) de «figure
à critique la conception bergsonienne de l’inven- abrégée»:
tion en tant qu’intuition intellectuelle de la forme,
révélation immédiate, sympathie symbolique, Ein- Appelons donc, pour préciser le langage, ces formes
fühlung, ainsi que la théorie du schéma. En fait, simples, selon la terminologie cartésienne, des
Delacroix soutient que la doctrine de Bergson figures abrégées, et souvenons-nous qu’elles ont leur
met au premier plan la nouveauté, la synthèse raison d’être d’autant dans leur précision (qui les
rend mieux propres à s’imprimer dans la mémoire)
originale, la création et l’intuition, en les oppo-
que dans leur concision; mais gardons-nous d’intro-
sant au travail discursif, fragmenté, combinatoire
duire ici, plus ou moins consciemment, l’amphibolo-
de l’intelligence, mais il a le grand tort d’oublier
gie que présentent dans le langage des arts les mots
l’activité fabricatrice, en faveur du jaillissement d’ébauche, esquisse, croquis ou schéma, qui corres-
spontané. Comme Delacroix l’a soutenu, paradig- pondent tous plus ou moins indifféremment à des
matiquement, dans sa Psychologie de l’art – l’«Es- préoccupations et des opérations très diverses; en
sai sur l’activité artistique» – l’art s’oppose au jeu, sorte que justement la considération de la pratique
à la rêverie, à la magie et à l’intuition, puisque concrète de l’art est propre à dissiper entièrement
«L’art est joie de créer, comme le jeu, mais il crée l’équivoque. (Ibid.: 122)5
une réalité harmonieuse; il construit un monde
qui s’impose aux esprits par son ordre et ses lois» Dès son premier ouvrage, Étienne Souriau se
(Delacroix [1927]: 45). Ainsi l’art n’exige pas seu- montre donc résolument anti-bergsonien. Encore,
lement de l’intuition. Pour construire un monde dans le XXème chapitre de L’avenir de l’esthétique
solide, «qui s’impose aux esprits», l’art a besoin de (1929), il revient sur le problème de l’inven-
la réalisation, de l’œuvre. Selon Delacroix, l’art est tion, notamment par rapport à la psychologie de
fabrication, fatigue, travail, effort – pas seulement Ribot. Il continue sa critique de «la théorie selon
intellectuel: «[L’art est] avant tout une manière de laquelle la genèse de l’œuvre d’art suppose à l’ori-
voir et une manière de faire» (Ibid.: 74-75). gine une désignation qualitative abstraite de l’in-
Entre le milieu et la fin des années 1920, deux vention future – un idéal» (Souriau [1929]: 111).
excellents élèves de Delacroix prolongent sa cri- Certes, il est d’accord avec Ribot à ne pas consi-
tique de la conception bergsonienne de la créa- dérer l’œuvre comme (platoniquement) déjà faite,
tion: il s’agit de Jean-Paul Sartre, qui en 1927 va dès qu’il ne s’agit jamais de découvrir une réalité
discuter son mémoire de DES dédié à la nature tout à fait préexistante, mais au contraire la forme
de l’image dans la vie psychologique – ouvrage virtuelle de l’œuvre est une idée qui au début pos-
qui deviendra L’imagination (1936) et L’imaginaire sède seulement certaines qualités ou propriétés qui
(1940)4 – et aussi d’Étienne Souriau qui, dès son en font une sorte d’inconnue, au sens mathéma-
premier ouvrage, la thèse doctorale Pensée vivante tique. D’accord avec Ribot, Souriau est convaincu
et perfection formelle (1925), avait critiqué «la ter- que «La génération effective de l’œuvre d’art n’est
minologie en usage dans l’école bergsonienne [qui] jamais un processus par lequel un idéal se concré-
prête à des confusions d’assez grave conséquence
5 Souriau souligne la dépendance de la conception berg-
sonienne du schéma des idées de Schelling, qui avait
4Pour ce qui concerne la critique sartrienne du schéma employé ce mot dans son Système de l’idéalisme transcen-
dynamique, cf. Sartre (1936): 66-70; Sartre (1940): 120- dantal pour désigner «l’intermédiaire de la notion à l’ob-
124. Au terme de «schéma» Sartre préfère (avec Spaier) jet… l’intuition de la règle d’après laquelle l’objet peut être
celui d’«aurore d’image» (Ibid: 135). produit» (Souriau [1925]: 122).
86 Filippo Domenicali

tiserait peu à peu, régulièrement, logiquement, en […] la minute de l’intuition n’est ainsi, jamais, la
un conception de plus en plus détaillée, de plus en minute de l’œuvre. (Bayer [1941]: 28-29)
plus positive, et finalement propre à s’imprimer
dans la matière» (Ibid.: 112). Tous les deux sou-
2. LA PENSEE INSTAURATIVE
tiennent que reconstituer le processus de la créa-
tion en ces termes serait une mystification psycho-
À partir de la critique achevée du schéma
logique.
bergsonien Souriau développe sa philosophie
En fait, pour Souriau, l’inventivité artistique
objectiviste de l’instauration, qui représente une
est une «diathèse» qui se développe brusquement
autre manière de résoudre les problèmes posés
par crises et restructuration globale du champ
par la création, non plus sur le plan psycholo-
perceptif, comme l’ont bien compris les théori-
gique, mais plus proprement ontologique. Il s’agit
ciens de la Gestalt. Mais, contrairement à Ribot, et
d’un projet qui – comme Souriau l’a souligné – est
aux psychologues allemandes, Souriau insiste sur
doué d’un caractère systématique, et se développe
le caractère éminemment «chosal», sur la «cho-
selon quatre moments principaux, dans un certain
séité» de l’œuvre à faire, qui a sa vie propre, une
ordre et au cous d’une série d’étapes conceptuelles
existence qui subsiste dans la représentation à
qui correspondent à ses principaux travaux théo-
travers tous les changements noétiques qu’elle est
riques (Souriau [1963]: 90). Comme nous l’avons
contrainte à subir au cours de l’expérience du faire.
dit, le fil conducteur est donné par la remise en
Il dit que «La logique propre à la chose s’impose
cause de l’idée de création au sens bergsonien: la
d’elle-même et peu à peu à l’esprit créateur» (Ibid.:
première étape correspond donc à l’analyse et à la
120). Bref, pour Souriau il est nécessaire changer
classification des formes, et coïncide avec la toute
de perspective, passer d’une théorie psychologique
première phase de la réflexion philosophique de
de «l’objet-thème» à une théorie ontologique de
Souriau (1925-1929: de Pensée vivante à L’ave-
«l’objet-chose», et ainsi d’une description essentiel-
nir de l’esthétique). La seconde date des premières
lement idéaliste à l’objectivisme positiviste du réa-
années 1930 et est représentée par l’étude positive
lisme esthétique.
de la logique et de la dialectique de l’instaura-
On pourrait donc soutenir qu’à la fin des
tion, surtout en référence à la philosophie et à l’art
années 1930 la démolition de la théorie bergso-
(1930-1939: dont est emblématique L’instauration
nienne du schéma dynamique était désormais
philosophique); à ce moment fait suite l’exploita-
achevée. Le dernier coup à l’esthétique de Berg-
tion des ressources offertes d’une ontologie plu-
son a été donné par Raymond Bayer dans un
raliste, afin de penser l’acte poétique (1938-1943:
long essai paru dans les “Études bergsoniennes”
Avoir une âme, Les différents modes d’existence).
de 1941. Il s’agit d’un texte dont Souriau a déclaré
Enfin, le trajet spéculatif de Souriau s’achève avec
partager pleinement l’esprit6. À propos du schéma,
l’étude du domaine surexistentiel à lequel tend l’ac-
Bayer a souligné que, contrairement à ce qu’avait
tivité de l’artiste (1943-1955: des Différents modes
déclaré Bergson:
d’existence à L’ombre de Dieu). Bref, on pourrait
l’instant de l’intuition et celui de l’œuvre ne sont pas conclure que à travers la définition de ces quatre
seulement deux instants de durée, ils sont de nature concepts: forme, instauration, modes d’existence,
contraire. L’œuvre ne fait réplique à son inspiration surexistence, et de leur rapport réciproque, Souriau
que comme l’élaboré à l’immédiat, et l’analysé au a cherché de mener à bout l’entreprise de renouve-
global. L’œuvre suppose, elle impose le moment dis- ler la théorie de la création.
cursif de l’effort intellectuel: elle est cet effort même Pour développer cet ambitieux projet de
recherche, Souriau redéfinit le vocabulaire. Le
6 Souriauà dédié à Bergson un seul texte: Souriau (1959), terme d’instauration s’oppose au terme «création».
de caractère commémoratif. Pour un portrait de Ray- Comme Souriau l’a expliqué dans L’instauration
mond Bayer, cf. Souriau (1960).
L’Acte poétique: genèse, problématisation, ontologie 87

philosophique, «il ne s’agit pas d’une création […] tauration, Souriau opère à la fois le passage de la
instaurer signifie moins établir temporellement psychologie de l’invention à la philosophie de
qu’établir spirituellement une chose, un être phy- la création/instauration. Le problème de l’art est
sique ou moral, et lui constituer, lui assurer réa- devenu ontologique. L’instauration est un acte, une
lité en son genre» (Souriau [1939]: 73). À l’entrée action humaine7. À travers cet acte, qui est un acte
«Création» du Vocabulaire d’esthétique nous lisons de travail constructif, l’homme œuvre la promo-
que «Création […] signifie l’acte par la vertu tion anaphorique de la «chose», du «Bathos», du
duquel une chose, un être commencent à exister. chaos originaire, à l’éclat manifeste, à la magni-
Il désigne aussi l’être qui résulte de cet acte». Ce fique présence de son existence «en patuité», qui
terme – Souriau continue – a donné lieu à «d’in- s’impose à l’esprit par son caractère formel de per-
nombrables spéculations métaphysiques», notam- fection8.
ment en référence au lexique de la théologie. Ici L’activité instaurative est donc une activité
Souriau compte au moins trois facteurs indispen- constructive et réglée. Comme Souriau le souligne,
sables de la création: 1) productivité, dès qu’«Il «Assurément, toute action instrauratrice implique
faut que l’action créatrice soit en même temps qu’il est déféré, tant bien que mal, et d’une façon
productive, c’est-à-dire dire qu’elle soit attestée par plus ou moins impure, à la dialectique de la réa-
l’existence d’une œuvre» (du reste pas nécessaire- lisation» (Ibid.: 8). Cela signifie que la création/
ment matérielle); 2) nouveauté: autrement il n’y a instauration s’accomplit par et à travers un cer-
pas de création, mais seulement recommencement tain nombre d’actes et un certain nombre d’étapes
ou imitation; 3) la présence de l’agent: «pour qu’il dynamiques – il s’agit bien d’une «dialectique»
y ait création, il faut l’intervention fondamentale – qui conduisent à la détermination d’un être
d’un agent créateur; sinon, on devra parler d’appa- (l’œuvre) selon une «ligne anaphorique»9 ascen-
rition, d’émergence, de genèse spontanée, de nais- dante qui coïncide avec sa croissance en termes
sance» (Souriau [1991]: 522-523). de présence ontologique. Or, faire croître un être
Ainsi on comprend mieux la différence établie pour Souriau signifie essentiellement l’enrichir en
entre création et instauration. Tandis que, selon déterminations formelles: l’informer, lui donner
l’usage moderne, «instaurer» signifie établir pour une forme achevée. Ainsi, l’activité instaurative
la première fois, générer ex nihilo, étant essentiel- est une activité informative au cours de laquelle la
lement synonyme de «créer», en latin «instaura- matière est élevée, promue, rachetée et sauvée par
tion» signifie au contraire: restaurer, recommen- l’imposition d’une forme qui la pose en communi-
cer, renouveler, reprendre. «Instaurer» est ré-éta- cation avec une réalité supérieure, celle de l’œuvre
blir une forme essentielle, à peine esquissée, en lui à faire.
donnant une pleine réalité. Comme le dit Souriau: L’instauration est donc information, et elle
obéit à la loi générale de la réalisation: «pour se
Nous appelons instauration tout processus, abstrait réaliser il faut prendre forme» (Ibid.: 17). Durant
ou concret, d’opérations créatrices, constructrices,
ordonnatrices ou évolutives, qui conduit à la posi-
tion d’un être en sa patuité, c’est-à-dire avec un éclat 7 Dans L’ombre de Dieu Souriau souligne que «pour évi-
suffisant de réalité; et instauratif tout ce qui convient ter toute équivoque, nous dirons création lorsqu’il s’agit
à un tel processus». (Souriau [1939]: 10) d’un acte de Dieu, instauration lorsqu’il s’agit d’un acte de
l’homme» (Souriau [1955]: 252).
8 À propos du concept de «patuité», voir notamment les
«Patuité» est l’éclat, la présence non révocable,
considérations de Chateau (2017): 34-37.
singulière et essentielle, et c’est aussi la qualité de 9 Souriau définit anaphore «la détermination de l’être en
l’œuvre, le résultat objectif du processus de l’ins- tant qu’elle est accroissement continu de réalité; et pro-
tauration. On voit bien qu’avec le passage de la motions anaphoriques les opérations qui concernent
notion de forme à l’étude de la dialectique de l’ins- directement la promotion de l’être instauré vers sa patui-
té» (Souriau [1939]: 10).
88 Filippo Domenicali

sa recherche Souriau a exploré essentiellement 3. PHILOSOPHIE VIRTUELLE

trois domaines de l’instauration: l’instauration
artistique, qu’il considérait la plus pure; l’instau- À ce niveau, le problème que Souriau se pose
ration philosophique; et enfin l’instauration de soi est le problème de la description, d’une perspec-
(morale) (Souriau [1955]: 254)10. Selon Souriau, tive philosophique – et donc ontologique – du
art, philosophie et morale sont les trois voies de processus anaphorique de la réalisation de l’œuvre.
l’instauration, les trois formes d’un Art Pur. Dans L’œuvre est d’abord une forme qui requiert d’être
L’instauration philosophique, après avoir défini l’art instaurée. Il y a un «appel» de l’œuvre. Ma quel
comme une «activité créatrice et constructive – est le mode d’existence de la forme? De quelle
“poétique” au sens hellénique de ce mot», Souriau manière existe l’œuvre qui fait son «appel»? Et aus-
ajoute que: si, en quoi diffère cette œuvre en creux de l’œuvre
réalisée? Il est nécessaire d’expliquer ce passage
L’art et la philosophie ont ceci en commun, que l’un modal d’un mode d’existence à l’autre. Souriau le
et l’autre visent a poser des êtres, dont l’existence se fait dans son chef-d’œuvre philosophique, Les dif-
légitime par elle-même, par une sorte de démons- férents modes d’existence, l’ouvrage dans lequel il
tration éclatante d’un droit à l’existence, qui s’affirme explore de la façon la plus systématique les res-
et se confirme par l’éclat objectif, par l’extrême réa- sources offertes d’une ontologie pluraliste en vue
lité de l’être instauré selon une certaine dialectique d’une théorie de l’instauration12. Ici, comme nous
thétique. Cette affinité de l’art et de la philosophie le savons, Souriau défend la perspective d’un «plu-
réside donc dans leur commune participation à cette
ralisme existentiel» (soulignons: non pas la plu-
dialectique; à cette sorte d’Art Pur dont la philoso-
ralité de l’être, mais la pluralité des niveaux, des
phie aussi bien que l’art ne sont que des manifesta-
modes et des manières d’être) en essayant deux
tions spécialisées. (Souriau [1939]: 67-68)
différents cycles d’exploration ontologique, carac-
Selon Souriau il y a enfin une seule dialectique térisés par différents points de départ: le premier
thétique, c’est-à-dire la dialectique qui défère aux (ontique) commence du phénomène, pour pas-
règles de l’Art Pur. Déférer aux règles de l’Art Pur ser à travers la chose, l’âme, les imaginaires, le
signifie obéir aux «catégories» de la pensée ins- possible, et enfin rejoindre le virtuel. Le second
tauratrice, qui font l’objet notamment d’une étude (synaptique) commence de l’événement et abou-
monographique à part, présentée dans le qua- tit à la réalité énigmatique et mystérieuse d’une
trième chapitre de L’instauration philosophique. «surexistence», d’un possible au-delà. La théo-
Ces catégories sont des conditions nécessaires, de rie des différents modes d’existence fournit donc
vraies lois de la dialectique thétique, applicables à Souriau un tableau ontologique indispensable
à tous les domaines de la création en tant qu’elles pour la description de l’acte poétique du créateur/
constituent l’architectonique et la structure de instaurateur pensé comme la transposition d’un
l’œuvre. Elles sont condition de réalité et de la réa- être (l’œuvre à faire) du mode d’existence virtuel à
lisation: loi du point de vue, loi d’opposition, de l’existence actuelle de l’œuvre faite, douée de toute
médiation, de l’évasion dynamique, loi des redou- sa présence éclatante et manifeste (patuité). Le
blements, de la destruction, des visions crépuscu- virtuel est donc sans doute le mode d’existence le
laires et le dernier détail (Ibid.: 238-365)11. plus intéressant de la classification esquissée par
Souriau13. L’instauration, selon toutes ses formes
(artistique, philosophique, morale) est concevable
comme l’actualisation d’un virtuel.

10 Sur l’instauration morale et la vie comme œuvre d’art,

cf. Domenicali (2017). 12 Sur l’ontologie polymodale de Souriau, cf. Latour
11 Pour une analyse détaillée des lois de l’instauration, cf. (2015).
Courtois l’Heureux (2015). 13 À propos du virtuel souralien, cf. Lapoujade (2017).
L’Acte poétique: genèse, problématisation, ontologie 89

Souriau fait référence encore à Bergson, et à tandis que le réel est à l’image et à la ressemblance
la caractérisation bergsonienne du possible. En du possible qu’il réalise, l’actuel au contraire ne
fait, tous les deux – Bergson et Souriau – sou- ressemble pas à la virtualité qu’il incarne. […] le
lignent la différence entre le possible et le vir- propre de la virtualité, c’est d’exister de telle façon
tuel, en soutenant que le possible n’est pas un qu’elle s’actualise en se différenciant, et qu’elle est
vrai mode d’existence, mais seulement le produit forcée de se différencier, de créer ses lignes de diffé-
renciation pour s’actualiser. (Deleuze [1966]: 54-55)
d’une illusion rétrospective générée à partir de la
chose accomplie. On imagine une sorte de pos-
Pourtant, selon Souriau le processus de l’ac-
sible établi par avance, tout fait, qui existe depuis
tualisation du virtuel est différent, et sa défini-
toujours, comme à l’intérieur d’un «armoire aux
tion s’oppose encore à Bergson. C’est là son ori-
possibles», comme le dit Bergson, et qui atten-
ginalité. Comme nous le savons, il a exploré la
drait seulement le juste moment pour se réaliser:
teneur existentielle du virtuel à partir d’Avoir une
«Car le possible n’est que le réel avec, en plus, un
âme (1938), dans Les différents modes d’existence
acte de l’esprit qui en rejette l’image dans le pas-
(1943), et aussi dans L’ombre de Dieu (1955). Selon
sé un fois qu’il s’est produit. […] Le possible est
Souriau le virtuel est un mode d’existence en «aba-
donc le mirage du présent dans le passé» (Berg-
lieté», parce que pour exister il a besoin d’une
son [1930]: 12-13). Toutefois, selon Bergson (et
esquisse de réalité, d’un commencement d’être
Souriau) le possible ne précède pas le réel, mais
sur lequel prendre appui et élan. Il définit le vir-
se fait avec lui, il lui est strictement consubstan-
tuel comme «un conditionnement conditionné,
tiel: dans le cas de l’artiste, quand il exécute son
suspendu à un fragment de réalité étranger à son
œuvre, «l’artiste crée du possible en même temps
être propre, et qui en est comme la formule évoca-
que du réel» (Ibid.: 15). Pour Souriau aussi le
toire» (Souriau [1943]: 85). Exister virtuellement,
possible n’est qu’une variété de l’imaginaire, une
«c’est dire qu’une réalité quelconque la condi-
sorte d’illusion rétrospective douée d’une réalité
tionne [cette existence], sans la comprendre ou la
seulement psychologique.
poser. Elle se complète au dehors, se ferme sur soi
Toutefois, différent est le cas de l’existence vir-
dans le vide d’un pur néant» (Ibid.: 83), sans nul
tuelle, dès que pour Souriau il s’agit d’une manière
achèvement ni en représentation, ni en vision, ni
positive d’exister. Or, comme l’a souligné Gilles
en songe. La condition nécessaire et suffisante du
Deleuze dans sa célèbre relecture de Bergson, il
virtuel est donc l’harmonie architectonique de la
faut considérer une distinction importante entre
forme, non pas la différenciation: «il faut qu’une
le mode d’existence possible et le mode d’existence
loi d’harmonie ferme sur soi, architectoniquement,
virtuel, en soulignant l’opposition possible/réel,
l’être supposé» (Ibid.: 84). Et c’est justement ce qui
virtuel/actuel. En fait, selon Deleuze, tandis que
fait du virtuel, à différence du simple possible, une
le possible se réalise, le virtuel s’actualise. Qu’est-
réalité positive: «La différence […] entre l’accom-
ce que cela signifie? Il dit que le possible se réa-
plissable et l’inaccomplissable […] c’est là la réalité
lise suivant les règles de la ressemblance et de la
du virtuel, et ce qui en fait un mode d’existence»
limitation (qui sont les conditions de la réalisa-
(Ibid.: 85).
tion) puisque le réel se présente comme l’image du
L’exploration du domaine du virtuel est donc
possible réalisé (règle de ressemblance), et même
préliminaire, pour Souriau, à la redéfinition
toutes les possibilités ne peuvent pas passer à l’acte
de la théorie de la création/instauration d’un
et se réaliser à la fois (règle de limitation). Le vir-
point de vue ontologique. Les résultats de cette
tuel au contraire s’actualise selon les règles de la
enquête sont présentés dans L’ombre de Dieu,
divergence et de la création, en donnant corps à
où Souriau qualifie de virtuelle la «forme spiri-
la thèse bergsonienne d’un réel-durée, création
tuelle» de l’œuvre à faire. Dans ce livre Souriau
continue d’imprévisible nouveauté:
présente une description du processus instaura-
90 Filippo Domenicali

tif qui sera reprise, selon une méthode de dra- 4. LA PASSION DU SUREXISTENTIEL
matisation, dans la célèbre conférence tenue à
la Société française de philosophie en 1956: Du Avec la conquête du domaine surexistentiel
mode d’existence de l’œuvre à faire (cf. Souriau – la région d’où provient la forme spirituelle de
[1956])14. En s’opposant toujours aux théories l’œuvre à faire qui lance l’«appel» – se termine l’ex-
bergsoniennes de l’élan, de l’intuition et de l’ins- ploration ontologique de l’acte poétique de la part
piration sympathique de l’artiste, dans L’ombre de de Souriau. Ce sont les thèmes du dernier chapitre
Dieu Souriau propose un compte rendu objec- des Différents modes d’existence, ainsi que du der-
tiviste du processus de l’instauration, en met- nier grand ouvrage théorique de Souriau: L’ombre
tant en scène une dialectique entre l’homme et de Dieu. La «surexistence». Pour autant que cette
l’œuvre, où l’œuvre se présente au début en tant référence mystique (ou mythologique) de Souriau
que forme spirituelle – «l’ange de l’œuvre» (Sou- ait pu donner lieu à quelques perplexités de la part
riau [1955]: 257) – comme il dit très suggestive- des commentateurs contemporains, qui l’ont consi-
ment. La forme spirituelle de l’œuvre a le pouvoir déré comme un trait un peu inactuel de sa théo-
d’orienter, de guider et de diriger le processus de rie, il s’agit d’un thème – celui de la transcendance
l’instauration, en attirant vers soi chaque type possible – qui était sans doute très présent dans
de matériel, ainsi que toutes les forces vives de le débat philosophique de l’époque. Il ne faut pas
l’artiste/créateur. Il s’agit d’opérer une genèse de oublier que Souriau – penseur réservé, philosophe
l’œuvre d’art durant laquelle, douée comme elle isolé – a été aussi l’un des premiers critiques de
est d’un pouvoir quasi-magnétique, «mille don- l’existentialisme, auquel il s’est toujours opposé (cf.
nées cosmiques […] sont exigées, attirées, ordon- Souriau [1963]: 93)15.
nées activement par cette forme spirituelle, obli- Comme l’a souligné Frédéric Worms, on pour-
gée pour cela […] de passer par un intermédiaire rait soutenir que le problème philosophique du
humain individuel», et dont le travail créatif n’est «moment» de la Deuxième guerre mondiale était
que «un effort pour informer toutes les données incontestablement le problème de l’existence. Tou-
concrètes et naturelles de l’œuvre selon sa forme tefois, tandis que selon Sartre (typiquement) l’exis-
spirituelle, qui est d’un autre mode d’existence» tence se présente comme une donnée, comme
(Ibid.: 259). Souriau donc analyse la dialectique une immédiateté, comme un fait, pour Souriau
qui s’établit entre l’homme et la forme spirituelle au contraire l’existence est toujours à conquérir,
de l’œuvre à faire comme un dialectique très ten- étant avant tout le résultat d’un effort d’instau-
due, toujours exposée au risque de l’effondre- ration. L’existence est à instaurer, elle n’est jamais
ment, de l’erreur: l’œuvre peut s’écrouler à chaque accomplie. Donc, on pourrait penser que, à l’hu-
moment. Chaque étape de la création constitue manisme célébré par l’existentialisme sartrien,
en soi un problème auquel l’artiste est obligé de Souriau oppose son trans-humanisme, où l’homme
répondre en inventant chaque fois la réponse se dépasse en visant à une dimension ultérieure,
correcte. Le créateur/instaurateur est plongé transcendante, sans toutefois jamais l’atteindre
dans une atmosphère «questionnante», où il est totalement16.
contraint, pour accomplir l’œuvre qui l’appelle, à
répondre subitement, correctement, à l’énigme du 15 Pour une biographie intellectuelle de Souriau, voir
sphinx, au risque de l’écroulement, de la réaction Domenicali, Le Tinnier (2015).
catastrophique, de l’effondrement. 16 Ici on peut entrevoir un rapprochement de Souriau à

Jean Wahl, et à son recueil Existence humaine et trans-

cendance paru en 1944. Comme l’a souligné F. Worms,
«contre Sartre […] Chez lui [Wahl], la notion d’existence
ne désigne pas seulement la singularité de la subjectivi-
14Sur la «méthode de dramatisation» par rapport à Sou- té, qui se pose elle-même, irréductible aux catégories de
riau, cf. Debaise, Wiame (2015). l’objet et à toute essence déterminée. Elle impliquera aus-
L’Acte poétique: genèse, problématisation, ontologie 91

Comme Souriau le souligne dans Les différents être en rapport d’action-passion avec lui. […] C’est
modes d’existence, à proprement parler «il n’y a pas le fait d’agir ou de pâtir, conformément à la réalité
d’existence transcendante, en ce sens que ce n’est (même problématique) de ce surexistentiel qui est,
pas là un mode d’exister». Mais – ajoute-t-il – «il non sa projection sur l’existentiel en miroir et par
y a des faits de transcendance: des passages d’un énigme, mais son expérience. C’est une expérience
mode d’existence à un autre» (Souriau [1943]: de ce genre que nous avons vue aussi, dans l’action
instauratrice, par l’effet de l’anaphore. (Ibid.: 189-190)
148-149). La transcendance est donc un fait et un
effet en tant qu’il s’agit d’une modulation qui s’in-
Voici donc que, au cours de l’expérience
troduit dans l’instant anaphorique du passage d’un
ordonnée et hiérarchique de l’instauration, in
mode d’existence à l’autre. La transcendance est un
speculum et in ænigmate la forme spirituelle de
«passant sublime» (Souriau [1973]: 334). Elle peut
l’œuvre dirige souverainement le processus de la
intervenir notamment, durant le trajet instauratif,
création, en permettant à l’homme instaurateur,
à travers le rapprochement graduel entre le virtuel
qui suit la voie dictée par l’ange, de s’élever spiri-
et l’actuel, et dans le rapport «diasthèmatique» qui
tuellement jusqu’à l’instant sublime de la présence
s’institue entre l’homme et l’œuvre dans l’expé-
parfaite, au Patefit effectif. Ainsi il se dépasse.
rience positive du faire. Donc, il s’agit moins d’une
L’expérience de la dialectique instaurative ouvre
transcendance que d’une «transcendentalisation» –
enfin à l’homme courageux l’expérience intégrale,
comme Souriau le précise. Ou mieux encore: d’une
polyphonique, qui se développe sur plusieurs
«transcendantalisante transformation architecto-
niveaux existentiels à la fois. C’est le trait qui fait
nique du mode d’existence» (Souriau [1943]: 148).
de la philosophie de Souriau une philosophie de
Mais, alors, de quelle façon la surexistence
l’aventure, de l’ouvert, d’autres mondes possibles
peut-elle communiquer avec l’existence? Com-
à conquérir… à inventer. Mondes dans lesquels
ment peuvent exister ces instants sublimes? Com-
l’homme, en se dépassant, pourra trouver finale-
ment l’acte poétique peut-il faire communiquer
ment une meilleure mise à point existentielle de
l’homme avec le divin? Selon Souriau, à travers et
soi-même, plus sublime.
au cours de la dialectique de l’instauration, le créa-
Tentanda via est…
teur fait activement l’expérience du surexistentiel
à travers le rapport d’«action-passion» qui le lie à
la forme virtuelle de l’œuvre. Il s’agit d’un «Pâtir REFERENCES
du surexistentiel», d’une passion vécue subjecti-
vement comme une urgence existentielle, en tant Bayer, R., 1941: L’esthétique de Bergson, in Essais
qu’elle concerne tous les hommes de bonne volon- sur la méthode en esthétique, Flammarion, Par-
té, qui ont a cœur l’inachevé du monde17. C’est is, 1953, pp. 7-106.
la seule manière, pour l’homme, de «témoigner» Bergson, H., 1902: L’effort intellectuel, in L’énergie
pour le surexistentiel, pour un possible au-delà… spirituelle, Presses Universitaires de France,
Paris, 1990, pp. 153-190.
Pâtir du surexistentiel, en éprouvant une modifica- Bergson, H., 1930: Le possible et le réel, in La pen-
tion qui lui réponde, et dont il soit la raison (au sens sée et le mouvant: essais et conférences, Press-
ou raison c’est rapport), c’est là sans doute la seule es Universitaires de France, Paris, 1990, pp.
manière dont nous puissions témoigner pour lui, et
99-116.
Chateau, D., 2017: Étienne Souriau: une ontologie
si une véritable transcendance, même si celle-ci ne peut singulière, “Nouvelle revue d’esthétique” 17, pp.
être saisie que dans le mouvement même de l’existence 33-41.
humaine qui se tend vers elle, sans être jamais atteinte Courtois L’Heureux, F., 2015: Le philosophème
directement, ou saisie absolument» (Worms [2009]: 314-
et ses lois d’instauration. Entre embrassement
315).
17 Sur cette espèce de «pâtir», cf. Plé (2021): 15, 76. et embrasement, in Courtois-l’Heureux, F.,
92 Filippo Domenicali

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sité de Lyon, Paris-Lyon.
Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

Etienne Souriau et la multiplicité des

mondes: une expérimentation au seuil de
Citation: N. Ple (2022). Etienne Sou-
riau and the multiplicity of worlds: an l’indétermination
experiment on the threshold of inde-
terminacy. Aisthesis 15(2): 93-101. doi:
10.36253/Aisthesis-13926 Etienne Souriau and the multiplicity of worlds: an experiment
Copyright: © 2022 N. Ple. This is an
on the threshold of indeterminacy
open access, peer-reviewed article
published by Firenze University Press
(http://www.fupress.com/aisthesis) and
distributed under the terms of the Cre- Noelie Ple
ative Commons Attribution License, Université Libre de Bruxelles / Université Toulouse Jean-Jaurès
which permits unrestricted use, distri- [email protected]
bution, and reproduction in any medi-
um, provided the original author and
source are credited. Abstract. By focusing on the shifts brought about by the formulation of different
modes of existence, this article explores the gesture posed by Etienne Souriau’s philoso-
Data Availability Statement: All rel-
evant data are within the paper and its
phy. Starting from questions such as: What does it change for the multitude of exist-
Supporting Information files. ences to be named in this way? What difference does it make? The question here will
be to address the necessity of such a pluralist ontology with regard to our contempo-
Competing Interests: The authors raneity. The challenge is to understand the necessity of such a formula, to draw the
have declared that no competing inter- problematic threads that allow us to situate this necessity in a larger set of questions, or
ests exist. rather, ways of asking them.

Keywords: Multiplicity, Existence, Imagination, Etienne Souriau.

L’existence, c’est toutes les existences; c’est chaque

mode d’exister. En tous, en chacun pris à part,
intégralement l’existence réside et s’accomplit.
(Souriau [1943]: 165)

TIRER LES FILS

Un mythe, une croyance, un fait scientifique, un rayon de

lumière, un nuage, un souvenir, un rêve, une pensée répétitive, un
conte que l’on raconte aux enfants, un livre, la peur, ou la tristesse,
une reproduction de peinture, un geste, une tradition ou encore
un savoir-faire transmis de génération en génération: chacune de
ces entités porte le sceau de l’existence. Chacune de ces choses est,
à sa manière, et c’est ainsi que dans chacune d’elle l’existence réside

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 93-101, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13926
94 Noelie Ple

et s’accomplit. Dans la perspective du philosophe aux différences de perspectives sur l’advenir que
Etienne Souriau, auteur de la citation convo- ces tremblements permettent, parce que donner à
quée ici en guise d’introduction, l’existence, c’est capter le geste tracé par Souriau tout au long de
l’ensemble de nos gestes, de nos histoires, de nos sa vie, geste autant philosophique qu’esthétique,
récits1 – c’est l’ensemble des vies qu’ils contiennent requiert de situer ces déplacements à l’intérieur
et rendent possibles. Cet énoncé, exprime l’im- des trajectoires historiques ayant rendues l’expres-
portance du déplacement opéré par Souriau lors- sion d’un tel énoncé nécessaire. Cette possibilité
qu’il formule une ontologie pluraliste se déployant d’écouter autrement ce qui arrive demande une
au travers de ce qu’il nomme «différents modes certaine plasticité de l’imagination et c’est précisé-
d’existences».2 Précisément du fait que la pro- ment ce qu’Etienne Souriau nous propose d’expé-
position à partir de laquelle se constitue cette rimenter. Parce que sa philosophie caractérise un
ontologie énonce que l’existence, c’est toutes les appel au faire (Souriau [1956]) et que ces mou-
existences, alors rien3 – aucune chose, aucun vements nous parlent de manières, de techniques,
être, aucun événement – ne peut désormais être de dispositions expérimentées par Souriau – pour
exclu du réel que nous vivons. Et si rien ne peut réussir à cultiver le possible au milieu du trouble
plus être exclu, alors c’est une tout autre manière et au seuil de l’indétermination.
de prêter attention à ce qui arrive, à ce que nous
sommes, à ce dont nous héritons, à ce que nous
devenons, faisons, laissons, que nous demande à LE SPECTRE DES PRÉSENCES
présent l’expérience.
S’approcher au plus près de ce qui est en jeu
dans cet énoncé demande de s’intéresser à la dif- L’existence, c’est toutes les existences
férence qu’amène sa formulation. Qu’est-ce que
cela change, pour la multitude des existences, dès les premiers mots de cette formule, Sou-
que d’être nommée de cette manière-là ? Quelle riau indique l’horizon problématique dans
différence est-ce que cela fait ? A quels types de lequel se déploient les multiples dimensions qui
situations ou de pensées cet énoncé répond-il ? peuplent son ontologie pluraliste. Ces quelques
Qu’est-ce qui le requiert ? C’est ce que cette courte mots parlent à la fois de ce dont se distingue la
déambulation dans la métaphysique de Souriau proposition philosophique de Souriau, mais aussi
voudrait parvenir à faire sentir en tirant quelques de la différence apportée par cette distinction, en
fils de la pensée sourialienne. Il sera pour cela termes de compréhension des événements. Car si
question de montrer l’ampleur des tremblements toutes les existences sont, la différence entre l’être
qui s’expriment dans l’envers des mots de Souriau et le néant ou entre l’être et le non-être qui hante
rapportés à cet endroit et ainsi, réussir à percevoir l’époque à laquelle Souriau écrit Les différents
l’actualité de la pensée de Souriau face aux défis modes d’existences (1943) n’apparaît plus comme la
lancés par certaines situations de notre contempo- question pertinente à poser. Du fait de ce dépla-
ranéité.4 Mais aussi, pour donner de l’importance cement de perspective, le problème ne tient plus.
Car si toutes les existences sont, la question de ce
1 Cfr.
qui existe réellement ne peut plus être posée en
Debaise [2019].
2 Cfr.
usant de grilles de valeurs permettant de quali-
Souriau [1943].
3 «Nous partirons d’une proposition à laquelle nous tente- fier ou de disqualifier tel ou telle prétendant(e) au
rons dans les pages qui suivent de donner toute sa portée domaine de l’existant en s’appuyant sur des couples
spéculative. Elle est exprimée pour la première fois par de notions telles que le vrai et le faux, le beau et
Whitehead: “Mise à part l’expérience des sujets, il n’y a
rien, rien, rien, que le rien”» (Debaise [2015]: 66).
4 La profonde actualité de la pensée d’Etienne Souriau tention, de ferveur et de lucidité, sera appuyé par les réfé-
avec ce que notre présent exige de nous, en termes d’at- rences et la bibliographie secondaire.
Etienne Souriau et la multiplicité des mondes: une expérimentation au seuil de l’indétermination 95

le laid ou encore le bien et le mal. Il ne peut pas agir d’une personne interagissant avec un jardin
non plus y avoir au commencement d’un geste de vivant, de la pensée dans la prise en considération
pensée, quel qu’il soit, un principe visant à hié- d’une situation vécue pour appréhender la teneur
rarchiser les existences entre elles, différenciant la d’une parole entendue, etc. Penser ne consiste
valeur d’existence des entités minérales, végétales, pas seulement à décrire de façon lointaine, à
animales ou humaines ; et à l’intérieur de ces caté- connaître ou à surplomber, il s’agit avant tout de
gories, instituant une différence essentielle entre pouvoir répondre à ce trouble rencontré à même
la diversité des membres qui les constituent. Ain- le vécu, aux contacts des choses, quand leurs ren-
si, aucune pratique qui chercherait à saisir, à per- contres activent d’autres récits qu’il s’agit de pou-
cevoir, à comprendre ou à articuler l’ensemble de voir mettre en forme et donc, de pouvoir écouter.
ce qui est de façon à rendre possible l’émergence Dans cette perspective, penser nécessite de pou-
du sens ne saurait être juste en commençant par voir se laisser affecter par ce qui arrive. C’est ainsi
disqualifier certaines zones de l’existence de ce qui que Souriau écrit dans Pensée vivante et perfection
peut compter. C’est d’abord une prise de position formelle (1925): «Il faudra donc prendre affectivité
vis-à-vis de ces mécanismes hiérarchisant et dis- au sens le plus large – manière d’être affecté – en
qualifiant qu’amène Souriau: la différence entre les y faisant rentrer toutes les sensations et les per-
êtres n’existe pas de manière à priori. Et il importe ceptions acquises. Qu’on renonce alors à opposer
de le formuler parce que la dynamique engendrée la vie affective à toute autre partie de la vie psy-
par l’usage de ces principes a pour conséquence chique. Qu’on y fasse rentrer notamment toute la
d’exclure de la pensée, et donc de la vie, une par- vie intellectuelle» (Souriau [1925]: 23). Les expres-
tie des existences.5 Le nombre des vies qui peuvent sions se laisser affecter ou manières d’être affecté
effectivement habiter le réel construit par de tels supposent que la rencontre fait quelque chose (Plé
mécanismes se voit alors considérablement réduit, [2021]: 12) – la rencontre agit sur les existences
appauvrit, le réel devenant de moins en moins embarquées par l’évènement. Dans cette perspec-
riche de nuances et de possibilités. tive, ce ne sont pas nous qui posons les questions,
Ainsi, Souriau n’avance pas à grandes enjam- ce sont les questions qui nous posent (Souriau
bées au milieu d’un monde découpé en catégories [1955]: 65) et cela, du fait même de cette expé-
nettes et tranchées. Au contraire, rien n’est don- rience troublée.
né par avance, le sens est toujours à faire et ce C’est là un point important, souvent mention-
que nous nommons réalité se donne comme une né, de la philosophie de Souriau: un problème qui
conquête (Latour, Stengers [2009]: 11), comme tient résulte de la rencontre avec une «situation
quelque chose qu’il s’agit de réaliser. Car pour questionnante» (Stengers, Latour [2009]: 30), qu’il
Souriau, la pensée se construit avec ce qui se nomme aussi «épreuve». Dans l’une ou l’autre de
donne hic et nunc, ici et maintenant, et un pro- ces situations troublées, le monde vient à man-
blème qui tient se fabrique en partant de l’ex- quer. Plus précisément, la manière habituelle
périence (Souriau [1955]: 23). Par pensée, il est de s’y rapporter, celle qui avait cours jusqu’à cet
important d’entendre la diversité des formes6 instant, ne permet plus d’articuler un sens ren-
que celles-ci peut prendre : il y a une certaine dant ce monde ou cette situation vivable. Selon
manière de penser la lumière dans l’histoire de les cas, l’ampleur du vacillement provoqué peut
la peinture comme il y a une certaine pensée de apparaître de façon plus ou moins grande, ce qui
la lumière dans l’histoire de la physique, il y a de importe, c’est l’expérience de la différence mise en
la pensée dans la main de l’ébéniste qui s’informe jeu par l’évènement. Il y a arrêt, choc, faille, ques-
du bois sous ses doigts, de la pensée dans le non- tion ou perte du sens. Il y a rupture d’une cer-
taine forme de continuité et transformation de la
5 Cfr.
relation. Pour Souriau, ne pas succomber à l’expé-
Debaise, Stengers [2022].
6 Cfr. Whitehead [1938].
rience du vacillement nécessite la mise en œuvre
96 Noelie Ple

d’un mouvement, d’un agir, d’un geste. Le réel ceci?», sa manière d’aborder l’existence n’en reste
est une conquête car ce que nous pouvons tenir pas moins précise. L’ontologie pluraliste de Souriau
comme réel n’existe qu’au risque de se perdre se déploie au travers d’une multitude de nuances
(Stengers, Latour [2009]: 14). L’énigme prend existentielles correspondant aux différents modes
alors la forme d’un appel exigeant l’apport d’une d’existences déjà évoqués et constituant l’ensemble
réponse, exigeant l’engagement attentif de qui sau- du spectre des présences.
rait l’écouter, là encore, au risque de tout perdre.7 Bien qu’ayant déjà été de nombreuses fois
C’est donc ici qu’apparaît la nécessité de prêter repris, je voudrais brièvement revenir sur ces
attention autrement à ce qui arrive, pour que le modalités existentielles car leurs spécificités vont
trouble rencontré puisse s’élucider, pour que ce s’avérer nécessaires pour la suite de cette propo-
monde qui manque puisse à nouveau être habi- sition. Parmi celles-ci, on trouve notamment le
té. L’épreuve nous invite ainsi à composer avec la mode d’existence des phénomènes, dont l’existence
tonalité de ces mondes qui s’éprouvent. Ce dépla- a la particularité d’être manifeste, éclatante. Le
cement vient inscrire la fabrique de la pensée, phénomène «[...] est présence, éclat, donnée non
mais aussi l’ensemble de nos gestes et pratiques, repoussable. Il est, et il se dit pour ce qu’il est»
dans des logiques d’ordre vitale. Retenons ici que (Souriau [1943]: 113). Aux phénomènes s’ajoute
pour Souriau, la pensée ne se construit pas sur également le mode d’existence de la chose, égale-
une base exclusive à priori, n’est jamais détachée ment appelée existence réique. La chose correspond
de ce qui est en train d’arriver, du cours des évé- au maintien et à la permanence d’une identité à
nements et des dynamiques complexes agissant de travers le temps: «Il y a accord sur le caractère sys-
l’intérieur chaque situation. tématique de la chose, et sur ce fait que ce qui la
caractérise spécifiquement, c’est de rester numéri-
C’est chaque mode d’exister
quement une à travers ses apparitions ou utilisa-
tions noétiques» (Souriau [1943]: 120).8 Le statut
ainsi, l’existence telle que pensée par Etienne des réiques a en cela la particularité de comporter
Souriau est distributive: tout existe et c’est à par- la pensée car: «Il faut une pensée pour maintenir
tir de ce «tout existe» que chaque mode de pensée la chose dans l’existence, au-delà de ses manifesta-
peut commencer à expérimenter d’autres perspec- tions phénoménales, et pour constituer un cosmos
tives sur ces mondes que nous habitons, qui nous peuplé de choses reliées entre elles» (Lapoujade
font et que nous faisons en retour. Ce geste consis- [2017]: 27). C’est par l’opération de la pensée que
tant à refuser l’amoindrissement du réel n’a pour- l’instantanéité du phénomène passe du côté de ce
tant rien d’une tentative d’homogénéisation ou qui demeure. L’ontologie sourialienne comporte,
d’universalisation des existences. Si la situation des en plus de ces deux tonalités existentielles, d’autres
problèmes propres à la philosophie de Souriau ne êtres taillés dans une consistance singulière, affec-
l’amène pas à s’interroger sous la forme d’un «ceci tive: ce sont les êtres imaginaires, aussi appelés êtres
ou cela existe-t-il ?» ou encore d’un «qu’est-ce que sollicitudinaires. Parce que leur existence dépend
de notre sollicitude; «En ce sens, il faut donc les
ranger dans une classe existentielle beaucoup plus
7 «Dans le «drame à trois personnages» qu’est toute ins-
tauration, le «créateur» est «agent», responsable certes,
vaste: celle des êtres qui sont présents et existent
mais seulement parce qu’il est confronté à l’énigme insis- pour nous d’une existence à base de désir, ou de
tante de la question de l’«œuvre à faire» et aux prises
avec ce qui, à chaque étape du trajet d’accomplissement,
lui demande «Que vas-tu faire de moi?», avec ce qui, à 8 «Pour l’identité, elle est toujours de même nature. Est
chaque étape, peut rater ou avorter si l’agent s’est trom- est une communion avec soi-même, une indifférence à
pé, ou, pire, s’il s’est rendu sourd à la question, s’il n’a pas la collocation et à la répartition spatio-temporelle; dont
su se faire «proie et ressource» pour la réponse à donner» l’état d’existence latente ou de remote présence est une
(Stengers [2015]: 71). conséquence ultérieure» (Souriau [1943]: 122).
Etienne Souriau et la multiplicité des mondes: une expérimentation au seuil de l’indétermination 97

souci, ou de crainte ou d’espérance, aussi bien que réside et s’accomplit

de fantaisie et de divertissement» (Souriau [1943]:
133). Les êtres imaginaires sont faits dans l’étoffe la réalité sourialienne se constitue ainsi à la
des rêves (Souriau [1943]: 136), leurs existences croisée de plusieurs dimensions, entremêlant
sont suspendues au monde des phénomènes, elles existences matérielles et immatérielles dans une
imitent le mode des réiques, redoublent l’univers même dynamique créatrice de mondes. La prise
des choses et des phénomènes tout en y partici- en considération de cette amplitude existentielle
pant proportionnellement à l’intensité des affects faite de pics, de crêtes, de creux et de contrastes
qui les suscitent.9 A cette stratification existen- toujours changeants ouvre, en le peuplant, l’in-
tielle entremêlant ensemble ce qui se manifeste et terstice qui divisait jusqu’alors être et non-être.
ce qui demeure, comprenant également l’épaisseur Par la mise en perspective de ces écarts, l’onto-
mouvante de nos imaginaires et de nos affects, logie pluraliste de Souriau élargit les limites du
s’ajoute un dernier mode spécifique d’existence.10 Il monde tangible, du monde vécu, mais aussi celles
s’agit du mode d’existence des virtuels, dont la par- des mondes possibles et donc, celles des mondes à
ticularité est d’être «taillée dans une étoffe de pur faire. Le philosophe David Lapoujade nous dit à ce
néant» (Souriau [1943]: 136). Le virtuel ne se dis- propos que: «La force d’un problème, ce n’est pas
tingue pas du réel mais de l’actuel, c’est-à-dire de sa tension interne, c’est l’incertitude qu’il introduit
tout ce qui est effectivement là. Leur singularité dans la (re)distribution de réalité. On entre dans
est d’être conditionné par tous les autres, ce sont une zone où l’on ne sait plus ce qui doit être tenu
des esquisses ou amorces d’existences absentes. Si pour réel. Une nouvelle perspective fait irruption,
le phénomène est saillie lucide, les existences vir- qui bouleverse l’ordre d’un plan d’existence don-
tuelles se donnent à vivre dans les creux de l’ex- né, déplace le centre de gravité des existences»
périence. Différant de l’imaginaire et du possible, (Lapoujade [2017]: 59). Cette absence, ce monde
l’existence virtuelle est là tout en n’y étant pas, elle qui manque mais qui est aussi et dans le même
participe à la trans/formation du réel en ouvrant temps ouverture sur l’altérité, a notamment le
des brèches qu’il s’agit de réaliser pour les faire pouvoir de réintroduire la possibilité d’un infini à
exister et leur donner de l’importance, pour leur l’intérieur de l’univers déjà bien élargi que Souriau
donner la force de tenir par elles-mêmes. nous propose. La force du geste posé à cet endroit
Quantité d’ébauches ou de commencements, étant d’énoncer un infini sans le référer à quel-
d’indications interrompues, dessinent autour d’une conque forme de transcendance lointaine. L’infini
réalité infime et changeante tout un jeu kaléidos- devient ici quelque chose dont nous pouvons faire
copique d’êtres ou de monumentalités qui n’exis- l’expérience, par lequel nous pouvons être affectés,
teront jamais; qui n’ont d’autre réalité que d’être si tant est que nous créions les conditions pour le
d’avance ou hypothétiquement conditionnés, percevoir, pour y prêter attention et réussir, par la
déterminés parfois avec une précision parfaite, suite, à nous en rendre capable.
dans leur étoffe de néant. Mode d’existence par-
ticulièrement riche d’une multitude de présences EXPÉRIMENTER DES MONDES
qui sont absences (Souriau [1955]: 136-137).
Broder d’autres motifs
En tous, en chacun prit à part, intégralement, l’existence
au début de cet écrit, quelques questions ont
été formulées en lien avec l’énoncé de Souriau. Il
9 «Quant à l’imaginaire en général, on voit que son mode y avait parmi celles-ci: Qu’est-ce que cela change,
spécial d’existence (...) réside dans sa suspension totale au pour la multitude des existences, que d’être nom-
phénomène de base» (Souriau [1943]: 135). mée de cette manière-là? Quelle différence est-ce
10 Cette liste est non exhaustive comme précisé par Sou-
que cela fait? L’enjeu était alors de comprendre la
riau lui-même dans ses différents modes d’existence.
98 Noelie Ple

nécessité de poser une telle formule, de tirer les détail de toutes ces autres. Souriau écrit également
fils problématiques permettant de la situer dans à ce propos que «L’existence ce n’est pas analysable.
un ensemble plus vaste de questions, ou plu- Ce qui paraît éléments de l’existence, appelons-le
tôt, de manières de les poser. Les dernières lignes d’un autre nom. Appelons-le, par exemple, réali-
de cette brève plongée dans la pensée de Souriau té» (Souriau [1943]: 105). Le point de vigilance
m’ont permis de glisser vers un autre versant, mais à avoir consiste donc à ne jamais oublier que la
non des moindres, de sa philosophie, qui est pré- réalité d’un être est plurielle, ou disons aussi plu-
cisément celui à l’intérieur duquel s’entrecroisent rimodale (Lapoujade [2017]: 62). L’entrelacement
le monde qui manque, la force du problème, la des nuances explorées constitue une broderie aux
possibilité d’un infini et la nécessité d’imaginer motifs complexes et la voir demande d’opérer un
d’autres voies possibles pour faire et penser le réel changement de focale. En tant qu’êtres vivants,
auquel nous appartenons. nous sommes simultanément fait d’ADN, de chair,
de bactéries, de rêves, d’histoires, de désirs, de
C’est que le monde entier est bien vaste, s’il y a plus sociétés, de territoires, de mots entendus, de sou-
d’un genre d’existence; s’il est vrai qu’on ne l’a pas venirs oubliés ou encore de gestes partagés. Cha-
épuisé, quand on a parcouru tout ce qui existe selon cune de nos existences humaines et autres qu’hu-
un de ses modes, celui par exemple de l’existence maines se constituent au gré d’assemblages com-
physique, ou celui de l’existence psychique; s’il est
plexes faits de choix, de captures mais aussi de
vrai qu’il faille encore pour le comprendre l’englober
rapports de force de toutes sortes. L’existence est
dans tout ce qui lui confère ses significations ou ses
multiple au sein même de ce qui avait jusqu’ici
valeurs; s’il est vrai qu’en chacun de ses points, inter-
sections d’un réseau déterminé de relations consti-
l’habitude d’être considéré sous la forme d’une
tuantes (par exemple spatio-temporelles) il faille «chose» ou d’un «individu» bien délimité.
aboucher, comme un soupirail ouvrant sur un autre Si singularité et multiplicité vont de paires
monde, tout un nouvel ensemble de déterminations chez Souriau, comprenons que la manière dont les
de l’être, intemporelles, non spatiales, subjectives choses se font, dont les êtres apparaissent et dis-
peut-être, ou qualitatives, ou virtuelles, ou transcen- paraissent, la manière dont ces êtres insistent et
dantes; de celles peut-être où l’existence ne se saisit persistent dans le cours de l’existence, courbe l’ex-
qu’en des expériences fugaces, presque indicibles, ou périence d’une certaine façon selon l’intensité de
qui demandent à l’intelligence un effort terrible pour leur présence. Ces façons sont liées aux embran-
saisir ce à quoi elle n’est pas encore faite, et qu’une chements, aux intersections, aux différentes bifur-
pensée plus large pourrait seule embrasser; s’il est cations réalisées à même l’expérience. Ces façons
vrai même qu’il faille, pour appréhender l’univers sont également liées à la possibilité pour un
dans sa complexité, non seulement rendre la pensée être de se répéter, de s’intensifier en changeant
capable de tous les rayons multicolores de l’existence, de mode d’existence. Plus une réalité se consti-
mais même d’une lumière nouvelle, d’une lumière tue en investissant l’ensemble du spectre des pré-
blanche les unissant dans la clarté d’une surexistence
sences, plus cette réalité va compter dans ce qui
qui surpasse tous ces modes sans en subvertir la réa-
fait la trame de l’expérience. Parce qu’il y a agir
lité (Souriau [1943]: 82-83).
et relation, il y a influence et donc répercussions.
Cette lumière blanche dont parle Souriau dans Chaque forme réalisée apparaît ainsi comme prise
le passage cité, qui pourrait également être nom- dans la complexité du tissu relationnel de l’expé-
mée bruit blanc, désigne une tonalité existentielle rience, en lien avec, évoluant au gré des contacts
comprenant toutes les autres sans les réduire ou et multiples interactions qui caractérise cette expé-
les homogéniser. C’est là le point important à cap- rience en train de se faire. Tout est toujours «à
ter, cette tonalité est ce qu’elle est du fait de tout l’œuvre». L’ontologie sourialienne est à ce titre une
celles-là et l’enjeu du geste sourialien consiste à ontologie relationnelle et mutationnelle. Souriau
pouvoir l’entendre sans perdre ou amoindrir le formule également qu’«On ne choisit pas (faute
Etienne Souriau et la multiplicité des mondes: une expérimentation au seuil de l’indétermination 99

de le savoir faire) entre des données de réalité ; choses différentes11. Le nouveau régime climatique
on choisit entre des possibles offerts ou refusés» face auquel notre époque se trouve confronté en
(Souriau [1955]: 31). Et cela, parce que certaines est un exemple de taille. Ainsi, l’agir de la pensée
configurations du monde plus que d’autres nous n’existe pas en dehors du spectre des présences
permettent d’imaginer bifurquer, zigzaguer, chan- mais fait bel et bien partie de celui-ci, agit, com-
ger le sens de nos existences et de nos directions pose et décompose des possibles au sein même de
en multipliant les manières grâce auxquelles nous celui-ci.
nous orientons dans ce réel composite.
Si utile qu’il soit de séparer la vie totale de l’es-
prit humain en fibres distinctes, afin d’exposer plus
Un réel amplifié clairement les faits et d’en suivre linéairement les
principaux décours, abstraction faite de leur unité
comme cela a été dit, cette nécessité d’élargir
organique, ce n’est là, en effet, qu’une abstraction.
les limites de ce que nous nommons «existence» Et cette abstraction devient danger, puis erreur, si,
concerne nos manières de l’aborder et d’y prendre oubliant cette unité, on en vient à considérer ces
part. Il apparaît alors nécessaire de chercher com- fibres isolées comme réellement indépendantes les
ment rendre la pensée capable de cette amplitude unes des autres. Il en va pareillement au plan indivi-
existentielle sans faillir face à l’ampleur et à l’in- duel et au plan collectif (Souriau [1925]: 23).
détermination rencontrées. Cela a été dit, en liant
intimement sa méthode philosophique au cours L’opération réalisée par la pensée qui pense,
des évènements, l’ontologie pluraliste d’Etienne d’une façon ou d’une autre, ne doit donc jamais
Souriau se positionne à la marge des grilles de être oubliée ou soustraite du résultat sur lequel
lectures à priori et des grands dualismes évoqués aboutit la réalisation, tout comme la situation
plus avant. Si la pensée réflexive occupe bien une l’ayant demandé jamais évacuée de la réponse
place dans l’univers aux multiples dimensions apportée. Si la question que Souriau pose aux
esquissé par Souriau, son existence caractérise une êtres qu’il aborde prend la forme d’un comment?,
manière d’être et d’agir spécifique puisqu’exister, c’est que la relation à nouer ne passe pas par à un
c’est toujours exister d’une certaine manière. Ainsi, qui, un quoi ou un qu’est-ce que ? Ce qui l’inté-
nos différents modes de pensée caractérisent diffé- resse, c’est la manière dont chaque existant prend
rentes façons de se rapporter à l’expérience : l’en- forme et consistance au milieu et avec l’ensemble
semble de ces manières d’entrer en relation a un de toutes les autres choses. Comment tiens-tu ? est
effet sur la relation nouée, participe de la direction une question qu’il ne cessera de poser aux êtres
que prend le cours des événements. Il n’y a donc abordés. Et c’est donc aussi en usant d’un com-
pas d’un côté des sujets pensant et de l’autre un ment? que Souriau interroge l’agir de la pensée.
monde attendant d’être pensé. Se rapporter collec- Comment les opérations de la pensée entre t-elles en
tivement à ce qui arrive en plaçant notre attention contact avec les zones du réel abordées ? Pour quel
au niveau des seules logiques économiques ou en genre de réalité voulons-nous témoigner et quels
donnant de l’importance aux logiques du vivant
a des effets très différents sur l’ensemble des êtres 11 «Ce qui est en jeu avec le mode d’existence réique n’est
concernés par la question. Une partie du réel est pas une réalité inhumaine, étrangère à la pensée. Bien au
possiblement manqué du fait de cette manière contraire le statut réique comporte la pensée, et même
de prêter attention, d’entrer en relation, ce qui ne de triple manière: comme liaison, comme conscience
signifie pas que cette ou ces parties de l’univers et comme agent. Ce qui explique pourquoi Souriau
cessent d’exister. Par contre, ne pas les inclure dans ne perde pas une seconde à essayer de comprendre par
quel miracle la pensée et le monde extérieur peuvent
nos systèmes de sens a un impact sur leur possi-
s’accorder: c’est deux fois la même chose, autrement dit
bilité à se maintenir dans le cours de l’existence, le monde ressaisi sous le mode d’existence de la chose»
précisément car penser et agir ne sont pas deux (Stengers, Latour [2009]: ??)
100 Noelie Ple

genre de mondes voulons nous voir exister?12 C’est Dans les premières lignes de cet écrit, a été
par cette modification de la question que Sou- posé que parvenir à écouter autrement ce qui
riau transforme le rapport à l’expérience, c’est ce arrive exigeait de parvenir à une certaine plastici-
qui lui permet de rendre compte de la singulari- té de l’imagination. La question de l’imagination
té, des contrastes, des nuances et du relief qui font que nous permet de poser le réel amplifié élabo-
autant l’existence que l’expérience. Souriau pose la ré par Souriau fonctionne avec celle de l’attention.
nécessité d’engager l’agir de la pensée dans d’autres Chaque chose existe selon le nombre et la mesure
directions à l’intérieur desquelles la part de créati- qui est la sienne (Souriau [1938]: 26), selon des
vité, de fabrique des êtres, puisse être pleinement degrés de complexité variés, nous obligeant à pas-
aperçue et prise en charge. ser d’une dimension à une autre, de passer des
fils aux motifs sans jamais relâcher la vigilance
De l’importance d’imaginer
requise par la situation. Parce que la continuité
sourialienne investit plusieurs dimensions ; suivre
au sortir de la guerre, Souriau élabore ainsi le fil d’ariane ou de lisière par lequel se font les
une ontologie nous obligeant à ne jamais prendre connexions nous oblige à moduler ou faire varier
de raccourcis, à poser différemment la question nos façons de prêter attention à ce qui arrive. Pour
de l’identité des êtres, des choses, à prêter atten- voir avec l’en-deçà et l’au-delà de l’ici maintenant,
tion aux mots avec lesquels nous nommons, parce pour saisir l’épaisseur, pour donner de l’impor-
que ces mots agissent et interfèrent avec les zones tance à d’autres manières de faire monde. «Il faut
du réel concernées. Se saisir de la portée de cette donc comprendre bien ce qu’est l’importance phi-
transformation des coordonnées existentielles ame- losophique, ce droit d’être pris en considération
nées par ce philosophe suppose de percevoir qu’à qui n’est nullement le fait d’importer à quelqu’un,
présent, c’est tout notre rapport à l’existence qui s’en mais une importance par soi, une certaine spissi-
trouve changé. Si tout existe à sa manière, si Dieu, tudo entis ou densité d’existence» (Souriau [1982]:
les âmes, les fantômes, les souvenirs, les formules 73). Parvenir à prêter attention à l’ensemble de ces
mathématiques, les conflits sociaux existent selon manières revient chez Souriau à nous en rendre
une configuration du monde qui leur est spécifique, capable, à nous rendre capable de vivre parmi une
alors aucune de ces choses ne peut plus être appro- infinité de configuration qui nous dépasse sans
chée sur le mode de l’équivalence généralisée qui est ployer, sans succomber aux vacillements éprou-
le propre des choses et à l’intérieur duquel prend vés. Sans disqualifier et sans réduire. Dès lors, le
également forme la pensée. La mise en perspective trouble continue d’habiter ces zones de compré-
du spectre des présences nous permet de sortir de hension nécessaires à la vie : le souvenir du vacil-
cette amoindrissement de l’existence: chacune des lement n’est jamais loin et chaque pas réalisé sup-
entités nommées à l’instant n’est pas simplement pose un grand nombre d’ajustements, un certain
un mot mais devient un monde à part entière, ou «art du discernement».13
plutôt, une manière de faire monde, c’est-à-dire Dans l’Avenir de la philosophie (1986), Sou-
de l’investir selon des grandeurs autant intensives riau écrit que «(...) comprendre est une har-
qu’extensives, selon des échelles de temps plurielles monie active. Comprendre un objet de pensée,
et des fréquences d’apparitions variées. c’est disposer de relations avec lui spontanément
bien adaptées (sans heurts et sans chocs) même
12«Connaître les voies de l’instauration, les voies du réel, quand il est actif» (Souriau [1982]: 140). Il ajoute
et la discipline de leur conquête, en même temps que la quelques lignes plus loin que «Cette conscience
positivité du travail philosophique, ce n’est pas seulement
connaître ce qui, peut-être, existe, c’est aussi savoir com-
ment ce qui n’est pas pourrait devenir, et quelles sont les 13«S’il convient de parler “d’arts du discernement”, c’est
conditions de la réalité de ce que nous rêvons» (Souriau qu’un art s’apprend, se cultive, s’expérimente». (Debaise,
[1939]: 23). Stengers [2015]: 14).
Etienne Souriau et la multiplicité des mondes: une expérimentation au seuil de l’indétermination 101

par délégation qui constitue la connaissance phi- Souriau, E., 1925: Pensée vivante, perfection
losophique n’est pas une altération. Ce n’est pas formelle, Hachette, Paris.
un être-autre, c’est un être-avec » (Souriau [1982]: Stengers, I., 2015: L’insistance du possible in
142). Etre avec, pour qu’il ne soit plus seulement Debaise, D., Stengers, I., (eds.), Gestes spécu-
question de pratiques de savoir mais plutôt de latifs, Les presses du réel, Dijon, pp. 5-22.
logiques de compréhension, parce que le mot Stengers, I., Latour, B., 2009: Le sphinx de l’œuvre,
comprendre veut dire prendre avec et qu’il nous in Stengers, I., Latour, B. (eds.), Les Différents
dit aussi que raconter veut dire toucher, entrer en modes d’existence par Etienne Souriau, Presses
contact. universitaires de France, Paris, 2009.
Stengers, I., 2015: Que vas-tu faire de moi ? in
Wiame, A., L’Heureux-Courtois, F. (eds.), Éti-
RÉFÉRENCES enne Souriau, une ontologie de l’instauration,
Vrin, Paris, pp. 63-85.
Debaise, D., 2015: L’appât des possibles, reprise de
Whitehead, A.N., 1938: Modes de pensées, fr. trad.
Whitehead, Les Presses du réel, Dijon.
by H. Vaillant, Vrin, Paris, 2004.
Debaise, D., 2019: Le récit des choses terrestres.
Pour une approche pragmatique des récits, in
Herbin, R. (ed.), “Corps-Objet-Image” 4, TJP
Editions, Strasbourg, pp. 1-10.
Debaise, D., Stengers, I., 2022: Résister à
l’amincissement du monde, “Multitudes” 85, pp.
129-137.
Lapoujade, D., 2017: Les existences moindres, Edi-
tions de Minuit, Paris.
Plé, N., 2021: Trajectoires intensives, penser les
circonstances du réel avec Etienne Souriau,
Editions de l’Université de Bruxelles.
Souriau, E., 1938: Avoir une âme – essais sur les
existences virtuelles, Belles-Lettres/ Annales de
l’Université de Lyon, Lyon.
Souriau, E., 1956: Du mode d’existence de l’oeuvre
à faire, “Bulletin de la Société française de phi-
losophie n°1”, in Stengers, I., Latour, B. (eds.),
Les Différents modes d’existence par Etienne
Souriau, Presses universitaires de France, Paris,
2009.
Souriau, E., 1982: L’avenir de la philosophie,
présenté par Anne Souriau, Gallimard, Paris.
Souriau, E., 1939: L’Instauration philosophique, Les
presses universitaires de France, Paris.
Souriau, E., 1943: Les Différents modes d’existence
par Etienne Souriau, Stengers, I., Laotur, B.
(eds.), Presses universitaires de France, Paris,
2009.
Souriau, E., 1955: L’ombre de Dieu, Presses univer-
sitaires de France, Paris.
Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

The Use of Souls: Souriau and Political

Spirituality
Citation: S. van Tuinen (2022). The Use
of Souls: Souriau and Political Spir-
ituality. Aisthesis 15(2): 103-113. doi:
10.36253/Aisthesis-13908 Sjoerd van Tuinen
Copyright: © 2022 S. van Tuinen. This is Erasmus University Rotterdam
an open access, peer-reviewed article [email protected]
published by Firenze University Press
(http://www.fupress.com/aisthesis) and
distributed under the terms of the Cre- Abstract. The body is at the heart of critical and phenomenological concerns, yet it
ative Commons Attribution License, is the soul that is increasingly under pressure. As we are being stripped of our struc-
which permits unrestricted use, distri- tures of commonality, we need a renewed concept of political spirituality. My aim is to
bution, and reproduction in any medi- enrich Simondon’s concept of spirituality as transindividuality through Souriau’s trans-
um, provided the original author and modal architectonics. My argument proceeds in two steps: (i) I emphasize the pre-
source are credited. carious and communal modality of «having a soul», defining it as a possession without
Data Availability Statement: All rel-
ownership  and demonstrating its inseparability from the problems of intensive varia-
evant data are within the paper and its tion and discontinuity. (ii) I then argue that Souriau is inspired by Leibniz’s disjunc-
Supporting Information files. tion between the ontic soul and the relational body, which holds the key to an account
of spiritual commitment that exceeds the union of corporeal and psychical existences
Competing Interests: The authors insofar as it invents a new common use for them.
have declared that no competing inter-
ests exist.
Keywords: Transindividuality, Surexistence, Possession and use, Leibniz’s account of
substantiation, Form-of-life.

The various responses to the Covid-19 pandemic have only indi-

rectly affected our bodies, their direct point of impact was the soul.
As individual bodies were temporarily confined, suffered illness, and
became the object of invasive monitoring and compensatory work-
out schemes, we have been stripped bare of something much more
precarious: our multiple implicit forms for living together. The virus
marks a critical acceleration in the digital reduction of our capacities
for affective resonance and its promise of happiness. What has really
collapsed is neither the supply chains of our life support systems nor
the functions of organic life as such (although these are also under
mounting pressure), but the manifold syntheses in which our life in
common acquires form.
«Let’s keep in touch for further conspiracies»: the concluding
line of an e-mail received from a prominent Berlin based critical
theorist. «Looking for people to conspire with over the Summer»:
an invitation from a dating profile. It is not by accident that the
opaque intimacy of conspiration has become such a compelling new

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 103-113, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13908
104 Sjoerd van Tuinen

form of sociality. To conspire literally means to affects, desires, customs, values, and beliefs, as
breathe together. In times of the state sanctioning, well as semiotic and technological schemas – com-
or withholding, of air, breathing becomes a fugi- monalities which do not depend on a single agent
tive form of belonging. In ancient Greek, pneuma or formal recognition, but rather on the constant
means both breath and soul. In exhaling what they informal exchange between several agents. What
take in from others, conspirators inhabit bubbles: makes us feel alive, what possesses us, is the dif-
not only do these shared atmospheres filter the ferent ways in which we are incorporated in the
information that comes from the outside world, larger clusters of mutuality (what Simondon calls
they are looped into existence as a set of mutual «groups») through which we become who we are.
inspirations and aspirations that do not adhere to In the spirit of Simondon’s refusal to concede
the molds of intersubjective recognition. To con- ontological priority to already individuated reality,
spire is to expand our lives. It is to participate in and reflecting his use of the term «mode of exist-
a reciprocal animation that belongs to no trans- ence» as a strategy of philosophical problematiza-
cendent organization and that does not depend tion, my aim here is to explore the transindividual
on constitutional rights and duties. As we witness structuring of the soul through the work of Éti-
the withering of the state as well as of the tradi- enne Souriau. Modes of existence are networked
tional media and institutions of civil society, the structures of affective harmonization (one of the
bubble therefore signals quite a bit more than the etymological roots of mode is the Latin modifi-
libertarian dream of privately insured and immu- care, modulation) which lack essence and exist
nized life. For better or for worse, it is the vital art only in and through their effects. In works such
of a shared presence, of an increased capacity to be as Avoir une âme (1938), followed by Les diffé-
affected. Involving a whole morphology of exist- rents modes d’existence five years later, Souriau
ence, to conspire is to take care of the soul. sketches out many such modes, including the
Far from a remnant of Christian metaphys- three that concern us here: the body, the soul,
ics, predicated on the idea of individual immor- and the virtual existences. My aim is to comple-
tality and predestination, and nowhere near to ment the concept of transindividuality with Sou-
the ever-shrinking domain of psychology, which riau’s concept of the transmodal composition of
understands the psyche as symbolic body, the the soul, which he calls surexistence, and develop
soul is of the order of what Gilbert Simondon has some of the philosophical and political implica-
called the transindividual: a psychosocial structure tions. Like Marx’s vivid description of life in com-
of individuation that already anticipates «collec- munist society – «to hunt in the morning, fish in
tive individuation» (society and its institutions), the afternoon, rear cattle in the evening, criticize
although it is enacted and propagated reciprocally after dinner» – but in a less historically restricted
in and through individual subjects insofar as they and centralized way, we individuate as a superpo-
continue to exist in, and communicate through, sition of diverging and converging modes. In the
tense relations to their «pre-individual realities» absence of a unified, world historical subject, it is
(Simondon [2020]: 308-319, 243-244, 339-344, only by expanding our horizon of possible attach-
esp. 340). To understand spiritual life in terms of ments and by taking care of the interplay at work
transindividuality involves a rethinking of causal- between them that we can fully concretize our
ity, of the way our singular lives are determined potentials.
and harmonized by relations. While our pre-indi- Moreover, while Marx’s concept of mode of
vidual relations extend to infinity and divide over production is often traced back to Spinoza’s con-
a multiplicity of species and things, our souls exist cept of substance as immanent cause, I provide a
as the metastable (relative and improvised) unities different genealogy for the concept of transmo-
or forms of these relations beyond our biopsychi- dality, following a lead from Souriau to Leibniz’s
cal selves. Typical transindividual structures are notions of the communication of perspectives and
The Use of Souls: Souriau and Political Spirituality 105

the composition of substances. In contrast to the However, contrary to Heidegger, who defined
«bathos» of monism, Souriau singles out Leibniz modernity by its premodern attempt to predi-
because of his swaying between an «ontic plural- cate all striving on the will to power of a single,
ism» (posing a multiplicity of ultimate realities foundational mode of existence, that of Cartesian
(monads)) and an «existential pluralism» (posing subjectivity, Souriau emphasizes the plurality of
the multiplicity of interrelating modes of exist- the modes of existence. The laboring subject is
ence [striving possibles]) (Souriau [2015]: 99). As an essential force in, and outcome of, the work of
we will see, Leibniz’s double commitment, which instauration, but so are the virtual (virtus, force)
articulates in the disjunction between the individ- existences – the «appeals and iridescences» – that
ual soul (form) and the relational body (matter), is play their role without themselves ever becoming
essential to Souriau’s own elementary distinction fully actual.
between being and (sur)existence, as well as to his The problem is that the virtual existences are
account of spiritual instauration as an individua- vulnerable to the judgment of Souriau’s implied
tion that exceeds the union of corporeal and psy- adversary, the skeptic who resists the desire for
chical existences insofar as it invents a new com- creation that these ephemeral swarms incite and
mon use for them. require (Lapoujade [2021]: 10-11, 21). In fact,
there is nothing particularly obscure or esoter-
ic about their mode of existence, especially not
THE INSTAURATION OF THE SOUL when contrasted with the profane image of work.
One way to conceive of them is as the background
Following Heidegger’s interpretation of mod-
noise or cloud out of which a figure will emerge.
ern metaphysics, identified first of all with Leibniz,
«We live in the midst of a forest of virtuals that
we can determine modern ontology as a trans-
are unknown to us», a «kaleidoscopic interplay» of
formation of being into operativity (desire, will,
a «multitude of absences» that, like Leibniz’s min-
Drang) and of representational truth into effective
ute perceptions, «have no other reality than that of
certainty (belief, perception, Vorstellung). To be is
being conditioned hypothetically or in advance»
to be effective. The central concept, from Spinoza
(Souriau [2015]: 156-157). Although conditioned
and Schelling to Nietzsche and Whitehead, is not
by the eventual figure that will change their
substance but the demand to exist and to univer-
modality, these sketchy existences are also the
salize oneself. Only what is set to work in one or
conditions of the figure that is to-be-made, since
several modes is substantial or real, and thereby
without them, the transmodal passages involved
possible. Existence precedes essence. To know a
in its realization remain unthinkable. In short, the
thing or idea in all its singularity is to know the
restless pressures and counterpressures of the vir-
schematism of its inner strivings.
tuals, the communication between all sorts of evo-
When Souriau writes that «to exist, it is nec-
catory existences, differentiates what can and what
essary to act, but to act, it is necessary to exist»,
cannot be accomplished, and as such is implied in
(Souriau [2015]: 130) he too calls attention to this
any creative act.
«poignant aspect of the world». The «universal,
When Souriau describes the work of instau-
philosophical approach to all of reality» is:
ration as a surexistential «drama», this is because
to discern, in all that is presented to us in the pre-
the point of view intrinsic to the work excludes
sent or the past as fully made, a movement toward any form of sovereignty on the side of the creator
existence with the appearance of a work, which or worker. For example, there is no writer without
involves instaurative forces down below, and appeals a virtual readership, for which the currently exist-
and iridescences – in short, an assistance of which ing readership is no more than the «evocatory for-
the apparently inert object is evidence – up above mula». Whatever form the work to-be-written will
(Souriau [2015]: 156-157). take, it will only come about as the «reverberating
106 Sjoerd van Tuinen

effect» (Souriau [1938]: 114, 25) of this informal the architectonic of this belonging: «The soul that
readership. The soul of the author itself will find we do not have, but that we could have, is formed,
its realization as the place where this reverbera- in its virtuality, from the harmony that arranges
tion takes place, but only insofar as it has let itself whatever it may be, whose interrupted contours
be expanded by collaborating with it. Something were momentarily traced by the sketch of an inte-
similar can be said of the reader: their task is not rior melody, into chords» (Souriau [2015]: 157).
to represent a work from their own standpoint The point is that, for a soul (un peu d’harmonie)
but to generously participate in the completion of to be realized, it must be supported by a spiritual
the work up to the «acme» of its presence, where form, the formal cause of the work to-be-made
it appears precisely as its own point of view, its that grounds all other modes insofar as they par-
«highest degree of perfection» (Souriau [1938]: ticipate in its realization.
24). As with the conquering of somebody’s heart, This intermittent existence between real exist-
our soul cannot really exist except by making ence and a lack of reality means that happy are
common cause with those metamorphic forces those souls for whom life conforms to the full-
that we help become effective and that make us est extent to a single mode of existence. Builders
more real in turn. build walls and athletes train their bodies, just as
Like Simondon one generation later, Souriau hunters hunt, fishers fish, farmers farm and think-
defines the soul as an overflowing of the actual ers think (Souriau [2015]: 26-27). However, it
psyche into the richness of its relations. By call- is given only to very few of us to live a life that
ing this relational wealth «virtual» he shifts the almost entirely coincides with a single stable form.
emphasis to the precarity of its mode of existence: For the rest, and especially for those with many
«talents», it is riddled with leaps and translations
To have a soul is to possess riches not actually in between modes in which we only participate more
your possession; it is truly to live certain unreal or less. Here the synaptic mode of existence of the
lives; it is to be greater than yourself […]; it is to soul is inseparable from the question of intensive
constitute a substantial universe and to be that uni- variation: «how is the saint the man of action, how
verse yourself, though it be made only of insubstan-
is the man of letters the lover, how is the soul the
tial events, transitive operations, and labile phenom-
body?» (Souriau [2015]: 204). Even if, in the work
enalities (Souriau [1938]: 3).
of instauration, we are carried by virtualities, it
If spiritual existence is not actual but virtual, therefore does not follow that the transmodal pas-
this is because we are dealing with a life that we sages involved in the instauration of our lives are
do not own. Souriau repeatedly contrasts Giorda- unproblematic. On the contrary, the soul usually
no Bruno with Descartes in this regard. The con- appears in the problematic form of a virtual work
tinuity of the clear and distinct cogito passes to-be-made. We know ourselves to be implicated
through a premonitory and penumbral «demi- among the forces that condition the realization of
existence» in which what Descartes calls the res this work but without knowing what is required
cogitans does not yet exist (Souriau [1938]: 28; from us, except that all these forces must be put in
Souriau [2015]: 120-121). The representational some kind of relation to one another.
consciousness of the psyche contains no informa-
tion about the consistency of the soul, no matter OVERCOMING DUALISM THE LEIBNIZIAN
whether that of itself or that of others. Rather, for WAY
the soul to exist it must «conquer» the noise of
the «lesser existences» (Souriau [1938]: 31) that At first sight, what Souriau calls an architec-
surround the individuality of self-consciousness. tonic appears to be the same as what we tradition-
The reality of the soul is measured by its virtual ally call the body. Isn’t it generally the case that
belongings, but the soul itself is only one factor in
The Use of Souls: Souriau and Political Spirituality 107

a soul cannot exist separate from its incarnation 61, 46-47). Rather, to possess oneself is to devote
save by way of miracle? Isn’t embodiment the a oneself to emergent potentialities one does not
priori mode of being-in-the-world of the soul? simply own. What one has does not coincide with
The problem with this interpretation, however, what one is, because the very richness of these
is that it downplays almost everything that we «properties» lies in their autonomous existence.
have problematized qua the mode of existence of In fact, it is not the soul but these potentialities
the soul so far. For it assumes that there is a kind that must be given a «body», in the instaurative
of internal relation or pre-established harmony process that gives them the completion they lack
between the soul and its body, which tends to without us.
reduce the soul to the psyche. We must therefore The enlargement of the soul has less to do
correct a misunderstanding that pertains to both with ownership or embodiment than with effi-
the body and the soul. cacy or grace. The very distance between the soul
For too long philosophers have been fixated on and its existences is also the need for a more real
the body. For phenomenologists the precedence existence of everything it requires. For all these
of being a body over having a body constitutes a existences to acquire presence, a body beyond the
solipsistic enclosure from which no fleshy togeth- individual psyche has to be made that celebrates a
erness can save us. Even Michel Foucault’s ana- new type of interiority to which we as its co-cre-
lytic of the microphysics of power serves only to ator must adapt in turn. Perhaps this conquest of
demonstrate that the soul is the «effect and instru- one’s virtualities is best compared to the process of
ment of a political anatomy; the soul is the prison transubstantiation. As the soul of Christ demands
of the body» (Foucault [1977]: 30). In reality, our to be made effective in the bread and the wine and
organisms are relatively indifferent to power grabs. does not exist outside it, the authority of the priest
The soul, by contrast, is the affectability animating is entirely based on the extent to which the speech
the body (Lyotard [1997]: 243). Its opaque pres- act «this is my body» is answered by the com-
ence constantly oscillates between growth and munity of other souls who feel equally obliged by
remission. The soul is thus the open field in which the presence of Christ. In the theurgy (the «work
potentials and tendencies meet, in which the (re-) of God») that makes beings pass from one mode
composition of the body takes place (Berardi of existence into another there is no separation
[2009]). It is the soul, precisely insofar as it does between cause and effect, possessor and possessed,
not coincide with its body and knows much more or medium and message. The soul does not repre-
interdependency, that is the object of power. sent the body or vice versa. Rather their transindi-
For Souriau, the question of power is that of vidual relation is one of expression or substantia-
spiritual possession. If existence itself is a hope or tion. It is only in this operative sense of a presen-
possibility, the realization of one or several modes tia realis that the architectonic of the soul equals
is a question of possession. Yet we must insist that a body. The soul only exists if it can lean towards
possession is a double-edged sword. To possess is something that leans towards it – that is, if it can
simultaneously to dominate and to be enslaved. believe.
While the philosophical tradition approaches this Contrary to the body that we make / do / give,
duality dialectically – by way of an endless redis- the empirical body we have or the organic body
tribution of essence and existence, or soul and that we are offer no model for this kind of individ-
body, or potentiality and actuality, or cause and uation. Approached from a different angle, this is
effect – this obfuscates that the problem of incor- also implied by Spinoza’s famous dictum, illustrat-
poration need not be that of re-establishing their ed with the examples of sleepwalking and drunk-
unity. Rather, Souriau is speaking of a possession enness, that «no one yet has been taught by expe-
without ownership. The soul neither possesses a rience what the body can accomplish»? We do not
body nor is it possessed by it (Lapoujade [2021]: know what the architecture of the body consists
108 Sjoerd van Tuinen

of – that is, which modes of existence converge It is here that Souriau turns to Leibniz, who
in it, and according to what ratio – because the had already redefined the soul as a force of reali-
work of its composition is precisely what, in terms zation (vis viva) that is being modified and dis-
of Souriau, remains «to be done»: it requires the persed under the influence of a multiplicity of
commitment of a soul, which is the rational part other forces even as it gathers and harmonizes
of our lives. them in the unity of its own «body» or point of
In problematizing the consistency of our lives view. If the body constitutes the individual soul’s
in terms of having or lacking a soul, Souriau point of view, the mode of existence of the soul
agrees with Spinoza that we are dealing not with is the capacity to own a body. It is a claim on, or
a metaphysical but a practical problem (Souriau demand for, the modes of existence of other souls
[1938]: 3). But then why does he retain the old as so many dimensions of oneself. To capture
dualism of body and soul at all? Because instead their vibrations is to incorporate them, yet in giv-
of substantial union, which carries the risk of pos- ing them a body, we acquire a spiritual life beyond
sessive individualism, there are «collaborations (I ourselves. For Leibniz, the pursuit of individual
am able to make use of my body, that instrument, power is therefore not opposed to collective har-
and it is also able to make use of me), transitions, mony and freedom, but the condition for it, and
correspondences, and a certain habit of being vice versa.
together» (Souriau [2015]: 190, my emphases). In If everything that is real has a soul, it therefore
fact, we must resist at all costs the risks of mon- does not follow that Leibniz or Souriau are «ide-
ism: the conflation of the ontic and the existential, alists» who reduce everything to a single mode
or of totality and unity, as well as the nullification of existence. Elsewhere I have given a Leibnizian
of the distance between body and soul. For how account of the relatively and relationally individu-
are we to conceive of creation when the multiple ated nature of bodies in terms of transindividu-
modes are still predicated of a single substance, or ality, that is, not in terms of embodiment but in
at least adhering to the Great Chain of Being, in terms of a com-positioning through which monads
which their intra-active solidarity is totalized fol- get a grip on one another (van Tuinen [2021]). On
lowing a preexisting order? the one hand, it is obvious that, for Leibniz, the
The real question is not how to achieve the intersubjective haunts the transindividual. Simon-
union of body and soul but something quite differ- don calls it «the interindividual»: the moment
ent: «Soul is what we are. Is it mad to want to be when the metastability of spiritual life collapses
the body that we have, to want to be it, as well?» into identity, that is, the narcissistic structure of
(Souriau [2015]: 189). What is at stake in spiritual monadic egos «that remain in their same level of
life is the realization of a mutual «use» of bodies individuation and that seek in other individuals an
and souls that gathers the different ontic and tran- image of their own existence parallel to this exist-
sitory modes of existence not in an identity but in ence» (Simondon [2020]: 180).1 In Leibniz the
a way that exceeds its constituents. «What interests stability of this mirroring is warranted by a strict
us is a totalization, which, beyond the plurality of domination of form over matter, that is, a strict
the kinds of existence, brings about something that separation between the monadic closure of the
not only embraces them, but distinguishes itself soul and the relational nature of embodied social
from them and surpasses them» (Souriau [2015]: life. The soul is a moment of disindividuation of
197). In order to overcome any hierarchy between the social (a regression to the purely individual)
body and soul, in other words, we must learn to and social life is a disindividuation of the soul (the
count beyond two. Surexistence cannot be under-
stood in terms of either an ontic monism or an
ontic dualism but demands an ontic pluralism that
1Simondon echoes Souriau when he speaks of the «false
aseity» of those who retreat into substantial individuality
matches an existential pluralism. (Simondon [2020]: 278, 313).
The Use of Souls: Souriau and Political Spirituality 109

group regresses to something merely social). On but also the polyphony of other monads that meet
the other hand, what remains unthought in this this demand but without giving up on their own
vulgarized Leibnizianism is what Simondon calls demands. Beyond the pre-established harmony of
the «obscure zone» of the operation of individua- monads, the architectonic challenge is to realize
tion itself, which cannot be explained on the basis all these existences by giving them transindividual
of what is already individuated (Simondon [2020]: (spiritual) bodies that exceed the (idealist) unity of
350-355). As I have argued, the transindividual soul and organic body that they each seek to actu-
must be understood as this transformative weav- alize on their own.
ing between the monadic and the corporeal. It is It is in these threefold terms that Souriau gives
precisely the impossibility of truly separating the his most concise description of spiritual life. He
orders of the individual and the social, coming to does not outright dismiss the Leibnizian notion
the fore in the fascination with the confusion of of a pre-established harmony but emphasizes the
the hierarchy between souls (and the ensuing sol- problematic nature of the work involved in the
ipsistic fear that we will not recognize ourselves realization of such an integral «hypothesis»2:
in our own kind) and in the need for mediating
«bonds (vincoli)», that situates Leibniz square- Immanent justice: to exist in the manner of a body,
ly within the spiritual life of mannerism and the is to be a body; in the manner of a soul, to be a
baroque. soul. You will be a soul if, in the mathematical ratios
The reason why any separation between the of their architecture and the array of their sororities,
your interior harmonies outline virtual riches and
domain of private spirituality and publicly life is
make you greater, and also more indestructible and
impossible, is that there exists no such thing as a
fulfilled, than you yourself are. But you will only
common outside world in general. Instead, the
also be a spiritual being if you can manage to live
cosmos is «under construction», being composed while bearing witness for the surexistent that would
as an infinitely scaled clustering. Even in the ideal- be the unique being, master of all three of these
ist reading, Leibniz does not bracket the world but voices in concert, of these three modes of existence
renders it internal to the different points of view [of body, soul, and virtuals – svt]. This being does
and thereby multiplies it (Leibniz [1989]: 42). Per- not exist, but you bear witness for its reality, which
spectives are not added on the world like mental is higher and richer than that of any of those poly-
representations; rather, they are immanent modi- phonic voices, if your life is modified and modulat-
fications of the world. A comprehensive or self- ed in accordance with this surexistence: the substan-
reflexive Leibnizianism shows that they are man- tial union of the three (Souriau [2015]: 212).
ners of having, not manners of being. To possess
being is to possess a body, but to possess a body Instead of the unity between body and soul,
is to be entangled with other souls in a mode of the substantial union of three consists of a con-
perspectival overlap that remains external to each formity or correspondence. Body, soul, and the
of them considered individually. It is these other virtuals do not mirror or resemble one another
souls considered in separation from their bodies immediately, i.e., to the point of the total identity.
that, for Leibniz, have a mode of existence resem- Rather, their surexistential unity remains exterior
bling the virtual forces of metamorphosis in Sou- to their ontic determinations even though it trans-
riau. They are implied by the representations and forms them. Each responds to the responses of
appetitions of the soul, just as they pervade our
organic bodies in the form of fluctuating mat- 2 Souriau resists the notion that harmony is pre-estab-
ter, all the while remaining irreducible to either lished for the same reason that he dismisses monism,
mode of existence. Thus, there exists the monad- namely insofar as it risks effacing the modal differences
ic soul that demands for its own realization body in the falsity of a unified totality, but he does not reject
it as the challenge to maximize integral reality (Souriau
parts, selecting and linking them through itself, [2015]: 202-203).
110 Sjoerd van Tuinen

the other two in an «echo»3 (Souriau [2015]: 210, less interesting than the practical mystery of their
106, 223, 233, 238; Leibniz [2007]: 336-338; cf. disjunction (Agamben [2016]: 272). For only a dis-
Simondon [2020]: 279), a communication across junction can replace the relation between already
an incompressible difference, such that in their individuated terms with a direct, pre-individual
mutual aid a new, transformative mode of exist- contact. Just as, in the eucharist, the normal medi-
ence appears. A surexistential mode is «a com- ation of dominance and servitude through own-
mon reality having dominion over … the modes ership is replaced with a more immediate form
that correspond to one another». It surpasses the of intimacy, Elias Canetti famously observed that
diversity of the modes that participate in it, not in the crowd the fear of being touched disappears
by undoing specific existences, but by becoming and gets replaced with a feeling of absolute equal-
the new «reason or law» of their response at the ity. Like an intermonadic capture, a crowd marks
existential crossroads. Just as, in art, one does not a «destitution» of juridical and social property
have genius but pays attention to the call of genius relations. Destitution is not about destroying the
in the works to be done, in a spiritual conversion relation that provides the unity of composition of
the soul becomes obliged to a new right of exist- bodies but about liberating other modes of uni-
ence. Immanent justice means that the surexisten- fication that have remained inactive. At stake are
tial reality that you bear witness to is what judges those modalities of having a body that do not
you (e.g. God). This is what spiritual life consists adhere to the forms of individual ownership and
of: I lend existence to something that is bigger embodiment. Instead of actualizing having as
than me, I «use» or «repeat» it in some way, with a being, these are the modalities in which the body
passion «that modifies me without changing me» can incorporate something like a collective soul.
(Souriau [2015]: 210) entirely. Or in terms of Agamben, at stake is not a negation
Instead of a question of domination – or total of our bodies but a «deposition»: a different «use
union, which would come down to the same (chresis) of bodies», that is, a disaggregation that is
thing – the political challenge that issues from this at the same time a new freedom of forming and
transmodal understanding of spiritual life is that dissolving bonds (Agamben [2016]: 12-13).
of a pragmatic of existential transformation. How The autonomy of use is not that of a new form
can we remain an open place for the surexisten- of sovereignty but of a sovereignty rendered inop-
tial modes that cannot exist without us? Through erative. To conceive of use without appropriation
what infrastructures of proximity do we protect is to think common life as that which effectuates
the virtual nature of the soul from the institution- itself according to its own rule or form instead of
al forces that actualize us only as bureaucratically an already established form. Always admitting of
situated psyches? In short: how do we strengthen variations, it is precisely through their non-coinci-
our imagination beyond the ongoing reproduction dence that soul and body, form and life, domina-
of possessive individualism? tor and dominated can enter a threshold of indis-
tinction. Masochism, for example, consists of a
neutralization of the juridical order and the con-
THE COMPOSITION OF SUBJECTIVITY tract through parodical exaggerations of master-
slave domination. Of course, it matters still wheth-
In this more political key Giorgio Agamben
er one is a master or a slave, but what changes is
has recently emphasized that the metaphysical
that masters and slaves now become integral parts
mystery of the conjunction of body and soul is
of a more playful relation that exceeds them and
potentially modifies their composition according
3In my The Philosophy of Mannerism. From Aesthetics to to a new, inappropriable capacity to affect and be
Modal Metaphysics (van Tuinen [2022]: 83-104), I discuss affected. When «expropriated», use is not about
this transition from mirroring to echoing as the trade-
mark of Leibniz’s pragmatism.
the relationships between subjects or between sub-
The Use of Souls: Souriau and Political Spirituality 111

jects and objects, but about communal life itself dents, and lovers but, as the scare quotes around
in relation to own way of relating / manifesting the word «role» suggest, a whole ecosystem of
itself. (The function of the hyphens in Agamben’s conspiring factors without which the correlative
concept of «form-of-life», in turn borrowed from realization of their drama is bound to stall – a
Wittgenstein (Lebensform), is to indicate that the transmodal architectonic that was already rapidly
genitive is both objective and subjective.) With disappearing in the time and place where Sontag
every new «use of bodies», life, in its habitual was writing.
sequence, makes itself a new consistency, a new We are used to work on ourselves as a work of
mode of individuation, indeed, a new mode of art, but this amounts to kitsch as long as we are
having a soul. This communal autonomy is what not able to handle a spiritual distension between
makes a form-of-life resemble a spiritual bub- the individual psyche and its virtualities. It is not
ble. What’s exciting is not that the body is still difficult to interpret Sontag’s description of the
unknown, but that new forms of spirituality arise modal vertigo of the soul in terms of a narcis-
among the deactivated property relations. Form tic longing for the integrity of individual iden-
or modality is no longer a property but a use, just tity beyond the fixity of social roles. Does it not
as the unity of the body is restored to its vibrating express precisely the kind of paranoia about our-
potentiality. Since spirituality is the taking care of selves that contemporary psychotainment taps
the transindividual form of our life, what Agam- into with its promise of «equilibrium» and «har-
ben calls the use of bodies equals the expansion of mony»? And is it not precisely this paranoia that
our souls (Agamben [2016]: 31-37). saps our potentials?
To speak more concretely, let us conclude with Both for Souriau and for Sontag, however, the
an example provided by Susan Sontag when she problem of the existence of the soul does not get
describes her feeling of discontinuity as a person defined at the level of the private individual but in
in transmodal terms: terms of the structural conditions of our capacity
to «be greater than ourselves». While continuity
Feeling of discontinuity as a person. My various has never been a given, today it is not so much the
selves – woman, mother, teacher, lover, … – how do institutional division of roles but the architectonic
they all come together? And anxiety at moments of coherence of modes that is under pressure. Just as
transition from one “role” to another. Will I make «social» networks and artificial intelligence cheap-
it fifteen minutes from now? Be able to step into,
en and foreshorten our experience of the other, it
inhabit the person I’m supposed to be? This is felt as
becomes increasingly hard to imagine a transin-
an infinitely hazardous leap, no matter how often it’s
dividual constellation that still «outlines the me
successfully executed (Sontag [2012]: 209).
in which it can be incorporated» (Souriau [1938]:
Neither Souriau nor Sontag would deny that 116-117). Reduced to the empty form of a pro-
souls are ontic or thing-like in that their mode of file page, the I of digital networks is no longer the
existence involves a certain permanence or what index of some in-/anterior property. We do not
Souriau calls «monumentality». Sontag’s soul, know whether we can still rely on our collective
the mode of existence called «Sontag-ity», is, as harmonies, precisely because their operation does
it were, precisely this experience of «self-posses- not need the robinsonades of ghostly subjectivity
sion in the indivisibility of a personal identity» that it continues to generate like post-industrial
(Souriau [2015]: 148). But this experience of self- waste. Doesn’t Sontag describe the permanent cri-
possession is made possible by the stability of the sis of presence of the zombie self under the condi-
environment to which the soul in turn belongs. tions of a recombinant capitalism, in which we are
The subjectivities that correspond to woman- reduced to transitory functions in the socio-juridi-
hood, motherhood, teacherhood, and loverhood cal management and regulation of «human poten-
not only demand correlates such as children, stu- tial»? Do we not live in a world in which the sys-
112 Sjoerd van Tuinen

tematic forces of operativity constantly appeal to links such as the road we make as we walk, or the
the capacities of our psychic life but without offer- rhythmic convergences of love within overdeter-
ing us the means to realize them in any meaning- mined interests and contradictory attachments.
ful form? In use possession itself becomes a co-belonging in
It is here that Souriau’s account of surexis- potential. Forms-of-life circulate among us not as
tential instauration reveals not only its heuristic totalities but as tonalities, not as positions but as
value, but also its practical purpose. What needs resonances. All incomplete are those who refuse
to be restored is not the integrity of the body the closure of the self as much as the functional
or the ego, but our attachment to the world. In division of totality. It is those who maintain a cer-
order to become more present, we need to re- tain opacity of existence, typically in the mode of
anchor ourselves by reclaiming the potentials of a conspiration or complicity.
shared point of view and defend this form-of-life
from that which denies its possibility. To realize
our existence is to metastabilize new circuits of REFERENCES
transindividuation in which we bind and influence
Agamben, G., 2016: The Use of Bodies, transl. by
one another by making ourselves tools for others
A. Kotsko, Stanford University Press, Stanford.
who are to be used in turn. And as the verbs ‘to
Berardi, F., 2009: The Soul at Work. From Aliena-
bind and influence’ suggest, we need to be par-
tion to Autonomy, transl. by F. Cadel and G.
ticularly aware of the risk of confusing solidarity
Mecchia, Semiotext(e), Los Angeles.
with social control.
Foucault, M., 1977: Discipline and Punish. The
In his description of the «fortunate poverty»
Birth of the Prison, transl. by A. Sheridan, Vin-
(Souriau [2015]: 213) of life in having to find its
tage Books, New York.
own form, Souriau’s account of spirituality comes
Lapoujade, D., 2021: The Lesser Existences. Étienne
remarkably close to Agamben’s free use of bodies.
Souriau, an Aesthetics for the Virtual, transl.
It is knowing:
by E. Beranek, University of Minnesota Press,
how to isolate that which really is plenitude and Minneapolis.
richness, what is most capable of approaching Leibniz, G.W., 1989: Philosophical Essays, ed. and
surexistence. That reality relates to us like a chord’s transl. by R. Ariew and D. Garber, Hackett,
harmony with the distinct voices that perform it. It Indianapolis.
is through use that we play the polyphonic voices of Leibniz, G.W., 2007: The Leibniz – Des Bosses Cor-
existence, which are its various modes, and on the respondence, ed. and transl. by B. Look and D.
plane of which we find ourselves through our prac- Rutherford, Yale University Press, New Haven.
tice of the art of existing – It is through use that we Lyotard, J.F., 1997: Postmodern Fables, transl. by
can give back to that polyphony, as if from another G. Van Den Abeele, University of Minnesota
world, the accents and chords that are our contribu- Press, Minneapolis.
tion to, as well as our participation in, the realities Simondon, G., 2020: Individuation in Light of
of surexistence (Souriau [1938]: 214, my emphases). Notions of Form and Information, vol. 1, transl.
by T. Adkins, University of Minnesota Press,
Use is the domain of partial agreements and
Minneapolis.
differences. The insistence on use rather than
Sontag, S., 2012: As Consciousness Is Harnessed
possession makes it clear that the achievement
to Flesh: Journals and Notebooks, 1964–1980,
implied is not solitary, unlinked, or isolated but
Rieff, D., (ed.), Picador, New York.
something that works through circulation, trans-
Souriau, É., 1938: Avoir une âme. Essai sur les
formation, and alchemy. Moreover, it is not based
existences virtuelles, Les Belles Lettres /
on the hierarchic functions of social and insti-
Annales de l’Université de Lyon, Paris.
tutional life but on the weaker yet more direct
The Use of Souls: Souriau and Political Spirituality 113

Souriau, É, 2015: The Different Modes of Existence,

transl. by E. Beranek and T. Howles, University
of Minnesota Press, Minneapolis.
van Tuinen, S., 2021: Intersubjectivity and Transin-
dividuality: Leibniz, Husserl, Deleuze, and the
Composition of Worlds (Animal Monadology),
“Lo Sguardo. Rivista di filosofia”, 32, pp. 109-
129.
van Tuinen, S., 2022: The Philosophy of Manner-
ism. From Aesthetics to Modal Metaphysics,
Bloomsbury, London-New York.
Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

Les formes constantes: une ontogonie

ubiquitaire et pragmatique
Citation: I. Rieusset-Lemarié (2022). Les
formes constantes: une ontogonie
ubiquitaire et pragmatique. Aisthesis The constant forms: a ubiquitous and pragmatic ontogony
15(2): 115-123. doi: 10.36253/Aisthe-
sis-13905

Copyright: © 2022 I. Rieusset-Lemarié. Isabelle Rieusset-Lemarié

This is an open access, peer-reviewed
article published by Firenze University Université Paris 1
Press (http://www.fupress.com/aisthe- [email protected]
sis) and distributed under the terms
of the Creative Commons Attribution
License, which permits unrestricted Abstract. According to Etienne Souriau, ontology must be grasped in light of an onto-
use, distribution, and reproduction gonic perspective in which future is to be rebuilt permanently as an act. We show that
in any medium, provided the original “constant forms” support Souriau’s aim that ontogony must be both ubiquitous and
author and source are credited. pragmatic. Firstly, the “constant forms” support Souriau’s ubiquitous ontogony which
aims to escape the reification due to the “law of localization”. Secondly, as far as they
Data Availability Statement: All rel-
are considered as “action template”, the “constant forms” support Souriau’s pragmatic
evant data are within the paper and its
Supporting Information files.
ontogony according to which “existence is an act”. Thirdly, Souriau characterizes as
“constant forms” the morphems on which is based his synaptic vision (as opposed to
Competing Interests: The authors the ontic vision) which values the dynamical role of transitions in order to create a
have declared that no competing inter- future as an act, as it is required by the criteria of pragmatic ontogony.
ests exist.
Keywords: Ontogony, Constant forms, Ubiquity, Copula, Morphems.

1. UNE ONTOGONIE UBIQUITAIRE: VISER L’UBIQUITÉ POUR

ÉCHAPPER A LA CHOSIFICATION

Pour comprendre une philosophie et, spécifiquement, ses enjeux

ontologiques, il faut partir de ce à quoi celui qui l’a conçue tente
d’échapper. Pour Etienne Souriau, cette «malédiction» à laquelle l’être
humain doit échapper, c’est ce qu’il nomme la «loi de localisation».
Pour qui se demanderait si le mot de «malédiction» n’est pas trop
fort, il suffit de se rappeler ce passage de Pensée Vivante et Perfection
Formelle, qui associe à la «Marque de la Bête» (soit le signe le plus
maléfique qui soit) cette obligation à occuper un lieu:

tout vivant est avant tout un corps – un corps qu’il traîne de lieux en
lieux, un corps qui n’est jamais en deux lieux à la fois et, qui pis es (c’est
bien là la Marque de la Bête), qu’il faut qu’il soit toujours quelque part;
un corps qu’il s’agit de protéger contre les heurts et les blessures, et pour
cela qu’il faut déplacer, mais qui effectue ses déplacements dans un laby-

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 115-123, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13905
116 Isabelle Rieusset-Lemarié

rinthe, dans un espace peuplé d’impénétrables qu’il de ces «formes perpétuelles» qui échappent à la
faut contourner pour passer outre, qu’il faut chas- «loi de localisation» en tant qu’elles «peuvent être
ser de leur lieu pour l’occuper. Et sans doute, c’est supportées par des substances diverses» (Souriau
plus une chose qu’un vivant, l’être dont l’histoire se [1925]: XI). Cette Raison (en tant que solution
confond avec celle de son corps, et par conséquent pour échapper à la «loi de localisation» et trouver
avec celle des objets résistants (Souriau [1925]: 211- cette forme d’ubiquité qui permet de posséder la
212).
«vie vivante» sans perdre la «saveur» de la réali-
té) s’avère s’actualiser, pour Souriau, dans la capa-
La visée ontologique d’Etienne Souriau est
cité de «penser en formes stylisées» ce qu’il faut
donc d’abord à comprendre comme cette exigence
entendre, dans cette visée sourialienne, comme
d’échapper à la «chosification» résultant de cette
des formes perpétuelles qui resteront toujours
malédiction qui marque l’être humain du fait de
à reconquérir en raison du «caractère partiel et
sa soumission à la «loi de localisation»: «Là est
fragmentaire des ubiquités conquises» (Souriau
le problème. Etre, ubiquité, deux pôles. […] Voi-
[1925]: XII).
là pourquoi nous pensons que la vie vivante […]
Cette «conquête de l’ubiquité» (qui donne
suppose quelque chose de plus que la simple posi-
à la visée de Souriau des accents valériens) ne
tion d’une réalité. Ne la possèdera que celui qui
pourra s’actualiser que dans un à venir toujours
saura dépasser la loi de localisation qui est l’es-
à reconduire parce que, dans sa visée ontolo-
sence de cette réalité, sans en perdre cependant
gique, la constance de la forme perpétuelle, sem-
la saveur» (Souriau [1925]: VI). L’exigence onto-
blable à elle-même, sera toujours à reconquérir:
logique de Souriau est donc d’échapper à cette
«Constance ou plutôt inflexibilité […] Il s’agit
chosification (déterminée par la «loi de localisa-
moins de garder une idée à l’abri du changement
tion») grâce à la «vie vivante» qui ne pourra être
que de la refaire toujours semblable à elle-même.
l’enjeu que d’un processus de conquête sans cesse
[…] Ceci posé, il nous a paru qu’il n’y a pas
renouvelé: «C’est au sein même de l’univers réel
d’autre signe du passage de l’idée par la forme qui
[…]qu’il faut construire la vie. Elle ne peut donc
revient semblable à elle-même, que la perfection
différer de ce réel brut que d’un point de vue for-
même qu’elle a sous cette forme» (Souriau [1925]:
mel, architectonique, c’est à dire rationnel, si on se
XVIII). Où l’on voit que la philosophie de Souriau,
garde de confondre le rationnel et l’idéal» (Sou-
dite de l’«instauration», serait plus rigoureusement
riau [1925]: VI). Dans cette «vie vivante» qu’il
qualifiée de philosophie de la réinstauration. Mais
faut «construire», on reconnaît les fondements
la perfection de la forme ne se trouve ni en amont
de cette philosophie de l’instauration qui sera
ni, a fortiori, en aval, raison pour laquelle Sou-
l’œuvre de Souriau. Pour resituer cette exigence
riau préfère utiliser le qualificatif de «formes sty-
dans le cadre de la problématique de ce livre ins-
lisées», pour éviter les connotations téléologiques
taurateur qu’est, pour Souriau, sa thèse qu’il réé-
du concept de perfection :
dita trente ans après sous le titre Pensée Vivante
et Perfection Formelle, il faut partir du rôle fon- Voilà pourquoi nous parlons moins de penser par
dateur qu’y joue la raison: «La conquête de la vie formes parfaites, que par formes stylisées. Ainsi évi-
vivante est avant tout œuvre de raison» (Souriau tons-nous les dangers que comporte la notion de
[1925]: VI). Cependant, ce qu’entend Souriau par perfection, si souvent entachée (par l’intervention de
«raison» reste non seulement spécifique (par sa la finalité) de considérations métaphysiques, qu’on a
différenciation de l’idéal) mais singulier, en tant cherché à éliminer entièrement ici. Au reste, il était
qu’il appréhende cette raison «d’un point de vue impossible de tomber dans ce danger, dès qu’on était
formel» (Souriau [1925]: VI). Pour être fondé sur averti que le critère cherché devait être une qualité
la raison, l’enjeu ontologique visant à échapper à intrinsèque de la forme. Ainsi l’ordre logique des
la «chosification» va s’actualiser par la recherche idées nous a conduit à conclure par des considéra-
tions esthétiques […] (Souriau [1925]: XVIII).
Les formes constantes: une ontogonie ubiquitaire et pragmatique 117

C’est l’ancrage de son ontologie dans l’esthé- 2. DU POUVOIR D’ANÉANTISSEMENT DES

tique qui permet à Souriau d’éviter le piège de la HEURTS RÉELS A LA SAISIE DES FORMES
téléologie, tout en préservant l’articulation entre CONSTANTES PAR LES HEURTS IMAGINAIRES
constance des formes perpétuelles et processus de
leur (ré)instauration, toujours en devenir. C’est La stratégie ubiquitaire est posée comme une
pourquoi l’ontologie sourialienne ne peut être alternative à une certaine expérience du temps car
qu’une ontogonie. C’est cette perspective ontogo- «pour ceux qui se heurtent aux angles de la vie,
nique qu’on retrouve chez Jankélévitch: «Le deve- qui se blessent à ses durs à coups, le temps est fait
nir n’est rien d’autre que de l’être toujours naissant; d’anéantissements» (Souriau [1925]: 153). Ce que
le devenir n’est pas seulement ontologique et onto- cherche à éviter Souriau, ce sont les heurts: heurts
phanique. Il est encore et surtout ontogonique, de l’espace (en tant que conquête d’un autre lieu,
ou plus simplement encore, il est création perpé- d’un autre territoire, non sans heurter les autres
tuellement recommencée» (Jankélévitch [1957]: présences qui y étaient assignées) et heurts du
26). Mais la spécificité de cette visée ontogonique temps (en tant que celui-ci est vécu comme puis-
demeure chez Souriau en tant qu’il vise à instau- sance d’anéantissement). Ces heurts sont causes
rer ce que nous qualifions comme une «ontogonie de blessures. Pour y pallier, reste la posture phi-
ubiquitaire». losophique qui opère, côté espace, comme une
En rappelant que l’antithèse de l’ubiquité, à «conquête de l’ubiquité» et, côté temps, comme
ses yeux, est la singularité (Souriau [1925]: 164), puissance du passé à engendrer un «présent tout
Souriau montre qu’il entend par «ubiquité» ce neuf» (Souriau [1925]: 153). Dans les deux cas,
qui peut se reproduire à l’identique (où s’atteste sortir des logiques de heurts et d’anéantisse-
l’incidence valérienne et benjaminienne pour ment sera l’enjeu de l’instauration de ces «formes
laquelle ce désir d’ubiquité s’appuie sur des capa- constantes» par lesquelles une forme d’ubiqui-
cités de reproductibilité). On retrouve ce «retour té sera conquise (Souriau [1925]: XI-XII) et par
semblable à soi-même» de la «forme constante» lesquelles une forme du présent, soutien d’anti-
en tant qu’elle actualise la perfection de la «forme cipation de l’action à venir, pourra recroiser une
stylisée» et qu’elle donne vie à cette exigence forme du passé. Une des solutions envisagées par
d’ubiquité, non sans altérer quelque peu le sens Souriau pour échapper à ces logiques d’anéantis-
de ce dernier terme qu’elle infléchit du côté d’une sement sera d’engendrer «une conception ryth-
capacité à jouer de la cyclicité du temps pour mique du devenir, par laquelle tout ce qui a dispa-
qu’elle «se retrouve identique en divers lieux et ru doit reparaître quelque jour: en sorte que rien
temps»: ce qui serait la façon dont Souriau pense n’est véritablement anéanti» (Souriau [1925]: 160).
réalisable cette forme minimale d’ubiquité per- Mais cette visée fondée sur la présomption de
mettant d’être en plusieurs lieux et temps, si ce «périodicités» est critiquée par Souriau: «Une telle
n’est «à la fois» – critère d’une ubiquité absolue – méthode est, bien entendu, fort éloignée des exi-
à tout le moins à chaque tour et retour, cyclique- gences pragmatiques, à cause même de son carac-
ment – critère de ce que nous qualifierons d’«u- tère fataliste. Elle peut servir à prévoir, mais non à
biquité relative». La visée périodique prévoyant agir» (Souriau [1925]: 162-163).
le retour de régularités aurait cette puissance Qu’elles soient ontologiques, logiques ou
ubiquitaire chère à Souriau: «il y a cependant ici esthétiques, les réflexions philosophiques de Sou-
une véritable induction, dès que la constatation riau apparaissent, in fine, pragmatiques, ancrées
du retour d’un fait lui ôte sa singularité, pour le qu’elles sont dans l’exigence de mettre au jour des
mettre hors du hic et nunc, s’il se retrouve iden- dispositifs prédisposant à «agir». Si le verbe «être»
tique en divers lieux et temps» (Souriau [1925]: ne sera in fine important qu’une fois ramené par
163). Cependant, l’ontogonie ubiquitaire souria- Souriau à sa fonction de copule (nous y revien-
lienne est, avant tout, stratégique. drons), c’est le verbe «agir» qui importe le plus
118 Isabelle Rieusset-Lemarié

pour Souriau. L’ontologie tend à s’y effacer au pro- raitre, c’est d’une autre rencontre, imaginaire, que
fit de l’établissement d’une pragmatique détermi- naquit la possibilité d’en saisir, enfin, une forme
nant une orientation ontogonique qui nous per-
mette d’échapper au fatalisme. Ce qui compte pour Qu’y a-t-il de commun entre tous les aspects, toutes
Souriau, c’est ce qui permet de prédisposer (par les figures, toutes les grandeurs et toutes les cou-
des formes constantes) aux conditions d’actualisa- leurs qui ont correspondu à cette chose unique,
tion d’un sujet agissant. Mais agir, pour Souriau, un chevreuil? Qu’y a-t-il eu, sinon de savoir qu’en
quelque moment où j’eusse pu, mieux caché, plus
c’est d’abord se saisir de la réalité par des formes
rapide, l’approcher d’assez près pour le heurter (et
constantes.
même de nuit sans le voir), j’aurais toujours heur-
Pour rendre compte des processus psychiques
té la même masse, frappé le même contour? Or ce
par lesquels la saisie d’une forme constante est chevreuil de nuit auquel je songe n’eût été ni plus ni
possible, Souriau fait du récit de la rencontre moins réel que ce chevreuil de jour. Mais il eut été
d’un chevreuil une situation méthodologiquement stable, essentiellement identique à lui-même; et c’est
heuristique. Dans ce contexte, l’ontogonie straté- à celui-là que j’ai référé indiscontinûment celui-ci
gique de Souriau va se faire agonistique. On va y (Souriau [1925]: 210).
retrouver, en effet, le rôle du heurt et de l’obstacle
mais, cette fois, au sein d’une «expérience fictive» Ce qui relève de l’identité est invisible pour
qui va en transformer la valeur. Alors que dans la les yeux. Pour Souriau, la question ontologique
réalité il s’agit de se protéger des heurts, voire de de la saisie de l’identité n’est pas de l’ordre d’une
les éviter par une stratégie de «contour», on ferait essence mais d’une expérience, mais à condition de
appel au contraire à l’imagination de ce heurt prendre en compte un des résultats de sa démarche
pour concevoir une forme constante. Dans ce cas, ontologique singulière à savoir que «l’expérience
le heurt imaginé s’avèrerait positif tant son rôle est fictive» (Souriau [1925]: 217). La saisie d’une
dans la capacité à concevoir la permanence d’une forme constante donnant prise sur une identité ne
forme serait fondamental. C’est dans la situation peut être engendrée que par la fiction d’une expé-
de sa rencontre avec un chevreuil – dont le récit rience imaginaire. Elle est donc affaire de repré-
a valeur de modèle archétypique – que Souriau sentation. Mais alors que, traditionnellement, les
développe ce rôle heuristique du «heurt imagi- philosophes pensent les produits des représen-
naire»: «Il se tourne vers moi; son contour change: tations en termes d’images, selon un paradigme
il n’en reste de commun avec son aspect visuel de visuel, Souriau met à jour les racines tactiles de
tout à l’heure que sa couleur d’un brun sombre» l’expérience fictive de l’imaginaire. Cependant, ce
(Souriau [1925]: 210). A ce stade on peut croire n’est pas tant un sens qu’il s’agit de valoriser qu’une
que, à défaut des autres percepts visuels, à tout le expérience: celle de la résistance d’un corps éprou-
moins la couleur permettra de trouver ce point vée par le heurt qu’on éprouve à sa rencontre :
commun entre les différents aspects saisis par la
vue de ce chevreuil. Mais la couleur échoue aussi à Un monde dans lequel nous rechercherions avant
ce rôle: «Sorti de la pénombre du bois, il entre au tout la continuité formelle des apparences visuelles,
soleil, et tandis qu’il est noir par son flanc à contre diffèrerait profondément de celui où nous vivons,
jour, tout son profil dessiné par la lumière est d’un dont l’ordre essentiel est celui des résistances cor-
roux ardent» (Souriau [1925]: 210). Cependant la porelles. Gardons-nous, en effet, des confusions
récolte méthodologique de cette rencontre du che- où nous pourrions tomber en parlant ici de sensa-
tions tactiles, musculaires et surtout cinétiques. Ces
vreuil ne va pas s’arrêter à ce constat d’échec des
formes sont faites […] des obstacles que rencontre
formes visuelles à prétendre prêter support à une
cette activité, réelle ou fictive, et de son arrêt selon
forme commune identifiante. Ce que préparait ce
certains contours, qui en dernière analyse ne sont
choix rhétorique de la rencontre d’un chevreuil pas autres que ceux de notre corps dans certaines
aux abois, c’est ce moment où, le voyant dispa- positions (Souriau [1925]: 211).
Les formes constantes: une ontogonie ubiquitaire et pragmatique 119

Si ce heurt, fût-il imaginaire, est perçu comme tologie, que Souriau revisite en la soumettant à un
positif, c’est que loin d’y être subi, il est plutôt de impératif d’action mais également, de façon indis-
l’ordre, agonistique, d’un combat, d’où résulte une sociable, la logique. La question ontologique de
victoire, celle qui permet de récolter comme une la permanence des choses va nécessiter un réexa-
«proie» (Souriau [1925]: 132), la saisie d’une forme men de la logique à l’aune de la saisie des formes
constante permettant d’appréhender l’identité d’un constantes (Souriau [1925]: 131). Or, ces formes
être qui, dans la réalité, n’apparaissait que fuyante: constantes que la stylisation a simplifiées pour
qu’elles soient transférables par le raisonnement à
Je me suis dédoublé. Un moi […] est resté immo- d’autres cas, Souriau va les appréhender en termes
bile […]. Un autre moi, celui qu’éveillé je vis dans de «gabarit d’action»:
mes rêveries […] a couru aux flancs du chevreuil,
l’a empoigné aux cornes, s’est éloigné là-bas traîné et Que l’on songe en effet à la façon dont interviennent
secoué par lui, et l’a maîtrisé, haletant, dans l’ombre ces simplifications dans le raisonnement […] il
de la forêt. Mais si ces deux mois se sont peu à faut que le transfert en soit aisé à d’autres cas; […]
peu éloignés l’un de l’autre, les deux chevreuils, au Il faut donc avant tout qu’elles puissent être retrou-
contraire, sont restés sans cesse mêlés, et c’est l’ani- vées semblables à elles-mêmes en différents temps
mal imaginé (le chevreuil de nuit, toujours à la de notre vie psychique, pour faire leur fonction de
même distance du moi imaginaire et touché par lui) gabarit. Nous voyions tout à l’heure que les pro-
qui a donné consistance, unité, identité personnelle, positions qui assignent à une forme un rôle de ce
aux divers aspects fugitifs de l’animal réellement vu genre prennent facilement la forme décisoire […].
(Souriau [1925]: 211). Or qu’est-ce qu’une décision, sinon précisément un
gabarit d’action auquel nous pourrons comparer
Il faut une forme pour donner consistance à notre façon d’agir, et qui leur servira de type? (Sou-
l’identité. La permanence ontologique des identités riau [1925]: 124-125).
n’est pas une question d’essence, elle n’est pas un
donné ontologique originaire. La permanence des C’est sous le prisme de cette aide à la décision
choses est un réquisit de la raison qui se construit (et de l’action qui en résulte) que Souriau revisite
via la saisie des formes constantes grâce aux- la logique en allant jusqu’à mettre son concept de
quelles on peut s’inscrire dans la démarche d’une «gabarit d’action» à la place de la cause efficiente
ontogonie en agissant sur notre devenir. Mais ce et même de la cause formelle. La question est celle
que met à jour l’«exempla» du chevreuil, c’est le de la volonté: «celui-là seul en est doué pour qui la
rôle de l’imagination dans l’instauration de cette décision prise, qui fut la chiquenaude mettant en
forme. On saisit cette forme constante grâce à un branle l’activité initiale, […] n’a pas été seulement
«acte imaginé» (l’acte de la saisie imaginaire de ses cette cause efficiente, mais encore une cause for-
cornes, dans le cas du chevreuil). melle, rigide, indéformable, contraignant l’exécu-
tion à actualiser la décision, non en s’en inspirant,
en en dérivant, mais en y ressemblant» (Souriau
3. LA VISÉE SOURIALIENNE SINGULIÈRE [1925]: 125). A la place de la cause de l’acte, Sou-
DE LA LOGIQUE A L’AUNE DES FORMES riau met un «gabarit d’action» qui opère comme
CONSTANTES
un modèle, issu de l’imagination, mais où «l’ima-
gination de l’acte agit comme force idéo-motrice»
«L’imagination de l’acte agit comme force
(Souriau [1925]: 125). Le «modèle» (qui est une
idéo-motrice» (Souriau [1925]: 125): au delà de
forme) est performativement «instaurateur» d’un
l’exemple heuristique du chevreuil, cette «loi»
acte, et il évite l’inévitable évolution temporelle
posée par Souriau va jouer un rôle dans la mise
qui fait que l’acte diffère de la cause (volonté) qui
à jour d’un de ses concepts essentiels, celui du
en a lancé le processus (Souriau [1925]: 125). Ce
«gabarit d’action». Car ce n’est pas, seulement, l’on-
que recherche Souriau, c’est que l’acte ne s’écarte
120 Isabelle Rieusset-Lemarié

pas de la forme instauratrice (et c’est le rôle des 134). Souriau semble, à première vue, au service
ressemblances des «formes enharmoniques»). C’est de l’invariance des choses. Mais à force de faire un
toute la complexité de la philosophie de l’instau- problème de la stabilité des choses entre la percep-
ration qui valorise le dynamique mais requiert la tion des formes par laquelle on les saisit, Souriau
permanence stable de la forme instauratrice: «les parvient à mettre le doute sur la stabilité de notre
régularités naturelles procèdent […] d’une explo- identité, du fait de la variation du temps. Il y a une
ration du monde, dont une forme explorante est incidence de déconstruction ontologique dans la
la condition. On rencontre ici le problème du méthode de questionnement systématique adoptée
devenir […]. L’expérience vécue du changement par Souriau. De là le questionnement sur la sta-
[…] est corrélative à l’instauration et au main- bilité problématique des prédicats que nous attri-
tien dynamique d’un acte informateur» (Souriau buons à des sujets. Il y aurait un présupposé atem-
[1925]: 128). Ce qui compte, pour Souriau, c’est le porel d’invariance problématique dans tout raison-
«maintien dynamique» de la forme instauratrice, nement logique du fait qu’on aborderait la copule
en tant qu’elle est une forme constante, ce qui per- «est» comme un «éternel présent invariable»
met que le devenir ne soit pas la déviation de ten- alors que le doute serait de savoir s’il y a coïnci-
dances incontrôlées mais soit à la ressemblance dence entre un «a été» et un «est maintenant» ou
de ce «gabarit d’action» qu’est la décision, qui part un «sera». La copule (sur laquelle insiste Souriau)
d’une «forme essentielle». Mais pour que cette est à la fois aspectuelle et temporelle. De là le rôle
forme maintenue constante reste opérationnelle, fondamental de la copule dans la perspective du
encore faut-il que les choses qu’elle permet de sai- «temporalisme logique» qu’adopte Souriau:
sir ne se métamorphosent pas. Tel est l’enjeu de
l’étrange allégorie par laquelle Souriau appréhende Les propositions catégoriques, en posant sans condi-
la logique comme un jeu de colin-maillard: tion l’inhérence de l’attribut au sujet, rendraient
impossibles l’emploi séparé de l’un et de l’autre. Mais
Il est, si j’ose dire, quelque similitude entre la pen- il y aurait des propositions où les deux termes ne
sée déductive et le jeu de colin-maillard. On a sai- seraient ni impliqués ni même contemporains: dans
si quelque chose dans les ténèbres; on en sait tout les jugements hypothétiques, la copule n’exprimerait
ce que la main peut apprendre; puis sans lâcher on pas une inhérence, mais une génération du consé-
réfléchit, jusqu’au moment où l’on annonce com- quent par l’antécédent. Seuls donc ces jugements
ment, rouvrant les yeux, on apercevra ce que l’on pourraient, pris comme majeure, donner naissance à
tient. Il faut, cela est évident, que l’on n’ait pas sai- des syllogismes qui ne soient ni circulaires ni tauto-
si Protée, et que durant qu’on ôte le bandeau, il ne logiques. C’est là une thèse capitale du temporalisme
se métamorphose pas entre vos mains. […] Tel logique (Souriau [1925]: 35).
est ce qu’on peut appeler le postulat pratique de la
déduction. Tout raisonnement déductif suppose la Ce que conteste Souriau dans la conception
chose en état d’attente; c’est à dire inchangée depuis traditionnellement atemporelle de la logique c’est
le moment où elle fut appréhendée sous une forme le fait qu’elle nous ferme à tout véritable devenir
jusqu’à celui où l’on revient vers elle avec une autre puisqu’on y serait tautologiquement réduit à une
forme (Souriau [1925]: 135). donnée initiale incapable de produire une pro-
cessus de génération. L’atemporalisme logique est
La logique requiert la constance de la percep- incompatible avec une visée ontogonique privilé-
tion enharmonique présumant une communauté giant le devenir et c’est pourquoi la revisitation de
de matière de l’objet sur lequel porte le raisonne- la logique, à partir de la prise en compte du fac-
ment qui doit être postulé «constant», même si ce teur temporel, est indissociable, pour Souriau, de
raisonnement a pris du temps, ce qui implique de sa philosophie de l’instauration qui le conduit à
postuler que «ce temps doit être resté sans action, privilégier la perspective d’une ontogonie. Mais ce
non sur nous mais sur l’objet» (Souriau [1925]: qui reste encore plus singulier dans ce réexamen
Les formes constantes: une ontogonie ubiquitaire et pragmatique 121

de la logique, c’est le rôle que Souriau y confère fléchissement sémiotique de la pensée de Sou-
à la copule. Ce point sera jugé par Souriau suffi- riau, si elle a été notée par certains greimassiens,
samment essentiel pour qu’il y revienne dans son n’a pas suffisamment été prise en compte par les
ouvrage sur Les différents modes d’existence: philosophes qui se sont intéressé à la dimension
ontologique de ses travaux. L’opposition qu’in-
On voit encore […] comment la vue de ces faits troduit Souriau entre les «sémantèmes» et les
résout très simplement (bien qu’avec quelque décep- «morphèmes» s’avère, pourtant, fondatrice, dans
tion peut-être pour certains métaphysiciens) l’an- sa façon d’instaurer une voie philosophique nou-
tique problème de savoir si la copule du jugement, velle pour appréhender les questions ontologiques
avec le petit mot est, implique réellement l’existence.
posées par les différents modes d’existence:
Elle l’implique assurément; à condition qu’on voie
bien qu’elle n’implique ni l’existence substantive du Nous avons […] introduit une comparaison philo-
sujet, ni celle […] du prédicat; mais celle seulement logique, en rappelant l’opposition que font les lin-
de la synapse, de la copule en tant qu’existence de la guistes […] entre les «sémantèmes» (substantifs,
relation d’inhérence, qu’il s’agit de voir, dans cette adjectifs, «éléments qui expriment les idées des
perspective, en son existence pure, qui est du mode représentations») et les «morphèmes» (ceux qui
synaptique; existence à laquelle sont suspendues expriment les rapports entre les idées) […]. Pour
celle du sujet et celle de l’attribut, en ce qu’ils sont réaliser […] l’écartèlement des êtres et l’innovation
supposés dans un même fait qui est, lui, le véritable du statut d’existence que représente la considéra-
existant (Souriau [1943]: 156). tion des seuls morphèmes […]. Qu’on songe d’abord
à une vision détachant l’être d’un statut ontique
Ce à quoi nous conduit la philosophie de Sou- déterminé, en le transposant successivement dans
riau, c’est à une délocalisation de la logique sur la différents modes, de niveaux différents […]. Enfin,
copule, en tant que celle-ci met l’accent sur les pro- […] qu’on prenne pour seules réalités ces passages
cessus dynamiques de transition. Or cette visée mêmes. Qu’on évoque un univers de l’existence, où
synaptique, irréductible à l’atemporalité de l’on- les seuls étants seraient de tels dynamismes ou tran-
tique, a vocation à s’exprimer par les copules, les sitions […]. (Souriau [1943]: 149, 151)
éléments de « transition » et de «connexion»: «Pour
ce qui concerne le monde du synaptique, […] on C’est sur cette discrimination sémiologique
sait quelle importance W. James attachait […] à ce entre sémantèmes et morphèmes que Souriau
qu’il appelait «un sentiment de ou, un sentiment élabore une typologie qui lui permet d’opposer la
de car». Nous serions ici dans un monde où les ou branche où se situe l’approche en termes de phé-
bien, où les à cause de, les pour et avant tout les et nomènes à celle qu’il propose comme alternative,
alors, et ensuite, seraient les véritables existences» fondée sur les morphèmes:
(Souriau [1943]: 153-154). Ce déplacement de la
visée ontologique qui met l’accent, non plus sur le D’un côté, répétons-le, les sémantèmes de l’exis-
sujet ou le prédicat, mais sur la copule, est indisso- tence, parmi lesquels le phénomène pur représen-
ciable du déplacement sourialien qui nous conduit terait assez bien l’adjectif pur, et devenu autonome,
séparable de tout l’ordre substantif que l’ontique
à nous éloigner de l’«ontique» au profit d’une pos-
représente. De l’autre, le synaptique, dans l’ordre des
ture ontogonique, tournée vers l’avenir.
morphèmes, correspondrait à tout ce matériel gram-
matical (conjonctions, prépositions, articles, etc.)
4. LE RÔLE DES FORMES DU DEVENIR DANS auquel on opposerait bien (tout en le comprenant
L’ONTOGONIE PRAGMATIQUE DE SOURIAU dans le même ordre morphématique) l’événement
comme correspondant à l’essence propre du verbe.
L’incidence de la perspective esthétique sur la Ce serait une sorte de grammaire de l’existence que
philosophie de Souriau, y compris dans sa dimen- nous déchiffrerions ainsi, élément par élément (Sou-
sion ontologique, est connue. En revanche, l’in- riau [1943]: 154).
122 Isabelle Rieusset-Lemarié

Souriau ne se contente pas de déroger à une Le futur, c’est l’accomplissement en virtuel qui com-
ontologie métaphysique traditionnellement encline plète le mouvement de ce présent penché sur le
à hypostasier certains modes d’existence, sous futur – de ce futur tombant dans le présent. Ainsi
couvert de les substantiver. Il répugne à réduire l’événement à venir est comme appelé et capté, puis
la quête ontologique à ces éléments de langage relâché et renvoyé dans le passé, par cette forme
(substantifs, adjectifs) réputés porter exclusi- constante, par cet et puis, par cet et alors, dont l’es-
sence est d’être placé, non dans l’instant, mais entre
vement le «sens» et ose démasquer le déni où
deux […] dans l’intermonde, entre l’instant qui part
auraient été tenus les «morphèmes», ces «petits
et l’instant qui vient (Souriau [1943]: 154-155).
mots» négligés mais qui sont porteurs, à ses yeux,
de l’essentiel, dès lors qu’on a pris acte que l’exis- Ces morphèmes, ces petits mots de transition
tence était affaire non d’«essence substantivée» comme «et puis» ou «et alors», sur lesquels repose
mais de «transitions». C’est cette attention portée la conception synaptique dynamique de Sou-
à la dynamique des transitions qui conduit Sou- riau, sont qualifiés par lui de «forme constante»
riau non seulement à s’écarter d’une «ontologie car ils permettent ce passage entre passé et futur
substantivée» métaphysique mais également d’une sans lequel la captation de l’événement à venir ne
perspective exclusivement phénoménologique. peut s’opérer. L’ontogonie de Souriau est indisso-
Ce que nous propose Souriau dans ses Différents ciable de la valorisation de ces « transitions », de
modes d’existence, c’est une alternative synaptique ces «passages». Mais ces passages s’avèrent fon-
à la conception phénoménologique, qu’il qualifie damentaux non pas tant parce qu’ils ouvrent à la
d’«ontique»: dimension, temporelle, du futur, mais parce qu’ils
instaurent la dynamique de l’action. En témoigne
L’événement est un absolu d’expérience […] avec
lequel on pourrait faire aussi tout un univers, le
la qualification de l’«advenir», préférée à celle de
même peut-être que celui de l’ontique, mais avec l’à venir, parce qu’elle dénote le processus de l’ac-
une tout autre assiette d’existence; et auquel on sus- tion. Le credo ontologique de Souriau, «l’exis-
pendrait (comme l’ontique est suspendue au phé- tence est un acte» (Souriau [1943]: 90), sous-tend
nomène) un règne des transitions, des connexions sa philosophie de l’instauration. Fondamentale-
– du synaptique, si l’on voulait forger un mot d’en- ment, l’ontogonie de Souriau reste une pragma-
semble, en opposition avec l’ontique (Souriau tique: «pour exister, il faut agir, mais pour agir,
[1943]: 152). il faut exister. Les dieux, comme dit Valéry, nous
donnent gratuitement le premier vers. […] Mais il
Cette visée synaptique de Souriau, ancrée sur reste quelque chose à faire» (Souriau [1943]: 110).
la dynamique des transitions, est indissociable Souriau est conscient de la torsion qu’il imprime
du primat accordé au devenir, fondateur de son à l’ontologie par ce primat de l’action. Mais il
approche ontogonique. Les choix des morphèmes assume sa différence avec une certaine doxa phi-
(versus les sémantèmes), du dynamisme (versus losophique:
l’atemporalisme logique) et du rôle de l’avenir dans
la posture ontogonique (versus l’ontique) parti- Nous écrivons pour des philosophes […] à qui le
cipent d’une même cohérence: «Qu’on évoque un fait d’opter complètement et totalement pour l’action
univers de l’existence, où les seuls étants seraient représente un renoncement à tout ce qui leur paraît
de tels dynamismes ou transitions […]. Dans un la vie réelle (ils l’appelleront vie de l’esprit) parce que
monde ainsi conçu, l’événement, l’advenir […] c’est de ce côté qu’est toute l’ontologie, avec sa méta-
prend une position et une valeur existentielles» physique propre. C’est pourquoi nous n’avons guère
d’espoir de leur faire entendre bien ce dont nous
(Souriau [1943]: 151-152). Or ce qui compte, dans
parlons, si ce n’est en le leur faisant sentir négati-
cette conception ontogonique, c’est que la visée
vement dans leur horreur à cette idée: fermer tous
morphématique synaptique y est indissociable du
les livres, cesser tous les discours, oublier toutes les
rôle des formes constantes:
Les formes constantes: une ontogonie ubiquitaire et pragmatique 123

théories qui soutiennent le monde de l’ontique, et qu’en tant qu’elle est produite comme une théorie
entrer dans l’action par un renoncement à leur phi- par la raison: «cette méthode – fonder une action
losophie […] (Souriau [1943]: 157-158). efficace sur la prévision d’une consécution […]
la force à débuter par la recherche théorique de
Cependant, Souriau ne critique l’impasse dans la forme d’un devenir» (Souriau [1925]: 178). Au
laquelle se serait fourvoyée une certaine doxa philosophe qui a perdu les chemins de l’action
ontologique que dans la mesure où il est capable en se fondant dans l’ontique, Souriau fournit une
de lever l’obstacle épistémologique qui lui interdi- méthode dont le «galbe secret» est une forme du
sait l’accès à la dimension de l’action. Ce qu’a per- devenir.
mis de dévoiler son œuvre, de Pensée vivante et
perfection formelle aux Différents modes d’existence,
c’est le rôle de la «forme constante» pour ouvrir les REFERENCES
chemins de l’action. L’ontogonie pragmatique de
Souriau s’appréhende en termes de formes. Mais Benjamin, W., 1936: “L’œuvre d’art à l’ère de la
encore faut-il comprendre ce que Souriau entend reproduction mécanisée”, Ecrits Français, Gal-
exactement par «formes»: limard, Paris, 1991.
Jankélévitch, V., 1981: Le Je- ne- sais- quoi et le
Elles sont essentiellement non des formes dans le Presque- rien, Seuil, Paris.
devenir, mais des formes du devenir. Elles saisissent Souriau, E., 1925: Pensée Vivante et Perfection
le cours du temps par le travers sur une certaine Formelle, Presses Universitaires de France, Par-
longueur, et isolant ce segment, par l’explicitation is, 1952.
de son galbe secret (latentis schematismi), elles lui Souriau, E., 1943: Les différents modes d’existence,
donnent l’unité d’une nature simple. Ce sont les […] Presses Universitaires de France, Paris, 2009.
déterminations d’un acte pur! (Souriau [1925]: 171). Souriau, E., 1956: Du mode d’existence de l’œuvre
à faire, Presses Universitaires de France, Paris,
Au delà des morphèmes, le seul substantif
2009.
que s’autorise Souriau pour cristalliser sa visée
Valéry, P., 1928: “La conquête de l’ubiquité”, in
synaptique dynamique, c’est le «galbe». Le galbe,
Œuvres, tome 1, Bibliothèque de la Pléiade,
c’est ce qui échappe à l’ordre d’un concept origi-
Gallimard, Paris, 1957.
naire et qui s’appréhende comme geste instaura-
teur d’un acte, comme dans l’exemple cosmogo-
nique du geste démiurgique: «il ne s’agit pas d’un
concept suprême dont le monde entier découle
comme d’une essence infinie à la fois en extension
et en compréhension: il s’agit du galbe d’ensemble
de l’œuvre divine, -non l’œuvre ouvrée, mais
l’œuvre ouvrante, l’Activité […] forme du geste du
Démiurge» (Souriau [1925]: 174). Le galbe c’est
ce qui permet d’agir sur un segment du temps: «Il
faut d’une part que l’outil dont nous nous servons
ait une poignée, une extrémité libre que saisira la
main; et d’autre part que cette extrémité libre mise
en notre puissance tienne rigidement à l’autre
extrémité, en sorte que tenant l’une nous agissions
à distance par l’autre» (Souriau [1925]: 175).
La puissance d’action de la forme ne peut ins-
taurer la méthode d’une ontogonie pragmatique
Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

Is Souriau Also Among the Sophists?

Citation: C. Boyle (2022). Is Souriau
Also Among the Sophists? Aisthesis Casey Boyle
15(2): 125-135. doi: 10.36253/Aisthe-
sis-13901
The University of Texas-Austin
[email protected]
Copyright: © 2022 C. Boyle. This is an
open access, peer-reviewed article
published by Firenze University Press Abstract. Whether viewed as unduly complex or necessarily ornate, Étienne Souriau’s
(http://www.fupress.com/aisthesis) and written style accents the importance of placing artistic form in conversation with intel-
distributed under the terms of the Cre- lectual content. In seeking to better understand Souriau’s advocacy for a philosophy
ative Commons Attribution License, of instauration – the process through which an existence gains in existential formal-
which permits unrestricted use, distri- ity – this essay examines how aesthetic tropes and devices order ontological meaning.
bution, and reproduction in any medi- First, it links Barbara Cassin’s case for sophistical practice to Souriau’s advocation for
um, provided the original author and
ontological multiplicity. The essay then reads the 1956 essay “Of the Mode of Existence
source are credited.
of the Work To-Be-Made” and Souriau’s adjacent work as consciously rhetorical and
Data Availability Statement: All rel- profoundly aesthetic attempts to recruit others to his philosophical commitments. This
evant data are within the paper and its account further discerns an array of rhetorical devices (e.g. chiasmus) in Souriau’s
Supporting Information files. work that function not merely to adorn description but rather to order an experience
of the work-to-be-made. Attending to turns of language as contributing to reality nec-
Competing Interests: The authors
essarily raises questions of responsibility, so the essay’s then reconsiders philosophy’s
have declared that no competing inter-
ests exist.
long-standing charge of sophistic irresponsibility alongside Souriau’s skewing of agency
and choice through instauration. The essay concludes by considering the implications
of Souriau’s central concepts as filtered through sophistical practice as not incidental
to philosophical aesthetics but a charge to philosophy to be responsible for promoting
lesser existences in and across multiple modes.

Keywords: aesthetic responsibility, rhetoric, sophists, Souriau.

«Life proceeds by insinuation».

H. Bergson, Creative Evolution

I. INTRODUCTION: SOMETIMES A BRIEF FLASH OF LIGHT

What is beauty? Typical to discussions of aesthetics, this ques-

tion assumes that something like a unitary set of principles can
be revealed with just the right kind of reasoning. That is, any one
answer would necessarily seem to exclude – or at least not invite
– multiple versions of beauty in favor of a single category against
which beauty can be referenced and judged. Gilles Deleuze, in

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 125-135, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13901
126 Casey Boyle

Nietzsche and Philosophy, prefers an alternate becomings» is clouded by writing that is «pomp-
avenue of questioning suggested by the Soph- ous in style and with a haughty display of erudi-
ist Hippias, who instead of «what» asked «which tion» (Muecke [2016]). Yet if some find that his
one?» (Deleuze [2006]: 76). Not merely prevari- elaborations obscure his ontological light, others
cation, this inflection speaks to the productive mark them as essential to his expression – e.g.
lines of inquiry pursued by a cadre of itinerant Peter Pál Pelbart, who sees Souriau’s «lofty lan-
thinkers who dared to sift systematically amongst guage» giving necessary dimension «to a sort of
multiplicity instead of resorting to representative metaphysics» that admits beings whose existences
forms. «Asking which one is beautiful, which one «that can neither be affirmed nor denied with pre-
is just and not what beauty is» Deleuze explains, cision» (Pelbart [2014]: 250).
«was therefore the result of a worked-out method, From a classical standpoint, Deleuze’s turn to
implying an original conception of essence and the sophists’ experiential aesthetics to propose a
a whole sophistic art which was opposed to the generative philosophical method is thoroughly
dialectic» (Deleuze [2006]: 76). Platonic philoso- subversive. After all, the sophist, as Barbara Cas-
phy was hardly hospitable to these interlopers, yet sin writes, has long been «the other of the phi-
«[s]ometimes a brief flash of light in the dialogues losopher, whom philosophy never ceases to expel
gives us a momentary indication of what the from its domain and even from humanity itself»
sophist idea was» (Deleuze [2006]: 76): a means to (Cassin [2014]: 30). Cassin would echo Deleuze,
see multiple instances of beauty, multiple modes though, in suggesting that if applying a unilateral
of becoming. «standard of being and truth in order to judge the
If the light of an «empirical and pluralist art» teaching of the sophist» requires it to be «con-
(Deleuze [2006]: 76) is but a flash in the dia- demned as pseudophilosophy» (Cassin [2014]:
logues, then it is fully ablaze in the aesthetic work 30), then one must discard the normative metric.
of Étienne Souriau. Working against the grain of Against pervasive ontological and aesthetic degra-
a discipline he charged as being «tendentious» dation, she recovers sophistical practice as «a good
(Souriau [2016]: 97) in its traditional adherenc- tool, maybe even the best of the available tools»
es, Souriau over his career pursued a worked-out to enable us to «glimpse how artificial the bor-
method for a pluralistic art attentive to multiple der between the rational and the irrational is and
modes of existence. Given the Sophistic resonance perhaps reorganize the cosmos of philosopher»
of this ontology, we may find it interesting that (Cassin [2014]: 28). In the notion of a sophistical
the revival of Souriau is inclined to another con- practice that promotes alterity, this essay finds a
cern of the sophists, dwelling on his discursive starting point for its reading of Souriau. Whether
style – his rhetoric – with frequent allegations of viewed as unduly complex or necessarily ornate,
excess. Introducing The Different Modes of Exist- the philosopher’s aesthetics accent the importance
ence, Isabelle Stengers and Bruno Latour describe of placing artistic form in conversation with intel-
this «forgotten text of a forgotten philosopher» as lectual content, a connective act for which Souriau
«a constricted book, concentrated, almost jum- indeed presses hard in his own work. We follow
bled together, in which it is easy to lose oneself, so Souriau himself, then, in seeking to understand
dense are the movements of thought and the ver- his advocacy for a philosophy of instauration –
tiginous perspectives which ceaselessly threaten to the process through which an existence gains in
derail a reader» (Stengers, Latour [2016]: 4). Cath- existential formality – by asking not «what» but
erine Noske connects Souriau’s «radical» obscu- «which» aesthetic tropes and devices order onto-
rity to the fact that his «language is ornate and logical meaning.
complex, his writing prone to detours of thought» To unfold this argument, this essay proceeds
(Noske [2015]: 36), while Steven Muecke finds in three interrelated movements. First, it links the
that his vision of world «brimming with possible fundamentally plural investments of what Cas-
Is Souriau Also Among the Sophists? 127

sin calls sophistical practice to Souriau’s case for phy must distinguish it from sophistics)» (Cassin
ontological multiplicity, itself based in a reimagin- [2014]: 44). Against this xenophobic reflex, her
ing of aesthetics as the inseparable companion of consciously disruptive project warrants re-admit-
philosophy. Building on the link between sophis- tance of this intellectual tradition with a radical
tical practice and Souriau’s aesthetics, the second reversal: «There is no philosophy without sophis-
movement reads the 1956 essay Of the Mode of tics» (Cassin [2014]: 44). Following Walter Benja-
Existence of the Work To-Be-Made1 and Souriau’s min’s imperative to retell the story from the view-
adjacent work as consciously rhetorical and pro- point of the prostitute, «the bad “other”… whom
foundly aesthetic attempts to recruit others to his one has not only the right but also the duty to
philosophical commitments – that is, to instaur shun» (Cassin [2014]: 12), her narrative inversion
instauration itself. Upholding the generativity of rewrites a sophistic history of philosophy, surfac-
sophistical practice, this account further discerns ing the rhetoric of the sophists as an engine for
an array of rhetorical devices (e.g. chiasmus) that the «abundant and unstable inventiveness» (Cas-
function not merely to adorn description but sin [2014]: 92) that unfolds in the historical emer-
rather to order an experience of the work-to-be- gence of literary forms so novel that they outmode
made. Key to the essay is this section’s recogni- genre itself. In doing, she coalesces sophistical
tion that sophistical practice along with instaura- practice as a fruitful means of «reproblematizing
tion perform the creative repetition and repetitive what is inside and outside, interior and exterior»
creation by which modes of existence gain reality. (Cassin [2014]: 12). Under this auspice, the kind
Attending to turns of language as contributing to of practice that marked the sophist as deviant –
reality necessarily raises questions of responsibil- promiscuous engagement with cosmology; theat-
ity, so the essay’s third movement reconsiders phi- rical discourse that served human triumphs over
losophy’s long-standing charge of sophistic irre- universal truths – is refigured as a spatially, tem-
sponsibility alongside Souriau’s skewing of agency porally increasing «practice improving on chance»
and chioice through instauration. Responsibil- (Cassin [2014]: 28). Relaxing the tense binary of
ity, mutually informed by Souriau and sophisitcal rhetoric and philosophy (the former becomes «a
practice, refigures aesthetics as no mere surface philosophical invention» the latter «the very first
concern but instead as the constitutive actions that “rhetorical turn”» (Cassin [2014]: 72), a sophistic
make existences make sense and thus gain real- conception, according to Cassin, also differenti-
ity. Finally, the essay concludes by considering the ates intention to expand artistic domain. That is,
implications of Souriau’s central concepts as fil- «When one responds to the question of inten-
tered through sophistical practice as not incidental tion with the effect», as the sophists did, «one has
to philosophical aesthetics but a charge to philoso- shifted the grounds of the ethical problematic,
phy to be responsible for promoting lesser exist- the definitional shield of philosophy, onto anoth-
ences in and across multiple modes. er terrain, that of aesthetics» (Cassin [2014]: 43).
Such a shift may be mobilized as additional evi-
dence against the sophists but, when reconsidered
II. THE STORY FROM THE PROSTITUTE’S through the work of Souriau, the shift to empha-
VIEWPOINT size aesthetics as an ontological concern instead
moves much of sophisitcal practice to become
So endemic is philosophy’s allergy to sophis-
available resources for encouraging existence oth-
tics, Cassin suggests, that «there are no philoso-
erwise.
phers who do not define themselves as oppo-
In aesthetics, we find affinity among the soph-
nents of the sophists (every definition of philoso-
ist’s pluralistic investments and Souriau’s engage-
ment with ontology through and as multiplicity.
1 Mentioned as Of the Mode from here onwards.
Far from any attempt to catalog modes of exist-
128 Casey Boyle

ence exhaustively, Souriau limns modes to show ophemes» a critical method that lays bare instau-
that they do exist, pulling «lesser existences» onto rative aims. The centerpiece of Souriau’s aesthetics,
planes of equivalent meaning and value alongside instauration reaches for the interior processes by
genres of existence more traditionally recognized. which a work-to-be made moves into being. «“To
In greater and lesser degrees, the shared character- instaure”» Pelbart clarifies, «does not so much
istic among each mode is «something unfinished refer to the act of creation as it does to the “spirit-
or inconclusive» as David Lapoujade puts it, such ual” establishing of something, ensuring it a “real-
that «it requires a “principle of amplification”, in ity” within its own genre» (Pelbart [2014]: 250).
short, the sketch for something bigger or better» For Luce Vitry Maubry, instauration is foremost
(Lapoujade [2017]: 42). The bid of this work-to- concerned with «the dialectical process through
be-made to become more real is what Souriau calls which a work of art captures spiritual value and
anaphor – a metaphysical enactment of the same manifests it to us […] as a paradigm for the con-
self-referential yet creative repetition designat- structive process» (Maubry [1985]: 326). We
ed by the eponymous tropological class. Thus as may also say that instauration finds all construc-
Peter Pál Pelbart writes, «all his thought could be tive processes artistic in that they are emergent,
a harbinger of this call for a “work in progress”» always, in the intricate detailing of aesthetic labor.
in each instance clarifying that «it is not a matter Whether viewed «as an organic ensemble of ideas,
of following a given project to be fulfilled, but to or as the shared expression of an intuition of real-
open up the field for a trajectory to be followed ity, or even as a mode of existence or a mode of
according to the questions, problems and unfore- action» (Souriau: [2021]: 89), philosophy’s own
seen challenges, each of which must be addressed anaphoric inclinations confirm its existence in the
individually» (Pelbart [2014]: 251). What under- aesthetic realm. «Only a noninstaurative philoso-
pins this thinking is an aesthetics that, reimagined phy could claim not to be an act of art» Souriau
from a contained subset of philosophy, instead insists, even as his rhetorical aside–»(but would
transformatively reconfigures ontology. This mul- it even be a philosophy in that case?)» (Souriau:
tiple, malleable aesthetics reflects not a distanced [2021]: 89) undoes the possibility that any philos-
appreciation of form but rather the experience of ophy could be so classified.
laboring to make, an aesthesis that recruits and In Souriau’s oeuvre, there is perhaps no better
advocates for reality. philosopheme to which to apply the aesthetic test
If the «entirety of Souriau’s thought is a phi- than the 1956 Of the Mode now translated into
losophy of art» (Lapoujade [2014]: 4), then this English and appended in The Different Modes of
platform gains detail in the 1954 Art and Phi- Existence. Initially a talk addressed to the French
losophy. With some specificity, Souriau demon- Philosophy Society, this essay turns fully to the
strates that art and philosophy are so interwoven «existential urgency» that, impressing itself upon
that any attempt to discard art must leave a «par- the instaurator «both as deficiency and as pres-
tial and deformed image» of philosophy (Lapou- ence of a being to be accomplished» (Souriau
jade [2014]: 78). Their concrete relations, he says, [2016]: 223) ignites creative process. A richly aes-
are manifold: texts are bound up in historical thetic effort to instaur instauration itself, this dis-
epochs; philosophical and ontological influenc- course on the enigmatic means by which «a pos-
es bear on artistic production; aesthetics inflect sible makes its insistence felt with the character of
conscious ascesis and subconscious constraints; an imperative» (Savransky [2020]: 183) has invit-
texts cross domains of significance, and more. In ed scholars to diverse elaborations of anaphoric
sum, aesthetics are a collision of effects spanning amplification. Thus Martin Savransky speaks of
from multiple modes, and these collisions are «heterogenetic intensification», Jamie Brassett of
the stuff of philosophical practice. This interplay «ontogenic production» (Brassett [2021]: 3). My
comprises a «test of precisely applying, to philos- own angle asks what «flashes of light» appear when
Is Souriau Also Among the Sophists? 129

considering instaurative experience in concert with tion of this «lonely thinker» would fail to trans-
Souriau’s philosophical aesthetics – with his rheto- form intellectual landscape within his lifetime,
ric, conceived through sophistical practice. Vitry Maubry posits, not least because his «refusal
Given that Cassin both recovers the sophists of the well-trodden path» inflected both «the radi-
as historical figures and traces sophistical practice cal manner in which he reposited the problemat-
as an innovative philosophical vitality, it would ics of knowledge» and «the language he has chis-
seem not unreasonable to ask «is Souriau a soph- eled to present (one could almost say to hide)»
ist»? Parallels indeed come freely. Souriau, like the (Maubry [1985]: 325) that thought. Yet despite
sophists, invests in questions about which beauty his habit of compounding unorthodox ideas with
rather than what is beauty. His appeals to discard nontraditional style, Souriau is noted to have felt
«real or not real» in favor of «more or less real» the lack of contemporary acclaim keenly (Maubry
ontology readily evoke Cassin’s «Protagorean [1985]). Then too, pervasive global conflict could
affirmation», which seeks not a «falsity to truth- only have underscored his conviction in the
hood» movement but rather migration «from a urgency of multiple ontologies. Perhaps entwined
lesser good to a better state» (Cassin [2014]: 28). concerns with the state and future of humanity
To the sophists fell the work of cataloging tropes and his own work is what prompted him, more
and schemes; not dissimilarly, Souriau traces resolutely here than in some other treatises, «to
out modes of existence and instances of aesthet- couch his philosophical position in relation to art»
ics toward a «derigidified, unschooled, and revi- (Brassett [2021]: 3).
talized» philosophical work (Cassin [2014]: 80). Delivered to contemporaries at the Sorbonne,
Then there is Souriau himself, long sidelined by Souriau’s address takes up «the existential incom-
tradition perhaps because, he, like the sophist, pletion of every thing» (Souriau [2016]: 220) as
«always asks one question too many, he always central problematic. The sustained query into the
derives one consequence too many» (Cassin work-to-be-made unfolds as an extended «appeal
[2014]: 34). Yet to ascribe to Souriau any singular to a certain kind of experience» (Souriau [2016]:
philosophical mode is arguably to undermine his 219) that Souriau also attempts to create for his
own ontology. Better to say that taking Souriau’s audience. From the outset, rhetorical questions
theory of aesthetics compels us to re-think sophis- and orchestrated examples announce a convic-
tical practice, and that taking sophistical prac- tion that hosting, rather than merely explicating,
tice seriously prompts a re-reading of Souriau’s an instaurative encounter is professional obliga-
aesthetics. Better to ask, like the witnesses of the tion: «What philosopher would want to affirm
prophet: is Souriau also among the sophists? that a certain kind of experience exists if he were
incapable of awakening the recollection and con-
sciousness of a like experience in another?» (Sou-
III. AS ONE INVENTS A TREASURE riau [2016]: 219-20). Toward this awakening,
he leverages formal recruitment at the granular
Readers of Souriau have noted that the phi-
level, modeling a sophistical practice that is per-
losopher’s aesthetics, always elaborate and often
haps most apparent when conjuring the iconic
vexing, reflect in Of the Modes certain challenges
aberrants: «Let us follow Plato when, with the
of a fraught political and personal moment. This
approach of a demiurge, he instaures, so as to
was 1956, thirteen years after the publication of
define, the Sophist» (Souriau [2016]: 227). If Plato
Les Modes, seventeen after L’Instauration philos-
unwittingly made the Sophists’ modes of existence
ophique, but the general respect for Souriau’s aes-
more real, Souriau intimates, then surely his own
thetic theories had not carried into his work on
work of «ceaselessly adding new determinations»
modes of existence, received as difficult by many
(Souriau [2016]: 227) can dispose «Mankind qua
peers (Noske [2015], Brassett [2021]). The innova-
still to be instaured» (Souriau [2016]: 221). Nota-
130 Casey Boyle

bly, Souriau’s advocacy remains in its impassioned «Nothing is more philosophical», he says. «And
yet deferential attempts to his fellow philosophers thinking about it as I must, I have in it the princi-
faithful to his ontological convictions, which in ple of a solution to my problem» (Souriau [2016]:
insisting that «entities that depend upon others 225). A means to grasp that which eludes spatial
for their existence» also implies that the acquisi- and temporal registers for transformative process,
tion of greater reality for any mode, not least the the demarcation-becoming recoups «a sort of inti-
philosomeme, will require affinity and mutual mate and concrete impression of what we might
regard (Brassett [2021]: 3). Toward that end, his call the course of the internal flow of spontaneous
invocations design against a common enemy: «the instaurations» (Souriau [2016]: 225) generated by
memory of Ockham’s famous razor», which urges the making experience. This making experience,
philosophers «to ask ourselves up to what point key to all of Souriau’s aesthetics, is demonstrated
we can multiply beings without necessity» (Sou- here by the remaking of what was there. That is,
riau [2016]: 224). Philosophical frugality resists the transformation both affirms but transduces
ontological multiplicity, so his pleas to colleagues that which was present to make present a new
to be «struck by the richness of a reality multi- invention.
plied» strive delicately to recruit–and not alienate No doubt this fable’s placement reflects the
– his community (Souriau [2016]: 224). philosopher’s explicit aesthetics, the disciplined
If Of the Modes opens with formal movements selection Souriau calls artistic ascesis. Yet per-
that construct and prime an instaurative expe- haps we find a case of implicit aesthetics in that
rience, then Souriau signals entrance into this the allegorical key to his existential quandary is
enigma with another choice example. To trace the also chi, a device known to literary and rhetori-
«gradual transposition by which what at first was cal study as chiasmus. From the Greek χ, chiasmus
only in the virtual is metamorphosed in an instau- put simply is a crossing structure wherein items
rative approach» (Souriau [2016]: 224), he recalls in a series are inverted. Analogically, it uses gram-
the parable of Zhuangzi: matical transposition, as of subject and object;
structurally, it inverts narrative symmetry more
[O]ne night, Zhuangzi dreamt that he was a butter- fully. Of the subset antimetabole, this particular
fly, fluttering about without a care. Then he awoke chiasmus holds a playful possibility: if Souriau
and realized that he was simply poor, old Zhuang- readers often find his sophistical map esoteric,
zi. «Yet we cannot know», he adds, «whether it is then here at least he marks a principal passage
Zhuangzi who awoke after having dreamt he was a
with a χ. Those inclined to enter will find chiastic
butterfly, or whether it is the butterfly who dreamt
theories interacting generatively with the «actions,
that he became the waking Zhuangzi. Neverthe-
conditions, and approaches» (Souriau [2016]: 226)
less», adds the philosopher, «there is a demarcation
between. Zhuangzi and the butterfly. That demarca-
of instaurative inscrutability. Recall, for instance,
tion is a becoming, a passage, the act of a metamor- Merleau-Ponty’s framing of chiasm as «every per-
phosis. (Souriau [2016]: 224-5) ception doubled with a counter-perception» Mer-
leau-Ponty [1968]: 264). From the embodied refer-
Invoking the butterfly’s Chinese philosophic ent of the optic chiasm come literal and figurative
symbolism of eternal life, the Daoist fable has giv- conditions of possibility for perception wherein
en rise to Eastern and Western interpretative tra- seen and unseen mandate each other. Likewise,
ditions that range among the meaning of dreams, consider rhetorical theories that find chiastic pat-
the challenge of defining reality, and the nature of terning inverting power relations across world
spiritual awakening. The crux for Souriau, though, rhetorical traditions. Easily dismissed as an innoc-
is the last salvo, the point at which the distinc- uous figure «for supplying a memorable senten-
tion between man and butterfly becomes indistin- tious note or for performing a terpsichorean pir-
guishable from the transition of one to the other. ouette of syntax and thought» (Paul, Wiseman
Is Souriau Also Among the Sophists? 131

[2014]: 1), chiasmus as Anthony Paul and Boris to-be-made: the butterfly could not have not so
Wiseman write re-orders perception as dually «a philosophically dreamed, had the philosopher not
process and a process of change» (Paul, Wiseman dreamed in a priori inverse.
[2014]: 4-5). The instauration of positive modes of exist-
From an aesthetics of «unusual images to blur ence is a matter of inventing, Les Modes relays, «as
our categories» (Pelbart [2014]: 252), the chias- one “invents” a treasure» (Souriau [2016]: 162).
mus as inversion par excellence makes us privy This is the treasure – or the secret of its making
to movements that enact both sophistical prac- – that Souriau marks with the χ. Zhuangzhi’s chi-
tice and instaurative progress. Inverting terms asmatic butterfly alights in the remainder of the
established in one position suggests a topologi- address, commuting the enigma of transforma-
cal refashioning that unbinds a problematic to tion to each of the schemas that further demysti-
which existing treatments of instauration attend fy instaurative process: the freedom, efficacy, and
minutely–any presumed exclusivity between crea- errability of the creator; the dynamic interplay
tivity and repetition. Take Savransky’s notion of among the work-to-be-made, work in concrete
heterogenesis as «the generation of a being that is form, and agent; and the experiential aspects of
“only able to be accomplished completely through an oscillation between «active and passive interre-
the power of another being’”» (Savransky [2020]: lations» (Souriau [2016]: 232). A detailing of the
223). Here, the oscillation by which the work-to- artist-to-art relationship «that could be taken in
be-made draws the maker into its bid for exist- the chapter of the definitive» (Domenicali [2017]:
ence becomes an «ontology of intensities» involv- 28), this immersive dive into instaurative experi-
ing iterative yet progressive movement. Prising ence builds from chiasmic inversion with no less
another vantage onto this process, chiastic inver- a reversal than that of Kantian morality. That is, in
sion does not render instaurative progress pre- rendering the creator as an instrument of a work
cisely, but rather surfaces a constitutive reorder- that «exceeds him in sublimity», Souriau gives us
ing from which its conditions for possibility arise. to understand that «the artist is still himself this
From a «rhythmic arrangement of words that work to be done that he glimpses, as if in negative,
binds together meanings into a new, reparative, in the mode of existence of the virtual» (Domeni-
sequence» (Salazar [2014]: 124), chiasmus extends cali [2017]: 28). The instaurator must be instaured.
a sophistical invitation to more fully inhabit the In the next section, following Souriau’s own con-
impasse of the demarcation-that-is-becoming. As clusion, I will focus on the matter of the creator’s
Souriau tells us, «each new instauration» performs responsibility.
«a promotion […] according to an order that is
certainly not temporal but to which time must be
able to acquiesce» (Souriau [2016]: 95). Lawlor IV. WHAT WE OWE THE WORLD
too invokes temporal inversion when he corre-
«What does philosophy hope to instaur?» Art
sponds the inflection that separates creation from
and Philosophy defines a twofold aspiration. Ini-
instauration to Deleuze and Guattari’s delineation
tially, like art, philosophy wants «awareness of the
of philosophical history from philosophical time.
present moment in its human totality, with all its
If the former indexes a succession that «includes
riches, all its deficiencies, all its aporias, and all
independent points but excludes repetition» (Law-
its aspirations, even when they are contradictory»
lor [2014]: 404), then the latter deals in coexist-
(Souriau [2021]: 95). Yet the ultimate aim sur-
ence and superposition, which knows that «noth-
passes art: «It must assume a responsibility […]
ing can be produced without using previous traits,
of the total and truly anaphoric promotion, which
functions and features […] instauration was not
coordinates the present moment with the future
possible the first time» (Lawlor [2011]: 405). As
in accordance with a hierarchy» (Souriau [2021]:
with chiasm, so with the becoming of the work-
132 Casey Boyle

95). Responsibility preoccupied Souriau over dec- minimalist», Cassin explains, «because far from
ades, as we are reminded by the conclusion of his requiring a uniform unity, the sophistical consen-
Sorbonne address, which dwells at length on that sus does not even require that everyone think the
«which falls to us with respect to all the incomple- same thing (homonoia) but only that everyone
tion of the world» (Souriau [2016]: 238). Impor- speak (homologia) and lend their ear (homopho-
tantly, this usage does not subject constructive nia)» (Cassin [2014]: 37). Speaking and listening
process to standard meanings of hierarchical duty then echo and rehearse an array of actions inher-
or control. As discussed above, Souriau rejects the ent in instauration: promotion, advocacy, and
agency typically assigned to the creator, topologi- bearing witness. From this consequential relativism
cally inverting sculptor and sculpture, maker and comes a reminder: «we have to choose at every
made so that each impresses the other, enabling a moment what it is best to propose or to answer
movement that is iterative without being repeti- and for whom» (Cassin [2014]: 28).
tive, progressive without being time-bound – Extended to the sophistics of the work-to-be-
responsible in its most situated and attuned sense. made’s becoming, this consequential choosing
It does, however, urge us to consider what we owe complicates responsibility in both ontological and
the world with regard to that which is «only part- aesthetical dimensions. Choice is a shape-shifter,
way along its course», especially when it applies to perhaps, in the whole of instaurative thought. In
our capacity «to confer upon it an as yet unrec- Art and Philosophy Souriau suggests that the phi-
ognized accomplishment» (Souriau [2016]: 239). losopher «does not choose» but that «choice is
That capacity is itself a work-to-be-made through inherent in the anaphoric experience, which places
practice, a practice we find being exercised repeat- the facts in an architectonic situation within the
edly by the sophists. philosopheme» (Souriau [2017]: 91). Of the Modes,
As Cassin reminds us, philosophy has long though, holds freedom of choice as essential with
scornfully rendered the Sophists, that infamous the ironic instance of Plato instauring the Sophists:
caste of Non-Athenian speakers and pedagogues his choice of these over other rhetorical examples,
who proselytized and monetized an adaptive rhet- Souriau says, shows that «there is no doubt that
oric, as paradigmatic Other. There is perhaps no whatever the guiding principle of this instauration
better known caricature artist than Plato, whose may be, the instaurator is free to choose» (Souriau
dialogues demonize the Sophists as deceivers and [2016]: 227). Choice is subject to and constrained
bad imitators. The direct derision of the Gorgias, by the dominion of that which calls to be made;
the oblique ridicule of the Phaedrus, the ambi- yet when that unfinished work «imposes itself as
ent antagonism of the Sophist (or Protagoras) – all an existential urgency – which is to say: both as
constitute a figure that is irresponsible by virtue deficiency and as presence of a being to be accom-
(or vice) of being too response-able. That is, the plished, and which manifests itself as such, as hav-
Sophists loaned themselves to a multiple ethics ing a claim on us» (Souriau [2016]: 223), it is the
antithetical to Platonism because it too quickly, creator’s choice to succumb, to what degree and
too changeably conformed to the dictates of cir- via what kind of constructive process. With Sou-
cumstance. Rejecting sophistry as an anti-phil- riau’s responsibility, we might say that instauration
osophical modality, Cassin’s recognition of the supersedes but always includes the maker’s choice;
sophist accomplishment perceives not only the with Cassin’s consequential relativism, we might
«real wealth» of «always having the logos ready say that where there is choice, choice matters,
to hand» (Cassin [2014]: 80) but also the attrac- guiding the nature, means, and course of what can
tion to change emergent from «a vast perfor- be brought into being. A constraint, to be sure, but
mance which, time after time, by means of praise an enabling constraint.
and counsel, produces the consensus required for Taken together, the conditions of perception
the social bond. This consensus is minimal, even opened by crossing sophistic practice with insatu-
Is Souriau Also Among the Sophists? 133

ration prompt closer attunement to what we might seen as striving to “teach” […] readers not only
call aesthetic responsibility, the ongoing participa- an ethics of encountering and responding to texts,
tion in the anaphoric promotion of existences. That but a general orientation to an ethics of encoun-
such a participation is always an act of advocacy tering and responding to the multiplicity of exist-
for beings yet to come is supported by Pelbart. ence» (Smith [2003]: 526). None of us owe the
Echoing Lapoujade, he writes that making lesser world less than an aesthetic responsibility com-
existences more real also realizes us as «their wit- mitted to promoting multiplicity against totalizing
nesses, their advocates, their “existence-holders”» singularity.
(Pelbart [2014]: 253). Creation entangles modes
of existence, and this mutual dependence assuag-
es the tensions of a fundamentally divided world. V. CONCLUSION: TO LABOR ON BEHALF OF
This is crucial for Pelbart, who sees our existence LESSER EXISTENCES
in an era deeply pathologized by oppression as
For Deleuze, «a brief flash of light in the dia-
nothing less than a «war between different modes»
logues» (Deleuze [2006]: 76) irradiates the sophist
waged through «the daily rejection of “minor”
idea, illuminating the obscured promise of plural-
modes of life, minority ways of living» (Pelbart
istic art. Reflecting momentarily on the literal and
[2014]: 256). These existences are «not only more
figurative conditions of possibility for seeing light
fragile, precarious and vulnerable (poor, crazy,
recalls Henri Bergson, whose theory of creative
autistic), but also more hesitant, dissident, and at
evolution dwells, like Merleau-Ponty’s chiasm, on
times more traditional than others (indigenous
the meanings of philosophical perception grant-
people); modes that are, on the contrary, still being
ed by optic biology. For Bergson, parsing diverse
born, tentative, even experimental (those still to
organic circumstances by which eyes adapt to
come, to be discovered, to be invented)» (Pelbart
receive the imprint of light addresses the ambigu-
[2014]: 256). Aesthetic responsibility, then, is a
ity of a process that, folding instinct into intelli-
charge to make the weaker existence stronger.
gence, entwines «the convergence of simultaneous
We do not own those modes of existence we
changes» with «the continuity of direction of suc-
instaur, Souriau tells us; they are not our proper-
cessive variations» in evolutionary movement that
ty but «rather an objective and a hope» (Souriau
is recurrent yet novel (Bergson [1948]: 77). Adap-
[2016]: 220). They do not belong to us, but we are
tive change is captured by the passive evolution
responsible before their destinies. «The statue will
of a pigment spot into a seeing eye: «[b]ut, from
not come about on its own accord; neither will
the fact that we pass from one thing to another
future humanity. The soul of a new society does
by degrees, it does not follow that the two things
not happen by itself, we must work at it» (Sou-
are of the same nature» (Bergson [1948]: 79). It
riau [2016]: 203). The labor of writing new worlds
is also dramatized by the rhetor’s active effort to
belongs to philosophical art, but it must admit
persuade: but «[f]rom the fact that an orator falls
the discomforting agitation of sophistical prac-
in, at first, with the passions of his audience in
tice as an abundant logos that proliferates choice
order to make himself master of them, it will not
toward consensus for change. This composition
be concluded that to follow is the same as to lead»
faces no less pressing an imperative to «proceed
(Bergson [1948]: 79). Nature would appear to col-
well» (Souriau [2016]: 203) than the «war among
lapse them, but each oscillates within the vital
modes» and its minoritization of existences. Some
impulse of a process driven, as instauration, by
may find irony in modeling the sophistics of Sou-
dually passive flux and active impetus in response
riau, given allegations of the philosopher’s own
to lived encounters.
aesthetics as hindrance to his work’s advancement.
Souriau might resist a close affiliation with
But perhaps we can take a note from Daniel L.
creative evolution, perhaps citing the uniqueness
Smith, who submits that difficult writing «can be
134 Casey Boyle

of chiasmatic demarcation. «This is Souriau’s anti- paratory acts. They are unleavened bread: imper-
Bergsonism», Lapoujade explains, «he isn’t inter- fect sketch, existence that has not yet undergone
ested in duration as a long-term synthesis that the essential test of emancipation and of autono-
gathers in upon itself […] in the revelation that mous subsistence» (Lawlor [2011]: 402). Aesthetic
decides everything, the revelation we know will responsibility is irreducible to moral correction
never fall back into the past because it is already or even creative ethics in and of itself. Sophis-
establishing our eternal future» (Laloujade [2021]: tics has freedom in defining obligations to lesser
41). In all constructive processes, the active and existence, but Souriau’s “flash of light” rekindles
passive proceed in wafts and waves, swirling lead- and kindles the amalgam of active and passive
ing and following into rhythm. In a relevant anec- engagements that constitute situational response.
dote from L’Instauration philosophique, translated «The philosophical labour results in the work
by Lawlor, Souriau reflects again on the philos- [ceuvre], and the work, by passing the shock
opheme (that is, philosophy as aesthetic responsi- back, illuminates the world from which it came»
bility) as more than «a simple making conscious»: (Lawlor [2011]: 401).
What does philosophy hope to instaur? Hope,
Do you know how one used to make those beautiful it must be said, is poignant as regards this phi-
tissue papers that would cover capricious little glitzy losopheme. Through whatever twist of autotelic
ornaments? One poured into a bucket of water some kairos, the dream of «a common, instaurative vec-
buoyant colours that one moved with a reed, mak- tion, which would be of a total, human signifi-
ing the colours undulate with the movement of the
cance and would be like the common framework
water. And when the colours looked good, one col-
for the expressions, whether philosophical or
lected them up with the sheet of paper, which was
artistic, of the human anaphor» (Souriau [2021]:
then dried. Even to suppose that the philosopher
attracts only a reflection – the shimmering in his
94) remained a lesser existence in Souriau’s own.
mind from thinking of the multiple actions of the Yet we are now in the moment of his recovery and
world upon him and of him in his reactions – still within the anaphoric rise of instauration. We view
it is necessary that he capture it, this reflection, and the esteem of Isabel Stengers, said to have read all
posit it separately in this microcosm of the philos- of Souriau’s writing; its carriage into the thought
opheme. The gesture that brings, that reconstitutes, of Bruno Latour, Vinciane Despret, and on in that
that constitutes in a separate and completely spirit- network of «string figures», per Donna Harraway,
ual world, that posits all these reflections at the end whose influences permeate whole worlds of criti-
separately in being, this is the philosophical gesture cism. Squint a bit, and we see hints of instaura-
par excellence. (Lawlor [2011]: 402) tion in Deleuze and Guattari’s ontologies; in Gil-
bert Simondon’s techno-aesthetics; in the aesthetic
Sophistical practice dilates this image, argu- revival associated with Jacques Ranciere, and so
ably, as a reminder of the philosopher’s art. It on. Perhaps these movements of passive absorp-
arrays, that is, gestural resources yielded up by tion as well active adoption reflect the aesthetic
the sophistical mode of existence, the vast discur- pleasure of assent through form to content, a suc-
sive possibilities for rendering color or capturing cession to sophistical practice not as mastery but
“glitz” – not in the superficial sense of adding sty- as a shifting affinity among modes by which an
listic flair, but rather in answer to the profound existence finds passage from one degree of real-
challenge of constituting the unique radiance of ity to the next. The creator instaurs existence,
the work-to-be-made. This is aesthetic responsibil- but existence instaured exceeds the creator. Mat-
ity: the imperative to labor on behalf of lesser exist- ter adapts to circumstance even as circumstance
ences. Yet again, Souriau cautions against inflating adapts to matter. «Where it has to direct a move-
the creator’s agency. In all instances, «intuition, ment, it begins by adopting it. Life proceeds by
meditation and reflection itself are still only pre- insinuation» (Bergson [1948]: 79).
Is Souriau Also Among the Sophists? 135

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10.36253/Aisthesis-13721

Copyright: © 2022 A. Nannini. This is an

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which permits unrestricted use, distri-
bution, and reproduction in any medi- Abstract. In this paper, I intend to analyze Baumgarten’s position about the dietetic
um, provided the original author and care of the body in its relation to nascent aesthetics, with special regard to the problem
source are credited. of physical exercise. On the one hand, I will show that physical exercise can acquire
aesthetic value with the example of the somatic fine arts. On the other hand, I will
Data Availability Statement: All rel- demonstrate that dietetics is also seminal for the emergence of every act of beautiful
evant data are within the paper and its
thinking. Eventually, I will bring to the fore the dietetic potential of beauty itself. In
Supporting Information files.
this way, it will be possible to better appraise the constitutive link between health and
Competing Interests: The authors beauty in the founding of aesthetics as an independent branch of philosophy.
have declared that no competing inter-
ests exist. Keywords: Baumgarten, Care, Physical exercise, Beauty, Health.

1. INTRODUZIONE

Nel presente contributo intendo analizzare per la prima volta la

concezione baumgarteniana della cura dietetica del corpo, e dun-
que della conservazione della salute, nei suoi legami costitutivi con
la nascita dell’estetica come disciplina. In primo luogo, mi propon-
go di inquadrare la posizione di Baumgarten riguardo alla dietetica
nella tradizione delle cosiddette «sei cose non naturali» di origine
ippocratico-galenica. In secondo luogo, mi focalizzerò su una speci-
fica voce di questa sestina, quella relativa all’esercizio fisico, eviden-
ziandone i nessi con la questione della bellezza, ossia la perfezione
della conoscenza sensibile (Baumgarten [1750]: §14). In particolare,
sostengo che Baumgarten non sia affatto contrario a un moderato
esercizio fisico, come affermato ad esempio da Richard Shusterman
(1999), ma apra la strada a una sua possibile considerazione este-
tica. In tal senso, analizzerò la discussione dell’allievo di Baumgar-
ten Georg Friedrich Meier circa le cosiddette «belle arti del corpo»
(equitazione, scherma, danza), esplorandone la relazione con speci-

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 137-146, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13721
138 Alessandro Nannini

fiche forme del bel pensiero1. In seguito, mi sof- Anche Christian Wolff menziona le sei cose
fermerò sull’importanza attribuita da Baumgarten non naturali nella Deutsche Ethik (1720: §487),
alla dietetica per l’innesco del bel pensiero tout delineandole in maniera più dettagliata nelle
court, sottolineando il significato degli esercizi Horae subsecivae marburgenses (1730) e nella pri-
corporei per l’ispirazione estetica. Da ultimo, ana- ma parte dello Ius naturae (1740: §§417-421)4. I
lizzerò un’altra categoria della dietetica baumgar- sei non naturali, afferma Wolff, sono cruciali per
teniana, la «mens sana» e la sua influenza sulla la dieta, intesa nel senso antico di preservazio-
salute corporea, nel tentativo di portare alla luce la ne della salute. La lista di Wolff segue fedelmente
convergenza essenziale tra il fine della dietetica e il il modello abituale: aria; moto e riposo (esercizio
fine dell’estetica. Sulla base di questa indagine, sarà fisico); sonno e veglia; cibo e bevande; secrezioni
possibile apprezzare meglio il nesso costitutivo tra e ritenzioni; affetti. In una lettera al conte Ernst
salute e bellezza nel momento germinale dell’este- Christoph von Manteuffel (7 gennaio 1743), Wolff
tica disciplinare. confessa di essersi confrontato su questa proble-
matica con il grande medico Hoffmann, che era
stato suo collega all’università di Halle. Un medi-
2. BAUMGARTEN E LA TRADIZIONE DELLE co, Hoffmann gli aveva confidato, può ottenere
«SEI COSE NON NATURALI» molto di più con l’indicazione del corretto uso dei
sei non naturali alle persone sane che non con la
Nel sesto libro delle Epidemie, Ippocrate sti-
somministrazione di farmaci ai malati; la corret-
la un elenco di «quelle cose per cui conserviamo
tezza di tale uso dipende, in relazione alla teoria,
la salute», e cioè «l’alimentazione, il riparo, la fati-
dalla fisica, e in relazione alla pratica, dalla morale
ca, il sonno, l’attività sessuale, l’attività mentale»
(Briefwechsel [2019]: 490).
(Ippocrate [1982]: 185). Nel commento fornito da
Baumgarten riprende la dottrina dei sei non
Galeno al trattato ippocratico, giuntoci in versione
naturali proprio in ambito etico, più precisamente
araba, il medico di età imperiale commenta diffu-
nella sezione sulla cura del corpo dell’Ethica philo-
samente i sei elementi nominati dall’illustre prede-
sophica (1740). L’obiettivo di tale sezione è quello
cessore (Galeno [1940]: 483 ss.)2, ponendo le basi
di fornire indicazioni sulla cura della propria vita
per quelle che la tradizione galenica successiva
biologica e sulla fuga dalle situazioni che la metto-
chiamerà «sex res non naturales»: «sei cose» esterne
no in pericolo, senza cadere negli opposti eccessi
alle componenti naturali del corpo, la cui alterazio-
del soverchio attaccamento alla vita stessa e della
ne è tuttavia in grado di influenzare, a seconda dei
totale noncuranza (Baumgarten [1740]: §§250-
casi, la preservazione della salute o l’insorgenza di
252)5. Articolando meglio la prassi somatica da
malattie3. Una tale dottrina, cruciale per la medici-
promuovere durante la vita, Baumgarten afferma
na occidentale, era ancora alla base della dietetica
che è necessario innanzitutto ricercare un’abitudi-
del primo Settecento tedesco, tanto nel vitalismo di
ne (habitus) alle azioni armoniche sia nell’intero
Georg Ernst Stahl (1708: 402-459) quanto nel mec-
corpo sia nelle sue singole membra: l’incolumitas,
canicismo di Friedrich Hoffmann (1715).
in particolare, riguarderà la coordinazione delle
parti e la dexteritas, le funzioni appropriate alle
1 Per la fondazione della disciplina estetica come un’im-
diverse membra (Baumgarten [1740]: §253). La
presa condivisa dei due autori, cfr. Nannini (2021c). destrezza corporea, in quanto acquisita attraverso
2 Sulle diverse classificazioni di tali fattori in Galeno e l’esercitazione, è agilità. L’agilità contribuisce alla
nella sua ricezione, cfr. Mikkeli (1999): 54-68.
3 Cruciale in questo senso resta Rather (1968). Della let-

teratura più recente, cfr. in particolare García-Ballester 4 Sulla filosofia della medicina in Wolff, cfr. Camposam-
(1993); importante per la dietetica del Settecento e per il piero (2016).
retaggio ippocratico è Sarasin (2001): 33-51; Zelle 2008: 5 Sull’ars moriendi di Baumgarten e sui suoi legami con

105 ss. l’estetica, cfr. Nannini (2019).

La dieta di Baumgarten. Esercizio fisico, salute e bellezza 139

perfezione del corpo sano e diminuisce l’imperfe- non di rado persino di restituire la salute stessa e
zione del corpo fiacco, e sarà per questo da ricer- il vigore del corpo» (Baumgarten [1740]: §255).
care senz’altro (Baumgarten [1740]: §256). L’abi- Baumgarten commenta brevemente i vari aspet-
tudine alle azioni armoniche, in quanto dipende ti, adottando come regola di fondo quella della
dalla natura non ostacolata, sarà detta «salute» moderazione. Al «motum» è riconducibile l’eserci-
(Baumgarten [1740]: §253), donde il dovere di zio fisico, così come la dialettica tra occupazione
perseguire la salute di tutto il corpo e delle sue e ozio: se Baumgarten perora la causa della vita
singole membra: «Sono sano quando il mio cor- attiva, egli non manca di sottolineare la necessità
po è in grado di fare la volontà della mia anima» del riposo, e in particolare del sonno, che è essen-
(Baumgarten [1907]: §45). ziale per la preservazione della salute (Baumgar-
Nella gerarchia di membra da preservare in ten [1740]: §§267-271). All’insegna dell’autocon-
salute il primo posto sarà dunque riservato alle trollo dovrà essere anche l’assunzione di cibo,
parti vitali del corpo umano, le cui lesioni sareb- quell’insieme di corpi che mediante la digestione
bero mortali. Al secondo posto, Baumgarten produce il chilo da cui a sua volta deriva il san-
nomina gli organi di senso e il sistema nervoso, gue. Quand’anche gli alimenti che mangiamo sia-
la cui integrità e salute è essenziale per una sen- no sani e ben cucinati, infatti, la voracità potrebbe
sazione corretta, e con ciò per tutte le percezioni portare a un eccesso di sangue, la pletora, causa
dell’anima (Baumgarten [1740]: §258). Ricorren- di molte malattie e infermità (Baumgarten [1740]:
do a una partizione galenica, Baumgarten dichia- §§259-261). Accanto al cibo, è cruciale anche l’ab-
ra che un grado elevato di salute è vigore corpo- bigliamento, ricompreso nella categoria del calore
reo, mentre lo stato già confinante con la malat- (Baumgarten [1740]: §266).
tia è infermità, languore e fiacchezza del corpo. Questa breve sintesi della dietetica in
Poiché la salute non dipende sempre dalla libertà Baumgarten permette di scorgere già diversi pos-
dell’uomo, sarà inopportuno vantarsi della propria sibili punti di contatto con la sua teoria estetica.
aitanza o accusare sé stessi per le proprie malat- Qui mi limiterò a evidenziare quelli relativi alla
tie (Baumgarten [1740]: §255). L’uomo, ad ogni questione dell’esercizio fisico e al ruolo della salute
modo, può predisporre un’arte che instilli, per della mente per la salute del corpo6.
quanto possibile, un habitus corretto in chiun-
que la persegua. Una tale arte sarà nient’altro che
la dietetica, la quale contiene le regole della dieta, 3. ARTI SOMATICHE
ovvero «la norma o il costume di vivere in modo
Nell’Ethica philosophica, come visto, Baumgar-
conforme a salute» (Baumgarten [1740]: §254).
ten consiglia l’esercizio fisico per migliorare l’a-
Le regole della dietetica saranno fondate sulle sei
gilità del corpo. Un tale esercizio, tuttavia, non
cose non naturali, e dovranno fornire indicazioni
deve giungere all’esasperazione, che Baumgarten
riguardo a 1) mens sana; 2) alimenta; 3) calor; 4)
identifica nella «passio athletica» e nella «passio
motum; 5) excretio. Già di primo acchito, è evi-
histrionica», l’eccessivo amore rispettivamente per
dente che le sei cose non naturali sono in realtà
la forza fisica e per l’agilità (Baumgarten [1740]:
cinque nella lista fornita da Baumgarten. Come
§256; Baumgarten [1750-1758]: §50). La critica
emerge dalle successive sezioni della sua opera, il
baumgarteniana alla «passio athletica» ha portato
sonno e la veglia sono stati sussunti sotto la voce
Shusterman a riscontrare in Baumgarten un’av-
«motum»; l’aria è stata sostituita dal calore; inoltre,
versione alla dimensione somatica, da cui discen-
Baumgarten sposta in cima alla lista la salute del-
derebbe una nascita incorporea o disincarnata
la mente, da cui dipende la possibilità di regolare
dell’estetica come disciplina. Lungi dal propugnare
anche gli altri elementi della dietetica.
Agendo su questi fattori in modo appropria- 6 Un altro aspetto importante è la cosmetica, cfr. Nannini
to, la dieta consente di «aumentare, preservare e (in corso di pubblicazione).
140 Alessandro Nannini

un’inimicizia per la corporeità, tuttavia, Baumgar- nobili, ed erano noti anche come «arti accademi-
ten qui non fa altro che porsi sulla scorta di quella che» (Encyclopédie méthodique 1786), proprio per
grande tradizione somatologica che è la medici- il loro legame con le accademie in cui venivano
na ippocratico-galenica, abbondantemente ripre- insegnati (Eichberg [1990]: 40). L’aspetto inte-
sa nella riflessione sull’esercizio fisico della prima ressante è che tali esercizi non hanno un valore
modernità da trattati come il De arte gymnastica esclusivamente dietetico, ma assumono anche un
(1569) di Girolamo Mercuriale, che definiva la coté esplicitamente estetico, in quanto contribu-
ginnastica atletica come viziosa (kakotechné per iscono a incrementare la bellezza del corpo uma-
Galeno). Attratti dalla speranza del premio e del- no in movimento (Meier [1756]: §693), in base a
la vittoria, infatti, gli atleti si prodigano a irrobu- pattern che possono arrivare alla codificazione di
stire unicamente i corpi, andando potenzialmen- vere e proprie arti somatiche.
te incontro a pericolose malattie, e al contempo A una tale eventualità Meier si mostra favo-
ottundendo la mente e intorpidendo i sensi (Mer- revole nel saggio dedicato al principio primo di
curiale [1573]: 69-71). Ne consegue che la condi- tutte le belle arti e scienze (1757), che per Meier
zione atletica (athleton euexia; diathesis athletikè) è coincide, senza troppe sorprese, con il principio
da condannare, perché non ha come scopo la salu- di perfezione. In un passaggio di questo saggio,
te, ma solo la competizione sportiva7. Meier afferma che esistono arti il cui fine con-
Il punto sarà allora quello di praticare degli siste nello sviluppo di belle abilità (Geschickli-
esercizi fisici che siano votati alla promozione del- chkeiten) del corpo. Tali arti non sono altro che
la salute piuttosto che all’agonismo, e che possano i nobili esercizi corporei consigliati in sede die-
al contempo sollecitare la mente. A questo propo- tetica: l’equitazione, la scherma e la danza. Meier
sito, Baumgarten ritiene che alcuni esercizi fisici lascia al lettore il compito di decidere se tali atti-
siano più nobili di altri, i cosiddetti «esercizi per vità possano essere considerate belle arti, dal
eminentiam» (Baumgarten [1740]: §256). Quali momento che le belle arti dovrebbero contene-
siano questi esercizi lo esplicita Meier, il quale nel- re regole che riguardano in particolare le belle
la sua Philosophische Sittenlehre si propone di for- azioni dell’anima. Meier sembra comunque pro-
nire un commento esaustivo all’etica di Baumgar- pendere per la loro inclusione: «Le belle arti e le
ten. Meier scrive che nell’antichità i grandi eroi belle scienze appartengono alla bella conoscenza
dovevano possedere l’abilità di condurre cavalli sensibile, che esse abbiano come fine precipuo
attaccati a bighe, un nobile esercizio che veniva le belle abilità dell’anima o del corpo» (Meier
presentato anche ai giochi olimpici equestri; nel [1757]: 50-51).
Settecento, tuttavia, l’auriga è ormai declassato a Sarà Herder a sancire la pertinenza artisti-
cocchiere. Tra i nobili esercizi corporei in voga nel ca delle arti corporee nella sua Kalligone (1800);
suo tempo, Meier menziona i tre principali: equi- Herder afferma che le arti votate alla coltivazione
tazione, scherma e danza (Meier [1756]: §681). (Ausbildung) del corpo e delle sue membra sono
Tali pratiche, che verranno progressivamente state chiamate «belle arti» da tutti i popoli (Herder
messe da parte con la nascita della moderna gin- [1800]: parte 3, 232-233). Per questo la ginnasti-
nastica8, facevano parte del canone di esercizi dei ca merita di essere inclusa tra le belle arti (Herder
[1800]: parte 2, 35-36). Una tale enfasi sarà ben
7 Scriveva Ippocrate: «Una condizione atletica non è natu- presto accolta da altri autori, ad esempio da Carl
rale; meglio trovarsi in uno stato di salute» (De alimento, Seidel, che nel suo Charinomos (1825-1828) iden-
34); cfr. anche Aphorismorum, I, 3 («In quelli che fan- tificherà come belle arti alcuni specifici esercizi
no esercizio fisico una condizione di benessere spinta al corporei: l’atletica; le danze marziali; le giostre a
massimo è rischiosa»); Galeno (2020): §9. cavallo, connesse all’idea di grazia; e il gioco con
8 Cfr. Jahn, Eiselen (1816), in cui a tali arti canoniche sarà
la palla (sferistica), che esalta la bellezza plastica
preferito un esercizio fisico più leggero come passeggiare,
correre, saltare, ecc.
del corpo umano (Seidel [1825]: 45-63). L’estetica
La dieta di Baumgarten. Esercizio fisico, salute e bellezza 141

dello sport trova in questa discussione un momen- la produzione della bellezza, ovvero il momento
to tanto cruciale quanto negletto9. in cui l’estetico dotato, forte dei necessari talenti
Già in Meier, ad ogni modo, il corpo nelle sue naturali e adeguatamente addestrato, si volge infi-
diverse posizioni codificate è inteso come uno speci- ne all’atto concreto del bel pensiero (Baumgarten
fico medium del bel pensiero, uno strumento con cui [1750-1758]: §§78-95; Baumgarten [1907]: §§78-
il bel pensiero può trovare espressione sensibile all’e- 89). Ad attivare le facoltà del bello spirito sarà
sterno. In tal senso, il corpo in movimento nelle bel- come da tradizione l’ispirazione, durante la quale
le arti somatiche rientra nella cosiddetta «semiotica il bello spirito avverte una vivificazione delle pro-
estetica», la terza sezione dell’estetica dopo l’euristica prie capacità di cui non riesce a rendere ragione e
e la metodologia (Baumgarten [1750-1758]: §13)10. che si manifesta nell’anima così come nel corpo:
E tuttavia, l’espressione somatica del bel pensiero «Un bello spirito – commenta Meier – può sem-
non può essere mai davvero disgiunta dall’inventio pre sentire (fühlen) nel proprio corpo quando è
del pensiero stesso, e dunque dal momento euristico. ispirato (begeistert)» (Meier [1748-1750]: §241). Se
Se l’anima percepisce il mondo secondo la posizio- l’origine dell’entusiasmo resta di difficile spiegazio-
ne del corpo, come afferma Baumgarten (Baumgar- ne12, sono tuttavia note una serie di occasioni che
ten [1757]: §741), ciò significa che solo un oppor- possono favorire questa condizione13. Le occasioni
tuno addestramento somatico consente di acquisire possono essere fondate nell’anima (come gli affet-
gli schemi espressivi in cui il pensiero sensibile più ti), nel corpo (come l’esercizio fisico) o nelle con-
perfetto è imbricato: il ballerino, ad esempio, non dizioni esterne (l’età, le condizioni di vita, ecc.)14.
può pensare bellamente in quanto ballerino – non Poiché però, sottolinea Baumgarten, tali oppor-
può avere un pensiero coreutico – se non mediante tunità si presentano sempre secondo la posizione
determinati movimenti del corpo. Attraverso l’alle- del corpo, è cruciale fare in modo che il corpo, per
namento, dunque, i vincoli corporei saranno almeno quanto possibile, sia nella condizione più favorevo-
parzialmente rimodellati in vista dei pattern somati- le per l’attualizzazione del bel pensiero. In effetti,
ci propri di una specifica arte, aprendo così ad aree Baumgarten continua, data la diversa costituzione
altrimenti inattingibili del bel pensiero. Da questo corporea di individui differenti, non tutti avranno
punto di vista, il corpo non fungerà solo da medium la medesima facilità nel giungere all’entusiasmo in
espressivo del bel pensiero, ma anche da strumento ogni momento. Il malinconico o comunque chi
inespungibile della sua invenzione11. è fatto per una vita sedentaria, ad esempio, dovrà
impegnarsi maggiormente a propiziare quelle
situazioni, come una cavalcata veloce, in cui la più
4. DIETETICA E ENTUSIASMO grande vivacità dei flussi corporei si trasferisce ai
moti dell’anima, sulla base della relazione dieteti-
Baumgarten, da parte sua, insiste sull’impor-
ca oltre che paronomastica tra Gemüth e Geblüth
tanza della dietetica nella fase culminante del-
(Hoffmann [1715]: 98 ss.). In questo caso, il bello
spirito diventa esso stesso Pegaso, che con il suo
9 Per i riferimenti bibliografici circa lo sport come arte, moto fa sgorgare la fonte di Ippocrene (Baumgar-
cfr. Welsch (2012): cap. 3, che tuttavia non segnala questo
ten [1750-1758]: §81; Meier [1748-1750]: §244).
precoce dibattito.
10 Per un commento, Tedesco (2000); Franke (2018).
11 Che l’esercizio somatico ai suoi massimi livelli richie- 12 Baumgarten sottolineerà l’importanza del sollevamen-
da e alleni al contempo anche l’immaginazione e il sen- to del fondo dell’anima in tale processo, cfr. Nannini
timento interno lo sottolineerà ad esempio Tetens, cfr. (2021b). Sull’entusiasmo estetico, cfr. Nannini (2022b):
Tetens (1777): 646-648, qui 647: «Die Fertigkeiten durch 114-116; Nannini (2023b).
den Körper zu wirken sind zum Theil Fertigkeiten in der 13 Tali occasioni avevano già attirato l’attenzione di Croce,

Seele, im Gefühl, in der Einbildungskraft, auch in dem cfr. Audisio (2016) e Migliorini (1986).
Verstande, insoferne große Gegenwart des Geistes dazu 14 Per questa tripartizione in riferimento all’Aesthetica di

erfordert wird». Baumgarten, cfr. [Anonimo] (1763): 351-357.

142 Alessandro Nannini

Meier, dal canto suo, citerà in particolare le passeg- estende la ricerca delle cause fisiologiche dell’entu-
giate nella natura, dove gli stimoli esterni possono siasmo dal dibattito poetico al dibattito estetico più
sollecitare i sensi e infervorare l’immaginazione. in generale, ma arricchisce anche la casistica delle
Proprio per questo motivo, i poeti, anche quando occasioni propizie in una vera e propria dietetica
sono nei loro studi, spesso e volentieri camminano del bel pensiero. Proprio perché le occasioni non
avanti e indietro (Meier [1748-1750]: §244). si producono sempre da sole, infatti, è necessario
La posizione più vantaggiosa del corpo adottare gli accorgimenti necessari per migliorarne
per l’entusiasmo sarà in generale la salute, ma l’innesco e imbrigliarne il potenziale attraverso la
anche l’ozio e l’assenza di oneri gravosi, quando corretta preparazione del corpo nella dimensione
la mente può affrancarsi dal pungolo degli affa- vitale dei suoi moti e dei suoi fluidi. Se nella sezio-
ri borghesi e aprirsi ai divini afflati (Baumgarten ne precedente abbiamo visto che un’azione dieteti-
[1750-1758]: §§82; 84). Le immagini fantastiche ca come l’esercizio fisico poteva acquisire di per sé
così come le previsioni del futuro, dunque gli un valore estetico, in questo caso il valore estetico
affetti, sono anche favoriti dalla giovane età e da non starà più nella forma di alcune azioni dieteti-
certe bevande fortificanti, che liberano dalle sen- che, ma nel loro esito; la dietetica, infatti, nel rego-
sazioni moleste del presente e giungono quasi a lare gli scambi tra l’interno e l’esterno, e dunque
confondere imaginatio e sensatio (Baumgarten anche nel modellare i confini del corpo, diventa
[1907]: §85). Ecco che allora Baumgarten, soste- cruciale non solo per le arti somatiche, ma per la
nuto da un intarsio di riferimenti classici, consi- genesi del bel pensiero tout court.
glia di sorseggiare un succo più generoso, come
l’acqua della mitologica fonte di Aganippe, o, in
sua assenza, il vino (Baumgarten [1750-1758]: 5. MENS NON EBRIA, SED SOLUTA CURIS
§86). Anche l’amore e le azioni veneree di un
L’esercizio fisico in ogni caso non è importante
pur casto estetico pongono il corpo in una posi-
solo per la categoria dietetica del moto, ma anche
zione favorevole all’entusiasmo. Non appena gli
per la mens sana. In quanto inserita nella dietetica,
estetici vedono la loro Lesbia, ripete Baumgarten
la salute della mente è considerata come uno degli
con Catullo, «la lingua si secca, e un fuoco sot-
elementi cruciali – il primo nella lista di Baumgar-
tile / cola nelle ossa, le orecchie / ronzano den-
ten – per la conservazione della salute (Baumgar-
tro e sugli occhi / scende la notte». Ma a tale
ten [1740]: §254). In questo contesto, il punto non
sdilinquimento dei sensi subentrerà ben presto
è più quello di determinare le condizioni del cor-
il momento artistico, dove gli estetici «inven-
po che favoriscono l’innesco del bel pensiero come
tano, scrivono, cantano, danzano, dipingono»
nel caso dell’entusiasmo, bensì piuttosto quello di
(Baumgarten [1750-1758]: §87).
determinare la condizione della mente più propi-
A uno sguardo d’insieme, una tale ricognizio-
zia alla salute del corpo.
ne consente di collocare Baumgarten sullo sfon-
A questo proposito, Baumgarten afferma che
do della tradizione aristotelica tesa a naturalizzare
la mente sana coincide con una «mens non ebria,
l’entusiasmo poetico, liberandolo da ogni retag-
sed soluta curis». Il motto è ripreso da una poesia
gio demonologico15. Rispetto ad autori classici di
di Marziale (X, 47). In tale componimento, l’epi-
questa tradizione come Gerhard Johannes Vos-
grammista latino espone l’ideale della vita buona
sius (1577-1649)16, tuttavia, Baumgarten non solo
secondo la morale epicurea. La «vita beatior», in
questo senso, include, tra l’altro, il vivere nasco-
15 Sull’idea di entusiasmo nella modernità, cfr. in partico-
lare Wels (2009): parte 2. sto, lontano da vertenze e incarichi pubblici, così
16 Per Vossius, il «furor poeticus», o più laicamente, come il possesso di un piccolo appezzamento ter-
l’«excitatio ingenii» dipende da cinque cause naturali: il
carattere melanconico; gli affetti; il vino; la musica e l’i- la prefazione alla sua Aesthetica, Baumgarten riconosce
mitazione dei modelli, cfr. Vossius (1647): 68-75. Nel- apertamente l’importanza di Vossius tra le sue fonti.
La dieta di Baumgarten. Esercizio fisico, salute e bellezza 143

riero; oltre alle condizioni esterne, la vita buona è re di vino, una cavalcata, un viaggio e aria pura e
connotata dalla serenità dell’animo, che Marzia- salutare» (Hoffmann [1715]: 115-116)20.
le esprime con il verso «nox non ebria, sed solu- Nonostante il riferimento alla Ruhe, alla quie-
ta curis», «notte non ebbra, ma libera (o meglio, te, la serenità non deve essere intesa come mero
sciolta) dalle preoccupazioni»17. Rifacendosi impli- acquietamento della mente, ma va piuttosto
citamente a questo verso, Baumgarten riferisce l’as- messa in relazione con la gioia, un affetto legato
senza di ebbrezza così come di preoccupazioni non alla dimensione del piacere sensibile (Baumgar-
alla «notte», ma alla mente stessa. In che modo è ten [1757]: §§679; 682) 21. Nella Metaphysica,
possibile contribuire a tale condizione? Il verso di Baumgarten definisce il piacere sensibile come lo
Marziale, di sapore epicureo, evoca l’importan- stato dell’anima derivante dall’intuizione sensibi-
za del piacere sensibile moderato, con particolare le di una perfezione (Baumgarten [1757]: §655).
riferimento al potere ricreativo del vino, che, senza Poiché per Baumgarten la bellezza è perfezione
portare allo stordimento, può «sciogliere» la men- fenomenica, e quindi una perfezione conosciuta
te dalle cure, liberando così da sensazioni moleste sensibilmente, la bellezza fornisce piacere sensi-
(Baumgarten [1750-1758]: §85)18. Non è un caso bile a chi la intuisce (Baumgarten [1757]: §662).
che tra gli epiteti di Dioniso vi fosse proprio quello Il piacere sensibile, dunque, è legato a doppio filo
di Lysios o Lyaios, lo «Scioglitore». alla bellezza: da un lato, la bellezza, in quanto
Cruciali nel fornire piacere sensibile mode- intuita, genera piacere sensibile; dall’altro, il pia-
rato sono per Baumgarten le cosiddette «deliciae cere sensibile, anche quello dell’esercizio fisico,
externae», l’insieme di quei passatempi che danno non può che derivare dall’intuizione sensibile di
gratificazione ai sensi esterni e all’immaginazione una perfezione, dunque dalla bellezza22. Se il pia-
(Baumgarten [1740]: §§290-292)19. Oltre ad atti- cere sensibile riveste un ruolo cruciale nel favori-
vità come lettura o musica e all’amabile convivia- re la salute della mente, e di conseguenza la salu-
lità delle conversazioni con gli amici e le persone te del corpo, ciò varrà anche per la bellezza che
dell’altro sesso, Baumgarten nomina in questa lista lo innesca. Da questo punto di vista, è evidente
anche una serie di esercizi fisici come viaggi, cac- che la bellezza assume in Baumgarten e Meier un
cia o passeggiate. Nel suscitare piacere sensibile, gli inaggirabile valore dietetico.
esercizi fisici contribuiscono alla distensione della In tal senso, il compito dell’estetica andrà oltre
mente, e dunque alla liberazione dalle preoccupa- il mero perfezionamento epistemico della cono-
zioni e all’insorgenza della serenità. In tal senso, scenza sensibile, nella misura in cui contribuisce
Baumgarten si allinea alle più importanti dieteti- alla tutela della salute in generale. L’estetica, infatti,
che del primo Settecento, che fornivano un elenco si propone di affinare la sensibilità con cui cono-
sostanzialmente coincidente delle pratiche volte a sciamo la perfezione alla base del piacere sensibi-
favorire la serenità della mente, e di conseguenza la le; essa, dunque, permetterà di regolare i piaceri
conservazione della salute. Potremmo prendere ad e i desideri sensibili dall’interno della sensibilità
esempio la grande dietetica di Hoffmann, il qua-
le citava tra le attività utili alla Gemütsruhe «una 20 Cfr. ad es. Zelle (2010).
piacevole conversazione con persone divertenti e 21 Per la gestione degli affetti è cruciale quella parte dell’e-
scherzose, una musica leggiadra, un buon bicchie- stetica (e della patologia) denominata «patologia estetica»
(Baumgarten [1757]: §678), cfr. Nannini (2021a).
17 Sulla vita beatior in Marziale, cfr. Adamik (1975). 22 Ciò non toglie che alla base del piacere sensibile ci
18 Sul luogo comune in poesia di bere vino fino a godere possa essere una perfezione che ci appare confusamen-
di un rilassamento piacevole ma senza giungere all’ubria- te come tale, ma che in realtà non lo è; in questo caso, il
chezza, cfr. Gerber (1988). piacere sensibile sarà sregolato e contrario alla salute, cfr.
19 Sul ruolo di tali passatempi in Baumgarten in rappor- ad es. Baumgarten (1740): §261, per il caso della golosità.
to alla dimensione edonistica dell’estetica, cfr. Nannini Proprio l’estetica, nel perfezionare la conoscenza sensibile,
(2023a). contribuirà a evitare per quanto possibile questo rischio.
144 Alessandro Nannini

stessa, senza farli sfociare in una nociva ebbrezza. cologico e somatico. Lungi dal ridursi a una mera
Nella misura in cui favorisce questa «igiene men- gnoseologia inferiore, l’orizzonte del progetto che
tale», «l’estetica – scrive Meier – rasserena la men- Baumgarten ci lascia in eredità si allarga in una
te» (Meier [1748-1750]: §§15; 22). Ancora una vera e propria «estetica della salute», o, se si prefe-
volta, non si tratta di una serenità nel senso dell’a- risce, in una «dietetica della bellezza».
patia stoica, ma di un innalzato livello di vitalità
legato all’allegria, a cui sono riconosciuti dei chiari
benefici dietetici: «L’allegria vivifica la nostra inte- 6. CONCLUSIONE
ra anima. […] La stessa salute del nostro corpo
Nel presente contributo, ho messo in luce l’im-
dipende dall’allegria. […] L’allegria è la miglio-
portanza dell’esercizio fisico e della dietetica per la
re medicina per molte malattie, essa ci fornisce
nascita dell’estetica come disciplina specialistica in
spesso un aiuto maggiore del medico più dotato»
Baumgarten e Meier. Attraverso l’indagine di pas-
(Meier, Lange [1748]: 100)23.
si poco noti dell’etica e dell’estetica di questi autori,
Non sorprende che per Baumgarten e Meier
analizzati nel loro contesto, ho sottolineato che il
la forma più alta di bellezza sia proprio la bellezza
corpo è tutt’altro che assente dal battesimo dell’este-
viva24. La dimensione della vita, che nella tradizio-
tica. Al contrario, il suo esercizio può favorire non
ne luterana indicava la fede capace di portare frut-
solo l’emersione di specifiche forme di bellezza di
to, viene qui a qualificare quella forma di bellezza
cui l’estetica deve tener conto, come nelle arti soma-
capace, secondo le occasioni, di generare e acquie-
tiche, ma anche la stessa vivificazione delle facoltà
tare gli affetti, e dunque di attivare e insieme ras-
dell’anima che è alla base del processo del bel pen-
serenare la mente25. Pensare in modo bello e vivo,
sare in quanto tale. Al contempo, proprio la dimen-
perciò, sarà la condizione della mente che più con-
sione della vivificazione ha permesso di evidenziare
tribuisce alla salute del corpo. La vetta dell’estetica,
la centralità dell’estetica nel rasserenare la mente, e
la bellezza viva, e la vetta della dietetica, la «mens
dunque nel tutelare la salute in generale. Non solo
non ebria, sed soluta curis», convergono così nel-
la dietetica si dimostra cruciale per l’innesco della
la promozione di un benessere ad un tempo psi-
bellezza, dunque, ma la stessa pratica del bel pen-
sare si rivela a sua volta un’attività dall’ineludibile
23 Il numero della rivista (“Der Gesellige”) qui citato è da valenza dietetica. Dietro all’ars pulchre cogitandi si
attribuire a Lange, sebbene le idee fossero condivise dai scorge già l’esigenza di una ars pulchre vivendi.
due editori, Meier e Lange. Meier, da parte sua, dediche-
rà il primo trattato dove sono applicati i principi estetici
al problema degli scherzi e della risata, cfr. Meier (1744). BIBLIOGRAFIA
Nella letteratura, l’importanza della dimensione dietetica
dell’allegria è stata segnalata soprattutto in riferimento Adamik, T., 1975: Martial and the «vita beatior»,
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gioia e l’allegria, la filosofia di Baumgarten resta cruciale, mischte Beyträge zur Philosophie und den
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24 Per la bibliografia su questo tema, cfr. Nannini (2014); Audisio, F., 2016: Croce e un luogo dell’Aesthetica
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Su questo tema e sui legami con Baumgarten, mi soffer- Firenze, pp. 1-10.
mo in Nannini (2022a): cap. 5.
25 Come noto, Baumgarten non riesce a scrivere la parte
Baumgarten, A.G., 17574: Metaphysics ed. inglese
dell’Aesthetica relativa alla vita estetica. Cfr. comunque a cura di C. Fugate, J. Hymers, Bloomsbury,
Baumgarten (1743): §15 e Meier (1748-1750): §§178-212. London, 2014.
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Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

Eco-aesthetics. The art and aesthetics of

relations from a post-pandemic perspective
Citation: G. Fronzi (2022). Eco-aesthetics.
The art and aesthetics of relations
from a post-pandemic perspective.
Aisthesis 15(2): 147-161. doi: 10.36253/ Giacomo Fronzi
Aisthesis-13713
Università degli Studi di Bari «Aldo Moro»
Copyright: © 2022 G. Fronzi. This is an [email protected]
open access, peer-reviewed article
published by Firenze University Press
(http://www.fupress.com/aisthesis) and Abstract. «What does art mean in a world where urgency predominates, a world that
distributed under the terms of the Cre- now exhausts its annual quota of renewable resources in July?» (Bourriaud [2021]: 7;
ative Commons Attribution License, my translation). The climate crisis (which began in the last century, but whose conse-
which permits unrestricted use, distri- quences have become increasingly worrying in recent years), the Covid 19 pandemic
bution, and reproduction in any medi- that struck the planet in 2020 and the recent conflict between Russia and Ukraine in
um, provided the original author and the heart of Europe are epoch-making phenomena that are inevitably reshaping the
source are credited.
present and future of human societies. With respect to this situation, is art being called
Data Availability Statement: All rel- into question or, on the contrary, is it an essential tool for rethinking the world of
evant data are within the paper and its tomorrow? More specifically, is public art today a lost cause or an opportunity? In this
Supporting Information files. article, I will try to place these questions within the framework of what we might call
eco-aesthetics, which has an essential connection to the category of “relations”.
Competing Interests: The authors
have declared that no competing inter-
Keywords: Public Art, Contemporary Art, Relations, Ecology, Contemporary Aesthetics.
ests exist.

1. ECO-AESTHETICS (I)

«Non uccidete il mare, / la libellula, il vento. / Non soffocate il

lamento / (il canto!) del lamantino. / Il galagone, il pino: / anche di
questo è fatto / l’uomo. E chi per profitto vile / fulmina un pesce,
un fiume, / non fatelo cavaliere / del lavoro. L’amore / finisce dove
finisce l’erba / e l’acqua muore. Dove / sparendo la foresta / e l’aria
verde, chi resta / sospira nel sempre più vasto / paese guasto: “Come
/ potrebbe tornare a essere bella, / scomparso l’uomo, la terra”»1
(Caproni [1998]: 788).

1 «Don’t kill the sea, / the dragonfly, the wind. / Don’t suffocate the lament
/ (the chant!) of the manatee. / The bush-baby, the pine tree: / of this too is
made / man. And don’t make those who for vile / profit electrocute a fish, a
river, / knights of the order of merit / for labour. Love / ends where the grass
ends / and the water dies. Where / the forests and green air / disappear, those
who remain / heave a sigh in the ever more vast / land of waste: How / could
it be beautiful again, / the land, with the absence of man» (trans. by M. Cola-
rossi https://paralleltexts.blog/2019/08/05/giorgio-caproni-versicoli-quasi-eco-
logici-almost-ecological-versicoli/).

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 147-161, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13713
148 Giacomo Fronzi

In the poem Versicoli quasi ecologici, Giorgio When speaking of eco-aesthetics, we might ini-
Caproni takes a stance on the issues and dilemmas tially refer to an aesthetics that focuses on ecol-
that began to emerge with increasing concern in ogy as a “whole” and on human practices that
the 1970s and 1980s. Driven above all by the logic start from certain artistic forms and become ori-
of profit, human beings, who account for a very ented towards the remodulation and reconfigura-
small proportion of the natural world, are “spoil- tion of the relationships between human beings
ing” what makes our planet beautiful, making it and nature, human beings and progress, growth
increasingly unbearable. However, it is essential to and degrowth. By transcending the distinctions
place ecological issues, the relationship between between rational aesthetics and the aesthetics of
human beings and nature, and the balance feeling, between the aesthetics of form and the
between the quality of life, progress and respect aesthetics of content, between the aesthetics of
for the environment within a framework in which production and the aesthetics of reception, a range
the aesthetic dimension and reflection are central. of theoretical and methodological approaches are
Caproni rightly points out that planet Earth brought together.
would continue to exist without human beings, yet From this point of view, this hypothetical
we could hardly consider it “more beautiful”. This eco-aesthetics has some affinities with the notion
is because the judgement of taste can only be for- of integral ecology proposed by Pope Francis in
mulated by human beings, in whose absence the his encyclical Laudato si’ (2015). In it we read:
judgement of taste, hence the assessment of the «Since everything is closely interrelated, and
beauty of our planet, would also be lacking. Nev- today’s problems call for a vision capable of tak-
ertheless, the responsibility we have for the place ing into account every aspect of the global crisis,
we inhabit requires a theory and practice that are I suggest that we now consider some elements
commensurate with the situation. If, in a general of an integral ecology, one which clearly respects
sense, praxis is the domain of politics and moral- its human and social dimensions» (Franciscus
ity and theory is the domain of science and phi- [2015]). The proposal for an integral ecology is
losophy, then we can also say, in a specific sense, underpinned by a number of premises: (a) the
that praxis is the territory of art and theory is the need to insist on the interconnections between
territory of aesthetics. time and space, between living organisms and
If we see ecology not as a “field of study” but the environment, between nature and society and
as the “whole”, that is, «the dynamic process of between the environmental crisis and the social
life’s continuous transformation and evolution», it crisis; (b) the existence of a socio-environmental
will appear to us «as a single entity that encom- crisis to which one must respond not with the
passes everything, generating continuous differ- fragmentation of knowledge, but with an attempt
entiations that become those different identities, to provide an integrated and broad vision of real-
the crystallisations that we find everywhere in ity; (c) the need to think of reality as a plurality
the interstices of experience. This is what we call of deeply and closely connected “ecosystems”; d)
– abstracting – organisms on the one hand and the urgency of placing the quality of life of indi-
environment on the other. There is thus no ecol- viduals (the «ecology of daily life»), communities
ogy without perception» (Perullo [2017]: 18; my and institutions at the centre of public debate,
translation; see Perullo 2021). If there is no ecol- political action, scientific research and theoreti-
ogy without perception, there can be no reflection cal reflection, within the framework of a «social
on ecology in the absence of aesthetics. On the ecology»; and e) the need to preserve the histori-
contrary, aesthetics, in the form of the philosophy cal, artistic and cultural heritage of communi-
of aesthetic experience, presents itself as a disci- ties («cultural ecology»), as well as the immense
pline capable of responding to the universalising cultural variety whose richness is threatened by
and all-encompassing characteristics of ecology. unchecked globalisation.
Eco-aesthetics. The art and aesthetics of relations from a post-pandemic perspective 149

The universal interrelationship that underlies ronmental issues has become particularly urgent
integral ecology is also the prerequisite for any in recent decades. This led to the emergence at
philosophical approach that seeks to investigate the beginning of the 2000s of a worrying absence
not just the relationship between human beings of lively “philosophical debate” concerning cer-
and the environment, but also, in a more specific tain issues capable of transcending the boundaries
sense, the question of “relations” in the aesthetic of academic dialogue. As Charles Brown and Ted
sphere. Toadvine have rightly pointed out, «Although a
few voices can be heard calling for philosophical
examination of our predicament, they are a small
2. ECO-PHILOSOPHY. SOME ANNOTATIONS minority. For the most part, we are living through
a massive cultural propaganda exercise dedicated
In order to focus on eco-aesthetics, it is first
to the task of convincing ourselves that the domi-
necessary to emphasise certain aspects of contem-
nant cultural forces have identified the problem
porary thought oriented towards a possible “eco-
and are working steadily toward appropriate solu-
philosophy”.
tions» (Brown, Toadvine [2003]: ix).
Philosophy has been addressing the environ-
At the turn of the millennium, Brown and Toad-
mental crisis and the development of ecology,
vine lament, philosophy still seemed to have found
particularly in the field of ethics, since the 1960s.
neither an effective voice in the fight against the
Approaches such as the ecological ethics of Aldo
environmental crisis nor a clear role in the search
Leopold (1968), the “deep ecology” of Arne Naess
for a sustainable human presence on Earth. Twenty
(1973, 1989, 2002) and the environmental eth-
years on, the situation does not seem to have sub-
ics of William Blackstone (1974) have gradually
stantially changed. Certainly, at the level of public
moved towards more specific questions. Once it
opinion, sensitivity towards the environment has
had been accepted that the sphere of moral con-
increased, not least as a result of the international
sideration cannot be limited to human beings
“Fridays for Future” movement. However, in addi-
(traditional ethics) and animals (animal ethics),
tion to the lack of a radical political breakthrough
but must be extended to nature in its entirety, the
on the part of the Earth’s most powerful figures,
need to thematise the “ecological crisis” emerged.
philosophy is struggling to make itself heard with a
The natural environment is no longer con-
strong voice. It might be wondered whether this is
sidered a mere “stage” on which human affairs
due to an inability to communicate or to a closure
unfold, but a unitary organism of which the
of public opinion towards philosophy, but let us
human being is a part. This means that a) human
return to Brown and Toadvine’s proposal.
beings must exercise increasingly stringent and
According to the two philosophers, phenom-
active responsibility with regard to natural ecosys-
enology can play an important role in the philo-
tems; b) the destruction of nature must entail the
sophical analysis of our relationship with the natu-
self-destruction of the human being.
ral world. As a philosophical method it is particu-
Leaving aside now some of the directions
larly suited to solving the dilemmas posed by the
taken by 20th century continental philosophy2,
ecological crisis thanks to two essential character-
it should be noted that the need for a revival of
istics, both of which are opposed to the reduction-
philosophical (and aesthetic) reflection on envi-
ism of science: a) the return to “things themselves”
and b) the critique of scientific naturalism. The
2I refer in particular to Martin Heidegger’s idea of the combination of ecological thinking and phenome-
Um-welt, Hanna Arendt’s idea of the world as a home for nology has given rise to what is known as eco-phe-
humans during their life on earth, Hans Jonas’ principle nomenology. It «is based on a double claim: first,
of responsibility and Karl-Otto Apel’s exploration of the that an adequate account of our ecological situa-
relationship between ecological crisis and the ethics of
discourse.
tion requires the methods and insights of phe-
150 Giacomo Fronzi

nomenology; and, second, that phenomenology, Civilisation is the result of an organic rela-
led by its own momentum, becomes a philosophi- tionship between existence, culture and science.
cal ecology, that is, a study of the interrelationship This relationship manifests itself as much between
between organism and world in its metaphysical truth and history as between eternal forms and
and axiological dimensions. Of course, this cross- the process of becoming. Whitehead’s entire phi-
disciplinary inquiry is still in its infancy; how the losophy is based on this dialectic between eter-
dialectical exchange between ecological thinking nity and possibility, rejecting the idea that the
and phenomenology will operate is a matter that world and life can be explained as if they were a
only future work can determine. Nevertheless, the mosaic whose tesserae (pieces of matter in space
essays we have collected here provide a first sketch and time, Whitehead would say) are linked in an
of the contribution ecophenomenology can make exclusively causal relationship. In fact, the world
for us today» (Brown, Toadvine [2003]: xiii). is much more than the causal relationships that
What we are particularly interested in is the hold its parts together, which are to be considered
centrality of the category of relations in the eco- above all in terms of their reciprocal relationship
phenomenological approach. In Brown and Toad- and the more general context of a universal con-
vine’s proposal, the interdisciplinary examination nection: «every event in nature is connected to
sought by phenomenology can contribute to an the history of the universe» (Paci [1965]: 35; my
analysis of the historical and institutional con- translation).
struction of the “natural” and the role it plays in If we seek to emphasise the centrality of rela-
the formation of our individual and cultural iden- tions and experience, the comparative analysis
tity. In the volume edited by the two philosophers, proposed by Enzo Paci may be useful. He traces
this eco-phenomenology arises, as we have said, the similarities between Whitehead’s and Hus-
from the combination of Husserl’s phenomenol- serl’s thought to three issues: a) the relationship
ogy with contemporary environmental thought. between the “life-world” and scientific formalisa-
However, there is no reference to Alfred North tion and logic; b) the intentional and teleological
Whitehead’s organicism (and its combination with character of the concrete process and the histori-
Husserl’s thought), which, from my point of view, cal process; c) universal correlation.
may be more useful in emphasising the need for Both Whitehead and Husserl are critical of the
an eco-philosophy oriented towards the construc- distance that has been created between the world
tion of a new relationship with nature. of science (made up of formalisations, ideal mod-
Whitehead is convinced that the adven- els, conceptual constructions) and the world of
ture of existence and the path of culture and sci- concrete reality (which, in our case, includes the
ence (hence the developments of civilisation) natural environment). According to Whitehead, it
are directed towards truth, whose laws, despite is not perceptions that originate in mathematical
human beings’ crises and failures, are destined formalism, but the opposite: the latter is generated
to triumph. This tendency towards harmony and by abstraction from the real process. Science on
perfection is compatible with human failures the other hand assumes and poses its own abstrac-
because this movement towards perfection is not tions as concrete realities. This critique of misplaced
linear, but dialectical. As Enzo Paci has written, concreteness highlights the concretisation of sci-
it results from «collision and adaptation between entific abstractions, a process which, without del-
actual occasions and groups of occasions, between egitimising scientific research and its function, has
organisms and organisms, between determinate inevitably led to the abandonment of what is really
forms and determinate forms, between contrasting concrete, namely the «Field of Life» (Whitehead
forces that cancel each other out or anaesthetise [1920]) and, we might add, the “field of nature”.
each other or find a higher harmony in the con- Paci finds in this position of Whitehead’s an
trast itself» (Paci [1965]: 146; my translation). echo and a strong analogy with Husserl’s criticism
Eco-aesthetics. The art and aesthetics of relations from a post-pandemic perspective 151

of the European sciences, considered responsible has clearly emerged in the time of “social distanc-
for having constructed idealisations and objectivi- ing”); 2) it adopts a “relationist” approach to the
sations that have left behind the original, primary reading of reality that can be presented as a «cul-
and concrete relationship with the Lebenswelt, the tural programme still and always open to all pos-
only common and perceptible universe. It should sible integrations», since «the relationist attitude»
be remembered that for Husserl, the Lebenswelt is fundamentally «anti-systematic and program-
(the definition of which can also apply to White- matically open» (Fanizza [1965]; my translation). In
head’s «Field of Life») «represents a connection this general framework, aesthetics finds its proper
of pre-scientific experiences, around which every place, understood both as a philosophical discipline
type of human experience, including scientific (which investigates the articulations of sensory
experience, must be oriented, because it consti- experience in all its forms) and as a fundamental
tutes the sensed structure of the world, that is, characterisation of our relationship with the world.
the foundation of meaning to which every obser- The aesthetic theorisation of relationships can
vation of reality must refer, since the Lebenswelt take shape in very different ways. Recently, for
is the unitary and unique world of life» (Signore example, Roberto Diodato (2021) articulated a
[2006]: 222; my translation). Thus, the world of proposed «aesthetics of relations» by specifying
experience arises first and foremost from percep- that it is not an aesthetics of “relational properties”
tion, and its proper dimension is (as Whitehead or semi-things or atmospheres (Griffero [2010],
would say) concretely perceived time, or (as Hus- [2013], [2016]). As Diodato points out, the geni-
serl says) lived time. However, here we approach tive in «aesthetics of relations», is both subjective
the aesthetic sphere, which we will return to in the and objective, and thus it delineates both an onto-
final paragraph. The reference to eco-phenome- logical and epistemological field: «The aesthetic
nology and Whitehead offers us a theoretical field logos, that is to say, the logos which is aesthetic,
of reference to support the hypothesis of an eco- hence a body as much as the body is logos, implies
aesthetics. In the meantime, since relations are the relation as such, which is what makes what we
considered central, let us now proceed with other call aesthetics possible, that is to say, to complete
possible interpretations of this concept. the circle, the exercising of aesthetic logos (Dioda-
to [2021]: vii)». As the author himself explains, in
his proposal, starting from the notion of the sys-
3. RELATIONIST AESTHETICS, RELATIONAL tem, an investigation of relations as a basic prin-
AESTHETICS, AND THE AESTHETICS OF ciple, as a constitutive entity, is presented. This
RELATIONS
conception of relations finds its model of reference
in «subsistent relations»: «This becomes especially
As I have already mentioned (Fronzi [2009]),
clear by means of an inquiry into virtuality and its
the twentieth century was a cultural epoch in
ontology as resistant to commonly available cat-
which the dominant principle – as Giuseppe Sem-
egories. Existing only thanks to interactivity, vir-
erari states – was that of relations, as opposed to
tual bodies are indeed an ontological hybrid; the
the principle of substance (Semerari [1991]: 18).
plexus of body and image, object, and event, inter-
The centrality of the principle of relations repre-
nal and external, artificial and living; existing only
sents the inevitable starting point for a discourse
thanks to interactivity, they make an exemplary
focused on how contemporary art can (or cannot)
case for the primary nature of the category of rela-
establish a transformative relationship with reality.
tion, especially when appearing within the context
Emphasising the centrality of the category of rela-
of artistic operations opening new horizons of aes-
tions has a double advantage: 1) it draws attention
thetic and ethical potential» (ivi: ix).
back to the relational dynamic, from which one
Another possible interpretation of the role
cannot escape (and whose psychophysical density
of the “relations” in aesthetics is that proposed
152 Giacomo Fronzi

by Fabrizio Desideri (Desideri [2004], [2011]), nation of the philosophy of relations, recalls how
who attributes to this notion a central role in the John Dewey, as a philosopher «of universal inter-
mechanisms of aesthetic experience. According relations», was concerned with «re-establishing
to Desideri, the aesthetic relation must be dis- the relationship between art and “normal experi-
tinguished from the relational character of other ence”, […] experience understood as the interac-
types of perception. In fact, unlike other forms of tion of historical events. There is therefore on the
relation to the object, in the case of the aesthetic one hand a substance and a spiritual activity that
relations it presents itself as an event, an occur- can be called art, and on the other hand another
rence, something that has its own intimate even- activity that can be called philosophy or history»
tuality. In this context, the relation – whose char- (Paci [1954]: 184; my translation). Again based on
acteristics already emerge in Kant’s Third Critique Dewey’s reflections, Paci affirms that the «aesthetic
– must be considered in its double articulation: category» is always present in experience and in
internal and external. Without the internal level, the spirit, otherwise it «would not be a category,
Desideri argues, we would drown the specific- a form, an activity, a necessary mode of universal
ity of aesthetic pleasure in a generic emotion with interrelation» (ivi: 185; my translation). Art, con-
no object other than itself, or in some phantasm tinues Paci, «is comprehensible only when con-
of memory or imagination. Without the latter, the nected to the structure of form and to the fact that
index of reality, albeit sui generis, of the aesthet- everything that exists, in nature and in human life,
ic object would fall away and the experience of it as well as in the universe in general, could not exist
would be confused with a pure imaginative pro- if it did not have a form» (ivi: 198; my translation).
jection, bordering on reverie (Desideri [2004]). Concerning the question of art, the primary
Now, however, I would like to focus on a few and immediate consequence is «the discovery
theoretical directions that, over the last fifty years, that one cannot pose this problem in terms of the
have made further contributions to the investi- absolute autonomy of the artistic sphere» (Fanizza
gation of the relations in the aesthetic field (or [1965]: 13; my translation). The idea of universal
the aesthetics of the relations), firstly, in the Ital- interrelations implies (and this is a further reflec-
ian context with Enzo Paci and Franco Fanizza, tion within relationist aesthetics) that the artis-
and secondly, in the French context with Nicolas tic fact should also be considered in terms of its
Bourriaud. To insist (a) on relationism (and the intrinsic relationality and not within a presumed
associated relationist aesthetics), (b) on the esthé- radical and absolute autonomy, since «although
tique relationnelle and (c) on the aesthetics of rela- never necessarily determined, art is always rela-
tions as it might be declined in this context may tive autonomy» (ivi: 14; my translation). Every
seem ambiguous, equivocal, and unclear. The single artwork, from the point of view of a rela-
terms of the question should therefore be prem- tionist aesthetics, should be considered in terms
ised and put in order. of «tension», serving as a node between past and
potential relations, and therefore within a rela-
(a) Enzo Paci has pointed out how modern tional system oriented towards the active trans-
Western thought has truly overcome the metaphys- formation of the past into the future. Questions
ics of substance without relations. Put simply, this arising from the «possibility» of relations are of
metaphysics was vitiated by the conviction that it no small importance and particularly problemat-
could reduce the multiform existent to a self-suf- ic, since «relations are connected from the outset
ficient unity. However, in the philosophy of rela- to the risk of non-relations or, in other words, of
tions, the «forms» do not become «substances» the impoverishment of relationality» (ivi: 19; my
but on the contrary, an attempt is made to identi- translation), that is, alienation.
fy their possible interdependencies. Paci, who did Relationist aesthetics is therefore a vision of
not fail to reflect on the possible aesthetic decli- both reality experienced perceptually and there-
Eco-aesthetics. The art and aesthetics of relations from a post-pandemic perspective 153

fore «felt» (Whitehead-Paci) and the aesthetic the object in question with elements external to it,
conception within the framework of relationism. which are not perceptible. And it is thanks to the
In the latter case, it rescues the artwork from an identification of the relational properties that link
inconclusive and inconceivable isolation, insert- an artwork to everything that the eye or the senses
ing it into a relational-communicative fabric. It cannot attest to that the interpretation and conse-
also serves as «a multidimensional aesthetics» or quently the understanding of that work is made
more precisely as «an aesthetics of creation-con- possible (Danto [1981]).
sumption» (ivi: 20; my translation). An essential The topic of relations (or «family classes») has
element of the relational perspective that this aes- been prominent in analytical aesthetics since the
thetics recognises is its substantial transcenden- mid-1950s. In his paper The Role of Theory in Aes-
tal dimension, understood as a dimension within thetics (1956), Morris Weitz initiated an intense
which what one wishes to say cannot but assume debate on the essence of art, a debate within
the connotations of the indefinite and ambiguous: which the relational question emerged. The dis-
«The principle of transcendentality is intended to cussion Weitz started has involved philosophers
underline the continuous overflow of meanings such as Mandelbaum, Dickie, Wollheim, Levinson,
despite all attempts to contain them within fixed Beardsley and Danto, whose proposal, as we said,
boundaries» (ivi: 27; my translation). is centred on the identification of those relational
Although there is no direct link between properties that allow an artwork to be presented
this strand of continental philosophy and the as such3. Danto’s theory can be included among
Anglophone analytical philosophy of the second the various ways of investigating art by means of
half of the twentieth century, parallels between the category of relations, although from the point
their respective conclusions can be seen. To be of view of the aesthetics of relations, which we are
more precise, if we take Arthur Coleman Dan- dealing with here, the reflections of the aforemen-
to’s thought as an example (though certainly not tioned exponents of analytical aesthetics seem to
exhaustive) of the analytical approach to certain be similar to the relationism of Paci and Fanizza.
typical themes in aesthetics, such as the question Indeed, in both cases, reference is made to the
“what is a work of art?”, we can see how the cat- web of relations within which the work of art is
egory of relations has taken on very important inserted, and which cannot be ignored if we seek
connotations in this sphere too. Starting from to interpret and understand that work. Therefore,
the criticism of those theses of Wittgensteinian albeit with a degree of distortion, this declination
origin according to which art and artworks are of analytical aesthetics could be included within
something that cannot be defined (as is the case, the relationist orientation.
for instance, with the theories of Morris Weitz),
Danto attempts to propose and follow a way to (b) Aesthetic theory consists of «judging art-
reach the essence of art. This hypothesis is based works on the basis of the inter-human relations
on a central element in Danto’s thinking, which he which they represent, produce or prompt» (Bour-
arrives at by starting from the enigma – as with riaud [2002]: 112). This is how Nicolas Bourriaud
Duchamp’s bottle rack or Warhol’s Brillo boxes – defines relational aesthetics. While in the case
whereby two perceptually indiscernible, completely of Paci or Fanizza it was somehow a question of
identical objects possess different ontological sta- applying the categories of relationism to aesthet-
tus, such that one becomes an artwork and the ics and its problems and therefore of reading aes-
other remains an object of common use. Start- thetics through the lens of relationism, for Bour-
ing from this problem, Danto tries to solve the
enigma not by starting from the differences of an
«aesthetic» (i.e. sensorial) nature, since there are
3On relations in analytic aesthetics, see Weitz (1956);
Danto (1964, 1973); Mandelbaum (1965); Dickie (1969,
none, but from the relational properties that link 1974); Levinson (1979); Beardsley (1981).
154 Giacomo Fronzi

riaud it is a question of proposing an aesthetic tional artworks is a merely procedural matter, with
theory that evaluates works of art starting from an no reflexive basis (Michaud [2003]).
analysis of their capacity to produce inter-human
relations. This tendency constitutes a distinctive (c) From what has been said so far, the aes-
feature linking all those artworks created in the thetics of relations, which in the following pages
1990s that Bourriaud himself has defined as «rela- we will try to bring out, could be said to merge
tional». By relational art we mean «a set of artistic the basic characteristics of both relationist and
practices which take as their theoretical and prac- relational aesthetics. It begins to take shape with
tical point of departure the whole of human rela- Kant’s treatment of the universal communicabil-
tions and their social context, rather than an inde- ity of beauty, which is joined by the notion of the
pendent and private space» (ivi: 113). «aesthetic community» proposed by Antimo Negri
With the introduction of this notion, the (1968). From Kant’s reflections, intertwined with
French critic emphasises some specific traits of the thought of Schiller, arises the controversial
a relational work of art, which in some ways run and complex question of the sublime, which in
counter to the relationality cited by Paci and the twentieth century has frequently been used to
Fanizza. Relationist aesthetics focuses on the web “read” contemporary aesthetics and poetics.
of relations (temporal, historical, social, cultural, It is precisely Kant’s sublime that enables the
etc.) within which the artist, the work of art and direct passage from the eighteenth century to the
the user are placed. In contrast, the relational avant-garde of the early twentieth century, when
works of art to which Bourriaud refers tend to try it becomes necessary for the artist to involve the
to cut the threads that bind them and would allow public, sometimes in a shocking way and some-
them to be swallowed up by the very inauthentic times in a more simply participatory way. In the
system that they ultimately seek to oppose by pro- 1970s, these developments, which also marked the
viding an alternative to it. But how? By creating poetics of the post-war neo-avant-garde, favoured
environments and situations of confrontation and the creation by Hans Robert Jauss (1982) of a new
cooperation in which authentic and disinterested approach – traces of which can already be seen in
inter-human relations can be created and mul- Umberto Eco’s Opera aperta (1962) – in which the
tiplied. In this way, relational works of art create work of art is no longer analysed from the point
a sort of parallel reality, a suspended territory, an of view of its production (aesthetics of creation),
intermediate zone to which the artist adds human but from that of its consumption (aesthetics of
and community shades. reception).
Despite the references of a sociological and Artistic research from the 1950s onwards
almost political nature, Bourriaud’s relational aes- became increasingly attentive to the inclusion of
thetics probably lacks a more open perspective the user in the mechanisms triggered by the art-
(which in contrast characterises relationist aes- works. With the relational art which Bourriaud
thetics), according to which the degree of rela- refers to, this arrived at the direct and active
tionality of an artwork is linked not exclusively involvement (indispensable for the success of the
to its capacity to produce inter-human relations artwork) of the users, no longer considered in
but above all to the very essence of art, which, as terms of their singularity (as had been the case in
we will attempt to make clear, can only be said to previous decades), but their relationship with oth-
be relational. Thus, rather than a general theory, er users.
Bourriaud’s relational aesthetics appears to be a The aesthetics of relations that we propose
specific theoretical arrangement of an equally spe- here therefore differs from the two models previ-
cific current in contemporary art, which does not ously mentioned (although in some ways it incor-
exhaust the theme of relationships in the artistic- porates them) in two fundamental ways. The first
aesthetic field. Moreover, the interaction of rela- concerns the fact that unlike relational aesthetics,
Eco-aesthetics. The art and aesthetics of relations from a post-pandemic perspective 155

it does not limit itself to the analysis of the rela- context, in search of lost “community”. «Public art
tional processes that are constituted within the is a complex, multifaceted discipline, and it is this
work (aspects that are not, in any case, neglected), very diversity and multiplicity that lies at the heart
but attempts to fathom the various ways in which of its struggle not only for critical recognition but
relations (in the sphere of any aesthetic experience also for an understanding and recognition of a
and therefore not only what pertains to relational shared history» (Cartiere [2016b]: 14).
art) can be presented, starting from the assump- There has been a growing commitment of art
tion that art, in itself, is relational. At this point, to the critical development of the inhabited envi-
it could be said that the aesthetics of relations is ronment. Regarding the new architectural and
the exact replica of relationist aesthetics, to which, urban planning structures, artists have shown
moreover, it inevitably looks. In reality, and this themselves to be capable of grasping the rapid
brings us to the second point, we adopt the gen- mutations and consequent degeneration (foresee-
eral point of view of relationist aesthetics, which able or already happening) of these structures,
considers art to be «process and relation, tempo- taking up new causes, strongly customisable and
rality full of planning, formativeness», but also critical, the result of the attempted convergence
«in its unconscious depth, the myth of death and between the individual and the collective. As
rebirth» (Fanizza [1991]: 123; my translation). pointed out at the international conference enti-
This aesthetics of relations thus supports an tled Art and Life. Experiences and ideas for urban
aesthetic approach to relations that has art and transformation and social quality (Triennale,
artists as its sources, its generators. In a world in Milano, 19th October 2007), artists are increasingly
which we have moved towards the aestheticisa- articulating a demand for quality of life, measur-
tion of existence and of every kind of experience, ing themselves against urban space and issues
in a world in which art, with its vaporisation and relating to the public sphere.
volatilisation, has become depoliticised and has Artists who create works of public art seek to
seen its critical potential reduced, it is necessary create (or recreate) environments and situations
to revive its political and ethical depth, in order (happenings, performances, environments, etc.)
to endow it once again with that capacity to affect capable of modifying the context within which
reality which the cancellation of the boundaries they are developed, aiming at the direct involve-
between art and life has drastically reduced. Public ment of its usual inhabitants. Public art aims to
art falls within this framework. place artistic research within urban, metropolitan
and landscape coordinates, and in contiguity with
the everyday business of life. Public artists share
4. THE SOCIO-POLITICAL PRESENCE OF ART a tendency to bring out, in the social and urban
fabric, the impalpable and poetic texture of every-
Public art is generically any artistic expres-
day life, as well as its conflicts and problems. This
sion oriented towards the critical (and sometimes
is a current and real approach, no longer contem-
highly polemical) questioning of themes, prob-
plative or virtual, in which artistic action aims to
lems, needs, deficiencies and emergencies identi-
dismantle the contradictions typical of the pre-
fied within the urban social fabric. The public art-
sent age, such as those linked to the complexity of
ist also seeks to meet the need of contemporary
multiculturalism, aseptic inter-subjective relations
human beings for aesthetics, no longer by focus-
and the impact of urbanisation on the landscape
ing on beauty, but by means of political action, in
and the environment.
the broadest sense, aimed at improving living con-
As early as the 1960s, Filiberto Menna pointed
ditions. This type of artistic practice thus makes
out the need for artists to step outside the tradi-
manifest an ethical-political motive, and it is no
tional boundaries of their work to face the pro-
coincidence that it is an art rooted in the urban
gressive social uprooting that characterised it.
156 Giacomo Fronzi

This condition of uprooting is accompanied and Active relations (the active relationship
contrasted by a very strong tendency towards between artwork and user). This type of relation
extroversion and involvement in the events of focuses on the active and productive involvement
life, which pushes the artist to go beyond the of the user, without which there would be no art-
traditional boundaries of his activity. These two work. In this type of relation, the action of the
opposing dimensions find, however, an intermedi- spectator is central. Indeed, by means of a gesture
ate concept that connects them, commitment: this or behaviour expressly requested by the artist or
«prevents the process of uprooting from closing simply improvised, the spectator brings the work
itself off again within a pessimistically existential to life, literally makes it real, “realises” it. The key
condition and in contrast enables it to be accepted characteristic of this relation is precisely the par-
with all the risks but also the potential for libera- ticipation of the user (individual) in the realisa-
tion that it entails, given that it presents itself as tion and success of the artwork.
a condition free (or relatively free) from immedi- Communicative relations (the relationship
ate social conditioning». It is not, however, a ques- between users). This third type could be likened
tion of ideological-political commitment in the to the third of the three dimensions which accord-
traditional sense, whose «sclerotic properties» (as ing to Jauss characterise aesthetic experience, i.e.
Menna calls them) have emerged, nor in a purely katharsis. The communicative relation relates to
technical-specialist sense. Rather, it is a commit- the intersubjective moment of aesthetic experience
ment in which the technical-aesthetic contribution but should not be limited to the linguistic and
«expands to include an ideological dimension, in communicative mechanisms of community cohe-
the sense that it points to the aesthetic dimension sion that it can trigger. This type of relation is to
as a fundamental and indispensable factor in the be understood in connection with the active rela-
building of an authentically free society» (Menna tion, which means that the intersubjective relation
[1968]: 14-15; my translation). it entails concerns the collective participation of
Firstly, we would like to propose an articula- the various users, no longer considered in terms
tion of relations in the artistic-aesthetic sphere of their singular and individual interaction with
that seeks to take account of the different perspec- the artwork.
tives from which it can be read. In the aesthetic Ethical relations (the relation between the
experience we can therefore consider five modes work, the user and the world). This level relates
of relation. to the ethical vocation of every artwork. Art is
Pathic relations (the passive relationship a means of understanding the world and exist-
between artwork and user). This type of relation ence and must concern itself with the latter. If
is intended to underline the “pathic”, emotional art is not to be considered purely as entertain-
character of a contemplative and “passive” rela- ment or mere enjoyment or, even less, as some-
tionship with the artwork. It concerns the rela- thing to be “consumed”, it is impossible not to
tionship with the artistic object, whatever type recognise cognitive and ethical dimensions in it.
it may be. The adjective “pathic” is preferable to «What art communicates to us does not seek to
others since it relates to the emotional sphere and be abstractly understood, it does not wish to be
sensitivity without directly conferring either a translated and betrayed with other words. What
positive or a negative connotation. Consequently, the message really wants is to be fulfilled, it wants
it can be presented as an attractive or repulsive, the immediacy of the possible, which began in
pleasant or unpleasant relation. This type of rela- aesthetic expression, to develop and grow within
tion can be said to be supratemporal, in the sense us; it wants our whole lives, within ourselves and
that it concerns the enjoyment of any work of art, others, to be transformed and become new lives,
whether it was created in the 15th or 20th century, new ethical phenomena fulfilled in history» (Paci
for example. [1993]: 149; my translation).
Eco-aesthetics. The art and aesthetics of relations from a post-pandemic perspective 157

The final level, which merits a more extensive Artists have conceived and implemented a
discussion, is ecological relations. growing number of “projects” that seek to enter
the social fabric as an active (or rather hyperac-
tive) probe, better than others at capturing and
5. ECO-AESTHETICS (II) deciphering the oscillations and degenerations
typical of the contemporary world, in an attempt
The specific theme of so-called “public art” lies
to create a positive and oppositional countermove-
within this general historical framework. Many
ment. This is essentially the spirit in which the
examples of public art seem to be supported by
proponents of relational art and public art perform
the idea of an artistic practice so active and rooted
their work. This tendency, which has generically
that it appears capable of modifying, in a positive
anthropological and sociological connotations,
way, its connotations. Nevertheless, «The history of
prompts contemporary artists to make their mes-
public art is most often told with an emphasis on
sage as ethical as it aesthetic, foregrounding the
the word “art,” and very little consideration of the
need to achieve ever better communication with
public context» (Finkelpearl [2000]: 5). This is even
the spectator-consumers. The new horizons of
truer in the pandemic and post-pandemic world,
today’s art allow us to imagine a new relationship
as the health emergency has reshaped every aspect
between aesthetics and art, whose point of conver-
of our lives, including how we inhabit spaces.
gence is no longer “beauty”, but rather the need
The art of today (relational art and public art
to understand the present and give expression to
in particular) tends to speak to the need of con-
contemporary human beings’ need for sharing,
temporary human beings for aesthetics, no longer
sociality and global wellbeing.
via the instrument of beauty (although it seems to
Public art – which aims to reconstruct an
be re-emerging) but via action aimed at improving
authentic and free relationship between indi-
people’s lives. Art is thus intertwined with the eth-
viduals, but also between human beings and the
ical-critical motive, which in turn must strive to
environment, between the anthropic and natural
achieve a “better” life, since the need for aesthet-
dimensions4 – remains an extremely rich topic to
ics most often conceals a deeper need for sociality.
explore. Cher Krause Knight and Harriet F. Senie
Aesthetics thus intersects with art by addressing
(2016: 5) explain how the outcomes that public
issues related to the “quality of life” and relations
art aims to achieve are the subject of attention in
that the new art is committed to enacting.
anthropology, sociology, architecture, landscape
One can therefore understand how artistic
design and urban planning. However, they neglect
activity might adopt an aesthetic relational atti-
to mention philosophy and aesthetics, forgetting
tude as a function of a broader ethical relational
that the philosophical analysis of public art is cru-
attitude. Public art seems to respond directly to
cial in the current historical phase.
prerogatives of this nature, in which aesthetic,
By eco-aesthetics, then, we mean: 1) the aes-
ethical, political, social, and functional compo-
thetic reflection that focuses on the expressive
nents intertwine, acquiring an entirely new over-
forms of relational art and public art that have
all meaning. To the extent that public art has an
as their main objective a critique of the current
impact on the urban environment and therefore
industrial and economic planetary order; 2) the
on contemporary human lifestyles, aesthetics can-
poetics and aesthetic thought of those artists who
not avoid being confronted with it, since «despite
thematise the environmental crisis, the pollu-
its many flaws, despite the utilitarian component
tion of the planet and the risks to the survival of
that necessarily invalidates its “absolute” value, this
humans; 3) aesthetics as a philosophical discipline
art [represents] one of the crucial elements of that
evolution of taste for which our age is so thirsty»
(Dorfles [20024]: 163; my translation). 4 Recently, Marco Petroni (2022) has reflected on these
issues in relation to the work of contemporary designers.
158 Giacomo Fronzi

that confers a new orientation on our relationship ourselves in the present time and as a tool for
with the natural environment. intervening. Miles, however, makes it clear that by
It is not a question of reflecting on land art “eco-aesthetics” he does not mean a new speciali-
(which promotes «an immediate dialogue with sation within philosophy (which I consider desir-
nature: not on nature, but in it», Trione [2022]: 80; able). Although Miles does not neglect to mention
my translation), but on public art with an ecologi- Bourriaud and Rancière, in the chapter on aes-
cal character. As Trione points out, many artists thetics he dwells on Baumgarten, Kant and Goe-
have placed ecological issues at the centre of their the in particular, focusing on the theme of “colour
artistic research: Olafur Eliasson (The Weather Pro- theory” and the relationship to nature. However,
ject), Joe Davis (Bacterial Radio), Francois Knoetz eco-aesthetics could also be built on a theorisa-
(Cape Mongo), Paolo Bay and Armando Bruni tion of the aesthetic relationship and experience
(Reliquaries) and Antonio García Abril and Débora as “experience-with”, within a framework that sees
Mesa (Petrified River). The ecological dimension is aesthetics as a field that has boundaries and con-
now central, perhaps exceeding what public artists notations that go far beyond those of the “artistic”.
can actually achieve. There are clearly unrealistic Such an aesthetics places the characters and struc-
expectations concerning the long-term impact that ture of aesthetic experience beyond «obsolete,
a single public art project can have on a commu- pathetic and embarrassing (aporetic) partitions»
nity. As Cameron Cartiere writes, «Great public art (Desideri [2018]: 15; my translation), and looks
will not correct bad social policy. Some commu- at the more advanced forms of public art with
nity problems result from deeply systemic govern- renewed interest. Clearly, this proposal deserves
mental shortcomings, and while challenging public broader treatment, of which this article could
art can certainly highlight those problematic issues, be the starting point. After all, as Umberto Eco
it is not a substitute for direct civic engagement wrote, analysing a problem does not mean solving
between policy makers and the communities they it: it can only mean clarifying its terms to make a
serve» (Cartiere [2016]: 460). deeper discussion possible.
Such an approach emerges in Malcolm Miles’ We were saying how by eco-aesthetics we also
volume Eco-Aesthetics. Art, Literature and Archi- mean the philosophical approach of aesthetics to
tecture in a Period of Climate Change (2014). The our relationship with the natural environment.
author explains in the introduction how difficult Although extremely relevant to aesthetic reflection
it is to maintain a neutral position. Writing about over the last twenty years, I do not now intend to
certain topics means «being pulled between hope dwell on so-called “environmental”, “natural” or
and despair: hope that a better world is possible; “ecological” aesthetics”5. Instead, I intend to recov-
despair that it will be in my lifetime, or that art, er two elements: a) the essential universal charac-
literature and architecture can do a great deal to ter of the interrelationship; b) the fundamentally
realize it» (ivi: 1). One has the impression that we aesthetic character of our relationship with the
no longer have time to intervene: climate change world, and thus also with nature.
is no longer a prediction, but a dramatic reality, Regarding the first element, as I mentioned in
and its effects have left the reports of scientists the second paragraph, Enzo Paci emphasises that
and become a tragic everyday occurrence. Faced history, like nature, is an “organic” entity, struc-
with this situation, talking about art might seem tured in terms of relations. Human existence is
a waste of time. However, 1) the aesthetic dimen- perfectly embedded in this dense universal web
sion arising from our relationship with public of relations, the deciphering of which, accord-
art can produce unexpected and extremely fruit-
ful results; 2) beyond its degenerations, whether
financial or hyper-mundane, art has begun to
5 See Berleant (1992, 1998); Berleant, Carlson (1998,
2004); Carlson (1992, 2000); Fischer (2003); Toadvine
function once again as a compass for orienting (2010); Feloj (2018).
Eco-aesthetics. The art and aesthetics of relations from a post-pandemic perspective 159

ing to Whitehead, requires not just logic, science it be possible to understand aesthetic processes
and their languages, but also, and above all, an as immersive practices «serving primarily not to
aesthetic dimension. The organic relationship that define concepts but to perceive and feel, not to
binds events together is manifested in its aesthet- elaborate theories about the world but to develop
ic depth from the moment that events enter the environmental interaction» (Matteucci [2019]: 12;
concrete perceptive experience of man and hence my translation).
lived experience, the Lebenswelt. From White- While pointing out that the paradigm of
head’s perspective, feeling plays a particularly «experience-with» acquires its conceptual value in
important role because it guarantees that both its combination with the model of the “extended
existence and philosophy will continue to enjoy mind” and with a certain definition of “human
the maintenance of that necessary contact with nature”, we may conclude – provisionally – by
the lived experience of reality and nature that can emphasising how one of the articulations of eco-
only come from the “perceptible”. The history of aesthetics might find useful support in Matteucci’s
the world (and the history of man) is not the his- proposal. This is because the «experience-with»
tory of categories, abstract models or theoreti- model, applied to our relationship with the natural
cal schemes detached from reality: rather, it is a environment, would help overcome the traditional
series of relationships and events perceived, felt and conflicting relationship with nature based on
and experienced. the idea of domination, control and exploitation.
The fundamental problem of philosophy,
therefore, becomes that of finding an organic uni-
fication that can clarify the connecting relation- REFERENCES
ship between the various fields of current experi-
Althusser, L., 1965: Pour Marx, Maspero, Paris.
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Arendt, H., 1982: Lectures on Kant’s political phi-
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losophy, University of Chicago Press, Chicago.
“senses” as relational complexes which, as such,
Beardsley, M.C., 1981: Aesthetics. Problems in the
are connected to nature and the rest of the uni-
Philosophy of Criticism, Hackett, Indianapolis.
verse.
Berleant, A., 1992: The Aesthetics of Environment,
Regarding the second element, another theo-
Temple University Press, Philadelphia.
retical aspect of this possible eco-aesthetics brings
Berleant, A., 1998: Environmental Aesthetics, in
us back to the idea of aesthetics understood as the
Kelly, M. (ed.), Encyclopedia of Aesthetics,
«analytical-material phenomenology of the percep-
Oxford University Press, Oxford-New York,
tible compagination» (Matteucci [2019]: 112; my
pp. 114-20.
translation). Giovanni Matteucci’s theoretical pro-
Berleant, A., Carlson, A., 1998: Introduction to
posal represents a new approach to the topic of
Special Issue on Environmental Aesthetics,
aesthetic experience that is based on the distinc-
“Journal of Aesthetics and Art Criticism” 56,
tion between two paradigms: «experience-of» and
pp. 97-100.
«experience-with». According to the «experience-
Berleant, A., Carlson, A. (eds.), 2004: The Aesthet-
of» model, all human experience is traced back to
ics of Natural Environments, Broadview Press,
an oppositional relationship – basically Descartes’
Ontario.
– between the two horizons of subjectivity and
Bourriaud, N., 2002: Relational Aesthetics (1998),
objectivity. In contrast, the «experience-with»
trans. by S. Pleasance. F. Woods, Les presses
model emphasises the relational character of expe-
du réel, Dijon (orig. ed. Esthétique relation-
rience, which is first and foremost an interaction
nelle, Les presses du réel, Dijon 1998).
between the organism and its surrounding envi-
Bourriaud, N., 2021: Inclusions: Estethétique du
ronment, endowed with its own structures and
capitalocène, PUF, Paris.
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160 Giacomo Fronzi

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Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

À l’écoute d’un nouveau monde: l’usage

esthétique de la technologie dans le pop-rock
Citation: Sol Bidon-Chanal (2022). À
l’écoute d’un nouveau monde: l’usage
esthétique de la technologie dans le Hearing A New World: The Aesthetic Use of Technology in Pop-
pop-rock. Aisthesis 15(2): 163-176. doi:
10.36253/Aisthesis-11922
Rock
Copyright: © 2022 Sol Bidon-Chanal.
This is an open access, peer-reviewed
article published by Firenze University Sol Bidon-Chanal
Press (http://www.fupress.com/aisthe- INEO-CONICET; UNSAM; Université Paris 8
sis) and distributed under the terms [email protected]
of the Creative Commons Attribution
License, which permits unrestricted
use, distribution, and reproduction Abstract. At odds with the relevance it has as object of aesthetical experience around
in any medium, provided the original the world, pop-rock music is still a rare subject in philosophical inquiry. Nonetheless,
author and source are credited.
it has arisen growing interest in the last two decades, particularly in the Anglo-Saxon
Data Availability Statement: All rel- tradition. In such context, this paper intends to give an overview of the philosophical
evant data are within the paper and its contributions on the subject made so far, and provide some guidelines for its study in
Supporting Information files. the field of aesthetics. After reconstructing the debate, starting from Theodor W. Ador-
no’s thoughts on mass music as prolegomena and arriving at the so-called “ontologies
Competing Interests: The authors of rock”, this article takes an aesthetic point of view concerning the specificity of pop-
have declared that no competing inter- rock and argues that the decisive aspect of the genre in the choir of popular musical
ests exist.
expressions lies in the unique role of technology applied in its production.

Keywords: Popular Music, Musical Creation, Mass Art, Sound Technology, Ontologies

of Rock.

1. Le traitement de l’art populaire du point de vue de l’esthétique

philosophique se présente à première vue comme un terrain précaire.
Née en parallèle avec la constitution de l’art en sphère autonome et
éloignée dans la plupart de son discours de l’art populaire, cette disci-
pline de la philosophie a montré une tendance assez générale à iden-
tifier l’expérience esthétique de l’art avec l’expérience des œuvres du
canon académique, de sorte qu’en lisant la majorité des pages écrites
sur ce sujet on a l’impression de se promener dans un musée ou d’être
assis en silence dans une salle de concert. Dans ce cadre, l’art popu-
laire est relégué à la marge de la philosophie. De son côté, l’art de
masse, forme d’art populaire d’étendue mondiale appartenant à notre
temps, porte la lettre écarlate à cause d’une circulation trop ouverte
dans le marché, ce qui le place souvent encore plus loin des concep-
tions philosophiques habituelles de l’expérience esthétique de l’art.

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 163-176, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-11922
164 Sol Bidon-Chanal

Cependant, les différentes expressions de l’art de la musique pop-rock remontent aux réflexions
de masse constituent aujourd’hui le mode d’ac- de Theodor W. Adorno sur la musique de masse
cès le plus répandu internationalement à l’expé- ou, dans les termes d’Adorno, la musique de «l’in-
rience esthétique, alors s’aventurer dans ce ter- dustrie culturelle». Dans l’Introduction à Philoso-
rain précaire de la pensée philosophique semble phie de la nouvelle musique, écrit en 1949, Adorno
devenir nécessaire ainsi que promettre des terres offre un diagnostic de la musique de la moitié du
fertiles. Dans le champ précis de la musique, on dernier siècle, cohérent avec le cadre général de
peut supposer qu’en effet le pop-rock est l’une des sa philosophie critique. D’après cette évaluation
musiques les plus écoutées dans le monde. Pour d’Adorno, la scène musicale est partagée en deux
cette raison et compte tenu de sa présence très parties. D’un côté, il existe une musique commer-
habituelle dans l’expérience quotidienne, son étude ciale et kitsch qui dispose des mécanismes de dis-
constitue une tâche de plus en plus importante. En tribution et qui inonde par conséquent les oreilles
poursuivant un tel but, dans cet article on se pro- des masses et, d’un autre côté, il y a une avant-
pose de se rapprocher, sous l’angle de l’esthétique garde isolée, identifiée notamment à la Seconde
philosophique, de la spécificité des œuvres musi- École de Vienne, dont la musique est écoutée seu-
cales pop-rock. On commencera par présenter un lement par des cercles réduits et qui est exclue de
aperçu des principales réflexions sur le genre dans la culture publique. Quant à la musique tradition-
le champ de la philosophie, pour ensuite dessi- nelle, elle est «neutralisée» en étant consommée
ner un point de vue propre qui prenne en compte et exécutée d’une façon similaire à la musique
les caractéristiques particulières de cette musique commerciale, affectant sa structure interne. Dans
à partir de ce que l’on postulera comme l’aspect ce cadre, d’après Adorno, la seule musique qui
définitoire: le rôle décisif de la technologie sonore garde sa capacité critique par rapport à son entou-
dans la production, aspect qui fait du pop-rock le rage ainsi que sa valeur esthétique est la musique
premier genre de la musique populaire à s’appro- d’avant-garde, notamment les compositions de la
prier de manière proéminant du lien fondamental Seconde école de Vienne; par contre, il considère
que l’art des XXe et XXIe siècles entretient avec la que les œuvres de la musique de masse s’épuisent
technologie et qui inscrit également cette musique dans leur condition de marchandise et manquent
dans une tendance musicale de l’époque pour de valeur artistique, et donc critique.
laquelle le travail sur le timbre est devenu primor- L’avis d’Adorno à propos de la musique de son
dial. Finalement, on reprendra quelques contribu- époque doit être compris à la lumière du fait que
tions provenant de la musicologie pour l’examen la philosophie, l’art et la réalité sociale sont étroi-
du genre dans cette optique adoptée1. tement liés dans sa pensée. Ainsi la relation que
son esthétique établit entre l’art et la vérité donne
2. Les prolégomènes à l’analyse philosophique à l’art une place fondamentale dans sa philoso-
phie. La dialectique négative adornienne cherche
à sauver la trace du «non-identique» dans le sys-
1 Il convient de préciser que l’on choisit d’utiliser l’expres- tème, en concevant le moment de la contradic-
sion «pop-rock» au lieu de parler tout simplement de
tion comme définitoire. D’après Adorno, l’objet est
«rock», car on considère que la distinction entre la «pop»
et le «rock» est assez vague d’un point de vue du style
toujours plus que son concept et la contradiction
et, à notre avis, elle ne concerne donc pas des critères est justement la trace de cet excès; la dialectique,
stylistiques, mais plutôt des questions liées à la catégorie dans ce sens, corrige l’identification faite par la
d’«authenticité» —en postulant le rock comme expres- raison dans l’acte de connaître car elle reconnaît
sion authentique et la pop comme une musique commer- l’hétérogène dans l’identification, c’est-à-dire, la
ciale—, très conflictuelle dans la pensée esthétique. Pour trace du faux dans l’identité. Le but ultime de cette
un traitement détaillé de la question, voir Bidon-Chanal reconnaissance c’est la réconciliation. Contrai-
(2021): 40-99. Voir également Middleton (2001a) et
(2001b).
rement à une pensée systématique qui, de son
À l’écoute d’un nouveau monde: l’usage esthétique de la technologie dans le pop-rock 165

point de vue, fait violence à l’objectivité à cause de école de Vienne, problématique, désagrégée et ato-
l’identification et qui fait du particulier un simple nale, reflèterait dans les problèmes immanents de
exemplaire, sa philosophie dialectique s’intéresse chaque composition, d’après Adorno, les contra-
à ce dernier et cherche à exprimer par le biais du dictions d’une réalité non-réconciliée et, dans le
concept ce qui va plus loin que le concept. C’est là même geste, cette musique postulerait pour l’ave-
où l’art trouve sa place dans la philosophie d’Ador- nir la possibilité de la réconciliation. Par contre,
no: d’après ce schéma, la philosophie parvient la musique de masse, en s’épuisant supposément
à s’approcher de ses fins grâce à l’intégration de sur sa condition de marchandise et en couvrant
l’élément esthétique, dans la mesure où ce dernier la désagrégation avec une façade ronde et harmo-
conserve la composante mimétique de la magie nieuse, esthétiserait la culture de manière utilitaire
qui renvoie à l’affinité entre le sujet et le objet et et contreferait son contenu de vérité, en devenant
qui, précédant le déchirement qu’entraîne entre donc idéologique.
les deux la connaissance, préfigure un état qui Dans ce contexte, Adorno donne une des-
dépasse cette division ainsi que la scission entre cription profondément négative de la musique
le particulier et l’universel, c’est-à-dire, le moment de masse tout au long de son œuvre2. En ce qui
de la réconciliation. En tournant le regard vers concerne la réception, Adorno signale la fétichi-
l’art, la philosophie réussit à accueillir, du point de sation et la régression de l’écoute comme les deux
vue d’Adorno, le moment qualitatif et individuel caractéristiques fondamentales du rapport que la
auquel le principe d’identité fait violence (voir société de masse entretient avec la musique. Le
Adorno [1970] : VI). premier concept est étroitement lié au caractère de
D’après Adorno, la dialectique traverse la marchandise dans lequel Adorno considère que la
structure de la société et elle a son reflet à l’inté- musique commerciale —et en fin de compte toute
rieur de l’œuvre d’art. Dans Théorie esthétique, musique qui n’est pas d’avant-garde— finissent
Adorno affirme que les problèmes du monde par se perdre. Adorno voit dans l’industrie une
autour des œuvres réapparaissent, dans ces der- force qui, quand elle prend le pas sur la musique,
nières, transfigurés en «énigme formelle», c’est- conduit à la substitution de la valeur d’usage par
à-dire, que ces problèmes reviennent dans la la valeur d’échange, ce qui se traduit à la fois par
constellation des problèmes techniques des le fait que l’appréciation des œuvres soit détermi-
œuvres; c’est pour cela qu’elles impliquent, selon née par le succès et l’effectivité au lieu que ce soit
Adorno, une connaissance qui n’est pas une par les mérites de la composition. D’après Ador-
connaissance de l’objet et qu’elles ont un contenu no, le critère du succès est organisé autour de
de vérité qui, étant historique, constitue l’exposi- trois fétiches: celui de la mélodie, celui de la voix
tion de la conscience d’une époque. Dans ce cadre, et enfin le fétiche du timbre. Cette vénération des
la tâche que l’on donne à l’esthétique est celle de moments isolés montre un point essentiel de la
pénétrer dans les problèmes formels et de porter vision de l’état des choses présenté par Adorno:
le contenu de l’œuvre dans le domaine de la véri- la désagrégation de la totalité musicale. L’appré-
té —par le biais de ce qu’il appelle la «réflexion ciation des éléments séparés annule l’expérience
seconde» (Adorno [1970]: VII, 103-108, 197- du tout musical, et cela mène à une perte de sens.
198, 530-533). Suite à cette révision d’ensemble, Cette «chute» de la totalité nous conduit à la deu-
on peut revenir sur la description adornienne xième caractéristique mentionnée, la régression de
du scénario musical qui nous occupe et la refor-
muler dans les termes suivants: dans la mesure 2Voir notamment: Adorno, Über den Fetischcharakter  in
où le contenu de vérité d’une œuvre d’art expose der Musik und die Regression des Hörens (1938), dans
dans la configuration formelle de l’œuvre une Adorno (1970  : XIV); Adorno, Über Jazz (1936), dans
conscience historique et pour autant que la véri- Adorno (1970 : XVII); Adorno (1941) et Adorno, Einlei-
tung in die Musiksoziologie (1973), dans Adorno (1970  :
té vise la réconciliation, la musique de la Seconde XIV).
166 Sol Bidon-Chanal

l’écoute. Cette idée concerne le retour à un stade des détours aux règles, mais il souligne, au même
infantile dans lequel l’auditeur reçoit la musique temps, qu’elles n’occupent pas une place construc-
comme une source de stimuli au lieu de la com- tive dans la composition et donc elles sont absor-
prendre comme une trame de sens. L’incapacité bées sans dialectique par la pulsation. Dans ce
de rester concentré, l’atomisation, l’intérêt pour sens, il considère que tout ce qui semble sortir de
la couleur, l’effet, et pour l’artifice isolé et le goût la norme dans la musique de masse est vraiment
pour la répétition, ces sont les traits qu’Adorno planifié de manière que cela puisse être rediri-
associe à cette régression. gé  par l’auditeur vers la règle et vers la simplicité
Les observations d’Adorno sur la réception de —en fait, Adorno souligne que les détours eux-
la musique de masse correspondent à celles qu’il mêmes sont également catalogués dans le réper-
fait à propos de la production. De cette manière, toire fixé (voir Adorno [1941]).
la caractéristique principale qu’Adorno voit dans
cette musique c’est ce qu’il appelle la «standardi- Voilà pour les grandes lignes de l’argumen-
sation». Tirée du vocabulaire industriel, aux échos tation d’Adorno. Cette analyse sur la musique
des standards du jazz et contrastant avec la notion contemporaine de l’époque ouvre le débat philo-
de langage musical du paradigme classique, cette sophique sur une série d’expressions musicales
catégorie fait référence chez Adorno à l’existence qui étaient encore nouvelles à l’époque et donc
et à l’utilisation d’un répertoire rigide, allant de la elle laissera une trace sur la pensée ultérieure sur
forme globale préétablie à des détails mélodiques ce sujet. Ainsi, la conception de la musique selon
et de timbre. Encore une fois, cette caractéristique un schéma tripartite qui ajoute à la grande divi-
parle de la perte de la totalité: en comprenant que sion traditionnelle de la musique en musique aca-
dans la production de la musique de masse le démique ou «classique» et musique «populaire»
matériel d’une langue prédéterminée serait «intro- ce troisième sphère que l’on appelle la «musique
duit» dans des formes vides données a priori, sans de masse» restera gravée dans les discussions sui-
faire le lien des élément entre eux, Adorno voit vantes comme une question presque incontour-
dans cette musique l’absence d‘une relation dialec- nable. Cela vaut également pour ses jugements de
tique entre les parties et le tout, ce qui le conduit à valeur, ne serait-ce que pour les remettre en ques-
juger comme arbitraire la totalité de l’œuvre —qui tion. Pour ce qui est de ces derniers, on peut dire
est associée, là encore, au manque de sens3. À la brièvement que ce qui guide le rejet total d’Ador-
suite de ce premier attribut, il en conçoit un deu- no de la musique de masse c’est une conception
xième: la pseudo-individualisation. Adorno pense du progrès musical qui est liée étroitement à l’évo-
l’improvisation comme l’un des moyens d’insuffler lution du système tonal jusqu’à la rupture avec la
de la spontanéité et de l’originalité à l’œuvre, qui tonalité et qui s’appuie sur le paramètre harmo-
échoue cette tâche, dans la popular music, car elle nique; par contre, la musique de masse est asso-
s’articule sur le schéma d’une métrique et d’une ciée à un paradigme esthétique différent qui peut
harmonie qui ne sont pas modifiées et qui conti- se centrer, comme c’est le cas du pop-rock, sur le
nuent à suivre les routines standardisées. De façon détail et sur la couleur, sans que cela signifie pour
similaire, il reconnaît dans les syncopes du jazz autant l’annulation de la valeur esthétique dans un
simple fétichisme —appréciation qui est trop biai-
3 Il en va différemment, selon l’analyse adornienne, pour sée par l’analyse économique et qui laisse échapper
ce qui est du langage et de la forme classiques. Dans ce des nuances spécifiquement musicales.
cas, Adorno considère qu’aussi bien entre la forme et la Bien que les écrits d’Adorno n’abordent pas la
composante motivique-thématique qu’entre la convention musique pop-rock en tant que telle 4, ses consi-
et les idées compositionnelles, il y a une tension grâce à
laquelle le schéma doit s’accommoder au contenu compo-
sitionnel spécifique, dans un renvoie dialectique constan- 4La seule référence directe, assez proche et suffisamment
te entre les parties et la totalité. élaborée du point de vue esthétique d’Adorno à cette
À l’écoute d’un nouveau monde: l’usage esthétique de la technologie dans le pop-rock 167

dérations sur le jazz et la popular music s’ap- pop-rock, même lorsque l’on cherche à faire une
pliquent pareillement à elle, dans la mesure où ce évaluation positive.
genre fait partie de la descendance des traditions Tel est le cas de l’analyse proposé par Richard
afro-américaines mais surtout car le pop-rock est Shusterman. Dans les deux chapitres consacrés à
née au sein de l’industrie de la musique. Dans ce la musique dans son livre Pragmatist Aesthetics:
sens, si l’approche d’Adorno n’arriverait pas à sai- Living Beauty, Rethinking Art, il essaie de répondre
sir quelque chose de substantiel de la musique aux critiques les plus habituellement adressées à
pop-rock, c’est parce qu’il ne donnerait pas lieu l’art de masse, pour établir les bases d’une défense
à la possibilité de bien comprendre les critères de la musique populaire dans l’ensemble —et par-
esthétiques qui la guident. Quand on adopte un ticulièrement du rock et du rap— d’un point de
point de vue qui s’appuie sur la matérialité de cette vue esthétique. Shusterman souligne alors comme
musique, il convient donc de se demander sur ce qualités fondamentales l’existence d’une réponse
qui fait sa spécificité et de s’interroger également active dans la réception du rock en tant que réac-
sous quels critères philosophiques et musicaux il tion somatique —et opposé à la contemplation
vaut mieux l’analyser. désintéressée— qui demande, selon l’auteur, la
révision de l’esthétique dans cette direction. Par
3. Étant donné que le pop-rock c’est une ailleurs, il défend la profondeur intellectuelle des
musique qui est encore assez jeune en termes genres musicaux de la culture afro-américaine,
historiques, la réflexion théorique à ce sujet est en attirant l’attention sur les différents niveaux de
un phénomène relativement nouveau et donc signification que l’on voit dans ces œuvres. Enfin,
pour cette raison on peut trouver beaucoup du point de vue d’une esthétique pragmatiste, il
moins de littérature consacrée à son étude qu’au remet en cause l’association de la légitimité avec
sujet d’autres genres et styles musicaux. Dans le l’autonomie faite par Adorno et par Pierre Bour-
domaine de la philosophie, il y a encore un numé- dieu. Pour ce faire, il souligne que les œuvres d’art
ro modeste d’œuvres dédiées au pop-rock, bien fonctionnent dans notre vie et il met l’accent sur la
que l’intérêt pour cette musique se soit accru désintégration de l’idéal puriste et sur l’introduc-
durant les deux dernières décennies. Dans ce tion de l’esthétique dans les différents domaines
contexte, c’est la philosophie anglo-saxonne —qui de l’expérience qu’implique la culture postmo-
appartient bien sûr à la culture dont le pop-rock derne dans l’ensemble. À cet égard, Shusterman
est né— qui est la tradition de pensée qui a mieux remarque que l’opposition à la société n’est pas une
préparé le terrain pour la réflexion sur le genre essence éternelle de l’art, mais une idéologie par-
et qui a été sans doute la plus prolifique dans son ticulière, et il ajoute que les œuvres d’art popu-
étude. Au sein de cette tradition, nous pouvons laire n’ont pas besoin d’être conservatrices pour
trouver un premier axe thématique qui s’intéresse atteindre leur popularité.
aux aspects évaluatifs. Ici, on peut constater que
le renvoi dichotomique à la musique académique, En ce qui concerne l’appréciation du rock
déjà présente dans l’analyse adornienne, est un élé- comme exemple de la musique de masse, Theo-
ment fréquent dans les approches évaluatives au dore Gracyk (Gracyk [1996] et Gracyk [1999])
cherche à confirmer sa valeur esthétique sans
musique se trouve dans une interview dans la télévision avoir recours au concept d’art, contrairement à
allemande en 1968, où il dit quelques mots à propos des Shusterman et en discussion avec lui —sans faire
chansons de protestation de Joan Baez. En ligne: https:// appel donc ni au statut artistique des œuvres de
youtu.be/Xd7Fhaji8ow. Par ailleurs, dans certains des ce genre musical ni à sa valeur artistique corréla-
textes de Critique de la culture et de la société, Adorno fait tive. Gracyk utilise l’expression «esthétique tradi-
des allusions isolées aux Beatles en relation avec le culte tionnelle» pour parler d’une série de courants de
de la jeunesse qu’ils ont suscité, sans entrer dans le détail
(voir Adorno [1970] : X/2, 599-607, 656-673, 810-815).
pensée qui décrit l’art comme autonome, univer-
168 Sol Bidon-Chanal

sellement attirant, original et comme le produit Gracyk dans son livre Rhythm and Noise, publié en
d’un génie. En prenant du recul par rapport à cette 1996, qui est jusqu’à nos jours l’une des contribu-
position-là, il souligne la valeur esthétique du rock, tions les plus complètes pour l’étude de la musique
définie comme la valeur que les récepteurs possé- pop-rock. Tout au long de ce texte, Gracyk aborde
dant des connaissances adéquates découvrent dans différentes problématiques théoriques à propos du
la musique quand ils l’écoutent et qui, en même pop-rock; pourtant ce sont ses considérations au
temps, serait le critère pour évaluer les œuvres à niveau de l’ontologie qui guident le déroulement
l’intérieur de cette tradition musicale. Dans ce de sa recherche. Au début du premier chapitre,
sens, il affirme que la valeur artistique des œuvres Gracyk souligne que le rock n’est pas un genre ou
rock est accidentelle, puisque, même si elles un style et il le définit donc comme «la musique
répondent parfois à quelques standards de «l’es- populaire de la deuxième moitié du XXe siècle qui
thétique traditionnelle», elles s’accordent beaucoup est essentiellement dépendant de la technologie
mieux à des patterns souvent opposés. Par ailleurs, d’enregistrement pour sa naissance et sa dissémi-
concernant la comparaison du rock avec d’autres nation» (Gracyk [1996]: 13): ça sera alors préci-
genres, Gracyk indique que ce ne sont pas les cri- sément dans la relation singulière que les produc-
tères esthétiques ce qui sont décisifs dans ce cas, tions de pop-rock entretiennent avec le support
mais des questions d’ordre pratique et social5. phonographique qu’il va trouver la nouveauté de
En se recentrant maintenant sur les questions ce phénomène. De son point de vue, l’enregistre-
relatives aux aspects définitoires du pop-rock, on ment —il pense plus aux albums qu’aux pistes—
retrouve l’un des débats philosophiques les plus est le médium primordial et l’œuvre proprement
riches en interventions sur cette musique6, débat dite, dans la mesure où c’est le phonogramme qui
qui réunit une série d’approches orientées vers constitue l’objet principal analysé par les critiques
l’examen de la manière d’être spécifique des pro- et ce qui établit la connexion originale entre l’ar-
duits musicaux de ce genre. Ainsi, ces ontologies du tiste et l’audience. À cet égard, il remarque que
rock offrent une distinction de cette musique par l’œuvre première dans le cas du rock n’est pas une
rapport à d’autres genres du point de vue de l’étude structure sonore légère (thin) instanciée, comme
de ce que l’on pourrait appeler, en suivant cette c’est le cas de la musique classique, en différents
perspective, la singularité existentielle des œuvres interprétations; il s’agit, par contre, d’une struc-
rock7. La discussion s’ouvre avec les réflexions de ture dense (thick) codée en enregistrements et ins-
tanciée dans les reproductions de chaque copie de
l’enregistrement. Les corollaires qu’il en déduit cla-
5 À cet égard, soulignons que, même si Gracyk a raison
lorsqu’il avance que le décodage des œuvres musicales rifient aussi certains usages catégoriels: les œuvres
pop-rock présuppose une logique qui fait appel parfois rock sont reproduites (played) et non pas interpré-
à des valeurs esthétiques propres à ce style, il ne s’agit tées (perfomed), les remixes constituent des œuvres
pas forcément de sacrifier le terme «art» et se conten- nouvelles —et non de révisions.
ter de parler d’une valeur «esthétique», mais il suffit en
revanche de proposer qu’il peut y avoir diverses critères De son côté, Stephen Davies met en question
de valeur artistique liés à différents styles et traditions —
la position de Gracyk à propos de la nature des
comme le montre en fait l’histoire de l’art elle-même.
6 L’étude du genre musical a été très prolifique dans le œuvres rock, en restituant une place plus impor-
champ des sciences sociales. L’un des premiers examens tante à l’interprétation. Dans son livre Musical
du rock est celui du sociologue Simon Frith, qui publie Works and Performances: A Philosophical Explo-
son livre Sociology of Rock en 1978. ration, Davies —qui a proposé pour la première
7 Les auteurs qui font partie de ce débat utilisent le ter-
fois la différentiation entre des compositions
me «rock» pour parler du genre qui nous occupe. Pour
les raisons qui ont été données dans la note 1, on choisit
d’employer la dénomination «pop-rock» dans cet arti- reprendra le terme «rock» dans l’aperçu du débat onto-
cle. Pourtant, en vue de respecter la lettre des textes, on logique.
À l’écoute d’un nouveau monde: l’usage esthétique de la technologie dans le pop-rock 169

«thin» et «thick» reprise par Gracyk (voir Davies sans ignorer le rôle de la performance live. Dans
[1991])— distingue trois types d’œuvres musicales: son article L’opera musicale fra oralità, scrittura e
des œuvres pour la reproduction, des œuvres pour fonografia, Arbo avance que l’œuvre musicale, arte-
l’interprétation live et des œuvres pour l’interpré- fact aux multiples modes de fonctionnement, se
tation en studio. Le premier type correspond aux différencie dans ses manières d’être par rapport au
compositions intégralement électroniques qui ne mode de fixation de sa «trace» (traccia), idée sur
sont pas conçues pour l’interprétation  tandis que la base de laquelle il distingue trois types d’œuvres:
le deuxième identifie typiquement les œuvres de l’œuvre orale, dont la trace serait un schéma mné-
la musique académique traditionnelle. Les œuvres motechnique adaptable selon la situation; l’œuvre
rock, par contre, appartiendraient à son avis majo- écrite, fixée dans la partition; et l’œuvre phonogra-
ritairement à la troisième catégorie. Dans cette phique, dans laquelle la trace serait une piste audio
optique, Davies allègue que Gracyk sous-éva- à décoder et à reproduire. En se recentrant sur les
lue l’importance de l’interprétation au moment œuvres rock à partir de cette taxinomie générale,
d’analyser le statut ontologique des morceaux Arbo propose que le rock aurait une «double vie»
du genre. Il en veut pour preuve la pratique elle- et que ce que nous entendons dans un concert de
même, où on peut observer, de son point de vue, ce genre est une œuvre orale, distincte de l’œuvre
que l’on joue beaucoup plus que l’on enregistre, phonographique dans laquelle elle trouve pour-
que presque tout artiste célèbre pour ses albums tant son origine. L’œuvre orale (la chanson [il bra-
est aussi un «performer» doué sur scène et que les no]) que nous entendons dans la performance live
producteurs ne sont pas vus comme des membres manifesterait, selon Arbo, sa dépendance à l’œuvre
des groupes. Dans ce sens, il affirme que tant les phonographique par une ressemblance morpholo-
œuvres classiques que les œuvres rock sont écrites gique reconnaissable. Dans ce sens, il affirme que
pour être jouées et il trouve alors la spécificité soutenir que dans le rock le master est l’œuvre
ontologique de l’œuvre rock dans le fait qu’elle est est juste «à condition de ne pas considérer que ce
composée par l’interprétation en studio. mode d’existence (et de fonctionnement) est exclu-
Une troisième position dans ce débat est celle sif» (Arbo [2013]: 37). Les œuvres rock seraient
d’Andrew Kania. Dans son article Making Tracks: donc des œuvres phonographiques qui peuvent
The Ontology of Rock Music, Kania reprend les donner lieu —et donnent lieu dans la plupart des
deux positions précédentes et essaie de donner cas— à des œuvres orales.
un nouveau tour de vis. Il remet alors en ques- Pour conclure cette révision des interven-
tion le fait que la thèse de Davies s’appuie trop tions dans le débat ontologique sur le pop-rock, il
sur l’interprétation, mais il cherche quand même convient de faire mention du point de vue donné
à donner une place à l’interprétation à l’intérieur par Roger Pouivet. Dans sa Philosophie du rock,
de sa propre proposition. Il distingue, donc, deux Pouivet propose une analyse qui a un esprit simi-
aspects: un aspect qui est premier, constitué par laire à celle que l’on trouve chez Gracyk, dans la
les «tracks» ontologiquement denses, et l’autre, mesure où il affirme aussi que ce qui signale la
secondaire, la chanson, qui est l’œuvre ontologi- spécificité des œuvres musicales rock n’est pas une
quement légère «manifestée» par les pistes; ainsi, il question liée aux caractéristiques stylistiques ou
met l’accent sur l’enregistrement mais en donnant sociologiques, mais c’est en revanche leur statut
aussi une place à l’interprétation live: «Cette onto- ontologique. Pour donner une définition de cette
logie […] reconnaît non seulement la centralité manière d’être particulière, Pouivet commence
des pistes enregistrées pour cette tradition, mais par rassembler le rock avec le cinéma et les best
aussi la valeur accordée aux compétences pour sellers comme des différentes expressions de l’art
l’interprétation live» (Kania [2006]: 412). de masse, sphère qu’il propose que l’on identifie
Alessandro Arbo explore lui aussi la possibili- par son accessibilité économique et cognitive et
té de reconnaître l’importance de l’enregistrement par le fait d’être produit et diffusé par des tech-
170 Sol Bidon-Chanal

nologies de masse8. Une fois clarifié le domaine grande partie des musiciens, en réduisant l’écart
d’appartenance de l’œuvre rock, Pouivet affirme dont il parle. Pour la deuxième affirmation —la
qu’elle constitue une nouveauté ontologique en référence à la compétence comme performers
tant que produit du processus d’enregistrement et des musiciens célèbres par ces enregistrements—,
que son mode particulier d’existence, c’est-à-dire le même si on lui accorde qu’il donne une descrip-
fait qu’elle est constituée par des enregistrements tion correcte des choses, on ne voit pas pourquoi
dont la distribution est mondiale, la détermine cela devrait fonctionner aussi comme argument
comme une chose nouvelle entre les choses. Par pour affirmer que l’interprétation a priorité sur
conséquent, Pouivet définit l’œuvre rock comme l’enregistrement —bien qu’en effet elle puisse fonc-
un enregistrement qui fait partie «du système de tionner comme raison pour reconnaître l’impor-
production artistique de l’art de masse»  (Pouivet tance de l’interprétation. La dernière observation
[2010]: 13) . de Davies —qui remarque le fait que les produc-
teurs ne sont pas considérés comme des membres
4. Face à un examen qui s’engage avec la spé- des groupes— c’est bien l’objection la plus inté-
cificité du pop-rock, il est important de noter ressante et la moindre contestable. L’intérêt et le
que les analyses de Gracyk et Pouivet —et même poids qu’elle revêt correspondent au fait qu’elle
les analyses de Kania et d’Arbo, avec les réserves vise une question centrale pour celui qui défend la
qu’ils introduisent— reconnaissent du point de priorité de l’œuvre enregistrée, étant donné que le
vue ontologique une question centrale pour une producteur c’est la figure la plus représentative des
telle tâche: le poids de l’enregistrement. Contrai- aspects compositionnels qui entrent en jeu dans le
rement à la position de Davies, on considère que studio d’enregistrement. Cependant, le phénomène
quand on se centre sur le phonogramme, on est souligné par Davies semble répondre plus à la
plus proche de ce qui est la particularité distinc- poursuite dans l’utilisation des critères tradition-
tive de ce genre de musique. On peut alors faire nels pour définir l’activité compositionnelle qu’à la
quelques remarques à propos des observations bonne appréhension de ce qui se passe vraiment
de Davies sur la pratique musicale du pop-rock dans le processus de composition d’une œuvre.
dont on a parlé avant. En ce qui concerne sa pre- De son côté, la reconnaissance existe sans doute à
mière observation —c’est-à-dire, l’idée que l’on l’intérieur de la communauté musicale et elle peut
joue beaucoup plus que l’on enregistre— il faut éventuellement dépasser ce domaine dans cer-
signaler que même si c’était plus ou moins facile taines occasions, comme dans le cas exemplaire de
d’affirmer une telle chose il y a vingt ans, cela George Martin, populairement connu comme «le
devient très discutable aujourd’hui, si l’on prenne cinquième beatle».
en compte  que, dans les dernières décennies, les Par ailleurs, au-delà de la vérité ou la fausse-
technologies d’enregistrement et de distribution té de ces affirmations sur la pratique musicale, le
sont devenues beaucoup plus accessibles à une fait de voir les œuvres pop-rock comme des com-
positions pour l’interprétation en studio risque
dans une certaine mesure de détourner l’attention
8 Dans cette description de l’art de masse, il suit la
de la question centrale à propos de la façon dont
caractérisation donnée par Noël Carroll dans A Philoso-
phy of Mass Art, où Carroll définit l’art de masse comme
les activités se déroulent dans le studio. Dans ce
un type d’art qui regroupe des œuvres qui présentent des sens, l’analyse de Davies sous-estime l’importance
instances multiples, qui est produit et distribué par des de la notion de montage par rapport à la compo-
technologies de masse et qui est intentionnellement fait sition des œuvres pop-rock, même s’il lui accorde
pour être accessible avec un minimum d’effort au lar- sa place au moment de différentier les deux types
ge public sans instruction. Si d’après Carroll la première d’œuvres pour l’interprétation dont on a déjà parlé.
caractéristique distingue l’art de masse de l’art populaire Cette catégorie, fondamentale pour décrire le pro-
simpliciter, la troisième le différencie de l’art d’avant-gar-
de. (Voir Carroll [1998]: 184-211).
cessus créatif en jeu au cours des enregistrements
À l’écoute d’un nouveau monde: l’usage esthétique de la technologie dans le pop-rock 171

de la musique pop-rock, rend compte du fait que l’on ne voit pas, jusqu’à la naissance du pop-rock,
ce qui se passe au studio n’est pas au sens propre dans aucun autre genre de la musique populaire
l’interprétation d’une composition faite pour être —ni folklorique ni de masse. Pour cette raison,
jouée en studio, mais c’est en revanche la construc- on est d’accord avec les positions ontologiques qui
tion des chansons à partir de morceaux d’inter- soulignent l’importance du phonogramme comme
prétations qui sont donc la matière première pour l’œuvre première, mais en prenant un point de vue
commencer la composition9. On peut penser, pour esthétique, on affirme par contre que cette parti-
en donner un exemple paradigmatique des débuts cularité est reliée avec quelque chose qui définit,
du genre, à «Good Vibrations» des Beach Boys, justement, son style et qui la distingue comme
chanson de 1966 qui a été composée en rassem- genre. En effet, nous soutenons qu’il y a une tra-
blant des sections enregistrées indépendamment dition de la musique de masse dans laquelle l’en-
et dans des studios divers. Comme il a été souligné registrement définit pour la première fois précisé-
par le compositeur et producteur Brian Eno, avec ment le style: le pop-rock. Cette particularité créa-
l’apparition de l’enregistrement sur des différentes tive que l’on peut reconnaître dans la musique elle-
pistes, les «compositeurs pop» commencent à défi- même constitue ce qui la différencie des autres
nir une forme de création musicale dans laquelle genres musicaux qui existent à ses côtés dans l’âge
on arrive au studio uniquement avec un squelette de la reproductibilité —et qui sont même nés au
de la chanson pour le travailler après ou même on sein d’elle— et dont les œuvres premières, du
commence à composer ex-nihilo avec les outils point de vue ontologique, seraient également des
de la salle d’enregistrement (voir Eno [1979]: 129- enregistrements, question qui fait l’analyse esthé-
130): certaines chansons n’auraient donc aucune tique très importante.
existence avant le montage. Bien qu’il y ait toute Par ailleurs, il faut noter que l’on ne peut pas
une gamme dans l’usage compositionnel du studio, proposer une division tranchée entre l’interpréta-
question qui est acceptée par Davies, cette procé- tion et la composition par rapport à l’usage de la
dure parle de quelque chose de très fondamental technologie dans le domaine de la musique pop-
pour le pop-rock en général; par conséquent, l’in- rock, du moment que l’expérimentation créative
clusion de la majorité des œuvres du genre dans avec les outils technologiques sonores se produit
la catégorie des morceaux pour l’interprétation en également dans l’interprétation, qui en même
studio peut poser un problème pour affirmer une temps peut fonctionner comme point de départ
telle centralité. de la composition. L’histoire des développements
Or, la préférence accordée à l’enregistrement technologiques a en fait accompagné cet efface-
par les autres analyses ontologiques fait partie de ment des limites entre le scénario et le studio, en
ce qui, a notre avis, est la caractéristique distinc- permettant de plus en plus l’accès en scène et aux
tive de la musique pop-rock, dans la mesure où salles de répétition aux outils qui appartenaient à
c’est celle qui signale, du point de vue stylistique, l’origine exclusivement aux studios professionnels,
l’aspect le plus singulier de cette musique dans notamment avec l’arrivée de l’ère numérique. En
l’ensemble des expressions de la musique popu- effet, l’œuvre pop-rock se cristallise stricto sen-
laire: le lien spécial qu’elle établit avec les techno- su dans l’enregistrement, de la même façon que
logies mises au service de la production. Ainsi, l’œuvre académique s’est fixée dans la partition,
l’importance acquise par le studio d’enregistre- mais dans la pratique de la musique populaire
ment pour la composition parle, à notre avis, de généralement on ne voit pas une scission si forte
la façon dont la technologie commence à prendre entre le domaine de la composition et celui de la
une place essentielle dans l’aspect poïétique que performance comme dans le cas de la plupart de
la musique académique depuis le XVIIIe siècle.
Dans ce sens, il convient de préciser que soutenir
9Gracyk fait un point similaire dans Gracyk (1996):
31-36.
la position selon laquelle la place décisive qu’oc-
172 Sol Bidon-Chanal

cupe la technologie dans la production est le trait ti a aussi axé sa théorie musicologique sur le côté
distinctif de la musique pop-rock n’implique pas matériel, en fournissant une méthode qui cherche
de minimiser l’importance de la performance. à interpréter le phénomène du swing: à rebours
Le choix d’un point de vue esthétique que du modèle musical de la notation moderne, qu’il
l’on assume est partagé, dans le domaine de la relie à un mode de pensée mathématisé qui serait
philosophie, par Bruce Baugh. Dans son article culturellement et historiquement ancrée, Capora-
Prolegomena to Any Aesthetics of Rock Music, letti propose d’étudier la musique afro-américaine
Baugh essaie d’établir des critères préliminaires sur la base du «principe audio-tactile». La légalité
pour l’analyse du rock qui servent comme pro- de ce principe donne un rôle structurel aux par-
légomènes à une esthétique propre de ce style. ticularités rythmiques, dynamiques et du timbre
Vis-à-vis d’une tradition d’analyse qu’il caracté- de l’interprétation, traits que dans la tradition
rise comme kantienne et formaliste, reliée expli- musicale de la notation européenne, selon l’au-
citement à Eduard Hanslick, Baugh propose une teur, représenteraient des nuances subjectives non
esthétique qui met l’accent sur la «matérialité», déterminantes de la forme (voir Caporaletti [2014]
comprise comme tout ce qui concerne le corps et et [2018]). Dans cette ligne de pensée, il convient
les sensations, au lieu de la forme et de la com- de remarquer que, bien que l’on souligne comme
position. À cet égard, il suggère trois pôles de caractéristique spécifique du pop-rock parmi les
jugement: le rythme, l’expressivité de la voix et, musiques populaires la centralité de l’usage créa-
finalement, l’intensité sonore comme véhicule de tif de la technologie, on continue d’observer que
l’expression. D’après Baugh, donc, seulement une d’autres caractéristiques musicales de ce style sont
fois que l’esthétique se recentre sur les effets que pourtant partagées avec la plupart de la musique
la musique a sur le corps — ce que Baugh relie á populaire, comme l’importance de l’élaboration
son côté matériel— la rock music pourra être jugée rythmique et de la voix soulignées par Baugh
avec justice. mais aussi comme la prédominance de la texture
Les traits signalés par Baugh sont sans doute de la mélodie accompagnée ou de l’usage de la
pertinents pour réfléchir sur le pop-rock, mais forme-chanson. De même, la filiation directe du
son analyse perd de vue l’importance centrale pop-rock avec la tradition afro-américaine confère
que la technologie prend pour la production de aussi aux traits matériels de sa performance le
cette musique et remarque plutôt des aspects qui caractère structurel souligné par Caporaletti.
sont communs à la musique populaire dans l’en- Par ailleurs, on affirme que la position essen-
semble. Ainsi, l’accent mis dans l’expressivité de la tielle acquise par la technologie est étroitement
voix et dans le rythme contribuerait, comme il le liée au fait que l’exploration du timbre devient une
veut, à la construction d’une esthétique recentrée question décisive dans le cadre des poursuites de
sur des lignes directrices différentes de celles qui la musique pop-rock, ce qui à son tour détermine-
guident grosso modo les théories focalisées sur la ra certaines caractéristiques spécifiques en ce qui
musique académique, mais cette esthétique serait concerne les autres paramètres musicaux. L’incor-
utile non seulement pour l’examen du pop-rock poration et le rôle prépondérant des instruments
mais aussi pour des autres genres de la musique électriques, l’utilisation des effets et des sons pro-
populaire occidentale. Dans cet esprit, le musico- duits synthétiquement, la manipulation sonore et
logue Richard Middleton a proposé une méthode l’usage du studio d’enregistrement comme instru-
qui prend l’expérience du mouvement corporel ment entrainent l’expérimentation avec des possi-
comme guide de l’analyse musicale, en s’appuyant bilités compositionnelles nouvelles, qui sont essen-
sur une théorie du geste, d’après laquelle les pro- tielles à la définition du pop-rock comme style, en
cessus somatiques correspondraient aux processus travaillant sur le son lui-même, et qui conduiront
musicaux analogues (voir Middleton [1993]). S’ap- à l’assimilation de nouveaux éléments au cœur de
puyant fortement sur le jazz, Vincenzo Caporalet- ce qui deviendra son matériau privilégié. En même
À l’écoute d’un nouveau monde: l’usage esthétique de la technologie dans le pop-rock 173

temps, la figure du producteur musical acquiert par- de souligner les réflexions présentées par Makis
fois un poids comparable à celui du réalisateur pour Solomos dans De la musique au son, ouvrage qui
le cinéma dans le processus de création: les tâches se recentre sur la révision de plusieurs courants
que des personnes comme Phil Spector et Joe Meek de la musique académique contemporaine, mais
—notamment dans l’album I Hear I New World: An qui consacre aussi quelques passages au pop-rock
Outer Space Music Fantasy— commencent à déve- et à la musique électronique de portée massive.
lopper dans le studio à la fin des années 1950 sont, Dans cette étude exhaustive, Solomos cherche à
dans ce sens, des travaux pionniers. montrer que, de Debussy à la musique contempo-
De ce point de vue, la musique pop-rock fait raine, le son s’est affirmé comme la problématique
partie d’une tendance de l’époque à laquelle elle principale de la musique. Solomos remarque que
nait et se développe, tendance qui dépasse, par ce mouvement implique un changement de para-
conséquent, les limites du genre et elle le fait dans digme d’une musique recentrée sur le ton à une
deux directions. D’un côté, sous l’angle de l’im- culture du son, qui est à son avis «aussi fondatrice
portance gagnée par la technologie par rapport à que la révolution qui, il y a quatre siècles, fit naître
l’art en général, au sens où l’a déjà montré Walter la tonalité» (Solomos [2013]: 14). Ce virage est à
Benjamin à propos du cinéma et de la photogra- son avis mis en marche à l’intérieur de la musique
phie dans les années 1930 (voir Benjamin [1974] : elle-même, bien qu’il y ait des facteurs externes
I/2). D’un autre côté, dans le domaine strictement qui interviennent, comme dans le cas exemplaire
musical, le pop-rock —en plus d’avoir les attri- de la technologie. En ce qui concerne cette der-
buts en commun avec d’autres genres musicaux nière, il observe lucidement que la musique —à
populaires mentionnés ci-dessus— s’intègre à un l’exception du cinéma qui lui doit en fait sa nais-
paradigme musical plus grand qu’il partage avec sance même— est le premier des arts à s’appro-
d’autres traditions de la musique académique du prier la technologie comme «prolongement natu-
XXe siècle et XXIe siècle, paradigme pour lequel rel de la technique» (ibidem).
l’exploration du timbre est centrale, souvent En plus de son point de vue global, il est
accompagné d’un lien très fort avec la technologie opportun de reprendre deux aspects ponctuels du
pour la composition. Ainsi, on peut affiner un peu long parcours de son étude. La première ques-
plus notre proposition et caractériser donc le pop- tion concerne la relation qu’il fait entre le son et
rock comme l’expression artistique musicale qui le bruit, afin d’introduire cette dernière catégorie.
à l’intérieur de la musique populaire s’est appro- D’après Solomos, l’utilisation musicale du bruit est
prié la relation avec la technologie de la produc- une tendance expérimentale à étendre la musique
tion comme facteur poïétique fondamental. Sur la hors les limites imposées par la hauteur. En har-
base de cet aspect définitoire qui donnera lieu à monie avec les données de l’acoustique du XXe
son matériau le plus caractéristique, cette musique siècle, la musique est devenue, de son point de
empruntera et modèlera ensuite des éléments vue, plus bruyante et que pour cela l’opposition
des langages musicaux de divers styles tant de la entre le son musical et le bruit finit par être aban-
musique populaire que de la musique académique. donnée pour parler désormais du seul concept
de son, qui dépasse la dépendance de la musique
5. Le cadre décrit auparavant suggère que les à l’égard de l’organisation en hauteurs. Comme
catégories qui doivent être à la base d’une ana- on le sait, le pop-rock est depuis toujours asso-
lyse musicale attentive aux explorations techno- cié avec le bruit, tant dans l’usage consciente des
logiques de la musique pop-rock sont celles de musiciens que dans la perception généralisée de
«timbre» et de «son». À cet égard, il convient de ces générations-là qui le voyait d’un mauvais œil.
relever, avant de terminer, deux contributions du La distorsion et l’interférence sont, dans ce sens,
champ de la musicologie. Concernant la paire de deux constantes qui se répètent tout au long de
concepts que l’on vient de mentionner, il y a lieu l’histoire du genre. À ce sujet, Solomos affirme à
174 Sol Bidon-Chanal

propos du rock qu’il a toujours eu un «flirt» avec D’ailleurs, en s’appuyant sur le discours de ceux
la nuisance sonore et que son côté contestataire est qui composent les œuvres du genre, il constate
associé précisément au bruit —qu’il met en rap- que la catégorie de «son» est au centre des pré-
port, d’ailleurs, avec la dissonance comme critique occupations techniques de ces musiciens et il
sociale au sens d’Adorno. affirme alors que le son est la «matière première»
Le deuxième aspect est celui de la manipu- à partir de laquelle la chanson est élaborée. Par
lation du son lui-même ou, autrement dit, du conséquent, le but de la thèse de Julien est de
timbre à l’intérieur. Solomos affirme que la fac- trouver les catégories adéquates pour l’analyse
ture interne du timbre commence à avoir plus de la musique pop-rock et de dire quelque chose
de poids que la structure globale dans la compo- sur la nature du genre dans le même geste, ain-
sition, du fait que l’intérêt pour le timbre impli- si qu’en analysant l’œuvre des Beatles, qu’il prend
querait la concentration sur les détails internes du pour exemple mais aussi comme fondement de
son: «l’instant musical a cessé d’être simplement ses affirmations.
un moment précis, une transition, le prétexte à Sur la base de ces considérations, Julien struc-
une dynamique globale: il s’ouvre à l’infini et, ani- ture son étude de la musique des Beatles à par-
mé d’une fluidité extrême, dévoile ces moindres tir de six paramètres: arrangement, prise de son,
détails» (Solomos [2013]: 238-239). La technologie balance, «panoramisation», traitement sonore —
entre alors en scène car Solomos remarque que ce les effets divers qui peuvent être utilisés dans un
sont le microphone et l’écoute amplifiée ceux qui enregistrement— et mixage. Dans un article ulté-
donnent naissance à la musique électroacoustique rieur, L’analyse des musiques populaires enregistrées,
et qui lui permettent de poursuivre ces aspirations. Julien revient sur la question de la méthode et
De ce point de vue, c’est donc le son lui-même — affine la description de sa procédure d’analyse ain-
celui qui était autrefois identifié avec le matériel— si qu’il multiplie les catégories en jeu. Il propose
qui commence à être composé. donc une division dans quatre grands groupes de
L’autre contribution musicologique que l’on catégories pour l’analyse: les aspects formels, qui
veut mentionner c’est celle d’Olivier Julien qui font référence au paramètre traditionnel de forme;
constitue un précédent très proche à notre point les «données transcriptibles», qui comprennent
de vue. Les réflexions de Julien sont notamment trois autres paramètres de l’analyse classique: le
pertinentes car elles offrent une méthode d’ana- rythme, la mélodie et l’harmonie; le troisième
lyse qui prend en compte la relation fondamen- groupe concerne les arrangements et l’interpré-
tale de la musique pop-rock avec les technolo- tation et le quatrième, les aspects technologiques,
gies de la production. Dans sa thèse de doctorat, qui réunissent les paramètres de panoramisation,
Le son Beatles, Julien fait une analyse musico- le mixage et le traitement sonore.
logique de la discographie officielle des Beatles Dans la mesure où la contribution de Julien
en postulant une méthode adéquate pour l’objet propose une méthode d’analyse qui prend en
étudié qui diffère des méthodes traditionnelles, compte la relation définitoire de la musique pop-
qu’il voit comme inappropriées pour aborder rock avec la technologie, elle nous fournit d’un
les œuvres pop-rock. Dans l’introduction de ce outil précieux pour toute recherche qui se propose
travail de recherche, Julien se centre sur le pro- de faire une analyse musicale des œuvres de cette
blème méthodologique en commençant par s’éloi- tradition-là. L’affirmation des premières pages de
gner de la partition comme objet d’analyse pour sa recherche sur Les Beatles à propos de la relation
proposer à la place le phonogramme. De même unique que le rock établit avec le studio et le sup-
que Gracyk et Pouivet, Julien soutien que l’enre- port phonographique est une intuition très proche
gistrement est dans la musique pop-rock l’œuvre de l’idée que l’on entend justifier, dans notre cas,
elle-même et donc que le pop-rock est «un art de d’un point de vue esthétique, en dépassant les dis-
tradition phonographique» (Julien [1998]: 27). cours des musiciens ainsi que l’analyse musicale
À l’écoute d’un nouveau monde: l’usage esthétique de la technologie dans le pop-rock 175

éclairante et minutieuse de ce groupe fondateur comme l’expression la plus achevée de la ten-

sur lesquels Julien s’appuie10. dance compositionnelle en question.

6. On s’est donné la tâche, en discutant et en

reprenant des contributions de différentes posi- REFERENCES
tions, d’avancer une approche, du point de vue
Adorno, T.W., 1938-41: Current of Music: Elements
de l’esthétique philosophique, de ce que l’on voit
on a Radio Theory, trad. par R. Hullot-Kentor,
comme l’aspect décisif de la musique pop-rock.
Polity Press, Cambridge, 2009.
On l’a caractérisée, enfin, comme la première
Adorno, T.W., 1941: On Popular Music, “Studies in
expression artistique qui dans le domaine de
Philosophy and Social Science” 9, pp. 17-48.
la musique populaire a fait sienne, d’une façon
Adorno, T.W., 1947: Composición para el cine. El
déterminante, la relation que l’art à l’époque de
fiel correpetidor, trad. par A. Brotons Muñoz et
sa reproductibilité technique entretient avec la
A. Gómez Schneekloth, Akal, Madrid, 2007.
technologie pour la création. Ainsi, les éléments
Adorno, T.W., 1949: Filosofía de la nueva música,
musicaux assimilés par l’utilisation composition-
trad. par A. Brotons Muñoz et A. Gómez Sch-
nelle de la technologie constitueront son maté-
neekloth, Akal, Madrid, 2003.
riau le plus caractéristique, dans la mesure où ils
Adorno, T.W., 1963  : Culture Industry Reconsid-
représentent le terrain d’exploration dans lequel
ered, trad. par A. Rabinbach, “New German
se développeront ses aspects les plus innovants.
Critique” 6, pp. 12-19, 1975.
Dans le cadre d’un tel emploi des outils techno-
Adorno, T.W., 1966: Dialéctica negativa, trad. par
logiques et de l’expérimentation sonore qui en
J. M. Ripalda, Editora Nacional, Madrid, 2002.
résulte, le pop-rock s’appropriera et recyclera
Adorno, T.W., 1969: Teoría estética, trad. par F.
également des moyens divers issus de la plurali-
Riaza et F. Pérez Gutiérrez, Taurus, Madrid,
té des styles musicaux existants —un geste qui,
1971.
pour sa part, l’inscrit dans une esthétique pop et
Adorno, T.W., 1970: Gesammelte Schriften,
postmoderne plus large. Sur cette base et dans la
Suhrkamp, Frankfurt am Main.
mesure où on conçoit le lien de l’art contempo-
Adorno, T.W., 1973: Disonancias. Introducción a
rain avec les développements techniques com-
la sociología de la música, trad. par Menéndez
plexes de son âge comme ayant un intérêt fonda-
Torellas, Akal, Madrid, 2009.
mental pour la philosophie, on considère qu’une
Adorno, T.W., 1982: Escritos musicales IV.
étude esthétique critique de la musique pop-rock
Moments musicaux. Impromptus, trad. par A.
doit commencer par la reconnaissance de l’usage
Brotons Muñoz et A. Gómez Schneekloth,
de la technologie pour la production comme
Akal, Madrid, 2009.
la vraie nouveauté du genre dans le chœur des
Adorno, T.W. et Horkheimer, M., 1941: Dialéctica
musiques populaires. Nouveauté qui, à son tour,
del Iluminismo, trad. par H.A. Murena, Editora
a produit les explorations les plus fécondes dans
Nacional, Madrid, 2002.
sa propre tradition, allant des travaux des Beat-
Arbo, A., 2013: L’opera musicale fra oralità, scrittu-
les et des Beach Boys au milieu des années 1960
ra e fonografia, “Aisthesis” 6 (3), pp. 21-44.
jusqu’à aboutir dans l’electronic dance music
Baugh, B., 1993: Prolegomena to Any Aesthetics of
10 Dans
Rock Music, “The Journal of Aesthetics and
ce contexte, il convient de signaler à nouveau que,
Art Criticism” 51 (2), pp. 23-29.
sous l’angle que l’on propose, on étend la relation de la
technologie avec le studio d’enregistrement hors du stu- Benjamin, W., 1974: Gesammelte Schriften, Band I,
dio et on la pense par rapport à la production en général, Zweiter Teil, Suhrkamp, Frankfurt am Main.
en ajoutant pourtant que parmi les caractères de ce lien, Bidon-Chanal, S., 2021: Para una filosofía de la
nombreux sont ceux qui proviennent du travail dans les música de masas: propiedades, criterios estéticos
salles d’enregistrement.
176 Sol Bidon-Chanal

y factores de producción del pop-rock, Thèse de Middleton, R., 1993: Popular Music Analysis and
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Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

S.o.S. – Simulation of Sight

Citation: S. Matetich (2022). S.o.S. – Sim-
ulation of Sight. Aisthesis 15(2): 177-184. Sara Matetich
doi: 10.36253/Aisthesis-13993
Università degli Studi di Salerno
Copyright: © 2022 S. Matetich. This is an [email protected]
open access, peer-reviewed article
published by Firenze University Press
(http://www.fupress.com/aisthesis) and Abstract. Each Site Specific is always and above all Time Specific, that is marked by
distributed under the terms of the Cre- Time and by the times from which it is generated, defined and set in a place. Space is
ative Commons Attribution License, a significant environment a work that works in the Work that re-means, in its transfor-
which permits unrestricted use, distri- mation, the very connotations of performing action. To contain the never-ending pro-
bution, and reproduction in any medi- cess of meaning to which such a work would be subjected, it will be Time: that granitic
um, provided the original author and categorial essence that philosophy, together with Space, indicates as fundamental for
source are credited.
any cognitive and speculative exercise. Moreover such an artifact, incorporating His-
Data Availability Statement: All rel- tory and stories, re-reads – making them readable – living testimonies that animate
evant data are within the paper and its the place of existence of subjects and objects that last the relative time of their exist-
Supporting Information files. ence, in an attempt to make them and itself eternal. As if the work could take charge of
the task of triggering the memorative (making memory) device of the Real, a mysteri-
Competing Interests: The authors ous aesthetic mechanism that interfaces subjects and objects in the common project
have declared that no competing inter-
to adapt, know and make the world – which is more than the Real, imbued as it is
ests exist.
of significant connections and correlations. The object work of art in its positioning
(making room) in a place, invites the subject –through an imaginative pact – to signify
the world through a simulation of sight that allows Man to pre-see his own possibil-
ity of existence before the unknown the real proposes him, responding to his personal
S.o.S. he sends daily, threatened by the indecipherable fear of sinking in the unknown.

Keywords: Site specific, Space, Time, Thingness, Memorative device.

For over sixty years the Site Specific has included and labelled
those different forms of art whose common feature is mainly the fact
of having been specifically conceived and made for\in a given place.
Starting from the link with the Space in which these multiform
forms of art are installed, the following work aims to investigate the
unique relationship that each Site Specific maintains with Time and
the consequent peculiarities that derive from this special link. Space
is a significant environment, a work operating in the work that re-
means, in its transformation, the very characteristics of performative
action. It is ultimately Time that will contain the endless process of
significance to which a work thus spatialized would be subjected, as
a granite-like categorial essence that philosophy indicates – together
with Space – as paramount to any cognitive and speculative exer-

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 177-184, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13993
178 Sara Matetich

cise. Each Site Specific is always and above all Time An insidious question, which leads the entire prob-
Specific, that is marked by Time and by the times lem into what will eventually appear to us as being
in which it’s generated, defined and set in a place, a trap, namely resorting to the category of similarity
which not always will remain at its disposal. Being to solve the enigma of the presence of the absent, an
some Site Specifics temporary, the space destined enigma common to imagination and memory. […]
to them will not be able to collaborate to give It first designates the great enigma of memory, in
connection to the Greek problem of the eikon and
them sense forever, yet a thought must be given
its embarrassing doublet of phantasma or phanta-
to the new destinations of some of these prod-
sia. We have already said that the mnemonic phe-
ucts: one should think of the museum, a natural
nomenon consists in the presence to the mind of an
container of art, which is not always able to con- absent thing that – furthermore – no longer is but
tain such an object transposed from its significant once was. Whether it is simply evoked as a presence,
place of origin and, more often than not, forced and in this sense as a pathos, or it is actively sought
to retreat into its mere thingness when dislocated. out in the operation of recalling that ends in the
Also, many of these works are conceived in situ, experience of recognition, what is remembered is a
that is in their active dialogue with the physical- representation, meaning a re-presentation. (Ricœur
ity of the hosting place, its architectural elements [2000]: 9; 240)
and – last but not least – with the socio-political
situation that characterizes it. An amalgam of His- Container and content of the past, the place
tory and stories. In order to start to lay his fin- – seen as an operating Space – becomes an exem-
gers on the work, the artist is therefore required plary, contaminated matrix from which to devel-
to know the events and connotations of the space op the project of a work in open dialogue with
that will enter1, connoting it in turn, the materi- Time, in its ambiguous nature of present absence.
ality (in the sense of Heidegger’s thingness2) of its In addition to the past time, a Site-Specific work
product. The artist is responsible for taking charge also has to do with another temporality: that of
of the memory of the place, the unique system of the duration of its crossing. This is where the
production of the present, destined to make itself first short circuit between space and time occurs.
memory. The representation of the past, that is A Site Specific occupies a space, an empty space
the plot woven into the present time by memory, that re-signifies the place and the stories inhabit-
can only manifest itself through the paradox of an ing it – or gravitating around it – but at the same
enigma. The paradox of a work rooting its essence time allows itself to be re-signified by those who
in memory lies in fact in its being intimately will spend their time crossing the work, making
linked to the discovery of traces useful to a true themselves an amalgam of History and stories, of
reconstruction of history and – even more – to its Time and times. Inside it, works the acquisition of
indissoluble game with imagination. a plural identity basing its legitimacy in the indis-
soluble “memory-history” combination, the one
we – translating the indications by Paul Ricœur
1 One should not refer here to any kind of curatorial referred to the fiction story – can match with the
request, but rather to a necessary aesthetic claim of com- equally essential combination of reality and artis-
mon sense.
2 See Heidegger (1962): 11: «Place and temporal location tic transposition, giving – eventually but not final-
individuate and distinguish otherwise absolutely similar ly – the viewer the same fundamental role Ricœur
things. But insofar as each thing has its place and tempo- attributed to the reader:
ral location, there are never two [absolutely] things. The
particularity (Jeweiligkeit) of places and their manifold- do we not consider human lives to be more readable
ness is grounded in time. The basic characteristic of the when they have been interpreted in terms of the sto-
thing, i.e., that essential determination of the thingness ries that people tell about them? And are not these
of the thing, to be “in each case this,” is grounded in the life stories in turn made more intelligible when the
essence of space and time».
S.o.S. – Simulation of Sight 179

narrative models of plots – borrowed from his- ten to desires and dreams, mistakes and regrets,
tory or from fiction – are applied to them? (Ricœur imprudence and prowess spread over the times,
[1990]: 138). to become a strong voice of the Present, which is
that place the dependence to the past relates to
Moreover the artifact, incorporating His- («tre-affecté par le passé») with hope for the future,
tory and stories, re-reads – making them read- that place of the antithetical and incessant sway
able – living testimonies that animate the place between the statement of guilt and the request for
of existence of subjects and objects that last the forgiveness. Again Ricœur directs us, this time
relative time of their existence, in an attempt to resorting and paraphrasing Reinhart Koselleck:
make itself, along with them, eternal. As if the
work could take charge of the task of triggering As space of experience we must intend every
that mysterious aesthetic mechanism that we can inheritance from the past, whose sedimented trac-
define the memorative device of the Real, which es somehow constitute the ground on which lay
relates subjects and objects in the common pro- desires, fears, predictions, projects, in short all kinds
ject to adapt, know and make the world (which is of anticipations that project us towards the future.
more than the Real, imbued as it is with signifi- However, this space of experience can only be due
cant connections and correlations). At this point it to polar opposition to a horizon of expectation
is possible to reach the first conclusion, which in which, on the other hand, is irreducible to the space
turn constitutes the premise – as well as the theo- of experience; it is the dialectic between these two
retical proposal – at the basis of this article: there poles that ensures the dynamics of historical con-
sciousness. (Ricœur [1998]: 7-31)
is a specific type of artifact which, more clearly
than others, shows its peculiar nature by work-
Evidence must therefore be found that the
ing, getting its hands dirty, with the most classic
work of art (as a significant object that is open to
categories of philosophy, such as Space and Time,
the possibilities of meaning) is able to participate
in their Kantian meaning of “universal and nec-
with the subject (spectator, user and at the same
essary conditions of sensitive experience”. This
time co-author of the process of signification of
very peculiar art form collaborates towards the
the work) to the dialectical play between space of
comprehension of spaces and times in their own
experience and horizon of expectation, the only
­– no less important and necessary – meaning of
one capable of guaranteeing the production of a
historically recognizable environments and peri-
historical consciousness. The most important the-
ods. Moreover, this art form is participated, most-
oretical issues one can find along the way are ana-
ly actively, by the spectator – both stranger and
lyzed here.
internal user – who with his own gaze will open
the work to redefine Space and spaces, Time and
times, testifying its validity to the condition of 1. ON TIME AND SPACE
being able to make an imaginative pact, this way
guaranteeing a common vision. It is not like that Each work, each artifact in general, but more
to the work of art in general, the relationship is emblematically an artifact designed in the form of
not associated with the user, but it is precisely in Site Specific, takes Time as an explicit variable of
the peculiar form of art of Site Specific that the its own phenomenology. The artist must become a
impact of the participation to the outcome of the reader of Time in order to be able to suspend that
story – in itself unpredictable – starting from the moment of it in which its essence is condensed by
work, takes shape. Maker and spectator collabo- dislocating it in a form that knows how to give it
rate in the determination of a space of common a voice. His task can be assimilated to that of the
experience of which the artifact becomes sign of a historian who must «detect this unexpected new
successful agreement. Past and future tend to lis- with all its implications in any given period and
180 Sara Matetich

to bring out the full power of its significance» the dwelling space so hospitable that it clears the
(Arendt [1994]: 320). It is up to him to discern the space away for something different from itself? An
enlightened event from the enlightening event that illustrious thinker believes so, thus persuading the
illuminates a beginning, which had remained hid- reader:
den in the past. And so endlessly: because every
beginning will become end for the eye to come. Whereof does it speak in the word “space”? Clear-
The artist must be part of the horizon of expe- ing-away (Räumen) is uttered therein. This means:
rience of the work, and at the same time of that to clear out (roden), to free from wilderness. Clear-
of its action, not neglecting the more than ardu- ing-away brings forth the free, the openness for
man’s settling and dwelling. When thought in its
ous task of becoming a wise conductor among the
own special character, clearing-away is the release of
ruins of a past on which – and from which – to
places toward which the fate of dwelling man turns
construct and organize the current unexpected
in the preserve of the home or in the brokenness of
of the act edifying his own work. He must know homelessness or in complete indifference to the two.
how to act as a beacon in the necessary mediation […] Clearing-away is release of places. In clearing-
between private time and public time. By follow- away a happing at once speaks and conceals itself.
ing again the indications of Paul Ricœur we can (Heidegger [1969]: 206)
say without hesitation that even for the author of
an artifact and more generally of any type of crea- Martin Heidegger characterizes the essence
tive action, the useful principle of thinking (and of Space by presenting it as a territory granting
conceiving) his own work as an imaginative vari- access and arrangement in order to make room in
ation on time3 as something capable of establish- it by arranging and ordering (Einräumen). There
ing new configurations of temporality, as well as is more: Heidegger identifies the arranging (mak-
unprecedented and variable (imperfect) media- ing-room) as the action that «prepares for things
tions between external time (the public time of the possibility to belong to their relevant whither
history and calendars) and internal time (the and, out of this, to each other» (Ibid.: 122-123).
interior time of one’s own experience). The imagi- It is thanks to the arrangement of something in
nation – affirming its effectiveness in the trans- space that the necessary relationship between
formation of Time – plays a fundamental role in things present to whichever human dwelling sees
producing this variability, or temporal instability. itself consigned is granted. Things, therefore, help
The fundamental role of imagination in the entire assign Man his own dwelling. And it is precise-
process of creation, placement and signification of ly these things, these works of art I refer to here
a Site-Specific work will be addressed here later. that, eminently (like sculpture, which Heidegger
For the moment, it is enough to just highlight the explicitly refers to in the essay from which the last
complex plot of temporality inherent in a work of passage has been taken), have the task of forging
this kind: a temporality no longer linear, but acted space in Space to become a nexus (both signifi-
upon by the memorable spontaneity of the experi- cant and existential) for those who live there and
ence of a subject who works with the aim of filling for the others who will be hosted by that place
an empty space in order to make it eternal. The to become spectators of the Event. The opening
work must turn itself into space to clear the space of this event, spatialized in its being right there,
away in order to open itself to a dialogue with manifests the non-concealment of Time chan-
time. But what space is willing to be contaminat- neled in the time of the present creation of the
ed by the work of art? What space welcomes and work. It is at this point that the contact between
doesn’t reject the new so that both have a voice? Is Ricœur’s theory, which indicates the possibility of
narrating the aporia of Time through an artwork,
3A notion that Ricœur in turn borrows from Husserl and
and that of Heidegger, which places the spatializa-
which refers to the analysis of a narrative work. tion of an Event in its objective nature of possi-
S.o.S. – Simulation of Sight 181

ble disclosure of Truth, becomes clear. By making subject and object the artist disappears. What
these two indications interact, one could identify fades is his craftsmanship, not his genial act: he is
the burdensome scope of the task entrusted to an no longer the one who made it but is, among oth-
artefact which, emblematically, is revealed in a ers, the one who participates – subject among the
Site-Specific work precisely due to the peculiarity subjects – to the making of the present, to its pos-
of disclosing its most intimate nature while deter- sibility of being seen.
mining the connection between Space and Time. In order to fine-tune this device, it is neces-
Moreover, by incorporating in it the temporalized sary that between the subject and the work there
possibilities of revealing a possible truth – which is the intuition of a bond, whose regulativeness
is not the absolute Truth, but the possibility by a can only be asserted by the imagination, no longer
non-concealment of uncovering itself – it makes a attributable only to the oscillation between its pro-
space habitable, meaning readable in its potential ductive and reproductive quality, but to its crea-
to become a dwelling for the necessarily aesthetic tive determination. This faculty – inevitably Kan-
sensitivity of the human being. Hard is the work tian in its origin – becomes medium (apparatus),
of the artist-craftsman of such a work: he must capable of operating a variation of meaning that
suspend Time to incorporate it into his work. will translate the object into work, no longer dis-
His temporalized work must, in turn, make space tinguishing between object and work, but allowing
within Space in order for it to be made dwella- the latter to open up to the possibility of becom-
ble to Man. Therefore a weight is assigned to the ing a sure indication of meaning. The re-meant
object being created, a weight corresponding to object does not change its quality of being thing
the amount of responsibility pending on the creat- in order to become work of art: indeed, the sub-
ing subject. In fact, as anticipated, the burden will ject is not able to assign – through his imagination
not weigh only on his invisible and fragile shoul- – a plus of meaning to the object, such to trans-
ders: the created object triggers the mechanism of form it in work of art. What happens first of all,
that memorative device which, through the imagi- is that the subject is able to catch the aesthetic
nation, will have to connect it with the subject and symptoms in a given object. The human faculty,
together they will be called to make the World, naturally predisposed to grasp the aesthetic symp-
that is the set of possibilities of knowledge offered toms exhibited in an artifact, is the imagination,
by the opening of a place in its relationship with Kantian imagination to be precise. The power of
the historical period that connotes it with vices this imagination resides first of all in its produc-
and virtues. tive quality, a power it will fully attain only in the
Critique of Judgment when, having declared its
autonomy (albeit in accordance with certain rules)
2. ON THE CONSTRUCTION OF A and released from the existence of a real referent,
MEMORATIVE DEVICE it will be made free, autonomous, to produce by
itself the representation of something that is not
First of all, a clarification: the choice of the
real, yet is the necessary condition for the human
attribute connoting the device – eminently aes-
being to experience and communicate it univer-
thetic – that is going to be examined here, does
sally. It is through this concise definition of crea-
not intend to simply indicate the possibility of
tive – and active – imagination that we should
a passive and past making of a real already real-
understand the nature of its role as the driving
ized and, therefore, considered in its being already
force of that productive mechanism of unprec-
there. Such device is memorative because it makes
edented sensitive forms of aesthetic knowledge. It
memory, which is the present of the future and,
is through this peculiar form of imagination that
above all, its only chance of being. Here is anoth-
we identify and detail that memorative device to
er necessary premise: in the relationship between
which we have referred, as a special device capable
182 Sara Matetich

of intuiting and identifying, exemplarily in Site- Sight, as aesthetic visions necessary to the opening
Specific art products, that something useful, nec- of a world, will be shown.
essary to the establishment of the present. Kantian
«free regularity of the imagination» must agree
with the regularity of the intellect: this means that 3. ON THE SIMULATION OF SIGHT
the imagination (which is free) does not schema-
Christoph Büchel, a Swiss artist, is paradoxi-
tize according to the concepts of the intellect, but
cally quoted in the news section of newspapers
demands that – through its compliance to rules
worldwide more than in art magazines! This is
– an agreement to certify its normative attitude
because of his provocative projects that base their
(the ability to establish rules from time to time) is
essence precisely on the simulation of sight pro-
eventually reached. The two faculties (Kraft) agree
cess. Among these, there is the construction of an
only subjectively (they do not integrate into the
Islamic Mosque inside a deconsecrated church:
scheme of a concept) by putting in place an ani-
The Mosque, built at the Venice Biennale in 2015
mating action between freedom (the imagination)
at the Iceland pavilion (the access to the church
and legality (the intellect). What if this animat-
was closed earlier than planned due to complaints
ing action no longer resides in the play between
from local authorities challenging the «creation of
the two faculties – imagination and intellect – but
an unauthorized place of worship»). During that
rather, and more creatively, between imagination
exhibition, Björg Stefànsdottìr, director of The Ice-
and Space of the work, or of the operating action?
landic Arts Center4, declared it was a mosque and,
The object work of art in its positioning (clearing-
at the same time, was not a mosque, it looked real
away) in a place becomes Simulation of Sight as
without being real: at the end of the exhibition,
an imaginative reproduction (i.e., present only as
the mosque would be taken down and thus the
displayed in the form of mental image by the sub-
installation would be over. According to Stefàns-
ject) of a significant potential of the present that,
dottìr, this is art.
once felt, will be universally shared among the
Art is allowed to shuffle the cards of vision,
members of the same aesthetic community and,
confusing beliefs and places, making room to
hopefully, understood by those who will come.
re-enable and re-live (making them dwellable
From the place of the work, an open and tempo-
by the new) desolate places, re-territorializing
ralized space, the eventualities of a possible loca-
them, re-destining them, incorporating them
tion in time and – for the user of the work – of a
with other meanings, extraordinary and for this
possible understanding of Time inside time, stand
reason exceeding (and exceptional). Art has the
out. Such understanding will not be discussed,
task of surprising and intriguing the viewer who
because it retains the characteristics of the Kantian
must accept the risk of having is vision shocked
«knowledge in general»: it will be an acquisition
in order to open himself to the Sight of Simula-
based on the senses, that is felt and not verbaliz-
tion: in that Church a god who is not welcome is
able other than via categories aesthetically shared
worshipped… this is the oscillation of meaning
through common sense. In conclusion, one can-
that leaves the viewer teetering. This is the ridge
not avoid pointing to an exemplarity that clearly
between object and work by which the imagina-
shows and, ultimately, clarifies the operation of
tive device that has the task – among other things
the device that is being referred to here: this will
– to make History, is finally triggered.
be done by referring to the provocations of artist
It is exactly on the power to make History that
Christoph Büchel and some significant disloca-
Büchel ponders when he proposes to re-signify
tions carried out by him. Through them, the evi-
the eight prototypes commissioned by Trump for
dence of the variation in meaning from object to
work, in order to put the memorative device in 4The work of Buchel was set in the Icelandic Pavilion of
action, as well as the production of Simulations of Venice Biennale.
S.o.S. – Simulation of Sight 183

the construction of his border wall to separate the stumbling that testifies the absence of the artist
United States from Mexico. Those eight sections of from the trigger of the aesthetic mechanism of
wall, one different from the other (and each char- signification aimed at transfiguration (which does
acterized by extraordinary protective capabilities), not transform) of the object into work. Büchel
costing about 300 to 500 thousand dollars each, doesn’t make anything. But he has a genial pre-
had been temporarily placed in Otay Mesa, next vision: he imagines the disruptive effect the wreck
to the barrier that already separates San Diego will have finding space right there, in the glossy
from Tijuana. The proposal/provocation by Büchel place of festivals and catwalks, of market art. And
was to declare those eight prototypes «national it is in that prophetic vision that the artist strips
monument»! In this regard, the artist specified himself of his ability, returning to his being sim-
that there was no political criticism in his motion: ple subject in the presence of an object with which
«My political position, that’s not interest- an imaginative bond (of an eminently aesthetic
ing in this context», he told the New York Times. nature) is established, one that seals the curious
«When you look at it there, and you see every- attention given «to what exists or might exist».
thing, it’s quite a strong conceptual impact. Visu- So, that boat is really just a wreck, but it is
ally it is really striking. That’s why this should be at the same time Simulation of Sight, eminently
preserved, because it talks so much about our his- produced by a work of art, that investigates other
tory». Those objects would have been able to say a possibilities of being of the object, of the space it
lot of our story, more than History itself is capa- inhabits and of ourselves in front of it.
ble of doing. The thingness of those objects held a This undertaking is possible thanks to the sin-
huge transfigurative power that would allow them gular ability that an artifact possesses (and that
in its relationship with the subject, to become oth- a Site-Specific work manifests exemplarily) to
er than – and re-signify – itself to signify a piece reconfigure the space in which it takes shape that,
of history to be transmitted to the future as an in turn, modifies the mode and the very form of
effective and unique statement of guilt and request life and world of those who, encountering it, will
for forgiveness. Yet that powerful suggestion went occupy a renewed space where to stay, that is to
unheeded and those prototypes are now gone: live. Furthermore, the reconfiguration of a Space,
they were demolished. And with them a chance to eminently in Barca Nostra, triggers the possibil-
make history has vanished: that of triggering the ity of equipping time with a sensitive diction-
memorative mechanism of meaning that makes ary, through which decoding the events of His-
the Real, in its possibility of being understood. tory, making its story more readable. History and
Another of his installations, transported to stories, Time and times were shipwrecked again
the Venice Biennale in 2019, is Barca Nostra. The on the Venice lido, with the intent to re-actu-
artist moved to the Arsenal the wreck of a boat alize the time of death of those in that boat who
that sank on 18 April 2015 in the Sicilian Chan- had glimpsed their only possibility of life, which
nel. That shipwreck costed the lives of almost all becomes for us an authentic, present and power-
the migrants (estimated to be between 700 and ful anticipation of death, to keep saying it with
1100 people). Only 28 of them survived. And Heidegger. Yes, because it is in a work of art – and
so, where the first ships of the Crusaders used to that boat transforms its being thing from an object
depart, where now luxurious cruisers stroll, some to a work of art when what remains of it is dis-
even outraging onlookers by performing danger- located and therefore given new meaning – that
ous bows, where the sight opens to the beauty of Time is embodied, making itself visible.
the lagoon, here is the stumbling block placed by Paul Ricœur specifies that it is only in the form
the artist. of the tale that there is the possibility of realizing
And it is this act of stumbling that makes vis- and configuring time, but this extraordinary power
ibility possible, that simulates the sight. It is this of making time human does not reside in the sole
184 Sara Matetich

activity of the narrative tale. Or, better, the power Heidegger, M., 1962: Die Frage nach dem Ding. Zu
of the story, and its ability to become a necessary Kants Lehre von den transzendentalen Grund-
condition of the temporal experience, dwells in all sätzen; transl. by James D. Reid and Benjamin
those art objects that, by inhabiting a space, open D. Crowe: The Question Concerning the Thing:
up countless, truthful possibilities of storytelling. On Kant’s Doctrine of the Transcendental Prin-
The variety of stories that emanate from them does ciples, Rowman & Littlefield International,
not compromise the possibility of making History, London-New York, 2018.
but participates in the formation of that choral act Heidegger, M., 1969: Die Kunst und der Raum,
of hearing the stories (which of course is not mere transl. by Charles H. Seibert, Indiana Univer-
listening, but a participation through the senses) sity Press, Bloomington, 2007.
in order to make History. Of course, the time of Ricœur, P., 2000: La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli;
the work is not Time, but participates in the pro- transl. by Kathleen Blamey and David Pallau-
cess of its embodiment, as well as in the triggering eur, The University of Chicago Press, Chicago,
of that creative mechanism that designates every 2004.
human being as an actor/creator participating in Ricœur, P., 1998: La marque du passé, “Revue de
the narrativization of the tale of the times, the only Métaphysique et de Morale” 1, pp. 7-31.
ones that can identify the passage and the meaning Ricœur, P., 1990: Soi-même comme un autre; trans.
of Time. Moreover, the narrative possibilities that a by K. Blamey, Oneself as Another, The Univer-
work of art opens by resignifying a place, making sity of Chicago Press, Chicago, 1995.
itself space in a place, form the shelter that every
human being identifies, guided by his innate ten-
dency to strive to understand reality in order to
make it habitable; they are the embodied forms of
Space and Time, seen in their Kantian meaning
of «universal and necessary conditions of sensitive
experience» through which humans can get their
hands dirty by playing the moves of that creative
game which is played every day in order to seek
the point of our being in the world.
In conclusion, Site Specific, Public Art, Politi-
cal Art, are nothing but original (albeit not origi-
nary) art forms that embody their possibility to
withstand the shock of Time in their ability to sig-
nify the world through a simulation of sight that
allows us to pre-see our own possibility of exist-
ence in the presence of the un-known that the real
presents us with responding to the S.o.S. (Save
our Souls) we daily send, threatened by the over-
whelming terror of sinking in the unknown.

REFERENCES

Arendt, H., 1994: Essays in Understanding, 1930-

1954. Formation, Exile and Totalitarianism,
Harcourt, Brace&Co., New York.
Aisthesis Firenze University Press
www.fupress.com/aisthesis

Being There or Non-being There: Memory of

Experience in Virtual Space1
Citation: Z. Bayrakçı (2022). Being There
or Non-being There: Memory of Expe-
rience in Virtual Space. Aisthesis
15(2): 185-197. doi: 10.36253/Aisthe- Zeliha Bayrakçı
sis-13861
Architectural Design Doctor of Philosophy Program, ITU Graduate School, Istanbul
Copyright: © 2022 Z. Bayrakçı. This is Technical University, Istanbul, Turkey
an open access, peer-reviewed article [email protected]; [email protected]
published by Firenze University Press
(http://www.fupress.com/aisthesis) and
distributed under the terms of the Cre- Abstract. When we are present in a space we have been to before, we remember
ative Commons Attribution License, our experiences or events, people, and things related to that space. However, we can
which permits unrestricted use, distri- remember a space we have not been to and experiences that do not belong to us. We
bution, and reproduction in any medi- can have memories of them through transferential spaces created by mediums such as
um, provided the original author and images, films, television, or virtual reality. These virtual spaces enable the transfer of
source are credited.
experiences and memories. This study focuses on the relationship between experiences
Data Availability Statement: All rel- in virtual spaces and memory. It problematizes the change in the quality of experiences
evant data are within the paper and its in physical and virtual spaces and the memories gained from these experiences. Film
Supporting Information files. and virtual reality mediums are chosen to analyze the changes. The study reveals that
depending on the types of mediums, characteristic transformations occur in memories
Competing Interests: The authors obtained from experiences in virtual spaces.
have declared that no competing inter-
ests exist.
Keywords: Artificial memory, Personal memory, Transferential space, Virtual reality,
Virtual space.

1. INTRODUCTION

To remember a space or an event that happened in a space we

need to encounter it or be present beforehand. While experiencing
a space that we have been in previously, the space itself triggers the
remembering process, and memories that are related to that space
begin to emerge in our minds. This mechanism of remembering
and acquiring memories is profoundly affected by so-called second-
hand experiences, which are characterized by encountering movies
or virtual reality apparatus. This study examines this phenomenon
through the researcher’s personal experiences with virtual settings.

1 This article was produced from author’s ongoing PhD thesis supervised by

Asst. Prof. İffet Hülya ARI in Istanbul Technical University, Architectural

Design Doctor of Philosophy Program.

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 185-197, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13861
186 Zeliha Bayrakçı

Monologue #1: through which they themselves did not live» and
transferential spaces are thus «artificially con-
Z: I have been walking for a long time. I am both structed» (Landsberg [2004]: 113). These kinds of
tired and hungry. I have to find a place to eat. spaces are virtual as they have no physical (mate-
Z: This restaurant […] I can dine at this restaurant rial) presence. To experience them, it is necessary
[…] I remember that their food was delicious. to engage in various mediums (films, television or
Z: We came here with X last year, we sat at that
Internet, etc.). In this case, Wiesler’s experiences
table in the corner and chatted.
were taken on by the researcher in the transfer-
ential space of the film. The researcher possesses
In Monologue #1, the restaurant as a remem-
artificial memories of someone else’s experiences
bered space is part of the researcher’s memory,
because the researcher is not physically present in
gained by first-hand experiences. This remem-
the film’s virtual space, she is in front of the screen
brance incorporates direct experiences and obser-
in a physical space. Since these memories are not
vations of the memory-owner, unlike Monologue
natural they differ from personal ones, which are
#2:
the products of first-hand experiences (Landsberg
Monologue #2: The Lives of Others [2004]). They are artificial memories obtained
from second-hand experiences (watching a film or
Z: Isn’t this the bookstore where Wiesler saw the television).
poster of Georg’s book as he passed by? The research aims to discover the relationship
Z: Ah! Yes, that bookstore […] The bookstore was between memory and experiences in virtual spac-
on this Allee, wasn’t it? es created by image-based media in the context of
Z: Yes. Wiesler, formerly a lieutenant, was then a presence and to argue the following questions: Is a
postman. While he was walking on this Allee, he virtual space just a space of transmission? Are all
saw the poster of the book and decided to enter this the memories obtained from virtual space expe-
bookstore. riences artificial memories? Can these memories
Z: Wait! I haven’t been here before, not even in this become a part of our memory that constitutes our
city. How can I remember this bookstore and the personal history, similar to our memories?
events associated with it? The methodology of the study is heuristic
research. The heuristic research was developed by
In Monologue #2, the bookstore that the
Clark Moustakas and introduced with the publica-
researcher had encountered while wandering
tion of Moustaka’s book Loneliness (1961).
around the street triggers a recollection and her
Heuristic inquiry is a qualitative and phenom-
memories associated with that place come to the
enologically aligned research model (Moustakas
surface. However, the remembered bookstore is
[1990], Sultan [2019]). «The self of the research-
not a part of a personal memory of the research-
er and the researcher’s perceptual field are key
er prior to the monologue, as personal memories
dynamics in heuristic approach» (Sultan [2019]:
are associated with being physically present when
4). The self of the researcher is a bodily human
an experience or event happens. Remembrance
being. The body is the vehicle of perception, and
of the bookstore and related events are experi-
perception is based on bodily actions. As Merleau-
enced through a film named The Lives of Others
Ponty ([2005): 239) states «We are in the world
(Henckel von Donnersmarck [2006]) and memo-
through our body […] we perceive the world
ries of them are conveyed through the experience
with our body […] the body is natural self and
of watching the film (Fig. 1).
the subject of perception». Hence, Nevine Sultan
The film – The Lives of Others – creates «a
(2020) relates heuristic inquiry to Ponty’s philoso-
transferential space in which people are invited
phy since Ponty’s philosophy is based on a body-
to enter into experiential relationships to events
centered phenomenology of perception: «Heuris-
Being There or Non-being There: Memory of Experience in Virtual Space 187

Fig. 1. Encounter with the bookstore and recollection.

tic inquiry is guided by Ponty’s philosophy that The Lives of Others) and the main question of the
stresses human perception as performed through study and continued with her experiences and
our bodies and human interaction and meaning- encounters. Through the journey, new research
making as perceptual acts» (Sultan [2020]: 161). questions arose concerning the main question.
The heuristic inquiry emerges from the After defining the questions, data were col-
researcher’s encounter with the topic of interest lected to illuminate them. The tool of data collec-
through an autobiographical experience (Sultan tion and interpretation is the researcher herself.
[2019]). The experience in point is the recollec- The methods of collecting data are open-ended
tion triggered by an encountered space. The recol- (Moustakas [1990]) in heuristic research. In the
lection gave rise to Monologue #2 (self-dialogue study, the researcher gathered data through dia-
of the researcher) and the main question of the logues guided by research questions with herself.
study: I haven’t been here before, not even in this This process revealed the researcher’s subjective
city. How can I remember this bookstore and the experiences and encounters related to the research
events associated with it? questions. These experiences and encounters were
The heuristic journey of the researcher began accepted as the data of the study. Enumerated
with her lived experience (experience of the movie monologues and experiences (VR experiences) in
188 Zeliha Bayrakçı

the paper explain and elaborate researcher’s per- otherwise perceived it happening, it is false to say
sonal experiences, and are considered research he remembers his brother being married» (Mar-
data. To illuminate the questions, the data were tin, Deutscher [1966]: 164). Therefore, being a
analyzed through Alva Noë’s (2012) definition of part of this mental image requires being there at
presence and presence in physical reality. that time. Presence is «the conscious feeling of
being in an external world, at the present time»
(Waterworth, Riva [2014]: 2). Being there does
2. BEING THERE: PERSONAL MEMORY not necessarily mean being corporeally in the
external world. The conscious feeling of being
Memory brings us to a connection with the
present depends mostly on the interaction with
past. It is generally defined as a system that pre-
and access to that place. «Interaction with it is a
serves the past and imports it to the present. «The
matter of availability, and the world makes itself
past survives under two distinct forms: first, in
available to the perceiver through physical move-
motor mechanisms; secondly, in independent rec-
ment and interaction» (Noë [2006]: 1). According
ollections» (Bergson [1991]: 78). The first is habit-
to Noë ([2012]:70), «presence is a matter of avail-
ual memory, but this study focuses on the sec-
ability […] Our sense of the presence of objects
ond form of memory: independent recollections
and properties around us, in perceptual experi-
which are in the frame of explicit memory. Explic-
ence, is understood in terms of our being skillfully
it memory concerns personal memory which
poised to reach out and grasp them». If one can
involves, roughly, our capacities to remember par-
access the (physical or virtual) world in this way,
ticular events, episodes, or experiences of our own
it means that one is in the presence of that world.
past (Sutton [2020]).
«To be in the presence of something is to recog-
Without actualization, personal memory is in
nize it as existing contemporaneously with us and
its pure state. It is a pure memory isolated from all
note that it comes within the actual range of our
perception. Bergson calls it pure memory because
senses» (Bazin [2005]: 96). This expression reveals
it has no psychological existence. Therefore, it is
the necessity of simultaneity and being present
called virtual, and inactive (Deleuze [1991]). «This
in a shared space with things. Accordingly, if we
memory «can only become actual by means of
remember that something happened, it indicates
the perception which attracts it» (Bergson [1991]:
that we were present at that time and in a shared
127). Put differently, actualizing a virtual mem-
space with it. Its memory is a part of our past – it
ory is «beginning with a virtual state and leading
is a personal memory. So it can be said that one
step by step up to the point where it gets materi-
can have personal memories acquired from expe-
alized in an actual perception» (Ansell-Pearson
riences in the (physical or virtual) world when the
[2005]: 1117). While a virtual memory becomes
intense feeling of being there is attained.
actual with the present perception, a memory-
image reveals in a person’s mind. The memory-
image is the contextual frame of actual memory 3. NON-BEING THERE: ARTIFICIAL MEMORY
and is comprised of the content of the experience,
the person who remembers, space and time. The Throughout history, people have developed
memory owner must be a part of this image, but many memory aids – wax tablets, photographs,
s/he does not need to be in the center of it (Lars- videos, etc. – to counter the temporariness of
en [1992]). So, the memory owner does not need memories, and some techniques – mnemotech-
to be the subject of the experience, s/he can be a nic – have been introduced to make it easier to
witness to it. «Of course, someone can remem- remember (Yates [2020]). One vivid example of
ber his brother being married although it did not these memory aids can be seen in the episode of
happen to him. Still, unless he saw it, heard it, or the Black Mirror television series titled The Entire
Being There or Non-being There: Memory of Experience in Virtual Space 189

History of You (Welsh [2011]): in this futuristic we look at a picture of our childhood home and
and somewhat dystopian scenario, people have the loved ones, we do not actually see them. «Since
chance to constantly navigate within their memo- to see something, in normal circumstances, is to
ries through memory implants named as grain, encounter it. To see it, you must be with it in a
which they carry on their bodies. On the other shared space» (Noë [2012]: 84). Therefore, what
hand, memory aids such as film, video, and pic- we see is not the house or the loved ones but their
tures can provide new memories besides helping representations. They are only visually present, but
to remember. These mediums can create trans- they are not there. The house or the loved ones in
ferential spaces which invite people to experience the picture is virtual since the virtual is not there
events that they have never encountered. They (Levy [1998]). However, «every picture has a dou-
can transfer the experiences of a person to some- ble aspect: it is there for you, as a tangible, physi-
one else who has not been experienced and thus, cal thing, and a presentation of» (Noë [2012]: 84)
one can have memories through these transmis- someone or something. Additionally, there are two
sions. According to Landsberg ([2004]: 22), «with levels of spatial perception: «One being the space
the aid of mass cultural technologies, it becomes in which the picture lies and the other being the
possible for a person to gain memories that are space in which the object pictured lies» (Gibson
not his or her natural or biological inheritance». [1969]). One is a physical space in which the pic-
Landsberg (2004) explained how a person can ture lies and the other one is a virtual space in
receive memories through such media with the which a virtual object lies, because «a virtual space
concept of prosthetic memory. «Prosthetic mem- is always housed inside another space – a space
ories do not have a direct connection with the of the bodily dwelling» (Grosz [2001]: 23). As a
past of a person, but can pretend to be memories result, even though the space of the picture is vir-
of real events that have happened, derived from tual, it can be said that the virtual space is essen-
interactions with a mediated representation, such tially a space, only without a material presence. As
as seeing a film or watching a television series, Ettlinger ([2008]: 25) mentions that in our experi-
not from the first-hand experiences of the per- ence, «we can relate to the space as something that
son» (Landsberg [2004]: 20). Prosthetic memories is there, even though we know very well that it has
are mediated and artificial because, for example, no physical existence».
a viewer has experiential relationships with the In the case of watching a film, the transfer-
transferential space created by the film and the ential space created by the film is also a virtual
events in that space. The space transfers experi- space. Although one can have the access to this
ences or memories of someone else to the viewer, space visually and audibly, one cannot fully access
and the viewer can obtain memories through this it due to the lack of interaction and bodily move-
film experience which is a second-hand experi- ment, similar to a still image. Besides, visible
ence. According to Gibson (1954), a picture or boundaries of the screen continue to emphasize
model is a vehicle for obtaining experience at the presence of the viewer in front of the screen.
second-hand. «A picture or a model is a surrogate Therefore, she cannot have the intense feeling of
which is a stimulus produced by another indi- being in the virtual space. Consequently, the view-
vidual which is relatively specific to some object, ers borrow experiences that are not their own and
place, or an event not at present affecting the thus only have artificial memories of virtual space.
sense organs of the perceiving individual» (Gibson However, this situation has changed with digital
[1954): 5-6) and «one picture may be a surrogate media (such as the internet, computer games, etc.)
for a wide piece of the absent scene and another which has made it possible to interact with the
may be a surrogate for only a narrow piece of the virtual space. Even using an interface or a joystick
absent scene, or perhaps only for a single object or a mouse instead of a body as an input device
on it» (Gibson [1954]: 15). For example, when causes negative effects on the feeling of being pre-
190 Zeliha Bayrakçı

sent in the virtual space, it is believed these tech- In addition to interactiveness, maximum
nologies, and especially virtual reality technology detachment from the physical space in a VR-based
improves the feeling of presence in a virtual world. virtual experience is aimed. «Usually, the visual
and auditory stimuli of the physical world are
shut out and replaced with others. This leaves one
4. BEING IN BETWEEN part of the sensorial body in the physical world,
and another part in the virtual world» (Penny
When it comes to VR, which is a medium
[1990]). Thus, the sensory integrity of the body is
through which virtual space can be accessed
disturbed and two partial bodies emerge. While
(Ettlinger [2008]), the virtual space is freed from
bodily senses such as sight and hearing are trans-
the borders of the interface and now completely
ported to virtual space partially, another partial
covers one’s audiovisual field. «When one looks at
body continues to exist in the physical space with
something in VR, it is not framed by the dimen-
the inner senses of the body such as balance. The
sions of a monitor, television set, or movie screen.
perceptual dialogue of the body with two spaces
Instead, s/he sees the virtual world as s/he sees the
continues simultaneously but unequally. Con-
real one. When s/he looks to the left or right, the
sequently, the feeling that the body exists in two
virtual world is still there» (Bailenson [2018]: 59)
spaces at a time arises due to the perceptual infor-
even though it is physically absent. «In VR one
mation layers received from the physical and the
appears to interact with a world outside one’s own
virtual space (Thomas, Glowacki [2018]). While
body although there is no actual and correspond-
in the virtual space, the person can have percep-
ing there surrounding the person» (Tjostheim,
tual experience as in the physical space, yet the
Waterworth [2022]: 38).
physical body of the person continues to exist in
Compared to other mediums, VR offers to get
the physical space where the virtual space encom-
behind the screen and put the user at the center
passes. This experience of a person who continues
of the action (Le Breton [2016]), so one becomes
perceptual dialogues with both spaces is defined
the subject of actions in the virtual space. How-
as being in between (Fig. 2).
ever, the subject of actions may differ according
This binary perceptual dialogue of being in
to the type of VR experience. In a non-interac-
between decreases and breaks the depth of the
tive VR experience, one has a 360-degree field
feeling of being present in the virtual space. To
of view without the boundaries of the screen but
transcend or eliminate this phenomenon, the
cannot interact with what s/he sees in the virtual
space. Lanier ([2017]: 239) states that «if you can-
not reach out and touch the virtual world and
do something to it, you are a second-class citizen
within it. Everything else there is connected into
the fabric of whatever world it is, but you alone
stand apart». However, unlike non-interactive VR,
interactive VR is considerably bidirectional, as
«one can interact with a virtual world by chang-
ing locations, picking up objects and setting them
down, flipping switches, and so on» (Sherman,
Craig [2003]: 11). So, the transition from a passive
subject to an active one with interactive VR also
means the transition of virtual space. The virtual
space turns into a space of interactive experience
for the user, instead of an audiovisual spectacle.
Fig. 2. Being in-between.
Being There or Non-being There: Memory of Experience in Virtual Space 191

Table 1. The factors affecting the formation of presence feeling become dominant (Popat [2016]). The sense of a
through which virtual reality experiences are analyzed.
body derives from three things: vision, balance
Noë’s definition of presence Presence in physical reality (vestibular system), and proprioception. Pro-
-interaction with the -first-person POV prioception is like the eye of the body, the body’s
environment way of seeing itself (Sacks [1987]). The body feels
-visible body present because of the immanent senses, such as
-bodily movement
-ability to act proprioception and the vestibular system. There-
fore, to make the body completely visible in a VR
-the body as vehicle of actions setting, there must be visuo-proprioceptive com-
-objects, spaces or people pletion. Having a virtual body – an avatar – in
interacted with have realities. the virtual space can be useful for achieving this
kind of completion. One can see their virtual
body from a first-person point of view (POV) or
state of being in between should be overcome a third-person POV. In the first-person POV, one
and transformed into the state of being pre- looks through the eyes of the virtual body. Here,
sent in virtual space by integrating this dissected one’s POV coincides with her/his avatar (Mül-
sense of being present. In line with this thought, ler [2006]). Also, seeing the representations of
the concept of completion was introduced by the the moving parts of the virtual body while mov-
researcher. In the study, the concept of comple- ing to grasp an object seen in the virtual space
tion refers to the transfer of the other part of the enables bodily completion. Unlike the first-person
partial body to the virtual space. With the reali- POV, one can see an entire virtual body controlled
zation of the completion, the breaks of the feel- by him/her with a third-person POV. In such a
ing of being present in the virtual space are over- case, the virtual body moves in the virtual space
come, and having the feeling of being there is with the real body of the person synchronously.
achieved. To achieve this, three different but inter- This provides visuo-proprioceptive congruence
related completions are proposed by analyzing the between two bodies, so bodily completion emerg-
researcher’s VR experiences in the context of the es. Bodily completion can have a positive impact
factors obtained from Noë’s definition of presence, on the feeling of being in the virtual space, and
and presence in physical reality2 (Table 1): bodily, thus the memory of this experience changes quali-
actional, and spatial completion. tatively.

4.1 Bodily completion 4.2 Actional completion

The focus of bodily completion is to make the During the VR experience, when one moves
body visible. In physical reality, one’s body is vis- her/his head left or right, up, or down, through
ible. However, one who is visually detached from HMD and motion tracking system, her/his gaze
physical reality with virtual reality tools cannot changes according to the movements similar to
see her/his moving limbs when s/he moves or physical reality. However, for the intense feeling
the rest of her/his body when s/he looks down. of being there, one needs to be able to do more
When one does not perceive the existence of her/ than just move her/his head around – to be able
his body visually, the internal senses of the body to move the whole body. To walk around in the
virtual space, it is necessary to do the same in the
physical space or to enact it through bodily move-
2 The factors associated with presence in physical real-
ments. With this ability, a sequence of simultane-
ity were acquired by drawing on the book titled Feeling
Present in the Physical World and in Computer-Mediated ous and overlapping actions emerges, overcom-
Environments by John Waterworth and Giuseppe Riva. ing the disengagement between actions in both
192 Zeliha Bayrakçı

spaces. In addition to the action taking place in one may hit or encounter determined physical
the virtual space, the nature of this action is also obstacles in physical space or the virtual grid sys-
important. Popat (2016) pointed out that tactility tem (such as linear indications) visible in the VR
is identified as a contributing factor in the estab- experience. The grid system shows the borders of
lishment of presence, yet it is the action of reach- the virtual space and aims to keep in the experi-
ing out to touch that provides this effect, rather ence field. These kinds of defined boundaries and
than the achievement of contact itself. To touch an grid systems make spatial incompletion visible.
object or change its location in the virtual space, These completion suggestions in the study are
one must be able to reach and grasp it. An action- developed by the experiences of the researcher
al completion occurs when bodily movements through various VR settings. These experiences
performing these actions overlap the bodily move- are described and analyzed according to their
ments in the physical space. Reaching and grasp- scenario, input devices, physical and virtual spa-
ing a virtual object in the virtual space that has tial qualities, and the overall feeling of presence.
some correspondence with physical reality affects These experiential inquiries below reveal the pos-
the sense of touch significantly. sible qualitative alteration of memories acquired
As a result, actional completion is also relat- through VR experiences by transforming artificial/
ed to and requires spatial completion because prosthetic memories into personal/first-hand/nat-
the completion of the actions in the virtual space ural memories.
depends on the actions in the physical space.
However, if the action cannot be performed physi- VR Experience #1: Here (Lysander Ashton, 2020)
cally (hence corporeally) because of a lack of
spatial completion, using input devices such as a Here is based on Richard McGuire’s comic
joystick to act within virtual space also provides book with the same name. It tells stories of the
actional completion to some extent. Through corner of a particular room and people who have
input devices, actions such as moving within the lived there for several hundred years (Here, n.d.).
virtual space, roaming between spaces, grasping After donning HMD (head-mounted display),
virtual objects, and changing their location can displays of a living room from different periods
be performed. However, performing these acts from 1870, 1988, 1942, etc. begin to overlap (Fig.
through the body increases the feeling of being in 3). So, how the living room changes over time and
a virtual space, while using input devices has the different life stories in the living room are wit-
opposite effect. nessed.
One’s body is invisible throughout the VR
4.3 Spatial completion experience since there is not a virtual body in the
virtual space that coincides with bodily move-
In spatial completion, the physical environ- ments. Therefore it can be said that bodily com-
ment that VR experience takes place and the pletion is absent in this case. Also during the
experienced virtual space itself must complete experience, the researcher can move around up to
each other in terms of spatial layout and spa- a certain point, because her movement is restrict-
tial boundaries. In some cases, parts of the vir- ed by VR devices such as the cable of HMD. In
tual space cannot be experienced, even though it addition, the discrepancy of spatial layouts and
is in the visual range. This reveals that the spatial boundaries affects the actional completion nega-
boundaries of the two spaces do not overlap. Non- tively. The researcher cannot act inside the virtual
overlapping boundaries affect actional completion space freely and cannot interact in any way with
negatively, as one cannot act inside the virtual the virtual space, virtual objects, and virtual peo-
space as s/he wishes. Therefore, one’s movements ple. For this reason, she cannot access the virtual
within two spaces are restricted. In other cases, space thoroughly and cannot have an intense feel-
Being There or Non-being There: Memory of Experience in Virtual Space 193

VR Experience #2: Glimpse (Benjamin Cleary, Michael

O’Connor, 2019)

Glimpse is an interactive VR experience. Its

narrative is about a panda named Herbie who has
recently broken up with his girlfriend. Herbie is
an illustrator and uses his art to keep his memo-
ries alive (Glimpse, n.d.).
VR scenario begins after sitting in a chair
positioned in front of a screen. The researcher
finds herself at an illustrator’s desk in the virtual
space of Glimpse via HMD and joystick (Fig. 4).
However, there is no overlap between the virtual
space and the physical space in which the expe-
rience takes place in terms of spatial layout and
boundaries of both spaces. These are indications
of the absence of spatial completion.
During the experience, the virtual mirror on
the table gathers attention suddenly. When the
researcher looks in the mirror, she meets the face
of Herbie. The researcher sees Herbie as her ava-
tar form in the virtual space (Fig. 5). The research-
er’s POV coincides with Herbie’s POV. So, the
researcher becomes involved in the experience
through the eyes of Herbie.
While moving to reach and grasp an object,
she encounters the image of the panda’s mov-
ing limb. This allows the visual and propriocep-

Fig. 3. Displays overlap the physical space of the experience.

ing of being present in the virtual space. Conse-

quently, the researcher borrows the experiences of
people in the different displays of the living room
and has artificial (prosthetic) memories, qualita-
tively closer to a film experience.

Fig. 4. Physical space where the experience occurs and one’s posi-
tion throughout the experience.
194 Zeliha Bayrakçı

Fig. 5. One’s avatar form in Glimpse.

tive senses to complete each other. Further, there wireless VR tools. A virtual hand shows up while
would likely be some degree of ownership over approaching vitrines to see photographs. Through
this virtual body – it comes really to seem to be the virtual hand, it is possible to get photographs
one’s own body (even though one knows it can- from the vitrines and enlarge or shrink them.
not be [Slater (2009)]). But, in the experience, the the action performed via the virtual hand coin-
researcher grasps something through the buttons cides with the movement of the physical body.
of a joystick instead of bare hands. The joystick is This demonstrates bodily and actional completion
the tool for action in the virtual space of Glimpse. in tandem. However, the rest of the virtual body
By using it, «one translates the input into some cannot be seen below. At this point, the bodily
sort of action» (Rubin [2018]: 30). If the tool of
action were the body of the researcher instead of
the joystick, she would feel that the virtual body
in the virtual space belongs to her. Because the
sense of body ownership influences the possibility
of the sense of presence in virtual space. The lack
of actional completion also affects bodily comple-
tion. Due to lack of completion, the researcher
cannot fully access the virtual space, so she can-
not have the feeling of being in the virtual space.
Therefore, the memory gained from the Glimpse
experience is an artificial one.

VR Experience #3: Thresholds (Mat Collishaw, 2017)

In this experience, a space with a high ceil-

ing is seen after VR tools are worn. While walk-
ing around the room, big windows, a fireplace,
vitrines in which photographs are exhibited and
white shadows strolling in the room appear. The
researcher moves in the virtual space as she wish-
es and can interact with the space because of the Fig. 6. Overlapping spatial layouts of the virtual space and the
physical space.
Being There or Non-being There: Memory of Experience in Virtual Space 195

analog mediums such as film or television, VR has

more potential to achieve the sense of being pre-
sent in a virtual space since VR provides the pos-
sibility of bodily movement and interaction with
virtual spaces. However, not all VR experiences
allow interaction with the virtual space. There-
fore, the researcher cannot fully access the vir-
tual space. So, the virtual space remains a space
of transmission of experiences and memories of
someone else. However, interactive VR experienc-
es pave the way for accessing the virtual space and
having the intense sense of being present in a vir-
Fig. 7. The physical space where the experience takes place, the vir- tual world. Thus, it ceases to be a space of trans-
tual space experienced through VR tools, and spatial completion by
overlapping boundaries and spatial layouts.
mission and becomes a space of experience.
However, in the lack of proposed comple-
tion types, the feeling of being present continues
completion ruptures for a while, but the negative to rupture. When the researcher has the complete
impact is minimized by spatial and actional com- feeling of being present, experiences in a vir-
pletions. tual space become parts of our personal experi-
At the end of the experience, it is realized that ences. Memories acquired from these experiences
the physical space where the experience takes have the potential of being part of her memory
place, and the virtual exhibition hall have the and personal history. Hence, it can be said that
same spatial layouts (Fig. 6). in some cases without completion, the memories
Spatial overlap between the virtual and the show artificial (prosthetic) nature and they may
physical space in terms of spatial size and spatial remain within the invisible and imprecise bound-
layout is a positive effect to ensure spatial comple- aries of the artificial memory. However, not all
tion (Fig. 7). Furthermore, feeling the materials of memories obtained from experiences in virtual
vitrines and the temperature change while getting spaces are completely artificial.
closer to the fireplace makes the spatial comple- Consequently, it is thought that it will be pos-
tion significantly intense. sible to fully access virtual spaces, thanks to either
Through all these completions, the researcher VR or different technologies that may emerge in
can access the virtual space more holistically and the future and thus, memories gained from these
have an intense feeling of being present in the vir- experiences in virtual spaces may be increasingly
tual space. Thus, the memory of the Thresholds associated with personal memory.
gets closer to being a part of her natural/personal
memory rather than an artificial/prosthetic one.
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5. CONCLUSION Ansell-Pearson, K., 2005: The Reality of the Vir-

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doi: 10.36253/Aisthesis-13652 Parul Singh
Copyright: © 2022 P. Singh. This is an Jawaharlal Nehru University, New Delhi
open access, peer-reviewed article [email protected]
published by Firenze University Press
(http://www.fupress.com/aisthesis) and
distributed under the terms of the Cre- Abstract. This paper is an attempt to examine critical ways of displacing the mean-
ative Commons Attribution License, ing of journey – as minor rhythms and motions of everyday life. The everyday and its
which permits unrestricted use, distri- cyclical nature embedded in a productive life within the capitalist social regime is seen
bution, and reproduction in any medi- as an unexotic site of quotidian struggle. It warrants our attention only when the body
um, provided the original author and asserts its presence at the site of rebellion or resistance. This is frequently reported as
source are credited. an exception to the given norm. The concrete reality of our given material conditions
Data Availability Statement: All rel-
is always fermenting and churning towards the “not yet”. Patterns of the everyday are
evant data are within the paper and its seen as an extraordinary event or rupture only when the body rebels. My contention is
Supporting Information files. that this journey of the body-politic is not embedded in a certain moment of its arriv-
al or departure, from point A to B, but marked by dynamic, shifting vectors that are
Competing Interests: The authors capable of a “leap”. In, against and beyond the spectre of capital, this paper will try to
have declared that no competing inter- outline and discuss these minor perforations in time through the Shaheen Bagh pro-
ests exist.
tests and the migrant exodus during the pandemic in India.

Keywords: Migration, Exilic aesthetics, Protest, Body politic, Spatio-temporality.

The first commandment for every good explorer is that an

expedition has two points: the point of departure and the
point of arrival. If your intention is to make the second
theoretical point coincide with the actual point of arrival,
don’t think about the means – because the journey is a vir-
tual space that finishes when it finishes, and there are as
many means as there are different ways of “finishing.” That
is to say, the means are endless. (Che Guevera [2003]: 49)

Gilles Deleuze and Felix Guattari’s (1986) discussion on the works

of Kafka, makes an entry through a concept called minor literature.
For them, the interpreter is typically an agent of the dominant social
code and thus the interpretation reproduces the material it considers
as instances of the code. Thus, in order to allow for experimentations

Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico 15(2): 199-205, 2022

ISSN 2035-8466 (online) | DOI: 10.36253/Aisthesis-13652
200 Parul Singh

in interpretation, they call for a deterritorializa- over the subcontinent in 2019, changing the imag-
tion of a major language – stammering, stuttering ination of resistance in the subcontinent.1 The
or becoming a stranger in one’s own tongue, and Citizenship Amendment Bill (CAB) sought to pro-
hating all the languages of the masters, thus under- vide an amendment in the Indian citizenship act
mining the structures of power at the centre. This wherein illegal migrants (Hindu, Sikh, Christian,
paper takes this Deleuzian concept of the ‘minor’ Jain and Parsis) who entered India before 2014
as a task of reinterpretation of the notion of jour- and suffered religious persecution in the neigh-
ney. More so now than ever, this ‘task’ becomes bouring countries, would be accepted as Indian
necessary as the global pandemic has thrown into citizens. The main point of contention in these
sharp relief the contours of economic and politi- protests was the exclusion of Muslims and other
cal crises, and the ways in which its problem solv- religious/ethnic communities. The dissent of the
ing postures only remained acts of deferment. Up bill/act was largely articulated as a discriminatory
until, the world with all its productive rhythms measure by the state which could leave these com-
came to a screeching halt, albeit momentarily. As munities ‘stateless’ or devoid of their rights as citi-
the global capitalist regime fumbled towards more zens. On the surface, the protests took the shape
and more barbaric forms of accumulation, it was of resisting against the further persecution of a
the stammerings and stutterings of resistance and minority community (exclusion of Muslims, exiled
revolt by the masses everywhere, that once again Tibetans, Rohingya refugees) through the lan-
showed some hope in these bleak times. This paper guage of the state, vested in the narrow juridical
will attempt to decentre/destabilize the commonly vision of acts and amendments that keeps defining
held assumptions of the concept of journey in two and dissolving the parameters of the constitution
parts. The first part will shed a light on the dis- of its subjects for governance.
placement and disarticulation of everyday rhythms One of the protest sites in New Delhi, Shaheen
and movements of women and children during Bagh (hereafter SB), became a global symbol of
the protracted resistance at the site of Shaheen dissent, being led by women of the area, who
Bagh. A brief critical analysis will be attempted of staged an indefinite sit-in against the act. Images
the politics of the protest in its visual register. In of burqa-clad women, old and young, sitting defi-
the second part, I will try and unpack the ‘exilic’ antly against the latest diktat of the state, gained
or ‘migrant’ aesthetics, its limits and possibilities, immense popularity. (Fig. 1) However, what I
and the crisis of representation that accompanies want to focus on is not so much the outward
its unfolding. With a brief interlude in this direc- appearance and bravura of the protestors, but
tion, the purpose of this section will be to explore the subtle and minor displacements, hiccups and
migration as a generalised condition and how the stammers that affected the body politic, in terms
pandemic has forced us to rethink the valence of of everyday rhythms. A crucial element of these
rhythm and movement. Which is to say, map the protests was also its location (a major highway
vectors which do not necessarily have a start or that served as a connection between peripheral
finish point but are journeys all the same. The fig- industrial sites in the city and its extended circuits
ure of the migrant is unpacked as a key witness to
the material conditions of this epoch and the bear- 1 See https://citynotesinquiry.wordpress.om/2020/01/06/
er of its refusal. caa-nrc-rebellion-against-and-beyond-the-duality-of-citi-
zen-and-infiltrator/. The observations and critique of the
Shaheen Bagh protests in particular and the Anti-CAA/
1. SHAHEEN BAGH: MINOR FIGURES OF THE
NRC struggle, in general, are documented in more detail
POLITY
here. City Notes Inquiry is a documentation of the politi-
cal inquiries in which I am a co-researcher. The writings
The anti-CAA/NRC (Citizenship Amendment here reflect the open-ended interviews, discussions, writ-
Act, National Register of Citizens) protests took ing pamphlets collectively at the site of the protests.
On Minor Peregrination: The Aesthetics of Dissensus and Movement 201

which served as a passage into the capital’s centre change the pre-existing meaning of the origi-
of distribution and exchange). By blocking this nal material. (Fig. 3) The children were quick to
highway, the protest site concurrently turned an mimic slogans and sing along songs of resistance
enclosure – vested with the privatized interest of – words far removed from their daily lives – but
the state – into a ‘common’ site for its very dissent a sense of curiosity for their meanings deepened
and disarticulation. Women, whose labour usually their interaction with the body as the site for poli-
remains unpaid and invisible in the reproductive tics. Time and space – and within it – rhythm
sphere of ‘home and hearth’, moved out to assert and movement, are not just disruptions from the
their double resistance – against their time which normal way of life; but point towards the incom-
is bound by care-work at ‘home’ and another that mensurability of qualitative rhythms. Life, as
seeks its representation/measure in the (public) organised under the capitalist regime, would see
social sphere. The number of hours that the wom- this as a hindrance to the smooth functioning of
en spent sitting at the protest site was an uncom- clock-time or homogenous empty time as Wal-
mon phenomenon from the regulated hours of ter Benjamin (1986) called it. It is homogenous
child-rearing, jobs and house-hold chores. Usu- because each moment, past, present or future
ally these hours are self-regulated as care-work on is indistinguishable in its own right, it is only a
which other members of the family depend. Many tool in which our activities occur, or our labour-
young women were accompanied by infants and power is expended as productive subjects. Wal-
toddlers on the site. This also drew heavy criti- ter Benjamin’s (1986) critique of the linear pro-
cism from certain factions and the Supreme court gress of history is situated against the paradigm
took suo motu cognisance on the matter to stop of a such positivist understanding. The concept of
involvement of children and infants in demon- the history of the human race is based on a cer-
strations. However, the women spoke out against tain idea of homogenous and empty time, where
this injunction knowing fully well the stakes that time is merely seen as a crucible in which human
were in operation – not just a collective resistance activities take place. Which is to say, a time in
against CAA/NRC but an emanicipatory force that which labour-power is expended under capital’s
lay in the maturing of time on their own terms. command. Against a dominant and unconscious
Another spatio-temporal site of disambigua- view of this time, he proposes the concept of the
tion during the protests were those occupied by “here-and-now” (Jetztzeit), which is charged with
children. As future workers, whose time is con- our past and where the objective of history is ful-
trolled by the ideological state apparatuses of filled. The time of resistance and rebellion thus
school, family and play-time; they turned the pro- takes place in the here-and-now. Here, what mat-
test site into an active sphere of engagement. (Fig. ters is not gaining time, but losing it in such a way
2). As Adorno pointed out: that the maturity or intensification of the same
allows for an active remembrance and a leap in
In his purposeless activity the child, by a subterfuge, the imagination towards possible futures, different
sides with use-value against exchange value. Just from the present one. During protracted periods
because he deprives the things with which he plays of protests or resistance, it is this ‘time’ as organ-
of their mediated usefulness, he seeks to rescue in ised under the universal principle of exchange
them what is benign towards men and not what
that is in crisis. It does not add up to surplus-val-
subserves the exchange relation that equally deforms
ue. It is a suspension that must be restored by all
men and things. (Adorno [2005]: 147)
means. However, I contend, that it is precisely this
Barricades and rubble from the highway at time under ‘suspension’ that is at its most intense.
the protest side, in the daytime, were converted in Against such a quantitative suspension that must
resourceful ways to play hide and seek, or turned be restored to fulfil one’s journey as a produc-
into a makeshift seesaw or other ways which tive subject, it is the qualitative intensification of
202 Parul Singh

time (in and against capitalist clock-time) that is forward.

imbued with creating conditions for the possibility
of collectivization and commoning.
If one were to examine the kind of visual and 2. THE FIGURE OF THE MIGRANT:
textual imagery that were produced during these ACCELERATION AGAINST ABSTRACTION
protests mostly in the form of graffiti and instal-
The concept of journey, historically (migration
lations, one could begin to analyse both its limi-
under socio-political conditions) and mythically
tation and potential. Towards the initial phase of
(spiritual journey of life) has given rise to certain
the SB sit-in protest, numerous texts came up on
figures/subjects that have been contemplated in
the walls of the corrugated metal sheets that cov-
theological, philosophical, and sociological stud-
ered an area at length along the highway for some
ies, as two separate realms. This section is con-
construction purpose. They were devoid of any so-
cerned with the figure of the migrant, as historical-
called artistic ‘style’ or ‘signature’, mostly done in
ly determined, and the possibility of its emergence
black or white spray paint, bearing only the ano-
as counter-power. The migrant, the refugee, the
nymity and the will to signify the absent collec-
nomad, the vagabond ­– emerge as figures where
tive of a ‘we’ rather than an ‘I’. Some of them were
their spatio-temporal location, previously fixed
even able to discern the impersonal state power
and a marker of several identities, is upended.
and how it further segregates the coming together
Which is to say, that the quest remains for all that
of a collective subject. (Fig. 4 & 5) Solidarity state-
has been lost and displaced, i.e. various markers of
ments that came up on the wall with those suffer-
identities, to be given back through a political pro-
ing in Kashmir, Gaza or Palestine hinted towards
cess. In juridical terms, through the conventions
the recognition of a relative surplus population
of human rights, the state once again, in its lan-
that is exploited and reproduced by the capital-
guage of the law, confers (with varied conditions)
ist regime. Those at the protest site, were initially
the title of the citizen to the displaced subject. The
quick to respond against the diktats of the state
entire journey of the migrant/the refugee, which
as productive subjects, whose labour and labour-
begins with the productive subject (the worker-
power is under capital’s command, itself a coercive
citizen) having lost its place in the social regime of
social relation. (Fig. 6) However, this active ten-
capitalism, often by force and violence, is seen as
dency to organize themselves as something much
means to an end, the end being slightly better con-
larger only remained at an incipient level. Graf-
ditions of survival under the same social regime.
fiti and installations that came up during the lat-
What gets displaced in the process is nothing more
er stage of the protest (installations of India Gate
than the identity markers (refugee/immigrant to a
and physical map of India) were mostly seen as
citizen-subject) that keep her bound under capi-
addressing constitutionally minded ‘citizens’ or
talist relations.  However, this journey needs to be
‘people’, and as described earlier, remained caught
seen as more than something that would ensure
up within the force field of identity and repre-
their chances of survival than what was previously
sentation. (Fig. 7) In this sense, when the initial
possible (as right to life). Which is to say, but as a
potential of figuring out its position in the capital-
movement that brings into sharp relief the given
ist relations of production waned, it found its fix
social relations that are constituted by and are con-
in the sphere of distribution (in terms of equal
stitutive of the identity that a subject bears under
rights or fair wages) which also meant this ‘fix’
the juridical social contract. This unfortunate but
laid more stress on reform than revolution.
necessary chance of transforming the meaning of
Despite the limits of the protest (due to its
journey – or in its Latin origin as peregrinor which
internal contradictions), the counter-power which
means to ‘wander’, ‘sojourn’ or ‘migrate’ – was pro-
asserted itself pointed toward the constant/dynam-
vided by the ongoing pandemic. Under heightened
ic act of becoming a ‘we’ and of paving the way
On Minor Peregrination: The Aesthetics of Dissensus and Movement 203

surveillance, not just by the state but in our indi- mulation proceeds in a dynamic fashion. In a clas-
vidual interactions, this term shifted and displaced sical example of primitive accumulation that Marx
the meaning of wandering without a purpose, trav- (1867) situates in 15th century England, through
elling for work or leisure or sojourning for rest. forceful expulsion – turning common land into
What remained unchanged was the movement of enclosures and then onward through slavery, colo-
migration. A migrant is a figure who lacks both a nialism and war – this capitalist growth contin-
static place and some or the other form of social ues. In the late stages of advanced capitalism or
membership and is constantly on the move to neoliberal capitalism, enclosures or privatisation
acquire both. It highlighted the fact that migration of land continues under various pretexts. Urban
is not an exception to our lives but a generalised centres are run precisely by this relative surplus
condition under capitalism. Figures 8 & 9 show population who, more often than not, works for
two eerily similar photographs of migration. Figure a minimum wage. The mass exodus of migrants
8 is from the permanent displacement of Palestin- from these centres exposed them for what they
ian Arabs in 1948, historically remembered as Nak- are – landscapes of dead labour. Media portrayal
ba (catastrophe, disaster, cataclysm), through a vio- of this exodus was shown as an exception to the
lent and forceful annexation of their land by Israel. norm. Well-oiled machines of capitalist accumu-
Figure 9 shows the exodus that happened in India lation – the cities – experienced the first signs of
during the pandemic, when thousands of migrant visible crisis. Serpentine lines of daily wage work-
workers fled from their urban centres of work back ers made their way hundreds of kilometres on foot
to their domicile states. The former is seen as a towards their ‘home’ states. The portrayals varied
direct form of state repression while the latter as an from empathy, pity to rage; all directed against
inevitable condition of unforeseeable circumstanc- the state which had failed in its duty towards its
es. Conversely, both these scenes of migration (and hard-working citizen subjects. They were seen as
many others in everyday life that are invisible) are victims of the state’s apathy, as heroic workers who
a result of extended primitive accumulation. Marx wanted to be with their families and even ready to
describes the original/primitive accumulation in embrace death at this chance. At the same time,
capital’s long history thus: millions of others, engaged in knowledge produc-
tion, gig economy, Information Technology, were
In the history of primitive accumulation, all revo- faced with job loss, decreased wages or increased
lutions are epoch-making that act as levers for the workload. These workers too, migrated in large
capital class in course of formation; but, above all, numbers, pushing the political economy of rent
those moments when great masses of men are sud- into crisis. But this representation of migration
denly and forcibly torn from their means of subsist-
was unsuitable in gaining TRPs (Television Rat-
ence, and hurled as free and “unattached” proletar-
ing Points) or political mileage, as opposed to
ians on the labour-market. The expropriation of the
the helpless figure of a worker on minimum wage
agricultural producer, of the peasant, from the soil,
is the basis of the whole process. The history of this
cycling or walking barefoot with all his meagre
expropriation, in different countries, assumes differ- belongings. The media spectacle created through
ent aspects, and runs through its various phases in the overload of images of workers exiting on foot
different orders of succession, and at different peri- highlighted only what was an everyday occurrence
ods. (Marx [1867]: 876) and the condition of daily wage labourers (labour
chowks in towns and cities). This was now visible
There is no longer a need to extract profit due to their colossal outpouring on the city-roads
through the old ways of forced labour but pre- during a strict regulation against any movement.
cisely based on this illusory freedom it offers the The assertion of their presence, considered a defi-
wage worker through the modern and effective ant move under state enforced lockdown, further
method of commodification, that primitive accu- valorised the figure of the hard-working migrant.
204 Parul Singh

Against this valorisation – which further repro- a purpose, this unproductive activity is mytholo-
duces the figure of the migrant worker – there is gised as a terrifying spectre. The accursed man
a need to see this exodus as the refusal of labour- cannot end this horrifying journey since even
power to be labour-power. It is the rejection of the death escapes him. Many religious texts and faiths
proletarian context of living as it exists. see the idea of pilgrimage, taking long journeys
Thomas Nail (2015) ascribes a new movement on foot, as a way to wash away their mortal sins
to this figure of the migrant – a “pedetic force” in the worldly realm so that the soul undergoes a
as opposed to a centrifugal force. His use of the purification for the heavenly abode. Many faiths
term comes from the 19th century botanist Robert emphasise that they are pilgrims in a profane
Brown’s experimentation on particle fluctuation. realm that is not the final object of their longing,
Termed the Brownian motion or Brownian move- but if they keep their faith in God, the heavenly
ment in which the particles are prone to random destination awaits. Just as Adorno emphasised that
motion when suspended in a particular state of theological concepts must undergo a migration
matter (gas or liquid). For Nail, the social forc- into the profane, similarly we have to search anew
es, that of expansion and expulsion that result in for possibilities in the here and now.
migration also create counterforces of “oscillation, This paper was an attempt to imbue the con-
waves and pressure”. He terms social pedesis as the cept of journey with new, possible meanings,
“irregular movement of a collective body: a social but also reconfigure and resist the structures of
turbulence”. This is the counter-power or migrant’s abstraction of minor figures – the woman, the
power that is capable of qualitative changes in the child, the migrant. A post-pandemic world has
social environment that they enter (collectiviza- only reiterated the limit and crisis of their rep-
tion of land, unionization are some of the exam- resentation. This limit is confronted by us when
ples he gives). (Nail [2015]: 125). This random, the exilic imagination reproduces the figure of
chance-like movement or leap in a migrant’s life the migrant as a ‘victim’ or a ‘hero’; the women
is tied to ever new places of work where they are as only ‘fearless’ and ‘brave’. Instead of dislodging
forced to go. To unhinge themselves again and the universal tendencies of these figures, they are
again and increasing the number of encounters pulled back with a certain ‘moralising’ force to a
they will have. Although these motions are tied position of fixity; either within the constitutional
up in the given social relations as they are, the framework of the nation-state or the juridical one
“pedetic force” they will exert in their new cir- of emancipation and justice. In both cases, main-
cumstances has the power to create frictions, taining and thus deepening the logic of capital-
resistance and rebellion that many times over. ist relations. Nonetheless, it is resistance in all
It is then, precisely the counter-power of the its becoming, that keeps active the tensions, the
body politic that needs further analysis. intensified rhythms, motions and vectors of the
body-politic; refusing at each moment, its previ-
ously given condition.
CONCLUSION

REFERENCES
I am, precisely because I am able to disregard the fact
that I am an isolated individual. Adorno, T.W., 2005: Minima Moralia: Reflections
(Alexander Kluge and Oscar Negt [2016]: 9) from Damaged Life, Verso Books.
Benjamin, W., 1986: Illuminations, vol. 241, n. 2,
The biblical figure of the wandering Jew was Random House Digital, Inc.
presented as a legend in which a mythical, immor- Deleuze, G., 1986: Kafka: Toward a Minor Litera-
tal man is cursed to walk the Earth as a form of ture, vol. 30, University of Minnesota Press.
punishment. Here, wandering aimlessly, without
On Minor Peregrination: The Aesthetics of Dissensus and Movement 205

Gordon, P.E., 2020: Migrants in the Profane: Criti-

cal Theory and the Question of Secularization,
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Guevara, C., 2003: The Motorcycle Diaries: Notes
on a Latin American Journey, Ocean Press.
Kluge, A.,Negt, O., 2016: Public Sphere and Experi-
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ian Public Sphere, Verso Books.
Marx, K., 1867: The Secret of Primitive Accumula-
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vol. 1, transl. by B. Fowkes, Penguin Books in
association with New Left Review, 1976, pp.
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Nail, T., 2015: Pedetic Force, The Figure of the
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